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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre 1843, by Various
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
+
+
+Title: L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre 1843
+
+Author: Various
+
+Release Date: April 9, 2012 [EBook #39405]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0035, 28 ***
+
+
+
+
+Produced by Rénald Lévesque
+
+
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+
+
+L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre 1843
+
+
+
+L'ILLUSTRATION,
+Nº 35. Vol. II.--SAMEDI 28 OCTOBRE 1843.
+Bureaux, rue de Seine, 33.
+
+Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr. Prix de
+chaque Nº. 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75,
+
+Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. pour
+l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40
+
+
+
+Courses au Champ-de-Mars. _Vue générale du Champ-de-Mars; les Coureurs
+au départ_.--Courrier de Paris.--Histoire de la Semaine. _Éclairage au
+gaz sidéral_.--Théâtres. _Deux scènes de Pierre Landais; Cinq scènes de
+Don Quichotte_.--De l'autre côté de l'eau. Souvenirs d'une promenade,
+par M. O. N.--La pêche de la Morue. _Onze Gravures_.--Projet d'une
+Caisse de Pensions de retraite pour les Classes laborieuses--Romanciers
+contemporains. Charles Dickens. La Table d'hôte.--Margherita Pusterla.
+Roman de M. César Cantù. Chapitre XIV, Pise. _Sept Gravures_.--Bulletin
+bibliographique.--Annonces.--Modes. _Gravure_.--Amusements des
+Sciences.--Logogriphe musical. Solution.--Rébus.
+
+
+
+Courses au Champ-de-Mars.
+
+Les courses d'automne sont terminées à la satisfaction publique, et
+surtout à la satisfaction de deux éleveurs privilégiés, le prince Marc
+de Beauvau et le baron Antony de Rothschild, qui ont, seuls, remporté
+tous les prix. Le premier a gagné 27,000 fr., et le second 9,000 fr.
+Depuis les fameux triomphes de _Miss Annette_, qui, deux ans durant, fut
+invincible, aucun cheval de course n'avait eu sur ses rivaux la
+supériorité qui, cette année, a été le partage de _Nativa_, au prince de
+Beauvau. Au printemps, elle avait trompé bien des espérances: elle avait
+médiocrement couru; la faute n'en était pas à elle, mais à son état de
+santé. A Chantilly, _Nativa_ a commencé à prendre sa revanche en gagnant
+le Saint-Léger; à Paris, elle a continué le cours de ses exploits;
+désormais elle a conquis la plus belle place au sommet de l'aristocratie
+chevaline. Tous les prix qu'elle a courus elle les a gagnés sans effort,
+sans coups d'éperon, avec une facilité désespérante pour les autres.
+Comme César, _Nativa_ peut prendre pour devise: _veni, vidi, vici_.
+
+Le dimanche 15, elle débuta par un prix de 3,500 fr., qu'elle enlève
+lestement à des chevaux de haute réputation; le même jour, M. de
+Rothschild et son cheval _Drummer_ battent _Ratopolis_, à M. Lupin.
+_Capharnaüm_, à M. de Gamins, et bien d'autres encore; 3,000 fr. sont la
+récompense de cette prouesse au galop.
+
+Le jeudi 19, MM. de Beauvau et de Rothschild se partagent encore le
+gâteau des courses; le premier, toujours avec _Nativa_, gagne 5,000 fr.;
+le second, avec _Muse_, remporte le prix royal, qui se paie 6,000 fr.
+
+Jusqu'ici la lutte se soutient assez égale entre les deux éleveurs; mais
+le moment est arrivé où le prince français va remporter de deux chevaux
+et de deux prix sur le baron anglo-allemand. _Nativa_ n'est pas au bout
+de ses succès; il reste un prix de 4,500 fr.: il est pour elle.
+_Amanda_, au comte de Cambis, _Prospero_, à M. de. Rothschild,
+_Vespérine_, à M. Vasquez, n'ont pas la moindre prétention à lui
+disputer la victoire.
+
+Le grand prix royal de 14,000 fr. peut et doit même rétablir la balance
+en faveur de M. de Rothschild; _Annetta_, la digne fille de _Miss
+Annette. Annetta_, qui a si bien couru l'année dernière, et plus
+récemment ce printemps, _Annetta_ a été ménagée par le prudent _Carter_.
+De peur de la fatiguer, il ne l'a engagée dans aucune course; elle
+arrive fraîche, légère, au combat; sa condition est parfaite;
+l'entraîneur a droit à tous nos éloges; tout le monde parie pour
+_Annetta_, elle est favorite. Si quelques joueurs hardis osent aventurer
+quelques louis contre elle, ils s'adressent à _Adolphus_ magnifique
+cheval du comte de Cambis, et ils contient leur sort à la vitesse bien
+connue de ce bel animal. Mais en matière de course, les hommes proposent
+et les chevaux disposent. Personne ne songeait à _Jenny_, la modeste
+_Jenny_, qui n'a pour elle que des succès insignifiants de province, et
+le mérite négatif d'être une fois en sa vie arrivée seconde au Derby de
+Chantilly; mais depuis, _Jenny_ est devenue la propriété du prince de
+Beauvau; le roi Midas changeait en or tout ce qu'il touchait; dans les
+heureuses écuries de la maison de Beauvau, les mauvais chevaux se
+changent en bons chevaux, les _Jenny_ se changent en _Nativa_.
+
+_L'Illustration_ a saisi le moment où va être donné le signal du départ
+pour le grand prix royal. Tout le monde est à son poste; on aperçoit la
+tribune du jockey-club, les juges et les coureurs. _Jenny_ est confondue
+dans la foule, mais bientôt elle en sortira: elle sera victorieuse.
+
+Elle a gagné les deux épreuves avec une supériorité incontestable.
+Quoique pleine de sept mois, quoique restée en arrière de quelques
+longueurs, par la faute de son jockey, elle arrive première, au bruit
+des applaudissements et des bravos.
+
+[Illustration: Courses de septembre au Champ-de-Mars.]
+
+_Jenny_ a autrefois appartenu à lord Seymour, dont l'hippodrome regrette
+aujourd'hui l'absence. Lord Seymour, cet Achille des courses, est en ce
+moment renfermé sous sa tente, laissant prendre sa place par de jeunes
+éleveurs. Il est à regretter, malgré les succès de ses héritiers, qu'un
+homme si intelligent, et à qui les courses doivent tant en France, se
+soit laissé dégoûter par des revers immérités. Il a été dignement
+remplacé et suppléé par MM. Lupin, A. Fould, Sabatier, de Beauvau et de
+Pontalba; mais lord Seymour est presque dans notre pays le créateur de
+cette industrie, qui peut devenir nationale; et, tout en rendant justice
+au présent, pour être juste, il faut donner un regret au passé.
+
+[Illustration: Les coureurs au départ.]
+
+Une remarque assez curieuse à faire, c'est que depuis plusieurs années
+le nombre des bonnes juments l'a emporté sur celui des bons chevaux.
+Ainsi, en 1841, nous avons eu _Fiametta_; en 1842, _Annetta_; en 1843,
+_Nativa_ et _Jenny_; puis, dans un ordre inférieur, _Tragédie, Amanda_
+et _Muse_. Les chevaux sont bien loin de valoir leurs rivaux du sexe
+féminin. Cette, bizarrerie de la nature, est un malheur pour nos races
+françaises; des étalons pourvus des qualités qui distinguent _Nativa,
+Annetta_ et _Jenny_ eussent été précieux; leur sang se fût répandu par
+tout le pays, et eût amélioré les espèces; bornées à la condition du
+mères, ces juments perdent presque toute, leur valeur publique et
+nationale, et nous obligent à aller chercher en Angleterre, les étalons
+que nous eussions trouvés chez nous.
+
+
+
+Courrier de Paris.
+
+M. de Talleyrand n'était pas mort tout entier, tant que M. de Montrond a
+vécu; c'était la seconde moitié de lui-même; Talleyrand n'allait pas
+sans Montrond, et Montrond sans Talleyrand; l'un complétait l'autre;
+mais maintenant tout est dit; M. de Talleyraud est bien mort; M. de
+Montrond a été enterré la semaine dernière.
+
+On ne trouvera plus son pareil; cette espèce d'hommes est finie, et M.
+de Montrond en aura été le dernier et, on peut le dire, le plus parlait
+représentant; il faut une corruption en grand et de très-grands
+seigneurs pour faire éclore une telle race et pour l'alimenter; faites
+naître un Montrond de notre temps, il végétera et s'étiolera bien vite;
+dans ce monde de petits vices et de petites intrigues vulgaires, il n'y
+a plus place pour une intrigue si savante et pour un vice si raffiné;
+quand il séduirait la femme d'un député d'arrondissement et enlèverait
+deux ou trois Pénélopes de la garde, nationale; quand il ferait pour
+cinquante mille francs de dettes, la belle affaire! Et où placerait-il
+sa charmante impudence, sa fine raillerie, ses airs de Momcade, son
+cynisme élégant et son esprit de démon? Au service d'un millionnaire
+enrichi dans la cannelle ou dans le trois-six: le bel emploi pour le
+chevalier de Grammont mélangé de Casanova!
+
+M. de Montrond fut l'un et l'autre, et, comme tous les deux, il se fit
+de sa hardiesse et de son esprit l'existence la plus romanesque et la
+plus singulière. Sans fortune, sans crédit, perpétuellement en butte à
+la rancune des protêts et des huissiers, il mena toute sa vie un train
+du grand seigneur, et fit face aux situations les plus périlleuses et
+les plus diverses par des bons mots.
+
+M. de Montrond est mort à suivante-dix ans; pendant cinquante années de
+cette vie équivoque, la curiosité publique chercha le mot caché de ce
+luxe et de cette prodigalité, fondés en apparence sur les brouillards de
+la Tamise et de la Seine. Fallait-il en demander le secret au jeu, à
+l'amour ou à la politique? M. de Montrond était-il un de ces bons amis
+du hasard, qui se donnent un équipage d'un coup de carte, et d'un coup
+de dé se bâtissent un château? Comme les petits chevaliers de l'ancienne
+comédie, se faisait-il un gros revenu de l'estime des tendres baronnes
+et des douairières sentimentales? ou bien, araignée de la diplomatie,
+tendait-il secrètement ses toiles dans les coins ténébreux de la
+politique dont son ami Talleyrand tenait les fils? On a cru l'une et
+l'autre chose, et M. de Montrond était homme à justifier tout ce qu'on
+pouvait en croire.
+
+La moralité de ces exigences est d'ailleurs payée ce qu'elle vaut par
+ceux-là mêmes qui s'en servent ou qui s'en divertissent.--Un jour, M. de
+Montrond racontait en riant, à M. de Talleyrand, la grande colère d'un
+de ses créanciers, qui l'avait menacé la veille de le jeter par la
+fenêtre: «Le drôle oubliait, ajouta-t-il, que nous étions au troisième
+étage.--Montrond, dit Talleyrand, je vous ai toujours conseillé de vous
+loger au rez-de-chaussée!»
+
+Il nous est mort un autre comédien; mais du moins celui-ci ne
+dissimulait pas sa qualité et y allait de franc jeu. Son nom s'étalait
+bravement sur l'affiche, et dévoilait le rôle que mon homme allait
+jouer. Du reste, sa noblesse valait celle de M. de Montrond; il
+s'appelait M. de Rosambeau... M. Jules Janin a publié l'autre jour, en
+l'honneur du défunt, un article nécrologique dans le style de l'oraison
+funèbre du grand Condé et de Turenne. Entre nous, Rosambeau ne demandait
+pas une telle éloquence, et Bossuet est de trop pour un acteur de
+vaudeville et d'opéra-comique. Scarron aurait mieux fait l'affaire.
+Rosambeau, en effet, avait recueilli tout l'héritage des héros du _Roman
+comique_: la vie errante, l'insouciance, la pauvreté, l'habit en loques,
+et la résignation philosophique; plus d'une fois il trempa sa croûte de
+pain au courant d'une eau claire, comme son aïeul Melchior Zapata.
+
+Rosambeau avait commencé, par être beau, jeune, élégant, adoré; Ellevion
+le redoutait, et les succès de ce rival étaient venus le troubler dans
+sa _Maison à Vendre_. Mais, tandis qu'Ellevion, désertant
+l'Opéra-Comique, s'arrondissait en riche propriétaire et allait jusqu'à
+la croix d'honneur il à l'éligibilité, mon Rosambeau perdait ses
+cheveux, perdait ses dents, et tombait, de chute en chute, jusqu'au
+théâtre des _Folies-Dramatiques_. Il eut encore une heure d'éclat: ce
+fut le jour où l'Odéon lui donna asile. Hélas! l'Odéon ne se montra pas
+charitable longtemps; un an avant sa mort, Rosambeau, rendu tout entier
+à la vie philosophique, errait à la grâce de Dieu dans les rues de
+Paris, plus délabré que le Juif Ahasvérus, et n'ayant pas même cinq sous
+dans sa besace.
+
+Il s'adressa plusieurs fois à mademoiselle Mars, qui l'accueillit avec
+bonté et le renvoya toujours moins pauvre qu'il n'était venu; mais
+l'argent ne tenait pas à Rosambeau, et Rosambeau tenait à l'argent moins
+encore. Ses poches étaient percées, la manne qui par hasard y tombait
+passait bien vite à travers.
+
+Il revint si souvent à Araminte et à Célimène, qu'à la fin leur humanité
+se lassa; d'ailleurs, le Rosambeau était si peu vêtu et si peu parfumé
+que le boudoir de Célimène ne s'en arrangeait guère, et que le délicat
+odorat d'Araminte s'en effarouchait.--Un matin, arriva mon Rosambeau,
+encore moins musqué que de coutume; Célimène, qui venait sans doute de
+congédier Acaste et Clitandre, lui dit en prenant son flacon d'eau de
+mélisse, qu'elle aspira avec grâce: «Et que voulez-vous que je fasse,
+mon pauvre Rosambeau? je n'ai plus rien à vous donner!» Puis, se
+ravisant: «Tenez, prenez ceci;» et en même temps elle lui présenta une
+petite carte découpée en losange. Rosambeau la prit d'un air stupéfait,
+et y lut ces mots: _Bains Vigier_: bon pour une personne.
+
+Le trait était sanglant et digne de Célimène; Araminte y eût mis plus
+d'humanité.--Rosambeau, qui avait des moments de fierté, sortit
+magnifiquement et sans mot dire.
+
+Il n'avait pas déjeuné le matin ni dîné la veille, et son estomac criait
+miséricorde. La belle consolation à lui offrir qu'un bain d'eau douce!
+
+Cependant Rosambeau suivait tout pensif le quai du Louvre; et, poussé
+peut-être par une secrète envie de faire faire un plongeon à sa faim, il
+descendit sur le bord de la Seine; et la, se trouvant face à face avec
+l'établissement aquatique de M. Vigier, il y entra machinalement: «Que
+voulez-vous? lui crie le garçon d'un ton rogne, avisant le pauvre hère.
+--Ce que je veux? Vous le voyez bien.» Et Rosambeau donne la carte qu'il
+tient de Célimène.--A peine a-t-il dit, que son oeil affamé entrevit ces
+mots affiché» sur la muraille: Un bain, 1 fr.; un consommé, 1 fr.; un
+peignoir, 5 cent.; un petit pain, 5 cent.
+
+«Holà! eh! garçon! s'écrie Rosambeau d'une voix formidable.--Voilà,
+monsieur!--J'ai demandé un bain!--Oui, monsieur.--Un consommé coûte 1
+fr.?--Tout juste, monsieur.--Cette carte de bain que je vous, ai donnée
+représente 1 fr.?--Certainement, monsieur.--Donnez-moi un consommé!»
+
+Le lendemain, il entrait chez Célimène: «Eh bien! lui demanda-t-elle,
+Rosambeau, avez-vous pris un bain?--Non, madame, j'ai pris un potage: ça
+m'a paru plus nourrissant.»
+
+Ce n'est pas un potage que doit prendre M. Eugène Briffault le
+feuilletoniste, mais une femme. Qu'ai-je dit? La femme n'est-t-elle pas
+un potage, suivant Molière? Heureux le mari, dit Alain, quand les
+voisins n'y viennent pas goûter l'un après l'autre!
+
+Les bans sont affichés; dans trois ou quatre jours, M. Eugène Briffault
+donnera la seconde représentation du _Mariage d'un Critique_: M. Jules
+Janin tiendra le poète.
+
+Il paraît que la littérature se range et songe à finir sa vie de garçon;
+après M. Eugène Briffault, ou annonce M. Roger de Beauvoir. Déjà les
+cloches carillonnent; soit! Que M. Eugène Briffault se marie, cela le
+regarde, mais M. Roger de Beauvoir, c'est autre chose! On s'étonne de
+voir ce léger papillon, qui a si longtemps voltigé de fleur en fleur, se
+fixer enfin et s'abattre sur la plate-bande du mariage. Les roses vont
+sécher sur pied, et le myrte en mourra. M. Roger de Beauvoir, dont les
+opinions politiques sont bien connues, reste fidèle à son drapeau jusque
+dans le choix d'une femme: il épouse une nièce de Cabrera, cousine de
+Gomez et filleule de Zumala-Barregui. M. Roger de Beauvoir en est devenu
+éperdument amoureux pendant son dernier voyage en Catalogue. Charles V a
+promis la grandesse à M. Roger de Beauvoir, aussitôt après son
+rétablissement sur le trône légitime. On croit que M. Roger de Beauvoir
+l'attendra longtemps.
+
+Un autre écrivain beaucoup moins gros que M. Eugène Briffault et non
+moins léger que M. Roger de Beauvoir se trouvait, il y a un an, dans une
+situation financière peu rassurante. Sans le secours de la machine
+pneumatique, et par le seul effet d'une consommation trop fréquente de
+monnaie, le vide complet s'était fait dans sa bourse et dans sa caisse.
+Il avait beau en sonder toute la profondeur, sa main n'y rencontrait pas
+les deux mille livres dont il avait un besoin urgent. Enfin, il se
+souvint d'un banquier, son ancien camarade de collège, alla tout droit
+frapper à sa porte, et lui fit adroitement comprendre le charme qu'il
+trouverait à caresser deux billets de la banque de France. L'homme aux
+écus saisit l'affaire au premier mot, et comme la finance n'a pas un
+grand penchant naturel à hypothéquer son bien sur la littérature, il
+hésita d'abord; mais enfin il s'agissait d'un ancien condisciple; et
+puis, pour deux mille livres, on se donnait un certain reflet de Mécène
+et un air de François Ier et de Léon X; c'était vraiment pour rien!
+
+Il tira donc les deux billets d'un joli portefeuille de maroquin brun,
+et les donna à notre homme. «Mon cher, lui dit celui-ci, sois
+tranquille, je te rembourserai sur le produit de mon _meilleur_
+ouvrage.»
+
+Depuis, le créancier a mis au monde un roman, deux opéras-comiques, une
+comédie, une histoire universelle, cinq mélodrames et six vaudevilles. A
+chaque apparition de ces produits littéraires, le débiteur, songeant à
+ses deux mille livres, vient en personne pour complimenter l'auteur.
+«Charmant! dit-il, délicieux! un bijou! un véritable chef-d'oeuvre!
+C'est ton _meilleur ouvrage_,» appuyant avec intention sur l'épithète.
+«Ah! laisse donc, réplique l'autre; tu te moques. J'espère faire cent
+fois mieux.»
+
+M. Fornasari, qui a débuté mardi dernier au Théâtre-Italien, est ce
+qu'on appelle un bel homme, tradition populaire, il a de grands bras, de
+grandes jambes, de grandes mains, de grands pieds, de grands yeux, de
+grands cheveux, de grandes dents blanches et de grands gestes; on le
+croirait plutôt destiné à faire un superbe tambour-major qu'un
+chanteur.
+
+A toutes ces richesses athlétiques M. Fornasari joint une formidable
+voix de basse qu'il emploie de manière à briser les vitres. M. Fornasari
+s'est fait entendre dans le _Belizario_ de Donizetti, oeuvre
+prodigieusement bruyante. Quelqu'un disait, après avoir entendu l'opéra
+et M. Fornasari: «C'est une musique chantée par un aveugle et faite pour
+des sourds.»
+
+Tout le monde ne sait peut-être pas que le goût de la publicité par la
+presse a gagné jusqu'au jeu d'échecs. Le jeu d'échecs a son journal tout
+comme s'il était le tiers-parti, la gauche, l'extrême gauche ou le
+ministère. Il y a sept ans qu'il imprime ainsi ses opinions sur la
+marche du Roi et de la Reine. Cette feuille d'échec et mat est intituler
+le _Palamede_, rendant ces sept années d'existence paisible, _le
+Palamede_, se croyant abrité par la loi, a paru sans timbre et sans
+cautionnement. Mais l'autorité se ravise et lui en demande raison.
+Est-ce qu'il y a vraiment de la politique au fond d'une partie d'échecs,
+et la Tour cacherait-elle des complots secrets contre la forme du
+gouvernement? O timbre, laisse donc vivre en paix ces pauvres fous et
+ces innocents cavaliers!
+
+Voici quelque chose de plus grave: un grand trouble agite depuis huit
+jours le théâtre des Variétés. Qu'est-ce? qu'y a-t-il? Il s'agit d'un
+enlèvement.--Est-ce que mademoiselle Boisgoutier aurait fait un faux
+pas? Mademoiselle Flore se serait-elle égarée dans les petits sentiers
+d'Amathonte et de Cythère, à la suite de quelque noir ravisseur? Non
+pas. Dieu merci! où en serait-on si des vertus si mûres, si
+expérimentées, et d'un tel poids, faisaient encore de ces
+légèretés-là?--La fugitive a dix-huit ans, des yeux noirs, un petit air
+innocent et candide et une jambe de biche; avec cela, elle ira loin
+avant qu'on la rattrape.
+
+Deux diplomates ont quitté Paris tout récemment: l'un est M. de
+Salvaudy, qui va montrer à la cour de Turin la chevelure d'Alonzo;
+l'autre, M. le marquis de Lavallette, nommé consul-général à Alexandrie.
+M. de Lavallette a longtemps étudié la diplomatie dans les coulisses de
+l'Opéra; il y a approfondi particulièrement la pirouette et l'entrechat.
+On blâme cette faveur rapide qui l'a pris entre deux coulisses et une
+danseuse, pour le transformer tout à coup en homme d'État. Pourquoi
+blâmer? Il est clair que M. de Lavallette a fait sa fortune politique
+pas à pas.
+
+L'Académie royale de Musique donne le meilleur de son temps aux
+répétitions du _Don Sébastien_ de M. Donizetti; les quatre premiers
+actes sont complètement achevés. M. Donizetti met la dernière main au
+cinquième; il a livré hier le morceau final et deux choeurs importants.
+Dans quinze jours au plus tard, _Don Sébastien_ se montrera tout entier
+au soleil de la rampe, armé de pied en cap. On loue d'avance la
+partition; on parle de la magnificence des décors: jamais l'Opéra n'aura
+été plus prodigue et plus magnifique. Il est particulièrement question
+de la pompe funèbre du troisième acte. La situation est toute
+dramatique: don Sébastien, qui passe pour trépassé, assiste à son propre
+enterrement, comme on la raconté de Marion de Lorme. Il est peut-être
+dangereux pour un poète et pour un musicien de jouer ainsi avec les
+morts: le parterre s'avise quelquefois de les mettre tous les deux sur
+la liste nécrologique. Mais ici, dit-on, ce genre de mortalité n'est pas
+à craindre; si l'on fait une pompe funèbre sur la scène, ce ne sera ni
+M. Scribe ni M. Donizetti qui y seront enterrés.
+
+L'Odéon est dévoré par les tragédies sublimes; le succès de _Lucrèce_
+les fait pulluler; en voulez-vous, en voici! Rome et Athènes, l'Italie
+et la Grèce, ont envahi les cartons de M. Lireux; qu'allons-nous faire
+de tous ces trésors? Il est vrai que l'Odéon nous ménage et y met de la
+prudence; tous les jours on annonce que quelque nouveau chef-d'oeuvre
+tragique a passé le Pont-Neuf et s'est glissé au comité de lecture du
+Second-Théâtre-Français, mais jusqu'ici ou n'en a pas encore vu paraître
+un seul. On fait grand bruit cependant d'un certain _vieux Consul_ en
+cinq actes, qui, dit-on, nous la garde bonne. Nous verrons bien; pourvu
+que ce vieux nous paraisse nouveau!
+
+Une charmante femme, d'une vertu au-dessus de tout soupçon, madame B...,
+assistait hier à la représentation du nouvel opéra-comique de MM. Panard
+et Ambroise Thomas, _le Ménage à Trois_; madame de C..., la fausse
+prude, attaquait l'invraisemblance du sujet, «Allons donc! lui dit
+vivement Madame B...; vous ne voyez que ça toute la journée.»
+
+Cependant les omnibus continuent à écraser les enfants et les
+vieillards, les voleurs à détrousser les passants, et partant Paris est
+toujours le plus charmant pays du monde.
+
+
+
+Histoire de la Semaine
+
+Aucun événement, aucun fait de politique intérieure de quelque
+importance n'est venu cette semaine occuper les esprits. La lutte du
+conseil municipal d'Angers contre le maire, auquel il refuse son
+concours, a presque seule remplacé dans la polémique des journaux les
+longues discussions sur les fortifications de Paris et sur le programme
+d'opposition mis en avant par M. de Lamartine. La politique prend ses
+vacances, et le ministère ne paraît pas encore d'accord sur la date
+précise où il doit les faire cesser. Ceux des ministres au bonheur
+desquels la présence des Chambres n'est pas absolument indispensable,
+voudraient que leur réunion fut différée jusqu'au 9 janvier; des
+scrupules constitutionnels font, dit-on, désirer à quelques autres
+membres du cabinet que la convocation ait lieu pour le 27 décembre, afin
+qu'on puisse appeler cette session la session de 1843, et demeurer dans
+la lettre de la Charte, qui en veut une par année. Nous sommes donc,
+quoi qu'il arrive, à peu près sûrs de pouvoir célébrer avec nos
+législateurs soit la nuit de Noël, soit la fête des Rois; nous voudrions
+être également certains que tous les travaux nécessaires à la session
+seront prêts au moment où la réunion aura lieu, que les séances pourront
+se succéder sans interruption, que les projets de loi auront été bien
+mûris, et que de nouveaux et fâcheux ajournements ne seront pas
+nécessaires.--A l'extérieur, l'attention de la France a également été
+peu absorbée par ses propres affaires. L'Autriche a-t-elle ou n'a-t-elle
+pas refusé au fils de M. le maréchal Soult, à notre ambassadeur à Turin,
+voyageant dans la partie de l'Italie qui se trouve sous la domination de
+Vienne, le titre de marquis de Dalmatie? Voilà la question qui a été
+débattue entre les feuilles du gouvernement et celles de l'opposition.
+Ce qui paraît être vrai, au milieu d'assertions contradictoires, c'est
+qu'on a dispensé notre ambassadeur de la formalité du passeport, pour ne
+pas lui en remettre un qui aurait porté ou une qualification qu'on
+n'aurait pas voulu lui donner, ou un nom qui n'aurait pas été celui qu
+il voulait prendre. Du reste, cette guerre à l'histoire est bien pauvre.
+
+L'Irlande est la scène politique vers laquelle tous les yeux sont
+tournés. O'Connell et ses amis y poursuivent leur oeuvre avec calme et
+mesure. Le peuple irlandais a compris que ses destinées à venir
+dépendaient peut-être de l'esprit d'ordre et de modération qu'il
+montrerait dans cette circonstance critique et décisive. Son attitude
+prouve son intelligence et fait le procès à ceux qui n'ont pas su et qui
+ne savent pas encore le traiter en égal et en frère. Autant O'Connell et
+ses compatriotes remplissent bien leurs rôles, autant le ministère
+anglais paraît n'avoir pas étudié le sien. Une feuille d'un comté dit
+qu'il n'y a autre chose à faire qu'à, pendre O'Connell. Il est évident
+que si ce journaliste voulait bien, dans son petit coin, se charger de
+cette mission, il tirerait sir Robert Peel d'un grand embarras. On a
+fait procéder à des enquêtes pour établir toute la série de crimes
+imputés aux chefs de l'association; les témoignages recueillis ont été
+ceux d'agents de la force constabulaire. On ne s'est pas encore arrêté
+dans le choix d'accusés qu'on se propose de faire parmi les prélats
+catholiques; quant aux rédacteurs du journal _the Nation_, et de
+quelques autres feuilles irlandaises, on ajoutera pour eux le chef
+d'accusation d'avoir cherché à séduire et corrompre les soldats de la
+marine et de l'armée anglaises. L'affaire sera appelée le 2 novembre
+devant le jury de Dublin, pour être remise, d'après les calculs les plus
+vraisemblables, aux derniers jours du même mois.--Les cortès espagnoles,
+depuis leur réunion, n'ont procédé encore qu'à des travaux
+préparatoires; la vérification des pouvoirs des députés n'a donné lieu à
+aucune discussion, à aucune lutte où l'on ait pu apprécier la force
+respective des partis. Outre ceux que les élections ont fait connaître,
+il s'en est, dit-on, formé un autre qui ne se propose sans doute que de
+jouer un rôle convenu pour faire regarder comme moins extrême le parti
+de Narvaez: c'est un parti qui fait semblant de vouloir que l'abdication
+de l'ex-régente soit déclarée nulle et de nul effet, parce qu'elle n'a
+pas été libre et volontaire. Nous ne croyons pas que personne le puisse
+prendre au sérieux. Rien de terminé, rien de plus avancé en Catalogne.
+Barcelone est encore dans la même et désastreuse situation. Quant à
+Girone, Prim a écrit à Madrid qu'il y entrerait ou se ferait tuer. On
+peut donc prédire que le sang coulera encore abondamment sur cette
+malheureuse terre d'Espagne. Au profit de quels principes et dans quel
+intérêt avouable? Nous serions bien embarrassés de le dire.--Du reste,
+au milieu de toutes ces crises sanglantes, le ministère espagnol trouve
+moyen d'organiser le service postal dans la péninsule. L'empereur de
+Russie, de son côté, a opéré dans ses États la réforme du tarif des
+lettres, que la France réclame toujours vainement. Que faudra-t-il donc
+pour vaincre l'obstination de notre administration?--Il vient de
+paraître à Madrid un nouveau journal politique, _L'International_. Cette
+feuille, rédigée en français, se propose pour but de faire connaître
+l'Europe à l'Espagne, et surtout l'Espagne à l'Europe. Dans le premier
+numéro, une nous avons sous les yeux, ses rédacteurs font preuve de
+talent et de sentiments patriotiques qui n'ont pas ce caractère
+d'hostilité envers l'étranger qu'on rencontre trop souvent dans les
+journaux de Madrid.--Des bruits très-contradictoires ont couru sur les
+troubles de la Romagne et les mesures récentes dont ils auraient été
+l'occasion. La _Gazette du Rhin et de la Moselle_ avait
+très-positivement annoncé que le feld-maréchal autrichien Itadesky était
+entré à Bologne, à la tête de quatre mille hommes tirés du royaume
+lombardo-vénitien, sur une réquisition du gouvernement papal. La
+_Gazette Universelle Allemande_ se borne à dire que la demande de les
+tenir à disposition à effectivement été faite, mais qu'elles ne seront
+entrées dans le Bolonais que si le cardinal-légat l'a jugé nécessaire.
+Il faut espérer que le cabinet français ne s'en remettra, pour cette
+question, ni au jugement du cardinal-légat ni aux bonnes dispositions du
+feld-maréchal autrichien, et que le souvenir de la conduite de Casimir
+Périer ne sera pas plus perdu pour le ministère que ne le serait pour la
+marine et pour l'armée l'exemple de l'amiral Gallois et du colonel
+Combes. La _Gazette d'Augsbourg_, au contraire, renferme une
+correspondance d'après laquelle le Saint-Siège ne songerait à venir à
+bout des mécontents qu'en entrant dans la voie de réformes politiques
+qui lui auraient été conseillées par plusieurs cabinets.
+
+Il séculariserait d'abord une grande partie des hautes fonctions
+publiques qui sont dans ce moment dans les mains du clergé. Nous
+voudrions pouvoir croire à cette version.--Pour en finir avec les
+nouvelles des États pontificaux, nous dirons que le prêtre Abbé, dont
+nous avons annoncé la condamnation à mort en même temps que le bruit
+répandu de sa commutation de peine, aurait été exécuté le 4 octobre, si
+l'on en croyait les organes habituellement officiels. On a donc vu
+imprimer: «Hier matin, de bonne heure, le prêtre Abbé, originaire du
+Piémont, a été décapité dans le château Saint-Ange. Jusqu'à présent, on
+s'était imaginé qu'il obtiendrait une commutation de peine, parce qu'on
+pensait que le gouvernement ne se déciderait point à laisser un prêtre
+monter sur l'échafaud. Le pape a bientôt dissipé cette illusion. S. S. a
+voulu prouver qu'un criminel ne méritait aucune faveur à raison de son
+rang et de sa condition. Si l'exécution n'a pas eu lieu sur une place
+publique, mais dans l'intérieur du château, c'est uniquement que le
+Gouvernement a voulu éviter la trop grande affluence de peuple sur le
+lieu de l'exécution.» Mais personne à Rome n'a cru à cette nouvelle, et
+tout le monde s'est estimé autorisé à penser que le gouvernement papal a
+voulu donner une sorte de satisfaction à l'opinion publique indiquée à
+la nouvelle d'une commutation, et sauver ce misérable en considération
+de son caractère sacerdotal. Ou a pensé aussi qu'en faisant croire à la
+nouvelle de cette exécution, le gouvernement de Rome tenait à être
+considéré comme libre de ne pas reculer devant l'application de la peine
+de mort, si elle était prononcée contre des détenus du fort Saint-Léo.
+
+Les mois de septembre et d'octobre auront été cette année cruellement
+féconds en désastres. Les journaux de nos ports de la Manche et de
+l'Océan sont pleins de détails sur les avaries et les échouements d'une
+foule de bâtiments du commerce.--Un tremblement de terre très-violent,
+accompagné de tonnerre souterrain, s'est fait sentir, le 3 octobre, à
+Jassy, en Moldavie, et a fait fuir dans les champs une grande partie de
+sa population effrayée.--Des nouvelles de Port-Léon (Florides) donnent
+les plus affligeants détails sur un ouragan et une inondation qui y ont
+exercé leurs ravages dans la nuit du 13 au 14 septembre. La ville fut
+soudainement inondée, tous les magasins situés sur les quais furent
+renversés par le torrent; la plus grande partie des maisons fut
+également détruite, et les malheureux habitants, à demi nus, durent
+aller chercher un refuge sur les hauteurs voisines. A Saint-Mareks,
+toutes les maisons ont été également détruites ou endommagées. Mais le
+désastre a été plus immense encore à Light-House; là, pas un seul
+édifice, excepté le phare, n'est resté debout, et l'on compte en outre
+quatorze victimes. Les habitations disséminées sur la côte ont aussi
+beaucoup souffert: dans l'une, tout le monde a été noyé. Aux dernières
+dates, on n'avait pu encore constater toute l'étendue du désastre,
+compter tous les noyés; mais on s'était assuré déjà de la disparition
+d'un très-grand nombre de personnes, qui ont sans doute été entraînées
+par les Ilots.
+
+On a enfin le dernier mot sur _le Télémaque_ et les richesses; que ses
+flancs recelaient pour les actionnaires de cette opération, dont
+_l'Illustration_ (t. I, p. 4) a entretenu ses lecteurs au point de vue
+du procédé de sauvetage. Le notaire de Quilleboeuf devant lequel avait
+été passé l'acte d'association ou de mystification a fait publier, dans
+les colonnes de plusieurs journaux, l'avis suivant: «Les actionnaires de
+l'entreprise du sauvetage du _Télémaque_ sont informés que les travaux
+viennent d'être entièrement terminés. La cargaison est déposée sur le
+quai de Quilleboeuf; elle consiste en cinquante-deux pièces de bois de
+construction. Ou avait aussi embarqué à bord du _Télémaque_ une quantité
+considérable de barriques, mais on n'en a retrouvé que des débris qui
+attestent qu'elles ont contenu du suif et de l'huile. Jusqu'au 23
+septembre, il était resté beaucoup de sable dans le navire; mais des
+ouvertures pratiquées à dessein ont donné passage aux courants; les
+grandes marées de la fin de septembre ont suffi pour le déblayer
+entièrement. Alors on a pu faire les plus minutieuses recherches, et
+l'on a acquis la certitude que l'opinion de l'existence de valeurs dans
+_le Télémaque_ était absolument chimérique. Il ne reste plus aujourd'hui
+de ce navire qu'une carcasse informe. Il sera bientôt procédé, par
+l'autorité maritime, à la vente, tant de la cargaison que des débris du
+navire.»--Les actionnaires du _Télémaque_ auxquels il resterait encore
+quelque argent à placer, pourraient le porter à une compagnie
+commerciale dont le siège principal est, dit-on, à Londres, et qui a des
+succursales dans les principales villes de l'Europe. Cette société, qui
+a pris pour titre _The Iberian mercantile Company_, offre au public 3
+pour 100 _de rente pour rien_. D'après les combinaisons de cette
+compagnie, qui paraît s'être formée pour enrichir l'humanité, certains
+marchands désignés par elle, ayant un dépôt de ses actions et coupons
+d'actions, les délivreront, _pour rien_, sur la demande de l'acheteur
+qui viendra faire chez eux des emplettes. Si l'achat s'élève à 125
+francs, on aura droit à une action principale portant intérêt à 1 et
+demi pour 100 la première année, 2 et demi pour 100 la deuxième, et 5
+pour 100 les années suivantes. Si l'achat ne se monte qu'à 25 francs, on
+recevra un coupon d'action. «Les achats d'un particulier, dit le journal
+_la Presse_, s'élevant, terme moyen, à 3,000 francs par an, il en
+résulte qu'en dix ans, et _sans débourser un sou_, on peut se faire
+1,000 ou 900 francs de rente.» C'eût été véritablement voler les
+lecteurs de _l'Illustration_, que de ne pas leur faire connaître une
+aussi bonne occasion de faire fortune sans s'en apercevoir.--Quant aux
+actionnaires des fameuses mines de Saint-Bérain, les pauvres victimes
+des Cleemann, Blum et consorts, ils paraissent aujourd'hui complètement
+désillusionnés; car les annonces judiciaires fixent le jour de la
+prochaine vente sur licitation sur une mise à prix qui n'est pas du
+douzième du capital social.
+
+Un marché où à coup sûr l'acquéreur n'a pas été dupe, c'est celui que
+vient de conclure le ministère de l'intérieur avec un jeune paysagiste
+de l'École de Lyon, M. Amaranthe Roulliet, inventeur d'un procédé il
+l'aide duquel l'homme qui n'a jamais dessiné de sa vie peut trouver en
+quelques minutes la reproduction exacte d'un dessin ou la parfaite
+ressemblance d'un corps placé devant lui, soit dans des proportions
+identiques, soit avec diminution ou augmentation, et, dans ces derniers
+cas, avec une scrupuleuse observation de la perspective, sauf la beauté
+du trait, qu'une main exercée peut seule atteindre (Voir
+_l'Illustration_, t. I, p. 90,). Le procédé est, dit-on, des plus
+simules, sans machines, sans recours à la chimie, sans attirail
+incommode et coûteux. Il y a à peu près un an, M. le ministre de
+l'intérieur demanda un rapport à l'Académie des Beaux-Arts, qui, sur un
+examen superficiel et peu bienveillant, on ne sait trop pourquoi, refusa
+net de s'occuper de cette affaire, alléguant que de telles inventions
+nuisent à l'art en lui ôtant ses difficultés. Le ministre, peu touché
+d'une telle fin de non-recevoir, qui n'irait à rien moins qu'à proscrire
+la règle, le compas, la chambre noire ou claire, le daguerréotype, et
+bien d'autres instruments dont on use fort à l'Académie, et qui n'ont
+jamais nui à l'art, parce que l'art est très-distinct de l'exactitude
+matérielle, le ministre nomma une commission dans laquelle durent
+figurer MM. Cavé, Vilet, Mérimée, Lenormand, Lassus, Flandrin, Léon
+Coignet, Allaux. Après une étude longue et approfondie, à la suite
+d'épreuves multipliées dans lesquelles les difficultés de dessin des
+plus épineuses ont été vaincues avec une rapidité, une facilité, un
+bonheur incroyables, la commission a conclu à ce que la direction des
+Beaux-Arts achetât la découverte dans l'intérêt des beaux-arts et de
+l'industrie. On sait les lenteurs administratives; le secret fut enfin
+révélé à un membre de la commission, savant architecte, qui, dans un
+nouveau rapport au ministre, a déclaré la découverte plus étendue et
+plus féconde encore, que ne le croyait l'inventeur; sur quoi, une
+pension de _douze cents francs_ a été accordée à M. A. Roulliet. Il y a
+de cela près de deux mois, et on ne comprend pas pourquoi la découverte
+n'a point encore été livrée à la légitime impatience de beaucoup
+d'artistes de premier ordre, moins dédaigneux de progrès qu'on ne l'est
+à l'Académie. Nous comprenons avec quelle prudence une telle affaire
+doit être officiellement traitée. Nous savons les ménagements qui sont
+dus à un corps respectable à tant de titres; mais enfin, si quelqu'un
+s'est endormi par hasard, une fois sans plus; si quelqu'un a manqué de
+goût et de pénétration, le public n'en est pas cause et ne saurait être
+puni. Le public, lui non plus, n'aime pas qu'on le fasse attendre.--Ce
+n'est point à ce procédé mécanique, mais au pinceau habile de Sigalon,
+que sont dus douze grands tableaux dont vont être décorés les plafonds
+de l'ancienne église des Petits-Augustins dépendant de l'école des
+Beaux-Arts. Ces peintures, qui ont chacune une dimension de quatre
+mètres de large sur six de hauteur, représentent les douze apôtres de la
+chapelle Sixtine à Rome. Ces beaux tableaux feront suite à la magnifique
+copie du _Jugement dernier_, exécutée par le même artiste, qui décore
+déjà l'abside de ce musée.
+
+[Illustration: Éclairage au gaz sidéral.--Expérience faite le 20 octobre
+sur la place de la Concorde.]
+
+De nombreuses tentatives sont faites en ce moment pour enlever au gaz le
+monopole de l'éclairage. Dans la séance du l'Académie des Sciences du 29
+mai dernier, MM. Busson, Dumaurier et Rouen avaient lu un mémoire sur
+l'éclairage par la combustion des huiles essentielles provenant du
+schiste, de la houille et du goudron. Ce mémoire avait attiré
+l'attention de l'Académie; mais comme, tout en sachant bien que ces
+huiles étaient très-riches en carbone et en hydrogène, ou n'ignorait,
+pas non plus qu'elles donnaient une flamme tellement fuligineuse qu'il
+avait toujours fallu renoncer à les employer à l'éclairage, on avait
+besoin que l'expérience vînt constater si MM. Busson-Dumaurier et Rouen
+avaient vaincu la difficulté devant laquelle jusque-là chacun avait
+échoué; ils l'ont en effet heureusement surmontée. Nous ne savons pas
+bien par quels calculs on arrive à établir, comme quelques journaux
+l'ont avancé, que cet éclairage est au gaz comme 6 est à 1, et à
+l'éclairage à l'huile comme 8 est à 1. Tout ce que nous pouvons dire,
+c'est que cet éclairage, qui, quant à présent, doit coûter peu puisqu'il
+est alimenté par un liquide dont les usines de gaz, qui en produisent
+beaucoup, ne tiraient jusqu'à ce jour qu'un parti insignifiant, après
+avoir fonctionné pendant trois mois à la gare du chemin de fer de
+Saint-Cloud, depuis l'avenue du Château jusqu'à la station de
+Montretout, vient d'être essayé avec un égal succès, par
+l'administration de la ville de Paris, dans la rue de la Huchette et sur
+la place du Musée du Louvre. Si la difficulté d'allumer, sensible
+aujourd'hui, ne devient pas presque insurmontable par le froid, cet
+éclairage, que son odeur rendra toujours inapplicable dans les
+intérieurs, pourra être extérieurement d'une certaine ressource là où le
+gaz ne peut être établi, et les petites villes, qui ne sauraient
+supporter les dépenses de pose de conduits, pourront, en se procurant
+les lampes fort simples qui constituent l'appareil de ce nouvel
+éclairage, profiler à peu de frais d'un perfectionnement
+incontestable.--Vendredi 20, à neuf heures du soir, un nombreux public
+était rassemblé sur la place de la Concorde pour assister à l'essai d'un
+autre éclairage, l'éclairage électrique. Deux cents éléments de pile
+Bunzen, réunis dans le papillon qui sert de piédestal à la statue de la
+ville de Lille, étaient préparés pour illuminer un cylindre de charbon
+ouvert aux deux bouts, renfermé dans un bocal en verre plongeant dans de
+l'acide nitrique. Le cylindre de charbon renfermait lui-même un bocal de
+porcelaine poreuse contenant de l'eau acidulée à quinze degrés à l'aide
+d'acide sulfurique, et un cylindre d'amalgame de zinc plongeant dans
+l'eau acidulée. Deux conducteurs en cuivre partant des deux pôles de la
+pile, et terminés par du charbon aiguisé, se rendent dans un ballon vide
+d'air, où ils se rencontrent à une courte distance. Les deux fluides de
+nature opposée, en se réunissant, produisent une lumière douce et
+abondante. Les becs de gaz avaient été éteints sur presque toute la
+place, et ceux qui étaient demeurés ne servaient qu'à faire ressortir,
+par le rouge fauve de leur lumière, au milieu du brouillard où régnait
+ce soir-là, la blancheur éclatante de la lumière nouvelle. Il a été
+démontré que cinq foyers de cet éclairage illumineraient la place mieux
+qu'elle ne l'est, et lui ôteraient cette apparence de surtout de table
+que l'architecte lui a donnée. Mais quel est le prix de revient de
+l'application de ce procédé? C'est ce que personne n'a pu nous dire, et
+ce dont les inventeurs, hommes de science, ne se sont pas, dit-on, rendu
+un compte très-exact. Toutefois, on annonce un nouvel essai, avec un
+foyer beaucoup plus puissant placé au haut de l'obélisque; et cette
+fois, ou se propose d'asseoir des calculs qui puissent mettre à même de
+prononcer sur le côté pratique d'un procédé qui, s'il ne pouvait devenir
+usuel, serait toujours d'un bel effet dans les fêtes et illuminations.
+Les journaux américains nous ont appris la mort d'un savant astronome et
+mathématicien français, M. J.-N. Nicollet, ancien professeur du Lycée
+Impérial à Paris, décédé à Washington. Les feuilles des États-Unis lui
+paient un juste tribut d'éloges et de regrets.--Le _Courrier
+d'Indre-et-Loire_ nous apporte la nouvelle de la perte que vient de
+faire l'émigration polonaise, d'un des hommes qui l'honoraient le plus.
+M. Pietkiewiez, ancien professeur suppléant à l'Université de Wilna,
+ancien nonce à la diète de Pologne, vient de mourir à l'âge de
+trente-huit ans, à Tours, qui lui avait été fixé pour résidence. Cet
+homme, qui avait la passion du bien, s'était dévoué à seconder
+l'établissement primitif de la colonie agricole de Mettray. Il avait été
+nommé professeur d'allemand au collège royal de Tours, et ses vastes
+connaissances, son esprit fin et doux, son caractère bienveillant, ses
+autres vertus, qui faisaient le charme et l'admiration de tous ceux qui
+l'ont connu, sont aujourd'hui l'inépuisable source des regrets de ses
+compatriotes, qui le respectaient, de ses amis, qui ne l'oublieront
+jamais, et d'une veuve qui pleure sur une union formée il y a quelques
+mois, et si prématurément, et cruellement rompue.
+
+
+
+[Illustration: Théâtre de l'Odéon.--_Pierre Landais_. 4e acte.--Albin,
+Milon; Marie, mademoiselle E. Volet; Étienne Chauvin, Darcourt.--Etienne
+Chauvin remet à Albert l'écharpe ensanglantée de son frère.]
+
+Théâtres.
+
+_Pierre Landais_, drame en cinq acte de M. Émile SOUVESTRE (THÉÂTRE DE
+L'ODÉON).--_Don Quichotte et Sancho Pança,_ (CIRQUE-OLYMPIQUE).--_Les
+Naufrageurs_, (PORTE-SAINT-MARTIN).--_Le Capitaine Lambert_,
+(GYMNASE),--_Jacquot_ (THÉÂTRE DES VARIÉTÉS).
+
+La véridique histoire de Pierre Landais est assez singulière et assez
+intéressante pour qu'un homme de talent et d'imagination comme M. Émile
+Souvestre y ait vu les éléments d'un drame. Qu'y a-t-il de plus
+dramatique, en effet, que la vie de ce simple fils de tailleur d'habits
+qui, parti de l'échoppe de son père, s'élève peu à peu, par son habileté
+et son esprit, à la plus haute fortune, et devient le ministre
+tout-puissant de François II, duc de Bretagne? Gouvernant le duché sous
+ce prince faible et ami des plaisirs, Pierre Landais tient tête à Louis
+XI lui-même, et entreprend contre la noblesse bretonne une lutte
+acharnée, brisant ses privilèges et abattant son audace factieuse.
+Quelques historiens, il est vrai, parlent de Pierre Landais comme d'un
+parvenu ambitieux et violent qui n'aurait cherché dans cette lutte qu'à
+satisfaire sa cupidité et sa haine; mais d'autres, rehaussant le
+caractère de Pierre, lui donnent les vues profondes de l'homme d'État;
+s'il frappait sur la noblesse, ce n'était pas pour satisfaire de vaines
+rancunes et de coupables passions, mais pour affranchir le pouvoir du
+duc et délivrer la Bretagne du joug d'une aristocratie oppressive. Sous
+ce point de vue, Pierre Landais est non-seulement un politique, mais un
+philosophe.
+
+[Illustration: Théâtre de l'Odéon--_Pierre Landais_. 3e acte.--Pierre
+Landais, Bouchet; Marie, mademoiselle E. Volet; Albert, Milon; Étienne
+Chavin, Darcourt.--Étienne montre le bourreau à Landais.]
+
+[Illustration: Théâtre d'hiver du Cirque-Olympique.--_Don
+Quichotte_.--Le Tournoi]
+
+C'est ainsi du moins que M. Émile Souvestre nous le présente. Ce Pierre
+Landais, atteint de philosophie démocratique, devait plaire, en effet, à
+l'énergique auteur de _Riche et Pauvre_, lequel défend, dans tous ses
+écrits, avec une noble chaleur de talent, la cause de l'opprimé contre
+l'oppresseur. M. Souvestre prend Landais à son humble origine; voici sa
+demeure indigente. Qui vient troubler le silence de ce réduit? Les
+agents du fisc: le pauvre tailleur n'a pas de quoi payer le loyer, et la
+main impitoyable des recors le dépouille de ses dernières ressources:
+tous ses meubles sont vendus; Landais ne sauve de cette rapine qu'un
+escabeau et le grabat où repose sa fille Marie.
+
+Il faut voir son désespoir: c'est à la noblesse qu'il s'en prend, à ces
+insolents gentilshommes qui surchargent d'impôts les malheureux pour
+nourrir leur luxe et leurs débauches. Ah! si je pouvais me plaindre au
+duc! s'écrie Pierre Landais.
+
+Cependant l'orage gronde au ciel et l'éclair sillonne la nue. Un homme
+enveloppé d'un manteau demande asile à Landais: c'est le duc en
+personne; Landais l'a reconnu. Séparé de ses gens par l'orage, le prince
+a faim et froid; et Landais n'a rien pour le nourrir! Il ne lui reste
+que les débris de l'escabeau pour allumer un peu de feu et sécher les
+vêtements de monseigneur.
+
+Frappé de tant de misère, le duc interroge Landais, qui expose ses
+griefs avec chaleur. «S'il était le maître de la Bretagne, il
+soulagerait le peuple!--Eh bien! lui dit le duc, dès aujourd'hui je
+l'attache à ma personne; suis-moi!»
+
+[Illustration.]
+
+Le tailleur est devenu le trésorier-général du duché de Bretagne; le
+pauvre habile un palais; l'opprimé est tout-puissant; Pierre Landais, en
+un mot, gouverne le duché, tandis que le duc s'abandonne au plaisir.
+
+La prospérité et la justice renaissent; mais Pierre Landais n'est pas
+arrivé à ce grand résultat sans rencontrer des obstacles, sans soulever
+des inimitiés: plus d'une fois même, il a dû châtier ses ennemis;
+ainsi, le chancelier Chauvin, son adversaire le plus décidé, est mort en
+prison, dépouillé de toutes dignités et de tout pouvoir.
+
+La noblesse, menacée, s'irrite et se met en garde; d'abord elle poursuit
+Landais de ses railleries: «Un vil artisan!» dit-elle; quelques-uns
+viennent hardiment jusqu'au palais, du duc faire étalage de leur
+ressentiment. Après les paroles, les actions: les nobles complotent et
+s'arment en secret; ils ont pour chef Etienne, frère de Chauvin.
+
+[Illustration.]
+
+Le complot éclate: le duc, surpris par les gentilshommes en armes, signe
+l'ordre d'arrestation de Landais. Déjà ils s'applaudissent et savourent
+la vengeance; mais la victime leur échappe au moment où ils croient la
+tenir. Instruit par ses agents, Landais s'est mystérieusement introduit
+dans le lieu occupé par les conjurés; là, maître de leurs secrets, il
+surprend les coupables en flagrant délit et dans leur propre repaire;
+des soldats apostés les obligent à rendre les armes.
+
+Landais victorieux ressaisit le pouvoir; mais le gouvernement de la
+Bretagne et la défaite de la noblesse ne sont pas les seuls intérêts qui
+l'occupent: à côté de l'homme d'État, il y a le père; Landais songe au
+bonheur de sa fille Marie, qu'il idolâtre; il rêve la fortune pour elle
+et une brillante alliance. S'il retient le pouvoir, ce n'est que dans
+l'intérêt de Marie. On voit qu'ici le caractère de Landais dévie, et
+que, tout en frappant les grands, il songe aux grandeurs. M. Émile
+Souvestre explique cette faiblesse par l'amour paternel: Landais n'a
+d'ambition que pour sa fille; soit! mais le coeur humain n'explique-t-il
+pas l'affaire encore mieux?
+
+Cependant Marie n'a pas cessé d'être une simple fille; les rêves de son
+père la touchent peu: elle a donné son amour à Albert, un simple
+gentilhomme. Ce qu'on sait d'Albert est tout mystère; on le tient pour
+homme de bonne maison, voilà tout; le nom de son père reste caché;
+Albert l'ignore lui-même.
+
+Ce nom qu'Albert ne sait pas, je veux vous le révéler: Albert a pour
+père Chauvin, l'adversaire de Landais; Chauvin, que Landais a fait périr
+misérablement en prison: Marie aime donc le fils d'un ennemi, et Albert
+aime Marie la fille du bourreau de son père.
+
+Etienne connaît cette énigme fatale de la naissance d'Albert, et il en
+profite pour jeter le trouble dans la maison de Landais et déchirer le
+coeur de Marie. Le jour où, étendant la main vers Albert, il lui dit:
+«Venge ton père,» tout est fini. Les deux amants se désespèrent, et
+Marie s'évanouit.
+
+Etienne a beau faire, Albert tient à Marie plus qu'à Chauvin: l'amour
+pur l'emporte sur l'amour filial. Vainement Étienne veut l'entraîner
+dans sa haine et dans ses intrigues, Albert résiste: il fait plus
+encore: il sauve la vie à Landais et arrache Marie aux ravisseurs
+soudoyés par Étienne.
+
+Vous dites; «Comment Etienne peut-il ainsi aller et venir et comploter
+dans le, palais après sa défaite?» Il faut s'en prendre à l'imprévoyance
+de Landais, qui a eu la maladresse de lui laisser la liberté.
+
+Landais paie cher cette imprudence: Étienne et ses complices s'emparent
+de la ville; Landais, surpris, ne peut résister; tout est dit: son
+bonheur est passé et sa puissance s'écroule. Landais, prisonnier
+d'Étienne, n'a plus qu'à se préparer à la mort; un seul regret affaiblit
+son courage: que deviendra Marie? «Je veillerai sur elle, dit Albert, je
+serai son défenseur et son époux.» A ces mots, il anéantit l'écrit qui
+constate sa noble naissance, et se fait un homme sans titre et sans nom,
+afin du pouvoir aimer Marie, la fille du tailleur. Landais, consolé, va
+d'un pas ferme à la mort.
+
+Ce n'est là qu'une esquisse incomplète du drame de M. Émile Souvestre:
+on y trouve bien d'autres événements et d'autres complications;
+peut-être, même est-ce le défaut de l'ouvrage; les faits ne s'y
+produisent pas toujours nettement et jettent çà et là, par une certaine
+confusion, quelque obscurité sur les sentiments et sur les caractères;
+mais, à tout prendre, le drame intéresse; il a été constamment applaudi:
+c'est le succès le plus réel que le Second-Théâtre-Français ait obtenu
+depuis sa réouverture; d'ailleurs, et ceci n'est pas à dédaigner par le
+temps qui court, une pensée généreuse et un noble coeur se remuent
+partout au fond de ce drame; on n'aurait pas nommé M. Souvestre, qu'on
+l'aurait deviné.
+
+--Don Quichotte et son Sancho Pança chevauchent, depuis quelque temps,
+au Cirque-Olympique, et y courent les hasards: du noble chevalier,
+toujours vaillant, généreux, éthique, comme il convient à son caractère;
+le fidèle écuyer, gros, gras, rond, roulant, plein de bon sens, de bon
+appétit, et semant les proverbes sur sa route, ainsi qu'il lui
+appartient. Nous ne suivrons pas ces deux illustres amis dans toutes les
+sinuosités de leurs nombreuses aventures; nous ne marcherons pas pied à
+pied à la suite de la fortune vagabonde de Rossinante et du grison;
+cette entreprise nous mènerait trop avant, et nous ne sommes pas, pour
+courir si loin, suffisamment éperonnés et armés chevaliers errants.
+
+Choisissons seulement quelques épisodes de ce poème mémorable; et
+d'abord, voici ce bon Sancho: dans quelle situation, ô ciel! et comme il
+a besoin ici de toute sa philosophie! Les muletiers ont saisi et jeté
+notre homme sur une couverture de laine; les voyez-vous qui le lancent
+en l'air à tours de bras et le font rebondir comme une balle élastique;
+ô mon brave Sancho! jamais ballon joua-t-il son rôle aussi naturellement
+que toi!
+
+Plus loin, don Quichotte devient la victime de sa philanthropie et de sa
+candeur; vous savez comme quoi, au détour d'un buis, le valeureux
+chevalier rencontra une bande de forçats escortée d'une escouade de la
+sainte hermandad. «Holà! oh! seigneurs cavaliers, rendez la liberté à
+ces malheureux, s'écria-t-il, ou je vous pourfends de ma redoutable
+épée!» Et aussitôt, piquant des deux et croisant la lance, don Quichotte
+mit les gendarmes en pleine déroute et délivra les bandits, qu'il
+prenait pour des esclaves opprimés. Ce qu'il en advint, vous le voyez; à
+peine les forçats ont-ils brisé leurs chaînes, qu'ils se tournent contre
+leur libérateur, le jettent bas et le rouent de coups, de compagnie avec
+Sancho.
+
+Que devenir après une telle ingratitude? Se retirer du monde, se faire
+berger, chercher si la vertu et la reconnaissance, exilées des villes et
+des grandes routes, se sont abritées sous la houlette; ainsi font don
+Quichotte et Sancho.
+
+Mais la vie champêtre convient-elle à un tel héros? Don Quichotte a
+bientôt repris le fer, la cuirasse et l'armet de Membrin. Qu'il fait
+beau le voir sur son Rossinante immobile, tandis que Sancho Pança
+enfourche le bât de son âne, en attendant le fidèle baudet qui broute
+quelque part l'herbe fleurie.
+
+Hélas! don Quichotte a beau être le plus vaillant des héros de la
+Manche, il succombe enfin dans un terrible tournois contre le redoutable
+chevalier du Miroir; quelque enchanteur, sans doute! Le clairon sonne,
+les casques retentissent, les cuirasses étincellent; quels rudes coups
+d'épée! cependant don Quichotte est vaincu.
+
+Était-ce pour être partout trahi, berné et battu, qu'un beau jour, ô don
+Quichotte! ô innocent héroïque! tu as quitté ta maison, ta nièce, ton
+curé et tes livres de chevalerie, suivi de ton ami Sancho; le grison
+portant l'un, Rossinante portant l'autre?
+
+--Le théâtre de la Porte-Saint-Martin ne s'amuse pas à de tels jeux
+d'enfants; il se plonge dans le crime le plus noir avec _les
+Naufrageurs_ titre barbare, mais moins barbare que la prose de M. Boulé,
+l'auteur de ce formidable drame. Ces naufrageurs sont d'affreux bandits
+qui dépouillent les malheureux que la tempête a jetés sur la rive, et
+les assassinent au besoin. Aussi, leur histoire est-elle surabondamment
+ornée de tempêtes, de naufrages, de meurtres, d'enlèvements, de morts
+subites, de résurrections, de cavernes, d'incendies, de fureurs, de
+repentirs, de reconnaissances et de grincements de dents. Au dénouement,
+le crime est châtié amplement, comme cela est de règle, et les
+naufrageurs s'abîment sous les ruines d'une immense caverne. Que Dieu
+leur pardonne, et à M. Roulé aussi!
+
+--_Le Capitaine Lambert_, du gymnase, recommence _le Joueur_ de Regnard,
+et celui de Victor Docange; mais il n'a ni l'esprit de l'un, ni la
+terrible passion de l'autre. A force de jouer, Lambert perd jusqu'à son
+dernier sou. Que deviendra sa fille? c'est là le grand désespoir de
+Lambert. Heureusement, un Arthur vertueux, le fils de l'homme qui a
+ruiné Lambert, répare tout le mal, et rend à Lambert la fortune qu'il
+regrette: c'est bien le moins qu'il devienne son gendre. Lambert
+jouera-t-il encore? je ne sais, mais je crains que le Gymnase ne le joue
+pas longtemps.
+
+Les lauriers de Levassor emmenaient sans doute le théâtre des Variétés
+de dormir; il a voulu avoir aussi sa pièce à travestissements.
+_Jacquot_ ne sert pas à autre chose; Jacquot est tout à la fois Vernet,
+Alcide Tousez, Odry, Numa, Lepeintre jeune, Ravel; tous les acteurs de
+Paris y passent; Neuville exécute ces métamorphoses et ces imitations
+avec une vérité et une ressemblance dignes d'étonnement. La pièce est
+d'ailleurs semée de mots plaisants. Les auteurs sont MM. Paul Vermont et
+Gabriel.
+
+
+
+De l'autre côté de l'Eau
+
+SOUVENIRS D'UNE PROMENADE. (Suite.--Voyez t. II, p. 6, 18 et 30.)
+
+SUR LA TAMISE.
+
+Tout ce qu'éprouvait de patriotique jalousie le vieux Caton pendant sa
+résidence à Carthage, un Français,--je parle du moins farouche citoyen
+de Paris,--doit le ressentir en arrivant à Londres par cette belle
+avenue marine qui commence à Gravesend.
+
+Ce n'est pas que l'entrée des Champs-Elysées n'ait son mérite et
+l'Arc-de-Triomphe ses glorieux souvenirs; mais Vienne a son Prater;
+Berlin, son allée de tilleuls; Rome avait des arcs de triomphe sur
+toutes ses routes. Aucune ville de ce bas monde n'a eu et n'aura
+jamais,--il faut le croire,--ces huit lieues de rivières encombrées de
+quatre mille vaisseaux.
+
+Voici les lourds charbonniers de Newcastle, voici les bricks de commerce
+qui reviennent de Calcutta et de Bombay, voici les pêcheurs de morue,
+voici les yachts de la _Royal Navy_, voici les stationnaires,
+sentinelles imposantes, voici le pavillon russe, le pavillon
+danois.--hélas! et Copenhague?--le papillon américain,--et Boston?--le
+pavillon français,--diable, et Trafalgar?
+
+Noble et glorieux pavillon, que n'était-tu du moins sur quelque beau
+navire aux agrès bien ordonnés, brillant de la poupe à la proue, les
+sabords ouverts et montrant les dents! Mais non; à l'arrière de cinq on
+six méchantes carènes, sales et mal tenues, pendait un chiffon tricolore
+dont à peine on distinguait les nuances éteintes. Sans le souvenir de la
+Colonne, il y avait de quoi se voiler la face et s'enfuir à fond de
+cale.
+
+Encore des vaisseaux, des vaisseaux encore, des vaisseaux toujours.
+Quelquefois, nous ne voyons de loin, acculé à la rive, que le profil
+d'un beau navire; mais ce profil nous en marquait dix, quinze, vingt,
+rangés côte à côte. Cette immense force ne s'étale pas, bien au
+contraire; chaque vaisseau se serre et se fait petit, dans une
+agglomération monstrueuse de voiles et de mâts et de tuyaux à vapeur.
+
+Puis, derrière les toits du rivage, vous avisez d'autres cordages,
+d'autres vergues, d'autres pavillons: ce sont les _Docks_, ce sont des
+ports creusés par douzaines, où vont encore se cacher des flottes
+entières, se reposer les bâtiments avariés, se décharger les opulentes
+cargaisons... Bref, au bout d'une heure ou deux, la tête vous tourne, ce
+panorama mouvant vous enivre; vous vous croyez le jouet d'un rêve,--et
+d'un mauvais rêve, puisque vous n'êtes pas Anglais.
+
+J'avais d'abord donné carrière à mon étonnement à mesure qu'un obligeant
+gentleman me signalait l'un après l'autre tous les points remarquables
+devant lesquels nous passions. Mais je crus voir briller dans ses yeux
+une orgueilleuse satisfaction qui me déplut, et ménageant de mon mieux
+la transition, je passai en peu de minutes à une indifférence fort bien
+jouée. Comme dernier symptôme de cet insouciant dédain, le _tillaburelo_
+de _my uncle Toby_ me vint admirablement en aide. Le Gentleman
+s'inquiète de mes airs blasés; et après avoir essayé deux ou trois fois
+encore ses triomphantes insinuations, il me quitte, presque offensé de
+les voir si tranquillement accueillies.
+
+SOUTH MOLTON STREET.
+
+On m'avait spécialement recommandé de loger dans l'_East-End_. En ce
+pays où tout est strictement classé, mieux vaut un grenier du quartier
+noble qu'un hôtel tout entier de la Cité. Nous primes donc notre essor,
+mon compagnon de voyage et moi, vers la région très-noble ou Hyde-Park
+semble retenir la crème anglaise.
+
+Et comme j'étais pressé d'en finir avec les ennuis du premier
+établissement, nous nous installâmes chez un estimable chapelier qui mit
+à notre disposition tout le superflu de sa petite maison: à savoir, un
+salon et deux chambres à coucher.
+
+Sans me permettre une critique trop générale, voici mes observations sur
+l'intérieur hospitalier qu'il nous offrit en échange de guinées assez
+nombreuses.
+
+Les cheminées avaient, en guise de devants de feu, des tabliers de
+soubrette excessivement ornés. Ces tabliers étaient en papier de couleur
+découpé, brodé, bariolé, rehaussé de paillettes.
+
+L'unique canapé du salon était d'une maigreur attristante. La maîtresse
+du logis,--Dieu me garde de la nommer à présent!--ressemblait au canapé
+du salon.
+
+Quelque chose de plus maigre encore, c'était Anne, l'unique soubrette de
+l'établissement. Bien que l'escalier criât volontiers sous le moindre
+poids, elle le montait et le descendait sans le plus léger bruit, à la
+manière des fantômes, dont elle avait la pâleur et l'oeil hagard; je
+parle de son oeil,--ou plutôt de ses yeux,--pour les avoir aperçus de
+temps à autre, à la dérobée. En général, ils étaient respectueusement
+baissés vers le parquet.
+
+Le salon était pauvre, mais décent. La chambre à laquelle il donnait
+accès affichait un certain air de propreté menteuse. Je la cédai à mon
+compagnon de voyage.
+
+Quant au _garret_ où je fus relégué par cette déférence toute naturelle,
+il mériterait une description en vers à la manière de Gresset; mais je
+me bornerai à quelques détails prosaïques.
+
+Mon lit,--un véritable _four-posted-bed_,--était d'une ampleur
+conjugale; mais les matelas, évidemment destinés à un célibataire, ne le
+garnissaient ni en largeur ni en longueur. Ils formaient au milieu du
+plancher qui les soutenait une espèce de monticule quadrangulaire
+très-élevé. Je les comptai par curiosité: ils étaient cinq, dont le
+mieux fourni n'avait certainement pas l'épaisseur d'une galette du
+Gymnase. En revanche, par la consistance, ils en auraient facilement
+remontré au biscuit de mer le plus solide.
+
+Après de vains efforts pour dormir sur cette couche dure, je me résignai
+à demander, non pas un, mais cinq autres matelas supplémentaires, qui me
+furent octroyés avec une certaine stupéfaction, et un lit de plumes, par
+la vertueuse mistriss...--j'ai juré de ne pas la nommer.
+
+Loin de m'enhardir, cette complaisance m'empêcha de lui faire remarquer
+que le couvre-pieds de coton qui devait me dérober aux yeux indiscrets,
+tandis que je me livrerais au sommeil, manquait évidemment des qualités
+indispensables à ce voile nocturne. Les souris ou le temps en avaient
+fait un véritable crible dont les trous multipliés, laissant passer mes
+jambes, ne pouvaient guère arrêter un regard curieux.
+
+Les serviettes étaient contemporaines du couvre-pieds. Elles devaient de
+plus à une lessive particulière je ne sais quelle odeur nauséabonde qui
+remplissait la chambre quand j'y montai pour la première fois.
+
+«Par bonheur, pensai-je, nous sommes au mois de juin,» Et je courus
+ouvrir la fenêtre.
+
+La fenêtre,--infernale guillotine!--résista obstinément à tous mes
+efforts pour la relever; je la crus condamnée par quelque droit de
+servitude, et je m'assis sur ma malle, dans l'attitude de Marins sur les
+ruines de Carthage, mais beaucoup moins résigné que le vieux proconsul.
+Il était en plein air, lui. Quant à moi, j'aurais volontiers pleuré.
+
+Pourtant l'excès même du malheur, dans une âme forte, amène, une
+énergique réaction; puis le tablier de ma cheminée était si plaisant, il
+affectait de si étranges grâces, et ses grâces ressortaient si bien,
+éclairées par une affreuse chandelle de suif enfoncée dans un bougeoir
+énorme, que la résignation reprit sur mon coeur son heureux empire. Je
+doublai de mon manteau le couvre-pieds transparent; je m'isolai, autant
+que faire se put, du contact cotonneux de mes draps, et si le sommeil
+n'avait fui mes paupières, j'aurais pu me croire sur le plus délicieux
+édredon.
+
+Mais je ne fermai pas l'oeil et mal en prit à certains petits animaux
+qui, dès cette nuit même, avec un empressement tout britannique,
+voulaient se repaître de sang français.
+
+SIGNALEMENT D'UNE CAPITALE.
+
+ _Rues_--larges.
+ _Passages_--étroits.
+ _Parcs_--nombreux.
+ _Maisons_--noires.
+ _Portes_--petites.
+ _Squares_--ronds ou ovales.
+ _Quais_--hideux.
+ _Cabriolets_--faits en citadines.
+ _Pavés_--rares.
+ _Édifices_--bien portants.
+ _Cafés_--invisibles.
+ _Boue_--abondante.
+ _Décrotteurs_--ignorés.
+ _Soleil_--étonné (1).
+ _Passants_--tristes.
+ _Dimanches_--tristes.
+ _Ponts_--magnifiques.
+ _Valets_--bien mis.
+ _Maîtres_--mal habillés.
+ _Mendiants_--pieds nus.
+ _Mendiantes_--en chapeaux de satin.
+ _Grisettes_--nus-bras, nu-cou, épaules nues.
+ _Omnibus_--bruyants.
+ _Marteaux de porte_--plus bruyants.
+ _Vieux habits_--très-bruyants.
+ _Watchmen_--admirables.
+ _Soldats_--très-longs.
+ _Pieds de femmes_--très-longs.
+ _Nez d'hommes_--tout le contraire.
+ _Bas de coton_--bon marché.
+ _Tout le reste_--fort cher.
+
+[Note 1: Ceci demande un commentaire. Le soleil, à Londres est étonné
+comme le doge de Gênes dans les galeries de Versailles.]
+
+RÉFLEXIONS.
+
+Pour ce signalement, j'ai choisi naturellement les traits
+caractéristiques, les côtés distinctifs de la ville que j'avais à
+dépeindre. Maintenant je suis de trop bonne foi,--et aussi trop
+prévoyant,--pour ne pas prédire que ces traits tendent à s'effacer
+chaque jour.
+
+Mon compagnon de voyage,--qui visite l'Angleterre à peu près tous les
+cinq ou six ans,--m'a confirmé cette vérité par toutes sortes
+d'observations spirituelles.
+
+Mais bien mieux encore par quelques-uns de ses étonnements.
+
+Ainsi, quand un garçon de taverne, nous reconnaissant pour des Français,
+nous proposa du _bouilli-beef_--l'expression que prit le visage de mon
+ami me révéla toute une révolution culinaire.
+
+«Bouilli-beef! répétait-il confondu... venir à Londres pour manger du
+bouilli-beef!... dans une taverne, du bouilli-b...!»
+
+Mais là je l'arrêtai court en lui montrant, sur les vitres de la
+fenêtre, ces mots, qui répondaient éloquemment à l'amertume de ses
+plaintes.
+
+Nous n'étions pas dans une taverne, nous étions dans une Eating-House.
+L'_Eating-House_ est à la taverne et au restaurant ce que l'aurélie est
+au ver et au papillon. De toutes parts la taverne se chrysalide.
+
+Le vin français et le vaudeville français sont appelés à régénérer
+l'Angleterre. Dans cinquante ans, Londres aura des cafés, des
+décrotteurs, etc.; dans cinquante ans, il y sera tout à fait incongru de
+donner à manger au voyageur sans le gratifier d'un essuie-mains.
+
+Qui sait--le bouilli-beef est d'un bon augure--si on n'y naturalisera
+pas ce qu'il y a de meilleur et de plus français au monde: la calme et
+sereine flânerie?
+
+En l'an de grâce 1843,--je le dis pour l'instruction des âges
+futurs,--je n'ai vu de flâneurs à Londres que les watchmen et moi, ce
+dernier dans les glaces des magasins. Il me semblait vraiment ridicule,
+et j'avais honte pour lui de son inutilité souriante.
+
+HUMILIATION.
+
+Ce même personnage étant fort embarrassé,--pour peu qu'il eut osé
+s'aventurer à cinq ou six rues de son domicile,--ne se hasardait guère à
+de si lointaines excursions qu'avec un plan de Londres dans sa poche. Ce
+document topographique lui paraissait indispensable, mais lui devenait
+presque entièrement inutile, par suite d'une honorable timidité qui
+l'empêchait d'y chercher son chemin.
+
+Un jour, cependant, après s'être longtemps consulté, il se retira dans
+une étroite ruelle dallée,--une _lane_ quelconque;--et là, certain de
+n'être pas observé, il entrouvrait mystérieusement les plis sibyllins de
+son oracle...
+
+Quand un honnête homme, fort déguenillé mais très-barbu, sortit tout à
+coup de quelque corridor obscur, et avec une obligeante grimace de
+protection:
+
+«Où va monsieur?» lui demanda-t-il en bon français.
+
+O. N.
+
+(_La suite à un autre numéro._)
+
+
+
+La Pêche de la Morue.
+
+L'époque approche où les nombreux bâtiments partis pour la pêche de la
+morue au printemps dernier vont rentrer dans nos ports. Déjà plusieurs
+journaux du département du Nord ont annoncé l'arrivée à Dunkerque de
+deux ou trois navires pêcheurs venant de Terre-Neuve. En ce moment, tous
+les pêcheurs ont terminé leur récolte; qu'on nous permette cette
+expression, car la pèche a été appelée l'_agriculture des eaux_; ils
+font voile vers la France. Avant d'apprendre à ses nombreux abonnés si
+la pèche de la morue a été heureuse cette année, l'_Illustration_ devait
+employer, pour la leur faire connaître dans ses plus curieux détails, la
+plume de ses écrivains et le crayon de ses dessinateurs.
+
+Fidèles à leur rendez-vous habituel, les poissons des différents parages
+viennent périodiquement payer à l'homme leur tribut, et les pêcheurs y
+ont attendre ou poursuivre, dans certaines parties de l'Océan, les
+espèces qui s'y réunissent de préférence. Tel est le motif qui attire
+vers les côtes d'Islande, à Terre-Neuve et sur le grand banc ces flottes
+nombreuses qui partent tous les ans de nos ports de l'Ouest. C'est au
+milieu des tempêtes de ces mers orageuses que le jeune matelot reçoit le
+baptême du métier; c'est à cette école de dangers et de privations que
+s'exercent les forces vives de notre marine. De tout temps, les
+puissances maritimes ont trouvé dans la grande pèche les éléments de
+leur prospérité. Venise et la Hollande, ces républiques qui ont pesé
+d'un si grand poids dans la balance des nations, partirent un filet sur
+l'épaule et commencèrent leur fortune dans une barque de pêcheur. Ces
+peuples de marins devinrent riches et forts, et leur prépondérance sur
+la mer leur assura le commerce du monde. La puissance maritime de la
+France s'est agrandie aussi par la pêche; ses escadres ne se formèrent
+qu'à l'époque où les pêcheurs purent se réunir en grandes flottes: ce
+fut au commencement du seizième siècle, lorsque le Portugais Curie Real,
+qui avait observé l'affluence extraordinaire des morues sur le grand
+banc de Terre-Neuve, signala cette mine inépuisable aux pêcheurs
+européens, et que François 1er eut fait explorer ces parages par Jacques
+Cartier, de Saint-Malo, le meilleur marin de son temps. Toutefois ou ne
+tira pas d'abord un bien grand parti des ressources que le hasard avait
+fait découvrir dans ces latitudes. Le Vénitien Jean Cabot, envoyé par
+Henri VII d'Angleterre à la recherche d'un passage qu'on présumait
+devoir conduire à la Chine par le nord-ouest, avait reconnu, en 1497,
+une île qu'il appela _Prima-Vista_, et dont les nations maritimes, qui
+ont envié tour à tour la possession de cette nouvelle contrée, ont
+traduit chacune le nom dans leur langue. En 1501, Juan Ayamonte, marin
+catalan, recevait licence de la reine d'Espagne pour aller faire des
+investigations sur _la Tierra-Nueva (para ir a saber el secreto de la
+Tierra-Nueva)_, et il lui était recommandé de prendre avec lui deux
+pilotes bretons. Les Anglais la nommèrent _New-Fundland_, et ils ne
+pensèrent guère à la coloniser que cent ans plus tard. Les Chartres
+octroyées par Henri VII, pour y fonder des pêcheries, ne produisirent
+d'abord aucun résultat, et la marine anglaise n'acquit quelque
+prépondérance dans ces mers qu'après que le célèbre Drake en eut chassé
+les Espagnols. Leur prise de possession à Terre-Neuve ne date réellement
+que de 1585; l'île ne comptait encore que soixante-deux colons en 1612,
+et le nombre des navires pêcheurs s'élevait à peine à une cinquantaine.
+Nous ne commençâmes nous-mêmes à nous adonner à la pèche de la morue
+qu'en 1540. Les établissements sédentaires que nous fond ânes sur le
+littoral n'eurent pas, dans le principe, tout le succès qu'on s'était
+promis, et ce fui seulement sous le règne de Henri IV que le ministre
+Sully favorisa de tout son pouvoir la pêche de la morue, en la plaçant
+sous la protection du gouvernement.
+
+Ainsi cette industrie qui s'exerça dans la haute mer à plus de six cents
+lieues de nos côtes, cette pêche qui, depuis plus de trois cents ans, a
+employé tant de bras et nourri tant de populations, ne marcha d'abord
+qu'avec lenteur. Il lui a fallu le secours des primes et l'appui soutenu
+de l'État pour s'élever au rang des grands commerces. Alors les stations
+poissonneuses des côtes et du banc de Terre-Neuve attirèrent les
+pêcheurs de diverses nations. La France et l'Angleterre, qui s'étaient
+disputé longtemps la possession de l'île et des mers adjacentes,
+finirent par fixer les divers parages où pêcheurs pourraient dorénavant
+se livrer à leur art sous la garantie des traités. Avant 1713, les
+pêcheries que nous possédions fournissaient aux besoins de presque toute
+l'Europe, et suffisaient à l'armement de nos vaisseaux; mais le traité
+d'Utrecht, celui de Versailles (1785) et la cession du Canada vinrent
+changer notre situation. Nous perdîmes successivement tous les riches
+établissements que nous avions formés au loin, et qui avaient porté la
+grande pêche au plus haut degré de prospérité: les colonies de l'Acadie
+et du Canada, l'île Royale, l'île Saint-Jean, l'île de Terre-Neuve
+cessèrent de nous appartenir.
+
+[Illustration: Bâtiments faisant la pêche de la morue (verte) sur le
+banc de Terre-Neuve.]
+
+Réduits maintenant aux droits de pêche sur les côtes d'Islande, au grand
+banc et sur la lande orientale et occidentale de Terre-Neuve, _sans
+pouvoir y établir aucune habitation, si ce n'est des échafauds et
+cabanes pour sécher le poisson:_ ne possédant plus pour s'abriter que
+les petites îles de Saint-Pierre et Miquelon, rochers nus et misérables
+qu'il faut approvisionner de toutes les choses nécessaires à la vie, nos
+navires sont obligés de partir chaque année des ports de France qui
+doivent servir aux opérations de la campagne. Et pourtant, malgré cet
+état de choses, et grâce aux encouragements de l'État, nos pécheurs ont
+soutenu la concurrence avec ceux de l'Angleterre, établis et à demeure
+sur la partie sud de l'île de Terre-Neuve, et avec ceux des États-Unis,
+qui jouissent de tous les avantages de la proximité de leurs côtes.--La
+pêche de la morue occupe annuellement plus de 400 navires français; 200
+bâtiments de transport et de cabotage sont destinés en outre aux
+opérations accessoires de la pêche. Ainsi, cette industrie entretient à
+la mer une flotte de 600 voiles et de 15,000 marins, qui forment près du
+quart du personnel valide de l'inscription maritime: réserve précieuse,
+toujours disponible et endurcie au métier le plus rude, sur mit; mer
+orageuse et sous un climat des plus rigoureux; réserve utile pour la
+navigation commerciale en temps de paix, réserve indispensable, mais
+encore insuffisante pour l'armement de nos escadres en temps de
+guerre.--Les produits de la pêche de la morue sont, estimés à 40
+millions de kilogrammes de poisson, qui viennent alimenter nos marchés,
+et dont 15 à 16 millions sont réexportés aux colonies, en Italie et en
+Espagne. Notre consommation absorbe le reste.
+
+[Illustration: Coupe de mer sous un navire faisant la pêche de la morue
+(verte).]
+
+La pêche sur la côte de Terre-Neuve a toujours été placée au premier
+rang; c'est, celle qui occupe le plus grand nombre de marins; on y
+emploie des bâtiments de toute grandeur, depuis 30 jusqu'à 350 tonneaux.
+Lorsque le navire est arrivé il la côte, vers les premiers jours de
+juin, on le désarme, et l'équipage vient s'établir à terre avec tout son
+matériel dans des cabanes de bois construites sur le littoral et qu'il
+faut remettre en état après l'hivernage. De là, les bateaux, montés de
+deux hommes et un novice, sont expédiés tous les matins à la pèche à la
+ligne pour ne l'entrer que le soir. Indépendamment de ces embarcations,
+chaque navire arme un ou plusieurs _bateaux de Seine_, qui sont montés
+de dix hommes et qui pèchent lorsque les morues deviennent plus
+abondantes. Au retour des bateaux, le poisson est tranché, salé et mis
+en pile: après plusieurs jours de sel, les novices et les mousses le
+font sécher sur les bancs de galet jusqu'à ce qu'il soit parvenu à un
+désiré de dessiccation suflisant pour le rentrer. Les pécheurs quittent
+la côte à la fin de septembre, la plupart pour rentrer en France,
+quelques-uns pour aller porter une cargaison de morues aux Antilles.
+
+[Illustration: Haim et ligne de pêche.]
+
+La pêche à Saint-Pierre et Miquelon a une grande analogie avec celle de
+la côte de Terre-Neuve: elle se fait avec des bateaux plats appelés
+_wavys_ ou avec des pirogues. Ces embarcations, au nombre de 2 à 500,
+vont à la voile et à l'aviron; elles sont montées par deux hommes et
+sortent le matin pour rentrer le soir. On divise en trois catégories les
+différentes classes de gens qui se dévouent à la pèche, ou à la
+préparation du poisson sur le littoral de ces deux petites îles: 1º les
+_pêcheurs sédentaires_ ou colons pêcheurs, au nombre de 1,000 à 1,400;
+2º les _pécheurs hivernants_, qui passent la mauvaise saison ou qui
+s'établissent à terre pendant plusieurs années; leur chiffre, sujet à
+des variations, n'excède guère 300 individus; 3º enfin, les _passagers
+pêcheurs_ venus de France et qui repartent à la fin de la campagne; on
+en compte environ 3 à 400 chaque année.
+
+[Illustration: Morue.]
+
+La pêche et la préparation de la morue étant la seule industrie des îles
+de Saint-Pierre et Miquelon, occupent la totalité des pêcheurs
+hivernants et presque tous les habitants sédentaires, hommes, femmes,
+vieillards et enfants, à partir de l'âge le plus tendre. La pêche
+commence au mois d'avril et se prolonge jusque vers le milieu d'octobre;
+elle est généralement assez abondante et donne du petit poisson. Comme à
+la côte de Terre-Neuve.
+
+[Illustration: Morue habillée, dite morue plate.--Dessus.]
+
+[Illustration: Morue habillée, dite morue plate.--Dessous, intérieur.]
+
+[Illustration: Pêcherie à Terre-Neuve]
+
+La pèche sur le grand banc s'effectue avec des navires de 120 à 130
+tonneaux, armés de deux fortes chaloupes; 16 à 20 hommes d'équipage sont
+nécessaires pour la manoeuvre du bâtiment et de ses embarcations: les
+départs de France ont lieu du 1er au 15 mars. Les navires se rendent
+directement à Saint-Pierre et y débarquent les passagers pêcheurs, les
+mousses et les novices, qui forment le complément légal de leur
+équipage, et qui ont pour destination le travail de la sécherie à terre;
+de là, ils font voile pour le banc, sur lequel ils vont mouiller par 70
+à 80 mètres de fond, afin de s'y livrer aux opérations de la pêche. Les
+deux chaloupes sont mises à la mer, et, chaque soir, montées de cinq
+hommes chacune, elles vont tendre les lignes, qui sont armées de 4 à
+5,000 hameçons. Tous les matins, les lignes sont levées, et le poisson,
+tranché, lavé et salé, est transporté à bond et déposé dans la cale. La
+partie de l'équipage qui est restée sur le navire, s'occupe aussi à la
+pêche avec des lignes de fond. La première pèche terminée, ce qui a lieu
+du 15 au 30 juin, le produit en est porté à Saint-Pierre pour y être
+séché, tandis que le navire, muni de nouveau sel et d'appâts, retourne
+faire sur le banc une seconde pêche. Parfois même il en fait une
+troisième, dont les produits, seulement salés, sont rapportés
+directement en France à l'état vert. La pêche du grand banc est plus
+dure et plus périlleuse que celle de la côte; elle exige des marins
+faits et des hommes intrépides; elle se pratique sur une mer sans cesse
+agitée; les pertes d'hommes et de chaloupes y sont fréquentes à cause
+des bourrasques et des brumes: la pêche à la côte forme les marins, la
+pèche au banc les aguerrit.
+
+[Illustration: Pêche du capelan pour servir d'appât.]
+
+[Illustration: Barque faisant la pêche de la morue sèche, sur le banc de
+Terre-Neuve.]
+
+[Illustration: Portion de coupe d'un bâtiment de pêcheur de morue
+(verte)--Profile.]
+
+Quant à la pêche qui se pratique vers les atterrages de l'Islande, elle
+s'opère sous une latitude de 64 à 66 degrés nord, au milieu des glaces
+flottantes et sur une mer sans mouillage et toujours tourmentée. A la
+côte, le navire est désarmé; au grand banc, il est mouillé sur son
+ancre; dans les parages de l'Islande, il est forcé de rester sous voile.
+Ici, la pêche se fait avec des lignes volantes de 100 à 120 brasses de
+profondeur; le poisson pris, au lieu d'être salé _en vrac_, est préparé
+et salé dans des tonnes apportées de France. On emploie, pour cette
+pêche, des bâtiments de 60 à 80 tonneaux, montés de 12 à 15 hommes
+d'équipage. Les navires partent en avril et rentrent dans le courant de
+septembre; quelques-uns, cependant, favorisés par la pêche, reviennent
+au mois de juin et repartent immédiatement pour un second voyage. Ainsi,
+les équipages tiennent habituellement la mer pendant six mois. Aucune
+pêche n'est plus propre à donner des marins intrépides, aucune n'est
+marquée par des pertes plus cruelles d'hommes et de bâtiments.
+
+[Illustration: Fragment d'un bâtiment de morue (verte), vu par la
+hanche.]
+
+«En présence du développement des forces maritimes des grandes
+puissances, disait naguère l'habile, administrateur chargé de soutenir
+devant les chambres l'exposé des motifs sur le dernier projet relatif à
+la pêche de la morue, la France ne doit pas rester stationnaire, et le
+gouvernement doit chercher les moyens de mettre les ressources du pays à
+la hauteur des besoins sans cesse croissants de notre marine. La pêche
+est une industrie féconde; déjà elle est la branche la plus importante
+de notre navigation commerciale, et l'inscription maritime, à laquelle
+elle fournit plus du cinquième de sa force vive, lui doit ses meilleurs
+matelots; aucune ne forme plus économiquement et plus promptement des
+marins robustes, actifs et propres au service de l'État, et cependant
+aucune n'est susceptible encore d'un plus grand développement... Le
+doublement de l'exportation et de la consommation des produits de la
+pêche suffirait pour donner au service de notre flotte 12,000 marins de
+plus.»
+
+A ces judicieuses paroles de M. Senac nous ajouterons que la France a
+dans ses mains toutes les ressources pour se maintenir au rang des
+premières puissances maritimes, pour protéger le commerce le plus
+étendu, pour appuyer au besoin par ses forces navales la prépondérance
+de sa politique; mais il faut pour cela qu'elle ne renonce pas à se
+faire craindre sur les eaux. Or, il n'est pas de marine militaire
+possible sans une marine marchande active et nombreux, et c'est dans la
+politique de la grande pêche qu'elle, en trouvera tous les éléments.
+
+
+
+Projet d'une Caisse de pensions de retraite
+
+POUR LES CLASSES LABORIEUSES.
+
+Les caisses d'épargne sont accessibles sans distinction à tous ceux qui,
+pauvres ou riches, veulent momentanément déposer des sommes plus ou
+moins fortes, qu'ils peuvent retirer à volonté. Or, nous voyons par les
+comptes rendus de leur administration que la moyenne des versements pour
+Paris varie entre 150 et 160 fr. par individu, ce qui suppose une
+économie d'au moins 60 fr. par an, économie que peuvent rarement faire
+ceux qui vivent au jour le jour de leurs salaires.
+
+D'autre part, les _Sociétés particulières de secours mutuels_ ont
+spécialement pour but d'assurer un secours journalier à ceux qu'un
+chômage, une maladie, privent momentanément de leurs ressources,
+quelquefois de rembourser les frais de maladie, les frais de sépulture
+en cas de décès, etc.; mais, ainsi que nous le dit un homme qui a voué à
+ces importantes questions une élude toute particulière, M. Maquet, dans
+un travail dont nous parlerons tout à l'heure, «les ouvriers peuvent
+d'autant moins s'y associer, qu'indépendamment des versements annuels
+plus ou moins forts, le souscripteur est encore obligé de payer d'avance
+5 pour 100 pour frais d'administration _sur le montant des annuités
+capitalisées._»
+
+Aussi, beaucoup de ces sociétés; n'ont pu se soutenir longtemps, et,
+après d'infructueux efforts, se sont vues dans la nécessité de se
+dissoudre. En nous confirmant ces tristes résultats, un philanthrope
+bien digne de regrets, M. de Gérando, nous les a expliqués dans les
+lignes suivantes empruntées à son ouvrage sur la _Bienfaisance
+publique_: «Ces sociétés, dit-il, dont le quart réunit à peine trente à
+cinquante membres, procèdent suivant des modes très-différents; aucune
+loi, aucun acte du gouvernement, ne sont venus leur assurer une
+protection, leur donner des règles ou des garanties. Il est impossible,
+ajoute-t-il dans un autre passage, que des associations si peu
+nombreuses puissent faire une application solide du calcul des
+probabilités, et qu'elles garantissent aucun secours avec une certitude
+quelconque. Trente-deux d'entre elles se sont dissoutes dans ces
+derniers temps, et cinq dans la seule année 1837; vingt-une n'ont plus
+fourni de renseignements à la caisse philanthropique de Paris depuis
+1829, et ont peut-être subi le même sort.»
+
+Il restait donc à trouver une combinaison qui, sans nuire aux caisses
+d'épargne, pût exister à côté d'elles ainsi qu'à côté des sociétés
+temporaires de secours mutuels, et réaliser ce que ni les unes ni les
+autres ne pouvaient faire, c'est-à-dire créer chaque jour pour le
+prolétaire des ressources qui s'accumuleraient sans cesse, et
+garantiraient d'une manière certaine l'avenir contre toutes les
+éventualités. C'est le plan qu'a voulu réaliser un honorable citoyen, M.
+Maquet, en fondant _des caisses de pensions de retraite pour les classes
+laborieuses de l'un et de l'autre sexe_.
+
+M. Maquet, qui mûrissait depuis longtemps cette idée généreuse, avait
+consulté tous les précédents qui peuvent exister; car l'idée qu'il a
+émise et qu'il veut faire passer dans la réalité n'est nouvelle, à
+proprement parler, que dans son application. Sans mentionner la _caisse
+des invalides de la marine_, dont les résultats ont été si admirables,
+et qui fonctionne avec tant de succès depuis près de deux siècles, il
+nous suffira de dire qu'un plan analogue à celui proposé aujourd'hui par
+M. Maquet a été exposé pour la première fois en 1772 en Angleterre,
+adopté deux fois, à une grande majorité, par la Chambre des Communes en
+1773 et 1796, deux fois repoussé par la Chambre des Lords, et enfin
+accueilli le 18 juin 1833 par les deux chambres du Parlement.
+
+Cet acte législatif stipulait que tout individu âgé de quinze ans au
+moins pouvait, soit par un seul paiement, soit par une prime annuelle,
+acquérir de l'État une rente viagère annuelle ou différée au maximum de
+20 liv. st., au minimum de 1 liv. st., à la charge de déposer cette
+prime dans une caisse d'épargne ou paroissiale, ou dans toute autre
+société autorisée à se former à cet effet.
+
+Le même acte disposait en même temps (art. 19) que les certificats et
+registres relatifs à ce service seraient exempts de timbre.
+
+Après avoir longtemps mûri son plan, et réfléchi à la possibilité
+d'organiser une caisse de pensions de retraite pour les classes
+laborieuses, M. Maquet songea à demander pour lui le patronage du
+public, de la presse et des hommes éclairés. A cet effet, une réunion
+solennelle fut convoquée; elle eut lieu le 11 mai 1812, dans la grande
+salle de la mairie du 5e arrondissement. C'est devant un nombreux
+auditoire que M Maquet, fort de ses études et de ses convictions, exposa
+son plan d'organisation. Nous allons en donner brièvement un aperçu
+d'après ses propres travaux.
+
+Étendre aux classes ouvrières, par une association appliquée à tous les
+degrés de l'échelle sociale, le principe suivi par le gouvernement, qui,
+au moyen des retenues opérées sur leurs traitements d'activité, même les
+plus minimes, alloue des pensions de retraite, non-seulement aux
+employés de ses administrateurs, mais encore aux officiers des armées de
+terre et de mer, ainsi qu'aux marins et aux ouvriers des ports; tel
+était le problème que M. Maquet s'était proposé de résoudre.
+
+Pour y parvenir, rien ne lui semble préférable à la création d'un
+établissement fondé sur le model de la caisse des invalides de la
+marine. Cette caisse, qui, depuis deux siècles, fonctionne avec un
+succès toujours croissant, et que prospérité a mise à même de pouvoir
+payer plus de 7 millions de pensions pour services mixtes rendus à
+l'État et au commerce, s'écarte (comme doit du reste le faire, à son
+exemple, la casse des pensions de retraite) autant de la règle commune
+des anciennes routines que des établissements nouveaux d'un caractère
+analogue. Elle n'aliène aucune partie de son capital; elle n'en fait pas
+comme certaines sociétés particulières, le privilège exclusif d'un
+partage entre les survivants lors des répartitions; son fonds est un
+trésor qui s'augmente sans cesse pour soulager dans l'avenir les
+infirmités ou la vieillesse de ses économes et prudents souscripteurs.
+«En effet, dit M. Richelot, cette caisse pourvoit à tout pour le marin;
+la marine n'abandonne point, comme l'industrie, ses vieux serviteurs;
+les bras employés par elle, et que l'âge a affaiblis, elle ne les réduit
+pas au pénible effort de demander l'aumône; elle établit une admirable
+solidarité de famille, et récompense dans la veuve et dans l'enfant en
+bas âge les services du mari et du père.»
+
+Ce serait une position analogue que M. Maquet, en organisant la caisse
+des pension de retraite, voudrait créer en faveur de ces ouvriers vieux
+et infirmes, de ces invalides de l'industrie qui, après une vie entière
+passée dans de pénibles travaux, n'ont d'autre perspective que le
+dénûment dans l'infirmité.
+
+Jusqu'ici, en effet, qu'a-t-on fait pour l'ouvrier? Le gouvernement, ce
+tuteur-né des intérêts généraux, qui impose d'autorité une économie sur
+le traitement de l'officier ou du bureaucrate, qui les rend prévoyants
+par ordre, a-t-il songé à assurer à l'ouvrier un morceau de pain à la
+fin de sa carrière? Souvent même se croit-il bien généreux quand,
+l'arrachant à la municipalité, il l'envoie cacher ses infirmités
+derrière les murs d'un de ces hôpitaux qu'il entretient avec les sueurs
+du malheureux, avec le produit des charges publiques, surtout des
+octrois, qui pèsent bien plus sur le pauvre que sur le riche.
+
+Différente des caisses d'épargne, la caisse des pensions de retraite ne
+rend les épargnes qu'elle à reçues par fractions que sous forme de
+pensions, ou tout au moins de secours qu'on pourrait appeler des
+pensions temporaires, et après un laps de temps qui ne peut être moindre
+de vingt-cinq ans. Ces pensions doivent être le résultat de versements
+ou de retenues volontaires de 6, 12 ou 21 francs par an, à percevoir par
+fractions de 12, 25 ou 30 centimes par semaine, suivant l'âge ou la
+progression du salaire.
+
+Le minimum des versements pendant vingt-cinq ans est de 450 francs; le
+maximum, de 20 centimes par jour.
+
+Toute personne de l'un ou de l'autre sexe, de dix ans et au-dessus, peut
+faire partie de la caisse, sur la présentation de son acte de naissance.
+
+Les versements ne pourront être moindres
+
+De 6 francs par an, de dix à quinze ans;
+
+De 12 francs, de quinze à vingt ans;
+
+De 24 francs par an, de vingt ans et au-dessus.
+
+Les souscripteurs devront faire leurs versements par semaine ou par mois.
+
+Toutes les sommes provenant de souscriptions, legs ou donations, seront
+employées en achats de rentes sur l'État.
+
+Ces rentes seront inscrites au nom de la caisse des pensions de
+retraite, et les titres seront déposés à la caisse des dépôts et
+consignations.
+
+Les arrérages de rentes seront perçus et convertis immédiatement en
+rentes sur l'État, ou en placements hypothécaires, par les soins du
+conseil-directeur.
+
+Tout souscripteur âgé de cinquante-cinq ans, dont les versements annuels
+auront été régulièrement faits pendant vingt-cinq ans, et s'élèveront à
+450 francs au moins, aura droit à une pension.
+
+Les souscripteurs dont les versements auraient été suspendus ne perdront
+pas leurs droits à la pension, pourvu qu'en reprenant le cours de leurs
+versements, ils acquittent le montant et les intérêts composés des
+versements arriérés. Le maximum des pensions ne pourra excéder 600
+francs par an, à moins de modifications ultérieures.
+
+D'autres dispositions règlent les droits des ouvriers à une pension
+temporaire pour cause de blessures ou d'accidents.
+
+Enfin la caisse sera aussi en mesure de servir des pensions aux veufs ou
+veuves, aux orphelins et aux pères et mères indigents des
+souscripteurs..
+
+Tel est, dans ses dispositions principales, le plan proposé par M.
+Maquet; aussi ne doit-on pas s'étonner qu'aussitôt les hommes les plus
+honorables et les publicistes les plus distingués se soient empressé de
+lui donner leur adhésion. Il a été immédiatement renvoyé à une
+commission qui s'est constituée sous la présidence d'un de nos
+industriels les plus distingués, M. Demere, et dont on attend le travail
+avec impatience. Sans préjuger, dès aujourd'hui, quelles seront les
+conclusions de cette commission, nous croyons savoir qu'elle
+insisterait, de même que M. Miguel, pour que cette caisse fonctionnerait
+sous la garantie du gouvernement.
+
+Nous ne savons encore si le gouvernement donnera la garantie demandée.
+Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons que nous féliciter de voir des
+hommes honorables et dévoués occupés de réaliser une idée aussi féconde,
+et qui, bien comprise et bien exécutée, peut avoir les résultats les
+plus heureux pour l'avenir des classes ouvrières. Prochainement, la
+commission va publier son travail et ses observations. Puisse-t-elle
+mettre dans l'oeuvre qu'elle a entreprise assez de persévérance et
+d'efforts pour réaliser bientôt le plan de M. Maquet! Ce sera à la fois
+un noble exemple donné par la France au monde civilisé, et un immense
+service rendu à l'industrie nationale. Ses agents les plus immédiats et
+les plus utiles, les ouvriers, trouveront dans la caisse des pensions de
+retraite un soulagement pour leur vieillesse, et un bien-être d'autant
+plus précieux qu'ils ne le devront qu'à leur prévoyance et à leur
+économie.
+
+
+
+Romanciers contemporains.
+
+CHARLES DICKENS.
+
+LA TABLE D'HOTE.
+
+(Voir t. II, p. 26, 58 et 105.)
+
+L'assemblée était nombreuse; dix-huit à vingt convives environ, parmi
+lesquels cinq ou six daines, serrées l'une contre l'autre, formaient à
+elles seules une petite phalange défensive. Tous les couteaux, toutes
+les fourchettes étaient à l'oeuvre et s'escrimaient d'une façon tout à
+fait édifiante. Peu de paroles s'échangeaient; chacun avalait comme s'il
+y allait de la vie; et une famine eût été prédite pour le lendemain
+avant déjeuner, qu'on n'eût pu mettre plus d'ardeur à satisfaire le
+premier des appétits brutaux. La volaille faisait le gros du festin; une
+dinde figurait au haut bout de la table, deux canards en occupaient
+l'autre extrémité, et deux volatiles inconnus siégeaient au centre. Le
+tout disparut comme si chaque oiseau, recouvrant l'usage de ses ailes,
+eût pris l'essor à travers chaque gosier, y plongeant comme en un
+gouffre. Les huîtres, cuites et marinées, ne faisaient qu'un saut de
+leurs spacieuses coquilles dans les bouches béantes, où elles glissaient
+par vingtaines. Les hors d'oeuvre du plus haut goût ne faisaient
+qu'apparaître. Les cornichons, les piments, les concombres au vinaigre,
+se croquaient comme dragées, sans qu'un oeil sourcillât. D'immenses amas
+d'aliments indigestes fondaient comme la glace au soleil. C'était
+vraiment chose solennelle et stupéfiante à voir! Des gens qui se
+plaignaient d'une digestion laborieuse se gorgeaient d'énormes bouchées,
+nourrissant ainsi, non-seulement eux, mais une nuée de cauchemars,
+luttes habituels de leur couche. D'autres individus maigres, à joues
+hâves et tirées, mal repus en dépit de ce carnage des pièces de
+résistance, couvaient la pâtisserie avec des regards avides. Ce que
+madame Pawkins ressentait chaque jour pendant le dîner échappe à la
+pénétration humaine; elle avait cependant une consolation: c'est que son
+supplice était court.
+
+Dès que le colonel eut fini de dîner, événement qui eut lieu juste au
+moment où Martin, envoyant son assiette, sollicitait un morceau de dinde
+pour commencer le sien, l'Américain demanda à l'Anglais son opinion sur
+les pensionnaires qui affluaient là de toutes les parties de l'Union, et
+s'informa si quelques renseignements sur eux lui seraient agréables.
+
+«De grâce, dit alors Martin, quelle est cette petite fille, à figure
+maladive, avec de gros yeux tout ronds, là, vis-à-vis de nous? je ne lui
+vois ni mère ni chaperon.
+
+--Parlez-vous de cette matrone en robe bleue? demanda le colonel avec
+emphase; c'est mistriss Jefferson Brick, monsieur.
+
+--Eh non! dit Martin; je parle de cette petite poupée: là, vous dis-je,
+juste en face.
+
+--Eh bien, monsieur, répliqua le colonel, cette dame est madame
+Jefferson Brick en personne!»
+
+Martin fit volte-face et regarda le colonel. Il parlait sérieusement.
+
+«Sur mon âme; alors je ne désespère pas de voir quelqu'un de ces jours
+naître un héritier à M. Brick, dit Martin.
+
+--Il en a déjà deux, monsieur,» répondit le colonel. L'allure de la dame
+était si fort celle d'une enfant, que Martin n'avait pu retenir
+l'exclamation.
+
+«Oui, monsieur, poursuivit M. Driver; s'il est des institutions qui
+compriment la nature humaine, il en est d'autres qui la développent!»
+Après un moment de silence: «Jefferson Brick, ajouta le colonel à
+l'éloge de son collaborateur, Jefferson est un des hommes les plus
+remarquables de notre pays, monsieur!»
+
+Ces paroles furent murmurées à voix basse, car l'homme remarquable
+siégeait à la droite de Martin.
+
+«Auriez-vous la bonté de me dire, monsieur Brick, reprit l'Anglais,
+s'adressant cette fois à son voisin de droite et le questionnant, moins
+par curiosité que pour l'amour de la conversation, me diriez-vous quel
+est ce...» Il allait dire petit garçon; mais, esquivant le mot, il
+reprit: «ce petit monsieur, là-bas, qui a le nez rouge?
+
+--Professeur Mollet, monsieur, répondit Jefferson.
+
+--Puis-je demander quelle science il professe? reprit Martin.
+
+--L'éducation, monsieur, dit Jefferson Brick.
+
+--Peut-être un maître de pension? demanda Martin en hésitant.
+
+--Un homme de la plus haute moralité, monsieur, formé des éléments les
+plus purs, jouissant de facultés peu communes, répondit le correspondant
+chargé du département de la guerre. A la dernière élection pour la
+présidence, il a jugé, de son devoir de répudier son père et de le
+dénoncer pour avoir voté du mauvais côté. Depuis, il a publié quelques
+pamphlets d'une immense portée, qu'il a signé _Suburb_, ou Brutus
+renversé. C'est un des grands hommes dont notre patrie s'honore,
+monsieur.
+
+--A ce compte, il n'y aura pas disette de grands hommes,» pensa Martin.
+
+Poursuivant son enquête, l'Anglais découvrit qu'il n'y avait pas moins
+de quatre majors présents, deux colonels, un général et un capitaine. Il
+ne put s'empêcher d'en conclure que l'état-major de la milice américaine
+était si nombreux qu'à moins de se commander mutuellement l'un l'autre,
+les officiers ne devaient savoir où et comment se pourvoir de soldats.
+Pas un des assistants qui fût dépourvu de titres. Ceux qui ne
+jouissaient pas des honneurs militaires étaient docteurs, professeurs on
+révérends. Trois d'entre eux, grossiers et désagréables personnages,
+avaient été députés des États voisins; l'un pour affaires d'argent, le
+second comme envoyé politique, le troisième, comme missionnaire aux
+frais d'une secte religieuse. Parmi les dames on voyait mistriss
+Pawkins, droite, osseuse et silencieuse; de plus une vieille demoiselle,
+figure en lame de couteau, qui soutenait les droits des femmes envers et
+contre tous, et avait ouvert un cours pour la propagation de ses idées.
+Le reste, tout à fait dépourvu d'individualité et de caractère, ne
+valait pas la peine d'être nommé; plusieurs même auraient pu faire
+échange d'esprit ou d'âme l'un avec l'autre sans que personne s'en
+doutât. Ces derniers seuls ne paraissaient point enrôlés parmi les
+personnages les plus remarquables du pays.
+
+Plusieurs hommes, en avalant leur dernier morceau, se levèrent et
+sortirent, s'arrêtant seulement une minute ou deux près du poêle, pour
+se rafraîchir aux crachoirs de cuivre. Un petit nombre, plus sédentaire,
+s'oublia environ un quart d'heure autour de la laide, et ne se leva
+qu'avec les dames.
+
+«Où vont-elles? demanda Martin à l'oreille de M. Jefferson Brick.
+
+--Dans leur chambre à coucher, monsieur,
+
+--N'y a-t-il donc point de dessert, pas un moment de loisir à donner à
+la conversation? demanda Martin, assez disposé à jouir de quelque
+relâche après son long et assommant voyage.
+
+--De ce côté de l'Atlantique, nous ne sommes pas hommes de loisir,
+monsieur, mais d'affaires, et nous n'avons pas de temps à perdre,» fut
+la réplique.
+
+Les dames filèrent donc sur une seule ligne; M. Jefferson Brick et les
+autres hommes mariés signalèrent le départ de leurs meilleures moitiés
+par un léger mouvement de tête, et ce fut chose terminée. Martin
+trouvait la coutume peu de son goût; cette fois il garda son opinion
+pour lui, ayant grand désir de profiter de la conversation de ces
+_gentlemen_ si affairés, qui s'étiraient, à l'envi l'un de l'autre,
+autour du poêle, comme si le départ des personnes de l'autre sexe eût
+dégagé leur esprit d'un poids immense, ils faisaient maintenant le plus
+copieux usage, le plus actif emploi des crachoirs et des cure-dents.
+
+A dire vrai, l'entretien était vide d'intérêt et pouvait se résumer en
+un seul mot: l'argent. Soucis, joies, espérances, affections, vertus,
+poésie, tout semblait se fondre et couler en dollars. Le hasard le plus
+favorable n'aurait pu apporter, au milieu de ces fastidieux caquets,
+chose légère ou gracieuse qui ne s'épaissit en métal. Les hommes étaient
+pesés au poids de leurs dollars, leurs actes jaugés en dollars, la vie,
+mise à l'encan, évaluée au taux le plus juste, portée aux nues ou
+traînée dans la fange, selon le nombre des dollars.
+
+Après les dollars, ce qu'il y avait de plus respectable, c'était toute
+entreprise ayant pour but d'en acquérir. Plus un homme avait su jeter
+par dessus bord, de vertus, d'honneur, de générosité, allégeant sa
+barque de ce lest inutile, plus il avait de place à donner aux dollars.
+Pour l'argent on pouvait faire du commerce un vaste mensonge, un
+brigandage légal; pour l'argent on pouvait faire, du drapeau de la
+république, un haillon; on pouvait en souiller les étoiles une à une, le
+taillant, le dépeçant bande à bande, comme les chevrons d'un caporal
+dégradé. Tout pour les dollars! qu'est-ce qu'un pavillon, qu'est-ce
+qu'un drapeau devant _l'or_?
+
+Celui qui hasarde sa vie à la chasse aux renards, aime à courir à toute
+bride; il en était ainsi de ces messieurs. Le plus grand patriote était
+celui qui braillait le plus haut, au mépris de toute décence. Leur digne
+champion, c'était l'homme qui, dans l'emportement brutal de sa course,
+ne pouvait prendre un instant haleine, et marquer d'un brûlant mépris la
+turpitude du voisin. En peu de minutes de cette causerie autour du
+poêle, Martin apprit que porter à l'assemblée législative des pistolets,
+des épées dans des cannes, et autres paisibles jouets; que saisir son
+adversaire à la gorge comme le pourrait faire un chien ou un rat; que
+tempêter, quereller, s'emporter, boxer et triompher par la force
+musculaire, étaient autant d'actes glorieux; et qu'au heu de déshonorer
+la liberté et de la frapper au coeur plus que ne le pourrait faire le
+cimeterre d'un despote, ces actes forcenés flattaient l'orgueil
+patriotique des citoyens et réveillaient sur les rivages
+transatlantiques les mille échos de la renommée.
+
+Une fois ou deux, quand il peut en trouver le joint, Martin hasarda les
+questions qui lui venaient en tête, en sa qualité d'étranger, tant sur
+les poètes nationaux, sur le théâtre et la littérature, que sur les
+arts. Mais les renseignements que ses interlocuteurs étaient en mesure
+de lui donner, ne s'étendaient pas au delà des phrases redondantes des
+illustres de l'époque, tels que le colonel Driver, M, Jefferson Brick et
+autres célèbres, à ce qu'il paraissait, par la perfection et
+l'excellence du style boursouflé et tranchant, vulgairement nommé,
+style de matamore.
+
+«Nous sommes un peuple occupé, monsieur, dit un des capitaines nui
+venaient de l'Ouest, et nous n'avons pas de temps à perdre en lectures
+de fantaisie. Nous nous en arrangeons encore quand elles nous viennent
+dans les journaux mêlées à des choses solides et substantielles, mais
+_pouah_ de vos livres!»
+
+Ici le général, qui semblait pris de mal de coeur à la seule pensée de
+lire quoi que ce soit qui n'appartint pas au commerce ou à la politique,
+et qui fût en dehors des journaux, demanda si personne ne se sentait en
+goût de prendre un petit verre de liqueur. La plupart des assistants
+trouvant l'idée fort de saison, filèrent, un à un, vers le comptoir du
+cabaret voisin, d'où probablement ils gagnèrent leurs magasins et leurs
+banques, pour revenir de nouveau à la taverne rabâcher encore de dollars
+et d'argent, élargir leur esprit en parcourant et discutant quelques
+sentences ampoulées de patriotisme, et finir enfin par aller ronfler
+chacun au sein de sa famille.
+
+«Leur principale jouissance, la seule qu'ils sachent savourer en commun,
+se dit Martin poursuivant le cours de ses pensées; et il continua il
+rêver aux dollars, aux démagogues de cabaret, ne sachant trop si ces
+gens étaient réellement aussi affairés qu'ils prétendaient l'être, ou si
+tout bonnement ils étaient incapables de goûter tout plaisir social,
+toute joie domestique.
+
+Le problème était difficile à résoudre, et s'être trouvé contraint de le
+poser était déjà peu encourageant. Martin, assis devant la table
+déserte, de plus en plus abattu, et repassant en son âme les difficultés
+et l'incertitude de sa situation, poussa un profond soupir.
+
+Un des convives, homme entre deux âges, à l'oeil noir, à la face hâlée,
+avait attiré l'attention de Martin par l'expression cordiale et ouverte
+de ses traits. Mais impossible à l'Anglais de rien tirer de ses voisins
+au sujet d'un individu qu'ils paraissaient regarder avec le plus complet
+dédain. Ce personnage, qui ne s'était pas mêlé à la conversation autour
+du poêle, ne quitta point la salle avec les autres, et lorsqu'il entend
+il Martin soupirer pour la trois ou quatrième fois, il hasarda quelques
+paroles dans le désir, sans imposer sa connaissance, d'engager peu à peu
+l'entretien. Ses motifs étaient si palpables, et cependant si
+délicatement indiqués, que Martin en éprouva une velléité de
+reconnaissance, et la laissa percer dans sa réponse.
+
+«Je ne vous demanderai pas, dit en souriant l'étranger, qui se leva
+alors et se rapprocha de Martin, je ne vous demanderai pas comment vous
+aimez mon pays; je crains trop de deviner; mais, en ma qualité
+d'Américain, forcé du commencer toujours par une question, _je vous
+demanderai_ si le colonel vous agrée.
+
+--Votre franchise m'encourage à avouer, sans la moindre réticence, qu'il
+ne m'agrée pas du tout; bien qu'il me faille ajouter que je lui dois des
+remerciements pour m'avoir amené ici,--et même pour avoir arrangé les
+choses sur un pied assez raisonnable, ajouta Martin, se souvenant de
+quelques mots, que le colonel avait murmurés à son oreille avant de le
+quitter.
+
+--Trève à la reconnaissance, reprit sèchement l'étranger; le colonel va
+raccrocher à bord des paquebots de temps à autre, à ce que j'ai oui
+dire, quelques passagers d'Europe, afin de leur extorquer des
+renseignements de fraîche date dont il engraisse son journal; il
+présente aussi des étrangers ici comme pensionnaires, pour gagner sur
+eux, j'imagine, quelque petite remise, déduite ensuite par l'hôtesse sur
+son écot de la semaine.--J'espère ne vous avoir choqué en rien?
+ajouta-t-il, s'apercevant que Martin rougissait.
+
+--Comment serait-ce possible, mon cher monsieur? dit Martin, serrant la
+main qui lui était offerte. A vous dire la vérité, je me demande.....
+
+--Quoi?
+
+--Je me demande, puisqu'il faut tout dire, comment fait le colonel pour
+esquiver les coups de bâton?
+
+--Eh! il en a bien reçu quelques-uns, répondit tranquillement
+l'Américain; il fait partie de cette classe d'hommes de laquelle notre
+Franklin, dix ans déjà avant la fin du dernier-siècle, n'attendait que
+dangers et disgrâces. Peut-être ignorez-vous que Franklin a publié, en
+termes péremptoires, l'opinion que tout individu calomnié par un drôle
+de l'espèce du colonel, ne trouvant protection suffisante ni dans les
+lois du pays, ni dans les sentiments élevés et délicats de ses
+compatriotes, était en droit de récriminer sur le dos de cette vermine
+publique, à l'aide d'un bon gourdin.
+
+--Je ne savais mot de cela, dit Martin; mais je suis ravi de
+l'apprendre, et trouve l'avis digne de mémoire, d'autant plus.....» Ici,
+il hésita de nouveau.
+
+«Allons, poursuivez, dit l'autre, souriant comme s'il devinait les
+paroles qui prenaient Martin à la gorge.
+
+--D'autant plus, poursuivit Martin, que je commence à penser qu'il
+fallait être doué d'une forte dose de courage, même au temps de
+Franklin, pour écrire librement, sur quelque sujet que ce fût, dans
+cette très-indépendante république, du moins, sans être soutenu par un
+parti.
+
+--Du courage? sans doute, il en fallait. Et pensez-vous qu'il en faille
+aujourd'hui? reprit son nouvel ami.
+
+--Oui, en vérité, et pas peu, dit Martin.
+
+--Vous dites vrai, si vrai que je ne crois pas possible qu'un auteur
+satirique puisse respirer notre air. Un Juvénal, un Swift qui viendrait,
+à naître parmi nous demain serait écrasé sur l'heure. Si vous
+connaissez, un peu notre littérature, et que vous puissiez me citer le
+nom d'un Américain qui ait relevé et disséqué nos travers comme peuple,
+et non comme appartenant à tel ou tel parti, et qui ait pu échapper aux
+calomnies les plus dégoûtantes, aux plus sales injures, ce nom,
+croyez-moi, sera nouveau à mes oreilles. Je pourrais vous désigner plus
+d'une circonstance où un de nos écrivains ayant hasardé la plus
+innocente critique, l'exposition la moins amère, la mieux intentionnée
+de quelques-uns de nos ridicules ou de nos vices, a été obligé
+d'annoncer que, dans une nouvelle édition purgée; et corrigée, le
+passage critique serait retranché, expliqué ou métamorphosé en éloge.
+
+--Et comment les choses en sont-elles venues là? demanda Martin d'un ton
+abattu.
+
+--Rappelez-vous ce que vous avez entendu et vu aujourd'hui, à commencer
+par le colonel, et vous ne demanderez plus comment, dit son ami. Mais
+eux, d'où sortent-ils? cela, c'est une autre question. Dieu nous
+préserve de voir en cette engeance un spécimen de l'intelligence et de
+la moralité en Amérique; seulement, comme l'écume, elle monte à la
+surface, hélas! et trop souvent c'est dans cette tourbe que la
+représentation du pays se recrute.--Mais ne feriez-vous pas un tour de
+promenade?»
+
+Il y avait dans les manières de l'Américain une franchise pleine de
+cordialité, jointe à la mâle confiance qu'on n'en abuserait pas, un
+mélange de droiture, de fermeté et de bienveillance, que Martin n'avait
+encore jamais rencontré. Il passa son bras sous celui de son nouvel ami,
+et ils sortirent ensemble.
+
+(_La suite à un prochain numéro._)
+
+
+
+MARGHERITA PUSTERLA.
+
+CHAPITRE XIV.
+
+PISE.
+
+Persuadé qu'Alpinolo ne reviendrait plus dans cette cabane, Ramengo
+marchait en cherchant à se mettre sur les traces du jeune page. Le désir
+de trouver son fils lui avait fait quitter la piste qu'il avait
+jusque-là suivit; avec l'anxiété de la haine. Dans une de ses promenades
+à l'aventure, un jour qu'il côtoyait le Pô, il entendit sortir d'un
+buisson comme la voix d'un homme qui appelle. Il s'approche: un batelier
+lui demande humblement: «Le seigneur cavalier veut peut-être passer?
+
+[Illustration.]
+
+--Pourquoi cette demande?
+
+--Je connais au drap de vos habits que votre seigneurie est de Milan.
+J'en ai beaucoup passé de Milanais pendant ces semaines.»
+
+Ces paroles donnèrent l'impulsion à la volonté indécise de Ramengo, qui
+répondit affirmativement plutôt à ses propres pensées qu'à la question
+du batelier. On fit entrer le cheval dans la barque, et pendant que le
+rameur s'efforçait de couper obliquement le fil de l'eau, Ramengo le
+questionna sur les passagers, sur leurs babils, leurs discours, leur
+route. Il lui demanda, en outre, s'il n'avait pas vu un beau jeune
+homme, et il lui lit le portrait d'Alpinolo.
+
+«Eh! eh! répondait le batelier, s'il fallait les avoir tous dans
+l'esprit. Mais, celui que vous me décrivez, je crois l'avoir vu; oui: un
+homme entre trente et trente-cinq ans, n'est-ce pas?...
+
+--Non, non: beaucoup moins, pas même vingt: des cheveux noirs.
+
+--Précisément; à présent, je me rappelle: des yeux gris, courtaud,
+trapu...
+
+--Au contraire: des yeux noirs, plus grand que moi, bien taillé;
+impossible de le voir et de ne pas s'en souvenir.
+
+--Ah! il y tant d'ânes qui se ressemblent!» Ramengo arrivé à l'autre
+rive, paya maigrement le passeur, et partit à l'aventure. Il erra encore
+de lieu en lieu, questionna tout le monde sur son passage; on lui
+répondit partout qu'on avait, en effet, vu beaucoup de Milanais, mais
+qu'on ignorait qui ils étaient et où ils se dirigeaient. On savait
+généralement qu'ils quittaient leur patrie à cause de la tyrannie de
+Luchino.
+
+Il vit d'autres tyrans régner sur les diverses cités de la Romagne; à
+Ituvium, les Malatesta; les Ordelaffi, à Fouli; à Faenza, Francesco di
+Manfredi; les Palenta, à Ravenne. Rome pleurait son veuvage depuis que
+les papes, se retirant à Avignon, l'avaient abandonnée à la tyrannie de
+ses barons, contre lesquels devait, peu d'années après, s'élever la
+généreuse mais impuissante voix de Cola de Rieuri. Bologne recevait la
+vie et la splendeur des quinze nulle Italiens et Allemands qui
+étudiaient dans son adversité, orgueilleuse de son titre de docte,
+qu'elle a conservé jusqu'à nos jours, comme elle a conservé dans ses
+armoiries le mot de liberté, quoique déjà, dès cette époque, elle eût
+subi le joug des papes. Puis, passant l'Apennin, Ramengo entra dans la
+belle Toscane. Dans cette contrée, la liberté était d'autant plus en
+honneur, qu'on avait vu a quels excès s'étaient portés les petits
+seigneurs de la Romagne et de la Lombardie. Toutes les communes
+défendaient hardiment leurs franchises, et repoussaient avec haine le
+gouvernement d'un seul. Mais comment espérer qu'une vierge se conserve
+pure au milieu d'une troupe de courtisanes? Les voisins dépravés de ces
+républiques, s'ils n'osaient point encore attenter ouvertement à la
+liberté de la Toscane, préparaient son assujettissement par la
+corruption et en fomentaient les discordes. Sous cette dégradante
+influence, les inimitiés de cité à cité s'aigrissaient de plus en plus;
+les noms des Guelfes et des Gibelins, qui, dans les autres pays, avaient
+presque perdu leur signification, conservaient là une vitalité tenace:
+Pise et Avezzo étaient gibelines; guelfes étaient Pistole, Prato,
+Volterra, Samminiato, Sienne, Péronne, et principalement, Florence. Au
+lieu de laisser se mûrir dans les coeurs le sentiment d'une nationalité
+unique, qui seule pouvait porter des fruits dans l'avenir, ils se
+combattaient et se repoussaient les uns les autres. Il n'y avait de
+patrie que le coin où on était né. On appelait étrangers et ennemis tous
+ceux qui ne foulaient pas la même terre, et plus ils étaient voisins,
+plus on avait contre eux de dispositions hostiles; et au milieu de leurs
+querelles, ils invoquaient toujours ou les armes ou la médiation plus
+funeste encore de leurs véritables ennemis.
+
+Cependant, au milieu de ces luttes, il y avait une activité puissante.
+Chacun éprouvait sa valeur et ce qu'il pourrait faire de concert avec
+ses concitoyens. Le commerce, l'agriculture, les arts étaient à leur
+plus haut point d'épanouissement; la peinture, la sculpture,
+l'architecture, offraient des modèles que notre siècle difficile n'a pas
+cessé d'admirer; et la langue sortie des mains de Dante Alighiéri, mort
+vingt années auparavant, perfectionnée par Pétrarque et par Boccace,
+encore jeunes, acquérait cette suprématie sur les autres dialectes de
+l'Italie, que rien ne pourra désormais lui enlever.
+
+De même que dans cette Grèce, avec laquelle notre patrie a tant de
+rapports, on oubliait les mutuelles inimitiés pour se rassembler aux
+jeux d'Olympie, ainsi la vive humeur des Toscans les réunissait à de
+splendides fêtes, où les diverses cités venaient se réjouir dans les
+solennités consacrées à leurs patrons, dans la célébration d'anciens
+faits mémorables ou de hauts faits nouveaux. Pise avait, précisément,
+vers cette époque, remporté des avantages contre les Maures, qui,
+s'élançant des côtes de l'Afrique, infestaient la Méditerranée et
+l'Italie. Pour célébrer ce triomphe et la prise de quelques galères, le
+carnaval devait finir par la fête du Pont. Ramengo n'entendait parler
+que de cette fête dans toute la Toscane. Tous ceux qui le pouvaient se
+préparaient à y assister; les autres s'en mouraient d'envie: «Pourquoi
+n'irais-je pas aussi, moi, se dit Ramengo? C'est parmi un tel concours
+qu'il est le plus probable de rencontrer celui que je cherche.» Il se
+dirigea donc vers Pise; elle était alors dans toute la fleur de sa
+beauté. Son port était aussi fréquenté, toute proportion gardée, que le
+sont aujourd'hui les ports, d'Amsterdam et de Londres. Unissant au génie
+des spéculations l'amour des beaux-arts, inné dans notre patrie, ils
+tiraient des contrées de l'Asie, redevenue barbare, des marbres, des
+colonnes, des sculptures, dont ils embellissaient la patrie. Aujourd'hui
+Pise est bien différente de ce qu'elle a été. Un bourg voisin de la mer,
+alors à peine remarqué, lui a enlevé le reste de commerce que les
+changements des relations européennes ont laissé à la Toscane. Ses
+150,000 habitants sont réduits au moins des six septièmes. Sa cathédrale
+de marbre, l'admirable _loggia_ des marchands, les autres monuments de
+son antique majesté, font un mélancolique contraste avec l'herbe qui
+croit dans les rues solitaires, avec le silence des ateliers muets, avec
+le vide désolé de son _lungarno_, et la merveilleuse tour semble se
+pencher avec compassion pour pleurer sur toutes ces grandeurs évanouies.
+
+«Poteurinterra! votre seigneurie doit venir de l'autre bout du monde, si
+jamais elle n'a entendu parler de la fête du Pont.» C'est ce que disait
+à Ramengo Phole Aquevino, qui, venu jeune de Pontudera, sans le bec d'un
+quattrino, comme il disait, avait d'abord élevé sur la route de Pise une
+ramée où il donnait à boire aux muletiers, faisant ses frais avec
+quelques niaiseries de profit. Puis, avec des quattrini faisant d'autres
+quattrini, et donnant des noms illustres aux petits vins qu'il débitait,
+et que la soif faisait paraître superflus, il bâtit une petite
+hôtellerie. Si quelqu'un la trouvait exiguë, il répondait, sans avoir
+jamais lu Socrate, qu'il aurait voulu l'avoir toujours pleine de
+voyageurs. Il y avait, devant la maison, un terre-plein pour jouer au
+mail, et que devaient côtoyer ceux qui se rendaient à la ville. De là on
+dominait aussi la vaste plaine qui, d'un côté, descend à la mer, et de
+l'autre est fermée par des collines couvertes par la blanchissante
+verdure des oliviers, et est traversée par l'Arno, qui va partager Pise
+en forme de demi-cercle. Là Aquevino, parvenu à la maturité en ayant
+pris du ventre, mais frais, toujours jovial, grand bavard, grand
+admirateur des beautés de son pays, du beau ciel, du bon air, des bonnes
+gens, presque autant qu'un poète de l'Académie des Arcades, logeait les
+étrangers, en leur faisant expier, au moment de payer l'écot, la faute
+de n'être pas Toscans. Il servait de joyeuses bourdes et du vin aux
+voituriers et aux piétons, et conservait, dans une intégrité religieuse,
+des jambons du Casentin, et des flacons d'aleatico et de monte Suriano,
+qu'un professeur de l'Université avait comparés à l'ambroisie et au
+nectar des dieux. Aquevino, depuis vingt ans, répétait cette
+comparaison, qu'il donnait toujours pour nouvelle à tous les seigneurs
+«qui, disait-il, lui faisaient l'honneur de visiter son désert.»
+
+[Illustration.]
+
+En voyant arriver Ramengo vers le soir, seul et avec une maigre valise,
+Aquevino lui avait d'abord fait les gros yeux, et s'était tenu avec lui
+sur ses grands chevaux; mais quant il lui eut entendu commander la
+chambre la meilleure, les mets les plus choisis, les vins les plus
+exquis, et qu'il vit briller les luisants florins d'or dont la bourse du
+voyageur était remplie, il changea de ton, et, au milieu de ses
+occupations, vint avec empressement régaler de sa conversation l'hôte à
+la belle bourse.
+
+Il lui apprit ce qu'était cette fête du Pont: elle était instituée en
+mémoire de la belle action de Cinrica de Sismundi qui, une nuit que la
+ville avait été envahie par les Sarrasins, sans bruit et à l'improviste,
+et qu'ils massacraient sans résistance les citoyens épouvantés, eut
+seule l'idée d'aller avertir la seigneurie. Les infidèles occupaient
+déjà le pont de l'Arno; mais les chefs de la ville ayant rassemblé les
+troupes en toute hâte, et rallié les fuyards, repoussèrent les
+Sarrasins, qui retournèrent à leurs vaisseaux avec une grande perte.
+
+La cité et le territoire de Pise se divisaient en deux factions dites de
+Saint-Antoine et de Sainte-Marie. C'étaient ces deux factions qui
+fournissaient les combattants pour la fête du Pont; ils se réunissaient
+sur le pont de l'Arno, où les Sarrasins avaient été repoussés; et là
+chacune des deux troupes s'efforçait de rester maîtresse du terrain. Il
+y avait beaucoup de morts dans ce jeu militaire, et les plus heureux
+étaient encore ceux qui étaient précipités dans l'Arno, parce qu'il y
+avait là des barques toutes prêtes à leur porter secours. Les esprits
+étaient si passionnés pour cette fête, et on la prenait tellement au
+sérieux, que lorsqu'on annonçait aux mères, aux soeurs, aux amantes, les
+blessures ou même la mort d'un des combattants, elles demandaient quel
+parti avait remporté la victoire; et si la réponse était conforme à
+leurs désirs, ces grotesques Spartiates oubliaient les plus tendres et
+les plus sacrées affections pour éclater en cris de triomphe.
+
+Ce jeu, qui, du temps de la république, avait au moins le mérite
+d'entretenir et d'exercer l'esprit militaire, se prolongea, sans autre
+raison que celle de la coutume, jusque dans le dix-huitième siècle, où
+Léopold d'Autriche, trouvant que c'était trop pour un jeu, trop peu pour
+un combat, abolit la fête.
+
+«Avez-vous jamais vu, seigneur étranger, dans toute votre vie et par
+tout le monde, un tel concours de chrétiens?» demandait l'hôte à
+Ramengo, qui, le matin du jour du combat, se tenait sur une petite
+terrasse ombragée par un laurier, observant Pise et la foule qui s'y
+portait; et décrivant un cercle avec la main étendue, il poursuivait:
+«Cela vous paraît-il peu de chose? quelle pompe! quelle beauté! quelle
+ardeur! on reconnaîtrait un toscan au milieu même de la foule de la
+vallée de Josaphat. Ceux qu'on voit en robes majestueuses sont des
+Florentins, gens d'une richesse sans bornes, ils spéculeront encore sur
+la fête; ces autres, tout empanachés et recherchés dans leurs habits,
+sont des Pistolais; ceux-ci, de Sienne, la race la plus loyale et la
+plus sincère des trois parties du monde. Le désir de voir nos fêtes leur
+a fait oublier les vieilles querelles; ils seront tous bien accueillis à
+Pise, et personne ne craindra qu'ils y apportent la peste. Oh! voyez la
+belle cavalcade! Ce sont les seigneurs de la Versuba et de la Lumgiana,
+non moins terribles dans leurs châteaux que sur la mer: les passants le
+savent bien. Observez les belles et robustes figures; ils ont tous en
+croupe des jeunes filles et des femmes qui, sans contredit, n'ont point
+d'égales dans tout l'univers. Vive le beau soleil! vive les belles
+femmes de Toscane!»
+
+[Illustration.]
+
+Cependant on voyait sur l'Arno un grand nombre de barques glisser
+légèrement au milieu des gros navires à l'ancre. Une vive joie régnait
+parmi toute cette multitude, les railleries capricieuses, les saillies
+bizarres se croisaient de toutes parts dans un doux et agile langage. Un
+choeur de jeunes gens jouant de la flûte accompagnait les accords des
+autres, qui chantaient la ballade bien connue:
+
+ Vaghe le mentanine pastorelle
+ Donde venite si leggiadre e belle?
+
+Lorsqu'ils eurent fini, une jeune fille que ses grands yeux et ses joues
+roses faisaient remarquer parmi toutes ses compagnes, répondit d'une
+voix plus puissante que délicate, pendant qu'elle passait sous le balcon
+où se tenait Ramengo:
+
+ E s'is son gella, is son bella permene,
+ Ne' mi curo d'aver de' vagheggini;
+ E non mi curo niun mi voglia bene
+ Ne manco vi' ch'altri mi faccia inchini.
+
+ Et si je suis belle, je suis belle pour moi seule,
+ Je ne me soucie point d'avoir des amants,
+ Je ne m'inquiète point qu'on m'aime.
+ Il ne manque pas d'autres gens que vous pour me faire
+ des révérences.
+
+[Illustration.]
+
+«Regardez la belle fille!» s'écria un jeune homme en sortant de la
+taverne voisine et en s'avançant hardiment vers la jeune chanteuse. Au
+son de la voix et à l'accent étranger, Ramengo se retourna et reconnut
+un groupe de Lombards. Il les regarda d'un oeil scrutateur, et, s'étant
+assuré que parmi tous les visages il n'y en avait pas un seul dont il
+fût connu, il descendit près d'eux et se fit reconnaître à son langage,
+pour un de leurs compatriotes. On l'entoura aussitôt et tous lui
+serrèrent la main, quoiqu'il leur fût inconnu, parce que la communauté
+de la patrie est toujours un titre à amitié sur la terre étrangère.
+
+Ramengo salua, répondit à leurs demandes, à leurs embrassements, et
+serra toutes les mains qui se présentèrent. Quoiqu'il eût pu espérer que
+parmi ces bannis, son nom serait reçu comme celui d'un compagnon
+d'infortune, il lui parut cependant plus prudent de le dissimuler, et il
+se donna pour un certain Hanterio de Bescapé, né à l'ombre du dôme de
+Milan, demeurant aux _Cinq Voies_, et fugitif comme eux.
+
+Puis il leur donna des nouvelles de leurs amis. «Qu'a-t-on fait des
+Aliprandi? lui demanda-t-on.
+
+--Morts de faim.
+
+--Et Bronzin-Canno, ce grandissime modéré, tient-il toujours pour le
+tyran?
+
+--Il se tient en prison pour avoir osé défendre la vérité, si pourtant
+il ne lui est pas arrivé pis.
+
+--Et Matteo Visconti?
+
+--Confiné à Morano di Monferrato.
+
+--Et Barnabé?
+
+--A la cour du Scaliger.
+
+--Et Galéas, toujours beau, toujours galant, toujours adorateur de
+madame Isabelle?
+
+--Bon Dieu! le seigneur Luchino ne dort qu'autant qu'il le veut bien; le
+beau Galéas erre par pauvreté et pour faire perdre la trace à son oncle.
+On le dit pourtant en Flandre.»
+
+[Illustration.]
+
+Ainsi répondait Ramengo aux diverses demandes, joyeux de se montrer bien
+informé, pour acquérir une plus grande confiance, et de raconter ce
+qu'il savait, afin d'apprendre ce qu'il voulait savoir. Comme le marin,
+lorsqu'il revoit les ondes tranquilles, comme le voleur en présence
+d'une occasion favorable, comme le buveur à la porte du cabaret,
+oublient toutes leurs belles résolutions, ainsi Ramengo oublia tous ses
+projets de vertu lorsqu'il se vit dans la possibilité de nuire. D'abord,
+il ne voulait que mentir, afin de découvrir, s'il le pouvait, la
+retraite d'Alpinolo; puis, à l'ordinaire, comme une faute en amène une
+autre, il se trouva entraîné à faire le mal pour le mal.
+
+«Mais qu'est-ce donc, lui demandaient les exaltés, qu'est-ce que la vie
+à Milan, aujourd'hui?
+
+--Ce qu'elle est, répondait-il, dans tous les pays asservis; Luchino
+s'enhardit de jour en jour, parce qu'il voit venir à lui les cités
+épouvantées, comme le boeuf qui vient de lui-même à la tuerie. Acouez
+avait déjà dix villes en son pouvoir, n'est-il pas vrai? eh bien!
+celui-ci en a sept autres de plus; mais il ne faudrait pas croire pour
+cela qu'il augmente sa puissance. Ses voisins le jalousent; guelfes et
+gibelins sont traités par lui de la même manière, mais ils lui en
+veulent également de ne point faire de différence. En somme, c'est le
+colosse de Nabuchodonosor, dont les pieds étaient d'argile.
+
+«Mais où est le caillou qui suffit pour le renverser? ajouta Caccino
+Ponzone de Crémone.
+
+--Oh! le caillou, nous l'aurons bien, répondait le traître; et si.. mais
+taisons-nous...» et il se fermait les lèvres.
+
+C'était le meilleur moyen de les mettre en goût; aussi le pressèrent-ils
+davantage: «Quoi? dites-nous, qu'y a-t-il de nouveau? Avons-nous des
+espérances? Nous voyons bien que vous allez au fond des choses. Pourquoi
+nous faire des mystères? la cause des Milanais n'est-elle pas la nôtre à
+tous? et nous sommes là pour l'épauler de toutes nos forces. Nous
+n'attendons que le moment du Seigneur, le _dies irae_. Mais qui serait
+notre chef?
+
+--Si Franciscolo Pusterla... dit Ramengo en s'interrompant pour observer
+l'effet produit par ce nom.
+
+--Eh quoi! répondirent-ils, êtes-vous encore du parti de Pusterla?
+
+--Comment, si je suis des siens, reprenait Ramengo; j'ai là pour lui des
+lettres du seigneur Martino della Scala... mais silence; la prudence
+n'est jamais de trop, ils ont des espions de tous les côtés.»
+
+Ramengo prononçait ces paroles par saccades et en tournant ses regards
+de tous côtés. Ils croyaient que c'était par défiance; en réalité,
+c'était pour attendre qu'on lui donnât quelques renseignements. Mais
+quand il vit qu'on ne se disposait pas à lui en donner, il continua:
+«Mais qu'est-ce que les hommes? qui l'aurait cru? lui qui pouvait seul,
+qui voulait seul devenir le chef et le sauveur de la patrie, maintenant,
+il dort... il se fait petit... il s'échappe comme un faible mendiant...
+
+--Il s'arrête à faire des _mea culpa_ aux pieds d'un fournier,» répondit
+quelqu'un.
+
+Le père du pape Benoît II, qui siégeait à Avignon, avait été boulanger,
+ou fournier, de son métier, et de là surnommé Fournier. La réponse du
+Milanais suffisait pour indiquer à Ramengo la retraite de Pusterla;
+aussi il continua; «Certainement, il s'est réfugié à Avignon comme un
+clerc qui aspire au chapeau vert ou au chapeau rouge; comme un coupable
+de bas étage, qui cherche la sécurité en lâchant son estoc homicide sous
+les robes et les capuchons. Mais nous le réveillerons de ce lâche
+sommeil, nous le réveillerons.
+
+--Vous trouverez ici de ses amis, ajouta Pouzone, qui vous appuieront.
+
+--Vous avez, je pense, reprit Ramengo, son frère Zurione, Maffino da
+Besorro, celui de Pietra Santa; et on lui répondait:--Oui, mais nous
+avons celui qui montre le plus d'amour et de dévouement, son écuyer
+Alpinolo.
+
+--Alpinolo! répéta Ramengo, se sentant frémir depuis la racine des
+cheveux jusqu'à la plante des pieds. Alpinolo, où est-il? que je le voie
+aussitôt. J'ai un besoin extrême de lui parler pour une chose qui le
+touche de près. Où est-il, où est-il?
+
+--Quelle furie! reprenait un des seigneurs; finissons de boire, et puis
+venez avec nous; là-bas, nous vous les ferons trouver tons; quelle fête
+pour eux de vous revoir!
+
+[Illustration.]
+
+--Mais je veux d'abord parler à Alpinolo, en tête à tête avec lui; je
+sais comme il faut que les choses soient conduites.» Et pendant qu'il
+était dominé par l'anxiété de retrouver un fils, et par l'espérance que
+celui-ci en le découvrant pour son père, lui accorderait pardon et
+amour, les seigneurs continuaient à boire en faisant l'éloge d'Alpinolo,
+vantant sa conduite dans une affaire où il avait souffleté un de ses
+amis qui lui rappelait qu'il n'avait pas de père. Comme ce nom de père
+le comblait d'orgueil! comme il voyait près de lui la réalisation de ses
+espérances! et ce fut le coeur agité par autant de palpitations que,
+dans cette nuit où il épiait l'amant prétendu de Rosalie, qu'il se
+dirigea dans Pise au milieu des seigneurs lombards qui, les bras
+enlacés, entonnaient les chants de leur patrie,--ces chants que l'exilé
+finit toujours par un soupir.
+
+
+
+Bulletin bibliographique.
+
+_Histoire de Dix ans_; par M. LOUIS BLANC. 1 vol. in-8.--Paris, 1843.
+_Pagnerre_. (Tome IVe.) 1 fr.
+
+La librairie française prend ses vacances. Cette année comme les années
+précédentes, elle n'a mis au jour, pendant les mois du septembre et
+d'octobre, qu'un très-petit nombre d'ouvrages nouveaux; occupée à
+préparer la campagne d'hiver, elle atteint la rentrée des cours et
+tribunaux pour lancer en avant quelques sentinelles perdues, et se
+promettre de petites escarmouches. Dans un mois seulement la bataille
+sera sérieusement engagée sur toute la ligne... Si nous en croyons
+certaines indiscrétions, quelques-uns des combattants se signaleront par
+de brillants exploits. Ce qui paraît positif, c'est qu'avant la fin de
+la campagne prochaine M. Paulin aura commencé la publication de
+l'_Histoire du Consulat et de l'Empire,_ par M. Thiers.
+
+Parmi les rares ouvrages qui ont osé naître durant la saison des
+promenades en Suisse, de la chasse et des vendanges, nous mentionnerons
+en première ligne l'_Histoire de Dix ans_. Toutefois, nous devons
+l'avouer, l'audace de M. Louis Blanc et de son intelligent éditeur M.
+Pagnerre ne nous cause aucune surprise, et ne nous arrachera pas le plus
+faible cri d'admiration; s'ils se sont décidés, en effet, à lutter
+contre d'aussi redoutables adversaires c'est qu'ils étaient sûrs
+d'avance d'en triompher. Quand, dans l'espace de quinze mois, les trois
+premiers volumes d'un ouvrage ont déjà eu trois éditions, le quatrième
+peut descendre dans l'arène au jour et à l'heure qui lui convient: toute
+saison lui est favorable; le passé de ses aînés lui répond de son
+avenir. Alors même qu'il ne leur ressemblerait en rien, sa parenté seule
+lui assurerait un accueil empressé et une victoire éclatante.
+
+Le volume que vient de publier M. Louis Blanc n'a pas à craindre,
+d'ailleurs, de comparaison désavantageuse; il a toutes ces qualités
+solides et brillantes qui ont fait la fortune de ses trois frères.
+Impartial comme eux, à son point de vue, bien entendu, rempli comme eux
+de révélations piquantes et d'anecdotes inédites, illustré par un nombre
+égal de portraits littéraires, non moins soigné sous le rapport de la
+mise en scène, écrit avec un style aussi élégant et aussi _pittoresque_,
+il jouit déjà de la même popularité. «Ce n'est pas de l'histoire, ce
+sont des mémoires,» s'écrieront quelques esprits trop difficiles à
+satisfaire. Mais est-il donc possible de s'élever jusqu'à la hauteur de
+l'histoire, lorsqu'un entreprend de raconter des événements
+contemporains? est-il possible de porter dès aujourd'hui un jugement
+définitif sur des faits accomplis d'hier, dont toutes les conséquences
+ne sont pas encore réalisées, ou ne sauraient être prévues? sur des
+hommes politiques qui ont à peine, pour la plupart, achevé la moitié de
+leur rôle. Quant à nous, nous félicitons hautement M. Louis Blanc
+d'avoir refusé de céder aux avis d'un critique qui lui conseillait
+«d'ouvrir dans ce monument,»--nous citons ses propres
+paroles,--«quelques fenêtres sur le ciel, à travers lesquelles ou
+aperçut trembler dans les incommensurables solitudes de l'infini les
+étoiles contemporaines de l'éternité, lampes silencieuses allumées
+autour du vaste atelier de la création.»
+
+Il faut, en vérité, que M. Louis Blanc ait un bien grand talent
+dramatique, pour que ses lecteurs assistent avec un si vif intérêt à la
+représentation d'événements dont ils connaissent d'avance les péripéties
+et le dénouement, et qui leur rappellent à tous, quelles que soient
+leurs opinions politiques, de bien douloureux souvenirs. Le quatrième
+volume de l'_Histoire de Dix ans_ commence avec l'année 1833, et finit
+en mars 1836; il comprend les plus tristes et les plus sanglants
+épisodes du règne actuel; et pourtant,--tel est le mérite de
+l'écrivain,--qu'on le lit tout entier aussi avidement peut-être qu'un
+roman. La réserve politique imposée à un journal qui s'adresse à toutes
+les classes de la société, ne nous permet pas d'apprécier dans une
+analyse rapide les faits que M. Louis Blanc a entrepris de raconter, et
+jusqu'à un certain point de juger; nous nous contenterons d'indiquer en
+quelques lignes les sujets principaux dont traitent les douze chapitres
+de ce quatrième et avant-dernier volume; ce sont: l'emprisonnement et
+l'accouchement de la duchesse de Berri à Blaye, le procès de _la
+Tribune_ devant la Chambre des Députés, le manifeste de la Société des
+Droits de l'Homme et le procès des 27, la question d'Orient,
+l'expédition de Savoie, les lois contre les crieurs publics et les
+associations, les insurrections de Lyon et de Paris en 1834, la
+quadruple alliance, les révolutions ministérielles de la même année, le
+ministère du 11 octobre succédant au ministère des trois jours,
+l'affaire des 25 millions réclamés par l'Amérique, le procès d'Armand
+Carret devant la chambre des Pairs, le procès d'avril, l'horrible
+attentat de Fieschi, les lois de septembre, et la dissolution du
+ministère du 11 octobre.
+
+_De l'Influence du Christianisme, sur le Droit civil des Romains_; par
+M. TROPLONG, 1 vol. in-8°.--Paris, 1843, _Hingray_. 7 fr. 50 cent.
+
+Le nouveau mémoire de M Troplong, _De l'influence du Christianisme sur
+le droit civil des Romains_, est un de ces livres qui peuvent impunément
+braver les influences toujours redoutables de la saison des vacances. Il
+ne s'adresse qu'aux hommes sérieux dont l'esprit ne prend jamais de
+repos. Le nom et le mérite de son auteur, la nature même du sujet qu'il
+traite, lui garantissent d'avance qu'à toute époque de l'année il
+occupera vivement l'attention publique. D'ailleurs, lu à diverses
+reprises devant l'Académie des Sciences morales et politiques, il y
+avait déjà obtenu, avant d'être publié en volume, tout le succès qu'il
+mérite et qu'il nous reste seulement à constater.
+
+M. Troplong n'a pas entrepris de montrer l'influence du christianisme
+sur l'ensemble des institution et moins encore sur la civilisation
+romaine. Son sujet est plus restreint. Il s'est renfermé dans
+l'observation des influences par lesquelles le christianisme, est venu
+modifier les rapports civils, le droit privé; il ne fait d'excursions
+ailleurs qu'autant qu'il y a nécessité pour éclairer son sujet et
+montrer le jeu des ressorts auxquels le christianisme est venu mêler son
+action.
+
+M. Troplong divise le droit romain en trois grandes périodes: la période
+aristocratique, la période philosophique, la période chrétienne. Pour se
+faire des idées justes sur la dernière, il faut, dit-il, saisir
+exactement le sens des deux premières.
+
+La civilisation romaine s'est développée sous l'influence de deux
+éléments contraires qui, après une longue alternative de luttes et de
+rapprochements, ont fini par se mêler et se confondre. Ce dualisme se
+fait remarquer dans le droit privé comme dans la religion et dans le
+droit politique. Sa formule la plus large et la plus haute, c'est le
+_jus civile_ et l'_aequitas_, le droit strict et l'équité, sans cesse
+opposés l'un à l'autre comme deux principes distincts et inégaux.
+D'abord le _jus civile_ triomphe du patriciat religieux, militaire et
+politique, qui gouverne Rome naissante, génie formaliste, jaloux,
+dominateur, nourri à l'école sombre et forte de la théocratie étrusque,
+et qui aggrave dans le droit civil ses souvenirs de conquêtes et ses
+instincts d'immobilité. Qu'on n'y cherche point l'action efficace de
+l'équité naturelle, et cette voix de l'humanité qui parle si haut dans
+les peuples civilisés. La notion simple du juste et de l'injuste y est
+défigurée par la farouche enveloppe d'institutions qui sacrifient la
+nature à la nécessité politique, la vérité innée aux artifices légaux,
+la liberté aux formules sacramentelles. Dans l'ordre civil comme dans
+l'État, Rome ne vise qu'à former des citoyens; et plus elle accorde de
+privilèges et de grandeur à ce titre éminent, plus elle exige de celui
+qui le porte des sacrifices à la patrie, voulant qu'il abdique pour
+l'intérêt public ses affections, ses volontés et jusqu'à sa raison
+intime. A l'appui de cette vérité, M. Troplong cite de nombreux et
+frappants exemples pris dans la famille, dans la propriété, dans les
+obligations.
+
+Cependant la société romaine ne pouvait pas rester éternellement
+opprimée parce droit si esclave de la lettre et si rebelle à l'esprit.
+Partout l'équité se posa à côté du droit civil, la philosophie brise le
+cercle inflexible tracé par ce patriciat. Du siècle de Cicéron date la
+période philosophique du droit romain. Le stoïcisme imprime ensuite une
+impulsion nouvelle à cette révolution qu'avaient en partie commencée la
+doctrine d'Épicure et la philosophie de Platon. Il donne aux
+jurisconsultes postérieurs à Cicéron des règles sévères et précises de
+conduite entre les hommes. S'élevant à des formes plus pures et plus
+belles, moins intolérant, moins âpre, dégagé des superstitions que la
+raison lui reprochait lors de ses premières conquêtes à Rome, il devient
+de plus en plus une philosophie spiritualiste qui proclame le
+gouvernement de la Providence divine la parente de tous les hommes, la
+puissance de l'équité naturelle. Mais le droit civil se défend si
+énergiquement dans son inflexible formulaire, dans son originalité
+jalouse, que la philosophie n'osa pas procéder avec lui par voie de
+révolution, elle y aurait échoué. L'équité demanda donc sa part
+d'influence, non comme une souveraine qui veut déposséder un usurpateur,
+mais comme une compagne qui radie sous des dehors timides ses vues de
+domination. «Toutefois, il ne faut pas s'y tromper, dit M. Troplong,
+sous ces dehors de conciliation et de bon ménage se cachait une
+antithèse redoutable pour le droit civil; ce qu'on voulait au fond,
+c'était de réduire à l'impuissance tout en lui prodiguant les
+témoignages de respect. Aussi le droit, depuis l'époque de Cicéron,
+est-il en lutte incessante; les deux éléments sont aux prises. Mais le
+droit civil se trouve tout d'abord réduit au plus mauvais rôle, à celui
+de la défensive; c'est chez lui, dans ses propres foyers, que la guerre
+est sourdement portée, et l'équité aspire à y réaliser l'apologue de la
+lice et ses petits.» Ces prémisses posées, M. Troplong montre par quels
+efforts ingénieux l'équité continue à agrandir son domaine tout en
+groupant ses innovations autour de l'ancien droit civil, si restreint
+dans ses conceptions, si matériel dans ses applications. «Le droit,
+ajoute-t-il, tend à simplifier dans le fond, et il se complique; dans
+ses rouages; deux éléments hétérogènes sont juxtaposés; quelquefois ils
+se rapprochent et se confondent; le plus souvent ils se séparent et se
+jalousent. L'harmonie manque dans ce majestueux travail; on aperçoit à
+chaque, pas qu'il est le prix de concessions pénibles, de combats
+opiniâtres. Le chef-d'oeuvre eut été de pouvoir amener entre ces deux
+éléments une fusion complète; mais le plus ancien avait été trop
+fortement trempé pour se laisser effacer si vite, et le droit de
+l'époque impériale, qu'on a coutume s'appeler l'époque classique, porte
+la marque profonde de son passage; aussi laisse-t-il de grands,
+d'immenses progrès à désirer. On sent qu'il est loin d'être le dernier
+mot d'une science complète: il est plutôt l'expression d'une situation
+transitoire, d'un état transactionnel.»
+
+Pendant la période philosophique, le christianisme avait déjà exercé une
+influence immense, quoique latente et indirecte, sur les moeurs, les
+idées, et par une conséquence nécessaire, sur les lois de la société
+romaine. Dès le règne de Néron, la vérité évangélique avait pris racine
+dans la capitale du monde; elle y était à côté de Sénèque, levant son
+front serein sur les calomnies par lesquelles on préludait aux
+persécutions, à ces supplices d'une persécution raffinée qui étaient
+aussi un moyen de faire connaître le christianisme et d'appeler sur lui
+l'intérêt et la sympathie. Depuis lors, elle avait germé, elle s'était
+développée, elle avait porté ses fruits, elle avait modifié, épuré, à
+son insu et peut-être malgré elle, l'esprit et le langage de la
+philosophie du Portique. «Epitecte n'était pas chrétien, a dit M.
+Villemain, mais l'empreinte du christianisme était déjà sur le monde.»
+Marc Aurèle, qui persécutait les chrétiens, était plus chrétien qu'il ne
+croyait dans ses belles méditations. Le jurisconsulte Alpien, qui les
+faisait crucifier, parlait leur langue en croyant parler celle du
+stoïcisme dans plusieurs de ses maximes philosophiques. Pour ne citer
+qu'un seul exemple, les idées avaient fait un si grand chemin sur la
+question de l'esclavage depuis Platon et Aristote, qu'Alpien lui-même
+écrivait: «En ce qui concerne le droit naturel, tous les hommes sont
+égaux.» (L. 32. D. _de veg. juris._) Et ailleurs: «Par le droit naturel,
+tous les hommes naissent libres. (L. A. D. _de just. et jure._)
+N'était-ce pas au christianisme que l'humanité devait cet immense
+progrès?
+
+La période chrétienne date de Constantin. Avant ce prince, le mouvement
+marchait avec lenteur par la philosophie stoïcienne, indirectement
+influencée depuis Tibère par la religion chrétienne. L'avènement de
+Constantin plaça son point d'appui principal, ostensible, direct, dans
+le christianisme. Ce furent les évêques, les pères de l'Église et les
+conciles qui donnèrent l'impulsion réformatrice et accélérèrent sa
+marche. La jurisprudence dut moins ses perfectionnements à elle-même
+qu'à la théologie.
+
+Toutefois, l'erreur serait grande de s'imaginer que la révolution
+religieuse qui porta sur le trône le premier empereur chrétien eut pour
+conséquence immédiate d'opérer une refonte radicale et absolue des
+institutions. Constantin réforma beaucoup, mais il ne nivela pas; il ne
+l'aurait pas pu. Si l'empereur était chrétien, l'empire était encore à
+demi païen. Avant de convertir les institutions, il fallait s'attacher
+surtout à convertir les coeurs. Il y avait en outre des intérêts
+positifs à ménager. Enfin l'Église, ayant été déchirée de bonne heure
+par les hérésies, s'occupa plus activement de formuler les dogmes
+fondamentaux sur lesquels reposait l'unité de la foi, que de reformer
+les moeurs à l'aide des lois civiles.--Cette dualité qui avait développé
+la philosophie, le christianisme, ne la transforma donc pas en unité. Ce
+fut toujours la lutte du droit strict et de l'équité, et le difficile
+arrangement de leurs prétentions contraires.--Il est vrai que l'équité,
+secondée immédiatement par le christianisme, gagna sur-le-champ un
+terrain considérable. Bien des choses que la philosophie païenne avait
+considérées comme étant de droit naturel, la philosophie chrétienne,
+partant d'un point plus large les considéra comme de droit strict. Les
+éléments du combat se trouvèrent ainsi souvent déplacées. En cela
+consista le progrès. Mais le combat resta l'âme de son développement, et
+tout le poids du christianisme porté d'un seul côté ne put le faire
+cesser.
+
+Les réformes, opérée et commencées par Constantin, furent maintenue et
+continuées par ses successeurs. Un moment la réaction polythéiste de
+Julien l'Apostat arrêta ces progrès du droit. Cette tentative rétrograde
+ayant avorté, et les idées nouvelles ayant repris leur libre cours, le
+polythéisme, d'abord toléré, devint l'objet d'une proscription générale
+sous Théodose le Grand. Cependant tous les empereurs chrétiens
+acceptèrent le poids du passé et s'efforcèrent seulement de l'alléger.
+Le code Théodosien fut une oeuvre précipitée, mal faite et pleine de
+lacunes. L'effroi d'une société tremblante à l'approche des Huns
+pouvait-il produire autre chose que le chaos? Du reste, il est
+intéressant d'étudier, dans cette défectueuse compilation, le dualisme
+de l'élément romain jetant ses dernières lueurs, et de l'équité associée
+désormais à la fortune du christianisme. La sagesse italique se débat
+encore pour conserver ce qui lui reste de ses antiques privilèges.
+L'équité, ne connaissant pas toutes ses forces, consent à transiger;
+elle fait des concessions; mais ses traités de paix ressemblent à ceux
+qu'Attila arrache au faible Théodose; tous enlèvent au vieux droit
+quelques-uns de ses lambeaux, et préparent la crise qui, renversant
+l'idole de son piédestal, ne laissera sur la terre que des débris.
+
+Dans l'opinion de M. Troplong, Justinien fut un grand législateur. La
+mobilité de ses idées, les jactances orientales de ses conseillers, leur
+ignorance des antiquités historiques du droit, leur style ampoulé et
+diffus, ont été l'objet de vives censures. On a critiqué aussi la forme
+de leurs compilations, l'emploi malhabile des matériaux, l'impitoyable
+dissection des chefs d'oeuvre du troisième siècle, consommée par
+Tribonien avec l'orgueil d'un novateur et l'infidélité d'un faussaire.
+Tous ces reproches, M. Troplong les accorde, mais il l'avoue, le droit
+dont Justinien a été l'interprète lui paraît bien supérieur à celui
+qu'on admire dans les écrits des jurisconsultes classiques du siècle
+d'Alexandre Sévère. Qu'importe la forme, si le fond est excellent Or, il
+surpasse le droit de l'époque classique autant que le génie du
+christianisme surpasse le génie du stoïcisme. Presque toujours Justinien
+a rapproché le droit du type simple et pur que lui offrait le
+christianisme: il a fait pour la philosophie chrétienne ce que les
+Labeon et les Caius avaient fait pour la philosophie du Portique. Sans
+doute, il l'a fait avec moins d'art; mais il y a mis autant et plus de
+persévérance et de fermeté. C'est là son mérite immortel.
+
+«Justinien fut un novateur résolu, continua M. Troplong; en lui le génie
+grec éclipsait le génie romain, et le théologien dominait le
+jurisconsulte; de là ses défauts et ses qualités. Il était subtil,
+verbeux, disputeur; mais un bon sens naturel, puisé aux sources de la
+philosophie chrétienne, prévenait les écarts du sophiste: la vieille
+originalité romaine et son matériel lourd et composé provoquèrent de sa
+part d'amères railleries. L'homme de Constantinople, le représentant du
+sixième siècle, ne comprenait rien à des systèmes usés et dépourvus de
+convenance avec les habitudes contemporaines. Constantin ne les avait
+respectés que parce que le christianisme n'en avait pas encore vu
+l'esprit; mais les mêmes motifs de ménagements n'existaient plus. Deux
+siècles écoulés depuis la fondation de Constantinople avaient décomposé
+l'élément de la cité romaine. Le monde n'appartenait plus à Rome; il
+était acquis à la foi catholique. Le temps était donc venu d'en finir
+avec le fétichisme du droit strict, si contraire à l'esprit chrétien, et
+qui n'avait que trop retardé le développement du droit naturel.
+Justinien l'attaqua corps à corps, le pourchassa dans tous les replis de
+la jurisprudence au profit de l'équité. Sa noble ambition de législateur
+fut de l'amener de sa chaise curule, comme sa petite vanité d'homme
+avait fait descendre Théodose de sa colonne d'argent: c'est ce qui
+explique son travail de démolition des livres des Papinien, des Ulpien,
+et autres grands interprètes du troisième siècle. Il prit en eux tout ce
+qui lui parut de droit cosmopolite, et rejeta tout ce qui portait un
+caractère trop romain. Il les accommoda bon gré mal gré, et même par des
+altérations de texte, à des idées plus avancées que les leurs, à un
+droit plus simple, plus équitable, plus philosophique que celui qu'ils
+avaient expliqué. Peut-être méconnut-il en cela le respect dû à de
+grands génies; mais son but fut bon et louable. Il voulut affranchir la
+jurisprudence du sixième siècle d'une tutelle rétrograde. Chrétien et
+homme de son époque, il osa trancher dans le vif les racines d'un passé
+aristocratique et païen. Alors s'assoupit sur presque tous les points le
+long antagonisme qui avait partagé la jurisprudence... Quoi qu'on en
+puisse dire, Justinien a épuré, rationalisé le droit; il l'a élevé à un
+niveau que le Code civil a pu seul dépasser après treize siècles de
+préparations et d'épreuves Or, tandis que, sous tant de rapports, la
+société convergeait vers la barbarie, il a fait marcher en avant l'une
+des branches les plus importantes du gouvernement des hommes. C'est que
+le christianisme était l'âme de ses travaux, et qu'avec cette grande
+lumière il n'y a pas d'éclipse centrale à redouter pour la
+civilisation...»
+
+Le Mémoire _De l'influence du christianisme sur le droit civil des
+Romains_, a pour but la démonstration des idées fondamentales que nous
+venons d'analyser. Il se divise en deux parties. Dans la première, M.
+Troplong expose les vérités qu'il a découvertes, et il les appuie sur un
+certain nombre d'exemples.--Il suit, comme on l'a vu, le christianisme
+dans ses influences générales tantôt obliques, tantôt directes. La
+seconde comprend l'histoire des faits particuliers qui ont été plus
+spécialement soumis à son action. Les onze chapitres sont consacrés à
+l'esclavage, au mariage, aux secondes noces, aux empêchements pour
+parenté, au divorce, à la célébration, au concubinage, à la puissance
+paternelle, à la condition des femmes et à la succession _ab
+intestat_.--Enfin, la conclusion de son travail est celle-ci: le droit
+romain a été meilleur sous l'époque chrétienne que dans les âges
+antérieurs les plus brillants; tout ce qu'on a dit de contraire n'est
+qu'un paradoxe ou un malentendu. Mais il a été inférieur aux
+législations modernes nées à l'ombre du christianisme et mieux pénétrées
+de son esprit.
+
+M. Troplong s'arrêtera-t-il à Justinien? Ne complétera-t-il pas ce beau
+travail? Ne montrera-t-il pas, dans un second mémoire, quelle influence
+la Révolution française a eue sur le droit civil de la France, et quelle
+influence la Révolution française et le christianisme doivent exercer un
+jour, lorsqu'ils auront reçu tous leurs développements, sur la
+législation beaucoup trop romaine et féodale qui nous régit aujourd'hui?
+Ne nous fera-t-il pas assister aux dernières victoires de l'équité sur
+le droit strict, ou, en d'autres termes, de l'égalité future sur le
+privilège actuel?
+
+
+
+[Illustration.]
+
+Modes.
+
+Dans un trousseau que nous avons eu occasion de voir ces jours derniers,
+il y avait un kakzavadeka pour la chambre, charmant vêtement en velours,
+garni de ganses d'or, qui ressemble assez, à la veste turque; puis un
+plus grand en satin, destiné à la promenade, que l'on nomma kazaveka; ce
+dernier avait un collet de velours formant la pointe par derrière, et
+des bandes pareilles garnissant les devants. Mais ce qui nous paraît
+prendre chaque jour plus d'importance dans les modes, c'est la dentelle:
+il n'est pas aujourd'hui un coffret de mariage qui ne contienne de
+superbes points d'Alençon, des dentelles anciennes, des barbes, des
+écharpes, des voiles d'une grande finesse de travail. La robe de mariage
+est toujours garnie de deux volants d'Angleterre, et quelquefois
+couverte en dentelle de manière à figurer une tunique; ainsi était celle
+du splendide trousseau dont nous parlions tout à l'heure et dont nous
+avons admiré la recherche.
+
+Une toilette qui a paru l'autre jour un instant au Théâtre-Italien, et
+sans doute s'est montrée ensuite dans quelque brillante réunion, a été
+dessinée, pour _l'Illustration_. La voici.
+
+La robe est lacée sur les côtés, au corsage et sur le milieu de la
+petite manche. Quant à la coiffure, nous pouvons affirmer son origine,
+car nous l'avions vue la veille chez Lucy Hocquet, avec d'autres
+coiffures d'une grâce tout à fait remarquable.
+
+Nous citerons d'abord la coiffure Élizabeth, velours et petite tête de
+plume; puis la coiffure Anne Boleyn, en velours épinglé bleu, orné de
+franges d'or et d'argent avec tête de plume posée très-coquettement;
+ensuite, un petit bonnet _douairière_ en blonde tuyautée et chaperon du
+coque en ruban, dont les grands bouts retombent derrière la tête; et
+enfin le chapeau _comtesse_ en lacet d'or orné de plumes et d'une
+torsade en velours grenat, coiffure de jeune châtelaine.
+
+Le costume d'homme élégant sort toujours de chez Humann; pour habit
+habillé, les basques sont larges et le collet tombe assez sur l'épaule.
+
+L'habit demi-habillé est peu échancré sur les devants, les basques sont
+larges, l'échancrure est carrée.
+
+Les cravates de satin noir reprennent la faveur qu'elles doivent à
+l'hiver; on les porte longues, et de petits bouquets ou de petites
+guirlandes viennent égayer un peu la sombre couleur.
+
+Les gilets se font toujours à chaste et très-longs; les étoffes sont
+riches; c'est le satin broché, le velours brodé et souvent broché d'or
+et de soie.
+
+Pour le matin, le tweed est plus en faveur que jamais; ou y met des
+collets et des parements en velours, afin du le rendre nouveau.
+
+
+
+Amusements des Sciences.
+
+SOLUTIONS DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS L'AVANT-DERNIER NUMÉRO.
+
+I. Ce problème n'a de difficulté que celle de reconnaître la volonté du
+testateur. Or, on a coutume de l'interpréter ainsi: puisque ce testateur
+a ordonné que, dans le cas où sa femme accoucherait d'un garçon, cet
+enfant aura les deux tiers de son bien et la mère un tiers, il s'ensuit
+que son dessein a été de faire à son fils un avantage double de celui de
+la mère; et puisque, dans le cas où celle-ci accouchera d'une fille, il
+a voulu que la mère eût les deux tiers de son bien et la tille l'autre
+tiers, on en doit conclure que son dessein a été que la part de la mère
+fût double de celle de la fille. Pour allier ces deux conditions, il
+faut partager la succession de manière que le fils ait deux fois autant
+que la mère et la mère deux fois autant que la fille. Ainsi, en
+supposant que le bien à partager soit de 30,000 fr. la part du fils
+serait de 17 142 fr. 6/7, celle de la mère de 8 571 fr. 3/7 et celle de
+la fille de 4 285 fr. 5/7.
+
+On propose ordinairement, à la suite de ce problème, une autre
+difficulté; on suppose que cette mère accouche de deux garçons et d'une
+fille, et l'on demande quel sera, dans ce cas, le partage de la
+succession?
+
+Il n'y a d'autre réponse à faire que celle que feraient les
+jurisconsultes; savoir, que le testament serait nul dans ce cas; car, y
+ayant un enfant d'omis dans le testament, toutes les lois connues en
+prononceraient la nullité, attendu 1° que la loi est précise; 2º qu'il
+est impossible de démêler quelles auraient été les dispositions du
+testateur s'il avait eu deux garçons, ou s'il avait prévu que sa femme
+en eut mis deux au monde.
+
+II. Ou trouvera que le vin de Bourgogne leur a coûté 50 c. la bouteille,
+et celui de Champagne 75 c. Il est aisé de le prouver.
+
+III. On voit aisément que, pour résoudre ce problème, il est question de
+trouver un nombre qui, divisé par 7, ne laisse aucun reste, et, étant
+divisé par 2, par 3, par 5, laisse toujours 1.
+
+Plusieurs méthodes plus ou moins savantes peuvent y conduire, mais voici
+la plus simple.
+
+Puisque, le nombre des pièces étant compté sept à sept, il ne reste
+rien, ce nombre est évidemment un multiple de 7; et puisqu'en les
+comptant deux à deux, il reste l, ce nombre est un multiple impair; il
+est donc compris dans la suite des nombres 7, 21, 35, 48, 65, 77, 91,
+105, etc.
+
+De plus ce nombre doit, étant divisé par 3, laisser l'unité pour reste.
+Or, dans la suite des nombres ci-dessus, on trouve que 7, 48, 91, qui
+croissent arithmétiquement, et dont la différence est 42, ont la
+propriété demandée. On trouve de plus que le nombre 91 étant divisé par
+5 il reste 1; d'où on conclut que le premier nombre qui satisfait à la
+question est 91, car il est multiple de 7; et, étant divisé par 2, par
+3. et par 5, il reste toujours 1.
+
+Le nombre 91 est le premier qui satisfait à la question, car il y en a
+plusieurs autres qu'on trouvera par le moyen suivant: combinez, la
+progression ci-dessus, 7, 49, 91, 133, 175, 217, 259, 301, jusqu'à ce
+que vous trouviez un autre terme divisible par 5, en laissant l'unité,
+ce terme sera 301, qui satisfera encore à la question. Or, la différence
+avec 91 est 210; d'où on conclut que, formant cette progression,
+
+91, 301, 511, 721, 951, 1 161, etc.,
+
+tous ces nombres remplissent également les conditions du problème.
+
+Il serait donc incertain quelle somme était dans la bourse perdue, à
+moins que son maître ne sût à peu près quelle somme elle contenait.
+Ainsi, s'il disait savoir qu'il y avait environ 500 pièces, on lui
+répondrait que le nombre des pièces était de 511.
+
+Supposons maintenant que l'homme à qui appartient la bourse eût dit que,
+comptant son argent deux à deux pièces, il en restait une; qu'en les
+comptant trois à trois, il en restait deux; que, comptées quatre à
+quatre, il en restait trois; que, comptées cinq à cinq, il en restait
+quatre; que, comptées six à six, il en restait cinq, et enfin, qu'en les
+comptant sept à sept, il n'en restait aucune. On demande ce nombre.
+
+Il est évident que ce nombre est, comme ci-dessus, un multiple impair de
+7 et conséquemment un de ceux de la suite
+
+7, 21, 35, 49, 65, 77, 91, 105, etc.
+
+Or, dans cette suite, les nombres 35, et 77 satisfont à la condition
+d'avoir 2 pour reste quand on les divise par 3; leur différence est 42.
+C'est pourquoi on forme une nouvelle progression arithmétique dont la
+différence est 42, savoir:
+
+35, 77, 119, 161, 203, 245, 287, etc.
+
+On y cherche deux nombres qui, divisés par 4, laissent 3 pour reste, et
+on trouve que ce sont les nombres 35, 119, 203, 287.
+
+C'est pourquoi ou forme cette nouvelle progression, où la différence des
+termes est 84:
+
+35, 119, 203, 287, 371, 455, 539, 623, etc.
+
+On cherche encore ici deux termes qui, divisés par 5, laissent un reste
+égal à 4, et on aperçoit bientôt que ces deux nombres sont 119 et 539,
+dont le différence est 420. Ainsi la suite des termes répondant à toutes
+les conditions du problème, hors une, est
+
+119, 539, 959, 1 379, 1 799, 2 219, 2 639, etc.
+
+Or, la dernière condition du problème est que, le nombre trouvé étant
+divisé par 6, il reste 5. cette propriété confient à 119, 959, 1 799,
+etc., en ajoutant toujours 840. Conséquemment le nombre cherché est un
+des termes de cette progression. C'est pourquoi, aussitôt qu'on saura
+dans quelles limites à peu près il est contenu, on sera en état de le
+déterminer.
+
+Si donc le maître de la bourse perdue dit qu'il y avait environ 100
+pièces, le nombre cherche sera 119; s'il disait qu'il y en avait à peu
+près 1 000, ce serait 959, etc.
+
+Ce problème serait résolu imparfaitement par la méthode que donne M.
+Ozanam; car, ayant trouve le plus petit nombre 119, qui satisfait aux
+conditions du problème, il se borne à dire que, pour avoir les autres
+nombres qui y satisfont, il faut multiplier de suite les nombres 2, 3,
+4, 5, 6, 7 et ajouter leur produit 5, 040 au premier nombre trouvé, 119
+et qu'on aura par là le nombre 5,159, qui remplit aussi les conditions
+proposées. Or, il est aisé de voir qu'il y a plusieurs autres nombres
+entre 119 et 5159, qui remplissent ces conditions, savoir: 959, 1 799, 2
+639, 3 479, 4 519.
+
+NOUVELLES QUESTIONS A RÉSOUDRE.
+
+I. Diophante passa la sixième partie de sa vie dans la jeunesse et la
+douzième dans l'adolescence; après un septième de sa vie et cinq ans, il
+eut un fils qui mourut après avoir atteint la moitié de l'âge de son
+père, et ce dernier mourut quatre ans après. Combien Diophante a-t-il
+vécu de temps?
+
+II. La somme de 500 francs ayant été partagée entre quatre personnes, il
+se trouve que les deux premières ensemble ont eu 285, fr., la seconde et
+la troisième, 220 fr.; enfin la troisième et la quatrième, 215; de plus,
+le rapport de la part de la première à celle de la derrière est de 1 à
+5. Ou demande combien chacune a eu?
+
+III. Faire qu'une boule rétrograde sans aucun obstacle apparent.
+
+IV. Trouver les parties d'un poids que deux personnes soutiennent à
+l'aide d'un levier ou d'une barre qu'elles portent par les extrémités.
+
+
+
+Logogriphe musical
+
+EXPLICATION DU LOGOGRIPHE MUSICAL.--M. B... nous écrit que le logogriphe
+musical de notre dernière livraison est «_la récompense_ LA RE _qu'on
+pense_.» M. B... ayant deviné, nous lui donnons la récompense honnête
+(LA RE qu'on pense au net)
+
+[Illustration.]
+
+
+
+Rébus
+
+EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS. Le nègre aura beau faire, il aura la peau
+noire.
+
+[Illustration: Nouveau rébus.]
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre
+1843, by Various
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0035, 28 ***
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+
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+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
+copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
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+1.E.9.
+
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+must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
+terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked
+to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
+permission of the copyright holder found at the beginning of this work.
+
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+License terms from this work, or any files containing a part of this
+work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
+
+1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
+electronic work, or any part of this electronic work, without
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+request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
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+License as specified in paragraph 1.E.1.
+
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+ and discontinue all use of and all access to other copies of
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+
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+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
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+
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+electronic work or group of works on different terms than are set
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+
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+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
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+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre 1843, by Various
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
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+Title: L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre 1843
+
+Author: Various
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+Release Date: April 9, 2012 [EBook #39405]
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+Language: French
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0035, 28 ***
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+Produced by Rénald Lévesque
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+
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+
+<br><br>
+
+<div class="cont">
+
+
+
+
+<p>L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre 1843</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"></p>
+
+<pre>
+ Nº 35. Vol. II.--SAMEDI 28 OCTOBRE 1843.
+ Bureaux, rue de Seine, 33.
+
+Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr. Prix de
+chaque Nº. 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75,
+
+Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. pour
+l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40
+</pre>
+
+<div class="somm">
+<h3>SOMMAIRE</h3>
+<p><b>Courses au Champ-de-Mars</b>. <i>Vue générale du Champ-de-Mars; les Coureurs
+au départ</i>.--<b>Courrier de Paris.--Histoire de la Semaine</b>. <i>Éclairage au
+gaz sidéral</i>.--<b>Théâtres</b>. <i>Deux scènes de Pierre Landais; Cinq scènes de
+Don Quichotte</i>.--<b>De l'autre côté de l'eau</b>. Souvenirs d'une promenade,
+par M. O. N.--<b>La pêche de la Morue</b>. <i>Onze Gravures</i>.--<b>Projet d'une
+Caisse de Pensions de retraite pour les Classes laborieuses--Romanciers
+contemporains</b>. Charles Dickens. La Table d'hôte.--<b>Margherita Pusterla</b>.
+Roman de M. César Cantù. Chapitre XIV, Pise. <i>Sept Gravures</i>.--<b>Bulletin
+bibliographique.--Annonces.--Modes.</b> <i>Gravure</i>.--<b>Amusements des
+Sciences.--Logogriphe musical</b>. Solution.--<b>Rébus</b>.</p>
+</div>
+<br>
+
+<h2>Courses au Champ-de-Mars.</h2>
+
+<p>Les courses d'automne sont terminées à la satisfaction publique, et
+surtout à la satisfaction de deux éleveurs privilégiés, le prince Marc
+de Beauvau et le baron Antony de Rothschild, qui ont, seuls, remporté
+tous les prix. Le premier a gagné 27,000 fr., et le second 9,000 fr.
+Depuis les fameux triomphes de <i>Miss Annette</i>, qui, deux ans durant, fut
+invincible, aucun cheval de course n'avait eu sur ses rivaux la
+supériorité qui, cette année, a été le partage de <i>Nativa</i>, au prince de
+Beauvau. Au printemps, elle avait trompé bien des espérances: elle avait
+médiocrement couru; la faute n'en était pas à elle, mais à son état de
+santé. A Chantilly, <i>Nativa</i> a commencé à prendre sa revanche en gagnant
+le Saint-Léger; à Paris, elle a continué le cours de ses exploits;
+désormais elle a conquis la plus belle place au sommet de l'aristocratie
+chevaline. Tous les prix qu'elle a courus elle les a gagnés sans effort,
+sans coups d'éperon, avec une facilité désespérante pour les autres.
+Comme César, <i>Nativa</i> peut prendre pour devise: <i>veni, vidi, vici</i>.</p>
+
+<p>Le dimanche 15, elle débuta par un prix de 3,500 fr., qu'elle enlève
+lestement à des chevaux de haute réputation; le même jour, M. de
+Rothschild et son cheval <i>Drummer</i> battent <i>Ratopolis</i>, à M. Lupin.
+<i>Capharnaüm</i>, à M. de Gamins, et bien d'autres encore; 3,000 fr. sont la
+récompense de cette prouesse au galop.</p>
+
+<p>Le jeudi 19, MM. de Beauvau et de Rothschild se partagent encore le
+gâteau des courses; le premier, toujours avec <i>Nativa</i>, gagne 5,000 fr.;
+le second, avec <i>Muse</i>, remporte le prix royal, qui se paie 6,000 fr.</p>
+
+<p>Jusqu'ici la lutte se soutient assez égale entre les deux éleveurs; mais
+le moment est arrivé où le prince français va remporter de deux chevaux
+et de deux prix sur le baron anglo-allemand. <i>Nativa</i> n'est pas au bout
+de ses succès; il reste un prix de 4,500 fr.: il est pour elle.
+<i>Amanda</i>, au comte de Cambis, <i>Prospero</i>, à M. de. Rothschild,
+<i>Vespérine</i>, à M. Vasquez, n'ont pas la moindre prétention à lui
+disputer la victoire.</p>
+
+<p>Le grand prix royal de 14,000 fr. peut et doit même rétablir la balance
+en faveur de M. de Rothschild; <i>Annetta</i>, la digne fille de <i>Miss
+Annette. Annetta</i>, qui a si bien couru l'année dernière, et plus
+récemment ce printemps, <i>Annetta</i> a été ménagée par le prudent <i>Carter</i>.
+De peur de la fatiguer, il ne l'a engagée dans aucune course; elle
+arrive fraîche, légère, au combat; sa condition est parfaite;
+l'entraîneur a droit à tous nos éloges; tout le monde parie pour
+<i>Annetta</i>, elle est favorite. Si quelques joueurs hardis osent aventurer
+quelques louis contre elle, ils s'adressent à <i>Adolphus</i> magnifique
+cheval du comte de Cambis, et ils contient leur sort à la vitesse bien
+connue de ce bel animal. Mais en matière de course, les hommes proposent
+et les chevaux disposent. Personne ne songeait à <i>Jenny</i>, la modeste
+<i>Jenny</i>, qui n'a pour elle que des succès insignifiants de province, et
+le mérite négatif d'être une fois en sa vie arrivée seconde au Derby de
+Chantilly; mais depuis, <i>Jenny</i> est devenue la propriété du prince de
+Beauvau; le roi Midas changeait en or tout ce qu'il touchait; dans les
+heureuses écuries de la maison de Beauvau, les mauvais chevaux se
+changent en bons chevaux, les <i>Jenny</i> se changent en <i>Nativa</i>.</p>
+
+<p><i>L'Illustration</i> a saisi le moment où va être donné le signal du départ
+pour le grand prix royal. Tout le monde est à son poste; on aperçoit la
+tribune du jockey-club, les juges et les coureurs. <i>Jenny</i> est confondue
+dans la foule, mais bientôt elle en sortira: elle sera victorieuse.</p>
+
+<p>Elle a gagné les deux épreuves avec une supériorité incontestable.
+Quoique pleine de sept mois, quoique restée en arrière de quelques
+longueurs, par la faute de son jockey, elle arrive première, au bruit
+des applaudissements et des bravos.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001a.png"><br><b>Courses de septembre au Champ-de-Mars.</b></p>
+
+<p><i>Jenny</i> a autrefois appartenu à lord Seymour, dont l'hippodrome regrette
+aujourd'hui l'absence. Lord Seymour, cet Achille des courses, est en ce
+moment renfermé sous sa tente, laissant prendre sa place par de jeunes
+éleveurs. Il est à regretter, malgré les succès de ses héritiers, qu'un
+homme si intelligent, et à qui les courses doivent tant en France, se
+soit laissé dégoûter par des revers immérités. Il a été dignement
+remplacé et suppléé par MM. Lupin, A. Fould, Sabatier, de Beauvau et de
+Pontalba; mais lord Seymour est presque dans notre pays le créateur de
+cette industrie, qui peut devenir nationale; et, tout en rendant justice
+au présent, pour être juste, il faut donner un regret au passé.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/002.png"><br><b>Les coureurs au départ.</b></p>
+
+<p>Une remarque assez curieuse à faire, c'est que depuis plusieurs années
+le nombre des bonnes juments l'a emporté sur celui des bons chevaux.
+Ainsi, en 1841, nous avons eu <i>Fiametta</i>; en 1842, <i>Annetta</i>; en 1843,
+<i>Nativa</i> et <i>Jenny</i>; puis, dans un ordre inférieur, <i>Tragédie, Amanda</i>
+et <i>Muse</i>. Les chevaux sont bien loin de valoir leurs rivaux du sexe
+féminin. Cette, bizarrerie de la nature, est un malheur pour nos races
+françaises; des étalons pourvus des qualités qui distinguent <i>Nativa,
+Annetta</i> et <i>Jenny</i> eussent été précieux; leur sang se fût répandu par
+tout le pays, et eût amélioré les espèces; bornées à la condition du
+mères, ces juments perdent presque toute, leur valeur publique et
+nationale, et nous obligent à aller chercher en Angleterre, les étalons
+que nous eussions trouvés chez nous.</p>
+<br><br>
+
+<h2>Courrier de Paris.</h2>
+
+<p>M. de Talleyrand n'était pas mort tout entier, tant que M. de Montrond a
+vécu; c'était la seconde moitié de lui-même; Talleyrand n'allait pas
+sans Montrond, et Montrond sans Talleyrand; l'un complétait l'autre;
+mais maintenant tout est dit; M. de Talleyraud est bien mort; M. de
+Montrond a été enterré la semaine dernière.</p>
+
+<p>On ne trouvera plus son pareil; cette espèce d'hommes est finie, et M.
+de Montrond en aura été le dernier et, on peut le dire, le plus parlait
+représentant; il faut une corruption en grand et de très-grands
+seigneurs pour faire éclore une telle race et pour l'alimenter; faites
+naître un Montrond de notre temps, il végétera et s'étiolera bien vite;
+dans ce monde de petits vices et de petites intrigues vulgaires, il n'y
+a plus place pour une intrigue si savante et pour un vice si raffiné;
+quand il séduirait la femme d'un député d'arrondissement et enlèverait
+deux ou trois Pénélopes de la garde, nationale; quand il ferait pour
+cinquante mille francs de dettes, la belle affaire! Et où placerait-il
+sa charmante impudence, sa fine raillerie, ses airs de Momcade, son
+cynisme élégant et son esprit de démon? Au service d'un millionnaire
+enrichi dans la cannelle ou dans le trois-six: le bel emploi pour le
+chevalier de Grammont mélangé de Casanova!</p>
+
+<p>M. de Montrond fut l'un et l'autre, et, comme tous les deux, il se fit
+de sa hardiesse et de son esprit l'existence la plus romanesque et la
+plus singulière. Sans fortune, sans crédit, perpétuellement en butte à
+la rancune des protêts et des huissiers, il mena toute sa vie un train
+du grand seigneur, et fit face aux situations les plus périlleuses et
+les plus diverses par des bons mots.</p>
+
+<p>M. de Montrond est mort à suivante-dix ans; pendant cinquante années de
+cette vie équivoque, la curiosité publique chercha le mot caché de ce
+luxe et de cette prodigalité, fondés en apparence sur les brouillards de
+la Tamise et de la Seine. Fallait-il en demander le secret au jeu, à
+l'amour ou à la politique? M. de Montrond était-il un de ces bons amis
+du hasard, qui se donnent un équipage d'un coup de carte, et d'un coup
+de dé se bâtissent un château? Comme les petits chevaliers de l'ancienne
+comédie, se faisait-il un gros revenu de l'estime des tendres baronnes
+et des douairières sentimentales? ou bien, araignée de la diplomatie,
+tendait-il secrètement ses toiles dans les coins ténébreux de la
+politique dont son ami Talleyrand tenait les fils? On a cru l'une et
+l'autre chose, et M. de Montrond était homme à justifier tout ce qu'on
+pouvait en croire.</p>
+
+<p>La moralité de ces exigences est d'ailleurs payée ce qu'elle vaut par
+ceux-là mêmes qui s'en servent ou qui s'en divertissent.--Un jour, M. de
+Montrond racontait en riant, à M. de Talleyrand, la grande colère d'un
+de ses créanciers, qui l'avait menacé la veille de le jeter par la
+fenêtre: «Le drôle oubliait, ajouta-t-il, que nous étions au troisième
+étage.--Montrond, dit Talleyrand, je vous ai toujours conseillé de vous
+loger au rez-de-chaussée!»</p>
+
+<p>Il nous est mort un autre comédien; mais du moins celui-ci ne
+dissimulait pas sa qualité et y allait de franc jeu. Son nom s'étalait
+bravement sur l'affiche, et dévoilait le rôle que mon homme allait
+jouer. Du reste, sa noblesse valait celle de M. de Montrond; il
+s'appelait M. de Rosambeau... M. Jules Janin a publié l'autre jour, en
+l'honneur du défunt, un article nécrologique dans le style de l'oraison
+funèbre du grand Condé et de Turenne. Entre nous, Rosambeau ne demandait
+pas une telle éloquence, et Bossuet est de trop pour un acteur de
+vaudeville et d'opéra-comique. Scarron aurait mieux fait l'affaire.
+Rosambeau, en effet, avait recueilli tout l'héritage des héros du <i>Roman
+comique</i>: la vie errante, l'insouciance, la pauvreté, l'habit en loques,
+et la résignation philosophique; plus d'une fois il trempa sa croûte de
+pain au courant d'une eau claire, comme son aïeul Melchior Zapata.</p>
+
+<p>Rosambeau avait commencé, par être beau, jeune, élégant, adoré; Ellevion
+le redoutait, et les succès de ce rival étaient venus le troubler dans
+sa <i>Maison à Vendre</i>. Mais, tandis qu'Ellevion, désertant
+l'Opéra-Comique, s'arrondissait en riche propriétaire et allait jusqu'à
+la croix d'honneur il à l'éligibilité, mon Rosambeau perdait ses
+cheveux, perdait ses dents, et tombait, de chute en chute, jusqu'au
+théâtre des <i>Folies-Dramatiques</i>. Il eut encore une heure d'éclat: ce
+fut le jour où l'Odéon lui donna asile. Hélas! l'Odéon ne se montra pas
+charitable longtemps; un an avant sa mort, Rosambeau, rendu tout entier
+à la vie philosophique, errait à la grâce de Dieu dans les rues de
+Paris, plus délabré que le Juif Ahasvérus, et n'ayant pas même cinq sous
+dans sa besace.</p>
+
+<p>Il s'adressa plusieurs fois à mademoiselle Mars, qui l'accueillit avec
+bonté et le renvoya toujours moins pauvre qu'il n'était venu; mais
+l'argent ne tenait pas à Rosambeau, et Rosambeau tenait à l'argent moins
+encore. Ses poches étaient percées, la manne qui par hasard y tombait
+passait bien vite à travers.</p>
+
+<p>Il revint si souvent à Araminte et à Célimène, qu'à la fin leur humanité
+se lassa; d'ailleurs, le Rosambeau était si peu vêtu et si peu parfumé
+que le boudoir de Célimène ne s'en arrangeait guère, et que le délicat
+odorat d'Araminte s'en effarouchait.--Un matin, arriva mon Rosambeau,
+encore moins musqué que de coutume; Célimène, qui venait sans doute de
+congédier Acaste et Clitandre, lui dit en prenant son flacon d'eau de
+mélisse, qu'elle aspira avec grâce: «Et que voulez-vous que je fasse,
+mon pauvre Rosambeau? je n'ai plus rien à vous donner!» Puis, se
+ravisant: «Tenez, prenez ceci;» et en même temps elle lui présenta une
+petite carte découpée en losange. Rosambeau la prit d'un air stupéfait,
+et y lut ces mots: <i>Bains Vigier</i>: bon pour une personne.</p>
+
+<p>Le trait était sanglant et digne de Célimène; Araminte y eût mis plus
+d'humanité.--Rosambeau, qui avait des moments de fierté, sortit
+magnifiquement et sans mot dire.</p>
+
+<p>Il n'avait pas déjeuné le matin ni dîné la veille, et son estomac criait
+miséricorde. La belle consolation à lui offrir qu'un bain d'eau douce!</p>
+
+<p>Cependant Rosambeau suivait tout pensif le quai du Louvre; et, poussé
+peut-être par une secrète envie de faire faire un plongeon à sa faim, il
+descendit sur le bord de la Seine; et la, se trouvant face à face avec
+l'établissement aquatique de M. Vigier, il y entra machinalement: «Que
+voulez-vous? lui crie le garçon d'un ton rogne, avisant le pauvre hère.
+--Ce que je veux? Vous le voyez bien.» Et Rosambeau donne la carte qu'il
+tient de Célimène.--A peine a-t-il dit, que son &oelig;il affamé entrevit ces
+mots affiché» sur la muraille: Un bain, 1 fr.; un consommé, 1 fr.; un
+peignoir, 5 cent.; un petit pain, 5 cent.</p>
+
+<p>«Holà! eh! garçon! s'écrie Rosambeau d'une voix formidable.--Voilà,
+monsieur!--J'ai demandé un bain!--Oui, monsieur.--Un consommé coûte 1
+fr.?--Tout juste, monsieur.--Cette carte de bain que je vous, ai donnée
+représente 1 fr.?--Certainement, monsieur.--Donnez-moi un consommé!»</p>
+
+<p>Le lendemain, il entrait chez Célimène: «Eh bien! lui demanda-t-elle,
+Rosambeau, avez-vous pris un bain?--Non, madame, j'ai pris un potage: ça
+m'a paru plus nourrissant.»</p>
+
+<p>Ce n'est pas un potage que doit prendre M. Eugène Briffault le
+feuilletoniste, mais une femme. Qu'ai-je dit? La femme n'est-t-elle pas
+un potage, suivant Molière? Heureux le mari, dit Alain, quand les
+voisins n'y viennent pas goûter l'un après l'autre!</p>
+
+<p>Les bans sont affichés; dans trois ou quatre jours, M. Eugène Briffault
+donnera la seconde représentation du <i>Mariage d'un Critique</i>: M. Jules
+Janin tiendra le poète.</p>
+
+<p>Il paraît que la littérature se range et songe à finir sa vie de garçon;
+après M. Eugène Briffault, ou annonce M. Roger de Beauvoir. Déjà les
+cloches carillonnent; soit! Que M. Eugène Briffault se marie, cela le
+regarde, mais M. Roger de Beauvoir, c'est autre chose! On s'étonne de
+voir ce léger papillon, qui a si longtemps voltigé de fleur en fleur, se
+fixer enfin et s'abattre sur la plate-bande du mariage. Les roses vont
+sécher sur pied, et le myrte en mourra. M. Roger de Beauvoir, dont les
+opinions politiques sont bien connues, reste fidèle à son drapeau jusque
+dans le choix d'une femme: il épouse une nièce de Cabrera, cousine de
+Gomez et filleule de Zumala-Barregui. M. Roger de Beauvoir en est devenu
+éperdument amoureux pendant son dernier voyage en Catalogue. Charles V a
+promis la grandesse à M. Roger de Beauvoir, aussitôt après son
+rétablissement sur le trône légitime. On croit que M. Roger de Beauvoir
+l'attendra longtemps.</p>
+
+<p>Un autre écrivain beaucoup moins gros que M. Eugène Briffault et non
+moins léger que M. Roger de Beauvoir se trouvait, il y a un an, dans une
+situation financière peu rassurante. Sans le secours de la machine
+pneumatique, et par le seul effet d'une consommation trop fréquente de
+monnaie, le vide complet s'était fait dans sa bourse et dans sa caisse.
+Il avait beau en sonder toute la profondeur, sa main n'y rencontrait pas
+les deux mille livres dont il avait un besoin urgent. Enfin, il se
+souvint d'un banquier, son ancien camarade de collège, alla tout droit
+frapper à sa porte, et lui fit adroitement comprendre le charme qu'il
+trouverait à caresser deux billets de la banque de France. L'homme aux
+écus saisit l'affaire au premier mot, et comme la finance n'a pas un
+grand penchant naturel à hypothéquer son bien sur la littérature, il
+hésita d'abord; mais enfin il s'agissait d'un ancien condisciple; et
+puis, pour deux mille livres, on se donnait un certain reflet de Mécène
+et un air de François Ier et de Léon X; c'était vraiment pour rien!</p>
+
+<p>Il tira donc les deux billets d'un joli portefeuille de maroquin brun,
+et les donna à notre homme. «Mon cher, lui dit celui-ci, sois
+tranquille, je te rembourserai sur le produit de mon <i>meilleur</i>
+ouvrage.»</p>
+
+<p>Depuis, le créancier a mis au monde un roman, deux opéras-comiques, une
+comédie, une histoire universelle, cinq mélodrames et six vaudevilles. A
+chaque apparition de ces produits littéraires, le débiteur, songeant à
+ses deux mille livres, vient en personne pour complimenter l'auteur.
+«Charmant! dit-il, délicieux! un bijou! un véritable chef-d'&oelig;uvre!
+C'est ton <i>meilleur ouvrage</i>,» appuyant avec intention sur l'épithète.
+«Ah! laisse donc, réplique l'autre; tu te moques. J'espère faire cent
+fois mieux.»</p>
+
+<p>M. Fornasari, qui a débuté mardi dernier au Théâtre-Italien, est ce
+qu'on appelle un bel homme, tradition populaire, il a de grands bras, de
+grandes jambes, de grandes mains, de grands pieds, de grands yeux, de
+grands cheveux, de grandes dents blanches et de grands gestes; on le
+croirait plutôt destiné à faire un superbe tambour-major qu'un
+chanteur.</p>
+
+<p>A toutes ces richesses athlétiques M. Fornasari joint une formidable
+voix de basse qu'il emploie de manière à briser les vitres. M. Fornasari
+s'est fait entendre dans le <i>Belizario</i> de Donizetti, &oelig;uvre
+prodigieusement bruyante. Quelqu'un disait, après avoir entendu l'opéra
+et M. Fornasari: «C'est une musique chantée par un aveugle et faite pour
+des sourds.»</p>
+
+<p>Tout le monde ne sait peut-être pas que le goût de la publicité par la
+presse a gagné jusqu'au jeu d'échecs. Le jeu d'échecs a son journal tout
+comme s'il était le tiers-parti, la gauche, l'extrême gauche ou le
+ministère. Il y a sept ans qu'il imprime ainsi ses opinions sur la
+marche du Roi et de la Reine. Cette feuille d'échec et mat est intituler
+le <i>Palamede</i>, rendant ces sept années d'existence paisible, <i>le
+Palamede</i>, se croyant abrité par la loi, a paru sans timbre et sans
+cautionnement. Mais l'autorité se ravise et lui en demande raison.
+Est-ce qu'il y a vraiment de la politique au fond d'une partie d'échecs,
+et la Tour cacherait-elle des complots secrets contre la forme du
+gouvernement? O timbre, laisse donc vivre en paix ces pauvres fous et
+ces innocents cavaliers!</p>
+
+<p>Voici quelque chose de plus grave: un grand trouble agite depuis huit
+jours le théâtre des Variétés. Qu'est-ce? qu'y a-t-il? Il s'agit d'un
+enlèvement.--Est-ce que mademoiselle Boisgoutier aurait fait un faux
+pas? Mademoiselle Flore se serait-elle égarée dans les petits sentiers
+d'Amathonte et de Cythère, à la suite de quelque noir ravisseur? Non
+pas. Dieu merci! où en serait-on si des vertus si mûres, si
+expérimentées, et d'un tel poids, faisaient encore de ces
+légèretés-là?--La fugitive a dix-huit ans, des yeux noirs, un petit air
+innocent et candide et une jambe de biche; avec cela, elle ira loin
+avant qu'on la rattrape.</p>
+
+<p>Deux diplomates ont quitté Paris tout récemment: l'un est M. de
+Salvaudy, qui va montrer à la cour de Turin la chevelure d'Alonzo;
+l'autre, M. le marquis de Lavallette, nommé consul-général à Alexandrie.
+M. de Lavallette a longtemps étudié la diplomatie dans les coulisses de
+l'Opéra; il y a approfondi particulièrement la pirouette et l'entrechat.
+On blâme cette faveur rapide qui l'a pris entre deux coulisses et une
+danseuse, pour le transformer tout à coup en homme d'État. Pourquoi
+blâmer? Il est clair que M. de Lavallette a fait sa fortune politique
+pas à pas.</p>
+
+<p>L'Académie royale de Musique donne le meilleur de son temps aux
+répétitions du <i>Don Sébastien</i> de M. Donizetti; les quatre premiers
+actes sont complètement achevés. M. Donizetti met la dernière main au
+cinquième; il a livré hier le morceau final et deux ch&oelig;urs importants.
+Dans quinze jours au plus tard, <i>Don Sébastien</i> se montrera tout entier
+au soleil de la rampe, armé de pied en cap. On loue d'avance la
+partition; on parle de la magnificence des décors: jamais l'Opéra n'aura
+été plus prodigue et plus magnifique. Il est particulièrement question
+de la pompe funèbre du troisième acte. La situation est toute
+dramatique: don Sébastien, qui passe pour trépassé, assiste à son propre
+enterrement, comme on la raconté de Marion de Lorme. Il est peut-être
+dangereux pour un poète et pour un musicien de jouer ainsi avec les
+morts: le parterre s'avise quelquefois de les mettre tous les deux sur
+la liste nécrologique. Mais ici, dit-on, ce genre de mortalité n'est pas
+à craindre; si l'on fait une pompe funèbre sur la scène, ce ne sera ni
+M. Scribe ni M. Donizetti qui y seront enterrés.</p>
+
+<p>L'Odéon est dévoré par les tragédies sublimes; le succès de <i>Lucrèce</i>
+les fait pulluler; en voulez-vous, en voici! Rome et Athènes, l'Italie
+et la Grèce, ont envahi les cartons de M. Lireux; qu'allons-nous faire
+de tous ces trésors? Il est vrai que l'Odéon nous ménage et y met de la
+prudence; tous les jours on annonce que quelque nouveau chef-d'&oelig;uvre
+tragique a passé le Pont-Neuf et s'est glissé au comité de lecture du
+Second-Théâtre-Français, mais jusqu'ici ou n'en a pas encore vu paraître
+un seul. On fait grand bruit cependant d'un certain <i>vieux Consul</i> en
+cinq actes, qui, dit-on, nous la garde bonne. Nous verrons bien; pourvu
+que ce vieux nous paraisse nouveau!</p>
+
+<p>Une charmante femme, d'une vertu au-dessus de tout soupçon, madame B...,
+assistait hier à la représentation du nouvel opéra-comique de MM. Panard
+et Ambroise Thomas, <i>le Ménage à Trois</i>; madame de C..., la fausse
+prude, attaquait l'invraisemblance du sujet, «Allons donc! lui dit
+vivement Madame B...; vous ne voyez que ça toute la journée.»</p>
+
+<p>Cependant les omnibus continuent à écraser les enfants et les
+vieillards, les voleurs à détrousser les passants, et partant Paris est
+toujours le plus charmant pays du monde.</p>
+<br><br>
+
+<h2>Histoire de la Semaine</h2>
+
+<p>Aucun événement, aucun fait de politique intérieure de quelque
+importance n'est venu cette semaine occuper les esprits. La lutte du
+conseil municipal d'Angers contre le maire, auquel il refuse son
+concours, a presque seule remplacé dans la polémique des journaux les
+longues discussions sur les fortifications de Paris et sur le programme
+d'opposition mis en avant par M. de Lamartine. La politique prend ses
+vacances, et le ministère ne paraît pas encore d'accord sur la date
+précise où il doit les faire cesser. Ceux des ministres au bonheur
+desquels la présence des Chambres n'est pas absolument indispensable,
+voudraient que leur réunion fut différée jusqu'au 9 janvier; des
+scrupules constitutionnels font, dit-on, désirer à quelques autres
+membres du cabinet que la convocation ait lieu pour le 27 décembre, afin
+qu'on puisse appeler cette session la session de 1843, et demeurer dans
+la lettre de la Charte, qui en veut une par année. Nous sommes donc,
+quoi qu'il arrive, à peu près sûrs de pouvoir célébrer avec nos
+législateurs soit la nuit de Noël, soit la fête des Rois; nous voudrions
+être également certains que tous les travaux nécessaires à la session
+seront prêts au moment où la réunion aura lieu, que les séances pourront
+se succéder sans interruption, que les projets de loi auront été bien
+mûris, et que de nouveaux et fâcheux ajournements ne seront pas
+nécessaires.--A l'extérieur, l'attention de la France a également été
+peu absorbée par ses propres affaires. L'Autriche a-t-elle ou n'a-t-elle
+pas refusé au fils de M. le maréchal Soult, à notre ambassadeur à Turin,
+voyageant dans la partie de l'Italie qui se trouve sous la domination de
+Vienne, le titre de marquis de Dalmatie? Voilà la question qui a été
+débattue entre les feuilles du gouvernement et celles de l'opposition.
+Ce qui paraît être vrai, au milieu d'assertions contradictoires, c'est
+qu'on a dispensé notre ambassadeur de la formalité du passeport, pour ne
+pas lui en remettre un qui aurait porté ou une qualification qu'on
+n'aurait pas voulu lui donner, ou un nom qui n'aurait pas été celui qu
+il voulait prendre. Du reste, cette guerre à l'histoire est bien pauvre.</p>
+
+<p>L'Irlande est la scène politique vers laquelle tous les yeux sont
+tournés. O'Connell et ses amis y poursuivent leur &oelig;uvre avec calme et
+mesure. Le peuple irlandais a compris que ses destinées à venir
+dépendaient peut-être de l'esprit d'ordre et de modération qu'il
+montrerait dans cette circonstance critique et décisive. Son attitude
+prouve son intelligence et fait le procès à ceux qui n'ont pas su et qui
+ne savent pas encore le traiter en égal et en frère. Autant O'Connell et
+ses compatriotes remplissent bien leurs rôles, autant le ministère
+anglais paraît n'avoir pas étudié le sien. Une feuille d'un comté dit
+qu'il n'y a autre chose à faire qu'à, pendre O'Connell. Il est évident
+que si ce journaliste voulait bien, dans son petit coin, se charger de
+cette mission, il tirerait sir Robert Peel d'un grand embarras. On a
+fait procéder à des enquêtes pour établir toute la série de crimes
+imputés aux chefs de l'association; les témoignages recueillis ont été
+ceux d'agents de la force constabulaire. On ne s'est pas encore arrêté
+dans le choix d'accusés qu'on se propose de faire parmi les prélats
+catholiques; quant aux rédacteurs du journal <i>the Nation</i>, et de
+quelques autres feuilles irlandaises, on ajoutera pour eux le chef
+d'accusation d'avoir cherché à séduire et corrompre les soldats de la
+marine et de l'armée anglaises. L'affaire sera appelée le 2 novembre
+devant le jury de Dublin, pour être remise, d'après les calculs les plus
+vraisemblables, aux derniers jours du même mois.--Les cortès espagnoles,
+depuis leur réunion, n'ont procédé encore qu'à des travaux
+préparatoires; la vérification des pouvoirs des députés n'a donné lieu à
+aucune discussion, à aucune lutte où l'on ait pu apprécier la force
+respective des partis. Outre ceux que les élections ont fait connaître,
+il s'en est, dit-on, formé un autre qui ne se propose sans doute que de
+jouer un rôle convenu pour faire regarder comme moins extrême le parti
+de Narvaez: c'est un parti qui fait semblant de vouloir que l'abdication
+de l'ex-régente soit déclarée nulle et de nul effet, parce qu'elle n'a
+pas été libre et volontaire. Nous ne croyons pas que personne le puisse
+prendre au sérieux. Rien de terminé, rien de plus avancé en Catalogne.
+Barcelone est encore dans la même et désastreuse situation. Quant à
+Girone, Prim a écrit à Madrid qu'il y entrerait ou se ferait tuer. On
+peut donc prédire que le sang coulera encore abondamment sur cette
+malheureuse terre d'Espagne. Au profit de quels principes et dans quel
+intérêt avouable? Nous serions bien embarrassés de le dire.--Du reste,
+au milieu de toutes ces crises sanglantes, le ministère espagnol trouve
+moyen d'organiser le service postal dans la péninsule. L'empereur de
+Russie, de son côté, a opéré dans ses États la réforme du tarif des
+lettres, que la France réclame toujours vainement. Que faudra-t-il donc
+pour vaincre l'obstination de notre administration? --Il vient de
+paraître à Madrid un nouveau journal politique, <i>L'International</i>. Cette
+feuille, rédigée en français, se propose pour but de faire connaître
+l'Europe à l'Espagne, et surtout l'Espagne à l'Europe. Dans le premier
+numéro, une nous avons sous les yeux, ses rédacteurs font preuve de
+talent et de sentiments patriotiques qui n'ont pas ce caractère
+d'hostilité envers l'étranger qu'on rencontre trop souvent dans les
+journaux de Madrid.--Des bruits très-contradictoires ont couru sur les
+troubles de la Romagne et les mesures récentes dont ils auraient été
+l'occasion. La <i>Gazette du Rhin et de la Moselle</i> avait
+très-positivement annoncé que le feld-maréchal autrichien Itadesky était
+entré à Bologne, à la tête de quatre mille hommes tirés du royaume
+lombardo-vénitien, sur une réquisition du gouvernement papal. La
+<i>Gazette Universelle Allemande</i> se borne à dire que la demande de les
+tenir à disposition à effectivement été faite, mais qu'elles ne seront
+entrées dans le Bolonais que si le cardinal-légat l'a jugé nécessaire.
+Il faut espérer que le cabinet français ne s'en remettra, pour cette
+question, ni au jugement du cardinal-légat ni aux bonnes dispositions du
+feld-maréchal autrichien, et que le souvenir de la conduite de Casimir
+Périer ne sera pas plus perdu pour le ministère que ne le serait pour la
+marine et pour l'armée l'exemple de l'amiral Gallois et du colonel
+Combes. La <i>Gazette d'Augsbourg</i>, au contraire, renferme une
+correspondance d'après laquelle le Saint-Siège ne songerait à venir à
+bout des mécontents qu'en entrant dans la voie de réformes politiques
+qui lui auraient été conseillées par plusieurs cabinets.</p>
+
+<p>Il séculariserait d'abord une grande partie des hautes fonctions
+publiques qui sont dans ce moment dans les mains du clergé. Nous
+voudrions pouvoir croire à cette version.--Pour en finir avec les
+nouvelles des États pontificaux, nous dirons que le prêtre Abbé, dont
+nous avons annoncé la condamnation à mort en même temps que le bruit
+répandu de sa commutation de peine, aurait été exécuté le 4 octobre, si
+l'on en croyait les organes habituellement officiels. On a donc vu
+imprimer: «Hier matin, de bonne heure, le prêtre Abbé, originaire du
+Piémont, a été décapité dans le château Saint-Ange. Jusqu'à présent, on
+s'était imaginé qu'il obtiendrait une commutation de peine, parce qu'on
+pensait que le gouvernement ne se déciderait point à laisser un prêtre
+monter sur l'échafaud. Le pape a bientôt dissipé cette illusion. S. S. a
+voulu prouver qu'un criminel ne méritait aucune faveur à raison de son
+rang et de sa condition. Si l'exécution n'a pas eu lieu sur une place
+publique, mais dans l'intérieur du château, c'est uniquement que le
+Gouvernement a voulu éviter la trop grande affluence de peuple sur le
+lieu de l'exécution.» Mais personne à Rome n'a cru à cette nouvelle, et
+tout le monde s'est estimé autorisé à penser que le gouvernement papal a
+voulu donner une sorte de satisfaction à l'opinion publique indiquée à
+la nouvelle d'une commutation, et sauver ce misérable en considération
+de son caractère sacerdotal. Ou a pensé aussi qu'en faisant croire à la
+nouvelle de cette exécution, le gouvernement de Rome tenait à être
+considéré comme libre de ne pas reculer devant l'application de la peine
+de mort, si elle était prononcée contre des détenus du fort Saint-Léo.</p>
+
+<p>Les mois de septembre et d'octobre auront été cette année cruellement
+féconds en désastres. Les journaux de nos ports de la Manche et de
+l'Océan sont pleins de détails sur les avaries et les échouements d'une
+foule de bâtiments du commerce.--Un tremblement de terre très-violent,
+accompagné de tonnerre souterrain, s'est fait sentir, le 3 octobre, à
+Jassy, en Moldavie, et a fait fuir dans les champs une grande partie de
+sa population effrayée.--Des nouvelles de Port-Léon (Florides) donnent
+les plus affligeants détails sur un ouragan et une inondation qui y ont
+exercé leurs ravages dans la nuit du 13 au 14 septembre. La ville fut
+soudainement inondée, tous les magasins situés sur les quais furent
+renversés par le torrent; la plus grande partie des maisons fut
+également détruite, et les malheureux habitants, à demi nus, durent
+aller chercher un refuge sur les hauteurs voisines. A Saint-Mareks,
+toutes les maisons ont été également détruites ou endommagées. Mais le
+désastre a été plus immense encore à Light-House; là, pas un seul
+édifice, excepté le phare, n'est resté debout, et l'on compte en outre
+quatorze victimes. Les habitations disséminées sur la côte ont aussi
+beaucoup souffert: dans l'une, tout le monde a été noyé. Aux dernières
+dates, on n'avait pu encore constater toute l'étendue du désastre,
+compter tous les noyés; mais on s'était assuré déjà de la disparition
+d'un très-grand nombre de personnes, qui ont sans doute été entraînées
+par les Ilots.</p>
+
+<p>On a enfin le dernier mot sur <i>le Télémaque</i> et les richesses; que ses
+flancs recelaient pour les actionnaires de cette opération, dont
+<i>l'Illustration</i> (t. I, p. 4) a entretenu ses lecteurs au point de vue
+du procédé de sauvetage. Le notaire de Quilleb&oelig;uf devant lequel avait
+été passé l'acte d'association ou de mystification a fait publier, dans
+les colonnes de plusieurs journaux, l'avis suivant: «Les actionnaires de
+l'entreprise du sauvetage du <i>Télémaque</i> sont informés que les travaux
+viennent d'être entièrement terminés. La cargaison est déposée sur le
+quai de Quilleb&oelig;uf; elle consiste en cinquante-deux pièces de bois de
+construction. Ou avait aussi embarqué à bord du <i>Télémaque</i> une quantité
+considérable de barriques, mais on n'en a retrouvé que des débris qui
+attestent qu'elles ont contenu du suif et de l'huile. Jusqu'au 23
+septembre, il était resté beaucoup de sable dans le navire; mais des
+ouvertures pratiquées à dessein ont donné passage aux courants; les
+grandes marées de la fin de septembre ont suffi pour le déblayer
+entièrement. Alors on a pu faire les plus minutieuses recherches, et
+l'on a acquis la certitude que l'opinion de l'existence de valeurs dans
+<i>le Télémaque</i> était absolument chimérique. Il ne reste plus aujourd'hui
+de ce navire qu'une carcasse informe. Il sera bientôt procédé, par
+l'autorité maritime, à la vente, tant de la cargaison que des débris du
+navire.»--Les actionnaires du <i>Télémaque</i> auxquels il resterait encore
+quelque argent à placer, pourraient le porter à une compagnie
+commerciale dont le siège principal est, dit-on, à Londres, et qui a des
+succursales dans les principales villes de l'Europe. Cette société, qui
+a pris pour titre <i>The Iberian mercantile Company</i>, offre au public 3
+pour 100 <i>de rente pour rien</i>. D'après les combinaisons de cette
+compagnie, qui paraît s'être formée pour enrichir l'humanité, certains
+marchands désignés par elle, ayant un dépôt de ses actions et coupons
+d'actions, les délivreront, <i>pour rien</i>, sur la demande de l'acheteur
+qui viendra faire chez eux des emplettes. Si l'achat s'élève à 125
+francs, on aura droit à une action principale portant intérêt à 1 et
+demi pour 100 la première année, 2 et demi pour 100 la deuxième, et 5
+pour 100 les années suivantes. Si l'achat ne se monte qu'à 25 francs, on
+recevra un coupon d'action. «Les achats d'un particulier, dit le journal
+<i>la Presse</i>, s'élevant, terme moyen, à 3,000 francs par an, il en
+résulte qu'en dix ans, et <i>sans débourser un sou</i>, on peut se faire
+1,000 ou 900 francs de rente.» C'eût été véritablement voler les
+lecteurs de <i>l'Illustration</i>, que de ne pas leur faire connaître une
+aussi bonne occasion de faire fortune sans s'en apercevoir.--Quant aux
+actionnaires des fameuses mines de Saint-Bérain, les pauvres victimes
+des Cleemann, Blum et consorts, ils paraissent aujourd'hui complètement
+désillusionnés; car les annonces judiciaires fixent le jour de la
+prochaine vente sur licitation sur une mise à prix qui n'est pas du
+douzième du capital social.</p>
+
+<p>Un marché où à coup sûr l'acquéreur n'a pas été dupe, c'est celui que
+vient de conclure le ministère de l'intérieur avec un jeune paysagiste
+de l'École de Lyon, M. Amaranthe Roulliet, inventeur d'un procédé il
+l'aide duquel l'homme qui n'a jamais dessiné de sa vie peut trouver en
+quelques minutes la reproduction exacte d'un dessin ou la parfaite
+ressemblance d'un corps placé devant lui, soit dans des proportions
+identiques, soit avec diminution ou augmentation, et, dans ces derniers
+cas, avec une scrupuleuse observation de la perspective, sauf la beauté
+du trait, qu'une main exercée peut seule atteindre (Voir
+<i>l'Illustration</i>, t. I, p. 90,). Le procédé est, dit-on, des plus
+simules, sans machines, sans recours à la chimie, sans attirail
+incommode et coûteux. Il y a à peu près un an, M. le ministre de
+l'intérieur demanda un rapport à l'Académie des Beaux-Arts, qui, sur un
+examen superficiel et peu bienveillant, on ne sait trop pourquoi, refusa
+net de s'occuper de cette affaire, alléguant que de telles inventions
+nuisent à l'art en lui ôtant ses difficultés. Le ministre, peu touché
+d'une telle fin de non-recevoir, qui n'irait à rien moins qu'à proscrire
+la règle, le compas, la chambre noire ou claire, le daguerréotype, et
+bien d'autres instruments dont on use fort à l'Académie, et qui n'ont
+jamais nui à l'art, parce que l'art est très-distinct de l'exactitude
+matérielle, le ministre nomma une commission dans laquelle durent
+figurer MM. Cavé, Vilet, Mérimée, Lenormand, Lassus, Flandrin, Léon
+Coignet, Allaux. Après une étude longue et approfondie, à la suite
+d'épreuves multipliées dans lesquelles les difficultés de dessin des
+plus épineuses ont été vaincues avec une rapidité, une facilité, un
+bonheur incroyables, la commission a conclu à ce que la direction des
+Beaux-Arts achetât la découverte dans l'intérêt des beaux-arts et de
+l'industrie. On sait les lenteurs administratives; le secret fut enfin
+révélé à un membre de la commission, savant architecte, qui, dans un
+nouveau rapport au ministre, a déclaré la découverte plus étendue et
+plus féconde encore, que ne le croyait l'inventeur; sur quoi, une
+pension de <i>douze cents francs</i> a été accordée à M. A. Roulliet. Il y a
+de cela près de deux mois, et on ne comprend pas pourquoi la découverte
+n'a point encore été livrée à la légitime impatience de beaucoup
+d'artistes de premier ordre, moins dédaigneux de progrès qu'on ne l'est
+à l'Académie. Nous comprenons avec quelle prudence une telle affaire
+doit être officiellement traitée. Nous savons les ménagements qui sont
+dus à un corps respectable à tant de titres; mais enfin, si quelqu'un
+s'est endormi par hasard, une fois sans plus; si quelqu'un a manqué de
+goût et de pénétration, le public n'en est pas cause et ne saurait être
+puni. Le public, lui non plus, n'aime pas qu'on le fasse attendre.--Ce
+n'est point à ce procédé mécanique, mais au pinceau habile de Sigalon,
+que sont dus douze grands tableaux dont vont être décorés les plafonds
+de l'ancienne église des Petits-Augustins dépendant de l'école des
+Beaux-Arts. Ces peintures, qui ont chacune une dimension de quatre
+mètres de large sur six de hauteur, représentent les douze apôtres de la
+chapelle Sixtine à Rome. Ces beaux tableaux feront suite à la magnifique
+copie du <i>Jugement dernier</i>, exécutée par le même artiste, qui décore
+déjà l'abside de ce musée.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/003a.png"><br><b>
+Éclairage au gaz sidéral.--Expérience faite le<br> 20
+octobre sur la place de la Concorde.</b></p>
+
+<p>De nombreuses tentatives sont faites en ce moment pour enlever au gaz le
+monopole de l'éclairage. Dans la séance du l'Académie des Sciences du 29
+mai dernier, MM. Busson, Dumaurier et Rouen avaient lu un mémoire sur
+l'éclairage par la combustion des huiles essentielles provenant du
+schiste, de la houille et du goudron. Ce mémoire avait attiré
+l'attention de l'Académie; mais comme, tout en sachant bien que ces
+huiles étaient très-riches en carbone et en hydrogène, ou n'ignorait,
+pas non plus qu'elles donnaient une flamme tellement fuligineuse qu'il
+avait toujours fallu renoncer à les employer à l'éclairage, on avait
+besoin que l'expérience vînt constater si MM. Busson-Dumaurier et Rouen
+avaient vaincu la difficulté devant laquelle jusque-là chacun avait
+échoué; ils l'ont en effet heureusement surmontée. Nous ne savons pas
+bien par quels calculs on arrive à établir, comme quelques journaux
+l'ont avancé, que cet éclairage est au gaz comme 6 est à 1, et à
+l'éclairage à l'huile comme 8 est à 1. Tout ce que nous pouvons dire,
+c'est que cet éclairage, qui, quant à présent, doit coûter peu puisqu'il
+est alimenté par un liquide dont les usines de gaz, qui en produisent
+beaucoup, ne tiraient jusqu'à ce jour qu'un parti insignifiant, après
+avoir fonctionné pendant trois mois à la gare du chemin de fer de
+Saint-Cloud, depuis l'avenue du Château jusqu'à la station de
+Montretout, vient d'être essayé avec un égal succès, par
+l'administration de la ville de Paris, dans la rue de la Huchette et sur
+la place du Musée du Louvre. Si la difficulté d'allumer, sensible
+aujourd'hui, ne devient pas presque insurmontable par le froid, cet
+éclairage, que son odeur rendra toujours inapplicable dans les
+intérieurs, pourra être extérieurement d'une certaine ressource là où le
+gaz ne peut être établi, et les petites villes, qui ne sauraient
+supporter les dépenses de pose de conduits, pourront, en se procurant
+les lampes fort simples qui constituent l'appareil de ce nouvel
+éclairage, profiler à peu de frais d'un perfectionnement
+incontestable.--Vendredi 20, à neuf heures du soir, un nombreux public
+était rassemblé sur la place de la Concorde pour assister à l'essai d'un
+autre éclairage, l'éclairage électrique. Deux cents éléments de pile
+Bunzen, réunis dans le papillon qui sert de piédestal à la statue de la
+ville de Lille, étaient préparés pour illuminer un cylindre de charbon
+ouvert aux deux bouts, renfermé dans un bocal en verre plongeant dans de
+l'acide nitrique. Le cylindre de charbon renfermait lui-même un bocal de
+porcelaine poreuse contenant de l'eau acidulée à quinze degrés à l'aide
+d'acide sulfurique, et un cylindre d'amalgame de zinc plongeant dans
+l'eau acidulée. Deux conducteurs en cuivre partant des deux pôles de la
+pile, et terminés par du charbon aiguisé, se rendent dans un ballon vide
+d'air, où ils se rencontrent à une courte distance. Les deux fluides de
+nature opposée, en se réunissant, produisent une lumière douce et
+abondante. Les becs de gaz avaient été éteints sur presque toute la
+place, et ceux qui étaient demeurés ne servaient qu'à faire ressortir,
+par le rouge fauve de leur lumière, au milieu du brouillard où régnait
+ce soir-là, la blancheur éclatante de la lumière nouvelle. Il a été
+démontré que cinq foyers de cet éclairage illumineraient la place mieux
+qu'elle ne l'est, et lui ôteraient cette apparence de surtout de table
+que l'architecte lui a donnée. Mais quel est le prix de revient de
+l'application de ce procédé? C'est ce que personne n'a pu nous dire, et
+ce dont les inventeurs, hommes de science, ne se sont pas, dit-on, rendu
+un compte très-exact. Toutefois, on annonce un nouvel essai, avec un
+foyer beaucoup plus puissant placé au haut de l'obélisque; et cette
+fois, ou se propose d'asseoir des calculs qui puissent mettre à même de
+prononcer sur le côté pratique d'un procédé qui, s'il ne pouvait devenir
+usuel, serait toujours d'un bel effet dans les fêtes et illuminations.
+Les journaux américains nous ont appris la mort d'un savant astronome et
+mathématicien français, M. J.-N. Nicollet, ancien professeur du Lycée
+Impérial à Paris, décédé à Washington. Les feuilles des États-Unis lui
+paient un juste tribut d'éloges et de regrets.--Le <i>Courrier
+d'Indre-et-Loire</i> nous apporte la nouvelle de la perte que vient de
+faire l'émigration polonaise, d'un des hommes qui l'honoraient le plus.
+M. Pietkiewiez, ancien professeur suppléant à l'Université de Wilna,
+ancien nonce à la diète de Pologne, vient de mourir à l'âge de
+trente-huit ans, à Tours, qui lui avait été fixé pour résidence. Cet
+homme, qui avait la passion du bien, s'était dévoué à seconder
+l'établissement primitif de la colonie agricole de Mettray. Il avait été
+nommé professeur d'allemand au collège royal de Tours, et ses vastes
+connaissances, son esprit fin et doux, son caractère bienveillant, ses
+autres vertus, qui faisaient le charme et l'admiration de tous ceux qui
+l'ont connu, sont aujourd'hui l'inépuisable source des regrets de ses
+compatriotes, qui le respectaient, de ses amis, qui ne l'oublieront
+jamais, et d'une veuve qui pleure sur une union formée il y a quelques
+mois, et si prématurément, et cruellement rompue.</p>
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003b.png"><br>
+<b>Théâtre de l'Odéon.--<i>Pierre Landais</i>. 4e acte.--Albin,<br>
+Milon; Marie, mademoiselle E. Volet; Étienne Chauvin, Darcourt.--Etienne<br>
+Chauvin remet à Albert l'écharpe ensanglantée de son frère.</b></p>
+
+<h2>Théâtres.</h2>
+
+<p><i>Pierre Landais</i>, drame en cinq acte de M. Émile <span class="sc">Souvestre</span> (<span class="sc">Théâtre de
+l'Odéon</span>).--<i>Don Quichotte et Sancho Pança,</i> (<span class="sc">Cirque-Olympique).</span>--<i>Les
+Naufrageurs</i>, (<span class="sc">Porte-Saint-Martin</span>).--<i>Le Capitaine Lambert</i>,
+(<span class="sc">Gymnase</span>),--<i>Jacquot</i> (<span class="sc">Théâtre des Variétés</span>).</p>
+
+<p>La véridique histoire de Pierre Landais est assez singulière et assez
+intéressante pour qu'un homme de talent et d'imagination comme M. Émile
+Souvestre y ait vu les éléments d'un drame. Qu'y a-t-il de plus
+dramatique, en effet, que la vie de ce simple fils de tailleur d'habits
+qui, parti de l'échoppe de son père, s'élève peu à peu, par son habileté
+et son esprit, à la plus haute fortune, et devient le ministre
+tout-puissant de François II, duc de Bretagne? Gouvernant le duché sous
+ce prince faible et ami des plaisirs, Pierre Landais tient tête à Louis
+XI lui-même, et entreprend contre la noblesse bretonne une lutte
+acharnée, brisant ses privilèges et abattant son audace factieuse.
+Quelques historiens, il est vrai, parlent de Pierre Landais comme d'un
+parvenu ambitieux et violent qui n'aurait cherché dans cette lutte qu'à
+satisfaire sa cupidité et sa haine; mais d'autres, rehaussant le
+caractère de Pierre, lui donnent les vues profondes de l'homme d'État;
+s'il frappait sur la noblesse, ce n'était pas pour satisfaire de vaines
+rancunes et de coupables passions, mais pour affranchir le pouvoir du
+duc et délivrer la Bretagne du joug d'une aristocratie oppressive. Sous
+ce point de vue, Pierre Landais est non-seulement un politique, mais un
+philosophe.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003c.png"><br><b>
+Théâtre de l'Odéon--<i>Pierre Landais</i>. 3e acte. --Pierre<br>
+Landais, Bouchet; Marie, mademoiselle E. Volet; Albert, Milon; Étienne<br>
+Chavin, Darcourt.--Étienne montre le bourreau à Landais.</b></p>
+<br>
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004a.png"><br><b>
+Théâtre d'hiver du Cirque-Olympique.--<i>Don<br>
+Quichotte</i>.--Le Tournoi</b></p>
+
+<p>C'est ainsi du moins que M. Émile Souvestre nous le présente. Ce Pierre
+Landais, atteint de philosophie démocratique, devait plaire, en effet, à
+l'énergique auteur de <i>Riche et Pauvre</i>, lequel défend, dans tous ses
+écrits, avec une noble chaleur de talent, la cause de l'opprimé contre
+l'oppresseur. M. Souvestre prend Landais à son humble origine; voici sa
+demeure indigente. Qui vient troubler le silence de ce réduit? Les
+agents du fisc: le pauvre tailleur n'a pas de quoi payer le loyer, et la
+main impitoyable des recors le dépouille de ses dernières ressources:
+tous ses meubles sont vendus; Landais ne sauve de cette rapine qu'un
+escabeau et le grabat où repose sa fille Marie.</p>
+
+<p>Il faut voir son désespoir: c'est à la noblesse qu'il s'en prend, à ces
+insolents gentilshommes qui surchargent d'impôts les malheureux pour
+nourrir leur luxe et leurs débauches. Ah! si je pouvais me plaindre au
+duc! s'écrie Pierre Landais.</p>
+
+<p>Cependant l'orage gronde au ciel et l'éclair sillonne la nue. Un homme
+enveloppé d'un manteau demande asile à Landais: c'est le duc en
+personne; Landais l'a reconnu. Séparé de ses gens par l'orage, le prince
+a faim et froid; et Landais n'a rien pour le nourrir! Il ne lui reste
+que les débris de l'escabeau pour allumer un peu de feu et sécher les
+vêtements de monseigneur.</p>
+
+<p>Frappé de tant de misère, le duc interroge Landais, qui expose ses
+griefs avec chaleur. «S'il était le maître de la Bretagne, il
+soulagerait le peuple!--Eh bien! lui dit le duc, dès aujourd'hui je
+l'attache à ma personne; suis-moi!»</p>
+
+
+<p>Le tailleur est devenu le trésorier-général du duché de Bretagne; le
+pauvre habile un palais; l'opprimé est tout-puissant; Pierre Landais, en
+un mot, gouverne le duché, tandis que le duc s'abandonne au plaisir.</p>
+
+<p>La prospérité et la justice renaissent; mais Pierre Landais n'est pas
+arrivé à ce grand résultat sans rencontrer des obstacles, sans soulever
+des inimitiés: plus d'une fois même, il a dû châtier ses ennemis;
+ainsi, le chancelier Chauvin, son adversaire le plus décidé, est mort en
+prison, dépouillé de toutes dignités et de tout pouvoir.</p>
+
+<p>La noblesse, menacée, s'irrite et se met en garde; d'abord elle poursuit
+Landais de ses railleries: «Un vil artisan!» dit-elle; quelques-uns
+viennent hardiment jusqu'au palais, du duc faire étalage de leur
+ressentiment. Après les paroles, les actions: les nobles complotent et
+s'arment en secret; ils ont pour chef Etienne, frère de Chauvin.</p>
+
+
+<p>Le complot éclate: le duc, surpris par les gentilshommes en armes, signe
+l'ordre d'arrestation de Landais. Déjà ils s'applaudissent et savourent
+la vengeance; mais la victime leur échappe au moment où ils croient la
+tenir. Instruit par ses agents, Landais s'est mystérieusement introduit
+dans le lieu occupé par les conjurés; là, maître de leurs secrets, il
+surprend les coupables en flagrant délit et dans leur propre repaire;
+des soldats apostés les obligent à rendre les armes.</p>
+
+<p>Landais victorieux ressaisit le pouvoir; mais le gouvernement de la
+Bretagne et la défaite de la noblesse ne sont pas les seuls intérêts qui
+l'occupent: à côté de l'homme d'État, il y a le père; Landais songe au
+bonheur de sa fille Marie, qu'il idolâtre; il rêve la fortune pour elle
+et une brillante alliance. S'il retient le pouvoir, ce n'est que dans
+l'intérêt de Marie. On voit qu'ici le caractère de Landais dévie, et
+que, tout en frappant les grands, il songe aux grandeurs. M. Émile
+Souvestre explique cette faiblesse par l'amour paternel: Landais n'a
+d'ambition que pour sa fille; soit! mais le c&oelig;ur humain n'explique-t-il
+pas l'affaire encore mieux?</p>
+
+<p>Cependant Marie n'a pas cessé d'être une simple fille; les rêves de son
+père la touchent peu: elle a donné son amour à Albert, un simple
+gentilhomme. Ce qu'on sait d'Albert est tout mystère; on le tient pour
+homme de bonne maison, voilà tout; le nom de son père reste caché;
+Albert l'ignore lui-même.</p>
+
+<p>Ce nom qu'Albert ne sait pas, je veux vous le révéler: Albert a pour
+père Chauvin, l'adversaire de Landais; Chauvin, que Landais a fait périr
+misérablement en prison: Marie aime donc le fils d'un ennemi, et Albert
+aime Marie la fille du bourreau de son père.</p>
+
+<p>Etienne connaît cette énigme fatale de la naissance d'Albert, et il en
+profite pour jeter le trouble dans la maison de Landais et déchirer le
+c&oelig;ur de Marie. Le jour où, étendant la main vers Albert, il lui dit:
+«Venge ton père,» tout est fini. Les deux amants se désespèrent, et
+Marie s'évanouit.</p>
+
+<p>Etienne a beau faire, Albert tient à Marie plus qu'à Chauvin: l'amour
+pur l'emporte sur l'amour filial. Vainement Étienne veut l'entraîner
+dans sa haine et dans ses intrigues, Albert résiste: il fait plus
+encore: il sauve la vie à Landais et arrache Marie aux ravisseurs
+soudoyés par Étienne.</p>
+
+<p>Vous dites; «Comment Etienne peut-il ainsi aller et venir et comploter
+dans le, palais après sa défaite?» Il faut s'en prendre à l'imprévoyance
+de Landais, qui a eu la maladresse de lui laisser la liberté.</p>
+
+<p>Landais paie cher cette imprudence: Étienne et ses complices s'emparent
+de la ville; Landais, surpris, ne peut résister; tout est dit: son
+bonheur est passé et sa puissance s'écroule. Landais, prisonnier
+d'Étienne, n'a plus qu'à se préparer à la mort; un seul regret affaiblit
+son courage: que deviendra Marie? «Je veillerai sur elle, dit Albert, je
+serai son défenseur et son époux.» A ces mots, il anéantit l'écrit qui
+constate sa noble naissance, et se fait un homme sans titre et sans nom,
+afin du pouvoir aimer Marie, la fille du tailleur. Landais, consolé, va
+d'un pas ferme à la mort.</p>
+
+<p>Ce n'est là qu'une esquisse incomplète du drame de M. Émile Souvestre:
+on y trouve bien d'autres événements et d'autres complications;
+peut-être, même est-ce le défaut de l'ouvrage; les faits ne s'y
+produisent pas toujours nettement et jettent çà et là, par une certaine
+confusion, quelque obscurité sur les sentiments et sur les caractères;
+mais, à tout prendre, le drame intéresse; il a été constamment applaudi:
+c'est le succès le plus réel que le Second-Théâtre-Français ait obtenu
+depuis sa réouverture; d'ailleurs, et ceci n'est pas à dédaigner par le
+temps qui court, une pensée généreuse et un noble c&oelig;ur se remuent
+partout au fond de ce drame; on n'aurait pas nommé M. Souvestre, qu'on
+l'aurait deviné.</p>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="illustration">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<br><img alt="" src="images/004b.png"><br><br><br>
+<img alt="" src="images/005a.png">
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<img alt="" src="images/004c.png"><br>
+<br><img alt="" src="images/005b.png">
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+<p>--Don Quichotte et son Sancho Pança chevauchent, depuis quelque temps,
+au Cirque-Olympique, et y courent les hasards: du noble chevalier,
+toujours vaillant, généreux, éthique, comme il convient à son caractère;
+le fidèle écuyer, gros, gras, rond, roulant, plein de bon sens, de bon
+appétit, et semant les proverbes sur sa route, ainsi qu'il lui
+appartient. Nous ne suivrons pas ces deux illustres amis dans toutes les
+sinuosités de leurs nombreuses aventures; nous ne marcherons pas pied à
+pied à la suite de la fortune vagabonde de Rossinante et du grison;
+cette entreprise nous mènerait trop avant, et nous ne sommes pas, pour
+courir si loin, suffisamment éperonnés et armés chevaliers errants.</p>
+
+<p>Choisissons seulement quelques épisodes de ce poème mémorable; et
+d'abord, voici ce bon Sancho: dans quelle situation, ô ciel! et comme il
+a besoin ici de toute sa philosophie! Les muletiers ont saisi et jeté
+notre homme sur une couverture de laine; les voyez-vous qui le lancent
+en l'air à tours de bras et le font rebondir comme une balle élastique;
+ô mon brave Sancho! jamais ballon joua-t-il son rôle aussi naturellement
+que toi!</p>
+
+<p>Plus loin, don Quichotte devient la victime de sa philanthropie et de sa
+candeur; vous savez comme quoi, au détour d'un buis, le valeureux
+chevalier rencontra une bande de forçats escortée d'une escouade de la
+sainte hermandad. «Holà! oh! seigneurs cavaliers, rendez la liberté à
+ces malheureux, s'écria-t-il, ou je vous pourfends de ma redoutable
+épée!» Et aussitôt, piquant des deux et croisant la lance, don Quichotte
+mit les gendarmes en pleine déroute et délivra les bandits, qu'il
+prenait pour des esclaves opprimés. Ce qu'il en advint, vous le voyez; à
+peine les forçats ont-ils brisé leurs chaînes, qu'ils se tournent contre
+leur libérateur, le jettent bas et le rouent de coups, de compagnie avec
+Sancho.</p>
+
+<p>Que devenir après une telle ingratitude? Se retirer du monde, se faire
+berger, chercher si la vertu et la reconnaissance, exilées des villes et
+des grandes routes, se sont abritées sous la houlette; ainsi font don
+Quichotte et Sancho.</p>
+
+<p>Mais la vie champêtre convient-elle à un tel héros? Don Quichotte a
+bientôt repris le fer, la cuirasse et l'armet de Membrin. Qu'il fait
+beau le voir sur son Rossinante immobile, tandis que Sancho Pança
+enfourche le bât de son âne, en attendant le fidèle baudet qui broute
+quelque part l'herbe fleurie.</p>
+
+<p>Hélas! don Quichotte a beau être le plus vaillant des héros de la
+Manche, il succombe enfin dans un terrible tournois contre le redoutable
+chevalier du Miroir; quelque enchanteur, sans doute! Le clairon sonne,
+les casques retentissent, les cuirasses étincellent; quels rudes coups
+d'épée! cependant don Quichotte est vaincu.</p>
+
+<p>Était-ce pour être partout trahi, berné et battu, qu'un beau jour, ô don
+Quichotte! ô innocent héroïque! tu as quitté ta maison, ta nièce, ton
+curé et tes livres de chevalerie, suivi de ton ami Sancho; le grison
+portant l'un, Rossinante portant l'autre?</p>
+
+<p>--Le théâtre de la Porte-Saint-Martin ne s'amuse pas à de tels jeux
+d'enfants; il se plonge dans le crime le plus noir avec <i>les
+Naufrageurs</i> titre barbare, mais moins barbare que la prose de M. Boulé,
+l'auteur de ce formidable drame. Ces naufrageurs sont d'affreux bandits
+qui dépouillent les malheureux que la tempête a jetés sur la rive, et
+les assassinent au besoin. Aussi, leur histoire est-elle surabondamment
+ornée de tempêtes, de naufrages, de meurtres, d'enlèvements, de morts
+subites, de résurrections, de cavernes, d'incendies, de fureurs, de
+repentirs, de reconnaissances et de grincements de dents. Au dénouement,
+le crime est châtié amplement, comme cela est de règle, et les
+naufrageurs s'abîment sous les ruines d'une immense caverne. Que Dieu
+leur pardonne, et à M. Roulé aussi!</p>
+
+<p>--<i>Le Capitaine Lambert</i>, du gymnase, recommence <i>le Joueur</i> de Regnard,
+et celui de Victor Docange; mais il n'a ni l'esprit de l'un, ni la
+terrible passion de l'autre. A force de jouer, Lambert perd jusqu'à son
+dernier sou. Que deviendra sa fille? c'est là le grand désespoir de
+Lambert. Heureusement, un Arthur vertueux, le fils de l'homme qui a
+ruiné Lambert, répare tout le mal, et rend à Lambert la fortune qu'il
+regrette: c'est bien le moins qu'il devienne son gendre. Lambert
+jouera-t-il encore? je ne sais, mais je crains que le Gymnase ne le joue
+pas longtemps.</p>
+
+<p>Les lauriers de Levassor emmenaient sans doute le théâtre des Variétés
+de dormir; il a voulu avoir aussi sa pièce à travestissements.
+<i>Jacquot</i> ne sert pas à autre chose; Jacquot est tout à la fois Vernet,
+Alcide Tousez, Odry, Numa, Lepeintre jeune, Ravel; tous les acteurs de
+Paris y passent; Neuville exécute ces métamorphoses et ces imitations
+avec une vérité et une ressemblance dignes d'étonnement. La pièce est
+d'ailleurs semée de mots plaisants. Les auteurs sont MM. Paul Vermont et
+Gabriel.</p>
+<br><br>
+
+<h2>De l'autre côté de l'Eau</h2>
+
+<h3>SOUVENIRS D'UNE PROMENADE.</h3>
+ <p class="mid">(Suite.--Voyez t. II, p. 6, 18 et 30.)</p>
+
+<h4>SUR LA TAMISE.</h4>
+
+<p>Tout ce qu'éprouvait de patriotique jalousie le vieux Caton pendant sa
+résidence à Carthage, un Français,--je parle du moins farouche citoyen
+de Paris,--doit le ressentir en arrivant à Londres par cette belle
+avenue marine qui commence à Gravesend.</p>
+
+<p>Ce n'est pas que l'entrée des Champs-Elysées n'ait son mérite et
+l'Arc-de-Triomphe ses glorieux souvenirs; mais Vienne a son Prater;
+Berlin, son allée de tilleuls; Rome avait des arcs de triomphe sur
+toutes ses routes. Aucune ville de ce bas monde n'a eu et n'aura
+jamais,--il faut le croire,--ces huit lieues de rivières encombrées de
+quatre mille vaisseaux.</p>
+
+<p>Voici les lourds charbonniers de Newcastle, voici les bricks de commerce
+qui reviennent de Calcutta et de Bombay, voici les pêcheurs de morue,
+voici les yachts de la <i>Royal Navy</i>, voici les stationnaires,
+sentinelles imposantes, voici le pavillon russe, le pavillon
+danois.--hélas! et Copenhague? --le papillon américain,--et Boston?--le
+pavillon français,--diable, et Trafalgar?</p>
+
+<p>Noble et glorieux pavillon, que n'était-tu du moins sur quelque beau
+navire aux agrès bien ordonnés, brillant de la poupe à la proue, les
+sabords ouverts et montrant les dents! Mais non; à l'arrière de cinq on
+six méchantes carènes, sales et mal tenues, pendait un chiffon tricolore
+dont à peine on distinguait les nuances éteintes. Sans le souvenir de la
+Colonne, il y avait de quoi se voiler la face et s'enfuir à fond de
+cale.</p>
+
+<p>Encore des vaisseaux, des vaisseaux encore, des vaisseaux toujours.
+Quelquefois, nous ne voyons de loin, acculé à la rive, que le profil
+d'un beau navire; mais ce profil nous en marquait dix, quinze, vingt,
+rangés côte à côte. Cette immense force ne s'étale pas, bien au
+contraire; chaque vaisseau se serre et se fait petit, dans une
+agglomération monstrueuse de voiles et de mâts et de tuyaux à vapeur.</p>
+
+<p>Puis, derrière les toits du rivage, vous avisez d'autres cordages,
+d'autres vergues, d'autres pavillons: ce sont les <i>Docks</i>, ce sont des
+ports creusés par douzaines, où vont encore se cacher des flottes
+entières, se reposer les bâtiments avariés, se décharger les opulentes
+cargaisons... Bref, au bout d'une heure ou deux, la tête vous tourne, ce
+panorama mouvant vous enivre; vous vous croyez le jouet d'un rêve,--et
+d'un mauvais rêve, puisque vous n'êtes pas Anglais.</p>
+
+<p>J'avais d'abord donné carrière à mon étonnement à mesure qu'un obligeant
+gentleman me signalait l'un après l'autre tous les points remarquables
+devant lesquels nous passions. Mais je crus voir briller dans ses yeux
+une orgueilleuse satisfaction qui me déplut, et ménageant de mon mieux
+la transition, je passai en peu de minutes à une indifférence fort bien
+jouée. Comme dernier symptôme de cet insouciant dédain, le <i>tillaburelo</i>
+de <i>my uncle Toby</i> me vint admirablement en aide. Le Gentleman
+s'inquiète de mes airs blasés; et après avoir essayé deux ou trois fois
+encore ses triomphantes insinuations, il me quitte, presque offensé de
+les voir si tranquillement accueillies.</p>
+
+<h4>SOUTH MOLTON STREET.</h4>
+
+<p>On m'avait spécialement recommandé de loger dans l'<i>East-End</i>. En ce
+pays où tout est strictement classé, mieux vaut un grenier du quartier
+noble qu'un hôtel tout entier de la Cité. Nous primes donc notre essor,
+mon compagnon de voyage et moi, vers la région très-noble ou Hyde-Park
+semble retenir la crème anglaise.</p>
+
+<p>Et comme j'étais pressé d'en finir avec les ennuis du premier
+établissement, nous nous installâmes chez un estimable chapelier qui mit
+à notre disposition tout le superflu de sa petite maison: à savoir, un
+salon et deux chambres à coucher.</p>
+
+<p>Sans me permettre une critique trop générale, voici mes observations sur
+l'intérieur hospitalier qu'il nous offrit en échange de guinées assez
+nombreuses.</p>
+
+<p>Les cheminées avaient, en guise de devants de feu, des tabliers de
+soubrette excessivement ornés. Ces tabliers étaient en papier de couleur
+découpé, brodé, bariolé, rehaussé de paillettes.</p>
+
+<p>L'unique canapé du salon était d'une maigreur attristante. La maîtresse
+du logis,--Dieu me garde de la nommer à présent!--ressemblait au canapé
+du salon.</p>
+
+<p>Quelque chose de plus maigre encore, c'était Anne, l'unique soubrette de
+l'établissement. Bien que l'escalier criât volontiers sous le moindre
+poids, elle le montait et le descendait sans le plus léger bruit, à la
+manière des fantômes, dont elle avait la pâleur et l'&oelig;il hagard; je
+parle de son &oelig;il,--ou plutôt de ses yeux,--pour les avoir aperçus de
+temps à autre, à la dérobée. En général, ils étaient respectueusement
+baissés vers le parquet.</p>
+
+<p>Le salon était pauvre, mais décent. La chambre à laquelle il donnait
+accès affichait un certain air de propreté menteuse. Je la cédai à mon
+compagnon de voyage.</p>
+
+<p>Quant au <i>garret</i> où je fus relégué par cette déférence toute naturelle,
+il mériterait une description en vers à la manière de Gresset; mais je
+me bornerai à quelques détails prosaïques.</p>
+
+<p>Mon lit,--un véritable <i>four-posted-bed</i>,--était d'une ampleur
+conjugale; mais les matelas, évidemment destinés à un célibataire, ne le
+garnissaient ni en largeur ni en longueur. Ils formaient au milieu du
+plancher qui les soutenait une espèce de monticule quadrangulaire
+très-élevé. Je les comptai par curiosité: ils étaient cinq, dont le
+mieux fourni n'avait certainement pas l'épaisseur d'une galette du
+Gymnase. En revanche, par la consistance, ils en auraient facilement
+remontré au biscuit de mer le plus solide.</p>
+
+<p>Après de vains efforts pour dormir sur cette couche dure, je me résignai
+à demander, non pas un, mais cinq autres matelas supplémentaires, qui me
+furent octroyés avec une certaine stupéfaction, et un lit de plumes, par
+la vertueuse mistriss...--j'ai juré de ne pas la nommer.</p>
+
+<p>Loin de m'enhardir, cette complaisance m'empêcha de lui faire remarquer
+que le couvre-pieds de coton qui devait me dérober aux yeux indiscrets,
+tandis que je me livrerais au sommeil, manquait évidemment des qualités
+indispensables à ce voile nocturne. Les souris ou le temps en avaient
+fait un véritable crible dont les trous multipliés, laissant passer mes
+jambes, ne pouvaient guère arrêter un regard curieux.</p>
+
+<p>Les serviettes étaient contemporaines du couvre-pieds. Elles devaient de
+plus à une lessive particulière je ne sais quelle odeur nauséabonde qui
+remplissait la chambre quand j'y montai pour la première fois.</p>
+
+<p>«Par bonheur, pensai-je, nous sommes au mois de juin,» Et je courus
+ouvrir la fenêtre.</p>
+
+<p>La fenêtre,--infernale guillotine!--résista obstinément à tous mes
+efforts pour la relever; je la crus condamnée par quelque droit de
+servitude, et je m'assis sur ma malle, dans l'attitude de Marins sur les
+ruines de Carthage, mais beaucoup moins résigné que le vieux proconsul.
+Il était en plein air, lui. Quant à moi, j'aurais volontiers pleuré.</p>
+
+<p>Pourtant l'excès même du malheur, dans une âme forte, amène, une
+énergique réaction; puis le tablier de ma cheminée était si plaisant, il
+affectait de si étranges grâces, et ses grâces ressortaient si bien,
+éclairées par une affreuse chandelle de suif enfoncée dans un bougeoir
+énorme, que la résignation reprit sur mon c&oelig;ur son heureux empire. Je
+doublai de mon manteau le couvre-pieds transparent; je m'isolai, autant
+que faire se put, du contact cotonneux de mes draps, et si le sommeil
+n'avait fui mes paupières, j'aurais pu me croire sur le plus délicieux
+édredon.</p>
+
+<p>Mais je ne fermai pas l'&oelig;il et mal en prit à certains petits animaux
+qui, dès cette nuit même, avec un empressement tout britannique,
+voulaient se repaître de sang français.</p>
+
+<h4>SIGNALEMENT D'UNE CAPITALE.</h4>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> <i>Rues</i>--larges.</p>
+<p class="i14"> <i>Passages</i>--étroits.</p>
+<p class="i14"> <i>Parcs</i>--nombreux.</p>
+<p class="i14"> <i>Maisons</i>--noires.</p>
+<p class="i14"> <i>Portes</i>--petites.</p>
+<p class="i14"> <i>Squares</i>--ronds ou ovales.</p>
+<p class="i14"> <i>Quais</i>--hideux.</p>
+<p class="i14"> <i>Cabriolets</i>--faits en citadines.</p>
+<p class="i14"> <i>Pavés</i>--rares.</p>
+<p class="i14"> <i>Édifices</i>--bien portants.</p>
+<p class="i14"> <i>Cafés</i>--invisibles.</p>
+<p class="i14"> <i>Boue</i>--abondante.</p>
+<p class="i14"> <i>Décrotteurs</i>--ignorés.</p>
+<p class="i14"> <i>Soleil</i>--étonné (1).</p>
+<p class="i14"> <i>Passants</i>--tristes.</p>
+<p class="i14"> <i>Dimanches</i>--tristes.</p>
+<p class="i14"> <i>Ponts</i>--magnifiques.</p>
+<p class="i14"> <i>Valets</i>--bien mis.</p>
+<p class="i14"> <i>Maîtres</i>--mal habillés.</p>
+<p class="i14"> <i>Mendiants</i>--pieds nus.</p>
+<p class="i14"> <i>Mendiantes</i>--en chapeaux de satin.</p>
+<p class="i14"> <i>Grisettes</i>--nus-bras, nu-cou, épaules nues.</p>
+<p class="i14"> <i>Omnibus</i>--bruyants.</p>
+<p class="i14"> <i>Marteaux de porte</i>--plus bruyants.</p>
+<p class="i14"> <i>Vieux habits</i>--très-bruyants.</p>
+<p class="i14"> <i>Watchmen</i>--admirables.</p>
+<p class="i14"> <i>Soldats</i>--très-longs.</p>
+<p class="i14"> <i>Pieds de femmes</i>--très-longs.</p>
+<p class="i14"> <i>Nez d'hommes</i>--tout le contraire.</p>
+<p class="i14"> <i>Bas de coton</i>--bon marché.</p>
+<p class="i14"> <i>Tout le reste</i>--fort cher.</p>
+</div></div>
+
+<blockquote>Note 1: Ceci demande un commentaire. Le soleil, à Londres est étonné
+comme le doge de Gênes dans les galeries de Versailles.</blockquote>
+
+<h4>RÉFLEXIONS.</h4>
+
+<p>Pour ce signalement, j'ai choisi naturellement les traits
+caractéristiques, les côtés distinctifs de la ville que j'avais à
+dépeindre. Maintenant je suis de trop bonne foi,--et aussi trop
+prévoyant,--pour ne pas prédire que ces traits tendent à s'effacer
+chaque jour.</p>
+
+<p>Mon compagnon de voyage,--qui visite l'Angleterre à peu près tous les
+cinq ou six ans,--m'a confirmé cette vérité par toutes sortes
+d'observations spirituelles.</p>
+
+<p>Mais bien mieux encore par quelques-uns de ses étonnements.</p>
+
+<p>Ainsi, quand un garçon de taverne, nous reconnaissant pour des Français,
+nous proposa du <i>bouilli-beef</i>--l'expression que prit le visage de mon
+ami me révéla toute une révolution culinaire.</p>
+
+<p>«Bouilli-beef! répétait-il confondu... venir à Londres pour manger du
+bouilli-beef!... dans une taverne, du bouilli-b...!»</p>
+
+<p>Mais là je l'arrêtai court en lui montrant, sur les vitres de la
+fenêtre, ces mots, qui répondaient éloquemment à l'amertume de ses
+plaintes.</p>
+
+<p>Nous n'étions pas dans une taverne, nous étions dans une Eating-House.
+L'<i>Eating-House</i> est à la taverne et au restaurant ce que l'aurélie est
+au ver et au papillon. De toutes parts la taverne se chrysalide.</p>
+
+<p>Le vin français et le vaudeville français sont appelés à régénérer
+l'Angleterre. Dans cinquante ans, Londres aura des cafés, des
+décrotteurs, etc.; dans cinquante ans, il y sera tout à fait incongru de
+donner à manger au voyageur sans le gratifier d'un essuie-mains.</p>
+
+<p>Qui sait--le bouilli-beef est d'un bon augure--si on n'y naturalisera
+pas ce qu'il y a de meilleur et de plus français au monde: la calme et
+sereine flânerie?</p>
+
+<p>En l'an de grâce 1843,--je le dis pour l'instruction des âges
+futurs,--je n'ai vu de flâneurs à Londres que les watchmen et moi, ce
+dernier dans les glaces des magasins. Il me semblait vraiment ridicule,
+et j'avais honte pour lui de son inutilité souriante.</p>
+
+<h4>HUMILIATION.</h4>
+
+<p>Ce même personnage étant fort embarrassé,--pour peu qu'il eut osé
+s'aventurer à cinq ou six rues de son domicile,--ne se hasardait guère à
+de si lointaines excursions qu'avec un plan de Londres dans sa poche. Ce
+document topographique lui paraissait indispensable, mais lui devenait
+presque entièrement inutile, par suite d'une honorable timidité qui
+l'empêchait d'y chercher son chemin.</p>
+
+<p>Un jour, cependant, après s'être longtemps consulté, il se retira dans
+une étroite ruelle dallée,--une <i>lane</i> quelconque; --et là, certain de
+n'être pas observé, il entrouvrait mystérieusement les plis sibyllins de
+son oracle...</p>
+
+<p>Quand un honnête homme, fort déguenillé mais très-barbu, sortit tout à
+coup de quelque corridor obscur, et avec une obligeante grimace de
+protection:</p>
+
+<p>«Où va monsieur?» lui demanda-t-il en bon français.<br>
+
+<span class="rig">O. N.</span></p>
+
+<p>(<i>La suite à un autre numéro.</i>)</p><br><br>
+
+<h3>La Pêche de la Morue.</h3>
+
+<p>L'époque approche où les nombreux bâtiments partis pour la pêche de la
+morue au printemps dernier vont rentrer dans nos ports. Déjà plusieurs
+journaux du département du Nord ont annoncé l'arrivée à Dunkerque de
+deux ou trois navires pêcheurs venant de Terre-Neuve. En ce moment, tous
+les pêcheurs ont terminé leur récolte; qu'on nous permette cette
+expression, car la pèche a été appelée l'<i>agriculture des eaux</i>; ils
+font voile vers la France. Avant d'apprendre à ses nombreux abonnés si
+la pèche de la morue a été heureuse cette année, l'<i>Illustration</i> devait
+employer, pour la leur faire connaître dans ses plus curieux détails, la
+plume de ses écrivains et le crayon de ses dessinateurs.</p>
+
+<p>Fidèles à leur rendez-vous habituel, les poissons des différents parages
+viennent périodiquement payer à l'homme leur tribut, et les pêcheurs y
+ont attendre ou poursuivre, dans certaines parties de l'Océan, les
+espèces qui s'y réunissent de préférence. Tel est le motif qui attire
+vers les côtes d'Islande, à Terre-Neuve et sur le grand banc ces flottes
+nombreuses qui partent tous les ans de nos ports de l'Ouest. C'est au
+milieu des tempêtes de ces mers orageuses que le jeune matelot reçoit le
+baptême du métier; c'est à cette école de dangers et de privations que
+s'exercent les forces vives de notre marine. De tout temps, les
+puissances maritimes ont trouvé dans la grande pèche les éléments de
+leur prospérité. Venise et la Hollande, ces républiques qui ont pesé
+d'un si grand poids dans la balance des nations, partirent un filet sur
+l'épaule et commencèrent leur fortune dans une barque de pêcheur. Ces
+peuples de marins devinrent riches et forts, et leur prépondérance sur
+la mer leur assura le commerce du monde. La puissance maritime de la
+France s'est agrandie aussi par la pêche; ses escadres ne se formèrent
+qu'à l'époque où les pêcheurs purent se réunir en grandes flottes: ce
+fut au commencement du seizième siècle, lorsque le Portugais Curie Real,
+qui avait observé l'affluence extraordinaire des morues sur le grand
+banc de Terre-Neuve, signala cette mine inépuisable aux pêcheurs
+européens, et que François 1er eut fait explorer ces parages par Jacques
+Cartier, de Saint-Malo, le meilleur marin de son temps. Toutefois ou ne
+tira pas d'abord un bien grand parti des ressources que le hasard avait
+fait découvrir dans ces latitudes. Le Vénitien Jean Cabot, envoyé par
+Henri VII d'Angleterre à la recherche d'un passage qu'on présumait
+devoir conduire à la Chine par le nord-ouest, avait reconnu, en 1497,
+une île qu'il appela <i>Prima-Vista</i>, et dont les nations maritimes, qui
+ont envié tour à tour la possession de cette nouvelle contrée, ont
+traduit chacune le nom dans leur langue. En 1501, Juan Ayamonte, marin
+catalan, recevait licence de la reine d'Espagne pour aller faire des
+investigations sur <i>la Tierra-Nueva (para ir a saber el secreto de la
+Tierra-Nueva)</i>, et il lui était recommandé de prendre avec lui deux
+pilotes bretons. Les Anglais la nommèrent <i>New-Fundland</i>, et ils ne
+pensèrent guère à la coloniser que cent ans plus tard. Les Chartres
+octroyées par Henri VII, pour y fonder des pêcheries, ne produisirent
+d'abord aucun résultat, et la marine anglaise n'acquit quelque
+prépondérance dans ces mers qu'après que le célèbre Drake en eut chassé
+les Espagnols. Leur prise de possession à Terre-Neuve ne date réellement
+que de 1585; l'île ne comptait encore que soixante-deux colons en 1612,
+et le nombre des navires pêcheurs s'élevait à peine à une cinquantaine.
+Nous ne commençâmes nous-mêmes à nous adonner à la pèche de la morue
+qu'en 1540. Les établissements sédentaires que nous fond ânes sur le
+littoral n'eurent pas, dans le principe, tout le succès qu'on s'était
+promis, et ce fui seulement sous le règne de Henri IV que le ministre
+Sully favorisa de tout son pouvoir la pêche de la morue, en la plaçant
+sous la protection du gouvernement.</p>
+
+<p>Ainsi cette industrie qui s'exerça dans la haute mer à plus de six cents
+lieues de nos côtes, cette pêche qui, depuis plus de trois cents ans, a
+employé tant de bras et nourri tant de populations, ne marcha d'abord
+qu'avec lenteur. Il lui a fallu le secours des primes et l'appui soutenu
+de l'État pour s'élever au rang des grands commerces. Alors les stations
+poissonneuses des côtes et du banc de Terre-Neuve attirèrent les
+pêcheurs de diverses nations. La France et l'Angleterre, qui s'étaient
+disputé longtemps la possession de l'île et des mers adjacentes,
+finirent par fixer les divers parages où pêcheurs pourraient dorénavant
+se livrer à leur art sous la garantie des traités. Avant 1713, les
+pêcheries que nous possédions fournissaient aux besoins de presque toute
+l'Europe, et suffisaient à l'armement de nos vaisseaux; mais le traité
+d'Utrecht, celui de Versailles (1785) et la cession du Canada vinrent
+changer notre situation. Nous perdîmes successivement tous les riches
+établissements que nous avions formés au loin, et qui avaient porté la
+grande pêche au plus haut degré de prospérité: les colonies de l'Acadie
+et du Canada, l'île Royale, l'île Saint-Jean, l'île de Terre-Neuve
+cessèrent de nous appartenir.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006a.png"><br><b>
+Bâtiments faisant la pêche de la morue (verte) sur le
+banc de Terre-Neuve.</b></p>
+
+<p>Réduits maintenant aux droits de pêche sur les côtes d'Islande, au grand
+banc et sur la lande orientale et occidentale de Terre-Neuve, <i>sans
+pouvoir y établir aucune habitation, si ce n'est des échafauds et
+cabanes pour sécher le poisson:</i> ne possédant plus pour s'abriter que
+les petites îles de Saint-Pierre et Miquelon, rochers nus et misérables
+qu'il faut approvisionner de toutes les choses nécessaires à la vie, nos
+navires sont obligés de partir chaque année des ports de France qui
+doivent servir aux opérations de la campagne. Et pourtant, malgré cet
+état de choses, et grâce aux encouragements de l'État, nos pécheurs ont
+soutenu la concurrence avec ceux de l'Angleterre, établis et à demeure
+sur la partie sud de l'île de Terre-Neuve, et avec ceux des États-Unis,
+qui jouissent de tous les avantages de la proximité de leurs côtes.--La
+pêche de la morue occupe annuellement plus de 400 navires français; 200
+bâtiments de transport et de cabotage sont destinés en outre aux
+opérations accessoires de la pêche. Ainsi, cette industrie entretient à
+la mer une flotte de 600 voiles et de 15,000 marins, qui forment près du
+quart du personnel valide de l'inscription maritime: réserve précieuse,
+toujours disponible et endurcie au métier le plus rude, sur mit; mer
+orageuse et sous un climat des plus rigoureux; réserve utile pour la
+navigation commerciale en temps de paix, réserve indispensable, mais
+encore insuffisante pour l'armement de nos escadres en temps de
+guerre.--Les produits de la pêche de la morue sont, estimés à 40
+millions de kilogrammes de poisson, qui viennent alimenter nos marchés,
+et dont 15 à 16 millions sont réexportés aux colonies, en Italie et en
+Espagne. Notre consommation absorbe le reste.</p>
+
+<table cellpadding="2" cellspacing="2" border="0"
+ style="width: 100%; text-align: left;" summary="illustration">
+ <tbody>
+ <tr>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<br><img alt="" src="images/006b.png"><br><br><br><b>Coupe de mer sous un navire faisant la<br> pêche de la morue (verte).</b>
+ </td>
+ <td style="vertical-align: top; width: 50%; text-align: center;">
+<img alt="" src="images/006c.png"><br><b>Haim et ligne de pêche.</b><br>
+<img alt="" src="images/006d.png"><br><b>Morue.</b><br>
+<img alt="" src="images/006e.png"><br><b>Morue habillée, dite morue plate.--Dessus.</b><br>
+<img alt="" src="images/006f.png"><br><b>Morue habillée, dite morue plate.--Dessous, intérieur.</b>
+ </td>
+ </tr>
+ </tbody>
+</table>
+
+
+
+<p>La pêche sur la côte de Terre-Neuve a toujours été placée au premier
+rang; c'est, celle qui occupe le plus grand nombre de marins; on y
+emploie des bâtiments de toute grandeur, depuis 30 jusqu'à 350 tonneaux.
+Lorsque le navire est arrivé il la côte, vers les premiers jours de
+juin, on le désarme, et l'équipage vient s'établir à terre avec tout son
+matériel dans des cabanes de bois construites sur le littoral et qu'il
+faut remettre en état après l'hivernage. De là, les bateaux, montés de
+deux hommes et un novice, sont expédiés tous les matins à la pèche à la
+ligne pour ne l'entrer que le soir. Indépendamment de ces embarcations,
+chaque navire arme un ou plusieurs <i>bateaux de Seine</i>, qui sont montés
+de dix hommes et qui pèchent lorsque les morues deviennent plus
+abondantes. Au retour des bateaux, le poisson est tranché, salé et mis
+en pile: après plusieurs jours de sel, les novices et les mousses le
+font sécher sur les bancs de galet jusqu'à ce qu'il soit parvenu à un
+désiré de dessiccation suflisant pour le rentrer. Les pécheurs quittent
+la côte à la fin de septembre, la plupart pour rentrer en France,
+quelques-uns pour aller porter une cargaison de morues aux Antilles.</p>
+
+
+
+<p>La pêche à Saint-Pierre et Miquelon a une grande analogie avec celle de
+la côte de Terre-Neuve: elle se fait avec des bateaux plats appelés
+<i>wavys</i> ou avec des pirogues. Ces embarcations, au nombre de 2 à 500,
+vont à la voile et à l'aviron; elles sont montées par deux hommes et
+sortent le matin pour rentrer le soir. On divise en trois catégories les
+différentes classes de gens qui se dévouent à la pèche, ou à la
+préparation du poisson sur le littoral de ces deux petites îles: 1º les
+<i>pêcheurs sédentaires</i> ou colons pêcheurs, au nombre de 1,000 à 1,400;
+2º les <i>pécheurs hivernants</i>, qui passent la mauvaise saison ou qui
+s'établissent à terre pendant plusieurs années; leur chiffre, sujet à
+des variations, n'excède guère 300 individus; 3º enfin, les <i>passagers
+pêcheurs</i> venus de France et qui repartent à la fin de la campagne; on
+en compte environ 3 à 400 chaque année.</p>
+
+
+
+<p>La pêche et la préparation de la morue étant la seule industrie des îles
+de Saint-Pierre et Miquelon, occupent la totalité des pêcheurs
+hivernants et presque tous les habitants sédentaires, hommes, femmes,
+vieillards et enfants, à partir de l'âge le plus tendre. La pêche
+commence au mois d'avril et se prolonge jusque vers le milieu d'octobre;
+elle est généralement assez abondante et donne du petit poisson. Comme à
+la côte de Terre-Neuve.</p>
+
+
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007a.png"><br><b>Pêcherie à Terre-Neuve</b></p>
+
+<p>La pèche sur le grand banc s'effectue avec des navires de 120 à 130
+tonneaux, armés de deux fortes chaloupes; 16 à 20 hommes d'équipage sont
+nécessaires pour la man&oelig;uvre du bâtiment et de ses embarcations: les
+départs de France ont lieu du 1er au 15 mars. Les navires se rendent
+directement à Saint-Pierre et y débarquent les passagers pêcheurs, les
+mousses et les novices, qui forment le complément légal de leur
+équipage, et qui ont pour destination le travail de la sécherie à terre;
+de là, ils font voile pour le banc, sur lequel ils vont mouiller par 70
+à 80 mètres de fond, afin de s'y livrer aux opérations de la pêche. Les
+deux chaloupes sont mises à la mer, et, chaque soir, montées de cinq
+hommes chacune, elles vont tendre les lignes, qui sont armées de 4 à
+5,000 hameçons. Tous les matins, les lignes sont levées, et le poisson,
+tranché, lavé et salé, est transporté à bond et déposé dans la cale. La
+partie de l'équipage qui est restée sur le navire, s'occupe aussi à la
+pêche avec des lignes de fond. La première pèche terminée, ce qui a lieu
+du 15 au 30 juin, le produit en est porté à Saint-Pierre pour y être
+séché, tandis que le navire, muni de nouveau sel et d'appâts, retourne
+faire sur le banc une seconde pêche. Parfois même il en fait une
+troisième, dont les produits, seulement salés, sont rapportés
+directement en France à l'état vert. La pêche du grand banc est plus
+dure et plus périlleuse que celle de la côte; elle exige des marins
+faits et des hommes intrépides; elle se pratique sur une mer sans cesse
+agitée; les pertes d'hommes et de chaloupes y sont fréquentes à cause
+des bourrasques et des brumes: la pêche à la côte forme les marins, la
+pèche au banc les aguerrit.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"><br><b>Pêche du capelan pour servir d'appât.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007c.png"><br><b>Barque faisant la pêche de la morue sèche, sur le banc de
+Terre-Neuve.</b></p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/008a.png"><br><b>
+Portion de coupe d'un bâtiment de<br>
+pêcheur de morue (verte)--Profil.</b></p>
+
+<p>Quant à la pêche qui se pratique vers les atterrages de l'Islande, elle
+s'opère sous une latitude de 64 à 66 degrés nord, au milieu des glaces
+flottantes et sur une mer sans mouillage et toujours tourmentée. A la
+côte, le navire est désarmé; au grand banc, il est mouillé sur son
+ancre; dans les parages de l'Islande, il est forcé de rester sous voile.
+Ici, la pêche se fait avec des lignes volantes de 100 à 120 brasses de
+profondeur; le poisson pris, au lieu d'être salé <i>en vrac</i>, est préparé
+et salé dans des tonnes apportées de France. On emploie, pour cette
+pêche, des bâtiments de 60 à 80 tonneaux, montés de 12 à 15 hommes
+d'équipage. Les navires partent en avril et rentrent dans le courant de
+septembre; quelques-uns, cependant, favorisés par la pêche, reviennent
+au mois de juin et repartent immédiatement pour un second voyage. Ainsi,
+les équipages tiennent habituellement la mer pendant six mois. Aucune
+pêche n'est plus propre à donner des marins intrépides, aucune n'est
+marquée par des pertes plus cruelles d'hommes et de bâtiments.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/008b.png"><br><b>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Fragment d'un bâtiment de morue<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; (verte), vu par la hanche.</b></p>
+
+<p>«En présence du développement des forces maritimes des grandes
+puissances, disait naguère l'habile, administrateur chargé de soutenir
+devant les chambres l'exposé des motifs sur le dernier projet relatif à
+la pêche de la morue, la France ne doit pas rester stationnaire, et le
+gouvernement doit chercher les moyens de mettre les ressources du pays à
+la hauteur des besoins sans cesse croissants de notre marine. La pêche
+est une industrie féconde; déjà elle est la branche la plus importante
+de notre navigation commerciale, et l'inscription maritime, à laquelle
+elle fournit plus du cinquième de sa force vive, lui doit ses meilleurs
+matelots; aucune ne forme plus économiquement et plus promptement des
+marins robustes, actifs et propres au service de l'État, et cependant
+aucune n'est susceptible encore d'un plus grand développement... Le
+doublement de l'exportation et de la consommation des produits de la
+pêche suffirait pour donner au service de notre flotte 12,000 marins de
+plus.»</p>
+
+<p>A ces judicieuses paroles de M. Senac nous ajouterons que la France a
+dans ses mains toutes les ressources pour se maintenir au rang des
+premières puissances maritimes, pour protéger le commerce le plus
+étendu, pour appuyer au besoin par ses forces navales la prépondérance
+de sa politique; mais il faut pour cela qu'elle ne renonce pas à se
+faire craindre sur les eaux. Or, il n'est pas de marine militaire
+possible sans une marine marchande active et nombreux, et c'est dans la
+politique de la grande pêche qu'elle, en trouvera tous les éléments.</p>
+<br><br>
+
+<h2>Projet d'une Caisse de pensions de retraite</h2>
+
+<h4>POUR LES CLASSES LABORIEUSES.</h4>
+
+<p>Les caisses d'épargne sont accessibles sans distinction à tous ceux qui,
+pauvres ou riches, veulent momentanément déposer des sommes plus ou
+moins fortes, qu'ils peuvent retirer à volonté. Or, nous voyons par les
+comptes rendus de leur administration que la moyenne des versements pour
+Paris varie entre 150 et 160 fr. par individu, ce qui suppose une
+économie d'au moins 60 fr. par an, économie que peuvent rarement faire
+ceux qui vivent au jour le jour de leurs salaires.</p>
+
+<p>D'autre part, les <i>Sociétés particulières de secours mutuels</i> ont
+spécialement pour but d'assurer un secours journalier à ceux qu'un
+chômage, une maladie, privent momentanément de leurs ressources,
+quelquefois de rembourser les frais de maladie, les frais de sépulture
+en cas de décès, etc.; mais, ainsi que nous le dit un homme qui a voué à
+ces importantes questions une élude toute particulière, M. Maquet, dans
+un travail dont nous parlerons tout à l'heure, «les ouvriers peuvent
+d'autant moins s'y associer, qu'indépendamment des versements annuels
+plus ou moins forts, le souscripteur est encore obligé de payer d'avance
+5 pour 100 pour frais d'administration <i>sur le montant des annuités
+capitalisées.</i>»</p>
+
+<p>Aussi, beaucoup de ces sociétés; n'ont pu se soutenir longtemps, et,
+après d'infructueux efforts, se sont vues dans la nécessité de se
+dissoudre. En nous confirmant ces tristes résultats, un philanthrope
+bien digne de regrets, M. de Gérando, nous les a expliqués dans les
+lignes suivantes empruntées à son ouvrage sur la <i>Bienfaisance
+publique</i>: «Ces sociétés, dit-il, dont le quart réunit à peine trente à
+cinquante membres, procèdent suivant des modes très-différents; aucune
+loi, aucun acte du gouvernement, ne sont venus leur assurer une
+protection, leur donner des règles ou des garanties. Il est impossible,
+ajoute-t-il dans un autre passage, que des associations si peu
+nombreuses puissent faire une application solide du calcul des
+probabilités, et qu'elles garantissent aucun secours avec une certitude
+quelconque. Trente-deux d'entre elles se sont dissoutes dans ces
+derniers temps, et cinq dans la seule année 1837; vingt-une n'ont plus
+fourni de renseignements à la caisse philanthropique de Paris depuis
+1829, et ont peut-être subi le même sort.»</p>
+
+<p>Il restait donc à trouver une combinaison qui, sans nuire aux caisses
+d'épargne, pût exister à côté d'elles ainsi qu'à côté des sociétés
+temporaires de secours mutuels, et réaliser ce que ni les unes ni les
+autres ne pouvaient faire, c'est-à-dire créer chaque jour pour le
+prolétaire des ressources qui s'accumuleraient sans cesse, et
+garantiraient d'une manière certaine l'avenir contre toutes les
+éventualités. C'est le plan qu'a voulu réaliser un honorable citoyen, M.
+Maquet, en fondant <i>des caisses de pensions de retraite pour les classes
+laborieuses de l'un et de l'autre sexe</i>.</p>
+
+<p>M. Maquet, qui mûrissait depuis longtemps cette idée généreuse, avait
+consulté tous les précédents qui peuvent exister; car l'idée qu'il a
+émise et qu'il veut faire passer dans la réalité n'est nouvelle, à
+proprement parler, que dans son application. Sans mentionner la <i>caisse
+des invalides de la marine</i>, dont les résultats ont été si admirables,
+et qui fonctionne avec tant de succès depuis près de deux siècles, il
+nous suffira de dire qu'un plan analogue à celui proposé aujourd'hui par
+M. Maquet a été exposé pour la première fois en 1772 en Angleterre,
+adopté deux fois, à une grande majorité, par la Chambre des Communes en
+1773 et 1796, deux fois repoussé par la Chambre des Lords, et enfin
+accueilli le 18 juin 1833 par les deux chambres du Parlement.</p>
+
+<p>Cet acte législatif stipulait que tout individu âgé de quinze ans au
+moins pouvait, soit par un seul paiement, soit par une prime annuelle,
+acquérir de l'État une rente viagère annuelle ou différée au maximum de
+20 liv. st., au minimum de 1 liv. st., à la charge de déposer cette
+prime dans une caisse d'épargne ou paroissiale, ou dans toute autre
+société autorisée à se former à cet effet.</p>
+
+<p>Le même acte disposait en même temps (art. 19) que les certificats et
+registres relatifs à ce service seraient exempts de timbre.</p>
+
+<p>Après avoir longtemps mûri son plan, et réfléchi à la possibilité
+d'organiser une caisse de pensions de retraite pour les classes
+laborieuses, M. Maquet songea à demander pour lui le patronage du
+public, de la presse et des hommes éclairés. A cet effet, une réunion
+solennelle fut convoquée; elle eut lieu le 11 mai 1812, dans la grande
+salle de la mairie du 5e arrondissement. C'est devant un nombreux
+auditoire que M Maquet, fort de ses études et de ses convictions, exposa
+son plan d'organisation. Nous allons en donner brièvement un aperçu
+d'après ses propres travaux.</p>
+
+<p>Étendre aux classes ouvrières, par une association appliquée à tous les
+degrés de l'échelle sociale, le principe suivi par le gouvernement, qui,
+au moyen des retenues opérées sur leurs traitements d'activité, même les
+plus minimes, alloue des pensions de retraite, non-seulement aux
+employés de ses administrateurs, mais encore aux officiers des armées de
+terre et de mer, ainsi qu'aux marins et aux ouvriers des ports; tel
+était le problème que M. Maquet s'était proposé de résoudre.</p>
+
+<p>Pour y parvenir, rien ne lui semble préférable à la création d'un
+établissement fondé sur le model de la caisse des invalides de la
+marine. Cette caisse, qui, depuis deux siècles, fonctionne avec un
+succès toujours croissant, et que prospérité a mise à même de pouvoir
+payer plus de 7 millions de pensions pour services mixtes rendus à
+l'État et au commerce, s'écarte (comme doit du reste le faire, à son
+exemple, la casse des pensions de retraite) autant de la règle commune
+des anciennes routines que des établissements nouveaux d'un caractère
+analogue. Elle n'aliène aucune partie de son capital; elle n'en fait pas
+comme certaines sociétés particulières, le privilège exclusif d'un
+partage entre les survivants lors des répartitions; son fonds est un
+trésor qui s'augmente sans cesse pour soulager dans l'avenir les
+infirmités ou la vieillesse de ses économes et prudents souscripteurs.
+«En effet, dit M. Richelot, cette caisse pourvoit à tout pour le marin;
+la marine n'abandonne point, comme l'industrie, ses vieux serviteurs;
+les bras employés par elle, et que l'âge a affaiblis, elle ne les réduit
+pas au pénible effort de demander l'aumône; elle établit une admirable
+solidarité de famille, et récompense dans la veuve et dans l'enfant en
+bas âge les services du mari et du père.»</p>
+
+<p>Ce serait une position analogue que M. Maquet, en organisant la caisse
+des pension de retraite, voudrait créer en faveur de ces ouvriers vieux
+et infirmes, de ces invalides de l'industrie qui, après une vie entière
+passée dans de pénibles travaux, n'ont d'autre perspective que le
+dénûment dans l'infirmité.</p>
+
+<p>Jusqu'ici, en effet, qu'a-t-on fait pour l'ouvrier? Le gouvernement, ce
+tuteur-né des intérêts généraux, qui impose d'autorité une économie sur
+le traitement de l'officier ou du bureaucrate, qui les rend prévoyants
+par ordre, a-t-il songé à assurer à l'ouvrier un morceau de pain à la
+fin de sa carrière? Souvent même se croit-il bien généreux quand,
+l'arrachant à la municipalité, il l'envoie cacher ses infirmités
+derrière les murs d'un de ces hôpitaux qu'il entretient avec les sueurs
+du malheureux, avec le produit des charges publiques, surtout des
+octrois, qui pèsent bien plus sur le pauvre que sur le riche.</p>
+
+<p>Différente des caisses d'épargne, la caisse des pensions de retraite ne
+rend les épargnes qu'elle à reçues par fractions que sous forme de
+pensions, ou tout au moins de secours qu'on pourrait appeler des
+pensions temporaires, et après un laps de temps qui ne peut être moindre
+de vingt-cinq ans. Ces pensions doivent être le résultat de versements
+ou de retenues volontaires de 6, 12 ou 21 francs par an, à percevoir par
+fractions de 12, 25 ou 30 centimes par semaine, suivant l'âge ou la
+progression du salaire.</p>
+
+<p>Le minimum des versements pendant vingt-cinq ans est de 450 francs; le
+maximum, de 20 centimes par jour.</p>
+
+<p>Toute personne de l'un ou de l'autre sexe, de dix ans et au-dessus, peut
+faire partie de la caisse, sur la présentation de son acte de naissance.</p>
+
+<p>Les versements ne pourront être moindres</p>
+
+<p>De 6 francs par an, de dix à quinze ans;</p>
+
+<p>De 12 francs, de quinze à vingt ans;</p>
+
+<p>De 24 francs par an, de vingt ans et au-dessus.</p>
+
+<p>Les souscripteurs devront faire leurs versements par semaine ou par mois.</p>
+
+<p>Toutes les sommes provenant de souscriptions, legs ou donations, seront
+employées en achats de rentes sur l'État.</p>
+
+<p>Ces rentes seront inscrites au nom de la caisse des pensions de
+retraite, et les titres seront déposés à la caisse des dépôts et
+consignations.</p>
+
+<p>Les arrérages de rentes seront perçus et convertis immédiatement en
+rentes sur l'État, ou en placements hypothécaires, par les soins du
+conseil-directeur.</p>
+
+<p>Tout souscripteur âgé de cinquante-cinq ans, dont les versements annuels
+auront été régulièrement faits pendant vingt-cinq ans, et s'élèveront à
+450 francs au moins, aura droit à une pension.</p>
+
+<p>Les souscripteurs dont les versements auraient été suspendus ne perdront
+pas leurs droits à la pension, pourvu qu'en reprenant le cours de leurs
+versements, ils acquittent le montant et les intérêts composés des
+versements arriérés. Le maximum des pensions ne pourra excéder 600
+francs par an, à moins de modifications ultérieures.</p>
+
+<p>D'autres dispositions règlent les droits des ouvriers à une pension
+temporaire pour cause de blessures ou d'accidents.</p>
+
+<p>Enfin la caisse sera aussi en mesure de servir des pensions aux veufs ou
+veuves, aux orphelins et aux pères et mères indigents des
+souscripteurs..</p>
+
+<p>Tel est, dans ses dispositions principales, le plan proposé par M.
+Maquet; aussi ne doit-on pas s'étonner qu'aussitôt les hommes les plus
+honorables et les publicistes les plus distingués se soient empressé de
+lui donner leur adhésion. Il a été immédiatement renvoyé à une
+commission qui s'est constituée sous la présidence d'un de nos
+industriels les plus distingués, M. Demere, et dont on attend le travail
+avec impatience. Sans préjuger, dès aujourd'hui, quelles seront les
+conclusions de cette commission, nous croyons savoir qu'elle
+insisterait, de même que M. Miguel, pour que cette caisse fonctionnerait
+sous la garantie du gouvernement.</p>
+
+<p>Nous ne savons encore si le gouvernement donnera la garantie demandée.
+Quoi qu'il en soit, nous ne pouvons que nous féliciter de voir des
+hommes honorables et dévoués occupés de réaliser une idée aussi féconde,
+et qui, bien comprise et bien exécutée, peut avoir les résultats les
+plus heureux pour l'avenir des classes ouvrières. Prochainement, la
+commission va publier son travail et ses observations. Puisse-t-elle
+mettre dans l'&oelig;uvre qu'elle a entreprise assez de persévérance et
+d'efforts pour réaliser bientôt le plan de M. Maquet! Ce sera à la fois
+un noble exemple donné par la France au monde civilisé, et un immense
+service rendu à l'industrie nationale. Ses agents les plus immédiats et
+les plus utiles, les ouvriers, trouveront dans la caisse des pensions de
+retraite un soulagement pour leur vieillesse, et un bien-être d'autant
+plus précieux qu'ils ne le devront qu'à leur prévoyance et à leur
+économie.</p>
+<br><br>
+
+<h2>Romanciers contemporains.</h2>
+
+<h3>CHARLES DICKENS.</h3>
+
+<h4>LA TABLE D'HOTE.</h4>
+
+<p class="mid">(Voir t. II, p. 26, 58 et 105.)</p>
+
+<p>L'assemblée était nombreuse; dix-huit à vingt convives environ, parmi
+lesquels cinq ou six daines, serrées l'une contre l'autre, formaient à
+elles seules une petite phalange défensive. Tous les couteaux, toutes
+les fourchettes étaient à l'&oelig;uvre et s'escrimaient d'une façon tout à
+fait édifiante. Peu de paroles s'échangeaient; chacun avalait comme s'il
+y allait de la vie; et une famine eût été prédite pour le lendemain
+avant déjeuner, qu'on n'eût pu mettre plus d'ardeur à satisfaire le
+premier des appétits brutaux. La volaille faisait le gros du festin; une
+dinde figurait au haut bout de la table, deux canards en occupaient
+l'autre extrémité, et deux volatiles inconnus siégeaient au centre. Le
+tout disparut comme si chaque oiseau, recouvrant l'usage de ses ailes,
+eût pris l'essor à travers chaque gosier, y plongeant comme en un
+gouffre. Les huîtres, cuites et marinées, ne faisaient qu'un saut de
+leurs spacieuses coquilles dans les bouches béantes, où elles glissaient
+par vingtaines. Les hors d'&oelig;uvre du plus haut goût ne faisaient
+qu'apparaître. Les cornichons, les piments, les concombres au vinaigre,
+se croquaient comme dragées, sans qu'un &oelig;il sourcillât. D'immenses amas
+d'aliments indigestes fondaient comme la glace au soleil. C'était
+vraiment chose solennelle et stupéfiante à voir! Des gens qui se
+plaignaient d'une digestion laborieuse se gorgeaient d'énormes bouchées,
+nourrissant ainsi, non-seulement eux, mais une nuée de cauchemars,
+luttes habituels de leur couche. D'autres individus maigres, à joues
+hâves et tirées, mal repus en dépit de ce carnage des pièces de
+résistance, couvaient la pâtisserie avec des regards avides. Ce que
+madame Pawkins ressentait chaque jour pendant le dîner échappe à la
+pénétration humaine; elle avait cependant une consolation: c'est que son
+supplice était court.</p>
+
+<p>Dès que le colonel eut fini de dîner, événement qui eut lieu juste au
+moment où Martin, envoyant son assiette, sollicitait un morceau de dinde
+pour commencer le sien, l'Américain demanda à l'Anglais son opinion sur
+les pensionnaires qui affluaient là de toutes les parties de l'Union, et
+s'informa si quelques renseignements sur eux lui seraient agréables.</p>
+
+<p>«De grâce, dit alors Martin, quelle est cette petite fille, à figure
+maladive, avec de gros yeux tout ronds, là, vis-à-vis de nous? je ne lui
+vois ni mère ni chaperon.</p>
+
+<p>--Parlez-vous de cette matrone en robe bleue? demanda le colonel avec
+emphase; c'est mistriss Jefferson Brick, monsieur.</p>
+
+<p>--Eh non! dit Martin; je parle de cette petite poupée: là, vous dis-je,
+juste en face.</p>
+
+<p>--Eh bien, monsieur, répliqua le colonel, cette dame est madame
+Jefferson Brick en personne!»</p>
+
+<p>Martin fit volte-face et regarda le colonel. Il parlait sérieusement.</p>
+
+<p>«Sur mon âme; alors je ne désespère pas de voir quelqu'un de ces jours
+naître un héritier à M. Brick, dit Martin.</p>
+
+<p>--Il en a déjà deux, monsieur,» répondit le colonel. L'allure de la dame
+était si fort celle d'une enfant, que Martin n'avait pu retenir
+l'exclamation.</p>
+
+<p>«Oui, monsieur, poursuivit M. Driver; s'il est des institutions qui
+compriment la nature humaine, il en est d'autres qui la développent!»
+Après un moment de silence: «Jefferson Brick, ajouta le colonel à
+l'éloge de son collaborateur, Jefferson est un des hommes les plus
+remarquables de notre pays, monsieur!»</p>
+
+<p>Ces paroles furent murmurées à voix basse, car l'homme remarquable
+siégeait à la droite de Martin.</p>
+
+<p>«Auriez-vous la bonté de me dire, monsieur Brick, reprit l'Anglais,
+s'adressant cette fois à son voisin de droite et le questionnant, moins
+par curiosité que pour l'amour de la conversation, me diriez-vous quel
+est ce...» Il allait dire petit garçon; mais, esquivant le mot, il
+reprit: «ce petit monsieur, là-bas, qui a le nez rouge?</p>
+
+<p>--Professeur Mollet, monsieur, répondit Jefferson.</p>
+
+<p>--Puis-je demander quelle science il professe? reprit Martin.</p>
+
+<p>--L'éducation, monsieur, dit Jefferson Brick.</p>
+
+<p>--Peut-être un maître de pension? demanda Martin en hésitant.</p>
+
+<p>--Un homme de la plus haute moralité, monsieur, formé des éléments les
+plus purs, jouissant de facultés peu communes, répondit le correspondant
+chargé du département de la guerre. A la dernière élection pour la
+présidence, il a jugé, de son devoir de répudier son père et de le
+dénoncer pour avoir voté du mauvais côté. Depuis, il a publié quelques
+pamphlets d'une immense portée, qu'il a signé <i>Suburb</i>, ou Brutus
+renversé. C'est un des grands hommes dont notre patrie s'honore,
+monsieur.</p>
+
+<p>--A ce compte, il n'y aura pas disette de grands hommes,» pensa Martin.</p>
+
+<p>Poursuivant son enquête, l'Anglais découvrit qu'il n'y avait pas moins
+de quatre majors présents, deux colonels, un général et un capitaine. Il
+ne put s'empêcher d'en conclure que l'état-major de la milice américaine
+était si nombreux qu'à moins de se commander mutuellement l'un l'autre,
+les officiers ne devaient savoir où et comment se pourvoir de soldats.
+Pas un des assistants qui fût dépourvu de titres. Ceux qui ne
+jouissaient pas des honneurs militaires étaient docteurs, professeurs on
+révérends. Trois d'entre eux, grossiers et désagréables personnages,
+avaient été députés des États voisins; l'un pour affaires d'argent, le
+second comme envoyé politique, le troisième, comme missionnaire aux
+frais d'une secte religieuse. Parmi les dames on voyait mistriss
+Pawkins, droite, osseuse et silencieuse; de plus une vieille demoiselle,
+figure en lame de couteau, qui soutenait les droits des femmes envers et
+contre tous, et avait ouvert un cours pour la propagation de ses idées.
+Le reste, tout à fait dépourvu d'individualité et de caractère, ne
+valait pas la peine d'être nommé; plusieurs même auraient pu faire
+échange d'esprit ou d'âme l'un avec l'autre sans que personne s'en
+doutât. Ces derniers seuls ne paraissaient point enrôlés parmi les
+personnages les plus remarquables du pays.</p>
+
+<p>Plusieurs hommes, en avalant leur dernier morceau, se levèrent et
+sortirent, s'arrêtant seulement une minute ou deux près du poêle, pour
+se rafraîchir aux crachoirs de cuivre. Un petit nombre, plus sédentaire,
+s'oublia environ un quart d'heure autour de la laide, et ne se leva
+qu'avec les dames.</p>
+
+<p>«Où vont-elles? demanda Martin à l'oreille de M. Jefferson Brick.</p>
+
+<p>--Dans leur chambre à coucher, monsieur,</p>
+
+<p>--N'y a-t-il donc point de dessert, pas un moment de loisir à donner à
+la conversation? demanda Martin, assez disposé à jouir de quelque
+relâche après son long et assommant voyage.</p>
+
+<p>--De ce côté de l'Atlantique, nous ne sommes pas hommes de loisir,
+monsieur, mais d'affaires, et nous n'avons pas de temps à perdre,» fut
+la réplique.</p>
+
+<p>Les dames filèrent donc sur une seule ligne; M. Jefferson Brick et les
+autres hommes mariés signalèrent le départ de leurs meilleures moitiés
+par un léger mouvement de tête, et ce fut chose terminée. Martin
+trouvait la coutume peu de son goût; cette fois il garda son opinion
+pour lui, ayant grand désir de profiter de la conversation de ces
+<i>gentlemen</i> si affairés, qui s'étiraient, à l'envi l'un de l'autre,
+autour du poêle, comme si le départ des personnes de l'autre sexe eût
+dégagé leur esprit d'un poids immense, ils faisaient maintenant le plus
+copieux usage, le plus actif emploi des crachoirs et des cure-dents.</p>
+
+<p>A dire vrai, l'entretien était vide d'intérêt et pouvait se résumer en
+un seul mot: l'argent. Soucis, joies, espérances, affections, vertus,
+poésie, tout semblait se fondre et couler en dollars. Le hasard le plus
+favorable n'aurait pu apporter, au milieu de ces fastidieux caquets,
+chose légère ou gracieuse qui ne s'épaissit en métal. Les hommes étaient
+pesés au poids de leurs dollars, leurs actes jaugés en dollars, la vie,
+mise à l'encan, évaluée au taux le plus juste, portée aux nues ou
+traînée dans la fange, selon le nombre des dollars.</p>
+
+<p>Après les dollars, ce qu'il y avait de plus respectable, c'était toute
+entreprise ayant pour but d'en acquérir. Plus un homme avait su jeter
+par dessus bord, de vertus, d'honneur, de générosité, allégeant sa
+barque de ce lest inutile, plus il avait de place à donner aux dollars.
+Pour l'argent on pouvait faire du commerce un vaste mensonge, un
+brigandage légal; pour l'argent on pouvait faire, du drapeau de la
+république, un haillon; on pouvait en souiller les étoiles une à une, le
+taillant, le dépeçant bande à bande, comme les chevrons d'un caporal
+dégradé. Tout pour les dollars! qu'est-ce qu'un pavillon, qu'est-ce
+qu'un drapeau devant <i>l'or</i>?</p>
+
+<p>Celui qui hasarde sa vie à la chasse aux renards, aime à courir à toute
+bride; il en était ainsi de ces messieurs. Le plus grand patriote était
+celui qui braillait le plus haut, au mépris de toute décence. Leur digne
+champion, c'était l'homme qui, dans l'emportement brutal de sa course,
+ne pouvait prendre un instant haleine, et marquer d'un brûlant mépris la
+turpitude du voisin. En peu de minutes de cette causerie autour du
+poêle, Martin apprit que porter à l'assemblée législative des pistolets,
+des épées dans des cannes, et autres paisibles jouets; que saisir son
+adversaire à la gorge comme le pourrait faire un chien ou un rat; que
+tempêter, quereller, s'emporter, boxer et triompher par la force
+musculaire, étaient autant d'actes glorieux; et qu'au heu de déshonorer
+la liberté et de la frapper au c&oelig;ur plus que ne le pourrait faire le
+cimeterre d'un despote, ces actes forcenés flattaient l'orgueil
+patriotique des citoyens et réveillaient sur les rivages
+transatlantiques les mille échos de la renommée.</p>
+
+<p>Une fois ou deux, quand il peut en trouver le joint, Martin hasarda les
+questions qui lui venaient en tête, en sa qualité d'étranger, tant sur
+les poètes nationaux, sur le théâtre et la littérature, que sur les
+arts. Mais les renseignements que ses interlocuteurs étaient en mesure
+de lui donner, ne s'étendaient pas au delà des phrases redondantes des
+illustres de l'époque, tels que le colonel Driver, M, Jefferson Brick et
+autres célèbres, à ce qu'il paraissait, par la perfection et
+l'excellence du style boursouflé et tranchant, vulgairement nommé,
+style de matamore.</p>
+
+<p>«Nous sommes un peuple occupé, monsieur, dit un des capitaines nui
+venaient de l'Ouest, et nous n'avons pas de temps à perdre en lectures
+de fantaisie. Nous nous en arrangeons encore quand elles nous viennent
+dans les journaux mêlées à des choses solides et substantielles, mais
+<i>pouah</i> de vos livres!»</p>
+
+<p>Ici le général, qui semblait pris de mal de c&oelig;ur à la seule pensée de
+lire quoi que ce soit qui n'appartint pas au commerce ou à la politique,
+et qui fût en dehors des journaux, demanda si personne ne se sentait en
+goût de prendre un petit verre de liqueur. La plupart des assistants
+trouvant l'idée fort de saison, filèrent, un à un, vers le comptoir du
+cabaret voisin, d'où probablement ils gagnèrent leurs magasins et leurs
+banques, pour revenir de nouveau à la taverne rabâcher encore de dollars
+et d'argent, élargir leur esprit en parcourant et discutant quelques
+sentences ampoulées de patriotisme, et finir enfin par aller ronfler
+chacun au sein de sa famille.</p>
+
+<p>«Leur principale jouissance, la seule qu'ils sachent savourer en commun,
+se dit Martin poursuivant le cours de ses pensées; et il continua il
+rêver aux dollars, aux démagogues de cabaret, ne sachant trop si ces
+gens étaient réellement aussi affairés qu'ils prétendaient l'être, ou si
+tout bonnement ils étaient incapables de goûter tout plaisir social,
+toute joie domestique.</p>
+
+<p>Le problème était difficile à résoudre, et s'être trouvé contraint de le
+poser était déjà peu encourageant. Martin, assis devant la table
+déserte, de plus en plus abattu, et repassant en son âme les difficultés
+et l'incertitude de sa situation, poussa un profond soupir.</p>
+
+<p>Un des convives, homme entre deux âges, à l'&oelig;il noir, à la face hâlée,
+avait attiré l'attention de Martin par l'expression cordiale et ouverte
+de ses traits. Mais impossible à l'Anglais de rien tirer de ses voisins
+au sujet d'un individu qu'ils paraissaient regarder avec le plus complet
+dédain. Ce personnage, qui ne s'était pas mêlé à la conversation autour
+du poêle, ne quitta point la salle avec les autres, et lorsqu'il entend
+il Martin soupirer pour la trois ou quatrième fois, il hasarda quelques
+paroles dans le désir, sans imposer sa connaissance, d'engager peu à peu
+l'entretien. Ses motifs étaient si palpables, et cependant si
+délicatement indiqués, que Martin en éprouva une velléité de
+reconnaissance, et la laissa percer dans sa réponse.</p>
+
+<p>«Je ne vous demanderai pas, dit en souriant l'étranger, qui se leva
+alors et se rapprocha de Martin, je ne vous demanderai pas comment vous
+aimez mon pays; je crains trop de deviner; mais, en ma qualité
+d'Américain, forcé du commencer toujours par une question, <i>je vous
+demanderai</i> si le colonel vous agrée.</p>
+
+<p>--Votre franchise m'encourage à avouer, sans la moindre réticence, qu'il
+ne m'agrée pas du tout; bien qu'il me faille ajouter que je lui dois des
+remerciements pour m'avoir amené ici,--et même pour avoir arrangé les
+choses sur un pied assez raisonnable, ajouta Martin, se souvenant de
+quelques mots, que le colonel avait murmurés à son oreille avant de le
+quitter.</p>
+
+<p>--Trève à la reconnaissance, reprit sèchement l'étranger; le colonel va
+raccrocher à bord des paquebots de temps à autre, à ce que j'ai oui
+dire, quelques passagers d'Europe, afin de leur extorquer des
+renseignements de fraîche date dont il engraisse son journal; il
+présente aussi des étrangers ici comme pensionnaires, pour gagner sur
+eux, j'imagine, quelque petite remise, déduite ensuite par l'hôtesse sur
+son écot de la semaine.--J'espère ne vous avoir choqué en rien?
+ajouta-t-il, s'apercevant que Martin rougissait.</p>
+
+<p>--Comment serait-ce possible, mon cher monsieur? dit Martin, serrant la
+main qui lui était offerte. A vous dire la vérité, je me demande.....</p>
+
+<p>--Quoi?</p>
+
+<p>--Je me demande, puisqu'il faut tout dire, comment fait le colonel pour
+esquiver les coups de bâton?</p>
+
+<p>--Eh! il en a bien reçu quelques-uns, répondit tranquillement
+l'Américain; il fait partie de cette classe d'hommes de laquelle notre
+Franklin, dix ans déjà avant la fin du dernier-siècle, n'attendait que
+dangers et disgrâces. Peut-être ignorez-vous que Franklin a publié, en
+termes péremptoires, l'opinion que tout individu calomnié par un drôle
+de l'espèce du colonel, ne trouvant protection suffisante ni dans les
+lois du pays, ni dans les sentiments élevés et délicats de ses
+compatriotes, était en droit de récriminer sur le dos de cette vermine
+publique, à l'aide d'un bon gourdin.</p>
+
+<p>--Je ne savais mot de cela, dit Martin; mais je suis ravi de
+l'apprendre, et trouve l'avis digne de mémoire, d'autant plus.....» Ici,
+il hésita de nouveau.</p>
+
+<p>«Allons, poursuivez, dit l'autre, souriant comme s'il devinait les
+paroles qui prenaient Martin à la gorge.</p>
+
+<p>--D'autant plus, poursuivit Martin, que je commence à penser qu'il
+fallait être doué d'une forte dose de courage, même au temps de
+Franklin, pour écrire librement, sur quelque sujet que ce fût, dans
+cette très-indépendante république, du moins, sans être soutenu par un
+parti.</p>
+
+<p>--Du courage? sans doute, il en fallait. Et pensez-vous qu'il en faille
+aujourd'hui? reprit son nouvel ami.</p>
+
+<p>--Oui, en vérité, et pas peu, dit Martin.</p>
+
+<p>--Vous dites vrai, si vrai que je ne crois pas possible qu'un auteur
+satirique puisse respirer notre air. Un Juvénal, un Swift qui viendrait,
+à naître parmi nous demain serait écrasé sur l'heure. Si vous
+connaissez, un peu notre littérature, et que vous puissiez me citer le
+nom d'un Américain qui ait relevé et disséqué nos travers comme peuple,
+et non comme appartenant à tel ou tel parti, et qui ait pu échapper aux
+calomnies les plus dégoûtantes, aux plus sales injures, ce nom,
+croyez-moi, sera nouveau à mes oreilles. Je pourrais vous désigner plus
+d'une circonstance où un de nos écrivains ayant hasardé la plus
+innocente critique, l'exposition la moins amère, la mieux intentionnée
+de quelques-uns de nos ridicules ou de nos vices, a été obligé
+d'annoncer que, dans une nouvelle édition purgée; et corrigée, le
+passage critique serait retranché, expliqué ou métamorphosé en éloge.</p>
+
+<p>--Et comment les choses en sont-elles venues là? demanda Martin d'un ton
+abattu.</p>
+
+<p>--Rappelez-vous ce que vous avez entendu et vu aujourd'hui, à commencer
+par le colonel, et vous ne demanderez plus comment, dit son ami. Mais
+eux, d'où sortent-ils? cela, c'est une autre question. Dieu nous
+préserve de voir en cette engeance un spécimen de l'intelligence et de
+la moralité en Amérique; seulement, comme l'écume, elle monte à la
+surface, hélas! et trop souvent c'est dans cette tourbe que la
+représentation du pays se recrute.--Mais ne feriez-vous pas un tour de
+promenade?»</p>
+
+<p>Il y avait dans les manières de l'Américain une franchise pleine de
+cordialité, jointe à la mâle confiance qu'on n'en abuserait pas, un
+mélange de droiture, de fermeté et de bienveillance, que Martin n'avait
+encore jamais rencontré. Il passa son bras sous celui de son nouvel ami,
+et ils sortirent ensemble.</p>
+
+<p>(<i>La suite à un prochain numéro.</i>)</p>
+<br><br>
+
+<h2>MARGHERITA PUSTERLA.</h2>
+
+<h3>CHAPITRE XIV.</h3>
+
+<h4>PISE.</h4>
+
+<p><span class="lef"><img alt="" src="images/35-01.png"></span><span class="sc">ersuadé</span> qu'Alpinolo ne reviendrait plus dans cette cabane, Ramengo
+marchait en cherchant à se mettre sur les traces du jeune page. Le désir
+de trouver son fils lui avait fait quitter la piste qu'il avait
+jusque-là suivit; avec l'anxiété de la haine. Dans une de ses promenades
+à l'aventure, un jour qu'il côtoyait le Pô, il entendit sortir d'un
+buisson comme la voix d'un homme qui appelle. Il s'approche: un batelier
+lui demande humblement: «Le seigneur cavalier veut peut-être passer?</p>
+
+<p>--Pourquoi cette demande?</p>
+
+<p>--Je connais au drap de vos habits que votre seigneurie est de Milan.
+J'en ai beaucoup passé de Milanais pendant ces semaines.»</p>
+
+<p>Ces paroles donnèrent l'impulsion à la volonté indécise de Ramengo, qui
+répondit affirmativement plutôt à ses propres pensées qu'à la question
+
+<span class="rig"><img alt="" src="images/35-02.png"></span>
+du batelier. On fit entrer le cheval dans la barque, et pendant que le
+rameur s'efforçait de couper obliquement le fil de l'eau, Ramengo le
+questionna sur les passagers, sur leurs babils, leurs discours, leur
+route. Il lui demanda, en outre, s'il n'avait pas vu un beau jeune
+homme, et il lui lit le portrait d'Alpinolo.</p>
+
+<p>«Eh! eh! répondait le batelier, s'il fallait les avoir tous dans
+l'esprit. Mais, celui que vous me décrivez, je crois l'avoir vu; oui: un
+homme entre trente et trente-cinq ans, n'est-ce pas?...</p>
+
+<p>--Non, non: beaucoup moins, pas même vingt: des cheveux noirs.</p>
+
+<p>--Précisément; à présent, je me rappelle: des yeux gris, courtaud,
+trapu...</p>
+
+<p>--Au contraire: des yeux noirs, plus grand que moi, bien taillé;
+impossible de le voir et de ne pas s'en souvenir.</p>
+
+<p>--Ah! il y tant d'ânes qui se ressemblent!» Ramengo arrivé à l'autre
+rive, paya maigrement le passeur, et partit à l'aventure. Il erra encore
+de lieu en lieu, questionna tout le monde sur son passage; on lui
+répondit partout qu'on avait, en effet, vu beaucoup de Milanais, mais
+qu'on ignorait qui ils étaient et où ils se dirigeaient. On savait
+généralement qu'ils quittaient leur patrie à cause de la tyrannie de
+Luchino.</p>
+
+<p>Il vit d'autres tyrans régner sur les diverses cités de la Romagne; à
+Ituvium, les Malatesta; les Ordelaffi, à Fouli; à Faenza, Francesco di
+Manfredi; les Palenta, à Ravenne. Rome pleurait son veuvage depuis que
+les papes, se retirant à Avignon, l'avaient abandonnée à la tyrannie de
+ses barons, contre lesquels devait, peu d'années après, s'élever la
+généreuse mais impuissante voix de Cola de Rieuri. Bologne recevait la
+vie et la splendeur des quinze nulle Italiens et Allemands qui
+étudiaient dans son adversité, orgueilleuse de son titre de docte,
+qu'elle a conservé jusqu'à nos jours, comme elle a conservé dans ses
+armoiries le mot de liberté, quoique déjà, dès cette époque, elle eût
+subi le joug des papes. Puis, passant l'Apennin, Ramengo entra dans la
+belle Toscane. Dans cette contrée, la liberté était d'autant plus en
+honneur, qu'on avait vu a quels excès s'étaient portés les petits
+seigneurs de la Romagne et de la Lombardie. Toutes les communes
+défendaient hardiment leurs franchises, et repoussaient avec haine le
+gouvernement d'un seul. Mais comment espérer qu'une vierge se conserve
+pure au milieu d'une troupe de courtisanes? Les voisins dépravés de ces
+républiques, s'ils n'osaient point encore attenter ouvertement à la
+liberté de la Toscane, préparaient son assujettissement par la
+corruption et en fomentaient les discordes. Sous cette dégradante
+influence, les inimitiés de cité à cité s'aigrissaient de plus en plus;
+les noms des Guelfes et des Gibelins, qui, dans les autres pays, avaient
+presque perdu leur signification, conservaient là une vitalité tenace:
+Pise et Avezzo étaient gibelines; guelfes étaient Pistole, Prato,
+Volterra, Samminiato, Sienne, Péronne, et principalement, Florence. Au
+lieu de laisser se mûrir dans les c&oelig;urs le sentiment d'une nationalité
+unique, qui seule pouvait porter des fruits dans l'avenir, ils se
+combattaient et se repoussaient les uns les autres. Il n'y avait de
+patrie que le coin où on était né. On appelait étrangers et ennemis tous
+ceux qui ne foulaient pas la même terre, et plus ils étaient voisins,
+plus on avait contre eux de dispositions hostiles; et au milieu de leurs
+querelles, ils invoquaient toujours ou les armes ou la médiation plus
+funeste encore de leurs véritables ennemis.</p>
+
+<p>Cependant, au milieu de ces luttes, il y avait une activité puissante.
+Chacun éprouvait sa valeur et ce qu'il pourrait faire de concert avec
+ses concitoyens. Le commerce, l'agriculture, les arts étaient à leur
+plus haut point d'épanouissement; la peinture, la sculpture,
+l'architecture, offraient des modèles que notre siècle difficile n'a pas
+cessé d'admirer; et la langue sortie des mains de Dante Alighiéri, mort
+vingt années auparavant, perfectionnée par Pétrarque et par Boccace,
+encore jeunes, acquérait cette suprématie sur les autres dialectes de
+l'Italie, que rien ne pourra désormais lui enlever.</p>
+
+<p>De même que dans cette Grèce, avec laquelle notre patrie a tant de
+rapports, on oubliait les mutuelles inimitiés pour se rassembler aux
+jeux d'Olympie, ainsi la vive humeur des Toscans les réunissait à de
+splendides fêtes, où les diverses cités venaient se réjouir dans les
+solennités consacrées à leurs patrons, dans la célébration d'anciens
+faits mémorables ou de hauts faits nouveaux. Pise avait, précisément,
+vers cette époque, remporté des avantages contre les Maures, qui,
+s'élançant des côtes de l'Afrique, infestaient la Méditerranée et
+l'Italie. Pour célébrer ce triomphe et la prise de quelques galères, le
+carnaval devait finir par la fête du Pont. Ramengo n'entendait parler
+que de cette fête dans toute la Toscane. Tous ceux qui le pouvaient se
+préparaient à y assister; les autres s'en mouraient d'envie: «Pourquoi
+n'irais-je pas aussi, moi, se dit Ramengo? C'est parmi un tel concours
+qu'il est le plus probable de rencontrer celui que je cherche.» Il se
+dirigea donc vers Pise; elle était alors dans toute la fleur de sa
+beauté. Son port était aussi fréquenté, toute proportion gardée, que le
+sont aujourd'hui les ports, d'Amsterdam et de Londres. Unissant au génie
+des spéculations l'amour des beaux-arts, inné dans notre patrie, ils
+tiraient des contrées de l'Asie, redevenue barbare, des marbres, des
+colonnes, des sculptures, dont ils embellissaient la patrie. Aujourd'hui
+Pise est bien différente de ce qu'elle a été. Un bourg voisin de la mer,
+alors à peine remarqué, lui a enlevé le reste de commerce que les
+changements des relations européennes ont laissé à la Toscane. Ses
+150,000 habitants sont réduits au moins des six septièmes. Sa cathédrale
+de marbre, l'admirable <i>loggia</i> des marchands, les autres monuments de
+son antique majesté, font un mélancolique contraste avec l'herbe qui
+croit dans les rues solitaires, avec le silence des ateliers muets, avec
+le vide désolé de son <i>lungarno</i>, et la merveilleuse tour semble se
+pencher avec compassion pour pleurer sur toutes ces grandeurs évanouies.</p>
+
+<p>«Poteurinterra! votre seigneurie doit venir de l'autre bout du monde, si
+jamais elle n'a entendu parler de la fête du Pont.» C'est ce que disait
+à Ramengo Phole Aquevino, qui, venu jeune de Pontudera, sans le bec d'un
+quattrino, comme il disait, avait d'abord élevé sur la route de Pise une
+ramée où il donnait à boire aux muletiers, faisant ses frais avec
+quelques niaiseries de profit. Puis, avec des quattrini faisant d'autres
+quattrini, et donnant des noms illustres aux petits vins qu'il débitait,
+et que la soif faisait paraître superflus, il bâtit une petite
+hôtellerie. Si quelqu'un la trouvait exiguë, il répondait, sans avoir
+jamais lu Socrate, qu'il aurait voulu l'avoir toujours pleine de
+voyageurs. Il y avait, devant la maison, un terre-plein pour jouer au
+mail, et que devaient côtoyer ceux qui se rendaient à la ville. De là on
+dominait aussi la vaste plaine qui, d'un côté, descend à la mer, et de
+l'autre est fermée par des collines couvertes par la blanchissante
+verdure des oliviers, et est traversée par l'Arno, qui va partager Pise
+en forme de demi-cercle. Là Aquevino, parvenu à la maturité en ayant
+pris du ventre, mais frais, toujours jovial, grand bavard, grand
+admirateur des beautés de son pays, du beau ciel, du bon air, des bonnes
+gens, presque autant qu'un poète de l'Académie des Arcades, logeait les
+étrangers, en leur faisant expier, au moment de payer l'écot, la faute
+de n'être pas Toscans. Il servait de joyeuses bourdes et du vin aux
+voituriers et aux piétons, et conservait, dans une intégrité religieuse,
+des jambons du Casentin, et des flacons d'aleatico et de monte Suriano,
+qu'un professeur de l'Université avait comparés à l'ambroisie et au
+nectar des dieux. Aquevino, depuis vingt ans, répétait cette
+comparaison, qu'il donnait toujours pour nouvelle à tous les seigneurs
+«qui, disait-il, lui faisaient l'honneur de visiter son désert.»</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/35-03.png"></p>
+
+<p>En voyant arriver Ramengo vers le soir, seul et avec une maigre valise,
+Aquevino lui avait d'abord fait les gros yeux, et s'était tenu avec lui
+sur ses grands chevaux; mais quant il lui eut entendu commander la
+chambre la meilleure, les mets les plus choisis, les vins les plus
+exquis, et qu'il vit briller les luisants florins d'or dont la bourse du
+voyageur était remplie, il changea de ton, et, au milieu de ses
+occupations, vint avec empressement régaler de sa conversation l'hôte à
+la belle bourse.</p>
+
+<p>Il lui apprit ce qu'était cette fête du Pont: elle était instituée en
+mémoire de la belle action de Cinrica de Sismundi qui, une nuit que la
+ville avait été envahie par les Sarrasins, sans bruit et à l'improviste,
+et qu'ils massacraient sans résistance les citoyens épouvantés, eut
+seule l'idée d'aller avertir la seigneurie. Les infidèles occupaient
+déjà le pont de l'Arno; mais les chefs de la ville ayant rassemblé les
+troupes en toute hâte, et rallié les fuyards, repoussèrent les
+Sarrasins, qui retournèrent à leurs vaisseaux avec une grande perte.</p>
+
+<p>La cité et le territoire de Pise se divisaient en deux factions dites de
+Saint-Antoine et de Sainte-Marie. C'étaient ces deux factions qui
+fournissaient les combattants pour la fête du Pont; ils se réunissaient
+sur le pont de l'Arno, où les Sarrasins avaient été repoussés; et là
+chacune des deux troupes s'efforçait de rester maîtresse du terrain. Il
+y avait beaucoup de morts dans ce jeu militaire, et les plus heureux
+étaient encore ceux qui étaient précipités dans l'Arno, parce qu'il y
+avait là des barques toutes prêtes à leur porter secours. Les esprits
+étaient si passionnés pour cette fête, et on la prenait tellement au
+sérieux, que lorsqu'on annonçait aux mères, aux s&oelig;urs, aux amantes, les
+blessures ou même la mort d'un des combattants, elles demandaient quel
+parti avait remporté la victoire; et si la réponse était conforme à
+leurs désirs, ces grotesques Spartiates oubliaient les plus tendres et
+les plus sacrées affections pour éclater en cris de triomphe.</p>
+
+<p>Ce jeu, qui, du temps de la république, avait au moins le mérite
+d'entretenir et d'exercer l'esprit militaire, se prolongea, sans autre
+raison que celle de la coutume, jusque dans le dix-huitième siècle, où
+Léopold d'Autriche, trouvant que c'était trop pour un jeu, trop peu pour
+un combat, abolit la fête.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/35-04.png"><br>
+
+<p>«Avez-vous jamais vu, seigneur étranger, dans toute votre vie et par
+tout le monde, un tel concours de chrétiens?» demandait l'hôte à
+Ramengo, qui, le matin du jour du combat, se tenait sur une petite
+terrasse ombragée par un laurier, observant Pise et la foule qui s'y
+portait; et décrivant un cercle avec la main étendue, il poursuivait:
+«Cela vous paraît-il peu de chose? quelle pompe! quelle beauté! quelle
+ardeur! on reconnaîtrait un toscan au milieu même de la foule de la
+vallée de Josaphat. Ceux qu'on voit en robes majestueuses sont des
+Florentins, gens d'une richesse sans bornes, ils spéculeront encore sur
+la fête; ces autres, tout empanachés et recherchés dans leurs habits,
+sont des Pistolais; ceux-ci, de Sienne, la race la plus loyale et la
+plus sincère des trois parties du monde. Le désir de voir nos fêtes leur
+a fait oublier les vieilles querelles; ils seront tous bien accueillis à
+Pise, et personne ne craindra qu'ils y apportent la peste. Oh! voyez la
+belle cavalcade! Ce sont les seigneurs de la Versuba et de la Lumgiana,
+non moins terribles dans leurs châteaux que sur la mer: les passants le
+savent bien. Observez les belles et robustes figures; ils ont tous en
+croupe des jeunes filles et des femmes qui, sans contredit, n'ont point
+d'égales dans tout l'univers. Vive le beau soleil! vive les belles
+femmes de Toscane!»</p>
+
+
+
+<p>Cependant on voyait sur l'Arno un grand nombre de barques glisser
+légèrement au milieu des gros navires à l'ancre. Une vive joie régnait
+parmi toute cette multitude, les railleries capricieuses, les saillies
+bizarres se croisaient de toutes parts dans un doux et agile langage. Un
+ch&oelig;ur de jeunes gens jouant de la flûte accompagnait les accords des
+autres, qui chantaient la ballade bien connue:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Vaghe le mentanine pastorelle</p>
+<p class="i14"> Donde venite si leggiadre e belle?</p>
+</div></div>
+
+<p>Lorsqu'ils eurent fini, une jeune fille que ses grands yeux et ses joues
+roses faisaient remarquer parmi toutes ses compagnes, répondit d'une
+voix plus puissante que délicate, pendant qu'elle passait sous le balcon
+où se tenait Ramengo:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> E s'is son gella, is son bella permene,</p>
+<p class="i14"> Ne' mi curo d'aver de' vagheggini;</p>
+<p class="i14"> E non mi curo niun mi voglia bene</p>
+<p class="i14"> Ne manco vi' ch'altri mi faccia inchini.</p>
+<br>
+<p class="i14"> Et si je suis belle, je suis belle pour moi seule,</p>
+<p class="i14"> Je ne me soucie point d'avoir des amants,</p>
+<p class="i14"> Je ne m'inquiète point qu'on m'aime.</p>
+<p class="i14"> Il ne manque pas d'autres gens que vous pour me faire
+ des révérences.</p>
+</div></div>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/35-05.png"><br>
+
+<p>«Regardez la belle fille!» s'écria un jeune homme en sortant de la
+taverne voisine et en s'avançant hardiment vers la jeune chanteuse. Au
+son de la voix et à l'accent étranger, Ramengo se retourna et reconnut
+un groupe de Lombards. Il les regarda d'un &oelig;il scrutateur, et, s'étant
+assuré que parmi tous les visages il n'y en avait pas un seul dont il
+fût connu, il descendit près d'eux et se fit reconnaître à son langage,
+pour un de leurs compatriotes. On l'entoura aussitôt et tous lui
+serrèrent la main, quoiqu'il leur fût inconnu, parce que la communauté
+de la patrie est toujours un titre à amitié sur la terre étrangère.</p>
+
+<p>Ramengo salua, répondit à leurs demandes, à leurs embrassements, et
+serra toutes les mains qui se présentèrent. Quoiqu'il eût pu espérer que
+parmi ces bannis, son nom serait reçu comme celui d'un compagnon
+d'infortune, il lui parut cependant plus prudent de le dissimuler, et il
+se donna pour un certain Hanterio de Bescapé, né à l'ombre du dôme de
+Milan, demeurant aux <i>Cinq Voies</i>, et fugitif comme eux.</p>
+
+<p>Puis il leur donna des nouvelles de leurs amis. «Qu'a-t-on fait des
+Aliprandi? lui demanda-t-on.</p>
+
+<p>--Morts de faim.</p>
+
+<p>--Et Bronzin-Canno, ce grandissime modéré, tient-il toujours pour le
+tyran?</p>
+
+<p>--Il se tient en prison pour avoir osé défendre la vérité, si pourtant
+il ne lui est pas arrivé pis.</p>
+
+<p>--Et Matteo Visconti?</p>
+
+<p>--Confiné à Morano di Monferrato.</p>
+
+<p>--Et Barnabé?</p>
+
+<p>--A la cour du Scaliger.</p>
+
+<p>--Et Galéas, toujours beau, toujours galant, toujours adorateur de
+madame Isabelle?</p>
+
+<p>--Bon Dieu! le seigneur Luchino ne dort qu'autant qu'il le veut bien; le
+beau Galéas erre par pauvreté et pour faire perdre la trace à son oncle.
+On le dit pourtant en Flandre.»</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/35-06.png"></p>
+
+<p>Ainsi répondait Ramengo aux diverses demandes, joyeux de se montrer bien
+informé, pour acquérir une plus grande confiance, et de raconter ce
+qu'il savait, afin d'apprendre ce qu'il voulait savoir. Comme le marin,
+lorsqu'il revoit les ondes tranquilles, comme le voleur en présence
+d'une occasion favorable, comme le buveur à la porte du cabaret,
+oublient toutes leurs belles résolutions, ainsi Ramengo oublia tous ses
+projets de vertu lorsqu'il se vit dans la possibilité de nuire. D'abord,
+il ne voulait que mentir, afin de découvrir, s'il le pouvait, la
+retraite d'Alpinolo; puis, à l'ordinaire, comme une faute en amène une
+autre, il se trouva entraîné à faire le mal pour le mal.</p>
+
+<p>«Mais qu'est-ce donc, lui demandaient les exaltés, qu'est-ce que la vie
+à Milan, aujourd'hui?</p>
+
+<p>--Ce qu'elle est, répondait-il, dans tous les pays asservis; Luchino
+s'enhardit de jour en jour, parce qu'il voit venir à lui les cités
+épouvantées, comme le b&oelig;uf qui vient de lui-même à la tuerie. Acouez
+avait déjà dix villes en son pouvoir, n'est-il pas vrai? eh bien!
+celui-ci en a sept autres de plus; mais il ne faudrait pas croire pour
+cela qu'il augmente sa puissance. Ses voisins le jalousent; guelfes et
+gibelins sont traités par lui de la même manière, mais ils lui en
+veulent également de ne point faire de différence. En somme, c'est le
+colosse de Nabuchodonosor, dont les pieds étaient d'argile.</p>
+
+<p>«Mais où est le caillou qui suffit pour le renverser? ajouta Caccino
+Ponzone de Crémone.</p>
+
+<p>--Oh! le caillou, nous l'aurons bien, répondait le traître; et si.. mais
+taisons-nous...» et il se fermait les lèvres.</p>
+
+<p>C'était le meilleur moyen de les mettre en goût; aussi le pressèrent-ils
+davantage: «Quoi? dites-nous, qu'y a-t-il de nouveau? Avons-nous des
+espérances? Nous voyons bien que vous allez au fond des choses. Pourquoi
+nous faire des mystères? la cause des Milanais n'est-elle pas la nôtre à
+tous? et nous sommes là pour l'épauler de toutes nos forces. Nous
+n'attendons que le moment du Seigneur, le <i>dies irae</i>. Mais qui serait
+notre chef?</p>
+
+<p>--Si Franciscolo Pusterla... dit Ramengo en s'interrompant pour observer
+l'effet produit par ce nom.</p>
+
+<p>--Eh quoi! répondirent-ils, êtes-vous encore du parti de Pusterla?</p>
+
+<p>--Comment, si je suis des siens, reprenait Ramengo; j'ai là pour lui des
+lettres du seigneur Martino della Scala... mais silence; la prudence
+n'est jamais de trop, ils ont des espions de tous les côtés.»</p>
+
+<p>Ramengo prononçait ces paroles par saccades et en tournant ses regards
+de tous côtés. Ils croyaient que c'était par défiance; en réalité,
+c'était pour attendre qu'on lui donnât quelques renseignements. Mais
+quand il vit qu'on ne se disposait pas à lui en donner, il continua:
+«Mais qu'est-ce que les hommes? qui l'aurait cru? lui qui pouvait seul,
+qui voulait seul devenir le chef et le sauveur de la patrie, maintenant,
+il dort... il se fait petit... il s'échappe comme un faible mendiant...</p>
+
+<p>--Il s'arrête à faire des <i>mea culpa</i> aux pieds d'un fournier,» répondit
+quelqu'un.</p>
+
+<p>Le père du pape Benoît II, qui siégeait à Avignon, avait été boulanger,
+ou fournier, de son métier, et de là surnommé Fournier. La réponse du
+Milanais suffisait pour indiquer à Ramengo la retraite de Pusterla;
+aussi il continua; «Certainement, il s'est réfugié à Avignon comme un
+clerc qui aspire au chapeau vert ou au chapeau rouge; comme un coupable
+de bas étage, qui cherche la sécurité en lâchant son estoc homicide sous
+les robes et les capuchons. Mais nous le réveillerons de ce lâche
+sommeil, nous le réveillerons.</p>
+
+<p>--Vous trouverez ici de ses amis, ajouta Pouzone, qui vous appuieront.</p>
+
+<p>--Vous avez, je pense, reprit Ramengo, son frère Zurione, Maffino da
+Besorro, celui de Pietra Santa; et on lui répondait:--Oui, mais nous
+avons celui qui montre le plus d'amour et de dévouement, son écuyer
+Alpinolo.</p>
+
+<p>--Alpinolo! répéta Ramengo, se sentant frémir depuis la racine des
+cheveux jusqu'à la plante des pieds. Alpinolo, où est-il? que je le voie
+aussitôt. J'ai un besoin extrême de lui parler pour une chose qui le
+touche de près. Où est-il, où est-il?</p>
+
+<p>--Quelle furie! reprenait un des seigneurs; finissons de boire, et puis
+venez avec nous; là-bas, nous vous les ferons trouver tons; quelle fête
+pour eux de vous revoir!</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/35-07.png"><br>
+
+<p>--Mais je veux d'abord parler à Alpinolo, en tête à tête avec lui; je
+sais comme il faut que les choses soient conduites.» Et pendant qu'il
+était dominé par l'anxiété de retrouver un fils, et par l'espérance que
+celui-ci en le découvrant pour son père, lui accorderait pardon et
+amour, les seigneurs continuaient à boire en faisant l'éloge d'Alpinolo,
+vantant sa conduite dans une affaire où il avait souffleté un de ses
+amis qui lui rappelait qu'il n'avait pas de père. Comme ce nom de père
+le comblait d'orgueil! comme il voyait près de lui la réalisation de ses
+espérances! et ce fut le c&oelig;ur agité par autant de palpitations que,
+dans cette nuit où il épiait l'amant prétendu de Rosalie, qu'il se
+dirigea dans Pise au milieu des seigneurs lombards qui, les bras
+enlacés, entonnaient les chants de leur patrie,--ces chants que l'exilé
+finit toujours par un soupir.</p>
+<br><br>
+
+<h2>Bulletin bibliographique.</h2>
+
+<p><i>Histoire de Dix ans</i>; par M. <span class="sc">Louis Blanc</span>. 1 vol. in-8.--Paris, 1843.
+<i>Pagnerre</i>. (Tome IVe.) 1 fr.</p>
+
+<p>La librairie française prend ses vacances. Cette année comme les années
+précédentes, elle n'a mis au jour, pendant les mois du septembre et
+d'octobre, qu'un très-petit nombre d'ouvrages nouveaux; occupée à
+préparer la campagne d'hiver, elle atteint la rentrée des cours et
+tribunaux pour lancer en avant quelques sentinelles perdues, et se
+promettre de petites escarmouches. Dans un mois seulement la bataille
+sera sérieusement engagée sur toute la ligne... Si nous en croyons
+certaines indiscrétions, quelques-uns des combattants se signaleront par
+de brillants exploits. Ce qui paraît positif, c'est qu'avant la fin de
+la campagne prochaine M. Paulin aura commencé la publication de
+l'<i>Histoire du Consulat et de l'Empire,</i> par M. Thiers.</p>
+
+<p>Parmi les rares ouvrages qui ont osé naître durant la saison des
+promenades en Suisse, de la chasse et des vendanges, nous mentionnerons
+en première ligne l'<i>Histoire de Dix ans</i>. Toutefois, nous devons
+l'avouer, l'audace de M. Louis Blanc et de son intelligent éditeur M.
+Pagnerre ne nous cause aucune surprise, et ne nous arrachera pas le plus
+faible cri d'admiration; s'ils se sont décidés, en effet, à lutter
+contre d'aussi redoutables adversaires c'est qu'ils étaient sûrs
+d'avance d'en triompher. Quand, dans l'espace de quinze mois, les trois
+premiers volumes d'un ouvrage ont déjà eu trois éditions, le quatrième
+peut descendre dans l'arène au jour et à l'heure qui lui convient: toute
+saison lui est favorable; le passé de ses aînés lui répond de son
+avenir. Alors même qu'il ne leur ressemblerait en rien, sa parenté seule
+lui assurerait un accueil empressé et une victoire éclatante.</p>
+
+<p>Le volume que vient de publier M. Louis Blanc n'a pas à craindre,
+d'ailleurs, de comparaison désavantageuse; il a toutes ces qualités
+solides et brillantes qui ont fait la fortune de ses trois frères.
+Impartial comme eux, à son point de vue, bien entendu, rempli comme eux
+de révélations piquantes et d'anecdotes inédites, illustré par un nombre
+égal de portraits littéraires, non moins soigné sous le rapport de la
+mise en scène, écrit avec un style aussi élégant et aussi <i>pittoresque</i>,
+il jouit déjà de la même popularité. «Ce n'est pas de l'histoire, ce
+sont des mémoires,» s'écrieront quelques esprits trop difficiles à
+satisfaire. Mais est-il donc possible de s'élever jusqu'à la hauteur de
+l'histoire, lorsqu'un entreprend de raconter des événements
+contemporains? est-il possible de porter dès aujourd'hui un jugement
+définitif sur des faits accomplis d'hier, dont toutes les conséquences
+ne sont pas encore réalisées, ou ne sauraient être prévues? sur des
+hommes politiques qui ont à peine, pour la plupart, achevé la moitié de
+leur rôle. Quant à nous, nous félicitons hautement M. Louis Blanc
+d'avoir refusé de céder aux avis d'un critique qui lui conseillait
+«d'ouvrir dans ce monument,»--nous citons ses propres
+paroles,--«quelques fenêtres sur le ciel, à travers lesquelles ou
+aperçut trembler dans les incommensurables solitudes de l'infini les
+étoiles contemporaines de l'éternité, lampes silencieuses allumées
+autour du vaste atelier de la création.»</p>
+
+<p>Il faut, en vérité, que M. Louis Blanc ait un bien grand talent
+dramatique, pour que ses lecteurs assistent avec un si vif intérêt à la
+représentation d'événements dont ils connaissent d'avance les péripéties
+et le dénouement, et qui leur rappellent à tous, quelles que soient
+leurs opinions politiques, de bien douloureux souvenirs. Le quatrième
+volume de l'<i>Histoire de Dix ans</i> commence avec l'année 1833, et finit
+en mars 1836; il comprend les plus tristes et les plus sanglants
+épisodes du règne actuel; et pourtant,--tel est le mérite de
+l'écrivain,--qu'on le lit tout entier aussi avidement peut-être qu'un
+roman. La réserve politique imposée à un journal qui s'adresse à toutes
+les classes de la société, ne nous permet pas d'apprécier dans une
+analyse rapide les faits que M. Louis Blanc a entrepris de raconter, et
+jusqu'à un certain point de juger; nous nous contenterons d'indiquer en
+quelques lignes les sujets principaux dont traitent les douze chapitres
+de ce quatrième et avant-dernier volume; ce sont: l'emprisonnement et
+l'accouchement de la duchesse de Berri à Blaye, le procès de <i>la
+Tribune</i> devant la Chambre des Députés, le manifeste de la Société des
+Droits de l'Homme et le procès des 27, la question d'Orient,
+l'expédition de Savoie, les lois contre les crieurs publics et les
+associations, les insurrections de Lyon et de Paris en 1834, la
+quadruple alliance, les révolutions ministérielles de la même année, le
+ministère du 11 octobre succédant au ministère des trois jours,
+l'affaire des 25 millions réclamés par l'Amérique, le procès d'Armand
+Carret devant la chambre des Pairs, le procès d'avril, l'horrible
+attentat de Fieschi, les lois de septembre, et la dissolution du
+ministère du 11 octobre.</p>
+
+<p><i>De l'Influence du Christianisme, sur le Droit civil des Romains</i>; par
+M. <span class="sc">Troplong</span>, 1 vol. in-8°.--Paris, 1843, <i>Hingray</i>. 7 fr. 50 cent.</p>
+
+<p>Le nouveau mémoire de M Troplong, <i>De l'influence du Christianisme sur
+le droit civil des Romains</i>, est un de ces livres qui peuvent impunément
+braver les influences toujours redoutables de la saison des vacances. Il
+ne s'adresse qu'aux hommes sérieux dont l'esprit ne prend jamais de
+repos. Le nom et le mérite de son auteur, la nature même du sujet qu'il
+traite, lui garantissent d'avance qu'à toute époque de l'année il
+occupera vivement l'attention publique. D'ailleurs, lu à diverses
+reprises devant l'Académie des Sciences morales et politiques, il y
+avait déjà obtenu, avant d'être publié en volume, tout le succès qu'il
+mérite et qu'il nous reste seulement à constater.</p>
+
+<p>M. Troplong n'a pas entrepris de montrer l'influence du christianisme
+sur l'ensemble des institution et moins encore sur la civilisation
+romaine. Son sujet est plus restreint. Il s'est renfermé dans
+l'observation des influences par lesquelles le christianisme, est venu
+modifier les rapports civils, le droit privé; il ne fait d'excursions
+ailleurs qu'autant qu'il y a nécessité pour éclairer son sujet et
+montrer le jeu des ressorts auxquels le christianisme est venu mêler son
+action.</p>
+
+<p>M. Troplong divise le droit romain en trois grandes périodes: la période
+aristocratique, la période philosophique, la période chrétienne. Pour se
+faire des idées justes sur la dernière, il faut, dit-il, saisir
+exactement le sens des deux premières.</p>
+
+<p>La civilisation romaine s'est développée sous l'influence de deux
+éléments contraires qui, après une longue alternative de luttes et de
+rapprochements, ont fini par se mêler et se confondre. Ce dualisme se
+fait remarquer dans le droit privé comme dans la religion et dans le
+droit politique. Sa formule la plus large et la plus haute, c'est le
+<i>jus civile</i> et l'<i>aequitas</i>, le droit strict et l'équité, sans cesse
+opposés l'un à l'autre comme deux principes distincts et inégaux.
+D'abord le <i>jus civile</i> triomphe du patriciat religieux, militaire et
+politique, qui gouverne Rome naissante, génie formaliste, jaloux,
+dominateur, nourri à l'école sombre et forte de la théocratie étrusque,
+et qui aggrave dans le droit civil ses souvenirs de conquêtes et ses
+instincts d'immobilité. Qu'on n'y cherche point l'action efficace de
+l'équité naturelle, et cette voix de l'humanité qui parle si haut dans
+les peuples civilisés. La notion simple du juste et de l'injuste y est
+défigurée par la farouche enveloppe d'institutions qui sacrifient la
+nature à la nécessité politique, la vérité innée aux artifices légaux,
+la liberté aux formules sacramentelles. Dans l'ordre civil comme dans
+l'État, Rome ne vise qu'à former des citoyens; et plus elle accorde de
+privilèges et de grandeur à ce titre éminent, plus elle exige de celui
+qui le porte des sacrifices à la patrie, voulant qu'il abdique pour
+l'intérêt public ses affections, ses volontés et jusqu'à sa raison
+intime. A l'appui de cette vérité, M. Troplong cite de nombreux et
+frappants exemples pris dans la famille, dans la propriété, dans les
+obligations.</p>
+
+<p>Cependant la société romaine ne pouvait pas rester éternellement
+opprimée parce droit si esclave de la lettre et si rebelle à l'esprit.
+Partout l'équité se posa à côté du droit civil, la philosophie brise le
+cercle inflexible tracé par ce patriciat. Du siècle de Cicéron date la
+période philosophique du droit romain. Le stoïcisme imprime ensuite une
+impulsion nouvelle à cette révolution qu'avaient en partie commencée la
+doctrine d'Épicure et la philosophie de Platon. Il donne aux
+jurisconsultes postérieurs à Cicéron des règles sévères et précises de
+conduite entre les hommes. S'élevant à des formes plus pures et plus
+belles, moins intolérant, moins âpre, dégagé des superstitions que la
+raison lui reprochait lors de ses premières conquêtes à Rome, il devient
+de plus en plus une philosophie spiritualiste qui proclame le
+gouvernement de la Providence divine la parente de tous les hommes, la
+puissance de l'équité naturelle. Mais le droit civil se défend si
+énergiquement dans son inflexible formulaire, dans son originalité
+jalouse, que la philosophie n'osa pas procéder avec lui par voie de
+révolution, elle y aurait échoué. L'équité demanda donc sa part
+d'influence, non comme une souveraine qui veut déposséder un usurpateur,
+mais comme une compagne qui radie sous des dehors timides ses vues de
+domination. «Toutefois, il ne faut pas s'y tromper, dit M. Troplong,
+sous ces dehors de conciliation et de bon ménage se cachait une
+antithèse redoutable pour le droit civil; ce qu'on voulait au fond,
+c'était de réduire à l'impuissance tout en lui prodiguant les
+témoignages de respect. Aussi le droit, depuis l'époque de Cicéron,
+est-il en lutte incessante; les deux éléments sont aux prises. Mais le
+droit civil se trouve tout d'abord réduit au plus mauvais rôle, à celui
+de la défensive; c'est chez lui, dans ses propres foyers, que la guerre
+est sourdement portée, et l'équité aspire à y réaliser l'apologue de la
+lice et ses petits.» Ces prémisses posées, M. Troplong montre par quels
+efforts ingénieux l'équité continue à agrandir son domaine tout en
+groupant ses innovations autour de l'ancien droit civil, si restreint
+dans ses conceptions, si matériel dans ses applications. «Le droit,
+ajoute-t-il, tend à simplifier dans le fond, et il se complique; dans
+ses rouages; deux éléments hétérogènes sont juxtaposés; quelquefois ils
+se rapprochent et se confondent; le plus souvent ils se séparent et se
+jalousent. L'harmonie manque dans ce majestueux travail; on aperçoit à
+chaque, pas qu'il est le prix de concessions pénibles, de combats
+opiniâtres. Le chef-d'&oelig;uvre eut été de pouvoir amener entre ces deux
+éléments une fusion complète; mais le plus ancien avait été trop
+fortement trempé pour se laisser effacer si vite, et le droit de
+l'époque impériale, qu'on a coutume s'appeler l'époque classique, porte
+la marque profonde de son passage; aussi laisse-t-il de grands,
+d'immenses progrès à désirer. On sent qu'il est loin d'être le dernier
+mot d'une science complète: il est plutôt l'expression d'une situation
+transitoire, d'un état transactionnel.»</p>
+
+<p>Pendant la période philosophique, le christianisme avait déjà exercé une
+influence immense, quoique latente et indirecte, sur les m&oelig;urs, les
+idées, et par une conséquence nécessaire, sur les lois de la société
+romaine. Dès le règne de Néron, la vérité évangélique avait pris racine
+dans la capitale du monde; elle y était à côté de Sénèque, levant son
+front serein sur les calomnies par lesquelles on préludait aux
+persécutions, à ces supplices d'une persécution raffinée qui étaient
+aussi un moyen de faire connaître le christianisme et d'appeler sur lui
+l'intérêt et la sympathie. Depuis lors, elle avait germé, elle s'était
+développée, elle avait porté ses fruits, elle avait modifié, épuré, à
+son insu et peut-être malgré elle, l'esprit et le langage de la
+philosophie du Portique. «Epitecte n'était pas chrétien, a dit M.
+Villemain, mais l'empreinte du christianisme était déjà sur le monde.»
+Marc Aurèle, qui persécutait les chrétiens, était plus chrétien qu'il ne
+croyait dans ses belles méditations. Le jurisconsulte Alpien, qui les
+faisait crucifier, parlait leur langue en croyant parler celle du
+stoïcisme dans plusieurs de ses maximes philosophiques. Pour ne citer
+qu'un seul exemple, les idées avaient fait un si grand chemin sur la
+question de l'esclavage depuis Platon et Aristote, qu'Alpien lui-même
+écrivait: «En ce qui concerne le droit naturel, tous les hommes sont
+égaux.» (L. 32. D. <i>de veg. juris.</i>) Et ailleurs: «Par le droit naturel,
+tous les hommes naissent libres. (L. A. D. <i>de just. et jure.</i>)
+N'était-ce pas au christianisme que l'humanité devait cet immense
+progrès?</p>
+
+<p>La période chrétienne date de Constantin. Avant ce prince, le mouvement
+marchait avec lenteur par la philosophie stoïcienne, indirectement
+influencée depuis Tibère par la religion chrétienne. L'avènement de
+Constantin plaça son point d'appui principal, ostensible, direct, dans
+le christianisme. Ce furent les évêques, les pères de l'Église et les
+conciles qui donnèrent l'impulsion réformatrice et accélérèrent sa
+marche. La jurisprudence dut moins ses perfectionnements à elle-même
+qu'à la théologie.</p>
+
+<p>Toutefois, l'erreur serait grande de s'imaginer que la révolution
+religieuse qui porta sur le trône le premier empereur chrétien eut pour
+conséquence immédiate d'opérer une refonte radicale et absolue des
+institutions. Constantin réforma beaucoup, mais il ne nivela pas; il ne
+l'aurait pas pu. Si l'empereur était chrétien, l'empire était encore à
+demi païen. Avant de convertir les institutions, il fallait s'attacher
+surtout à convertir les c&oelig;urs. Il y avait en outre des intérêts
+positifs à ménager. Enfin l'Église, ayant été déchirée de bonne heure
+par les hérésies, s'occupa plus activement de formuler les dogmes
+fondamentaux sur lesquels reposait l'unité de la foi, que de reformer
+les m&oelig;urs à l'aide des lois civiles.--Cette dualité qui avait développé
+la philosophie, le christianisme, ne la transforma donc pas en unité. Ce
+fut toujours la lutte du droit strict et de l'équité, et le difficile
+arrangement de leurs prétentions contraires.--Il est vrai que l'équité,
+secondée immédiatement par le christianisme, gagna sur-le-champ un
+terrain considérable. Bien des choses que la philosophie païenne avait
+considérées comme étant de droit naturel, la philosophie chrétienne,
+partant d'un point plus large les considéra comme de droit strict. Les
+éléments du combat se trouvèrent ainsi souvent déplacées. En cela
+consista le progrès. Mais le combat resta l'âme de son développement, et
+tout le poids du christianisme porté d'un seul côté ne put le faire
+cesser.</p>
+
+<p>Les réformes, opérée et commencées par Constantin, furent maintenue et
+continuées par ses successeurs. Un moment la réaction polythéiste de
+Julien l'Apostat arrêta ces progrès du droit. Cette tentative rétrograde
+ayant avorté, et les idées nouvelles ayant repris leur libre cours, le
+polythéisme, d'abord toléré, devint l'objet d'une proscription générale
+sous Théodose le Grand. Cependant tous les empereurs chrétiens
+acceptèrent le poids du passé et s'efforcèrent seulement de l'alléger.
+Le code Théodosien fut une &oelig;uvre précipitée, mal faite et pleine de
+lacunes. L'effroi d'une société tremblante à l'approche des Huns
+pouvait-il produire autre chose que le chaos? Du reste, il est
+intéressant d'étudier, dans cette défectueuse compilation, le dualisme
+de l'élément romain jetant ses dernières lueurs, et de l'équité associée
+désormais à la fortune du christianisme. La sagesse italique se débat
+encore pour conserver ce qui lui reste de ses antiques privilèges.
+L'équité, ne connaissant pas toutes ses forces, consent à transiger;
+elle fait des concessions; mais ses traités de paix ressemblent à ceux
+qu'Attila arrache au faible Théodose; tous enlèvent au vieux droit
+quelques-uns de ses lambeaux, et préparent la crise qui, renversant
+l'idole de son piédestal, ne laissera sur la terre que des débris.</p>
+
+<p>Dans l'opinion de M. Troplong, Justinien fut un grand législateur. La
+mobilité de ses idées, les jactances orientales de ses conseillers, leur
+ignorance des antiquités historiques du droit, leur style ampoulé et
+diffus, ont été l'objet de vives censures. On a critiqué aussi la forme
+de leurs compilations, l'emploi malhabile des matériaux, l'impitoyable
+dissection des chefs d'&oelig;uvre du troisième siècle, consommée par
+Tribonien avec l'orgueil d'un novateur et l'infidélité d'un faussaire.
+Tous ces reproches, M. Troplong les accorde, mais il l'avoue, le droit
+dont Justinien a été l'interprète lui paraît bien supérieur à celui
+qu'on admire dans les écrits des jurisconsultes classiques du siècle
+d'Alexandre Sévère. Qu'importe la forme, si le fond est excellent Or, il
+surpasse le droit de l'époque classique autant que le génie du
+christianisme surpasse le génie du stoïcisme. Presque toujours Justinien
+a rapproché le droit du type simple et pur que lui offrait le
+christianisme: il a fait pour la philosophie chrétienne ce que les
+Labeon et les Caius avaient fait pour la philosophie du Portique. Sans
+doute, il l'a fait avec moins d'art; mais il y a mis autant et plus de
+persévérance et de fermeté. C'est là son mérite immortel.</p>
+
+<p>«Justinien fut un novateur résolu, continua M. Troplong; en lui le génie
+grec éclipsait le génie romain, et le théologien dominait le
+jurisconsulte; de là ses défauts et ses qualités. Il était subtil,
+verbeux, disputeur; mais un bon sens naturel, puisé aux sources de la
+philosophie chrétienne, prévenait les écarts du sophiste: la vieille
+originalité romaine et son matériel lourd et composé provoquèrent de sa
+part d'amères railleries. L'homme de Constantinople, le représentant du
+sixième siècle, ne comprenait rien à des systèmes usés et dépourvus de
+convenance avec les habitudes contemporaines. Constantin ne les avait
+respectés que parce que le christianisme n'en avait pas encore vu
+l'esprit; mais les mêmes motifs de ménagements n'existaient plus. Deux
+siècles écoulés depuis la fondation de Constantinople avaient décomposé
+l'élément de la cité romaine. Le monde n'appartenait plus à Rome; il
+était acquis à la foi catholique. Le temps était donc venu d'en finir
+avec le fétichisme du droit strict, si contraire à l'esprit chrétien, et
+qui n'avait que trop retardé le développement du droit naturel.
+Justinien l'attaqua corps à corps, le pourchassa dans tous les replis de
+la jurisprudence au profit de l'équité. Sa noble ambition de législateur
+fut de l'amener de sa chaise curule, comme sa petite vanité d'homme
+avait fait descendre Théodose de sa colonne d'argent: c'est ce qui
+explique son travail de démolition des livres des Papinien, des Ulpien,
+et autres grands interprètes du troisième siècle. Il prit en eux tout ce
+qui lui parut de droit cosmopolite, et rejeta tout ce qui portait un
+caractère trop romain. Il les accommoda bon gré mal gré, et même par des
+altérations de texte, à des idées plus avancées que les leurs, à un
+droit plus simple, plus équitable, plus philosophique que celui qu'ils
+avaient expliqué. Peut-être méconnut-il en cela le respect dû à de
+grands génies; mais son but fut bon et louable. Il voulut affranchir la
+jurisprudence du sixième siècle d'une tutelle rétrograde. Chrétien et
+homme de son époque, il osa trancher dans le vif les racines d'un passé
+aristocratique et païen. Alors s'assoupit sur presque tous les points le
+long antagonisme qui avait partagé la jurisprudence... Quoi qu'on en
+puisse dire, Justinien a épuré, rationalisé le droit; il l'a élevé à un
+niveau que le Code civil a pu seul dépasser après treize siècles de
+préparations et d'épreuves Or, tandis que, sous tant de rapports, la
+société convergeait vers la barbarie, il a fait marcher en avant l'une
+des branches les plus importantes du gouvernement des hommes. C'est que
+le christianisme était l'âme de ses travaux, et qu'avec cette grande
+lumière il n'y a pas d'éclipse centrale à redouter pour la
+civilisation...»</p>
+
+<p>Le Mémoire <i>De l'influence du christianisme sur le droit civil des
+Romains</i>, a pour but la démonstration des idées fondamentales que nous
+venons d'analyser. Il se divise en deux parties. Dans la première, M.
+Troplong expose les vérités qu'il a découvertes, et il les appuie sur un
+certain nombre d'exemples.--Il suit, comme on l'a vu, le christianisme
+dans ses influences générales tantôt obliques, tantôt directes. La
+seconde comprend l'histoire des faits particuliers qui ont été plus
+spécialement soumis à son action. Les onze chapitres sont consacrés à
+l'esclavage, au mariage, aux secondes noces, aux empêchements pour
+parenté, au divorce, à la célébration, au concubinage, à la puissance
+paternelle, à la condition des femmes et à la succession <i>ab
+intestat</i>.--Enfin, la conclusion de son travail est celle-ci: le droit
+romain a été meilleur sous l'époque chrétienne que dans les âges
+antérieurs les plus brillants; tout ce qu'on a dit de contraire n'est
+qu'un paradoxe ou un malentendu. Mais il a été inférieur aux
+législations modernes nées à l'ombre du christianisme et mieux pénétrées
+de son esprit.</p>
+
+<p>M. Troplong s'arrêtera-t-il à Justinien? Ne complétera-t-il pas ce beau
+travail? Ne montrera-t-il pas, dans un second mémoire, quelle influence
+la Révolution française a eue sur le droit civil de la France, et quelle
+influence la Révolution française et le christianisme doivent exercer un
+jour, lorsqu'ils auront reçu tous leurs développements, sur la
+législation beaucoup trop romaine et féodale qui nous régit aujourd'hui?
+Ne nous fera-t-il pas assister aux dernières victoires de l'équité sur
+le droit strict, ou, en d'autres termes, de l'égalité future sur le
+privilège actuel?</p>
+<br><br>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/009a.png"></p>
+
+<h2>Modes.</h2>
+
+<p>Dans un trousseau que nous avons eu occasion de voir ces jours derniers,
+il y avait un kakzavadeka pour la chambre, charmant vêtement en velours,
+garni de ganses d'or, qui ressemble assez, à la veste turque; puis un
+plus grand en satin, destiné à la promenade, que l'on nomma kazaveka; ce
+dernier avait un collet de velours formant la pointe par derrière, et
+des bandes pareilles garnissant les devants. Mais ce qui nous paraît
+prendre chaque jour plus d'importance dans les modes, c'est la dentelle:
+il n'est pas aujourd'hui un coffret de mariage qui ne contienne de
+superbes points d'Alençon, des dentelles anciennes, des barbes, des
+écharpes, des voiles d'une grande finesse de travail. La robe de mariage
+est toujours garnie de deux volants d'Angleterre, et quelquefois
+couverte en dentelle de manière à figurer une tunique; ainsi était celle
+du splendide trousseau dont nous parlions tout à l'heure et dont nous
+avons admiré la recherche.</p>
+
+<p>Une toilette qui a paru l'autre jour un instant au Théâtre-Italien, et
+sans doute s'est montrée ensuite dans quelque brillante réunion, a été
+dessinée, pour <i>l'Illustration</i>. La voici.</p>
+
+<p>La robe est lacée sur les côtés, au corsage et sur le milieu de la
+petite manche. Quant à la coiffure, nous pouvons affirmer son origine,
+car nous l'avions vue la veille chez Lucy Hocquet, avec d'autres
+coiffures d'une grâce tout à fait remarquable.</p>
+
+<p>Nous citerons d'abord la coiffure Élizabeth, velours et petite tête de
+plume; puis la coiffure Anne Boleyn, en velours épinglé bleu, orné de
+franges d'or et d'argent avec tête de plume posée très-coquettement;
+ensuite, un petit bonnet <i>douairière</i> en blonde tuyautée et chaperon du
+coque en ruban, dont les grands bouts retombent derrière la tête; et
+enfin le chapeau <i>comtesse</i> en lacet d'or orné de plumes et d'une
+torsade en velours grenat, coiffure de jeune châtelaine.</p>
+
+<p>Le costume d'homme élégant sort toujours de chez Humann; pour habit
+habillé, les basques sont larges et le collet tombe assez sur l'épaule.</p>
+
+<p>L'habit demi-habillé est peu échancré sur les devants, les basques sont
+larges, l'échancrure est carrée.</p>
+
+<p>Les cravates de satin noir reprennent la faveur qu'elles doivent à
+l'hiver; on les porte longues, et de petits bouquets ou de petites
+guirlandes viennent égayer un peu la sombre couleur.</p>
+
+<p>Les gilets se font toujours à chaste et très-longs; les étoffes sont
+riches; c'est le satin broché, le velours brodé et souvent broché d'or
+et de soie.</p>
+
+<p>Pour le matin, le tweed est plus en faveur que jamais; ou y met des
+collets et des parements en velours, afin du le rendre nouveau.</p>
+<br><br>
+
+<h2>Amusements des Sciences.</h2>
+
+<h4>SOLUTIONS DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS L'AVANT-DERNIER
+NUMÉRO.</h4>
+
+<p>I. Ce problème n'a de difficulté que celle de reconnaître la volonté du
+testateur. Or, on a coutume de l'interpréter ainsi: puisque ce testateur
+a ordonné que, dans le cas où sa femme accoucherait d'un garçon, cet
+enfant aura les deux tiers de son bien et la mère un tiers, il s'ensuit
+que son dessein a été de faire à son fils un avantage double de celui de
+la mère; et puisque, dans le cas où celle-ci accouchera d'une fille, il
+a voulu que la mère eût les deux tiers de son bien et la tille l'autre
+tiers, on en doit conclure que son dessein a été que la part de la mère
+fût double de celle de la fille. Pour allier ces deux conditions, il
+faut partager la succession de manière que le fils ait deux fois autant
+que la mère et la mère deux fois autant que la fille. Ainsi, en
+supposant que le bien à partager soit de 30,000 fr. la part du fils
+serait de 17 142 fr. 6/7, celle de la mère de 8 571 fr. 3/7 et celle de
+la fille de 4 285 fr. 5/7.</p>
+
+<p>On propose ordinairement, à la suite de ce problème, une autre
+difficulté; on suppose que cette mère accouche de deux garçons et d'une
+fille, et l'on demande quel sera, dans ce cas, le partage de la
+succession?</p>
+
+<p>Il n'y a d'autre réponse à faire que celle que feraient les
+jurisconsultes; savoir, que le testament serait nul dans ce cas; car, y
+ayant un enfant d'omis dans le testament, toutes les lois connues en
+prononceraient la nullité, attendu 1° que la loi est précise; 2º qu'il
+est impossible de démêler quelles auraient été les dispositions du
+testateur s'il avait eu deux garçons, ou s'il avait prévu que sa femme
+en eut mis deux au monde.</p>
+
+<p>II. Ou trouvera que le vin de Bourgogne leur a coûté 50 c. la bouteille,
+et celui de Champagne 75 c. Il est aisé de le prouver.</p>
+
+<p>III. On voit aisément que, pour résoudre ce problème, il est question de
+trouver un nombre qui, divisé par 7, ne laisse aucun reste, et, étant
+divisé par 2, par 3, par 5, laisse toujours 1.</p>
+
+<p>Plusieurs méthodes plus ou moins savantes peuvent y conduire, mais voici
+la plus simple.</p>
+
+<p>Puisque, le nombre des pièces étant compté sept à sept, il ne reste
+rien, ce nombre est évidemment un multiple de 7; et puisqu'en les
+comptant deux à deux, il reste l, ce nombre est un multiple impair; il
+est donc compris dans la suite des nombres 7, 21, 35, 48, 65, 77, 91,
+105, etc.</p>
+
+<p>De plus ce nombre doit, étant divisé par 3, laisser l'unité pour reste.
+Or, dans la suite des nombres ci-dessus, on trouve que 7, 48, 91, qui
+croissent arithmétiquement, et dont la différence est 42, ont la
+propriété demandée. On trouve de plus que le nombre 91 étant divisé par
+5 il reste 1; d'où on conclut que le premier nombre qui satisfait à la
+question est 91, car il est multiple de 7; et, étant divisé par 2, par
+3. et par 5, il reste toujours 1.</p>
+
+<p>Le nombre 91 est le premier qui satisfait à la question, car il y en a
+plusieurs autres qu'on trouvera par le moyen suivant: combinez, la
+progression ci-dessus, 7, 49, 91, 133, 175, 217, 259, 301, jusqu'à ce
+que vous trouviez un autre terme divisible par 5, en laissant l'unité,
+ce terme sera 301, qui satisfera encore à la question. Or, la différence
+avec 91 est 210; d'où on conclut que, formant cette progression,</p>
+
+<p class="mid">91, 301, 511, 721, 951, 1 161, etc.,</p>
+
+<p>tous ces nombres remplissent également les conditions du problème.</p>
+
+<p>Il serait donc incertain quelle somme était dans la bourse perdue, à
+moins que son maître ne sût à peu près quelle somme elle contenait.
+Ainsi, s'il disait savoir qu'il y avait environ 500 pièces, on lui
+répondrait que le nombre des pièces était de 511.</p>
+
+<p>Supposons maintenant que l'homme à qui appartient la bourse eût dit que,
+comptant son argent deux à deux pièces, il en restait une; qu'en les
+comptant trois à trois, il en restait deux; que, comptées quatre à
+quatre, il en restait trois; que, comptées cinq à cinq, il en restait
+quatre; que, comptées six à six, il en restait cinq, et enfin, qu'en les
+comptant sept à sept, il n'en restait aucune. On demande ce nombre.</p>
+
+<p>Il est évident que ce nombre est, comme ci-dessus, un multiple impair de
+7 et conséquemment un de ceux de la suite</p>
+
+<p class="mid">7, 21, 35, 49, 65, 77, 91, 105, etc.</p>
+
+<p>Or, dans cette suite, les nombres 35, et 77 satisfont à la condition
+d'avoir 2 pour reste quand on les divise par 3; leur différence est 42.
+C'est pourquoi on forme une nouvelle progression arithmétique dont la
+différence est 42, savoir:</p>
+
+<p class="mid">35, 77, 119, 161, 203, 245, 287, etc.</p>
+
+<p>On y cherche deux nombres qui, divisés par 4, laissent 3 pour reste, et
+on trouve que ce sont les nombres 35, 119, 203, 287.</p>
+
+<p>C'est pourquoi ou forme cette nouvelle progression, où la différence des
+termes est 84:</p>
+
+<p class="mid">35, 119, 203, 287, 371, 455, 539, 623, etc.</p>
+
+<p>On cherche encore ici deux termes qui, divisés par 5, laissent un reste
+égal à 4, et on aperçoit bientôt que ces deux nombres sont 119 et 539,
+dont le différence est 420. Ainsi la suite des termes répondant à toutes
+les conditions du problème, hors une, est</p>
+
+<p class="mid">119, 539, 959, 1 379, 1 799, 2 219, 2 639, etc.</p>
+
+<p>Or, la dernière condition du problème est que, le nombre trouvé étant
+divisé par 6, il reste 5. cette propriété confient à 119, 959, 1 799,
+etc., en ajoutant toujours 840. Conséquemment le nombre cherché est un
+des termes de cette progression. C'est pourquoi, aussitôt qu'on saura
+dans quelles limites à peu près il est contenu, on sera en état de le
+déterminer.</p>
+
+<p>Si donc le maître de la bourse perdue dit qu'il y avait environ 100
+pièces, le nombre cherche sera 119; s'il disait qu'il y en avait à peu
+près 1 000, ce serait 959, etc.</p>
+
+<p>Ce problème serait résolu imparfaitement par la méthode que donne M.
+Ozanam; car, ayant trouve le plus petit nombre 119, qui satisfait aux
+conditions du problème, il se borne à dire que, pour avoir les autres
+nombres qui y satisfont, il faut multiplier de suite les nombres 2, 3,
+4, 5, 6, 7 et ajouter leur produit 5, 040 au premier nombre trouvé, 119
+et qu'on aura par là le nombre 5,159, qui remplit aussi les conditions
+proposées. Or, il est aisé de voir qu'il y a plusieurs autres nombres
+entre 119 et 5159, qui remplissent ces conditions, savoir: 959, 1 799, 2
+639, 3 479, 4 519.</p>
+
+<h4>NOUVELLES QUESTIONS A RÉSOUDRE.</h4>
+
+<p>I. Diophante passa la sixième partie de sa vie dans la jeunesse et la
+douzième dans l'adolescence; après un septième de sa vie et cinq ans, il
+eut un fils qui mourut après avoir atteint la moitié de l'âge de son
+père, et ce dernier mourut quatre ans après. Combien Diophante a-t-il
+vécu de temps?</p>
+
+<p>II. La somme de 500 francs ayant été partagée entre quatre personnes, il
+se trouve que les deux premières ensemble ont eu 285, fr., la seconde et
+la troisième, 220 fr.; enfin la troisième et la quatrième, 215; de plus,
+le rapport de la part de la première à celle de la derrière est de 1 à
+5. Ou demande combien chacune a eu?</p>
+
+<p>III. Faire qu'une boule rétrograde sans aucun obstacle apparent.</p>
+
+<p>IV. Trouver les parties d'un poids que deux personnes soutiennent à
+l'aide d'un levier ou d'une barre qu'elles portent par les extrémités.</p>
+<br><br>
+
+<h2>Logogriphe musical</h2>
+
+<p><span class="sc">Explication du Logogriphe musical.</span>--M. B... nous écrit que le logogriphe
+musical de notre dernière livraison est «<i>la récompense</i> <span class="sc">la re</span> <i>qu'on
+pense</i>.» M. B... ayant deviné, nous lui donnons la récompense honnête
+(<span class="sc">la re</span> qu'on pense au net)</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009b.png"></p>
+<br><br>
+
+<h2>Rébus</h2>
+
+<h4>EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.</h4>
+<p class="mid">Le nègre aura beau faire, il aura la peau
+noire.</p>
+<br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009c.png"></p>
+
+
+
+
+<br><br>
+</div>
+
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+
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+
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+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0035, 28 Octobre
+1843, by Various
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0035, 28 ***
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+Produced by Rénald Lévesque
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+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
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+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
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+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
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+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
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+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+
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+</body>
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
+metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be
+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
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