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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44634 ***
+
+L'ILLUSTRATION
+Prix de ce Numéro: 1 fr. 25.
+
+SAMEDI 4 AVRIL 1891
+49e Année.--N° 2510
+
+
+
+[Illustration: LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE MOMIES DANS LA
+HAUTE-ÉGYPTE.--Extraction des sarcophages du puits de Deïr-el-Bahari,
+près de Louqsor. Dessin d'après nature de M. Émile Bayard.]
+
+
+
+JE parlais l'autre jour d'une danseuse au nom bizarre qui donne aux
+femmes du monde et aux futures étoiles du Moulin-Rouge des leçons de
+danse excentrique. Depuis que la Goulue a fait école et enseigné à Mlle
+Réjane l'art de lever très haut la jambe, il s'est établi, non pas
+encore en France, mais en Amérique, une mode nouvelle. Un jeu mondain a
+pris naissance dans les salons yankees et, si les correspondants de
+journaux ne sont pas des mystificateurs, comme on disait autrefois, ou
+des fumistes, comme on dit aujourd'hui (ils pourraient bien être des
+mystificateurs!), voici on quoi ce jeu consiste:
+
+Au milieu d'un salon, un tambour de basque est suspendu par un fil au
+plafond et à une certaine hauteur. Tels les arbres de la Saint-Valentin
+sous lesquels, en Angleterre, on embrasse sa danseuse. Ce tambour de
+basque est un but, une cible pour le bout des pieds des jeunes
+Américaines. C'est à qui, en levant le pied le plus haut, atteindra le
+mieux le tambour et le fera plus joliment résonner. Il s'agit d'attraper
+la peau d'âne et de frapper sur cette sorte de gong. On voit d'ici le
+tableau: d'aimables misses levant la jambe, à la façon de la Goulue,
+pour attraper le bienheureux tambour.
+
+Ce jeu, d'invention récente, porte en Amérique un nom composé des plus
+difficiles à prononcer. On pourrait, ce qui serait plus simple,
+l'appeler le _shocking-drum_, le _tambour-shocking_! Mais, là-bas, ce
+divertissement ne choque personne, et je ne désespère pas de le voir
+s'acclimater chez nous l'hiver prochain. Gloire à Mlle Réjane! Elle y
+sera bien pour quelque chose.
+
+Dieu merci, nous n'en sommes pas là, et avant l'hiver la mode aura
+peut-être changé. Le vent tourne et le mot _shocking-drum_ aura rejoint,
+je pense, les vieilles lunes. Il est fini, le présent hiver! avril,
+_l'honneur des mois et des bois_ nous apporte ses premières feuilles. Un
+reporter de beaucoup d'ingéniosité a cherché, l'autre jour, un sujet
+d'actualité qui prêtât à une consultation et à des entrevues, et il a
+posé à un certain nombre de poètes cette question alléchante:
+
+--Que pensez-vous du printemps?
+
+Nos poètes consultés sur la question de savoir s'ils aiment ou s'ils
+n'aiment pas le printemps, on s'imagine que, du premier coup, ils vont
+en choeur s'écrier:
+
+--Le printemps! mais c'est la saison bénie, l'heure des amours, la
+saison des nids!
+
+Les vieux poètes d'autrefois eussent peut-être répondu cela, les naïfs.
+Banville, s'il eût vécu, eût crié: Vivent les roses! Or, je remarque
+avec une certaine tristesse que la plupart des poètes interviewés n'ont
+parlé du printemps que pour le railler.
+
+--C'est la saison des rhumes de cerveau!
+
+--C'est le triomphe du coryza!
+
+Devant les poètes contemporains, plus ou moins mordus de pessimisme, le
+pauvre printemps n'a pas de chance. Il n'a plus pour l'aimer et pour le
+chanter que les bons bourgeois fidèles au culte des dates, et qui se
+disent, parfois en grelottant:
+
+--Le fond de l'air est froid. Mais nous sommes en avril. Que c'est bon
+tout de même, le printemps!
+
+Il a parfois des engelures, le printemps, mais c'est le printemps, que
+voulez-vous? Et on lui sourit tout de même. Voilà donc qu'il est, pour
+parler comme tout le monde, lâché par les poètes. Je conseillerais au
+reporter intelligent dont j'ai parlé de demander à ces mêmes poètes une
+consultation nouvelle, sur un sujet aussi vieux et aussi jeune que le
+printemps: l'amour!
+
+--Que pensez-vous de l'amour?
+
+Voyez-vous le point d'interrogation? Eh bien, je gage que les poètes,
+après avoir lâché le printemps, lâchent aussi l'amour. On ne croit plus
+beaucoup à l'amour, maintenant qu'on ne croit plus au printemps. L'amour
+recevra une fameuse dégelée le jour où l'on ouvrira un plébiscite sur
+son compte comme le journal la France en ouvre un sur cette question:
+
+--Faut-il ou ne faut-il pas évacuer le Tonkin?
+
+Oh! le beau système! Imaginez-vous les problèmes les plus graves soumis
+ainsi à la solution de braves lecteurs de journaux qui brassent de la
+politique au fond de leur café? Être ou n'être pas pour l'évacuation du
+Tonkin, comme cela, sans renseignements, sans étude, sur une simple
+impression, et livrer les questions les plus graves des politiciens à la
+Gavarni!
+
+--Vois-tu, Sabournin, tant que M. de Metternich ne fera pas ce que je
+ferais si j'étais à sa place, l'Europe ne battra que d'une aile! Voilà
+mon opinion!
+
+--T'es-t-un melon! Voilà mon _opinion_ sur ton _opignon!_
+
+C'est Gavarni qui raillait, voilà trente ou quarante ans, les
+politiquailleries. Ses _légendes_ sont toujours de mise. Passe encore,
+en fait de plébiscite, pour celui du _Petit Journal._
+
+Le _Petit Journal_ a eu l'idée de demander à ses lecteurs, aux parents
+de collégiens, et peut-être aux collégiens eux-mêmes, s'il ne
+conviendrait pas de rapprocher les vacances scolaires et de mettre les
+lycéens en liberté dès juillet, avant même la fête nationale.
+
+En juillet, on étouffe dans les classes souvent trop étroites. Les
+enfants sont enfermés par les jours caniculaires et c'est quand le
+thermomètre monte, monte, qu'on les condamne aux compositions de fin
+d'année. Ces jeunes cerveaux se mettent alors à bouillir comme du lait
+sur des charbons ardents.
+
+--Êtes-vous d'avis de fixer les vacances au 10 juillet?
+
+Tel est le terme du plébiscite du _Petit Journal. La majorité des
+votants--on votait par oui ou par non--a été d'avis qu'il fallait
+avancer la date des vacances. Je dois dire que les professeurs n'ont pas
+du tout manifesté la même opinion. Ils n'ont point voté, mais ils ont
+causé.
+
+Si l'on partait plus vite, on rentrerait plus tôt! On rentrerait à
+l'heure où s'ouvre la chasse! Or, ils sont assez ruraux, les
+professeurs, et ils aiment à tirailler le perdreau dans quelque coin de
+leur province. Comment! il leur faudrait expliquer Virgile au lieu de
+_rouler_ un lièvre, ouvrir Xénophon au lieu de leur carnier! Non, non,
+elles resteront fixées au mois d'août, les vacances scolaires, en dépit
+des _oui, oui, oui, oui_, innombrables du _Petit Journal_, et les
+collégiens continueront à avoir la tête grosse comme un muid en
+composant en histoire ou en thème par les jours chauds de juillet.
+
+On a--pour changer--beaucoup parlé de M. de Talleyrand et de ses
+_Mémoires_. Les uns prétendent que M. de Bacourt, qui les eut un moment
+sous la main, se serait livré à un petit _tripatouillage_ sur le
+manuscrit du prince de Bénévent; les autres soutiennent que, tout au
+contraire, c'est le texte exact de l'ancien évêque d'Autun que le public
+a sous les yeux. Et, là-dessus, M. le duc de Broglie offre de déposer
+pendant quinze jours chez Calmann-Lévy les manuscrits qui ont servi pour
+l'impression. Les saints Thomas de la critique verront, toucheront et
+seront peut-être ensuite convaincus.
+
+Mais convaincus de quoi? Il faut bien avouer que ces _Mémoires_, qui ne
+sont pas une spéculation puisque M. le duc de Broglie en donne le
+produit aux pauvres, sont une désillusion. Avec un personnage tel que M.
+de Talleyrand, le public s'attendait à des personnalités, à des
+méchancetés, tranchons le mot, à des _éreintements_. Voyez ce que c'est
+que d'avoir une réputation! «Avec Talleyrand, on s'amusera, disait-on.
+Il en dira long, il en avait tant à dire!»
+
+Eh bien! non, il ne dit rien. Il fait de l'histoire. Ses Mémoires sont
+un document officiel, presque diplomatique. Hélas! on tombe de haut.
+
+--On nous a changé notre Talleyrand, se dit le public, qui n'admet pas
+que ce diable de Talleyrand se soit maquillé lui-même, ce qui me paraît
+pourtant vraisemblable.
+
+Ce diable! Je viens d'écrire là un mot qui me rappelle une jolie
+anecdote:
+
+Lord Halland voulait avoir un portrait de Talleyrand. Il admirait
+l'homme, il désirait en conserver les traits. Il s'adresse à Ary
+Scheffer:
+
+--Mon cher Scheffer, je veux vous demander et vous commander un
+portrait!
+
+--Un portrait de vous, mylord? C'est une bonne fortune pour un peintre.
+
+--Non, pas un portrait de moi, le portrait d'un homme historique.
+
+--Et qui cela, mylord?
+
+--M. de Talleyrand.
+
+Ary Scheffer fit la grimace. Lui n'admirait pas M. de Talleyrand, mais
+il voulait être agréable à lord Halland. Il s'attela au portrait. Il
+peignit un Talleyrand assis, pâle, pensif, presque exsangue.
+
+Un chef-d'oeuvre, du reste. Mais, au moment de peindre les mains, il
+s'arrêta. Ou plutôt il ne peignit pas les mains, il les allongea, il les
+effila, il les tordit, et il en fit... des griffes.
+
+--Oui, disait-il en parlant de son tableau, des griffes, de véritables
+griffes. Pour moi, Talleyrand, c'est le diable!
+
+Ce diable-là est sorti de sa boîte à l'état de bon diable posthume, de
+diable bon enfant, sans ongles et sans rancune. Et c'est pourquoi la
+foule ne reconnaît pas, ne veut pas reconnaître ce Talleyrand
+d'outre-tombe--un Talleyrand qui s'est fait ermite.
+
+A propos de _tripatouillage_, que dites-vous de ce chimiste qui
+fabriquait, pour un journal qui les donnait en prime, de faux billets de
+banque, mais non point dans l'intention de les faire passer pour de
+vrais billets, simplement, au contraire, afin de prouver à la Banque
+qu'on pouvait parfaitement contrefaire ses banknotes? Certains détails
+étaient volontairement inexacts dans ces faux billets, et cela de telle
+sorte qu'on ne pût accuser l'auteur d'avoir voulu fabriquer de la fausse
+monnaie. Une pure plaisanterie!
+
+Mais dame Justice n'a pas entendu de cette oreille-là. Elle n'admet pas
+les mystificateurs et elle coffrerait Scapin, malgré tout son esprit,
+comme le dernier des _escarpes_. Elle a cherché querelle au chimiste et
+elle l'a condamné à une amende assez forte.
+
+Les envois au Salon, où l'on tripote et tripapote la couleur, sont
+terminés, au moins pour le Salon des Champs-Elysées, qui continuera à
+être, quoi qu'on fasse, le Salon officiel. Tous les peintres ont invité
+leurs amis et connaissances à visiter leurs ateliers, absolument comme
+les auteurs, sous prétexte de répétitions générales closes, convient
+tout Paris à écouter leur pièce la veille de la représentation. On
+connaît donc à peu près d'avance le Salon de 1891, qui ne s'écartera
+guère du Salon de 1890, lequel ressemblait fort au Salon de 1889.
+
+En entrant on doit se dire comme on se l'est déjà dit:
+
+--Mais où donc ai-je déjà vu ça!
+
+Il paraît que M. Jean-Paul Laurens a fait un effort très original. Il
+nous présente Bailly, maire de Paris, recevant Louis XVI à la porte de
+l'Hôtel-de-Ville. Un vrai tableau d'histoire, une véritable
+reconstruction historique. Pourvu qu'on n'aille pas le décrocher comme
+l'_Appel des Condamnés_ de Millier! Non, et M. Jean-Paul Laurens a songé
+à l'Institut en peignant cette grande toile. Il avait, lui, invité ses
+juges et électeurs à venir regarder son Bailly avant le vote de
+l'Académie. M. Jules Lefebvre aurait pu en faire autant s'il l'avait
+voulu. Car le duel académique entre ces deux maîtres sera terminé
+lorsque paraîtront ces lignes, et il y aura, pour remplacer Meissonier,
+un membre de l'Institut de plus.
+
+Lui, Meissonier, pour qui eût-il voté? Pour Detaille, certainement. Il
+n'a plus droit au vote, il a droit à la statue. La statue, c'est la
+galvanoplastie appliquée aux grands hommes.
+
+Rastignac.
+
+
+
+LE BON CHEVAL
+DU SIRE DES MOCQUEREAUX
+
+L'automne est pour moi la saison idéale, et je ne sais rien de plus beau
+que les coteaux et les falaises dorés et diaprés par le soleil
+d'octobre. Mais encore faut-il qu'il brille, ce soleil, car, en
+revanche, rien n'est plus triste qu'un ciel gris et plombé, si ce n'est
+la pluie fine qui tombe désespérément, sans trêve et sans repos.
+
+Or, nous en étions précisément là, au mois d'octobre... peu importe de
+quelle année. Depuis trois jours, la pluie tombait avec une implacable
+régularité, et les hôtes nombreux qu'accueillait, en son petit château
+des Mocquereaux, non loin d'Angers, notre ami le docteur Bragon, avaient
+dû, mettant au râtelier les fusils inutiles, remplacer les courses à
+travers champs par des parties de whist ou de piquet aussi interminables
+que peu variées. On commençait, au grand désespoir de notre aimable
+amphitryon, à s'ennuyer ferme, et plus d'un parmi nous devenait quelque
+peu grincheux.
+
+Un seul des hôtes du petit castel avait gardé sa belle humeur: c'était
+un professeur en rupture de faculté, un érudit, une manière de
+bénédictin, toujours fourré dans la poussière des manuscrits, et que la
+chasse seule avait le privilège de ramener, quelques semaines par an, au
+niveau de l'humble humanité. Il avait eu, celui-là, une vraie chance: il
+avait découvert, en un coin du grenier, une petite pièce écartée, une
+sorte de réduit, où s'entassaient, en un pittoresque désordre, d'énormes
+liasses de paperasses quelque peu rongées déjà par d'indiscrètes souris.
+C'est là que, tandis que ses compagnons se lamentaient à qui mieux mieux
+sur la pluie et le vent, il passait ses journées à déchiffrer des
+papiers jaunis par le temps.
+
+L'après-midi du troisième jour, comme la conversation dans la grande
+salle languissait de plus en plus, comme les parties de cartes
+s'éternisaient sans enthousiasme, comme chacun, entre une pipe et un
+verre de bière, regardait tristement, par les hautes fenêtres, tomber
+sans cesse l'horrible pluie, nous vîmes tout d'un coup, de la porte
+brusquement ouverte, émerger la physionomie radieuse de notre savant. Il
+brandissait un volumineux manuscrit, et, tandis que chacun reculait
+d'effroi, redoutant la lecture d'une tragédie en cinq actes ou d'un
+poème de M. Mallarmé, il s'alla fièrement camper devant le maître de la
+maison, et d'une voix sonore:
+
+--Malheureux! s'écria-t-il! Tu avais sous ton toit, à deux pas de toi,
+un inestimable trésor, et tu ne disais rien! Que dis-je? tu ignorais
+même son existence, car tu ne soupçonnais pas, sans doute, que ce
+château acquis par toi n'était rien moins que l'antique demeure du sire
+Jehan des Mocquereaux!
+
+--Jehan des Mocquereaux? Connais pas!
+
+--Il ne connaît pas! Roturier indigne! Mais apprends donc, misérable,
+que, dans ton grenier, sous la poussière, dormait le récit véridique des
+exploits et faits de guerre du châtelain qui, dans ce beau pays d'Anjou,
+fut l'un des ennemis les plus acharnés et les plus heureux des Anglais
+envahisseurs.
+
+--Alors, ce manuscrit?
+
+--Ce manuscrit, c'est le récit de la vie et des combats de Jehan des
+Mocquereaux, récit écrit au seizième siècle, par le chapelain de l'un de
+ses descendants, et que je viens d'avoir le bonheur, pour l'édification
+des races futures, de découvrir et de déchiffrer.
+
+--Et... c'est gai? fit un sceptique.
+
+--Gai? Est-ce qu'un manuscrit de chapelain peut être gai? Non: c'est
+tout simplement superbe. On y sent l'odeur de la poudre, on y entend le
+fracas des batailles, le cliquetis des épées. Pourtant...
+
+--Messieurs, cria le substitut, je vous dénonce notre savant ami. Il a
+découvert, entre les lignes de son manuscrit, un épisode galant ou
+drolatique, et il meurt d'envie de nous le lire.
+
+--Et pourquoi pas? hasardèrent quelques voix. Il pleut, il vente, il
+fait un temps à ne pas mettre un chasseur à la porte. Allons! la
+lecture!
+
+--Une lecture! Comme vous y allez! reprit le professeur. Mais vous ne
+comprendriez pas un traître mot à la langue que parle mon chapelain.
+Seulement, s'il vous plaît de connaître quelque chose de la vie du sire
+des Mocquereaux, je puis, pendant que la pluie tombe, vous en donner un
+épisode, non pas grivois, mais peut-être amusant.
+
+Chacun s'installa de son mieux: les pipes et les cigares furent
+rallumés, les verres remplis, et notre camarade commença:
+
+--Comme je vous le disais tout à l'heure, les Anglais occupaient la
+province d'Anjou, et je vous laisse à penser tous les malheurs, toutes
+les vexations, toutes les brutalités de toute sorte, auxquels étaient en
+butte les malheureux Angevins. Vous savez, par la haine héréditaire dont
+on trouve encore les traces dans ces campagnes, quels déplorables
+souvenirs ont laissés dans ce pays les fils de la perfide Albion. Or,
+nulle part les paysans ne furent aussi maltraités que dans cette partie
+de la province où nous sommes réunis. Et cela s'expliquait. Nul ne
+pouvait leur venir en aide, le seigneur s'en étant allé guerroyer au
+loin; ils étaient livrés sans défense à tous les caprices des
+vainqueurs, représentés par un bailli sans honneur et sans humanité.
+Tous étaient donc dans la désolation: les hommes fuyaient à travers les
+bois qui couvraient le pays, pour tâcher de rejoindre quelque parti
+français; les vieillards, les femmes, les enfants, supportaient en
+silence le joug anglais, et ce joug était lourd. Mais il fallait prendre
+son mal en patience, nul secours ne venant, nul ne pouvant chasser
+l'envahisseur.
+
+Une jeune fille cependant eut la pensée de secourir les siens. Puisque,
+dit-elle, notre seigneur est au loin, auprès du roi notre sire, et ne
+revient point, ne sachant en quel état nous sommes, il lui faut
+découvrir le mal et le supplier d'y porter remède.
+
+Certes, c'était fort bien raisonné. Mais comment arriver jusqu'au sire
+des Mocquereaux, lequel se trouvait alors à la cour du bon roi Charles,
+c'est-à-dire loin, bien loin, plus loin que Bourges et Nevers? Geneviève
+Gouzet ne se laissa pas décourager par les difficultés de l'entreprise.
+Elle se mit en route, seule, à pied, marchant toute la nuit, couchant,
+le jour, dans quelque trou de ces haies profondes qui couvrent le pays,
+et se cachant de son mieux pour éviter les Anglais, car elle savait bien
+que ceux-ci n'étaient point tendres plus aux prisonnières qu'aux
+prisonniers, et craignait la hart si elle était prise. Je ne vous dirai
+pas tous les dangers qu'elle courut pendant ce long voyage à travers la
+France, ni quelles fatigues furent les siennes. Mais elle avait tant
+prié Notre-Dame-du-Chêne, elle avait si grande foi dans sa protection
+souveraine, que, après bien des jours et des nuits de marches et de
+périls, elle parvint au lieu où se trouvait la cour.
+
+Dès le lendemain, elle s'alla placer sur le passage des seigneurs qui se
+rendaient chez le roi, et, dès qu'elle vit paraître le sire des
+Mocquereaux, elle se jeta à ses genoux, tendant vers lui ses mains, et
+criant merci. Surpris de voir en telle posture cette femme qu'il ne
+reconnaissait point de prime abord, Jehan la releva néanmoins, et lui
+demanda ce qu'elle voulait de lui.
+
+«C'est, dit-elle, messire, que vos vassaux souffrent, et crient au ciel
+pour que leur seigneur daigne avoir d'eux souvenance, et les vienne
+contre l'Anglais secourir.»
+
+Jehan des Mocquereaux reconnut alors Geneviève Gouzet, et, l'ayant
+emmenée en sa demeure, apprit d'elle tous les deuils et les souffrances
+dont son pays était affligé. Comme il était aussi bon que brave, il fut
+ému au tableau qu'elle lui fit de tant de douleurs, et se décida
+incontinent à porter secours à ceux qui avaient mis en lui leur espoir.
+Ayant donc obtenu du roi son congé, il se mit en route sans tarder, et
+peu après arriva, suivi de quelques gens d'armes, dans la contrée où
+était le château de ses pères. Il trouva les choses pires encore que
+Geneviève ne les lui avait dites. Mais, reconnaissant qu'il était, avec
+le peu de gens dont il disposait, hors d'état de repousser les Anglais
+par la force, il se résolut, étant aussi avisé dans le conseil que brave
+dans les combats, à faire par la ruse ce que la violence n'eût pu faire.
+
+Il fit tout d'abord, par un souterrain qui s'ouvrait au loin dans la
+campagne, entrer ses hommes d'armes, et les cacha dans une cave profonde
+du castel, où, chaque jour, Geneviève leur portait à manger. Puis, il
+fit répandre le bruit qu'il allait bientôt revenir en ses domaines, mais
+qu'il n'y venait point pour combattre les Anglais, mais bien pour faire
+avec eux paix durable. Ensuite, à quelques jours de là, il se rendit à
+Durtal, où siégeait le bailli dont je vous ai parlé, et, lui ayant
+demandé audience, lui exposa son désir de vivre tranquille en ses
+terres, et de lier avec les Anglais alliance et amitié. Le bailli,
+voyant ce seigneur, si aimé dans tout le pays, venir à lui comme ami et
+non comme adversaire, le reçut à merveille, le retint quelques jours
+auprès de lui, et, en le voyant partir, lui promit d'aller sous peu lui
+rendre visite.
+
+Cependant, les vassaux du sire des Mocquereaux ne voyaient pas de bon
+oeil ces démarches de leur seigneur, et murmuraient, disant qu'il aurait
+mieux fait de rester en la cour de Charles, que de venir en son pays
+pour s'allier à ceux qui les pressuraient et torturaient à merci. Mais
+Geneviève les calmait, leur prêchant patience, et leur promettant que
+sous peu ils seraient contents de leur sire.
+
+Quelque temps se passa. Puis le bailli se souvint de la promesse qu'il
+avait faite à Jehan, et lui fit savoir que, le dimanche suivant, il
+viendrait avec grande escorte pour lui faire honneur, et que l'on
+scellerait à table l'alliance mutuellement jurée.
+
+Au jour dit, on vit en effet arriver une troupe nombreuse de gens à
+cheval, archers, gens d'armes et pages, accompagnant le bailli, lequel
+était, pour faire honneur à son hôte, monté sur une belle haquenée de
+robe toute blanche. Le sire des Mocquereaux le reçut à la herse, lui fit
+bon et grand accueil, et le mena sans tarder en la salle du festin. Je
+ne vous dirai pas ce que fut ce repas: contentez vous de savoir qu'on y
+mangea fort et ferme, et que le vin d'Anjou, ce joli vin si doux et si
+capiteux, y coula à flots. Le bailli, qui était un gros homme à face
+rubiconde, ne chôma point ce jour-là, et fêta de belle manière la jaune
+liqueur des coteaux angevins.
+
+Le festin terminé, sire Jehan le mena par toutes les salles et
+dépendances du château, protestant de son plaisir d'avoir chez lui pour
+hôte si puissant personnage, donnant aux Anglais force éloges, achevant,
+en un mot, par ses flatteries, l'oeuvre commencée par le vin d'Anjou,
+tant et si bien que le bailli, tout ému, tant des fumées du piot que des
+belles paroles du sire, jura que jamais il n'avait eu ni n'aurait
+meilleur et plus fidèle ami.
+
+Or, comme on était arrivé aux écuries, il offrit au seigneur des
+Mocquereaux de faire, en signe et gage d'alliance, échange de leurs
+montures; ce à quoi, sans peine, consentit sire Jehan. Le bailli, étant
+alors entré dans les écuries, avisa un cheval superbe, couleur d'alezan
+brûlé, dont le bon roi Charles avait fait présent à son féal serviteur:
+il proposa de troquer ce cheval contre sa blanche haquenée; à quoi, bien
+que le cheval fût de beaucoup plus beau que la haquenée, consentit
+encore sire Jehan. Et sur ce, l'on retourna vers la salle du festin,
+afin de vider encore quelques coupes en l'honneur du traité conclu.
+
+Cependant, la journée s'avançait, et le bailli voulut repartir pour
+Durtal. Le seigneur des Mocquereaux ordonna donc que l'on harnachât et
+sellât son beau cheval, et vint lui-même tenir l'étrier à son nouvel
+ami, lequel, non sans peine, se mit en selle. Déjà les gens d'armes et
+les archers, défilant devant le seigneur, avaient passé le pont-levis,
+lorsqu'à leur suite le bailli, entouré de ses pages, voulut partir à son
+tour. Mais le bon cheval, de son naturel, n'aimait point les Anglais,
+surtout les Anglais grands et lourds. Aussi ne voulut-il point avancer:
+cris, coups de houssine et piqûres d'éperon, rien ne le put décider à
+remuer pied ni patte. Vainement deux pages le tiraient par la bride,
+deux autres le poussant; le cheval ne bougea, jusqu'à ce qu'enfin,
+irrité, il se débarrassa, d'une ruade, des deux malencontreux pages
+qu'il avait par derrière, puis, inclinant brusquement la tête et pliant
+les genoux, déposa mollement M. le bailli sur les dalles de la cour
+d'honneur. En même temps, sire Jehan criait: «A moi, mes hommes d'armes!
+Baissez la herse! Haussez le pont-levis!» et saisissait l'Anglais à la
+gorge. En peu d'instants, le château fut en état de défense, et le
+bailli prisonnier. Le lendemain, on le pendit aux créneaux, en punition
+de ses crimes. Ceux de ses pages que n'avait point navrés le cheval
+furent renvoyés, et s'en allèrent partout, répétant qu'un destrier sorti
+de l'enfer avait fait pendre leur maître, et que le diable protégeait le
+seigneur des Mocquereaux. «Si que, dit le chroniqueur, oncques depuis
+n'osèrent Anglais s'approcher du castel ni des pays à l'entour, car
+toujours cuidoient voir, sur son cheval démoniaque, apparaître le sire
+Jehan, qui si haut et si court fit pendre le bailli.»
+
+Le narrateur s'arrêta, et comme chacun le félicitait: «Bravo! mon cher
+professeur, dit le substitut. On ne dira pas, en tous cas, que vous êtes
+ennuyeux comme la pluie, car vous me semblez l'avoir mise en fuite.»
+
+En effet, un gai rayon de soleil entrait par la haute fenêtre. Tous
+aussitôt, conteur et auditeurs, coururent aux fusils, et dix minutes
+plus tard une fusillade nourrie apprenait aux lapins du parc que nous
+avions retrouvé, à leur usage, les traditions guerrières de messire
+Jehan des Mocquereaux.
+
+G. Hamor.
+
+
+
+[Illustration: LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE MOMIES DANS LA
+HAUTE-ÉGYPTE.--Transport des sarcophages de Deïr-el-Bahari au Nil.
+Dessin d'après nature de M. Émile Bayard]
+
+[Illustration: AU THÉÂTRE D'APPLICATION.--Une représentation de la
+«Passion», mystère en quatre tableaux, de M. Haraucourt.]
+
+[Illustration: A L'ÉGLISE DU SACRE-COEUR.--La Mise au tombeau, groupe de
+figures en cire, dans la crypte de la basilique.]
+
+
+
+LA PHOTOGRAPHIE DU CIEL
+
+L'idée d'appliquer la photographie aux curiosités du ciel est née le
+jour même où la grande découverte de Niepce et Daguerre a été annoncée
+au public par la mémorable communication qu'en fit Arago dans la séance
+de l'Académie des sciences du 19 avril 1839.
+
+L'illustre astronome, prévoyant déjà les applications diverses qui
+pourraient en être faites aux recherches astronomiques, signalait,
+entr'autres, la possibilité d'obtenir une bonne carte de la lune et une
+image complète des raies du spectre solaire. Mais les procédés
+photographiques étaient alors trop imparfaits pour permettre d'obtenir
+des résultats satisfaisants.
+
+Cependant, dès l'année 1845, Fizeau et Foucault arrivaient à faire une
+excellente photographie du soleil en 1/60 de seconde, que l'on peut voir
+très finement gravée, dans les oeuvres complètes d'Arago. En 1849,
+William C. Bond, astronome américain, obtint une bonne épreuve
+daguerrienne de la lune. L'éclipse de soleil du 28 juillet 1851 fut
+photographiée par Berkowski à Koenigsberg, sur une plaque daguerrienne
+qui montra, pour la première fois, des traces de la couronne qui
+enveloppe l'astre du jour et les éruptions qui émanent de sa surface.
+
+En 1857, William Bond obtint une photographie très nette de l'étoile
+double Mizar ou Zêta de la Grande Ourse, aussi précise en vérité que les
+mesures micrométriques, car j'ai pu l'insérer comme document dans mon
+catalogue des étoiles doubles. C'est à l'Observatoire de Harvard Collège
+que ces premières photographies d'étoiles ont été faites, et c'est là
+encore qu'aujourd'hui M. Pickering obtient de si merveilleux résultats
+qui, à eux seuls, paraissent devoir égaler au moins tous ceux du congrès
+des vingt ou trente astronomes composant le congrès européen.
+
+M. Warren de la Rue en Angleterre et M. Rutherfurd aux États-Unis ont
+obtenu, de 1857 à 1867, de magnifiques photographies de la lune, qui
+n'ont pas encore été dépassées. Signalons parmi ces photographies des
+vues stéréoscopiques saisissantes, qui montrent le globe lunaire
+tellement en relief qu'il a presque la forme d'un oeuf. Cet effet, un
+peu exagéré, est dû à ce qu'on a profité d'un certain mouvement de la
+lune, le mouvement de libration, pour pénétrer plus ou moins bien sur
+l'hémisphère invisible. Warren de la Rue, auquel on est redevable de ces
+photographies stéréoscopiques de notre satellite, est parvenu également
+à en obtenir de la planète Jupiter en prenant les vues à vingt-six
+minutes d'intervalle.
+
+M. Faye, en France, a été l'un des plus éloquents promoteurs de la
+photographie astronomique. Insensiblement, malgré la résistance des
+astronomes purement mathématiciens, la photographie s'implanta dans des
+procédés d'étude. En 1874, au passage de Vénus devant le Soleil, elle
+fut appliquée avec le plus grand succès, et il en fut de même en 1883. A
+l'Observatoire de Meudon, M. Janssen a obtenu en 1877 d'admirables
+photographies de la surface solaire, sur lesquelles on assiste pour
+ainsi dire aux phénomènes de la formation de la lumière solaire. Ces
+photographies du soleil sont presque instantanées, car elles sont faites
+en un demi-millième de seconde! En 1884, MM. Paul et Prosper Henry, en
+construisant les cartes d'étoiles de l'atlas de l'Observatoire de Paris,
+s'appliquèrent à substituer la photographie à l'observation directe des
+étoiles, ce qui était à la fois beaucoup plus expéditif et plus sûr. En
+même temps, et depuis cette époque, MM. Pickerins aux États-Unis, Gould
+dans la République-Argentine, Gill au Cap de Bonne-Espérance, Common et
+Robert en Angleterre, se sont livrés avec les plus grands succès à la
+pratique de la photographie céleste.
+
+* * *
+
+Ainsi, graduellement, insensiblement, la photographie en arriva à
+prendre une large part dans les procédés astronomiques. Cette part
+devient, de jour en jour, de plus en plus importante, de plus en plus
+féconde.
+
+On se propose actuellement de photographier le ciel tout entier, et
+c'est dans ce but que M. le contre-amiral Mouchez a demandé la formation
+d'un congrès astrophotographique international, qui s'est déjà réuni
+deux fois à l'Observatoire de Paris, en 1887 et en 1889, et qui s'y
+réunit de nouveau en ce moment même.
+
+Il s'agit de photographier le ciel tout entier et de construire, par la
+photographie seule, et sans l'intervention des erreurs d'observation, la
+carte complète du ciel, tel qu'il se présente actuellement aux yeux des
+habitants de la terre. Nous avons déjà cette carte, mais sous une forme
+relativement imparfaite et hétérogène. Argelander, par exemple, a
+construit, en 1862, la carte des étoiles de notre hémisphère boréal
+jusqu'à la neuvième grandeur inclusivement, et cette carte se compose de
+324,198 étoiles, que l'on peut toutes voir réunies sur une même feuille
+(voy. notre Astronomie populaire, page 832), et forme le grand atlas
+d'Argelander, qui est l'une des oeuvres les plus considérables de notre
+siècle.
+
+Le catalogue de Shoenfeld donne pour l'hémisphère austral les positions
+de 133,659 étoiles. M. Gould, directeur de l'Observatoire de Cordoba,
+dans la République Argentine, a publié, il y a quelques années, un atlas
+de cet hémisphère austral, mais qui ne s'étend guère au-delà des étoiles
+visibles à l'oeil nu. Ce sont là des essais laborieux qui représentent
+des travaux considérables, mais qui ne pourraient jamais donner ce qu'on
+peut attendre tout simplement de la photographie.
+
+En effet, au lieu d'observations méridiennes dues à un grand nombre
+d'observateurs très différents les uns des autres comme mode
+d'appréciation des grandeurs d'étoiles, et comme méthode de constatation
+des positions, au lieu de transcriptions multipliées, de nombreux
+calculs de réduction et de la dissémination des observations le long
+d'un grand nombre d'années, on prendra tout simplement la photographie
+précise du ciel, et cela non seulement jusqu'aux étoiles de 9e grandeur,
+mais jusqu'à celles de 10e, 11e, 12e, 13e et même 14e grandeur, ce qui
+ne sera pas plus difficile, et ne demandera qu'une pose de temps plus
+considérable.
+
+* * *
+
+Tout le monde sait que les étoiles visibles à l'oeil nu s'arrêtent à la
+sixième grandeur, et que ce mot de grandeur doit s'entendre simplement
+de l'éclat apparent des étoiles, celles de première grandeur étant les
+plus brillantes, celles de seconde étant un peu moins brillantes, et
+ainsi de suite, celles de sixième étant les dernières que l'on puisse
+voir à l'oeil nu. Voici le nombre probable des étoiles de chaque
+grandeur, jusqu'à la quatorzième:
+
+ Grandeurs. Nombre:
+ 1re 20
+ 2e 59
+ 3e 182
+ 4e 530
+ 5e 1,600
+ 6e 4,800
+ 7e 13,000
+ 8e 40,000
+ 9e 120,000
+ 10e 380,000
+ 11e 1,000,000
+ 12e 3,000,000
+ 13e 9,000,000
+ 14e 27,000,000.
+
+Ces dernières étoiles sont visibles dans les instruments actuels des
+observatoires. On voit que le total de ces quatorze premiers ordres
+d'éclat dépasse déjà quarante millions. Essayer de cataloguer cette
+armée céleste serait non seulement un travail surhumain, mais encore
+absolument irréalisable, car des erreurs inévitables se glisseraient
+dans un pareil nombre d'observations, ainsi que dans leurs réductions,
+leurs transcriptions et leurs placements sur une carte.
+
+Des années et des années ne suffiraient pas, et pendant qu'on
+essayerait, les étoiles se déplaceraient elles-mêmes dans l'espace, car
+chacune d'elles est animée d'un mouvement propre plus ou moins rapide.
+
+Or, la photographie peut faire cela tout, bonnement, pour ainsi dire, et
+de la manière la plus simple, grâce aux perfectionnements apportés dans
+les méthodes d'opération. Et savez-vous en combien de temps cette oeuvre
+gigantesque, ce monument impérissable de l'astronomie moderne pourrait
+être obtenu? En treize minutes! Voici, en effet, la durée de pose
+nécessaire pour que les étoiles des diverses grandeurs impressionnent
+les nouveaux clichés au gélatino-bromure.
+
+ Grandeur: Durée de pose.
+ 1re 0s 005
+ 2e 0s 01
+ 3e 0s 03
+ 4e 0s 1
+ 5e 0s 2
+ 6e 0s 3
+ 7e 1s 3
+ 8e 3s 0
+ 9e 8s 0
+ 10e 20s 0
+ 11e 50s
+ 12e 2m
+ 13e 5m
+ 14e 13m.
+
+Ainsi cinq millièmes de secondes suffisent pour photographier une étoile
+de première grandeur; une demi-seconde suffit pour photographier les
+petites étoiles visibles à l'oeil nu; treize minutes sont nécessaires
+pour photographier celles de quatorzième grandeur.
+
+Si, à un certain moment, 8,000 lunettes disposées pour cette
+photographie pouvaient être braquées en même temps tout autour de la
+terre sur 8,000 points du ciel contigus, ces 8,000 clichés auraient
+photographié le ciel tout entier, et les quarante millions d'étoiles
+dont nous parlions tout à l'heure. Juxtaposés, ces 8,000 clichés, de
+cinq degrés chacun, représenteraient les 41,000 degrés carrés dont se
+compose la surface du ciel.
+
+Cette sorte de photographie instantanée du ciel serait idéale, mais ne
+peut se faire; d'abord parce qu'à quelque moment que ce soit la nuit ne
+s'étend que sur moins de la moitié du globe; ensuite parce que
+l'atmosphère n'est jamais parfaitement pure; enfin parce que ces 8,000
+instruments seraient une dépense considérable, qu'il est plus simple et
+plus pratique de réduire à son minimum.
+
+Le travail a été réparti entre une vingtaine d'observatoires et l'on
+pense qu'en trois ou quatre ans tout le ciel étoilé sera photographié.
+
+Voici comment le travail sera probablement divisé entre les divers
+observatoires:
+
+ Observatoires. Nombre de clichés
+
+ Paris. 1260
+ Bordeaux. 1260
+ Toulouse. 1080
+ Alger. 1260
+ Greenwich. 1149
+ Oxford. 1180
+ Helsingfort. 1008
+ Postdam. 1232
+ Rome. 1010
+ Catane. 1008
+ San Fernando. 1260
+ Tacubaya. 1260
+ Santiago. 1260
+ La Plata. 1360
+ Rio Janeiro. 1376
+ Cap de Bonne-Espérance. 1512
+ Sydney. 1400
+ Melbourne. 1149
+
+Ainsi, la science du dix-neuvième siècle léguera à la postérité un état
+irrécusable et impérissable du ciel sidéral, qui, dans les siècles
+futurs, servira de base certaine pour la solution du grand problème de
+la constitution générale de l'univers.
+
+* * *
+
+Certes, l'oeil humain est un appareil d'optique admirable. Quelle
+transparence dans ce cristal vivant, quelles nuances délicieuses dans
+cet iris, quelle profondeur ou quel charme! C'est la vie, c'est la
+passion, c'est la lumière. Fermez tous ces yeux, que restera-t-il de la
+création?
+
+Et pourtant, la lentille de l'appareil photographique représente
+vraiment un oeil nouveau, qui vient compléter le nôtre et qui le
+surpasse, plus merveilleux encore.
+
+Cet oeil géant est doué de quatre avantages considérables sur le nôtre:
+il voit plus vite, plus loin, plus longtemps, et, faculté précieuse, il
+fixe, imprime, conserve ce qu'il voit.
+
+Il voit plus vite: en un demi-millième de seconde, il photographie le
+soleil, ses taches, ses tourbillons, ses flammes, ses montagnes de feu,
+en un document impérissable.
+
+Plus loin: dirigé vers un point quelconque du ciel pendant la nuit la
+plus profonde, il découvre dans les atomes de l'infini des étoiles, des
+mondes, des univers, des créations, que jamais, jamais notre oeil ne
+pourrait voir, à l'aide de n'importe quel télescope.
+
+Plus longtemps: ce que nous ne sommes pas parvenus à voir en quelques
+secondes d'attention, nous ne le verrons jamais. Lui, n'a qu'à regarder
+assez longtemps: au bout d'une demi-heure, il distinguera ce qu'il ne
+voyait pas; au bout d'une heure, il verra mieux encore, et plus il
+restera fixé vers l'inconnu, mieux il le possédera, sans fatigue et
+toujours mieux.
+
+Et il conserve sur sa plaque rétinienne tout ce qu'il a vu. Notre oeil
+ne garde qu'un instant les images. Supposez, par exemple, que vous
+assommiez un homme au moment où, tranquillement assis dans son fauteuil,
+il a les yeux ouverts devant une fenêtre vivement éclairée (la
+supposition n'a rien d'exorbitant sur une planète dont tous les citoyens
+sont soldats et s'entre-tuent au taux moyen de onze cents par jour);
+puis que vous lui arrachiez les yeux (nous venons de dire qu'il s'agit
+d'un ennemi), et que vous les immergiez dans une solution d'alun. Ces
+yeux conserveront l'image de la fenêtre avec ses barres transversales et
+ses ouvertures éclairées. Mais, dans l'état normal des choses, nos yeux
+ne gardent pas les images... il y en aurait trop, d'ailleurs. L'oeil
+géant dont nous parlons conserve tout ce qu'il a vu. Il n'y a qu'à
+changer la rétine.
+
+Ainsi, d'abord, cet oeil voit plus vite et mieux et sans fatigue. On
+photographie aujourd'hui les éclairs, que l'on peut étudier ensuite à
+loisir sur les clichés, et qui montrent les titanesques batailles de
+l'étincelle électrique franchissant l'océan aérien et y rencontrant
+mille obstacles, mille résistances de tout ordre qui font varier sa
+route et lui impriment souvent les mouvements les plus désordonnés. On
+photographie un cheval au galop, qui subitement se trouve immobilisé, on
+photographie un train express, on photographie le boulet de canon et
+l'obus surpris, arrêtés sur leur trajectoire.
+
+Oui, cette rétine artificielle voit plus vite et mieux. Et, par une
+propriété absolument contraire, elle sait pénétrer en des abîmes où nous
+ne voyons et ne verrions jamais rien. C'est peut-être même ici sa
+faculté la plus stupéfiante encore.
+
+Mettons l'oeil, par exemple, à l'oculaire d'une lunette dont l'objectif
+mesure 30 centimètres d'ouverture: ce sont là actuellement les meilleurs
+instruments comme usage pratique des observatoires.
+
+Dans cette lunette de 30 centimètres de diamètre et de 3 mètres et demi
+de longueur, nous découvrons les étoiles jusqu'à la quatorzième
+grandeur, c'est-à-dire environ 40 millions d'astres de toute nature.
+
+Maintenant, remplaçons notre oeil par la rétine photographique.
+Instantanément les étoiles les plus brillantes viendront frapper la
+plaque et y marquer leur image. Cinq millièmes de seconde suffiront pour
+une étoile de première grandeur, une centième de seconde pour les
+étoiles de deuxième grandeur, trois centièmes de seconde pour celles de
+troisième, et ainsi de suite, suivant la proportion établie plus haut.
+
+En moins d'une seconde, l'oeil photographique a vu tout ce que nous
+pouvons apercevoir à l'oeil nu.
+
+Mais ce n'est rien encore. Les étoiles télescopiques visibles dans
+l'instrument vont également frapper la plaque et y inscrire leur image.
+Celles de la septième grandeur emploieront une seconde un tiers à
+l'impressionner, celles de la huitième grandeur demanderont trois
+secondes, celles de la neuvième huit secondes, celles de la onzième
+grandeur cinquante secondes, celles de la douzième demanderont deux
+minutes, celles de la treizième cinq minutes, et enfin celles de la
+quatorzième, treize minutes.
+
+Si nous avons laissé notre plaque exposée pendant un quart d'heure, nous
+trouverons photographiée sur cette plaque toute la région du ciel vers
+laquelle la lunette était dirigée, et tout ce que cette région possède,
+tout ce qu'avec une peine infinie nous serions parvenus à découvrir, à
+mesurer, par une série d'observations très laborieuses et très longues.
+Un nombre suffisant d'appareils braqués de manière à embrasser le ciel
+tout entier fixera, comme nous venons de le voir, en une carte immense
+tout ce que l'astronomie d'observation peut étudier, et ce que l'on
+n'aurait pu obtenir qu'en plusieurs siècles.
+
+Mais voici seulement où commence le merveilleux.
+
+Laissons l'oeil photographique regarder au lieu du nôtre: il pénétrera
+dans l'inconnu. Les étoiles invisibles pour nous deviennent visibles
+pour lui. Au bout de trente-trois minutes d'exposition, les étoiles de
+la quinzième grandeur auront fini par impressionner la rétine chimique
+et y former leur image.
+
+Le même instrument qui montre à l'oeil humain les astres de la
+quatorzième grandeur et qui, dans le ciel entier, enregistrerait environ
+40 millions d'étoiles, en montre à l'oeil photographique 120 millions
+dès la première réquisition pour obtenir la quinzième grandeur. Il
+atteindrait la seizième à la seconde réquisition, en une heure vingt
+minutes de pose, et jetterait sous l'admiration éblouie du contemplateur
+une poussière lumineuse de 400 millions d'étoiles!...
+
+Jamais encore, dans toute l'histoire de l'humanité, on n'a eu en mains
+la puissance de pénétrer aussi profondément dans les abîmes de l'infini.
+Avec les perfectionnements nouveaux, la photographie prend nettement
+l'image de chaque astre, quelle que soit sa distance, et elle la fixe en
+un document que l'on peut étudier à loisir. Qui sait si quelque jour,
+dans les vues photographiques de Vénus ou de Mars, une nouvelle méthode
+d'analyse n'arrivera pas à découvrir les habitants! Et sa puissance
+s'étend jusqu'à l'infini. Voilà une étoile de quinzième, de seizième, de
+dix-septième grandeur, un soleil comme le nôtre, éloigné à une telle
+distance de nous que sa lumière emploie des milliers, peut-être des
+millions d'années à nous parvenir, malgré sa vitesse inouïe de trois
+cent mille kilomètres par seconde, et ce soleil gît à une telle
+profondeur que sa lumière ne nous arrive pour ainsi dire plus. Jamais
+l'oeil naturel de l'homme ne l'aurait vu, jamais l'esprit humain n'en
+aurait deviné l'existence sans les instruments de l'optique moderne. Et
+voilà que cette faible lumière venue de si loin suffit pour
+impressionner une plaque chimique qui en conservera inaltérablement
+l'image.
+
+Et cette étoile pourrait être du dix-huitième, du vingtième ordre et
+au-dessous, si petite que jamais les yeux humains, aidés même des plus
+puissants pouvoirs télescopiques ne la verront (car il y aura toujours
+des étoiles au-delà de notre vision). Et pourtant elle viendra frapper,
+de sa petite flèche éthérée, la plaque chimique exposée pour l'attendre
+et la recevoir.
+
+Oui, sa lumière aura voyagé pendant des millions d'années. Lorsqu'elle
+est partie, la terre n'existait pas, la terre actuelle avec son
+humanité; il n'y avait pas un seul être pensant sur notre planète; la
+genèse de notre monde était en voie de développement; peut-être
+seulement, dans les mers primordiales qui enveloppaient le globe avant
+le soulèvement des premiers continents, les organismes primitifs
+élémentaires se formaient-ils au sein des eaux, préparant lentement
+l'évolution des âges futurs. Cette plaque photographique nous fait
+remonter à l'histoire passée de l'univers. Pendant le trajet éthéré de
+ce rayon de lumière qui vient aujourd'hui frapper cette plaque, toute
+l'histoire de la terre s'est accomplie, et dans cette histoire, celle de
+l'humanité n'est qu'une onde, qu'un instant. Et, durant ce temps,
+l'histoire de ce lointain soleil qui se photographie aujourd'hui s'est
+accomplie aussi: peut-être est-il éteint depuis longtemps, peut-être
+n'existe-t-il plus...
+
+Ainsi cet oeil nouveau qui nous transporte à travers l'infini nous fait
+en même temps remonter les stades de l'éternité passée.
+
+* * *
+
+L'infini! l'éternité! L'astronomie contemporaine nous y plonge et nous y
+noie. Quelle mesure en pouvons-nous prendre? En volant avec la vitesse
+de l'éclair, nous emploierions des millions d'années pour atteindre les
+régions où brillent ces univers lointains; mais, transportés là, nous
+n'aurions réellement pas avancé d'un seul pas vers les limites de
+l'espace, car l'espace est sans bornes, l'infini est sans mesures, et
+partout, dans toutes les directions, il y a tant d'univers, tant de
+soleils consécutifs, que si nous laissions la plaque photographique
+assez longtemps exposée, elle finirait par se couvrir de points lumineux
+contigus et serrés au point de ne plus former qu'un ciel d'éblouissante
+lumière. Car, partout, en quelque point que nous dirigions notre rayon
+visuel, il y a une infinité de soleils les uns derrière les autres.
+
+Et nous vivons sur l'un de ces mondes, sur l'un des plus médiocres, en
+un point quelconque de l'immensité sans bornes, éclairés par l'un de ces
+innombrables soleils, dans un horizon restreint, véritable cocon de ver
+à soie, ignorant toutes les causes, éphémères d'un instant, nous
+pénétrant d'une illusoire vue du monde, ne voyant presque rien,
+d'ailleurs, assez minuscules pour nous imaginer que nous connaissons
+quelque chose, nous flattant même, avec un béat sentiment d'orgueil, de
+dominer la nature, fiers d'une illusion prise pour la réalité. Nous
+tranchons les questions. Nous nous déclarons matérialistes sans
+connaître un mot de l'essence de la matière, spiritualistes sans
+connaître un mot de la nature de l'esprit; mais au fond de tout être
+pensant le scepticisme demeure, parce que nous sommes incapables de rien
+apprécier.
+
+Notre minuscule planète perdue est encore trop vaste pour notre
+conception, car nous avons inventé le patriotisme de clocher, et toute
+l'organisation des divers groupes sociaux qui se partagent le globe est
+fondée sur les armes.
+
+Ah! l'astronome souhaiterait que les conducteurs de peuples, les
+législateurs, les politiciens, eussent la faculté de pouvoir regarder
+une carte céleste et la comprendre. Cette calme contemplation serait
+peut-être plus utile à l'humanité que tous les discours diplomatiques.
+Si l'on savait combien la terre est minuscule, peut-être cesserait-on de
+la couper en morceaux. La paix régnerait sur le monde, la richesse
+sociale succéderait à la ruineuse, honteuse et infâme folie militaire,
+les divisions politiques s'effaceraient, et les hommes pourraient
+seulement alors s'élever librement dans l'étude de l'univers, dans la
+connaissance de la nature, et vivre des jouissances de la vie
+intellectuelle. Hélas! nous n'en sommes pas là; et l'oeil photographique
+révélera bien des mystères célestes avant que l'oeil humain voie la
+raison et la science établir leur règne sur notre petite boule
+tournante.
+
+Camille Flammarion.
+
+
+
+[Illustration: LES PHARES.--Un des gardiens faisant son quart.]
+
+
+LES PHARES
+(Suite et fin.)
+
+Nos gravures nous ont montré les phares debout, au milieu de la mer, et
+bravant les tempêtes. Au plus fort de l'ouragan, lorsque le vent souffle
+avec rage, lançant des torrents de pluie contre les vitraux de la
+lanterne, lorsque les lames énormes du large déferlent quelquefois
+jusque sur la première galerie, envoyant par-dessus la coupole leurs
+longues fusées d'écume, ils s'inclinent comme pour saluer l'ouragan.
+Alors les vases à huile placés dans les chambres les plus élevées
+présentent une variation de niveau de plus d'un pouce, ce qui suppose
+que le sommet de la tour décrit un arc de près d'un mètre d'étendue.
+Mais, comme un roseau, la tourmente passée, le phare se redresse sans
+qu'une pierre ait joué, sans que rien se soit démoli.
+
+Entourés d'eau de tous côtés, les phares sont, en général, d'un accès
+difficile. Un moyen pittoresque reproduit par nos premiers dessins est
+un va-et-vient installé sur un mât et actionné par un treuil. Prenons ce
+chemin et pénétrons dans l'intérieur pour le visiter.
+
+Au 1er étage, nous trouvons les magasins de bois et de cordages et la
+menuiserie, puis au-dessus les caisses en tôle renfermant la provision
+d'huile; au troisième sont le garde-manger, la cuisine et deux chambres
+pour les gardiens, puis une petite salle pour les ingénieurs: tout cela
+réduit, étriqué. Dans les phares, comme à bord d'un bâtiment, l'espace
+est distribué avec une intelligente parcimonie.
+
+Maintenant nous sommes dans le soubassement sur lequel repose la
+lanterne: c'est l'étage supérieur du phare, son âme, que nous allons
+examiner.
+
+Dans un premier réduit sont enfermés les bidons a huile, les verres et
+les lampes de rechange, et un escalier en spirale nous conduit dans la
+chambre des appareils. Avec nous le gardien est entré. La nuit tombe,
+nous allons assister à l'allumage du feu.
+
+L'homme s'est d'abord approché de la machine de rotation formée d'un
+mécanisme d'horlogerie. Il l'a mise en mouvement, en remontant un poids
+que l'on voit, sur la gravure, descendre dans le trou au-dessous.
+L'embrayage au-dessus de la machine s'est mis alors à tourner,
+actionnant, comme nous le verrons tout à l'heure, l'appareil optique et
+son armature. Celle-ci roule sur un rail circulaire au moyen de galets
+coniques.
+
+Cela fait, l'homme s'est engagé sur l'échelle plus étroite encore qui a
+succédé à l'étroit escalier en hélice donnant accès à la lanterne.
+
+Celle-ci est une sorte, de cage à parois formées de glaces planes, mais
+ce n'est là qu'une enveloppe extérieure abritant contre le vent, la
+pluie, les embruns de la mer, l'éblouissant échafaudage de prismes, de
+lentilles et de miroirs composant l'appareil d'optique que représente un
+de nos dessins, et dont l'ensemble s'appelle le tambour.
+
+[Illustration: La lanterne.]
+
+Rappelons en quelques mots le principe et la théorie de cet appareil. Si
+la lampe du phare était placée dans une lanterne ordinaire, la plus
+grande partie de sa lumière serait perdue; pour l'utiliser tout entière,
+il faut ramener à la surface de la mer tous les rayons qui en suivant
+leur direction naturelle iraient se perdre dans les espaces célestes.
+Tel est le rôle de l'appareil optique qui a pour effet de rendre
+_parallèles_ et horizontaux les rayons lumineux _divergents_ qu'émet le
+foyer. De ces rayons, les plus rapprochés de la direction voulue, ceux
+du centre, traversent des lentilles ordinaires, les plus obliques sont
+réfractés par des séries de prismes qui entourent les lentilles; enfin,
+ceux des bords du faisceau se réfléchissent sur des miroirs qui les
+renvoient en pinceaux parallèles balayer la surface des eaux.
+
+Ce dispositif a été imaginé en 1821 par le physicien français Fresnel.
+
+A notre entrée dans la lanterne nous trouvons les stores qui la
+garnissent intérieurement baissés, et les appareils recouverts de
+housses en étoffe. L'homme a d'abord enlevé ces dernières et la lampe
+est apparue à nos regards, il va maintenant la remplir d'huile, la
+mettre en fonctions et commencer, à l'abri des stores, l'allumage du
+bec.
+
+Un mot en passant sur cette lampe que l'on voit sur notre gravure et sur
+son bec.
+
+Elle est dite à niveau constant et à réservoir inférieur. L'huile
+minérale (car c'est d'elle qu'on se sert) est placée dans un réservoir
+inférieur au bec, où des pompes actionnées par un mouvement d'horlogerie
+situé dans l'intérieur la puisent pour la refouler à un niveau maintenu
+constant. Au moyen d'un trop-plein, l'huile excédante revient au
+réservoir. Quant au bec, il se compose de cercles de cuivre
+concentriques dans lesquels sont passées des mèches de coton au nombre
+de cinq pour les phares de premier ordre, de quatre pour ceux de second,
+et ainsi de suite en descendant.
+
+Pour assurer et régler la combustion de l'huile dans le bec, celui-ci
+est coiffé d'une cheminée de cristal portée par une robe cylindrique,
+permettant de l'élever ou de l'abaisser suivant les besoins. Comme la
+hauteur de cette cheminée est insuffisante, elle est surmontée d'une
+allonge en tôle avec une clef munie d'un obturateur pour pouvoir à
+volonté régler le tirage.
+
+Mais le gardien a jugé les mèches suffisamment imbibées, et le voilà qui
+procède à l'allumage méthodique en les tenant basses d'abord à petite
+flamme. Au bout d'un quart-d'heure il les relève un peu au-dessus de la
+couronne du bec, redescend la cheminée, ouvre graduellement
+l'obturateur, puis, au moyen de la pompe, fait arriver un afflux d'huile
+sur les mèches; de cette façon, bien réglée et conduite, la flamme est
+régulière, blanche, corsée et bien développée.
+
+[Illustration: Montage de l'appareil d'horlogerie faisant mouvoir le
+tambour.]
+
+Puis il a définitivement enlevé les stores de la lanterne. Maintenant le
+phare est en pleine activité, la lampe brûle bien, et l'appareil optique
+tourne autour d'elle, envoyant sur l'horizon ses faisceaux lumineux qui
+apparaissent au marin qui les observe comme une série d'éclats, chaque
+fois qu'une lentille passe devant lui, interrompus par une série
+d'éclipses dans l'intervalle des passages. La rapidité de rotation du
+tambour détermine la durée relative des éclats et des éclipses dans les
+phares à feu tournant. Dans les phares à feux fixes, le tambour, par
+contre, est immobile et la lentille circulaire.
+
+Nous en avons fini avec la description du phare, il nous faut suivre
+encore un instant dans son service l'homme que nous avons vu installer
+tout et que nos gravures nous montrent maintenant assis dans le tambour,
+au pied même de la lampe, un registre ouvert sur les genoux.
+
+Légèrement vêtu et le col de la chemise entr'ouvert à cause de la
+chaleur quelquefois énorme (40° centigrades dans les nuits d'été) qui
+règne dans la lanterne, les yeux réglementairement cachés sous des
+lunettes aux verres fumés, dits de Londres, pour obvier autant que
+possible à l'insupportable intensité de la lumière, il fait son quart de
+trois heures, surveillant le feu, la consommation de l'huile, observant
+l'horizon, notant le temps qu'il fait, le degré de transparence de
+l'air, la brume, les incidents de la mer. Immobile, il veille, dans ce
+scintillement qui tourne autour de lui, suffoqué par la chaleur et le
+relent âcre des vapeurs de l'huile minérale, au milieu du tic-tac
+énervant des appareils d'horlogerie et de l'endormant et sourd
+mugissement de la mer qui déferle au pied des rochers, interrompu
+seulement de temps en temps par un choc sec contre la vitre produit par
+quelque oiseau migrateur attiré dans sa route et qui est venu se heurter
+contre l'obstacle qui le fascine.
+
+La France a toujours été à la tête des progrès accomplis depuis un
+demi-siècle par la science des phares: en 1791 Teulère et Borda ont
+inventé les réflecteurs paraboliques; en 1823, Augustin Fresnel
+imaginait les appareils lenticulaires qui illuminent aujourd'hui les
+côtes du monde entier. Ces traditions se sont soigneusement conservées,
+et l'on retrouve chez le personnel de notre service des phares, depuis
+l'ingénieur jusqu'au gardien, cette science d'inventions, ce dévouement
+à toute épreuve, cette discipline merveilleuse, enfin, qui sont comme la
+caractéristique de notre famille maritime française.
+
+Hacks.
+
+
+
+LES MERVEILLES DE LA SCIENCE
+
+LE FIL ÉLECTRIQUE
+
+Texte de GROSCLAUDE, dessins d'ALBERT GUILLAUME.
+
+C'est prodigieux ce qu'on peut obtenir avec de la patience et un peu
+d'électricité. Vous prenez un fil de fer, un courant magnétique et deux
+tablettes vibratoires sur lesquelles vous criez: «Allo! Allo!» et vous
+voilà en conversation avec Londres.
+
+Avouez que la science a marché depuis Guillaume-le-Conquérant.
+
+[Illustration.]
+
+On parle même déjà d'un petit perfectionnement tout à fait ingénieux,
+grâce auquel les paroles arriveraient traduites et sans l'ombre
+d'accent, de telle
+
+[Illustration.]
+
+façon que quand vous direz à Paris: «Bonjour, monsieur!» votre
+interlocuteur de Londres entendra: «Good morning, sir!» et
+réciproquement. Il faudrait être dénué de toute ressource pour ne pas se
+payer ça au moins une fois par an, d'autant plus que c'est beaucoup plus
+flatteur d'être traduit en anglais qu'en police correctionnelle et ça ne
+figure pas sur le casier judiciaire.
+
+* * *
+
+[Illustration.]
+
+Mais, me direz-vous, et les sourds-muets?--On s'en occupe, mesdames et
+messieurs, et vous ne devriez pas ignorer que, depuis un certain temps,
+Edison consacre ses merveilleuses facultés d'inventeur à la création
+d'un appareil déjà désigné sous le nom de téléphote et qui sera pour la vue
+ce que le téléphone est pour l'audition; au lieu de la petite tablette
+téléphonique contre laquelle on parle, il y aura un miroir devant lequel on
+fera des gestes que reproduira le miroir de l'appareil récepteur.
+
+[Illustration.]
+
+C'est assez dire que les sourds-muets pourront aisément communiquer à
+l'aide des signaux dont se compose le langage de feu l'abbé de l'Épée;
+il suffirait même de photographier d'une façon continue le miroir de
+réception pour conserver un compte-rendu sténographié de l'entretien.
+
+* * *
+
+Si les électriciens arrivent réellement à nous doter d'un téléphote
+comme celui sur lequel on fonde de si grandes espérances, il est permis
+de croire que le fil électrique arrivera progressivement à transmettre
+aussi bien que les sensations de la vue et de l'ouïe celles de l'odorat,
+du goût et du toucher.
+
+Il deviendra très facile d'avoir à volonté dans l'isolement le plus
+absolu toutes les joies de la société, ce qui aura bien du charme pour
+les infirmes, les malades, notamment les cholériques et les lépreux, et
+pour les gens qui ont le désir de passer leurs soirées en manches de
+chemise.
+
+* * *
+
+Nous avons déjà le théâtrophone qui, au club, au restaurant, à l'hôtel
+ou à domicile, vous fournit dans des prix doux les auditions théâtrales
+les plus satisfaisantes, et je n'ai pas besoin d'ajouter avec quelle
+impatience les abonnés attendront le téléphote qui leur permettra de
+jouir des pantomimes et de lorgner la salle!
+
+[Illustration.]
+
+Rien n'empêchera dès lors d'organiser des petites soirées téléphoniques
+pour lesquelles chacun restera chez soi: on potinera téléphoniquement,
+on écoutera la comédie, les chansonnettes et les monologues
+théâtrophoniquement, et il n'y aura pas de voitures à prendre, pas
+d'étages à monter. Vous verrez que le _téléfive o'clock_ sera très à la
+mode l'hiver prochain.
+
+[Illustration.]
+
+* * *
+
+Et le buffet? Je ne connais aucune raison scientifique qui s'oppose à la
+transmission électrique des petits fours et des sandwichs; aussi bien ce
+phénomène n'est certainement pas plus improbable aujourd'hui que ne le
+paraissait être il y a une centaine d'années la possibilité de faire la
+conversation avec une personne située de l'autre côté de la Manche.
+
+Oh! les drôles de dîners qu'on fera sur le télé-bouffe, très précieux
+pour les gens très demandés auxquels il permettra d'accepter plusieurs
+invitations à la fois, et non moins utile aux personnes qui n'ont
+d'autre cuisine que celle du restaurant: ces malheureux n'auront plus à
+descendre de leur sixième ni à faire monter les plats dans ces paniers
+cylindriques qu'on aperçoit encore de temps à autre aux environs des
+casernes.
+
+* * *
+
+[Illustration.]
+
+Pour ce qui est de l'olfaction, il est bien évident que la parfumerie à
+distance ne rencontre aucune difficulté sérieuse; il suffirait d'un
+pulvérisateur d'une certaine puissance avec une canalisation dans le
+genre de celle du gaz et des eaux, pour que tous les abonnés pussent
+recevoir à domicile les parfums qui leur conviennent.
+
+* * *
+
+[Illustration.]
+
+Quant au toucher, ce sera sans doute un peu plus compliqué que pour les
+autres sens; toutefois il ne me paraît pas impossible qu'un médecin
+arrive à examiner ses malades par fil spécial; tâter le pouls, ausculter,
+percuter même, et se livrer aux diverses autres constatations sur lesquelles
+le docteur fonde son diagnostic, seront même choses assez simples avec
+des appareils d'une sensibilité convenable; mais il y aura bien peu de
+chose à attendre au point de vue des opérations chirurgicales, et le
+pédicure lui-même sera, croyons-nous, bien empêché d'opérer à
+distance; il en sera de même évidemment pour le masseur et aussi pour le
+coiffeur qui, selon toute apparence, n'aura pas grand chose de bon à
+espérer dans cet ordre d'idées, à moins qu'un électricien de génie, dans le
+genre de l'homme à qui nous devons la ficelle à beurre, invente le fil à
+couper des cheveux.
+
+[Illustration.]
+
+En revanche, le tailleur et le chapelier ne tarderont pas à être pourvus
+d'un appareil qui leur permettra de prendre une mesure sans aller chez
+le client, et je n'ai pas besoin d'ajouter qu'avec un bon téléphote le
+peintre fera des portraits sans déranger son modèle; c'est quelque
+chose, cela.
+
+[Illustration.]
+
+Au point de vue sentimental, je me plais à croire que le jour est proche
+où la science s'enrichira d'un télékiss, avec lequel il sera délicieux
+de flirter par fil spécial, loin des regards indiscrets.
+
+Et si quelqu'un vient s'en plaindre, ce sera vraiment bien commode de
+pouvoir, sans quitter son intérieur confortable, lui répondre d'une
+façon électrique et instantanée par le Télégiffle, qui sera, d'ici peu,
+dans tous les appartements aménagés avec un certain confortable.
+
+[Illustration.]
+
+Grosclaude.
+
+
+
+L'EXPOSITION YON
+
+Une très intéressante exposition, dont les amateurs d'art ne manqueront
+pas de s'offrir le régal, s'ouvrira mardi prochain chez Georges Petit,
+rue Godot de Mauroi. Cette exposition, qui durera trois jours seulement,
+comprendra une importante collection d'oeuvres--huiles, aquarelles et
+pastels--de l'un des artistes les plus justement renommés de ce
+temps-ci, l'excellent paysagiste Edmond Yon.
+
+C'est, en moins de dix années, la troisième fois que le robuste
+travailleur, le peintre délicat et savant, nous donne, avec un groupe
+imposant d'ouvrages de son choix, à juger de la fécondité, de la
+puissance et de la variété de son talent. L'exhibition qu'il achève
+d'organiser obtiendra auprès de ses visiteurs un succès au moins égal à
+celui qu'ont emporté ses devancières. Des soixante-six envois qui la
+composent, il n'en est pas un seul qui ne soit digne de l'attention des
+connaisseurs, et qui ne mérite leur éloge. Ils valent tous également par
+ces belles qualités où s'atteste la maîtrise: la vision nette et précise
+de la nature, un impeccable sentiment de la réalité, la perfection du
+dessin, la fermeté, la souplesse et l'éclat de la coloration.
+
+Edmond Yon est un paysagiste au sens le plus parfait du mot. Épris
+ardemment de la nature, il s'entend à merveille à la représenter sous
+ses aspects les plus fugitifs et les plus divers, dans sa variété
+infinie et dans son éternelle mobilité... «Il excelle, dit M. Montrosier
+dans l'intéressante préface qui figure en tête du catalogue de
+l'exposition, à dire les matins encore tout embrumés où passe le souffle
+des églogues, les journées baignées de clarté et incrustées de lumière,
+et les soirs aux couchants radieux, montrant le soleil disparaissant
+dans la gloire d'une apothéose sans pareille. Mieux que personne il est
+le peintre des rivières que bordent les saules, des étangs sertis
+d'oseraie et des marais visqueux où semblent flotter des nénuphars. Dans
+les dunes de la Somme, il plantera un de ces moulins qui semblent défier
+la lance de Don Quichotte; ici il montrera un bout de village aux
+maisonnettes groupées, avec le régal de couleurs des toitures rouges, et
+si attirant, ce village, qu'on voudrait s'y arrêter. Tous ces morceaux
+sont si bien troussés, la touche en est si libre, la réalité si vraie,
+qu'on ne peut les oublier.»
+
+
+
+NOTES ET IMPRESSIONS
+
+Il y a trois sortes d'orgueil: celui de la richesse, celui de la
+naissance et de l'esprit.
+ Swift.
+
+* * *
+
+La politique, même dans le gouvernement parlementaire, c'est ce qui ne
+se dit pas.
+ Fievée.
+
+* * *
+
+Dans cette vie, il faut savoir se risquer, mais qui se risque doit se
+résigner à perdre quelque chose.
+ Herbart.
+
+* * *
+
+Les biens que l'on vante le plus ne sont pas ceux que l'on a, mais ceux
+que l'on désire.
+ Edm. About.
+
+* * *
+
+La reconnaissance est pareille à cette liqueur d'Orient qui ne se garde
+que dans des vases d'or; elle parfume les grandes âmes, elle s'aigrit
+dans les petites.
+ Jules Sandeau.
+
+* **
+
+L'égoïsme est comme l'embonpoint; plus on en a, plus on est gêné par
+celui des autres.
+ H. Rigault.
+
+* * *
+
+L'âme d'un petit enfant bien doué est plus près de celle d'Homère que
+l'âme de tel bourgeois ou de tel académicien médiocre.
+ Jules Lemaitre.
+
+* * *
+
+Le printemps qui commence aux enfants est pareil Le rire avec les pleurs
+alterne à son réveil.
+ A. Theuriet.
+
+* * *
+
+La jeunesse ne désespère pas plus de l'humanité, malgré ses désastres,
+que le brin d'herbe qui pousse dans un champ dévasté par l'hiver ne
+doute de la nature.
+
+* * *
+
+Être et paraître sont deux; mais, avec le monde, le second est souvent
+le moyen d'arriver au premier.
+ G.-M. Valtour.
+
+
+
+[Illustration: Cérémonie populaire de la Pâque, en Russie; Le pope
+bénissant les pains de laitage caillé apporté par les fidèles.]
+
+
+[Illustration: CHOIX DE TABLEAUX DE LA VENTE EDMOND YON. (Voir l'article
+page 299.)]
+
+38. Brume matinale. 35. Le vent sur le marais. 58 Les Ruches: Effet
+d'orage à Sainte-Aulde. 28. Le Ruisseau aux poules d'eau. 12. Laveuses à
+Cernay. 5. La barque de pêche. 49. Les vaines pâtures à Sainte-Aulde. 2.
+La grande chaussée de Longpré. 52. Soleil couchant à l'embouchure de
+l'Orne. 37. Le Pont de Vernon, près Vouvray. 4. Chardons en fleurs. 48.
+Bords de l'Essonne. 9. Fin de journée. 40. Sainte-Aulde. 7. Avril à
+Ballancourt. 11. Étang à Ballancourt. 42. A Longpré les Corps Saints.
+
+
+
+[Illustration: HISTOIRE DE LA SEMAINE]
+
+La Russie et le président de la République.--Il convient, croyons-nous,
+de garder la plus grande circonspection, quand il s'agit des relations
+internationales, et on a eu le tort, trop souvent, dans notre pays, en
+ce qui concerne la Russie, de donner à une sympathie, qui heureusement
+est très réelle, une interprétation qui pourrait paraître excessive au
+point de devenir gênante pour ceux-là mêmes à qui elle s'adresse. Mais,
+ces réserves faites, il est permis de se féliciter de la nouvelle marque
+de courtoisie que le gouvernement du czar vient de donner au chef de
+l'État, en lui conférant le grand cordon de l'ordre de Saint-André.
+
+Cet ordre est le plus ancien et le plus important des ordres russes. Il
+a été créé par Pierre-le-Grand en 1698. C'est celui que l'empereur
+donne, de préférence, aux membres régnants des maisons souveraines.
+
+La remise des insignes qu'il comporte à M. Carnot a été faite dans le
+plus grand apparat. M. le baron de Mohrenheim, ambassadeur de Russie à
+Paris, s'est rendu à cet effet à l'Elysée avec tout le personnel de
+l'ambassade, en uniforme. Pendant que la garde du palais rendait les
+honneurs militaires, les représentants du czar étaient reçus au bas du
+perron par le colonel Lichtenstein et introduits par M. d'Ormesson,
+directeur du protocole, dans un des salons où se tenait le président de
+la République, entouré des officiers de sa maison militaire au complet.
+
+Les traités de commerce et la propriété littéraire.--La révolution qui
+est en train de s'opérer dans notre régime économique n'est pas sans
+causer quelque inquiétude. Le pays est partagé en deux camps qui luttent
+avec acharnement, l'un en faveur du libre-échange, l'autre en faveur de
+la protection. Ce sont les partisans de ce dernier système qui
+triomphent, si l'on en juge par la force dont ils disposent dans le
+parlement. Où est la vérité? c'est là une question à laquelle il est
+difficile de répondre, car des deux côtés on fait valoir des arguments
+décisifs et ceux qui n'ont pas d'opinion préconçue restent en suspens
+entre les deux partis, ne sachant auquel donner leur confiance.
+
+Mais d'instinct, ceux qui n'ont pas fait une étude approfondie de ces
+questions complexes qu'embrasse l'économie politique sont portés à
+s'effrayer du retour à l'ancien système qui mettait des barrières entre
+les peuples, alors que les facilités apportées par le progrès dans les
+relations internationales semblaient devoir les faire supprimer à
+jamais.
+
+Naturellement ceux qui, dans notre pays, peuvent compter sur les
+bénéfices qu'ils tirent de l'exportation de leurs produits, sont très
+opposés aux lois de protection que l'on prépare, éprouvant la crainte
+légitime que les pays auxquels nous fermons notre porte ne nous rendent
+la pareille.
+
+Nos écrivains, qu'on ne s'attendait pas à trouver en cette affaire, mais
+dont l'intervention est cependant toute naturelle, sont dans ce cas. Les
+produits dont ils vivent, fort goûtés chez nous, ne le sont pas moins à
+l'étranger, et ils craignent, non sans raison, que la dénonciation des
+traités de commerce leur ferme les «débouchés» qu'ils trouvaient pour
+leurs oeuvres, dans tous les pays du monde et surtout en Belgique.
+
+Aussi une délégation qui comptait les plus illustres représentants de
+notre littérature s'est-elle rendue auprès de M. de Freycinet, président
+du Conseil, pour lui remettre, au nom de toutes les grandes sociétés
+littéraires et artistiques, une protestation contre la mise en pratique
+des théories ultra-protectionnistes qui semblent triompher pour le
+moment: «Le mécontentement des nations voisines, dit cette protestation,
+se traduira sans doute par des mesures de représailles qui frapperont
+surtout notre production littéraire et artistique pour laquelle toutes
+les nations sont plus ou moins tributaires de la nôtre. La Chambre
+sera-t-elle indifférente à des intérêts moraux et matériels aussi
+considérables, et sacrifiera-t-elle les droits de ceux qui contribuent à
+l'étranger, pour une si large part, à notre gloire nationale?...»
+
+Malheureusement, la Chambre est déjà si engagée qu'on peut avoir des
+doutes sur l'effet de cette protestation.
+
+La situation légale du prince Victor et du prince Louis.--Par suite de
+la mort du prince Napoléon, le prince Victor, devenu chef de la famille
+Bonaparte, se trouve _ipso facto_ expulsé du territoire français par
+l'application de l'article 1er de la loi du 22 juin 1886.
+
+Cette loi, en effet, interdit le territoire français aux chefs de
+familles ayant régné en France et à leurs héritiers directs dans l'ordre
+de primogéniture. Le prince Victor, quel que soit d'ailleurs le
+testament politique du prince Napoléon, passe à l'état de «chef d'une
+famille ayant régné sur la France», et à ce titre tombe sous le coup de
+la loi d'exil.
+
+Mais est-il juste de dire que le prince Louis, à qui reviendraient les
+droits de la famille Bonaparte si son frère venait à mourir sans
+héritier direct, passe à l'état d'héritier présomptif, dans le sens
+prévu par la loi? Le prince Louis n'est héritier qu'en ligne collatérale
+et la loi désigne «l'héritier direct». La question était tout au moins
+douteuse. Quant à présent, le garde des sceaux l'a tranchée dans le sens
+le plus libéral, c'est-à-dire en faveur du prince Louis. Il a fait
+remarquer d'ailleurs que le gouvernement restait suffisamment armé par
+l'article 2 de cette même loi qui lui permet d'interdire le territoire
+français à tous les membres des anciennes familles régnantes autres que
+les chefs et leurs héritiers directs.
+
+Les Italiens en Afrique.--Il faut supposer et espérer que l'Afrique
+donnera à nos arrière-petits-neveux d'immenses satisfactions matérielles
+et morales de nature à compenser, par leur reconnaissance, les
+tribulations qu'elle cause pour le moment à toutes les puissances
+européennes.
+
+La France, qui possède sur ce vaste continent la plus belle des
+colonies, en est réduite à nommer une commission d'études chargée
+d'examiner ce qu'il faut faire pour en tirer réellement parti. En même
+temps, elle est obligée de lutter au Soudan et au Dahomey, pour obtenir
+des succès très douteux, car on ne voit jamais qu'ils produisent rien de
+décisif.
+
+Les Belges semblent plus embarrassés que fiers du territoire immense
+qu'ils occupent sur les confins du nôtre.
+
+Les Anglais sont en lutte, tout au moins diplomatique, avec la France et
+le Portugal à raison de leurs possessions africaines, en sorte que tous
+ceux qui se sont partagé l'Afrique sont en hostilité plus ou moins
+sourde les uns avec les autres, en attendant qu'ils rencontrent tous
+l'ennemi commun, l'Africain lui-même, que nous ne connaissons encore que
+par quelques escarmouches, mais qui se révélera peut-être plus terrible
+qu'on ne croit, au centre de ce continent mystérieux dont on fait trop
+vite une possession européenne.
+
+Mais les Italiens surtout ont à souffrir en ce moment de la
+précipitation avec laquelle toutes les puissances civilisées se sont
+jetées sur l'Afrique comme sur une proie facile. Voici remis en
+question, sinon déchiré tout à fait, ce fameux traité conclu avec
+Menelik, et qui devait donner à nos voisins le protectorat sinon la
+possession complète de l'une des plus belles parties du continent
+africain. Le comte Antonelli, qui s'était rendu en mission auprès du
+«roi des rois» pour traiter avec lui de l'exécution de celles des
+clauses du traité qui étaient favorables à l'Italie, a dû quitter
+brusquement le pays avec tous ceux qui l'accompagnaient, les Italiens ne
+se considérant plus comme en sûreté sur un territoire où ils ont
+cependant la prétention d'exercer leur protectorat.
+
+M. di Rudini prépare sur la question un livre vert dans lequel il fera
+probablement connaître la vérité tout entière, car il n'a aucun intérêt
+à la cacher, Mais, si elle est telle qu'on la suppose, elle sera la
+justification, après la lettre, de la chute de M. Crispi, qui porte, non
+sans raison, en grande partie, la responsabilité de la politique suivie
+par l'Italie en Afrique.
+
+Bulgarie: assassinat du ministre des finances.--Un grave attentat a été
+commis à Sofia le 27 mars dernier. Au moment où M. Beltchef, ministre
+des finances, accompagné de M. Stamboulof, rentrait chez lui, après
+avoir assisté au conseil des ministres, trois coups de revolver
+retentirent. M. Beltchef tomba, mortellement frappé. Il a été impossible
+d'atteindre le meurtrier qui a pris la fuite avec trois individus qui
+l'accompagnaient.
+
+L'opinion très générale est que le coup était destiné au premier
+ministre, M. Stamboulof, et, bien que l'on n'ait encore aucun indice sur
+le mobile qui a poussé les meurtriers, on est porté à croire que cette
+affaire se rattache à celle qui amena l'exécution du major Panitza. On
+se rappelle qu'à la suite de cette exécution, on trouva sur un arbre
+voisin de l'endroit où elle avait eu lieu une bande de toile portant
+cette inscription: «Avant six mois, Ferdinand et son premier ministre
+seront exposés à cette même place.» On fait remarquer aussi que, peu de
+temps après l'exécution du major Panitza, on parlait d'une ligue de
+Macédoniens qui s'était formée pour venger la mort de leur compatriote.
+
+Voici la question bulgare de nouveau à l'ordre du jour, car à la suite
+de cet événement M. Stamboulof ne restera pas inactif.
+
+
+
+Nécrologie.-Le poète Josephin Soulary.
+
+M. Armand Lévy, orateur bien connu des réunions socialistes.
+
+M. Valéry Vernier, homme de lettres.
+
+Mme la princesse d'Arenberg, femme du député du Cher, soeur du comte
+Greffulhe, député de Seine-et-Marne.
+
+Le sculpteur Frétigny.
+
+M. Henry Berthoud, homme de lettres, un des premiers vulgarisateurs
+scientifiques.
+
+Mme la baronne de la Guerronnière, belle-mère de M. d'Ormesson,
+directeur du protocole.
+
+M. G. Seurat, artiste peintre.
+
+
+
+LES LIVRES NOUVEAUX
+
+_De Saint-Louis au port de Tombouctou_, voyage d'une canonnière
+française, par E. Caron, lieutenant de vaisseau. Ouvrage accompagné de
+quatre cartes. (Augustin Challamel, éditeur, 5, rue Jacob.)--Il n'est
+pas de nation d'Europe qui n'ait aujourd'hui les yeux fixés sur
+l'Afrique, dans la pensée de s'y rendre maîtresse de quelque territoire
+neuf et non encore exploité, de telle sorte que l'on peut, dès l'heure
+présente, affirmer que l'Afrique tout entière est vouée, dans un avenir
+assez prochain, à n'être plus qu'une colonie européenne. Parmi ces
+nations du vieux monde, la France jouit d'une situation exceptionnelle,
+se trouvant déjà posséder l'Algérie et le Sénégal. Ses efforts sont, par
+suite de cette situation même, à l'avance tout indiqués: ils doivent
+tendre à relier l'une à l'autre ces deux colonies. Du sud de l'Algérie
+et de Bammako, ville centrale du Soudan français située sur le Niger,
+elle doit se diriger vers le centre du continent africain, à peine de se
+voir couper cette route stratégique par une autre nation rivale plus
+prompte ou mieux avisée. C'est dans cette préoccupation que le
+gouverneur du Soudan, le colonel Gallieni, dès sa prise de commandement,
+résolut de faire pousser par le Niger une reconnaissance jusqu'à
+Tombouctou. Une canonnière fut armée à cet effet et le lieutenant de
+vaisseau E. Caron chargé de la commander. Sa mission était d'explorer le
+fleuve, d'étudier l'état politique des populations riveraines, de réunir
+des données commerciales et scientifiques, pour permettre d'asseoir une
+opinion sur la valeur des contrées arrosées par le Niger moyen et sur la
+politique à suivre dans l'avenir. Le but a été atteint, les difficultés
+de toute nature, provenant des hommes et des choses, n'ont pas manqué;
+mais la canonnière est arrivée au port. Tombouctou n'a pu être visité,
+le pays étant sous la domination des Touaregs, dont la défiance et
+l'hostilité ne permirent pas une descente dans la ville. Mais
+l'exploration a été faite, le pays reconnu, étudié, et les conséquences
+de cette reconnaissance et de cette étude vont pouvoir être poursuivies.
+M. le lieutenant Caron ne se dissimule pas les difficultés d'une
+transformation du Soudan français, mais il en indique les moyens et il
+croit fermement que, de ce côté, un vaste champ reste ouvert à notre
+activité coloniale. Il lui reviendra l'honneur d'avoir posé l'un des
+premiers jalons dans cette route du progrès et de la civilisation.
+
+L. P.
+
+
+_Vérités et apparences_, par Armand Hayem, (chez Alphonse Lemerre, prix:
+3 fr. 50). Dune intelligence qui s'assimilait à tout, d'une activité
+d'esprit dévorante, Armand Hayem s'était, de bonne heure, jeté
+fiévreusement, inconsidérément aussi, dans l'administration, la
+politique, la philosophie et la littérature.
+
+Jeune encore, il avait débuté avec le _Mariage_, que couronna
+l'Académie. Il publia ensuite un certain nombre d'ouvrages d'ordres
+différents, appréciés des délicats, et tout en remplissant avec un zèle
+et un dévoùment dont le canton de Montmorency conserve le souvenir, ses
+fonctions de conseiller général, auxquelles il fut appelé quatre fois
+successivement.
+
+Parmi ses livres, rappelons particulièrement _Fédéralisme et Césarisme_,
+et sa double et remarquable étude: le _Don Juanisme_ et _Don Juan
+d'Armana_.
+
+Armand Hayem laisse des oeuvres posthumes, parmi lesquelles _Vérités et
+apparences_ précédées d'un portrait et d'une lettre d'Alexandre Dumas à
+Mme Armand Hayem.
+
+Nous ne pensons pouvoir mieux faire que de livrer ces lignes de la belle
+préface de l'illustre écrivain: «Ce qui faisait l'inquiétude incessante,
+le tourment toujours grandissant de cet esprit et de cette âme, c'était
+l'amertume poussée jusqu'à l'écoeurement, déposée en lui par
+l'observation et la connaissance des hommes, et, en même temps, le
+besoin, l'obsession, c'est le mot, d'un idéal de perfectibilité auquel
+il ne voulait pas se soustraire. De là, dans ce livre un double écho,
+celui de sa raison, celui de sa conscience. Son esprit va
+alternativement de l'une à l'autre, poussant à chaque retour un cri
+tantôt ironique, tantôt enthousiaste, toujours douloureux.»
+
+
+_Les Mammifères de la France_, par M. A. Bouvier, (Georges Carré, 58,
+rue Saint-André-des-Arts).
+
+Faire connaître en les classant au point de vue de leur utilité les
+mammifères de nos contrées, tel a été le but que s'est proposé l'auteur,
+et ajoutons qu'il y a pleinement réussi.
+
+L'élève trouvera dans cet ouvrage les notions de classification
+d'histoire naturelle dont il a besoin; l'agriculteur le complément
+d'observations utiles et pratiques et les indications qui peuvent lui
+être nécessaires; le lecteur une occasion de s'instruire sans fatigue.
+
+L'ouvrage de M. Bouvier a été honoré de souscriptions de plusieurs
+ministères, y compris celui de l'Instruction publique.
+
+
+_Crimes d'orgueil_ par Louis de Caters (1 volume chez Victor-Havard,
+éditeur à Paris).
+
+Ce nouvel ouvrage de M. de Caters est une oeuvre pleine de passion et
+d'intérêt où sous une action violente se développe une thèse
+profondément humaine.
+
+L'auteur donne là une note nouvelle de son talent. Ce roman vaut par
+l'élévation de ses sentiments, la vigueur du style, la gamme des
+sensations de coeur, des révoltes d'âme. _Crimes d'orgueil_ sera un des
+meilleurs livres de l'année.
+
+
+_Mémoires de Mme Campan_, dans la collection pour les jeunes filles,
+dirigée par Mme Carette, née Bouvet. 1 vol. in-12, 3 fr. 50 (Paul
+Ollendorff).--Ces mémoires sont surtout l'histoire intime de
+Marie-Antoinette, dont Mme Campan était la première femme de chambre, et
+qui, à ce titre, fut pendant vingt ans mêlée à l'existence de la reine,
+qu'elle ne quitta--malgré elle--que lorsque la famille royale fut
+enfermée aux Feuillants. On devine ce que peuvent présenter d'intérêt
+les observations et les souvenirs d'une femme d'un esprit aussi
+judicieux et aussi distingué que la future directrice de la maison
+impériale d'éducation d'Ecouen.
+
+
+Dans la _Nouvelle Collection_ (Charpentier et Fasquelle, éditeurs): les
+_Fiançailles de Thérèse_, par Mme Stanislas Meunier, et _Un manuscrit_,
+par Pierre Maël, deux jolis romans d'amour chaste, destinés à prouver
+que les sentiments purs dans les oeuvres ne sont pas exclusifs des
+qualités littéraires chez les auteurs.
+
+
+_Tableaux algériens_, par Gustave Guillaumet, 1 vol. in-12, 3 fr. 50
+(Plon, Nourrit et Cie).--Un vrai livre de peintre. Comme Fromentin,
+Guillaumet eût pu se faire, à côté de sa gloire d'artiste, une
+réputation d'écrivain. Et tous deux, c'est la vie du désert qui les a
+séduits, fascinés. C'est le soleil qui, après avoir tenté leur pinceau,
+les a faits poètes, la plume à la main. Les Tableaux algériens ne sont
+point d'ailleurs un nouvel ouvrage. Une superbe édition illustrée en
+avait été publiée après la mort du peintre. La librairie Plon vient
+seulement d'en mettre une édition courante à la portée du grand public.
+
+
+_L'Enseignement au point de vue national_, par Alfred Fouillée, ancien
+maître de conférences à l'École normale supérieure. 1 vol. in-12, 3 fr.
+50 (Hachette).--Les questions d'enseignement n'ont pas cessé d'être à
+l'ordre du jour. L'éducation reste la question vitale; mais il semble,
+il est même certain, et M. Fouillée le constate, qu'en cette matière on
+ne se place jamais qu'au point de vue de l'individu. Ne faudrait-il pas
+enfin tenir compte de la race, s'élever à un point de vue national, se
+préoccuper non seulement d'instruire les individus, mais de conserver et
+d'accroître les qualités héréditaires de la race? Tel doit-être, d'après
+M. Alfred Fouillée, le but de l'éducation. C'est à ce point de vue qu'il
+a étudié les questions d'enseignement, et l'on peut juger quel intérêt
+nouveau et vraiment patriotique s'attache par suite à son livre.
+
+
+
+NOS GRAVURES
+
+LES DÉCOUVERTES DE LOUQSOR
+
+Tous les journaux ont parlé des découvertes faites récemment en Égypte
+par notre compatriote M. Grébaut, directeur du Musée égyptien de Ghizeh.
+M. Grébaut, à la suite de fouilles entreprises dans La montagne de
+Thébes, a mis au jour un puits contenant un nombre considérable de
+momies, toutes dans de riches sarcophages, et dans un état merveilleux
+de conservation. Par une rare bonne fortune, parmi les témoins de ces
+fouilles se trouvait un de nos plus chers collaborateurs, M. Émile
+Bayard, qui vient de passer l'hiver en Égypte. C'est donc sur place même
+et d'après nature que M. Bayard a pu faire les deux beaux dessins que
+nous donnons et dont il a accompagné l'envoi de la très intéressante
+lettre que voici:
+
+_Au Directeur._
+
+Je vous ai dit dans ma précédente lettre qu'après avoir remonté jusqu'à
+la première cataracte, sur un charmant et confortable bateau de la
+Société Égyptienne Thewfikiek, je m'étais arrêté à Louqsor, à l'hôtel de
+la société sus-nommée. Je vous laisse à penser ma joie en voyant sur la
+table du grand salon l'_Illustration_, qu'on se passait de mains en
+mains. Quand on a vu votre collaborateur assidu et dévoué, on l'a fort
+entouré. A 1,200 lieues de la rue Saint-Georges, ç'a été vraiment une
+grande joie pour moi, car je rapportais au journal les sympathies dont
+j'étais l'objet.
+
+Le soir même de mon arrivée, j'appris la découverte si intéressante de
+M. Grébaut, le savant égyptologue. Ma première idée fut de faire
+profiter de ma bonne fortune les lecteurs de l'_Illustration_. Aussi, le
+lendemain matin, je traversai le Nil et me trouvai sur la rive gauche de
+l'ancienne Thèbes; de là, monté sur un bourriquot (Ramsès, s'il vous
+plaît), je me rendis à la dahabieh de M. Grébaut, à qui j'avais eu le
+plaisir d'être présenté au Caire. Fort bien accueilli, il fut décidé que
+nous partirions de suite pour Deïr-el-Bahari. Nous voilà donc tous à
+bourriquot, M. Grébaut, M. Bourriaud, le chef érudit de la mission
+archéologique française, et moi. Au bout d'une bonne heure, nous
+arrivâmes sur le flanc de la chaîne lybique, où se trouve la fouille que
+M. Grébaut a fait creuser, pressentant en cet endroit un trésor caché,
+dont l'importance archéologique devait dépasser ses espérances. Mais je
+laisse la parole à M. Grébaut:
+
+«J'étais persuadé qu'environ à cette distance de la montagne je
+trouverais quelque chose. Je ne m'étais pas trompé et j'ai fait
+fouiller. A ma grande joie j'ai vu apparaître le puits que vous voyez,
+dont la profondeur est environ de 15 mètres et au fond duquel se
+trouvait une porte fermée par un entassement de grosses pierres.
+
+La porte déblayée, on est entré dans un premier souterrain. Après un
+parcours de 73 mètres on rencontre un escalier de 5 mètres et l'on
+descend à un second étage qui fait suite pendant 12 mètres.
+
+Ces deux étages conservent la direction du nord au sud. Au fond sont
+creusées deux chambres funéraires mesurant: l'une 4 mètres, l'autre 2
+mètres de côté. A la hauteur de l'escalier est située la port d'un
+second corridor de 54 mètres se dirigeant de l'est à l'ouest. Le
+développement total des souterrains est de 153 mètres.
+
+Ils étaient remplis de caisses de momies, souvent entassées les unes sur
+les autres. A côté des sarcophages étaient déposés des objets divers,
+papyrus, boîtes, paniers, statuettes, offrandes funéraires, fleurs.
+
+Le désordre dénotait une cachette du genre de celles des momies royales
+découvertes il y a dix ans. Les deux cachettes sont de la même époque,
+elles ont dû être faites dans les mêmes circonstances. Dans les deux
+cas, les momies les plus récentes appartiennent à la 21e dynastie.
+
+Les sarcophages de la nouvelle découverte sont ceux des prêtres et des
+prêtresses d'Ammon, au nombre de 163. On compte aussi quelques prêtres
+d'autres divinités, de Set, d'Anubis, de Mentou et de la reine Aah-Hotep
+dont le culte s'est maintenu pendant de longs siècles.»
+
+L'extraction des sarcophages m'a fourni le sujet d'un dessin: les cuves
+extérieures d'une richesse de décoration incomparable sont composées et
+exécutées avec un soin particulier. Quand on pense que la porte de ces
+souterrains, fermée depuis 3,000 ans, vient de livrer passage à ces
+sarcophages qu'on dirait faits d'hier tant leur conservation est
+admirable, l'imagination reste confondue.
+
+[Illustration: M. BELTCHEF D'après la photographie de M.
+Ivan-A.-Rarastojanow.]
+
+Voilà, mon cher ami, ce que j'ai eu l'heureuse chance de voir; mais ce
+qu'on ne verra pas de longtemps, c'est leur transport au Nil où les
+attendent de grands chalands qui doivent les transporter au Caire.
+
+Rien ne peut donner une idée (pas même mon dessin!) de cet étonnant
+spectacle.
+
+Imaginez-vous, sous un soleil de 50 degrés, dans les grandes plaines
+fertilisées par le Nil et s'étendant jusqu'aux contreforts de la
+montagne, deux cents Arabes dans les costumes les plus pittoresques,
+souvent nus, portant sur leurs épaules une trentaine de ces merveilleux
+sarcophages, se bousculant dans la poussière en chantant ces refrains
+monotones dont ils scandent leurs marches. C'est un spectacle
+inoubliable.
+
+Je ne veux pas, cher ami, prolonger cette longue lettre. Je dois
+cependant ajouter que, malgré son grand désir de m'être agréable, M.
+Grébaut n'a pu me fournir les photographies des objets trouvés, ce qui
+eût été bien précieux, mais il ne veut rien livrer à la publicité avant
+d'avoir examiné avec soin, à son retour au Caire, tous les éléments de
+sa découverte. Je suis persuadé qu'il s'empressera, aussitôt qu'il le
+pourra, de vous les envoyer avec une notice explicative. Ce sera encore
+de l'actualité. A bientôt, mon cher ami.
+
+Votre bien affectionné,
+
+Émile Bayard.
+
+
+
+A L'ÉGLISE DU SACRÉ-COEUR
+
+Les nombreux pèlerins qui ont visité pendant ces derniers jours l'église
+du Sacré-Coeur se sont portés en foule dans la crypte de la Basilique où
+les attendait le spectacle émouvant d'une «Mise au tombeau» fidèlement
+représentée.
+
+Le corps du Seigneur, qui tient le milieu, est soutenu par Joseph
+d'Arimathie, à qui appartenait le sépulcre, et Nicodème.
+
+A gauche, la sainte Vierge, accompagnée de saint Jean et de la mère de
+Jacques, étend les bras vers son divin fils à qui elle semble adresser
+un dernier adieu. A droite, Marie-Madeleine à genoux, les mains jointes,
+implore une fois encore son pardon, et derrière elle se tiennent les
+trois saintes femmes qui accompagnent la mère du Christ. Un disciple
+porte la couronne d'épines, et trois soldats romains éclairent avec des
+torches la funèbre cérémonie. Tout en haut d'un escalier taillé dans le
+roc, on entrevoit le calvaire.
+
+Les figures en cire sont l'oeuvre de M. Pêche-Lambert. C'est un travail
+long et difficile que la mise au point d'un pareil tableau. L'artiste
+doit modeler d'abord ses personnages en terre glaise, les reproduire
+ensuite en plâtre, et sur les plâtres prendre les moulages dans lesquels
+coulera la cire. Après avoir soigneusement réparé et retouché cette
+cire, les groupes sont implantés, et les couleurs savamment distribuées
+donnent à la scène l'illusion de la vie.
+
+Ab.
+
+
+
+
+AU THÉÂTRE D'APPLICATION
+
+Le petit théâtre de la rue Saint-Lazare a donné, ces jours derniers, un
+spectacle de circonstance qui, pour n'être pas de ceux auxquels se
+précipite d'ordinaire le gros public, n'en a pas moins offert un intérêt
+littéraire et scénique indéniable.
+
+La _Passion_, de M. Haraucourt, avait été donnée déjà l'an passé au
+Cirque-d'Hiver avec Mme Sarah Bernhardt comme protagoniste; elle fit
+même quelque bruit à cette époque-là, si nous nous souvenons bien.
+Transportée sur la petite scène de M. Bodinier, elle a été écoutée
+presque avec recueillement.
+
+Les quatre tableaux de la Passion: Un Carrefour à Jésusalem, la Maison
+de Lazare, le Jardin des Oliviers et le Calvaire se sont déroulés
+tranquillement devant une salle toujours pleine, et dans un silence
+qu'interrompaient seuls les applaudissements à l'adresse du poète et des
+interprètes. Ceux-ci, en effet, surtout Taillade dans le rôle de Judas
+et Brémont dans celui de Jésus, Mme Malvau dans le personnage de Marie
+et Mme de Pontry dans celui de Madeleine, se sont acquittés à merveille
+de leur lâche et n'ont pas peu contribué au succès de ces quelques
+représentations dont notre gravure reproduit fidèlement l'aspect
+général. Ce qu'elle ne peut rendre, c'est l'impression toute
+particulière quelles ont dù laisser dans l'esprit de nombre de
+Parisiens. Nous nous ferons sans doute par la suite à ce spectacle
+moitié profane, moitié religieux. Mais cette petite salle oblongue avec
+sa tribune du fond où l'orgue seul fait défaut; cette étroite scène où,
+dans la monotone vibration des vers psalmodiés, Madeleine la pécheresse,
+sous les traits de la belle Mme de Pontry (c'est l'épisode que
+représente notre gravure), arrosait de parfums les pieds de Jésus: la
+demi-obscurité que faisaient flotter au-dessus des spectateurs
+recueillis les lustres baissés... tout cela donnait assez bien l'idée
+d'une bonne petite religion fin de siècle, dont le culte se célébrerait
+dans une sorte de chapelle laïque, fraîchement décorée et ornée de
+glaces.
+
+J. S.
+
+
+
+LA PÂQUE RUSSE
+
+Nous continuons aujourd'hui notre série des scènes de la vie russe par
+la cérémonie de la Pâque qui rappelle un peu ce qu'en France nous
+appelons la bénédiction des rameaux. Les fidèles, rangés devant la porte
+de l'église, ont apporté avec eux des pains confectionnés avec une sorte
+de laitage caillé qui constitue, le jour de la pâque, le mets principal
+des Russes. Dans ce laitage ils ont planté des cierges qu'ils ont
+allumés. Le pope sort de l'église, suivi de son sacristain, et bénit les
+fidèles, les cierges et les pains de laitage caillé. Puis tout le monde
+se retire.
+
+Une particularité assez curieuse à signaler: sitôt que la bénédiction a
+été donnée, les fidèles éteignent leurs petits cierges, dont ils
+conservent précieusement la partie restée intacte, à moins qu'ils ne la
+cèdent, moyennant quelque argent, à d'autres fidèles qui n'ont pu
+assister à la bénédiction.
+
+
+
+M. BELTCHEF
+
+Nos lecteurs trouveront dans l'_Histoire de la semaine_ les détails
+relatifs à l'assassinat de M. Beltchef, ministre des finances de
+Bulgarie, dont nous donnons ci-contre le portrait. Nous n'avons donc que
+peu de chose à dire sur cet attentat, qui a jeté la consternation dans
+tous les cercles politiques de Sofia, où la victime était aimée et
+estimée de tous. Au moment où nous mettons sous presse, les assassins ne
+sont pas encore connus, mais les arrestations ordonnées par M.
+Stamboulof continuent, et l'agitation s'étend de plus en plus en
+Bulgarie.
+
+M. Beltchef était nouveau venu en politique. Il avait trente-cinq ans et
+avait fait ses études à Paris.
+
+
+
+NOTRE SUPPLÉMENT
+
+_Morte saison_.--S'il mange ainsi son fonds, le petit
+pâtissier-confiseur que Mlle Achille Fould a peint avec tant d'esprit,
+il ne s'enrichira guère! Mais, à cet âge, songe-t-on à l'avenir, surtout
+quand le présent est là, attractif, sous la forme d'un éventaire chargé
+de sucre d'orges? La marchandise doit être bonne. Les yeux émerveillés
+du gamin le disent éloquemment.
+
+_Au pigeonnier._--Bébé a évidemment promis d'être sage et de ne pas
+troubler la quiétude des habitants du pigeonnier, pour qu'on lui ait
+confié le soin de jeter de ses mains potelées les grains aux beaux
+oiseaux qui attendaient leur repas. M. Pinchart a composé cette scène
+gracieuse avec une légèreté tout à fait fin de siècle... mais l'autre,
+le dix-huitième!
+
+_Les premiers galons._--«Pour que ça pousse, mon fieu, vois-tu, faut les
+arroser.» Et le vieux Breton bretonnant a fait ce qu'il a fallu de
+chemin pour venir au port embrasser son «gamin» sur les deux joues à
+l'occasion des deux bandes rouges qui ornent nouvellement sa manche. Il
+est tout fier, le bonhomme, du succès de son fils, et si celui-ci
+sourit, c'est qu'il y a de quoi, vous en conviendrez.
+
+_Portrait à cinquante centimes._--On est entré à quatre, quatre bons
+compagnons de bord, dans l'atelier essentiellement primitif du
+photographe ambulant. L'objectif dirigé par la patronne de
+l'établissement va prendre les traits du gars qui sourit déjà en
+songeant à la promise, et à la mine qu'elle fera en recevant le petit
+bout de carton. La pittoresque composition de M. Bourgain est une
+véritable étude de moeurs.
+
+[Illustration.]
+
+
+
+ANIE
+
+Roman nouveau, par HECTOR MALOT
+Illustrations d'ÉMILE BAYARD
+Suite.--Voir nos numéros depuis le 21 février 1891.
+
+[Illustration.]
+
+En effet, les deux jeunes gens revenaient sur leurs pas.
+
+--Cette fois nous allons bien voir, dit Mme Barincq, s'il affecte de ne
+pas te saluer.
+
+Il fit plus que saluer; arrivé vis-à-vis d'eux, il laissa échapper un
+mouvement prouvant qu'il venait seulement de reconnaître Barincq, et
+tout de suite, se séparant de son compagnon, il s'avança, le chapeau à
+la main, en s'inclinant devant Mme Barincq et Anie:
+
+--Puisque le hasard me fait vous rencontrer sur cette plage, me
+permettrez-vous, monsieur, dit-il, de vous adresser une demande pour
+laquelle je voulais vous écrire?
+
+--Je suis tout à votre disposition.
+
+--Voici ce dont il s'agit. Dans la chambre que j'occupais lors de mes
+visites à Ourteau, se trouvent plusieurs objets qui m'appartiennent:
+deux fusils de chasse, des livres, des photographies, du linge, des
+vêtements. J'aurais dû vous en débarrasser depuis longtemps, et je vous
+prie de me pardonner de ne pas l'avoir encore fait.
+
+--Ces objets ne nous gênent en rien.
+
+--Mon excuse est dans un ordre de service; j'ai quitté Bayonne peu de
+temps après la mort de M. de Saint-Christeau et ne suis revenu que cette
+semaine; mais, maintenant que me voilà de retour, je puis les envoyer
+chercher le jour que vous voudrez bien me donner.
+
+--Nous rentrons lundi.
+
+--Mardi vous convient-il?
+
+--Parfaitement.
+
+--Mardi j'enverrai mon ordonnance les emballer.
+
+--Si vous voulez m'en donner la liste, je puis vous les faire envoyer
+par Manuel.
+
+--C'est que cette liste est difficile à établir, surtout pour les livres
+qui se trouvent mêlés à ceux de la bibliothèque du château, et pour tout
+ce qui touche aux livres Manuel n'est pas très compétent.
+
+--Votre ordonnance l'est davantage?
+
+Le capitaine sourit:
+
+--Pas beaucoup.
+
+--Alors?
+
+--Évidemment des erreurs sont possibles; mais, en tout cas, s'il s'en
+commet, elles seront de peu d'importance, et je les réparerai en vous
+renvoyant les volumes qui ne m'appartiendraient pas.
+
+--Il y aurait un moyen de les empêcher, ce serait que vous prissiez la
+peine de venir vous-même à Ourteau, où nous nous ferons un plaisir, Mme
+et moi, de vous recevoir le jour qu'il vous plaira de choisir.
+
+Le capitaine hésita un moment, regardant Mme Barincq et Anie.
+
+--Si vous pouvez m'indiquer à l'avance l'heure de votre arrivée, dit
+Barincq, j'enverrai une voiture vous attendre à Puyoo.
+
+Cette insistance fit céder les hésitations du capitaine.
+
+--Mardi, dit-il, je serai à Puyoo à 3 heures 55.
+
+Comme il allait se retirer, après avoir salué Mme Barincq et Anie,
+Barincq lui tendit la main.
+
+--A mardi.
+
+Le capitaine rejoignit son compagnon.
+
+C'était l'habitude de Mme Barincq d'interroger sa fille sur toutes
+choses et sur tout le monde, ne se faisant une opinion qu'avec les
+impressions qu'elle recevait.
+
+--Eh bien, demanda-t-elle aussitôt que le capitaine se fut éloigné de
+quelques pas, comment le trouves-tu? Tu ne diras pas cette fois que tu
+ne l'as pas remarqué.
+
+--Je le trouve très bien.
+
+--N'est-ce pas? dit Barincq.
+
+--Que vois-tu de bien en lui? continua Mme Barincq.
+
+--Mais tout; il est beau et il a l'air intelligent; la voix est bien
+timbrée, ses manières sont faciles et naturelles; la physionomie respire
+la droiture et la franchise; je ne connais pas de militaires, mais quand
+j'en imaginais un, d'après un type que j'arrangeais, il n'était ni autre
+ni mieux que celui-là.
+
+--Es-tu satisfaite? demanda Barincq à sa femme; si tu voulais un
+portrait, en voilà un.
+
+--On dirait qu'il te fait plaisir.
+
+--Pourquoi pas? Non seulement le capitaine m'est sympathique, mais
+encore je le plains.
+
+--La voix du sang.
+
+--Pourquoi ne parlerait-elle pas?
+
+--Parce qu'il faudrait qu'elle fût inspirée par la certitude, et que
+cette certitude n'existe pas.
+
+--Voilà précisément qui rend la situation intéressante.
+
+Anie les interrompit:
+
+--Ils reviennent, dit-elle, et il semble que c'est pour nous aborder.
+
+--Que peut-il vouloir encore? demanda Mme Barincq.
+
+Ils n'étaient plus qu'à quelques pas, tous deux en même temps mirent la
+main à leur chapeau, mais ce fut le capitaine qui prit la parole:
+
+--Mon ami le baron d'Arjuzanx, dit-il, désire avoir l'honneur de vous
+être présenté.
+
+--J'ai pensé que mon nom expliquerait et, jusqu'à un certain point,
+excuserait ce désir, dit le baron.
+
+--Vous êtes le fils d'Honoré? demanda Barincq.
+
+--Précisément, votre camarade au collège de Pau, comme j'ai été celui de
+Sixte; mon père m'a si souvent parlé de vous et en termes tels, que j'ai
+cru que c'était un devoir pour moi de vous présenter mes hommages, ainsi
+qu'à madame et à mademoiselle de Saint-Christeau.
+
+Ce fut Mme Barincq qui répondit en invitant le baron à s'asseoir: des
+chaises furent apportées par le capitaine, et un cercle se forma.
+
+Le baron d'Arjuzanx parla de son père, Barincq de ses souvenirs de
+collège, et la conversation ne tarda pas à s'animer. Habitué de
+Biarritz, le baron connaissait tout le monde, et, à mesure que les
+femmes défilaient devant eux pour entrer dans la mer ou remonter à leur
+cabines, il les nommait, en racontant les histoires qui couraient sur
+elles: Espagnoles, Russes, Anglaises, Américaines, toutes y passèrent,
+et quand elles lui manquèrent, il tira d'un carnet toute une série de
+petites épreuves obtenues avec un appareil instantané qui complétèrent
+sa collection. Si plus d'un modèle vivant prêtait à la plaisanterie, les
+photographies, en exagérant la réalité, avaient des aspects bien plus
+drolatiques encore: il y avait là des Espagnoles dont les caoutchoucs
+dans lesquels elles s'enveloppaient rendaient la grosseur phénoménale,
+comme il y avait des Russes saisies au moment où elles sortaient
+rapidement de leurs chaises à porteur, d'une maigreur et d'une longueur
+invraisemblables.
+
+--Je vois qu'il est bon d'être de vos amies, dit Anie.
+
+--Il est des personnes qui n'ont pas besoin d'indulgence.
+
+Ce fut Mme Barincq qui répondit à ce compliment par son sourire le plus
+gracieux, fière du succès de sa fille.
+
+Plusieurs fois le capitaine parut vouloir se lever, mais le baron ne
+répondit pas à ses appels, et resta solidement sur sa chaise, bavardant
+toujours, regardant Anie, se faisant inviter à Ourteau, et invitant
+lui-même M. et Mme de Saint-Christeau à lui faire l'honneur de venir
+voir son vieux château de Seignos: avec de bons chevaux on pouvait faire
+le voyage dans la journée sans fatigue.
+
+--Avez-vous lu le _Capitaine Fracasse_, mademoiselle? demanda-t-il à
+Anie.
+
+--Oui.
+
+--Eh bien, vous retrouverez dans ma gentilhommière plus d'un point de
+ressemblance avec celle du baron de Sigognac, quand ce ne serait que les
+deux tours rondes avec leurs toits en éteignoirs. A la vérité, ce n'est
+pas tout à fait le château de la Misère, si curieusement décrit par
+Théophile Gautier, mais il n'y a que la misère qui manque; pour le
+reste, vous reconnaîtrez: très conservateurs, les d'Arjuzanx, car il n'y
+a pas eu grand'chose de changé chez nous depuis Louis XIII. Et puis,
+vous verrez mes vaches.
+
+--Ah! vous avez des vaches! Combien vous donnent-elles de lait en
+moyenne? interrompit Mme Barincq qui, à force d'entendre parler de lait,
+de beurre, de veaux, de vaches, de porcs, d'herbe, de maïs, de
+betteraves, s'imaginait avoir acquis des connaissances spéciales sur la
+matière.
+
+Le baron se mit à rire:
+
+--C'est de vaches de courses qu'il s'agit, non de vaches laitières.
+
+--A Ourteau, continua Mme Barincq, mes vaches nous donnent une moyenne
+de 1,500 litres.
+
+--Vous êtes sur une terre riche, je suis sur une terre pauvre, aux
+confins de la Lande rase où la plaine de sable rougeâtre ne produit
+guère que des bruyères, des ajoncs, des genêts ou des fougères; mais, si
+pauvres laitières qu'elles soient, elles ont cependant quelques mérites,
+et si vous voulez aller dimanche à Habas, qui est à une assez courte
+distance d'Ourteau, vous verrez ce qu'elles valent.
+
+--Il y a des courses? dit Barincq.
+
+--Oui, et les vaches proviennent de mon troupeau.
+
+--Certainement nous irons, dit Mme Barincq avec empressement; nous
+n'avons jamais vu de courses landaises, mais nous en avons assez entendu
+parler par mon mari pour avoir la curiosité de les connaître.
+
+L'entretien se prolongea ainsi, allant d'un sujet à un autre, jusqu'à
+l'heure du dîner, et déjà le soleil s'abaissait sur la mer, découpant en
+une silhouette sombre les rochers de l'Atalaye, déjà la plage avait
+perdu son mouvement et son brouhaha, quand le baron se décida à se
+lever.
+
+A peine s'était-il éloigné avec le capitaine que Mme Barincq rapprocha
+vivement sa chaise de celle de sa fille:
+
+--Tu sais que c'est un mari? dit-elle.
+
+--Qui? demanda Anie.
+
+--Qui veux-tu que ce soit, si ce n'est le baron d'Arjuzanx?
+
+--Te voilà bien avec ton idée fixe de mariage, dit Barincq.
+
+--Oh! maman, si tu voulais ne pas t'occuper de mariage, continua Anie;
+nous ne sommes plus à Montmartre, et nous n'avons plus à chercher un
+mari possible dans tout homme qui nous approche. Laisse-moi jouir en
+paix de cette liberté.
+
+--Je ne peux pourtant pas fermer mes yeux à l'évidence, et il est
+évident que tu as produit une vive impression sur M. d'Arjuzanx. C'est
+cette impression qui l'a poussé à se faire présenter, c'est elle qui ne
+lui a pas permis de te quitter des yeux pendant tout cet entretien;
+c'est elle enfin qui a amené les compliments fort bien tournés
+d'ailleurs qu'il t'a plusieurs fois adressés.
+
+--De là à penser au mariage, il y a loin.
+
+--Pas si loin que tu crois.
+
+Cessant de s'adresser à sa fille, elle se tourna vers son mari:
+
+--Quelle est la fortune de M. d'Arjuzanx?
+
+--Je n'en sais rien.
+
+--Quelle était celle du père?
+
+--Assez belle, mais embarrassée par une mauvaise administration.
+
+--Et sa situation?
+
+--Des plus honorables; les d'Arjuzanx appartiennent à la plus vieille
+noblesse de la vicomté de Tursan; un d'Arjuzanx a été l'ami d'Henri IV;
+plusieurs autres ont marqué à la cour et à la guerre.
+
+--Mais c'est admirable! Nous irons dimanche aux courses d'Habas où
+certainement nous le rencontrerons. Et, puisque le capitaine Sixte vient
+mardi à Ourteau, nous le ferons causer sur son camarade.
+
+
+III
+
+Bien que Mme Barincq, maintenant qu'elle était en possession de la
+fortune de son beau-frère, n'eût plus rien à craindre du capitaine, elle
+le regardait toujours comme un ennemi: trop longtemps elle l'avait
+appelé le bâtard et le voleur d'héritage pour pouvoir renoncer à ses
+griefs contre lui alors même qu'ils n'avaient plus de raison d'être;
+pour elle il restait toujours le voleur d'héritage que pendant tant
+d'années elle avait redouté et maudit.
+
+Mais le désir d'obtenir des renseignements sur le baron d'Arjuzanx le
+lui fit considérer à un point de vue différent, et amena chez elle un
+changement que les observations que son mari et sa fille ne lui
+épargnaient pas cependant en faveur du capitaine n'eussent jamais
+produit: puisqu'il devenait utile au lieu de rester dangereux, il était
+un autre homme.
+
+Aussi, quand il arriva le mardi, voulut-elle le recevoir elle-même; et
+elle mit tant de bonne grâce à l'inviter à dîner, elle insista si
+vivement, elle trouva tant de raisons pour rendre toute résistance
+impossible, qu'il dut finir par accepter et ne pas persister dans un
+refus que sa situation personnelle envers la famille Barincq rendait
+particulièrement délicat.
+
+Bien que de son côté il put lui aussi les considérer comme des voleurs
+d'héritage, il n'avait, en toute justice aucun reproche fondé à leur
+adresser, ni au mari, ni à la femme, ni à la fille: ni l'un ni l'autre
+n'avait rien fait pour lui enlever cette fortune qui, pendant longtemps,
+avait été sienne; il n'y avait point eu de luttes entre eux; la fatalité
+seule avait agi en vertu de mystérieuses combinaisons auxquelles
+personne n'avait aidé, et il ne pouvait pas, honnêtement, les rendre
+responsables d'être les instruments du hasard pas plus que d'être les
+complices de la mort. En réalité, le père était un brave homme pour qui
+on ne pouvait éprouver que de la sympathie, comme la fille était une
+très jolie et très gracieuse personne qu'il eût peut-être trouvée plus
+jolie et plus gracieuse encore, si sa condition d'officier sans le sou
+lui eût permis de s'abandonner à ses idées. Les choses étant ainsi,
+convenait-il de s'enfermer dans une attitude raide qu'on pourrait
+prendre pour de la rancune et de l'hostilité? Il le crut d'autant moins
+qu'il n'éprouvait à leur égard ni l'un ni l'autre de ces sentiments;
+désappointé qu'on n'eût pas retrouvé un testament qu'il connaissait,
+oui, il l'avait été, et même vivement, très vivement, car il n'était pas
+assez détaché des biens de ce monde pour supporter, impassible, une
+pareille déception; mais fâché contre ceux qui recueillaient, à sa
+place, cette fortune, par droit de naissance, il ne l'était point, et ne
+voulait pas, conséquemment, qu'on put supposer qu'il le fût.
+
+Lorsqu'avec le secours de Manuel il eut emballé les objets qui lui
+appartenaient, il trouva, au bas de l'escalier, Barincq qui l'attendait.
+
+--Vous plaît-il que, jusqu'au dîner, nous fassions une promenade dans
+les prés? le temps est doux; je vous montrerai mes travaux et mes bêtes.
+
+Pendant cette promenade qui se prolongea, car Barincq était trop heureux
+de parler de ce qui le passionnait pour abréger ses explications, le
+capitaine n'eut pas un seul instant la sensation qu'il pouvait y avoir
+quelque chose d'ironique à lui montrer sa propriété améliorée:
+assurément l'affabilité avec laquelle on le recevait était sincère,
+comme l'était la sympathie qu'on lui témoignait; cela il le voyait, il
+en était convaincu; aussi, quand il s'assit à table, se trouvait-il dans
+les meilleures dispositions pour répondre aux questions que Mme Barincq
+lui posa sur le baron et raconter ce qu'il savait de lui.
+
+C'était au collège de Pau qu'ils s'étaient connus, gamins l'un et
+l'autre puisqu'ils étaient du même âge. Et déjà l'entant montrait ce que
+serait l'homme: une seule passion, les exercices du corps, tous les
+exercices du corps. Dans ce genre d'éducation il avait accompli des
+prodiges dont le souvenir servirait longtemps d'exemples aux maîtres de
+gymnastique de l'avenir. Avec cela, bon garçon, franc, ouvert, généreux,
+n'ayant qu'un défaut, la rancune: de même que ses tours de force étaient
+légendaires, ses vengeances l'étaient aussi. Entre eux il n'y avait
+jamais eu que d'amicales relations, et si, pendant le temps de leur
+internat, ils n'avaient pas vécu dans une intimité étroite, au moins
+étaient-ils toujours restés bons camarades jusqu'au départ de d'Arjuzanx
+qui avait quitté le collège avant la fin de ses classes. Pendant plus de
+douze ans, ils ne s'étaient pas vus, et ne s'étaient retrouvés qu'à
+l'arrivée du capitaine à Bayonne.
+
+Ce que le baron promettait au collège, il l'avait tenu dans la vie, et
+aujourd'hui il réalisait certainement le type le plus parfait de l'homme
+de sport: tous les exercices du corps il les pratiquait avec une
+supériorité qui lui avait fait une célébrité: l'escrime et l'équitation
+aussi bien que la boxe; il faisait à pied des marches de douze à quinze
+lieues par jour pour son plaisir; et il regardait comme un jeu d'aller
+de Bayonne à Paris sur son vélocipède. Cependant c'était la lutte
+romaine, la lutte à mains plates, qui avait établi surtout sa
+réputation, et il avait pu se mesurer sans désavantage, au cirque
+Molier, avec Pietro, qui est reconnu parmi les professionnels comme le
+roi des lutteurs. C'était la pratique constante de ces exercices et
+l'entraînement régulier qu'ils exigent qui lui avaient donné cette
+musculature puissante qu'on ne rencontre pas d'ordinaire chez les gens
+du monde. Pour s'entretenir en forme, il avait dans son château un
+ancien lutteur, un vieux professionnel précisément, appelé Thouloureux,
+autrefois célèbre, avec qui il travaillait tous les jours, et, d'une
+séance de lutte ou d'escrime, il se reposait par deux ou trois heures de
+cheval ou de course à pied.
+
+Mme Barincq écoutait stupéfaite; sa surprise fut si vive, qu'elle
+interrompit:
+
+--Est-ce que la lutte à mains plates dont vous parlez est celle qui se
+pratique dans les foires?
+
+--C'est en effet cette lutte, ou plutôt c'était, car elle n'est plus
+maintenant, comme autrefois, réservée aux seuls professionnels, qui
+donnaient leurs représentations à Paris aux arènes de la rue Le
+Pelletier ou dans les fêtes de la banlieue, et, dans le Midi, un peu
+partout; des amateurs se sont pris de goût pour elle, quand les
+exercices physiques, pendant si longtemps dédaignés, ont été remis en
+faveur chez nous, et d'Arjuzanx est sans doute le plus remarquable de
+ces amateurs.
+
+--Voilà qui est bizarre pour un homme de son rang.
+
+--Pas plus que le trapèze ou le panneau du cirque pour certains noms des
+plus hauts de la jeune noblesse. En tout cas la lutte exige un ensemble
+de qualités qui ne sont pas à dédaigner: la force, la souplesse,
+l'agilité, l'adresse, la résistance, et une autre, intellectuelle
+celle-là, c'est-à-dire le sens de ce qui est à faire ou à ne pas faire.
+
+--Vous parlez de la lutte comme si vous étiez vous-même un des rivaux de
+M. d'Arjuzanx, dit Anie.
+
+--Simplement, mademoiselle, comme un homme qui, pratiquant par métier
+quelques exercices du corps, sait la justice qu'on doit rendre à ceux
+qui arrivent à une supériorité quelconque dans l'un de ces exercices.
+D'ailleurs, il est certain que la lutte est celui de tous qui développe
+le mieux la machine humaine pour lui faire obtenir d'harmonieuses
+proportions et lui donner son maximum de beauté: tandis que les autres
+détruisent plus ou moins l'équilibre des proportions, en favorisant un
+organe au détriment de celui-ci ou de celui-là: voyez le tireur à
+l'épaule haute, et le jockey, ou simplement le cavalier aux jambes
+arquées; et, d'autre part, voyez les athlètes de l'antiquité, qui ont
+servi de modèles à la statuaire et l'ont jusqu'à un certain point créée.
+
+--J'avoue qu'à l'Hercule Farnèse je préfère l'Apollon du Belvédère, et
+surtout le Narcisse, dit Anie.
+
+Tout cela étonnait Mme Barincq, et ne répondait pas à ses préoccupations
+de mère, elle voulut donc préciser ses questions.
+
+--Voilà un genre de vie qui doit coûter assez cher? dit-elle.
+
+--Je n'en sais rien, mais certainement il n'est pas ruineux comme une
+écurie de course, ou le jeu; en tout cas, je crois que la fortune de
+d'Arjuzanx peut lui permettre ces fantaisies, et alors même qu'elles lui
+coûteraient cher, même très cher, cela ne serait pas pour l'arrêter, car
+il n'a aucun souci des choses d'argent.
+
+Volontiers, Mme Barincq eût parlé du baron pendant tout le dîner, de son
+caractère, de ses relations, de sa fortune, de son passé, de son avenir;
+mais Anie détourna la conversation, et sur la maintenir sur des sujets
+qui ne permettaient pas de revenir à M. d'Arjuzanx, et de laisser
+supposer au capitaine qu'elle s'intéressait à cette sorte d'enquête sur
+le compte d'un homme avec qui elle s'était rencontrée une fois.
+
+L'obsession du mariage l'avait trop longtemps tourmentée pour qu'elle
+n'éprouvât pas un sentiment de délivrance à en être enfin débarrassée,
+c'avait été l'humiliation de ses années de jeunesse, de discuter avec sa
+mère la question de savoir si tel homme qu'elle avait vu ou devait voir
+pouvait faire un mari; si elle lui avait plu; s'il était acceptable; les
+avantages qu'il offrait ou n'offrait point. Maintenant que la fortune
+lui donnait la liberté, elle ne voulait plus de ces marchandages. Qu'un
+mari se présentât, elle verrait si elle l'acceptait. Mais aller au
+devant de lui, c'était ce qu'elle ne voulait pas.
+
+Et le soir même, après le départ du capitaine, elle s'expliqua là-dessus
+avec sa mère très franchement.
+
+--Est-ce que bien souvent je n'ai pas pris des renseignements sur un
+jeune homme sans que tu t'en fâches? dit celle-ci surprise.
+
+--Les temps sont changés. C'est précisément parce que cela s'est fait
+que je ne veux plus que cela se fasse. Est-ce que le meilleur de la
+fortune n'est pas précisément de nous dégager des compromis de la
+misère? riche d'argent laisse-moi l'être de dignité.
+
+Mais ces observations n'empêchèrent pas Mme Barincq de persister dans
+son envie d'aller le dimanche aux courses d'Habas.
+
+--Rencontrer M. d'Arjuzanx n'est pas le chercher, et nous n'avons pas de
+raisons pour le fuir.
+
+--Pourvu qu'on ne s'imagine pas que je suis une fille en peine de maris,
+c'est tout ce que je demande, et cela, je me charge de le faire
+comprendre sans qu'on puisse se tromper sur mes intentions.
+
+
+IV
+
+Habas, qui n'est qu'un village des Landes, a cependant des courses très
+suivies, et, le dimanche de juillet où elles ont lieu, c'est, sur les
+routes qui aboutissent à son clocher, une procession de voitures dans
+laquelle se trouvent représentés tous les genres de véhicules en usage
+dans la contrée; le long des haies vertes festonnées de ronces et de
+clématites, sous le couvert des châtaigniers, les piétons se suivent à
+la file, les pieds chaussés d'espadrilles neuves, le béret rabattu sur
+les yeux en visière, le ventre serré dans une belle ceinture rouge ou
+bleue; et, si quelques femmes sont fières d'être coiffées du chapeau de
+paille à la mode de Paris, d'autres portent toujours le foulard de soie
+aux couleurs éclatantes qui donne l'accent du pays.
+
+Quand le landau de la famille Barincq, après avoir traversé les rues
+pavoisées, s'arrêta devant l'auberge de la _Belle Hôtesse_, il se
+produisit un mouvement de curiosité dans la foule: car, si les
+charrettes et même les carrioles à ânes étaient nombreuses, un landau
+était un événement dans le village.
+
+Des éclats de cornet à piston et des ronflements d'ophicléide dominaient
+les rumeurs: c'était la fanfare qui, au loin, parcourait les rues en
+sonnant le rappel, et de partout on se dirigeait vers les arènes
+établies sur la place confisquée à leur profit. Construites en pin des
+landes dont les planches nouvellement débitées exsudaient sous les rayons
+d'un soleil de feu leurs dernières gouttes de résine en larmes blanches,
+elles répandaient dans l'air une forte odeur térébenthinée. Leur
+simplicité était tout à fait primitive: des gradins en bois brut, et
+c'était tout; les premières avaient le soleil dans le dos, les petites
+places dans les yeux; rien de plus, mais cette disposition était
+d'importance capitale dans un pays où ses rayons sont assez ardents pour
+faire accepter sans sourire la vieille image des flèches d'Apollon.
+
+--Certainement, nous allons être rôtis, dit Mme Barincq en s'installant
+au premier rang.
+
+Après dix minutes elle en était encore à chercher un moyen pour échapper
+à cette cuisson quand le baron d'Arjuzanx parut à l'entrée de la
+tribune; en le voyant se diriger de leur côté, elle ne pensa plus au
+soleil ni à la chaleur.
+
+--Voilà le baron, dit-elle à Anie.
+
+--Ne comptais-tu pas sur lui?
+
+Quand les premiers mots de politesse furent échangés, Anie, fidèle à son
+idée, tint à bien marquer qu'elle n'était pas venue pour le rencontrer.
+
+--Mon père nous a si souvent parlé des courses landaises, dit-elle, que
+nous avons voulu profiter de la première occasion qui s'offrait à courte
+distance pour en voir une.
+
+--Et vous êtes bien tombée, répondit-il, en choisissant Habas. La
+journée sera, je le crois, intéressante: les bêtes sont vives, et les
+écarteurs comptent parmi les meilleurs que nous ayons: Saint-Jean,
+Boniface, Omer, et aussi le Marin et Daverat, qui sont plutôt sauteurs
+qu'écarteurs, mais qui vous étonneront certainement par leur souplesse.
+
+--Il y a une différence entre un écarteur et un sauteur? demanda Mme
+Barincq.
+
+--L'écarteur attend de pied ferme la bête qui se précipite sur lui, et,
+au moment où elle va l'enlever au bout de ses cornes, il tourne sur
+lui-même et la vache passe sans le toucher: il l'a écartée, ou plus
+justement il s'est écarté d'elle. Le sauteur attend aussi la bête comme
+l'écarteur, mais, au lieu de se jeter de côté, il saute par-dessus. Vous
+allez voir Daverat exécuter ce saut les pieds liés avec un foulard, ou
+fourrés dans un béret qu'il ne perdra pas en sautant. Si intéressants
+que soient ces sauts qui montrent l'élasticité des muscles, pour nous
+autres Landais ils ne valent pas un bel écart: le saut est fantaisiste,
+l'écart est classique.
+
+--Pensez-vous que le capitaine Sixte assiste à ces courses? demanda Mme
+Barincq qui se souciait peu de ces distinctions qu'elle avait cependant
+provoquées.
+
+--Je ne crois pas; ou plutôt, pour être vrai, je n'en sais rien du tout.
+
+--Je regretterai son absence; nous avons eu le plaisir de le garder à
+dîner cette semaine, c'est un homme aimable.
+
+--Un brave et honnête garçon, très droit, très franc.
+
+--Je comprends que mon beau-frère se soit pris pour lui d'une vive
+affection, continua Mme Barincq curieuse d'obtenir des renseignements
+sur les relations qui avaient existé entre le capitaine et celui qu'on
+lui donnait pour père.
+
+Mais le baron, qui ne voulait pas se laisser attirer sur ce terrain, se
+contenta de répondre par un sourire vague.
+
+--Cependant, si vive que soit l'amitié, poursuivit Mme Barincq, elle ne
+peut pas aller jusqu'à supprimer les liens de famille.
+
+Le baron accentua son sourire.
+
+--Aussi puis-je difficilement admettre que le capitaine ait cru, comme
+on le dit, qu'il serait l'héritier de M. de Saint-Christeau.
+
+Comme le baron ne répondait pas, elle insista:
+
+--Pensez-vous que telle ait été son espérance?
+
+--Je n'ai aucune idée là-dessus. Sixte ne m'en a jamais parlé, et bien
+entendu je ne lui en ai pas parlé moi-même. Tout ce que je puis
+affirmer, c'est que Sixte n'est pas du tout un homme d'argent; et si,
+comme on le dit, il a pu avoir certaines espérances de ce côté, ce que
+j'ignore d'ailleurs, je suis convaincu que leur perte ne l'aura touché
+en rien: il est au-dessus de ces choses.
+
+--Il me semble, interrompit Anie pour détourner l'entretien, que s'il
+est tel que vous le représentez, il réunit en lui les qualités avec
+lesquelles on fait le type du parfait soldat.
+
+--Mon Dieu, oui, mademoiselle; seulement, si ce type était vrai hier, il
+n'est plus tout à fait aussi vrai aujourd'hui.
+
+--Je ne comprends pas bien.
+
+--C'est que, ne vivant pas dans le monde militaire, vous ne suivez pas
+les changements qui sont en train de s'y accomplir. Il y a quelques
+années, l'indifférence pour l'argent était à peu près la règle générale
+chez l'officier, comme le mariage était l'exception; et, à cette époque,
+le désintéressement entrait pour une bonne part dans le type de ce
+parfait soldat qui alors ne mettait pas ses satisfactions et ses
+ambitions dans la fortune. Mais le mariage,
+
+[Illustration.]
+
+maintenant si fréquent dans l'armée, a changé ces moeurs. En se voyant
+demandé par les familles riches, et même poursuivi, l'officier a accordé
+à l'argent une importance qui n'existait pas pour ses devanciers; et ils
+ne sont pas rares aujourd'hui ceux qui répondent, lorsqu'on leur parle
+d'une jolie fille:
+
+«Ça apporte?» La fortune, en s'introduisant dans les régiments, a créé
+des besoins, et, par conséquent, des exigences qu'on ne soupçonnait pas
+il y a vingt ans. Sixte, bien que jeune, n'appartient pas à ce nouveau
+type, qui tend de plus en plus à remplacer l'ancien, et qui, d'ici peu
+de temps, aura complètement changé l'esprit et les moeurs de l'armée; et
+bien que capitaine de cavalerie, bien que breveté, ce qui double sa
+valeur marchande, je suis sûr que, s'il se marie jamais, la fortune ne
+sera pour lui que l'accessoire.
+
+--Alors, c'est tout à fait un héros? dit Anie.
+
+--Tout à fait.
+
+--On peut donc admettre, continua Mme Barincq, revenant à son idée, que
+la perte de l'héritage de M. de Saint-Christeau ne lui a pas été trop
+douloureuse?
+
+--On peut le croire.
+
+Et, comme les écarteurs faisaient leur entrée dans l'arène, il profita
+de cette diversion pour n'en pas dire davantage: la fanfare jouait avec
+rage, des fusées éclataient, la foule poussait des clameurs de joie, ce
+n'était plus le moment des conversations à mi-voix, et il ne pouvait
+plus guère s'occuper que des écarteurs en les nommant à Anie à mesure
+qu'ils passaient avec des poses théâtrales, largement espacés, graves,
+cérémonieux, comme il convient à des personnages que porte la faveur de
+la foule. Comment celui-ci, élégant et gracieux dans sa veste de velours
+bleu, était cordonnier: et celui-là, de si noble tournure, tonnelier!
+
+Le défilé terminé, le spectacle commence aussitôt. C'est sous la tribune
+dans laquelle ils ont pris place que les bêtes sont parquées, chacune
+dans sa loge; une porte s'ouvre et une vache s'élance sur la piste d'un
+trot allongé, ardente, impatiente, battant de sa queue ses flancs creux;
+sans une seconde d'hésitation elle fond sur le premier écarteur qu'elle
+aperçoit: il l'attend; et, quand arrivant sur lui elle baisse la tête
+pour l'enlever au bout de ses cornes fines, il tourne sur lui-même et
+elle passe sans l'atteindre; l'élan qu'elle a pris est si impétueux que
+ses jarrets fléchissent, mais elle se redresse aussitôt et court sur un
+autre, puis sur un troisième, un quatrième, au milieu des
+applaudissements qui s'adressent autant aux hommes qu'à la vaillance de
+la bête.
+
+L'intérêt de ces courses, c'est que l'homme et la bête se trouvent en
+face: l'un de l'autre, sur le pied d'une égalité parfaite; point de
+_picador_ pour fatiguer le taureau: point de _chulos_ avec leurs
+_banderilleros_ pour l'exaspérer; point de _muleta_ pour l'étourdir et
+derrière sa soie rouge éblouissante préparer une surprise; l'homme n'a
+d'aide à attendre que de son sang-froid, son coup d'oeil, son courage et
+son agilité; la bête n'a pas de traîtrise à craindre: au plus fort des
+deux, c'est un duel.
+
+Il arriva une heure où l'entrain des écarteurs faiblit; la chaleur était
+lourde, des nuages d'orage montaient du côté de la mer sans voiler
+encore le soleil qui tombait implacable dans l'arène surchauffée; la
+fatigue commençait à peser sur les plus vaillants, qui, précisément
+parce qu'ils ne s'étaient pas ménagés, se disaient sans doute que
+c'était aux autres à donner, et ils s'attardaient volontiers à causer
+avec leurs amies des tribunes, en s'appuyant nonchalamment aux planches
+du pourtour, au lieu de se tenir au milieu de l'arène, prêts à provoquer
+les attaques. A ce moment une vache lâchée sur la piste ne trouva
+personne devant elle: c'était une petite bête maigre, nerveuse, au
+pelage roux truité de noir, au ventre ovale, n'ayant pas plus de mamelle
+qu'une génisse de six mois: sa tête fine était armée de longues cornes
+effilées comme une baïonnette. A sa vue il s'éleva une clameur qui
+disait sa réputation.
+
+--La Moulasse!
+
+Elle ne trompa pas les espérances que ses amis mettaient en elle: voyant
+les écarteurs espacés ça et la le long du pourtour, elle se rua sur le
+premier qu'elle crut pouvoir atteindre et en moins de quatre secondes
+elle eut fait le tour de l'arène, cassant les planches à grands coups de
+cornes, et forçant ainsi ses adversaires à escalader les tribunes au
+plus vite, à la grande joie du public qui poussait des huées moqueuses:
+cela fait, elle revint au milieu de la piste et mit a creuser la terre
+qui sous ses sabots nerveux volait autour d'elle.
+
+--Saint-Jean! Boniface! criait la foule, chacun provoquant celui des
+écarteurs qu'il préférait.
+
+Mais aucun ne parut pressé de descendre; Saint-Jean regardant Boniface
+qui regardait Orner.
+
+--A toi!
+
+--Non, à toi!
+
+En voyant cette débandade, Anie s'était mise à rire:
+
+--Je n'ai jamais autant que maintenant admiré l'agilité des Landais,
+dit-elle.
+
+C'était à son père qu'elle adressait ces quelques mots, le baron les
+arrêta au passage:
+
+--Permettez-moi de me réclamer de ma nationalité, dit-il en saluant.
+
+Avant qu'elle eut compris ces paroles bizarres, il appuya les deux mains
+sur le rebord de la tribune, et d'un bond il sauta dans l'arène.
+
+Il y eut un mouvement de surprise, mais presqu'aussitôt un cri immense
+s'éleva: on l' avait reconnu, et on l'acclamait.
+
+--Le _baronne!_
+
+Ce n'était plus un acteur ordinaire qui allait provoquer la Moulasse,
+c'était le baron, que tout le monde connaissait, et l'espoir de voir
+cette lutte allumait un délire de joie.
+
+--Le baronne! le baronne!
+
+Hommes, femmes, enfants, tout le monde s'était levé, gesticulait,
+curieux, enthousiasmé; les regards faisaient balle sur lui, l'on restait
+les yeux écarquillés, la bouche ouverte, dans l'attente de ce qui allait
+se passer.
+
+Vivement il était venu se placer en face de la Moulasse, mais sans
+cependant se rapprocher trop d'elle, de façon à la voir venir; le veston
+boutonné et serré à la taille, son chapeau jeté au loin, il leva les
+deux bras droit au-dessus de sa tête et d'un claquement de langue
+provoqua la vache.
+
+Instantanément elle fondit sur lui: l'attention était frénétique; on ne
+respirait plus; dans le silence on n'entendait que le trot rapide de la
+vache sur le sable; elle arrivait. Le baron n'avait pas bougé et la
+tenait dans ses yeux. Elle baissa la tête. Il tourna sur ses talons, et
+elle passa en l'effleurant. Mais c'était une bête expérimentée; au lieu
+de s'abandonner à son élan, elle se jeta brusquement de côté et revint
+sur le baron qui l'écarta une seconde fois, puis une troisième, toujours
+avec la même justesse, la même sûreté.
+
+La fatigue et la nonchalance des écarteurs s'étaient miraculeusement
+envolées quand ils avaient vu le baron tomber dans l'arène, et tous en
+même temps ils s'y étaient abattus: provoquée de divers côtés, la
+Moulasse se jeta sur eux, et le baron put remonter à sa tribune pour
+reprendre sa place à côté d'Anie, tandis que la foule l'acclamait avec
+des trépignements qui menaçaient de faire écrouler le cirque sous les
+battements de pieds.
+
+--Quelle émotion vous nous avez donnée! dit Mme Barincq en le
+complimentant.
+
+--Je regrette de n'avoir pas eu le temps de vous affirmer que je ne
+courais aucun danger, dit-il simplement, avec une entière sincérité.
+
+Une clameur lui coupa la parole, la Moulasse venait de surprendre un
+écarteur et elle le secouait au bout de ses cornes engagées dans la
+ceinture qui le serrait à la taille; on se jeta sur elle, et il retomba
+sur ses pieds pour se sauver en boitant.
+
+--Vous voyez, dit Mme Barincq, le premier moment d'émoi calmé.
+
+--C'est un maladroit.
+
+--Crois-tu maintenant que M. d'Arjuzanx tienne à te plaire? dit Mme
+Barincq à sa fille, lorsqu'après la course ils se retrouvèrent tous les
+trois installés dans leur landau.
+
+--En quoi?
+
+--En sautant dans l'arène pour te montrer son courage.
+
+--Cela ne m'a pas plu du tout.
+
+--Tu as eu peur?
+
+--Pas assez pour ne pas trouver qu'il était peu digne d'un homme de son
+rang de se donner ainsi en spectacle.
+
+_A suivre._
+
+Hector Malot.
+
+[Illustration.]
+
+
+
+[Illustration couleur: PEINT PAR PINCHART.
+AU PIGEONNIER.]
+
+[Illustration couleur: PEINT PAR BOURGAIN.
+LES PREMIERS GALONS.]
+
+[Illustration: PEINT PAR ACHILLE FOULD.
+MORTE-SAISON.]
+
+[Illustration: PEINT PAR BOURGAIN.
+PORTRAIT A CINQUANTE CENTIMES.]
+
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 2510, 4 Avril 1891, by Various
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44634 ***
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+ <title>The Project Gutenberg eBook of L'illustration, No. 2510, 4 AVRIL 1891, by Various</title>
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+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44634 ***</div>
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+<br><br>
+
+<div class="cont">
+
+
+
+ <p>L'ILLUSTRATION
+Prix de ce Numéro: 1 fr. 25.</p>
+
+ <p>SAMEDI 4 AVRIL 1891
+49e Année.--N° 2510</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"><br><b>LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE MOMIES DANS LA
+HAUTE-ÉGYPTE.--<br>Extraction des sarcophages du puits de Deïr-el-Bahari,
+près de Louqsor.<br>Dessin d'après nature de M. Émile Bayard.</b></p>
+<br><br>
+
+ <p class="mid"><img alt="" src="images/002.png"></p>
+
+<p><img alt="" src="images/002_L.png" ALIGN="left">E parlais l'autre jour d'une danseuse au nom bizarre qui donne aux
+femmes du monde et aux futures étoiles du Moulin-Rouge des leçons de
+danse excentrique. Depuis que la Goulue a fait école et enseigné à Mlle
+Réjane l'art de lever très haut la jambe, il s'est établi, non pas
+encore en France, mais en Amérique, une mode nouvelle. Un jeu mondain a
+pris naissance dans les salons yankees et, si les correspondants de
+journaux ne sont pas des mystificateurs, comme on disait autrefois, ou
+des fumistes, comme on dit aujourd'hui (ils pourraient bien être des
+mystificateurs!), voici on quoi ce jeu consiste:</p>
+
+ <p>Au milieu d'un salon, un tambour de basque est suspendu par un fil au
+plafond et à une certaine hauteur. Tels les arbres de la Saint-Valentin
+sous lesquels, en Angleterre, on embrasse sa danseuse. Ce tambour de
+basque est un but, une cible pour le bout des pieds des jeunes
+Américaines. C'est à qui, en levant le pied le plus haut, atteindra le
+mieux le tambour et le fera plus joliment résonner. Il s'agit d'attraper
+la peau d'âne et de frapper sur cette sorte de gong. On voit d'ici le
+tableau: d'aimables misses levant la jambe, à la façon de la Goulue,
+pour attraper le bienheureux tambour.</p>
+
+ <p>Ce jeu, d'invention récente, porte en Amérique un nom composé des plus
+difficiles à prononcer. On pourrait, ce qui serait plus simple,
+l'appeler le <i>shocking-drum</i>, le <i>tambour-shocking</i>! Mais, là-bas, ce
+divertissement ne choque personne, et je ne désespère pas de le voir
+s'acclimater chez nous l'hiver prochain. Gloire à Mlle Réjane! Elle y
+sera bien pour quelque chose.</p>
+
+ <p>Dieu merci, nous n'en sommes pas là, et avant l'hiver la mode aura
+peut-être changé. Le vent tourne et le mot <i>shocking-drum</i> aura rejoint,
+je pense, les vieilles lunes. Il est fini, le présent hiver! avril,
+<i>l'honneur des mois et des bois</i> nous apporte ses premières feuilles. Un
+reporter de beaucoup d'ingéniosité a cherché, l'autre jour, un sujet
+d'actualité qui prêtât à une consultation et à des entrevues, et il a
+posé à un certain nombre de poètes cette question alléchante:</p>
+
+ <p>--Que pensez-vous du printemps?</p>
+
+ <p>Nos poètes consultés sur la question de savoir s'ils aiment ou s'ils
+n'aiment pas le printemps, on s'imagine que, du premier coup, ils vont
+en ch&oelig;ur s'écrier:</p>
+
+ <p>--Le printemps! mais c'est la saison bénie, l'heure des amours, la
+saison des nids!</p>
+
+ <p>Les vieux poètes d'autrefois eussent peut-être répondu cela, les naïfs.
+Banville, s'il eût vécu, eût crié: Vivent les roses! Or, je remarque
+avec une certaine tristesse que la plupart des poètes interviewés n'ont
+parlé du printemps que pour le railler.</p>
+
+ <p>--C'est la saison des rhumes de cerveau!</p>
+
+ <p>--C'est le triomphe du coryza!</p>
+
+ <p>Devant les poètes contemporains, plus ou moins mordus de pessimisme, le
+pauvre printemps n'a pas de chance. Il n'a plus pour l'aimer et pour le
+chanter que les bons bourgeois fidèles au culte des dates, et qui se
+disent, parfois en grelottant:</p>
+
+ <p>--Le fond de l'air est froid. Mais nous sommes en avril. Que c'est bon
+tout de même, le printemps!</p>
+
+ <p>Il a parfois des engelures, le printemps, mais c'est le printemps, que
+voulez-vous? Et on lui sourit tout de même. Voilà donc qu'il est, pour
+parler comme tout le monde, lâché par les poètes. Je conseillerais au
+reporter intelligent dont j'ai parlé de demander à ces mêmes poètes une
+consultation nouvelle, sur un sujet aussi vieux et aussi jeune que le
+printemps: l'amour!</p>
+
+ <p>--Que pensez-vous de l'amour?</p>
+
+ <p>Voyez-vous le point d'interrogation? Eh bien, je gage que les poètes,
+après avoir lâché le printemps, lâchent aussi l'amour. On ne croit plus
+beaucoup à l'amour, maintenant qu'on ne croit plus au printemps. L'amour
+recevra une fameuse dégelée le jour où l'on ouvrira un plébiscite sur
+son compte comme le journal la France en ouvre un sur cette question:</p>
+
+ <p>--Faut-il ou ne faut-il pas évacuer le Tonkin?</p>
+
+ <p>Oh! le beau système! Imaginez-vous les problèmes les plus graves soumis
+ainsi à la solution de braves lecteurs de journaux qui brassent de la
+politique au fond de leur café? Être ou n'être pas pour l'évacuation du
+Tonkin, comme cela, sans renseignements, sans étude, sur une simple
+impression, et livrer les questions les plus graves des politiciens à la
+Gavarni!</p>
+
+ <p>--Vois-tu, Sabournin, tant que M. de Metternich ne fera pas ce que je
+ferais si j'étais à sa place, l'Europe ne battra que d'une aile! Voilà
+mon opinion!</p>
+
+ <p>--T'es-t-un melon! Voilà mon <i>opinion</i> sur ton <i>opignon!</i></p>
+
+ <p>C'est Gavarni qui raillait, voilà trente ou quarante ans, les
+politiquailleries. Ses <i>légendes</i> sont toujours de mise. Passe encore,
+en fait de plébiscite, pour celui du <i>Petit Journal.</i></p>
+
+ <p>Le <i>Petit Journal</i> a eu l'idée de demander à ses lecteurs, aux parents
+de collégiens, et peut-être aux collégiens eux-mêmes, s'il ne
+conviendrait pas de rapprocher les vacances scolaires et de mettre les
+lycéens en liberté dès juillet, avant même la fête nationale.</p>
+
+ <p>En juillet, on étouffe dans les classes souvent trop étroites. Les
+enfants sont enfermés par les jours caniculaires et c'est quand le
+thermomètre monte, monte, qu'on les condamne aux compositions de fin
+d'année. Ces jeunes cerveaux se mettent alors à bouillir comme du lait
+sur des charbons ardents.</p>
+
+ <p>--Êtes-vous d'avis de fixer les vacances au 10 juillet?</p>
+
+ <p>Tel est le terme du plébiscite du <i>Petit Journal</i>. La majorité des
+votants--on votait par oui ou par non--a été d'avis qu'il fallait
+avancer la date des vacances. Je dois dire que les professeurs n'ont pas
+du tout manifesté la même opinion. Ils n'ont point voté, mais ils ont
+causé.</p>
+
+ <p>Si l'on partait plus vite, on rentrerait plus tôt! On rentrerait à
+l'heure où s'ouvre la chasse! Or, ils sont assez ruraux, les
+professeurs, et ils aiment à tirailler le perdreau dans quelque coin de
+leur province. Comment! il leur faudrait expliquer Virgile au lieu de
+<i>rouler</i> un lièvre, ouvrir Xénophon au lieu de leur carnier! Non, non,
+elles resteront fixées au mois d'août, les vacances scolaires, en dépit
+des <i>oui, oui, oui, oui</i>, innombrables du <i>Petit Journal</i>, et les
+collégiens continueront à avoir la tête grosse comme un muid en
+composant en histoire ou en thème par les jours chauds de juillet.</p>
+
+ <p>On a--pour changer--beaucoup parlé de M. de Talleyrand et de ses
+<i>Mémoires</i>. Les uns prétendent que M. de Bacourt, qui les eut un moment
+sous la main, se serait livré à un petit <i>tripatouillage</i> sur le
+manuscrit du prince de Bénévent; les autres soutiennent que, tout au
+contraire, c'est le texte exact de l'ancien évêque d'Autun que le public
+a sous les yeux. Et, là-dessus, M. le duc de Broglie offre de déposer
+pendant quinze jours chez Calmann-Lévy les manuscrits qui ont servi pour
+l'impression. Les saints Thomas de la critique verront, toucheront et
+seront peut-être ensuite convaincus.</p>
+
+ <p>Mais convaincus de quoi? Il faut bien avouer que ces <i>Mémoires</i>, qui ne
+sont pas une spéculation puisque M. le duc de Broglie en donne le
+produit aux pauvres, sont une désillusion. Avec un personnage tel que M.
+de Talleyrand, le public s'attendait à des personnalités, à des
+méchancetés, tranchons le mot, à des <i>éreintements</i>. Voyez ce que c'est
+que d'avoir une réputation! «Avec Talleyrand, on s'amusera, disait-on.
+Il en dira long, il en avait tant à dire!»</p>
+
+ <p>Eh bien! non, il ne dit rien. Il fait de l'histoire. Ses Mémoires sont
+un document officiel, presque diplomatique. Hélas! on tombe de haut.</p>
+
+ <p>--On nous a changé notre Talleyrand, se dit le public, qui n'admet pas
+que ce diable de Talleyrand se soit maquillé lui-même, ce qui me paraît
+pourtant vraisemblable.</p>
+
+ <p>Ce diable! Je viens d'écrire là un mot qui me rappelle une jolie
+anecdote:</p>
+
+ <p>Lord Halland voulait avoir un portrait de Talleyrand. Il admirait
+l'homme, il désirait en conserver les traits. Il s'adresse à Ary
+Scheffer:</p>
+
+ <p>--Mon cher Scheffer, je veux vous demander et vous commander un
+portrait!</p>
+
+ <p>--Un portrait de vous, mylord? C'est une bonne fortune pour un peintre.</p>
+
+ <p>--Non, pas un portrait de moi, le portrait d'un homme historique.</p>
+
+ <p>--Et qui cela, mylord?</p>
+
+ <p>--M. de Talleyrand.</p>
+
+ <p>Ary Scheffer fit la grimace. Lui n'admirait pas M. de Talleyrand, mais
+il voulait être agréable à lord Halland. Il s'attela au portrait. Il
+peignit un Talleyrand assis, pâle, pensif, presque exsangue.</p>
+
+ <p>Un chef-d'&oelig;uvre, du reste. Mais, au moment de peindre les mains, il
+s'arrêta. Ou plutôt il ne peignit pas les mains, il les allongea, il les
+effila, il les tordit, et il en fit... des griffes.</p>
+
+ <p>--Oui, disait-il en parlant de son tableau, des griffes, de véritables
+griffes. Pour moi, Talleyrand, c'est le diable!</p>
+
+ <p>Ce diable-là est sorti de sa boîte à l'état de bon diable posthume, de
+diable bon enfant, sans ongles et sans rancune. Et c'est pourquoi la
+foule ne reconnaît pas, ne veut pas reconnaître ce Talleyrand
+d'outre-tombe--un Talleyrand qui s'est fait ermite.</p>
+
+ <p>A propos de <i>tripatouillage</i>, que dites-vous de ce chimiste qui
+fabriquait, pour un journal qui les donnait en prime, de faux billets de
+banque, mais non point dans l'intention de les faire passer pour de
+vrais billets, simplement, au contraire, afin de prouver à la Banque
+qu'on pouvait parfaitement contrefaire ses banknotes? Certains détails
+étaient volontairement inexacts dans ces faux billets, et cela de telle
+sorte qu'on ne pût accuser l'auteur d'avoir voulu fabriquer de la fausse
+monnaie. Une pure plaisanterie!</p>
+
+ <p>Mais dame Justice n'a pas entendu de cette oreille-là. Elle n'admet pas
+les mystificateurs et elle coffrerait Scapin, malgré tout son esprit,
+comme le dernier des <i>escarpes</i>. Elle a cherché querelle au chimiste et
+elle l'a condamné à une amende assez forte.</p>
+
+ <p>Les envois au Salon, où l'on tripote et tripapote la couleur, sont
+terminés, au moins pour le Salon des Champs-Elysées, qui continuera à
+être, quoi qu'on fasse, le Salon officiel. Tous les peintres ont invité
+leurs amis et connaissances à visiter leurs ateliers, absolument comme
+les auteurs, sous prétexte de répétitions générales closes, convient
+tout Paris à écouter leur pièce la veille de la représentation. On
+connaît donc à peu près d'avance le Salon de 1891, qui ne s'écartera
+guère du Salon de 1890, lequel ressemblait fort au Salon de 1889.</p>
+
+ <p>En entrant on doit se dire comme on se l'est déjà dit:</p>
+
+ <p>--Mais où donc ai-je déjà vu ça!</p>
+
+ <p>Il paraît que M. Jean-Paul Laurens a fait un effort très original. Il
+nous présente Bailly, maire de Paris, recevant Louis XVI à la porte de
+l'Hôtel-de-Ville. Un vrai tableau d'histoire, une véritable
+reconstruction historique. Pourvu qu'on n'aille pas le décrocher comme
+l'<i>Appel des Condamnés</i> de Millier! Non, et M. Jean-Paul Laurens a songé
+à l'Institut en peignant cette grande toile. Il avait, lui, invité ses
+juges et électeurs à venir regarder son Bailly avant le vote de
+l'Académie. M. Jules Lefebvre aurait pu en faire autant s'il l'avait
+voulu. Car le duel académique entre ces deux maîtres sera terminé
+lorsque paraîtront ces lignes, et il y aura, pour remplacer Meissonier,
+un membre de l'Institut de plus.</p>
+
+ <p>Lui, Meissonier, pour qui eût-il voté? Pour Detaille, certainement. Il
+n'a plus droit au vote, il a droit à la statue. La statue, c'est la
+galvanoplastie appliquée aux grands hommes.</p>
+
+ <p class="rig"><span class="sc">Rastignac.</span></p>
+ <br><br>
+
+ <h3>LE BON CHEVAL<br>
+
+DU SIRE DES MOCQUEREAUX</h3>
+
+ <p>L'automne est pour moi la saison idéale, et je ne sais rien de plus beau
+que les coteaux et les falaises dorés et diaprés par le soleil
+d'octobre. Mais encore faut-il qu'il brille, ce soleil, car, en
+revanche, rien n'est plus triste qu'un ciel gris et plombé, si ce n'est
+la pluie fine qui tombe désespérément, sans trêve et sans repos.</p>
+
+ <p>Or, nous en étions précisément là, au mois d'octobre... peu importe de
+quelle année. Depuis trois jours, la pluie tombait avec une implacable
+régularité, et les hôtes nombreux qu'accueillait, en son petit château
+des Mocquereaux, non loin d'Angers, notre ami le docteur Bragon, avaient
+dû, mettant au râtelier les fusils inutiles, remplacer les courses à
+travers champs par des parties de whist ou de piquet aussi interminables
+que peu variées. On commençait, au grand désespoir de notre aimable
+amphitryon, à s'ennuyer ferme, et plus d'un parmi nous devenait quelque
+peu grincheux.</p>
+
+ <p>Un seul des hôtes du petit castel avait gardé sa belle humeur: c'était
+un professeur en rupture de faculté, un érudit, une manière de
+bénédictin, toujours fourré dans la poussière des manuscrits, et que la
+chasse seule avait le privilège de ramener, quelques semaines par an, au
+niveau de l'humble humanité. Il avait eu, celui-là, une vraie chance: il
+avait découvert, en un coin du grenier, une petite pièce écartée, une
+sorte de réduit, où s'entassaient, en un pittoresque désordre, d'énormes
+liasses de paperasses quelque peu rongées déjà par d'indiscrètes souris.
+C'est là que, tandis que ses compagnons se lamentaient à qui mieux mieux
+sur la pluie et le vent, il passait ses journées à déchiffrer des
+papiers jaunis par le temps.</p>
+
+ <p>L'après-midi du troisième jour, comme la conversation dans la grande
+salle languissait de plus en plus, comme les parties de cartes
+s'éternisaient sans enthousiasme, comme chacun, entre une pipe et un
+verre de bière, regardait tristement, par les hautes fenêtres, tomber
+sans cesse l'horrible pluie, nous vîmes tout d'un coup, de la porte
+brusquement ouverte, émerger la physionomie radieuse de notre savant. Il
+brandissait un volumineux manuscrit, et, tandis que chacun reculait
+d'effroi, redoutant la lecture d'une tragédie en cinq actes ou d'un
+poème de M. Mallarmé, il s'alla fièrement camper devant le maître de la
+maison, et d'une voix sonore:</p>
+
+ <p>--Malheureux! s'écria-t-il! Tu avais sous ton toit, à deux pas de toi,
+un inestimable trésor, et tu ne disais rien! Que dis-je? tu ignorais
+même son existence, car tu ne soupçonnais pas, sans doute, que ce
+château acquis par toi n'était rien moins que l'antique demeure du sire
+Jehan des Mocquereaux!</p>
+
+ <p>--Jehan des Mocquereaux? Connais pas!</p>
+
+ <p>--Il ne connaît pas! Roturier indigne! Mais apprends donc, misérable,
+que, dans ton grenier, sous la poussière, dormait le récit véridique des
+exploits et faits de guerre du châtelain qui, dans ce beau pays d'Anjou,
+fut l'un des ennemis les plus acharnés et les plus heureux des Anglais
+envahisseurs.</p>
+
+ <p>--Alors, ce manuscrit?</p>
+
+ <p>--Ce manuscrit, c'est le récit de la vie et des combats de Jehan des
+Mocquereaux, récit écrit au seizième siècle, par le chapelain de l'un de
+ses descendants, et que je viens d'avoir le bonheur, pour l'édification
+des races futures, de découvrir et de déchiffrer.</p>
+
+ <p>--Et... c'est gai? fit un sceptique.</p>
+
+ <p>--Gai? Est-ce qu'un manuscrit de chapelain peut être gai? Non: c'est
+tout simplement superbe. On y sent l'odeur de la poudre, on y entend le
+fracas des batailles, le cliquetis des épées. Pourtant...</p>
+
+ <p>--Messieurs, cria le substitut, je vous dénonce notre savant ami. Il a
+découvert, entre les lignes de son manuscrit, un épisode galant ou
+drolatique, et il meurt d'envie de nous le lire.</p>
+
+ <p>--Et pourquoi pas? hasardèrent quelques voix. Il pleut, il vente, il
+fait un temps à ne pas mettre un chasseur à la porte. Allons! la
+lecture!</p>
+
+ <p>--Une lecture! Comme vous y allez! reprit le professeur. Mais vous ne
+comprendriez pas un traître mot à la langue que parle mon chapelain.
+Seulement, s'il vous plaît de connaître quelque chose de la vie du sire
+des Mocquereaux, je puis, pendant que la pluie tombe, vous en donner un
+épisode, non pas grivois, mais peut-être amusant.</p>
+
+ <p>Chacun s'installa de son mieux: les pipes et les cigares furent
+rallumés, les verres remplis, et notre camarade commença:</p>
+
+ <p>--Comme je vous le disais tout à l'heure, les Anglais occupaient la
+province d'Anjou, et je vous laisse à penser tous les malheurs, toutes
+les vexations, toutes les brutalités de toute sorte, auxquels étaient en
+butte les malheureux Angevins. Vous savez, par la haine héréditaire dont
+on trouve encore les traces dans ces campagnes, quels déplorables
+souvenirs ont laissés dans ce pays les fils de la perfide Albion. Or,
+nulle part les paysans ne furent aussi maltraités que dans cette partie
+de la province où nous sommes réunis. Et cela s'expliquait. Nul ne
+pouvait leur venir en aide, le seigneur s'en étant allé guerroyer au
+loin; ils étaient livrés sans défense à tous les caprices des
+vainqueurs, représentés par un bailli sans honneur et sans humanité.
+Tous étaient donc dans la désolation: les hommes fuyaient à travers les
+bois qui couvraient le pays, pour tâcher de rejoindre quelque parti
+français; les vieillards, les femmes, les enfants, supportaient en
+silence le joug anglais, et ce joug était lourd. Mais il fallait prendre
+son mal en patience, nul secours ne venant, nul ne pouvant chasser
+l'envahisseur.</p>
+
+ <p>Une jeune fille cependant eut la pensée de secourir les siens. Puisque,
+dit-elle, notre seigneur est au loin, auprès du roi notre sire, et ne
+revient point, ne sachant en quel état nous sommes, il lui faut
+découvrir le mal et le supplier d'y porter remède.</p>
+
+ <p>Certes, c'était fort bien raisonné. Mais comment arriver jusqu'au sire
+des Mocquereaux, lequel se trouvait alors à la cour du bon roi Charles,
+c'est-à-dire loin, bien loin, plus loin que Bourges et Nevers? Geneviève
+Gouzet ne se laissa pas décourager par les difficultés de l'entreprise.
+Elle se mit en route, seule, à pied, marchant toute la nuit, couchant,
+le jour, dans quelque trou de ces haies profondes qui couvrent le pays,
+et se cachant de son mieux pour éviter les Anglais, car elle savait bien
+que ceux-ci n'étaient point tendres plus aux prisonnières qu'aux
+prisonniers, et craignait la hart si elle était prise. Je ne vous dirai
+pas tous les dangers qu'elle courut pendant ce long voyage à travers la
+France, ni quelles fatigues furent les siennes. Mais elle avait tant
+prié Notre-Dame-du-Chêne, elle avait si grande foi dans sa protection
+souveraine, que, après bien des jours et des nuits de marches et de
+périls, elle parvint au lieu où se trouvait la cour.</p>
+
+ <p>Dès le lendemain, elle s'alla placer sur le passage des seigneurs qui se
+rendaient chez le roi, et, dès qu'elle vit paraître le sire des
+Mocquereaux, elle se jeta à ses genoux, tendant vers lui ses mains, et
+criant merci. Surpris de voir en telle posture cette femme qu'il ne
+reconnaissait point de prime abord, Jehan la releva néanmoins, et lui
+demanda ce qu'elle voulait de lui.</p>
+
+ <p>«C'est, dit-elle, messire, que vos vassaux souffrent, et crient au ciel
+pour que leur seigneur daigne avoir d'eux souvenance, et les vienne
+contre l'Anglais secourir.»</p>
+
+ <p>Jehan des Mocquereaux reconnut alors Geneviève Gouzet, et, l'ayant
+emmenée en sa demeure, apprit d'elle tous les deuils et les souffrances
+dont son pays était affligé. Comme il était aussi bon que brave, il fut
+ému au tableau qu'elle lui fit de tant de douleurs, et se décida
+incontinent à porter secours à ceux qui avaient mis en lui leur espoir.
+Ayant donc obtenu du roi son congé, il se mit en route sans tarder, et
+peu après arriva, suivi de quelques gens d'armes, dans la contrée où
+était le château de ses pères. Il trouva les choses pires encore que
+Geneviève ne les lui avait dites. Mais, reconnaissant qu'il était, avec
+le peu de gens dont il disposait, hors d'état de repousser les Anglais
+par la force, il se résolut, étant aussi avisé dans le conseil que brave
+dans les combats, à faire par la ruse ce que la violence n'eût pu faire.</p>
+
+ <p>Il fit tout d'abord, par un souterrain qui s'ouvrait au loin dans la
+campagne, entrer ses hommes d'armes, et les cacha dans une cave profonde
+du castel, où, chaque jour, Geneviève leur portait à manger. Puis, il
+fit répandre le bruit qu'il allait bientôt revenir en ses domaines, mais
+qu'il n'y venait point pour combattre les Anglais, mais bien pour faire
+avec eux paix durable. Ensuite, à quelques jours de là, il se rendit à
+Durtal, où siégeait le bailli dont je vous ai parlé, et, lui ayant
+demandé audience, lui exposa son désir de vivre tranquille en ses
+terres, et de lier avec les Anglais alliance et amitié. Le bailli,
+voyant ce seigneur, si aimé dans tout le pays, venir à lui comme ami et
+non comme adversaire, le reçut à merveille, le retint quelques jours
+auprès de lui, et, en le voyant partir, lui promit d'aller sous peu lui
+rendre visite.</p>
+
+ <p>Cependant, les vassaux du sire des Mocquereaux ne voyaient pas de bon
+&oelig;il ces démarches de leur seigneur, et murmuraient, disant qu'il aurait
+mieux fait de rester en la cour de Charles, que de venir en son pays
+pour s'allier à ceux qui les pressuraient et torturaient à merci. Mais
+Geneviève les calmait, leur prêchant patience, et leur promettant que
+sous peu ils seraient contents de leur sire.</p>
+
+ <p>Quelque temps se passa. Puis le bailli se souvint de la promesse qu'il
+avait faite à Jehan, et lui fit savoir que, le dimanche suivant, il
+viendrait avec grande escorte pour lui faire honneur, et que l'on
+scellerait à table l'alliance mutuellement jurée.</p>
+
+ <p>Au jour dit, on vit en effet arriver une troupe nombreuse de gens à
+cheval, archers, gens d'armes et pages, accompagnant le bailli, lequel
+était, pour faire honneur à son hôte, monté sur une belle haquenée de
+robe toute blanche. Le sire des Mocquereaux le reçut à la herse, lui fit
+bon et grand accueil, et le mena sans tarder en la salle du festin. Je
+ne vous dirai pas ce que fut ce repas: contentez vous de savoir qu'on y
+mangea fort et ferme, et que le vin d'Anjou, ce joli vin si doux et si
+capiteux, y coula à flots. Le bailli, qui était un gros homme à face
+rubiconde, ne chôma point ce jour-là, et fêta de belle manière la jaune
+liqueur des coteaux angevins.</p>
+
+ <p>Le festin terminé, sire Jehan le mena par toutes les salles et
+dépendances du château, protestant de son plaisir d'avoir chez lui pour
+hôte si puissant personnage, donnant aux Anglais force éloges, achevant,
+en un mot, par ses flatteries, l'&oelig;uvre commencée par le vin d'Anjou,
+tant et si bien que le bailli, tout ému, tant des fumées du piot que des
+belles paroles du sire, jura que jamais il n'avait eu ni n'aurait
+meilleur et plus fidèle ami.</p>
+
+ <p>Or, comme on était arrivé aux écuries, il offrit au seigneur des
+Mocquereaux de faire, en signe et gage d'alliance, échange de leurs
+montures; ce à quoi, sans peine, consentit sire Jehan. Le bailli, étant
+alors entré dans les écuries, avisa un cheval superbe, couleur d'alezan
+brûlé, dont le bon roi Charles avait fait présent à son féal serviteur:
+il proposa de troquer ce cheval contre sa blanche haquenée; à quoi, bien
+que le cheval fût de beaucoup plus beau que la haquenée, consentit
+encore sire Jehan. Et sur ce, l'on retourna vers la salle du festin,
+afin de vider encore quelques coupes en l'honneur du traité conclu.</p>
+
+ <p>Cependant, la journée s'avançait, et le bailli voulut repartir pour
+Durtal. Le seigneur des Mocquereaux ordonna donc que l'on harnachât et
+sellât son beau cheval, et vint lui-même tenir l'étrier à son nouvel
+ami, lequel, non sans peine, se mit en selle. Déjà les gens d'armes et
+les archers, défilant devant le seigneur, avaient passé le pont-levis,
+lorsqu'à leur suite le bailli, entouré de ses pages, voulut partir à son
+tour. Mais le bon cheval, de son naturel, n'aimait point les Anglais,
+surtout les Anglais grands et lourds. Aussi ne voulut-il point avancer:
+cris, coups de houssine et piqûres d'éperon, rien ne le put décider à
+remuer pied ni patte. Vainement deux pages le tiraient par la bride,
+deux autres le poussant; le cheval ne bougea, jusqu'à ce qu'enfin,
+irrité, il se débarrassa, d'une ruade, des deux malencontreux pages
+qu'il avait par derrière, puis, inclinant brusquement la tête et pliant
+les genoux, déposa mollement M. le bailli sur les dalles de la cour
+d'honneur. En même temps, sire Jehan criait: «A moi, mes hommes d'armes!
+Baissez la herse! Haussez le pont-levis!» et saisissait l'Anglais à la
+gorge. En peu d'instants, le château fut en état de défense, et le
+bailli prisonnier. Le lendemain, on le pendit aux créneaux, en punition
+de ses crimes. Ceux de ses pages que n'avait point navrés le cheval
+furent renvoyés, et s'en allèrent partout, répétant qu'un destrier sorti
+de l'enfer avait fait pendre leur maître, et que le diable protégeait le
+seigneur des Mocquereaux. «Si que, dit le chroniqueur, oncques depuis
+n'osèrent Anglais s'approcher du castel ni des pays à l'entour, car
+toujours cuidoient voir, sur son cheval démoniaque, apparaître le sire
+Jehan, qui si haut et si court fit pendre le bailli.»</p>
+
+ <p>Le narrateur s'arrêta, et comme chacun le félicitait: «Bravo! mon cher
+professeur, dit le substitut. On ne dira pas, en tous cas, que vous êtes
+ennuyeux comme la pluie, car vous me semblez l'avoir mise en fuite.»</p>
+
+ <p>En effet, un gai rayon de soleil entrait par la haute fenêtre. Tous
+aussitôt, conteur et auditeurs, coururent aux fusils, et dix minutes
+plus tard une fusillade nourrie apprenait aux lapins du parc que nous
+avions retrouvé, à leur usage, les traditions guerrières de messire
+Jehan des Mocquereaux.</p>
+
+ <p class="rig"><span class="sc">G. Hamor.</span></p>
+ <br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003.png"><br><b>LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE MOMIES DANS LA
+HAUTE-ÉGYPTE.--<br>Transport des sarcophages de Deïr-el-Bahari au Nil.
+Dessin d'après nature de M. Émile Bayard</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004a.png"><br><b>AU THÉÂTRE D'APPLICATION.--<br>Une représentation de la
+«Passion», mystère en quatre tableaux, de M. Haraucourt.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004b.png"><br><b>A L'ÉGLISE DU SACRE-C&OElig;UR.--<br>La Mise au tombeau, groupe de
+figures en cire, dans la crypte de la basilique.</b></p>
+<br><br>
+
+ <h3>LA PHOTOGRAPHIE DU CIEL</h3>
+
+ <p>L'idée d'appliquer la photographie aux curiosités du ciel est née le
+jour même où la grande découverte de Niepce et Daguerre a été annoncée
+au public par la mémorable communication qu'en fit Arago dans la séance
+de l'Académie des sciences du 19 avril 1839.</p>
+
+ <p>L'illustre astronome, prévoyant déjà les applications diverses qui
+pourraient en être faites aux recherches astronomiques, signalait,
+entr'autres, la possibilité d'obtenir une bonne carte de la lune et une
+image complète des raies du spectre solaire. Mais les procédés
+photographiques étaient alors trop imparfaits pour permettre d'obtenir
+des résultats satisfaisants.</p>
+
+ <p>Cependant, dès l'année 1845, Fizeau et Foucault arrivaient à faire une
+excellente photographie du soleil en 1/60 de seconde, que l'on peut voir
+très finement gravée, dans les &oelig;uvres complètes d'Arago. En 1849,
+William C. Bond, astronome américain, obtint une bonne épreuve
+daguerrienne de la lune. L'éclipse de soleil du 28 juillet 1851 fut
+photographiée par Berkowski à K&oelig;nigsberg, sur une plaque daguerrienne
+qui montra, pour la première fois, des traces de la couronne qui
+enveloppe l'astre du jour et les éruptions qui émanent de sa surface.</p>
+
+ <p>En 1857, William Bond obtint une photographie très nette de l'étoile
+double Mizar ou Zêta de la Grande Ourse, aussi précise en vérité que les
+mesures micrométriques, car j'ai pu l'insérer comme document dans mon
+catalogue des étoiles doubles. C'est à l'Observatoire de Harvard Collège
+que ces premières photographies d'étoiles ont été faites, et c'est là
+encore qu'aujourd'hui M. Pickering obtient de si merveilleux résultats
+qui, à eux seuls, paraissent devoir égaler au moins tous ceux du congrès
+des vingt ou trente astronomes composant le congrès européen.</p>
+
+ <p>M. Warren de la Rue en Angleterre et M. Rutherfurd aux États-Unis ont
+obtenu, de 1857 à 1867, de magnifiques photographies de la lune, qui
+n'ont pas encore été dépassées. Signalons parmi ces photographies des
+vues stéréoscopiques saisissantes, qui montrent le globe lunaire
+tellement en relief qu'il a presque la forme d'un &oelig;uf. Cet effet, un
+peu exagéré, est dû à ce qu'on a profité d'un certain mouvement de la
+lune, le mouvement de libration, pour pénétrer plus ou moins bien sur
+l'hémisphère invisible. Warren de la Rue, auquel on est redevable de ces
+photographies stéréoscopiques de notre satellite, est parvenu également
+à en obtenir de la planète Jupiter en prenant les vues à vingt-six
+minutes d'intervalle.</p>
+
+ <p>M. Faye, en France, a été l'un des plus éloquents promoteurs de la
+photographie astronomique. Insensiblement, malgré la résistance des
+astronomes purement mathématiciens, la photographie s'implanta dans des
+procédés d'étude. En 1874, au passage de Vénus devant le Soleil, elle
+fut appliquée avec le plus grand succès, et il en fut de même en 1883. A
+l'Observatoire de Meudon, M. Janssen a obtenu en 1877 d'admirables
+photographies de la surface solaire, sur lesquelles on assiste pour
+ainsi dire aux phénomènes de la formation de la lumière solaire. Ces
+photographies du soleil sont presque instantanées, car elles sont faites
+en un demi-millième de seconde! En 1884, MM. Paul et Prosper Henry, en
+construisant les cartes d'étoiles de l'atlas de l'Observatoire de Paris,
+s'appliquèrent à substituer la photographie à l'observation directe des
+étoiles, ce qui était à la fois beaucoup plus expéditif et plus sûr. En
+même temps, et depuis cette époque, MM. Pickerins aux États-Unis, Gould
+dans la République-Argentine, Gill au Cap de Bonne-Espérance, Common et
+Robert en Angleterre, se sont livrés avec les plus grands succès à la
+pratique de la photographie céleste.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>Ainsi, graduellement, insensiblement, la photographie en arriva à
+prendre une large part dans les procédés astronomiques. Cette part
+devient, de jour en jour, de plus en plus importante, de plus en plus
+féconde.</p>
+
+ <p>On se propose actuellement de photographier le ciel tout entier, et
+c'est dans ce but que M. le contre-amiral Mouchez a demandé la formation
+d'un congrès astrophotographique international, qui s'est déjà réuni
+deux fois à l'Observatoire de Paris, en 1887 et en 1889, et qui s'y
+réunit de nouveau en ce moment même.</p>
+
+ <p>Il s'agit de photographier le ciel tout entier et de construire, par la
+photographie seule, et sans l'intervention des erreurs d'observation, la
+carte complète du ciel, tel qu'il se présente actuellement aux yeux des
+habitants de la terre. Nous avons déjà cette carte, mais sous une forme
+relativement imparfaite et hétérogène. Argelander, par exemple, a
+construit, en 1862, la carte des étoiles de notre hémisphère boréal
+jusqu'à la neuvième grandeur inclusivement, et cette carte se compose de
+324,198 étoiles, que l'on peut toutes voir réunies sur une même feuille
+(voy. notre Astronomie populaire, page 832), et forme le grand atlas
+d'Argelander, qui est l'une des &oelig;uvres les plus considérables de notre
+siècle.</p>
+
+ <p>Le catalogue de Sh&oelig;nfeld donne pour l'hémisphère austral les positions
+de 133,659 étoiles. M. Gould, directeur de l'Observatoire de Cordoba,
+dans la République Argentine, a publié, il y a quelques années, un atlas
+de cet hémisphère austral, mais qui ne s'étend guère au-delà des étoiles
+visibles à l'&oelig;il nu. Ce sont là des essais laborieux qui représentent
+des travaux considérables, mais qui ne pourraient jamais donner ce qu'on
+peut attendre tout simplement de la photographie.</p>
+
+ <p>En effet, au lieu d'observations méridiennes dues à un grand nombre
+d'observateurs très différents les uns des autres comme mode
+d'appréciation des grandeurs d'étoiles, et comme méthode de constatation
+des positions, au lieu de transcriptions multipliées, de nombreux
+calculs de réduction et de la dissémination des observations le long
+d'un grand nombre d'années, on prendra tout simplement la photographie
+précise du ciel, et cela non seulement jusqu'aux étoiles de 9e grandeur,
+mais jusqu'à celles de 10e, 11e, 12e, 13e et même 14e grandeur, ce qui
+ne sera pas plus difficile, et ne demandera qu'une pose de temps plus
+considérable.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>Tout le monde sait que les étoiles visibles à l'&oelig;il nu s'arrêtent à la
+sixième grandeur, et que ce mot de grandeur doit s'entendre simplement
+de l'éclat apparent des étoiles, celles de première grandeur étant les
+plus brillantes, celles de seconde étant un peu moins brillantes, et
+ainsi de suite, celles de sixième étant les dernières que l'on puisse
+voir à l'&oelig;il nu. Voici le nombre probable des étoiles de chaque
+grandeur, jusqu'à la quatorzième:</p>
+
+ <pre>
+ Grandeurs. Nombre:
+ 1re 20
+ 2e 59
+ 3e 182
+ 4e 530
+ 5e 1,600
+ 6e 4,800
+ 7e 13,000
+ 8e 40,000
+ 9e 120,000
+ 10e 380,000
+ 11e 1,000,000
+ 12e 3,000,000
+ 13e 9,000,000
+ 14e 27,000,000.</pre>
+
+ <p>Ces dernières étoiles sont visibles dans les instruments actuels des
+observatoires. On voit que le total de ces quatorze premiers ordres
+d'éclat dépasse déjà quarante millions. Essayer de cataloguer cette
+armée céleste serait non seulement un travail surhumain, mais encore
+absolument irréalisable, car des erreurs inévitables se glisseraient
+dans un pareil nombre d'observations, ainsi que dans leurs réductions,
+leurs transcriptions et leurs placements sur une carte.</p>
+
+ <p>Des années et des années ne suffiraient pas, et pendant qu'on
+essayerait, les étoiles se déplaceraient elles-mêmes dans l'espace, car
+chacune d'elles est animée d'un mouvement propre plus ou moins rapide.</p>
+
+ <p>Or, la photographie peut faire cela tout, bonnement, pour ainsi dire, et
+de la manière la plus simple, grâce aux perfectionnements apportés dans
+les méthodes d'opération. Et savez-vous en combien de temps cette &oelig;uvre
+gigantesque, ce monument impérissable de l'astronomie moderne pourrait
+être obtenu? En treize minutes! Voici, en effet, la durée de pose
+nécessaire pour que les étoiles des diverses grandeurs impressionnent
+les nouveaux clichés au gélatino-bromure.</p>
+
+ <pre>
+ Grandeur: Durée de pose.
+ 1re 0s 005
+ 2e 0s 01
+ 3e 0s 03
+ 4e 0s 1
+ 5e 0s 2
+ 6e 0s 3
+ 7e 1s 3
+ 8e 3s 0
+ 9e 8s 0
+ 10e 20s 0
+ 11e 50s
+ 12e 2m
+ 13e 5m
+ 14e 13m.</pre>
+
+ <p>Ainsi cinq millièmes de secondes suffisent pour photographier une étoile
+de première grandeur; une demi-seconde suffit pour photographier les
+petites étoiles visibles à l'&oelig;il nu; treize minutes sont nécessaires
+pour photographier celles de quatorzième grandeur.</p>
+
+ <p>Si, à un certain moment, 8,000 lunettes disposées pour cette
+photographie pouvaient être braquées en même temps tout autour de la
+terre sur 8,000 points du ciel contigus, ces 8,000 clichés auraient
+photographié le ciel tout entier, et les quarante millions d'étoiles
+dont nous parlions tout à l'heure. Juxtaposés, ces 8,000 clichés, de
+cinq degrés chacun, représenteraient les 41,000 degrés carrés dont se
+compose la surface du ciel.</p>
+
+ <p>Cette sorte de photographie instantanée du ciel serait idéale, mais ne
+peut se faire; d'abord parce qu'à quelque moment que ce soit la nuit ne
+s'étend que sur moins de la moitié du globe; ensuite parce que
+l'atmosphère n'est jamais parfaitement pure; enfin parce que ces 8,000
+instruments seraient une dépense considérable, qu'il est plus simple et
+plus pratique de réduire à son minimum.</p>
+
+ <p>Le travail a été réparti entre une vingtaine d'observatoires et l'on
+pense qu'en trois ou quatre ans tout le ciel étoilé sera photographié.</p>
+
+ <p>Voici comment le travail sera probablement divisé entre les divers
+observatoires:</p>
+
+ <pre>
+ Observatoires. Nombre de clichés
+ Paris. 1260
+ Bordeaux. 1260
+ Toulouse. 1080
+ Alger. 1260
+ Greenwich. 1149
+ Oxford. 1180
+ Helsingfort. 1008
+ Postdam. 1232
+ Rome. 1010
+ Catane. 1008
+ San Fernando. 1260
+ Tacubaya. 1260
+ Santiago. 1260
+ La Plata. 1360
+ Rio Janeiro. 1376
+ Cap de Bonne-Espérance. 1512
+ Sydney. 1400
+ Melbourne. 1149</pre>
+
+ <p>Ainsi, la science du dix-neuvième siècle léguera à la postérité un état
+irrécusable et impérissable du ciel sidéral, qui, dans les siècles
+futurs, servira de base certaine pour la solution du grand problème de
+la constitution générale de l'univers.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>Certes, l'&oelig;il humain est un appareil d'optique admirable. Quelle
+transparence dans ce cristal vivant, quelles nuances délicieuses dans
+cet iris, quelle profondeur ou quel charme! C'est la vie, c'est la
+passion, c'est la lumière. Fermez tous ces yeux, que restera-t-il de la
+création?</p>
+
+ <p>Et pourtant, la lentille de l'appareil photographique représente
+vraiment un &oelig;il nouveau, qui vient compléter le nôtre et qui le
+surpasse, plus merveilleux encore.</p>
+
+ <p>Cet &oelig;il géant est doué de quatre avantages considérables sur le nôtre:
+il voit plus vite, plus loin, plus longtemps, et, faculté précieuse, il
+fixe, imprime, conserve ce qu'il voit.</p>
+
+ <p>Il voit plus vite: en un demi-millième de seconde, il photographie le
+soleil, ses taches, ses tourbillons, ses flammes, ses montagnes de feu,
+en un document impérissable.</p>
+
+ <p>Plus loin: dirigé vers un point quelconque du ciel pendant la nuit la
+plus profonde, il découvre dans les atomes de l'infini des étoiles, des
+mondes, des univers, des créations, que jamais, jamais notre &oelig;il ne
+pourrait voir, à l'aide de n'importe quel télescope.</p>
+
+ <p>Plus longtemps: ce que nous ne sommes pas parvenus à voir en quelques
+secondes d'attention, nous ne le verrons jamais. Lui, n'a qu'à regarder
+assez longtemps: au bout d'une demi-heure, il distinguera ce qu'il ne
+voyait pas; au bout d'une heure, il verra mieux encore, et plus il
+restera fixé vers l'inconnu, mieux il le possédera, sans fatigue et
+toujours mieux.</p>
+
+ <p>Et il conserve sur sa plaque rétinienne tout ce qu'il a vu. Notre &oelig;il
+ne garde qu'un instant les images. Supposez, par exemple, que vous
+assommiez un homme au moment où, tranquillement assis dans son fauteuil,
+il a les yeux ouverts devant une fenêtre vivement éclairée (la
+supposition n'a rien d'exorbitant sur une planète dont tous les citoyens
+sont soldats et s'entre-tuent au taux moyen de onze cents par jour);
+puis que vous lui arrachiez les yeux (nous venons de dire qu'il s'agit
+d'un ennemi), et que vous les immergiez dans une solution d'alun. Ces
+yeux conserveront l'image de la fenêtre avec ses barres transversales et
+ses ouvertures éclairées. Mais, dans l'état normal des choses, nos yeux
+ne gardent pas les images... il y en aurait trop, d'ailleurs. L'&oelig;il
+géant dont nous parlons conserve tout ce qu'il a vu. Il n'y a qu'à
+changer la rétine.</p>
+
+ <p>Ainsi, d'abord, cet &oelig;il voit plus vite et mieux et sans fatigue. On
+photographie aujourd'hui les éclairs, que l'on peut étudier ensuite à
+loisir sur les clichés, et qui montrent les titanesques batailles de
+l'étincelle électrique franchissant l'océan aérien et y rencontrant
+mille obstacles, mille résistances de tout ordre qui font varier sa
+route et lui impriment souvent les mouvements les plus désordonnés. On
+photographie un cheval au galop, qui subitement se trouve immobilisé, on
+photographie un train express, on photographie le boulet de canon et
+l'obus surpris, arrêtés sur leur trajectoire.</p>
+
+ <p>Oui, cette rétine artificielle voit plus vite et mieux. Et, par une
+propriété absolument contraire, elle sait pénétrer en des abîmes où nous
+ne voyons et ne verrions jamais rien. C'est peut-être même ici sa
+faculté la plus stupéfiante encore.</p>
+
+ <p>Mettons l'&oelig;il, par exemple, à l'oculaire d'une lunette dont l'objectif
+mesure 30 centimètres d'ouverture: ce sont là actuellement les meilleurs
+instruments comme usage pratique des observatoires.</p>
+
+ <p>Dans cette lunette de 30 centimètres de diamètre et de 3 mètres et demi
+de longueur, nous découvrons les étoiles jusqu'à la quatorzième
+grandeur, c'est-à-dire environ 40 millions d'astres de toute nature.</p>
+
+ <p>Maintenant, remplaçons notre &oelig;il par la rétine photographique.
+Instantanément les étoiles les plus brillantes viendront frapper la
+plaque et y marquer leur image. Cinq millièmes de seconde suffiront pour
+une étoile de première grandeur, une centième de seconde pour les
+étoiles de deuxième grandeur, trois centièmes de seconde pour celles de
+troisième, et ainsi de suite, suivant la proportion établie plus haut.</p>
+
+ <p>En moins d'une seconde, l'&oelig;il photographique a vu tout ce que nous
+pouvons apercevoir à l'&oelig;il nu.</p>
+
+ <p>Mais ce n'est rien encore. Les étoiles télescopiques visibles dans
+l'instrument vont également frapper la plaque et y inscrire leur image.
+Celles de la septième grandeur emploieront une seconde un tiers à
+l'impressionner, celles de la huitième grandeur demanderont trois
+secondes, celles de la neuvième huit secondes, celles de la onzième
+grandeur cinquante secondes, celles de la douzième demanderont deux
+minutes, celles de la treizième cinq minutes, et enfin celles de la
+quatorzième, treize minutes.</p>
+
+ <p>Si nous avons laissé notre plaque exposée pendant un quart d'heure, nous
+trouverons photographiée sur cette plaque toute la région du ciel vers
+laquelle la lunette était dirigée, et tout ce que cette région possède,
+tout ce qu'avec une peine infinie nous serions parvenus à découvrir, à
+mesurer, par une série d'observations très laborieuses et très longues.
+Un nombre suffisant d'appareils braqués de manière à embrasser le ciel
+tout entier fixera, comme nous venons de le voir, en une carte immense
+tout ce que l'astronomie d'observation peut étudier, et ce que l'on
+n'aurait pu obtenir qu'en plusieurs siècles.</p>
+
+ <p>Mais voici seulement où commence le merveilleux.</p>
+
+ <p>Laissons l'&oelig;il photographique regarder au lieu du nôtre: il pénétrera
+dans l'inconnu. Les étoiles invisibles pour nous deviennent visibles
+pour lui. Au bout de trente-trois minutes d'exposition, les étoiles de
+la quinzième grandeur auront fini par impressionner la rétine chimique
+et y former leur image.</p>
+
+ <p>Le même instrument qui montre à l'&oelig;il humain les astres de la
+quatorzième grandeur et qui, dans le ciel entier, enregistrerait environ
+40 millions d'étoiles, en montre à l'&oelig;il photographique 120 millions
+dès la première réquisition pour obtenir la quinzième grandeur. Il
+atteindrait la seizième à la seconde réquisition, en une heure vingt
+minutes de pose, et jetterait sous l'admiration éblouie du contemplateur
+une poussière lumineuse de 400 millions d'étoiles!...</p>
+
+ <p>Jamais encore, dans toute l'histoire de l'humanité, on n'a eu en mains
+la puissance de pénétrer aussi profondément dans les abîmes de l'infini.
+Avec les perfectionnements nouveaux, la photographie prend nettement
+l'image de chaque astre, quelle que soit sa distance, et elle la fixe en
+un document que l'on peut étudier à loisir. Qui sait si quelque jour,
+dans les vues photographiques de Vénus ou de Mars, une nouvelle méthode
+d'analyse n'arrivera pas à découvrir les habitants! Et sa puissance
+s'étend jusqu'à l'infini. Voilà une étoile de quinzième, de seizième, de
+dix-septième grandeur, un soleil comme le nôtre, éloigné à une telle
+distance de nous que sa lumière emploie des milliers, peut-être des
+millions d'années à nous parvenir, malgré sa vitesse inouïe de trois
+cent mille kilomètres par seconde, et ce soleil gît à une telle
+profondeur que sa lumière ne nous arrive pour ainsi dire plus. Jamais
+l'&oelig;il naturel de l'homme ne l'aurait vu, jamais l'esprit humain n'en
+aurait deviné l'existence sans les instruments de l'optique moderne. Et
+voilà que cette faible lumière venue de si loin suffit pour
+impressionner une plaque chimique qui en conservera inaltérablement
+l'image.</p>
+
+ <p>Et cette étoile pourrait être du dix-huitième, du vingtième ordre et
+au-dessous, si petite que jamais les yeux humains, aidés même des plus
+puissants pouvoirs télescopiques ne la verront (car il y aura toujours
+des étoiles au-delà de notre vision). Et pourtant elle viendra frapper,
+de sa petite flèche éthérée, la plaque chimique exposée pour l'attendre
+et la recevoir.</p>
+
+ <p>Oui, sa lumière aura voyagé pendant des millions d'années. Lorsqu'elle
+est partie, la terre n'existait pas, la terre actuelle avec son
+humanité; il n'y avait pas un seul être pensant sur notre planète; la
+genèse de notre monde était en voie de développement; peut-être
+seulement, dans les mers primordiales qui enveloppaient le globe avant
+le soulèvement des premiers continents, les organismes primitifs
+élémentaires se formaient-ils au sein des eaux, préparant lentement
+l'évolution des âges futurs. Cette plaque photographique nous fait
+remonter à l'histoire passée de l'univers. Pendant le trajet éthéré de
+ce rayon de lumière qui vient aujourd'hui frapper cette plaque, toute
+l'histoire de la terre s'est accomplie, et dans cette histoire, celle de
+l'humanité n'est qu'une onde, qu'un instant. Et, durant ce temps,
+l'histoire de ce lointain soleil qui se photographie aujourd'hui s'est
+accomplie aussi: peut-être est-il éteint depuis longtemps, peut-être
+n'existe-t-il plus...</p>
+
+ <p>Ainsi cet &oelig;il nouveau qui nous transporte à travers l'infini nous fait
+en même temps remonter les stades de l'éternité passée.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>L'infini! l'éternité! L'astronomie contemporaine nous y plonge et nous y
+noie. Quelle mesure en pouvons-nous prendre? En volant avec la vitesse
+de l'éclair, nous emploierions des millions d'années pour atteindre les
+régions où brillent ces univers lointains; mais, transportés là, nous
+n'aurions réellement pas avancé d'un seul pas vers les limites de
+l'espace, car l'espace est sans bornes, l'infini est sans mesures, et
+partout, dans toutes les directions, il y a tant d'univers, tant de
+soleils consécutifs, que si nous laissions la plaque photographique
+assez longtemps exposée, elle finirait par se couvrir de points lumineux
+contigus et serrés au point de ne plus former qu'un ciel d'éblouissante
+lumière. Car, partout, en quelque point que nous dirigions notre rayon
+visuel, il y a une infinité de soleils les uns derrière les autres.</p>
+
+ <p>Et nous vivons sur l'un de ces mondes, sur l'un des plus médiocres, en
+un point quelconque de l'immensité sans bornes, éclairés par l'un de ces
+innombrables soleils, dans un horizon restreint, véritable cocon de ver
+à soie, ignorant toutes les causes, éphémères d'un instant, nous
+pénétrant d'une illusoire vue du monde, ne voyant presque rien,
+d'ailleurs, assez minuscules pour nous imaginer que nous connaissons
+quelque chose, nous flattant même, avec un béat sentiment d'orgueil, de
+dominer la nature, fiers d'une illusion prise pour la réalité. Nous
+tranchons les questions. Nous nous déclarons matérialistes sans
+connaître un mot de l'essence de la matière, spiritualistes sans
+connaître un mot de la nature de l'esprit; mais au fond de tout être
+pensant le scepticisme demeure, parce que nous sommes incapables de rien
+apprécier.</p>
+
+ <p>Notre minuscule planète perdue est encore trop vaste pour notre
+conception, car nous avons inventé le patriotisme de clocher, et toute
+l'organisation des divers groupes sociaux qui se partagent le globe est
+fondée sur les armes.</p>
+
+ <p>Ah! l'astronome souhaiterait que les conducteurs de peuples, les
+législateurs, les politiciens, eussent la faculté de pouvoir regarder
+une carte céleste et la comprendre. Cette calme contemplation serait
+peut-être plus utile à l'humanité que tous les discours diplomatiques.
+Si l'on savait combien la terre est minuscule, peut-être cesserait-on de
+la couper en morceaux. La paix régnerait sur le monde, la richesse
+sociale succéderait à la ruineuse, honteuse et infâme folie militaire,
+les divisions politiques s'effaceraient, et les hommes pourraient
+seulement alors s'élever librement dans l'étude de l'univers, dans la
+connaissance de la nature, et vivre des jouissances de la vie
+intellectuelle. Hélas! nous n'en sommes pas là; et l'&oelig;il photographique
+révélera bien des mystères célestes avant que l'&oelig;il humain voie la
+raison et la science établir leur règne sur notre petite boule
+tournante.</p>
+
+ <p class="rig"><span class="sc">Camille Flammarion.</span></p>
+ <br><br>
+
+ <h3>LES PHARES</h3>
+
+ <p class="mid">(Suite et fin.)</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005.png"><br><b>LES PHARES.--Un des gardiens faisant son quart.</b></p>
+
+ <p>Nos gravures nous ont montré les phares debout, au milieu de la mer, et
+bravant les tempêtes. Au plus fort de l'ouragan, lorsque le vent souffle
+avec rage, lançant des torrents de pluie contre les vitraux de la
+lanterne, lorsque les lames énormes du large déferlent quelquefois
+jusque sur la première galerie, envoyant par-dessus la coupole leurs
+longues fusées d'écume, ils s'inclinent comme pour saluer l'ouragan.
+Alors les vases à huile placés dans les chambres les plus élevées
+présentent une variation de niveau de plus d'un pouce, ce qui suppose
+que le sommet de la tour décrit un arc de près d'un mètre d'étendue.
+Mais, comme un roseau, la tourmente passée, le phare se redresse sans
+qu'une pierre ait joué, sans que rien se soit démoli.</p>
+
+ <p>Entourés d'eau de tous côtés, les phares sont, en général, d'un accès
+difficile. Un moyen pittoresque reproduit par nos premiers dessins est
+un va-et-vient installé sur un mât et actionné par un treuil. Prenons ce
+chemin et pénétrons dans l'intérieur pour le visiter.</p>
+
+ <p>Au 1er étage, nous trouvons les magasins de bois et de cordages et la
+menuiserie, puis au-dessus les caisses en tôle renfermant la provision
+d'huile; au troisième sont le garde-manger, la cuisine et deux chambres
+pour les gardiens, puis une petite salle pour les ingénieurs: tout cela
+réduit, étriqué. Dans les phares, comme à bord d'un bâtiment, l'espace
+est distribué avec une intelligente parcimonie.</p>
+
+ <p>Maintenant nous sommes dans le soubassement sur lequel repose la
+lanterne: c'est l'étage supérieur du phare, son âme, que nous allons
+examiner.</p>
+
+ <p>Dans un premier réduit sont enfermés les bidons a huile, les verres et
+les lampes de rechange, et un escalier en spirale nous conduit dans la
+chambre des appareils. Avec nous le gardien est entré. La nuit tombe,
+nous allons assister à l'allumage du feu.</p>
+
+ <p>L'homme s'est d'abord approché de la machine de rotation formée d'un
+mécanisme d'horlogerie. Il l'a mise en mouvement, en remontant un poids
+que l'on voit, sur la gravure, descendre dans le trou au-dessous.
+L'embrayage au-dessus de la machine s'est mis alors à tourner,
+actionnant, comme nous le verrons tout à l'heure, l'appareil optique et
+son armature. Celle-ci roule sur un rail circulaire au moyen de galets
+coniques.</p>
+
+ <p>Cela fait, l'homme s'est engagé sur l'échelle plus étroite encore qui a
+succédé à l'étroit escalier en hélice donnant accès à la lanterne.</p>
+
+ <p>Celle-ci est une sorte, de cage à parois formées de glaces planes, mais
+ce n'est là qu'une enveloppe extérieure abritant contre le vent, la
+pluie, les embruns de la mer, l'éblouissant échafaudage de prismes, de
+lentilles et de miroirs composant l'appareil d'optique que représente un
+de nos dessins, et dont l'ensemble s'appelle le tambour.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006.png"><br>
+<b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;La lanterne.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+Montage de l'appareil d'horlogerie<br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+faisant mouvoir le tambour.</b></p>
+
+ <p>Rappelons en quelques mots le principe et la théorie de cet appareil. Si
+la lampe du phare était placée dans une lanterne ordinaire, la plus
+grande partie de sa lumière serait perdue; pour l'utiliser tout entière,
+il faut ramener à la surface de la mer tous les rayons qui en suivant
+leur direction naturelle iraient se perdre dans les espaces célestes.
+Tel est le rôle de l'appareil optique qui a pour effet de rendre
+<i>parallèles</i> et horizontaux les rayons lumineux <i>divergents</i> qu'émet le
+foyer. De ces rayons, les plus rapprochés de la direction voulue, ceux
+du centre, traversent des lentilles ordinaires, les plus obliques sont
+réfractés par des séries de prismes qui entourent les lentilles; enfin,
+ceux des bords du faisceau se réfléchissent sur des miroirs qui les
+renvoient en pinceaux parallèles balayer la surface des eaux.</p>
+
+ <p>Ce dispositif a été imaginé en 1821 par le physicien français Fresnel.</p>
+
+ <p>A notre entrée dans la lanterne nous trouvons les stores qui la
+garnissent intérieurement baissés, et les appareils recouverts de
+housses en étoffe. L'homme a d'abord enlevé ces dernières et la lampe
+est apparue à nos regards, il va maintenant la remplir d'huile, la
+mettre en fonctions et commencer, à l'abri des stores, l'allumage du
+bec.</p>
+
+ <p>Un mot en passant sur cette lampe que l'on voit sur notre gravure et sur
+son bec.</p>
+
+ <p>Elle est dite à niveau constant et à réservoir inférieur. L'huile
+minérale (car c'est d'elle qu'on se sert) est placée dans un réservoir
+inférieur au bec, où des pompes actionnées par un mouvement d'horlogerie
+situé dans l'intérieur la puisent pour la refouler à un niveau maintenu
+constant. Au moyen d'un trop-plein, l'huile excédante revient au
+réservoir. Quant au bec, il se compose de cercles de cuivre
+concentriques dans lesquels sont passées des mèches de coton au nombre
+de cinq pour les phares de premier ordre, de quatre pour ceux de second,
+et ainsi de suite en descendant.</p>
+
+ <p>Pour assurer et régler la combustion de l'huile dans le bec, celui-ci
+est coiffé d'une cheminée de cristal portée par une robe cylindrique,
+permettant de l'élever ou de l'abaisser suivant les besoins. Comme la
+hauteur de cette cheminée est insuffisante, elle est surmontée d'une
+allonge en tôle avec une clef munie d'un obturateur pour pouvoir à
+volonté régler le tirage.</p>
+
+ <p>Mais le gardien a jugé les mèches suffisamment imbibées, et le voilà qui
+procède à l'allumage méthodique en les tenant basses d'abord à petite
+flamme. Au bout d'un quart-d'heure il les relève un peu au-dessus de la
+couronne du bec, redescend la cheminée, ouvre graduellement
+l'obturateur, puis, au moyen de la pompe, fait arriver un afflux d'huile
+sur les mèches; de cette façon, bien réglée et conduite, la flamme est
+régulière, blanche, corsée et bien développée.</p>
+
+ <p>Puis il a définitivement enlevé les stores de la lanterne. Maintenant le
+phare est en pleine activité, la lampe brûle bien, et l'appareil optique
+tourne autour d'elle, envoyant sur l'horizon ses faisceaux lumineux qui
+apparaissent au marin qui les observe comme une série d'éclats, chaque
+fois qu'une lentille passe devant lui, interrompus par une série
+d'éclipses dans l'intervalle des passages. La rapidité de rotation du
+tambour détermine la durée relative des éclats et des éclipses dans les
+phares à feu tournant. Dans les phares à feux fixes, le tambour, par
+contre, est immobile et la lentille circulaire.</p>
+
+ <p>Nous en avons fini avec la description du phare, il nous faut suivre
+encore un instant dans son service l'homme que nous avons vu installer
+tout et que nos gravures nous montrent maintenant assis dans le tambour,
+au pied même de la lampe, un registre ouvert sur les genoux.</p>
+
+ <p>Légèrement vêtu et le col de la chemise entr'ouvert à cause de la
+chaleur quelquefois énorme (40° centigrades dans les nuits d'été) qui
+règne dans la lanterne, les yeux réglementairement cachés sous des
+lunettes aux verres fumés, dits de Londres, pour obvier autant que
+possible à l'insupportable intensité de la lumière, il fait son quart de
+trois heures, surveillant le feu, la consommation de l'huile, observant
+l'horizon, notant le temps qu'il fait, le degré de transparence de
+l'air, la brume, les incidents de la mer. Immobile, il veille, dans ce
+scintillement qui tourne autour de lui, suffoqué par la chaleur et le
+relent âcre des vapeurs de l'huile minérale, au milieu du tic-tac
+énervant des appareils d'horlogerie et de l'endormant et sourd
+mugissement de la mer qui déferle au pied des rochers, interrompu
+seulement de temps en temps par un choc sec contre la vitre produit par
+quelque oiseau migrateur attiré dans sa route et qui est venu se heurter
+contre l'obstacle qui le fascine.</p>
+
+ <p>La France a toujours été à la tête des progrès accomplis depuis un
+demi-siècle par la science des phares: en 1791 Teulère et Borda ont
+inventé les réflecteurs paraboliques; en 1823, Augustin Fresnel
+imaginait les appareils lenticulaires qui illuminent aujourd'hui les
+côtes du monde entier. Ces traditions se sont soigneusement conservées,
+et l'on retrouve chez le personnel de notre service des phares, depuis
+l'ingénieur jusqu'au gardien, cette science d'inventions, ce dévouement
+à toute épreuve, cette discipline merveilleuse, enfin, qui sont comme la
+caractéristique de notre famille maritime française.</p>
+
+ <p class="rig"><span class="sc">Hacks.</span></p>
+ <br><br>
+
+ <h3>LES MERVEILLES DE LA SCIENCE</h3>
+ <h4>LE FIL ÉLECTRIQUE</h4>
+
+ <p class="mid">Texte de GROSCLAUDE, dessins d'ALBERT GUILLAUME.</p>
+
+ <p>C'est prodigieux ce qu'on peut obtenir avec de la patience et un peu
+d'électricité. Vous prenez un fil de fer, un courant magnétique et deux
+tablettes vibratoires sur lesquelles vous criez: «Allo! Allo!» et vous
+voilà en conversation avec Londres.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/007a.png"></p>
+<p class="rig"><img alt="" src="images/007b.png"></p>
+
+
+ <p>Avouez que la science a marché depuis Guillaume-le-Conquérant.</p>
+
+ <p>On parle même déjà d'un petit perfectionnement tout à fait ingénieux,
+grâce auquel les paroles arriveraient traduites et sans l'ombre
+d'accent, de telle
+façon que quand vous direz à Paris: «Bonjour, monsieur!» votre
+interlocuteur de Londres entendra:
+<span class="rig"><img alt="" src="images/007c.png"></span>
+ «Good morning, sir!» et
+réciproquement. Il faudrait être dénué de toute ressource pour ne pas se
+payer ça au moins une fois par an, d'autant plus que c'est beaucoup plus
+flatteur d'être traduit en anglais qu'en police correctionnelle et ça ne
+figure
+<span class="lef"><img alt="" src="images/007d.png"></span>
+pas sur le casier judiciaire.</p>
+
+ <p>Mais, me direz-vous, et les<span class="rig"><img alt="" src="images/007e.png"></span> sourds-muets?--On s'en occupe, mesdames et
+messieurs, et vous ne devriez pas ignorer que, depuis un certain temps,
+Edison consacre ses merveilleuses facultés d'inventeur à la création
+d'un appareil déjà désigné sous le
+nom de téléphote<span class="lef"><img alt="" src="images/007f.png"></span> et qui sera pour la vue ce que le téléphone est pour
+l'audition; au lieu de la petite tablette téléphonique contre laquelle
+on
+parle, il y aura un miroir devant lequel on fera des gestes que reproduira le miroir
+de l'appareil récepteur.</p>
+
+ <p>C'est assez dire que les sourds-muets pourront aisément communiquer à
+l'aide des signaux dont se compose le langage de feu l'abbé de l'Épée;
+il suffirait même de photographier d'une façon continue le miroir de
+réception pour conserver un compte-rendu sténographié de l'entretien.</p>
+
+ <p>Si les électriciens arrivent réellement à nous doter d'un téléphote
+comme celui sur lequel on fonde de si grandes espérances, il est permis
+de croire que le fil électrique arrivera progressivement à transmettre
+aussi bien que les sensations de la vue et de l'ouïe celles de l'odorat,
+du goût et du toucher.</p>
+
+ <p>Il deviendra très facile d'avoir à volonté dans l'isolement le plus
+absolu toutes les joies de la société, ce qui aura bien du charme pour
+les infirmes, les malades, notamment les cholériques et les lépreux, et
+pour les gens qui ont le désir de passer leurs soirées en manches de
+chemise.</p>
+
+ <p>Nous avons déjà le théâtrophone qui, au club, au restaurant, à l'hôtel
+ou à domicile, vous fournit dans des prix doux les auditions théâtrales
+les plus satisfaisantes, et je n'ai pas besoin d'ajouter avec quelle
+impatience les abonnés attendront le téléphote qui leur permettra de
+jouir des pantomimes et de lorgner la salle!</p>
+
+ <p>Rien n'empêchera dès lors d'organiser des petites soirées téléphoniques
+pour lesquelles chacun restera chez soi: on potinera téléphoniquement,
+on écoutera la comédie, les chansonnettes et les monologues
+théâtrophoniquement, et il n'y aura pas de voitures à prendre, pas
+d'étages à monter. Vous verrez que le <i>téléfive o'clock</i> sera très à la
+mode l'hiver prochain.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/007g.png"></p>
+
+<p>Et le buffet? Je ne connais aucune raison scientifique qui s'oppose à la
+transmission électrique des petits fours et des sandwichs; aussi bien ce
+phénomène n'est certainement pas plus improbable aujourd'hui que ne le
+paraissait être il y a une centaine d'années la possibilité de faire la
+conversation avec une personne située de l'autre côté de la Manche.</p>
+
+ <p>Oh! les drôles de dîners qu'on fera sur le télé-bouffe, très précieux
+pour les gens très demandés auxquels il permettra d'accepter plusieurs
+invitations à la fois, et non moins utile aux personnes qui n'ont
+d'autre cuisine que celle du restaurant: ces malheureux n'auront plus à
+descendre de leur sixième ni à faire monter les plats dans ces paniers
+cylindriques qu'on aperçoit encore de temps à autre aux environs des
+casernes.<span class="rig"><img alt="" src="images/008a.png"></span></p>
+
+<p>Pour ce qui est de l'olfaction, il est bien évident que la parfumerie à
+distance ne rencontre aucune difficulté sérieuse; il suffirait d'un
+pulvérisateur d'une certaine puissance avec une canalisation dans le
+genre de celle du gaz et des eaux, pour que tous les abonnés pussent
+recevoir à domicile les parfums qui leur conviennent.</p>
+
+ <p>Quant au toucher, ce sera sans doute un peu plus compliqué que pour les
+autres sens; toutefois il ne me paraît pas impossible qu'un médecin
+arrive à examiner ses malades par fil spécial; tâter le<span class="lef"><img alt="" src="images/008b.png"></span>
+pouls, ausculter, percuter même, et se livrer aux diverses autres
+constatations sur lesquelles le docteur fonde son diagnostic, seront
+même choses assez simples avec des appareils d'une sensibilité
+convenable; mais il y aura bien peu de chose à attendre au point de vue
+des opérations chirurgicales, et le pédicure lui-même sera,
+croyons-nous, bien empêché d'opérer à distance; il en sera de même
+évidemment pour le masseur et aussi pour le coiffeur qui, selon toute
+apparence, n'aura pas grand chose de bon à espérer dans cet ordre
+d'idées, à moins qu'un électricien de génie, dans le genre de l'homme à
+qui nous devons la ficelle à beurre, invente le fil à couper des
+cheveux.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/008c.png"></p>
+
+ <p>En revanche, le tailleur et le chapelier ne tarderont pas à être pourvus
+d'un appareil qui leur permettra de prendre une mesure sans aller chez
+le client, et je n'ai pas besoin d'ajouter qu'avec un bon téléphote le
+peintre fera des portraits sans déranger son modèle; c'est quelque
+chose, cela.</p>
+<p class="lef"><img alt="" src="images/008d.png"></p>
+ <p>Au point de vue sentimental, je me plais à croire que le jour est proche
+où la science s'enrichira d'un télékiss, avec lequel il sera délicieux
+de flirter par fil spécial, loin des regards indiscrets.</p>
+<p class="rig"><img alt="" src="images/008e.png"></p>
+ <p>Et si quelqu'un vient s'en plaindre, ce sera vraiment bien commode de
+pouvoir, sans quitter son intérieur confortable, lui répondre d'une
+façon électrique et instantanée par le Télégiffle, qui sera, d'ici peu,
+dans tous les appartements aménagés avec un certain confortable.</p>
+
+ <p class="rig"><span class="sc">Grosclaude.</span></p>
+ <br><br><br>
+
+ <h3>L'EXPOSITION YON</h3>
+
+ <p>Une très intéressante exposition, dont les amateurs d'art ne manqueront
+pas de s'offrir le régal, s'ouvrira mardi prochain chez Georges Petit,
+rue Godot de Mauroi. Cette exposition, qui durera trois jours seulement,
+comprendra une importante collection d'&oelig;uvres--huiles, aquarelles et
+pastels--de l'un des artistes les plus justement renommés de ce
+temps-ci, l'excellent paysagiste Edmond Yon.</p>
+
+ <p>C'est, en moins de dix années, la troisième fois que le robuste
+travailleur, le peintre délicat et savant, nous donne, avec un groupe
+imposant d'ouvrages de son choix, à juger de la fécondité, de la
+puissance et de la variété de son talent. L'exhibition qu'il achève
+d'organiser obtiendra auprès de ses visiteurs un succès au moins égal à
+celui qu'ont emporté ses devancières. Des soixante-six envois qui la
+composent, il n'en est pas un seul qui ne soit digne de l'attention des
+connaisseurs, et qui ne mérite leur éloge. Ils valent tous également par
+ces belles qualités où s'atteste la maîtrise: la vision nette et précise
+de la nature, un impeccable sentiment de la réalité, la perfection du
+dessin, la fermeté, la souplesse et l'éclat de la coloration.</p>
+
+ <p>Edmond Yon est un paysagiste au sens le plus parfait du mot. Épris
+ardemment de la nature, il s'entend à merveille à la représenter sous
+ses aspects les plus fugitifs et les plus divers, dans sa variété
+infinie et dans son éternelle mobilité... «Il excelle, dit M. Montrosier
+dans l'intéressante préface qui figure en tête du catalogue de
+l'exposition, à dire les matins encore tout embrumés où passe le souffle
+des églogues, les journées baignées de clarté et incrustées de lumière,
+et les soirs aux couchants radieux, montrant le soleil disparaissant
+dans la gloire d'une apothéose sans pareille. Mieux que personne il est
+le peintre des rivières que bordent les saules, des étangs sertis
+d'oseraie et des marais visqueux où semblent flotter des nénuphars. Dans
+les dunes de la Somme, il plantera un de ces moulins qui semblent défier
+la lance de Don Quichotte; ici il montrera un bout de village aux
+maisonnettes groupées, avec le régal de couleurs des toitures rouges, et
+si attirant, ce village, qu'on voudrait s'y arrêter. Tous ces morceaux
+sont si bien troussés, la touche en est si libre, la réalité si vraie,
+qu'on ne peut les oublier.»</p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>NOTES ET IMPRESSIONS</h3>
+
+ <p>Il y a trois sortes d'orgueil: celui de la richesse, celui de la
+naissance et de l'esprit.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">Swift.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>La politique, même dans le gouvernement parlementaire, c'est ce qui ne
+se dit pas.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">Fievée.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>Dans cette vie, il faut savoir se risquer, mais qui se risque doit se
+résigner à perdre quelque chose.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">Herbart.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>Les biens que l'on vante le plus ne sont pas ceux que l'on a, mais ceux
+que l'on désire.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">Edm. About.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>La reconnaissance est pareille à cette liqueur d'Orient qui ne se garde
+que dans des vases d'or; elle parfume les grandes âmes, elle s'aigrit
+dans les petites.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">Jules Sandeau.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>L'égoïsme est comme l'embonpoint; plus on en a, plus on est gêné par
+celui des autres.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">H. Rigault.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>L'âme d'un petit enfant bien doué est plus près de celle d'Homère que
+l'âme de tel bourgeois ou de tel académicien médiocre.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">Jules Lemaitre.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>Le printemps qui commence aux enfants est pareil Le rire avec les pleurs
+alterne à son réveil.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">A. Theuriet.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>La jeunesse ne désespère pas plus de l'humanité, malgré ses désastres,
+que le brin d'herbe qui pousse dans un champ dévasté par l'hiver ne
+doute de la nature.<br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>Être et paraître sont deux; mais, avec le monde, le second est souvent
+le moyen d'arriver au premier.</p>
+
+ <p class="rig"><span class="sc">G.-M. Valtour.</span></p>
+ <br><br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009.png"><br><b>Cérémonie populaire de la Pâque, en Russie; Le pope
+bénissant les pains de laitage caillé apporté par les fidèles.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010_small.png"><br><a href="images/010_large.png">(Agrandissement)</a><br><b>CHOIX DE TABLEAUX DE LA VENTE EDMOND YON.</b><br> (Voir l'article
+page 299.)</p>
+
+ <p>38. Brume matinale. 35. Le vent sur le marais. 58 Les Ruches: Effet
+d'orage à Sainte-Aulde. 28. Le Ruisseau aux poules d'eau. 12. Laveuses à
+Cernay. 5. La barque de pêche. 49. Les vaines pâtures à Sainte-Aulde. 2.
+La grande chaussée de Longpré. 52. Soleil couchant à l'embouchure de
+l'Orne. 37. Le Pont de Vernon, près Vouvray. 4. Chardons en fleurs. 48.
+Bords de l'Essonne. 9. Fin de journée. 40. Sainte-Aulde. 7. Avril à
+Ballancourt. 11. Étang à Ballancourt. 42. A Longpré les Corps Saints.</p>
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/011.png"></p>
+
+ <p><b>La Russie et le président de la République.</b>--Il convient, croyons-nous,
+de garder la plus grande circonspection, quand il s'agit des relations
+internationales, et on a eu le tort, trop souvent, dans notre pays, en
+ce qui concerne la Russie, de donner à une sympathie, qui heureusement
+est très réelle, une interprétation qui pourrait paraître excessive au
+point de devenir gênante pour ceux-là mêmes à qui elle s'adresse. Mais,
+ces réserves faites, il est permis de se féliciter de la nouvelle marque
+de courtoisie que le gouvernement du czar vient de donner au chef de
+l'État, en lui conférant le grand cordon de l'ordre de Saint-André.</p>
+
+ <p>Cet ordre est le plus ancien et le plus important des ordres russes. Il
+a été créé par Pierre-le-Grand en 1698. C'est celui que l'empereur
+donne, de préférence, aux membres régnants des maisons souveraines.</p>
+
+ <p>La remise des insignes qu'il comporte à M. Carnot a été faite dans le
+plus grand apparat. M. le baron de Mohrenheim, ambassadeur de Russie à
+Paris, s'est rendu à cet effet à l'Elysée avec tout le personnel de
+l'ambassade, en uniforme. Pendant que la garde du palais rendait les
+honneurs militaires, les représentants du czar étaient reçus au bas du
+perron par le colonel Lichtenstein et introduits par M. d'Ormesson,
+directeur du protocole, dans un des salons où se tenait le président de
+la République, entouré des officiers de sa maison militaire au complet.</p>
+
+ <p><b>Les traités de commerce et la propriété littéraire</b>.--La révolution qui
+est en train de s'opérer dans notre régime économique n'est pas sans
+causer quelque inquiétude. Le pays est partagé en deux camps qui luttent
+avec acharnement, l'un en faveur du libre-échange, l'autre en faveur de
+la protection. Ce sont les partisans de ce dernier système qui
+triomphent, si l'on en juge par la force dont ils disposent dans le
+parlement. Où est la vérité? c'est là une question à laquelle il est
+difficile de répondre, car des deux côtés on fait valoir des arguments
+décisifs et ceux qui n'ont pas d'opinion préconçue restent en suspens
+entre les deux partis, ne sachant auquel donner leur confiance.</p>
+
+ <p>Mais d'instinct, ceux qui n'ont pas fait une étude approfondie de ces
+questions complexes qu'embrasse l'économie politique sont portés à
+s'effrayer du retour à l'ancien système qui mettait des barrières entre
+les peuples, alors que les facilités apportées par le progrès dans les
+relations internationales semblaient devoir les faire supprimer à
+jamais.</p>
+
+ <p>Naturellement ceux qui, dans notre pays, peuvent compter sur les
+bénéfices qu'ils tirent de l'exportation de leurs produits, sont très
+opposés aux lois de protection que l'on prépare, éprouvant la crainte
+légitime que les pays auxquels nous fermons notre porte ne nous rendent
+la pareille.</p>
+
+ <p>Nos écrivains, qu'on ne s'attendait pas à trouver en cette affaire, mais
+dont l'intervention est cependant toute naturelle, sont dans ce cas. Les
+produits dont ils vivent, fort goûtés chez nous, ne le sont pas moins à
+l'étranger, et ils craignent, non sans raison, que la dénonciation des
+traités de commerce leur ferme les «débouchés» qu'ils trouvaient pour
+leurs &oelig;uvres, dans tous les pays du monde et surtout en Belgique.</p>
+
+ <p>Aussi une délégation qui comptait les plus illustres représentants de
+notre littérature s'est-elle rendue auprès de M. de Freycinet, président
+du Conseil, pour lui remettre, au nom de toutes les grandes sociétés
+littéraires et artistiques, une protestation contre la mise en pratique
+des théories ultra-protectionnistes qui semblent triompher pour le
+moment: «Le mécontentement des nations voisines, dit cette protestation,
+se traduira sans doute par des mesures de représailles qui frapperont
+surtout notre production littéraire et artistique pour laquelle toutes
+les nations sont plus ou moins tributaires de la nôtre. La Chambre
+sera-t-elle indifférente à des intérêts moraux et matériels aussi
+considérables, et sacrifiera-t-elle les droits de ceux qui contribuent à
+l'étranger, pour une si large part, à notre gloire nationale?...»</p>
+
+ <p>Malheureusement, la Chambre est déjà si engagée qu'on peut avoir des
+doutes sur l'effet de cette protestation.</p>
+
+ <p>La situation légale du prince Victor et du prince Louis.--Par suite de
+la mort du prince Napoléon, le prince Victor, devenu chef de la famille
+Bonaparte, se trouve <i>ipso facto</i> expulsé du territoire français par
+l'application de l'article 1er de la loi du 22 juin 1886.</p>
+
+ <p>Cette loi, en effet, interdit le territoire français aux chefs de
+familles ayant régné en France et à leurs héritiers directs dans l'ordre
+de primogéniture. Le prince Victor, quel que soit d'ailleurs le
+testament politique du prince Napoléon, passe à l'état de «chef d'une
+famille ayant régné sur la France», et à ce titre tombe sous le coup de
+la loi d'exil.</p>
+
+ <p>Mais est-il juste de dire que le prince Louis, à qui reviendraient les
+droits de la famille Bonaparte si son frère venait à mourir sans
+héritier direct, passe à l'état d'héritier présomptif, dans le sens
+prévu par la loi? Le prince Louis n'est héritier qu'en ligne collatérale
+et la loi désigne «l'héritier direct». La question était tout au moins
+douteuse. Quant à présent, le garde des sceaux l'a tranchée dans le sens
+le plus libéral, c'est-à-dire en faveur du prince Louis. Il a fait
+remarquer d'ailleurs que le gouvernement restait suffisamment armé par
+l'article 2 de cette même loi qui lui permet d'interdire le territoire
+français à tous les membres des anciennes familles régnantes autres que
+les chefs et leurs héritiers directs.</p>
+
+ <p><b>Les Italiens en Afrique.</b>--Il faut supposer et espérer que l'Afrique
+donnera à nos arrière-petits-neveux d'immenses satisfactions matérielles
+et morales de nature à compenser, par leur reconnaissance, les
+tribulations qu'elle cause pour le moment à toutes les puissances
+européennes.</p>
+
+ <p>La France, qui possède sur ce vaste continent la plus belle des
+colonies, en est réduite à nommer une commission d'études chargée
+d'examiner ce qu'il faut faire pour en tirer réellement parti. En même
+temps, elle est obligée de lutter au Soudan et au Dahomey, pour obtenir
+des succès très douteux, car on ne voit jamais qu'ils produisent rien de
+décisif.</p>
+
+ <p>Les Belges semblent plus embarrassés que fiers du territoire immense
+qu'ils occupent sur les confins du nôtre.</p>
+
+ <p>Les Anglais sont en lutte, tout au moins diplomatique, avec la France et
+le Portugal à raison de leurs possessions africaines, en sorte que tous
+ceux qui se sont partagé l'Afrique sont en hostilité plus ou moins
+sourde les uns avec les autres, en attendant qu'ils rencontrent tous
+l'ennemi commun, l'Africain lui-même, que nous ne connaissons encore que
+par quelques escarmouches, mais qui se révélera peut-être plus terrible
+qu'on ne croit, au centre de ce continent mystérieux dont on fait trop
+vite une possession européenne.</p>
+
+ <p>Mais les Italiens surtout ont à souffrir en ce moment de la
+précipitation avec laquelle toutes les puissances civilisées se sont
+jetées sur l'Afrique comme sur une proie facile. Voici remis en
+question, sinon déchiré tout à fait, ce fameux traité conclu avec
+Menelik, et qui devait donner à nos voisins le protectorat sinon la
+possession complète de l'une des plus belles parties du continent
+africain. Le comte Antonelli, qui s'était rendu en mission auprès du
+«roi des rois» pour traiter avec lui de l'exécution de celles des
+clauses du traité qui étaient favorables à l'Italie, a dû quitter
+brusquement le pays avec tous ceux qui l'accompagnaient, les Italiens ne
+se considérant plus comme en sûreté sur un territoire où ils ont
+cependant la prétention d'exercer leur protectorat.</p>
+
+ <p>M. di Rudini prépare sur la question un livre vert dans lequel il fera
+probablement connaître la vérité tout entière, car il n'a aucun intérêt
+à la cacher, Mais, si elle est telle qu'on la suppose, elle sera la
+justification, après la lettre, de la chute de M. Crispi, qui porte, non
+sans raison, en grande partie, la responsabilité de la politique suivie
+par l'Italie en Afrique.</p>
+
+ <p><b>Bulgarie: assassinat du ministre des finances.</b>--Un grave attentat a été
+commis à Sofia le 27 mars dernier. Au moment où M. Beltchef, ministre
+des finances, accompagné de M. Stamboulof, rentrait chez lui, après
+avoir assisté au conseil des ministres, trois coups de revolver
+retentirent. M. Beltchef tomba, mortellement frappé. Il a été impossible
+d'atteindre le meurtrier qui a pris la fuite avec trois individus qui
+l'accompagnaient.</p>
+
+ <p>L'opinion très générale est que le coup était destiné au premier
+ministre, M. Stamboulof, et, bien que l'on n'ait encore aucun indice sur
+le mobile qui a poussé les meurtriers, on est porté à croire que cette
+affaire se rattache à celle qui amena l'exécution du major Panitza. On
+se rappelle qu'à la suite de cette exécution, on trouva sur un arbre
+voisin de l'endroit où elle avait eu lieu une bande de toile portant
+cette inscription: «Avant six mois, Ferdinand et son premier ministre
+seront exposés à cette même place.» On fait remarquer aussi que, peu de
+temps après l'exécution du major Panitza, on parlait d'une ligue de
+Macédoniens qui s'était formée pour venger la mort de leur compatriote.</p>
+
+ <p>Voici la question bulgare de nouveau à l'ordre du jour, car à la suite
+de cet événement M. Stamboulof ne restera pas inactif.</p>
+<br><br>
+ <p><b>Nécrologie.</b>-Le poète Josephin Soulary.</p>
+
+ <p>M. Armand Lévy, orateur bien connu des réunions socialistes.</p>
+
+ <p>M. Valéry Vernier, homme de lettres.</p>
+
+ <p>Mme la princesse d'Arenberg, femme du député du Cher, s&oelig;ur du comte
+Greffulhe, député de Seine-et-Marne.</p>
+
+ <p>Le sculpteur Frétigny.</p>
+
+ <p>M. Henry Berthoud, homme de lettres, un des premiers vulgarisateurs
+scientifiques.</p>
+
+ <p>Mme la baronne de la Guerronnière, belle-mère de M. d'Ormesson,
+directeur du protocole.</p>
+
+ <p>M. G. Seurat, artiste peintre.</p>
+ <br><br>
+
+ <h3>LES LIVRES NOUVEAUX</h3>
+
+ <p><i>De Saint-Louis au port de Tombouctou</i>, voyage d'une canonnière
+française, par E. Caron, lieutenant de vaisseau. Ouvrage accompagné de
+quatre cartes. (Augustin Challamel, éditeur, 5, rue Jacob.)--Il n'est
+pas de nation d'Europe qui n'ait aujourd'hui les yeux fixés sur
+l'Afrique, dans la pensée de s'y rendre maîtresse de quelque territoire
+neuf et non encore exploité, de telle sorte que l'on peut, dès l'heure
+présente, affirmer que l'Afrique tout entière est vouée, dans un avenir
+assez prochain, à n'être plus qu'une colonie européenne. Parmi ces
+nations du vieux monde, la France jouit d'une situation exceptionnelle,
+se trouvant déjà posséder l'Algérie et le Sénégal. Ses efforts sont, par
+suite de cette situation même, à l'avance tout indiqués: ils doivent
+tendre à relier l'une à l'autre ces deux colonies. Du sud de l'Algérie
+et de Bammako, ville centrale du Soudan français située sur le Niger,
+elle doit se diriger vers le centre du continent africain, à peine de se
+voir couper cette route stratégique par une autre nation rivale plus
+prompte ou mieux avisée. C'est dans cette préoccupation que le
+gouverneur du Soudan, le colonel Gallieni, dès sa prise de commandement,
+résolut de faire pousser par le Niger une reconnaissance jusqu'à
+Tombouctou. Une canonnière fut armée à cet effet et le lieutenant de
+vaisseau E. Caron chargé de la commander. Sa mission était d'explorer le
+fleuve, d'étudier l'état politique des populations riveraines, de réunir
+des données commerciales et scientifiques, pour permettre d'asseoir une
+opinion sur la valeur des contrées arrosées par le Niger moyen et sur la
+politique à suivre dans l'avenir. Le but a été atteint, les difficultés
+de toute nature, provenant des hommes et des choses, n'ont pas manqué;
+mais la canonnière est arrivée au port. Tombouctou n'a pu être visité,
+le pays étant sous la domination des Touaregs, dont la défiance et
+l'hostilité ne permirent pas une descente dans la ville. Mais
+l'exploration a été faite, le pays reconnu, étudié, et les conséquences
+de cette reconnaissance et de cette étude vont pouvoir être poursuivies.
+M. le lieutenant Caron ne se dissimule pas les difficultés d'une
+transformation du Soudan français, mais il en indique les moyens et il
+croit fermement que, de ce côté, un vaste champ reste ouvert à notre
+activité coloniale. Il lui reviendra l'honneur d'avoir posé l'un des
+premiers jalons dans cette route du progrès et de la civilisation.</p>
+
+ <p>L. P.</p>
+<br>
+ <p><i>Vérités et apparences</i>, par Armand Hayem, (chez Alphonse Lemerre, prix:
+3 fr. 50). Dune intelligence qui s'assimilait à tout, d'une activité
+d'esprit dévorante, Armand Hayem s'était, de bonne heure, jeté
+fiévreusement, inconsidérément aussi, dans l'administration, la
+politique, la philosophie et la littérature.</p>
+
+ <p>Jeune encore, il avait débuté avec le <i>Mariage</i>, que couronna
+l'Académie. Il publia ensuite un certain nombre d'ouvrages d'ordres
+différents, appréciés des délicats, et tout en remplissant avec un zèle
+et un dévoùment dont le canton de Montmorency conserve le souvenir, ses
+fonctions de conseiller général, auxquelles il fut appelé quatre fois
+successivement.</p>
+
+ <p>Parmi ses livres, rappelons particulièrement <i>Fédéralisme et Césarisme</i>,
+et sa double et remarquable étude: le <i>Don Juanisme</i> et <i>Don Juan
+d'Armana</i>.</p>
+
+ <p>Armand Hayem laisse des &oelig;uvres posthumes, parmi lesquelles <i>Vérités et
+apparences</i> précédées d'un portrait et d'une lettre d'Alexandre Dumas à
+Mme Armand Hayem.</p>
+
+ <p>Nous ne pensons pouvoir mieux faire que de livrer ces lignes de la belle
+préface de l'illustre écrivain: «Ce qui faisait l'inquiétude incessante,
+le tourment toujours grandissant de cet esprit et de cette âme, c'était
+l'amertume poussée jusqu'à l'éc&oelig;urement, déposée en lui par
+l'observation et la connaissance des hommes, et, en même temps, le
+besoin, l'obsession, c'est le mot, d'un idéal de perfectibilité auquel
+il ne voulait pas se soustraire. De là, dans ce livre un double écho,
+celui de sa raison, celui de sa conscience. Son esprit va
+alternativement de l'une à l'autre, poussant à chaque retour un cri
+tantôt ironique, tantôt enthousiaste, toujours douloureux.»</p>
+
+<br>
+ <p><i>Les Mammifères de la France</i>, par M. A. Bouvier, (Georges Carré, 58,
+rue Saint-André-des-Arts).</p>
+
+ <p>Faire connaître en les classant au point de vue de leur utilité les
+mammifères de nos contrées, tel a été le but que s'est proposé l'auteur,
+et ajoutons qu'il y a pleinement réussi.</p>
+
+ <p>L'élève trouvera dans cet ouvrage les notions de classification
+d'histoire naturelle dont il a besoin; l'agriculteur le complément
+d'observations utiles et pratiques et les indications qui peuvent lui
+être nécessaires; le lecteur une occasion de s'instruire sans fatigue.</p>
+
+ <p>L'ouvrage de M. Bouvier a été honoré de souscriptions de plusieurs
+ministères, y compris celui de l'Instruction publique.</p>
+
+<br>
+ <p><i>Crimes d'orgueil</i> par Louis de Caters (1 volume chez Victor-Havard,
+éditeur à Paris).</p>
+
+ <p>Ce nouvel ouvrage de M. de Caters est une &oelig;uvre pleine de passion et
+d'intérêt où sous une action violente se développe une thèse
+profondément humaine.</p>
+
+ <p>L'auteur donne là une note nouvelle de son talent. Ce roman vaut par
+l'élévation de ses sentiments, la vigueur du style, la gamme des
+sensations de c&oelig;ur, des révoltes d'âme. <i>Crimes d'orgueil</i> sera un des
+meilleurs livres de l'année.</p>
+
+<br>
+ <p><i>Mémoires de Mme Campan</i>, dans la collection pour les jeunes filles,
+dirigée par Mme Carette, née Bouvet. 1 vol. in-12, 3 fr. 50 (Paul
+Ollendorff).--Ces mémoires sont surtout l'histoire intime de
+Marie-Antoinette, dont Mme Campan était la première femme de chambre, et
+qui, à ce titre, fut pendant vingt ans mêlée à l'existence de la reine,
+qu'elle ne quitta--malgré elle--que lorsque la famille royale fut
+enfermée aux Feuillants. On devine ce que peuvent présenter d'intérêt
+les observations et les souvenirs d'une femme d'un esprit aussi
+judicieux et aussi distingué que la future directrice de la maison
+impériale d'éducation d'Ecouen.</p>
+
+<br>
+ <p>Dans la <i>Nouvelle Collection</i> (Charpentier et Fasquelle, éditeurs): les
+<i>Fiançailles de Thérèse</i>, par Mme Stanislas Meunier, et <i>Un manuscrit</i>,
+par Pierre Maël, deux jolis romans d'amour chaste, destinés à prouver
+que les sentiments purs dans les &oelig;uvres ne sont pas exclusifs des
+qualités littéraires chez les auteurs.</p>
+
+<br>
+ <p><i>Tableaux algériens</i>, par Gustave Guillaumet, 1 vol. in-12, 3 fr. 50
+(Plon, Nourrit et Cie).--Un vrai livre de peintre. Comme Fromentin,
+Guillaumet eût pu se faire, à côté de sa gloire d'artiste, une
+réputation d'écrivain. Et tous deux, c'est la vie du désert qui les a
+séduits, fascinés. C'est le soleil qui, après avoir tenté leur pinceau,
+les a faits poètes, la plume à la main. Les Tableaux algériens ne sont
+point d'ailleurs un nouvel ouvrage. Une superbe édition illustrée en
+avait été publiée après la mort du peintre. La librairie Plon vient
+seulement d'en mettre une édition courante à la portée du grand public.</p>
+
+<br>
+ <p><i>L'Enseignement au point de vue national</i>, par Alfred Fouillée, ancien
+maître de conférences à l'École normale supérieure. 1 vol. in-12, 3 fr.
+50 (Hachette).--Les questions d'enseignement n'ont pas cessé d'être à
+l'ordre du jour. L'éducation reste la question vitale; mais il semble,
+il est même certain, et M. Fouillée le constate, qu'en cette matière on
+ne se place jamais qu'au point de vue de l'individu. Ne faudrait-il pas
+enfin tenir compte de la race, s'élever à un point de vue national, se
+préoccuper non seulement d'instruire les individus, mais de conserver et
+d'accroître les qualités héréditaires de la race? Tel doit-être, d'après
+M. Alfred Fouillée, le but de l'éducation. C'est à ce point de vue qu'il
+a étudié les questions d'enseignement, et l'on peut juger quel intérêt
+nouveau et vraiment patriotique s'attache par suite à son livre.</p>
+<br><br>
+
+ <h3>NOS GRAVURES</h3>
+
+ <h4>LES DÉCOUVERTES DE LOUQSOR</h4>
+
+ <p>Tous les journaux ont parlé des découvertes faites récemment en Égypte
+par notre compatriote M. Grébaut, directeur du Musée égyptien de Ghizeh.
+M. Grébaut, à la suite de fouilles entreprises dans La montagne de
+Thébes, a mis au jour un puits contenant un nombre considérable de
+momies, toutes dans de riches sarcophages, et dans un état merveilleux
+de conservation. Par une rare bonne fortune, parmi les témoins de ces
+fouilles se trouvait un de nos plus chers collaborateurs, M. Émile
+Bayard, qui vient de passer l'hiver en Égypte. C'est donc sur place même
+et d'après nature que M. Bayard a pu faire les deux beaux dessins que
+nous donnons et dont il a accompagné l'envoi de la très intéressante
+lettre que voici:</p>
+
+ <p><i>Au Directeur.</i></p>
+
+ <p>Je vous ai dit dans ma précédente lettre qu'après avoir remonté jusqu'à
+la première cataracte, sur un charmant et confortable bateau de la
+Société Égyptienne Thewfikiek, je m'étais arrêté à Louqsor, à l'hôtel de
+la société sus-nommée. Je vous laisse à penser ma joie en voyant sur la
+table du grand salon l'<i>Illustration</i>, qu'on se passait de mains en
+mains. Quand on a vu votre collaborateur assidu et dévoué, on l'a fort
+entouré. A 1,200 lieues de la rue Saint-Georges, ç'a été vraiment une
+grande joie pour moi, car je rapportais au journal les sympathies dont
+j'étais l'objet.</p>
+
+ <p>Le soir même de mon arrivée, j'appris la découverte si intéressante de
+M. Grébaut, le savant égyptologue. Ma première idée fut de faire
+profiter de ma bonne fortune les lecteurs de l'<i>Illustration</i>. Aussi, le
+lendemain matin, je traversai le Nil et me trouvai sur la rive gauche de
+l'ancienne Thèbes; de là, monté sur un bourriquot (Ramsès, s'il vous
+plaît), je me rendis à la dahabieh de M. Grébaut, à qui j'avais eu le
+plaisir d'être présenté au Caire. Fort bien accueilli, il fut décidé que
+nous partirions de suite pour Deïr-el-Bahari. Nous voilà donc tous à
+bourriquot, M. Grébaut, M. Bourriaud, le chef érudit de la mission
+archéologique française, et moi. Au bout d'une bonne heure, nous
+arrivâmes sur le flanc de la chaîne lybique, où se trouve la fouille que
+M. Grébaut a fait creuser, pressentant en cet endroit un trésor caché,
+dont l'importance archéologique devait dépasser ses espérances. Mais je
+laisse la parole à M. Grébaut:</p>
+
+ <p>«J'étais persuadé qu'environ à cette distance de la montagne je
+trouverais quelque chose. Je ne m'étais pas trompé et j'ai fait
+fouiller. A ma grande joie j'ai vu apparaître le puits que vous voyez,
+dont la profondeur est environ de 15 mètres et au fond duquel se
+trouvait une porte fermée par un entassement de grosses pierres.</p>
+
+ <p>La porte déblayée, on est entré dans un premier souterrain. Après un
+parcours de 73 mètres on rencontre un escalier de 5 mètres et l'on
+descend à un second étage qui fait suite pendant 12 mètres.</p>
+
+ <p>Ces deux étages conservent la direction du nord au sud. Au fond sont
+creusées deux chambres funéraires mesurant: l'une 4 mètres, l'autre 2
+mètres de côté. A la hauteur de l'escalier est située la port d'un
+second corridor de 54 mètres se dirigeant de l'est à l'ouest. Le
+développement total des souterrains est de 153 mètres.</p>
+
+ <p>Ils étaient remplis de caisses de momies, souvent entassées les unes sur
+les autres. A côté des sarcophages étaient déposés des objets divers,
+papyrus, boîtes, paniers, statuettes, offrandes funéraires, fleurs.</p>
+
+ <p>Le désordre dénotait une cachette du genre de celles des momies royales
+découvertes il y a dix ans. Les deux cachettes sont de la même époque,
+elles ont dû être faites dans les mêmes circonstances. Dans les deux
+cas, les momies les plus récentes appartiennent à la 21e dynastie.</p>
+
+ <p>Les sarcophages de la nouvelle découverte sont ceux des prêtres et des
+prêtresses d'Ammon, au nombre de 163. On compte aussi quelques prêtres
+d'autres divinités, de Set, d'Anubis, de Mentou et de la reine Aah-Hotep
+dont le culte s'est maintenu pendant de longs siècles.»</p>
+
+ <p>L'extraction des sarcophages m'a fourni le sujet d'un dessin: les cuves
+extérieures d'une richesse de décoration incomparable sont composées et
+exécutées avec un soin particulier. Quand on pense que la porte de ces
+souterrains, fermée depuis 3,000 ans, vient de livrer passage à ces
+sarcophages qu'on dirait faits d'hier tant leur conservation est
+admirable, l'imagination reste confondue.</p>
+
+ <p>Voilà, mon cher ami, ce que j'ai eu l'heureuse chance de voir; mais ce
+qu'on ne verra pas de longtemps, c'est leur transport au Nil où les
+attendent de grands chalands qui doivent les transporter au Caire.</p>
+
+ <p>Rien ne peut donner une idée (pas même mon dessin!) de cet étonnant
+spectacle.</p>
+
+ <p>Imaginez-vous, sous un soleil de 50 degrés, dans les grandes plaines
+fertilisées par le Nil et s'étendant jusqu'aux contreforts de la
+montagne, deux cents Arabes dans les costumes les plus pittoresques,
+souvent nus, portant sur leurs épaules une trentaine de ces merveilleux
+sarcophages, se bousculant dans la poussière en chantant ces refrains
+monotones dont ils scandent leurs marches. C'est un spectacle
+inoubliable.</p>
+
+ <p>Je ne veux pas, cher ami, prolonger cette longue lettre. Je dois
+cependant ajouter que, malgré son grand désir de m'être agréable, M.
+Grébaut n'a pu me fournir les photographies des objets trouvés, ce qui
+eût été bien précieux, mais il ne veut rien livrer à la publicité avant
+d'avoir examiné avec soin, à son retour au Caire, tous les éléments de
+sa découverte. Je suis persuadé qu'il s'empressera, aussitôt qu'il le
+pourra, de vous les envoyer avec une notice explicative. Ce sera encore
+de l'actualité. A bientôt, mon cher ami.</p>
+
+ <p>Votre bien affectionné,</p>
+
+ <p>Émile Bayard.</p>
+ <br>
+
+ <h4>A L'ÉGLISE DU SACRÉ-C&OElig;UR</h4>
+
+ <p>Les nombreux pèlerins qui ont visité pendant ces derniers jours l'église
+du Sacré-C&oelig;ur se sont portés en foule dans la crypte de la Basilique où
+les attendait le spectacle émouvant d'une «Mise au tombeau» fidèlement
+représentée.</p>
+
+ <p>Le corps du Seigneur, qui tient le milieu, est soutenu par Joseph
+d'Arimathie, à qui appartenait le sépulcre, et Nicodème.</p>
+
+ <p>A gauche, la sainte Vierge, accompagnée de saint Jean et de la mère de
+Jacques, étend les bras vers son divin fils à qui elle semble adresser
+un dernier adieu. A droite, Marie-Madeleine à genoux, les mains jointes,
+implore une fois encore son pardon, et derrière elle se tiennent les
+trois saintes femmes qui accompagnent la mère du Christ. Un disciple
+porte la couronne d'épines, et trois soldats romains éclairent avec des
+torches la funèbre cérémonie. Tout en haut d'un escalier taillé dans le
+roc, on entrevoit le calvaire.</p>
+
+ <p>Les figures en cire sont l'&oelig;uvre de M. Pêche-Lambert. C'est un travail
+long et difficile que la mise au point d'un pareil tableau. L'artiste
+doit modeler d'abord ses personnages en terre glaise, les reproduire
+ensuite en plâtre, et sur les plâtres prendre les moulages dans lesquels
+coulera la cire. Après avoir soigneusement réparé et retouché cette
+cire, les groupes sont implantés, et les couleurs savamment distribuées
+donnent à la scène l'illusion de la vie.</p>
+
+ <p>Ab.</p>
+ <br>
+
+ <h4>AU THÉÂTRE D'APPLICATION</h4>
+
+ <p>Le petit théâtre de la rue Saint-Lazare a donné, ces jours derniers, un
+spectacle de circonstance qui, pour n'être pas de ceux auxquels se
+précipite d'ordinaire le gros public, n'en a pas moins offert un intérêt
+littéraire et scénique indéniable.</p>
+
+ <p>La <i>Passion</i>, de M. Haraucourt, avait été donnée déjà l'an passé au
+Cirque-d'Hiver avec Mme Sarah Bernhardt comme protagoniste; elle fit
+même quelque bruit à cette époque-là, si nous nous souvenons bien.
+Transportée sur la petite scène de M. Bodinier, elle a été écoutée
+presque avec recueillement.</p>
+
+ <p>Les quatre tableaux de la Passion: Un Carrefour à Jésusalem, la Maison
+de Lazare, le Jardin des Oliviers et le Calvaire se sont déroulés
+tranquillement devant une salle toujours pleine, et dans un silence
+qu'interrompaient seuls les applaudissements à l'adresse du poète et des
+interprètes. Ceux-ci, en effet, surtout Taillade dans le rôle de Judas
+et Brémont dans celui de Jésus, Mme Malvau dans le personnage de Marie
+et Mme de Pontry dans celui de Madeleine, se sont acquittés à merveille
+de leur lâche et n'ont pas peu contribué au succès de ces quelques
+représentations dont notre gravure reproduit fidèlement l'aspect
+général. Ce qu'elle ne peut rendre, c'est l'impression toute
+particulière quelles ont dù laisser dans l'esprit de nombre de
+Parisiens. Nous nous ferons sans doute par la suite à ce spectacle
+moitié profane, moitié religieux. Mais cette petite salle oblongue avec
+sa tribune du fond où l'orgue seul fait défaut; cette étroite scène où,
+dans la monotone vibration des vers psalmodiés, Madeleine la pécheresse,
+sous les traits de la belle Mme de Pontry (c'est l'épisode que
+représente notre gravure), arrosait de parfums les pieds de Jésus: la
+demi-obscurité que faisaient flotter au-dessus des spectateurs
+recueillis les lustres baissés... tout cela donnait assez bien l'idée
+d'une bonne petite religion fin de siècle, dont le culte se célébrerait
+dans une sorte de chapelle laïque, fraîchement décorée et ornée de
+glaces.</p>
+
+ <p>J. S.</p>
+ <br>
+
+ <h4>LA PÂQUE RUSSE</h4>
+
+
+
+ <p>Nous continuons aujourd'hui notre série des scènes de la vie russe par
+la cérémonie de la Pâque qui rappelle un peu ce qu'en France nous
+appelons la bénédiction des rameaux. Les fidèles, rangés devant la porte
+<span class="lef"><img alt="" src="images/012.png"><br>
+<b>M. BELTCHEF D'après la photographie<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;de M. Ivan-A.-Rarastojanow.</b></span>
+de l'église, ont apporté avec eux des pains confectionnés avec une sorte
+de laitage caillé qui constitue, le jour de la pâque, le mets principal
+des Russes. Dans ce laitage ils ont planté des cierges qu'ils ont
+allumés. Le pope sort de l'église, suivi de son sacristain, et bénit les
+fidèles, les cierges et les pains de laitage caillé. Puis tout le monde
+se retire.</p>
+
+ <p>Une particularité assez curieuse à signaler: sitôt que la bénédiction a
+été donnée, les fidèles éteignent leurs petits cierges, dont ils
+conservent précieusement la partie restée intacte, à moins qu'ils ne la
+cèdent, moyennant quelque argent, à d'autres fidèles qui n'ont pu
+assister à la bénédiction.</p>
+<br>
+
+ <h4>M. BELTCHEF</h4>
+
+ <p>Nos lecteurs trouveront dans l'<i>Histoire de la semaine</i> les détails
+relatifs à l'assassinat de M. Beltchef, ministre des finances de
+Bulgarie, dont nous donnons ci-contre le portrait. Nous n'avons donc que
+peu de chose à dire sur cet attentat, qui a jeté la consternation dans
+tous les cercles politiques de Sofia, où la victime était aimée et
+estimée de tous. Au moment où nous mettons sous presse, les assassins ne
+sont pas encore connus, mais les arrestations ordonnées par M.
+Stamboulof continuent, et l'agitation s'étend de plus en plus en
+Bulgarie.</p>
+
+ <p>M. Beltchef était nouveau venu en politique. Il avait trente-cinq ans et
+avait fait ses études à Paris.</p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>NOTRE SUPPLÉMENT</h3>
+
+ <p><i>Morte saison</i>.--S'il mange ainsi son fonds, le petit
+pâtissier-confiseur que Mlle Achille Fould a peint avec tant d'esprit,
+il ne s'enrichira guère! Mais, à cet âge, songe-t-on à l'avenir, surtout
+quand le présent est là, attractif, sous la forme d'un éventaire chargé
+de sucre d'orges? La marchandise doit être bonne. Les yeux émerveillés
+du gamin le disent éloquemment.</p>
+
+ <p><i>Au pigeonnier.</i>--Bébé a évidemment promis d'être sage et de ne pas
+troubler la quiétude des habitants du pigeonnier, pour qu'on lui ait
+confié le soin de jeter de ses mains potelées les grains aux beaux
+oiseaux qui attendaient leur repas. M. Pinchart a composé cette scène
+gracieuse avec une légèreté tout à fait fin de siècle... mais l'autre,
+le dix-huitième!</p>
+
+ <p><i>Les premiers galons.</i>--«Pour que ça pousse, mon fieu, vois-tu, faut les
+arroser.» Et le vieux Breton bretonnant a fait ce qu'il a fallu de
+chemin pour venir au port embrasser son «gamin» sur les deux joues à
+l'occasion des deux bandes rouges qui ornent nouvellement sa manche. Il
+est tout fier, le bonhomme, du succès de son fils, et si celui-ci
+sourit, c'est qu'il y a de quoi, vous en conviendrez.</p>
+
+ <p><i>Portrait à cinquante centimes.</i>--On est entré à quatre, quatre bons
+compagnons de bord, dans l'atelier essentiellement primitif du
+photographe ambulant. L'objectif dirigé par la patronne de
+l'établissement va prendre les traits du gars qui sourit déjà en
+songeant à la promise, et à la mine qu'elle fera en recevant le petit
+bout de carton. La pittoresque composition de M. Bourgain est une
+véritable étude de m&oelig;urs.</p>
+
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/013.png"><br></p>
+
+ <h3>ANIE</h3>
+
+ <h4>Roman nouveau, par HECTOR MALOT</h4>
+
+ <h4>Illustrations d'ÉMILE BAYARD</h4>
+
+ <p class="mid">Suite.--Voir nos numéros depuis le 21 février 1891.</p>
+ <br>
+
+ <p>En effet, les deux jeunes gens revenaient sur leurs pas.</p>
+
+ <p>--Cette fois nous allons bien voir, dit Mme Barincq, s'il affecte de ne
+pas te saluer.</p>
+
+ <p>Il fit plus que saluer; arrivé vis-à-vis d'eux, il laissa échapper un
+mouvement prouvant qu'il venait seulement de reconnaître Barincq, et
+tout de suite, se séparant de son compagnon, il s'avança, le chapeau à
+la main, en s'inclinant devant Mme Barincq et Anie:</p>
+
+ <p>--Puisque le hasard me fait vous rencontrer sur cette plage, me
+permettrez-vous, monsieur, dit-il, de vous adresser une demande pour
+laquelle je voulais vous écrire?</p>
+
+ <p>--Je suis tout à votre disposition.</p>
+
+ <p>--Voici ce dont il s'agit. Dans la chambre que j'occupais lors de mes
+visites à Ourteau, se trouvent plusieurs objets qui m'appartiennent:
+deux fusils de chasse, des livres, des photographies, du linge, des
+vêtements. J'aurais dû vous en débarrasser depuis longtemps, et je vous
+prie de me pardonner de ne pas l'avoir encore fait.</p>
+
+ <p>--Ces objets ne nous gênent en rien.</p>
+
+ <p>--Mon excuse est dans un ordre de service; j'ai quitté Bayonne peu de
+temps après la mort de M. de Saint-Christeau et ne suis revenu que cette
+semaine; mais, maintenant que me voilà de retour, je puis les envoyer
+chercher le jour que vous voudrez bien me donner.</p>
+
+ <p>--Nous rentrons lundi.</p>
+
+ <p>--Mardi vous convient-il?</p>
+
+ <p>--Parfaitement.</p>
+
+ <p>--Mardi j'enverrai mon ordonnance les emballer.</p>
+
+ <p>--Si vous voulez m'en donner la liste, je puis vous les faire envoyer
+par Manuel.</p>
+
+ <p>--C'est que cette liste est difficile à établir, surtout pour les livres
+qui se trouvent mêlés à ceux de la bibliothèque du château, et pour tout
+ce qui touche aux livres Manuel n'est pas très compétent.</p>
+
+ <p>--Votre ordonnance l'est davantage?</p>
+
+ <p>Le capitaine sourit:</p>
+
+ <p>--Pas beaucoup.</p>
+
+ <p>--Alors?</p>
+
+ <p>--Évidemment des erreurs sont possibles; mais, en tout cas, s'il s'en
+commet, elles seront de peu d'importance, et je les réparerai en vous
+renvoyant les volumes qui ne m'appartiendraient pas.</p>
+
+ <p>--Il y aurait un moyen de les empêcher, ce serait que vous prissiez la
+peine de venir vous-même à Ourteau, où nous nous ferons un plaisir, Mme
+et moi, de vous recevoir le jour qu'il vous plaira de choisir.</p>
+
+ <p>Le capitaine hésita un moment, regardant Mme Barincq et Anie.</p>
+
+ <p>--Si vous pouvez m'indiquer à l'avance l'heure de votre arrivée, dit
+Barincq, j'enverrai une voiture vous attendre à Puyoo.</p>
+
+ <p>Cette insistance fit céder les hésitations du capitaine.</p>
+
+ <p>--Mardi, dit-il, je serai à Puyoo à 3 heures 55.</p>
+
+ <p>Comme il allait se retirer, après avoir salué Mme Barincq et Anie,
+Barincq lui tendit la main.</p>
+
+ <p>--A mardi.</p>
+
+ <p>Le capitaine rejoignit son compagnon.</p>
+
+ <p>C'était l'habitude de Mme Barincq d'interroger sa fille sur toutes
+choses et sur tout le monde, ne se faisant une opinion qu'avec les
+impressions qu'elle recevait.</p>
+
+ <p>--Eh bien, demanda-t-elle aussitôt que le capitaine se fut éloigné de
+quelques pas, comment le trouves-tu? Tu ne diras pas cette fois que tu
+ne l'as pas remarqué.</p>
+
+ <p>--Je le trouve très bien.</p>
+
+ <p>--N'est-ce pas? dit Barincq.</p>
+
+ <p>--Que vois-tu de bien en lui? continua Mme Barincq.</p>
+
+ <p>--Mais tout; il est beau et il a l'air intelligent; la voix est bien
+timbrée, ses manières sont faciles et naturelles; la physionomie respire
+la droiture et la franchise; je ne connais pas de militaires, mais quand
+j'en imaginais un, d'après un type que j'arrangeais, il n'était ni autre
+ni mieux que celui-là.</p>
+
+ <p>--Es-tu satisfaite? demanda Barincq à sa femme; si tu voulais un
+portrait, en voilà un.</p>
+
+ <p>--On dirait qu'il te fait plaisir.</p>
+
+ <p>--Pourquoi pas? Non seulement le capitaine m'est sympathique, mais
+encore je le plains.</p>
+
+ <p>--La voix du sang.</p>
+
+ <p>--Pourquoi ne parlerait-elle pas?</p>
+
+ <p>--Parce qu'il faudrait qu'elle fût inspirée par la certitude, et que
+cette certitude n'existe pas.</p>
+
+ <p>--Voilà précisément qui rend la situation intéressante.</p>
+
+ <p>Anie les interrompit:</p>
+
+ <p>--Ils reviennent, dit-elle, et il semble que c'est pour nous aborder.</p>
+
+ <p>--Que peut-il vouloir encore? demanda Mme Barincq.</p>
+
+ <p>Ils n'étaient plus qu'à quelques pas, tous deux en même temps mirent la
+main à leur chapeau, mais ce fut le capitaine qui prit la parole:</p>
+
+ <p>--Mon ami le baron d'Arjuzanx, dit-il, désire avoir l'honneur de vous
+être présenté.</p>
+
+ <p>--J'ai pensé que mon nom expliquerait et, jusqu'à un certain point,
+excuserait ce désir, dit le baron.</p>
+
+ <p>--Vous êtes le fils d'Honoré? demanda Barincq.</p>
+
+ <p>--Précisément, votre camarade au collège de Pau, comme j'ai été celui de
+Sixte; mon père m'a si souvent parlé de vous et en termes tels, que j'ai
+cru que c'était un devoir pour moi de vous présenter mes hommages, ainsi
+qu'à madame et à mademoiselle de Saint-Christeau.</p>
+
+ <p>Ce fut Mme Barincq qui répondit en invitant le baron à s'asseoir: des
+chaises furent apportées par le capitaine, et un cercle se forma.</p>
+
+ <p>Le baron d'Arjuzanx parla de son père, Barincq de ses souvenirs de
+collège, et la conversation ne tarda pas à s'animer. Habitué de
+Biarritz, le baron connaissait tout le monde, et, à mesure que les
+femmes défilaient devant eux pour entrer dans la mer ou remonter à leur
+cabines, il les nommait, en racontant les histoires qui couraient sur
+elles: Espagnoles, Russes, Anglaises, Américaines, toutes y passèrent,
+et quand elles lui manquèrent, il tira d'un carnet toute une série de
+petites épreuves obtenues avec un appareil instantané qui complétèrent
+sa collection. Si plus d'un modèle vivant prêtait à la plaisanterie, les
+photographies, en exagérant la réalité, avaient des aspects bien plus
+drolatiques encore: il y avait là des Espagnoles dont les caoutchoucs
+dans lesquels elles s'enveloppaient rendaient la grosseur phénoménale,
+comme il y avait des Russes saisies au moment où elles sortaient
+rapidement de leurs chaises à porteur, d'une maigreur et d'une longueur
+invraisemblables.</p>
+
+ <p>--Je vois qu'il est bon d'être de vos amies, dit Anie.</p>
+
+ <p>--Il est des personnes qui n'ont pas besoin d'indulgence.</p>
+
+ <p>Ce fut Mme Barincq qui répondit à ce compliment par son sourire le plus
+gracieux, fière du succès de sa fille.</p>
+
+ <p>Plusieurs fois le capitaine parut vouloir se lever, mais le baron ne
+répondit pas à ses appels, et resta solidement sur sa chaise, bavardant
+toujours, regardant Anie, se faisant inviter à Ourteau, et invitant
+lui-même M. et Mme de Saint-Christeau à lui faire l'honneur de venir
+voir son vieux château de Seignos: avec de bons chevaux on pouvait faire
+le voyage dans la journée sans fatigue.</p>
+
+ <p>--Avez-vous lu le <i>Capitaine Fracasse</i>, mademoiselle? demanda-t-il à
+Anie.</p>
+
+ <p>--Oui.</p>
+
+ <p>--Eh bien, vous retrouverez dans ma gentilhommière plus d'un point de
+ressemblance avec celle du baron de Sigognac, quand ce ne serait que les
+deux tours rondes avec leurs toits en éteignoirs. A la vérité, ce n'est
+pas tout à fait le château de la Misère, si curieusement décrit par
+Théophile Gautier, mais il n'y a que la misère qui manque; pour le
+reste, vous reconnaîtrez: très conservateurs, les d'Arjuzanx, car il n'y
+a pas eu grand'chose de changé chez nous depuis Louis XIII. Et puis,
+vous verrez mes vaches.</p>
+
+ <p>--Ah! vous avez des vaches! Combien vous donnent-elles de lait en
+moyenne? interrompit Mme Barincq qui, à force d'entendre parler de lait,
+de beurre, de veaux, de vaches, de porcs, d'herbe, de maïs, de
+betteraves, s'imaginait avoir acquis des connaissances spéciales sur la
+matière.</p>
+
+ <p>Le baron se mit à rire:</p>
+
+ <p>--C'est de vaches de courses qu'il s'agit, non de vaches laitières.</p>
+
+ <p>--A Ourteau, continua Mme Barincq, mes vaches nous donnent une moyenne
+de 1,500 litres.</p>
+
+ <p>--Vous êtes sur une terre riche, je suis sur une terre pauvre, aux
+confins de la Lande rase où la plaine de sable rougeâtre ne produit
+guère que des bruyères, des ajoncs, des genêts ou des fougères; mais, si
+pauvres laitières qu'elles soient, elles ont cependant quelques mérites,
+et si vous voulez aller dimanche à Habas, qui est à une assez courte
+distance d'Ourteau, vous verrez ce qu'elles valent.</p>
+
+ <p>--Il y a des courses? dit Barincq.</p>
+
+ <p>--Oui, et les vaches proviennent de mon troupeau.</p>
+
+ <p>--Certainement nous irons, dit Mme Barincq avec empressement; nous
+n'avons jamais vu de courses landaises, mais nous en avons assez entendu
+parler par mon mari pour avoir la curiosité de les connaître.</p>
+
+ <p>L'entretien se prolongea ainsi, allant d'un sujet à un autre, jusqu'à
+l'heure du dîner, et déjà le soleil s'abaissait sur la mer, découpant en
+une silhouette sombre les rochers de l'Atalaye, déjà la plage avait
+perdu son mouvement et son brouhaha, quand le baron se décida à se
+lever.</p>
+
+ <p>A peine s'était-il éloigné avec le capitaine que Mme Barincq rapprocha
+vivement sa chaise de celle de sa fille:</p>
+
+ <p>--Tu sais que c'est un mari? dit-elle.</p>
+
+ <p>--Qui? demanda Anie.</p>
+
+ <p>--Qui veux-tu que ce soit, si ce n'est le baron d'Arjuzanx?</p>
+
+ <p>--Te voilà bien avec ton idée fixe de mariage, dit Barincq.</p>
+
+ <p>--Oh! maman, si tu voulais ne pas t'occuper de mariage, continua Anie;
+nous ne sommes plus à Montmartre, et nous n'avons plus à chercher un
+mari possible dans tout homme qui nous approche. Laisse-moi jouir en
+paix de cette liberté.</p>
+
+ <p>--Je ne peux pourtant pas fermer mes yeux à l'évidence, et il est
+évident que tu as produit une vive impression sur M. d'Arjuzanx. C'est
+cette impression qui l'a poussé à se faire présenter, c'est elle qui ne
+lui a pas permis de te quitter des yeux pendant tout cet entretien;
+c'est elle enfin qui a amené les compliments fort bien tournés
+d'ailleurs qu'il t'a plusieurs fois adressés.</p>
+
+ <p>--De là à penser au mariage, il y a loin.</p>
+
+ <p>--Pas si loin que tu crois.</p>
+
+ <p>Cessant de s'adresser à sa fille, elle se tourna vers son mari:</p>
+
+ <p>--Quelle est la fortune de M. d'Arjuzanx?</p>
+
+ <p>--Je n'en sais rien.</p>
+
+ <p>--Quelle était celle du père?</p>
+
+ <p>--Assez belle, mais embarrassée par une mauvaise administration.</p>
+
+ <p>--Et sa situation?</p>
+
+ <p>--Des plus honorables; les d'Arjuzanx appartiennent à la plus vieille
+noblesse de la vicomté de Tursan; un d'Arjuzanx a été l'ami d'Henri IV;
+plusieurs autres ont marqué à la cour et à la guerre.</p>
+
+ <p>--Mais c'est admirable! Nous irons dimanche aux courses d'Habas où
+certainement nous le rencontrerons. Et, puisque le capitaine Sixte vient
+mardi à Ourteau, nous le ferons causer sur son camarade.</p>
+<br>
+ <h4>III</h4>
+
+ <p>Bien que Mme Barincq, maintenant qu'elle était en possession de la
+fortune de son beau-frère, n'eût plus rien à craindre du capitaine, elle
+le regardait toujours comme un ennemi: trop longtemps elle l'avait
+appelé le bâtard et le voleur d'héritage pour pouvoir renoncer à ses
+griefs contre lui alors même qu'ils n'avaient plus de raison d'être;
+pour elle il restait toujours le voleur d'héritage que pendant tant
+d'années elle avait redouté et maudit.</p>
+
+ <p>Mais le désir d'obtenir des renseignements sur le baron d'Arjuzanx le
+lui fit considérer à un point de vue différent, et amena chez elle un
+changement que les observations que son mari et sa fille ne lui
+épargnaient pas cependant en faveur du capitaine n'eussent jamais
+produit: puisqu'il devenait utile au lieu de rester dangereux, il était
+un autre homme.</p>
+
+ <p>Aussi, quand il arriva le mardi, voulut-elle le recevoir elle-même; et
+elle mit tant de bonne grâce à l'inviter à dîner, elle insista si
+vivement, elle trouva tant de raisons pour rendre toute résistance
+impossible, qu'il dut finir par accepter et ne pas persister dans un
+refus que sa situation personnelle envers la famille Barincq rendait
+particulièrement délicat.</p>
+
+ <p>Bien que de son côté il put lui aussi les considérer comme des voleurs
+d'héritage, il n'avait, en toute justice aucun reproche fondé à leur
+adresser, ni au mari, ni à la femme, ni à la fille: ni l'un ni l'autre
+n'avait rien fait pour lui enlever cette fortune qui, pendant longtemps,
+avait été sienne; il n'y avait point eu de luttes entre eux; la fatalité
+seule avait agi en vertu de mystérieuses combinaisons auxquelles
+personne n'avait aidé, et il ne pouvait pas, honnêtement, les rendre
+responsables d'être les instruments du hasard pas plus que d'être les
+complices de la mort. En réalité, le père était un brave homme pour qui
+on ne pouvait éprouver que de la sympathie, comme la fille était une
+très jolie et très gracieuse personne qu'il eût peut-être trouvée plus
+jolie et plus gracieuse encore, si sa condition d'officier sans le sou
+lui eût permis de s'abandonner à ses idées. Les choses étant ainsi,
+convenait-il de s'enfermer dans une attitude raide qu'on pourrait
+prendre pour de la rancune et de l'hostilité? Il le crut d'autant moins
+qu'il n'éprouvait à leur égard ni l'un ni l'autre de ces sentiments;
+désappointé qu'on n'eût pas retrouvé un testament qu'il connaissait,
+oui, il l'avait été, et même vivement, très vivement, car il n'était pas
+assez détaché des biens de ce monde pour supporter, impassible, une
+pareille déception; mais fâché contre ceux qui recueillaient, à sa
+place, cette fortune, par droit de naissance, il ne l'était point, et ne
+voulait pas, conséquemment, qu'on put supposer qu'il le fût.</p>
+
+ <p>Lorsqu'avec le secours de Manuel il eut emballé les objets qui lui
+appartenaient, il trouva, au bas de l'escalier, Barincq qui l'attendait.</p>
+
+ <p>--Vous plaît-il que, jusqu'au dîner, nous fassions une promenade dans
+les prés? le temps est doux; je vous montrerai mes travaux et mes bêtes.</p>
+
+ <p>Pendant cette promenade qui se prolongea, car Barincq était trop heureux
+de parler de ce qui le passionnait pour abréger ses explications, le
+capitaine n'eut pas un seul instant la sensation qu'il pouvait y avoir
+quelque chose d'ironique à lui montrer sa propriété améliorée:
+assurément l'affabilité avec laquelle on le recevait était sincère,
+comme l'était la sympathie qu'on lui témoignait; cela il le voyait, il
+en était convaincu; aussi, quand il s'assit à table, se trouvait-il dans
+les meilleures dispositions pour répondre aux questions que Mme Barincq
+lui posa sur le baron et raconter ce qu'il savait de lui.</p>
+
+ <p>C'était au collège de Pau qu'ils s'étaient connus, gamins l'un et
+l'autre puisqu'ils étaient du même âge. Et déjà l'entant montrait ce que
+serait l'homme: une seule passion, les exercices du corps, tous les
+exercices du corps. Dans ce genre d'éducation il avait accompli des
+prodiges dont le souvenir servirait longtemps d'exemples aux maîtres de
+gymnastique de l'avenir. Avec cela, bon garçon, franc, ouvert, généreux,
+n'ayant qu'un défaut, la rancune: de même que ses tours de force étaient
+légendaires, ses vengeances l'étaient aussi. Entre eux il n'y avait
+jamais eu que d'amicales relations, et si, pendant le temps de leur
+internat, ils n'avaient pas vécu dans une intimité étroite, au moins
+étaient-ils toujours restés bons camarades jusqu'au départ de d'Arjuzanx
+qui avait quitté le collège avant la fin de ses classes. Pendant plus de
+douze ans, ils ne s'étaient pas vus, et ne s'étaient retrouvés qu'à
+l'arrivée du capitaine à Bayonne.</p>
+
+ <p>Ce que le baron promettait au collège, il l'avait tenu dans la vie, et
+aujourd'hui il réalisait certainement le type le plus parfait de l'homme
+de sport: tous les exercices du corps il les pratiquait avec une
+supériorité qui lui avait fait une célébrité: l'escrime et l'équitation
+aussi bien que la boxe; il faisait à pied des marches de douze à quinze
+lieues par jour pour son plaisir; et il regardait comme un jeu d'aller
+de Bayonne à Paris sur son vélocipède. Cependant c'était la lutte
+romaine, la lutte à mains plates, qui avait établi surtout sa
+réputation, et il avait pu se mesurer sans désavantage, au cirque
+Molier, avec Pietro, qui est reconnu parmi les professionnels comme le
+roi des lutteurs. C'était la pratique constante de ces exercices et
+l'entraînement régulier qu'ils exigent qui lui avaient donné cette
+musculature puissante qu'on ne rencontre pas d'ordinaire chez les gens
+du monde. Pour s'entretenir en forme, il avait dans son château un
+ancien lutteur, un vieux professionnel précisément, appelé Thouloureux,
+autrefois célèbre, avec qui il travaillait tous les jours, et, d'une
+séance de lutte ou d'escrime, il se reposait par deux ou trois heures de
+cheval ou de course à pied.</p>
+
+ <p>Mme Barincq écoutait stupéfaite; sa surprise fut si vive, qu'elle
+interrompit:</p>
+
+ <p>--Est-ce que la lutte à mains plates dont vous parlez est celle qui se
+pratique dans les foires?</p>
+
+ <p>--C'est en effet cette lutte, ou plutôt c'était, car elle n'est plus
+maintenant, comme autrefois, réservée aux seuls professionnels, qui
+donnaient leurs représentations à Paris aux arènes de la rue Le
+Pelletier ou dans les fêtes de la banlieue, et, dans le Midi, un peu
+partout; des amateurs se sont pris de goût pour elle, quand les
+exercices physiques, pendant si longtemps dédaignés, ont été remis en
+faveur chez nous, et d'Arjuzanx est sans doute le plus remarquable de
+ces amateurs.</p>
+
+ <p>--Voilà qui est bizarre pour un homme de son rang.</p>
+
+ <p>--Pas plus que le trapèze ou le panneau du cirque pour certains noms des
+plus hauts de la jeune noblesse. En tout cas la lutte exige un ensemble
+de qualités qui ne sont pas à dédaigner: la force, la souplesse,
+l'agilité, l'adresse, la résistance, et une autre, intellectuelle
+celle-là, c'est-à-dire le sens de ce qui est à faire ou à ne pas faire.</p>
+
+ <p>--Vous parlez de la lutte comme si vous étiez vous-même un des rivaux de
+M. d'Arjuzanx, dit Anie.</p>
+
+ <p>--Simplement, mademoiselle, comme un homme qui, pratiquant par métier
+quelques exercices du corps, sait la justice qu'on doit rendre à ceux
+qui arrivent à une supériorité quelconque dans l'un de ces exercices.
+D'ailleurs, il est certain que la lutte est celui de tous qui développe
+le mieux la machine humaine pour lui faire obtenir d'harmonieuses
+proportions et lui donner son maximum de beauté: tandis que les autres
+détruisent plus ou moins l'équilibre des proportions, en favorisant un
+organe au détriment de celui-ci ou de celui-là: voyez le tireur à
+l'épaule haute, et le jockey, ou simplement le cavalier aux jambes
+arquées; et, d'autre part, voyez les athlètes de l'antiquité, qui ont
+servi de modèles à la statuaire et l'ont jusqu'à un certain point créée.</p>
+
+ <p>--J'avoue qu'à l'Hercule Farnèse je préfère l'Apollon du Belvédère, et
+surtout le Narcisse, dit Anie.</p>
+
+ <p>Tout cela étonnait Mme Barincq, et ne répondait pas à ses préoccupations
+de mère, elle voulut donc préciser ses questions.</p>
+
+ <p>--Voilà un genre de vie qui doit coûter assez cher? dit-elle.</p>
+
+ <p>--Je n'en sais rien, mais certainement il n'est pas ruineux comme une
+écurie de course, ou le jeu; en tout cas, je crois que la fortune de
+d'Arjuzanx peut lui permettre ces fantaisies, et alors même qu'elles lui
+coûteraient cher, même très cher, cela ne serait pas pour l'arrêter, car
+il n'a aucun souci des choses d'argent.</p>
+
+ <p>Volontiers, Mme Barincq eût parlé du baron pendant tout le dîner, de son
+caractère, de ses relations, de sa fortune, de son passé, de son avenir;
+mais Anie détourna la conversation, et sur la maintenir sur des sujets
+qui ne permettaient pas de revenir à M. d'Arjuzanx, et de laisser
+supposer au capitaine qu'elle s'intéressait à cette sorte d'enquête sur
+le compte d'un homme avec qui elle s'était rencontrée une fois.</p>
+
+ <p>L'obsession du mariage l'avait trop longtemps tourmentée pour qu'elle
+n'éprouvât pas un sentiment de délivrance à en être enfin débarrassée,
+c'avait été l'humiliation de ses années de jeunesse, de discuter avec sa
+mère la question de savoir si tel homme qu'elle avait vu ou devait voir
+pouvait faire un mari; si elle lui avait plu; s'il était acceptable; les
+avantages qu'il offrait ou n'offrait point. Maintenant que la fortune
+lui donnait la liberté, elle ne voulait plus de ces marchandages. Qu'un
+mari se présentât, elle verrait si elle l'acceptait. Mais aller au
+devant de lui, c'était ce qu'elle ne voulait pas.</p>
+
+ <p>Et le soir même, après le départ du capitaine, elle s'expliqua là-dessus
+avec sa mère très franchement.</p>
+
+ <p>--Est-ce que bien souvent je n'ai pas pris des renseignements sur un
+jeune homme sans que tu t'en fâches? dit celle-ci surprise.</p>
+
+ <p>--Les temps sont changés. C'est précisément parce que cela s'est fait
+que je ne veux plus que cela se fasse. Est-ce que le meilleur de la
+fortune n'est pas précisément de nous dégager des compromis de la
+misère? riche d'argent laisse-moi l'être de dignité.</p>
+
+ <p>Mais ces observations n'empêchèrent pas Mme Barincq de persister dans
+son envie d'aller le dimanche aux courses d'Habas.</p>
+
+ <p>--Rencontrer M. d'Arjuzanx n'est pas le chercher, et nous n'avons pas de
+raisons pour le fuir.</p>
+
+ <p>--Pourvu qu'on ne s'imagine pas que je suis une fille en peine de maris,
+c'est tout ce que je demande, et cela, je me charge de le faire
+comprendre sans qu'on puisse se tromper sur mes intentions.</p>
+
+ <h4>IV</h4>
+
+ <p>Habas, qui n'est qu'un village des Landes, a cependant des courses très
+suivies, et, le dimanche de juillet où elles ont lieu, c'est, sur les
+routes qui aboutissent à son clocher, une procession de voitures dans
+laquelle se trouvent représentés tous les genres de véhicules en usage
+dans la contrée; le long des haies vertes festonnées de ronces et de
+clématites, sous le couvert des châtaigniers, les piétons se suivent à
+la file, les pieds chaussés d'espadrilles neuves, le béret rabattu sur
+les yeux en visière, le ventre serré dans une belle ceinture rouge ou
+bleue; et, si quelques femmes sont fières d'être coiffées du chapeau de
+paille à la mode de Paris, d'autres portent toujours le foulard de soie
+aux couleurs éclatantes qui donne l'accent du pays.</p>
+
+ <p>Quand le landau de la famille Barincq, après avoir traversé les rues
+pavoisées, s'arrêta devant l'auberge de la <i>Belle Hôtesse</i>, il se
+produisit un mouvement de curiosité dans la foule: car, si les
+charrettes et même les carrioles à ânes étaient nombreuses, un landau
+était un événement dans le village.</p>
+
+ <p>Des éclats de cornet à piston et des ronflements d'ophicléide dominaient
+les rumeurs: c'était la fanfare qui, au loin, parcourait les rues en
+sonnant le rappel, et de partout on se dirigeait vers les arènes
+établies sur la place confisquée à leur profit. Construites en pin des
+landes dont les planches nouvellement débitées exsudaient sous les rayons
+d'un soleil de feu leurs dernières gouttes de résine en larmes blanches,
+elles répandaient dans l'air une forte odeur térébenthinée. Leur
+simplicité était tout à fait primitive: des gradins en bois brut, et
+c'était tout; les premières avaient le soleil dans le dos, les petites
+places dans les yeux; rien de plus, mais cette disposition était
+d'importance capitale dans un pays où ses rayons sont assez ardents pour
+faire accepter sans sourire la vieille image des flèches d'Apollon.</p>
+
+ <p>--Certainement, nous allons être rôtis, dit Mme Barincq en s'installant
+au premier rang.</p>
+
+ <p>Après dix minutes elle en était encore à chercher un moyen pour échapper
+à cette cuisson quand le baron d'Arjuzanx parut à l'entrée de la
+tribune; en le voyant se diriger de leur côté, elle ne pensa plus au
+soleil ni à la chaleur.</p>
+
+ <p>--Voilà le baron, dit-elle à Anie.</p>
+
+ <p>--Ne comptais-tu pas sur lui?</p>
+
+ <p>Quand les premiers mots de politesse furent échangés, Anie, fidèle à son
+idée, tint à bien marquer qu'elle n'était pas venue pour le rencontrer.</p>
+
+ <p>--Mon père nous a si souvent parlé des courses landaises, dit-elle, que
+nous avons voulu profiter de la première occasion qui s'offrait à courte
+distance pour en voir une.</p>
+
+ <p>--Et vous êtes bien tombée, répondit-il, en choisissant Habas. La
+journée sera, je le crois, intéressante: les bêtes sont vives, et les
+écarteurs comptent parmi les meilleurs que nous ayons: Saint-Jean,
+Boniface, Omer, et aussi le Marin et Daverat, qui sont plutôt sauteurs
+qu'écarteurs, mais qui vous étonneront certainement par leur souplesse.</p>
+
+ <p>--Il y a une différence entre un écarteur et un sauteur? demanda Mme
+Barincq.</p>
+
+ <p>--L'écarteur attend de pied ferme la bête qui se précipite sur lui, et,
+au moment où elle va l'enlever au bout de ses cornes, il tourne sur
+lui-même et la vache passe sans le toucher: il l'a écartée, ou plus
+justement il s'est écarté d'elle. Le sauteur attend aussi la bête comme
+l'écarteur, mais, au lieu de se jeter de côté, il saute par-dessus. Vous
+allez voir Daverat exécuter ce saut les pieds liés avec un foulard, ou
+fourrés dans un béret qu'il ne perdra pas en sautant. Si intéressants
+que soient ces sauts qui montrent l'élasticité des muscles, pour nous
+autres Landais ils ne valent pas un bel écart: le saut est fantaisiste,
+l'écart est classique.</p>
+
+ <p>--Pensez-vous que le capitaine Sixte assiste à ces courses? demanda Mme
+Barincq qui se souciait peu de ces distinctions qu'elle avait cependant
+provoquées.</p>
+
+ <p>--Je ne crois pas; ou plutôt, pour être vrai, je n'en sais rien du tout.</p>
+
+ <p>--Je regretterai son absence; nous avons eu le plaisir de le garder à
+dîner cette semaine, c'est un homme aimable.</p>
+
+ <p>--Un brave et honnête garçon, très droit, très franc.</p>
+
+ <p>--Je comprends que mon beau-frère se soit pris pour lui d'une vive
+affection, continua Mme Barincq curieuse d'obtenir des renseignements
+sur les relations qui avaient existé entre le capitaine et celui qu'on
+lui donnait pour père.</p>
+
+ <p>Mais le baron, qui ne voulait pas se laisser attirer sur ce terrain, se
+contenta de répondre par un sourire vague.</p>
+
+ <p>--Cependant, si vive que soit l'amitié, poursuivit Mme Barincq, elle ne
+peut pas aller jusqu'à supprimer les liens de famille.</p>
+
+ <p>Le baron accentua son sourire.</p>
+
+ <p>--Aussi puis-je difficilement admettre que le capitaine ait cru, comme
+on le dit, qu'il serait l'héritier de M. de Saint-Christeau.</p>
+
+ <p>Comme le baron ne répondait pas, elle insista:</p>
+
+ <p>--Pensez-vous que telle ait été son espérance?</p>
+
+ <p>--Je n'ai aucune idée là-dessus. Sixte ne m'en a jamais parlé, et bien
+entendu je ne lui en ai pas parlé moi-même. Tout ce que je puis
+affirmer, c'est que Sixte n'est pas du tout un homme d'argent; et si,
+comme on le dit, il a pu avoir certaines espérances de ce côté, ce que
+j'ignore d'ailleurs, je suis convaincu que leur perte ne l'aura touché
+en rien: il est au-dessus de ces choses.</p>
+
+ <p>--Il me semble, interrompit Anie pour détourner l'entretien, que s'il
+est tel que vous le représentez, il réunit en lui les qualités avec
+lesquelles on fait le type du parfait soldat.</p>
+
+ <p>--Mon Dieu, oui, mademoiselle; seulement, si ce type était vrai hier, il
+n'est plus tout à fait aussi vrai aujourd'hui.</p>
+
+ <p>--Je ne comprends pas bien.</p>
+
+ <p>--C'est que, ne vivant pas dans le monde militaire, vous ne suivez pas
+les changements qui sont en train de s'y accomplir. Il y a quelques
+années, l'indifférence pour l'argent était à peu près la règle générale
+chez l'officier, comme le mariage était l'exception; et, à cette époque,
+le désintéressement entrait pour une bonne part dans le type de ce
+parfait soldat qui alors ne mettait pas ses satisfactions et ses
+ambitions dans la fortune. Mais le mariage,
+
+ <span class="lef"><img alt="" src="images/014a.png"></span>
+
+maintenant si fréquent dans l'armée, a changé ces m&oelig;urs. En se voyant
+demandé par les familles riches, et même poursuivi, l'officier a accordé
+à l'argent une importance qui n'existait pas pour ses devanciers; et ils
+ne sont pas rares aujourd'hui ceux qui répondent, lorsqu'on leur parle
+d'une jolie fille:</p>
+
+ <p>«Ça apporte?» La fortune, en s'introduisant dans les régiments, a créé
+des besoins, et, par conséquent, des exigences qu'on ne soupçonnait pas
+il y a vingt ans. Sixte, bien que jeune, n'appartient pas à ce nouveau
+type, qui tend de plus en plus à remplacer l'ancien, et qui, d'ici peu
+de temps, aura complètement changé l'esprit et les m&oelig;urs de l'armée; et
+bien que capitaine de cavalerie, bien que breveté, ce qui double sa
+valeur marchande, je suis sûr que, s'il se marie jamais, la fortune ne
+sera pour lui que l'accessoire.</p>
+
+ <p>--Alors, c'est tout à fait un héros? dit Anie.</p>
+
+ <p>--Tout à fait.</p>
+
+ <p>--On peut donc admettre, continua Mme Barincq, revenant à son idée, que
+la perte de l'héritage de M. de Saint-Christeau ne lui a pas été trop
+douloureuse?</p>
+
+ <p>--On peut le croire.</p>
+
+ <p>Et, comme les écarteurs faisaient leur entrée dans l'arène, il profita
+de cette diversion pour n'en pas dire davantage: la fanfare jouait avec
+rage, des fusées éclataient, la foule poussait des clameurs de joie, ce
+n'était plus le moment des conversations à mi-voix, et il ne pouvait
+plus guère s'occuper que des écarteurs en les nommant à Anie à mesure
+qu'ils passaient avec des poses théâtrales, largement espacés, graves,
+cérémonieux, comme il convient à des personnages que porte la faveur de
+la foule. Comment celui-ci, élégant et gracieux dans sa veste de velours
+bleu, était cordonnier: et celui-là, de si noble tournure, tonnelier!</p>
+
+ <p>Le défilé terminé, le spectacle commence aussitôt. C'est sous la tribune
+dans laquelle ils ont pris place que les bêtes sont parquées, chacune
+dans sa loge; une porte s'ouvre et une vache s'élance sur la piste d'un
+trot allongé, ardente, impatiente, battant de sa queue ses flancs creux;
+sans une seconde d'hésitation elle fond sur le premier écarteur qu'elle
+aperçoit: il l'attend; et, quand arrivant sur lui elle baisse la tête
+pour l'enlever au bout de ses cornes fines, il tourne sur lui-même et
+elle passe sans l'atteindre; l'élan qu'elle a pris est si impétueux que
+ses jarrets fléchissent, mais elle se redresse aussitôt et court sur un
+autre, puis sur un troisième, un quatrième, au milieu des
+applaudissements qui s'adressent autant aux hommes qu'à la vaillance de
+la bête.</p>
+
+ <p>L'intérêt de ces courses, c'est que l'homme et la bête se trouvent en
+face: l'un de l'autre, sur le pied d'une égalité parfaite; point de
+<i>picador</i> pour fatiguer le taureau: point de <i>chulos</i> avec leurs
+<i>banderilleros</i> pour l'exaspérer; point de <i>muleta</i> pour l'étourdir et
+derrière sa soie rouge éblouissante préparer une surprise; l'homme n'a
+d'aide à attendre que de son sang-froid, son coup d'&oelig;il, son courage et
+son agilité; la bête n'a pas de traîtrise à craindre: au plus fort des
+deux, c'est un duel.</p>
+
+ <p>Il arriva une heure où l'entrain des écarteurs faiblit; la chaleur était
+lourde, des nuages d'orage montaient du côté de la mer sans voiler
+encore le soleil qui tombait implacable dans l'arène surchauffée; la
+fatigue commençait à peser sur les plus vaillants, qui, précisément
+parce qu'ils ne s'étaient pas ménagés, se disaient sans doute que
+c'était aux autres à donner, et ils s'attardaient volontiers à causer
+avec leurs amies des tribunes, en s'appuyant nonchalamment aux planches
+du pourtour, au lieu de se tenir au milieu de l'arène, prêts à provoquer
+les attaques. A ce moment une vache lâchée sur la piste ne trouva
+personne devant elle: c'était une petite bête maigre, nerveuse, au
+pelage roux truité de noir, au ventre ovale, n'ayant pas plus de mamelle
+qu'une génisse de six mois: sa tête fine était armée de longues cornes
+effilées comme une baïonnette. A sa vue il s'éleva une clameur qui
+disait sa réputation.</p>
+
+ <p>--La Moulasse!</p>
+
+ <p>Elle ne trompa pas les espérances que ses amis mettaient en elle: voyant
+les écarteurs espacés ça et la le long du pourtour, elle se rua sur le
+premier qu'elle crut pouvoir atteindre et en moins de quatre secondes
+elle eut fait le tour de l'arène, cassant les planches à grands coups de
+cornes, et forçant ainsi ses adversaires à escalader les tribunes au
+plus vite, à la grande joie du public qui poussait des huées moqueuses:
+cela fait, elle revint au milieu de la piste et mit a creuser la terre
+qui sous ses sabots nerveux volait autour d'elle.</p>
+
+ <p>--Saint-Jean! Boniface! criait la foule, chacun provoquant celui des
+écarteurs qu'il préférait.</p>
+
+ <p>Mais aucun ne parut pressé de descendre; Saint-Jean regardant Boniface
+qui regardait Orner.</p>
+
+ <p>--A toi!</p>
+
+ <p>--Non, à toi!</p>
+
+ <p>En voyant cette débandade, Anie s'était mise à rire:</p>
+
+ <p>--Je n'ai jamais autant que maintenant admiré l'agilité des Landais,
+dit-elle.</p>
+
+ <p>C'était à son père qu'elle adressait ces quelques mots, le baron les
+arrêta au passage:</p>
+
+ <p>--Permettez-moi de me réclamer de ma nationalité, dit-il en saluant.</p>
+
+ <p>Avant qu'elle eut compris ces paroles bizarres, il appuya les deux mains
+sur le rebord de la tribune, et d'un bond il sauta dans l'arène.</p>
+
+ <p>Il y eut un mouvement de surprise, mais presqu'aussitôt un cri immense
+s'éleva: on l' avait reconnu, et on l'acclamait.</p>
+
+ <p>--Le <i>baronne!</i></p>
+
+ <p>Ce n'était plus un acteur ordinaire qui allait provoquer la Moulasse,
+c'était le baron, que tout le monde connaissait, et l'espoir de voir
+cette lutte allumait un délire de joie.</p>
+
+ <p>--Le baronne! le baronne!</p>
+
+ <p>Hommes, femmes, enfants, tout le monde s'était levé, gesticulait,
+curieux, enthousiasmé; les regards faisaient balle sur lui, l'on restait
+les yeux écarquillés, la bouche ouverte, dans l'attente de ce qui allait
+se passer.</p>
+
+ <p>Vivement il était venu se placer en face de la Moulasse, mais sans
+cependant se rapprocher trop d'elle, de façon à la voir venir; le veston
+boutonné et serré à la taille, son chapeau jeté au loin, il leva les
+deux bras droit au-dessus de sa tête et d'un claquement de langue
+provoqua la vache.</p>
+
+ <p>Instantanément elle fondit sur lui: l'attention était frénétique; on ne
+respirait plus; dans le silence on n'entendait que le trot rapide de la
+vache sur le sable; elle arrivait. Le baron n'avait pas bougé et la
+tenait dans ses yeux. Elle baissa la tête. Il tourna sur ses talons, et
+elle passa en l'effleurant. Mais c'était une bête expérimentée; au lieu
+de s'abandonner à son élan, elle se jeta brusquement de côté et revint
+sur le baron qui l'écarta une seconde fois, puis une troisième, toujours
+avec la même justesse, la même sûreté.</p>
+
+ <p>La fatigue et la nonchalance des écarteurs s'étaient miraculeusement
+envolées quand ils avaient vu le baron tomber dans l'arène, et tous en
+même temps ils s'y étaient abattus: provoquée de divers côtés, la
+Moulasse se jeta sur eux, et le baron put remonter à sa tribune pour
+reprendre sa place à côté d'Anie, tandis que la foule l'acclamait avec
+des trépignements qui menaçaient de faire écrouler le cirque sous les
+battements de pieds.</p>
+
+ <p>--Quelle émotion vous nous avez donnée! dit Mme Barincq en le
+complimentant.</p>
+
+ <p>--Je regrette de n'avoir pas eu le temps de vous affirmer que je ne
+courais aucun danger, dit-il simplement, avec une entière sincérité.</p>
+
+ <p>Une clameur lui coupa la parole, la Moulasse venait de surprendre un
+écarteur et elle le secouait au bout de ses cornes engagées dans la
+ceinture qui le serrait à la taille; on se jeta sur elle, et il retomba
+sur ses pieds pour se sauver en boitant.</p>
+
+ <p>--Vous voyez, dit Mme Barincq, le premier moment d'émoi calmé.</p>
+
+ <p>--C'est un maladroit.</p>
+
+ <p>--Crois-tu maintenant que M. d'Arjuzanx tienne à te plaire? dit Mme
+Barincq à sa fille, lorsqu'après la course ils se retrouvèrent tous les
+trois installés dans leur landau.</p>
+
+ <p>--En quoi?</p>
+
+ <p>--En sautant dans l'arène pour te montrer son courage.</p>
+
+ <p>--Cela ne m'a pas plu du tout.</p>
+
+ <p>--Tu as eu peur?</p>
+
+ <p>--Pas assez pour ne pas trouver qu'il était peu digne d'un homme de son
+rang de se donner ainsi en spectacle.</p>
+
+ <p><i>A suivre.</i><br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">Hector Malot.</span></span></p>
+ <br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/014b.png"><br></p>
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/015.png"><br><span class="sml"><span class="lef">PEINT PAR PINCHART</span></span><br>
+ <b>AU PIGEONNIER</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/016.png"><br><span class="sml"><span class="lef">PEINT PAR BOURGAIN.</span></span><br>
+ <b>LES PREMIERS GALONS</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/017.png"><br><span class="sml"><span class="lef">PEINT PAR ACHILLE FOULD.</span></span><br>
+ <b>MORTE-SAISON.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/018.png"><br><span class="sml"><span class="lef">PEINT PAR BOURGAIN.</span></span><br>
+ <b>PORTRAIT A CINQUANTE CENTIMES.</b></p>
+
+
+<br><br>
+
+</div>
+
+<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44634 ***</div>
+</body>
+</html>
+
+
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
+metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be
+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
+
+Procedures for determining public domain status are described in
+the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org.
+
+No investigation has been made concerning possible copyrights in
+jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize
+this eBook outside of the United States should confirm copyright
+status under the laws that apply to them.
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
+eBook #44634 (https://www.gutenberg.org/ebooks/44634)
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+++ b/old/44634-8.txt
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 2510, 4 Avril 1891, by Various
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
+
+
+Title: L'Illustration, No. 2510, 4 Avril 1891
+
+Author: Various
+
+Release Date: January 10, 2014 [EBook #44634]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 2510, 4 AVRIL 1891 ***
+
+
+
+
+Produced by Rénald Lévesque
+
+
+
+
+
+
+
+
+L'ILLUSTRATION
+Prix de ce Numéro: 1 fr. 25.
+
+SAMEDI 4 AVRIL 1891
+49e Année.--N° 2510
+
+
+
+[Illustration: LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE MOMIES DANS LA
+HAUTE-ÉGYPTE.--Extraction des sarcophages du puits de Deïr-el-Bahari,
+près de Louqsor. Dessin d'après nature de M. Émile Bayard.]
+
+
+
+JE parlais l'autre jour d'une danseuse au nom bizarre qui donne aux
+femmes du monde et aux futures étoiles du Moulin-Rouge des leçons de
+danse excentrique. Depuis que la Goulue a fait école et enseigné à Mlle
+Réjane l'art de lever très haut la jambe, il s'est établi, non pas
+encore en France, mais en Amérique, une mode nouvelle. Un jeu mondain a
+pris naissance dans les salons yankees et, si les correspondants de
+journaux ne sont pas des mystificateurs, comme on disait autrefois, ou
+des fumistes, comme on dit aujourd'hui (ils pourraient bien être des
+mystificateurs!), voici on quoi ce jeu consiste:
+
+Au milieu d'un salon, un tambour de basque est suspendu par un fil au
+plafond et à une certaine hauteur. Tels les arbres de la Saint-Valentin
+sous lesquels, en Angleterre, on embrasse sa danseuse. Ce tambour de
+basque est un but, une cible pour le bout des pieds des jeunes
+Américaines. C'est à qui, en levant le pied le plus haut, atteindra le
+mieux le tambour et le fera plus joliment résonner. Il s'agit d'attraper
+la peau d'âne et de frapper sur cette sorte de gong. On voit d'ici le
+tableau: d'aimables misses levant la jambe, à la façon de la Goulue,
+pour attraper le bienheureux tambour.
+
+Ce jeu, d'invention récente, porte en Amérique un nom composé des plus
+difficiles à prononcer. On pourrait, ce qui serait plus simple,
+l'appeler le _shocking-drum_, le _tambour-shocking_! Mais, là-bas, ce
+divertissement ne choque personne, et je ne désespère pas de le voir
+s'acclimater chez nous l'hiver prochain. Gloire à Mlle Réjane! Elle y
+sera bien pour quelque chose.
+
+Dieu merci, nous n'en sommes pas là, et avant l'hiver la mode aura
+peut-être changé. Le vent tourne et le mot _shocking-drum_ aura rejoint,
+je pense, les vieilles lunes. Il est fini, le présent hiver! avril,
+_l'honneur des mois et des bois_ nous apporte ses premières feuilles. Un
+reporter de beaucoup d'ingéniosité a cherché, l'autre jour, un sujet
+d'actualité qui prêtât à une consultation et à des entrevues, et il a
+posé à un certain nombre de poètes cette question alléchante:
+
+--Que pensez-vous du printemps?
+
+Nos poètes consultés sur la question de savoir s'ils aiment ou s'ils
+n'aiment pas le printemps, on s'imagine que, du premier coup, ils vont
+en choeur s'écrier:
+
+--Le printemps! mais c'est la saison bénie, l'heure des amours, la
+saison des nids!
+
+Les vieux poètes d'autrefois eussent peut-être répondu cela, les naïfs.
+Banville, s'il eût vécu, eût crié: Vivent les roses! Or, je remarque
+avec une certaine tristesse que la plupart des poètes interviewés n'ont
+parlé du printemps que pour le railler.
+
+--C'est la saison des rhumes de cerveau!
+
+--C'est le triomphe du coryza!
+
+Devant les poètes contemporains, plus ou moins mordus de pessimisme, le
+pauvre printemps n'a pas de chance. Il n'a plus pour l'aimer et pour le
+chanter que les bons bourgeois fidèles au culte des dates, et qui se
+disent, parfois en grelottant:
+
+--Le fond de l'air est froid. Mais nous sommes en avril. Que c'est bon
+tout de même, le printemps!
+
+Il a parfois des engelures, le printemps, mais c'est le printemps, que
+voulez-vous? Et on lui sourit tout de même. Voilà donc qu'il est, pour
+parler comme tout le monde, lâché par les poètes. Je conseillerais au
+reporter intelligent dont j'ai parlé de demander à ces mêmes poètes une
+consultation nouvelle, sur un sujet aussi vieux et aussi jeune que le
+printemps: l'amour!
+
+--Que pensez-vous de l'amour?
+
+Voyez-vous le point d'interrogation? Eh bien, je gage que les poètes,
+après avoir lâché le printemps, lâchent aussi l'amour. On ne croit plus
+beaucoup à l'amour, maintenant qu'on ne croit plus au printemps. L'amour
+recevra une fameuse dégelée le jour où l'on ouvrira un plébiscite sur
+son compte comme le journal la France en ouvre un sur cette question:
+
+--Faut-il ou ne faut-il pas évacuer le Tonkin?
+
+Oh! le beau système! Imaginez-vous les problèmes les plus graves soumis
+ainsi à la solution de braves lecteurs de journaux qui brassent de la
+politique au fond de leur café? Être ou n'être pas pour l'évacuation du
+Tonkin, comme cela, sans renseignements, sans étude, sur une simple
+impression, et livrer les questions les plus graves des politiciens à la
+Gavarni!
+
+--Vois-tu, Sabournin, tant que M. de Metternich ne fera pas ce que je
+ferais si j'étais à sa place, l'Europe ne battra que d'une aile! Voilà
+mon opinion!
+
+--T'es-t-un melon! Voilà mon _opinion_ sur ton _opignon!_
+
+C'est Gavarni qui raillait, voilà trente ou quarante ans, les
+politiquailleries. Ses _légendes_ sont toujours de mise. Passe encore,
+en fait de plébiscite, pour celui du _Petit Journal._
+
+Le _Petit Journal_ a eu l'idée de demander à ses lecteurs, aux parents
+de collégiens, et peut-être aux collégiens eux-mêmes, s'il ne
+conviendrait pas de rapprocher les vacances scolaires et de mettre les
+lycéens en liberté dès juillet, avant même la fête nationale.
+
+En juillet, on étouffe dans les classes souvent trop étroites. Les
+enfants sont enfermés par les jours caniculaires et c'est quand le
+thermomètre monte, monte, qu'on les condamne aux compositions de fin
+d'année. Ces jeunes cerveaux se mettent alors à bouillir comme du lait
+sur des charbons ardents.
+
+--Êtes-vous d'avis de fixer les vacances au 10 juillet?
+
+Tel est le terme du plébiscite du _Petit Journal. La majorité des
+votants--on votait par oui ou par non--a été d'avis qu'il fallait
+avancer la date des vacances. Je dois dire que les professeurs n'ont pas
+du tout manifesté la même opinion. Ils n'ont point voté, mais ils ont
+causé.
+
+Si l'on partait plus vite, on rentrerait plus tôt! On rentrerait à
+l'heure où s'ouvre la chasse! Or, ils sont assez ruraux, les
+professeurs, et ils aiment à tirailler le perdreau dans quelque coin de
+leur province. Comment! il leur faudrait expliquer Virgile au lieu de
+_rouler_ un lièvre, ouvrir Xénophon au lieu de leur carnier! Non, non,
+elles resteront fixées au mois d'août, les vacances scolaires, en dépit
+des _oui, oui, oui, oui_, innombrables du _Petit Journal_, et les
+collégiens continueront à avoir la tête grosse comme un muid en
+composant en histoire ou en thème par les jours chauds de juillet.
+
+On a--pour changer--beaucoup parlé de M. de Talleyrand et de ses
+_Mémoires_. Les uns prétendent que M. de Bacourt, qui les eut un moment
+sous la main, se serait livré à un petit _tripatouillage_ sur le
+manuscrit du prince de Bénévent; les autres soutiennent que, tout au
+contraire, c'est le texte exact de l'ancien évêque d'Autun que le public
+a sous les yeux. Et, là-dessus, M. le duc de Broglie offre de déposer
+pendant quinze jours chez Calmann-Lévy les manuscrits qui ont servi pour
+l'impression. Les saints Thomas de la critique verront, toucheront et
+seront peut-être ensuite convaincus.
+
+Mais convaincus de quoi? Il faut bien avouer que ces _Mémoires_, qui ne
+sont pas une spéculation puisque M. le duc de Broglie en donne le
+produit aux pauvres, sont une désillusion. Avec un personnage tel que M.
+de Talleyrand, le public s'attendait à des personnalités, à des
+méchancetés, tranchons le mot, à des _éreintements_. Voyez ce que c'est
+que d'avoir une réputation! «Avec Talleyrand, on s'amusera, disait-on.
+Il en dira long, il en avait tant à dire!»
+
+Eh bien! non, il ne dit rien. Il fait de l'histoire. Ses Mémoires sont
+un document officiel, presque diplomatique. Hélas! on tombe de haut.
+
+--On nous a changé notre Talleyrand, se dit le public, qui n'admet pas
+que ce diable de Talleyrand se soit maquillé lui-même, ce qui me paraît
+pourtant vraisemblable.
+
+Ce diable! Je viens d'écrire là un mot qui me rappelle une jolie
+anecdote:
+
+Lord Halland voulait avoir un portrait de Talleyrand. Il admirait
+l'homme, il désirait en conserver les traits. Il s'adresse à Ary
+Scheffer:
+
+--Mon cher Scheffer, je veux vous demander et vous commander un
+portrait!
+
+--Un portrait de vous, mylord? C'est une bonne fortune pour un peintre.
+
+--Non, pas un portrait de moi, le portrait d'un homme historique.
+
+--Et qui cela, mylord?
+
+--M. de Talleyrand.
+
+Ary Scheffer fit la grimace. Lui n'admirait pas M. de Talleyrand, mais
+il voulait être agréable à lord Halland. Il s'attela au portrait. Il
+peignit un Talleyrand assis, pâle, pensif, presque exsangue.
+
+Un chef-d'oeuvre, du reste. Mais, au moment de peindre les mains, il
+s'arrêta. Ou plutôt il ne peignit pas les mains, il les allongea, il les
+effila, il les tordit, et il en fit... des griffes.
+
+--Oui, disait-il en parlant de son tableau, des griffes, de véritables
+griffes. Pour moi, Talleyrand, c'est le diable!
+
+Ce diable-là est sorti de sa boîte à l'état de bon diable posthume, de
+diable bon enfant, sans ongles et sans rancune. Et c'est pourquoi la
+foule ne reconnaît pas, ne veut pas reconnaître ce Talleyrand
+d'outre-tombe--un Talleyrand qui s'est fait ermite.
+
+A propos de _tripatouillage_, que dites-vous de ce chimiste qui
+fabriquait, pour un journal qui les donnait en prime, de faux billets de
+banque, mais non point dans l'intention de les faire passer pour de
+vrais billets, simplement, au contraire, afin de prouver à la Banque
+qu'on pouvait parfaitement contrefaire ses banknotes? Certains détails
+étaient volontairement inexacts dans ces faux billets, et cela de telle
+sorte qu'on ne pût accuser l'auteur d'avoir voulu fabriquer de la fausse
+monnaie. Une pure plaisanterie!
+
+Mais dame Justice n'a pas entendu de cette oreille-là. Elle n'admet pas
+les mystificateurs et elle coffrerait Scapin, malgré tout son esprit,
+comme le dernier des _escarpes_. Elle a cherché querelle au chimiste et
+elle l'a condamné à une amende assez forte.
+
+Les envois au Salon, où l'on tripote et tripapote la couleur, sont
+terminés, au moins pour le Salon des Champs-Elysées, qui continuera à
+être, quoi qu'on fasse, le Salon officiel. Tous les peintres ont invité
+leurs amis et connaissances à visiter leurs ateliers, absolument comme
+les auteurs, sous prétexte de répétitions générales closes, convient
+tout Paris à écouter leur pièce la veille de la représentation. On
+connaît donc à peu près d'avance le Salon de 1891, qui ne s'écartera
+guère du Salon de 1890, lequel ressemblait fort au Salon de 1889.
+
+En entrant on doit se dire comme on se l'est déjà dit:
+
+--Mais où donc ai-je déjà vu ça!
+
+Il paraît que M. Jean-Paul Laurens a fait un effort très original. Il
+nous présente Bailly, maire de Paris, recevant Louis XVI à la porte de
+l'Hôtel-de-Ville. Un vrai tableau d'histoire, une véritable
+reconstruction historique. Pourvu qu'on n'aille pas le décrocher comme
+l'_Appel des Condamnés_ de Millier! Non, et M. Jean-Paul Laurens a songé
+à l'Institut en peignant cette grande toile. Il avait, lui, invité ses
+juges et électeurs à venir regarder son Bailly avant le vote de
+l'Académie. M. Jules Lefebvre aurait pu en faire autant s'il l'avait
+voulu. Car le duel académique entre ces deux maîtres sera terminé
+lorsque paraîtront ces lignes, et il y aura, pour remplacer Meissonier,
+un membre de l'Institut de plus.
+
+Lui, Meissonier, pour qui eût-il voté? Pour Detaille, certainement. Il
+n'a plus droit au vote, il a droit à la statue. La statue, c'est la
+galvanoplastie appliquée aux grands hommes.
+
+Rastignac.
+
+
+
+LE BON CHEVAL
+DU SIRE DES MOCQUEREAUX
+
+L'automne est pour moi la saison idéale, et je ne sais rien de plus beau
+que les coteaux et les falaises dorés et diaprés par le soleil
+d'octobre. Mais encore faut-il qu'il brille, ce soleil, car, en
+revanche, rien n'est plus triste qu'un ciel gris et plombé, si ce n'est
+la pluie fine qui tombe désespérément, sans trêve et sans repos.
+
+Or, nous en étions précisément là, au mois d'octobre... peu importe de
+quelle année. Depuis trois jours, la pluie tombait avec une implacable
+régularité, et les hôtes nombreux qu'accueillait, en son petit château
+des Mocquereaux, non loin d'Angers, notre ami le docteur Bragon, avaient
+dû, mettant au râtelier les fusils inutiles, remplacer les courses à
+travers champs par des parties de whist ou de piquet aussi interminables
+que peu variées. On commençait, au grand désespoir de notre aimable
+amphitryon, à s'ennuyer ferme, et plus d'un parmi nous devenait quelque
+peu grincheux.
+
+Un seul des hôtes du petit castel avait gardé sa belle humeur: c'était
+un professeur en rupture de faculté, un érudit, une manière de
+bénédictin, toujours fourré dans la poussière des manuscrits, et que la
+chasse seule avait le privilège de ramener, quelques semaines par an, au
+niveau de l'humble humanité. Il avait eu, celui-là, une vraie chance: il
+avait découvert, en un coin du grenier, une petite pièce écartée, une
+sorte de réduit, où s'entassaient, en un pittoresque désordre, d'énormes
+liasses de paperasses quelque peu rongées déjà par d'indiscrètes souris.
+C'est là que, tandis que ses compagnons se lamentaient à qui mieux mieux
+sur la pluie et le vent, il passait ses journées à déchiffrer des
+papiers jaunis par le temps.
+
+L'après-midi du troisième jour, comme la conversation dans la grande
+salle languissait de plus en plus, comme les parties de cartes
+s'éternisaient sans enthousiasme, comme chacun, entre une pipe et un
+verre de bière, regardait tristement, par les hautes fenêtres, tomber
+sans cesse l'horrible pluie, nous vîmes tout d'un coup, de la porte
+brusquement ouverte, émerger la physionomie radieuse de notre savant. Il
+brandissait un volumineux manuscrit, et, tandis que chacun reculait
+d'effroi, redoutant la lecture d'une tragédie en cinq actes ou d'un
+poème de M. Mallarmé, il s'alla fièrement camper devant le maître de la
+maison, et d'une voix sonore:
+
+--Malheureux! s'écria-t-il! Tu avais sous ton toit, à deux pas de toi,
+un inestimable trésor, et tu ne disais rien! Que dis-je? tu ignorais
+même son existence, car tu ne soupçonnais pas, sans doute, que ce
+château acquis par toi n'était rien moins que l'antique demeure du sire
+Jehan des Mocquereaux!
+
+--Jehan des Mocquereaux? Connais pas!
+
+--Il ne connaît pas! Roturier indigne! Mais apprends donc, misérable,
+que, dans ton grenier, sous la poussière, dormait le récit véridique des
+exploits et faits de guerre du châtelain qui, dans ce beau pays d'Anjou,
+fut l'un des ennemis les plus acharnés et les plus heureux des Anglais
+envahisseurs.
+
+--Alors, ce manuscrit?
+
+--Ce manuscrit, c'est le récit de la vie et des combats de Jehan des
+Mocquereaux, récit écrit au seizième siècle, par le chapelain de l'un de
+ses descendants, et que je viens d'avoir le bonheur, pour l'édification
+des races futures, de découvrir et de déchiffrer.
+
+--Et... c'est gai? fit un sceptique.
+
+--Gai? Est-ce qu'un manuscrit de chapelain peut être gai? Non: c'est
+tout simplement superbe. On y sent l'odeur de la poudre, on y entend le
+fracas des batailles, le cliquetis des épées. Pourtant...
+
+--Messieurs, cria le substitut, je vous dénonce notre savant ami. Il a
+découvert, entre les lignes de son manuscrit, un épisode galant ou
+drolatique, et il meurt d'envie de nous le lire.
+
+--Et pourquoi pas? hasardèrent quelques voix. Il pleut, il vente, il
+fait un temps à ne pas mettre un chasseur à la porte. Allons! la
+lecture!
+
+--Une lecture! Comme vous y allez! reprit le professeur. Mais vous ne
+comprendriez pas un traître mot à la langue que parle mon chapelain.
+Seulement, s'il vous plaît de connaître quelque chose de la vie du sire
+des Mocquereaux, je puis, pendant que la pluie tombe, vous en donner un
+épisode, non pas grivois, mais peut-être amusant.
+
+Chacun s'installa de son mieux: les pipes et les cigares furent
+rallumés, les verres remplis, et notre camarade commença:
+
+--Comme je vous le disais tout à l'heure, les Anglais occupaient la
+province d'Anjou, et je vous laisse à penser tous les malheurs, toutes
+les vexations, toutes les brutalités de toute sorte, auxquels étaient en
+butte les malheureux Angevins. Vous savez, par la haine héréditaire dont
+on trouve encore les traces dans ces campagnes, quels déplorables
+souvenirs ont laissés dans ce pays les fils de la perfide Albion. Or,
+nulle part les paysans ne furent aussi maltraités que dans cette partie
+de la province où nous sommes réunis. Et cela s'expliquait. Nul ne
+pouvait leur venir en aide, le seigneur s'en étant allé guerroyer au
+loin; ils étaient livrés sans défense à tous les caprices des
+vainqueurs, représentés par un bailli sans honneur et sans humanité.
+Tous étaient donc dans la désolation: les hommes fuyaient à travers les
+bois qui couvraient le pays, pour tâcher de rejoindre quelque parti
+français; les vieillards, les femmes, les enfants, supportaient en
+silence le joug anglais, et ce joug était lourd. Mais il fallait prendre
+son mal en patience, nul secours ne venant, nul ne pouvant chasser
+l'envahisseur.
+
+Une jeune fille cependant eut la pensée de secourir les siens. Puisque,
+dit-elle, notre seigneur est au loin, auprès du roi notre sire, et ne
+revient point, ne sachant en quel état nous sommes, il lui faut
+découvrir le mal et le supplier d'y porter remède.
+
+Certes, c'était fort bien raisonné. Mais comment arriver jusqu'au sire
+des Mocquereaux, lequel se trouvait alors à la cour du bon roi Charles,
+c'est-à-dire loin, bien loin, plus loin que Bourges et Nevers? Geneviève
+Gouzet ne se laissa pas décourager par les difficultés de l'entreprise.
+Elle se mit en route, seule, à pied, marchant toute la nuit, couchant,
+le jour, dans quelque trou de ces haies profondes qui couvrent le pays,
+et se cachant de son mieux pour éviter les Anglais, car elle savait bien
+que ceux-ci n'étaient point tendres plus aux prisonnières qu'aux
+prisonniers, et craignait la hart si elle était prise. Je ne vous dirai
+pas tous les dangers qu'elle courut pendant ce long voyage à travers la
+France, ni quelles fatigues furent les siennes. Mais elle avait tant
+prié Notre-Dame-du-Chêne, elle avait si grande foi dans sa protection
+souveraine, que, après bien des jours et des nuits de marches et de
+périls, elle parvint au lieu où se trouvait la cour.
+
+Dès le lendemain, elle s'alla placer sur le passage des seigneurs qui se
+rendaient chez le roi, et, dès qu'elle vit paraître le sire des
+Mocquereaux, elle se jeta à ses genoux, tendant vers lui ses mains, et
+criant merci. Surpris de voir en telle posture cette femme qu'il ne
+reconnaissait point de prime abord, Jehan la releva néanmoins, et lui
+demanda ce qu'elle voulait de lui.
+
+«C'est, dit-elle, messire, que vos vassaux souffrent, et crient au ciel
+pour que leur seigneur daigne avoir d'eux souvenance, et les vienne
+contre l'Anglais secourir.»
+
+Jehan des Mocquereaux reconnut alors Geneviève Gouzet, et, l'ayant
+emmenée en sa demeure, apprit d'elle tous les deuils et les souffrances
+dont son pays était affligé. Comme il était aussi bon que brave, il fut
+ému au tableau qu'elle lui fit de tant de douleurs, et se décida
+incontinent à porter secours à ceux qui avaient mis en lui leur espoir.
+Ayant donc obtenu du roi son congé, il se mit en route sans tarder, et
+peu après arriva, suivi de quelques gens d'armes, dans la contrée où
+était le château de ses pères. Il trouva les choses pires encore que
+Geneviève ne les lui avait dites. Mais, reconnaissant qu'il était, avec
+le peu de gens dont il disposait, hors d'état de repousser les Anglais
+par la force, il se résolut, étant aussi avisé dans le conseil que brave
+dans les combats, à faire par la ruse ce que la violence n'eût pu faire.
+
+Il fit tout d'abord, par un souterrain qui s'ouvrait au loin dans la
+campagne, entrer ses hommes d'armes, et les cacha dans une cave profonde
+du castel, où, chaque jour, Geneviève leur portait à manger. Puis, il
+fit répandre le bruit qu'il allait bientôt revenir en ses domaines, mais
+qu'il n'y venait point pour combattre les Anglais, mais bien pour faire
+avec eux paix durable. Ensuite, à quelques jours de là, il se rendit à
+Durtal, où siégeait le bailli dont je vous ai parlé, et, lui ayant
+demandé audience, lui exposa son désir de vivre tranquille en ses
+terres, et de lier avec les Anglais alliance et amitié. Le bailli,
+voyant ce seigneur, si aimé dans tout le pays, venir à lui comme ami et
+non comme adversaire, le reçut à merveille, le retint quelques jours
+auprès de lui, et, en le voyant partir, lui promit d'aller sous peu lui
+rendre visite.
+
+Cependant, les vassaux du sire des Mocquereaux ne voyaient pas de bon
+oeil ces démarches de leur seigneur, et murmuraient, disant qu'il aurait
+mieux fait de rester en la cour de Charles, que de venir en son pays
+pour s'allier à ceux qui les pressuraient et torturaient à merci. Mais
+Geneviève les calmait, leur prêchant patience, et leur promettant que
+sous peu ils seraient contents de leur sire.
+
+Quelque temps se passa. Puis le bailli se souvint de la promesse qu'il
+avait faite à Jehan, et lui fit savoir que, le dimanche suivant, il
+viendrait avec grande escorte pour lui faire honneur, et que l'on
+scellerait à table l'alliance mutuellement jurée.
+
+Au jour dit, on vit en effet arriver une troupe nombreuse de gens à
+cheval, archers, gens d'armes et pages, accompagnant le bailli, lequel
+était, pour faire honneur à son hôte, monté sur une belle haquenée de
+robe toute blanche. Le sire des Mocquereaux le reçut à la herse, lui fit
+bon et grand accueil, et le mena sans tarder en la salle du festin. Je
+ne vous dirai pas ce que fut ce repas: contentez vous de savoir qu'on y
+mangea fort et ferme, et que le vin d'Anjou, ce joli vin si doux et si
+capiteux, y coula à flots. Le bailli, qui était un gros homme à face
+rubiconde, ne chôma point ce jour-là, et fêta de belle manière la jaune
+liqueur des coteaux angevins.
+
+Le festin terminé, sire Jehan le mena par toutes les salles et
+dépendances du château, protestant de son plaisir d'avoir chez lui pour
+hôte si puissant personnage, donnant aux Anglais force éloges, achevant,
+en un mot, par ses flatteries, l'oeuvre commencée par le vin d'Anjou,
+tant et si bien que le bailli, tout ému, tant des fumées du piot que des
+belles paroles du sire, jura que jamais il n'avait eu ni n'aurait
+meilleur et plus fidèle ami.
+
+Or, comme on était arrivé aux écuries, il offrit au seigneur des
+Mocquereaux de faire, en signe et gage d'alliance, échange de leurs
+montures; ce à quoi, sans peine, consentit sire Jehan. Le bailli, étant
+alors entré dans les écuries, avisa un cheval superbe, couleur d'alezan
+brûlé, dont le bon roi Charles avait fait présent à son féal serviteur:
+il proposa de troquer ce cheval contre sa blanche haquenée; à quoi, bien
+que le cheval fût de beaucoup plus beau que la haquenée, consentit
+encore sire Jehan. Et sur ce, l'on retourna vers la salle du festin,
+afin de vider encore quelques coupes en l'honneur du traité conclu.
+
+Cependant, la journée s'avançait, et le bailli voulut repartir pour
+Durtal. Le seigneur des Mocquereaux ordonna donc que l'on harnachât et
+sellât son beau cheval, et vint lui-même tenir l'étrier à son nouvel
+ami, lequel, non sans peine, se mit en selle. Déjà les gens d'armes et
+les archers, défilant devant le seigneur, avaient passé le pont-levis,
+lorsqu'à leur suite le bailli, entouré de ses pages, voulut partir à son
+tour. Mais le bon cheval, de son naturel, n'aimait point les Anglais,
+surtout les Anglais grands et lourds. Aussi ne voulut-il point avancer:
+cris, coups de houssine et piqûres d'éperon, rien ne le put décider à
+remuer pied ni patte. Vainement deux pages le tiraient par la bride,
+deux autres le poussant; le cheval ne bougea, jusqu'à ce qu'enfin,
+irrité, il se débarrassa, d'une ruade, des deux malencontreux pages
+qu'il avait par derrière, puis, inclinant brusquement la tête et pliant
+les genoux, déposa mollement M. le bailli sur les dalles de la cour
+d'honneur. En même temps, sire Jehan criait: «A moi, mes hommes d'armes!
+Baissez la herse! Haussez le pont-levis!» et saisissait l'Anglais à la
+gorge. En peu d'instants, le château fut en état de défense, et le
+bailli prisonnier. Le lendemain, on le pendit aux créneaux, en punition
+de ses crimes. Ceux de ses pages que n'avait point navrés le cheval
+furent renvoyés, et s'en allèrent partout, répétant qu'un destrier sorti
+de l'enfer avait fait pendre leur maître, et que le diable protégeait le
+seigneur des Mocquereaux. «Si que, dit le chroniqueur, oncques depuis
+n'osèrent Anglais s'approcher du castel ni des pays à l'entour, car
+toujours cuidoient voir, sur son cheval démoniaque, apparaître le sire
+Jehan, qui si haut et si court fit pendre le bailli.»
+
+Le narrateur s'arrêta, et comme chacun le félicitait: «Bravo! mon cher
+professeur, dit le substitut. On ne dira pas, en tous cas, que vous êtes
+ennuyeux comme la pluie, car vous me semblez l'avoir mise en fuite.»
+
+En effet, un gai rayon de soleil entrait par la haute fenêtre. Tous
+aussitôt, conteur et auditeurs, coururent aux fusils, et dix minutes
+plus tard une fusillade nourrie apprenait aux lapins du parc que nous
+avions retrouvé, à leur usage, les traditions guerrières de messire
+Jehan des Mocquereaux.
+
+G. Hamor.
+
+
+
+[Illustration: LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE MOMIES DANS LA
+HAUTE-ÉGYPTE.--Transport des sarcophages de Deïr-el-Bahari au Nil.
+Dessin d'après nature de M. Émile Bayard]
+
+[Illustration: AU THÉÂTRE D'APPLICATION.--Une représentation de la
+«Passion», mystère en quatre tableaux, de M. Haraucourt.]
+
+[Illustration: A L'ÉGLISE DU SACRE-COEUR.--La Mise au tombeau, groupe de
+figures en cire, dans la crypte de la basilique.]
+
+
+
+LA PHOTOGRAPHIE DU CIEL
+
+L'idée d'appliquer la photographie aux curiosités du ciel est née le
+jour même où la grande découverte de Niepce et Daguerre a été annoncée
+au public par la mémorable communication qu'en fit Arago dans la séance
+de l'Académie des sciences du 19 avril 1839.
+
+L'illustre astronome, prévoyant déjà les applications diverses qui
+pourraient en être faites aux recherches astronomiques, signalait,
+entr'autres, la possibilité d'obtenir une bonne carte de la lune et une
+image complète des raies du spectre solaire. Mais les procédés
+photographiques étaient alors trop imparfaits pour permettre d'obtenir
+des résultats satisfaisants.
+
+Cependant, dès l'année 1845, Fizeau et Foucault arrivaient à faire une
+excellente photographie du soleil en 1/60 de seconde, que l'on peut voir
+très finement gravée, dans les oeuvres complètes d'Arago. En 1849,
+William C. Bond, astronome américain, obtint une bonne épreuve
+daguerrienne de la lune. L'éclipse de soleil du 28 juillet 1851 fut
+photographiée par Berkowski à Koenigsberg, sur une plaque daguerrienne
+qui montra, pour la première fois, des traces de la couronne qui
+enveloppe l'astre du jour et les éruptions qui émanent de sa surface.
+
+En 1857, William Bond obtint une photographie très nette de l'étoile
+double Mizar ou Zêta de la Grande Ourse, aussi précise en vérité que les
+mesures micrométriques, car j'ai pu l'insérer comme document dans mon
+catalogue des étoiles doubles. C'est à l'Observatoire de Harvard Collège
+que ces premières photographies d'étoiles ont été faites, et c'est là
+encore qu'aujourd'hui M. Pickering obtient de si merveilleux résultats
+qui, à eux seuls, paraissent devoir égaler au moins tous ceux du congrès
+des vingt ou trente astronomes composant le congrès européen.
+
+M. Warren de la Rue en Angleterre et M. Rutherfurd aux États-Unis ont
+obtenu, de 1857 à 1867, de magnifiques photographies de la lune, qui
+n'ont pas encore été dépassées. Signalons parmi ces photographies des
+vues stéréoscopiques saisissantes, qui montrent le globe lunaire
+tellement en relief qu'il a presque la forme d'un oeuf. Cet effet, un
+peu exagéré, est dû à ce qu'on a profité d'un certain mouvement de la
+lune, le mouvement de libration, pour pénétrer plus ou moins bien sur
+l'hémisphère invisible. Warren de la Rue, auquel on est redevable de ces
+photographies stéréoscopiques de notre satellite, est parvenu également
+à en obtenir de la planète Jupiter en prenant les vues à vingt-six
+minutes d'intervalle.
+
+M. Faye, en France, a été l'un des plus éloquents promoteurs de la
+photographie astronomique. Insensiblement, malgré la résistance des
+astronomes purement mathématiciens, la photographie s'implanta dans des
+procédés d'étude. En 1874, au passage de Vénus devant le Soleil, elle
+fut appliquée avec le plus grand succès, et il en fut de même en 1883. A
+l'Observatoire de Meudon, M. Janssen a obtenu en 1877 d'admirables
+photographies de la surface solaire, sur lesquelles on assiste pour
+ainsi dire aux phénomènes de la formation de la lumière solaire. Ces
+photographies du soleil sont presque instantanées, car elles sont faites
+en un demi-millième de seconde! En 1884, MM. Paul et Prosper Henry, en
+construisant les cartes d'étoiles de l'atlas de l'Observatoire de Paris,
+s'appliquèrent à substituer la photographie à l'observation directe des
+étoiles, ce qui était à la fois beaucoup plus expéditif et plus sûr. En
+même temps, et depuis cette époque, MM. Pickerins aux États-Unis, Gould
+dans la République-Argentine, Gill au Cap de Bonne-Espérance, Common et
+Robert en Angleterre, se sont livrés avec les plus grands succès à la
+pratique de la photographie céleste.
+
+* * *
+
+Ainsi, graduellement, insensiblement, la photographie en arriva à
+prendre une large part dans les procédés astronomiques. Cette part
+devient, de jour en jour, de plus en plus importante, de plus en plus
+féconde.
+
+On se propose actuellement de photographier le ciel tout entier, et
+c'est dans ce but que M. le contre-amiral Mouchez a demandé la formation
+d'un congrès astrophotographique international, qui s'est déjà réuni
+deux fois à l'Observatoire de Paris, en 1887 et en 1889, et qui s'y
+réunit de nouveau en ce moment même.
+
+Il s'agit de photographier le ciel tout entier et de construire, par la
+photographie seule, et sans l'intervention des erreurs d'observation, la
+carte complète du ciel, tel qu'il se présente actuellement aux yeux des
+habitants de la terre. Nous avons déjà cette carte, mais sous une forme
+relativement imparfaite et hétérogène. Argelander, par exemple, a
+construit, en 1862, la carte des étoiles de notre hémisphère boréal
+jusqu'à la neuvième grandeur inclusivement, et cette carte se compose de
+324,198 étoiles, que l'on peut toutes voir réunies sur une même feuille
+(voy. notre Astronomie populaire, page 832), et forme le grand atlas
+d'Argelander, qui est l'une des oeuvres les plus considérables de notre
+siècle.
+
+Le catalogue de Shoenfeld donne pour l'hémisphère austral les positions
+de 133,659 étoiles. M. Gould, directeur de l'Observatoire de Cordoba,
+dans la République Argentine, a publié, il y a quelques années, un atlas
+de cet hémisphère austral, mais qui ne s'étend guère au-delà des étoiles
+visibles à l'oeil nu. Ce sont là des essais laborieux qui représentent
+des travaux considérables, mais qui ne pourraient jamais donner ce qu'on
+peut attendre tout simplement de la photographie.
+
+En effet, au lieu d'observations méridiennes dues à un grand nombre
+d'observateurs très différents les uns des autres comme mode
+d'appréciation des grandeurs d'étoiles, et comme méthode de constatation
+des positions, au lieu de transcriptions multipliées, de nombreux
+calculs de réduction et de la dissémination des observations le long
+d'un grand nombre d'années, on prendra tout simplement la photographie
+précise du ciel, et cela non seulement jusqu'aux étoiles de 9e grandeur,
+mais jusqu'à celles de 10e, 11e, 12e, 13e et même 14e grandeur, ce qui
+ne sera pas plus difficile, et ne demandera qu'une pose de temps plus
+considérable.
+
+* * *
+
+Tout le monde sait que les étoiles visibles à l'oeil nu s'arrêtent à la
+sixième grandeur, et que ce mot de grandeur doit s'entendre simplement
+de l'éclat apparent des étoiles, celles de première grandeur étant les
+plus brillantes, celles de seconde étant un peu moins brillantes, et
+ainsi de suite, celles de sixième étant les dernières que l'on puisse
+voir à l'oeil nu. Voici le nombre probable des étoiles de chaque
+grandeur, jusqu'à la quatorzième:
+
+ Grandeurs. Nombre:
+ 1re 20
+ 2e 59
+ 3e 182
+ 4e 530
+ 5e 1,600
+ 6e 4,800
+ 7e 13,000
+ 8e 40,000
+ 9e 120,000
+ 10e 380,000
+ 11e 1,000,000
+ 12e 3,000,000
+ 13e 9,000,000
+ 14e 27,000,000.
+
+Ces dernières étoiles sont visibles dans les instruments actuels des
+observatoires. On voit que le total de ces quatorze premiers ordres
+d'éclat dépasse déjà quarante millions. Essayer de cataloguer cette
+armée céleste serait non seulement un travail surhumain, mais encore
+absolument irréalisable, car des erreurs inévitables se glisseraient
+dans un pareil nombre d'observations, ainsi que dans leurs réductions,
+leurs transcriptions et leurs placements sur une carte.
+
+Des années et des années ne suffiraient pas, et pendant qu'on
+essayerait, les étoiles se déplaceraient elles-mêmes dans l'espace, car
+chacune d'elles est animée d'un mouvement propre plus ou moins rapide.
+
+Or, la photographie peut faire cela tout, bonnement, pour ainsi dire, et
+de la manière la plus simple, grâce aux perfectionnements apportés dans
+les méthodes d'opération. Et savez-vous en combien de temps cette oeuvre
+gigantesque, ce monument impérissable de l'astronomie moderne pourrait
+être obtenu? En treize minutes! Voici, en effet, la durée de pose
+nécessaire pour que les étoiles des diverses grandeurs impressionnent
+les nouveaux clichés au gélatino-bromure.
+
+ Grandeur: Durée de pose.
+ 1re 0s 005
+ 2e 0s 01
+ 3e 0s 03
+ 4e 0s 1
+ 5e 0s 2
+ 6e 0s 3
+ 7e 1s 3
+ 8e 3s 0
+ 9e 8s 0
+ 10e 20s 0
+ 11e 50s
+ 12e 2m
+ 13e 5m
+ 14e 13m.
+
+Ainsi cinq millièmes de secondes suffisent pour photographier une étoile
+de première grandeur; une demi-seconde suffit pour photographier les
+petites étoiles visibles à l'oeil nu; treize minutes sont nécessaires
+pour photographier celles de quatorzième grandeur.
+
+Si, à un certain moment, 8,000 lunettes disposées pour cette
+photographie pouvaient être braquées en même temps tout autour de la
+terre sur 8,000 points du ciel contigus, ces 8,000 clichés auraient
+photographié le ciel tout entier, et les quarante millions d'étoiles
+dont nous parlions tout à l'heure. Juxtaposés, ces 8,000 clichés, de
+cinq degrés chacun, représenteraient les 41,000 degrés carrés dont se
+compose la surface du ciel.
+
+Cette sorte de photographie instantanée du ciel serait idéale, mais ne
+peut se faire; d'abord parce qu'à quelque moment que ce soit la nuit ne
+s'étend que sur moins de la moitié du globe; ensuite parce que
+l'atmosphère n'est jamais parfaitement pure; enfin parce que ces 8,000
+instruments seraient une dépense considérable, qu'il est plus simple et
+plus pratique de réduire à son minimum.
+
+Le travail a été réparti entre une vingtaine d'observatoires et l'on
+pense qu'en trois ou quatre ans tout le ciel étoilé sera photographié.
+
+Voici comment le travail sera probablement divisé entre les divers
+observatoires:
+
+ Observatoires. Nombre de clichés
+
+ Paris. 1260
+ Bordeaux. 1260
+ Toulouse. 1080
+ Alger. 1260
+ Greenwich. 1149
+ Oxford. 1180
+ Helsingfort. 1008
+ Postdam. 1232
+ Rome. 1010
+ Catane. 1008
+ San Fernando. 1260
+ Tacubaya. 1260
+ Santiago. 1260
+ La Plata. 1360
+ Rio Janeiro. 1376
+ Cap de Bonne-Espérance. 1512
+ Sydney. 1400
+ Melbourne. 1149
+
+Ainsi, la science du dix-neuvième siècle léguera à la postérité un état
+irrécusable et impérissable du ciel sidéral, qui, dans les siècles
+futurs, servira de base certaine pour la solution du grand problème de
+la constitution générale de l'univers.
+
+* * *
+
+Certes, l'oeil humain est un appareil d'optique admirable. Quelle
+transparence dans ce cristal vivant, quelles nuances délicieuses dans
+cet iris, quelle profondeur ou quel charme! C'est la vie, c'est la
+passion, c'est la lumière. Fermez tous ces yeux, que restera-t-il de la
+création?
+
+Et pourtant, la lentille de l'appareil photographique représente
+vraiment un oeil nouveau, qui vient compléter le nôtre et qui le
+surpasse, plus merveilleux encore.
+
+Cet oeil géant est doué de quatre avantages considérables sur le nôtre:
+il voit plus vite, plus loin, plus longtemps, et, faculté précieuse, il
+fixe, imprime, conserve ce qu'il voit.
+
+Il voit plus vite: en un demi-millième de seconde, il photographie le
+soleil, ses taches, ses tourbillons, ses flammes, ses montagnes de feu,
+en un document impérissable.
+
+Plus loin: dirigé vers un point quelconque du ciel pendant la nuit la
+plus profonde, il découvre dans les atomes de l'infini des étoiles, des
+mondes, des univers, des créations, que jamais, jamais notre oeil ne
+pourrait voir, à l'aide de n'importe quel télescope.
+
+Plus longtemps: ce que nous ne sommes pas parvenus à voir en quelques
+secondes d'attention, nous ne le verrons jamais. Lui, n'a qu'à regarder
+assez longtemps: au bout d'une demi-heure, il distinguera ce qu'il ne
+voyait pas; au bout d'une heure, il verra mieux encore, et plus il
+restera fixé vers l'inconnu, mieux il le possédera, sans fatigue et
+toujours mieux.
+
+Et il conserve sur sa plaque rétinienne tout ce qu'il a vu. Notre oeil
+ne garde qu'un instant les images. Supposez, par exemple, que vous
+assommiez un homme au moment où, tranquillement assis dans son fauteuil,
+il a les yeux ouverts devant une fenêtre vivement éclairée (la
+supposition n'a rien d'exorbitant sur une planète dont tous les citoyens
+sont soldats et s'entre-tuent au taux moyen de onze cents par jour);
+puis que vous lui arrachiez les yeux (nous venons de dire qu'il s'agit
+d'un ennemi), et que vous les immergiez dans une solution d'alun. Ces
+yeux conserveront l'image de la fenêtre avec ses barres transversales et
+ses ouvertures éclairées. Mais, dans l'état normal des choses, nos yeux
+ne gardent pas les images... il y en aurait trop, d'ailleurs. L'oeil
+géant dont nous parlons conserve tout ce qu'il a vu. Il n'y a qu'à
+changer la rétine.
+
+Ainsi, d'abord, cet oeil voit plus vite et mieux et sans fatigue. On
+photographie aujourd'hui les éclairs, que l'on peut étudier ensuite à
+loisir sur les clichés, et qui montrent les titanesques batailles de
+l'étincelle électrique franchissant l'océan aérien et y rencontrant
+mille obstacles, mille résistances de tout ordre qui font varier sa
+route et lui impriment souvent les mouvements les plus désordonnés. On
+photographie un cheval au galop, qui subitement se trouve immobilisé, on
+photographie un train express, on photographie le boulet de canon et
+l'obus surpris, arrêtés sur leur trajectoire.
+
+Oui, cette rétine artificielle voit plus vite et mieux. Et, par une
+propriété absolument contraire, elle sait pénétrer en des abîmes où nous
+ne voyons et ne verrions jamais rien. C'est peut-être même ici sa
+faculté la plus stupéfiante encore.
+
+Mettons l'oeil, par exemple, à l'oculaire d'une lunette dont l'objectif
+mesure 30 centimètres d'ouverture: ce sont là actuellement les meilleurs
+instruments comme usage pratique des observatoires.
+
+Dans cette lunette de 30 centimètres de diamètre et de 3 mètres et demi
+de longueur, nous découvrons les étoiles jusqu'à la quatorzième
+grandeur, c'est-à-dire environ 40 millions d'astres de toute nature.
+
+Maintenant, remplaçons notre oeil par la rétine photographique.
+Instantanément les étoiles les plus brillantes viendront frapper la
+plaque et y marquer leur image. Cinq millièmes de seconde suffiront pour
+une étoile de première grandeur, une centième de seconde pour les
+étoiles de deuxième grandeur, trois centièmes de seconde pour celles de
+troisième, et ainsi de suite, suivant la proportion établie plus haut.
+
+En moins d'une seconde, l'oeil photographique a vu tout ce que nous
+pouvons apercevoir à l'oeil nu.
+
+Mais ce n'est rien encore. Les étoiles télescopiques visibles dans
+l'instrument vont également frapper la plaque et y inscrire leur image.
+Celles de la septième grandeur emploieront une seconde un tiers à
+l'impressionner, celles de la huitième grandeur demanderont trois
+secondes, celles de la neuvième huit secondes, celles de la onzième
+grandeur cinquante secondes, celles de la douzième demanderont deux
+minutes, celles de la treizième cinq minutes, et enfin celles de la
+quatorzième, treize minutes.
+
+Si nous avons laissé notre plaque exposée pendant un quart d'heure, nous
+trouverons photographiée sur cette plaque toute la région du ciel vers
+laquelle la lunette était dirigée, et tout ce que cette région possède,
+tout ce qu'avec une peine infinie nous serions parvenus à découvrir, à
+mesurer, par une série d'observations très laborieuses et très longues.
+Un nombre suffisant d'appareils braqués de manière à embrasser le ciel
+tout entier fixera, comme nous venons de le voir, en une carte immense
+tout ce que l'astronomie d'observation peut étudier, et ce que l'on
+n'aurait pu obtenir qu'en plusieurs siècles.
+
+Mais voici seulement où commence le merveilleux.
+
+Laissons l'oeil photographique regarder au lieu du nôtre: il pénétrera
+dans l'inconnu. Les étoiles invisibles pour nous deviennent visibles
+pour lui. Au bout de trente-trois minutes d'exposition, les étoiles de
+la quinzième grandeur auront fini par impressionner la rétine chimique
+et y former leur image.
+
+Le même instrument qui montre à l'oeil humain les astres de la
+quatorzième grandeur et qui, dans le ciel entier, enregistrerait environ
+40 millions d'étoiles, en montre à l'oeil photographique 120 millions
+dès la première réquisition pour obtenir la quinzième grandeur. Il
+atteindrait la seizième à la seconde réquisition, en une heure vingt
+minutes de pose, et jetterait sous l'admiration éblouie du contemplateur
+une poussière lumineuse de 400 millions d'étoiles!...
+
+Jamais encore, dans toute l'histoire de l'humanité, on n'a eu en mains
+la puissance de pénétrer aussi profondément dans les abîmes de l'infini.
+Avec les perfectionnements nouveaux, la photographie prend nettement
+l'image de chaque astre, quelle que soit sa distance, et elle la fixe en
+un document que l'on peut étudier à loisir. Qui sait si quelque jour,
+dans les vues photographiques de Vénus ou de Mars, une nouvelle méthode
+d'analyse n'arrivera pas à découvrir les habitants! Et sa puissance
+s'étend jusqu'à l'infini. Voilà une étoile de quinzième, de seizième, de
+dix-septième grandeur, un soleil comme le nôtre, éloigné à une telle
+distance de nous que sa lumière emploie des milliers, peut-être des
+millions d'années à nous parvenir, malgré sa vitesse inouïe de trois
+cent mille kilomètres par seconde, et ce soleil gît à une telle
+profondeur que sa lumière ne nous arrive pour ainsi dire plus. Jamais
+l'oeil naturel de l'homme ne l'aurait vu, jamais l'esprit humain n'en
+aurait deviné l'existence sans les instruments de l'optique moderne. Et
+voilà que cette faible lumière venue de si loin suffit pour
+impressionner une plaque chimique qui en conservera inaltérablement
+l'image.
+
+Et cette étoile pourrait être du dix-huitième, du vingtième ordre et
+au-dessous, si petite que jamais les yeux humains, aidés même des plus
+puissants pouvoirs télescopiques ne la verront (car il y aura toujours
+des étoiles au-delà de notre vision). Et pourtant elle viendra frapper,
+de sa petite flèche éthérée, la plaque chimique exposée pour l'attendre
+et la recevoir.
+
+Oui, sa lumière aura voyagé pendant des millions d'années. Lorsqu'elle
+est partie, la terre n'existait pas, la terre actuelle avec son
+humanité; il n'y avait pas un seul être pensant sur notre planète; la
+genèse de notre monde était en voie de développement; peut-être
+seulement, dans les mers primordiales qui enveloppaient le globe avant
+le soulèvement des premiers continents, les organismes primitifs
+élémentaires se formaient-ils au sein des eaux, préparant lentement
+l'évolution des âges futurs. Cette plaque photographique nous fait
+remonter à l'histoire passée de l'univers. Pendant le trajet éthéré de
+ce rayon de lumière qui vient aujourd'hui frapper cette plaque, toute
+l'histoire de la terre s'est accomplie, et dans cette histoire, celle de
+l'humanité n'est qu'une onde, qu'un instant. Et, durant ce temps,
+l'histoire de ce lointain soleil qui se photographie aujourd'hui s'est
+accomplie aussi: peut-être est-il éteint depuis longtemps, peut-être
+n'existe-t-il plus...
+
+Ainsi cet oeil nouveau qui nous transporte à travers l'infini nous fait
+en même temps remonter les stades de l'éternité passée.
+
+* * *
+
+L'infini! l'éternité! L'astronomie contemporaine nous y plonge et nous y
+noie. Quelle mesure en pouvons-nous prendre? En volant avec la vitesse
+de l'éclair, nous emploierions des millions d'années pour atteindre les
+régions où brillent ces univers lointains; mais, transportés là, nous
+n'aurions réellement pas avancé d'un seul pas vers les limites de
+l'espace, car l'espace est sans bornes, l'infini est sans mesures, et
+partout, dans toutes les directions, il y a tant d'univers, tant de
+soleils consécutifs, que si nous laissions la plaque photographique
+assez longtemps exposée, elle finirait par se couvrir de points lumineux
+contigus et serrés au point de ne plus former qu'un ciel d'éblouissante
+lumière. Car, partout, en quelque point que nous dirigions notre rayon
+visuel, il y a une infinité de soleils les uns derrière les autres.
+
+Et nous vivons sur l'un de ces mondes, sur l'un des plus médiocres, en
+un point quelconque de l'immensité sans bornes, éclairés par l'un de ces
+innombrables soleils, dans un horizon restreint, véritable cocon de ver
+à soie, ignorant toutes les causes, éphémères d'un instant, nous
+pénétrant d'une illusoire vue du monde, ne voyant presque rien,
+d'ailleurs, assez minuscules pour nous imaginer que nous connaissons
+quelque chose, nous flattant même, avec un béat sentiment d'orgueil, de
+dominer la nature, fiers d'une illusion prise pour la réalité. Nous
+tranchons les questions. Nous nous déclarons matérialistes sans
+connaître un mot de l'essence de la matière, spiritualistes sans
+connaître un mot de la nature de l'esprit; mais au fond de tout être
+pensant le scepticisme demeure, parce que nous sommes incapables de rien
+apprécier.
+
+Notre minuscule planète perdue est encore trop vaste pour notre
+conception, car nous avons inventé le patriotisme de clocher, et toute
+l'organisation des divers groupes sociaux qui se partagent le globe est
+fondée sur les armes.
+
+Ah! l'astronome souhaiterait que les conducteurs de peuples, les
+législateurs, les politiciens, eussent la faculté de pouvoir regarder
+une carte céleste et la comprendre. Cette calme contemplation serait
+peut-être plus utile à l'humanité que tous les discours diplomatiques.
+Si l'on savait combien la terre est minuscule, peut-être cesserait-on de
+la couper en morceaux. La paix régnerait sur le monde, la richesse
+sociale succéderait à la ruineuse, honteuse et infâme folie militaire,
+les divisions politiques s'effaceraient, et les hommes pourraient
+seulement alors s'élever librement dans l'étude de l'univers, dans la
+connaissance de la nature, et vivre des jouissances de la vie
+intellectuelle. Hélas! nous n'en sommes pas là; et l'oeil photographique
+révélera bien des mystères célestes avant que l'oeil humain voie la
+raison et la science établir leur règne sur notre petite boule
+tournante.
+
+Camille Flammarion.
+
+
+
+[Illustration: LES PHARES.--Un des gardiens faisant son quart.]
+
+
+LES PHARES
+(Suite et fin.)
+
+Nos gravures nous ont montré les phares debout, au milieu de la mer, et
+bravant les tempêtes. Au plus fort de l'ouragan, lorsque le vent souffle
+avec rage, lançant des torrents de pluie contre les vitraux de la
+lanterne, lorsque les lames énormes du large déferlent quelquefois
+jusque sur la première galerie, envoyant par-dessus la coupole leurs
+longues fusées d'écume, ils s'inclinent comme pour saluer l'ouragan.
+Alors les vases à huile placés dans les chambres les plus élevées
+présentent une variation de niveau de plus d'un pouce, ce qui suppose
+que le sommet de la tour décrit un arc de près d'un mètre d'étendue.
+Mais, comme un roseau, la tourmente passée, le phare se redresse sans
+qu'une pierre ait joué, sans que rien se soit démoli.
+
+Entourés d'eau de tous côtés, les phares sont, en général, d'un accès
+difficile. Un moyen pittoresque reproduit par nos premiers dessins est
+un va-et-vient installé sur un mât et actionné par un treuil. Prenons ce
+chemin et pénétrons dans l'intérieur pour le visiter.
+
+Au 1er étage, nous trouvons les magasins de bois et de cordages et la
+menuiserie, puis au-dessus les caisses en tôle renfermant la provision
+d'huile; au troisième sont le garde-manger, la cuisine et deux chambres
+pour les gardiens, puis une petite salle pour les ingénieurs: tout cela
+réduit, étriqué. Dans les phares, comme à bord d'un bâtiment, l'espace
+est distribué avec une intelligente parcimonie.
+
+Maintenant nous sommes dans le soubassement sur lequel repose la
+lanterne: c'est l'étage supérieur du phare, son âme, que nous allons
+examiner.
+
+Dans un premier réduit sont enfermés les bidons a huile, les verres et
+les lampes de rechange, et un escalier en spirale nous conduit dans la
+chambre des appareils. Avec nous le gardien est entré. La nuit tombe,
+nous allons assister à l'allumage du feu.
+
+L'homme s'est d'abord approché de la machine de rotation formée d'un
+mécanisme d'horlogerie. Il l'a mise en mouvement, en remontant un poids
+que l'on voit, sur la gravure, descendre dans le trou au-dessous.
+L'embrayage au-dessus de la machine s'est mis alors à tourner,
+actionnant, comme nous le verrons tout à l'heure, l'appareil optique et
+son armature. Celle-ci roule sur un rail circulaire au moyen de galets
+coniques.
+
+Cela fait, l'homme s'est engagé sur l'échelle plus étroite encore qui a
+succédé à l'étroit escalier en hélice donnant accès à la lanterne.
+
+Celle-ci est une sorte, de cage à parois formées de glaces planes, mais
+ce n'est là qu'une enveloppe extérieure abritant contre le vent, la
+pluie, les embruns de la mer, l'éblouissant échafaudage de prismes, de
+lentilles et de miroirs composant l'appareil d'optique que représente un
+de nos dessins, et dont l'ensemble s'appelle le tambour.
+
+[Illustration: La lanterne.]
+
+Rappelons en quelques mots le principe et la théorie de cet appareil. Si
+la lampe du phare était placée dans une lanterne ordinaire, la plus
+grande partie de sa lumière serait perdue; pour l'utiliser tout entière,
+il faut ramener à la surface de la mer tous les rayons qui en suivant
+leur direction naturelle iraient se perdre dans les espaces célestes.
+Tel est le rôle de l'appareil optique qui a pour effet de rendre
+_parallèles_ et horizontaux les rayons lumineux _divergents_ qu'émet le
+foyer. De ces rayons, les plus rapprochés de la direction voulue, ceux
+du centre, traversent des lentilles ordinaires, les plus obliques sont
+réfractés par des séries de prismes qui entourent les lentilles; enfin,
+ceux des bords du faisceau se réfléchissent sur des miroirs qui les
+renvoient en pinceaux parallèles balayer la surface des eaux.
+
+Ce dispositif a été imaginé en 1821 par le physicien français Fresnel.
+
+A notre entrée dans la lanterne nous trouvons les stores qui la
+garnissent intérieurement baissés, et les appareils recouverts de
+housses en étoffe. L'homme a d'abord enlevé ces dernières et la lampe
+est apparue à nos regards, il va maintenant la remplir d'huile, la
+mettre en fonctions et commencer, à l'abri des stores, l'allumage du
+bec.
+
+Un mot en passant sur cette lampe que l'on voit sur notre gravure et sur
+son bec.
+
+Elle est dite à niveau constant et à réservoir inférieur. L'huile
+minérale (car c'est d'elle qu'on se sert) est placée dans un réservoir
+inférieur au bec, où des pompes actionnées par un mouvement d'horlogerie
+situé dans l'intérieur la puisent pour la refouler à un niveau maintenu
+constant. Au moyen d'un trop-plein, l'huile excédante revient au
+réservoir. Quant au bec, il se compose de cercles de cuivre
+concentriques dans lesquels sont passées des mèches de coton au nombre
+de cinq pour les phares de premier ordre, de quatre pour ceux de second,
+et ainsi de suite en descendant.
+
+Pour assurer et régler la combustion de l'huile dans le bec, celui-ci
+est coiffé d'une cheminée de cristal portée par une robe cylindrique,
+permettant de l'élever ou de l'abaisser suivant les besoins. Comme la
+hauteur de cette cheminée est insuffisante, elle est surmontée d'une
+allonge en tôle avec une clef munie d'un obturateur pour pouvoir à
+volonté régler le tirage.
+
+Mais le gardien a jugé les mèches suffisamment imbibées, et le voilà qui
+procède à l'allumage méthodique en les tenant basses d'abord à petite
+flamme. Au bout d'un quart-d'heure il les relève un peu au-dessus de la
+couronne du bec, redescend la cheminée, ouvre graduellement
+l'obturateur, puis, au moyen de la pompe, fait arriver un afflux d'huile
+sur les mèches; de cette façon, bien réglée et conduite, la flamme est
+régulière, blanche, corsée et bien développée.
+
+[Illustration: Montage de l'appareil d'horlogerie faisant mouvoir le
+tambour.]
+
+Puis il a définitivement enlevé les stores de la lanterne. Maintenant le
+phare est en pleine activité, la lampe brûle bien, et l'appareil optique
+tourne autour d'elle, envoyant sur l'horizon ses faisceaux lumineux qui
+apparaissent au marin qui les observe comme une série d'éclats, chaque
+fois qu'une lentille passe devant lui, interrompus par une série
+d'éclipses dans l'intervalle des passages. La rapidité de rotation du
+tambour détermine la durée relative des éclats et des éclipses dans les
+phares à feu tournant. Dans les phares à feux fixes, le tambour, par
+contre, est immobile et la lentille circulaire.
+
+Nous en avons fini avec la description du phare, il nous faut suivre
+encore un instant dans son service l'homme que nous avons vu installer
+tout et que nos gravures nous montrent maintenant assis dans le tambour,
+au pied même de la lampe, un registre ouvert sur les genoux.
+
+Légèrement vêtu et le col de la chemise entr'ouvert à cause de la
+chaleur quelquefois énorme (40° centigrades dans les nuits d'été) qui
+règne dans la lanterne, les yeux réglementairement cachés sous des
+lunettes aux verres fumés, dits de Londres, pour obvier autant que
+possible à l'insupportable intensité de la lumière, il fait son quart de
+trois heures, surveillant le feu, la consommation de l'huile, observant
+l'horizon, notant le temps qu'il fait, le degré de transparence de
+l'air, la brume, les incidents de la mer. Immobile, il veille, dans ce
+scintillement qui tourne autour de lui, suffoqué par la chaleur et le
+relent âcre des vapeurs de l'huile minérale, au milieu du tic-tac
+énervant des appareils d'horlogerie et de l'endormant et sourd
+mugissement de la mer qui déferle au pied des rochers, interrompu
+seulement de temps en temps par un choc sec contre la vitre produit par
+quelque oiseau migrateur attiré dans sa route et qui est venu se heurter
+contre l'obstacle qui le fascine.
+
+La France a toujours été à la tête des progrès accomplis depuis un
+demi-siècle par la science des phares: en 1791 Teulère et Borda ont
+inventé les réflecteurs paraboliques; en 1823, Augustin Fresnel
+imaginait les appareils lenticulaires qui illuminent aujourd'hui les
+côtes du monde entier. Ces traditions se sont soigneusement conservées,
+et l'on retrouve chez le personnel de notre service des phares, depuis
+l'ingénieur jusqu'au gardien, cette science d'inventions, ce dévouement
+à toute épreuve, cette discipline merveilleuse, enfin, qui sont comme la
+caractéristique de notre famille maritime française.
+
+Hacks.
+
+
+
+LES MERVEILLES DE LA SCIENCE
+
+LE FIL ÉLECTRIQUE
+
+Texte de GROSCLAUDE, dessins d'ALBERT GUILLAUME.
+
+C'est prodigieux ce qu'on peut obtenir avec de la patience et un peu
+d'électricité. Vous prenez un fil de fer, un courant magnétique et deux
+tablettes vibratoires sur lesquelles vous criez: «Allo! Allo!» et vous
+voilà en conversation avec Londres.
+
+Avouez que la science a marché depuis Guillaume-le-Conquérant.
+
+[Illustration.]
+
+On parle même déjà d'un petit perfectionnement tout à fait ingénieux,
+grâce auquel les paroles arriveraient traduites et sans l'ombre
+d'accent, de telle
+
+[Illustration.]
+
+façon que quand vous direz à Paris: «Bonjour, monsieur!» votre
+interlocuteur de Londres entendra: «Good morning, sir!» et
+réciproquement. Il faudrait être dénué de toute ressource pour ne pas se
+payer ça au moins une fois par an, d'autant plus que c'est beaucoup plus
+flatteur d'être traduit en anglais qu'en police correctionnelle et ça ne
+figure pas sur le casier judiciaire.
+
+* * *
+
+[Illustration.]
+
+Mais, me direz-vous, et les sourds-muets?--On s'en occupe, mesdames et
+messieurs, et vous ne devriez pas ignorer que, depuis un certain temps,
+Edison consacre ses merveilleuses facultés d'inventeur à la création
+d'un appareil déjà désigné sous le nom de téléphote et qui sera pour la vue
+ce que le téléphone est pour l'audition; au lieu de la petite tablette
+téléphonique contre laquelle on parle, il y aura un miroir devant lequel on
+fera des gestes que reproduira le miroir de l'appareil récepteur.
+
+[Illustration.]
+
+C'est assez dire que les sourds-muets pourront aisément communiquer à
+l'aide des signaux dont se compose le langage de feu l'abbé de l'Épée;
+il suffirait même de photographier d'une façon continue le miroir de
+réception pour conserver un compte-rendu sténographié de l'entretien.
+
+* * *
+
+Si les électriciens arrivent réellement à nous doter d'un téléphote
+comme celui sur lequel on fonde de si grandes espérances, il est permis
+de croire que le fil électrique arrivera progressivement à transmettre
+aussi bien que les sensations de la vue et de l'ouïe celles de l'odorat,
+du goût et du toucher.
+
+Il deviendra très facile d'avoir à volonté dans l'isolement le plus
+absolu toutes les joies de la société, ce qui aura bien du charme pour
+les infirmes, les malades, notamment les cholériques et les lépreux, et
+pour les gens qui ont le désir de passer leurs soirées en manches de
+chemise.
+
+* * *
+
+Nous avons déjà le théâtrophone qui, au club, au restaurant, à l'hôtel
+ou à domicile, vous fournit dans des prix doux les auditions théâtrales
+les plus satisfaisantes, et je n'ai pas besoin d'ajouter avec quelle
+impatience les abonnés attendront le téléphote qui leur permettra de
+jouir des pantomimes et de lorgner la salle!
+
+[Illustration.]
+
+Rien n'empêchera dès lors d'organiser des petites soirées téléphoniques
+pour lesquelles chacun restera chez soi: on potinera téléphoniquement,
+on écoutera la comédie, les chansonnettes et les monologues
+théâtrophoniquement, et il n'y aura pas de voitures à prendre, pas
+d'étages à monter. Vous verrez que le _téléfive o'clock_ sera très à la
+mode l'hiver prochain.
+
+[Illustration.]
+
+* * *
+
+Et le buffet? Je ne connais aucune raison scientifique qui s'oppose à la
+transmission électrique des petits fours et des sandwichs; aussi bien ce
+phénomène n'est certainement pas plus improbable aujourd'hui que ne le
+paraissait être il y a une centaine d'années la possibilité de faire la
+conversation avec une personne située de l'autre côté de la Manche.
+
+Oh! les drôles de dîners qu'on fera sur le télé-bouffe, très précieux
+pour les gens très demandés auxquels il permettra d'accepter plusieurs
+invitations à la fois, et non moins utile aux personnes qui n'ont
+d'autre cuisine que celle du restaurant: ces malheureux n'auront plus à
+descendre de leur sixième ni à faire monter les plats dans ces paniers
+cylindriques qu'on aperçoit encore de temps à autre aux environs des
+casernes.
+
+* * *
+
+[Illustration.]
+
+Pour ce qui est de l'olfaction, il est bien évident que la parfumerie à
+distance ne rencontre aucune difficulté sérieuse; il suffirait d'un
+pulvérisateur d'une certaine puissance avec une canalisation dans le
+genre de celle du gaz et des eaux, pour que tous les abonnés pussent
+recevoir à domicile les parfums qui leur conviennent.
+
+* * *
+
+[Illustration.]
+
+Quant au toucher, ce sera sans doute un peu plus compliqué que pour les
+autres sens; toutefois il ne me paraît pas impossible qu'un médecin
+arrive à examiner ses malades par fil spécial; tâter le pouls, ausculter,
+percuter même, et se livrer aux diverses autres constatations sur lesquelles
+le docteur fonde son diagnostic, seront même choses assez simples avec
+des appareils d'une sensibilité convenable; mais il y aura bien peu de
+chose à attendre au point de vue des opérations chirurgicales, et le
+pédicure lui-même sera, croyons-nous, bien empêché d'opérer à
+distance; il en sera de même évidemment pour le masseur et aussi pour le
+coiffeur qui, selon toute apparence, n'aura pas grand chose de bon à
+espérer dans cet ordre d'idées, à moins qu'un électricien de génie, dans le
+genre de l'homme à qui nous devons la ficelle à beurre, invente le fil à
+couper des cheveux.
+
+[Illustration.]
+
+En revanche, le tailleur et le chapelier ne tarderont pas à être pourvus
+d'un appareil qui leur permettra de prendre une mesure sans aller chez
+le client, et je n'ai pas besoin d'ajouter qu'avec un bon téléphote le
+peintre fera des portraits sans déranger son modèle; c'est quelque
+chose, cela.
+
+[Illustration.]
+
+Au point de vue sentimental, je me plais à croire que le jour est proche
+où la science s'enrichira d'un télékiss, avec lequel il sera délicieux
+de flirter par fil spécial, loin des regards indiscrets.
+
+Et si quelqu'un vient s'en plaindre, ce sera vraiment bien commode de
+pouvoir, sans quitter son intérieur confortable, lui répondre d'une
+façon électrique et instantanée par le Télégiffle, qui sera, d'ici peu,
+dans tous les appartements aménagés avec un certain confortable.
+
+[Illustration.]
+
+Grosclaude.
+
+
+
+L'EXPOSITION YON
+
+Une très intéressante exposition, dont les amateurs d'art ne manqueront
+pas de s'offrir le régal, s'ouvrira mardi prochain chez Georges Petit,
+rue Godot de Mauroi. Cette exposition, qui durera trois jours seulement,
+comprendra une importante collection d'oeuvres--huiles, aquarelles et
+pastels--de l'un des artistes les plus justement renommés de ce
+temps-ci, l'excellent paysagiste Edmond Yon.
+
+C'est, en moins de dix années, la troisième fois que le robuste
+travailleur, le peintre délicat et savant, nous donne, avec un groupe
+imposant d'ouvrages de son choix, à juger de la fécondité, de la
+puissance et de la variété de son talent. L'exhibition qu'il achève
+d'organiser obtiendra auprès de ses visiteurs un succès au moins égal à
+celui qu'ont emporté ses devancières. Des soixante-six envois qui la
+composent, il n'en est pas un seul qui ne soit digne de l'attention des
+connaisseurs, et qui ne mérite leur éloge. Ils valent tous également par
+ces belles qualités où s'atteste la maîtrise: la vision nette et précise
+de la nature, un impeccable sentiment de la réalité, la perfection du
+dessin, la fermeté, la souplesse et l'éclat de la coloration.
+
+Edmond Yon est un paysagiste au sens le plus parfait du mot. Épris
+ardemment de la nature, il s'entend à merveille à la représenter sous
+ses aspects les plus fugitifs et les plus divers, dans sa variété
+infinie et dans son éternelle mobilité... «Il excelle, dit M. Montrosier
+dans l'intéressante préface qui figure en tête du catalogue de
+l'exposition, à dire les matins encore tout embrumés où passe le souffle
+des églogues, les journées baignées de clarté et incrustées de lumière,
+et les soirs aux couchants radieux, montrant le soleil disparaissant
+dans la gloire d'une apothéose sans pareille. Mieux que personne il est
+le peintre des rivières que bordent les saules, des étangs sertis
+d'oseraie et des marais visqueux où semblent flotter des nénuphars. Dans
+les dunes de la Somme, il plantera un de ces moulins qui semblent défier
+la lance de Don Quichotte; ici il montrera un bout de village aux
+maisonnettes groupées, avec le régal de couleurs des toitures rouges, et
+si attirant, ce village, qu'on voudrait s'y arrêter. Tous ces morceaux
+sont si bien troussés, la touche en est si libre, la réalité si vraie,
+qu'on ne peut les oublier.»
+
+
+
+NOTES ET IMPRESSIONS
+
+Il y a trois sortes d'orgueil: celui de la richesse, celui de la
+naissance et de l'esprit.
+ Swift.
+
+* * *
+
+La politique, même dans le gouvernement parlementaire, c'est ce qui ne
+se dit pas.
+ Fievée.
+
+* * *
+
+Dans cette vie, il faut savoir se risquer, mais qui se risque doit se
+résigner à perdre quelque chose.
+ Herbart.
+
+* * *
+
+Les biens que l'on vante le plus ne sont pas ceux que l'on a, mais ceux
+que l'on désire.
+ Edm. About.
+
+* * *
+
+La reconnaissance est pareille à cette liqueur d'Orient qui ne se garde
+que dans des vases d'or; elle parfume les grandes âmes, elle s'aigrit
+dans les petites.
+ Jules Sandeau.
+
+* **
+
+L'égoïsme est comme l'embonpoint; plus on en a, plus on est gêné par
+celui des autres.
+ H. Rigault.
+
+* * *
+
+L'âme d'un petit enfant bien doué est plus près de celle d'Homère que
+l'âme de tel bourgeois ou de tel académicien médiocre.
+ Jules Lemaitre.
+
+* * *
+
+Le printemps qui commence aux enfants est pareil Le rire avec les pleurs
+alterne à son réveil.
+ A. Theuriet.
+
+* * *
+
+La jeunesse ne désespère pas plus de l'humanité, malgré ses désastres,
+que le brin d'herbe qui pousse dans un champ dévasté par l'hiver ne
+doute de la nature.
+
+* * *
+
+Être et paraître sont deux; mais, avec le monde, le second est souvent
+le moyen d'arriver au premier.
+ G.-M. Valtour.
+
+
+
+[Illustration: Cérémonie populaire de la Pâque, en Russie; Le pope
+bénissant les pains de laitage caillé apporté par les fidèles.]
+
+
+[Illustration: CHOIX DE TABLEAUX DE LA VENTE EDMOND YON. (Voir l'article
+page 299.)]
+
+38. Brume matinale. 35. Le vent sur le marais. 58 Les Ruches: Effet
+d'orage à Sainte-Aulde. 28. Le Ruisseau aux poules d'eau. 12. Laveuses à
+Cernay. 5. La barque de pêche. 49. Les vaines pâtures à Sainte-Aulde. 2.
+La grande chaussée de Longpré. 52. Soleil couchant à l'embouchure de
+l'Orne. 37. Le Pont de Vernon, près Vouvray. 4. Chardons en fleurs. 48.
+Bords de l'Essonne. 9. Fin de journée. 40. Sainte-Aulde. 7. Avril à
+Ballancourt. 11. Étang à Ballancourt. 42. A Longpré les Corps Saints.
+
+
+
+[Illustration: HISTOIRE DE LA SEMAINE]
+
+La Russie et le président de la République.--Il convient, croyons-nous,
+de garder la plus grande circonspection, quand il s'agit des relations
+internationales, et on a eu le tort, trop souvent, dans notre pays, en
+ce qui concerne la Russie, de donner à une sympathie, qui heureusement
+est très réelle, une interprétation qui pourrait paraître excessive au
+point de devenir gênante pour ceux-là mêmes à qui elle s'adresse. Mais,
+ces réserves faites, il est permis de se féliciter de la nouvelle marque
+de courtoisie que le gouvernement du czar vient de donner au chef de
+l'État, en lui conférant le grand cordon de l'ordre de Saint-André.
+
+Cet ordre est le plus ancien et le plus important des ordres russes. Il
+a été créé par Pierre-le-Grand en 1698. C'est celui que l'empereur
+donne, de préférence, aux membres régnants des maisons souveraines.
+
+La remise des insignes qu'il comporte à M. Carnot a été faite dans le
+plus grand apparat. M. le baron de Mohrenheim, ambassadeur de Russie à
+Paris, s'est rendu à cet effet à l'Elysée avec tout le personnel de
+l'ambassade, en uniforme. Pendant que la garde du palais rendait les
+honneurs militaires, les représentants du czar étaient reçus au bas du
+perron par le colonel Lichtenstein et introduits par M. d'Ormesson,
+directeur du protocole, dans un des salons où se tenait le président de
+la République, entouré des officiers de sa maison militaire au complet.
+
+Les traités de commerce et la propriété littéraire.--La révolution qui
+est en train de s'opérer dans notre régime économique n'est pas sans
+causer quelque inquiétude. Le pays est partagé en deux camps qui luttent
+avec acharnement, l'un en faveur du libre-échange, l'autre en faveur de
+la protection. Ce sont les partisans de ce dernier système qui
+triomphent, si l'on en juge par la force dont ils disposent dans le
+parlement. Où est la vérité? c'est là une question à laquelle il est
+difficile de répondre, car des deux côtés on fait valoir des arguments
+décisifs et ceux qui n'ont pas d'opinion préconçue restent en suspens
+entre les deux partis, ne sachant auquel donner leur confiance.
+
+Mais d'instinct, ceux qui n'ont pas fait une étude approfondie de ces
+questions complexes qu'embrasse l'économie politique sont portés à
+s'effrayer du retour à l'ancien système qui mettait des barrières entre
+les peuples, alors que les facilités apportées par le progrès dans les
+relations internationales semblaient devoir les faire supprimer à
+jamais.
+
+Naturellement ceux qui, dans notre pays, peuvent compter sur les
+bénéfices qu'ils tirent de l'exportation de leurs produits, sont très
+opposés aux lois de protection que l'on prépare, éprouvant la crainte
+légitime que les pays auxquels nous fermons notre porte ne nous rendent
+la pareille.
+
+Nos écrivains, qu'on ne s'attendait pas à trouver en cette affaire, mais
+dont l'intervention est cependant toute naturelle, sont dans ce cas. Les
+produits dont ils vivent, fort goûtés chez nous, ne le sont pas moins à
+l'étranger, et ils craignent, non sans raison, que la dénonciation des
+traités de commerce leur ferme les «débouchés» qu'ils trouvaient pour
+leurs oeuvres, dans tous les pays du monde et surtout en Belgique.
+
+Aussi une délégation qui comptait les plus illustres représentants de
+notre littérature s'est-elle rendue auprès de M. de Freycinet, président
+du Conseil, pour lui remettre, au nom de toutes les grandes sociétés
+littéraires et artistiques, une protestation contre la mise en pratique
+des théories ultra-protectionnistes qui semblent triompher pour le
+moment: «Le mécontentement des nations voisines, dit cette protestation,
+se traduira sans doute par des mesures de représailles qui frapperont
+surtout notre production littéraire et artistique pour laquelle toutes
+les nations sont plus ou moins tributaires de la nôtre. La Chambre
+sera-t-elle indifférente à des intérêts moraux et matériels aussi
+considérables, et sacrifiera-t-elle les droits de ceux qui contribuent à
+l'étranger, pour une si large part, à notre gloire nationale?...»
+
+Malheureusement, la Chambre est déjà si engagée qu'on peut avoir des
+doutes sur l'effet de cette protestation.
+
+La situation légale du prince Victor et du prince Louis.--Par suite de
+la mort du prince Napoléon, le prince Victor, devenu chef de la famille
+Bonaparte, se trouve _ipso facto_ expulsé du territoire français par
+l'application de l'article 1er de la loi du 22 juin 1886.
+
+Cette loi, en effet, interdit le territoire français aux chefs de
+familles ayant régné en France et à leurs héritiers directs dans l'ordre
+de primogéniture. Le prince Victor, quel que soit d'ailleurs le
+testament politique du prince Napoléon, passe à l'état de «chef d'une
+famille ayant régné sur la France», et à ce titre tombe sous le coup de
+la loi d'exil.
+
+Mais est-il juste de dire que le prince Louis, à qui reviendraient les
+droits de la famille Bonaparte si son frère venait à mourir sans
+héritier direct, passe à l'état d'héritier présomptif, dans le sens
+prévu par la loi? Le prince Louis n'est héritier qu'en ligne collatérale
+et la loi désigne «l'héritier direct». La question était tout au moins
+douteuse. Quant à présent, le garde des sceaux l'a tranchée dans le sens
+le plus libéral, c'est-à-dire en faveur du prince Louis. Il a fait
+remarquer d'ailleurs que le gouvernement restait suffisamment armé par
+l'article 2 de cette même loi qui lui permet d'interdire le territoire
+français à tous les membres des anciennes familles régnantes autres que
+les chefs et leurs héritiers directs.
+
+Les Italiens en Afrique.--Il faut supposer et espérer que l'Afrique
+donnera à nos arrière-petits-neveux d'immenses satisfactions matérielles
+et morales de nature à compenser, par leur reconnaissance, les
+tribulations qu'elle cause pour le moment à toutes les puissances
+européennes.
+
+La France, qui possède sur ce vaste continent la plus belle des
+colonies, en est réduite à nommer une commission d'études chargée
+d'examiner ce qu'il faut faire pour en tirer réellement parti. En même
+temps, elle est obligée de lutter au Soudan et au Dahomey, pour obtenir
+des succès très douteux, car on ne voit jamais qu'ils produisent rien de
+décisif.
+
+Les Belges semblent plus embarrassés que fiers du territoire immense
+qu'ils occupent sur les confins du nôtre.
+
+Les Anglais sont en lutte, tout au moins diplomatique, avec la France et
+le Portugal à raison de leurs possessions africaines, en sorte que tous
+ceux qui se sont partagé l'Afrique sont en hostilité plus ou moins
+sourde les uns avec les autres, en attendant qu'ils rencontrent tous
+l'ennemi commun, l'Africain lui-même, que nous ne connaissons encore que
+par quelques escarmouches, mais qui se révélera peut-être plus terrible
+qu'on ne croit, au centre de ce continent mystérieux dont on fait trop
+vite une possession européenne.
+
+Mais les Italiens surtout ont à souffrir en ce moment de la
+précipitation avec laquelle toutes les puissances civilisées se sont
+jetées sur l'Afrique comme sur une proie facile. Voici remis en
+question, sinon déchiré tout à fait, ce fameux traité conclu avec
+Menelik, et qui devait donner à nos voisins le protectorat sinon la
+possession complète de l'une des plus belles parties du continent
+africain. Le comte Antonelli, qui s'était rendu en mission auprès du
+«roi des rois» pour traiter avec lui de l'exécution de celles des
+clauses du traité qui étaient favorables à l'Italie, a dû quitter
+brusquement le pays avec tous ceux qui l'accompagnaient, les Italiens ne
+se considérant plus comme en sûreté sur un territoire où ils ont
+cependant la prétention d'exercer leur protectorat.
+
+M. di Rudini prépare sur la question un livre vert dans lequel il fera
+probablement connaître la vérité tout entière, car il n'a aucun intérêt
+à la cacher, Mais, si elle est telle qu'on la suppose, elle sera la
+justification, après la lettre, de la chute de M. Crispi, qui porte, non
+sans raison, en grande partie, la responsabilité de la politique suivie
+par l'Italie en Afrique.
+
+Bulgarie: assassinat du ministre des finances.--Un grave attentat a été
+commis à Sofia le 27 mars dernier. Au moment où M. Beltchef, ministre
+des finances, accompagné de M. Stamboulof, rentrait chez lui, après
+avoir assisté au conseil des ministres, trois coups de revolver
+retentirent. M. Beltchef tomba, mortellement frappé. Il a été impossible
+d'atteindre le meurtrier qui a pris la fuite avec trois individus qui
+l'accompagnaient.
+
+L'opinion très générale est que le coup était destiné au premier
+ministre, M. Stamboulof, et, bien que l'on n'ait encore aucun indice sur
+le mobile qui a poussé les meurtriers, on est porté à croire que cette
+affaire se rattache à celle qui amena l'exécution du major Panitza. On
+se rappelle qu'à la suite de cette exécution, on trouva sur un arbre
+voisin de l'endroit où elle avait eu lieu une bande de toile portant
+cette inscription: «Avant six mois, Ferdinand et son premier ministre
+seront exposés à cette même place.» On fait remarquer aussi que, peu de
+temps après l'exécution du major Panitza, on parlait d'une ligue de
+Macédoniens qui s'était formée pour venger la mort de leur compatriote.
+
+Voici la question bulgare de nouveau à l'ordre du jour, car à la suite
+de cet événement M. Stamboulof ne restera pas inactif.
+
+
+
+Nécrologie.-Le poète Josephin Soulary.
+
+M. Armand Lévy, orateur bien connu des réunions socialistes.
+
+M. Valéry Vernier, homme de lettres.
+
+Mme la princesse d'Arenberg, femme du député du Cher, soeur du comte
+Greffulhe, député de Seine-et-Marne.
+
+Le sculpteur Frétigny.
+
+M. Henry Berthoud, homme de lettres, un des premiers vulgarisateurs
+scientifiques.
+
+Mme la baronne de la Guerronnière, belle-mère de M. d'Ormesson,
+directeur du protocole.
+
+M. G. Seurat, artiste peintre.
+
+
+
+LES LIVRES NOUVEAUX
+
+_De Saint-Louis au port de Tombouctou_, voyage d'une canonnière
+française, par E. Caron, lieutenant de vaisseau. Ouvrage accompagné de
+quatre cartes. (Augustin Challamel, éditeur, 5, rue Jacob.)--Il n'est
+pas de nation d'Europe qui n'ait aujourd'hui les yeux fixés sur
+l'Afrique, dans la pensée de s'y rendre maîtresse de quelque territoire
+neuf et non encore exploité, de telle sorte que l'on peut, dès l'heure
+présente, affirmer que l'Afrique tout entière est vouée, dans un avenir
+assez prochain, à n'être plus qu'une colonie européenne. Parmi ces
+nations du vieux monde, la France jouit d'une situation exceptionnelle,
+se trouvant déjà posséder l'Algérie et le Sénégal. Ses efforts sont, par
+suite de cette situation même, à l'avance tout indiqués: ils doivent
+tendre à relier l'une à l'autre ces deux colonies. Du sud de l'Algérie
+et de Bammako, ville centrale du Soudan français située sur le Niger,
+elle doit se diriger vers le centre du continent africain, à peine de se
+voir couper cette route stratégique par une autre nation rivale plus
+prompte ou mieux avisée. C'est dans cette préoccupation que le
+gouverneur du Soudan, le colonel Gallieni, dès sa prise de commandement,
+résolut de faire pousser par le Niger une reconnaissance jusqu'à
+Tombouctou. Une canonnière fut armée à cet effet et le lieutenant de
+vaisseau E. Caron chargé de la commander. Sa mission était d'explorer le
+fleuve, d'étudier l'état politique des populations riveraines, de réunir
+des données commerciales et scientifiques, pour permettre d'asseoir une
+opinion sur la valeur des contrées arrosées par le Niger moyen et sur la
+politique à suivre dans l'avenir. Le but a été atteint, les difficultés
+de toute nature, provenant des hommes et des choses, n'ont pas manqué;
+mais la canonnière est arrivée au port. Tombouctou n'a pu être visité,
+le pays étant sous la domination des Touaregs, dont la défiance et
+l'hostilité ne permirent pas une descente dans la ville. Mais
+l'exploration a été faite, le pays reconnu, étudié, et les conséquences
+de cette reconnaissance et de cette étude vont pouvoir être poursuivies.
+M. le lieutenant Caron ne se dissimule pas les difficultés d'une
+transformation du Soudan français, mais il en indique les moyens et il
+croit fermement que, de ce côté, un vaste champ reste ouvert à notre
+activité coloniale. Il lui reviendra l'honneur d'avoir posé l'un des
+premiers jalons dans cette route du progrès et de la civilisation.
+
+L. P.
+
+
+_Vérités et apparences_, par Armand Hayem, (chez Alphonse Lemerre, prix:
+3 fr. 50). Dune intelligence qui s'assimilait à tout, d'une activité
+d'esprit dévorante, Armand Hayem s'était, de bonne heure, jeté
+fiévreusement, inconsidérément aussi, dans l'administration, la
+politique, la philosophie et la littérature.
+
+Jeune encore, il avait débuté avec le _Mariage_, que couronna
+l'Académie. Il publia ensuite un certain nombre d'ouvrages d'ordres
+différents, appréciés des délicats, et tout en remplissant avec un zèle
+et un dévoùment dont le canton de Montmorency conserve le souvenir, ses
+fonctions de conseiller général, auxquelles il fut appelé quatre fois
+successivement.
+
+Parmi ses livres, rappelons particulièrement _Fédéralisme et Césarisme_,
+et sa double et remarquable étude: le _Don Juanisme_ et _Don Juan
+d'Armana_.
+
+Armand Hayem laisse des oeuvres posthumes, parmi lesquelles _Vérités et
+apparences_ précédées d'un portrait et d'une lettre d'Alexandre Dumas à
+Mme Armand Hayem.
+
+Nous ne pensons pouvoir mieux faire que de livrer ces lignes de la belle
+préface de l'illustre écrivain: «Ce qui faisait l'inquiétude incessante,
+le tourment toujours grandissant de cet esprit et de cette âme, c'était
+l'amertume poussée jusqu'à l'écoeurement, déposée en lui par
+l'observation et la connaissance des hommes, et, en même temps, le
+besoin, l'obsession, c'est le mot, d'un idéal de perfectibilité auquel
+il ne voulait pas se soustraire. De là, dans ce livre un double écho,
+celui de sa raison, celui de sa conscience. Son esprit va
+alternativement de l'une à l'autre, poussant à chaque retour un cri
+tantôt ironique, tantôt enthousiaste, toujours douloureux.»
+
+
+_Les Mammifères de la France_, par M. A. Bouvier, (Georges Carré, 58,
+rue Saint-André-des-Arts).
+
+Faire connaître en les classant au point de vue de leur utilité les
+mammifères de nos contrées, tel a été le but que s'est proposé l'auteur,
+et ajoutons qu'il y a pleinement réussi.
+
+L'élève trouvera dans cet ouvrage les notions de classification
+d'histoire naturelle dont il a besoin; l'agriculteur le complément
+d'observations utiles et pratiques et les indications qui peuvent lui
+être nécessaires; le lecteur une occasion de s'instruire sans fatigue.
+
+L'ouvrage de M. Bouvier a été honoré de souscriptions de plusieurs
+ministères, y compris celui de l'Instruction publique.
+
+
+_Crimes d'orgueil_ par Louis de Caters (1 volume chez Victor-Havard,
+éditeur à Paris).
+
+Ce nouvel ouvrage de M. de Caters est une oeuvre pleine de passion et
+d'intérêt où sous une action violente se développe une thèse
+profondément humaine.
+
+L'auteur donne là une note nouvelle de son talent. Ce roman vaut par
+l'élévation de ses sentiments, la vigueur du style, la gamme des
+sensations de coeur, des révoltes d'âme. _Crimes d'orgueil_ sera un des
+meilleurs livres de l'année.
+
+
+_Mémoires de Mme Campan_, dans la collection pour les jeunes filles,
+dirigée par Mme Carette, née Bouvet. 1 vol. in-12, 3 fr. 50 (Paul
+Ollendorff).--Ces mémoires sont surtout l'histoire intime de
+Marie-Antoinette, dont Mme Campan était la première femme de chambre, et
+qui, à ce titre, fut pendant vingt ans mêlée à l'existence de la reine,
+qu'elle ne quitta--malgré elle--que lorsque la famille royale fut
+enfermée aux Feuillants. On devine ce que peuvent présenter d'intérêt
+les observations et les souvenirs d'une femme d'un esprit aussi
+judicieux et aussi distingué que la future directrice de la maison
+impériale d'éducation d'Ecouen.
+
+
+Dans la _Nouvelle Collection_ (Charpentier et Fasquelle, éditeurs): les
+_Fiançailles de Thérèse_, par Mme Stanislas Meunier, et _Un manuscrit_,
+par Pierre Maël, deux jolis romans d'amour chaste, destinés à prouver
+que les sentiments purs dans les oeuvres ne sont pas exclusifs des
+qualités littéraires chez les auteurs.
+
+
+_Tableaux algériens_, par Gustave Guillaumet, 1 vol. in-12, 3 fr. 50
+(Plon, Nourrit et Cie).--Un vrai livre de peintre. Comme Fromentin,
+Guillaumet eût pu se faire, à côté de sa gloire d'artiste, une
+réputation d'écrivain. Et tous deux, c'est la vie du désert qui les a
+séduits, fascinés. C'est le soleil qui, après avoir tenté leur pinceau,
+les a faits poètes, la plume à la main. Les Tableaux algériens ne sont
+point d'ailleurs un nouvel ouvrage. Une superbe édition illustrée en
+avait été publiée après la mort du peintre. La librairie Plon vient
+seulement d'en mettre une édition courante à la portée du grand public.
+
+
+_L'Enseignement au point de vue national_, par Alfred Fouillée, ancien
+maître de conférences à l'École normale supérieure. 1 vol. in-12, 3 fr.
+50 (Hachette).--Les questions d'enseignement n'ont pas cessé d'être à
+l'ordre du jour. L'éducation reste la question vitale; mais il semble,
+il est même certain, et M. Fouillée le constate, qu'en cette matière on
+ne se place jamais qu'au point de vue de l'individu. Ne faudrait-il pas
+enfin tenir compte de la race, s'élever à un point de vue national, se
+préoccuper non seulement d'instruire les individus, mais de conserver et
+d'accroître les qualités héréditaires de la race? Tel doit-être, d'après
+M. Alfred Fouillée, le but de l'éducation. C'est à ce point de vue qu'il
+a étudié les questions d'enseignement, et l'on peut juger quel intérêt
+nouveau et vraiment patriotique s'attache par suite à son livre.
+
+
+
+NOS GRAVURES
+
+LES DÉCOUVERTES DE LOUQSOR
+
+Tous les journaux ont parlé des découvertes faites récemment en Égypte
+par notre compatriote M. Grébaut, directeur du Musée égyptien de Ghizeh.
+M. Grébaut, à la suite de fouilles entreprises dans La montagne de
+Thébes, a mis au jour un puits contenant un nombre considérable de
+momies, toutes dans de riches sarcophages, et dans un état merveilleux
+de conservation. Par une rare bonne fortune, parmi les témoins de ces
+fouilles se trouvait un de nos plus chers collaborateurs, M. Émile
+Bayard, qui vient de passer l'hiver en Égypte. C'est donc sur place même
+et d'après nature que M. Bayard a pu faire les deux beaux dessins que
+nous donnons et dont il a accompagné l'envoi de la très intéressante
+lettre que voici:
+
+_Au Directeur._
+
+Je vous ai dit dans ma précédente lettre qu'après avoir remonté jusqu'à
+la première cataracte, sur un charmant et confortable bateau de la
+Société Égyptienne Thewfikiek, je m'étais arrêté à Louqsor, à l'hôtel de
+la société sus-nommée. Je vous laisse à penser ma joie en voyant sur la
+table du grand salon l'_Illustration_, qu'on se passait de mains en
+mains. Quand on a vu votre collaborateur assidu et dévoué, on l'a fort
+entouré. A 1,200 lieues de la rue Saint-Georges, ç'a été vraiment une
+grande joie pour moi, car je rapportais au journal les sympathies dont
+j'étais l'objet.
+
+Le soir même de mon arrivée, j'appris la découverte si intéressante de
+M. Grébaut, le savant égyptologue. Ma première idée fut de faire
+profiter de ma bonne fortune les lecteurs de l'_Illustration_. Aussi, le
+lendemain matin, je traversai le Nil et me trouvai sur la rive gauche de
+l'ancienne Thèbes; de là, monté sur un bourriquot (Ramsès, s'il vous
+plaît), je me rendis à la dahabieh de M. Grébaut, à qui j'avais eu le
+plaisir d'être présenté au Caire. Fort bien accueilli, il fut décidé que
+nous partirions de suite pour Deïr-el-Bahari. Nous voilà donc tous à
+bourriquot, M. Grébaut, M. Bourriaud, le chef érudit de la mission
+archéologique française, et moi. Au bout d'une bonne heure, nous
+arrivâmes sur le flanc de la chaîne lybique, où se trouve la fouille que
+M. Grébaut a fait creuser, pressentant en cet endroit un trésor caché,
+dont l'importance archéologique devait dépasser ses espérances. Mais je
+laisse la parole à M. Grébaut:
+
+«J'étais persuadé qu'environ à cette distance de la montagne je
+trouverais quelque chose. Je ne m'étais pas trompé et j'ai fait
+fouiller. A ma grande joie j'ai vu apparaître le puits que vous voyez,
+dont la profondeur est environ de 15 mètres et au fond duquel se
+trouvait une porte fermée par un entassement de grosses pierres.
+
+La porte déblayée, on est entré dans un premier souterrain. Après un
+parcours de 73 mètres on rencontre un escalier de 5 mètres et l'on
+descend à un second étage qui fait suite pendant 12 mètres.
+
+Ces deux étages conservent la direction du nord au sud. Au fond sont
+creusées deux chambres funéraires mesurant: l'une 4 mètres, l'autre 2
+mètres de côté. A la hauteur de l'escalier est située la port d'un
+second corridor de 54 mètres se dirigeant de l'est à l'ouest. Le
+développement total des souterrains est de 153 mètres.
+
+Ils étaient remplis de caisses de momies, souvent entassées les unes sur
+les autres. A côté des sarcophages étaient déposés des objets divers,
+papyrus, boîtes, paniers, statuettes, offrandes funéraires, fleurs.
+
+Le désordre dénotait une cachette du genre de celles des momies royales
+découvertes il y a dix ans. Les deux cachettes sont de la même époque,
+elles ont dû être faites dans les mêmes circonstances. Dans les deux
+cas, les momies les plus récentes appartiennent à la 21e dynastie.
+
+Les sarcophages de la nouvelle découverte sont ceux des prêtres et des
+prêtresses d'Ammon, au nombre de 163. On compte aussi quelques prêtres
+d'autres divinités, de Set, d'Anubis, de Mentou et de la reine Aah-Hotep
+dont le culte s'est maintenu pendant de longs siècles.»
+
+L'extraction des sarcophages m'a fourni le sujet d'un dessin: les cuves
+extérieures d'une richesse de décoration incomparable sont composées et
+exécutées avec un soin particulier. Quand on pense que la porte de ces
+souterrains, fermée depuis 3,000 ans, vient de livrer passage à ces
+sarcophages qu'on dirait faits d'hier tant leur conservation est
+admirable, l'imagination reste confondue.
+
+[Illustration: M. BELTCHEF D'après la photographie de M.
+Ivan-A.-Rarastojanow.]
+
+Voilà, mon cher ami, ce que j'ai eu l'heureuse chance de voir; mais ce
+qu'on ne verra pas de longtemps, c'est leur transport au Nil où les
+attendent de grands chalands qui doivent les transporter au Caire.
+
+Rien ne peut donner une idée (pas même mon dessin!) de cet étonnant
+spectacle.
+
+Imaginez-vous, sous un soleil de 50 degrés, dans les grandes plaines
+fertilisées par le Nil et s'étendant jusqu'aux contreforts de la
+montagne, deux cents Arabes dans les costumes les plus pittoresques,
+souvent nus, portant sur leurs épaules une trentaine de ces merveilleux
+sarcophages, se bousculant dans la poussière en chantant ces refrains
+monotones dont ils scandent leurs marches. C'est un spectacle
+inoubliable.
+
+Je ne veux pas, cher ami, prolonger cette longue lettre. Je dois
+cependant ajouter que, malgré son grand désir de m'être agréable, M.
+Grébaut n'a pu me fournir les photographies des objets trouvés, ce qui
+eût été bien précieux, mais il ne veut rien livrer à la publicité avant
+d'avoir examiné avec soin, à son retour au Caire, tous les éléments de
+sa découverte. Je suis persuadé qu'il s'empressera, aussitôt qu'il le
+pourra, de vous les envoyer avec une notice explicative. Ce sera encore
+de l'actualité. A bientôt, mon cher ami.
+
+Votre bien affectionné,
+
+Émile Bayard.
+
+
+
+A L'ÉGLISE DU SACRÉ-COEUR
+
+Les nombreux pèlerins qui ont visité pendant ces derniers jours l'église
+du Sacré-Coeur se sont portés en foule dans la crypte de la Basilique où
+les attendait le spectacle émouvant d'une «Mise au tombeau» fidèlement
+représentée.
+
+Le corps du Seigneur, qui tient le milieu, est soutenu par Joseph
+d'Arimathie, à qui appartenait le sépulcre, et Nicodème.
+
+A gauche, la sainte Vierge, accompagnée de saint Jean et de la mère de
+Jacques, étend les bras vers son divin fils à qui elle semble adresser
+un dernier adieu. A droite, Marie-Madeleine à genoux, les mains jointes,
+implore une fois encore son pardon, et derrière elle se tiennent les
+trois saintes femmes qui accompagnent la mère du Christ. Un disciple
+porte la couronne d'épines, et trois soldats romains éclairent avec des
+torches la funèbre cérémonie. Tout en haut d'un escalier taillé dans le
+roc, on entrevoit le calvaire.
+
+Les figures en cire sont l'oeuvre de M. Pêche-Lambert. C'est un travail
+long et difficile que la mise au point d'un pareil tableau. L'artiste
+doit modeler d'abord ses personnages en terre glaise, les reproduire
+ensuite en plâtre, et sur les plâtres prendre les moulages dans lesquels
+coulera la cire. Après avoir soigneusement réparé et retouché cette
+cire, les groupes sont implantés, et les couleurs savamment distribuées
+donnent à la scène l'illusion de la vie.
+
+Ab.
+
+
+
+
+AU THÉÂTRE D'APPLICATION
+
+Le petit théâtre de la rue Saint-Lazare a donné, ces jours derniers, un
+spectacle de circonstance qui, pour n'être pas de ceux auxquels se
+précipite d'ordinaire le gros public, n'en a pas moins offert un intérêt
+littéraire et scénique indéniable.
+
+La _Passion_, de M. Haraucourt, avait été donnée déjà l'an passé au
+Cirque-d'Hiver avec Mme Sarah Bernhardt comme protagoniste; elle fit
+même quelque bruit à cette époque-là, si nous nous souvenons bien.
+Transportée sur la petite scène de M. Bodinier, elle a été écoutée
+presque avec recueillement.
+
+Les quatre tableaux de la Passion: Un Carrefour à Jésusalem, la Maison
+de Lazare, le Jardin des Oliviers et le Calvaire se sont déroulés
+tranquillement devant une salle toujours pleine, et dans un silence
+qu'interrompaient seuls les applaudissements à l'adresse du poète et des
+interprètes. Ceux-ci, en effet, surtout Taillade dans le rôle de Judas
+et Brémont dans celui de Jésus, Mme Malvau dans le personnage de Marie
+et Mme de Pontry dans celui de Madeleine, se sont acquittés à merveille
+de leur lâche et n'ont pas peu contribué au succès de ces quelques
+représentations dont notre gravure reproduit fidèlement l'aspect
+général. Ce qu'elle ne peut rendre, c'est l'impression toute
+particulière quelles ont dù laisser dans l'esprit de nombre de
+Parisiens. Nous nous ferons sans doute par la suite à ce spectacle
+moitié profane, moitié religieux. Mais cette petite salle oblongue avec
+sa tribune du fond où l'orgue seul fait défaut; cette étroite scène où,
+dans la monotone vibration des vers psalmodiés, Madeleine la pécheresse,
+sous les traits de la belle Mme de Pontry (c'est l'épisode que
+représente notre gravure), arrosait de parfums les pieds de Jésus: la
+demi-obscurité que faisaient flotter au-dessus des spectateurs
+recueillis les lustres baissés... tout cela donnait assez bien l'idée
+d'une bonne petite religion fin de siècle, dont le culte se célébrerait
+dans une sorte de chapelle laïque, fraîchement décorée et ornée de
+glaces.
+
+J. S.
+
+
+
+LA PÂQUE RUSSE
+
+Nous continuons aujourd'hui notre série des scènes de la vie russe par
+la cérémonie de la Pâque qui rappelle un peu ce qu'en France nous
+appelons la bénédiction des rameaux. Les fidèles, rangés devant la porte
+de l'église, ont apporté avec eux des pains confectionnés avec une sorte
+de laitage caillé qui constitue, le jour de la pâque, le mets principal
+des Russes. Dans ce laitage ils ont planté des cierges qu'ils ont
+allumés. Le pope sort de l'église, suivi de son sacristain, et bénit les
+fidèles, les cierges et les pains de laitage caillé. Puis tout le monde
+se retire.
+
+Une particularité assez curieuse à signaler: sitôt que la bénédiction a
+été donnée, les fidèles éteignent leurs petits cierges, dont ils
+conservent précieusement la partie restée intacte, à moins qu'ils ne la
+cèdent, moyennant quelque argent, à d'autres fidèles qui n'ont pu
+assister à la bénédiction.
+
+
+
+M. BELTCHEF
+
+Nos lecteurs trouveront dans l'_Histoire de la semaine_ les détails
+relatifs à l'assassinat de M. Beltchef, ministre des finances de
+Bulgarie, dont nous donnons ci-contre le portrait. Nous n'avons donc que
+peu de chose à dire sur cet attentat, qui a jeté la consternation dans
+tous les cercles politiques de Sofia, où la victime était aimée et
+estimée de tous. Au moment où nous mettons sous presse, les assassins ne
+sont pas encore connus, mais les arrestations ordonnées par M.
+Stamboulof continuent, et l'agitation s'étend de plus en plus en
+Bulgarie.
+
+M. Beltchef était nouveau venu en politique. Il avait trente-cinq ans et
+avait fait ses études à Paris.
+
+
+
+NOTRE SUPPLÉMENT
+
+_Morte saison_.--S'il mange ainsi son fonds, le petit
+pâtissier-confiseur que Mlle Achille Fould a peint avec tant d'esprit,
+il ne s'enrichira guère! Mais, à cet âge, songe-t-on à l'avenir, surtout
+quand le présent est là, attractif, sous la forme d'un éventaire chargé
+de sucre d'orges? La marchandise doit être bonne. Les yeux émerveillés
+du gamin le disent éloquemment.
+
+_Au pigeonnier._--Bébé a évidemment promis d'être sage et de ne pas
+troubler la quiétude des habitants du pigeonnier, pour qu'on lui ait
+confié le soin de jeter de ses mains potelées les grains aux beaux
+oiseaux qui attendaient leur repas. M. Pinchart a composé cette scène
+gracieuse avec une légèreté tout à fait fin de siècle... mais l'autre,
+le dix-huitième!
+
+_Les premiers galons._--«Pour que ça pousse, mon fieu, vois-tu, faut les
+arroser.» Et le vieux Breton bretonnant a fait ce qu'il a fallu de
+chemin pour venir au port embrasser son «gamin» sur les deux joues à
+l'occasion des deux bandes rouges qui ornent nouvellement sa manche. Il
+est tout fier, le bonhomme, du succès de son fils, et si celui-ci
+sourit, c'est qu'il y a de quoi, vous en conviendrez.
+
+_Portrait à cinquante centimes._--On est entré à quatre, quatre bons
+compagnons de bord, dans l'atelier essentiellement primitif du
+photographe ambulant. L'objectif dirigé par la patronne de
+l'établissement va prendre les traits du gars qui sourit déjà en
+songeant à la promise, et à la mine qu'elle fera en recevant le petit
+bout de carton. La pittoresque composition de M. Bourgain est une
+véritable étude de moeurs.
+
+[Illustration.]
+
+
+
+ANIE
+
+Roman nouveau, par HECTOR MALOT
+Illustrations d'ÉMILE BAYARD
+Suite.--Voir nos numéros depuis le 21 février 1891.
+
+[Illustration.]
+
+En effet, les deux jeunes gens revenaient sur leurs pas.
+
+--Cette fois nous allons bien voir, dit Mme Barincq, s'il affecte de ne
+pas te saluer.
+
+Il fit plus que saluer; arrivé vis-à-vis d'eux, il laissa échapper un
+mouvement prouvant qu'il venait seulement de reconnaître Barincq, et
+tout de suite, se séparant de son compagnon, il s'avança, le chapeau à
+la main, en s'inclinant devant Mme Barincq et Anie:
+
+--Puisque le hasard me fait vous rencontrer sur cette plage, me
+permettrez-vous, monsieur, dit-il, de vous adresser une demande pour
+laquelle je voulais vous écrire?
+
+--Je suis tout à votre disposition.
+
+--Voici ce dont il s'agit. Dans la chambre que j'occupais lors de mes
+visites à Ourteau, se trouvent plusieurs objets qui m'appartiennent:
+deux fusils de chasse, des livres, des photographies, du linge, des
+vêtements. J'aurais dû vous en débarrasser depuis longtemps, et je vous
+prie de me pardonner de ne pas l'avoir encore fait.
+
+--Ces objets ne nous gênent en rien.
+
+--Mon excuse est dans un ordre de service; j'ai quitté Bayonne peu de
+temps après la mort de M. de Saint-Christeau et ne suis revenu que cette
+semaine; mais, maintenant que me voilà de retour, je puis les envoyer
+chercher le jour que vous voudrez bien me donner.
+
+--Nous rentrons lundi.
+
+--Mardi vous convient-il?
+
+--Parfaitement.
+
+--Mardi j'enverrai mon ordonnance les emballer.
+
+--Si vous voulez m'en donner la liste, je puis vous les faire envoyer
+par Manuel.
+
+--C'est que cette liste est difficile à établir, surtout pour les livres
+qui se trouvent mêlés à ceux de la bibliothèque du château, et pour tout
+ce qui touche aux livres Manuel n'est pas très compétent.
+
+--Votre ordonnance l'est davantage?
+
+Le capitaine sourit:
+
+--Pas beaucoup.
+
+--Alors?
+
+--Évidemment des erreurs sont possibles; mais, en tout cas, s'il s'en
+commet, elles seront de peu d'importance, et je les réparerai en vous
+renvoyant les volumes qui ne m'appartiendraient pas.
+
+--Il y aurait un moyen de les empêcher, ce serait que vous prissiez la
+peine de venir vous-même à Ourteau, où nous nous ferons un plaisir, Mme
+et moi, de vous recevoir le jour qu'il vous plaira de choisir.
+
+Le capitaine hésita un moment, regardant Mme Barincq et Anie.
+
+--Si vous pouvez m'indiquer à l'avance l'heure de votre arrivée, dit
+Barincq, j'enverrai une voiture vous attendre à Puyoo.
+
+Cette insistance fit céder les hésitations du capitaine.
+
+--Mardi, dit-il, je serai à Puyoo à 3 heures 55.
+
+Comme il allait se retirer, après avoir salué Mme Barincq et Anie,
+Barincq lui tendit la main.
+
+--A mardi.
+
+Le capitaine rejoignit son compagnon.
+
+C'était l'habitude de Mme Barincq d'interroger sa fille sur toutes
+choses et sur tout le monde, ne se faisant une opinion qu'avec les
+impressions qu'elle recevait.
+
+--Eh bien, demanda-t-elle aussitôt que le capitaine se fut éloigné de
+quelques pas, comment le trouves-tu? Tu ne diras pas cette fois que tu
+ne l'as pas remarqué.
+
+--Je le trouve très bien.
+
+--N'est-ce pas? dit Barincq.
+
+--Que vois-tu de bien en lui? continua Mme Barincq.
+
+--Mais tout; il est beau et il a l'air intelligent; la voix est bien
+timbrée, ses manières sont faciles et naturelles; la physionomie respire
+la droiture et la franchise; je ne connais pas de militaires, mais quand
+j'en imaginais un, d'après un type que j'arrangeais, il n'était ni autre
+ni mieux que celui-là.
+
+--Es-tu satisfaite? demanda Barincq à sa femme; si tu voulais un
+portrait, en voilà un.
+
+--On dirait qu'il te fait plaisir.
+
+--Pourquoi pas? Non seulement le capitaine m'est sympathique, mais
+encore je le plains.
+
+--La voix du sang.
+
+--Pourquoi ne parlerait-elle pas?
+
+--Parce qu'il faudrait qu'elle fût inspirée par la certitude, et que
+cette certitude n'existe pas.
+
+--Voilà précisément qui rend la situation intéressante.
+
+Anie les interrompit:
+
+--Ils reviennent, dit-elle, et il semble que c'est pour nous aborder.
+
+--Que peut-il vouloir encore? demanda Mme Barincq.
+
+Ils n'étaient plus qu'à quelques pas, tous deux en même temps mirent la
+main à leur chapeau, mais ce fut le capitaine qui prit la parole:
+
+--Mon ami le baron d'Arjuzanx, dit-il, désire avoir l'honneur de vous
+être présenté.
+
+--J'ai pensé que mon nom expliquerait et, jusqu'à un certain point,
+excuserait ce désir, dit le baron.
+
+--Vous êtes le fils d'Honoré? demanda Barincq.
+
+--Précisément, votre camarade au collège de Pau, comme j'ai été celui de
+Sixte; mon père m'a si souvent parlé de vous et en termes tels, que j'ai
+cru que c'était un devoir pour moi de vous présenter mes hommages, ainsi
+qu'à madame et à mademoiselle de Saint-Christeau.
+
+Ce fut Mme Barincq qui répondit en invitant le baron à s'asseoir: des
+chaises furent apportées par le capitaine, et un cercle se forma.
+
+Le baron d'Arjuzanx parla de son père, Barincq de ses souvenirs de
+collège, et la conversation ne tarda pas à s'animer. Habitué de
+Biarritz, le baron connaissait tout le monde, et, à mesure que les
+femmes défilaient devant eux pour entrer dans la mer ou remonter à leur
+cabines, il les nommait, en racontant les histoires qui couraient sur
+elles: Espagnoles, Russes, Anglaises, Américaines, toutes y passèrent,
+et quand elles lui manquèrent, il tira d'un carnet toute une série de
+petites épreuves obtenues avec un appareil instantané qui complétèrent
+sa collection. Si plus d'un modèle vivant prêtait à la plaisanterie, les
+photographies, en exagérant la réalité, avaient des aspects bien plus
+drolatiques encore: il y avait là des Espagnoles dont les caoutchoucs
+dans lesquels elles s'enveloppaient rendaient la grosseur phénoménale,
+comme il y avait des Russes saisies au moment où elles sortaient
+rapidement de leurs chaises à porteur, d'une maigreur et d'une longueur
+invraisemblables.
+
+--Je vois qu'il est bon d'être de vos amies, dit Anie.
+
+--Il est des personnes qui n'ont pas besoin d'indulgence.
+
+Ce fut Mme Barincq qui répondit à ce compliment par son sourire le plus
+gracieux, fière du succès de sa fille.
+
+Plusieurs fois le capitaine parut vouloir se lever, mais le baron ne
+répondit pas à ses appels, et resta solidement sur sa chaise, bavardant
+toujours, regardant Anie, se faisant inviter à Ourteau, et invitant
+lui-même M. et Mme de Saint-Christeau à lui faire l'honneur de venir
+voir son vieux château de Seignos: avec de bons chevaux on pouvait faire
+le voyage dans la journée sans fatigue.
+
+--Avez-vous lu le _Capitaine Fracasse_, mademoiselle? demanda-t-il à
+Anie.
+
+--Oui.
+
+--Eh bien, vous retrouverez dans ma gentilhommière plus d'un point de
+ressemblance avec celle du baron de Sigognac, quand ce ne serait que les
+deux tours rondes avec leurs toits en éteignoirs. A la vérité, ce n'est
+pas tout à fait le château de la Misère, si curieusement décrit par
+Théophile Gautier, mais il n'y a que la misère qui manque; pour le
+reste, vous reconnaîtrez: très conservateurs, les d'Arjuzanx, car il n'y
+a pas eu grand'chose de changé chez nous depuis Louis XIII. Et puis,
+vous verrez mes vaches.
+
+--Ah! vous avez des vaches! Combien vous donnent-elles de lait en
+moyenne? interrompit Mme Barincq qui, à force d'entendre parler de lait,
+de beurre, de veaux, de vaches, de porcs, d'herbe, de maïs, de
+betteraves, s'imaginait avoir acquis des connaissances spéciales sur la
+matière.
+
+Le baron se mit à rire:
+
+--C'est de vaches de courses qu'il s'agit, non de vaches laitières.
+
+--A Ourteau, continua Mme Barincq, mes vaches nous donnent une moyenne
+de 1,500 litres.
+
+--Vous êtes sur une terre riche, je suis sur une terre pauvre, aux
+confins de la Lande rase où la plaine de sable rougeâtre ne produit
+guère que des bruyères, des ajoncs, des genêts ou des fougères; mais, si
+pauvres laitières qu'elles soient, elles ont cependant quelques mérites,
+et si vous voulez aller dimanche à Habas, qui est à une assez courte
+distance d'Ourteau, vous verrez ce qu'elles valent.
+
+--Il y a des courses? dit Barincq.
+
+--Oui, et les vaches proviennent de mon troupeau.
+
+--Certainement nous irons, dit Mme Barincq avec empressement; nous
+n'avons jamais vu de courses landaises, mais nous en avons assez entendu
+parler par mon mari pour avoir la curiosité de les connaître.
+
+L'entretien se prolongea ainsi, allant d'un sujet à un autre, jusqu'à
+l'heure du dîner, et déjà le soleil s'abaissait sur la mer, découpant en
+une silhouette sombre les rochers de l'Atalaye, déjà la plage avait
+perdu son mouvement et son brouhaha, quand le baron se décida à se
+lever.
+
+A peine s'était-il éloigné avec le capitaine que Mme Barincq rapprocha
+vivement sa chaise de celle de sa fille:
+
+--Tu sais que c'est un mari? dit-elle.
+
+--Qui? demanda Anie.
+
+--Qui veux-tu que ce soit, si ce n'est le baron d'Arjuzanx?
+
+--Te voilà bien avec ton idée fixe de mariage, dit Barincq.
+
+--Oh! maman, si tu voulais ne pas t'occuper de mariage, continua Anie;
+nous ne sommes plus à Montmartre, et nous n'avons plus à chercher un
+mari possible dans tout homme qui nous approche. Laisse-moi jouir en
+paix de cette liberté.
+
+--Je ne peux pourtant pas fermer mes yeux à l'évidence, et il est
+évident que tu as produit une vive impression sur M. d'Arjuzanx. C'est
+cette impression qui l'a poussé à se faire présenter, c'est elle qui ne
+lui a pas permis de te quitter des yeux pendant tout cet entretien;
+c'est elle enfin qui a amené les compliments fort bien tournés
+d'ailleurs qu'il t'a plusieurs fois adressés.
+
+--De là à penser au mariage, il y a loin.
+
+--Pas si loin que tu crois.
+
+Cessant de s'adresser à sa fille, elle se tourna vers son mari:
+
+--Quelle est la fortune de M. d'Arjuzanx?
+
+--Je n'en sais rien.
+
+--Quelle était celle du père?
+
+--Assez belle, mais embarrassée par une mauvaise administration.
+
+--Et sa situation?
+
+--Des plus honorables; les d'Arjuzanx appartiennent à la plus vieille
+noblesse de la vicomté de Tursan; un d'Arjuzanx a été l'ami d'Henri IV;
+plusieurs autres ont marqué à la cour et à la guerre.
+
+--Mais c'est admirable! Nous irons dimanche aux courses d'Habas où
+certainement nous le rencontrerons. Et, puisque le capitaine Sixte vient
+mardi à Ourteau, nous le ferons causer sur son camarade.
+
+
+III
+
+Bien que Mme Barincq, maintenant qu'elle était en possession de la
+fortune de son beau-frère, n'eût plus rien à craindre du capitaine, elle
+le regardait toujours comme un ennemi: trop longtemps elle l'avait
+appelé le bâtard et le voleur d'héritage pour pouvoir renoncer à ses
+griefs contre lui alors même qu'ils n'avaient plus de raison d'être;
+pour elle il restait toujours le voleur d'héritage que pendant tant
+d'années elle avait redouté et maudit.
+
+Mais le désir d'obtenir des renseignements sur le baron d'Arjuzanx le
+lui fit considérer à un point de vue différent, et amena chez elle un
+changement que les observations que son mari et sa fille ne lui
+épargnaient pas cependant en faveur du capitaine n'eussent jamais
+produit: puisqu'il devenait utile au lieu de rester dangereux, il était
+un autre homme.
+
+Aussi, quand il arriva le mardi, voulut-elle le recevoir elle-même; et
+elle mit tant de bonne grâce à l'inviter à dîner, elle insista si
+vivement, elle trouva tant de raisons pour rendre toute résistance
+impossible, qu'il dut finir par accepter et ne pas persister dans un
+refus que sa situation personnelle envers la famille Barincq rendait
+particulièrement délicat.
+
+Bien que de son côté il put lui aussi les considérer comme des voleurs
+d'héritage, il n'avait, en toute justice aucun reproche fondé à leur
+adresser, ni au mari, ni à la femme, ni à la fille: ni l'un ni l'autre
+n'avait rien fait pour lui enlever cette fortune qui, pendant longtemps,
+avait été sienne; il n'y avait point eu de luttes entre eux; la fatalité
+seule avait agi en vertu de mystérieuses combinaisons auxquelles
+personne n'avait aidé, et il ne pouvait pas, honnêtement, les rendre
+responsables d'être les instruments du hasard pas plus que d'être les
+complices de la mort. En réalité, le père était un brave homme pour qui
+on ne pouvait éprouver que de la sympathie, comme la fille était une
+très jolie et très gracieuse personne qu'il eût peut-être trouvée plus
+jolie et plus gracieuse encore, si sa condition d'officier sans le sou
+lui eût permis de s'abandonner à ses idées. Les choses étant ainsi,
+convenait-il de s'enfermer dans une attitude raide qu'on pourrait
+prendre pour de la rancune et de l'hostilité? Il le crut d'autant moins
+qu'il n'éprouvait à leur égard ni l'un ni l'autre de ces sentiments;
+désappointé qu'on n'eût pas retrouvé un testament qu'il connaissait,
+oui, il l'avait été, et même vivement, très vivement, car il n'était pas
+assez détaché des biens de ce monde pour supporter, impassible, une
+pareille déception; mais fâché contre ceux qui recueillaient, à sa
+place, cette fortune, par droit de naissance, il ne l'était point, et ne
+voulait pas, conséquemment, qu'on put supposer qu'il le fût.
+
+Lorsqu'avec le secours de Manuel il eut emballé les objets qui lui
+appartenaient, il trouva, au bas de l'escalier, Barincq qui l'attendait.
+
+--Vous plaît-il que, jusqu'au dîner, nous fassions une promenade dans
+les prés? le temps est doux; je vous montrerai mes travaux et mes bêtes.
+
+Pendant cette promenade qui se prolongea, car Barincq était trop heureux
+de parler de ce qui le passionnait pour abréger ses explications, le
+capitaine n'eut pas un seul instant la sensation qu'il pouvait y avoir
+quelque chose d'ironique à lui montrer sa propriété améliorée:
+assurément l'affabilité avec laquelle on le recevait était sincère,
+comme l'était la sympathie qu'on lui témoignait; cela il le voyait, il
+en était convaincu; aussi, quand il s'assit à table, se trouvait-il dans
+les meilleures dispositions pour répondre aux questions que Mme Barincq
+lui posa sur le baron et raconter ce qu'il savait de lui.
+
+C'était au collège de Pau qu'ils s'étaient connus, gamins l'un et
+l'autre puisqu'ils étaient du même âge. Et déjà l'entant montrait ce que
+serait l'homme: une seule passion, les exercices du corps, tous les
+exercices du corps. Dans ce genre d'éducation il avait accompli des
+prodiges dont le souvenir servirait longtemps d'exemples aux maîtres de
+gymnastique de l'avenir. Avec cela, bon garçon, franc, ouvert, généreux,
+n'ayant qu'un défaut, la rancune: de même que ses tours de force étaient
+légendaires, ses vengeances l'étaient aussi. Entre eux il n'y avait
+jamais eu que d'amicales relations, et si, pendant le temps de leur
+internat, ils n'avaient pas vécu dans une intimité étroite, au moins
+étaient-ils toujours restés bons camarades jusqu'au départ de d'Arjuzanx
+qui avait quitté le collège avant la fin de ses classes. Pendant plus de
+douze ans, ils ne s'étaient pas vus, et ne s'étaient retrouvés qu'à
+l'arrivée du capitaine à Bayonne.
+
+Ce que le baron promettait au collège, il l'avait tenu dans la vie, et
+aujourd'hui il réalisait certainement le type le plus parfait de l'homme
+de sport: tous les exercices du corps il les pratiquait avec une
+supériorité qui lui avait fait une célébrité: l'escrime et l'équitation
+aussi bien que la boxe; il faisait à pied des marches de douze à quinze
+lieues par jour pour son plaisir; et il regardait comme un jeu d'aller
+de Bayonne à Paris sur son vélocipède. Cependant c'était la lutte
+romaine, la lutte à mains plates, qui avait établi surtout sa
+réputation, et il avait pu se mesurer sans désavantage, au cirque
+Molier, avec Pietro, qui est reconnu parmi les professionnels comme le
+roi des lutteurs. C'était la pratique constante de ces exercices et
+l'entraînement régulier qu'ils exigent qui lui avaient donné cette
+musculature puissante qu'on ne rencontre pas d'ordinaire chez les gens
+du monde. Pour s'entretenir en forme, il avait dans son château un
+ancien lutteur, un vieux professionnel précisément, appelé Thouloureux,
+autrefois célèbre, avec qui il travaillait tous les jours, et, d'une
+séance de lutte ou d'escrime, il se reposait par deux ou trois heures de
+cheval ou de course à pied.
+
+Mme Barincq écoutait stupéfaite; sa surprise fut si vive, qu'elle
+interrompit:
+
+--Est-ce que la lutte à mains plates dont vous parlez est celle qui se
+pratique dans les foires?
+
+--C'est en effet cette lutte, ou plutôt c'était, car elle n'est plus
+maintenant, comme autrefois, réservée aux seuls professionnels, qui
+donnaient leurs représentations à Paris aux arènes de la rue Le
+Pelletier ou dans les fêtes de la banlieue, et, dans le Midi, un peu
+partout; des amateurs se sont pris de goût pour elle, quand les
+exercices physiques, pendant si longtemps dédaignés, ont été remis en
+faveur chez nous, et d'Arjuzanx est sans doute le plus remarquable de
+ces amateurs.
+
+--Voilà qui est bizarre pour un homme de son rang.
+
+--Pas plus que le trapèze ou le panneau du cirque pour certains noms des
+plus hauts de la jeune noblesse. En tout cas la lutte exige un ensemble
+de qualités qui ne sont pas à dédaigner: la force, la souplesse,
+l'agilité, l'adresse, la résistance, et une autre, intellectuelle
+celle-là, c'est-à-dire le sens de ce qui est à faire ou à ne pas faire.
+
+--Vous parlez de la lutte comme si vous étiez vous-même un des rivaux de
+M. d'Arjuzanx, dit Anie.
+
+--Simplement, mademoiselle, comme un homme qui, pratiquant par métier
+quelques exercices du corps, sait la justice qu'on doit rendre à ceux
+qui arrivent à une supériorité quelconque dans l'un de ces exercices.
+D'ailleurs, il est certain que la lutte est celui de tous qui développe
+le mieux la machine humaine pour lui faire obtenir d'harmonieuses
+proportions et lui donner son maximum de beauté: tandis que les autres
+détruisent plus ou moins l'équilibre des proportions, en favorisant un
+organe au détriment de celui-ci ou de celui-là: voyez le tireur à
+l'épaule haute, et le jockey, ou simplement le cavalier aux jambes
+arquées; et, d'autre part, voyez les athlètes de l'antiquité, qui ont
+servi de modèles à la statuaire et l'ont jusqu'à un certain point créée.
+
+--J'avoue qu'à l'Hercule Farnèse je préfère l'Apollon du Belvédère, et
+surtout le Narcisse, dit Anie.
+
+Tout cela étonnait Mme Barincq, et ne répondait pas à ses préoccupations
+de mère, elle voulut donc préciser ses questions.
+
+--Voilà un genre de vie qui doit coûter assez cher? dit-elle.
+
+--Je n'en sais rien, mais certainement il n'est pas ruineux comme une
+écurie de course, ou le jeu; en tout cas, je crois que la fortune de
+d'Arjuzanx peut lui permettre ces fantaisies, et alors même qu'elles lui
+coûteraient cher, même très cher, cela ne serait pas pour l'arrêter, car
+il n'a aucun souci des choses d'argent.
+
+Volontiers, Mme Barincq eût parlé du baron pendant tout le dîner, de son
+caractère, de ses relations, de sa fortune, de son passé, de son avenir;
+mais Anie détourna la conversation, et sur la maintenir sur des sujets
+qui ne permettaient pas de revenir à M. d'Arjuzanx, et de laisser
+supposer au capitaine qu'elle s'intéressait à cette sorte d'enquête sur
+le compte d'un homme avec qui elle s'était rencontrée une fois.
+
+L'obsession du mariage l'avait trop longtemps tourmentée pour qu'elle
+n'éprouvât pas un sentiment de délivrance à en être enfin débarrassée,
+c'avait été l'humiliation de ses années de jeunesse, de discuter avec sa
+mère la question de savoir si tel homme qu'elle avait vu ou devait voir
+pouvait faire un mari; si elle lui avait plu; s'il était acceptable; les
+avantages qu'il offrait ou n'offrait point. Maintenant que la fortune
+lui donnait la liberté, elle ne voulait plus de ces marchandages. Qu'un
+mari se présentât, elle verrait si elle l'acceptait. Mais aller au
+devant de lui, c'était ce qu'elle ne voulait pas.
+
+Et le soir même, après le départ du capitaine, elle s'expliqua là-dessus
+avec sa mère très franchement.
+
+--Est-ce que bien souvent je n'ai pas pris des renseignements sur un
+jeune homme sans que tu t'en fâches? dit celle-ci surprise.
+
+--Les temps sont changés. C'est précisément parce que cela s'est fait
+que je ne veux plus que cela se fasse. Est-ce que le meilleur de la
+fortune n'est pas précisément de nous dégager des compromis de la
+misère? riche d'argent laisse-moi l'être de dignité.
+
+Mais ces observations n'empêchèrent pas Mme Barincq de persister dans
+son envie d'aller le dimanche aux courses d'Habas.
+
+--Rencontrer M. d'Arjuzanx n'est pas le chercher, et nous n'avons pas de
+raisons pour le fuir.
+
+--Pourvu qu'on ne s'imagine pas que je suis une fille en peine de maris,
+c'est tout ce que je demande, et cela, je me charge de le faire
+comprendre sans qu'on puisse se tromper sur mes intentions.
+
+
+IV
+
+Habas, qui n'est qu'un village des Landes, a cependant des courses très
+suivies, et, le dimanche de juillet où elles ont lieu, c'est, sur les
+routes qui aboutissent à son clocher, une procession de voitures dans
+laquelle se trouvent représentés tous les genres de véhicules en usage
+dans la contrée; le long des haies vertes festonnées de ronces et de
+clématites, sous le couvert des châtaigniers, les piétons se suivent à
+la file, les pieds chaussés d'espadrilles neuves, le béret rabattu sur
+les yeux en visière, le ventre serré dans une belle ceinture rouge ou
+bleue; et, si quelques femmes sont fières d'être coiffées du chapeau de
+paille à la mode de Paris, d'autres portent toujours le foulard de soie
+aux couleurs éclatantes qui donne l'accent du pays.
+
+Quand le landau de la famille Barincq, après avoir traversé les rues
+pavoisées, s'arrêta devant l'auberge de la _Belle Hôtesse_, il se
+produisit un mouvement de curiosité dans la foule: car, si les
+charrettes et même les carrioles à ânes étaient nombreuses, un landau
+était un événement dans le village.
+
+Des éclats de cornet à piston et des ronflements d'ophicléide dominaient
+les rumeurs: c'était la fanfare qui, au loin, parcourait les rues en
+sonnant le rappel, et de partout on se dirigeait vers les arènes
+établies sur la place confisquée à leur profit. Construites en pin des
+landes dont les planches nouvellement débitées exsudaient sous les rayons
+d'un soleil de feu leurs dernières gouttes de résine en larmes blanches,
+elles répandaient dans l'air une forte odeur térébenthinée. Leur
+simplicité était tout à fait primitive: des gradins en bois brut, et
+c'était tout; les premières avaient le soleil dans le dos, les petites
+places dans les yeux; rien de plus, mais cette disposition était
+d'importance capitale dans un pays où ses rayons sont assez ardents pour
+faire accepter sans sourire la vieille image des flèches d'Apollon.
+
+--Certainement, nous allons être rôtis, dit Mme Barincq en s'installant
+au premier rang.
+
+Après dix minutes elle en était encore à chercher un moyen pour échapper
+à cette cuisson quand le baron d'Arjuzanx parut à l'entrée de la
+tribune; en le voyant se diriger de leur côté, elle ne pensa plus au
+soleil ni à la chaleur.
+
+--Voilà le baron, dit-elle à Anie.
+
+--Ne comptais-tu pas sur lui?
+
+Quand les premiers mots de politesse furent échangés, Anie, fidèle à son
+idée, tint à bien marquer qu'elle n'était pas venue pour le rencontrer.
+
+--Mon père nous a si souvent parlé des courses landaises, dit-elle, que
+nous avons voulu profiter de la première occasion qui s'offrait à courte
+distance pour en voir une.
+
+--Et vous êtes bien tombée, répondit-il, en choisissant Habas. La
+journée sera, je le crois, intéressante: les bêtes sont vives, et les
+écarteurs comptent parmi les meilleurs que nous ayons: Saint-Jean,
+Boniface, Omer, et aussi le Marin et Daverat, qui sont plutôt sauteurs
+qu'écarteurs, mais qui vous étonneront certainement par leur souplesse.
+
+--Il y a une différence entre un écarteur et un sauteur? demanda Mme
+Barincq.
+
+--L'écarteur attend de pied ferme la bête qui se précipite sur lui, et,
+au moment où elle va l'enlever au bout de ses cornes, il tourne sur
+lui-même et la vache passe sans le toucher: il l'a écartée, ou plus
+justement il s'est écarté d'elle. Le sauteur attend aussi la bête comme
+l'écarteur, mais, au lieu de se jeter de côté, il saute par-dessus. Vous
+allez voir Daverat exécuter ce saut les pieds liés avec un foulard, ou
+fourrés dans un béret qu'il ne perdra pas en sautant. Si intéressants
+que soient ces sauts qui montrent l'élasticité des muscles, pour nous
+autres Landais ils ne valent pas un bel écart: le saut est fantaisiste,
+l'écart est classique.
+
+--Pensez-vous que le capitaine Sixte assiste à ces courses? demanda Mme
+Barincq qui se souciait peu de ces distinctions qu'elle avait cependant
+provoquées.
+
+--Je ne crois pas; ou plutôt, pour être vrai, je n'en sais rien du tout.
+
+--Je regretterai son absence; nous avons eu le plaisir de le garder à
+dîner cette semaine, c'est un homme aimable.
+
+--Un brave et honnête garçon, très droit, très franc.
+
+--Je comprends que mon beau-frère se soit pris pour lui d'une vive
+affection, continua Mme Barincq curieuse d'obtenir des renseignements
+sur les relations qui avaient existé entre le capitaine et celui qu'on
+lui donnait pour père.
+
+Mais le baron, qui ne voulait pas se laisser attirer sur ce terrain, se
+contenta de répondre par un sourire vague.
+
+--Cependant, si vive que soit l'amitié, poursuivit Mme Barincq, elle ne
+peut pas aller jusqu'à supprimer les liens de famille.
+
+Le baron accentua son sourire.
+
+--Aussi puis-je difficilement admettre que le capitaine ait cru, comme
+on le dit, qu'il serait l'héritier de M. de Saint-Christeau.
+
+Comme le baron ne répondait pas, elle insista:
+
+--Pensez-vous que telle ait été son espérance?
+
+--Je n'ai aucune idée là-dessus. Sixte ne m'en a jamais parlé, et bien
+entendu je ne lui en ai pas parlé moi-même. Tout ce que je puis
+affirmer, c'est que Sixte n'est pas du tout un homme d'argent; et si,
+comme on le dit, il a pu avoir certaines espérances de ce côté, ce que
+j'ignore d'ailleurs, je suis convaincu que leur perte ne l'aura touché
+en rien: il est au-dessus de ces choses.
+
+--Il me semble, interrompit Anie pour détourner l'entretien, que s'il
+est tel que vous le représentez, il réunit en lui les qualités avec
+lesquelles on fait le type du parfait soldat.
+
+--Mon Dieu, oui, mademoiselle; seulement, si ce type était vrai hier, il
+n'est plus tout à fait aussi vrai aujourd'hui.
+
+--Je ne comprends pas bien.
+
+--C'est que, ne vivant pas dans le monde militaire, vous ne suivez pas
+les changements qui sont en train de s'y accomplir. Il y a quelques
+années, l'indifférence pour l'argent était à peu près la règle générale
+chez l'officier, comme le mariage était l'exception; et, à cette époque,
+le désintéressement entrait pour une bonne part dans le type de ce
+parfait soldat qui alors ne mettait pas ses satisfactions et ses
+ambitions dans la fortune. Mais le mariage,
+
+[Illustration.]
+
+maintenant si fréquent dans l'armée, a changé ces moeurs. En se voyant
+demandé par les familles riches, et même poursuivi, l'officier a accordé
+à l'argent une importance qui n'existait pas pour ses devanciers; et ils
+ne sont pas rares aujourd'hui ceux qui répondent, lorsqu'on leur parle
+d'une jolie fille:
+
+«Ça apporte?» La fortune, en s'introduisant dans les régiments, a créé
+des besoins, et, par conséquent, des exigences qu'on ne soupçonnait pas
+il y a vingt ans. Sixte, bien que jeune, n'appartient pas à ce nouveau
+type, qui tend de plus en plus à remplacer l'ancien, et qui, d'ici peu
+de temps, aura complètement changé l'esprit et les moeurs de l'armée; et
+bien que capitaine de cavalerie, bien que breveté, ce qui double sa
+valeur marchande, je suis sûr que, s'il se marie jamais, la fortune ne
+sera pour lui que l'accessoire.
+
+--Alors, c'est tout à fait un héros? dit Anie.
+
+--Tout à fait.
+
+--On peut donc admettre, continua Mme Barincq, revenant à son idée, que
+la perte de l'héritage de M. de Saint-Christeau ne lui a pas été trop
+douloureuse?
+
+--On peut le croire.
+
+Et, comme les écarteurs faisaient leur entrée dans l'arène, il profita
+de cette diversion pour n'en pas dire davantage: la fanfare jouait avec
+rage, des fusées éclataient, la foule poussait des clameurs de joie, ce
+n'était plus le moment des conversations à mi-voix, et il ne pouvait
+plus guère s'occuper que des écarteurs en les nommant à Anie à mesure
+qu'ils passaient avec des poses théâtrales, largement espacés, graves,
+cérémonieux, comme il convient à des personnages que porte la faveur de
+la foule. Comment celui-ci, élégant et gracieux dans sa veste de velours
+bleu, était cordonnier: et celui-là, de si noble tournure, tonnelier!
+
+Le défilé terminé, le spectacle commence aussitôt. C'est sous la tribune
+dans laquelle ils ont pris place que les bêtes sont parquées, chacune
+dans sa loge; une porte s'ouvre et une vache s'élance sur la piste d'un
+trot allongé, ardente, impatiente, battant de sa queue ses flancs creux;
+sans une seconde d'hésitation elle fond sur le premier écarteur qu'elle
+aperçoit: il l'attend; et, quand arrivant sur lui elle baisse la tête
+pour l'enlever au bout de ses cornes fines, il tourne sur lui-même et
+elle passe sans l'atteindre; l'élan qu'elle a pris est si impétueux que
+ses jarrets fléchissent, mais elle se redresse aussitôt et court sur un
+autre, puis sur un troisième, un quatrième, au milieu des
+applaudissements qui s'adressent autant aux hommes qu'à la vaillance de
+la bête.
+
+L'intérêt de ces courses, c'est que l'homme et la bête se trouvent en
+face: l'un de l'autre, sur le pied d'une égalité parfaite; point de
+_picador_ pour fatiguer le taureau: point de _chulos_ avec leurs
+_banderilleros_ pour l'exaspérer; point de _muleta_ pour l'étourdir et
+derrière sa soie rouge éblouissante préparer une surprise; l'homme n'a
+d'aide à attendre que de son sang-froid, son coup d'oeil, son courage et
+son agilité; la bête n'a pas de traîtrise à craindre: au plus fort des
+deux, c'est un duel.
+
+Il arriva une heure où l'entrain des écarteurs faiblit; la chaleur était
+lourde, des nuages d'orage montaient du côté de la mer sans voiler
+encore le soleil qui tombait implacable dans l'arène surchauffée; la
+fatigue commençait à peser sur les plus vaillants, qui, précisément
+parce qu'ils ne s'étaient pas ménagés, se disaient sans doute que
+c'était aux autres à donner, et ils s'attardaient volontiers à causer
+avec leurs amies des tribunes, en s'appuyant nonchalamment aux planches
+du pourtour, au lieu de se tenir au milieu de l'arène, prêts à provoquer
+les attaques. A ce moment une vache lâchée sur la piste ne trouva
+personne devant elle: c'était une petite bête maigre, nerveuse, au
+pelage roux truité de noir, au ventre ovale, n'ayant pas plus de mamelle
+qu'une génisse de six mois: sa tête fine était armée de longues cornes
+effilées comme une baïonnette. A sa vue il s'éleva une clameur qui
+disait sa réputation.
+
+--La Moulasse!
+
+Elle ne trompa pas les espérances que ses amis mettaient en elle: voyant
+les écarteurs espacés ça et la le long du pourtour, elle se rua sur le
+premier qu'elle crut pouvoir atteindre et en moins de quatre secondes
+elle eut fait le tour de l'arène, cassant les planches à grands coups de
+cornes, et forçant ainsi ses adversaires à escalader les tribunes au
+plus vite, à la grande joie du public qui poussait des huées moqueuses:
+cela fait, elle revint au milieu de la piste et mit a creuser la terre
+qui sous ses sabots nerveux volait autour d'elle.
+
+--Saint-Jean! Boniface! criait la foule, chacun provoquant celui des
+écarteurs qu'il préférait.
+
+Mais aucun ne parut pressé de descendre; Saint-Jean regardant Boniface
+qui regardait Orner.
+
+--A toi!
+
+--Non, à toi!
+
+En voyant cette débandade, Anie s'était mise à rire:
+
+--Je n'ai jamais autant que maintenant admiré l'agilité des Landais,
+dit-elle.
+
+C'était à son père qu'elle adressait ces quelques mots, le baron les
+arrêta au passage:
+
+--Permettez-moi de me réclamer de ma nationalité, dit-il en saluant.
+
+Avant qu'elle eut compris ces paroles bizarres, il appuya les deux mains
+sur le rebord de la tribune, et d'un bond il sauta dans l'arène.
+
+Il y eut un mouvement de surprise, mais presqu'aussitôt un cri immense
+s'éleva: on l' avait reconnu, et on l'acclamait.
+
+--Le _baronne!_
+
+Ce n'était plus un acteur ordinaire qui allait provoquer la Moulasse,
+c'était le baron, que tout le monde connaissait, et l'espoir de voir
+cette lutte allumait un délire de joie.
+
+--Le baronne! le baronne!
+
+Hommes, femmes, enfants, tout le monde s'était levé, gesticulait,
+curieux, enthousiasmé; les regards faisaient balle sur lui, l'on restait
+les yeux écarquillés, la bouche ouverte, dans l'attente de ce qui allait
+se passer.
+
+Vivement il était venu se placer en face de la Moulasse, mais sans
+cependant se rapprocher trop d'elle, de façon à la voir venir; le veston
+boutonné et serré à la taille, son chapeau jeté au loin, il leva les
+deux bras droit au-dessus de sa tête et d'un claquement de langue
+provoqua la vache.
+
+Instantanément elle fondit sur lui: l'attention était frénétique; on ne
+respirait plus; dans le silence on n'entendait que le trot rapide de la
+vache sur le sable; elle arrivait. Le baron n'avait pas bougé et la
+tenait dans ses yeux. Elle baissa la tête. Il tourna sur ses talons, et
+elle passa en l'effleurant. Mais c'était une bête expérimentée; au lieu
+de s'abandonner à son élan, elle se jeta brusquement de côté et revint
+sur le baron qui l'écarta une seconde fois, puis une troisième, toujours
+avec la même justesse, la même sûreté.
+
+La fatigue et la nonchalance des écarteurs s'étaient miraculeusement
+envolées quand ils avaient vu le baron tomber dans l'arène, et tous en
+même temps ils s'y étaient abattus: provoquée de divers côtés, la
+Moulasse se jeta sur eux, et le baron put remonter à sa tribune pour
+reprendre sa place à côté d'Anie, tandis que la foule l'acclamait avec
+des trépignements qui menaçaient de faire écrouler le cirque sous les
+battements de pieds.
+
+--Quelle émotion vous nous avez donnée! dit Mme Barincq en le
+complimentant.
+
+--Je regrette de n'avoir pas eu le temps de vous affirmer que je ne
+courais aucun danger, dit-il simplement, avec une entière sincérité.
+
+Une clameur lui coupa la parole, la Moulasse venait de surprendre un
+écarteur et elle le secouait au bout de ses cornes engagées dans la
+ceinture qui le serrait à la taille; on se jeta sur elle, et il retomba
+sur ses pieds pour se sauver en boitant.
+
+--Vous voyez, dit Mme Barincq, le premier moment d'émoi calmé.
+
+--C'est un maladroit.
+
+--Crois-tu maintenant que M. d'Arjuzanx tienne à te plaire? dit Mme
+Barincq à sa fille, lorsqu'après la course ils se retrouvèrent tous les
+trois installés dans leur landau.
+
+--En quoi?
+
+--En sautant dans l'arène pour te montrer son courage.
+
+--Cela ne m'a pas plu du tout.
+
+--Tu as eu peur?
+
+--Pas assez pour ne pas trouver qu'il était peu digne d'un homme de son
+rang de se donner ainsi en spectacle.
+
+_A suivre._
+
+Hector Malot.
+
+[Illustration.]
+
+
+
+[Illustration couleur: PEINT PAR PINCHART.
+AU PIGEONNIER.]
+
+[Illustration couleur: PEINT PAR BOURGAIN.
+LES PREMIERS GALONS.]
+
+[Illustration: PEINT PAR ACHILLE FOULD.
+MORTE-SAISON.]
+
+[Illustration: PEINT PAR BOURGAIN.
+PORTRAIT A CINQUANTE CENTIMES.]
+
+
+
+
+
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
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+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
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+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
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+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
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+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
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+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
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+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
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+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
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+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
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+
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+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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+ <title>The Project Gutenberg eBook of L'illustration, No. 2510, 4 AVRIL 1891, by Various</title>
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+Project Gutenberg's L'Illustration, No. 2510, 4 Avril 1891, by Various
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
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+with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
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+Title: L'Illustration, No. 2510, 4 Avril 1891
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+Author: Various
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+Release Date: January 10, 2014 [EBook #44634]
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+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 2510, 4 AVRIL 1891 ***
+
+
+
+
+Produced by Rénald Lévesque
+
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+
+
+
+
+<br><br>
+
+<div class="cont">
+
+
+
+ <p>L'ILLUSTRATION
+Prix de ce Numéro: 1 fr. 25.</p>
+
+ <p>SAMEDI 4 AVRIL 1891
+49e Année.--N° 2510</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"><br><b>LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE MOMIES DANS LA
+HAUTE-ÉGYPTE.--<br>Extraction des sarcophages du puits de Deïr-el-Bahari,
+près de Louqsor.<br>Dessin d'après nature de M. Émile Bayard.</b></p>
+<br><br>
+
+ <p class="mid"><img alt="" src="images/002.png"></p>
+
+<p><img alt="" src="images/002_L.png" ALIGN="left">E parlais l'autre jour d'une danseuse au nom bizarre qui donne aux
+femmes du monde et aux futures étoiles du Moulin-Rouge des leçons de
+danse excentrique. Depuis que la Goulue a fait école et enseigné à Mlle
+Réjane l'art de lever très haut la jambe, il s'est établi, non pas
+encore en France, mais en Amérique, une mode nouvelle. Un jeu mondain a
+pris naissance dans les salons yankees et, si les correspondants de
+journaux ne sont pas des mystificateurs, comme on disait autrefois, ou
+des fumistes, comme on dit aujourd'hui (ils pourraient bien être des
+mystificateurs!), voici on quoi ce jeu consiste:</p>
+
+ <p>Au milieu d'un salon, un tambour de basque est suspendu par un fil au
+plafond et à une certaine hauteur. Tels les arbres de la Saint-Valentin
+sous lesquels, en Angleterre, on embrasse sa danseuse. Ce tambour de
+basque est un but, une cible pour le bout des pieds des jeunes
+Américaines. C'est à qui, en levant le pied le plus haut, atteindra le
+mieux le tambour et le fera plus joliment résonner. Il s'agit d'attraper
+la peau d'âne et de frapper sur cette sorte de gong. On voit d'ici le
+tableau: d'aimables misses levant la jambe, à la façon de la Goulue,
+pour attraper le bienheureux tambour.</p>
+
+ <p>Ce jeu, d'invention récente, porte en Amérique un nom composé des plus
+difficiles à prononcer. On pourrait, ce qui serait plus simple,
+l'appeler le <i>shocking-drum</i>, le <i>tambour-shocking</i>! Mais, là-bas, ce
+divertissement ne choque personne, et je ne désespère pas de le voir
+s'acclimater chez nous l'hiver prochain. Gloire à Mlle Réjane! Elle y
+sera bien pour quelque chose.</p>
+
+ <p>Dieu merci, nous n'en sommes pas là, et avant l'hiver la mode aura
+peut-être changé. Le vent tourne et le mot <i>shocking-drum</i> aura rejoint,
+je pense, les vieilles lunes. Il est fini, le présent hiver! avril,
+<i>l'honneur des mois et des bois</i> nous apporte ses premières feuilles. Un
+reporter de beaucoup d'ingéniosité a cherché, l'autre jour, un sujet
+d'actualité qui prêtât à une consultation et à des entrevues, et il a
+posé à un certain nombre de poètes cette question alléchante:</p>
+
+ <p>--Que pensez-vous du printemps?</p>
+
+ <p>Nos poètes consultés sur la question de savoir s'ils aiment ou s'ils
+n'aiment pas le printemps, on s'imagine que, du premier coup, ils vont
+en ch&oelig;ur s'écrier:</p>
+
+ <p>--Le printemps! mais c'est la saison bénie, l'heure des amours, la
+saison des nids!</p>
+
+ <p>Les vieux poètes d'autrefois eussent peut-être répondu cela, les naïfs.
+Banville, s'il eût vécu, eût crié: Vivent les roses! Or, je remarque
+avec une certaine tristesse que la plupart des poètes interviewés n'ont
+parlé du printemps que pour le railler.</p>
+
+ <p>--C'est la saison des rhumes de cerveau!</p>
+
+ <p>--C'est le triomphe du coryza!</p>
+
+ <p>Devant les poètes contemporains, plus ou moins mordus de pessimisme, le
+pauvre printemps n'a pas de chance. Il n'a plus pour l'aimer et pour le
+chanter que les bons bourgeois fidèles au culte des dates, et qui se
+disent, parfois en grelottant:</p>
+
+ <p>--Le fond de l'air est froid. Mais nous sommes en avril. Que c'est bon
+tout de même, le printemps!</p>
+
+ <p>Il a parfois des engelures, le printemps, mais c'est le printemps, que
+voulez-vous? Et on lui sourit tout de même. Voilà donc qu'il est, pour
+parler comme tout le monde, lâché par les poètes. Je conseillerais au
+reporter intelligent dont j'ai parlé de demander à ces mêmes poètes une
+consultation nouvelle, sur un sujet aussi vieux et aussi jeune que le
+printemps: l'amour!</p>
+
+ <p>--Que pensez-vous de l'amour?</p>
+
+ <p>Voyez-vous le point d'interrogation? Eh bien, je gage que les poètes,
+après avoir lâché le printemps, lâchent aussi l'amour. On ne croit plus
+beaucoup à l'amour, maintenant qu'on ne croit plus au printemps. L'amour
+recevra une fameuse dégelée le jour où l'on ouvrira un plébiscite sur
+son compte comme le journal la France en ouvre un sur cette question:</p>
+
+ <p>--Faut-il ou ne faut-il pas évacuer le Tonkin?</p>
+
+ <p>Oh! le beau système! Imaginez-vous les problèmes les plus graves soumis
+ainsi à la solution de braves lecteurs de journaux qui brassent de la
+politique au fond de leur café? Être ou n'être pas pour l'évacuation du
+Tonkin, comme cela, sans renseignements, sans étude, sur une simple
+impression, et livrer les questions les plus graves des politiciens à la
+Gavarni!</p>
+
+ <p>--Vois-tu, Sabournin, tant que M. de Metternich ne fera pas ce que je
+ferais si j'étais à sa place, l'Europe ne battra que d'une aile! Voilà
+mon opinion!</p>
+
+ <p>--T'es-t-un melon! Voilà mon <i>opinion</i> sur ton <i>opignon!</i></p>
+
+ <p>C'est Gavarni qui raillait, voilà trente ou quarante ans, les
+politiquailleries. Ses <i>légendes</i> sont toujours de mise. Passe encore,
+en fait de plébiscite, pour celui du <i>Petit Journal.</i></p>
+
+ <p>Le <i>Petit Journal</i> a eu l'idée de demander à ses lecteurs, aux parents
+de collégiens, et peut-être aux collégiens eux-mêmes, s'il ne
+conviendrait pas de rapprocher les vacances scolaires et de mettre les
+lycéens en liberté dès juillet, avant même la fête nationale.</p>
+
+ <p>En juillet, on étouffe dans les classes souvent trop étroites. Les
+enfants sont enfermés par les jours caniculaires et c'est quand le
+thermomètre monte, monte, qu'on les condamne aux compositions de fin
+d'année. Ces jeunes cerveaux se mettent alors à bouillir comme du lait
+sur des charbons ardents.</p>
+
+ <p>--Êtes-vous d'avis de fixer les vacances au 10 juillet?</p>
+
+ <p>Tel est le terme du plébiscite du <i>Petit Journal</i>. La majorité des
+votants--on votait par oui ou par non--a été d'avis qu'il fallait
+avancer la date des vacances. Je dois dire que les professeurs n'ont pas
+du tout manifesté la même opinion. Ils n'ont point voté, mais ils ont
+causé.</p>
+
+ <p>Si l'on partait plus vite, on rentrerait plus tôt! On rentrerait à
+l'heure où s'ouvre la chasse! Or, ils sont assez ruraux, les
+professeurs, et ils aiment à tirailler le perdreau dans quelque coin de
+leur province. Comment! il leur faudrait expliquer Virgile au lieu de
+<i>rouler</i> un lièvre, ouvrir Xénophon au lieu de leur carnier! Non, non,
+elles resteront fixées au mois d'août, les vacances scolaires, en dépit
+des <i>oui, oui, oui, oui</i>, innombrables du <i>Petit Journal</i>, et les
+collégiens continueront à avoir la tête grosse comme un muid en
+composant en histoire ou en thème par les jours chauds de juillet.</p>
+
+ <p>On a--pour changer--beaucoup parlé de M. de Talleyrand et de ses
+<i>Mémoires</i>. Les uns prétendent que M. de Bacourt, qui les eut un moment
+sous la main, se serait livré à un petit <i>tripatouillage</i> sur le
+manuscrit du prince de Bénévent; les autres soutiennent que, tout au
+contraire, c'est le texte exact de l'ancien évêque d'Autun que le public
+a sous les yeux. Et, là-dessus, M. le duc de Broglie offre de déposer
+pendant quinze jours chez Calmann-Lévy les manuscrits qui ont servi pour
+l'impression. Les saints Thomas de la critique verront, toucheront et
+seront peut-être ensuite convaincus.</p>
+
+ <p>Mais convaincus de quoi? Il faut bien avouer que ces <i>Mémoires</i>, qui ne
+sont pas une spéculation puisque M. le duc de Broglie en donne le
+produit aux pauvres, sont une désillusion. Avec un personnage tel que M.
+de Talleyrand, le public s'attendait à des personnalités, à des
+méchancetés, tranchons le mot, à des <i>éreintements</i>. Voyez ce que c'est
+que d'avoir une réputation! «Avec Talleyrand, on s'amusera, disait-on.
+Il en dira long, il en avait tant à dire!»</p>
+
+ <p>Eh bien! non, il ne dit rien. Il fait de l'histoire. Ses Mémoires sont
+un document officiel, presque diplomatique. Hélas! on tombe de haut.</p>
+
+ <p>--On nous a changé notre Talleyrand, se dit le public, qui n'admet pas
+que ce diable de Talleyrand se soit maquillé lui-même, ce qui me paraît
+pourtant vraisemblable.</p>
+
+ <p>Ce diable! Je viens d'écrire là un mot qui me rappelle une jolie
+anecdote:</p>
+
+ <p>Lord Halland voulait avoir un portrait de Talleyrand. Il admirait
+l'homme, il désirait en conserver les traits. Il s'adresse à Ary
+Scheffer:</p>
+
+ <p>--Mon cher Scheffer, je veux vous demander et vous commander un
+portrait!</p>
+
+ <p>--Un portrait de vous, mylord? C'est une bonne fortune pour un peintre.</p>
+
+ <p>--Non, pas un portrait de moi, le portrait d'un homme historique.</p>
+
+ <p>--Et qui cela, mylord?</p>
+
+ <p>--M. de Talleyrand.</p>
+
+ <p>Ary Scheffer fit la grimace. Lui n'admirait pas M. de Talleyrand, mais
+il voulait être agréable à lord Halland. Il s'attela au portrait. Il
+peignit un Talleyrand assis, pâle, pensif, presque exsangue.</p>
+
+ <p>Un chef-d'&oelig;uvre, du reste. Mais, au moment de peindre les mains, il
+s'arrêta. Ou plutôt il ne peignit pas les mains, il les allongea, il les
+effila, il les tordit, et il en fit... des griffes.</p>
+
+ <p>--Oui, disait-il en parlant de son tableau, des griffes, de véritables
+griffes. Pour moi, Talleyrand, c'est le diable!</p>
+
+ <p>Ce diable-là est sorti de sa boîte à l'état de bon diable posthume, de
+diable bon enfant, sans ongles et sans rancune. Et c'est pourquoi la
+foule ne reconnaît pas, ne veut pas reconnaître ce Talleyrand
+d'outre-tombe--un Talleyrand qui s'est fait ermite.</p>
+
+ <p>A propos de <i>tripatouillage</i>, que dites-vous de ce chimiste qui
+fabriquait, pour un journal qui les donnait en prime, de faux billets de
+banque, mais non point dans l'intention de les faire passer pour de
+vrais billets, simplement, au contraire, afin de prouver à la Banque
+qu'on pouvait parfaitement contrefaire ses banknotes? Certains détails
+étaient volontairement inexacts dans ces faux billets, et cela de telle
+sorte qu'on ne pût accuser l'auteur d'avoir voulu fabriquer de la fausse
+monnaie. Une pure plaisanterie!</p>
+
+ <p>Mais dame Justice n'a pas entendu de cette oreille-là. Elle n'admet pas
+les mystificateurs et elle coffrerait Scapin, malgré tout son esprit,
+comme le dernier des <i>escarpes</i>. Elle a cherché querelle au chimiste et
+elle l'a condamné à une amende assez forte.</p>
+
+ <p>Les envois au Salon, où l'on tripote et tripapote la couleur, sont
+terminés, au moins pour le Salon des Champs-Elysées, qui continuera à
+être, quoi qu'on fasse, le Salon officiel. Tous les peintres ont invité
+leurs amis et connaissances à visiter leurs ateliers, absolument comme
+les auteurs, sous prétexte de répétitions générales closes, convient
+tout Paris à écouter leur pièce la veille de la représentation. On
+connaît donc à peu près d'avance le Salon de 1891, qui ne s'écartera
+guère du Salon de 1890, lequel ressemblait fort au Salon de 1889.</p>
+
+ <p>En entrant on doit se dire comme on se l'est déjà dit:</p>
+
+ <p>--Mais où donc ai-je déjà vu ça!</p>
+
+ <p>Il paraît que M. Jean-Paul Laurens a fait un effort très original. Il
+nous présente Bailly, maire de Paris, recevant Louis XVI à la porte de
+l'Hôtel-de-Ville. Un vrai tableau d'histoire, une véritable
+reconstruction historique. Pourvu qu'on n'aille pas le décrocher comme
+l'<i>Appel des Condamnés</i> de Millier! Non, et M. Jean-Paul Laurens a songé
+à l'Institut en peignant cette grande toile. Il avait, lui, invité ses
+juges et électeurs à venir regarder son Bailly avant le vote de
+l'Académie. M. Jules Lefebvre aurait pu en faire autant s'il l'avait
+voulu. Car le duel académique entre ces deux maîtres sera terminé
+lorsque paraîtront ces lignes, et il y aura, pour remplacer Meissonier,
+un membre de l'Institut de plus.</p>
+
+ <p>Lui, Meissonier, pour qui eût-il voté? Pour Detaille, certainement. Il
+n'a plus droit au vote, il a droit à la statue. La statue, c'est la
+galvanoplastie appliquée aux grands hommes.</p>
+
+ <p class="rig"><span class="sc">Rastignac.</span></p>
+ <br><br>
+
+ <h3>LE BON CHEVAL<br>
+
+DU SIRE DES MOCQUEREAUX</h3>
+
+ <p>L'automne est pour moi la saison idéale, et je ne sais rien de plus beau
+que les coteaux et les falaises dorés et diaprés par le soleil
+d'octobre. Mais encore faut-il qu'il brille, ce soleil, car, en
+revanche, rien n'est plus triste qu'un ciel gris et plombé, si ce n'est
+la pluie fine qui tombe désespérément, sans trêve et sans repos.</p>
+
+ <p>Or, nous en étions précisément là, au mois d'octobre... peu importe de
+quelle année. Depuis trois jours, la pluie tombait avec une implacable
+régularité, et les hôtes nombreux qu'accueillait, en son petit château
+des Mocquereaux, non loin d'Angers, notre ami le docteur Bragon, avaient
+dû, mettant au râtelier les fusils inutiles, remplacer les courses à
+travers champs par des parties de whist ou de piquet aussi interminables
+que peu variées. On commençait, au grand désespoir de notre aimable
+amphitryon, à s'ennuyer ferme, et plus d'un parmi nous devenait quelque
+peu grincheux.</p>
+
+ <p>Un seul des hôtes du petit castel avait gardé sa belle humeur: c'était
+un professeur en rupture de faculté, un érudit, une manière de
+bénédictin, toujours fourré dans la poussière des manuscrits, et que la
+chasse seule avait le privilège de ramener, quelques semaines par an, au
+niveau de l'humble humanité. Il avait eu, celui-là, une vraie chance: il
+avait découvert, en un coin du grenier, une petite pièce écartée, une
+sorte de réduit, où s'entassaient, en un pittoresque désordre, d'énormes
+liasses de paperasses quelque peu rongées déjà par d'indiscrètes souris.
+C'est là que, tandis que ses compagnons se lamentaient à qui mieux mieux
+sur la pluie et le vent, il passait ses journées à déchiffrer des
+papiers jaunis par le temps.</p>
+
+ <p>L'après-midi du troisième jour, comme la conversation dans la grande
+salle languissait de plus en plus, comme les parties de cartes
+s'éternisaient sans enthousiasme, comme chacun, entre une pipe et un
+verre de bière, regardait tristement, par les hautes fenêtres, tomber
+sans cesse l'horrible pluie, nous vîmes tout d'un coup, de la porte
+brusquement ouverte, émerger la physionomie radieuse de notre savant. Il
+brandissait un volumineux manuscrit, et, tandis que chacun reculait
+d'effroi, redoutant la lecture d'une tragédie en cinq actes ou d'un
+poème de M. Mallarmé, il s'alla fièrement camper devant le maître de la
+maison, et d'une voix sonore:</p>
+
+ <p>--Malheureux! s'écria-t-il! Tu avais sous ton toit, à deux pas de toi,
+un inestimable trésor, et tu ne disais rien! Que dis-je? tu ignorais
+même son existence, car tu ne soupçonnais pas, sans doute, que ce
+château acquis par toi n'était rien moins que l'antique demeure du sire
+Jehan des Mocquereaux!</p>
+
+ <p>--Jehan des Mocquereaux? Connais pas!</p>
+
+ <p>--Il ne connaît pas! Roturier indigne! Mais apprends donc, misérable,
+que, dans ton grenier, sous la poussière, dormait le récit véridique des
+exploits et faits de guerre du châtelain qui, dans ce beau pays d'Anjou,
+fut l'un des ennemis les plus acharnés et les plus heureux des Anglais
+envahisseurs.</p>
+
+ <p>--Alors, ce manuscrit?</p>
+
+ <p>--Ce manuscrit, c'est le récit de la vie et des combats de Jehan des
+Mocquereaux, récit écrit au seizième siècle, par le chapelain de l'un de
+ses descendants, et que je viens d'avoir le bonheur, pour l'édification
+des races futures, de découvrir et de déchiffrer.</p>
+
+ <p>--Et... c'est gai? fit un sceptique.</p>
+
+ <p>--Gai? Est-ce qu'un manuscrit de chapelain peut être gai? Non: c'est
+tout simplement superbe. On y sent l'odeur de la poudre, on y entend le
+fracas des batailles, le cliquetis des épées. Pourtant...</p>
+
+ <p>--Messieurs, cria le substitut, je vous dénonce notre savant ami. Il a
+découvert, entre les lignes de son manuscrit, un épisode galant ou
+drolatique, et il meurt d'envie de nous le lire.</p>
+
+ <p>--Et pourquoi pas? hasardèrent quelques voix. Il pleut, il vente, il
+fait un temps à ne pas mettre un chasseur à la porte. Allons! la
+lecture!</p>
+
+ <p>--Une lecture! Comme vous y allez! reprit le professeur. Mais vous ne
+comprendriez pas un traître mot à la langue que parle mon chapelain.
+Seulement, s'il vous plaît de connaître quelque chose de la vie du sire
+des Mocquereaux, je puis, pendant que la pluie tombe, vous en donner un
+épisode, non pas grivois, mais peut-être amusant.</p>
+
+ <p>Chacun s'installa de son mieux: les pipes et les cigares furent
+rallumés, les verres remplis, et notre camarade commença:</p>
+
+ <p>--Comme je vous le disais tout à l'heure, les Anglais occupaient la
+province d'Anjou, et je vous laisse à penser tous les malheurs, toutes
+les vexations, toutes les brutalités de toute sorte, auxquels étaient en
+butte les malheureux Angevins. Vous savez, par la haine héréditaire dont
+on trouve encore les traces dans ces campagnes, quels déplorables
+souvenirs ont laissés dans ce pays les fils de la perfide Albion. Or,
+nulle part les paysans ne furent aussi maltraités que dans cette partie
+de la province où nous sommes réunis. Et cela s'expliquait. Nul ne
+pouvait leur venir en aide, le seigneur s'en étant allé guerroyer au
+loin; ils étaient livrés sans défense à tous les caprices des
+vainqueurs, représentés par un bailli sans honneur et sans humanité.
+Tous étaient donc dans la désolation: les hommes fuyaient à travers les
+bois qui couvraient le pays, pour tâcher de rejoindre quelque parti
+français; les vieillards, les femmes, les enfants, supportaient en
+silence le joug anglais, et ce joug était lourd. Mais il fallait prendre
+son mal en patience, nul secours ne venant, nul ne pouvant chasser
+l'envahisseur.</p>
+
+ <p>Une jeune fille cependant eut la pensée de secourir les siens. Puisque,
+dit-elle, notre seigneur est au loin, auprès du roi notre sire, et ne
+revient point, ne sachant en quel état nous sommes, il lui faut
+découvrir le mal et le supplier d'y porter remède.</p>
+
+ <p>Certes, c'était fort bien raisonné. Mais comment arriver jusqu'au sire
+des Mocquereaux, lequel se trouvait alors à la cour du bon roi Charles,
+c'est-à-dire loin, bien loin, plus loin que Bourges et Nevers? Geneviève
+Gouzet ne se laissa pas décourager par les difficultés de l'entreprise.
+Elle se mit en route, seule, à pied, marchant toute la nuit, couchant,
+le jour, dans quelque trou de ces haies profondes qui couvrent le pays,
+et se cachant de son mieux pour éviter les Anglais, car elle savait bien
+que ceux-ci n'étaient point tendres plus aux prisonnières qu'aux
+prisonniers, et craignait la hart si elle était prise. Je ne vous dirai
+pas tous les dangers qu'elle courut pendant ce long voyage à travers la
+France, ni quelles fatigues furent les siennes. Mais elle avait tant
+prié Notre-Dame-du-Chêne, elle avait si grande foi dans sa protection
+souveraine, que, après bien des jours et des nuits de marches et de
+périls, elle parvint au lieu où se trouvait la cour.</p>
+
+ <p>Dès le lendemain, elle s'alla placer sur le passage des seigneurs qui se
+rendaient chez le roi, et, dès qu'elle vit paraître le sire des
+Mocquereaux, elle se jeta à ses genoux, tendant vers lui ses mains, et
+criant merci. Surpris de voir en telle posture cette femme qu'il ne
+reconnaissait point de prime abord, Jehan la releva néanmoins, et lui
+demanda ce qu'elle voulait de lui.</p>
+
+ <p>«C'est, dit-elle, messire, que vos vassaux souffrent, et crient au ciel
+pour que leur seigneur daigne avoir d'eux souvenance, et les vienne
+contre l'Anglais secourir.»</p>
+
+ <p>Jehan des Mocquereaux reconnut alors Geneviève Gouzet, et, l'ayant
+emmenée en sa demeure, apprit d'elle tous les deuils et les souffrances
+dont son pays était affligé. Comme il était aussi bon que brave, il fut
+ému au tableau qu'elle lui fit de tant de douleurs, et se décida
+incontinent à porter secours à ceux qui avaient mis en lui leur espoir.
+Ayant donc obtenu du roi son congé, il se mit en route sans tarder, et
+peu après arriva, suivi de quelques gens d'armes, dans la contrée où
+était le château de ses pères. Il trouva les choses pires encore que
+Geneviève ne les lui avait dites. Mais, reconnaissant qu'il était, avec
+le peu de gens dont il disposait, hors d'état de repousser les Anglais
+par la force, il se résolut, étant aussi avisé dans le conseil que brave
+dans les combats, à faire par la ruse ce que la violence n'eût pu faire.</p>
+
+ <p>Il fit tout d'abord, par un souterrain qui s'ouvrait au loin dans la
+campagne, entrer ses hommes d'armes, et les cacha dans une cave profonde
+du castel, où, chaque jour, Geneviève leur portait à manger. Puis, il
+fit répandre le bruit qu'il allait bientôt revenir en ses domaines, mais
+qu'il n'y venait point pour combattre les Anglais, mais bien pour faire
+avec eux paix durable. Ensuite, à quelques jours de là, il se rendit à
+Durtal, où siégeait le bailli dont je vous ai parlé, et, lui ayant
+demandé audience, lui exposa son désir de vivre tranquille en ses
+terres, et de lier avec les Anglais alliance et amitié. Le bailli,
+voyant ce seigneur, si aimé dans tout le pays, venir à lui comme ami et
+non comme adversaire, le reçut à merveille, le retint quelques jours
+auprès de lui, et, en le voyant partir, lui promit d'aller sous peu lui
+rendre visite.</p>
+
+ <p>Cependant, les vassaux du sire des Mocquereaux ne voyaient pas de bon
+&oelig;il ces démarches de leur seigneur, et murmuraient, disant qu'il aurait
+mieux fait de rester en la cour de Charles, que de venir en son pays
+pour s'allier à ceux qui les pressuraient et torturaient à merci. Mais
+Geneviève les calmait, leur prêchant patience, et leur promettant que
+sous peu ils seraient contents de leur sire.</p>
+
+ <p>Quelque temps se passa. Puis le bailli se souvint de la promesse qu'il
+avait faite à Jehan, et lui fit savoir que, le dimanche suivant, il
+viendrait avec grande escorte pour lui faire honneur, et que l'on
+scellerait à table l'alliance mutuellement jurée.</p>
+
+ <p>Au jour dit, on vit en effet arriver une troupe nombreuse de gens à
+cheval, archers, gens d'armes et pages, accompagnant le bailli, lequel
+était, pour faire honneur à son hôte, monté sur une belle haquenée de
+robe toute blanche. Le sire des Mocquereaux le reçut à la herse, lui fit
+bon et grand accueil, et le mena sans tarder en la salle du festin. Je
+ne vous dirai pas ce que fut ce repas: contentez vous de savoir qu'on y
+mangea fort et ferme, et que le vin d'Anjou, ce joli vin si doux et si
+capiteux, y coula à flots. Le bailli, qui était un gros homme à face
+rubiconde, ne chôma point ce jour-là, et fêta de belle manière la jaune
+liqueur des coteaux angevins.</p>
+
+ <p>Le festin terminé, sire Jehan le mena par toutes les salles et
+dépendances du château, protestant de son plaisir d'avoir chez lui pour
+hôte si puissant personnage, donnant aux Anglais force éloges, achevant,
+en un mot, par ses flatteries, l'&oelig;uvre commencée par le vin d'Anjou,
+tant et si bien que le bailli, tout ému, tant des fumées du piot que des
+belles paroles du sire, jura que jamais il n'avait eu ni n'aurait
+meilleur et plus fidèle ami.</p>
+
+ <p>Or, comme on était arrivé aux écuries, il offrit au seigneur des
+Mocquereaux de faire, en signe et gage d'alliance, échange de leurs
+montures; ce à quoi, sans peine, consentit sire Jehan. Le bailli, étant
+alors entré dans les écuries, avisa un cheval superbe, couleur d'alezan
+brûlé, dont le bon roi Charles avait fait présent à son féal serviteur:
+il proposa de troquer ce cheval contre sa blanche haquenée; à quoi, bien
+que le cheval fût de beaucoup plus beau que la haquenée, consentit
+encore sire Jehan. Et sur ce, l'on retourna vers la salle du festin,
+afin de vider encore quelques coupes en l'honneur du traité conclu.</p>
+
+ <p>Cependant, la journée s'avançait, et le bailli voulut repartir pour
+Durtal. Le seigneur des Mocquereaux ordonna donc que l'on harnachât et
+sellât son beau cheval, et vint lui-même tenir l'étrier à son nouvel
+ami, lequel, non sans peine, se mit en selle. Déjà les gens d'armes et
+les archers, défilant devant le seigneur, avaient passé le pont-levis,
+lorsqu'à leur suite le bailli, entouré de ses pages, voulut partir à son
+tour. Mais le bon cheval, de son naturel, n'aimait point les Anglais,
+surtout les Anglais grands et lourds. Aussi ne voulut-il point avancer:
+cris, coups de houssine et piqûres d'éperon, rien ne le put décider à
+remuer pied ni patte. Vainement deux pages le tiraient par la bride,
+deux autres le poussant; le cheval ne bougea, jusqu'à ce qu'enfin,
+irrité, il se débarrassa, d'une ruade, des deux malencontreux pages
+qu'il avait par derrière, puis, inclinant brusquement la tête et pliant
+les genoux, déposa mollement M. le bailli sur les dalles de la cour
+d'honneur. En même temps, sire Jehan criait: «A moi, mes hommes d'armes!
+Baissez la herse! Haussez le pont-levis!» et saisissait l'Anglais à la
+gorge. En peu d'instants, le château fut en état de défense, et le
+bailli prisonnier. Le lendemain, on le pendit aux créneaux, en punition
+de ses crimes. Ceux de ses pages que n'avait point navrés le cheval
+furent renvoyés, et s'en allèrent partout, répétant qu'un destrier sorti
+de l'enfer avait fait pendre leur maître, et que le diable protégeait le
+seigneur des Mocquereaux. «Si que, dit le chroniqueur, oncques depuis
+n'osèrent Anglais s'approcher du castel ni des pays à l'entour, car
+toujours cuidoient voir, sur son cheval démoniaque, apparaître le sire
+Jehan, qui si haut et si court fit pendre le bailli.»</p>
+
+ <p>Le narrateur s'arrêta, et comme chacun le félicitait: «Bravo! mon cher
+professeur, dit le substitut. On ne dira pas, en tous cas, que vous êtes
+ennuyeux comme la pluie, car vous me semblez l'avoir mise en fuite.»</p>
+
+ <p>En effet, un gai rayon de soleil entrait par la haute fenêtre. Tous
+aussitôt, conteur et auditeurs, coururent aux fusils, et dix minutes
+plus tard une fusillade nourrie apprenait aux lapins du parc que nous
+avions retrouvé, à leur usage, les traditions guerrières de messire
+Jehan des Mocquereaux.</p>
+
+ <p class="rig"><span class="sc">G. Hamor.</span></p>
+ <br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/003.png"><br><b>LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE MOMIES DANS LA
+HAUTE-ÉGYPTE.--<br>Transport des sarcophages de Deïr-el-Bahari au Nil.
+Dessin d'après nature de M. Émile Bayard</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004a.png"><br><b>AU THÉÂTRE D'APPLICATION.--<br>Une représentation de la
+«Passion», mystère en quatre tableaux, de M. Haraucourt.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/004b.png"><br><b>A L'ÉGLISE DU SACRE-C&OElig;UR.--<br>La Mise au tombeau, groupe de
+figures en cire, dans la crypte de la basilique.</b></p>
+<br><br>
+
+ <h3>LA PHOTOGRAPHIE DU CIEL</h3>
+
+ <p>L'idée d'appliquer la photographie aux curiosités du ciel est née le
+jour même où la grande découverte de Niepce et Daguerre a été annoncée
+au public par la mémorable communication qu'en fit Arago dans la séance
+de l'Académie des sciences du 19 avril 1839.</p>
+
+ <p>L'illustre astronome, prévoyant déjà les applications diverses qui
+pourraient en être faites aux recherches astronomiques, signalait,
+entr'autres, la possibilité d'obtenir une bonne carte de la lune et une
+image complète des raies du spectre solaire. Mais les procédés
+photographiques étaient alors trop imparfaits pour permettre d'obtenir
+des résultats satisfaisants.</p>
+
+ <p>Cependant, dès l'année 1845, Fizeau et Foucault arrivaient à faire une
+excellente photographie du soleil en 1/60 de seconde, que l'on peut voir
+très finement gravée, dans les &oelig;uvres complètes d'Arago. En 1849,
+William C. Bond, astronome américain, obtint une bonne épreuve
+daguerrienne de la lune. L'éclipse de soleil du 28 juillet 1851 fut
+photographiée par Berkowski à K&oelig;nigsberg, sur une plaque daguerrienne
+qui montra, pour la première fois, des traces de la couronne qui
+enveloppe l'astre du jour et les éruptions qui émanent de sa surface.</p>
+
+ <p>En 1857, William Bond obtint une photographie très nette de l'étoile
+double Mizar ou Zêta de la Grande Ourse, aussi précise en vérité que les
+mesures micrométriques, car j'ai pu l'insérer comme document dans mon
+catalogue des étoiles doubles. C'est à l'Observatoire de Harvard Collège
+que ces premières photographies d'étoiles ont été faites, et c'est là
+encore qu'aujourd'hui M. Pickering obtient de si merveilleux résultats
+qui, à eux seuls, paraissent devoir égaler au moins tous ceux du congrès
+des vingt ou trente astronomes composant le congrès européen.</p>
+
+ <p>M. Warren de la Rue en Angleterre et M. Rutherfurd aux États-Unis ont
+obtenu, de 1857 à 1867, de magnifiques photographies de la lune, qui
+n'ont pas encore été dépassées. Signalons parmi ces photographies des
+vues stéréoscopiques saisissantes, qui montrent le globe lunaire
+tellement en relief qu'il a presque la forme d'un &oelig;uf. Cet effet, un
+peu exagéré, est dû à ce qu'on a profité d'un certain mouvement de la
+lune, le mouvement de libration, pour pénétrer plus ou moins bien sur
+l'hémisphère invisible. Warren de la Rue, auquel on est redevable de ces
+photographies stéréoscopiques de notre satellite, est parvenu également
+à en obtenir de la planète Jupiter en prenant les vues à vingt-six
+minutes d'intervalle.</p>
+
+ <p>M. Faye, en France, a été l'un des plus éloquents promoteurs de la
+photographie astronomique. Insensiblement, malgré la résistance des
+astronomes purement mathématiciens, la photographie s'implanta dans des
+procédés d'étude. En 1874, au passage de Vénus devant le Soleil, elle
+fut appliquée avec le plus grand succès, et il en fut de même en 1883. A
+l'Observatoire de Meudon, M. Janssen a obtenu en 1877 d'admirables
+photographies de la surface solaire, sur lesquelles on assiste pour
+ainsi dire aux phénomènes de la formation de la lumière solaire. Ces
+photographies du soleil sont presque instantanées, car elles sont faites
+en un demi-millième de seconde! En 1884, MM. Paul et Prosper Henry, en
+construisant les cartes d'étoiles de l'atlas de l'Observatoire de Paris,
+s'appliquèrent à substituer la photographie à l'observation directe des
+étoiles, ce qui était à la fois beaucoup plus expéditif et plus sûr. En
+même temps, et depuis cette époque, MM. Pickerins aux États-Unis, Gould
+dans la République-Argentine, Gill au Cap de Bonne-Espérance, Common et
+Robert en Angleterre, se sont livrés avec les plus grands succès à la
+pratique de la photographie céleste.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>Ainsi, graduellement, insensiblement, la photographie en arriva à
+prendre une large part dans les procédés astronomiques. Cette part
+devient, de jour en jour, de plus en plus importante, de plus en plus
+féconde.</p>
+
+ <p>On se propose actuellement de photographier le ciel tout entier, et
+c'est dans ce but que M. le contre-amiral Mouchez a demandé la formation
+d'un congrès astrophotographique international, qui s'est déjà réuni
+deux fois à l'Observatoire de Paris, en 1887 et en 1889, et qui s'y
+réunit de nouveau en ce moment même.</p>
+
+ <p>Il s'agit de photographier le ciel tout entier et de construire, par la
+photographie seule, et sans l'intervention des erreurs d'observation, la
+carte complète du ciel, tel qu'il se présente actuellement aux yeux des
+habitants de la terre. Nous avons déjà cette carte, mais sous une forme
+relativement imparfaite et hétérogène. Argelander, par exemple, a
+construit, en 1862, la carte des étoiles de notre hémisphère boréal
+jusqu'à la neuvième grandeur inclusivement, et cette carte se compose de
+324,198 étoiles, que l'on peut toutes voir réunies sur une même feuille
+(voy. notre Astronomie populaire, page 832), et forme le grand atlas
+d'Argelander, qui est l'une des &oelig;uvres les plus considérables de notre
+siècle.</p>
+
+ <p>Le catalogue de Sh&oelig;nfeld donne pour l'hémisphère austral les positions
+de 133,659 étoiles. M. Gould, directeur de l'Observatoire de Cordoba,
+dans la République Argentine, a publié, il y a quelques années, un atlas
+de cet hémisphère austral, mais qui ne s'étend guère au-delà des étoiles
+visibles à l'&oelig;il nu. Ce sont là des essais laborieux qui représentent
+des travaux considérables, mais qui ne pourraient jamais donner ce qu'on
+peut attendre tout simplement de la photographie.</p>
+
+ <p>En effet, au lieu d'observations méridiennes dues à un grand nombre
+d'observateurs très différents les uns des autres comme mode
+d'appréciation des grandeurs d'étoiles, et comme méthode de constatation
+des positions, au lieu de transcriptions multipliées, de nombreux
+calculs de réduction et de la dissémination des observations le long
+d'un grand nombre d'années, on prendra tout simplement la photographie
+précise du ciel, et cela non seulement jusqu'aux étoiles de 9e grandeur,
+mais jusqu'à celles de 10e, 11e, 12e, 13e et même 14e grandeur, ce qui
+ne sera pas plus difficile, et ne demandera qu'une pose de temps plus
+considérable.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>Tout le monde sait que les étoiles visibles à l'&oelig;il nu s'arrêtent à la
+sixième grandeur, et que ce mot de grandeur doit s'entendre simplement
+de l'éclat apparent des étoiles, celles de première grandeur étant les
+plus brillantes, celles de seconde étant un peu moins brillantes, et
+ainsi de suite, celles de sixième étant les dernières que l'on puisse
+voir à l'&oelig;il nu. Voici le nombre probable des étoiles de chaque
+grandeur, jusqu'à la quatorzième:</p>
+
+ <pre>
+ Grandeurs. Nombre:
+ 1re 20
+ 2e 59
+ 3e 182
+ 4e 530
+ 5e 1,600
+ 6e 4,800
+ 7e 13,000
+ 8e 40,000
+ 9e 120,000
+ 10e 380,000
+ 11e 1,000,000
+ 12e 3,000,000
+ 13e 9,000,000
+ 14e 27,000,000.</pre>
+
+ <p>Ces dernières étoiles sont visibles dans les instruments actuels des
+observatoires. On voit que le total de ces quatorze premiers ordres
+d'éclat dépasse déjà quarante millions. Essayer de cataloguer cette
+armée céleste serait non seulement un travail surhumain, mais encore
+absolument irréalisable, car des erreurs inévitables se glisseraient
+dans un pareil nombre d'observations, ainsi que dans leurs réductions,
+leurs transcriptions et leurs placements sur une carte.</p>
+
+ <p>Des années et des années ne suffiraient pas, et pendant qu'on
+essayerait, les étoiles se déplaceraient elles-mêmes dans l'espace, car
+chacune d'elles est animée d'un mouvement propre plus ou moins rapide.</p>
+
+ <p>Or, la photographie peut faire cela tout, bonnement, pour ainsi dire, et
+de la manière la plus simple, grâce aux perfectionnements apportés dans
+les méthodes d'opération. Et savez-vous en combien de temps cette &oelig;uvre
+gigantesque, ce monument impérissable de l'astronomie moderne pourrait
+être obtenu? En treize minutes! Voici, en effet, la durée de pose
+nécessaire pour que les étoiles des diverses grandeurs impressionnent
+les nouveaux clichés au gélatino-bromure.</p>
+
+ <pre>
+ Grandeur: Durée de pose.
+ 1re 0s 005
+ 2e 0s 01
+ 3e 0s 03
+ 4e 0s 1
+ 5e 0s 2
+ 6e 0s 3
+ 7e 1s 3
+ 8e 3s 0
+ 9e 8s 0
+ 10e 20s 0
+ 11e 50s
+ 12e 2m
+ 13e 5m
+ 14e 13m.</pre>
+
+ <p>Ainsi cinq millièmes de secondes suffisent pour photographier une étoile
+de première grandeur; une demi-seconde suffit pour photographier les
+petites étoiles visibles à l'&oelig;il nu; treize minutes sont nécessaires
+pour photographier celles de quatorzième grandeur.</p>
+
+ <p>Si, à un certain moment, 8,000 lunettes disposées pour cette
+photographie pouvaient être braquées en même temps tout autour de la
+terre sur 8,000 points du ciel contigus, ces 8,000 clichés auraient
+photographié le ciel tout entier, et les quarante millions d'étoiles
+dont nous parlions tout à l'heure. Juxtaposés, ces 8,000 clichés, de
+cinq degrés chacun, représenteraient les 41,000 degrés carrés dont se
+compose la surface du ciel.</p>
+
+ <p>Cette sorte de photographie instantanée du ciel serait idéale, mais ne
+peut se faire; d'abord parce qu'à quelque moment que ce soit la nuit ne
+s'étend que sur moins de la moitié du globe; ensuite parce que
+l'atmosphère n'est jamais parfaitement pure; enfin parce que ces 8,000
+instruments seraient une dépense considérable, qu'il est plus simple et
+plus pratique de réduire à son minimum.</p>
+
+ <p>Le travail a été réparti entre une vingtaine d'observatoires et l'on
+pense qu'en trois ou quatre ans tout le ciel étoilé sera photographié.</p>
+
+ <p>Voici comment le travail sera probablement divisé entre les divers
+observatoires:</p>
+
+ <pre>
+ Observatoires. Nombre de clichés
+ Paris. 1260
+ Bordeaux. 1260
+ Toulouse. 1080
+ Alger. 1260
+ Greenwich. 1149
+ Oxford. 1180
+ Helsingfort. 1008
+ Postdam. 1232
+ Rome. 1010
+ Catane. 1008
+ San Fernando. 1260
+ Tacubaya. 1260
+ Santiago. 1260
+ La Plata. 1360
+ Rio Janeiro. 1376
+ Cap de Bonne-Espérance. 1512
+ Sydney. 1400
+ Melbourne. 1149</pre>
+
+ <p>Ainsi, la science du dix-neuvième siècle léguera à la postérité un état
+irrécusable et impérissable du ciel sidéral, qui, dans les siècles
+futurs, servira de base certaine pour la solution du grand problème de
+la constitution générale de l'univers.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>Certes, l'&oelig;il humain est un appareil d'optique admirable. Quelle
+transparence dans ce cristal vivant, quelles nuances délicieuses dans
+cet iris, quelle profondeur ou quel charme! C'est la vie, c'est la
+passion, c'est la lumière. Fermez tous ces yeux, que restera-t-il de la
+création?</p>
+
+ <p>Et pourtant, la lentille de l'appareil photographique représente
+vraiment un &oelig;il nouveau, qui vient compléter le nôtre et qui le
+surpasse, plus merveilleux encore.</p>
+
+ <p>Cet &oelig;il géant est doué de quatre avantages considérables sur le nôtre:
+il voit plus vite, plus loin, plus longtemps, et, faculté précieuse, il
+fixe, imprime, conserve ce qu'il voit.</p>
+
+ <p>Il voit plus vite: en un demi-millième de seconde, il photographie le
+soleil, ses taches, ses tourbillons, ses flammes, ses montagnes de feu,
+en un document impérissable.</p>
+
+ <p>Plus loin: dirigé vers un point quelconque du ciel pendant la nuit la
+plus profonde, il découvre dans les atomes de l'infini des étoiles, des
+mondes, des univers, des créations, que jamais, jamais notre &oelig;il ne
+pourrait voir, à l'aide de n'importe quel télescope.</p>
+
+ <p>Plus longtemps: ce que nous ne sommes pas parvenus à voir en quelques
+secondes d'attention, nous ne le verrons jamais. Lui, n'a qu'à regarder
+assez longtemps: au bout d'une demi-heure, il distinguera ce qu'il ne
+voyait pas; au bout d'une heure, il verra mieux encore, et plus il
+restera fixé vers l'inconnu, mieux il le possédera, sans fatigue et
+toujours mieux.</p>
+
+ <p>Et il conserve sur sa plaque rétinienne tout ce qu'il a vu. Notre &oelig;il
+ne garde qu'un instant les images. Supposez, par exemple, que vous
+assommiez un homme au moment où, tranquillement assis dans son fauteuil,
+il a les yeux ouverts devant une fenêtre vivement éclairée (la
+supposition n'a rien d'exorbitant sur une planète dont tous les citoyens
+sont soldats et s'entre-tuent au taux moyen de onze cents par jour);
+puis que vous lui arrachiez les yeux (nous venons de dire qu'il s'agit
+d'un ennemi), et que vous les immergiez dans une solution d'alun. Ces
+yeux conserveront l'image de la fenêtre avec ses barres transversales et
+ses ouvertures éclairées. Mais, dans l'état normal des choses, nos yeux
+ne gardent pas les images... il y en aurait trop, d'ailleurs. L'&oelig;il
+géant dont nous parlons conserve tout ce qu'il a vu. Il n'y a qu'à
+changer la rétine.</p>
+
+ <p>Ainsi, d'abord, cet &oelig;il voit plus vite et mieux et sans fatigue. On
+photographie aujourd'hui les éclairs, que l'on peut étudier ensuite à
+loisir sur les clichés, et qui montrent les titanesques batailles de
+l'étincelle électrique franchissant l'océan aérien et y rencontrant
+mille obstacles, mille résistances de tout ordre qui font varier sa
+route et lui impriment souvent les mouvements les plus désordonnés. On
+photographie un cheval au galop, qui subitement se trouve immobilisé, on
+photographie un train express, on photographie le boulet de canon et
+l'obus surpris, arrêtés sur leur trajectoire.</p>
+
+ <p>Oui, cette rétine artificielle voit plus vite et mieux. Et, par une
+propriété absolument contraire, elle sait pénétrer en des abîmes où nous
+ne voyons et ne verrions jamais rien. C'est peut-être même ici sa
+faculté la plus stupéfiante encore.</p>
+
+ <p>Mettons l'&oelig;il, par exemple, à l'oculaire d'une lunette dont l'objectif
+mesure 30 centimètres d'ouverture: ce sont là actuellement les meilleurs
+instruments comme usage pratique des observatoires.</p>
+
+ <p>Dans cette lunette de 30 centimètres de diamètre et de 3 mètres et demi
+de longueur, nous découvrons les étoiles jusqu'à la quatorzième
+grandeur, c'est-à-dire environ 40 millions d'astres de toute nature.</p>
+
+ <p>Maintenant, remplaçons notre &oelig;il par la rétine photographique.
+Instantanément les étoiles les plus brillantes viendront frapper la
+plaque et y marquer leur image. Cinq millièmes de seconde suffiront pour
+une étoile de première grandeur, une centième de seconde pour les
+étoiles de deuxième grandeur, trois centièmes de seconde pour celles de
+troisième, et ainsi de suite, suivant la proportion établie plus haut.</p>
+
+ <p>En moins d'une seconde, l'&oelig;il photographique a vu tout ce que nous
+pouvons apercevoir à l'&oelig;il nu.</p>
+
+ <p>Mais ce n'est rien encore. Les étoiles télescopiques visibles dans
+l'instrument vont également frapper la plaque et y inscrire leur image.
+Celles de la septième grandeur emploieront une seconde un tiers à
+l'impressionner, celles de la huitième grandeur demanderont trois
+secondes, celles de la neuvième huit secondes, celles de la onzième
+grandeur cinquante secondes, celles de la douzième demanderont deux
+minutes, celles de la treizième cinq minutes, et enfin celles de la
+quatorzième, treize minutes.</p>
+
+ <p>Si nous avons laissé notre plaque exposée pendant un quart d'heure, nous
+trouverons photographiée sur cette plaque toute la région du ciel vers
+laquelle la lunette était dirigée, et tout ce que cette région possède,
+tout ce qu'avec une peine infinie nous serions parvenus à découvrir, à
+mesurer, par une série d'observations très laborieuses et très longues.
+Un nombre suffisant d'appareils braqués de manière à embrasser le ciel
+tout entier fixera, comme nous venons de le voir, en une carte immense
+tout ce que l'astronomie d'observation peut étudier, et ce que l'on
+n'aurait pu obtenir qu'en plusieurs siècles.</p>
+
+ <p>Mais voici seulement où commence le merveilleux.</p>
+
+ <p>Laissons l'&oelig;il photographique regarder au lieu du nôtre: il pénétrera
+dans l'inconnu. Les étoiles invisibles pour nous deviennent visibles
+pour lui. Au bout de trente-trois minutes d'exposition, les étoiles de
+la quinzième grandeur auront fini par impressionner la rétine chimique
+et y former leur image.</p>
+
+ <p>Le même instrument qui montre à l'&oelig;il humain les astres de la
+quatorzième grandeur et qui, dans le ciel entier, enregistrerait environ
+40 millions d'étoiles, en montre à l'&oelig;il photographique 120 millions
+dès la première réquisition pour obtenir la quinzième grandeur. Il
+atteindrait la seizième à la seconde réquisition, en une heure vingt
+minutes de pose, et jetterait sous l'admiration éblouie du contemplateur
+une poussière lumineuse de 400 millions d'étoiles!...</p>
+
+ <p>Jamais encore, dans toute l'histoire de l'humanité, on n'a eu en mains
+la puissance de pénétrer aussi profondément dans les abîmes de l'infini.
+Avec les perfectionnements nouveaux, la photographie prend nettement
+l'image de chaque astre, quelle que soit sa distance, et elle la fixe en
+un document que l'on peut étudier à loisir. Qui sait si quelque jour,
+dans les vues photographiques de Vénus ou de Mars, une nouvelle méthode
+d'analyse n'arrivera pas à découvrir les habitants! Et sa puissance
+s'étend jusqu'à l'infini. Voilà une étoile de quinzième, de seizième, de
+dix-septième grandeur, un soleil comme le nôtre, éloigné à une telle
+distance de nous que sa lumière emploie des milliers, peut-être des
+millions d'années à nous parvenir, malgré sa vitesse inouïe de trois
+cent mille kilomètres par seconde, et ce soleil gît à une telle
+profondeur que sa lumière ne nous arrive pour ainsi dire plus. Jamais
+l'&oelig;il naturel de l'homme ne l'aurait vu, jamais l'esprit humain n'en
+aurait deviné l'existence sans les instruments de l'optique moderne. Et
+voilà que cette faible lumière venue de si loin suffit pour
+impressionner une plaque chimique qui en conservera inaltérablement
+l'image.</p>
+
+ <p>Et cette étoile pourrait être du dix-huitième, du vingtième ordre et
+au-dessous, si petite que jamais les yeux humains, aidés même des plus
+puissants pouvoirs télescopiques ne la verront (car il y aura toujours
+des étoiles au-delà de notre vision). Et pourtant elle viendra frapper,
+de sa petite flèche éthérée, la plaque chimique exposée pour l'attendre
+et la recevoir.</p>
+
+ <p>Oui, sa lumière aura voyagé pendant des millions d'années. Lorsqu'elle
+est partie, la terre n'existait pas, la terre actuelle avec son
+humanité; il n'y avait pas un seul être pensant sur notre planète; la
+genèse de notre monde était en voie de développement; peut-être
+seulement, dans les mers primordiales qui enveloppaient le globe avant
+le soulèvement des premiers continents, les organismes primitifs
+élémentaires se formaient-ils au sein des eaux, préparant lentement
+l'évolution des âges futurs. Cette plaque photographique nous fait
+remonter à l'histoire passée de l'univers. Pendant le trajet éthéré de
+ce rayon de lumière qui vient aujourd'hui frapper cette plaque, toute
+l'histoire de la terre s'est accomplie, et dans cette histoire, celle de
+l'humanité n'est qu'une onde, qu'un instant. Et, durant ce temps,
+l'histoire de ce lointain soleil qui se photographie aujourd'hui s'est
+accomplie aussi: peut-être est-il éteint depuis longtemps, peut-être
+n'existe-t-il plus...</p>
+
+ <p>Ainsi cet &oelig;il nouveau qui nous transporte à travers l'infini nous fait
+en même temps remonter les stades de l'éternité passée.</p>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>L'infini! l'éternité! L'astronomie contemporaine nous y plonge et nous y
+noie. Quelle mesure en pouvons-nous prendre? En volant avec la vitesse
+de l'éclair, nous emploierions des millions d'années pour atteindre les
+régions où brillent ces univers lointains; mais, transportés là, nous
+n'aurions réellement pas avancé d'un seul pas vers les limites de
+l'espace, car l'espace est sans bornes, l'infini est sans mesures, et
+partout, dans toutes les directions, il y a tant d'univers, tant de
+soleils consécutifs, que si nous laissions la plaque photographique
+assez longtemps exposée, elle finirait par se couvrir de points lumineux
+contigus et serrés au point de ne plus former qu'un ciel d'éblouissante
+lumière. Car, partout, en quelque point que nous dirigions notre rayon
+visuel, il y a une infinité de soleils les uns derrière les autres.</p>
+
+ <p>Et nous vivons sur l'un de ces mondes, sur l'un des plus médiocres, en
+un point quelconque de l'immensité sans bornes, éclairés par l'un de ces
+innombrables soleils, dans un horizon restreint, véritable cocon de ver
+à soie, ignorant toutes les causes, éphémères d'un instant, nous
+pénétrant d'une illusoire vue du monde, ne voyant presque rien,
+d'ailleurs, assez minuscules pour nous imaginer que nous connaissons
+quelque chose, nous flattant même, avec un béat sentiment d'orgueil, de
+dominer la nature, fiers d'une illusion prise pour la réalité. Nous
+tranchons les questions. Nous nous déclarons matérialistes sans
+connaître un mot de l'essence de la matière, spiritualistes sans
+connaître un mot de la nature de l'esprit; mais au fond de tout être
+pensant le scepticisme demeure, parce que nous sommes incapables de rien
+apprécier.</p>
+
+ <p>Notre minuscule planète perdue est encore trop vaste pour notre
+conception, car nous avons inventé le patriotisme de clocher, et toute
+l'organisation des divers groupes sociaux qui se partagent le globe est
+fondée sur les armes.</p>
+
+ <p>Ah! l'astronome souhaiterait que les conducteurs de peuples, les
+législateurs, les politiciens, eussent la faculté de pouvoir regarder
+une carte céleste et la comprendre. Cette calme contemplation serait
+peut-être plus utile à l'humanité que tous les discours diplomatiques.
+Si l'on savait combien la terre est minuscule, peut-être cesserait-on de
+la couper en morceaux. La paix régnerait sur le monde, la richesse
+sociale succéderait à la ruineuse, honteuse et infâme folie militaire,
+les divisions politiques s'effaceraient, et les hommes pourraient
+seulement alors s'élever librement dans l'étude de l'univers, dans la
+connaissance de la nature, et vivre des jouissances de la vie
+intellectuelle. Hélas! nous n'en sommes pas là; et l'&oelig;il photographique
+révélera bien des mystères célestes avant que l'&oelig;il humain voie la
+raison et la science établir leur règne sur notre petite boule
+tournante.</p>
+
+ <p class="rig"><span class="sc">Camille Flammarion.</span></p>
+ <br><br>
+
+ <h3>LES PHARES</h3>
+
+ <p class="mid">(Suite et fin.)</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/005.png"><br><b>LES PHARES.--Un des gardiens faisant son quart.</b></p>
+
+ <p>Nos gravures nous ont montré les phares debout, au milieu de la mer, et
+bravant les tempêtes. Au plus fort de l'ouragan, lorsque le vent souffle
+avec rage, lançant des torrents de pluie contre les vitraux de la
+lanterne, lorsque les lames énormes du large déferlent quelquefois
+jusque sur la première galerie, envoyant par-dessus la coupole leurs
+longues fusées d'écume, ils s'inclinent comme pour saluer l'ouragan.
+Alors les vases à huile placés dans les chambres les plus élevées
+présentent une variation de niveau de plus d'un pouce, ce qui suppose
+que le sommet de la tour décrit un arc de près d'un mètre d'étendue.
+Mais, comme un roseau, la tourmente passée, le phare se redresse sans
+qu'une pierre ait joué, sans que rien se soit démoli.</p>
+
+ <p>Entourés d'eau de tous côtés, les phares sont, en général, d'un accès
+difficile. Un moyen pittoresque reproduit par nos premiers dessins est
+un va-et-vient installé sur un mât et actionné par un treuil. Prenons ce
+chemin et pénétrons dans l'intérieur pour le visiter.</p>
+
+ <p>Au 1er étage, nous trouvons les magasins de bois et de cordages et la
+menuiserie, puis au-dessus les caisses en tôle renfermant la provision
+d'huile; au troisième sont le garde-manger, la cuisine et deux chambres
+pour les gardiens, puis une petite salle pour les ingénieurs: tout cela
+réduit, étriqué. Dans les phares, comme à bord d'un bâtiment, l'espace
+est distribué avec une intelligente parcimonie.</p>
+
+ <p>Maintenant nous sommes dans le soubassement sur lequel repose la
+lanterne: c'est l'étage supérieur du phare, son âme, que nous allons
+examiner.</p>
+
+ <p>Dans un premier réduit sont enfermés les bidons a huile, les verres et
+les lampes de rechange, et un escalier en spirale nous conduit dans la
+chambre des appareils. Avec nous le gardien est entré. La nuit tombe,
+nous allons assister à l'allumage du feu.</p>
+
+ <p>L'homme s'est d'abord approché de la machine de rotation formée d'un
+mécanisme d'horlogerie. Il l'a mise en mouvement, en remontant un poids
+que l'on voit, sur la gravure, descendre dans le trou au-dessous.
+L'embrayage au-dessus de la machine s'est mis alors à tourner,
+actionnant, comme nous le verrons tout à l'heure, l'appareil optique et
+son armature. Celle-ci roule sur un rail circulaire au moyen de galets
+coniques.</p>
+
+ <p>Cela fait, l'homme s'est engagé sur l'échelle plus étroite encore qui a
+succédé à l'étroit escalier en hélice donnant accès à la lanterne.</p>
+
+ <p>Celle-ci est une sorte, de cage à parois formées de glaces planes, mais
+ce n'est là qu'une enveloppe extérieure abritant contre le vent, la
+pluie, les embruns de la mer, l'éblouissant échafaudage de prismes, de
+lentilles et de miroirs composant l'appareil d'optique que représente un
+de nos dessins, et dont l'ensemble s'appelle le tambour.</p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/006.png"><br>
+<b>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;La lanterne.&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+Montage de l'appareil d'horlogerie<br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;
+faisant mouvoir le tambour.</b></p>
+
+ <p>Rappelons en quelques mots le principe et la théorie de cet appareil. Si
+la lampe du phare était placée dans une lanterne ordinaire, la plus
+grande partie de sa lumière serait perdue; pour l'utiliser tout entière,
+il faut ramener à la surface de la mer tous les rayons qui en suivant
+leur direction naturelle iraient se perdre dans les espaces célestes.
+Tel est le rôle de l'appareil optique qui a pour effet de rendre
+<i>parallèles</i> et horizontaux les rayons lumineux <i>divergents</i> qu'émet le
+foyer. De ces rayons, les plus rapprochés de la direction voulue, ceux
+du centre, traversent des lentilles ordinaires, les plus obliques sont
+réfractés par des séries de prismes qui entourent les lentilles; enfin,
+ceux des bords du faisceau se réfléchissent sur des miroirs qui les
+renvoient en pinceaux parallèles balayer la surface des eaux.</p>
+
+ <p>Ce dispositif a été imaginé en 1821 par le physicien français Fresnel.</p>
+
+ <p>A notre entrée dans la lanterne nous trouvons les stores qui la
+garnissent intérieurement baissés, et les appareils recouverts de
+housses en étoffe. L'homme a d'abord enlevé ces dernières et la lampe
+est apparue à nos regards, il va maintenant la remplir d'huile, la
+mettre en fonctions et commencer, à l'abri des stores, l'allumage du
+bec.</p>
+
+ <p>Un mot en passant sur cette lampe que l'on voit sur notre gravure et sur
+son bec.</p>
+
+ <p>Elle est dite à niveau constant et à réservoir inférieur. L'huile
+minérale (car c'est d'elle qu'on se sert) est placée dans un réservoir
+inférieur au bec, où des pompes actionnées par un mouvement d'horlogerie
+situé dans l'intérieur la puisent pour la refouler à un niveau maintenu
+constant. Au moyen d'un trop-plein, l'huile excédante revient au
+réservoir. Quant au bec, il se compose de cercles de cuivre
+concentriques dans lesquels sont passées des mèches de coton au nombre
+de cinq pour les phares de premier ordre, de quatre pour ceux de second,
+et ainsi de suite en descendant.</p>
+
+ <p>Pour assurer et régler la combustion de l'huile dans le bec, celui-ci
+est coiffé d'une cheminée de cristal portée par une robe cylindrique,
+permettant de l'élever ou de l'abaisser suivant les besoins. Comme la
+hauteur de cette cheminée est insuffisante, elle est surmontée d'une
+allonge en tôle avec une clef munie d'un obturateur pour pouvoir à
+volonté régler le tirage.</p>
+
+ <p>Mais le gardien a jugé les mèches suffisamment imbibées, et le voilà qui
+procède à l'allumage méthodique en les tenant basses d'abord à petite
+flamme. Au bout d'un quart-d'heure il les relève un peu au-dessus de la
+couronne du bec, redescend la cheminée, ouvre graduellement
+l'obturateur, puis, au moyen de la pompe, fait arriver un afflux d'huile
+sur les mèches; de cette façon, bien réglée et conduite, la flamme est
+régulière, blanche, corsée et bien développée.</p>
+
+ <p>Puis il a définitivement enlevé les stores de la lanterne. Maintenant le
+phare est en pleine activité, la lampe brûle bien, et l'appareil optique
+tourne autour d'elle, envoyant sur l'horizon ses faisceaux lumineux qui
+apparaissent au marin qui les observe comme une série d'éclats, chaque
+fois qu'une lentille passe devant lui, interrompus par une série
+d'éclipses dans l'intervalle des passages. La rapidité de rotation du
+tambour détermine la durée relative des éclats et des éclipses dans les
+phares à feu tournant. Dans les phares à feux fixes, le tambour, par
+contre, est immobile et la lentille circulaire.</p>
+
+ <p>Nous en avons fini avec la description du phare, il nous faut suivre
+encore un instant dans son service l'homme que nous avons vu installer
+tout et que nos gravures nous montrent maintenant assis dans le tambour,
+au pied même de la lampe, un registre ouvert sur les genoux.</p>
+
+ <p>Légèrement vêtu et le col de la chemise entr'ouvert à cause de la
+chaleur quelquefois énorme (40° centigrades dans les nuits d'été) qui
+règne dans la lanterne, les yeux réglementairement cachés sous des
+lunettes aux verres fumés, dits de Londres, pour obvier autant que
+possible à l'insupportable intensité de la lumière, il fait son quart de
+trois heures, surveillant le feu, la consommation de l'huile, observant
+l'horizon, notant le temps qu'il fait, le degré de transparence de
+l'air, la brume, les incidents de la mer. Immobile, il veille, dans ce
+scintillement qui tourne autour de lui, suffoqué par la chaleur et le
+relent âcre des vapeurs de l'huile minérale, au milieu du tic-tac
+énervant des appareils d'horlogerie et de l'endormant et sourd
+mugissement de la mer qui déferle au pied des rochers, interrompu
+seulement de temps en temps par un choc sec contre la vitre produit par
+quelque oiseau migrateur attiré dans sa route et qui est venu se heurter
+contre l'obstacle qui le fascine.</p>
+
+ <p>La France a toujours été à la tête des progrès accomplis depuis un
+demi-siècle par la science des phares: en 1791 Teulère et Borda ont
+inventé les réflecteurs paraboliques; en 1823, Augustin Fresnel
+imaginait les appareils lenticulaires qui illuminent aujourd'hui les
+côtes du monde entier. Ces traditions se sont soigneusement conservées,
+et l'on retrouve chez le personnel de notre service des phares, depuis
+l'ingénieur jusqu'au gardien, cette science d'inventions, ce dévouement
+à toute épreuve, cette discipline merveilleuse, enfin, qui sont comme la
+caractéristique de notre famille maritime française.</p>
+
+ <p class="rig"><span class="sc">Hacks.</span></p>
+ <br><br>
+
+ <h3>LES MERVEILLES DE LA SCIENCE</h3>
+ <h4>LE FIL ÉLECTRIQUE</h4>
+
+ <p class="mid">Texte de GROSCLAUDE, dessins d'ALBERT GUILLAUME.</p>
+
+ <p>C'est prodigieux ce qu'on peut obtenir avec de la patience et un peu
+d'électricité. Vous prenez un fil de fer, un courant magnétique et deux
+tablettes vibratoires sur lesquelles vous criez: «Allo! Allo!» et vous
+voilà en conversation avec Londres.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/007a.png"></p>
+<p class="rig"><img alt="" src="images/007b.png"></p>
+
+
+ <p>Avouez que la science a marché depuis Guillaume-le-Conquérant.</p>
+
+ <p>On parle même déjà d'un petit perfectionnement tout à fait ingénieux,
+grâce auquel les paroles arriveraient traduites et sans l'ombre
+d'accent, de telle
+façon que quand vous direz à Paris: «Bonjour, monsieur!» votre
+interlocuteur de Londres entendra:
+<span class="rig"><img alt="" src="images/007c.png"></span>
+ «Good morning, sir!» et
+réciproquement. Il faudrait être dénué de toute ressource pour ne pas se
+payer ça au moins une fois par an, d'autant plus que c'est beaucoup plus
+flatteur d'être traduit en anglais qu'en police correctionnelle et ça ne
+figure
+<span class="lef"><img alt="" src="images/007d.png"></span>
+pas sur le casier judiciaire.</p>
+
+ <p>Mais, me direz-vous, et les<span class="rig"><img alt="" src="images/007e.png"></span> sourds-muets?--On s'en occupe, mesdames et
+messieurs, et vous ne devriez pas ignorer que, depuis un certain temps,
+Edison consacre ses merveilleuses facultés d'inventeur à la création
+d'un appareil déjà désigné sous le
+nom de téléphote<span class="lef"><img alt="" src="images/007f.png"></span> et qui sera pour la vue ce que le téléphone est pour
+l'audition; au lieu de la petite tablette téléphonique contre laquelle
+on
+parle, il y aura un miroir devant lequel on fera des gestes que reproduira le miroir
+de l'appareil récepteur.</p>
+
+ <p>C'est assez dire que les sourds-muets pourront aisément communiquer à
+l'aide des signaux dont se compose le langage de feu l'abbé de l'Épée;
+il suffirait même de photographier d'une façon continue le miroir de
+réception pour conserver un compte-rendu sténographié de l'entretien.</p>
+
+ <p>Si les électriciens arrivent réellement à nous doter d'un téléphote
+comme celui sur lequel on fonde de si grandes espérances, il est permis
+de croire que le fil électrique arrivera progressivement à transmettre
+aussi bien que les sensations de la vue et de l'ouïe celles de l'odorat,
+du goût et du toucher.</p>
+
+ <p>Il deviendra très facile d'avoir à volonté dans l'isolement le plus
+absolu toutes les joies de la société, ce qui aura bien du charme pour
+les infirmes, les malades, notamment les cholériques et les lépreux, et
+pour les gens qui ont le désir de passer leurs soirées en manches de
+chemise.</p>
+
+ <p>Nous avons déjà le théâtrophone qui, au club, au restaurant, à l'hôtel
+ou à domicile, vous fournit dans des prix doux les auditions théâtrales
+les plus satisfaisantes, et je n'ai pas besoin d'ajouter avec quelle
+impatience les abonnés attendront le téléphote qui leur permettra de
+jouir des pantomimes et de lorgner la salle!</p>
+
+ <p>Rien n'empêchera dès lors d'organiser des petites soirées téléphoniques
+pour lesquelles chacun restera chez soi: on potinera téléphoniquement,
+on écoutera la comédie, les chansonnettes et les monologues
+théâtrophoniquement, et il n'y aura pas de voitures à prendre, pas
+d'étages à monter. Vous verrez que le <i>téléfive o'clock</i> sera très à la
+mode l'hiver prochain.</p>
+
+<p class="lef"><img alt="" src="images/007g.png"></p>
+
+<p>Et le buffet? Je ne connais aucune raison scientifique qui s'oppose à la
+transmission électrique des petits fours et des sandwichs; aussi bien ce
+phénomène n'est certainement pas plus improbable aujourd'hui que ne le
+paraissait être il y a une centaine d'années la possibilité de faire la
+conversation avec une personne située de l'autre côté de la Manche.</p>
+
+ <p>Oh! les drôles de dîners qu'on fera sur le télé-bouffe, très précieux
+pour les gens très demandés auxquels il permettra d'accepter plusieurs
+invitations à la fois, et non moins utile aux personnes qui n'ont
+d'autre cuisine que celle du restaurant: ces malheureux n'auront plus à
+descendre de leur sixième ni à faire monter les plats dans ces paniers
+cylindriques qu'on aperçoit encore de temps à autre aux environs des
+casernes.<span class="rig"><img alt="" src="images/008a.png"></span></p>
+
+<p>Pour ce qui est de l'olfaction, il est bien évident que la parfumerie à
+distance ne rencontre aucune difficulté sérieuse; il suffirait d'un
+pulvérisateur d'une certaine puissance avec une canalisation dans le
+genre de celle du gaz et des eaux, pour que tous les abonnés pussent
+recevoir à domicile les parfums qui leur conviennent.</p>
+
+ <p>Quant au toucher, ce sera sans doute un peu plus compliqué que pour les
+autres sens; toutefois il ne me paraît pas impossible qu'un médecin
+arrive à examiner ses malades par fil spécial; tâter le<span class="lef"><img alt="" src="images/008b.png"></span>
+pouls, ausculter, percuter même, et se livrer aux diverses autres
+constatations sur lesquelles le docteur fonde son diagnostic, seront
+même choses assez simples avec des appareils d'une sensibilité
+convenable; mais il y aura bien peu de chose à attendre au point de vue
+des opérations chirurgicales, et le pédicure lui-même sera,
+croyons-nous, bien empêché d'opérer à distance; il en sera de même
+évidemment pour le masseur et aussi pour le coiffeur qui, selon toute
+apparence, n'aura pas grand chose de bon à espérer dans cet ordre
+d'idées, à moins qu'un électricien de génie, dans le genre de l'homme à
+qui nous devons la ficelle à beurre, invente le fil à couper des
+cheveux.</p>
+
+<p class="rig"><img alt="" src="images/008c.png"></p>
+
+ <p>En revanche, le tailleur et le chapelier ne tarderont pas à être pourvus
+d'un appareil qui leur permettra de prendre une mesure sans aller chez
+le client, et je n'ai pas besoin d'ajouter qu'avec un bon téléphote le
+peintre fera des portraits sans déranger son modèle; c'est quelque
+chose, cela.</p>
+<p class="lef"><img alt="" src="images/008d.png"></p>
+ <p>Au point de vue sentimental, je me plais à croire que le jour est proche
+où la science s'enrichira d'un télékiss, avec lequel il sera délicieux
+de flirter par fil spécial, loin des regards indiscrets.</p>
+<p class="rig"><img alt="" src="images/008e.png"></p>
+ <p>Et si quelqu'un vient s'en plaindre, ce sera vraiment bien commode de
+pouvoir, sans quitter son intérieur confortable, lui répondre d'une
+façon électrique et instantanée par le Télégiffle, qui sera, d'ici peu,
+dans tous les appartements aménagés avec un certain confortable.</p>
+
+ <p class="rig"><span class="sc">Grosclaude.</span></p>
+ <br><br><br>
+
+ <h3>L'EXPOSITION YON</h3>
+
+ <p>Une très intéressante exposition, dont les amateurs d'art ne manqueront
+pas de s'offrir le régal, s'ouvrira mardi prochain chez Georges Petit,
+rue Godot de Mauroi. Cette exposition, qui durera trois jours seulement,
+comprendra une importante collection d'&oelig;uvres--huiles, aquarelles et
+pastels--de l'un des artistes les plus justement renommés de ce
+temps-ci, l'excellent paysagiste Edmond Yon.</p>
+
+ <p>C'est, en moins de dix années, la troisième fois que le robuste
+travailleur, le peintre délicat et savant, nous donne, avec un groupe
+imposant d'ouvrages de son choix, à juger de la fécondité, de la
+puissance et de la variété de son talent. L'exhibition qu'il achève
+d'organiser obtiendra auprès de ses visiteurs un succès au moins égal à
+celui qu'ont emporté ses devancières. Des soixante-six envois qui la
+composent, il n'en est pas un seul qui ne soit digne de l'attention des
+connaisseurs, et qui ne mérite leur éloge. Ils valent tous également par
+ces belles qualités où s'atteste la maîtrise: la vision nette et précise
+de la nature, un impeccable sentiment de la réalité, la perfection du
+dessin, la fermeté, la souplesse et l'éclat de la coloration.</p>
+
+ <p>Edmond Yon est un paysagiste au sens le plus parfait du mot. Épris
+ardemment de la nature, il s'entend à merveille à la représenter sous
+ses aspects les plus fugitifs et les plus divers, dans sa variété
+infinie et dans son éternelle mobilité... «Il excelle, dit M. Montrosier
+dans l'intéressante préface qui figure en tête du catalogue de
+l'exposition, à dire les matins encore tout embrumés où passe le souffle
+des églogues, les journées baignées de clarté et incrustées de lumière,
+et les soirs aux couchants radieux, montrant le soleil disparaissant
+dans la gloire d'une apothéose sans pareille. Mieux que personne il est
+le peintre des rivières que bordent les saules, des étangs sertis
+d'oseraie et des marais visqueux où semblent flotter des nénuphars. Dans
+les dunes de la Somme, il plantera un de ces moulins qui semblent défier
+la lance de Don Quichotte; ici il montrera un bout de village aux
+maisonnettes groupées, avec le régal de couleurs des toitures rouges, et
+si attirant, ce village, qu'on voudrait s'y arrêter. Tous ces morceaux
+sont si bien troussés, la touche en est si libre, la réalité si vraie,
+qu'on ne peut les oublier.»</p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>NOTES ET IMPRESSIONS</h3>
+
+ <p>Il y a trois sortes d'orgueil: celui de la richesse, celui de la
+naissance et de l'esprit.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">Swift.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>La politique, même dans le gouvernement parlementaire, c'est ce qui ne
+se dit pas.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">Fievée.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>Dans cette vie, il faut savoir se risquer, mais qui se risque doit se
+résigner à perdre quelque chose.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">Herbart.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>Les biens que l'on vante le plus ne sont pas ceux que l'on a, mais ceux
+que l'on désire.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">Edm. About.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>La reconnaissance est pareille à cette liqueur d'Orient qui ne se garde
+que dans des vases d'or; elle parfume les grandes âmes, elle s'aigrit
+dans les petites.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">Jules Sandeau.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>L'égoïsme est comme l'embonpoint; plus on en a, plus on est gêné par
+celui des autres.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">H. Rigault.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>L'âme d'un petit enfant bien doué est plus près de celle d'Homère que
+l'âme de tel bourgeois ou de tel académicien médiocre.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">Jules Lemaitre.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>Le printemps qui commence aux enfants est pareil Le rire avec les pleurs
+alterne à son réveil.<br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">A. Theuriet.</span></span></p>
+ <br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>La jeunesse ne désespère pas plus de l'humanité, malgré ses désastres,
+que le brin d'herbe qui pousse dans un champ dévasté par l'hiver ne
+doute de la nature.<br>
+
+<p class="mid">*<br>* *</p>
+
+ <p>Être et paraître sont deux; mais, avec le monde, le second est souvent
+le moyen d'arriver au premier.</p>
+
+ <p class="rig"><span class="sc">G.-M. Valtour.</span></p>
+ <br><br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/009.png"><br><b>Cérémonie populaire de la Pâque, en Russie; Le pope
+bénissant les pains de laitage caillé apporté par les fidèles.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/010_small.png"><br><a href="images/010_large.png">(Agrandissement)</a><br><b>CHOIX DE TABLEAUX DE LA VENTE EDMOND YON.</b><br> (Voir l'article
+page 299.)</p>
+
+ <p>38. Brume matinale. 35. Le vent sur le marais. 58 Les Ruches: Effet
+d'orage à Sainte-Aulde. 28. Le Ruisseau aux poules d'eau. 12. Laveuses à
+Cernay. 5. La barque de pêche. 49. Les vaines pâtures à Sainte-Aulde. 2.
+La grande chaussée de Longpré. 52. Soleil couchant à l'embouchure de
+l'Orne. 37. Le Pont de Vernon, près Vouvray. 4. Chardons en fleurs. 48.
+Bords de l'Essonne. 9. Fin de journée. 40. Sainte-Aulde. 7. Avril à
+Ballancourt. 11. Étang à Ballancourt. 42. A Longpré les Corps Saints.</p>
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/011.png"></p>
+
+ <p><b>La Russie et le président de la République.</b>--Il convient, croyons-nous,
+de garder la plus grande circonspection, quand il s'agit des relations
+internationales, et on a eu le tort, trop souvent, dans notre pays, en
+ce qui concerne la Russie, de donner à une sympathie, qui heureusement
+est très réelle, une interprétation qui pourrait paraître excessive au
+point de devenir gênante pour ceux-là mêmes à qui elle s'adresse. Mais,
+ces réserves faites, il est permis de se féliciter de la nouvelle marque
+de courtoisie que le gouvernement du czar vient de donner au chef de
+l'État, en lui conférant le grand cordon de l'ordre de Saint-André.</p>
+
+ <p>Cet ordre est le plus ancien et le plus important des ordres russes. Il
+a été créé par Pierre-le-Grand en 1698. C'est celui que l'empereur
+donne, de préférence, aux membres régnants des maisons souveraines.</p>
+
+ <p>La remise des insignes qu'il comporte à M. Carnot a été faite dans le
+plus grand apparat. M. le baron de Mohrenheim, ambassadeur de Russie à
+Paris, s'est rendu à cet effet à l'Elysée avec tout le personnel de
+l'ambassade, en uniforme. Pendant que la garde du palais rendait les
+honneurs militaires, les représentants du czar étaient reçus au bas du
+perron par le colonel Lichtenstein et introduits par M. d'Ormesson,
+directeur du protocole, dans un des salons où se tenait le président de
+la République, entouré des officiers de sa maison militaire au complet.</p>
+
+ <p><b>Les traités de commerce et la propriété littéraire</b>.--La révolution qui
+est en train de s'opérer dans notre régime économique n'est pas sans
+causer quelque inquiétude. Le pays est partagé en deux camps qui luttent
+avec acharnement, l'un en faveur du libre-échange, l'autre en faveur de
+la protection. Ce sont les partisans de ce dernier système qui
+triomphent, si l'on en juge par la force dont ils disposent dans le
+parlement. Où est la vérité? c'est là une question à laquelle il est
+difficile de répondre, car des deux côtés on fait valoir des arguments
+décisifs et ceux qui n'ont pas d'opinion préconçue restent en suspens
+entre les deux partis, ne sachant auquel donner leur confiance.</p>
+
+ <p>Mais d'instinct, ceux qui n'ont pas fait une étude approfondie de ces
+questions complexes qu'embrasse l'économie politique sont portés à
+s'effrayer du retour à l'ancien système qui mettait des barrières entre
+les peuples, alors que les facilités apportées par le progrès dans les
+relations internationales semblaient devoir les faire supprimer à
+jamais.</p>
+
+ <p>Naturellement ceux qui, dans notre pays, peuvent compter sur les
+bénéfices qu'ils tirent de l'exportation de leurs produits, sont très
+opposés aux lois de protection que l'on prépare, éprouvant la crainte
+légitime que les pays auxquels nous fermons notre porte ne nous rendent
+la pareille.</p>
+
+ <p>Nos écrivains, qu'on ne s'attendait pas à trouver en cette affaire, mais
+dont l'intervention est cependant toute naturelle, sont dans ce cas. Les
+produits dont ils vivent, fort goûtés chez nous, ne le sont pas moins à
+l'étranger, et ils craignent, non sans raison, que la dénonciation des
+traités de commerce leur ferme les «débouchés» qu'ils trouvaient pour
+leurs &oelig;uvres, dans tous les pays du monde et surtout en Belgique.</p>
+
+ <p>Aussi une délégation qui comptait les plus illustres représentants de
+notre littérature s'est-elle rendue auprès de M. de Freycinet, président
+du Conseil, pour lui remettre, au nom de toutes les grandes sociétés
+littéraires et artistiques, une protestation contre la mise en pratique
+des théories ultra-protectionnistes qui semblent triompher pour le
+moment: «Le mécontentement des nations voisines, dit cette protestation,
+se traduira sans doute par des mesures de représailles qui frapperont
+surtout notre production littéraire et artistique pour laquelle toutes
+les nations sont plus ou moins tributaires de la nôtre. La Chambre
+sera-t-elle indifférente à des intérêts moraux et matériels aussi
+considérables, et sacrifiera-t-elle les droits de ceux qui contribuent à
+l'étranger, pour une si large part, à notre gloire nationale?...»</p>
+
+ <p>Malheureusement, la Chambre est déjà si engagée qu'on peut avoir des
+doutes sur l'effet de cette protestation.</p>
+
+ <p>La situation légale du prince Victor et du prince Louis.--Par suite de
+la mort du prince Napoléon, le prince Victor, devenu chef de la famille
+Bonaparte, se trouve <i>ipso facto</i> expulsé du territoire français par
+l'application de l'article 1er de la loi du 22 juin 1886.</p>
+
+ <p>Cette loi, en effet, interdit le territoire français aux chefs de
+familles ayant régné en France et à leurs héritiers directs dans l'ordre
+de primogéniture. Le prince Victor, quel que soit d'ailleurs le
+testament politique du prince Napoléon, passe à l'état de «chef d'une
+famille ayant régné sur la France», et à ce titre tombe sous le coup de
+la loi d'exil.</p>
+
+ <p>Mais est-il juste de dire que le prince Louis, à qui reviendraient les
+droits de la famille Bonaparte si son frère venait à mourir sans
+héritier direct, passe à l'état d'héritier présomptif, dans le sens
+prévu par la loi? Le prince Louis n'est héritier qu'en ligne collatérale
+et la loi désigne «l'héritier direct». La question était tout au moins
+douteuse. Quant à présent, le garde des sceaux l'a tranchée dans le sens
+le plus libéral, c'est-à-dire en faveur du prince Louis. Il a fait
+remarquer d'ailleurs que le gouvernement restait suffisamment armé par
+l'article 2 de cette même loi qui lui permet d'interdire le territoire
+français à tous les membres des anciennes familles régnantes autres que
+les chefs et leurs héritiers directs.</p>
+
+ <p><b>Les Italiens en Afrique.</b>--Il faut supposer et espérer que l'Afrique
+donnera à nos arrière-petits-neveux d'immenses satisfactions matérielles
+et morales de nature à compenser, par leur reconnaissance, les
+tribulations qu'elle cause pour le moment à toutes les puissances
+européennes.</p>
+
+ <p>La France, qui possède sur ce vaste continent la plus belle des
+colonies, en est réduite à nommer une commission d'études chargée
+d'examiner ce qu'il faut faire pour en tirer réellement parti. En même
+temps, elle est obligée de lutter au Soudan et au Dahomey, pour obtenir
+des succès très douteux, car on ne voit jamais qu'ils produisent rien de
+décisif.</p>
+
+ <p>Les Belges semblent plus embarrassés que fiers du territoire immense
+qu'ils occupent sur les confins du nôtre.</p>
+
+ <p>Les Anglais sont en lutte, tout au moins diplomatique, avec la France et
+le Portugal à raison de leurs possessions africaines, en sorte que tous
+ceux qui se sont partagé l'Afrique sont en hostilité plus ou moins
+sourde les uns avec les autres, en attendant qu'ils rencontrent tous
+l'ennemi commun, l'Africain lui-même, que nous ne connaissons encore que
+par quelques escarmouches, mais qui se révélera peut-être plus terrible
+qu'on ne croit, au centre de ce continent mystérieux dont on fait trop
+vite une possession européenne.</p>
+
+ <p>Mais les Italiens surtout ont à souffrir en ce moment de la
+précipitation avec laquelle toutes les puissances civilisées se sont
+jetées sur l'Afrique comme sur une proie facile. Voici remis en
+question, sinon déchiré tout à fait, ce fameux traité conclu avec
+Menelik, et qui devait donner à nos voisins le protectorat sinon la
+possession complète de l'une des plus belles parties du continent
+africain. Le comte Antonelli, qui s'était rendu en mission auprès du
+«roi des rois» pour traiter avec lui de l'exécution de celles des
+clauses du traité qui étaient favorables à l'Italie, a dû quitter
+brusquement le pays avec tous ceux qui l'accompagnaient, les Italiens ne
+se considérant plus comme en sûreté sur un territoire où ils ont
+cependant la prétention d'exercer leur protectorat.</p>
+
+ <p>M. di Rudini prépare sur la question un livre vert dans lequel il fera
+probablement connaître la vérité tout entière, car il n'a aucun intérêt
+à la cacher, Mais, si elle est telle qu'on la suppose, elle sera la
+justification, après la lettre, de la chute de M. Crispi, qui porte, non
+sans raison, en grande partie, la responsabilité de la politique suivie
+par l'Italie en Afrique.</p>
+
+ <p><b>Bulgarie: assassinat du ministre des finances.</b>--Un grave attentat a été
+commis à Sofia le 27 mars dernier. Au moment où M. Beltchef, ministre
+des finances, accompagné de M. Stamboulof, rentrait chez lui, après
+avoir assisté au conseil des ministres, trois coups de revolver
+retentirent. M. Beltchef tomba, mortellement frappé. Il a été impossible
+d'atteindre le meurtrier qui a pris la fuite avec trois individus qui
+l'accompagnaient.</p>
+
+ <p>L'opinion très générale est que le coup était destiné au premier
+ministre, M. Stamboulof, et, bien que l'on n'ait encore aucun indice sur
+le mobile qui a poussé les meurtriers, on est porté à croire que cette
+affaire se rattache à celle qui amena l'exécution du major Panitza. On
+se rappelle qu'à la suite de cette exécution, on trouva sur un arbre
+voisin de l'endroit où elle avait eu lieu une bande de toile portant
+cette inscription: «Avant six mois, Ferdinand et son premier ministre
+seront exposés à cette même place.» On fait remarquer aussi que, peu de
+temps après l'exécution du major Panitza, on parlait d'une ligue de
+Macédoniens qui s'était formée pour venger la mort de leur compatriote.</p>
+
+ <p>Voici la question bulgare de nouveau à l'ordre du jour, car à la suite
+de cet événement M. Stamboulof ne restera pas inactif.</p>
+<br><br>
+ <p><b>Nécrologie.</b>-Le poète Josephin Soulary.</p>
+
+ <p>M. Armand Lévy, orateur bien connu des réunions socialistes.</p>
+
+ <p>M. Valéry Vernier, homme de lettres.</p>
+
+ <p>Mme la princesse d'Arenberg, femme du député du Cher, s&oelig;ur du comte
+Greffulhe, député de Seine-et-Marne.</p>
+
+ <p>Le sculpteur Frétigny.</p>
+
+ <p>M. Henry Berthoud, homme de lettres, un des premiers vulgarisateurs
+scientifiques.</p>
+
+ <p>Mme la baronne de la Guerronnière, belle-mère de M. d'Ormesson,
+directeur du protocole.</p>
+
+ <p>M. G. Seurat, artiste peintre.</p>
+ <br><br>
+
+ <h3>LES LIVRES NOUVEAUX</h3>
+
+ <p><i>De Saint-Louis au port de Tombouctou</i>, voyage d'une canonnière
+française, par E. Caron, lieutenant de vaisseau. Ouvrage accompagné de
+quatre cartes. (Augustin Challamel, éditeur, 5, rue Jacob.)--Il n'est
+pas de nation d'Europe qui n'ait aujourd'hui les yeux fixés sur
+l'Afrique, dans la pensée de s'y rendre maîtresse de quelque territoire
+neuf et non encore exploité, de telle sorte que l'on peut, dès l'heure
+présente, affirmer que l'Afrique tout entière est vouée, dans un avenir
+assez prochain, à n'être plus qu'une colonie européenne. Parmi ces
+nations du vieux monde, la France jouit d'une situation exceptionnelle,
+se trouvant déjà posséder l'Algérie et le Sénégal. Ses efforts sont, par
+suite de cette situation même, à l'avance tout indiqués: ils doivent
+tendre à relier l'une à l'autre ces deux colonies. Du sud de l'Algérie
+et de Bammako, ville centrale du Soudan français située sur le Niger,
+elle doit se diriger vers le centre du continent africain, à peine de se
+voir couper cette route stratégique par une autre nation rivale plus
+prompte ou mieux avisée. C'est dans cette préoccupation que le
+gouverneur du Soudan, le colonel Gallieni, dès sa prise de commandement,
+résolut de faire pousser par le Niger une reconnaissance jusqu'à
+Tombouctou. Une canonnière fut armée à cet effet et le lieutenant de
+vaisseau E. Caron chargé de la commander. Sa mission était d'explorer le
+fleuve, d'étudier l'état politique des populations riveraines, de réunir
+des données commerciales et scientifiques, pour permettre d'asseoir une
+opinion sur la valeur des contrées arrosées par le Niger moyen et sur la
+politique à suivre dans l'avenir. Le but a été atteint, les difficultés
+de toute nature, provenant des hommes et des choses, n'ont pas manqué;
+mais la canonnière est arrivée au port. Tombouctou n'a pu être visité,
+le pays étant sous la domination des Touaregs, dont la défiance et
+l'hostilité ne permirent pas une descente dans la ville. Mais
+l'exploration a été faite, le pays reconnu, étudié, et les conséquences
+de cette reconnaissance et de cette étude vont pouvoir être poursuivies.
+M. le lieutenant Caron ne se dissimule pas les difficultés d'une
+transformation du Soudan français, mais il en indique les moyens et il
+croit fermement que, de ce côté, un vaste champ reste ouvert à notre
+activité coloniale. Il lui reviendra l'honneur d'avoir posé l'un des
+premiers jalons dans cette route du progrès et de la civilisation.</p>
+
+ <p>L. P.</p>
+<br>
+ <p><i>Vérités et apparences</i>, par Armand Hayem, (chez Alphonse Lemerre, prix:
+3 fr. 50). Dune intelligence qui s'assimilait à tout, d'une activité
+d'esprit dévorante, Armand Hayem s'était, de bonne heure, jeté
+fiévreusement, inconsidérément aussi, dans l'administration, la
+politique, la philosophie et la littérature.</p>
+
+ <p>Jeune encore, il avait débuté avec le <i>Mariage</i>, que couronna
+l'Académie. Il publia ensuite un certain nombre d'ouvrages d'ordres
+différents, appréciés des délicats, et tout en remplissant avec un zèle
+et un dévoùment dont le canton de Montmorency conserve le souvenir, ses
+fonctions de conseiller général, auxquelles il fut appelé quatre fois
+successivement.</p>
+
+ <p>Parmi ses livres, rappelons particulièrement <i>Fédéralisme et Césarisme</i>,
+et sa double et remarquable étude: le <i>Don Juanisme</i> et <i>Don Juan
+d'Armana</i>.</p>
+
+ <p>Armand Hayem laisse des &oelig;uvres posthumes, parmi lesquelles <i>Vérités et
+apparences</i> précédées d'un portrait et d'une lettre d'Alexandre Dumas à
+Mme Armand Hayem.</p>
+
+ <p>Nous ne pensons pouvoir mieux faire que de livrer ces lignes de la belle
+préface de l'illustre écrivain: «Ce qui faisait l'inquiétude incessante,
+le tourment toujours grandissant de cet esprit et de cette âme, c'était
+l'amertume poussée jusqu'à l'éc&oelig;urement, déposée en lui par
+l'observation et la connaissance des hommes, et, en même temps, le
+besoin, l'obsession, c'est le mot, d'un idéal de perfectibilité auquel
+il ne voulait pas se soustraire. De là, dans ce livre un double écho,
+celui de sa raison, celui de sa conscience. Son esprit va
+alternativement de l'une à l'autre, poussant à chaque retour un cri
+tantôt ironique, tantôt enthousiaste, toujours douloureux.»</p>
+
+<br>
+ <p><i>Les Mammifères de la France</i>, par M. A. Bouvier, (Georges Carré, 58,
+rue Saint-André-des-Arts).</p>
+
+ <p>Faire connaître en les classant au point de vue de leur utilité les
+mammifères de nos contrées, tel a été le but que s'est proposé l'auteur,
+et ajoutons qu'il y a pleinement réussi.</p>
+
+ <p>L'élève trouvera dans cet ouvrage les notions de classification
+d'histoire naturelle dont il a besoin; l'agriculteur le complément
+d'observations utiles et pratiques et les indications qui peuvent lui
+être nécessaires; le lecteur une occasion de s'instruire sans fatigue.</p>
+
+ <p>L'ouvrage de M. Bouvier a été honoré de souscriptions de plusieurs
+ministères, y compris celui de l'Instruction publique.</p>
+
+<br>
+ <p><i>Crimes d'orgueil</i> par Louis de Caters (1 volume chez Victor-Havard,
+éditeur à Paris).</p>
+
+ <p>Ce nouvel ouvrage de M. de Caters est une &oelig;uvre pleine de passion et
+d'intérêt où sous une action violente se développe une thèse
+profondément humaine.</p>
+
+ <p>L'auteur donne là une note nouvelle de son talent. Ce roman vaut par
+l'élévation de ses sentiments, la vigueur du style, la gamme des
+sensations de c&oelig;ur, des révoltes d'âme. <i>Crimes d'orgueil</i> sera un des
+meilleurs livres de l'année.</p>
+
+<br>
+ <p><i>Mémoires de Mme Campan</i>, dans la collection pour les jeunes filles,
+dirigée par Mme Carette, née Bouvet. 1 vol. in-12, 3 fr. 50 (Paul
+Ollendorff).--Ces mémoires sont surtout l'histoire intime de
+Marie-Antoinette, dont Mme Campan était la première femme de chambre, et
+qui, à ce titre, fut pendant vingt ans mêlée à l'existence de la reine,
+qu'elle ne quitta--malgré elle--que lorsque la famille royale fut
+enfermée aux Feuillants. On devine ce que peuvent présenter d'intérêt
+les observations et les souvenirs d'une femme d'un esprit aussi
+judicieux et aussi distingué que la future directrice de la maison
+impériale d'éducation d'Ecouen.</p>
+
+<br>
+ <p>Dans la <i>Nouvelle Collection</i> (Charpentier et Fasquelle, éditeurs): les
+<i>Fiançailles de Thérèse</i>, par Mme Stanislas Meunier, et <i>Un manuscrit</i>,
+par Pierre Maël, deux jolis romans d'amour chaste, destinés à prouver
+que les sentiments purs dans les &oelig;uvres ne sont pas exclusifs des
+qualités littéraires chez les auteurs.</p>
+
+<br>
+ <p><i>Tableaux algériens</i>, par Gustave Guillaumet, 1 vol. in-12, 3 fr. 50
+(Plon, Nourrit et Cie).--Un vrai livre de peintre. Comme Fromentin,
+Guillaumet eût pu se faire, à côté de sa gloire d'artiste, une
+réputation d'écrivain. Et tous deux, c'est la vie du désert qui les a
+séduits, fascinés. C'est le soleil qui, après avoir tenté leur pinceau,
+les a faits poètes, la plume à la main. Les Tableaux algériens ne sont
+point d'ailleurs un nouvel ouvrage. Une superbe édition illustrée en
+avait été publiée après la mort du peintre. La librairie Plon vient
+seulement d'en mettre une édition courante à la portée du grand public.</p>
+
+<br>
+ <p><i>L'Enseignement au point de vue national</i>, par Alfred Fouillée, ancien
+maître de conférences à l'École normale supérieure. 1 vol. in-12, 3 fr.
+50 (Hachette).--Les questions d'enseignement n'ont pas cessé d'être à
+l'ordre du jour. L'éducation reste la question vitale; mais il semble,
+il est même certain, et M. Fouillée le constate, qu'en cette matière on
+ne se place jamais qu'au point de vue de l'individu. Ne faudrait-il pas
+enfin tenir compte de la race, s'élever à un point de vue national, se
+préoccuper non seulement d'instruire les individus, mais de conserver et
+d'accroître les qualités héréditaires de la race? Tel doit-être, d'après
+M. Alfred Fouillée, le but de l'éducation. C'est à ce point de vue qu'il
+a étudié les questions d'enseignement, et l'on peut juger quel intérêt
+nouveau et vraiment patriotique s'attache par suite à son livre.</p>
+<br><br>
+
+ <h3>NOS GRAVURES</h3>
+
+ <h4>LES DÉCOUVERTES DE LOUQSOR</h4>
+
+ <p>Tous les journaux ont parlé des découvertes faites récemment en Égypte
+par notre compatriote M. Grébaut, directeur du Musée égyptien de Ghizeh.
+M. Grébaut, à la suite de fouilles entreprises dans La montagne de
+Thébes, a mis au jour un puits contenant un nombre considérable de
+momies, toutes dans de riches sarcophages, et dans un état merveilleux
+de conservation. Par une rare bonne fortune, parmi les témoins de ces
+fouilles se trouvait un de nos plus chers collaborateurs, M. Émile
+Bayard, qui vient de passer l'hiver en Égypte. C'est donc sur place même
+et d'après nature que M. Bayard a pu faire les deux beaux dessins que
+nous donnons et dont il a accompagné l'envoi de la très intéressante
+lettre que voici:</p>
+
+ <p><i>Au Directeur.</i></p>
+
+ <p>Je vous ai dit dans ma précédente lettre qu'après avoir remonté jusqu'à
+la première cataracte, sur un charmant et confortable bateau de la
+Société Égyptienne Thewfikiek, je m'étais arrêté à Louqsor, à l'hôtel de
+la société sus-nommée. Je vous laisse à penser ma joie en voyant sur la
+table du grand salon l'<i>Illustration</i>, qu'on se passait de mains en
+mains. Quand on a vu votre collaborateur assidu et dévoué, on l'a fort
+entouré. A 1,200 lieues de la rue Saint-Georges, ç'a été vraiment une
+grande joie pour moi, car je rapportais au journal les sympathies dont
+j'étais l'objet.</p>
+
+ <p>Le soir même de mon arrivée, j'appris la découverte si intéressante de
+M. Grébaut, le savant égyptologue. Ma première idée fut de faire
+profiter de ma bonne fortune les lecteurs de l'<i>Illustration</i>. Aussi, le
+lendemain matin, je traversai le Nil et me trouvai sur la rive gauche de
+l'ancienne Thèbes; de là, monté sur un bourriquot (Ramsès, s'il vous
+plaît), je me rendis à la dahabieh de M. Grébaut, à qui j'avais eu le
+plaisir d'être présenté au Caire. Fort bien accueilli, il fut décidé que
+nous partirions de suite pour Deïr-el-Bahari. Nous voilà donc tous à
+bourriquot, M. Grébaut, M. Bourriaud, le chef érudit de la mission
+archéologique française, et moi. Au bout d'une bonne heure, nous
+arrivâmes sur le flanc de la chaîne lybique, où se trouve la fouille que
+M. Grébaut a fait creuser, pressentant en cet endroit un trésor caché,
+dont l'importance archéologique devait dépasser ses espérances. Mais je
+laisse la parole à M. Grébaut:</p>
+
+ <p>«J'étais persuadé qu'environ à cette distance de la montagne je
+trouverais quelque chose. Je ne m'étais pas trompé et j'ai fait
+fouiller. A ma grande joie j'ai vu apparaître le puits que vous voyez,
+dont la profondeur est environ de 15 mètres et au fond duquel se
+trouvait une porte fermée par un entassement de grosses pierres.</p>
+
+ <p>La porte déblayée, on est entré dans un premier souterrain. Après un
+parcours de 73 mètres on rencontre un escalier de 5 mètres et l'on
+descend à un second étage qui fait suite pendant 12 mètres.</p>
+
+ <p>Ces deux étages conservent la direction du nord au sud. Au fond sont
+creusées deux chambres funéraires mesurant: l'une 4 mètres, l'autre 2
+mètres de côté. A la hauteur de l'escalier est située la port d'un
+second corridor de 54 mètres se dirigeant de l'est à l'ouest. Le
+développement total des souterrains est de 153 mètres.</p>
+
+ <p>Ils étaient remplis de caisses de momies, souvent entassées les unes sur
+les autres. A côté des sarcophages étaient déposés des objets divers,
+papyrus, boîtes, paniers, statuettes, offrandes funéraires, fleurs.</p>
+
+ <p>Le désordre dénotait une cachette du genre de celles des momies royales
+découvertes il y a dix ans. Les deux cachettes sont de la même époque,
+elles ont dû être faites dans les mêmes circonstances. Dans les deux
+cas, les momies les plus récentes appartiennent à la 21e dynastie.</p>
+
+ <p>Les sarcophages de la nouvelle découverte sont ceux des prêtres et des
+prêtresses d'Ammon, au nombre de 163. On compte aussi quelques prêtres
+d'autres divinités, de Set, d'Anubis, de Mentou et de la reine Aah-Hotep
+dont le culte s'est maintenu pendant de longs siècles.»</p>
+
+ <p>L'extraction des sarcophages m'a fourni le sujet d'un dessin: les cuves
+extérieures d'une richesse de décoration incomparable sont composées et
+exécutées avec un soin particulier. Quand on pense que la porte de ces
+souterrains, fermée depuis 3,000 ans, vient de livrer passage à ces
+sarcophages qu'on dirait faits d'hier tant leur conservation est
+admirable, l'imagination reste confondue.</p>
+
+ <p>Voilà, mon cher ami, ce que j'ai eu l'heureuse chance de voir; mais ce
+qu'on ne verra pas de longtemps, c'est leur transport au Nil où les
+attendent de grands chalands qui doivent les transporter au Caire.</p>
+
+ <p>Rien ne peut donner une idée (pas même mon dessin!) de cet étonnant
+spectacle.</p>
+
+ <p>Imaginez-vous, sous un soleil de 50 degrés, dans les grandes plaines
+fertilisées par le Nil et s'étendant jusqu'aux contreforts de la
+montagne, deux cents Arabes dans les costumes les plus pittoresques,
+souvent nus, portant sur leurs épaules une trentaine de ces merveilleux
+sarcophages, se bousculant dans la poussière en chantant ces refrains
+monotones dont ils scandent leurs marches. C'est un spectacle
+inoubliable.</p>
+
+ <p>Je ne veux pas, cher ami, prolonger cette longue lettre. Je dois
+cependant ajouter que, malgré son grand désir de m'être agréable, M.
+Grébaut n'a pu me fournir les photographies des objets trouvés, ce qui
+eût été bien précieux, mais il ne veut rien livrer à la publicité avant
+d'avoir examiné avec soin, à son retour au Caire, tous les éléments de
+sa découverte. Je suis persuadé qu'il s'empressera, aussitôt qu'il le
+pourra, de vous les envoyer avec une notice explicative. Ce sera encore
+de l'actualité. A bientôt, mon cher ami.</p>
+
+ <p>Votre bien affectionné,</p>
+
+ <p>Émile Bayard.</p>
+ <br>
+
+ <h4>A L'ÉGLISE DU SACRÉ-C&OElig;UR</h4>
+
+ <p>Les nombreux pèlerins qui ont visité pendant ces derniers jours l'église
+du Sacré-C&oelig;ur se sont portés en foule dans la crypte de la Basilique où
+les attendait le spectacle émouvant d'une «Mise au tombeau» fidèlement
+représentée.</p>
+
+ <p>Le corps du Seigneur, qui tient le milieu, est soutenu par Joseph
+d'Arimathie, à qui appartenait le sépulcre, et Nicodème.</p>
+
+ <p>A gauche, la sainte Vierge, accompagnée de saint Jean et de la mère de
+Jacques, étend les bras vers son divin fils à qui elle semble adresser
+un dernier adieu. A droite, Marie-Madeleine à genoux, les mains jointes,
+implore une fois encore son pardon, et derrière elle se tiennent les
+trois saintes femmes qui accompagnent la mère du Christ. Un disciple
+porte la couronne d'épines, et trois soldats romains éclairent avec des
+torches la funèbre cérémonie. Tout en haut d'un escalier taillé dans le
+roc, on entrevoit le calvaire.</p>
+
+ <p>Les figures en cire sont l'&oelig;uvre de M. Pêche-Lambert. C'est un travail
+long et difficile que la mise au point d'un pareil tableau. L'artiste
+doit modeler d'abord ses personnages en terre glaise, les reproduire
+ensuite en plâtre, et sur les plâtres prendre les moulages dans lesquels
+coulera la cire. Après avoir soigneusement réparé et retouché cette
+cire, les groupes sont implantés, et les couleurs savamment distribuées
+donnent à la scène l'illusion de la vie.</p>
+
+ <p>Ab.</p>
+ <br>
+
+ <h4>AU THÉÂTRE D'APPLICATION</h4>
+
+ <p>Le petit théâtre de la rue Saint-Lazare a donné, ces jours derniers, un
+spectacle de circonstance qui, pour n'être pas de ceux auxquels se
+précipite d'ordinaire le gros public, n'en a pas moins offert un intérêt
+littéraire et scénique indéniable.</p>
+
+ <p>La <i>Passion</i>, de M. Haraucourt, avait été donnée déjà l'an passé au
+Cirque-d'Hiver avec Mme Sarah Bernhardt comme protagoniste; elle fit
+même quelque bruit à cette époque-là, si nous nous souvenons bien.
+Transportée sur la petite scène de M. Bodinier, elle a été écoutée
+presque avec recueillement.</p>
+
+ <p>Les quatre tableaux de la Passion: Un Carrefour à Jésusalem, la Maison
+de Lazare, le Jardin des Oliviers et le Calvaire se sont déroulés
+tranquillement devant une salle toujours pleine, et dans un silence
+qu'interrompaient seuls les applaudissements à l'adresse du poète et des
+interprètes. Ceux-ci, en effet, surtout Taillade dans le rôle de Judas
+et Brémont dans celui de Jésus, Mme Malvau dans le personnage de Marie
+et Mme de Pontry dans celui de Madeleine, se sont acquittés à merveille
+de leur lâche et n'ont pas peu contribué au succès de ces quelques
+représentations dont notre gravure reproduit fidèlement l'aspect
+général. Ce qu'elle ne peut rendre, c'est l'impression toute
+particulière quelles ont dù laisser dans l'esprit de nombre de
+Parisiens. Nous nous ferons sans doute par la suite à ce spectacle
+moitié profane, moitié religieux. Mais cette petite salle oblongue avec
+sa tribune du fond où l'orgue seul fait défaut; cette étroite scène où,
+dans la monotone vibration des vers psalmodiés, Madeleine la pécheresse,
+sous les traits de la belle Mme de Pontry (c'est l'épisode que
+représente notre gravure), arrosait de parfums les pieds de Jésus: la
+demi-obscurité que faisaient flotter au-dessus des spectateurs
+recueillis les lustres baissés... tout cela donnait assez bien l'idée
+d'une bonne petite religion fin de siècle, dont le culte se célébrerait
+dans une sorte de chapelle laïque, fraîchement décorée et ornée de
+glaces.</p>
+
+ <p>J. S.</p>
+ <br>
+
+ <h4>LA PÂQUE RUSSE</h4>
+
+
+
+ <p>Nous continuons aujourd'hui notre série des scènes de la vie russe par
+la cérémonie de la Pâque qui rappelle un peu ce qu'en France nous
+appelons la bénédiction des rameaux. Les fidèles, rangés devant la porte
+<span class="lef"><img alt="" src="images/012.png"><br>
+<b>M. BELTCHEF D'après la photographie<br>
+&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;de M. Ivan-A.-Rarastojanow.</b></span>
+de l'église, ont apporté avec eux des pains confectionnés avec une sorte
+de laitage caillé qui constitue, le jour de la pâque, le mets principal
+des Russes. Dans ce laitage ils ont planté des cierges qu'ils ont
+allumés. Le pope sort de l'église, suivi de son sacristain, et bénit les
+fidèles, les cierges et les pains de laitage caillé. Puis tout le monde
+se retire.</p>
+
+ <p>Une particularité assez curieuse à signaler: sitôt que la bénédiction a
+été donnée, les fidèles éteignent leurs petits cierges, dont ils
+conservent précieusement la partie restée intacte, à moins qu'ils ne la
+cèdent, moyennant quelque argent, à d'autres fidèles qui n'ont pu
+assister à la bénédiction.</p>
+<br>
+
+ <h4>M. BELTCHEF</h4>
+
+ <p>Nos lecteurs trouveront dans l'<i>Histoire de la semaine</i> les détails
+relatifs à l'assassinat de M. Beltchef, ministre des finances de
+Bulgarie, dont nous donnons ci-contre le portrait. Nous n'avons donc que
+peu de chose à dire sur cet attentat, qui a jeté la consternation dans
+tous les cercles politiques de Sofia, où la victime était aimée et
+estimée de tous. Au moment où nous mettons sous presse, les assassins ne
+sont pas encore connus, mais les arrestations ordonnées par M.
+Stamboulof continuent, et l'agitation s'étend de plus en plus en
+Bulgarie.</p>
+
+ <p>M. Beltchef était nouveau venu en politique. Il avait trente-cinq ans et
+avait fait ses études à Paris.</p>
+
+<br><br>
+
+ <h3>NOTRE SUPPLÉMENT</h3>
+
+ <p><i>Morte saison</i>.--S'il mange ainsi son fonds, le petit
+pâtissier-confiseur que Mlle Achille Fould a peint avec tant d'esprit,
+il ne s'enrichira guère! Mais, à cet âge, songe-t-on à l'avenir, surtout
+quand le présent est là, attractif, sous la forme d'un éventaire chargé
+de sucre d'orges? La marchandise doit être bonne. Les yeux émerveillés
+du gamin le disent éloquemment.</p>
+
+ <p><i>Au pigeonnier.</i>--Bébé a évidemment promis d'être sage et de ne pas
+troubler la quiétude des habitants du pigeonnier, pour qu'on lui ait
+confié le soin de jeter de ses mains potelées les grains aux beaux
+oiseaux qui attendaient leur repas. M. Pinchart a composé cette scène
+gracieuse avec une légèreté tout à fait fin de siècle... mais l'autre,
+le dix-huitième!</p>
+
+ <p><i>Les premiers galons.</i>--«Pour que ça pousse, mon fieu, vois-tu, faut les
+arroser.» Et le vieux Breton bretonnant a fait ce qu'il a fallu de
+chemin pour venir au port embrasser son «gamin» sur les deux joues à
+l'occasion des deux bandes rouges qui ornent nouvellement sa manche. Il
+est tout fier, le bonhomme, du succès de son fils, et si celui-ci
+sourit, c'est qu'il y a de quoi, vous en conviendrez.</p>
+
+ <p><i>Portrait à cinquante centimes.</i>--On est entré à quatre, quatre bons
+compagnons de bord, dans l'atelier essentiellement primitif du
+photographe ambulant. L'objectif dirigé par la patronne de
+l'établissement va prendre les traits du gars qui sourit déjà en
+songeant à la promise, et à la mine qu'elle fera en recevant le petit
+bout de carton. La pittoresque composition de M. Bourgain est une
+véritable étude de m&oelig;urs.</p>
+
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/013.png"><br></p>
+
+ <h3>ANIE</h3>
+
+ <h4>Roman nouveau, par HECTOR MALOT</h4>
+
+ <h4>Illustrations d'ÉMILE BAYARD</h4>
+
+ <p class="mid">Suite.--Voir nos numéros depuis le 21 février 1891.</p>
+ <br>
+
+ <p>En effet, les deux jeunes gens revenaient sur leurs pas.</p>
+
+ <p>--Cette fois nous allons bien voir, dit Mme Barincq, s'il affecte de ne
+pas te saluer.</p>
+
+ <p>Il fit plus que saluer; arrivé vis-à-vis d'eux, il laissa échapper un
+mouvement prouvant qu'il venait seulement de reconnaître Barincq, et
+tout de suite, se séparant de son compagnon, il s'avança, le chapeau à
+la main, en s'inclinant devant Mme Barincq et Anie:</p>
+
+ <p>--Puisque le hasard me fait vous rencontrer sur cette plage, me
+permettrez-vous, monsieur, dit-il, de vous adresser une demande pour
+laquelle je voulais vous écrire?</p>
+
+ <p>--Je suis tout à votre disposition.</p>
+
+ <p>--Voici ce dont il s'agit. Dans la chambre que j'occupais lors de mes
+visites à Ourteau, se trouvent plusieurs objets qui m'appartiennent:
+deux fusils de chasse, des livres, des photographies, du linge, des
+vêtements. J'aurais dû vous en débarrasser depuis longtemps, et je vous
+prie de me pardonner de ne pas l'avoir encore fait.</p>
+
+ <p>--Ces objets ne nous gênent en rien.</p>
+
+ <p>--Mon excuse est dans un ordre de service; j'ai quitté Bayonne peu de
+temps après la mort de M. de Saint-Christeau et ne suis revenu que cette
+semaine; mais, maintenant que me voilà de retour, je puis les envoyer
+chercher le jour que vous voudrez bien me donner.</p>
+
+ <p>--Nous rentrons lundi.</p>
+
+ <p>--Mardi vous convient-il?</p>
+
+ <p>--Parfaitement.</p>
+
+ <p>--Mardi j'enverrai mon ordonnance les emballer.</p>
+
+ <p>--Si vous voulez m'en donner la liste, je puis vous les faire envoyer
+par Manuel.</p>
+
+ <p>--C'est que cette liste est difficile à établir, surtout pour les livres
+qui se trouvent mêlés à ceux de la bibliothèque du château, et pour tout
+ce qui touche aux livres Manuel n'est pas très compétent.</p>
+
+ <p>--Votre ordonnance l'est davantage?</p>
+
+ <p>Le capitaine sourit:</p>
+
+ <p>--Pas beaucoup.</p>
+
+ <p>--Alors?</p>
+
+ <p>--Évidemment des erreurs sont possibles; mais, en tout cas, s'il s'en
+commet, elles seront de peu d'importance, et je les réparerai en vous
+renvoyant les volumes qui ne m'appartiendraient pas.</p>
+
+ <p>--Il y aurait un moyen de les empêcher, ce serait que vous prissiez la
+peine de venir vous-même à Ourteau, où nous nous ferons un plaisir, Mme
+et moi, de vous recevoir le jour qu'il vous plaira de choisir.</p>
+
+ <p>Le capitaine hésita un moment, regardant Mme Barincq et Anie.</p>
+
+ <p>--Si vous pouvez m'indiquer à l'avance l'heure de votre arrivée, dit
+Barincq, j'enverrai une voiture vous attendre à Puyoo.</p>
+
+ <p>Cette insistance fit céder les hésitations du capitaine.</p>
+
+ <p>--Mardi, dit-il, je serai à Puyoo à 3 heures 55.</p>
+
+ <p>Comme il allait se retirer, après avoir salué Mme Barincq et Anie,
+Barincq lui tendit la main.</p>
+
+ <p>--A mardi.</p>
+
+ <p>Le capitaine rejoignit son compagnon.</p>
+
+ <p>C'était l'habitude de Mme Barincq d'interroger sa fille sur toutes
+choses et sur tout le monde, ne se faisant une opinion qu'avec les
+impressions qu'elle recevait.</p>
+
+ <p>--Eh bien, demanda-t-elle aussitôt que le capitaine se fut éloigné de
+quelques pas, comment le trouves-tu? Tu ne diras pas cette fois que tu
+ne l'as pas remarqué.</p>
+
+ <p>--Je le trouve très bien.</p>
+
+ <p>--N'est-ce pas? dit Barincq.</p>
+
+ <p>--Que vois-tu de bien en lui? continua Mme Barincq.</p>
+
+ <p>--Mais tout; il est beau et il a l'air intelligent; la voix est bien
+timbrée, ses manières sont faciles et naturelles; la physionomie respire
+la droiture et la franchise; je ne connais pas de militaires, mais quand
+j'en imaginais un, d'après un type que j'arrangeais, il n'était ni autre
+ni mieux que celui-là.</p>
+
+ <p>--Es-tu satisfaite? demanda Barincq à sa femme; si tu voulais un
+portrait, en voilà un.</p>
+
+ <p>--On dirait qu'il te fait plaisir.</p>
+
+ <p>--Pourquoi pas? Non seulement le capitaine m'est sympathique, mais
+encore je le plains.</p>
+
+ <p>--La voix du sang.</p>
+
+ <p>--Pourquoi ne parlerait-elle pas?</p>
+
+ <p>--Parce qu'il faudrait qu'elle fût inspirée par la certitude, et que
+cette certitude n'existe pas.</p>
+
+ <p>--Voilà précisément qui rend la situation intéressante.</p>
+
+ <p>Anie les interrompit:</p>
+
+ <p>--Ils reviennent, dit-elle, et il semble que c'est pour nous aborder.</p>
+
+ <p>--Que peut-il vouloir encore? demanda Mme Barincq.</p>
+
+ <p>Ils n'étaient plus qu'à quelques pas, tous deux en même temps mirent la
+main à leur chapeau, mais ce fut le capitaine qui prit la parole:</p>
+
+ <p>--Mon ami le baron d'Arjuzanx, dit-il, désire avoir l'honneur de vous
+être présenté.</p>
+
+ <p>--J'ai pensé que mon nom expliquerait et, jusqu'à un certain point,
+excuserait ce désir, dit le baron.</p>
+
+ <p>--Vous êtes le fils d'Honoré? demanda Barincq.</p>
+
+ <p>--Précisément, votre camarade au collège de Pau, comme j'ai été celui de
+Sixte; mon père m'a si souvent parlé de vous et en termes tels, que j'ai
+cru que c'était un devoir pour moi de vous présenter mes hommages, ainsi
+qu'à madame et à mademoiselle de Saint-Christeau.</p>
+
+ <p>Ce fut Mme Barincq qui répondit en invitant le baron à s'asseoir: des
+chaises furent apportées par le capitaine, et un cercle se forma.</p>
+
+ <p>Le baron d'Arjuzanx parla de son père, Barincq de ses souvenirs de
+collège, et la conversation ne tarda pas à s'animer. Habitué de
+Biarritz, le baron connaissait tout le monde, et, à mesure que les
+femmes défilaient devant eux pour entrer dans la mer ou remonter à leur
+cabines, il les nommait, en racontant les histoires qui couraient sur
+elles: Espagnoles, Russes, Anglaises, Américaines, toutes y passèrent,
+et quand elles lui manquèrent, il tira d'un carnet toute une série de
+petites épreuves obtenues avec un appareil instantané qui complétèrent
+sa collection. Si plus d'un modèle vivant prêtait à la plaisanterie, les
+photographies, en exagérant la réalité, avaient des aspects bien plus
+drolatiques encore: il y avait là des Espagnoles dont les caoutchoucs
+dans lesquels elles s'enveloppaient rendaient la grosseur phénoménale,
+comme il y avait des Russes saisies au moment où elles sortaient
+rapidement de leurs chaises à porteur, d'une maigreur et d'une longueur
+invraisemblables.</p>
+
+ <p>--Je vois qu'il est bon d'être de vos amies, dit Anie.</p>
+
+ <p>--Il est des personnes qui n'ont pas besoin d'indulgence.</p>
+
+ <p>Ce fut Mme Barincq qui répondit à ce compliment par son sourire le plus
+gracieux, fière du succès de sa fille.</p>
+
+ <p>Plusieurs fois le capitaine parut vouloir se lever, mais le baron ne
+répondit pas à ses appels, et resta solidement sur sa chaise, bavardant
+toujours, regardant Anie, se faisant inviter à Ourteau, et invitant
+lui-même M. et Mme de Saint-Christeau à lui faire l'honneur de venir
+voir son vieux château de Seignos: avec de bons chevaux on pouvait faire
+le voyage dans la journée sans fatigue.</p>
+
+ <p>--Avez-vous lu le <i>Capitaine Fracasse</i>, mademoiselle? demanda-t-il à
+Anie.</p>
+
+ <p>--Oui.</p>
+
+ <p>--Eh bien, vous retrouverez dans ma gentilhommière plus d'un point de
+ressemblance avec celle du baron de Sigognac, quand ce ne serait que les
+deux tours rondes avec leurs toits en éteignoirs. A la vérité, ce n'est
+pas tout à fait le château de la Misère, si curieusement décrit par
+Théophile Gautier, mais il n'y a que la misère qui manque; pour le
+reste, vous reconnaîtrez: très conservateurs, les d'Arjuzanx, car il n'y
+a pas eu grand'chose de changé chez nous depuis Louis XIII. Et puis,
+vous verrez mes vaches.</p>
+
+ <p>--Ah! vous avez des vaches! Combien vous donnent-elles de lait en
+moyenne? interrompit Mme Barincq qui, à force d'entendre parler de lait,
+de beurre, de veaux, de vaches, de porcs, d'herbe, de maïs, de
+betteraves, s'imaginait avoir acquis des connaissances spéciales sur la
+matière.</p>
+
+ <p>Le baron se mit à rire:</p>
+
+ <p>--C'est de vaches de courses qu'il s'agit, non de vaches laitières.</p>
+
+ <p>--A Ourteau, continua Mme Barincq, mes vaches nous donnent une moyenne
+de 1,500 litres.</p>
+
+ <p>--Vous êtes sur une terre riche, je suis sur une terre pauvre, aux
+confins de la Lande rase où la plaine de sable rougeâtre ne produit
+guère que des bruyères, des ajoncs, des genêts ou des fougères; mais, si
+pauvres laitières qu'elles soient, elles ont cependant quelques mérites,
+et si vous voulez aller dimanche à Habas, qui est à une assez courte
+distance d'Ourteau, vous verrez ce qu'elles valent.</p>
+
+ <p>--Il y a des courses? dit Barincq.</p>
+
+ <p>--Oui, et les vaches proviennent de mon troupeau.</p>
+
+ <p>--Certainement nous irons, dit Mme Barincq avec empressement; nous
+n'avons jamais vu de courses landaises, mais nous en avons assez entendu
+parler par mon mari pour avoir la curiosité de les connaître.</p>
+
+ <p>L'entretien se prolongea ainsi, allant d'un sujet à un autre, jusqu'à
+l'heure du dîner, et déjà le soleil s'abaissait sur la mer, découpant en
+une silhouette sombre les rochers de l'Atalaye, déjà la plage avait
+perdu son mouvement et son brouhaha, quand le baron se décida à se
+lever.</p>
+
+ <p>A peine s'était-il éloigné avec le capitaine que Mme Barincq rapprocha
+vivement sa chaise de celle de sa fille:</p>
+
+ <p>--Tu sais que c'est un mari? dit-elle.</p>
+
+ <p>--Qui? demanda Anie.</p>
+
+ <p>--Qui veux-tu que ce soit, si ce n'est le baron d'Arjuzanx?</p>
+
+ <p>--Te voilà bien avec ton idée fixe de mariage, dit Barincq.</p>
+
+ <p>--Oh! maman, si tu voulais ne pas t'occuper de mariage, continua Anie;
+nous ne sommes plus à Montmartre, et nous n'avons plus à chercher un
+mari possible dans tout homme qui nous approche. Laisse-moi jouir en
+paix de cette liberté.</p>
+
+ <p>--Je ne peux pourtant pas fermer mes yeux à l'évidence, et il est
+évident que tu as produit une vive impression sur M. d'Arjuzanx. C'est
+cette impression qui l'a poussé à se faire présenter, c'est elle qui ne
+lui a pas permis de te quitter des yeux pendant tout cet entretien;
+c'est elle enfin qui a amené les compliments fort bien tournés
+d'ailleurs qu'il t'a plusieurs fois adressés.</p>
+
+ <p>--De là à penser au mariage, il y a loin.</p>
+
+ <p>--Pas si loin que tu crois.</p>
+
+ <p>Cessant de s'adresser à sa fille, elle se tourna vers son mari:</p>
+
+ <p>--Quelle est la fortune de M. d'Arjuzanx?</p>
+
+ <p>--Je n'en sais rien.</p>
+
+ <p>--Quelle était celle du père?</p>
+
+ <p>--Assez belle, mais embarrassée par une mauvaise administration.</p>
+
+ <p>--Et sa situation?</p>
+
+ <p>--Des plus honorables; les d'Arjuzanx appartiennent à la plus vieille
+noblesse de la vicomté de Tursan; un d'Arjuzanx a été l'ami d'Henri IV;
+plusieurs autres ont marqué à la cour et à la guerre.</p>
+
+ <p>--Mais c'est admirable! Nous irons dimanche aux courses d'Habas où
+certainement nous le rencontrerons. Et, puisque le capitaine Sixte vient
+mardi à Ourteau, nous le ferons causer sur son camarade.</p>
+<br>
+ <h4>III</h4>
+
+ <p>Bien que Mme Barincq, maintenant qu'elle était en possession de la
+fortune de son beau-frère, n'eût plus rien à craindre du capitaine, elle
+le regardait toujours comme un ennemi: trop longtemps elle l'avait
+appelé le bâtard et le voleur d'héritage pour pouvoir renoncer à ses
+griefs contre lui alors même qu'ils n'avaient plus de raison d'être;
+pour elle il restait toujours le voleur d'héritage que pendant tant
+d'années elle avait redouté et maudit.</p>
+
+ <p>Mais le désir d'obtenir des renseignements sur le baron d'Arjuzanx le
+lui fit considérer à un point de vue différent, et amena chez elle un
+changement que les observations que son mari et sa fille ne lui
+épargnaient pas cependant en faveur du capitaine n'eussent jamais
+produit: puisqu'il devenait utile au lieu de rester dangereux, il était
+un autre homme.</p>
+
+ <p>Aussi, quand il arriva le mardi, voulut-elle le recevoir elle-même; et
+elle mit tant de bonne grâce à l'inviter à dîner, elle insista si
+vivement, elle trouva tant de raisons pour rendre toute résistance
+impossible, qu'il dut finir par accepter et ne pas persister dans un
+refus que sa situation personnelle envers la famille Barincq rendait
+particulièrement délicat.</p>
+
+ <p>Bien que de son côté il put lui aussi les considérer comme des voleurs
+d'héritage, il n'avait, en toute justice aucun reproche fondé à leur
+adresser, ni au mari, ni à la femme, ni à la fille: ni l'un ni l'autre
+n'avait rien fait pour lui enlever cette fortune qui, pendant longtemps,
+avait été sienne; il n'y avait point eu de luttes entre eux; la fatalité
+seule avait agi en vertu de mystérieuses combinaisons auxquelles
+personne n'avait aidé, et il ne pouvait pas, honnêtement, les rendre
+responsables d'être les instruments du hasard pas plus que d'être les
+complices de la mort. En réalité, le père était un brave homme pour qui
+on ne pouvait éprouver que de la sympathie, comme la fille était une
+très jolie et très gracieuse personne qu'il eût peut-être trouvée plus
+jolie et plus gracieuse encore, si sa condition d'officier sans le sou
+lui eût permis de s'abandonner à ses idées. Les choses étant ainsi,
+convenait-il de s'enfermer dans une attitude raide qu'on pourrait
+prendre pour de la rancune et de l'hostilité? Il le crut d'autant moins
+qu'il n'éprouvait à leur égard ni l'un ni l'autre de ces sentiments;
+désappointé qu'on n'eût pas retrouvé un testament qu'il connaissait,
+oui, il l'avait été, et même vivement, très vivement, car il n'était pas
+assez détaché des biens de ce monde pour supporter, impassible, une
+pareille déception; mais fâché contre ceux qui recueillaient, à sa
+place, cette fortune, par droit de naissance, il ne l'était point, et ne
+voulait pas, conséquemment, qu'on put supposer qu'il le fût.</p>
+
+ <p>Lorsqu'avec le secours de Manuel il eut emballé les objets qui lui
+appartenaient, il trouva, au bas de l'escalier, Barincq qui l'attendait.</p>
+
+ <p>--Vous plaît-il que, jusqu'au dîner, nous fassions une promenade dans
+les prés? le temps est doux; je vous montrerai mes travaux et mes bêtes.</p>
+
+ <p>Pendant cette promenade qui se prolongea, car Barincq était trop heureux
+de parler de ce qui le passionnait pour abréger ses explications, le
+capitaine n'eut pas un seul instant la sensation qu'il pouvait y avoir
+quelque chose d'ironique à lui montrer sa propriété améliorée:
+assurément l'affabilité avec laquelle on le recevait était sincère,
+comme l'était la sympathie qu'on lui témoignait; cela il le voyait, il
+en était convaincu; aussi, quand il s'assit à table, se trouvait-il dans
+les meilleures dispositions pour répondre aux questions que Mme Barincq
+lui posa sur le baron et raconter ce qu'il savait de lui.</p>
+
+ <p>C'était au collège de Pau qu'ils s'étaient connus, gamins l'un et
+l'autre puisqu'ils étaient du même âge. Et déjà l'entant montrait ce que
+serait l'homme: une seule passion, les exercices du corps, tous les
+exercices du corps. Dans ce genre d'éducation il avait accompli des
+prodiges dont le souvenir servirait longtemps d'exemples aux maîtres de
+gymnastique de l'avenir. Avec cela, bon garçon, franc, ouvert, généreux,
+n'ayant qu'un défaut, la rancune: de même que ses tours de force étaient
+légendaires, ses vengeances l'étaient aussi. Entre eux il n'y avait
+jamais eu que d'amicales relations, et si, pendant le temps de leur
+internat, ils n'avaient pas vécu dans une intimité étroite, au moins
+étaient-ils toujours restés bons camarades jusqu'au départ de d'Arjuzanx
+qui avait quitté le collège avant la fin de ses classes. Pendant plus de
+douze ans, ils ne s'étaient pas vus, et ne s'étaient retrouvés qu'à
+l'arrivée du capitaine à Bayonne.</p>
+
+ <p>Ce que le baron promettait au collège, il l'avait tenu dans la vie, et
+aujourd'hui il réalisait certainement le type le plus parfait de l'homme
+de sport: tous les exercices du corps il les pratiquait avec une
+supériorité qui lui avait fait une célébrité: l'escrime et l'équitation
+aussi bien que la boxe; il faisait à pied des marches de douze à quinze
+lieues par jour pour son plaisir; et il regardait comme un jeu d'aller
+de Bayonne à Paris sur son vélocipède. Cependant c'était la lutte
+romaine, la lutte à mains plates, qui avait établi surtout sa
+réputation, et il avait pu se mesurer sans désavantage, au cirque
+Molier, avec Pietro, qui est reconnu parmi les professionnels comme le
+roi des lutteurs. C'était la pratique constante de ces exercices et
+l'entraînement régulier qu'ils exigent qui lui avaient donné cette
+musculature puissante qu'on ne rencontre pas d'ordinaire chez les gens
+du monde. Pour s'entretenir en forme, il avait dans son château un
+ancien lutteur, un vieux professionnel précisément, appelé Thouloureux,
+autrefois célèbre, avec qui il travaillait tous les jours, et, d'une
+séance de lutte ou d'escrime, il se reposait par deux ou trois heures de
+cheval ou de course à pied.</p>
+
+ <p>Mme Barincq écoutait stupéfaite; sa surprise fut si vive, qu'elle
+interrompit:</p>
+
+ <p>--Est-ce que la lutte à mains plates dont vous parlez est celle qui se
+pratique dans les foires?</p>
+
+ <p>--C'est en effet cette lutte, ou plutôt c'était, car elle n'est plus
+maintenant, comme autrefois, réservée aux seuls professionnels, qui
+donnaient leurs représentations à Paris aux arènes de la rue Le
+Pelletier ou dans les fêtes de la banlieue, et, dans le Midi, un peu
+partout; des amateurs se sont pris de goût pour elle, quand les
+exercices physiques, pendant si longtemps dédaignés, ont été remis en
+faveur chez nous, et d'Arjuzanx est sans doute le plus remarquable de
+ces amateurs.</p>
+
+ <p>--Voilà qui est bizarre pour un homme de son rang.</p>
+
+ <p>--Pas plus que le trapèze ou le panneau du cirque pour certains noms des
+plus hauts de la jeune noblesse. En tout cas la lutte exige un ensemble
+de qualités qui ne sont pas à dédaigner: la force, la souplesse,
+l'agilité, l'adresse, la résistance, et une autre, intellectuelle
+celle-là, c'est-à-dire le sens de ce qui est à faire ou à ne pas faire.</p>
+
+ <p>--Vous parlez de la lutte comme si vous étiez vous-même un des rivaux de
+M. d'Arjuzanx, dit Anie.</p>
+
+ <p>--Simplement, mademoiselle, comme un homme qui, pratiquant par métier
+quelques exercices du corps, sait la justice qu'on doit rendre à ceux
+qui arrivent à une supériorité quelconque dans l'un de ces exercices.
+D'ailleurs, il est certain que la lutte est celui de tous qui développe
+le mieux la machine humaine pour lui faire obtenir d'harmonieuses
+proportions et lui donner son maximum de beauté: tandis que les autres
+détruisent plus ou moins l'équilibre des proportions, en favorisant un
+organe au détriment de celui-ci ou de celui-là: voyez le tireur à
+l'épaule haute, et le jockey, ou simplement le cavalier aux jambes
+arquées; et, d'autre part, voyez les athlètes de l'antiquité, qui ont
+servi de modèles à la statuaire et l'ont jusqu'à un certain point créée.</p>
+
+ <p>--J'avoue qu'à l'Hercule Farnèse je préfère l'Apollon du Belvédère, et
+surtout le Narcisse, dit Anie.</p>
+
+ <p>Tout cela étonnait Mme Barincq, et ne répondait pas à ses préoccupations
+de mère, elle voulut donc préciser ses questions.</p>
+
+ <p>--Voilà un genre de vie qui doit coûter assez cher? dit-elle.</p>
+
+ <p>--Je n'en sais rien, mais certainement il n'est pas ruineux comme une
+écurie de course, ou le jeu; en tout cas, je crois que la fortune de
+d'Arjuzanx peut lui permettre ces fantaisies, et alors même qu'elles lui
+coûteraient cher, même très cher, cela ne serait pas pour l'arrêter, car
+il n'a aucun souci des choses d'argent.</p>
+
+ <p>Volontiers, Mme Barincq eût parlé du baron pendant tout le dîner, de son
+caractère, de ses relations, de sa fortune, de son passé, de son avenir;
+mais Anie détourna la conversation, et sur la maintenir sur des sujets
+qui ne permettaient pas de revenir à M. d'Arjuzanx, et de laisser
+supposer au capitaine qu'elle s'intéressait à cette sorte d'enquête sur
+le compte d'un homme avec qui elle s'était rencontrée une fois.</p>
+
+ <p>L'obsession du mariage l'avait trop longtemps tourmentée pour qu'elle
+n'éprouvât pas un sentiment de délivrance à en être enfin débarrassée,
+c'avait été l'humiliation de ses années de jeunesse, de discuter avec sa
+mère la question de savoir si tel homme qu'elle avait vu ou devait voir
+pouvait faire un mari; si elle lui avait plu; s'il était acceptable; les
+avantages qu'il offrait ou n'offrait point. Maintenant que la fortune
+lui donnait la liberté, elle ne voulait plus de ces marchandages. Qu'un
+mari se présentât, elle verrait si elle l'acceptait. Mais aller au
+devant de lui, c'était ce qu'elle ne voulait pas.</p>
+
+ <p>Et le soir même, après le départ du capitaine, elle s'expliqua là-dessus
+avec sa mère très franchement.</p>
+
+ <p>--Est-ce que bien souvent je n'ai pas pris des renseignements sur un
+jeune homme sans que tu t'en fâches? dit celle-ci surprise.</p>
+
+ <p>--Les temps sont changés. C'est précisément parce que cela s'est fait
+que je ne veux plus que cela se fasse. Est-ce que le meilleur de la
+fortune n'est pas précisément de nous dégager des compromis de la
+misère? riche d'argent laisse-moi l'être de dignité.</p>
+
+ <p>Mais ces observations n'empêchèrent pas Mme Barincq de persister dans
+son envie d'aller le dimanche aux courses d'Habas.</p>
+
+ <p>--Rencontrer M. d'Arjuzanx n'est pas le chercher, et nous n'avons pas de
+raisons pour le fuir.</p>
+
+ <p>--Pourvu qu'on ne s'imagine pas que je suis une fille en peine de maris,
+c'est tout ce que je demande, et cela, je me charge de le faire
+comprendre sans qu'on puisse se tromper sur mes intentions.</p>
+
+ <h4>IV</h4>
+
+ <p>Habas, qui n'est qu'un village des Landes, a cependant des courses très
+suivies, et, le dimanche de juillet où elles ont lieu, c'est, sur les
+routes qui aboutissent à son clocher, une procession de voitures dans
+laquelle se trouvent représentés tous les genres de véhicules en usage
+dans la contrée; le long des haies vertes festonnées de ronces et de
+clématites, sous le couvert des châtaigniers, les piétons se suivent à
+la file, les pieds chaussés d'espadrilles neuves, le béret rabattu sur
+les yeux en visière, le ventre serré dans une belle ceinture rouge ou
+bleue; et, si quelques femmes sont fières d'être coiffées du chapeau de
+paille à la mode de Paris, d'autres portent toujours le foulard de soie
+aux couleurs éclatantes qui donne l'accent du pays.</p>
+
+ <p>Quand le landau de la famille Barincq, après avoir traversé les rues
+pavoisées, s'arrêta devant l'auberge de la <i>Belle Hôtesse</i>, il se
+produisit un mouvement de curiosité dans la foule: car, si les
+charrettes et même les carrioles à ânes étaient nombreuses, un landau
+était un événement dans le village.</p>
+
+ <p>Des éclats de cornet à piston et des ronflements d'ophicléide dominaient
+les rumeurs: c'était la fanfare qui, au loin, parcourait les rues en
+sonnant le rappel, et de partout on se dirigeait vers les arènes
+établies sur la place confisquée à leur profit. Construites en pin des
+landes dont les planches nouvellement débitées exsudaient sous les rayons
+d'un soleil de feu leurs dernières gouttes de résine en larmes blanches,
+elles répandaient dans l'air une forte odeur térébenthinée. Leur
+simplicité était tout à fait primitive: des gradins en bois brut, et
+c'était tout; les premières avaient le soleil dans le dos, les petites
+places dans les yeux; rien de plus, mais cette disposition était
+d'importance capitale dans un pays où ses rayons sont assez ardents pour
+faire accepter sans sourire la vieille image des flèches d'Apollon.</p>
+
+ <p>--Certainement, nous allons être rôtis, dit Mme Barincq en s'installant
+au premier rang.</p>
+
+ <p>Après dix minutes elle en était encore à chercher un moyen pour échapper
+à cette cuisson quand le baron d'Arjuzanx parut à l'entrée de la
+tribune; en le voyant se diriger de leur côté, elle ne pensa plus au
+soleil ni à la chaleur.</p>
+
+ <p>--Voilà le baron, dit-elle à Anie.</p>
+
+ <p>--Ne comptais-tu pas sur lui?</p>
+
+ <p>Quand les premiers mots de politesse furent échangés, Anie, fidèle à son
+idée, tint à bien marquer qu'elle n'était pas venue pour le rencontrer.</p>
+
+ <p>--Mon père nous a si souvent parlé des courses landaises, dit-elle, que
+nous avons voulu profiter de la première occasion qui s'offrait à courte
+distance pour en voir une.</p>
+
+ <p>--Et vous êtes bien tombée, répondit-il, en choisissant Habas. La
+journée sera, je le crois, intéressante: les bêtes sont vives, et les
+écarteurs comptent parmi les meilleurs que nous ayons: Saint-Jean,
+Boniface, Omer, et aussi le Marin et Daverat, qui sont plutôt sauteurs
+qu'écarteurs, mais qui vous étonneront certainement par leur souplesse.</p>
+
+ <p>--Il y a une différence entre un écarteur et un sauteur? demanda Mme
+Barincq.</p>
+
+ <p>--L'écarteur attend de pied ferme la bête qui se précipite sur lui, et,
+au moment où elle va l'enlever au bout de ses cornes, il tourne sur
+lui-même et la vache passe sans le toucher: il l'a écartée, ou plus
+justement il s'est écarté d'elle. Le sauteur attend aussi la bête comme
+l'écarteur, mais, au lieu de se jeter de côté, il saute par-dessus. Vous
+allez voir Daverat exécuter ce saut les pieds liés avec un foulard, ou
+fourrés dans un béret qu'il ne perdra pas en sautant. Si intéressants
+que soient ces sauts qui montrent l'élasticité des muscles, pour nous
+autres Landais ils ne valent pas un bel écart: le saut est fantaisiste,
+l'écart est classique.</p>
+
+ <p>--Pensez-vous que le capitaine Sixte assiste à ces courses? demanda Mme
+Barincq qui se souciait peu de ces distinctions qu'elle avait cependant
+provoquées.</p>
+
+ <p>--Je ne crois pas; ou plutôt, pour être vrai, je n'en sais rien du tout.</p>
+
+ <p>--Je regretterai son absence; nous avons eu le plaisir de le garder à
+dîner cette semaine, c'est un homme aimable.</p>
+
+ <p>--Un brave et honnête garçon, très droit, très franc.</p>
+
+ <p>--Je comprends que mon beau-frère se soit pris pour lui d'une vive
+affection, continua Mme Barincq curieuse d'obtenir des renseignements
+sur les relations qui avaient existé entre le capitaine et celui qu'on
+lui donnait pour père.</p>
+
+ <p>Mais le baron, qui ne voulait pas se laisser attirer sur ce terrain, se
+contenta de répondre par un sourire vague.</p>
+
+ <p>--Cependant, si vive que soit l'amitié, poursuivit Mme Barincq, elle ne
+peut pas aller jusqu'à supprimer les liens de famille.</p>
+
+ <p>Le baron accentua son sourire.</p>
+
+ <p>--Aussi puis-je difficilement admettre que le capitaine ait cru, comme
+on le dit, qu'il serait l'héritier de M. de Saint-Christeau.</p>
+
+ <p>Comme le baron ne répondait pas, elle insista:</p>
+
+ <p>--Pensez-vous que telle ait été son espérance?</p>
+
+ <p>--Je n'ai aucune idée là-dessus. Sixte ne m'en a jamais parlé, et bien
+entendu je ne lui en ai pas parlé moi-même. Tout ce que je puis
+affirmer, c'est que Sixte n'est pas du tout un homme d'argent; et si,
+comme on le dit, il a pu avoir certaines espérances de ce côté, ce que
+j'ignore d'ailleurs, je suis convaincu que leur perte ne l'aura touché
+en rien: il est au-dessus de ces choses.</p>
+
+ <p>--Il me semble, interrompit Anie pour détourner l'entretien, que s'il
+est tel que vous le représentez, il réunit en lui les qualités avec
+lesquelles on fait le type du parfait soldat.</p>
+
+ <p>--Mon Dieu, oui, mademoiselle; seulement, si ce type était vrai hier, il
+n'est plus tout à fait aussi vrai aujourd'hui.</p>
+
+ <p>--Je ne comprends pas bien.</p>
+
+ <p>--C'est que, ne vivant pas dans le monde militaire, vous ne suivez pas
+les changements qui sont en train de s'y accomplir. Il y a quelques
+années, l'indifférence pour l'argent était à peu près la règle générale
+chez l'officier, comme le mariage était l'exception; et, à cette époque,
+le désintéressement entrait pour une bonne part dans le type de ce
+parfait soldat qui alors ne mettait pas ses satisfactions et ses
+ambitions dans la fortune. Mais le mariage,
+
+ <span class="lef"><img alt="" src="images/014a.png"></span>
+
+maintenant si fréquent dans l'armée, a changé ces m&oelig;urs. En se voyant
+demandé par les familles riches, et même poursuivi, l'officier a accordé
+à l'argent une importance qui n'existait pas pour ses devanciers; et ils
+ne sont pas rares aujourd'hui ceux qui répondent, lorsqu'on leur parle
+d'une jolie fille:</p>
+
+ <p>«Ça apporte?» La fortune, en s'introduisant dans les régiments, a créé
+des besoins, et, par conséquent, des exigences qu'on ne soupçonnait pas
+il y a vingt ans. Sixte, bien que jeune, n'appartient pas à ce nouveau
+type, qui tend de plus en plus à remplacer l'ancien, et qui, d'ici peu
+de temps, aura complètement changé l'esprit et les m&oelig;urs de l'armée; et
+bien que capitaine de cavalerie, bien que breveté, ce qui double sa
+valeur marchande, je suis sûr que, s'il se marie jamais, la fortune ne
+sera pour lui que l'accessoire.</p>
+
+ <p>--Alors, c'est tout à fait un héros? dit Anie.</p>
+
+ <p>--Tout à fait.</p>
+
+ <p>--On peut donc admettre, continua Mme Barincq, revenant à son idée, que
+la perte de l'héritage de M. de Saint-Christeau ne lui a pas été trop
+douloureuse?</p>
+
+ <p>--On peut le croire.</p>
+
+ <p>Et, comme les écarteurs faisaient leur entrée dans l'arène, il profita
+de cette diversion pour n'en pas dire davantage: la fanfare jouait avec
+rage, des fusées éclataient, la foule poussait des clameurs de joie, ce
+n'était plus le moment des conversations à mi-voix, et il ne pouvait
+plus guère s'occuper que des écarteurs en les nommant à Anie à mesure
+qu'ils passaient avec des poses théâtrales, largement espacés, graves,
+cérémonieux, comme il convient à des personnages que porte la faveur de
+la foule. Comment celui-ci, élégant et gracieux dans sa veste de velours
+bleu, était cordonnier: et celui-là, de si noble tournure, tonnelier!</p>
+
+ <p>Le défilé terminé, le spectacle commence aussitôt. C'est sous la tribune
+dans laquelle ils ont pris place que les bêtes sont parquées, chacune
+dans sa loge; une porte s'ouvre et une vache s'élance sur la piste d'un
+trot allongé, ardente, impatiente, battant de sa queue ses flancs creux;
+sans une seconde d'hésitation elle fond sur le premier écarteur qu'elle
+aperçoit: il l'attend; et, quand arrivant sur lui elle baisse la tête
+pour l'enlever au bout de ses cornes fines, il tourne sur lui-même et
+elle passe sans l'atteindre; l'élan qu'elle a pris est si impétueux que
+ses jarrets fléchissent, mais elle se redresse aussitôt et court sur un
+autre, puis sur un troisième, un quatrième, au milieu des
+applaudissements qui s'adressent autant aux hommes qu'à la vaillance de
+la bête.</p>
+
+ <p>L'intérêt de ces courses, c'est que l'homme et la bête se trouvent en
+face: l'un de l'autre, sur le pied d'une égalité parfaite; point de
+<i>picador</i> pour fatiguer le taureau: point de <i>chulos</i> avec leurs
+<i>banderilleros</i> pour l'exaspérer; point de <i>muleta</i> pour l'étourdir et
+derrière sa soie rouge éblouissante préparer une surprise; l'homme n'a
+d'aide à attendre que de son sang-froid, son coup d'&oelig;il, son courage et
+son agilité; la bête n'a pas de traîtrise à craindre: au plus fort des
+deux, c'est un duel.</p>
+
+ <p>Il arriva une heure où l'entrain des écarteurs faiblit; la chaleur était
+lourde, des nuages d'orage montaient du côté de la mer sans voiler
+encore le soleil qui tombait implacable dans l'arène surchauffée; la
+fatigue commençait à peser sur les plus vaillants, qui, précisément
+parce qu'ils ne s'étaient pas ménagés, se disaient sans doute que
+c'était aux autres à donner, et ils s'attardaient volontiers à causer
+avec leurs amies des tribunes, en s'appuyant nonchalamment aux planches
+du pourtour, au lieu de se tenir au milieu de l'arène, prêts à provoquer
+les attaques. A ce moment une vache lâchée sur la piste ne trouva
+personne devant elle: c'était une petite bête maigre, nerveuse, au
+pelage roux truité de noir, au ventre ovale, n'ayant pas plus de mamelle
+qu'une génisse de six mois: sa tête fine était armée de longues cornes
+effilées comme une baïonnette. A sa vue il s'éleva une clameur qui
+disait sa réputation.</p>
+
+ <p>--La Moulasse!</p>
+
+ <p>Elle ne trompa pas les espérances que ses amis mettaient en elle: voyant
+les écarteurs espacés ça et la le long du pourtour, elle se rua sur le
+premier qu'elle crut pouvoir atteindre et en moins de quatre secondes
+elle eut fait le tour de l'arène, cassant les planches à grands coups de
+cornes, et forçant ainsi ses adversaires à escalader les tribunes au
+plus vite, à la grande joie du public qui poussait des huées moqueuses:
+cela fait, elle revint au milieu de la piste et mit a creuser la terre
+qui sous ses sabots nerveux volait autour d'elle.</p>
+
+ <p>--Saint-Jean! Boniface! criait la foule, chacun provoquant celui des
+écarteurs qu'il préférait.</p>
+
+ <p>Mais aucun ne parut pressé de descendre; Saint-Jean regardant Boniface
+qui regardait Orner.</p>
+
+ <p>--A toi!</p>
+
+ <p>--Non, à toi!</p>
+
+ <p>En voyant cette débandade, Anie s'était mise à rire:</p>
+
+ <p>--Je n'ai jamais autant que maintenant admiré l'agilité des Landais,
+dit-elle.</p>
+
+ <p>C'était à son père qu'elle adressait ces quelques mots, le baron les
+arrêta au passage:</p>
+
+ <p>--Permettez-moi de me réclamer de ma nationalité, dit-il en saluant.</p>
+
+ <p>Avant qu'elle eut compris ces paroles bizarres, il appuya les deux mains
+sur le rebord de la tribune, et d'un bond il sauta dans l'arène.</p>
+
+ <p>Il y eut un mouvement de surprise, mais presqu'aussitôt un cri immense
+s'éleva: on l' avait reconnu, et on l'acclamait.</p>
+
+ <p>--Le <i>baronne!</i></p>
+
+ <p>Ce n'était plus un acteur ordinaire qui allait provoquer la Moulasse,
+c'était le baron, que tout le monde connaissait, et l'espoir de voir
+cette lutte allumait un délire de joie.</p>
+
+ <p>--Le baronne! le baronne!</p>
+
+ <p>Hommes, femmes, enfants, tout le monde s'était levé, gesticulait,
+curieux, enthousiasmé; les regards faisaient balle sur lui, l'on restait
+les yeux écarquillés, la bouche ouverte, dans l'attente de ce qui allait
+se passer.</p>
+
+ <p>Vivement il était venu se placer en face de la Moulasse, mais sans
+cependant se rapprocher trop d'elle, de façon à la voir venir; le veston
+boutonné et serré à la taille, son chapeau jeté au loin, il leva les
+deux bras droit au-dessus de sa tête et d'un claquement de langue
+provoqua la vache.</p>
+
+ <p>Instantanément elle fondit sur lui: l'attention était frénétique; on ne
+respirait plus; dans le silence on n'entendait que le trot rapide de la
+vache sur le sable; elle arrivait. Le baron n'avait pas bougé et la
+tenait dans ses yeux. Elle baissa la tête. Il tourna sur ses talons, et
+elle passa en l'effleurant. Mais c'était une bête expérimentée; au lieu
+de s'abandonner à son élan, elle se jeta brusquement de côté et revint
+sur le baron qui l'écarta une seconde fois, puis une troisième, toujours
+avec la même justesse, la même sûreté.</p>
+
+ <p>La fatigue et la nonchalance des écarteurs s'étaient miraculeusement
+envolées quand ils avaient vu le baron tomber dans l'arène, et tous en
+même temps ils s'y étaient abattus: provoquée de divers côtés, la
+Moulasse se jeta sur eux, et le baron put remonter à sa tribune pour
+reprendre sa place à côté d'Anie, tandis que la foule l'acclamait avec
+des trépignements qui menaçaient de faire écrouler le cirque sous les
+battements de pieds.</p>
+
+ <p>--Quelle émotion vous nous avez donnée! dit Mme Barincq en le
+complimentant.</p>
+
+ <p>--Je regrette de n'avoir pas eu le temps de vous affirmer que je ne
+courais aucun danger, dit-il simplement, avec une entière sincérité.</p>
+
+ <p>Une clameur lui coupa la parole, la Moulasse venait de surprendre un
+écarteur et elle le secouait au bout de ses cornes engagées dans la
+ceinture qui le serrait à la taille; on se jeta sur elle, et il retomba
+sur ses pieds pour se sauver en boitant.</p>
+
+ <p>--Vous voyez, dit Mme Barincq, le premier moment d'émoi calmé.</p>
+
+ <p>--C'est un maladroit.</p>
+
+ <p>--Crois-tu maintenant que M. d'Arjuzanx tienne à te plaire? dit Mme
+Barincq à sa fille, lorsqu'après la course ils se retrouvèrent tous les
+trois installés dans leur landau.</p>
+
+ <p>--En quoi?</p>
+
+ <p>--En sautant dans l'arène pour te montrer son courage.</p>
+
+ <p>--Cela ne m'a pas plu du tout.</p>
+
+ <p>--Tu as eu peur?</p>
+
+ <p>--Pas assez pour ne pas trouver qu'il était peu digne d'un homme de son
+rang de se donner ainsi en spectacle.</p>
+
+ <p><i>A suivre.</i><br>
+
+ <span class="rig"><span class="sc">Hector Malot.</span></span></p>
+ <br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/014b.png"><br></p>
+<br><br>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/015.png"><br><span class="sml"><span class="lef">PEINT PAR PINCHART</span></span><br>
+ <b>AU PIGEONNIER</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/016.png"><br><span class="sml"><span class="lef">PEINT PAR BOURGAIN.</span></span><br>
+ <b>LES PREMIERS GALONS</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/017.png"><br><span class="sml"><span class="lef">PEINT PAR ACHILLE FOULD.</span></span><br>
+ <b>MORTE-SAISON.</b></p>
+
+<p class="mid"><img alt="" src="images/018.png"><br><span class="sml"><span class="lef">PEINT PAR BOURGAIN.</span></span><br>
+ <b>PORTRAIT A CINQUANTE CENTIMES.</b></p>
+
+
+<br><br>
+
+</div>
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 2510, 4 Avril 1891, by Various
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 2510, 4 AVRIL 1891 ***
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+opportunities to fix the problem.
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
+
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+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+
+</pre>
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+
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index 0000000..36127db
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/007c.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/007d.png b/old/44634-h/images/007d.png
new file mode 100644
index 0000000..17450d7
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/007d.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/007e.png b/old/44634-h/images/007e.png
new file mode 100644
index 0000000..69fb989
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/007e.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/007f.png b/old/44634-h/images/007f.png
new file mode 100644
index 0000000..0b382d3
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/007f.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/007g.png b/old/44634-h/images/007g.png
new file mode 100644
index 0000000..037c9da
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/007g.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/008a.png b/old/44634-h/images/008a.png
new file mode 100644
index 0000000..e182d1d
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/008a.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/008b.png b/old/44634-h/images/008b.png
new file mode 100644
index 0000000..15e4941
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/008b.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/008c.png b/old/44634-h/images/008c.png
new file mode 100644
index 0000000..67e42e1
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/008c.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/008d.png b/old/44634-h/images/008d.png
new file mode 100644
index 0000000..4103d98
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/008d.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/008e.png b/old/44634-h/images/008e.png
new file mode 100644
index 0000000..c9ce982
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/008e.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/009.png b/old/44634-h/images/009.png
new file mode 100644
index 0000000..bfec72e
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/009.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/010_large.png b/old/44634-h/images/010_large.png
new file mode 100644
index 0000000..d693d2f
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/010_large.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/010_small.png b/old/44634-h/images/010_small.png
new file mode 100644
index 0000000..7b6298e
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/010_small.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/011.png b/old/44634-h/images/011.png
new file mode 100644
index 0000000..c31607a
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/011.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/012.png b/old/44634-h/images/012.png
new file mode 100644
index 0000000..124fbbf
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/012.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/013.png b/old/44634-h/images/013.png
new file mode 100644
index 0000000..a15c2f4
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/013.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/014a.png b/old/44634-h/images/014a.png
new file mode 100644
index 0000000..c07255c
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/014a.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/014b.png b/old/44634-h/images/014b.png
new file mode 100644
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--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/014b.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/015.png b/old/44634-h/images/015.png
new file mode 100644
index 0000000..25d80fa
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/015.png
Binary files differ
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new file mode 100644
index 0000000..f1e8155
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+++ b/old/44634-h/images/016.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/017.png b/old/44634-h/images/017.png
new file mode 100644
index 0000000..08acf52
--- /dev/null
+++ b/old/44634-h/images/017.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/018.png b/old/44634-h/images/018.png
new file mode 100644
index 0000000..7d985e3
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+++ b/old/44634-h/images/018.png
Binary files differ
diff --git a/old/44634-h/images/cover.jpg b/old/44634-h/images/cover.jpg
new file mode 100644
index 0000000..dacb973
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+++ b/old/44634-h/images/cover.jpg
Binary files differ