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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-14 18:55:55 -0700 |
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XCVIII + + + + +DIDEROT + +ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET[1] + + +Au milieu du XVIIIe siècle vivait, ou plutôt végétait tristement dans +l'humble presbytère de Montchauvet, en plein Bocage normand[2], un +curé poète qui doit aux Encyclopédistes l'immortalité du ridicule, et +dont les vers extravagants furent,--qui le croirait?--une des causes +de la rupture de Jean-Jacques Rousseau avec ses bons amis, les +Philosophes. + + [1] Voir à l'_Appendice_. + + [2] _Ibid._ + + + +I + + +L'abbé Le Petit[3],--c'est le nom de notre curé,--s'ennuyait à mourir +dans le village où l'avait enterré son évêque[4]. Il avait beau monter +sur les âpres rochers qui dominent le presbytère et interroger +l'horizon, il ne voyait venir personne qui fût digne de le comprendre +et sût goûter les vers qu'il composait dans sa morne solitude. Et +laissant tomber ses regards sur les masures de ses paroissiens: «Ici, +il n'y a que moi d'homme d'esprit, se disait-il. Point de société!... +Pour toute ressource, le magister, c'est-à -dire un paysan habillé de +noir!» + + [3] Voir à l'_Appendice_. + + [4] _Ibid._ + +Un beau jour, l'abbé Le Petit, n'y pouvant plus tenir, boucla sa +valise et partit pour Paris. A Paris, en effet, il trouverait un de +ses anciens camarades de séminaire, l'abbé Basset[5], professeur de +philosophie au collège d'Harcourt. L'abbé Basset avait de belles +relations: il procurerait certainement un éditeur à son confrère. +L'éditeur trouvé, le livre prôné par les gazettes s'enlevait en un +clin d'Å“il; les salons se disputaient l'illustre compatriote de +Malherbe et de Pierre Corneille; et qui sait? l'Académie ne se faisait +pas trop prier pour lui offrir un de ses quarante fauteuils. + + [5] _Ibid._ + +Tels étaient les beaux rêves que le curé de Montchauvet confiait à +l'abbé Basset, et que celui-ci, en se promenant avec lui, au +Luxembourg, par une belle matinée d'hiver, écoutait d'une oreille trop +indulgente. + +Au détour d'une allée, on rencontre Diderot. Diderot, qui demeurait à +quelques pas de là , sur la hauteur d'où il avait tiré son surnom de +_Philosophe de la Montagne_, aimait à se promener le matin au +Luxembourg. L'abbé Basset, qui était fort lié avec lui, connaissait +ses habitudes. Ce n'était pas sans intention, peut-être, qu'il +conduisit, ce jour-là , sur le chemin du philosophe, le curé de +Montchauvet, avide de connaître les grands esprits du siècle, avide +surtout d'en être connu. L'abbé Basset présente son ami à Diderot. Le +curé nage dans la joie; il pâlit d'aise, et son nez,--un nez +extrêmement long, dit la chronique,--est dans un mouvement perpétuel. +La conversation est bientôt liée. L'abbé Le Petit raconte d'un trait +ses infortunes: «Je m'étiolais à Montchauvet, le plus triste lieu du +monde; mes talents y étaient enfouis. Mais, Dieu merci! j'en suis +hors, et je me réjouis, monsieur, d'avoir fait connaissance avec un +homme de votre réputation, afin de vous demander votre avis. + +--Mon avis, dit le philosophe, et sur quoi, monsieur l'abbé? + +--Sur un madrigal de sept cents vers, que j'ai fait dernièrement. + +--Un madrigal de sept cents vers! Et sur quel sujet, je vous prie? + +--Voici la chose, dit le curé en souriant d'un air malin: mon valet a +eu le malheur de faire un enfant à ma servante, et cela m'a donné un +assez beau champ, comme vous allez voir. + +Et, disant cela, il tire de la poche de sa soutane un grand cahier de +papier. Diderot recule épouvanté; puis se ravisant: + +--Monsieur le curé, dit-il, je vous trouve bien blâmable d'employer +vos loisirs à de pareils sujets. + +L'abbé Le Petit commençait à rougir de colère; son nez s'agitait, +menaçant... + +--Quand on a un génie aussi sûr que le vôtre, poursuivit Diderot, on +doit faire des tragédies, et non pas s'amuser à des madrigaux. + +Le curé de Montchauvet, agréablement flatté de ce compliment +inattendu, devint radieux: ses yeux brillaient d'un éclat +inaccoutumé, son grand nez se dilatait pour mieux aspirer l'encens. +Il voulait remercier Diderot; celui-ci ne lui en laissa pas le +temps:--Permettez-moi de vous dire que je n'écouterai pas un seul vers +de votre façon, avant que vous ne nous ayez apporté une +tragédie.--Vous avez raison, répliqua le curé;.... je suis trop +timide. Puis, remettant dans la vaste poche de sa soutane son long +poème, il salua poliment Diderot. Le philosophe, en s'en allant, +échangea avec l'abbé Basset un sourire que le bon curé n'aperçut pas, +ou dont il ne comprit pas la signification. + +C'était un sourire de contentement. Diderot s'était débarrassé du même +coup, (il le croyait du moins), d'un madrigal de sept cents vers et +d'un importun. + +Quelques mois se passent. Diderot, bien tranquille dans son cabinet, +travaillait, sans doute à ses _Pensées sur l'interprétation de la +nature_, lorsque, sans se faire annoncer, l'abbé Le Petit se présente +avec un énorme manuscrit sous le bras. Qu'on juge de la surprise de +Diderot.--Comment, monsieur le curé, c'est bien vous que je vois! Je +vous croyais depuis longtemps en Normandie.--On ne peut vivre qu'à +Paris, monsieur; j'y suis donc resté, et, suivant vos conseils, je me +suis mis avec ardeur au travail. Je vous apporte...--Encore un +madrigal? s'écria Diderot; non, monsieur le curé, vous savez nos +conventions. Je n'écoute pas un vers de vous, que vous ne m'ayez +apporté une tragédie.--C'est justement...--Quoi! C'est une +tragédie?--Oui, monsieur, _David et Bethsabée_.... + +Diderot faillit tomber à la renverse. + +--Avez-vous le loisir de m'écouter? poursuivit l'abbé, impitoyable. + +Il n'y avait pas à reculer, il fallait bien essuyer cette lecture. + +--Monsieur le curé, répondit le philosophe, que diriez-vous si, +dimanche, je vous présentais à nos amis, et si je vous donnais pour +juges les plus grands esprits dont notre siècle s'honore?... Allons, +c'est entendu, je vous mènerai dans le salon de M. le baron d'Holbach. +Vous y entrerez inconnu; mais, je vous le jure, vous en sortirez +célèbre. + +--Monsieur, balbutia l'abbé, que de grâces... + +--Trève de compliments! C'est moi qui suis votre obligé. Ne pas +produire au grand jour un poète de votre force, mais ce serait un +crime!... Allons, adieu, monsieur le curé, ou plutôt, au revoir... A +dimanche! Je vous attends chez moi. + +Le curé fut exact au rendez-vous. Diderot avait prévenu ses amis, les +Encyclopédistes. On sait que le baron d'Holbach les recevait à dîner +deux fois par semaine, ce qui le faisait appeler par l'abbé Galiani +«_le maître d'hôtel de la philosophie_». + +Ce jour-là --c'était justement le dimanche gras--les convives du baron +d'Holbach étaient quinze à vingt. Dans le riche cabinet, où le +richissime philosophe venait de faire placer sa récente acquisition, +la _Chienne allaitant ses petits_, un des chefs-d'Å“uvre du peintre +Oudry, on voyait réunis, sans compter Diderot et le maître de la +maison, J.-J. Rousseau, d'Alembert, Duclos, Marmontel, Helvétius, de +Jaucourt, Raynal, Morellet, de la Condamine, M. de Gauffecourt, M. de +Margency, etc.[6]. + + [6] Voir à l'_Appendice_. + +Le curé de Montchauvet est introduit. On lui fait fête; on l'invite à +s'asseoir. Il promène ses regards de tous côtés: il ne voit que des +visages riants; cela l'encourage. Pourtant, il aperçoit dans un coin +du salon une figure renfrognée. C'était J.-J. Rousseau, qui flairait +une mystification, et qui, avec sa probité à toute épreuve, était +résolu à faire le rôle d'honnête homme.--C'est un jaloux, se dit +l'abbé; mais qu'importe?... Et il déroule lentement son +manuscrit.--D'abord, messieurs, leur dit-il, je dois vous lire +l'épître que je me permets d'adresser à Madame de Pompadour. + +Cette épître commençait par un vers assez singulier: + + Rentrez dans le néant, race de mendiants... + +C'était pour flétrir les poètes qui font des dédicaces en vue de +gagner de l'argent.--Oh! oh! Monsieur le curé, lui dit-on de toutes +parts, l'épithète n'est-elle pas un peu violente?--Non, messieurs, + + Point d'enfant d'Apollon, s'il ne rime gratis. + +Et, continuant sa lecture, il déclame avec emphase ces deux vers: + + Tout ainsi comme Icare, parcourant la lumière, + Dans un rayon brûlant vit fondre sa carrière... + +--Voilà , lui dit Marmontel, un vers admirable! mais ces sortes de vers +doivent être bien difficiles à trouver.--Cela est vrai, répondit le +curé en pâlissant de joie et de vanité; mais aussi est-on bien content +quand on a trouvé. + +L'épître finie, le curé, avant de commencer la lecture de sa tragédie, +pria la société de lui permettre d'exposer rapidement sa théorie du +poème dramatique. Corneille l'a fait, ajouta-t-il: compatriote de +Corneille, ne puis-je pas faire comme lui?--Sans aucun doute, monsieur +l'abbé, s'écrièrent en chÅ“ur tous les convives.--Vils flatteurs, +murmurait dans son coin le citoyen de Genève.--Ma théorie est bien +simple, messieurs. Donnez-moi un sujet quelconque. + +--_Balthazar_, dit une voix. + +--_Balthazar_, soit! Eh bien! vous savez, messieurs, que, pendant le +souper de ce roi impie, on vit une main écrire sur les murs les mots: +_Mané, Thécel, Pharès_. Il s'agit donc de savoir si le roi soupera ou +non; car, s'il ne soupe pas, la main n'écrira pas. Or je n'ai qu'à +inventer deux acteurs. Le premier veut que le roi soupe, le second ne +le veut pas, et cela alternativement. Si moi, poète tragique, je veux +que le roi soupe, celui-là parlera le premier. Ainsi: + +Ier acte: _Le roi soupera_; + +2e acte: _Il ne soupera pas_; + +3e acte: _Il soupera_; + +4e acte: _Il ne soupera pas_; + +5e acte: _Il soupera_. + +Si, au contraire, je ne veux pas que le roi soupe, voici quel sera mon +plan: + +Ier acte: _Il ne soupera pas_; + +2e acte: _Il soupera_; + +3e acte: _Il ne soupera pas_; + +4e acte: _Il soupera_; + +5e acte: _Il ne soupera pas_. + +Voilà , messieurs, tout le mystère. + +Un murmure approbateur accueillit ces paroles. Le poète commença alors +la lecture de sa tragédie. Tous les philosophes, rangés en cercle, +écoutaient attentivement. M. de la Condamine, entre autres, avait tiré +le coton de ses oreilles pour mieux entendre[7]; mais, dès la première +scène, sa patience était à bout. Dans la seconde, David paraît; il se +plaint que l'amour le tourmente jour et nuit et l'empêche de dormir. +Il a cependant de quoi s'occuper; il a de nouveaux ennemis, dit-il: + + Quatre rois, vive Dieu! ci-devant mes amis... + + [7] Voir à l'_Appendice_. + +--_Vive Dieu_! s'écria M. de la Condamine, et pourquoi pas _Ventre +Dieu_? Et, remettant le coton dans ses oreilles, il sortit +brusquement. + +--Voilà , dit le curé froidement, un homme qui ne sait pas que _Vive +Dieu_! est le serment des Hébreux. + +Ces quatre rois, «ci-devant les amis» de David, ont embrassé la +querelle du barbare Hanon... + +A ce mot malencontreux, cinq ou six auditeurs se récrient. + +--Ah! messieurs, dit le curé d'un air de profonde pitié, ce nom sonne +mal à vos oreilles, apparemment à cause de la ridicule équivoque de +celui d'_ânon_, animal si connu et si commun. Pour moi, je pense qu'un +nom, par lui-même, n'a rien qui doive offenser. L'Écriture s'en est +servie; elle a bien les oreilles aussi délicates que les nôtres. + +--Mais, lui dit Duclos, ajoutez une lettre à ce nom, et l'équivoque +cessera. + +--Monsieur, répartit le curé, vous voulez sans doute que je fasse de +ce personnage un Carthaginois? + +Dans un autre endroit, Bethsabée, pressée par David «de le rendre +heureux», veut le piquer d'honneur, et lui rappelant ses grandes +actions passées, elle dit: + + Vous sûtes arracher Saül à ses furies, + Où ce prince, vainqueur de mille incirconcis, + Frémissait que David en eût dix mille occis. + +--Ah! Dieu! quels vers! s'écria le citoyen de Genève; et pourquoi +_occis_? pourquoi pas _tués_? + +--Je pourrais, riposta sèchement le curé, vous répondre que _tués_ ne +rime pas à _incirconcis_; mais apparemment que vous imaginez que _tué_ +et _occis_ sont des synonymes. Apprenez, monsieur, que cela n'est pas. +On dit tous les jours: Cet homme me _tue_ par ses discours, et l'on +n'en est pas _occis_ pour cela. + +--J'avoue, reprit le citoyen, qu'il doit être fort fâcheux d'être +_occis_; mais je ne me soucierais pas même d'être _tué_. + +Le curé de Montchauvet poursuivit sa lecture, sans s'arrêter plus +qu'il ne convenait à cette misérable querelle de mots. + +Arrivé à un passage où il faisait rimer _angoisse_ et _tristesse_, +Rousseau l'interrompit de nouveau: + +--_Angoisse_ et _tristesse_ ne riment pas; vous êtes trop hardi, +monsieur le curé. + +--Trop hardi, monsieur? Cette rime est neuve; voilà tout. + +--Dites étrange, monsieur le curé. + +--Étrange, monsieur? Mais, vous, savez-vous bien ce que c'est que la +rime? + +--J'ose le croire, monsieur le curé. + +--On ne s'en douterait guère, et... + +La dispute allait s'envenimer: un geste de d'Holbach rétablit la paix. + +--Continuez, dit-il au curé de Montchauvet, nous vous écoutons. + +Vers le milieu du deuxième acte, Bethsabée dit à sa confidente: + + Le roi ne m'offre plus que d'_innocentes_ charmes. + +--Pardon, monsieur le curé, interrompit un des auditeurs, _charme_ est +du masculin. + +--Ah! vous le prenez comme cela, messieurs, répondit l'abbé; eh bien, +dans la scène suivante, vous le trouverez masculin; j'ai tâché de +contenter tout le monde. + +Plus loin, il faisait rimer _superflu_ et _plus_. + +--Cette rime n'est pas exacte, dit Marmontel. + +--Ah! vraiment; et pourquoi cela? + +--C'est que _superflu_, étant au singulier, n'a point d's, et par +conséquent ne peut rimer avec _plus_. + +Point d'_s_, reprit vivement le curé en mettant son manuscrit sous le +nez de Marmontel, point d'_s_! Mais je vous prie de remarquer, +monsieur, que j'en ai mis une[8]. + + [8] Voir à l'_Appendice_. + +Et il continua intrépidement sa lecture. + +On lui avait fait croire que M. de Margency était un poète de +profession, et qu'il aurait en lui un dangereux concurrent. Il n'est +sorte de bassesse que ne lui fit le curé de Montchauvet. M. de +Margency, comme on en était convenu auparavant, se fit le champion à +outrance du poète bas-normand. Aussi, c'était vers lui qu'il se +tournait de préférence. + +Au milieu d'une des plus pompeuses tirades, il entend un léger bruit. +C'était M. de Gauffecourt qui riait tout bas dans ses mains. + +--Vous riez, monsieur, lui dit le curé du ton dont il aurait +apostrophé un bambin au catéchisme? + +--Non, monsieur, répondit M. de Gauffecourt avec un grand sérieux; je +n'ai ri de ma vie. + +On arrive, sans autre incident, au quatrième acte. Tout le monde se +lève. On prie le curé de Montchauvet d'arrêter là sa lecture. Il doit +être épuisé de fatigue; on lui donnera une nouvelle séance pour +achever sa tragédie; on n'en veut pas perdre un seul vers. + +Chacun s'empresse autour de lui, et lui serre les mains: «Vous +surpassez Racine, et vous égalez Corneille!» + +Le curé absorbe avec intrépidité ces louanges ironiques; il se +rengorge; son nez s'agite, se dilate de plus en plus. Tout à coup, +J.-J. Rousseau se précipite vers lui, lui arrache son manuscrit et le +jette à terre: + +--Votre tragédie est absurde, mon cher curé; ces messieurs,--vous ne +le voyez donc pas?--se moquent de vous. Retournez vicarier dans votre +village. + +L'abbé, rouge de colère, fond sur Rousseau; en vrai poète tragique, il +veut l'_occire_. On sépare à grand'peine les deux combattants. +Rousseau sort furieux, pour ne plus remettre les pieds chez le baron +d'Holbach. On arrête le curé, qui le menace du poing et veut courir +après lui dans la rue. On réussit à le calmer un peu, en lui peignant +Rousseau comme un poète jaloux de sa gloire naissante. + +On peut bien penser que Diderot ne fut pas l'un des moins empressés à +verser du baume sur la blessure faite par Rousseau à la vanité du +poète. + +--Votre pièce est excellente, monsieur le curé, lui dit-il; je m'y +connais: elle aura le plus grand succès au théâtre, si toutefois vous +y apportez quelques modifications que je crois indispensables... Me +permettez-vous, monsieur le curé, de vous faire une légère critique? + +--Parlez, monsieur, dit le curé, pris par le ton bienveillant que +Diderot donnait à ses paroles. Je ne puis recevoir que des conseils +judicieux d'un esprit aussi éminent. + +--Eh bien, monsieur l'abbé, puisque vous m'autorisez à vous dire toute +ma pensée, je vous avouerai que votre pièce ne me semble pas assez +chargée d'incidents; que la plupart des incidents ne se passant pas +sur la scène, je trouve,--excusez ma franchise,--la scène un peu trop +muette. Il est vrai que votre pièce est une pièce sainte; mais ce n'en +est pas moins un défaut, à mon humble avis. + +Tout le monde s'attendait à une explosion de colère; il n'en fut rien. +Le curé répondit d'un air suffisant: + +--Je l'avais senti, monsieur, mais je n'ai pu faire autrement; +d'ailleurs, ces sortes de pièces sont sujettes à ce défaut... +Toutefois, vous conviendrez avec moi que j'ai suppléé à la sécheresse +des récitatifs par une versification assez heureuse. + +--Cela est vrai, dit M. de Margency, celui des auditeurs qui s'était +fait le champion du curé. A mon tour, ajouta-t-il, je reprendrai +l'objection faite par M. Diderot, et je demanderai à monsieur le curé +pourquoi il n'a pas placé sur la scène la baignoire de Bethsabée? Son +récit est plein de beaux vers, je le proclame bien haut, mais Horace a +dit: + + _Segnius irritant animos demissa per aurem + Quant quæ sunt oculis subjecta fidelibus, et quæ + Ipse sibi tradit spectator._ + +--Sans doute, monsieur; mais Horace n'ajoute-t-il pas: + + _Non tamen intus + Digna geri promes in scenam; multaque tolles + Ex oculis, quæ mox narret facundia præsens..._ + +--Je suis battu, dit M. de Margency. + +Puis, se tournant vers ses amis: + +--Quoi qu'en dise Horace, messieurs, ne regrettez-vous pas, comme moi +que M. le curé n'ait pu mettre sur la scène la baignoire de Bethsabée? +Vive Dieu! comme Mlle Clairon...[9] + + [9] Voir à l'_Appendice_. + +--Pardon, monsieur, interrompit le curé, la rougeur au front; mais +vous oubliez que ma tragédie est une tragédie sainte, et que rien n'y +doit offenser les oreilles ou les yeux des spectateurs chrétiens. + +--_Omnia sancta sanctis_, monsieur le curé; je tiens à la baignoire. +Et vous, messieurs? + +--Oui, oui, il nous faut la baignoire, s'écrièrent ensemble les +convives de d'Holbach. + +--Messieurs, je ne puis vous l'accorder. N'insistez pas, je vous prie. + +--Nous respectons vos scrupules, dit M. de Margency; qu'il soit fait +selon votre désir... Mais, poursuivit-il, qu'il me soit permis, avant +de nous séparer, d'ajouter un mot encore... + +Le curé dressa l'oreille. + +--Vous êtes du pays du grand Corneille, monsieur le curé; nous ne le +saurions pas, que votre style nous l'aurait bien vite appris. Comment +avez-vous fait pour arriver du premier coup à cette mâle vigueur, +dont l'auteur de _Polyeucte_ et vous avez seuls le secret? + +--Messieurs, répondit l'abbé, si mon style a quelque ressemblance avec +celui de Corneille, je le dois à la lecture approfondie que j'ai faite +de ce grand poète; mais qu'on ne m'accuse d'aucun plagiat: j'affirme +solennellement que mon style est à moi, et bien à moi... Je vois, +monsieur, continua le curé, en s'approchant de M. de Margency, que +vous êtes, comme on dit, un homme du métier, et je ne doute pas que +vos pièces n'aient obtenu sur la scène un légitime succès. + +--Monsieur le curé, dit de Margency, mes amis veulent bien m'accorder +quelque talent; mais, malgré leurs conseils, je dirai plus, malgré +leurs instantes prières, je n'ai jamais consenti à laisser jouer mes +pièces. Vous l'avouerai-je, monsieur le curé? j'ai peur... + +--Et de quoi, monsieur, je vous prie? + +--D'être sifflé. + +Puis, faisant un geste tragique: je crois que j'en mourrais! + +--Mon ami, lui dit Diderot, ayez plus de confiance en vous-même. +Osez, et je vous prédis le succès, comme je le prédis à M. le curé de +Montchauvet. + +--Ne me comparez pas, je vous prie, avec le rival de Pierre Corneille! + +--Que du moins son exemple vous enflamme, et, puisque vous travaillez +actuellement à une tragédie de _Nabuchodonosor_, soumettez-la au +jugement de M. le curé... Puis, s'adressant à l'abbé: Si nous osions, +monsieur, vous prier de traiter le même sujet, voudriez-vous nous +refuser, dans l'intérêt de notre ami qui brûle de marcher sur vos +traces? + +--Monsieur, dit d'Holbach qui, pendant toute cette scène, avait gardé +le plus grand sérieux, mes amis et moi nous vous attendons dimanche +prochain. Vous achèverez la lecture de votre tragédie, et vous nous +lirez, n'est-ce pas? la première scène de _Nabuchodonosor_; c'est un +sujet extrêmement difficile et délicat. Nous ne doutons nullement que +vous ne vous en tiriez avec l'habileté dont vous avez fait preuve dans +votre tragédie de _Bethsabée_. Pour vous, dit d'Holbach à de Margency, +vous saurez dimanche si vous devez affronter la scène ou brûler vos +manuscrits. Vous connaissez notre franchise. Nous vous promettons un +jugement sincère. A dimanche donc, monsieur le curé! + +Le curé promit de se rendre à cette aimable invitation. + +On se sépara. La vanité du curé de Montchauvet était aussi énorme que +son talent était mince; aussi était-il loin de se douter qu'il venait +de servir de bouffon aux convives habituels du baron d'Holbach. +Cependant, malgré le plaisir que lui avaient causé les éloges de +Diderot, de d'Holbach et de Margency, il était mécontent: il aurait +voulu plus d'éloges encore; et il était indigné que l'on ne se fût pas +montré plus sévère à l'égard de cet impertinent de Rousseau. + +Le lendemain, il rencontra M. de Margency et se plaignit beaucoup.--Si +je fréquentais ces messieurs, lui dit-il, je finirais par soupçonner +mes vers d'être plats: cependant, je suis bien sûr du contraire; et +ils n'ont qu'à examiner leurs observations avec autant de sévérité que +ma tragédie, ils verront ce qu'il y aura plat. Au demeurant, ce n'est +pas que leur critique m'effraie: je ne tiens pas à ma pièce en auteur +servile; j'en ai fait chaque vers triple, et je puis, comme vous +voyez, sacrifier tout ce qu'on veut, sans que j'en sois plus mal à mon +aise. + +M. de Margency l'assura fort qu'il avait laissé la société dans une +grande admiration de ses talents; mais il n'en voulut rien croire: «Je +les ai vus rire souvent pendant la lecture, répondit-il, et on ne rit +pas dans une tragédie, quand on est de bonne foi... Enfin, je vois ce +que c'est. Ces messieurs redoutent les ouvrages d'une certaine trempe +et qui pourraient fixer l'attention du public, ils n'ont que leur +_Encyclopédie_ dans la tête: ils craignent que mes succès ne fassent +tort aux leurs. Mais le public saura bien rendre justice à chacun.» + + + + +II + + +C'est dans ces sentiments que le curé de Montchauvet reprit, trois +jours après cette mémorable séance, le chemin de la basse Normandie. +Pour se consoler de l'injustice des Philosophes, il fit imprimer à +Rouen sa tragédie, qui parut sous ce titre: _David et Bethsabée_, +tragédie par M. l'abbé ***. Prix, 36 sols.--A Londres [Rouen], aux +dépens de la Compagnie, 1754. + +Lorsque l'imprimeur lui eut envoyé son ballot, l'abbé prit la plume et +adressa à l'abbé Basset une longue lettre, que celui-ci s'empressa de +communiquer à Diderot et que le philosophe lut à ses amis. En voici +quelques extraits: + + «De Montchauvet. + +«Je suis parti, monsieur et cher abbé, plein du souvenir de vos +bontés. Je me suis hâté de quitter un séjour où je commençais à goûter +quelque satisfaction, mais où je devenais à charge à quelques-uns. +Disons-le: ils ont pris de l'ombrage d'une pièce où ils ont cru +reconnaître des beautés que le public n'y reconnaîtra peut-être pas: +ils m'ont envié un je ne sais quoi que la nature ou le hasard m'a +prodigué... On m'apprit, avant de partir, que ce qui les avait +irrités, c'était la pièce adressée à Mme la marquise. Ils ont rugi à +ces mots de _vils mendiants_, et ils ont mis le curé de Montchauvet à +toutes sauces... Quoi qu'il en soit, dans le procédé qu'ils ont tenu +avec moi, ils ont cru me faire leur dupe. Ils y ont réussi jusqu'à un +certain point, parce qu'ils ont abusé de ma franchise. Qu'ai-je perdu, +sinon de ne pas croire que ma pièce était plus digne de voir le jour +que je ne l'espérais? Elle le voit actuellement en beau papier et en +caractères bien nets[10]: elle se vendra trente-six sous... Voilà donc +le moment de sa mort ou de sa vie. Le public, qui voit toujours avec +de bons yeux, du moins pour l'ordinaire, la disséquera comme il +l'entendra bien. Si elle ne lui plaît pas, je n'aurai garde d'en +appeler; mais je ne me rebuterai pas, je m'étudierai à faire mieux. +Tant que ma veine voudra couler, je vous proteste, mon cher abbé, que +rien ne sera capable de l'arrêter... J'ai déjà commencé une seconde +pièce. Lorsqu'elle sera faite, j'en ferai sévèrement la critique, +ainsi que de cette première. Comme l'honneur du théâtre ni l'intérêt +ne me guident point, ne travaillant qu'à braver l'ennui de ma +solitude, j'apporterai avec moi cette seconde tout imprimée, au moyen +de quoi je ne me verrai plus exposé à lire mon manuscrit sur la +sellette, devant des gens surtout qui vous rient dans leurs mains, au +lieu d'être touchés, ou qui feignent d'applaudir, sans savoir +seulement ce que c'est qu'enchaînement de scènes, ni peut-être qu'une +rime... Maintenant, mon cher abbé, j'ai l'honneur de vous prévenir que +je vous en enverrai un exemplaire et plusieurs en pur don pour les +personnes à qui je vous prierai d'avoir la bonté de les remettre. Je +compte que vous les recevrez la semaine prochaine avec une lettre +d'avis: ce seront deux ports de lettre que je vous ferai coûter. Ayez +pour agréable de me mander, au reçu de la présente, à Montchauvet, par +Aunay, à la Plumaudière, si vous voulez vous donner la peine de m'en +débiter. Dans le cas où vous pourriez vous en défaire, ce serait à +l'acquit de ce que mon frère et moi nous vous devons. Excusez-moi de +la longueur de ma lettre, je l'attends de votre indulgence. J'écris à +M. l'abbé Fréron, et je lui envoie deux exemplaires, un pour lui, et +l'autre pour Mme son épouse, en pur don[11]; vous voyez que je fais +les choses libéralement et que je ne regarde pas à trente-six sous, +lorsqu'il le faut. Adieu, mon cher abbé, etc.» + + [10] Voir à l'_Appendice_. + + [11] Voir à l'_Appendice_. + + * * * * * + +Nous avouerons sans peine, avec Grimm, que quelques centaines de +pareilles lettres feraient un excellent recueil. + +Toutefois, il est à remarquer que le curé de Montchauvet ne parle pas, +dans cette lettre, d'un envoi que dut lui faire M. de Margency, +quelques jours après son départ pour la Normandie. + +M. de Margency lui avait dit, on s'en souvient, qu'il lui soumettrait, +le dimanche suivant, la première scène de sa tragédie de +_Nabuchodonosor_. L'abbé devait, de son côté, apporter une scène sur +le même sujet. De Margency, ayant appris le départ inopiné du curé, +lui envoya son travail, accompagné d'une épître dédicatoire. Voici ces +deux bouffonneries: + +_Épître à M. l'abbé Petit, curé du Mont Chauvet_. + + Corneille du Chauvet, rimeur alexandrin, + Crois-moi, laisse-les dire, et va toujours ton train. + Ne t'aperçois-tu pas qu'envieux de ta gloire, + Tes ennemis font tout pour t'empêcher de boire + Au ruisseau d'Hippocrène, où Sophocle buvoit + Les chefs-d'Å“uvre qu'il fit, les beautés qu'il trouvoit? + Presque semblable à lui, quand tu touches la rime, + Tu te sers du rabot et jamais de la lime; + C'est-à -dire que, loin de coudre bout à bout + Des mots cherchés longtemps, tu fais bien tout d'un coup; + Voilà ce qui s'appelle un esprit bien facile, + Tu scandes en Homère et rimes en Virgile, + Et c'est ce qui déplaît à ces auteurs jaloux; + Va, moque-toi d'iceux, et ris de leur courroux. + Ils ont bu comme toi des eaux hippocréniques: + Bientôt tu les verras crever en hydropiques, + Et, tombant à tes pieds, poussifs et crevassés, + Ils _moureront_ tués, occis et trépassés. + +«Mon poétique cheval, Monsieur, qui se déferre en ce moment, m'oblige +de descendre de la rime à la prose; permettez-moi donc de vous dire +en son langage que votre immortelle et jolie pièce vous a fait bien +des jaloux; mais n'en redoutez rien. Je viens de vous annoncer dans +mes épiques vers et leur sort et le vôtre. D'ailleurs, consolez-vous +avec les admirateurs qui vous restent. Comme j'y touche aussi +quelquefois, à cette poésie, permettez-moi de vous consulter sur la +tragédie que j'ai entreprise et dont je vous envoie une scène pour +échantillon. Le sujet est, comme vous le savez, le fameux +_Nabuchodonosor_. Je suis bien étonné que ce grand homme ait échappé à +tant de célèbres auteurs. J'imagine qu'apparemment ils ne l'auront +regardé que comme une grande bête, comme vous avez pu le regarder +vous-même. Quoi qu'il en soit, voici ma scène. Nabuchodonosor +entretient Isabelle avant de l'épouser.» + + +SCÈNE + +NABUCHODONOSOR, ISABELLE + + NABUCHODONOSOR. + + Avant qu'à vos pieds beaux je mette ma couronne, + Écoutez-moi, princesse, et charmante personne; + Je n'allongerai pas, et je vous en répond, + Car, de mon naturel, je ne suis pas fort long + + ISABELLE + + Ah! grand prince, tant pis! ..Mais qu'avez-vous à dire? + + NABUCHODONOSOR. + + Reine, asseyez-vous là , je vais vous en instruire. + Je fus jeune autrefois, et même fort bien fait; + J'avois l'air d'un amour, du moins on le disoit. + Vous ne l'auriez pas cru? + + ISABELLE. + + Il est vrai, cher grand prince, + Qu'il vous reste à présent une mine assez mince. + + NABUCHODONOSOR. + + Pas tant... Mais il n'importe ..Écoutant mes désirs, + Je me divertissois dans les plus grands plaisirs; + Ma cour, modèle en tout de faste et d'élégance, + Réunissoit encor la joie et l'opulence; + Mille jeunes beautés, qui ne vous valoient pas, + Pleines de mes bienfaits, me prêtoient leurs appas; + Je vantois en tout lieu mon pouvoir, mes richesses, + Ma taille, mes bons mots, mes chiens et mes maîtresses. + Hélas! pour mon malheur je me vantai trop bien. + Le jaloux ciel piqué rabaissa mon maintien; + Il m'en punit, ce ciel: sa céleste colère + Donna dans mon endroit un exemple à la terre; + Je perdis dans un jour mon sceptre, mes États; + Une nuit je me vis velu comme les chats; + Sur mon corps tout courbé tous mes poils s'allongèrent, + De mon front menaçant deux cornes s'élevèrent, + Les seules, Dieu merci, que l'on m'ait vu porter... + Madame, en cet état, il fallut décamper. + Enfin je descendis du trône à quatre pattes. + (Où vas-tu nous fourrer, orgueil, quand tu nous flattes!) + Pour vous le couper court, et soit dit entre nous, + Je fus bête sept ans avant que d'être à vous. + + ISABELLE. + + Prince, que dites-vous?... Mais peut-être qu'encore... + + NABUCHODONOSOR. + + Je crois que vous raillez, madame la pécore! + Taisez-vous, reine en herbe; écoutez jusqu'au bout. + Galeux donc comme un braque, et velu comme un loup, + Je gagnai les forêts, les vallons, les montagnes; + La nuit j'allois brouter dans les vertes campagnes. + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + + +(_Ici doit être un magnifique morceau poétique de la vie que +Nabuchodonosor menoit à la campagne, comme une bête._) + + Enfin le ciel touché mit fin à son courroux. + «Quittez les bois, dit-il, allez-vous-en chez vous; + Vous aviez, mon ami, la tête trop superbe: + Pour vous la rafraîchir, il vous falloit de l'herbe; + Le ciel est toujours ciel, et l'on s'en moque en vain. + Vous vous croyiez un Dieu: vous n'êtes qu'un faquin; + Tournez-moi les talons...» Aussitôt, sans trompette, + Je quittai dans la nuit ma champêtre retraite. + Enfin, au point du jour, je me rendis chez moi. + Mon peuple me reçut et reconnut son roi. + Je fus un peu malade après cette aventure: + L'estomac, tout farci de foin et de verdure, + Me donna des hoquets et des indigestions; + Il fallut recourir aux évacuations. + Mon premier médecin m'ordonna la rhubarbe; + Le lendemain, ce fut un furieux jour de barbe.[12] + + [12] Voir à l'_Appendice_. + + + + +III + + +Le _Club holbachique_ s'était proposé d'achever de rendre fou le curé +de Montchauvet, s'il y manquait quelque chose. Ils y réussirent; car, +l'année suivante, le curé revint à Paris et n'hésita pas un seul +instant à soumettre aux encyclopédistes la nouvelle pièce qu'il avait +rimaillée au fond de son village. C'était la tragédie de _Baltazard_, +dans laquelle, pendant quatre mortels actes, il s'agit de +savoir,--selon la fameuse théorie inventée par l'abbé Le Petit,--si le +roi soupera ou s'il ne soupera pas. + +On voit d'abord paraître les deux mages, Hyrcan et Arbate. Baltazard +vient d'être vaincu. Sans aucun doute, la défaite du roi les affecte +profondément; mais ce qui les tourmente par-dessus tout, c'est la +crainte de ne pas souper. + +Pendant qu'ils délibèrent, sans rire, sur cette grave question, +survient Aristée, femme du roi et fille d'Abradate, roi de la Susiane; +elle vient (elle ne s'en cache pas) pour faire un monologue; mais +comme la présence des deux mages la gêne: «Éloignez-vous...» leur +dit-elle. Alors elle demande aux Dieux, qu'elle appelle «puissants +moteurs», de lui rendre compte de l'indigne sort de son époux: «Que +vais-je devenir?» s'écrie-t-elle: + + Où fuir et dans quels lieux, quelle obscure contrée, + Dérober aux humains une reine éplorée? + +Mais, tout bien réfléchi, elle ne veut pas se risquer + + Chez un peuple farouche, + Sans espoir d'y fléchir des cÅ“urs que rien ne touche. + +Mieux vaut aller trouver Baltazard et périr avec lui. Baltazard lui +épargne cette peine. Il vient, + + Non pas brillant de gloire, + Et tel qu'à son départ il vantait sa victoire... + +Il est vaincu, mais il n'est pas découragé. A l'entendre faire le +récit de la bataille qu'il a perdue, on croirait presque qu'il l'a +gagnée: + + Je m'avance à grands pas dans le sein de la gloire; + Tout nage dans le sang; une grêle de dards + Fait du jour une nuit; ce n'est de toutes parts + Qu'un spectacle effrayant d'hommes qui s'embarrassent, + De chevaux renversés, de chars qui se fracassent. + +Qu'allez-vous faire? lui demande Aristée. Tâchez de fléchir notre +vainqueur: + + S'il en est temps encor, proposez-lui la paix, + Et cherchez dans lui-même un ami pour jamais. + +Non, répond Baltazard, je veux souper, et + + Dans ces vases sacrés qu'à Sion on regrette + J'éteindrai mes chagrins, ma honte et ma défaite; + Et, dût vomir le Juif mille imprécations, + Je les ferai servir à mes libations. + +Cette impiété donne le frisson à la reine.--Ne soupez pas, seigneur, +lui dit elle, ou du moins ne soupez que si les mages l'ordonnent. + +Baltazard est bien contrarié de voir que l'_indifférence_ de la reine + + Refuse à ses malheurs la moindre déférence. + +Mais enfin il cède: il consultera les devins. Hyrcan et Arbate +accourent. _Secourez-moi_, leur crie Baltazard du plus loin qu'il les +voit. Dois-je souper ou ne pas souper? Et il a soin d'ajouter, afin de +leur dicter leur réponse: + + Parlez, et, consolant mon esprit agité, + Songez qu'un jour si beau flatte ma volonté + +Les mages ont compris: _Seigneur, il faut souper_. Telle est leur +réponse. Mais l'allégresse du roi est de courte durée. Survient +Nitocris, sa mère, qui ne veut pas qu'on soupe. + +--Y songez-vous, lui dit-elle, + + Insensible à l'État, votre cÅ“ur le néglige, + Et vous n'allez au temple, où rien ne vous oblige, + Que pour sacrifier, au gré de vos désirs, + Moins à l'amour des dieux qu'à l'attrait des plaisirs, + Occupé d'une fête, où, parmi la crapule, + La nuit ne connaîtra ni remords ni scrupule! + +Le roi n'écoute pas. Bien décidé à souper, il s'en va et laisse sa +mère exhaler sa douleur dans un monologue. Il pousse l'audace encore +plus loin: il dépêche vers elle les deux mages, qui la prient +respectueusement de venir souper. Nitocris, comme on le pense bien, +refuse énergiquement. Baltazard, ennuyé, vient la chercher lui-même. + +Nitocris et son fils s'accablent mutuellement de reproches: + + A quoi bon (dit Baltazard) m'opposer ce beau titre de mère + S'il ne devient pour moi qu'une loi trop amère, + Si vous me refusez jusqu'à de saints plaisirs, + Et ne me rappelez que peines et soupirs?... + Ah! comment osez-vous, après ce caractère, + Me nommer votre fils et vous dire ma mère? + --Ingrat! (répond Nitocris) puis-je oublier l'excès de cet amour + Qui, quoi que vous disiez, vous mérita le jour? + Et pouvois-je empêcher que le ciel vous fît naître + Dans le sein qu'il choisit pour vous procurer l'être? + Mais si vous le devez, ce jour, à Nitocris, + Montrez donc désormais que vous êtes son fils; + Commencez à briser cette chaîne fatale + Dont vous chérissez tant le poids qui vous ravale, + Ce joug empoisonné, que d'indignes flatteurs + Savent, pour vous séduire, orner de tant de fleurs... + +L'hypocrite Baltazard feint de se rendre aux conseils de sa mère: + + Je vais joindre Cyrus (lui dit-il) et, sans le moindre effroi, + Lui montrer que je sais vaincre et mourir en roi. + +A peine Nitocris a-t-elle le dos tourné: «Allons souper», +s'écrie-t-il. + +Ainsi finit le troisième acte. Le quatrième s'ouvre par un monologue. +Baltazard a changé d'idée: il ne soupera pas; il ne veut pas que sa +mère regrette + + De n'avoir enfanté qu'un fils pusillanime. + +Mais il a compté sans les mages, Hyrcan et Arbate, qui viennent le +relancer jusque dans son palais. Il se sent faiblir: aussi, pour se +donner du courage, il se dit à lui-même: + + ..... Soutiens-toi, Baltazard! + +Les mages sont les plus forts: ils n'ont qu'à faire un signe, le +tonnerre gronde, et le pauvre roi ne sait où se cacher: + + Qu'entends-je, malheureux! Quelle indignation! + Ah! mages, détournez votre imprécation! + Un feu secret et prompt, qui déjà me dévore, + Me prouve que le ciel ordonne qu'on l'honore. + C'en est fait. Je me rends et n'écoute que lui, + Heureux si sa bonté me secoure (_sic_) aujourd'hui! + Allez donc, qu'au banquet toute ma cour s'empresse + De noyer pour jamais son deuil et sa tristesse! + +On soupera donc, enfin! La table du festin est dressée: on la couvre +des coupes sacrées du temple de Jérusalem. + +Au moment où Baltazard demande à boire aux mages, Nitocris se présente +et reproche à son fils de _perdre le sentiment_. (L'auteur voulait +sans aucun doute dire _le sens_.) + +Baltazard daigne à peine répondre: + + Madame, jusqu'à quand votre importune voix!... + Donnez, mages, donnez; c'est trop me faire attendre. + +Mais à peine les mages ont-ils présenté la coupe au roi, qu'on voit +une main écrire sur la muraille les fameux mots: MANÉ, THÉCEL, PHARÈS. + + Que vois-je, mes amis (s'écrie Baltazard), et quel spectre nouveau + Crayonne sur ces murs un effrayant tableau? + Voyez-vous, comme moi, cette main qui nous trace + Certains mots, où mon sang dans mes veines se glace? + Ma coupe malgré moi s'échappe de mes doigts, + Et je sens peu à peu se dérober ma voix. + Mes yeux sont chancelants; mes genoux s'entrechoquent, + Et toutes les horreurs à la fois me suffoquent. + +Inutile d'ajouter que Baltazard est vaincu de nouveau et tué par +Cyrus. Mais ce qu'il faut dire (car on ne s'en douterait guère), c'est +que Cyrus, à peine entré dans Babylone, fait une déclaration des plus +galantes à la reine Aristée. Celle-ci, comme on le pense bien, est +furieuse: + + Dois-je donc respecter (lui dit-elle) un bras qui n'a servi + Qu'à renverser un roi qu'il a trop poursuivi? + Taire tant de forfaits qu'un tyran autorise, + Et briser un pinceau qui te caractérise? + Barbare! je ne puis assez t'humilier! + +Cyrus n'est pas très flatté de ces dédains; car, si on l'en croit, +sans Aristée, le trône où il monte n'est plus + + ...... qu'un redoutable ennui. + +Mais il n'est pas au bout de ses peines. Nitocris vient lui reprocher +la mort de son fils, et se tue presque sous ses yeux. Aristée veut en +faire autant. Cyrus l'arrête. «Laisse-moi mourir,» lui crie-t-elle: + + ..... Accorde au moins cette grâce dernière + Au reste infortuné d'une famille entière + +Cyrus tient bon, l'empêche de s'_occire_, et met fin à la tragédie par +ces vers mémorables, mais bien peu en situation, puisque Nitocris est +morte: + + Secourons Nitocris, et demandons aux dieux + Qu'ils fassent de ce jour un jour moins odieux! + +Il est fâcheux que Grimm ne nous ait pas noté les divers incidents +auxquels a dû donner lieu la lecture de ce chef-d'Å“uvre. Il se +contente de dire: «Le curé nous a tenu parole; il est revenu avec une +seconde tragédie, intitulée _Baltazard_, tout aussi bonne que la +première. Je crois qu'il n'a pas pu trouver d'imprimeur. Mais il est +reparti pour sa cure un peu plus content de nous.» + +Dans la préface de _Baltazard_, le curé de Montchauvet nous en dira +plus long: «Le peu de succès de ma première pièce m'avoit presque +déterminé à n'en pas entreprendre une seconde. Cependant, je pensois +que si Racine avoit été découragé par la médiocrité des _Frères +ennemis_, nous n'aurions jamais eu ni _Yphigénie_ (_sic_), ni +_Phèdre_; et je repris la plume que la critique m'avoit presque fait +tomber des mains. Je composai donc mon _Baltazard_ après ma +_Bethsabée_, à qui je donnai un frère, comme M. de Boissy l'a dit +également du _Méchant_ de M. Gresset. J'apportai à Paris cette seconde +production de ma verve échauffée et de mon génie irrité par les +difficultés, bien résolu de la sacrifier, si je ne me trouvois pas +autant au-dessus de moi-même que je le désirois, et que Racine et +Corneille s'étoient montrés supérieurs à eux-mêmes, à mesure qu'ils se +familiarisoient davantage avec le génie dramatique. Il ne s'agissoit +plus que de rencontrer des juges équitables qui m'éclairassent ou sur +ma médiocrité ou sur mes progrès. Mais où trouver ces juges équitables +dans une ville fausse comme celle-ci, où l'on semble prendre à tâche +de décourager ceux qui donnent quelque espérance? Heureusement, un +homme distingué par sa naissance, son goût, sa probité, et surtout par +l'accueil qu'il daigne faire aux talents naissants, s'offrit à +rassembler chez lui cinq ou six des meilleurs esprits, qui la +jugeroient avec la dernière sévérité, et qui m'apprendroient par le +jugement qu'ils en porteroient, celui que j'en devois porter moi-même. +L'avouerai-je? L'examen fut sanglant, et je laissai mes critiques bien +convaincus qu'ils avoient rempli le projet, que peut-être ils avoient +formé, de me ramener à des fonctions que je reconnaîtrai sans peine +avec eux très supérieures à l'occupation d'un poète, ce poète fût-il +plus grand que Racine et Corneille. Mais je réfléchis sur leurs +observations; je vis bientôt qu'il n'y avoit aucune pièce au monde sur +laquelle on n'en pût faire d'aussi solides; et je parvins à me +démontrer évidemment que ma seconde tentative dramatique m'avoit +beaucoup mieux réussi que je n'aurois osé le penser, sans le +_suffrage_ de tous mes censeurs. Je dis le _suffrage_, car ce fut le +véritable jour sous lequel je ne tardai pas à voir leur critique. Je +me dis à moi-même: Comment! Voilà donc à quoi se réduit tout ce que +les hommes de Paris, qui passent pour avoir le plus d'esprit, trouvent +de répréhensible dans mon ouvrage? En vérité, il faut qu'il soit mieux +que bien: je ne risque donc rien à le publier; et j'eus tout +l'empressement que donne l'espoir du succès, de le porter à mon +imprimeur. C'est donc à ces Messieurs plutôt encore qu'à moi que le +lecteur en doit la publicité... J'en vais méditer une troisième. Je +suis jeune, j'ai du courage, et pour peu que je m'élève à chaque +essort (_sic_) que je prendrai, j'espère me voir enfin à une hauteur +suffisante pour contenter la vanité d'un auteur qui n'en a pas +beaucoup. Ainsi soit-il!» + + * * * * * + +Quoi qu'en dise Grimm, le curé de Montchauvet trouva, nous le voyons, +un imprimeur. Sa pièce parut sous ce titre: BALTAZAR, _tragédie_, +_par M. l'abbé ***_. _Prix vingt-quatre sols_, 1755 [sans lieu ni nom +d'imprimeur]. + +En lisant ce titre, on éprouve une certaine surprise. On se rappelle +que la tragédie de _Bethsabée_ se vendait (quand elle se vendait!) +_trente-six sous_. Puisque le curé de Montchauvet trouve la tragédie +de _Baltazard_ supérieure à celle de _Bethsabée_, comment se fait-il +qu'il ne l'estime que _vingt-quatre sous_? + +La troisième tragédie annoncée ne parut pas. L'abbé Le Petit s'en tint +à ses deux chefs-d'Å“uvre, et il fit bien[13]. + + [13] Voir à l'_Appendice_. + + + + +APPENDICE. + + +_Page 3, note 1._ + +Si invraisemblable que puisse paraître cette mystification littéraire, +je dois dire que je n'ai rien inventé: je me suis contenté de +suivre,--en l'arrangeant un peu,--le récit que nous en ont laissé +Grimm (_Correspondance litt. philosoph. et crit._, lettres du 1er +mars, du 1er août et du 15 septembre 1755), et Fréron (_Année litt._ +1754, tome IV, p. 307, et 1755, tome VIII, p. 342). + +_Page 3, note 2._ + +Montchauvet, aujourd'hui dans l'arrondissement de Vire, canton de +Bény-Bocage (Calvados). + +_Page 4, note 3._ + +Le curé de Montchauvet, la victime de Diderot et de ses amis, se +nommait, non pas Petit, comme l'appelle Grimm, mais Le Petit. Grâce à +l'obligeance de M. Lair, instituteur à Montchauvet, qui a bien voulu +me communiquer les vieux registres conservés dans les archives de la +mairie, j'ai pu constater que l'abbé Le Petit (Jean-Baptiste) a dû +arriver à Montchauvet au mois d'avril 1751. Le premier acte signé de +lui, comme successeur du curé Moussard, est du 14 avril 1751. Deux +fois seulement (14 août et 15 septembre 1752), l'abbé Le Petit, assez +souvent appelé dans le corps des actes (baptêmes, mariages ou +inhumations), Le Petit Dequesnay ou de Quesnay, a signé Le Petit +Dequesnay. Partout ailleurs il signe tout simplement Le Petit. + +Le dernier acte, non pas écrit, mais signé par le curé Le Petit, d'une +écriture tremblée, est un baptême en date du 30 mai 1786. + +Devenu infirme, sans doute, il fut remplacé, de son vivant, par son +vicaire Lemarchand[14]. L'abbé Le Petit mourut le 16 décembre 1788. +Voici l'acte d'inhumation du pauvre poète: + + «Le dix-sept décembre 1788 a été par moi curé de Montami + soussigné inhumé dans le cimetière de Montchauvet le corps de + maistre Jean-Baptiste Le Petit ancien curé de Montchauvet décédé + d'hier âgé d'environ soixante-huit ans présence de Mrs le curé et + vicaire actuels. + + (Ont signé) Lemarchand [curé], Jouenne [vicaire] et G. Liot [curé + de Montamy]. + + [14] A partir du 30 mai 1786, les actes sont signés par Jouenne + ou Le Marchand, vicaires. Le premier acte que nous ayons trouvé, + signé par Le Marchand, _curé_, est du 9 janvier 1788; mais nous + devons ajouter que le registre de 1787 manque aux archives de + Montchauvet. + +Jean-Baptiste Le Petit, âgé de 68 ans environ, quand il mourut en +1788, a donc dû naître (où ??) vers 1720. Il avait trente quatre ans +lorsqu'il sentit s'éveiller son génie poétique et qu'il vint lire, +pour son malheur, à Diderot et à ses amis, l'«immortelle» tragédie de +_David et Bethsabée_. + +D'après les signatures des vicaires Tourgis ou Duhamel, que nous avons +relevées au bas des actes des registres paroissiaux de Montchauvet, et +qui constatent l'absence du curé, l'abbé Le Petit dut quitter ses +sauvages bruyères pour aller à Paris, vers la fin d'août 1753, et ne +rentrer dans son village qu'au mois d'avril 1754. Ces dates concordent +bien avec celles que donnent les lettres de Grimm. + +Le fait le plus saillant de la vie du curé de Montchauvet est +assurément sa lecture chez le baron d'Holbach; mais je dois aussi +rappeler qu'il eut à soutenir un long procès contre Jacques-François +Mercier, prieur commendataire du prieuré royal du Plessis-Grimoult, +chanoine de la Sainte-Chapelle du Palais à Paris[15]. Ce procès, qui +dura au moins dix ans, fut gagné par le curé Le Petit, non seulement +devant le bailliage de Vire (3 juillet 1762), mais encore devant le +Parlement de Normandie (19 juin 1771). Le curé de Montchauvet +réclamait contre le prieur du Plessis-Grimoult «le tiers des dîmes de +la paroisse et la qualité de curé, au lieu de celle de vicaire +perpétuel, la seule qu'on voulût lui reconnaître.» Détail intéressant +et qui a été relevé par M. Ch. de Beaurepaire, le savant archiviste de +la Seine-Inférieure[16], l'arrêt du Parlement de Normandie qui termine +le procès intenté par l'abbé Le Petit au prieur du Plessis-Grimoult, +nous apprend qu'en une semblable circonstance, Bossuet, le grand +Bossuet, «malgré le droit de _committimus_ dont il avait usé, malgré +le recours à des juges certainement prévenus en sa faveur», avait +succombé, d'abord au bailliage de Vire, en second lieu et +définitivement aux Requêtes du Palais à Paris, dans sa contestation +avec Mathieu Roger, curé de Montchauvet, un des prédécesseurs du curé +Le Petit. + + [15] La cure de Montchauvet dépendait du Prieuré du + Plessis-Grimoult. + + [16] _Bulletin historique et philologique_, 1896. «Procès entre + Bossuet, prieur du Plessis-Grimoult, et le curé de Montchauvet en + Normandie, en 1674.» + +_Page 4, note 4._ + +J'ajouterai «et le prieur du Plessis-Grimoult», car Montchauvet était +une des 39 cures (ou bénéfices) qui dépendaient de ce prieuré.--Voir +notre étude sur _Bossuet en Normandie_, p. 43. + +_Page 5, note 5._ + +L'abbé Gilles Basset des Rosiers enseigna la philosophie au collège +d'Harcourt (aujourd'hui lycée St-Louis) vers 1750. Il devint recteur +de l'Université en 1779. C'était un homme aimable, instruit, en +relation avec les écrivains les plus renommés. (Voir BOUQUET, +_L'ancien collège d'Harcourt et le lycée Saint-Louis_, p. 414.) + +_Page 10, note 6._ + +Grimm n'assistait pas à cette mémorable séance; sa chaise de poste +s'étant brisée à Soissons, il ne put arriver à Paris que le lundi de +carnaval. «C'est ce contre-temps, nous dit-il, qui m'attira l'honneur +d'être l'historien du curé de Montchauvet.» + +_Page 13, note 7._ + +M. de la Condamine est bien connu par ses voyages scientifiques et par +ses _Mémoires sur l'inoculation de la petite vérole_. + +Sa surdité donna lieu, lorsqu'il fut reçu à l'Académie française +(1760) au quatrain suivant. (On dit même qu'il en est l'auteur). + + La Condamine est aujourd'hui + Reçu dans la troupe immortelle: + Il est bien sourd, tant mieux pour lui, + Mais non muet, tant pis pour elle. + +Trois ans auparavant (1757),--n'étant plus de la première jeunesse, +puisqu'il était né en 1701,--il épousa sa nièce. Le madrigal qu'il fit +à sa jeune femme, pendant la première nuit de ses noces, fit beaucoup +d'honneur à son esprit: + + D'Aurore et de Titon vous connaissez l'histoire. + Notre hymen en retrace aujourd'hui la mémoire; + Mais Titon de mon sort pourrait être jaloux. + Que ses liens sont différents des nôtres! + L'Aurore entre ses bras vit vieillir son époux, + Et je rajeunis dans les vôtres. + +Après avoir lu ce joli madrigal, M. de Luxemont, secrétaire des +commandements de M. le comte de Charolais, envoya le huitain suivant à +M. de la Condamine: + + D'Aurore et de Titon nous connaissons l'histoire. + L'infortuné vieillit où vous rajeunissez. + Vous le dites du moins, et pour nous c'est assez: + Véridique et modeste, il faut bien vous en croire; + Mais lorsque de l'Amour, dans le lit nuptial, + Vous empruntez la voix pour peindre sa puissance, + Ne peut-on soupçonner, sans vous faire une offense, + Qu'il n'y fit rien de mieux que votre madrigal? + +Piqué au jeu, M. de la Condamine répondit: + + Mon madrigal fut donc, à ce que vous pensez, + La nuit de mon hymen, ma plus grande prouesse? + Monsieur, sont-ce mes vers que vous applaudissez, + Ou pensez-vous déplorer ma faiblesse? + Hélas! dans mon printemps, pour tribut conjugal, + J'eusse achevé ma neuvaine à Cythère. + Aujourd'hui, moins fervent, pour me tirer d'affaire, + J'en remplis les deux tiers avec un madrigal. + +M. de Luxemont répliqua à son tour: + + Ce sont vos vers que j'applaudis, + Sans déplorer votre faiblesse; + L'Amour n'en est pas moins surpris + Que l'objet de votre tendresse + (Dont lui-même serait épris) + Ne vous ait pas rendu tel qu'en votre jeunesse. + Toutefois, n'en déplaise au dieu de l'Hélicon, + Seul garant de cette neuvaine + Que commencent souvent, que finissent à peine + Les vrais élus de Cupidon, + Tout homme sur ce point, dit le bon La Fontaine, + Est d'ordinaire un peu gascon; + Et l'on croit qu'il avait raison. + Mais pour n'être jamais contredit de personne, + Rimez toujours, rimez: vos vers vainqueurs du Temps, + Prouvent qu'en vos pareils les fruits de leur automne + Conservent la saveur de ceux de leur printemps. + +Si l'abbé Basset a envoyé ces agréables jeux d'esprit au curé de +Montchauvet, l'auteur de _Baltazar_ a dû se dire: «Je comprends que ce +M. de la Condamine n'ait pas voulu écouter mes vers; ce n'est pas un +poète sérieux.» + +_Page 17, note 8._ + +Le curé tint compte de l'observation. On lit (acte III, sc. 3): + + Le temps vous vengera des soupirs _superflus_, + Et je sçauray moi-même enfin n'y songer plus. + +_Page 21, note 9._ + +C'est l'année suivante (dans l'_Orphelin de la Chine_, de Voltaire) +que Mlle Clairon et les artistes du Théâtre Français renoncèrent à +jouer avec paniers. + +C'est aussi à cette date (1755) que le marquis de Ximenès se brouilla +avec Mlle Clairon. La grande actrice lui redemanda son portrait, et le +marquis eut le mauvais goût de le lui renvoyer, avec ce quatrain... +cruel: + + Tout s'use, tout périt; tu le prouves, Clairon. + Ce pastel, dont tu m'as fait don, + Du temps a ressenti l'outrage: + Il t'en ressemble davantage. + +_Page 29, note 10._ + +Le curé de Montchauvet n'est pas difficile. Sa tragédie est très mal +imprimée; il y a deux grandes pages de _fautes à corriger_. + +_Page 29, note 11._ + +M. et Mme Fréron ne furent guère sensibles à cette générosité, car +dans l'_Année littéraire_ de 1754 (tome IV), le curé et sa tragédie +sont arrangés de la belle façon. + +_Page 34, note 12._ + +M. de Margency ne faisait pas que des vers burlesques. Voici une +chanson, citée par Grimm (15 novembre 1757), qui nous prouve qu'il +avait, quand il le voulait, l'esprit aussi ingénieux que délicat. + + J'entends dans ces forêts + Gémir la tourterelle; + Hélas! si je voulais, + Je me plaindrais comme elle. + + Notre sort est égal; + L'amour seul fait sa peine: + Chez moi c'est même mal, + L'amour cause la mienne. + + Ce qui fait nos douleurs, + Ce n'est pas l'inconstance; + Mais l'on verse des pleurs + De même pour l'absence. + + Un cÅ“ur qui n'aime rien + N'a point de ces alarmes, + C'est pourtant un grand bien + De répandre des larmes. + +_Page 46, note 13._ + +Cette étude a déjà paru dans la _Nouvelle Revue_, 4e année, tome XIX, +1re livraison, 1er mars 1882, pages 117 et suivantes. + +--Dans la première livraison de la _Revue franco-américaine_ (juin +1894), Alphonse Daudet a consacré deux pages à l'abbé Le Petit, qu'il +appelle «un raté littéraire au XVIIIe siècle». + +--Les deux tragédies de _David et Bethsabée_ et de _Baltazard_ sont +devenues excessivement rares. J'ai pu acheter la première à la vente +du baron Taylor.--Elles se trouvent à la Bibliothèque de Caen, Ch 5/4. +_Baltazard_ se morfond, très peu lu, à la Bibliothèque de Vire. «Nul +n'est prophète en son pays.» + + * * * * * + +La paroisse de Montchauvet a connu un autre curé-poète de la même +force que l'abbé Le Petit. + +En 1828, le curé Laumonier fit paraître[17]: _L'oraison funèbre ou +complainte sur le renversement d'un très bel if qui a existé dans le +cimetière de Montchauvet jusqu'à l'éradication qui en fut faite le 12 +janvier 1828_. (Ouf, quel titre!). + + [17] A Vire, chez Adam, imprimeur du roi. L'abbé Laumonnier avait + déguisé son nom sous l'anagramme de NUMA LEROI. + +Voici quelques couplets de cette complainte: + + Ici vivait depuis mille ans, + A quelques pas du sanctuaire, + Athlète contre les autans, + Un If,... un arbre tutélaire. + . . . . . . . . . . . . . . . . . + + Il était l'arbre du pays, + L'expression n'est pas outrée, + Où s'assembloient le plus d'amis, + D'enfans... de toute la contrée. + + Il était aussi le plus beau + Qui fût connu du voisinage: + Là s'unissaient près du tombeau + L'enfance avec le moyen âge. + + Il aurait pu rester debout: + C'était l'avis du commissaire... + Mille ans n'auraient pas vu le bout + De sa présence salutaire. + . . . . . . . . . . . . . . . . . + + De la demeure funéraire + Il était le triste ornement. + Faut-il qu'un désir de déplaire + Ait causé son renversement? + + Il me servait de paravent + Quand j'allais à la sacristie; + Il me saluait en passant, + Me protégeant à la sortie. + . . . . . . . . . . . . . . . . . + +«La fin couronne l'Å“uvre», c'est le cas de le dire: + + Adieu bel arbre, adieu bel If... + Adieu, ton tronc, ta forte branche; + En dépit de mon cri plaintif, + Tu meurs la veille d'un dimanche. + +«Au haut des cieux, _leur demeure dernière_», (du moins j'aime à le +supposer), les deux curés de Montchauvet, Le Petit et Laumonier, +doivent rimailler de conserve et maudire les méchants critiques, qui +«tâchent de décourager ceux qui donnent quelque espérance». + + +IMPRIMERIE HENRI DELESQUES, A CAEN + + + + + +End of Project Gutenberg's Diderot et le Curé de Montchauvet, by Armand Gasté + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44723 *** diff --git a/44723-h/44723-h.htm b/44723-h/44723-h.htm new file mode 100644 index 0000000..2985205 --- /dev/null +++ b/44723-h/44723-h.htm @@ -0,0 +1,1965 @@ + <!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" + "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> + <html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" lang="fr" xml:lang="fr"> + <head> + <meta http-equiv="Content-Type" + content="text/html;charset=UTF-8" /> + <meta http-equiv="Content-Style-Type" content="text/css" /> + <title> + The Project Gutenberg's eBook of Diderot et le Curé de Montchauvet, by Armand Gasté</title> + <link rel="coverpage" href="images/cover.jpg" /> + <style type="text/css"> + + h1,h2,h3 {text-align: center; 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DCCC. XCVIII</p> +</div> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_2"> 2</a></span> +<span class="pagenum"><a id="Page_3"> 3</a></span></p> + +<div class="header"> +<h2>DIDEROT<br /> +<span class="medium">ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET</span><a name="FNanchor_1" id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor"> [1]</a></h2> +</div> + +<p>Au milieu du XVIII<sup>e</sup> siècle vivait, ou plutôt +végétait tristement dans l'humble presbytère +de Montchauvet, en plein Bocage normand<a name="FNanchor_2" id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor"> [2]</a>, +un curé poète qui doit aux Encyclopédistes +l'immortalité du ridicule, et dont les vers extravagants +furent,—qui le croirait?—une des +causes de la rupture de Jean-Jacques Rousseau +avec ses bons amis, les Philosophes.</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_1" id="Footnote_1" href="#FNanchor_1" class="label">[1]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_3_note_1">note 1</a></p></div> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_2" id="Footnote_2" href="#FNanchor_2" class="label">[2]</a> <em>Ibid.</em> <a href="#Page_3_note_2">note 2</a></p></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_4"> 4</a></span></p> + +<div class="header"> +<h3>I</h3> +</div> + +<p>L'abbé Le Petit<a name="FNanchor_3" id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor"> [3]</a>,—c'est le nom de notre +curé,—s'ennuyait à mourir dans le village où +l'avait enterré son évêque<a name="FNanchor_4" id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor"> [4]</a>. Il avait beau +monter sur les âpres rochers qui dominent le +presbytère et interroger l'horizon, il ne voyait +venir personne qui fût digne de le comprendre +et sût goûter les vers qu'il composait dans sa +morne solitude. Et laissant tomber ses regards +sur les masures de ses paroissiens: «Ici, il n'y +a que moi d'homme d'esprit, se disait-il. Point +de société!... Pour toute ressource, le magister, +c'est-à -dire un paysan habillé de noir!»</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_3" id="Footnote_3" href="#FNanchor_3" class="label">[3]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_4_note_3">note 3</a></p></div> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_4" id="Footnote_4" href="#FNanchor_4" class="label">[4]</a> <em>Ibid.</em> <a href="#Page_4_note_4">note 4</a></p></div> + +<p>Un beau jour, l'abbé Le Petit, n'y pouvant +plus tenir, boucla sa valise et partit pour Paris. +A Paris, en effet, il trouverait un de ses anciens +camarades de séminaire, l'abbé Basset<a name="FNanchor_5" id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor"> [5]</a>, +professeur de philosophie au collège d'Harcourt. +L'abbé Basset avait de belles relations: il procurerait +<span class="pagenum"><a id="Page_5"> 5</a></span> +certainement un éditeur à son confrère. +L'éditeur trouvé, le livre prôné par les gazettes +s'enlevait en un clin d'œil; les salons se disputaient +l'illustre compatriote de Malherbe et +de Pierre Corneille; et qui sait? l'Académie ne +se faisait pas trop prier pour lui offrir un de +ses quarante fauteuils.</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_5" id="Footnote_5" href="#FNanchor_5" class="label">[5]</a> <em>Ibid.</em> <a href="#Page_5_note_5">note 5</a></p></div> + +<p>Tels étaient les beaux rêves que le curé de +Montchauvet confiait à l'abbé Basset, et que +celui-ci, en se promenant avec lui, au Luxembourg, +par une belle matinée d'hiver, écoutait +d'une oreille trop indulgente.</p> + +<p>Au détour d'une allée, on rencontre Diderot. +Diderot, qui demeurait à quelques pas de là , +sur la hauteur d'où il avait tiré son surnom de +<em>Philosophe de la Montagne</em>, aimait à se promener +le matin au Luxembourg. L'abbé Basset, qui +était fort lié avec lui, connaissait ses habitudes. +Ce n'était pas sans intention, peut-être, qu'il +conduisit, ce jour-là , sur le chemin du philosophe, +le curé de Montchauvet, avide de +connaître les grands esprits du siècle, avide +surtout d'en être connu. L'abbé Basset présente +son ami à Diderot. Le curé nage dans la joie; +il pâlit d'aise, et son nez,—un nez extrêmement +<span class="pagenum"><a id="Page_6"> 6</a></span> +long, dit la chronique,—est dans un +mouvement perpétuel. La conversation est +bientôt liée. L'abbé Le Petit raconte d'un trait +ses infortunes: «Je m'étiolais à Montchauvet, +le plus triste lieu du monde; mes talents y +étaient enfouis. Mais, Dieu merci! j'en suis +hors, et je me réjouis, monsieur, d'avoir fait +connaissance avec un homme de votre réputation, +afin de vous demander votre avis.</p> + +<p>—Mon avis, dit le philosophe, et sur quoi, +monsieur l'abbé?</p> + +<p>—Sur un madrigal de sept cents vers, que +j'ai fait dernièrement.</p> + +<p>—Un madrigal de sept cents vers! Et sur +quel sujet, je vous prie?</p> + +<p>—Voici la chose, dit le curé en souriant +d'un air malin: mon valet a eu le malheur de +faire un enfant à ma servante, et cela m'a donné +un assez beau champ, comme vous allez voir.</p> + +<p>Et, disant cela, il tire de la poche de sa soutane +un grand cahier de papier. Diderot recule +épouvanté; puis se ravisant:</p> + +<p>—Monsieur le curé, dit-il, je vous trouve +bien blâmable d'employer vos loisirs à de +pareils sujets.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_7"> 7</a></span> +L'abbé Le Petit commençait à rougir de +colère; son nez s'agitait, menaçant...</p> + +<p>—Quand on a un génie aussi sûr que le +vôtre, poursuivit Diderot, on doit faire des tragédies, +et non pas s'amuser à des madrigaux.</p> + +<p>Le curé de Montchauvet, agréablement flatté +de ce compliment inattendu, devint radieux: +ses yeux brillaient d'un éclat inaccoutumé, son +grand nez se dilatait pour mieux aspirer l'encens. +Il voulait remercier Diderot; celui-ci ne +lui en laissa pas le temps:—Permettez-moi +de vous dire que je n'écouterai pas un seul vers +de votre façon, avant que vous ne nous ayez +apporté une tragédie.—Vous avez raison, +répliqua le curé;.... je suis trop timide. +Puis, remettant dans la vaste poche de sa soutane +son long poème, il salua poliment Diderot. +Le philosophe, en s'en allant, échangea +avec l'abbé Basset un sourire que le bon curé +n'aperçut pas, ou dont il ne comprit pas la +signification.</p> + +<p>C'était un sourire de contentement. Diderot +s'était débarrassé du même coup, (il le croyait +du moins), d'un madrigal de sept cents vers et +d'un importun.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_8"> 8</a></span> +Quelques mois se passent. Diderot, bien +tranquille dans son cabinet, travaillait, sans +doute à ses <cite>Pensées sur l'interprétation de la +nature</cite>, lorsque, sans se faire annoncer, l'abbé +Le Petit se présente avec un énorme manuscrit +sous le bras. Qu'on juge de la surprise de +Diderot.—Comment, monsieur le curé, c'est +bien vous que je vois! Je vous croyais depuis +longtemps en Normandie.—On ne peut +vivre qu'à Paris, monsieur; j'y suis donc resté, +et, suivant vos conseils, je me suis mis avec +ardeur au travail. Je vous apporte...—Encore +un madrigal? s'écria Diderot; non, monsieur +le curé, vous savez nos conventions. Je n'écoute +pas un vers de vous, que vous ne m'ayez apporté +une tragédie.—C'est justement...—Quoi! +C'est une tragédie?—Oui, monsieur, +<cite>David et Bethsabée</cite>....</p> + +<p>Diderot faillit tomber à la renverse.</p> + +<p>—Avez-vous le loisir de m'écouter? poursuivit +l'abbé, impitoyable.</p> + +<p>Il n'y avait pas à reculer, il fallait bien essuyer +cette lecture.</p> + +<p>—Monsieur le curé, répondit le philosophe, +que diriez-vous si, dimanche, je vous présentais +<span class="pagenum"><a id="Page_9"> 9</a></span> +à nos amis, et si je vous donnais pour juges les +plus grands esprits dont notre siècle s'honore?... +Allons, c'est entendu, je vous mènerai dans le +salon de M. le baron d'Holbach. Vous y entrerez +inconnu; mais, je vous le jure, vous en +sortirez célèbre.</p> + +<p>—Monsieur, balbutia l'abbé, que de grâces...</p> + +<p>—Trève de compliments! C'est moi qui +suis votre obligé. Ne pas produire au grand jour +un poète de votre force, mais ce serait un +crime!... Allons, adieu, monsieur le curé, ou +plutôt, au revoir... A dimanche! Je vous +attends chez moi.</p> + +<p>Le curé fut exact au rendez-vous. Diderot +avait prévenu ses amis, les Encyclopédistes. On +sait que le baron d'Holbach les recevait à dîner +deux fois par semaine, ce qui le faisait appeler +par l'abbé Galiani «<em>le maître d'hôtel de la philosophie</em>».</p> + +<p>Ce jour-là —c'était justement le dimanche +gras—les convives du baron d'Holbach étaient +quinze à vingt. Dans le riche cabinet, où le +richissime philosophe venait de faire placer sa +récente acquisition, la <cite>Chienne allaitant ses +petits</cite>, un des chefs-d'œuvre du peintre Oudry, +<span class="pagenum"><a id="Page_10"> 10</a></span> +on voyait réunis, sans compter Diderot et le +maître de la maison, J.-J. Rousseau, d'Alembert, +Duclos, Marmontel, Helvétius, de Jaucourt, +Raynal, Morellet, de la Condamine, +M. de Gauffecourt, M. de Margency, etc.<a name="FNanchor_6" id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor"> [6]</a>.</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_6" id="Footnote_6" href="#FNanchor_6" class="label">[6]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_10_note_6">note 6</a></p></div> + +<p>Le curé de Montchauvet est introduit. On lui +fait fête; on l'invite à s'asseoir. Il promène ses +regards de tous côtés: il ne voit que des visages +riants; cela l'encourage. Pourtant, il aperçoit +dans un coin du salon une figure renfrognée. +C'était J.-J. Rousseau, qui flairait une mystification, +et qui, avec sa probité à toute épreuve, +était résolu à faire le rôle d'honnête homme.—C'est +un jaloux, se dit l'abbé; mais qu'importe?... +Et il déroule lentement son manuscrit.—D'abord, +messieurs, leur dit-il, je dois +vous lire l'épître que je me permets d'adresser à +Madame de Pompadour.</p> + +<p>Cette épître commençait par un vers assez +singulier:</p> + +<p class="quote">Rentrez dans le néant, race de mendiants...</p> + +<p>C'était pour flétrir les poètes qui font des +<span class="pagenum"><a id="Page_11"> 11</a></span> +dédicaces en vue de gagner de l'argent.—Oh! +oh! Monsieur le curé, lui dit-on de toutes +parts, l'épithète n'est-elle pas un peu violente?—Non, +messieurs,</p> + +<p class="quote">Point d'enfant d'Apollon, s'il ne rime gratis.</p> + +<p>Et, continuant sa lecture, il déclame avec +emphase ces deux vers:</p> + +<p class="quote">Tout ainsi comme Icare, parcourant la lumière,<br /> +Dans un rayon brûlant vit fondre sa carrière...</p> + +<p>—Voilà , lui dit Marmontel, un vers admirable! +mais ces sortes de vers doivent être bien +difficiles à trouver.—Cela est vrai, répondit +le curé en pâlissant de joie et de vanité; mais +aussi est-on bien content quand on a trouvé.</p> + +<p>L'épître finie, le curé, avant de commencer +la lecture de sa tragédie, pria la société de lui +permettre d'exposer rapidement sa théorie du +poème dramatique. Corneille l'a fait, ajouta-t-il: +compatriote de Corneille, ne puis-je pas faire +comme lui?—Sans aucun doute, monsieur +l'abbé, s'écrièrent en chœur tous les convives.—Vils +flatteurs, murmurait dans son coin le +<span class="pagenum"><a id="Page_12"> 12</a></span> +citoyen de Genève.—Ma théorie est bien +simple, messieurs. Donnez-moi un sujet quelconque.</p> + +<p>—<em>Balthazar</em>, dit une voix.</p> + +<p>—<em>Balthazar</em>, soit! Eh bien! vous savez, +messieurs, que, pendant le souper de ce roi +impie, on vit une main écrire sur les murs les +mots: <em>Mané, Thécel, Pharès</em>. Il s'agit donc de +savoir si le roi soupera ou non; car, s'il ne +soupe pas, la main n'écrira pas. Or je n'ai +qu'à inventer deux acteurs. Le premier veut que +le roi soupe, le second ne le veut pas, et cela +alternativement. Si moi, poète tragique, je +veux que le roi soupe, celui-là parlera le premier. +Ainsi:</p> + +<p>I<sup>er</sup> acte: <em>Le roi soupera</em>;</p> + +<p>2<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p> + +<p>3<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>;</p> + +<p>4<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p> + +<p>5<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>.</p> + +<p>Si, au contraire, je ne veux pas que le roi +soupe, voici quel sera mon plan:</p> + +<p>I<sup>er</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p> + +<p>2<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>;</p> + +<p>3<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_13"> 13</a></span> +4<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>;</p> + +<p>5<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>.</p> + +<p>Voilà , messieurs, tout le mystère.</p> + +<p>Un murmure approbateur accueillit ces paroles. +Le poète commença alors la lecture de +sa tragédie. Tous les philosophes, rangés en +cercle, écoutaient attentivement. M. de la +Condamine, entre autres, avait tiré le coton de +ses oreilles pour mieux entendre<a name="FNanchor_7" id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor"> [7]</a>; mais, +dès la première scène, sa patience était à bout. +Dans la seconde, David paraît; il se plaint que +l'amour le tourmente jour et nuit et l'empêche +de dormir. Il a cependant de quoi s'occuper; +il a de nouveaux ennemis, dit-il:</p> + +<p class="quote">Quatre rois, vive Dieu! ci-devant mes amis...</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_7" id="Footnote_7" href="#FNanchor_7" class="label">[7]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_13_note_7">note 7</a></p></div> + +<p>—<em>Vive Dieu</em>! s'écria M. de la Condamine, +et pourquoi pas <em>Ventre Dieu</em>? Et, remettant le +coton dans ses oreilles, il sortit brusquement.</p> + +<p>—Voilà , dit le curé froidement, un homme +qui ne sait pas que <em>Vive Dieu</em>! est le serment +des Hébreux.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_14"> 14</a></span> +Ces quatre rois, «ci-devant les amis» de +David, ont embrassé la querelle du barbare +Hanon...</p> + +<p>A ce mot malencontreux, cinq ou six auditeurs +se récrient.</p> + +<p>—Ah! messieurs, dit le curé d'un air de +profonde pitié, ce nom sonne mal à vos oreilles, +apparemment à cause de la ridicule équivoque +de celui d'<em>ânon</em>, animal si connu et si commun. +Pour moi, je pense qu'un nom, par lui-même, +n'a rien qui doive offenser. L'Écriture s'en est +servie; elle a bien les oreilles aussi délicates +que les nôtres.</p> + +<p>—Mais, lui dit Duclos, ajoutez une lettre +à ce nom, et l'équivoque cessera.</p> + +<p>—Monsieur, répartit le curé, vous voulez +sans doute que je fasse de ce personnage un +Carthaginois?</p> + +<p>Dans un autre endroit, Bethsabée, pressée +par David «de le rendre heureux», veut le +piquer d'honneur, et lui rappelant ses grandes +actions passées, elle dit:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Vous sûtes arracher Saül à ses furies,</p> +<p>Où ce prince, vainqueur de mille incirconcis,</p> +<p>Frémissait que David en eût dix mille occis.</p> +</div></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_15"> 15</a></span> +—Ah! Dieu! quels vers! s'écria le citoyen +de Genève; et pourquoi <em>occis</em>? pourquoi +pas <em>tués</em>?</p> + +<p>—Je pourrais, riposta sèchement le curé, +vous répondre que <em>tués</em> ne rime pas à <em>incirconcis</em>; +mais apparemment que vous imaginez +que <em>tué</em> et <em>occis</em> sont des synonymes. Apprenez, +monsieur, que cela n'est pas. On dit tous les +jours: Cet homme me <em>tue</em> par ses discours, et +l'on n'en est pas <em>occis</em> pour cela.</p> + +<p>—J'avoue, reprit le citoyen, qu'il doit être +fort fâcheux d'être <em>occis</em>; mais je ne me soucierais +pas même d'être <em>tué</em>.</p> + +<p>Le curé de Montchauvet poursuivit sa lecture, +sans s'arrêter plus qu'il ne convenait à cette +misérable querelle de mots.</p> + +<p>Arrivé à un passage où il faisait rimer <em>angoisse</em> +et <em>tristesse</em>, Rousseau l'interrompit de nouveau:</p> + +<p>—<em>Angoisse</em> et <em>tristesse</em> ne riment pas; vous +êtes trop hardi, monsieur le curé.</p> + +<p>—Trop hardi, monsieur? Cette rime est +neuve; voilà tout.</p> + +<p>—Dites étrange, monsieur le curé.</p> + +<p>—Étrange, monsieur? Mais, vous, savez-vous +bien ce que c'est que la rime?</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_16"> 16</a></span> +—J'ose le croire, monsieur le curé.</p> + +<p>—On ne s'en douterait guère, et...</p> + +<p>La dispute allait s'envenimer: un geste de +d'Holbach rétablit la paix.</p> + +<p>—Continuez, dit-il au curé de Montchauvet, +nous vous écoutons.</p> + +<p>Vers le milieu du deuxième acte, Bethsabée +dit à sa confidente:</p> + +<p class="quote">Le roi ne m'offre plus que d'<em>innocentes</em> charmes.</p> + +<p>—Pardon, monsieur le curé, interrompit un +des auditeurs, <em>charme</em> est du masculin.</p> + +<p>—Ah! vous le prenez comme cela, +messieurs, répondit l'abbé; eh bien, dans la +scène suivante, vous le trouverez masculin; j'ai +tâché de contenter tout le monde.</p> + +<p>Plus loin, il faisait rimer <em>superflu</em> et <em>plus</em>.</p> + +<p>—Cette rime n'est pas exacte, dit Marmontel.</p> + +<p>—Ah! vraiment; et pourquoi cela?</p> + +<p>—C'est que <em>superflu</em>, étant au singulier, n'a +point d's, et par conséquent ne peut rimer avec +<em>plus</em>.</p> + +<p>Point d'<em>s</em>, reprit vivement le curé en +<span class="pagenum"><a id="Page_17"> 17</a></span> +mettant son manuscrit sous le nez de Marmontel, +point d'<em>s</em>! Mais je vous prie de remarquer, +monsieur, que j'en ai mis une<a name="FNanchor_8" id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor"> [8]</a>.</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_8" id="Footnote_8" href="#FNanchor_8" class="label">[8]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_17_note_8">note 8</a></p></div> + +<p>Et il continua intrépidement sa lecture.</p> + +<p>On lui avait fait croire que M. de Margency +était un poète de profession, et qu'il aurait en +lui un dangereux concurrent. Il n'est sorte de +bassesse que ne lui fit le curé de Montchauvet. +M. de Margency, comme on en était convenu +auparavant, se fit le champion à outrance +du poète bas-normand. Aussi, c'était vers lui +qu'il se tournait de préférence.</p> + +<p>Au milieu d'une des plus pompeuses tirades, +il entend un léger bruit. C'était M. de Gauffecourt +qui riait tout bas dans ses mains.</p> + +<p>—Vous riez, monsieur, lui dit le curé du +ton dont il aurait apostrophé un bambin au +catéchisme?</p> + +<p>—Non, monsieur, répondit M. de Gauffecourt +avec un grand sérieux; je n'ai ri de ma +vie.</p> + +<p>On arrive, sans autre incident, au quatrième +acte. Tout le monde se lève. On prie le curé de +<span class="pagenum"><a id="Page_18"> 18</a></span> +Montchauvet d'arrêter là sa lecture. Il doit être +épuisé de fatigue; on lui donnera une nouvelle +séance pour achever sa tragédie; on n'en +veut pas perdre un seul vers.</p> + +<p>Chacun s'empresse autour de lui, et lui serre +les mains: «Vous surpassez Racine, et vous +égalez Corneille!»</p> + +<p>Le curé absorbe avec intrépidité ces louanges +ironiques; il se rengorge; son nez s'agite, se +dilate de plus en plus. Tout à coup, J.-J. +Rousseau se précipite vers lui, lui arrache son +manuscrit et le jette à terre:</p> + +<p>—Votre tragédie est absurde, mon cher +curé; ces messieurs,—vous ne le voyez donc +pas?—se moquent de vous. Retournez vicarier +dans votre village.</p> + +<p>L'abbé, rouge de colère, fond sur Rousseau; +en vrai poète tragique, il veut l'<em>occire</em>. On sépare +à grand'peine les deux combattants. Rousseau +sort furieux, pour ne plus remettre les pieds +chez le baron d'Holbach. On arrête le curé, qui +le menace du poing et veut courir après lui +dans la rue. On réussit à le calmer un peu, en +lui peignant Rousseau comme un poète jaloux +de sa gloire naissante.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_19"> 19</a></span> +On peut bien penser que Diderot ne fut pas +l'un des moins empressés à verser du baume sur la +blessure faite par Rousseau à la vanité du poète.</p> + +<p>—Votre pièce est excellente, monsieur le +curé, lui dit-il; je m'y connais: elle aura le +plus grand succès au théâtre, si toutefois vous +y apportez quelques modifications que je crois +indispensables... Me permettez-vous, monsieur +le curé, de vous faire une légère critique?</p> + +<p>—Parlez, monsieur, dit le curé, pris par le +ton bienveillant que Diderot donnait à ses paroles. +Je ne puis recevoir que des conseils +judicieux d'un esprit aussi éminent.</p> + +<p>—Eh bien, monsieur l'abbé, puisque vous +m'autorisez à vous dire toute ma pensée, je +vous avouerai que votre pièce ne me semble +pas assez chargée d'incidents; que la plupart +des incidents ne se passant pas sur la scène, je +trouve,—excusez ma franchise,—la scène +un peu trop muette. Il est vrai que votre pièce +est une pièce sainte; mais ce n'en est pas moins +un défaut, à mon humble avis.</p> + +<p>Tout le monde s'attendait à une explosion +de colère; il n'en fut rien. Le curé répondit +d'un air suffisant:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_20"> 20</a></span> +—Je l'avais senti, monsieur, mais je n'ai +pu faire autrement; d'ailleurs, ces sortes de +pièces sont sujettes à ce défaut... Toutefois, +vous conviendrez avec moi que j'ai suppléé à +la sécheresse des récitatifs par une versification +assez heureuse.</p> + +<p>—Cela est vrai, dit M. de Margency, celui +des auditeurs qui s'était fait le champion du +curé. A mon tour, ajouta-t-il, je reprendrai +l'objection faite par M. Diderot, et je demanderai +à monsieur le curé pourquoi il n'a pas +placé sur la scène la baignoire de Bethsabée? +Son récit est plein de beaux vers, je le proclame +bien haut, mais Horace a dit:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p><i lang="la" xml:lang="la">Segnius irritant animos demissa per aurem</i></p> +<p><i lang="la" xml:lang="la">Quant quæ sunt oculis subjecta fidelibus, et quæ</i></p> +<p><i lang="la" xml:lang="la">Ipse sibi tradit spectator.</i></p> +</div></div> + +<p>—Sans doute, monsieur; mais Horace +n'ajoute-t-il pas:</p> + + +<div class="poetry"><div class="stanza"><p class="i11"> <i lang="la" xml:lang="la">Non tamen intus</i></p> +<p><i lang="la" xml:lang="la">Digna geri promes in scenam; multaque tolles</i></p> +<i lang="la" xml:lang="la">Ex oculis, quæ mox narret facundia præsens...</i> +</div></div> + +<p>—Je suis battu, dit M. de Margency.</p> + +<p>Puis, se tournant vers ses amis:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_21"> 21</a></span> +—Quoi qu'en dise Horace, messieurs, ne +regrettez-vous pas, comme moi que M. le curé +n'ait pu mettre sur la scène la baignoire de +Bethsabée? Vive Dieu! comme M<sup>lle</sup> Clairon...<a name="FNanchor_9" id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor"> [9]</a></p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_9" id="Footnote_9" href="#FNanchor_9" class="label">[9]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_21_note_9">note 9</a></p></div> + +<p>—Pardon, monsieur, interrompit le curé, +la rougeur au front; mais vous oubliez que ma +tragédie est une tragédie sainte, et que rien +n'y doit offenser les oreilles ou les yeux des +spectateurs chrétiens.</p> + +<p>—<i lang="la" xml:lang="la">Omnia sancta sanctis</i>, monsieur le curé; je +tiens à la baignoire. Et vous, messieurs?</p> + +<p>—Oui, oui, il nous faut la baignoire, s'écrièrent +ensemble les convives de d'Holbach.</p> + +<p>—Messieurs, je ne puis vous l'accorder. +N'insistez pas, je vous prie.</p> + +<p>—Nous respectons vos scrupules, dit M. de +Margency; qu'il soit fait selon votre désir... +Mais, poursuivit-il, qu'il me soit permis, avant +de nous séparer, d'ajouter un mot encore...</p> + +<p>Le curé dressa l'oreille.</p> + +<p>—Vous êtes du pays du grand Corneille, +monsieur le curé; nous ne le saurions pas, que +votre style nous l'aurait bien vite appris. Comment +<span class="pagenum"><a id="Page_22"> 22</a></span> +avez-vous fait pour arriver du premier +coup à cette mâle vigueur, dont l'auteur de +<cite>Polyeucte</cite> et vous avez seuls le secret?</p> + +<p>—Messieurs, répondit l'abbé, si mon style a +quelque ressemblance avec celui de Corneille, +je le dois à la lecture approfondie que j'ai faite +de ce grand poète; mais qu'on ne m'accuse +d'aucun plagiat: j'affirme solennellement que +mon style est à moi, et bien à moi... Je vois, +monsieur, continua le curé, en s'approchant +de M. de Margency, que vous êtes, comme on +dit, un homme du métier, et je ne doute pas +que vos pièces n'aient obtenu sur la scène un +légitime succès.</p> + +<p>—Monsieur le curé, dit de Margency, mes +amis veulent bien m'accorder quelque talent; +mais, malgré leurs conseils, je dirai plus, malgré +leurs instantes prières, je n'ai jamais consenti +à laisser jouer mes pièces. Vous l'avouerai-je, +monsieur le curé? j'ai peur...</p> + +<p>—Et de quoi, monsieur, je vous prie?</p> + +<p>—D'être sifflé.</p> + +<p>Puis, faisant un geste tragique: je crois que +j'en mourrais!</p> + +<p>—Mon ami, lui dit Diderot, ayez plus de +<span class="pagenum"><a id="Page_23"> 23</a></span> +confiance en vous-même. Osez, et je vous prédis +le succès, comme je le prédis à M. le curé +de Montchauvet.</p> + +<p>—Ne me comparez pas, je vous prie, avec le +rival de Pierre Corneille!</p> + +<p>—Que du moins son exemple vous enflamme, +et, puisque vous travaillez actuellement +à une tragédie de <cite>Nabuchodonosor</cite>, soumettez-la +au jugement de M. le curé... Puis, s'adressant +à l'abbé: Si nous osions, monsieur, vous prier +de traiter le même sujet, voudriez-vous nous +refuser, dans l'intérêt de notre ami qui brûle de +marcher sur vos traces?</p> + +<p>—Monsieur, dit d'Holbach qui, pendant +toute cette scène, avait gardé le plus grand +sérieux, mes amis et moi nous vous attendons +dimanche prochain. Vous achèverez la lecture +de votre tragédie, et vous nous lirez, n'est-ce +pas? la première scène de <cite>Nabuchodonosor</cite>; +c'est un sujet extrêmement difficile et délicat. +Nous ne doutons nullement que vous ne +vous en tiriez avec l'habileté dont vous avez +fait preuve dans votre tragédie de <cite>Bethsabée</cite>. +Pour vous, dit d'Holbach à de Margency, +vous saurez dimanche si vous devez affronter +<span class="pagenum"><a id="Page_24"> 24</a></span> +la scène ou brûler vos manuscrits. Vous connaissez +notre franchise. Nous vous promettons +un jugement sincère. A dimanche donc, monsieur +le curé!</p> + +<p>Le curé promit de se rendre à cette aimable +invitation.</p> + +<p>On se sépara. La vanité du curé de Montchauvet +était aussi énorme que son talent était +mince; aussi était-il loin de se douter qu'il +venait de servir de bouffon aux convives habituels +du baron d'Holbach. Cependant, malgré +le plaisir que lui avaient causé les éloges de +Diderot, de d'Holbach et de Margency, il était +mécontent: il aurait voulu plus d'éloges encore; +et il était indigné que l'on ne se fût pas montré +plus sévère à l'égard de cet impertinent de +Rousseau.</p> + +<p>Le lendemain, il rencontra M. de Margency +et se plaignit beaucoup.—Si je fréquentais +ces messieurs, lui dit-il, je finirais par soupçonner +mes vers d'être plats: cependant, je suis +bien sûr du contraire; et ils n'ont qu'à examiner +leurs observations avec autant de sévérité que +ma tragédie, ils verront ce qu'il y aura plat. +Au demeurant, ce n'est pas que leur critique +<span class="pagenum"><a id="Page_25"> 25</a></span> +m'effraie: je ne tiens pas à ma pièce en auteur +servile; j'en ai fait chaque vers triple, et je puis, +comme vous voyez, sacrifier tout ce qu'on veut, +sans que j'en sois plus mal à mon aise.</p> + +<p>M. de Margency l'assura fort qu'il avait laissé +la société dans une grande admiration de ses +talents; mais il n'en voulut rien croire: «Je +les ai vus rire souvent pendant la lecture, répondit-il, +et on ne rit pas dans une tragédie, +quand on est de bonne foi... Enfin, je vois ce +que c'est. Ces messieurs redoutent les ouvrages +d'une certaine trempe et qui pourraient fixer +l'attention du public, ils n'ont que leur <cite>Encyclopédie</cite> +dans la tête: ils craignent que mes succès +ne fassent tort aux leurs. Mais le public +saura bien rendre justice à chacun.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_26"> 26</a></span></p> + +<div class="header"> +<h3>II</h3> +</div> + +<p>C'est dans ces sentiments que le curé de +Montchauvet reprit, trois jours après cette mémorable +séance, le chemin de la basse Normandie. +Pour se consoler de l'injustice des +Philosophes, il fit imprimer à Rouen sa tragédie, +qui parut sous ce titre: <cite>David et Bethsabée</cite>, tragédie +par M. l'abbé ***. Prix, 36 sols.—A +Londres [Rouen], aux dépens de la Compagnie, +1754.</p> + +<p>Lorsque l'imprimeur lui eut envoyé son +ballot, l'abbé prit la plume et adressa à l'abbé +Basset une longue lettre, que celui-ci s'empressa +de communiquer à Diderot et que le philosophe +lut à ses amis. En voici quelques extraits:</p> + +<div class="blocquote"> +<p class="town">«De Montchauvet.</p> + +<p>«Je suis parti, monsieur et cher abbé, plein +du souvenir de vos bontés. Je me suis hâté de +quitter un séjour où je commençais à goûter +quelque satisfaction, mais où je devenais à +<span class="pagenum"><a id="Page_27"> 27</a></span> +charge à quelques-uns. Disons-le: ils ont pris +de l'ombrage d'une pièce où ils ont cru reconnaître +des beautés que le public n'y reconnaîtra +peut-être pas: ils m'ont envié un je ne sais quoi +que la nature ou le hasard m'a prodigué... On +m'apprit, avant de partir, que ce qui les avait +irrités, c'était la pièce adressée à M<sup>me</sup> la marquise. +Ils ont rugi à ces mots de <em>vils mendiants</em>, +et ils ont mis le curé de Montchauvet à toutes +sauces... Quoi qu'il en soit, dans le procédé +qu'ils ont tenu avec moi, ils ont cru me faire +leur dupe. Ils y ont réussi jusqu'à un certain +point, parce qu'ils ont abusé de ma franchise. +Qu'ai-je perdu, sinon de ne pas croire que ma +pièce était plus digne de voir le jour que je ne +l'espérais? Elle le voit actuellement en beau papier +et en caractères bien nets<a name="FNanchor_10" id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor"> [10]</a>: elle se vendra +trente-six sous... Voilà donc le moment +de sa mort ou de sa vie. Le public, qui voit +toujours avec de bons yeux, du moins pour +l'ordinaire, la disséquera comme il l'entendra +bien. Si elle ne lui plaît pas, je n'aurai garde +d'en appeler; mais je ne me rebuterai pas, je +<span class="pagenum"><a id="Page_28"> 28</a></span> +m'étudierai à faire mieux. Tant que ma veine +voudra couler, je vous proteste, mon cher abbé, +que rien ne sera capable de l'arrêter... J'ai déjà +commencé une seconde pièce. Lorsqu'elle sera +faite, j'en ferai sévèrement la critique, ainsi que +de cette première. Comme l'honneur du théâtre +ni l'intérêt ne me guident point, ne travaillant +qu'à braver l'ennui de ma solitude, j'apporterai +avec moi cette seconde tout imprimée, au moyen +de quoi je ne me verrai plus exposé à lire +mon manuscrit sur la sellette, devant des gens +surtout qui vous rient dans leurs mains, au lieu +d'être touchés, ou qui feignent d'applaudir, +sans savoir seulement ce que c'est qu'enchaînement +de scènes, ni peut-être qu'une rime... +Maintenant, mon cher abbé, j'ai l'honneur de +vous prévenir que je vous en enverrai un +exemplaire et plusieurs en pur don pour les +personnes à qui je vous prierai d'avoir la bonté +de les remettre. Je compte que vous les recevrez +la semaine prochaine avec une lettre d'avis: +ce seront deux ports de lettre que je vous ferai +coûter. Ayez pour agréable de me mander, au +reçu de la présente, à Montchauvet, par Aunay, +à la Plumaudière, si vous voulez vous +<span class="pagenum"><a id="Page_29"> 29</a></span> +donner la peine de m'en débiter. Dans le cas +où vous pourriez vous en défaire, ce serait à +l'acquit de ce que mon frère et moi nous vous +devons. Excusez-moi de la longueur de ma +lettre, je l'attends de votre indulgence. J'écris +à M. l'abbé Fréron, et je lui envoie deux exemplaires, +un pour lui, et l'autre pour M<sup>me</sup> son +épouse, en pur don<a name="FNanchor_11" id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor"> [11]</a>; vous voyez que je +fais les choses libéralement et que je ne regarde +pas à trente-six sous, lorsqu'il le faut. Adieu, +mon cher abbé, etc.»</p> +</div> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_10" id="Footnote_10" href="#FNanchor_10" class="label">[10]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>.<a href="#Page_29_note_10"> note 10</a></p></div> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_11" id="Footnote_11" href="#FNanchor_11" class="label">[11]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_29_note_11"> note 11</a></p></div> + +<p class="p2">Nous avouerons sans peine, avec Grimm, +que quelques centaines de pareilles lettres feraient +un excellent recueil.</p> + +<p>Toutefois, il est à remarquer que le curé de +Montchauvet ne parle pas, dans cette lettre, +d'un envoi que dut lui faire M. de Margency, +quelques jours après son départ pour la Normandie.</p> + +<p>M. de Margency lui avait dit, on s'en souvient, +qu'il lui soumettrait, le dimanche suivant, +la première scène de sa tragédie de <cite>Nabuchodonosor</cite>. +<span class="pagenum"><a id="Page_30"> 30</a></span> +L'abbé devait, de son côté, apporter une +scène sur le même sujet. De Margency, ayant +appris le départ inopiné du curé, lui envoya +son travail, accompagné d'une épître dédicatoire. +Voici ces deux bouffonneries:</p> + +<p><cite>Épître à M. l'abbé Petit, curé du Mont Chauvet</cite>.</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Corneille du Chauvet, rimeur alexandrin,</p> +<p>Crois-moi, laisse-les dire, et va toujours ton train.</p> +<p>Ne t'aperçois-tu pas qu'envieux de ta gloire,</p> +<p>Tes ennemis font tout pour t'empêcher de boire</p> +<p>Au ruisseau d'Hippocrène, où Sophocle buvoit</p> +<p>Les chefs-d'œuvre qu'il fit, les beautés qu'il trouvoit?</p> +<p>Presque semblable à lui, quand tu touches la rime,</p> +<p>Tu te sers du rabot et jamais de la lime;</p> +<p>C'est-à -dire que, loin de coudre bout à bout</p> +<p>Des mots cherchés longtemps, tu fais bien tout d'un coup;</p> +<p>Voilà ce qui s'appelle un esprit bien facile,</p> +<p>Tu scandes en Homère et rimes en Virgile,</p> +<p>Et c'est ce qui déplaît à ces auteurs jaloux;</p> +<p>Va, moque-toi d'iceux, et ris de leur courroux.</p> +<p>Ils ont bu comme toi des eaux hippocréniques:</p> +<p>Bientôt tu les verras crever en hydropiques,</p> +<p>Et, tombant à tes pieds, poussifs et crevassés,</p> +<p>Ils <em>moureront</em> tués, occis et trépassés.</p> +</div></div> + +<p>«Mon poétique cheval, Monsieur, qui se +déferre en ce moment, m'oblige de descendre +<span class="pagenum"><a id="Page_31"> 31</a></span> +de la rime à la prose; permettez-moi donc de +vous dire en son langage que votre immortelle +et jolie pièce vous a fait bien des jaloux; mais +n'en redoutez rien. Je viens de vous annoncer +dans mes épiques vers et leur sort et le vôtre. +D'ailleurs, consolez-vous avec les admirateurs +qui vous restent. Comme j'y touche aussi quelquefois, +à cette poésie, permettez-moi de vous +consulter sur la tragédie que j'ai entreprise et +dont je vous envoie une scène pour échantillon. +Le sujet est, comme vous le savez, le fameux +<cite>Nabuchodonosor</cite>. Je suis bien étonné que ce +grand homme ait échappé à tant de célèbres +auteurs. J'imagine qu'apparemment ils ne l'auront +regardé que comme une grande bête, +comme vous avez pu le regarder vous-même. +Quoi qu'il en soit, voici ma scène. Nabuchodonosor +entretient Isabelle avant de l'épouser.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_32"> 32</a></span></p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p class="i6">SCÈNE</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i2"><span class="large smcap">Nabuchodonosor, Isabelle</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Avant qu'à vos pieds beaux je mette ma couronne,</p> +<p>Écoutez-moi, princesse, et charmante personne;</p> +<p>Je n'allongerai pas, et je vous en répond,</p> +<p>Car, de mon naturel, je ne suis pas fort long</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i6"><span class="smcap">ISABELLE</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Ah! grand prince, tant pis! ..Mais qu'avez-vous à dire?</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Reine, asseyez-vous là , je vais vous en instruire.</p> +<p>Je fus jeune autrefois, et même fort bien fait;</p> +<p>J'avois l'air d'un amour, du moins on le disoit.</p> +<p>Vous ne l'auriez pas cru?</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i6"><span class="smcap">ISABELLE.</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i11"> Il est vrai, cher grand prince,</p> +<p>Qu'il vous reste à présent une mine assez mince.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Pas tant... Mais il n'importe ..Écoutant mes désirs,</p> +<p>Je me divertissois dans les plus grands plaisirs;</p> +<p>Ma cour, modèle en tout de faste et d'élégance,</p> +<p>Réunissoit encor la joie et l'opulence;</p> +<div><span class="pagenum"><a id="Page_33"> 33</a></span></div> +<p>Mille jeunes beautés, qui ne vous valoient pas,</p> +<p>Pleines de mes bienfaits, me prêtoient leurs appas;</p> +<p>Je vantois en tout lieu mon pouvoir, mes richesses,</p> +<p>Ma taille, mes bons mots, mes chiens et mes maîtresses.</p> +<p>Hélas! pour mon malheur je me vantai trop bien.</p> +<p>Le jaloux ciel piqué rabaissa mon maintien;</p> +<p>Il m'en punit, ce ciel: sa céleste colère</p> +<p>Donna dans mon endroit un exemple à la terre;</p> +<p>Je perdis dans un jour mon sceptre, mes États;</p> +<p>Une nuit je me vis velu comme les chats;</p> +<p>Sur mon corps tout courbé tous mes poils s'allongèrent,</p> +<p>De mon front menaçant deux cornes s'élevèrent,</p> +<p>Les seules, Dieu merci, que l'on m'ait vu porter...</p> +<p>Madame, en cet état, il fallut décamper.</p> +<p>Enfin je descendis du trône à quatre pattes.</p> +<p>(Où vas-tu nous fourrer, orgueil, quand tu nous flattes!)</p> +<p>Pour vous le couper court, et soit dit entre nous,</p> +<p>Je fus bête sept ans avant que d'être à vous.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i6"><span class="smcap">ISABELLE.</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Prince, que dites-vous?... Mais peut-être qu'encore...</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Je crois que vous raillez, madame la pécore!</p> +<p>Taisez-vous, reine en herbe; écoutez jusqu'au bout.</p> +<p>Galeux donc comme un braque, et velu comme un loup,</p> +<p>Je gagnai les forêts, les vallons, les montagnes;</p> +<p>La nuit j'allois brouter dans les vertes campagnes.</p> +<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p> +</div></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_34"> 34</a></span> +(<em>Ici doit être un magnifique morceau poétique de la vie que +Nabuchodonosor menoit à la campagne, comme une bête.</em>)</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Enfin le ciel touché mit fin à son courroux.</p> +<p>«Quittez les bois, dit-il, allez-vous-en chez vous;</p> +<p>Vous aviez, mon ami, la tête trop superbe:</p> +<p>Pour vous la rafraîchir, il vous falloit de l'herbe;</p> +<p>Le ciel est toujours ciel, et l'on s'en moque en vain.</p> +<p>Vous vous croyiez un Dieu: vous n'êtes qu'un faquin;</p> +<p>Tournez-moi les talons...» Aussitôt, sans trompette,</p> +<p>Je quittai dans la nuit ma champêtre retraite.</p> +<p>Enfin, au point du jour, je me rendis chez moi.</p> +<p>Mon peuple me reçut et reconnut son roi.</p> +<p>Je fus un peu malade après cette aventure:</p> +<p>L'estomac, tout farci de foin et de verdure,</p> +<p>Me donna des hoquets et des indigestions;</p> +<p>Il fallut recourir aux évacuations.</p> +<p>Mon premier médecin m'ordonna la rhubarbe;</p> +<p>Le lendemain, ce fut un furieux jour de barbe.<a name="FNanchor_12" id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor"> [12]</a></p> +</div></div> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_12" id="Footnote_12" href="#FNanchor_12" class="label">[12]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_34_note_12">note 12</a></p></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_35"> 35</a></span></p> + +<h3>III</h3> + +<p>Le <em>Club holbachique</em> s'était proposé d'achever +de rendre fou le curé de Montchauvet, s'il y +manquait quelque chose. Ils y réussirent; car, +l'année suivante, le curé revint à Paris et n'hésita +pas un seul instant à soumettre aux encyclopédistes +la nouvelle pièce qu'il avait rimaillée +au fond de son village. C'était la tragédie de +<em>Baltazard</em>, dans laquelle, pendant quatre mortels +actes, il s'agit de savoir,—selon la fameuse +théorie inventée par l'abbé Le Petit,—si le roi +soupera ou s'il ne soupera pas.</p> + +<p>On voit d'abord paraître les deux mages, +Hyrcan et Arbate. Baltazard vient d'être vaincu. +Sans aucun doute, la défaite du roi les affecte +profondément; mais ce qui les tourmente par-dessus +tout, c'est la crainte de ne pas souper.</p> + +<p>Pendant qu'ils délibèrent, sans rire, sur cette +grave question, survient Aristée, femme du roi +et fille d'Abradate, roi de la Susiane; elle vient +(elle ne s'en cache pas) pour faire un monologue; +<span class="pagenum"><a id="Page_36"> 36</a></span> +mais comme la présence des deux mages +la gêne: «Éloignez-vous...» leur dit-elle. +Alors elle demande aux Dieux, qu'elle appelle +«puissants moteurs», de lui rendre compte +de l'indigne sort de son époux: «Que vais-je +devenir?» s'écrie-t-elle:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Où fuir et dans quels lieux, quelle obscure contrée,</p> +<p>Dérober aux humains une reine éplorée?</p> +</div></div> + +<p>Mais, tout bien réfléchi, elle ne veut pas se risquer</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p class="i11"> Chez un peuple farouche,</p> +<p>Sans espoir d'y fléchir des cœurs que rien ne touche.</p> +</div></div> + +<p>Mieux vaut aller trouver Baltazard et périr avec +lui. Baltazard lui épargne cette peine. Il vient,</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p class="i9"> Non pas brillant de gloire,</p> +<p>Et tel qu'à son départ il vantait sa victoire...</p> +</div></div> + +<p>Il est vaincu, mais il n'est pas découragé. A +l'entendre faire le récit de la bataille qu'il a +perdue, on croirait presque qu'il l'a gagnée:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Je m'avance à grands pas dans le sein de la gloire;</p> +<p>Tout nage dans le sang; une grêle de dards</p> +<p>Fait du jour une nuit; ce n'est de toutes parts</p> +<p>Qu'un spectacle effrayant d'hommes qui s'embarrassent,</p> +<p>De chevaux renversés, de chars qui se fracassent.</p> +</div></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_37"> 37</a></span> +Qu'allez-vous faire? lui demande Aristée. +Tâchez de fléchir notre vainqueur:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>S'il en est temps encor, proposez-lui la paix,</p> +<p>Et cherchez dans lui-même un ami pour jamais.</p> +</div></div> + +<p>Non, répond Baltazard, je veux souper, et</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Dans ces vases sacrés qu'à Sion on regrette</p> +<p>J'éteindrai mes chagrins, ma honte et ma défaite;</p> +<p>Et, dût vomir le Juif mille imprécations,</p> +<p>Je les ferai servir à mes libations.</p> +</div></div> + +<p>Cette impiété donne le frisson à la reine.—Ne +soupez pas, seigneur, lui dit elle, ou du +moins ne soupez que si les mages l'ordonnent.</p> + +<p>Baltazard est bien contrarié de voir que +l'<em>indifférence</em> de la reine</p> + +<p class="quote">Refuse à ses malheurs la moindre déférence.</p> + +<p>Mais enfin il cède: il consultera les devins. +Hyrcan et Arbate accourent. <em>Secourez-moi</em>, +leur crie Baltazard du plus loin qu'il les voit. +Dois-je souper ou ne pas souper? Et il a soin +d'ajouter, afin de leur dicter leur réponse:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Parlez, et, consolant mon esprit agité,</p> +<p>Songez qu'un jour si beau flatte ma volonté</p> +</div></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_38"> 38</a></span> +Les mages ont compris: <em>Seigneur, il faut +souper</em>. Telle est leur réponse. Mais l'allégresse +du roi est de courte durée. Survient Nitocris, +sa mère, qui ne veut pas qu'on soupe.</p> + +<p>—Y songez-vous, lui dit-elle,</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Insensible à l'État, votre cœur le néglige,</p> +<p>Et vous n'allez au temple, où rien ne vous oblige,</p> +<p>Que pour sacrifier, au gré de vos désirs,</p> +<p>Moins à l'amour des dieux qu'à l'attrait des plaisirs,</p> +<p>Occupé d'une fête, où, parmi la crapule,</p> +<p>La nuit ne connaîtra ni remords ni scrupule!</p> +</div></div> + +<p>Le roi n'écoute pas. Bien décidé à souper, il +s'en va et laisse sa mère exhaler sa douleur +dans un monologue. Il pousse l'audace encore +plus loin: il dépêche vers elle les deux mages, +qui la prient respectueusement de venir souper. +Nitocris, comme on le pense bien, refuse énergiquement. +Baltazard, ennuyé, vient la chercher +lui-même.</p> + +<p>Nitocris et son fils s'accablent mutuellement +de reproches:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>A quoi bon (dit Baltazard) m'opposer ce beau titre de mère</p> +<p>S'il ne devient pour moi qu'une loi trop amère,</p> +<p>Si vous me refusez jusqu'à de saints plaisirs,</p> +<span class="pagenum"><a id="Page_39"> 39</a></span> +<p>Et ne me rappelez que peines et soupirs?...</p> +<p>Ah! comment osez-vous, après ce caractère,</p> +<p>Me nommer votre fils et vous dire ma mère?</p> +<p>—Ingrat! (répond Nitocris) puis-je oublier l'excès de cet amour</p> +<p>Qui, quoi que vous disiez, vous mérita le jour?</p> +<p>Et pouvois-je empêcher que le ciel vous fît naître</p> +<p>Dans le sein qu'il choisit pour vous procurer l'être?</p> +<p>Mais si vous le devez, ce jour, à Nitocris,</p> +<p>Montrez donc désormais que vous êtes son fils;</p> +<p>Commencez à briser cette chaîne fatale</p> +<p>Dont vous chérissez tant le poids qui vous ravale,</p> +<p>Ce joug empoisonné, que d'indignes flatteurs</p> +<p>Savent, pour vous séduire, orner de tant de fleurs...</p> +</div></div> + +<p>L'hypocrite Baltazard feint de se rendre aux +conseils de sa mère:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Je vais joindre Cyrus (lui dit-il) et, sans le moindre effroi,</p> +<p>Lui montrer que je sais vaincre et mourir en roi.</p> +</div></div> + +<p>A peine Nitocris a-t-elle le dos tourné: +«Allons souper», s'écrie-t-il.</p> + +<p>Ainsi finit le troisième acte. Le quatrième +s'ouvre par un monologue. Baltazard a changé +d'idée: il ne soupera pas; il ne veut pas que +sa mère regrette</p> + +<p class="quote">De n'avoir enfanté qu'un fils pusillanime.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_40"> 40</a></span> +Mais il a compté sans les mages, Hyrcan et +Arbate, qui viennent le relancer jusque dans +son palais. Il se sent faiblir: aussi, pour se +donner du courage, il se dit à lui-même:</p> + +<p class="quote">..... Soutiens-toi, Baltazard!</p> + +<p>Les mages sont les plus forts: ils n'ont qu'à +faire un signe, le tonnerre gronde, et le pauvre +roi ne sait où se cacher:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Qu'entends-je, malheureux! Quelle indignation!</p> +<p>Ah! mages, détournez votre imprécation!</p> +<p>Un feu secret et prompt, qui déjà me dévore,</p> +<p>Me prouve que le ciel ordonne qu'on l'honore.</p> +<p>C'en est fait. Je me rends et n'écoute que lui,</p> +<p>Heureux si sa bonté me secoure (<em>sic</em>) aujourd'hui!</p> +<p>Allez donc, qu'au banquet toute ma cour s'empresse</p> +<p>De noyer pour jamais son deuil et sa tristesse!</p> +</div></div> + +<p>On soupera donc, enfin! La table du festin +est dressée: on la couvre des coupes sacrées du +temple de Jérusalem.</p> + +<p>Au moment où Baltazard demande à boire +aux mages, Nitocris se présente et reproche à +son fils de <em>perdre le sentiment</em>. (L'auteur voulait +sans aucun doute dire <em>le sens</em>.)</p> + +<p>Baltazard daigne à peine répondre:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<div><span class="pagenum"><a id="Page_41"> 41</a></span></div> +<p>Madame, jusqu'à quand votre importune voix!...</p> +<p>Donnez, mages, donnez; c'est trop me faire attendre.</p> +</div></div> + +<p>Mais à peine les mages ont-ils présenté la +coupe au roi, qu'on voit une main écrire sur la +muraille les fameux mots: <span class="smcap">Mané</span>, <span class="smcap">Thécel</span>, +<span class="smcap">Pharès</span>.</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Que vois-je, mes amis (s'écrie Baltazard), et quel spectre nouveau</p> +<p>Crayonne sur ces murs un effrayant tableau?</p> +<p>Voyez-vous, comme moi, cette main qui nous trace</p> +<p>Certains mots, où mon sang dans mes veines se glace?</p> +<p>Ma coupe malgré moi s'échappe de mes doigts,</p> +<p>Et je sens peu à peu se dérober ma voix.</p> +<p>Mes yeux sont chancelants; mes genoux s'entrechoquent,</p> +<p>Et toutes les horreurs à la fois me suffoquent.</p> +</div></div> + +<p>Inutile d'ajouter que Baltazard est vaincu de +nouveau et tué par Cyrus. Mais ce qu'il faut +dire (car on ne s'en douterait guère), c'est que +Cyrus, à peine entré dans Babylone, fait une +déclaration des plus galantes à la reine Aristée. +Celle-ci, comme on le pense bien, est furieuse:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Dois-je donc respecter (lui dit-elle) un bras qui n'a servi</p> +<p>Qu'à renverser un roi qu'il a trop poursuivi?</p> +<div><span class="pagenum"><a id="Page_42"> 42</a></span></div> +<p>Taire tant de forfaits qu'un tyran autorise,</p> +<p>Et briser un pinceau qui te caractérise?</p> +<p>Barbare! je ne puis assez t'humilier!</p> +</div></div> + +<p>Cyrus n'est pas très flatté de ces dédains; +car, si on l'en croit, sans Aristée, le trône où il +monte n'est plus</p> + +<p class="quote">...... qu'un redoutable ennui.</p> + +<p>Mais il n'est pas au bout de ses peines. Nitocris +vient lui reprocher la mort de son fils, et se +tue presque sous ses yeux. Aristée veut en faire +autant. Cyrus l'arrête. «Laisse-moi mourir,» +lui crie-t-elle:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>..... Accorde au moins cette grâce dernière</p> +<p>Au reste infortuné d'une famille entière</p> +</div></div> + +<p>Cyrus tient bon, l'empêche de s'<em>occire</em>, et +met fin à la tragédie par ces vers mémorables, +mais bien peu en situation, puisque Nitocris +est morte:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Secourons Nitocris, et demandons aux dieux</p> +<p>Qu'ils fassent de ce jour un jour moins odieux!</p> +</div></div> + +<p>Il est fâcheux que Grimm ne nous ait pas +noté les divers incidents auxquels a dû donner +lieu la lecture de ce chef-d'œuvre. Il se contente +<span class="pagenum"><a id="Page_43"> 43</a></span> +de dire: «Le curé nous a tenu parole; il est +revenu avec une seconde tragédie, intitulée +<cite>Baltazard</cite>, tout aussi bonne que la première. Je +crois qu'il n'a pas pu trouver d'imprimeur. +Mais il est reparti pour sa cure un peu plus +content de nous.»</p> + +<p>Dans la préface de <cite>Baltazard</cite>, le curé de +Montchauvet nous en dira plus long: «Le +peu de succès de ma première pièce m'avoit +presque déterminé à n'en pas entreprendre une +seconde. Cependant, je pensois que si Racine +avoit été découragé par la médiocrité des <em>Frères +ennemis</em>, nous n'aurions jamais eu ni <em>Yphigénie</em> +(<em>sic</em>), ni <cite>Phèdre</cite>; et je repris la plume que la +critique m'avoit presque fait tomber des mains. +Je composai donc mon <cite>Baltazard</cite> après ma <cite>Bethsabée</cite>, +à qui je donnai un frère, comme M. de +Boissy l'a dit également du <em>Méchant</em> de M. Gresset. +J'apportai à Paris cette seconde production +de ma verve échauffée et de mon génie irrité +par les difficultés, bien résolu de la sacrifier, si +je ne me trouvois pas autant au-dessus de moi-même +que je le désirois, et que Racine et Corneille +s'étoient montrés supérieurs à eux-mêmes, +à mesure qu'ils se familiarisoient davantage +<span class="pagenum"><a id="Page_44"> 44</a></span> +avec le génie dramatique. Il ne s'agissoit plus +que de rencontrer des juges équitables qui +m'éclairassent ou sur ma médiocrité ou sur +mes progrès. Mais où trouver ces juges équitables +dans une ville fausse comme celle-ci, où +l'on semble prendre à tâche de décourager ceux +qui donnent quelque espérance? Heureusement, +un homme distingué par sa naissance, son +goût, sa probité, et surtout par l'accueil qu'il +daigne faire aux talents naissants, s'offrit à rassembler +chez lui cinq ou six des meilleurs +esprits, qui la jugeroient avec la dernière sévérité, +et qui m'apprendroient par le jugement +qu'ils en porteroient, celui que j'en devois +porter moi-même. L'avouerai-je? L'examen fut +sanglant, et je laissai mes critiques bien convaincus +qu'ils avoient rempli le projet, que +peut-être ils avoient formé, de me ramener à +des fonctions que je reconnaîtrai sans peine avec +eux très supérieures à l'occupation d'un poète, +ce poète fût-il plus grand que Racine et Corneille. +Mais je réfléchis sur leurs observations; +je vis bientôt qu'il n'y avoit aucune pièce au +monde sur laquelle on n'en pût faire d'aussi solides; +et je parvins à me démontrer évidemment +<span class="pagenum"><a id="Page_45"> 45</a></span> +que ma seconde tentative dramatique +m'avoit beaucoup mieux réussi que je n'aurois +osé le penser, sans le <em>suffrage</em> de tous mes +censeurs. Je dis le <em>suffrage</em>, car ce fut le véritable +jour sous lequel je ne tardai pas à voir leur critique. +Je me dis à moi-même: Comment! +Voilà donc à quoi se réduit tout ce que les +hommes de Paris, qui passent pour avoir le +plus d'esprit, trouvent de répréhensible dans +mon ouvrage? En vérité, il faut qu'il soit mieux +que bien: je ne risque donc rien à le publier; +et j'eus tout l'empressement que donne l'espoir +du succès, de le porter à mon imprimeur. C'est +donc à ces Messieurs plutôt encore qu'à moi +que le lecteur en doit la publicité... J'en vais +méditer une troisième. Je suis jeune, j'ai du +courage, et pour peu que je m'élève à chaque +essort (<em>sic</em>) que je prendrai, j'espère me voir +enfin à une hauteur suffisante pour contenter la +vanité d'un auteur qui n'en a pas beaucoup. +Ainsi soit-il!»</p> + +<hr class="tb" /> + +<p>Quoi qu'en dise Grimm, le curé de Montchauvet +trouva, nous le voyons, un imprimeur. +Sa pièce parut sous ce titre: <span class="smcap">Baltazar</span>, <em>tragédie</em>, +<span class="pagenum"><a id="Page_46"> 46</a></span> +<em>par M. l'abbé ***</em>. <em>Prix vingt-quatre sols</em>, 1755 +[sans lieu ni nom d'imprimeur].</p> + +<p>En lisant ce titre, on éprouve une certaine +surprise. On se rappelle que la tragédie de <cite>Bethsabée</cite> +se vendait (quand elle se vendait!) <em>trente-six +sous</em>. Puisque le curé de Montchauvet trouve la +tragédie de <cite>Baltazard</cite> supérieure à celle de +<cite>Bethsabée</cite>, comment se fait-il qu'il ne l'estime +que <em>vingt-quatre sous</em>?</p> + +<p>La troisième tragédie annoncée ne parut pas. +L'abbé Le Petit s'en tint à ses deux chefs-d'œuvre, +et il fit bien<a name="FNanchor_13" id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor"> [13]</a>.</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_13" id="Footnote_13" href="#FNanchor_13" class="label">[13]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_46_note_13">note 13</a></p></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_47"> 47</a></span></p> + +<div class="header"> +<h2><a name="APPENDICE" id="APPENDICE"></a>APPENDICE.</h2> +</div> + +<p><a name="Page_3_note_1" id="Page_3_note_1"></a><i>Page 3, note 1.</i></p> + +<p>Si invraisemblable que puisse paraître cette mystification +littéraire, je dois dire que je n'ai rien inventé: je me suis +contenté de suivre,—en l'arrangeant un peu,—le récit +que nous en ont laissé Grimm (<cite>Correspondance litt. philosoph. +et crit.</cite>, lettres du 1<sup>er</sup> mars, du 1<sup>er</sup> août et du 15 septembre +1755), et Fréron (<cite>Année litt.</cite> 1754, tome IV, +p. 307, et 1755, tome VIII, p. 342).</p> + +<p><a name="Page_3_note_2" id="Page_3_note_2"></a><i>Page 3, note 2.</i></p> + +<p>Montchauvet, aujourd'hui dans l'arrondissement de +Vire, canton de Bény-Bocage (Calvados).</p> + +<p><a name="Page_4_note_3" id="Page_4_note_3"></a><i>Page 4, note 3.</i></p> + +<p>Le curé de Montchauvet, la victime de Diderot et de +ses amis, se nommait, non pas Petit, comme l'appelle +Grimm, mais Le Petit. Grâce à l'obligeance de M. Lair, +instituteur à Montchauvet, qui a bien voulu me communiquer +les vieux registres conservés dans les archives de +la mairie, j'ai pu constater que l'abbé Le Petit (Jean-Baptiste) +a dû arriver à Montchauvet au mois d'avril 1751. +Le premier acte signé de lui, comme successeur du curé +<span class="pagenum"><a id="Page_48"> 48</a></span> +Moussard, est du 14 avril 1751. Deux fois seulement +(14 août et 15 septembre 1752), l'abbé Le Petit, assez +souvent appelé dans le corps des actes (baptêmes, mariages +ou inhumations), Le Petit Dequesnay ou de +Quesnay, a signé Le Petit Dequesnay. Partout ailleurs il +signe tout simplement Le Petit.</p> + +<p>Le dernier acte, non pas écrit, mais signé par le curé +Le Petit, d'une écriture tremblée, est un baptême en date +du 30 mai 1786.</p> + +<p>Devenu infirme, sans doute, il fut remplacé, de son +vivant, par son vicaire Lemarchand<a name="FNanchor_14" id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor"> [14]</a>. L'abbé Le Petit +mourut le 16 décembre 1788. Voici l'acte d'inhumation +du pauvre poète:</p> + +<div class="blockquote"> +<p>«Le dix-sept décembre 1788 a été par moi curé de +Montami soussigné inhumé dans le cimetière de Montchauvet +le corps de maistre Jean-Baptiste Le Petit ancien +curé de Montchauvet décédé d'hier âgé d'environ soixante-huit +ans présence de M<sup>rs</sup> le curé et vicaire actuels.</p> + +<p>(Ont signé) Lemarchand [curé], Jouenne [vicaire] et +G. Liot [curé de Montamy].</p> +</div> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_14" id="Footnote_14" href="#FNanchor_14" class="label">[14]</a> A partir du 30 mai 1786, les actes sont signés par Jouenne ou Le +Marchand, vicaires. Le premier acte que nous ayons trouvé, signé par Le +Marchand, <em>curé</em>, est du 9 janvier 1788; mais nous devons ajouter que le +registre de 1787 manque aux archives de Montchauvet.</p></div> + +<p>Jean-Baptiste Le Petit, âgé de 68 ans environ, quand +il mourut en 1788, a donc dû naître (où ??) vers 1720. +Il avait trente quatre ans lorsqu'il sentit s'éveiller son +génie poétique et qu'il vint lire, pour son malheur, à +Diderot et à ses amis, l'«immortelle» tragédie de <cite>David +et Bethsabée</cite>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_49"> 49</a></span> +D'après les signatures des vicaires Tourgis ou Duhamel, +que nous avons relevées au bas des actes des registres +paroissiaux de Montchauvet, et qui constatent l'absence +du curé, l'abbé Le Petit dut quitter ses sauvages bruyères +pour aller à Paris, vers la fin d'août 1753, et ne rentrer +dans son village qu'au mois d'avril 1754. Ces dates concordent +bien avec celles que donnent les lettres de Grimm.</p> + +<p>Le fait le plus saillant de la vie du curé de Montchauvet +est assurément sa lecture chez le baron d'Holbach; +mais je dois aussi rappeler qu'il eut à soutenir un long +procès contre Jacques-François Mercier, prieur commendataire +du prieuré royal du Plessis-Grimoult, chanoine de +la Sainte-Chapelle du Palais à Paris<a name="FNanchor_15" id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor"> [15]</a>. Ce procès, qui +dura au moins dix ans, fut gagné par le curé Le Petit, +non seulement devant le bailliage de Vire (3 juillet 1762), +mais encore devant le Parlement de Normandie (19 juin +1771). Le curé de Montchauvet réclamait contre le prieur +du Plessis-Grimoult «le tiers des dîmes de la paroisse et +la qualité de curé, au lieu de celle de vicaire perpétuel, +la seule qu'on voulût lui reconnaître.» Détail intéressant +et qui a été relevé par M. Ch. de Beaurepaire, le savant +archiviste de la Seine-Inférieure<a name="FNanchor_16" id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor"> [16]</a>, l'arrêt du Parlement +de Normandie qui termine le procès intenté par l'abbé +Le Petit au prieur du Plessis-Grimoult, nous apprend +qu'en une semblable circonstance, Bossuet, le grand +Bossuet, «malgré le droit de <i lang="la" xml:lang="la">committimus</i> dont il avait +<span class="pagenum"><a id="Page_50"> 50</a></span> +usé, malgré le recours à des juges certainement prévenus +en sa faveur», avait succombé, d'abord au bailliage de +Vire, en second lieu et définitivement aux Requêtes du +Palais à Paris, dans sa contestation avec Mathieu Roger, +curé de Montchauvet, un des prédécesseurs du curé Le +Petit.</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_15" id="Footnote_15" href="#FNanchor_15" class="label">[15]</a> La cure de Montchauvet dépendait du Prieuré du Plessis-Grimoult.</p></div> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_16" id="Footnote_16" href="#FNanchor_16" class="label">[16]</a> <cite>Bulletin historique et philologique</cite>, 1896. «Procès entre Bossuet, prieur +du Plessis-Grimoult, et le curé de Montchauvet en Normandie, en 1674.»</p></div> + +<p><a name="Page_4_note_4" id="Page_4_note_4"></a><i>Page 4, note 4.</i></p> + +<p>J'ajouterai «et le prieur du Plessis-Grimoult», car +Montchauvet était une des 39 cures (ou bénéfices) qui +dépendaient de ce prieuré.—Voir notre étude sur <cite>Bossuet +en Normandie</cite>, p. 43.</p> + +<p><a name="Page_5_note_5" id="Page_5_note_5"></a><i>Page 5, note 5.</i></p> + +<p>L'abbé Gilles Basset des Rosiers enseigna la philosophie +au collège d'Harcourt (aujourd'hui lycée St-Louis) +vers 1750. Il devint recteur de l'Université en 1779. +C'était un homme aimable, instruit, en relation avec les +écrivains les plus renommés. (Voir <span class="smcap">Bouquet</span>, <cite>L'ancien +collège d'Harcourt et le lycée Saint-Louis</cite>, p. 414.)</p> + +<p><a name="Page_10_note_6" id="Page_10_note_6"></a><i>Page 10, note 6.</i></p> + +<p>Grimm n'assistait pas à cette mémorable séance; sa +chaise de poste s'étant brisée à Soissons, il ne put arriver +à Paris que le lundi de carnaval. «C'est ce contre-temps, +nous dit-il, qui m'attira l'honneur d'être l'historien du +curé de Montchauvet.»</p> + +<p><a name="Page_13_note_7" id="Page_13_note_7"></a><i>Page 13, note 7.</i></p> + +<p>M. de la Condamine est bien connu par ses voyages +scientifiques et par ses <cite>Mémoires sur l'inoculation de la +petite vérole</cite>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_51"> 51</a></span> +Sa surdité donna lieu, lorsqu'il fut reçu à l'Académie +française (1760) au quatrain suivant. (On dit même +qu'il en est l'auteur).</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>La Condamine est aujourd'hui</p> +<p>Reçu dans la troupe immortelle:</p> +<p>Il est bien sourd, tant mieux pour lui,</p> +<p>Mais non muet, tant pis pour elle.</p> +</div></div> + +<p>Trois ans auparavant (1757),—n'étant plus de la première +jeunesse, puisqu'il était né en 1701,—il épousa +sa nièce. Le madrigal qu'il fit à sa jeune femme, pendant +la première nuit de ses noces, fit beaucoup d'honneur à +son esprit:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>D'Aurore et de Titon vous connaissez l'histoire.</p> +<p>Notre hymen en retrace aujourd'hui la mémoire;</p> +<p>Mais Titon de mon sort pourrait être jaloux.</p> +<p class="i1"> Que ses liens sont différents des nôtres!</p> +<p>L'Aurore entre ses bras vit vieillir son époux,</p> +<p class="i1"> Et je rajeunis dans les vôtres.</p> +</div></div> + +<p>Après avoir lu ce joli madrigal, M. de Luxemont, +secrétaire des commandements de M. le comte de Charolais, +envoya le huitain suivant à M. de la Condamine:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>D'Aurore et de Titon nous connaissons l'histoire.</p> +<p>L'infortuné vieillit où vous rajeunissez.</p> +<p>Vous le dites du moins, et pour nous c'est assez:</p> +<p>Véridique et modeste, il faut bien vous en croire;</p> +<p>Mais lorsque de l'Amour, dans le lit nuptial,</p> +<p>Vous empruntez la voix pour peindre sa puissance,</p> +<p>Ne peut-on soupçonner, sans vous faire une offense,</p> +<p>Qu'il n'y fit rien de mieux que votre madrigal?</p> +</div></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_52"> 52</a></span> +Piqué au jeu, M. de la Condamine répondit:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Mon madrigal fut donc, à ce que vous pensez,</p> +<p>La nuit de mon hymen, ma plus grande prouesse?</p> +<p>Monsieur, sont-ce mes vers que vous applaudissez,</p> +<p> Ou pensez-vous déplorer ma faiblesse?</p> +<p>Hélas! dans mon printemps, pour tribut conjugal,</p> +<p> J'eusse achevé ma neuvaine à Cythère.</p> +<p>Aujourd'hui, moins fervent, pour me tirer d'affaire,</p> +<p>J'en remplis les deux tiers avec un madrigal.</p> +</div></div> + +<p>M. de Luxemont répliqua à son tour:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p class="i2"> Ce sont vos vers que j'applaudis,</p> +<p class="i2"> Sans déplorer votre faiblesse;</p> +<p class="i2"> L'Amour n'en est pas moins surpris</p> +<p class="i2"> Que l'objet de votre tendresse</p> +<p class="i2"> (Dont lui-même serait épris)</p> +<p>Ne vous ait pas rendu tel qu'en votre jeunesse.</p> +<p>Toutefois, n'en déplaise au dieu de l'Hélicon,</p> +<p class="i2"> Seul garant de cette neuvaine</p> +<p>Que commencent souvent, que finissent à peine</p> +<p class="i2"> Les vrais élus de Cupidon,</p> +<p>Tout homme sur ce point, dit le bon La Fontaine,</p> +<p class="i2"> Est d'ordinaire un peu gascon;</p> +<p class="i2"> Et l'on croit qu'il avait raison.</p> +<p>Mais pour n'être jamais contredit de personne,</p> +<p>Rimez toujours, rimez: vos vers vainqueurs du Temps,</p> +<p>Prouvent qu'en vos pareils les fruits de leur automne</p> +<p>Conservent la saveur de ceux de leur printemps.</p> +</div></div> + +<p>Si l'abbé Basset a envoyé ces agréables jeux d'esprit au +curé de Montchauvet, l'auteur de <cite>Baltazar</cite> a dû se dire: +«Je comprends que ce M. de la Condamine n'ait pas +voulu écouter mes vers; ce n'est pas un poète sérieux.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_53"> 53</a></span> +<a name="Page_17_note_8" id="Page_17_note_8"></a><i>Page 17, note 8.</i></p> + +<p>Le curé tint compte de l'observation. On lit (acte III, +sc. 3):</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Le temps vous vengera des soupirs <em>superflus</em>,</p> +<p>Et je sçauray moi-même enfin n'y songer plus.</p> +</div></div> + +<p><a name="Page_21_note_9" id="Page_21_note_9"></a><i>Page 21, note 9.</i></p> + +<p>C'est l'année suivante (dans l'<cite>Orphelin de la Chine</cite>, de +Voltaire) que M<sup>lle</sup> Clairon et les artistes du Théâtre +Français renoncèrent à jouer avec paniers.</p> + +<p>C'est aussi à cette date (1755) que le marquis de +Ximenès se brouilla avec M<sup>lle</sup> Clairon. La grande actrice +lui redemanda son portrait, et le marquis eut le mauvais +goût de le lui renvoyer, avec ce quatrain... cruel:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Tout s'use, tout périt; tu le prouves, Clairon.</p> +<p class="i1"> Ce pastel, dont tu m'as fait don,</p> +<p class="i1"> Du temps a ressenti l'outrage:</p> +<p class="i1"> Il t'en ressemble davantage.</p> +</div></div> + +<p><a name="Page_29_note_10" id="Page_29_note_10"></a><i>Page 29, note 10.</i></p> + +<p>Le curé de Montchauvet n'est pas difficile. Sa tragédie +est très mal imprimée; il y a deux grandes pages de +<em>fautes à corriger</em>.</p> + +<p><a name="Page_29_note_11" id="Page_29_note_11"></a><i>Page 29, note 11.</i></p> + +<p>M. et M<sup>me</sup> Fréron ne furent guère sensibles à cette +générosité, car dans l'<cite>Année littéraire</cite> de 1754 (tome IV), +le curé et sa tragédie sont arrangés de la belle façon.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_54"> 54</a></span> +<a name="Page_34_note_12" id="Page_34_note_12"></a><i>Page 34, note 12.</i></p> + +<p>M. de Margency ne faisait pas que des vers burlesques. +Voici une chanson, citée par Grimm (15 novembre 1757), +qui nous prouve qu'il avait, quand il le voulait, l'esprit +aussi ingénieux que délicat.</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>J'entends dans ces forêts</p> +<p>Gémir la tourterelle;</p> +<p>Hélas! si je voulais,</p> +<p>Je me plaindrais comme elle.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Notre sort est égal;</p> +<p>L'amour seul fait sa peine:</p> +<p>Chez moi c'est même mal,</p> +<p>L'amour cause la mienne.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Ce qui fait nos douleurs,</p> +<p>Ce n'est pas l'inconstance;</p> +<p>Mais l'on verse des pleurs</p> +<p>De même pour l'absence.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Un cœur qui n'aime rien</p> +<p>N'a point de ces alarmes,</p> +<p>C'est pourtant un grand bien</p> +<p>De répandre des larmes.</p> +</div></div> + +<p><a name="Page_46_note_13" id="Page_46_note_13"></a><i>Page 46, note 13.</i></p> + +<p>Cette étude a déjà paru dans la <cite>Nouvelle Revue</cite>, 4<sup>e</sup> année, +tome XIX, 1<sup>re</sup> livraison, 1<sup>er</sup> mars 1882, pages 117 +et suivantes.</p> + +<p>—Dans la première livraison de la <cite>Revue franco-américaine</cite> +(juin 1894), Alphonse Daudet a consacré deux +pages à l'abbé Le Petit, qu'il appelle «un raté littéraire +au XVIII<sup>e</sup> siècle».</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_55"> 55</a></span> +—Les deux tragédies de <cite>David et Bethsabée</cite> et de <cite>Baltazard</cite> +sont devenues excessivement rares. J'ai pu acheter la première +à la vente du baron Taylor.—Elles se trouvent à +la Bibliothèque de Caen, C<sup>h</sup> 5/4. <cite>Baltazard</cite> se morfond, +très peu lu, à la Bibliothèque de Vire. «Nul n'est prophète +en son pays.»</p> + +<hr class="tb" /> + +<p>La paroisse de Montchauvet a connu un autre curé-poète +de la même force que l'abbé Le Petit.</p> + +<p>En 1828, le curé Laumonier fit paraître<a name="FNanchor_17" id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor"> [17]</a>: <cite>L'oraison +funèbre ou complainte sur le renversement d'un très bel if qui +a existé dans le cimetière de Montchauvet jusqu'à l'éradication +qui en fut faite le 12 janvier 1828</cite>. (Ouf, quel titre!).</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_17" id="Footnote_17" href="#FNanchor_17" class="label">[17]</a> A Vire, chez Adam, imprimeur du roi. L'abbé Laumonnier avait +déguisé son nom sous l'anagramme de <span class="smcap">Numa Leroi</span>.</p></div> + +<p>Voici quelques couplets de cette complainte:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Ici vivait depuis mille ans,</p> +<p>A quelques pas du sanctuaire,</p> +<p>Athlète contre les autans,</p> +<p>Un If,... un arbre tutélaire.</p> +<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Il était l'arbre du pays,</p> +<p>L'expression n'est pas outrée,</p> +<p>Où s'assembloient le plus d'amis,</p> +<p>D'enfans... de toute la contrée.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Il était aussi le plus beau</p> +<p>Qui fût connu du voisinage:</p> +<p>Là s'unissaient près du tombeau</p> +<p>L'enfance avec le moyen âge.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<div><span class="pagenum"><a id="Page_56"> 56</a></span></div> +<p>Il aurait pu rester debout:</p> +<p>C'était l'avis du commissaire...</p> +<p>Mille ans n'auraient pas vu le bout</p> +<p>De sa présence salutaire.</p> +<p><i>. . . . . . . . . . . . . . . . .</i></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>De la demeure funéraire</p> +<p>Il était le triste ornement.</p> +<p>Faut-il qu'un désir de déplaire</p> +<p>Ait causé son renversement?</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Il me servait de paravent</p> +<p>Quand j'allais à la sacristie;</p> +<p>Il me saluait en passant,</p> +<p>Me protégeant à la sortie.</p> +<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p> +</div></div> + +<p>«La fin couronne l'œuvre», c'est le cas de le dire:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Adieu bel arbre, adieu bel If...</p> +<p>Adieu, ton tronc, ta forte branche;</p> +<p>En dépit de mon cri plaintif,</p> +<p>Tu meurs la veille d'un dimanche.</p> +</div></div> + +<p>«Au haut des cieux, <em>leur demeure dernière</em>», (du +moins j'aime à le supposer), les deux curés de Montchauvet, +Le Petit et Laumonier, doivent rimailler de +conserve et maudire les méchants critiques, qui «tâchent +de décourager ceux qui donnent quelque espérance».</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_57"> 57</a></span></p> + +<p class="end">IMPRIMERIE HENRI DELESQUES, A CAEN</p> + +<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44723 ***</div> +</body> +</html> diff --git a/44723-h/images/cover.jpg b/44723-h/images/cover.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4fd7207 --- /dev/null +++ b/44723-h/images/cover.jpg diff --git a/44723-h/images/logo.jpg b/44723-h/images/logo.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..5b6ed1f --- /dev/null +++ b/44723-h/images/logo.jpg diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org/license + + +Title: Diderot et le Curé de Montchauvet + Une mystification littéraire chez le baron d'Holbach, 1754 + +Author: Armand Gasté + +Release Date: January 21, 2014 [EBook #44723] + +Language: French + +Character set encoding: UTF-8 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DIDEROT ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET *** + + + + +Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by The Internet Archive/Canadian Libraries) + + + + + + + +Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le +typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée +et n'a pas été harmonisée. + + + + + DIDEROT + ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET + + + + + Armand Gasté + + DIDEROT + ET LE + CURÉ DE MONTCHAUVET + + --UNE MYSTIFICATION LITTÉRAIRE CHEZ + LE BARON D'HOLBACH, 1754-- + + [Illustration] + + PARIS + ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR + _23-31, passage Choiseul, 23-31_ + + M. DCCC. XCVIII + + + + +DIDEROT + +ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET[1] + + +Au milieu du XVIIIe siècle vivait, ou plutôt végétait tristement dans +l'humble presbytère de Montchauvet, en plein Bocage normand[2], un +curé poète qui doit aux Encyclopédistes l'immortalité du ridicule, et +dont les vers extravagants furent,--qui le croirait?--une des causes +de la rupture de Jean-Jacques Rousseau avec ses bons amis, les +Philosophes. + + [1] Voir à l'_Appendice_. + + [2] _Ibid._ + + + +I + + +L'abbé Le Petit[3],--c'est le nom de notre curé,--s'ennuyait à mourir +dans le village où l'avait enterré son évêque[4]. Il avait beau monter +sur les âpres rochers qui dominent le presbytère et interroger +l'horizon, il ne voyait venir personne qui fût digne de le comprendre +et sût goûter les vers qu'il composait dans sa morne solitude. Et +laissant tomber ses regards sur les masures de ses paroissiens: «Ici, +il n'y a que moi d'homme d'esprit, se disait-il. Point de société!... +Pour toute ressource, le magister, c'est-à -dire un paysan habillé de +noir!» + + [3] Voir à l'_Appendice_. + + [4] _Ibid._ + +Un beau jour, l'abbé Le Petit, n'y pouvant plus tenir, boucla sa +valise et partit pour Paris. A Paris, en effet, il trouverait un de +ses anciens camarades de séminaire, l'abbé Basset[5], professeur de +philosophie au collège d'Harcourt. L'abbé Basset avait de belles +relations: il procurerait certainement un éditeur à son confrère. +L'éditeur trouvé, le livre prôné par les gazettes s'enlevait en un +clin d'Å“il; les salons se disputaient l'illustre compatriote de +Malherbe et de Pierre Corneille; et qui sait? l'Académie ne se faisait +pas trop prier pour lui offrir un de ses quarante fauteuils. + + [5] _Ibid._ + +Tels étaient les beaux rêves que le curé de Montchauvet confiait à +l'abbé Basset, et que celui-ci, en se promenant avec lui, au +Luxembourg, par une belle matinée d'hiver, écoutait d'une oreille trop +indulgente. + +Au détour d'une allée, on rencontre Diderot. Diderot, qui demeurait à +quelques pas de là , sur la hauteur d'où il avait tiré son surnom de +_Philosophe de la Montagne_, aimait à se promener le matin au +Luxembourg. L'abbé Basset, qui était fort lié avec lui, connaissait +ses habitudes. Ce n'était pas sans intention, peut-être, qu'il +conduisit, ce jour-là , sur le chemin du philosophe, le curé de +Montchauvet, avide de connaître les grands esprits du siècle, avide +surtout d'en être connu. L'abbé Basset présente son ami à Diderot. Le +curé nage dans la joie; il pâlit d'aise, et son nez,--un nez +extrêmement long, dit la chronique,--est dans un mouvement perpétuel. +La conversation est bientôt liée. L'abbé Le Petit raconte d'un trait +ses infortunes: «Je m'étiolais à Montchauvet, le plus triste lieu du +monde; mes talents y étaient enfouis. Mais, Dieu merci! j'en suis +hors, et je me réjouis, monsieur, d'avoir fait connaissance avec un +homme de votre réputation, afin de vous demander votre avis. + +--Mon avis, dit le philosophe, et sur quoi, monsieur l'abbé? + +--Sur un madrigal de sept cents vers, que j'ai fait dernièrement. + +--Un madrigal de sept cents vers! Et sur quel sujet, je vous prie? + +--Voici la chose, dit le curé en souriant d'un air malin: mon valet a +eu le malheur de faire un enfant à ma servante, et cela m'a donné un +assez beau champ, comme vous allez voir. + +Et, disant cela, il tire de la poche de sa soutane un grand cahier de +papier. Diderot recule épouvanté; puis se ravisant: + +--Monsieur le curé, dit-il, je vous trouve bien blâmable d'employer +vos loisirs à de pareils sujets. + +L'abbé Le Petit commençait à rougir de colère; son nez s'agitait, +menaçant... + +--Quand on a un génie aussi sûr que le vôtre, poursuivit Diderot, on +doit faire des tragédies, et non pas s'amuser à des madrigaux. + +Le curé de Montchauvet, agréablement flatté de ce compliment +inattendu, devint radieux: ses yeux brillaient d'un éclat +inaccoutumé, son grand nez se dilatait pour mieux aspirer l'encens. +Il voulait remercier Diderot; celui-ci ne lui en laissa pas le +temps:--Permettez-moi de vous dire que je n'écouterai pas un seul vers +de votre façon, avant que vous ne nous ayez apporté une +tragédie.--Vous avez raison, répliqua le curé;.... je suis trop +timide. Puis, remettant dans la vaste poche de sa soutane son long +poème, il salua poliment Diderot. Le philosophe, en s'en allant, +échangea avec l'abbé Basset un sourire que le bon curé n'aperçut pas, +ou dont il ne comprit pas la signification. + +C'était un sourire de contentement. Diderot s'était débarrassé du même +coup, (il le croyait du moins), d'un madrigal de sept cents vers et +d'un importun. + +Quelques mois se passent. Diderot, bien tranquille dans son cabinet, +travaillait, sans doute à ses _Pensées sur l'interprétation de la +nature_, lorsque, sans se faire annoncer, l'abbé Le Petit se présente +avec un énorme manuscrit sous le bras. Qu'on juge de la surprise de +Diderot.--Comment, monsieur le curé, c'est bien vous que je vois! Je +vous croyais depuis longtemps en Normandie.--On ne peut vivre qu'à +Paris, monsieur; j'y suis donc resté, et, suivant vos conseils, je me +suis mis avec ardeur au travail. Je vous apporte...--Encore un +madrigal? s'écria Diderot; non, monsieur le curé, vous savez nos +conventions. Je n'écoute pas un vers de vous, que vous ne m'ayez +apporté une tragédie.--C'est justement...--Quoi! C'est une +tragédie?--Oui, monsieur, _David et Bethsabée_.... + +Diderot faillit tomber à la renverse. + +--Avez-vous le loisir de m'écouter? poursuivit l'abbé, impitoyable. + +Il n'y avait pas à reculer, il fallait bien essuyer cette lecture. + +--Monsieur le curé, répondit le philosophe, que diriez-vous si, +dimanche, je vous présentais à nos amis, et si je vous donnais pour +juges les plus grands esprits dont notre siècle s'honore?... Allons, +c'est entendu, je vous mènerai dans le salon de M. le baron d'Holbach. +Vous y entrerez inconnu; mais, je vous le jure, vous en sortirez +célèbre. + +--Monsieur, balbutia l'abbé, que de grâces... + +--Trève de compliments! C'est moi qui suis votre obligé. Ne pas +produire au grand jour un poète de votre force, mais ce serait un +crime!... Allons, adieu, monsieur le curé, ou plutôt, au revoir... A +dimanche! Je vous attends chez moi. + +Le curé fut exact au rendez-vous. Diderot avait prévenu ses amis, les +Encyclopédistes. On sait que le baron d'Holbach les recevait à dîner +deux fois par semaine, ce qui le faisait appeler par l'abbé Galiani +«_le maître d'hôtel de la philosophie_». + +Ce jour-là --c'était justement le dimanche gras--les convives du baron +d'Holbach étaient quinze à vingt. Dans le riche cabinet, où le +richissime philosophe venait de faire placer sa récente acquisition, +la _Chienne allaitant ses petits_, un des chefs-d'Å“uvre du peintre +Oudry, on voyait réunis, sans compter Diderot et le maître de la +maison, J.-J. Rousseau, d'Alembert, Duclos, Marmontel, Helvétius, de +Jaucourt, Raynal, Morellet, de la Condamine, M. de Gauffecourt, M. de +Margency, etc.[6]. + + [6] Voir à l'_Appendice_. + +Le curé de Montchauvet est introduit. On lui fait fête; on l'invite à +s'asseoir. Il promène ses regards de tous côtés: il ne voit que des +visages riants; cela l'encourage. Pourtant, il aperçoit dans un coin +du salon une figure renfrognée. C'était J.-J. Rousseau, qui flairait +une mystification, et qui, avec sa probité à toute épreuve, était +résolu à faire le rôle d'honnête homme.--C'est un jaloux, se dit +l'abbé; mais qu'importe?... Et il déroule lentement son +manuscrit.--D'abord, messieurs, leur dit-il, je dois vous lire +l'épître que je me permets d'adresser à Madame de Pompadour. + +Cette épître commençait par un vers assez singulier: + + Rentrez dans le néant, race de mendiants... + +C'était pour flétrir les poètes qui font des dédicaces en vue de +gagner de l'argent.--Oh! oh! Monsieur le curé, lui dit-on de toutes +parts, l'épithète n'est-elle pas un peu violente?--Non, messieurs, + + Point d'enfant d'Apollon, s'il ne rime gratis. + +Et, continuant sa lecture, il déclame avec emphase ces deux vers: + + Tout ainsi comme Icare, parcourant la lumière, + Dans un rayon brûlant vit fondre sa carrière... + +--Voilà , lui dit Marmontel, un vers admirable! mais ces sortes de vers +doivent être bien difficiles à trouver.--Cela est vrai, répondit le +curé en pâlissant de joie et de vanité; mais aussi est-on bien content +quand on a trouvé. + +L'épître finie, le curé, avant de commencer la lecture de sa tragédie, +pria la société de lui permettre d'exposer rapidement sa théorie du +poème dramatique. Corneille l'a fait, ajouta-t-il: compatriote de +Corneille, ne puis-je pas faire comme lui?--Sans aucun doute, monsieur +l'abbé, s'écrièrent en chÅ“ur tous les convives.--Vils flatteurs, +murmurait dans son coin le citoyen de Genève.--Ma théorie est bien +simple, messieurs. Donnez-moi un sujet quelconque. + +--_Balthazar_, dit une voix. + +--_Balthazar_, soit! Eh bien! vous savez, messieurs, que, pendant le +souper de ce roi impie, on vit une main écrire sur les murs les mots: +_Mané, Thécel, Pharès_. Il s'agit donc de savoir si le roi soupera ou +non; car, s'il ne soupe pas, la main n'écrira pas. Or je n'ai qu'à +inventer deux acteurs. Le premier veut que le roi soupe, le second ne +le veut pas, et cela alternativement. Si moi, poète tragique, je veux +que le roi soupe, celui-là parlera le premier. Ainsi: + +Ier acte: _Le roi soupera_; + +2e acte: _Il ne soupera pas_; + +3e acte: _Il soupera_; + +4e acte: _Il ne soupera pas_; + +5e acte: _Il soupera_. + +Si, au contraire, je ne veux pas que le roi soupe, voici quel sera mon +plan: + +Ier acte: _Il ne soupera pas_; + +2e acte: _Il soupera_; + +3e acte: _Il ne soupera pas_; + +4e acte: _Il soupera_; + +5e acte: _Il ne soupera pas_. + +Voilà , messieurs, tout le mystère. + +Un murmure approbateur accueillit ces paroles. Le poète commença alors +la lecture de sa tragédie. Tous les philosophes, rangés en cercle, +écoutaient attentivement. M. de la Condamine, entre autres, avait tiré +le coton de ses oreilles pour mieux entendre[7]; mais, dès la première +scène, sa patience était à bout. Dans la seconde, David paraît; il se +plaint que l'amour le tourmente jour et nuit et l'empêche de dormir. +Il a cependant de quoi s'occuper; il a de nouveaux ennemis, dit-il: + + Quatre rois, vive Dieu! ci-devant mes amis... + + [7] Voir à l'_Appendice_. + +--_Vive Dieu_! s'écria M. de la Condamine, et pourquoi pas _Ventre +Dieu_? Et, remettant le coton dans ses oreilles, il sortit +brusquement. + +--Voilà , dit le curé froidement, un homme qui ne sait pas que _Vive +Dieu_! est le serment des Hébreux. + +Ces quatre rois, «ci-devant les amis» de David, ont embrassé la +querelle du barbare Hanon... + +A ce mot malencontreux, cinq ou six auditeurs se récrient. + +--Ah! messieurs, dit le curé d'un air de profonde pitié, ce nom sonne +mal à vos oreilles, apparemment à cause de la ridicule équivoque de +celui d'_ânon_, animal si connu et si commun. Pour moi, je pense qu'un +nom, par lui-même, n'a rien qui doive offenser. L'Écriture s'en est +servie; elle a bien les oreilles aussi délicates que les nôtres. + +--Mais, lui dit Duclos, ajoutez une lettre à ce nom, et l'équivoque +cessera. + +--Monsieur, répartit le curé, vous voulez sans doute que je fasse de +ce personnage un Carthaginois? + +Dans un autre endroit, Bethsabée, pressée par David «de le rendre +heureux», veut le piquer d'honneur, et lui rappelant ses grandes +actions passées, elle dit: + + Vous sûtes arracher Saül à ses furies, + Où ce prince, vainqueur de mille incirconcis, + Frémissait que David en eût dix mille occis. + +--Ah! Dieu! quels vers! s'écria le citoyen de Genève; et pourquoi +_occis_? pourquoi pas _tués_? + +--Je pourrais, riposta sèchement le curé, vous répondre que _tués_ ne +rime pas à _incirconcis_; mais apparemment que vous imaginez que _tué_ +et _occis_ sont des synonymes. Apprenez, monsieur, que cela n'est pas. +On dit tous les jours: Cet homme me _tue_ par ses discours, et l'on +n'en est pas _occis_ pour cela. + +--J'avoue, reprit le citoyen, qu'il doit être fort fâcheux d'être +_occis_; mais je ne me soucierais pas même d'être _tué_. + +Le curé de Montchauvet poursuivit sa lecture, sans s'arrêter plus +qu'il ne convenait à cette misérable querelle de mots. + +Arrivé à un passage où il faisait rimer _angoisse_ et _tristesse_, +Rousseau l'interrompit de nouveau: + +--_Angoisse_ et _tristesse_ ne riment pas; vous êtes trop hardi, +monsieur le curé. + +--Trop hardi, monsieur? Cette rime est neuve; voilà tout. + +--Dites étrange, monsieur le curé. + +--Étrange, monsieur? Mais, vous, savez-vous bien ce que c'est que la +rime? + +--J'ose le croire, monsieur le curé. + +--On ne s'en douterait guère, et... + +La dispute allait s'envenimer: un geste de d'Holbach rétablit la paix. + +--Continuez, dit-il au curé de Montchauvet, nous vous écoutons. + +Vers le milieu du deuxième acte, Bethsabée dit à sa confidente: + + Le roi ne m'offre plus que d'_innocentes_ charmes. + +--Pardon, monsieur le curé, interrompit un des auditeurs, _charme_ est +du masculin. + +--Ah! vous le prenez comme cela, messieurs, répondit l'abbé; eh bien, +dans la scène suivante, vous le trouverez masculin; j'ai tâché de +contenter tout le monde. + +Plus loin, il faisait rimer _superflu_ et _plus_. + +--Cette rime n'est pas exacte, dit Marmontel. + +--Ah! vraiment; et pourquoi cela? + +--C'est que _superflu_, étant au singulier, n'a point d's, et par +conséquent ne peut rimer avec _plus_. + +Point d'_s_, reprit vivement le curé en mettant son manuscrit sous le +nez de Marmontel, point d'_s_! Mais je vous prie de remarquer, +monsieur, que j'en ai mis une[8]. + + [8] Voir à l'_Appendice_. + +Et il continua intrépidement sa lecture. + +On lui avait fait croire que M. de Margency était un poète de +profession, et qu'il aurait en lui un dangereux concurrent. Il n'est +sorte de bassesse que ne lui fit le curé de Montchauvet. M. de +Margency, comme on en était convenu auparavant, se fit le champion à +outrance du poète bas-normand. Aussi, c'était vers lui qu'il se +tournait de préférence. + +Au milieu d'une des plus pompeuses tirades, il entend un léger bruit. +C'était M. de Gauffecourt qui riait tout bas dans ses mains. + +--Vous riez, monsieur, lui dit le curé du ton dont il aurait +apostrophé un bambin au catéchisme? + +--Non, monsieur, répondit M. de Gauffecourt avec un grand sérieux; je +n'ai ri de ma vie. + +On arrive, sans autre incident, au quatrième acte. Tout le monde se +lève. On prie le curé de Montchauvet d'arrêter là sa lecture. Il doit +être épuisé de fatigue; on lui donnera une nouvelle séance pour +achever sa tragédie; on n'en veut pas perdre un seul vers. + +Chacun s'empresse autour de lui, et lui serre les mains: «Vous +surpassez Racine, et vous égalez Corneille!» + +Le curé absorbe avec intrépidité ces louanges ironiques; il se +rengorge; son nez s'agite, se dilate de plus en plus. Tout à coup, +J.-J. Rousseau se précipite vers lui, lui arrache son manuscrit et le +jette à terre: + +--Votre tragédie est absurde, mon cher curé; ces messieurs,--vous ne +le voyez donc pas?--se moquent de vous. Retournez vicarier dans votre +village. + +L'abbé, rouge de colère, fond sur Rousseau; en vrai poète tragique, il +veut l'_occire_. On sépare à grand'peine les deux combattants. +Rousseau sort furieux, pour ne plus remettre les pieds chez le baron +d'Holbach. On arrête le curé, qui le menace du poing et veut courir +après lui dans la rue. On réussit à le calmer un peu, en lui peignant +Rousseau comme un poète jaloux de sa gloire naissante. + +On peut bien penser que Diderot ne fut pas l'un des moins empressés à +verser du baume sur la blessure faite par Rousseau à la vanité du +poète. + +--Votre pièce est excellente, monsieur le curé, lui dit-il; je m'y +connais: elle aura le plus grand succès au théâtre, si toutefois vous +y apportez quelques modifications que je crois indispensables... Me +permettez-vous, monsieur le curé, de vous faire une légère critique? + +--Parlez, monsieur, dit le curé, pris par le ton bienveillant que +Diderot donnait à ses paroles. Je ne puis recevoir que des conseils +judicieux d'un esprit aussi éminent. + +--Eh bien, monsieur l'abbé, puisque vous m'autorisez à vous dire toute +ma pensée, je vous avouerai que votre pièce ne me semble pas assez +chargée d'incidents; que la plupart des incidents ne se passant pas +sur la scène, je trouve,--excusez ma franchise,--la scène un peu trop +muette. Il est vrai que votre pièce est une pièce sainte; mais ce n'en +est pas moins un défaut, à mon humble avis. + +Tout le monde s'attendait à une explosion de colère; il n'en fut rien. +Le curé répondit d'un air suffisant: + +--Je l'avais senti, monsieur, mais je n'ai pu faire autrement; +d'ailleurs, ces sortes de pièces sont sujettes à ce défaut... +Toutefois, vous conviendrez avec moi que j'ai suppléé à la sécheresse +des récitatifs par une versification assez heureuse. + +--Cela est vrai, dit M. de Margency, celui des auditeurs qui s'était +fait le champion du curé. A mon tour, ajouta-t-il, je reprendrai +l'objection faite par M. Diderot, et je demanderai à monsieur le curé +pourquoi il n'a pas placé sur la scène la baignoire de Bethsabée? Son +récit est plein de beaux vers, je le proclame bien haut, mais Horace a +dit: + + _Segnius irritant animos demissa per aurem + Quant quæ sunt oculis subjecta fidelibus, et quæ + Ipse sibi tradit spectator._ + +--Sans doute, monsieur; mais Horace n'ajoute-t-il pas: + + _Non tamen intus + Digna geri promes in scenam; multaque tolles + Ex oculis, quæ mox narret facundia præsens..._ + +--Je suis battu, dit M. de Margency. + +Puis, se tournant vers ses amis: + +--Quoi qu'en dise Horace, messieurs, ne regrettez-vous pas, comme moi +que M. le curé n'ait pu mettre sur la scène la baignoire de Bethsabée? +Vive Dieu! comme Mlle Clairon...[9] + + [9] Voir à l'_Appendice_. + +--Pardon, monsieur, interrompit le curé, la rougeur au front; mais +vous oubliez que ma tragédie est une tragédie sainte, et que rien n'y +doit offenser les oreilles ou les yeux des spectateurs chrétiens. + +--_Omnia sancta sanctis_, monsieur le curé; je tiens à la baignoire. +Et vous, messieurs? + +--Oui, oui, il nous faut la baignoire, s'écrièrent ensemble les +convives de d'Holbach. + +--Messieurs, je ne puis vous l'accorder. N'insistez pas, je vous prie. + +--Nous respectons vos scrupules, dit M. de Margency; qu'il soit fait +selon votre désir... Mais, poursuivit-il, qu'il me soit permis, avant +de nous séparer, d'ajouter un mot encore... + +Le curé dressa l'oreille. + +--Vous êtes du pays du grand Corneille, monsieur le curé; nous ne le +saurions pas, que votre style nous l'aurait bien vite appris. Comment +avez-vous fait pour arriver du premier coup à cette mâle vigueur, +dont l'auteur de _Polyeucte_ et vous avez seuls le secret? + +--Messieurs, répondit l'abbé, si mon style a quelque ressemblance avec +celui de Corneille, je le dois à la lecture approfondie que j'ai faite +de ce grand poète; mais qu'on ne m'accuse d'aucun plagiat: j'affirme +solennellement que mon style est à moi, et bien à moi... Je vois, +monsieur, continua le curé, en s'approchant de M. de Margency, que +vous êtes, comme on dit, un homme du métier, et je ne doute pas que +vos pièces n'aient obtenu sur la scène un légitime succès. + +--Monsieur le curé, dit de Margency, mes amis veulent bien m'accorder +quelque talent; mais, malgré leurs conseils, je dirai plus, malgré +leurs instantes prières, je n'ai jamais consenti à laisser jouer mes +pièces. Vous l'avouerai-je, monsieur le curé? j'ai peur... + +--Et de quoi, monsieur, je vous prie? + +--D'être sifflé. + +Puis, faisant un geste tragique: je crois que j'en mourrais! + +--Mon ami, lui dit Diderot, ayez plus de confiance en vous-même. +Osez, et je vous prédis le succès, comme je le prédis à M. le curé de +Montchauvet. + +--Ne me comparez pas, je vous prie, avec le rival de Pierre Corneille! + +--Que du moins son exemple vous enflamme, et, puisque vous travaillez +actuellement à une tragédie de _Nabuchodonosor_, soumettez-la au +jugement de M. le curé... Puis, s'adressant à l'abbé: Si nous osions, +monsieur, vous prier de traiter le même sujet, voudriez-vous nous +refuser, dans l'intérêt de notre ami qui brûle de marcher sur vos +traces? + +--Monsieur, dit d'Holbach qui, pendant toute cette scène, avait gardé +le plus grand sérieux, mes amis et moi nous vous attendons dimanche +prochain. Vous achèverez la lecture de votre tragédie, et vous nous +lirez, n'est-ce pas? la première scène de _Nabuchodonosor_; c'est un +sujet extrêmement difficile et délicat. Nous ne doutons nullement que +vous ne vous en tiriez avec l'habileté dont vous avez fait preuve dans +votre tragédie de _Bethsabée_. Pour vous, dit d'Holbach à de Margency, +vous saurez dimanche si vous devez affronter la scène ou brûler vos +manuscrits. Vous connaissez notre franchise. Nous vous promettons un +jugement sincère. A dimanche donc, monsieur le curé! + +Le curé promit de se rendre à cette aimable invitation. + +On se sépara. La vanité du curé de Montchauvet était aussi énorme que +son talent était mince; aussi était-il loin de se douter qu'il venait +de servir de bouffon aux convives habituels du baron d'Holbach. +Cependant, malgré le plaisir que lui avaient causé les éloges de +Diderot, de d'Holbach et de Margency, il était mécontent: il aurait +voulu plus d'éloges encore; et il était indigné que l'on ne se fût pas +montré plus sévère à l'égard de cet impertinent de Rousseau. + +Le lendemain, il rencontra M. de Margency et se plaignit beaucoup.--Si +je fréquentais ces messieurs, lui dit-il, je finirais par soupçonner +mes vers d'être plats: cependant, je suis bien sûr du contraire; et +ils n'ont qu'à examiner leurs observations avec autant de sévérité que +ma tragédie, ils verront ce qu'il y aura plat. Au demeurant, ce n'est +pas que leur critique m'effraie: je ne tiens pas à ma pièce en auteur +servile; j'en ai fait chaque vers triple, et je puis, comme vous +voyez, sacrifier tout ce qu'on veut, sans que j'en sois plus mal à mon +aise. + +M. de Margency l'assura fort qu'il avait laissé la société dans une +grande admiration de ses talents; mais il n'en voulut rien croire: «Je +les ai vus rire souvent pendant la lecture, répondit-il, et on ne rit +pas dans une tragédie, quand on est de bonne foi... Enfin, je vois ce +que c'est. Ces messieurs redoutent les ouvrages d'une certaine trempe +et qui pourraient fixer l'attention du public, ils n'ont que leur +_Encyclopédie_ dans la tête: ils craignent que mes succès ne fassent +tort aux leurs. Mais le public saura bien rendre justice à chacun.» + + + + +II + + +C'est dans ces sentiments que le curé de Montchauvet reprit, trois +jours après cette mémorable séance, le chemin de la basse Normandie. +Pour se consoler de l'injustice des Philosophes, il fit imprimer à +Rouen sa tragédie, qui parut sous ce titre: _David et Bethsabée_, +tragédie par M. l'abbé ***. Prix, 36 sols.--A Londres [Rouen], aux +dépens de la Compagnie, 1754. + +Lorsque l'imprimeur lui eut envoyé son ballot, l'abbé prit la plume et +adressa à l'abbé Basset une longue lettre, que celui-ci s'empressa de +communiquer à Diderot et que le philosophe lut à ses amis. En voici +quelques extraits: + + «De Montchauvet. + +«Je suis parti, monsieur et cher abbé, plein du souvenir de vos +bontés. Je me suis hâté de quitter un séjour où je commençais à goûter +quelque satisfaction, mais où je devenais à charge à quelques-uns. +Disons-le: ils ont pris de l'ombrage d'une pièce où ils ont cru +reconnaître des beautés que le public n'y reconnaîtra peut-être pas: +ils m'ont envié un je ne sais quoi que la nature ou le hasard m'a +prodigué... On m'apprit, avant de partir, que ce qui les avait +irrités, c'était la pièce adressée à Mme la marquise. Ils ont rugi à +ces mots de _vils mendiants_, et ils ont mis le curé de Montchauvet à +toutes sauces... Quoi qu'il en soit, dans le procédé qu'ils ont tenu +avec moi, ils ont cru me faire leur dupe. Ils y ont réussi jusqu'à un +certain point, parce qu'ils ont abusé de ma franchise. Qu'ai-je perdu, +sinon de ne pas croire que ma pièce était plus digne de voir le jour +que je ne l'espérais? Elle le voit actuellement en beau papier et en +caractères bien nets[10]: elle se vendra trente-six sous... Voilà donc +le moment de sa mort ou de sa vie. Le public, qui voit toujours avec +de bons yeux, du moins pour l'ordinaire, la disséquera comme il +l'entendra bien. Si elle ne lui plaît pas, je n'aurai garde d'en +appeler; mais je ne me rebuterai pas, je m'étudierai à faire mieux. +Tant que ma veine voudra couler, je vous proteste, mon cher abbé, que +rien ne sera capable de l'arrêter... J'ai déjà commencé une seconde +pièce. Lorsqu'elle sera faite, j'en ferai sévèrement la critique, +ainsi que de cette première. Comme l'honneur du théâtre ni l'intérêt +ne me guident point, ne travaillant qu'à braver l'ennui de ma +solitude, j'apporterai avec moi cette seconde tout imprimée, au moyen +de quoi je ne me verrai plus exposé à lire mon manuscrit sur la +sellette, devant des gens surtout qui vous rient dans leurs mains, au +lieu d'être touchés, ou qui feignent d'applaudir, sans savoir +seulement ce que c'est qu'enchaînement de scènes, ni peut-être qu'une +rime... Maintenant, mon cher abbé, j'ai l'honneur de vous prévenir que +je vous en enverrai un exemplaire et plusieurs en pur don pour les +personnes à qui je vous prierai d'avoir la bonté de les remettre. Je +compte que vous les recevrez la semaine prochaine avec une lettre +d'avis: ce seront deux ports de lettre que je vous ferai coûter. Ayez +pour agréable de me mander, au reçu de la présente, à Montchauvet, par +Aunay, à la Plumaudière, si vous voulez vous donner la peine de m'en +débiter. Dans le cas où vous pourriez vous en défaire, ce serait à +l'acquit de ce que mon frère et moi nous vous devons. Excusez-moi de +la longueur de ma lettre, je l'attends de votre indulgence. J'écris à +M. l'abbé Fréron, et je lui envoie deux exemplaires, un pour lui, et +l'autre pour Mme son épouse, en pur don[11]; vous voyez que je fais +les choses libéralement et que je ne regarde pas à trente-six sous, +lorsqu'il le faut. Adieu, mon cher abbé, etc.» + + [10] Voir à l'_Appendice_. + + [11] Voir à l'_Appendice_. + + * * * * * + +Nous avouerons sans peine, avec Grimm, que quelques centaines de +pareilles lettres feraient un excellent recueil. + +Toutefois, il est à remarquer que le curé de Montchauvet ne parle pas, +dans cette lettre, d'un envoi que dut lui faire M. de Margency, +quelques jours après son départ pour la Normandie. + +M. de Margency lui avait dit, on s'en souvient, qu'il lui soumettrait, +le dimanche suivant, la première scène de sa tragédie de +_Nabuchodonosor_. L'abbé devait, de son côté, apporter une scène sur +le même sujet. De Margency, ayant appris le départ inopiné du curé, +lui envoya son travail, accompagné d'une épître dédicatoire. Voici ces +deux bouffonneries: + +_Épître à M. l'abbé Petit, curé du Mont Chauvet_. + + Corneille du Chauvet, rimeur alexandrin, + Crois-moi, laisse-les dire, et va toujours ton train. + Ne t'aperçois-tu pas qu'envieux de ta gloire, + Tes ennemis font tout pour t'empêcher de boire + Au ruisseau d'Hippocrène, où Sophocle buvoit + Les chefs-d'Å“uvre qu'il fit, les beautés qu'il trouvoit? + Presque semblable à lui, quand tu touches la rime, + Tu te sers du rabot et jamais de la lime; + C'est-à -dire que, loin de coudre bout à bout + Des mots cherchés longtemps, tu fais bien tout d'un coup; + Voilà ce qui s'appelle un esprit bien facile, + Tu scandes en Homère et rimes en Virgile, + Et c'est ce qui déplaît à ces auteurs jaloux; + Va, moque-toi d'iceux, et ris de leur courroux. + Ils ont bu comme toi des eaux hippocréniques: + Bientôt tu les verras crever en hydropiques, + Et, tombant à tes pieds, poussifs et crevassés, + Ils _moureront_ tués, occis et trépassés. + +«Mon poétique cheval, Monsieur, qui se déferre en ce moment, m'oblige +de descendre de la rime à la prose; permettez-moi donc de vous dire +en son langage que votre immortelle et jolie pièce vous a fait bien +des jaloux; mais n'en redoutez rien. Je viens de vous annoncer dans +mes épiques vers et leur sort et le vôtre. D'ailleurs, consolez-vous +avec les admirateurs qui vous restent. Comme j'y touche aussi +quelquefois, à cette poésie, permettez-moi de vous consulter sur la +tragédie que j'ai entreprise et dont je vous envoie une scène pour +échantillon. Le sujet est, comme vous le savez, le fameux +_Nabuchodonosor_. Je suis bien étonné que ce grand homme ait échappé à +tant de célèbres auteurs. J'imagine qu'apparemment ils ne l'auront +regardé que comme une grande bête, comme vous avez pu le regarder +vous-même. Quoi qu'il en soit, voici ma scène. Nabuchodonosor +entretient Isabelle avant de l'épouser.» + + +SCÈNE + +NABUCHODONOSOR, ISABELLE + + NABUCHODONOSOR. + + Avant qu'à vos pieds beaux je mette ma couronne, + Écoutez-moi, princesse, et charmante personne; + Je n'allongerai pas, et je vous en répond, + Car, de mon naturel, je ne suis pas fort long + + ISABELLE + + Ah! grand prince, tant pis! ..Mais qu'avez-vous à dire? + + NABUCHODONOSOR. + + Reine, asseyez-vous là , je vais vous en instruire. + Je fus jeune autrefois, et même fort bien fait; + J'avois l'air d'un amour, du moins on le disoit. + Vous ne l'auriez pas cru? + + ISABELLE. + + Il est vrai, cher grand prince, + Qu'il vous reste à présent une mine assez mince. + + NABUCHODONOSOR. + + Pas tant... Mais il n'importe ..Écoutant mes désirs, + Je me divertissois dans les plus grands plaisirs; + Ma cour, modèle en tout de faste et d'élégance, + Réunissoit encor la joie et l'opulence; + Mille jeunes beautés, qui ne vous valoient pas, + Pleines de mes bienfaits, me prêtoient leurs appas; + Je vantois en tout lieu mon pouvoir, mes richesses, + Ma taille, mes bons mots, mes chiens et mes maîtresses. + Hélas! pour mon malheur je me vantai trop bien. + Le jaloux ciel piqué rabaissa mon maintien; + Il m'en punit, ce ciel: sa céleste colère + Donna dans mon endroit un exemple à la terre; + Je perdis dans un jour mon sceptre, mes États; + Une nuit je me vis velu comme les chats; + Sur mon corps tout courbé tous mes poils s'allongèrent, + De mon front menaçant deux cornes s'élevèrent, + Les seules, Dieu merci, que l'on m'ait vu porter... + Madame, en cet état, il fallut décamper. + Enfin je descendis du trône à quatre pattes. + (Où vas-tu nous fourrer, orgueil, quand tu nous flattes!) + Pour vous le couper court, et soit dit entre nous, + Je fus bête sept ans avant que d'être à vous. + + ISABELLE. + + Prince, que dites-vous?... Mais peut-être qu'encore... + + NABUCHODONOSOR. + + Je crois que vous raillez, madame la pécore! + Taisez-vous, reine en herbe; écoutez jusqu'au bout. + Galeux donc comme un braque, et velu comme un loup, + Je gagnai les forêts, les vallons, les montagnes; + La nuit j'allois brouter dans les vertes campagnes. + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + + +(_Ici doit être un magnifique morceau poétique de la vie que +Nabuchodonosor menoit à la campagne, comme une bête._) + + Enfin le ciel touché mit fin à son courroux. + «Quittez les bois, dit-il, allez-vous-en chez vous; + Vous aviez, mon ami, la tête trop superbe: + Pour vous la rafraîchir, il vous falloit de l'herbe; + Le ciel est toujours ciel, et l'on s'en moque en vain. + Vous vous croyiez un Dieu: vous n'êtes qu'un faquin; + Tournez-moi les talons...» Aussitôt, sans trompette, + Je quittai dans la nuit ma champêtre retraite. + Enfin, au point du jour, je me rendis chez moi. + Mon peuple me reçut et reconnut son roi. + Je fus un peu malade après cette aventure: + L'estomac, tout farci de foin et de verdure, + Me donna des hoquets et des indigestions; + Il fallut recourir aux évacuations. + Mon premier médecin m'ordonna la rhubarbe; + Le lendemain, ce fut un furieux jour de barbe.[12] + + [12] Voir à l'_Appendice_. + + + + +III + + +Le _Club holbachique_ s'était proposé d'achever de rendre fou le curé +de Montchauvet, s'il y manquait quelque chose. Ils y réussirent; car, +l'année suivante, le curé revint à Paris et n'hésita pas un seul +instant à soumettre aux encyclopédistes la nouvelle pièce qu'il avait +rimaillée au fond de son village. C'était la tragédie de _Baltazard_, +dans laquelle, pendant quatre mortels actes, il s'agit de +savoir,--selon la fameuse théorie inventée par l'abbé Le Petit,--si le +roi soupera ou s'il ne soupera pas. + +On voit d'abord paraître les deux mages, Hyrcan et Arbate. Baltazard +vient d'être vaincu. Sans aucun doute, la défaite du roi les affecte +profondément; mais ce qui les tourmente par-dessus tout, c'est la +crainte de ne pas souper. + +Pendant qu'ils délibèrent, sans rire, sur cette grave question, +survient Aristée, femme du roi et fille d'Abradate, roi de la Susiane; +elle vient (elle ne s'en cache pas) pour faire un monologue; mais +comme la présence des deux mages la gêne: «Éloignez-vous...» leur +dit-elle. Alors elle demande aux Dieux, qu'elle appelle «puissants +moteurs», de lui rendre compte de l'indigne sort de son époux: «Que +vais-je devenir?» s'écrie-t-elle: + + Où fuir et dans quels lieux, quelle obscure contrée, + Dérober aux humains une reine éplorée? + +Mais, tout bien réfléchi, elle ne veut pas se risquer + + Chez un peuple farouche, + Sans espoir d'y fléchir des cÅ“urs que rien ne touche. + +Mieux vaut aller trouver Baltazard et périr avec lui. Baltazard lui +épargne cette peine. Il vient, + + Non pas brillant de gloire, + Et tel qu'à son départ il vantait sa victoire... + +Il est vaincu, mais il n'est pas découragé. A l'entendre faire le +récit de la bataille qu'il a perdue, on croirait presque qu'il l'a +gagnée: + + Je m'avance à grands pas dans le sein de la gloire; + Tout nage dans le sang; une grêle de dards + Fait du jour une nuit; ce n'est de toutes parts + Qu'un spectacle effrayant d'hommes qui s'embarrassent, + De chevaux renversés, de chars qui se fracassent. + +Qu'allez-vous faire? lui demande Aristée. Tâchez de fléchir notre +vainqueur: + + S'il en est temps encor, proposez-lui la paix, + Et cherchez dans lui-même un ami pour jamais. + +Non, répond Baltazard, je veux souper, et + + Dans ces vases sacrés qu'à Sion on regrette + J'éteindrai mes chagrins, ma honte et ma défaite; + Et, dût vomir le Juif mille imprécations, + Je les ferai servir à mes libations. + +Cette impiété donne le frisson à la reine.--Ne soupez pas, seigneur, +lui dit elle, ou du moins ne soupez que si les mages l'ordonnent. + +Baltazard est bien contrarié de voir que l'_indifférence_ de la reine + + Refuse à ses malheurs la moindre déférence. + +Mais enfin il cède: il consultera les devins. Hyrcan et Arbate +accourent. _Secourez-moi_, leur crie Baltazard du plus loin qu'il les +voit. Dois-je souper ou ne pas souper? Et il a soin d'ajouter, afin de +leur dicter leur réponse: + + Parlez, et, consolant mon esprit agité, + Songez qu'un jour si beau flatte ma volonté + +Les mages ont compris: _Seigneur, il faut souper_. Telle est leur +réponse. Mais l'allégresse du roi est de courte durée. Survient +Nitocris, sa mère, qui ne veut pas qu'on soupe. + +--Y songez-vous, lui dit-elle, + + Insensible à l'État, votre cÅ“ur le néglige, + Et vous n'allez au temple, où rien ne vous oblige, + Que pour sacrifier, au gré de vos désirs, + Moins à l'amour des dieux qu'à l'attrait des plaisirs, + Occupé d'une fête, où, parmi la crapule, + La nuit ne connaîtra ni remords ni scrupule! + +Le roi n'écoute pas. Bien décidé à souper, il s'en va et laisse sa +mère exhaler sa douleur dans un monologue. Il pousse l'audace encore +plus loin: il dépêche vers elle les deux mages, qui la prient +respectueusement de venir souper. Nitocris, comme on le pense bien, +refuse énergiquement. Baltazard, ennuyé, vient la chercher lui-même. + +Nitocris et son fils s'accablent mutuellement de reproches: + + A quoi bon (dit Baltazard) m'opposer ce beau titre de mère + S'il ne devient pour moi qu'une loi trop amère, + Si vous me refusez jusqu'à de saints plaisirs, + Et ne me rappelez que peines et soupirs?... + Ah! comment osez-vous, après ce caractère, + Me nommer votre fils et vous dire ma mère? + --Ingrat! (répond Nitocris) puis-je oublier l'excès de cet amour + Qui, quoi que vous disiez, vous mérita le jour? + Et pouvois-je empêcher que le ciel vous fît naître + Dans le sein qu'il choisit pour vous procurer l'être? + Mais si vous le devez, ce jour, à Nitocris, + Montrez donc désormais que vous êtes son fils; + Commencez à briser cette chaîne fatale + Dont vous chérissez tant le poids qui vous ravale, + Ce joug empoisonné, que d'indignes flatteurs + Savent, pour vous séduire, orner de tant de fleurs... + +L'hypocrite Baltazard feint de se rendre aux conseils de sa mère: + + Je vais joindre Cyrus (lui dit-il) et, sans le moindre effroi, + Lui montrer que je sais vaincre et mourir en roi. + +A peine Nitocris a-t-elle le dos tourné: «Allons souper», +s'écrie-t-il. + +Ainsi finit le troisième acte. Le quatrième s'ouvre par un monologue. +Baltazard a changé d'idée: il ne soupera pas; il ne veut pas que sa +mère regrette + + De n'avoir enfanté qu'un fils pusillanime. + +Mais il a compté sans les mages, Hyrcan et Arbate, qui viennent le +relancer jusque dans son palais. Il se sent faiblir: aussi, pour se +donner du courage, il se dit à lui-même: + + ..... Soutiens-toi, Baltazard! + +Les mages sont les plus forts: ils n'ont qu'à faire un signe, le +tonnerre gronde, et le pauvre roi ne sait où se cacher: + + Qu'entends-je, malheureux! Quelle indignation! + Ah! mages, détournez votre imprécation! + Un feu secret et prompt, qui déjà me dévore, + Me prouve que le ciel ordonne qu'on l'honore. + C'en est fait. Je me rends et n'écoute que lui, + Heureux si sa bonté me secoure (_sic_) aujourd'hui! + Allez donc, qu'au banquet toute ma cour s'empresse + De noyer pour jamais son deuil et sa tristesse! + +On soupera donc, enfin! La table du festin est dressée: on la couvre +des coupes sacrées du temple de Jérusalem. + +Au moment où Baltazard demande à boire aux mages, Nitocris se présente +et reproche à son fils de _perdre le sentiment_. (L'auteur voulait +sans aucun doute dire _le sens_.) + +Baltazard daigne à peine répondre: + + Madame, jusqu'à quand votre importune voix!... + Donnez, mages, donnez; c'est trop me faire attendre. + +Mais à peine les mages ont-ils présenté la coupe au roi, qu'on voit +une main écrire sur la muraille les fameux mots: MANÉ, THÉCEL, PHARÈS. + + Que vois-je, mes amis (s'écrie Baltazard), et quel spectre nouveau + Crayonne sur ces murs un effrayant tableau? + Voyez-vous, comme moi, cette main qui nous trace + Certains mots, où mon sang dans mes veines se glace? + Ma coupe malgré moi s'échappe de mes doigts, + Et je sens peu à peu se dérober ma voix. + Mes yeux sont chancelants; mes genoux s'entrechoquent, + Et toutes les horreurs à la fois me suffoquent. + +Inutile d'ajouter que Baltazard est vaincu de nouveau et tué par +Cyrus. Mais ce qu'il faut dire (car on ne s'en douterait guère), c'est +que Cyrus, à peine entré dans Babylone, fait une déclaration des plus +galantes à la reine Aristée. Celle-ci, comme on le pense bien, est +furieuse: + + Dois-je donc respecter (lui dit-elle) un bras qui n'a servi + Qu'à renverser un roi qu'il a trop poursuivi? + Taire tant de forfaits qu'un tyran autorise, + Et briser un pinceau qui te caractérise? + Barbare! je ne puis assez t'humilier! + +Cyrus n'est pas très flatté de ces dédains; car, si on l'en croit, +sans Aristée, le trône où il monte n'est plus + + ...... qu'un redoutable ennui. + +Mais il n'est pas au bout de ses peines. Nitocris vient lui reprocher +la mort de son fils, et se tue presque sous ses yeux. Aristée veut en +faire autant. Cyrus l'arrête. «Laisse-moi mourir,» lui crie-t-elle: + + ..... Accorde au moins cette grâce dernière + Au reste infortuné d'une famille entière + +Cyrus tient bon, l'empêche de s'_occire_, et met fin à la tragédie par +ces vers mémorables, mais bien peu en situation, puisque Nitocris est +morte: + + Secourons Nitocris, et demandons aux dieux + Qu'ils fassent de ce jour un jour moins odieux! + +Il est fâcheux que Grimm ne nous ait pas noté les divers incidents +auxquels a dû donner lieu la lecture de ce chef-d'Å“uvre. Il se +contente de dire: «Le curé nous a tenu parole; il est revenu avec une +seconde tragédie, intitulée _Baltazard_, tout aussi bonne que la +première. Je crois qu'il n'a pas pu trouver d'imprimeur. Mais il est +reparti pour sa cure un peu plus content de nous.» + +Dans la préface de _Baltazard_, le curé de Montchauvet nous en dira +plus long: «Le peu de succès de ma première pièce m'avoit presque +déterminé à n'en pas entreprendre une seconde. Cependant, je pensois +que si Racine avoit été découragé par la médiocrité des _Frères +ennemis_, nous n'aurions jamais eu ni _Yphigénie_ (_sic_), ni +_Phèdre_; et je repris la plume que la critique m'avoit presque fait +tomber des mains. Je composai donc mon _Baltazard_ après ma +_Bethsabée_, à qui je donnai un frère, comme M. de Boissy l'a dit +également du _Méchant_ de M. Gresset. J'apportai à Paris cette seconde +production de ma verve échauffée et de mon génie irrité par les +difficultés, bien résolu de la sacrifier, si je ne me trouvois pas +autant au-dessus de moi-même que je le désirois, et que Racine et +Corneille s'étoient montrés supérieurs à eux-mêmes, à mesure qu'ils se +familiarisoient davantage avec le génie dramatique. Il ne s'agissoit +plus que de rencontrer des juges équitables qui m'éclairassent ou sur +ma médiocrité ou sur mes progrès. Mais où trouver ces juges équitables +dans une ville fausse comme celle-ci, où l'on semble prendre à tâche +de décourager ceux qui donnent quelque espérance? Heureusement, un +homme distingué par sa naissance, son goût, sa probité, et surtout par +l'accueil qu'il daigne faire aux talents naissants, s'offrit à +rassembler chez lui cinq ou six des meilleurs esprits, qui la +jugeroient avec la dernière sévérité, et qui m'apprendroient par le +jugement qu'ils en porteroient, celui que j'en devois porter moi-même. +L'avouerai-je? L'examen fut sanglant, et je laissai mes critiques bien +convaincus qu'ils avoient rempli le projet, que peut-être ils avoient +formé, de me ramener à des fonctions que je reconnaîtrai sans peine +avec eux très supérieures à l'occupation d'un poète, ce poète fût-il +plus grand que Racine et Corneille. Mais je réfléchis sur leurs +observations; je vis bientôt qu'il n'y avoit aucune pièce au monde sur +laquelle on n'en pût faire d'aussi solides; et je parvins à me +démontrer évidemment que ma seconde tentative dramatique m'avoit +beaucoup mieux réussi que je n'aurois osé le penser, sans le +_suffrage_ de tous mes censeurs. Je dis le _suffrage_, car ce fut le +véritable jour sous lequel je ne tardai pas à voir leur critique. Je +me dis à moi-même: Comment! Voilà donc à quoi se réduit tout ce que +les hommes de Paris, qui passent pour avoir le plus d'esprit, trouvent +de répréhensible dans mon ouvrage? En vérité, il faut qu'il soit mieux +que bien: je ne risque donc rien à le publier; et j'eus tout +l'empressement que donne l'espoir du succès, de le porter à mon +imprimeur. C'est donc à ces Messieurs plutôt encore qu'à moi que le +lecteur en doit la publicité... J'en vais méditer une troisième. Je +suis jeune, j'ai du courage, et pour peu que je m'élève à chaque +essort (_sic_) que je prendrai, j'espère me voir enfin à une hauteur +suffisante pour contenter la vanité d'un auteur qui n'en a pas +beaucoup. Ainsi soit-il!» + + * * * * * + +Quoi qu'en dise Grimm, le curé de Montchauvet trouva, nous le voyons, +un imprimeur. Sa pièce parut sous ce titre: BALTAZAR, _tragédie_, +_par M. l'abbé ***_. _Prix vingt-quatre sols_, 1755 [sans lieu ni nom +d'imprimeur]. + +En lisant ce titre, on éprouve une certaine surprise. On se rappelle +que la tragédie de _Bethsabée_ se vendait (quand elle se vendait!) +_trente-six sous_. Puisque le curé de Montchauvet trouve la tragédie +de _Baltazard_ supérieure à celle de _Bethsabée_, comment se fait-il +qu'il ne l'estime que _vingt-quatre sous_? + +La troisième tragédie annoncée ne parut pas. L'abbé Le Petit s'en tint +à ses deux chefs-d'Å“uvre, et il fit bien[13]. + + [13] Voir à l'_Appendice_. + + + + +APPENDICE. + + +_Page 3, note 1._ + +Si invraisemblable que puisse paraître cette mystification littéraire, +je dois dire que je n'ai rien inventé: je me suis contenté de +suivre,--en l'arrangeant un peu,--le récit que nous en ont laissé +Grimm (_Correspondance litt. philosoph. et crit._, lettres du 1er +mars, du 1er août et du 15 septembre 1755), et Fréron (_Année litt._ +1754, tome IV, p. 307, et 1755, tome VIII, p. 342). + +_Page 3, note 2._ + +Montchauvet, aujourd'hui dans l'arrondissement de Vire, canton de +Bény-Bocage (Calvados). + +_Page 4, note 3._ + +Le curé de Montchauvet, la victime de Diderot et de ses amis, se +nommait, non pas Petit, comme l'appelle Grimm, mais Le Petit. Grâce à +l'obligeance de M. Lair, instituteur à Montchauvet, qui a bien voulu +me communiquer les vieux registres conservés dans les archives de la +mairie, j'ai pu constater que l'abbé Le Petit (Jean-Baptiste) a dû +arriver à Montchauvet au mois d'avril 1751. Le premier acte signé de +lui, comme successeur du curé Moussard, est du 14 avril 1751. Deux +fois seulement (14 août et 15 septembre 1752), l'abbé Le Petit, assez +souvent appelé dans le corps des actes (baptêmes, mariages ou +inhumations), Le Petit Dequesnay ou de Quesnay, a signé Le Petit +Dequesnay. Partout ailleurs il signe tout simplement Le Petit. + +Le dernier acte, non pas écrit, mais signé par le curé Le Petit, d'une +écriture tremblée, est un baptême en date du 30 mai 1786. + +Devenu infirme, sans doute, il fut remplacé, de son vivant, par son +vicaire Lemarchand[14]. L'abbé Le Petit mourut le 16 décembre 1788. +Voici l'acte d'inhumation du pauvre poète: + + «Le dix-sept décembre 1788 a été par moi curé de Montami + soussigné inhumé dans le cimetière de Montchauvet le corps de + maistre Jean-Baptiste Le Petit ancien curé de Montchauvet décédé + d'hier âgé d'environ soixante-huit ans présence de Mrs le curé et + vicaire actuels. + + (Ont signé) Lemarchand [curé], Jouenne [vicaire] et G. Liot [curé + de Montamy]. + + [14] A partir du 30 mai 1786, les actes sont signés par Jouenne + ou Le Marchand, vicaires. Le premier acte que nous ayons trouvé, + signé par Le Marchand, _curé_, est du 9 janvier 1788; mais nous + devons ajouter que le registre de 1787 manque aux archives de + Montchauvet. + +Jean-Baptiste Le Petit, âgé de 68 ans environ, quand il mourut en +1788, a donc dû naître (où ??) vers 1720. Il avait trente quatre ans +lorsqu'il sentit s'éveiller son génie poétique et qu'il vint lire, +pour son malheur, à Diderot et à ses amis, l'«immortelle» tragédie de +_David et Bethsabée_. + +D'après les signatures des vicaires Tourgis ou Duhamel, que nous avons +relevées au bas des actes des registres paroissiaux de Montchauvet, et +qui constatent l'absence du curé, l'abbé Le Petit dut quitter ses +sauvages bruyères pour aller à Paris, vers la fin d'août 1753, et ne +rentrer dans son village qu'au mois d'avril 1754. Ces dates concordent +bien avec celles que donnent les lettres de Grimm. + +Le fait le plus saillant de la vie du curé de Montchauvet est +assurément sa lecture chez le baron d'Holbach; mais je dois aussi +rappeler qu'il eut à soutenir un long procès contre Jacques-François +Mercier, prieur commendataire du prieuré royal du Plessis-Grimoult, +chanoine de la Sainte-Chapelle du Palais à Paris[15]. Ce procès, qui +dura au moins dix ans, fut gagné par le curé Le Petit, non seulement +devant le bailliage de Vire (3 juillet 1762), mais encore devant le +Parlement de Normandie (19 juin 1771). Le curé de Montchauvet +réclamait contre le prieur du Plessis-Grimoult «le tiers des dîmes de +la paroisse et la qualité de curé, au lieu de celle de vicaire +perpétuel, la seule qu'on voulût lui reconnaître.» Détail intéressant +et qui a été relevé par M. Ch. de Beaurepaire, le savant archiviste de +la Seine-Inférieure[16], l'arrêt du Parlement de Normandie qui termine +le procès intenté par l'abbé Le Petit au prieur du Plessis-Grimoult, +nous apprend qu'en une semblable circonstance, Bossuet, le grand +Bossuet, «malgré le droit de _committimus_ dont il avait usé, malgré +le recours à des juges certainement prévenus en sa faveur», avait +succombé, d'abord au bailliage de Vire, en second lieu et +définitivement aux Requêtes du Palais à Paris, dans sa contestation +avec Mathieu Roger, curé de Montchauvet, un des prédécesseurs du curé +Le Petit. + + [15] La cure de Montchauvet dépendait du Prieuré du + Plessis-Grimoult. + + [16] _Bulletin historique et philologique_, 1896. «Procès entre + Bossuet, prieur du Plessis-Grimoult, et le curé de Montchauvet en + Normandie, en 1674.» + +_Page 4, note 4._ + +J'ajouterai «et le prieur du Plessis-Grimoult», car Montchauvet était +une des 39 cures (ou bénéfices) qui dépendaient de ce prieuré.--Voir +notre étude sur _Bossuet en Normandie_, p. 43. + +_Page 5, note 5._ + +L'abbé Gilles Basset des Rosiers enseigna la philosophie au collège +d'Harcourt (aujourd'hui lycée St-Louis) vers 1750. Il devint recteur +de l'Université en 1779. C'était un homme aimable, instruit, en +relation avec les écrivains les plus renommés. (Voir BOUQUET, +_L'ancien collège d'Harcourt et le lycée Saint-Louis_, p. 414.) + +_Page 10, note 6._ + +Grimm n'assistait pas à cette mémorable séance; sa chaise de poste +s'étant brisée à Soissons, il ne put arriver à Paris que le lundi de +carnaval. «C'est ce contre-temps, nous dit-il, qui m'attira l'honneur +d'être l'historien du curé de Montchauvet.» + +_Page 13, note 7._ + +M. de la Condamine est bien connu par ses voyages scientifiques et par +ses _Mémoires sur l'inoculation de la petite vérole_. + +Sa surdité donna lieu, lorsqu'il fut reçu à l'Académie française +(1760) au quatrain suivant. (On dit même qu'il en est l'auteur). + + La Condamine est aujourd'hui + Reçu dans la troupe immortelle: + Il est bien sourd, tant mieux pour lui, + Mais non muet, tant pis pour elle. + +Trois ans auparavant (1757),--n'étant plus de la première jeunesse, +puisqu'il était né en 1701,--il épousa sa nièce. Le madrigal qu'il fit +à sa jeune femme, pendant la première nuit de ses noces, fit beaucoup +d'honneur à son esprit: + + D'Aurore et de Titon vous connaissez l'histoire. + Notre hymen en retrace aujourd'hui la mémoire; + Mais Titon de mon sort pourrait être jaloux. + Que ses liens sont différents des nôtres! + L'Aurore entre ses bras vit vieillir son époux, + Et je rajeunis dans les vôtres. + +Après avoir lu ce joli madrigal, M. de Luxemont, secrétaire des +commandements de M. le comte de Charolais, envoya le huitain suivant à +M. de la Condamine: + + D'Aurore et de Titon nous connaissons l'histoire. + L'infortuné vieillit où vous rajeunissez. + Vous le dites du moins, et pour nous c'est assez: + Véridique et modeste, il faut bien vous en croire; + Mais lorsque de l'Amour, dans le lit nuptial, + Vous empruntez la voix pour peindre sa puissance, + Ne peut-on soupçonner, sans vous faire une offense, + Qu'il n'y fit rien de mieux que votre madrigal? + +Piqué au jeu, M. de la Condamine répondit: + + Mon madrigal fut donc, à ce que vous pensez, + La nuit de mon hymen, ma plus grande prouesse? + Monsieur, sont-ce mes vers que vous applaudissez, + Ou pensez-vous déplorer ma faiblesse? + Hélas! dans mon printemps, pour tribut conjugal, + J'eusse achevé ma neuvaine à Cythère. + Aujourd'hui, moins fervent, pour me tirer d'affaire, + J'en remplis les deux tiers avec un madrigal. + +M. de Luxemont répliqua à son tour: + + Ce sont vos vers que j'applaudis, + Sans déplorer votre faiblesse; + L'Amour n'en est pas moins surpris + Que l'objet de votre tendresse + (Dont lui-même serait épris) + Ne vous ait pas rendu tel qu'en votre jeunesse. + Toutefois, n'en déplaise au dieu de l'Hélicon, + Seul garant de cette neuvaine + Que commencent souvent, que finissent à peine + Les vrais élus de Cupidon, + Tout homme sur ce point, dit le bon La Fontaine, + Est d'ordinaire un peu gascon; + Et l'on croit qu'il avait raison. + Mais pour n'être jamais contredit de personne, + Rimez toujours, rimez: vos vers vainqueurs du Temps, + Prouvent qu'en vos pareils les fruits de leur automne + Conservent la saveur de ceux de leur printemps. + +Si l'abbé Basset a envoyé ces agréables jeux d'esprit au curé de +Montchauvet, l'auteur de _Baltazar_ a dû se dire: «Je comprends que ce +M. de la Condamine n'ait pas voulu écouter mes vers; ce n'est pas un +poète sérieux.» + +_Page 17, note 8._ + +Le curé tint compte de l'observation. On lit (acte III, sc. 3): + + Le temps vous vengera des soupirs _superflus_, + Et je sçauray moi-même enfin n'y songer plus. + +_Page 21, note 9._ + +C'est l'année suivante (dans l'_Orphelin de la Chine_, de Voltaire) +que Mlle Clairon et les artistes du Théâtre Français renoncèrent à +jouer avec paniers. + +C'est aussi à cette date (1755) que le marquis de Ximenès se brouilla +avec Mlle Clairon. La grande actrice lui redemanda son portrait, et le +marquis eut le mauvais goût de le lui renvoyer, avec ce quatrain... +cruel: + + Tout s'use, tout périt; tu le prouves, Clairon. + Ce pastel, dont tu m'as fait don, + Du temps a ressenti l'outrage: + Il t'en ressemble davantage. + +_Page 29, note 10._ + +Le curé de Montchauvet n'est pas difficile. Sa tragédie est très mal +imprimée; il y a deux grandes pages de _fautes à corriger_. + +_Page 29, note 11._ + +M. et Mme Fréron ne furent guère sensibles à cette générosité, car +dans l'_Année littéraire_ de 1754 (tome IV), le curé et sa tragédie +sont arrangés de la belle façon. + +_Page 34, note 12._ + +M. de Margency ne faisait pas que des vers burlesques. Voici une +chanson, citée par Grimm (15 novembre 1757), qui nous prouve qu'il +avait, quand il le voulait, l'esprit aussi ingénieux que délicat. + + J'entends dans ces forêts + Gémir la tourterelle; + Hélas! si je voulais, + Je me plaindrais comme elle. + + Notre sort est égal; + L'amour seul fait sa peine: + Chez moi c'est même mal, + L'amour cause la mienne. + + Ce qui fait nos douleurs, + Ce n'est pas l'inconstance; + Mais l'on verse des pleurs + De même pour l'absence. + + Un cÅ“ur qui n'aime rien + N'a point de ces alarmes, + C'est pourtant un grand bien + De répandre des larmes. + +_Page 46, note 13._ + +Cette étude a déjà paru dans la _Nouvelle Revue_, 4e année, tome XIX, +1re livraison, 1er mars 1882, pages 117 et suivantes. + +--Dans la première livraison de la _Revue franco-américaine_ (juin +1894), Alphonse Daudet a consacré deux pages à l'abbé Le Petit, qu'il +appelle «un raté littéraire au XVIIIe siècle». + +--Les deux tragédies de _David et Bethsabée_ et de _Baltazard_ sont +devenues excessivement rares. J'ai pu acheter la première à la vente +du baron Taylor.--Elles se trouvent à la Bibliothèque de Caen, Ch 5/4. +_Baltazard_ se morfond, très peu lu, à la Bibliothèque de Vire. «Nul +n'est prophète en son pays.» + + * * * * * + +La paroisse de Montchauvet a connu un autre curé-poète de la même +force que l'abbé Le Petit. + +En 1828, le curé Laumonier fit paraître[17]: _L'oraison funèbre ou +complainte sur le renversement d'un très bel if qui a existé dans le +cimetière de Montchauvet jusqu'à l'éradication qui en fut faite le 12 +janvier 1828_. (Ouf, quel titre!). + + [17] A Vire, chez Adam, imprimeur du roi. L'abbé Laumonnier avait + déguisé son nom sous l'anagramme de NUMA LEROI. + +Voici quelques couplets de cette complainte: + + Ici vivait depuis mille ans, + A quelques pas du sanctuaire, + Athlète contre les autans, + Un If,... un arbre tutélaire. + . . . . . . . . . . . . . . . . . + + Il était l'arbre du pays, + L'expression n'est pas outrée, + Où s'assembloient le plus d'amis, + D'enfans... de toute la contrée. + + Il était aussi le plus beau + Qui fût connu du voisinage: + Là s'unissaient près du tombeau + L'enfance avec le moyen âge. + + Il aurait pu rester debout: + C'était l'avis du commissaire... + Mille ans n'auraient pas vu le bout + De sa présence salutaire. + . . . . . . . . . . . . . . . . . + + De la demeure funéraire + Il était le triste ornement. + Faut-il qu'un désir de déplaire + Ait causé son renversement? + + Il me servait de paravent + Quand j'allais à la sacristie; + Il me saluait en passant, + Me protégeant à la sortie. + . . . . . . . . . . . . . . . . . + +«La fin couronne l'Å“uvre», c'est le cas de le dire: + + Adieu bel arbre, adieu bel If... + Adieu, ton tronc, ta forte branche; + En dépit de mon cri plaintif, + Tu meurs la veille d'un dimanche. + +«Au haut des cieux, _leur demeure dernière_», (du moins j'aime à le +supposer), les deux curés de Montchauvet, Le Petit et Laumonier, +doivent rimailler de conserve et maudire les méchants critiques, qui +«tâchent de décourager ceux qui donnent quelque espérance». + + +IMPRIMERIE HENRI DELESQUES, A CAEN + + + + + +End of Project Gutenberg's Diderot et le Curé de Montchauvet, by Armand Gasté + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DIDEROT ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET *** + +***** This file should be named 44723-0.txt or 44723-0.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/7/2/44723/ + +Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by The Internet Archive/Canadian Libraries) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org/license + + +Title: Diderot et le Curé de Montchauvet + Une mystification littéraire chez le baron d'Holbach, 1754 + +Author: Armand Gasté + +Release Date: January 21, 2014 [EBook #44723] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DIDEROT ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET *** + + + + +Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by The Internet Archive/Canadian Libraries) + + + + + + + +Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le +typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée +et n'a pas été harmonisée. + + + + + DIDEROT + ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET + + + + + Armand Gasté + + DIDEROT + ET LE + CURÉ DE MONTCHAUVET + + --UNE MYSTIFICATION LITTÉRAIRE CHEZ + LE BARON D'HOLBACH, 1754-- + + [Illustration] + + PARIS + ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR + _23-31, passage Choiseul, 23-31_ + + M. DCCC. XCVIII + + + + +DIDEROT + +ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET[1] + + +Au milieu du XVIIIe siècle vivait, ou plutôt végétait tristement dans +l'humble presbytère de Montchauvet, en plein Bocage normand[2], un +curé poète qui doit aux Encyclopédistes l'immortalité du ridicule, et +dont les vers extravagants furent,--qui le croirait?--une des causes +de la rupture de Jean-Jacques Rousseau avec ses bons amis, les +Philosophes. + + [1] Voir à l'_Appendice_. + + [2] _Ibid._ + + + +I + + +L'abbé Le Petit[3],--c'est le nom de notre curé,--s'ennuyait à mourir +dans le village où l'avait enterré son évêque[4]. Il avait beau monter +sur les âpres rochers qui dominent le presbytère et interroger +l'horizon, il ne voyait venir personne qui fût digne de le comprendre +et sût goûter les vers qu'il composait dans sa morne solitude. Et +laissant tomber ses regards sur les masures de ses paroissiens: «Ici, +il n'y a que moi d'homme d'esprit, se disait-il. Point de société!... +Pour toute ressource, le magister, c'est-à-dire un paysan habillé de +noir!» + + [3] Voir à l'_Appendice_. + + [4] _Ibid._ + +Un beau jour, l'abbé Le Petit, n'y pouvant plus tenir, boucla sa +valise et partit pour Paris. A Paris, en effet, il trouverait un de +ses anciens camarades de séminaire, l'abbé Basset[5], professeur de +philosophie au collège d'Harcourt. L'abbé Basset avait de belles +relations: il procurerait certainement un éditeur à son confrère. +L'éditeur trouvé, le livre prôné par les gazettes s'enlevait en un +clin d'oeil; les salons se disputaient l'illustre compatriote de +Malherbe et de Pierre Corneille; et qui sait? l'Académie ne se faisait +pas trop prier pour lui offrir un de ses quarante fauteuils. + + [5] _Ibid._ + +Tels étaient les beaux rêves que le curé de Montchauvet confiait à +l'abbé Basset, et que celui-ci, en se promenant avec lui, au +Luxembourg, par une belle matinée d'hiver, écoutait d'une oreille trop +indulgente. + +Au détour d'une allée, on rencontre Diderot. Diderot, qui demeurait à +quelques pas de là, sur la hauteur d'où il avait tiré son surnom de +_Philosophe de la Montagne_, aimait à se promener le matin au +Luxembourg. L'abbé Basset, qui était fort lié avec lui, connaissait +ses habitudes. Ce n'était pas sans intention, peut-être, qu'il +conduisit, ce jour-là, sur le chemin du philosophe, le curé de +Montchauvet, avide de connaître les grands esprits du siècle, avide +surtout d'en être connu. L'abbé Basset présente son ami à Diderot. Le +curé nage dans la joie; il pâlit d'aise, et son nez,--un nez +extrêmement long, dit la chronique,--est dans un mouvement perpétuel. +La conversation est bientôt liée. L'abbé Le Petit raconte d'un trait +ses infortunes: «Je m'étiolais à Montchauvet, le plus triste lieu du +monde; mes talents y étaient enfouis. Mais, Dieu merci! j'en suis +hors, et je me réjouis, monsieur, d'avoir fait connaissance avec un +homme de votre réputation, afin de vous demander votre avis. + +--Mon avis, dit le philosophe, et sur quoi, monsieur l'abbé? + +--Sur un madrigal de sept cents vers, que j'ai fait dernièrement. + +--Un madrigal de sept cents vers! Et sur quel sujet, je vous prie? + +--Voici la chose, dit le curé en souriant d'un air malin: mon valet a +eu le malheur de faire un enfant à ma servante, et cela m'a donné un +assez beau champ, comme vous allez voir. + +Et, disant cela, il tire de la poche de sa soutane un grand cahier de +papier. Diderot recule épouvanté; puis se ravisant: + +--Monsieur le curé, dit-il, je vous trouve bien blâmable d'employer +vos loisirs à de pareils sujets. + +L'abbé Le Petit commençait à rougir de colère; son nez s'agitait, +menaçant... + +--Quand on a un génie aussi sûr que le vôtre, poursuivit Diderot, on +doit faire des tragédies, et non pas s'amuser à des madrigaux. + +Le curé de Montchauvet, agréablement flatté de ce compliment +inattendu, devint radieux: ses yeux brillaient d'un éclat +inaccoutumé, son grand nez se dilatait pour mieux aspirer l'encens. +Il voulait remercier Diderot; celui-ci ne lui en laissa pas le +temps:--Permettez-moi de vous dire que je n'écouterai pas un seul vers +de votre façon, avant que vous ne nous ayez apporté une +tragédie.--Vous avez raison, répliqua le curé;.... je suis trop +timide. Puis, remettant dans la vaste poche de sa soutane son long +poème, il salua poliment Diderot. Le philosophe, en s'en allant, +échangea avec l'abbé Basset un sourire que le bon curé n'aperçut pas, +ou dont il ne comprit pas la signification. + +C'était un sourire de contentement. Diderot s'était débarrassé du même +coup, (il le croyait du moins), d'un madrigal de sept cents vers et +d'un importun. + +Quelques mois se passent. Diderot, bien tranquille dans son cabinet, +travaillait, sans doute à ses _Pensées sur l'interprétation de la +nature_, lorsque, sans se faire annoncer, l'abbé Le Petit se présente +avec un énorme manuscrit sous le bras. Qu'on juge de la surprise de +Diderot.--Comment, monsieur le curé, c'est bien vous que je vois! Je +vous croyais depuis longtemps en Normandie.--On ne peut vivre qu'à +Paris, monsieur; j'y suis donc resté, et, suivant vos conseils, je me +suis mis avec ardeur au travail. Je vous apporte...--Encore un +madrigal? s'écria Diderot; non, monsieur le curé, vous savez nos +conventions. Je n'écoute pas un vers de vous, que vous ne m'ayez +apporté une tragédie.--C'est justement...--Quoi! C'est une +tragédie?--Oui, monsieur, _David et Bethsabée_.... + +Diderot faillit tomber à la renverse. + +--Avez-vous le loisir de m'écouter? poursuivit l'abbé, impitoyable. + +Il n'y avait pas à reculer, il fallait bien essuyer cette lecture. + +--Monsieur le curé, répondit le philosophe, que diriez-vous si, +dimanche, je vous présentais à nos amis, et si je vous donnais pour +juges les plus grands esprits dont notre siècle s'honore?... Allons, +c'est entendu, je vous mènerai dans le salon de M. le baron d'Holbach. +Vous y entrerez inconnu; mais, je vous le jure, vous en sortirez +célèbre. + +--Monsieur, balbutia l'abbé, que de grâces... + +--Trève de compliments! C'est moi qui suis votre obligé. Ne pas +produire au grand jour un poète de votre force, mais ce serait un +crime!... Allons, adieu, monsieur le curé, ou plutôt, au revoir... A +dimanche! Je vous attends chez moi. + +Le curé fut exact au rendez-vous. Diderot avait prévenu ses amis, les +Encyclopédistes. On sait que le baron d'Holbach les recevait à dîner +deux fois par semaine, ce qui le faisait appeler par l'abbé Galiani +«_le maître d'hôtel de la philosophie_». + +Ce jour-là--c'était justement le dimanche gras--les convives du baron +d'Holbach étaient quinze à vingt. Dans le riche cabinet, où le +richissime philosophe venait de faire placer sa récente acquisition, +la _Chienne allaitant ses petits_, un des chefs-d'oeuvre du peintre +Oudry, on voyait réunis, sans compter Diderot et le maître de la +maison, J.-J. Rousseau, d'Alembert, Duclos, Marmontel, Helvétius, de +Jaucourt, Raynal, Morellet, de la Condamine, M. de Gauffecourt, M. de +Margency, etc.[6]. + + [6] Voir à l'_Appendice_. + +Le curé de Montchauvet est introduit. On lui fait fête; on l'invite à +s'asseoir. Il promène ses regards de tous côtés: il ne voit que des +visages riants; cela l'encourage. Pourtant, il aperçoit dans un coin +du salon une figure renfrognée. C'était J.-J. Rousseau, qui flairait +une mystification, et qui, avec sa probité à toute épreuve, était +résolu à faire le rôle d'honnête homme.--C'est un jaloux, se dit +l'abbé; mais qu'importe?... Et il déroule lentement son +manuscrit.--D'abord, messieurs, leur dit-il, je dois vous lire +l'épître que je me permets d'adresser à Madame de Pompadour. + +Cette épître commençait par un vers assez singulier: + + Rentrez dans le néant, race de mendiants... + +C'était pour flétrir les poètes qui font des dédicaces en vue de +gagner de l'argent.--Oh! oh! Monsieur le curé, lui dit-on de toutes +parts, l'épithète n'est-elle pas un peu violente?--Non, messieurs, + + Point d'enfant d'Apollon, s'il ne rime gratis. + +Et, continuant sa lecture, il déclame avec emphase ces deux vers: + + Tout ainsi comme Icare, parcourant la lumière, + Dans un rayon brûlant vit fondre sa carrière... + +--Voilà, lui dit Marmontel, un vers admirable! mais ces sortes de vers +doivent être bien difficiles à trouver.--Cela est vrai, répondit le +curé en pâlissant de joie et de vanité; mais aussi est-on bien content +quand on a trouvé. + +L'épître finie, le curé, avant de commencer la lecture de sa tragédie, +pria la société de lui permettre d'exposer rapidement sa théorie du +poème dramatique. Corneille l'a fait, ajouta-t-il: compatriote de +Corneille, ne puis-je pas faire comme lui?--Sans aucun doute, monsieur +l'abbé, s'écrièrent en choeur tous les convives.--Vils flatteurs, +murmurait dans son coin le citoyen de Genève.--Ma théorie est bien +simple, messieurs. Donnez-moi un sujet quelconque. + +--_Balthazar_, dit une voix. + +--_Balthazar_, soit! Eh bien! vous savez, messieurs, que, pendant le +souper de ce roi impie, on vit une main écrire sur les murs les mots: +_Mané, Thécel, Pharès_. Il s'agit donc de savoir si le roi soupera ou +non; car, s'il ne soupe pas, la main n'écrira pas. Or je n'ai qu'à +inventer deux acteurs. Le premier veut que le roi soupe, le second ne +le veut pas, et cela alternativement. Si moi, poète tragique, je veux +que le roi soupe, celui-là parlera le premier. Ainsi: + +Ier acte: _Le roi soupera_; + +2e acte: _Il ne soupera pas_; + +3e acte: _Il soupera_; + +4e acte: _Il ne soupera pas_; + +5e acte: _Il soupera_. + +Si, au contraire, je ne veux pas que le roi soupe, voici quel sera mon +plan: + +Ier acte: _Il ne soupera pas_; + +2e acte: _Il soupera_; + +3e acte: _Il ne soupera pas_; + +4e acte: _Il soupera_; + +5e acte: _Il ne soupera pas_. + +Voilà, messieurs, tout le mystère. + +Un murmure approbateur accueillit ces paroles. Le poète commença alors +la lecture de sa tragédie. Tous les philosophes, rangés en cercle, +écoutaient attentivement. M. de la Condamine, entre autres, avait tiré +le coton de ses oreilles pour mieux entendre[7]; mais, dès la première +scène, sa patience était à bout. Dans la seconde, David paraît; il se +plaint que l'amour le tourmente jour et nuit et l'empêche de dormir. +Il a cependant de quoi s'occuper; il a de nouveaux ennemis, dit-il: + + Quatre rois, vive Dieu! ci-devant mes amis... + + [7] Voir à l'_Appendice_. + +--_Vive Dieu_! s'écria M. de la Condamine, et pourquoi pas _Ventre +Dieu_? Et, remettant le coton dans ses oreilles, il sortit +brusquement. + +--Voilà, dit le curé froidement, un homme qui ne sait pas que _Vive +Dieu_! est le serment des Hébreux. + +Ces quatre rois, «ci-devant les amis» de David, ont embrassé la +querelle du barbare Hanon... + +A ce mot malencontreux, cinq ou six auditeurs se récrient. + +--Ah! messieurs, dit le curé d'un air de profonde pitié, ce nom sonne +mal à vos oreilles, apparemment à cause de la ridicule équivoque de +celui d'_ânon_, animal si connu et si commun. Pour moi, je pense qu'un +nom, par lui-même, n'a rien qui doive offenser. L'Écriture s'en est +servie; elle a bien les oreilles aussi délicates que les nôtres. + +--Mais, lui dit Duclos, ajoutez une lettre à ce nom, et l'équivoque +cessera. + +--Monsieur, répartit le curé, vous voulez sans doute que je fasse de +ce personnage un Carthaginois? + +Dans un autre endroit, Bethsabée, pressée par David «de le rendre +heureux», veut le piquer d'honneur, et lui rappelant ses grandes +actions passées, elle dit: + + Vous sûtes arracher Saül à ses furies, + Où ce prince, vainqueur de mille incirconcis, + Frémissait que David en eût dix mille occis. + +--Ah! Dieu! quels vers! s'écria le citoyen de Genève; et pourquoi +_occis_? pourquoi pas _tués_? + +--Je pourrais, riposta sèchement le curé, vous répondre que _tués_ ne +rime pas à _incirconcis_; mais apparemment que vous imaginez que _tué_ +et _occis_ sont des synonymes. Apprenez, monsieur, que cela n'est pas. +On dit tous les jours: Cet homme me _tue_ par ses discours, et l'on +n'en est pas _occis_ pour cela. + +--J'avoue, reprit le citoyen, qu'il doit être fort fâcheux d'être +_occis_; mais je ne me soucierais pas même d'être _tué_. + +Le curé de Montchauvet poursuivit sa lecture, sans s'arrêter plus +qu'il ne convenait à cette misérable querelle de mots. + +Arrivé à un passage où il faisait rimer _angoisse_ et _tristesse_, +Rousseau l'interrompit de nouveau: + +--_Angoisse_ et _tristesse_ ne riment pas; vous êtes trop hardi, +monsieur le curé. + +--Trop hardi, monsieur? Cette rime est neuve; voilà tout. + +--Dites étrange, monsieur le curé. + +--Étrange, monsieur? Mais, vous, savez-vous bien ce que c'est que la +rime? + +--J'ose le croire, monsieur le curé. + +--On ne s'en douterait guère, et... + +La dispute allait s'envenimer: un geste de d'Holbach rétablit la paix. + +--Continuez, dit-il au curé de Montchauvet, nous vous écoutons. + +Vers le milieu du deuxième acte, Bethsabée dit à sa confidente: + + Le roi ne m'offre plus que d'_innocentes_ charmes. + +--Pardon, monsieur le curé, interrompit un des auditeurs, _charme_ est +du masculin. + +--Ah! vous le prenez comme cela, messieurs, répondit l'abbé; eh bien, +dans la scène suivante, vous le trouverez masculin; j'ai tâché de +contenter tout le monde. + +Plus loin, il faisait rimer _superflu_ et _plus_. + +--Cette rime n'est pas exacte, dit Marmontel. + +--Ah! vraiment; et pourquoi cela? + +--C'est que _superflu_, étant au singulier, n'a point d's, et par +conséquent ne peut rimer avec _plus_. + +Point d'_s_, reprit vivement le curé en mettant son manuscrit sous le +nez de Marmontel, point d'_s_! Mais je vous prie de remarquer, +monsieur, que j'en ai mis une[8]. + + [8] Voir à l'_Appendice_. + +Et il continua intrépidement sa lecture. + +On lui avait fait croire que M. de Margency était un poète de +profession, et qu'il aurait en lui un dangereux concurrent. Il n'est +sorte de bassesse que ne lui fit le curé de Montchauvet. M. de +Margency, comme on en était convenu auparavant, se fit le champion à +outrance du poète bas-normand. Aussi, c'était vers lui qu'il se +tournait de préférence. + +Au milieu d'une des plus pompeuses tirades, il entend un léger bruit. +C'était M. de Gauffecourt qui riait tout bas dans ses mains. + +--Vous riez, monsieur, lui dit le curé du ton dont il aurait +apostrophé un bambin au catéchisme? + +--Non, monsieur, répondit M. de Gauffecourt avec un grand sérieux; je +n'ai ri de ma vie. + +On arrive, sans autre incident, au quatrième acte. Tout le monde se +lève. On prie le curé de Montchauvet d'arrêter là sa lecture. Il doit +être épuisé de fatigue; on lui donnera une nouvelle séance pour +achever sa tragédie; on n'en veut pas perdre un seul vers. + +Chacun s'empresse autour de lui, et lui serre les mains: «Vous +surpassez Racine, et vous égalez Corneille!» + +Le curé absorbe avec intrépidité ces louanges ironiques; il se +rengorge; son nez s'agite, se dilate de plus en plus. Tout à coup, +J.-J. Rousseau se précipite vers lui, lui arrache son manuscrit et le +jette à terre: + +--Votre tragédie est absurde, mon cher curé; ces messieurs,--vous ne +le voyez donc pas?--se moquent de vous. Retournez vicarier dans votre +village. + +L'abbé, rouge de colère, fond sur Rousseau; en vrai poète tragique, il +veut l'_occire_. On sépare à grand'peine les deux combattants. +Rousseau sort furieux, pour ne plus remettre les pieds chez le baron +d'Holbach. On arrête le curé, qui le menace du poing et veut courir +après lui dans la rue. On réussit à le calmer un peu, en lui peignant +Rousseau comme un poète jaloux de sa gloire naissante. + +On peut bien penser que Diderot ne fut pas l'un des moins empressés à +verser du baume sur la blessure faite par Rousseau à la vanité du +poète. + +--Votre pièce est excellente, monsieur le curé, lui dit-il; je m'y +connais: elle aura le plus grand succès au théâtre, si toutefois vous +y apportez quelques modifications que je crois indispensables... Me +permettez-vous, monsieur le curé, de vous faire une légère critique? + +--Parlez, monsieur, dit le curé, pris par le ton bienveillant que +Diderot donnait à ses paroles. Je ne puis recevoir que des conseils +judicieux d'un esprit aussi éminent. + +--Eh bien, monsieur l'abbé, puisque vous m'autorisez à vous dire toute +ma pensée, je vous avouerai que votre pièce ne me semble pas assez +chargée d'incidents; que la plupart des incidents ne se passant pas +sur la scène, je trouve,--excusez ma franchise,--la scène un peu trop +muette. Il est vrai que votre pièce est une pièce sainte; mais ce n'en +est pas moins un défaut, à mon humble avis. + +Tout le monde s'attendait à une explosion de colère; il n'en fut rien. +Le curé répondit d'un air suffisant: + +--Je l'avais senti, monsieur, mais je n'ai pu faire autrement; +d'ailleurs, ces sortes de pièces sont sujettes à ce défaut... +Toutefois, vous conviendrez avec moi que j'ai suppléé à la sécheresse +des récitatifs par une versification assez heureuse. + +--Cela est vrai, dit M. de Margency, celui des auditeurs qui s'était +fait le champion du curé. A mon tour, ajouta-t-il, je reprendrai +l'objection faite par M. Diderot, et je demanderai à monsieur le curé +pourquoi il n'a pas placé sur la scène la baignoire de Bethsabée? Son +récit est plein de beaux vers, je le proclame bien haut, mais Horace a +dit: + + _Segnius irritant animos demissa per aurem + Quant quæ sunt oculis subjecta fidelibus, et quæ + Ipse sibi tradit spectator._ + +--Sans doute, monsieur; mais Horace n'ajoute-t-il pas: + + _Non tamen intus + Digna geri promes in scenam; multaque tolles + Ex oculis, quæ mox narret facundia præsens..._ + +--Je suis battu, dit M. de Margency. + +Puis, se tournant vers ses amis: + +--Quoi qu'en dise Horace, messieurs, ne regrettez-vous pas, comme moi +que M. le curé n'ait pu mettre sur la scène la baignoire de Bethsabée? +Vive Dieu! comme Mlle Clairon...[9] + + [9] Voir à l'_Appendice_. + +--Pardon, monsieur, interrompit le curé, la rougeur au front; mais +vous oubliez que ma tragédie est une tragédie sainte, et que rien n'y +doit offenser les oreilles ou les yeux des spectateurs chrétiens. + +--_Omnia sancta sanctis_, monsieur le curé; je tiens à la baignoire. +Et vous, messieurs? + +--Oui, oui, il nous faut la baignoire, s'écrièrent ensemble les +convives de d'Holbach. + +--Messieurs, je ne puis vous l'accorder. N'insistez pas, je vous prie. + +--Nous respectons vos scrupules, dit M. de Margency; qu'il soit fait +selon votre désir... Mais, poursuivit-il, qu'il me soit permis, avant +de nous séparer, d'ajouter un mot encore... + +Le curé dressa l'oreille. + +--Vous êtes du pays du grand Corneille, monsieur le curé; nous ne le +saurions pas, que votre style nous l'aurait bien vite appris. Comment +avez-vous fait pour arriver du premier coup à cette mâle vigueur, +dont l'auteur de _Polyeucte_ et vous avez seuls le secret? + +--Messieurs, répondit l'abbé, si mon style a quelque ressemblance avec +celui de Corneille, je le dois à la lecture approfondie que j'ai faite +de ce grand poète; mais qu'on ne m'accuse d'aucun plagiat: j'affirme +solennellement que mon style est à moi, et bien à moi... Je vois, +monsieur, continua le curé, en s'approchant de M. de Margency, que +vous êtes, comme on dit, un homme du métier, et je ne doute pas que +vos pièces n'aient obtenu sur la scène un légitime succès. + +--Monsieur le curé, dit de Margency, mes amis veulent bien m'accorder +quelque talent; mais, malgré leurs conseils, je dirai plus, malgré +leurs instantes prières, je n'ai jamais consenti à laisser jouer mes +pièces. Vous l'avouerai-je, monsieur le curé? j'ai peur... + +--Et de quoi, monsieur, je vous prie? + +--D'être sifflé. + +Puis, faisant un geste tragique: je crois que j'en mourrais! + +--Mon ami, lui dit Diderot, ayez plus de confiance en vous-même. +Osez, et je vous prédis le succès, comme je le prédis à M. le curé de +Montchauvet. + +--Ne me comparez pas, je vous prie, avec le rival de Pierre Corneille! + +--Que du moins son exemple vous enflamme, et, puisque vous travaillez +actuellement à une tragédie de _Nabuchodonosor_, soumettez-la au +jugement de M. le curé... Puis, s'adressant à l'abbé: Si nous osions, +monsieur, vous prier de traiter le même sujet, voudriez-vous nous +refuser, dans l'intérêt de notre ami qui brûle de marcher sur vos +traces? + +--Monsieur, dit d'Holbach qui, pendant toute cette scène, avait gardé +le plus grand sérieux, mes amis et moi nous vous attendons dimanche +prochain. Vous achèverez la lecture de votre tragédie, et vous nous +lirez, n'est-ce pas? la première scène de _Nabuchodonosor_; c'est un +sujet extrêmement difficile et délicat. Nous ne doutons nullement que +vous ne vous en tiriez avec l'habileté dont vous avez fait preuve dans +votre tragédie de _Bethsabée_. Pour vous, dit d'Holbach à de Margency, +vous saurez dimanche si vous devez affronter la scène ou brûler vos +manuscrits. Vous connaissez notre franchise. Nous vous promettons un +jugement sincère. A dimanche donc, monsieur le curé! + +Le curé promit de se rendre à cette aimable invitation. + +On se sépara. La vanité du curé de Montchauvet était aussi énorme que +son talent était mince; aussi était-il loin de se douter qu'il venait +de servir de bouffon aux convives habituels du baron d'Holbach. +Cependant, malgré le plaisir que lui avaient causé les éloges de +Diderot, de d'Holbach et de Margency, il était mécontent: il aurait +voulu plus d'éloges encore; et il était indigné que l'on ne se fût pas +montré plus sévère à l'égard de cet impertinent de Rousseau. + +Le lendemain, il rencontra M. de Margency et se plaignit beaucoup.--Si +je fréquentais ces messieurs, lui dit-il, je finirais par soupçonner +mes vers d'être plats: cependant, je suis bien sûr du contraire; et +ils n'ont qu'à examiner leurs observations avec autant de sévérité que +ma tragédie, ils verront ce qu'il y aura plat. Au demeurant, ce n'est +pas que leur critique m'effraie: je ne tiens pas à ma pièce en auteur +servile; j'en ai fait chaque vers triple, et je puis, comme vous +voyez, sacrifier tout ce qu'on veut, sans que j'en sois plus mal à mon +aise. + +M. de Margency l'assura fort qu'il avait laissé la société dans une +grande admiration de ses talents; mais il n'en voulut rien croire: «Je +les ai vus rire souvent pendant la lecture, répondit-il, et on ne rit +pas dans une tragédie, quand on est de bonne foi... Enfin, je vois ce +que c'est. Ces messieurs redoutent les ouvrages d'une certaine trempe +et qui pourraient fixer l'attention du public, ils n'ont que leur +_Encyclopédie_ dans la tête: ils craignent que mes succès ne fassent +tort aux leurs. Mais le public saura bien rendre justice à chacun.» + + + + +II + + +C'est dans ces sentiments que le curé de Montchauvet reprit, trois +jours après cette mémorable séance, le chemin de la basse Normandie. +Pour se consoler de l'injustice des Philosophes, il fit imprimer à +Rouen sa tragédie, qui parut sous ce titre: _David et Bethsabée_, +tragédie par M. l'abbé ***. Prix, 36 sols.--A Londres [Rouen], aux +dépens de la Compagnie, 1754. + +Lorsque l'imprimeur lui eut envoyé son ballot, l'abbé prit la plume et +adressa à l'abbé Basset une longue lettre, que celui-ci s'empressa de +communiquer à Diderot et que le philosophe lut à ses amis. En voici +quelques extraits: + + «De Montchauvet. + +«Je suis parti, monsieur et cher abbé, plein du souvenir de vos +bontés. Je me suis hâté de quitter un séjour où je commençais à goûter +quelque satisfaction, mais où je devenais à charge à quelques-uns. +Disons-le: ils ont pris de l'ombrage d'une pièce où ils ont cru +reconnaître des beautés que le public n'y reconnaîtra peut-être pas: +ils m'ont envié un je ne sais quoi que la nature ou le hasard m'a +prodigué... On m'apprit, avant de partir, que ce qui les avait +irrités, c'était la pièce adressée à Mme la marquise. Ils ont rugi à +ces mots de _vils mendiants_, et ils ont mis le curé de Montchauvet à +toutes sauces... Quoi qu'il en soit, dans le procédé qu'ils ont tenu +avec moi, ils ont cru me faire leur dupe. Ils y ont réussi jusqu'à un +certain point, parce qu'ils ont abusé de ma franchise. Qu'ai-je perdu, +sinon de ne pas croire que ma pièce était plus digne de voir le jour +que je ne l'espérais? Elle le voit actuellement en beau papier et en +caractères bien nets[10]: elle se vendra trente-six sous... Voilà donc +le moment de sa mort ou de sa vie. Le public, qui voit toujours avec +de bons yeux, du moins pour l'ordinaire, la disséquera comme il +l'entendra bien. Si elle ne lui plaît pas, je n'aurai garde d'en +appeler; mais je ne me rebuterai pas, je m'étudierai à faire mieux. +Tant que ma veine voudra couler, je vous proteste, mon cher abbé, que +rien ne sera capable de l'arrêter... J'ai déjà commencé une seconde +pièce. Lorsqu'elle sera faite, j'en ferai sévèrement la critique, +ainsi que de cette première. Comme l'honneur du théâtre ni l'intérêt +ne me guident point, ne travaillant qu'à braver l'ennui de ma +solitude, j'apporterai avec moi cette seconde tout imprimée, au moyen +de quoi je ne me verrai plus exposé à lire mon manuscrit sur la +sellette, devant des gens surtout qui vous rient dans leurs mains, au +lieu d'être touchés, ou qui feignent d'applaudir, sans savoir +seulement ce que c'est qu'enchaînement de scènes, ni peut-être qu'une +rime... Maintenant, mon cher abbé, j'ai l'honneur de vous prévenir que +je vous en enverrai un exemplaire et plusieurs en pur don pour les +personnes à qui je vous prierai d'avoir la bonté de les remettre. Je +compte que vous les recevrez la semaine prochaine avec une lettre +d'avis: ce seront deux ports de lettre que je vous ferai coûter. Ayez +pour agréable de me mander, au reçu de la présente, à Montchauvet, par +Aunay, à la Plumaudière, si vous voulez vous donner la peine de m'en +débiter. Dans le cas où vous pourriez vous en défaire, ce serait à +l'acquit de ce que mon frère et moi nous vous devons. Excusez-moi de +la longueur de ma lettre, je l'attends de votre indulgence. J'écris à +M. l'abbé Fréron, et je lui envoie deux exemplaires, un pour lui, et +l'autre pour Mme son épouse, en pur don[11]; vous voyez que je fais +les choses libéralement et que je ne regarde pas à trente-six sous, +lorsqu'il le faut. Adieu, mon cher abbé, etc.» + + [10] Voir à l'_Appendice_. + + [11] Voir à l'_Appendice_. + + * * * * * + +Nous avouerons sans peine, avec Grimm, que quelques centaines de +pareilles lettres feraient un excellent recueil. + +Toutefois, il est à remarquer que le curé de Montchauvet ne parle pas, +dans cette lettre, d'un envoi que dut lui faire M. de Margency, +quelques jours après son départ pour la Normandie. + +M. de Margency lui avait dit, on s'en souvient, qu'il lui soumettrait, +le dimanche suivant, la première scène de sa tragédie de +_Nabuchodonosor_. L'abbé devait, de son côté, apporter une scène sur +le même sujet. De Margency, ayant appris le départ inopiné du curé, +lui envoya son travail, accompagné d'une épître dédicatoire. Voici ces +deux bouffonneries: + +_Épître à M. l'abbé Petit, curé du Mont Chauvet_. + + Corneille du Chauvet, rimeur alexandrin, + Crois-moi, laisse-les dire, et va toujours ton train. + Ne t'aperçois-tu pas qu'envieux de ta gloire, + Tes ennemis font tout pour t'empêcher de boire + Au ruisseau d'Hippocrène, où Sophocle buvoit + Les chefs-d'oeuvre qu'il fit, les beautés qu'il trouvoit? + Presque semblable à lui, quand tu touches la rime, + Tu te sers du rabot et jamais de la lime; + C'est-à-dire que, loin de coudre bout à bout + Des mots cherchés longtemps, tu fais bien tout d'un coup; + Voilà ce qui s'appelle un esprit bien facile, + Tu scandes en Homère et rimes en Virgile, + Et c'est ce qui déplaît à ces auteurs jaloux; + Va, moque-toi d'iceux, et ris de leur courroux. + Ils ont bu comme toi des eaux hippocréniques: + Bientôt tu les verras crever en hydropiques, + Et, tombant à tes pieds, poussifs et crevassés, + Ils _moureront_ tués, occis et trépassés. + +«Mon poétique cheval, Monsieur, qui se déferre en ce moment, m'oblige +de descendre de la rime à la prose; permettez-moi donc de vous dire +en son langage que votre immortelle et jolie pièce vous a fait bien +des jaloux; mais n'en redoutez rien. Je viens de vous annoncer dans +mes épiques vers et leur sort et le vôtre. D'ailleurs, consolez-vous +avec les admirateurs qui vous restent. Comme j'y touche aussi +quelquefois, à cette poésie, permettez-moi de vous consulter sur la +tragédie que j'ai entreprise et dont je vous envoie une scène pour +échantillon. Le sujet est, comme vous le savez, le fameux +_Nabuchodonosor_. Je suis bien étonné que ce grand homme ait échappé à +tant de célèbres auteurs. J'imagine qu'apparemment ils ne l'auront +regardé que comme une grande bête, comme vous avez pu le regarder +vous-même. Quoi qu'il en soit, voici ma scène. Nabuchodonosor +entretient Isabelle avant de l'épouser.» + + +SCÈNE + +NABUCHODONOSOR, ISABELLE + + NABUCHODONOSOR. + + Avant qu'à vos pieds beaux je mette ma couronne, + Écoutez-moi, princesse, et charmante personne; + Je n'allongerai pas, et je vous en répond, + Car, de mon naturel, je ne suis pas fort long + + ISABELLE + + Ah! grand prince, tant pis! ..Mais qu'avez-vous à dire? + + NABUCHODONOSOR. + + Reine, asseyez-vous là, je vais vous en instruire. + Je fus jeune autrefois, et même fort bien fait; + J'avois l'air d'un amour, du moins on le disoit. + Vous ne l'auriez pas cru? + + ISABELLE. + + Il est vrai, cher grand prince, + Qu'il vous reste à présent une mine assez mince. + + NABUCHODONOSOR. + + Pas tant... Mais il n'importe ..Écoutant mes désirs, + Je me divertissois dans les plus grands plaisirs; + Ma cour, modèle en tout de faste et d'élégance, + Réunissoit encor la joie et l'opulence; + Mille jeunes beautés, qui ne vous valoient pas, + Pleines de mes bienfaits, me prêtoient leurs appas; + Je vantois en tout lieu mon pouvoir, mes richesses, + Ma taille, mes bons mots, mes chiens et mes maîtresses. + Hélas! pour mon malheur je me vantai trop bien. + Le jaloux ciel piqué rabaissa mon maintien; + Il m'en punit, ce ciel: sa céleste colère + Donna dans mon endroit un exemple à la terre; + Je perdis dans un jour mon sceptre, mes États; + Une nuit je me vis velu comme les chats; + Sur mon corps tout courbé tous mes poils s'allongèrent, + De mon front menaçant deux cornes s'élevèrent, + Les seules, Dieu merci, que l'on m'ait vu porter... + Madame, en cet état, il fallut décamper. + Enfin je descendis du trône à quatre pattes. + (Où vas-tu nous fourrer, orgueil, quand tu nous flattes!) + Pour vous le couper court, et soit dit entre nous, + Je fus bête sept ans avant que d'être à vous. + + ISABELLE. + + Prince, que dites-vous?... Mais peut-être qu'encore... + + NABUCHODONOSOR. + + Je crois que vous raillez, madame la pécore! + Taisez-vous, reine en herbe; écoutez jusqu'au bout. + Galeux donc comme un braque, et velu comme un loup, + Je gagnai les forêts, les vallons, les montagnes; + La nuit j'allois brouter dans les vertes campagnes. + . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . + + +(_Ici doit être un magnifique morceau poétique de la vie que +Nabuchodonosor menoit à la campagne, comme une bête._) + + Enfin le ciel touché mit fin à son courroux. + «Quittez les bois, dit-il, allez-vous-en chez vous; + Vous aviez, mon ami, la tête trop superbe: + Pour vous la rafraîchir, il vous falloit de l'herbe; + Le ciel est toujours ciel, et l'on s'en moque en vain. + Vous vous croyiez un Dieu: vous n'êtes qu'un faquin; + Tournez-moi les talons...» Aussitôt, sans trompette, + Je quittai dans la nuit ma champêtre retraite. + Enfin, au point du jour, je me rendis chez moi. + Mon peuple me reçut et reconnut son roi. + Je fus un peu malade après cette aventure: + L'estomac, tout farci de foin et de verdure, + Me donna des hoquets et des indigestions; + Il fallut recourir aux évacuations. + Mon premier médecin m'ordonna la rhubarbe; + Le lendemain, ce fut un furieux jour de barbe.[12] + + [12] Voir à l'_Appendice_. + + + + +III + + +Le _Club holbachique_ s'était proposé d'achever de rendre fou le curé +de Montchauvet, s'il y manquait quelque chose. Ils y réussirent; car, +l'année suivante, le curé revint à Paris et n'hésita pas un seul +instant à soumettre aux encyclopédistes la nouvelle pièce qu'il avait +rimaillée au fond de son village. C'était la tragédie de _Baltazard_, +dans laquelle, pendant quatre mortels actes, il s'agit de +savoir,--selon la fameuse théorie inventée par l'abbé Le Petit,--si le +roi soupera ou s'il ne soupera pas. + +On voit d'abord paraître les deux mages, Hyrcan et Arbate. Baltazard +vient d'être vaincu. Sans aucun doute, la défaite du roi les affecte +profondément; mais ce qui les tourmente par-dessus tout, c'est la +crainte de ne pas souper. + +Pendant qu'ils délibèrent, sans rire, sur cette grave question, +survient Aristée, femme du roi et fille d'Abradate, roi de la Susiane; +elle vient (elle ne s'en cache pas) pour faire un monologue; mais +comme la présence des deux mages la gêne: «Éloignez-vous...» leur +dit-elle. Alors elle demande aux Dieux, qu'elle appelle «puissants +moteurs», de lui rendre compte de l'indigne sort de son époux: «Que +vais-je devenir?» s'écrie-t-elle: + + Où fuir et dans quels lieux, quelle obscure contrée, + Dérober aux humains une reine éplorée? + +Mais, tout bien réfléchi, elle ne veut pas se risquer + + Chez un peuple farouche, + Sans espoir d'y fléchir des coeurs que rien ne touche. + +Mieux vaut aller trouver Baltazard et périr avec lui. Baltazard lui +épargne cette peine. Il vient, + + Non pas brillant de gloire, + Et tel qu'à son départ il vantait sa victoire... + +Il est vaincu, mais il n'est pas découragé. A l'entendre faire le +récit de la bataille qu'il a perdue, on croirait presque qu'il l'a +gagnée: + + Je m'avance à grands pas dans le sein de la gloire; + Tout nage dans le sang; une grêle de dards + Fait du jour une nuit; ce n'est de toutes parts + Qu'un spectacle effrayant d'hommes qui s'embarrassent, + De chevaux renversés, de chars qui se fracassent. + +Qu'allez-vous faire? lui demande Aristée. Tâchez de fléchir notre +vainqueur: + + S'il en est temps encor, proposez-lui la paix, + Et cherchez dans lui-même un ami pour jamais. + +Non, répond Baltazard, je veux souper, et + + Dans ces vases sacrés qu'à Sion on regrette + J'éteindrai mes chagrins, ma honte et ma défaite; + Et, dût vomir le Juif mille imprécations, + Je les ferai servir à mes libations. + +Cette impiété donne le frisson à la reine.--Ne soupez pas, seigneur, +lui dit elle, ou du moins ne soupez que si les mages l'ordonnent. + +Baltazard est bien contrarié de voir que l'_indifférence_ de la reine + + Refuse à ses malheurs la moindre déférence. + +Mais enfin il cède: il consultera les devins. Hyrcan et Arbate +accourent. _Secourez-moi_, leur crie Baltazard du plus loin qu'il les +voit. Dois-je souper ou ne pas souper? Et il a soin d'ajouter, afin de +leur dicter leur réponse: + + Parlez, et, consolant mon esprit agité, + Songez qu'un jour si beau flatte ma volonté + +Les mages ont compris: _Seigneur, il faut souper_. Telle est leur +réponse. Mais l'allégresse du roi est de courte durée. Survient +Nitocris, sa mère, qui ne veut pas qu'on soupe. + +--Y songez-vous, lui dit-elle, + + Insensible à l'État, votre coeur le néglige, + Et vous n'allez au temple, où rien ne vous oblige, + Que pour sacrifier, au gré de vos désirs, + Moins à l'amour des dieux qu'à l'attrait des plaisirs, + Occupé d'une fête, où, parmi la crapule, + La nuit ne connaîtra ni remords ni scrupule! + +Le roi n'écoute pas. Bien décidé à souper, il s'en va et laisse sa +mère exhaler sa douleur dans un monologue. Il pousse l'audace encore +plus loin: il dépêche vers elle les deux mages, qui la prient +respectueusement de venir souper. Nitocris, comme on le pense bien, +refuse énergiquement. Baltazard, ennuyé, vient la chercher lui-même. + +Nitocris et son fils s'accablent mutuellement de reproches: + + A quoi bon (dit Baltazard) m'opposer ce beau titre de mère + S'il ne devient pour moi qu'une loi trop amère, + Si vous me refusez jusqu'à de saints plaisirs, + Et ne me rappelez que peines et soupirs?... + Ah! comment osez-vous, après ce caractère, + Me nommer votre fils et vous dire ma mère? + --Ingrat! (répond Nitocris) puis-je oublier l'excès de cet amour + Qui, quoi que vous disiez, vous mérita le jour? + Et pouvois-je empêcher que le ciel vous fît naître + Dans le sein qu'il choisit pour vous procurer l'être? + Mais si vous le devez, ce jour, à Nitocris, + Montrez donc désormais que vous êtes son fils; + Commencez à briser cette chaîne fatale + Dont vous chérissez tant le poids qui vous ravale, + Ce joug empoisonné, que d'indignes flatteurs + Savent, pour vous séduire, orner de tant de fleurs... + +L'hypocrite Baltazard feint de se rendre aux conseils de sa mère: + + Je vais joindre Cyrus (lui dit-il) et, sans le moindre effroi, + Lui montrer que je sais vaincre et mourir en roi. + +A peine Nitocris a-t-elle le dos tourné: «Allons souper», +s'écrie-t-il. + +Ainsi finit le troisième acte. Le quatrième s'ouvre par un monologue. +Baltazard a changé d'idée: il ne soupera pas; il ne veut pas que sa +mère regrette + + De n'avoir enfanté qu'un fils pusillanime. + +Mais il a compté sans les mages, Hyrcan et Arbate, qui viennent le +relancer jusque dans son palais. Il se sent faiblir: aussi, pour se +donner du courage, il se dit à lui-même: + + ..... Soutiens-toi, Baltazard! + +Les mages sont les plus forts: ils n'ont qu'à faire un signe, le +tonnerre gronde, et le pauvre roi ne sait où se cacher: + + Qu'entends-je, malheureux! Quelle indignation! + Ah! mages, détournez votre imprécation! + Un feu secret et prompt, qui déjà me dévore, + Me prouve que le ciel ordonne qu'on l'honore. + C'en est fait. Je me rends et n'écoute que lui, + Heureux si sa bonté me secoure (_sic_) aujourd'hui! + Allez donc, qu'au banquet toute ma cour s'empresse + De noyer pour jamais son deuil et sa tristesse! + +On soupera donc, enfin! La table du festin est dressée: on la couvre +des coupes sacrées du temple de Jérusalem. + +Au moment où Baltazard demande à boire aux mages, Nitocris se présente +et reproche à son fils de _perdre le sentiment_. (L'auteur voulait +sans aucun doute dire _le sens_.) + +Baltazard daigne à peine répondre: + + Madame, jusqu'à quand votre importune voix!... + Donnez, mages, donnez; c'est trop me faire attendre. + +Mais à peine les mages ont-ils présenté la coupe au roi, qu'on voit +une main écrire sur la muraille les fameux mots: MANÉ, THÉCEL, PHARÈS. + + Que vois-je, mes amis (s'écrie Baltazard), et quel spectre nouveau + Crayonne sur ces murs un effrayant tableau? + Voyez-vous, comme moi, cette main qui nous trace + Certains mots, où mon sang dans mes veines se glace? + Ma coupe malgré moi s'échappe de mes doigts, + Et je sens peu à peu se dérober ma voix. + Mes yeux sont chancelants; mes genoux s'entrechoquent, + Et toutes les horreurs à la fois me suffoquent. + +Inutile d'ajouter que Baltazard est vaincu de nouveau et tué par +Cyrus. Mais ce qu'il faut dire (car on ne s'en douterait guère), c'est +que Cyrus, à peine entré dans Babylone, fait une déclaration des plus +galantes à la reine Aristée. Celle-ci, comme on le pense bien, est +furieuse: + + Dois-je donc respecter (lui dit-elle) un bras qui n'a servi + Qu'à renverser un roi qu'il a trop poursuivi? + Taire tant de forfaits qu'un tyran autorise, + Et briser un pinceau qui te caractérise? + Barbare! je ne puis assez t'humilier! + +Cyrus n'est pas très flatté de ces dédains; car, si on l'en croit, +sans Aristée, le trône où il monte n'est plus + + ...... qu'un redoutable ennui. + +Mais il n'est pas au bout de ses peines. Nitocris vient lui reprocher +la mort de son fils, et se tue presque sous ses yeux. Aristée veut en +faire autant. Cyrus l'arrête. «Laisse-moi mourir,» lui crie-t-elle: + + ..... Accorde au moins cette grâce dernière + Au reste infortuné d'une famille entière + +Cyrus tient bon, l'empêche de s'_occire_, et met fin à la tragédie par +ces vers mémorables, mais bien peu en situation, puisque Nitocris est +morte: + + Secourons Nitocris, et demandons aux dieux + Qu'ils fassent de ce jour un jour moins odieux! + +Il est fâcheux que Grimm ne nous ait pas noté les divers incidents +auxquels a dû donner lieu la lecture de ce chef-d'oeuvre. Il se +contente de dire: «Le curé nous a tenu parole; il est revenu avec une +seconde tragédie, intitulée _Baltazard_, tout aussi bonne que la +première. Je crois qu'il n'a pas pu trouver d'imprimeur. Mais il est +reparti pour sa cure un peu plus content de nous.» + +Dans la préface de _Baltazard_, le curé de Montchauvet nous en dira +plus long: «Le peu de succès de ma première pièce m'avoit presque +déterminé à n'en pas entreprendre une seconde. Cependant, je pensois +que si Racine avoit été découragé par la médiocrité des _Frères +ennemis_, nous n'aurions jamais eu ni _Yphigénie_ (_sic_), ni +_Phèdre_; et je repris la plume que la critique m'avoit presque fait +tomber des mains. Je composai donc mon _Baltazard_ après ma +_Bethsabée_, à qui je donnai un frère, comme M. de Boissy l'a dit +également du _Méchant_ de M. Gresset. J'apportai à Paris cette seconde +production de ma verve échauffée et de mon génie irrité par les +difficultés, bien résolu de la sacrifier, si je ne me trouvois pas +autant au-dessus de moi-même que je le désirois, et que Racine et +Corneille s'étoient montrés supérieurs à eux-mêmes, à mesure qu'ils se +familiarisoient davantage avec le génie dramatique. Il ne s'agissoit +plus que de rencontrer des juges équitables qui m'éclairassent ou sur +ma médiocrité ou sur mes progrès. Mais où trouver ces juges équitables +dans une ville fausse comme celle-ci, où l'on semble prendre à tâche +de décourager ceux qui donnent quelque espérance? Heureusement, un +homme distingué par sa naissance, son goût, sa probité, et surtout par +l'accueil qu'il daigne faire aux talents naissants, s'offrit à +rassembler chez lui cinq ou six des meilleurs esprits, qui la +jugeroient avec la dernière sévérité, et qui m'apprendroient par le +jugement qu'ils en porteroient, celui que j'en devois porter moi-même. +L'avouerai-je? L'examen fut sanglant, et je laissai mes critiques bien +convaincus qu'ils avoient rempli le projet, que peut-être ils avoient +formé, de me ramener à des fonctions que je reconnaîtrai sans peine +avec eux très supérieures à l'occupation d'un poète, ce poète fût-il +plus grand que Racine et Corneille. Mais je réfléchis sur leurs +observations; je vis bientôt qu'il n'y avoit aucune pièce au monde sur +laquelle on n'en pût faire d'aussi solides; et je parvins à me +démontrer évidemment que ma seconde tentative dramatique m'avoit +beaucoup mieux réussi que je n'aurois osé le penser, sans le +_suffrage_ de tous mes censeurs. Je dis le _suffrage_, car ce fut le +véritable jour sous lequel je ne tardai pas à voir leur critique. Je +me dis à moi-même: Comment! Voilà donc à quoi se réduit tout ce que +les hommes de Paris, qui passent pour avoir le plus d'esprit, trouvent +de répréhensible dans mon ouvrage? En vérité, il faut qu'il soit mieux +que bien: je ne risque donc rien à le publier; et j'eus tout +l'empressement que donne l'espoir du succès, de le porter à mon +imprimeur. C'est donc à ces Messieurs plutôt encore qu'à moi que le +lecteur en doit la publicité... J'en vais méditer une troisième. Je +suis jeune, j'ai du courage, et pour peu que je m'élève à chaque +essort (_sic_) que je prendrai, j'espère me voir enfin à une hauteur +suffisante pour contenter la vanité d'un auteur qui n'en a pas +beaucoup. Ainsi soit-il!» + + * * * * * + +Quoi qu'en dise Grimm, le curé de Montchauvet trouva, nous le voyons, +un imprimeur. Sa pièce parut sous ce titre: BALTAZAR, _tragédie_, +_par M. l'abbé ***_. _Prix vingt-quatre sols_, 1755 [sans lieu ni nom +d'imprimeur]. + +En lisant ce titre, on éprouve une certaine surprise. On se rappelle +que la tragédie de _Bethsabée_ se vendait (quand elle se vendait!) +_trente-six sous_. Puisque le curé de Montchauvet trouve la tragédie +de _Baltazard_ supérieure à celle de _Bethsabée_, comment se fait-il +qu'il ne l'estime que _vingt-quatre sous_? + +La troisième tragédie annoncée ne parut pas. L'abbé Le Petit s'en tint +à ses deux chefs-d'oeuvre, et il fit bien[13]. + + [13] Voir à l'_Appendice_. + + + + +APPENDICE. + + +_Page 3, note 1._ + +Si invraisemblable que puisse paraître cette mystification littéraire, +je dois dire que je n'ai rien inventé: je me suis contenté de +suivre,--en l'arrangeant un peu,--le récit que nous en ont laissé +Grimm (_Correspondance litt. philosoph. et crit._, lettres du 1er +mars, du 1er août et du 15 septembre 1755), et Fréron (_Année litt._ +1754, tome IV, p. 307, et 1755, tome VIII, p. 342). + +_Page 3, note 2._ + +Montchauvet, aujourd'hui dans l'arrondissement de Vire, canton de +Bény-Bocage (Calvados). + +_Page 4, note 3._ + +Le curé de Montchauvet, la victime de Diderot et de ses amis, se +nommait, non pas Petit, comme l'appelle Grimm, mais Le Petit. Grâce à +l'obligeance de M. Lair, instituteur à Montchauvet, qui a bien voulu +me communiquer les vieux registres conservés dans les archives de la +mairie, j'ai pu constater que l'abbé Le Petit (Jean-Baptiste) a dû +arriver à Montchauvet au mois d'avril 1751. Le premier acte signé de +lui, comme successeur du curé Moussard, est du 14 avril 1751. Deux +fois seulement (14 août et 15 septembre 1752), l'abbé Le Petit, assez +souvent appelé dans le corps des actes (baptêmes, mariages ou +inhumations), Le Petit Dequesnay ou de Quesnay, a signé Le Petit +Dequesnay. Partout ailleurs il signe tout simplement Le Petit. + +Le dernier acte, non pas écrit, mais signé par le curé Le Petit, d'une +écriture tremblée, est un baptême en date du 30 mai 1786. + +Devenu infirme, sans doute, il fut remplacé, de son vivant, par son +vicaire Lemarchand[14]. L'abbé Le Petit mourut le 16 décembre 1788. +Voici l'acte d'inhumation du pauvre poète: + + «Le dix-sept décembre 1788 a été par moi curé de Montami + soussigné inhumé dans le cimetière de Montchauvet le corps de + maistre Jean-Baptiste Le Petit ancien curé de Montchauvet décédé + d'hier âgé d'environ soixante-huit ans présence de Mrs le curé et + vicaire actuels. + + (Ont signé) Lemarchand [curé], Jouenne [vicaire] et G. Liot [curé + de Montamy]. + + [14] A partir du 30 mai 1786, les actes sont signés par Jouenne + ou Le Marchand, vicaires. Le premier acte que nous ayons trouvé, + signé par Le Marchand, _curé_, est du 9 janvier 1788; mais nous + devons ajouter que le registre de 1787 manque aux archives de + Montchauvet. + +Jean-Baptiste Le Petit, âgé de 68 ans environ, quand il mourut en +1788, a donc dû naître (où ??) vers 1720. Il avait trente quatre ans +lorsqu'il sentit s'éveiller son génie poétique et qu'il vint lire, +pour son malheur, à Diderot et à ses amis, l'«immortelle» tragédie de +_David et Bethsabée_. + +D'après les signatures des vicaires Tourgis ou Duhamel, que nous avons +relevées au bas des actes des registres paroissiaux de Montchauvet, et +qui constatent l'absence du curé, l'abbé Le Petit dut quitter ses +sauvages bruyères pour aller à Paris, vers la fin d'août 1753, et ne +rentrer dans son village qu'au mois d'avril 1754. Ces dates concordent +bien avec celles que donnent les lettres de Grimm. + +Le fait le plus saillant de la vie du curé de Montchauvet est +assurément sa lecture chez le baron d'Holbach; mais je dois aussi +rappeler qu'il eut à soutenir un long procès contre Jacques-François +Mercier, prieur commendataire du prieuré royal du Plessis-Grimoult, +chanoine de la Sainte-Chapelle du Palais à Paris[15]. Ce procès, qui +dura au moins dix ans, fut gagné par le curé Le Petit, non seulement +devant le bailliage de Vire (3 juillet 1762), mais encore devant le +Parlement de Normandie (19 juin 1771). Le curé de Montchauvet +réclamait contre le prieur du Plessis-Grimoult «le tiers des dîmes de +la paroisse et la qualité de curé, au lieu de celle de vicaire +perpétuel, la seule qu'on voulût lui reconnaître.» Détail intéressant +et qui a été relevé par M. Ch. de Beaurepaire, le savant archiviste de +la Seine-Inférieure[16], l'arrêt du Parlement de Normandie qui termine +le procès intenté par l'abbé Le Petit au prieur du Plessis-Grimoult, +nous apprend qu'en une semblable circonstance, Bossuet, le grand +Bossuet, «malgré le droit de _committimus_ dont il avait usé, malgré +le recours à des juges certainement prévenus en sa faveur», avait +succombé, d'abord au bailliage de Vire, en second lieu et +définitivement aux Requêtes du Palais à Paris, dans sa contestation +avec Mathieu Roger, curé de Montchauvet, un des prédécesseurs du curé +Le Petit. + + [15] La cure de Montchauvet dépendait du Prieuré du + Plessis-Grimoult. + + [16] _Bulletin historique et philologique_, 1896. «Procès entre + Bossuet, prieur du Plessis-Grimoult, et le curé de Montchauvet en + Normandie, en 1674.» + +_Page 4, note 4._ + +J'ajouterai «et le prieur du Plessis-Grimoult», car Montchauvet était +une des 39 cures (ou bénéfices) qui dépendaient de ce prieuré.--Voir +notre étude sur _Bossuet en Normandie_, p. 43. + +_Page 5, note 5._ + +L'abbé Gilles Basset des Rosiers enseigna la philosophie au collège +d'Harcourt (aujourd'hui lycée St-Louis) vers 1750. Il devint recteur +de l'Université en 1779. C'était un homme aimable, instruit, en +relation avec les écrivains les plus renommés. (Voir BOUQUET, +_L'ancien collège d'Harcourt et le lycée Saint-Louis_, p. 414.) + +_Page 10, note 6._ + +Grimm n'assistait pas à cette mémorable séance; sa chaise de poste +s'étant brisée à Soissons, il ne put arriver à Paris que le lundi de +carnaval. «C'est ce contre-temps, nous dit-il, qui m'attira l'honneur +d'être l'historien du curé de Montchauvet.» + +_Page 13, note 7._ + +M. de la Condamine est bien connu par ses voyages scientifiques et par +ses _Mémoires sur l'inoculation de la petite vérole_. + +Sa surdité donna lieu, lorsqu'il fut reçu à l'Académie française +(1760) au quatrain suivant. (On dit même qu'il en est l'auteur). + + La Condamine est aujourd'hui + Reçu dans la troupe immortelle: + Il est bien sourd, tant mieux pour lui, + Mais non muet, tant pis pour elle. + +Trois ans auparavant (1757),--n'étant plus de la première jeunesse, +puisqu'il était né en 1701,--il épousa sa nièce. Le madrigal qu'il fit +à sa jeune femme, pendant la première nuit de ses noces, fit beaucoup +d'honneur à son esprit: + + D'Aurore et de Titon vous connaissez l'histoire. + Notre hymen en retrace aujourd'hui la mémoire; + Mais Titon de mon sort pourrait être jaloux. + Que ses liens sont différents des nôtres! + L'Aurore entre ses bras vit vieillir son époux, + Et je rajeunis dans les vôtres. + +Après avoir lu ce joli madrigal, M. de Luxemont, secrétaire des +commandements de M. le comte de Charolais, envoya le huitain suivant à +M. de la Condamine: + + D'Aurore et de Titon nous connaissons l'histoire. + L'infortuné vieillit où vous rajeunissez. + Vous le dites du moins, et pour nous c'est assez: + Véridique et modeste, il faut bien vous en croire; + Mais lorsque de l'Amour, dans le lit nuptial, + Vous empruntez la voix pour peindre sa puissance, + Ne peut-on soupçonner, sans vous faire une offense, + Qu'il n'y fit rien de mieux que votre madrigal? + +Piqué au jeu, M. de la Condamine répondit: + + Mon madrigal fut donc, à ce que vous pensez, + La nuit de mon hymen, ma plus grande prouesse? + Monsieur, sont-ce mes vers que vous applaudissez, + Ou pensez-vous déplorer ma faiblesse? + Hélas! dans mon printemps, pour tribut conjugal, + J'eusse achevé ma neuvaine à Cythère. + Aujourd'hui, moins fervent, pour me tirer d'affaire, + J'en remplis les deux tiers avec un madrigal. + +M. de Luxemont répliqua à son tour: + + Ce sont vos vers que j'applaudis, + Sans déplorer votre faiblesse; + L'Amour n'en est pas moins surpris + Que l'objet de votre tendresse + (Dont lui-même serait épris) + Ne vous ait pas rendu tel qu'en votre jeunesse. + Toutefois, n'en déplaise au dieu de l'Hélicon, + Seul garant de cette neuvaine + Que commencent souvent, que finissent à peine + Les vrais élus de Cupidon, + Tout homme sur ce point, dit le bon La Fontaine, + Est d'ordinaire un peu gascon; + Et l'on croit qu'il avait raison. + Mais pour n'être jamais contredit de personne, + Rimez toujours, rimez: vos vers vainqueurs du Temps, + Prouvent qu'en vos pareils les fruits de leur automne + Conservent la saveur de ceux de leur printemps. + +Si l'abbé Basset a envoyé ces agréables jeux d'esprit au curé de +Montchauvet, l'auteur de _Baltazar_ a dû se dire: «Je comprends que ce +M. de la Condamine n'ait pas voulu écouter mes vers; ce n'est pas un +poète sérieux.» + +_Page 17, note 8._ + +Le curé tint compte de l'observation. On lit (acte III, sc. 3): + + Le temps vous vengera des soupirs _superflus_, + Et je sçauray moi-même enfin n'y songer plus. + +_Page 21, note 9._ + +C'est l'année suivante (dans l'_Orphelin de la Chine_, de Voltaire) +que Mlle Clairon et les artistes du Théâtre Français renoncèrent à +jouer avec paniers. + +C'est aussi à cette date (1755) que le marquis de Ximenès se brouilla +avec Mlle Clairon. La grande actrice lui redemanda son portrait, et le +marquis eut le mauvais goût de le lui renvoyer, avec ce quatrain... +cruel: + + Tout s'use, tout périt; tu le prouves, Clairon. + Ce pastel, dont tu m'as fait don, + Du temps a ressenti l'outrage: + Il t'en ressemble davantage. + +_Page 29, note 10._ + +Le curé de Montchauvet n'est pas difficile. Sa tragédie est très mal +imprimée; il y a deux grandes pages de _fautes à corriger_. + +_Page 29, note 11._ + +M. et Mme Fréron ne furent guère sensibles à cette générosité, car +dans l'_Année littéraire_ de 1754 (tome IV), le curé et sa tragédie +sont arrangés de la belle façon. + +_Page 34, note 12._ + +M. de Margency ne faisait pas que des vers burlesques. Voici une +chanson, citée par Grimm (15 novembre 1757), qui nous prouve qu'il +avait, quand il le voulait, l'esprit aussi ingénieux que délicat. + + J'entends dans ces forêts + Gémir la tourterelle; + Hélas! si je voulais, + Je me plaindrais comme elle. + + Notre sort est égal; + L'amour seul fait sa peine: + Chez moi c'est même mal, + L'amour cause la mienne. + + Ce qui fait nos douleurs, + Ce n'est pas l'inconstance; + Mais l'on verse des pleurs + De même pour l'absence. + + Un coeur qui n'aime rien + N'a point de ces alarmes, + C'est pourtant un grand bien + De répandre des larmes. + +_Page 46, note 13._ + +Cette étude a déjà paru dans la _Nouvelle Revue_, 4e année, tome XIX, +1re livraison, 1er mars 1882, pages 117 et suivantes. + +--Dans la première livraison de la _Revue franco-américaine_ (juin +1894), Alphonse Daudet a consacré deux pages à l'abbé Le Petit, qu'il +appelle «un raté littéraire au XVIIIe siècle». + +--Les deux tragédies de _David et Bethsabée_ et de _Baltazard_ sont +devenues excessivement rares. J'ai pu acheter la première à la vente +du baron Taylor.--Elles se trouvent à la Bibliothèque de Caen, Ch 5/4. +_Baltazard_ se morfond, très peu lu, à la Bibliothèque de Vire. «Nul +n'est prophète en son pays.» + + * * * * * + +La paroisse de Montchauvet a connu un autre curé-poète de la même +force que l'abbé Le Petit. + +En 1828, le curé Laumonier fit paraître[17]: _L'oraison funèbre ou +complainte sur le renversement d'un très bel if qui a existé dans le +cimetière de Montchauvet jusqu'à l'éradication qui en fut faite le 12 +janvier 1828_. (Ouf, quel titre!). + + [17] A Vire, chez Adam, imprimeur du roi. L'abbé Laumonnier avait + déguisé son nom sous l'anagramme de NUMA LEROI. + +Voici quelques couplets de cette complainte: + + Ici vivait depuis mille ans, + A quelques pas du sanctuaire, + Athlète contre les autans, + Un If,... un arbre tutélaire. + . . . . . . . . . . . . . . . . . + + Il était l'arbre du pays, + L'expression n'est pas outrée, + Où s'assembloient le plus d'amis, + D'enfans... de toute la contrée. + + Il était aussi le plus beau + Qui fût connu du voisinage: + Là s'unissaient près du tombeau + L'enfance avec le moyen âge. + + Il aurait pu rester debout: + C'était l'avis du commissaire... + Mille ans n'auraient pas vu le bout + De sa présence salutaire. + . . . . . . . . . . . . . . . . . + + De la demeure funéraire + Il était le triste ornement. + Faut-il qu'un désir de déplaire + Ait causé son renversement? + + Il me servait de paravent + Quand j'allais à la sacristie; + Il me saluait en passant, + Me protégeant à la sortie. + . . . . . . . . . . . . . . . . . + +«La fin couronne l'oeuvre», c'est le cas de le dire: + + Adieu bel arbre, adieu bel If... + Adieu, ton tronc, ta forte branche; + En dépit de mon cri plaintif, + Tu meurs la veille d'un dimanche. + +«Au haut des cieux, _leur demeure dernière_», (du moins j'aime à le +supposer), les deux curés de Montchauvet, Le Petit et Laumonier, +doivent rimailler de conserve et maudire les méchants critiques, qui +«tâchent de décourager ceux qui donnent quelque espérance». + + +IMPRIMERIE HENRI DELESQUES, A CAEN + + + + + +End of Project Gutenberg's Diderot et le Curé de Montchauvet, by Armand Gasté + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DIDEROT ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET *** + +***** This file should be named 44723-8.txt or 44723-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/7/2/44723/ + +Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by The Internet Archive/Canadian Libraries) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/old/44723-8.zip b/old/44723-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..ec9d611 --- /dev/null +++ b/old/44723-8.zip diff --git a/old/44723-h.zip b/old/44723-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a9f4865 --- /dev/null +++ b/old/44723-h.zip diff --git a/old/44723-h/44723-h.htm b/old/44723-h/44723-h.htm new file mode 100644 index 0000000..610f542 --- /dev/null +++ b/old/44723-h/44723-h.htm @@ -0,0 +1,2385 @@ + <!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" + "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> + <html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" lang="fr" xml:lang="fr"> + <head> + <meta http-equiv="Content-Type" + content="text/html;charset=iso-8859-1" /> + <meta http-equiv="Content-Style-Type" content="text/css" /> + <title> + The Project Gutenberg's eBook of Diderot et le Curé de Montchauvet, by Armand Gasté</title> + <link rel="coverpage" href="images/cover.jpg" /> + <style type="text/css"> + + h1,h2,h3 {text-align: center; + clear: both;} + + h1 {margin-top: 2em; margin-bottom: 4em;} + + h2 {margin-top: 4em; margin-bottom: 2em;} + + h3 {margin-top: 3em; font-size: 100%; margin-bottom: 2em;} + + + div.titlepage, + div.frontmatter + { + text-align: center; + page-break-before: always; + page-break-after: always; + } + + div.titlepage p + { + text-align: center; + font-weight: bold; + line-height: 200%; + } + + div.frontmatter p + { + text-align: center; + margin-top: 4em; + } + + .end + { + text-align: center; + font-size: small; + margin-top: 2em; + margin-bottom: 4em; + } + + hr.deco {width: 5%;} + hr.tb {width: 5%; margin-top: 2em; margin-bottom: 2em;} + + div.header + {page-break-before: always; margin-top: 4em;} + + .poetry {font-size: 95%; margin-left: 20%; margin-right: 10%; + margin-bottom: 1em; text-align: left; } + .poetry .stanza { margin: 1em 0em 1em 0em;} + .poetry p { margin: 0; padding-left: 3em; text-indent: -3em; } + .poetry p.i1 {margin-left: 1em; } + .poetry p.i2 {margin-left: 2em;} + .poetry p.i9 {margin-left: 9em;} + .poetry p.i11 {margin-left: 11em;} + + .pagenum { /* uncomment the next line for invisible page numbers */ + /* visibility: hidden; */ + position: absolute; + right: 5%; + font-size: 0.6em; + font-variant: normal; + font-style: normal; + text-align: right; + background-color: #FFFACD; + border: 1px solid; + padding: 0.3em; + } /* page numbers */ + + .pagenumh { display: none; } + +/* footnotes */ + .footnote .label, + .fnanchor {vertical-align: 25%; text-decoration: none; font-size: x-small; + font-weight: normal; font-style: normal;} + + .blockquote {font-size: 95%; margin-left: 5%; margin-right: 10%;} + + .tnote {margin: auto; + margin-top: 2em; + border: 1px solid; + padding: 1em; + background-color: #F0FFFF; + width: 25em;} + + sup {font-size: 0.7em; font-variant: normal;} + + .smcap {font-variant: small-caps; font-size: 90%;} + .quote {font-size: 95%; margin-left: 20%; margin-right: 10%;} + .town {font-size: 85%; text-align: right; clear: both; margin-left: 25%; width: 75%;} + + .figcenter {margin: auto; text-align: center;} + + .p2 {margin-top: 2em;} + .i2 {margin-left: 2em;} + + .small {font-size: small;} + .medium {font-size: medium;} + .large {font-size: large;} + .xlarge {font-size: x-large;} + .xxlarge {font-size: xx-large;} + +@media screen +{ + body + { + width: 90%; + max-width: 45em; + margin: auto; + } + + p + { + margin-top: .75em; + margin-bottom: .75em; + text-align: justify; + } +} + +@media print, handheld +{ + p + { + margin-top: .75em; + text-align: justify; + margin-bottom: .75em; + } + + .poetry + { + margin: 2em; + display: block; + } + + .smcap + { + text-transform: uppercase; + font-size: 90%; + } + + hr.deco + { + width: 5%; + margin-left: 47.5%; + } + + hr.tb + { + width: 5%; + margin-left: 47.5%; + margin-top: 2em; + margin-bottom: 2em; + } + +} + +@media handheld +{ + body + { + margin: 0; + padding: 0; + width: 90%; + } + + .tnote + { + width: auto; + } +} + + </style> + </head> +<body> + + +<pre> + +Project Gutenberg's Diderot et le Curé de Montchauvet, by Armand Gasté + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org/license + + +Title: Diderot et le Curé de Montchauvet + Une mystification littéraire chez le baron d'Holbach, 1754 + +Author: Armand Gasté + +Release Date: January 21, 2014 [EBook #44723] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DIDEROT ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET *** + + + + +Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by The Internet Archive/Canadian Libraries) + + + + + + +</pre> + + +<div class="tnote"> +<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. +L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. +Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.</p></div> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_I"> I</a></span></p> + + +<h1>DIDEROT<br /> +<span class="xlarge">ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET</span></h1> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_II"> II</a></span> +<span class="pagenum"><a id="Page_1"> 1</a></span></p> + +<div class="titlepage"> +<p class="xlarge">Armand Gasté</p> +<hr class="deco" /> + +<p><span class="xxlarge">DIDEROT</span><br /> +<span class="small">ET LE</span><br /> +<span class="xlarge">CURÉ de MONTCHAUVET</span></p> + +<p class="medium">—UNE MYSTIFICATION LITTÉRAIRE CHEZ<br /> +LE BARON D'HOLBACH, 1754—</p> + +<div class="figcenter"> +<img src="images/logo.jpg" width="100" height="150" alt="" /> +</div> + +<p><span class="large">PARIS</span><br /> +ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR<br /> +<span class="small"><i>23-31, passage Choiseul, 23-31</i></span></p> + +<p class="small">M. DCCC. XCVIII</p> +</div> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_2"> 2</a></span> +<span class="pagenum"><a id="Page_3"> 3</a></span></p> + +<div class="header"> +<h2>DIDEROT<br /> +<span class="medium">ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET</span><a name="FNanchor_1" id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor"> [1]</a></h2> +</div> + +<p>Au milieu du XVIII<sup>e</sup> siècle vivait, ou plutôt +végétait tristement dans l'humble presbytère +de Montchauvet, en plein Bocage normand<a name="FNanchor_2" id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor"> [2]</a>, +un curé poète qui doit aux Encyclopédistes +l'immortalité du ridicule, et dont les vers extravagants +furent,—qui le croirait?—une des +causes de la rupture de Jean-Jacques Rousseau +avec ses bons amis, les Philosophes.</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_1" id="Footnote_1" href="#FNanchor_1" class="label">[1]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_3_note_1">note 1</a></p></div> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_2" id="Footnote_2" href="#FNanchor_2" class="label">[2]</a> <em>Ibid.</em> <a href="#Page_3_note_2">note 2</a></p></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_4"> 4</a></span></p> + +<div class="header"> +<h3>I</h3> +</div> + +<p>L'abbé Le Petit<a name="FNanchor_3" id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor"> [3]</a>,—c'est le nom de notre +curé,—s'ennuyait à mourir dans le village où +l'avait enterré son évêque<a name="FNanchor_4" id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor"> [4]</a>. Il avait beau +monter sur les âpres rochers qui dominent le +presbytère et interroger l'horizon, il ne voyait +venir personne qui fût digne de le comprendre +et sût goûter les vers qu'il composait dans sa +morne solitude. Et laissant tomber ses regards +sur les masures de ses paroissiens: «Ici, il n'y +a que moi d'homme d'esprit, se disait-il. Point +de société!... Pour toute ressource, le magister, +c'est-à-dire un paysan habillé de noir!»</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_3" id="Footnote_3" href="#FNanchor_3" class="label">[3]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_4_note_3">note 3</a></p></div> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_4" id="Footnote_4" href="#FNanchor_4" class="label">[4]</a> <em>Ibid.</em> <a href="#Page_4_note_4">note 4</a></p></div> + +<p>Un beau jour, l'abbé Le Petit, n'y pouvant +plus tenir, boucla sa valise et partit pour Paris. +A Paris, en effet, il trouverait un de ses anciens +camarades de séminaire, l'abbé Basset<a name="FNanchor_5" id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor"> [5]</a>, +professeur de philosophie au collège d'Harcourt. +L'abbé Basset avait de belles relations: il procurerait +<span class="pagenum"><a id="Page_5"> 5</a></span> +certainement un éditeur à son confrère. +L'éditeur trouvé, le livre prôné par les gazettes +s'enlevait en un clin d'œil; les salons se disputaient +l'illustre compatriote de Malherbe et +de Pierre Corneille; et qui sait? l'Académie ne +se faisait pas trop prier pour lui offrir un de +ses quarante fauteuils.</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_5" id="Footnote_5" href="#FNanchor_5" class="label">[5]</a> <em>Ibid.</em> <a href="#Page_5_note_5">note 5</a></p></div> + +<p>Tels étaient les beaux rêves que le curé de +Montchauvet confiait à l'abbé Basset, et que +celui-ci, en se promenant avec lui, au Luxembourg, +par une belle matinée d'hiver, écoutait +d'une oreille trop indulgente.</p> + +<p>Au détour d'une allée, on rencontre Diderot. +Diderot, qui demeurait à quelques pas de là, +sur la hauteur d'où il avait tiré son surnom de +<em>Philosophe de la Montagne</em>, aimait à se promener +le matin au Luxembourg. L'abbé Basset, qui +était fort lié avec lui, connaissait ses habitudes. +Ce n'était pas sans intention, peut-être, qu'il +conduisit, ce jour-là, sur le chemin du philosophe, +le curé de Montchauvet, avide de +connaître les grands esprits du siècle, avide +surtout d'en être connu. L'abbé Basset présente +son ami à Diderot. Le curé nage dans la joie; +il pâlit d'aise, et son nez,—un nez extrêmement +<span class="pagenum"><a id="Page_6"> 6</a></span> +long, dit la chronique,—est dans un +mouvement perpétuel. La conversation est +bientôt liée. L'abbé Le Petit raconte d'un trait +ses infortunes: «Je m'étiolais à Montchauvet, +le plus triste lieu du monde; mes talents y +étaient enfouis. Mais, Dieu merci! j'en suis +hors, et je me réjouis, monsieur, d'avoir fait +connaissance avec un homme de votre réputation, +afin de vous demander votre avis.</p> + +<p>—Mon avis, dit le philosophe, et sur quoi, +monsieur l'abbé?</p> + +<p>—Sur un madrigal de sept cents vers, que +j'ai fait dernièrement.</p> + +<p>—Un madrigal de sept cents vers! Et sur +quel sujet, je vous prie?</p> + +<p>—Voici la chose, dit le curé en souriant +d'un air malin: mon valet a eu le malheur de +faire un enfant à ma servante, et cela m'a donné +un assez beau champ, comme vous allez voir.</p> + +<p>Et, disant cela, il tire de la poche de sa soutane +un grand cahier de papier. Diderot recule +épouvanté; puis se ravisant:</p> + +<p>—Monsieur le curé, dit-il, je vous trouve +bien blâmable d'employer vos loisirs à de +pareils sujets.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_7"> 7</a></span> +L'abbé Le Petit commençait à rougir de +colère; son nez s'agitait, menaçant...</p> + +<p>—Quand on a un génie aussi sûr que le +vôtre, poursuivit Diderot, on doit faire des tragédies, +et non pas s'amuser à des madrigaux.</p> + +<p>Le curé de Montchauvet, agréablement flatté +de ce compliment inattendu, devint radieux: +ses yeux brillaient d'un éclat inaccoutumé, son +grand nez se dilatait pour mieux aspirer l'encens. +Il voulait remercier Diderot; celui-ci ne +lui en laissa pas le temps:—Permettez-moi +de vous dire que je n'écouterai pas un seul vers +de votre façon, avant que vous ne nous ayez +apporté une tragédie.—Vous avez raison, +répliqua le curé;.... je suis trop timide. +Puis, remettant dans la vaste poche de sa soutane +son long poème, il salua poliment Diderot. +Le philosophe, en s'en allant, échangea +avec l'abbé Basset un sourire que le bon curé +n'aperçut pas, ou dont il ne comprit pas la +signification.</p> + +<p>C'était un sourire de contentement. Diderot +s'était débarrassé du même coup, (il le croyait +du moins), d'un madrigal de sept cents vers et +d'un importun.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_8"> 8</a></span> +Quelques mois se passent. Diderot, bien +tranquille dans son cabinet, travaillait, sans +doute à ses <cite>Pensées sur l'interprétation de la +nature</cite>, lorsque, sans se faire annoncer, l'abbé +Le Petit se présente avec un énorme manuscrit +sous le bras. Qu'on juge de la surprise de +Diderot.—Comment, monsieur le curé, c'est +bien vous que je vois! Je vous croyais depuis +longtemps en Normandie.—On ne peut +vivre qu'à Paris, monsieur; j'y suis donc resté, +et, suivant vos conseils, je me suis mis avec +ardeur au travail. Je vous apporte...—Encore +un madrigal? s'écria Diderot; non, monsieur +le curé, vous savez nos conventions. Je n'écoute +pas un vers de vous, que vous ne m'ayez apporté +une tragédie.—C'est justement...—Quoi! +C'est une tragédie?—Oui, monsieur, +<cite>David et Bethsabée</cite>....</p> + +<p>Diderot faillit tomber à la renverse.</p> + +<p>—Avez-vous le loisir de m'écouter? poursuivit +l'abbé, impitoyable.</p> + +<p>Il n'y avait pas à reculer, il fallait bien essuyer +cette lecture.</p> + +<p>—Monsieur le curé, répondit le philosophe, +que diriez-vous si, dimanche, je vous présentais +<span class="pagenum"><a id="Page_9"> 9</a></span> +à nos amis, et si je vous donnais pour juges les +plus grands esprits dont notre siècle s'honore?... +Allons, c'est entendu, je vous mènerai dans le +salon de M. le baron d'Holbach. Vous y entrerez +inconnu; mais, je vous le jure, vous en +sortirez célèbre.</p> + +<p>—Monsieur, balbutia l'abbé, que de grâces...</p> + +<p>—Trève de compliments! C'est moi qui +suis votre obligé. Ne pas produire au grand jour +un poète de votre force, mais ce serait un +crime!... Allons, adieu, monsieur le curé, ou +plutôt, au revoir... A dimanche! Je vous +attends chez moi.</p> + +<p>Le curé fut exact au rendez-vous. Diderot +avait prévenu ses amis, les Encyclopédistes. On +sait que le baron d'Holbach les recevait à dîner +deux fois par semaine, ce qui le faisait appeler +par l'abbé Galiani «<em>le maître d'hôtel de la philosophie</em>».</p> + +<p>Ce jour-là—c'était justement le dimanche +gras—les convives du baron d'Holbach étaient +quinze à vingt. Dans le riche cabinet, où le +richissime philosophe venait de faire placer sa +récente acquisition, la <cite>Chienne allaitant ses +petits</cite>, un des chefs-d'œuvre du peintre Oudry, +<span class="pagenum"><a id="Page_10"> 10</a></span> +on voyait réunis, sans compter Diderot et le +maître de la maison, J.-J. Rousseau, d'Alembert, +Duclos, Marmontel, Helvétius, de Jaucourt, +Raynal, Morellet, de la Condamine, +M. de Gauffecourt, M. de Margency, etc.<a name="FNanchor_6" id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor"> [6]</a>.</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_6" id="Footnote_6" href="#FNanchor_6" class="label">[6]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_10_note_6">note 6</a></p></div> + +<p>Le curé de Montchauvet est introduit. On lui +fait fête; on l'invite à s'asseoir. Il promène ses +regards de tous côtés: il ne voit que des visages +riants; cela l'encourage. Pourtant, il aperçoit +dans un coin du salon une figure renfrognée. +C'était J.-J. Rousseau, qui flairait une mystification, +et qui, avec sa probité à toute épreuve, +était résolu à faire le rôle d'honnête homme.—C'est +un jaloux, se dit l'abbé; mais qu'importe?... +Et il déroule lentement son manuscrit.—D'abord, +messieurs, leur dit-il, je dois +vous lire l'épître que je me permets d'adresser à +Madame de Pompadour.</p> + +<p>Cette épître commençait par un vers assez +singulier:</p> + +<p class="quote">Rentrez dans le néant, race de mendiants...</p> + +<p>C'était pour flétrir les poètes qui font des +<span class="pagenum"><a id="Page_11"> 11</a></span> +dédicaces en vue de gagner de l'argent.—Oh! +oh! Monsieur le curé, lui dit-on de toutes +parts, l'épithète n'est-elle pas un peu violente?—Non, +messieurs,</p> + +<p class="quote">Point d'enfant d'Apollon, s'il ne rime gratis.</p> + +<p>Et, continuant sa lecture, il déclame avec +emphase ces deux vers:</p> + +<p class="quote">Tout ainsi comme Icare, parcourant la lumière,<br /> +Dans un rayon brûlant vit fondre sa carrière...</p> + +<p>—Voilà, lui dit Marmontel, un vers admirable! +mais ces sortes de vers doivent être bien +difficiles à trouver.—Cela est vrai, répondit +le curé en pâlissant de joie et de vanité; mais +aussi est-on bien content quand on a trouvé.</p> + +<p>L'épître finie, le curé, avant de commencer +la lecture de sa tragédie, pria la société de lui +permettre d'exposer rapidement sa théorie du +poème dramatique. Corneille l'a fait, ajouta-t-il: +compatriote de Corneille, ne puis-je pas faire +comme lui?—Sans aucun doute, monsieur +l'abbé, s'écrièrent en chœur tous les convives.—Vils +flatteurs, murmurait dans son coin le +<span class="pagenum"><a id="Page_12"> 12</a></span> +citoyen de Genève.—Ma théorie est bien +simple, messieurs. Donnez-moi un sujet quelconque.</p> + +<p>—<em>Balthazar</em>, dit une voix.</p> + +<p>—<em>Balthazar</em>, soit! Eh bien! vous savez, +messieurs, que, pendant le souper de ce roi +impie, on vit une main écrire sur les murs les +mots: <em>Mané, Thécel, Pharès</em>. Il s'agit donc de +savoir si le roi soupera ou non; car, s'il ne +soupe pas, la main n'écrira pas. Or je n'ai +qu'à inventer deux acteurs. Le premier veut que +le roi soupe, le second ne le veut pas, et cela +alternativement. Si moi, poète tragique, je +veux que le roi soupe, celui-là parlera le premier. +Ainsi:</p> + +<p>I<sup>er</sup> acte: <em>Le roi soupera</em>;</p> + +<p>2<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p> + +<p>3<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>;</p> + +<p>4<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p> + +<p>5<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>.</p> + +<p>Si, au contraire, je ne veux pas que le roi +soupe, voici quel sera mon plan:</p> + +<p>I<sup>er</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p> + +<p>2<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>;</p> + +<p>3<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_13"> 13</a></span> +4<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>;</p> + +<p>5<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>.</p> + +<p>Voilà, messieurs, tout le mystère.</p> + +<p>Un murmure approbateur accueillit ces paroles. +Le poète commença alors la lecture de +sa tragédie. Tous les philosophes, rangés en +cercle, écoutaient attentivement. M. de la +Condamine, entre autres, avait tiré le coton de +ses oreilles pour mieux entendre<a name="FNanchor_7" id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor"> [7]</a>; mais, +dès la première scène, sa patience était à bout. +Dans la seconde, David paraît; il se plaint que +l'amour le tourmente jour et nuit et l'empêche +de dormir. Il a cependant de quoi s'occuper; +il a de nouveaux ennemis, dit-il:</p> + +<p class="quote">Quatre rois, vive Dieu! ci-devant mes amis...</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_7" id="Footnote_7" href="#FNanchor_7" class="label">[7]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_13_note_7">note 7</a></p></div> + +<p>—<em>Vive Dieu</em>! s'écria M. de la Condamine, +et pourquoi pas <em>Ventre Dieu</em>? Et, remettant le +coton dans ses oreilles, il sortit brusquement.</p> + +<p>—Voilà, dit le curé froidement, un homme +qui ne sait pas que <em>Vive Dieu</em>! est le serment +des Hébreux.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_14"> 14</a></span> +Ces quatre rois, «ci-devant les amis» de +David, ont embrassé la querelle du barbare +Hanon...</p> + +<p>A ce mot malencontreux, cinq ou six auditeurs +se récrient.</p> + +<p>—Ah! messieurs, dit le curé d'un air de +profonde pitié, ce nom sonne mal à vos oreilles, +apparemment à cause de la ridicule équivoque +de celui d'<em>ânon</em>, animal si connu et si commun. +Pour moi, je pense qu'un nom, par lui-même, +n'a rien qui doive offenser. L'Écriture s'en est +servie; elle a bien les oreilles aussi délicates +que les nôtres.</p> + +<p>—Mais, lui dit Duclos, ajoutez une lettre +à ce nom, et l'équivoque cessera.</p> + +<p>—Monsieur, répartit le curé, vous voulez +sans doute que je fasse de ce personnage un +Carthaginois?</p> + +<p>Dans un autre endroit, Bethsabée, pressée +par David «de le rendre heureux», veut le +piquer d'honneur, et lui rappelant ses grandes +actions passées, elle dit:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Vous sûtes arracher Saül à ses furies,</p> +<p>Où ce prince, vainqueur de mille incirconcis,</p> +<p>Frémissait que David en eût dix mille occis.</p> +</div></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_15"> 15</a></span> +—Ah! Dieu! quels vers! s'écria le citoyen +de Genève; et pourquoi <em>occis</em>? pourquoi +pas <em>tués</em>?</p> + +<p>—Je pourrais, riposta sèchement le curé, +vous répondre que <em>tués</em> ne rime pas à <em>incirconcis</em>; +mais apparemment que vous imaginez +que <em>tué</em> et <em>occis</em> sont des synonymes. Apprenez, +monsieur, que cela n'est pas. On dit tous les +jours: Cet homme me <em>tue</em> par ses discours, et +l'on n'en est pas <em>occis</em> pour cela.</p> + +<p>—J'avoue, reprit le citoyen, qu'il doit être +fort fâcheux d'être <em>occis</em>; mais je ne me soucierais +pas même d'être <em>tué</em>.</p> + +<p>Le curé de Montchauvet poursuivit sa lecture, +sans s'arrêter plus qu'il ne convenait à cette +misérable querelle de mots.</p> + +<p>Arrivé à un passage où il faisait rimer <em>angoisse</em> +et <em>tristesse</em>, Rousseau l'interrompit de nouveau:</p> + +<p>—<em>Angoisse</em> et <em>tristesse</em> ne riment pas; vous +êtes trop hardi, monsieur le curé.</p> + +<p>—Trop hardi, monsieur? Cette rime est +neuve; voilà tout.</p> + +<p>—Dites étrange, monsieur le curé.</p> + +<p>—Étrange, monsieur? Mais, vous, savez-vous +bien ce que c'est que la rime?</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_16"> 16</a></span> +—J'ose le croire, monsieur le curé.</p> + +<p>—On ne s'en douterait guère, et...</p> + +<p>La dispute allait s'envenimer: un geste de +d'Holbach rétablit la paix.</p> + +<p>—Continuez, dit-il au curé de Montchauvet, +nous vous écoutons.</p> + +<p>Vers le milieu du deuxième acte, Bethsabée +dit à sa confidente:</p> + +<p class="quote">Le roi ne m'offre plus que d'<em>innocentes</em> charmes.</p> + +<p>—Pardon, monsieur le curé, interrompit un +des auditeurs, <em>charme</em> est du masculin.</p> + +<p>—Ah! vous le prenez comme cela, +messieurs, répondit l'abbé; eh bien, dans la +scène suivante, vous le trouverez masculin; j'ai +tâché de contenter tout le monde.</p> + +<p>Plus loin, il faisait rimer <em>superflu</em> et <em>plus</em>.</p> + +<p>—Cette rime n'est pas exacte, dit Marmontel.</p> + +<p>—Ah! vraiment; et pourquoi cela?</p> + +<p>—C'est que <em>superflu</em>, étant au singulier, n'a +point d's, et par conséquent ne peut rimer avec +<em>plus</em>.</p> + +<p>Point d'<em>s</em>, reprit vivement le curé en +<span class="pagenum"><a id="Page_17"> 17</a></span> +mettant son manuscrit sous le nez de Marmontel, +point d'<em>s</em>! Mais je vous prie de remarquer, +monsieur, que j'en ai mis une<a name="FNanchor_8" id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor"> [8]</a>.</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_8" id="Footnote_8" href="#FNanchor_8" class="label">[8]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_17_note_8">note 8</a></p></div> + +<p>Et il continua intrépidement sa lecture.</p> + +<p>On lui avait fait croire que M. de Margency +était un poète de profession, et qu'il aurait en +lui un dangereux concurrent. Il n'est sorte de +bassesse que ne lui fit le curé de Montchauvet. +M. de Margency, comme on en était convenu +auparavant, se fit le champion à outrance +du poète bas-normand. Aussi, c'était vers lui +qu'il se tournait de préférence.</p> + +<p>Au milieu d'une des plus pompeuses tirades, +il entend un léger bruit. C'était M. de Gauffecourt +qui riait tout bas dans ses mains.</p> + +<p>—Vous riez, monsieur, lui dit le curé du +ton dont il aurait apostrophé un bambin au +catéchisme?</p> + +<p>—Non, monsieur, répondit M. de Gauffecourt +avec un grand sérieux; je n'ai ri de ma +vie.</p> + +<p>On arrive, sans autre incident, au quatrième +acte. Tout le monde se lève. On prie le curé de +<span class="pagenum"><a id="Page_18"> 18</a></span> +Montchauvet d'arrêter là sa lecture. Il doit être +épuisé de fatigue; on lui donnera une nouvelle +séance pour achever sa tragédie; on n'en +veut pas perdre un seul vers.</p> + +<p>Chacun s'empresse autour de lui, et lui serre +les mains: «Vous surpassez Racine, et vous +égalez Corneille!»</p> + +<p>Le curé absorbe avec intrépidité ces louanges +ironiques; il se rengorge; son nez s'agite, se +dilate de plus en plus. Tout à coup, J.-J. +Rousseau se précipite vers lui, lui arrache son +manuscrit et le jette à terre:</p> + +<p>—Votre tragédie est absurde, mon cher +curé; ces messieurs,—vous ne le voyez donc +pas?—se moquent de vous. Retournez vicarier +dans votre village.</p> + +<p>L'abbé, rouge de colère, fond sur Rousseau; +en vrai poète tragique, il veut l'<em>occire</em>. On sépare +à grand'peine les deux combattants. Rousseau +sort furieux, pour ne plus remettre les pieds +chez le baron d'Holbach. On arrête le curé, qui +le menace du poing et veut courir après lui +dans la rue. On réussit à le calmer un peu, en +lui peignant Rousseau comme un poète jaloux +de sa gloire naissante.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_19"> 19</a></span> +On peut bien penser que Diderot ne fut pas +l'un des moins empressés à verser du baume sur la +blessure faite par Rousseau à la vanité du poète.</p> + +<p>—Votre pièce est excellente, monsieur le +curé, lui dit-il; je m'y connais: elle aura le +plus grand succès au théâtre, si toutefois vous +y apportez quelques modifications que je crois +indispensables... Me permettez-vous, monsieur +le curé, de vous faire une légère critique?</p> + +<p>—Parlez, monsieur, dit le curé, pris par le +ton bienveillant que Diderot donnait à ses paroles. +Je ne puis recevoir que des conseils +judicieux d'un esprit aussi éminent.</p> + +<p>—Eh bien, monsieur l'abbé, puisque vous +m'autorisez à vous dire toute ma pensée, je +vous avouerai que votre pièce ne me semble +pas assez chargée d'incidents; que la plupart +des incidents ne se passant pas sur la scène, je +trouve,—excusez ma franchise,—la scène +un peu trop muette. Il est vrai que votre pièce +est une pièce sainte; mais ce n'en est pas moins +un défaut, à mon humble avis.</p> + +<p>Tout le monde s'attendait à une explosion +de colère; il n'en fut rien. Le curé répondit +d'un air suffisant:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_20"> 20</a></span> +—Je l'avais senti, monsieur, mais je n'ai +pu faire autrement; d'ailleurs, ces sortes de +pièces sont sujettes à ce défaut... Toutefois, +vous conviendrez avec moi que j'ai suppléé à +la sécheresse des récitatifs par une versification +assez heureuse.</p> + +<p>—Cela est vrai, dit M. de Margency, celui +des auditeurs qui s'était fait le champion du +curé. A mon tour, ajouta-t-il, je reprendrai +l'objection faite par M. Diderot, et je demanderai +à monsieur le curé pourquoi il n'a pas +placé sur la scène la baignoire de Bethsabée? +Son récit est plein de beaux vers, je le proclame +bien haut, mais Horace a dit:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p><i lang="la" xml:lang="la">Segnius irritant animos demissa per aurem</i></p> +<p><i lang="la" xml:lang="la">Quant quæ sunt oculis subjecta fidelibus, et quæ</i></p> +<p><i lang="la" xml:lang="la">Ipse sibi tradit spectator.</i></p> +</div></div> + +<p>—Sans doute, monsieur; mais Horace +n'ajoute-t-il pas:</p> + + +<div class="poetry"><div class="stanza"><p class="i11"> <i lang="la" xml:lang="la">Non tamen intus</i></p> +<p><i lang="la" xml:lang="la">Digna geri promes in scenam; multaque tolles</i></p> +<i lang="la" xml:lang="la">Ex oculis, quæ mox narret facundia præsens...</i> +</div></div> + +<p>—Je suis battu, dit M. de Margency.</p> + +<p>Puis, se tournant vers ses amis:</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_21"> 21</a></span> +—Quoi qu'en dise Horace, messieurs, ne +regrettez-vous pas, comme moi que M. le curé +n'ait pu mettre sur la scène la baignoire de +Bethsabée? Vive Dieu! comme M<sup>lle</sup> Clairon...<a name="FNanchor_9" id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor"> [9]</a></p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_9" id="Footnote_9" href="#FNanchor_9" class="label">[9]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_21_note_9">note 9</a></p></div> + +<p>—Pardon, monsieur, interrompit le curé, +la rougeur au front; mais vous oubliez que ma +tragédie est une tragédie sainte, et que rien +n'y doit offenser les oreilles ou les yeux des +spectateurs chrétiens.</p> + +<p>—<i lang="la" xml:lang="la">Omnia sancta sanctis</i>, monsieur le curé; je +tiens à la baignoire. Et vous, messieurs?</p> + +<p>—Oui, oui, il nous faut la baignoire, s'écrièrent +ensemble les convives de d'Holbach.</p> + +<p>—Messieurs, je ne puis vous l'accorder. +N'insistez pas, je vous prie.</p> + +<p>—Nous respectons vos scrupules, dit M. de +Margency; qu'il soit fait selon votre désir... +Mais, poursuivit-il, qu'il me soit permis, avant +de nous séparer, d'ajouter un mot encore...</p> + +<p>Le curé dressa l'oreille.</p> + +<p>—Vous êtes du pays du grand Corneille, +monsieur le curé; nous ne le saurions pas, que +votre style nous l'aurait bien vite appris. Comment +<span class="pagenum"><a id="Page_22"> 22</a></span> +avez-vous fait pour arriver du premier +coup à cette mâle vigueur, dont l'auteur de +<cite>Polyeucte</cite> et vous avez seuls le secret?</p> + +<p>—Messieurs, répondit l'abbé, si mon style a +quelque ressemblance avec celui de Corneille, +je le dois à la lecture approfondie que j'ai faite +de ce grand poète; mais qu'on ne m'accuse +d'aucun plagiat: j'affirme solennellement que +mon style est à moi, et bien à moi... Je vois, +monsieur, continua le curé, en s'approchant +de M. de Margency, que vous êtes, comme on +dit, un homme du métier, et je ne doute pas +que vos pièces n'aient obtenu sur la scène un +légitime succès.</p> + +<p>—Monsieur le curé, dit de Margency, mes +amis veulent bien m'accorder quelque talent; +mais, malgré leurs conseils, je dirai plus, malgré +leurs instantes prières, je n'ai jamais consenti +à laisser jouer mes pièces. Vous l'avouerai-je, +monsieur le curé? j'ai peur...</p> + +<p>—Et de quoi, monsieur, je vous prie?</p> + +<p>—D'être sifflé.</p> + +<p>Puis, faisant un geste tragique: je crois que +j'en mourrais!</p> + +<p>—Mon ami, lui dit Diderot, ayez plus de +<span class="pagenum"><a id="Page_23"> 23</a></span> +confiance en vous-même. Osez, et je vous prédis +le succès, comme je le prédis à M. le curé +de Montchauvet.</p> + +<p>—Ne me comparez pas, je vous prie, avec le +rival de Pierre Corneille!</p> + +<p>—Que du moins son exemple vous enflamme, +et, puisque vous travaillez actuellement +à une tragédie de <cite>Nabuchodonosor</cite>, soumettez-la +au jugement de M. le curé... Puis, s'adressant +à l'abbé: Si nous osions, monsieur, vous prier +de traiter le même sujet, voudriez-vous nous +refuser, dans l'intérêt de notre ami qui brûle de +marcher sur vos traces?</p> + +<p>—Monsieur, dit d'Holbach qui, pendant +toute cette scène, avait gardé le plus grand +sérieux, mes amis et moi nous vous attendons +dimanche prochain. Vous achèverez la lecture +de votre tragédie, et vous nous lirez, n'est-ce +pas? la première scène de <cite>Nabuchodonosor</cite>; +c'est un sujet extrêmement difficile et délicat. +Nous ne doutons nullement que vous ne +vous en tiriez avec l'habileté dont vous avez +fait preuve dans votre tragédie de <cite>Bethsabée</cite>. +Pour vous, dit d'Holbach à de Margency, +vous saurez dimanche si vous devez affronter +<span class="pagenum"><a id="Page_24"> 24</a></span> +la scène ou brûler vos manuscrits. Vous connaissez +notre franchise. Nous vous promettons +un jugement sincère. A dimanche donc, monsieur +le curé!</p> + +<p>Le curé promit de se rendre à cette aimable +invitation.</p> + +<p>On se sépara. La vanité du curé de Montchauvet +était aussi énorme que son talent était +mince; aussi était-il loin de se douter qu'il +venait de servir de bouffon aux convives habituels +du baron d'Holbach. Cependant, malgré +le plaisir que lui avaient causé les éloges de +Diderot, de d'Holbach et de Margency, il était +mécontent: il aurait voulu plus d'éloges encore; +et il était indigné que l'on ne se fût pas montré +plus sévère à l'égard de cet impertinent de +Rousseau.</p> + +<p>Le lendemain, il rencontra M. de Margency +et se plaignit beaucoup.—Si je fréquentais +ces messieurs, lui dit-il, je finirais par soupçonner +mes vers d'être plats: cependant, je suis +bien sûr du contraire; et ils n'ont qu'à examiner +leurs observations avec autant de sévérité que +ma tragédie, ils verront ce qu'il y aura plat. +Au demeurant, ce n'est pas que leur critique +<span class="pagenum"><a id="Page_25"> 25</a></span> +m'effraie: je ne tiens pas à ma pièce en auteur +servile; j'en ai fait chaque vers triple, et je puis, +comme vous voyez, sacrifier tout ce qu'on veut, +sans que j'en sois plus mal à mon aise.</p> + +<p>M. de Margency l'assura fort qu'il avait laissé +la société dans une grande admiration de ses +talents; mais il n'en voulut rien croire: «Je +les ai vus rire souvent pendant la lecture, répondit-il, +et on ne rit pas dans une tragédie, +quand on est de bonne foi... Enfin, je vois ce +que c'est. Ces messieurs redoutent les ouvrages +d'une certaine trempe et qui pourraient fixer +l'attention du public, ils n'ont que leur <cite>Encyclopédie</cite> +dans la tête: ils craignent que mes succès +ne fassent tort aux leurs. Mais le public +saura bien rendre justice à chacun.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_26"> 26</a></span></p> + +<div class="header"> +<h3>II</h3> +</div> + +<p>C'est dans ces sentiments que le curé de +Montchauvet reprit, trois jours après cette mémorable +séance, le chemin de la basse Normandie. +Pour se consoler de l'injustice des +Philosophes, il fit imprimer à Rouen sa tragédie, +qui parut sous ce titre: <cite>David et Bethsabée</cite>, tragédie +par M. l'abbé ***. Prix, 36 sols.—A +Londres [Rouen], aux dépens de la Compagnie, +1754.</p> + +<p>Lorsque l'imprimeur lui eut envoyé son +ballot, l'abbé prit la plume et adressa à l'abbé +Basset une longue lettre, que celui-ci s'empressa +de communiquer à Diderot et que le philosophe +lut à ses amis. En voici quelques extraits:</p> + +<div class="blocquote"> +<p class="town">«De Montchauvet.</p> + +<p>«Je suis parti, monsieur et cher abbé, plein +du souvenir de vos bontés. Je me suis hâté de +quitter un séjour où je commençais à goûter +quelque satisfaction, mais où je devenais à +<span class="pagenum"><a id="Page_27"> 27</a></span> +charge à quelques-uns. Disons-le: ils ont pris +de l'ombrage d'une pièce où ils ont cru reconnaître +des beautés que le public n'y reconnaîtra +peut-être pas: ils m'ont envié un je ne sais quoi +que la nature ou le hasard m'a prodigué... On +m'apprit, avant de partir, que ce qui les avait +irrités, c'était la pièce adressée à M<sup>me</sup> la marquise. +Ils ont rugi à ces mots de <em>vils mendiants</em>, +et ils ont mis le curé de Montchauvet à toutes +sauces... Quoi qu'il en soit, dans le procédé +qu'ils ont tenu avec moi, ils ont cru me faire +leur dupe. Ils y ont réussi jusqu'à un certain +point, parce qu'ils ont abusé de ma franchise. +Qu'ai-je perdu, sinon de ne pas croire que ma +pièce était plus digne de voir le jour que je ne +l'espérais? Elle le voit actuellement en beau papier +et en caractères bien nets<a name="FNanchor_10" id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor"> [10]</a>: elle se vendra +trente-six sous... Voilà donc le moment +de sa mort ou de sa vie. Le public, qui voit +toujours avec de bons yeux, du moins pour +l'ordinaire, la disséquera comme il l'entendra +bien. Si elle ne lui plaît pas, je n'aurai garde +d'en appeler; mais je ne me rebuterai pas, je +<span class="pagenum"><a id="Page_28"> 28</a></span> +m'étudierai à faire mieux. Tant que ma veine +voudra couler, je vous proteste, mon cher abbé, +que rien ne sera capable de l'arrêter... J'ai déjà +commencé une seconde pièce. Lorsqu'elle sera +faite, j'en ferai sévèrement la critique, ainsi que +de cette première. Comme l'honneur du théâtre +ni l'intérêt ne me guident point, ne travaillant +qu'à braver l'ennui de ma solitude, j'apporterai +avec moi cette seconde tout imprimée, au moyen +de quoi je ne me verrai plus exposé à lire +mon manuscrit sur la sellette, devant des gens +surtout qui vous rient dans leurs mains, au lieu +d'être touchés, ou qui feignent d'applaudir, +sans savoir seulement ce que c'est qu'enchaînement +de scènes, ni peut-être qu'une rime... +Maintenant, mon cher abbé, j'ai l'honneur de +vous prévenir que je vous en enverrai un +exemplaire et plusieurs en pur don pour les +personnes à qui je vous prierai d'avoir la bonté +de les remettre. Je compte que vous les recevrez +la semaine prochaine avec une lettre d'avis: +ce seront deux ports de lettre que je vous ferai +coûter. Ayez pour agréable de me mander, au +reçu de la présente, à Montchauvet, par Aunay, +à la Plumaudière, si vous voulez vous +<span class="pagenum"><a id="Page_29"> 29</a></span> +donner la peine de m'en débiter. Dans le cas +où vous pourriez vous en défaire, ce serait à +l'acquit de ce que mon frère et moi nous vous +devons. Excusez-moi de la longueur de ma +lettre, je l'attends de votre indulgence. J'écris +à M. l'abbé Fréron, et je lui envoie deux exemplaires, +un pour lui, et l'autre pour M<sup>me</sup> son +épouse, en pur don<a name="FNanchor_11" id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor"> [11]</a>; vous voyez que je +fais les choses libéralement et que je ne regarde +pas à trente-six sous, lorsqu'il le faut. Adieu, +mon cher abbé, etc.»</p> +</div> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_10" id="Footnote_10" href="#FNanchor_10" class="label">[10]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>.<a href="#Page_29_note_10"> note 10</a></p></div> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_11" id="Footnote_11" href="#FNanchor_11" class="label">[11]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_29_note_11"> note 11</a></p></div> + +<p class="p2">Nous avouerons sans peine, avec Grimm, +que quelques centaines de pareilles lettres feraient +un excellent recueil.</p> + +<p>Toutefois, il est à remarquer que le curé de +Montchauvet ne parle pas, dans cette lettre, +d'un envoi que dut lui faire M. de Margency, +quelques jours après son départ pour la Normandie.</p> + +<p>M. de Margency lui avait dit, on s'en souvient, +qu'il lui soumettrait, le dimanche suivant, +la première scène de sa tragédie de <cite>Nabuchodonosor</cite>. +<span class="pagenum"><a id="Page_30"> 30</a></span> +L'abbé devait, de son côté, apporter une +scène sur le même sujet. De Margency, ayant +appris le départ inopiné du curé, lui envoya +son travail, accompagné d'une épître dédicatoire. +Voici ces deux bouffonneries:</p> + +<p><cite>Épître à M. l'abbé Petit, curé du Mont Chauvet</cite>.</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Corneille du Chauvet, rimeur alexandrin,</p> +<p>Crois-moi, laisse-les dire, et va toujours ton train.</p> +<p>Ne t'aperçois-tu pas qu'envieux de ta gloire,</p> +<p>Tes ennemis font tout pour t'empêcher de boire</p> +<p>Au ruisseau d'Hippocrène, où Sophocle buvoit</p> +<p>Les chefs-d'œuvre qu'il fit, les beautés qu'il trouvoit?</p> +<p>Presque semblable à lui, quand tu touches la rime,</p> +<p>Tu te sers du rabot et jamais de la lime;</p> +<p>C'est-à-dire que, loin de coudre bout à bout</p> +<p>Des mots cherchés longtemps, tu fais bien tout d'un coup;</p> +<p>Voilà ce qui s'appelle un esprit bien facile,</p> +<p>Tu scandes en Homère et rimes en Virgile,</p> +<p>Et c'est ce qui déplaît à ces auteurs jaloux;</p> +<p>Va, moque-toi d'iceux, et ris de leur courroux.</p> +<p>Ils ont bu comme toi des eaux hippocréniques:</p> +<p>Bientôt tu les verras crever en hydropiques,</p> +<p>Et, tombant à tes pieds, poussifs et crevassés,</p> +<p>Ils <em>moureront</em> tués, occis et trépassés.</p> +</div></div> + +<p>«Mon poétique cheval, Monsieur, qui se +déferre en ce moment, m'oblige de descendre +<span class="pagenum"><a id="Page_31"> 31</a></span> +de la rime à la prose; permettez-moi donc de +vous dire en son langage que votre immortelle +et jolie pièce vous a fait bien des jaloux; mais +n'en redoutez rien. Je viens de vous annoncer +dans mes épiques vers et leur sort et le vôtre. +D'ailleurs, consolez-vous avec les admirateurs +qui vous restent. Comme j'y touche aussi quelquefois, +à cette poésie, permettez-moi de vous +consulter sur la tragédie que j'ai entreprise et +dont je vous envoie une scène pour échantillon. +Le sujet est, comme vous le savez, le fameux +<cite>Nabuchodonosor</cite>. Je suis bien étonné que ce +grand homme ait échappé à tant de célèbres +auteurs. J'imagine qu'apparemment ils ne l'auront +regardé que comme une grande bête, +comme vous avez pu le regarder vous-même. +Quoi qu'il en soit, voici ma scène. Nabuchodonosor +entretient Isabelle avant de l'épouser.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_32"> 32</a></span></p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p class="i6">SCÈNE</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i2"><span class="large smcap">Nabuchodonosor, Isabelle</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Avant qu'à vos pieds beaux je mette ma couronne,</p> +<p>Écoutez-moi, princesse, et charmante personne;</p> +<p>Je n'allongerai pas, et je vous en répond,</p> +<p>Car, de mon naturel, je ne suis pas fort long</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i6"><span class="smcap">ISABELLE</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Ah! grand prince, tant pis! ..Mais qu'avez-vous à dire?</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Reine, asseyez-vous là, je vais vous en instruire.</p> +<p>Je fus jeune autrefois, et même fort bien fait;</p> +<p>J'avois l'air d'un amour, du moins on le disoit.</p> +<p>Vous ne l'auriez pas cru?</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i6"><span class="smcap">ISABELLE.</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i11"> Il est vrai, cher grand prince,</p> +<p>Qu'il vous reste à présent une mine assez mince.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Pas tant... Mais il n'importe ..Écoutant mes désirs,</p> +<p>Je me divertissois dans les plus grands plaisirs;</p> +<p>Ma cour, modèle en tout de faste et d'élégance,</p> +<p>Réunissoit encor la joie et l'opulence;</p> +<div><span class="pagenum"><a id="Page_33"> 33</a></span></div> +<p>Mille jeunes beautés, qui ne vous valoient pas,</p> +<p>Pleines de mes bienfaits, me prêtoient leurs appas;</p> +<p>Je vantois en tout lieu mon pouvoir, mes richesses,</p> +<p>Ma taille, mes bons mots, mes chiens et mes maîtresses.</p> +<p>Hélas! pour mon malheur je me vantai trop bien.</p> +<p>Le jaloux ciel piqué rabaissa mon maintien;</p> +<p>Il m'en punit, ce ciel: sa céleste colère</p> +<p>Donna dans mon endroit un exemple à la terre;</p> +<p>Je perdis dans un jour mon sceptre, mes États;</p> +<p>Une nuit je me vis velu comme les chats;</p> +<p>Sur mon corps tout courbé tous mes poils s'allongèrent,</p> +<p>De mon front menaçant deux cornes s'élevèrent,</p> +<p>Les seules, Dieu merci, que l'on m'ait vu porter...</p> +<p>Madame, en cet état, il fallut décamper.</p> +<p>Enfin je descendis du trône à quatre pattes.</p> +<p>(Où vas-tu nous fourrer, orgueil, quand tu nous flattes!)</p> +<p>Pour vous le couper court, et soit dit entre nous,</p> +<p>Je fus bête sept ans avant que d'être à vous.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i6"><span class="smcap">ISABELLE.</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Prince, que dites-vous?... Mais peut-être qu'encore...</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Je crois que vous raillez, madame la pécore!</p> +<p>Taisez-vous, reine en herbe; écoutez jusqu'au bout.</p> +<p>Galeux donc comme un braque, et velu comme un loup,</p> +<p>Je gagnai les forêts, les vallons, les montagnes;</p> +<p>La nuit j'allois brouter dans les vertes campagnes.</p> +<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p> +</div></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_34"> 34</a></span> +(<em>Ici doit être un magnifique morceau poétique de la vie que +Nabuchodonosor menoit à la campagne, comme une bête.</em>)</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Enfin le ciel touché mit fin à son courroux.</p> +<p>«Quittez les bois, dit-il, allez-vous-en chez vous;</p> +<p>Vous aviez, mon ami, la tête trop superbe:</p> +<p>Pour vous la rafraîchir, il vous falloit de l'herbe;</p> +<p>Le ciel est toujours ciel, et l'on s'en moque en vain.</p> +<p>Vous vous croyiez un Dieu: vous n'êtes qu'un faquin;</p> +<p>Tournez-moi les talons...» Aussitôt, sans trompette,</p> +<p>Je quittai dans la nuit ma champêtre retraite.</p> +<p>Enfin, au point du jour, je me rendis chez moi.</p> +<p>Mon peuple me reçut et reconnut son roi.</p> +<p>Je fus un peu malade après cette aventure:</p> +<p>L'estomac, tout farci de foin et de verdure,</p> +<p>Me donna des hoquets et des indigestions;</p> +<p>Il fallut recourir aux évacuations.</p> +<p>Mon premier médecin m'ordonna la rhubarbe;</p> +<p>Le lendemain, ce fut un furieux jour de barbe.<a name="FNanchor_12" id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor"> [12]</a></p> +</div></div> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_12" id="Footnote_12" href="#FNanchor_12" class="label">[12]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_34_note_12">note 12</a></p></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_35"> 35</a></span></p> + +<h3>III</h3> + +<p>Le <em>Club holbachique</em> s'était proposé d'achever +de rendre fou le curé de Montchauvet, s'il y +manquait quelque chose. Ils y réussirent; car, +l'année suivante, le curé revint à Paris et n'hésita +pas un seul instant à soumettre aux encyclopédistes +la nouvelle pièce qu'il avait rimaillée +au fond de son village. C'était la tragédie de +<em>Baltazard</em>, dans laquelle, pendant quatre mortels +actes, il s'agit de savoir,—selon la fameuse +théorie inventée par l'abbé Le Petit,—si le roi +soupera ou s'il ne soupera pas.</p> + +<p>On voit d'abord paraître les deux mages, +Hyrcan et Arbate. Baltazard vient d'être vaincu. +Sans aucun doute, la défaite du roi les affecte +profondément; mais ce qui les tourmente par-dessus +tout, c'est la crainte de ne pas souper.</p> + +<p>Pendant qu'ils délibèrent, sans rire, sur cette +grave question, survient Aristée, femme du roi +et fille d'Abradate, roi de la Susiane; elle vient +(elle ne s'en cache pas) pour faire un monologue; +<span class="pagenum"><a id="Page_36"> 36</a></span> +mais comme la présence des deux mages +la gêne: «Éloignez-vous...» leur dit-elle. +Alors elle demande aux Dieux, qu'elle appelle +«puissants moteurs», de lui rendre compte +de l'indigne sort de son époux: «Que vais-je +devenir?» s'écrie-t-elle:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Où fuir et dans quels lieux, quelle obscure contrée,</p> +<p>Dérober aux humains une reine éplorée?</p> +</div></div> + +<p>Mais, tout bien réfléchi, elle ne veut pas se risquer</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p class="i11"> Chez un peuple farouche,</p> +<p>Sans espoir d'y fléchir des cœurs que rien ne touche.</p> +</div></div> + +<p>Mieux vaut aller trouver Baltazard et périr avec +lui. Baltazard lui épargne cette peine. Il vient,</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p class="i9"> Non pas brillant de gloire,</p> +<p>Et tel qu'à son départ il vantait sa victoire...</p> +</div></div> + +<p>Il est vaincu, mais il n'est pas découragé. A +l'entendre faire le récit de la bataille qu'il a +perdue, on croirait presque qu'il l'a gagnée:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Je m'avance à grands pas dans le sein de la gloire;</p> +<p>Tout nage dans le sang; une grêle de dards</p> +<p>Fait du jour une nuit; ce n'est de toutes parts</p> +<p>Qu'un spectacle effrayant d'hommes qui s'embarrassent,</p> +<p>De chevaux renversés, de chars qui se fracassent.</p> +</div></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_37"> 37</a></span> +Qu'allez-vous faire? lui demande Aristée. +Tâchez de fléchir notre vainqueur:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>S'il en est temps encor, proposez-lui la paix,</p> +<p>Et cherchez dans lui-même un ami pour jamais.</p> +</div></div> + +<p>Non, répond Baltazard, je veux souper, et</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Dans ces vases sacrés qu'à Sion on regrette</p> +<p>J'éteindrai mes chagrins, ma honte et ma défaite;</p> +<p>Et, dût vomir le Juif mille imprécations,</p> +<p>Je les ferai servir à mes libations.</p> +</div></div> + +<p>Cette impiété donne le frisson à la reine.—Ne +soupez pas, seigneur, lui dit elle, ou du +moins ne soupez que si les mages l'ordonnent.</p> + +<p>Baltazard est bien contrarié de voir que +l'<em>indifférence</em> de la reine</p> + +<p class="quote">Refuse à ses malheurs la moindre déférence.</p> + +<p>Mais enfin il cède: il consultera les devins. +Hyrcan et Arbate accourent. <em>Secourez-moi</em>, +leur crie Baltazard du plus loin qu'il les voit. +Dois-je souper ou ne pas souper? Et il a soin +d'ajouter, afin de leur dicter leur réponse:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Parlez, et, consolant mon esprit agité,</p> +<p>Songez qu'un jour si beau flatte ma volonté</p> +</div></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_38"> 38</a></span> +Les mages ont compris: <em>Seigneur, il faut +souper</em>. Telle est leur réponse. Mais l'allégresse +du roi est de courte durée. Survient Nitocris, +sa mère, qui ne veut pas qu'on soupe.</p> + +<p>—Y songez-vous, lui dit-elle,</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Insensible à l'État, votre cœur le néglige,</p> +<p>Et vous n'allez au temple, où rien ne vous oblige,</p> +<p>Que pour sacrifier, au gré de vos désirs,</p> +<p>Moins à l'amour des dieux qu'à l'attrait des plaisirs,</p> +<p>Occupé d'une fête, où, parmi la crapule,</p> +<p>La nuit ne connaîtra ni remords ni scrupule!</p> +</div></div> + +<p>Le roi n'écoute pas. Bien décidé à souper, il +s'en va et laisse sa mère exhaler sa douleur +dans un monologue. Il pousse l'audace encore +plus loin: il dépêche vers elle les deux mages, +qui la prient respectueusement de venir souper. +Nitocris, comme on le pense bien, refuse énergiquement. +Baltazard, ennuyé, vient la chercher +lui-même.</p> + +<p>Nitocris et son fils s'accablent mutuellement +de reproches:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>A quoi bon (dit Baltazard) m'opposer ce beau titre de mère</p> +<p>S'il ne devient pour moi qu'une loi trop amère,</p> +<p>Si vous me refusez jusqu'à de saints plaisirs,</p> +<span class="pagenum"><a id="Page_39"> 39</a></span> +<p>Et ne me rappelez que peines et soupirs?...</p> +<p>Ah! comment osez-vous, après ce caractère,</p> +<p>Me nommer votre fils et vous dire ma mère?</p> +<p>—Ingrat! (répond Nitocris) puis-je oublier l'excès de cet amour</p> +<p>Qui, quoi que vous disiez, vous mérita le jour?</p> +<p>Et pouvois-je empêcher que le ciel vous fît naître</p> +<p>Dans le sein qu'il choisit pour vous procurer l'être?</p> +<p>Mais si vous le devez, ce jour, à Nitocris,</p> +<p>Montrez donc désormais que vous êtes son fils;</p> +<p>Commencez à briser cette chaîne fatale</p> +<p>Dont vous chérissez tant le poids qui vous ravale,</p> +<p>Ce joug empoisonné, que d'indignes flatteurs</p> +<p>Savent, pour vous séduire, orner de tant de fleurs...</p> +</div></div> + +<p>L'hypocrite Baltazard feint de se rendre aux +conseils de sa mère:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Je vais joindre Cyrus (lui dit-il) et, sans le moindre effroi,</p> +<p>Lui montrer que je sais vaincre et mourir en roi.</p> +</div></div> + +<p>A peine Nitocris a-t-elle le dos tourné: +«Allons souper», s'écrie-t-il.</p> + +<p>Ainsi finit le troisième acte. Le quatrième +s'ouvre par un monologue. Baltazard a changé +d'idée: il ne soupera pas; il ne veut pas que +sa mère regrette</p> + +<p class="quote">De n'avoir enfanté qu'un fils pusillanime.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_40"> 40</a></span> +Mais il a compté sans les mages, Hyrcan et +Arbate, qui viennent le relancer jusque dans +son palais. Il se sent faiblir: aussi, pour se +donner du courage, il se dit à lui-même:</p> + +<p class="quote">..... Soutiens-toi, Baltazard!</p> + +<p>Les mages sont les plus forts: ils n'ont qu'à +faire un signe, le tonnerre gronde, et le pauvre +roi ne sait où se cacher:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Qu'entends-je, malheureux! Quelle indignation!</p> +<p>Ah! mages, détournez votre imprécation!</p> +<p>Un feu secret et prompt, qui déjà me dévore,</p> +<p>Me prouve que le ciel ordonne qu'on l'honore.</p> +<p>C'en est fait. Je me rends et n'écoute que lui,</p> +<p>Heureux si sa bonté me secoure (<em>sic</em>) aujourd'hui!</p> +<p>Allez donc, qu'au banquet toute ma cour s'empresse</p> +<p>De noyer pour jamais son deuil et sa tristesse!</p> +</div></div> + +<p>On soupera donc, enfin! La table du festin +est dressée: on la couvre des coupes sacrées du +temple de Jérusalem.</p> + +<p>Au moment où Baltazard demande à boire +aux mages, Nitocris se présente et reproche à +son fils de <em>perdre le sentiment</em>. (L'auteur voulait +sans aucun doute dire <em>le sens</em>.)</p> + +<p>Baltazard daigne à peine répondre:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<div><span class="pagenum"><a id="Page_41"> 41</a></span></div> +<p>Madame, jusqu'à quand votre importune voix!...</p> +<p>Donnez, mages, donnez; c'est trop me faire attendre.</p> +</div></div> + +<p>Mais à peine les mages ont-ils présenté la +coupe au roi, qu'on voit une main écrire sur la +muraille les fameux mots: <span class="smcap">Mané</span>, <span class="smcap">Thécel</span>, +<span class="smcap">Pharès</span>.</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Que vois-je, mes amis (s'écrie Baltazard), et quel spectre nouveau</p> +<p>Crayonne sur ces murs un effrayant tableau?</p> +<p>Voyez-vous, comme moi, cette main qui nous trace</p> +<p>Certains mots, où mon sang dans mes veines se glace?</p> +<p>Ma coupe malgré moi s'échappe de mes doigts,</p> +<p>Et je sens peu à peu se dérober ma voix.</p> +<p>Mes yeux sont chancelants; mes genoux s'entrechoquent,</p> +<p>Et toutes les horreurs à la fois me suffoquent.</p> +</div></div> + +<p>Inutile d'ajouter que Baltazard est vaincu de +nouveau et tué par Cyrus. Mais ce qu'il faut +dire (car on ne s'en douterait guère), c'est que +Cyrus, à peine entré dans Babylone, fait une +déclaration des plus galantes à la reine Aristée. +Celle-ci, comme on le pense bien, est furieuse:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Dois-je donc respecter (lui dit-elle) un bras qui n'a servi</p> +<p>Qu'à renverser un roi qu'il a trop poursuivi?</p> +<div><span class="pagenum"><a id="Page_42"> 42</a></span></div> +<p>Taire tant de forfaits qu'un tyran autorise,</p> +<p>Et briser un pinceau qui te caractérise?</p> +<p>Barbare! je ne puis assez t'humilier!</p> +</div></div> + +<p>Cyrus n'est pas très flatté de ces dédains; +car, si on l'en croit, sans Aristée, le trône où il +monte n'est plus</p> + +<p class="quote">...... qu'un redoutable ennui.</p> + +<p>Mais il n'est pas au bout de ses peines. Nitocris +vient lui reprocher la mort de son fils, et se +tue presque sous ses yeux. Aristée veut en faire +autant. Cyrus l'arrête. «Laisse-moi mourir,» +lui crie-t-elle:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>..... Accorde au moins cette grâce dernière</p> +<p>Au reste infortuné d'une famille entière</p> +</div></div> + +<p>Cyrus tient bon, l'empêche de s'<em>occire</em>, et +met fin à la tragédie par ces vers mémorables, +mais bien peu en situation, puisque Nitocris +est morte:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Secourons Nitocris, et demandons aux dieux</p> +<p>Qu'ils fassent de ce jour un jour moins odieux!</p> +</div></div> + +<p>Il est fâcheux que Grimm ne nous ait pas +noté les divers incidents auxquels a dû donner +lieu la lecture de ce chef-d'œuvre. Il se contente +<span class="pagenum"><a id="Page_43"> 43</a></span> +de dire: «Le curé nous a tenu parole; il est +revenu avec une seconde tragédie, intitulée +<cite>Baltazard</cite>, tout aussi bonne que la première. Je +crois qu'il n'a pas pu trouver d'imprimeur. +Mais il est reparti pour sa cure un peu plus +content de nous.»</p> + +<p>Dans la préface de <cite>Baltazard</cite>, le curé de +Montchauvet nous en dira plus long: «Le +peu de succès de ma première pièce m'avoit +presque déterminé à n'en pas entreprendre une +seconde. Cependant, je pensois que si Racine +avoit été découragé par la médiocrité des <em>Frères +ennemis</em>, nous n'aurions jamais eu ni <em>Yphigénie</em> +(<em>sic</em>), ni <cite>Phèdre</cite>; et je repris la plume que la +critique m'avoit presque fait tomber des mains. +Je composai donc mon <cite>Baltazard</cite> après ma <cite>Bethsabée</cite>, +à qui je donnai un frère, comme M. de +Boissy l'a dit également du <em>Méchant</em> de M. Gresset. +J'apportai à Paris cette seconde production +de ma verve échauffée et de mon génie irrité +par les difficultés, bien résolu de la sacrifier, si +je ne me trouvois pas autant au-dessus de moi-même +que je le désirois, et que Racine et Corneille +s'étoient montrés supérieurs à eux-mêmes, +à mesure qu'ils se familiarisoient davantage +<span class="pagenum"><a id="Page_44"> 44</a></span> +avec le génie dramatique. Il ne s'agissoit plus +que de rencontrer des juges équitables qui +m'éclairassent ou sur ma médiocrité ou sur +mes progrès. Mais où trouver ces juges équitables +dans une ville fausse comme celle-ci, où +l'on semble prendre à tâche de décourager ceux +qui donnent quelque espérance? Heureusement, +un homme distingué par sa naissance, son +goût, sa probité, et surtout par l'accueil qu'il +daigne faire aux talents naissants, s'offrit à rassembler +chez lui cinq ou six des meilleurs +esprits, qui la jugeroient avec la dernière sévérité, +et qui m'apprendroient par le jugement +qu'ils en porteroient, celui que j'en devois +porter moi-même. L'avouerai-je? L'examen fut +sanglant, et je laissai mes critiques bien convaincus +qu'ils avoient rempli le projet, que +peut-être ils avoient formé, de me ramener à +des fonctions que je reconnaîtrai sans peine avec +eux très supérieures à l'occupation d'un poète, +ce poète fût-il plus grand que Racine et Corneille. +Mais je réfléchis sur leurs observations; +je vis bientôt qu'il n'y avoit aucune pièce au +monde sur laquelle on n'en pût faire d'aussi solides; +et je parvins à me démontrer évidemment +<span class="pagenum"><a id="Page_45"> 45</a></span> +que ma seconde tentative dramatique +m'avoit beaucoup mieux réussi que je n'aurois +osé le penser, sans le <em>suffrage</em> de tous mes +censeurs. Je dis le <em>suffrage</em>, car ce fut le véritable +jour sous lequel je ne tardai pas à voir leur critique. +Je me dis à moi-même: Comment! +Voilà donc à quoi se réduit tout ce que les +hommes de Paris, qui passent pour avoir le +plus d'esprit, trouvent de répréhensible dans +mon ouvrage? En vérité, il faut qu'il soit mieux +que bien: je ne risque donc rien à le publier; +et j'eus tout l'empressement que donne l'espoir +du succès, de le porter à mon imprimeur. C'est +donc à ces Messieurs plutôt encore qu'à moi +que le lecteur en doit la publicité... J'en vais +méditer une troisième. Je suis jeune, j'ai du +courage, et pour peu que je m'élève à chaque +essort (<em>sic</em>) que je prendrai, j'espère me voir +enfin à une hauteur suffisante pour contenter la +vanité d'un auteur qui n'en a pas beaucoup. +Ainsi soit-il!»</p> + +<hr class="tb" /> + +<p>Quoi qu'en dise Grimm, le curé de Montchauvet +trouva, nous le voyons, un imprimeur. +Sa pièce parut sous ce titre: <span class="smcap">Baltazar</span>, <em>tragédie</em>, +<span class="pagenum"><a id="Page_46"> 46</a></span> +<em>par M. l'abbé ***</em>. <em>Prix vingt-quatre sols</em>, 1755 +[sans lieu ni nom d'imprimeur].</p> + +<p>En lisant ce titre, on éprouve une certaine +surprise. On se rappelle que la tragédie de <cite>Bethsabée</cite> +se vendait (quand elle se vendait!) <em>trente-six +sous</em>. Puisque le curé de Montchauvet trouve la +tragédie de <cite>Baltazard</cite> supérieure à celle de +<cite>Bethsabée</cite>, comment se fait-il qu'il ne l'estime +que <em>vingt-quatre sous</em>?</p> + +<p>La troisième tragédie annoncée ne parut pas. +L'abbé Le Petit s'en tint à ses deux chefs-d'œuvre, +et il fit bien<a name="FNanchor_13" id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor"> [13]</a>.</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_13" id="Footnote_13" href="#FNanchor_13" class="label">[13]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_46_note_13">note 13</a></p></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_47"> 47</a></span></p> + +<div class="header"> +<h2><a name="APPENDICE" id="APPENDICE"></a>APPENDICE.</h2> +</div> + +<p><a name="Page_3_note_1" id="Page_3_note_1"></a><i>Page 3, note 1.</i></p> + +<p>Si invraisemblable que puisse paraître cette mystification +littéraire, je dois dire que je n'ai rien inventé: je me suis +contenté de suivre,—en l'arrangeant un peu,—le récit +que nous en ont laissé Grimm (<cite>Correspondance litt. philosoph. +et crit.</cite>, lettres du 1<sup>er</sup> mars, du 1<sup>er</sup> août et du 15 septembre +1755), et Fréron (<cite>Année litt.</cite> 1754, tome IV, +p. 307, et 1755, tome VIII, p. 342).</p> + +<p><a name="Page_3_note_2" id="Page_3_note_2"></a><i>Page 3, note 2.</i></p> + +<p>Montchauvet, aujourd'hui dans l'arrondissement de +Vire, canton de Bény-Bocage (Calvados).</p> + +<p><a name="Page_4_note_3" id="Page_4_note_3"></a><i>Page 4, note 3.</i></p> + +<p>Le curé de Montchauvet, la victime de Diderot et de +ses amis, se nommait, non pas Petit, comme l'appelle +Grimm, mais Le Petit. Grâce à l'obligeance de M. Lair, +instituteur à Montchauvet, qui a bien voulu me communiquer +les vieux registres conservés dans les archives de +la mairie, j'ai pu constater que l'abbé Le Petit (Jean-Baptiste) +a dû arriver à Montchauvet au mois d'avril 1751. +Le premier acte signé de lui, comme successeur du curé +<span class="pagenum"><a id="Page_48"> 48</a></span> +Moussard, est du 14 avril 1751. Deux fois seulement +(14 août et 15 septembre 1752), l'abbé Le Petit, assez +souvent appelé dans le corps des actes (baptêmes, mariages +ou inhumations), Le Petit Dequesnay ou de +Quesnay, a signé Le Petit Dequesnay. Partout ailleurs il +signe tout simplement Le Petit.</p> + +<p>Le dernier acte, non pas écrit, mais signé par le curé +Le Petit, d'une écriture tremblée, est un baptême en date +du 30 mai 1786.</p> + +<p>Devenu infirme, sans doute, il fut remplacé, de son +vivant, par son vicaire Lemarchand<a name="FNanchor_14" id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor"> [14]</a>. L'abbé Le Petit +mourut le 16 décembre 1788. Voici l'acte d'inhumation +du pauvre poète:</p> + +<div class="blockquote"> +<p>«Le dix-sept décembre 1788 a été par moi curé de +Montami soussigné inhumé dans le cimetière de Montchauvet +le corps de maistre Jean-Baptiste Le Petit ancien +curé de Montchauvet décédé d'hier âgé d'environ soixante-huit +ans présence de M<sup>rs</sup> le curé et vicaire actuels.</p> + +<p>(Ont signé) Lemarchand [curé], Jouenne [vicaire] et +G. Liot [curé de Montamy].</p> +</div> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_14" id="Footnote_14" href="#FNanchor_14" class="label">[14]</a> A partir du 30 mai 1786, les actes sont signés par Jouenne ou Le +Marchand, vicaires. Le premier acte que nous ayons trouvé, signé par Le +Marchand, <em>curé</em>, est du 9 janvier 1788; mais nous devons ajouter que le +registre de 1787 manque aux archives de Montchauvet.</p></div> + +<p>Jean-Baptiste Le Petit, âgé de 68 ans environ, quand +il mourut en 1788, a donc dû naître (où ??) vers 1720. +Il avait trente quatre ans lorsqu'il sentit s'éveiller son +génie poétique et qu'il vint lire, pour son malheur, à +Diderot et à ses amis, l'«immortelle» tragédie de <cite>David +et Bethsabée</cite>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_49"> 49</a></span> +D'après les signatures des vicaires Tourgis ou Duhamel, +que nous avons relevées au bas des actes des registres +paroissiaux de Montchauvet, et qui constatent l'absence +du curé, l'abbé Le Petit dut quitter ses sauvages bruyères +pour aller à Paris, vers la fin d'août 1753, et ne rentrer +dans son village qu'au mois d'avril 1754. Ces dates concordent +bien avec celles que donnent les lettres de Grimm.</p> + +<p>Le fait le plus saillant de la vie du curé de Montchauvet +est assurément sa lecture chez le baron d'Holbach; +mais je dois aussi rappeler qu'il eut à soutenir un long +procès contre Jacques-François Mercier, prieur commendataire +du prieuré royal du Plessis-Grimoult, chanoine de +la Sainte-Chapelle du Palais à Paris<a name="FNanchor_15" id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor"> [15]</a>. Ce procès, qui +dura au moins dix ans, fut gagné par le curé Le Petit, +non seulement devant le bailliage de Vire (3 juillet 1762), +mais encore devant le Parlement de Normandie (19 juin +1771). Le curé de Montchauvet réclamait contre le prieur +du Plessis-Grimoult «le tiers des dîmes de la paroisse et +la qualité de curé, au lieu de celle de vicaire perpétuel, +la seule qu'on voulût lui reconnaître.» Détail intéressant +et qui a été relevé par M. Ch. de Beaurepaire, le savant +archiviste de la Seine-Inférieure<a name="FNanchor_16" id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor"> [16]</a>, l'arrêt du Parlement +de Normandie qui termine le procès intenté par l'abbé +Le Petit au prieur du Plessis-Grimoult, nous apprend +qu'en une semblable circonstance, Bossuet, le grand +Bossuet, «malgré le droit de <i lang="la" xml:lang="la">committimus</i> dont il avait +<span class="pagenum"><a id="Page_50"> 50</a></span> +usé, malgré le recours à des juges certainement prévenus +en sa faveur», avait succombé, d'abord au bailliage de +Vire, en second lieu et définitivement aux Requêtes du +Palais à Paris, dans sa contestation avec Mathieu Roger, +curé de Montchauvet, un des prédécesseurs du curé Le +Petit.</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_15" id="Footnote_15" href="#FNanchor_15" class="label">[15]</a> La cure de Montchauvet dépendait du Prieuré du Plessis-Grimoult.</p></div> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_16" id="Footnote_16" href="#FNanchor_16" class="label">[16]</a> <cite>Bulletin historique et philologique</cite>, 1896. «Procès entre Bossuet, prieur +du Plessis-Grimoult, et le curé de Montchauvet en Normandie, en 1674.»</p></div> + +<p><a name="Page_4_note_4" id="Page_4_note_4"></a><i>Page 4, note 4.</i></p> + +<p>J'ajouterai «et le prieur du Plessis-Grimoult», car +Montchauvet était une des 39 cures (ou bénéfices) qui +dépendaient de ce prieuré.—Voir notre étude sur <cite>Bossuet +en Normandie</cite>, p. 43.</p> + +<p><a name="Page_5_note_5" id="Page_5_note_5"></a><i>Page 5, note 5.</i></p> + +<p>L'abbé Gilles Basset des Rosiers enseigna la philosophie +au collège d'Harcourt (aujourd'hui lycée St-Louis) +vers 1750. Il devint recteur de l'Université en 1779. +C'était un homme aimable, instruit, en relation avec les +écrivains les plus renommés. (Voir <span class="smcap">Bouquet</span>, <cite>L'ancien +collège d'Harcourt et le lycée Saint-Louis</cite>, p. 414.)</p> + +<p><a name="Page_10_note_6" id="Page_10_note_6"></a><i>Page 10, note 6.</i></p> + +<p>Grimm n'assistait pas à cette mémorable séance; sa +chaise de poste s'étant brisée à Soissons, il ne put arriver +à Paris que le lundi de carnaval. «C'est ce contre-temps, +nous dit-il, qui m'attira l'honneur d'être l'historien du +curé de Montchauvet.»</p> + +<p><a name="Page_13_note_7" id="Page_13_note_7"></a><i>Page 13, note 7.</i></p> + +<p>M. de la Condamine est bien connu par ses voyages +scientifiques et par ses <cite>Mémoires sur l'inoculation de la +petite vérole</cite>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_51"> 51</a></span> +Sa surdité donna lieu, lorsqu'il fut reçu à l'Académie +française (1760) au quatrain suivant. (On dit même +qu'il en est l'auteur).</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>La Condamine est aujourd'hui</p> +<p>Reçu dans la troupe immortelle:</p> +<p>Il est bien sourd, tant mieux pour lui,</p> +<p>Mais non muet, tant pis pour elle.</p> +</div></div> + +<p>Trois ans auparavant (1757),—n'étant plus de la première +jeunesse, puisqu'il était né en 1701,—il épousa +sa nièce. Le madrigal qu'il fit à sa jeune femme, pendant +la première nuit de ses noces, fit beaucoup d'honneur à +son esprit:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>D'Aurore et de Titon vous connaissez l'histoire.</p> +<p>Notre hymen en retrace aujourd'hui la mémoire;</p> +<p>Mais Titon de mon sort pourrait être jaloux.</p> +<p class="i1"> Que ses liens sont différents des nôtres!</p> +<p>L'Aurore entre ses bras vit vieillir son époux,</p> +<p class="i1"> Et je rajeunis dans les vôtres.</p> +</div></div> + +<p>Après avoir lu ce joli madrigal, M. de Luxemont, +secrétaire des commandements de M. le comte de Charolais, +envoya le huitain suivant à M. de la Condamine:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>D'Aurore et de Titon nous connaissons l'histoire.</p> +<p>L'infortuné vieillit où vous rajeunissez.</p> +<p>Vous le dites du moins, et pour nous c'est assez:</p> +<p>Véridique et modeste, il faut bien vous en croire;</p> +<p>Mais lorsque de l'Amour, dans le lit nuptial,</p> +<p>Vous empruntez la voix pour peindre sa puissance,</p> +<p>Ne peut-on soupçonner, sans vous faire une offense,</p> +<p>Qu'il n'y fit rien de mieux que votre madrigal?</p> +</div></div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_52"> 52</a></span> +Piqué au jeu, M. de la Condamine répondit:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Mon madrigal fut donc, à ce que vous pensez,</p> +<p>La nuit de mon hymen, ma plus grande prouesse?</p> +<p>Monsieur, sont-ce mes vers que vous applaudissez,</p> +<p> Ou pensez-vous déplorer ma faiblesse?</p> +<p>Hélas! dans mon printemps, pour tribut conjugal,</p> +<p> J'eusse achevé ma neuvaine à Cythère.</p> +<p>Aujourd'hui, moins fervent, pour me tirer d'affaire,</p> +<p>J'en remplis les deux tiers avec un madrigal.</p> +</div></div> + +<p>M. de Luxemont répliqua à son tour:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p class="i2"> Ce sont vos vers que j'applaudis,</p> +<p class="i2"> Sans déplorer votre faiblesse;</p> +<p class="i2"> L'Amour n'en est pas moins surpris</p> +<p class="i2"> Que l'objet de votre tendresse</p> +<p class="i2"> (Dont lui-même serait épris)</p> +<p>Ne vous ait pas rendu tel qu'en votre jeunesse.</p> +<p>Toutefois, n'en déplaise au dieu de l'Hélicon,</p> +<p class="i2"> Seul garant de cette neuvaine</p> +<p>Que commencent souvent, que finissent à peine</p> +<p class="i2"> Les vrais élus de Cupidon,</p> +<p>Tout homme sur ce point, dit le bon La Fontaine,</p> +<p class="i2"> Est d'ordinaire un peu gascon;</p> +<p class="i2"> Et l'on croit qu'il avait raison.</p> +<p>Mais pour n'être jamais contredit de personne,</p> +<p>Rimez toujours, rimez: vos vers vainqueurs du Temps,</p> +<p>Prouvent qu'en vos pareils les fruits de leur automne</p> +<p>Conservent la saveur de ceux de leur printemps.</p> +</div></div> + +<p>Si l'abbé Basset a envoyé ces agréables jeux d'esprit au +curé de Montchauvet, l'auteur de <cite>Baltazar</cite> a dû se dire: +«Je comprends que ce M. de la Condamine n'ait pas +voulu écouter mes vers; ce n'est pas un poète sérieux.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_53"> 53</a></span> +<a name="Page_17_note_8" id="Page_17_note_8"></a><i>Page 17, note 8.</i></p> + +<p>Le curé tint compte de l'observation. On lit (acte III, +sc. 3):</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Le temps vous vengera des soupirs <em>superflus</em>,</p> +<p>Et je sçauray moi-même enfin n'y songer plus.</p> +</div></div> + +<p><a name="Page_21_note_9" id="Page_21_note_9"></a><i>Page 21, note 9.</i></p> + +<p>C'est l'année suivante (dans l'<cite>Orphelin de la Chine</cite>, de +Voltaire) que M<sup>lle</sup> Clairon et les artistes du Théâtre +Français renoncèrent à jouer avec paniers.</p> + +<p>C'est aussi à cette date (1755) que le marquis de +Ximenès se brouilla avec M<sup>lle</sup> Clairon. La grande actrice +lui redemanda son portrait, et le marquis eut le mauvais +goût de le lui renvoyer, avec ce quatrain... cruel:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Tout s'use, tout périt; tu le prouves, Clairon.</p> +<p class="i1"> Ce pastel, dont tu m'as fait don,</p> +<p class="i1"> Du temps a ressenti l'outrage:</p> +<p class="i1"> Il t'en ressemble davantage.</p> +</div></div> + +<p><a name="Page_29_note_10" id="Page_29_note_10"></a><i>Page 29, note 10.</i></p> + +<p>Le curé de Montchauvet n'est pas difficile. Sa tragédie +est très mal imprimée; il y a deux grandes pages de +<em>fautes à corriger</em>.</p> + +<p><a name="Page_29_note_11" id="Page_29_note_11"></a><i>Page 29, note 11.</i></p> + +<p>M. et M<sup>me</sup> Fréron ne furent guère sensibles à cette +générosité, car dans l'<cite>Année littéraire</cite> de 1754 (tome IV), +le curé et sa tragédie sont arrangés de la belle façon.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_54"> 54</a></span> +<a name="Page_34_note_12" id="Page_34_note_12"></a><i>Page 34, note 12.</i></p> + +<p>M. de Margency ne faisait pas que des vers burlesques. +Voici une chanson, citée par Grimm (15 novembre 1757), +qui nous prouve qu'il avait, quand il le voulait, l'esprit +aussi ingénieux que délicat.</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>J'entends dans ces forêts</p> +<p>Gémir la tourterelle;</p> +<p>Hélas! si je voulais,</p> +<p>Je me plaindrais comme elle.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Notre sort est égal;</p> +<p>L'amour seul fait sa peine:</p> +<p>Chez moi c'est même mal,</p> +<p>L'amour cause la mienne.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Ce qui fait nos douleurs,</p> +<p>Ce n'est pas l'inconstance;</p> +<p>Mais l'on verse des pleurs</p> +<p>De même pour l'absence.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Un cœur qui n'aime rien</p> +<p>N'a point de ces alarmes,</p> +<p>C'est pourtant un grand bien</p> +<p>De répandre des larmes.</p> +</div></div> + +<p><a name="Page_46_note_13" id="Page_46_note_13"></a><i>Page 46, note 13.</i></p> + +<p>Cette étude a déjà paru dans la <cite>Nouvelle Revue</cite>, 4<sup>e</sup> année, +tome XIX, 1<sup>re</sup> livraison, 1<sup>er</sup> mars 1882, pages 117 +et suivantes.</p> + +<p>—Dans la première livraison de la <cite>Revue franco-américaine</cite> +(juin 1894), Alphonse Daudet a consacré deux +pages à l'abbé Le Petit, qu'il appelle «un raté littéraire +au XVIII<sup>e</sup> siècle».</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_55"> 55</a></span> +—Les deux tragédies de <cite>David et Bethsabée</cite> et de <cite>Baltazard</cite> +sont devenues excessivement rares. J'ai pu acheter la première +à la vente du baron Taylor.—Elles se trouvent à +la Bibliothèque de Caen, C<sup>h</sup> 5/4. <cite>Baltazard</cite> se morfond, +très peu lu, à la Bibliothèque de Vire. «Nul n'est prophète +en son pays.»</p> + +<hr class="tb" /> + +<p>La paroisse de Montchauvet a connu un autre curé-poète +de la même force que l'abbé Le Petit.</p> + +<p>En 1828, le curé Laumonier fit paraître<a name="FNanchor_17" id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor"> [17]</a>: <cite>L'oraison +funèbre ou complainte sur le renversement d'un très bel if qui +a existé dans le cimetière de Montchauvet jusqu'à l'éradication +qui en fut faite le 12 janvier 1828</cite>. (Ouf, quel titre!).</p> + +<div><p class="i2"><a name="Footnote_17" id="Footnote_17" href="#FNanchor_17" class="label">[17]</a> A Vire, chez Adam, imprimeur du roi. L'abbé Laumonnier avait +déguisé son nom sous l'anagramme de <span class="smcap">Numa Leroi</span>.</p></div> + +<p>Voici quelques couplets de cette complainte:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Ici vivait depuis mille ans,</p> +<p>A quelques pas du sanctuaire,</p> +<p>Athlète contre les autans,</p> +<p>Un If,... un arbre tutélaire.</p> +<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Il était l'arbre du pays,</p> +<p>L'expression n'est pas outrée,</p> +<p>Où s'assembloient le plus d'amis,</p> +<p>D'enfans... de toute la contrée.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Il était aussi le plus beau</p> +<p>Qui fût connu du voisinage:</p> +<p>Là s'unissaient près du tombeau</p> +<p>L'enfance avec le moyen âge.</p> +</div> +<div class="stanza"> +<div><span class="pagenum"><a id="Page_56"> 56</a></span></div> +<p>Il aurait pu rester debout:</p> +<p>C'était l'avis du commissaire...</p> +<p>Mille ans n'auraient pas vu le bout</p> +<p>De sa présence salutaire.</p> +<p><i>. . . . . . . . . . . . . . . . .</i></p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>De la demeure funéraire</p> +<p>Il était le triste ornement.</p> +<p>Faut-il qu'un désir de déplaire</p> +<p>Ait causé son renversement?</p> +</div> +<div class="stanza"> +<p>Il me servait de paravent</p> +<p>Quand j'allais à la sacristie;</p> +<p>Il me saluait en passant,</p> +<p>Me protégeant à la sortie.</p> +<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p> +</div></div> + +<p>«La fin couronne l'œuvre», c'est le cas de le dire:</p> + +<div class="poetry"><div class="stanza"> +<p>Adieu bel arbre, adieu bel If...</p> +<p>Adieu, ton tronc, ta forte branche;</p> +<p>En dépit de mon cri plaintif,</p> +<p>Tu meurs la veille d'un dimanche.</p> +</div></div> + +<p>«Au haut des cieux, <em>leur demeure dernière</em>», (du +moins j'aime à le supposer), les deux curés de Montchauvet, +Le Petit et Laumonier, doivent rimailler de +conserve et maudire les méchants critiques, qui «tâchent +de décourager ceux qui donnent quelque espérance».</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_57"> 57</a></span></p> + +<p class="end">IMPRIMERIE HENRI DELESQUES, A CAEN</p> + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of Project Gutenberg's Diderot et le Curé de Montchauvet, by Armand Gasté + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DIDEROT ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET *** + +***** This file should be named 44723-h.htm or 44723-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/7/2/44723/ + +Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by The Internet Archive/Canadian Libraries) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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