diff options
| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 20:12:46 -0700 |
|---|---|---|
| committer | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 20:12:46 -0700 |
| commit | aaf548afecab535ec0dc60cd2e4554158daa6f68 (patch) | |
| tree | e0e2c2c49612732251f993a80dd73b52893da084 | |
| -rw-r--r-- | .gitattributes | 3 | ||||
| -rw-r--r-- | 39436-8.txt | 2934 | ||||
| -rw-r--r-- | 39436-8.zip | bin | 0 -> 66129 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h.zip | bin | 0 -> 2297659 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/39436-h.htm | 3007 | ||||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/001.png | bin | 0 -> 69101 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/001a.png | bin | 0 -> 23599 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/001b.png | bin | 0 -> 28852 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/002a.png | bin | 0 -> 12801 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/002b.png | bin | 0 -> 18476 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/003large.png | bin | 0 -> 769249 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/003small.png | bin | 0 -> 218098 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/004.png | bin | 0 -> 22617 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/005a.png | bin | 0 -> 23207 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/005b.png | bin | 0 -> 12302 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/005c.png | bin | 0 -> 73006 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/006a.png | bin | 0 -> 98972 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/006b.png | bin | 0 -> 34626 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/007a.png | bin | 0 -> 87172 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/007b.png | bin | 0 -> 69435 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/008a.png | bin | 0 -> 50571 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/008b.png | bin | 0 -> 78023 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/009.png | bin | 0 -> 55241 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/010a.png | bin | 0 -> 49705 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/010b.png | bin | 0 -> 8565 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/010c.png | bin | 0 -> 7116 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/010d.png | bin | 0 -> 33683 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/36-01.png | bin | 0 -> 9833 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/36-02.png | bin | 0 -> 26403 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/36-03.png | bin | 0 -> 24294 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/36-04.png | bin | 0 -> 20408 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/36-05.png | bin | 0 -> 19742 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/36-06.png | bin | 0 -> 9765 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/36-07.png | bin | 0 -> 27196 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/36-08.png | bin | 0 -> 39372 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/36-09.png | bin | 0 -> 34542 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/36-10.png | bin | 0 -> 28225 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/36-11.png | bin | 0 -> 23396 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/36-12.png | bin | 0 -> 32823 bytes | |||
| -rw-r--r-- | 39436-h/images/cover.jpg | bin | 0 -> 86863 bytes | |||
| -rw-r--r-- | LICENSE.txt | 11 | ||||
| -rw-r--r-- | README.md | 2 |
42 files changed, 5957 insertions, 0 deletions
diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..6833f05 --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,3 @@ +* text=auto +*.txt text +*.md text diff --git a/39436-8.txt b/39436-8.txt new file mode 100644 index 0000000..3453e4c --- /dev/null +++ b/39436-8.txt @@ -0,0 +1,2934 @@ +Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre 1843, by Various + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre 1843 + +Author: Various + +Release Date: April 12, 2012 [EBook #39436] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 4 NOV 1843 *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + + +L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre 1843 + +L'ILLUSTRATION, +Nº 36. Vol. II.--SAMEDI 4 NOVEMBRE 1843. +Bureaux, rue de Seine, 33. + + +Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois. 16 fr.--Un an, 30 fr. +prix de chaque Nº. 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75. + +Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. +Pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40 + + + +SOMMAIRE. Une visite au poète Jasmin. _Portrait et Maison de Jasmin; +Coupe et Laurier d'or donnés à Jasmin_.--Histoire de la Semaine.--Le +Page, romance. Paroles de M. E. de Lonlay; musique de M. Donizetti +_Gravure_.--Théâtre-Italien. Belisario, _Portrait de +Fornasari_.--Courrier de Paris. _Madame Paradol; le Protée +anguillard._--Les Vendanges. _Sept Gravures_.--Romanciers contemporains. +Charles Dickens. Martin fait de nouvelles connaissances et Mark un +nouvel ami. _Gravure_.--Margherita Pusterla. Roman de M. César Cantù. +Chapitre XV, le Père et le Fils; chapitre XVI, l'Exilé, _douze +Gravures_.--Annonces.--Modes. _Gravure_.--Amusements des Sciences. +_Gravure_.--Rébus. + + + +Une visite au poète Jasmin. + +Agen, cette ville ancienne, située au coeur de la Gascogne, sur les +rives admirables d'un fleuve qui a besoin d'être plus vanté; Agen, avec +sa cathédrale byzantine, sa maison de Montluc, sa promenade superbe du +_Gravier_, ses ponts si beaux sur la Garonne, où vient s'ajouter un +dernier miracle de l'art, le pont-aqueduc; Agen cependant, aux yeux du +voyageur, à la pensée même de l'Agenois et de l'habitant du Midi, n'a +qu'une seule merveille, une au moins qui absorbe toutes les autres: +c'est un coiffeur-poète, un homme de génie tout bonnement, qui rase et +coiffe; mais cet homme est l'homme du Midi. + +[Illustration: Jasmin.] + +Il y a bien aussi, dans cette France méridionale, un autre homme qui, +par sa poésie et sa condition, a quelque similitude avec Jasmin; c'est +Reboul, le boulanger de Nîmes. Mais cette circonstance n'est +qu'apparente; Reboul n'est homme du Midi et boulanger que par hasard; ce +n'est pas là sa condition réelle, C'est un littérateur d'esprit et, +élégant, comme tant d'autres; c'est un des mieux placés dans cette +légion d'astres qui gravitent, en le reflétant, autour de ce soleil qui +se nomme Lamartine. Mais n'allez pas lui demander des vers en patois; sa +langue est celle de Paris; il en connaît tous les secrets, toutes les +formes mélancoliques et harmonieuses; il vous variera avec charme cet +éternel thème de douleur, de religion et d'amour qui, depuis 1820, a +fait germer deux mille volumes de vers. Ce qui le distingue cependant et +le met hors ligne, c'est qu'il est boulanger; mais ceci est le +secondaire et l'accident de sa vie.--Une dame du grand monde, entendant +parler des succès diplomatiques et des tableaux de Rubens, disait +nonchalamment: «Ce Rubens était donc un ambassadeur qui s'amusait à +peindre?--Eh! non pas, madame, répondit Van-Dyck: c'était un peintre qui +s'amusait à être ambassadeur.» Reboul est un homme de beaucoup d'esprit +qui s'amuse à être boulanger. + +Tel n'est pas Jasmin. Là, au contraire, est une nature supérieure, +vierge, originale, un génie qui n'a d'autre source que dans lui-même, et +qui s'est fait un lit et des rives pour y verser et y promener une +poésie étrange et inconnue. C'est un homme qui, parlant une langue soeur +de celle du Dante, mais aujourd'hui dédaignée et presque proscrite, s'en +est hardiment emparé, l'a épurée, agrandie et fixée. Cette langue allait +mourir, disaient-ils, et lui la ressuscite et la baptise au nom de la +poésie et du génie; et ses poèmes, qui ne peuvent périr, entraînent avec +eux l'idiome dans leur immortalité. + +Quel est donc cet homme extraordinaire devenu ainsi la gloire et presque +l'idole du midi de la France? Il nous serait facile de répondre à cette +demande en analysant et pillant au besoin les excellents et charmants +articles publiés déjà sur lui par MM. Nodier, Sainte-Beuve, Lavergne et +tant d'autres; mais peut-être voudra-t-on bien préférer à ce +transvasement des pensées et des phrases d'autrui des impressions +personnelles et toutes récentes. Je vais donc raconter avec une vérité +simple la visite que j'ai faite il y a peu de jours à Jasmin. + +Sur le bateau à vapeur qui mène de Bordeaux à Agen, tous les hommes du +Midi m'avaient d'avance répondu à la question que j'allais leur faire; +«Jasmin! vous trouverez sa boutique sur la promenade, près du pont +suspendu. Au-dessus est écrit: _Jasmin, coiffeur des jeunes gens_. Au +reste, tout le monde vous l'indiquera.» M. de Talleyrand, à qui l'on +demandait l'adresse de la princesse de Vaudemont, répondait: +«Demandez-la au premier pauvre que vous rencontrerez dans la rue.» En +Gascogne, tout le monde connaît la demeure du poète, comme à Paris tous +les pauvres savaient où vivait la bienfaisance. + +Arrivé à Agen, et devant cette boutique célèbre, j'en examinai +curieusement l'aspect extérieur. Les boutiques des coiffeurs de la rue +Saint-Marcel ou du Gros-Caillou sont assurément plus splendides que +celle du poète. Les bustes traditionnels en cire ou en carton ne se +voient même pas sur la devanture vitrée et étroite, qui se couronne par +une planche avec ces mots: _Jasmin, coiffeur des jeunes gens_; au-dessus +est un seul étage, avec une seule croisée, puis le toit. D'ailleurs dans +la montre rien ne révèle l'auteur; pas un livre, pas une affiche; des +objets de toilette parlent pour le seul coiffeur. + +J'entrai dans la boutique. Elle est étroite et petite; trois chaises et +un fauteuil en paille la meublent; tout autour, des armoires vitrées +regorgent de perruques, de flacons, de peignes et de parfumerie; une de +ces armoires, la plus obscure, contient quelques livres: à coté d'elle, +dans le même coin, un petit guéridon est chargé de journaux, de lettres, +de livres: c'est le coin du poète. + +La femme de Jasmin était alors seule. «Mon mari va descendre,» dit-elle. +Quelques instants après entrait dans la boutique un homme de +quarante-cinq ans, de taille moyenne, mais vigoureux et trapu, la tête +forte, le teint animé, la lèvre épaisse, les cheveux crépus, les yeux +pleins de feu, une physionomie que plus tard je vis bien être aussi +mobile qu'énergique. Il était vêtu d'un paletot dont les soieries et la +ganse étaient fort fanées. C'était Jasmin. + +[Illustration: Maison de Jasmin.] + +Il me lit asseoir sur le fauteuil de paille, et lui-même prit une chaise +auprès de sa femme.. Cette double condition de poète et de coiffeur +embarrassait ma démarche, et j'attaquai d'abord le coiffeur. «Monsieur, +lui dis-je, je, dîne au château de la Garde, à quatre lieues d'ici. Je +ne sais si j'aurai le temps de faire ma barbe avant l'heure du dîner.... +et je viens...» Jasmin me répondit qu'il ne lui paraissait pas qu'il y +eût besoin de me raser... mais en étudiant un petit froncement presque +imperceptible dans sa bouche et ses yeux, je lui dis de suite que ceci +n'était qu'un prétexte, et que le véritable but de ma démarche était de +venir trouver l'homme éminent et de connaître le poète. + +Alors la physionomie de Jasmin devint tout à coup brûlante et splendide +d'animation, de froide et indifférente qu'elle était. «Savez-vous ma +langue? s'écria-t-il en changeant de chaise et en se rapprochant de +moi.--Non.--Ah! mon Dieu, quel malheur! mais c'est égal, j'essaierai de +vous la faire sentir.» Et tout à coup, sans autre prologue, le poète, +avec une chaleur d'esprit et un enthousiasme dont on ne peut rendre +compte, dans un excellent langage français d'ailleurs, se livrait à une +improvisation saisissante et à une théorie de son art de poète et du +génie de sa langue, dont je regrette; bien de ne pouvoir donner ici une +idée. + +«Quel bonheur pour moi, disait-il, de m'être servi de la langue du mon +pays! quoique vieille, elle est vierge; aucun antécédent, pour ainsi +dire, aucune règle, aucune de ces épurations énervantes ne lui +commandent. Elle est libre, fière, neuve dans la littérature, et elle +peut s'enrichir sans contrôle des paroles de ses soeurs qui nous +entourent, des langues espagnole, italienne, et de toutes celles du +Midi. + +«C'est ce qui fait mon bonheur, et peut-être ma force. Votre langue, au +contraire, quelle est-elle? Enervée de règles, d'entraves, de liens de +goût et de purisme, épuisée par la multitude et la fécondité des +auteurs, elle est vieille et caduque. C'est une langue admirable, sans +doute, pour la vie de la nation; mais c'est une langue tuée pour la +poésie.--Aussi on dit que la poésie meurt en France; c'est parce que la +langue poétique meurt qu'on le dit; car la poésie elle-même peut-elle +mourir? Et soyez, attentif à ceci: examinons la manière de Victor Hugo? +Qu'a-t-il cherché, ce grand poète, si ce n'est la langue qui lui manque. +Remarquez qu'il a voulu l'électriser et la ressusciter, pour ainsi dire, +par la bizarre recherche des mots et des formes, par le grandiose +quelquefois exagéré des idées. Le voyez-vous au milieu de cette +tourmente de son génie? D'où vient cette agitation? D'est que +l'instrument lui manque; sa langue usée et morte lui répugne; il veut se +faire une langue nouvelle dans la sienne. Moi, au contraire, j'ai la +mienne, comme je vous le disais, pure, vierge, hardie, vive, le bouquet +de fleurs d'oranger au côté; et c'est moi, moi seul jusqu'ici à qui le +bon Dieu a accordé de la mener à l'autel. + +«Avec une pareille liberté et un tel bonheur, la poésie devient facile +et naïve comme elle doit être; le vrai et le simple sont seuls touchants +et poétiques. Aussi tous mes efforts tendent là.--Je ne dis pas +_l'Éternel, le Dieu tout-puissant_, etc., mais le boun Diou, et l'idée +de Dieu n'en arrive-t-elle pas au coeur plus vive et plus tendre? Où est +la plus belle poésie, la vraie, si ce n'est dans ces vers de Béranger?» + +Et Jasmin, se levant, me dit avec un art prodigieux et les inflexions +d'un comédien consommé ces vers: + + Mes enfants, dans ce village, + Suivi des rois, il passa; + Voilà bien longtemps de ça: + Je venais d'entrer en ménage. + A pied grimpant le coteau + Où, pour voir, je m'étais mise, + Il avait petit chapeau + Avec redingote grise, + Près de lui je me troublai. + Il me dit: Bonjour, ma chère! + Bonjour, ma chère! + --Il vous a parlé, grand'mère! + Il vous a parlé! + +«Vous allez entendre mes vers, continua-t-il; vous verrez, vous verrez. +C'est la nature, la douleur, la joie comme Dieu les fait.» + +Alors il se leva, et avec une pantomime sublime, car il pleurait de +vraies larmes, il fit la scène poétique qu'il voulait peindre. «Mon +fils! mon fils! mon pauvre enfant! Il est mort. Le voilà, mon ami, le +voilà! Ah! mon Dieu, ah! mon Dieu, mon pauvre _Dodo_, mort! Là, voilà sa +chaise, ses babils, ses livres. Oh! mon Dieu! + +«Voilà la nature, monsieur, voilà ma poésie. Cette scène était +attendrissante au plus haut degré. «Maintenant je vais vous lire mes +vers,» dit-il. J'attendais avec impatience cette offre, sachant +l'admirable talent de lecture du poète. + +«Combien pouvez-vous me donner de temps? dit-il.--Jusqu'à trois heures +et demie; la voiture de Caillat m'attend à cette heure.--Ah! mon Dieu! +quel malheur! Ah! mon Dieu! je ne pourrai pas vous lire +Francounette,--ni l'Aveugle du Castel-Cuillé non plus! Quel malheur! + +En ce moment, entre un étranger. «Je suis de ce pays, monsieur, mais +j'habite Genève, et dans cette ville tout le monde me parle de vous, on +m'en veut de ne pas vous connaître.--Vous êtes d'Agen? dit Jasmin.--Non +pas, mais de S....» Alors Jasmin de lui serrer la main, de lui parler +gascon, mais sans le faire asseoir et sans le retenir.--L'étranger +partit bientôt. + +«A nous donc! s'écria Jasmin; qu'est-ce que je vais vous lire? Ah! mon +Dieu, quel dommage une vous ayez si peu de temps!--quel malheur de ne +pas lire _l'Aveugle!_--Ah! monsieur, c'est si touchant, si beau! cette +pauvre fille qui meurt frappée de Dieu au moment où elle allait se tuer +elle-même! vous verrez, vous verrez!» + +Et il feuilletait son livre, ravi à chaque pièce qu'il voyait; et il +s'arrêta enfin à celle-ci: + +_A un riche Agriculteur_ qui sans cesse l'invitait à aller s'établir à +Paris, où il ferait fortune. + +«Suivez sur la traduction française qui est en regard, me dit-il, et +vous me comprendrez; et arrêtez-moi la où vous ne sentirez pas le mot +gascon. + +Et il lut délicieusement cette pièce: + + Et bous tabé, Moussu, sans cregne + De troubla mous jours et mas neys + M'escribes de pourta ma guittaro et moun pegne + Dins la grando bilo des Reys!... + + Et vous aussi, monsieur, sans craindre + De troubler mes jours et mes nuits, + Vous m'écrivez d'aller porter ma guitare et mon peigne + Dans la grande ville des Rois!... + +Il terminait cette lecture entrecoupée de remarques, de commentaires et +des élans de la plus naïve et de la plus charmante satisfaction, +lorsqu'un second étranger entra. + +C'était un jeune lion parisien égaré dans cette Lombardie, de la +Garonne; il tenait en laisse un chien d'arrêt magnifique, dont il était +aussi fier qu'embarrassé; il venait évidemment pour voir Jasmin, dont le +nom se trouvait sur son _agenda_ dans le Lot-et-Garonne.--Ce mélange de +poésie et de pommade parut l'ébranler.» Je voudrais, dit-il en +balbutiant, faire faire ma barbe.» Et comme si un remords l'eût saisi à +propos de cette barbe très-problématique sur son menton si jeune; «Ou me +faire couper les cheveux,» ajouta-t-il. + +Jasmin paraissait désespéré. «Je suis à vous, monsieur,» dit-il; et il +allait prendre des ciseaux... Il me faisait, avec des haussements +d'épaules et des yeux terribles, la pantomime du dérangé et de +l'ennuyé... Quant au jeune lionceau, il ne tenait guère au reste de la +chose; il avait vu Jasmin, son but était rempli, il pouvait désormais en +parler dans le monde, ce qui lui suffisait.--Aussi bâillait-il déjà. +Jasmin sentit la chose, «Mon Dieu, monsieur, je suis occupé; seriez-vous +assez bon pour revenir dans une demi-heure?--Tout à fait,» dit le jeune +homme, Et il sortit avec son chien. + +«Quel bonheur! s'écria Jasmin. Vous avez encore du temps, n'est-ce pas? +Ma femme, va donc prévenir Caillat, et voir si la voiture retardera son +départ? + +Maintenant, monsieur, je vais vous lire une pièce bien jolie; +voyez-vous, c'est le coeur qui l'a faite: c'est _la Caritat_. Suivez, +suivez bien, et arrêtez-moi si vous ne comprenez pas. + +Il est impossible de rendre la manière enchanteresse avec laquelle +Jasmin fit cette lecture;--il était vivement ému.--Son émotion passa +bien tôt à une sorte d'exaltation de lui-même qui avait sa grandeur, +«Monsieur, disait-il, mes vers ont aussi leur puissance de charité; avec +eux, avec mes lectures publiques, j'ai fait donner plus de 40,000 fr. +aux pauvres ou à d'autres oeuvres. Il y a un clocher qui s'élève, et il +porte mon nom; c'est le _Clocher Jasmin_, parce que c'est moi qui ai pu +en procurer l'argent avec mes vers. Il vous aurait fallu voir quel +accueil, quel enthousiasme à Bordeaux, à Auch, à Toulouse! et à Paris, +monsieur, comme ils m'ont reçu! Vous disiez tout à l'heure que mon +mérite était dans mon originalité; M. Villemain, le ministre, me l'a dit +aussi dans sa lettre où il m'annonce cette belle pension qu'il m'a +donnée (et il prononçait ces mots: _Belle pension_, avec un accent aussi +plein de fierté que de gratitude). Et le roi, il m'a appelé chez lui, et +il m'a comblé de bontés; et les salons de Paris se disputaient mes +lectures; l'étranger lui-même parle de moi; au milieu de ces journaux, +voici un journal anglais qui me traduit et me nomme un des premiers +poètes de la France; combien d'autres de vos grands auteurs me le disent +aussi! et Sainte-Beuve, et Charles Nodier, comme ils me protègent! comme +ils m'aiment!» + +Ainsi se développait cette autre face de l'esprit de Jasmin. C'était +cette satisfaction exaltée de lui-même, ce que tout le Midi, en +l'admirant, lui reproche, ce qu'on appelle sa vanité. + +Sans doute Jasmin a quelque chose qui ressemble à la vanité, mais qui +est bien plus pur et plus noble qu'elle; il me semble que son caractère +s'en grandit. Cet orgueil est si naïf, et d'ailleurs si justifié. Eh +quoi! voici un homme né dans la pauvreté, dont tous les parents sont +morts à l'hôpital, comme il l'a dit, chanté et fait graver en tête de +ses livres; c'est un obscur coiffeur, et soudain le poète se révèle en +lui, le Midi s'étonne et admire; sa nation l'exalte, les grands poètes +arrivent à lui, et le nomment leur égal; les pauvres l'implorent, et +l'or pleut et tombe parce qu'il dit ses vers; la religion s'adresse à +lui et lui demande un édifice, et ses vers le lui donnent;--Bordeaux la +magnifique l'applaudit;--Auch lui vote une coupe admirable de vermeil +avec les mots: À JASMIN, LA VILLE D'AUCH, ADMIRATION, +GRATITUDE;--Toulouse, qui a son Capitole et ses fêtes antiques, lui fait +un triomphe et lui décerne des lauriers en or;--le duc d'Orléans lui +donnait une bague de diamants et lui avait réservé, dit-on, une faveur +plus grande encore;--la duchesse d'Orléans, lui envoie une médaille d'or +avec ces mots: LA DUCHESSE D'ORLÉANS AU POÈTE JASMIN;--Paris l'appelle +et l'enivre de fêtes et de triomphes;--Le roi lui-même le reçoit aux +Tuileries, l'entend, et lui fait un présent royal;--toute la haute +littérature lui décerne des titres de gloire, et vous voulez qu'au +milieu de ce délire cet homme simple, franc, poète prenne un semblant de +fausse modestie et se déprime lui-même! + +Enfin il y a un mot de Jasmin charmant de modestie et qui détruit ce +reproche de vanité mauvaise: c'est lorsqu'à Paris, au milieu de ses +triomphes et lorsqu'on voulait l'y retenir, il répondit: «Il faut +partir, _les barbes poussent à Agen!_ + +«Puis-je vous lire une troisième pièce de vers? nous avons le temps, +Cuillat attendra.» Il ajouta: «M. Durand était un ange de charité, un +saint de bienfaisance. Hélas! les villes et les hommes oublient vite. Un +monument manque à sa tombe; mais, si Dieu le permet, il s'y élèvera un +jour.» Et il me lut la pièce délicieuse intitulée _le Médecin des +Pauvres_. + +Il avait fini, et j'étais encore sous le charme de sa poésie et de son +débit.--Je le regardai, des larmes étaient dans ses yeux; je lui pressai +la main avec attendrissement;--je ne pouvais louer autrement son oeuvre. + +Avant de le quitter, je le priai de me montrer ces présents de villes et +de princes qui lui avaient été donnés. + +Il m'emmena dans une nièce placée au fond de sa maison; et d'abord il +ôta d'une cloche de verre la coupe de vermeil offerte par la ville +d'Auch. + +Cette coupe, d'un travail exquis et qui semblerait sortie des ateliers +d'un Cellini, est d'une hauteur de vingt-cinq centimètres environ. Il me +fit remarquer l'inscription si honorable: + +[Illustration.] + +A JASMIN, LA VILLE D'AUCH, GRATITUDE. + +Puis il ouvrit un très-grand écrin de maroquin vert, et il en tira d'une +couche de satin blanc une double branche de laurier à feuilles de +grandeur de nature et d'or massif. La grandeur de cette branche d'or +peut être de quarante à quarante-cinq centimètres. + +[Illustration.] + +Dans un autre écrin étaient trois médailles, sur l'une d'elles, en or, +étaient écrits ces mots: + +LA DUCHESSE D'ORLÉANS AU POÈTE JASMIN. + +Puis une bague donnée par le duc d'Orléans à son passage à Agen. C'est +un saphir entouré de deux gros brillants. + +Enfin, il tira de son sein une belle montre en or, avec une chaîne de +même métal; sur cette montre étaient gravés ces mots: + +DONNÉE PAR LE ROI. + +Le temps me pressait;--je lui demandai une dernière grâce, c'est d'avoir +de sa main, sur l'un des volumes de ses poésies que j'emportais, ces +deux vers de la pièce de _la Charité_: + + Car es amer de la recebre + Aoutan qu'es dous de la donna! + +Il prit le volume et s'apprêta avec une sorte de méditation à écrire +quelques mots. + +«Ce ne sont pas des vers, dit-il en me le rendant; lisez, ou plutôt je +vais vous traduire cette phrase.» Je l'écoutai, et je fus profondément +attendri en entendant ces mots, dont je n'aurai pas le courage de donner +ici la traduction; + +«A Moussu G... C... + +«A heyre commo m'abès sentit quand legissioy, bézi que mous libres n'an +jamay estat débat un nullou co, et dins de tan bounos mas, + +«JASMIN. + +«Agen, 6 octobre 1843.» + +Il ignorait encore qui j'étais après avoir écrit cette phrase, et il me +le demanda pour l'ajouter aux mots; à moussu, suivis d'une demi-ligne +blanche. Ce fut alors seulement qu'il sut et qu'il écrivit mon +nom:--G... C.... + +Avant de nous quitter, il ouvrit un de ses volumes, et, me montrant une +page de musique, il me chanta une mélodie qui est de lui, et qu'il a +composée pour une de ses poésies.--Sa voix est touchante, et je savais +d'ailleurs qu'il était bon musicien et jouait fort bien de la guitare. + +Enfin, je lui fis mes adieux, avec l'espoir et sa promesse de le revoir +à Paris. + + + +Histoire de la Semaine. + +Quand les événements politiques intérieurs font défaut à la presse, la +polémique vient y suppléer, et parfois aussi elle amène ses événements. +Toute la semaine dernière, une lutte très-vive s'était engagée dans les +journaux entre des membres du haut clergé et des défenseurs de +l'Université, qui ne paraît pas encore s'être arrêtée sur le meilleur +moyen de se défendre elle-même. M. le cardinal-archevêque de Lyon, M. +l'évêque de Langres, et l'évêque de Châlons, y ont successivement pris +part. Tous réclament la liberté de l'enseignement, et, pour en démontrer +la nécessité, entreprennent de prouver que l'enseignement universitaire +ne présente pas aux pères de famille de suffisantes garanties morales. +Les défenseurs de l'enseignement par le gouvernement éprouvent de +l'embarras pour repousser ces accusations, quelque peu fondées qu'elles +soient, car M. le ministre de l'instruction publique leur a donné crédit +en sacrifiant des professeurs approuvés par l'Université, mais mal vus +et dénoncés par le parti ecclésiastique. Une nouvelle et récente mesure +prise à l'occasion de M. le professeur Ferrari, immédiatement après un +succès éclatant remporté par lui dans un concours d'agrégation, est +venue donner confiance aux adversaires de l'Université et porter le +découragement dans les rangs de ses soutiens. D'un autre côté, la +promesse d'une loi faite par la Charte de 1830, promesse dont +l'exécution a été ajournée d'année en année, semble mettre l'autorité +dans une situation un peu fausse pour faire exécuter dans toute leur +rigueur les dispositions encore en vigueur sur les petits séminaires. +C'est dans ces circonstances que la lutte, qui, dans le silence, avait +été incessante, s'est traduite en lettres pastorales et en lettres aux +journaux. Le _Journal des Débats_ avait annoncé que celle de M. l'évêque +de Châlons, qui n'a peut-être pas toute la gravité du caractère +religieux de son auteur, était déférée au Conseil d'État, non pas pour +la question de goût, mais pour celle de légalité. C'était, à ce qu'il +paraît, l'avis de M. le grand-maître, qui, pour se donner du courage, +avait livré sa résolution à la publicité. Mais il a rencontré de +l'opposition de la part de M. le garde-des-sceaux, et sa détermination +n'a pas été la plus forte. + +Le conseil-général de la Seine a clos le 30, à minuit, sa session +annuelle, dont nous avions précédemment annoncé l'ouverture. Il lui a +fallu, en treize séances, arrêter un budget de cinquante millions et +donner son avis motivé sur une foule de questions importantes. Les +sessions des conseils-généraux sont infiniment trop courtes; beaucoup de +ces assemblées ont exprimé des plaintes à ce sujet; le conseil-général +de la Seine l'a fait sentir de son côté, en déclarant n'avoir le temps +de répondre à des questions que le ministère lui avait posées. Il a +renouvelé ses voeux de l'an dernier relatifs à la publicité à donner à +la liste du jury et à l'attribution du produit des droits +d'enregistrement sur les brevets d'invention. Il a montré tout à la fois +de la largesse dans les sacrifices qu'il a regardés comme utiles et bien +entendus, et une sévère économie dans les dépenses, qu'il n'a pas +considérées comme suffisamment justifiées. Les traitements de quelques +fonctionnaires s'en sont mal trouvés. + +A l'extérieur s'offre toujours, sur le premier plan, l'Irlande, ou bien +plutôt l'Angleterre; car on est bien plus embarrassé à deviner comment +sir Robert Peel sortira de l'impasse où il s'est engagé, qu'inquiet du +sort d'O'Connell et de ses coaccusés. A Londres comme à Dublin, on a +répandu, à la fin de la semaine dernière, le bruit que les poursuites +étaient abandonnées. Cette nouvelle était absurde: mais elle n'a en +cours que parce qu'elle l'était infiniment moins que les poursuites +elles-mêmes. Si on ne les abandonne pas, on songe du moins à les +ajourner le plus possible. Au lieu des derniers jours de novembre, les +premiers jours de janvier arriveront, dit-on, avant que les débats +judiciaires s'ouvrent. On semble espérer que l'avenir et l'imprévu +apporteront une solution à une difficulté qu'on commence à reconnaître +inextricable aujourd'hui. On songe à recommencer l'enquête entreprise, +qui, entachée d'irrégularité et d'évidente inexactitude, fournirait des +armes redoutables à un légiste et à un procédurier de la force +d'O'Connell. En un mot, on croit avoir tout à gagner à perdre du temps. +En attendant, les témoignages de sympathie, les adhésions à +l'association et les offrandes arrivent au chef du rappel de la part de +prélats qui jusqu'ici étaient demeurés en dehors de l'agitation +nationale; des prières sont faites dans toutes les paroisses de +l'Irlande, et la formule de l'une d'elles nous paraît assez nouvelle +dans la liturgie: «Puissent les amis de la liberté ne jamais avoir +affaire à d'autres ennemis que Peel, Sugden, Wellington et +compagnie!»--L'Espagne mérite de plus ou plus l'épithète de malheureuse +qu'on lui a tant de fois donnée depuis trente-cinq ans, quand on a eu à +raconter les événements dont elle a été continuellement le théâtre. +Barcelone et Girone, à l'heure où nous écrirons, sont peut-être en feu +ou déjà en cendres. Les dernières nouvelles annonçaient que les bombes +des assiégeants se succédaient sans interruption, nombreuses et +terribles, que les murailles s'écroulaient, et que le carnage était +imminent.--La France, qui a vu une première fois son consul conjurer les +dernières rigueurs contre Barcelone de la part d'Espartero, avec le +gouvernement duquel elle était dans des termes plus que froids, la +France n'a-t-elle donc rien pu obtenir d'un gouvernement qui se dit son +ami? Si elle n'y a pas réussi, il faut le déplorer; mais si elle ne +l'avait pas même tenté, il faudrait le déplorer plus encore. A Madrid, +en présence de pareils événements, les Cortès sont demeurées +très-longtemps à se constituer, et un projet de loi pour déclarer la +majorité de la reine est jusqu'ici la seule mesure qui leur ait été +présentée. Peut-on raisonnablement attendre de son adoption la fin des +malheurs de la Péninsule: Nous le désirons beaucoup, tout en l'espérant +bien peu.--Athènes a perdu de sa confiance dans la franchise de +l'adhésion du roi à la révolution de septembre. Un aide-de-camp d'Othon, +qui avait vu ces changements politiques avec beaucoup de dépit, est +arrivé à faire croire à ce monarque qu'une contre-révolution devait +éclater une belle nuit; car, en Grèce, c'est toujours à la belle étoile +que les mouvements s'opèrent. La crédulité du prince, les ordres qu'elle +lui a suggérés, ont donné à penser qu'il avait une grande confiance dans +les ennemis de la révolution et trop peu de foi dans son avenir pour en +être un partisan bien sincère. Cette défiance ne facilitera rien, et tôt +ou tard les puissances voudront venir en aide à des embarras qu'elles +pourront bien accroître encore par l'intervention de leurs +diplomates.--Les nouvelles de Chine n'ont guère apporté que des détails +sur l'étrange cérémonial observé par les grands dignitaires du pays dans +leurs rencontres avec les chefs anglais; mais ces programmes ont leur +importance en ce qu'ils font voir que les Chinois ont renoncé à leur +ancienne prétention d'humilier les Barbares, et qu'ils sont résignés +aujourd'hui à les traiter d'égal à égal. Nous saurons plus tard si les +présentations à l'empereur n'amèneront plus ces complications +d'étiquette qui ont fait reculer toutes les précédentes ambassades. +L'expédition anglaise a sans doute contribué pour beaucoup à ce +résultat; mais on doit croire aussi que les progrès des missions +catholiques n'y sont pas tout à fait étrangers. Dans un rapport officiel +publié à Londres, nous voyons qu'on compte 52,000 catholiques dans le +vicariat apostolique du Sut-Chuen, 40,000 dans celui de Fokien; Chensi +et Hon-Kouang, 60,000; Tche-Kiang et Kian-Li, 9,000; Pegu et Ava, 6,000; +Siam, 8,000; Malaca, 6,000; Cochinchine, 80,000; Tong-King oriental, +160,000; dans le diocèse de Nang-King, 40,000; dans celui de Macao, +52,000, et dans le vicariat apostolique du Tong-King occidental, +180,000. + +La nature a un peu fait relâche cette semaine, et n'a pas continué cette +série de tremblements de terre et de tempêtes que nous avions eu +précédemment à enregistrer. Mais l'industrie a fourni son sinistre. Le +bateau à vapeur _le Clipper_, faisant la navigation entre Bayousara et +la Nouvelle-Orléans, au moment où il quittait le port, a fait explosion +par l'éclat de ses chaudières, Toute la machine, de grands débris de +chaudières d'énormes fragments de bois, un multitude d'autres objets, +et, au milieu de tout cela, des êtres humains, tous plus ou moins +mutilés, ont été lancés dans les airs. En atteignant sa plus grande +hauteur, cette éruption a été projetée, comme les jets d'une fontaine, +dans plusieurs directions, et est retombée sur la terre, sur les toits +des maisons et jusqu'à 200 mètres de distance du lieu du sinistre. Les +malheureuses victimes ont été brûlées, écrasées, déchirées, mutilées et +dispersées de toutes parts, les unes dans la rivière, les autres dans +les rues, d'autres sur l'autre rive du Bayou, à près de 250 mètres. +Quelques corps ont été coupés en deux par des morceaux de bois, et +d'autres lancés comme des boulets de canon contre les murailles des +maisons. Toute la partie des édifices environnants semble avoir été +ravagée par un tourbillon. Le lieu du désastre offrait un spectacle +qu'il faut renoncer à peindre. Les planchers des deux chambres étaient +jonchés de morts et de mourants. Ceux que l'on transportait, proféraient +des prières, des gémissements, des imprécations, et présentaient +l'aspect des plus atroces souffrances. L'équipage consistait en +quarante-trois hommes; il y avait de plus cinq passagers. Un très-petit +nombre de personnes, dont fait partie le capitaine, a été sauvé; les +pertes connues s'élevaient à vingt-neuf; mais il manquait encore +plusieurs personnes, dont les traces n'avaient pas été retrouvées. + +Les journaux anglais nous font aussi connaître les désastres financiers +d'un prince noir et d'un prétendu prince blanc. Le premier est le frère +de l'ancien roi d'Haïti, Christophe II, lequel, entrevoyant l'orage qui +devait détruire bientôt tout à fait son pouvoir déjà ébranlé et sa +fortune en ruines, avait envoyé à Londres environ 250,000 fr. pour les +placer dans les fonds anglais, au profit de la reine, de ses deux +filles, de ce frère et de sa soeur. Madame Christophe a trouvé moyen de +s'approprier le tout et d'aller jouir en Sardaigne des moyens +d'existence qu'elle eût dû partager avec son beau-frère. Ce pauvre +prince, réduit, lui et les siens, à la plus profonde misère, s'est +adressé à la Société des amis des étrangers en détresse, et celle-ci lui +a envoyé... 5 guinées! Il s'est présenté pour demander des secours au +lord-maire, qui lui a répondu, en lui donnant satisfaction sur ce point, +qu'il n'avait pas qualité pour agir, mais qu'il espérait qu'on pourrait +poursuivre la reine d'Haïti pour le remboursement de 5,000 livres +sterling.--Le lord-maire, ou du moins en attendant l'installation de +celui-ci, l'alderman qui le remplace, a également reçu la visite de +l'autre prince dont nous parlions tout à l'heure: celui-ci était Louis +XVII, dont nous avons déjà fait connaître la demande en cession de biens +et de droits, même à la couronne de France. Ceci pouvait être assez gai; +mais ce qui est triste, c'est que ce malheureux, sa femme et leurs huit +enfants sont dans la plus affreuse misère. Ou a vu se présenter, pour +appuyer sa demande, un Français, M. le comte de Labarre, dont +l'extérieur annonce un homme respectable. «Je n'ai point, a-t-il dit, +abandonné et je n'abandonnerai point mon ami, tout accablé qu'il est +sous le poids de l'adversité. Je me suis ruiné moi-même pour le +secourir, en me faisant ainsi, comme l'a dit un grand écrivain, M. de +Chateaubriand, dans une autre circonstance, le courtisan du malheur. M. +le duc de Normandie n'a pas droit seulement comme héritier du trône à la +commisération des Anglais, il était venu aussi leur apporter le fruit de +ses longs travaux sur l'art de perfectionner les projectiles de guerre. +--_Une voix dans l'auditoire_: Afin de bombarder ses bons et féaux +sujets. (_On rit_.)--M. de Labarre: Quelque opinion qu'on ait sur la +légitimité des prétentions du duc, on conviendra, du moins, qu'il se +trouve dans une position peu commune: il a huit enfants, dont le plus +jeune est âgé de six mois.» L'alderman a fait remettre à l'avocat du duc +de Normandie une somme tirée du tronc des pauvres et dont le chiffre n'a +pas été révélé au public. + +Ce ne sont pas seulement les demandes des princes indigents qui +remplissent les journaux anglais, ce sont aussi les réclamations des +capitalistes de cette nation qui s'étaient réunis pour entrer dans les +compagnies de chemins de fer, sollicitant des concessions en France +durant la session dernière. Le chemin de Lyon, qui avait trouvé des +souscripteurs dans la Grande-Bretagne, à l'aide de prospectus répandus à +profusion, mettant en avant un conseil d'administration composé de pairs +et de députés français, auxquels on n'avait pas même; demandé leur +agrément; le chemin de Lyon, qui avait vu ses actions, placées par ce +tour d'adresse, devenir, à la bourse de Londres, l'objet de spéculations +considérables, et obtenir une prime très-élevée; le chemin de Lyon voit +aujourd'hui ses ingénieux inventeurs retenir l'argent des actionnaires +malgré eux, sans intérêts et sans garanties. Ceux-ci, finissant par +trouver la plaisanterie un peu prolongée, confient leurs vives doléances +aux feuilles de Londres. Nous ne croyons pas la triste spéculation dont +ils sont victimes de nature à les encourager beaucoup à s'intéresser +jamais de nouveau dans une grande entreprise en France, et nous le +déplorons.--Du reste, on pense que le ministère est déterminé à demander +l'autorisation de faire exécuter, aux frais de l'État, les chemins qui +seront votés dans la session prochaine, soit qu'il les exploite +lui-même, soit qu'il se détermine, après leur exécution, à en mettre les +baux en adjudication. + +Paris s'embellit chaque jour, il faut le reconnaître. Le conseil +municipal, quels que soient les vices de son organisation, par cela seul +qu'il est électif, a plus fait par ce résultat en quelques années que +n'avaient fait plusieurs générations successives. Paris s'embellit; mais +outre les projets qu'exécute l'administration de la ville de Paris, il y +a aussi, et en bien plus grand nombre, les projets qu'on lui prête. Les +journaux ont cette semaine rasé des quartiers entiers, ouvert des voies +immenses et planté sur le parvis Notre-Dame une pyramide en granit pour +servir de point de départ à toutes les bornes miliaires de nos routes. +Tout cela est fort ingénieux et surcharge peu le budget, car il n'en a +pas encore été le moins du monde question dans les délibérations et même +dans les causeries du conseil municipal.--On songe toujours à restaurer +Notre-Dame, qui en a grand besoin, mais dont on tremble de voir les +travaux confiés à quelque architecte vandale. En attendant, des +mutilations coupables y sont commises tous les jours. Tout récemment, au +portail septentrional, quatre chapiteaux ont été ébréchés à coups de +pierre ou de marteau; un petit animal fantastique a été enlevé +très-nettement, à l'aide d'un ciseau, et volé par un amateur, qui aura +voulu y joindre également la tête d'un ange. Le Comité historique des +arts et monuments a déjà précédemment appelé, à l'occasion de délits de +ce genre, toute l'attention de l'autorité sur les moyens d'en prévenir +le retour. Combien faudra-t-il donc encore de mutilations pour que ces +réclamations soient enfin écoutées? + +Ce que nous avions dit dans un précédent numéro de l'à-propos et de +futilité pour l'art de sa mission à Athènes confiée à M. Boulanger, nous +a valu une lettre de cet architecte, au talent duquel nous avions, du +reste, rendu hommage. Suivant lui, les fouilles et les déblais qui ont +été exécutés récemment par le gouvernement actuel de la Grèce, ont, en +les dégageant des fortifications turques dans lesquelles ils étaient +presque tous ensevelis, donné aux anciens monuments un aspect tout +nouveau, leur véritable aspect. M. Boulanger semble avoir la confiance +de justifier la mission qui lui est donnée, et de prouver par ses +résultats qu'elle a été bien entendue. Nous avouons que la détermination +où il paraît être d'arriver à faire cette preuve nous donne à nous-mêmes +la confiance qu'il y parviendra, et nous serons, il en peut être +certain, le cas échéant, les premiers à le proclamer. + +La Normandie voit, depuis quelque temps, des artistes et des poètes +sortir de la foule de ses artisans. Ses feuilles locales renferment de +curieux détails sur les essais heureux d'un pauvre ouvrier qui paraît +appelé à prendre un rang distingué dans l'art de la sculpture. L'ouvrier +Lebreton a mérité tout dernièrement un encouragement du roi par ses +poésies populaires. + +La police, moins tolérante que l'administration des contributions +indirectes, qui admet pour les vins l'extension de volume, à l'aide de +l'eau, pourvu que le droit lui soit payé sur les deux liquides mariés, +la police a fait saisir à Rouen et à Bercy une grande quantité de pièces +de vin ainsi sophistiqués. La question va être portée devant les +tribunaux. Déjà, dans une espèce qui ne manque pas d'analogie, la Cour +de cassation vient de décider qu'on doit considérer comme boisson +falsifiée, aux termes du Code pénal, le lait dans lequel un débitant a +mêlé un tiers ou un quart d'eau.--Les tribunaux de Stockholm n'ont ni la +même sévérité quand il s'agit de défendre leurs justiciables contre +l'avidité de certains marchands, ni une grande bonne foi nationale, +quand il s'agit de faire respecter les intérêts étrangers. Un pharmacien +de cette ville, le sieur Almquist, voyant qu'une maison de Reims, +renommée pour la qualité de ses vins de Champagne, fournissait presque +seule la Suède entière, a contrefait les étiquettes du négociant +champenois, et a appliqué ses contrefaçons à des bouteilles contenant +une liqueur d'apothicaire. Les Suédois n'y ont vu que du Champagne, et +des poursuites ayant été dirigées contre le contrefacteur, les tribunaux +de première instance et d'appel ont tout naïvement déclaré que «s'il est +vrai que d'un côté les lois sur le commerce répriment sévèrement toute +usurpation de noms et de raisons commerciales, toute contrefaçon +d'étiquettes, enseignes, etc., il y a d'un autre côté lieu de supposer +que le législateur a dicté une disposition dans le seul but de protéger +l'industrie et le commerce des indigènes, et non pour favoriser les +étrangers _au détriment des nationaux._» S'il y a des juges à Berlin, il +y en a de bien singuliers à Stockholm. + +Les journaux qui tué M. l'amiral Roussin, qui aura pu entendre son +oraison funèbre, car le lendemain les mêmes feuilles nous ont appris que +cette nouvelle était sans fondement. Malheureusement beaucoup d'autres +morts annoncées cette semaine n'ont pas été démenties de +même.--L'émigration polonaise a encore perdu un de ses membres les plus +illustres, le général comte Soltyck, qui avait servi avec honneur comme +colonel dans l' armée française sous l'Empire, comme général dans +l'armée polonaise durant la guerre de l'Indépendance, et qui avait, +comme nonce, fait preuve nouvelle, à la diète, du dévouement et de la +fermeté qu'il avait montrés sur les champs de bataille. C'était, du +plus, un écrivain distingué; il a laissé histoire fort estimée de la +guerre de Pologne en 1809, et la mort l'a surpris se livrant à d'autres +travaux historiques.--Le clergé a perdu M. de Cosnac, archevêque de +Sens, et M. le cardinal de Retz, auditeur de rote auprès du +Saint-Siège.--M. le baron Capelle, ancien ministre de Charles X, et un +des signataires des ordonnances de juillet 1830, a terminé à Montpellier +une carrière remplie tour à tour par la disgrâce et la faveur. Une +liaison avec Élisa Bonaparte, duchesse de Lucques et de Piombino, vue de +mauvais oeil par Napoléon, attira sur lui des mesures sévères, et fit +d'abord connaître un nom qui devait, si fatalement pour celui qui le +portait, figurer plus tard au bas du manifeste politique qui a déterminé +la plus rapide de toutes les révolutions.--Enfin, les arts ont eu à +enregistrer sur leurs tables funèbres la mort du pianiste +Pradher;--celle d'un peintre paysagiste de Lyon, d'un remarquable +talent, Guindrand, tombé depuis quelques années dans le plus funeste +idiotisme,--et celle aussi d'un ancien professeur de l'école des +beaux-Arts de la même ville, Berjon, peintre de fleurs.--Un nom +appartenant à un artiste célèbre s'est également éteint. La fille aînée +et le dernier enfant survivant du fameux acteur Bertinazzi, appelé au +théâtre Carlin, mademoiselle Barbe-Suzanne Bertinazzi, vient de mourir +âgée de quatre-vingt-deux ans. + + + +[Partition musicale: LE PAGE. Romance.] + +PAROLES +DE +M. EUGÈNE DE LONLAY. + +MUSIQUE +DE +M. G. DONIZETTI. + + A MADAME LOUIS AUVRAY. + +Sombres allées +Où je rêvais +Vertes vallées +Ruisseaux si frais +Féconde plaine +Vaste domaine +Fleur de ces lieux. +O noble dame +A vous mon âme, +A vous mes yeux. + +Riche tourelle +Au front bruni +Où l'hirondelle +Suspend son nid +Toit tutélaire +Bonté sincère +Seuil enchanteur +Et noble dame +A vous son âme, +A vous son coeur. + +D'un pauvre page +Qui vous doit tout +Vous dont l'image +Le suit partout +Daignez entendre +La voix si tendre +Et les amours +O noble dame +A vous son âme, +A vous ses jours. + + + +Théâtre-Italien. + +_Belisario_, tragédie lyrique en trois parties, musique de M. +DONIZETTI.--M. FORNASARI. + +C'est une lamentable histoire que celle du Bélisaire de l'opéra italien, +et l'on peut dire que jamais le dévouement monarchique n'a été mis à une +plus rude épreuve. + +Cet honnête Bélisaire, se trouvant en pays étranger, _frà genti +barbare_, a fait un rêve. Il a vu un guerrier terrible qui renversait +l'empire de fond en comble. Le voilà dans une grande perplexité.--Quel +est ce guerrier? où est-il? comment le découvrir? Dans son inquiétude, +il eut recours à un _homme de Dieu_; il lui conta son rêve; et l'homme +de Dieu lui répondit qu'il n'avait pas besoin de chercher bien loin +l'ennemi public dont il était en peine, et que ce guerrier mystérieux +était son propre fils. + +Ce fils était un enfant dans toute l'innocence du premier âge, et qui ne +pouvait pas encore, évidemment, songer à conquérir le monde et à +renverser le trône de Justinien. Néanmoins, Bélisaire fut impitoyable; +il condamna son fils à mort, et le fit exécuter. + +A la vérité, il ne fut qu'à moitié obéi sur ce dernier point. Proclus, +qu'il avait chargé de l'opération, n'eut pas le courage de l'achever. +L'enfant, au lieu d'être tué, fut seulement perdu. + +Vous dites, madame, que c'est un abominable homme que ce Bélisaire? Je +ne saurais être de votre avis là-dessus. Que dit, en effet, La Fontaine, +le grand moraliste: + + Ou ne peut trop aimer trois sortes de personnes: + Les dieux, sa maîtresse et son roi. + +Vous voyez donc bien que Bélisaire n'a fait que son devoir. Mais sa +femme Antonine est comme vous, madame, et n'entend rien à cette +morale-là. + +Il faut vous dire que Proclus a jasé, et qu'Antonine sait tout. Jugez de +sa colère! Elle jure de perdre son mari pour venger son fils, et je vais +vous raconter comment elle s'y prend. Cela est toujours bon à connaître, +et peut servir dans l'occasion. + +Bélisaire, qui est en train de reconquérir l'Italie sur les Goths, écrit +à sa femme de temps en temps, comme tout bon mari doit faire. Il paraît +que dans une ses lettres il a imprudemment laissé beaucoup d'espace +entre le texte et la signature. Que fait Antonine? Elle livre la missive +à Eutrope, le mortel ennemi de Bélisaire; et Eutrope, qui a d'habiles +faussaires à sa disposition, fait ajouter à la lettre du héros une +phrase qui doit suffire pour le faire pendre. + +[Illustration: Portrait de Fornasari.] + +Bélisaire revient d'Italie et rentre à Constantinople sur une de ces +petites voitures à deux roues et non suspendues que nous nommons +charrettes, mais qu'en langage tragique on appelle chars. Il est +impossible d'être plus glorieusement cahoté. Il jouit de tous les +honneurs du triomphe; il a même le bonheur d'embrasser publiquement +Justinien; mais, ô néant des grandeurs humaines! à peine a-t-il eu le +temps de chanter avec son ami Alamir un _andante_ et une _cabalette_, +qu'Eutrope se présente, lui demande son épée de par l'empereur, et le +somme de comparaître devant la Cour des Pairs du pays. Il est accusé de +haute trahison au premier chef. + +Il nie, comme de raison; mais on lui présente la lettre. Il reconnaît +d'abord son écriture; mais, quand il a tout lu, il s'indigne, et déclare +qu'il y a faux et interpolation. Il en appelle au témoignage d'Antonine. +Mais Autonine confirme l'accusation, et déclare avoir reçu la lettre +telle qu'elle est. Vous imaginez, bien comment Bélisaire la traite. +«Mauvaise épouse! mauvaise mère! (Ils ont une lille, nommée Irène, qui +est présente.)--Ah! mauvaise mère!... Et vous donc, avez-vous la +prétention d'être bon père, par hasard? rayez cela de vos papiers, car +je sais tout.--_Quoi!_--Tout ce que Proclus savait.--Aïe!» + +Bélisaire met sa tête dans ses deux mains et ne tarde pas à faire sa +confession générale devant sa femme et sa fille, devant le Sénat et +l'empereur. Quand il a fini, Antonine se remet de plus belle à lui dire +des injures, ce qui est tout simple. Mais on comprend plus difficilement +que le Sénat s'en mêle fasse crever les deux yeux à un homme à qui l'on +ne peut guère reprocher qu'un excès de dévouement à la dynastie +régnante. Justinien est-il donc si mauvais politique? et ne voit-il pas +que cet exemple n'est pas encourageant? + +Quoi qu'il en soit, voilà Bélisaire aveugle et qui part bientôt, pour +l'exil, guidé, par sa fille Irène, qui joue près de lui le même rôle +qu'Antigone auprès d'OEdipe. Ils arrivent au mont Hémus. Là, ils +rencontrent des Alains. + +Ces Alains sont au nombre de vingt, ou à peu près, et telle est la +grandeur de leur courage, qu'ils ont entrepris d'attaquer Constantinople +et de mettre cette grande capitale à feu et à sang. Il est vrai qu'ils +ont un chef qui ne plaisante pas, et qui ne connaît point d'obstacles: +c'est Alamir, cet ami de Bélisaire dont je vous ai déjà parlé. Il a juré +de venger le grand homme opprimé, et de noyer Constantinople dans des +flots de sang. Mais Bélisaire le fait bien vite revenir à résipiscence. +Bélisaire est toujours citoyen dévoué, sujet fidèle, et le malheur ni +l'injustice n'ont eu aucune prise sur sa grande âme. Enfin, comme le +drame touche à son dénoûment. Bélisaire reconnaît bientôt dans Alamir ce +fils qu'il avait jadis condamné à mort, et qu'il croyait avoir perdu. + +L'empereur, à la nouvelle de l'incursion des Alains, a fait marcher ses +troupes à leur rencontre. Bélisaire se met, de son autorité privée, à la +tête de l'armée grecque. Comment l'accepte-t-elle pour chef, et comment +s'y prend-il pour la commander? C'est ce que je ne saurais dire, puisque +l'auteur a négligé d'éclaircir ce point; mais il bat les Alains, et +c'est ce qui importe le plus à l'empereur et aux habitants de +Constantinople. + +Hélas! tout a une fin sur cette terre, les plus grands héros comme les +plus absurdes livrets. On apporte un brancard dans la tente de +Justinien. Sur le brancard est étendu le conquérant de l'Afrique et de +l'Italie, et le vainqueur des Alains, qui a reçu le coup mortel à cette +dernière bataille, et vous pouvez à votre choix, selon votre goût et vos +dispositions particulières, pleurer le trépas du grand capitaine, ou +rire tout à votre aise des incroyables inepties de l'auteur du +_libretto_. + +Vous ne rirez pas du moins de la partition, et c'est l'essentiel. Il y +a, dans l'oeuvre de M. Donizetti, des morceaux remarquables en assez +grand nombre pour qu'on lui pardonne ceux où il s'est un peu négligé. Ne +parlons pas de ceux-ci, mais indiquons au lecteur une jolie cavatine, +pleine de sentiment et de distinction, et que mademoiselle Nissen +exécute à merveille;--un duo pour basse et ténor, dont _l'andante_, +tendre et pathétique, contraste de la manière la plus heureuse avec la +_strette_ brillante qui le termine;--un choeur de sénateurs, qu'il ne +faut pas comparer au choeur des juges dans la _Pie Voleuse_, mais qui +n'en a pas moins un mérite fort distingué;--un finale à six voix, où +brillent des traits énergiques et de très-grands effets. Tout cela est +dans le premier acte, ou, comme dit l'auteur du livret, dans la première +partie. + +Au second acte l'air d'Alamir: _Trema, Bisanzio_, est plein d'éclat et +de force. Il fait beaucoup d'effet; il en ferait plus encore si M. +Corelli le nasillait, un peu moins. Hélas! qui n'a pas en ce monde un +péché d'habitude, où il tombe malgré lui, et le plus souvent sans s'en +douter? Le péché mignon de M. Corelli est de prendre quelquefois son nez +pour sa bouche, et de se servir indifféremment, pour chanter, de l'un et +de l'autre. Mais que fais-je, moi? et pourquoi vais-je m'accrocher au +nez de M. Corelli, pendant que mademoiselle Nissen et Fornasari sont là +qui m'appellent? + +Rien de mieux pensé ni de mieux écrit que le duo chanté par ces deux +virtuoses; rien de plus gracieux, de plus tendre, de plus pathétique. La +situation était de celles qui conviennent, particulièrement au talent de +M. Donizetti. Il l'a traitée de main de maître, et y a versé à pleine +mesure les charmantes mélodies et la sensibilité douce et passionnée +tout à la fois, qui font de Lucie de Lammermoor une oeuvre si aimable et +si séduisante. Ce duo est le morceau capital de la partition de +_Belisario_; il n'y a que le trio de la reconnaissance, au troisième +acte, qui puisse lui être comparé: les mêmes qualités s'y retrouvent, et +les trois voix y sont agencées avec cette habileté magistrale dont les +musiciens italiens ont seuls le secret. + +Le choeur des Alains, qui précède ce duo, est aussi un morceau +remarquable: le, rhythme fougueux et désordonné que l'auteur a choisi +peint à merveille le courage effréné et la soif de pillage qui animent +ces Barbares. Mais je regrette que le public n'ait pas fait plus +d'attention à la ritournelle qui sert d'introduction à ce troisième +acte; elle est vraiment magnifique, et les gens de goût me sauront gré, +je l'espère, de la leur avoir signalée. + +La première représentation de _Belisario_ était également intéressante +par l'importance de l'ouvrage et par le début de M. Fornasari. Ce jeune +chanteur a de très-grandes qualités; sa voix est fort belle: c'est une +basse-taille très-grave, mais qui,--chose rare,--s'élève avec une +extrême facilité. Il suit de là que M. Fornasari peut chanter à volonté +les rôles de baryton et les rôles de basse. Il a beaucoup de force et de +volume, avec beaucoup d'agilité. Tout cela, j'en conviens, n'est pas +encore suffisamment réglé, et il y aurait bien quelque chose à dire sur +la manière dont M. Fornasari emploie ce bel instrument; mais il l'a, et +c'est le point important. Avec du travail et de bons conseils, il saura +promptement, s'il le veut, la manière de s'en servir. + +Comme acteur, il n'est pas non plus irréprochable; mais il ne pêche que +par excès de zèle, précieux défaut, et dont il est bien facile de se +corriger. + +M. Fornasari a d'ailleurs un visage noble et expressif, et une taille +dont les proportions sont magnifiques. Quand il saura modérer un peu ses +mouvements; quand il ne perdra plus le fruit de ses bonnes intentions, +en allant au-delà du but; quand il détaillera un peu moins son chant et +son rôle, et qu'il ne cherchera plus à faire de l'effet à chaque note et +à chaque mot,--entreprise folle, et dont le succès est +impossible,--alors M. Fornasari réalisera toutes les espérances que son +apparition a fait naître. Puisse-t-il ne pas se manquer à lui-même, et +ne rien perdre de la riche moisson que l'avenir lui prépare! + +Courrier de Paris + +Les gourmets de Cours d'assises ont on de quoi se satisfaire cette +semaine; le procès des vingt-trois voleurs est un de ces régals complets +qui ne leur laissent rien à désirer. Aussi la foule a-t-elle suivi avec +avidité devant la justice, les débats de la criminelle histoire, tandis +que l'habitué des cabinets de lecture passait ses heures en tête à tête +avec le _Droit_ et la _Gazette des Tribunaux_. + +Cette représentation tragi-comique est remarquable, en effet, par +l'audace des entreprises, l'infernale habileté des acteurs, leur +sang-froid cynique, leur longue impunité; elle met au jour des +caractères, des moeurs, des personnages qui étonnent même après les +révélations que les réquisitoires et les romanciers ont faites de la vie +ténébreuse et scélérate de ces bohémiens. C'est un curieux supplément +aux _Mystères de Paris_. + +Les chefs sont Flachat et Courvoisier, les plus féconds et les plus +résolus à l'escalade et au bris de serrures; tous deux trempent dans +toutes les entreprises; on les retrouve partout, à l'assaut des caisses, +des portefeuilles et des secrétaires. Flachat se contente d'être l'homme +d'action; Courvoisier ajoute à la pratique du crime l'art de faire des +criminels: il épie l'honnête ouvrier au seuil de sa vie laborieuse, le +flatte, le caresse, fait briller à ses yeux l'appât de l'or, et peu à +peu l'entraîne dans sa complicité; si le malheureux se débat encore sur +le bord de l'abîme et recule devant le danger du crime, «Bah! laisse +donc, lui dit Courvoisier; il n'y a rien à craindre, ça me connaît!» et, +par cette audace, il le décide. + +Une autre différence distingue Flachat de Courvoisier: Flachat avoue +volontiers tous les vols qu'on lui impute, les plus grands comme les +plus petits--Courvoisier met de l'amour-propre dans sa honte: il tient à +ne pas passer pour un petit voleur. C'est l'aristocrate de la bande; +dites-lui qu'il a volé princes, ducs, comtes, marquis, barons, il le +confessera avec le plus complet abandon; tout au plus osera-t-il +contredire les dépositions d'un air d'extrême politesse; «M. le comte de +Biencourt m'accuse de lui avoir pris 6,000 fr.; j'en demande bien pardon +à monsieur le comte, mais je n'ai trouvé que 3,000 fr. dans sa caisse!» +Il ne manque jamais de dire: _Monsieur le baron_, en parlant de M. de +Ladoucette, auquel il a dérobé pour 60,000 livres d'or et de diamants. +On ne vole pas les gens avec plus d'égards! + +Mais que le président s'avise de vouloir comprendre Courvoisier dans un +misérable vol de 30 fr., «Ah! pour celui-là, monsieur le président, je +n'en suis pas; fi donc!»--Le président insiste-t-il? «Vous le voulez? eh +bien! soit: j'en serai, puisque ça paraît vous faire plaisir; mais, +parole d'honneur, c'est pour ne pas vous contrarier; et puis, un de plus +on de moins, ça ne vaut vraiment pas la peine de discuter!» + +Courvoisier a toujours été maître de lui et s'est imposé une ligne +d'attentats qu'il n'a jamais dépassée; acceptant le bagne pour +pis-aller, il s'était dit: «Tu n'iras pas plus loin!...»--Un de ses +complices lui propose de dévaliser, pendant la nuit, un marchand: «S'il +s'éveille? dit Courvoisier!--Eh bien! nous lui _donnerons le +tour!_--Merci! je ne fais pas ce commerce-là!» + +Vous diriez, en effet, à les entendre, qu'ils sont tous d'honnêtes +négociants: on ne tient pas un autre langage dans les magasins de la rue +de la Verrerie ou de la rue Saint-Denis. «C'est Droin qui m'a proposé +l'affaire, dit Flachat; je l'ai trouvée bonne, je l'ai acceptée.»--Plus +loin, parlant du vol accompli dans l'hôtel de M. le prince de +Beaufremont, «Je savais que la maison était bonne; que c'étaient des +gens très-bien, des gens comme il faut!» Une autre fois, il s'exprime +comme un général d'armée: «On est entré par le jardin malgré moi; mon +avis était qu'on dirigeât l'attaque par le rez-de-chaussée.» + +Entre Courvoisier et Flachat, voici Laire, leur digne associé; Laire, +l'ancien légiste, l'ex-maître clerc, le voleur lettré, qui cachait des +cachemires parmi les dossiers de son étude, et débite à l'occasion des +citations de Delille et de Virgile. Profitant de sa qualité de poète, +Laire va visiter le tombeau de l'Empereur, en attendant l'heure de voler +M. Brongniart, de l'Académie des Sciences. Du reste, il parle de ses +complices d'un ton de supériorité, et appelle Labrue «Ce pauvre garçon!» + +Labrue est l'honnête ouvrier que les conseils de Courvoisier ont +perverti. «Un jour M. Courvoisier me dit: Viens déjeuner avec moi; +j'acceptai, et ce fut là mon malheur. Tout en déjeunant, il m'a fait +philosopher sur trente-six choses; ç'a été le commencement de tout.» +Cependant Labrue avait évidemment un fond de dispositions très-grandes +pour la philosophie de Courvoisier, car d'élève qu'il était tout à +l'heure, il devint bientôt passé maître. C'est Labrue qui fabriquait les +fausses clefs, forçait les coffres-forts et les serrures; sa science de +serrurier lui avait naturellement valu ce terrible emploi. Plus d'une +fois, et notamment chez. M. Brongniart, Labrue, qui avait une bonne +clientèle et jouissait d'une excellente réputation, fut mandé, comme +serrurier, pour réparer les dégâts qu'il venait de faire comme voleur. + +Gauthier fait le bon apôtre: à l'en croire, Courvoisier a été son +mauvais génie, Courvoisier l'a tenté un jour qu'il se débattait entre un +huissier et un protêt; Gauthier était marchand de vins.--Courvoisier +prétend que le bonhomme Gauthier joue la modestie, et qu'avant de +_travailler_ avec lui, il était déjà dans _le bon chemin_. Courvoisier +pourrait bien avoir raison, les premières _affaires_ que fit Gauthier +après leur association semblent le prouver: il vola son correspondant et +dévalisa son propriétaire. + +Engérer, le receleur, nie tout d'une voix aigre et sardonique, tandis +que la femme Roche, la maîtresse de Flachat, proteste avec fracas de sa +vertu et de son innocence. Il y a ensuite les subalternes, qu'il me +répugne de nommer; c'est déjà trop d'être demeuré si longtemps avec les +chefs.--A l'un le président dit:» Vous avez été condamné à cinq ans de +réclusion.--Qu'est-ce que cela prouve?» répond-il. + +L'autre, à l'entendre, débuta par des niaiseries, par des _broutilles_; +puis il ajoute: «Peu à peu l'ambition m'est venue; je me suis lancé dans +les grandes affaires; mais je n'ai pas eu de bonheur, ça s'est bâclé par +vingt ans de galères!» + +Le niais ne manque pas à la troupe; ainsi la pièce est complète; tandis +que tous ces bandits s'adressent aux billets de banque et aux +pierreries, Vavasseur escamote trente livres de beurre à une fruitière; +aussi soutient-il qu'il n'a pas l'honneur d'être un voleur de +profession: il s'est trouvé; un jour très-affamé de beurre frais, voilà +tout. + +Nous avons réservé Flachat pour le dernier chapitre; c'est que Flachat, +par sa hardiesse, son effronterie, la singularité de ses actions et le +tour de son esprit, est certainement le personnage le plus curieux de +cette odyssée de mécréants. + +Flachat dit en voyant entrer chez lui le commissaire de police: «Bien! +il paraît que c'est fini!» Après avoir escaladé, avec Courvoisier et +Labrue, une fenêtre de l'hôtel de M. de Crillon, il entend le son d'un +piano dans la pièce voisine. «Bon! bon! s'écria-t-il; tant qu'on fera de +la musique, ça ira bien.» Confronté avec M. Veyrat, dont il a forcé la +caisse, «Cela ne valait pas la peine que je me suis donnée; M. Veyrat +est propriétaire, M. Veyrat est riche, de quoi se plaint-il? il devrait +plutôt me remercier de l'avoir tenu quitte à si bon marché.» + +Dans son ardeur de déprédation, Flachat n'épargnait personne; il +n'épargna pas même sa femme. C'était une honnête créature, séparée +depuis longtemps de ce malheureux, et qui servait chez madame la +princesse de La Tremoille en qualité de femme de chambre. Un jour, +Flachat dit à Courvoisier: «Tiens, j'ai une drôle d'idée: il faut que je +reprenne à mon épouse les cadeaux de noce que je lui ai faits...» Et, +peu de jours après, il pénétrait dans l'hôtel de La Tremoille et +enivrait le portier, tandis que Courvoisier accomplissait le crime. +Courvoisier voulait pousser l'attentat, de la femme de chambre à la +princesse, mais il rencontra dans une des galeries le tombeau du prince +de La Tremoille: «J'eus peur, a-t-il dit depuis, en voyant cette tombe, +et je me sauvai par la fenêtre.» + +Après sa femme, Flachat vola deux de ses maîtresses. «Nous n'avons rien +de mieux à faire aujourd'hui, dit un matin Flachat à deux de ses +complices; allons à la campagne, ça nous promènera.» Et il les mène chez +sa belle-mère, qu'ils dévalisent. Mais voici le fait le plus curieux: +ces deux hommes, après le crime, s'installent dans la chambre à coucher +de la pauvre femme, boivent son vin, s'enivrent et bientôt se roulent +sur les fauteuils et sur le lit. Ah çà! s'écrie Flachat; qu'est-ce que +c'est qu'une conduite comme ça? voulez-vous bien finir? je suis chez +moi; si cela continue, je vous mets à la porte!» + +Flachat a tiré vanité à l'audience, d'un trait de singulière humanité; +il s'agit de Labrue, qui vint un jour lui demander un prêt d'argent: «Tu +as besoin d'argent, lui dis-je; eh bien! je vais t'en procurer. +Précisément j'avais en vue, ce jour-là, une excellente affaire, _le vol +Lallemand_; je le _donnai_ à Labrue, qui me le _remboursa_ plus lard.» +Une autre fois, il promet 150 francs à Jossien sur le produit d'un vol +auquel il le dispense de participer, et il les lui donne en effet. «Que +voulez-vous, monsieur le président! Jossien n'était pas heureux, je +venais à son secours.» + +Le drame s'est dénoué comme on devait s'y attendre: Courvoisier, +Gauthier, Labrue, Flachat, ont été condamnés l'un à trente, l'autre à +vingt-cinq, celui-là à vingt, celui-ci à dix-huit ans de travaux forcés; +le reste à une expiation moins longue et moins terrible. + +Sortons de cette atmosphère de bagnes et cherchons un air pur; nous en +avons besoin. En quittant ces hommes que le crime dégrade et qui se +servent fatalement de leur intelligence, on est heureux de trouver une +de ces natures courageuses et dévouées qui triomphent des difficultés +d'une portion subalterne pour s'élever et s'ennoblir par l'esprit. Ainsi +a fait un jeune ouvrier de Rouen du nom de Beuzeville. Beuzeville était +un simple tisserand; tandis qu'il poussait la navette, la muse venait le +visiter; artisan pendant le jour, la nuit il était poète; son instinct, +ses veille assidues lui révélaient les secrets de la rime et du style. +Il finit par tisser une ode et une élégie comme une pièce de toile, avec +la même habileté; nous citerons pour preuve de ce talent poétique de +charmantes pièces de vers publiées par Beuzeville il y a quelque temps, +sous ce titre naïf et doux: _les Petits Enfants_. De ces simples essais, +le tisserand s'est élevé peu à peu jusqu'à l'art de Corneille; on parle +d'une tragédie de _Spartacus_ dont il est l'auteur. L'ouvrage, lu au +comité du Théâtre-Français, a produit une certaine sensation. Sans +limite la trame n'est pas encore très-savante, les fils s'enchevêtrent +et se rompent plus d'une fois; mais l'artiste se montre sous les fautes +de l'ouvrier. Allons, courage! poète et tisserand, ourdissez à vous deux +quelque tragédie solide et touchante. + + + +Nous parlons de la tragédie, au moment où elle prend le deuil d'une de +ses belles reines. Madame Paradol vient de mourir. Bien qu'elle eût +quitté le théâtre depuis deux ou trois ans, on ne l'avait pas oubliée; +mais c'était peut-être moins son talent que le public se rappelait, que +sa personne. Les héritières qui se sont présentées pour recueillir sa +succession, les Agrippine et les Athalie qui ont tenté de ceindre, après +elle, la couronne tragique, ont toutes été complices de ces regrets +donnes à madame Paradol. En les voyant si dépourvues de noblesse et de +majesté, on pensait naturellement à cette Clytemnestre en retraite qui +avait du moins la beauté, si le génie lui manquait. + +Madame Paradol, en effet, aura été la dernière de la grande race des +reines tragiques;--je me trompe: il nous reste mademoiselle +Georges.--Elle avait la taille ample et haute, le profil noble et fier, +le front propre à porter le diadème; les mains, les bras, les épaules +étaient d'une impératrice. Le Théâtre-Français a eu beau chercher: du +jour où elle n'a plus été là, il n'a trouvé que des blanchisseuses. Les +reines aussi s'en vont! + +Née à Paris le 4 janvier 1798, à dix-huit ans elle fit ses premières +armes au théatre; mais elle n'alla pas droit à Corneille et à Racine; ce +ne fut que plus lard et par un détour qu'elle leur arriva; la tragédie +lyrique eut ses premières amours avant l'autre tragédie; madame Paradol +chanta d'abord, en attendant qu'elle déclamât. En 1816, elle débutait à +l'Académie royale de Musique; en 1818, à l'Opéra de Marseille, où elle +resta un an en qualité de Didon et d'Alceste. Le 23 juillet 1819, elle +dit adieu à Gluck et à Spontini, et fut admise au Théâtre-Français. A +dater de cette époque, madame Paradol y tint l'emploi des reines, comme +on dit en style du terroir, avec zèle, avec dévouement, et souvent avec +succès. Les amateurs se rappellent particulièrement le caractère tout +tragique qu'elle donna à la _Jane Shore_ de Lemercier. + +[Illustration: Madame Paradol, décédée le 23 octobre 1843.] + +Elle est morte après des souffrances inouïes; il y a plus d'un an qu'on +s'attendait, de jour en jour, à son dernier soupir. Cette longue agonie, +la pauvre femme l'a supportée avec une constance véritablement héroïque, +relevant le courage de ceux qui pleuraient autour d'elle, et gardant sa +sérénité jusqu'au moment suprême. + +C'était un coeur excellent, disent ses amis, un peu bruyante quelquefois +et inconsidérée, mais aimée de tout le monde, et méritant cette +affection par une rare bonté. + +Les sylphides et les artistes finiront par devenir inaccessibles. Les +journaux de Saint-Pétersbourg ou de Berlin ont rapporté, tout récemment, +l'aventure à la dragonne de la charmante danseuse mademoiselle Montés, +et le grand coup de cravache dont elle gratifia, tout au travers du +visage, un soupirant indiscret; procédé un peu cavalier, qui étonnerait +moins d'une écuyère de M. Franconi. + +Une de nos jolies actrices de vaudeville fait mieux ou pis encore; ce +n'est pas la cravache, mais le pistolet qu'elle manie à ravir. Elle ne +manque pas une poupée, et fait la mouche à tout coup; heureusement +qu'elle la prend rarement. On raconte cependant un fait qui peut donner +de l'inquiétude: un vieux guerrier, qui a la prétention d'enlacer encore +le myrte au laurier, adressa l'autre jour à notre jolie héroïne une +déclaration sur papier satiné. Ce n'était pas une déclaration de guerre. +Mademoiselle Page,--il est temps de l'appeler par son nom,--n'a qu'un +penchant très-médiocre pour les gloires de l'Empire; elle les respecte +trop pour les aimer. Sa petite main blanche répliqua donc au vieux brave +par une fin de non recevoir; l'autre, loin de se décourager, fit +remettre sa carte à la cruelle, qui la lui renvoya percée de quatre +balles, avec ces mots tracés au crayon: «Par mademoiselle Page, il +quarante pas.» + +On assure que cette manie guerrière devient épidémique; la plupart de +ces demoiselles se mettent sur le pied de guerre; mademoiselle D..., de +l'Académie royale de Musique, parle de s'entourer de bastions et de +forts détachés; mademoiselle M..., d'une enceinte continue; +mesdemoiselles C., S., R. et N. prennent des leçons de Grisier et vont +d'estoc et de taille; quant à mademoiselle Déjà..., elle n'a rien à +craindre: sa vertu a plus de trente ans de salle. + +L'aventure du jeune Arthur de B... fait grand bruit dans les boudoirs de +la Chaussée-d'Autin; Arthur de B... est un jeune homme naïf et tout +récemment éclos au jour de ce monde tentateur; arrivé depuis six mois de +sa Bretagne, il en a encore les moeurs pures et tant soit peu sauvages. +Une certaine baronne de ***, sa parente, et un peu douairière, entreprit +dernièrement, dit-on, de civiliser ce naturel farouche; mais notre jeune +Breton se cabra et y laissa son manteau. «Comment va ton jeune neveu +Arthur? demandait le lendemain à la baronne une de ses amies +intimes.--Qui, ma chère?--Arthur!--Ah! laissons donc: il s'appelle +Joseph!...» + +Le Théâtre-Italien avait annoncé la reprise de _Semiramide_ pour mardi +dernier; tout était prêt, les musiciens et les gosiers; cependant on n'a +pas joué _Semiramide_. Quoi donc! Assur aurait-il été pris d'un +enrouement subit, et Ninias d'une migraine! La chose est bien plus +grave; le matin, M. Fornasari avait déclaré qu'il lui était impossible +de chanter le rôle d'Assur.--Faute de voix?--Non pas; mais faute de +barbe: la barbe que le costumier lui fournissait étant, à son avis, trop +courte d'un pouce. M. Vatel a du céder à cette puissante raison; le +bonhomme!--A sa place, j'aurais fait raser complètement M. Fornasari! + +Notre siècle s'égaye de plus en plus; pour peu que cette belle humeur +continue, nous arriverons à une gaieté folle. Voici une preuve +incroyable de cette jovialité: le théâtre du Vaudeville joue depuis +quelques jours un drame de madame Ancelot intitulé _Madame Roland_; +savez-vous ce que ce gai Vaudeville, dit _l'Enfant né malin_, a fait +mettre sur ses contremarques; _Madame Roland agenouillée devant la +guillotine: gai! gai! la farira don daine!_ + +[Illustration.] + +Je finis par le Protée anguillard _(Proteus anguinus)_ que le +Jardin-des-Plantes vient d'enrégimenter dans son armée: _l'Illustration_ +se fait un plaisir de vous offrir, par ses mains, le portrait de cet +intéressant animal; faites-lui bon accueil, et récompensez par là le +soin qu'on a de vous donner, à l'instant même de leur naissance, de leur +mort ou de leur apparition, le _fac simile_ de tous les personnages +dignes d'attention, Protées ou non. + + + +Les Vendanges. + +[Illustration.] + +Triste année! tristes vendanges! Après avoir taillé avec soin au-dessous +du premier on du second oeil, labouré et biné deux fois, employé la houe +et la pioche, dressé des échalas, renouvelé les ceps par le provignage, +le vigneron espérait que de vivifiantes chaleurs achèveraient son +oeuvre, et les chaleurs ne sont pas venues. La vigne a besoin de soleil +et redoute la pluie; or, elle a eu, cette année, beaucoup de pluie et +peu de soleil; l'humidité, en a énervé les racines; le froid et les +vents en ont étiolé la tige; la _coulure_ a gagné les ceps les plus +robustes; et quand le mois de vendémiaire a ramené l'époque de la +récolte, il n'y avait pas de récolte à faire. Force a été d'attendre, +d'ajourner la proclamation du _ban de vendange_, qui se publie +d'ordinaire du 8 au 20 septembre dans le Midi, du 20 au 30 septembre +dans les autres départements. On a fini par recueillir tardivement +quelques raisins étiques, dont les intempéries avaient arrêté le +développement; et, dans plusieurs localités, on a pu dresser +procès-verbal de carence. De là une hausse subite dans le prix des vins; +ceux du Midi ont éprouvé cinquante pour cent d'augmentation; les pièces +de bordeaux sont montées de 110 à 140 fr.; celles de bourgogne de 70 a +100 fr.; et celles des vins de la Loire de 26 à 75 fr.; les producteurs +ont perdu; les débitants ont gagné; mais une mauvaise vendange est, en +somme, une calamité nationale, dans un pays dont les vignobles occupent +2,134,822 hectares. Quoique l'Allemagne s'enorgueillisse du johannisberg +et du hocheim; la Hongrie, du tokai; l'Italie du lacryma-christi; +l'Espagne, du xérès et du malaga; le Portugal, du porto; le. Cap, du +constance; l'Asie-Mineure, du Chypre, la France tient le premier rang +dans la viniculture du monde entier. Elle produit annuellement, en +moyenne, 36,563,796 hectolitres de vin, et 7,088,802 hectolitre +d'eau-de-vie. Sur quatre-vingt-six départements, neuf seulement sont +dépourvus de vignes; le Calvados les Cotes-du-Nord, la Creuse, le +Finistère, la Manche, l'Orne, le Nord, le Pas-de-Calais et la +Seine-Inférieure; les autres donnent des vins plus ou moins estimés. La +pépinière nationale du Luxembourg, établie par le ministre de +l'intérieur Chaptal, avec le concours du botaniste Bosc, a possédé +jusqu'à 370 variétés de raisins cultivé + +[Illustration.] + +en France, distingués par leur forme et leur couleur: 114 noirs à grains +ovales; 190 noirs à grains ronds; 75 blancs à grains ovales; 134 blancs +à grains ronds; 19 gris ou violets à grains ovales, 38 gris ou violets à +grains ronds. La collection du Jardin de Botanique de Montpellier réunit +560 espèces. La qualité de nos vignes varie à l'infini, non-seulement +d'une contrée à l'autre, mais encore d'un coteau au coteau voisin, +suivant l'exposition, suivant la nature du sol et du sous-sol. Que de +plants divers! que de crus justement célèbres! Dans l'ancienne province +de Bourgogne seulement vous comptez, les vins de Nuits, Chambertin, +Romanée, Richebourg, Clos-Vougeot, Musigny, Beaune, Meursault, +Montrachet, Volney, Pomard, Corton, Mâcon, Thorins, Moulin-à-Vent, +Pouilly, Chablis, Tonnerre, Trancy, Coulanges-la-Vineuse et +Saint-Julien-du-Sault. Sur les collines siliceuses et les _graves_ de la +Gironde se récoltent les vins de Château-Laffitte, Château-Margaux, +Haut-Brion, Saint-Émilion, Carbonieux, Saint-Bris, Rommes, Barsac et +Sauterne. Voulez-vous égayer vos desserts, dérider les physionomies, +provoquer les chansons, donner de l'enjouement aux plus tristes, de la +vivacité aux plus lents, de l'esprit aux moins capables, servez le +pétillant Champagne; mais, pour éviter la contrefaçon, ayez, soin de +vous assurer qu'il a été recueilli sur les rives de la Marne, à Sillery, +Épernay, Ai, Montbré, Bouzy, Hautvilliers ou Verzenay. Aimez-vous les +vins de liqueur, demandez au département de l'Hérault son hinel et son +frontignan. Voulez-vous des vins exquis, susceptibles de se garder plus +d'un siècle, et se bonifiant sans cesse avec l'âge, cherchez-les sur le +coteau de l'Ermitage, où un cénobite planta jadis des ceps qu'il avait +rapportés de Perse, et qu'on nomme encore dans la Drôme le _gros_ et le +_petit schiras_. Plus loin, sur les rives du Rhône, sont les vignobles +de Millery, de Condrieux de Côte-Rôtie, du Juliénas. A l'embouchure du +fleuve, des navires se chargent des muscats ambrés de la Ciotat. Près de +l'Espagne, aux pieds des Pyrénées, croissent trois excellentes variétés: +le _grenache_, le _mataro_ et le _carignan_. Port-Vendres, Collioure et +Banyuls fournissent ces nectars liquoreux connus sous les noms de +_grenache_ et de _rancio_; Rivesaltes, Cospron, Salces, Terrats, +Corneilla-de-la-Rivière, peuvent opposer leurs vignobles à ceux de la +Péninsule Ibérienne. Les Béarnais vantent le vin de Jurançon, patronné +par les souvenirs de Henri IV. + +[Illustration: La Treille du roi, à Fontainebleau.] + +L'Aude a sa _blanquette_ de Limoux; la Haute-Vienne, les vins de +Saint-Georges et de Champigny-le-Sec; les Vosges, ceux de Mirecourt et +de Rebeuville; le Loiret, le vin de Beaugency; l'Indre-et-Loire, le +Vouvray; la Moselle, les vins rouges d'Augny et de Jony; Vaucluse, le +muscat de Beaumes-de-Venise; la Nièvre, le Pouilly-Nivernais; l'Ardèche, +le Saint-Péray; le Cher, les vins de Sancerre; la Sarthe, le vin des +Jasnières. Les vignes de la Charente-Inférieure, du Gers, de +Lot-et-Garonne, alimentent de nombreuses distilleries. + +Outre les vins dont la réputation est européenne, le voyageur qui +parcourt la France trouve dans des hameaux obscurs, chez des +propriétaires campagnards, des crus ignorés, d'une étendue médiocre, +mais préférables souvent, par leur bouquet et leur verdeur, aux produits +des vignes en renom. Tant de richesses font de la vendange la plus +importante des opérations agricoles de la France; on s'y prépare +plusieurs semaines à l'avance, en nettoyant et lavant à la chaux tous +les instruments qu'on y doit employer: les _vendangereaux_, paniers +d'osier où l'on dépose les raisins; les _teilles_, petites boîtes +coniques qui servent au même usage; les _balonges_, charrettes destinées +à transporter la vendange à la cuverie, etc. Dès que la queue des +grappes brunit qu'elles quittent aisément les ceps, que les grains +s'amollissent et acquièrent de la + +[Illustration.] + +transparence, les vendangeurs doivent se tenir prêts. Dans la plupart +des pays vignobles, l'autorité municipale règle leur marche, du moins en +ce qui concerne les vignes non closes, et les contrevenants peuvent être +punis, conformément à l'article 475 du Code pénal, d'une amende de 5 à +10 fr. Le jour fixé se lève; les premiers rayons du soleil dissipent la +rosée; les cueilleurs et les cueilleuses s'éparpillent sur les collines, +ils se rangent en face de la vigne, entrent et suivent chacun son sillon +jusqu'à l'extrémité opposée. Quoique M, Campenon, de l'Académie +Française, ait dit dans son poème de _la Maison des champs_: + + Il en est temps; que la jeune bacchante + Saisisse alors la serpe impatiente, + +jamais les vignerons ne saisissent la serpe; mais ils s'arment de +sécateurs ou de ciseaux, qui tranchent la grappe sans secousses. Les +raisins, placés au fur et à mesure dans les _vendangereaux_, sont versés +dans les _tendelins_ par les porteurs de _vide-paniers_, qui les +transfèrent à la cuverie. D'autres fois, des mulets sont mis en +réquisition; ou la récolte, jetée dans un envier de forme ovale, est +voiturée sur une _balonge_. A la cuverie, les cultivateurs qui désirent +un bon produit, s'occupent de trier les grappes, de les assortir, +d'enlever les drains verts ou pourris. Dans trente-quatre départements +on a l'habitude de séparer les grains de la rafle, et les oenologues +n'ont pas encore décidé si cette méthode est avantageuse ou nuisible. +Les raisins égrappés donnent un vin plus savoureux, disent les uns; les +rafles ajoutent à la cuvée un ferment nécessaire, prétendent les autres, +_Certant, et adhuc sub judice lis est_; mais tous s'accordent à +reconnaître la nécessité du foulage. Deux poutres, appuyées sur les +bords du cuvier, supportent une caisse dont les côtés sont des liteaux +assez peu espacés pour ne pas livrer passage aux grains. Un vigneron, +chaussé de gros sabots, monte dans cette caisse, pétrit les grappes sous +ses pieds; puis, soulevant l'un des liteaux, pousse le marc dans la +cuve, où bout déjà le suc exprimé. Les vignerons arriérés se +déshabillent et entrent pour fouler dans la cuve même, où ils prennent +un bain tonique, mais qui répugne aux consommateurs délicats. + +[Illustration.] + +Les vignerons progressifs emploient les fouloirs mécaniques de MM. +Lenoir, ou Thiébault de Berneaud, ou Guérin de Toulouse, machines +composées de Cylindres de bois tournant en sens opposés, au moyen de +roues d'engrenage. Les cuves où le vin fermente sont, suivant les +contrées, ouvertes ou fermées, en bois de chêne ou en maçonnerie. Au +bout de quelques heures, la masse liquide frémit et bouillonne, l'acide +carbonique se dégage en bulles pétillantes, l'alcool se produit, les +rafles et les pellicules montent à la surface du _moût_, et le coiffent +d'un amas de détritus qu'on nomme le _chapeau_. Quand la fermentation +tumultueuse a cessé, les travailleurs distribuent le vin dans les fûts +avec des baquets appelés _sapines_, à moins qu'on n'ait adapté à la +partie inférieure du cuvier un robinet qui permet de décuver avec plus +de vitesse et de facilité. Le marc est mis sur la table du pressoir, et +l'on en forme une masse cubique appelée _le sac_ que l'on recouvre de +madriers. + +La vis du pressoir est d'ordinaire mise en mouvement par une roue qui +reçoit, dans sa périphérie creusée en gorge, le bout d'une corde dont +l'autre extrémité s'enroule sur un cabestan. On distingue les pressoirs +à _étiquet_, à _coffre simple_ ou _double_, à _levier_ ou à _tesson_, +dont nous épargnerons à nos lecteurs la scientifique description, +incompréhensible d'ailleurs pour quiconque n'a pas fait une étude +spéciale de la mécanique. + +La vis crie; le _mouton_ qu'elle pousse pèse sur le marc et achève d'en +extraire le suc; on reforme le _sac_ à plusieurs reprises, jusqu'à ce +que les raisins aient cédé toute leur partie liquide. Le produit du +pressurage est, _ad libitum_ mis à part ou mêlé au vin de la première +cuvée. La fermentation s'achève dans les tonneaux, qu'on ne boutonne +hermétiquement que lorsque la lie s'est précipitée. Là s'arrête les +travaux des vendangeurs; au tonnelier reviennent le collage, le méchage +des pièces, le soutirage et la conservation des vins. La fabrication des +vins blancs est moins compliquée; on ne les fait point cuver avec le +marc, excepté dans les arrondissements de Wissembourg et de Schelestadt +(Bas-Rhin), d'Agen et du Nérac (Lot-et-Garonne). Les grappes sont +écrasées sur le marc du pressoir; le vin coule dans les tonneaux, où on +le laisse fermenter sur la lie, jusqu'au premier soutirage, qui a lieu +au mois de mars ou d'avril suivant. + +[Illustration.] + +Avant de cueillir les raisins qu'on réserve pour faire du vin blanc, on +attend d'ordinaire qu'ils aient atteint un excès du maturité. Ainsi l'on +en vendange à Agen qu'à la fin d'octobre; à Condrieux, à Saumur qu'à la +mi-novembre; à Jurançon, à Gaud, à Monein (Basses-Pyrénées), que dans les +quinze premiers jours du décembre. Dans plusieurs vignobles on met un +intervalle entre la cueillette et le foulage; le raisin muscat du +Rivesaltes reste cinq on six jours sur le sol avant d'être porté, au +pressoir. A Limoux, les raisins sont étalés sur un plancher pendant +quatre un cinq jours, puis liés, égrappés et foulés. Aux environs de +Salins (Jura), on suspend les grappes avec du fil, dans une chambre +exposée au vent du nord. Quand la dessiccation a réduit les grains de +moitié, on les presse et on entonne immédiatement; ce vin, qui n'est +soutiré qu'au bout du six mois, prend le nom du _vin de paille_, et +n'est pas sans analogie avec le tokai. Il y a certains vins de liqueur +qu'on ne laisse pas fermenter. A Cosprons (Pyrénées-Orientales), +aussitôt qu'on a foulé et pressuré les raisins, préalablement desséchés +au soleil, on y mêle un tiers d'eau-de-vie qui empêche la fermentation +et conserve au suc exprimé sa douceur et son parfum. + +Les départements riches en vignobles sont obligés, à l'époque des +vendanges, de demander des renforts à leurs voisins. Cette insuffisance +de population paraît s'être fait sentir de tout temps, car Longus dit, +dans un roman de _Daphnis et Chloé_: «Comme la coutume est en telle fête +du dieu Bacchus, on avait appelé des villages voisins plusieurs femmes +pour aider à faire les vendanges.» Les recrues enrôlées n'arrivent pas +comme autrefois en chantant des hymnes en vers iambiques au fils du +Sémélé; les vendanges sont devenues prosaïques, et les chants que leurs +ouvriers répètent en choeur, sur l'air du Clair de la lune, n'ont rien +de très-harmonieux: + + Allons en vendanges + Pour gagner cinq sous + Coucher sur la paille, + Ramasser des... etc. + +En Champagne, les cueilleurs et le cueilleuses viennent du département +des Ardennes, amenant avec eux des mulets, animaux presque inconnus dans +la contrée. Pendant toute la durée des vendanges, ils logent dans les +auberges ou dans les granges, et passent la plus grande partie de la +nuit à boire et à danser. On les paie de 10 centimes à un franc 50 cent. +selon leur capacité; on ajoute à cette rétribution une miche et un verre +d'eau-de-vie; et, moyennant un aussi faible salaire, ils travaillent +depuis cinq heures et demi du matin jusqu'à sept heures du soir. A la +vérité, ils n'ont rien à débourser pour la nourriture du leurs mulets, +qu'ils lâchent dans la première prairie venue, en dépit des gardes +champêtres. + +Les meilleurs se rassemblent sur la place, au son de la cloche, dès +trois heures du matin, et se partagent en escouades, sous la direction +des différents vignerons. Les _pareuses_ restent au logis pour y +attendre les raisins, qu'elles sont chargées de trier. Ceux de qualité +supérieure sont immédiatement portés au pressoir; on les presse à +plusieurs reprises, car, dans l'opinion de la majorité des vinologues, +les qualités du vin tiennent à la fois au suc, aux pépins et à la +grappe. On entonne sans laisser cuver, et l'on soutire quelques jours +après. Durant l'hiver, le vin est transvasé dans de nouveaux fûts; et, +au printemps, à l'époque oa la sève bout, on le soutire encore pour le +mettre en bouteille. On ajoute alors au vin du tannin pour le garantir +où la _graisse_, et du sucre candi pour le faire mousser, et le +précipité qui se forme est plus tard enlevé par le tonnelier. + +Les vendanges du Champagne sont terminées par une fête qu'on nomme le +_cochelet_: les pressureurs offrent au propriétaire un bouquet de +pampres et de branches d'arbres, et reçoivent une gratification qu'ils +consacrent à de longues réjouissances. Presque généralement les +vendanges sont l'occasion de banquets prolongés, de danses, de concerts +rustiques; celles de cette année, malgré leur déplorable résultat, n'ont +pas arrêté l'expansion de la joie populaire. Les violons n'ont pas été +décommandés; les musettes ont retenti comme d'habitude; à défaut du vin +doux, on savoure celui des années précédentes, et le _peuple en liesse_, +noyant ses soucis dans les pots, s'est consolé du présent par le passé. + +[Illustration: Récolte du raisin.] + +L'année a été également funeste aux raisins de treille. Les succulents +chasselas de Fontainebleau, les _chasselas doré à grains ronds_, le +_chasselas musqué_, le _hennant blanc_, la _rochette blanche_, sont loin +d'égaler en grosseur et saveur ceux qu'on avait récoltés en 1842. La +_treille du roi_ seule a dû quelques belles grappes aux avantages de son +exposition. Elle est située en plein midi, sur le mur de clôture du +parc, du coté de l'entrée de l'abreuvoir, et abritée de toutes parts +contre l'influence des vents. Les bras des ceps s'étendent +horizontalement, chargés d'un petit nombre de grappes isolées. Au-devant +de la treille règne un long cordon de vignes, auxquelles est appliqué le +même système de taille. A deux mètres plus loin s'allonge une charmille +qui suit, comme la treille même, les ondulations du terrain. + +N'oublions pas la récolte du houblon en Flandre et les vendanges de +Normandie. L'indigène de Calvados ou de l'Orne n'attache pas moins de +prix à ses pommiers, que le duc de Montebello à ses clos champenois. Or, +l'année a été _prometteuse_; il y a un peu de _quetines_ (pommes tombées +avant leur maturité), et l'on débitera bientôt du _bon cidre doux à +dépoteyer_. + +On évalue la consommation annuelle du cidre en France à 10,011,956 +hectolitre, et celle de la bière à 9,896,239. Ce n'est que sur les +confins de la Belgique qu'on cultive en grand le houblon nécessaire à la +confection de la bière. On plante chaque pied sur une motte de terre, et +l'on soutient les tiges grimpantes avec des perches de 8 à 10 mètres de +hauteur. Ces longs filaments, qui se croisent, montent, retombent et +s'entrelacent comme des lianes, donnent aux houblonnières l'aspect d'une +forêt vierge. A la fin de septembre, on coupe les sarments avec la +faucille, on arrache les perches, et les fruits récoltés sont amoncelés +dans des sacs où ils se conservent, et forment une masse compacte que +l'on peut couper par tranches pour la vendre en détail. + +Souhaitons aux vignerons meilleure chance pour l'année prochaine; +puissent-ils remplir leurs enviers jusqu'aux bords; et, comme le +recommande Rabelais, «en celle où en meilleure pensée réconfortons notre +entendement, et buvons frais, si faire se peut.» + + + +ROMANCIERS CONTEMPORAINS. + +CHARLES DICKENS. + +Martin fait de nouvelles connaissances et Mark un nouvel ami. + +(Voir t. II, p. 20, 35, 105 et 159.) + +Il était dans la nature de Martin d'oublier tout le temps son pauvre +compagnon aussi complètement que s'il n'y eût jamais eu de Mark Tapley +au monde; ou, si le souvenir du personnage s'offrit un moment à son +imagination, il eut soin de le congédier au plus vite, comme chose de +peu d'importance qui attendrait bien son entier loisir. Pourtant, +lorsqu'il se retrouva dans la rue, l'idée que Mark pouvait s'ennuyer de +faire le pied de grue sur le palier du _Rowdy-Journal_ lui traversa de +nouveau l'esprit, et il donna à entendre à son nouvel ami qu'il ne +serait pas fâché de diriger la promenade de ce côté. + +«A propos, continua Martin, et pour ne pas être en reste de questions, +oserais-je vous demander si vous habitez cette ville, ou si, comme moi, +vous n'y êtes qu'en passant? + +--Tout à fait en oiseau de passage, reprit son ami. Natif de l'État de +Massachusetts, je suis fixé dans ma tranquille petite ville de province, +et l'on ne me voit pas souvent au milieu de ces foules affairées qu'on +aime d'autant moins qu'on les connaît davantage. + +--Vous avez voyagé à l'étranger? demanda Martin. + +--Beaucoup. + +--Et à l'instar de la plupart des voyageurs, vous n'en êtes que plus +attaché à vos foyers domestiques, à votre contrée natale? demanda de +nouveau Martin, qui examinait son interlocuteur avec quelque curiosité. + +--A mes foyers? oui, répliqua son ami; à ma contrée? comme terre natale, +oui aussi. + +--Ce oui n'est pas sans restriction. + +--Entendons-nous, repartit l'Américain. Demandez-vous si j'ai rapporté +de l'étranger un goût plus exclusif pour les erreurs de ma patrie, un +plus aveugle amour pour ceux qui, au taux de tant de dollars le jour, +s'érigent en forcenés admirateurs de ma nation; si je rapporte plus +d'insouciance pour les principes qui président ici aux affaires +publiques et privées, principes que les plus éhontés de vos avocats +rougiraient de défendre hors de l'atmosphère viciée de vos cours +criminelles? Oh! si c'est là ce que vous demandez, non, dis-je, et mille +fois non! + +--Non! dit Martin, si juste sur le diapason de son interlocuteur que la +réponse fit écho. + +--Demandez-vous, poursuivit son compagnon, si je suis revenu plus +content d'un ordre de choses qui divise la société en deux classes, dont +l'une, la masse, fonde une indépendance effrénée sur l'oubli de toute +bienveillance, de toutes formes, de toutes convenances sociales; d'où il +résulte que plus un homme affiche de grossièreté et d'impudeur, plus il +a de chances de succès; tandis que le petit nombre, dégoûté de voir +apprécier toutes choses sur une si basse échelle, se réfugie dans la vie +privée et s'entoure de tous les raffinements du luxe, laissant la +république s'en tirer comme elle pourra au milieu des clameurs de la +presse et du pillage universel? Me demandez-vous si tout cela m'arrange? +Non, dis-je alors, et mille fois non! + +--Non! repartit encore mécaniquement Martin, découragé, anxieux, moins à +la vérité dans l'intérêt de la société que dans celui de ses plans +d'architecture domestique, dont l'avenir lui semblait singulièrement +hasardé au milieu du chaos et de la poussée générale que venait de +dépeindre son nouvel ami. + +--En un mot, poursuivit ce dernier, je ne crois pas, par conséquent, je +n'accorde point (bien que vous puissiez l'entendre proclamer ici à +toutes les heures du jour), je ne trouve pas, dis-je, que notre nation +soit le type de la sagesse humaine, l'exemple du monde, le _nec plus +ultra_ de la perfectibilité; le tout, parce que nous entrons dans la +carrière politique avec deux avantages inappréciables. + +--Qui sont? demanda Martin. + +--L'un, que notre histoire s'ouvre à une période assez avancée pour +échapper aux âges de barbarie et de cruauté qui souillent les annales +des autres peuples; qu'ainsi nous profitons des lumières acquises sans +avoir traversé un obscur noviciat; l'autre, que notre territoire est +vaste, et que nous ne souffrons pas, du moins pas encore, d'un trop +plein d'habitants. A part ces avantages, nous avons peu à vanter, ce me +semble. + +--En éducation cependant... murmura Martin. + +--Beau chapitre encore! interrompit l'autre haussant les épaules. Eh! +dans l'ancien monde, même sous le régime despotique, on a fait autant et +plus en le faisant sonner moins haut! Assurément, par comparaison avec +l'Angleterre, nous pouvons briller, vu que, sous ce rapport, elle est +dans le plus piteux état... Vous savez que vous m'avez complimenté sur +ma franchise, poursuivit-il en riant. + +--Oh! elle ne m'étonne nullement lorsqu'il s'agit de mon pays, reprit +ingénument Martin; c'est quand il est question du vôtre que la liberté +de vos paroles me surprend. + +--Vous ne trouverez pas cette droiture rare parmi mes compatriotes, je +vous en réponds, en en exceptant les gens de la trempe du colonel +Drivers, de Jefferson Brick, du major Pawkins et consorts. A vous parler +franc, néanmoins, les meilleurs d'entre nous rappellent un peu l'homme +de la comédie de Goldsmith qui ne souffrait pas qu'autre que lui +injuriât son maître. Mais allons, parlons d'autre chose. Vous êtes venu +chez nous, si je ne me trompe, dans l'intention d'améliorer votre +fortune, et je serais désolé de vous faire perdre courage. D'ailleurs, +quelques années de plus me donneraient peut-être le droit de hasarder +auprès de vous un ou deux avis sur des points de peu d'importance.» + +Il n'y avait pas la moindre trace de curiosité ou de présomption dans +cette offre, faite avec tant de bienveillance et de bon vouloir qu'elle +attirait de force la confiance. Aussi Martin raconta-t-il sa chance, +abordant l'aveu si difficile à faire de sa pauvreté. Il ne dit pas +cependant,--comment s'y serait-il résigné?--à quel point il était +pauvre; d'un air dégagé, il laissa deviner qu'il lui restait de l'argent +pour six mois environ, tandis qu'il en avait tout au plus pour autant de +semaines. N'importe, il avoua qu'il était pauvre et disposé à accepter +avec reconnaissance tout conseil que son ami voudrait bien lui donner. + +La façon dont la figure de l'étranger s'allongeait mesure que les plans +et projets d'architecture domestique se déroulèrent devant lui, n'aurait +pu échapper à personne, à plus forte raison à Martin, dont la sagacité +était aiguisée par l'incertitude de sa position. Malgré d'héroïques +efforts pour se montrer aussi encourageant que possible, l'Américain ne +put s'empêcher de hocher une ou deux fois la tête: c'était comme s'il +eût dit en langue vulgaire: Cela n'ira pas! Mais il le prit ensuite sur +un ton enjoué et cordial, et s'engagea (puisque New-York n'offrait +aucune des facilités que désirait Martin) à s'informer immédiatement +s'il pourrait trouver mieux dans quelque autre ville. Déclinant ensuite +son nom, Revan, il apprit à Martin que, sans exercer activement la +médecine, il était reçu docteur. La conversation roulant sur des +circonstances relatives à la famille de l'Américain et à lui-même, +conduisit les promeneurs jusqu'au bureau du _Rowdy_. + +Ils étaient encore assez loin de la maison, lorsque l'air patriotique +anglais _Rule Britannia_, énergiquement sifflé, vint, saluant leurs +oreilles, annoncer que Mark Tapley prenait ses ébats sur le palier du +premier étage, Suivant les sons, ils trouvèrent Mark retranché au milieu +d'une fortification de bagages, s'évertuant à rendre justice à son hymne +national, à l'évidente satisfaction d'un nègre au crâne grisonnant qui +occupait un des forts avancés (une valise en cuir) et tenait ses gros +yeux rivés sur le chanteur. Celui-ci, à demi couché, la tête appuyée sur +sa main, rétorquait le compliment par des regards distraits et rêveurs, +tout en continuant de siffler sans relâche. Mark venait de dîner, comme +le témoignaient sa bouteille cassée et quelques débris de viande étalés +dans un mouchoir près de lui; du reste, ses loisirs n'avaient pas été +perdus, à en juger par ses initiales d'un demi-pied de long, qui, de +concert avec le quantième du mois tracé en caractères moins +gigantesques, le tout employé d'une bordure du jet le plus hardi, +ornaient la porte du bureau du journal. + +--Je commençais presque à vous croire perdu, monsieur, s'écria Mark +interrompant l'air à l'endroit où les fiers Bretons déclarent qu'ils ne +seront jamais, jamais, _never, never..._ Rien ne va mal, j'espère, +monsieur? + +--Non, Mark. Qu'avez-vous fait de votre bonne amie? + +--La pauvre créature timbrée, monsieur? oh! tout va au mieux pour elle à +présent. + +--Quoi! a-t-elle retrouvé son mari? + +--Oui, monsieur;--c'est-à-dire ses restes,--dit Mark Tapley se +réprimant. + +--L'homme n'est pas mort, j'espère? + +--Pas complètement, monsieur, répondit Mark; mais il a tremblé les +lèvres suffisamment pour être plus qu'à demi trépassé; en ne +l'apercevant pas sur le rivage, j'ai cru _qu'elle_ allait rendre l'âme; +vrai, je l'ai cru. + +--Comment donc? n'était-il pas là pour la recevoir? + +--_Lui_, en chair et en os; non pas, il n'y avait rien que sa faible +vieille ombre, étirée, amincie, qui se traînait lentement en descendant +vers la plage, et pouvait ressembler au fort et vigoureux camarade que +la pauvre femme avait jadis connu, à peu près autant que votre ombre +vous ressemble, monsieur, quand le soleil couchant la dessine longue et +grêle sur le sol. Enfin, c'était tout ce qui restait de l'homme, et elle +s'en est contentée, pauvre âme, aussi joyeuse, aussi ravie que si c'eût +été lui tout de bon. + +--A-t-il donc acheté des terres? demanda M. Bevan. + +--Ah bien, oui, qu'il en a acheté, et qu'il les a fièrement payées +aussi, je vous en réponds, répliqua Mark Tapley tiraillant la tête: +c'est qu'au dire des agents elles réunissaient toutes sortes d'avantages +naturels, ces terres; tout au moins y avait-il une richesse qui ne +faisait pas faute, l'eau foisonnait. + +--Je présume qu'il aurait pu difficilement s'en passer, dit Martin avec +quelque impatience. + +--Aussi, ne lui manquaient-elle pas; il en avait de tous les côtés, +dessus, dessous, autour et partout, sans avoir à payer ni taxe ni +porteur d'eau. Indépendamment de trois un quatre rivières bourbeuses à +son coude, l'homme avait, sur tout le territoire de sa ferme, quatre à +six pieds d'eau dans les mois de sécheresse; en temps pluvieux, il ne +peut dire au juste combien, n'ayant jamais rien trouvé de longueur à +sonder jusqu'au fond. + +--Serait-ce vrai? demanda Martin à son compagnon. + +--Fort probable, répliqua ce dernier; apparemment quelque lot du +Missouri ou du Mississipi. + +--Il n'en est pas moins descendu, de ce je ne sais quel endroit, +poursuivit Mark, pour venir ici, à New-York, recevoir sa femme et ses +enfants; et tous sont repartis en bateau à vapeur, cette même sainte +après-midi, aussi contents de partir tous ensemble que s'ils allaient +droit en paradis. Ma foi, on peut bien dire qu'ils en prennent le +chemin, à en juger sur la mine du pauvre homme. + +--Ah çà, pourrais-je vous demander, dit Martin, reportant, avec un +froncement de sourcil, son regard de Mark au nègre, ce que c'est que ce +monsieur? quelque nouvel ami de votre choix sans doute? + +--Chut! murmura Mark Tapley, prenant son maître à part et lui parlant +confidentiellement à l'oreille: C'est un homme de couleur, monsieur! + +--Me croyez-vous aveugle? demanda Martin avec humeur, pour me tenir +faire cette confidence devant une des faces les plus noires que j'aie +vues de ma vie! + +--Un moment, monsieur, réuni Mark; par homme de couleur, j'entends qu'il +a été un de ceux-là qu'on a placardés en estampes, dans les boutiques, +sur les enseignes..., enfin _homme et ton frère_, vous savez bien, +monsieur, poursuivit Mark Tapley, favorisant son maître d'une pantomime +indicative de la figure, si souvent représentée sur les médailles et en +tête des brochures en faveur de l'émancipation des noirs. + +--Un esclave! reprit Martin à demi-voix, en tressaillant. + +_(La suite à un autre numéro.)_ + + + +MARGHERITA PUSTERLA. + +CHAPITRE XV. + +LE PÈRE ET LE FILS + +EN entrant dans la ville, ils trouvèrent les rues tendues de draps +blancs et vermeils, et de guirlandes de verdure de la saison, qu'on +appelle à Pise les _fiorites_. Du haut des balcons et sur les murs se +déployaient de riches tapis du Levant, des étoffes de soie, qui +paraissaient encore un luxe inouï dans les cours des rois, et qui +abondaient dans les maisons de ces actifs négociants. En quelques +endroits des fontaines jetaient du vin; à l'entour, une populace avide +se pressait pour recevoir la liqueur dans sa bouche ou dans le creux de +ses mains. D'un autre côté, on voyait des buffets et des crédences +chargés de toutes les raretés venues de la mer Noire, du golfe Arabique, +de le Baltique, et conservées en mémoire des navigations heureuses et +hardies. + +[Illustration.] + +Au milieu du tumulte, de la joie, de la curiosité du peuple, qui ne se +souvenait plus que la peste envahissait la contrée de toutes parts, et +qui avait oublié sa faim d'hier et celle qu'il aurait demain, nos +Lombards s'avançaient dans les divers endroits où ils espéraient +rencontrer Alpinolo. Ramengo les suivait, se cachant le visage sous son +capuce lorsqu'il lui arrivait de rencontrer quelqu'un qu'il voulait +éviter. + +Un Milanais parut au milieu de la foule, et Muralto, élevant la voix, +lui demanda: «Eh! Ottorno Borro, pourquoi cette multitude? Pourriez-vous +nous dire où est Alpinolo? + +--Il est au premier rang pour combattre sur le pont; tous nos camarades +sont là; je cours les rejoindre.» Et il disparut dans la foule. + +«Mais que diable lui a-t-il pris, s'écriait Ramengo, de se fourrer dans +cette inutile bagarre? Combattre avec des bâtons, comme un manant? + +--Allez le lui dire, répondaient-ils. Il est ainsi fait. Quand il s'agit +de donner une preuve de courage, vouloir l'en détourner, c'est combattre +le vent.» + +Pendant qu'ils parlaient ainsi, le beffroi de la commune sonna. «C'est +le signal! c'est le signal! «cria-t-on de toutes parts. Mats il n'y +avait point d'espérance d'arriver jusque auprès des combattants. S'étant +donc arrêtés sous un portique, soutenu d'un coté par une colonne de +porphyre égyptien, de l'autre par une colonne grecque cannelée, par les +voies de douceur et par celles de la violence, ils parvinrent à se +hisser sur une plate-forme portée par l'attique. De là ils purent +dominer cette foule de têtes nues ou couvertes de la façon du monde la +plus variée, depuis l'éclatant turban de l'Orient et jusqu'au sombre +béret du Vénitien, depuis les plumes ondoyantes du chevalier provençal +jusqu'à l'infâme réseau jaune de l'Hébreu infortuné, depuis la toque en +velours et or des barons napolitains jusqu'au capuce renversé des +Milanais, qui s'étaient placés au premier rang pour être témoins des +prouesses de leurs compagnons. + +Alors les trompettes sonnèrent, et on vit paraître le gonfalonier et les +anciens dans une tribune décorée à la façon d'un pavillon turc. La foule +des spectateurs se pressait de plus en plus, pendant que ceux qui se +disposaient à combattre frémissaient d'impatience aux barrières qui +commandaient les deux têtes du pont, comme un torrent frémit au pied de +l'écluse; puis lorsque, à un nouveau signal, les barrières tombèrent, ce +fut un cri universel. Tous se précipitèrent contre tous. Quelque +attention que mit Ramengo à discerner quelque chose, il ne vil d'abord +qu'une orageuse mêlée de gens qui assaillaient, de gens qui les +repoussaient, de bâtons noueux qui tombaient avec fureur sur de tristes +épaules, et des têtes meurtries, les cris de ceux qui battaient, les +gémissements de ceux qui étaient battus, le tout aux acclamations de +«Vive sainte Marie! Vive saint Antoine!» + +Peu à peu, la mêlée s'éclaircissant à cause des morts et des blessés, ou +de ceux qui s'étaient retirés étourdis par le bâton ou accablés de +fatigue, on pouvait déjà deviner de quel côté penchait la fortune. +Cependant on voyait transporter dans les barques, grelottants et tout +trempés d'eau, ceux qu'on avait retirés du fleuve. Tantôt les maltraités +se traînaient ou étaient emportés à bras hors de la bagarre, pansant de +leurs mains leurs membres blessés, leurs tempes saignantes, et prenant à +témoin le ciel et la terre de ne plus s'aventurer dans ces ridicules +batailles; mais, croyez-moi, ceux qui guérissaient ne manquaient pas d'y +retourner. + +La fureur s'accroissait, ainsi que l'intérêt de l'escarmouche, de toutes +les passions des factions et de toutes les haines politiques. Les deux +partis des Raspanti et des Bergolini, qui, dans les conseils, et dans de +fréquentes luttes, divisaient la ville de Pise, favorisaient les uns +sainte Marie, les autres saint Antoine: leur cri de guerre, les +applaudissements, les insultes enflammaient la rage générale, et le +tumulte était à son comble. + +Bientôt, à la tête de ceux de sainte Marie et des Raspanti, on vit un +jeune homme se distinguer entre tous par la force de ses coups, par le +large cercle qui s'agrandissait autour de lui, par le carnage qu'il +faisait partout sur ses pas. Ramengo, à la beauté du jeune combattant et +aux cris de ses compatriotes, ne tarda pas à reconnaître Alpinolo. Il ne +ne cacha plus ses regards du hardi guerrier, tantôt inquiet de ses +périls, tantôt plein d'étonnement et d'admiration pour une si +merveilleuse vigueur. + +Les Bergolini et saint Antoine ne purent longtemps rester à l'épreuve +d'une telle furie, et pour garantir leurs têtes, ils tournèrent le dos. +Alors ceux qui, cachés comme derrière une tour, s'étaient fait un +rempart des épaules d'Alpinolo, se précipitèrent, avec un courage +indicible, à la poursuite des fuyards, pour avoir la gloire moins belle, +mais plus sûre, de les frapper au dos, hurlant de toute la force de +leurs poumons: «Vive sainte Marie!--Vivent les Raspanti!--Honte aux +Bergolini!--Vivent les Cambacurti!--Vivent les Aliati!--A bas Lino +della Rocca!» C'étaient les noms des chefs des deux factions. + +A un signal du gonfalonier, la barrière se baissa de nouveau. Les +trompes et les clarinettes sonnèrent à l'intérieur des fanfares de +triomphe; Sainte-Marie sonnait à tout rompre, et les Milanais, se +frayant un chemin, s'approchèrent d'Alpinolo, l'embrassèrent triomphant, +le prirent sur les bras, et le portèrent dans la direction de l'estrade +où il devait recevoir la couronne des mains de la seigneurie. Ils +criaient; «Vive Alpinolo!--Vive Milan!--Vive saint Ambroise!» + +[Illustration.] + +L'éclair de joie que la victoire faisait briller sur le visage +d'Alpinolo se mêlait d'une façon indéfinissable avec la consternation +qu'y avaient imprimée les malheurs passés, et avec les signes de la +profonde douleur qui le dévorait, lorsque Aurigino Muralto réussit à +l'accoster. Bonne nouvelle! lui cria-t-il; réjouis-toi: il est arrivé un +Milanais. + +--Un Milanais?... et qui? + +--Une de tes connaissances, Lauterio de Bescapé, le bras droit de +Pusterla. Il a des choses à te dire de la plus haute importance, mais à +toi seul.» + +Ce fut un pêle-mêle d'idées dans l'esprit d'Alpinolo. Francesco, +Marguerite, Fra Buonvicino, les Aliprandi, tous les amis qu'il avait +laissés à Milan, se présentèrent à sa pensée, avec l'espoir de voir +quelqu'un d'eux, d'en recevoir peut-être un message, au moins des +nouvelles. Ainsi pressé de la plus vive impatience, sans plus attendre +les prix et la couronne qui lui étaient dus, il se dégagea des bras de +ses compatriotes, et se dirigea vers l'endroit où on lui avait dit qu'il +trouverait cet ami, sous le portique de marbre; malheur aux poitrines et +aux bras de ceux qui l'entravaient dans la rapidité de sa course! «Le +voici! regarde-le,» dirent les Lombards en montrant le nouveau venu à +Alpinolo, qui, fixant ses regards sur lui, se trouva vis-à-vis de +Ramengo. + +En vain celui-ci aurait voulu se soustraire à cette rencontre subite et +voir Alpinolo en particulier, en vain il faisait signe au page de se +taire, de venir, qu'il avait à lui parler; un père qui trouve un aspic +enlacé au cou de son fils unique n'a pas les yeux plus épouvantés +qu'Alpinolo lorsque ses regards rencontrèrent le visage exécré du +traître. + +«Ramengo!» hurla-t-il d'une voix semblable au mugissement d'un taureau +blessé. Puis, sans faire attention aux signes de son adversaire, il +saisit de nouveau le bâton, son arme triomphale, et courut sur le +Milanais en criant: «Infâme espion!» Ce fut l'affaire d'un moment. Les +Lombards, ne sachant comment expliquer cette colère, se retiraient et +laissaient faire; mais Ramengo ne s'arrêta point à attendre le furieux, +et se précipita derrière les marbres accumulés en cet endroit; puis, +sortant du côté opposé, il se jeta au milieu de la foule; la plus +épaisse, et petit à petit, au sein de cette fourmilière, il parvint à +s'échapper. Alpinolo ne perdait point cependant les traces du fuyard, +répétant à haute voix: «Espion, enfin je te liens! Au large! prenez +garde à vous! Laissez-moi l'atteindre! Un seul coup le punira de tous +ses crimes.» Et pour se faire place, il frappait à droite et à gauche +sur quiconque se trouvait sur ses pas pour ses péchés. + +[Illustration.] + +La plèbe de Pise semblable à celle des autres pays et des autres temps, +avait éprouvé un peu de dépit (que d'autres rappellent national) de ce +qu'un étranger avait remporté l'honneur de la journée; et, comme il +arrive, les vainqueurs ne lui en voulaient pas moins que les vaincus. +Lorsqu'ils virent Alpinolo, non content de dédaigner le prix, entrer en +si furieuse colère, et, sans rien considérer, maltraiter tous ceux qui +l'entouraient, ils se tournèrent contre lui: «A qui en veut donc cet +enragé?--Par tous les saints du calendrier, disaient les autres, il faut +qu'il ait bu du sang de dragon et mangé de la chair de +crocodile!--Finissons-en une bonne fois avec cet Ambroisien endiablé!» + +Et entre les Milanais et les Pisans commença la bataille des langues qui +précède ordinairement la bataille des mains. + +«Faites-nous place, Pisans, honte des nations! criaient les Lombards en +regardant de travers. + +--Passez votre chemin, Milanais, grands mangeurs de fèves! répondaient +les Pisans en montrant le poing. + +--Les fèves sont meilleures que les goujons, dont on achète trente-six +pour un poil d'âne.» + +Des paroles on en vint aux mains: «Ce sont des guelfes, ce sont des +gibelins, ce sont des traîtres Raspanti. Alors une lutte s'engagea, qui +donna fort affaire, pour la calmer, aux nobles et aux gonfaloniers. Plus +d'un resta mort sur le champ, plus d'un en remporta de fâcheux souvenirs +pour toute la vie; mais comme il arrive le plus souvent que les +coupables profitent des querelles des innocents, au milieu de ce +tumulte, Ramengo put prendre sa course, et par le chemin le plus court +s'en aller à la grâce de Dieu. + +Lorsque Alpinolo s'aperçut qu'il perdait son temps à le poursuivre, il +se prit à se maudire, à maudire le jour qui l'avait vu naître, celui qui +le lui avait donné, et la fantaisie qu'il avait eue de prendre part à ce +combat. S'il ne s'y fût point mêlé, il aurait rencontré Ramengo; il se +serait vengé sur lui en vengeant Franciscolo, la divine Marguerite, la +patrie perdue par sa faute, l'humanité déshonorée par le traître. + +De son côté, Ramengo, échappé au péril d'être tué par son propre fils, +commença à se plaindre et à chercher dans la colère le remède de ses +remords: cette circonstance redoubla encore sa haine contre Pusterla. + +«C'est parce qu'il m'a trompé par les apparences d'un faux amour, que +j'ai tué ma femme. Un fils au moins me restait d'elle, un fils en qui je +pouvais me complaire et me rendre l'envie de ceux qui peut-être me +méprisent. Et cet infâme vient encore se jeter entre nous; et, pour ses +folles fantaisies, le père et le fils sont divisés, sont ennemis; mais, +non; je ne me reposerai point que je n'aie réussi à me réconcilier avec +mon fils; j'exterminerai celui qui le fascine. Alors je me rapprocherai +d'Alpinolo, je reparaîtrai avec lui dans la société, à Milan, à la cour. +Lorsque je serai arrivé à un poste brillant, qui cherchera jamais quel +fut mon premier pas? Mais toi, toi maudit, qui es la cause de notre +séparation, je sais maintenant où tu t'abrites; et que je ne sois pas un +homme, si je ne le fais expier ton crime par le sang. Alors seulement tu +auras payé ta dette.» + +[Illustration.] + +Et il écrivit à Luchino Visconti la lettre que nous avons trouvée dans +les mains du secrétaire, le jour de l'entretien du prince et de +Marguerite, dans laquelle il demandait l'impunité pour son fils, et +laissait entrevoir qu'il était sur le point de partir pour rejoindre +Pusterla. Il n'osa plus se montrer, de toute cette journée, dans les +rues de Pise; il ne retourna plus dans l'auberge d'Aquevino, qui +regardait sa maison comme souillée pour avoir abrité un homme de cette +espèce. Une taverne, avec une branche d'arbre pour toute enseigne, où +logeaient la nuit des portefaix, des mariniers et de mauvaises femmes, +fut le refuse de Ramengo pendant les jours qui suivirent; mais, riche en +ruses et en argent, il ne tarda pas à s'entendre avec un capitaine de +navire qui, au premier bon vent, devait mettre à la voile pour Antibes; +en effet, après peu de jours, il quitta sain et sauf l'Italie. Alpinolo, +qui, jour et nuit, l'épiait dans les coins les plus reculés, dans la +foule la plus épaisse, eut beau temps à l'attendre. Il ne devait plus le +rencontrer que dans un horrible lieu. + + + +CHAPITRE XVI. + +L'EXILÉ. + +SÛR de la fidélité de Pedrocco de Gallarate, Buonvicino lui confia +Pusterla. Pedrocco était le chef d'une de ces espèces de caravanes qui, +deux ou trois fois l'an, faisaient le voyage de France pour y porter les +denrées du Levant et les draps de Milan. Il avait la tournure d'un +portefaix, la face bronzée par le soleil et la gelée, les mains robustes +et calleuses. Il était vêtu d'un justaucorps serré à la taille par une +large ceinture de cuir noir qui soutenait un cimeterre; souvent son +capuce, rabattu sur les yeux, lui donnait une physionomie si dure +qu'elle avait quelque chose d'effrayant. Cependant c'était le meilleur +homme du monde, un bon vivant aimable et tranquille qui n'eût pas voulu +faire de mal à une mouche. Capitaine d'une bande de muletiers, +expéditionnaire ambulant, on le trouvait toujours prêt à tout faire, +habile et discret. Il eût porté de la même façon une indulgence plénière +et une sentence de mort, une châsse pleine de reliques et le prix de +l'infamie et de la trahison. Cette fois, il avait chargé son convoi de +draps sortis des fabriques des Umiliati de Brera et de la maison de +Varez, pour les porter à Louvain, à Sedan et dans d'autres villes qui +nous fournissent aujourd'hui. Quand Buonvicino lui eut recommandé de +conduire son ami et de se taire, il mit la main sur son coeur, en +s'écriant: «Mon père, je ferai tout mon possible;» et il se chargea de +cette mission de confiance avec d'autant plus de loyauté, qu'il voyait +que Buonvicino jouissait d'une plus grande estime. + +[Illustration.] + +Ils s'avancèrent donc par la Valgane avec une file de mulets, et après +quelques détours se trouvèrent enfin dans le val Travaglia. Mais au +moment où ils étaient engagés le plus avant dans ces gorges, ils se +virent attaqués par une bande d'hommes avinés, qui d'abord firent +craindre à Pusterla pour sa vie et celle de son fils; rassemblant les +muletiers, il se préparait à se défendre. Mais ils s'aperçurent bientôt +que ces gens-là n'en voulaient point à leur vie. Ils les laissaient +libres de continuer leur chemin, pourvu qu'ils abandonnassent leur +convoi ou qu'ils payassent une énorme taille, parce qu'ils venaient de +Milan, et qu'ils étaient eux-mêmes les ennemis du seigneur de Milan. + +[Illustration.] + +Ils commençaient déjà à dépouiller la caravane, lorsque Pusterla apprit +qu'ils étaient les hommes d'Aurigino-Muralto de Locarno. C'était, si on +s'en souvient, un des amis de Pusterla; il avait assisté à la réunion de +la fatale soirée; et, condamné à mort par les Visconti, au lieu de fuir +avec les autres proscrits, il s'était retiré dans les montagnes +patrimoniales et à Locarno, dont il était le seigneur. Là, ayant fait +alliance avec les Rusconi, seigneurs de Bellinzona, il avait levé +bannière contre Luchino. + +Ce nom, cette nouvelle, suffirent pour chasser de l'esprit de Pusterla +toutes les résolutions de repos, de fuite et de retraite. «Aurigino, +dit-il aux hommes de la bande, c'est un de mes grands amis; malheur à +celui qui touchera un fil de ces bagages! Nous sommes du même parti, et +je viens pour faire cause commune avec lui.» + +Il obtint en effet que ces _Masnadieri_, qui avaient une espèce de bonne +foi à leur manière, et qui respectaient le droit des gens à la façon des +modernes Bédouins, ne touchassent point les bagages: puis il s'embarqua +sur le lac Majeur. Le petit Venturino paraissait jouir avec délices de +la beauté d'un ciel si pur, de ces eaux, de ces rivages, de cette mer +environnée de montagnes escarpées et de ces plages ornées de la plus +luxuriante végétation. Il resta un instant les yeux comme fascinés par +ces enchantements: puis, se retournant vers son père: «Oh! si ma mère +était avec nous!» s'criait-il. Et leurs pleurs se confondaient, et ils +soupiraient ensemble. + +Mais si le coeur et l'esprit, de l'enfant ne se nourrissaient que +d'amour, le père était occupé d'idées bien différentes. Il se voyait +déjà le chef d'une armée de braves et résolus montagnards, et la terreur +de Visconti. De victoire en victoire, sa pensée courait jusqu'au jour où +il imposerait un pacte à Luchino, et où il regagnerait par les armes sa +femme et sa patrie. Lorsqu'il arriva à Locarno, il y fut reçu avec +enthousiasme. Fêtes, réjouissances, tout lui fut prodigué. On lui montra +un grand appareil de puissance, on lui exagéra les forces dont on +disposait. Mais Aurigino-Muralto était chef, lui, il y était chef de sa +petite armée, et pour renoncer au commandement, il faut plus de vertu et +moins d'impétuosité que n'en avait le jeune rebelle. On fit donc des +politesses infinies à Pusterla; mais quant à de l'autorité, on ne lui en +donna aucune. Aux courtes illusions succéda un prompt désenchantement, +et avec son inquiétude habituelle, Pusterla souhaitait être bien loin +d'un lieu où ses amis mêmes, disait-il, l'abandonnaient et le +trahissaient. + +Il reçut des lettres de Buonvicino. Celui-ci, avec toute la chaleur de +l'amitié, le suppliait de fuir, de s'éloigner le plus qu'il pourrait, de +ne point se laisser aliéner par les trop faciles espérances des bannis. +Il le conjurait de se souvenir que la vie de Margherita pouvait dépendre +d'un de ses mouvements; de penser à son fils, qu'il avait avec lui, et +qu'il devait conserver à l'amour de cette infortunée. Il lui apprenait +ensuite les préparatifs de Luchino contre Muralto, et qui certainement +écraseraient une poignée de révoltés, quelque courage qu'ils dussent +déployer. + +Cédant en partie aux conseils de l'amitié et de la prudence, en partie +au dépit de se voir dédaigné, Pusterla quitta Locarno, où il devint le +sujet d'autant de railleries qu'il avait naguère obtenu +d'applaudissements. Toujours accompagné, de Pedrocco, il s'avançait à +travers les Alpes, en suivant des routes marquées seulement par +l'écoulement des eaux et par quelques croix qui marquaient les endroits +où les voyageurs s'étaient engloutis dans le précipice. C'était un +étrange spectacle pour nos bannis que cette suite de mulets qui, +toujours suspendus sur le bord de l'abîme, gravissaient tortueusement, à +pas lents et la tête basse, sans qu'au sein de cette vaste solitude ou +entendu d'autre bruit que le battement de leurs sabots, le tintement des +grelots de leurs colliers, les sifflets et les jurons des muletiers. Au +centre de la caravane, Pusterla s'avançait sur un mulet robuste, tenant +Venturino en croupe. Pedrocco cheminait à pied à ses cotés, courant çà +et là pour donner les ordres nécessaires, puis revenant toujours à son +poste, pour alléger, par son entretien, l'ennui du seigneur lombard. + +«Oh! d'ici en France, il n'y a qu'un saut. Beau et riche pays que +celui-là. La Lombardie n'en vaut pas la moitié.--Quel en est le +gouvernement?--Mais ce sont des choses que je n'entends point.--Les +routes?--Attendez-vous à les voir toutes pareilles à celle que nous +suivons, qui, comme chacun sait, a été faite par le diable. Abîmes, +précipices, ruines, éboulements dans les montagnes, bois, marécages dans +les plaines, des voleurs partout. Mais les mules savent où elles mettent +le pied, et, le plus souvent, le voyage s'accomplit sans qu'une seule +périsse. Et puis, à quoi sert d'avoir peur? S'il faut mourir, bonne +nuit, c'est une corvée qu'il faut faire au moins une fois. Je dis bien: +le pire, ce sont les malandrins. Vous avez vu comme nous l'avons échappé +belle avec ceux de là-bas. En l'an treize cents et je ne sais plus +combien, nous revenions d'Avignon avec soixante mille florins d'or tout +neufs. Je suis hors de moi rien qu'à me rappeler ce beau magot. Le +saint-père me les avait confiés pour les porter au cardinal Poggello, +son neveu, pour payer les troupes chargées de tenir en bride certaines +factions et d'autres choses auxquelles je ne m'entends point. Le +saint-père, parce que ses florins lui tenaient au coeur, me donna cent +cinquante cavaliers pour convoyer mes trente mulets; des cavaliers, je +puis le dire, que l'air en tremblait. On va, nous passons fleuves et +monts sans faire une rencontre, lorsque, engagés dans une vallée du la +Savoie je commençai à remarquer certaines figures qui ne promettaient +rien de bien. «N'ayons pas peur, dirent les cavaliers français; nous ne +faisons qu'une bouchée des Italiens.» Il faut dire qu'ils ne s'étaient +pas bien recommandés à saint Christophe pour avoir un bon voyage, parce +que les Français ont toutes les bonnes qualités, mais peu de dévotion. +Pendant que nous vidions, non pas une bouteille, mais un tonneau, voici +toute la bande, Dieu sait combien ils étaient! qui nous tombe sur le +dos. Ferme, prends, frappe, laisse: ces Français paraissaient autant de +paladins Roland. Mais il faut avouer qu'au jeu des mains, les Italiens +n'ont pas leurs pareils au monde. En somme, ces gens, qui étaient de +Pavie, démontèrent les Français, et après les avoir débarrassés du poids +de leur armure et de leurs bagages de cavaliers, les renvoyèrent à +Avignon à pied, comme des pèlerins; puis il m'enlevèrent juste la moitié +de mon argent et de mes mules, chose qui n'était point encore arrivée +depuis que les pedrocchi vont de Gallarate en France. Et je dus conduire +au cardinal-légat ce qui me restait.» + +[Illustration.] + +Lorsque Pusterla arriva sur la cime des monts qui séparent les deux +contrées, il s'arrêta, regarda de tous côtés le ciel et la terre. Les +genoux semblaient lui manquer, et Pedrocco lui demanda s'il se trouvait +mal. Il répondit en soupirant: «Ici finit l'Italie! + +--L'Italie, s'écria Pedrocco, Votre excellence pourra la trouver dans +Avignon. Là, cardinaux, serfs, camériers, poètes, bouffons, tout est +Italien. + +--Et connaissez-vous dans cette ville d'Avignon Guillaume Pusterla? + +--Qui? l'archiprêtre de Moura? Je l'ai accompagné, moi-même. + +--Et comment se trouve-t-il? + +--Très bien; gras, triomphant; il est d'une santé à passer cent ans. + +--Je le sais; mais je demande si le pape le favorise, s'il connaît les +disgrâces de sa famille à Milan, s'il est bien vu à la cour. + +--Ce sont des choses auxquelles je n'entends rien.» Après un court +séjour à Paris, Pusterla vint dans cette partie tout italienne de la +France, comme le lui avait dit Pedrocco, c'est-à-dire dans le comtat +Venaissin. A peine arrivé à Avignon, il s'informa de la demeure de +l'archiprêtre de Moura, Guillaume Pusterla, son oncle, et il fut reçu +par le digne, prélat avec toute la joie imaginable. L'argent que +Pusterla avait placé sur les principales maisons de commerce de la +France, et qui s'élevait à des sommes très-considérables, lui permit de +mener, malgré la confiscation de ses biens, un train convenable à son +renom et à sa naissance. Son oncle le mit en rapport avec tous les +dignitaires ecclésiastiques d'Avignon, et aussi avec les hommes qui se +distinguaient le plus par leur science, entre autres avec Pétrarque. + +[Illustration.] + +Cependant Pusterla avait toujours espéré que le pape se prêterait tôt ou +tard aux desseins qu'il avait formés contre Luchino, lorsqu'un événement +inattendu détruisit tout à coup ses espérances. Des envoyés de Luchino +vinrent à Avignon solliciter le pardon du saint-père; et le naturel +bienveillant de Benoît XII, incapable de chicaner sur les conditions, +rendit la réconciliation plus prompte et plus facile. L'interdit qui +pesait sur les Milanais depuis vingt ans fut levé par le pape, et en +retour Luchino reconnut la suprématie de la papauté sur l'empire, son +droit de nommer au trône vacant, et son indépendance absolue de la +puissance impériale. Il devait en outre payer au saint-siège un tribut +annuel de soixante mille florins. Ce fut l'archiprêtre de Moura qui +annonça cette nouvelle à Pusterla. «Et des exilés, des prisonniers, le +traité n'en a-t-il pas fait mention? demanda celui-ci. + +--Aucune, répondit l'archiprêtre. Le pape recommande aux seigneurs de +Milan d'être pieux, généreux, plus prompts à récompenser qu'à punir, +s'ils veulent que le Seigneur en fasse autant avec eux. Mais, mon neveu, +à peine puis-je contenir ma joie en pensant aux contentements des +Milanais et de mes bons habitants de Moura, lorsqu'ils vont apprendre +l'heureuse nouvelle! Les églises ouvertes de nouveau, leurs morts +ensevelis en terre bénite, les chants qui leur seront rendus, le bonheur +de revoir les cérémonies solennelles qu'ils n'avaient pas vues depuis +vingt ans.» En parlant ainsi, les larmes venaient aux yeux du bon +archiprêtre; mais l'heureuse nouvelle, comme il disait, causa bien de +mauvaises nuits à Pusterla, par la perte de ses espérances. + +[Illustration.] + +Sur ces entrefaites, Ramengo arriva à Avignon et se présenta à Pusterla +comme un ami. En effet, c'était un ancien client de sa famille, et qu'il +s'était lui-même attaché par des bienfaits. Il avait été l'époux de +cette Rosalie qui lui avait inspiré tant de compassion, s'il ne l'avait +point aimée d'amour. Ses crimes énormes, ses tentatives contre l'honneur +de Marguerite, lui étaient inconnus. Quant à sa dernière trahison, +Alpinolo, dans le premier moment, s'était jeté aux pieds de Pusterla +avec l'intention de lui confesser sa propre faiblesse et la criminelle +perfidie de Ramengo. Mais pour courir à la recherche de Marguerite, il +avait interrompu sa confession, et si on ne fait point de tels aveux +dans le premier élan d'un généreux repentir, la réflexion nous en ôte +ensuite le courage. + +Aussitôt qu'il vit Ramengo, notre exilé l'aborda avec cordialité, en lui +demandant: «Êtes-vous venu de vous-même ou par contrainte? + +--Moitié l'un, moitié l'autre,» répondit Ramengo; et il imagina autant +de mensonges qu'il lui en fallait pour exciter la compassion et gagner +la confiance de son seigneur. Voyant en lui un concitoyen exilé comme +lui, comme lui persécuté et peut-être pour lui, Pusterla trouvait à +Ramengo des titres suffisants pour qu'il l'accueillit à bras ouverts, le +désirât pour son hôte, et se mit à entamer avec lui ces premiers sujets +de la conversation du banni: la patrie et la famille. + +Le traître avait trop beau jeu. Par un facile mélange du faux et de +vrai, Ramengo sut non-seulement éloigner tout soupçon de l'âme du +lombard, mais encore acquérir entièrement sa confiance. Avec une fougue +d'autant plus grande que depuis longtemps elle n'avait point trouvé à +s'assouvir, Francesco exposa au nouveau venu ses déceptions à cause du +nouveau traité conclu par te saint-père avec Luchino, et du soupçon +qu'il avait conçu que les ambassadeurs de ce prince avaient machiné de +le prendre par violence, et de le traîner à Milan; soupçon, à vrai dire, +fondé sur un trop grand nombre d'exemples d'une semblable déloyauté. + +Nos lecteurs doivent se souvenir que Ramengo avait montré aux réfugiés +de Pise certaines lettres de Martino della Scala, qu'il se disait chargé +de remettre à Pusterla. C'était encore une de ses trame». Sachant que +Franciscolo était dans les bonnes grâces de Scaliger, et comment il +avait été excité à la vengeance pendant qu'il était à Vérone, d'accord +avec Luchino, il feignit une lettre dans laquelle Martino annonçait +qu'une rupture définitive allait éclater, par ses soins, entre lui et +Luchino. Il invitait Pusterla à se rendre à sa cour, lui promettant de +larges honoraires et une autorité égale au mérite d'un homme si +généralement cher et révéré, qui entraînerait sous ses drapeaux tous +ceux qui désireraient rendre la liberté à leur patrie et la recouvrer +pour eux-mêmes. + +C'était frapper un coup de maître sur une âme ambitieuse et inquiète +comme celle de Pusterla. Ramengo, battant le fer pendant qu'il était +chaud, lui exposa l'état de toute l'Italie, ce qu'il avait pu pénétrer +des desseins des bannis pendant son séjour à Pise. Il raconta comment il +s'était abouché et entendu avec ces derniers, et même qu'il venait de +leur part le solliciter de prendre pitié de la patrie, qui lui demandait +merci; de sortir d'un repos apathique; de se souvenir comment Matteo +Visconti, après neuf années, était revenu au pouvoir, parce que les +fautes des Porrian dépassaient les siennes. + +Flottant entre son imagination, qui souriait à un avenir de vengeance et +de tendresse, et les conseils de son oncle et ceux de Buonvicino; +quelquefois résolu de tenter toute chose pour sortir de ce calme +homicide; quelquefois ayant soif de paix, de ce repos dont il se sentait +plus désireux que capable, il était dans la pire des conditions; celle +de l'homme qui ne sait pas prendre un parti. + +«Pourquoi ne recourez-vous pas à Pommaso Pezzano?» lui dit Ramengo. Le +Pezzano était un astrologue de ce temps fort renommé dans Avignon; et +c'était alors, et non pas seulement alors, un expédient excellent pour +les esprits faibles et indécis, que de substituer aux calculs de la +prudence les prophéties d'un imposteur. Le conseil plut à Francesco. +L'astrologue, après avoir fait montre d'études et de connaissances +mystérieuses, lorsqu'il eut observé pendant plusieurs jours la main de +Pusterla et les étoiles, formé l'horoscope et trouvé _l'ascendant_, lui +annonça alors que sa vie était en grand danger, et une quelqu'un, sous +de gracieuses apparences, cherchait à le livrer à ses pires ennemis. + +Il n'en fallut pas davantage pour confirmer Pusterla dans le doute qu'il +avait déjà conçu que la cour pontificale voulait le livrer, comme une +victime, à Visconti réconcilié. Il fit donc les préparatifs de son +départ. Quelques raisons que lui apportât son oncle, quelques +exhortations qu'il lui fit, les larmes aux yeux, d'écouter la divine +sagesse, qui taxe de folie ceux qui dépensent leur argent à tenter la +ruine des puissants, quelques assurances qu'il lui donnât qu'il n'avait +point à craindre de trahison si noire des prêtres d'un Dieu de justice, +Pusterla se confirmait d'autant plus dans son projet de revenir en +Italie, «Enfin, disait-il, quel mal peut-il m'arriver? Je ne me livre +point aux mains de mon persécuteur; je ne me confie point aveuglement à +une indulgence, à une générosité mensongères. Non: je reverrai +l'Italie.--Italie! qui peut proférer ton nom sans ajouter belle et +infortunée! Je m'approcherai de mes amis, de Marguerite. De là, je +pourrai comprendre et apprécier la situation de ma patrie; et mieux que +dans Avignon, terre de prêtres, je trouverai un sûr et honorable asile +dans Pise: Pise libre, souveraine des mers et ennemie des Visconti!» + +[Illustration.] + + + +[Illustration.] + +Modes. + +La fourrure et le velours commencent à dominer dans toutes les +toilettes, et les plus merveilleux pardessus, paletots et même twines +seront bordés de martre. La forme qui semble vouloir être adoptée par +les femmes élégantes est celle dit kazadaveka, dont nous donnons +aujourd'hui le modèle, pour la promenade, il doit être plus long. En +velours garni de fourrure, il est charmant. + +L'autre figurine porte un pardessus en satin avec collet et des manches +qui s'ajustent à volonté; c'est presque l'ancien witchoura serrant la +taille. + +Pour les sorties de bal on fait de très-grands mantelets à capuchon +bordé de cygne ou d'hermine. + +Quant aux twines, puisque cette mode anglaise, déjà acceptée par les +hommes, semble prendre aussi une place importante dans nos toilettes, et +qu'ainsi elle devient française, disons que ces vêtements se font en +drap-cachemire brodé en soutache et doublé en fourrures on en satin; le +collet, fait a peu près comme le collet des habits, est recouvert de +fourrures, et peut se dresser pour garantir le cou du froid; les manches +sont aussi comme celles des homme, mais plus larges du haut, afin de +laisser libre le passage de la robe; les parements en fourrures +permettent aux mains de se cacher dessous en l'absence du manchon, qui +souvent est gênant par un temps pluvieux. + +Les jupes des robes conservent beaucoup d'ampleur, mais on a supprimé +les tournures et les jupes crinolines. La taille gagne beaucoup de grâce +à être entourée seulement des plis de la robe. Les manches des robes de +sortie se finit plus souvent justes; la variété est dans l'arrangement +des ornements; c'est une affaire de goût et d'intelligence. + +Pour le matin, nous recommandons une redingote en satin, avec des +chevrons en velours posés sur le devant de la jupe, et au bout de chaque +chevron, un noeud en passementerie terminé par des glands;--le corsage +montant est orné de la même garniture répétée en s'élargissant vers le +haut. + +Un chapeau de velours avec un grand voile en dentelle est simple, mais +distingué. + +Bientôt nous aurons à raconter les élégances du soir, car voici qu'on a +quitté la vie de château pour la vie de salon. On se retrouve, on +s'assemble, et la première, la plus importante affaire, c'est la +toilette; il faut donc s'en occuper; ainsi ferons-nous. + + + +Amusements de sciences + +SOLUTION DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS LE DERNIER + +NUMÉRO. + +I. Cette épitaphe est celle du célèbre Diophante, la voici en vers +latins, telle qu'elle a été donnée dans l'anthologie grecque: + + Hic Diophantus habet tumulum, qui tempora vitæ + Illius mira denotat arte tibi: + Egit sextantem juvenis; lanugine mala + Vestire hinc coepit parte duodecima; + Septante uxori post haec sociatur, et anno + Formosus quinto nascitur inde puer. + Semissem ætatis postquam attigit ille paternæ + Infelix subita morte peremptus obit + Quatuor æstates, genitor lugere superstes + Cogitur, hinc annos illius assequere. + +Pour trouver l'âge de Diophante à sa mort, il faut trouver un nombre +dont le sixième, le douzième, le septième et la moitié, en y ajoutant 5 +et 4, fassent le nombre lui-même. Ce nombre est 84. + +II. La solution de ce problème est des plus faciles. La première +personne a eu 160 fr.; la seconde, 125 fr.; la troisième, 95 fr., et la +quatrième, 120 fr. + +Il faut remarquer que, sans la dernière condition, ou une quatrième +quelconque, le problème serait indéterminé, c'est-à-dire qu'on pourrait +y satisfaire d'une infinité de manières. C'est cette dernière condition +qui limite la solution à une seule. + +III. Placez sur le tapis d'un billard une bille, et frappez-la, sur le +côté, d'un coup perpendiculaire au billard et avec le tranchant de la +main; vous la verrez, marcher quelques centimètres du côté où doit la +porter ce coup; puis rétrograder en roulant, sans avoir remontré aucun +obstacle et comme d'elle-même. + +Cet effet n'est pas contraire à ce principe de mécanique si connu qu'un +corps mis une fois en mouvement dans une direction, continue de s'y +mouvoir tant qu'aucune cause étrangère ne l'en détourne; car, dans le +cas proposé, voici comment les choses se passent: + +Le coup imprimé, comme on vient de dire, à la bille, lui donne deux +mouvements, un de rotation autour de son centre, et un autre direct, par +lequel son centre se meut parallèlement au tapis, dans la direction du +coup. Ce dernier mouvement ne s'exécute qu'en frottant le tapis, ce qui +l'anéantit bientôt. Mais le mouvement de rotation autour du centre +subsiste, et, le premier une fois cessé, il fait rouler la bille comme +pour revenir sur elle-même. Ainsi il n'y a dans cet effet rien que de +très-conforme aux lois connues de la mécanique. + +[Illustration.] + +IV. Il est aisé de voir que si le poids C était précisément au milieu de +la barre AH, les deux personnes en porteraient chacune la moitié; mais +si le poids n'est pas au milieu, on démontre, et il est aisé de le +démontrer, que les parties du poids soutenu par les deux personnes sont +en raison inverse de leur distance au poids. Il est donc question de le +diviser en raison des distances, et la plus grande portion sera celle +que soutiendra la personne la plus voisine du poids, et la moindre sera +celle que soutiendra la plus éloignée. Le calcul se fera par la +proportion suivante; + +La longueur totale du levier AB est à la longueur AE comme le poids +total est au poids soutenu par la puissance qui est à l'autre extrémité +B; on AB est à BE comme le poids total est à la partie soutenue par la +puissance placée en A. + +Soient, par exemple, AB de trois mètres, le poids C de 150 k., AE de 2 +m, et BE de 1 m.; vous aurez cette proportion: 3 est à 2 comme 150 est à +un quatrième terme, qui sera 100. Ainsi, le porteur place à l'extrémité +B portera 100 kilog.; conséquemment la puissance placée en A ne sera +chargée que de 50 kilog. + +La solution de ce problème donne le moyen de repartir un poids +proportionnellement à la force des agents qu'on emploie à le soulever: +car, si l'un des deux est, par exemple, de la moitié moins fort que +l'autre, il n'y aura qu'à le placer à une distante du poids double de +l'autre. + + + +NOUVELLES QUESTIONS À RÉSOUDRE. + +I. Quinze chrétiens et quinze Turcs se trouvent sur mer dans un même +vaisseau; il survient une furieuse tempête. Après avoir jeté dans l'eau +toutes les marchandises, le pilote annonce qu'il n'y a de moyen de se +sauver que de jeter encore à la mer la moitié des personnes. Il les +l'ait ranger de suite, et, en comptant de 9 en 9, on jette le neuvième à +la mer, en recommençant à compter le premier du rang quand il est fini. +Il se trouve qu'après avoir jeté quinze personnes, les quinze chrétiens +sont restés. Comment le pilote a-t-il disposé les trente personnes pour +sauver les chrétiens? + +II. Comment peut-on distribuer commodément 4, 8, 16, 32 hommes pour +porter un fardeau considérable sans s'embarrasser? + + + +EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS. + +Ainsi que la vertu, le crime a ses degrés. + + +TYPES DE L'ANCIENNE COMÉDIE [Nouveau rébus.] + + +RÉBUS COMMUNIQUÉ PAR UN JEUNE ABONNÉ A L'ILLUSTRATION [Nouveau rébus.] + + + + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre +1843, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 4 NOV 1843 *** + +***** This file should be named 39436-8.txt or 39436-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/9/4/3/39436/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. They may be modified and printed and given away--you may do +practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +http://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all +the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy +all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. +If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project +Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the +terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or +entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. + +1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be +used on or associated in any way with an electronic work by people who +agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few +things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works +even without complying with the full terms of this agreement. See +paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project +Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement +and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic +works. See paragraph 1.E below. + +1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" +or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project +Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the +collection are in the public domain in the United States. If an +individual work is in the public domain in the United States and you are +located in the United States, we do not claim a right to prevent you from +copying, distributing, performing, displaying or creating derivative +works based on the work as long as all references to Project Gutenberg +are removed. Of course, we hope that you will support the Project +Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by +freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of +this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with +the work. You can easily comply with the terms of this agreement by +keeping this work in the same format with its attached full Project +Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. + +1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern +what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in +a constant state of change. If you are outside the United States, check +the laws of your country in addition to the terms of this agreement +before downloading, copying, displaying, performing, distributing or +creating derivative works based on this work or any other Project +Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning +the copyright status of any work in any country outside the United +States. + +1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: + +1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate +access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently +whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the +phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project +Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, +copied or distributed: + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + +1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived +from the public domain (does not contain a notice indicating that it is +posted with permission of the copyright holder), the work can be copied +and distributed to anyone in the United States without paying any fees +or charges. If you are redistributing or providing access to a work +with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the +work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 +through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the +Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or +1.E.9. + +1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted +with the permission of the copyright holder, your use and distribution +must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional +terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked +to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the +permission of the copyright holder found at the beginning of this work. + +1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm +License terms from this work, or any files containing a part of this +work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. + +1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this +electronic work, or any part of this electronic work, without +prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with +active links or immediate access to the full terms of the Project +Gutenberg-tm License. + +1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, +compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any +word processing or hypertext form. However, if you provide access to or +distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than +"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version +posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), +you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a +copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon +request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other +form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm +License as specified in paragraph 1.E.1. + +1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, +performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works +unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. + +1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing +access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided +that + +- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from + the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method + you already use to calculate your applicable taxes. The fee is + owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he + has agreed to donate royalties under this paragraph to the + Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments + must be paid within 60 days following each date on which you + prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax + returns. Royalty payments should be clearly marked as such and + sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the + address specified in Section 4, "Information about donations to + the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." + +- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies + you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he + does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm + License. You must require such a user to return or + destroy all copies of the works possessed in a physical medium + and discontinue all use of and all access to other copies of + Project Gutenberg-tm works. + +- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any + money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the + electronic work is discovered and reported to you within 90 days + of receipt of the work. + +- You comply with all other terms of this agreement for free + distribution of Project Gutenberg-tm works. + +1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm +electronic work or group of works on different terms than are set +forth in this agreement, you must obtain permission in writing from +both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael +Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the +Foundation as set forth in Section 3 below. + +1.F. + +1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable +effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread +public domain works in creating the Project Gutenberg-tm +collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic +works, and the medium on which they may be stored, may contain +"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or +corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual +property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a +computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by +your equipment. + +1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right +of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project +Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project +Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all +liability to you for damages, costs and expenses, including legal +fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT +LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE +PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE +TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE +LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR +INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH +DAMAGE. + +1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a +defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can +receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a +written explanation to the person you received the work from. If you +received the work on a physical medium, you must return the medium with +your written explanation. The person or entity that provided you with +the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a +refund. If you received the work electronically, the person or entity +providing it to you may choose to give you a second opportunity to +receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy +is also defective, you may demand a refund in writing without further +opportunities to fix the problem. + +1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth +in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER +WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO +WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. + +1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied +warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. +If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the +law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be +interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by +the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any +provision of this agreement shall not void the remaining provisions. + +1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit http://pglaf.org + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: http://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/39436-8.zip b/39436-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..c6a042b --- /dev/null +++ b/39436-8.zip diff --git a/39436-h.zip b/39436-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..14bb43b --- /dev/null +++ b/39436-h.zip diff --git a/39436-h/39436-h.htm b/39436-h/39436-h.htm new file mode 100644 index 0000000..64ba781 --- /dev/null +++ b/39436-h/39436-h.htm @@ -0,0 +1,3007 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1"> + <title>The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre 1843 by Various</title> + +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg"> + +<style type="text/css"> + + +body {margin-left: 10%; margin-right: 10%} + +h1,h2,h3,h4,h5,h6 {text-align: center;} +p {text-align: justify} +blockquote {text-align: justify} + +hr {width: 50%; text-align: center} +hr.full {width: 100%} +hr.short {width: 10%; text-align: center} + +.note {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.footnote {font-size: 0.8em; margin-left: 10%; margin-right: 10%} +.side {padding-left: 10px; font-weight: bold; font-size: 75%; + float: right; margin-left: 10px; border-left: thin dashed; width: 80px; text-indent: 0px; font-style: italic; text-align: left} + +.sc {font-variant: small-caps} +.lef {float: left} +.mid {text-align: center} +.rig {float: right} +.sml {font-size: 10pt} +.overl {font-size: 10pt; text-decoration: overline; text-align: center} +.cont {width: 650px} +.somm {float: left; width: 300px; font-size: 10pt; padding: 1em} +.suppl {color: #5A5047; background-color: #EEE2CA } + + +span.pagenum {font-size: 70%; left: 91%; right: 1%; position: absolute} +span.linenum {font-size: 70%; right: 91%; left: 1%; position: absolute} + +.poem {margin-bottom: 1em; margin-left: 10%; margin-right: 10%; + text-align: left} +.poem .stanza {margin: 1em 0em} +.poem .stanza.i {margin: 1em 0em; font-style: italic;} +.poem p {padding-left: 3em; margin: 0px; text-indent: -3em} +.poem p.i2 {margin-left: 1em} +.poem p.i4 {margin-left: 2em} +.poem p.i6 {margin-left: 3em} +.poem p.i8 {margin-left: 4em} +.poem p.i10 {margin-left: 5em} +.poem p.i12 {margin-left: 6em} +.poem p.i14 {margin-left: 7em} +.poem p.i16 {margin-left: 8em} +.poem p.i18 {margin-left: 9em} +.poem p.i20 {margin-left: 10em} +.poem p.i30 {margin-left: 15em} + + + +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre 1843, by Various + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre 1843 + +Author: Various + +Release Date: April 12, 2012 [EBook #39436] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 4 NOV 1843 *** + + + + +Produced by Rénald Lévesque + + + + + +</pre> + + + + +<br><br> + +<div class="cont"> + + + + + +<p>L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre 1843</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"><br> + +<pre> + Nº 36. Vol. II.--SAMEDI 4 NOVEMBRE 1843. + Bureaux, rue de Seine, 33. + + Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois. 16 fr.--Un an, 30 fr. + prix du chaque Nº. 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75. + + Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. + Pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40 +</pre> + +<div class="somm"> +<p>SOMMAIRE. <b>Une visite au poète Jasmin</b>. <i>Portrait et Maison de Jasmin; +Coupe et Laurier d'or donnés à Jasmin</i>.--<b>Histoire de la Semaine.--Le +Page</b>, romance. Paroles de M. E. de Lonlay; musique de M. Donizetti +<i>Gravure</i>.--<b>Théâtre-Italien</b>. Belisario, <i>Portrait de +Fornasari</i>.--<b>Courrier de Paris</b>. <i>Madame Paradol; le Protée +anguillard.</i>--<b>Les Vendanges</b>. <i>Sept Gravures</i>.--<b>Romanciers contemporains</b>. +Charles Dickens. Martin fait de nouvelles connaissances et Mark un +nouvel ami. <i>Gravure</i>.--<b>Margherita Pusterla</b>. Roman de M. César Cantù. +Chapitre XV, le Père et le Fils; chapitre XVI, l'Exilé, <i>douze +Gravures</i>.--<b>Annonces.--Modes</b>. <i>Gravure</i>.--<b>Amusements des Sciences</b>. +<i>Gravure</i>.--<b>Rébus</b>.</p> +</div> + +<h2>Une visite au poète Jasmin.</h2> + +<p>Agen, cette ville ancienne, située au cœur de la Gascogne, sur les +rives admirables d'un fleuve qui a besoin d'être plus vanté; Agen, avec +sa cathédrale byzantine, sa maison de Montluc, sa promenade superbe du +<i>Gravier</i>, ses ponts si beaux sur la Garonne, où vient s'ajouter un +dernier miracle de l'art, le pont-aqueduc; Agen cependant, aux yeux du +voyageur, à la pensée même de l'Agenois et de l'habitant du Midi, n'a +qu'une seule merveille, une au moins qui absorbe toutes les autres: +c'est un coiffeur-poète, un homme de génie tout bonnement, qui rase et +coiffe; mais cet homme est l'homme du Midi.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/001a.png"><br> +<b> Jasmin.</b></p> + +<p>Il y a bien aussi, dans cette France méridionale, un autre homme qui, +par sa poésie et sa condition, a quelque similitude avec Jasmin; c'est +Reboul, le boulanger de Nîmes. Mais cette circonstance n'est +qu'apparente; Reboul n'est homme du Midi et boulanger que par hasard; ce +n'est pas là sa condition réelle, C'est un littérateur d'esprit et, +élégant, comme tant d'autres; c'est un des mieux placés dans cette +légion d'astres qui gravitent, en le reflétant, autour de ce soleil qui +se nomme Lamartine. Mais n'allez pas lui demander des vers en patois; sa +langue est celle de Paris; il en connaît tous les secrets, toutes les +formes mélancoliques et harmonieuses; il vous variera avec charme cet +éternel thème de douleur, de religion et d'amour qui, depuis 1820, a +fait germer deux mille volumes de vers. Ce qui le distingue cependant et +le met hors ligne, c'est qu'il est boulanger; mais ceci est le +secondaire et l'accident de sa vie.--Une dame du grand monde, entendant +parler des succès diplomatiques et des tableaux de Rubens, disait +nonchalamment: «Ce Rubens était donc un ambassadeur qui s'amusait à +peindre?--Eh! non pas, madame, répondit Van-Dyck: c'était un peintre qui +s'amusait à être ambassadeur.» Reboul est un homme de beaucoup d'esprit +qui s'amuse à être boulanger.</p> + +<p>Tel n'est pas Jasmin. Là, au contraire, est une nature supérieure, +vierge, originale, un génie qui n'a d'autre source que dans lui-même, et +qui s'est fait un lit et des rives pour y verser et y promener une +poésie étrange et inconnue. C'est un homme qui, parlant une langue sœur +de celle du Dante, mais aujourd'hui dédaignée et presque proscrite, s'en +est hardiment emparé, l'a épurée, agrandie et fixée. Cette langue allait +mourir, disaient-ils, et lui la ressuscite et la baptise au nom de la +poésie et du génie; et ses poèmes, qui ne peuvent périr, entraînent avec +eux l'idiome dans leur immortalité.</p> + +<p>Quel est donc cet homme extraordinaire devenu ainsi la gloire et presque +l'idole du midi de la France? Il nous serait facile de répondre à cette +demande en analysant et pillant au besoin les excellents et charmants +articles publiés déjà sur lui par MM. Nodier, Sainte-Beuve, Lavergne et +tant d'autres; mais peut-être voudra-t-on bien préférer à ce +transvasement des pensées et des phrases d'autrui des impressions +personnelles et toutes récentes. Je vais donc raconter avec une vérité +simple la visite que j'ai faite il y a peu de jours à Jasmin.</p> + +<p>Sur le bateau à vapeur qui mène de Bordeaux à Agen, tous les hommes du +Midi m'avaient d'avance répondu à la question que j'allais leur faire; +«Jasmin! vous trouverez sa boutique sur la promenade, près du pont +suspendu. Au-dessus est écrit: <i>Jasmin, coiffeur des jeunes gens</i>. Au +reste, tout le monde vous l'indiquera.» M. de Talleyrand, à qui l'on +demandait l'adresse de la princesse de Vaudemont, répondait: +«Demandez-la au premier pauvre que vous rencontrerez dans la rue.» En +Gascogne, tout le monde connaît la demeure du poète, comme à Paris tous +les pauvres savaient où vivait la bienfaisance.</p> + +<p>Arrivé à Agen, et devant cette boutique célèbre, j'en examinai +curieusement l'aspect extérieur. Les boutiques des coiffeurs de la rue +Saint-Marcel ou du Gros-Caillou sont assurément plus splendides que +celle du poète. Les bustes traditionnels en cire ou en carton ne se +voient même pas sur la devanture vitrée et étroite, qui se couronne par +une planche avec ces mots: <i>Jasmin, coiffeur des jeunes gens</i>; au-dessus +est un seul étage, avec une seule croisée, puis le toit. D'ailleurs dans +la montre rien ne révèle l'auteur; pas un livre, pas une affiche; des +objets de toilette parlent pour le seul coiffeur.</p> + +<p>J'entrai dans la boutique. Elle est étroite et petite; trois chaises et +un fauteuil en paille la meublent; tout autour, des armoires vitrées +regorgent de perruques, de flacons, de peignes et de parfumerie; une de +ces armoires, la plus obscure, contient quelques livres: à coté d'elle, +dans le même coin, un petit guéridon est chargé de journaux, de lettres, +de livres: c'est le coin du poète.</p> + +<p>La femme de Jasmin était alors seule. «Mon mari va descendre,» dit-elle. +Quelques instants après entrait dans la boutique un homme de +quarante-cinq ans, de taille moyenne, mais vigoureux et trapu, la tête +forte, le teint animé, la lèvre épaisse, les cheveux crépus, les yeux +pleins de feu, une physionomie que plus tard je vis bien être aussi +mobile qu'énergique. Il était vêtu d'un paletot dont les soieries et la +ganse étaient fort fanées. C'était Jasmin.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/001b.png"><br><b> + Maison de Jasmin.</b></p> + +<p>Il me lit asseoir sur le fauteuil de paille, et lui-même prit une chaise +auprès de sa femme.. Cette double condition de poète et de coiffeur +embarrassait ma démarche, et j'attaquai d'abord le coiffeur. «Monsieur, +lui dis-je, je, dîne au château de la Garde, à quatre lieues d'ici. Je +ne sais si j'aurai le temps de faire ma barbe avant l'heure du dîner.... +et je viens...» Jasmin me répondit qu'il ne lui paraissait pas qu'il y +eût besoin de me raser... mais en étudiant un petit froncement presque +imperceptible dans sa bouche et ses yeux, je lui dis de suite que ceci +n'était qu'un prétexte, et que le véritable but de ma démarche était de +venir trouver l'homme éminent et de connaître le poète.</p> + +<p>Alors la physionomie de Jasmin devint tout à coup brûlante et splendide +d'animation, de froide et indifférente qu'elle était. «Savez-vous ma +langue? s'écria-t-il en changeant de chaise et en se rapprochant de +moi.--Non.--Ah! mon Dieu, quel malheur! mais c'est égal, j'essaierai de +vous la faire sentir.» Et tout à coup, sans autre prologue, le poète, +avec une chaleur d'esprit et un enthousiasme dont on ne peut rendre +compte, dans un excellent langage français d'ailleurs, se livrait à une +improvisation saisissante et à une théorie de son art de poète et du +génie de sa langue, dont je regrette; bien de ne pouvoir donner ici une +idée.</p> + +<p>«Quel bonheur pour moi, disait-il, de m'être servi de la langue du mon +pays! quoique vieille, elle est vierge; aucun antécédent, pour ainsi +dire, aucune règle, aucune de ces épurations énervantes ne lui +commandent. Elle est libre, fière, neuve dans la littérature, et elle +peut s'enrichir sans contrôle des paroles de ses sœurs qui nous +entourent, des langues espagnole, italienne, et de toutes celles du +Midi.</p> + +<p>«C'est ce qui fait mon bonheur, et peut-être ma force. Votre langue, au +contraire, quelle est-elle? Enervée de règles, d'entraves, de liens de +goût et de purisme, épuisée par la multitude et la fécondité des +auteurs, elle est vieille et caduque. C'est une langue admirable, sans +doute, pour la vie de la nation; mais c'est une langue tuée pour la +poésie.--Aussi on dit que la poésie meurt en France; c'est parce que la +langue poétique meurt qu'on le dit; car la poésie elle-même peut-elle +mourir? Et soyez, attentif à ceci: examinons la manière de Victor Hugo? +Qu'a-t-il cherché, ce grand poète, si ce n'est la langue qui lui manque. +Remarquez qu'il a voulu l'électriser et la ressusciter, pour ainsi dire, +par la bizarre recherche des mots et des formes, par le grandiose +quelquefois exagéré des idées. Le voyez-vous au milieu de cette +tourmente de son génie? D'où vient cette agitation? D'est que +l'instrument lui manque; sa langue usée et morte lui répugne; il veut se +faire une langue nouvelle dans la sienne. Moi, au contraire, j'ai la +mienne, comme je vous le disais, pure, vierge, hardie, vive, le bouquet +de fleurs d'oranger au côté; et c'est moi, moi seul jusqu'ici à qui le +bon Dieu a accordé de la mener à l'autel.</p> + +<p>«Avec une pareille liberté et un tel bonheur, la poésie devient facile +et naïve comme elle doit être; le vrai et le simple sont seuls touchants +et poétiques. Aussi tous mes efforts tendent là.--Je ne dis pas +<i>l'Éternel, le Dieu tout-puissant</i>, etc., mais le boun Diou, et l'idée +de Dieu n'en arrive-t-elle pas au cœur plus vive et plus tendre? Où est +la plus belle poésie, la vraie, si ce n'est dans ces vers de Béranger?»</p> + +<p>Et Jasmin, se levant, me dit avec un art prodigieux et les inflexions +d'un comédien consommé ces vers:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i16"> Mes enfants, dans ce village,</p> +<p class="i16"> Suivi des rois, il passa;</p> +<p class="i16"> Voilà bien longtemps de ça:</p> +<p class="i16"> Je venais d'entrer en ménage.</p> +<p class="i16"> A pied grimpant le coteau</p> +<p class="i16"> Où, pour voir, je m'étais mise,</p> +<p class="i16"> Il avait petit chapeau</p> +<p class="i16"> Avec redingote grise,</p> +<p class="i16"> Près de lui je me troublai.</p> +<p class="i16"> Il me dit: Bonjour, ma chère!</p> +<p class="i16"> Bonjour, ma chère!</p> +<p class="i16"> --Il vous a parlé, grand'mère!</p> +<p class="i16"> Il vous a parlé!</p> +</div></div> + +<p>«Vous allez entendre mes vers, continua-t-il; vous verrez, vous verrez. +C'est la nature, la douleur, la joie comme Dieu les fait.»</p> + +<p>Alors il se leva, et avec une pantomime sublime, car il pleurait de +vraies larmes, il fit la scène poétique qu'il voulait peindre. «Mon +fils! mon fils! mon pauvre enfant! Il est mort. Le voilà, mon ami, le +voilà! Ah! mon Dieu, ah! mon Dieu, mon pauvre <i>Dodo</i>, mort! Là, voilà sa +chaise, ses babils, ses livres. Oh! mon Dieu!</p> + +<p>«Voilà la nature, monsieur, voilà ma poésie. Cette scène était +attendrissante au plus haut degré. «Maintenant je vais vous lire mes +vers,» dit-il. J'attendais avec impatience cette offre, sachant +l'admirable talent de lecture du poète.</p> + +<p>«Combien pouvez-vous me donner de temps? dit-il.--Jusqu'à trois heures +et demie; la voiture de Caillat m'attend à cette heure.--Ah! mon Dieu! +quel malheur! Ah! mon Dieu! je ne pourrai pas vous lire +Francounette,--ni l'Aveugle du Castel-Cuillé non plus! Quel malheur!</p> + +<p>En ce moment, entre un étranger. «Je suis de ce pays, monsieur, mais +j'habite Genève, et dans cette ville tout le monde me parle de vous, on +m'en veut de ne pas vous connaître.--Vous êtes d'Agen? dit Jasmin.--Non +pas, mais de S....» Alors Jasmin de lui serrer la main, de lui parler +gascon, mais sans le faire asseoir et sans le retenir.--L'étranger +partit bientôt.</p> + +<p>«A nous donc! s'écria Jasmin; qu'est-ce que je vais vous lire? Ah! mon +Dieu, quel dommage une vous ayez si peu de temps!--quel malheur de ne +pas lire <i>l'Aveugle!</i>--Ah! monsieur, c'est si touchant, si beau! cette +pauvre fille qui meurt frappée de Dieu au moment où elle allait se tuer +elle-même! vous verrez, vous verrez!»</p> + +<p>Et il feuilletait son livre, ravi à chaque pièce qu'il voyait; et il +s'arrêta enfin à celle-ci:</p> + +<p><i>A un riche Agriculteur</i> qui sans cesse l'invitait à aller s'établir à +Paris, où il ferait fortune.</p> + +<p>«Suivez sur la traduction française qui est en regard, me dit-il, et +vous me comprendrez; et arrêtez-moi la où vous ne sentirez pas le mot +gascon.</p> + +<p>Et il lut délicieusement cette pièce:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i16"> Et bous tabé, Moussu, sans cregne</p> +<p class="i14"> De troubla mous jours et mas neys</p> +<p class="i8"> M'escribes de pourta ma guittaro et moun pegne</p> +<p class="i12"> Dins la grando bilo des Reys!...</p> +<br> +<p class="i16"> Et vous aussi, monsieur, sans craindre</p> +<p class="i16"> De troubler mes jours et mes nuits,</p> +<p class="i8"> Vous m'écrivez d'aller porter ma guitare et mon peigne</p> +<p class="i16"> Dans la grande ville des Rois!...</p> +</div></div> + +<p>Il terminait cette lecture entrecoupée de remarques, de commentaires et +des élans de la plus naïve et de la plus charmante satisfaction, +lorsqu'un second étranger entra.</p> + +<p>C'était un jeune lion parisien égaré dans cette Lombardie, de la +Garonne; il tenait en laisse un chien d'arrêt magnifique, dont il était +aussi fier qu'embarrassé; il venait évidemment pour voir Jasmin, dont le +nom se trouvait sur son <i>agenda</i> dans le Lot-et-Garonne.--Ce mélange de +poésie et de pommade parut l'ébranler.» Je voudrais, dit-il en +balbutiant, faire faire ma barbe.» Et comme si un remords l'eût saisi à +propos de cette barbe très-problématique sur son menton si jeune; «Ou me +faire couper les cheveux,» ajouta-t-il.</p> + +<p>Jasmin paraissait désespéré. «Je suis à vous, monsieur,» dit-il; et il +allait prendre des ciseaux... Il me faisait, avec des haussements +d'épaules et des yeux terribles, la pantomime du dérangé et de +l'ennuyé... Quant au jeune lionceau, il ne tenait guère au reste de la +chose; il avait vu Jasmin, son but était rempli, il pouvait désormais en +parler dans le monde, ce qui lui suffisait.--Aussi bâillait-il déjà. +Jasmin sentit la chose, «Mon Dieu, monsieur, je suis occupé; seriez-vous +assez bon pour revenir dans une demi-heure?--Tout à fait,» dit le jeune +homme, Et il sortit avec son chien.</p> + +<p>«Quel bonheur! s'écria Jasmin. Vous avez encore du temps, n'est-ce pas? +Ma femme, va donc prévenir Caillat, et voir si la voiture retardera son +départ?</p> + +<p>Maintenant, monsieur, je vais vous lire une pièce bien jolie; +voyez-vous, c'est le cœur qui l'a faite: c'est <i>la Caritat</i>. Suivez, +suivez bien, et arrêtez-moi si vous ne comprenez pas.</p> + +<p>Il est impossible de rendre la manière enchanteresse avec laquelle +Jasmin fit cette lecture;--il était vivement ému.--Son émotion passa +bien tôt à une sorte d'exaltation de lui-même qui avait sa grandeur, +«Monsieur, disait-il, mes vers ont aussi leur puissance de charité; avec +eux, avec mes lectures publiques, j'ai fait donner plus de 40,000 fr. +aux pauvres ou à d'autres œuvres. Il y a un clocher qui s'élève, et il +porte mon nom; c'est le <i>Clocher Jasmin</i>, parce que c'est moi qui ai pu +en procurer l'argent avec mes vers. Il vous aurait fallu voir quel +accueil, quel enthousiasme à Bordeaux, à Auch, à Toulouse! et à Paris, +monsieur, comme ils m'ont reçu! Vous disiez tout à l'heure que mon +mérite était dans mon originalité; M. Villemain, le ministre, me l'a dit +aussi dans sa lettre où il m'annonce cette belle pension qu'il m'a +donnée (et il prononçait ces mots: <i>Belle pension</i>, avec un accent aussi +plein de fierté que de gratitude). Et le roi, il m'a appelé chez lui, et +il m'a comblé de bontés; et les salons de Paris se disputaient mes +lectures; l'étranger lui-même parle de moi; au milieu de ces journaux, +voici un journal anglais qui me traduit et me nomme un des premiers +poètes de la France; combien d'autres de vos grands auteurs me le disent +aussi! et Sainte-Beuve, et Charles Nodier, comme ils me protègent! comme +ils m'aiment!»</p> + +<p>Ainsi se développait cette autre face de l'esprit de Jasmin. C'était +cette satisfaction exaltée de lui-même, ce que tout le Midi, en +l'admirant, lui reproche, ce qu'on appelle sa vanité.</p> + +<p>Sans doute Jasmin a quelque chose qui ressemble à la vanité, mais qui +est bien plus pur et plus noble qu'elle; il me semble que son caractère +s'en grandit. Cet orgueil est si naïf, et d'ailleurs si justifié. Eh +quoi! voici un homme né dans la pauvreté, dont tous les parents sont +morts à l'hôpital, comme il l'a dit, chanté et fait graver en tête de +ses livres; c'est un obscur coiffeur, et soudain le poète se révèle en +lui, le Midi s'étonne et admire; sa nation l'exalte, les grands poètes +arrivent à lui, et le nomment leur égal; les pauvres l'implorent, et +l'or pleut et tombe parce qu'il dit ses vers; la religion s'adresse à +lui et lui demande un édifice, et ses vers le lui donnent;--Bordeaux la +magnifique l'applaudit;--Auch lui vote une coupe admirable de vermeil +avec les mots: <span class="sc">à Jasmin, la ville d'auch, admiration, +gratitude</span>;--Toulouse, qui a son Capitole et ses fêtes antiques, lui fait +un triomphe et lui décerne des lauriers en or;--le duc d'Orléans lui +donnait une bague de diamants et lui avait réservé, dit-on, une faveur +plus grande encore;--la duchesse d'Orléans, lui envoie une médaille d'or +avec ces mots: <span class="sc">la duchesse d'orléans au poète jasmin</span>;--Paris l'appelle +et l'enivre de fêtes et de triomphes;--Le roi lui-même le reçoit aux +Tuileries, l'entend, et lui fait un présent royal;--toute la haute +littérature lui décerne des titres de gloire, et vous voulez qu'au +milieu de ce délire cet homme simple, franc, poète prenne un semblant de +fausse modestie et se déprime lui-même!</p> + +<p>Enfin il y a un mot de Jasmin charmant de modestie et qui détruit ce +reproche de vanité mauvaise: c'est lorsqu'à Paris, au milieu de ses +triomphes et lorsqu'on voulait l'y retenir, il répondit: «Il faut +partir, <i>les barbes poussent à Agen!</i></p> + +<p>«Puis-je vous lire une troisième pièce de vers? nous avons le temps, +Cuillat attendra.» Il ajouta: «M. Durand était un ange de charité, un +saint de bienfaisance. Hélas! les villes et les hommes oublient vite. Un +monument manque à sa tombe; mais, si Dieu le permet, il s'y élèvera un +jour.» Et il me lut la pièce délicieuse intitulée <i>le Médecin des +Pauvres</i>.</p> + +<p>Il avait fini, et j'étais encore sous le charme de sa poésie et de son +débit.--Je le regardai, des larmes étaient dans ses yeux; je lui pressai +la main avec attendrissement;--je ne pouvais louer autrement son œuvre.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/002a.png"></p> + +<p>Avant de le quitter, je le priai de me montrer ces présents de villes et +de princes qui lui avaient été donnés.</p> + +<p>Il m'emmena dans une nièce placée au fond de sa maison; et d'abord il +ôta d'une cloche de verre la coupe de vermeil offerte par la ville +d'Auch.</p> + +<p>Cette coupe, d'un travail exquis et qui semblerait sortie des ateliers +d'un Cellini, est d'une hauteur de vingt-cinq centimètres environ. Il me +fit remarquer l'inscription si honorable:</p> + + + +<p class="mid">A JASMIN, LA VILLE D'AUCH, GRATITUDE.</p> + +<p>Puis il ouvrit un très-grand écrin de maroquin vert, et il en tira d'une +couche de satin blanc une double branche de laurier à feuilles de +grandeur de nature et d'or massif. La grandeur de cette branche d'or +peut être de quarante à quarante-cinq centimètres.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/002b.png"></p> + +<p>Dans un autre écrin étaient trois médailles, sur l'une d'elles, en or, +étaient écrits ces mots:</p> + +<p class="mid"><span class="sc">la duchesse d'orléans au poète jasmin.</span></p> + +<p>Puis une bague donnée par le duc d'Orléans à son passage à Agen. C'est +un saphir entouré de deux gros brillants.</p> + +<p>Enfin, il tira de son sein une belle montre en or, avec une chaîne de +même métal; sur cette montre étaient gravés ces mots:</p> + +<p class="mid">DONNÉE PAR LE ROI.</p> + +<p>Le temps me pressait;--je lui demandai une dernière grâce, c'est d'avoir +de sa main, sur l'un des volumes de ses poésies que j'emportais, ces +deux vers de la pièce de <i>la Charité</i>:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p> Car es amer de la recebre</p> +<p> Aoutan qu'es dous de la donna!</p> +</div></div> + +<p>Il prit le volume et s'apprêta avec une sorte de méditation à écrire +quelques mots.</p> + +<p>«Ce ne sont pas des vers, dit-il en me le rendant; lisez, ou plutôt je +vais vous traduire cette phrase.» Je l'écoutai, et je fus profondément +attendri en entendant ces mots, dont je n'aurai pas le courage de donner +ici la traduction;</p> + +<p>«A Moussu G... C...</p> + +<p>«A heyre commo m'abès sentit quand legissioy, bézi que mous libres n'an +jamay estat débat un nullou co, et dins de tan bounos mas,</p> + +<p>«JASMIN.</p> + +<p>«Agen, 6 octobre 1843.»</p> + +<p>Il ignorait encore qui j'étais après avoir écrit cette phrase, et il me +le demanda pour l'ajouter aux mots; à moussu, suivis d'une demi-ligne +blanche. Ce fut alors seulement qu'il sut et qu'il écrivit mon +nom:--G... C....</p> + +<p>Avant de nous quitter, il ouvrit un de ses volumes, et, me montrant une +page de musique, il me chanta une mélodie qui est de lui, et qu'il a +composée pour une de ses poésies.--Sa voix est touchante, et je savais +d'ailleurs qu'il était bon musicien et jouait fort bien de la guitare.</p> + +<p>Enfin, je lui fis mes adieux, avec l'espoir et sa promesse de le revoir +à Paris.</p> + +<br><br> + +<h2>Histoire de la Semaine.</h2> + +<p>Quand les événements politiques intérieurs font défaut à la presse, la +polémique vient y suppléer, et parfois aussi elle amène ses événements. +Toute la semaine dernière, une lutte très-vive s'était engagée dans les +journaux entre des membres du haut clergé et des défenseurs de +l'Université, qui ne paraît pas encore s'être arrêtée sur le meilleur +moyen de se défendre elle-même. M. le cardinal-archevêque de Lyon, M. +l'évêque de Langres, et l'évêque de Châlons, y ont successivement pris +part. Tous réclament la liberté de l'enseignement, et, pour en démontrer +la nécessité, entreprennent de prouver que l'enseignement universitaire +ne présente pas aux pères de famille de suffisantes garanties morales. +Les défenseurs de l'enseignement par le gouvernement éprouvent de +l'embarras pour repousser ces accusations, quelque peu fondées qu'elles +soient, car M. le ministre de l'instruction publique leur a donné crédit +en sacrifiant des professeurs approuvés par l'Université, mais mal vus +et dénoncés par le parti ecclésiastique. Une nouvelle et récente mesure +prise à l'occasion de M. le professeur Ferrari, immédiatement après un +succès éclatant remporté par lui dans un concours d'agrégation, est +venue donner confiance aux adversaires de l'Université et porter le +découragement dans les rangs de ses soutiens. D'un autre côté, la +promesse d'une loi faite par la Charte de 1830, promesse dont +l'exécution a été ajournée d'année en année, semble mettre l'autorité +dans une situation un peu fausse pour faire exécuter dans toute leur +rigueur les dispositions encore en vigueur sur les petits séminaires. +C'est dans ces circonstances que la lutte, qui, dans le silence, avait +été incessante, s'est traduite en lettres pastorales et en lettres aux +journaux. Le <i>Journal des Débats</i> avait annoncé que celle de M. l'évêque +de Châlons, qui n'a peut-être pas toute la gravité du caractère +religieux de son auteur, était déférée au Conseil d'État, non pas pour +la question de goût, mais pour celle de légalité. C'était, à ce qu'il +paraît, l'avis de M. le grand-maître, qui, pour se donner du courage, +avait livré sa résolution à la publicité. Mais il a rencontré de +l'opposition de la part de M. le garde-des-sceaux, et sa détermination +n'a pas été la plus forte.</p> + +<p>Le conseil-général de la Seine a clos le 30, à minuit, sa session +annuelle, dont nous avions précédemment annoncé l'ouverture. Il lui a +fallu, en treize séances, arrêter un budget de cinquante millions et +donner son avis motivé sur une foule de questions importantes. Les +sessions des conseils-généraux sont infiniment trop courtes; beaucoup de +ces assemblées ont exprimé des plaintes à ce sujet; le conseil-général +de la Seine l'a fait sentir de son côté, en déclarant n'avoir le temps +de répondre à des questions que le ministère lui avait posées. Il a +renouvelé ses vœux de l'an dernier relatifs à la publicité à donner à +la liste du jury et à l'attribution du produit des droits +d'enregistrement sur les brevets d'invention. Il a montré tout à la fois +de la largesse dans les sacrifices qu'il a regardés comme utiles et bien +entendus, et une sévère économie dans les dépenses, qu'il n'a pas +considérées comme suffisamment justifiées. Les traitements de quelques +fonctionnaires s'en sont mal trouvés.</p> + +<p>A l'extérieur s'offre toujours, sur le premier plan, l'Irlande, ou bien +plutôt l'Angleterre; car on est bien plus embarrassé à deviner comment +sir Robert Peel sortira de l'impasse où il s'est engagé, qu'inquiet du +sort d'O'Connell et de ses coaccusés. A Londres comme à Dublin, on a +répandu, à la fin de la semaine dernière, le bruit que les poursuites +étaient abandonnées. Cette nouvelle était absurde: mais elle n'a en +cours que parce qu'elle l'était infiniment moins que les poursuites +elles-mêmes. Si on ne les abandonne pas, on songe du moins à les +ajourner le plus possible. Au lieu des derniers jours de novembre, les +premiers jours de janvier arriveront, dit-on, avant que les débats +judiciaires s'ouvrent. On semble espérer que l'avenir et l'imprévu +apporteront une solution à une difficulté qu'on commence à reconnaître +inextricable aujourd'hui. On songe à recommencer l'enquête entreprise, +qui, entachée d'irrégularité et d'évidente inexactitude, fournirait des +armes redoutables à un légiste et à un procédurier de la force +d'O'Connell. En un mot, on croit avoir tout à gagner à perdre du temps. +En attendant, les témoignages de sympathie, les adhésions à +l'association et les offrandes arrivent au chef du rappel de la part de +prélats qui jusqu'ici étaient demeurés en dehors de l'agitation +nationale; des prières sont faites dans toutes les paroisses de +l'Irlande, et la formule de l'une d'elles nous paraît assez nouvelle +dans la liturgie: «Puissent les amis de la liberté ne jamais avoir +affaire à d'autres ennemis que Peel, Sugden, Wellington et +compagnie!»--L'Espagne mérite de plus ou plus l'épithète de malheureuse +qu'on lui a tant de fois donnée depuis trente-cinq ans, quand on a eu à +raconter les événements dont elle a été continuellement le théâtre. +Barcelone et Girone, à l'heure où nous écrirons, sont peut-être en feu +ou déjà en cendres. Les dernières nouvelles annonçaient que les bombes +des assiégeants se succédaient sans interruption, nombreuses et +terribles, que les murailles s'écroulaient, et que le carnage était +imminent.--La France, qui a vu une première fois son consul conjurer les +dernières rigueurs contre Barcelone de la part d'Espartero, avec le +gouvernement duquel elle était dans des termes plus que froids, la +France n'a-t-elle donc rien pu obtenir d'un gouvernement qui se dit son +ami? Si elle n'y a pas réussi, il faut le déplorer; mais si elle ne +l'avait pas même tenté, il faudrait le déplorer plus encore. A Madrid, +en présence de pareils événements, les Cortès sont demeurées +très-longtemps à se constituer, et un projet de loi pour déclarer la +majorité de la reine est jusqu'ici la seule mesure qui leur ait été +présentée. Peut-on raisonnablement attendre de son adoption la fin des +malheurs de la Péninsule: Nous le désirons beaucoup, tout en l'espérant +bien peu.--Athènes a perdu de sa confiance dans la franchise de +l'adhésion du roi à la révolution de septembre. Un aide-de-camp d'Othon, +qui avait vu ces changements politiques avec beaucoup de dépit, est +arrivé à faire croire à ce monarque qu'une contre-révolution devait +éclater une belle nuit; car, en Grèce, c'est toujours à la belle étoile +que les mouvements s'opèrent. La crédulité du prince, les ordres qu'elle +lui a suggérés, ont donné à penser qu'il avait une grande confiance dans +les ennemis de la révolution et trop peu de foi dans son avenir pour en +être un partisan bien sincère. Cette défiance ne facilitera rien, et tôt +ou tard les puissances voudront venir en aide à des embarras qu'elles +pourront bien accroître encore par l'intervention de leurs +diplomates.--Les nouvelles de Chine n'ont guère apporté que des détails +sur l'étrange cérémonial observé par les grands dignitaires du pays dans +leurs rencontres avec les chefs anglais; mais ces programmes ont leur +importance en ce qu'ils font voir que les Chinois ont renoncé à leur +ancienne prétention d'humilier les Barbares, et qu'ils sont résignés +aujourd'hui à les traiter d'égal à égal. Nous saurons plus tard si les +présentations à l'empereur n'amèneront plus ces complications +d'étiquette qui ont fait reculer toutes les précédentes ambassades. +L'expédition anglaise a sans doute contribué pour beaucoup à ce +résultat; mais on doit croire aussi que les progrès des missions +catholiques n'y sont pas tout à fait étrangers. Dans un rapport officiel +publié à Londres, nous voyons qu'on compte 52,000 catholiques dans le +vicariat apostolique du Sut-Chuen, 40,000 dans celui de Fokien; Chensi +et Hon-Kouang, 60,000; Tche-Kiang et Kian-Li, 9,000; Pegu et Ava, 6,000; +Siam, 8,000; Malaca, 6,000; Cochinchine, 80,000; Tong-King oriental, +160,000; dans le diocèse de Nang-King, 40,000; dans celui de Macao, +52,000, et dans le vicariat apostolique du Tong-King occidental, +180,000.</p> + +<p>La nature a un peu fait relâche cette semaine, et n'a pas continué cette +série de tremblements de terre et de tempêtes que nous avions eu +précédemment à enregistrer. Mais l'industrie a fourni son sinistre. Le +bateau à vapeur <i>le Clipper</i>, faisant la navigation entre Bayousara et +la Nouvelle-Orléans, au moment où il quittait le port, a fait explosion +par l'éclat de ses chaudières, Toute la machine, de grands débris de +chaudières d'énormes fragments de bois, un multitude d'autres objets, +et, au milieu de tout cela, des êtres humains, tous plus ou moins +mutilés, ont été lancés dans les airs. En atteignant sa plus grande +hauteur, cette éruption a été projetée, comme les jets d'une fontaine, +dans plusieurs directions, et est retombée sur la terre, sur les toits +des maisons et jusqu'à 200 mètres de distance du lieu du sinistre. Les +malheureuses victimes ont été brûlées, écrasées, déchirées, mutilées et +dispersées de toutes parts, les unes dans la rivière, les autres dans +les rues, d'autres sur l'autre rive du Bayou, à près de 250 mètres. +Quelques corps ont été coupés en deux par des morceaux de bois, et +d'autres lancés comme des boulets de canon contre les murailles des +maisons. Toute la partie des édifices environnants semble avoir été +ravagée par un tourbillon. Le lieu du désastre offrait un spectacle +qu'il faut renoncer à peindre. Les planchers des deux chambres étaient +jonchés de morts et de mourants. Ceux que l'on transportait, proféraient +des prières, des gémissements, des imprécations, et présentaient +l'aspect des plus atroces souffrances. L'équipage consistait en +quarante-trois hommes; il y avait de plus cinq passagers. Un très-petit +nombre de personnes, dont fait partie le capitaine, a été sauvé; les +pertes connues s'élevaient à vingt-neuf; mais il manquait encore +plusieurs personnes, dont les traces n'avaient pas été retrouvées.</p> + +<p>Les journaux anglais nous font aussi connaître les désastres financiers +d'un prince noir et d'un prétendu prince blanc. Le premier est le frère +de l'ancien roi d'Haïti, Christophe II, lequel, entrevoyant l'orage qui +devait détruire bientôt tout à fait son pouvoir déjà ébranlé et sa +fortune en ruines, avait envoyé à Londres environ 250,000 fr. pour les +placer dans les fonds anglais, au profit de la reine, de ses deux +filles, de ce frère et de sa sœur. Madame Christophe a trouvé moyen de +s'approprier le tout et d'aller jouir en Sardaigne des moyens +d'existence qu'elle eût dû partager avec son beau-frère. Ce pauvre +prince, réduit, lui et les siens, à la plus profonde misère, s'est +adressé à la Société des amis des étrangers en détresse, et celle-ci lui +a envoyé... 5 guinées! Il s'est présenté pour demander des secours au +lord-maire, qui lui a répondu, en lui donnant satisfaction sur ce point, +qu'il n'avait pas qualité pour agir, mais qu'il espérait qu'on pourrait +poursuivre la reine d'Haïti pour le remboursement de 5,000 livres +sterling.--Le lord-maire, ou du moins en attendant l'installation de +celui-ci, l'alderman qui le remplace, a également reçu la visite de +l'autre prince dont nous parlions tout à l'heure: celui-ci était Louis +XVII, dont nous avons déjà fait connaître la demande en cession de biens +et de droits, même à la couronne de France. Ceci pouvait être assez gai; +mais ce qui est triste, c'est que ce malheureux, sa femme et leurs huit +enfants sont dans la plus affreuse misère. Ou a vu se présenter, pour +appuyer sa demande, un Français, M. le comte de Labarre, dont +l'extérieur annonce un homme respectable. «Je n'ai point, a-t-il dit, +abandonné et je n'abandonnerai point mon ami, tout accablé qu'il est +sous le poids de l'adversité. Je me suis ruiné moi-même pour le +secourir, en me faisant ainsi, comme l'a dit un grand écrivain, M. de +Chateaubriand, dans une autre circonstance, le courtisan du malheur. M. +le duc de Normandie n'a pas droit seulement comme héritier du trône à la +commisération des Anglais, il était venu aussi leur apporter le fruit de +ses longs travaux sur l'art de perfectionner les projectiles de guerre. +--<i>Une voix dans l'auditoire</i>: Afin de bombarder ses bons et féaux +sujets. (<i>On rit</i>.)--M. de Labarre: Quelque opinion qu'on ait sur la +légitimité des prétentions du duc, on conviendra, du moins, qu'il se +trouve dans une position peu commune: il a huit enfants, dont le plus +jeune est âgé de six mois.» L'alderman a fait remettre à l'avocat du duc +de Normandie une somme tirée du tronc des pauvres et dont le chiffre n'a +pas été révélé au public.</p> + +<p>Ce ne sont pas seulement les demandes des princes indigents qui +remplissent les journaux anglais, ce sont aussi les réclamations des +capitalistes de cette nation qui s'étaient réunis pour entrer dans les +compagnies de chemins de fer, sollicitant des concessions en France +durant la session dernière. Le chemin de Lyon, qui avait trouvé des +souscripteurs dans la Grande-Bretagne, à l'aide de prospectus répandus à +profusion, mettant en avant un conseil d'administration composé de pairs +et de députés français, auxquels on n'avait pas même; demandé leur +agrément; le chemin de Lyon, qui avait vu ses actions, placées par ce +tour d'adresse, devenir, à la bourse de Londres, l'objet de spéculations +considérables, et obtenir une prime très-élevée; le chemin de Lyon voit +aujourd'hui ses ingénieux inventeurs retenir l'argent des actionnaires +malgré eux, sans intérêts et sans garanties. Ceux-ci, finissant par +trouver la plaisanterie un peu prolongée, confient leurs vives doléances +aux feuilles de Londres. Nous ne croyons pas la triste spéculation dont +ils sont victimes de nature à les encourager beaucoup à s'intéresser +jamais de nouveau dans une grande entreprise en France, et nous le +déplorons.--Du reste, on pense que le ministère est déterminé à demander +l'autorisation de faire exécuter, aux frais de l'État, les chemins qui +seront votés dans la session prochaine, soit qu'il les exploite +lui-même, soit qu'il se détermine, après leur exécution, à en mettre les +baux en adjudication.</p> + +<p>Paris s'embellit chaque jour, il faut le reconnaître. Le conseil +municipal, quels que soient les vices de son organisation, par cela seul +qu'il est électif, a plus fait par ce résultat en quelques années que +n'avaient fait plusieurs générations successives. Paris s'embellit; mais +outre les projets qu'exécute l'administration de la ville de Paris, il y +a aussi, et en bien plus grand nombre, les projets qu'on lui prête. Les +journaux ont cette semaine rasé des quartiers entiers, ouvert des voies +immenses et planté sur le parvis Notre-Dame une pyramide en granit pour +servir de point de départ à toutes les bornes miliaires de nos routes. +Tout cela est fort ingénieux et surcharge peu le budget, car il n'en a +pas encore été le moins du monde question dans les délibérations et même +dans les causeries du conseil municipal.--On songe toujours à restaurer +Notre-Dame, qui en a grand besoin, mais dont on tremble de voir les +travaux confiés à quelque architecte vandale. En attendant, des +mutilations coupables y sont commises tous les jours. Tout récemment, au +portail septentrional, quatre chapiteaux ont été ébréchés à coups de +pierre ou de marteau; un petit animal fantastique a été enlevé +très-nettement, à l'aide d'un ciseau, et volé par un amateur, qui aura +voulu y joindre également la tête d'un ange. Le Comité historique des +arts et monuments a déjà précédemment appelé, à l'occasion de délits de +ce genre, toute l'attention de l'autorité sur les moyens d'en prévenir +le retour. Combien faudra-t-il donc encore de mutilations pour que ces +réclamations soient enfin écoutées?</p> + +<p>Ce que nous avions dit dans un précédent numéro de l'à-propos et de +futilité pour l'art de sa mission à Athènes confiée à M. Boulanger, nous +a valu une lettre de cet architecte, au talent duquel nous avions, du +reste, rendu hommage. Suivant lui, les fouilles et les déblais qui ont +été exécutés récemment par le gouvernement actuel de la Grèce, ont, en +les dégageant des fortifications turques dans lesquelles ils étaient +presque tous ensevelis, donné aux anciens monuments un aspect tout +nouveau, leur véritable aspect. M. Boulanger semble avoir la confiance +de justifier la mission qui lui est donnée, et de prouver par ses +résultats qu'elle a été bien entendue. Nous avouons que la détermination +où il paraît être d'arriver à faire cette preuve nous donne à nous-mêmes +la confiance qu'il y parviendra, et nous serons, il en peut être +certain, le cas échéant, les premiers à le proclamer.</p> + +<p>La Normandie voit, depuis quelque temps, des artistes et des poètes +sortir de la foule de ses artisans. Ses feuilles locales renferment de +curieux détails sur les essais heureux d'un pauvre ouvrier qui paraît +appelé à prendre un rang distingué dans l'art de la sculpture. L'ouvrier +Lebreton a mérité tout dernièrement un encouragement du roi par ses +poésies populaires.</p> + +<p>La police, moins tolérante que l'administration des contributions +indirectes, qui admet pour les vins l'extension de volume, à l'aide de +l'eau, pourvu que le droit lui soit payé sur les deux liquides mariés, +la police a fait saisir à Rouen et à Bercy une grande quantité de pièces +de vin ainsi sophistiqués. La question va être portée devant les +tribunaux. Déjà, dans une espèce qui ne manque pas d'analogie, la Cour +de cassation vient de décider qu'on doit considérer comme boisson +falsifiée, aux termes du Code pénal, le lait dans lequel un débitant a +mêlé un tiers ou un quart d'eau.--Les tribunaux de Stockholm n'ont ni la +même sévérité quand il s'agit de défendre leurs justiciables contre +l'avidité de certains marchands, ni une grande bonne foi nationale, +quand il s'agit de faire respecter les intérêts étrangers. Un pharmacien +de cette ville, le sieur Almquist, voyant qu'une maison de Reims, +renommée pour la qualité de ses vins de Champagne, fournissait presque +seule la Suède entière, a contrefait les étiquettes du négociant +champenois, et a appliqué ses contrefaçons à des bouteilles contenant +une liqueur d'apothicaire. Les Suédois n'y ont vu que du Champagne, et +des poursuites ayant été dirigées contre le contrefacteur, les tribunaux +de première instance et d'appel ont tout naïvement déclaré que «s'il est +vrai que d'un côté les lois sur le commerce répriment sévèrement toute +usurpation de noms et de raisons commerciales, toute contrefaçon +d'étiquettes, enseignes, etc., il y a d'un autre côté lieu de supposer +que le législateur a dicté une disposition dans le seul but de protéger +l'industrie et le commerce des indigènes, et non pour favoriser les +étrangers <i>au détriment des nationaux.</i>» S'il y a des juges à Berlin, il +y en a de bien singuliers à Stockholm.</p> + +<p>Les journaux qui tué M. l'amiral Roussin, qui aura pu entendre son +oraison funèbre, car le lendemain les mêmes feuilles nous ont appris que +cette nouvelle était sans fondement. Malheureusement beaucoup d'autres +morts annoncées cette semaine n'ont pas été démenties de +même.--L'émigration polonaise a encore perdu un de ses membres les plus +illustres, le général comte Soltyck, qui avait servi avec honneur comme +colonel dans l' armée française sous l'Empire, comme général dans +l'armée polonaise durant la guerre de l'Indépendance, et qui avait, +comme nonce, fait preuve nouvelle, à la diète, du dévouement et de la +fermeté qu'il avait montrés sur les champs de bataille. C'était, du +plus, un écrivain distingué; il a laissé histoire fort estimée de la +guerre de Pologne en 1809, et la mort l'a surpris se livrant à d'autres +travaux historiques.--Le clergé a perdu M. de Cosnac, archevêque de +Sens, et M. le cardinal de Retz, auditeur de rote auprès du +Saint-Siège.--M. le baron Capelle, ancien ministre de Charles X, et un +des signataires des ordonnances de juillet 1830, a terminé à Montpellier +une carrière remplie tour à tour par la disgrâce et la faveur. Une +liaison avec Élisa Bonaparte, duchesse de Lucques et de Piombino, vue de +mauvais œil par Napoléon, attira sur lui des mesures sévères, et fit +d'abord connaître un nom qui devait, si fatalement pour celui qui le +portait, figurer plus tard au bas du manifeste politique qui a déterminé +la plus rapide de toutes les révolutions.--Enfin, les arts ont eu à +enregistrer sur leurs tables funèbres la mort du pianiste +Pradher;--celle d'un peintre paysagiste de Lyon, d'un remarquable +talent, Guindrand, tombé depuis quelques années dans le plus funeste +idiotisme,--et celle aussi d'un ancien professeur de l'école des +beaux-Arts de la même ville, Berjon, peintre de fleurs.--Un nom +appartenant à un artiste célèbre s'est également éteint. La fille aînée +et le dernier enfant survivant du fameux acteur Bertinazzi, appelé au +théâtre Carlin, mademoiselle Barbe-Suzanne Bertinazzi, vient de mourir +âgée de quatre-vingt-deux ans.</p> + +<br><br> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/003small.png"><br><a href="images/003large.png">(Agrandissement)</a></p> + +<br><br> + +<h2>Théâtre-Italien.</h2> + +<p><i>Belisario</i>, tragédie lyrique en trois parties, musique de <span class="sc">M. +Donizetti.--M. Fornasari.</span></p> + +<p>C'est une lamentable histoire que celle du Bélisaire de l'opéra italien, +et l'on peut dire que jamais le dévouement monarchique n'a été mis à une +plus rude épreuve.</p> + +<p>Cet honnête Bélisaire, se trouvant en pays étranger, <i>frà genti +barbare</i>, a fait un rêve. Il a vu un guerrier terrible qui renversait +l'empire de fond en comble. Le voilà dans une grande perplexité.--Quel +est ce guerrier? où est-il? comment le découvrir? Dans son inquiétude, +il eut recours à un <i>homme de Dieu</i>; il lui conta son rêve; et l'homme +de Dieu lui répondit qu'il n'avait pas besoin de chercher bien loin +l'ennemi public dont il était en peine, et que ce guerrier mystérieux +était son propre fils.</p> + +<p>Ce fils était un enfant dans toute l'innocence du premier âge, et qui ne +pouvait pas encore, évidemment, songer à conquérir le monde et à +renverser le trône de Justinien. Néanmoins, Bélisaire fut impitoyable; +il condamna son fils à mort, et le fit exécuter.</p> + +<p>A la vérité, il ne fut qu'à moitié obéi sur ce dernier point. Proclus, +qu'il avait chargé de l'opération, n'eut pas le courage de l'achever. +L'enfant, au lieu d'être tué, fut seulement perdu.</p> + +<p>Vous dites, madame, que c'est un abominable homme que ce Bélisaire? Je +ne saurais être de votre avis là-dessus. Que dit, en effet, La Fontaine, +le grand moraliste:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i14"> Ou ne peut trop aimer trois sortes de personnes:</p> +<p class="i14"> Les dieux, sa maîtresse et son roi.</p> +</div></div> + +<p>Vous voyez donc bien que Bélisaire n'a fait que son devoir. Mais sa +femme Antonine est comme vous, madame, et n'entend rien à cette +morale-là.</p> + +<p>Il faut vous dire que Proclus a jasé, et qu'Antonine sait tout. Jugez de +sa colère! Elle jure de perdre son mari pour venger son fils, et je vais +vous raconter comment elle s'y prend. Cela est toujours bon à connaître, +et peut servir dans l'occasion.</p> + +<p>Bélisaire, qui est en train de reconquérir l'Italie sur les Goths, écrit +à sa femme de temps en temps, comme tout bon mari doit faire. Il paraît +que dans une ses lettres il a imprudemment laissé beaucoup d'espace +entre le texte et la signature. Que fait Antonine? Elle livre la missive +à Eutrope, le mortel ennemi de Bélisaire; et Eutrope, qui a d'habiles +faussaires à sa disposition, fait ajouter à la lettre du héros une +phrase qui doit suffire pour le faire pendre.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/004.png"><br><b> + Portrait de Fornasari.</b></p> + +<p>Bélisaire revient d'Italie et rentre à Constantinople sur une de ces +petites voitures à deux roues et non suspendues que nous nommons +charrettes, mais qu'en langage tragique on appelle chars. Il est +impossible d'être plus glorieusement cahoté. Il jouit de tous les +honneurs du triomphe; il a même le bonheur d'embrasser publiquement +Justinien; mais, ô néant des grandeurs humaines! à peine a-t-il eu le +temps de chanter avec son ami Alamir un <i>andante</i> et une <i>cabalette</i>, +qu'Eutrope se présente, lui demande son épée de par l'empereur, et le +somme de comparaître devant la Cour des Pairs du pays. Il est accusé de +haute trahison au premier chef.</p> + +<p>Il nie, comme de raison; mais on lui présente la lettre. Il reconnaît +d'abord son écriture; mais, quand il a tout lu, il s'indigne, et déclare +qu'il y a faux et interpolation. Il en appelle au témoignage d'Antonine. +Mais Autonine confirme l'accusation, et déclare avoir reçu la lettre +telle qu'elle est. Vous imaginez, bien comment Bélisaire la traite. +«Mauvaise épouse! mauvaise mère! (Ils ont une lille, nommée Irène, qui +est présente.)--Ah! mauvaise mère!... Et vous donc, avez-vous la +prétention d'être bon père, par hasard? rayez cela de vos papiers, car +je sais tout.--<i>Quoi!</i>--Tout ce que Proclus savait.--Aïe!»</p> + +<p>Bélisaire met sa tête dans ses deux mains et ne tarde pas à faire sa +confession générale devant sa femme et sa fille, devant le Sénat et +l'empereur. Quand il a fini, Antonine se remet de plus belle à lui dire +des injures, ce qui est tout simple. Mais on comprend plus difficilement +que le Sénat s'en mêle fasse crever les deux yeux à un homme à qui l'on +ne peut guère reprocher qu'un excès de dévouement à la dynastie +régnante. Justinien est-il donc si mauvais politique? et ne voit-il pas +que cet exemple n'est pas encourageant?</p> + +<p>Quoi qu'il en soit, voilà Bélisaire aveugle et qui part bientôt, pour +l'exil, guidé, par sa fille Irène, qui joue près de lui le même rôle +qu'Antigone auprès d'OEdipe. Ils arrivent au mont Hémus. Là, ils +rencontrent des Alains.</p> + +<p>Ces Alains sont au nombre de vingt, ou à peu près, et telle est la +grandeur de leur courage, qu'ils ont entrepris d'attaquer Constantinople +et de mettre cette grande capitale à feu et à sang. Il est vrai qu'ils +ont un chef qui ne plaisante pas, et qui ne connaît point d'obstacles: +c'est Alamir, cet ami de Bélisaire dont je vous ai déjà parlé. Il a juré +de venger le grand homme opprimé, et de noyer Constantinople dans des +flots de sang. Mais Bélisaire le fait bien vite revenir à résipiscence. +Bélisaire est toujours citoyen dévoué, sujet fidèle, et le malheur ni +l'injustice n'ont eu aucune prise sur sa grande âme. Enfin, comme le +drame touche à son dénoûment. Bélisaire reconnaît bientôt dans Alamir ce +fils qu'il avait jadis condamné à mort, et qu'il croyait avoir perdu.</p> + +<p>L'empereur, à la nouvelle de l'incursion des Alains, a fait marcher ses +troupes à leur rencontre. Bélisaire se met, de son autorité privée, à la +tête de l'armée grecque. Comment l'accepte-t-elle pour chef, et comment +s'y prend-il pour la commander? C'est ce que je ne saurais dire, puisque +l'auteur a négligé d'éclaircir ce point; mais il bat les Alains, et +c'est ce qui importe le plus à l'empereur et aux habitants de +Constantinople.</p> + +<p>Hélas! tout a une fin sur cette terre, les plus grands héros comme les +plus absurdes livrets. On apporte un brancard dans la tente de +Justinien. Sur le brancard est étendu le conquérant de l'Afrique et de +l'Italie, et le vainqueur des Alains, qui a reçu le coup mortel à cette +dernière bataille, et vous pouvez à votre choix, selon votre goût et vos +dispositions particulières, pleurer le trépas du grand capitaine, ou +rire tout à votre aise des incroyables inepties de l'auteur du +<i>libretto</i>.</p> + +<p>Vous ne rirez pas du moins de la partition, et c'est l'essentiel. Il y +a, dans l'œuvre de M. Donizetti, des morceaux remarquables en assez +grand nombre pour qu'on lui pardonne ceux où il s'est un peu négligé. Ne +parlons pas de ceux-ci, mais indiquons au lecteur une jolie cavatine, +pleine de sentiment et de distinction, et que mademoiselle Nissen +exécute à merveille;--un duo pour basse et ténor, dont <i>l'andante</i>, +tendre et pathétique, contraste de la manière la plus heureuse avec la +<i>strette</i> brillante qui le termine;--un chœur de sénateurs, qu'il ne +faut pas comparer au chœur des juges dans la <i>Pie Voleuse</i>, mais qui +n'en a pas moins un mérite fort distingué;--un finale à six voix, où +brillent des traits énergiques et de très-grands effets. Tout cela est +dans le premier acte, ou, comme dit l'auteur du livret, dans la première +partie.</p> + +<p>Au second acte l'air d'Alamir: <i>Trema, Bisanzio</i>, est plein d'éclat et +de force. Il fait beaucoup d'effet; il en ferait plus encore si M. +Corelli le nasillait, un peu moins. Hélas! qui n'a pas en ce monde un +péché d'habitude, où il tombe malgré lui, et le plus souvent sans s'en +douter? Le péché mignon de M. Corelli est de prendre quelquefois son nez +pour sa bouche, et de se servir indifféremment, pour chanter, de l'un et +de l'autre. Mais que fais-je, moi? et pourquoi vais-je m'accrocher au +nez de M. Corelli, pendant que mademoiselle Nissen et Fornasari sont là +qui m'appellent?</p> + +<p>Rien de mieux pensé ni de mieux écrit que le duo chanté par ces deux +virtuoses; rien de plus gracieux, de plus tendre, de plus pathétique. La +situation était de celles qui conviennent, particulièrement au talent de +M. Donizetti. Il l'a traitée de main de maître, et y a versé à pleine +mesure les charmantes mélodies et la sensibilité douce et passionnée +tout à la fois, qui font de Lucie de Lammermoor une œuvre si aimable et +si séduisante. Ce duo est le morceau capital de la partition de +<i>Belisario</i>; il n'y a que le trio de la reconnaissance, au troisième +acte, qui puisse lui être comparé: les mêmes qualités s'y retrouvent, et +les trois voix y sont agencées avec cette habileté magistrale dont les +musiciens italiens ont seuls le secret.</p> + +<p>Le chœur des Alains, qui précède ce duo, est aussi un morceau +remarquable: le, rhythme fougueux et désordonné que l'auteur a choisi +peint à merveille le courage effréné et la soif de pillage qui animent +ces Barbares. Mais je regrette que le public n'ait pas fait plus +d'attention à la ritournelle qui sert d'introduction à ce troisième +acte; elle est vraiment magnifique, et les gens de goût me sauront gré, +je l'espère, de la leur avoir signalée.</p> + +<p>La première représentation de <i>Belisario</i> était également intéressante +par l'importance de l'ouvrage et par le début de M. Fornasari. Ce jeune +chanteur a de très-grandes qualités; sa voix est fort belle: c'est une +basse-taille très-grave, mais qui,--chose rare,--s'élève avec une +extrême facilité. Il suit de là que M. Fornasari peut chanter à volonté +les rôles de baryton et les rôles de basse. Il a beaucoup de force et de +volume, avec beaucoup d'agilité. Tout cela, j'en conviens, n'est pas +encore suffisamment réglé, et il y aurait bien quelque chose à dire sur +la manière dont M. Fornasari emploie ce bel instrument; mais il l'a, et +c'est le point important. Avec du travail et de bons conseils, il saura +promptement, s'il le veut, la manière de s'en servir.</p> + +<p>Comme acteur, il n'est pas non plus irréprochable; mais il ne pêche que +par excès de zèle, précieux défaut, et dont il est bien facile de se +corriger.</p> + +<p>M. Fornasari a d'ailleurs un visage noble et expressif, et une taille +dont les proportions sont magnifiques. Quand il saura modérer un peu ses +mouvements; quand il ne perdra plus le fruit de ses bonnes intentions, +en allant au-delà du but; quand il détaillera un peu moins son chant et +son rôle, et qu'il ne cherchera plus à faire de l'effet à chaque note et +à chaque mot,--entreprise folle, et dont le succès est +impossible,--alors M. Fornasari réalisera toutes les espérances que son +apparition a fait naître. Puisse-t-il ne pas se manquer à lui-même, et +ne rien perdre de la riche moisson que l'avenir lui prépare!</p> + +<br><br> + +<h2>Courrier de Paris</h2> + +<p>Les gourmets de Cours d'assises ont on de quoi se satisfaire cette +semaine; le procès des vingt-trois voleurs est un de ces régals complets +qui ne leur laissent rien à désirer. Aussi la foule a-t-elle suivi avec +avidité devant la justice, les débats de la criminelle histoire, tandis +que l'habitué des cabinets de lecture passait ses heures en tête à tête +avec le <i>Droit</i> et la <i>Gazette des Tribunaux</i>.</p> + +<p>Cette représentation tragi-comique est remarquable, en effet, par +l'audace des entreprises, l'infernale habileté des acteurs, leur +sang-froid cynique, leur longue impunité; elle met au jour des +caractères, des mœurs, des personnages qui étonnent même après les +révélations que les réquisitoires et les romanciers ont faites de la vie +ténébreuse et scélérate de ces bohémiens. C'est un curieux supplément +aux <i>Mystères de Paris</i>.</p> + +<p>Les chefs sont Flachat et Courvoisier, les plus féconds et les plus +résolus à l'escalade et au bris de serrures; tous deux trempent dans +toutes les entreprises; on les retrouve partout, à l'assaut des caisses, +des portefeuilles et des secrétaires. Flachat se contente d'être l'homme +d'action; Courvoisier ajoute à la pratique du crime l'art de faire des +criminels: il épie l'honnête ouvrier au seuil de sa vie laborieuse, le +flatte, le caresse, fait briller à ses yeux l'appât de l'or, et peu à +peu l'entraîne dans sa complicité; si le malheureux se débat encore sur +le bord de l'abîme et recule devant le danger du crime, «Bah! laisse +donc, lui dit Courvoisier; il n'y a rien à craindre, ça me connaît!» et, +par cette audace, il le décide.</p> + +<p>Une autre différence distingue Flachat de Courvoisier: Flachat avoue +volontiers tous les vols qu'on lui impute, les plus grands comme les +plus petits--Courvoisier met de l'amour-propre dans sa honte: il tient à +ne pas passer pour un petit voleur. C'est l'aristocrate de la bande; +dites-lui qu'il a volé princes, ducs, comtes, marquis, barons, il le +confessera avec le plus complet abandon; tout au plus osera-t-il +contredire les dépositions d'un air d'extrême politesse; «M. le comte de +Biencourt m'accuse de lui avoir pris 6,000 fr.; j'en demande bien pardon +à monsieur le comte, mais je n'ai trouvé que 3,000 fr. dans sa caisse!» +Il ne manque jamais de dire: <i>Monsieur le baron</i>, en parlant de M. de +Ladoucette, auquel il a dérobé pour 60,000 livres d'or et de diamants. +On ne vole pas les gens avec plus d'égards!</p> + +<p>Mais que le président s'avise de vouloir comprendre Courvoisier dans un +misérable vol de 30 fr., «Ah! pour celui-là, monsieur le président, je +n'en suis pas; fi donc!»--Le président insiste-t-il? «Vous le voulez? eh +bien! soit: j'en serai, puisque ça paraît vous faire plaisir; mais, +parole d'honneur, c'est pour ne pas vous contrarier; et puis, un de plus +on de moins, ça ne vaut vraiment pas la peine de discuter!»</p> + +<p>Courvoisier a toujours été maître de lui et s'est imposé une ligne +d'attentats qu'il n'a jamais dépassée; acceptant le bagne pour +pis-aller, il s'était dit: «Tu n'iras pas plus loin!...»--Un de ses +complices lui propose de dévaliser, pendant la nuit, un marchand: «S'il +s'éveille? dit Courvoisier!--Eh bien! nous lui <i>donnerons le +tour!</i>--Merci! je ne fais pas ce commerce-là!»</p> + +<p>Vous diriez, en effet, à les entendre, qu'ils sont tous d'honnêtes +négociants: on ne tient pas un autre langage dans les magasins de la rue +de la Verrerie ou de la rue Saint-Denis. «C'est Droin qui m'a proposé +l'affaire, dit Flachat; je l'ai trouvée bonne, je l'ai acceptée.»--Plus +loin, parlant du vol accompli dans l'hôtel de M. le prince de +Beaufremont, «Je savais que la maison était bonne; que c'étaient des +gens très-bien, des gens comme il faut!» Une autre fois, il s'exprime +comme un général d'armée: «On est entré par le jardin malgré moi; mon +avis était qu'on dirigeât l'attaque par le rez-de-chaussée.»</p> + +<p>Entre Courvoisier et Flachat, voici Laire, leur digne associé; Laire, +l'ancien légiste, l'ex-maître clerc, le voleur lettré, qui cachait des +cachemires parmi les dossiers de son étude, et débite à l'occasion des +citations de Delille et de Virgile. Profitant de sa qualité de poète, +Laire va visiter le tombeau de l'Empereur, en attendant l'heure de voler +M. Brongniart, de l'Académie des Sciences. Du reste, il parle de ses +complices d'un ton de supériorité, et appelle Labrue «Ce pauvre garçon!»</p> + +<p>Labrue est l'honnête ouvrier que les conseils de Courvoisier ont +perverti. «Un jour M. Courvoisier me dit: Viens déjeuner avec moi; +j'acceptai, et ce fut là mon malheur. Tout en déjeunant, il m'a fait +philosopher sur trente-six choses; ç'a été le commencement de tout.» +Cependant Labrue avait évidemment un fond de dispositions très-grandes +pour la philosophie de Courvoisier, car d'élève qu'il était tout à +l'heure, il devint bientôt passé maître. C'est Labrue qui fabriquait les +fausses clefs, forçait les coffres-forts et les serrures; sa science de +serrurier lui avait naturellement valu ce terrible emploi. Plus d'une +fois, et notamment chez. M. Brongniart, Labrue, qui avait une bonne +clientèle et jouissait d'une excellente réputation, fut mandé, comme +serrurier, pour réparer les dégâts qu'il venait de faire comme voleur.</p> + +<p>Gauthier fait le bon apôtre: à l'en croire, Courvoisier a été son +mauvais génie, Courvoisier l'a tenté un jour qu'il se débattait entre un +huissier et un protêt; Gauthier était marchand de vins.--Courvoisier +prétend que le bonhomme Gauthier joue la modestie, et qu'avant de +<i>travailler</i> avec lui, il était déjà dans <i>le bon chemin</i>. Courvoisier +pourrait bien avoir raison, les premières <i>affaires</i> que fit Gauthier +après leur association semblent le prouver: il vola son correspondant et +dévalisa son propriétaire.</p> + +<p>Engérer, le receleur, nie tout d'une voix aigre et sardonique, tandis +que la femme Roche, la maîtresse de Flachat, proteste avec fracas de sa +vertu et de son innocence. Il y a ensuite les subalternes, qu'il me +répugne de nommer; c'est déjà trop d'être demeuré si longtemps avec les +chefs.--A l'un le président dit:» Vous avez été condamné à cinq ans de +réclusion.--Qu'est-ce que cela prouve?» répond-il.</p> + +<p>L'autre, à l'entendre, débuta par des niaiseries, par des <i>broutilles</i>; +puis il ajoute: «Peu à peu l'ambition m'est venue; je me suis lancé dans +les grandes affaires; mais je n'ai pas eu de bonheur, ça s'est bâclé par +vingt ans de galères!»</p> + +<p>Le niais ne manque pas à la troupe; ainsi la pièce est complète; tandis +que tous ces bandits s'adressent aux billets de banque et aux +pierreries, Vavasseur escamote trente livres de beurre à une fruitière; +aussi soutient-il qu'il n'a pas l'honneur d'être un voleur de +profession: il s'est trouvé; un jour très-affamé de beurre frais, voilà +tout.</p> + +<p>Nous avons réservé Flachat pour le dernier chapitre; c'est que Flachat, +par sa hardiesse, son effronterie, la singularité de ses actions et le +tour de son esprit, est certainement le personnage le plus curieux de +cette odyssée de mécréants.</p> + +<p>Flachat dit en voyant entrer chez lui le commissaire de police: «Bien! +il paraît que c'est fini!» Après avoir escaladé, avec Courvoisier et +Labrue, une fenêtre de l'hôtel de M. de Crillon, il entend le son d'un +piano dans la pièce voisine. «Bon! bon! s'écria-t-il; tant qu'on fera de +la musique, ça ira bien.» Confronté avec M. Veyrat, dont il a forcé la +caisse, «Cela ne valait pas la peine que je me suis donnée; M. Veyrat +est propriétaire, M. Veyrat est riche, de quoi se plaint-il? il devrait +plutôt me remercier de l'avoir tenu quitte à si bon marché.»</p> + +<p>Dans son ardeur de déprédation, Flachat n'épargnait personne; il +n'épargna pas même sa femme. C'était une honnête créature, séparée +depuis longtemps de ce malheureux, et qui servait chez madame la +princesse de La Tremoille en qualité de femme de chambre. Un jour, +Flachat dit à Courvoisier: «Tiens, j'ai une drôle d'idée: il faut que je +reprenne à mon épouse les cadeaux de noce que je lui ai faits...» Et, +peu de jours après, il pénétrait dans l'hôtel de La Tremoille et +enivrait le portier, tandis que Courvoisier accomplissait le crime. +Courvoisier voulait pousser l'attentat, de la femme de chambre à la +princesse, mais il rencontra dans une des galeries le tombeau du prince +de La Tremoille: «J'eus peur, a-t-il dit depuis, en voyant cette tombe, +et je me sauvai par la fenêtre.»</p> + +<p>Après sa femme, Flachat vola deux de ses maîtresses. «Nous n'avons rien +de mieux à faire aujourd'hui, dit un matin Flachat à deux de ses +complices; allons à la campagne, ça nous promènera.» Et il les mène chez +sa belle-mère, qu'ils dévalisent. Mais voici le fait le plus curieux: +ces deux hommes, après le crime, s'installent dans la chambre à coucher +de la pauvre femme, boivent son vin, s'enivrent et bientôt se roulent +sur les fauteuils et sur le lit. Ah çà! s'écrie Flachat; qu'est-ce que +c'est qu'une conduite comme ça? voulez-vous bien finir? je suis chez +moi; si cela continue, je vous mets à la porte!»</p> + +<p>Flachat a tiré vanité à l'audience, d'un trait de singulière humanité; +il s'agit de Labrue, qui vint un jour lui demander un prêt d'argent: «Tu +as besoin d'argent, lui dis-je; eh bien! je vais t'en procurer. +Précisément j'avais en vue, ce jour-là, une excellente affaire, <i>le vol +Lallemand</i>; je le <i>donnai</i> à Labrue, qui me le <i>remboursa</i> plus lard.» +Une autre fois, il promet 150 francs à Jossien sur le produit d'un vol +auquel il le dispense de participer, et il les lui donne en effet. «Que +voulez-vous, monsieur le président! Jossien n'était pas heureux, je +venais à son secours.»</p> + +<p>Le drame s'est dénoué comme on devait s'y attendre: Courvoisier, +Gauthier, Labrue, Flachat, ont été condamnés l'un à trente, l'autre à +vingt-cinq, celui-là à vingt, celui-ci à dix-huit ans de travaux forcés; +le reste à une expiation moins longue et moins terrible.</p> + +<p>Sortons de cette atmosphère de bagnes et cherchons un air pur; nous en +avons besoin. En quittant ces hommes que le crime dégrade et qui se +servent fatalement de leur intelligence, on est heureux de trouver une +de ces natures courageuses et dévouées qui triomphent des difficultés +d'une portion subalterne pour s'élever et s'ennoblir par l'esprit. Ainsi +a fait un jeune ouvrier de Rouen du nom de Beuzeville. Beuzeville était +un simple tisserand; tandis qu'il poussait la navette, la muse venait le +visiter; artisan pendant le jour, la nuit il était poète; son instinct, +ses veille assidues lui révélaient les secrets de la rime et du style. +Il finit par tisser une ode et une élégie comme une pièce de toile, avec +la même habileté; nous citerons pour preuve de ce talent poétique de +charmantes pièces de vers publiées par Beuzeville il y a quelque temps, +sous ce titre naïf et doux: <i>les Petits Enfants</i>. De ces simples essais, +le tisserand s'est élevé peu à peu jusqu'à l'art de Corneille; on parle +d'une tragédie de <i>Spartacus</i> dont il est l'auteur. L'ouvrage, lu au +comité du Théâtre-Français, a produit une certaine sensation. Sans +limite la trame n'est pas encore très-savante, les fils s'enchevêtrent +et se rompent plus d'une fois; mais l'artiste se montre sous les fautes +de l'ouvrier. Allons, courage! poète et tisserand, ourdissez à vous deux +quelque tragédie solide et touchante.</p> + +<p>Nous parlons de la tragédie, au moment où elle prend le deuil d'une de +ses belles reines. Madame Paradol vient de mourir. Bien qu'elle eût +quitté le théâtre depuis deux ou trois ans, on ne l'avait pas oubliée; +mais c'était peut-être moins son talent que le public se rappelait, que +sa personne. Les héritières qui se sont présentées pour recueillir sa +succession, les Agrippine et les Athalie qui ont tenté de ceindre, après +elle, la couronne tragique, ont toutes été complices de ces regrets +donnes à madame Paradol. En les voyant si dépourvues de noblesse et de +majesté, on pensait naturellement à cette Clytemnestre en retraite qui +avait du moins la beauté, si le génie lui manquait.</p> + +<p>Madame Paradol, en effet, aura été la dernière de la grande race des +reines tragiques;--je me trompe: il nous reste mademoiselle +Georges.--Elle avait la taille ample et haute, le profil noble et fier, +le front propre à porter le diadème; les mains, les bras, les épaules +étaient d'une impératrice. Le Théâtre-Français a eu beau chercher: du +jour où elle n'a plus été là, il n'a trouvé que des blanchisseuses. Les +reines aussi s'en vont!</p> + +<p>Née à Paris le 4 janvier 1798, à dix-huit ans elle fit ses premières +armes au théatre; mais elle n'alla pas droit à Corneille et à Racine; ce +ne fut que plus lard et par un détour qu'elle leur arriva; la tragédie +lyrique eut ses premières amours avant l'autre tragédie; madame Paradol +chanta d'abord, en attendant qu'elle déclamât. En 1816, elle débutait à +l'Académie royale de Musique; en 1818, à l'Opéra de Marseille, où elle +resta un an en qualité de Didon et d'Alceste. Le 23 juillet 1819, elle +dit adieu à Gluck et à Spontini, et fut admise au Théâtre-Français. A +dater de cette époque, madame Paradol y tint l'emploi des reines, comme +on dit en style du terroir, avec zèle, avec dévouement, et souvent avec +succès. Les amateurs se rappellent particulièrement le caractère tout +tragique qu'elle donna à la <i>Jane Shore</i> de Lemercier.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/005a.png"><br><b> + Madame Paradol, décédée<br> le 23 octobre 1843.</b></p> + +<p>Elle est morte après des souffrances inouïes; il y a plus d'un an qu'on +s'attendait, de jour en jour, à son dernier soupir. Cette longue agonie, +la pauvre femme l'a supportée avec une constance véritablement héroïque, +relevant le courage de ceux qui pleuraient autour d'elle, et gardant sa +sérénité jusqu'au moment suprême.</p> + +<p>C'était un cœur excellent, disent ses amis, un peu bruyante quelquefois +et inconsidérée, mais aimée de tout le monde, et méritant cette +affection par une rare bonté.</p> + +<p>Les sylphides et les artistes finiront par devenir inaccessibles. Les +journaux de Saint-Pétersbourg ou de Berlin ont rapporté, tout récemment, +l'aventure à la dragonne de la charmante danseuse mademoiselle Montés, +et le grand coup de cravache dont elle gratifia, tout au travers du +visage, un soupirant indiscret; procédé un peu cavalier, qui étonnerait +moins d'une écuyère de M. Franconi.</p> + +<p>Une de nos jolies actrices de vaudeville fait mieux ou pis encore; ce +n'est pas la cravache, mais le pistolet qu'elle manie à ravir. Elle ne +manque pas une poupée, et fait la mouche à tout coup; heureusement +qu'elle la prend rarement. On raconte cependant un fait qui peut donner +de l'inquiétude: un vieux guerrier, qui a la prétention d'enlacer encore +le myrte au laurier, adressa l'autre jour à notre jolie héroïne une +déclaration sur papier satiné. Ce n'était pas une déclaration de guerre. +Mademoiselle Page,--il est temps de l'appeler par son nom,--n'a qu'un +penchant très-médiocre pour les gloires de l'Empire; elle les respecte +trop pour les aimer. Sa petite main blanche répliqua donc au vieux brave +par une fin de non recevoir; l'autre, loin de se décourager, fit +remettre sa carte à la cruelle, qui la lui renvoya percée de quatre +balles, avec ces mots tracés au crayon: «Par mademoiselle Page, il +quarante pas.»</p> + +<p>On assure que cette manie guerrière devient épidémique; la plupart de +ces demoiselles se mettent sur le pied de guerre; mademoiselle D..., de +l'Académie royale de Musique, parle de s'entourer de bastions et de +forts détachés; mademoiselle M..., d'une enceinte continue; +mesdemoiselles C., S., R. et N. prennent des leçons de Grisier et vont +d'estoc et de taille; quant à mademoiselle Déjà..., elle n'a rien à +craindre: sa vertu a plus de trente ans de salle.</p> + +<p>L'aventure du jeune Arthur de B... fait grand bruit dans les boudoirs de +la Chaussée-d'Autin; Arthur de B... est un jeune homme naïf et tout +récemment éclos au jour de ce monde tentateur; arrivé depuis six mois de +sa Bretagne, il en a encore les mœurs pures et tant soit peu sauvages. +Une certaine baronne de ***, sa parente, et un peu douairière, entreprit +dernièrement, dit-on, de civiliser ce naturel farouche; mais notre jeune +Breton se cabra et y laissa son manteau. «Comment va ton jeune neveu +Arthur? demandait le lendemain à la baronne une de ses amies +intimes.--Qui, ma chère?--Arthur!--Ah! laissons donc: il s'appelle +Joseph!...»</p> + +<p>Le Théâtre-Italien avait annoncé la reprise de <i>Semiramide</i> pour mardi +dernier; tout était prêt, les musiciens et les gosiers; cependant on n'a +pas joué <i>Semiramide</i>. Quoi donc! Assur aurait-il été pris d'un +enrouement subit, et Ninias d'une migraine! La chose est bien plus +grave; le matin, M. Fornasari avait déclaré qu'il lui était impossible +de chanter le rôle d'Assur.--Faute de voix?--Non pas; mais faute de +barbe: la barbe que le costumier lui fournissait étant, à son avis, trop +courte d'un pouce. M. Vatel a du céder à cette puissante raison; le +bonhomme!--A sa place, j'aurais fait raser complètement M. Fornasari!</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/005b.png"></p> + +<p>Notre siècle s'égaye de plus en plus; pour peu que cette belle humeur +continue, nous arriverons à une gaieté folle. Voici une preuve +incroyable de cette jovialité: le théâtre du Vaudeville joue depuis +quelques jours un drame de madame Ancelot intitulé <i>Madame Roland</i>; +savez-vous ce que ce gai Vaudeville, dit <i>l'Enfant né malin</i>, a fait +mettre sur ses contremarques; <i>Madame Roland agenouillée devant la +guillotine: gai! gai! la farira don daine!</i></p> + +<p>Je finis par le Protée anguillard <i>(Proteus anguinus)</i> que le +Jardin-des-Plantes vient d'enrégimenter dans son armée: <i>l'Illustration</i> +se fait un plaisir de vous offrir, par ses mains, le portrait de cet +intéressant animal; faites-lui bon accueil, et récompensez par là le +soin qu'on a de vous donner, à l'instant même de leur naissance, de leur +mort ou de leur apparition, le <i>fac simile</i> de tous les personnages +dignes d'attention, Protées ou non.</p> +<br><br> + +<h2>Les Vendanges.</h2> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/005c.png"></p> + +<p>Triste année! tristes vendanges! Après avoir taillé avec soin au-dessous +du premier on du second œil, labouré et biné deux fois, employé la houe +et la pioche, dressé des échalas, renouvelé les ceps par le provignage, +le vigneron espérait que de vivifiantes chaleurs achèveraient son +œuvre, et les chaleurs ne sont pas venues. La vigne a besoin de soleil +et redoute la pluie; or, elle a eu, cette année, beaucoup de pluie et +peu de soleil; l'humidité, en a énervé les racines; le froid et les +vents en ont étiolé la tige; la <i>coulure</i> a gagné les ceps les plus +robustes; et quand le mois de vendémiaire a ramené l'époque de la +récolte, il n'y avait pas de récolte à faire. Force a été d'attendre, +d'ajourner la proclamation du <i>ban de vendange</i>, qui se publie +d'ordinaire du 8 au 20 septembre dans le Midi, du 20 au 30 septembre +dans les autres départements. On a fini par recueillir tardivement +quelques raisins étiques, dont les intempéries avaient arrêté le +développement; et, dans plusieurs localités, on a pu dresser +procès-verbal de carence. De là une hausse subite dans le prix des vins; +ceux du Midi ont éprouvé cinquante pour cent d'augmentation; les pièces +de bordeaux sont montées de 110 à 140 fr.; celles de bourgogne de 70 a +100 fr.; et celles des vins de la Loire de 26 à 75 fr.; les producteurs +ont perdu; les débitants ont gagné; mais une mauvaise vendange est, en +somme, une calamité nationale, dans un pays dont les vignobles occupent +2,134,822 hectares. Quoique l'Allemagne s'enorgueillisse du johannisberg +et du hocheim; la Hongrie, du tokai; l'Italie du lacryma-christi; +l'Espagne, du xérès et du malaga; le Portugal, du porto; le. Cap, du +constance; l'Asie-Mineure, du Chypre, la France tient le premier rang +dans la viniculture du monde entier. Elle produit annuellement, en +moyenne, 36,563,796 hectolitres de vin, et 7,088,802 hectolitre +d'eau-de-vie. Sur quatre-vingt-six départements, neuf seulement sont +dépourvus de vignes; le Calvados les Cotes-du-Nord, la Creuse, le +Finistère, la Manche, l'Orne, le Nord, le Pas-de-Calais et la +Seine-Inférieure; les autres donnent des vins plus ou moins estimés. La +pépinière nationale du Luxembourg, établie par le ministre de +l'intérieur Chaptal, avec le concours du botaniste Bosc, a possédé +jusqu'à 370 variétés de raisins cultivé en France, distingués par leur + +<span class="mid"><img alt="" src="images/006a.png"></span> + + forme et leur couleur: 114 noirs à grains +ovales; 190 noirs à grains ronds; 75 blancs à grains ovales; 134 blancs +à grains ronds; 19 gris ou violets à grains ovales, 38 gris ou violets à +grains ronds. La collection du Jardin de Botanique de Montpellier réunit +560 espèces. La qualité de nos vignes varie à l'infini, non-seulement +d'une contrée à l'autre, mais encore d'un coteau au coteau voisin, +suivant l'exposition, suivant la nature du sol et du sous-sol. Que de +plants divers! que de crus justement célèbres! Dans l'ancienne province +de Bourgogne seulement vous comptez, les vins de Nuits, Chambertin, +Romanée, Richebourg, Clos-Vougeot, Musigny, Beaune, Meursault, +Montrachet, Volney, Pomard, Corton, Mâcon, Thorins, Moulin-à-Vent, +Pouilly, Chablis, Tonnerre, Trancy, Coulanges-la-Vineuse et +Saint-Julien-du-Sault. Sur les collines siliceuses et les <i>graves</i> de la +Gironde se récoltent les vins de Château-Laffitte, Château-Margaux, +Haut-Brion, Saint-Émilion, Carbonieux, Saint-Bris, Rommes, Barsac et +Sauterne. Voulez-vous égayer vos desserts, dérider les physionomies, +provoquer les chansons, donner de l'enjouement aux plus tristes, de la +vivacité aux plus lents, de l'esprit aux moins capables, servez le +pétillant Champagne; mais, pour éviter la contrefaçon, ayez, soin de +vous assurer qu'il a été recueilli sur les rives de la Marne, à Sillery, +Épernay, Ai, Montbré, Bouzy, Hautvilliers ou Verzenay. Aimez-vous les +vins de liqueur, demandez au département de l'Hérault son hinel et son +frontignan. Voulez-vous des vins exquis, susceptibles de se garder plus +d'un siècle, et se bonifiant sans cesse avec l'âge, cherchez-les sur le +coteau de l'Ermitage, où un cénobite planta jadis des ceps qu'il avait +rapportés de Perse, et qu'on nomme encore dans la Drôme le <i>gros</i> et le +<i>petit schiras</i>. Plus loin, sur les rives du Rhône, sont les vignobles +de Millery, de Condrieux de Côte-Rôtie, du Juliénas. A l'embouchure du +fleuve, des navires se chargent des muscats ambrés de la Ciotat. Près de +l'Espagne, aux pieds des Pyrénées, croissent trois excellentes variétés: +le <i>grenache</i>, le <i>mataro</i> et le <i>carignan</i>. Port-Vendres, Collioure et +Banyuls fournissent ces nectars liquoreux connus sous les noms de +<i>grenache</i> et de <i>rancio</i>; Rivesaltes, Cospron, Salces, Terrats, +Corneilla-de-la-Rivière, peuvent opposer leurs vignobles à ceux de la +Péninsule Ibérienne. Les Béarnais vantent le vin de Jurançon, patronné +par les souvenirs de Henri IV.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/006b.png"><br><b>La Treille du roi, à Fontainebleau.</b></p> + +<p>L'Aude a sa <i>blanquette</i> de Limoux; la Haute-Vienne, les vins de +Saint-Georges et de Champigny-le-Sec; les Vosges, ceux de Mirecourt et +de Rebeuville; le Loiret, le vin de Beaugency; l'Indre-et-Loire, le +Vouvray; la Moselle, les vins rouges d'Augny et de Jony; Vaucluse, le +muscat de Beaumes-de-Venise; la Nièvre, le Pouilly-Nivernais; l'Ardèche, +le Saint-Péray; le Cher, les vins de Sancerre; la Sarthe, le vin des +Jasnières. Les vignes de la Charente-Inférieure, du Gers, de +Lot-et-Garonne, alimentent de nombreuses distilleries.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007a.png"></p> + +<p>Outre les vins dont la réputation est européenne, le voyageur qui +parcourt la France trouve dans des hameaux obscurs, chez des +propriétaires campagnards, des crus ignorés, d'une étendue médiocre, +mais préférables souvent, par leur bouquet et leur verdeur, aux produits +des vignes en renom. Tant de richesses font de la vendange la plus +importante des opérations agricoles de la France; on s'y prépare +plusieurs semaines à l'avance, en nettoyant et lavant à la chaux tous +les instruments qu'on y doit employer: les <i>vendangereaux</i>, paniers +d'osier où l'on dépose les raisins; les <i>teilles</i>, petites boîtes +coniques qui servent au même usage; les <i>balonges</i>, charrettes destinées +à transporter la vendange à la cuverie, etc. Dès que la queue des +grappes brunit qu'elles quittent aisément les ceps, que les grains +s'amollissent et acquièrent de la +transparence, les vendangeurs doivent se tenir prêts. Dans la plupart +des pays vignobles, l'autorité municipale règle leur marche, du moins en +ce qui concerne les vignes non closes, et les contrevenants peuvent être +punis, conformément à l'article 475 du Code pénal, d'une amende de 5 à +10 fr. Le jour fixé se lève; les premiers rayons du soleil dissipent la +rosée; les cueilleurs et les cueilleuses s'éparpillent sur les collines, +ils se rangent en face de la vigne, entrent et suivent chacun son sillon +jusqu'à l'extrémité opposée. Quoique M, Campenon, de l'Académie +Française, ait dit dans son poème de <i>la Maison des champs</i>:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i16"> Il en est temps; que la jeune bacchante</p> +<p class="i16"> Saisisse alors la serpe impatiente,</p> +</div></div> + +<p>jamais les vignerons ne saisissent la serpe; mais ils s'arment de +sécateurs ou de ciseaux, qui tranchent la grappe sans secousses. Les +raisins, placés au fur et à mesure dans les <i>vendangereaux</i>, sont versés +dans les <i>tendelins</i> par les porteurs de <i>vide-paniers</i>, qui les +transfèrent à la cuverie. D'autres fois, des mulets sont mis en +réquisition; ou la récolte, jetée dans un envier de forme ovale, est +voiturée sur une <i>balonge</i>. A la cuverie, les cultivateurs qui désirent +un bon produit, s'occupent de trier les grappes, de les assortir, +d'enlever les drains verts ou pourris. Dans trente-quatre départements +on a l'habitude de séparer les grains de la rafle, et les œnologues +n'ont pas encore décidé si cette méthode est avantageuse ou nuisible. +Les raisins égrappés donnent un vin plus savoureux, disent les uns; les +rafles ajoutent à la cuvée un ferment nécessaire, prétendent les autres, +<i>Certant, et adhuc sub judice lis est</i>; mais tous s'accordent à +reconnaître la nécessité du foulage. Deux poutres, appuyées sur les +bords du cuvier, supportent une caisse dont les côtés sont des liteaux +assez peu espacés pour ne pas livrer passage aux grains. Un vigneron, +chaussé de gros sabots, monte dans cette caisse, pétrit les grappes sous +ses pieds; puis, soulevant l'un des liteaux, pousse le marc dans la +cuve, où bout déjà le suc exprimé. Les vignerons arriérés se +déshabillent et entrent pour fouler dans la cuve même, où ils prennent +un bain tonique, mais qui répugne aux consommateurs délicats.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/007b.png"></p> + +<p>Les vignerons progressifs emploient les fouloirs mécaniques de MM. +Lenoir, ou Thiébault de Berneaud, ou Guérin de Toulouse, machines +composées de Cylindres de bois tournant en sens opposés, au moyen de +roues d'engrenage. Les cuves où le vin fermente sont, suivant les +contrées, ouvertes ou fermées, en bois de chêne ou en maçonnerie. Au +bout de quelques heures, la masse liquide frémit et bouillonne, l'acide +carbonique se dégage en bulles pétillantes, l'alcool se produit, les +rafles et les pellicules montent à la surface du <i>moût</i>, et le coiffent +d'un amas de détritus qu'on nomme le <i>chapeau</i>. Quand la fermentation +tumultueuse a cessé, les travailleurs distribuent le vin dans les fûts +avec des baquets appelés <i>sapines</i>, à moins qu'on n'ait adapté à la +partie inférieure du cuvier un robinet qui permet de décuver avec plus +de vitesse et de facilité. Le marc est mis sur la table du pressoir, et +l'on en forme une masse cubique appelée <i>le sac</i> que l'on recouvre de +madriers.</p> + +<p>La vis du pressoir est d'ordinaire mise en mouvement par une roue qui +reçoit, dans sa périphérie creusée en gorge, le bout d'une corde dont +l'autre extrémité s'enroule sur un cabestan. On distingue les pressoirs +à <i>étiquet</i>, à <i>coffre simple</i> ou <i>double</i>, à <i>levier</i> ou à <i>tesson</i>, +dont nous épargnerons à nos lecteurs la scientifique description, +incompréhensible d'ailleurs pour quiconque n'a pas fait une étude +spéciale de la mécanique.</p> + +<p>La vis crie; le <i>mouton</i> qu'elle pousse pèse sur le marc et achève d'en +extraire le suc; on reforme le <i>sac</i> à plusieurs reprises, jusqu'à ce +que les raisins aient cédé toute leur partie liquide. Le produit du +pressurage est, <i>ad libitum</i> mis à part ou mêlé au vin de la première +cuvée. La fermentation s'achève dans les tonneaux, qu'on ne boutonne +hermétiquement que lorsque la lie s'est précipitée. Là s'arrête les +travaux des vendangeurs; au tonnelier reviennent le collage, le méchage +des pièces, le soutirage et la conservation des vins. La fabrication des +vins blancs est moins compliquée; on ne les fait point cuver avec le +marc, excepté dans les arrondissements de Wissembourg et de Schelestadt +(Bas-Rhin), d'Agen et du Nérac (Lot-et-Garonne). Les grappes sont +écrasées sur le marc du pressoir; le vin coule dans les tonneaux, où on +le laisse fermenter sur la lie, jusqu'au premier soutirage, qui a lieu +au mois de mars ou d'avril suivant.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/008a.png"></p> + +<p>Avant de cueillir les raisins qu'on réserve pour faire du vin blanc, on +attend d'ordinaire qu'ils aient atteint un excès du maturité. Ainsi l'on +en vendange à Agen qu'à la fin d'octobre; à Condrieux, à Saumur qu'à la +mi-novembre; à Jurançon, à Gaud, à Monein (Basses-Pyrénées), que dans les +quinze premiers jours du décembre. Dans plusieurs vignobles on met un +intervalle entre la cueillette et le foulage; le raisin muscat du +Rivesaltes reste cinq on six jours sur le sol avant d'être porté, au +pressoir. A Limoux, les raisins sont étalés sur un plancher pendant +quatre un cinq jours, puis liés, égrappés et foulés. Aux environs de +Salins (Jura), on suspend les grappes avec du fil, dans une chambre +exposée au vent du nord. Quand la dessiccation a réduit les grains de +moitié, on les presse et on entonne immédiatement; ce vin, qui n'est +soutiré qu'au bout du six mois, prend le nom du <i>vin de paille</i>, et +n'est pas sans analogie avec le tokai. Il y a certains vins de liqueur +qu'on ne laisse pas fermenter. A Cosprons (Pyrénées-Orientales), +aussitôt qu'on a foulé et pressuré les raisins, préalablement desséchés +au soleil, on y mêle un tiers d'eau-de-vie qui empêche la fermentation +et conserve au suc exprimé sa douceur et son parfum.</p> + +<p>Les départements riches en vignobles sont obligés, à l'époque des +vendanges, de demander des renforts à leurs voisins. Cette insuffisance +de population paraît s'être fait sentir de tout temps, car Longus dit, +dans un roman de <i>Daphnis et Chloé</i>: «Comme la coutume est en telle fête +du dieu Bacchus, on avait appelé des villages voisins plusieurs femmes +pour aider à faire les vendanges.» Les recrues enrôlées n'arrivent pas +comme autrefois en chantant des hymnes en vers iambiques au fils du +Sémélé; les vendanges sont devenues prosaïques, et les chants que leurs +ouvriers répètent en chœur, sur l'air du Clair de la lune, n'ont rien +de très-harmonieux:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i20"> Allons en vendanges</p> +<p class="i20"> Pour gagner cinq sous</p> +<p class="i20"> Coucher sur la paille,</p> +<p class="i20"> Ramasser des... etc.</p> +</div></div> + +<p>En Champagne, les cueilleurs et le cueilleuses viennent du département +des Ardennes, amenant avec eux des mulets, animaux presque inconnus dans +la contrée. Pendant toute la durée des vendanges, ils logent dans les +auberges ou dans les granges, et passent la plus grande partie de la +nuit à boire et à danser. On les paie de 10 centimes à un franc 50 cent. +selon leur capacité; on ajoute à cette rétribution une miche et un verre +d'eau-de-vie; et, moyennant un aussi faible salaire, ils travaillent +depuis cinq heures et demi du matin jusqu'à sept heures du soir. A la +vérité, ils n'ont rien à débourser pour la nourriture du leurs mulets, +qu'ils lâchent dans la première prairie venue, en dépit des gardes +champêtres.</p> + +<p>Les meilleurs se rassemblent sur la place, au son de la cloche, dès +trois heures du matin, et se partagent en escouades, sous la direction +des différents vignerons. Les <i>pareuses</i> restent au logis pour y +attendre les raisins, qu'elles sont chargées de trier. Ceux de qualité +supérieure sont immédiatement portés au pressoir; on les presse à +plusieurs reprises, car, dans l'opinion de la majorité des vinologues, +les qualités du vin tiennent à la fois au suc, aux pépins et à la +grappe. On entonne sans laisser cuver, et l'on soutire quelques jours +après. Durant l'hiver, le vin est transvasé dans de nouveaux fûts; et, +au printemps, à l'époque oa la sève bout, on le soutire encore pour le +mettre en bouteille. On ajoute alors au vin du tannin pour le garantir +où la <i>graisse</i>, et du sucre candi pour le faire mousser, et le +précipité qui se forme est plus tard enlevé par le tonnelier.</p> + +<p>Les vendanges du Champagne sont terminées par une fête qu'on nomme le +<i>cochelet</i>: les pressureurs offrent au propriétaire un bouquet de +pampres et de branches d'arbres, et reçoivent une gratification qu'ils +consacrent à de longues réjouissances. Presque généralement les +vendanges sont l'occasion de banquets prolongés, de danses, de concerts +rustiques; celles de cette année, malgré leur déplorable résultat, n'ont +pas arrêté l'expansion de la joie populaire. Les violons n'ont pas été +décommandés; les musettes ont retenti comme d'habitude; à défaut du vin +doux, on savoure celui des années précédentes, et le <i>peuple en liesse</i>, +noyant ses soucis dans les pots, s'est consolé du présent par le passé.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/008b.png"><br><b>Récolte du raisin.</b></p> + +<p>L'année a été également funeste aux raisins de treille. Les succulents +chasselas de Fontainebleau, les <i>chasselas doré à grains ronds</i>, le +<i>chasselas musqué</i>, le <i>hennant blanc</i>, la <i>rochette blanche</i>, sont loin +d'égaler en grosseur et saveur ceux qu'on avait récoltés en 1842. La +<i>treille du roi</i> seule a dû quelques belles grappes aux avantages de son +exposition. Elle est située en plein midi, sur le mur de clôture du +parc, du coté de l'entrée de l'abreuvoir, et abritée de toutes parts +contre l'influence des vents. Les bras des ceps s'étendent +horizontalement, chargés d'un petit nombre de grappes isolées. Au-devant +de la treille règne un long cordon de vignes, auxquelles est appliqué le +même système de taille. A deux mètres plus loin s'allonge une charmille +qui suit, comme la treille même, les ondulations du terrain.</p> + +<p>N'oublions pas la récolte du houblon en Flandre et les vendanges de +Normandie. L'indigène de Calvados ou de l'Orne n'attache pas moins de +prix à ses pommiers, que le duc de Montebello à ses clos champenois. Or, +l'année a été <i>prometteuse</i>; il y a un peu de <i>quetines</i> (pommes tombées +avant leur maturité), et l'on débitera bientôt du <i>bon cidre doux à +dépoteyer</i>.</p> + +<p>On évalue la consommation annuelle du cidre en France à 10,011,956 +hectolitre, et celle de la bière à 9,896,239. Ce n'est que sur les +confins de la Belgique qu'on cultive en grand le houblon nécessaire à la +confection de la bière. On plante chaque pied sur une motte de terre, et +l'on soutient les tiges grimpantes avec des perches de 8 à 10 mètres de +hauteur. Ces longs filaments, qui se croisent, montent, retombent et +s'entrelacent comme des lianes, donnent aux houblonnières l'aspect d'une +forêt vierge. A la fin de septembre, on coupe les sarments avec la +faucille, on arrache les perches, et les fruits récoltés sont amoncelés +dans des sacs où ils se conservent, et forment une masse compacte que +l'on peut couper par tranches pour la vendre en détail.</p> + +<p>Souhaitons aux vignerons meilleure chance pour l'année prochaine; +puissent-ils remplir leurs enviers jusqu'aux bords; et, comme le +recommande Rabelais, «en celle où en meilleure pensée réconfortons notre +entendement, et buvons frais, si faire se peut.»</p> + +<br><br> + +<h3>ROMANCIERS CONTEMPORAINS.</h3> + +<h4>CHARLES DICKENS.</h4> + +<h4>Martin fait de nouvelles connaissances et Mark un nouvel ami.</h4> + +<p class="mid">(Voir t. II, p. 20, 35, 105 et 159.)</p> + +<p>Il était dans la nature de Martin d'oublier tout le temps son pauvre +compagnon aussi complètement que s'il n'y eût jamais eu de Mark Tapley +au monde; ou, si le souvenir du personnage s'offrit un moment à son +imagination, il eut soin de le congédier au plus vite, comme chose de +peu d'importance qui attendrait bien son entier loisir. Pourtant, +lorsqu'il se retrouva dans la rue, l'idée que Mark pouvait s'ennuyer de +faire le pied de grue sur le palier du <i>Rowdy-Journal</i> lui traversa de +nouveau l'esprit, et il donna à entendre à son nouvel ami qu'il ne +serait pas fâché de diriger la promenade de ce côté.</p> + +<p>«A propos, continua Martin, et pour ne pas être en reste de questions, +oserais-je vous demander si vous habitez cette ville, ou si, comme moi, +vous n'y êtes qu'en passant?</p> + +<p>--Tout à fait en oiseau de passage, reprit son ami. Natif de l'État de +Massachusetts, je suis fixé dans ma tranquille petite ville de province, +et l'on ne me voit pas souvent au milieu de ces foules affairées qu'on +aime d'autant moins qu'on les connaît davantage.</p> + +<p>--Vous avez voyagé à l'étranger? demanda Martin.</p> + +<p>--Beaucoup.</p> + +<p>--Et à l'instar de la plupart des voyageurs, vous n'en êtes que plus +attaché à vos foyers domestiques, à votre contrée natale? demanda de +nouveau Martin, qui examinait son interlocuteur avec quelque curiosité.</p> + +<p>--A mes foyers? oui, répliqua son ami; à ma contrée? comme terre natale, +oui aussi.</p> + +<p>--Ce oui n'est pas sans restriction.</p> + +<p>--Entendons-nous, repartit l'Américain. Demandez-vous si j'ai rapporté +de l'étranger un goût plus exclusif pour les erreurs de ma patrie, un +plus aveugle amour pour ceux qui, au taux de tant de dollars le jour, +s'érigent en forcenés admirateurs de ma nation; si je rapporte plus +d'insouciance pour les principes qui président ici aux affaires +publiques et privées, principes que les plus éhontés de vos avocats +rougiraient de défendre hors de l'atmosphère viciée de vos cours +criminelles? Oh! si c'est là ce que vous demandez, non, dis-je, et mille +fois non!</p> + +<p>--Non! dit Martin, si juste sur le diapason de son interlocuteur que la +réponse fit écho.</p> + +<p>--Demandez-vous, poursuivit son compagnon, si je suis revenu plus +content d'un ordre de choses qui divise la société en deux classes, dont +l'une, la masse, fonde une indépendance effrénée sur l'oubli de toute +bienveillance, de toutes formes, de toutes convenances sociales; d'où il +résulte que plus un homme affiche de grossièreté et d'impudeur, plus il +a de chances de succès; tandis que le petit nombre, dégoûté de voir +apprécier toutes choses sur une si basse échelle, se réfugie dans la vie +privée et s'entoure de tous les raffinements du luxe, laissant la +république s'en tirer comme elle pourra au milieu des clameurs de la +presse et du pillage universel? Me demandez-vous si tout cela m'arrange? +Non, dis-je alors, et mille fois non!</p> + +<p>--Non! repartit encore mécaniquement Martin, découragé, anxieux, moins à +la vérité dans l'intérêt de la société que dans celui de ses plans +d'architecture domestique, dont l'avenir lui semblait singulièrement +hasardé au milieu du chaos et de la poussée générale que venait de +dépeindre son nouvel ami.</p> + +<p>--En un mot, poursuivit ce dernier, je ne crois pas, par conséquent, je +n'accorde point (bien que vous puissiez l'entendre proclamer ici à +toutes les heures du jour), je ne trouve pas, dis-je, que notre nation +soit le type de la sagesse humaine, l'exemple du monde, le <i>nec plus +ultra</i> de la perfectibilité; le tout, parce que nous entrons dans la +carrière politique avec deux avantages inappréciables.</p> + +<p>--Qui sont? demanda Martin.</p> + +<p>--L'un, que notre histoire s'ouvre à une période assez avancée pour +échapper aux âges de barbarie et de cruauté qui souillent les annales +des autres peuples; qu'ainsi nous profitons des lumières acquises sans +avoir traversé un obscur noviciat; l'autre, que notre territoire est +vaste, et que nous ne souffrons pas, du moins pas encore, d'un trop +plein d'habitants. A part ces avantages, nous avons peu à vanter, ce me +semble.</p> + +<p>--En éducation cependant... murmura Martin.</p> + +<p>--Beau chapitre encore! interrompit l'autre haussant les épaules. Eh! +dans l'ancien monde, même sous le régime despotique, on a fait autant et +plus en le faisant sonner moins haut! Assurément, par comparaison avec +l'Angleterre, nous pouvons briller, vu que, sous ce rapport, elle est +dans le plus piteux état... Vous savez que vous m'avez complimenté sur +ma franchise, poursuivit-il en riant.</p> + +<p>--Oh! elle ne m'étonne nullement lorsqu'il s'agit de mon pays, reprit +ingénument Martin; c'est quand il est question du vôtre que la liberté +de vos paroles me surprend.</p> + +<p>--Vous ne trouverez pas cette droiture rare parmi mes compatriotes, je +vous en réponds, en en exceptant les gens de la trempe du colonel +Drivers, de Jefferson Brick, du major Pawkins et consorts. A vous parler +franc, néanmoins, les meilleurs d'entre nous rappellent un peu l'homme +de la comédie de Goldsmith qui ne souffrait pas qu'autre que lui +injuriât son maître. Mais allons, parlons d'autre chose. Vous êtes venu +chez nous, si je ne me trompe, dans l'intention d'améliorer votre +fortune, et je serais désolé de vous faire perdre courage. D'ailleurs, +quelques années de plus me donneraient peut-être le droit de hasarder +auprès de vous un ou deux avis sur des points de peu d'importance.»</p> + +<p>Il n'y avait pas la moindre trace de curiosité ou de présomption dans +cette offre, faite avec tant de bienveillance et de bon vouloir qu'elle +attirait de force la confiance. Aussi Martin raconta-t-il sa chance, +abordant l'aveu si difficile à faire de sa pauvreté. Il ne dit pas +cependant,--comment s'y serait-il résigné?--à quel point il était +pauvre; d'un air dégagé, il laissa deviner qu'il lui restait de l'argent +pour six mois environ, tandis qu'il en avait tout au plus pour autant de +semaines. N'importe, il avoua qu'il était pauvre et disposé à accepter +avec reconnaissance tout conseil que son ami voudrait bien lui donner.</p> + +<p>La façon dont la figure de l'étranger s'allongeait mesure que les plans +et projets d'architecture domestique se déroulèrent devant lui, n'aurait +pu échapper à personne, à plus forte raison à Martin, dont la sagacité +était aiguisée par l'incertitude de sa position. Malgré d'héroïques +efforts pour se montrer aussi encourageant que possible, l'Américain ne +put s'empêcher de hocher une ou deux fois la tête: c'était comme s'il +eût dit en langue vulgaire: Cela n'ira pas! Mais il le prit ensuite sur +un ton enjoué et cordial, et s'engagea (puisque New-York n'offrait +aucune des facilités que désirait Martin) à s'informer immédiatement +s'il pourrait trouver mieux dans quelque autre ville. Déclinant ensuite +son nom, Revan, il apprit à Martin que, sans exercer activement la +médecine, il était reçu docteur. La conversation roulant sur des +circonstances relatives à la famille de l'Américain et à lui-même, +conduisit les promeneurs jusqu'au bureau du <i>Rowdy</i>.</p> + +<p>Ils étaient encore assez loin de la maison, lorsque l'air patriotique +anglais <i>Rule Britannia</i>, énergiquement sifflé, vint, saluant leurs +oreilles, annoncer que Mark Tapley prenait ses ébats sur le palier du +premier étage, Suivant les sons, ils trouvèrent Mark retranché au milieu +d'une fortification de bagages, s'évertuant à rendre justice à son hymne +national, à l'évidente satisfaction d'un nègre au crâne grisonnant qui +occupait un des forts avancés (une valise en cuir) et tenait ses gros +yeux rivés sur le chanteur. Celui-ci, à demi couché, la tête appuyée sur +sa main, rétorquait le compliment par des regards distraits et rêveurs, +tout en continuant de siffler sans relâche. Mark venait de dîner, comme +le témoignaient sa bouteille cassée et quelques débris de viande étalés +dans un mouchoir près de lui; du reste, ses loisirs n'avaient pas été +perdus, à en juger par ses initiales d'un demi-pied de long, qui, de +concert avec le quantième du mois tracé en caractères moins +gigantesques, le tout employé d'une bordure du jet le plus hardi, +ornaient la porte du bureau du journal.</p> + +<p>--Je commençais presque à vous croire perdu, monsieur, s'écria Mark +interrompant l'air à l'endroit où les fiers Bretons déclarent qu'ils ne +seront jamais, jamais, <i>never, never...</i> Rien ne va mal, j'espère, +monsieur?</p> + +<p>--Non, Mark. Qu'avez-vous fait de votre bonne amie?</p> + +<p>--La pauvre créature timbrée, monsieur? oh! tout va au mieux pour elle à +présent.</p> + +<p>--Quoi! a-t-elle retrouvé son mari?</p> + +<p>--Oui, monsieur;--c'est-à-dire ses restes,--dit Mark Tapley se +réprimant.</p> + +<p>--L'homme n'est pas mort, j'espère?</p> + +<p>--Pas complètement, monsieur, répondit Mark; mais il a tremblé les +lèvres suffisamment pour être plus qu'à demi trépassé; en ne +l'apercevant pas sur le rivage, j'ai cru <i>qu'elle</i> allait rendre l'âme; +vrai, je l'ai cru.</p> + +<p>--Comment donc? n'était-il pas là pour la recevoir?</p> + +<p>--<i>Lui</i>, en chair et en os; non pas, il n'y avait rien que sa faible +vieille ombre, étirée, amincie, qui se traînait lentement en descendant +vers la plage, et pouvait ressembler au fort et vigoureux camarade que +la pauvre femme avait jadis connu, à peu près autant que votre ombre +vous ressemble, monsieur, quand le soleil couchant la dessine longue et +grêle sur le sol. Enfin, c'était tout ce qui restait de l'homme, et elle +s'en est contentée, pauvre âme, aussi joyeuse, aussi ravie que si c'eût +été lui tout de bon.</p> + +<p>--A-t-il donc acheté des terres? demanda M. Bevan.</p> + +<p>--Ah bien, oui, qu'il en a acheté, et qu'il les a fièrement payées +aussi, je vous en réponds, répliqua Mark Tapley tiraillant la tête: +c'est qu'au dire des agents elles réunissaient toutes sortes d'avantages +naturels, ces terres; tout au moins y avait-il une richesse qui ne +faisait pas faute, l'eau foisonnait.</p> + +<p>--Je présume qu'il aurait pu difficilement s'en passer, dit Martin avec +quelque impatience.</p> + +<p>--Aussi, ne lui manquaient-elle pas; il en avait de tous les côtés, +dessus, dessous, autour et partout, sans avoir à payer ni taxe ni +porteur d'eau. Indépendamment de trois un quatre rivières bourbeuses à +son coude, l'homme avait, sur tout le territoire de sa ferme, quatre à +six pieds d'eau dans les mois de sécheresse; en temps pluvieux, il ne +peut dire au juste combien, n'ayant jamais rien trouvé de longueur à +sonder jusqu'au fond.</p> + +<p>--Serait-ce vrai? demanda Martin à son compagnon.</p> + +<p>--Fort probable, répliqua ce dernier; apparemment quelque lot du +Missouri ou du Mississipi.</p> + +<p>--Il n'en est pas moins descendu, de ce je ne sais quel endroit, +poursuivit Mark, pour venir ici, à New-York, recevoir sa femme et ses +enfants; et tous sont repartis en bateau à vapeur, cette même sainte +après-midi, aussi contents de partir tous ensemble que s'ils allaient +droit en paradis. Ma foi, on peut bien dire qu'ils en prennent le +chemin, à en juger sur la mine du pauvre homme.</p> + +<p>--Ah çà, pourrais-je vous demander, dit Martin, reportant, avec un +froncement de sourcil, son regard de Mark au nègre, ce que c'est que ce +monsieur? quelque nouvel ami de votre choix sans doute?</p> + +<p>--Chut! murmura Mark Tapley, prenant son maître à part et lui parlant +confidentiellement à l'oreille: C'est un homme de couleur, monsieur!</p> + +<p>--Me croyez-vous aveugle? demanda Martin avec humeur, pour me tenir +faire cette confidence devant une des faces les plus noires que j'aie +vues de ma vie!</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/009.png"></p> + +<p>--Un moment, monsieur, réuni Mark; par homme de couleur, j'entends qu'il +a été un de ceux-là qu'on a placardés en estampes, dans les boutiques, +sur les enseignes..., enfin <i>homme et ton frère</i>, vous savez bien, +monsieur, poursuivit Mark Tapley, favorisant son maître d'une pantomime +indicative de la figure, si souvent représentée sur les médailles et en +tête des brochures en faveur de l'émancipation des noirs.</p> + +<p>--Un esclave! reprit Martin à demi-voix, en tressaillant.</p> + +<p><i>(La suite à un autre numéro.)</i></p> +<br><br> + +<h3>MARGHERITA PUSTERLA.</h3> + +<h4>CHAPITRE XV.</h4> + +<h4>LE PÈRE ET LE FILS</h4> + +<p><span class="lef"><img alt="" src="images/36-01.png"></span><span class="sc">N</span> entrant dans la ville, ils trouvèrent les rues tendues de draps +blancs et vermeils, et de guirlandes de verdure de la saison, qu'on +appelle à Pise les <i>fiorites</i>. Du haut des balcons et sur les murs se +déployaient de riches tapis du Levant, des étoffes de soie, qui +paraissaient encore un luxe inouï dans les cours des rois, et qui +abondaient dans les maisons de ces actifs négociants. En quelques +endroits des fontaines jetaient du vin; à l'entour, une populace avide +se pressait pour recevoir la liqueur dans sa bouche ou dans le creux de +ses mains. D'un autre côté, on voyait des buffets et des crédences +chargés de toutes les raretés venues de la mer Noire, du golfe Arabique, +de le Baltique, et conservées en mémoire des navigations heureuses et +hardies.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/36-02.png"></p> + +<p>Au milieu du tumulte, de la joie, de la curiosité du peuple, qui ne se +souvenait plus que la peste envahissait la contrée de toutes parts, et +qui avait oublié sa faim d'hier et celle qu'il aurait demain, nos +Lombards s'avançaient dans les divers endroits où ils espéraient +rencontrer Alpinolo. Ramengo les suivait, se cachant le visage sous son +capuce lorsqu'il lui arrivait de rencontrer quelqu'un qu'il voulait +éviter.</p> + +<p>Un Milanais parut au milieu de la foule, et Muralto, élevant la voix, +lui demanda: «Eh! Ottorno Borro, pourquoi cette multitude? Pourriez-vous +nous dire où est Alpinolo?</p> + +<p>--Il est au premier rang pour combattre sur le pont; tous nos camarades +sont là; je cours les rejoindre.» Et il disparut dans la foule.</p> + +<p>«Mais que diable lui a-t-il pris, s'écriait Ramengo, de se fourrer dans +cette inutile bagarre? Combattre avec des bâtons, comme un manant?</p> + +<p>--Allez le lui dire, répondaient-ils. Il est ainsi fait. Quand il s'agit +de donner une preuve de courage, vouloir l'en détourner, c'est combattre +le vent.»</p> + +<p>Pendant qu'ils parlaient ainsi, le beffroi de la commune sonna. «C'est +le signal! c'est le signal! «cria-t-on de toutes parts. Mats il n'y +avait point d'espérance d'arriver jusque auprès des combattants. S'étant +donc arrêtés sous un portique, soutenu d'un coté par une colonne de +porphyre égyptien, de l'autre par une colonne grecque cannelée, par les +voies de douceur et par celles de la violence, ils parvinrent à se +hisser sur une plate-forme portée par l'attique. De là ils purent +dominer cette foule de têtes nues ou couvertes de la façon du monde la +plus variée, depuis l'éclatant turban de l'Orient et jusqu'au sombre +béret du Vénitien, depuis les plumes ondoyantes du chevalier provençal +jusqu'à l'infâme réseau jaune de l'Hébreu infortuné, depuis la toque en +velours et or des barons napolitains jusqu'au capuce renversé des +Milanais, qui s'étaient placés au premier rang pour être témoins des +prouesses de leurs compagnons.</p> + +<p>Alors les trompettes sonnèrent, et on vit paraître le gonfalonier et les +anciens dans une tribune décorée à la façon d'un pavillon turc. La foule +des spectateurs se pressait de plus en plus, pendant que ceux qui se +disposaient à combattre frémissaient d'impatience aux barrières qui +commandaient les deux têtes du pont, comme un torrent frémit au pied de +l'écluse; puis lorsque, à un nouveau signal, les barrières tombèrent, ce +fut un cri universel. Tous se précipitèrent contre tous. Quelque +attention que mit Ramengo à discerner quelque chose, il ne vil d'abord +qu'une orageuse mêlée de gens qui assaillaient, de gens qui les +repoussaient, de bâtons noueux qui tombaient avec fureur sur de tristes +épaules, et des têtes meurtries, les cris de ceux qui battaient, les +gémissements de ceux qui étaient battus, le tout aux acclamations de +«Vive sainte Marie! Vive saint Antoine!»</p> + +<p>Peu à peu, la mêlée s'éclaircissant à cause des morts et des blessés, ou +de ceux qui s'étaient retirés étourdis par le bâton ou accablés de +fatigue, on pouvait déjà deviner de quel côté penchait la fortune. +Cependant on voyait transporter dans les barques, grelottants et tout +trempés d'eau, ceux qu'on avait retirés du fleuve. Tantôt les maltraités +se traînaient ou étaient emportés à bras hors de la bagarre, pansant de +leurs mains leurs membres blessés, leurs tempes saignantes, et prenant à +témoin le ciel et la terre de ne plus s'aventurer dans ces ridicules +batailles; mais, croyez-moi, ceux qui guérissaient ne manquaient pas d'y +retourner.</p> + +<p>La fureur s'accroissait, ainsi que l'intérêt de l'escarmouche, de toutes +les passions des factions et de toutes les haines politiques. Les deux +partis des Raspanti et des Bergolini, qui, dans les conseils, et dans de +fréquentes luttes, divisaient la ville de Pise, favorisaient les uns +sainte Marie, les autres saint Antoine: leur cri de guerre, les +applaudissements, les insultes enflammaient la rage générale, et le +tumulte était à son comble.</p> + +<p>Bientôt, à la tête de ceux de sainte Marie et des Raspanti, on vit un +jeune homme se distinguer entre tous par la force de ses coups, par le +large cercle qui s'agrandissait autour de lui, par le carnage qu'il +faisait partout sur ses pas. Ramengo, à la beauté du jeune combattant et +aux cris de ses compatriotes, ne tarda pas à reconnaître Alpinolo. Il ne +ne cacha plus ses regards du hardi guerrier, tantôt inquiet de ses +périls, tantôt plein d'étonnement et d'admiration pour une si +merveilleuse vigueur.</p> + +<p>Les Bergolini et saint Antoine ne purent longtemps rester à l'épreuve +d'une telle furie, et pour garantir leurs têtes, ils tournèrent le dos. +Alors ceux qui, cachés comme derrière une tour, s'étaient fait un +rempart des épaules d'Alpinolo, se précipitèrent, avec un courage +indicible, à la poursuite des fuyards, pour avoir la gloire moins belle, +mais plus sûre, de les frapper au dos, hurlant de toute la force de +leurs poumons: «Vive sainte Marie!--Vivent les Raspanti!--Honte aux +Bergolini!--Vivent les Cambacurti!--Vivent les Aliati!--A bas Lino +della Rocca!» C'étaient les noms des chefs des deux factions.</p> + +<p>A un signal du gonfalonier, la barrière se baissa de nouveau. Les +trompes et les clarinettes sonnèrent à l'intérieur des fanfares de +triomphe; Sainte-Marie sonnait à tout rompre, et les Milanais, se +frayant un chemin, s'approchèrent d'Alpinolo, l'embrassèrent triomphant, +le prirent sur les bras, et le portèrent dans la direction de l'estrade +où il devait recevoir la couronne des mains de la seigneurie. Ils +criaient; «Vive Alpinolo!--Vive Milan!--Vive saint Ambroise!»</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/36-03.png"></p> + +<p>L'éclair de joie que la victoire faisait briller sur le visage +d'Alpinolo se mêlait d'une façon indéfinissable avec la consternation +qu'y avaient imprimée les malheurs passés, et avec les signes de la +profonde douleur qui le dévorait, lorsque Aurigino Muralto réussit à +l'accoster. Bonne nouvelle! lui cria-t-il; réjouis-toi: il est arrivé un +Milanais.</p> + +<p>--Un Milanais?... et qui?</p> + +<p>--Une de tes connaissances, Lauterio de Bescapé, le bras droit de +Pusterla. Il a des choses à te dire de la plus haute importance, mais à +toi seul.»</p> + +<p>Ce fut un pêle-mêle d'idées dans l'esprit d'Alpinolo. Francesco, +Marguerite, Fra Buonvicino, les Aliprandi, tous les amis qu'il avait +laissés à Milan, se présentèrent à sa pensée, avec l'espoir de voir +quelqu'un d'eux, d'en recevoir peut-être un message, au moins des +nouvelles. Ainsi pressé de la plus vive impatience, sans plus attendre +les prix et la couronne qui lui étaient dus, il se dégagea des bras de +ses compatriotes, et se dirigea vers l'endroit où on lui avait dit qu'il +trouverait cet ami, sous le portique de marbre; malheur aux poitrines et +aux bras de ceux qui l'entravaient dans la rapidité de sa course! «Le +voici! regarde-le,» dirent les Lombards en montrant le nouveau venu à +Alpinolo, qui, fixant ses regards sur lui, se trouva vis-à-vis de +Ramengo.</p> + +<p>En vain celui-ci aurait voulu se soustraire à cette rencontre subite et +voir Alpinolo en particulier, en vain il faisait signe au page de se +taire, de venir, qu'il avait à lui parler; un père qui trouve un aspic +enlacé au cou de son fils unique n'a pas les yeux plus épouvantés +qu'Alpinolo lorsque ses regards rencontrèrent le visage exécré du +traître.</p> + +<p>«Ramengo!» hurla-t-il d'une voix semblable au mugissement d'un taureau +blessé. Puis, sans faire attention aux signes de son adversaire, il +saisit de nouveau le bâton, son arme triomphale, et courut sur le +Milanais en criant: «Infâme espion!» Ce fut l'affaire d'un moment. Les +Lombards, ne sachant comment expliquer cette colère, se retiraient et +laissaient faire; mais Ramengo ne s'arrêta point à attendre le furieux, +et se précipita derrière les marbres accumulés en cet endroit; puis, +sortant du côté opposé, il se jeta au milieu de la foule; la plus +épaisse, et petit à petit, au sein de cette fourmilière, il parvint à +s'échapper. Alpinolo ne perdait point cependant les traces du fuyard, +répétant à haute voix: «Espion, enfin je te liens! Au large! prenez +garde à vous! Laissez-moi l'atteindre! Un seul coup le punira de tous +ses crimes.» Et pour se faire place, il frappait à droite et à gauche +sur quiconque se trouvait sur ses pas pour ses péchés.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/36-04.png"><br></p> + +<p>La plèbe de Pise semblable à celle des autres pays et des autres temps, +avait éprouvé un peu de dépit (que d'autres rappellent national) de ce +qu'un étranger avait remporté l'honneur de la journée; et, comme il +arrive, les vainqueurs ne lui en voulaient pas moins que les vaincus. +Lorsqu'ils virent Alpinolo, non content de dédaigner le prix, entrer en +si furieuse colère, et, sans rien considérer, maltraiter tous ceux qui +l'entouraient, ils se tournèrent contre lui: «A qui en veut donc cet +enragé?--Par tous les saints du calendrier, disaient les autres, il faut +qu'il ait bu du sang de dragon et mangé de la chair de +crocodile!--Finissons-en une bonne fois avec cet Ambroisien endiablé!»</p> + +<p>Et entre les Milanais et les Pisans commença la bataille des langues qui +précède ordinairement la bataille des mains.</p> + +<p>«Faites-nous place, Pisans, honte des nations! criaient les Lombards en +regardant de travers.</p> + +<p>--Passez votre chemin, Milanais, grands mangeurs de fèves! répondaient +les Pisans en montrant le poing.</p> + +<p>--Les fèves sont meilleures que les goujons, dont on achète trente-six +pour un poil d'âne.»</p> + +<p>Des paroles on en vint aux mains: «Ce sont des guelfes, ce sont des +gibelins, ce sont des traîtres Raspanti. Alors une lutte s'engagea, qui +donna fort affaire, pour la calmer, aux nobles et aux gonfaloniers. Plus +d'un resta mort sur le champ, plus d'un en remporta de fâcheux souvenirs +pour toute la vie; mais comme il arrive le plus souvent que les +coupables profitent des querelles des innocents, au milieu de ce +tumulte, Ramengo put prendre sa course, et par le chemin le plus court +s'en aller à la grâce de Dieu.</p> + +<p>Lorsque Alpinolo s'aperçut qu'il perdait son temps à le poursuivre, il +se prit à se maudire, à maudire le jour qui l'avait vu naître, celui qui +le lui avait donné, et la fantaisie qu'il avait eue de prendre part à ce +combat. S'il ne s'y fût point mêlé, il aurait rencontré Ramengo; il se +serait vengé sur lui en vengeant Franciscolo, la divine Marguerite, la +patrie perdue par sa faute, l'humanité déshonorée par le traître.</p> + +<p>De son côté, Ramengo, échappé au péril d'être tué par son propre fils, +commença à se plaindre et à chercher dans la colère le remède de ses +remords: cette circonstance redoubla encore sa haine contre Pusterla.</p> + +<p>«C'est parce qu'il m'a trompé par les apparences d'un faux amour, que +j'ai tué ma femme. Un fils au moins me restait d'elle, un fils en qui je +pouvais me complaire et me rendre l'envie de ceux qui peut-être me +méprisent. Et cet infâme vient encore se jeter entre nous; et, pour ses +folles fantaisies, le père et le fils sont divisés, sont ennemis; mais, +non; je ne me reposerai point que je n'aie réussi à me réconcilier avec +mon fils; j'exterminerai celui qui le fascine. Alors je me rapprocherai +d'Alpinolo, je reparaîtrai avec lui dans la société, à Milan, à la cour. +Lorsque je serai arrivé à un poste brillant, qui cherchera jamais quel +fut mon premier pas? Mais toi, toi maudit, qui es la cause de notre +séparation, je sais maintenant où tu t'abrites; et que je ne sois pas un +homme, si je ne le fais expier ton crime par le sang. Alors seulement tu +auras payé ta dette.»</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/36-05.png"></p> + +<p>Et il écrivit à Luchino Visconti la lettre que nous avons trouvée dans +les mains du secrétaire, le jour de l'entretien du prince et de +Marguerite, dans laquelle il demandait l'impunité pour son fils, et +laissait entrevoir qu'il était sur le point de partir pour rejoindre +Pusterla. Il n'osa plus se montrer, de toute cette journée, dans les +rues de Pise; il ne retourna plus dans l'auberge d'Aquevino, qui +regardait sa maison comme souillée pour avoir abrité un homme de cette +espèce. Une taverne, avec une branche d'arbre pour toute enseigne, où +logeaient la nuit des portefaix, des mariniers et de mauvaises femmes, +fut le refuse de Ramengo pendant les jours qui suivirent; mais, riche en +ruses et en argent, il ne tarda pas à s'entendre avec un capitaine de +navire qui, au premier bon vent, devait mettre à la voile pour Antibes; +en effet, après peu de jours, il quitta sain et sauf l'Italie. Alpinolo, +qui, jour et nuit, l'épiait dans les coins les plus reculés, dans la +foule la plus épaisse, eut beau temps à l'attendre. Il ne devait plus le +rencontrer que dans un horrible lieu.</p> + +<br><br> + +<h4>CHAPITRE XVI.</h4> + +<h4>L'EXILÉ.</h4> + +<p><span class="lef"><img alt="" src="images/36-06.png"><br></span><span class="sc">ÛR</span> de la fidélité de Pedrocco de Gallarate, Buonvicino lui confia +Pusterla. Pedrocco était le chef d'une de ces espèces de caravanes qui, +deux ou trois fois l'an, faisaient le voyage de France pour y porter les +denrées du Levant et les draps de Milan. Il avait la tournure d'un +portefaix, la face bronzée par le soleil et la gelée, les mains robustes +et calleuses. Il était vêtu d'un justaucorps serré à la taille par une +large ceinture de cuir noir qui soutenait un cimeterre; souvent son +capuce, rabattu sur les yeux, lui donnait une physionomie si dure +qu'elle avait quelque chose d'effrayant. Cependant c'était le meilleur +homme du monde, un bon vivant aimable et tranquille qui n'eût pas voulu +faire de mal à une mouche. Capitaine d'une bande de muletiers, +expéditionnaire ambulant, on le trouvait toujours prêt à tout faire, +habile et discret. Il eût porté de la même façon une indulgence plénière +et une sentence de mort, une châsse pleine de reliques et le prix de +l'infamie et de la trahison. Cette fois, il avait chargé son convoi de +draps sortis des fabriques des Umiliati de Brera et de la maison de +Varez, pour les porter à Louvain, à Sedan et dans d'autres villes qui +nous fournissent aujourd'hui. Quand Buonvicino lui eut recommandé de +conduire son ami et de se taire, il mit la main sur son cœur, en +s'écriant: «Mon père, je ferai tout mon possible;» et il se chargea de +cette mission de confiance avec d'autant plus de loyauté, qu'il voyait +que Buonvicino jouissait d'une plus grande estime.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/36-07.png"><br> + +<p>Ils s'avancèrent donc par la Valgane avec une file de mulets, et après +quelques détours se trouvèrent enfin dans le val Travaglia. Mais au +moment où ils étaient engagés le plus avant dans ces gorges, ils se +virent attaqués par une bande d'hommes avinés, qui d'abord firent +craindre à Pusterla pour sa vie et celle de son fils; rassemblant les +muletiers, il se préparait à se défendre. Mais ils s'aperçurent bientôt +que ces gens-là n'en voulaient point à leur vie. Ils les laissaient +libres de continuer leur chemin, pourvu qu'ils abandonnassent leur +convoi ou qu'ils payassent une énorme taille, parce qu'ils venaient de +Milan, et qu'ils étaient eux-mêmes les ennemis du seigneur de Milan.</p> + +<p>Ils commençaient déjà à dépouiller la caravane, lorsque Pusterla apprit +qu'ils étaient les hommes d'Aurigino-Muralto de Locarno. C'était, si on +s'en souvient, un des amis de Pusterla; il avait assisté à la réunion de +la fatale soirée; et, condamné à mort par les Visconti, au lieu de fuir +avec les autres proscrits, il s'était retiré dans les montagnes +patrimoniales et à Locarno, dont il était le seigneur. Là, ayant fait +alliance avec les Rusconi, seigneurs de Bellinzona, il avait levé +bannière contre Luchino.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/36-08.png"></p> + +<p>Ce nom, cette nouvelle, suffirent pour chasser de l'esprit de Pusterla +toutes les résolutions de repos, de fuite et de retraite. «Aurigino, +dit-il aux hommes de la bande, c'est un de mes grands amis; malheur à +celui qui touchera un fil de ces bagages! Nous sommes du même parti, et +je viens pour faire cause commune avec lui.»</p> + +<p>Il obtint en effet que ces <i>Masnadieri</i>, qui avaient une espèce de bonne +foi à leur manière, et qui respectaient le droit des gens à la façon des +modernes Bédouins, ne touchassent point les bagages: puis il s'embarqua +sur le lac Majeur. Le petit Venturino paraissait jouir avec délices de +la beauté d'un ciel si pur, de ces eaux, de ces rivages, de cette mer +environnée de montagnes escarpées et de ces plages ornées de la plus +luxuriante végétation. Il resta un instant les yeux comme fascinés par +ces enchantements: puis, se retournant vers son père: «Oh! si ma mère +était avec nous!» s'criait-il. Et leurs pleurs se confondaient, et ils +soupiraient ensemble.</p> + +<p>Mais si le cœur et l'esprit, de l'enfant ne se nourrissaient que +d'amour, le père était occupé d'idées bien différentes. Il se voyait +déjà le chef d'une armée de braves et résolus montagnards, et la terreur +de Visconti. De victoire en victoire, sa pensée courait jusqu'au jour où +il imposerait un pacte à Luchino, et où il regagnerait par les armes sa +femme et sa patrie. Lorsqu'il arriva à Locarno, il y fut reçu avec +enthousiasme. Fêtes, réjouissances, tout lui fut prodigué. On lui montra +un grand appareil de puissance, on lui exagéra les forces dont on +disposait. Mais Aurigino-Muralto était chef, lui, il y était chef de sa +petite armée, et pour renoncer au commandement, il faut plus de vertu et +moins d'impétuosité que n'en avait le jeune rebelle. On fit donc des +politesses infinies à Pusterla; mais quant à de l'autorité, on ne lui en +donna aucune. Aux courtes illusions succéda un prompt désenchantement, +et avec son inquiétude habituelle, Pusterla souhaitait être bien loin +d'un lieu où ses amis mêmes, disait-il, l'abandonnaient et le +trahissaient.</p> + +<p>Il reçut des lettres de Buonvicino. Celui-ci, avec toute la chaleur de +l'amitié, le suppliait de fuir, de s'éloigner le plus qu'il pourrait, de +ne point se laisser aliéner par les trop faciles espérances des bannis. +Il le conjurait de se souvenir que la vie de Margherita pouvait dépendre +d'un de ses mouvements; de penser à son fils, qu'il avait avec lui, et +qu'il devait conserver à l'amour de cette infortunée. Il lui apprenait +ensuite les préparatifs de Luchino contre Muralto, et qui certainement +écraseraient une poignée de révoltés, quelque courage qu'ils dussent +déployer.</p> + +<p>Cédant en partie aux conseils de l'amitié et de la prudence, en partie +au dépit de se voir dédaigné, Pusterla quitta Locarno, où il devint le +sujet d'autant de railleries qu'il avait naguère obtenu +d'applaudissements. Toujours accompagné, de Pedrocco, il s'avançait à +travers les Alpes, en suivant des routes marquées seulement par +l'écoulement des eaux et par quelques croix qui marquaient les endroits +où les voyageurs s'étaient engloutis dans le précipice. C'était un +étrange spectacle pour nos bannis que cette suite de mulets qui, +toujours suspendus sur le bord de l'abîme, gravissaient tortueusement, à +pas lents et la tête basse, sans qu'au sein de cette vaste solitude ou +entendu d'autre bruit que le battement de leurs sabots, le tintement des +grelots de leurs colliers, les sifflets et les jurons des muletiers. Au +centre de la caravane, Pusterla s'avançait sur un mulet robuste, tenant +Venturino en croupe. Pedrocco cheminait à pied à ses cotés, courant çà +et là pour donner les ordres nécessaires, puis revenant toujours à son +poste, pour alléger, par son entretien, l'ennui du seigneur lombard.</p> + +<p>«Oh! d'ici en France, il n'y a qu'un saut. Beau et riche pays que +celui-là. La Lombardie n'en vaut pas la moitié.--Quel en est le +gouvernement?--Mais ce sont des choses que je n'entends point.--Les +routes?--Attendez-vous à les voir toutes pareilles à celle que nous +suivons, qui, comme chacun sait, a été faite par le diable. Abîmes, +précipices, ruines, éboulements dans les montagnes, bois, marécages dans +les plaines, des voleurs partout. Mais les mules savent où elles mettent +le pied, et, le plus souvent, le voyage s'accomplit sans qu'une seule +périsse. Et puis, à quoi sert d'avoir peur? S'il faut mourir, bonne +nuit, c'est une corvée qu'il faut faire au moins une fois. Je dis bien: +le pire, ce sont les malandrins. Vous avez vu comme nous l'avons échappé +belle avec ceux de là-bas. En l'an treize cents et je ne sais plus +combien, nous revenions d'Avignon avec soixante mille florins d'or tout +neufs. Je suis hors de moi rien qu'à me rappeler ce beau magot. Le +saint-père me les avait confiés pour les porter au cardinal Poggello, +son neveu, pour payer les troupes chargées de tenir en bride certaines +factions et d'autres choses auxquelles je ne m'entends point. Le +saint-père, parce que ses florins lui tenaient au cœur, me donna cent +cinquante cavaliers pour convoyer mes trente mulets; des cavaliers, je +puis le dire, que l'air en tremblait. On va, nous passons fleuves et +monts sans faire une rencontre, lorsque, engagés dans une vallée du la +Savoie je commençai à remarquer certaines figures qui ne promettaient +rien de bien. «N'ayons pas peur, dirent les cavaliers français; nous ne +faisons qu'une bouchée des Italiens.» Il faut dire qu'ils ne s'étaient +pas bien recommandés à saint Christophe pour avoir un bon voyage, parce +que les Français ont toutes les bonnes qualités, mais peu de dévotion. +Pendant que nous vidions, non pas une bouteille, mais un tonneau, voici +toute la bande, Dieu sait combien ils étaient! qui nous tombe sur le +dos. Ferme, prends, frappe, laisse: ces Français paraissaient autant de +paladins Roland. Mais il faut avouer qu'au jeu des mains, les Italiens +n'ont pas leurs pareils au monde. En somme, ces gens, qui étaient de +Pavie, démontèrent les Français, et après les avoir débarrassés du poids +de leur armure et de leurs bagages de cavaliers, les renvoyèrent à +Avignon à pied, comme des pèlerins; puis il m'enlevèrent juste la moitié +de mon argent et de mes mules, chose qui n'était point encore arrivée +depuis que les pedrocchi vont de Gallarate en France. Et je dus conduire +au cardinal-légat ce qui me restait.»</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/36-09.png"></p> + +<p>Lorsque Pusterla arriva sur la cime des monts qui séparent les deux +contrées, il s'arrêta, regarda de tous côtés le ciel et la terre. Les +genoux semblaient lui manquer, et Pedrocco lui demanda s'il se trouvait +mal. Il répondit en soupirant: «Ici finit l'Italie!</p> + +<p>--L'Italie, s'écria Pedrocco, Votre excellence pourra la trouver dans +Avignon. Là, cardinaux, serfs, camériers, poètes, bouffons, tout est +Italien.</p> + +<p>--Et connaissez-vous dans cette ville d'Avignon Guillaume Pusterla?</p> + +<p>--Qui? l'archiprêtre de Moura? Je l'ai accompagné, moi-même.</p> + +<p>--Et comment se trouve-t-il?</p> + +<p>--Très bien; gras, triomphant; il est d'une santé à passer cent ans.</p> + +<p>--Je le sais; mais je demande si le pape le favorise, s'il connaît les +disgrâces de sa famille à Milan, s'il est bien vu à la cour.</p> + +<p>--Ce sont des choses auxquelles je n'entends rien.» Après un court +séjour à Paris, Pusterla vint dans cette partie tout italienne de la +France, comme le lui avait dit Pedrocco, c'est-à-dire dans le comtat +Venaissin. A peine arrivé à Avignon, il s'informa de la demeure de +l'archiprêtre de Moura, Guillaume Pusterla, son oncle, et il fut reçu +par le digne, prélat avec toute la joie imaginable. L'argent que +Pusterla avait placé sur les principales maisons de commerce de la +France, et qui s'élevait à des sommes très-considérables, lui permit de +mener, malgré la confiscation de ses biens, un train convenable à son +renom et à sa naissance. Son oncle le mit en rapport avec tous les +dignitaires ecclésiastiques d'Avignon, et aussi avec les hommes qui se +distinguaient le plus par leur science, entre autres avec Pétrarque.</p> + +<p class="rig"><img alt="" src="images/36-10.png"></p> + +<p>Cependant Pusterla avait toujours espéré que le pape se prêterait tôt ou +tard aux desseins qu'il avait formés contre Luchino, lorsqu'un événement +inattendu détruisit tout à coup ses espérances. Des envoyés de Luchino +vinrent à Avignon solliciter le pardon du saint-père; et le naturel +bienveillant de Benoît XII, incapable de chicaner sur les conditions, +rendit la réconciliation plus prompte et plus facile. L'interdit qui +pesait sur les Milanais depuis vingt ans fut levé par le pape, et en +retour Luchino reconnut la suprématie de la papauté sur l'empire, son +droit de nommer au trône vacant, et son indépendance absolue de la +puissance impériale. Il devait en outre payer au saint-siège un tribut +annuel de soixante mille florins. Ce fut l'archiprêtre de Moura qui +annonça cette nouvelle à Pusterla. «Et des exilés, des prisonniers, le +traité n'en a-t-il pas fait mention? demanda celui-ci.</p> + +<p>--Aucune, répondit l'archiprêtre. Le pape recommande aux seigneurs de +Milan d'être pieux, généreux, plus prompts à récompenser qu'à punir, +s'ils veulent que le Seigneur en fasse autant avec eux. Mais, mon neveu, +à peine puis-je contenir ma joie en pensant aux contentements des +Milanais et de mes bons habitants de Moura, lorsqu'ils vont apprendre +l'heureuse nouvelle! Les églises ouvertes de nouveau, leurs morts +ensevelis en terre bénite, les chants qui leur seront rendus, le bonheur +de revoir les cérémonies solennelles qu'ils n'avaient pas vues depuis +vingt ans.» En parlant ainsi, les larmes venaient aux yeux du bon +archiprêtre; mais l'heureuse nouvelle, comme il disait, causa bien de +mauvaises nuits à Pusterla, par la perte de ses espérances.</p> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/36-11.png"></p> + +<p>Sur ces entrefaites, Ramengo arriva à Avignon et se présenta à Pusterla +comme un ami. En effet, c'était un ancien client de sa famille, et qu'il +s'était lui-même attaché par des bienfaits. Il avait été l'époux de +cette Rosalie qui lui avait inspiré tant de compassion, s'il ne l'avait +point aimée d'amour. Ses crimes énormes, ses tentatives contre l'honneur +de Marguerite, lui étaient inconnus. Quant à sa dernière trahison, +Alpinolo, dans le premier moment, s'était jeté aux pieds de Pusterla +avec l'intention de lui confesser sa propre faiblesse et la criminelle +perfidie de Ramengo. Mais pour courir à la recherche de Marguerite, il +avait interrompu sa confession, et si on ne fait point de tels aveux +dans le premier élan d'un généreux repentir, la réflexion nous en ôte +ensuite le courage.</p> + +<p>Aussitôt qu'il vit Ramengo, notre exilé l'aborda avec cordialité, en lui +demandant: «Êtes-vous venu de vous-même ou par contrainte?</p> + +<p>--Moitié l'un, moitié l'autre,» répondit Ramengo; et il imagina autant +de mensonges qu'il lui en fallait pour exciter la compassion et gagner +la confiance de son seigneur. Voyant en lui un concitoyen exilé comme +lui, comme lui persécuté et peut-être pour lui, Pusterla trouvait à +Ramengo des titres suffisants pour qu'il l'accueillit à bras ouverts, le +désirât pour son hôte, et se mit à entamer avec lui ces premiers sujets +de la conversation du banni: la patrie et la famille.</p> + +<p>Le traître avait trop beau jeu. Par un facile mélange du faux et de +vrai, Ramengo sut non-seulement éloigner tout soupçon de l'âme du +lombard, mais encore acquérir entièrement sa confiance. Avec une fougue +d'autant plus grande que depuis longtemps elle n'avait point trouvé à +s'assouvir, Francesco exposa au nouveau venu ses déceptions à cause du +nouveau traité conclu par te saint-père avec Luchino, et du soupçon +qu'il avait conçu que les ambassadeurs de ce prince avaient machiné de +le prendre par violence, et de le traîner à Milan; soupçon, à vrai dire, +fondé sur un trop grand nombre d'exemples d'une semblable déloyauté.</p> + +<p>Nos lecteurs doivent se souvenir que Ramengo avait montré aux réfugiés +de Pise certaines lettres de Martino della Scala, qu'il se disait chargé +de remettre à Pusterla. C'était encore une de ses trame». Sachant que +Franciscolo était dans les bonnes grâces de Scaliger, et comment il +avait été excité à la vengeance pendant qu'il était à Vérone, d'accord +avec Luchino, il feignit une lettre dans laquelle Martino annonçait +qu'une rupture définitive allait éclater, par ses soins, entre lui et +Luchino. Il invitait Pusterla à se rendre à sa cour, lui promettant de +larges honoraires et une autorité égale au mérite d'un homme si +généralement cher et révéré, qui entraînerait sous ses drapeaux tous +ceux qui désireraient rendre la liberté à leur patrie et la recouvrer +pour eux-mêmes.</p> + +<p>C'était frapper un coup de maître sur une âme ambitieuse et inquiète +comme celle de Pusterla. Ramengo, battant le fer pendant qu'il était +chaud, lui exposa l'état de toute l'Italie, ce qu'il avait pu pénétrer +des desseins des bannis pendant son séjour à Pise. Il raconta comment il +s'était abouché et entendu avec ces derniers, et même qu'il venait de +leur part le solliciter de prendre pitié de la patrie, qui lui demandait +merci; de sortir d'un repos apathique; de se souvenir comment Matteo +Visconti, après neuf années, était revenu au pouvoir, parce que les +fautes des Porrian dépassaient les siennes.</p> + +<p>Flottant entre son imagination, qui souriait à un avenir de vengeance et +de tendresse, et les conseils de son oncle et ceux de Buonvicino; +quelquefois résolu de tenter toute chose pour sortir de ce calme +homicide; quelquefois ayant soif de paix, de ce repos dont il se sentait +plus désireux que capable, il était dans la pire des conditions; celle +de l'homme qui ne sait pas prendre un parti.</p> + +<p>«Pourquoi ne recourez-vous pas à Pommaso Pezzano?» lui dit Ramengo. Le +Pezzano était un astrologue de ce temps fort renommé dans Avignon; et +c'était alors, et non pas seulement alors, un expédient excellent pour +les esprits faibles et indécis, que de substituer aux calculs de la +prudence les prophéties d'un imposteur. Le conseil plut à Francesco. +L'astrologue, après avoir fait montre d'études et de connaissances +mystérieuses, lorsqu'il eut observé pendant plusieurs jours la main de +Pusterla et les étoiles, formé l'horoscope et trouvé <i>l'ascendant</i>, lui +annonça alors que sa vie était en grand danger, et une quelqu'un, sous +de gracieuses apparences, cherchait à le livrer à ses pires ennemis.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/36-12.png"></p> + +<p>Il n'en fallut pas davantage pour confirmer Pusterla dans le doute qu'il +avait déjà conçu que la cour pontificale voulait le livrer, comme une +victime, à Visconti réconcilié. Il fit donc les préparatifs de son +départ. Quelques raisons que lui apportât son oncle, quelques +exhortations qu'il lui fit, les larmes aux yeux, d'écouter la divine +sagesse, qui taxe de folie ceux qui dépensent leur argent à tenter la +ruine des puissants, quelques assurances qu'il lui donnât qu'il n'avait +point à craindre de trahison si noire des prêtres d'un Dieu de justice, +Pusterla se confirmait d'autant plus dans son projet de revenir en +Italie, «Enfin, disait-il, quel mal peut-il m'arriver? Je ne me livre +point aux mains de mon persécuteur; je ne me confie point aveuglement à +une indulgence, à une générosité mensongères. Non: je reverrai +l'Italie.--Italie! qui peut proférer ton nom sans ajouter belle et +infortunée! Je m'approcherai de mes amis, de Marguerite. De là, je +pourrai comprendre et apprécier la situation de ma patrie; et mieux que +dans Avignon, terre de prêtres, je trouverai un sûr et honorable asile +dans Pise: Pise libre, souveraine des mers et ennemie des Visconti!»</p> + +<br><br> + +<p class="lef"><img alt="" src="images/010a.png"><br> + +<h2>Modes.</h2> + +<p>La fourrure et le velours commencent à dominer dans toutes les +toilettes, et les plus merveilleux pardessus, paletots et même twines +seront bordés de martre. La forme qui semble vouloir être adoptée par +les femmes élégantes est celle dit kazadaveka, dont nous donnons +aujourd'hui le modèle, pour la promenade, il doit être plus long. En +velours garni de fourrure, il est charmant.</p> + +<p>L'autre figurine porte un pardessus en satin avec collet et des manches +qui s'ajustent à volonté; c'est presque l'ancien witchoura serrant la +taille.</p> + +<p>Pour les sorties de bal on fait de très-grands mantelets à capuchon +bordé de cygne ou d'hermine.</p> + +<p>Quant aux twines, puisque cette mode anglaise, déjà acceptée par les +hommes, semble prendre aussi une place importante dans nos toilettes, et +qu'ainsi elle devient française, disons que ces vêtements se font en +drap-cachemire brodé en soutache et doublé en fourrures on en satin; le +collet, fait a peu près comme le collet des habits, est recouvert de +fourrures, et peut se dresser pour garantir le cou du froid; les manches +sont aussi comme celles des homme, mais plus larges du haut, afin de +laisser libre le passage de la robe; les parements en fourrures +permettent aux mains de se cacher dessous en l'absence du manchon, qui +souvent est gênant par un temps pluvieux.</p> + +<p>Les jupes des robes conservent beaucoup d'ampleur, mais on a supprimé +les tournures et les jupes crinolines. La taille gagne beaucoup de grâce +à être entourée seulement des plis de la robe. Les manches des robes de +sortie se finit plus souvent justes; la variété est dans l'arrangement +des ornements; c'est une affaire de goût et d'intelligence.</p> + +<p>Pour le matin, nous recommandons une redingote en satin, avec des +chevrons en velours posés sur le devant de la jupe, et au bout de chaque +chevron, un nœud en passementerie terminé par des glands;--le corsage +montant est orné de la même garniture répétée en s'élargissant vers le +haut.</p> + +<p>Un chapeau de velours avec un grand voile en dentelle est simple, mais +distingué.</p> + +<p>Bientôt nous aurons à raconter les élégances du soir, car voici qu'on a +quitté la vie de château pour la vie de salon. On se retrouve, on +s'assemble, et la première, la plus importante affaire, c'est la +toilette; il faut donc s'en occuper; ainsi ferons-nous.</p> +<br><br> + +<h2>Amusements de sciences</h2> + +<h4>SOLUTION DES QUESTIONS PROPOSÉES DANS LE DERNIER NUMÉRO.</h4> + +<p>I. Cette épitaphe est celle du célèbre Diophante, la voici en vers +latins, telle qu'elle a été donnée dans l'anthologie grecque:</p> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<p class="i14"> Hic Diophantus habet tumulum, qui tempora vitæ</p> +<p class="i14"> Illius mira denotat arte tibi:</p> +<p class="i14"> Egit sextantem juvenis; lanugine mala</p> +<p class="i14"> Vestire hinc cœpit parte duodecima;</p> +<p class="i14"> Septante uxori post haec sociatur, et anno</p> +<p class="i14"> Formosus quinto nascitur inde puer.</p> +<p class="i14"> Semissem ætatis postquam attigit ille paternæ</p> +<p class="i14"> Infelix subita morte peremptus obit</p> +<p class="i14"> Quatuor æstates, genitor lugere superstes</p> +<p class="i14"> Cogitur, hinc annos illius assequere.</p> +</div></div> + +<p>Pour trouver l'âge de Diophante à sa mort, il faut trouver un nombre +dont le sixième, le douzième, le septième et la moitié, en y ajoutant 5 +et 4, fassent le nombre lui-même. Ce nombre est 84.</p> + +<p>II. La solution de ce problème est des plus faciles. La première +personne a eu 160 fr.; la seconde, 125 fr.; la troisième, 95 fr., et la +quatrième, 120 fr.</p> + +<p>Il faut remarquer que, sans la dernière condition, ou une quatrième +quelconque, le problème serait indéterminé, c'est-à-dire qu'on pourrait +y satisfaire d'une infinité de manières. C'est cette dernière condition +qui limite la solution à une seule.</p> + +<p>III. Placez sur le tapis d'un billard une bille, et frappez-la, sur le +côté, d'un coup perpendiculaire au billard et avec le tranchant de la +main; vous la verrez, marcher quelques centimètres du côté où doit la +porter ce coup; puis rétrograder en roulant, sans avoir remontré aucun +obstacle et comme d'elle-même.</p> + +<p>Cet effet n'est pas contraire à ce principe de mécanique si connu qu'un +corps mis une fois en mouvement dans une direction, continue de s'y +mouvoir tant qu'aucune cause étrangère ne l'en détourne; car, dans le +cas proposé, voici comment les choses se passent:</p> + +<p>Le coup imprimé, comme on vient de dire, à la bille, lui donne deux +mouvements, un de rotation autour de son centre, et un autre direct, par +lequel son centre se meut parallèlement au tapis, dans la direction du +coup. Ce dernier mouvement ne s'exécute qu'en frottant le tapis, ce qui +l'anéantit bientôt. Mais le mouvement de rotation autour du centre +subsiste, et, le premier une fois cessé, il fait rouler la bille comme +pour revenir sur elle-même. Ainsi il n'y a dans cet effet rien que de +très-conforme aux lois connues de la mécanique.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/010b.png"></p> + +<p>IV. Il est aisé de voir que si le poids C était précisément au milieu de +la barre AH, les deux personnes en porteraient chacune la moitié; mais +si le poids n'est pas au milieu, on démontre, et il est aisé de le +démontrer, que les parties du poids soutenu par les deux personnes sont +en raison inverse de leur distance au poids. Il est donc question de le +diviser en raison des distances, et la plus grande portion sera celle +que soutiendra la personne la plus voisine du poids, et la moindre sera +celle que soutiendra la plus éloignée. Le calcul se fera par la +proportion suivante;</p> + +<p>La longueur totale du levier AB est à la longueur AE comme le poids +total est au poids soutenu par la puissance qui est à l'autre extrémité +B; on AB est à BE comme le poids total est à la partie soutenue par la +puissance placée en A.</p> + +<p>Soient, par exemple, AB de trois mètres, le poids C de 150 k., AE de 2 +m, et BE de 1 m.; vous aurez cette proportion: 3 est à 2 comme 150 est à +un quatrième terme, qui sera 100. Ainsi, le porteur place à l'extrémité +B portera 100 kilog.; conséquemment la puissance placée en A ne sera +chargée que de 50 kilog.</p> + +<p>La solution de ce problème donne le moyen de repartir un poids +proportionnellement à la force des agents qu'on emploie à le soulever: +car, si l'un des deux est, par exemple, de la moitié moins fort que +l'autre, il n'y aura qu'à le placer à une distante du poids double de +l'autre.</p> + +<h4>NOUVELLES QUESTIONS À RÉSOUDRE.</h4> + +<p>I. Quinze chrétiens et quinze Turcs se trouvent sur mer dans un même +vaisseau; il survient une furieuse tempête. Après avoir jeté dans l'eau +toutes les marchandises, le pilote annonce qu'il n'y a de moyen de se +sauver que de jeter encore à la mer la moitié des personnes. Il les +l'ait ranger de suite, et, en comptant de 9 en 9, on jette le neuvième à +la mer, en recommençant à compter le premier du rang quand il est fini. +Il se trouve qu'après avoir jeté quinze personnes, les quinze chrétiens +sont restés. Comment le pilote a-t-il disposé les trente personnes pour +sauver les chrétiens?</p> + +<p>II. Comment peut-on distribuer commodément 4, 8, 16, 32 hommes pour +porter un fardeau considérable sans s'embarrasser?</p> + +<br><br> + +<h4>EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.</h4> + +<p class="mid">Ainsi que la vertu, le crime a ses degrés.</p> +<br><br> + +<p class="mid">TYPES DE L'ANCIENNE COMÉDIE<br><img alt="" src="images/010c.png"></p> +<br> + +<p class="mid">RÉBUS COMMUNIQUÉ PAR UN JEUNE<br> ABONNÉ A L'ILLUSTRATION<br> <img alt="" src="images/010d.png"></p> + + + + + + +<br><br> +</div> + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Illustration, No. 0036, 4 Novembre +1843, by Various + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 4 NOV 1843 *** + +***** This file should be named 39436-h.htm or 39436-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/9/4/3/39436/ + +Produced by Rénald Lévesque + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. They may be modified and printed and given away--you may do +practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +http://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all +the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy +all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. +If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project +Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the +terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or +entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. + +1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be +used on or associated in any way with an electronic work by people who +agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few +things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works +even without complying with the full terms of this agreement. See +paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project +Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement +and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic +works. See paragraph 1.E below. + +1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" +or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project +Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the +collection are in the public domain in the United States. If an +individual work is in the public domain in the United States and you are +located in the United States, we do not claim a right to prevent you from +copying, distributing, performing, displaying or creating derivative +works based on the work as long as all references to Project Gutenberg +are removed. Of course, we hope that you will support the Project +Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by +freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of +this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with +the work. You can easily comply with the terms of this agreement by +keeping this work in the same format with its attached full Project +Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. + +1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern +what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in +a constant state of change. If you are outside the United States, check +the laws of your country in addition to the terms of this agreement +before downloading, copying, displaying, performing, distributing or +creating derivative works based on this work or any other Project +Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning +the copyright status of any work in any country outside the United +States. + +1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: + +1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate +access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently +whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the +phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project +Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, +copied or distributed: + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + +1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived +from the public domain (does not contain a notice indicating that it is +posted with permission of the copyright holder), the work can be copied +and distributed to anyone in the United States without paying any fees +or charges. If you are redistributing or providing access to a work +with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the +work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 +through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the +Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or +1.E.9. + +1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted +with the permission of the copyright holder, your use and distribution +must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional +terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked +to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the +permission of the copyright holder found at the beginning of this work. + +1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm +License terms from this work, or any files containing a part of this +work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. + +1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this +electronic work, or any part of this electronic work, without +prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with +active links or immediate access to the full terms of the Project +Gutenberg-tm License. + +1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, +compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any +word processing or hypertext form. However, if you provide access to or +distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than +"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version +posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), +you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a +copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon +request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other +form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm +License as specified in paragraph 1.E.1. + +1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, +performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works +unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. + +1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing +access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided +that + +- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from + the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method + you already use to calculate your applicable taxes. The fee is + owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he + has agreed to donate royalties under this paragraph to the + Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments + must be paid within 60 days following each date on which you + prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax + returns. Royalty payments should be clearly marked as such and + sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the + address specified in Section 4, "Information about donations to + the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." + +- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies + you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he + does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm + License. You must require such a user to return or + destroy all copies of the works possessed in a physical medium + and discontinue all use of and all access to other copies of + Project Gutenberg-tm works. + +- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any + money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the + electronic work is discovered and reported to you within 90 days + of receipt of the work. + +- You comply with all other terms of this agreement for free + distribution of Project Gutenberg-tm works. + +1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm +electronic work or group of works on different terms than are set +forth in this agreement, you must obtain permission in writing from +both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael +Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the +Foundation as set forth in Section 3 below. + +1.F. + +1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable +effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread +public domain works in creating the Project Gutenberg-tm +collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic +works, and the medium on which they may be stored, may contain +"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or +corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual +property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a +computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by +your equipment. + +1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right +of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project +Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project +Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all +liability to you for damages, costs and expenses, including legal +fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT +LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE +PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE +TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE +LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR +INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH +DAMAGE. + +1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a +defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can +receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a +written explanation to the person you received the work from. If you +received the work on a physical medium, you must return the medium with +your written explanation. The person or entity that provided you with +the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a +refund. If you received the work electronically, the person or entity +providing it to you may choose to give you a second opportunity to +receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy +is also defective, you may demand a refund in writing without further +opportunities to fix the problem. + +1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth +in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER +WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO +WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. + +1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied +warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. +If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the +law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be +interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by +the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any +provision of this agreement shall not void the remaining provisions. + +1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit http://pglaf.org + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: http://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> + + + + diff --git a/39436-h/images/001.png b/39436-h/images/001.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..e6f1642 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/001.png diff --git a/39436-h/images/001a.png b/39436-h/images/001a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..563d4d5 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/001a.png diff --git a/39436-h/images/001b.png b/39436-h/images/001b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..9a9d33e --- /dev/null +++ b/39436-h/images/001b.png diff --git a/39436-h/images/002a.png b/39436-h/images/002a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..6f136b8 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/002a.png diff --git a/39436-h/images/002b.png b/39436-h/images/002b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..6700faf --- /dev/null +++ b/39436-h/images/002b.png diff --git a/39436-h/images/003large.png b/39436-h/images/003large.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..d4c6942 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/003large.png diff --git a/39436-h/images/003small.png b/39436-h/images/003small.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a08d557 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/003small.png diff --git a/39436-h/images/004.png b/39436-h/images/004.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..9be14be --- /dev/null +++ b/39436-h/images/004.png diff --git a/39436-h/images/005a.png b/39436-h/images/005a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..69ca85e --- /dev/null +++ b/39436-h/images/005a.png diff --git a/39436-h/images/005b.png b/39436-h/images/005b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..8885aa3 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/005b.png diff --git a/39436-h/images/005c.png b/39436-h/images/005c.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..e603431 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/005c.png diff --git a/39436-h/images/006a.png b/39436-h/images/006a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..951d11e --- /dev/null +++ b/39436-h/images/006a.png diff --git a/39436-h/images/006b.png b/39436-h/images/006b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..552bff3 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/006b.png diff --git a/39436-h/images/007a.png b/39436-h/images/007a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..0aec650 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/007a.png diff --git a/39436-h/images/007b.png b/39436-h/images/007b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..83e3ec9 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/007b.png diff --git a/39436-h/images/008a.png b/39436-h/images/008a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..feeda5d --- /dev/null +++ b/39436-h/images/008a.png diff --git a/39436-h/images/008b.png b/39436-h/images/008b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..54dafaf --- /dev/null +++ b/39436-h/images/008b.png diff --git a/39436-h/images/009.png b/39436-h/images/009.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..fd3079b --- /dev/null +++ b/39436-h/images/009.png diff --git a/39436-h/images/010a.png b/39436-h/images/010a.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..f1fe28c --- /dev/null +++ b/39436-h/images/010a.png diff --git a/39436-h/images/010b.png b/39436-h/images/010b.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..8273e98 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/010b.png diff --git a/39436-h/images/010c.png b/39436-h/images/010c.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..0566295 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/010c.png diff --git a/39436-h/images/010d.png b/39436-h/images/010d.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..511ef82 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/010d.png diff --git a/39436-h/images/36-01.png b/39436-h/images/36-01.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..8a86985 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/36-01.png diff --git a/39436-h/images/36-02.png b/39436-h/images/36-02.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..f771f82 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/36-02.png diff --git a/39436-h/images/36-03.png b/39436-h/images/36-03.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..b489b81 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/36-03.png diff --git a/39436-h/images/36-04.png b/39436-h/images/36-04.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..e4052f5 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/36-04.png diff --git a/39436-h/images/36-05.png b/39436-h/images/36-05.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..85609a4 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/36-05.png diff --git a/39436-h/images/36-06.png b/39436-h/images/36-06.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..73ac91a --- /dev/null +++ b/39436-h/images/36-06.png diff --git a/39436-h/images/36-07.png b/39436-h/images/36-07.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..d317e27 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/36-07.png diff --git a/39436-h/images/36-08.png b/39436-h/images/36-08.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..248192f --- /dev/null +++ b/39436-h/images/36-08.png diff --git a/39436-h/images/36-09.png b/39436-h/images/36-09.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..361a69e --- /dev/null +++ b/39436-h/images/36-09.png diff --git a/39436-h/images/36-10.png b/39436-h/images/36-10.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..99ac155 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/36-10.png diff --git a/39436-h/images/36-11.png b/39436-h/images/36-11.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..921bafc --- /dev/null +++ b/39436-h/images/36-11.png diff --git a/39436-h/images/36-12.png b/39436-h/images/36-12.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..93bac4b --- /dev/null +++ b/39436-h/images/36-12.png diff --git a/39436-h/images/cover.jpg b/39436-h/images/cover.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..6b0fa26 --- /dev/null +++ b/39436-h/images/cover.jpg diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize +this eBook outside of the United States should confirm copyright +status under the laws that apply to them. diff --git a/README.md b/README.md new file mode 100644 index 0000000..7f2b36b --- /dev/null +++ b/README.md @@ -0,0 +1,2 @@ +Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for +eBook #39436 (https://www.gutenberg.org/ebooks/39436) |
