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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org/license + + +Title: L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre 1843 + +Author: Various + +Release Date: April 9, 2012 [EBook #39405] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0035, 28 *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + + +L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre 1843 + + + +L'ILLUSTRATION, +Nº 35. Vol. II.--SAMEDI 28 OCTOBRE 1843. +Bureaux, rue de Seine, 33. + +Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr. Prix de +chaque Nº. 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75, + +Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. pour +l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40 + + + +Courses au Champ-de-Mars. _Vue générale du Champ-de-Mars; les Coureurs +au départ_.--Courrier de Paris.--Histoire de la Semaine. _Éclairage au +gaz sidéral_.--Théâtres. _Deux scènes de Pierre Landais; Cinq scènes de +Don Quichotte_.--De l'autre côté de l'eau. Souvenirs d'une promenade, +par M. O. N.--La pêche de la Morue. _Onze Gravures_.--Projet d'une +Caisse de Pensions de retraite pour les Classes laborieuses--Romanciers +contemporains. Charles Dickens. La Table d'hôte.--Margherita Pusterla. +Roman de M. César Cantù. Chapitre XIV, Pise. _Sept Gravures_.--Bulletin +bibliographique.--Annonces.--Modes. _Gravure_.--Amusements des +Sciences.--Logogriphe musical. Solution.--Rébus. + + + +Courses au Champ-de-Mars. + +Les courses d'automne sont terminées à la satisfaction publique, et +surtout à la satisfaction de deux éleveurs privilégiés, le prince Marc +de Beauvau et le baron Antony de Rothschild, qui ont, seuls, remporté +tous les prix. Le premier a gagné 27,000 fr., et le second 9,000 fr. +Depuis les fameux triomphes de _Miss Annette_, qui, deux ans durant, fut +invincible, aucun cheval de course n'avait eu sur ses rivaux la +supériorité qui, cette année, a été le partage de _Nativa_, au prince de +Beauvau. Au printemps, elle avait trompé bien des espérances: elle avait +médiocrement couru; la faute n'en était pas à elle, mais à son état de +santé. A Chantilly, _Nativa_ a commencé à prendre sa revanche en gagnant +le Saint-Léger; à Paris, elle a continué le cours de ses exploits; +désormais elle a conquis la plus belle place au sommet de l'aristocratie +chevaline. Tous les prix qu'elle a courus elle les a gagnés sans effort, +sans coups d'éperon, avec une facilité désespérante pour les autres. +Comme César, _Nativa_ peut prendre pour devise: _veni, vidi, vici_. + +Le dimanche 15, elle débuta par un prix de 3,500 fr., qu'elle enlève +lestement à des chevaux de haute réputation; le même jour, M. de +Rothschild et son cheval _Drummer_ battent _Ratopolis_, à M. Lupin. +_Capharnaüm_, à M. de Gamins, et bien d'autres encore; 3,000 fr. sont la +récompense de cette prouesse au galop. + +Le jeudi 19, MM. de Beauvau et de Rothschild se partagent encore le +gâteau des courses; le premier, toujours avec _Nativa_, gagne 5,000 fr.; +le second, avec _Muse_, remporte le prix royal, qui se paie 6,000 fr. + +Jusqu'ici la lutte se soutient assez égale entre les deux éleveurs; mais +le moment est arrivé où le prince français va remporter de deux chevaux +et de deux prix sur le baron anglo-allemand. _Nativa_ n'est pas au bout +de ses succès; il reste un prix de 4,500 fr.: il est pour elle. +_Amanda_, au comte de Cambis, _Prospero_, à M. de. Rothschild, +_Vespérine_, à M. Vasquez, n'ont pas la moindre prétention à lui +disputer la victoire. + +Le grand prix royal de 14,000 fr. peut et doit même rétablir la balance +en faveur de M. de Rothschild; _Annetta_, la digne fille de _Miss +Annette. Annetta_, qui a si bien couru l'année dernière, et plus +récemment ce printemps, _Annetta_ a été ménagée par le prudent _Carter_. +De peur de la fatiguer, il ne l'a engagée dans aucune course; elle +arrive fraîche, légère, au combat; sa condition est parfaite; +l'entraîneur a droit à tous nos éloges; tout le monde parie pour +_Annetta_, elle est favorite. Si quelques joueurs hardis osent aventurer +quelques louis contre elle, ils s'adressent à _Adolphus_ magnifique +cheval du comte de Cambis, et ils contient leur sort à la vitesse bien +connue de ce bel animal. Mais en matière de course, les hommes proposent +et les chevaux disposent. Personne ne songeait à _Jenny_, la modeste +_Jenny_, qui n'a pour elle que des succès insignifiants de province, et +le mérite négatif d'être une fois en sa vie arrivée seconde au Derby de +Chantilly; mais depuis, _Jenny_ est devenue la propriété du prince de +Beauvau; le roi Midas changeait en or tout ce qu'il touchait; dans les +heureuses écuries de la maison de Beauvau, les mauvais chevaux se +changent en bons chevaux, les _Jenny_ se changent en _Nativa_. + +_L'Illustration_ a saisi le moment où va être donné le signal du départ +pour le grand prix royal. Tout le monde est à son poste; on aperçoit la +tribune du jockey-club, les juges et les coureurs. _Jenny_ est confondue +dans la foule, mais bientôt elle en sortira: elle sera victorieuse. + +Elle a gagné les deux épreuves avec une supériorité incontestable. +Quoique pleine de sept mois, quoique restée en arrière de quelques +longueurs, par la faute de son jockey, elle arrive première, au bruit +des applaudissements et des bravos. + +[Illustration: Courses de septembre au Champ-de-Mars.] + +_Jenny_ a autrefois appartenu à lord Seymour, dont l'hippodrome regrette +aujourd'hui l'absence. Lord Seymour, cet Achille des courses, est en ce +moment renfermé sous sa tente, laissant prendre sa place par de jeunes +éleveurs. Il est à regretter, malgré les succès de ses héritiers, qu'un +homme si intelligent, et à qui les courses doivent tant en France, se +soit laissé dégoûter par des revers immérités. Il a été dignement +remplacé et suppléé par MM. Lupin, A. Fould, Sabatier, de Beauvau et de +Pontalba; mais lord Seymour est presque dans notre pays le créateur de +cette industrie, qui peut devenir nationale; et, tout en rendant justice +au présent, pour être juste, il faut donner un regret au passé. + +[Illustration: Les coureurs au départ.] + +Une remarque assez curieuse à faire, c'est que depuis plusieurs années +le nombre des bonnes juments l'a emporté sur celui des bons chevaux. +Ainsi, en 1841, nous avons eu _Fiametta_; en 1842, _Annetta_; en 1843, +_Nativa_ et _Jenny_; puis, dans un ordre inférieur, _Tragédie, Amanda_ +et _Muse_. Les chevaux sont bien loin de valoir leurs rivaux du sexe +féminin. Cette, bizarrerie de la nature, est un malheur pour nos races +françaises; des étalons pourvus des qualités qui distinguent _Nativa, +Annetta_ et _Jenny_ eussent été précieux; leur sang se fût répandu par +tout le pays, et eût amélioré les espèces; bornées à la condition du +mères, ces juments perdent presque toute, leur valeur publique et +nationale, et nous obligent à aller chercher en Angleterre, les étalons +que nous eussions trouvés chez nous. + + + +Courrier de Paris. + +M. de Talleyrand n'était pas mort tout entier, tant que M. de Montrond a +vécu; c'était la seconde moitié de lui-même; Talleyrand n'allait pas +sans Montrond, et Montrond sans Talleyrand; l'un complétait l'autre; +mais maintenant tout est dit; M. de Talleyraud est bien mort; M. de +Montrond a été enterré la semaine dernière. + +On ne trouvera plus son pareil; cette espèce d'hommes est finie, et M. +de Montrond en aura été le dernier et, on peut le dire, le plus parlait +représentant; il faut une corruption en grand et de très-grands +seigneurs pour faire éclore une telle race et pour l'alimenter; faites +naître un Montrond de notre temps, il végétera et s'étiolera bien vite; +dans ce monde de petits vices et de petites intrigues vulgaires, il n'y +a plus place pour une intrigue si savante et pour un vice si raffiné; +quand il séduirait la femme d'un député d'arrondissement et enlèverait +deux ou trois Pénélopes de la garde, nationale; quand il ferait pour +cinquante mille francs de dettes, la belle affaire! Et où placerait-il +sa charmante impudence, sa fine raillerie, ses airs de Momcade, son +cynisme élégant et son esprit de démon? Au service d'un millionnaire +enrichi dans la cannelle ou dans le trois-six: le bel emploi pour le +chevalier de Grammont mélangé de Casanova! + +M. de Montrond fut l'un et l'autre, et, comme tous les deux, il se fit +de sa hardiesse et de son esprit l'existence la plus romanesque et la +plus singulière. Sans fortune, sans crédit, perpétuellement en butte à +la rancune des protêts et des huissiers, il mena toute sa vie un train +du grand seigneur, et fit face aux situations les plus périlleuses et +les plus diverses par des bons mots. + +M. de Montrond est mort à suivante-dix ans; pendant cinquante années de +cette vie équivoque, la curiosité publique chercha le mot caché de ce +luxe et de cette prodigalité, fondés en apparence sur les brouillards de +la Tamise et de la Seine. Fallait-il en demander le secret au jeu, à +l'amour ou à la politique? M. de Montrond était-il un de ces bons amis +du hasard, qui se donnent un équipage d'un coup de carte, et d'un coup +de dé se bâtissent un château? Comme les petits chevaliers de l'ancienne +comédie, se faisait-il un gros revenu de l'estime des tendres baronnes +et des douairières sentimentales? ou bien, araignée de la diplomatie, +tendait-il secrètement ses toiles dans les coins ténébreux de la +politique dont son ami Talleyrand tenait les fils? On a cru l'une et +l'autre chose, et M. de Montrond était homme à justifier tout ce qu'on +pouvait en croire. + +La moralité de ces exigences est d'ailleurs payée ce qu'elle vaut par +ceux-là mêmes qui s'en servent ou qui s'en divertissent.--Un jour, M. de +Montrond racontait en riant, à M. de Talleyrand, la grande colère d'un +de ses créanciers, qui l'avait menacé la veille de le jeter par la +fenêtre: «Le drôle oubliait, ajouta-t-il, que nous étions au troisième +étage.--Montrond, dit Talleyrand, je vous ai toujours conseillé de vous +loger au rez-de-chaussée!» + +Il nous est mort un autre comédien; mais du moins celui-ci ne +dissimulait pas sa qualité et y allait de franc jeu. Son nom s'étalait +bravement sur l'affiche, et dévoilait le rôle que mon homme allait +jouer. Du reste, sa noblesse valait celle de M. de Montrond; il +s'appelait M. de Rosambeau... M. Jules Janin a publié l'autre jour, en +l'honneur du défunt, un article nécrologique dans le style de l'oraison +funèbre du grand Condé et de Turenne. Entre nous, Rosambeau ne demandait +pas une telle éloquence, et Bossuet est de trop pour un acteur de +vaudeville et d'opéra-comique. Scarron aurait mieux fait l'affaire. +Rosambeau, en effet, avait recueilli tout l'héritage des héros du _Roman +comique_: la vie errante, l'insouciance, la pauvreté, l'habit en loques, +et la résignation philosophique; plus d'une fois il trempa sa croûte de +pain au courant d'une eau claire, comme son aïeul Melchior Zapata. + +Rosambeau avait commencé, par être beau, jeune, élégant, adoré; Ellevion +le redoutait, et les succès de ce rival étaient venus le troubler dans +sa _Maison à Vendre_. Mais, tandis qu'Ellevion, désertant +l'Opéra-Comique, s'arrondissait en riche propriétaire et allait jusqu'à +la croix d'honneur il à l'éligibilité, mon Rosambeau perdait ses +cheveux, perdait ses dents, et tombait, de chute en chute, jusqu'au +théâtre des _Folies-Dramatiques_. Il eut encore une heure d'éclat: ce +fut le jour où l'Odéon lui donna asile. Hélas! l'Odéon ne se montra pas +charitable longtemps; un an avant sa mort, Rosambeau, rendu tout entier +à la vie philosophique, errait à la grâce de Dieu dans les rues de +Paris, plus délabré que le Juif Ahasvérus, et n'ayant pas même cinq sous +dans sa besace. + +Il s'adressa plusieurs fois à mademoiselle Mars, qui l'accueillit avec +bonté et le renvoya toujours moins pauvre qu'il n'était venu; mais +l'argent ne tenait pas à Rosambeau, et Rosambeau tenait à l'argent moins +encore. Ses poches étaient percées, la manne qui par hasard y tombait +passait bien vite à travers. + +Il revint si souvent à Araminte et à Célimène, qu'à la fin leur humanité +se lassa; d'ailleurs, le Rosambeau était si peu vêtu et si peu parfumé +que le boudoir de Célimène ne s'en arrangeait guère, et que le délicat +odorat d'Araminte s'en effarouchait.--Un matin, arriva mon Rosambeau, +encore moins musqué que de coutume; Célimène, qui venait sans doute de +congédier Acaste et Clitandre, lui dit en prenant son flacon d'eau de +mélisse, qu'elle aspira avec grâce: «Et que voulez-vous que je fasse, +mon pauvre Rosambeau? je n'ai plus rien à vous donner!» Puis, se +ravisant: «Tenez, prenez ceci;» et en même temps elle lui présenta une +petite carte découpée en losange. Rosambeau la prit d'un air stupéfait, +et y lut ces mots: _Bains Vigier_: bon pour une personne. + +Le trait était sanglant et digne de Célimène; Araminte y eût mis plus +d'humanité.--Rosambeau, qui avait des moments de fierté, sortit +magnifiquement et sans mot dire. + +Il n'avait pas déjeuné le matin ni dîné la veille, et son estomac criait +miséricorde. La belle consolation à lui offrir qu'un bain d'eau douce! + +Cependant Rosambeau suivait tout pensif le quai du Louvre; et, poussé +peut-être par une secrète envie de faire faire un plongeon à sa faim, il +descendit sur le bord de la Seine; et la, se trouvant face à face avec +l'établissement aquatique de M. Vigier, il y entra machinalement: «Que +voulez-vous? lui crie le garçon d'un ton rogne, avisant le pauvre hère. +--Ce que je veux? Vous le voyez bien.» Et Rosambeau donne la carte qu'il +tient de Célimène.--A peine a-t-il dit, que son oeil affamé entrevit ces +mots affiché» sur la muraille: Un bain, 1 fr.; un consommé, 1 fr.; un +peignoir, 5 cent.; un petit pain, 5 cent. + +«Holà! eh! garçon! s'écrie Rosambeau d'une voix formidable.--Voilà, +monsieur!--J'ai demandé un bain!--Oui, monsieur.--Un consommé coûte 1 +fr.?--Tout juste, monsieur.--Cette carte de bain que je vous, ai donnée +représente 1 fr.?--Certainement, monsieur.--Donnez-moi un consommé!» + +Le lendemain, il entrait chez Célimène: «Eh bien! lui demanda-t-elle, +Rosambeau, avez-vous pris un bain?--Non, madame, j'ai pris un potage: ça +m'a paru plus nourrissant.» + +Ce n'est pas un potage que doit prendre M. Eugène Briffault le +feuilletoniste, mais une femme. Qu'ai-je dit? La femme n'est-t-elle pas +un potage, suivant Molière? Heureux le mari, dit Alain, quand les +voisins n'y viennent pas goûter l'un après l'autre! + +Les bans sont affichés; dans trois ou quatre jours, M. Eugène Briffault +donnera la seconde représentation du _Mariage d'un Critique_: M. Jules +Janin tiendra le poète. + +Il paraît que la littérature se range et songe à finir sa vie de garçon; +après M. Eugène Briffault, ou annonce M. Roger de Beauvoir. Déjà les +cloches carillonnent; soit! Que M. Eugène Briffault se marie, cela le +regarde, mais M. Roger de Beauvoir, c'est autre chose! On s'étonne de +voir ce léger papillon, qui a si longtemps voltigé de fleur en fleur, se +fixer enfin et s'abattre sur la plate-bande du mariage. Les roses vont +sécher sur pied, et le myrte en mourra. M. Roger de Beauvoir, dont les +opinions politiques sont bien connues, reste fidèle à son drapeau jusque +dans le choix d'une femme: il épouse une nièce de Cabrera, cousine de +Gomez et filleule de Zumala-Barregui. M. Roger de Beauvoir en est devenu +éperdument amoureux pendant son dernier voyage en Catalogue. Charles V a +promis la grandesse à M. Roger de Beauvoir, aussitôt après son +rétablissement sur le trône légitime. On croit que M. Roger de Beauvoir +l'attendra longtemps. + +Un autre écrivain beaucoup moins gros que M. Eugène Briffault et non +moins léger que M. Roger de Beauvoir se trouvait, il y a un an, dans une +situation financière peu rassurante. Sans le secours de la machine +pneumatique, et par le seul effet d'une consommation trop fréquente de +monnaie, le vide complet s'était fait dans sa bourse et dans sa caisse. +Il avait beau en sonder toute la profondeur, sa main n'y rencontrait pas +les deux mille livres dont il avait un besoin urgent. Enfin, il se +souvint d'un banquier, son ancien camarade de collège, alla tout droit +frapper à sa porte, et lui fit adroitement comprendre le charme qu'il +trouverait à caresser deux billets de la banque de France. L'homme aux +écus saisit l'affaire au premier mot, et comme la finance n'a pas un +grand penchant naturel à hypothéquer son bien sur la littérature, il +hésita d'abord; mais enfin il s'agissait d'un ancien condisciple; et +puis, pour deux mille livres, on se donnait un certain reflet de Mécène +et un air de François Ier et de Léon X; c'était vraiment pour rien! + +Il tira donc les deux billets d'un joli portefeuille de maroquin brun, +et les donna à notre homme. «Mon cher, lui dit celui-ci, sois +tranquille, je te rembourserai sur le produit de mon _meilleur_ +ouvrage.» + +Depuis, le créancier a mis au monde un roman, deux opéras-comiques, une +comédie, une histoire universelle, cinq mélodrames et six vaudevilles. A +chaque apparition de ces produits littéraires, le débiteur, songeant à +ses deux mille livres, vient en personne pour complimenter l'auteur. +«Charmant! dit-il, délicieux! un bijou! un véritable chef-d'oeuvre! +C'est ton _meilleur ouvrage_,» appuyant avec intention sur l'épithète. +«Ah! laisse donc, réplique l'autre; tu te moques. J'espère faire cent +fois mieux.» + +M. Fornasari, qui a débuté mardi dernier au Théâtre-Italien, est ce +qu'on appelle un bel homme, tradition populaire, il a de grands bras, de +grandes jambes, de grandes mains, de grands pieds, de grands yeux, de +grands cheveux, de grandes dents blanches et de grands gestes; on le +croirait plutôt destiné à faire un superbe tambour-major qu'un +chanteur. + +A toutes ces richesses athlétiques M. Fornasari joint une formidable +voix de basse qu'il emploie de manière à briser les vitres. M. Fornasari +s'est fait entendre dans le _Belizario_ de Donizetti, oeuvre +prodigieusement bruyante. Quelqu'un disait, après avoir entendu l'opéra +et M. Fornasari: «C'est une musique chantée par un aveugle et faite pour +des sourds.» + +Tout le monde ne sait peut-être pas que le goût de la publicité par la +presse a gagné jusqu'au jeu d'échecs. Le jeu d'échecs a son journal tout +comme s'il était le tiers-parti, la gauche, l'extrême gauche ou le +ministère. Il y a sept ans qu'il imprime ainsi ses opinions sur la +marche du Roi et de la Reine. Cette feuille d'échec et mat est intituler +le _Palamede_, rendant ces sept années d'existence paisible, _le +Palamede_, se croyant abrité par la loi, a paru sans timbre et sans +cautionnement. Mais l'autorité se ravise et lui en demande raison. +Est-ce qu'il y a vraiment de la politique au fond d'une partie d'échecs, +et la Tour cacherait-elle des complots secrets contre la forme du +gouvernement? O timbre, laisse donc vivre en paix ces pauvres fous et +ces innocents cavaliers! + +Voici quelque chose de plus grave: un grand trouble agite depuis huit +jours le théâtre des Variétés. Qu'est-ce? qu'y a-t-il? Il s'agit d'un +enlèvement.--Est-ce que mademoiselle Boisgoutier aurait fait un faux +pas? Mademoiselle Flore se serait-elle égarée dans les petits sentiers +d'Amathonte et de Cythère, à la suite de quelque noir ravisseur? Non +pas. Dieu merci! où en serait-on si des vertus si mûres, si +expérimentées, et d'un tel poids, faisaient encore de ces +légèretés-là?--La fugitive a dix-huit ans, des yeux noirs, un petit air +innocent et candide et une jambe de biche; avec cela, elle ira loin +avant qu'on la rattrape. + +Deux diplomates ont quitté Paris tout récemment: l'un est M. de +Salvaudy, qui va montrer à la cour de Turin la chevelure d'Alonzo; +l'autre, M. le marquis de Lavallette, nommé consul-général à Alexandrie. +M. de Lavallette a longtemps étudié la diplomatie dans les coulisses de +l'Opéra; il y a approfondi particulièrement la pirouette et l'entrechat. +On blâme cette faveur rapide qui l'a pris entre deux coulisses et une +danseuse, pour le transformer tout à coup en homme d'État. Pourquoi +blâmer? Il est clair que M. de Lavallette a fait sa fortune politique +pas à pas. + +L'Académie royale de Musique donne le meilleur de son temps aux +répétitions du _Don Sébastien_ de M. Donizetti; les quatre premiers +actes sont complètement achevés. M. Donizetti met la dernière main au +cinquième; il a livré hier le morceau final et deux choeurs importants. +Dans quinze jours au plus tard, _Don Sébastien_ se montrera tout entier +au soleil de la rampe, armé de pied en cap. On loue d'avance la +partition; on parle de la magnificence des décors: jamais l'Opéra n'aura +été plus prodigue et plus magnifique. Il est particulièrement question +de la pompe funèbre du troisième acte. La situation est toute +dramatique: don Sébastien, qui passe pour trépassé, assiste à son propre +enterrement, comme on la raconté de Marion de Lorme. Il est peut-être +dangereux pour un poète et pour un musicien de jouer ainsi avec les +morts: le parterre s'avise quelquefois de les mettre tous les deux sur +la liste nécrologique. Mais ici, dit-on, ce genre de mortalité n'est pas +à craindre; si l'on fait une pompe funèbre sur la scène, ce ne sera ni +M. Scribe ni M. Donizetti qui y seront enterrés. + +L'Odéon est dévoré par les tragédies sublimes; le succès de _Lucrèce_ +les fait pulluler; en voulez-vous, en voici! Rome et Athènes, l'Italie +et la Grèce, ont envahi les cartons de M. Lireux; qu'allons-nous faire +de tous ces trésors? Il est vrai que l'Odéon nous ménage et y met de la +prudence; tous les jours on annonce que quelque nouveau chef-d'oeuvre +tragique a passé le Pont-Neuf et s'est glissé au comité de lecture du +Second-Théâtre-Français, mais jusqu'ici ou n'en a pas encore vu paraître +un seul. On fait grand bruit cependant d'un certain _vieux Consul_ en +cinq actes, qui, dit-on, nous la garde bonne. Nous verrons bien; pourvu +que ce vieux nous paraisse nouveau! + +Une charmante femme, d'une vertu au-dessus de tout soupçon, madame B..., +assistait hier à la représentation du nouvel opéra-comique de MM. Panard +et Ambroise Thomas, _le Ménage à Trois_; madame de C..., la fausse +prude, attaquait l'invraisemblance du sujet, «Allons donc! lui dit +vivement Madame B...; vous ne voyez que ça toute la journée.» + +Cependant les omnibus continuent à écraser les enfants et les +vieillards, les voleurs à détrousser les passants, et partant Paris est +toujours le plus charmant pays du monde. + + + +Histoire de la Semaine + +Aucun événement, aucun fait de politique intérieure de quelque +importance n'est venu cette semaine occuper les esprits. La lutte du +conseil municipal d'Angers contre le maire, auquel il refuse son +concours, a presque seule remplacé dans la polémique des journaux les +longues discussions sur les fortifications de Paris et sur le programme +d'opposition mis en avant par M. de Lamartine. La politique prend ses +vacances, et le ministère ne paraît pas encore d'accord sur la date +précise où il doit les faire cesser. Ceux des ministres au bonheur +desquels la présence des Chambres n'est pas absolument indispensable, +voudraient que leur réunion fut différée jusqu'au 9 janvier; des +scrupules constitutionnels font, dit-on, désirer à quelques autres +membres du cabinet que la convocation ait lieu pour le 27 décembre, afin +qu'on puisse appeler cette session la session de 1843, et demeurer dans +la lettre de la Charte, qui en veut une par année. Nous sommes donc, +quoi qu'il arrive, à peu près sûrs de pouvoir célébrer avec nos +législateurs soit la nuit de Noël, soit la fête des Rois; nous voudrions +être également certains que tous les travaux nécessaires à la session +seront prêts au moment où la réunion aura lieu, que les séances pourront +se succéder sans interruption, que les projets de loi auront été bien +mûris, et que de nouveaux et fâcheux ajournements ne seront pas +nécessaires.--A l'extérieur, l'attention de la France a également été +peu absorbée par ses propres affaires. L'Autriche a-t-elle ou n'a-t-elle +pas refusé au fils de M. le maréchal Soult, à notre ambassadeur à Turin, +voyageant dans la partie de l'Italie qui se trouve sous la domination de +Vienne, le titre de marquis de Dalmatie? Voilà la question qui a été +débattue entre les feuilles du gouvernement et celles de l'opposition. +Ce qui paraît être vrai, au milieu d'assertions contradictoires, c'est +qu'on a dispensé notre ambassadeur de la formalité du passeport, pour ne +pas lui en remettre un qui aurait porté ou une qualification qu'on +n'aurait pas voulu lui donner, ou un nom qui n'aurait pas été celui qu +il voulait prendre. Du reste, cette guerre à l'histoire est bien pauvre. + +L'Irlande est la scène politique vers laquelle tous les yeux sont +tournés. O'Connell et ses amis y poursuivent leur oeuvre avec calme et +mesure. Le peuple irlandais a compris que ses destinées à venir +dépendaient peut-être de l'esprit d'ordre et de modération qu'il +montrerait dans cette circonstance critique et décisive. Son attitude +prouve son intelligence et fait le procès à ceux qui n'ont pas su et qui +ne savent pas encore le traiter en égal et en frère. Autant O'Connell et +ses compatriotes remplissent bien leurs rôles, autant le ministère +anglais paraît n'avoir pas étudié le sien. Une feuille d'un comté dit +qu'il n'y a autre chose à faire qu'à, pendre O'Connell. Il est évident +que si ce journaliste voulait bien, dans son petit coin, se charger de +cette mission, il tirerait sir Robert Peel d'un grand embarras. On a +fait procéder à des enquêtes pour établir toute la série de crimes +imputés aux chefs de l'association; les témoignages recueillis ont été +ceux d'agents de la force constabulaire. On ne s'est pas encore arrêté +dans le choix d'accusés qu'on se propose de faire parmi les prélats +catholiques; quant aux rédacteurs du journal _the Nation_, et de +quelques autres feuilles irlandaises, on ajoutera pour eux le chef +d'accusation d'avoir cherché à séduire et corrompre les soldats de la +marine et de l'armée anglaises. L'affaire sera appelée le 2 novembre +devant le jury de Dublin, pour être remise, d'après les calculs les plus +vraisemblables, aux derniers jours du même mois.--Les cortès espagnoles, +depuis leur réunion, n'ont procédé encore qu'à des travaux +préparatoires; la vérification des pouvoirs des députés n'a donné lieu à +aucune discussion, à aucune lutte où l'on ait pu apprécier la force +respective des partis. Outre ceux que les élections ont fait connaître, +il s'en est, dit-on, formé un autre qui ne se propose sans doute que de +jouer un rôle convenu pour faire regarder comme moins extrême le parti +de Narvaez: c'est un parti qui fait semblant de vouloir que l'abdication +de l'ex-régente soit déclarée nulle et de nul effet, parce qu'elle n'a +pas été libre et volontaire. Nous ne croyons pas que personne le puisse +prendre au sérieux. Rien de terminé, rien de plus avancé en Catalogne. +Barcelone est encore dans la même et désastreuse situation. Quant à +Girone, Prim a écrit à Madrid qu'il y entrerait ou se ferait tuer. On +peut donc prédire que le sang coulera encore abondamment sur cette +malheureuse terre d'Espagne. Au profit de quels principes et dans quel +intérêt avouable? Nous serions bien embarrassés de le dire.--Du reste, +au milieu de toutes ces crises sanglantes, le ministère espagnol trouve +moyen d'organiser le service postal dans la péninsule. L'empereur de +Russie, de son côté, a opéré dans ses États la réforme du tarif des +lettres, que la France réclame toujours vainement. Que faudra-t-il donc +pour vaincre l'obstination de notre administration?--Il vient de +paraître à Madrid un nouveau journal politique, _L'International_. Cette +feuille, rédigée en français, se propose pour but de faire connaître +l'Europe à l'Espagne, et surtout l'Espagne à l'Europe. Dans le premier +numéro, une nous avons sous les yeux, ses rédacteurs font preuve de +talent et de sentiments patriotiques qui n'ont pas ce caractère +d'hostilité envers l'étranger qu'on rencontre trop souvent dans les +journaux de Madrid.--Des bruits très-contradictoires ont couru sur les +troubles de la Romagne et les mesures récentes dont ils auraient été +l'occasion. La _Gazette du Rhin et de la Moselle_ avait +très-positivement annoncé que le feld-maréchal autrichien Itadesky était +entré à Bologne, à la tête de quatre mille hommes tirés du royaume +lombardo-vénitien, sur une réquisition du gouvernement papal. La +_Gazette Universelle Allemande_ se borne à dire que la demande de les +tenir à disposition à effectivement été faite, mais qu'elles ne seront +entrées dans le Bolonais que si le cardinal-légat l'a jugé nécessaire. +Il faut espérer que le cabinet français ne s'en remettra, pour cette +question, ni au jugement du cardinal-légat ni aux bonnes dispositions du +feld-maréchal autrichien, et que le souvenir de la conduite de Casimir +Périer ne sera pas plus perdu pour le ministère que ne le serait pour la +marine et pour l'armée l'exemple de l'amiral Gallois et du colonel +Combes. La _Gazette d'Augsbourg_, au contraire, renferme une +correspondance d'après laquelle le Saint-Siège ne songerait à venir à +bout des mécontents qu'en entrant dans la voie de réformes politiques +qui lui auraient été conseillées par plusieurs cabinets. + +Il séculariserait d'abord une grande partie des hautes fonctions +publiques qui sont dans ce moment dans les mains du clergé. Nous +voudrions pouvoir croire à cette version.--Pour en finir avec les +nouvelles des États pontificaux, nous dirons que le prêtre Abbé, dont +nous avons annoncé la condamnation à mort en même temps que le bruit +répandu de sa commutation de peine, aurait été exécuté le 4 octobre, si +l'on en croyait les organes habituellement officiels. On a donc vu +imprimer: «Hier matin, de bonne heure, le prêtre Abbé, originaire du +Piémont, a été décapité dans le château Saint-Ange. Jusqu'à présent, on +s'était imaginé qu'il obtiendrait une commutation de peine, parce qu'on +pensait que le gouvernement ne se déciderait point à laisser un prêtre +monter sur l'échafaud. Le pape a bientôt dissipé cette illusion. S. S. a +voulu prouver qu'un criminel ne méritait aucune faveur à raison de son +rang et de sa condition. Si l'exécution n'a pas eu lieu sur une place +publique, mais dans l'intérieur du château, c'est uniquement que le +Gouvernement a voulu éviter la trop grande affluence de peuple sur le +lieu de l'exécution.» Mais personne à Rome n'a cru à cette nouvelle, et +tout le monde s'est estimé autorisé à penser que le gouvernement papal a +voulu donner une sorte de satisfaction à l'opinion publique indiquée à +la nouvelle d'une commutation, et sauver ce misérable en considération +de son caractère sacerdotal. Ou a pensé aussi qu'en faisant croire à la +nouvelle de cette exécution, le gouvernement de Rome tenait à être +considéré comme libre de ne pas reculer devant l'application de la peine +de mort, si elle était prononcée contre des détenus du fort Saint-Léo. + +Les mois de septembre et d'octobre auront été cette année cruellement +féconds en désastres. Les journaux de nos ports de la Manche et de +l'Océan sont pleins de détails sur les avaries et les échouements d'une +foule de bâtiments du commerce.--Un tremblement de terre très-violent, +accompagné de tonnerre souterrain, s'est fait sentir, le 3 octobre, à +Jassy, en Moldavie, et a fait fuir dans les champs une grande partie de +sa population effrayée.--Des nouvelles de Port-Léon (Florides) donnent +les plus affligeants détails sur un ouragan et une inondation qui y ont +exercé leurs ravages dans la nuit du 13 au 14 septembre. La ville fut +soudainement inondée, tous les magasins situés sur les quais furent +renversés par le torrent; la plus grande partie des maisons fut +également détruite, et les malheureux habitants, à demi nus, durent +aller chercher un refuge sur les hauteurs voisines. A Saint-Mareks, +toutes les maisons ont été également détruites ou endommagées. Mais le +désastre a été plus immense encore à Light-House; là, pas un seul +édifice, excepté le phare, n'est resté debout, et l'on compte en outre +quatorze victimes. Les habitations disséminées sur la côte ont aussi +beaucoup souffert: dans l'une, tout le monde a été noyé. Aux dernières +dates, on n'avait pu encore constater toute l'étendue du désastre, +compter tous les noyés; mais on s'était assuré déjà de la disparition +d'un très-grand nombre de personnes, qui ont sans doute été entraînées +par les Ilots. + +On a enfin le dernier mot sur _le Télémaque_ et les richesses; que ses +flancs recelaient pour les actionnaires de cette opération, dont +_l'Illustration_ (t. I, p. 4) a entretenu ses lecteurs au point de vue +du procédé de sauvetage. Le notaire de Quilleboeuf devant lequel avait +été passé l'acte d'association ou de mystification a fait publier, dans +les colonnes de plusieurs journaux, l'avis suivant: «Les actionnaires de +l'entreprise du sauvetage du _Télémaque_ sont informés que les travaux +viennent d'être entièrement terminés. La cargaison est déposée sur le +quai de Quilleboeuf; elle consiste en cinquante-deux pièces de bois de +construction. Ou avait aussi embarqué à bord du _Télémaque_ une quantité +considérable de barriques, mais on n'en a retrouvé que des débris qui +attestent qu'elles ont contenu du suif et de l'huile. Jusqu'au 23 +septembre, il était resté beaucoup de sable dans le navire; mais des +ouvertures pratiquées à dessein ont donné passage aux courants; les +grandes marées de la fin de septembre ont suffi pour le déblayer +entièrement. Alors on a pu faire les plus minutieuses recherches, et +l'on a acquis la certitude que l'opinion de l'existence de valeurs dans +_le Télémaque_ était absolument chimérique. Il ne reste plus aujourd'hui +de ce navire qu'une carcasse informe. Il sera bientôt procédé, par +l'autorité maritime, à la vente, tant de la cargaison que des débris du +navire.»--Les actionnaires du _Télémaque_ auxquels il resterait encore +quelque argent à placer, pourraient le porter à une compagnie +commerciale dont le siège principal est, dit-on, à Londres, et qui a des +succursales dans les principales villes de l'Europe. Cette société, qui +a pris pour titre _The Iberian mercantile Company_, offre au public 3 +pour 100 _de rente pour rien_. D'après les combinaisons de cette +compagnie, qui paraît s'être formée pour enrichir l'humanité, certains +marchands désignés par elle, ayant un dépôt de ses actions et coupons +d'actions, les délivreront, _pour rien_, sur la demande de l'acheteur +qui viendra faire chez eux des emplettes. Si l'achat s'élève à 125 +francs, on aura droit à une action principale portant intérêt à 1 et +demi pour 100 la première année, 2 et demi pour 100 la deuxième, et 5 +pour 100 les années suivantes. Si l'achat ne se monte qu'à 25 francs, on +recevra un coupon d'action. «Les achats d'un particulier, dit le journal +_la Presse_, s'élevant, terme moyen, à 3,000 francs par an, il en +résulte qu'en dix ans, et _sans débourser un sou_, on peut se faire +1,000 ou 900 francs de rente.» C'eût été véritablement voler les +lecteurs de _l'Illustration_, que de ne pas leur faire connaître une +aussi bonne occasion de faire fortune sans s'en apercevoir.--Quant aux +actionnaires des fameuses mines de Saint-Bérain, les pauvres victimes +des Cleemann, Blum et consorts, ils paraissent aujourd'hui complètement +désillusionnés; car les annonces judiciaires fixent le jour de la +prochaine vente sur licitation sur une mise à prix qui n'est pas du +douzième du capital social. + +Un marché où à coup sûr l'acquéreur n'a pas été dupe, c'est celui que +vient de conclure le ministère de l'intérieur avec un jeune paysagiste +de l'École de Lyon, M. Amaranthe Roulliet, inventeur d'un procédé il +l'aide duquel l'homme qui n'a jamais dessiné de sa vie peut trouver en +quelques minutes la reproduction exacte d'un dessin ou la parfaite +ressemblance d'un corps placé devant lui, soit dans des proportions +identiques, soit avec diminution ou augmentation, et, dans ces derniers +cas, avec une scrupuleuse observation de la perspective, sauf la beauté +du trait, qu'une main exercée peut seule atteindre (Voir +_l'Illustration_, t. I, p. 90,). Le procédé est, dit-on, des plus +simules, sans machines, sans recours à la chimie, sans attirail +incommode et coûteux. Il y a à peu près un an, M. le ministre de +l'intérieur demanda un rapport à l'Académie des Beaux-Arts, qui, sur un +examen superficiel et peu bienveillant, on ne sait trop pourquoi, refusa +net de s'occuper de cette affaire, alléguant que de telles inventions +nuisent à l'art en lui ôtant ses difficultés. Le ministre, peu touché +d'une telle fin de non-recevoir, qui n'irait à rien moins qu'à proscrire +la règle, le compas, la chambre noire ou claire, le daguerréotype, et +bien d'autres instruments dont on use fort à l'Académie, et qui n'ont +jamais nui à l'art, parce que l'art est très-distinct de l'exactitude +matérielle, le ministre nomma une commission dans laquelle durent +figurer MM. Cavé, Vilet, Mérimée, Lenormand, Lassus, Flandrin, Léon +Coignet, Allaux. Après une étude longue et approfondie, à la suite +d'épreuves multipliées dans lesquelles les difficultés de dessin des +plus épineuses ont été vaincues avec une rapidité, une facilité, un +bonheur incroyables, la commission a conclu à ce que la direction des +Beaux-Arts achetât la découverte dans l'intérêt des beaux-arts et de +l'industrie. On sait les lenteurs administratives; le secret fut enfin +révélé à un membre de la commission, savant architecte, qui, dans un +nouveau rapport au ministre, a déclaré la découverte plus étendue et +plus féconde encore, que ne le croyait l'inventeur; sur quoi, une +pension de _douze cents francs_ a été accordée à M. A. Roulliet. Il y a +de cela près de deux mois, et on ne comprend pas pourquoi la découverte +n'a point encore été livrée à la légitime impatience de beaucoup +d'artistes de premier ordre, moins dédaigneux de progrès qu'on ne l'est +à l'Académie. Nous comprenons avec quelle prudence une telle affaire +doit être officiellement traitée. Nous savons les ménagements qui sont +dus à un corps respectable à tant de titres; mais enfin, si quelqu'un +s'est endormi par hasard, une fois sans plus; si quelqu'un a manqué de +goût et de pénétration, le public n'en est pas cause et ne saurait être +puni. Le public, lui non plus, n'aime pas qu'on le fasse attendre.--Ce +n'est point à ce procédé mécanique, mais au pinceau habile de Sigalon, +que sont dus douze grands tableaux dont vont être décorés les plafonds +de l'ancienne église des Petits-Augustins dépendant de l'école des +Beaux-Arts. Ces peintures, qui ont chacune une dimension de quatre +mètres de large sur six de hauteur, représentent les douze apôtres de la +chapelle Sixtine à Rome. Ces beaux tableaux feront suite à la magnifique +copie du _Jugement dernier_, exécutée par le même artiste, qui décore +déjà l'abside de ce musée. + +[Illustration: Éclairage au gaz sidéral.--Expérience faite le 20 octobre +sur la place de la Concorde.] + +De nombreuses tentatives sont faites en ce moment pour enlever au gaz le +monopole de l'éclairage. Dans la séance du l'Académie des Sciences du 29 +mai dernier, MM. Busson, Dumaurier et Rouen avaient lu un mémoire sur +l'éclairage par la combustion des huiles essentielles provenant du +schiste, de la houille et du goudron. Ce mémoire avait attiré +l'attention de l'Académie; mais comme, tout en sachant bien que ces +huiles étaient très-riches en carbone et en hydrogène, ou n'ignorait, +pas non plus qu'elles donnaient une flamme tellement fuligineuse qu'il +avait toujours fallu renoncer à les employer à l'éclairage, on avait +besoin que l'expérience vînt constater si MM. Busson-Dumaurier et Rouen +avaient vaincu la difficulté devant laquelle jusque-là chacun avait +échoué; ils l'ont en effet heureusement surmontée. Nous ne savons pas +bien par quels calculs on arrive à établir, comme quelques journaux +l'ont avancé, que cet éclairage est au gaz comme 6 est à 1, et à +l'éclairage à l'huile comme 8 est à 1. Tout ce que nous pouvons dire, +c'est que cet éclairage, qui, quant à présent, doit coûter peu puisqu'il +est alimenté par un liquide dont les usines de gaz, qui en produisent +beaucoup, ne tiraient jusqu'à ce jour qu'un parti insignifiant, après +avoir fonctionné pendant trois mois à la gare du chemin de fer de +Saint-Cloud, depuis l'avenue du Château jusqu'à la station de +Montretout, vient d'être essayé avec un égal succès, par +l'administration de la ville de Paris, dans la rue de la Huchette et sur +la place du Musée du Louvre. Si la difficulté d'allumer, sensible +aujourd'hui, ne devient pas presque insurmontable par le froid, cet +éclairage, que son odeur rendra toujours inapplicable dans les +intérieurs, pourra être extérieurement d'une certaine ressource là où le +gaz ne peut être établi, et les petites villes, qui ne sauraient +supporter les dépenses de pose de conduits, pourront, en se procurant +les lampes fort simples qui constituent l'appareil de ce nouvel +éclairage, profiler à peu de frais d'un perfectionnement +incontestable.--Vendredi 20, à neuf heures du soir, un nombreux public +était rassemblé sur la place de la Concorde pour assister à l'essai d'un +autre éclairage, l'éclairage électrique. Deux cents éléments de pile +Bunzen, réunis dans le papillon qui sert de piédestal à la statue de la +ville de Lille, étaient préparés pour illuminer un cylindre de charbon +ouvert aux deux bouts, renfermé dans un bocal en verre plongeant dans de +l'acide nitrique. Le cylindre de charbon renfermait lui-même un bocal de +porcelaine poreuse contenant de l'eau acidulée à quinze degrés à l'aide +d'acide sulfurique, et un cylindre d'amalgame de zinc plongeant dans +l'eau acidulée. Deux conducteurs en cuivre partant des deux pôles de la +pile, et terminés par du charbon aiguisé, se rendent dans un ballon vide +d'air, où ils se rencontrent à une courte distance. Les deux fluides de +nature opposée, en se réunissant, produisent une lumière douce et +abondante. Les becs de gaz avaient été éteints sur presque toute la +place, et ceux qui étaient demeurés ne servaient qu'à faire ressortir, +par le rouge fauve de leur lumière, au milieu du brouillard où régnait +ce soir-là, la blancheur éclatante de la lumière nouvelle. Il a été +démontré que cinq foyers de cet éclairage illumineraient la place mieux +qu'elle ne l'est, et lui ôteraient cette apparence de surtout de table +que l'architecte lui a donnée. Mais quel est le prix de revient de +l'application de ce procédé? C'est ce que personne n'a pu nous dire, et +ce dont les inventeurs, hommes de science, ne se sont pas, dit-on, rendu +un compte très-exact. Toutefois, on annonce un nouvel essai, avec un +foyer beaucoup plus puissant placé au haut de l'obélisque; et cette +fois, ou se propose d'asseoir des calculs qui puissent mettre à même de +prononcer sur le côté pratique d'un procédé qui, s'il ne pouvait devenir +usuel, serait toujours d'un bel effet dans les fêtes et illuminations. +Les journaux américains nous ont appris la mort d'un savant astronome et +mathématicien français, M. J.-N. Nicollet, ancien professeur du Lycée +Impérial à Paris, décédé à Washington. Les feuilles des États-Unis lui +paient un juste tribut d'éloges et de regrets.--Le _Courrier +d'Indre-et-Loire_ nous apporte la nouvelle de la perte que vient de +faire l'émigration polonaise, d'un des hommes qui l'honoraient le plus. +M. Pietkiewiez, ancien professeur suppléant à l'Université de Wilna, +ancien nonce à la diète de Pologne, vient de mourir à l'âge de +trente-huit ans, à Tours, qui lui avait été fixé pour résidence. Cet +homme, qui avait la passion du bien, s'était dévoué à seconder +l'établissement primitif de la colonie agricole de Mettray. Il avait été +nommé professeur d'allemand au collège royal de Tours, et ses vastes +connaissances, son esprit fin et doux, son caractère bienveillant, ses +autres vertus, qui faisaient le charme et l'admiration de tous ceux qui +l'ont connu, sont aujourd'hui l'inépuisable source des regrets de ses +compatriotes, qui le respectaient, de ses amis, qui ne l'oublieront +jamais, et d'une veuve qui pleure sur une union formée il y a quelques +mois, et si prématurément, et cruellement rompue. + + + +[Illustration: Théâtre de l'Odéon.--_Pierre Landais_. 4e acte.--Albin, +Milon; Marie, mademoiselle E. Volet; Étienne Chauvin, Darcourt.--Etienne +Chauvin remet à Albert l'écharpe ensanglantée de son frère.] + +Théâtres. + +_Pierre Landais_, drame en cinq acte de M. Émile SOUVESTRE (THÉÂTRE DE +L'ODÉON).--_Don Quichotte et Sancho Pança,_ (CIRQUE-OLYMPIQUE).--_Les +Naufrageurs_, (PORTE-SAINT-MARTIN).--_Le Capitaine Lambert_, +(GYMNASE),--_Jacquot_ (THÉÂTRE DES VARIÉTÉS). + +La véridique histoire de Pierre Landais est assez singulière et assez +intéressante pour qu'un homme de talent et d'imagination comme M. Émile +Souvestre y ait vu les éléments d'un drame. Qu'y a-t-il de plus +dramatique, en effet, que la vie de ce simple fils de tailleur d'habits +qui, parti de l'échoppe de son père, s'élève peu à peu, par son habileté +et son esprit, à la plus haute fortune, et devient le ministre +tout-puissant de François II, duc de Bretagne? Gouvernant le duché sous +ce prince faible et ami des plaisirs, Pierre Landais tient tête à Louis +XI lui-même, et entreprend contre la noblesse bretonne une lutte +acharnée, brisant ses privilèges et abattant son audace factieuse. +Quelques historiens, il est vrai, parlent de Pierre Landais comme d'un +parvenu ambitieux et violent qui n'aurait cherché dans cette lutte qu'à +satisfaire sa cupidité et sa haine; mais d'autres, rehaussant le +caractère de Pierre, lui donnent les vues profondes de l'homme d'État; +s'il frappait sur la noblesse, ce n'était pas pour satisfaire de vaines +rancunes et de coupables passions, mais pour affranchir le pouvoir du +duc et délivrer la Bretagne du joug d'une aristocratie oppressive. Sous +ce point de vue, Pierre Landais est non-seulement un politique, mais un +philosophe. + +[Illustration: Théâtre de l'Odéon--_Pierre Landais_. 3e acte.--Pierre +Landais, Bouchet; Marie, mademoiselle E. Volet; Albert, Milon; Étienne +Chavin, Darcourt.--Étienne montre le bourreau à Landais.] + +[Illustration: Théâtre d'hiver du Cirque-Olympique.--_Don +Quichotte_.--Le Tournoi] + +C'est ainsi du moins que M. Émile Souvestre nous le présente. Ce Pierre +Landais, atteint de philosophie démocratique, devait plaire, en effet, à +l'énergique auteur de _Riche et Pauvre_, lequel défend, dans tous ses +écrits, avec une noble chaleur de talent, la cause de l'opprimé contre +l'oppresseur. M. Souvestre prend Landais à son humble origine; voici sa +demeure indigente. Qui vient troubler le silence de ce réduit? Les +agents du fisc: le pauvre tailleur n'a pas de quoi payer le loyer, et la +main impitoyable des recors le dépouille de ses dernières ressources: +tous ses meubles sont vendus; Landais ne sauve de cette rapine qu'un +escabeau et le grabat où repose sa fille Marie. + +Il faut voir son désespoir: c'est à la noblesse qu'il s'en prend, à ces +insolents gentilshommes qui surchargent d'impôts les malheureux pour +nourrir leur luxe et leurs débauches. Ah! si je pouvais me plaindre au +duc! s'écrie Pierre Landais. + +Cependant l'orage gronde au ciel et l'éclair sillonne la nue. Un homme +enveloppé d'un manteau demande asile à Landais: c'est le duc en +personne; Landais l'a reconnu. Séparé de ses gens par l'orage, le prince +a faim et froid; et Landais n'a rien pour le nourrir! Il ne lui reste +que les débris de l'escabeau pour allumer un peu de feu et sécher les +vêtements de monseigneur. + +Frappé de tant de misère, le duc interroge Landais, qui expose ses +griefs avec chaleur. «S'il était le maître de la Bretagne, il +soulagerait le peuple!--Eh bien! lui dit le duc, dès aujourd'hui je +l'attache à ma personne; suis-moi!» + +[Illustration.] + +Le tailleur est devenu le trésorier-général du duché de Bretagne; le +pauvre habile un palais; l'opprimé est tout-puissant; Pierre Landais, en +un mot, gouverne le duché, tandis que le duc s'abandonne au plaisir. + +La prospérité et la justice renaissent; mais Pierre Landais n'est pas +arrivé à ce grand résultat sans rencontrer des obstacles, sans soulever +des inimitiés: plus d'une fois même, il a dû châtier ses ennemis; +ainsi, le chancelier Chauvin, son adversaire le plus décidé, est mort en +prison, dépouillé de toutes dignités et de tout pouvoir. + +La noblesse, menacée, s'irrite et se met en garde; d'abord elle poursuit +Landais de ses railleries: «Un vil artisan!» dit-elle; quelques-uns +viennent hardiment jusqu'au palais, du duc faire étalage de leur +ressentiment. Après les paroles, les actions: les nobles complotent et +s'arment en secret; ils ont pour chef Etienne, frère de Chauvin. + +[Illustration.] + +Le complot éclate: le duc, surpris par les gentilshommes en armes, signe +l'ordre d'arrestation de Landais. Déjà ils s'applaudissent et savourent +la vengeance; mais la victime leur échappe au moment où ils croient la +tenir. Instruit par ses agents, Landais s'est mystérieusement introduit +dans le lieu occupé par les conjurés; là, maître de leurs secrets, il +surprend les coupables en flagrant délit et dans leur propre repaire; +des soldats apostés les obligent à rendre les armes. + +Landais victorieux ressaisit le pouvoir; mais le gouvernement de la +Bretagne et la défaite de la noblesse ne sont pas les seuls intérêts qui +l'occupent: à côté de l'homme d'État, il y a le père; Landais songe au +bonheur de sa fille Marie, qu'il idolâtre; il rêve la fortune pour elle +et une brillante alliance. S'il retient le pouvoir, ce n'est que dans +l'intérêt de Marie. On voit qu'ici le caractère de Landais dévie, et +que, tout en frappant les grands, il songe aux grandeurs. M. Émile +Souvestre explique cette faiblesse par l'amour paternel: Landais n'a +d'ambition que pour sa fille; soit! mais le coeur humain n'explique-t-il +pas l'affaire encore mieux? + +Cependant Marie n'a pas cessé d'être une simple fille; les rêves de son +père la touchent peu: elle a donné son amour à Albert, un simple +gentilhomme. Ce qu'on sait d'Albert est tout mystère; on le tient pour +homme de bonne maison, voilà tout; le nom de son père reste caché; +Albert l'ignore lui-même. + +Ce nom qu'Albert ne sait pas, je veux vous le révéler: Albert a pour +père Chauvin, l'adversaire de Landais; Chauvin, que Landais a fait périr +misérablement en prison: Marie aime donc le fils d'un ennemi, et Albert +aime Marie la fille du bourreau de son père. + +Etienne connaît cette énigme fatale de la naissance d'Albert, et il en +profite pour jeter le trouble dans la maison de Landais et déchirer le +coeur de Marie. Le jour où, étendant la main vers Albert, il lui dit: +«Venge ton père,» tout est fini. Les deux amants se désespèrent, et +Marie s'évanouit. + +Etienne a beau faire, Albert tient à Marie plus qu'à Chauvin: l'amour +pur l'emporte sur l'amour filial. Vainement Étienne veut l'entraîner +dans sa haine et dans ses intrigues, Albert résiste: il fait plus +encore: il sauve la vie à Landais et arrache Marie aux ravisseurs +soudoyés par Étienne. + +Vous dites; «Comment Etienne peut-il ainsi aller et venir et comploter +dans le, palais après sa défaite?» Il faut s'en prendre à l'imprévoyance +de Landais, qui a eu la maladresse de lui laisser la liberté. + +Landais paie cher cette imprudence: Étienne et ses complices s'emparent +de la ville; Landais, surpris, ne peut résister; tout est dit: son +bonheur est passé et sa puissance s'écroule. Landais, prisonnier +d'Étienne, n'a plus qu'à se préparer à la mort; un seul regret affaiblit +son courage: que deviendra Marie? «Je veillerai sur elle, dit Albert, je +serai son défenseur et son époux.» A ces mots, il anéantit l'écrit qui +constate sa noble naissance, et se fait un homme sans titre et sans nom, +afin du pouvoir aimer Marie, la fille du tailleur. Landais, consolé, va +d'un pas ferme à la mort. + +Ce n'est là qu'une esquisse incomplète du drame de M. Émile Souvestre: +on y trouve bien d'autres événements et d'autres complications; +peut-être, même est-ce le défaut de l'ouvrage; les faits ne s'y +produisent pas toujours nettement et jettent çà et là, par une certaine +confusion, quelque obscurité sur les sentiments et sur les caractères; +mais, à tout prendre, le drame intéresse; il a été constamment applaudi: +c'est le succès le plus réel que le Second-Théâtre-Français ait obtenu +depuis sa réouverture; d'ailleurs, et ceci n'est pas à dédaigner par le +temps qui court, une pensée généreuse et un noble coeur se remuent +partout au fond de ce drame; on n'aurait pas nommé M. Souvestre, qu'on +l'aurait deviné. + +--Don Quichotte et son Sancho Pança chevauchent, depuis quelque temps, +au Cirque-Olympique, et y courent les hasards: du noble chevalier, +toujours vaillant, généreux, éthique, comme il convient à son caractère; +le fidèle écuyer, gros, gras, rond, roulant, plein de bon sens, de bon +appétit, et semant les proverbes sur sa route, ainsi qu'il lui +appartient. Nous ne suivrons pas ces deux illustres amis dans toutes les +sinuosités de leurs nombreuses aventures; nous ne marcherons pas pied à +pied à la suite de la fortune vagabonde de Rossinante et du grison; +cette entreprise nous mènerait trop avant, et nous ne sommes pas, pour +courir si loin, suffisamment éperonnés et armés chevaliers errants. + +Choisissons seulement quelques épisodes de ce poème mémorable; et +d'abord, voici ce bon Sancho: dans quelle situation, ô ciel! et comme il +a besoin ici de toute sa philosophie! Les muletiers ont saisi et jeté +notre homme sur une couverture de laine; les voyez-vous qui le lancent +en l'air à tours de bras et le font rebondir comme une balle élastique; +ô mon brave Sancho! jamais ballon joua-t-il son rôle aussi naturellement +que toi! + +Plus loin, don Quichotte devient la victime de sa philanthropie et de sa +candeur; vous savez comme quoi, au détour d'un buis, le valeureux +chevalier rencontra une bande de forçats escortée d'une escouade de la +sainte hermandad. «Holà! oh! seigneurs cavaliers, rendez la liberté à +ces malheureux, s'écria-t-il, ou je vous pourfends de ma redoutable +épée!» Et aussitôt, piquant des deux et croisant la lance, don Quichotte +mit les gendarmes en pleine déroute et délivra les bandits, qu'il +prenait pour des esclaves opprimés. Ce qu'il en advint, vous le voyez; à +peine les forçats ont-ils brisé leurs chaînes, qu'ils se tournent contre +leur libérateur, le jettent bas et le rouent de coups, de compagnie avec +Sancho. + +Que devenir après une telle ingratitude? Se retirer du monde, se faire +berger, chercher si la vertu et la reconnaissance, exilées des villes et +des grandes routes, se sont abritées sous la houlette; ainsi font don +Quichotte et Sancho. + +Mais la vie champêtre convient-elle à un tel héros? Don Quichotte a +bientôt repris le fer, la cuirasse et l'armet de Membrin. Qu'il fait +beau le voir sur son Rossinante immobile, tandis que Sancho Pança +enfourche le bât de son âne, en attendant le fidèle baudet qui broute +quelque part l'herbe fleurie. + +Hélas! don Quichotte a beau être le plus vaillant des héros de la +Manche, il succombe enfin dans un terrible tournois contre le redoutable +chevalier du Miroir; quelque enchanteur, sans doute! Le clairon sonne, +les casques retentissent, les cuirasses étincellent; quels rudes coups +d'épée! cependant don Quichotte est vaincu. + +Était-ce pour être partout trahi, berné et battu, qu'un beau jour, ô don +Quichotte! ô innocent héroïque! tu as quitté ta maison, ta nièce, ton +curé et tes livres de chevalerie, suivi de ton ami Sancho; le grison +portant l'un, Rossinante portant l'autre? + +--Le théâtre de la Porte-Saint-Martin ne s'amuse pas à de tels jeux +d'enfants; il se plonge dans le crime le plus noir avec _les +Naufrageurs_ titre barbare, mais moins barbare que la prose de M. Boulé, +l'auteur de ce formidable drame. Ces naufrageurs sont d'affreux bandits +qui dépouillent les malheureux que la tempête a jetés sur la rive, et +les assassinent au besoin. Aussi, leur histoire est-elle surabondamment +ornée de tempêtes, de naufrages, de meurtres, d'enlèvements, de morts +subites, de résurrections, de cavernes, d'incendies, de fureurs, de +repentirs, de reconnaissances et de grincements de dents. Au dénouement, +le crime est châtié amplement, comme cela est de règle, et les +naufrageurs s'abîment sous les ruines d'une immense caverne. Que Dieu +leur pardonne, et à M. Roulé aussi! + +--_Le Capitaine Lambert_, du gymnase, recommence _le Joueur_ de Regnard, +et celui de Victor Docange; mais il n'a ni l'esprit de l'un, ni la +terrible passion de l'autre. A force de jouer, Lambert perd jusqu'à son +dernier sou. Que deviendra sa fille? c'est là le grand désespoir de +Lambert. Heureusement, un Arthur vertueux, le fils de l'homme qui a +ruiné Lambert, répare tout le mal, et rend à Lambert la fortune qu'il +regrette: c'est bien le moins qu'il devienne son gendre. Lambert +jouera-t-il encore? je ne sais, mais je crains que le Gymnase ne le joue +pas longtemps. + +Les lauriers de Levassor emmenaient sans doute le théâtre des Variétés +de dormir; il a voulu avoir aussi sa pièce à travestissements. +_Jacquot_ ne sert pas à autre chose; Jacquot est tout à la fois Vernet, +Alcide Tousez, Odry, Numa, Lepeintre jeune, Ravel; tous les acteurs de +Paris y passent; Neuville exécute ces métamorphoses et ces imitations +avec une vérité et une ressemblance dignes d'étonnement. La pièce est +d'ailleurs semée de mots plaisants. Les auteurs sont MM. Paul Vermont et +Gabriel. + + + +De l'autre côté de l'Eau + +SOUVENIRS D'UNE PROMENADE. (Suite.--Voyez t. II, p. 6, 18 et 30.) + +SUR LA TAMISE. + +Tout ce qu'éprouvait de patriotique jalousie le vieux Caton pendant sa +résidence à Carthage, un Français,--je parle du moins farouche citoyen +de Paris,--doit le ressentir en arrivant à Londres par cette belle +avenue marine qui commence à Gravesend. + +Ce n'est pas que l'entrée des Champs-Elysées n'ait son mérite et +l'Arc-de-Triomphe ses glorieux souvenirs; mais Vienne a son Prater; +Berlin, son allée de tilleuls; Rome avait des arcs de triomphe sur +toutes ses routes. Aucune ville de ce bas monde n'a eu et n'aura +jamais,--il faut le croire,--ces huit lieues de rivières encombrées de +quatre mille vaisseaux. + +Voici les lourds charbonniers de Newcastle, voici les bricks de commerce +qui reviennent de Calcutta et de Bombay, voici les pêcheurs de morue, +voici les yachts de la _Royal Navy_, voici les stationnaires, +sentinelles imposantes, voici le pavillon russe, le pavillon +danois.--hélas! et Copenhague?--le papillon américain,--et Boston?--le +pavillon français,--diable, et Trafalgar? + +Noble et glorieux pavillon, que n'était-tu du moins sur quelque beau +navire aux agrès bien ordonnés, brillant de la poupe à la proue, les +sabords ouverts et montrant les dents! Mais non; à l'arrière de cinq on +six méchantes carènes, sales et mal tenues, pendait un chiffon tricolore +dont à peine on distinguait les nuances éteintes. Sans le souvenir de la +Colonne, il y avait de quoi se voiler la face et s'enfuir à fond de +cale. + +Encore des vaisseaux, des vaisseaux encore, des vaisseaux toujours. +Quelquefois, nous ne voyons de loin, acculé à la rive, que le profil +d'un beau navire; mais ce profil nous en marquait dix, quinze, vingt, +rangés côte à côte. Cette immense force ne s'étale pas, bien au +contraire; chaque vaisseau se serre et se fait petit, dans une +agglomération monstrueuse de voiles et de mâts et de tuyaux à vapeur. + +Puis, derrière les toits du rivage, vous avisez d'autres cordages, +d'autres vergues, d'autres pavillons: ce sont les _Docks_, ce sont des +ports creusés par douzaines, où vont encore se cacher des flottes +entières, se reposer les bâtiments avariés, se décharger les opulentes +cargaisons... Bref, au bout d'une heure ou deux, la tête vous tourne, ce +panorama mouvant vous enivre; vous vous croyez le jouet d'un rêve,--et +d'un mauvais rêve, puisque vous n'êtes pas Anglais. + +J'avais d'abord donné carrière à mon étonnement à mesure qu'un obligeant +gentleman me signalait l'un après l'autre tous les points remarquables +devant lesquels nous passions. Mais je crus voir briller dans ses yeux +une orgueilleuse satisfaction qui me déplut, et ménageant de mon mieux +la transition, je passai en peu de minutes à une indifférence fort bien +jouée. Comme dernier symptôme de cet insouciant dédain, le _tillaburelo_ +de _my uncle Toby_ me vint admirablement en aide. Le Gentleman +s'inquiète de mes airs blasés; et après avoir essayé deux ou trois fois +encore ses triomphantes insinuations, il me quitte, presque offensé de +les voir si tranquillement accueillies. + +SOUTH MOLTON STREET. + +On m'avait spécialement recommandé de loger dans l'_East-End_. En ce +pays où tout est strictement classé, mieux vaut un grenier du quartier +noble qu'un hôtel tout entier de la Cité. Nous primes donc notre essor, +mon compagnon de voyage et moi, vers la région très-noble ou Hyde-Park +semble retenir la crème anglaise. + +Et comme j'étais pressé d'en finir avec les ennuis du premier +établissement, nous nous installâmes chez un estimable chapelier qui mit +à notre disposition tout le superflu de sa petite maison: à savoir, un +salon et deux chambres à coucher. + +Sans me permettre une critique trop générale, voici mes observations sur +l'intérieur hospitalier qu'il nous offrit en échange de guinées assez +nombreuses. + +Les cheminées avaient, en guise de devants de feu, des tabliers de +soubrette excessivement ornés. Ces tabliers étaient en papier de couleur +découpé, brodé, bariolé, rehaussé de paillettes. + +L'unique canapé du salon était d'une maigreur attristante. La maîtresse +du logis,--Dieu me garde de la nommer à présent!--ressemblait au canapé +du salon. + +Quelque chose de plus maigre encore, c'était Anne, l'unique soubrette de +l'établissement. Bien que l'escalier criât volontiers sous le moindre +poids, elle le montait et le descendait sans le plus léger bruit, à la +manière des fantômes, dont elle avait la pâleur et l'oeil hagard; je +parle de son oeil,--ou plutôt de ses yeux,--pour les avoir aperçus de +temps à autre, à la dérobée. En général, ils étaient respectueusement +baissés vers le parquet. + +Le salon était pauvre, mais décent. La chambre à laquelle il donnait +accès affichait un certain air de propreté menteuse. Je la cédai à mon +compagnon de voyage. + +Quant au _garret_ où je fus relégué par cette déférence toute naturelle, +il mériterait une description en vers à la manière de Gresset; mais je +me bornerai à quelques détails prosaïques. + +Mon lit,--un véritable _four-posted-bed_,--était d'une ampleur +conjugale; mais les matelas, évidemment destinés à un célibataire, ne le +garnissaient ni en largeur ni en longueur. Ils formaient au milieu du +plancher qui les soutenait une espèce de monticule quadrangulaire +très-élevé. Je les comptai par curiosité: ils étaient cinq, dont le +mieux fourni n'avait certainement pas l'épaisseur d'une galette du +Gymnase. En revanche, par la consistance, ils en auraient facilement +remontré au biscuit de mer le plus solide. + +Après de vains efforts pour dormir sur cette couche dure, je me résignai +à demander, non pas un, mais cinq autres matelas supplémentaires, qui me +furent octroyés avec une certaine stupéfaction, et un lit de plumes, par +la vertueuse mistriss...--j'ai juré de ne pas la nommer. + +Loin de m'enhardir, cette complaisance m'empêcha de lui faire remarquer +que le couvre-pieds de coton qui devait me dérober aux yeux indiscrets, +tandis que je me livrerais au sommeil, manquait évidemment des qualités +indispensables à ce voile nocturne. Les souris ou le temps en avaient +fait un véritable crible dont les trous multipliés, laissant passer mes +jambes, ne pouvaient guère arrêter un regard curieux. + +Les serviettes étaient contemporaines du couvre-pieds. Elles devaient de +plus à une lessive particulière je ne sais quelle odeur nauséabonde qui +remplissait la chambre quand j'y montai pour la première fois. + +«Par bonheur, pensai-je, nous sommes au mois de juin,» Et je courus +ouvrir la fenêtre. + +La fenêtre,--infernale guillotine!--résista obstinément à tous mes +efforts pour la relever; je la crus condamnée par quelque droit de +servitude, et je m'assis sur ma malle, dans l'attitude de Marins sur les +ruines de Carthage, mais beaucoup moins résigné que le vieux proconsul. +Il était en plein air, lui. Quant à moi, j'aurais volontiers pleuré. + +Pourtant l'excès même du malheur, dans une âme forte, amène, une +énergique réaction; puis le tablier de ma cheminée était si plaisant, il +affectait de si étranges grâces, et ses grâces ressortaient si bien, +éclairées par une affreuse chandelle de suif enfoncée dans un bougeoir +énorme, que la résignation reprit sur mon coeur son heureux empire. Je +doublai de mon manteau le couvre-pieds transparent; je m'isolai, autant +que faire se put, du contact cotonneux de mes draps, et si le sommeil +n'avait fui mes paupières, j'aurais pu me croire sur le plus délicieux +édredon. + +Mais je ne fermai pas l'oeil et mal en prit à certains petits animaux +qui, dès cette nuit même, avec un empressement tout britannique, +voulaient se repaître de sang français. + +SIGNALEMENT D'UNE CAPITALE. + + _Rues_--larges. + _Passages_--étroits. + _Parcs_--nombreux. + _Maisons_--noires. + _Portes_--petites. + _Squares_--ronds ou ovales. + _Quais_--hideux. + _Cabriolets_--faits en citadines. + _Pavés_--rares. + _Édifices_--bien portants. + _Cafés_--invisibles. + _Boue_--abondante. + _Décrotteurs_--ignorés. + _Soleil_--étonné (1). + _Passants_--tristes. + _Dimanches_--tristes. + _Ponts_--magnifiques. + _Valets_--bien mis. + _Maîtres_--mal habillés. + _Mendiants_--pieds nus. + _Mendiantes_--en chapeaux de satin. + _Grisettes_--nus-bras, nu-cou, épaules nues. + _Omnibus_--bruyants. + _Marteaux de porte_--plus bruyants. + _Vieux habits_--très-bruyants. + _Watchmen_--admirables. + _Soldats_--très-longs. + _Pieds de femmes_--très-longs. + _Nez d'hommes_--tout le contraire. + _Bas de coton_--bon marché. + _Tout le reste_--fort cher. + +[Note 1: Ceci demande un commentaire. Le soleil, à Londres est étonné +comme le doge de Gênes dans les galeries de Versailles.] + +RÉFLEXIONS. + +Pour ce signalement, j'ai choisi naturellement les traits +caractéristiques, les côtés distinctifs de la ville que j'avais à +dépeindre. Maintenant je suis de trop bonne foi,--et aussi trop +prévoyant,--pour ne pas prédire que ces traits tendent à s'effacer +chaque jour. + +Mon compagnon de voyage,--qui visite l'Angleterre à peu près tous les +cinq ou six ans,--m'a confirmé cette vérité par toutes sortes +d'observations spirituelles. + +Mais bien mieux encore par quelques-uns de ses étonnements. + +Ainsi, quand un garçon de taverne, nous reconnaissant pour des Français, +nous proposa du _bouilli-beef_--l'expression que prit le visage de mon +ami me révéla toute une révolution culinaire. + +«Bouilli-beef! répétait-il confondu... venir à Londres pour manger du +bouilli-beef!... dans une taverne, du bouilli-b...!» + +Mais là je l'arrêtai court en lui montrant, sur les vitres de la +fenêtre, ces mots, qui répondaient éloquemment à l'amertume de ses +plaintes. + +Nous n'étions pas dans une taverne, nous étions dans une Eating-House. +L'_Eating-House_ est à la taverne et au restaurant ce que l'aurélie est +au ver et au papillon. De toutes parts la taverne se chrysalide. + +Le vin français et le vaudeville français sont appelés à régénérer +l'Angleterre. Dans cinquante ans, Londres aura des cafés, des +décrotteurs, etc.; dans cinquante ans, il y sera tout à fait incongru de +donner à manger au voyageur sans le gratifier d'un essuie-mains. + +Qui sait--le bouilli-beef est d'un bon augure--si on n'y naturalisera +pas ce qu'il y a de meilleur et de plus français au monde: la calme et +sereine flânerie? + +En l'an de grâce 1843,--je le dis pour l'instruction des âges +futurs,--je n'ai vu de flâneurs à Londres que les watchmen et moi, ce +dernier dans les glaces des magasins. Il me semblait vraiment ridicule, +et j'avais honte pour lui de son inutilité souriante. + +HUMILIATION. + +Ce même personnage étant fort embarrassé,--pour peu qu'il eut osé +s'aventurer à cinq ou six rues de son domicile,--ne se hasardait guère à +de si lointaines excursions qu'avec un plan de Londres dans sa poche. Ce +document topographique lui paraissait indispensable, mais lui devenait +presque entièrement inutile, par suite d'une honorable timidité qui +l'empêchait d'y chercher son chemin. + +Un jour, cependant, après s'être longtemps consulté, il se retira dans +une étroite ruelle dallée,--une _lane_ quelconque;--et là, certain de +n'être pas observé, il entrouvrait mystérieusement les plis sibyllins de +son oracle... + +Quand un honnête homme, fort déguenillé mais très-barbu, sortit tout à +coup de quelque corridor obscur, et avec une obligeante grimace de +protection: + +«Où va monsieur?» lui demanda-t-il en bon français. + +O. N. + +(_La suite à un autre numéro._) + + + +La Pêche de la Morue. + +L'époque approche où les nombreux bâtiments partis pour la pêche de la +morue au printemps dernier vont rentrer dans nos ports. Déjà plusieurs +journaux du département du Nord ont annoncé l'arrivée à Dunkerque de +deux ou trois navires pêcheurs venant de Terre-Neuve. En ce moment, tous +les pêcheurs ont terminé leur récolte; qu'on nous permette cette +expression, car la pèche a été appelée l'_agriculture des eaux_; ils +font voile vers la France. Avant d'apprendre à ses nombreux abonnés si +la pèche de la morue a été heureuse cette année, l'_Illustration_ devait +employer, pour la leur faire connaître dans ses plus curieux détails, la +plume de ses écrivains et le crayon de ses dessinateurs. + +Fidèles à leur rendez-vous habituel, les poissons des différents parages +viennent périodiquement payer à l'homme leur tribut, et les pêcheurs y +ont attendre ou poursuivre, dans certaines parties de l'Océan, les +espèces qui s'y réunissent de préférence. Tel est le motif qui attire +vers les côtes d'Islande, à Terre-Neuve et sur le grand banc ces flottes +nombreuses qui partent tous les ans de nos ports de l'Ouest. C'est au +milieu des tempêtes de ces mers orageuses que le jeune matelot reçoit le +baptême du métier; c'est à cette école de dangers et de privations que +s'exercent les forces vives de notre marine. De tout temps, les +puissances maritimes ont trouvé dans la grande pèche les éléments de +leur prospérité. Venise et la Hollande, ces républiques qui ont pesé +d'un si grand poids dans la balance des nations, partirent un filet sur +l'épaule et commencèrent leur fortune dans une barque de pêcheur. Ces +peuples de marins devinrent riches et forts, et leur prépondérance sur +la mer leur assura le commerce du monde. La puissance maritime de la +France s'est agrandie aussi par la pêche; ses escadres ne se formèrent +qu'à l'époque où les pêcheurs purent se réunir en grandes flottes: ce +fut au commencement du seizième siècle, lorsque le Portugais Curie Real, +qui avait observé l'affluence extraordinaire des morues sur le grand +banc de Terre-Neuve, signala cette mine inépuisable aux pêcheurs +européens, et que François 1er eut fait explorer ces parages par Jacques +Cartier, de Saint-Malo, le meilleur marin de son temps. Toutefois ou ne +tira pas d'abord un bien grand parti des ressources que le hasard avait +fait découvrir dans ces latitudes. Le Vénitien Jean Cabot, envoyé par +Henri VII d'Angleterre à la recherche d'un passage qu'on présumait +devoir conduire à la Chine par le nord-ouest, avait reconnu, en 1497, +une île qu'il appela _Prima-Vista_, et dont les nations maritimes, qui +ont envié tour à tour la possession de cette nouvelle contrée, ont +traduit chacune le nom dans leur langue. En 1501, Juan Ayamonte, marin +catalan, recevait licence de la reine d'Espagne pour aller faire des +investigations sur _la Tierra-Nueva (para ir a saber el secreto de la +Tierra-Nueva)_, et il lui était recommandé de prendre avec lui deux +pilotes bretons. Les Anglais la nommèrent _New-Fundland_, et ils ne +pensèrent guère à la coloniser que cent ans plus tard. Les Chartres +octroyées par Henri VII, pour y fonder des pêcheries, ne produisirent +d'abord aucun résultat, et la marine anglaise n'acquit quelque +prépondérance dans ces mers qu'après que le célèbre Drake en eut chassé +les Espagnols. Leur prise de possession à Terre-Neuve ne date réellement +que de 1585; l'île ne comptait encore que soixante-deux colons en 1612, +et le nombre des navires pêcheurs s'élevait à peine à une cinquantaine. +Nous ne commençâmes nous-mêmes à nous adonner à la pèche de la morue +qu'en 1540. Les établissements sédentaires que nous fond ânes sur le +littoral n'eurent pas, dans le principe, tout le succès qu'on s'était +promis, et ce fui seulement sous le règne de Henri IV que le ministre +Sully favorisa de tout son pouvoir la pêche de la morue, en la plaçant +sous la protection du gouvernement. + +Ainsi cette industrie qui s'exerça dans la haute mer à plus de six cents +lieues de nos côtes, cette pêche qui, depuis plus de trois cents ans, a +employé tant de bras et nourri tant de populations, ne marcha d'abord +qu'avec lenteur. Il lui a fallu le secours des primes et l'appui soutenu +de l'État pour s'élever au rang des grands commerces. Alors les stations +poissonneuses des côtes et du banc de Terre-Neuve attirèrent les +pêcheurs de diverses nations. La France et l'Angleterre, qui s'étaient +disputé longtemps la possession de l'île et des mers adjacentes, +finirent par fixer les divers parages où pêcheurs pourraient dorénavant +se livrer à leur art sous la garantie des traités. Avant 1713, les +pêcheries que nous possédions fournissaient aux besoins de presque toute +l'Europe, et suffisaient à l'armement de nos vaisseaux; mais le traité +d'Utrecht, celui de Versailles (1785) et la cession du Canada vinrent +changer notre situation. Nous perdîmes successivement tous les riches +établissements que nous avions formés au loin, et qui avaient porté la +grande pêche au plus haut degré de prospérité: les colonies de l'Acadie +et du Canada, l'île Royale, l'île Saint-Jean, l'île de Terre-Neuve +cessèrent de nous appartenir. + +[Illustration: Bâtiments faisant la pêche de la morue (verte) sur le +banc de Terre-Neuve.] + +Réduits maintenant aux droits de pêche sur les côtes d'Islande, au grand +banc et sur la lande orientale et occidentale de Terre-Neuve, _sans +pouvoir y établir aucune habitation, si ce n'est des échafauds et +cabanes pour sécher le poisson:_ ne possédant plus pour s'abriter que +les petites îles de Saint-Pierre et Miquelon, rochers nus et misérables +qu'il faut approvisionner de toutes les choses nécessaires à la vie, nos +navires sont obligés de partir chaque année des ports de France qui +doivent servir aux opérations de la campagne. Et pourtant, malgré cet +état de choses, et grâce aux encouragements de l'État, nos pécheurs ont +soutenu la concurrence avec ceux de l'Angleterre, établis et à demeure +sur la partie sud de l'île de Terre-Neuve, et avec ceux des États-Unis, +qui jouissent de tous les avantages de la proximité de leurs côtes.--La +pêche de la morue occupe annuellement plus de 400 navires français; 200 +bâtiments de transport et de cabotage sont destinés en outre aux +opérations accessoires de la pêche. Ainsi, cette industrie entretient à +la mer une flotte de 600 voiles et de 15,000 marins, qui forment près du +quart du personnel valide de l'inscription maritime: réserve précieuse, +toujours disponible et endurcie au métier le plus rude, sur mit; mer +orageuse et sous un climat des plus rigoureux; réserve utile pour la +navigation commerciale en temps de paix, réserve indispensable, mais +encore insuffisante pour l'armement de nos escadres en temps de +guerre.--Les produits de la pêche de la morue sont, estimés à 40 +millions de kilogrammes de poisson, qui viennent alimenter nos marchés, +et dont 15 à 16 millions sont réexportés aux colonies, en Italie et en +Espagne. Notre consommation absorbe le reste. + +[Illustration: Coupe de mer sous un navire faisant la pêche de la morue +(verte).] + +La pêche sur la côte de Terre-Neuve a toujours été placée au premier +rang; c'est, celle qui occupe le plus grand nombre de marins; on y +emploie des bâtiments de toute grandeur, depuis 30 jusqu'à 350 tonneaux. +Lorsque le navire est arrivé il la côte, vers les premiers jours de +juin, on le désarme, et l'équipage vient s'établir à terre avec tout son +matériel dans des cabanes de bois construites sur le littoral et qu'il +faut remettre en état après l'hivernage. De là, les bateaux, montés de +deux hommes et un novice, sont expédiés tous les matins à la pèche à la +ligne pour ne l'entrer que le soir. Indépendamment de ces embarcations, +chaque navire arme un ou plusieurs _bateaux de Seine_, qui sont montés +de dix hommes et qui pèchent lorsque les morues deviennent plus +abondantes. Au retour des bateaux, le poisson est tranché, salé et mis +en pile: après plusieurs jours de sel, les novices et les mousses le +font sécher sur les bancs de galet jusqu'à ce qu'il soit parvenu à un +désiré de dessiccation suflisant pour le rentrer. Les pécheurs quittent +la côte à la fin de septembre, la plupart pour rentrer en France, +quelques-uns pour aller porter une cargaison de morues aux Antilles. + +[Illustration: Haim et ligne de pêche.] + +La pêche à Saint-Pierre et Miquelon a une grande analogie avec celle de +la côte de Terre-Neuve: elle se fait avec des bateaux plats appelés +_wavys_ ou avec des pirogues. Ces embarcations, au nombre de 2 à 500, +vont à la voile et à l'aviron; elles sont montées par deux hommes et +sortent le matin pour rentrer le soir. On divise en trois catégories les +différentes classes de gens qui se dévouent à la pèche, ou à la +préparation du poisson sur le littoral de ces deux petites îles: 1º les +_pêcheurs sédentaires_ ou colons pêcheurs, au nombre de 1,000 à 1,400; +2º les _pécheurs hivernants_, qui passent la mauvaise saison ou qui +s'établissent à terre pendant plusieurs années; leur chiffre, sujet à +des variations, n'excède guère 300 individus; 3º enfin, les _passagers +pêcheurs_ venus de France et qui repartent à la fin de la campagne; on +en compte environ 3 à 400 chaque année. + +[Illustration: Morue.] + +La pêche et la préparation de la morue étant la seule industrie des îles +de Saint-Pierre et Miquelon, occupent la totalité des pêcheurs +hivernants et presque tous les habitants sédentaires, hommes, femmes, +vieillards et enfants, à partir de l'âge le plus tendre. La pêche +commence au mois d'avril et se prolonge jusque vers le milieu d'octobre; +elle est généralement assez abondante et donne du petit poisson. Comme à +la côte de Terre-Neuve. + +[Illustration: Morue habillée, dite morue plate.--Dessus.] + +[Illustration: Morue habillée, dite morue plate.--Dessous, intérieur.] + +[Illustration: Pêcherie à Terre-Neuve] + +La pèche sur le grand banc s'effectue avec des navires de 120 à 130 +tonneaux, armés de deux fortes chaloupes; 16 à 20 hommes d'équipage sont +nécessaires pour la manoeuvre du bâtiment et de ses embarcations: les +départs de France ont lieu du 1er au 15 mars. Les navires se rendent +directement à Saint-Pierre et y débarquent les passagers pêcheurs, les +mousses et les novices, qui forment le complément légal de leur +équipage, et qui ont pour destination le travail de la sécherie à terre; +de là, ils font voile pour le banc, sur lequel ils vont mouiller par 70 +à 80 mètres de fond, afin de s'y livrer aux opérations de la pêche. Les +deux chaloupes sont mises à la mer, et, chaque soir, montées de cinq +hommes chacune, elles vont tendre les lignes, qui sont armées de 4 à +5,000 hameçons. Tous les matins, les lignes sont levées, et le poisson, +tranché, lavé et salé, est transporté à bond et déposé dans la cale. La +partie de l'équipage qui est restée sur le navire, s'occupe aussi à la +pêche avec des lignes de fond. La première pèche terminée, ce qui a lieu +du 15 au 30 juin, le produit en est porté à Saint-Pierre pour y être +séché, tandis que le navire, muni de nouveau sel et d'appâts, retourne +faire sur le banc une seconde pêche. Parfois même il en fait une +troisième, dont les produits, seulement salés, sont rapportés +directement en France à l'état vert. La pêche du grand banc est plus +dure et plus périlleuse que celle de la côte; elle exige des marins +faits et des hommes intrépides; elle se pratique sur une mer sans cesse +agitée; les pertes d'hommes et de chaloupes y sont fréquentes à cause +des bourrasques et des brumes: la pêche à la côte forme les marins, la +pèche au banc les aguerrit. + +[Illustration: Pêche du capelan pour servir d'appât.] + +[Illustration: Barque faisant la pêche de la morue sèche, sur le banc de +Terre-Neuve.] + +[Illustration: Portion de coupe d'un bâtiment de pêcheur de morue +(verte)--Profile.] + +Quant à la pêche qui se pratique vers les atterrages de l'Islande, elle +s'opère sous une latitude de 64 à 66 degrés nord, au milieu des glaces +flottantes et sur une mer sans mouillage et toujours tourmentée. A la +côte, le navire est désarmé; au grand banc, il est mouillé sur son +ancre; dans les parages de l'Islande, il est forcé de rester sous voile. +Ici, la pêche se fait avec des lignes volantes de 100 à 120 brasses de +profondeur; le poisson pris, au lieu d'être salé _en vrac_, est préparé +et salé dans des tonnes apportées de France. On emploie, pour cette +pêche, des bâtiments de 60 à 80 tonneaux, montés de 12 à 15 hommes +d'équipage. Les navires partent en avril et rentrent dans le courant de +septembre; quelques-uns, cependant, favorisés par la pêche, reviennent +au mois de juin et repartent immédiatement pour un second voyage. Ainsi, +les équipages tiennent habituellement la mer pendant six mois. Aucune +pêche n'est plus propre à donner des marins intrépides, aucune n'est +marquée par des pertes plus cruelles d'hommes et de bâtiments. + +[Illustration: Fragment d'un bâtiment de morue (verte), vu par la +hanche.] + +«En présence du développement des forces maritimes des grandes +puissances, disait naguère l'habile, administrateur chargé de soutenir +devant les chambres l'exposé des motifs sur le dernier projet relatif à +la pêche de la morue, la France ne doit pas rester stationnaire, et le +gouvernement doit chercher les moyens de mettre les ressources du pays à +la hauteur des besoins sans cesse croissants de notre marine. La pêche +est une industrie féconde; déjà elle est la branche la plus importante +de notre navigation commerciale, et l'inscription maritime, à laquelle +elle fournit plus du cinquième de sa force vive, lui doit ses meilleurs +matelots; aucune ne forme plus économiquement et plus promptement des +marins robustes, actifs et propres au service de l'État, et cependant +aucune n'est susceptible encore d'un plus grand développement... Le +doublement de l'exportation et de la consommation des produits de la +pêche suffirait pour donner au service de notre flotte 12,000 marins de +plus.» + +A ces judicieuses paroles de M. Senac nous ajouterons que la France a +dans ses mains toutes les ressources pour se maintenir au rang des +premières puissances maritimes, pour protéger le commerce le plus +étendu, pour appuyer au besoin par ses forces navales la prépondérance +de sa politique; mais il faut pour cela qu'elle ne renonce pas à se +faire craindre sur les eaux. Or, il n'est pas de marine militaire +possible sans une marine marchande active et nombreux, et c'est dans la +politique de la grande pêche qu'elle, en trouvera tous les éléments. + + + +Projet d'une Caisse de pensions de retraite + +POUR LES CLASSES LABORIEUSES. + +Les caisses d'épargne sont accessibles sans distinction à tous ceux qui, +pauvres ou riches, veulent momentanément déposer des sommes plus ou +moins fortes, qu'ils peuvent retirer à volonté. Or, nous voyons par les +comptes rendus de leur administration que la moyenne des versements pour +Paris varie entre 150 et 160 fr. par individu, ce qui suppose une +économie d'au moins 60 fr. par an, économie que peuvent rarement faire +ceux qui vivent au jour le jour de leurs salaires. + +D'autre part, les _Sociétés particulières de secours mutuels_ ont +spécialement pour but d'assurer un secours journalier à ceux qu'un +chômage, une maladie, privent momentanément de leurs ressources, +quelquefois de rembourser les frais de maladie, les frais de sépulture +en cas de décès, etc.; mais, ainsi que nous le dit un homme qui a voué à +ces importantes questions une élude toute particulière, M. Maquet, dans +un travail dont nous parlerons tout à l'heure, «les ouvriers peuvent +d'autant moins s'y associer, qu'indépendamment des versements annuels +plus ou moins forts, le souscripteur est encore obligé de payer d'avance +5 pour 100 pour frais d'administration _sur le montant des annuités +capitalisées._» + +Aussi, beaucoup de ces sociétés; n'ont pu se soutenir longtemps, et, +après d'infructueux efforts, se sont vues dans la nécessité de se +dissoudre. En nous confirmant ces tristes résultats, un philanthrope +bien digne de regrets, M. de Gérando, nous les a expliqués dans les +lignes suivantes empruntées à son ouvrage sur la _Bienfaisance +publique_: «Ces sociétés, dit-il, dont le quart réunit à peine trente à +cinquante membres, procèdent suivant des modes très-différents; aucune +loi, aucun acte du gouvernement, ne sont venus leur assurer une +protection, leur donner des règles ou des garanties. Il est impossible, +ajoute-t-il dans un autre passage, que des associations si peu +nombreuses puissent faire une application solide du calcul des +probabilités, et qu'elles garantissent aucun secours avec une certitude +quelconque. Trente-deux d'entre elles se sont dissoutes dans ces +derniers temps, et cinq dans la seule année 1837; vingt-une n'ont plus +fourni de renseignements à la caisse philanthropique de Paris depuis +1829, et ont peut-être subi le même sort.» + +Il restait donc à trouver une combinaison qui, sans nuire aux caisses +d'épargne, pût exister à côté d'elles ainsi qu'à côté des sociétés +temporaires de secours mutuels, et réaliser ce que ni les unes ni les +autres ne pouvaient faire, c'est-à-dire créer chaque jour pour le +prolétaire des ressources qui s'accumuleraient sans cesse, et +garantiraient d'une manière certaine l'avenir contre toutes les +éventualités. C'est le plan qu'a voulu réaliser un honorable citoyen, M. +Maquet, en fondant _des caisses de pensions de retraite pour les classes +laborieuses de l'un et de l'autre sexe_. + +M. Maquet, qui mûrissait depuis longtemps cette idée généreuse, avait +consulté tous les précédents qui peuvent exister; car l'idée qu'il a +émise et qu'il veut faire passer dans la réalité n'est nouvelle, à +proprement parler, que dans son application. Sans mentionner la _caisse +des invalides de la marine_, dont les résultats ont été si admirables, +et qui fonctionne avec tant de succès depuis près de deux siècles, il +nous suffira de dire qu'un plan analogue à celui proposé aujourd'hui par +M. Maquet a été exposé pour la première fois en 1772 en Angleterre, +adopté deux fois, à une grande majorité, par la Chambre des Communes en +1773 et 1796, deux fois repoussé par la Chambre des Lords, et enfin +accueilli le 18 juin 1833 par les deux chambres du Parlement. + +Cet acte législatif stipulait que tout individu âgé de quinze ans au +moins pouvait, soit par un seul paiement, soit par une prime annuelle, +acquérir de l'État une rente viagère annuelle ou différée au maximum de +20 liv. st., au minimum de 1 liv. st., à la charge de déposer cette +prime dans une caisse d'épargne ou paroissiale, ou dans toute autre +société autorisée à se former à cet effet. + +Le même acte disposait en même temps (art. 19) que les certificats et +registres relatifs à ce service seraient exempts de timbre. + +Après avoir longtemps mûri son plan, et réfléchi à la possibilité +d'organiser une caisse de pensions de retraite pour les classes +laborieuses, M. Maquet songea à demander pour lui le patronage du +public, de la presse et des hommes éclairés. A cet effet, une réunion +solennelle fut convoquée; elle eut lieu le 11 mai 1812, dans la grande +salle de la mairie du 5e arrondissement. C'est devant un nombreux +auditoire que M Maquet, fort de ses études et de ses convictions, exposa +son plan d'organisation. Nous allons en donner brièvement un aperçu +d'après ses propres travaux. + +Étendre aux classes ouvrières, par une association appliquée à tous les +degrés de l'échelle sociale, le principe suivi par le gouvernement, qui, +au moyen des retenues opérées sur leurs traitements d'activité, même les +plus minimes, alloue des pensions de retraite, non-seulement aux +employés de ses administrateurs, mais encore aux officiers des armées de +terre et de mer, ainsi qu'aux marins et aux ouvriers des ports; tel +était le problème que M. Maquet s'était proposé de résoudre. + +Pour y parvenir, rien ne lui semble préférable à la création d'un +établissement fondé sur le model de la caisse des invalides de la +marine. Cette caisse, qui, depuis deux siècles, fonctionne avec un +succès toujours croissant, et que prospérité a mise à même de pouvoir +payer plus de 7 millions de pensions pour services mixtes rendus à +l'État et au commerce, s'écarte (comme doit du reste le faire, à son +exemple, la casse des pensions de retraite) autant de la règle commune +des anciennes routines que des établissements nouveaux d'un caractère +analogue. Elle n'aliène aucune partie de son capital; elle n'en fait pas +comme certaines sociétés particulières, le privilège exclusif d'un +partage entre les survivants lors des répartitions; son fonds est un +trésor qui s'augmente sans cesse pour soulager dans l'avenir les +infirmités ou la vieillesse de ses économes et prudents souscripteurs. +«En effet, dit M. Richelot, cette caisse pourvoit à tout pour le marin; +la marine n'abandonne point, comme l'industrie, ses vieux serviteurs; +les bras employés par elle, et que l'âge a affaiblis, elle ne les réduit +pas au pénible effort de demander l'aumône; elle établit une admirable +solidarité de famille, et récompense dans la veuve et dans l'enfant en +bas âge les services du mari et du père.» + +Ce serait une position analogue que M. Maquet, en organisant la caisse +des pension de retraite, voudrait créer en faveur de ces ouvriers vieux +et infirmes, de ces invalides de l'industrie qui, après une vie entière +passée dans de pénibles travaux, n'ont d'autre perspective que le +dénûment dans l'infirmité. + +Jusqu'ici, en effet, qu'a-t-on fait pour l'ouvrier? Le gouvernement, ce +tuteur-né des intérêts généraux, qui impose d'autorité une économie sur +le traitement de l'officier ou du bureaucrate, qui les rend prévoyants +par ordre, a-t-il songé à assurer à l'ouvrier un morceau de pain à la +fin de sa carrière? Souvent même se croit-il bien généreux quand, +l'arrachant à la municipalité, il l'envoie cacher ses infirmités +derrière les murs d'un de ces hôpitaux qu'il entretient avec les sueurs +du malheureux, avec le produit des charges publiques, surtout des +octrois, qui pèsent bien plus sur le pauvre que sur le riche. + +Différente des caisses d'épargne, la caisse des pensions de retraite ne +rend les épargnes qu'elle à reçues par fractions que sous forme de +pensions, ou tout au moins de secours qu'on pourrait appeler des +pensions temporaires, et après un laps de temps qui ne peut être moindre +de vingt-cinq ans. Ces pensions doivent être le résultat de versements +ou de retenues volontaires de 6, 12 ou 21 francs par an, à percevoir par +fractions de 12, 25 ou 30 centimes par semaine, suivant l'âge ou la +progression du salaire. + +Le minimum des versements pendant vingt-cinq ans est de 450 francs; le +maximum, de 20 centimes par jour. + +Toute personne de l'un ou de l'autre sexe, de dix ans et au-dessus, peut +faire partie de la caisse, sur la présentation de son acte de naissance. + +Les versements ne pourront être moindres + +De 6 francs par an, de dix à quinze ans; + +De 12 francs, de quinze à vingt ans; + +De 24 francs par an, de vingt ans et au-dessus. + +Les souscripteurs devront faire leurs versements par semaine ou par mois. + +Toutes les sommes provenant de souscriptions, legs ou donations, seront +employées en achats de rentes sur l'État. + +Ces rentes seront inscrites au nom de la caisse des pensions de +retraite, et les titres seront déposés à la caisse des dépôts et +consignations. + +Les arrérages de rentes seront perçus et convertis immédiatement en +rentes sur l'État, ou en placements hypothécaires, par les soins du +conseil-directeur. + +Tout souscripteur âgé de cinquante-cinq ans, dont les versements annuels +auront été régulièrement faits pendant vingt-cinq ans, et s'élèveront à +450 francs au moins, aura droit à une pension. + +Les souscripteurs dont les versements auraient été suspendus ne perdront +pas leurs droits à la pension, pourvu qu'en reprenant le cours de leurs +versements, ils acquittent le montant et les intérêts composés des +versements arriérés. Le maximum des pensions ne pourra excéder 600 +francs par an, à moins de modifications ultérieures. + +D'autres dispositions règlent les droits des ouvriers à une pension +temporaire pour cause de blessures ou d'accidents. + +Enfin la caisse sera aussi en mesure de servir des pensions aux veufs ou +veuves, aux orphelins et aux pères et mères indigents des +souscripteurs.. + +Tel est, dans ses dispositions principales, le plan proposé par M. +Maquet; aussi ne doit-on pas s'étonner qu'aussitôt les hommes les plus +honorables et les publicistes les plus distingués se soient empressé de +lui donner leur adhésion. Il a été immédiatement renvoyé à une +commission qui s'est constituée sous la présidence d'un de nos +industriels les plus distingués, M. Demere, et dont on attend le travail +avec impatience. Sans préjuger, dès aujourd'hui, quelles seront les +conclusions de cette commission, nous croyons savoir qu'elle +insisterait, de même que M. Miguel, pour que cette caisse fonctionnerait +sous la garantie du gouvernement. + +Nous ne savons encore si le gouvernement donnera la garantie demandée. +Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons que nous féliciter de voir des +hommes honorables et dévoués occupés de réaliser une idée aussi féconde, +et qui, bien comprise et bien exécutée, peut avoir les résultats les +plus heureux pour l'avenir des classes ouvrières. Prochainement, la +commission va publier son travail et ses observations. Puisse-t-elle +mettre dans l'oeuvre qu'elle a entreprise assez de persévérance et +d'efforts pour réaliser bientôt le plan de M. Maquet! Ce sera à la fois +un noble exemple donné par la France au monde civilisé, et un immense +service rendu à l'industrie nationale. Ses agents les plus immédiats et +les plus utiles, les ouvriers, trouveront dans la caisse des pensions de +retraite un soulagement pour leur vieillesse, et un bien-être d'autant +plus précieux qu'ils ne le devront qu'à leur prévoyance et à leur +économie. + + + +Romanciers contemporains. + +CHARLES DICKENS. + +LA TABLE D'HOTE. + +(Voir t. II, p. 26, 58 et 105.) + +L'assemblée était nombreuse; dix-huit à vingt convives environ, parmi +lesquels cinq ou six daines, serrées l'une contre l'autre, formaient à +elles seules une petite phalange défensive. Tous les couteaux, toutes +les fourchettes étaient à l'oeuvre et s'escrimaient d'une façon tout à +fait édifiante. Peu de paroles s'échangeaient; chacun avalait comme s'il +y allait de la vie; et une famine eût été prédite pour le lendemain +avant déjeuner, qu'on n'eût pu mettre plus d'ardeur à satisfaire le +premier des appétits brutaux. La volaille faisait le gros du festin; une +dinde figurait au haut bout de la table, deux canards en occupaient +l'autre extrémité, et deux volatiles inconnus siégeaient au centre. Le +tout disparut comme si chaque oiseau, recouvrant l'usage de ses ailes, +eût pris l'essor à travers chaque gosier, y plongeant comme en un +gouffre. Les huîtres, cuites et marinées, ne faisaient qu'un saut de +leurs spacieuses coquilles dans les bouches béantes, où elles glissaient +par vingtaines. Les hors d'oeuvre du plus haut goût ne faisaient +qu'apparaître. Les cornichons, les piments, les concombres au vinaigre, +se croquaient comme dragées, sans qu'un oeil sourcillât. D'immenses amas +d'aliments indigestes fondaient comme la glace au soleil. C'était +vraiment chose solennelle et stupéfiante à voir! Des gens qui se +plaignaient d'une digestion laborieuse se gorgeaient d'énormes bouchées, +nourrissant ainsi, non-seulement eux, mais une nuée de cauchemars, +luttes habituels de leur couche. D'autres individus maigres, à joues +hâves et tirées, mal repus en dépit de ce carnage des pièces de +résistance, couvaient la pâtisserie avec des regards avides. Ce que +madame Pawkins ressentait chaque jour pendant le dîner échappe à la +pénétration humaine; elle avait cependant une consolation: c'est que son +supplice était court. + +Dès que le colonel eut fini de dîner, événement qui eut lieu juste au +moment où Martin, envoyant son assiette, sollicitait un morceau de dinde +pour commencer le sien, l'Américain demanda à l'Anglais son opinion sur +les pensionnaires qui affluaient là de toutes les parties de l'Union, et +s'informa si quelques renseignements sur eux lui seraient agréables. + +«De grâce, dit alors Martin, quelle est cette petite fille, à figure +maladive, avec de gros yeux tout ronds, là, vis-à-vis de nous? je ne lui +vois ni mère ni chaperon. + +--Parlez-vous de cette matrone en robe bleue? demanda le colonel avec +emphase; c'est mistriss Jefferson Brick, monsieur. + +--Eh non! dit Martin; je parle de cette petite poupée: là, vous dis-je, +juste en face. + +--Eh bien, monsieur, répliqua le colonel, cette dame est madame +Jefferson Brick en personne!» + +Martin fit volte-face et regarda le colonel. Il parlait sérieusement. + +«Sur mon âme; alors je ne désespère pas de voir quelqu'un de ces jours +naître un héritier à M. Brick, dit Martin. + +--Il en a déjà deux, monsieur,» répondit le colonel. L'allure de la dame +était si fort celle d'une enfant, que Martin n'avait pu retenir +l'exclamation. + +«Oui, monsieur, poursuivit M. Driver; s'il est des institutions qui +compriment la nature humaine, il en est d'autres qui la développent!» +Après un moment de silence: «Jefferson Brick, ajouta le colonel à +l'éloge de son collaborateur, Jefferson est un des hommes les plus +remarquables de notre pays, monsieur!» + +Ces paroles furent murmurées à voix basse, car l'homme remarquable +siégeait à la droite de Martin. + +«Auriez-vous la bonté de me dire, monsieur Brick, reprit l'Anglais, +s'adressant cette fois à son voisin de droite et le questionnant, moins +par curiosité que pour l'amour de la conversation, me diriez-vous quel +est ce...» Il allait dire petit garçon; mais, esquivant le mot, il +reprit: «ce petit monsieur, là-bas, qui a le nez rouge? + +--Professeur Mollet, monsieur, répondit Jefferson. + +--Puis-je demander quelle science il professe? reprit Martin. + +--L'éducation, monsieur, dit Jefferson Brick. + +--Peut-être un maître de pension? demanda Martin en hésitant. + +--Un homme de la plus haute moralité, monsieur, formé des éléments les +plus purs, jouissant de facultés peu communes, répondit le correspondant +chargé du département de la guerre. A la dernière élection pour la +présidence, il a jugé, de son devoir de répudier son père et de le +dénoncer pour avoir voté du mauvais côté. Depuis, il a publié quelques +pamphlets d'une immense portée, qu'il a signé _Suburb_, ou Brutus +renversé. C'est un des grands hommes dont notre patrie s'honore, +monsieur. + +--A ce compte, il n'y aura pas disette de grands hommes,» pensa Martin. + +Poursuivant son enquête, l'Anglais découvrit qu'il n'y avait pas moins +de quatre majors présents, deux colonels, un général et un capitaine. Il +ne put s'empêcher d'en conclure que l'état-major de la milice américaine +était si nombreux qu'à moins de se commander mutuellement l'un l'autre, +les officiers ne devaient savoir où et comment se pourvoir de soldats. +Pas un des assistants qui fût dépourvu de titres. Ceux qui ne +jouissaient pas des honneurs militaires étaient docteurs, professeurs on +révérends. Trois d'entre eux, grossiers et désagréables personnages, +avaient été députés des États voisins; l'un pour affaires d'argent, le +second comme envoyé politique, le troisième, comme missionnaire aux +frais d'une secte religieuse. Parmi les dames on voyait mistriss +Pawkins, droite, osseuse et silencieuse; de plus une vieille demoiselle, +figure en lame de couteau, qui soutenait les droits des femmes envers et +contre tous, et avait ouvert un cours pour la propagation de ses idées. +Le reste, tout à fait dépourvu d'individualité et de caractère, ne +valait pas la peine d'être nommé; plusieurs même auraient pu faire +échange d'esprit ou d'âme l'un avec l'autre sans que personne s'en +doutât. Ces derniers seuls ne paraissaient point enrôlés parmi les +personnages les plus remarquables du pays. + +Plusieurs hommes, en avalant leur dernier morceau, se levèrent et +sortirent, s'arrêtant seulement une minute ou deux près du poêle, pour +se rafraîchir aux crachoirs de cuivre. Un petit nombre, plus sédentaire, +s'oublia environ un quart d'heure autour de la laide, et ne se leva +qu'avec les dames. + +«Où vont-elles? demanda Martin à l'oreille de M. Jefferson Brick. + +--Dans leur chambre à coucher, monsieur, + +--N'y a-t-il donc point de dessert, pas un moment de loisir à donner à +la conversation? demanda Martin, assez disposé à jouir de quelque +relâche après son long et assommant voyage. + +--De ce côté de l'Atlantique, nous ne sommes pas hommes de loisir, +monsieur, mais d'affaires, et nous n'avons pas de temps à perdre,» fut +la réplique. + +Les dames filèrent donc sur une seule ligne; M. Jefferson Brick et les +autres hommes mariés signalèrent le départ de leurs meilleures moitiés +par un léger mouvement de tête, et ce fut chose terminée. Martin +trouvait la coutume peu de son goût; cette fois il garda son opinion +pour lui, ayant grand désir de profiter de la conversation de ces +_gentlemen_ si affairés, qui s'étiraient, à l'envi l'un de l'autre, +autour du poêle, comme si le départ des personnes de l'autre sexe eût +dégagé leur esprit d'un poids immense, ils faisaient maintenant le plus +copieux usage, le plus actif emploi des crachoirs et des cure-dents. + +A dire vrai, l'entretien était vide d'intérêt et pouvait se résumer en +un seul mot: l'argent. Soucis, joies, espérances, affections, vertus, +poésie, tout semblait se fondre et couler en dollars. Le hasard le plus +favorable n'aurait pu apporter, au milieu de ces fastidieux caquets, +chose légère ou gracieuse qui ne s'épaissit en métal. Les hommes étaient +pesés au poids de leurs dollars, leurs actes jaugés en dollars, la vie, +mise à l'encan, évaluée au taux le plus juste, portée aux nues ou +traînée dans la fange, selon le nombre des dollars. + +Après les dollars, ce qu'il y avait de plus respectable, c'était toute +entreprise ayant pour but d'en acquérir. Plus un homme avait su jeter +par dessus bord, de vertus, d'honneur, de générosité, allégeant sa +barque de ce lest inutile, plus il avait de place à donner aux dollars. +Pour l'argent on pouvait faire du commerce un vaste mensonge, un +brigandage légal; pour l'argent on pouvait faire, du drapeau de la +république, un haillon; on pouvait en souiller les étoiles une à une, le +taillant, le dépeçant bande à bande, comme les chevrons d'un caporal +dégradé. Tout pour les dollars! qu'est-ce qu'un pavillon, qu'est-ce +qu'un drapeau devant _l'or_? + +Celui qui hasarde sa vie à la chasse aux renards, aime à courir à toute +bride; il en était ainsi de ces messieurs. Le plus grand patriote était +celui qui braillait le plus haut, au mépris de toute décence. Leur digne +champion, c'était l'homme qui, dans l'emportement brutal de sa course, +ne pouvait prendre un instant haleine, et marquer d'un brûlant mépris la +turpitude du voisin. En peu de minutes de cette causerie autour du +poêle, Martin apprit que porter à l'assemblée législative des pistolets, +des épées dans des cannes, et autres paisibles jouets; que saisir son +adversaire à la gorge comme le pourrait faire un chien ou un rat; que +tempêter, quereller, s'emporter, boxer et triompher par la force +musculaire, étaient autant d'actes glorieux; et qu'au heu de déshonorer +la liberté et de la frapper au coeur plus que ne le pourrait faire le +cimeterre d'un despote, ces actes forcenés flattaient l'orgueil +patriotique des citoyens et réveillaient sur les rivages +transatlantiques les mille échos de la renommée. + +Une fois ou deux, quand il peut en trouver le joint, Martin hasarda les +questions qui lui venaient en tête, en sa qualité d'étranger, tant sur +les poètes nationaux, sur le théâtre et la littérature, que sur les +arts. Mais les renseignements que ses interlocuteurs étaient en mesure +de lui donner, ne s'étendaient pas au delà des phrases redondantes des +illustres de l'époque, tels que le colonel Driver, M, Jefferson Brick et +autres célèbres, à ce qu'il paraissait, par la perfection et +l'excellence du style boursouflé et tranchant, vulgairement nommé, +style de matamore. + +«Nous sommes un peuple occupé, monsieur, dit un des capitaines nui +venaient de l'Ouest, et nous n'avons pas de temps à perdre en lectures +de fantaisie. Nous nous en arrangeons encore quand elles nous viennent +dans les journaux mêlées à des choses solides et substantielles, mais +_pouah_ de vos livres!» + +Ici le général, qui semblait pris de mal de coeur à la seule pensée de +lire quoi que ce soit qui n'appartint pas au commerce ou à la politique, +et qui fût en dehors des journaux, demanda si personne ne se sentait en +goût de prendre un petit verre de liqueur. La plupart des assistants +trouvant l'idée fort de saison, filèrent, un à un, vers le comptoir du +cabaret voisin, d'où probablement ils gagnèrent leurs magasins et leurs +banques, pour revenir de nouveau à la taverne rabâcher encore de dollars +et d'argent, élargir leur esprit en parcourant et discutant quelques +sentences ampoulées de patriotisme, et finir enfin par aller ronfler +chacun au sein de sa famille. + +«Leur principale jouissance, la seule qu'ils sachent savourer en commun, +se dit Martin poursuivant le cours de ses pensées; et il continua il +rêver aux dollars, aux démagogues de cabaret, ne sachant trop si ces +gens étaient réellement aussi affairés qu'ils prétendaient l'être, ou si +tout bonnement ils étaient incapables de goûter tout plaisir social, +toute joie domestique. + +Le problème était difficile à résoudre, et s'être trouvé contraint de le +poser était déjà peu encourageant. Martin, assis devant la table +déserte, de plus en plus abattu, et repassant en son âme les difficultés +et l'incertitude de sa situation, poussa un profond soupir. + +Un des convives, homme entre deux âges, à l'oeil noir, à la face hâlée, +avait attiré l'attention de Martin par l'expression cordiale et ouverte +de ses traits. Mais impossible à l'Anglais de rien tirer de ses voisins +au sujet d'un individu qu'ils paraissaient regarder avec le plus complet +dédain. Ce personnage, qui ne s'était pas mêlé à la conversation autour +du poêle, ne quitta point la salle avec les autres, et lorsqu'il entend +il Martin soupirer pour la trois ou quatrième fois, il hasarda quelques +paroles dans le désir, sans imposer sa connaissance, d'engager peu à peu +l'entretien. Ses motifs étaient si palpables, et cependant si +délicatement indiqués, que Martin en éprouva une velléité de +reconnaissance, et la laissa percer dans sa réponse. + +«Je ne vous demanderai pas, dit en souriant l'étranger, qui se leva +alors et se rapprocha de Martin, je ne vous demanderai pas comment vous +aimez mon pays; je crains trop de deviner; mais, en ma qualité +d'Américain, forcé du commencer toujours par une question, _je vous +demanderai_ si le colonel vous agrée. + +--Votre franchise m'encourage à avouer, sans la moindre réticence, qu'il +ne m'agrée pas du tout; bien qu'il me faille ajouter que je lui dois des +remerciements pour m'avoir amené ici,--et même pour avoir arrangé les +choses sur un pied assez raisonnable, ajouta Martin, se souvenant de +quelques mots, que le colonel avait murmurés à son oreille avant de le +quitter. + +--Trève à la reconnaissance, reprit sèchement l'étranger; le colonel va +raccrocher à bord des paquebots de temps à autre, à ce que j'ai oui +dire, quelques passagers d'Europe, afin de leur extorquer des +renseignements de fraîche date dont il engraisse son journal; il +présente aussi des étrangers ici comme pensionnaires, pour gagner sur +eux, j'imagine, quelque petite remise, déduite ensuite par l'hôtesse sur +son écot de la semaine.--J'espère ne vous avoir choqué en rien? +ajouta-t-il, s'apercevant que Martin rougissait. + +--Comment serait-ce possible, mon cher monsieur? dit Martin, serrant la +main qui lui était offerte. A vous dire la vérité, je me demande..... + +--Quoi? + +--Je me demande, puisqu'il faut tout dire, comment fait le colonel pour +esquiver les coups de bâton? + +--Eh! il en a bien reçu quelques-uns, répondit tranquillement +l'Américain; il fait partie de cette classe d'hommes de laquelle notre +Franklin, dix ans déjà avant la fin du dernier-siècle, n'attendait que +dangers et disgrâces. Peut-être ignorez-vous que Franklin a publié, en +termes péremptoires, l'opinion que tout individu calomnié par un drôle +de l'espèce du colonel, ne trouvant protection suffisante ni dans les +lois du pays, ni dans les sentiments élevés et délicats de ses +compatriotes, était en droit de récriminer sur le dos de cette vermine +publique, à l'aide d'un bon gourdin. + +--Je ne savais mot de cela, dit Martin; mais je suis ravi de +l'apprendre, et trouve l'avis digne de mémoire, d'autant plus.....» Ici, +il hésita de nouveau. + +«Allons, poursuivez, dit l'autre, souriant comme s'il devinait les +paroles qui prenaient Martin à la gorge. + +--D'autant plus, poursuivit Martin, que je commence à penser qu'il +fallait être doué d'une forte dose de courage, même au temps de +Franklin, pour écrire librement, sur quelque sujet que ce fût, dans +cette très-indépendante république, du moins, sans être soutenu par un +parti. + +--Du courage? sans doute, il en fallait. Et pensez-vous qu'il en faille +aujourd'hui? reprit son nouvel ami. + +--Oui, en vérité, et pas peu, dit Martin. + +--Vous dites vrai, si vrai que je ne crois pas possible qu'un auteur +satirique puisse respirer notre air. Un Juvénal, un Swift qui viendrait, +à naître parmi nous demain serait écrasé sur l'heure. Si vous +connaissez, un peu notre littérature, et que vous puissiez me citer le +nom d'un Américain qui ait relevé et disséqué nos travers comme peuple, +et non comme appartenant à tel ou tel parti, et qui ait pu échapper aux +calomnies les plus dégoûtantes, aux plus sales injures, ce nom, +croyez-moi, sera nouveau à mes oreilles. Je pourrais vous désigner plus +d'une circonstance où un de nos écrivains ayant hasardé la plus +innocente critique, l'exposition la moins amère, la mieux intentionnée +de quelques-uns de nos ridicules ou de nos vices, a été obligé +d'annoncer que, dans une nouvelle édition purgée; et corrigée, le +passage critique serait retranché, expliqué ou métamorphosé en éloge. + +--Et comment les choses en sont-elles venues là? demanda Martin d'un ton +abattu. + +--Rappelez-vous ce que vous avez entendu et vu aujourd'hui, à commencer +par le colonel, et vous ne demanderez plus comment, dit son ami. Mais +eux, d'où sortent-ils? cela, c'est une autre question. Dieu nous +préserve de voir en cette engeance un spécimen de l'intelligence et de +la moralité en Amérique; seulement, comme l'écume, elle monte à la +surface, hélas! et trop souvent c'est dans cette tourbe que la +représentation du pays se recrute.--Mais ne feriez-vous pas un tour de +promenade?» + +Il y avait dans les manières de l'Américain une franchise pleine de +cordialité, jointe à la mâle confiance qu'on n'en abuserait pas, un +mélange de droiture, de fermeté et de bienveillance, que Martin n'avait +encore jamais rencontré. Il passa son bras sous celui de son nouvel ami, +et ils sortirent ensemble. + +(_La suite à un prochain numéro._) + + + +MARGHERITA PUSTERLA. + +CHAPITRE XIV. + +PISE. + +Persuadé qu'Alpinolo ne reviendrait plus dans cette cabane, Ramengo +marchait en cherchant à se mettre sur les traces du jeune page. Le désir +de trouver son fils lui avait fait quitter la piste qu'il avait +jusque-là suivit; avec l'anxiété de la haine. Dans une de ses promenades +à l'aventure, un jour qu'il côtoyait le Pô, il entendit sortir d'un +buisson comme la voix d'un homme qui appelle. Il s'approche: un batelier +lui demande humblement: «Le seigneur cavalier veut peut-être passer? + +[Illustration.] + +--Pourquoi cette demande? + +--Je connais au drap de vos habits que votre seigneurie est de Milan. +J'en ai beaucoup passé de Milanais pendant ces semaines.» + +Ces paroles donnèrent l'impulsion à la volonté indécise de Ramengo, qui +répondit affirmativement plutôt à ses propres pensées qu'à la question +du batelier. On fit entrer le cheval dans la barque, et pendant que le +rameur s'efforçait de couper obliquement le fil de l'eau, Ramengo le +questionna sur les passagers, sur leurs babils, leurs discours, leur +route. Il lui demanda, en outre, s'il n'avait pas vu un beau jeune +homme, et il lui lit le portrait d'Alpinolo. + +«Eh! eh! répondait le batelier, s'il fallait les avoir tous dans +l'esprit. Mais, celui que vous me décrivez, je crois l'avoir vu; oui: un +homme entre trente et trente-cinq ans, n'est-ce pas?... + +--Non, non: beaucoup moins, pas même vingt: des cheveux noirs. + +--Précisément; à présent, je me rappelle: des yeux gris, courtaud, +trapu... + +--Au contraire: des yeux noirs, plus grand que moi, bien taillé; +impossible de le voir et de ne pas s'en souvenir. + +--Ah! il y tant d'ânes qui se ressemblent!» Ramengo arrivé à l'autre +rive, paya maigrement le passeur, et partit à l'aventure. Il erra encore +de lieu en lieu, questionna tout le monde sur son passage; on lui +répondit partout qu'on avait, en effet, vu beaucoup de Milanais, mais +qu'on ignorait qui ils étaient et où ils se dirigeaient. On savait +généralement qu'ils quittaient leur patrie à cause de la tyrannie de +Luchino. + +Il vit d'autres tyrans régner sur les diverses cités de la Romagne; à +Ituvium, les Malatesta; les Ordelaffi, à Fouli; à Faenza, Francesco di +Manfredi; les Palenta, à Ravenne. Rome pleurait son veuvage depuis que +les papes, se retirant à Avignon, l'avaient abandonnée à la tyrannie de +ses barons, contre lesquels devait, peu d'années après, s'élever la +généreuse mais impuissante voix de Cola de Rieuri. Bologne recevait la +vie et la splendeur des quinze nulle Italiens et Allemands qui +étudiaient dans son adversité, orgueilleuse de son titre de docte, +qu'elle a conservé jusqu'à nos jours, comme elle a conservé dans ses +armoiries le mot de liberté, quoique déjà, dès cette époque, elle eût +subi le joug des papes. Puis, passant l'Apennin, Ramengo entra dans la +belle Toscane. Dans cette contrée, la liberté était d'autant plus en +honneur, qu'on avait vu a quels excès s'étaient portés les petits +seigneurs de la Romagne et de la Lombardie. Toutes les communes +défendaient hardiment leurs franchises, et repoussaient avec haine le +gouvernement d'un seul. Mais comment espérer qu'une vierge se conserve +pure au milieu d'une troupe de courtisanes? Les voisins dépravés de ces +républiques, s'ils n'osaient point encore attenter ouvertement à la +liberté de la Toscane, préparaient son assujettissement par la +corruption et en fomentaient les discordes. Sous cette dégradante +influence, les inimitiés de cité à cité s'aigrissaient de plus en plus; +les noms des Guelfes et des Gibelins, qui, dans les autres pays, avaient +presque perdu leur signification, conservaient là une vitalité tenace: +Pise et Avezzo étaient gibelines; guelfes étaient Pistole, Prato, +Volterra, Samminiato, Sienne, Péronne, et principalement, Florence. Au +lieu de laisser se mûrir dans les coeurs le sentiment d'une nationalité +unique, qui seule pouvait porter des fruits dans l'avenir, ils se +combattaient et se repoussaient les uns les autres. Il n'y avait de +patrie que le coin où on était né. On appelait étrangers et ennemis tous +ceux qui ne foulaient pas la même terre, et plus ils étaient voisins, +plus on avait contre eux de dispositions hostiles; et au milieu de leurs +querelles, ils invoquaient toujours ou les armes ou la médiation plus +funeste encore de leurs véritables ennemis. + +Cependant, au milieu de ces luttes, il y avait une activité puissante. +Chacun éprouvait sa valeur et ce qu'il pourrait faire de concert avec +ses concitoyens. Le commerce, l'agriculture, les arts étaient à leur +plus haut point d'épanouissement; la peinture, la sculpture, +l'architecture, offraient des modèles que notre siècle difficile n'a pas +cessé d'admirer; et la langue sortie des mains de Dante Alighiéri, mort +vingt années auparavant, perfectionnée par Pétrarque et par Boccace, +encore jeunes, acquérait cette suprématie sur les autres dialectes de +l'Italie, que rien ne pourra désormais lui enlever. + +De même que dans cette Grèce, avec laquelle notre patrie a tant de +rapports, on oubliait les mutuelles inimitiés pour se rassembler aux +jeux d'Olympie, ainsi la vive humeur des Toscans les réunissait à de +splendides fêtes, où les diverses cités venaient se réjouir dans les +solennités consacrées à leurs patrons, dans la célébration d'anciens +faits mémorables ou de hauts faits nouveaux. Pise avait, précisément, +vers cette époque, remporté des avantages contre les Maures, qui, +s'élançant des côtes de l'Afrique, infestaient la Méditerranée et +l'Italie. Pour célébrer ce triomphe et la prise de quelques galères, le +carnaval devait finir par la fête du Pont. Ramengo n'entendait parler +que de cette fête dans toute la Toscane. Tous ceux qui le pouvaient se +préparaient à y assister; les autres s'en mouraient d'envie: «Pourquoi +n'irais-je pas aussi, moi, se dit Ramengo? C'est parmi un tel concours +qu'il est le plus probable de rencontrer celui que je cherche.» Il se +dirigea donc vers Pise; elle était alors dans toute la fleur de sa +beauté. Son port était aussi fréquenté, toute proportion gardée, que le +sont aujourd'hui les ports, d'Amsterdam et de Londres. Unissant au génie +des spéculations l'amour des beaux-arts, inné dans notre patrie, ils +tiraient des contrées de l'Asie, redevenue barbare, des marbres, des +colonnes, des sculptures, dont ils embellissaient la patrie. Aujourd'hui +Pise est bien différente de ce qu'elle a été. Un bourg voisin de la mer, +alors à peine remarqué, lui a enlevé le reste de commerce que les +changements des relations européennes ont laissé à la Toscane. Ses +150,000 habitants sont réduits au moins des six septièmes. Sa cathédrale +de marbre, l'admirable _loggia_ des marchands, les autres monuments de +son antique majesté, font un mélancolique contraste avec l'herbe qui +croit dans les rues solitaires, avec le silence des ateliers muets, avec +le vide désolé de son _lungarno_, et la merveilleuse tour semble se +pencher avec compassion pour pleurer sur toutes ces grandeurs évanouies. + +«Poteurinterra! votre seigneurie doit venir de l'autre bout du monde, si +jamais elle n'a entendu parler de la fête du Pont.» C'est ce que disait +à Ramengo Phole Aquevino, qui, venu jeune de Pontudera, sans le bec d'un +quattrino, comme il disait, avait d'abord élevé sur la route de Pise une +ramée où il donnait à boire aux muletiers, faisant ses frais avec +quelques niaiseries de profit. Puis, avec des quattrini faisant d'autres +quattrini, et donnant des noms illustres aux petits vins qu'il débitait, +et que la soif faisait paraître superflus, il bâtit une petite +hôtellerie. Si quelqu'un la trouvait exiguë, il répondait, sans avoir +jamais lu Socrate, qu'il aurait voulu l'avoir toujours pleine de +voyageurs. Il y avait, devant la maison, un terre-plein pour jouer au +mail, et que devaient côtoyer ceux qui se rendaient à la ville. De là on +dominait aussi la vaste plaine qui, d'un côté, descend à la mer, et de +l'autre est fermée par des collines couvertes par la blanchissante +verdure des oliviers, et est traversée par l'Arno, qui va partager Pise +en forme de demi-cercle. Là Aquevino, parvenu à la maturité en ayant +pris du ventre, mais frais, toujours jovial, grand bavard, grand +admirateur des beautés de son pays, du beau ciel, du bon air, des bonnes +gens, presque autant qu'un poète de l'Académie des Arcades, logeait les +étrangers, en leur faisant expier, au moment de payer l'écot, la faute +de n'être pas Toscans. Il servait de joyeuses bourdes et du vin aux +voituriers et aux piétons, et conservait, dans une intégrité religieuse, +des jambons du Casentin, et des flacons d'aleatico et de monte Suriano, +qu'un professeur de l'Université avait comparés à l'ambroisie et au +nectar des dieux. Aquevino, depuis vingt ans, répétait cette +comparaison, qu'il donnait toujours pour nouvelle à tous les seigneurs +«qui, disait-il, lui faisaient l'honneur de visiter son désert.» + +[Illustration.] + +En voyant arriver Ramengo vers le soir, seul et avec une maigre valise, +Aquevino lui avait d'abord fait les gros yeux, et s'était tenu avec lui +sur ses grands chevaux; mais quant il lui eut entendu commander la +chambre la meilleure, les mets les plus choisis, les vins les plus +exquis, et qu'il vit briller les luisants florins d'or dont la bourse du +voyageur était remplie, il changea de ton, et, au milieu de ses +occupations, vint avec empressement régaler de sa conversation l'hôte à +la belle bourse. + +Il lui apprit ce qu'était cette fête du Pont: elle était instituée en +mémoire de la belle action de Cinrica de Sismundi qui, une nuit que la +ville avait été envahie par les Sarrasins, sans bruit et à l'improviste, +et qu'ils massacraient sans résistance les citoyens épouvantés, eut +seule l'idée d'aller avertir la seigneurie. Les infidèles occupaient +déjà le pont de l'Arno; mais les chefs de la ville ayant rassemblé les +troupes en toute hâte, et rallié les fuyards, repoussèrent les +Sarrasins, qui retournèrent à leurs vaisseaux avec une grande perte. + +La cité et le territoire de Pise se divisaient en deux factions dites de +Saint-Antoine et de Sainte-Marie. C'étaient ces deux factions qui +fournissaient les combattants pour la fête du Pont; ils se réunissaient +sur le pont de l'Arno, où les Sarrasins avaient été repoussés; et là +chacune des deux troupes s'efforçait de rester maîtresse du terrain. Il +y avait beaucoup de morts dans ce jeu militaire, et les plus heureux +étaient encore ceux qui étaient précipités dans l'Arno, parce qu'il y +avait là des barques toutes prêtes à leur porter secours. Les esprits +étaient si passionnés pour cette fête, et on la prenait tellement au +sérieux, que lorsqu'on annonçait aux mères, aux soeurs, aux amantes, les +blessures ou même la mort d'un des combattants, elles demandaient quel +parti avait remporté la victoire; et si la réponse était conforme à +leurs désirs, ces grotesques Spartiates oubliaient les plus tendres et +les plus sacrées affections pour éclater en cris de triomphe. + +Ce jeu, qui, du temps de la république, avait au moins le mérite +d'entretenir et d'exercer l'esprit militaire, se prolongea, sans autre +raison que celle de la coutume, jusque dans le dix-huitième siècle, où +Léopold d'Autriche, trouvant que c'était trop pour un jeu, trop peu pour +un combat, abolit la fête. + +«Avez-vous jamais vu, seigneur étranger, dans toute votre vie et par +tout le monde, un tel concours de chrétiens?» demandait l'hôte à +Ramengo, qui, le matin du jour du combat, se tenait sur une petite +terrasse ombragée par un laurier, observant Pise et la foule qui s'y +portait; et décrivant un cercle avec la main étendue, il poursuivait: +«Cela vous paraît-il peu de chose? quelle pompe! quelle beauté! quelle +ardeur! on reconnaîtrait un toscan au milieu même de la foule de la +vallée de Josaphat. Ceux qu'on voit en robes majestueuses sont des +Florentins, gens d'une richesse sans bornes, ils spéculeront encore sur +la fête; ces autres, tout empanachés et recherchés dans leurs habits, +sont des Pistolais; ceux-ci, de Sienne, la race la plus loyale et la +plus sincère des trois parties du monde. Le désir de voir nos fêtes leur +a fait oublier les vieilles querelles; ils seront tous bien accueillis à +Pise, et personne ne craindra qu'ils y apportent la peste. Oh! voyez la +belle cavalcade! Ce sont les seigneurs de la Versuba et de la Lumgiana, +non moins terribles dans leurs châteaux que sur la mer: les passants le +savent bien. Observez les belles et robustes figures; ils ont tous en +croupe des jeunes filles et des femmes qui, sans contredit, n'ont point +d'égales dans tout l'univers. Vive le beau soleil! vive les belles +femmes de Toscane!» + +[Illustration.] + +Cependant on voyait sur l'Arno un grand nombre de barques glisser +légèrement au milieu des gros navires à l'ancre. Une vive joie régnait +parmi toute cette multitude, les railleries capricieuses, les saillies +bizarres se croisaient de toutes parts dans un doux et agile langage. Un +choeur de jeunes gens jouant de la flûte accompagnait les accords des +autres, qui chantaient la ballade bien connue: + + Vaghe le mentanine pastorelle + Donde venite si leggiadre e belle? + +Lorsqu'ils eurent fini, une jeune fille que ses grands yeux et ses joues +roses faisaient remarquer parmi toutes ses compagnes, répondit d'une +voix plus puissante que délicate, pendant qu'elle passait sous le balcon +où se tenait Ramengo: + + E s'is son gella, is son bella permene, + Ne' mi curo d'aver de' vagheggini; + E non mi curo niun mi voglia bene + Ne manco vi' ch'altri mi faccia inchini. + + Et si je suis belle, je suis belle pour moi seule, + Je ne me soucie point d'avoir des amants, + Je ne m'inquiète point qu'on m'aime. + Il ne manque pas d'autres gens que vous pour me faire + des révérences. + +[Illustration.] + +«Regardez la belle fille!» s'écria un jeune homme en sortant de la +taverne voisine et en s'avançant hardiment vers la jeune chanteuse. Au +son de la voix et à l'accent étranger, Ramengo se retourna et reconnut +un groupe de Lombards. Il les regarda d'un oeil scrutateur, et, s'étant +assuré que parmi tous les visages il n'y en avait pas un seul dont il +fût connu, il descendit près d'eux et se fit reconnaître à son langage, +pour un de leurs compatriotes. On l'entoura aussitôt et tous lui +serrèrent la main, quoiqu'il leur fût inconnu, parce que la communauté +de la patrie est toujours un titre à amitié sur la terre étrangère. + +Ramengo salua, répondit à leurs demandes, à leurs embrassements, et +serra toutes les mains qui se présentèrent. Quoiqu'il eût pu espérer que +parmi ces bannis, son nom serait reçu comme celui d'un compagnon +d'infortune, il lui parut cependant plus prudent de le dissimuler, et il +se donna pour un certain Hanterio de Bescapé, né à l'ombre du dôme de +Milan, demeurant aux _Cinq Voies_, et fugitif comme eux. + +Puis il leur donna des nouvelles de leurs amis. «Qu'a-t-on fait des +Aliprandi? lui demanda-t-on. + +--Morts de faim. + +--Et Bronzin-Canno, ce grandissime modéré, tient-il toujours pour le +tyran? + +--Il se tient en prison pour avoir osé défendre la vérité, si pourtant +il ne lui est pas arrivé pis. + +--Et Matteo Visconti? + +--Confiné à Morano di Monferrato. + +--Et Barnabé? + +--A la cour du Scaliger. + +--Et Galéas, toujours beau, toujours galant, toujours adorateur de +madame Isabelle? + +--Bon Dieu! le seigneur Luchino ne dort qu'autant qu'il le veut bien; le +beau Galéas erre par pauvreté et pour faire perdre la trace à son oncle. +On le dit pourtant en Flandre.» + +[Illustration.] + +Ainsi répondait Ramengo aux diverses demandes, joyeux de se montrer bien +informé, pour acquérir une plus grande confiance, et de raconter ce +qu'il savait, afin d'apprendre ce qu'il voulait savoir. Comme le marin, +lorsqu'il revoit les ondes tranquilles, comme le voleur en présence +d'une occasion favorable, comme le buveur à la porte du cabaret, +oublient toutes leurs belles résolutions, ainsi Ramengo oublia tous ses +projets de vertu lorsqu'il se vit dans la possibilité de nuire. D'abord, +il ne voulait que mentir, afin de découvrir, s'il le pouvait, la +retraite d'Alpinolo; puis, à l'ordinaire, comme une faute en amène une +autre, il se trouva entraîné à faire le mal pour le mal. + +«Mais qu'est-ce donc, lui demandaient les exaltés, qu'est-ce que la vie +à Milan, aujourd'hui? + +--Ce qu'elle est, répondait-il, dans tous les pays asservis; Luchino +s'enhardit de jour en jour, parce qu'il voit venir à lui les cités +épouvantées, comme le boeuf qui vient de lui-même à la tuerie. Acouez +avait déjà dix villes en son pouvoir, n'est-il pas vrai? eh bien! +celui-ci en a sept autres de plus; mais il ne faudrait pas croire pour +cela qu'il augmente sa puissance. Ses voisins le jalousent; guelfes et +gibelins sont traités par lui de la même manière, mais ils lui en +veulent également de ne point faire de différence. En somme, c'est le +colosse de Nabuchodonosor, dont les pieds étaient d'argile. + +«Mais où est le caillou qui suffit pour le renverser? ajouta Caccino +Ponzone de Crémone. + +--Oh! le caillou, nous l'aurons bien, répondait le traître; et si.. mais +taisons-nous...» et il se fermait les lèvres. + +C'était le meilleur moyen de les mettre en goût; aussi le pressèrent-ils +davantage: «Quoi? dites-nous, qu'y a-t-il de nouveau? Avons-nous des +espérances? Nous voyons bien que vous allez au fond des choses. Pourquoi +nous faire des mystères? la cause des Milanais n'est-elle pas la nôtre à +tous? et nous sommes là pour l'épauler de toutes nos forces. Nous +n'attendons que le moment du Seigneur, le _dies irae_. Mais qui serait +notre chef? + +--Si Franciscolo Pusterla... dit Ramengo en s'interrompant pour observer +l'effet produit par ce nom. + +--Eh quoi! répondirent-ils, êtes-vous encore du parti de Pusterla? + +--Comment, si je suis des siens, reprenait Ramengo; j'ai là pour lui des +lettres du seigneur Martino della Scala... mais silence; la prudence +n'est jamais de trop, ils ont des espions de tous les côtés.» + +Ramengo prononçait ces paroles par saccades et en tournant ses regards +de tous côtés. Ils croyaient que c'était par défiance; en réalité, +c'était pour attendre qu'on lui donnât quelques renseignements. Mais +quand il vit qu'on ne se disposait pas à lui en donner, il continua: +«Mais qu'est-ce que les hommes? qui l'aurait cru? lui qui pouvait seul, +qui voulait seul devenir le chef et le sauveur de la patrie, maintenant, +il dort... il se fait petit... il s'échappe comme un faible mendiant... + +--Il s'arrête à faire des _mea culpa_ aux pieds d'un fournier,» répondit +quelqu'un. + +Le père du pape Benoît II, qui siégeait à Avignon, avait été boulanger, +ou fournier, de son métier, et de là surnommé Fournier. La réponse du +Milanais suffisait pour indiquer à Ramengo la retraite de Pusterla; +aussi il continua; «Certainement, il s'est réfugié à Avignon comme un +clerc qui aspire au chapeau vert ou au chapeau rouge; comme un coupable +de bas étage, qui cherche la sécurité en lâchant son estoc homicide sous +les robes et les capuchons. Mais nous le réveillerons de ce lâche +sommeil, nous le réveillerons. + +--Vous trouverez ici de ses amis, ajouta Pouzone, qui vous appuieront. + +--Vous avez, je pense, reprit Ramengo, son frère Zurione, Maffino da +Besorro, celui de Pietra Santa; et on lui répondait:--Oui, mais nous +avons celui qui montre le plus d'amour et de dévouement, son écuyer +Alpinolo. + +--Alpinolo! répéta Ramengo, se sentant frémir depuis la racine des +cheveux jusqu'à la plante des pieds. Alpinolo, où est-il? que je le voie +aussitôt. J'ai un besoin extrême de lui parler pour une chose qui le +touche de près. Où est-il, où est-il? + +--Quelle furie! reprenait un des seigneurs; finissons de boire, et puis +venez avec nous; là-bas, nous vous les ferons trouver tons; quelle fête +pour eux de vous revoir! + +[Illustration.] + +--Mais je veux d'abord parler à Alpinolo, en tête à tête avec lui; je +sais comme il faut que les choses soient conduites.» Et pendant qu'il +était dominé par l'anxiété de retrouver un fils, et par l'espérance que +celui-ci en le découvrant pour son père, lui accorderait pardon et +amour, les seigneurs continuaient à boire en faisant l'éloge d'Alpinolo, +vantant sa conduite dans une affaire où il avait souffleté un de ses +amis qui lui rappelait qu'il n'avait pas de père. Comme ce nom de père +le comblait d'orgueil! comme il voyait près de lui la réalisation de ses +espérances! et ce fut le coeur agité par autant de palpitations que, +dans cette nuit où il épiait l'amant prétendu de Rosalie, qu'il se +dirigea dans Pise au milieu des seigneurs lombards qui, les bras +enlacés, entonnaient les chants de leur patrie,--ces chants que l'exilé +finit toujours par un soupir. + + + +Bulletin bibliographique. + +_Histoire de Dix ans_; par M. LOUIS BLANC. 1 vol. in-8.--Paris, 1843. +_Pagnerre_. (Tome IVe.) 1 fr. + +La librairie française prend ses vacances. Cette année comme les années +précédentes, elle n'a mis au jour, pendant les mois du septembre et +d'octobre, qu'un très-petit nombre d'ouvrages nouveaux; occupée à +préparer la campagne d'hiver, elle atteint la rentrée des cours et +tribunaux pour lancer en avant quelques sentinelles perdues, et se +promettre de petites escarmouches. Dans un mois seulement la bataille +sera sérieusement engagée sur toute la ligne... Si nous en croyons +certaines indiscrétions, quelques-uns des combattants se signaleront par +de brillants exploits. Ce qui paraît positif, c'est qu'avant la fin de +la campagne prochaine M. Paulin aura commencé la publication de +l'_Histoire du Consulat et de l'Empire,_ par M. Thiers. + +Parmi les rares ouvrages qui ont osé naître durant la saison des +promenades en Suisse, de la chasse et des vendanges, nous mentionnerons +en première ligne l'_Histoire de Dix ans_. Toutefois, nous devons +l'avouer, l'audace de M. Louis Blanc et de son intelligent éditeur M. +Pagnerre ne nous cause aucune surprise, et ne nous arrachera pas le plus +faible cri d'admiration; s'ils se sont décidés, en effet, à lutter +contre d'aussi redoutables adversaires c'est qu'ils étaient sûrs +d'avance d'en triompher. Quand, dans l'espace de quinze mois, les trois +premiers volumes d'un ouvrage ont déjà eu trois éditions, le quatrième +peut descendre dans l'arène au jour et à l'heure qui lui convient: toute +saison lui est favorable; le passé de ses aînés lui répond de son +avenir. Alors même qu'il ne leur ressemblerait en rien, sa parenté seule +lui assurerait un accueil empressé et une victoire éclatante. + +Le volume que vient de publier M. Louis Blanc n'a pas à craindre, +d'ailleurs, de comparaison désavantageuse; il a toutes ces qualités +solides et brillantes qui ont fait la fortune de ses trois frères. +Impartial comme eux, à son point de vue, bien entendu, rempli comme eux +de révélations piquantes et d'anecdotes inédites, illustré par un nombre +égal de portraits littéraires, non moins soigné sous le rapport de la +mise en scène, écrit avec un style aussi élégant et aussi _pittoresque_, +il jouit déjà de la même popularité. «Ce n'est pas de l'histoire, ce +sont des mémoires,» s'écrieront quelques esprits trop difficiles à +satisfaire. Mais est-il donc possible de s'élever jusqu'à la hauteur de +l'histoire, lorsqu'un entreprend de raconter des événements +contemporains? est-il possible de porter dès aujourd'hui un jugement +définitif sur des faits accomplis d'hier, dont toutes les conséquences +ne sont pas encore réalisées, ou ne sauraient être prévues? sur des +hommes politiques qui ont à peine, pour la plupart, achevé la moitié de +leur rôle. Quant à nous, nous félicitons hautement M. Louis Blanc +d'avoir refusé de céder aux avis d'un critique qui lui conseillait +«d'ouvrir dans ce monument,»--nous citons ses propres +paroles,--«quelques fenêtres sur le ciel, à travers lesquelles ou +aperçut trembler dans les incommensurables solitudes de l'infini les +étoiles contemporaines de l'éternité, lampes silencieuses allumées +autour du vaste atelier de la création.» + +Il faut, en vérité, que M. Louis Blanc ait un bien grand talent +dramatique, pour que ses lecteurs assistent avec un si vif intérêt à la +représentation d'événements dont ils connaissent d'avance les péripéties +et le dénouement, et qui leur rappellent à tous, quelles que soient +leurs opinions politiques, de bien douloureux souvenirs. Le quatrième +volume de l'_Histoire de Dix ans_ commence avec l'année 1833, et finit +en mars 1836; il comprend les plus tristes et les plus sanglants +épisodes du règne actuel; et pourtant,--tel est le mérite de +l'écrivain,--qu'on le lit tout entier aussi avidement peut-être qu'un +roman. La réserve politique imposée à un journal qui s'adresse à toutes +les classes de la société, ne nous permet pas d'apprécier dans une +analyse rapide les faits que M. Louis Blanc a entrepris de raconter, et +jusqu'à un certain point de juger; nous nous contenterons d'indiquer en +quelques lignes les sujets principaux dont traitent les douze chapitres +de ce quatrième et avant-dernier volume; ce sont: l'emprisonnement et +l'accouchement de la duchesse de Berri à Blaye, le procès de _la +Tribune_ devant la Chambre des Députés, le manifeste de la Société des +Droits de l'Homme et le procès des 27, la question d'Orient, +l'expédition de Savoie, les lois contre les crieurs publics et les +associations, les insurrections de Lyon et de Paris en 1834, la +quadruple alliance, les révolutions ministérielles de la même année, le +ministère du 11 octobre succédant au ministère des trois jours, +l'affaire des 25 millions réclamés par l'Amérique, le procès d'Armand +Carret devant la chambre des Pairs, le procès d'avril, l'horrible +attentat de Fieschi, les lois de septembre, et la dissolution du +ministère du 11 octobre. + +_De l'Influence du Christianisme, sur le Droit civil des Romains_; par +M. TROPLONG, 1 vol. in-8°.--Paris, 1843, _Hingray_. 7 fr. 50 cent. + +Le nouveau mémoire de M Troplong, _De l'influence du Christianisme sur +le droit civil des Romains_, est un de ces livres qui peuvent impunément +braver les influences toujours redoutables de la saison des vacances. Il +ne s'adresse qu'aux hommes sérieux dont l'esprit ne prend jamais de +repos. Le nom et le mérite de son auteur, la nature même du sujet qu'il +traite, lui garantissent d'avance qu'à toute époque de l'année il +occupera vivement l'attention publique. D'ailleurs, lu à diverses +reprises devant l'Académie des Sciences morales et politiques, il y +avait déjà obtenu, avant d'être publié en volume, tout le succès qu'il +mérite et qu'il nous reste seulement à constater. + +M. Troplong n'a pas entrepris de montrer l'influence du christianisme +sur l'ensemble des institution et moins encore sur la civilisation +romaine. Son sujet est plus restreint. Il s'est renfermé dans +l'observation des influences par lesquelles le christianisme, est venu +modifier les rapports civils, le droit privé; il ne fait d'excursions +ailleurs qu'autant qu'il y a nécessité pour éclairer son sujet et +montrer le jeu des ressorts auxquels le christianisme est venu mêler son +action. + +M. Troplong divise le droit romain en trois grandes périodes: la période +aristocratique, la période philosophique, la période chrétienne. Pour se +faire des idées justes sur la dernière, il faut, dit-il, saisir +exactement le sens des deux premières. + +La civilisation romaine s'est développée sous l'influence de deux +éléments contraires qui, après une longue alternative de luttes et de +rapprochements, ont fini par se mêler et se confondre. Ce dualisme se +fait remarquer dans le droit privé comme dans la religion et dans le +droit politique. Sa formule la plus large et la plus haute, c'est le +_jus civile_ et l'_aequitas_, le droit strict et l'équité, sans cesse +opposés l'un à l'autre comme deux principes distincts et inégaux. +D'abord le _jus civile_ triomphe du patriciat religieux, militaire et +politique, qui gouverne Rome naissante, génie formaliste, jaloux, +dominateur, nourri à l'école sombre et forte de la théocratie étrusque, +et qui aggrave dans le droit civil ses souvenirs de conquêtes et ses +instincts d'immobilité. Qu'on n'y cherche point l'action efficace de +l'équité naturelle, et cette voix de l'humanité qui parle si haut dans +les peuples civilisés. La notion simple du juste et de l'injuste y est +défigurée par la farouche enveloppe d'institutions qui sacrifient la +nature à la nécessité politique, la vérité innée aux artifices légaux, +la liberté aux formules sacramentelles. Dans l'ordre civil comme dans +l'État, Rome ne vise qu'à former des citoyens; et plus elle accorde de +privilèges et de grandeur à ce titre éminent, plus elle exige de celui +qui le porte des sacrifices à la patrie, voulant qu'il abdique pour +l'intérêt public ses affections, ses volontés et jusqu'à sa raison +intime. A l'appui de cette vérité, M. Troplong cite de nombreux et +frappants exemples pris dans la famille, dans la propriété, dans les +obligations. + +Cependant la société romaine ne pouvait pas rester éternellement +opprimée parce droit si esclave de la lettre et si rebelle à l'esprit. +Partout l'équité se posa à côté du droit civil, la philosophie brise le +cercle inflexible tracé par ce patriciat. Du siècle de Cicéron date la +période philosophique du droit romain. Le stoïcisme imprime ensuite une +impulsion nouvelle à cette révolution qu'avaient en partie commencée la +doctrine d'Épicure et la philosophie de Platon. Il donne aux +jurisconsultes postérieurs à Cicéron des règles sévères et précises de +conduite entre les hommes. S'élevant à des formes plus pures et plus +belles, moins intolérant, moins âpre, dégagé des superstitions que la +raison lui reprochait lors de ses premières conquêtes à Rome, il devient +de plus en plus une philosophie spiritualiste qui proclame le +gouvernement de la Providence divine la parente de tous les hommes, la +puissance de l'équité naturelle. Mais le droit civil se défend si +énergiquement dans son inflexible formulaire, dans son originalité +jalouse, que la philosophie n'osa pas procéder avec lui par voie de +révolution, elle y aurait échoué. L'équité demanda donc sa part +d'influence, non comme une souveraine qui veut déposséder un usurpateur, +mais comme une compagne qui radie sous des dehors timides ses vues de +domination. «Toutefois, il ne faut pas s'y tromper, dit M. Troplong, +sous ces dehors de conciliation et de bon ménage se cachait une +antithèse redoutable pour le droit civil; ce qu'on voulait au fond, +c'était de réduire à l'impuissance tout en lui prodiguant les +témoignages de respect. Aussi le droit, depuis l'époque de Cicéron, +est-il en lutte incessante; les deux éléments sont aux prises. Mais le +droit civil se trouve tout d'abord réduit au plus mauvais rôle, à celui +de la défensive; c'est chez lui, dans ses propres foyers, que la guerre +est sourdement portée, et l'équité aspire à y réaliser l'apologue de la +lice et ses petits.» Ces prémisses posées, M. Troplong montre par quels +efforts ingénieux l'équité continue à agrandir son domaine tout en +groupant ses innovations autour de l'ancien droit civil, si restreint +dans ses conceptions, si matériel dans ses applications. «Le droit, +ajoute-t-il, tend à simplifier dans le fond, et il se complique; dans +ses rouages; deux éléments hétérogènes sont juxtaposés; quelquefois ils +se rapprochent et se confondent; le plus souvent ils se séparent et se +jalousent. L'harmonie manque dans ce majestueux travail; on aperçoit à +chaque, pas qu'il est le prix de concessions pénibles, de combats +opiniâtres. Le chef-d'oeuvre eut été de pouvoir amener entre ces deux +éléments une fusion complète; mais le plus ancien avait été trop +fortement trempé pour se laisser effacer si vite, et le droit de +l'époque impériale, qu'on a coutume s'appeler l'époque classique, porte +la marque profonde de son passage; aussi laisse-t-il de grands, +d'immenses progrès à désirer. On sent qu'il est loin d'être le dernier +mot d'une science complète: il est plutôt l'expression d'une situation +transitoire, d'un état transactionnel.» + +Pendant la période philosophique, le christianisme avait déjà exercé une +influence immense, quoique latente et indirecte, sur les moeurs, les +idées, et par une conséquence nécessaire, sur les lois de la société +romaine. Dès le règne de Néron, la vérité évangélique avait pris racine +dans la capitale du monde; elle y était à côté de Sénèque, levant son +front serein sur les calomnies par lesquelles on préludait aux +persécutions, à ces supplices d'une persécution raffinée qui étaient +aussi un moyen de faire connaître le christianisme et d'appeler sur lui +l'intérêt et la sympathie. Depuis lors, elle avait germé, elle s'était +développée, elle avait porté ses fruits, elle avait modifié, épuré, à +son insu et peut-être malgré elle, l'esprit et le langage de la +philosophie du Portique. «Epitecte n'était pas chrétien, a dit M. +Villemain, mais l'empreinte du christianisme était déjà sur le monde.» +Marc Aurèle, qui persécutait les chrétiens, était plus chrétien qu'il ne +croyait dans ses belles méditations. Le jurisconsulte Alpien, qui les +faisait crucifier, parlait leur langue en croyant parler celle du +stoïcisme dans plusieurs de ses maximes philosophiques. Pour ne citer +qu'un seul exemple, les idées avaient fait un si grand chemin sur la +question de l'esclavage depuis Platon et Aristote, qu'Alpien lui-même +écrivait: «En ce qui concerne le droit naturel, tous les hommes sont +égaux.» (L. 32. D. _de veg. juris._) Et ailleurs: «Par le droit naturel, +tous les hommes naissent libres. (L. A. D. _de just. et jure._) +N'était-ce pas au christianisme que l'humanité devait cet immense +progrès? + +La période chrétienne date de Constantin. Avant ce prince, le mouvement +marchait avec lenteur par la philosophie stoïcienne, indirectement +influencée depuis Tibère par la religion chrétienne. L'avènement de +Constantin plaça son point d'appui principal, ostensible, direct, dans +le christianisme. Ce furent les évêques, les pères de l'Église et les +conciles qui donnèrent l'impulsion réformatrice et accélérèrent sa +marche. La jurisprudence dut moins ses perfectionnements à elle-même +qu'à la théologie. + +Toutefois, l'erreur serait grande de s'imaginer que la révolution +religieuse qui porta sur le trône le premier empereur chrétien eut pour +conséquence immédiate d'opérer une refonte radicale et absolue des +institutions. Constantin réforma beaucoup, mais il ne nivela pas; il ne +l'aurait pas pu. Si l'empereur était chrétien, l'empire était encore à +demi païen. Avant de convertir les institutions, il fallait s'attacher +surtout à convertir les coeurs. Il y avait en outre des intérêts +positifs à ménager. Enfin l'Église, ayant été déchirée de bonne heure +par les hérésies, s'occupa plus activement de formuler les dogmes +fondamentaux sur lesquels reposait l'unité de la foi, que de reformer +les moeurs à l'aide des lois civiles.--Cette dualité qui avait développé +la philosophie, le christianisme, ne la transforma donc pas en unité. Ce +fut toujours la lutte du droit strict et de l'équité, et le difficile +arrangement de leurs prétentions contraires.--Il est vrai que l'équité, +secondée immédiatement par le christianisme, gagna sur-le-champ un +terrain considérable. Bien des choses que la philosophie païenne avait +considérées comme étant de droit naturel, la philosophie chrétienne, +partant d'un point plus large les considéra comme de droit strict. Les +éléments du combat se trouvèrent ainsi souvent déplacées. En cela +consista le progrès. Mais le combat resta l'âme de son développement, et +tout le poids du christianisme porté d'un seul côté ne put le faire +cesser. + +Les réformes, opérée et commencées par Constantin, furent maintenue et +continuées par ses successeurs. Un moment la réaction polythéiste de +Julien l'Apostat arrêta ces progrès du droit. Cette tentative rétrograde +ayant avorté, et les idées nouvelles ayant repris leur libre cours, le +polythéisme, d'abord toléré, devint l'objet d'une proscription générale +sous Théodose le Grand. Cependant tous les empereurs chrétiens +acceptèrent le poids du passé et s'efforcèrent seulement de l'alléger. +Le code Théodosien fut une oeuvre précipitée, mal faite et pleine de +lacunes. L'effroi d'une société tremblante à l'approche des Huns +pouvait-il produire autre chose que le chaos? Du reste, il est +intéressant d'étudier, dans cette défectueuse compilation, le dualisme +de l'élément romain jetant ses dernières lueurs, et de l'équité associée +désormais à la fortune du christianisme. La sagesse italique se débat +encore pour conserver ce qui lui reste de ses antiques privilèges. +L'équité, ne connaissant pas toutes ses forces, consent à transiger; +elle fait des concessions; mais ses traités de paix ressemblent à ceux +qu'Attila arrache au faible Théodose; tous enlèvent au vieux droit +quelques-uns de ses lambeaux, et préparent la crise qui, renversant +l'idole de son piédestal, ne laissera sur la terre que des débris. + +Dans l'opinion de M. Troplong, Justinien fut un grand législateur. La +mobilité de ses idées, les jactances orientales de ses conseillers, leur +ignorance des antiquités historiques du droit, leur style ampoulé et +diffus, ont été l'objet de vives censures. On a critiqué aussi la forme +de leurs compilations, l'emploi malhabile des matériaux, l'impitoyable +dissection des chefs d'oeuvre du troisième siècle, consommée par +Tribonien avec l'orgueil d'un novateur et l'infidélité d'un faussaire. +Tous ces reproches, M. Troplong les accorde, mais il l'avoue, le droit +dont Justinien a été l'interprète lui paraît bien supérieur à celui +qu'on admire dans les écrits des jurisconsultes classiques du siècle +d'Alexandre Sévère. Qu'importe la forme, si le fond est excellent Or, il +surpasse le droit de l'époque classique autant que le génie du +christianisme surpasse le génie du stoïcisme. Presque toujours Justinien +a rapproché le droit du type simple et pur que lui offrait le +christianisme: il a fait pour la philosophie chrétienne ce que les +Labeon et les Caius avaient fait pour la philosophie du Portique. Sans +doute, il l'a fait avec moins d'art; mais il y a mis autant et plus de +persévérance et de fermeté. C'est là son mérite immortel. + +«Justinien fut un novateur résolu, continua M. Troplong; en lui le génie +grec éclipsait le génie romain, et le théologien dominait le +jurisconsulte; de là ses défauts et ses qualités. Il était subtil, +verbeux, disputeur; mais un bon sens naturel, puisé aux sources de la +philosophie chrétienne, prévenait les écarts du sophiste: la vieille +originalité romaine et son matériel lourd et composé provoquèrent de sa +part d'amères railleries. L'homme de Constantinople, le représentant du +sixième siècle, ne comprenait rien à des systèmes usés et dépourvus de +convenance avec les habitudes contemporaines. Constantin ne les avait +respectés que parce que le christianisme n'en avait pas encore vu +l'esprit; mais les mêmes motifs de ménagements n'existaient plus. Deux +siècles écoulés depuis la fondation de Constantinople avaient décomposé +l'élément de la cité romaine. Le monde n'appartenait plus à Rome; il +était acquis à la foi catholique. Le temps était donc venu d'en finir +avec le fétichisme du droit strict, si contraire à l'esprit chrétien, et +qui n'avait que trop retardé le développement du droit naturel. +Justinien l'attaqua corps à corps, le pourchassa dans tous les replis de +la jurisprudence au profit de l'équité. Sa noble ambition de législateur +fut de l'amener de sa chaise curule, comme sa petite vanité d'homme +avait fait descendre Théodose de sa colonne d'argent: c'est ce qui +explique son travail de démolition des livres des Papinien, des Ulpien, +et autres grands interprètes du troisième siècle. Il prit en eux tout ce +qui lui parut de droit cosmopolite, et rejeta tout ce qui portait un +caractère trop romain. Il les accommoda bon gré mal gré, et même par des +altérations de texte, à des idées plus avancées que les leurs, à un +droit plus simple, plus équitable, plus philosophique que celui qu'ils +avaient expliqué. Peut-être méconnut-il en cela le respect dû à de +grands génies; mais son but fut bon et louable. Il voulut affranchir la +jurisprudence du sixième siècle d'une tutelle rétrograde. Chrétien et +homme de son époque, il osa trancher dans le vif les racines d'un passé +aristocratique et païen. Alors s'assoupit sur presque tous les points le +long antagonisme qui avait partagé la jurisprudence... Quoi qu'on en +puisse dire, Justinien a épuré, rationalisé le droit; il l'a élevé à un +niveau que le Code civil a pu seul dépasser après treize siècles de +préparations et d'épreuves Or, tandis que, sous tant de rapports, la +société convergeait vers la barbarie, il a fait marcher en avant l'une +des branches les plus importantes du gouvernement des hommes. C'est que +le christianisme était l'âme de ses travaux, et qu'avec cette grande +lumière il n'y a pas d'éclipse centrale à redouter pour la +civilisation...» + +Le Mémoire _De l'influence du christianisme sur le droit civil des +Romains_, a pour but la démonstration des idées fondamentales que nous +venons d'analyser. Il se divise en deux parties. Dans la première, M. +Troplong expose les vérités qu'il a découvertes, et il les appuie sur un +certain nombre d'exemples.--Il suit, comme on l'a vu, le christianisme +dans ses influences générales tantôt obliques, tantôt directes. La +seconde comprend l'histoire des faits particuliers qui ont été plus +spécialement soumis à son action. Les onze chapitres sont consacrés à +l'esclavage, au mariage, aux secondes noces, aux empêchements pour +parenté, au divorce, à la célébration, au concubinage, à la puissance +paternelle, à la condition des femmes et à la succession _ab +intestat_.--Enfin, la conclusion de son travail est celle-ci: le droit +romain a été meilleur sous l'époque chrétienne que dans les âges +antérieurs les plus brillants; tout ce qu'on a dit de contraire n'est +qu'un paradoxe ou un malentendu. Mais il a été inférieur aux +législations modernes nées à l'ombre du christianisme et mieux pénétrées +de son esprit. + +M. Troplong s'arrêtera-t-il à Justinien? Ne complétera-t-il pas ce beau +travail? Ne montrera-t-il pas, dans un second mémoire, quelle influence +la Révolution française a eue sur le droit civil de la France, et quelle +influence la Révolution française et le christianisme doivent exercer un +jour, lorsqu'ils auront reçu tous leurs développements, sur la +législation beaucoup trop romaine et féodale qui nous régit aujourd'hui? +Ne nous fera-t-il pas assister aux dernières victoires de l'équité sur +le droit strict, ou, en d'autres termes, de l'égalité future sur le +privilège actuel? + + + +[Illustration.] + +Modes. + +Dans un trousseau que nous avons eu occasion de voir ces jours derniers, +il y avait un kakzavadeka pour la chambre, charmant vêtement en velours, +garni de ganses d'or, qui ressemble assez, à la veste turque; puis un +plus grand en satin, destiné à la promenade, que l'on nomma kazaveka; ce +dernier avait un collet de velours formant la pointe par derrière, et +des bandes pareilles garnissant les devants. Mais ce qui nous paraît +prendre chaque jour plus d'importance dans les modes, c'est la dentelle: +il n'est pas aujourd'hui un coffret de mariage qui ne contienne de +superbes points d'Alençon, des dentelles anciennes, des barbes, des +écharpes, des voiles d'une grande finesse de travail. La robe de mariage +est toujours garnie de deux volants d'Angleterre, et quelquefois +couverte en dentelle de manière à figurer une tunique; ainsi était celle +du splendide trousseau dont nous parlions tout à l'heure et dont nous +avons admiré la recherche. + +Une toilette qui a paru l'autre jour un instant au Théâtre-Italien, et +sans doute s'est montrée ensuite dans quelque brillante réunion, a été +dessinée, pour _l'Illustration_. La voici. + +La robe est lacée sur les côtés, au corsage et sur le milieu de la +petite manche. Quant à la coiffure, nous pouvons affirmer son origine, +car nous l'avions vue la veille chez Lucy Hocquet, avec d'autres +coiffures d'une grâce tout à fait remarquable. + +Nous citerons d'abord la coiffure Élizabeth, velours et petite tête de +plume; puis la coiffure Anne Boleyn, en velours épinglé bleu, orné de +franges d'or et d'argent avec tête de plume posée très-coquettement; +ensuite, un petit bonnet _douairière_ en blonde tuyautée et chaperon du +coque en ruban, dont les grands bouts retombent derrière la tête; et +enfin le chapeau _comtesse_ en lacet d'or orné de plumes et d'une +torsade en velours grenat, coiffure de jeune châtelaine. + +Le costume d'homme élégant sort toujours de chez Humann; pour habit +habillé, les basques sont larges et le collet tombe assez sur l'épaule. + +L'habit demi-habillé est peu échancré sur les devants, les basques sont +larges, l'échancrure est carrée. + +Les cravates de satin noir reprennent la faveur qu'elles doivent à +l'hiver; on les porte longues, et de petits bouquets ou de petites +guirlandes viennent égayer un peu la sombre couleur. + +Les gilets se font toujours à chaste et très-longs; les étoffes sont +riches; c'est le satin broché, le velours brodé et souvent broché d'or +et de soie. + +Pour le matin, le tweed est plus en faveur que jamais; ou y met des +collets et des parements en velours, afin du le rendre nouveau. + + + +Amusements des Sciences. + +SOLUTIONS DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS L'AVANT-DERNIER NUMÉRO. + +I. Ce problème n'a de difficulté que celle de reconnaître la volonté du +testateur. Or, on a coutume de l'interpréter ainsi: puisque ce testateur +a ordonné que, dans le cas où sa femme accoucherait d'un garçon, cet +enfant aura les deux tiers de son bien et la mère un tiers, il s'ensuit +que son dessein a été de faire à son fils un avantage double de celui de +la mère; et puisque, dans le cas où celle-ci accouchera d'une fille, il +a voulu que la mère eût les deux tiers de son bien et la tille l'autre +tiers, on en doit conclure que son dessein a été que la part de la mère +fût double de celle de la fille. Pour allier ces deux conditions, il +faut partager la succession de manière que le fils ait deux fois autant +que la mère et la mère deux fois autant que la fille. Ainsi, en +supposant que le bien à partager soit de 30,000 fr. la part du fils +serait de 17 142 fr. 6/7, celle de la mère de 8 571 fr. 3/7 et celle de +la fille de 4 285 fr. 5/7. + +On propose ordinairement, à la suite de ce problème, une autre +difficulté; on suppose que cette mère accouche de deux garçons et d'une +fille, et l'on demande quel sera, dans ce cas, le partage de la +succession? + +Il n'y a d'autre réponse à faire que celle que feraient les +jurisconsultes; savoir, que le testament serait nul dans ce cas; car, y +ayant un enfant d'omis dans le testament, toutes les lois connues en +prononceraient la nullité, attendu 1° que la loi est précise; 2º qu'il +est impossible de démêler quelles auraient été les dispositions du +testateur s'il avait eu deux garçons, ou s'il avait prévu que sa femme +en eut mis deux au monde. + +II. Ou trouvera que le vin de Bourgogne leur a coûté 50 c. la bouteille, +et celui de Champagne 75 c. Il est aisé de le prouver. + +III. On voit aisément que, pour résoudre ce problème, il est question de +trouver un nombre qui, divisé par 7, ne laisse aucun reste, et, étant +divisé par 2, par 3, par 5, laisse toujours 1. + +Plusieurs méthodes plus ou moins savantes peuvent y conduire, mais voici +la plus simple. + +Puisque, le nombre des pièces étant compté sept à sept, il ne reste +rien, ce nombre est évidemment un multiple de 7; et puisqu'en les +comptant deux à deux, il reste l, ce nombre est un multiple impair; il +est donc compris dans la suite des nombres 7, 21, 35, 48, 65, 77, 91, +105, etc. + +De plus ce nombre doit, étant divisé par 3, laisser l'unité pour reste. +Or, dans la suite des nombres ci-dessus, on trouve que 7, 48, 91, qui +croissent arithmétiquement, et dont la différence est 42, ont la +propriété demandée. On trouve de plus que le nombre 91 étant divisé par +5 il reste 1; d'où on conclut que le premier nombre qui satisfait à la +question est 91, car il est multiple de 7; et, étant divisé par 2, par +3. et par 5, il reste toujours 1. + +Le nombre 91 est le premier qui satisfait à la question, car il y en a +plusieurs autres qu'on trouvera par le moyen suivant: combinez, la +progression ci-dessus, 7, 49, 91, 133, 175, 217, 259, 301, jusqu'à ce +que vous trouviez un autre terme divisible par 5, en laissant l'unité, +ce terme sera 301, qui satisfera encore à la question. Or, la différence +avec 91 est 210; d'où on conclut que, formant cette progression, + +91, 301, 511, 721, 951, 1 161, etc., + +tous ces nombres remplissent également les conditions du problème. + +Il serait donc incertain quelle somme était dans la bourse perdue, à +moins que son maître ne sût à peu près quelle somme elle contenait. +Ainsi, s'il disait savoir qu'il y avait environ 500 pièces, on lui +répondrait que le nombre des pièces était de 511. + +Supposons maintenant que l'homme à qui appartient la bourse eût dit que, +comptant son argent deux à deux pièces, il en restait une; qu'en les +comptant trois à trois, il en restait deux; que, comptées quatre à +quatre, il en restait trois; que, comptées cinq à cinq, il en restait +quatre; que, comptées six à six, il en restait cinq, et enfin, qu'en les +comptant sept à sept, il n'en restait aucune. On demande ce nombre. + +Il est évident que ce nombre est, comme ci-dessus, un multiple impair de +7 et conséquemment un de ceux de la suite + +7, 21, 35, 49, 65, 77, 91, 105, etc. + +Or, dans cette suite, les nombres 35, et 77 satisfont à la condition +d'avoir 2 pour reste quand on les divise par 3; leur différence est 42. +C'est pourquoi on forme une nouvelle progression arithmétique dont la +différence est 42, savoir: + +35, 77, 119, 161, 203, 245, 287, etc. + +On y cherche deux nombres qui, divisés par 4, laissent 3 pour reste, et +on trouve que ce sont les nombres 35, 119, 203, 287. + +C'est pourquoi ou forme cette nouvelle progression, où la différence des +termes est 84: + +35, 119, 203, 287, 371, 455, 539, 623, etc. + +On cherche encore ici deux termes qui, divisés par 5, laissent un reste +égal à 4, et on aperçoit bientôt que ces deux nombres sont 119 et 539, +dont le différence est 420. Ainsi la suite des termes répondant à toutes +les conditions du problème, hors une, est + +119, 539, 959, 1 379, 1 799, 2 219, 2 639, etc. + +Or, la dernière condition du problème est que, le nombre trouvé étant +divisé par 6, il reste 5. cette propriété confient à 119, 959, 1 799, +etc., en ajoutant toujours 840. Conséquemment le nombre cherché est un +des termes de cette progression. C'est pourquoi, aussitôt qu'on saura +dans quelles limites à peu près il est contenu, on sera en état de le +déterminer. + +Si donc le maître de la bourse perdue dit qu'il y avait environ 100 +pièces, le nombre cherche sera 119; s'il disait qu'il y en avait à peu +près 1 000, ce serait 959, etc. + +Ce problème serait résolu imparfaitement par la méthode que donne M. +Ozanam; car, ayant trouve le plus petit nombre 119, qui satisfait aux +conditions du problème, il se borne à dire que, pour avoir les autres +nombres qui y satisfont, il faut multiplier de suite les nombres 2, 3, +4, 5, 6, 7 et ajouter leur produit 5, 040 au premier nombre trouvé, 119 +et qu'on aura par là le nombre 5,159, qui remplit aussi les conditions +proposées. Or, il est aisé de voir qu'il y a plusieurs autres nombres +entre 119 et 5159, qui remplissent ces conditions, savoir: 959, 1 799, 2 +639, 3 479, 4 519. + +NOUVELLES QUESTIONS A RÉSOUDRE. + +I. Diophante passa la sixième partie de sa vie dans la jeunesse et la +douzième dans l'adolescence; après un septième de sa vie et cinq ans, il +eut un fils qui mourut après avoir atteint la moitié de l'âge de son +père, et ce dernier mourut quatre ans après. Combien Diophante a-t-il +vécu de temps? + +II. La somme de 500 francs ayant été partagée entre quatre personnes, il +se trouve que les deux premières ensemble ont eu 285, fr., la seconde et +la troisième, 220 fr.; enfin la troisième et la quatrième, 215; de plus, +le rapport de la part de la première à celle de la derrière est de 1 à +5. Ou demande combien chacune a eu? + +III. Faire qu'une boule rétrograde sans aucun obstacle apparent. + +IV. Trouver les parties d'un poids que deux personnes soutiennent à +l'aide d'un levier ou d'une barre qu'elles portent par les extrémités. + + + +Logogriphe musical + +EXPLICATION DU LOGOGRIPHE MUSICAL.--M. B... nous écrit que le logogriphe +musical de notre dernière livraison est «_la récompense_ LA RE _qu'on +pense_.» M. B... ayant deviné, nous lui donnons la récompense honnête +(LA RE qu'on pense au net) + +[Illustration.] + + + +Rébus + +EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS. Le nègre aura beau faire, il aura la peau +noire. + +[Illustration: Nouveau rébus.] + + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre +1843, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0035, 28 *** + +***** This file should be named 39405-8.txt or 39405-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/9/4/0/39405/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/39405-8.zip b/39405-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..963ee5c --- /dev/null +++ b/39405-8.zip diff --git a/39405-h.zip b/39405-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..5b61193 --- /dev/null +++ b/39405-h.zip diff --git a/39405-h/39405-h.htm b/39405-h/39405-h.htm new file mode 100644 index 0000000..056a93c --- /dev/null +++ b/39405-h/39405-h.htm @@ -0,0 +1,3473 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1"> + <title>The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre 1843 by Various</title> + +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg"> + +<style type="text/css"> + + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 10%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; width: 80px; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +.sc {font-variant: small-caps} +.lef {float: left} +.mid {text-align: center} +.rig {float: right} +.sml {font-size: 10pt} +.overl {font-size: 10pt; text-decoration: overline; text-align: center} +.cont {width: 650px} +.somm {float: left; width: 300px; font-size: 10pt; padding: 1em} +.suppl {color: #5A5047; background-color: #EEE2CA } + + +span.pagenum {font-size: 70%; left: 91%; right: 1%; position: absolute} +span.linenum {font-size: 70%; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} +.poem p.i12 {margin-left: 6em} +.poem p.i14 {margin-left: 7em} +.poem p.i16 {margin-left: 8em} +.poem p.i18 {margin-left: 9em} +.poem p.i20 {margin-left: 10em} +.poem p.i30 {margin-left: 15em} + + + +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre 1843, by Various + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org/license + + +Title: L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre 1843 + +Author: Various + +Release Date: April 9, 2012 [EBook #39405] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0035, 28 *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + +</pre> + + + + +<br><br> + +<div class="cont"> + + + + +<p>L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre 1843</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p> + +<pre> + Nº 35. Vol. II.--SAMEDI 28 OCTOBRE 1843. + Bureaux, rue de Seine, 33. + +Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr. Prix de +chaque Nº. 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75, + +Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. pour +l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40 +</pre> + +<div class="somm"> +<h3>SOMMAIRE</h3> +<p><b>Courses au Champ-de-Mars</b>. <i>Vue générale du Champ-de-Mars; les Coureurs +au départ</i>.--<b>Courrier de Paris.--Histoire de la Semaine</b>. <i>Éclairage au +gaz sidéral</i>.--<b>Théâtres</b>. <i>Deux scènes de Pierre Landais; Cinq scènes de +Don Quichotte</i>.--<b>De l'autre côté de l'eau</b>. Souvenirs d'une promenade, +par M. O. N.--<b>La pêche de la Morue</b>. <i>Onze Gravures</i>.--<b>Projet d'une +Caisse de Pensions de retraite pour les Classes laborieuses--Romanciers +contemporains</b>. Charles Dickens. La Table d'hôte.--<b>Margherita Pusterla</b>. +Roman de M. César Cantù. Chapitre XIV, Pise. <i>Sept Gravures</i>.--<b>Bulletin +bibliographique.--Annonces.--Modes.</b> <i>Gravure</i>.--<b>Amusements des +Sciences.--Logogriphe musical</b>. Solution.--<b>Rébus</b>.</p> +</div> +<br> + +<h2>Courses au Champ-de-Mars.</h2> + +<p>Les courses d'automne sont terminées à la satisfaction publique, et +surtout à la satisfaction de deux éleveurs privilégiés, le prince Marc +de Beauvau et le baron Antony de Rothschild, qui ont, seuls, remporté +tous les prix. Le premier a gagné 27,000 fr., et le second 9,000 fr. +Depuis les fameux triomphes de <i>Miss Annette</i>, qui, deux ans durant, fut +invincible, aucun cheval de course n'avait eu sur ses rivaux la +supériorité qui, cette année, a été le partage de <i>Nativa</i>, au prince de +Beauvau. Au printemps, elle avait trompé bien des espérances: elle avait +médiocrement couru; la faute n'en était pas à elle, mais à son état de +santé. A Chantilly, <i>Nativa</i> a commencé à prendre sa revanche en gagnant +le Saint-Léger; à Paris, elle a continué le cours de ses exploits; +désormais elle a conquis la plus belle place au sommet de l'aristocratie +chevaline. Tous les prix qu'elle a courus elle les a gagnés sans effort, +sans coups d'éperon, avec une facilité désespérante pour les autres. +Comme César, <i>Nativa</i> peut prendre pour devise: <i>veni, vidi, vici</i>.</p> + +<p>Le dimanche 15, elle débuta par un prix de 3,500 fr., qu'elle enlève +lestement à des chevaux de haute réputation; le même jour, M. de +Rothschild et son cheval <i>Drummer</i> battent <i>Ratopolis</i>, à M. Lupin. +<i>Capharnaüm</i>, à M. de Gamins, et bien d'autres encore; 3,000 fr. sont la +récompense de cette prouesse au galop.</p> + +<p>Le jeudi 19, MM. de Beauvau et de Rothschild se partagent encore le +gâteau des courses; le premier, toujours avec <i>Nativa</i>, gagne 5,000 fr.; +le second, avec <i>Muse</i>, remporte le prix royal, qui se paie 6,000 fr.</p> + +<p>Jusqu'ici la lutte se soutient assez égale entre les deux éleveurs; mais +le moment est arrivé où le prince français va remporter de deux chevaux +et de deux prix sur le baron anglo-allemand. <i>Nativa</i> n'est pas au bout +de ses succès; il reste un prix de 4,500 fr.: il est pour elle. +<i>Amanda</i>, au comte de Cambis, <i>Prospero</i>, à M. de. Rothschild, +<i>Vespérine</i>, à M. Vasquez, n'ont pas la moindre prétention à lui +disputer la victoire.</p> + +<p>Le grand prix royal de 14,000 fr. peut et doit même rétablir la balance +en faveur de M. de Rothschild; <i>Annetta</i>, la digne fille de <i>Miss +Annette. Annetta</i>, qui a si bien couru l'année dernière, et plus +récemment ce printemps, <i>Annetta</i> a été ménagée par le prudent <i>Carter</i>. +De peur de la fatiguer, il ne l'a engagée dans aucune course; elle +arrive fraîche, légère, au combat; sa condition est parfaite; +l'entraîneur a droit à tous nos éloges; tout le monde parie pour +<i>Annetta</i>, elle est favorite. Si quelques joueurs hardis osent aventurer +quelques louis contre elle, ils s'adressent à <i>Adolphus</i> magnifique +cheval du comte de Cambis, et ils contient leur sort à la vitesse bien +connue de ce bel animal. Mais en matière de course, les hommes proposent +et les chevaux disposent. Personne ne songeait à <i>Jenny</i>, la modeste +<i>Jenny</i>, qui n'a pour elle que des succès insignifiants de province, et +le mérite négatif d'être une fois en sa vie arrivée seconde au Derby de +Chantilly; mais depuis, <i>Jenny</i> est devenue la propriété du prince de +Beauvau; le roi Midas changeait en or tout ce qu'il touchait; dans les +heureuses écuries de la maison de Beauvau, les mauvais chevaux se +changent en bons chevaux, les <i>Jenny</i> se changent en <i>Nativa</i>.</p> + +<p><i>L'Illustration</i> a saisi le moment où va être donné le signal du départ +pour le grand prix royal. Tout le monde est à son poste; on aperçoit la +tribune du jockey-club, les juges et les coureurs. <i>Jenny</i> est confondue +dans la foule, mais bientôt elle en sortira: elle sera victorieuse.</p> + +<p>Elle a gagné les deux épreuves avec une supériorité incontestable. +Quoique pleine de sept mois, quoique restée en arrière de quelques +longueurs, par la faute de son jockey, elle arrive première, au bruit +des applaudissements et des bravos.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>Courses de septembre au Champ-de-Mars.</b></p> + +<p><i>Jenny</i> a autrefois appartenu à lord Seymour, dont l'hippodrome regrette +aujourd'hui l'absence. Lord Seymour, cet Achille des courses, est en ce +moment renfermé sous sa tente, laissant prendre sa place par de jeunes +éleveurs. Il est à regretter, malgré les succès de ses héritiers, qu'un +homme si intelligent, et à qui les courses doivent tant en France, se +soit laissé dégoûter par des revers immérités. Il a été dignement +remplacé et suppléé par MM. Lupin, A. Fould, Sabatier, de Beauvau et de +Pontalba; mais lord Seymour est presque dans notre pays le créateur de +cette industrie, qui peut devenir nationale; et, tout en rendant justice +au présent, pour être juste, il faut donner un regret au passé.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002.png"><br><b>Les coureurs au départ.</b></p> + +<p>Une remarque assez curieuse à faire, c'est que depuis plusieurs années +le nombre des bonnes juments l'a emporté sur celui des bons chevaux. +Ainsi, en 1841, nous avons eu <i>Fiametta</i>; en 1842, <i>Annetta</i>; en 1843, +<i>Nativa</i> et <i>Jenny</i>; puis, dans un ordre inférieur, <i>Tragédie, Amanda</i> +et <i>Muse</i>. Les chevaux sont bien loin de valoir leurs rivaux du sexe +féminin. Cette, bizarrerie de la nature, est un malheur pour nos races +françaises; des étalons pourvus des qualités qui distinguent <i>Nativa, +Annetta</i> et <i>Jenny</i> eussent été précieux; leur sang se fût répandu par +tout le pays, et eût amélioré les espèces; bornées à la condition du +mères, ces juments perdent presque toute, leur valeur publique et +nationale, et nous obligent à aller chercher en Angleterre, les étalons +que nous eussions trouvés chez nous.</p> +<br><br> + +<h2>Courrier de Paris.</h2> + +<p>M. de Talleyrand n'était pas mort tout entier, tant que M. de Montrond a +vécu; c'était la seconde moitié de lui-même; Talleyrand n'allait pas +sans Montrond, et Montrond sans Talleyrand; l'un complétait l'autre; +mais maintenant tout est dit; M. de Talleyraud est bien mort; M. de +Montrond a été enterré la semaine dernière.</p> + +<p>On ne trouvera plus son pareil; cette espèce d'hommes est finie, et M. +de Montrond en aura été le dernier et, on peut le dire, le plus parlait +représentant; il faut une corruption en grand et de très-grands +seigneurs pour faire éclore une telle race et pour l'alimenter; faites +naître un Montrond de notre temps, il végétera et s'étiolera bien vite; +dans ce monde de petits vices et de petites intrigues vulgaires, il n'y +a plus place pour une intrigue si savante et pour un vice si raffiné; +quand il séduirait la femme d'un député d'arrondissement et enlèverait +deux ou trois Pénélopes de la garde, nationale; quand il ferait pour +cinquante mille francs de dettes, la belle affaire! Et où placerait-il +sa charmante impudence, sa fine raillerie, ses airs de Momcade, son +cynisme élégant et son esprit de démon? Au service d'un millionnaire +enrichi dans la cannelle ou dans le trois-six: le bel emploi pour le +chevalier de Grammont mélangé de Casanova!</p> + +<p>M. de Montrond fut l'un et l'autre, et, comme tous les deux, il se fit +de sa hardiesse et de son esprit l'existence la plus romanesque et la +plus singulière. Sans fortune, sans crédit, perpétuellement en butte à +la rancune des protêts et des huissiers, il mena toute sa vie un train +du grand seigneur, et fit face aux situations les plus périlleuses et +les plus diverses par des bons mots.</p> + +<p>M. de Montrond est mort à suivante-dix ans; pendant cinquante années de +cette vie équivoque, la curiosité publique chercha le mot caché de ce +luxe et de cette prodigalité, fondés en apparence sur les brouillards de +la Tamise et de la Seine. Fallait-il en demander le secret au jeu, à +l'amour ou à la politique? M. de Montrond était-il un de ces bons amis +du hasard, qui se donnent un équipage d'un coup de carte, et d'un coup +de dé se bâtissent un château? Comme les petits chevaliers de l'ancienne +comédie, se faisait-il un gros revenu de l'estime des tendres baronnes +et des douairières sentimentales? ou bien, araignée de la diplomatie, +tendait-il secrètement ses toiles dans les coins ténébreux de la +politique dont son ami Talleyrand tenait les fils? On a cru l'une et +l'autre chose, et M. de Montrond était homme à justifier tout ce qu'on +pouvait en croire.</p> + +<p>La moralité de ces exigences est d'ailleurs payée ce qu'elle vaut par +ceux-là mêmes qui s'en servent ou qui s'en divertissent.--Un jour, M. de +Montrond racontait en riant, à M. de Talleyrand, la grande colère d'un +de ses créanciers, qui l'avait menacé la veille de le jeter par la +fenêtre: «Le drôle oubliait, ajouta-t-il, que nous étions au troisième +étage.--Montrond, dit Talleyrand, je vous ai toujours conseillé de vous +loger au rez-de-chaussée!»</p> + +<p>Il nous est mort un autre comédien; mais du moins celui-ci ne +dissimulait pas sa qualité et y allait de franc jeu. Son nom s'étalait +bravement sur l'affiche, et dévoilait le rôle que mon homme allait +jouer. Du reste, sa noblesse valait celle de M. de Montrond; il +s'appelait M. de Rosambeau... M. Jules Janin a publié l'autre jour, en +l'honneur du défunt, un article nécrologique dans le style de l'oraison +funèbre du grand Condé et de Turenne. Entre nous, Rosambeau ne demandait +pas une telle éloquence, et Bossuet est de trop pour un acteur de +vaudeville et d'opéra-comique. Scarron aurait mieux fait l'affaire. +Rosambeau, en effet, avait recueilli tout l'héritage des héros du <i>Roman +comique</i>: la vie errante, l'insouciance, la pauvreté, l'habit en loques, +et la résignation philosophique; plus d'une fois il trempa sa croûte de +pain au courant d'une eau claire, comme son aïeul Melchior Zapata.</p> + +<p>Rosambeau avait commencé, par être beau, jeune, élégant, adoré; Ellevion +le redoutait, et les succès de ce rival étaient venus le troubler dans +sa <i>Maison à Vendre</i>. Mais, tandis qu'Ellevion, désertant +l'Opéra-Comique, s'arrondissait en riche propriétaire et allait jusqu'à +la croix d'honneur il à l'éligibilité, mon Rosambeau perdait ses +cheveux, perdait ses dents, et tombait, de chute en chute, jusqu'au +théâtre des <i>Folies-Dramatiques</i>. Il eut encore une heure d'éclat: ce +fut le jour où l'Odéon lui donna asile. Hélas! l'Odéon ne se montra pas +charitable longtemps; un an avant sa mort, Rosambeau, rendu tout entier +à la vie philosophique, errait à la grâce de Dieu dans les rues de +Paris, plus délabré que le Juif Ahasvérus, et n'ayant pas même cinq sous +dans sa besace.</p> + +<p>Il s'adressa plusieurs fois à mademoiselle Mars, qui l'accueillit avec +bonté et le renvoya toujours moins pauvre qu'il n'était venu; mais +l'argent ne tenait pas à Rosambeau, et Rosambeau tenait à l'argent moins +encore. Ses poches étaient percées, la manne qui par hasard y tombait +passait bien vite à travers.</p> + +<p>Il revint si souvent à Araminte et à Célimène, qu'à la fin leur humanité +se lassa; d'ailleurs, le Rosambeau était si peu vêtu et si peu parfumé +que le boudoir de Célimène ne s'en arrangeait guère, et que le délicat +odorat d'Araminte s'en effarouchait.--Un matin, arriva mon Rosambeau, +encore moins musqué que de coutume; Célimène, qui venait sans doute de +congédier Acaste et Clitandre, lui dit en prenant son flacon d'eau de +mélisse, qu'elle aspira avec grâce: «Et que voulez-vous que je fasse, +mon pauvre Rosambeau? je n'ai plus rien à vous donner!» Puis, se +ravisant: «Tenez, prenez ceci;» et en même temps elle lui présenta une +petite carte découpée en losange. Rosambeau la prit d'un air stupéfait, +et y lut ces mots: <i>Bains Vigier</i>: bon pour une personne.</p> + +<p>Le trait était sanglant et digne de Célimène; Araminte y eût mis plus +d'humanité.--Rosambeau, qui avait des moments de fierté, sortit +magnifiquement et sans mot dire.</p> + +<p>Il n'avait pas déjeuné le matin ni dîné la veille, et son estomac criait +miséricorde. La belle consolation à lui offrir qu'un bain d'eau douce!</p> + +<p>Cependant Rosambeau suivait tout pensif le quai du Louvre; et, poussé +peut-être par une secrète envie de faire faire un plongeon à sa faim, il +descendit sur le bord de la Seine; et la, se trouvant face à face avec +l'établissement aquatique de M. Vigier, il y entra machinalement: «Que +voulez-vous? lui crie le garçon d'un ton rogne, avisant le pauvre hère. +--Ce que je veux? Vous le voyez bien.» Et Rosambeau donne la carte qu'il +tient de Célimène.--A peine a-t-il dit, que son œil affamé entrevit ces +mots affiché» sur la muraille: Un bain, 1 fr.; un consommé, 1 fr.; un +peignoir, 5 cent.; un petit pain, 5 cent.</p> + +<p>«Holà! eh! garçon! s'écrie Rosambeau d'une voix formidable.--Voilà, +monsieur!--J'ai demandé un bain!--Oui, monsieur.--Un consommé coûte 1 +fr.?--Tout juste, monsieur.--Cette carte de bain que je vous, ai donnée +représente 1 fr.?--Certainement, monsieur.--Donnez-moi un consommé!»</p> + +<p>Le lendemain, il entrait chez Célimène: «Eh bien! lui demanda-t-elle, +Rosambeau, avez-vous pris un bain?--Non, madame, j'ai pris un potage: ça +m'a paru plus nourrissant.»</p> + +<p>Ce n'est pas un potage que doit prendre M. Eugène Briffault le +feuilletoniste, mais une femme. Qu'ai-je dit? La femme n'est-t-elle pas +un potage, suivant Molière? Heureux le mari, dit Alain, quand les +voisins n'y viennent pas goûter l'un après l'autre!</p> + +<p>Les bans sont affichés; dans trois ou quatre jours, M. Eugène Briffault +donnera la seconde représentation du <i>Mariage d'un Critique</i>: M. Jules +Janin tiendra le poète.</p> + +<p>Il paraît que la littérature se range et songe à finir sa vie de garçon; +après M. Eugène Briffault, ou annonce M. Roger de Beauvoir. Déjà les +cloches carillonnent; soit! Que M. Eugène Briffault se marie, cela le +regarde, mais M. Roger de Beauvoir, c'est autre chose! On s'étonne de +voir ce léger papillon, qui a si longtemps voltigé de fleur en fleur, se +fixer enfin et s'abattre sur la plate-bande du mariage. Les roses vont +sécher sur pied, et le myrte en mourra. M. Roger de Beauvoir, dont les +opinions politiques sont bien connues, reste fidèle à son drapeau jusque +dans le choix d'une femme: il épouse une nièce de Cabrera, cousine de +Gomez et filleule de Zumala-Barregui. M. Roger de Beauvoir en est devenu +éperdument amoureux pendant son dernier voyage en Catalogue. Charles V a +promis la grandesse à M. Roger de Beauvoir, aussitôt après son +rétablissement sur le trône légitime. On croit que M. Roger de Beauvoir +l'attendra longtemps.</p> + +<p>Un autre écrivain beaucoup moins gros que M. Eugène Briffault et non +moins léger que M. Roger de Beauvoir se trouvait, il y a un an, dans une +situation financière peu rassurante. Sans le secours de la machine +pneumatique, et par le seul effet d'une consommation trop fréquente de +monnaie, le vide complet s'était fait dans sa bourse et dans sa caisse. +Il avait beau en sonder toute la profondeur, sa main n'y rencontrait pas +les deux mille livres dont il avait un besoin urgent. Enfin, il se +souvint d'un banquier, son ancien camarade de collège, alla tout droit +frapper à sa porte, et lui fit adroitement comprendre le charme qu'il +trouverait à caresser deux billets de la banque de France. L'homme aux +écus saisit l'affaire au premier mot, et comme la finance n'a pas un +grand penchant naturel à hypothéquer son bien sur la littérature, il +hésita d'abord; mais enfin il s'agissait d'un ancien condisciple; et +puis, pour deux mille livres, on se donnait un certain reflet de Mécène +et un air de François Ier et de Léon X; c'était vraiment pour rien!</p> + +<p>Il tira donc les deux billets d'un joli portefeuille de maroquin brun, +et les donna à notre homme. «Mon cher, lui dit celui-ci, sois +tranquille, je te rembourserai sur le produit de mon <i>meilleur</i> +ouvrage.»</p> + +<p>Depuis, le créancier a mis au monde un roman, deux opéras-comiques, une +comédie, une histoire universelle, cinq mélodrames et six vaudevilles. A +chaque apparition de ces produits littéraires, le débiteur, songeant à +ses deux mille livres, vient en personne pour complimenter l'auteur. +«Charmant! dit-il, délicieux! un bijou! un véritable chef-d'œuvre! +C'est ton <i>meilleur ouvrage</i>,» appuyant avec intention sur l'épithète. +«Ah! laisse donc, réplique l'autre; tu te moques. J'espère faire cent +fois mieux.»</p> + +<p>M. Fornasari, qui a débuté mardi dernier au Théâtre-Italien, est ce +qu'on appelle un bel homme, tradition populaire, il a de grands bras, de +grandes jambes, de grandes mains, de grands pieds, de grands yeux, de +grands cheveux, de grandes dents blanches et de grands gestes; on le +croirait plutôt destiné à faire un superbe tambour-major qu'un +chanteur.</p> + +<p>A toutes ces richesses athlétiques M. Fornasari joint une formidable +voix de basse qu'il emploie de manière à briser les vitres. M. Fornasari +s'est fait entendre dans le <i>Belizario</i> de Donizetti, œuvre +prodigieusement bruyante. Quelqu'un disait, après avoir entendu l'opéra +et M. Fornasari: «C'est une musique chantée par un aveugle et faite pour +des sourds.»</p> + +<p>Tout le monde ne sait peut-être pas que le goût de la publicité par la +presse a gagné jusqu'au jeu d'échecs. Le jeu d'échecs a son journal tout +comme s'il était le tiers-parti, la gauche, l'extrême gauche ou le +ministère. Il y a sept ans qu'il imprime ainsi ses opinions sur la +marche du Roi et de la Reine. Cette feuille d'échec et mat est intituler +le <i>Palamede</i>, rendant ces sept années d'existence paisible, <i>le +Palamede</i>, se croyant abrité par la loi, a paru sans timbre et sans +cautionnement. Mais l'autorité se ravise et lui en demande raison. +Est-ce qu'il y a vraiment de la politique au fond d'une partie d'échecs, +et la Tour cacherait-elle des complots secrets contre la forme du +gouvernement? O timbre, laisse donc vivre en paix ces pauvres fous et +ces innocents cavaliers!</p> + +<p>Voici quelque chose de plus grave: un grand trouble agite depuis huit +jours le théâtre des Variétés. Qu'est-ce? qu'y a-t-il? Il s'agit d'un +enlèvement.--Est-ce que mademoiselle Boisgoutier aurait fait un faux +pas? Mademoiselle Flore se serait-elle égarée dans les petits sentiers +d'Amathonte et de Cythère, à la suite de quelque noir ravisseur? Non +pas. Dieu merci! où en serait-on si des vertus si mûres, si +expérimentées, et d'un tel poids, faisaient encore de ces +légèretés-là?--La fugitive a dix-huit ans, des yeux noirs, un petit air +innocent et candide et une jambe de biche; avec cela, elle ira loin +avant qu'on la rattrape.</p> + +<p>Deux diplomates ont quitté Paris tout récemment: l'un est M. de +Salvaudy, qui va montrer à la cour de Turin la chevelure d'Alonzo; +l'autre, M. le marquis de Lavallette, nommé consul-général à Alexandrie. +M. de Lavallette a longtemps étudié la diplomatie dans les coulisses de +l'Opéra; il y a approfondi particulièrement la pirouette et l'entrechat. +On blâme cette faveur rapide qui l'a pris entre deux coulisses et une +danseuse, pour le transformer tout à coup en homme d'État. Pourquoi +blâmer? Il est clair que M. de Lavallette a fait sa fortune politique +pas à pas.</p> + +<p>L'Académie royale de Musique donne le meilleur de son temps aux +répétitions du <i>Don Sébastien</i> de M. Donizetti; les quatre premiers +actes sont complètement achevés. M. Donizetti met la dernière main au +cinquième; il a livré hier le morceau final et deux chœurs importants. +Dans quinze jours au plus tard, <i>Don Sébastien</i> se montrera tout entier +au soleil de la rampe, armé de pied en cap. On loue d'avance la +partition; on parle de la magnificence des décors: jamais l'Opéra n'aura +été plus prodigue et plus magnifique. Il est particulièrement question +de la pompe funèbre du troisième acte. La situation est toute +dramatique: don Sébastien, qui passe pour trépassé, assiste à son propre +enterrement, comme on la raconté de Marion de Lorme. Il est peut-être +dangereux pour un poète et pour un musicien de jouer ainsi avec les +morts: le parterre s'avise quelquefois de les mettre tous les deux sur +la liste nécrologique. Mais ici, dit-on, ce genre de mortalité n'est pas +à craindre; si l'on fait une pompe funèbre sur la scène, ce ne sera ni +M. Scribe ni M. Donizetti qui y seront enterrés.</p> + +<p>L'Odéon est dévoré par les tragédies sublimes; le succès de <i>Lucrèce</i> +les fait pulluler; en voulez-vous, en voici! Rome et Athènes, l'Italie +et la Grèce, ont envahi les cartons de M. Lireux; qu'allons-nous faire +de tous ces trésors? Il est vrai que l'Odéon nous ménage et y met de la +prudence; tous les jours on annonce que quelque nouveau chef-d'œuvre +tragique a passé le Pont-Neuf et s'est glissé au comité de lecture du +Second-Théâtre-Français, mais jusqu'ici ou n'en a pas encore vu paraître +un seul. On fait grand bruit cependant d'un certain <i>vieux Consul</i> en +cinq actes, qui, dit-on, nous la garde bonne. Nous verrons bien; pourvu +que ce vieux nous paraisse nouveau!</p> + +<p>Une charmante femme, d'une vertu au-dessus de tout soupçon, madame B..., +assistait hier à la représentation du nouvel opéra-comique de MM. Panard +et Ambroise Thomas, <i>le Ménage à Trois</i>; madame de C..., la fausse +prude, attaquait l'invraisemblance du sujet, «Allons donc! lui dit +vivement Madame B...; vous ne voyez que ça toute la journée.»</p> + +<p>Cependant les omnibus continuent à écraser les enfants et les +vieillards, les voleurs à détrousser les passants, et partant Paris est +toujours le plus charmant pays du monde.</p> +<br><br> + +<h2>Histoire de la Semaine</h2> + +<p>Aucun événement, aucun fait de politique intérieure de quelque +importance n'est venu cette semaine occuper les esprits. La lutte du +conseil municipal d'Angers contre le maire, auquel il refuse son +concours, a presque seule remplacé dans la polémique des journaux les +longues discussions sur les fortifications de Paris et sur le programme +d'opposition mis en avant par M. de Lamartine. La politique prend ses +vacances, et le ministère ne paraît pas encore d'accord sur la date +précise où il doit les faire cesser. Ceux des ministres au bonheur +desquels la présence des Chambres n'est pas absolument indispensable, +voudraient que leur réunion fut différée jusqu'au 9 janvier; des +scrupules constitutionnels font, dit-on, désirer à quelques autres +membres du cabinet que la convocation ait lieu pour le 27 décembre, afin +qu'on puisse appeler cette session la session de 1843, et demeurer dans +la lettre de la Charte, qui en veut une par année. Nous sommes donc, +quoi qu'il arrive, à peu près sûrs de pouvoir célébrer avec nos +législateurs soit la nuit de Noël, soit la fête des Rois; nous voudrions +être également certains que tous les travaux nécessaires à la session +seront prêts au moment où la réunion aura lieu, que les séances pourront +se succéder sans interruption, que les projets de loi auront été bien +mûris, et que de nouveaux et fâcheux ajournements ne seront pas +nécessaires.--A l'extérieur, l'attention de la France a également été +peu absorbée par ses propres affaires. L'Autriche a-t-elle ou n'a-t-elle +pas refusé au fils de M. le maréchal Soult, à notre ambassadeur à Turin, +voyageant dans la partie de l'Italie qui se trouve sous la domination de +Vienne, le titre de marquis de Dalmatie? Voilà la question qui a été +débattue entre les feuilles du gouvernement et celles de l'opposition. +Ce qui paraît être vrai, au milieu d'assertions contradictoires, c'est +qu'on a dispensé notre ambassadeur de la formalité du passeport, pour ne +pas lui en remettre un qui aurait porté ou une qualification qu'on +n'aurait pas voulu lui donner, ou un nom qui n'aurait pas été celui qu +il voulait prendre. Du reste, cette guerre à l'histoire est bien pauvre.</p> + +<p>L'Irlande est la scène politique vers laquelle tous les yeux sont +tournés. O'Connell et ses amis y poursuivent leur œuvre avec calme et +mesure. Le peuple irlandais a compris que ses destinées à venir +dépendaient peut-être de l'esprit d'ordre et de modération qu'il +montrerait dans cette circonstance critique et décisive. Son attitude +prouve son intelligence et fait le procès à ceux qui n'ont pas su et qui +ne savent pas encore le traiter en égal et en frère. Autant O'Connell et +ses compatriotes remplissent bien leurs rôles, autant le ministère +anglais paraît n'avoir pas étudié le sien. Une feuille d'un comté dit +qu'il n'y a autre chose à faire qu'à, pendre O'Connell. Il est évident +que si ce journaliste voulait bien, dans son petit coin, se charger de +cette mission, il tirerait sir Robert Peel d'un grand embarras. On a +fait procéder à des enquêtes pour établir toute la série de crimes +imputés aux chefs de l'association; les témoignages recueillis ont été +ceux d'agents de la force constabulaire. On ne s'est pas encore arrêté +dans le choix d'accusés qu'on se propose de faire parmi les prélats +catholiques; quant aux rédacteurs du journal <i>the Nation</i>, et de +quelques autres feuilles irlandaises, on ajoutera pour eux le chef +d'accusation d'avoir cherché à séduire et corrompre les soldats de la +marine et de l'armée anglaises. L'affaire sera appelée le 2 novembre +devant le jury de Dublin, pour être remise, d'après les calculs les plus +vraisemblables, aux derniers jours du même mois.--Les cortès espagnoles, +depuis leur réunion, n'ont procédé encore qu'à des travaux +préparatoires; la vérification des pouvoirs des députés n'a donné lieu à +aucune discussion, à aucune lutte où l'on ait pu apprécier la force +respective des partis. Outre ceux que les élections ont fait connaître, +il s'en est, dit-on, formé un autre qui ne se propose sans doute que de +jouer un rôle convenu pour faire regarder comme moins extrême le parti +de Narvaez: c'est un parti qui fait semblant de vouloir que l'abdication +de l'ex-régente soit déclarée nulle et de nul effet, parce qu'elle n'a +pas été libre et volontaire. Nous ne croyons pas que personne le puisse +prendre au sérieux. Rien de terminé, rien de plus avancé en Catalogne. +Barcelone est encore dans la même et désastreuse situation. Quant à +Girone, Prim a écrit à Madrid qu'il y entrerait ou se ferait tuer. On +peut donc prédire que le sang coulera encore abondamment sur cette +malheureuse terre d'Espagne. Au profit de quels principes et dans quel +intérêt avouable? Nous serions bien embarrassés de le dire.--Du reste, +au milieu de toutes ces crises sanglantes, le ministère espagnol trouve +moyen d'organiser le service postal dans la péninsule. L'empereur de +Russie, de son côté, a opéré dans ses États la réforme du tarif des +lettres, que la France réclame toujours vainement. Que faudra-t-il donc +pour vaincre l'obstination de notre administration? --Il vient de +paraître à Madrid un nouveau journal politique, <i>L'International</i>. Cette +feuille, rédigée en français, se propose pour but de faire connaître +l'Europe à l'Espagne, et surtout l'Espagne à l'Europe. Dans le premier +numéro, une nous avons sous les yeux, ses rédacteurs font preuve de +talent et de sentiments patriotiques qui n'ont pas ce caractère +d'hostilité envers l'étranger qu'on rencontre trop souvent dans les +journaux de Madrid.--Des bruits très-contradictoires ont couru sur les +troubles de la Romagne et les mesures récentes dont ils auraient été +l'occasion. La <i>Gazette du Rhin et de la Moselle</i> avait +très-positivement annoncé que le feld-maréchal autrichien Itadesky était +entré à Bologne, à la tête de quatre mille hommes tirés du royaume +lombardo-vénitien, sur une réquisition du gouvernement papal. La +<i>Gazette Universelle Allemande</i> se borne à dire que la demande de les +tenir à disposition à effectivement été faite, mais qu'elles ne seront +entrées dans le Bolonais que si le cardinal-légat l'a jugé nécessaire. +Il faut espérer que le cabinet français ne s'en remettra, pour cette +question, ni au jugement du cardinal-légat ni aux bonnes dispositions du +feld-maréchal autrichien, et que le souvenir de la conduite de Casimir +Périer ne sera pas plus perdu pour le ministère que ne le serait pour la +marine et pour l'armée l'exemple de l'amiral Gallois et du colonel +Combes. La <i>Gazette d'Augsbourg</i>, au contraire, renferme une +correspondance d'après laquelle le Saint-Siège ne songerait à venir à +bout des mécontents qu'en entrant dans la voie de réformes politiques +qui lui auraient été conseillées par plusieurs cabinets.</p> + +<p>Il séculariserait d'abord une grande partie des hautes fonctions +publiques qui sont dans ce moment dans les mains du clergé. Nous +voudrions pouvoir croire à cette version.--Pour en finir avec les +nouvelles des États pontificaux, nous dirons que le prêtre Abbé, dont +nous avons annoncé la condamnation à mort en même temps que le bruit +répandu de sa commutation de peine, aurait été exécuté le 4 octobre, si +l'on en croyait les organes habituellement officiels. On a donc vu +imprimer: «Hier matin, de bonne heure, le prêtre Abbé, originaire du +Piémont, a été décapité dans le château Saint-Ange. Jusqu'à présent, on +s'était imaginé qu'il obtiendrait une commutation de peine, parce qu'on +pensait que le gouvernement ne se déciderait point à laisser un prêtre +monter sur l'échafaud. Le pape a bientôt dissipé cette illusion. S. S. a +voulu prouver qu'un criminel ne méritait aucune faveur à raison de son +rang et de sa condition. Si l'exécution n'a pas eu lieu sur une place +publique, mais dans l'intérieur du château, c'est uniquement que le +Gouvernement a voulu éviter la trop grande affluence de peuple sur le +lieu de l'exécution.» Mais personne à Rome n'a cru à cette nouvelle, et +tout le monde s'est estimé autorisé à penser que le gouvernement papal a +voulu donner une sorte de satisfaction à l'opinion publique indiquée à +la nouvelle d'une commutation, et sauver ce misérable en considération +de son caractère sacerdotal. Ou a pensé aussi qu'en faisant croire à la +nouvelle de cette exécution, le gouvernement de Rome tenait à être +considéré comme libre de ne pas reculer devant l'application de la peine +de mort, si elle était prononcée contre des détenus du fort Saint-Léo.</p> + +<p>Les mois de septembre et d'octobre auront été cette année cruellement +féconds en désastres. Les journaux de nos ports de la Manche et de +l'Océan sont pleins de détails sur les avaries et les échouements d'une +foule de bâtiments du commerce.--Un tremblement de terre très-violent, +accompagné de tonnerre souterrain, s'est fait sentir, le 3 octobre, à +Jassy, en Moldavie, et a fait fuir dans les champs une grande partie de +sa population effrayée.--Des nouvelles de Port-Léon (Florides) donnent +les plus affligeants détails sur un ouragan et une inondation qui y ont +exercé leurs ravages dans la nuit du 13 au 14 septembre. La ville fut +soudainement inondée, tous les magasins situés sur les quais furent +renversés par le torrent; la plus grande partie des maisons fut +également détruite, et les malheureux habitants, à demi nus, durent +aller chercher un refuge sur les hauteurs voisines. A Saint-Mareks, +toutes les maisons ont été également détruites ou endommagées. Mais le +désastre a été plus immense encore à Light-House; là, pas un seul +édifice, excepté le phare, n'est resté debout, et l'on compte en outre +quatorze victimes. Les habitations disséminées sur la côte ont aussi +beaucoup souffert: dans l'une, tout le monde a été noyé. Aux dernières +dates, on n'avait pu encore constater toute l'étendue du désastre, +compter tous les noyés; mais on s'était assuré déjà de la disparition +d'un très-grand nombre de personnes, qui ont sans doute été entraînées +par les Ilots.</p> + +<p>On a enfin le dernier mot sur <i>le Télémaque</i> et les richesses; que ses +flancs recelaient pour les actionnaires de cette opération, dont +<i>l'Illustration</i> (t. I, p. 4) a entretenu ses lecteurs au point de vue +du procédé de sauvetage. Le notaire de Quillebœuf devant lequel avait +été passé l'acte d'association ou de mystification a fait publier, dans +les colonnes de plusieurs journaux, l'avis suivant: «Les actionnaires de +l'entreprise du sauvetage du <i>Télémaque</i> sont informés que les travaux +viennent d'être entièrement terminés. La cargaison est déposée sur le +quai de Quillebœuf; elle consiste en cinquante-deux pièces de bois de +construction. Ou avait aussi embarqué à bord du <i>Télémaque</i> une quantité +considérable de barriques, mais on n'en a retrouvé que des débris qui +attestent qu'elles ont contenu du suif et de l'huile. Jusqu'au 23 +septembre, il était resté beaucoup de sable dans le navire; mais des +ouvertures pratiquées à dessein ont donné passage aux courants; les +grandes marées de la fin de septembre ont suffi pour le déblayer +entièrement. Alors on a pu faire les plus minutieuses recherches, et +l'on a acquis la certitude que l'opinion de l'existence de valeurs dans +<i>le Télémaque</i> était absolument chimérique. Il ne reste plus aujourd'hui +de ce navire qu'une carcasse informe. Il sera bientôt procédé, par +l'autorité maritime, à la vente, tant de la cargaison que des débris du +navire.»--Les actionnaires du <i>Télémaque</i> auxquels il resterait encore +quelque argent à placer, pourraient le porter à une compagnie +commerciale dont le siège principal est, dit-on, à Londres, et qui a des +succursales dans les principales villes de l'Europe. Cette société, qui +a pris pour titre <i>The Iberian mercantile Company</i>, offre au public 3 +pour 100 <i>de rente pour rien</i>. D'après les combinaisons de cette +compagnie, qui paraît s'être formée pour enrichir l'humanité, certains +marchands désignés par elle, ayant un dépôt de ses actions et coupons +d'actions, les délivreront, <i>pour rien</i>, sur la demande de l'acheteur +qui viendra faire chez eux des emplettes. Si l'achat s'élève à 125 +francs, on aura droit à une action principale portant intérêt à 1 et +demi pour 100 la première année, 2 et demi pour 100 la deuxième, et 5 +pour 100 les années suivantes. Si l'achat ne se monte qu'à 25 francs, on +recevra un coupon d'action. «Les achats d'un particulier, dit le journal +<i>la Presse</i>, s'élevant, terme moyen, à 3,000 francs par an, il en +résulte qu'en dix ans, et <i>sans débourser un sou</i>, on peut se faire +1,000 ou 900 francs de rente.» C'eût été véritablement voler les +lecteurs de <i>l'Illustration</i>, que de ne pas leur faire connaître une +aussi bonne occasion de faire fortune sans s'en apercevoir.--Quant aux +actionnaires des fameuses mines de Saint-Bérain, les pauvres victimes +des Cleemann, Blum et consorts, ils paraissent aujourd'hui complètement +désillusionnés; car les annonces judiciaires fixent le jour de la +prochaine vente sur licitation sur une mise à prix qui n'est pas du +douzième du capital social.</p> + +<p>Un marché où à coup sûr l'acquéreur n'a pas été dupe, c'est celui que +vient de conclure le ministère de l'intérieur avec un jeune paysagiste +de l'École de Lyon, M. Amaranthe Roulliet, inventeur d'un procédé il +l'aide duquel l'homme qui n'a jamais dessiné de sa vie peut trouver en +quelques minutes la reproduction exacte d'un dessin ou la parfaite +ressemblance d'un corps placé devant lui, soit dans des proportions +identiques, soit avec diminution ou augmentation, et, dans ces derniers +cas, avec une scrupuleuse observation de la perspective, sauf la beauté +du trait, qu'une main exercée peut seule atteindre (Voir +<i>l'Illustration</i>, t. I, p. 90,). Le procédé est, dit-on, des plus +simules, sans machines, sans recours à la chimie, sans attirail +incommode et coûteux. Il y a à peu près un an, M. le ministre de +l'intérieur demanda un rapport à l'Académie des Beaux-Arts, qui, sur un +examen superficiel et peu bienveillant, on ne sait trop pourquoi, refusa +net de s'occuper de cette affaire, alléguant que de telles inventions +nuisent à l'art en lui ôtant ses difficultés. Le ministre, peu touché +d'une telle fin de non-recevoir, qui n'irait à rien moins qu'à proscrire +la règle, le compas, la chambre noire ou claire, le daguerréotype, et +bien d'autres instruments dont on use fort à l'Académie, et qui n'ont +jamais nui à l'art, parce que l'art est très-distinct de l'exactitude +matérielle, le ministre nomma une commission dans laquelle durent +figurer MM. Cavé, Vilet, Mérimée, Lenormand, Lassus, Flandrin, Léon +Coignet, Allaux. Après une étude longue et approfondie, à la suite +d'épreuves multipliées dans lesquelles les difficultés de dessin des +plus épineuses ont été vaincues avec une rapidité, une facilité, un +bonheur incroyables, la commission a conclu à ce que la direction des +Beaux-Arts achetât la découverte dans l'intérêt des beaux-arts et de +l'industrie. On sait les lenteurs administratives; le secret fut enfin +révélé à un membre de la commission, savant architecte, qui, dans un +nouveau rapport au ministre, a déclaré la découverte plus étendue et +plus féconde encore, que ne le croyait l'inventeur; sur quoi, une +pension de <i>douze cents francs</i> a été accordée à M. A. Roulliet. Il y a +de cela près de deux mois, et on ne comprend pas pourquoi la découverte +n'a point encore été livrée à la légitime impatience de beaucoup +d'artistes de premier ordre, moins dédaigneux de progrès qu'on ne l'est +à l'Académie. Nous comprenons avec quelle prudence une telle affaire +doit être officiellement traitée. Nous savons les ménagements qui sont +dus à un corps respectable à tant de titres; mais enfin, si quelqu'un +s'est endormi par hasard, une fois sans plus; si quelqu'un a manqué de +goût et de pénétration, le public n'en est pas cause et ne saurait être +puni. Le public, lui non plus, n'aime pas qu'on le fasse attendre.--Ce +n'est point à ce procédé mécanique, mais au pinceau habile de Sigalon, +que sont dus douze grands tableaux dont vont être décorés les plafonds +de l'ancienne église des Petits-Augustins dépendant de l'école des +Beaux-Arts. Ces peintures, qui ont chacune une dimension de quatre +mètres de large sur six de hauteur, représentent les douze apôtres de la +chapelle Sixtine à Rome. Ces beaux tableaux feront suite à la magnifique +copie du <i>Jugement dernier</i>, exécutée par le même artiste, qui décore +déjà l'abside de ce musée.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/003a.png"><br><b> +Éclairage au gaz sidéral.--Expérience faite le<br> 20 +octobre sur la place de la Concorde.</b></p> + +<p>De nombreuses tentatives sont faites en ce moment pour enlever au gaz le +monopole de l'éclairage. Dans la séance du l'Académie des Sciences du 29 +mai dernier, MM. Busson, Dumaurier et Rouen avaient lu un mémoire sur +l'éclairage par la combustion des huiles essentielles provenant du +schiste, de la houille et du goudron. Ce mémoire avait attiré +l'attention de l'Académie; mais comme, tout en sachant bien que ces +huiles étaient très-riches en carbone et en hydrogène, ou n'ignorait, +pas non plus qu'elles donnaient une flamme tellement fuligineuse qu'il +avait toujours fallu renoncer à les employer à l'éclairage, on avait +besoin que l'expérience vînt constater si MM. Busson-Dumaurier et Rouen +avaient vaincu la difficulté devant laquelle jusque-là chacun avait +échoué; ils l'ont en effet heureusement surmontée. Nous ne savons pas +bien par quels calculs on arrive à établir, comme quelques journaux +l'ont avancé, que cet éclairage est au gaz comme 6 est à 1, et à +l'éclairage à l'huile comme 8 est à 1. Tout ce que nous pouvons dire, +c'est que cet éclairage, qui, quant à présent, doit coûter peu puisqu'il +est alimenté par un liquide dont les usines de gaz, qui en produisent +beaucoup, ne tiraient jusqu'à ce jour qu'un parti insignifiant, après +avoir fonctionné pendant trois mois à la gare du chemin de fer de +Saint-Cloud, depuis l'avenue du Château jusqu'à la station de +Montretout, vient d'être essayé avec un égal succès, par +l'administration de la ville de Paris, dans la rue de la Huchette et sur +la place du Musée du Louvre. Si la difficulté d'allumer, sensible +aujourd'hui, ne devient pas presque insurmontable par le froid, cet +éclairage, que son odeur rendra toujours inapplicable dans les +intérieurs, pourra être extérieurement d'une certaine ressource là où le +gaz ne peut être établi, et les petites villes, qui ne sauraient +supporter les dépenses de pose de conduits, pourront, en se procurant +les lampes fort simples qui constituent l'appareil de ce nouvel +éclairage, profiler à peu de frais d'un perfectionnement +incontestable.--Vendredi 20, à neuf heures du soir, un nombreux public +était rassemblé sur la place de la Concorde pour assister à l'essai d'un +autre éclairage, l'éclairage électrique. Deux cents éléments de pile +Bunzen, réunis dans le papillon qui sert de piédestal à la statue de la +ville de Lille, étaient préparés pour illuminer un cylindre de charbon +ouvert aux deux bouts, renfermé dans un bocal en verre plongeant dans de +l'acide nitrique. Le cylindre de charbon renfermait lui-même un bocal de +porcelaine poreuse contenant de l'eau acidulée à quinze degrés à l'aide +d'acide sulfurique, et un cylindre d'amalgame de zinc plongeant dans +l'eau acidulée. Deux conducteurs en cuivre partant des deux pôles de la +pile, et terminés par du charbon aiguisé, se rendent dans un ballon vide +d'air, où ils se rencontrent à une courte distance. Les deux fluides de +nature opposée, en se réunissant, produisent une lumière douce et +abondante. Les becs de gaz avaient été éteints sur presque toute la +place, et ceux qui étaient demeurés ne servaient qu'à faire ressortir, +par le rouge fauve de leur lumière, au milieu du brouillard où régnait +ce soir-là, la blancheur éclatante de la lumière nouvelle. Il a été +démontré que cinq foyers de cet éclairage illumineraient la place mieux +qu'elle ne l'est, et lui ôteraient cette apparence de surtout de table +que l'architecte lui a donnée. Mais quel est le prix de revient de +l'application de ce procédé? C'est ce que personne n'a pu nous dire, et +ce dont les inventeurs, hommes de science, ne se sont pas, dit-on, rendu +un compte très-exact. Toutefois, on annonce un nouvel essai, avec un +foyer beaucoup plus puissant placé au haut de l'obélisque; et cette +fois, ou se propose d'asseoir des calculs qui puissent mettre à même de +prononcer sur le côté pratique d'un procédé qui, s'il ne pouvait devenir +usuel, serait toujours d'un bel effet dans les fêtes et illuminations. +Les journaux américains nous ont appris la mort d'un savant astronome et +mathématicien français, M. J.-N. Nicollet, ancien professeur du Lycée +Impérial à Paris, décédé à Washington. Les feuilles des États-Unis lui +paient un juste tribut d'éloges et de regrets.--Le <i>Courrier +d'Indre-et-Loire</i> nous apporte la nouvelle de la perte que vient de +faire l'émigration polonaise, d'un des hommes qui l'honoraient le plus. +M. Pietkiewiez, ancien professeur suppléant à l'Université de Wilna, +ancien nonce à la diète de Pologne, vient de mourir à l'âge de +trente-huit ans, à Tours, qui lui avait été fixé pour résidence. Cet +homme, qui avait la passion du bien, s'était dévoué à seconder +l'établissement primitif de la colonie agricole de Mettray. Il avait été +nommé professeur d'allemand au collège royal de Tours, et ses vastes +connaissances, son esprit fin et doux, son caractère bienveillant, ses +autres vertus, qui faisaient le charme et l'admiration de tous ceux qui +l'ont connu, sont aujourd'hui l'inépuisable source des regrets de ses +compatriotes, qui le respectaient, de ses amis, qui ne l'oublieront +jamais, et d'une veuve qui pleure sur une union formée il y a quelques +mois, et si prématurément, et cruellement rompue.</p> +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003b.png"><br> +<b>Théâtre de l'Odéon.--<i>Pierre Landais</i>. 4e acte.--Albin,<br> +Milon; Marie, mademoiselle E. Volet; Étienne Chauvin, Darcourt.--Etienne<br> +Chauvin remet à Albert l'écharpe ensanglantée de son frère.</b></p> + +<h2>Théâtres.</h2> + +<p><i>Pierre Landais</i>, drame en cinq acte de M. Émile <span class="sc">Souvestre</span> (<span class="sc">Théâtre de +l'Odéon</span>).--<i>Don Quichotte et Sancho Pança,</i> (<span class="sc">Cirque-Olympique).</span>--<i>Les +Naufrageurs</i>, (<span class="sc">Porte-Saint-Martin</span>).--<i>Le Capitaine Lambert</i>, +(<span class="sc">Gymnase</span>),--<i>Jacquot</i> (<span class="sc">Théâtre des Variétés</span>).</p> + +<p>La véridique histoire de Pierre Landais est assez singulière et assez +intéressante pour qu'un homme de talent et d'imagination comme M. Émile +Souvestre y ait vu les éléments d'un drame. Qu'y a-t-il de plus +dramatique, en effet, que la vie de ce simple fils de tailleur d'habits +qui, parti de l'échoppe de son père, s'élève peu à peu, par son habileté +et son esprit, à la plus haute fortune, et devient le ministre +tout-puissant de François II, duc de Bretagne? Gouvernant le duché sous +ce prince faible et ami des plaisirs, Pierre Landais tient tête à Louis +XI lui-même, et entreprend contre la noblesse bretonne une lutte +acharnée, brisant ses privilèges et abattant son audace factieuse. +Quelques historiens, il est vrai, parlent de Pierre Landais comme d'un +parvenu ambitieux et violent qui n'aurait cherché dans cette lutte qu'à +satisfaire sa cupidité et sa haine; mais d'autres, rehaussant le +caractère de Pierre, lui donnent les vues profondes de l'homme d'État; +s'il frappait sur la noblesse, ce n'était pas pour satisfaire de vaines +rancunes et de coupables passions, mais pour affranchir le pouvoir du +duc et délivrer la Bretagne du joug d'une aristocratie oppressive. Sous +ce point de vue, Pierre Landais est non-seulement un politique, mais un +philosophe.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003c.png"><br><b> +Théâtre de l'Odéon--<i>Pierre Landais</i>. 3e acte. --Pierre<br> +Landais, Bouchet; Marie, mademoiselle E. Volet; Albert, Milon; Étienne<br> +Chavin, Darcourt.--Étienne montre le bourreau à Landais.</b></p> +<br> +<p class="mid"><img alt="" src="images/004a.png"><br><b> +Théâtre d'hiver du Cirque-Olympique.--<i>Don<br> +Quichotte</i>.--Le Tournoi</b></p> + +<p>C'est ainsi du moins que M. Émile Souvestre nous le présente. Ce Pierre +Landais, atteint de philosophie démocratique, devait plaire, en effet, à +l'énergique auteur de <i>Riche et Pauvre</i>, lequel défend, dans tous ses +écrits, avec une noble chaleur de talent, la cause de l'opprimé contre +l'oppresseur. M. Souvestre prend Landais à son humble origine; voici sa +demeure indigente. Qui vient troubler le silence de ce réduit? Les +agents du fisc: le pauvre tailleur n'a pas de quoi payer le loyer, et la +main impitoyable des recors le dépouille de ses dernières ressources: +tous ses meubles sont vendus; Landais ne sauve de cette rapine qu'un +escabeau et le grabat où repose sa fille Marie.</p> + +<p>Il faut voir son désespoir: c'est à la noblesse qu'il s'en prend, à ces +insolents gentilshommes qui surchargent d'impôts les malheureux pour +nourrir leur luxe et leurs débauches. Ah! si je pouvais me plaindre au +duc! s'écrie Pierre Landais.</p> + +<p>Cependant l'orage gronde au ciel et l'éclair sillonne la nue. Un homme +enveloppé d'un manteau demande asile à Landais: c'est le duc en +personne; Landais l'a reconnu. Séparé de ses gens par l'orage, le prince +a faim et froid; et Landais n'a rien pour le nourrir! Il ne lui reste +que les débris de l'escabeau pour allumer un peu de feu et sécher les +vêtements de monseigneur.</p> + +<p>Frappé de tant de misère, le duc interroge Landais, qui expose ses +griefs avec chaleur. «S'il était le maître de la Bretagne, il +soulagerait le peuple!--Eh bien! lui dit le duc, dès aujourd'hui je +l'attache à ma personne; suis-moi!»</p> + + +<p>Le tailleur est devenu le trésorier-général du duché de Bretagne; le +pauvre habile un palais; l'opprimé est tout-puissant; Pierre Landais, en +un mot, gouverne le duché, tandis que le duc s'abandonne au plaisir.</p> + +<p>La prospérité et la justice renaissent; mais Pierre Landais n'est pas +arrivé à ce grand résultat sans rencontrer des obstacles, sans soulever +des inimitiés: plus d'une fois même, il a dû châtier ses ennemis; +ainsi, le chancelier Chauvin, son adversaire le plus décidé, est mort en +prison, dépouillé de toutes dignités et de tout pouvoir.</p> + +<p>La noblesse, menacée, s'irrite et se met en garde; d'abord elle poursuit +Landais de ses railleries: «Un vil artisan!» dit-elle; quelques-uns +viennent hardiment jusqu'au palais, du duc faire étalage de leur +ressentiment. Après les paroles, les actions: les nobles complotent et +s'arment en secret; ils ont pour chef Etienne, frère de Chauvin.</p> + + +<p>Le complot éclate: le duc, surpris par les gentilshommes en armes, signe +l'ordre d'arrestation de Landais. Déjà ils s'applaudissent et savourent +la vengeance; mais la victime leur échappe au moment où ils croient la +tenir. Instruit par ses agents, Landais s'est mystérieusement introduit +dans le lieu occupé par les conjurés; là, maître de leurs secrets, il +surprend les coupables en flagrant délit et dans leur propre repaire; +des soldats apostés les obligent à rendre les armes.</p> + +<p>Landais victorieux ressaisit le pouvoir; mais le gouvernement de la +Bretagne et la défaite de la noblesse ne sont pas les seuls intérêts qui +l'occupent: à côté de l'homme d'État, il y a le père; Landais songe au +bonheur de sa fille Marie, qu'il idolâtre; il rêve la fortune pour elle +et une brillante alliance. S'il retient le pouvoir, ce n'est que dans +l'intérêt de Marie. On voit qu'ici le caractère de Landais dévie, et +que, tout en frappant les grands, il songe aux grandeurs. M. Émile +Souvestre explique cette faiblesse par l'amour paternel: Landais n'a +d'ambition que pour sa fille; soit! mais le cœur humain n'explique-t-il +pas l'affaire encore mieux?</p> + +<p>Cependant Marie n'a pas cessé d'être une simple fille; les rêves de son +père la touchent peu: elle a donné son amour à Albert, un simple +gentilhomme. Ce qu'on sait d'Albert est tout mystère; on le tient pour +homme de bonne maison, voilà tout; le nom de son père reste caché; +Albert l'ignore lui-même.</p> + +<p>Ce nom qu'Albert ne sait pas, je veux vous le révéler: Albert a pour +père Chauvin, l'adversaire de Landais; Chauvin, que Landais a fait périr +misérablement en prison: Marie aime donc le fils d'un ennemi, et Albert +aime Marie la fille du bourreau de son père.</p> + +<p>Etienne connaît cette énigme fatale de la naissance d'Albert, et il en +profite pour jeter le trouble dans la maison de Landais et déchirer le +cœur de Marie. Le jour où, étendant la main vers Albert, il lui dit: +«Venge ton père,» tout est fini. Les deux amants se désespèrent, et +Marie s'évanouit.</p> + +<p>Etienne a beau faire, Albert tient à Marie plus qu'à Chauvin: l'amour +pur l'emporte sur l'amour filial. Vainement Étienne veut l'entraîner +dans sa haine et dans ses intrigues, Albert résiste: il fait plus +encore: il sauve la vie à Landais et arrache Marie aux ravisseurs +soudoyés par Étienne.</p> + +<p>Vous dites; «Comment Etienne peut-il ainsi aller et venir et comploter +dans le, palais après sa défaite?» Il faut s'en prendre à l'imprévoyance +de Landais, qui a eu la maladresse de lui laisser la liberté.</p> + +<p>Landais paie cher cette imprudence: Étienne et ses complices s'emparent +de la ville; Landais, surpris, ne peut résister; tout est dit: son +bonheur est passé et sa puissance s'écroule. Landais, prisonnier +d'Étienne, n'a plus qu'à se préparer à la mort; un seul regret affaiblit +son courage: que deviendra Marie? «Je veillerai sur elle, dit Albert, je +serai son défenseur et son époux.» A ces mots, il anéantit l'écrit qui +constate sa noble naissance, et se fait un homme sans titre et sans nom, +afin du pouvoir aimer Marie, la fille du tailleur. Landais, consolé, va +d'un pas ferme à la mort.</p> + +<p>Ce n'est là qu'une esquisse incomplète du drame de M. Émile Souvestre: +on y trouve bien d'autres événements et d'autres complications; +peut-être, même est-ce le défaut de l'ouvrage; les faits ne s'y +produisent pas toujours nettement et jettent çà et là, par une certaine +confusion, quelque obscurité sur les sentiments et sur les caractères; +mais, à tout prendre, le drame intéresse; il a été constamment applaudi: +c'est le succès le plus réel que le Second-Théâtre-Français ait obtenu +depuis sa réouverture; d'ailleurs, et ceci n'est pas à dédaigner par le +temps qui court, une pensée généreuse et un noble cœur se remuent +partout au fond de ce drame; on n'aurait pas nommé M. Souvestre, qu'on +l'aurait deviné.</p> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="illustration"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<br><img alt="" src="images/004b.png"><br><br><br> +<img alt="" src="images/005a.png"> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<img alt="" src="images/004c.png"><br> +<br><img alt="" src="images/005b.png"> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + +<p>--Don Quichotte et son Sancho Pança chevauchent, depuis quelque temps, +au Cirque-Olympique, et y courent les hasards: du noble chevalier, +toujours vaillant, généreux, éthique, comme il convient à son caractère; +le fidèle écuyer, gros, gras, rond, roulant, plein de bon sens, de bon +appétit, et semant les proverbes sur sa route, ainsi qu'il lui +appartient. Nous ne suivrons pas ces deux illustres amis dans toutes les +sinuosités de leurs nombreuses aventures; nous ne marcherons pas pied à +pied à la suite de la fortune vagabonde de Rossinante et du grison; +cette entreprise nous mènerait trop avant, et nous ne sommes pas, pour +courir si loin, suffisamment éperonnés et armés chevaliers errants.</p> + +<p>Choisissons seulement quelques épisodes de ce poème mémorable; et +d'abord, voici ce bon Sancho: dans quelle situation, ô ciel! et comme il +a besoin ici de toute sa philosophie! Les muletiers ont saisi et jeté +notre homme sur une couverture de laine; les voyez-vous qui le lancent +en l'air à tours de bras et le font rebondir comme une balle élastique; +ô mon brave Sancho! jamais ballon joua-t-il son rôle aussi naturellement +que toi!</p> + +<p>Plus loin, don Quichotte devient la victime de sa philanthropie et de sa +candeur; vous savez comme quoi, au détour d'un buis, le valeureux +chevalier rencontra une bande de forçats escortée d'une escouade de la +sainte hermandad. «Holà! oh! seigneurs cavaliers, rendez la liberté à +ces malheureux, s'écria-t-il, ou je vous pourfends de ma redoutable +épée!» Et aussitôt, piquant des deux et croisant la lance, don Quichotte +mit les gendarmes en pleine déroute et délivra les bandits, qu'il +prenait pour des esclaves opprimés. Ce qu'il en advint, vous le voyez; à +peine les forçats ont-ils brisé leurs chaînes, qu'ils se tournent contre +leur libérateur, le jettent bas et le rouent de coups, de compagnie avec +Sancho.</p> + +<p>Que devenir après une telle ingratitude? Se retirer du monde, se faire +berger, chercher si la vertu et la reconnaissance, exilées des villes et +des grandes routes, se sont abritées sous la houlette; ainsi font don +Quichotte et Sancho.</p> + +<p>Mais la vie champêtre convient-elle à un tel héros? Don Quichotte a +bientôt repris le fer, la cuirasse et l'armet de Membrin. Qu'il fait +beau le voir sur son Rossinante immobile, tandis que Sancho Pança +enfourche le bât de son âne, en attendant le fidèle baudet qui broute +quelque part l'herbe fleurie.</p> + +<p>Hélas! don Quichotte a beau être le plus vaillant des héros de la +Manche, il succombe enfin dans un terrible tournois contre le redoutable +chevalier du Miroir; quelque enchanteur, sans doute! Le clairon sonne, +les casques retentissent, les cuirasses étincellent; quels rudes coups +d'épée! cependant don Quichotte est vaincu.</p> + +<p>Était-ce pour être partout trahi, berné et battu, qu'un beau jour, ô don +Quichotte! ô innocent héroïque! tu as quitté ta maison, ta nièce, ton +curé et tes livres de chevalerie, suivi de ton ami Sancho; le grison +portant l'un, Rossinante portant l'autre?</p> + +<p>--Le théâtre de la Porte-Saint-Martin ne s'amuse pas à de tels jeux +d'enfants; il se plonge dans le crime le plus noir avec <i>les +Naufrageurs</i> titre barbare, mais moins barbare que la prose de M. Boulé, +l'auteur de ce formidable drame. Ces naufrageurs sont d'affreux bandits +qui dépouillent les malheureux que la tempête a jetés sur la rive, et +les assassinent au besoin. Aussi, leur histoire est-elle surabondamment +ornée de tempêtes, de naufrages, de meurtres, d'enlèvements, de morts +subites, de résurrections, de cavernes, d'incendies, de fureurs, de +repentirs, de reconnaissances et de grincements de dents. Au dénouement, +le crime est châtié amplement, comme cela est de règle, et les +naufrageurs s'abîment sous les ruines d'une immense caverne. Que Dieu +leur pardonne, et à M. Roulé aussi!</p> + +<p>--<i>Le Capitaine Lambert</i>, du gymnase, recommence <i>le Joueur</i> de Regnard, +et celui de Victor Docange; mais il n'a ni l'esprit de l'un, ni la +terrible passion de l'autre. A force de jouer, Lambert perd jusqu'à son +dernier sou. Que deviendra sa fille? c'est là le grand désespoir de +Lambert. Heureusement, un Arthur vertueux, le fils de l'homme qui a +ruiné Lambert, répare tout le mal, et rend à Lambert la fortune qu'il +regrette: c'est bien le moins qu'il devienne son gendre. Lambert +jouera-t-il encore? je ne sais, mais je crains que le Gymnase ne le joue +pas longtemps.</p> + +<p>Les lauriers de Levassor emmenaient sans doute le théâtre des Variétés +de dormir; il a voulu avoir aussi sa pièce à travestissements. +<i>Jacquot</i> ne sert pas à autre chose; Jacquot est tout à la fois Vernet, +Alcide Tousez, Odry, Numa, Lepeintre jeune, Ravel; tous les acteurs de +Paris y passent; Neuville exécute ces métamorphoses et ces imitations +avec une vérité et une ressemblance dignes d'étonnement. La pièce est +d'ailleurs semée de mots plaisants. Les auteurs sont MM. Paul Vermont et +Gabriel.</p> +<br><br> + +<h2>De l'autre côté de l'Eau</h2> + +<h3>SOUVENIRS D'UNE PROMENADE.</h3> + <p class="mid">(Suite.--Voyez t. II, p. 6, 18 et 30.)</p> + +<h4>SUR LA TAMISE.</h4> + +<p>Tout ce qu'éprouvait de patriotique jalousie le vieux Caton pendant sa +résidence à Carthage, un Français,--je parle du moins farouche citoyen +de Paris,--doit le ressentir en arrivant à Londres par cette belle +avenue marine qui commence à Gravesend.</p> + +<p>Ce n'est pas que l'entrée des Champs-Elysées n'ait son mérite et +l'Arc-de-Triomphe ses glorieux souvenirs; mais Vienne a son Prater; +Berlin, son allée de tilleuls; Rome avait des arcs de triomphe sur +toutes ses routes. Aucune ville de ce bas monde n'a eu et n'aura +jamais,--il faut le croire,--ces huit lieues de rivières encombrées de +quatre mille vaisseaux.</p> + +<p>Voici les lourds charbonniers de Newcastle, voici les bricks de commerce +qui reviennent de Calcutta et de Bombay, voici les pêcheurs de morue, +voici les yachts de la <i>Royal Navy</i>, voici les stationnaires, +sentinelles imposantes, voici le pavillon russe, le pavillon +danois.--hélas! et Copenhague? --le papillon américain,--et Boston?--le +pavillon français,--diable, et Trafalgar?</p> + +<p>Noble et glorieux pavillon, que n'était-tu du moins sur quelque beau +navire aux agrès bien ordonnés, brillant de la poupe à la proue, les +sabords ouverts et montrant les dents! Mais non; à l'arrière de cinq on +six méchantes carènes, sales et mal tenues, pendait un chiffon tricolore +dont à peine on distinguait les nuances éteintes. Sans le souvenir de la +Colonne, il y avait de quoi se voiler la face et s'enfuir à fond de +cale.</p> + +<p>Encore des vaisseaux, des vaisseaux encore, des vaisseaux toujours. +Quelquefois, nous ne voyons de loin, acculé à la rive, que le profil +d'un beau navire; mais ce profil nous en marquait dix, quinze, vingt, +rangés côte à côte. Cette immense force ne s'étale pas, bien au +contraire; chaque vaisseau se serre et se fait petit, dans une +agglomération monstrueuse de voiles et de mâts et de tuyaux à vapeur.</p> + +<p>Puis, derrière les toits du rivage, vous avisez d'autres cordages, +d'autres vergues, d'autres pavillons: ce sont les <i>Docks</i>, ce sont des +ports creusés par douzaines, où vont encore se cacher des flottes +entières, se reposer les bâtiments avariés, se décharger les opulentes +cargaisons... Bref, au bout d'une heure ou deux, la tête vous tourne, ce +panorama mouvant vous enivre; vous vous croyez le jouet d'un rêve,--et +d'un mauvais rêve, puisque vous n'êtes pas Anglais.</p> + +<p>J'avais d'abord donné carrière à mon étonnement à mesure qu'un obligeant +gentleman me signalait l'un après l'autre tous les points remarquables +devant lesquels nous passions. Mais je crus voir briller dans ses yeux +une orgueilleuse satisfaction qui me déplut, et ménageant de mon mieux +la transition, je passai en peu de minutes à une indifférence fort bien +jouée. Comme dernier symptôme de cet insouciant dédain, le <i>tillaburelo</i> +de <i>my uncle Toby</i> me vint admirablement en aide. Le Gentleman +s'inquiète de mes airs blasés; et après avoir essayé deux ou trois fois +encore ses triomphantes insinuations, il me quitte, presque offensé de +les voir si tranquillement accueillies.</p> + +<h4>SOUTH MOLTON STREET.</h4> + +<p>On m'avait spécialement recommandé de loger dans l'<i>East-End</i>. En ce +pays où tout est strictement classé, mieux vaut un grenier du quartier +noble qu'un hôtel tout entier de la Cité. Nous primes donc notre essor, +mon compagnon de voyage et moi, vers la région très-noble ou Hyde-Park +semble retenir la crème anglaise.</p> + +<p>Et comme j'étais pressé d'en finir avec les ennuis du premier +établissement, nous nous installâmes chez un estimable chapelier qui mit +à notre disposition tout le superflu de sa petite maison: à savoir, un +salon et deux chambres à coucher.</p> + +<p>Sans me permettre une critique trop générale, voici mes observations sur +l'intérieur hospitalier qu'il nous offrit en échange de guinées assez +nombreuses.</p> + +<p>Les cheminées avaient, en guise de devants de feu, des tabliers de +soubrette excessivement ornés. Ces tabliers étaient en papier de couleur +découpé, brodé, bariolé, rehaussé de paillettes.</p> + +<p>L'unique canapé du salon était d'une maigreur attristante. La maîtresse +du logis,--Dieu me garde de la nommer à présent!--ressemblait au canapé +du salon.</p> + +<p>Quelque chose de plus maigre encore, c'était Anne, l'unique soubrette de +l'établissement. Bien que l'escalier criât volontiers sous le moindre +poids, elle le montait et le descendait sans le plus léger bruit, à la +manière des fantômes, dont elle avait la pâleur et l'œil hagard; je +parle de son œil,--ou plutôt de ses yeux,--pour les avoir aperçus de +temps à autre, à la dérobée. En général, ils étaient respectueusement +baissés vers le parquet.</p> + +<p>Le salon était pauvre, mais décent. La chambre à laquelle il donnait +accès affichait un certain air de propreté menteuse. Je la cédai à mon +compagnon de voyage.</p> + +<p>Quant au <i>garret</i> où je fus relégué par cette déférence toute naturelle, +il mériterait une description en vers à la manière de Gresset; mais je +me bornerai à quelques détails prosaïques.</p> + +<p>Mon lit,--un véritable <i>four-posted-bed</i>,--était d'une ampleur +conjugale; mais les matelas, évidemment destinés à un célibataire, ne le +garnissaient ni en largeur ni en longueur. Ils formaient au milieu du +plancher qui les soutenait une espèce de monticule quadrangulaire +très-élevé. Je les comptai par curiosité: ils étaient cinq, dont le +mieux fourni n'avait certainement pas l'épaisseur d'une galette du +Gymnase. En revanche, par la consistance, ils en auraient facilement +remontré au biscuit de mer le plus solide.</p> + +<p>Après de vains efforts pour dormir sur cette couche dure, je me résignai +à demander, non pas un, mais cinq autres matelas supplémentaires, qui me +furent octroyés avec une certaine stupéfaction, et un lit de plumes, par +la vertueuse mistriss...--j'ai juré de ne pas la nommer.</p> + +<p>Loin de m'enhardir, cette complaisance m'empêcha de lui faire remarquer +que le couvre-pieds de coton qui devait me dérober aux yeux indiscrets, +tandis que je me livrerais au sommeil, manquait évidemment des qualités +indispensables à ce voile nocturne. Les souris ou le temps en avaient +fait un véritable crible dont les trous multipliés, laissant passer mes +jambes, ne pouvaient guère arrêter un regard curieux.</p> + +<p>Les serviettes étaient contemporaines du couvre-pieds. Elles devaient de +plus à une lessive particulière je ne sais quelle odeur nauséabonde qui +remplissait la chambre quand j'y montai pour la première fois.</p> + +<p>«Par bonheur, pensai-je, nous sommes au mois de juin,» Et je courus +ouvrir la fenêtre.</p> + +<p>La fenêtre,--infernale guillotine!--résista obstinément à tous mes +efforts pour la relever; je la crus condamnée par quelque droit de +servitude, et je m'assis sur ma malle, dans l'attitude de Marins sur les +ruines de Carthage, mais beaucoup moins résigné que le vieux proconsul. +Il était en plein air, lui. Quant à moi, j'aurais volontiers pleuré.</p> + +<p>Pourtant l'excès même du malheur, dans une âme forte, amène, une +énergique réaction; puis le tablier de ma cheminée était si plaisant, il +affectait de si étranges grâces, et ses grâces ressortaient si bien, +éclairées par une affreuse chandelle de suif enfoncée dans un bougeoir +énorme, que la résignation reprit sur mon cœur son heureux empire. Je +doublai de mon manteau le couvre-pieds transparent; je m'isolai, autant +que faire se put, du contact cotonneux de mes draps, et si le sommeil +n'avait fui mes paupières, j'aurais pu me croire sur le plus délicieux +édredon.</p> + +<p>Mais je ne fermai pas l'œil et mal en prit à certains petits animaux +qui, dès cette nuit même, avec un empressement tout britannique, +voulaient se repaître de sang français.</p> + +<h4>SIGNALEMENT D'UNE CAPITALE.</h4> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i14"> <i>Rues</i>--larges.</p> +<p class="i14"> <i>Passages</i>--étroits.</p> +<p class="i14"> <i>Parcs</i>--nombreux.</p> +<p class="i14"> <i>Maisons</i>--noires.</p> +<p class="i14"> <i>Portes</i>--petites.</p> +<p class="i14"> <i>Squares</i>--ronds ou ovales.</p> +<p class="i14"> <i>Quais</i>--hideux.</p> +<p class="i14"> <i>Cabriolets</i>--faits en citadines.</p> +<p class="i14"> <i>Pavés</i>--rares.</p> +<p class="i14"> <i>Édifices</i>--bien portants.</p> +<p class="i14"> <i>Cafés</i>--invisibles.</p> +<p class="i14"> <i>Boue</i>--abondante.</p> +<p class="i14"> <i>Décrotteurs</i>--ignorés.</p> +<p class="i14"> <i>Soleil</i>--étonné (1).</p> +<p class="i14"> <i>Passants</i>--tristes.</p> +<p class="i14"> <i>Dimanches</i>--tristes.</p> +<p class="i14"> <i>Ponts</i>--magnifiques.</p> +<p class="i14"> <i>Valets</i>--bien mis.</p> +<p class="i14"> <i>Maîtres</i>--mal habillés.</p> +<p class="i14"> <i>Mendiants</i>--pieds nus.</p> +<p class="i14"> <i>Mendiantes</i>--en chapeaux de satin.</p> +<p class="i14"> <i>Grisettes</i>--nus-bras, nu-cou, épaules nues.</p> +<p class="i14"> <i>Omnibus</i>--bruyants.</p> +<p class="i14"> <i>Marteaux de porte</i>--plus bruyants.</p> +<p class="i14"> <i>Vieux habits</i>--très-bruyants.</p> +<p class="i14"> <i>Watchmen</i>--admirables.</p> +<p class="i14"> <i>Soldats</i>--très-longs.</p> +<p class="i14"> <i>Pieds de femmes</i>--très-longs.</p> +<p class="i14"> <i>Nez d'hommes</i>--tout le contraire.</p> +<p class="i14"> <i>Bas de coton</i>--bon marché.</p> +<p class="i14"> <i>Tout le reste</i>--fort cher.</p> +</div></div> + +<blockquote>Note 1: Ceci demande un commentaire. Le soleil, à Londres est étonné +comme le doge de Gênes dans les galeries de Versailles.</blockquote> + +<h4>RÉFLEXIONS.</h4> + +<p>Pour ce signalement, j'ai choisi naturellement les traits +caractéristiques, les côtés distinctifs de la ville que j'avais à +dépeindre. Maintenant je suis de trop bonne foi,--et aussi trop +prévoyant,--pour ne pas prédire que ces traits tendent à s'effacer +chaque jour.</p> + +<p>Mon compagnon de voyage,--qui visite l'Angleterre à peu près tous les +cinq ou six ans,--m'a confirmé cette vérité par toutes sortes +d'observations spirituelles.</p> + +<p>Mais bien mieux encore par quelques-uns de ses étonnements.</p> + +<p>Ainsi, quand un garçon de taverne, nous reconnaissant pour des Français, +nous proposa du <i>bouilli-beef</i>--l'expression que prit le visage de mon +ami me révéla toute une révolution culinaire.</p> + +<p>«Bouilli-beef! répétait-il confondu... venir à Londres pour manger du +bouilli-beef!... dans une taverne, du bouilli-b...!»</p> + +<p>Mais là je l'arrêtai court en lui montrant, sur les vitres de la +fenêtre, ces mots, qui répondaient éloquemment à l'amertume de ses +plaintes.</p> + +<p>Nous n'étions pas dans une taverne, nous étions dans une Eating-House. +L'<i>Eating-House</i> est à la taverne et au restaurant ce que l'aurélie est +au ver et au papillon. De toutes parts la taverne se chrysalide.</p> + +<p>Le vin français et le vaudeville français sont appelés à régénérer +l'Angleterre. Dans cinquante ans, Londres aura des cafés, des +décrotteurs, etc.; dans cinquante ans, il y sera tout à fait incongru de +donner à manger au voyageur sans le gratifier d'un essuie-mains.</p> + +<p>Qui sait--le bouilli-beef est d'un bon augure--si on n'y naturalisera +pas ce qu'il y a de meilleur et de plus français au monde: la calme et +sereine flânerie?</p> + +<p>En l'an de grâce 1843,--je le dis pour l'instruction des âges +futurs,--je n'ai vu de flâneurs à Londres que les watchmen et moi, ce +dernier dans les glaces des magasins. Il me semblait vraiment ridicule, +et j'avais honte pour lui de son inutilité souriante.</p> + +<h4>HUMILIATION.</h4> + +<p>Ce même personnage étant fort embarrassé,--pour peu qu'il eut osé +s'aventurer à cinq ou six rues de son domicile,--ne se hasardait guère à +de si lointaines excursions qu'avec un plan de Londres dans sa poche. Ce +document topographique lui paraissait indispensable, mais lui devenait +presque entièrement inutile, par suite d'une honorable timidité qui +l'empêchait d'y chercher son chemin.</p> + +<p>Un jour, cependant, après s'être longtemps consulté, il se retira dans +une étroite ruelle dallée,--une <i>lane</i> quelconque; --et là, certain de +n'être pas observé, il entrouvrait mystérieusement les plis sibyllins de +son oracle...</p> + +<p>Quand un honnête homme, fort déguenillé mais très-barbu, sortit tout à +coup de quelque corridor obscur, et avec une obligeante grimace de +protection:</p> + +<p>«Où va monsieur?» lui demanda-t-il en bon français.<br> + +<span class="rig">O. N.</span></p> + +<p>(<i>La suite à un autre numéro.</i>)</p><br><br> + +<h3>La Pêche de la Morue.</h3> + +<p>L'époque approche où les nombreux bâtiments partis pour la pêche de la +morue au printemps dernier vont rentrer dans nos ports. Déjà plusieurs +journaux du département du Nord ont annoncé l'arrivée à Dunkerque de +deux ou trois navires pêcheurs venant de Terre-Neuve. En ce moment, tous +les pêcheurs ont terminé leur récolte; qu'on nous permette cette +expression, car la pèche a été appelée l'<i>agriculture des eaux</i>; ils +font voile vers la France. Avant d'apprendre à ses nombreux abonnés si +la pèche de la morue a été heureuse cette année, l'<i>Illustration</i> devait +employer, pour la leur faire connaître dans ses plus curieux détails, la +plume de ses écrivains et le crayon de ses dessinateurs.</p> + +<p>Fidèles à leur rendez-vous habituel, les poissons des différents parages +viennent périodiquement payer à l'homme leur tribut, et les pêcheurs y +ont attendre ou poursuivre, dans certaines parties de l'Océan, les +espèces qui s'y réunissent de préférence. Tel est le motif qui attire +vers les côtes d'Islande, à Terre-Neuve et sur le grand banc ces flottes +nombreuses qui partent tous les ans de nos ports de l'Ouest. C'est au +milieu des tempêtes de ces mers orageuses que le jeune matelot reçoit le +baptême du métier; c'est à cette école de dangers et de privations que +s'exercent les forces vives de notre marine. De tout temps, les +puissances maritimes ont trouvé dans la grande pèche les éléments de +leur prospérité. Venise et la Hollande, ces républiques qui ont pesé +d'un si grand poids dans la balance des nations, partirent un filet sur +l'épaule et commencèrent leur fortune dans une barque de pêcheur. Ces +peuples de marins devinrent riches et forts, et leur prépondérance sur +la mer leur assura le commerce du monde. La puissance maritime de la +France s'est agrandie aussi par la pêche; ses escadres ne se formèrent +qu'à l'époque où les pêcheurs purent se réunir en grandes flottes: ce +fut au commencement du seizième siècle, lorsque le Portugais Curie Real, +qui avait observé l'affluence extraordinaire des morues sur le grand +banc de Terre-Neuve, signala cette mine inépuisable aux pêcheurs +européens, et que François 1er eut fait explorer ces parages par Jacques +Cartier, de Saint-Malo, le meilleur marin de son temps. Toutefois ou ne +tira pas d'abord un bien grand parti des ressources que le hasard avait +fait découvrir dans ces latitudes. Le Vénitien Jean Cabot, envoyé par +Henri VII d'Angleterre à la recherche d'un passage qu'on présumait +devoir conduire à la Chine par le nord-ouest, avait reconnu, en 1497, +une île qu'il appela <i>Prima-Vista</i>, et dont les nations maritimes, qui +ont envié tour à tour la possession de cette nouvelle contrée, ont +traduit chacune le nom dans leur langue. En 1501, Juan Ayamonte, marin +catalan, recevait licence de la reine d'Espagne pour aller faire des +investigations sur <i>la Tierra-Nueva (para ir a saber el secreto de la +Tierra-Nueva)</i>, et il lui était recommandé de prendre avec lui deux +pilotes bretons. Les Anglais la nommèrent <i>New-Fundland</i>, et ils ne +pensèrent guère à la coloniser que cent ans plus tard. Les Chartres +octroyées par Henri VII, pour y fonder des pêcheries, ne produisirent +d'abord aucun résultat, et la marine anglaise n'acquit quelque +prépondérance dans ces mers qu'après que le célèbre Drake en eut chassé +les Espagnols. Leur prise de possession à Terre-Neuve ne date réellement +que de 1585; l'île ne comptait encore que soixante-deux colons en 1612, +et le nombre des navires pêcheurs s'élevait à peine à une cinquantaine. +Nous ne commençâmes nous-mêmes à nous adonner à la pèche de la morue +qu'en 1540. Les établissements sédentaires que nous fond ânes sur le +littoral n'eurent pas, dans le principe, tout le succès qu'on s'était +promis, et ce fui seulement sous le règne de Henri IV que le ministre +Sully favorisa de tout son pouvoir la pêche de la morue, en la plaçant +sous la protection du gouvernement.</p> + +<p>Ainsi cette industrie qui s'exerça dans la haute mer à plus de six cents +lieues de nos côtes, cette pêche qui, depuis plus de trois cents ans, a +employé tant de bras et nourri tant de populations, ne marcha d'abord +qu'avec lenteur. Il lui a fallu le secours des primes et l'appui soutenu +de l'État pour s'élever au rang des grands commerces. Alors les stations +poissonneuses des côtes et du banc de Terre-Neuve attirèrent les +pêcheurs de diverses nations. La France et l'Angleterre, qui s'étaient +disputé longtemps la possession de l'île et des mers adjacentes, +finirent par fixer les divers parages où pêcheurs pourraient dorénavant +se livrer à leur art sous la garantie des traités. Avant 1713, les +pêcheries que nous possédions fournissaient aux besoins de presque toute +l'Europe, et suffisaient à l'armement de nos vaisseaux; mais le traité +d'Utrecht, celui de Versailles (1785) et la cession du Canada vinrent +changer notre situation. Nous perdîmes successivement tous les riches +établissements que nous avions formés au loin, et qui avaient porté la +grande pêche au plus haut degré de prospérité: les colonies de l'Acadie +et du Canada, l'île Royale, l'île Saint-Jean, l'île de Terre-Neuve +cessèrent de nous appartenir.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006a.png"><br><b> +Bâtiments faisant la pêche de la morue (verte) sur le +banc de Terre-Neuve.</b></p> + +<p>Réduits maintenant aux droits de pêche sur les côtes d'Islande, au grand +banc et sur la lande orientale et occidentale de Terre-Neuve, <i>sans +pouvoir y établir aucune habitation, si ce n'est des échafauds et +cabanes pour sécher le poisson:</i> ne possédant plus pour s'abriter que +les petites îles de Saint-Pierre et Miquelon, rochers nus et misérables +qu'il faut approvisionner de toutes les choses nécessaires à la vie, nos +navires sont obligés de partir chaque année des ports de France qui +doivent servir aux opérations de la campagne. Et pourtant, malgré cet +état de choses, et grâce aux encouragements de l'État, nos pécheurs ont +soutenu la concurrence avec ceux de l'Angleterre, établis et à demeure +sur la partie sud de l'île de Terre-Neuve, et avec ceux des États-Unis, +qui jouissent de tous les avantages de la proximité de leurs côtes.--La +pêche de la morue occupe annuellement plus de 400 navires français; 200 +bâtiments de transport et de cabotage sont destinés en outre aux +opérations accessoires de la pêche. Ainsi, cette industrie entretient à +la mer une flotte de 600 voiles et de 15,000 marins, qui forment près du +quart du personnel valide de l'inscription maritime: réserve précieuse, +toujours disponible et endurcie au métier le plus rude, sur mit; mer +orageuse et sous un climat des plus rigoureux; réserve utile pour la +navigation commerciale en temps de paix, réserve indispensable, mais +encore insuffisante pour l'armement de nos escadres en temps de +guerre.--Les produits de la pêche de la morue sont, estimés à 40 +millions de kilogrammes de poisson, qui viennent alimenter nos marchés, +et dont 15 à 16 millions sont réexportés aux colonies, en Italie et en +Espagne. Notre consommation absorbe le reste.</p> + +<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0" + style="width: 100%; text-align: left;" summary="illustration"> + <tbody> + <tr> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<br><img alt="" src="images/006b.png"><br><br><br><b>Coupe de mer sous un navire faisant la<br> pêche de la morue (verte).</b> + </td> + <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;"> +<img alt="" src="images/006c.png"><br><b>Haim et ligne de pêche.</b><br> +<img alt="" src="images/006d.png"><br><b>Morue.</b><br> +<img alt="" src="images/006e.png"><br><b>Morue habillée, dite morue plate.--Dessus.</b><br> +<img alt="" src="images/006f.png"><br><b>Morue habillée, dite morue plate.--Dessous, intérieur.</b> + </td> + </tr> + </tbody> +</table> + + + +<p>La pêche sur la côte de Terre-Neuve a toujours été placée au premier +rang; c'est, celle qui occupe le plus grand nombre de marins; on y +emploie des bâtiments de toute grandeur, depuis 30 jusqu'à 350 tonneaux. +Lorsque le navire est arrivé il la côte, vers les premiers jours de +juin, on le désarme, et l'équipage vient s'établir à terre avec tout son +matériel dans des cabanes de bois construites sur le littoral et qu'il +faut remettre en état après l'hivernage. De là, les bateaux, montés de +deux hommes et un novice, sont expédiés tous les matins à la pèche à la +ligne pour ne l'entrer que le soir. Indépendamment de ces embarcations, +chaque navire arme un ou plusieurs <i>bateaux de Seine</i>, qui sont montés +de dix hommes et qui pèchent lorsque les morues deviennent plus +abondantes. Au retour des bateaux, le poisson est tranché, salé et mis +en pile: après plusieurs jours de sel, les novices et les mousses le +font sécher sur les bancs de galet jusqu'à ce qu'il soit parvenu à un +désiré de dessiccation suflisant pour le rentrer. Les pécheurs quittent +la côte à la fin de septembre, la plupart pour rentrer en France, +quelques-uns pour aller porter une cargaison de morues aux Antilles.</p> + + + +<p>La pêche à Saint-Pierre et Miquelon a une grande analogie avec celle de +la côte de Terre-Neuve: elle se fait avec des bateaux plats appelés +<i>wavys</i> ou avec des pirogues. Ces embarcations, au nombre de 2 à 500, +vont à la voile et à l'aviron; elles sont montées par deux hommes et +sortent le matin pour rentrer le soir. On divise en trois catégories les +différentes classes de gens qui se dévouent à la pèche, ou à la +préparation du poisson sur le littoral de ces deux petites îles: 1º les +<i>pêcheurs sédentaires</i> ou colons pêcheurs, au nombre de 1,000 à 1,400; +2º les <i>pécheurs hivernants</i>, qui passent la mauvaise saison ou qui +s'établissent à terre pendant plusieurs années; leur chiffre, sujet à +des variations, n'excède guère 300 individus; 3º enfin, les <i>passagers +pêcheurs</i> venus de France et qui repartent à la fin de la campagne; on +en compte environ 3 à 400 chaque année.</p> + + + +<p>La pêche et la préparation de la morue étant la seule industrie des îles +de Saint-Pierre et Miquelon, occupent la totalité des pêcheurs +hivernants et presque tous les habitants sédentaires, hommes, femmes, +vieillards et enfants, à partir de l'âge le plus tendre. La pêche +commence au mois d'avril et se prolonge jusque vers le milieu d'octobre; +elle est généralement assez abondante et donne du petit poisson. Comme à +la côte de Terre-Neuve.</p> + + + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007a.png"><br><b>Pêcherie à Terre-Neuve</b></p> + +<p>La pèche sur le grand banc s'effectue avec des navires de 120 à 130 +tonneaux, armés de deux fortes chaloupes; 16 à 20 hommes d'équipage sont +nécessaires pour la manœuvre du bâtiment et de ses embarcations: les +départs de France ont lieu du 1er au 15 mars. Les navires se rendent +directement à Saint-Pierre et y débarquent les passagers pêcheurs, les +mousses et les novices, qui forment le complément légal de leur +équipage, et qui ont pour destination le travail de la sécherie à terre; +de là, ils font voile pour le banc, sur lequel ils vont mouiller par 70 +à 80 mètres de fond, afin de s'y livrer aux opérations de la pêche. Les +deux chaloupes sont mises à la mer, et, chaque soir, montées de cinq +hommes chacune, elles vont tendre les lignes, qui sont armées de 4 à +5,000 hameçons. Tous les matins, les lignes sont levées, et le poisson, +tranché, lavé et salé, est transporté à bond et déposé dans la cale. La +partie de l'équipage qui est restée sur le navire, s'occupe aussi à la +pêche avec des lignes de fond. La première pèche terminée, ce qui a lieu +du 15 au 30 juin, le produit en est porté à Saint-Pierre pour y être +séché, tandis que le navire, muni de nouveau sel et d'appâts, retourne +faire sur le banc une seconde pêche. Parfois même il en fait une +troisième, dont les produits, seulement salés, sont rapportés +directement en France à l'état vert. La pêche du grand banc est plus +dure et plus périlleuse que celle de la côte; elle exige des marins +faits et des hommes intrépides; elle se pratique sur une mer sans cesse +agitée; les pertes d'hommes et de chaloupes y sont fréquentes à cause +des bourrasques et des brumes: la pêche à la côte forme les marins, la +pèche au banc les aguerrit.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"><br><b>Pêche du capelan pour servir d'appât.</b></p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007c.png"><br><b>Barque faisant la pêche de la morue sèche, sur le banc de +Terre-Neuve.</b></p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/008a.png"><br><b> +Portion de coupe d'un bâtiment de<br> +pêcheur de morue (verte)--Profil.</b></p> + +<p>Quant à la pêche qui se pratique vers les atterrages de l'Islande, elle +s'opère sous une latitude de 64 à 66 degrés nord, au milieu des glaces +flottantes et sur une mer sans mouillage et toujours tourmentée. A la +côte, le navire est désarmé; au grand banc, il est mouillé sur son +ancre; dans les parages de l'Islande, il est forcé de rester sous voile. +Ici, la pêche se fait avec des lignes volantes de 100 à 120 brasses de +profondeur; le poisson pris, au lieu d'être salé <i>en vrac</i>, est préparé +et salé dans des tonnes apportées de France. On emploie, pour cette +pêche, des bâtiments de 60 à 80 tonneaux, montés de 12 à 15 hommes +d'équipage. Les navires partent en avril et rentrent dans le courant de +septembre; quelques-uns, cependant, favorisés par la pêche, reviennent +au mois de juin et repartent immédiatement pour un second voyage. Ainsi, +les équipages tiennent habituellement la mer pendant six mois. Aucune +pêche n'est plus propre à donner des marins intrépides, aucune n'est +marquée par des pertes plus cruelles d'hommes et de bâtiments.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/008b.png"><br><b> + Fragment d'un bâtiment de morue<br> + (verte), vu par la hanche.</b></p> + +<p>«En présence du développement des forces maritimes des grandes +puissances, disait naguère l'habile, administrateur chargé de soutenir +devant les chambres l'exposé des motifs sur le dernier projet relatif à +la pêche de la morue, la France ne doit pas rester stationnaire, et le +gouvernement doit chercher les moyens de mettre les ressources du pays à +la hauteur des besoins sans cesse croissants de notre marine. La pêche +est une industrie féconde; déjà elle est la branche la plus importante +de notre navigation commerciale, et l'inscription maritime, à laquelle +elle fournit plus du cinquième de sa force vive, lui doit ses meilleurs +matelots; aucune ne forme plus économiquement et plus promptement des +marins robustes, actifs et propres au service de l'État, et cependant +aucune n'est susceptible encore d'un plus grand développement... Le +doublement de l'exportation et de la consommation des produits de la +pêche suffirait pour donner au service de notre flotte 12,000 marins de +plus.»</p> + +<p>A ces judicieuses paroles de M. Senac nous ajouterons que la France a +dans ses mains toutes les ressources pour se maintenir au rang des +premières puissances maritimes, pour protéger le commerce le plus +étendu, pour appuyer au besoin par ses forces navales la prépondérance +de sa politique; mais il faut pour cela qu'elle ne renonce pas à se +faire craindre sur les eaux. Or, il n'est pas de marine militaire +possible sans une marine marchande active et nombreux, et c'est dans la +politique de la grande pêche qu'elle, en trouvera tous les éléments.</p> +<br><br> + +<h2>Projet d'une Caisse de pensions de retraite</h2> + +<h4>POUR LES CLASSES LABORIEUSES.</h4> + +<p>Les caisses d'épargne sont accessibles sans distinction à tous ceux qui, +pauvres ou riches, veulent momentanément déposer des sommes plus ou +moins fortes, qu'ils peuvent retirer à volonté. Or, nous voyons par les +comptes rendus de leur administration que la moyenne des versements pour +Paris varie entre 150 et 160 fr. par individu, ce qui suppose une +économie d'au moins 60 fr. par an, économie que peuvent rarement faire +ceux qui vivent au jour le jour de leurs salaires.</p> + +<p>D'autre part, les <i>Sociétés particulières de secours mutuels</i> ont +spécialement pour but d'assurer un secours journalier à ceux qu'un +chômage, une maladie, privent momentanément de leurs ressources, +quelquefois de rembourser les frais de maladie, les frais de sépulture +en cas de décès, etc.; mais, ainsi que nous le dit un homme qui a voué à +ces importantes questions une élude toute particulière, M. Maquet, dans +un travail dont nous parlerons tout à l'heure, «les ouvriers peuvent +d'autant moins s'y associer, qu'indépendamment des versements annuels +plus ou moins forts, le souscripteur est encore obligé de payer d'avance +5 pour 100 pour frais d'administration <i>sur le montant des annuités +capitalisées.</i>»</p> + +<p>Aussi, beaucoup de ces sociétés; n'ont pu se soutenir longtemps, et, +après d'infructueux efforts, se sont vues dans la nécessité de se +dissoudre. En nous confirmant ces tristes résultats, un philanthrope +bien digne de regrets, M. de Gérando, nous les a expliqués dans les +lignes suivantes empruntées à son ouvrage sur la <i>Bienfaisance +publique</i>: «Ces sociétés, dit-il, dont le quart réunit à peine trente à +cinquante membres, procèdent suivant des modes très-différents; aucune +loi, aucun acte du gouvernement, ne sont venus leur assurer une +protection, leur donner des règles ou des garanties. Il est impossible, +ajoute-t-il dans un autre passage, que des associations si peu +nombreuses puissent faire une application solide du calcul des +probabilités, et qu'elles garantissent aucun secours avec une certitude +quelconque. Trente-deux d'entre elles se sont dissoutes dans ces +derniers temps, et cinq dans la seule année 1837; vingt-une n'ont plus +fourni de renseignements à la caisse philanthropique de Paris depuis +1829, et ont peut-être subi le même sort.»</p> + +<p>Il restait donc à trouver une combinaison qui, sans nuire aux caisses +d'épargne, pût exister à côté d'elles ainsi qu'à côté des sociétés +temporaires de secours mutuels, et réaliser ce que ni les unes ni les +autres ne pouvaient faire, c'est-à-dire créer chaque jour pour le +prolétaire des ressources qui s'accumuleraient sans cesse, et +garantiraient d'une manière certaine l'avenir contre toutes les +éventualités. C'est le plan qu'a voulu réaliser un honorable citoyen, M. +Maquet, en fondant <i>des caisses de pensions de retraite pour les classes +laborieuses de l'un et de l'autre sexe</i>.</p> + +<p>M. Maquet, qui mûrissait depuis longtemps cette idée généreuse, avait +consulté tous les précédents qui peuvent exister; car l'idée qu'il a +émise et qu'il veut faire passer dans la réalité n'est nouvelle, à +proprement parler, que dans son application. Sans mentionner la <i>caisse +des invalides de la marine</i>, dont les résultats ont été si admirables, +et qui fonctionne avec tant de succès depuis près de deux siècles, il +nous suffira de dire qu'un plan analogue à celui proposé aujourd'hui par +M. Maquet a été exposé pour la première fois en 1772 en Angleterre, +adopté deux fois, à une grande majorité, par la Chambre des Communes en +1773 et 1796, deux fois repoussé par la Chambre des Lords, et enfin +accueilli le 18 juin 1833 par les deux chambres du Parlement.</p> + +<p>Cet acte législatif stipulait que tout individu âgé de quinze ans au +moins pouvait, soit par un seul paiement, soit par une prime annuelle, +acquérir de l'État une rente viagère annuelle ou différée au maximum de +20 liv. st., au minimum de 1 liv. st., à la charge de déposer cette +prime dans une caisse d'épargne ou paroissiale, ou dans toute autre +société autorisée à se former à cet effet.</p> + +<p>Le même acte disposait en même temps (art. 19) que les certificats et +registres relatifs à ce service seraient exempts de timbre.</p> + +<p>Après avoir longtemps mûri son plan, et réfléchi à la possibilité +d'organiser une caisse de pensions de retraite pour les classes +laborieuses, M. Maquet songea à demander pour lui le patronage du +public, de la presse et des hommes éclairés. A cet effet, une réunion +solennelle fut convoquée; elle eut lieu le 11 mai 1812, dans la grande +salle de la mairie du 5e arrondissement. C'est devant un nombreux +auditoire que M Maquet, fort de ses études et de ses convictions, exposa +son plan d'organisation. Nous allons en donner brièvement un aperçu +d'après ses propres travaux.</p> + +<p>Étendre aux classes ouvrières, par une association appliquée à tous les +degrés de l'échelle sociale, le principe suivi par le gouvernement, qui, +au moyen des retenues opérées sur leurs traitements d'activité, même les +plus minimes, alloue des pensions de retraite, non-seulement aux +employés de ses administrateurs, mais encore aux officiers des armées de +terre et de mer, ainsi qu'aux marins et aux ouvriers des ports; tel +était le problème que M. Maquet s'était proposé de résoudre.</p> + +<p>Pour y parvenir, rien ne lui semble préférable à la création d'un +établissement fondé sur le model de la caisse des invalides de la +marine. Cette caisse, qui, depuis deux siècles, fonctionne avec un +succès toujours croissant, et que prospérité a mise à même de pouvoir +payer plus de 7 millions de pensions pour services mixtes rendus à +l'État et au commerce, s'écarte (comme doit du reste le faire, à son +exemple, la casse des pensions de retraite) autant de la règle commune +des anciennes routines que des établissements nouveaux d'un caractère +analogue. Elle n'aliène aucune partie de son capital; elle n'en fait pas +comme certaines sociétés particulières, le privilège exclusif d'un +partage entre les survivants lors des répartitions; son fonds est un +trésor qui s'augmente sans cesse pour soulager dans l'avenir les +infirmités ou la vieillesse de ses économes et prudents souscripteurs. +«En effet, dit M. Richelot, cette caisse pourvoit à tout pour le marin; +la marine n'abandonne point, comme l'industrie, ses vieux serviteurs; +les bras employés par elle, et que l'âge a affaiblis, elle ne les réduit +pas au pénible effort de demander l'aumône; elle établit une admirable +solidarité de famille, et récompense dans la veuve et dans l'enfant en +bas âge les services du mari et du père.»</p> + +<p>Ce serait une position analogue que M. Maquet, en organisant la caisse +des pension de retraite, voudrait créer en faveur de ces ouvriers vieux +et infirmes, de ces invalides de l'industrie qui, après une vie entière +passée dans de pénibles travaux, n'ont d'autre perspective que le +dénûment dans l'infirmité.</p> + +<p>Jusqu'ici, en effet, qu'a-t-on fait pour l'ouvrier? Le gouvernement, ce +tuteur-né des intérêts généraux, qui impose d'autorité une économie sur +le traitement de l'officier ou du bureaucrate, qui les rend prévoyants +par ordre, a-t-il songé à assurer à l'ouvrier un morceau de pain à la +fin de sa carrière? Souvent même se croit-il bien généreux quand, +l'arrachant à la municipalité, il l'envoie cacher ses infirmités +derrière les murs d'un de ces hôpitaux qu'il entretient avec les sueurs +du malheureux, avec le produit des charges publiques, surtout des +octrois, qui pèsent bien plus sur le pauvre que sur le riche.</p> + +<p>Différente des caisses d'épargne, la caisse des pensions de retraite ne +rend les épargnes qu'elle à reçues par fractions que sous forme de +pensions, ou tout au moins de secours qu'on pourrait appeler des +pensions temporaires, et après un laps de temps qui ne peut être moindre +de vingt-cinq ans. Ces pensions doivent être le résultat de versements +ou de retenues volontaires de 6, 12 ou 21 francs par an, à percevoir par +fractions de 12, 25 ou 30 centimes par semaine, suivant l'âge ou la +progression du salaire.</p> + +<p>Le minimum des versements pendant vingt-cinq ans est de 450 francs; le +maximum, de 20 centimes par jour.</p> + +<p>Toute personne de l'un ou de l'autre sexe, de dix ans et au-dessus, peut +faire partie de la caisse, sur la présentation de son acte de naissance.</p> + +<p>Les versements ne pourront être moindres</p> + +<p>De 6 francs par an, de dix à quinze ans;</p> + +<p>De 12 francs, de quinze à vingt ans;</p> + +<p>De 24 francs par an, de vingt ans et au-dessus.</p> + +<p>Les souscripteurs devront faire leurs versements par semaine ou par mois.</p> + +<p>Toutes les sommes provenant de souscriptions, legs ou donations, seront +employées en achats de rentes sur l'État.</p> + +<p>Ces rentes seront inscrites au nom de la caisse des pensions de +retraite, et les titres seront déposés à la caisse des dépôts et +consignations.</p> + +<p>Les arrérages de rentes seront perçus et convertis immédiatement en +rentes sur l'État, ou en placements hypothécaires, par les soins du +conseil-directeur.</p> + +<p>Tout souscripteur âgé de cinquante-cinq ans, dont les versements annuels +auront été régulièrement faits pendant vingt-cinq ans, et s'élèveront à +450 francs au moins, aura droit à une pension.</p> + +<p>Les souscripteurs dont les versements auraient été suspendus ne perdront +pas leurs droits à la pension, pourvu qu'en reprenant le cours de leurs +versements, ils acquittent le montant et les intérêts composés des +versements arriérés. Le maximum des pensions ne pourra excéder 600 +francs par an, à moins de modifications ultérieures.</p> + +<p>D'autres dispositions règlent les droits des ouvriers à une pension +temporaire pour cause de blessures ou d'accidents.</p> + +<p>Enfin la caisse sera aussi en mesure de servir des pensions aux veufs ou +veuves, aux orphelins et aux pères et mères indigents des +souscripteurs..</p> + +<p>Tel est, dans ses dispositions principales, le plan proposé par M. +Maquet; aussi ne doit-on pas s'étonner qu'aussitôt les hommes les plus +honorables et les publicistes les plus distingués se soient empressé de +lui donner leur adhésion. Il a été immédiatement renvoyé à une +commission qui s'est constituée sous la présidence d'un de nos +industriels les plus distingués, M. Demere, et dont on attend le travail +avec impatience. Sans préjuger, dès aujourd'hui, quelles seront les +conclusions de cette commission, nous croyons savoir qu'elle +insisterait, de même que M. Miguel, pour que cette caisse fonctionnerait +sous la garantie du gouvernement.</p> + +<p>Nous ne savons encore si le gouvernement donnera la garantie demandée. +Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons que nous féliciter de voir des +hommes honorables et dévoués occupés de réaliser une idée aussi féconde, +et qui, bien comprise et bien exécutée, peut avoir les résultats les +plus heureux pour l'avenir des classes ouvrières. Prochainement, la +commission va publier son travail et ses observations. Puisse-t-elle +mettre dans l'œuvre qu'elle a entreprise assez de persévérance et +d'efforts pour réaliser bientôt le plan de M. Maquet! Ce sera à la fois +un noble exemple donné par la France au monde civilisé, et un immense +service rendu à l'industrie nationale. Ses agents les plus immédiats et +les plus utiles, les ouvriers, trouveront dans la caisse des pensions de +retraite un soulagement pour leur vieillesse, et un bien-être d'autant +plus précieux qu'ils ne le devront qu'à leur prévoyance et à leur +économie.</p> +<br><br> + +<h2>Romanciers contemporains.</h2> + +<h3>CHARLES DICKENS.</h3> + +<h4>LA TABLE D'HOTE.</h4> + +<p class="mid">(Voir t. II, p. 26, 58 et 105.)</p> + +<p>L'assemblée était nombreuse; dix-huit à vingt convives environ, parmi +lesquels cinq ou six daines, serrées l'une contre l'autre, formaient à +elles seules une petite phalange défensive. Tous les couteaux, toutes +les fourchettes étaient à l'œuvre et s'escrimaient d'une façon tout à +fait édifiante. Peu de paroles s'échangeaient; chacun avalait comme s'il +y allait de la vie; et une famine eût été prédite pour le lendemain +avant déjeuner, qu'on n'eût pu mettre plus d'ardeur à satisfaire le +premier des appétits brutaux. La volaille faisait le gros du festin; une +dinde figurait au haut bout de la table, deux canards en occupaient +l'autre extrémité, et deux volatiles inconnus siégeaient au centre. Le +tout disparut comme si chaque oiseau, recouvrant l'usage de ses ailes, +eût pris l'essor à travers chaque gosier, y plongeant comme en un +gouffre. Les huîtres, cuites et marinées, ne faisaient qu'un saut de +leurs spacieuses coquilles dans les bouches béantes, où elles glissaient +par vingtaines. Les hors d'œuvre du plus haut goût ne faisaient +qu'apparaître. Les cornichons, les piments, les concombres au vinaigre, +se croquaient comme dragées, sans qu'un œil sourcillât. D'immenses amas +d'aliments indigestes fondaient comme la glace au soleil. C'était +vraiment chose solennelle et stupéfiante à voir! Des gens qui se +plaignaient d'une digestion laborieuse se gorgeaient d'énormes bouchées, +nourrissant ainsi, non-seulement eux, mais une nuée de cauchemars, +luttes habituels de leur couche. D'autres individus maigres, à joues +hâves et tirées, mal repus en dépit de ce carnage des pièces de +résistance, couvaient la pâtisserie avec des regards avides. Ce que +madame Pawkins ressentait chaque jour pendant le dîner échappe à la +pénétration humaine; elle avait cependant une consolation: c'est que son +supplice était court.</p> + +<p>Dès que le colonel eut fini de dîner, événement qui eut lieu juste au +moment où Martin, envoyant son assiette, sollicitait un morceau de dinde +pour commencer le sien, l'Américain demanda à l'Anglais son opinion sur +les pensionnaires qui affluaient là de toutes les parties de l'Union, et +s'informa si quelques renseignements sur eux lui seraient agréables.</p> + +<p>«De grâce, dit alors Martin, quelle est cette petite fille, à figure +maladive, avec de gros yeux tout ronds, là, vis-à-vis de nous? je ne lui +vois ni mère ni chaperon.</p> + +<p>--Parlez-vous de cette matrone en robe bleue? demanda le colonel avec +emphase; c'est mistriss Jefferson Brick, monsieur.</p> + +<p>--Eh non! dit Martin; je parle de cette petite poupée: là, vous dis-je, +juste en face.</p> + +<p>--Eh bien, monsieur, répliqua le colonel, cette dame est madame +Jefferson Brick en personne!»</p> + +<p>Martin fit volte-face et regarda le colonel. Il parlait sérieusement.</p> + +<p>«Sur mon âme; alors je ne désespère pas de voir quelqu'un de ces jours +naître un héritier à M. Brick, dit Martin.</p> + +<p>--Il en a déjà deux, monsieur,» répondit le colonel. L'allure de la dame +était si fort celle d'une enfant, que Martin n'avait pu retenir +l'exclamation.</p> + +<p>«Oui, monsieur, poursuivit M. Driver; s'il est des institutions qui +compriment la nature humaine, il en est d'autres qui la développent!» +Après un moment de silence: «Jefferson Brick, ajouta le colonel à +l'éloge de son collaborateur, Jefferson est un des hommes les plus +remarquables de notre pays, monsieur!»</p> + +<p>Ces paroles furent murmurées à voix basse, car l'homme remarquable +siégeait à la droite de Martin.</p> + +<p>«Auriez-vous la bonté de me dire, monsieur Brick, reprit l'Anglais, +s'adressant cette fois à son voisin de droite et le questionnant, moins +par curiosité que pour l'amour de la conversation, me diriez-vous quel +est ce...» Il allait dire petit garçon; mais, esquivant le mot, il +reprit: «ce petit monsieur, là-bas, qui a le nez rouge?</p> + +<p>--Professeur Mollet, monsieur, répondit Jefferson.</p> + +<p>--Puis-je demander quelle science il professe? reprit Martin.</p> + +<p>--L'éducation, monsieur, dit Jefferson Brick.</p> + +<p>--Peut-être un maître de pension? demanda Martin en hésitant.</p> + +<p>--Un homme de la plus haute moralité, monsieur, formé des éléments les +plus purs, jouissant de facultés peu communes, répondit le correspondant +chargé du département de la guerre. A la dernière élection pour la +présidence, il a jugé, de son devoir de répudier son père et de le +dénoncer pour avoir voté du mauvais côté. Depuis, il a publié quelques +pamphlets d'une immense portée, qu'il a signé <i>Suburb</i>, ou Brutus +renversé. C'est un des grands hommes dont notre patrie s'honore, +monsieur.</p> + +<p>--A ce compte, il n'y aura pas disette de grands hommes,» pensa Martin.</p> + +<p>Poursuivant son enquête, l'Anglais découvrit qu'il n'y avait pas moins +de quatre majors présents, deux colonels, un général et un capitaine. Il +ne put s'empêcher d'en conclure que l'état-major de la milice américaine +était si nombreux qu'à moins de se commander mutuellement l'un l'autre, +les officiers ne devaient savoir où et comment se pourvoir de soldats. +Pas un des assistants qui fût dépourvu de titres. Ceux qui ne +jouissaient pas des honneurs militaires étaient docteurs, professeurs on +révérends. Trois d'entre eux, grossiers et désagréables personnages, +avaient été députés des États voisins; l'un pour affaires d'argent, le +second comme envoyé politique, le troisième, comme missionnaire aux +frais d'une secte religieuse. Parmi les dames on voyait mistriss +Pawkins, droite, osseuse et silencieuse; de plus une vieille demoiselle, +figure en lame de couteau, qui soutenait les droits des femmes envers et +contre tous, et avait ouvert un cours pour la propagation de ses idées. +Le reste, tout à fait dépourvu d'individualité et de caractère, ne +valait pas la peine d'être nommé; plusieurs même auraient pu faire +échange d'esprit ou d'âme l'un avec l'autre sans que personne s'en +doutât. Ces derniers seuls ne paraissaient point enrôlés parmi les +personnages les plus remarquables du pays.</p> + +<p>Plusieurs hommes, en avalant leur dernier morceau, se levèrent et +sortirent, s'arrêtant seulement une minute ou deux près du poêle, pour +se rafraîchir aux crachoirs de cuivre. Un petit nombre, plus sédentaire, +s'oublia environ un quart d'heure autour de la laide, et ne se leva +qu'avec les dames.</p> + +<p>«Où vont-elles? demanda Martin à l'oreille de M. Jefferson Brick.</p> + +<p>--Dans leur chambre à coucher, monsieur,</p> + +<p>--N'y a-t-il donc point de dessert, pas un moment de loisir à donner à +la conversation? demanda Martin, assez disposé à jouir de quelque +relâche après son long et assommant voyage.</p> + +<p>--De ce côté de l'Atlantique, nous ne sommes pas hommes de loisir, +monsieur, mais d'affaires, et nous n'avons pas de temps à perdre,» fut +la réplique.</p> + +<p>Les dames filèrent donc sur une seule ligne; M. Jefferson Brick et les +autres hommes mariés signalèrent le départ de leurs meilleures moitiés +par un léger mouvement de tête, et ce fut chose terminée. Martin +trouvait la coutume peu de son goût; cette fois il garda son opinion +pour lui, ayant grand désir de profiter de la conversation de ces +<i>gentlemen</i> si affairés, qui s'étiraient, à l'envi l'un de l'autre, +autour du poêle, comme si le départ des personnes de l'autre sexe eût +dégagé leur esprit d'un poids immense, ils faisaient maintenant le plus +copieux usage, le plus actif emploi des crachoirs et des cure-dents.</p> + +<p>A dire vrai, l'entretien était vide d'intérêt et pouvait se résumer en +un seul mot: l'argent. Soucis, joies, espérances, affections, vertus, +poésie, tout semblait se fondre et couler en dollars. Le hasard le plus +favorable n'aurait pu apporter, au milieu de ces fastidieux caquets, +chose légère ou gracieuse qui ne s'épaissit en métal. Les hommes étaient +pesés au poids de leurs dollars, leurs actes jaugés en dollars, la vie, +mise à l'encan, évaluée au taux le plus juste, portée aux nues ou +traînée dans la fange, selon le nombre des dollars.</p> + +<p>Après les dollars, ce qu'il y avait de plus respectable, c'était toute +entreprise ayant pour but d'en acquérir. Plus un homme avait su jeter +par dessus bord, de vertus, d'honneur, de générosité, allégeant sa +barque de ce lest inutile, plus il avait de place à donner aux dollars. +Pour l'argent on pouvait faire du commerce un vaste mensonge, un +brigandage légal; pour l'argent on pouvait faire, du drapeau de la +république, un haillon; on pouvait en souiller les étoiles une à une, le +taillant, le dépeçant bande à bande, comme les chevrons d'un caporal +dégradé. Tout pour les dollars! qu'est-ce qu'un pavillon, qu'est-ce +qu'un drapeau devant <i>l'or</i>?</p> + +<p>Celui qui hasarde sa vie à la chasse aux renards, aime à courir à toute +bride; il en était ainsi de ces messieurs. Le plus grand patriote était +celui qui braillait le plus haut, au mépris de toute décence. Leur digne +champion, c'était l'homme qui, dans l'emportement brutal de sa course, +ne pouvait prendre un instant haleine, et marquer d'un brûlant mépris la +turpitude du voisin. En peu de minutes de cette causerie autour du +poêle, Martin apprit que porter à l'assemblée législative des pistolets, +des épées dans des cannes, et autres paisibles jouets; que saisir son +adversaire à la gorge comme le pourrait faire un chien ou un rat; que +tempêter, quereller, s'emporter, boxer et triompher par la force +musculaire, étaient autant d'actes glorieux; et qu'au heu de déshonorer +la liberté et de la frapper au cœur plus que ne le pourrait faire le +cimeterre d'un despote, ces actes forcenés flattaient l'orgueil +patriotique des citoyens et réveillaient sur les rivages +transatlantiques les mille échos de la renommée.</p> + +<p>Une fois ou deux, quand il peut en trouver le joint, Martin hasarda les +questions qui lui venaient en tête, en sa qualité d'étranger, tant sur +les poètes nationaux, sur le théâtre et la littérature, que sur les +arts. Mais les renseignements que ses interlocuteurs étaient en mesure +de lui donner, ne s'étendaient pas au delà des phrases redondantes des +illustres de l'époque, tels que le colonel Driver, M, Jefferson Brick et +autres célèbres, à ce qu'il paraissait, par la perfection et +l'excellence du style boursouflé et tranchant, vulgairement nommé, +style de matamore.</p> + +<p>«Nous sommes un peuple occupé, monsieur, dit un des capitaines nui +venaient de l'Ouest, et nous n'avons pas de temps à perdre en lectures +de fantaisie. Nous nous en arrangeons encore quand elles nous viennent +dans les journaux mêlées à des choses solides et substantielles, mais +<i>pouah</i> de vos livres!»</p> + +<p>Ici le général, qui semblait pris de mal de cœur à la seule pensée de +lire quoi que ce soit qui n'appartint pas au commerce ou à la politique, +et qui fût en dehors des journaux, demanda si personne ne se sentait en +goût de prendre un petit verre de liqueur. La plupart des assistants +trouvant l'idée fort de saison, filèrent, un à un, vers le comptoir du +cabaret voisin, d'où probablement ils gagnèrent leurs magasins et leurs +banques, pour revenir de nouveau à la taverne rabâcher encore de dollars +et d'argent, élargir leur esprit en parcourant et discutant quelques +sentences ampoulées de patriotisme, et finir enfin par aller ronfler +chacun au sein de sa famille.</p> + +<p>«Leur principale jouissance, la seule qu'ils sachent savourer en commun, +se dit Martin poursuivant le cours de ses pensées; et il continua il +rêver aux dollars, aux démagogues de cabaret, ne sachant trop si ces +gens étaient réellement aussi affairés qu'ils prétendaient l'être, ou si +tout bonnement ils étaient incapables de goûter tout plaisir social, +toute joie domestique.</p> + +<p>Le problème était difficile à résoudre, et s'être trouvé contraint de le +poser était déjà peu encourageant. Martin, assis devant la table +déserte, de plus en plus abattu, et repassant en son âme les difficultés +et l'incertitude de sa situation, poussa un profond soupir.</p> + +<p>Un des convives, homme entre deux âges, à l'œil noir, à la face hâlée, +avait attiré l'attention de Martin par l'expression cordiale et ouverte +de ses traits. Mais impossible à l'Anglais de rien tirer de ses voisins +au sujet d'un individu qu'ils paraissaient regarder avec le plus complet +dédain. Ce personnage, qui ne s'était pas mêlé à la conversation autour +du poêle, ne quitta point la salle avec les autres, et lorsqu'il entend +il Martin soupirer pour la trois ou quatrième fois, il hasarda quelques +paroles dans le désir, sans imposer sa connaissance, d'engager peu à peu +l'entretien. Ses motifs étaient si palpables, et cependant si +délicatement indiqués, que Martin en éprouva une velléité de +reconnaissance, et la laissa percer dans sa réponse.</p> + +<p>«Je ne vous demanderai pas, dit en souriant l'étranger, qui se leva +alors et se rapprocha de Martin, je ne vous demanderai pas comment vous +aimez mon pays; je crains trop de deviner; mais, en ma qualité +d'Américain, forcé du commencer toujours par une question, <i>je vous +demanderai</i> si le colonel vous agrée.</p> + +<p>--Votre franchise m'encourage à avouer, sans la moindre réticence, qu'il +ne m'agrée pas du tout; bien qu'il me faille ajouter que je lui dois des +remerciements pour m'avoir amené ici,--et même pour avoir arrangé les +choses sur un pied assez raisonnable, ajouta Martin, se souvenant de +quelques mots, que le colonel avait murmurés à son oreille avant de le +quitter.</p> + +<p>--Trève à la reconnaissance, reprit sèchement l'étranger; le colonel va +raccrocher à bord des paquebots de temps à autre, à ce que j'ai oui +dire, quelques passagers d'Europe, afin de leur extorquer des +renseignements de fraîche date dont il engraisse son journal; il +présente aussi des étrangers ici comme pensionnaires, pour gagner sur +eux, j'imagine, quelque petite remise, déduite ensuite par l'hôtesse sur +son écot de la semaine.--J'espère ne vous avoir choqué en rien? +ajouta-t-il, s'apercevant que Martin rougissait.</p> + +<p>--Comment serait-ce possible, mon cher monsieur? dit Martin, serrant la +main qui lui était offerte. A vous dire la vérité, je me demande.....</p> + +<p>--Quoi?</p> + +<p>--Je me demande, puisqu'il faut tout dire, comment fait le colonel pour +esquiver les coups de bâton?</p> + +<p>--Eh! il en a bien reçu quelques-uns, répondit tranquillement +l'Américain; il fait partie de cette classe d'hommes de laquelle notre +Franklin, dix ans déjà avant la fin du dernier-siècle, n'attendait que +dangers et disgrâces. Peut-être ignorez-vous que Franklin a publié, en +termes péremptoires, l'opinion que tout individu calomnié par un drôle +de l'espèce du colonel, ne trouvant protection suffisante ni dans les +lois du pays, ni dans les sentiments élevés et délicats de ses +compatriotes, était en droit de récriminer sur le dos de cette vermine +publique, à l'aide d'un bon gourdin.</p> + +<p>--Je ne savais mot de cela, dit Martin; mais je suis ravi de +l'apprendre, et trouve l'avis digne de mémoire, d'autant plus.....» Ici, +il hésita de nouveau.</p> + +<p>«Allons, poursuivez, dit l'autre, souriant comme s'il devinait les +paroles qui prenaient Martin à la gorge.</p> + +<p>--D'autant plus, poursuivit Martin, que je commence à penser qu'il +fallait être doué d'une forte dose de courage, même au temps de +Franklin, pour écrire librement, sur quelque sujet que ce fût, dans +cette très-indépendante république, du moins, sans être soutenu par un +parti.</p> + +<p>--Du courage? sans doute, il en fallait. Et pensez-vous qu'il en faille +aujourd'hui? reprit son nouvel ami.</p> + +<p>--Oui, en vérité, et pas peu, dit Martin.</p> + +<p>--Vous dites vrai, si vrai que je ne crois pas possible qu'un auteur +satirique puisse respirer notre air. Un Juvénal, un Swift qui viendrait, +à naître parmi nous demain serait écrasé sur l'heure. Si vous +connaissez, un peu notre littérature, et que vous puissiez me citer le +nom d'un Américain qui ait relevé et disséqué nos travers comme peuple, +et non comme appartenant à tel ou tel parti, et qui ait pu échapper aux +calomnies les plus dégoûtantes, aux plus sales injures, ce nom, +croyez-moi, sera nouveau à mes oreilles. Je pourrais vous désigner plus +d'une circonstance où un de nos écrivains ayant hasardé la plus +innocente critique, l'exposition la moins amère, la mieux intentionnée +de quelques-uns de nos ridicules ou de nos vices, a été obligé +d'annoncer que, dans une nouvelle édition purgée; et corrigée, le +passage critique serait retranché, expliqué ou métamorphosé en éloge.</p> + +<p>--Et comment les choses en sont-elles venues là? demanda Martin d'un ton +abattu.</p> + +<p>--Rappelez-vous ce que vous avez entendu et vu aujourd'hui, à commencer +par le colonel, et vous ne demanderez plus comment, dit son ami. Mais +eux, d'où sortent-ils? cela, c'est une autre question. Dieu nous +préserve de voir en cette engeance un spécimen de l'intelligence et de +la moralité en Amérique; seulement, comme l'écume, elle monte à la +surface, hélas! et trop souvent c'est dans cette tourbe que la +représentation du pays se recrute.--Mais ne feriez-vous pas un tour de +promenade?»</p> + +<p>Il y avait dans les manières de l'Américain une franchise pleine de +cordialité, jointe à la mâle confiance qu'on n'en abuserait pas, un +mélange de droiture, de fermeté et de bienveillance, que Martin n'avait +encore jamais rencontré. Il passa son bras sous celui de son nouvel ami, +et ils sortirent ensemble.</p> + +<p>(<i>La suite à un prochain numéro.</i>)</p> +<br><br> + +<h2>MARGHERITA PUSTERLA.</h2> + +<h3>CHAPITRE XIV.</h3> + +<h4>PISE.</h4> + +<p><span class="lef"><img alt="" src="images/35-01.png"></span><span class="sc">ersuadé</span> qu'Alpinolo ne reviendrait plus dans cette cabane, Ramengo +marchait en cherchant à se mettre sur les traces du jeune page. Le désir +de trouver son fils lui avait fait quitter la piste qu'il avait +jusque-là suivit; avec l'anxiété de la haine. Dans une de ses promenades +à l'aventure, un jour qu'il côtoyait le Pô, il entendit sortir d'un +buisson comme la voix d'un homme qui appelle. Il s'approche: un batelier +lui demande humblement: «Le seigneur cavalier veut peut-être passer?</p> + +<p>--Pourquoi cette demande?</p> + +<p>--Je connais au drap de vos habits que votre seigneurie est de Milan. +J'en ai beaucoup passé de Milanais pendant ces semaines.»</p> + +<p>Ces paroles donnèrent l'impulsion à la volonté indécise de Ramengo, qui +répondit affirmativement plutôt à ses propres pensées qu'à la question + +<span class="rig"><img alt="" src="images/35-02.png"></span> +du batelier. On fit entrer le cheval dans la barque, et pendant que le +rameur s'efforçait de couper obliquement le fil de l'eau, Ramengo le +questionna sur les passagers, sur leurs babils, leurs discours, leur +route. Il lui demanda, en outre, s'il n'avait pas vu un beau jeune +homme, et il lui lit le portrait d'Alpinolo.</p> + +<p>«Eh! eh! répondait le batelier, s'il fallait les avoir tous dans +l'esprit. Mais, celui que vous me décrivez, je crois l'avoir vu; oui: un +homme entre trente et trente-cinq ans, n'est-ce pas?...</p> + +<p>--Non, non: beaucoup moins, pas même vingt: des cheveux noirs.</p> + +<p>--Précisément; à présent, je me rappelle: des yeux gris, courtaud, +trapu...</p> + +<p>--Au contraire: des yeux noirs, plus grand que moi, bien taillé; +impossible de le voir et de ne pas s'en souvenir.</p> + +<p>--Ah! il y tant d'ânes qui se ressemblent!» Ramengo arrivé à l'autre +rive, paya maigrement le passeur, et partit à l'aventure. Il erra encore +de lieu en lieu, questionna tout le monde sur son passage; on lui +répondit partout qu'on avait, en effet, vu beaucoup de Milanais, mais +qu'on ignorait qui ils étaient et où ils se dirigeaient. On savait +généralement qu'ils quittaient leur patrie à cause de la tyrannie de +Luchino.</p> + +<p>Il vit d'autres tyrans régner sur les diverses cités de la Romagne; à +Ituvium, les Malatesta; les Ordelaffi, à Fouli; à Faenza, Francesco di +Manfredi; les Palenta, à Ravenne. Rome pleurait son veuvage depuis que +les papes, se retirant à Avignon, l'avaient abandonnée à la tyrannie de +ses barons, contre lesquels devait, peu d'années après, s'élever la +généreuse mais impuissante voix de Cola de Rieuri. Bologne recevait la +vie et la splendeur des quinze nulle Italiens et Allemands qui +étudiaient dans son adversité, orgueilleuse de son titre de docte, +qu'elle a conservé jusqu'à nos jours, comme elle a conservé dans ses +armoiries le mot de liberté, quoique déjà, dès cette époque, elle eût +subi le joug des papes. Puis, passant l'Apennin, Ramengo entra dans la +belle Toscane. Dans cette contrée, la liberté était d'autant plus en +honneur, qu'on avait vu a quels excès s'étaient portés les petits +seigneurs de la Romagne et de la Lombardie. Toutes les communes +défendaient hardiment leurs franchises, et repoussaient avec haine le +gouvernement d'un seul. Mais comment espérer qu'une vierge se conserve +pure au milieu d'une troupe de courtisanes? Les voisins dépravés de ces +républiques, s'ils n'osaient point encore attenter ouvertement à la +liberté de la Toscane, préparaient son assujettissement par la +corruption et en fomentaient les discordes. Sous cette dégradante +influence, les inimitiés de cité à cité s'aigrissaient de plus en plus; +les noms des Guelfes et des Gibelins, qui, dans les autres pays, avaient +presque perdu leur signification, conservaient là une vitalité tenace: +Pise et Avezzo étaient gibelines; guelfes étaient Pistole, Prato, +Volterra, Samminiato, Sienne, Péronne, et principalement, Florence. Au +lieu de laisser se mûrir dans les cœurs le sentiment d'une nationalité +unique, qui seule pouvait porter des fruits dans l'avenir, ils se +combattaient et se repoussaient les uns les autres. Il n'y avait de +patrie que le coin où on était né. On appelait étrangers et ennemis tous +ceux qui ne foulaient pas la même terre, et plus ils étaient voisins, +plus on avait contre eux de dispositions hostiles; et au milieu de leurs +querelles, ils invoquaient toujours ou les armes ou la médiation plus +funeste encore de leurs véritables ennemis.</p> + +<p>Cependant, au milieu de ces luttes, il y avait une activité puissante. +Chacun éprouvait sa valeur et ce qu'il pourrait faire de concert avec +ses concitoyens. Le commerce, l'agriculture, les arts étaient à leur +plus haut point d'épanouissement; la peinture, la sculpture, +l'architecture, offraient des modèles que notre siècle difficile n'a pas +cessé d'admirer; et la langue sortie des mains de Dante Alighiéri, mort +vingt années auparavant, perfectionnée par Pétrarque et par Boccace, +encore jeunes, acquérait cette suprématie sur les autres dialectes de +l'Italie, que rien ne pourra désormais lui enlever.</p> + +<p>De même que dans cette Grèce, avec laquelle notre patrie a tant de +rapports, on oubliait les mutuelles inimitiés pour se rassembler aux +jeux d'Olympie, ainsi la vive humeur des Toscans les réunissait à de +splendides fêtes, où les diverses cités venaient se réjouir dans les +solennités consacrées à leurs patrons, dans la célébration d'anciens +faits mémorables ou de hauts faits nouveaux. Pise avait, précisément, +vers cette époque, remporté des avantages contre les Maures, qui, +s'élançant des côtes de l'Afrique, infestaient la Méditerranée et +l'Italie. Pour célébrer ce triomphe et la prise de quelques galères, le +carnaval devait finir par la fête du Pont. Ramengo n'entendait parler +que de cette fête dans toute la Toscane. Tous ceux qui le pouvaient se +préparaient à y assister; les autres s'en mouraient d'envie: «Pourquoi +n'irais-je pas aussi, moi, se dit Ramengo? C'est parmi un tel concours +qu'il est le plus probable de rencontrer celui que je cherche.» Il se +dirigea donc vers Pise; elle était alors dans toute la fleur de sa +beauté. Son port était aussi fréquenté, toute proportion gardée, que le +sont aujourd'hui les ports, d'Amsterdam et de Londres. Unissant au génie +des spéculations l'amour des beaux-arts, inné dans notre patrie, ils +tiraient des contrées de l'Asie, redevenue barbare, des marbres, des +colonnes, des sculptures, dont ils embellissaient la patrie. Aujourd'hui +Pise est bien différente de ce qu'elle a été. Un bourg voisin de la mer, +alors à peine remarqué, lui a enlevé le reste de commerce que les +changements des relations européennes ont laissé à la Toscane. Ses +150,000 habitants sont réduits au moins des six septièmes. Sa cathédrale +de marbre, l'admirable <i>loggia</i> des marchands, les autres monuments de +son antique majesté, font un mélancolique contraste avec l'herbe qui +croit dans les rues solitaires, avec le silence des ateliers muets, avec +le vide désolé de son <i>lungarno</i>, et la merveilleuse tour semble se +pencher avec compassion pour pleurer sur toutes ces grandeurs évanouies.</p> + +<p>«Poteurinterra! votre seigneurie doit venir de l'autre bout du monde, si +jamais elle n'a entendu parler de la fête du Pont.» C'est ce que disait +à Ramengo Phole Aquevino, qui, venu jeune de Pontudera, sans le bec d'un +quattrino, comme il disait, avait d'abord élevé sur la route de Pise une +ramée où il donnait à boire aux muletiers, faisant ses frais avec +quelques niaiseries de profit. Puis, avec des quattrini faisant d'autres +quattrini, et donnant des noms illustres aux petits vins qu'il débitait, +et que la soif faisait paraître superflus, il bâtit une petite +hôtellerie. Si quelqu'un la trouvait exiguë, il répondait, sans avoir +jamais lu Socrate, qu'il aurait voulu l'avoir toujours pleine de +voyageurs. Il y avait, devant la maison, un terre-plein pour jouer au +mail, et que devaient côtoyer ceux qui se rendaient à la ville. De là on +dominait aussi la vaste plaine qui, d'un côté, descend à la mer, et de +l'autre est fermée par des collines couvertes par la blanchissante +verdure des oliviers, et est traversée par l'Arno, qui va partager Pise +en forme de demi-cercle. Là Aquevino, parvenu à la maturité en ayant +pris du ventre, mais frais, toujours jovial, grand bavard, grand +admirateur des beautés de son pays, du beau ciel, du bon air, des bonnes +gens, presque autant qu'un poète de l'Académie des Arcades, logeait les +étrangers, en leur faisant expier, au moment de payer l'écot, la faute +de n'être pas Toscans. Il servait de joyeuses bourdes et du vin aux +voituriers et aux piétons, et conservait, dans une intégrité religieuse, +des jambons du Casentin, et des flacons d'aleatico et de monte Suriano, +qu'un professeur de l'Université avait comparés à l'ambroisie et au +nectar des dieux. Aquevino, depuis vingt ans, répétait cette +comparaison, qu'il donnait toujours pour nouvelle à tous les seigneurs +«qui, disait-il, lui faisaient l'honneur de visiter son désert.»</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/35-03.png"></p> + +<p>En voyant arriver Ramengo vers le soir, seul et avec une maigre valise, +Aquevino lui avait d'abord fait les gros yeux, et s'était tenu avec lui +sur ses grands chevaux; mais quant il lui eut entendu commander la +chambre la meilleure, les mets les plus choisis, les vins les plus +exquis, et qu'il vit briller les luisants florins d'or dont la bourse du +voyageur était remplie, il changea de ton, et, au milieu de ses +occupations, vint avec empressement régaler de sa conversation l'hôte à +la belle bourse.</p> + +<p>Il lui apprit ce qu'était cette fête du Pont: elle était instituée en +mémoire de la belle action de Cinrica de Sismundi qui, une nuit que la +ville avait été envahie par les Sarrasins, sans bruit et à l'improviste, +et qu'ils massacraient sans résistance les citoyens épouvantés, eut +seule l'idée d'aller avertir la seigneurie. Les infidèles occupaient +déjà le pont de l'Arno; mais les chefs de la ville ayant rassemblé les +troupes en toute hâte, et rallié les fuyards, repoussèrent les +Sarrasins, qui retournèrent à leurs vaisseaux avec une grande perte.</p> + +<p>La cité et le territoire de Pise se divisaient en deux factions dites de +Saint-Antoine et de Sainte-Marie. C'étaient ces deux factions qui +fournissaient les combattants pour la fête du Pont; ils se réunissaient +sur le pont de l'Arno, où les Sarrasins avaient été repoussés; et là +chacune des deux troupes s'efforçait de rester maîtresse du terrain. Il +y avait beaucoup de morts dans ce jeu militaire, et les plus heureux +étaient encore ceux qui étaient précipités dans l'Arno, parce qu'il y +avait là des barques toutes prêtes à leur porter secours. Les esprits +étaient si passionnés pour cette fête, et on la prenait tellement au +sérieux, que lorsqu'on annonçait aux mères, aux sœurs, aux amantes, les +blessures ou même la mort d'un des combattants, elles demandaient quel +parti avait remporté la victoire; et si la réponse était conforme à +leurs désirs, ces grotesques Spartiates oubliaient les plus tendres et +les plus sacrées affections pour éclater en cris de triomphe.</p> + +<p>Ce jeu, qui, du temps de la république, avait au moins le mérite +d'entretenir et d'exercer l'esprit militaire, se prolongea, sans autre +raison que celle de la coutume, jusque dans le dix-huitième siècle, où +Léopold d'Autriche, trouvant que c'était trop pour un jeu, trop peu pour +un combat, abolit la fête.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/35-04.png"><br> + +<p>«Avez-vous jamais vu, seigneur étranger, dans toute votre vie et par +tout le monde, un tel concours de chrétiens?» demandait l'hôte à +Ramengo, qui, le matin du jour du combat, se tenait sur une petite +terrasse ombragée par un laurier, observant Pise et la foule qui s'y +portait; et décrivant un cercle avec la main étendue, il poursuivait: +«Cela vous paraît-il peu de chose? quelle pompe! quelle beauté! quelle +ardeur! on reconnaîtrait un toscan au milieu même de la foule de la +vallée de Josaphat. Ceux qu'on voit en robes majestueuses sont des +Florentins, gens d'une richesse sans bornes, ils spéculeront encore sur +la fête; ces autres, tout empanachés et recherchés dans leurs habits, +sont des Pistolais; ceux-ci, de Sienne, la race la plus loyale et la +plus sincère des trois parties du monde. Le désir de voir nos fêtes leur +a fait oublier les vieilles querelles; ils seront tous bien accueillis à +Pise, et personne ne craindra qu'ils y apportent la peste. Oh! voyez la +belle cavalcade! Ce sont les seigneurs de la Versuba et de la Lumgiana, +non moins terribles dans leurs châteaux que sur la mer: les passants le +savent bien. Observez les belles et robustes figures; ils ont tous en +croupe des jeunes filles et des femmes qui, sans contredit, n'ont point +d'égales dans tout l'univers. Vive le beau soleil! vive les belles +femmes de Toscane!»</p> + + + +<p>Cependant on voyait sur l'Arno un grand nombre de barques glisser +légèrement au milieu des gros navires à l'ancre. Une vive joie régnait +parmi toute cette multitude, les railleries capricieuses, les saillies +bizarres se croisaient de toutes parts dans un doux et agile langage. Un +chœur de jeunes gens jouant de la flûte accompagnait les accords des +autres, qui chantaient la ballade bien connue:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i14"> Vaghe le mentanine pastorelle</p> +<p class="i14"> Donde venite si leggiadre e belle?</p> +</div></div> + +<p>Lorsqu'ils eurent fini, une jeune fille que ses grands yeux et ses joues +roses faisaient remarquer parmi toutes ses compagnes, répondit d'une +voix plus puissante que délicate, pendant qu'elle passait sous le balcon +où se tenait Ramengo:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i14"> E s'is son gella, is son bella permene,</p> +<p class="i14"> Ne' mi curo d'aver de' vagheggini;</p> +<p class="i14"> E non mi curo niun mi voglia bene</p> +<p class="i14"> Ne manco vi' ch'altri mi faccia inchini.</p> +<br> +<p class="i14"> Et si je suis belle, je suis belle pour moi seule,</p> +<p class="i14"> Je ne me soucie point d'avoir des amants,</p> +<p class="i14"> Je ne m'inquiète point qu'on m'aime.</p> +<p class="i14"> Il ne manque pas d'autres gens que vous pour me faire + des révérences.</p> +</div></div> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/35-05.png"><br> + +<p>«Regardez la belle fille!» s'écria un jeune homme en sortant de la +taverne voisine et en s'avançant hardiment vers la jeune chanteuse. Au +son de la voix et à l'accent étranger, Ramengo se retourna et reconnut +un groupe de Lombards. Il les regarda d'un œil scrutateur, et, s'étant +assuré que parmi tous les visages il n'y en avait pas un seul dont il +fût connu, il descendit près d'eux et se fit reconnaître à son langage, +pour un de leurs compatriotes. On l'entoura aussitôt et tous lui +serrèrent la main, quoiqu'il leur fût inconnu, parce que la communauté +de la patrie est toujours un titre à amitié sur la terre étrangère.</p> + +<p>Ramengo salua, répondit à leurs demandes, à leurs embrassements, et +serra toutes les mains qui se présentèrent. Quoiqu'il eût pu espérer que +parmi ces bannis, son nom serait reçu comme celui d'un compagnon +d'infortune, il lui parut cependant plus prudent de le dissimuler, et il +se donna pour un certain Hanterio de Bescapé, né à l'ombre du dôme de +Milan, demeurant aux <i>Cinq Voies</i>, et fugitif comme eux.</p> + +<p>Puis il leur donna des nouvelles de leurs amis. «Qu'a-t-on fait des +Aliprandi? lui demanda-t-on.</p> + +<p>--Morts de faim.</p> + +<p>--Et Bronzin-Canno, ce grandissime modéré, tient-il toujours pour le +tyran?</p> + +<p>--Il se tient en prison pour avoir osé défendre la vérité, si pourtant +il ne lui est pas arrivé pis.</p> + +<p>--Et Matteo Visconti?</p> + +<p>--Confiné à Morano di Monferrato.</p> + +<p>--Et Barnabé?</p> + +<p>--A la cour du Scaliger.</p> + +<p>--Et Galéas, toujours beau, toujours galant, toujours adorateur de +madame Isabelle?</p> + +<p>--Bon Dieu! le seigneur Luchino ne dort qu'autant qu'il le veut bien; le +beau Galéas erre par pauvreté et pour faire perdre la trace à son oncle. +On le dit pourtant en Flandre.»</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/35-06.png"></p> + +<p>Ainsi répondait Ramengo aux diverses demandes, joyeux de se montrer bien +informé, pour acquérir une plus grande confiance, et de raconter ce +qu'il savait, afin d'apprendre ce qu'il voulait savoir. Comme le marin, +lorsqu'il revoit les ondes tranquilles, comme le voleur en présence +d'une occasion favorable, comme le buveur à la porte du cabaret, +oublient toutes leurs belles résolutions, ainsi Ramengo oublia tous ses +projets de vertu lorsqu'il se vit dans la possibilité de nuire. D'abord, +il ne voulait que mentir, afin de découvrir, s'il le pouvait, la +retraite d'Alpinolo; puis, à l'ordinaire, comme une faute en amène une +autre, il se trouva entraîné à faire le mal pour le mal.</p> + +<p>«Mais qu'est-ce donc, lui demandaient les exaltés, qu'est-ce que la vie +à Milan, aujourd'hui?</p> + +<p>--Ce qu'elle est, répondait-il, dans tous les pays asservis; Luchino +s'enhardit de jour en jour, parce qu'il voit venir à lui les cités +épouvantées, comme le bœuf qui vient de lui-même à la tuerie. Acouez +avait déjà dix villes en son pouvoir, n'est-il pas vrai? eh bien! +celui-ci en a sept autres de plus; mais il ne faudrait pas croire pour +cela qu'il augmente sa puissance. Ses voisins le jalousent; guelfes et +gibelins sont traités par lui de la même manière, mais ils lui en +veulent également de ne point faire de différence. En somme, c'est le +colosse de Nabuchodonosor, dont les pieds étaient d'argile.</p> + +<p>«Mais où est le caillou qui suffit pour le renverser? ajouta Caccino +Ponzone de Crémone.</p> + +<p>--Oh! le caillou, nous l'aurons bien, répondait le traître; et si.. mais +taisons-nous...» et il se fermait les lèvres.</p> + +<p>C'était le meilleur moyen de les mettre en goût; aussi le pressèrent-ils +davantage: «Quoi? dites-nous, qu'y a-t-il de nouveau? Avons-nous des +espérances? Nous voyons bien que vous allez au fond des choses. Pourquoi +nous faire des mystères? la cause des Milanais n'est-elle pas la nôtre à +tous? et nous sommes là pour l'épauler de toutes nos forces. Nous +n'attendons que le moment du Seigneur, le <i>dies irae</i>. Mais qui serait +notre chef?</p> + +<p>--Si Franciscolo Pusterla... dit Ramengo en s'interrompant pour observer +l'effet produit par ce nom.</p> + +<p>--Eh quoi! répondirent-ils, êtes-vous encore du parti de Pusterla?</p> + +<p>--Comment, si je suis des siens, reprenait Ramengo; j'ai là pour lui des +lettres du seigneur Martino della Scala... mais silence; la prudence +n'est jamais de trop, ils ont des espions de tous les côtés.»</p> + +<p>Ramengo prononçait ces paroles par saccades et en tournant ses regards +de tous côtés. Ils croyaient que c'était par défiance; en réalité, +c'était pour attendre qu'on lui donnât quelques renseignements. Mais +quand il vit qu'on ne se disposait pas à lui en donner, il continua: +«Mais qu'est-ce que les hommes? qui l'aurait cru? lui qui pouvait seul, +qui voulait seul devenir le chef et le sauveur de la patrie, maintenant, +il dort... il se fait petit... il s'échappe comme un faible mendiant...</p> + +<p>--Il s'arrête à faire des <i>mea culpa</i> aux pieds d'un fournier,» répondit +quelqu'un.</p> + +<p>Le père du pape Benoît II, qui siégeait à Avignon, avait été boulanger, +ou fournier, de son métier, et de là surnommé Fournier. La réponse du +Milanais suffisait pour indiquer à Ramengo la retraite de Pusterla; +aussi il continua; «Certainement, il s'est réfugié à Avignon comme un +clerc qui aspire au chapeau vert ou au chapeau rouge; comme un coupable +de bas étage, qui cherche la sécurité en lâchant son estoc homicide sous +les robes et les capuchons. Mais nous le réveillerons de ce lâche +sommeil, nous le réveillerons.</p> + +<p>--Vous trouverez ici de ses amis, ajouta Pouzone, qui vous appuieront.</p> + +<p>--Vous avez, je pense, reprit Ramengo, son frère Zurione, Maffino da +Besorro, celui de Pietra Santa; et on lui répondait:--Oui, mais nous +avons celui qui montre le plus d'amour et de dévouement, son écuyer +Alpinolo.</p> + +<p>--Alpinolo! répéta Ramengo, se sentant frémir depuis la racine des +cheveux jusqu'à la plante des pieds. Alpinolo, où est-il? que je le voie +aussitôt. J'ai un besoin extrême de lui parler pour une chose qui le +touche de près. Où est-il, où est-il?</p> + +<p>--Quelle furie! reprenait un des seigneurs; finissons de boire, et puis +venez avec nous; là-bas, nous vous les ferons trouver tons; quelle fête +pour eux de vous revoir!</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/35-07.png"><br> + +<p>--Mais je veux d'abord parler à Alpinolo, en tête à tête avec lui; je +sais comme il faut que les choses soient conduites.» Et pendant qu'il +était dominé par l'anxiété de retrouver un fils, et par l'espérance que +celui-ci en le découvrant pour son père, lui accorderait pardon et +amour, les seigneurs continuaient à boire en faisant l'éloge d'Alpinolo, +vantant sa conduite dans une affaire où il avait souffleté un de ses +amis qui lui rappelait qu'il n'avait pas de père. Comme ce nom de père +le comblait d'orgueil! comme il voyait près de lui la réalisation de ses +espérances! et ce fut le cœur agité par autant de palpitations que, +dans cette nuit où il épiait l'amant prétendu de Rosalie, qu'il se +dirigea dans Pise au milieu des seigneurs lombards qui, les bras +enlacés, entonnaient les chants de leur patrie,--ces chants que l'exilé +finit toujours par un soupir.</p> +<br><br> + +<h2>Bulletin bibliographique.</h2> + +<p><i>Histoire de Dix ans</i>; par M. <span class="sc">Louis Blanc</span>. 1 vol. in-8.--Paris, 1843. +<i>Pagnerre</i>. (Tome IVe.) 1 fr.</p> + +<p>La librairie française prend ses vacances. Cette année comme les années +précédentes, elle n'a mis au jour, pendant les mois du septembre et +d'octobre, qu'un très-petit nombre d'ouvrages nouveaux; occupée à +préparer la campagne d'hiver, elle atteint la rentrée des cours et +tribunaux pour lancer en avant quelques sentinelles perdues, et se +promettre de petites escarmouches. Dans un mois seulement la bataille +sera sérieusement engagée sur toute la ligne... Si nous en croyons +certaines indiscrétions, quelques-uns des combattants se signaleront par +de brillants exploits. Ce qui paraît positif, c'est qu'avant la fin de +la campagne prochaine M. Paulin aura commencé la publication de +l'<i>Histoire du Consulat et de l'Empire,</i> par M. Thiers.</p> + +<p>Parmi les rares ouvrages qui ont osé naître durant la saison des +promenades en Suisse, de la chasse et des vendanges, nous mentionnerons +en première ligne l'<i>Histoire de Dix ans</i>. Toutefois, nous devons +l'avouer, l'audace de M. Louis Blanc et de son intelligent éditeur M. +Pagnerre ne nous cause aucune surprise, et ne nous arrachera pas le plus +faible cri d'admiration; s'ils se sont décidés, en effet, à lutter +contre d'aussi redoutables adversaires c'est qu'ils étaient sûrs +d'avance d'en triompher. Quand, dans l'espace de quinze mois, les trois +premiers volumes d'un ouvrage ont déjà eu trois éditions, le quatrième +peut descendre dans l'arène au jour et à l'heure qui lui convient: toute +saison lui est favorable; le passé de ses aînés lui répond de son +avenir. Alors même qu'il ne leur ressemblerait en rien, sa parenté seule +lui assurerait un accueil empressé et une victoire éclatante.</p> + +<p>Le volume que vient de publier M. Louis Blanc n'a pas à craindre, +d'ailleurs, de comparaison désavantageuse; il a toutes ces qualités +solides et brillantes qui ont fait la fortune de ses trois frères. +Impartial comme eux, à son point de vue, bien entendu, rempli comme eux +de révélations piquantes et d'anecdotes inédites, illustré par un nombre +égal de portraits littéraires, non moins soigné sous le rapport de la +mise en scène, écrit avec un style aussi élégant et aussi <i>pittoresque</i>, +il jouit déjà de la même popularité. «Ce n'est pas de l'histoire, ce +sont des mémoires,» s'écrieront quelques esprits trop difficiles à +satisfaire. Mais est-il donc possible de s'élever jusqu'à la hauteur de +l'histoire, lorsqu'un entreprend de raconter des événements +contemporains? est-il possible de porter dès aujourd'hui un jugement +définitif sur des faits accomplis d'hier, dont toutes les conséquences +ne sont pas encore réalisées, ou ne sauraient être prévues? sur des +hommes politiques qui ont à peine, pour la plupart, achevé la moitié de +leur rôle. Quant à nous, nous félicitons hautement M. Louis Blanc +d'avoir refusé de céder aux avis d'un critique qui lui conseillait +«d'ouvrir dans ce monument,»--nous citons ses propres +paroles,--«quelques fenêtres sur le ciel, à travers lesquelles ou +aperçut trembler dans les incommensurables solitudes de l'infini les +étoiles contemporaines de l'éternité, lampes silencieuses allumées +autour du vaste atelier de la création.»</p> + +<p>Il faut, en vérité, que M. Louis Blanc ait un bien grand talent +dramatique, pour que ses lecteurs assistent avec un si vif intérêt à la +représentation d'événements dont ils connaissent d'avance les péripéties +et le dénouement, et qui leur rappellent à tous, quelles que soient +leurs opinions politiques, de bien douloureux souvenirs. Le quatrième +volume de l'<i>Histoire de Dix ans</i> commence avec l'année 1833, et finit +en mars 1836; il comprend les plus tristes et les plus sanglants +épisodes du règne actuel; et pourtant,--tel est le mérite de +l'écrivain,--qu'on le lit tout entier aussi avidement peut-être qu'un +roman. La réserve politique imposée à un journal qui s'adresse à toutes +les classes de la société, ne nous permet pas d'apprécier dans une +analyse rapide les faits que M. Louis Blanc a entrepris de raconter, et +jusqu'à un certain point de juger; nous nous contenterons d'indiquer en +quelques lignes les sujets principaux dont traitent les douze chapitres +de ce quatrième et avant-dernier volume; ce sont: l'emprisonnement et +l'accouchement de la duchesse de Berri à Blaye, le procès de <i>la +Tribune</i> devant la Chambre des Députés, le manifeste de la Société des +Droits de l'Homme et le procès des 27, la question d'Orient, +l'expédition de Savoie, les lois contre les crieurs publics et les +associations, les insurrections de Lyon et de Paris en 1834, la +quadruple alliance, les révolutions ministérielles de la même année, le +ministère du 11 octobre succédant au ministère des trois jours, +l'affaire des 25 millions réclamés par l'Amérique, le procès d'Armand +Carret devant la chambre des Pairs, le procès d'avril, l'horrible +attentat de Fieschi, les lois de septembre, et la dissolution du +ministère du 11 octobre.</p> + +<p><i>De l'Influence du Christianisme, sur le Droit civil des Romains</i>; par +M. <span class="sc">Troplong</span>, 1 vol. in-8°.--Paris, 1843, <i>Hingray</i>. 7 fr. 50 cent.</p> + +<p>Le nouveau mémoire de M Troplong, <i>De l'influence du Christianisme sur +le droit civil des Romains</i>, est un de ces livres qui peuvent impunément +braver les influences toujours redoutables de la saison des vacances. Il +ne s'adresse qu'aux hommes sérieux dont l'esprit ne prend jamais de +repos. Le nom et le mérite de son auteur, la nature même du sujet qu'il +traite, lui garantissent d'avance qu'à toute époque de l'année il +occupera vivement l'attention publique. D'ailleurs, lu à diverses +reprises devant l'Académie des Sciences morales et politiques, il y +avait déjà obtenu, avant d'être publié en volume, tout le succès qu'il +mérite et qu'il nous reste seulement à constater.</p> + +<p>M. Troplong n'a pas entrepris de montrer l'influence du christianisme +sur l'ensemble des institution et moins encore sur la civilisation +romaine. Son sujet est plus restreint. Il s'est renfermé dans +l'observation des influences par lesquelles le christianisme, est venu +modifier les rapports civils, le droit privé; il ne fait d'excursions +ailleurs qu'autant qu'il y a nécessité pour éclairer son sujet et +montrer le jeu des ressorts auxquels le christianisme est venu mêler son +action.</p> + +<p>M. Troplong divise le droit romain en trois grandes périodes: la période +aristocratique, la période philosophique, la période chrétienne. Pour se +faire des idées justes sur la dernière, il faut, dit-il, saisir +exactement le sens des deux premières.</p> + +<p>La civilisation romaine s'est développée sous l'influence de deux +éléments contraires qui, après une longue alternative de luttes et de +rapprochements, ont fini par se mêler et se confondre. Ce dualisme se +fait remarquer dans le droit privé comme dans la religion et dans le +droit politique. Sa formule la plus large et la plus haute, c'est le +<i>jus civile</i> et l'<i>aequitas</i>, le droit strict et l'équité, sans cesse +opposés l'un à l'autre comme deux principes distincts et inégaux. +D'abord le <i>jus civile</i> triomphe du patriciat religieux, militaire et +politique, qui gouverne Rome naissante, génie formaliste, jaloux, +dominateur, nourri à l'école sombre et forte de la théocratie étrusque, +et qui aggrave dans le droit civil ses souvenirs de conquêtes et ses +instincts d'immobilité. Qu'on n'y cherche point l'action efficace de +l'équité naturelle, et cette voix de l'humanité qui parle si haut dans +les peuples civilisés. La notion simple du juste et de l'injuste y est +défigurée par la farouche enveloppe d'institutions qui sacrifient la +nature à la nécessité politique, la vérité innée aux artifices légaux, +la liberté aux formules sacramentelles. Dans l'ordre civil comme dans +l'État, Rome ne vise qu'à former des citoyens; et plus elle accorde de +privilèges et de grandeur à ce titre éminent, plus elle exige de celui +qui le porte des sacrifices à la patrie, voulant qu'il abdique pour +l'intérêt public ses affections, ses volontés et jusqu'à sa raison +intime. A l'appui de cette vérité, M. Troplong cite de nombreux et +frappants exemples pris dans la famille, dans la propriété, dans les +obligations.</p> + +<p>Cependant la société romaine ne pouvait pas rester éternellement +opprimée parce droit si esclave de la lettre et si rebelle à l'esprit. +Partout l'équité se posa à côté du droit civil, la philosophie brise le +cercle inflexible tracé par ce patriciat. Du siècle de Cicéron date la +période philosophique du droit romain. Le stoïcisme imprime ensuite une +impulsion nouvelle à cette révolution qu'avaient en partie commencée la +doctrine d'Épicure et la philosophie de Platon. Il donne aux +jurisconsultes postérieurs à Cicéron des règles sévères et précises de +conduite entre les hommes. S'élevant à des formes plus pures et plus +belles, moins intolérant, moins âpre, dégagé des superstitions que la +raison lui reprochait lors de ses premières conquêtes à Rome, il devient +de plus en plus une philosophie spiritualiste qui proclame le +gouvernement de la Providence divine la parente de tous les hommes, la +puissance de l'équité naturelle. Mais le droit civil se défend si +énergiquement dans son inflexible formulaire, dans son originalité +jalouse, que la philosophie n'osa pas procéder avec lui par voie de +révolution, elle y aurait échoué. L'équité demanda donc sa part +d'influence, non comme une souveraine qui veut déposséder un usurpateur, +mais comme une compagne qui radie sous des dehors timides ses vues de +domination. «Toutefois, il ne faut pas s'y tromper, dit M. Troplong, +sous ces dehors de conciliation et de bon ménage se cachait une +antithèse redoutable pour le droit civil; ce qu'on voulait au fond, +c'était de réduire à l'impuissance tout en lui prodiguant les +témoignages de respect. Aussi le droit, depuis l'époque de Cicéron, +est-il en lutte incessante; les deux éléments sont aux prises. Mais le +droit civil se trouve tout d'abord réduit au plus mauvais rôle, à celui +de la défensive; c'est chez lui, dans ses propres foyers, que la guerre +est sourdement portée, et l'équité aspire à y réaliser l'apologue de la +lice et ses petits.» Ces prémisses posées, M. Troplong montre par quels +efforts ingénieux l'équité continue à agrandir son domaine tout en +groupant ses innovations autour de l'ancien droit civil, si restreint +dans ses conceptions, si matériel dans ses applications. «Le droit, +ajoute-t-il, tend à simplifier dans le fond, et il se complique; dans +ses rouages; deux éléments hétérogènes sont juxtaposés; quelquefois ils +se rapprochent et se confondent; le plus souvent ils se séparent et se +jalousent. L'harmonie manque dans ce majestueux travail; on aperçoit à +chaque, pas qu'il est le prix de concessions pénibles, de combats +opiniâtres. Le chef-d'œuvre eut été de pouvoir amener entre ces deux +éléments une fusion complète; mais le plus ancien avait été trop +fortement trempé pour se laisser effacer si vite, et le droit de +l'époque impériale, qu'on a coutume s'appeler l'époque classique, porte +la marque profonde de son passage; aussi laisse-t-il de grands, +d'immenses progrès à désirer. On sent qu'il est loin d'être le dernier +mot d'une science complète: il est plutôt l'expression d'une situation +transitoire, d'un état transactionnel.»</p> + +<p>Pendant la période philosophique, le christianisme avait déjà exercé une +influence immense, quoique latente et indirecte, sur les mœurs, les +idées, et par une conséquence nécessaire, sur les lois de la société +romaine. Dès le règne de Néron, la vérité évangélique avait pris racine +dans la capitale du monde; elle y était à côté de Sénèque, levant son +front serein sur les calomnies par lesquelles on préludait aux +persécutions, à ces supplices d'une persécution raffinée qui étaient +aussi un moyen de faire connaître le christianisme et d'appeler sur lui +l'intérêt et la sympathie. Depuis lors, elle avait germé, elle s'était +développée, elle avait porté ses fruits, elle avait modifié, épuré, à +son insu et peut-être malgré elle, l'esprit et le langage de la +philosophie du Portique. «Epitecte n'était pas chrétien, a dit M. +Villemain, mais l'empreinte du christianisme était déjà sur le monde.» +Marc Aurèle, qui persécutait les chrétiens, était plus chrétien qu'il ne +croyait dans ses belles méditations. Le jurisconsulte Alpien, qui les +faisait crucifier, parlait leur langue en croyant parler celle du +stoïcisme dans plusieurs de ses maximes philosophiques. Pour ne citer +qu'un seul exemple, les idées avaient fait un si grand chemin sur la +question de l'esclavage depuis Platon et Aristote, qu'Alpien lui-même +écrivait: «En ce qui concerne le droit naturel, tous les hommes sont +égaux.» (L. 32. D. <i>de veg. juris.</i>) Et ailleurs: «Par le droit naturel, +tous les hommes naissent libres. (L. A. D. <i>de just. et jure.</i>) +N'était-ce pas au christianisme que l'humanité devait cet immense +progrès?</p> + +<p>La période chrétienne date de Constantin. Avant ce prince, le mouvement +marchait avec lenteur par la philosophie stoïcienne, indirectement +influencée depuis Tibère par la religion chrétienne. L'avènement de +Constantin plaça son point d'appui principal, ostensible, direct, dans +le christianisme. Ce furent les évêques, les pères de l'Église et les +conciles qui donnèrent l'impulsion réformatrice et accélérèrent sa +marche. La jurisprudence dut moins ses perfectionnements à elle-même +qu'à la théologie.</p> + +<p>Toutefois, l'erreur serait grande de s'imaginer que la révolution +religieuse qui porta sur le trône le premier empereur chrétien eut pour +conséquence immédiate d'opérer une refonte radicale et absolue des +institutions. Constantin réforma beaucoup, mais il ne nivela pas; il ne +l'aurait pas pu. Si l'empereur était chrétien, l'empire était encore à +demi païen. Avant de convertir les institutions, il fallait s'attacher +surtout à convertir les cœurs. Il y avait en outre des intérêts +positifs à ménager. Enfin l'Église, ayant été déchirée de bonne heure +par les hérésies, s'occupa plus activement de formuler les dogmes +fondamentaux sur lesquels reposait l'unité de la foi, que de reformer +les mœurs à l'aide des lois civiles.--Cette dualité qui avait développé +la philosophie, le christianisme, ne la transforma donc pas en unité. Ce +fut toujours la lutte du droit strict et de l'équité, et le difficile +arrangement de leurs prétentions contraires.--Il est vrai que l'équité, +secondée immédiatement par le christianisme, gagna sur-le-champ un +terrain considérable. Bien des choses que la philosophie païenne avait +considérées comme étant de droit naturel, la philosophie chrétienne, +partant d'un point plus large les considéra comme de droit strict. Les +éléments du combat se trouvèrent ainsi souvent déplacées. En cela +consista le progrès. Mais le combat resta l'âme de son développement, et +tout le poids du christianisme porté d'un seul côté ne put le faire +cesser.</p> + +<p>Les réformes, opérée et commencées par Constantin, furent maintenue et +continuées par ses successeurs. Un moment la réaction polythéiste de +Julien l'Apostat arrêta ces progrès du droit. Cette tentative rétrograde +ayant avorté, et les idées nouvelles ayant repris leur libre cours, le +polythéisme, d'abord toléré, devint l'objet d'une proscription générale +sous Théodose le Grand. Cependant tous les empereurs chrétiens +acceptèrent le poids du passé et s'efforcèrent seulement de l'alléger. +Le code Théodosien fut une œuvre précipitée, mal faite et pleine de +lacunes. L'effroi d'une société tremblante à l'approche des Huns +pouvait-il produire autre chose que le chaos? Du reste, il est +intéressant d'étudier, dans cette défectueuse compilation, le dualisme +de l'élément romain jetant ses dernières lueurs, et de l'équité associée +désormais à la fortune du christianisme. La sagesse italique se débat +encore pour conserver ce qui lui reste de ses antiques privilèges. +L'équité, ne connaissant pas toutes ses forces, consent à transiger; +elle fait des concessions; mais ses traités de paix ressemblent à ceux +qu'Attila arrache au faible Théodose; tous enlèvent au vieux droit +quelques-uns de ses lambeaux, et préparent la crise qui, renversant +l'idole de son piédestal, ne laissera sur la terre que des débris.</p> + +<p>Dans l'opinion de M. Troplong, Justinien fut un grand législateur. La +mobilité de ses idées, les jactances orientales de ses conseillers, leur +ignorance des antiquités historiques du droit, leur style ampoulé et +diffus, ont été l'objet de vives censures. On a critiqué aussi la forme +de leurs compilations, l'emploi malhabile des matériaux, l'impitoyable +dissection des chefs d'œuvre du troisième siècle, consommée par +Tribonien avec l'orgueil d'un novateur et l'infidélité d'un faussaire. +Tous ces reproches, M. Troplong les accorde, mais il l'avoue, le droit +dont Justinien a été l'interprète lui paraît bien supérieur à celui +qu'on admire dans les écrits des jurisconsultes classiques du siècle +d'Alexandre Sévère. Qu'importe la forme, si le fond est excellent Or, il +surpasse le droit de l'époque classique autant que le génie du +christianisme surpasse le génie du stoïcisme. Presque toujours Justinien +a rapproché le droit du type simple et pur que lui offrait le +christianisme: il a fait pour la philosophie chrétienne ce que les +Labeon et les Caius avaient fait pour la philosophie du Portique. Sans +doute, il l'a fait avec moins d'art; mais il y a mis autant et plus de +persévérance et de fermeté. C'est là son mérite immortel.</p> + +<p>«Justinien fut un novateur résolu, continua M. Troplong; en lui le génie +grec éclipsait le génie romain, et le théologien dominait le +jurisconsulte; de là ses défauts et ses qualités. Il était subtil, +verbeux, disputeur; mais un bon sens naturel, puisé aux sources de la +philosophie chrétienne, prévenait les écarts du sophiste: la vieille +originalité romaine et son matériel lourd et composé provoquèrent de sa +part d'amères railleries. L'homme de Constantinople, le représentant du +sixième siècle, ne comprenait rien à des systèmes usés et dépourvus de +convenance avec les habitudes contemporaines. Constantin ne les avait +respectés que parce que le christianisme n'en avait pas encore vu +l'esprit; mais les mêmes motifs de ménagements n'existaient plus. Deux +siècles écoulés depuis la fondation de Constantinople avaient décomposé +l'élément de la cité romaine. Le monde n'appartenait plus à Rome; il +était acquis à la foi catholique. Le temps était donc venu d'en finir +avec le fétichisme du droit strict, si contraire à l'esprit chrétien, et +qui n'avait que trop retardé le développement du droit naturel. +Justinien l'attaqua corps à corps, le pourchassa dans tous les replis de +la jurisprudence au profit de l'équité. Sa noble ambition de législateur +fut de l'amener de sa chaise curule, comme sa petite vanité d'homme +avait fait descendre Théodose de sa colonne d'argent: c'est ce qui +explique son travail de démolition des livres des Papinien, des Ulpien, +et autres grands interprètes du troisième siècle. Il prit en eux tout ce +qui lui parut de droit cosmopolite, et rejeta tout ce qui portait un +caractère trop romain. Il les accommoda bon gré mal gré, et même par des +altérations de texte, à des idées plus avancées que les leurs, à un +droit plus simple, plus équitable, plus philosophique que celui qu'ils +avaient expliqué. Peut-être méconnut-il en cela le respect dû à de +grands génies; mais son but fut bon et louable. Il voulut affranchir la +jurisprudence du sixième siècle d'une tutelle rétrograde. Chrétien et +homme de son époque, il osa trancher dans le vif les racines d'un passé +aristocratique et païen. Alors s'assoupit sur presque tous les points le +long antagonisme qui avait partagé la jurisprudence... Quoi qu'on en +puisse dire, Justinien a épuré, rationalisé le droit; il l'a élevé à un +niveau que le Code civil a pu seul dépasser après treize siècles de +préparations et d'épreuves Or, tandis que, sous tant de rapports, la +société convergeait vers la barbarie, il a fait marcher en avant l'une +des branches les plus importantes du gouvernement des hommes. C'est que +le christianisme était l'âme de ses travaux, et qu'avec cette grande +lumière il n'y a pas d'éclipse centrale à redouter pour la +civilisation...»</p> + +<p>Le Mémoire <i>De l'influence du christianisme sur le droit civil des +Romains</i>, a pour but la démonstration des idées fondamentales que nous +venons d'analyser. Il se divise en deux parties. Dans la première, M. +Troplong expose les vérités qu'il a découvertes, et il les appuie sur un +certain nombre d'exemples.--Il suit, comme on l'a vu, le christianisme +dans ses influences générales tantôt obliques, tantôt directes. La +seconde comprend l'histoire des faits particuliers qui ont été plus +spécialement soumis à son action. Les onze chapitres sont consacrés à +l'esclavage, au mariage, aux secondes noces, aux empêchements pour +parenté, au divorce, à la célébration, au concubinage, à la puissance +paternelle, à la condition des femmes et à la succession <i>ab +intestat</i>.--Enfin, la conclusion de son travail est celle-ci: le droit +romain a été meilleur sous l'époque chrétienne que dans les âges +antérieurs les plus brillants; tout ce qu'on a dit de contraire n'est +qu'un paradoxe ou un malentendu. Mais il a été inférieur aux +législations modernes nées à l'ombre du christianisme et mieux pénétrées +de son esprit.</p> + +<p>M. Troplong s'arrêtera-t-il à Justinien? Ne complétera-t-il pas ce beau +travail? Ne montrera-t-il pas, dans un second mémoire, quelle influence +la Révolution française a eue sur le droit civil de la France, et quelle +influence la Révolution française et le christianisme doivent exercer un +jour, lorsqu'ils auront reçu tous leurs développements, sur la +législation beaucoup trop romaine et féodale qui nous régit aujourd'hui? +Ne nous fera-t-il pas assister aux dernières victoires de l'équité sur +le droit strict, ou, en d'autres termes, de l'égalité future sur le +privilège actuel?</p> +<br><br> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/009a.png"></p> + +<h2>Modes.</h2> + +<p>Dans un trousseau que nous avons eu occasion de voir ces jours derniers, +il y avait un kakzavadeka pour la chambre, charmant vêtement en velours, +garni de ganses d'or, qui ressemble assez, à la veste turque; puis un +plus grand en satin, destiné à la promenade, que l'on nomma kazaveka; ce +dernier avait un collet de velours formant la pointe par derrière, et +des bandes pareilles garnissant les devants. Mais ce qui nous paraît +prendre chaque jour plus d'importance dans les modes, c'est la dentelle: +il n'est pas aujourd'hui un coffret de mariage qui ne contienne de +superbes points d'Alençon, des dentelles anciennes, des barbes, des +écharpes, des voiles d'une grande finesse de travail. La robe de mariage +est toujours garnie de deux volants d'Angleterre, et quelquefois +couverte en dentelle de manière à figurer une tunique; ainsi était celle +du splendide trousseau dont nous parlions tout à l'heure et dont nous +avons admiré la recherche.</p> + +<p>Une toilette qui a paru l'autre jour un instant au Théâtre-Italien, et +sans doute s'est montrée ensuite dans quelque brillante réunion, a été +dessinée, pour <i>l'Illustration</i>. La voici.</p> + +<p>La robe est lacée sur les côtés, au corsage et sur le milieu de la +petite manche. Quant à la coiffure, nous pouvons affirmer son origine, +car nous l'avions vue la veille chez Lucy Hocquet, avec d'autres +coiffures d'une grâce tout à fait remarquable.</p> + +<p>Nous citerons d'abord la coiffure Élizabeth, velours et petite tête de +plume; puis la coiffure Anne Boleyn, en velours épinglé bleu, orné de +franges d'or et d'argent avec tête de plume posée très-coquettement; +ensuite, un petit bonnet <i>douairière</i> en blonde tuyautée et chaperon du +coque en ruban, dont les grands bouts retombent derrière la tête; et +enfin le chapeau <i>comtesse</i> en lacet d'or orné de plumes et d'une +torsade en velours grenat, coiffure de jeune châtelaine.</p> + +<p>Le costume d'homme élégant sort toujours de chez Humann; pour habit +habillé, les basques sont larges et le collet tombe assez sur l'épaule.</p> + +<p>L'habit demi-habillé est peu échancré sur les devants, les basques sont +larges, l'échancrure est carrée.</p> + +<p>Les cravates de satin noir reprennent la faveur qu'elles doivent à +l'hiver; on les porte longues, et de petits bouquets ou de petites +guirlandes viennent égayer un peu la sombre couleur.</p> + +<p>Les gilets se font toujours à chaste et très-longs; les étoffes sont +riches; c'est le satin broché, le velours brodé et souvent broché d'or +et de soie.</p> + +<p>Pour le matin, le tweed est plus en faveur que jamais; ou y met des +collets et des parements en velours, afin du le rendre nouveau.</p> +<br><br> + +<h2>Amusements des Sciences.</h2> + +<h4>SOLUTIONS DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS L'AVANT-DERNIER +NUMÉRO.</h4> + +<p>I. Ce problème n'a de difficulté que celle de reconnaître la volonté du +testateur. Or, on a coutume de l'interpréter ainsi: puisque ce testateur +a ordonné que, dans le cas où sa femme accoucherait d'un garçon, cet +enfant aura les deux tiers de son bien et la mère un tiers, il s'ensuit +que son dessein a été de faire à son fils un avantage double de celui de +la mère; et puisque, dans le cas où celle-ci accouchera d'une fille, il +a voulu que la mère eût les deux tiers de son bien et la tille l'autre +tiers, on en doit conclure que son dessein a été que la part de la mère +fût double de celle de la fille. Pour allier ces deux conditions, il +faut partager la succession de manière que le fils ait deux fois autant +que la mère et la mère deux fois autant que la fille. Ainsi, en +supposant que le bien à partager soit de 30,000 fr. la part du fils +serait de 17 142 fr. 6/7, celle de la mère de 8 571 fr. 3/7 et celle de +la fille de 4 285 fr. 5/7.</p> + +<p>On propose ordinairement, à la suite de ce problème, une autre +difficulté; on suppose que cette mère accouche de deux garçons et d'une +fille, et l'on demande quel sera, dans ce cas, le partage de la +succession?</p> + +<p>Il n'y a d'autre réponse à faire que celle que feraient les +jurisconsultes; savoir, que le testament serait nul dans ce cas; car, y +ayant un enfant d'omis dans le testament, toutes les lois connues en +prononceraient la nullité, attendu 1° que la loi est précise; 2º qu'il +est impossible de démêler quelles auraient été les dispositions du +testateur s'il avait eu deux garçons, ou s'il avait prévu que sa femme +en eut mis deux au monde.</p> + +<p>II. Ou trouvera que le vin de Bourgogne leur a coûté 50 c. la bouteille, +et celui de Champagne 75 c. Il est aisé de le prouver.</p> + +<p>III. On voit aisément que, pour résoudre ce problème, il est question de +trouver un nombre qui, divisé par 7, ne laisse aucun reste, et, étant +divisé par 2, par 3, par 5, laisse toujours 1.</p> + +<p>Plusieurs méthodes plus ou moins savantes peuvent y conduire, mais voici +la plus simple.</p> + +<p>Puisque, le nombre des pièces étant compté sept à sept, il ne reste +rien, ce nombre est évidemment un multiple de 7; et puisqu'en les +comptant deux à deux, il reste l, ce nombre est un multiple impair; il +est donc compris dans la suite des nombres 7, 21, 35, 48, 65, 77, 91, +105, etc.</p> + +<p>De plus ce nombre doit, étant divisé par 3, laisser l'unité pour reste. +Or, dans la suite des nombres ci-dessus, on trouve que 7, 48, 91, qui +croissent arithmétiquement, et dont la différence est 42, ont la +propriété demandée. On trouve de plus que le nombre 91 étant divisé par +5 il reste 1; d'où on conclut que le premier nombre qui satisfait à la +question est 91, car il est multiple de 7; et, étant divisé par 2, par +3. et par 5, il reste toujours 1.</p> + +<p>Le nombre 91 est le premier qui satisfait à la question, car il y en a +plusieurs autres qu'on trouvera par le moyen suivant: combinez, la +progression ci-dessus, 7, 49, 91, 133, 175, 217, 259, 301, jusqu'à ce +que vous trouviez un autre terme divisible par 5, en laissant l'unité, +ce terme sera 301, qui satisfera encore à la question. Or, la différence +avec 91 est 210; d'où on conclut que, formant cette progression,</p> + +<p class="mid">91, 301, 511, 721, 951, 1 161, etc.,</p> + +<p>tous ces nombres remplissent également les conditions du problème.</p> + +<p>Il serait donc incertain quelle somme était dans la bourse perdue, à +moins que son maître ne sût à peu près quelle somme elle contenait. +Ainsi, s'il disait savoir qu'il y avait environ 500 pièces, on lui +répondrait que le nombre des pièces était de 511.</p> + +<p>Supposons maintenant que l'homme à qui appartient la bourse eût dit que, +comptant son argent deux à deux pièces, il en restait une; qu'en les +comptant trois à trois, il en restait deux; que, comptées quatre à +quatre, il en restait trois; que, comptées cinq à cinq, il en restait +quatre; que, comptées six à six, il en restait cinq, et enfin, qu'en les +comptant sept à sept, il n'en restait aucune. On demande ce nombre.</p> + +<p>Il est évident que ce nombre est, comme ci-dessus, un multiple impair de +7 et conséquemment un de ceux de la suite</p> + +<p class="mid">7, 21, 35, 49, 65, 77, 91, 105, etc.</p> + +<p>Or, dans cette suite, les nombres 35, et 77 satisfont à la condition +d'avoir 2 pour reste quand on les divise par 3; leur différence est 42. +C'est pourquoi on forme une nouvelle progression arithmétique dont la +différence est 42, savoir:</p> + +<p class="mid">35, 77, 119, 161, 203, 245, 287, etc.</p> + +<p>On y cherche deux nombres qui, divisés par 4, laissent 3 pour reste, et +on trouve que ce sont les nombres 35, 119, 203, 287.</p> + +<p>C'est pourquoi ou forme cette nouvelle progression, où la différence des +termes est 84:</p> + +<p class="mid">35, 119, 203, 287, 371, 455, 539, 623, etc.</p> + +<p>On cherche encore ici deux termes qui, divisés par 5, laissent un reste +égal à 4, et on aperçoit bientôt que ces deux nombres sont 119 et 539, +dont le différence est 420. Ainsi la suite des termes répondant à toutes +les conditions du problème, hors une, est</p> + +<p class="mid">119, 539, 959, 1 379, 1 799, 2 219, 2 639, etc.</p> + +<p>Or, la dernière condition du problème est que, le nombre trouvé étant +divisé par 6, il reste 5. cette propriété confient à 119, 959, 1 799, +etc., en ajoutant toujours 840. Conséquemment le nombre cherché est un +des termes de cette progression. C'est pourquoi, aussitôt qu'on saura +dans quelles limites à peu près il est contenu, on sera en état de le +déterminer.</p> + +<p>Si donc le maître de la bourse perdue dit qu'il y avait environ 100 +pièces, le nombre cherche sera 119; s'il disait qu'il y en avait à peu +près 1 000, ce serait 959, etc.</p> + +<p>Ce problème serait résolu imparfaitement par la méthode que donne M. +Ozanam; car, ayant trouve le plus petit nombre 119, qui satisfait aux +conditions du problème, il se borne à dire que, pour avoir les autres +nombres qui y satisfont, il faut multiplier de suite les nombres 2, 3, +4, 5, 6, 7 et ajouter leur produit 5, 040 au premier nombre trouvé, 119 +et qu'on aura par là le nombre 5,159, qui remplit aussi les conditions +proposées. Or, il est aisé de voir qu'il y a plusieurs autres nombres +entre 119 et 5159, qui remplissent ces conditions, savoir: 959, 1 799, 2 +639, 3 479, 4 519.</p> + +<h4>NOUVELLES QUESTIONS A RÉSOUDRE.</h4> + +<p>I. Diophante passa la sixième partie de sa vie dans la jeunesse et la +douzième dans l'adolescence; après un septième de sa vie et cinq ans, il +eut un fils qui mourut après avoir atteint la moitié de l'âge de son +père, et ce dernier mourut quatre ans après. Combien Diophante a-t-il +vécu de temps?</p> + +<p>II. La somme de 500 francs ayant été partagée entre quatre personnes, il +se trouve que les deux premières ensemble ont eu 285, fr., la seconde et +la troisième, 220 fr.; enfin la troisième et la quatrième, 215; de plus, +le rapport de la part de la première à celle de la derrière est de 1 à +5. Ou demande combien chacune a eu?</p> + +<p>III. Faire qu'une boule rétrograde sans aucun obstacle apparent.</p> + +<p>IV. Trouver les parties d'un poids que deux personnes soutiennent à +l'aide d'un levier ou d'une barre qu'elles portent par les extrémités.</p> +<br><br> + +<h2>Logogriphe musical</h2> + +<p><span class="sc">Explication du Logogriphe musical.</span>--M. B... nous écrit que le logogriphe +musical de notre dernière livraison est «<i>la récompense</i> <span class="sc">la re</span> <i>qu'on +pense</i>.» M. B... ayant deviné, nous lui donnons la récompense honnête +(<span class="sc">la re</span> qu'on pense au net)</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009b.png"></p> +<br><br> + +<h2>Rébus</h2> + +<h4>EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.</h4> +<p class="mid">Le nègre aura beau faire, il aura la peau +noire.</p> +<br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009c.png"></p> + + + + +<br><br> +</div> + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre +1843, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0035, 28 *** + +***** This file should be named 39405-h.htm or 39405-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/9/4/0/39405/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: http://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> + + diff --git a/39405-h/images/001.png b/39405-h/images/001.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..e3ff444 --- /dev/null +++ b/39405-h/images/001.png diff --git a/39405-h/images/001a.png b/39405-h/images/001a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4e04a3b --- /dev/null +++ b/39405-h/images/001a.png diff --git a/39405-h/images/002.png b/39405-h/images/002.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..5c50bc0 --- /dev/null +++ b/39405-h/images/002.png 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