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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-14 20:12:46 -0700
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre 1843, by Various
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre 1843
+
+Author: Various
+
+Release Date: April 12, 2012 [EBook #39436]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 4 NOV 1843 ***
+
+
+
+
+Produced by Rénald Lévesque
+
+
+
+
+
+
+L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre 1843
+
+L'ILLUSTRATION,
+Nº 36. Vol. II.--SAMEDI 4 NOVEMBRE 1843.
+Bureaux, rue de Seine, 33.
+
+
+Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois. 16 fr.--Un an, 30 fr.
+prix de chaque Nº. 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.
+
+Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.
+Pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40
+
+
+
+SOMMAIRE. Une visite au poète Jasmin. _Portrait et Maison de Jasmin;
+Coupe et Laurier d'or donnés à Jasmin_.--Histoire de la Semaine.--Le
+Page, romance. Paroles de M. E. de Lonlay; musique de M. Donizetti
+_Gravure_.--Théâtre-Italien. Belisario, _Portrait de
+Fornasari_.--Courrier de Paris. _Madame Paradol; le Protée
+anguillard._--Les Vendanges. _Sept Gravures_.--Romanciers contemporains.
+Charles Dickens. Martin fait de nouvelles connaissances et Mark un
+nouvel ami. _Gravure_.--Margherita Pusterla. Roman de M. César Cantù.
+Chapitre XV, le Père et le Fils; chapitre XVI, l'Exilé, _douze
+Gravures_.--Annonces.--Modes. _Gravure_.--Amusements des Sciences.
+_Gravure_.--Rébus.
+
+
+
+Une visite au poète Jasmin.
+
+Agen, cette ville ancienne, située au coeur de la Gascogne, sur les
+rives admirables d'un fleuve qui a besoin d'être plus vanté; Agen, avec
+sa cathédrale byzantine, sa maison de Montluc, sa promenade superbe du
+_Gravier_, ses ponts si beaux sur la Garonne, où vient s'ajouter un
+dernier miracle de l'art, le pont-aqueduc; Agen cependant, aux yeux du
+voyageur, à la pensée même de l'Agenois et de l'habitant du Midi, n'a
+qu'une seule merveille, une au moins qui absorbe toutes les autres:
+c'est un coiffeur-poète, un homme de génie tout bonnement, qui rase et
+coiffe; mais cet homme est l'homme du Midi.
+
+[Illustration: Jasmin.]
+
+Il y a bien aussi, dans cette France méridionale, un autre homme qui,
+par sa poésie et sa condition, a quelque similitude avec Jasmin; c'est
+Reboul, le boulanger de Nîmes. Mais cette circonstance n'est
+qu'apparente; Reboul n'est homme du Midi et boulanger que par hasard; ce
+n'est pas là sa condition réelle, C'est un littérateur d'esprit et,
+élégant, comme tant d'autres; c'est un des mieux placés dans cette
+légion d'astres qui gravitent, en le reflétant, autour de ce soleil qui
+se nomme Lamartine. Mais n'allez pas lui demander des vers en patois; sa
+langue est celle de Paris; il en connaît tous les secrets, toutes les
+formes mélancoliques et harmonieuses; il vous variera avec charme cet
+éternel thème de douleur, de religion et d'amour qui, depuis 1820, a
+fait germer deux mille volumes de vers. Ce qui le distingue cependant et
+le met hors ligne, c'est qu'il est boulanger; mais ceci est le
+secondaire et l'accident de sa vie.--Une dame du grand monde, entendant
+parler des succès diplomatiques et des tableaux de Rubens, disait
+nonchalamment: «Ce Rubens était donc un ambassadeur qui s'amusait à
+peindre?--Eh! non pas, madame, répondit Van-Dyck: c'était un peintre qui
+s'amusait à être ambassadeur.» Reboul est un homme de beaucoup d'esprit
+qui s'amuse à être boulanger.
+
+Tel n'est pas Jasmin. Là, au contraire, est une nature supérieure,
+vierge, originale, un génie qui n'a d'autre source que dans lui-même, et
+qui s'est fait un lit et des rives pour y verser et y promener une
+poésie étrange et inconnue. C'est un homme qui, parlant une langue soeur
+de celle du Dante, mais aujourd'hui dédaignée et presque proscrite, s'en
+est hardiment emparé, l'a épurée, agrandie et fixée. Cette langue allait
+mourir, disaient-ils, et lui la ressuscite et la baptise au nom de la
+poésie et du génie; et ses poèmes, qui ne peuvent périr, entraînent avec
+eux l'idiome dans leur immortalité.
+
+Quel est donc cet homme extraordinaire devenu ainsi la gloire et presque
+l'idole du midi de la France? Il nous serait facile de répondre à cette
+demande en analysant et pillant au besoin les excellents et charmants
+articles publiés déjà sur lui par MM. Nodier, Sainte-Beuve, Lavergne et
+tant d'autres; mais peut-être voudra-t-on bien préférer à ce
+transvasement des pensées et des phrases d'autrui des impressions
+personnelles et toutes récentes. Je vais donc raconter avec une vérité
+simple la visite que j'ai faite il y a peu de jours à Jasmin.
+
+Sur le bateau à vapeur qui mène de Bordeaux à Agen, tous les hommes du
+Midi m'avaient d'avance répondu à la question que j'allais leur faire;
+«Jasmin! vous trouverez sa boutique sur la promenade, près du pont
+suspendu. Au-dessus est écrit: _Jasmin, coiffeur des jeunes gens_. Au
+reste, tout le monde vous l'indiquera.» M. de Talleyrand, à qui l'on
+demandait l'adresse de la princesse de Vaudemont, répondait:
+«Demandez-la au premier pauvre que vous rencontrerez dans la rue.» En
+Gascogne, tout le monde connaît la demeure du poète, comme à Paris tous
+les pauvres savaient où vivait la bienfaisance.
+
+Arrivé à Agen, et devant cette boutique célèbre, j'en examinai
+curieusement l'aspect extérieur. Les boutiques des coiffeurs de la rue
+Saint-Marcel ou du Gros-Caillou sont assurément plus splendides que
+celle du poète. Les bustes traditionnels en cire ou en carton ne se
+voient même pas sur la devanture vitrée et étroite, qui se couronne par
+une planche avec ces mots: _Jasmin, coiffeur des jeunes gens_; au-dessus
+est un seul étage, avec une seule croisée, puis le toit. D'ailleurs dans
+la montre rien ne révèle l'auteur; pas un livre, pas une affiche; des
+objets de toilette parlent pour le seul coiffeur.
+
+J'entrai dans la boutique. Elle est étroite et petite; trois chaises et
+un fauteuil en paille la meublent; tout autour, des armoires vitrées
+regorgent de perruques, de flacons, de peignes et de parfumerie; une de
+ces armoires, la plus obscure, contient quelques livres: à coté d'elle,
+dans le même coin, un petit guéridon est chargé de journaux, de lettres,
+de livres: c'est le coin du poète.
+
+La femme de Jasmin était alors seule. «Mon mari va descendre,» dit-elle.
+Quelques instants après entrait dans la boutique un homme de
+quarante-cinq ans, de taille moyenne, mais vigoureux et trapu, la tête
+forte, le teint animé, la lèvre épaisse, les cheveux crépus, les yeux
+pleins de feu, une physionomie que plus tard je vis bien être aussi
+mobile qu'énergique. Il était vêtu d'un paletot dont les soieries et la
+ganse étaient fort fanées. C'était Jasmin.
+
+[Illustration: Maison de Jasmin.]
+
+Il me lit asseoir sur le fauteuil de paille, et lui-même prit une chaise
+auprès de sa femme.. Cette double condition de poète et de coiffeur
+embarrassait ma démarche, et j'attaquai d'abord le coiffeur. «Monsieur,
+lui dis-je, je, dîne au château de la Garde, à quatre lieues d'ici. Je
+ne sais si j'aurai le temps de faire ma barbe avant l'heure du dîner....
+et je viens...» Jasmin me répondit qu'il ne lui paraissait pas qu'il y
+eût besoin de me raser... mais en étudiant un petit froncement presque
+imperceptible dans sa bouche et ses yeux, je lui dis de suite que ceci
+n'était qu'un prétexte, et que le véritable but de ma démarche était de
+venir trouver l'homme éminent et de connaître le poète.
+
+Alors la physionomie de Jasmin devint tout à coup brûlante et splendide
+d'animation, de froide et indifférente qu'elle était. «Savez-vous ma
+langue? s'écria-t-il en changeant de chaise et en se rapprochant de
+moi.--Non.--Ah! mon Dieu, quel malheur! mais c'est égal, j'essaierai de
+vous la faire sentir.» Et tout à coup, sans autre prologue, le poète,
+avec une chaleur d'esprit et un enthousiasme dont on ne peut rendre
+compte, dans un excellent langage français d'ailleurs, se livrait à une
+improvisation saisissante et à une théorie de son art de poète et du
+génie de sa langue, dont je regrette; bien de ne pouvoir donner ici une
+idée.
+
+«Quel bonheur pour moi, disait-il, de m'être servi de la langue du mon
+pays! quoique vieille, elle est vierge; aucun antécédent, pour ainsi
+dire, aucune règle, aucune de ces épurations énervantes ne lui
+commandent. Elle est libre, fière, neuve dans la littérature, et elle
+peut s'enrichir sans contrôle des paroles de ses soeurs qui nous
+entourent, des langues espagnole, italienne, et de toutes celles du
+Midi.
+
+«C'est ce qui fait mon bonheur, et peut-être ma force. Votre langue, au
+contraire, quelle est-elle? Enervée de règles, d'entraves, de liens de
+goût et de purisme, épuisée par la multitude et la fécondité des
+auteurs, elle est vieille et caduque. C'est une langue admirable, sans
+doute, pour la vie de la nation; mais c'est une langue tuée pour la
+poésie.--Aussi on dit que la poésie meurt en France; c'est parce que la
+langue poétique meurt qu'on le dit; car la poésie elle-même peut-elle
+mourir? Et soyez, attentif à ceci: examinons la manière de Victor Hugo?
+Qu'a-t-il cherché, ce grand poète, si ce n'est la langue qui lui manque.
+Remarquez qu'il a voulu l'électriser et la ressusciter, pour ainsi dire,
+par la bizarre recherche des mots et des formes, par le grandiose
+quelquefois exagéré des idées. Le voyez-vous au milieu de cette
+tourmente de son génie? D'où vient cette agitation? D'est que
+l'instrument lui manque; sa langue usée et morte lui répugne; il veut se
+faire une langue nouvelle dans la sienne. Moi, au contraire, j'ai la
+mienne, comme je vous le disais, pure, vierge, hardie, vive, le bouquet
+de fleurs d'oranger au côté; et c'est moi, moi seul jusqu'ici à qui le
+bon Dieu a accordé de la mener à l'autel.
+
+«Avec une pareille liberté et un tel bonheur, la poésie devient facile
+et naïve comme elle doit être; le vrai et le simple sont seuls touchants
+et poétiques. Aussi tous mes efforts tendent là.--Je ne dis pas
+_l'Éternel, le Dieu tout-puissant_, etc., mais le boun Diou, et l'idée
+de Dieu n'en arrive-t-elle pas au coeur plus vive et plus tendre? Où est
+la plus belle poésie, la vraie, si ce n'est dans ces vers de Béranger?»
+
+Et Jasmin, se levant, me dit avec un art prodigieux et les inflexions
+d'un comédien consommé ces vers:
+
+ Mes enfants, dans ce village,
+ Suivi des rois, il passa;
+ Voilà bien longtemps de ça:
+ Je venais d'entrer en ménage.
+ A pied grimpant le coteau
+ Où, pour voir, je m'étais mise,
+ Il avait petit chapeau
+ Avec redingote grise,
+ Près de lui je me troublai.
+ Il me dit: Bonjour, ma chère!
+ Bonjour, ma chère!
+ --Il vous a parlé, grand'mère!
+ Il vous a parlé!
+
+«Vous allez entendre mes vers, continua-t-il; vous verrez, vous verrez.
+C'est la nature, la douleur, la joie comme Dieu les fait.»
+
+Alors il se leva, et avec une pantomime sublime, car il pleurait de
+vraies larmes, il fit la scène poétique qu'il voulait peindre. «Mon
+fils! mon fils! mon pauvre enfant! Il est mort. Le voilà, mon ami, le
+voilà! Ah! mon Dieu, ah! mon Dieu, mon pauvre _Dodo_, mort! Là, voilà sa
+chaise, ses babils, ses livres. Oh! mon Dieu!
+
+«Voilà la nature, monsieur, voilà ma poésie. Cette scène était
+attendrissante au plus haut degré. «Maintenant je vais vous lire mes
+vers,» dit-il. J'attendais avec impatience cette offre, sachant
+l'admirable talent de lecture du poète.
+
+«Combien pouvez-vous me donner de temps? dit-il.--Jusqu'à trois heures
+et demie; la voiture de Caillat m'attend à cette heure.--Ah! mon Dieu!
+quel malheur! Ah! mon Dieu! je ne pourrai pas vous lire
+Francounette,--ni l'Aveugle du Castel-Cuillé non plus! Quel malheur!
+
+En ce moment, entre un étranger. «Je suis de ce pays, monsieur, mais
+j'habite Genève, et dans cette ville tout le monde me parle de vous, on
+m'en veut de ne pas vous connaître.--Vous êtes d'Agen? dit Jasmin.--Non
+pas, mais de S....» Alors Jasmin de lui serrer la main, de lui parler
+gascon, mais sans le faire asseoir et sans le retenir.--L'étranger
+partit bientôt.
+
+«A nous donc! s'écria Jasmin; qu'est-ce que je vais vous lire? Ah! mon
+Dieu, quel dommage une vous ayez si peu de temps!--quel malheur de ne
+pas lire _l'Aveugle!_--Ah! monsieur, c'est si touchant, si beau! cette
+pauvre fille qui meurt frappée de Dieu au moment où elle allait se tuer
+elle-même! vous verrez, vous verrez!»
+
+Et il feuilletait son livre, ravi à chaque pièce qu'il voyait; et il
+s'arrêta enfin à celle-ci:
+
+_A un riche Agriculteur_ qui sans cesse l'invitait à aller s'établir à
+Paris, où il ferait fortune.
+
+«Suivez sur la traduction française qui est en regard, me dit-il, et
+vous me comprendrez; et arrêtez-moi la où vous ne sentirez pas le mot
+gascon.
+
+Et il lut délicieusement cette pièce:
+
+ Et bous tabé, Moussu, sans cregne
+ De troubla mous jours et mas neys
+ M'escribes de pourta ma guittaro et moun pegne
+ Dins la grando bilo des Reys!...
+
+ Et vous aussi, monsieur, sans craindre
+ De troubler mes jours et mes nuits,
+ Vous m'écrivez d'aller porter ma guitare et mon peigne
+ Dans la grande ville des Rois!...
+
+Il terminait cette lecture entrecoupée de remarques, de commentaires et
+des élans de la plus naïve et de la plus charmante satisfaction,
+lorsqu'un second étranger entra.
+
+C'était un jeune lion parisien égaré dans cette Lombardie, de la
+Garonne; il tenait en laisse un chien d'arrêt magnifique, dont il était
+aussi fier qu'embarrassé; il venait évidemment pour voir Jasmin, dont le
+nom se trouvait sur son _agenda_ dans le Lot-et-Garonne.--Ce mélange de
+poésie et de pommade parut l'ébranler.» Je voudrais, dit-il en
+balbutiant, faire faire ma barbe.» Et comme si un remords l'eût saisi à
+propos de cette barbe très-problématique sur son menton si jeune; «Ou me
+faire couper les cheveux,» ajouta-t-il.
+
+Jasmin paraissait désespéré. «Je suis à vous, monsieur,» dit-il; et il
+allait prendre des ciseaux... Il me faisait, avec des haussements
+d'épaules et des yeux terribles, la pantomime du dérangé et de
+l'ennuyé... Quant au jeune lionceau, il ne tenait guère au reste de la
+chose; il avait vu Jasmin, son but était rempli, il pouvait désormais en
+parler dans le monde, ce qui lui suffisait.--Aussi bâillait-il déjà.
+Jasmin sentit la chose, «Mon Dieu, monsieur, je suis occupé; seriez-vous
+assez bon pour revenir dans une demi-heure?--Tout à fait,» dit le jeune
+homme, Et il sortit avec son chien.
+
+«Quel bonheur! s'écria Jasmin. Vous avez encore du temps, n'est-ce pas?
+Ma femme, va donc prévenir Caillat, et voir si la voiture retardera son
+départ?
+
+Maintenant, monsieur, je vais vous lire une pièce bien jolie;
+voyez-vous, c'est le coeur qui l'a faite: c'est _la Caritat_. Suivez,
+suivez bien, et arrêtez-moi si vous ne comprenez pas.
+
+Il est impossible de rendre la manière enchanteresse avec laquelle
+Jasmin fit cette lecture;--il était vivement ému.--Son émotion passa
+bien tôt à une sorte d'exaltation de lui-même qui avait sa grandeur,
+«Monsieur, disait-il, mes vers ont aussi leur puissance de charité; avec
+eux, avec mes lectures publiques, j'ai fait donner plus de 40,000 fr.
+aux pauvres ou à d'autres oeuvres. Il y a un clocher qui s'élève, et il
+porte mon nom; c'est le _Clocher Jasmin_, parce que c'est moi qui ai pu
+en procurer l'argent avec mes vers. Il vous aurait fallu voir quel
+accueil, quel enthousiasme à Bordeaux, à Auch, à Toulouse! et à Paris,
+monsieur, comme ils m'ont reçu! Vous disiez tout à l'heure que mon
+mérite était dans mon originalité; M. Villemain, le ministre, me l'a dit
+aussi dans sa lettre où il m'annonce cette belle pension qu'il m'a
+donnée (et il prononçait ces mots: _Belle pension_, avec un accent aussi
+plein de fierté que de gratitude). Et le roi, il m'a appelé chez lui, et
+il m'a comblé de bontés; et les salons de Paris se disputaient mes
+lectures; l'étranger lui-même parle de moi; au milieu de ces journaux,
+voici un journal anglais qui me traduit et me nomme un des premiers
+poètes de la France; combien d'autres de vos grands auteurs me le disent
+aussi! et Sainte-Beuve, et Charles Nodier, comme ils me protègent! comme
+ils m'aiment!»
+
+Ainsi se développait cette autre face de l'esprit de Jasmin. C'était
+cette satisfaction exaltée de lui-même, ce que tout le Midi, en
+l'admirant, lui reproche, ce qu'on appelle sa vanité.
+
+Sans doute Jasmin a quelque chose qui ressemble à la vanité, mais qui
+est bien plus pur et plus noble qu'elle; il me semble que son caractère
+s'en grandit. Cet orgueil est si naïf, et d'ailleurs si justifié. Eh
+quoi! voici un homme né dans la pauvreté, dont tous les parents sont
+morts à l'hôpital, comme il l'a dit, chanté et fait graver en tête de
+ses livres; c'est un obscur coiffeur, et soudain le poète se révèle en
+lui, le Midi s'étonne et admire; sa nation l'exalte, les grands poètes
+arrivent à lui, et le nomment leur égal; les pauvres l'implorent, et
+l'or pleut et tombe parce qu'il dit ses vers; la religion s'adresse à
+lui et lui demande un édifice, et ses vers le lui donnent;--Bordeaux la
+magnifique l'applaudit;--Auch lui vote une coupe admirable de vermeil
+avec les mots: À JASMIN, LA VILLE D'AUCH, ADMIRATION,
+GRATITUDE;--Toulouse, qui a son Capitole et ses fêtes antiques, lui fait
+un triomphe et lui décerne des lauriers en or;--le duc d'Orléans lui
+donnait une bague de diamants et lui avait réservé, dit-on, une faveur
+plus grande encore;--la duchesse d'Orléans, lui envoie une médaille d'or
+avec ces mots: LA DUCHESSE D'ORLÉANS AU POÈTE JASMIN;--Paris l'appelle
+et l'enivre de fêtes et de triomphes;--Le roi lui-même le reçoit aux
+Tuileries, l'entend, et lui fait un présent royal;--toute la haute
+littérature lui décerne des titres de gloire, et vous voulez qu'au
+milieu de ce délire cet homme simple, franc, poète prenne un semblant de
+fausse modestie et se déprime lui-même!
+
+Enfin il y a un mot de Jasmin charmant de modestie et qui détruit ce
+reproche de vanité mauvaise: c'est lorsqu'à Paris, au milieu de ses
+triomphes et lorsqu'on voulait l'y retenir, il répondit: «Il faut
+partir, _les barbes poussent à Agen!_
+
+«Puis-je vous lire une troisième pièce de vers? nous avons le temps,
+Cuillat attendra.» Il ajouta: «M. Durand était un ange de charité, un
+saint de bienfaisance. Hélas! les villes et les hommes oublient vite. Un
+monument manque à sa tombe; mais, si Dieu le permet, il s'y élèvera un
+jour.» Et il me lut la pièce délicieuse intitulée _le Médecin des
+Pauvres_.
+
+Il avait fini, et j'étais encore sous le charme de sa poésie et de son
+débit.--Je le regardai, des larmes étaient dans ses yeux; je lui pressai
+la main avec attendrissement;--je ne pouvais louer autrement son oeuvre.
+
+Avant de le quitter, je le priai de me montrer ces présents de villes et
+de princes qui lui avaient été donnés.
+
+Il m'emmena dans une nièce placée au fond de sa maison; et d'abord il
+ôta d'une cloche de verre la coupe de vermeil offerte par la ville
+d'Auch.
+
+Cette coupe, d'un travail exquis et qui semblerait sortie des ateliers
+d'un Cellini, est d'une hauteur de vingt-cinq centimètres environ. Il me
+fit remarquer l'inscription si honorable:
+
+[Illustration.]
+
+A JASMIN, LA VILLE D'AUCH, GRATITUDE.
+
+Puis il ouvrit un très-grand écrin de maroquin vert, et il en tira d'une
+couche de satin blanc une double branche de laurier à feuilles de
+grandeur de nature et d'or massif. La grandeur de cette branche d'or
+peut être de quarante à quarante-cinq centimètres.
+
+[Illustration.]
+
+Dans un autre écrin étaient trois médailles, sur l'une d'elles, en or,
+étaient écrits ces mots:
+
+LA DUCHESSE D'ORLÉANS AU POÈTE JASMIN.
+
+Puis une bague donnée par le duc d'Orléans à son passage à Agen. C'est
+un saphir entouré de deux gros brillants.
+
+Enfin, il tira de son sein une belle montre en or, avec une chaîne de
+même métal; sur cette montre étaient gravés ces mots:
+
+DONNÉE PAR LE ROI.
+
+Le temps me pressait;--je lui demandai une dernière grâce, c'est d'avoir
+de sa main, sur l'un des volumes de ses poésies que j'emportais, ces
+deux vers de la pièce de _la Charité_:
+
+ Car es amer de la recebre
+ Aoutan qu'es dous de la donna!
+
+Il prit le volume et s'apprêta avec une sorte de méditation à écrire
+quelques mots.
+
+«Ce ne sont pas des vers, dit-il en me le rendant; lisez, ou plutôt je
+vais vous traduire cette phrase.» Je l'écoutai, et je fus profondément
+attendri en entendant ces mots, dont je n'aurai pas le courage de donner
+ici la traduction;
+
+«A Moussu G... C...
+
+«A heyre commo m'abès sentit quand legissioy, bézi que mous libres n'an
+jamay estat débat un nullou co, et dins de tan bounos mas,
+
+«JASMIN.
+
+«Agen, 6 octobre 1843.»
+
+Il ignorait encore qui j'étais après avoir écrit cette phrase, et il me
+le demanda pour l'ajouter aux mots; à moussu, suivis d'une demi-ligne
+blanche. Ce fut alors seulement qu'il sut et qu'il écrivit mon
+nom:--G... C....
+
+Avant de nous quitter, il ouvrit un de ses volumes, et, me montrant une
+page de musique, il me chanta une mélodie qui est de lui, et qu'il a
+composée pour une de ses poésies.--Sa voix est touchante, et je savais
+d'ailleurs qu'il était bon musicien et jouait fort bien de la guitare.
+
+Enfin, je lui fis mes adieux, avec l'espoir et sa promesse de le revoir
+à Paris.
+
+
+
+Histoire de la Semaine.
+
+Quand les événements politiques intérieurs font défaut à la presse, la
+polémique vient y suppléer, et parfois aussi elle amène ses événements.
+Toute la semaine dernière, une lutte très-vive s'était engagée dans les
+journaux entre des membres du haut clergé et des défenseurs de
+l'Université, qui ne paraît pas encore s'être arrêtée sur le meilleur
+moyen de se défendre elle-même. M. le cardinal-archevêque de Lyon, M.
+l'évêque de Langres, et l'évêque de Châlons, y ont successivement pris
+part. Tous réclament la liberté de l'enseignement, et, pour en démontrer
+la nécessité, entreprennent de prouver que l'enseignement universitaire
+ne présente pas aux pères de famille de suffisantes garanties morales.
+Les défenseurs de l'enseignement par le gouvernement éprouvent de
+l'embarras pour repousser ces accusations, quelque peu fondées qu'elles
+soient, car M. le ministre de l'instruction publique leur a donné crédit
+en sacrifiant des professeurs approuvés par l'Université, mais mal vus
+et dénoncés par le parti ecclésiastique. Une nouvelle et récente mesure
+prise à l'occasion de M. le professeur Ferrari, immédiatement après un
+succès éclatant remporté par lui dans un concours d'agrégation, est
+venue donner confiance aux adversaires de l'Université et porter le
+découragement dans les rangs de ses soutiens. D'un autre côté, la
+promesse d'une loi faite par la Charte de 1830, promesse dont
+l'exécution a été ajournée d'année en année, semble mettre l'autorité
+dans une situation un peu fausse pour faire exécuter dans toute leur
+rigueur les dispositions encore en vigueur sur les petits séminaires.
+C'est dans ces circonstances que la lutte, qui, dans le silence, avait
+été incessante, s'est traduite en lettres pastorales et en lettres aux
+journaux. Le _Journal des Débats_ avait annoncé que celle de M. l'évêque
+de Châlons, qui n'a peut-être pas toute la gravité du caractère
+religieux de son auteur, était déférée au Conseil d'État, non pas pour
+la question de goût, mais pour celle de légalité. C'était, à ce qu'il
+paraît, l'avis de M. le grand-maître, qui, pour se donner du courage,
+avait livré sa résolution à la publicité. Mais il a rencontré de
+l'opposition de la part de M. le garde-des-sceaux, et sa détermination
+n'a pas été la plus forte.
+
+Le conseil-général de la Seine a clos le 30, à minuit, sa session
+annuelle, dont nous avions précédemment annoncé l'ouverture. Il lui a
+fallu, en treize séances, arrêter un budget de cinquante millions et
+donner son avis motivé sur une foule de questions importantes. Les
+sessions des conseils-généraux sont infiniment trop courtes; beaucoup de
+ces assemblées ont exprimé des plaintes à ce sujet; le conseil-général
+de la Seine l'a fait sentir de son côté, en déclarant n'avoir le temps
+de répondre à des questions que le ministère lui avait posées. Il a
+renouvelé ses voeux de l'an dernier relatifs à la publicité à donner à
+la liste du jury et à l'attribution du produit des droits
+d'enregistrement sur les brevets d'invention. Il a montré tout à la fois
+de la largesse dans les sacrifices qu'il a regardés comme utiles et bien
+entendus, et une sévère économie dans les dépenses, qu'il n'a pas
+considérées comme suffisamment justifiées. Les traitements de quelques
+fonctionnaires s'en sont mal trouvés.
+
+A l'extérieur s'offre toujours, sur le premier plan, l'Irlande, ou bien
+plutôt l'Angleterre; car on est bien plus embarrassé à deviner comment
+sir Robert Peel sortira de l'impasse où il s'est engagé, qu'inquiet du
+sort d'O'Connell et de ses coaccusés. A Londres comme à Dublin, on a
+répandu, à la fin de la semaine dernière, le bruit que les poursuites
+étaient abandonnées. Cette nouvelle était absurde: mais elle n'a en
+cours que parce qu'elle l'était infiniment moins que les poursuites
+elles-mêmes. Si on ne les abandonne pas, on songe du moins à les
+ajourner le plus possible. Au lieu des derniers jours de novembre, les
+premiers jours de janvier arriveront, dit-on, avant que les débats
+judiciaires s'ouvrent. On semble espérer que l'avenir et l'imprévu
+apporteront une solution à une difficulté qu'on commence à reconnaître
+inextricable aujourd'hui. On songe à recommencer l'enquête entreprise,
+qui, entachée d'irrégularité et d'évidente inexactitude, fournirait des
+armes redoutables à un légiste et à un procédurier de la force
+d'O'Connell. En un mot, on croit avoir tout à gagner à perdre du temps.
+En attendant, les témoignages de sympathie, les adhésions à
+l'association et les offrandes arrivent au chef du rappel de la part de
+prélats qui jusqu'ici étaient demeurés en dehors de l'agitation
+nationale; des prières sont faites dans toutes les paroisses de
+l'Irlande, et la formule de l'une d'elles nous paraît assez nouvelle
+dans la liturgie: «Puissent les amis de la liberté ne jamais avoir
+affaire à d'autres ennemis que Peel, Sugden, Wellington et
+compagnie!»--L'Espagne mérite de plus ou plus l'épithète de malheureuse
+qu'on lui a tant de fois donnée depuis trente-cinq ans, quand on a eu à
+raconter les événements dont elle a été continuellement le théâtre.
+Barcelone et Girone, à l'heure où nous écrirons, sont peut-être en feu
+ou déjà en cendres. Les dernières nouvelles annonçaient que les bombes
+des assiégeants se succédaient sans interruption, nombreuses et
+terribles, que les murailles s'écroulaient, et que le carnage était
+imminent.--La France, qui a vu une première fois son consul conjurer les
+dernières rigueurs contre Barcelone de la part d'Espartero, avec le
+gouvernement duquel elle était dans des termes plus que froids, la
+France n'a-t-elle donc rien pu obtenir d'un gouvernement qui se dit son
+ami? Si elle n'y a pas réussi, il faut le déplorer; mais si elle ne
+l'avait pas même tenté, il faudrait le déplorer plus encore. A Madrid,
+en présence de pareils événements, les Cortès sont demeurées
+très-longtemps à se constituer, et un projet de loi pour déclarer la
+majorité de la reine est jusqu'ici la seule mesure qui leur ait été
+présentée. Peut-on raisonnablement attendre de son adoption la fin des
+malheurs de la Péninsule: Nous le désirons beaucoup, tout en l'espérant
+bien peu.--Athènes a perdu de sa confiance dans la franchise de
+l'adhésion du roi à la révolution de septembre. Un aide-de-camp d'Othon,
+qui avait vu ces changements politiques avec beaucoup de dépit, est
+arrivé à faire croire à ce monarque qu'une contre-révolution devait
+éclater une belle nuit; car, en Grèce, c'est toujours à la belle étoile
+que les mouvements s'opèrent. La crédulité du prince, les ordres qu'elle
+lui a suggérés, ont donné à penser qu'il avait une grande confiance dans
+les ennemis de la révolution et trop peu de foi dans son avenir pour en
+être un partisan bien sincère. Cette défiance ne facilitera rien, et tôt
+ou tard les puissances voudront venir en aide à des embarras qu'elles
+pourront bien accroître encore par l'intervention de leurs
+diplomates.--Les nouvelles de Chine n'ont guère apporté que des détails
+sur l'étrange cérémonial observé par les grands dignitaires du pays dans
+leurs rencontres avec les chefs anglais; mais ces programmes ont leur
+importance en ce qu'ils font voir que les Chinois ont renoncé à leur
+ancienne prétention d'humilier les Barbares, et qu'ils sont résignés
+aujourd'hui à les traiter d'égal à égal. Nous saurons plus tard si les
+présentations à l'empereur n'amèneront plus ces complications
+d'étiquette qui ont fait reculer toutes les précédentes ambassades.
+L'expédition anglaise a sans doute contribué pour beaucoup à ce
+résultat; mais on doit croire aussi que les progrès des missions
+catholiques n'y sont pas tout à fait étrangers. Dans un rapport officiel
+publié à Londres, nous voyons qu'on compte 52,000 catholiques dans le
+vicariat apostolique du Sut-Chuen, 40,000 dans celui de Fokien; Chensi
+et Hon-Kouang, 60,000; Tche-Kiang et Kian-Li, 9,000; Pegu et Ava, 6,000;
+Siam, 8,000; Malaca, 6,000; Cochinchine, 80,000; Tong-King oriental,
+160,000; dans le diocèse de Nang-King, 40,000; dans celui de Macao,
+52,000, et dans le vicariat apostolique du Tong-King occidental,
+180,000.
+
+La nature a un peu fait relâche cette semaine, et n'a pas continué cette
+série de tremblements de terre et de tempêtes que nous avions eu
+précédemment à enregistrer. Mais l'industrie a fourni son sinistre. Le
+bateau à vapeur _le Clipper_, faisant la navigation entre Bayousara et
+la Nouvelle-Orléans, au moment où il quittait le port, a fait explosion
+par l'éclat de ses chaudières, Toute la machine, de grands débris de
+chaudières d'énormes fragments de bois, un multitude d'autres objets,
+et, au milieu de tout cela, des êtres humains, tous plus ou moins
+mutilés, ont été lancés dans les airs. En atteignant sa plus grande
+hauteur, cette éruption a été projetée, comme les jets d'une fontaine,
+dans plusieurs directions, et est retombée sur la terre, sur les toits
+des maisons et jusqu'à 200 mètres de distance du lieu du sinistre. Les
+malheureuses victimes ont été brûlées, écrasées, déchirées, mutilées et
+dispersées de toutes parts, les unes dans la rivière, les autres dans
+les rues, d'autres sur l'autre rive du Bayou, à près de 250 mètres.
+Quelques corps ont été coupés en deux par des morceaux de bois, et
+d'autres lancés comme des boulets de canon contre les murailles des
+maisons. Toute la partie des édifices environnants semble avoir été
+ravagée par un tourbillon. Le lieu du désastre offrait un spectacle
+qu'il faut renoncer à peindre. Les planchers des deux chambres étaient
+jonchés de morts et de mourants. Ceux que l'on transportait, proféraient
+des prières, des gémissements, des imprécations, et présentaient
+l'aspect des plus atroces souffrances. L'équipage consistait en
+quarante-trois hommes; il y avait de plus cinq passagers. Un très-petit
+nombre de personnes, dont fait partie le capitaine, a été sauvé; les
+pertes connues s'élevaient à vingt-neuf; mais il manquait encore
+plusieurs personnes, dont les traces n'avaient pas été retrouvées.
+
+Les journaux anglais nous font aussi connaître les désastres financiers
+d'un prince noir et d'un prétendu prince blanc. Le premier est le frère
+de l'ancien roi d'Haïti, Christophe II, lequel, entrevoyant l'orage qui
+devait détruire bientôt tout à fait son pouvoir déjà ébranlé et sa
+fortune en ruines, avait envoyé à Londres environ 250,000 fr. pour les
+placer dans les fonds anglais, au profit de la reine, de ses deux
+filles, de ce frère et de sa soeur. Madame Christophe a trouvé moyen de
+s'approprier le tout et d'aller jouir en Sardaigne des moyens
+d'existence qu'elle eût dû partager avec son beau-frère. Ce pauvre
+prince, réduit, lui et les siens, à la plus profonde misère, s'est
+adressé à la Société des amis des étrangers en détresse, et celle-ci lui
+a envoyé... 5 guinées! Il s'est présenté pour demander des secours au
+lord-maire, qui lui a répondu, en lui donnant satisfaction sur ce point,
+qu'il n'avait pas qualité pour agir, mais qu'il espérait qu'on pourrait
+poursuivre la reine d'Haïti pour le remboursement de 5,000 livres
+sterling.--Le lord-maire, ou du moins en attendant l'installation de
+celui-ci, l'alderman qui le remplace, a également reçu la visite de
+l'autre prince dont nous parlions tout à l'heure: celui-ci était Louis
+XVII, dont nous avons déjà fait connaître la demande en cession de biens
+et de droits, même à la couronne de France. Ceci pouvait être assez gai;
+mais ce qui est triste, c'est que ce malheureux, sa femme et leurs huit
+enfants sont dans la plus affreuse misère. Ou a vu se présenter, pour
+appuyer sa demande, un Français, M. le comte de Labarre, dont
+l'extérieur annonce un homme respectable. «Je n'ai point, a-t-il dit,
+abandonné et je n'abandonnerai point mon ami, tout accablé qu'il est
+sous le poids de l'adversité. Je me suis ruiné moi-même pour le
+secourir, en me faisant ainsi, comme l'a dit un grand écrivain, M. de
+Chateaubriand, dans une autre circonstance, le courtisan du malheur. M.
+le duc de Normandie n'a pas droit seulement comme héritier du trône à la
+commisération des Anglais, il était venu aussi leur apporter le fruit de
+ses longs travaux sur l'art de perfectionner les projectiles de guerre.
+--_Une voix dans l'auditoire_: Afin de bombarder ses bons et féaux
+sujets. (_On rit_.)--M. de Labarre: Quelque opinion qu'on ait sur la
+légitimité des prétentions du duc, on conviendra, du moins, qu'il se
+trouve dans une position peu commune: il a huit enfants, dont le plus
+jeune est âgé de six mois.» L'alderman a fait remettre à l'avocat du duc
+de Normandie une somme tirée du tronc des pauvres et dont le chiffre n'a
+pas été révélé au public.
+
+Ce ne sont pas seulement les demandes des princes indigents qui
+remplissent les journaux anglais, ce sont aussi les réclamations des
+capitalistes de cette nation qui s'étaient réunis pour entrer dans les
+compagnies de chemins de fer, sollicitant des concessions en France
+durant la session dernière. Le chemin de Lyon, qui avait trouvé des
+souscripteurs dans la Grande-Bretagne, à l'aide de prospectus répandus à
+profusion, mettant en avant un conseil d'administration composé de pairs
+et de députés français, auxquels on n'avait pas même; demandé leur
+agrément; le chemin de Lyon, qui avait vu ses actions, placées par ce
+tour d'adresse, devenir, à la bourse de Londres, l'objet de spéculations
+considérables, et obtenir une prime très-élevée; le chemin de Lyon voit
+aujourd'hui ses ingénieux inventeurs retenir l'argent des actionnaires
+malgré eux, sans intérêts et sans garanties. Ceux-ci, finissant par
+trouver la plaisanterie un peu prolongée, confient leurs vives doléances
+aux feuilles de Londres. Nous ne croyons pas la triste spéculation dont
+ils sont victimes de nature à les encourager beaucoup à s'intéresser
+jamais de nouveau dans une grande entreprise en France, et nous le
+déplorons.--Du reste, on pense que le ministère est déterminé à demander
+l'autorisation de faire exécuter, aux frais de l'État, les chemins qui
+seront votés dans la session prochaine, soit qu'il les exploite
+lui-même, soit qu'il se détermine, après leur exécution, à en mettre les
+baux en adjudication.
+
+Paris s'embellit chaque jour, il faut le reconnaître. Le conseil
+municipal, quels que soient les vices de son organisation, par cela seul
+qu'il est électif, a plus fait par ce résultat en quelques années que
+n'avaient fait plusieurs générations successives. Paris s'embellit; mais
+outre les projets qu'exécute l'administration de la ville de Paris, il y
+a aussi, et en bien plus grand nombre, les projets qu'on lui prête. Les
+journaux ont cette semaine rasé des quartiers entiers, ouvert des voies
+immenses et planté sur le parvis Notre-Dame une pyramide en granit pour
+servir de point de départ à toutes les bornes miliaires de nos routes.
+Tout cela est fort ingénieux et surcharge peu le budget, car il n'en a
+pas encore été le moins du monde question dans les délibérations et même
+dans les causeries du conseil municipal.--On songe toujours à restaurer
+Notre-Dame, qui en a grand besoin, mais dont on tremble de voir les
+travaux confiés à quelque architecte vandale. En attendant, des
+mutilations coupables y sont commises tous les jours. Tout récemment, au
+portail septentrional, quatre chapiteaux ont été ébréchés à coups de
+pierre ou de marteau; un petit animal fantastique a été enlevé
+très-nettement, à l'aide d'un ciseau, et volé par un amateur, qui aura
+voulu y joindre également la tête d'un ange. Le Comité historique des
+arts et monuments a déjà précédemment appelé, à l'occasion de délits de
+ce genre, toute l'attention de l'autorité sur les moyens d'en prévenir
+le retour. Combien faudra-t-il donc encore de mutilations pour que ces
+réclamations soient enfin écoutées?
+
+Ce que nous avions dit dans un précédent numéro de l'à-propos et de
+futilité pour l'art de sa mission à Athènes confiée à M. Boulanger, nous
+a valu une lettre de cet architecte, au talent duquel nous avions, du
+reste, rendu hommage. Suivant lui, les fouilles et les déblais qui ont
+été exécutés récemment par le gouvernement actuel de la Grèce, ont, en
+les dégageant des fortifications turques dans lesquelles ils étaient
+presque tous ensevelis, donné aux anciens monuments un aspect tout
+nouveau, leur véritable aspect. M. Boulanger semble avoir la confiance
+de justifier la mission qui lui est donnée, et de prouver par ses
+résultats qu'elle a été bien entendue. Nous avouons que la détermination
+où il paraît être d'arriver à faire cette preuve nous donne à nous-mêmes
+la confiance qu'il y parviendra, et nous serons, il en peut être
+certain, le cas échéant, les premiers à le proclamer.
+
+La Normandie voit, depuis quelque temps, des artistes et des poètes
+sortir de la foule de ses artisans. Ses feuilles locales renferment de
+curieux détails sur les essais heureux d'un pauvre ouvrier qui paraît
+appelé à prendre un rang distingué dans l'art de la sculpture. L'ouvrier
+Lebreton a mérité tout dernièrement un encouragement du roi par ses
+poésies populaires.
+
+La police, moins tolérante que l'administration des contributions
+indirectes, qui admet pour les vins l'extension de volume, à l'aide de
+l'eau, pourvu que le droit lui soit payé sur les deux liquides mariés,
+la police a fait saisir à Rouen et à Bercy une grande quantité de pièces
+de vin ainsi sophistiqués. La question va être portée devant les
+tribunaux. Déjà, dans une espèce qui ne manque pas d'analogie, la Cour
+de cassation vient de décider qu'on doit considérer comme boisson
+falsifiée, aux termes du Code pénal, le lait dans lequel un débitant a
+mêlé un tiers ou un quart d'eau.--Les tribunaux de Stockholm n'ont ni la
+même sévérité quand il s'agit de défendre leurs justiciables contre
+l'avidité de certains marchands, ni une grande bonne foi nationale,
+quand il s'agit de faire respecter les intérêts étrangers. Un pharmacien
+de cette ville, le sieur Almquist, voyant qu'une maison de Reims,
+renommée pour la qualité de ses vins de Champagne, fournissait presque
+seule la Suède entière, a contrefait les étiquettes du négociant
+champenois, et a appliqué ses contrefaçons à des bouteilles contenant
+une liqueur d'apothicaire. Les Suédois n'y ont vu que du Champagne, et
+des poursuites ayant été dirigées contre le contrefacteur, les tribunaux
+de première instance et d'appel ont tout naïvement déclaré que «s'il est
+vrai que d'un côté les lois sur le commerce répriment sévèrement toute
+usurpation de noms et de raisons commerciales, toute contrefaçon
+d'étiquettes, enseignes, etc., il y a d'un autre côté lieu de supposer
+que le législateur a dicté une disposition dans le seul but de protéger
+l'industrie et le commerce des indigènes, et non pour favoriser les
+étrangers _au détriment des nationaux._» S'il y a des juges à Berlin, il
+y en a de bien singuliers à Stockholm.
+
+Les journaux qui tué M. l'amiral Roussin, qui aura pu entendre son
+oraison funèbre, car le lendemain les mêmes feuilles nous ont appris que
+cette nouvelle était sans fondement. Malheureusement beaucoup d'autres
+morts annoncées cette semaine n'ont pas été démenties de
+même.--L'émigration polonaise a encore perdu un de ses membres les plus
+illustres, le général comte Soltyck, qui avait servi avec honneur comme
+colonel dans l' armée française sous l'Empire, comme général dans
+l'armée polonaise durant la guerre de l'Indépendance, et qui avait,
+comme nonce, fait preuve nouvelle, à la diète, du dévouement et de la
+fermeté qu'il avait montrés sur les champs de bataille. C'était, du
+plus, un écrivain distingué; il a laissé histoire fort estimée de la
+guerre de Pologne en 1809, et la mort l'a surpris se livrant à d'autres
+travaux historiques.--Le clergé a perdu M. de Cosnac, archevêque de
+Sens, et M. le cardinal de Retz, auditeur de rote auprès du
+Saint-Siège.--M. le baron Capelle, ancien ministre de Charles X, et un
+des signataires des ordonnances de juillet 1830, a terminé à Montpellier
+une carrière remplie tour à tour par la disgrâce et la faveur. Une
+liaison avec Élisa Bonaparte, duchesse de Lucques et de Piombino, vue de
+mauvais oeil par Napoléon, attira sur lui des mesures sévères, et fit
+d'abord connaître un nom qui devait, si fatalement pour celui qui le
+portait, figurer plus tard au bas du manifeste politique qui a déterminé
+la plus rapide de toutes les révolutions.--Enfin, les arts ont eu à
+enregistrer sur leurs tables funèbres la mort du pianiste
+Pradher;--celle d'un peintre paysagiste de Lyon, d'un remarquable
+talent, Guindrand, tombé depuis quelques années dans le plus funeste
+idiotisme,--et celle aussi d'un ancien professeur de l'école des
+beaux-Arts de la même ville, Berjon, peintre de fleurs.--Un nom
+appartenant à un artiste célèbre s'est également éteint. La fille aînée
+et le dernier enfant survivant du fameux acteur Bertinazzi, appelé au
+théâtre Carlin, mademoiselle Barbe-Suzanne Bertinazzi, vient de mourir
+âgée de quatre-vingt-deux ans.
+
+
+
+[Partition musicale: LE PAGE. Romance.]
+
+PAROLES
+DE
+M. EUGÈNE DE LONLAY.
+
+MUSIQUE
+DE
+M. G. DONIZETTI.
+
+ A MADAME LOUIS AUVRAY.
+
+Sombres allées
+Où je rêvais
+Vertes vallées
+Ruisseaux si frais
+Féconde plaine
+Vaste domaine
+Fleur de ces lieux.
+O noble dame
+A vous mon âme,
+A vous mes yeux.
+
+Riche tourelle
+Au front bruni
+Où l'hirondelle
+Suspend son nid
+Toit tutélaire
+Bonté sincère
+Seuil enchanteur
+Et noble dame
+A vous son âme,
+A vous son coeur.
+
+D'un pauvre page
+Qui vous doit tout
+Vous dont l'image
+Le suit partout
+Daignez entendre
+La voix si tendre
+Et les amours
+O noble dame
+A vous son âme,
+A vous ses jours.
+
+
+
+Théâtre-Italien.
+
+_Belisario_, tragédie lyrique en trois parties, musique de M.
+DONIZETTI.--M. FORNASARI.
+
+C'est une lamentable histoire que celle du Bélisaire de l'opéra italien,
+et l'on peut dire que jamais le dévouement monarchique n'a été mis à une
+plus rude épreuve.
+
+Cet honnête Bélisaire, se trouvant en pays étranger, _frà genti
+barbare_, a fait un rêve. Il a vu un guerrier terrible qui renversait
+l'empire de fond en comble. Le voilà dans une grande perplexité.--Quel
+est ce guerrier? où est-il? comment le découvrir? Dans son inquiétude,
+il eut recours à un _homme de Dieu_; il lui conta son rêve; et l'homme
+de Dieu lui répondit qu'il n'avait pas besoin de chercher bien loin
+l'ennemi public dont il était en peine, et que ce guerrier mystérieux
+était son propre fils.
+
+Ce fils était un enfant dans toute l'innocence du premier âge, et qui ne
+pouvait pas encore, évidemment, songer à conquérir le monde et à
+renverser le trône de Justinien. Néanmoins, Bélisaire fut impitoyable;
+il condamna son fils à mort, et le fit exécuter.
+
+A la vérité, il ne fut qu'à moitié obéi sur ce dernier point. Proclus,
+qu'il avait chargé de l'opération, n'eut pas le courage de l'achever.
+L'enfant, au lieu d'être tué, fut seulement perdu.
+
+Vous dites, madame, que c'est un abominable homme que ce Bélisaire? Je
+ne saurais être de votre avis là-dessus. Que dit, en effet, La Fontaine,
+le grand moraliste:
+
+ Ou ne peut trop aimer trois sortes de personnes:
+ Les dieux, sa maîtresse et son roi.
+
+Vous voyez donc bien que Bélisaire n'a fait que son devoir. Mais sa
+femme Antonine est comme vous, madame, et n'entend rien à cette
+morale-là.
+
+Il faut vous dire que Proclus a jasé, et qu'Antonine sait tout. Jugez de
+sa colère! Elle jure de perdre son mari pour venger son fils, et je vais
+vous raconter comment elle s'y prend. Cela est toujours bon à connaître,
+et peut servir dans l'occasion.
+
+Bélisaire, qui est en train de reconquérir l'Italie sur les Goths, écrit
+à sa femme de temps en temps, comme tout bon mari doit faire. Il paraît
+que dans une ses lettres il a imprudemment laissé beaucoup d'espace
+entre le texte et la signature. Que fait Antonine? Elle livre la missive
+à Eutrope, le mortel ennemi de Bélisaire; et Eutrope, qui a d'habiles
+faussaires à sa disposition, fait ajouter à la lettre du héros une
+phrase qui doit suffire pour le faire pendre.
+
+[Illustration: Portrait de Fornasari.]
+
+Bélisaire revient d'Italie et rentre à Constantinople sur une de ces
+petites voitures à deux roues et non suspendues que nous nommons
+charrettes, mais qu'en langage tragique on appelle chars. Il est
+impossible d'être plus glorieusement cahoté. Il jouit de tous les
+honneurs du triomphe; il a même le bonheur d'embrasser publiquement
+Justinien; mais, ô néant des grandeurs humaines! à peine a-t-il eu le
+temps de chanter avec son ami Alamir un _andante_ et une _cabalette_,
+qu'Eutrope se présente, lui demande son épée de par l'empereur, et le
+somme de comparaître devant la Cour des Pairs du pays. Il est accusé de
+haute trahison au premier chef.
+
+Il nie, comme de raison; mais on lui présente la lettre. Il reconnaît
+d'abord son écriture; mais, quand il a tout lu, il s'indigne, et déclare
+qu'il y a faux et interpolation. Il en appelle au témoignage d'Antonine.
+Mais Autonine confirme l'accusation, et déclare avoir reçu la lettre
+telle qu'elle est. Vous imaginez, bien comment Bélisaire la traite.
+«Mauvaise épouse! mauvaise mère! (Ils ont une lille, nommée Irène, qui
+est présente.)--Ah! mauvaise mère!... Et vous donc, avez-vous la
+prétention d'être bon père, par hasard? rayez cela de vos papiers, car
+je sais tout.--_Quoi!_--Tout ce que Proclus savait.--Aïe!»
+
+Bélisaire met sa tête dans ses deux mains et ne tarde pas à faire sa
+confession générale devant sa femme et sa fille, devant le Sénat et
+l'empereur. Quand il a fini, Antonine se remet de plus belle à lui dire
+des injures, ce qui est tout simple. Mais on comprend plus difficilement
+que le Sénat s'en mêle fasse crever les deux yeux à un homme à qui l'on
+ne peut guère reprocher qu'un excès de dévouement à la dynastie
+régnante. Justinien est-il donc si mauvais politique? et ne voit-il pas
+que cet exemple n'est pas encourageant?
+
+Quoi qu'il en soit, voilà Bélisaire aveugle et qui part bientôt, pour
+l'exil, guidé, par sa fille Irène, qui joue près de lui le même rôle
+qu'Antigone auprès d'OEdipe. Ils arrivent au mont Hémus. Là, ils
+rencontrent des Alains.
+
+Ces Alains sont au nombre de vingt, ou à peu près, et telle est la
+grandeur de leur courage, qu'ils ont entrepris d'attaquer Constantinople
+et de mettre cette grande capitale à feu et à sang. Il est vrai qu'ils
+ont un chef qui ne plaisante pas, et qui ne connaît point d'obstacles:
+c'est Alamir, cet ami de Bélisaire dont je vous ai déjà parlé. Il a juré
+de venger le grand homme opprimé, et de noyer Constantinople dans des
+flots de sang. Mais Bélisaire le fait bien vite revenir à résipiscence.
+Bélisaire est toujours citoyen dévoué, sujet fidèle, et le malheur ni
+l'injustice n'ont eu aucune prise sur sa grande âme. Enfin, comme le
+drame touche à son dénoûment. Bélisaire reconnaît bientôt dans Alamir ce
+fils qu'il avait jadis condamné à mort, et qu'il croyait avoir perdu.
+
+L'empereur, à la nouvelle de l'incursion des Alains, a fait marcher ses
+troupes à leur rencontre. Bélisaire se met, de son autorité privée, à la
+tête de l'armée grecque. Comment l'accepte-t-elle pour chef, et comment
+s'y prend-il pour la commander? C'est ce que je ne saurais dire, puisque
+l'auteur a négligé d'éclaircir ce point; mais il bat les Alains, et
+c'est ce qui importe le plus à l'empereur et aux habitants de
+Constantinople.
+
+Hélas! tout a une fin sur cette terre, les plus grands héros comme les
+plus absurdes livrets. On apporte un brancard dans la tente de
+Justinien. Sur le brancard est étendu le conquérant de l'Afrique et de
+l'Italie, et le vainqueur des Alains, qui a reçu le coup mortel à cette
+dernière bataille, et vous pouvez à votre choix, selon votre goût et vos
+dispositions particulières, pleurer le trépas du grand capitaine, ou
+rire tout à votre aise des incroyables inepties de l'auteur du
+_libretto_.
+
+Vous ne rirez pas du moins de la partition, et c'est l'essentiel. Il y
+a, dans l'oeuvre de M. Donizetti, des morceaux remarquables en assez
+grand nombre pour qu'on lui pardonne ceux où il s'est un peu négligé. Ne
+parlons pas de ceux-ci, mais indiquons au lecteur une jolie cavatine,
+pleine de sentiment et de distinction, et que mademoiselle Nissen
+exécute à merveille;--un duo pour basse et ténor, dont _l'andante_,
+tendre et pathétique, contraste de la manière la plus heureuse avec la
+_strette_ brillante qui le termine;--un choeur de sénateurs, qu'il ne
+faut pas comparer au choeur des juges dans la _Pie Voleuse_, mais qui
+n'en a pas moins un mérite fort distingué;--un finale à six voix, où
+brillent des traits énergiques et de très-grands effets. Tout cela est
+dans le premier acte, ou, comme dit l'auteur du livret, dans la première
+partie.
+
+Au second acte l'air d'Alamir: _Trema, Bisanzio_, est plein d'éclat et
+de force. Il fait beaucoup d'effet; il en ferait plus encore si M.
+Corelli le nasillait, un peu moins. Hélas! qui n'a pas en ce monde un
+péché d'habitude, où il tombe malgré lui, et le plus souvent sans s'en
+douter? Le péché mignon de M. Corelli est de prendre quelquefois son nez
+pour sa bouche, et de se servir indifféremment, pour chanter, de l'un et
+de l'autre. Mais que fais-je, moi? et pourquoi vais-je m'accrocher au
+nez de M. Corelli, pendant que mademoiselle Nissen et Fornasari sont là
+qui m'appellent?
+
+Rien de mieux pensé ni de mieux écrit que le duo chanté par ces deux
+virtuoses; rien de plus gracieux, de plus tendre, de plus pathétique. La
+situation était de celles qui conviennent, particulièrement au talent de
+M. Donizetti. Il l'a traitée de main de maître, et y a versé à pleine
+mesure les charmantes mélodies et la sensibilité douce et passionnée
+tout à la fois, qui font de Lucie de Lammermoor une oeuvre si aimable et
+si séduisante. Ce duo est le morceau capital de la partition de
+_Belisario_; il n'y a que le trio de la reconnaissance, au troisième
+acte, qui puisse lui être comparé: les mêmes qualités s'y retrouvent, et
+les trois voix y sont agencées avec cette habileté magistrale dont les
+musiciens italiens ont seuls le secret.
+
+Le choeur des Alains, qui précède ce duo, est aussi un morceau
+remarquable: le, rhythme fougueux et désordonné que l'auteur a choisi
+peint à merveille le courage effréné et la soif de pillage qui animent
+ces Barbares. Mais je regrette que le public n'ait pas fait plus
+d'attention à la ritournelle qui sert d'introduction à ce troisième
+acte; elle est vraiment magnifique, et les gens de goût me sauront gré,
+je l'espère, de la leur avoir signalée.
+
+La première représentation de _Belisario_ était également intéressante
+par l'importance de l'ouvrage et par le début de M. Fornasari. Ce jeune
+chanteur a de très-grandes qualités; sa voix est fort belle: c'est une
+basse-taille très-grave, mais qui,--chose rare,--s'élève avec une
+extrême facilité. Il suit de là que M. Fornasari peut chanter à volonté
+les rôles de baryton et les rôles de basse. Il a beaucoup de force et de
+volume, avec beaucoup d'agilité. Tout cela, j'en conviens, n'est pas
+encore suffisamment réglé, et il y aurait bien quelque chose à dire sur
+la manière dont M. Fornasari emploie ce bel instrument; mais il l'a, et
+c'est le point important. Avec du travail et de bons conseils, il saura
+promptement, s'il le veut, la manière de s'en servir.
+
+Comme acteur, il n'est pas non plus irréprochable; mais il ne pêche que
+par excès de zèle, précieux défaut, et dont il est bien facile de se
+corriger.
+
+M. Fornasari a d'ailleurs un visage noble et expressif, et une taille
+dont les proportions sont magnifiques. Quand il saura modérer un peu ses
+mouvements; quand il ne perdra plus le fruit de ses bonnes intentions,
+en allant au-delà du but; quand il détaillera un peu moins son chant et
+son rôle, et qu'il ne cherchera plus à faire de l'effet à chaque note et
+à chaque mot,--entreprise folle, et dont le succès est
+impossible,--alors M. Fornasari réalisera toutes les espérances que son
+apparition a fait naître. Puisse-t-il ne pas se manquer à lui-même, et
+ne rien perdre de la riche moisson que l'avenir lui prépare!
+
+Courrier de Paris
+
+Les gourmets de Cours d'assises ont on de quoi se satisfaire cette
+semaine; le procès des vingt-trois voleurs est un de ces régals complets
+qui ne leur laissent rien à désirer. Aussi la foule a-t-elle suivi avec
+avidité devant la justice, les débats de la criminelle histoire, tandis
+que l'habitué des cabinets de lecture passait ses heures en tête à tête
+avec le _Droit_ et la _Gazette des Tribunaux_.
+
+Cette représentation tragi-comique est remarquable, en effet, par
+l'audace des entreprises, l'infernale habileté des acteurs, leur
+sang-froid cynique, leur longue impunité; elle met au jour des
+caractères, des moeurs, des personnages qui étonnent même après les
+révélations que les réquisitoires et les romanciers ont faites de la vie
+ténébreuse et scélérate de ces bohémiens. C'est un curieux supplément
+aux _Mystères de Paris_.
+
+Les chefs sont Flachat et Courvoisier, les plus féconds et les plus
+résolus à l'escalade et au bris de serrures; tous deux trempent dans
+toutes les entreprises; on les retrouve partout, à l'assaut des caisses,
+des portefeuilles et des secrétaires. Flachat se contente d'être l'homme
+d'action; Courvoisier ajoute à la pratique du crime l'art de faire des
+criminels: il épie l'honnête ouvrier au seuil de sa vie laborieuse, le
+flatte, le caresse, fait briller à ses yeux l'appât de l'or, et peu à
+peu l'entraîne dans sa complicité; si le malheureux se débat encore sur
+le bord de l'abîme et recule devant le danger du crime, «Bah! laisse
+donc, lui dit Courvoisier; il n'y a rien à craindre, ça me connaît!» et,
+par cette audace, il le décide.
+
+Une autre différence distingue Flachat de Courvoisier: Flachat avoue
+volontiers tous les vols qu'on lui impute, les plus grands comme les
+plus petits--Courvoisier met de l'amour-propre dans sa honte: il tient à
+ne pas passer pour un petit voleur. C'est l'aristocrate de la bande;
+dites-lui qu'il a volé princes, ducs, comtes, marquis, barons, il le
+confessera avec le plus complet abandon; tout au plus osera-t-il
+contredire les dépositions d'un air d'extrême politesse; «M. le comte de
+Biencourt m'accuse de lui avoir pris 6,000 fr.; j'en demande bien pardon
+à monsieur le comte, mais je n'ai trouvé que 3,000 fr. dans sa caisse!»
+Il ne manque jamais de dire: _Monsieur le baron_, en parlant de M. de
+Ladoucette, auquel il a dérobé pour 60,000 livres d'or et de diamants.
+On ne vole pas les gens avec plus d'égards!
+
+Mais que le président s'avise de vouloir comprendre Courvoisier dans un
+misérable vol de 30 fr., «Ah! pour celui-là, monsieur le président, je
+n'en suis pas; fi donc!»--Le président insiste-t-il? «Vous le voulez? eh
+bien! soit: j'en serai, puisque ça paraît vous faire plaisir; mais,
+parole d'honneur, c'est pour ne pas vous contrarier; et puis, un de plus
+on de moins, ça ne vaut vraiment pas la peine de discuter!»
+
+Courvoisier a toujours été maître de lui et s'est imposé une ligne
+d'attentats qu'il n'a jamais dépassée; acceptant le bagne pour
+pis-aller, il s'était dit: «Tu n'iras pas plus loin!...»--Un de ses
+complices lui propose de dévaliser, pendant la nuit, un marchand: «S'il
+s'éveille? dit Courvoisier!--Eh bien! nous lui _donnerons le
+tour!_--Merci! je ne fais pas ce commerce-là!»
+
+Vous diriez, en effet, à les entendre, qu'ils sont tous d'honnêtes
+négociants: on ne tient pas un autre langage dans les magasins de la rue
+de la Verrerie ou de la rue Saint-Denis. «C'est Droin qui m'a proposé
+l'affaire, dit Flachat; je l'ai trouvée bonne, je l'ai acceptée.»--Plus
+loin, parlant du vol accompli dans l'hôtel de M. le prince de
+Beaufremont, «Je savais que la maison était bonne; que c'étaient des
+gens très-bien, des gens comme il faut!» Une autre fois, il s'exprime
+comme un général d'armée: «On est entré par le jardin malgré moi; mon
+avis était qu'on dirigeât l'attaque par le rez-de-chaussée.»
+
+Entre Courvoisier et Flachat, voici Laire, leur digne associé; Laire,
+l'ancien légiste, l'ex-maître clerc, le voleur lettré, qui cachait des
+cachemires parmi les dossiers de son étude, et débite à l'occasion des
+citations de Delille et de Virgile. Profitant de sa qualité de poète,
+Laire va visiter le tombeau de l'Empereur, en attendant l'heure de voler
+M. Brongniart, de l'Académie des Sciences. Du reste, il parle de ses
+complices d'un ton de supériorité, et appelle Labrue «Ce pauvre garçon!»
+
+Labrue est l'honnête ouvrier que les conseils de Courvoisier ont
+perverti. «Un jour M. Courvoisier me dit: Viens déjeuner avec moi;
+j'acceptai, et ce fut là mon malheur. Tout en déjeunant, il m'a fait
+philosopher sur trente-six choses; ç'a été le commencement de tout.»
+Cependant Labrue avait évidemment un fond de dispositions très-grandes
+pour la philosophie de Courvoisier, car d'élève qu'il était tout à
+l'heure, il devint bientôt passé maître. C'est Labrue qui fabriquait les
+fausses clefs, forçait les coffres-forts et les serrures; sa science de
+serrurier lui avait naturellement valu ce terrible emploi. Plus d'une
+fois, et notamment chez. M. Brongniart, Labrue, qui avait une bonne
+clientèle et jouissait d'une excellente réputation, fut mandé, comme
+serrurier, pour réparer les dégâts qu'il venait de faire comme voleur.
+
+Gauthier fait le bon apôtre: à l'en croire, Courvoisier a été son
+mauvais génie, Courvoisier l'a tenté un jour qu'il se débattait entre un
+huissier et un protêt; Gauthier était marchand de vins.--Courvoisier
+prétend que le bonhomme Gauthier joue la modestie, et qu'avant de
+_travailler_ avec lui, il était déjà dans _le bon chemin_. Courvoisier
+pourrait bien avoir raison, les premières _affaires_ que fit Gauthier
+après leur association semblent le prouver: il vola son correspondant et
+dévalisa son propriétaire.
+
+Engérer, le receleur, nie tout d'une voix aigre et sardonique, tandis
+que la femme Roche, la maîtresse de Flachat, proteste avec fracas de sa
+vertu et de son innocence. Il y a ensuite les subalternes, qu'il me
+répugne de nommer; c'est déjà trop d'être demeuré si longtemps avec les
+chefs.--A l'un le président dit:» Vous avez été condamné à cinq ans de
+réclusion.--Qu'est-ce que cela prouve?» répond-il.
+
+L'autre, à l'entendre, débuta par des niaiseries, par des _broutilles_;
+puis il ajoute: «Peu à peu l'ambition m'est venue; je me suis lancé dans
+les grandes affaires; mais je n'ai pas eu de bonheur, ça s'est bâclé par
+vingt ans de galères!»
+
+Le niais ne manque pas à la troupe; ainsi la pièce est complète; tandis
+que tous ces bandits s'adressent aux billets de banque et aux
+pierreries, Vavasseur escamote trente livres de beurre à une fruitière;
+aussi soutient-il qu'il n'a pas l'honneur d'être un voleur de
+profession: il s'est trouvé; un jour très-affamé de beurre frais, voilà
+tout.
+
+Nous avons réservé Flachat pour le dernier chapitre; c'est que Flachat,
+par sa hardiesse, son effronterie, la singularité de ses actions et le
+tour de son esprit, est certainement le personnage le plus curieux de
+cette odyssée de mécréants.
+
+Flachat dit en voyant entrer chez lui le commissaire de police: «Bien!
+il paraît que c'est fini!» Après avoir escaladé, avec Courvoisier et
+Labrue, une fenêtre de l'hôtel de M. de Crillon, il entend le son d'un
+piano dans la pièce voisine. «Bon! bon! s'écria-t-il; tant qu'on fera de
+la musique, ça ira bien.» Confronté avec M. Veyrat, dont il a forcé la
+caisse, «Cela ne valait pas la peine que je me suis donnée; M. Veyrat
+est propriétaire, M. Veyrat est riche, de quoi se plaint-il? il devrait
+plutôt me remercier de l'avoir tenu quitte à si bon marché.»
+
+Dans son ardeur de déprédation, Flachat n'épargnait personne; il
+n'épargna pas même sa femme. C'était une honnête créature, séparée
+depuis longtemps de ce malheureux, et qui servait chez madame la
+princesse de La Tremoille en qualité de femme de chambre. Un jour,
+Flachat dit à Courvoisier: «Tiens, j'ai une drôle d'idée: il faut que je
+reprenne à mon épouse les cadeaux de noce que je lui ai faits...» Et,
+peu de jours après, il pénétrait dans l'hôtel de La Tremoille et
+enivrait le portier, tandis que Courvoisier accomplissait le crime.
+Courvoisier voulait pousser l'attentat, de la femme de chambre à la
+princesse, mais il rencontra dans une des galeries le tombeau du prince
+de La Tremoille: «J'eus peur, a-t-il dit depuis, en voyant cette tombe,
+et je me sauvai par la fenêtre.»
+
+Après sa femme, Flachat vola deux de ses maîtresses. «Nous n'avons rien
+de mieux à faire aujourd'hui, dit un matin Flachat à deux de ses
+complices; allons à la campagne, ça nous promènera.» Et il les mène chez
+sa belle-mère, qu'ils dévalisent. Mais voici le fait le plus curieux:
+ces deux hommes, après le crime, s'installent dans la chambre à coucher
+de la pauvre femme, boivent son vin, s'enivrent et bientôt se roulent
+sur les fauteuils et sur le lit. Ah çà! s'écrie Flachat; qu'est-ce que
+c'est qu'une conduite comme ça? voulez-vous bien finir? je suis chez
+moi; si cela continue, je vous mets à la porte!»
+
+Flachat a tiré vanité à l'audience, d'un trait de singulière humanité;
+il s'agit de Labrue, qui vint un jour lui demander un prêt d'argent: «Tu
+as besoin d'argent, lui dis-je; eh bien! je vais t'en procurer.
+Précisément j'avais en vue, ce jour-là, une excellente affaire, _le vol
+Lallemand_; je le _donnai_ à Labrue, qui me le _remboursa_ plus lard.»
+Une autre fois, il promet 150 francs à Jossien sur le produit d'un vol
+auquel il le dispense de participer, et il les lui donne en effet. «Que
+voulez-vous, monsieur le président! Jossien n'était pas heureux, je
+venais à son secours.»
+
+Le drame s'est dénoué comme on devait s'y attendre: Courvoisier,
+Gauthier, Labrue, Flachat, ont été condamnés l'un à trente, l'autre à
+vingt-cinq, celui-là à vingt, celui-ci à dix-huit ans de travaux forcés;
+le reste à une expiation moins longue et moins terrible.
+
+Sortons de cette atmosphère de bagnes et cherchons un air pur; nous en
+avons besoin. En quittant ces hommes que le crime dégrade et qui se
+servent fatalement de leur intelligence, on est heureux de trouver une
+de ces natures courageuses et dévouées qui triomphent des difficultés
+d'une portion subalterne pour s'élever et s'ennoblir par l'esprit. Ainsi
+a fait un jeune ouvrier de Rouen du nom de Beuzeville. Beuzeville était
+un simple tisserand; tandis qu'il poussait la navette, la muse venait le
+visiter; artisan pendant le jour, la nuit il était poète; son instinct,
+ses veille assidues lui révélaient les secrets de la rime et du style.
+Il finit par tisser une ode et une élégie comme une pièce de toile, avec
+la même habileté; nous citerons pour preuve de ce talent poétique de
+charmantes pièces de vers publiées par Beuzeville il y a quelque temps,
+sous ce titre naïf et doux: _les Petits Enfants_. De ces simples essais,
+le tisserand s'est élevé peu à peu jusqu'à l'art de Corneille; on parle
+d'une tragédie de _Spartacus_ dont il est l'auteur. L'ouvrage, lu au
+comité du Théâtre-Français, a produit une certaine sensation. Sans
+limite la trame n'est pas encore très-savante, les fils s'enchevêtrent
+et se rompent plus d'une fois; mais l'artiste se montre sous les fautes
+de l'ouvrier. Allons, courage! poète et tisserand, ourdissez à vous deux
+quelque tragédie solide et touchante.
+
+
+
+Nous parlons de la tragédie, au moment où elle prend le deuil d'une de
+ses belles reines. Madame Paradol vient de mourir. Bien qu'elle eût
+quitté le théâtre depuis deux ou trois ans, on ne l'avait pas oubliée;
+mais c'était peut-être moins son talent que le public se rappelait, que
+sa personne. Les héritières qui se sont présentées pour recueillir sa
+succession, les Agrippine et les Athalie qui ont tenté de ceindre, après
+elle, la couronne tragique, ont toutes été complices de ces regrets
+donnes à madame Paradol. En les voyant si dépourvues de noblesse et de
+majesté, on pensait naturellement à cette Clytemnestre en retraite qui
+avait du moins la beauté, si le génie lui manquait.
+
+Madame Paradol, en effet, aura été la dernière de la grande race des
+reines tragiques;--je me trompe: il nous reste mademoiselle
+Georges.--Elle avait la taille ample et haute, le profil noble et fier,
+le front propre à porter le diadème; les mains, les bras, les épaules
+étaient d'une impératrice. Le Théâtre-Français a eu beau chercher: du
+jour où elle n'a plus été là, il n'a trouvé que des blanchisseuses. Les
+reines aussi s'en vont!
+
+Née à Paris le 4 janvier 1798, à dix-huit ans elle fit ses premières
+armes au théatre; mais elle n'alla pas droit à Corneille et à Racine; ce
+ne fut que plus lard et par un détour qu'elle leur arriva; la tragédie
+lyrique eut ses premières amours avant l'autre tragédie; madame Paradol
+chanta d'abord, en attendant qu'elle déclamât. En 1816, elle débutait à
+l'Académie royale de Musique; en 1818, à l'Opéra de Marseille, où elle
+resta un an en qualité de Didon et d'Alceste. Le 23 juillet 1819, elle
+dit adieu à Gluck et à Spontini, et fut admise au Théâtre-Français. A
+dater de cette époque, madame Paradol y tint l'emploi des reines, comme
+on dit en style du terroir, avec zèle, avec dévouement, et souvent avec
+succès. Les amateurs se rappellent particulièrement le caractère tout
+tragique qu'elle donna à la _Jane Shore_ de Lemercier.
+
+[Illustration: Madame Paradol, décédée le 23 octobre 1843.]
+
+Elle est morte après des souffrances inouïes; il y a plus d'un an qu'on
+s'attendait, de jour en jour, à son dernier soupir. Cette longue agonie,
+la pauvre femme l'a supportée avec une constance véritablement héroïque,
+relevant le courage de ceux qui pleuraient autour d'elle, et gardant sa
+sérénité jusqu'au moment suprême.
+
+C'était un coeur excellent, disent ses amis, un peu bruyante quelquefois
+et inconsidérée, mais aimée de tout le monde, et méritant cette
+affection par une rare bonté.
+
+Les sylphides et les artistes finiront par devenir inaccessibles. Les
+journaux de Saint-Pétersbourg ou de Berlin ont rapporté, tout récemment,
+l'aventure à la dragonne de la charmante danseuse mademoiselle Montés,
+et le grand coup de cravache dont elle gratifia, tout au travers du
+visage, un soupirant indiscret; procédé un peu cavalier, qui étonnerait
+moins d'une écuyère de M. Franconi.
+
+Une de nos jolies actrices de vaudeville fait mieux ou pis encore; ce
+n'est pas la cravache, mais le pistolet qu'elle manie à ravir. Elle ne
+manque pas une poupée, et fait la mouche à tout coup; heureusement
+qu'elle la prend rarement. On raconte cependant un fait qui peut donner
+de l'inquiétude: un vieux guerrier, qui a la prétention d'enlacer encore
+le myrte au laurier, adressa l'autre jour à notre jolie héroïne une
+déclaration sur papier satiné. Ce n'était pas une déclaration de guerre.
+Mademoiselle Page,--il est temps de l'appeler par son nom,--n'a qu'un
+penchant très-médiocre pour les gloires de l'Empire; elle les respecte
+trop pour les aimer. Sa petite main blanche répliqua donc au vieux brave
+par une fin de non recevoir; l'autre, loin de se décourager, fit
+remettre sa carte à la cruelle, qui la lui renvoya percée de quatre
+balles, avec ces mots tracés au crayon: «Par mademoiselle Page, il
+quarante pas.»
+
+On assure que cette manie guerrière devient épidémique; la plupart de
+ces demoiselles se mettent sur le pied de guerre; mademoiselle D..., de
+l'Académie royale de Musique, parle de s'entourer de bastions et de
+forts détachés; mademoiselle M..., d'une enceinte continue;
+mesdemoiselles C., S., R. et N. prennent des leçons de Grisier et vont
+d'estoc et de taille; quant à mademoiselle Déjà..., elle n'a rien à
+craindre: sa vertu a plus de trente ans de salle.
+
+L'aventure du jeune Arthur de B... fait grand bruit dans les boudoirs de
+la Chaussée-d'Autin; Arthur de B... est un jeune homme naïf et tout
+récemment éclos au jour de ce monde tentateur; arrivé depuis six mois de
+sa Bretagne, il en a encore les moeurs pures et tant soit peu sauvages.
+Une certaine baronne de ***, sa parente, et un peu douairière, entreprit
+dernièrement, dit-on, de civiliser ce naturel farouche; mais notre jeune
+Breton se cabra et y laissa son manteau. «Comment va ton jeune neveu
+Arthur? demandait le lendemain à la baronne une de ses amies
+intimes.--Qui, ma chère?--Arthur!--Ah! laissons donc: il s'appelle
+Joseph!...»
+
+Le Théâtre-Italien avait annoncé la reprise de _Semiramide_ pour mardi
+dernier; tout était prêt, les musiciens et les gosiers; cependant on n'a
+pas joué _Semiramide_. Quoi donc! Assur aurait-il été pris d'un
+enrouement subit, et Ninias d'une migraine! La chose est bien plus
+grave; le matin, M. Fornasari avait déclaré qu'il lui était impossible
+de chanter le rôle d'Assur.--Faute de voix?--Non pas; mais faute de
+barbe: la barbe que le costumier lui fournissait étant, à son avis, trop
+courte d'un pouce. M. Vatel a du céder à cette puissante raison; le
+bonhomme!--A sa place, j'aurais fait raser complètement M. Fornasari!
+
+Notre siècle s'égaye de plus en plus; pour peu que cette belle humeur
+continue, nous arriverons à une gaieté folle. Voici une preuve
+incroyable de cette jovialité: le théâtre du Vaudeville joue depuis
+quelques jours un drame de madame Ancelot intitulé _Madame Roland_;
+savez-vous ce que ce gai Vaudeville, dit _l'Enfant né malin_, a fait
+mettre sur ses contremarques; _Madame Roland agenouillée devant la
+guillotine: gai! gai! la farira don daine!_
+
+[Illustration.]
+
+Je finis par le Protée anguillard _(Proteus anguinus)_ que le
+Jardin-des-Plantes vient d'enrégimenter dans son armée: _l'Illustration_
+se fait un plaisir de vous offrir, par ses mains, le portrait de cet
+intéressant animal; faites-lui bon accueil, et récompensez par là le
+soin qu'on a de vous donner, à l'instant même de leur naissance, de leur
+mort ou de leur apparition, le _fac simile_ de tous les personnages
+dignes d'attention, Protées ou non.
+
+
+
+Les Vendanges.
+
+[Illustration.]
+
+Triste année! tristes vendanges! Après avoir taillé avec soin au-dessous
+du premier on du second oeil, labouré et biné deux fois, employé la houe
+et la pioche, dressé des échalas, renouvelé les ceps par le provignage,
+le vigneron espérait que de vivifiantes chaleurs achèveraient son
+oeuvre, et les chaleurs ne sont pas venues. La vigne a besoin de soleil
+et redoute la pluie; or, elle a eu, cette année, beaucoup de pluie et
+peu de soleil; l'humidité, en a énervé les racines; le froid et les
+vents en ont étiolé la tige; la _coulure_ a gagné les ceps les plus
+robustes; et quand le mois de vendémiaire a ramené l'époque de la
+récolte, il n'y avait pas de récolte à faire. Force a été d'attendre,
+d'ajourner la proclamation du _ban de vendange_, qui se publie
+d'ordinaire du 8 au 20 septembre dans le Midi, du 20 au 30 septembre
+dans les autres départements. On a fini par recueillir tardivement
+quelques raisins étiques, dont les intempéries avaient arrêté le
+développement; et, dans plusieurs localités, on a pu dresser
+procès-verbal de carence. De là une hausse subite dans le prix des vins;
+ceux du Midi ont éprouvé cinquante pour cent d'augmentation; les pièces
+de bordeaux sont montées de 110 à 140 fr.; celles de bourgogne de 70 a
+100 fr.; et celles des vins de la Loire de 26 à 75 fr.; les producteurs
+ont perdu; les débitants ont gagné; mais une mauvaise vendange est, en
+somme, une calamité nationale, dans un pays dont les vignobles occupent
+2,134,822 hectares. Quoique l'Allemagne s'enorgueillisse du johannisberg
+et du hocheim; la Hongrie, du tokai; l'Italie du lacryma-christi;
+l'Espagne, du xérès et du malaga; le Portugal, du porto; le. Cap, du
+constance; l'Asie-Mineure, du Chypre, la France tient le premier rang
+dans la viniculture du monde entier. Elle produit annuellement, en
+moyenne, 36,563,796 hectolitres de vin, et 7,088,802 hectolitre
+d'eau-de-vie. Sur quatre-vingt-six départements, neuf seulement sont
+dépourvus de vignes; le Calvados les Cotes-du-Nord, la Creuse, le
+Finistère, la Manche, l'Orne, le Nord, le Pas-de-Calais et la
+Seine-Inférieure; les autres donnent des vins plus ou moins estimés. La
+pépinière nationale du Luxembourg, établie par le ministre de
+l'intérieur Chaptal, avec le concours du botaniste Bosc, a possédé
+jusqu'à 370 variétés de raisins cultivé
+
+[Illustration.]
+
+en France, distingués par leur forme et leur couleur: 114 noirs à grains
+ovales; 190 noirs à grains ronds; 75 blancs à grains ovales; 134 blancs
+à grains ronds; 19 gris ou violets à grains ovales, 38 gris ou violets à
+grains ronds. La collection du Jardin de Botanique de Montpellier réunit
+560 espèces. La qualité de nos vignes varie à l'infini, non-seulement
+d'une contrée à l'autre, mais encore d'un coteau au coteau voisin,
+suivant l'exposition, suivant la nature du sol et du sous-sol. Que de
+plants divers! que de crus justement célèbres! Dans l'ancienne province
+de Bourgogne seulement vous comptez, les vins de Nuits, Chambertin,
+Romanée, Richebourg, Clos-Vougeot, Musigny, Beaune, Meursault,
+Montrachet, Volney, Pomard, Corton, Mâcon, Thorins, Moulin-à-Vent,
+Pouilly, Chablis, Tonnerre, Trancy, Coulanges-la-Vineuse et
+Saint-Julien-du-Sault. Sur les collines siliceuses et les _graves_ de la
+Gironde se récoltent les vins de Château-Laffitte, Château-Margaux,
+Haut-Brion, Saint-Émilion, Carbonieux, Saint-Bris, Rommes, Barsac et
+Sauterne. Voulez-vous égayer vos desserts, dérider les physionomies,
+provoquer les chansons, donner de l'enjouement aux plus tristes, de la
+vivacité aux plus lents, de l'esprit aux moins capables, servez le
+pétillant Champagne; mais, pour éviter la contrefaçon, ayez, soin de
+vous assurer qu'il a été recueilli sur les rives de la Marne, à Sillery,
+Épernay, Ai, Montbré, Bouzy, Hautvilliers ou Verzenay. Aimez-vous les
+vins de liqueur, demandez au département de l'Hérault son hinel et son
+frontignan. Voulez-vous des vins exquis, susceptibles de se garder plus
+d'un siècle, et se bonifiant sans cesse avec l'âge, cherchez-les sur le
+coteau de l'Ermitage, où un cénobite planta jadis des ceps qu'il avait
+rapportés de Perse, et qu'on nomme encore dans la Drôme le _gros_ et le
+_petit schiras_. Plus loin, sur les rives du Rhône, sont les vignobles
+de Millery, de Condrieux de Côte-Rôtie, du Juliénas. A l'embouchure du
+fleuve, des navires se chargent des muscats ambrés de la Ciotat. Près de
+l'Espagne, aux pieds des Pyrénées, croissent trois excellentes variétés:
+le _grenache_, le _mataro_ et le _carignan_. Port-Vendres, Collioure et
+Banyuls fournissent ces nectars liquoreux connus sous les noms de
+_grenache_ et de _rancio_; Rivesaltes, Cospron, Salces, Terrats,
+Corneilla-de-la-Rivière, peuvent opposer leurs vignobles à ceux de la
+Péninsule Ibérienne. Les Béarnais vantent le vin de Jurançon, patronné
+par les souvenirs de Henri IV.
+
+[Illustration: La Treille du roi, à Fontainebleau.]
+
+L'Aude a sa _blanquette_ de Limoux; la Haute-Vienne, les vins de
+Saint-Georges et de Champigny-le-Sec; les Vosges, ceux de Mirecourt et
+de Rebeuville; le Loiret, le vin de Beaugency; l'Indre-et-Loire, le
+Vouvray; la Moselle, les vins rouges d'Augny et de Jony; Vaucluse, le
+muscat de Beaumes-de-Venise; la Nièvre, le Pouilly-Nivernais; l'Ardèche,
+le Saint-Péray; le Cher, les vins de Sancerre; la Sarthe, le vin des
+Jasnières. Les vignes de la Charente-Inférieure, du Gers, de
+Lot-et-Garonne, alimentent de nombreuses distilleries.
+
+Outre les vins dont la réputation est européenne, le voyageur qui
+parcourt la France trouve dans des hameaux obscurs, chez des
+propriétaires campagnards, des crus ignorés, d'une étendue médiocre,
+mais préférables souvent, par leur bouquet et leur verdeur, aux produits
+des vignes en renom. Tant de richesses font de la vendange la plus
+importante des opérations agricoles de la France; on s'y prépare
+plusieurs semaines à l'avance, en nettoyant et lavant à la chaux tous
+les instruments qu'on y doit employer: les _vendangereaux_, paniers
+d'osier où l'on dépose les raisins; les _teilles_, petites boîtes
+coniques qui servent au même usage; les _balonges_, charrettes destinées
+à transporter la vendange à la cuverie, etc. Dès que la queue des
+grappes brunit qu'elles quittent aisément les ceps, que les grains
+s'amollissent et acquièrent de la
+
+[Illustration.]
+
+transparence, les vendangeurs doivent se tenir prêts. Dans la plupart
+des pays vignobles, l'autorité municipale règle leur marche, du moins en
+ce qui concerne les vignes non closes, et les contrevenants peuvent être
+punis, conformément à l'article 475 du Code pénal, d'une amende de 5 à
+10 fr. Le jour fixé se lève; les premiers rayons du soleil dissipent la
+rosée; les cueilleurs et les cueilleuses s'éparpillent sur les collines,
+ils se rangent en face de la vigne, entrent et suivent chacun son sillon
+jusqu'à l'extrémité opposée. Quoique M, Campenon, de l'Académie
+Française, ait dit dans son poème de _la Maison des champs_:
+
+ Il en est temps; que la jeune bacchante
+ Saisisse alors la serpe impatiente,
+
+jamais les vignerons ne saisissent la serpe; mais ils s'arment de
+sécateurs ou de ciseaux, qui tranchent la grappe sans secousses. Les
+raisins, placés au fur et à mesure dans les _vendangereaux_, sont versés
+dans les _tendelins_ par les porteurs de _vide-paniers_, qui les
+transfèrent à la cuverie. D'autres fois, des mulets sont mis en
+réquisition; ou la récolte, jetée dans un envier de forme ovale, est
+voiturée sur une _balonge_. A la cuverie, les cultivateurs qui désirent
+un bon produit, s'occupent de trier les grappes, de les assortir,
+d'enlever les drains verts ou pourris. Dans trente-quatre départements
+on a l'habitude de séparer les grains de la rafle, et les oenologues
+n'ont pas encore décidé si cette méthode est avantageuse ou nuisible.
+Les raisins égrappés donnent un vin plus savoureux, disent les uns; les
+rafles ajoutent à la cuvée un ferment nécessaire, prétendent les autres,
+_Certant, et adhuc sub judice lis est_; mais tous s'accordent à
+reconnaître la nécessité du foulage. Deux poutres, appuyées sur les
+bords du cuvier, supportent une caisse dont les côtés sont des liteaux
+assez peu espacés pour ne pas livrer passage aux grains. Un vigneron,
+chaussé de gros sabots, monte dans cette caisse, pétrit les grappes sous
+ses pieds; puis, soulevant l'un des liteaux, pousse le marc dans la
+cuve, où bout déjà le suc exprimé. Les vignerons arriérés se
+déshabillent et entrent pour fouler dans la cuve même, où ils prennent
+un bain tonique, mais qui répugne aux consommateurs délicats.
+
+[Illustration.]
+
+Les vignerons progressifs emploient les fouloirs mécaniques de MM.
+Lenoir, ou Thiébault de Berneaud, ou Guérin de Toulouse, machines
+composées de Cylindres de bois tournant en sens opposés, au moyen de
+roues d'engrenage. Les cuves où le vin fermente sont, suivant les
+contrées, ouvertes ou fermées, en bois de chêne ou en maçonnerie. Au
+bout de quelques heures, la masse liquide frémit et bouillonne, l'acide
+carbonique se dégage en bulles pétillantes, l'alcool se produit, les
+rafles et les pellicules montent à la surface du _moût_, et le coiffent
+d'un amas de détritus qu'on nomme le _chapeau_. Quand la fermentation
+tumultueuse a cessé, les travailleurs distribuent le vin dans les fûts
+avec des baquets appelés _sapines_, à moins qu'on n'ait adapté à la
+partie inférieure du cuvier un robinet qui permet de décuver avec plus
+de vitesse et de facilité. Le marc est mis sur la table du pressoir, et
+l'on en forme une masse cubique appelée _le sac_ que l'on recouvre de
+madriers.
+
+La vis du pressoir est d'ordinaire mise en mouvement par une roue qui
+reçoit, dans sa périphérie creusée en gorge, le bout d'une corde dont
+l'autre extrémité s'enroule sur un cabestan. On distingue les pressoirs
+à _étiquet_, à _coffre simple_ ou _double_, à _levier_ ou à _tesson_,
+dont nous épargnerons à nos lecteurs la scientifique description,
+incompréhensible d'ailleurs pour quiconque n'a pas fait une étude
+spéciale de la mécanique.
+
+La vis crie; le _mouton_ qu'elle pousse pèse sur le marc et achève d'en
+extraire le suc; on reforme le _sac_ à plusieurs reprises, jusqu'à ce
+que les raisins aient cédé toute leur partie liquide. Le produit du
+pressurage est, _ad libitum_ mis à part ou mêlé au vin de la première
+cuvée. La fermentation s'achève dans les tonneaux, qu'on ne boutonne
+hermétiquement que lorsque la lie s'est précipitée. Là s'arrête les
+travaux des vendangeurs; au tonnelier reviennent le collage, le méchage
+des pièces, le soutirage et la conservation des vins. La fabrication des
+vins blancs est moins compliquée; on ne les fait point cuver avec le
+marc, excepté dans les arrondissements de Wissembourg et de Schelestadt
+(Bas-Rhin), d'Agen et du Nérac (Lot-et-Garonne). Les grappes sont
+écrasées sur le marc du pressoir; le vin coule dans les tonneaux, où on
+le laisse fermenter sur la lie, jusqu'au premier soutirage, qui a lieu
+au mois de mars ou d'avril suivant.
+
+[Illustration.]
+
+Avant de cueillir les raisins qu'on réserve pour faire du vin blanc, on
+attend d'ordinaire qu'ils aient atteint un excès du maturité. Ainsi l'on
+en vendange à Agen qu'à la fin d'octobre; à Condrieux, à Saumur qu'à la
+mi-novembre; à Jurançon, à Gaud, à Monein (Basses-Pyrénées), que dans les
+quinze premiers jours du décembre. Dans plusieurs vignobles on met un
+intervalle entre la cueillette et le foulage; le raisin muscat du
+Rivesaltes reste cinq on six jours sur le sol avant d'être porté, au
+pressoir. A Limoux, les raisins sont étalés sur un plancher pendant
+quatre un cinq jours, puis liés, égrappés et foulés. Aux environs de
+Salins (Jura), on suspend les grappes avec du fil, dans une chambre
+exposée au vent du nord. Quand la dessiccation a réduit les grains de
+moitié, on les presse et on entonne immédiatement; ce vin, qui n'est
+soutiré qu'au bout du six mois, prend le nom du _vin de paille_, et
+n'est pas sans analogie avec le tokai. Il y a certains vins de liqueur
+qu'on ne laisse pas fermenter. A Cosprons (Pyrénées-Orientales),
+aussitôt qu'on a foulé et pressuré les raisins, préalablement desséchés
+au soleil, on y mêle un tiers d'eau-de-vie qui empêche la fermentation
+et conserve au suc exprimé sa douceur et son parfum.
+
+Les départements riches en vignobles sont obligés, à l'époque des
+vendanges, de demander des renforts à leurs voisins. Cette insuffisance
+de population paraît s'être fait sentir de tout temps, car Longus dit,
+dans un roman de _Daphnis et Chloé_: «Comme la coutume est en telle fête
+du dieu Bacchus, on avait appelé des villages voisins plusieurs femmes
+pour aider à faire les vendanges.» Les recrues enrôlées n'arrivent pas
+comme autrefois en chantant des hymnes en vers iambiques au fils du
+Sémélé; les vendanges sont devenues prosaïques, et les chants que leurs
+ouvriers répètent en choeur, sur l'air du Clair de la lune, n'ont rien
+de très-harmonieux:
+
+ Allons en vendanges
+ Pour gagner cinq sous
+ Coucher sur la paille,
+ Ramasser des... etc.
+
+En Champagne, les cueilleurs et le cueilleuses viennent du département
+des Ardennes, amenant avec eux des mulets, animaux presque inconnus dans
+la contrée. Pendant toute la durée des vendanges, ils logent dans les
+auberges ou dans les granges, et passent la plus grande partie de la
+nuit à boire et à danser. On les paie de 10 centimes à un franc 50 cent.
+selon leur capacité; on ajoute à cette rétribution une miche et un verre
+d'eau-de-vie; et, moyennant un aussi faible salaire, ils travaillent
+depuis cinq heures et demi du matin jusqu'à sept heures du soir. A la
+vérité, ils n'ont rien à débourser pour la nourriture du leurs mulets,
+qu'ils lâchent dans la première prairie venue, en dépit des gardes
+champêtres.
+
+Les meilleurs se rassemblent sur la place, au son de la cloche, dès
+trois heures du matin, et se partagent en escouades, sous la direction
+des différents vignerons. Les _pareuses_ restent au logis pour y
+attendre les raisins, qu'elles sont chargées de trier. Ceux de qualité
+supérieure sont immédiatement portés au pressoir; on les presse à
+plusieurs reprises, car, dans l'opinion de la majorité des vinologues,
+les qualités du vin tiennent à la fois au suc, aux pépins et à la
+grappe. On entonne sans laisser cuver, et l'on soutire quelques jours
+après. Durant l'hiver, le vin est transvasé dans de nouveaux fûts; et,
+au printemps, à l'époque oa la sève bout, on le soutire encore pour le
+mettre en bouteille. On ajoute alors au vin du tannin pour le garantir
+où la _graisse_, et du sucre candi pour le faire mousser, et le
+précipité qui se forme est plus tard enlevé par le tonnelier.
+
+Les vendanges du Champagne sont terminées par une fête qu'on nomme le
+_cochelet_: les pressureurs offrent au propriétaire un bouquet de
+pampres et de branches d'arbres, et reçoivent une gratification qu'ils
+consacrent à de longues réjouissances. Presque généralement les
+vendanges sont l'occasion de banquets prolongés, de danses, de concerts
+rustiques; celles de cette année, malgré leur déplorable résultat, n'ont
+pas arrêté l'expansion de la joie populaire. Les violons n'ont pas été
+décommandés; les musettes ont retenti comme d'habitude; à défaut du vin
+doux, on savoure celui des années précédentes, et le _peuple en liesse_,
+noyant ses soucis dans les pots, s'est consolé du présent par le passé.
+
+[Illustration: Récolte du raisin.]
+
+L'année a été également funeste aux raisins de treille. Les succulents
+chasselas de Fontainebleau, les _chasselas doré à grains ronds_, le
+_chasselas musqué_, le _hennant blanc_, la _rochette blanche_, sont loin
+d'égaler en grosseur et saveur ceux qu'on avait récoltés en 1842. La
+_treille du roi_ seule a dû quelques belles grappes aux avantages de son
+exposition. Elle est située en plein midi, sur le mur de clôture du
+parc, du coté de l'entrée de l'abreuvoir, et abritée de toutes parts
+contre l'influence des vents. Les bras des ceps s'étendent
+horizontalement, chargés d'un petit nombre de grappes isolées. Au-devant
+de la treille règne un long cordon de vignes, auxquelles est appliqué le
+même système de taille. A deux mètres plus loin s'allonge une charmille
+qui suit, comme la treille même, les ondulations du terrain.
+
+N'oublions pas la récolte du houblon en Flandre et les vendanges de
+Normandie. L'indigène de Calvados ou de l'Orne n'attache pas moins de
+prix à ses pommiers, que le duc de Montebello à ses clos champenois. Or,
+l'année a été _prometteuse_; il y a un peu de _quetines_ (pommes tombées
+avant leur maturité), et l'on débitera bientôt du _bon cidre doux à
+dépoteyer_.
+
+On évalue la consommation annuelle du cidre en France à 10,011,956
+hectolitre, et celle de la bière à 9,896,239. Ce n'est que sur les
+confins de la Belgique qu'on cultive en grand le houblon nécessaire à la
+confection de la bière. On plante chaque pied sur une motte de terre, et
+l'on soutient les tiges grimpantes avec des perches de 8 à 10 mètres de
+hauteur. Ces longs filaments, qui se croisent, montent, retombent et
+s'entrelacent comme des lianes, donnent aux houblonnières l'aspect d'une
+forêt vierge. A la fin de septembre, on coupe les sarments avec la
+faucille, on arrache les perches, et les fruits récoltés sont amoncelés
+dans des sacs où ils se conservent, et forment une masse compacte que
+l'on peut couper par tranches pour la vendre en détail.
+
+Souhaitons aux vignerons meilleure chance pour l'année prochaine;
+puissent-ils remplir leurs enviers jusqu'aux bords; et, comme le
+recommande Rabelais, «en celle où en meilleure pensée réconfortons notre
+entendement, et buvons frais, si faire se peut.»
+
+
+
+ROMANCIERS CONTEMPORAINS.
+
+CHARLES DICKENS.
+
+Martin fait de nouvelles connaissances et Mark un nouvel ami.
+
+(Voir t. II, p. 20, 35, 105 et 159.)
+
+Il était dans la nature de Martin d'oublier tout le temps son pauvre
+compagnon aussi complètement que s'il n'y eût jamais eu de Mark Tapley
+au monde; ou, si le souvenir du personnage s'offrit un moment à son
+imagination, il eut soin de le congédier au plus vite, comme chose de
+peu d'importance qui attendrait bien son entier loisir. Pourtant,
+lorsqu'il se retrouva dans la rue, l'idée que Mark pouvait s'ennuyer de
+faire le pied de grue sur le palier du _Rowdy-Journal_ lui traversa de
+nouveau l'esprit, et il donna à entendre à son nouvel ami qu'il ne
+serait pas fâché de diriger la promenade de ce côté.
+
+«A propos, continua Martin, et pour ne pas être en reste de questions,
+oserais-je vous demander si vous habitez cette ville, ou si, comme moi,
+vous n'y êtes qu'en passant?
+
+--Tout à fait en oiseau de passage, reprit son ami. Natif de l'État de
+Massachusetts, je suis fixé dans ma tranquille petite ville de province,
+et l'on ne me voit pas souvent au milieu de ces foules affairées qu'on
+aime d'autant moins qu'on les connaît davantage.
+
+--Vous avez voyagé à l'étranger? demanda Martin.
+
+--Beaucoup.
+
+--Et à l'instar de la plupart des voyageurs, vous n'en êtes que plus
+attaché à vos foyers domestiques, à votre contrée natale? demanda de
+nouveau Martin, qui examinait son interlocuteur avec quelque curiosité.
+
+--A mes foyers? oui, répliqua son ami; à ma contrée? comme terre natale,
+oui aussi.
+
+--Ce oui n'est pas sans restriction.
+
+--Entendons-nous, repartit l'Américain. Demandez-vous si j'ai rapporté
+de l'étranger un goût plus exclusif pour les erreurs de ma patrie, un
+plus aveugle amour pour ceux qui, au taux de tant de dollars le jour,
+s'érigent en forcenés admirateurs de ma nation; si je rapporte plus
+d'insouciance pour les principes qui président ici aux affaires
+publiques et privées, principes que les plus éhontés de vos avocats
+rougiraient de défendre hors de l'atmosphère viciée de vos cours
+criminelles? Oh! si c'est là ce que vous demandez, non, dis-je, et mille
+fois non!
+
+--Non! dit Martin, si juste sur le diapason de son interlocuteur que la
+réponse fit écho.
+
+--Demandez-vous, poursuivit son compagnon, si je suis revenu plus
+content d'un ordre de choses qui divise la société en deux classes, dont
+l'une, la masse, fonde une indépendance effrénée sur l'oubli de toute
+bienveillance, de toutes formes, de toutes convenances sociales; d'où il
+résulte que plus un homme affiche de grossièreté et d'impudeur, plus il
+a de chances de succès; tandis que le petit nombre, dégoûté de voir
+apprécier toutes choses sur une si basse échelle, se réfugie dans la vie
+privée et s'entoure de tous les raffinements du luxe, laissant la
+république s'en tirer comme elle pourra au milieu des clameurs de la
+presse et du pillage universel? Me demandez-vous si tout cela m'arrange?
+Non, dis-je alors, et mille fois non!
+
+--Non! repartit encore mécaniquement Martin, découragé, anxieux, moins à
+la vérité dans l'intérêt de la société que dans celui de ses plans
+d'architecture domestique, dont l'avenir lui semblait singulièrement
+hasardé au milieu du chaos et de la poussée générale que venait de
+dépeindre son nouvel ami.
+
+--En un mot, poursuivit ce dernier, je ne crois pas, par conséquent, je
+n'accorde point (bien que vous puissiez l'entendre proclamer ici à
+toutes les heures du jour), je ne trouve pas, dis-je, que notre nation
+soit le type de la sagesse humaine, l'exemple du monde, le _nec plus
+ultra_ de la perfectibilité; le tout, parce que nous entrons dans la
+carrière politique avec deux avantages inappréciables.
+
+--Qui sont? demanda Martin.
+
+--L'un, que notre histoire s'ouvre à une période assez avancée pour
+échapper aux âges de barbarie et de cruauté qui souillent les annales
+des autres peuples; qu'ainsi nous profitons des lumières acquises sans
+avoir traversé un obscur noviciat; l'autre, que notre territoire est
+vaste, et que nous ne souffrons pas, du moins pas encore, d'un trop
+plein d'habitants. A part ces avantages, nous avons peu à vanter, ce me
+semble.
+
+--En éducation cependant... murmura Martin.
+
+--Beau chapitre encore! interrompit l'autre haussant les épaules. Eh!
+dans l'ancien monde, même sous le régime despotique, on a fait autant et
+plus en le faisant sonner moins haut! Assurément, par comparaison avec
+l'Angleterre, nous pouvons briller, vu que, sous ce rapport, elle est
+dans le plus piteux état... Vous savez que vous m'avez complimenté sur
+ma franchise, poursuivit-il en riant.
+
+--Oh! elle ne m'étonne nullement lorsqu'il s'agit de mon pays, reprit
+ingénument Martin; c'est quand il est question du vôtre que la liberté
+de vos paroles me surprend.
+
+--Vous ne trouverez pas cette droiture rare parmi mes compatriotes, je
+vous en réponds, en en exceptant les gens de la trempe du colonel
+Drivers, de Jefferson Brick, du major Pawkins et consorts. A vous parler
+franc, néanmoins, les meilleurs d'entre nous rappellent un peu l'homme
+de la comédie de Goldsmith qui ne souffrait pas qu'autre que lui
+injuriât son maître. Mais allons, parlons d'autre chose. Vous êtes venu
+chez nous, si je ne me trompe, dans l'intention d'améliorer votre
+fortune, et je serais désolé de vous faire perdre courage. D'ailleurs,
+quelques années de plus me donneraient peut-être le droit de hasarder
+auprès de vous un ou deux avis sur des points de peu d'importance.»
+
+Il n'y avait pas la moindre trace de curiosité ou de présomption dans
+cette offre, faite avec tant de bienveillance et de bon vouloir qu'elle
+attirait de force la confiance. Aussi Martin raconta-t-il sa chance,
+abordant l'aveu si difficile à faire de sa pauvreté. Il ne dit pas
+cependant,--comment s'y serait-il résigné?--à quel point il était
+pauvre; d'un air dégagé, il laissa deviner qu'il lui restait de l'argent
+pour six mois environ, tandis qu'il en avait tout au plus pour autant de
+semaines. N'importe, il avoua qu'il était pauvre et disposé à accepter
+avec reconnaissance tout conseil que son ami voudrait bien lui donner.
+
+La façon dont la figure de l'étranger s'allongeait mesure que les plans
+et projets d'architecture domestique se déroulèrent devant lui, n'aurait
+pu échapper à personne, à plus forte raison à Martin, dont la sagacité
+était aiguisée par l'incertitude de sa position. Malgré d'héroïques
+efforts pour se montrer aussi encourageant que possible, l'Américain ne
+put s'empêcher de hocher une ou deux fois la tête: c'était comme s'il
+eût dit en langue vulgaire: Cela n'ira pas! Mais il le prit ensuite sur
+un ton enjoué et cordial, et s'engagea (puisque New-York n'offrait
+aucune des facilités que désirait Martin) à s'informer immédiatement
+s'il pourrait trouver mieux dans quelque autre ville. Déclinant ensuite
+son nom, Revan, il apprit à Martin que, sans exercer activement la
+médecine, il était reçu docteur. La conversation roulant sur des
+circonstances relatives à la famille de l'Américain et à lui-même,
+conduisit les promeneurs jusqu'au bureau du _Rowdy_.
+
+Ils étaient encore assez loin de la maison, lorsque l'air patriotique
+anglais _Rule Britannia_, énergiquement sifflé, vint, saluant leurs
+oreilles, annoncer que Mark Tapley prenait ses ébats sur le palier du
+premier étage, Suivant les sons, ils trouvèrent Mark retranché au milieu
+d'une fortification de bagages, s'évertuant à rendre justice à son hymne
+national, à l'évidente satisfaction d'un nègre au crâne grisonnant qui
+occupait un des forts avancés (une valise en cuir) et tenait ses gros
+yeux rivés sur le chanteur. Celui-ci, à demi couché, la tête appuyée sur
+sa main, rétorquait le compliment par des regards distraits et rêveurs,
+tout en continuant de siffler sans relâche. Mark venait de dîner, comme
+le témoignaient sa bouteille cassée et quelques débris de viande étalés
+dans un mouchoir près de lui; du reste, ses loisirs n'avaient pas été
+perdus, à en juger par ses initiales d'un demi-pied de long, qui, de
+concert avec le quantième du mois tracé en caractères moins
+gigantesques, le tout employé d'une bordure du jet le plus hardi,
+ornaient la porte du bureau du journal.
+
+--Je commençais presque à vous croire perdu, monsieur, s'écria Mark
+interrompant l'air à l'endroit où les fiers Bretons déclarent qu'ils ne
+seront jamais, jamais, _never, never..._ Rien ne va mal, j'espère,
+monsieur?
+
+--Non, Mark. Qu'avez-vous fait de votre bonne amie?
+
+--La pauvre créature timbrée, monsieur? oh! tout va au mieux pour elle à
+présent.
+
+--Quoi! a-t-elle retrouvé son mari?
+
+--Oui, monsieur;--c'est-à-dire ses restes,--dit Mark Tapley se
+réprimant.
+
+--L'homme n'est pas mort, j'espère?
+
+--Pas complètement, monsieur, répondit Mark; mais il a tremblé les
+lèvres suffisamment pour être plus qu'à demi trépassé; en ne
+l'apercevant pas sur le rivage, j'ai cru _qu'elle_ allait rendre l'âme;
+vrai, je l'ai cru.
+
+--Comment donc? n'était-il pas là pour la recevoir?
+
+--_Lui_, en chair et en os; non pas, il n'y avait rien que sa faible
+vieille ombre, étirée, amincie, qui se traînait lentement en descendant
+vers la plage, et pouvait ressembler au fort et vigoureux camarade que
+la pauvre femme avait jadis connu, à peu près autant que votre ombre
+vous ressemble, monsieur, quand le soleil couchant la dessine longue et
+grêle sur le sol. Enfin, c'était tout ce qui restait de l'homme, et elle
+s'en est contentée, pauvre âme, aussi joyeuse, aussi ravie que si c'eût
+été lui tout de bon.
+
+--A-t-il donc acheté des terres? demanda M. Bevan.
+
+--Ah bien, oui, qu'il en a acheté, et qu'il les a fièrement payées
+aussi, je vous en réponds, répliqua Mark Tapley tiraillant la tête:
+c'est qu'au dire des agents elles réunissaient toutes sortes d'avantages
+naturels, ces terres; tout au moins y avait-il une richesse qui ne
+faisait pas faute, l'eau foisonnait.
+
+--Je présume qu'il aurait pu difficilement s'en passer, dit Martin avec
+quelque impatience.
+
+--Aussi, ne lui manquaient-elle pas; il en avait de tous les côtés,
+dessus, dessous, autour et partout, sans avoir à payer ni taxe ni
+porteur d'eau. Indépendamment de trois un quatre rivières bourbeuses à
+son coude, l'homme avait, sur tout le territoire de sa ferme, quatre à
+six pieds d'eau dans les mois de sécheresse; en temps pluvieux, il ne
+peut dire au juste combien, n'ayant jamais rien trouvé de longueur à
+sonder jusqu'au fond.
+
+--Serait-ce vrai? demanda Martin à son compagnon.
+
+--Fort probable, répliqua ce dernier; apparemment quelque lot du
+Missouri ou du Mississipi.
+
+--Il n'en est pas moins descendu, de ce je ne sais quel endroit,
+poursuivit Mark, pour venir ici, à New-York, recevoir sa femme et ses
+enfants; et tous sont repartis en bateau à vapeur, cette même sainte
+après-midi, aussi contents de partir tous ensemble que s'ils allaient
+droit en paradis. Ma foi, on peut bien dire qu'ils en prennent le
+chemin, à en juger sur la mine du pauvre homme.
+
+--Ah çà, pourrais-je vous demander, dit Martin, reportant, avec un
+froncement de sourcil, son regard de Mark au nègre, ce que c'est que ce
+monsieur? quelque nouvel ami de votre choix sans doute?
+
+--Chut! murmura Mark Tapley, prenant son maître à part et lui parlant
+confidentiellement à l'oreille: C'est un homme de couleur, monsieur!
+
+--Me croyez-vous aveugle? demanda Martin avec humeur, pour me tenir
+faire cette confidence devant une des faces les plus noires que j'aie
+vues de ma vie!
+
+--Un moment, monsieur, réuni Mark; par homme de couleur, j'entends qu'il
+a été un de ceux-là qu'on a placardés en estampes, dans les boutiques,
+sur les enseignes..., enfin _homme et ton frère_, vous savez bien,
+monsieur, poursuivit Mark Tapley, favorisant son maître d'une pantomime
+indicative de la figure, si souvent représentée sur les médailles et en
+tête des brochures en faveur de l'émancipation des noirs.
+
+--Un esclave! reprit Martin à demi-voix, en tressaillant.
+
+_(La suite à un autre numéro.)_
+
+
+
+MARGHERITA PUSTERLA.
+
+CHAPITRE XV.
+
+LE PÈRE ET LE FILS
+
+EN entrant dans la ville, ils trouvèrent les rues tendues de draps
+blancs et vermeils, et de guirlandes de verdure de la saison, qu'on
+appelle à Pise les _fiorites_. Du haut des balcons et sur les murs se
+déployaient de riches tapis du Levant, des étoffes de soie, qui
+paraissaient encore un luxe inouï dans les cours des rois, et qui
+abondaient dans les maisons de ces actifs négociants. En quelques
+endroits des fontaines jetaient du vin; à l'entour, une populace avide
+se pressait pour recevoir la liqueur dans sa bouche ou dans le creux de
+ses mains. D'un autre côté, on voyait des buffets et des crédences
+chargés de toutes les raretés venues de la mer Noire, du golfe Arabique,
+de le Baltique, et conservées en mémoire des navigations heureuses et
+hardies.
+
+[Illustration.]
+
+Au milieu du tumulte, de la joie, de la curiosité du peuple, qui ne se
+souvenait plus que la peste envahissait la contrée de toutes parts, et
+qui avait oublié sa faim d'hier et celle qu'il aurait demain, nos
+Lombards s'avançaient dans les divers endroits où ils espéraient
+rencontrer Alpinolo. Ramengo les suivait, se cachant le visage sous son
+capuce lorsqu'il lui arrivait de rencontrer quelqu'un qu'il voulait
+éviter.
+
+Un Milanais parut au milieu de la foule, et Muralto, élevant la voix,
+lui demanda: «Eh! Ottorno Borro, pourquoi cette multitude? Pourriez-vous
+nous dire où est Alpinolo?
+
+--Il est au premier rang pour combattre sur le pont; tous nos camarades
+sont là; je cours les rejoindre.» Et il disparut dans la foule.
+
+«Mais que diable lui a-t-il pris, s'écriait Ramengo, de se fourrer dans
+cette inutile bagarre? Combattre avec des bâtons, comme un manant?
+
+--Allez le lui dire, répondaient-ils. Il est ainsi fait. Quand il s'agit
+de donner une preuve de courage, vouloir l'en détourner, c'est combattre
+le vent.»
+
+Pendant qu'ils parlaient ainsi, le beffroi de la commune sonna. «C'est
+le signal! c'est le signal! «cria-t-on de toutes parts. Mats il n'y
+avait point d'espérance d'arriver jusque auprès des combattants. S'étant
+donc arrêtés sous un portique, soutenu d'un coté par une colonne de
+porphyre égyptien, de l'autre par une colonne grecque cannelée, par les
+voies de douceur et par celles de la violence, ils parvinrent à se
+hisser sur une plate-forme portée par l'attique. De là ils purent
+dominer cette foule de têtes nues ou couvertes de la façon du monde la
+plus variée, depuis l'éclatant turban de l'Orient et jusqu'au sombre
+béret du Vénitien, depuis les plumes ondoyantes du chevalier provençal
+jusqu'à l'infâme réseau jaune de l'Hébreu infortuné, depuis la toque en
+velours et or des barons napolitains jusqu'au capuce renversé des
+Milanais, qui s'étaient placés au premier rang pour être témoins des
+prouesses de leurs compagnons.
+
+Alors les trompettes sonnèrent, et on vit paraître le gonfalonier et les
+anciens dans une tribune décorée à la façon d'un pavillon turc. La foule
+des spectateurs se pressait de plus en plus, pendant que ceux qui se
+disposaient à combattre frémissaient d'impatience aux barrières qui
+commandaient les deux têtes du pont, comme un torrent frémit au pied de
+l'écluse; puis lorsque, à un nouveau signal, les barrières tombèrent, ce
+fut un cri universel. Tous se précipitèrent contre tous. Quelque
+attention que mit Ramengo à discerner quelque chose, il ne vil d'abord
+qu'une orageuse mêlée de gens qui assaillaient, de gens qui les
+repoussaient, de bâtons noueux qui tombaient avec fureur sur de tristes
+épaules, et des têtes meurtries, les cris de ceux qui battaient, les
+gémissements de ceux qui étaient battus, le tout aux acclamations de
+«Vive sainte Marie! Vive saint Antoine!»
+
+Peu à peu, la mêlée s'éclaircissant à cause des morts et des blessés, ou
+de ceux qui s'étaient retirés étourdis par le bâton ou accablés de
+fatigue, on pouvait déjà deviner de quel côté penchait la fortune.
+Cependant on voyait transporter dans les barques, grelottants et tout
+trempés d'eau, ceux qu'on avait retirés du fleuve. Tantôt les maltraités
+se traînaient ou étaient emportés à bras hors de la bagarre, pansant de
+leurs mains leurs membres blessés, leurs tempes saignantes, et prenant à
+témoin le ciel et la terre de ne plus s'aventurer dans ces ridicules
+batailles; mais, croyez-moi, ceux qui guérissaient ne manquaient pas d'y
+retourner.
+
+La fureur s'accroissait, ainsi que l'intérêt de l'escarmouche, de toutes
+les passions des factions et de toutes les haines politiques. Les deux
+partis des Raspanti et des Bergolini, qui, dans les conseils, et dans de
+fréquentes luttes, divisaient la ville de Pise, favorisaient les uns
+sainte Marie, les autres saint Antoine: leur cri de guerre, les
+applaudissements, les insultes enflammaient la rage générale, et le
+tumulte était à son comble.
+
+Bientôt, à la tête de ceux de sainte Marie et des Raspanti, on vit un
+jeune homme se distinguer entre tous par la force de ses coups, par le
+large cercle qui s'agrandissait autour de lui, par le carnage qu'il
+faisait partout sur ses pas. Ramengo, à la beauté du jeune combattant et
+aux cris de ses compatriotes, ne tarda pas à reconnaître Alpinolo. Il ne
+ne cacha plus ses regards du hardi guerrier, tantôt inquiet de ses
+périls, tantôt plein d'étonnement et d'admiration pour une si
+merveilleuse vigueur.
+
+Les Bergolini et saint Antoine ne purent longtemps rester à l'épreuve
+d'une telle furie, et pour garantir leurs têtes, ils tournèrent le dos.
+Alors ceux qui, cachés comme derrière une tour, s'étaient fait un
+rempart des épaules d'Alpinolo, se précipitèrent, avec un courage
+indicible, à la poursuite des fuyards, pour avoir la gloire moins belle,
+mais plus sûre, de les frapper au dos, hurlant de toute la force de
+leurs poumons: «Vive sainte Marie!--Vivent les Raspanti!--Honte aux
+Bergolini!--Vivent les Cambacurti!--Vivent les Aliati!--A bas Lino
+della Rocca!» C'étaient les noms des chefs des deux factions.
+
+A un signal du gonfalonier, la barrière se baissa de nouveau. Les
+trompes et les clarinettes sonnèrent à l'intérieur des fanfares de
+triomphe; Sainte-Marie sonnait à tout rompre, et les Milanais, se
+frayant un chemin, s'approchèrent d'Alpinolo, l'embrassèrent triomphant,
+le prirent sur les bras, et le portèrent dans la direction de l'estrade
+où il devait recevoir la couronne des mains de la seigneurie. Ils
+criaient; «Vive Alpinolo!--Vive Milan!--Vive saint Ambroise!»
+
+[Illustration.]
+
+L'éclair de joie que la victoire faisait briller sur le visage
+d'Alpinolo se mêlait d'une façon indéfinissable avec la consternation
+qu'y avaient imprimée les malheurs passés, et avec les signes de la
+profonde douleur qui le dévorait, lorsque Aurigino Muralto réussit à
+l'accoster. Bonne nouvelle! lui cria-t-il; réjouis-toi: il est arrivé un
+Milanais.
+
+--Un Milanais?... et qui?
+
+--Une de tes connaissances, Lauterio de Bescapé, le bras droit de
+Pusterla. Il a des choses à te dire de la plus haute importance, mais à
+toi seul.»
+
+Ce fut un pêle-mêle d'idées dans l'esprit d'Alpinolo. Francesco,
+Marguerite, Fra Buonvicino, les Aliprandi, tous les amis qu'il avait
+laissés à Milan, se présentèrent à sa pensée, avec l'espoir de voir
+quelqu'un d'eux, d'en recevoir peut-être un message, au moins des
+nouvelles. Ainsi pressé de la plus vive impatience, sans plus attendre
+les prix et la couronne qui lui étaient dus, il se dégagea des bras de
+ses compatriotes, et se dirigea vers l'endroit où on lui avait dit qu'il
+trouverait cet ami, sous le portique de marbre; malheur aux poitrines et
+aux bras de ceux qui l'entravaient dans la rapidité de sa course! «Le
+voici! regarde-le,» dirent les Lombards en montrant le nouveau venu à
+Alpinolo, qui, fixant ses regards sur lui, se trouva vis-à-vis de
+Ramengo.
+
+En vain celui-ci aurait voulu se soustraire à cette rencontre subite et
+voir Alpinolo en particulier, en vain il faisait signe au page de se
+taire, de venir, qu'il avait à lui parler; un père qui trouve un aspic
+enlacé au cou de son fils unique n'a pas les yeux plus épouvantés
+qu'Alpinolo lorsque ses regards rencontrèrent le visage exécré du
+traître.
+
+«Ramengo!» hurla-t-il d'une voix semblable au mugissement d'un taureau
+blessé. Puis, sans faire attention aux signes de son adversaire, il
+saisit de nouveau le bâton, son arme triomphale, et courut sur le
+Milanais en criant: «Infâme espion!» Ce fut l'affaire d'un moment. Les
+Lombards, ne sachant comment expliquer cette colère, se retiraient et
+laissaient faire; mais Ramengo ne s'arrêta point à attendre le furieux,
+et se précipita derrière les marbres accumulés en cet endroit; puis,
+sortant du côté opposé, il se jeta au milieu de la foule; la plus
+épaisse, et petit à petit, au sein de cette fourmilière, il parvint à
+s'échapper. Alpinolo ne perdait point cependant les traces du fuyard,
+répétant à haute voix: «Espion, enfin je te liens! Au large! prenez
+garde à vous! Laissez-moi l'atteindre! Un seul coup le punira de tous
+ses crimes.» Et pour se faire place, il frappait à droite et à gauche
+sur quiconque se trouvait sur ses pas pour ses péchés.
+
+[Illustration.]
+
+La plèbe de Pise semblable à celle des autres pays et des autres temps,
+avait éprouvé un peu de dépit (que d'autres rappellent national) de ce
+qu'un étranger avait remporté l'honneur de la journée; et, comme il
+arrive, les vainqueurs ne lui en voulaient pas moins que les vaincus.
+Lorsqu'ils virent Alpinolo, non content de dédaigner le prix, entrer en
+si furieuse colère, et, sans rien considérer, maltraiter tous ceux qui
+l'entouraient, ils se tournèrent contre lui: «A qui en veut donc cet
+enragé?--Par tous les saints du calendrier, disaient les autres, il faut
+qu'il ait bu du sang de dragon et mangé de la chair de
+crocodile!--Finissons-en une bonne fois avec cet Ambroisien endiablé!»
+
+Et entre les Milanais et les Pisans commença la bataille des langues qui
+précède ordinairement la bataille des mains.
+
+«Faites-nous place, Pisans, honte des nations! criaient les Lombards en
+regardant de travers.
+
+--Passez votre chemin, Milanais, grands mangeurs de fèves! répondaient
+les Pisans en montrant le poing.
+
+--Les fèves sont meilleures que les goujons, dont on achète trente-six
+pour un poil d'âne.»
+
+Des paroles on en vint aux mains: «Ce sont des guelfes, ce sont des
+gibelins, ce sont des traîtres Raspanti. Alors une lutte s'engagea, qui
+donna fort affaire, pour la calmer, aux nobles et aux gonfaloniers. Plus
+d'un resta mort sur le champ, plus d'un en remporta de fâcheux souvenirs
+pour toute la vie; mais comme il arrive le plus souvent que les
+coupables profitent des querelles des innocents, au milieu de ce
+tumulte, Ramengo put prendre sa course, et par le chemin le plus court
+s'en aller à la grâce de Dieu.
+
+Lorsque Alpinolo s'aperçut qu'il perdait son temps à le poursuivre, il
+se prit à se maudire, à maudire le jour qui l'avait vu naître, celui qui
+le lui avait donné, et la fantaisie qu'il avait eue de prendre part à ce
+combat. S'il ne s'y fût point mêlé, il aurait rencontré Ramengo; il se
+serait vengé sur lui en vengeant Franciscolo, la divine Marguerite, la
+patrie perdue par sa faute, l'humanité déshonorée par le traître.
+
+De son côté, Ramengo, échappé au péril d'être tué par son propre fils,
+commença à se plaindre et à chercher dans la colère le remède de ses
+remords: cette circonstance redoubla encore sa haine contre Pusterla.
+
+«C'est parce qu'il m'a trompé par les apparences d'un faux amour, que
+j'ai tué ma femme. Un fils au moins me restait d'elle, un fils en qui je
+pouvais me complaire et me rendre l'envie de ceux qui peut-être me
+méprisent. Et cet infâme vient encore se jeter entre nous; et, pour ses
+folles fantaisies, le père et le fils sont divisés, sont ennemis; mais,
+non; je ne me reposerai point que je n'aie réussi à me réconcilier avec
+mon fils; j'exterminerai celui qui le fascine. Alors je me rapprocherai
+d'Alpinolo, je reparaîtrai avec lui dans la société, à Milan, à la cour.
+Lorsque je serai arrivé à un poste brillant, qui cherchera jamais quel
+fut mon premier pas? Mais toi, toi maudit, qui es la cause de notre
+séparation, je sais maintenant où tu t'abrites; et que je ne sois pas un
+homme, si je ne le fais expier ton crime par le sang. Alors seulement tu
+auras payé ta dette.»
+
+[Illustration.]
+
+Et il écrivit à Luchino Visconti la lettre que nous avons trouvée dans
+les mains du secrétaire, le jour de l'entretien du prince et de
+Marguerite, dans laquelle il demandait l'impunité pour son fils, et
+laissait entrevoir qu'il était sur le point de partir pour rejoindre
+Pusterla. Il n'osa plus se montrer, de toute cette journée, dans les
+rues de Pise; il ne retourna plus dans l'auberge d'Aquevino, qui
+regardait sa maison comme souillée pour avoir abrité un homme de cette
+espèce. Une taverne, avec une branche d'arbre pour toute enseigne, où
+logeaient la nuit des portefaix, des mariniers et de mauvaises femmes,
+fut le refuse de Ramengo pendant les jours qui suivirent; mais, riche en
+ruses et en argent, il ne tarda pas à s'entendre avec un capitaine de
+navire qui, au premier bon vent, devait mettre à la voile pour Antibes;
+en effet, après peu de jours, il quitta sain et sauf l'Italie. Alpinolo,
+qui, jour et nuit, l'épiait dans les coins les plus reculés, dans la
+foule la plus épaisse, eut beau temps à l'attendre. Il ne devait plus le
+rencontrer que dans un horrible lieu.
+
+
+
+CHAPITRE XVI.
+
+L'EXILÉ.
+
+SÛR de la fidélité de Pedrocco de Gallarate, Buonvicino lui confia
+Pusterla. Pedrocco était le chef d'une de ces espèces de caravanes qui,
+deux ou trois fois l'an, faisaient le voyage de France pour y porter les
+denrées du Levant et les draps de Milan. Il avait la tournure d'un
+portefaix, la face bronzée par le soleil et la gelée, les mains robustes
+et calleuses. Il était vêtu d'un justaucorps serré à la taille par une
+large ceinture de cuir noir qui soutenait un cimeterre; souvent son
+capuce, rabattu sur les yeux, lui donnait une physionomie si dure
+qu'elle avait quelque chose d'effrayant. Cependant c'était le meilleur
+homme du monde, un bon vivant aimable et tranquille qui n'eût pas voulu
+faire de mal à une mouche. Capitaine d'une bande de muletiers,
+expéditionnaire ambulant, on le trouvait toujours prêt à tout faire,
+habile et discret. Il eût porté de la même façon une indulgence plénière
+et une sentence de mort, une châsse pleine de reliques et le prix de
+l'infamie et de la trahison. Cette fois, il avait chargé son convoi de
+draps sortis des fabriques des Umiliati de Brera et de la maison de
+Varez, pour les porter à Louvain, à Sedan et dans d'autres villes qui
+nous fournissent aujourd'hui. Quand Buonvicino lui eut recommandé de
+conduire son ami et de se taire, il mit la main sur son coeur, en
+s'écriant: «Mon père, je ferai tout mon possible;» et il se chargea de
+cette mission de confiance avec d'autant plus de loyauté, qu'il voyait
+que Buonvicino jouissait d'une plus grande estime.
+
+[Illustration.]
+
+Ils s'avancèrent donc par la Valgane avec une file de mulets, et après
+quelques détours se trouvèrent enfin dans le val Travaglia. Mais au
+moment où ils étaient engagés le plus avant dans ces gorges, ils se
+virent attaqués par une bande d'hommes avinés, qui d'abord firent
+craindre à Pusterla pour sa vie et celle de son fils; rassemblant les
+muletiers, il se préparait à se défendre. Mais ils s'aperçurent bientôt
+que ces gens-là n'en voulaient point à leur vie. Ils les laissaient
+libres de continuer leur chemin, pourvu qu'ils abandonnassent leur
+convoi ou qu'ils payassent une énorme taille, parce qu'ils venaient de
+Milan, et qu'ils étaient eux-mêmes les ennemis du seigneur de Milan.
+
+[Illustration.]
+
+Ils commençaient déjà à dépouiller la caravane, lorsque Pusterla apprit
+qu'ils étaient les hommes d'Aurigino-Muralto de Locarno. C'était, si on
+s'en souvient, un des amis de Pusterla; il avait assisté à la réunion de
+la fatale soirée; et, condamné à mort par les Visconti, au lieu de fuir
+avec les autres proscrits, il s'était retiré dans les montagnes
+patrimoniales et à Locarno, dont il était le seigneur. Là, ayant fait
+alliance avec les Rusconi, seigneurs de Bellinzona, il avait levé
+bannière contre Luchino.
+
+Ce nom, cette nouvelle, suffirent pour chasser de l'esprit de Pusterla
+toutes les résolutions de repos, de fuite et de retraite. «Aurigino,
+dit-il aux hommes de la bande, c'est un de mes grands amis; malheur à
+celui qui touchera un fil de ces bagages! Nous sommes du même parti, et
+je viens pour faire cause commune avec lui.»
+
+Il obtint en effet que ces _Masnadieri_, qui avaient une espèce de bonne
+foi à leur manière, et qui respectaient le droit des gens à la façon des
+modernes Bédouins, ne touchassent point les bagages: puis il s'embarqua
+sur le lac Majeur. Le petit Venturino paraissait jouir avec délices de
+la beauté d'un ciel si pur, de ces eaux, de ces rivages, de cette mer
+environnée de montagnes escarpées et de ces plages ornées de la plus
+luxuriante végétation. Il resta un instant les yeux comme fascinés par
+ces enchantements: puis, se retournant vers son père: «Oh! si ma mère
+était avec nous!» s'criait-il. Et leurs pleurs se confondaient, et ils
+soupiraient ensemble.
+
+Mais si le coeur et l'esprit, de l'enfant ne se nourrissaient que
+d'amour, le père était occupé d'idées bien différentes. Il se voyait
+déjà le chef d'une armée de braves et résolus montagnards, et la terreur
+de Visconti. De victoire en victoire, sa pensée courait jusqu'au jour où
+il imposerait un pacte à Luchino, et où il regagnerait par les armes sa
+femme et sa patrie. Lorsqu'il arriva à Locarno, il y fut reçu avec
+enthousiasme. Fêtes, réjouissances, tout lui fut prodigué. On lui montra
+un grand appareil de puissance, on lui exagéra les forces dont on
+disposait. Mais Aurigino-Muralto était chef, lui, il y était chef de sa
+petite armée, et pour renoncer au commandement, il faut plus de vertu et
+moins d'impétuosité que n'en avait le jeune rebelle. On fit donc des
+politesses infinies à Pusterla; mais quant à de l'autorité, on ne lui en
+donna aucune. Aux courtes illusions succéda un prompt désenchantement,
+et avec son inquiétude habituelle, Pusterla souhaitait être bien loin
+d'un lieu où ses amis mêmes, disait-il, l'abandonnaient et le
+trahissaient.
+
+Il reçut des lettres de Buonvicino. Celui-ci, avec toute la chaleur de
+l'amitié, le suppliait de fuir, de s'éloigner le plus qu'il pourrait, de
+ne point se laisser aliéner par les trop faciles espérances des bannis.
+Il le conjurait de se souvenir que la vie de Margherita pouvait dépendre
+d'un de ses mouvements; de penser à son fils, qu'il avait avec lui, et
+qu'il devait conserver à l'amour de cette infortunée. Il lui apprenait
+ensuite les préparatifs de Luchino contre Muralto, et qui certainement
+écraseraient une poignée de révoltés, quelque courage qu'ils dussent
+déployer.
+
+Cédant en partie aux conseils de l'amitié et de la prudence, en partie
+au dépit de se voir dédaigné, Pusterla quitta Locarno, où il devint le
+sujet d'autant de railleries qu'il avait naguère obtenu
+d'applaudissements. Toujours accompagné, de Pedrocco, il s'avançait à
+travers les Alpes, en suivant des routes marquées seulement par
+l'écoulement des eaux et par quelques croix qui marquaient les endroits
+où les voyageurs s'étaient engloutis dans le précipice. C'était un
+étrange spectacle pour nos bannis que cette suite de mulets qui,
+toujours suspendus sur le bord de l'abîme, gravissaient tortueusement, à
+pas lents et la tête basse, sans qu'au sein de cette vaste solitude ou
+entendu d'autre bruit que le battement de leurs sabots, le tintement des
+grelots de leurs colliers, les sifflets et les jurons des muletiers. Au
+centre de la caravane, Pusterla s'avançait sur un mulet robuste, tenant
+Venturino en croupe. Pedrocco cheminait à pied à ses cotés, courant çà
+et là pour donner les ordres nécessaires, puis revenant toujours à son
+poste, pour alléger, par son entretien, l'ennui du seigneur lombard.
+
+«Oh! d'ici en France, il n'y a qu'un saut. Beau et riche pays que
+celui-là. La Lombardie n'en vaut pas la moitié.--Quel en est le
+gouvernement?--Mais ce sont des choses que je n'entends point.--Les
+routes?--Attendez-vous à les voir toutes pareilles à celle que nous
+suivons, qui, comme chacun sait, a été faite par le diable. Abîmes,
+précipices, ruines, éboulements dans les montagnes, bois, marécages dans
+les plaines, des voleurs partout. Mais les mules savent où elles mettent
+le pied, et, le plus souvent, le voyage s'accomplit sans qu'une seule
+périsse. Et puis, à quoi sert d'avoir peur? S'il faut mourir, bonne
+nuit, c'est une corvée qu'il faut faire au moins une fois. Je dis bien:
+le pire, ce sont les malandrins. Vous avez vu comme nous l'avons échappé
+belle avec ceux de là-bas. En l'an treize cents et je ne sais plus
+combien, nous revenions d'Avignon avec soixante mille florins d'or tout
+neufs. Je suis hors de moi rien qu'à me rappeler ce beau magot. Le
+saint-père me les avait confiés pour les porter au cardinal Poggello,
+son neveu, pour payer les troupes chargées de tenir en bride certaines
+factions et d'autres choses auxquelles je ne m'entends point. Le
+saint-père, parce que ses florins lui tenaient au coeur, me donna cent
+cinquante cavaliers pour convoyer mes trente mulets; des cavaliers, je
+puis le dire, que l'air en tremblait. On va, nous passons fleuves et
+monts sans faire une rencontre, lorsque, engagés dans une vallée du la
+Savoie je commençai à remarquer certaines figures qui ne promettaient
+rien de bien. «N'ayons pas peur, dirent les cavaliers français; nous ne
+faisons qu'une bouchée des Italiens.» Il faut dire qu'ils ne s'étaient
+pas bien recommandés à saint Christophe pour avoir un bon voyage, parce
+que les Français ont toutes les bonnes qualités, mais peu de dévotion.
+Pendant que nous vidions, non pas une bouteille, mais un tonneau, voici
+toute la bande, Dieu sait combien ils étaient! qui nous tombe sur le
+dos. Ferme, prends, frappe, laisse: ces Français paraissaient autant de
+paladins Roland. Mais il faut avouer qu'au jeu des mains, les Italiens
+n'ont pas leurs pareils au monde. En somme, ces gens, qui étaient de
+Pavie, démontèrent les Français, et après les avoir débarrassés du poids
+de leur armure et de leurs bagages de cavaliers, les renvoyèrent à
+Avignon à pied, comme des pèlerins; puis il m'enlevèrent juste la moitié
+de mon argent et de mes mules, chose qui n'était point encore arrivée
+depuis que les pedrocchi vont de Gallarate en France. Et je dus conduire
+au cardinal-légat ce qui me restait.»
+
+[Illustration.]
+
+Lorsque Pusterla arriva sur la cime des monts qui séparent les deux
+contrées, il s'arrêta, regarda de tous côtés le ciel et la terre. Les
+genoux semblaient lui manquer, et Pedrocco lui demanda s'il se trouvait
+mal. Il répondit en soupirant: «Ici finit l'Italie!
+
+--L'Italie, s'écria Pedrocco, Votre excellence pourra la trouver dans
+Avignon. Là, cardinaux, serfs, camériers, poètes, bouffons, tout est
+Italien.
+
+--Et connaissez-vous dans cette ville d'Avignon Guillaume Pusterla?
+
+--Qui? l'archiprêtre de Moura? Je l'ai accompagné, moi-même.
+
+--Et comment se trouve-t-il?
+
+--Très bien; gras, triomphant; il est d'une santé à passer cent ans.
+
+--Je le sais; mais je demande si le pape le favorise, s'il connaît les
+disgrâces de sa famille à Milan, s'il est bien vu à la cour.
+
+--Ce sont des choses auxquelles je n'entends rien.» Après un court
+séjour à Paris, Pusterla vint dans cette partie tout italienne de la
+France, comme le lui avait dit Pedrocco, c'est-à-dire dans le comtat
+Venaissin. A peine arrivé à Avignon, il s'informa de la demeure de
+l'archiprêtre de Moura, Guillaume Pusterla, son oncle, et il fut reçu
+par le digne, prélat avec toute la joie imaginable. L'argent que
+Pusterla avait placé sur les principales maisons de commerce de la
+France, et qui s'élevait à des sommes très-considérables, lui permit de
+mener, malgré la confiscation de ses biens, un train convenable à son
+renom et à sa naissance. Son oncle le mit en rapport avec tous les
+dignitaires ecclésiastiques d'Avignon, et aussi avec les hommes qui se
+distinguaient le plus par leur science, entre autres avec Pétrarque.
+
+[Illustration.]
+
+Cependant Pusterla avait toujours espéré que le pape se prêterait tôt ou
+tard aux desseins qu'il avait formés contre Luchino, lorsqu'un événement
+inattendu détruisit tout à coup ses espérances. Des envoyés de Luchino
+vinrent à Avignon solliciter le pardon du saint-père; et le naturel
+bienveillant de Benoît XII, incapable de chicaner sur les conditions,
+rendit la réconciliation plus prompte et plus facile. L'interdit qui
+pesait sur les Milanais depuis vingt ans fut levé par le pape, et en
+retour Luchino reconnut la suprématie de la papauté sur l'empire, son
+droit de nommer au trône vacant, et son indépendance absolue de la
+puissance impériale. Il devait en outre payer au saint-siège un tribut
+annuel de soixante mille florins. Ce fut l'archiprêtre de Moura qui
+annonça cette nouvelle à Pusterla. «Et des exilés, des prisonniers, le
+traité n'en a-t-il pas fait mention? demanda celui-ci.
+
+--Aucune, répondit l'archiprêtre. Le pape recommande aux seigneurs de
+Milan d'être pieux, généreux, plus prompts à récompenser qu'à punir,
+s'ils veulent que le Seigneur en fasse autant avec eux. Mais, mon neveu,
+à peine puis-je contenir ma joie en pensant aux contentements des
+Milanais et de mes bons habitants de Moura, lorsqu'ils vont apprendre
+l'heureuse nouvelle! Les églises ouvertes de nouveau, leurs morts
+ensevelis en terre bénite, les chants qui leur seront rendus, le bonheur
+de revoir les cérémonies solennelles qu'ils n'avaient pas vues depuis
+vingt ans.» En parlant ainsi, les larmes venaient aux yeux du bon
+archiprêtre; mais l'heureuse nouvelle, comme il disait, causa bien de
+mauvaises nuits à Pusterla, par la perte de ses espérances.
+
+[Illustration.]
+
+Sur ces entrefaites, Ramengo arriva à Avignon et se présenta à Pusterla
+comme un ami. En effet, c'était un ancien client de sa famille, et qu'il
+s'était lui-même attaché par des bienfaits. Il avait été l'époux de
+cette Rosalie qui lui avait inspiré tant de compassion, s'il ne l'avait
+point aimée d'amour. Ses crimes énormes, ses tentatives contre l'honneur
+de Marguerite, lui étaient inconnus. Quant à sa dernière trahison,
+Alpinolo, dans le premier moment, s'était jeté aux pieds de Pusterla
+avec l'intention de lui confesser sa propre faiblesse et la criminelle
+perfidie de Ramengo. Mais pour courir à la recherche de Marguerite, il
+avait interrompu sa confession, et si on ne fait point de tels aveux
+dans le premier élan d'un généreux repentir, la réflexion nous en ôte
+ensuite le courage.
+
+Aussitôt qu'il vit Ramengo, notre exilé l'aborda avec cordialité, en lui
+demandant: «Êtes-vous venu de vous-même ou par contrainte?
+
+--Moitié l'un, moitié l'autre,» répondit Ramengo; et il imagina autant
+de mensonges qu'il lui en fallait pour exciter la compassion et gagner
+la confiance de son seigneur. Voyant en lui un concitoyen exilé comme
+lui, comme lui persécuté et peut-être pour lui, Pusterla trouvait à
+Ramengo des titres suffisants pour qu'il l'accueillit à bras ouverts, le
+désirât pour son hôte, et se mit à entamer avec lui ces premiers sujets
+de la conversation du banni: la patrie et la famille.
+
+Le traître avait trop beau jeu. Par un facile mélange du faux et de
+vrai, Ramengo sut non-seulement éloigner tout soupçon de l'âme du
+lombard, mais encore acquérir entièrement sa confiance. Avec une fougue
+d'autant plus grande que depuis longtemps elle n'avait point trouvé à
+s'assouvir, Francesco exposa au nouveau venu ses déceptions à cause du
+nouveau traité conclu par te saint-père avec Luchino, et du soupçon
+qu'il avait conçu que les ambassadeurs de ce prince avaient machiné de
+le prendre par violence, et de le traîner à Milan; soupçon, à vrai dire,
+fondé sur un trop grand nombre d'exemples d'une semblable déloyauté.
+
+Nos lecteurs doivent se souvenir que Ramengo avait montré aux réfugiés
+de Pise certaines lettres de Martino della Scala, qu'il se disait chargé
+de remettre à Pusterla. C'était encore une de ses trame». Sachant que
+Franciscolo était dans les bonnes grâces de Scaliger, et comment il
+avait été excité à la vengeance pendant qu'il était à Vérone, d'accord
+avec Luchino, il feignit une lettre dans laquelle Martino annonçait
+qu'une rupture définitive allait éclater, par ses soins, entre lui et
+Luchino. Il invitait Pusterla à se rendre à sa cour, lui promettant de
+larges honoraires et une autorité égale au mérite d'un homme si
+généralement cher et révéré, qui entraînerait sous ses drapeaux tous
+ceux qui désireraient rendre la liberté à leur patrie et la recouvrer
+pour eux-mêmes.
+
+C'était frapper un coup de maître sur une âme ambitieuse et inquiète
+comme celle de Pusterla. Ramengo, battant le fer pendant qu'il était
+chaud, lui exposa l'état de toute l'Italie, ce qu'il avait pu pénétrer
+des desseins des bannis pendant son séjour à Pise. Il raconta comment il
+s'était abouché et entendu avec ces derniers, et même qu'il venait de
+leur part le solliciter de prendre pitié de la patrie, qui lui demandait
+merci; de sortir d'un repos apathique; de se souvenir comment Matteo
+Visconti, après neuf années, était revenu au pouvoir, parce que les
+fautes des Porrian dépassaient les siennes.
+
+Flottant entre son imagination, qui souriait à un avenir de vengeance et
+de tendresse, et les conseils de son oncle et ceux de Buonvicino;
+quelquefois résolu de tenter toute chose pour sortir de ce calme
+homicide; quelquefois ayant soif de paix, de ce repos dont il se sentait
+plus désireux que capable, il était dans la pire des conditions; celle
+de l'homme qui ne sait pas prendre un parti.
+
+«Pourquoi ne recourez-vous pas à Pommaso Pezzano?» lui dit Ramengo. Le
+Pezzano était un astrologue de ce temps fort renommé dans Avignon; et
+c'était alors, et non pas seulement alors, un expédient excellent pour
+les esprits faibles et indécis, que de substituer aux calculs de la
+prudence les prophéties d'un imposteur. Le conseil plut à Francesco.
+L'astrologue, après avoir fait montre d'études et de connaissances
+mystérieuses, lorsqu'il eut observé pendant plusieurs jours la main de
+Pusterla et les étoiles, formé l'horoscope et trouvé _l'ascendant_, lui
+annonça alors que sa vie était en grand danger, et une quelqu'un, sous
+de gracieuses apparences, cherchait à le livrer à ses pires ennemis.
+
+Il n'en fallut pas davantage pour confirmer Pusterla dans le doute qu'il
+avait déjà conçu que la cour pontificale voulait le livrer, comme une
+victime, à Visconti réconcilié. Il fit donc les préparatifs de son
+départ. Quelques raisons que lui apportât son oncle, quelques
+exhortations qu'il lui fit, les larmes aux yeux, d'écouter la divine
+sagesse, qui taxe de folie ceux qui dépensent leur argent à tenter la
+ruine des puissants, quelques assurances qu'il lui donnât qu'il n'avait
+point à craindre de trahison si noire des prêtres d'un Dieu de justice,
+Pusterla se confirmait d'autant plus dans son projet de revenir en
+Italie, «Enfin, disait-il, quel mal peut-il m'arriver? Je ne me livre
+point aux mains de mon persécuteur; je ne me confie point aveuglement à
+une indulgence, à une générosité mensongères. Non: je reverrai
+l'Italie.--Italie! qui peut proférer ton nom sans ajouter belle et
+infortunée! Je m'approcherai de mes amis, de Marguerite. De là, je
+pourrai comprendre et apprécier la situation de ma patrie; et mieux que
+dans Avignon, terre de prêtres, je trouverai un sûr et honorable asile
+dans Pise: Pise libre, souveraine des mers et ennemie des Visconti!»
+
+[Illustration.]
+
+
+
+[Illustration.]
+
+Modes.
+
+La fourrure et le velours commencent à dominer dans toutes les
+toilettes, et les plus merveilleux pardessus, paletots et même twines
+seront bordés de martre. La forme qui semble vouloir être adoptée par
+les femmes élégantes est celle dit kazadaveka, dont nous donnons
+aujourd'hui le modèle, pour la promenade, il doit être plus long. En
+velours garni de fourrure, il est charmant.
+
+L'autre figurine porte un pardessus en satin avec collet et des manches
+qui s'ajustent à volonté; c'est presque l'ancien witchoura serrant la
+taille.
+
+Pour les sorties de bal on fait de très-grands mantelets à capuchon
+bordé de cygne ou d'hermine.
+
+Quant aux twines, puisque cette mode anglaise, déjà acceptée par les
+hommes, semble prendre aussi une place importante dans nos toilettes, et
+qu'ainsi elle devient française, disons que ces vêtements se font en
+drap-cachemire brodé en soutache et doublé en fourrures on en satin; le
+collet, fait a peu près comme le collet des habits, est recouvert de
+fourrures, et peut se dresser pour garantir le cou du froid; les manches
+sont aussi comme celles des homme, mais plus larges du haut, afin de
+laisser libre le passage de la robe; les parements en fourrures
+permettent aux mains de se cacher dessous en l'absence du manchon, qui
+souvent est gênant par un temps pluvieux.
+
+Les jupes des robes conservent beaucoup d'ampleur, mais on a supprimé
+les tournures et les jupes crinolines. La taille gagne beaucoup de grâce
+à être entourée seulement des plis de la robe. Les manches des robes de
+sortie se finit plus souvent justes; la variété est dans l'arrangement
+des ornements; c'est une affaire de goût et d'intelligence.
+
+Pour le matin, nous recommandons une redingote en satin, avec des
+chevrons en velours posés sur le devant de la jupe, et au bout de chaque
+chevron, un noeud en passementerie terminé par des glands;--le corsage
+montant est orné de la même garniture répétée en s'élargissant vers le
+haut.
+
+Un chapeau de velours avec un grand voile en dentelle est simple, mais
+distingué.
+
+Bientôt nous aurons à raconter les élégances du soir, car voici qu'on a
+quitté la vie de château pour la vie de salon. On se retrouve, on
+s'assemble, et la première, la plus importante affaire, c'est la
+toilette; il faut donc s'en occuper; ainsi ferons-nous.
+
+
+
+Amusements de sciences
+
+SOLUTION DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS LE DERNIER
+
+NUMÉRO.
+
+I. Cette épitaphe est celle du célèbre Diophante, la voici en vers
+latins, telle qu'elle a été donnée dans l'anthologie grecque:
+
+ Hic Diophantus habet tumulum, qui tempora vitæ
+ Illius mira denotat arte tibi:
+ Egit sextantem juvenis; lanugine mala
+ Vestire hinc coepit parte duodecima;
+ Septante uxori post haec sociatur, et anno
+ Formosus quinto nascitur inde puer.
+ Semissem ætatis postquam attigit ille paternæ
+ Infelix subita morte peremptus obit
+ Quatuor æstates, genitor lugere superstes
+ Cogitur, hinc annos illius assequere.
+
+Pour trouver l'âge de Diophante à sa mort, il faut trouver un nombre
+dont le sixième, le douzième, le septième et la moitié, en y ajoutant 5
+et 4, fassent le nombre lui-même. Ce nombre est 84.
+
+II. La solution de ce problème est des plus faciles. La première
+personne a eu 160 fr.; la seconde, 125 fr.; la troisième, 95 fr., et la
+quatrième, 120 fr.
+
+Il faut remarquer que, sans la dernière condition, ou une quatrième
+quelconque, le problème serait indéterminé, c'est-à-dire qu'on pourrait
+y satisfaire d'une infinité de manières. C'est cette dernière condition
+qui limite la solution à une seule.
+
+III. Placez sur le tapis d'un billard une bille, et frappez-la, sur le
+côté, d'un coup perpendiculaire au billard et avec le tranchant de la
+main; vous la verrez, marcher quelques centimètres du côté où doit la
+porter ce coup; puis rétrograder en roulant, sans avoir remontré aucun
+obstacle et comme d'elle-même.
+
+Cet effet n'est pas contraire à ce principe de mécanique si connu qu'un
+corps mis une fois en mouvement dans une direction, continue de s'y
+mouvoir tant qu'aucune cause étrangère ne l'en détourne; car, dans le
+cas proposé, voici comment les choses se passent:
+
+Le coup imprimé, comme on vient de dire, à la bille, lui donne deux
+mouvements, un de rotation autour de son centre, et un autre direct, par
+lequel son centre se meut parallèlement au tapis, dans la direction du
+coup. Ce dernier mouvement ne s'exécute qu'en frottant le tapis, ce qui
+l'anéantit bientôt. Mais le mouvement de rotation autour du centre
+subsiste, et, le premier une fois cessé, il fait rouler la bille comme
+pour revenir sur elle-même. Ainsi il n'y a dans cet effet rien que de
+très-conforme aux lois connues de la mécanique.
+
+[Illustration.]
+
+IV. Il est aisé de voir que si le poids C était précisément au milieu de
+la barre AH, les deux personnes en porteraient chacune la moitié; mais
+si le poids n'est pas au milieu, on démontre, et il est aisé de le
+démontrer, que les parties du poids soutenu par les deux personnes sont
+en raison inverse de leur distance au poids. Il est donc question de le
+diviser en raison des distances, et la plus grande portion sera celle
+que soutiendra la personne la plus voisine du poids, et la moindre sera
+celle que soutiendra la plus éloignée. Le calcul se fera par la
+proportion suivante;
+
+La longueur totale du levier AB est à la longueur AE comme le poids
+total est au poids soutenu par la puissance qui est à l'autre extrémité
+B; on AB est à BE comme le poids total est à la partie soutenue par la
+puissance placée en A.
+
+Soient, par exemple, AB de trois mètres, le poids C de 150 k., AE de 2
+m, et BE de 1 m.; vous aurez cette proportion: 3 est à 2 comme 150 est à
+un quatrième terme, qui sera 100. Ainsi, le porteur place à l'extrémité
+B portera 100 kilog.; conséquemment la puissance placée en A ne sera
+chargée que de 50 kilog.
+
+La solution de ce problème donne le moyen de repartir un poids
+proportionnellement à la force des agents qu'on emploie à le soulever:
+car, si l'un des deux est, par exemple, de la moitié moins fort que
+l'autre, il n'y aura qu'à le placer à une distante du poids double de
+l'autre.
+
+
+
+NOUVELLES QUESTIONS À RÉSOUDRE.
+
+I. Quinze chrétiens et quinze Turcs se trouvent sur mer dans un même
+vaisseau; il survient une furieuse tempête. Après avoir jeté dans l'eau
+toutes les marchandises, le pilote annonce qu'il n'y a de moyen de se
+sauver que de jeter encore à la mer la moitié des personnes. Il les
+l'ait ranger de suite, et, en comptant de 9 en 9, on jette le neuvième à
+la mer, en recommençant à compter le premier du rang quand il est fini.
+Il se trouve qu'après avoir jeté quinze personnes, les quinze chrétiens
+sont restés. Comment le pilote a-t-il disposé les trente personnes pour
+sauver les chrétiens?
+
+II. Comment peut-on distribuer commodément 4, 8, 16, 32 hommes pour
+porter un fardeau considérable sans s'embarrasser?
+
+
+
+EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.
+
+Ainsi que la vertu, le crime a ses degrés.
+
+
+TYPES DE L'ANCIENNE COMÉDIE [Nouveau rébus.]
+
+
+RÉBUS COMMUNIQUÉ PAR UN JEUNE ABONNÉ A L'ILLUSTRATION [Nouveau rébus.]
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre
+1843, by Various
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 4 NOV 1843 ***
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+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
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+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
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+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
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+people in all walks of life.
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+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
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+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
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+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
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+information can be found at the Foundation's web site and official
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre 1843, by Various
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre 1843
+
+Author: Various
+
+Release Date: April 12, 2012 [EBook #39436]
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+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 4 NOV 1843 ***
+
+
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+
+Produced by Rénald Lévesque
+
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+
+
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+
+
+
+<br><br>
+
+<div class="cont">
+
+
+
+
+
+<p>L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre 1843</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"><br>
+
+<pre>
+ Nº 36. Vol. II.--SAMEDI 4 NOVEMBRE 1843.
+ Bureaux, rue de Seine, 33.
+
+ Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois. 16 fr.--Un an, 30 fr.
+ prix du chaque Nº. 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.
+
+ Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.
+ Pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40
+</pre>
+
+<div class="somm">
+<p>SOMMAIRE. <b>Une visite au poète Jasmin</b>. <i>Portrait et Maison de Jasmin;
+Coupe et Laurier d'or donnés à Jasmin</i>.--<b>Histoire de la Semaine.--Le
+Page</b>, romance. Paroles de M. E. de Lonlay; musique de M. Donizetti
+<i>Gravure</i>.--<b>Théâtre-Italien</b>. Belisario, <i>Portrait de
+Fornasari</i>.--<b>Courrier de Paris</b>. <i>Madame Paradol; le Protée
+anguillard.</i>--<b>Les Vendanges</b>. <i>Sept Gravures</i>.--<b>Romanciers contemporains</b>.
+Charles Dickens. Martin fait de nouvelles connaissances et Mark un
+nouvel ami. <i>Gravure</i>.--<b>Margherita Pusterla</b>. Roman de M. César Cantù.
+Chapitre XV, le Père et le Fils; chapitre XVI, l'Exilé, <i>douze
+Gravures</i>.--<b>Annonces.--Modes</b>. <i>Gravure</i>.--<b>Amusements des Sciences</b>.
+<i>Gravure</i>.--<b>Rébus</b>.</p>
+</div>
+
+<h2>Une visite au poète Jasmin.</h2>
+
+<p>Agen, cette ville ancienne, située au c&oelig;ur de la Gascogne, sur les
+rives admirables d'un fleuve qui a besoin d'être plus vanté; Agen, avec
+sa cathédrale byzantine, sa maison de Montluc, sa promenade superbe du
+<i>Gravier</i>, ses ponts si beaux sur la Garonne, où vient s'ajouter un
+dernier miracle de l'art, le pont-aqueduc; Agen cependant, aux yeux du
+voyageur, à la pensée même de l'Agenois et de l'habitant du Midi, n'a
+qu'une seule merveille, une au moins qui absorbe toutes les autres:
+c'est un coiffeur-poète, un homme de génie tout bonnement, qui rase et
+coiffe; mais cet homme est l'homme du Midi.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/001a.png"><br>
+<b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Jasmin.</b></p>
+
+<p>Il y a bien aussi, dans cette France méridionale, un autre homme qui,
+par sa poésie et sa condition, a quelque similitude avec Jasmin; c'est
+Reboul, le boulanger de Nîmes. Mais cette circonstance n'est
+qu'apparente; Reboul n'est homme du Midi et boulanger que par hasard; ce
+n'est pas là sa condition réelle, C'est un littérateur d'esprit et,
+élégant, comme tant d'autres; c'est un des mieux placés dans cette
+légion d'astres qui gravitent, en le reflétant, autour de ce soleil qui
+se nomme Lamartine. Mais n'allez pas lui demander des vers en patois; sa
+langue est celle de Paris; il en connaît tous les secrets, toutes les
+formes mélancoliques et harmonieuses; il vous variera avec charme cet
+éternel thème de douleur, de religion et d'amour qui, depuis 1820, a
+fait germer deux mille volumes de vers. Ce qui le distingue cependant et
+le met hors ligne, c'est qu'il est boulanger; mais ceci est le
+secondaire et l'accident de sa vie.--Une dame du grand monde, entendant
+parler des succès diplomatiques et des tableaux de Rubens, disait
+nonchalamment: «Ce Rubens était donc un ambassadeur qui s'amusait à
+peindre?--Eh! non pas, madame, répondit Van-Dyck: c'était un peintre qui
+s'amusait à être ambassadeur.» Reboul est un homme de beaucoup d'esprit
+qui s'amuse à être boulanger.</p>
+
+<p>Tel n'est pas Jasmin. Là, au contraire, est une nature supérieure,
+vierge, originale, un génie qui n'a d'autre source que dans lui-même, et
+qui s'est fait un lit et des rives pour y verser et y promener une
+poésie étrange et inconnue. C'est un homme qui, parlant une langue s&oelig;ur
+de celle du Dante, mais aujourd'hui dédaignée et presque proscrite, s'en
+est hardiment emparé, l'a épurée, agrandie et fixée. Cette langue allait
+mourir, disaient-ils, et lui la ressuscite et la baptise au nom de la
+poésie et du génie; et ses poèmes, qui ne peuvent périr, entraînent avec
+eux l'idiome dans leur immortalité.</p>
+
+<p>Quel est donc cet homme extraordinaire devenu ainsi la gloire et presque
+l'idole du midi de la France? Il nous serait facile de répondre à cette
+demande en analysant et pillant au besoin les excellents et charmants
+articles publiés déjà sur lui par MM. Nodier, Sainte-Beuve, Lavergne et
+tant d'autres; mais peut-être voudra-t-on bien préférer à ce
+transvasement des pensées et des phrases d'autrui des impressions
+personnelles et toutes récentes. Je vais donc raconter avec une vérité
+simple la visite que j'ai faite il y a peu de jours à Jasmin.</p>
+
+<p>Sur le bateau à vapeur qui mène de Bordeaux à Agen, tous les hommes du
+Midi m'avaient d'avance répondu à la question que j'allais leur faire;
+«Jasmin! vous trouverez sa boutique sur la promenade, près du pont
+suspendu. Au-dessus est écrit: <i>Jasmin, coiffeur des jeunes gens</i>. Au
+reste, tout le monde vous l'indiquera.» M. de Talleyrand, à qui l'on
+demandait l'adresse de la princesse de Vaudemont, répondait:
+«Demandez-la au premier pauvre que vous rencontrerez dans la rue.» En
+Gascogne, tout le monde connaît la demeure du poète, comme à Paris tous
+les pauvres savaient où vivait la bienfaisance.</p>
+
+<p>Arrivé à Agen, et devant cette boutique célèbre, j'en examinai
+curieusement l'aspect extérieur. Les boutiques des coiffeurs de la rue
+Saint-Marcel ou du Gros-Caillou sont assurément plus splendides que
+celle du poète. Les bustes traditionnels en cire ou en carton ne se
+voient même pas sur la devanture vitrée et étroite, qui se couronne par
+une planche avec ces mots: <i>Jasmin, coiffeur des jeunes gens</i>; au-dessus
+est un seul étage, avec une seule croisée, puis le toit. D'ailleurs dans
+la montre rien ne révèle l'auteur; pas un livre, pas une affiche; des
+objets de toilette parlent pour le seul coiffeur.</p>
+
+<p>J'entrai dans la boutique. Elle est étroite et petite; trois chaises et
+un fauteuil en paille la meublent; tout autour, des armoires vitrées
+regorgent de perruques, de flacons, de peignes et de parfumerie; une de
+ces armoires, la plus obscure, contient quelques livres: à coté d'elle,
+dans le même coin, un petit guéridon est chargé de journaux, de lettres,
+de livres: c'est le coin du poète.</p>
+
+<p>La femme de Jasmin était alors seule. «Mon mari va descendre,» dit-elle.
+Quelques instants après entrait dans la boutique un homme de
+quarante-cinq ans, de taille moyenne, mais vigoureux et trapu, la tête
+forte, le teint animé, la lèvre épaisse, les cheveux crépus, les yeux
+pleins de feu, une physionomie que plus tard je vis bien être aussi
+mobile qu'énergique. Il était vêtu d'un paletot dont les soieries et la
+ganse étaient fort fanées. C'était Jasmin.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/001b.png"><br><b>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Maison de Jasmin.</b></p>
+
+<p>Il me lit asseoir sur le fauteuil de paille, et lui-même prit une chaise
+auprès de sa femme.. Cette double condition de poète et de coiffeur
+embarrassait ma démarche, et j'attaquai d'abord le coiffeur. «Monsieur,
+lui dis-je, je, dîne au château de la Garde, à quatre lieues d'ici. Je
+ne sais si j'aurai le temps de faire ma barbe avant l'heure du dîner....
+et je viens...» Jasmin me répondit qu'il ne lui paraissait pas qu'il y
+eût besoin de me raser... mais en étudiant un petit froncement presque
+imperceptible dans sa bouche et ses yeux, je lui dis de suite que ceci
+n'était qu'un prétexte, et que le véritable but de ma démarche était de
+venir trouver l'homme éminent et de connaître le poète.</p>
+
+<p>Alors la physionomie de Jasmin devint tout à coup brûlante et splendide
+d'animation, de froide et indifférente qu'elle était. «Savez-vous ma
+langue? s'écria-t-il en changeant de chaise et en se rapprochant de
+moi.--Non.--Ah! mon Dieu, quel malheur! mais c'est égal, j'essaierai de
+vous la faire sentir.» Et tout à coup, sans autre prologue, le poète,
+avec une chaleur d'esprit et un enthousiasme dont on ne peut rendre
+compte, dans un excellent langage français d'ailleurs, se livrait à une
+improvisation saisissante et à une théorie de son art de poète et du
+génie de sa langue, dont je regrette; bien de ne pouvoir donner ici une
+idée.</p>
+
+<p>«Quel bonheur pour moi, disait-il, de m'être servi de la langue du mon
+pays! quoique vieille, elle est vierge; aucun antécédent, pour ainsi
+dire, aucune règle, aucune de ces épurations énervantes ne lui
+commandent. Elle est libre, fière, neuve dans la littérature, et elle
+peut s'enrichir sans contrôle des paroles de ses s&oelig;urs qui nous
+entourent, des langues espagnole, italienne, et de toutes celles du
+Midi.</p>
+
+<p>«C'est ce qui fait mon bonheur, et peut-être ma force. Votre langue, au
+contraire, quelle est-elle? Enervée de règles, d'entraves, de liens de
+goût et de purisme, épuisée par la multitude et la fécondité des
+auteurs, elle est vieille et caduque. C'est une langue admirable, sans
+doute, pour la vie de la nation; mais c'est une langue tuée pour la
+poésie.--Aussi on dit que la poésie meurt en France; c'est parce que la
+langue poétique meurt qu'on le dit; car la poésie elle-même peut-elle
+mourir? Et soyez, attentif à ceci: examinons la manière de Victor Hugo?
+Qu'a-t-il cherché, ce grand poète, si ce n'est la langue qui lui manque.
+Remarquez qu'il a voulu l'électriser et la ressusciter, pour ainsi dire,
+par la bizarre recherche des mots et des formes, par le grandiose
+quelquefois exagéré des idées. Le voyez-vous au milieu de cette
+tourmente de son génie? D'où vient cette agitation? D'est que
+l'instrument lui manque; sa langue usée et morte lui répugne; il veut se
+faire une langue nouvelle dans la sienne. Moi, au contraire, j'ai la
+mienne, comme je vous le disais, pure, vierge, hardie, vive, le bouquet
+de fleurs d'oranger au côté; et c'est moi, moi seul jusqu'ici à qui le
+bon Dieu a accordé de la mener à l'autel.</p>
+
+<p>«Avec une pareille liberté et un tel bonheur, la poésie devient facile
+et naïve comme elle doit être; le vrai et le simple sont seuls touchants
+et poétiques. Aussi tous mes efforts tendent là.--Je ne dis pas
+<i>l'Éternel, le Dieu tout-puissant</i>, etc., mais le boun Diou, et l'idée
+de Dieu n'en arrive-t-elle pas au c&oelig;ur plus vive et plus tendre? Où est
+la plus belle poésie, la vraie, si ce n'est dans ces vers de Béranger?»</p>
+
+<p>Et Jasmin, se levant, me dit avec un art prodigieux et les inflexions
+d'un comédien consommé ces vers:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i16"> Mes enfants, dans ce village,</p>
+<p class="i16"> Suivi des rois, il passa;</p>
+<p class="i16"> Voilà bien longtemps de ça:</p>
+<p class="i16"> Je venais d'entrer en ménage.</p>
+<p class="i16"> A pied grimpant le coteau</p>
+<p class="i16"> Où, pour voir, je m'étais mise,</p>
+<p class="i16"> Il avait petit chapeau</p>
+<p class="i16"> Avec redingote grise,</p>
+<p class="i16"> Près de lui je me troublai.</p>
+<p class="i16"> Il me dit: Bonjour, ma chère!</p>
+<p class="i16"> Bonjour, ma chère!</p>
+<p class="i16"> --Il vous a parlé, grand'mère!</p>
+<p class="i16"> Il vous a parlé!</p>
+</div></div>
+
+<p>«Vous allez entendre mes vers, continua-t-il; vous verrez, vous verrez.
+C'est la nature, la douleur, la joie comme Dieu les fait.»</p>
+
+<p>Alors il se leva, et avec une pantomime sublime, car il pleurait de
+vraies larmes, il fit la scène poétique qu'il voulait peindre. «Mon
+fils! mon fils! mon pauvre enfant! Il est mort. Le voilà, mon ami, le
+voilà! Ah! mon Dieu, ah! mon Dieu, mon pauvre <i>Dodo</i>, mort! Là, voilà sa
+chaise, ses babils, ses livres. Oh! mon Dieu!</p>
+
+<p>«Voilà la nature, monsieur, voilà ma poésie. Cette scène était
+attendrissante au plus haut degré. «Maintenant je vais vous lire mes
+vers,» dit-il. J'attendais avec impatience cette offre, sachant
+l'admirable talent de lecture du poète.</p>
+
+<p>«Combien pouvez-vous me donner de temps? dit-il.--Jusqu'à trois heures
+et demie; la voiture de Caillat m'attend à cette heure.--Ah! mon Dieu!
+quel malheur! Ah! mon Dieu! je ne pourrai pas vous lire
+Francounette,--ni l'Aveugle du Castel-Cuillé non plus! Quel malheur!</p>
+
+<p>En ce moment, entre un étranger. «Je suis de ce pays, monsieur, mais
+j'habite Genève, et dans cette ville tout le monde me parle de vous, on
+m'en veut de ne pas vous connaître.--Vous êtes d'Agen? dit Jasmin.--Non
+pas, mais de S....» Alors Jasmin de lui serrer la main, de lui parler
+gascon, mais sans le faire asseoir et sans le retenir.--L'étranger
+partit bientôt.</p>
+
+<p>«A nous donc! s'écria Jasmin; qu'est-ce que je vais vous lire? Ah! mon
+Dieu, quel dommage une vous ayez si peu de temps!--quel malheur de ne
+pas lire <i>l'Aveugle!</i>--Ah! monsieur, c'est si touchant, si beau! cette
+pauvre fille qui meurt frappée de Dieu au moment où elle allait se tuer
+elle-même! vous verrez, vous verrez!»</p>
+
+<p>Et il feuilletait son livre, ravi à chaque pièce qu'il voyait; et il
+s'arrêta enfin à celle-ci:</p>
+
+<p><i>A un riche Agriculteur</i> qui sans cesse l'invitait à aller s'établir à
+Paris, où il ferait fortune.</p>
+
+<p>«Suivez sur la traduction française qui est en regard, me dit-il, et
+vous me comprendrez; et arrêtez-moi la où vous ne sentirez pas le mot
+gascon.</p>
+
+<p>Et il lut délicieusement cette pièce:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i16"> Et bous tabé, Moussu, sans cregne</p>
+<p class="i14"> De troubla mous jours et mas neys</p>
+<p class="i8"> M'escribes de pourta ma guittaro et moun pegne</p>
+<p class="i12"> Dins la grando bilo des Reys!...</p>
+<br>
+<p class="i16"> Et vous aussi, monsieur, sans craindre</p>
+<p class="i16"> De troubler mes jours et mes nuits,</p>
+<p class="i8"> Vous m'écrivez d'aller porter ma guitare et mon peigne</p>
+<p class="i16"> Dans la grande ville des Rois!...</p>
+</div></div>
+
+<p>Il terminait cette lecture entrecoupée de remarques, de commentaires et
+des élans de la plus naïve et de la plus charmante satisfaction,
+lorsqu'un second étranger entra.</p>
+
+<p>C'était un jeune lion parisien égaré dans cette Lombardie, de la
+Garonne; il tenait en laisse un chien d'arrêt magnifique, dont il était
+aussi fier qu'embarrassé; il venait évidemment pour voir Jasmin, dont le
+nom se trouvait sur son <i>agenda</i> dans le Lot-et-Garonne.--Ce mélange de
+poésie et de pommade parut l'ébranler.» Je voudrais, dit-il en
+balbutiant, faire faire ma barbe.» Et comme si un remords l'eût saisi à
+propos de cette barbe très-problématique sur son menton si jeune; «Ou me
+faire couper les cheveux,» ajouta-t-il.</p>
+
+<p>Jasmin paraissait désespéré. «Je suis à vous, monsieur,» dit-il; et il
+allait prendre des ciseaux... Il me faisait, avec des haussements
+d'épaules et des yeux terribles, la pantomime du dérangé et de
+l'ennuyé... Quant au jeune lionceau, il ne tenait guère au reste de la
+chose; il avait vu Jasmin, son but était rempli, il pouvait désormais en
+parler dans le monde, ce qui lui suffisait.--Aussi bâillait-il déjà.
+Jasmin sentit la chose, «Mon Dieu, monsieur, je suis occupé; seriez-vous
+assez bon pour revenir dans une demi-heure?--Tout à fait,» dit le jeune
+homme, Et il sortit avec son chien.</p>
+
+<p>«Quel bonheur! s'écria Jasmin. Vous avez encore du temps, n'est-ce pas?
+Ma femme, va donc prévenir Caillat, et voir si la voiture retardera son
+départ?</p>
+
+<p>Maintenant, monsieur, je vais vous lire une pièce bien jolie;
+voyez-vous, c'est le c&oelig;ur qui l'a faite: c'est <i>la Caritat</i>. Suivez,
+suivez bien, et arrêtez-moi si vous ne comprenez pas.</p>
+
+<p>Il est impossible de rendre la manière enchanteresse avec laquelle
+Jasmin fit cette lecture;--il était vivement ému.--Son émotion passa
+bien tôt à une sorte d'exaltation de lui-même qui avait sa grandeur,
+«Monsieur, disait-il, mes vers ont aussi leur puissance de charité; avec
+eux, avec mes lectures publiques, j'ai fait donner plus de 40,000 fr.
+aux pauvres ou à d'autres &oelig;uvres. Il y a un clocher qui s'élève, et il
+porte mon nom; c'est le <i>Clocher Jasmin</i>, parce que c'est moi qui ai pu
+en procurer l'argent avec mes vers. Il vous aurait fallu voir quel
+accueil, quel enthousiasme à Bordeaux, à Auch, à Toulouse! et à Paris,
+monsieur, comme ils m'ont reçu! Vous disiez tout à l'heure que mon
+mérite était dans mon originalité; M. Villemain, le ministre, me l'a dit
+aussi dans sa lettre où il m'annonce cette belle pension qu'il m'a
+donnée (et il prononçait ces mots: <i>Belle pension</i>, avec un accent aussi
+plein de fierté que de gratitude). Et le roi, il m'a appelé chez lui, et
+il m'a comblé de bontés; et les salons de Paris se disputaient mes
+lectures; l'étranger lui-même parle de moi; au milieu de ces journaux,
+voici un journal anglais qui me traduit et me nomme un des premiers
+poètes de la France; combien d'autres de vos grands auteurs me le disent
+aussi! et Sainte-Beuve, et Charles Nodier, comme ils me protègent! comme
+ils m'aiment!»</p>
+
+<p>Ainsi se développait cette autre face de l'esprit de Jasmin. C'était
+cette satisfaction exaltée de lui-même, ce que tout le Midi, en
+l'admirant, lui reproche, ce qu'on appelle sa vanité.</p>
+
+<p>Sans doute Jasmin a quelque chose qui ressemble à la vanité, mais qui
+est bien plus pur et plus noble qu'elle; il me semble que son caractère
+s'en grandit. Cet orgueil est si naïf, et d'ailleurs si justifié. Eh
+quoi! voici un homme né dans la pauvreté, dont tous les parents sont
+morts à l'hôpital, comme il l'a dit, chanté et fait graver en tête de
+ses livres; c'est un obscur coiffeur, et soudain le poète se révèle en
+lui, le Midi s'étonne et admire; sa nation l'exalte, les grands poètes
+arrivent à lui, et le nomment leur égal; les pauvres l'implorent, et
+l'or pleut et tombe parce qu'il dit ses vers; la religion s'adresse à
+lui et lui demande un édifice, et ses vers le lui donnent;--Bordeaux la
+magnifique l'applaudit;--Auch lui vote une coupe admirable de vermeil
+avec les mots: <span class="sc">à Jasmin, la ville d'auch, admiration,
+gratitude</span>;--Toulouse, qui a son Capitole et ses fêtes antiques, lui fait
+un triomphe et lui décerne des lauriers en or;--le duc d'Orléans lui
+donnait une bague de diamants et lui avait réservé, dit-on, une faveur
+plus grande encore;--la duchesse d'Orléans, lui envoie une médaille d'or
+avec ces mots: <span class="sc">la duchesse d'orléans au poète jasmin</span>;--Paris l'appelle
+et l'enivre de fêtes et de triomphes;--Le roi lui-même le reçoit aux
+Tuileries, l'entend, et lui fait un présent royal;--toute la haute
+littérature lui décerne des titres de gloire, et vous voulez qu'au
+milieu de ce délire cet homme simple, franc, poète prenne un semblant de
+fausse modestie et se déprime lui-même!</p>
+
+<p>Enfin il y a un mot de Jasmin charmant de modestie et qui détruit ce
+reproche de vanité mauvaise: c'est lorsqu'à Paris, au milieu de ses
+triomphes et lorsqu'on voulait l'y retenir, il répondit: «Il faut
+partir, <i>les barbes poussent à Agen!</i></p>
+
+<p>«Puis-je vous lire une troisième pièce de vers? nous avons le temps,
+Cuillat attendra.» Il ajouta: «M. Durand était un ange de charité, un
+saint de bienfaisance. Hélas! les villes et les hommes oublient vite. Un
+monument manque à sa tombe; mais, si Dieu le permet, il s'y élèvera un
+jour.» Et il me lut la pièce délicieuse intitulée <i>le Médecin des
+Pauvres</i>.</p>
+
+<p>Il avait fini, et j'étais encore sous le charme de sa poésie et de son
+débit.--Je le regardai, des larmes étaient dans ses yeux; je lui pressai
+la main avec attendrissement;--je ne pouvais louer autrement son &oelig;uvre.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/002a.png"></p>
+
+<p>Avant de le quitter, je le priai de me montrer ces présents de villes et
+de princes qui lui avaient été donnés.</p>
+
+<p>Il m'emmena dans une nièce placée au fond de sa maison; et d'abord il
+ôta d'une cloche de verre la coupe de vermeil offerte par la ville
+d'Auch.</p>
+
+<p>Cette coupe, d'un travail exquis et qui semblerait sortie des ateliers
+d'un Cellini, est d'une hauteur de vingt-cinq centimètres environ. Il me
+fit remarquer l'inscription si honorable:</p>
+
+
+
+<p class="mid">A JASMIN, LA VILLE D'AUCH, GRATITUDE.</p>
+
+<p>Puis il ouvrit un très-grand écrin de maroquin vert, et il en tira d'une
+couche de satin blanc une double branche de laurier à feuilles de
+grandeur de nature et d'or massif. La grandeur de cette branche d'or
+peut être de quarante à quarante-cinq centimètres.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/002b.png"></p>
+
+<p>Dans un autre écrin étaient trois médailles, sur l'une d'elles, en or,
+étaient écrits ces mots:</p>
+
+<p class="mid"><span class="sc">la duchesse d'orléans au poète jasmin.</span></p>
+
+<p>Puis une bague donnée par le duc d'Orléans à son passage à Agen. C'est
+un saphir entouré de deux gros brillants.</p>
+
+<p>Enfin, il tira de son sein une belle montre en or, avec une chaîne de
+même métal; sur cette montre étaient gravés ces mots:</p>
+
+<p class="mid">DONNÉE PAR LE ROI.</p>
+
+<p>Le temps me pressait;--je lui demandai une dernière grâce, c'est d'avoir
+de sa main, sur l'un des volumes de ses poésies que j'emportais, ces
+deux vers de la pièce de <i>la Charité</i>:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p> Car es amer de la recebre</p>
+<p> Aoutan qu'es dous de la donna!</p>
+</div></div>
+
+<p>Il prit le volume et s'apprêta avec une sorte de méditation à écrire
+quelques mots.</p>
+
+<p>«Ce ne sont pas des vers, dit-il en me le rendant; lisez, ou plutôt je
+vais vous traduire cette phrase.» Je l'écoutai, et je fus profondément
+attendri en entendant ces mots, dont je n'aurai pas le courage de donner
+ici la traduction;</p>
+
+<p>«A Moussu G... C...</p>
+
+<p>«A heyre commo m'abès sentit quand legissioy, bézi que mous libres n'an
+jamay estat débat un nullou co, et dins de tan bounos mas,</p>
+
+<p>«JASMIN.</p>
+
+<p>«Agen, 6 octobre 1843.»</p>
+
+<p>Il ignorait encore qui j'étais après avoir écrit cette phrase, et il me
+le demanda pour l'ajouter aux mots; à moussu, suivis d'une demi-ligne
+blanche. Ce fut alors seulement qu'il sut et qu'il écrivit mon
+nom:--G... C....</p>
+
+<p>Avant de nous quitter, il ouvrit un de ses volumes, et, me montrant une
+page de musique, il me chanta une mélodie qui est de lui, et qu'il a
+composée pour une de ses poésies.--Sa voix est touchante, et je savais
+d'ailleurs qu'il était bon musicien et jouait fort bien de la guitare.</p>
+
+<p>Enfin, je lui fis mes adieux, avec l'espoir et sa promesse de le revoir
+à Paris.</p>
+
+<br><br>
+
+<h2>Histoire de la Semaine.</h2>
+
+<p>Quand les événements politiques intérieurs font défaut à la presse, la
+polémique vient y suppléer, et parfois aussi elle amène ses événements.
+Toute la semaine dernière, une lutte très-vive s'était engagée dans les
+journaux entre des membres du haut clergé et des défenseurs de
+l'Université, qui ne paraît pas encore s'être arrêtée sur le meilleur
+moyen de se défendre elle-même. M. le cardinal-archevêque de Lyon, M.
+l'évêque de Langres, et l'évêque de Châlons, y ont successivement pris
+part. Tous réclament la liberté de l'enseignement, et, pour en démontrer
+la nécessité, entreprennent de prouver que l'enseignement universitaire
+ne présente pas aux pères de famille de suffisantes garanties morales.
+Les défenseurs de l'enseignement par le gouvernement éprouvent de
+l'embarras pour repousser ces accusations, quelque peu fondées qu'elles
+soient, car M. le ministre de l'instruction publique leur a donné crédit
+en sacrifiant des professeurs approuvés par l'Université, mais mal vus
+et dénoncés par le parti ecclésiastique. Une nouvelle et récente mesure
+prise à l'occasion de M. le professeur Ferrari, immédiatement après un
+succès éclatant remporté par lui dans un concours d'agrégation, est
+venue donner confiance aux adversaires de l'Université et porter le
+découragement dans les rangs de ses soutiens. D'un autre côté, la
+promesse d'une loi faite par la Charte de 1830, promesse dont
+l'exécution a été ajournée d'année en année, semble mettre l'autorité
+dans une situation un peu fausse pour faire exécuter dans toute leur
+rigueur les dispositions encore en vigueur sur les petits séminaires.
+C'est dans ces circonstances que la lutte, qui, dans le silence, avait
+été incessante, s'est traduite en lettres pastorales et en lettres aux
+journaux. Le <i>Journal des Débats</i> avait annoncé que celle de M. l'évêque
+de Châlons, qui n'a peut-être pas toute la gravité du caractère
+religieux de son auteur, était déférée au Conseil d'État, non pas pour
+la question de goût, mais pour celle de légalité. C'était, à ce qu'il
+paraît, l'avis de M. le grand-maître, qui, pour se donner du courage,
+avait livré sa résolution à la publicité. Mais il a rencontré de
+l'opposition de la part de M. le garde-des-sceaux, et sa détermination
+n'a pas été la plus forte.</p>
+
+<p>Le conseil-général de la Seine a clos le 30, à minuit, sa session
+annuelle, dont nous avions précédemment annoncé l'ouverture. Il lui a
+fallu, en treize séances, arrêter un budget de cinquante millions et
+donner son avis motivé sur une foule de questions importantes. Les
+sessions des conseils-généraux sont infiniment trop courtes; beaucoup de
+ces assemblées ont exprimé des plaintes à ce sujet; le conseil-général
+de la Seine l'a fait sentir de son côté, en déclarant n'avoir le temps
+de répondre à des questions que le ministère lui avait posées. Il a
+renouvelé ses v&oelig;ux de l'an dernier relatifs à la publicité à donner à
+la liste du jury et à l'attribution du produit des droits
+d'enregistrement sur les brevets d'invention. Il a montré tout à la fois
+de la largesse dans les sacrifices qu'il a regardés comme utiles et bien
+entendus, et une sévère économie dans les dépenses, qu'il n'a pas
+considérées comme suffisamment justifiées. Les traitements de quelques
+fonctionnaires s'en sont mal trouvés.</p>
+
+<p>A l'extérieur s'offre toujours, sur le premier plan, l'Irlande, ou bien
+plutôt l'Angleterre; car on est bien plus embarrassé à deviner comment
+sir Robert Peel sortira de l'impasse où il s'est engagé, qu'inquiet du
+sort d'O'Connell et de ses coaccusés. A Londres comme à Dublin, on a
+répandu, à la fin de la semaine dernière, le bruit que les poursuites
+étaient abandonnées. Cette nouvelle était absurde: mais elle n'a en
+cours que parce qu'elle l'était infiniment moins que les poursuites
+elles-mêmes. Si on ne les abandonne pas, on songe du moins à les
+ajourner le plus possible. Au lieu des derniers jours de novembre, les
+premiers jours de janvier arriveront, dit-on, avant que les débats
+judiciaires s'ouvrent. On semble espérer que l'avenir et l'imprévu
+apporteront une solution à une difficulté qu'on commence à reconnaître
+inextricable aujourd'hui. On songe à recommencer l'enquête entreprise,
+qui, entachée d'irrégularité et d'évidente inexactitude, fournirait des
+armes redoutables à un légiste et à un procédurier de la force
+d'O'Connell. En un mot, on croit avoir tout à gagner à perdre du temps.
+En attendant, les témoignages de sympathie, les adhésions à
+l'association et les offrandes arrivent au chef du rappel de la part de
+prélats qui jusqu'ici étaient demeurés en dehors de l'agitation
+nationale; des prières sont faites dans toutes les paroisses de
+l'Irlande, et la formule de l'une d'elles nous paraît assez nouvelle
+dans la liturgie: «Puissent les amis de la liberté ne jamais avoir
+affaire à d'autres ennemis que Peel, Sugden, Wellington et
+compagnie!»--L'Espagne mérite de plus ou plus l'épithète de malheureuse
+qu'on lui a tant de fois donnée depuis trente-cinq ans, quand on a eu à
+raconter les événements dont elle a été continuellement le théâtre.
+Barcelone et Girone, à l'heure où nous écrirons, sont peut-être en feu
+ou déjà en cendres. Les dernières nouvelles annonçaient que les bombes
+des assiégeants se succédaient sans interruption, nombreuses et
+terribles, que les murailles s'écroulaient, et que le carnage était
+imminent.--La France, qui a vu une première fois son consul conjurer les
+dernières rigueurs contre Barcelone de la part d'Espartero, avec le
+gouvernement duquel elle était dans des termes plus que froids, la
+France n'a-t-elle donc rien pu obtenir d'un gouvernement qui se dit son
+ami? Si elle n'y a pas réussi, il faut le déplorer; mais si elle ne
+l'avait pas même tenté, il faudrait le déplorer plus encore. A Madrid,
+en présence de pareils événements, les Cortès sont demeurées
+très-longtemps à se constituer, et un projet de loi pour déclarer la
+majorité de la reine est jusqu'ici la seule mesure qui leur ait été
+présentée. Peut-on raisonnablement attendre de son adoption la fin des
+malheurs de la Péninsule: Nous le désirons beaucoup, tout en l'espérant
+bien peu.--Athènes a perdu de sa confiance dans la franchise de
+l'adhésion du roi à la révolution de septembre. Un aide-de-camp d'Othon,
+qui avait vu ces changements politiques avec beaucoup de dépit, est
+arrivé à faire croire à ce monarque qu'une contre-révolution devait
+éclater une belle nuit; car, en Grèce, c'est toujours à la belle étoile
+que les mouvements s'opèrent. La crédulité du prince, les ordres qu'elle
+lui a suggérés, ont donné à penser qu'il avait une grande confiance dans
+les ennemis de la révolution et trop peu de foi dans son avenir pour en
+être un partisan bien sincère. Cette défiance ne facilitera rien, et tôt
+ou tard les puissances voudront venir en aide à des embarras qu'elles
+pourront bien accroître encore par l'intervention de leurs
+diplomates.--Les nouvelles de Chine n'ont guère apporté que des détails
+sur l'étrange cérémonial observé par les grands dignitaires du pays dans
+leurs rencontres avec les chefs anglais; mais ces programmes ont leur
+importance en ce qu'ils font voir que les Chinois ont renoncé à leur
+ancienne prétention d'humilier les Barbares, et qu'ils sont résignés
+aujourd'hui à les traiter d'égal à égal. Nous saurons plus tard si les
+présentations à l'empereur n'amèneront plus ces complications
+d'étiquette qui ont fait reculer toutes les précédentes ambassades.
+L'expédition anglaise a sans doute contribué pour beaucoup à ce
+résultat; mais on doit croire aussi que les progrès des missions
+catholiques n'y sont pas tout à fait étrangers. Dans un rapport officiel
+publié à Londres, nous voyons qu'on compte 52,000 catholiques dans le
+vicariat apostolique du Sut-Chuen, 40,000 dans celui de Fokien; Chensi
+et Hon-Kouang, 60,000; Tche-Kiang et Kian-Li, 9,000; Pegu et Ava, 6,000;
+Siam, 8,000; Malaca, 6,000; Cochinchine, 80,000; Tong-King oriental,
+160,000; dans le diocèse de Nang-King, 40,000; dans celui de Macao,
+52,000, et dans le vicariat apostolique du Tong-King occidental,
+180,000.</p>
+
+<p>La nature a un peu fait relâche cette semaine, et n'a pas continué cette
+série de tremblements de terre et de tempêtes que nous avions eu
+précédemment à enregistrer. Mais l'industrie a fourni son sinistre. Le
+bateau à vapeur <i>le Clipper</i>, faisant la navigation entre Bayousara et
+la Nouvelle-Orléans, au moment où il quittait le port, a fait explosion
+par l'éclat de ses chaudières, Toute la machine, de grands débris de
+chaudières d'énormes fragments de bois, un multitude d'autres objets,
+et, au milieu de tout cela, des êtres humains, tous plus ou moins
+mutilés, ont été lancés dans les airs. En atteignant sa plus grande
+hauteur, cette éruption a été projetée, comme les jets d'une fontaine,
+dans plusieurs directions, et est retombée sur la terre, sur les toits
+des maisons et jusqu'à 200 mètres de distance du lieu du sinistre. Les
+malheureuses victimes ont été brûlées, écrasées, déchirées, mutilées et
+dispersées de toutes parts, les unes dans la rivière, les autres dans
+les rues, d'autres sur l'autre rive du Bayou, à près de 250 mètres.
+Quelques corps ont été coupés en deux par des morceaux de bois, et
+d'autres lancés comme des boulets de canon contre les murailles des
+maisons. Toute la partie des édifices environnants semble avoir été
+ravagée par un tourbillon. Le lieu du désastre offrait un spectacle
+qu'il faut renoncer à peindre. Les planchers des deux chambres étaient
+jonchés de morts et de mourants. Ceux que l'on transportait, proféraient
+des prières, des gémissements, des imprécations, et présentaient
+l'aspect des plus atroces souffrances. L'équipage consistait en
+quarante-trois hommes; il y avait de plus cinq passagers. Un très-petit
+nombre de personnes, dont fait partie le capitaine, a été sauvé; les
+pertes connues s'élevaient à vingt-neuf; mais il manquait encore
+plusieurs personnes, dont les traces n'avaient pas été retrouvées.</p>
+
+<p>Les journaux anglais nous font aussi connaître les désastres financiers
+d'un prince noir et d'un prétendu prince blanc. Le premier est le frère
+de l'ancien roi d'Haïti, Christophe II, lequel, entrevoyant l'orage qui
+devait détruire bientôt tout à fait son pouvoir déjà ébranlé et sa
+fortune en ruines, avait envoyé à Londres environ 250,000 fr. pour les
+placer dans les fonds anglais, au profit de la reine, de ses deux
+filles, de ce frère et de sa s&oelig;ur. Madame Christophe a trouvé moyen de
+s'approprier le tout et d'aller jouir en Sardaigne des moyens
+d'existence qu'elle eût dû partager avec son beau-frère. Ce pauvre
+prince, réduit, lui et les siens, à la plus profonde misère, s'est
+adressé à la Société des amis des étrangers en détresse, et celle-ci lui
+a envoyé... 5 guinées! Il s'est présenté pour demander des secours au
+lord-maire, qui lui a répondu, en lui donnant satisfaction sur ce point,
+qu'il n'avait pas qualité pour agir, mais qu'il espérait qu'on pourrait
+poursuivre la reine d'Haïti pour le remboursement de 5,000 livres
+sterling.--Le lord-maire, ou du moins en attendant l'installation de
+celui-ci, l'alderman qui le remplace, a également reçu la visite de
+l'autre prince dont nous parlions tout à l'heure: celui-ci était Louis
+XVII, dont nous avons déjà fait connaître la demande en cession de biens
+et de droits, même à la couronne de France. Ceci pouvait être assez gai;
+mais ce qui est triste, c'est que ce malheureux, sa femme et leurs huit
+enfants sont dans la plus affreuse misère. Ou a vu se présenter, pour
+appuyer sa demande, un Français, M. le comte de Labarre, dont
+l'extérieur annonce un homme respectable. «Je n'ai point, a-t-il dit,
+abandonné et je n'abandonnerai point mon ami, tout accablé qu'il est
+sous le poids de l'adversité. Je me suis ruiné moi-même pour le
+secourir, en me faisant ainsi, comme l'a dit un grand écrivain, M. de
+Chateaubriand, dans une autre circonstance, le courtisan du malheur. M.
+le duc de Normandie n'a pas droit seulement comme héritier du trône à la
+commisération des Anglais, il était venu aussi leur apporter le fruit de
+ses longs travaux sur l'art de perfectionner les projectiles de guerre.
+--<i>Une voix dans l'auditoire</i>: Afin de bombarder ses bons et féaux
+sujets. (<i>On rit</i>.)--M. de Labarre: Quelque opinion qu'on ait sur la
+légitimité des prétentions du duc, on conviendra, du moins, qu'il se
+trouve dans une position peu commune: il a huit enfants, dont le plus
+jeune est âgé de six mois.» L'alderman a fait remettre à l'avocat du duc
+de Normandie une somme tirée du tronc des pauvres et dont le chiffre n'a
+pas été révélé au public.</p>
+
+<p>Ce ne sont pas seulement les demandes des princes indigents qui
+remplissent les journaux anglais, ce sont aussi les réclamations des
+capitalistes de cette nation qui s'étaient réunis pour entrer dans les
+compagnies de chemins de fer, sollicitant des concessions en France
+durant la session dernière. Le chemin de Lyon, qui avait trouvé des
+souscripteurs dans la Grande-Bretagne, à l'aide de prospectus répandus à
+profusion, mettant en avant un conseil d'administration composé de pairs
+et de députés français, auxquels on n'avait pas même; demandé leur
+agrément; le chemin de Lyon, qui avait vu ses actions, placées par ce
+tour d'adresse, devenir, à la bourse de Londres, l'objet de spéculations
+considérables, et obtenir une prime très-élevée; le chemin de Lyon voit
+aujourd'hui ses ingénieux inventeurs retenir l'argent des actionnaires
+malgré eux, sans intérêts et sans garanties. Ceux-ci, finissant par
+trouver la plaisanterie un peu prolongée, confient leurs vives doléances
+aux feuilles de Londres. Nous ne croyons pas la triste spéculation dont
+ils sont victimes de nature à les encourager beaucoup à s'intéresser
+jamais de nouveau dans une grande entreprise en France, et nous le
+déplorons.--Du reste, on pense que le ministère est déterminé à demander
+l'autorisation de faire exécuter, aux frais de l'État, les chemins qui
+seront votés dans la session prochaine, soit qu'il les exploite
+lui-même, soit qu'il se détermine, après leur exécution, à en mettre les
+baux en adjudication.</p>
+
+<p>Paris s'embellit chaque jour, il faut le reconnaître. Le conseil
+municipal, quels que soient les vices de son organisation, par cela seul
+qu'il est électif, a plus fait par ce résultat en quelques années que
+n'avaient fait plusieurs générations successives. Paris s'embellit; mais
+outre les projets qu'exécute l'administration de la ville de Paris, il y
+a aussi, et en bien plus grand nombre, les projets qu'on lui prête. Les
+journaux ont cette semaine rasé des quartiers entiers, ouvert des voies
+immenses et planté sur le parvis Notre-Dame une pyramide en granit pour
+servir de point de départ à toutes les bornes miliaires de nos routes.
+Tout cela est fort ingénieux et surcharge peu le budget, car il n'en a
+pas encore été le moins du monde question dans les délibérations et même
+dans les causeries du conseil municipal.--On songe toujours à restaurer
+Notre-Dame, qui en a grand besoin, mais dont on tremble de voir les
+travaux confiés à quelque architecte vandale. En attendant, des
+mutilations coupables y sont commises tous les jours. Tout récemment, au
+portail septentrional, quatre chapiteaux ont été ébréchés à coups de
+pierre ou de marteau; un petit animal fantastique a été enlevé
+très-nettement, à l'aide d'un ciseau, et volé par un amateur, qui aura
+voulu y joindre également la tête d'un ange. Le Comité historique des
+arts et monuments a déjà précédemment appelé, à l'occasion de délits de
+ce genre, toute l'attention de l'autorité sur les moyens d'en prévenir
+le retour. Combien faudra-t-il donc encore de mutilations pour que ces
+réclamations soient enfin écoutées?</p>
+
+<p>Ce que nous avions dit dans un précédent numéro de l'à-propos et de
+futilité pour l'art de sa mission à Athènes confiée à M. Boulanger, nous
+a valu une lettre de cet architecte, au talent duquel nous avions, du
+reste, rendu hommage. Suivant lui, les fouilles et les déblais qui ont
+été exécutés récemment par le gouvernement actuel de la Grèce, ont, en
+les dégageant des fortifications turques dans lesquelles ils étaient
+presque tous ensevelis, donné aux anciens monuments un aspect tout
+nouveau, leur véritable aspect. M. Boulanger semble avoir la confiance
+de justifier la mission qui lui est donnée, et de prouver par ses
+résultats qu'elle a été bien entendue. Nous avouons que la détermination
+où il paraît être d'arriver à faire cette preuve nous donne à nous-mêmes
+la confiance qu'il y parviendra, et nous serons, il en peut être
+certain, le cas échéant, les premiers à le proclamer.</p>
+
+<p>La Normandie voit, depuis quelque temps, des artistes et des poètes
+sortir de la foule de ses artisans. Ses feuilles locales renferment de
+curieux détails sur les essais heureux d'un pauvre ouvrier qui paraît
+appelé à prendre un rang distingué dans l'art de la sculpture. L'ouvrier
+Lebreton a mérité tout dernièrement un encouragement du roi par ses
+poésies populaires.</p>
+
+<p>La police, moins tolérante que l'administration des contributions
+indirectes, qui admet pour les vins l'extension de volume, à l'aide de
+l'eau, pourvu que le droit lui soit payé sur les deux liquides mariés,
+la police a fait saisir à Rouen et à Bercy une grande quantité de pièces
+de vin ainsi sophistiqués. La question va être portée devant les
+tribunaux. Déjà, dans une espèce qui ne manque pas d'analogie, la Cour
+de cassation vient de décider qu'on doit considérer comme boisson
+falsifiée, aux termes du Code pénal, le lait dans lequel un débitant a
+mêlé un tiers ou un quart d'eau.--Les tribunaux de Stockholm n'ont ni la
+même sévérité quand il s'agit de défendre leurs justiciables contre
+l'avidité de certains marchands, ni une grande bonne foi nationale,
+quand il s'agit de faire respecter les intérêts étrangers. Un pharmacien
+de cette ville, le sieur Almquist, voyant qu'une maison de Reims,
+renommée pour la qualité de ses vins de Champagne, fournissait presque
+seule la Suède entière, a contrefait les étiquettes du négociant
+champenois, et a appliqué ses contrefaçons à des bouteilles contenant
+une liqueur d'apothicaire. Les Suédois n'y ont vu que du Champagne, et
+des poursuites ayant été dirigées contre le contrefacteur, les tribunaux
+de première instance et d'appel ont tout naïvement déclaré que «s'il est
+vrai que d'un côté les lois sur le commerce répriment sévèrement toute
+usurpation de noms et de raisons commerciales, toute contrefaçon
+d'étiquettes, enseignes, etc., il y a d'un autre côté lieu de supposer
+que le législateur a dicté une disposition dans le seul but de protéger
+l'industrie et le commerce des indigènes, et non pour favoriser les
+étrangers <i>au détriment des nationaux.</i>» S'il y a des juges à Berlin, il
+y en a de bien singuliers à Stockholm.</p>
+
+<p>Les journaux qui tué M. l'amiral Roussin, qui aura pu entendre son
+oraison funèbre, car le lendemain les mêmes feuilles nous ont appris que
+cette nouvelle était sans fondement. Malheureusement beaucoup d'autres
+morts annoncées cette semaine n'ont pas été démenties de
+même.--L'émigration polonaise a encore perdu un de ses membres les plus
+illustres, le général comte Soltyck, qui avait servi avec honneur comme
+colonel dans l' armée française sous l'Empire, comme général dans
+l'armée polonaise durant la guerre de l'Indépendance, et qui avait,
+comme nonce, fait preuve nouvelle, à la diète, du dévouement et de la
+fermeté qu'il avait montrés sur les champs de bataille. C'était, du
+plus, un écrivain distingué; il a laissé histoire fort estimée de la
+guerre de Pologne en 1809, et la mort l'a surpris se livrant à d'autres
+travaux historiques.--Le clergé a perdu M. de Cosnac, archevêque de
+Sens, et M. le cardinal de Retz, auditeur de rote auprès du
+Saint-Siège.--M. le baron Capelle, ancien ministre de Charles X, et un
+des signataires des ordonnances de juillet 1830, a terminé à Montpellier
+une carrière remplie tour à tour par la disgrâce et la faveur. Une
+liaison avec Élisa Bonaparte, duchesse de Lucques et de Piombino, vue de
+mauvais &oelig;il par Napoléon, attira sur lui des mesures sévères, et fit
+d'abord connaître un nom qui devait, si fatalement pour celui qui le
+portait, figurer plus tard au bas du manifeste politique qui a déterminé
+la plus rapide de toutes les révolutions.--Enfin, les arts ont eu à
+enregistrer sur leurs tables funèbres la mort du pianiste
+Pradher;--celle d'un peintre paysagiste de Lyon, d'un remarquable
+talent, Guindrand, tombé depuis quelques années dans le plus funeste
+idiotisme,--et celle aussi d'un ancien professeur de l'école des
+beaux-Arts de la même ville, Berjon, peintre de fleurs.--Un nom
+appartenant à un artiste célèbre s'est également éteint. La fille aînée
+et le dernier enfant survivant du fameux acteur Bertinazzi, appelé au
+théâtre Carlin, mademoiselle Barbe-Suzanne Bertinazzi, vient de mourir
+âgée de quatre-vingt-deux ans.</p>
+
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003small.png"><br><a href="images/003large.png">(Agrandissement)</a></p>
+
+<br><br>
+
+<h2>Théâtre-Italien.</h2>
+
+<p><i>Belisario</i>, tragédie lyrique en trois parties, musique de <span class="sc">M.
+Donizetti.--M. Fornasari.</span></p>
+
+<p>C'est une lamentable histoire que celle du Bélisaire de l'opéra italien,
+et l'on peut dire que jamais le dévouement monarchique n'a été mis à une
+plus rude épreuve.</p>
+
+<p>Cet honnête Bélisaire, se trouvant en pays étranger, <i>frà genti
+barbare</i>, a fait un rêve. Il a vu un guerrier terrible qui renversait
+l'empire de fond en comble. Le voilà dans une grande perplexité.--Quel
+est ce guerrier? où est-il? comment le découvrir? Dans son inquiétude,
+il eut recours à un <i>homme de Dieu</i>; il lui conta son rêve; et l'homme
+de Dieu lui répondit qu'il n'avait pas besoin de chercher bien loin
+l'ennemi public dont il était en peine, et que ce guerrier mystérieux
+était son propre fils.</p>
+
+<p>Ce fils était un enfant dans toute l'innocence du premier âge, et qui ne
+pouvait pas encore, évidemment, songer à conquérir le monde et à
+renverser le trône de Justinien. Néanmoins, Bélisaire fut impitoyable;
+il condamna son fils à mort, et le fit exécuter.</p>
+
+<p>A la vérité, il ne fut qu'à moitié obéi sur ce dernier point. Proclus,
+qu'il avait chargé de l'opération, n'eut pas le courage de l'achever.
+L'enfant, au lieu d'être tué, fut seulement perdu.</p>
+
+<p>Vous dites, madame, que c'est un abominable homme que ce Bélisaire? Je
+ne saurais être de votre avis là-dessus. Que dit, en effet, La Fontaine,
+le grand moraliste:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Ou ne peut trop aimer trois sortes de personnes:</p>
+<p class="i14"> Les dieux, sa maîtresse et son roi.</p>
+</div></div>
+
+<p>Vous voyez donc bien que Bélisaire n'a fait que son devoir. Mais sa
+femme Antonine est comme vous, madame, et n'entend rien à cette
+morale-là.</p>
+
+<p>Il faut vous dire que Proclus a jasé, et qu'Antonine sait tout. Jugez de
+sa colère! Elle jure de perdre son mari pour venger son fils, et je vais
+vous raconter comment elle s'y prend. Cela est toujours bon à connaître,
+et peut servir dans l'occasion.</p>
+
+<p>Bélisaire, qui est en train de reconquérir l'Italie sur les Goths, écrit
+à sa femme de temps en temps, comme tout bon mari doit faire. Il paraît
+que dans une ses lettres il a imprudemment laissé beaucoup d'espace
+entre le texte et la signature. Que fait Antonine? Elle livre la missive
+à Eutrope, le mortel ennemi de Bélisaire; et Eutrope, qui a d'habiles
+faussaires à sa disposition, fait ajouter à la lettre du héros une
+phrase qui doit suffire pour le faire pendre.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/004.png"><br><b>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Portrait de Fornasari.</b></p>
+
+<p>Bélisaire revient d'Italie et rentre à Constantinople sur une de ces
+petites voitures à deux roues et non suspendues que nous nommons
+charrettes, mais qu'en langage tragique on appelle chars. Il est
+impossible d'être plus glorieusement cahoté. Il jouit de tous les
+honneurs du triomphe; il a même le bonheur d'embrasser publiquement
+Justinien; mais, ô néant des grandeurs humaines! à peine a-t-il eu le
+temps de chanter avec son ami Alamir un <i>andante</i> et une <i>cabalette</i>,
+qu'Eutrope se présente, lui demande son épée de par l'empereur, et le
+somme de comparaître devant la Cour des Pairs du pays. Il est accusé de
+haute trahison au premier chef.</p>
+
+<p>Il nie, comme de raison; mais on lui présente la lettre. Il reconnaît
+d'abord son écriture; mais, quand il a tout lu, il s'indigne, et déclare
+qu'il y a faux et interpolation. Il en appelle au témoignage d'Antonine.
+Mais Autonine confirme l'accusation, et déclare avoir reçu la lettre
+telle qu'elle est. Vous imaginez, bien comment Bélisaire la traite.
+«Mauvaise épouse! mauvaise mère! (Ils ont une lille, nommée Irène, qui
+est présente.)--Ah! mauvaise mère!... Et vous donc, avez-vous la
+prétention d'être bon père, par hasard? rayez cela de vos papiers, car
+je sais tout.--<i>Quoi!</i>--Tout ce que Proclus savait.--Aïe!»</p>
+
+<p>Bélisaire met sa tête dans ses deux mains et ne tarde pas à faire sa
+confession générale devant sa femme et sa fille, devant le Sénat et
+l'empereur. Quand il a fini, Antonine se remet de plus belle à lui dire
+des injures, ce qui est tout simple. Mais on comprend plus difficilement
+que le Sénat s'en mêle fasse crever les deux yeux à un homme à qui l'on
+ne peut guère reprocher qu'un excès de dévouement à la dynastie
+régnante. Justinien est-il donc si mauvais politique? et ne voit-il pas
+que cet exemple n'est pas encourageant?</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, voilà Bélisaire aveugle et qui part bientôt, pour
+l'exil, guidé, par sa fille Irène, qui joue près de lui le même rôle
+qu'Antigone auprès d'OEdipe. Ils arrivent au mont Hémus. Là, ils
+rencontrent des Alains.</p>
+
+<p>Ces Alains sont au nombre de vingt, ou à peu près, et telle est la
+grandeur de leur courage, qu'ils ont entrepris d'attaquer Constantinople
+et de mettre cette grande capitale à feu et à sang. Il est vrai qu'ils
+ont un chef qui ne plaisante pas, et qui ne connaît point d'obstacles:
+c'est Alamir, cet ami de Bélisaire dont je vous ai déjà parlé. Il a juré
+de venger le grand homme opprimé, et de noyer Constantinople dans des
+flots de sang. Mais Bélisaire le fait bien vite revenir à résipiscence.
+Bélisaire est toujours citoyen dévoué, sujet fidèle, et le malheur ni
+l'injustice n'ont eu aucune prise sur sa grande âme. Enfin, comme le
+drame touche à son dénoûment. Bélisaire reconnaît bientôt dans Alamir ce
+fils qu'il avait jadis condamné à mort, et qu'il croyait avoir perdu.</p>
+
+<p>L'empereur, à la nouvelle de l'incursion des Alains, a fait marcher ses
+troupes à leur rencontre. Bélisaire se met, de son autorité privée, à la
+tête de l'armée grecque. Comment l'accepte-t-elle pour chef, et comment
+s'y prend-il pour la commander? C'est ce que je ne saurais dire, puisque
+l'auteur a négligé d'éclaircir ce point; mais il bat les Alains, et
+c'est ce qui importe le plus à l'empereur et aux habitants de
+Constantinople.</p>
+
+<p>Hélas! tout a une fin sur cette terre, les plus grands héros comme les
+plus absurdes livrets. On apporte un brancard dans la tente de
+Justinien. Sur le brancard est étendu le conquérant de l'Afrique et de
+l'Italie, et le vainqueur des Alains, qui a reçu le coup mortel à cette
+dernière bataille, et vous pouvez à votre choix, selon votre goût et vos
+dispositions particulières, pleurer le trépas du grand capitaine, ou
+rire tout à votre aise des incroyables inepties de l'auteur du
+<i>libretto</i>.</p>
+
+<p>Vous ne rirez pas du moins de la partition, et c'est l'essentiel. Il y
+a, dans l'&oelig;uvre de M. Donizetti, des morceaux remarquables en assez
+grand nombre pour qu'on lui pardonne ceux où il s'est un peu négligé. Ne
+parlons pas de ceux-ci, mais indiquons au lecteur une jolie cavatine,
+pleine de sentiment et de distinction, et que mademoiselle Nissen
+exécute à merveille;--un duo pour basse et ténor, dont <i>l'andante</i>,
+tendre et pathétique, contraste de la manière la plus heureuse avec la
+<i>strette</i> brillante qui le termine;--un ch&oelig;ur de sénateurs, qu'il ne
+faut pas comparer au ch&oelig;ur des juges dans la <i>Pie Voleuse</i>, mais qui
+n'en a pas moins un mérite fort distingué;--un finale à six voix, où
+brillent des traits énergiques et de très-grands effets. Tout cela est
+dans le premier acte, ou, comme dit l'auteur du livret, dans la première
+partie.</p>
+
+<p>Au second acte l'air d'Alamir: <i>Trema, Bisanzio</i>, est plein d'éclat et
+de force. Il fait beaucoup d'effet; il en ferait plus encore si M.
+Corelli le nasillait, un peu moins. Hélas! qui n'a pas en ce monde un
+péché d'habitude, où il tombe malgré lui, et le plus souvent sans s'en
+douter? Le péché mignon de M. Corelli est de prendre quelquefois son nez
+pour sa bouche, et de se servir indifféremment, pour chanter, de l'un et
+de l'autre. Mais que fais-je, moi? et pourquoi vais-je m'accrocher au
+nez de M. Corelli, pendant que mademoiselle Nissen et Fornasari sont là
+qui m'appellent?</p>
+
+<p>Rien de mieux pensé ni de mieux écrit que le duo chanté par ces deux
+virtuoses; rien de plus gracieux, de plus tendre, de plus pathétique. La
+situation était de celles qui conviennent, particulièrement au talent de
+M. Donizetti. Il l'a traitée de main de maître, et y a versé à pleine
+mesure les charmantes mélodies et la sensibilité douce et passionnée
+tout à la fois, qui font de Lucie de Lammermoor une &oelig;uvre si aimable et
+si séduisante. Ce duo est le morceau capital de la partition de
+<i>Belisario</i>; il n'y a que le trio de la reconnaissance, au troisième
+acte, qui puisse lui être comparé: les mêmes qualités s'y retrouvent, et
+les trois voix y sont agencées avec cette habileté magistrale dont les
+musiciens italiens ont seuls le secret.</p>
+
+<p>Le ch&oelig;ur des Alains, qui précède ce duo, est aussi un morceau
+remarquable: le, rhythme fougueux et désordonné que l'auteur a choisi
+peint à merveille le courage effréné et la soif de pillage qui animent
+ces Barbares. Mais je regrette que le public n'ait pas fait plus
+d'attention à la ritournelle qui sert d'introduction à ce troisième
+acte; elle est vraiment magnifique, et les gens de goût me sauront gré,
+je l'espère, de la leur avoir signalée.</p>
+
+<p>La première représentation de <i>Belisario</i> était également intéressante
+par l'importance de l'ouvrage et par le début de M. Fornasari. Ce jeune
+chanteur a de très-grandes qualités; sa voix est fort belle: c'est une
+basse-taille très-grave, mais qui,--chose rare,--s'élève avec une
+extrême facilité. Il suit de là que M. Fornasari peut chanter à volonté
+les rôles de baryton et les rôles de basse. Il a beaucoup de force et de
+volume, avec beaucoup d'agilité. Tout cela, j'en conviens, n'est pas
+encore suffisamment réglé, et il y aurait bien quelque chose à dire sur
+la manière dont M. Fornasari emploie ce bel instrument; mais il l'a, et
+c'est le point important. Avec du travail et de bons conseils, il saura
+promptement, s'il le veut, la manière de s'en servir.</p>
+
+<p>Comme acteur, il n'est pas non plus irréprochable; mais il ne pêche que
+par excès de zèle, précieux défaut, et dont il est bien facile de se
+corriger.</p>
+
+<p>M. Fornasari a d'ailleurs un visage noble et expressif, et une taille
+dont les proportions sont magnifiques. Quand il saura modérer un peu ses
+mouvements; quand il ne perdra plus le fruit de ses bonnes intentions,
+en allant au-delà du but; quand il détaillera un peu moins son chant et
+son rôle, et qu'il ne cherchera plus à faire de l'effet à chaque note et
+à chaque mot,--entreprise folle, et dont le succès est
+impossible,--alors M. Fornasari réalisera toutes les espérances que son
+apparition a fait naître. Puisse-t-il ne pas se manquer à lui-même, et
+ne rien perdre de la riche moisson que l'avenir lui prépare!</p>
+
+<br><br>
+
+<h2>Courrier de Paris</h2>
+
+<p>Les gourmets de Cours d'assises ont on de quoi se satisfaire cette
+semaine; le procès des vingt-trois voleurs est un de ces régals complets
+qui ne leur laissent rien à désirer. Aussi la foule a-t-elle suivi avec
+avidité devant la justice, les débats de la criminelle histoire, tandis
+que l'habitué des cabinets de lecture passait ses heures en tête à tête
+avec le <i>Droit</i> et la <i>Gazette des Tribunaux</i>.</p>
+
+<p>Cette représentation tragi-comique est remarquable, en effet, par
+l'audace des entreprises, l'infernale habileté des acteurs, leur
+sang-froid cynique, leur longue impunité; elle met au jour des
+caractères, des m&oelig;urs, des personnages qui étonnent même après les
+révélations que les réquisitoires et les romanciers ont faites de la vie
+ténébreuse et scélérate de ces bohémiens. C'est un curieux supplément
+aux <i>Mystères de Paris</i>.</p>
+
+<p>Les chefs sont Flachat et Courvoisier, les plus féconds et les plus
+résolus à l'escalade et au bris de serrures; tous deux trempent dans
+toutes les entreprises; on les retrouve partout, à l'assaut des caisses,
+des portefeuilles et des secrétaires. Flachat se contente d'être l'homme
+d'action; Courvoisier ajoute à la pratique du crime l'art de faire des
+criminels: il épie l'honnête ouvrier au seuil de sa vie laborieuse, le
+flatte, le caresse, fait briller à ses yeux l'appât de l'or, et peu à
+peu l'entraîne dans sa complicité; si le malheureux se débat encore sur
+le bord de l'abîme et recule devant le danger du crime, «Bah! laisse
+donc, lui dit Courvoisier; il n'y a rien à craindre, ça me connaît!» et,
+par cette audace, il le décide.</p>
+
+<p>Une autre différence distingue Flachat de Courvoisier: Flachat avoue
+volontiers tous les vols qu'on lui impute, les plus grands comme les
+plus petits--Courvoisier met de l'amour-propre dans sa honte: il tient à
+ne pas passer pour un petit voleur. C'est l'aristocrate de la bande;
+dites-lui qu'il a volé princes, ducs, comtes, marquis, barons, il le
+confessera avec le plus complet abandon; tout au plus osera-t-il
+contredire les dépositions d'un air d'extrême politesse; «M. le comte de
+Biencourt m'accuse de lui avoir pris 6,000 fr.; j'en demande bien pardon
+à monsieur le comte, mais je n'ai trouvé que 3,000 fr. dans sa caisse!»
+Il ne manque jamais de dire: <i>Monsieur le baron</i>, en parlant de M. de
+Ladoucette, auquel il a dérobé pour 60,000 livres d'or et de diamants.
+On ne vole pas les gens avec plus d'égards!</p>
+
+<p>Mais que le président s'avise de vouloir comprendre Courvoisier dans un
+misérable vol de 30 fr., «Ah! pour celui-là, monsieur le président, je
+n'en suis pas; fi donc!»--Le président insiste-t-il? «Vous le voulez? eh
+bien! soit: j'en serai, puisque ça paraît vous faire plaisir; mais,
+parole d'honneur, c'est pour ne pas vous contrarier; et puis, un de plus
+on de moins, ça ne vaut vraiment pas la peine de discuter!»</p>
+
+<p>Courvoisier a toujours été maître de lui et s'est imposé une ligne
+d'attentats qu'il n'a jamais dépassée; acceptant le bagne pour
+pis-aller, il s'était dit: «Tu n'iras pas plus loin!...»--Un de ses
+complices lui propose de dévaliser, pendant la nuit, un marchand: «S'il
+s'éveille? dit Courvoisier!--Eh bien! nous lui <i>donnerons le
+tour!</i>--Merci! je ne fais pas ce commerce-là!»</p>
+
+<p>Vous diriez, en effet, à les entendre, qu'ils sont tous d'honnêtes
+négociants: on ne tient pas un autre langage dans les magasins de la rue
+de la Verrerie ou de la rue Saint-Denis. «C'est Droin qui m'a proposé
+l'affaire, dit Flachat; je l'ai trouvée bonne, je l'ai acceptée.»--Plus
+loin, parlant du vol accompli dans l'hôtel de M. le prince de
+Beaufremont, «Je savais que la maison était bonne; que c'étaient des
+gens très-bien, des gens comme il faut!» Une autre fois, il s'exprime
+comme un général d'armée: «On est entré par le jardin malgré moi; mon
+avis était qu'on dirigeât l'attaque par le rez-de-chaussée.»</p>
+
+<p>Entre Courvoisier et Flachat, voici Laire, leur digne associé; Laire,
+l'ancien légiste, l'ex-maître clerc, le voleur lettré, qui cachait des
+cachemires parmi les dossiers de son étude, et débite à l'occasion des
+citations de Delille et de Virgile. Profitant de sa qualité de poète,
+Laire va visiter le tombeau de l'Empereur, en attendant l'heure de voler
+M. Brongniart, de l'Académie des Sciences. Du reste, il parle de ses
+complices d'un ton de supériorité, et appelle Labrue «Ce pauvre garçon!»</p>
+
+<p>Labrue est l'honnête ouvrier que les conseils de Courvoisier ont
+perverti. «Un jour M. Courvoisier me dit: Viens déjeuner avec moi;
+j'acceptai, et ce fut là mon malheur. Tout en déjeunant, il m'a fait
+philosopher sur trente-six choses; ç'a été le commencement de tout.»
+Cependant Labrue avait évidemment un fond de dispositions très-grandes
+pour la philosophie de Courvoisier, car d'élève qu'il était tout à
+l'heure, il devint bientôt passé maître. C'est Labrue qui fabriquait les
+fausses clefs, forçait les coffres-forts et les serrures; sa science de
+serrurier lui avait naturellement valu ce terrible emploi. Plus d'une
+fois, et notamment chez. M. Brongniart, Labrue, qui avait une bonne
+clientèle et jouissait d'une excellente réputation, fut mandé, comme
+serrurier, pour réparer les dégâts qu'il venait de faire comme voleur.</p>
+
+<p>Gauthier fait le bon apôtre: à l'en croire, Courvoisier a été son
+mauvais génie, Courvoisier l'a tenté un jour qu'il se débattait entre un
+huissier et un protêt; Gauthier était marchand de vins.--Courvoisier
+prétend que le bonhomme Gauthier joue la modestie, et qu'avant de
+<i>travailler</i> avec lui, il était déjà dans <i>le bon chemin</i>. Courvoisier
+pourrait bien avoir raison, les premières <i>affaires</i> que fit Gauthier
+après leur association semblent le prouver: il vola son correspondant et
+dévalisa son propriétaire.</p>
+
+<p>Engérer, le receleur, nie tout d'une voix aigre et sardonique, tandis
+que la femme Roche, la maîtresse de Flachat, proteste avec fracas de sa
+vertu et de son innocence. Il y a ensuite les subalternes, qu'il me
+répugne de nommer; c'est déjà trop d'être demeuré si longtemps avec les
+chefs.--A l'un le président dit:» Vous avez été condamné à cinq ans de
+réclusion.--Qu'est-ce que cela prouve?» répond-il.</p>
+
+<p>L'autre, à l'entendre, débuta par des niaiseries, par des <i>broutilles</i>;
+puis il ajoute: «Peu à peu l'ambition m'est venue; je me suis lancé dans
+les grandes affaires; mais je n'ai pas eu de bonheur, ça s'est bâclé par
+vingt ans de galères!»</p>
+
+<p>Le niais ne manque pas à la troupe; ainsi la pièce est complète; tandis
+que tous ces bandits s'adressent aux billets de banque et aux
+pierreries, Vavasseur escamote trente livres de beurre à une fruitière;
+aussi soutient-il qu'il n'a pas l'honneur d'être un voleur de
+profession: il s'est trouvé; un jour très-affamé de beurre frais, voilà
+tout.</p>
+
+<p>Nous avons réservé Flachat pour le dernier chapitre; c'est que Flachat,
+par sa hardiesse, son effronterie, la singularité de ses actions et le
+tour de son esprit, est certainement le personnage le plus curieux de
+cette odyssée de mécréants.</p>
+
+<p>Flachat dit en voyant entrer chez lui le commissaire de police: «Bien!
+il paraît que c'est fini!» Après avoir escaladé, avec Courvoisier et
+Labrue, une fenêtre de l'hôtel de M. de Crillon, il entend le son d'un
+piano dans la pièce voisine. «Bon! bon! s'écria-t-il; tant qu'on fera de
+la musique, ça ira bien.» Confronté avec M. Veyrat, dont il a forcé la
+caisse, «Cela ne valait pas la peine que je me suis donnée; M. Veyrat
+est propriétaire, M. Veyrat est riche, de quoi se plaint-il? il devrait
+plutôt me remercier de l'avoir tenu quitte à si bon marché.»</p>
+
+<p>Dans son ardeur de déprédation, Flachat n'épargnait personne; il
+n'épargna pas même sa femme. C'était une honnête créature, séparée
+depuis longtemps de ce malheureux, et qui servait chez madame la
+princesse de La Tremoille en qualité de femme de chambre. Un jour,
+Flachat dit à Courvoisier: «Tiens, j'ai une drôle d'idée: il faut que je
+reprenne à mon épouse les cadeaux de noce que je lui ai faits...» Et,
+peu de jours après, il pénétrait dans l'hôtel de La Tremoille et
+enivrait le portier, tandis que Courvoisier accomplissait le crime.
+Courvoisier voulait pousser l'attentat, de la femme de chambre à la
+princesse, mais il rencontra dans une des galeries le tombeau du prince
+de La Tremoille: «J'eus peur, a-t-il dit depuis, en voyant cette tombe,
+et je me sauvai par la fenêtre.»</p>
+
+<p>Après sa femme, Flachat vola deux de ses maîtresses. «Nous n'avons rien
+de mieux à faire aujourd'hui, dit un matin Flachat à deux de ses
+complices; allons à la campagne, ça nous promènera.» Et il les mène chez
+sa belle-mère, qu'ils dévalisent. Mais voici le fait le plus curieux:
+ces deux hommes, après le crime, s'installent dans la chambre à coucher
+de la pauvre femme, boivent son vin, s'enivrent et bientôt se roulent
+sur les fauteuils et sur le lit. Ah çà! s'écrie Flachat; qu'est-ce que
+c'est qu'une conduite comme ça? voulez-vous bien finir? je suis chez
+moi; si cela continue, je vous mets à la porte!»</p>
+
+<p>Flachat a tiré vanité à l'audience, d'un trait de singulière humanité;
+il s'agit de Labrue, qui vint un jour lui demander un prêt d'argent: «Tu
+as besoin d'argent, lui dis-je; eh bien! je vais t'en procurer.
+Précisément j'avais en vue, ce jour-là, une excellente affaire, <i>le vol
+Lallemand</i>; je le <i>donnai</i> à Labrue, qui me le <i>remboursa</i> plus lard.»
+Une autre fois, il promet 150 francs à Jossien sur le produit d'un vol
+auquel il le dispense de participer, et il les lui donne en effet. «Que
+voulez-vous, monsieur le président! Jossien n'était pas heureux, je
+venais à son secours.»</p>
+
+<p>Le drame s'est dénoué comme on devait s'y attendre: Courvoisier,
+Gauthier, Labrue, Flachat, ont été condamnés l'un à trente, l'autre à
+vingt-cinq, celui-là à vingt, celui-ci à dix-huit ans de travaux forcés;
+le reste à une expiation moins longue et moins terrible.</p>
+
+<p>Sortons de cette atmosphère de bagnes et cherchons un air pur; nous en
+avons besoin. En quittant ces hommes que le crime dégrade et qui se
+servent fatalement de leur intelligence, on est heureux de trouver une
+de ces natures courageuses et dévouées qui triomphent des difficultés
+d'une portion subalterne pour s'élever et s'ennoblir par l'esprit. Ainsi
+a fait un jeune ouvrier de Rouen du nom de Beuzeville. Beuzeville était
+un simple tisserand; tandis qu'il poussait la navette, la muse venait le
+visiter; artisan pendant le jour, la nuit il était poète; son instinct,
+ses veille assidues lui révélaient les secrets de la rime et du style.
+Il finit par tisser une ode et une élégie comme une pièce de toile, avec
+la même habileté; nous citerons pour preuve de ce talent poétique de
+charmantes pièces de vers publiées par Beuzeville il y a quelque temps,
+sous ce titre naïf et doux: <i>les Petits Enfants</i>. De ces simples essais,
+le tisserand s'est élevé peu à peu jusqu'à l'art de Corneille; on parle
+d'une tragédie de <i>Spartacus</i> dont il est l'auteur. L'ouvrage, lu au
+comité du Théâtre-Français, a produit une certaine sensation. Sans
+limite la trame n'est pas encore très-savante, les fils s'enchevêtrent
+et se rompent plus d'une fois; mais l'artiste se montre sous les fautes
+de l'ouvrier. Allons, courage! poète et tisserand, ourdissez à vous deux
+quelque tragédie solide et touchante.</p>
+
+<p>Nous parlons de la tragédie, au moment où elle prend le deuil d'une de
+ses belles reines. Madame Paradol vient de mourir. Bien qu'elle eût
+quitté le théâtre depuis deux ou trois ans, on ne l'avait pas oubliée;
+mais c'était peut-être moins son talent que le public se rappelait, que
+sa personne. Les héritières qui se sont présentées pour recueillir sa
+succession, les Agrippine et les Athalie qui ont tenté de ceindre, après
+elle, la couronne tragique, ont toutes été complices de ces regrets
+donnes à madame Paradol. En les voyant si dépourvues de noblesse et de
+majesté, on pensait naturellement à cette Clytemnestre en retraite qui
+avait du moins la beauté, si le génie lui manquait.</p>
+
+<p>Madame Paradol, en effet, aura été la dernière de la grande race des
+reines tragiques;--je me trompe: il nous reste mademoiselle
+Georges.--Elle avait la taille ample et haute, le profil noble et fier,
+le front propre à porter le diadème; les mains, les bras, les épaules
+étaient d'une impératrice. Le Théâtre-Français a eu beau chercher: du
+jour où elle n'a plus été là, il n'a trouvé que des blanchisseuses. Les
+reines aussi s'en vont!</p>
+
+<p>Née à Paris le 4 janvier 1798, à dix-huit ans elle fit ses premières
+armes au théatre; mais elle n'alla pas droit à Corneille et à Racine; ce
+ne fut que plus lard et par un détour qu'elle leur arriva; la tragédie
+lyrique eut ses premières amours avant l'autre tragédie; madame Paradol
+chanta d'abord, en attendant qu'elle déclamât. En 1816, elle débutait à
+l'Académie royale de Musique; en 1818, à l'Opéra de Marseille, où elle
+resta un an en qualité de Didon et d'Alceste. Le 23 juillet 1819, elle
+dit adieu à Gluck et à Spontini, et fut admise au Théâtre-Français. A
+dater de cette époque, madame Paradol y tint l'emploi des reines, comme
+on dit en style du terroir, avec zèle, avec dévouement, et souvent avec
+succès. Les amateurs se rappellent particulièrement le caractère tout
+tragique qu'elle donna à la <i>Jane Shore</i> de Lemercier.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/005a.png"><br><b>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;Madame Paradol, décédée<br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; le 23 octobre 1843.</b></p>
+
+<p>Elle est morte après des souffrances inouïes; il y a plus d'un an qu'on
+s'attendait, de jour en jour, à son dernier soupir. Cette longue agonie,
+la pauvre femme l'a supportée avec une constance véritablement héroïque,
+relevant le courage de ceux qui pleuraient autour d'elle, et gardant sa
+sérénité jusqu'au moment suprême.</p>
+
+<p>C'était un c&oelig;ur excellent, disent ses amis, un peu bruyante quelquefois
+et inconsidérée, mais aimée de tout le monde, et méritant cette
+affection par une rare bonté.</p>
+
+<p>Les sylphides et les artistes finiront par devenir inaccessibles. Les
+journaux de Saint-Pétersbourg ou de Berlin ont rapporté, tout récemment,
+l'aventure à la dragonne de la charmante danseuse mademoiselle Montés,
+et le grand coup de cravache dont elle gratifia, tout au travers du
+visage, un soupirant indiscret; procédé un peu cavalier, qui étonnerait
+moins d'une écuyère de M. Franconi.</p>
+
+<p>Une de nos jolies actrices de vaudeville fait mieux ou pis encore; ce
+n'est pas la cravache, mais le pistolet qu'elle manie à ravir. Elle ne
+manque pas une poupée, et fait la mouche à tout coup; heureusement
+qu'elle la prend rarement. On raconte cependant un fait qui peut donner
+de l'inquiétude: un vieux guerrier, qui a la prétention d'enlacer encore
+le myrte au laurier, adressa l'autre jour à notre jolie héroïne une
+déclaration sur papier satiné. Ce n'était pas une déclaration de guerre.
+Mademoiselle Page,--il est temps de l'appeler par son nom,--n'a qu'un
+penchant très-médiocre pour les gloires de l'Empire; elle les respecte
+trop pour les aimer. Sa petite main blanche répliqua donc au vieux brave
+par une fin de non recevoir; l'autre, loin de se décourager, fit
+remettre sa carte à la cruelle, qui la lui renvoya percée de quatre
+balles, avec ces mots tracés au crayon: «Par mademoiselle Page, il
+quarante pas.»</p>
+
+<p>On assure que cette manie guerrière devient épidémique; la plupart de
+ces demoiselles se mettent sur le pied de guerre; mademoiselle D..., de
+l'Académie royale de Musique, parle de s'entourer de bastions et de
+forts détachés; mademoiselle M..., d'une enceinte continue;
+mesdemoiselles C., S., R. et N. prennent des leçons de Grisier et vont
+d'estoc et de taille; quant à mademoiselle Déjà..., elle n'a rien à
+craindre: sa vertu a plus de trente ans de salle.</p>
+
+<p>L'aventure du jeune Arthur de B... fait grand bruit dans les boudoirs de
+la Chaussée-d'Autin; Arthur de B... est un jeune homme naïf et tout
+récemment éclos au jour de ce monde tentateur; arrivé depuis six mois de
+sa Bretagne, il en a encore les m&oelig;urs pures et tant soit peu sauvages.
+Une certaine baronne de ***, sa parente, et un peu douairière, entreprit
+dernièrement, dit-on, de civiliser ce naturel farouche; mais notre jeune
+Breton se cabra et y laissa son manteau. «Comment va ton jeune neveu
+Arthur? demandait le lendemain à la baronne une de ses amies
+intimes.--Qui, ma chère?--Arthur!--Ah! laissons donc: il s'appelle
+Joseph!...»</p>
+
+<p>Le Théâtre-Italien avait annoncé la reprise de <i>Semiramide</i> pour mardi
+dernier; tout était prêt, les musiciens et les gosiers; cependant on n'a
+pas joué <i>Semiramide</i>. Quoi donc! Assur aurait-il été pris d'un
+enrouement subit, et Ninias d'une migraine! La chose est bien plus
+grave; le matin, M. Fornasari avait déclaré qu'il lui était impossible
+de chanter le rôle d'Assur.--Faute de voix?--Non pas; mais faute de
+barbe: la barbe que le costumier lui fournissait étant, à son avis, trop
+courte d'un pouce. M. Vatel a du céder à cette puissante raison; le
+bonhomme!--A sa place, j'aurais fait raser complètement M. Fornasari!</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/005b.png"></p>
+
+<p>Notre siècle s'égaye de plus en plus; pour peu que cette belle humeur
+continue, nous arriverons à une gaieté folle. Voici une preuve
+incroyable de cette jovialité: le théâtre du Vaudeville joue depuis
+quelques jours un drame de madame Ancelot intitulé <i>Madame Roland</i>;
+savez-vous ce que ce gai Vaudeville, dit <i>l'Enfant né malin</i>, a fait
+mettre sur ses contremarques; <i>Madame Roland agenouillée devant la
+guillotine: gai! gai! la farira don daine!</i></p>
+
+<p>Je finis par le Protée anguillard <i>(Proteus anguinus)</i> que le
+Jardin-des-Plantes vient d'enrégimenter dans son armée: <i>l'Illustration</i>
+se fait un plaisir de vous offrir, par ses mains, le portrait de cet
+intéressant animal; faites-lui bon accueil, et récompensez par là le
+soin qu'on a de vous donner, à l'instant même de leur naissance, de leur
+mort ou de leur apparition, le <i>fac simile</i> de tous les personnages
+dignes d'attention, Protées ou non.</p>
+<br><br>
+
+<h2>Les Vendanges.</h2>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005c.png"></p>
+
+<p>Triste année! tristes vendanges! Après avoir taillé avec soin au-dessous
+du premier on du second &oelig;il, labouré et biné deux fois, employé la houe
+et la pioche, dressé des échalas, renouvelé les ceps par le provignage,
+le vigneron espérait que de vivifiantes chaleurs achèveraient son
+&oelig;uvre, et les chaleurs ne sont pas venues. La vigne a besoin de soleil
+et redoute la pluie; or, elle a eu, cette année, beaucoup de pluie et
+peu de soleil; l'humidité, en a énervé les racines; le froid et les
+vents en ont étiolé la tige; la <i>coulure</i> a gagné les ceps les plus
+robustes; et quand le mois de vendémiaire a ramené l'époque de la
+récolte, il n'y avait pas de récolte à faire. Force a été d'attendre,
+d'ajourner la proclamation du <i>ban de vendange</i>, qui se publie
+d'ordinaire du 8 au 20 septembre dans le Midi, du 20 au 30 septembre
+dans les autres départements. On a fini par recueillir tardivement
+quelques raisins étiques, dont les intempéries avaient arrêté le
+développement; et, dans plusieurs localités, on a pu dresser
+procès-verbal de carence. De là une hausse subite dans le prix des vins;
+ceux du Midi ont éprouvé cinquante pour cent d'augmentation; les pièces
+de bordeaux sont montées de 110 à 140 fr.; celles de bourgogne de 70 a
+100 fr.; et celles des vins de la Loire de 26 à 75 fr.; les producteurs
+ont perdu; les débitants ont gagné; mais une mauvaise vendange est, en
+somme, une calamité nationale, dans un pays dont les vignobles occupent
+2,134,822 hectares. Quoique l'Allemagne s'enorgueillisse du johannisberg
+et du hocheim; la Hongrie, du tokai; l'Italie du lacryma-christi;
+l'Espagne, du xérès et du malaga; le Portugal, du porto; le. Cap, du
+constance; l'Asie-Mineure, du Chypre, la France tient le premier rang
+dans la viniculture du monde entier. Elle produit annuellement, en
+moyenne, 36,563,796 hectolitres de vin, et 7,088,802 hectolitre
+d'eau-de-vie. Sur quatre-vingt-six départements, neuf seulement sont
+dépourvus de vignes; le Calvados les Cotes-du-Nord, la Creuse, le
+Finistère, la Manche, l'Orne, le Nord, le Pas-de-Calais et la
+Seine-Inférieure; les autres donnent des vins plus ou moins estimés. La
+pépinière nationale du Luxembourg, établie par le ministre de
+l'intérieur Chaptal, avec le concours du botaniste Bosc, a possédé
+jusqu'à 370 variétés de raisins cultivé en France, distingués par leur
+
+<span class="mid"><img alt="" src="images/006a.png"></span>
+
+ forme et leur couleur: 114 noirs à grains
+ovales; 190 noirs à grains ronds; 75 blancs à grains ovales; 134 blancs
+à grains ronds; 19 gris ou violets à grains ovales, 38 gris ou violets à
+grains ronds. La collection du Jardin de Botanique de Montpellier réunit
+560 espèces. La qualité de nos vignes varie à l'infini, non-seulement
+d'une contrée à l'autre, mais encore d'un coteau au coteau voisin,
+suivant l'exposition, suivant la nature du sol et du sous-sol. Que de
+plants divers! que de crus justement célèbres! Dans l'ancienne province
+de Bourgogne seulement vous comptez, les vins de Nuits, Chambertin,
+Romanée, Richebourg, Clos-Vougeot, Musigny, Beaune, Meursault,
+Montrachet, Volney, Pomard, Corton, Mâcon, Thorins, Moulin-à-Vent,
+Pouilly, Chablis, Tonnerre, Trancy, Coulanges-la-Vineuse et
+Saint-Julien-du-Sault. Sur les collines siliceuses et les <i>graves</i> de la
+Gironde se récoltent les vins de Château-Laffitte, Château-Margaux,
+Haut-Brion, Saint-Émilion, Carbonieux, Saint-Bris, Rommes, Barsac et
+Sauterne. Voulez-vous égayer vos desserts, dérider les physionomies,
+provoquer les chansons, donner de l'enjouement aux plus tristes, de la
+vivacité aux plus lents, de l'esprit aux moins capables, servez le
+pétillant Champagne; mais, pour éviter la contrefaçon, ayez, soin de
+vous assurer qu'il a été recueilli sur les rives de la Marne, à Sillery,
+Épernay, Ai, Montbré, Bouzy, Hautvilliers ou Verzenay. Aimez-vous les
+vins de liqueur, demandez au département de l'Hérault son hinel et son
+frontignan. Voulez-vous des vins exquis, susceptibles de se garder plus
+d'un siècle, et se bonifiant sans cesse avec l'âge, cherchez-les sur le
+coteau de l'Ermitage, où un cénobite planta jadis des ceps qu'il avait
+rapportés de Perse, et qu'on nomme encore dans la Drôme le <i>gros</i> et le
+<i>petit schiras</i>. Plus loin, sur les rives du Rhône, sont les vignobles
+de Millery, de Condrieux de Côte-Rôtie, du Juliénas. A l'embouchure du
+fleuve, des navires se chargent des muscats ambrés de la Ciotat. Près de
+l'Espagne, aux pieds des Pyrénées, croissent trois excellentes variétés:
+le <i>grenache</i>, le <i>mataro</i> et le <i>carignan</i>. Port-Vendres, Collioure et
+Banyuls fournissent ces nectars liquoreux connus sous les noms de
+<i>grenache</i> et de <i>rancio</i>; Rivesaltes, Cospron, Salces, Terrats,
+Corneilla-de-la-Rivière, peuvent opposer leurs vignobles à ceux de la
+Péninsule Ibérienne. Les Béarnais vantent le vin de Jurançon, patronné
+par les souvenirs de Henri IV.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006b.png"><br><b>La Treille du roi, à Fontainebleau.</b></p>
+
+<p>L'Aude a sa <i>blanquette</i> de Limoux; la Haute-Vienne, les vins de
+Saint-Georges et de Champigny-le-Sec; les Vosges, ceux de Mirecourt et
+de Rebeuville; le Loiret, le vin de Beaugency; l'Indre-et-Loire, le
+Vouvray; la Moselle, les vins rouges d'Augny et de Jony; Vaucluse, le
+muscat de Beaumes-de-Venise; la Nièvre, le Pouilly-Nivernais; l'Ardèche,
+le Saint-Péray; le Cher, les vins de Sancerre; la Sarthe, le vin des
+Jasnières. Les vignes de la Charente-Inférieure, du Gers, de
+Lot-et-Garonne, alimentent de nombreuses distilleries.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007a.png"></p>
+
+<p>Outre les vins dont la réputation est européenne, le voyageur qui
+parcourt la France trouve dans des hameaux obscurs, chez des
+propriétaires campagnards, des crus ignorés, d'une étendue médiocre,
+mais préférables souvent, par leur bouquet et leur verdeur, aux produits
+des vignes en renom. Tant de richesses font de la vendange la plus
+importante des opérations agricoles de la France; on s'y prépare
+plusieurs semaines à l'avance, en nettoyant et lavant à la chaux tous
+les instruments qu'on y doit employer: les <i>vendangereaux</i>, paniers
+d'osier où l'on dépose les raisins; les <i>teilles</i>, petites boîtes
+coniques qui servent au même usage; les <i>balonges</i>, charrettes destinées
+à transporter la vendange à la cuverie, etc. Dès que la queue des
+grappes brunit qu'elles quittent aisément les ceps, que les grains
+s'amollissent et acquièrent de la
+transparence, les vendangeurs doivent se tenir prêts. Dans la plupart
+des pays vignobles, l'autorité municipale règle leur marche, du moins en
+ce qui concerne les vignes non closes, et les contrevenants peuvent être
+punis, conformément à l'article 475 du Code pénal, d'une amende de 5 à
+10 fr. Le jour fixé se lève; les premiers rayons du soleil dissipent la
+rosée; les cueilleurs et les cueilleuses s'éparpillent sur les collines,
+ils se rangent en face de la vigne, entrent et suivent chacun son sillon
+jusqu'à l'extrémité opposée. Quoique M, Campenon, de l'Académie
+Française, ait dit dans son poème de <i>la Maison des champs</i>:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i16"> Il en est temps; que la jeune bacchante</p>
+<p class="i16"> Saisisse alors la serpe impatiente,</p>
+</div></div>
+
+<p>jamais les vignerons ne saisissent la serpe; mais ils s'arment de
+sécateurs ou de ciseaux, qui tranchent la grappe sans secousses. Les
+raisins, placés au fur et à mesure dans les <i>vendangereaux</i>, sont versés
+dans les <i>tendelins</i> par les porteurs de <i>vide-paniers</i>, qui les
+transfèrent à la cuverie. D'autres fois, des mulets sont mis en
+réquisition; ou la récolte, jetée dans un envier de forme ovale, est
+voiturée sur une <i>balonge</i>. A la cuverie, les cultivateurs qui désirent
+un bon produit, s'occupent de trier les grappes, de les assortir,
+d'enlever les drains verts ou pourris. Dans trente-quatre départements
+on a l'habitude de séparer les grains de la rafle, et les &oelig;nologues
+n'ont pas encore décidé si cette méthode est avantageuse ou nuisible.
+Les raisins égrappés donnent un vin plus savoureux, disent les uns; les
+rafles ajoutent à la cuvée un ferment nécessaire, prétendent les autres,
+<i>Certant, et adhuc sub judice lis est</i>; mais tous s'accordent à
+reconnaître la nécessité du foulage. Deux poutres, appuyées sur les
+bords du cuvier, supportent une caisse dont les côtés sont des liteaux
+assez peu espacés pour ne pas livrer passage aux grains. Un vigneron,
+chaussé de gros sabots, monte dans cette caisse, pétrit les grappes sous
+ses pieds; puis, soulevant l'un des liteaux, pousse le marc dans la
+cuve, où bout déjà le suc exprimé. Les vignerons arriérés se
+déshabillent et entrent pour fouler dans la cuve même, où ils prennent
+un bain tonique, mais qui répugne aux consommateurs délicats.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"></p>
+
+<p>Les vignerons progressifs emploient les fouloirs mécaniques de MM.
+Lenoir, ou Thiébault de Berneaud, ou Guérin de Toulouse, machines
+composées de Cylindres de bois tournant en sens opposés, au moyen de
+roues d'engrenage. Les cuves où le vin fermente sont, suivant les
+contrées, ouvertes ou fermées, en bois de chêne ou en maçonnerie. Au
+bout de quelques heures, la masse liquide frémit et bouillonne, l'acide
+carbonique se dégage en bulles pétillantes, l'alcool se produit, les
+rafles et les pellicules montent à la surface du <i>moût</i>, et le coiffent
+d'un amas de détritus qu'on nomme le <i>chapeau</i>. Quand la fermentation
+tumultueuse a cessé, les travailleurs distribuent le vin dans les fûts
+avec des baquets appelés <i>sapines</i>, à moins qu'on n'ait adapté à la
+partie inférieure du cuvier un robinet qui permet de décuver avec plus
+de vitesse et de facilité. Le marc est mis sur la table du pressoir, et
+l'on en forme une masse cubique appelée <i>le sac</i> que l'on recouvre de
+madriers.</p>
+
+<p>La vis du pressoir est d'ordinaire mise en mouvement par une roue qui
+reçoit, dans sa périphérie creusée en gorge, le bout d'une corde dont
+l'autre extrémité s'enroule sur un cabestan. On distingue les pressoirs
+à <i>étiquet</i>, à <i>coffre simple</i> ou <i>double</i>, à <i>levier</i> ou à <i>tesson</i>,
+dont nous épargnerons à nos lecteurs la scientifique description,
+incompréhensible d'ailleurs pour quiconque n'a pas fait une étude
+spéciale de la mécanique.</p>
+
+<p>La vis crie; le <i>mouton</i> qu'elle pousse pèse sur le marc et achève d'en
+extraire le suc; on reforme le <i>sac</i> à plusieurs reprises, jusqu'à ce
+que les raisins aient cédé toute leur partie liquide. Le produit du
+pressurage est, <i>ad libitum</i> mis à part ou mêlé au vin de la première
+cuvée. La fermentation s'achève dans les tonneaux, qu'on ne boutonne
+hermétiquement que lorsque la lie s'est précipitée. Là s'arrête les
+travaux des vendangeurs; au tonnelier reviennent le collage, le méchage
+des pièces, le soutirage et la conservation des vins. La fabrication des
+vins blancs est moins compliquée; on ne les fait point cuver avec le
+marc, excepté dans les arrondissements de Wissembourg et de Schelestadt
+(Bas-Rhin), d'Agen et du Nérac (Lot-et-Garonne). Les grappes sont
+écrasées sur le marc du pressoir; le vin coule dans les tonneaux, où on
+le laisse fermenter sur la lie, jusqu'au premier soutirage, qui a lieu
+au mois de mars ou d'avril suivant.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/008a.png"></p>
+
+<p>Avant de cueillir les raisins qu'on réserve pour faire du vin blanc, on
+attend d'ordinaire qu'ils aient atteint un excès du maturité. Ainsi l'on
+en vendange à Agen qu'à la fin d'octobre; à Condrieux, à Saumur qu'à la
+mi-novembre; à Jurançon, à Gaud, à Monein (Basses-Pyrénées), que dans les
+quinze premiers jours du décembre. Dans plusieurs vignobles on met un
+intervalle entre la cueillette et le foulage; le raisin muscat du
+Rivesaltes reste cinq on six jours sur le sol avant d'être porté, au
+pressoir. A Limoux, les raisins sont étalés sur un plancher pendant
+quatre un cinq jours, puis liés, égrappés et foulés. Aux environs de
+Salins (Jura), on suspend les grappes avec du fil, dans une chambre
+exposée au vent du nord. Quand la dessiccation a réduit les grains de
+moitié, on les presse et on entonne immédiatement; ce vin, qui n'est
+soutiré qu'au bout du six mois, prend le nom du <i>vin de paille</i>, et
+n'est pas sans analogie avec le tokai. Il y a certains vins de liqueur
+qu'on ne laisse pas fermenter. A Cosprons (Pyrénées-Orientales),
+aussitôt qu'on a foulé et pressuré les raisins, préalablement desséchés
+au soleil, on y mêle un tiers d'eau-de-vie qui empêche la fermentation
+et conserve au suc exprimé sa douceur et son parfum.</p>
+
+<p>Les départements riches en vignobles sont obligés, à l'époque des
+vendanges, de demander des renforts à leurs voisins. Cette insuffisance
+de population paraît s'être fait sentir de tout temps, car Longus dit,
+dans un roman de <i>Daphnis et Chloé</i>: «Comme la coutume est en telle fête
+du dieu Bacchus, on avait appelé des villages voisins plusieurs femmes
+pour aider à faire les vendanges.» Les recrues enrôlées n'arrivent pas
+comme autrefois en chantant des hymnes en vers iambiques au fils du
+Sémélé; les vendanges sont devenues prosaïques, et les chants que leurs
+ouvriers répètent en ch&oelig;ur, sur l'air du Clair de la lune, n'ont rien
+de très-harmonieux:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i20"> Allons en vendanges</p>
+<p class="i20"> Pour gagner cinq sous</p>
+<p class="i20"> Coucher sur la paille,</p>
+<p class="i20"> Ramasser des... etc.</p>
+</div></div>
+
+<p>En Champagne, les cueilleurs et le cueilleuses viennent du département
+des Ardennes, amenant avec eux des mulets, animaux presque inconnus dans
+la contrée. Pendant toute la durée des vendanges, ils logent dans les
+auberges ou dans les granges, et passent la plus grande partie de la
+nuit à boire et à danser. On les paie de 10 centimes à un franc 50 cent.
+selon leur capacité; on ajoute à cette rétribution une miche et un verre
+d'eau-de-vie; et, moyennant un aussi faible salaire, ils travaillent
+depuis cinq heures et demi du matin jusqu'à sept heures du soir. A la
+vérité, ils n'ont rien à débourser pour la nourriture du leurs mulets,
+qu'ils lâchent dans la première prairie venue, en dépit des gardes
+champêtres.</p>
+
+<p>Les meilleurs se rassemblent sur la place, au son de la cloche, dès
+trois heures du matin, et se partagent en escouades, sous la direction
+des différents vignerons. Les <i>pareuses</i> restent au logis pour y
+attendre les raisins, qu'elles sont chargées de trier. Ceux de qualité
+supérieure sont immédiatement portés au pressoir; on les presse à
+plusieurs reprises, car, dans l'opinion de la majorité des vinologues,
+les qualités du vin tiennent à la fois au suc, aux pépins et à la
+grappe. On entonne sans laisser cuver, et l'on soutire quelques jours
+après. Durant l'hiver, le vin est transvasé dans de nouveaux fûts; et,
+au printemps, à l'époque oa la sève bout, on le soutire encore pour le
+mettre en bouteille. On ajoute alors au vin du tannin pour le garantir
+où la <i>graisse</i>, et du sucre candi pour le faire mousser, et le
+précipité qui se forme est plus tard enlevé par le tonnelier.</p>
+
+<p>Les vendanges du Champagne sont terminées par une fête qu'on nomme le
+<i>cochelet</i>: les pressureurs offrent au propriétaire un bouquet de
+pampres et de branches d'arbres, et reçoivent une gratification qu'ils
+consacrent à de longues réjouissances. Presque généralement les
+vendanges sont l'occasion de banquets prolongés, de danses, de concerts
+rustiques; celles de cette année, malgré leur déplorable résultat, n'ont
+pas arrêté l'expansion de la joie populaire. Les violons n'ont pas été
+décommandés; les musettes ont retenti comme d'habitude; à défaut du vin
+doux, on savoure celui des années précédentes, et le <i>peuple en liesse</i>,
+noyant ses soucis dans les pots, s'est consolé du présent par le passé.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/008b.png"><br><b>Récolte du raisin.</b></p>
+
+<p>L'année a été également funeste aux raisins de treille. Les succulents
+chasselas de Fontainebleau, les <i>chasselas doré à grains ronds</i>, le
+<i>chasselas musqué</i>, le <i>hennant blanc</i>, la <i>rochette blanche</i>, sont loin
+d'égaler en grosseur et saveur ceux qu'on avait récoltés en 1842. La
+<i>treille du roi</i> seule a dû quelques belles grappes aux avantages de son
+exposition. Elle est située en plein midi, sur le mur de clôture du
+parc, du coté de l'entrée de l'abreuvoir, et abritée de toutes parts
+contre l'influence des vents. Les bras des ceps s'étendent
+horizontalement, chargés d'un petit nombre de grappes isolées. Au-devant
+de la treille règne un long cordon de vignes, auxquelles est appliqué le
+même système de taille. A deux mètres plus loin s'allonge une charmille
+qui suit, comme la treille même, les ondulations du terrain.</p>
+
+<p>N'oublions pas la récolte du houblon en Flandre et les vendanges de
+Normandie. L'indigène de Calvados ou de l'Orne n'attache pas moins de
+prix à ses pommiers, que le duc de Montebello à ses clos champenois. Or,
+l'année a été <i>prometteuse</i>; il y a un peu de <i>quetines</i> (pommes tombées
+avant leur maturité), et l'on débitera bientôt du <i>bon cidre doux à
+dépoteyer</i>.</p>
+
+<p>On évalue la consommation annuelle du cidre en France à 10,011,956
+hectolitre, et celle de la bière à 9,896,239. Ce n'est que sur les
+confins de la Belgique qu'on cultive en grand le houblon nécessaire à la
+confection de la bière. On plante chaque pied sur une motte de terre, et
+l'on soutient les tiges grimpantes avec des perches de 8 à 10 mètres de
+hauteur. Ces longs filaments, qui se croisent, montent, retombent et
+s'entrelacent comme des lianes, donnent aux houblonnières l'aspect d'une
+forêt vierge. A la fin de septembre, on coupe les sarments avec la
+faucille, on arrache les perches, et les fruits récoltés sont amoncelés
+dans des sacs où ils se conservent, et forment une masse compacte que
+l'on peut couper par tranches pour la vendre en détail.</p>
+
+<p>Souhaitons aux vignerons meilleure chance pour l'année prochaine;
+puissent-ils remplir leurs enviers jusqu'aux bords; et, comme le
+recommande Rabelais, «en celle où en meilleure pensée réconfortons notre
+entendement, et buvons frais, si faire se peut.»</p>
+
+<br><br>
+
+<h3>ROMANCIERS CONTEMPORAINS.</h3>
+
+<h4>CHARLES DICKENS.</h4>
+
+<h4>Martin fait de nouvelles connaissances et Mark un nouvel ami.</h4>
+
+<p class="mid">(Voir t. II, p. 20, 35, 105 et 159.)</p>
+
+<p>Il était dans la nature de Martin d'oublier tout le temps son pauvre
+compagnon aussi complètement que s'il n'y eût jamais eu de Mark Tapley
+au monde; ou, si le souvenir du personnage s'offrit un moment à son
+imagination, il eut soin de le congédier au plus vite, comme chose de
+peu d'importance qui attendrait bien son entier loisir. Pourtant,
+lorsqu'il se retrouva dans la rue, l'idée que Mark pouvait s'ennuyer de
+faire le pied de grue sur le palier du <i>Rowdy-Journal</i> lui traversa de
+nouveau l'esprit, et il donna à entendre à son nouvel ami qu'il ne
+serait pas fâché de diriger la promenade de ce côté.</p>
+
+<p>«A propos, continua Martin, et pour ne pas être en reste de questions,
+oserais-je vous demander si vous habitez cette ville, ou si, comme moi,
+vous n'y êtes qu'en passant?</p>
+
+<p>--Tout à fait en oiseau de passage, reprit son ami. Natif de l'État de
+Massachusetts, je suis fixé dans ma tranquille petite ville de province,
+et l'on ne me voit pas souvent au milieu de ces foules affairées qu'on
+aime d'autant moins qu'on les connaît davantage.</p>
+
+<p>--Vous avez voyagé à l'étranger? demanda Martin.</p>
+
+<p>--Beaucoup.</p>
+
+<p>--Et à l'instar de la plupart des voyageurs, vous n'en êtes que plus
+attaché à vos foyers domestiques, à votre contrée natale? demanda de
+nouveau Martin, qui examinait son interlocuteur avec quelque curiosité.</p>
+
+<p>--A mes foyers? oui, répliqua son ami; à ma contrée? comme terre natale,
+oui aussi.</p>
+
+<p>--Ce oui n'est pas sans restriction.</p>
+
+<p>--Entendons-nous, repartit l'Américain. Demandez-vous si j'ai rapporté
+de l'étranger un goût plus exclusif pour les erreurs de ma patrie, un
+plus aveugle amour pour ceux qui, au taux de tant de dollars le jour,
+s'érigent en forcenés admirateurs de ma nation; si je rapporte plus
+d'insouciance pour les principes qui président ici aux affaires
+publiques et privées, principes que les plus éhontés de vos avocats
+rougiraient de défendre hors de l'atmosphère viciée de vos cours
+criminelles? Oh! si c'est là ce que vous demandez, non, dis-je, et mille
+fois non!</p>
+
+<p>--Non! dit Martin, si juste sur le diapason de son interlocuteur que la
+réponse fit écho.</p>
+
+<p>--Demandez-vous, poursuivit son compagnon, si je suis revenu plus
+content d'un ordre de choses qui divise la société en deux classes, dont
+l'une, la masse, fonde une indépendance effrénée sur l'oubli de toute
+bienveillance, de toutes formes, de toutes convenances sociales; d'où il
+résulte que plus un homme affiche de grossièreté et d'impudeur, plus il
+a de chances de succès; tandis que le petit nombre, dégoûté de voir
+apprécier toutes choses sur une si basse échelle, se réfugie dans la vie
+privée et s'entoure de tous les raffinements du luxe, laissant la
+république s'en tirer comme elle pourra au milieu des clameurs de la
+presse et du pillage universel? Me demandez-vous si tout cela m'arrange?
+Non, dis-je alors, et mille fois non!</p>
+
+<p>--Non! repartit encore mécaniquement Martin, découragé, anxieux, moins à
+la vérité dans l'intérêt de la société que dans celui de ses plans
+d'architecture domestique, dont l'avenir lui semblait singulièrement
+hasardé au milieu du chaos et de la poussée générale que venait de
+dépeindre son nouvel ami.</p>
+
+<p>--En un mot, poursuivit ce dernier, je ne crois pas, par conséquent, je
+n'accorde point (bien que vous puissiez l'entendre proclamer ici à
+toutes les heures du jour), je ne trouve pas, dis-je, que notre nation
+soit le type de la sagesse humaine, l'exemple du monde, le <i>nec plus
+ultra</i> de la perfectibilité; le tout, parce que nous entrons dans la
+carrière politique avec deux avantages inappréciables.</p>
+
+<p>--Qui sont? demanda Martin.</p>
+
+<p>--L'un, que notre histoire s'ouvre à une période assez avancée pour
+échapper aux âges de barbarie et de cruauté qui souillent les annales
+des autres peuples; qu'ainsi nous profitons des lumières acquises sans
+avoir traversé un obscur noviciat; l'autre, que notre territoire est
+vaste, et que nous ne souffrons pas, du moins pas encore, d'un trop
+plein d'habitants. A part ces avantages, nous avons peu à vanter, ce me
+semble.</p>
+
+<p>--En éducation cependant... murmura Martin.</p>
+
+<p>--Beau chapitre encore! interrompit l'autre haussant les épaules. Eh!
+dans l'ancien monde, même sous le régime despotique, on a fait autant et
+plus en le faisant sonner moins haut! Assurément, par comparaison avec
+l'Angleterre, nous pouvons briller, vu que, sous ce rapport, elle est
+dans le plus piteux état... Vous savez que vous m'avez complimenté sur
+ma franchise, poursuivit-il en riant.</p>
+
+<p>--Oh! elle ne m'étonne nullement lorsqu'il s'agit de mon pays, reprit
+ingénument Martin; c'est quand il est question du vôtre que la liberté
+de vos paroles me surprend.</p>
+
+<p>--Vous ne trouverez pas cette droiture rare parmi mes compatriotes, je
+vous en réponds, en en exceptant les gens de la trempe du colonel
+Drivers, de Jefferson Brick, du major Pawkins et consorts. A vous parler
+franc, néanmoins, les meilleurs d'entre nous rappellent un peu l'homme
+de la comédie de Goldsmith qui ne souffrait pas qu'autre que lui
+injuriât son maître. Mais allons, parlons d'autre chose. Vous êtes venu
+chez nous, si je ne me trompe, dans l'intention d'améliorer votre
+fortune, et je serais désolé de vous faire perdre courage. D'ailleurs,
+quelques années de plus me donneraient peut-être le droit de hasarder
+auprès de vous un ou deux avis sur des points de peu d'importance.»</p>
+
+<p>Il n'y avait pas la moindre trace de curiosité ou de présomption dans
+cette offre, faite avec tant de bienveillance et de bon vouloir qu'elle
+attirait de force la confiance. Aussi Martin raconta-t-il sa chance,
+abordant l'aveu si difficile à faire de sa pauvreté. Il ne dit pas
+cependant,--comment s'y serait-il résigné?--à quel point il était
+pauvre; d'un air dégagé, il laissa deviner qu'il lui restait de l'argent
+pour six mois environ, tandis qu'il en avait tout au plus pour autant de
+semaines. N'importe, il avoua qu'il était pauvre et disposé à accepter
+avec reconnaissance tout conseil que son ami voudrait bien lui donner.</p>
+
+<p>La façon dont la figure de l'étranger s'allongeait mesure que les plans
+et projets d'architecture domestique se déroulèrent devant lui, n'aurait
+pu échapper à personne, à plus forte raison à Martin, dont la sagacité
+était aiguisée par l'incertitude de sa position. Malgré d'héroïques
+efforts pour se montrer aussi encourageant que possible, l'Américain ne
+put s'empêcher de hocher une ou deux fois la tête: c'était comme s'il
+eût dit en langue vulgaire: Cela n'ira pas! Mais il le prit ensuite sur
+un ton enjoué et cordial, et s'engagea (puisque New-York n'offrait
+aucune des facilités que désirait Martin) à s'informer immédiatement
+s'il pourrait trouver mieux dans quelque autre ville. Déclinant ensuite
+son nom, Revan, il apprit à Martin que, sans exercer activement la
+médecine, il était reçu docteur. La conversation roulant sur des
+circonstances relatives à la famille de l'Américain et à lui-même,
+conduisit les promeneurs jusqu'au bureau du <i>Rowdy</i>.</p>
+
+<p>Ils étaient encore assez loin de la maison, lorsque l'air patriotique
+anglais <i>Rule Britannia</i>, énergiquement sifflé, vint, saluant leurs
+oreilles, annoncer que Mark Tapley prenait ses ébats sur le palier du
+premier étage, Suivant les sons, ils trouvèrent Mark retranché au milieu
+d'une fortification de bagages, s'évertuant à rendre justice à son hymne
+national, à l'évidente satisfaction d'un nègre au crâne grisonnant qui
+occupait un des forts avancés (une valise en cuir) et tenait ses gros
+yeux rivés sur le chanteur. Celui-ci, à demi couché, la tête appuyée sur
+sa main, rétorquait le compliment par des regards distraits et rêveurs,
+tout en continuant de siffler sans relâche. Mark venait de dîner, comme
+le témoignaient sa bouteille cassée et quelques débris de viande étalés
+dans un mouchoir près de lui; du reste, ses loisirs n'avaient pas été
+perdus, à en juger par ses initiales d'un demi-pied de long, qui, de
+concert avec le quantième du mois tracé en caractères moins
+gigantesques, le tout employé d'une bordure du jet le plus hardi,
+ornaient la porte du bureau du journal.</p>
+
+<p>--Je commençais presque à vous croire perdu, monsieur, s'écria Mark
+interrompant l'air à l'endroit où les fiers Bretons déclarent qu'ils ne
+seront jamais, jamais, <i>never, never...</i> Rien ne va mal, j'espère,
+monsieur?</p>
+
+<p>--Non, Mark. Qu'avez-vous fait de votre bonne amie?</p>
+
+<p>--La pauvre créature timbrée, monsieur? oh! tout va au mieux pour elle à
+présent.</p>
+
+<p>--Quoi! a-t-elle retrouvé son mari?</p>
+
+<p>--Oui, monsieur;--c'est-à-dire ses restes,--dit Mark Tapley se
+réprimant.</p>
+
+<p>--L'homme n'est pas mort, j'espère?</p>
+
+<p>--Pas complètement, monsieur, répondit Mark; mais il a tremblé les
+lèvres suffisamment pour être plus qu'à demi trépassé; en ne
+l'apercevant pas sur le rivage, j'ai cru <i>qu'elle</i> allait rendre l'âme;
+vrai, je l'ai cru.</p>
+
+<p>--Comment donc? n'était-il pas là pour la recevoir?</p>
+
+<p>--<i>Lui</i>, en chair et en os; non pas, il n'y avait rien que sa faible
+vieille ombre, étirée, amincie, qui se traînait lentement en descendant
+vers la plage, et pouvait ressembler au fort et vigoureux camarade que
+la pauvre femme avait jadis connu, à peu près autant que votre ombre
+vous ressemble, monsieur, quand le soleil couchant la dessine longue et
+grêle sur le sol. Enfin, c'était tout ce qui restait de l'homme, et elle
+s'en est contentée, pauvre âme, aussi joyeuse, aussi ravie que si c'eût
+été lui tout de bon.</p>
+
+<p>--A-t-il donc acheté des terres? demanda M. Bevan.</p>
+
+<p>--Ah bien, oui, qu'il en a acheté, et qu'il les a fièrement payées
+aussi, je vous en réponds, répliqua Mark Tapley tiraillant la tête:
+c'est qu'au dire des agents elles réunissaient toutes sortes d'avantages
+naturels, ces terres; tout au moins y avait-il une richesse qui ne
+faisait pas faute, l'eau foisonnait.</p>
+
+<p>--Je présume qu'il aurait pu difficilement s'en passer, dit Martin avec
+quelque impatience.</p>
+
+<p>--Aussi, ne lui manquaient-elle pas; il en avait de tous les côtés,
+dessus, dessous, autour et partout, sans avoir à payer ni taxe ni
+porteur d'eau. Indépendamment de trois un quatre rivières bourbeuses à
+son coude, l'homme avait, sur tout le territoire de sa ferme, quatre à
+six pieds d'eau dans les mois de sécheresse; en temps pluvieux, il ne
+peut dire au juste combien, n'ayant jamais rien trouvé de longueur à
+sonder jusqu'au fond.</p>
+
+<p>--Serait-ce vrai? demanda Martin à son compagnon.</p>
+
+<p>--Fort probable, répliqua ce dernier; apparemment quelque lot du
+Missouri ou du Mississipi.</p>
+
+<p>--Il n'en est pas moins descendu, de ce je ne sais quel endroit,
+poursuivit Mark, pour venir ici, à New-York, recevoir sa femme et ses
+enfants; et tous sont repartis en bateau à vapeur, cette même sainte
+après-midi, aussi contents de partir tous ensemble que s'ils allaient
+droit en paradis. Ma foi, on peut bien dire qu'ils en prennent le
+chemin, à en juger sur la mine du pauvre homme.</p>
+
+<p>--Ah çà, pourrais-je vous demander, dit Martin, reportant, avec un
+froncement de sourcil, son regard de Mark au nègre, ce que c'est que ce
+monsieur? quelque nouvel ami de votre choix sans doute?</p>
+
+<p>--Chut! murmura Mark Tapley, prenant son maître à part et lui parlant
+confidentiellement à l'oreille: C'est un homme de couleur, monsieur!</p>
+
+<p>--Me croyez-vous aveugle? demanda Martin avec humeur, pour me tenir
+faire cette confidence devant une des faces les plus noires que j'aie
+vues de ma vie!</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009.png"></p>
+
+<p>--Un moment, monsieur, réuni Mark; par homme de couleur, j'entends qu'il
+a été un de ceux-là qu'on a placardés en estampes, dans les boutiques,
+sur les enseignes..., enfin <i>homme et ton frère</i>, vous savez bien,
+monsieur, poursuivit Mark Tapley, favorisant son maître d'une pantomime
+indicative de la figure, si souvent représentée sur les médailles et en
+tête des brochures en faveur de l'émancipation des noirs.</p>
+
+<p>--Un esclave! reprit Martin à demi-voix, en tressaillant.</p>
+
+<p><i>(La suite à un autre numéro.)</i></p>
+<br><br>
+
+<h3>MARGHERITA PUSTERLA.</h3>
+
+<h4>CHAPITRE XV.</h4>
+
+<h4>LE PÈRE ET LE FILS</h4>
+
+<p><span class="lef"><img alt="" src="images/36-01.png"></span><span class="sc">N</span> entrant dans la ville, ils trouvèrent les rues tendues de draps
+blancs et vermeils, et de guirlandes de verdure de la saison, qu'on
+appelle à Pise les <i>fiorites</i>. Du haut des balcons et sur les murs se
+déployaient de riches tapis du Levant, des étoffes de soie, qui
+paraissaient encore un luxe inouï dans les cours des rois, et qui
+abondaient dans les maisons de ces actifs négociants. En quelques
+endroits des fontaines jetaient du vin; à l'entour, une populace avide
+se pressait pour recevoir la liqueur dans sa bouche ou dans le creux de
+ses mains. D'un autre côté, on voyait des buffets et des crédences
+chargés de toutes les raretés venues de la mer Noire, du golfe Arabique,
+de le Baltique, et conservées en mémoire des navigations heureuses et
+hardies.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/36-02.png"></p>
+
+<p>Au milieu du tumulte, de la joie, de la curiosité du peuple, qui ne se
+souvenait plus que la peste envahissait la contrée de toutes parts, et
+qui avait oublié sa faim d'hier et celle qu'il aurait demain, nos
+Lombards s'avançaient dans les divers endroits où ils espéraient
+rencontrer Alpinolo. Ramengo les suivait, se cachant le visage sous son
+capuce lorsqu'il lui arrivait de rencontrer quelqu'un qu'il voulait
+éviter.</p>
+
+<p>Un Milanais parut au milieu de la foule, et Muralto, élevant la voix,
+lui demanda: «Eh! Ottorno Borro, pourquoi cette multitude? Pourriez-vous
+nous dire où est Alpinolo?</p>
+
+<p>--Il est au premier rang pour combattre sur le pont; tous nos camarades
+sont là; je cours les rejoindre.» Et il disparut dans la foule.</p>
+
+<p>«Mais que diable lui a-t-il pris, s'écriait Ramengo, de se fourrer dans
+cette inutile bagarre? Combattre avec des bâtons, comme un manant?</p>
+
+<p>--Allez le lui dire, répondaient-ils. Il est ainsi fait. Quand il s'agit
+de donner une preuve de courage, vouloir l'en détourner, c'est combattre
+le vent.»</p>
+
+<p>Pendant qu'ils parlaient ainsi, le beffroi de la commune sonna. «C'est
+le signal! c'est le signal! «cria-t-on de toutes parts. Mats il n'y
+avait point d'espérance d'arriver jusque auprès des combattants. S'étant
+donc arrêtés sous un portique, soutenu d'un coté par une colonne de
+porphyre égyptien, de l'autre par une colonne grecque cannelée, par les
+voies de douceur et par celles de la violence, ils parvinrent à se
+hisser sur une plate-forme portée par l'attique. De là ils purent
+dominer cette foule de têtes nues ou couvertes de la façon du monde la
+plus variée, depuis l'éclatant turban de l'Orient et jusqu'au sombre
+béret du Vénitien, depuis les plumes ondoyantes du chevalier provençal
+jusqu'à l'infâme réseau jaune de l'Hébreu infortuné, depuis la toque en
+velours et or des barons napolitains jusqu'au capuce renversé des
+Milanais, qui s'étaient placés au premier rang pour être témoins des
+prouesses de leurs compagnons.</p>
+
+<p>Alors les trompettes sonnèrent, et on vit paraître le gonfalonier et les
+anciens dans une tribune décorée à la façon d'un pavillon turc. La foule
+des spectateurs se pressait de plus en plus, pendant que ceux qui se
+disposaient à combattre frémissaient d'impatience aux barrières qui
+commandaient les deux têtes du pont, comme un torrent frémit au pied de
+l'écluse; puis lorsque, à un nouveau signal, les barrières tombèrent, ce
+fut un cri universel. Tous se précipitèrent contre tous. Quelque
+attention que mit Ramengo à discerner quelque chose, il ne vil d'abord
+qu'une orageuse mêlée de gens qui assaillaient, de gens qui les
+repoussaient, de bâtons noueux qui tombaient avec fureur sur de tristes
+épaules, et des têtes meurtries, les cris de ceux qui battaient, les
+gémissements de ceux qui étaient battus, le tout aux acclamations de
+«Vive sainte Marie! Vive saint Antoine!»</p>
+
+<p>Peu à peu, la mêlée s'éclaircissant à cause des morts et des blessés, ou
+de ceux qui s'étaient retirés étourdis par le bâton ou accablés de
+fatigue, on pouvait déjà deviner de quel côté penchait la fortune.
+Cependant on voyait transporter dans les barques, grelottants et tout
+trempés d'eau, ceux qu'on avait retirés du fleuve. Tantôt les maltraités
+se traînaient ou étaient emportés à bras hors de la bagarre, pansant de
+leurs mains leurs membres blessés, leurs tempes saignantes, et prenant à
+témoin le ciel et la terre de ne plus s'aventurer dans ces ridicules
+batailles; mais, croyez-moi, ceux qui guérissaient ne manquaient pas d'y
+retourner.</p>
+
+<p>La fureur s'accroissait, ainsi que l'intérêt de l'escarmouche, de toutes
+les passions des factions et de toutes les haines politiques. Les deux
+partis des Raspanti et des Bergolini, qui, dans les conseils, et dans de
+fréquentes luttes, divisaient la ville de Pise, favorisaient les uns
+sainte Marie, les autres saint Antoine: leur cri de guerre, les
+applaudissements, les insultes enflammaient la rage générale, et le
+tumulte était à son comble.</p>
+
+<p>Bientôt, à la tête de ceux de sainte Marie et des Raspanti, on vit un
+jeune homme se distinguer entre tous par la force de ses coups, par le
+large cercle qui s'agrandissait autour de lui, par le carnage qu'il
+faisait partout sur ses pas. Ramengo, à la beauté du jeune combattant et
+aux cris de ses compatriotes, ne tarda pas à reconnaître Alpinolo. Il ne
+ne cacha plus ses regards du hardi guerrier, tantôt inquiet de ses
+périls, tantôt plein d'étonnement et d'admiration pour une si
+merveilleuse vigueur.</p>
+
+<p>Les Bergolini et saint Antoine ne purent longtemps rester à l'épreuve
+d'une telle furie, et pour garantir leurs têtes, ils tournèrent le dos.
+Alors ceux qui, cachés comme derrière une tour, s'étaient fait un
+rempart des épaules d'Alpinolo, se précipitèrent, avec un courage
+indicible, à la poursuite des fuyards, pour avoir la gloire moins belle,
+mais plus sûre, de les frapper au dos, hurlant de toute la force de
+leurs poumons: «Vive sainte Marie!--Vivent les Raspanti!--Honte aux
+Bergolini!--Vivent les Cambacurti!--Vivent les Aliati!--A bas Lino
+della Rocca!» C'étaient les noms des chefs des deux factions.</p>
+
+<p>A un signal du gonfalonier, la barrière se baissa de nouveau. Les
+trompes et les clarinettes sonnèrent à l'intérieur des fanfares de
+triomphe; Sainte-Marie sonnait à tout rompre, et les Milanais, se
+frayant un chemin, s'approchèrent d'Alpinolo, l'embrassèrent triomphant,
+le prirent sur les bras, et le portèrent dans la direction de l'estrade
+où il devait recevoir la couronne des mains de la seigneurie. Ils
+criaient; «Vive Alpinolo!--Vive Milan!--Vive saint Ambroise!»</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/36-03.png"></p>
+
+<p>L'éclair de joie que la victoire faisait briller sur le visage
+d'Alpinolo se mêlait d'une façon indéfinissable avec la consternation
+qu'y avaient imprimée les malheurs passés, et avec les signes de la
+profonde douleur qui le dévorait, lorsque Aurigino Muralto réussit à
+l'accoster. Bonne nouvelle! lui cria-t-il; réjouis-toi: il est arrivé un
+Milanais.</p>
+
+<p>--Un Milanais?... et qui?</p>
+
+<p>--Une de tes connaissances, Lauterio de Bescapé, le bras droit de
+Pusterla. Il a des choses à te dire de la plus haute importance, mais à
+toi seul.»</p>
+
+<p>Ce fut un pêle-mêle d'idées dans l'esprit d'Alpinolo. Francesco,
+Marguerite, Fra Buonvicino, les Aliprandi, tous les amis qu'il avait
+laissés à Milan, se présentèrent à sa pensée, avec l'espoir de voir
+quelqu'un d'eux, d'en recevoir peut-être un message, au moins des
+nouvelles. Ainsi pressé de la plus vive impatience, sans plus attendre
+les prix et la couronne qui lui étaient dus, il se dégagea des bras de
+ses compatriotes, et se dirigea vers l'endroit où on lui avait dit qu'il
+trouverait cet ami, sous le portique de marbre; malheur aux poitrines et
+aux bras de ceux qui l'entravaient dans la rapidité de sa course! «Le
+voici! regarde-le,» dirent les Lombards en montrant le nouveau venu à
+Alpinolo, qui, fixant ses regards sur lui, se trouva vis-à-vis de
+Ramengo.</p>
+
+<p>En vain celui-ci aurait voulu se soustraire à cette rencontre subite et
+voir Alpinolo en particulier, en vain il faisait signe au page de se
+taire, de venir, qu'il avait à lui parler; un père qui trouve un aspic
+enlacé au cou de son fils unique n'a pas les yeux plus épouvantés
+qu'Alpinolo lorsque ses regards rencontrèrent le visage exécré du
+traître.</p>
+
+<p>«Ramengo!» hurla-t-il d'une voix semblable au mugissement d'un taureau
+blessé. Puis, sans faire attention aux signes de son adversaire, il
+saisit de nouveau le bâton, son arme triomphale, et courut sur le
+Milanais en criant: «Infâme espion!» Ce fut l'affaire d'un moment. Les
+Lombards, ne sachant comment expliquer cette colère, se retiraient et
+laissaient faire; mais Ramengo ne s'arrêta point à attendre le furieux,
+et se précipita derrière les marbres accumulés en cet endroit; puis,
+sortant du côté opposé, il se jeta au milieu de la foule; la plus
+épaisse, et petit à petit, au sein de cette fourmilière, il parvint à
+s'échapper. Alpinolo ne perdait point cependant les traces du fuyard,
+répétant à haute voix: «Espion, enfin je te liens! Au large! prenez
+garde à vous! Laissez-moi l'atteindre! Un seul coup le punira de tous
+ses crimes.» Et pour se faire place, il frappait à droite et à gauche
+sur quiconque se trouvait sur ses pas pour ses péchés.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/36-04.png"><br></p>
+
+<p>La plèbe de Pise semblable à celle des autres pays et des autres temps,
+avait éprouvé un peu de dépit (que d'autres rappellent national) de ce
+qu'un étranger avait remporté l'honneur de la journée; et, comme il
+arrive, les vainqueurs ne lui en voulaient pas moins que les vaincus.
+Lorsqu'ils virent Alpinolo, non content de dédaigner le prix, entrer en
+si furieuse colère, et, sans rien considérer, maltraiter tous ceux qui
+l'entouraient, ils se tournèrent contre lui: «A qui en veut donc cet
+enragé?--Par tous les saints du calendrier, disaient les autres, il faut
+qu'il ait bu du sang de dragon et mangé de la chair de
+crocodile!--Finissons-en une bonne fois avec cet Ambroisien endiablé!»</p>
+
+<p>Et entre les Milanais et les Pisans commença la bataille des langues qui
+précède ordinairement la bataille des mains.</p>
+
+<p>«Faites-nous place, Pisans, honte des nations! criaient les Lombards en
+regardant de travers.</p>
+
+<p>--Passez votre chemin, Milanais, grands mangeurs de fèves! répondaient
+les Pisans en montrant le poing.</p>
+
+<p>--Les fèves sont meilleures que les goujons, dont on achète trente-six
+pour un poil d'âne.»</p>
+
+<p>Des paroles on en vint aux mains: «Ce sont des guelfes, ce sont des
+gibelins, ce sont des traîtres Raspanti. Alors une lutte s'engagea, qui
+donna fort affaire, pour la calmer, aux nobles et aux gonfaloniers. Plus
+d'un resta mort sur le champ, plus d'un en remporta de fâcheux souvenirs
+pour toute la vie; mais comme il arrive le plus souvent que les
+coupables profitent des querelles des innocents, au milieu de ce
+tumulte, Ramengo put prendre sa course, et par le chemin le plus court
+s'en aller à la grâce de Dieu.</p>
+
+<p>Lorsque Alpinolo s'aperçut qu'il perdait son temps à le poursuivre, il
+se prit à se maudire, à maudire le jour qui l'avait vu naître, celui qui
+le lui avait donné, et la fantaisie qu'il avait eue de prendre part à ce
+combat. S'il ne s'y fût point mêlé, il aurait rencontré Ramengo; il se
+serait vengé sur lui en vengeant Franciscolo, la divine Marguerite, la
+patrie perdue par sa faute, l'humanité déshonorée par le traître.</p>
+
+<p>De son côté, Ramengo, échappé au péril d'être tué par son propre fils,
+commença à se plaindre et à chercher dans la colère le remède de ses
+remords: cette circonstance redoubla encore sa haine contre Pusterla.</p>
+
+<p>«C'est parce qu'il m'a trompé par les apparences d'un faux amour, que
+j'ai tué ma femme. Un fils au moins me restait d'elle, un fils en qui je
+pouvais me complaire et me rendre l'envie de ceux qui peut-être me
+méprisent. Et cet infâme vient encore se jeter entre nous; et, pour ses
+folles fantaisies, le père et le fils sont divisés, sont ennemis; mais,
+non; je ne me reposerai point que je n'aie réussi à me réconcilier avec
+mon fils; j'exterminerai celui qui le fascine. Alors je me rapprocherai
+d'Alpinolo, je reparaîtrai avec lui dans la société, à Milan, à la cour.
+Lorsque je serai arrivé à un poste brillant, qui cherchera jamais quel
+fut mon premier pas? Mais toi, toi maudit, qui es la cause de notre
+séparation, je sais maintenant où tu t'abrites; et que je ne sois pas un
+homme, si je ne le fais expier ton crime par le sang. Alors seulement tu
+auras payé ta dette.»</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/36-05.png"></p>
+
+<p>Et il écrivit à Luchino Visconti la lettre que nous avons trouvée dans
+les mains du secrétaire, le jour de l'entretien du prince et de
+Marguerite, dans laquelle il demandait l'impunité pour son fils, et
+laissait entrevoir qu'il était sur le point de partir pour rejoindre
+Pusterla. Il n'osa plus se montrer, de toute cette journée, dans les
+rues de Pise; il ne retourna plus dans l'auberge d'Aquevino, qui
+regardait sa maison comme souillée pour avoir abrité un homme de cette
+espèce. Une taverne, avec une branche d'arbre pour toute enseigne, où
+logeaient la nuit des portefaix, des mariniers et de mauvaises femmes,
+fut le refuse de Ramengo pendant les jours qui suivirent; mais, riche en
+ruses et en argent, il ne tarda pas à s'entendre avec un capitaine de
+navire qui, au premier bon vent, devait mettre à la voile pour Antibes;
+en effet, après peu de jours, il quitta sain et sauf l'Italie. Alpinolo,
+qui, jour et nuit, l'épiait dans les coins les plus reculés, dans la
+foule la plus épaisse, eut beau temps à l'attendre. Il ne devait plus le
+rencontrer que dans un horrible lieu.</p>
+
+<br><br>
+
+<h4>CHAPITRE XVI.</h4>
+
+<h4>L'EXILÉ.</h4>
+
+<p><span class="lef"><img alt="" src="images/36-06.png"><br></span><span class="sc">ÛR</span> de la fidélité de Pedrocco de Gallarate, Buonvicino lui confia
+Pusterla. Pedrocco était le chef d'une de ces espèces de caravanes qui,
+deux ou trois fois l'an, faisaient le voyage de France pour y porter les
+denrées du Levant et les draps de Milan. Il avait la tournure d'un
+portefaix, la face bronzée par le soleil et la gelée, les mains robustes
+et calleuses. Il était vêtu d'un justaucorps serré à la taille par une
+large ceinture de cuir noir qui soutenait un cimeterre; souvent son
+capuce, rabattu sur les yeux, lui donnait une physionomie si dure
+qu'elle avait quelque chose d'effrayant. Cependant c'était le meilleur
+homme du monde, un bon vivant aimable et tranquille qui n'eût pas voulu
+faire de mal à une mouche. Capitaine d'une bande de muletiers,
+expéditionnaire ambulant, on le trouvait toujours prêt à tout faire,
+habile et discret. Il eût porté de la même façon une indulgence plénière
+et une sentence de mort, une châsse pleine de reliques et le prix de
+l'infamie et de la trahison. Cette fois, il avait chargé son convoi de
+draps sortis des fabriques des Umiliati de Brera et de la maison de
+Varez, pour les porter à Louvain, à Sedan et dans d'autres villes qui
+nous fournissent aujourd'hui. Quand Buonvicino lui eut recommandé de
+conduire son ami et de se taire, il mit la main sur son c&oelig;ur, en
+s'écriant: «Mon père, je ferai tout mon possible;» et il se chargea de
+cette mission de confiance avec d'autant plus de loyauté, qu'il voyait
+que Buonvicino jouissait d'une plus grande estime.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/36-07.png"><br>
+
+<p>Ils s'avancèrent donc par la Valgane avec une file de mulets, et après
+quelques détours se trouvèrent enfin dans le val Travaglia. Mais au
+moment où ils étaient engagés le plus avant dans ces gorges, ils se
+virent attaqués par une bande d'hommes avinés, qui d'abord firent
+craindre à Pusterla pour sa vie et celle de son fils; rassemblant les
+muletiers, il se préparait à se défendre. Mais ils s'aperçurent bientôt
+que ces gens-là n'en voulaient point à leur vie. Ils les laissaient
+libres de continuer leur chemin, pourvu qu'ils abandonnassent leur
+convoi ou qu'ils payassent une énorme taille, parce qu'ils venaient de
+Milan, et qu'ils étaient eux-mêmes les ennemis du seigneur de Milan.</p>
+
+<p>Ils commençaient déjà à dépouiller la caravane, lorsque Pusterla apprit
+qu'ils étaient les hommes d'Aurigino-Muralto de Locarno. C'était, si on
+s'en souvient, un des amis de Pusterla; il avait assisté à la réunion de
+la fatale soirée; et, condamné à mort par les Visconti, au lieu de fuir
+avec les autres proscrits, il s'était retiré dans les montagnes
+patrimoniales et à Locarno, dont il était le seigneur. Là, ayant fait
+alliance avec les Rusconi, seigneurs de Bellinzona, il avait levé
+bannière contre Luchino.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/36-08.png"></p>
+
+<p>Ce nom, cette nouvelle, suffirent pour chasser de l'esprit de Pusterla
+toutes les résolutions de repos, de fuite et de retraite. «Aurigino,
+dit-il aux hommes de la bande, c'est un de mes grands amis; malheur à
+celui qui touchera un fil de ces bagages! Nous sommes du même parti, et
+je viens pour faire cause commune avec lui.»</p>
+
+<p>Il obtint en effet que ces <i>Masnadieri</i>, qui avaient une espèce de bonne
+foi à leur manière, et qui respectaient le droit des gens à la façon des
+modernes Bédouins, ne touchassent point les bagages: puis il s'embarqua
+sur le lac Majeur. Le petit Venturino paraissait jouir avec délices de
+la beauté d'un ciel si pur, de ces eaux, de ces rivages, de cette mer
+environnée de montagnes escarpées et de ces plages ornées de la plus
+luxuriante végétation. Il resta un instant les yeux comme fascinés par
+ces enchantements: puis, se retournant vers son père: «Oh! si ma mère
+était avec nous!» s'criait-il. Et leurs pleurs se confondaient, et ils
+soupiraient ensemble.</p>
+
+<p>Mais si le c&oelig;ur et l'esprit, de l'enfant ne se nourrissaient que
+d'amour, le père était occupé d'idées bien différentes. Il se voyait
+déjà le chef d'une armée de braves et résolus montagnards, et la terreur
+de Visconti. De victoire en victoire, sa pensée courait jusqu'au jour où
+il imposerait un pacte à Luchino, et où il regagnerait par les armes sa
+femme et sa patrie. Lorsqu'il arriva à Locarno, il y fut reçu avec
+enthousiasme. Fêtes, réjouissances, tout lui fut prodigué. On lui montra
+un grand appareil de puissance, on lui exagéra les forces dont on
+disposait. Mais Aurigino-Muralto était chef, lui, il y était chef de sa
+petite armée, et pour renoncer au commandement, il faut plus de vertu et
+moins d'impétuosité que n'en avait le jeune rebelle. On fit donc des
+politesses infinies à Pusterla; mais quant à de l'autorité, on ne lui en
+donna aucune. Aux courtes illusions succéda un prompt désenchantement,
+et avec son inquiétude habituelle, Pusterla souhaitait être bien loin
+d'un lieu où ses amis mêmes, disait-il, l'abandonnaient et le
+trahissaient.</p>
+
+<p>Il reçut des lettres de Buonvicino. Celui-ci, avec toute la chaleur de
+l'amitié, le suppliait de fuir, de s'éloigner le plus qu'il pourrait, de
+ne point se laisser aliéner par les trop faciles espérances des bannis.
+Il le conjurait de se souvenir que la vie de Margherita pouvait dépendre
+d'un de ses mouvements; de penser à son fils, qu'il avait avec lui, et
+qu'il devait conserver à l'amour de cette infortunée. Il lui apprenait
+ensuite les préparatifs de Luchino contre Muralto, et qui certainement
+écraseraient une poignée de révoltés, quelque courage qu'ils dussent
+déployer.</p>
+
+<p>Cédant en partie aux conseils de l'amitié et de la prudence, en partie
+au dépit de se voir dédaigné, Pusterla quitta Locarno, où il devint le
+sujet d'autant de railleries qu'il avait naguère obtenu
+d'applaudissements. Toujours accompagné, de Pedrocco, il s'avançait à
+travers les Alpes, en suivant des routes marquées seulement par
+l'écoulement des eaux et par quelques croix qui marquaient les endroits
+où les voyageurs s'étaient engloutis dans le précipice. C'était un
+étrange spectacle pour nos bannis que cette suite de mulets qui,
+toujours suspendus sur le bord de l'abîme, gravissaient tortueusement, à
+pas lents et la tête basse, sans qu'au sein de cette vaste solitude ou
+entendu d'autre bruit que le battement de leurs sabots, le tintement des
+grelots de leurs colliers, les sifflets et les jurons des muletiers. Au
+centre de la caravane, Pusterla s'avançait sur un mulet robuste, tenant
+Venturino en croupe. Pedrocco cheminait à pied à ses cotés, courant çà
+et là pour donner les ordres nécessaires, puis revenant toujours à son
+poste, pour alléger, par son entretien, l'ennui du seigneur lombard.</p>
+
+<p>«Oh! d'ici en France, il n'y a qu'un saut. Beau et riche pays que
+celui-là. La Lombardie n'en vaut pas la moitié.--Quel en est le
+gouvernement?--Mais ce sont des choses que je n'entends point.--Les
+routes?--Attendez-vous à les voir toutes pareilles à celle que nous
+suivons, qui, comme chacun sait, a été faite par le diable. Abîmes,
+précipices, ruines, éboulements dans les montagnes, bois, marécages dans
+les plaines, des voleurs partout. Mais les mules savent où elles mettent
+le pied, et, le plus souvent, le voyage s'accomplit sans qu'une seule
+périsse. Et puis, à quoi sert d'avoir peur? S'il faut mourir, bonne
+nuit, c'est une corvée qu'il faut faire au moins une fois. Je dis bien:
+le pire, ce sont les malandrins. Vous avez vu comme nous l'avons échappé
+belle avec ceux de là-bas. En l'an treize cents et je ne sais plus
+combien, nous revenions d'Avignon avec soixante mille florins d'or tout
+neufs. Je suis hors de moi rien qu'à me rappeler ce beau magot. Le
+saint-père me les avait confiés pour les porter au cardinal Poggello,
+son neveu, pour payer les troupes chargées de tenir en bride certaines
+factions et d'autres choses auxquelles je ne m'entends point. Le
+saint-père, parce que ses florins lui tenaient au c&oelig;ur, me donna cent
+cinquante cavaliers pour convoyer mes trente mulets; des cavaliers, je
+puis le dire, que l'air en tremblait. On va, nous passons fleuves et
+monts sans faire une rencontre, lorsque, engagés dans une vallée du la
+Savoie je commençai à remarquer certaines figures qui ne promettaient
+rien de bien. «N'ayons pas peur, dirent les cavaliers français; nous ne
+faisons qu'une bouchée des Italiens.» Il faut dire qu'ils ne s'étaient
+pas bien recommandés à saint Christophe pour avoir un bon voyage, parce
+que les Français ont toutes les bonnes qualités, mais peu de dévotion.
+Pendant que nous vidions, non pas une bouteille, mais un tonneau, voici
+toute la bande, Dieu sait combien ils étaient! qui nous tombe sur le
+dos. Ferme, prends, frappe, laisse: ces Français paraissaient autant de
+paladins Roland. Mais il faut avouer qu'au jeu des mains, les Italiens
+n'ont pas leurs pareils au monde. En somme, ces gens, qui étaient de
+Pavie, démontèrent les Français, et après les avoir débarrassés du poids
+de leur armure et de leurs bagages de cavaliers, les renvoyèrent à
+Avignon à pied, comme des pèlerins; puis il m'enlevèrent juste la moitié
+de mon argent et de mes mules, chose qui n'était point encore arrivée
+depuis que les pedrocchi vont de Gallarate en France. Et je dus conduire
+au cardinal-légat ce qui me restait.»</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/36-09.png"></p>
+
+<p>Lorsque Pusterla arriva sur la cime des monts qui séparent les deux
+contrées, il s'arrêta, regarda de tous côtés le ciel et la terre. Les
+genoux semblaient lui manquer, et Pedrocco lui demanda s'il se trouvait
+mal. Il répondit en soupirant: «Ici finit l'Italie!</p>
+
+<p>--L'Italie, s'écria Pedrocco, Votre excellence pourra la trouver dans
+Avignon. Là, cardinaux, serfs, camériers, poètes, bouffons, tout est
+Italien.</p>
+
+<p>--Et connaissez-vous dans cette ville d'Avignon Guillaume Pusterla?</p>
+
+<p>--Qui? l'archiprêtre de Moura? Je l'ai accompagné, moi-même.</p>
+
+<p>--Et comment se trouve-t-il?</p>
+
+<p>--Très bien; gras, triomphant; il est d'une santé à passer cent ans.</p>
+
+<p>--Je le sais; mais je demande si le pape le favorise, s'il connaît les
+disgrâces de sa famille à Milan, s'il est bien vu à la cour.</p>
+
+<p>--Ce sont des choses auxquelles je n'entends rien.» Après un court
+séjour à Paris, Pusterla vint dans cette partie tout italienne de la
+France, comme le lui avait dit Pedrocco, c'est-à-dire dans le comtat
+Venaissin. A peine arrivé à Avignon, il s'informa de la demeure de
+l'archiprêtre de Moura, Guillaume Pusterla, son oncle, et il fut reçu
+par le digne, prélat avec toute la joie imaginable. L'argent que
+Pusterla avait placé sur les principales maisons de commerce de la
+France, et qui s'élevait à des sommes très-considérables, lui permit de
+mener, malgré la confiscation de ses biens, un train convenable à son
+renom et à sa naissance. Son oncle le mit en rapport avec tous les
+dignitaires ecclésiastiques d'Avignon, et aussi avec les hommes qui se
+distinguaient le plus par leur science, entre autres avec Pétrarque.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/36-10.png"></p>
+
+<p>Cependant Pusterla avait toujours espéré que le pape se prêterait tôt ou
+tard aux desseins qu'il avait formés contre Luchino, lorsqu'un événement
+inattendu détruisit tout à coup ses espérances. Des envoyés de Luchino
+vinrent à Avignon solliciter le pardon du saint-père; et le naturel
+bienveillant de Benoît XII, incapable de chicaner sur les conditions,
+rendit la réconciliation plus prompte et plus facile. L'interdit qui
+pesait sur les Milanais depuis vingt ans fut levé par le pape, et en
+retour Luchino reconnut la suprématie de la papauté sur l'empire, son
+droit de nommer au trône vacant, et son indépendance absolue de la
+puissance impériale. Il devait en outre payer au saint-siège un tribut
+annuel de soixante mille florins. Ce fut l'archiprêtre de Moura qui
+annonça cette nouvelle à Pusterla. «Et des exilés, des prisonniers, le
+traité n'en a-t-il pas fait mention? demanda celui-ci.</p>
+
+<p>--Aucune, répondit l'archiprêtre. Le pape recommande aux seigneurs de
+Milan d'être pieux, généreux, plus prompts à récompenser qu'à punir,
+s'ils veulent que le Seigneur en fasse autant avec eux. Mais, mon neveu,
+à peine puis-je contenir ma joie en pensant aux contentements des
+Milanais et de mes bons habitants de Moura, lorsqu'ils vont apprendre
+l'heureuse nouvelle! Les églises ouvertes de nouveau, leurs morts
+ensevelis en terre bénite, les chants qui leur seront rendus, le bonheur
+de revoir les cérémonies solennelles qu'ils n'avaient pas vues depuis
+vingt ans.» En parlant ainsi, les larmes venaient aux yeux du bon
+archiprêtre; mais l'heureuse nouvelle, comme il disait, causa bien de
+mauvaises nuits à Pusterla, par la perte de ses espérances.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/36-11.png"></p>
+
+<p>Sur ces entrefaites, Ramengo arriva à Avignon et se présenta à Pusterla
+comme un ami. En effet, c'était un ancien client de sa famille, et qu'il
+s'était lui-même attaché par des bienfaits. Il avait été l'époux de
+cette Rosalie qui lui avait inspiré tant de compassion, s'il ne l'avait
+point aimée d'amour. Ses crimes énormes, ses tentatives contre l'honneur
+de Marguerite, lui étaient inconnus. Quant à sa dernière trahison,
+Alpinolo, dans le premier moment, s'était jeté aux pieds de Pusterla
+avec l'intention de lui confesser sa propre faiblesse et la criminelle
+perfidie de Ramengo. Mais pour courir à la recherche de Marguerite, il
+avait interrompu sa confession, et si on ne fait point de tels aveux
+dans le premier élan d'un généreux repentir, la réflexion nous en ôte
+ensuite le courage.</p>
+
+<p>Aussitôt qu'il vit Ramengo, notre exilé l'aborda avec cordialité, en lui
+demandant: «Êtes-vous venu de vous-même ou par contrainte?</p>
+
+<p>--Moitié l'un, moitié l'autre,» répondit Ramengo; et il imagina autant
+de mensonges qu'il lui en fallait pour exciter la compassion et gagner
+la confiance de son seigneur. Voyant en lui un concitoyen exilé comme
+lui, comme lui persécuté et peut-être pour lui, Pusterla trouvait à
+Ramengo des titres suffisants pour qu'il l'accueillit à bras ouverts, le
+désirât pour son hôte, et se mit à entamer avec lui ces premiers sujets
+de la conversation du banni: la patrie et la famille.</p>
+
+<p>Le traître avait trop beau jeu. Par un facile mélange du faux et de
+vrai, Ramengo sut non-seulement éloigner tout soupçon de l'âme du
+lombard, mais encore acquérir entièrement sa confiance. Avec une fougue
+d'autant plus grande que depuis longtemps elle n'avait point trouvé à
+s'assouvir, Francesco exposa au nouveau venu ses déceptions à cause du
+nouveau traité conclu par te saint-père avec Luchino, et du soupçon
+qu'il avait conçu que les ambassadeurs de ce prince avaient machiné de
+le prendre par violence, et de le traîner à Milan; soupçon, à vrai dire,
+fondé sur un trop grand nombre d'exemples d'une semblable déloyauté.</p>
+
+<p>Nos lecteurs doivent se souvenir que Ramengo avait montré aux réfugiés
+de Pise certaines lettres de Martino della Scala, qu'il se disait chargé
+de remettre à Pusterla. C'était encore une de ses trame». Sachant que
+Franciscolo était dans les bonnes grâces de Scaliger, et comment il
+avait été excité à la vengeance pendant qu'il était à Vérone, d'accord
+avec Luchino, il feignit une lettre dans laquelle Martino annonçait
+qu'une rupture définitive allait éclater, par ses soins, entre lui et
+Luchino. Il invitait Pusterla à se rendre à sa cour, lui promettant de
+larges honoraires et une autorité égale au mérite d'un homme si
+généralement cher et révéré, qui entraînerait sous ses drapeaux tous
+ceux qui désireraient rendre la liberté à leur patrie et la recouvrer
+pour eux-mêmes.</p>
+
+<p>C'était frapper un coup de maître sur une âme ambitieuse et inquiète
+comme celle de Pusterla. Ramengo, battant le fer pendant qu'il était
+chaud, lui exposa l'état de toute l'Italie, ce qu'il avait pu pénétrer
+des desseins des bannis pendant son séjour à Pise. Il raconta comment il
+s'était abouché et entendu avec ces derniers, et même qu'il venait de
+leur part le solliciter de prendre pitié de la patrie, qui lui demandait
+merci; de sortir d'un repos apathique; de se souvenir comment Matteo
+Visconti, après neuf années, était revenu au pouvoir, parce que les
+fautes des Porrian dépassaient les siennes.</p>
+
+<p>Flottant entre son imagination, qui souriait à un avenir de vengeance et
+de tendresse, et les conseils de son oncle et ceux de Buonvicino;
+quelquefois résolu de tenter toute chose pour sortir de ce calme
+homicide; quelquefois ayant soif de paix, de ce repos dont il se sentait
+plus désireux que capable, il était dans la pire des conditions; celle
+de l'homme qui ne sait pas prendre un parti.</p>
+
+<p>«Pourquoi ne recourez-vous pas à Pommaso Pezzano?» lui dit Ramengo. Le
+Pezzano était un astrologue de ce temps fort renommé dans Avignon; et
+c'était alors, et non pas seulement alors, un expédient excellent pour
+les esprits faibles et indécis, que de substituer aux calculs de la
+prudence les prophéties d'un imposteur. Le conseil plut à Francesco.
+L'astrologue, après avoir fait montre d'études et de connaissances
+mystérieuses, lorsqu'il eut observé pendant plusieurs jours la main de
+Pusterla et les étoiles, formé l'horoscope et trouvé <i>l'ascendant</i>, lui
+annonça alors que sa vie était en grand danger, et une quelqu'un, sous
+de gracieuses apparences, cherchait à le livrer à ses pires ennemis.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/36-12.png"></p>
+
+<p>Il n'en fallut pas davantage pour confirmer Pusterla dans le doute qu'il
+avait déjà conçu que la cour pontificale voulait le livrer, comme une
+victime, à Visconti réconcilié. Il fit donc les préparatifs de son
+départ. Quelques raisons que lui apportât son oncle, quelques
+exhortations qu'il lui fit, les larmes aux yeux, d'écouter la divine
+sagesse, qui taxe de folie ceux qui dépensent leur argent à tenter la
+ruine des puissants, quelques assurances qu'il lui donnât qu'il n'avait
+point à craindre de trahison si noire des prêtres d'un Dieu de justice,
+Pusterla se confirmait d'autant plus dans son projet de revenir en
+Italie, «Enfin, disait-il, quel mal peut-il m'arriver? Je ne me livre
+point aux mains de mon persécuteur; je ne me confie point aveuglement à
+une indulgence, à une générosité mensongères. Non: je reverrai
+l'Italie.--Italie! qui peut proférer ton nom sans ajouter belle et
+infortunée! Je m'approcherai de mes amis, de Marguerite. De là, je
+pourrai comprendre et apprécier la situation de ma patrie; et mieux que
+dans Avignon, terre de prêtres, je trouverai un sûr et honorable asile
+dans Pise: Pise libre, souveraine des mers et ennemie des Visconti!»</p>
+
+<br><br>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/010a.png"><br>
+
+<h2>Modes.</h2>
+
+<p>La fourrure et le velours commencent à dominer dans toutes les
+toilettes, et les plus merveilleux pardessus, paletots et même twines
+seront bordés de martre. La forme qui semble vouloir être adoptée par
+les femmes élégantes est celle dit kazadaveka, dont nous donnons
+aujourd'hui le modèle, pour la promenade, il doit être plus long. En
+velours garni de fourrure, il est charmant.</p>
+
+<p>L'autre figurine porte un pardessus en satin avec collet et des manches
+qui s'ajustent à volonté; c'est presque l'ancien witchoura serrant la
+taille.</p>
+
+<p>Pour les sorties de bal on fait de très-grands mantelets à capuchon
+bordé de cygne ou d'hermine.</p>
+
+<p>Quant aux twines, puisque cette mode anglaise, déjà acceptée par les
+hommes, semble prendre aussi une place importante dans nos toilettes, et
+qu'ainsi elle devient française, disons que ces vêtements se font en
+drap-cachemire brodé en soutache et doublé en fourrures on en satin; le
+collet, fait a peu près comme le collet des habits, est recouvert de
+fourrures, et peut se dresser pour garantir le cou du froid; les manches
+sont aussi comme celles des homme, mais plus larges du haut, afin de
+laisser libre le passage de la robe; les parements en fourrures
+permettent aux mains de se cacher dessous en l'absence du manchon, qui
+souvent est gênant par un temps pluvieux.</p>
+
+<p>Les jupes des robes conservent beaucoup d'ampleur, mais on a supprimé
+les tournures et les jupes crinolines. La taille gagne beaucoup de grâce
+à être entourée seulement des plis de la robe. Les manches des robes de
+sortie se finit plus souvent justes; la variété est dans l'arrangement
+des ornements; c'est une affaire de goût et d'intelligence.</p>
+
+<p>Pour le matin, nous recommandons une redingote en satin, avec des
+chevrons en velours posés sur le devant de la jupe, et au bout de chaque
+chevron, un n&oelig;ud en passementerie terminé par des glands;--le corsage
+montant est orné de la même garniture répétée en s'élargissant vers le
+haut.</p>
+
+<p>Un chapeau de velours avec un grand voile en dentelle est simple, mais
+distingué.</p>
+
+<p>Bientôt nous aurons à raconter les élégances du soir, car voici qu'on a
+quitté la vie de château pour la vie de salon. On se retrouve, on
+s'assemble, et la première, la plus importante affaire, c'est la
+toilette; il faut donc s'en occuper; ainsi ferons-nous.</p>
+<br><br>
+
+<h2>Amusements de sciences</h2>
+
+<h4>SOLUTION DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS LE DERNIER NUMÉRO.</h4>
+
+<p>I. Cette épitaphe est celle du célèbre Diophante, la voici en vers
+latins, telle qu'elle a été donnée dans l'anthologie grecque:</p>
+
+<div class="poem"><div class="stanza">
+<p class="i14"> Hic Diophantus habet tumulum, qui tempora vitæ</p>
+<p class="i14"> Illius mira denotat arte tibi:</p>
+<p class="i14"> Egit sextantem juvenis; lanugine mala</p>
+<p class="i14"> Vestire hinc c&oelig;pit parte duodecima;</p>
+<p class="i14"> Septante uxori post haec sociatur, et anno</p>
+<p class="i14"> Formosus quinto nascitur inde puer.</p>
+<p class="i14"> Semissem ætatis postquam attigit ille paternæ</p>
+<p class="i14"> Infelix subita morte peremptus obit</p>
+<p class="i14"> Quatuor æstates, genitor lugere superstes</p>
+<p class="i14"> Cogitur, hinc annos illius assequere.</p>
+</div></div>
+
+<p>Pour trouver l'âge de Diophante à sa mort, il faut trouver un nombre
+dont le sixième, le douzième, le septième et la moitié, en y ajoutant 5
+et 4, fassent le nombre lui-même. Ce nombre est 84.</p>
+
+<p>II. La solution de ce problème est des plus faciles. La première
+personne a eu 160 fr.; la seconde, 125 fr.; la troisième, 95 fr., et la
+quatrième, 120 fr.</p>
+
+<p>Il faut remarquer que, sans la dernière condition, ou une quatrième
+quelconque, le problème serait indéterminé, c'est-à-dire qu'on pourrait
+y satisfaire d'une infinité de manières. C'est cette dernière condition
+qui limite la solution à une seule.</p>
+
+<p>III. Placez sur le tapis d'un billard une bille, et frappez-la, sur le
+côté, d'un coup perpendiculaire au billard et avec le tranchant de la
+main; vous la verrez, marcher quelques centimètres du côté où doit la
+porter ce coup; puis rétrograder en roulant, sans avoir remontré aucun
+obstacle et comme d'elle-même.</p>
+
+<p>Cet effet n'est pas contraire à ce principe de mécanique si connu qu'un
+corps mis une fois en mouvement dans une direction, continue de s'y
+mouvoir tant qu'aucune cause étrangère ne l'en détourne; car, dans le
+cas proposé, voici comment les choses se passent:</p>
+
+<p>Le coup imprimé, comme on vient de dire, à la bille, lui donne deux
+mouvements, un de rotation autour de son centre, et un autre direct, par
+lequel son centre se meut parallèlement au tapis, dans la direction du
+coup. Ce dernier mouvement ne s'exécute qu'en frottant le tapis, ce qui
+l'anéantit bientôt. Mais le mouvement de rotation autour du centre
+subsiste, et, le premier une fois cessé, il fait rouler la bille comme
+pour revenir sur elle-même. Ainsi il n'y a dans cet effet rien que de
+très-conforme aux lois connues de la mécanique.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010b.png"></p>
+
+<p>IV. Il est aisé de voir que si le poids C était précisément au milieu de
+la barre AH, les deux personnes en porteraient chacune la moitié; mais
+si le poids n'est pas au milieu, on démontre, et il est aisé de le
+démontrer, que les parties du poids soutenu par les deux personnes sont
+en raison inverse de leur distance au poids. Il est donc question de le
+diviser en raison des distances, et la plus grande portion sera celle
+que soutiendra la personne la plus voisine du poids, et la moindre sera
+celle que soutiendra la plus éloignée. Le calcul se fera par la
+proportion suivante;</p>
+
+<p>La longueur totale du levier AB est à la longueur AE comme le poids
+total est au poids soutenu par la puissance qui est à l'autre extrémité
+B; on AB est à BE comme le poids total est à la partie soutenue par la
+puissance placée en A.</p>
+
+<p>Soient, par exemple, AB de trois mètres, le poids C de 150 k., AE de 2
+m, et BE de 1 m.; vous aurez cette proportion: 3 est à 2 comme 150 est à
+un quatrième terme, qui sera 100. Ainsi, le porteur place à l'extrémité
+B portera 100 kilog.; conséquemment la puissance placée en A ne sera
+chargée que de 50 kilog.</p>
+
+<p>La solution de ce problème donne le moyen de repartir un poids
+proportionnellement à la force des agents qu'on emploie à le soulever:
+car, si l'un des deux est, par exemple, de la moitié moins fort que
+l'autre, il n'y aura qu'à le placer à une distante du poids double de
+l'autre.</p>
+
+<h4>NOUVELLES QUESTIONS À RÉSOUDRE.</h4>
+
+<p>I. Quinze chrétiens et quinze Turcs se trouvent sur mer dans un même
+vaisseau; il survient une furieuse tempête. Après avoir jeté dans l'eau
+toutes les marchandises, le pilote annonce qu'il n'y a de moyen de se
+sauver que de jeter encore à la mer la moitié des personnes. Il les
+l'ait ranger de suite, et, en comptant de 9 en 9, on jette le neuvième à
+la mer, en recommençant à compter le premier du rang quand il est fini.
+Il se trouve qu'après avoir jeté quinze personnes, les quinze chrétiens
+sont restés. Comment le pilote a-t-il disposé les trente personnes pour
+sauver les chrétiens?</p>
+
+<p>II. Comment peut-on distribuer commodément 4, 8, 16, 32 hommes pour
+porter un fardeau considérable sans s'embarrasser?</p>
+
+<br><br>
+
+<h4>EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.</h4>
+
+<p class="mid">Ainsi que la vertu, le crime a ses degrés.</p>
+<br><br>
+
+<p class="mid">TYPES DE L'ANCIENNE COMÉDIE<br><img alt="" src="images/010c.png"></p>
+<br>
+
+<p class="mid">RÉBUS COMMUNIQUÉ PAR UN JEUNE<br> ABONNÉ A L'ILLUSTRATION<br> <img alt="" src="images/010d.png"></p>
+
+
+
+
+
+
+<br><br>
+</div>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre
+1843, by Various
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 4 NOV 1843 ***
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+Produced by Rénald Lévesque
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
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+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
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+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
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+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
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+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+
+</pre>
+
+</body>
+</html>
+
+
+
+
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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Binary files differ
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