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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-14 18:55:55 -0700
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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44723 ***
+
+Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le
+typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée
+et n'a pas été harmonisée.
+
+
+
+
+ DIDEROT
+ ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET
+
+
+
+
+ Armand Gasté
+
+ DIDEROT
+ ET LE
+ CURÉ DE MONTCHAUVET
+
+ --UNE MYSTIFICATION LITTÉRAIRE CHEZ
+ LE BARON D'HOLBACH, 1754--
+
+ [Illustration]
+
+ PARIS
+ ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
+ _23-31, passage Choiseul, 23-31_
+
+ M. DCCC. XCVIII
+
+
+
+
+DIDEROT
+
+ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET[1]
+
+
+Au milieu du XVIIIe siècle vivait, ou plutôt végétait tristement dans
+l'humble presbytère de Montchauvet, en plein Bocage normand[2], un
+curé poète qui doit aux Encyclopédistes l'immortalité du ridicule, et
+dont les vers extravagants furent,--qui le croirait?--une des causes
+de la rupture de Jean-Jacques Rousseau avec ses bons amis, les
+Philosophes.
+
+ [1] Voir à l'_Appendice_.
+
+ [2] _Ibid._
+
+
+
+I
+
+
+L'abbé Le Petit[3],--c'est le nom de notre curé,--s'ennuyait à mourir
+dans le village où l'avait enterré son évêque[4]. Il avait beau monter
+sur les âpres rochers qui dominent le presbytère et interroger
+l'horizon, il ne voyait venir personne qui fût digne de le comprendre
+et sût goûter les vers qu'il composait dans sa morne solitude. Et
+laissant tomber ses regards sur les masures de ses paroissiens: «Ici,
+il n'y a que moi d'homme d'esprit, se disait-il. Point de société!...
+Pour toute ressource, le magister, c'est-à-dire un paysan habillé de
+noir!»
+
+ [3] Voir à l'_Appendice_.
+
+ [4] _Ibid._
+
+Un beau jour, l'abbé Le Petit, n'y pouvant plus tenir, boucla sa
+valise et partit pour Paris. A Paris, en effet, il trouverait un de
+ses anciens camarades de séminaire, l'abbé Basset[5], professeur de
+philosophie au collège d'Harcourt. L'abbé Basset avait de belles
+relations: il procurerait certainement un éditeur à son confrère.
+L'éditeur trouvé, le livre prôné par les gazettes s'enlevait en un
+clin d'œil; les salons se disputaient l'illustre compatriote de
+Malherbe et de Pierre Corneille; et qui sait? l'Académie ne se faisait
+pas trop prier pour lui offrir un de ses quarante fauteuils.
+
+ [5] _Ibid._
+
+Tels étaient les beaux rêves que le curé de Montchauvet confiait à
+l'abbé Basset, et que celui-ci, en se promenant avec lui, au
+Luxembourg, par une belle matinée d'hiver, écoutait d'une oreille trop
+indulgente.
+
+Au détour d'une allée, on rencontre Diderot. Diderot, qui demeurait à
+quelques pas de là, sur la hauteur d'où il avait tiré son surnom de
+_Philosophe de la Montagne_, aimait à se promener le matin au
+Luxembourg. L'abbé Basset, qui était fort lié avec lui, connaissait
+ses habitudes. Ce n'était pas sans intention, peut-être, qu'il
+conduisit, ce jour-là, sur le chemin du philosophe, le curé de
+Montchauvet, avide de connaître les grands esprits du siècle, avide
+surtout d'en être connu. L'abbé Basset présente son ami à Diderot. Le
+curé nage dans la joie; il pâlit d'aise, et son nez,--un nez
+extrêmement long, dit la chronique,--est dans un mouvement perpétuel.
+La conversation est bientôt liée. L'abbé Le Petit raconte d'un trait
+ses infortunes: «Je m'étiolais à Montchauvet, le plus triste lieu du
+monde; mes talents y étaient enfouis. Mais, Dieu merci! j'en suis
+hors, et je me réjouis, monsieur, d'avoir fait connaissance avec un
+homme de votre réputation, afin de vous demander votre avis.
+
+--Mon avis, dit le philosophe, et sur quoi, monsieur l'abbé?
+
+--Sur un madrigal de sept cents vers, que j'ai fait dernièrement.
+
+--Un madrigal de sept cents vers! Et sur quel sujet, je vous prie?
+
+--Voici la chose, dit le curé en souriant d'un air malin: mon valet a
+eu le malheur de faire un enfant à ma servante, et cela m'a donné un
+assez beau champ, comme vous allez voir.
+
+Et, disant cela, il tire de la poche de sa soutane un grand cahier de
+papier. Diderot recule épouvanté; puis se ravisant:
+
+--Monsieur le curé, dit-il, je vous trouve bien blâmable d'employer
+vos loisirs à de pareils sujets.
+
+L'abbé Le Petit commençait à rougir de colère; son nez s'agitait,
+menaçant...
+
+--Quand on a un génie aussi sûr que le vôtre, poursuivit Diderot, on
+doit faire des tragédies, et non pas s'amuser à des madrigaux.
+
+Le curé de Montchauvet, agréablement flatté de ce compliment
+inattendu, devint radieux: ses yeux brillaient d'un éclat
+inaccoutumé, son grand nez se dilatait pour mieux aspirer l'encens.
+Il voulait remercier Diderot; celui-ci ne lui en laissa pas le
+temps:--Permettez-moi de vous dire que je n'écouterai pas un seul vers
+de votre façon, avant que vous ne nous ayez apporté une
+tragédie.--Vous avez raison, répliqua le curé;.... je suis trop
+timide. Puis, remettant dans la vaste poche de sa soutane son long
+poème, il salua poliment Diderot. Le philosophe, en s'en allant,
+échangea avec l'abbé Basset un sourire que le bon curé n'aperçut pas,
+ou dont il ne comprit pas la signification.
+
+C'était un sourire de contentement. Diderot s'était débarrassé du même
+coup, (il le croyait du moins), d'un madrigal de sept cents vers et
+d'un importun.
+
+Quelques mois se passent. Diderot, bien tranquille dans son cabinet,
+travaillait, sans doute à ses _Pensées sur l'interprétation de la
+nature_, lorsque, sans se faire annoncer, l'abbé Le Petit se présente
+avec un énorme manuscrit sous le bras. Qu'on juge de la surprise de
+Diderot.--Comment, monsieur le curé, c'est bien vous que je vois! Je
+vous croyais depuis longtemps en Normandie.--On ne peut vivre qu'à
+Paris, monsieur; j'y suis donc resté, et, suivant vos conseils, je me
+suis mis avec ardeur au travail. Je vous apporte...--Encore un
+madrigal? s'écria Diderot; non, monsieur le curé, vous savez nos
+conventions. Je n'écoute pas un vers de vous, que vous ne m'ayez
+apporté une tragédie.--C'est justement...--Quoi! C'est une
+tragédie?--Oui, monsieur, _David et Bethsabée_....
+
+Diderot faillit tomber à la renverse.
+
+--Avez-vous le loisir de m'écouter? poursuivit l'abbé, impitoyable.
+
+Il n'y avait pas à reculer, il fallait bien essuyer cette lecture.
+
+--Monsieur le curé, répondit le philosophe, que diriez-vous si,
+dimanche, je vous présentais à nos amis, et si je vous donnais pour
+juges les plus grands esprits dont notre siècle s'honore?... Allons,
+c'est entendu, je vous mènerai dans le salon de M. le baron d'Holbach.
+Vous y entrerez inconnu; mais, je vous le jure, vous en sortirez
+célèbre.
+
+--Monsieur, balbutia l'abbé, que de grâces...
+
+--Trève de compliments! C'est moi qui suis votre obligé. Ne pas
+produire au grand jour un poète de votre force, mais ce serait un
+crime!... Allons, adieu, monsieur le curé, ou plutôt, au revoir... A
+dimanche! Je vous attends chez moi.
+
+Le curé fut exact au rendez-vous. Diderot avait prévenu ses amis, les
+Encyclopédistes. On sait que le baron d'Holbach les recevait à dîner
+deux fois par semaine, ce qui le faisait appeler par l'abbé Galiani
+«_le maître d'hôtel de la philosophie_».
+
+Ce jour-là--c'était justement le dimanche gras--les convives du baron
+d'Holbach étaient quinze à vingt. Dans le riche cabinet, où le
+richissime philosophe venait de faire placer sa récente acquisition,
+la _Chienne allaitant ses petits_, un des chefs-d'œuvre du peintre
+Oudry, on voyait réunis, sans compter Diderot et le maître de la
+maison, J.-J. Rousseau, d'Alembert, Duclos, Marmontel, Helvétius, de
+Jaucourt, Raynal, Morellet, de la Condamine, M. de Gauffecourt, M. de
+Margency, etc.[6].
+
+ [6] Voir à l'_Appendice_.
+
+Le curé de Montchauvet est introduit. On lui fait fête; on l'invite à
+s'asseoir. Il promène ses regards de tous côtés: il ne voit que des
+visages riants; cela l'encourage. Pourtant, il aperçoit dans un coin
+du salon une figure renfrognée. C'était J.-J. Rousseau, qui flairait
+une mystification, et qui, avec sa probité à toute épreuve, était
+résolu à faire le rôle d'honnête homme.--C'est un jaloux, se dit
+l'abbé; mais qu'importe?... Et il déroule lentement son
+manuscrit.--D'abord, messieurs, leur dit-il, je dois vous lire
+l'épître que je me permets d'adresser à Madame de Pompadour.
+
+Cette épître commençait par un vers assez singulier:
+
+ Rentrez dans le néant, race de mendiants...
+
+C'était pour flétrir les poètes qui font des dédicaces en vue de
+gagner de l'argent.--Oh! oh! Monsieur le curé, lui dit-on de toutes
+parts, l'épithète n'est-elle pas un peu violente?--Non, messieurs,
+
+ Point d'enfant d'Apollon, s'il ne rime gratis.
+
+Et, continuant sa lecture, il déclame avec emphase ces deux vers:
+
+ Tout ainsi comme Icare, parcourant la lumière,
+ Dans un rayon brûlant vit fondre sa carrière...
+
+--Voilà, lui dit Marmontel, un vers admirable! mais ces sortes de vers
+doivent être bien difficiles à trouver.--Cela est vrai, répondit le
+curé en pâlissant de joie et de vanité; mais aussi est-on bien content
+quand on a trouvé.
+
+L'épître finie, le curé, avant de commencer la lecture de sa tragédie,
+pria la société de lui permettre d'exposer rapidement sa théorie du
+poème dramatique. Corneille l'a fait, ajouta-t-il: compatriote de
+Corneille, ne puis-je pas faire comme lui?--Sans aucun doute, monsieur
+l'abbé, s'écrièrent en chœur tous les convives.--Vils flatteurs,
+murmurait dans son coin le citoyen de Genève.--Ma théorie est bien
+simple, messieurs. Donnez-moi un sujet quelconque.
+
+--_Balthazar_, dit une voix.
+
+--_Balthazar_, soit! Eh bien! vous savez, messieurs, que, pendant le
+souper de ce roi impie, on vit une main écrire sur les murs les mots:
+_Mané, Thécel, Pharès_. Il s'agit donc de savoir si le roi soupera ou
+non; car, s'il ne soupe pas, la main n'écrira pas. Or je n'ai qu'à
+inventer deux acteurs. Le premier veut que le roi soupe, le second ne
+le veut pas, et cela alternativement. Si moi, poète tragique, je veux
+que le roi soupe, celui-là parlera le premier. Ainsi:
+
+Ier acte: _Le roi soupera_;
+
+2e acte: _Il ne soupera pas_;
+
+3e acte: _Il soupera_;
+
+4e acte: _Il ne soupera pas_;
+
+5e acte: _Il soupera_.
+
+Si, au contraire, je ne veux pas que le roi soupe, voici quel sera mon
+plan:
+
+Ier acte: _Il ne soupera pas_;
+
+2e acte: _Il soupera_;
+
+3e acte: _Il ne soupera pas_;
+
+4e acte: _Il soupera_;
+
+5e acte: _Il ne soupera pas_.
+
+Voilà, messieurs, tout le mystère.
+
+Un murmure approbateur accueillit ces paroles. Le poète commença alors
+la lecture de sa tragédie. Tous les philosophes, rangés en cercle,
+écoutaient attentivement. M. de la Condamine, entre autres, avait tiré
+le coton de ses oreilles pour mieux entendre[7]; mais, dès la première
+scène, sa patience était à bout. Dans la seconde, David paraît; il se
+plaint que l'amour le tourmente jour et nuit et l'empêche de dormir.
+Il a cependant de quoi s'occuper; il a de nouveaux ennemis, dit-il:
+
+ Quatre rois, vive Dieu! ci-devant mes amis...
+
+ [7] Voir à l'_Appendice_.
+
+--_Vive Dieu_! s'écria M. de la Condamine, et pourquoi pas _Ventre
+Dieu_? Et, remettant le coton dans ses oreilles, il sortit
+brusquement.
+
+--Voilà, dit le curé froidement, un homme qui ne sait pas que _Vive
+Dieu_! est le serment des Hébreux.
+
+Ces quatre rois, «ci-devant les amis» de David, ont embrassé la
+querelle du barbare Hanon...
+
+A ce mot malencontreux, cinq ou six auditeurs se récrient.
+
+--Ah! messieurs, dit le curé d'un air de profonde pitié, ce nom sonne
+mal à vos oreilles, apparemment à cause de la ridicule équivoque de
+celui d'_ânon_, animal si connu et si commun. Pour moi, je pense qu'un
+nom, par lui-même, n'a rien qui doive offenser. L'Écriture s'en est
+servie; elle a bien les oreilles aussi délicates que les nôtres.
+
+--Mais, lui dit Duclos, ajoutez une lettre à ce nom, et l'équivoque
+cessera.
+
+--Monsieur, répartit le curé, vous voulez sans doute que je fasse de
+ce personnage un Carthaginois?
+
+Dans un autre endroit, Bethsabée, pressée par David «de le rendre
+heureux», veut le piquer d'honneur, et lui rappelant ses grandes
+actions passées, elle dit:
+
+ Vous sûtes arracher Saül à ses furies,
+ Où ce prince, vainqueur de mille incirconcis,
+ Frémissait que David en eût dix mille occis.
+
+--Ah! Dieu! quels vers! s'écria le citoyen de Genève; et pourquoi
+_occis_? pourquoi pas _tués_?
+
+--Je pourrais, riposta sèchement le curé, vous répondre que _tués_ ne
+rime pas à _incirconcis_; mais apparemment que vous imaginez que _tué_
+et _occis_ sont des synonymes. Apprenez, monsieur, que cela n'est pas.
+On dit tous les jours: Cet homme me _tue_ par ses discours, et l'on
+n'en est pas _occis_ pour cela.
+
+--J'avoue, reprit le citoyen, qu'il doit être fort fâcheux d'être
+_occis_; mais je ne me soucierais pas même d'être _tué_.
+
+Le curé de Montchauvet poursuivit sa lecture, sans s'arrêter plus
+qu'il ne convenait à cette misérable querelle de mots.
+
+Arrivé à un passage où il faisait rimer _angoisse_ et _tristesse_,
+Rousseau l'interrompit de nouveau:
+
+--_Angoisse_ et _tristesse_ ne riment pas; vous êtes trop hardi,
+monsieur le curé.
+
+--Trop hardi, monsieur? Cette rime est neuve; voilà tout.
+
+--Dites étrange, monsieur le curé.
+
+--Étrange, monsieur? Mais, vous, savez-vous bien ce que c'est que la
+rime?
+
+--J'ose le croire, monsieur le curé.
+
+--On ne s'en douterait guère, et...
+
+La dispute allait s'envenimer: un geste de d'Holbach rétablit la paix.
+
+--Continuez, dit-il au curé de Montchauvet, nous vous écoutons.
+
+Vers le milieu du deuxième acte, Bethsabée dit à sa confidente:
+
+ Le roi ne m'offre plus que d'_innocentes_ charmes.
+
+--Pardon, monsieur le curé, interrompit un des auditeurs, _charme_ est
+du masculin.
+
+--Ah! vous le prenez comme cela, messieurs, répondit l'abbé; eh bien,
+dans la scène suivante, vous le trouverez masculin; j'ai tâché de
+contenter tout le monde.
+
+Plus loin, il faisait rimer _superflu_ et _plus_.
+
+--Cette rime n'est pas exacte, dit Marmontel.
+
+--Ah! vraiment; et pourquoi cela?
+
+--C'est que _superflu_, étant au singulier, n'a point d's, et par
+conséquent ne peut rimer avec _plus_.
+
+Point d'_s_, reprit vivement le curé en mettant son manuscrit sous le
+nez de Marmontel, point d'_s_! Mais je vous prie de remarquer,
+monsieur, que j'en ai mis une[8].
+
+ [8] Voir à l'_Appendice_.
+
+Et il continua intrépidement sa lecture.
+
+On lui avait fait croire que M. de Margency était un poète de
+profession, et qu'il aurait en lui un dangereux concurrent. Il n'est
+sorte de bassesse que ne lui fit le curé de Montchauvet. M. de
+Margency, comme on en était convenu auparavant, se fit le champion à
+outrance du poète bas-normand. Aussi, c'était vers lui qu'il se
+tournait de préférence.
+
+Au milieu d'une des plus pompeuses tirades, il entend un léger bruit.
+C'était M. de Gauffecourt qui riait tout bas dans ses mains.
+
+--Vous riez, monsieur, lui dit le curé du ton dont il aurait
+apostrophé un bambin au catéchisme?
+
+--Non, monsieur, répondit M. de Gauffecourt avec un grand sérieux; je
+n'ai ri de ma vie.
+
+On arrive, sans autre incident, au quatrième acte. Tout le monde se
+lève. On prie le curé de Montchauvet d'arrêter là sa lecture. Il doit
+être épuisé de fatigue; on lui donnera une nouvelle séance pour
+achever sa tragédie; on n'en veut pas perdre un seul vers.
+
+Chacun s'empresse autour de lui, et lui serre les mains: «Vous
+surpassez Racine, et vous égalez Corneille!»
+
+Le curé absorbe avec intrépidité ces louanges ironiques; il se
+rengorge; son nez s'agite, se dilate de plus en plus. Tout à coup,
+J.-J. Rousseau se précipite vers lui, lui arrache son manuscrit et le
+jette à terre:
+
+--Votre tragédie est absurde, mon cher curé; ces messieurs,--vous ne
+le voyez donc pas?--se moquent de vous. Retournez vicarier dans votre
+village.
+
+L'abbé, rouge de colère, fond sur Rousseau; en vrai poète tragique, il
+veut l'_occire_. On sépare à grand'peine les deux combattants.
+Rousseau sort furieux, pour ne plus remettre les pieds chez le baron
+d'Holbach. On arrête le curé, qui le menace du poing et veut courir
+après lui dans la rue. On réussit à le calmer un peu, en lui peignant
+Rousseau comme un poète jaloux de sa gloire naissante.
+
+On peut bien penser que Diderot ne fut pas l'un des moins empressés à
+verser du baume sur la blessure faite par Rousseau à la vanité du
+poète.
+
+--Votre pièce est excellente, monsieur le curé, lui dit-il; je m'y
+connais: elle aura le plus grand succès au théâtre, si toutefois vous
+y apportez quelques modifications que je crois indispensables... Me
+permettez-vous, monsieur le curé, de vous faire une légère critique?
+
+--Parlez, monsieur, dit le curé, pris par le ton bienveillant que
+Diderot donnait à ses paroles. Je ne puis recevoir que des conseils
+judicieux d'un esprit aussi éminent.
+
+--Eh bien, monsieur l'abbé, puisque vous m'autorisez à vous dire toute
+ma pensée, je vous avouerai que votre pièce ne me semble pas assez
+chargée d'incidents; que la plupart des incidents ne se passant pas
+sur la scène, je trouve,--excusez ma franchise,--la scène un peu trop
+muette. Il est vrai que votre pièce est une pièce sainte; mais ce n'en
+est pas moins un défaut, à mon humble avis.
+
+Tout le monde s'attendait à une explosion de colère; il n'en fut rien.
+Le curé répondit d'un air suffisant:
+
+--Je l'avais senti, monsieur, mais je n'ai pu faire autrement;
+d'ailleurs, ces sortes de pièces sont sujettes à ce défaut...
+Toutefois, vous conviendrez avec moi que j'ai suppléé à la sécheresse
+des récitatifs par une versification assez heureuse.
+
+--Cela est vrai, dit M. de Margency, celui des auditeurs qui s'était
+fait le champion du curé. A mon tour, ajouta-t-il, je reprendrai
+l'objection faite par M. Diderot, et je demanderai à monsieur le curé
+pourquoi il n'a pas placé sur la scène la baignoire de Bethsabée? Son
+récit est plein de beaux vers, je le proclame bien haut, mais Horace a
+dit:
+
+ _Segnius irritant animos demissa per aurem
+ Quant quæ sunt oculis subjecta fidelibus, et quæ
+ Ipse sibi tradit spectator._
+
+--Sans doute, monsieur; mais Horace n'ajoute-t-il pas:
+
+ _Non tamen intus
+ Digna geri promes in scenam; multaque tolles
+ Ex oculis, quæ mox narret facundia præsens..._
+
+--Je suis battu, dit M. de Margency.
+
+Puis, se tournant vers ses amis:
+
+--Quoi qu'en dise Horace, messieurs, ne regrettez-vous pas, comme moi
+que M. le curé n'ait pu mettre sur la scène la baignoire de Bethsabée?
+Vive Dieu! comme Mlle Clairon...[9]
+
+ [9] Voir à l'_Appendice_.
+
+--Pardon, monsieur, interrompit le curé, la rougeur au front; mais
+vous oubliez que ma tragédie est une tragédie sainte, et que rien n'y
+doit offenser les oreilles ou les yeux des spectateurs chrétiens.
+
+--_Omnia sancta sanctis_, monsieur le curé; je tiens à la baignoire.
+Et vous, messieurs?
+
+--Oui, oui, il nous faut la baignoire, s'écrièrent ensemble les
+convives de d'Holbach.
+
+--Messieurs, je ne puis vous l'accorder. N'insistez pas, je vous prie.
+
+--Nous respectons vos scrupules, dit M. de Margency; qu'il soit fait
+selon votre désir... Mais, poursuivit-il, qu'il me soit permis, avant
+de nous séparer, d'ajouter un mot encore...
+
+Le curé dressa l'oreille.
+
+--Vous êtes du pays du grand Corneille, monsieur le curé; nous ne le
+saurions pas, que votre style nous l'aurait bien vite appris. Comment
+avez-vous fait pour arriver du premier coup à cette mâle vigueur,
+dont l'auteur de _Polyeucte_ et vous avez seuls le secret?
+
+--Messieurs, répondit l'abbé, si mon style a quelque ressemblance avec
+celui de Corneille, je le dois à la lecture approfondie que j'ai faite
+de ce grand poète; mais qu'on ne m'accuse d'aucun plagiat: j'affirme
+solennellement que mon style est à moi, et bien à moi... Je vois,
+monsieur, continua le curé, en s'approchant de M. de Margency, que
+vous êtes, comme on dit, un homme du métier, et je ne doute pas que
+vos pièces n'aient obtenu sur la scène un légitime succès.
+
+--Monsieur le curé, dit de Margency, mes amis veulent bien m'accorder
+quelque talent; mais, malgré leurs conseils, je dirai plus, malgré
+leurs instantes prières, je n'ai jamais consenti à laisser jouer mes
+pièces. Vous l'avouerai-je, monsieur le curé? j'ai peur...
+
+--Et de quoi, monsieur, je vous prie?
+
+--D'être sifflé.
+
+Puis, faisant un geste tragique: je crois que j'en mourrais!
+
+--Mon ami, lui dit Diderot, ayez plus de confiance en vous-même.
+Osez, et je vous prédis le succès, comme je le prédis à M. le curé de
+Montchauvet.
+
+--Ne me comparez pas, je vous prie, avec le rival de Pierre Corneille!
+
+--Que du moins son exemple vous enflamme, et, puisque vous travaillez
+actuellement à une tragédie de _Nabuchodonosor_, soumettez-la au
+jugement de M. le curé... Puis, s'adressant à l'abbé: Si nous osions,
+monsieur, vous prier de traiter le même sujet, voudriez-vous nous
+refuser, dans l'intérêt de notre ami qui brûle de marcher sur vos
+traces?
+
+--Monsieur, dit d'Holbach qui, pendant toute cette scène, avait gardé
+le plus grand sérieux, mes amis et moi nous vous attendons dimanche
+prochain. Vous achèverez la lecture de votre tragédie, et vous nous
+lirez, n'est-ce pas? la première scène de _Nabuchodonosor_; c'est un
+sujet extrêmement difficile et délicat. Nous ne doutons nullement que
+vous ne vous en tiriez avec l'habileté dont vous avez fait preuve dans
+votre tragédie de _Bethsabée_. Pour vous, dit d'Holbach à de Margency,
+vous saurez dimanche si vous devez affronter la scène ou brûler vos
+manuscrits. Vous connaissez notre franchise. Nous vous promettons un
+jugement sincère. A dimanche donc, monsieur le curé!
+
+Le curé promit de se rendre à cette aimable invitation.
+
+On se sépara. La vanité du curé de Montchauvet était aussi énorme que
+son talent était mince; aussi était-il loin de se douter qu'il venait
+de servir de bouffon aux convives habituels du baron d'Holbach.
+Cependant, malgré le plaisir que lui avaient causé les éloges de
+Diderot, de d'Holbach et de Margency, il était mécontent: il aurait
+voulu plus d'éloges encore; et il était indigné que l'on ne se fût pas
+montré plus sévère à l'égard de cet impertinent de Rousseau.
+
+Le lendemain, il rencontra M. de Margency et se plaignit beaucoup.--Si
+je fréquentais ces messieurs, lui dit-il, je finirais par soupçonner
+mes vers d'être plats: cependant, je suis bien sûr du contraire; et
+ils n'ont qu'à examiner leurs observations avec autant de sévérité que
+ma tragédie, ils verront ce qu'il y aura plat. Au demeurant, ce n'est
+pas que leur critique m'effraie: je ne tiens pas à ma pièce en auteur
+servile; j'en ai fait chaque vers triple, et je puis, comme vous
+voyez, sacrifier tout ce qu'on veut, sans que j'en sois plus mal à mon
+aise.
+
+M. de Margency l'assura fort qu'il avait laissé la société dans une
+grande admiration de ses talents; mais il n'en voulut rien croire: «Je
+les ai vus rire souvent pendant la lecture, répondit-il, et on ne rit
+pas dans une tragédie, quand on est de bonne foi... Enfin, je vois ce
+que c'est. Ces messieurs redoutent les ouvrages d'une certaine trempe
+et qui pourraient fixer l'attention du public, ils n'ont que leur
+_Encyclopédie_ dans la tête: ils craignent que mes succès ne fassent
+tort aux leurs. Mais le public saura bien rendre justice à chacun.»
+
+
+
+
+II
+
+
+C'est dans ces sentiments que le curé de Montchauvet reprit, trois
+jours après cette mémorable séance, le chemin de la basse Normandie.
+Pour se consoler de l'injustice des Philosophes, il fit imprimer à
+Rouen sa tragédie, qui parut sous ce titre: _David et Bethsabée_,
+tragédie par M. l'abbé ***. Prix, 36 sols.--A Londres [Rouen], aux
+dépens de la Compagnie, 1754.
+
+Lorsque l'imprimeur lui eut envoyé son ballot, l'abbé prit la plume et
+adressa à l'abbé Basset une longue lettre, que celui-ci s'empressa de
+communiquer à Diderot et que le philosophe lut à ses amis. En voici
+quelques extraits:
+
+ «De Montchauvet.
+
+«Je suis parti, monsieur et cher abbé, plein du souvenir de vos
+bontés. Je me suis hâté de quitter un séjour où je commençais à goûter
+quelque satisfaction, mais où je devenais à charge à quelques-uns.
+Disons-le: ils ont pris de l'ombrage d'une pièce où ils ont cru
+reconnaître des beautés que le public n'y reconnaîtra peut-être pas:
+ils m'ont envié un je ne sais quoi que la nature ou le hasard m'a
+prodigué... On m'apprit, avant de partir, que ce qui les avait
+irrités, c'était la pièce adressée à Mme la marquise. Ils ont rugi à
+ces mots de _vils mendiants_, et ils ont mis le curé de Montchauvet à
+toutes sauces... Quoi qu'il en soit, dans le procédé qu'ils ont tenu
+avec moi, ils ont cru me faire leur dupe. Ils y ont réussi jusqu'à un
+certain point, parce qu'ils ont abusé de ma franchise. Qu'ai-je perdu,
+sinon de ne pas croire que ma pièce était plus digne de voir le jour
+que je ne l'espérais? Elle le voit actuellement en beau papier et en
+caractères bien nets[10]: elle se vendra trente-six sous... Voilà donc
+le moment de sa mort ou de sa vie. Le public, qui voit toujours avec
+de bons yeux, du moins pour l'ordinaire, la disséquera comme il
+l'entendra bien. Si elle ne lui plaît pas, je n'aurai garde d'en
+appeler; mais je ne me rebuterai pas, je m'étudierai à faire mieux.
+Tant que ma veine voudra couler, je vous proteste, mon cher abbé, que
+rien ne sera capable de l'arrêter... J'ai déjà commencé une seconde
+pièce. Lorsqu'elle sera faite, j'en ferai sévèrement la critique,
+ainsi que de cette première. Comme l'honneur du théâtre ni l'intérêt
+ne me guident point, ne travaillant qu'à braver l'ennui de ma
+solitude, j'apporterai avec moi cette seconde tout imprimée, au moyen
+de quoi je ne me verrai plus exposé à lire mon manuscrit sur la
+sellette, devant des gens surtout qui vous rient dans leurs mains, au
+lieu d'être touchés, ou qui feignent d'applaudir, sans savoir
+seulement ce que c'est qu'enchaînement de scènes, ni peut-être qu'une
+rime... Maintenant, mon cher abbé, j'ai l'honneur de vous prévenir que
+je vous en enverrai un exemplaire et plusieurs en pur don pour les
+personnes à qui je vous prierai d'avoir la bonté de les remettre. Je
+compte que vous les recevrez la semaine prochaine avec une lettre
+d'avis: ce seront deux ports de lettre que je vous ferai coûter. Ayez
+pour agréable de me mander, au reçu de la présente, à Montchauvet, par
+Aunay, à la Plumaudière, si vous voulez vous donner la peine de m'en
+débiter. Dans le cas où vous pourriez vous en défaire, ce serait à
+l'acquit de ce que mon frère et moi nous vous devons. Excusez-moi de
+la longueur de ma lettre, je l'attends de votre indulgence. J'écris à
+M. l'abbé Fréron, et je lui envoie deux exemplaires, un pour lui, et
+l'autre pour Mme son épouse, en pur don[11]; vous voyez que je fais
+les choses libéralement et que je ne regarde pas à trente-six sous,
+lorsqu'il le faut. Adieu, mon cher abbé, etc.»
+
+ [10] Voir à l'_Appendice_.
+
+ [11] Voir à l'_Appendice_.
+
+ * * * * *
+
+Nous avouerons sans peine, avec Grimm, que quelques centaines de
+pareilles lettres feraient un excellent recueil.
+
+Toutefois, il est à remarquer que le curé de Montchauvet ne parle pas,
+dans cette lettre, d'un envoi que dut lui faire M. de Margency,
+quelques jours après son départ pour la Normandie.
+
+M. de Margency lui avait dit, on s'en souvient, qu'il lui soumettrait,
+le dimanche suivant, la première scène de sa tragédie de
+_Nabuchodonosor_. L'abbé devait, de son côté, apporter une scène sur
+le même sujet. De Margency, ayant appris le départ inopiné du curé,
+lui envoya son travail, accompagné d'une épître dédicatoire. Voici ces
+deux bouffonneries:
+
+_Épître à M. l'abbé Petit, curé du Mont Chauvet_.
+
+ Corneille du Chauvet, rimeur alexandrin,
+ Crois-moi, laisse-les dire, et va toujours ton train.
+ Ne t'aperçois-tu pas qu'envieux de ta gloire,
+ Tes ennemis font tout pour t'empêcher de boire
+ Au ruisseau d'Hippocrène, où Sophocle buvoit
+ Les chefs-d'œuvre qu'il fit, les beautés qu'il trouvoit?
+ Presque semblable à lui, quand tu touches la rime,
+ Tu te sers du rabot et jamais de la lime;
+ C'est-à-dire que, loin de coudre bout à bout
+ Des mots cherchés longtemps, tu fais bien tout d'un coup;
+ Voilà ce qui s'appelle un esprit bien facile,
+ Tu scandes en Homère et rimes en Virgile,
+ Et c'est ce qui déplaît à ces auteurs jaloux;
+ Va, moque-toi d'iceux, et ris de leur courroux.
+ Ils ont bu comme toi des eaux hippocréniques:
+ Bientôt tu les verras crever en hydropiques,
+ Et, tombant à tes pieds, poussifs et crevassés,
+ Ils _moureront_ tués, occis et trépassés.
+
+«Mon poétique cheval, Monsieur, qui se déferre en ce moment, m'oblige
+de descendre de la rime à la prose; permettez-moi donc de vous dire
+en son langage que votre immortelle et jolie pièce vous a fait bien
+des jaloux; mais n'en redoutez rien. Je viens de vous annoncer dans
+mes épiques vers et leur sort et le vôtre. D'ailleurs, consolez-vous
+avec les admirateurs qui vous restent. Comme j'y touche aussi
+quelquefois, à cette poésie, permettez-moi de vous consulter sur la
+tragédie que j'ai entreprise et dont je vous envoie une scène pour
+échantillon. Le sujet est, comme vous le savez, le fameux
+_Nabuchodonosor_. Je suis bien étonné que ce grand homme ait échappé à
+tant de célèbres auteurs. J'imagine qu'apparemment ils ne l'auront
+regardé que comme une grande bête, comme vous avez pu le regarder
+vous-même. Quoi qu'il en soit, voici ma scène. Nabuchodonosor
+entretient Isabelle avant de l'épouser.»
+
+
+SCÈNE
+
+NABUCHODONOSOR, ISABELLE
+
+ NABUCHODONOSOR.
+
+ Avant qu'à vos pieds beaux je mette ma couronne,
+ Écoutez-moi, princesse, et charmante personne;
+ Je n'allongerai pas, et je vous en répond,
+ Car, de mon naturel, je ne suis pas fort long
+
+ ISABELLE
+
+ Ah! grand prince, tant pis! ..Mais qu'avez-vous à dire?
+
+ NABUCHODONOSOR.
+
+ Reine, asseyez-vous là, je vais vous en instruire.
+ Je fus jeune autrefois, et même fort bien fait;
+ J'avois l'air d'un amour, du moins on le disoit.
+ Vous ne l'auriez pas cru?
+
+ ISABELLE.
+
+ Il est vrai, cher grand prince,
+ Qu'il vous reste à présent une mine assez mince.
+
+ NABUCHODONOSOR.
+
+ Pas tant... Mais il n'importe ..Écoutant mes désirs,
+ Je me divertissois dans les plus grands plaisirs;
+ Ma cour, modèle en tout de faste et d'élégance,
+ Réunissoit encor la joie et l'opulence;
+ Mille jeunes beautés, qui ne vous valoient pas,
+ Pleines de mes bienfaits, me prêtoient leurs appas;
+ Je vantois en tout lieu mon pouvoir, mes richesses,
+ Ma taille, mes bons mots, mes chiens et mes maîtresses.
+ Hélas! pour mon malheur je me vantai trop bien.
+ Le jaloux ciel piqué rabaissa mon maintien;
+ Il m'en punit, ce ciel: sa céleste colère
+ Donna dans mon endroit un exemple à la terre;
+ Je perdis dans un jour mon sceptre, mes États;
+ Une nuit je me vis velu comme les chats;
+ Sur mon corps tout courbé tous mes poils s'allongèrent,
+ De mon front menaçant deux cornes s'élevèrent,
+ Les seules, Dieu merci, que l'on m'ait vu porter...
+ Madame, en cet état, il fallut décamper.
+ Enfin je descendis du trône à quatre pattes.
+ (Où vas-tu nous fourrer, orgueil, quand tu nous flattes!)
+ Pour vous le couper court, et soit dit entre nous,
+ Je fus bête sept ans avant que d'être à vous.
+
+ ISABELLE.
+
+ Prince, que dites-vous?... Mais peut-être qu'encore...
+
+ NABUCHODONOSOR.
+
+ Je crois que vous raillez, madame la pécore!
+ Taisez-vous, reine en herbe; écoutez jusqu'au bout.
+ Galeux donc comme un braque, et velu comme un loup,
+ Je gagnai les forêts, les vallons, les montagnes;
+ La nuit j'allois brouter dans les vertes campagnes.
+ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
+
+
+(_Ici doit être un magnifique morceau poétique de la vie que
+Nabuchodonosor menoit à la campagne, comme une bête._)
+
+ Enfin le ciel touché mit fin à son courroux.
+ «Quittez les bois, dit-il, allez-vous-en chez vous;
+ Vous aviez, mon ami, la tête trop superbe:
+ Pour vous la rafraîchir, il vous falloit de l'herbe;
+ Le ciel est toujours ciel, et l'on s'en moque en vain.
+ Vous vous croyiez un Dieu: vous n'êtes qu'un faquin;
+ Tournez-moi les talons...» Aussitôt, sans trompette,
+ Je quittai dans la nuit ma champêtre retraite.
+ Enfin, au point du jour, je me rendis chez moi.
+ Mon peuple me reçut et reconnut son roi.
+ Je fus un peu malade après cette aventure:
+ L'estomac, tout farci de foin et de verdure,
+ Me donna des hoquets et des indigestions;
+ Il fallut recourir aux évacuations.
+ Mon premier médecin m'ordonna la rhubarbe;
+ Le lendemain, ce fut un furieux jour de barbe.[12]
+
+ [12] Voir à l'_Appendice_.
+
+
+
+
+III
+
+
+Le _Club holbachique_ s'était proposé d'achever de rendre fou le curé
+de Montchauvet, s'il y manquait quelque chose. Ils y réussirent; car,
+l'année suivante, le curé revint à Paris et n'hésita pas un seul
+instant à soumettre aux encyclopédistes la nouvelle pièce qu'il avait
+rimaillée au fond de son village. C'était la tragédie de _Baltazard_,
+dans laquelle, pendant quatre mortels actes, il s'agit de
+savoir,--selon la fameuse théorie inventée par l'abbé Le Petit,--si le
+roi soupera ou s'il ne soupera pas.
+
+On voit d'abord paraître les deux mages, Hyrcan et Arbate. Baltazard
+vient d'être vaincu. Sans aucun doute, la défaite du roi les affecte
+profondément; mais ce qui les tourmente par-dessus tout, c'est la
+crainte de ne pas souper.
+
+Pendant qu'ils délibèrent, sans rire, sur cette grave question,
+survient Aristée, femme du roi et fille d'Abradate, roi de la Susiane;
+elle vient (elle ne s'en cache pas) pour faire un monologue; mais
+comme la présence des deux mages la gêne: «Éloignez-vous...» leur
+dit-elle. Alors elle demande aux Dieux, qu'elle appelle «puissants
+moteurs», de lui rendre compte de l'indigne sort de son époux: «Que
+vais-je devenir?» s'écrie-t-elle:
+
+ Où fuir et dans quels lieux, quelle obscure contrée,
+ Dérober aux humains une reine éplorée?
+
+Mais, tout bien réfléchi, elle ne veut pas se risquer
+
+ Chez un peuple farouche,
+ Sans espoir d'y fléchir des cœurs que rien ne touche.
+
+Mieux vaut aller trouver Baltazard et périr avec lui. Baltazard lui
+épargne cette peine. Il vient,
+
+ Non pas brillant de gloire,
+ Et tel qu'à son départ il vantait sa victoire...
+
+Il est vaincu, mais il n'est pas découragé. A l'entendre faire le
+récit de la bataille qu'il a perdue, on croirait presque qu'il l'a
+gagnée:
+
+ Je m'avance à grands pas dans le sein de la gloire;
+ Tout nage dans le sang; une grêle de dards
+ Fait du jour une nuit; ce n'est de toutes parts
+ Qu'un spectacle effrayant d'hommes qui s'embarrassent,
+ De chevaux renversés, de chars qui se fracassent.
+
+Qu'allez-vous faire? lui demande Aristée. Tâchez de fléchir notre
+vainqueur:
+
+ S'il en est temps encor, proposez-lui la paix,
+ Et cherchez dans lui-même un ami pour jamais.
+
+Non, répond Baltazard, je veux souper, et
+
+ Dans ces vases sacrés qu'à Sion on regrette
+ J'éteindrai mes chagrins, ma honte et ma défaite;
+ Et, dût vomir le Juif mille imprécations,
+ Je les ferai servir à mes libations.
+
+Cette impiété donne le frisson à la reine.--Ne soupez pas, seigneur,
+lui dit elle, ou du moins ne soupez que si les mages l'ordonnent.
+
+Baltazard est bien contrarié de voir que l'_indifférence_ de la reine
+
+ Refuse à ses malheurs la moindre déférence.
+
+Mais enfin il cède: il consultera les devins. Hyrcan et Arbate
+accourent. _Secourez-moi_, leur crie Baltazard du plus loin qu'il les
+voit. Dois-je souper ou ne pas souper? Et il a soin d'ajouter, afin de
+leur dicter leur réponse:
+
+ Parlez, et, consolant mon esprit agité,
+ Songez qu'un jour si beau flatte ma volonté
+
+Les mages ont compris: _Seigneur, il faut souper_. Telle est leur
+réponse. Mais l'allégresse du roi est de courte durée. Survient
+Nitocris, sa mère, qui ne veut pas qu'on soupe.
+
+--Y songez-vous, lui dit-elle,
+
+ Insensible à l'État, votre cœur le néglige,
+ Et vous n'allez au temple, où rien ne vous oblige,
+ Que pour sacrifier, au gré de vos désirs,
+ Moins à l'amour des dieux qu'à l'attrait des plaisirs,
+ Occupé d'une fête, où, parmi la crapule,
+ La nuit ne connaîtra ni remords ni scrupule!
+
+Le roi n'écoute pas. Bien décidé à souper, il s'en va et laisse sa
+mère exhaler sa douleur dans un monologue. Il pousse l'audace encore
+plus loin: il dépêche vers elle les deux mages, qui la prient
+respectueusement de venir souper. Nitocris, comme on le pense bien,
+refuse énergiquement. Baltazard, ennuyé, vient la chercher lui-même.
+
+Nitocris et son fils s'accablent mutuellement de reproches:
+
+ A quoi bon (dit Baltazard) m'opposer ce beau titre de mère
+ S'il ne devient pour moi qu'une loi trop amère,
+ Si vous me refusez jusqu'à de saints plaisirs,
+ Et ne me rappelez que peines et soupirs?...
+ Ah! comment osez-vous, après ce caractère,
+ Me nommer votre fils et vous dire ma mère?
+ --Ingrat! (répond Nitocris) puis-je oublier l'excès de cet amour
+ Qui, quoi que vous disiez, vous mérita le jour?
+ Et pouvois-je empêcher que le ciel vous fît naître
+ Dans le sein qu'il choisit pour vous procurer l'être?
+ Mais si vous le devez, ce jour, à Nitocris,
+ Montrez donc désormais que vous êtes son fils;
+ Commencez à briser cette chaîne fatale
+ Dont vous chérissez tant le poids qui vous ravale,
+ Ce joug empoisonné, que d'indignes flatteurs
+ Savent, pour vous séduire, orner de tant de fleurs...
+
+L'hypocrite Baltazard feint de se rendre aux conseils de sa mère:
+
+ Je vais joindre Cyrus (lui dit-il) et, sans le moindre effroi,
+ Lui montrer que je sais vaincre et mourir en roi.
+
+A peine Nitocris a-t-elle le dos tourné: «Allons souper»,
+s'écrie-t-il.
+
+Ainsi finit le troisième acte. Le quatrième s'ouvre par un monologue.
+Baltazard a changé d'idée: il ne soupera pas; il ne veut pas que sa
+mère regrette
+
+ De n'avoir enfanté qu'un fils pusillanime.
+
+Mais il a compté sans les mages, Hyrcan et Arbate, qui viennent le
+relancer jusque dans son palais. Il se sent faiblir: aussi, pour se
+donner du courage, il se dit à lui-même:
+
+ ..... Soutiens-toi, Baltazard!
+
+Les mages sont les plus forts: ils n'ont qu'à faire un signe, le
+tonnerre gronde, et le pauvre roi ne sait où se cacher:
+
+ Qu'entends-je, malheureux! Quelle indignation!
+ Ah! mages, détournez votre imprécation!
+ Un feu secret et prompt, qui déjà me dévore,
+ Me prouve que le ciel ordonne qu'on l'honore.
+ C'en est fait. Je me rends et n'écoute que lui,
+ Heureux si sa bonté me secoure (_sic_) aujourd'hui!
+ Allez donc, qu'au banquet toute ma cour s'empresse
+ De noyer pour jamais son deuil et sa tristesse!
+
+On soupera donc, enfin! La table du festin est dressée: on la couvre
+des coupes sacrées du temple de Jérusalem.
+
+Au moment où Baltazard demande à boire aux mages, Nitocris se présente
+et reproche à son fils de _perdre le sentiment_. (L'auteur voulait
+sans aucun doute dire _le sens_.)
+
+Baltazard daigne à peine répondre:
+
+ Madame, jusqu'à quand votre importune voix!...
+ Donnez, mages, donnez; c'est trop me faire attendre.
+
+Mais à peine les mages ont-ils présenté la coupe au roi, qu'on voit
+une main écrire sur la muraille les fameux mots: MANÉ, THÉCEL, PHARÈS.
+
+ Que vois-je, mes amis (s'écrie Baltazard), et quel spectre nouveau
+ Crayonne sur ces murs un effrayant tableau?
+ Voyez-vous, comme moi, cette main qui nous trace
+ Certains mots, où mon sang dans mes veines se glace?
+ Ma coupe malgré moi s'échappe de mes doigts,
+ Et je sens peu à peu se dérober ma voix.
+ Mes yeux sont chancelants; mes genoux s'entrechoquent,
+ Et toutes les horreurs à la fois me suffoquent.
+
+Inutile d'ajouter que Baltazard est vaincu de nouveau et tué par
+Cyrus. Mais ce qu'il faut dire (car on ne s'en douterait guère), c'est
+que Cyrus, à peine entré dans Babylone, fait une déclaration des plus
+galantes à la reine Aristée. Celle-ci, comme on le pense bien, est
+furieuse:
+
+ Dois-je donc respecter (lui dit-elle) un bras qui n'a servi
+ Qu'à renverser un roi qu'il a trop poursuivi?
+ Taire tant de forfaits qu'un tyran autorise,
+ Et briser un pinceau qui te caractérise?
+ Barbare! je ne puis assez t'humilier!
+
+Cyrus n'est pas très flatté de ces dédains; car, si on l'en croit,
+sans Aristée, le trône où il monte n'est plus
+
+ ...... qu'un redoutable ennui.
+
+Mais il n'est pas au bout de ses peines. Nitocris vient lui reprocher
+la mort de son fils, et se tue presque sous ses yeux. Aristée veut en
+faire autant. Cyrus l'arrête. «Laisse-moi mourir,» lui crie-t-elle:
+
+ ..... Accorde au moins cette grâce dernière
+ Au reste infortuné d'une famille entière
+
+Cyrus tient bon, l'empêche de s'_occire_, et met fin à la tragédie par
+ces vers mémorables, mais bien peu en situation, puisque Nitocris est
+morte:
+
+ Secourons Nitocris, et demandons aux dieux
+ Qu'ils fassent de ce jour un jour moins odieux!
+
+Il est fâcheux que Grimm ne nous ait pas noté les divers incidents
+auxquels a dû donner lieu la lecture de ce chef-d'œuvre. Il se
+contente de dire: «Le curé nous a tenu parole; il est revenu avec une
+seconde tragédie, intitulée _Baltazard_, tout aussi bonne que la
+première. Je crois qu'il n'a pas pu trouver d'imprimeur. Mais il est
+reparti pour sa cure un peu plus content de nous.»
+
+Dans la préface de _Baltazard_, le curé de Montchauvet nous en dira
+plus long: «Le peu de succès de ma première pièce m'avoit presque
+déterminé à n'en pas entreprendre une seconde. Cependant, je pensois
+que si Racine avoit été découragé par la médiocrité des _Frères
+ennemis_, nous n'aurions jamais eu ni _Yphigénie_ (_sic_), ni
+_Phèdre_; et je repris la plume que la critique m'avoit presque fait
+tomber des mains. Je composai donc mon _Baltazard_ après ma
+_Bethsabée_, à qui je donnai un frère, comme M. de Boissy l'a dit
+également du _Méchant_ de M. Gresset. J'apportai à Paris cette seconde
+production de ma verve échauffée et de mon génie irrité par les
+difficultés, bien résolu de la sacrifier, si je ne me trouvois pas
+autant au-dessus de moi-même que je le désirois, et que Racine et
+Corneille s'étoient montrés supérieurs à eux-mêmes, à mesure qu'ils se
+familiarisoient davantage avec le génie dramatique. Il ne s'agissoit
+plus que de rencontrer des juges équitables qui m'éclairassent ou sur
+ma médiocrité ou sur mes progrès. Mais où trouver ces juges équitables
+dans une ville fausse comme celle-ci, où l'on semble prendre à tâche
+de décourager ceux qui donnent quelque espérance? Heureusement, un
+homme distingué par sa naissance, son goût, sa probité, et surtout par
+l'accueil qu'il daigne faire aux talents naissants, s'offrit à
+rassembler chez lui cinq ou six des meilleurs esprits, qui la
+jugeroient avec la dernière sévérité, et qui m'apprendroient par le
+jugement qu'ils en porteroient, celui que j'en devois porter moi-même.
+L'avouerai-je? L'examen fut sanglant, et je laissai mes critiques bien
+convaincus qu'ils avoient rempli le projet, que peut-être ils avoient
+formé, de me ramener à des fonctions que je reconnaîtrai sans peine
+avec eux très supérieures à l'occupation d'un poète, ce poète fût-il
+plus grand que Racine et Corneille. Mais je réfléchis sur leurs
+observations; je vis bientôt qu'il n'y avoit aucune pièce au monde sur
+laquelle on n'en pût faire d'aussi solides; et je parvins à me
+démontrer évidemment que ma seconde tentative dramatique m'avoit
+beaucoup mieux réussi que je n'aurois osé le penser, sans le
+_suffrage_ de tous mes censeurs. Je dis le _suffrage_, car ce fut le
+véritable jour sous lequel je ne tardai pas à voir leur critique. Je
+me dis à moi-même: Comment! Voilà donc à quoi se réduit tout ce que
+les hommes de Paris, qui passent pour avoir le plus d'esprit, trouvent
+de répréhensible dans mon ouvrage? En vérité, il faut qu'il soit mieux
+que bien: je ne risque donc rien à le publier; et j'eus tout
+l'empressement que donne l'espoir du succès, de le porter à mon
+imprimeur. C'est donc à ces Messieurs plutôt encore qu'à moi que le
+lecteur en doit la publicité... J'en vais méditer une troisième. Je
+suis jeune, j'ai du courage, et pour peu que je m'élève à chaque
+essort (_sic_) que je prendrai, j'espère me voir enfin à une hauteur
+suffisante pour contenter la vanité d'un auteur qui n'en a pas
+beaucoup. Ainsi soit-il!»
+
+ * * * * *
+
+Quoi qu'en dise Grimm, le curé de Montchauvet trouva, nous le voyons,
+un imprimeur. Sa pièce parut sous ce titre: BALTAZAR, _tragédie_,
+_par M. l'abbé ***_. _Prix vingt-quatre sols_, 1755 [sans lieu ni nom
+d'imprimeur].
+
+En lisant ce titre, on éprouve une certaine surprise. On se rappelle
+que la tragédie de _Bethsabée_ se vendait (quand elle se vendait!)
+_trente-six sous_. Puisque le curé de Montchauvet trouve la tragédie
+de _Baltazard_ supérieure à celle de _Bethsabée_, comment se fait-il
+qu'il ne l'estime que _vingt-quatre sous_?
+
+La troisième tragédie annoncée ne parut pas. L'abbé Le Petit s'en tint
+à ses deux chefs-d'œuvre, et il fit bien[13].
+
+ [13] Voir à l'_Appendice_.
+
+
+
+
+APPENDICE.
+
+
+_Page 3, note 1._
+
+Si invraisemblable que puisse paraître cette mystification littéraire,
+je dois dire que je n'ai rien inventé: je me suis contenté de
+suivre,--en l'arrangeant un peu,--le récit que nous en ont laissé
+Grimm (_Correspondance litt. philosoph. et crit._, lettres du 1er
+mars, du 1er août et du 15 septembre 1755), et Fréron (_Année litt._
+1754, tome IV, p. 307, et 1755, tome VIII, p. 342).
+
+_Page 3, note 2._
+
+Montchauvet, aujourd'hui dans l'arrondissement de Vire, canton de
+Bény-Bocage (Calvados).
+
+_Page 4, note 3._
+
+Le curé de Montchauvet, la victime de Diderot et de ses amis, se
+nommait, non pas Petit, comme l'appelle Grimm, mais Le Petit. Grâce à
+l'obligeance de M. Lair, instituteur à Montchauvet, qui a bien voulu
+me communiquer les vieux registres conservés dans les archives de la
+mairie, j'ai pu constater que l'abbé Le Petit (Jean-Baptiste) a dû
+arriver à Montchauvet au mois d'avril 1751. Le premier acte signé de
+lui, comme successeur du curé Moussard, est du 14 avril 1751. Deux
+fois seulement (14 août et 15 septembre 1752), l'abbé Le Petit, assez
+souvent appelé dans le corps des actes (baptêmes, mariages ou
+inhumations), Le Petit Dequesnay ou de Quesnay, a signé Le Petit
+Dequesnay. Partout ailleurs il signe tout simplement Le Petit.
+
+Le dernier acte, non pas écrit, mais signé par le curé Le Petit, d'une
+écriture tremblée, est un baptême en date du 30 mai 1786.
+
+Devenu infirme, sans doute, il fut remplacé, de son vivant, par son
+vicaire Lemarchand[14]. L'abbé Le Petit mourut le 16 décembre 1788.
+Voici l'acte d'inhumation du pauvre poète:
+
+ «Le dix-sept décembre 1788 a été par moi curé de Montami
+ soussigné inhumé dans le cimetière de Montchauvet le corps de
+ maistre Jean-Baptiste Le Petit ancien curé de Montchauvet décédé
+ d'hier âgé d'environ soixante-huit ans présence de Mrs le curé et
+ vicaire actuels.
+
+ (Ont signé) Lemarchand [curé], Jouenne [vicaire] et G. Liot [curé
+ de Montamy].
+
+ [14] A partir du 30 mai 1786, les actes sont signés par Jouenne
+ ou Le Marchand, vicaires. Le premier acte que nous ayons trouvé,
+ signé par Le Marchand, _curé_, est du 9 janvier 1788; mais nous
+ devons ajouter que le registre de 1787 manque aux archives de
+ Montchauvet.
+
+Jean-Baptiste Le Petit, âgé de 68 ans environ, quand il mourut en
+1788, a donc dû naître (où ??) vers 1720. Il avait trente quatre ans
+lorsqu'il sentit s'éveiller son génie poétique et qu'il vint lire,
+pour son malheur, à Diderot et à ses amis, l'«immortelle» tragédie de
+_David et Bethsabée_.
+
+D'après les signatures des vicaires Tourgis ou Duhamel, que nous avons
+relevées au bas des actes des registres paroissiaux de Montchauvet, et
+qui constatent l'absence du curé, l'abbé Le Petit dut quitter ses
+sauvages bruyères pour aller à Paris, vers la fin d'août 1753, et ne
+rentrer dans son village qu'au mois d'avril 1754. Ces dates concordent
+bien avec celles que donnent les lettres de Grimm.
+
+Le fait le plus saillant de la vie du curé de Montchauvet est
+assurément sa lecture chez le baron d'Holbach; mais je dois aussi
+rappeler qu'il eut à soutenir un long procès contre Jacques-François
+Mercier, prieur commendataire du prieuré royal du Plessis-Grimoult,
+chanoine de la Sainte-Chapelle du Palais à Paris[15]. Ce procès, qui
+dura au moins dix ans, fut gagné par le curé Le Petit, non seulement
+devant le bailliage de Vire (3 juillet 1762), mais encore devant le
+Parlement de Normandie (19 juin 1771). Le curé de Montchauvet
+réclamait contre le prieur du Plessis-Grimoult «le tiers des dîmes de
+la paroisse et la qualité de curé, au lieu de celle de vicaire
+perpétuel, la seule qu'on voulût lui reconnaître.» Détail intéressant
+et qui a été relevé par M. Ch. de Beaurepaire, le savant archiviste de
+la Seine-Inférieure[16], l'arrêt du Parlement de Normandie qui termine
+le procès intenté par l'abbé Le Petit au prieur du Plessis-Grimoult,
+nous apprend qu'en une semblable circonstance, Bossuet, le grand
+Bossuet, «malgré le droit de _committimus_ dont il avait usé, malgré
+le recours à des juges certainement prévenus en sa faveur», avait
+succombé, d'abord au bailliage de Vire, en second lieu et
+définitivement aux Requêtes du Palais à Paris, dans sa contestation
+avec Mathieu Roger, curé de Montchauvet, un des prédécesseurs du curé
+Le Petit.
+
+ [15] La cure de Montchauvet dépendait du Prieuré du
+ Plessis-Grimoult.
+
+ [16] _Bulletin historique et philologique_, 1896. «Procès entre
+ Bossuet, prieur du Plessis-Grimoult, et le curé de Montchauvet en
+ Normandie, en 1674.»
+
+_Page 4, note 4._
+
+J'ajouterai «et le prieur du Plessis-Grimoult», car Montchauvet était
+une des 39 cures (ou bénéfices) qui dépendaient de ce prieuré.--Voir
+notre étude sur _Bossuet en Normandie_, p. 43.
+
+_Page 5, note 5._
+
+L'abbé Gilles Basset des Rosiers enseigna la philosophie au collège
+d'Harcourt (aujourd'hui lycée St-Louis) vers 1750. Il devint recteur
+de l'Université en 1779. C'était un homme aimable, instruit, en
+relation avec les écrivains les plus renommés. (Voir BOUQUET,
+_L'ancien collège d'Harcourt et le lycée Saint-Louis_, p. 414.)
+
+_Page 10, note 6._
+
+Grimm n'assistait pas à cette mémorable séance; sa chaise de poste
+s'étant brisée à Soissons, il ne put arriver à Paris que le lundi de
+carnaval. «C'est ce contre-temps, nous dit-il, qui m'attira l'honneur
+d'être l'historien du curé de Montchauvet.»
+
+_Page 13, note 7._
+
+M. de la Condamine est bien connu par ses voyages scientifiques et par
+ses _Mémoires sur l'inoculation de la petite vérole_.
+
+Sa surdité donna lieu, lorsqu'il fut reçu à l'Académie française
+(1760) au quatrain suivant. (On dit même qu'il en est l'auteur).
+
+ La Condamine est aujourd'hui
+ Reçu dans la troupe immortelle:
+ Il est bien sourd, tant mieux pour lui,
+ Mais non muet, tant pis pour elle.
+
+Trois ans auparavant (1757),--n'étant plus de la première jeunesse,
+puisqu'il était né en 1701,--il épousa sa nièce. Le madrigal qu'il fit
+à sa jeune femme, pendant la première nuit de ses noces, fit beaucoup
+d'honneur à son esprit:
+
+ D'Aurore et de Titon vous connaissez l'histoire.
+ Notre hymen en retrace aujourd'hui la mémoire;
+ Mais Titon de mon sort pourrait être jaloux.
+ Que ses liens sont différents des nôtres!
+ L'Aurore entre ses bras vit vieillir son époux,
+ Et je rajeunis dans les vôtres.
+
+Après avoir lu ce joli madrigal, M. de Luxemont, secrétaire des
+commandements de M. le comte de Charolais, envoya le huitain suivant à
+M. de la Condamine:
+
+ D'Aurore et de Titon nous connaissons l'histoire.
+ L'infortuné vieillit où vous rajeunissez.
+ Vous le dites du moins, et pour nous c'est assez:
+ Véridique et modeste, il faut bien vous en croire;
+ Mais lorsque de l'Amour, dans le lit nuptial,
+ Vous empruntez la voix pour peindre sa puissance,
+ Ne peut-on soupçonner, sans vous faire une offense,
+ Qu'il n'y fit rien de mieux que votre madrigal?
+
+Piqué au jeu, M. de la Condamine répondit:
+
+ Mon madrigal fut donc, à ce que vous pensez,
+ La nuit de mon hymen, ma plus grande prouesse?
+ Monsieur, sont-ce mes vers que vous applaudissez,
+ Ou pensez-vous déplorer ma faiblesse?
+ Hélas! dans mon printemps, pour tribut conjugal,
+ J'eusse achevé ma neuvaine à Cythère.
+ Aujourd'hui, moins fervent, pour me tirer d'affaire,
+ J'en remplis les deux tiers avec un madrigal.
+
+M. de Luxemont répliqua à son tour:
+
+ Ce sont vos vers que j'applaudis,
+ Sans déplorer votre faiblesse;
+ L'Amour n'en est pas moins surpris
+ Que l'objet de votre tendresse
+ (Dont lui-même serait épris)
+ Ne vous ait pas rendu tel qu'en votre jeunesse.
+ Toutefois, n'en déplaise au dieu de l'Hélicon,
+ Seul garant de cette neuvaine
+ Que commencent souvent, que finissent à peine
+ Les vrais élus de Cupidon,
+ Tout homme sur ce point, dit le bon La Fontaine,
+ Est d'ordinaire un peu gascon;
+ Et l'on croit qu'il avait raison.
+ Mais pour n'être jamais contredit de personne,
+ Rimez toujours, rimez: vos vers vainqueurs du Temps,
+ Prouvent qu'en vos pareils les fruits de leur automne
+ Conservent la saveur de ceux de leur printemps.
+
+Si l'abbé Basset a envoyé ces agréables jeux d'esprit au curé de
+Montchauvet, l'auteur de _Baltazar_ a dû se dire: «Je comprends que ce
+M. de la Condamine n'ait pas voulu écouter mes vers; ce n'est pas un
+poète sérieux.»
+
+_Page 17, note 8._
+
+Le curé tint compte de l'observation. On lit (acte III, sc. 3):
+
+ Le temps vous vengera des soupirs _superflus_,
+ Et je sçauray moi-même enfin n'y songer plus.
+
+_Page 21, note 9._
+
+C'est l'année suivante (dans l'_Orphelin de la Chine_, de Voltaire)
+que Mlle Clairon et les artistes du Théâtre Français renoncèrent à
+jouer avec paniers.
+
+C'est aussi à cette date (1755) que le marquis de Ximenès se brouilla
+avec Mlle Clairon. La grande actrice lui redemanda son portrait, et le
+marquis eut le mauvais goût de le lui renvoyer, avec ce quatrain...
+cruel:
+
+ Tout s'use, tout périt; tu le prouves, Clairon.
+ Ce pastel, dont tu m'as fait don,
+ Du temps a ressenti l'outrage:
+ Il t'en ressemble davantage.
+
+_Page 29, note 10._
+
+Le curé de Montchauvet n'est pas difficile. Sa tragédie est très mal
+imprimée; il y a deux grandes pages de _fautes à corriger_.
+
+_Page 29, note 11._
+
+M. et Mme Fréron ne furent guère sensibles à cette générosité, car
+dans l'_Année littéraire_ de 1754 (tome IV), le curé et sa tragédie
+sont arrangés de la belle façon.
+
+_Page 34, note 12._
+
+M. de Margency ne faisait pas que des vers burlesques. Voici une
+chanson, citée par Grimm (15 novembre 1757), qui nous prouve qu'il
+avait, quand il le voulait, l'esprit aussi ingénieux que délicat.
+
+ J'entends dans ces forêts
+ Gémir la tourterelle;
+ Hélas! si je voulais,
+ Je me plaindrais comme elle.
+
+ Notre sort est égal;
+ L'amour seul fait sa peine:
+ Chez moi c'est même mal,
+ L'amour cause la mienne.
+
+ Ce qui fait nos douleurs,
+ Ce n'est pas l'inconstance;
+ Mais l'on verse des pleurs
+ De même pour l'absence.
+
+ Un cœur qui n'aime rien
+ N'a point de ces alarmes,
+ C'est pourtant un grand bien
+ De répandre des larmes.
+
+_Page 46, note 13._
+
+Cette étude a déjà paru dans la _Nouvelle Revue_, 4e année, tome XIX,
+1re livraison, 1er mars 1882, pages 117 et suivantes.
+
+--Dans la première livraison de la _Revue franco-américaine_ (juin
+1894), Alphonse Daudet a consacré deux pages à l'abbé Le Petit, qu'il
+appelle «un raté littéraire au XVIIIe siècle».
+
+--Les deux tragédies de _David et Bethsabée_ et de _Baltazard_ sont
+devenues excessivement rares. J'ai pu acheter la première à la vente
+du baron Taylor.--Elles se trouvent à la Bibliothèque de Caen, Ch 5/4.
+_Baltazard_ se morfond, très peu lu, à la Bibliothèque de Vire. «Nul
+n'est prophète en son pays.»
+
+ * * * * *
+
+La paroisse de Montchauvet a connu un autre curé-poète de la même
+force que l'abbé Le Petit.
+
+En 1828, le curé Laumonier fit paraître[17]: _L'oraison funèbre ou
+complainte sur le renversement d'un très bel if qui a existé dans le
+cimetière de Montchauvet jusqu'à l'éradication qui en fut faite le 12
+janvier 1828_. (Ouf, quel titre!).
+
+ [17] A Vire, chez Adam, imprimeur du roi. L'abbé Laumonnier avait
+ déguisé son nom sous l'anagramme de NUMA LEROI.
+
+Voici quelques couplets de cette complainte:
+
+ Ici vivait depuis mille ans,
+ A quelques pas du sanctuaire,
+ Athlète contre les autans,
+ Un If,... un arbre tutélaire.
+ . . . . . . . . . . . . . . . . .
+
+ Il était l'arbre du pays,
+ L'expression n'est pas outrée,
+ Où s'assembloient le plus d'amis,
+ D'enfans... de toute la contrée.
+
+ Il était aussi le plus beau
+ Qui fût connu du voisinage:
+ Là s'unissaient près du tombeau
+ L'enfance avec le moyen âge.
+
+ Il aurait pu rester debout:
+ C'était l'avis du commissaire...
+ Mille ans n'auraient pas vu le bout
+ De sa présence salutaire.
+ . . . . . . . . . . . . . . . . .
+
+ De la demeure funéraire
+ Il était le triste ornement.
+ Faut-il qu'un désir de déplaire
+ Ait causé son renversement?
+
+ Il me servait de paravent
+ Quand j'allais à la sacristie;
+ Il me saluait en passant,
+ Me protégeant à la sortie.
+ . . . . . . . . . . . . . . . . .
+
+«La fin couronne l'œuvre», c'est le cas de le dire:
+
+ Adieu bel arbre, adieu bel If...
+ Adieu, ton tronc, ta forte branche;
+ En dépit de mon cri plaintif,
+ Tu meurs la veille d'un dimanche.
+
+«Au haut des cieux, _leur demeure dernière_», (du moins j'aime à le
+supposer), les deux curés de Montchauvet, Le Petit et Laumonier,
+doivent rimailler de conserve et maudire les méchants critiques, qui
+«tâchent de décourager ceux qui donnent quelque espérance».
+
+
+IMPRIMERIE HENRI DELESQUES, A CAEN
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's Diderot et le Curé de Montchauvet, by Armand Gasté
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44723 ***
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+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44723 ***</div>
+
+<div class="tnote">
+<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
+L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
+Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.</p></div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_I"> I</a></span></p>
+
+
+<h1>DIDEROT<br />
+<span class="xlarge">ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET</span></h1>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_II"> II</a></span>
+<span class="pagenum"><a id="Page_1"> 1</a></span></p>
+
+<div class="titlepage">
+<p class="xlarge">Armand Gasté</p>
+<hr class="deco" />
+
+<p><span class="xxlarge">DIDEROT</span><br />
+<span class="small">ET LE</span><br />
+<span class="xlarge">CURÉ de MONTCHAUVET</span></p>
+
+<p class="medium">&mdash;UNE MYSTIFICATION LITTÉRAIRE CHEZ<br />
+LE BARON D'HOLBACH, 1754&mdash;</p>
+
+<div class="figcenter">
+<img src="images/logo.jpg" width="100" height="150" alt="" />
+</div>
+
+<p><span class="large">PARIS</span><br />
+ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR<br />
+<span class="small"><i>23-31, passage Choiseul, 23-31</i></span></p>
+
+<p class="small">M. DCCC. XCVIII</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_2"> 2</a></span>
+<span class="pagenum"><a id="Page_3"> 3</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<h2>DIDEROT<br />
+<span class="medium">ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET</span><a name="FNanchor_1" id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">&nbsp;[1]</a></h2>
+</div>
+
+<p>Au milieu du XVIII<sup>e</sup> siècle vivait, ou plutôt
+végétait tristement dans l'humble presbytère
+de Montchauvet, en plein Bocage normand<a name="FNanchor_2" id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">&nbsp;[2]</a>,
+un curé poète qui doit aux Encyclopédistes
+l'immortalité du ridicule, et dont les vers extravagants
+furent,&mdash;qui le croirait?&mdash;une des
+causes de la rupture de Jean-Jacques Rousseau
+avec ses bons amis, les Philosophes.</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_1" id="Footnote_1" href="#FNanchor_1" class="label">[1]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_3_note_1">note 1</a></p></div>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_2" id="Footnote_2" href="#FNanchor_2" class="label">[2]</a> <em>Ibid.</em> <a href="#Page_3_note_2">note 2</a></p></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_4"> 4</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<h3>I</h3>
+</div>
+
+<p>L'abbé Le Petit<a name="FNanchor_3" id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">&nbsp;[3]</a>,&mdash;c'est le nom de notre
+curé,&mdash;s'ennuyait à mourir dans le village où
+l'avait enterré son évêque<a name="FNanchor_4" id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">&nbsp;[4]</a>. Il avait beau
+monter sur les âpres rochers qui dominent le
+presbytère et interroger l'horizon, il ne voyait
+venir personne qui fût digne de le comprendre
+et sût goûter les vers qu'il composait dans sa
+morne solitude. Et laissant tomber ses regards
+sur les masures de ses paroissiens: «Ici, il n'y
+a que moi d'homme d'esprit, se disait-il. Point
+de société!... Pour toute ressource, le magister,
+c'est-à-dire un paysan habillé de noir!»</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_3" id="Footnote_3" href="#FNanchor_3" class="label">[3]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_4_note_3">note 3</a></p></div>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_4" id="Footnote_4" href="#FNanchor_4" class="label">[4]</a> <em>Ibid.</em> <a href="#Page_4_note_4">note 4</a></p></div>
+
+<p>Un beau jour, l'abbé Le Petit, n'y pouvant
+plus tenir, boucla sa valise et partit pour Paris.
+A Paris, en effet, il trouverait un de ses anciens
+camarades de séminaire, l'abbé Basset<a name="FNanchor_5" id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">&nbsp;[5]</a>,
+professeur de philosophie au collège d'Harcourt.
+L'abbé Basset avait de belles relations: il procurerait
+<span class="pagenum"><a id="Page_5"> 5</a></span>
+certainement un éditeur à son confrère.
+L'éditeur trouvé, le livre prôné par les gazettes
+s'enlevait en un clin d'&oelig;il; les salons se disputaient
+l'illustre compatriote de Malherbe et
+de Pierre Corneille; et qui sait? l'Académie ne
+se faisait pas trop prier pour lui offrir un de
+ses quarante fauteuils.</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_5" id="Footnote_5" href="#FNanchor_5" class="label">[5]</a> <em>Ibid.</em> <a href="#Page_5_note_5">note 5</a></p></div>
+
+<p>Tels étaient les beaux rêves que le curé de
+Montchauvet confiait à l'abbé Basset, et que
+celui-ci, en se promenant avec lui, au Luxembourg,
+par une belle matinée d'hiver, écoutait
+d'une oreille trop indulgente.</p>
+
+<p>Au détour d'une allée, on rencontre Diderot.
+Diderot, qui demeurait à quelques pas de là,
+sur la hauteur d'où il avait tiré son surnom de
+<em>Philosophe de la Montagne</em>, aimait à se promener
+le matin au Luxembourg. L'abbé Basset, qui
+était fort lié avec lui, connaissait ses habitudes.
+Ce n'était pas sans intention, peut-être, qu'il
+conduisit, ce jour-là, sur le chemin du philosophe,
+le curé de Montchauvet, avide de
+connaître les grands esprits du siècle, avide
+surtout d'en être connu. L'abbé Basset présente
+son ami à Diderot. Le curé nage dans la joie;
+il pâlit d'aise, et son nez,&mdash;un nez extrêmement
+<span class="pagenum"><a id="Page_6"> 6</a></span>
+long, dit la chronique,&mdash;est dans un
+mouvement perpétuel. La conversation est
+bientôt liée. L'abbé Le Petit raconte d'un trait
+ses infortunes: «Je m'étiolais à Montchauvet,
+le plus triste lieu du monde; mes talents y
+étaient enfouis. Mais, Dieu merci! j'en suis
+hors, et je me réjouis, monsieur, d'avoir fait
+connaissance avec un homme de votre réputation,
+afin de vous demander votre avis.</p>
+
+<p>&mdash;Mon avis, dit le philosophe, et sur quoi,
+monsieur l'abbé?</p>
+
+<p>&mdash;Sur un madrigal de sept cents vers, que
+j'ai fait dernièrement.</p>
+
+<p>&mdash;Un madrigal de sept cents vers! Et sur
+quel sujet, je vous prie?</p>
+
+<p>&mdash;Voici la chose, dit le curé en souriant
+d'un air malin: mon valet a eu le malheur de
+faire un enfant à ma servante, et cela m'a donné
+un assez beau champ, comme vous allez voir.</p>
+
+<p>Et, disant cela, il tire de la poche de sa soutane
+un grand cahier de papier. Diderot recule
+épouvanté; puis se ravisant:</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur le curé, dit-il, je vous trouve
+bien blâmable d'employer vos loisirs à de
+pareils sujets.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_7"> 7</a></span>
+L'abbé Le Petit commençait à rougir de
+colère; son nez s'agitait, menaçant...</p>
+
+<p>&mdash;Quand on a un génie aussi sûr que le
+vôtre, poursuivit Diderot, on doit faire des tragédies,
+et non pas s'amuser à des madrigaux.</p>
+
+<p>Le curé de Montchauvet, agréablement flatté
+de ce compliment inattendu, devint radieux:
+ses yeux brillaient d'un éclat inaccoutumé, son
+grand nez se dilatait pour mieux aspirer l'encens.
+Il voulait remercier Diderot; celui-ci ne
+lui en laissa pas le temps:&mdash;Permettez-moi
+de vous dire que je n'écouterai pas un seul vers
+de votre façon, avant que vous ne nous ayez
+apporté une tragédie.&mdash;Vous avez raison,
+répliqua le curé;.... je suis trop timide.
+Puis, remettant dans la vaste poche de sa soutane
+son long poème, il salua poliment Diderot.
+Le philosophe, en s'en allant, échangea
+avec l'abbé Basset un sourire que le bon curé
+n'aperçut pas, ou dont il ne comprit pas la
+signification.</p>
+
+<p>C'était un sourire de contentement. Diderot
+s'était débarrassé du même coup, (il le croyait
+du moins), d'un madrigal de sept cents vers et
+d'un importun.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_8"> 8</a></span>
+Quelques mois se passent. Diderot, bien
+tranquille dans son cabinet, travaillait, sans
+doute à ses <cite>Pensées sur l'interprétation de la
+nature</cite>, lorsque, sans se faire annoncer, l'abbé
+Le Petit se présente avec un énorme manuscrit
+sous le bras. Qu'on juge de la surprise de
+Diderot.&mdash;Comment, monsieur le curé, c'est
+bien vous que je vois! Je vous croyais depuis
+longtemps en Normandie.&mdash;On ne peut
+vivre qu'à Paris, monsieur; j'y suis donc resté,
+et, suivant vos conseils, je me suis mis avec
+ardeur au travail. Je vous apporte...&mdash;Encore
+un madrigal? s'écria Diderot; non, monsieur
+le curé, vous savez nos conventions. Je n'écoute
+pas un vers de vous, que vous ne m'ayez apporté
+une tragédie.&mdash;C'est justement...&mdash;Quoi!
+C'est une tragédie?&mdash;Oui, monsieur,
+<cite>David et Bethsabée</cite>....</p>
+
+<p>Diderot faillit tomber à la renverse.</p>
+
+<p>&mdash;Avez-vous le loisir de m'écouter? poursuivit
+l'abbé, impitoyable.</p>
+
+<p>Il n'y avait pas à reculer, il fallait bien essuyer
+cette lecture.</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur le curé, répondit le philosophe,
+que diriez-vous si, dimanche, je vous présentais
+<span class="pagenum"><a id="Page_9"> 9</a></span>
+à nos amis, et si je vous donnais pour juges les
+plus grands esprits dont notre siècle s'honore?...
+Allons, c'est entendu, je vous mènerai dans le
+salon de M. le baron d'Holbach. Vous y entrerez
+inconnu; mais, je vous le jure, vous en
+sortirez célèbre.</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur, balbutia l'abbé, que de grâces...</p>
+
+<p>&mdash;Trève de compliments! C'est moi qui
+suis votre obligé. Ne pas produire au grand jour
+un poète de votre force, mais ce serait un
+crime!... Allons, adieu, monsieur le curé, ou
+plutôt, au revoir... A dimanche! Je vous
+attends chez moi.</p>
+
+<p>Le curé fut exact au rendez-vous. Diderot
+avait prévenu ses amis, les Encyclopédistes. On
+sait que le baron d'Holbach les recevait à dîner
+deux fois par semaine, ce qui le faisait appeler
+par l'abbé Galiani «<em>le maître d'hôtel de la philosophie</em>».</p>
+
+<p>Ce jour-là&mdash;c'était justement le dimanche
+gras&mdash;les convives du baron d'Holbach étaient
+quinze à vingt. Dans le riche cabinet, où le
+richissime philosophe venait de faire placer sa
+récente acquisition, la <cite>Chienne allaitant ses
+petits</cite>, un des chefs-d'&oelig;uvre du peintre Oudry,
+<span class="pagenum"><a id="Page_10"> 10</a></span>
+on voyait réunis, sans compter Diderot et le
+maître de la maison, J.-J. Rousseau, d'Alembert,
+Duclos, Marmontel, Helvétius, de Jaucourt,
+Raynal, Morellet, de la Condamine,
+M. de Gauffecourt, M. de Margency, etc.<a name="FNanchor_6" id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">&nbsp;[6]</a>.</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_6" id="Footnote_6" href="#FNanchor_6" class="label">[6]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_10_note_6">note 6</a></p></div>
+
+<p>Le curé de Montchauvet est introduit. On lui
+fait fête; on l'invite à s'asseoir. Il promène ses
+regards de tous côtés: il ne voit que des visages
+riants; cela l'encourage. Pourtant, il aperçoit
+dans un coin du salon une figure renfrognée.
+C'était J.-J. Rousseau, qui flairait une mystification,
+et qui, avec sa probité à toute épreuve,
+était résolu à faire le rôle d'honnête homme.&mdash;C'est
+un jaloux, se dit l'abbé; mais qu'importe?...
+Et il déroule lentement son manuscrit.&mdash;D'abord,
+messieurs, leur dit-il, je dois
+vous lire l'épître que je me permets d'adresser à
+Madame de Pompadour.</p>
+
+<p>Cette épître commençait par un vers assez
+singulier:</p>
+
+<p class="quote">Rentrez dans le néant, race de mendiants...</p>
+
+<p>C'était pour flétrir les poètes qui font des
+<span class="pagenum"><a id="Page_11"> 11</a></span>
+dédicaces en vue de gagner de l'argent.&mdash;Oh!
+oh! Monsieur le curé, lui dit-on de toutes
+parts, l'épithète n'est-elle pas un peu violente?&mdash;Non,
+messieurs,</p>
+
+<p class="quote">Point d'enfant d'Apollon, s'il ne rime gratis.</p>
+
+<p>Et, continuant sa lecture, il déclame avec
+emphase ces deux vers:</p>
+
+<p class="quote">Tout ainsi comme Icare, parcourant la lumière,<br />
+Dans un rayon brûlant vit fondre sa carrière...</p>
+
+<p>&mdash;Voilà, lui dit Marmontel, un vers admirable!
+mais ces sortes de vers doivent être bien
+difficiles à trouver.&mdash;Cela est vrai, répondit
+le curé en pâlissant de joie et de vanité; mais
+aussi est-on bien content quand on a trouvé.</p>
+
+<p>L'épître finie, le curé, avant de commencer
+la lecture de sa tragédie, pria la société de lui
+permettre d'exposer rapidement sa théorie du
+poème dramatique. Corneille l'a fait, ajouta-t-il:
+compatriote de Corneille, ne puis-je pas faire
+comme lui?&mdash;Sans aucun doute, monsieur
+l'abbé, s'écrièrent en ch&oelig;ur tous les convives.&mdash;Vils
+flatteurs, murmurait dans son coin le
+<span class="pagenum"><a id="Page_12"> 12</a></span>
+citoyen de Genève.&mdash;Ma théorie est bien
+simple, messieurs. Donnez-moi un sujet quelconque.</p>
+
+<p>&mdash;<em>Balthazar</em>, dit une voix.</p>
+
+<p>&mdash;<em>Balthazar</em>, soit! Eh bien! vous savez,
+messieurs, que, pendant le souper de ce roi
+impie, on vit une main écrire sur les murs les
+mots: <em>Mané, Thécel, Pharès</em>. Il s'agit donc de
+savoir si le roi soupera ou non; car, s'il ne
+soupe pas, la main n'écrira pas. Or je n'ai
+qu'à inventer deux acteurs. Le premier veut que
+le roi soupe, le second ne le veut pas, et cela
+alternativement. Si moi, poète tragique, je
+veux que le roi soupe, celui-là parlera le premier.
+Ainsi:</p>
+
+<p>I<sup>er</sup> acte: <em>Le roi soupera</em>;</p>
+
+<p>2<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p>
+
+<p>3<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>;</p>
+
+<p>4<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p>
+
+<p>5<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>.</p>
+
+<p>Si, au contraire, je ne veux pas que le roi
+soupe, voici quel sera mon plan:</p>
+
+<p>I<sup>er</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p>
+
+<p>2<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>;</p>
+
+<p>3<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_13"> 13</a></span>
+4<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>;</p>
+
+<p>5<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>.</p>
+
+<p>Voilà, messieurs, tout le mystère.</p>
+
+<p>Un murmure approbateur accueillit ces paroles.
+Le poète commença alors la lecture de
+sa tragédie. Tous les philosophes, rangés en
+cercle, écoutaient attentivement. M. de la
+Condamine, entre autres, avait tiré le coton de
+ses oreilles pour mieux entendre<a name="FNanchor_7" id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor">&nbsp;[7]</a>; mais,
+dès la première scène, sa patience était à bout.
+Dans la seconde, David paraît; il se plaint que
+l'amour le tourmente jour et nuit et l'empêche
+de dormir. Il a cependant de quoi s'occuper;
+il a de nouveaux ennemis, dit-il:</p>
+
+<p class="quote">Quatre rois, vive Dieu! ci-devant mes amis...</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_7" id="Footnote_7" href="#FNanchor_7" class="label">[7]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_13_note_7">note 7</a></p></div>
+
+<p>&mdash;<em>Vive Dieu</em>! s'écria M. de la Condamine,
+et pourquoi pas <em>Ventre Dieu</em>? Et, remettant le
+coton dans ses oreilles, il sortit brusquement.</p>
+
+<p>&mdash;Voilà, dit le curé froidement, un homme
+qui ne sait pas que <em>Vive Dieu</em>! est le serment
+des Hébreux.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_14"> 14</a></span>
+Ces quatre rois, «ci-devant les amis» de
+David, ont embrassé la querelle du barbare
+Hanon...</p>
+
+<p>A ce mot malencontreux, cinq ou six auditeurs
+se récrient.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! messieurs, dit le curé d'un air de
+profonde pitié, ce nom sonne mal à vos oreilles,
+apparemment à cause de la ridicule équivoque
+de celui d'<em>ânon</em>, animal si connu et si commun.
+Pour moi, je pense qu'un nom, par lui-même,
+n'a rien qui doive offenser. L'Écriture s'en est
+servie; elle a bien les oreilles aussi délicates
+que les nôtres.</p>
+
+<p>&mdash;Mais, lui dit Duclos, ajoutez une lettre
+à ce nom, et l'équivoque cessera.</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur, répartit le curé, vous voulez
+sans doute que je fasse de ce personnage un
+Carthaginois?</p>
+
+<p>Dans un autre endroit, Bethsabée, pressée
+par David «de le rendre heureux», veut le
+piquer d'honneur, et lui rappelant ses grandes
+actions passées, elle dit:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Vous sûtes arracher Saül à ses furies,</p>
+<p>Où ce prince, vainqueur de mille incirconcis,</p>
+<p>Frémissait que David en eût dix mille occis.</p>
+</div></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_15"> 15</a></span>
+&mdash;Ah! Dieu! quels vers! s'écria le citoyen
+de Genève; et pourquoi <em>occis</em>? pourquoi
+pas <em>tués</em>?</p>
+
+<p>&mdash;Je pourrais, riposta sèchement le curé,
+vous répondre que <em>tués</em> ne rime pas à <em>incirconcis</em>;
+mais apparemment que vous imaginez
+que <em>tué</em> et <em>occis</em> sont des synonymes. Apprenez,
+monsieur, que cela n'est pas. On dit tous les
+jours: Cet homme me <em>tue</em> par ses discours, et
+l'on n'en est pas <em>occis</em> pour cela.</p>
+
+<p>&mdash;J'avoue, reprit le citoyen, qu'il doit être
+fort fâcheux d'être <em>occis</em>; mais je ne me soucierais
+pas même d'être <em>tué</em>.</p>
+
+<p>Le curé de Montchauvet poursuivit sa lecture,
+sans s'arrêter plus qu'il ne convenait à cette
+misérable querelle de mots.</p>
+
+<p>Arrivé à un passage où il faisait rimer <em>angoisse</em>
+et <em>tristesse</em>, Rousseau l'interrompit de nouveau:</p>
+
+<p>&mdash;<em>Angoisse</em> et <em>tristesse</em> ne riment pas; vous
+êtes trop hardi, monsieur le curé.</p>
+
+<p>&mdash;Trop hardi, monsieur? Cette rime est
+neuve; voilà tout.</p>
+
+<p>&mdash;Dites étrange, monsieur le curé.</p>
+
+<p>&mdash;Étrange, monsieur? Mais, vous, savez-vous
+bien ce que c'est que la rime?</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_16"> 16</a></span>
+&mdash;J'ose le croire, monsieur le curé.</p>
+
+<p>&mdash;On ne s'en douterait guère, et...</p>
+
+<p>La dispute allait s'envenimer: un geste de
+d'Holbach rétablit la paix.</p>
+
+<p>&mdash;Continuez, dit-il au curé de Montchauvet,
+nous vous écoutons.</p>
+
+<p>Vers le milieu du deuxième acte, Bethsabée
+dit à sa confidente:</p>
+
+<p class="quote">Le roi ne m'offre plus que d'<em>innocentes</em> charmes.</p>
+
+<p>&mdash;Pardon, monsieur le curé, interrompit un
+des auditeurs, <em>charme</em> est du masculin.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! vous le prenez comme cela,
+messieurs, répondit l'abbé; eh bien, dans la
+scène suivante, vous le trouverez masculin; j'ai
+tâché de contenter tout le monde.</p>
+
+<p>Plus loin, il faisait rimer <em>superflu</em> et <em>plus</em>.</p>
+
+<p>&mdash;Cette rime n'est pas exacte, dit Marmontel.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! vraiment; et pourquoi cela?</p>
+
+<p>&mdash;C'est que <em>superflu</em>, étant au singulier, n'a
+point d's, et par conséquent ne peut rimer avec
+<em>plus</em>.</p>
+
+<p>Point d'<em>s</em>, reprit vivement le curé en
+<span class="pagenum"><a id="Page_17"> 17</a></span>
+mettant son manuscrit sous le nez de Marmontel,
+point d'<em>s</em>! Mais je vous prie de remarquer,
+monsieur, que j'en ai mis une<a name="FNanchor_8" id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor">&nbsp;[8]</a>.</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_8" id="Footnote_8" href="#FNanchor_8" class="label">[8]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_17_note_8">note 8</a></p></div>
+
+<p>Et il continua intrépidement sa lecture.</p>
+
+<p>On lui avait fait croire que M. de Margency
+était un poète de profession, et qu'il aurait en
+lui un dangereux concurrent. Il n'est sorte de
+bassesse que ne lui fit le curé de Montchauvet.
+M. de Margency, comme on en était convenu
+auparavant, se fit le champion à outrance
+du poète bas-normand. Aussi, c'était vers lui
+qu'il se tournait de préférence.</p>
+
+<p>Au milieu d'une des plus pompeuses tirades,
+il entend un léger bruit. C'était M. de Gauffecourt
+qui riait tout bas dans ses mains.</p>
+
+<p>&mdash;Vous riez, monsieur, lui dit le curé du
+ton dont il aurait apostrophé un bambin au
+catéchisme?</p>
+
+<p>&mdash;Non, monsieur, répondit M. de Gauffecourt
+avec un grand sérieux; je n'ai ri de ma
+vie.</p>
+
+<p>On arrive, sans autre incident, au quatrième
+acte. Tout le monde se lève. On prie le curé de
+<span class="pagenum"><a id="Page_18"> 18</a></span>
+Montchauvet d'arrêter là sa lecture. Il doit être
+épuisé de fatigue; on lui donnera une nouvelle
+séance pour achever sa tragédie; on n'en
+veut pas perdre un seul vers.</p>
+
+<p>Chacun s'empresse autour de lui, et lui serre
+les mains: «Vous surpassez Racine, et vous
+égalez Corneille!»</p>
+
+<p>Le curé absorbe avec intrépidité ces louanges
+ironiques; il se rengorge; son nez s'agite, se
+dilate de plus en plus. Tout à coup, J.-J.
+Rousseau se précipite vers lui, lui arrache son
+manuscrit et le jette à terre:</p>
+
+<p>&mdash;Votre tragédie est absurde, mon cher
+curé; ces messieurs,&mdash;vous ne le voyez donc
+pas?&mdash;se moquent de vous. Retournez vicarier
+dans votre village.</p>
+
+<p>L'abbé, rouge de colère, fond sur Rousseau;
+en vrai poète tragique, il veut l'<em>occire</em>. On sépare
+à grand'peine les deux combattants. Rousseau
+sort furieux, pour ne plus remettre les pieds
+chez le baron d'Holbach. On arrête le curé, qui
+le menace du poing et veut courir après lui
+dans la rue. On réussit à le calmer un peu, en
+lui peignant Rousseau comme un poète jaloux
+de sa gloire naissante.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_19"> 19</a></span>
+On peut bien penser que Diderot ne fut pas
+l'un des moins empressés à verser du baume sur la
+blessure faite par Rousseau à la vanité du poète.</p>
+
+<p>&mdash;Votre pièce est excellente, monsieur le
+curé, lui dit-il; je m'y connais: elle aura le
+plus grand succès au théâtre, si toutefois vous
+y apportez quelques modifications que je crois
+indispensables... Me permettez-vous, monsieur
+le curé, de vous faire une légère critique?</p>
+
+<p>&mdash;Parlez, monsieur, dit le curé, pris par le
+ton bienveillant que Diderot donnait à ses paroles.
+Je ne puis recevoir que des conseils
+judicieux d'un esprit aussi éminent.</p>
+
+<p>&mdash;Eh bien, monsieur l'abbé, puisque vous
+m'autorisez à vous dire toute ma pensée, je
+vous avouerai que votre pièce ne me semble
+pas assez chargée d'incidents; que la plupart
+des incidents ne se passant pas sur la scène, je
+trouve,&mdash;excusez ma franchise,&mdash;la scène
+un peu trop muette. Il est vrai que votre pièce
+est une pièce sainte; mais ce n'en est pas moins
+un défaut, à mon humble avis.</p>
+
+<p>Tout le monde s'attendait à une explosion
+de colère; il n'en fut rien. Le curé répondit
+d'un air suffisant:</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_20"> 20</a></span>
+&mdash;Je l'avais senti, monsieur, mais je n'ai
+pu faire autrement; d'ailleurs, ces sortes de
+pièces sont sujettes à ce défaut... Toutefois,
+vous conviendrez avec moi que j'ai suppléé à
+la sécheresse des récitatifs par une versification
+assez heureuse.</p>
+
+<p>&mdash;Cela est vrai, dit M. de Margency, celui
+des auditeurs qui s'était fait le champion du
+curé. A mon tour, ajouta-t-il, je reprendrai
+l'objection faite par M. Diderot, et je demanderai
+à monsieur le curé pourquoi il n'a pas
+placé sur la scène la baignoire de Bethsabée?
+Son récit est plein de beaux vers, je le proclame
+bien haut, mais Horace a dit:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p><i lang="la" xml:lang="la">Segnius irritant animos demissa per aurem</i></p>
+<p><i lang="la" xml:lang="la">Quant quæ sunt oculis subjecta fidelibus, et quæ</i></p>
+<p><i lang="la" xml:lang="la">Ipse sibi tradit spectator.</i></p>
+</div></div>
+
+<p>&mdash;Sans doute, monsieur; mais Horace
+n'ajoute-t-il pas:</p>
+
+
+<div class="poetry"><div class="stanza"><p class="i11"> <i lang="la" xml:lang="la">Non tamen intus</i></p>
+<p><i lang="la" xml:lang="la">Digna geri promes in scenam; multaque tolles</i></p>
+<i lang="la" xml:lang="la">Ex oculis, quæ mox narret facundia præsens...</i>
+</div></div>
+
+<p>&mdash;Je suis battu, dit M. de Margency.</p>
+
+<p>Puis, se tournant vers ses amis:</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_21"> 21</a></span>
+&mdash;Quoi qu'en dise Horace, messieurs, ne
+regrettez-vous pas, comme moi que M. le curé
+n'ait pu mettre sur la scène la baignoire de
+Bethsabée? Vive Dieu! comme M<sup>lle</sup> Clairon...<a name="FNanchor_9" id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor">&nbsp;[9]</a></p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_9" id="Footnote_9" href="#FNanchor_9" class="label">[9]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_21_note_9">note 9</a></p></div>
+
+<p>&mdash;Pardon, monsieur, interrompit le curé,
+la rougeur au front; mais vous oubliez que ma
+tragédie est une tragédie sainte, et que rien
+n'y doit offenser les oreilles ou les yeux des
+spectateurs chrétiens.</p>
+
+<p>&mdash;<i lang="la" xml:lang="la">Omnia sancta sanctis</i>, monsieur le curé; je
+tiens à la baignoire. Et vous, messieurs?</p>
+
+<p>&mdash;Oui, oui, il nous faut la baignoire, s'écrièrent
+ensemble les convives de d'Holbach.</p>
+
+<p>&mdash;Messieurs, je ne puis vous l'accorder.
+N'insistez pas, je vous prie.</p>
+
+<p>&mdash;Nous respectons vos scrupules, dit M. de
+Margency; qu'il soit fait selon votre désir...
+Mais, poursuivit-il, qu'il me soit permis, avant
+de nous séparer, d'ajouter un mot encore...</p>
+
+<p>Le curé dressa l'oreille.</p>
+
+<p>&mdash;Vous êtes du pays du grand Corneille,
+monsieur le curé; nous ne le saurions pas, que
+votre style nous l'aurait bien vite appris. Comment
+<span class="pagenum"><a id="Page_22"> 22</a></span>
+avez-vous fait pour arriver du premier
+coup à cette mâle vigueur, dont l'auteur de
+<cite>Polyeucte</cite> et vous avez seuls le secret?</p>
+
+<p>&mdash;Messieurs, répondit l'abbé, si mon style a
+quelque ressemblance avec celui de Corneille,
+je le dois à la lecture approfondie que j'ai faite
+de ce grand poète; mais qu'on ne m'accuse
+d'aucun plagiat: j'affirme solennellement que
+mon style est à moi, et bien à moi... Je vois,
+monsieur, continua le curé, en s'approchant
+de M. de Margency, que vous êtes, comme on
+dit, un homme du métier, et je ne doute pas
+que vos pièces n'aient obtenu sur la scène un
+légitime succès.</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur le curé, dit de Margency, mes
+amis veulent bien m'accorder quelque talent;
+mais, malgré leurs conseils, je dirai plus, malgré
+leurs instantes prières, je n'ai jamais consenti
+à laisser jouer mes pièces. Vous l'avouerai-je,
+monsieur le curé? j'ai peur...</p>
+
+<p>&mdash;Et de quoi, monsieur, je vous prie?</p>
+
+<p>&mdash;D'être sifflé.</p>
+
+<p>Puis, faisant un geste tragique: je crois que
+j'en mourrais!</p>
+
+<p>&mdash;Mon ami, lui dit Diderot, ayez plus de
+<span class="pagenum"><a id="Page_23"> 23</a></span>
+confiance en vous-même. Osez, et je vous prédis
+le succès, comme je le prédis à M. le curé
+de Montchauvet.</p>
+
+<p>&mdash;Ne me comparez pas, je vous prie, avec le
+rival de Pierre Corneille!</p>
+
+<p>&mdash;Que du moins son exemple vous enflamme,
+et, puisque vous travaillez actuellement
+à une tragédie de <cite>Nabuchodonosor</cite>, soumettez-la
+au jugement de M. le curé... Puis, s'adressant
+à l'abbé: Si nous osions, monsieur, vous prier
+de traiter le même sujet, voudriez-vous nous
+refuser, dans l'intérêt de notre ami qui brûle de
+marcher sur vos traces?</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur, dit d'Holbach qui, pendant
+toute cette scène, avait gardé le plus grand
+sérieux, mes amis et moi nous vous attendons
+dimanche prochain. Vous achèverez la lecture
+de votre tragédie, et vous nous lirez, n'est-ce
+pas? la première scène de <cite>Nabuchodonosor</cite>;
+c'est un sujet extrêmement difficile et délicat.
+Nous ne doutons nullement que vous ne
+vous en tiriez avec l'habileté dont vous avez
+fait preuve dans votre tragédie de <cite>Bethsabée</cite>.
+Pour vous, dit d'Holbach à de Margency,
+vous saurez dimanche si vous devez affronter
+<span class="pagenum"><a id="Page_24"> 24</a></span>
+la scène ou brûler vos manuscrits. Vous connaissez
+notre franchise. Nous vous promettons
+un jugement sincère. A dimanche donc, monsieur
+le curé!</p>
+
+<p>Le curé promit de se rendre à cette aimable
+invitation.</p>
+
+<p>On se sépara. La vanité du curé de Montchauvet
+était aussi énorme que son talent était
+mince; aussi était-il loin de se douter qu'il
+venait de servir de bouffon aux convives habituels
+du baron d'Holbach. Cependant, malgré
+le plaisir que lui avaient causé les éloges de
+Diderot, de d'Holbach et de Margency, il était
+mécontent: il aurait voulu plus d'éloges encore;
+et il était indigné que l'on ne se fût pas montré
+plus sévère à l'égard de cet impertinent de
+Rousseau.</p>
+
+<p>Le lendemain, il rencontra M. de Margency
+et se plaignit beaucoup.&mdash;Si je fréquentais
+ces messieurs, lui dit-il, je finirais par soupçonner
+mes vers d'être plats: cependant, je suis
+bien sûr du contraire; et ils n'ont qu'à examiner
+leurs observations avec autant de sévérité que
+ma tragédie, ils verront ce qu'il y aura plat.
+Au demeurant, ce n'est pas que leur critique
+<span class="pagenum"><a id="Page_25"> 25</a></span>
+m'effraie: je ne tiens pas à ma pièce en auteur
+servile; j'en ai fait chaque vers triple, et je puis,
+comme vous voyez, sacrifier tout ce qu'on veut,
+sans que j'en sois plus mal à mon aise.</p>
+
+<p>M. de Margency l'assura fort qu'il avait laissé
+la société dans une grande admiration de ses
+talents; mais il n'en voulut rien croire: «Je
+les ai vus rire souvent pendant la lecture, répondit-il,
+et on ne rit pas dans une tragédie,
+quand on est de bonne foi... Enfin, je vois ce
+que c'est. Ces messieurs redoutent les ouvrages
+d'une certaine trempe et qui pourraient fixer
+l'attention du public, ils n'ont que leur <cite>Encyclopédie</cite>
+dans la tête: ils craignent que mes succès
+ne fassent tort aux leurs. Mais le public
+saura bien rendre justice à chacun.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_26"> 26</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<h3>II</h3>
+</div>
+
+<p>C'est dans ces sentiments que le curé de
+Montchauvet reprit, trois jours après cette mémorable
+séance, le chemin de la basse Normandie.
+Pour se consoler de l'injustice des
+Philosophes, il fit imprimer à Rouen sa tragédie,
+qui parut sous ce titre: <cite>David et Bethsabée</cite>, tragédie
+par M. l'abbé ***. Prix, 36 sols.&mdash;A
+Londres [Rouen], aux dépens de la Compagnie,
+1754.</p>
+
+<p>Lorsque l'imprimeur lui eut envoyé son
+ballot, l'abbé prit la plume et adressa à l'abbé
+Basset une longue lettre, que celui-ci s'empressa
+de communiquer à Diderot et que le philosophe
+lut à ses amis. En voici quelques extraits:</p>
+
+<div class="blocquote">
+<p class="town">«De Montchauvet.</p>
+
+<p>«Je suis parti, monsieur et cher abbé, plein
+du souvenir de vos bontés. Je me suis hâté de
+quitter un séjour où je commençais à goûter
+quelque satisfaction, mais où je devenais à
+<span class="pagenum"><a id="Page_27"> 27</a></span>
+charge à quelques-uns. Disons-le: ils ont pris
+de l'ombrage d'une pièce où ils ont cru reconnaître
+des beautés que le public n'y reconnaîtra
+peut-être pas: ils m'ont envié un je ne sais quoi
+que la nature ou le hasard m'a prodigué... On
+m'apprit, avant de partir, que ce qui les avait
+irrités, c'était la pièce adressée à M<sup>me</sup> la marquise.
+Ils ont rugi à ces mots de <em>vils mendiants</em>,
+et ils ont mis le curé de Montchauvet à toutes
+sauces... Quoi qu'il en soit, dans le procédé
+qu'ils ont tenu avec moi, ils ont cru me faire
+leur dupe. Ils y ont réussi jusqu'à un certain
+point, parce qu'ils ont abusé de ma franchise.
+Qu'ai-je perdu, sinon de ne pas croire que ma
+pièce était plus digne de voir le jour que je ne
+l'espérais? Elle le voit actuellement en beau papier
+et en caractères bien nets<a name="FNanchor_10" id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor">&nbsp;[10]</a>: elle se vendra
+trente-six sous... Voilà donc le moment
+de sa mort ou de sa vie. Le public, qui voit
+toujours avec de bons yeux, du moins pour
+l'ordinaire, la disséquera comme il l'entendra
+bien. Si elle ne lui plaît pas, je n'aurai garde
+d'en appeler; mais je ne me rebuterai pas, je
+<span class="pagenum"><a id="Page_28"> 28</a></span>
+m'étudierai à faire mieux. Tant que ma veine
+voudra couler, je vous proteste, mon cher abbé,
+que rien ne sera capable de l'arrêter... J'ai déjà
+commencé une seconde pièce. Lorsqu'elle sera
+faite, j'en ferai sévèrement la critique, ainsi que
+de cette première. Comme l'honneur du théâtre
+ni l'intérêt ne me guident point, ne travaillant
+qu'à braver l'ennui de ma solitude, j'apporterai
+avec moi cette seconde tout imprimée, au moyen
+de quoi je ne me verrai plus exposé à lire
+mon manuscrit sur la sellette, devant des gens
+surtout qui vous rient dans leurs mains, au lieu
+d'être touchés, ou qui feignent d'applaudir,
+sans savoir seulement ce que c'est qu'enchaînement
+de scènes, ni peut-être qu'une rime...
+Maintenant, mon cher abbé, j'ai l'honneur de
+vous prévenir que je vous en enverrai un
+exemplaire et plusieurs en pur don pour les
+personnes à qui je vous prierai d'avoir la bonté
+de les remettre. Je compte que vous les recevrez
+la semaine prochaine avec une lettre d'avis:
+ce seront deux ports de lettre que je vous ferai
+coûter. Ayez pour agréable de me mander, au
+reçu de la présente, à Montchauvet, par Aunay,
+à la Plumaudière, si vous voulez vous
+<span class="pagenum"><a id="Page_29"> 29</a></span>
+donner la peine de m'en débiter. Dans le cas
+où vous pourriez vous en défaire, ce serait à
+l'acquit de ce que mon frère et moi nous vous
+devons. Excusez-moi de la longueur de ma
+lettre, je l'attends de votre indulgence. J'écris
+à M. l'abbé Fréron, et je lui envoie deux exemplaires,
+un pour lui, et l'autre pour M<sup>me</sup> son
+épouse, en pur don<a name="FNanchor_11" id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor">&nbsp;[11]</a>; vous voyez que je
+fais les choses libéralement et que je ne regarde
+pas à trente-six sous, lorsqu'il le faut. Adieu,
+mon cher abbé, etc.»</p>
+</div>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_10" id="Footnote_10" href="#FNanchor_10" class="label">[10]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>.<a href="#Page_29_note_10"> note 10</a></p></div>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_11" id="Footnote_11" href="#FNanchor_11" class="label">[11]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_29_note_11"> note 11</a></p></div>
+
+<p class="p2">Nous avouerons sans peine, avec Grimm,
+que quelques centaines de pareilles lettres feraient
+un excellent recueil.</p>
+
+<p>Toutefois, il est à remarquer que le curé de
+Montchauvet ne parle pas, dans cette lettre,
+d'un envoi que dut lui faire M. de Margency,
+quelques jours après son départ pour la Normandie.</p>
+
+<p>M. de Margency lui avait dit, on s'en souvient,
+qu'il lui soumettrait, le dimanche suivant,
+la première scène de sa tragédie de <cite>Nabuchodonosor</cite>.
+<span class="pagenum"><a id="Page_30"> 30</a></span>
+L'abbé devait, de son côté, apporter une
+scène sur le même sujet. De Margency, ayant
+appris le départ inopiné du curé, lui envoya
+son travail, accompagné d'une épître dédicatoire.
+Voici ces deux bouffonneries:</p>
+
+<p><cite>Épître à M. l'abbé Petit, curé du Mont Chauvet</cite>.</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Corneille du Chauvet, rimeur alexandrin,</p>
+<p>Crois-moi, laisse-les dire, et va toujours ton train.</p>
+<p>Ne t'aperçois-tu pas qu'envieux de ta gloire,</p>
+<p>Tes ennemis font tout pour t'empêcher de boire</p>
+<p>Au ruisseau d'Hippocrène, où Sophocle buvoit</p>
+<p>Les chefs-d'&oelig;uvre qu'il fit, les beautés qu'il trouvoit?</p>
+<p>Presque semblable à lui, quand tu touches la rime,</p>
+<p>Tu te sers du rabot et jamais de la lime;</p>
+<p>C'est-à-dire que, loin de coudre bout à bout</p>
+<p>Des mots cherchés longtemps, tu fais bien tout d'un coup;</p>
+<p>Voilà ce qui s'appelle un esprit bien facile,</p>
+<p>Tu scandes en Homère et rimes en Virgile,</p>
+<p>Et c'est ce qui déplaît à ces auteurs jaloux;</p>
+<p>Va, moque-toi d'iceux, et ris de leur courroux.</p>
+<p>Ils ont bu comme toi des eaux hippocréniques:</p>
+<p>Bientôt tu les verras crever en hydropiques,</p>
+<p>Et, tombant à tes pieds, poussifs et crevassés,</p>
+<p>Ils <em>moureront</em> tués, occis et trépassés.</p>
+</div></div>
+
+<p>«Mon poétique cheval, Monsieur, qui se
+déferre en ce moment, m'oblige de descendre
+<span class="pagenum"><a id="Page_31"> 31</a></span>
+de la rime à la prose; permettez-moi donc de
+vous dire en son langage que votre immortelle
+et jolie pièce vous a fait bien des jaloux; mais
+n'en redoutez rien. Je viens de vous annoncer
+dans mes épiques vers et leur sort et le vôtre.
+D'ailleurs, consolez-vous avec les admirateurs
+qui vous restent. Comme j'y touche aussi quelquefois,
+à cette poésie, permettez-moi de vous
+consulter sur la tragédie que j'ai entreprise et
+dont je vous envoie une scène pour échantillon.
+Le sujet est, comme vous le savez, le fameux
+<cite>Nabuchodonosor</cite>. Je suis bien étonné que ce
+grand homme ait échappé à tant de célèbres
+auteurs. J'imagine qu'apparemment ils ne l'auront
+regardé que comme une grande bête,
+comme vous avez pu le regarder vous-même.
+Quoi qu'il en soit, voici ma scène. Nabuchodonosor
+entretient Isabelle avant de l'épouser.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_32"> 32</a></span></p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p class="i6">SCÈNE</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i2"><span class="large smcap">Nabuchodonosor, Isabelle</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Avant qu'à vos pieds beaux je mette ma couronne,</p>
+<p>Écoutez-moi, princesse, et charmante personne;</p>
+<p>Je n'allongerai pas, et je vous en répond,</p>
+<p>Car, de mon naturel, je ne suis pas fort long</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i6"><span class="smcap">ISABELLE</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Ah! grand prince, tant pis! ..Mais qu'avez-vous à dire?</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Reine, asseyez-vous là, je vais vous en instruire.</p>
+<p>Je fus jeune autrefois, et même fort bien fait;</p>
+<p>J'avois l'air d'un amour, du moins on le disoit.</p>
+<p>Vous ne l'auriez pas cru?</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i6"><span class="smcap">ISABELLE.</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i11"> Il est vrai, cher grand prince,</p>
+<p>Qu'il vous reste à présent une mine assez mince.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Pas tant... Mais il n'importe ..Écoutant mes désirs,</p>
+<p>Je me divertissois dans les plus grands plaisirs;</p>
+<p>Ma cour, modèle en tout de faste et d'élégance,</p>
+<p>Réunissoit encor la joie et l'opulence;</p>
+<div><span class="pagenum"><a id="Page_33"> 33</a></span></div>
+<p>Mille jeunes beautés, qui ne vous valoient pas,</p>
+<p>Pleines de mes bienfaits, me prêtoient leurs appas;</p>
+<p>Je vantois en tout lieu mon pouvoir, mes richesses,</p>
+<p>Ma taille, mes bons mots, mes chiens et mes maîtresses.</p>
+<p>Hélas! pour mon malheur je me vantai trop bien.</p>
+<p>Le jaloux ciel piqué rabaissa mon maintien;</p>
+<p>Il m'en punit, ce ciel: sa céleste colère</p>
+<p>Donna dans mon endroit un exemple à la terre;</p>
+<p>Je perdis dans un jour mon sceptre, mes États;</p>
+<p>Une nuit je me vis velu comme les chats;</p>
+<p>Sur mon corps tout courbé tous mes poils s'allongèrent,</p>
+<p>De mon front menaçant deux cornes s'élevèrent,</p>
+<p>Les seules, Dieu merci, que l'on m'ait vu porter...</p>
+<p>Madame, en cet état, il fallut décamper.</p>
+<p>Enfin je descendis du trône à quatre pattes.</p>
+<p>(Où vas-tu nous fourrer, orgueil, quand tu nous flattes!)</p>
+<p>Pour vous le couper court, et soit dit entre nous,</p>
+<p>Je fus bête sept ans avant que d'être à vous.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i6"><span class="smcap">ISABELLE.</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Prince, que dites-vous?... Mais peut-être qu'encore...</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Je crois que vous raillez, madame la pécore!</p>
+<p>Taisez-vous, reine en herbe; écoutez jusqu'au bout.</p>
+<p>Galeux donc comme un braque, et velu comme un loup,</p>
+<p>Je gagnai les forêts, les vallons, les montagnes;</p>
+<p>La nuit j'allois brouter dans les vertes campagnes.</p>
+<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p>
+</div></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_34"> 34</a></span>
+(<em>Ici doit être un magnifique morceau poétique de la vie que
+Nabuchodonosor menoit à la campagne, comme une bête.</em>)</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Enfin le ciel touché mit fin à son courroux.</p>
+<p>«Quittez les bois, dit-il, allez-vous-en chez vous;</p>
+<p>Vous aviez, mon ami, la tête trop superbe:</p>
+<p>Pour vous la rafraîchir, il vous falloit de l'herbe;</p>
+<p>Le ciel est toujours ciel, et l'on s'en moque en vain.</p>
+<p>Vous vous croyiez un Dieu: vous n'êtes qu'un faquin;</p>
+<p>Tournez-moi les talons...» Aussitôt, sans trompette,</p>
+<p>Je quittai dans la nuit ma champêtre retraite.</p>
+<p>Enfin, au point du jour, je me rendis chez moi.</p>
+<p>Mon peuple me reçut et reconnut son roi.</p>
+<p>Je fus un peu malade après cette aventure:</p>
+<p>L'estomac, tout farci de foin et de verdure,</p>
+<p>Me donna des hoquets et des indigestions;</p>
+<p>Il fallut recourir aux évacuations.</p>
+<p>Mon premier médecin m'ordonna la rhubarbe;</p>
+<p>Le lendemain, ce fut un furieux jour de barbe.<a name="FNanchor_12" id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor">&nbsp;[12]</a></p>
+</div></div>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_12" id="Footnote_12" href="#FNanchor_12" class="label">[12]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_34_note_12">note 12</a></p></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_35"> 35</a></span></p>
+
+<h3>III</h3>
+
+<p>Le <em>Club holbachique</em> s'était proposé d'achever
+de rendre fou le curé de Montchauvet, s'il y
+manquait quelque chose. Ils y réussirent; car,
+l'année suivante, le curé revint à Paris et n'hésita
+pas un seul instant à soumettre aux encyclopédistes
+la nouvelle pièce qu'il avait rimaillée
+au fond de son village. C'était la tragédie de
+<em>Baltazard</em>, dans laquelle, pendant quatre mortels
+actes, il s'agit de savoir,&mdash;selon la fameuse
+théorie inventée par l'abbé Le Petit,&mdash;si le roi
+soupera ou s'il ne soupera pas.</p>
+
+<p>On voit d'abord paraître les deux mages,
+Hyrcan et Arbate. Baltazard vient d'être vaincu.
+Sans aucun doute, la défaite du roi les affecte
+profondément; mais ce qui les tourmente par-dessus
+tout, c'est la crainte de ne pas souper.</p>
+
+<p>Pendant qu'ils délibèrent, sans rire, sur cette
+grave question, survient Aristée, femme du roi
+et fille d'Abradate, roi de la Susiane; elle vient
+(elle ne s'en cache pas) pour faire un monologue;
+<span class="pagenum"><a id="Page_36"> 36</a></span>
+mais comme la présence des deux mages
+la gêne: «Éloignez-vous...» leur dit-elle.
+Alors elle demande aux Dieux, qu'elle appelle
+«puissants moteurs», de lui rendre compte
+de l'indigne sort de son époux: «Que vais-je
+devenir?» s'écrie-t-elle:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Où fuir et dans quels lieux, quelle obscure contrée,</p>
+<p>Dérober aux humains une reine éplorée?</p>
+</div></div>
+
+<p>Mais, tout bien réfléchi, elle ne veut pas se risquer</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p class="i11"> Chez un peuple farouche,</p>
+<p>Sans espoir d'y fléchir des c&oelig;urs que rien ne touche.</p>
+</div></div>
+
+<p>Mieux vaut aller trouver Baltazard et périr avec
+lui. Baltazard lui épargne cette peine. Il vient,</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p class="i9"> Non pas brillant de gloire,</p>
+<p>Et tel qu'à son départ il vantait sa victoire...</p>
+</div></div>
+
+<p>Il est vaincu, mais il n'est pas découragé. A
+l'entendre faire le récit de la bataille qu'il a
+perdue, on croirait presque qu'il l'a gagnée:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Je m'avance à grands pas dans le sein de la gloire;</p>
+<p>Tout nage dans le sang; une grêle de dards</p>
+<p>Fait du jour une nuit; ce n'est de toutes parts</p>
+<p>Qu'un spectacle effrayant d'hommes qui s'embarrassent,</p>
+<p>De chevaux renversés, de chars qui se fracassent.</p>
+</div></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_37"> 37</a></span>
+Qu'allez-vous faire? lui demande Aristée.
+Tâchez de fléchir notre vainqueur:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>S'il en est temps encor, proposez-lui la paix,</p>
+<p>Et cherchez dans lui-même un ami pour jamais.</p>
+</div></div>
+
+<p>Non, répond Baltazard, je veux souper, et</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Dans ces vases sacrés qu'à Sion on regrette</p>
+<p>J'éteindrai mes chagrins, ma honte et ma défaite;</p>
+<p>Et, dût vomir le Juif mille imprécations,</p>
+<p>Je les ferai servir à mes libations.</p>
+</div></div>
+
+<p>Cette impiété donne le frisson à la reine.&mdash;Ne
+soupez pas, seigneur, lui dit elle, ou du
+moins ne soupez que si les mages l'ordonnent.</p>
+
+<p>Baltazard est bien contrarié de voir que
+l'<em>indifférence</em> de la reine</p>
+
+<p class="quote">Refuse à ses malheurs la moindre déférence.</p>
+
+<p>Mais enfin il cède: il consultera les devins.
+Hyrcan et Arbate accourent. <em>Secourez-moi</em>,
+leur crie Baltazard du plus loin qu'il les voit.
+Dois-je souper ou ne pas souper? Et il a soin
+d'ajouter, afin de leur dicter leur réponse:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Parlez, et, consolant mon esprit agité,</p>
+<p>Songez qu'un jour si beau flatte ma volonté</p>
+</div></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_38"> 38</a></span>
+Les mages ont compris: <em>Seigneur, il faut
+souper</em>. Telle est leur réponse. Mais l'allégresse
+du roi est de courte durée. Survient Nitocris,
+sa mère, qui ne veut pas qu'on soupe.</p>
+
+<p>&mdash;Y songez-vous, lui dit-elle,</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Insensible à l'État, votre c&oelig;ur le néglige,</p>
+<p>Et vous n'allez au temple, où rien ne vous oblige,</p>
+<p>Que pour sacrifier, au gré de vos désirs,</p>
+<p>Moins à l'amour des dieux qu'à l'attrait des plaisirs,</p>
+<p>Occupé d'une fête, où, parmi la crapule,</p>
+<p>La nuit ne connaîtra ni remords ni scrupule!</p>
+</div></div>
+
+<p>Le roi n'écoute pas. Bien décidé à souper, il
+s'en va et laisse sa mère exhaler sa douleur
+dans un monologue. Il pousse l'audace encore
+plus loin: il dépêche vers elle les deux mages,
+qui la prient respectueusement de venir souper.
+Nitocris, comme on le pense bien, refuse énergiquement.
+Baltazard, ennuyé, vient la chercher
+lui-même.</p>
+
+<p>Nitocris et son fils s'accablent mutuellement
+de reproches:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>A quoi bon (dit Baltazard) m'opposer ce beau titre de mère</p>
+<p>S'il ne devient pour moi qu'une loi trop amère,</p>
+<p>Si vous me refusez jusqu'à de saints plaisirs,</p>
+<span class="pagenum"><a id="Page_39"> 39</a></span>
+<p>Et ne me rappelez que peines et soupirs?...</p>
+<p>Ah! comment osez-vous, après ce caractère,</p>
+<p>Me nommer votre fils et vous dire ma mère?</p>
+<p>&mdash;Ingrat! (répond Nitocris) puis-je oublier l'excès de cet amour</p>
+<p>Qui, quoi que vous disiez, vous mérita le jour?</p>
+<p>Et pouvois-je empêcher que le ciel vous fît naître</p>
+<p>Dans le sein qu'il choisit pour vous procurer l'être?</p>
+<p>Mais si vous le devez, ce jour, à Nitocris,</p>
+<p>Montrez donc désormais que vous êtes son fils;</p>
+<p>Commencez à briser cette chaîne fatale</p>
+<p>Dont vous chérissez tant le poids qui vous ravale,</p>
+<p>Ce joug empoisonné, que d'indignes flatteurs</p>
+<p>Savent, pour vous séduire, orner de tant de fleurs...</p>
+</div></div>
+
+<p>L'hypocrite Baltazard feint de se rendre aux
+conseils de sa mère:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Je vais joindre Cyrus (lui dit-il) et, sans le moindre effroi,</p>
+<p>Lui montrer que je sais vaincre et mourir en roi.</p>
+</div></div>
+
+<p>A peine Nitocris a-t-elle le dos tourné:
+«Allons souper», s'écrie-t-il.</p>
+
+<p>Ainsi finit le troisième acte. Le quatrième
+s'ouvre par un monologue. Baltazard a changé
+d'idée: il ne soupera pas; il ne veut pas que
+sa mère regrette</p>
+
+<p class="quote">De n'avoir enfanté qu'un fils pusillanime.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_40"> 40</a></span>
+Mais il a compté sans les mages, Hyrcan et
+Arbate, qui viennent le relancer jusque dans
+son palais. Il se sent faiblir: aussi, pour se
+donner du courage, il se dit à lui-même:</p>
+
+<p class="quote">..... Soutiens-toi, Baltazard!</p>
+
+<p>Les mages sont les plus forts: ils n'ont qu'à
+faire un signe, le tonnerre gronde, et le pauvre
+roi ne sait où se cacher:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Qu'entends-je, malheureux! Quelle indignation!</p>
+<p>Ah! mages, détournez votre imprécation!</p>
+<p>Un feu secret et prompt, qui déjà me dévore,</p>
+<p>Me prouve que le ciel ordonne qu'on l'honore.</p>
+<p>C'en est fait. Je me rends et n'écoute que lui,</p>
+<p>Heureux si sa bonté me secoure (<em>sic</em>) aujourd'hui!</p>
+<p>Allez donc, qu'au banquet toute ma cour s'empresse</p>
+<p>De noyer pour jamais son deuil et sa tristesse!</p>
+</div></div>
+
+<p>On soupera donc, enfin! La table du festin
+est dressée: on la couvre des coupes sacrées du
+temple de Jérusalem.</p>
+
+<p>Au moment où Baltazard demande à boire
+aux mages, Nitocris se présente et reproche à
+son fils de <em>perdre le sentiment</em>. (L'auteur voulait
+sans aucun doute dire <em>le sens</em>.)</p>
+
+<p>Baltazard daigne à peine répondre:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<div><span class="pagenum"><a id="Page_41"> 41</a></span></div>
+<p>Madame, jusqu'à quand votre importune voix!...</p>
+<p>Donnez, mages, donnez; c'est trop me faire attendre.</p>
+</div></div>
+
+<p>Mais à peine les mages ont-ils présenté la
+coupe au roi, qu'on voit une main écrire sur la
+muraille les fameux mots: <span class="smcap">Mané</span>, <span class="smcap">Thécel</span>,
+<span class="smcap">Pharès</span>.</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Que vois-je, mes amis (s'écrie Baltazard), et quel spectre nouveau</p>
+<p>Crayonne sur ces murs un effrayant tableau?</p>
+<p>Voyez-vous, comme moi, cette main qui nous trace</p>
+<p>Certains mots, où mon sang dans mes veines se glace?</p>
+<p>Ma coupe malgré moi s'échappe de mes doigts,</p>
+<p>Et je sens peu à peu se dérober ma voix.</p>
+<p>Mes yeux sont chancelants; mes genoux s'entrechoquent,</p>
+<p>Et toutes les horreurs à la fois me suffoquent.</p>
+</div></div>
+
+<p>Inutile d'ajouter que Baltazard est vaincu de
+nouveau et tué par Cyrus. Mais ce qu'il faut
+dire (car on ne s'en douterait guère), c'est que
+Cyrus, à peine entré dans Babylone, fait une
+déclaration des plus galantes à la reine Aristée.
+Celle-ci, comme on le pense bien, est furieuse:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Dois-je donc respecter (lui dit-elle) un bras qui n'a servi</p>
+<p>Qu'à renverser un roi qu'il a trop poursuivi?</p>
+<div><span class="pagenum"><a id="Page_42"> 42</a></span></div>
+<p>Taire tant de forfaits qu'un tyran autorise,</p>
+<p>Et briser un pinceau qui te caractérise?</p>
+<p>Barbare! je ne puis assez t'humilier!</p>
+</div></div>
+
+<p>Cyrus n'est pas très flatté de ces dédains;
+car, si on l'en croit, sans Aristée, le trône où il
+monte n'est plus</p>
+
+<p class="quote">...... qu'un redoutable ennui.</p>
+
+<p>Mais il n'est pas au bout de ses peines. Nitocris
+vient lui reprocher la mort de son fils, et se
+tue presque sous ses yeux. Aristée veut en faire
+autant. Cyrus l'arrête. «Laisse-moi mourir,»
+lui crie-t-elle:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>..... Accorde au moins cette grâce dernière</p>
+<p>Au reste infortuné d'une famille entière</p>
+</div></div>
+
+<p>Cyrus tient bon, l'empêche de s'<em>occire</em>, et
+met fin à la tragédie par ces vers mémorables,
+mais bien peu en situation, puisque Nitocris
+est morte:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Secourons Nitocris, et demandons aux dieux</p>
+<p>Qu'ils fassent de ce jour un jour moins odieux!</p>
+</div></div>
+
+<p>Il est fâcheux que Grimm ne nous ait pas
+noté les divers incidents auxquels a dû donner
+lieu la lecture de ce chef-d'&oelig;uvre. Il se contente
+<span class="pagenum"><a id="Page_43"> 43</a></span>
+de dire: «Le curé nous a tenu parole; il est
+revenu avec une seconde tragédie, intitulée
+<cite>Baltazard</cite>, tout aussi bonne que la première. Je
+crois qu'il n'a pas pu trouver d'imprimeur.
+Mais il est reparti pour sa cure un peu plus
+content de nous.»</p>
+
+<p>Dans la préface de <cite>Baltazard</cite>, le curé de
+Montchauvet nous en dira plus long: «Le
+peu de succès de ma première pièce m'avoit
+presque déterminé à n'en pas entreprendre une
+seconde. Cependant, je pensois que si Racine
+avoit été découragé par la médiocrité des <em>Frères
+ennemis</em>, nous n'aurions jamais eu ni <em>Yphigénie</em>
+(<em>sic</em>), ni <cite>Phèdre</cite>; et je repris la plume que la
+critique m'avoit presque fait tomber des mains.
+Je composai donc mon <cite>Baltazard</cite> après ma <cite>Bethsabée</cite>,
+à qui je donnai un frère, comme M. de
+Boissy l'a dit également du <em>Méchant</em> de M. Gresset.
+J'apportai à Paris cette seconde production
+de ma verve échauffée et de mon génie irrité
+par les difficultés, bien résolu de la sacrifier, si
+je ne me trouvois pas autant au-dessus de moi-même
+que je le désirois, et que Racine et Corneille
+s'étoient montrés supérieurs à eux-mêmes,
+à mesure qu'ils se familiarisoient davantage
+<span class="pagenum"><a id="Page_44"> 44</a></span>
+avec le génie dramatique. Il ne s'agissoit plus
+que de rencontrer des juges équitables qui
+m'éclairassent ou sur ma médiocrité ou sur
+mes progrès. Mais où trouver ces juges équitables
+dans une ville fausse comme celle-ci, où
+l'on semble prendre à tâche de décourager ceux
+qui donnent quelque espérance? Heureusement,
+un homme distingué par sa naissance, son
+goût, sa probité, et surtout par l'accueil qu'il
+daigne faire aux talents naissants, s'offrit à rassembler
+chez lui cinq ou six des meilleurs
+esprits, qui la jugeroient avec la dernière sévérité,
+et qui m'apprendroient par le jugement
+qu'ils en porteroient, celui que j'en devois
+porter moi-même. L'avouerai-je? L'examen fut
+sanglant, et je laissai mes critiques bien convaincus
+qu'ils avoient rempli le projet, que
+peut-être ils avoient formé, de me ramener à
+des fonctions que je reconnaîtrai sans peine avec
+eux très supérieures à l'occupation d'un poète,
+ce poète fût-il plus grand que Racine et Corneille.
+Mais je réfléchis sur leurs observations;
+je vis bientôt qu'il n'y avoit aucune pièce au
+monde sur laquelle on n'en pût faire d'aussi solides;
+et je parvins à me démontrer évidemment
+<span class="pagenum"><a id="Page_45"> 45</a></span>
+que ma seconde tentative dramatique
+m'avoit beaucoup mieux réussi que je n'aurois
+osé le penser, sans le <em>suffrage</em> de tous mes
+censeurs. Je dis le <em>suffrage</em>, car ce fut le véritable
+jour sous lequel je ne tardai pas à voir leur critique.
+Je me dis à moi-même: Comment!
+Voilà donc à quoi se réduit tout ce que les
+hommes de Paris, qui passent pour avoir le
+plus d'esprit, trouvent de répréhensible dans
+mon ouvrage? En vérité, il faut qu'il soit mieux
+que bien: je ne risque donc rien à le publier;
+et j'eus tout l'empressement que donne l'espoir
+du succès, de le porter à mon imprimeur. C'est
+donc à ces Messieurs plutôt encore qu'à moi
+que le lecteur en doit la publicité... J'en vais
+méditer une troisième. Je suis jeune, j'ai du
+courage, et pour peu que je m'élève à chaque
+essort (<em>sic</em>) que je prendrai, j'espère me voir
+enfin à une hauteur suffisante pour contenter la
+vanité d'un auteur qui n'en a pas beaucoup.
+Ainsi soit-il!»</p>
+
+<hr class="tb" />
+
+<p>Quoi qu'en dise Grimm, le curé de Montchauvet
+trouva, nous le voyons, un imprimeur.
+Sa pièce parut sous ce titre: <span class="smcap">Baltazar</span>, <em>tragédie</em>,
+<span class="pagenum"><a id="Page_46"> 46</a></span>
+<em>par M. l'abbé ***</em>. <em>Prix vingt-quatre sols</em>, 1755
+[sans lieu ni nom d'imprimeur].</p>
+
+<p>En lisant ce titre, on éprouve une certaine
+surprise. On se rappelle que la tragédie de <cite>Bethsabée</cite>
+se vendait (quand elle se vendait!) <em>trente-six
+sous</em>. Puisque le curé de Montchauvet trouve la
+tragédie de <cite>Baltazard</cite> supérieure à celle de
+<cite>Bethsabée</cite>, comment se fait-il qu'il ne l'estime
+que <em>vingt-quatre sous</em>?</p>
+
+<p>La troisième tragédie annoncée ne parut pas.
+L'abbé Le Petit s'en tint à ses deux chefs-d'&oelig;uvre,
+et il fit bien<a name="FNanchor_13" id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor">&nbsp;[13]</a>.</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_13" id="Footnote_13" href="#FNanchor_13" class="label">[13]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_46_note_13">note 13</a></p></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_47"> 47</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<h2><a name="APPENDICE" id="APPENDICE"></a>APPENDICE.</h2>
+</div>
+
+<p><a name="Page_3_note_1" id="Page_3_note_1"></a><i>Page 3, note 1.</i></p>
+
+<p>Si invraisemblable que puisse paraître cette mystification
+littéraire, je dois dire que je n'ai rien inventé: je me suis
+contenté de suivre,&mdash;en l'arrangeant un peu,&mdash;le récit
+que nous en ont laissé Grimm (<cite>Correspondance litt. philosoph.
+et crit.</cite>, lettres du 1<sup>er</sup> mars, du 1<sup>er</sup> août et du 15 septembre
+1755), et Fréron (<cite>Année litt.</cite> 1754, tome IV,
+p. 307, et 1755, tome VIII, p. 342).</p>
+
+<p><a name="Page_3_note_2" id="Page_3_note_2"></a><i>Page 3, note 2.</i></p>
+
+<p>Montchauvet, aujourd'hui dans l'arrondissement de
+Vire, canton de Bény-Bocage (Calvados).</p>
+
+<p><a name="Page_4_note_3" id="Page_4_note_3"></a><i>Page 4, note 3.</i></p>
+
+<p>Le curé de Montchauvet, la victime de Diderot et de
+ses amis, se nommait, non pas Petit, comme l'appelle
+Grimm, mais Le Petit. Grâce à l'obligeance de M. Lair,
+instituteur à Montchauvet, qui a bien voulu me communiquer
+les vieux registres conservés dans les archives de
+la mairie, j'ai pu constater que l'abbé Le Petit (Jean-Baptiste)
+a dû arriver à Montchauvet au mois d'avril 1751.
+Le premier acte signé de lui, comme successeur du curé
+<span class="pagenum"><a id="Page_48"> 48</a></span>
+Moussard, est du 14 avril 1751. Deux fois seulement
+(14 août et 15 septembre 1752), l'abbé Le Petit, assez
+souvent appelé dans le corps des actes (baptêmes, mariages
+ou inhumations), Le Petit Dequesnay ou de
+Quesnay, a signé Le Petit Dequesnay. Partout ailleurs il
+signe tout simplement Le Petit.</p>
+
+<p>Le dernier acte, non pas écrit, mais signé par le curé
+Le Petit, d'une écriture tremblée, est un baptême en date
+du 30 mai 1786.</p>
+
+<p>Devenu infirme, sans doute, il fut remplacé, de son
+vivant, par son vicaire Lemarchand<a name="FNanchor_14" id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor">&nbsp;[14]</a>. L'abbé Le Petit
+mourut le 16 décembre 1788. Voici l'acte d'inhumation
+du pauvre poète:</p>
+
+<div class="blockquote">
+<p>«Le dix-sept décembre 1788 a été par moi curé de
+Montami soussigné inhumé dans le cimetière de Montchauvet
+le corps de maistre Jean-Baptiste Le Petit ancien
+curé de Montchauvet décédé d'hier âgé d'environ soixante-huit
+ans présence de M<sup>rs</sup> le curé et vicaire actuels.</p>
+
+<p>(Ont signé) Lemarchand [curé], Jouenne [vicaire] et
+G. Liot [curé de Montamy].</p>
+</div>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_14" id="Footnote_14" href="#FNanchor_14" class="label">[14]</a> A partir du 30 mai 1786, les actes sont signés par Jouenne ou Le
+Marchand, vicaires. Le premier acte que nous ayons trouvé, signé par Le
+Marchand, <em>curé</em>, est du 9 janvier 1788; mais nous devons ajouter que le
+registre de 1787 manque aux archives de Montchauvet.</p></div>
+
+<p>Jean-Baptiste Le Petit, âgé de 68 ans environ, quand
+il mourut en 1788, a donc dû naître (où ??) vers 1720.
+Il avait trente quatre ans lorsqu'il sentit s'éveiller son
+génie poétique et qu'il vint lire, pour son malheur, à
+Diderot et à ses amis, l'«immortelle» tragédie de <cite>David
+et Bethsabée</cite>.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_49"> 49</a></span>
+D'après les signatures des vicaires Tourgis ou Duhamel,
+que nous avons relevées au bas des actes des registres
+paroissiaux de Montchauvet, et qui constatent l'absence
+du curé, l'abbé Le Petit dut quitter ses sauvages bruyères
+pour aller à Paris, vers la fin d'août 1753, et ne rentrer
+dans son village qu'au mois d'avril 1754. Ces dates concordent
+bien avec celles que donnent les lettres de Grimm.</p>
+
+<p>Le fait le plus saillant de la vie du curé de Montchauvet
+est assurément sa lecture chez le baron d'Holbach;
+mais je dois aussi rappeler qu'il eut à soutenir un long
+procès contre Jacques-François Mercier, prieur commendataire
+du prieuré royal du Plessis-Grimoult, chanoine de
+la Sainte-Chapelle du Palais à Paris<a name="FNanchor_15" id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor">&nbsp;[15]</a>. Ce procès, qui
+dura au moins dix ans, fut gagné par le curé Le Petit,
+non seulement devant le bailliage de Vire (3 juillet 1762),
+mais encore devant le Parlement de Normandie (19 juin
+1771). Le curé de Montchauvet réclamait contre le prieur
+du Plessis-Grimoult «le tiers des dîmes de la paroisse et
+la qualité de curé, au lieu de celle de vicaire perpétuel,
+la seule qu'on voulût lui reconnaître.» Détail intéressant
+et qui a été relevé par M. Ch. de Beaurepaire, le savant
+archiviste de la Seine-Inférieure<a name="FNanchor_16" id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor">&nbsp;[16]</a>, l'arrêt du Parlement
+de Normandie qui termine le procès intenté par l'abbé
+Le Petit au prieur du Plessis-Grimoult, nous apprend
+qu'en une semblable circonstance, Bossuet, le grand
+Bossuet, «malgré le droit de <i lang="la" xml:lang="la">committimus</i> dont il avait
+<span class="pagenum"><a id="Page_50"> 50</a></span>
+usé, malgré le recours à des juges certainement prévenus
+en sa faveur», avait succombé, d'abord au bailliage de
+Vire, en second lieu et définitivement aux Requêtes du
+Palais à Paris, dans sa contestation avec Mathieu Roger,
+curé de Montchauvet, un des prédécesseurs du curé Le
+Petit.</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_15" id="Footnote_15" href="#FNanchor_15" class="label">[15]</a> La cure de Montchauvet dépendait du Prieuré du Plessis-Grimoult.</p></div>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_16" id="Footnote_16" href="#FNanchor_16" class="label">[16]</a> <cite>Bulletin historique et philologique</cite>, 1896. «Procès entre Bossuet, prieur
+du Plessis-Grimoult, et le curé de Montchauvet en Normandie, en 1674.»</p></div>
+
+<p><a name="Page_4_note_4" id="Page_4_note_4"></a><i>Page 4, note 4.</i></p>
+
+<p>J'ajouterai «et le prieur du Plessis-Grimoult», car
+Montchauvet était une des 39 cures (ou bénéfices) qui
+dépendaient de ce prieuré.&mdash;Voir notre étude sur <cite>Bossuet
+en Normandie</cite>, p. 43.</p>
+
+<p><a name="Page_5_note_5" id="Page_5_note_5"></a><i>Page 5, note 5.</i></p>
+
+<p>L'abbé Gilles Basset des Rosiers enseigna la philosophie
+au collège d'Harcourt (aujourd'hui lycée St-Louis)
+vers 1750. Il devint recteur de l'Université en 1779.
+C'était un homme aimable, instruit, en relation avec les
+écrivains les plus renommés. (Voir <span class="smcap">Bouquet</span>, <cite>L'ancien
+collège d'Harcourt et le lycée Saint-Louis</cite>, p. 414.)</p>
+
+<p><a name="Page_10_note_6" id="Page_10_note_6"></a><i>Page 10, note 6.</i></p>
+
+<p>Grimm n'assistait pas à cette mémorable séance; sa
+chaise de poste s'étant brisée à Soissons, il ne put arriver
+à Paris que le lundi de carnaval. «C'est ce contre-temps,
+nous dit-il, qui m'attira l'honneur d'être l'historien du
+curé de Montchauvet.»</p>
+
+<p><a name="Page_13_note_7" id="Page_13_note_7"></a><i>Page 13, note 7.</i></p>
+
+<p>M. de la Condamine est bien connu par ses voyages
+scientifiques et par ses <cite>Mémoires sur l'inoculation de la
+petite vérole</cite>.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_51"> 51</a></span>
+Sa surdité donna lieu, lorsqu'il fut reçu à l'Académie
+française (1760) au quatrain suivant. (On dit même
+qu'il en est l'auteur).</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>La Condamine est aujourd'hui</p>
+<p>Reçu dans la troupe immortelle:</p>
+<p>Il est bien sourd, tant mieux pour lui,</p>
+<p>Mais non muet, tant pis pour elle.</p>
+</div></div>
+
+<p>Trois ans auparavant (1757),&mdash;n'étant plus de la première
+jeunesse, puisqu'il était né en 1701,&mdash;il épousa
+sa nièce. Le madrigal qu'il fit à sa jeune femme, pendant
+la première nuit de ses noces, fit beaucoup d'honneur à
+son esprit:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>D'Aurore et de Titon vous connaissez l'histoire.</p>
+<p>Notre hymen en retrace aujourd'hui la mémoire;</p>
+<p>Mais Titon de mon sort pourrait être jaloux.</p>
+<p class="i1"> Que ses liens sont différents des nôtres!</p>
+<p>L'Aurore entre ses bras vit vieillir son époux,</p>
+<p class="i1"> Et je rajeunis dans les vôtres.</p>
+</div></div>
+
+<p>Après avoir lu ce joli madrigal, M. de Luxemont,
+secrétaire des commandements de M. le comte de Charolais,
+envoya le huitain suivant à M. de la Condamine:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>D'Aurore et de Titon nous connaissons l'histoire.</p>
+<p>L'infortuné vieillit où vous rajeunissez.</p>
+<p>Vous le dites du moins, et pour nous c'est assez:</p>
+<p>Véridique et modeste, il faut bien vous en croire;</p>
+<p>Mais lorsque de l'Amour, dans le lit nuptial,</p>
+<p>Vous empruntez la voix pour peindre sa puissance,</p>
+<p>Ne peut-on soupçonner, sans vous faire une offense,</p>
+<p>Qu'il n'y fit rien de mieux que votre madrigal?</p>
+</div></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_52"> 52</a></span>
+Piqué au jeu, M. de la Condamine répondit:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Mon madrigal fut donc, à ce que vous pensez,</p>
+<p>La nuit de mon hymen, ma plus grande prouesse?</p>
+<p>Monsieur, sont-ce mes vers que vous applaudissez,</p>
+<p> Ou pensez-vous déplorer ma faiblesse?</p>
+<p>Hélas! dans mon printemps, pour tribut conjugal,</p>
+<p> J'eusse achevé ma neuvaine à Cythère.</p>
+<p>Aujourd'hui, moins fervent, pour me tirer d'affaire,</p>
+<p>J'en remplis les deux tiers avec un madrigal.</p>
+</div></div>
+
+<p>M. de Luxemont répliqua à son tour:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p class="i2"> Ce sont vos vers que j'applaudis,</p>
+<p class="i2"> Sans déplorer votre faiblesse;</p>
+<p class="i2"> L'Amour n'en est pas moins surpris</p>
+<p class="i2"> Que l'objet de votre tendresse</p>
+<p class="i2"> (Dont lui-même serait épris)</p>
+<p>Ne vous ait pas rendu tel qu'en votre jeunesse.</p>
+<p>Toutefois, n'en déplaise au dieu de l'Hélicon,</p>
+<p class="i2"> Seul garant de cette neuvaine</p>
+<p>Que commencent souvent, que finissent à peine</p>
+<p class="i2"> Les vrais élus de Cupidon,</p>
+<p>Tout homme sur ce point, dit le bon La Fontaine,</p>
+<p class="i2"> Est d'ordinaire un peu gascon;</p>
+<p class="i2"> Et l'on croit qu'il avait raison.</p>
+<p>Mais pour n'être jamais contredit de personne,</p>
+<p>Rimez toujours, rimez: vos vers vainqueurs du Temps,</p>
+<p>Prouvent qu'en vos pareils les fruits de leur automne</p>
+<p>Conservent la saveur de ceux de leur printemps.</p>
+</div></div>
+
+<p>Si l'abbé Basset a envoyé ces agréables jeux d'esprit au
+curé de Montchauvet, l'auteur de <cite>Baltazar</cite> a dû se dire:
+«Je comprends que ce M. de la Condamine n'ait pas
+voulu écouter mes vers; ce n'est pas un poète sérieux.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_53"> 53</a></span>
+<a name="Page_17_note_8" id="Page_17_note_8"></a><i>Page 17, note 8.</i></p>
+
+<p>Le curé tint compte de l'observation. On lit (acte III,
+sc. 3):</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Le temps vous vengera des soupirs <em>superflus</em>,</p>
+<p>Et je sçauray moi-même enfin n'y songer plus.</p>
+</div></div>
+
+<p><a name="Page_21_note_9" id="Page_21_note_9"></a><i>Page 21, note 9.</i></p>
+
+<p>C'est l'année suivante (dans l'<cite>Orphelin de la Chine</cite>, de
+Voltaire) que M<sup>lle</sup> Clairon et les artistes du Théâtre
+Français renoncèrent à jouer avec paniers.</p>
+
+<p>C'est aussi à cette date (1755) que le marquis de
+Ximenès se brouilla avec M<sup>lle</sup> Clairon. La grande actrice
+lui redemanda son portrait, et le marquis eut le mauvais
+goût de le lui renvoyer, avec ce quatrain... cruel:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Tout s'use, tout périt; tu le prouves, Clairon.</p>
+<p class="i1"> Ce pastel, dont tu m'as fait don,</p>
+<p class="i1"> Du temps a ressenti l'outrage:</p>
+<p class="i1"> Il t'en ressemble davantage.</p>
+</div></div>
+
+<p><a name="Page_29_note_10" id="Page_29_note_10"></a><i>Page 29, note 10.</i></p>
+
+<p>Le curé de Montchauvet n'est pas difficile. Sa tragédie
+est très mal imprimée; il y a deux grandes pages de
+<em>fautes à corriger</em>.</p>
+
+<p><a name="Page_29_note_11" id="Page_29_note_11"></a><i>Page 29, note 11.</i></p>
+
+<p>M. et M<sup>me</sup> Fréron ne furent guère sensibles à cette
+générosité, car dans l'<cite>Année littéraire</cite> de 1754 (tome IV),
+le curé et sa tragédie sont arrangés de la belle façon.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_54"> 54</a></span>
+<a name="Page_34_note_12" id="Page_34_note_12"></a><i>Page 34, note 12.</i></p>
+
+<p>M. de Margency ne faisait pas que des vers burlesques.
+Voici une chanson, citée par Grimm (15 novembre 1757),
+qui nous prouve qu'il avait, quand il le voulait, l'esprit
+aussi ingénieux que délicat.</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>J'entends dans ces forêts</p>
+<p>Gémir la tourterelle;</p>
+<p>Hélas! si je voulais,</p>
+<p>Je me plaindrais comme elle.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Notre sort est égal;</p>
+<p>L'amour seul fait sa peine:</p>
+<p>Chez moi c'est même mal,</p>
+<p>L'amour cause la mienne.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Ce qui fait nos douleurs,</p>
+<p>Ce n'est pas l'inconstance;</p>
+<p>Mais l'on verse des pleurs</p>
+<p>De même pour l'absence.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Un c&oelig;ur qui n'aime rien</p>
+<p>N'a point de ces alarmes,</p>
+<p>C'est pourtant un grand bien</p>
+<p>De répandre des larmes.</p>
+</div></div>
+
+<p><a name="Page_46_note_13" id="Page_46_note_13"></a><i>Page 46, note 13.</i></p>
+
+<p>Cette étude a déjà paru dans la <cite>Nouvelle Revue</cite>, 4<sup>e</sup> année,
+tome XIX, 1<sup>re</sup> livraison, 1<sup>er</sup> mars 1882, pages 117
+et suivantes.</p>
+
+<p>&mdash;Dans la première livraison de la <cite>Revue franco-américaine</cite>
+(juin 1894), Alphonse Daudet a consacré deux
+pages à l'abbé Le Petit, qu'il appelle «un raté littéraire
+au XVIII<sup>e</sup> siècle».</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_55"> 55</a></span>
+&mdash;Les deux tragédies de <cite>David et Bethsabée</cite> et de <cite>Baltazard</cite>
+sont devenues excessivement rares. J'ai pu acheter la première
+à la vente du baron Taylor.&mdash;Elles se trouvent à
+la Bibliothèque de Caen, C<sup>h</sup> 5/4. <cite>Baltazard</cite> se morfond,
+très peu lu, à la Bibliothèque de Vire. «Nul n'est prophète
+en son pays.»</p>
+
+<hr class="tb" />
+
+<p>La paroisse de Montchauvet a connu un autre curé-poète
+de la même force que l'abbé Le Petit.</p>
+
+<p>En 1828, le curé Laumonier fit paraître<a name="FNanchor_17" id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor">&nbsp;[17]</a>: <cite>L'oraison
+funèbre ou complainte sur le renversement d'un très bel if qui
+a existé dans le cimetière de Montchauvet jusqu'à l'éradication
+qui en fut faite le 12 janvier 1828</cite>. (Ouf, quel titre!).</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_17" id="Footnote_17" href="#FNanchor_17" class="label">[17]</a> A Vire, chez Adam, imprimeur du roi. L'abbé Laumonnier avait
+déguisé son nom sous l'anagramme de <span class="smcap">Numa Leroi</span>.</p></div>
+
+<p>Voici quelques couplets de cette complainte:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Ici vivait depuis mille ans,</p>
+<p>A quelques pas du sanctuaire,</p>
+<p>Athlète contre les autans,</p>
+<p>Un If,... un arbre tutélaire.</p>
+<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Il était l'arbre du pays,</p>
+<p>L'expression n'est pas outrée,</p>
+<p>Où s'assembloient le plus d'amis,</p>
+<p>D'enfans... de toute la contrée.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Il était aussi le plus beau</p>
+<p>Qui fût connu du voisinage:</p>
+<p>Là s'unissaient près du tombeau</p>
+<p>L'enfance avec le moyen âge.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<div><span class="pagenum"><a id="Page_56"> 56</a></span></div>
+<p>Il aurait pu rester debout:</p>
+<p>C'était l'avis du commissaire...</p>
+<p>Mille ans n'auraient pas vu le bout</p>
+<p>De sa présence salutaire.</p>
+<p><i>. . . . . . . . . . . . . . . . .</i></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>De la demeure funéraire</p>
+<p>Il était le triste ornement.</p>
+<p>Faut-il qu'un désir de déplaire</p>
+<p>Ait causé son renversement?</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Il me servait de paravent</p>
+<p>Quand j'allais à la sacristie;</p>
+<p>Il me saluait en passant,</p>
+<p>Me protégeant à la sortie.</p>
+<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p>
+</div></div>
+
+<p>«La fin couronne l'&oelig;uvre», c'est le cas de le dire:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Adieu bel arbre, adieu bel If...</p>
+<p>Adieu, ton tronc, ta forte branche;</p>
+<p>En dépit de mon cri plaintif,</p>
+<p>Tu meurs la veille d'un dimanche.</p>
+</div></div>
+
+<p>«Au haut des cieux, <em>leur demeure dernière</em>», (du
+moins j'aime à le supposer), les deux curés de Montchauvet,
+Le Petit et Laumonier, doivent rimailler de
+conserve et maudire les méchants critiques, qui «tâchent
+de décourager ceux qui donnent quelque espérance».</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_57"> 57</a></span></p>
+
+<p class="end">IMPRIMERIE HENRI DELESQUES, A CAEN</p>
+
+<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44723 ***</div>
+</body>
+</html>
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+Project Gutenberg's Diderot et le Curé de Montchauvet, by Armand Gasté
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
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+
+Title: Diderot et le Curé de Montchauvet
+ Une mystification littéraire chez le baron d'Holbach, 1754
+
+Author: Armand Gasté
+
+Release Date: January 21, 2014 [EBook #44723]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: UTF-8
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DIDEROT ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET ***
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+Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
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+by The Internet Archive/Canadian Libraries)
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+Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le
+typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée
+et n'a pas été harmonisée.
+
+
+
+
+ DIDEROT
+ ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET
+
+
+
+
+ Armand Gasté
+
+ DIDEROT
+ ET LE
+ CURÉ DE MONTCHAUVET
+
+ --UNE MYSTIFICATION LITTÉRAIRE CHEZ
+ LE BARON D'HOLBACH, 1754--
+
+ [Illustration]
+
+ PARIS
+ ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
+ _23-31, passage Choiseul, 23-31_
+
+ M. DCCC. XCVIII
+
+
+
+
+DIDEROT
+
+ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET[1]
+
+
+Au milieu du XVIIIe siècle vivait, ou plutôt végétait tristement dans
+l'humble presbytère de Montchauvet, en plein Bocage normand[2], un
+curé poète qui doit aux Encyclopédistes l'immortalité du ridicule, et
+dont les vers extravagants furent,--qui le croirait?--une des causes
+de la rupture de Jean-Jacques Rousseau avec ses bons amis, les
+Philosophes.
+
+ [1] Voir à l'_Appendice_.
+
+ [2] _Ibid._
+
+
+
+I
+
+
+L'abbé Le Petit[3],--c'est le nom de notre curé,--s'ennuyait à mourir
+dans le village où l'avait enterré son évêque[4]. Il avait beau monter
+sur les âpres rochers qui dominent le presbytère et interroger
+l'horizon, il ne voyait venir personne qui fût digne de le comprendre
+et sût goûter les vers qu'il composait dans sa morne solitude. Et
+laissant tomber ses regards sur les masures de ses paroissiens: «Ici,
+il n'y a que moi d'homme d'esprit, se disait-il. Point de société!...
+Pour toute ressource, le magister, c'est-à-dire un paysan habillé de
+noir!»
+
+ [3] Voir à l'_Appendice_.
+
+ [4] _Ibid._
+
+Un beau jour, l'abbé Le Petit, n'y pouvant plus tenir, boucla sa
+valise et partit pour Paris. A Paris, en effet, il trouverait un de
+ses anciens camarades de séminaire, l'abbé Basset[5], professeur de
+philosophie au collège d'Harcourt. L'abbé Basset avait de belles
+relations: il procurerait certainement un éditeur à son confrère.
+L'éditeur trouvé, le livre prôné par les gazettes s'enlevait en un
+clin d'œil; les salons se disputaient l'illustre compatriote de
+Malherbe et de Pierre Corneille; et qui sait? l'Académie ne se faisait
+pas trop prier pour lui offrir un de ses quarante fauteuils.
+
+ [5] _Ibid._
+
+Tels étaient les beaux rêves que le curé de Montchauvet confiait à
+l'abbé Basset, et que celui-ci, en se promenant avec lui, au
+Luxembourg, par une belle matinée d'hiver, écoutait d'une oreille trop
+indulgente.
+
+Au détour d'une allée, on rencontre Diderot. Diderot, qui demeurait à
+quelques pas de là, sur la hauteur d'où il avait tiré son surnom de
+_Philosophe de la Montagne_, aimait à se promener le matin au
+Luxembourg. L'abbé Basset, qui était fort lié avec lui, connaissait
+ses habitudes. Ce n'était pas sans intention, peut-être, qu'il
+conduisit, ce jour-là, sur le chemin du philosophe, le curé de
+Montchauvet, avide de connaître les grands esprits du siècle, avide
+surtout d'en être connu. L'abbé Basset présente son ami à Diderot. Le
+curé nage dans la joie; il pâlit d'aise, et son nez,--un nez
+extrêmement long, dit la chronique,--est dans un mouvement perpétuel.
+La conversation est bientôt liée. L'abbé Le Petit raconte d'un trait
+ses infortunes: «Je m'étiolais à Montchauvet, le plus triste lieu du
+monde; mes talents y étaient enfouis. Mais, Dieu merci! j'en suis
+hors, et je me réjouis, monsieur, d'avoir fait connaissance avec un
+homme de votre réputation, afin de vous demander votre avis.
+
+--Mon avis, dit le philosophe, et sur quoi, monsieur l'abbé?
+
+--Sur un madrigal de sept cents vers, que j'ai fait dernièrement.
+
+--Un madrigal de sept cents vers! Et sur quel sujet, je vous prie?
+
+--Voici la chose, dit le curé en souriant d'un air malin: mon valet a
+eu le malheur de faire un enfant à ma servante, et cela m'a donné un
+assez beau champ, comme vous allez voir.
+
+Et, disant cela, il tire de la poche de sa soutane un grand cahier de
+papier. Diderot recule épouvanté; puis se ravisant:
+
+--Monsieur le curé, dit-il, je vous trouve bien blâmable d'employer
+vos loisirs à de pareils sujets.
+
+L'abbé Le Petit commençait à rougir de colère; son nez s'agitait,
+menaçant...
+
+--Quand on a un génie aussi sûr que le vôtre, poursuivit Diderot, on
+doit faire des tragédies, et non pas s'amuser à des madrigaux.
+
+Le curé de Montchauvet, agréablement flatté de ce compliment
+inattendu, devint radieux: ses yeux brillaient d'un éclat
+inaccoutumé, son grand nez se dilatait pour mieux aspirer l'encens.
+Il voulait remercier Diderot; celui-ci ne lui en laissa pas le
+temps:--Permettez-moi de vous dire que je n'écouterai pas un seul vers
+de votre façon, avant que vous ne nous ayez apporté une
+tragédie.--Vous avez raison, répliqua le curé;.... je suis trop
+timide. Puis, remettant dans la vaste poche de sa soutane son long
+poème, il salua poliment Diderot. Le philosophe, en s'en allant,
+échangea avec l'abbé Basset un sourire que le bon curé n'aperçut pas,
+ou dont il ne comprit pas la signification.
+
+C'était un sourire de contentement. Diderot s'était débarrassé du même
+coup, (il le croyait du moins), d'un madrigal de sept cents vers et
+d'un importun.
+
+Quelques mois se passent. Diderot, bien tranquille dans son cabinet,
+travaillait, sans doute à ses _Pensées sur l'interprétation de la
+nature_, lorsque, sans se faire annoncer, l'abbé Le Petit se présente
+avec un énorme manuscrit sous le bras. Qu'on juge de la surprise de
+Diderot.--Comment, monsieur le curé, c'est bien vous que je vois! Je
+vous croyais depuis longtemps en Normandie.--On ne peut vivre qu'à
+Paris, monsieur; j'y suis donc resté, et, suivant vos conseils, je me
+suis mis avec ardeur au travail. Je vous apporte...--Encore un
+madrigal? s'écria Diderot; non, monsieur le curé, vous savez nos
+conventions. Je n'écoute pas un vers de vous, que vous ne m'ayez
+apporté une tragédie.--C'est justement...--Quoi! C'est une
+tragédie?--Oui, monsieur, _David et Bethsabée_....
+
+Diderot faillit tomber à la renverse.
+
+--Avez-vous le loisir de m'écouter? poursuivit l'abbé, impitoyable.
+
+Il n'y avait pas à reculer, il fallait bien essuyer cette lecture.
+
+--Monsieur le curé, répondit le philosophe, que diriez-vous si,
+dimanche, je vous présentais à nos amis, et si je vous donnais pour
+juges les plus grands esprits dont notre siècle s'honore?... Allons,
+c'est entendu, je vous mènerai dans le salon de M. le baron d'Holbach.
+Vous y entrerez inconnu; mais, je vous le jure, vous en sortirez
+célèbre.
+
+--Monsieur, balbutia l'abbé, que de grâces...
+
+--Trève de compliments! C'est moi qui suis votre obligé. Ne pas
+produire au grand jour un poète de votre force, mais ce serait un
+crime!... Allons, adieu, monsieur le curé, ou plutôt, au revoir... A
+dimanche! Je vous attends chez moi.
+
+Le curé fut exact au rendez-vous. Diderot avait prévenu ses amis, les
+Encyclopédistes. On sait que le baron d'Holbach les recevait à dîner
+deux fois par semaine, ce qui le faisait appeler par l'abbé Galiani
+«_le maître d'hôtel de la philosophie_».
+
+Ce jour-là--c'était justement le dimanche gras--les convives du baron
+d'Holbach étaient quinze à vingt. Dans le riche cabinet, où le
+richissime philosophe venait de faire placer sa récente acquisition,
+la _Chienne allaitant ses petits_, un des chefs-d'œuvre du peintre
+Oudry, on voyait réunis, sans compter Diderot et le maître de la
+maison, J.-J. Rousseau, d'Alembert, Duclos, Marmontel, Helvétius, de
+Jaucourt, Raynal, Morellet, de la Condamine, M. de Gauffecourt, M. de
+Margency, etc.[6].
+
+ [6] Voir à l'_Appendice_.
+
+Le curé de Montchauvet est introduit. On lui fait fête; on l'invite à
+s'asseoir. Il promène ses regards de tous côtés: il ne voit que des
+visages riants; cela l'encourage. Pourtant, il aperçoit dans un coin
+du salon une figure renfrognée. C'était J.-J. Rousseau, qui flairait
+une mystification, et qui, avec sa probité à toute épreuve, était
+résolu à faire le rôle d'honnête homme.--C'est un jaloux, se dit
+l'abbé; mais qu'importe?... Et il déroule lentement son
+manuscrit.--D'abord, messieurs, leur dit-il, je dois vous lire
+l'épître que je me permets d'adresser à Madame de Pompadour.
+
+Cette épître commençait par un vers assez singulier:
+
+ Rentrez dans le néant, race de mendiants...
+
+C'était pour flétrir les poètes qui font des dédicaces en vue de
+gagner de l'argent.--Oh! oh! Monsieur le curé, lui dit-on de toutes
+parts, l'épithète n'est-elle pas un peu violente?--Non, messieurs,
+
+ Point d'enfant d'Apollon, s'il ne rime gratis.
+
+Et, continuant sa lecture, il déclame avec emphase ces deux vers:
+
+ Tout ainsi comme Icare, parcourant la lumière,
+ Dans un rayon brûlant vit fondre sa carrière...
+
+--Voilà, lui dit Marmontel, un vers admirable! mais ces sortes de vers
+doivent être bien difficiles à trouver.--Cela est vrai, répondit le
+curé en pâlissant de joie et de vanité; mais aussi est-on bien content
+quand on a trouvé.
+
+L'épître finie, le curé, avant de commencer la lecture de sa tragédie,
+pria la société de lui permettre d'exposer rapidement sa théorie du
+poème dramatique. Corneille l'a fait, ajouta-t-il: compatriote de
+Corneille, ne puis-je pas faire comme lui?--Sans aucun doute, monsieur
+l'abbé, s'écrièrent en chœur tous les convives.--Vils flatteurs,
+murmurait dans son coin le citoyen de Genève.--Ma théorie est bien
+simple, messieurs. Donnez-moi un sujet quelconque.
+
+--_Balthazar_, dit une voix.
+
+--_Balthazar_, soit! Eh bien! vous savez, messieurs, que, pendant le
+souper de ce roi impie, on vit une main écrire sur les murs les mots:
+_Mané, Thécel, Pharès_. Il s'agit donc de savoir si le roi soupera ou
+non; car, s'il ne soupe pas, la main n'écrira pas. Or je n'ai qu'à
+inventer deux acteurs. Le premier veut que le roi soupe, le second ne
+le veut pas, et cela alternativement. Si moi, poète tragique, je veux
+que le roi soupe, celui-là parlera le premier. Ainsi:
+
+Ier acte: _Le roi soupera_;
+
+2e acte: _Il ne soupera pas_;
+
+3e acte: _Il soupera_;
+
+4e acte: _Il ne soupera pas_;
+
+5e acte: _Il soupera_.
+
+Si, au contraire, je ne veux pas que le roi soupe, voici quel sera mon
+plan:
+
+Ier acte: _Il ne soupera pas_;
+
+2e acte: _Il soupera_;
+
+3e acte: _Il ne soupera pas_;
+
+4e acte: _Il soupera_;
+
+5e acte: _Il ne soupera pas_.
+
+Voilà, messieurs, tout le mystère.
+
+Un murmure approbateur accueillit ces paroles. Le poète commença alors
+la lecture de sa tragédie. Tous les philosophes, rangés en cercle,
+écoutaient attentivement. M. de la Condamine, entre autres, avait tiré
+le coton de ses oreilles pour mieux entendre[7]; mais, dès la première
+scène, sa patience était à bout. Dans la seconde, David paraît; il se
+plaint que l'amour le tourmente jour et nuit et l'empêche de dormir.
+Il a cependant de quoi s'occuper; il a de nouveaux ennemis, dit-il:
+
+ Quatre rois, vive Dieu! ci-devant mes amis...
+
+ [7] Voir à l'_Appendice_.
+
+--_Vive Dieu_! s'écria M. de la Condamine, et pourquoi pas _Ventre
+Dieu_? Et, remettant le coton dans ses oreilles, il sortit
+brusquement.
+
+--Voilà, dit le curé froidement, un homme qui ne sait pas que _Vive
+Dieu_! est le serment des Hébreux.
+
+Ces quatre rois, «ci-devant les amis» de David, ont embrassé la
+querelle du barbare Hanon...
+
+A ce mot malencontreux, cinq ou six auditeurs se récrient.
+
+--Ah! messieurs, dit le curé d'un air de profonde pitié, ce nom sonne
+mal à vos oreilles, apparemment à cause de la ridicule équivoque de
+celui d'_ânon_, animal si connu et si commun. Pour moi, je pense qu'un
+nom, par lui-même, n'a rien qui doive offenser. L'Écriture s'en est
+servie; elle a bien les oreilles aussi délicates que les nôtres.
+
+--Mais, lui dit Duclos, ajoutez une lettre à ce nom, et l'équivoque
+cessera.
+
+--Monsieur, répartit le curé, vous voulez sans doute que je fasse de
+ce personnage un Carthaginois?
+
+Dans un autre endroit, Bethsabée, pressée par David «de le rendre
+heureux», veut le piquer d'honneur, et lui rappelant ses grandes
+actions passées, elle dit:
+
+ Vous sûtes arracher Saül à ses furies,
+ Où ce prince, vainqueur de mille incirconcis,
+ Frémissait que David en eût dix mille occis.
+
+--Ah! Dieu! quels vers! s'écria le citoyen de Genève; et pourquoi
+_occis_? pourquoi pas _tués_?
+
+--Je pourrais, riposta sèchement le curé, vous répondre que _tués_ ne
+rime pas à _incirconcis_; mais apparemment que vous imaginez que _tué_
+et _occis_ sont des synonymes. Apprenez, monsieur, que cela n'est pas.
+On dit tous les jours: Cet homme me _tue_ par ses discours, et l'on
+n'en est pas _occis_ pour cela.
+
+--J'avoue, reprit le citoyen, qu'il doit être fort fâcheux d'être
+_occis_; mais je ne me soucierais pas même d'être _tué_.
+
+Le curé de Montchauvet poursuivit sa lecture, sans s'arrêter plus
+qu'il ne convenait à cette misérable querelle de mots.
+
+Arrivé à un passage où il faisait rimer _angoisse_ et _tristesse_,
+Rousseau l'interrompit de nouveau:
+
+--_Angoisse_ et _tristesse_ ne riment pas; vous êtes trop hardi,
+monsieur le curé.
+
+--Trop hardi, monsieur? Cette rime est neuve; voilà tout.
+
+--Dites étrange, monsieur le curé.
+
+--Étrange, monsieur? Mais, vous, savez-vous bien ce que c'est que la
+rime?
+
+--J'ose le croire, monsieur le curé.
+
+--On ne s'en douterait guère, et...
+
+La dispute allait s'envenimer: un geste de d'Holbach rétablit la paix.
+
+--Continuez, dit-il au curé de Montchauvet, nous vous écoutons.
+
+Vers le milieu du deuxième acte, Bethsabée dit à sa confidente:
+
+ Le roi ne m'offre plus que d'_innocentes_ charmes.
+
+--Pardon, monsieur le curé, interrompit un des auditeurs, _charme_ est
+du masculin.
+
+--Ah! vous le prenez comme cela, messieurs, répondit l'abbé; eh bien,
+dans la scène suivante, vous le trouverez masculin; j'ai tâché de
+contenter tout le monde.
+
+Plus loin, il faisait rimer _superflu_ et _plus_.
+
+--Cette rime n'est pas exacte, dit Marmontel.
+
+--Ah! vraiment; et pourquoi cela?
+
+--C'est que _superflu_, étant au singulier, n'a point d's, et par
+conséquent ne peut rimer avec _plus_.
+
+Point d'_s_, reprit vivement le curé en mettant son manuscrit sous le
+nez de Marmontel, point d'_s_! Mais je vous prie de remarquer,
+monsieur, que j'en ai mis une[8].
+
+ [8] Voir à l'_Appendice_.
+
+Et il continua intrépidement sa lecture.
+
+On lui avait fait croire que M. de Margency était un poète de
+profession, et qu'il aurait en lui un dangereux concurrent. Il n'est
+sorte de bassesse que ne lui fit le curé de Montchauvet. M. de
+Margency, comme on en était convenu auparavant, se fit le champion à
+outrance du poète bas-normand. Aussi, c'était vers lui qu'il se
+tournait de préférence.
+
+Au milieu d'une des plus pompeuses tirades, il entend un léger bruit.
+C'était M. de Gauffecourt qui riait tout bas dans ses mains.
+
+--Vous riez, monsieur, lui dit le curé du ton dont il aurait
+apostrophé un bambin au catéchisme?
+
+--Non, monsieur, répondit M. de Gauffecourt avec un grand sérieux; je
+n'ai ri de ma vie.
+
+On arrive, sans autre incident, au quatrième acte. Tout le monde se
+lève. On prie le curé de Montchauvet d'arrêter là sa lecture. Il doit
+être épuisé de fatigue; on lui donnera une nouvelle séance pour
+achever sa tragédie; on n'en veut pas perdre un seul vers.
+
+Chacun s'empresse autour de lui, et lui serre les mains: «Vous
+surpassez Racine, et vous égalez Corneille!»
+
+Le curé absorbe avec intrépidité ces louanges ironiques; il se
+rengorge; son nez s'agite, se dilate de plus en plus. Tout à coup,
+J.-J. Rousseau se précipite vers lui, lui arrache son manuscrit et le
+jette à terre:
+
+--Votre tragédie est absurde, mon cher curé; ces messieurs,--vous ne
+le voyez donc pas?--se moquent de vous. Retournez vicarier dans votre
+village.
+
+L'abbé, rouge de colère, fond sur Rousseau; en vrai poète tragique, il
+veut l'_occire_. On sépare à grand'peine les deux combattants.
+Rousseau sort furieux, pour ne plus remettre les pieds chez le baron
+d'Holbach. On arrête le curé, qui le menace du poing et veut courir
+après lui dans la rue. On réussit à le calmer un peu, en lui peignant
+Rousseau comme un poète jaloux de sa gloire naissante.
+
+On peut bien penser que Diderot ne fut pas l'un des moins empressés à
+verser du baume sur la blessure faite par Rousseau à la vanité du
+poète.
+
+--Votre pièce est excellente, monsieur le curé, lui dit-il; je m'y
+connais: elle aura le plus grand succès au théâtre, si toutefois vous
+y apportez quelques modifications que je crois indispensables... Me
+permettez-vous, monsieur le curé, de vous faire une légère critique?
+
+--Parlez, monsieur, dit le curé, pris par le ton bienveillant que
+Diderot donnait à ses paroles. Je ne puis recevoir que des conseils
+judicieux d'un esprit aussi éminent.
+
+--Eh bien, monsieur l'abbé, puisque vous m'autorisez à vous dire toute
+ma pensée, je vous avouerai que votre pièce ne me semble pas assez
+chargée d'incidents; que la plupart des incidents ne se passant pas
+sur la scène, je trouve,--excusez ma franchise,--la scène un peu trop
+muette. Il est vrai que votre pièce est une pièce sainte; mais ce n'en
+est pas moins un défaut, à mon humble avis.
+
+Tout le monde s'attendait à une explosion de colère; il n'en fut rien.
+Le curé répondit d'un air suffisant:
+
+--Je l'avais senti, monsieur, mais je n'ai pu faire autrement;
+d'ailleurs, ces sortes de pièces sont sujettes à ce défaut...
+Toutefois, vous conviendrez avec moi que j'ai suppléé à la sécheresse
+des récitatifs par une versification assez heureuse.
+
+--Cela est vrai, dit M. de Margency, celui des auditeurs qui s'était
+fait le champion du curé. A mon tour, ajouta-t-il, je reprendrai
+l'objection faite par M. Diderot, et je demanderai à monsieur le curé
+pourquoi il n'a pas placé sur la scène la baignoire de Bethsabée? Son
+récit est plein de beaux vers, je le proclame bien haut, mais Horace a
+dit:
+
+ _Segnius irritant animos demissa per aurem
+ Quant quæ sunt oculis subjecta fidelibus, et quæ
+ Ipse sibi tradit spectator._
+
+--Sans doute, monsieur; mais Horace n'ajoute-t-il pas:
+
+ _Non tamen intus
+ Digna geri promes in scenam; multaque tolles
+ Ex oculis, quæ mox narret facundia præsens..._
+
+--Je suis battu, dit M. de Margency.
+
+Puis, se tournant vers ses amis:
+
+--Quoi qu'en dise Horace, messieurs, ne regrettez-vous pas, comme moi
+que M. le curé n'ait pu mettre sur la scène la baignoire de Bethsabée?
+Vive Dieu! comme Mlle Clairon...[9]
+
+ [9] Voir à l'_Appendice_.
+
+--Pardon, monsieur, interrompit le curé, la rougeur au front; mais
+vous oubliez que ma tragédie est une tragédie sainte, et que rien n'y
+doit offenser les oreilles ou les yeux des spectateurs chrétiens.
+
+--_Omnia sancta sanctis_, monsieur le curé; je tiens à la baignoire.
+Et vous, messieurs?
+
+--Oui, oui, il nous faut la baignoire, s'écrièrent ensemble les
+convives de d'Holbach.
+
+--Messieurs, je ne puis vous l'accorder. N'insistez pas, je vous prie.
+
+--Nous respectons vos scrupules, dit M. de Margency; qu'il soit fait
+selon votre désir... Mais, poursuivit-il, qu'il me soit permis, avant
+de nous séparer, d'ajouter un mot encore...
+
+Le curé dressa l'oreille.
+
+--Vous êtes du pays du grand Corneille, monsieur le curé; nous ne le
+saurions pas, que votre style nous l'aurait bien vite appris. Comment
+avez-vous fait pour arriver du premier coup à cette mâle vigueur,
+dont l'auteur de _Polyeucte_ et vous avez seuls le secret?
+
+--Messieurs, répondit l'abbé, si mon style a quelque ressemblance avec
+celui de Corneille, je le dois à la lecture approfondie que j'ai faite
+de ce grand poète; mais qu'on ne m'accuse d'aucun plagiat: j'affirme
+solennellement que mon style est à moi, et bien à moi... Je vois,
+monsieur, continua le curé, en s'approchant de M. de Margency, que
+vous êtes, comme on dit, un homme du métier, et je ne doute pas que
+vos pièces n'aient obtenu sur la scène un légitime succès.
+
+--Monsieur le curé, dit de Margency, mes amis veulent bien m'accorder
+quelque talent; mais, malgré leurs conseils, je dirai plus, malgré
+leurs instantes prières, je n'ai jamais consenti à laisser jouer mes
+pièces. Vous l'avouerai-je, monsieur le curé? j'ai peur...
+
+--Et de quoi, monsieur, je vous prie?
+
+--D'être sifflé.
+
+Puis, faisant un geste tragique: je crois que j'en mourrais!
+
+--Mon ami, lui dit Diderot, ayez plus de confiance en vous-même.
+Osez, et je vous prédis le succès, comme je le prédis à M. le curé de
+Montchauvet.
+
+--Ne me comparez pas, je vous prie, avec le rival de Pierre Corneille!
+
+--Que du moins son exemple vous enflamme, et, puisque vous travaillez
+actuellement à une tragédie de _Nabuchodonosor_, soumettez-la au
+jugement de M. le curé... Puis, s'adressant à l'abbé: Si nous osions,
+monsieur, vous prier de traiter le même sujet, voudriez-vous nous
+refuser, dans l'intérêt de notre ami qui brûle de marcher sur vos
+traces?
+
+--Monsieur, dit d'Holbach qui, pendant toute cette scène, avait gardé
+le plus grand sérieux, mes amis et moi nous vous attendons dimanche
+prochain. Vous achèverez la lecture de votre tragédie, et vous nous
+lirez, n'est-ce pas? la première scène de _Nabuchodonosor_; c'est un
+sujet extrêmement difficile et délicat. Nous ne doutons nullement que
+vous ne vous en tiriez avec l'habileté dont vous avez fait preuve dans
+votre tragédie de _Bethsabée_. Pour vous, dit d'Holbach à de Margency,
+vous saurez dimanche si vous devez affronter la scène ou brûler vos
+manuscrits. Vous connaissez notre franchise. Nous vous promettons un
+jugement sincère. A dimanche donc, monsieur le curé!
+
+Le curé promit de se rendre à cette aimable invitation.
+
+On se sépara. La vanité du curé de Montchauvet était aussi énorme que
+son talent était mince; aussi était-il loin de se douter qu'il venait
+de servir de bouffon aux convives habituels du baron d'Holbach.
+Cependant, malgré le plaisir que lui avaient causé les éloges de
+Diderot, de d'Holbach et de Margency, il était mécontent: il aurait
+voulu plus d'éloges encore; et il était indigné que l'on ne se fût pas
+montré plus sévère à l'égard de cet impertinent de Rousseau.
+
+Le lendemain, il rencontra M. de Margency et se plaignit beaucoup.--Si
+je fréquentais ces messieurs, lui dit-il, je finirais par soupçonner
+mes vers d'être plats: cependant, je suis bien sûr du contraire; et
+ils n'ont qu'à examiner leurs observations avec autant de sévérité que
+ma tragédie, ils verront ce qu'il y aura plat. Au demeurant, ce n'est
+pas que leur critique m'effraie: je ne tiens pas à ma pièce en auteur
+servile; j'en ai fait chaque vers triple, et je puis, comme vous
+voyez, sacrifier tout ce qu'on veut, sans que j'en sois plus mal à mon
+aise.
+
+M. de Margency l'assura fort qu'il avait laissé la société dans une
+grande admiration de ses talents; mais il n'en voulut rien croire: «Je
+les ai vus rire souvent pendant la lecture, répondit-il, et on ne rit
+pas dans une tragédie, quand on est de bonne foi... Enfin, je vois ce
+que c'est. Ces messieurs redoutent les ouvrages d'une certaine trempe
+et qui pourraient fixer l'attention du public, ils n'ont que leur
+_Encyclopédie_ dans la tête: ils craignent que mes succès ne fassent
+tort aux leurs. Mais le public saura bien rendre justice à chacun.»
+
+
+
+
+II
+
+
+C'est dans ces sentiments que le curé de Montchauvet reprit, trois
+jours après cette mémorable séance, le chemin de la basse Normandie.
+Pour se consoler de l'injustice des Philosophes, il fit imprimer à
+Rouen sa tragédie, qui parut sous ce titre: _David et Bethsabée_,
+tragédie par M. l'abbé ***. Prix, 36 sols.--A Londres [Rouen], aux
+dépens de la Compagnie, 1754.
+
+Lorsque l'imprimeur lui eut envoyé son ballot, l'abbé prit la plume et
+adressa à l'abbé Basset une longue lettre, que celui-ci s'empressa de
+communiquer à Diderot et que le philosophe lut à ses amis. En voici
+quelques extraits:
+
+ «De Montchauvet.
+
+«Je suis parti, monsieur et cher abbé, plein du souvenir de vos
+bontés. Je me suis hâté de quitter un séjour où je commençais à goûter
+quelque satisfaction, mais où je devenais à charge à quelques-uns.
+Disons-le: ils ont pris de l'ombrage d'une pièce où ils ont cru
+reconnaître des beautés que le public n'y reconnaîtra peut-être pas:
+ils m'ont envié un je ne sais quoi que la nature ou le hasard m'a
+prodigué... On m'apprit, avant de partir, que ce qui les avait
+irrités, c'était la pièce adressée à Mme la marquise. Ils ont rugi à
+ces mots de _vils mendiants_, et ils ont mis le curé de Montchauvet à
+toutes sauces... Quoi qu'il en soit, dans le procédé qu'ils ont tenu
+avec moi, ils ont cru me faire leur dupe. Ils y ont réussi jusqu'à un
+certain point, parce qu'ils ont abusé de ma franchise. Qu'ai-je perdu,
+sinon de ne pas croire que ma pièce était plus digne de voir le jour
+que je ne l'espérais? Elle le voit actuellement en beau papier et en
+caractères bien nets[10]: elle se vendra trente-six sous... Voilà donc
+le moment de sa mort ou de sa vie. Le public, qui voit toujours avec
+de bons yeux, du moins pour l'ordinaire, la disséquera comme il
+l'entendra bien. Si elle ne lui plaît pas, je n'aurai garde d'en
+appeler; mais je ne me rebuterai pas, je m'étudierai à faire mieux.
+Tant que ma veine voudra couler, je vous proteste, mon cher abbé, que
+rien ne sera capable de l'arrêter... J'ai déjà commencé une seconde
+pièce. Lorsqu'elle sera faite, j'en ferai sévèrement la critique,
+ainsi que de cette première. Comme l'honneur du théâtre ni l'intérêt
+ne me guident point, ne travaillant qu'à braver l'ennui de ma
+solitude, j'apporterai avec moi cette seconde tout imprimée, au moyen
+de quoi je ne me verrai plus exposé à lire mon manuscrit sur la
+sellette, devant des gens surtout qui vous rient dans leurs mains, au
+lieu d'être touchés, ou qui feignent d'applaudir, sans savoir
+seulement ce que c'est qu'enchaînement de scènes, ni peut-être qu'une
+rime... Maintenant, mon cher abbé, j'ai l'honneur de vous prévenir que
+je vous en enverrai un exemplaire et plusieurs en pur don pour les
+personnes à qui je vous prierai d'avoir la bonté de les remettre. Je
+compte que vous les recevrez la semaine prochaine avec une lettre
+d'avis: ce seront deux ports de lettre que je vous ferai coûter. Ayez
+pour agréable de me mander, au reçu de la présente, à Montchauvet, par
+Aunay, à la Plumaudière, si vous voulez vous donner la peine de m'en
+débiter. Dans le cas où vous pourriez vous en défaire, ce serait à
+l'acquit de ce que mon frère et moi nous vous devons. Excusez-moi de
+la longueur de ma lettre, je l'attends de votre indulgence. J'écris à
+M. l'abbé Fréron, et je lui envoie deux exemplaires, un pour lui, et
+l'autre pour Mme son épouse, en pur don[11]; vous voyez que je fais
+les choses libéralement et que je ne regarde pas à trente-six sous,
+lorsqu'il le faut. Adieu, mon cher abbé, etc.»
+
+ [10] Voir à l'_Appendice_.
+
+ [11] Voir à l'_Appendice_.
+
+ * * * * *
+
+Nous avouerons sans peine, avec Grimm, que quelques centaines de
+pareilles lettres feraient un excellent recueil.
+
+Toutefois, il est à remarquer que le curé de Montchauvet ne parle pas,
+dans cette lettre, d'un envoi que dut lui faire M. de Margency,
+quelques jours après son départ pour la Normandie.
+
+M. de Margency lui avait dit, on s'en souvient, qu'il lui soumettrait,
+le dimanche suivant, la première scène de sa tragédie de
+_Nabuchodonosor_. L'abbé devait, de son côté, apporter une scène sur
+le même sujet. De Margency, ayant appris le départ inopiné du curé,
+lui envoya son travail, accompagné d'une épître dédicatoire. Voici ces
+deux bouffonneries:
+
+_Épître à M. l'abbé Petit, curé du Mont Chauvet_.
+
+ Corneille du Chauvet, rimeur alexandrin,
+ Crois-moi, laisse-les dire, et va toujours ton train.
+ Ne t'aperçois-tu pas qu'envieux de ta gloire,
+ Tes ennemis font tout pour t'empêcher de boire
+ Au ruisseau d'Hippocrène, où Sophocle buvoit
+ Les chefs-d'œuvre qu'il fit, les beautés qu'il trouvoit?
+ Presque semblable à lui, quand tu touches la rime,
+ Tu te sers du rabot et jamais de la lime;
+ C'est-à-dire que, loin de coudre bout à bout
+ Des mots cherchés longtemps, tu fais bien tout d'un coup;
+ Voilà ce qui s'appelle un esprit bien facile,
+ Tu scandes en Homère et rimes en Virgile,
+ Et c'est ce qui déplaît à ces auteurs jaloux;
+ Va, moque-toi d'iceux, et ris de leur courroux.
+ Ils ont bu comme toi des eaux hippocréniques:
+ Bientôt tu les verras crever en hydropiques,
+ Et, tombant à tes pieds, poussifs et crevassés,
+ Ils _moureront_ tués, occis et trépassés.
+
+«Mon poétique cheval, Monsieur, qui se déferre en ce moment, m'oblige
+de descendre de la rime à la prose; permettez-moi donc de vous dire
+en son langage que votre immortelle et jolie pièce vous a fait bien
+des jaloux; mais n'en redoutez rien. Je viens de vous annoncer dans
+mes épiques vers et leur sort et le vôtre. D'ailleurs, consolez-vous
+avec les admirateurs qui vous restent. Comme j'y touche aussi
+quelquefois, à cette poésie, permettez-moi de vous consulter sur la
+tragédie que j'ai entreprise et dont je vous envoie une scène pour
+échantillon. Le sujet est, comme vous le savez, le fameux
+_Nabuchodonosor_. Je suis bien étonné que ce grand homme ait échappé à
+tant de célèbres auteurs. J'imagine qu'apparemment ils ne l'auront
+regardé que comme une grande bête, comme vous avez pu le regarder
+vous-même. Quoi qu'il en soit, voici ma scène. Nabuchodonosor
+entretient Isabelle avant de l'épouser.»
+
+
+SCÈNE
+
+NABUCHODONOSOR, ISABELLE
+
+ NABUCHODONOSOR.
+
+ Avant qu'à vos pieds beaux je mette ma couronne,
+ Écoutez-moi, princesse, et charmante personne;
+ Je n'allongerai pas, et je vous en répond,
+ Car, de mon naturel, je ne suis pas fort long
+
+ ISABELLE
+
+ Ah! grand prince, tant pis! ..Mais qu'avez-vous à dire?
+
+ NABUCHODONOSOR.
+
+ Reine, asseyez-vous là, je vais vous en instruire.
+ Je fus jeune autrefois, et même fort bien fait;
+ J'avois l'air d'un amour, du moins on le disoit.
+ Vous ne l'auriez pas cru?
+
+ ISABELLE.
+
+ Il est vrai, cher grand prince,
+ Qu'il vous reste à présent une mine assez mince.
+
+ NABUCHODONOSOR.
+
+ Pas tant... Mais il n'importe ..Écoutant mes désirs,
+ Je me divertissois dans les plus grands plaisirs;
+ Ma cour, modèle en tout de faste et d'élégance,
+ Réunissoit encor la joie et l'opulence;
+ Mille jeunes beautés, qui ne vous valoient pas,
+ Pleines de mes bienfaits, me prêtoient leurs appas;
+ Je vantois en tout lieu mon pouvoir, mes richesses,
+ Ma taille, mes bons mots, mes chiens et mes maîtresses.
+ Hélas! pour mon malheur je me vantai trop bien.
+ Le jaloux ciel piqué rabaissa mon maintien;
+ Il m'en punit, ce ciel: sa céleste colère
+ Donna dans mon endroit un exemple à la terre;
+ Je perdis dans un jour mon sceptre, mes États;
+ Une nuit je me vis velu comme les chats;
+ Sur mon corps tout courbé tous mes poils s'allongèrent,
+ De mon front menaçant deux cornes s'élevèrent,
+ Les seules, Dieu merci, que l'on m'ait vu porter...
+ Madame, en cet état, il fallut décamper.
+ Enfin je descendis du trône à quatre pattes.
+ (Où vas-tu nous fourrer, orgueil, quand tu nous flattes!)
+ Pour vous le couper court, et soit dit entre nous,
+ Je fus bête sept ans avant que d'être à vous.
+
+ ISABELLE.
+
+ Prince, que dites-vous?... Mais peut-être qu'encore...
+
+ NABUCHODONOSOR.
+
+ Je crois que vous raillez, madame la pécore!
+ Taisez-vous, reine en herbe; écoutez jusqu'au bout.
+ Galeux donc comme un braque, et velu comme un loup,
+ Je gagnai les forêts, les vallons, les montagnes;
+ La nuit j'allois brouter dans les vertes campagnes.
+ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
+
+
+(_Ici doit être un magnifique morceau poétique de la vie que
+Nabuchodonosor menoit à la campagne, comme une bête._)
+
+ Enfin le ciel touché mit fin à son courroux.
+ «Quittez les bois, dit-il, allez-vous-en chez vous;
+ Vous aviez, mon ami, la tête trop superbe:
+ Pour vous la rafraîchir, il vous falloit de l'herbe;
+ Le ciel est toujours ciel, et l'on s'en moque en vain.
+ Vous vous croyiez un Dieu: vous n'êtes qu'un faquin;
+ Tournez-moi les talons...» Aussitôt, sans trompette,
+ Je quittai dans la nuit ma champêtre retraite.
+ Enfin, au point du jour, je me rendis chez moi.
+ Mon peuple me reçut et reconnut son roi.
+ Je fus un peu malade après cette aventure:
+ L'estomac, tout farci de foin et de verdure,
+ Me donna des hoquets et des indigestions;
+ Il fallut recourir aux évacuations.
+ Mon premier médecin m'ordonna la rhubarbe;
+ Le lendemain, ce fut un furieux jour de barbe.[12]
+
+ [12] Voir à l'_Appendice_.
+
+
+
+
+III
+
+
+Le _Club holbachique_ s'était proposé d'achever de rendre fou le curé
+de Montchauvet, s'il y manquait quelque chose. Ils y réussirent; car,
+l'année suivante, le curé revint à Paris et n'hésita pas un seul
+instant à soumettre aux encyclopédistes la nouvelle pièce qu'il avait
+rimaillée au fond de son village. C'était la tragédie de _Baltazard_,
+dans laquelle, pendant quatre mortels actes, il s'agit de
+savoir,--selon la fameuse théorie inventée par l'abbé Le Petit,--si le
+roi soupera ou s'il ne soupera pas.
+
+On voit d'abord paraître les deux mages, Hyrcan et Arbate. Baltazard
+vient d'être vaincu. Sans aucun doute, la défaite du roi les affecte
+profondément; mais ce qui les tourmente par-dessus tout, c'est la
+crainte de ne pas souper.
+
+Pendant qu'ils délibèrent, sans rire, sur cette grave question,
+survient Aristée, femme du roi et fille d'Abradate, roi de la Susiane;
+elle vient (elle ne s'en cache pas) pour faire un monologue; mais
+comme la présence des deux mages la gêne: «Éloignez-vous...» leur
+dit-elle. Alors elle demande aux Dieux, qu'elle appelle «puissants
+moteurs», de lui rendre compte de l'indigne sort de son époux: «Que
+vais-je devenir?» s'écrie-t-elle:
+
+ Où fuir et dans quels lieux, quelle obscure contrée,
+ Dérober aux humains une reine éplorée?
+
+Mais, tout bien réfléchi, elle ne veut pas se risquer
+
+ Chez un peuple farouche,
+ Sans espoir d'y fléchir des cœurs que rien ne touche.
+
+Mieux vaut aller trouver Baltazard et périr avec lui. Baltazard lui
+épargne cette peine. Il vient,
+
+ Non pas brillant de gloire,
+ Et tel qu'à son départ il vantait sa victoire...
+
+Il est vaincu, mais il n'est pas découragé. A l'entendre faire le
+récit de la bataille qu'il a perdue, on croirait presque qu'il l'a
+gagnée:
+
+ Je m'avance à grands pas dans le sein de la gloire;
+ Tout nage dans le sang; une grêle de dards
+ Fait du jour une nuit; ce n'est de toutes parts
+ Qu'un spectacle effrayant d'hommes qui s'embarrassent,
+ De chevaux renversés, de chars qui se fracassent.
+
+Qu'allez-vous faire? lui demande Aristée. Tâchez de fléchir notre
+vainqueur:
+
+ S'il en est temps encor, proposez-lui la paix,
+ Et cherchez dans lui-même un ami pour jamais.
+
+Non, répond Baltazard, je veux souper, et
+
+ Dans ces vases sacrés qu'à Sion on regrette
+ J'éteindrai mes chagrins, ma honte et ma défaite;
+ Et, dût vomir le Juif mille imprécations,
+ Je les ferai servir à mes libations.
+
+Cette impiété donne le frisson à la reine.--Ne soupez pas, seigneur,
+lui dit elle, ou du moins ne soupez que si les mages l'ordonnent.
+
+Baltazard est bien contrarié de voir que l'_indifférence_ de la reine
+
+ Refuse à ses malheurs la moindre déférence.
+
+Mais enfin il cède: il consultera les devins. Hyrcan et Arbate
+accourent. _Secourez-moi_, leur crie Baltazard du plus loin qu'il les
+voit. Dois-je souper ou ne pas souper? Et il a soin d'ajouter, afin de
+leur dicter leur réponse:
+
+ Parlez, et, consolant mon esprit agité,
+ Songez qu'un jour si beau flatte ma volonté
+
+Les mages ont compris: _Seigneur, il faut souper_. Telle est leur
+réponse. Mais l'allégresse du roi est de courte durée. Survient
+Nitocris, sa mère, qui ne veut pas qu'on soupe.
+
+--Y songez-vous, lui dit-elle,
+
+ Insensible à l'État, votre cœur le néglige,
+ Et vous n'allez au temple, où rien ne vous oblige,
+ Que pour sacrifier, au gré de vos désirs,
+ Moins à l'amour des dieux qu'à l'attrait des plaisirs,
+ Occupé d'une fête, où, parmi la crapule,
+ La nuit ne connaîtra ni remords ni scrupule!
+
+Le roi n'écoute pas. Bien décidé à souper, il s'en va et laisse sa
+mère exhaler sa douleur dans un monologue. Il pousse l'audace encore
+plus loin: il dépêche vers elle les deux mages, qui la prient
+respectueusement de venir souper. Nitocris, comme on le pense bien,
+refuse énergiquement. Baltazard, ennuyé, vient la chercher lui-même.
+
+Nitocris et son fils s'accablent mutuellement de reproches:
+
+ A quoi bon (dit Baltazard) m'opposer ce beau titre de mère
+ S'il ne devient pour moi qu'une loi trop amère,
+ Si vous me refusez jusqu'à de saints plaisirs,
+ Et ne me rappelez que peines et soupirs?...
+ Ah! comment osez-vous, après ce caractère,
+ Me nommer votre fils et vous dire ma mère?
+ --Ingrat! (répond Nitocris) puis-je oublier l'excès de cet amour
+ Qui, quoi que vous disiez, vous mérita le jour?
+ Et pouvois-je empêcher que le ciel vous fît naître
+ Dans le sein qu'il choisit pour vous procurer l'être?
+ Mais si vous le devez, ce jour, à Nitocris,
+ Montrez donc désormais que vous êtes son fils;
+ Commencez à briser cette chaîne fatale
+ Dont vous chérissez tant le poids qui vous ravale,
+ Ce joug empoisonné, que d'indignes flatteurs
+ Savent, pour vous séduire, orner de tant de fleurs...
+
+L'hypocrite Baltazard feint de se rendre aux conseils de sa mère:
+
+ Je vais joindre Cyrus (lui dit-il) et, sans le moindre effroi,
+ Lui montrer que je sais vaincre et mourir en roi.
+
+A peine Nitocris a-t-elle le dos tourné: «Allons souper»,
+s'écrie-t-il.
+
+Ainsi finit le troisième acte. Le quatrième s'ouvre par un monologue.
+Baltazard a changé d'idée: il ne soupera pas; il ne veut pas que sa
+mère regrette
+
+ De n'avoir enfanté qu'un fils pusillanime.
+
+Mais il a compté sans les mages, Hyrcan et Arbate, qui viennent le
+relancer jusque dans son palais. Il se sent faiblir: aussi, pour se
+donner du courage, il se dit à lui-même:
+
+ ..... Soutiens-toi, Baltazard!
+
+Les mages sont les plus forts: ils n'ont qu'à faire un signe, le
+tonnerre gronde, et le pauvre roi ne sait où se cacher:
+
+ Qu'entends-je, malheureux! Quelle indignation!
+ Ah! mages, détournez votre imprécation!
+ Un feu secret et prompt, qui déjà me dévore,
+ Me prouve que le ciel ordonne qu'on l'honore.
+ C'en est fait. Je me rends et n'écoute que lui,
+ Heureux si sa bonté me secoure (_sic_) aujourd'hui!
+ Allez donc, qu'au banquet toute ma cour s'empresse
+ De noyer pour jamais son deuil et sa tristesse!
+
+On soupera donc, enfin! La table du festin est dressée: on la couvre
+des coupes sacrées du temple de Jérusalem.
+
+Au moment où Baltazard demande à boire aux mages, Nitocris se présente
+et reproche à son fils de _perdre le sentiment_. (L'auteur voulait
+sans aucun doute dire _le sens_.)
+
+Baltazard daigne à peine répondre:
+
+ Madame, jusqu'à quand votre importune voix!...
+ Donnez, mages, donnez; c'est trop me faire attendre.
+
+Mais à peine les mages ont-ils présenté la coupe au roi, qu'on voit
+une main écrire sur la muraille les fameux mots: MANÉ, THÉCEL, PHARÈS.
+
+ Que vois-je, mes amis (s'écrie Baltazard), et quel spectre nouveau
+ Crayonne sur ces murs un effrayant tableau?
+ Voyez-vous, comme moi, cette main qui nous trace
+ Certains mots, où mon sang dans mes veines se glace?
+ Ma coupe malgré moi s'échappe de mes doigts,
+ Et je sens peu à peu se dérober ma voix.
+ Mes yeux sont chancelants; mes genoux s'entrechoquent,
+ Et toutes les horreurs à la fois me suffoquent.
+
+Inutile d'ajouter que Baltazard est vaincu de nouveau et tué par
+Cyrus. Mais ce qu'il faut dire (car on ne s'en douterait guère), c'est
+que Cyrus, à peine entré dans Babylone, fait une déclaration des plus
+galantes à la reine Aristée. Celle-ci, comme on le pense bien, est
+furieuse:
+
+ Dois-je donc respecter (lui dit-elle) un bras qui n'a servi
+ Qu'à renverser un roi qu'il a trop poursuivi?
+ Taire tant de forfaits qu'un tyran autorise,
+ Et briser un pinceau qui te caractérise?
+ Barbare! je ne puis assez t'humilier!
+
+Cyrus n'est pas très flatté de ces dédains; car, si on l'en croit,
+sans Aristée, le trône où il monte n'est plus
+
+ ...... qu'un redoutable ennui.
+
+Mais il n'est pas au bout de ses peines. Nitocris vient lui reprocher
+la mort de son fils, et se tue presque sous ses yeux. Aristée veut en
+faire autant. Cyrus l'arrête. «Laisse-moi mourir,» lui crie-t-elle:
+
+ ..... Accorde au moins cette grâce dernière
+ Au reste infortuné d'une famille entière
+
+Cyrus tient bon, l'empêche de s'_occire_, et met fin à la tragédie par
+ces vers mémorables, mais bien peu en situation, puisque Nitocris est
+morte:
+
+ Secourons Nitocris, et demandons aux dieux
+ Qu'ils fassent de ce jour un jour moins odieux!
+
+Il est fâcheux que Grimm ne nous ait pas noté les divers incidents
+auxquels a dû donner lieu la lecture de ce chef-d'œuvre. Il se
+contente de dire: «Le curé nous a tenu parole; il est revenu avec une
+seconde tragédie, intitulée _Baltazard_, tout aussi bonne que la
+première. Je crois qu'il n'a pas pu trouver d'imprimeur. Mais il est
+reparti pour sa cure un peu plus content de nous.»
+
+Dans la préface de _Baltazard_, le curé de Montchauvet nous en dira
+plus long: «Le peu de succès de ma première pièce m'avoit presque
+déterminé à n'en pas entreprendre une seconde. Cependant, je pensois
+que si Racine avoit été découragé par la médiocrité des _Frères
+ennemis_, nous n'aurions jamais eu ni _Yphigénie_ (_sic_), ni
+_Phèdre_; et je repris la plume que la critique m'avoit presque fait
+tomber des mains. Je composai donc mon _Baltazard_ après ma
+_Bethsabée_, à qui je donnai un frère, comme M. de Boissy l'a dit
+également du _Méchant_ de M. Gresset. J'apportai à Paris cette seconde
+production de ma verve échauffée et de mon génie irrité par les
+difficultés, bien résolu de la sacrifier, si je ne me trouvois pas
+autant au-dessus de moi-même que je le désirois, et que Racine et
+Corneille s'étoient montrés supérieurs à eux-mêmes, à mesure qu'ils se
+familiarisoient davantage avec le génie dramatique. Il ne s'agissoit
+plus que de rencontrer des juges équitables qui m'éclairassent ou sur
+ma médiocrité ou sur mes progrès. Mais où trouver ces juges équitables
+dans une ville fausse comme celle-ci, où l'on semble prendre à tâche
+de décourager ceux qui donnent quelque espérance? Heureusement, un
+homme distingué par sa naissance, son goût, sa probité, et surtout par
+l'accueil qu'il daigne faire aux talents naissants, s'offrit à
+rassembler chez lui cinq ou six des meilleurs esprits, qui la
+jugeroient avec la dernière sévérité, et qui m'apprendroient par le
+jugement qu'ils en porteroient, celui que j'en devois porter moi-même.
+L'avouerai-je? L'examen fut sanglant, et je laissai mes critiques bien
+convaincus qu'ils avoient rempli le projet, que peut-être ils avoient
+formé, de me ramener à des fonctions que je reconnaîtrai sans peine
+avec eux très supérieures à l'occupation d'un poète, ce poète fût-il
+plus grand que Racine et Corneille. Mais je réfléchis sur leurs
+observations; je vis bientôt qu'il n'y avoit aucune pièce au monde sur
+laquelle on n'en pût faire d'aussi solides; et je parvins à me
+démontrer évidemment que ma seconde tentative dramatique m'avoit
+beaucoup mieux réussi que je n'aurois osé le penser, sans le
+_suffrage_ de tous mes censeurs. Je dis le _suffrage_, car ce fut le
+véritable jour sous lequel je ne tardai pas à voir leur critique. Je
+me dis à moi-même: Comment! Voilà donc à quoi se réduit tout ce que
+les hommes de Paris, qui passent pour avoir le plus d'esprit, trouvent
+de répréhensible dans mon ouvrage? En vérité, il faut qu'il soit mieux
+que bien: je ne risque donc rien à le publier; et j'eus tout
+l'empressement que donne l'espoir du succès, de le porter à mon
+imprimeur. C'est donc à ces Messieurs plutôt encore qu'à moi que le
+lecteur en doit la publicité... J'en vais méditer une troisième. Je
+suis jeune, j'ai du courage, et pour peu que je m'élève à chaque
+essort (_sic_) que je prendrai, j'espère me voir enfin à une hauteur
+suffisante pour contenter la vanité d'un auteur qui n'en a pas
+beaucoup. Ainsi soit-il!»
+
+ * * * * *
+
+Quoi qu'en dise Grimm, le curé de Montchauvet trouva, nous le voyons,
+un imprimeur. Sa pièce parut sous ce titre: BALTAZAR, _tragédie_,
+_par M. l'abbé ***_. _Prix vingt-quatre sols_, 1755 [sans lieu ni nom
+d'imprimeur].
+
+En lisant ce titre, on éprouve une certaine surprise. On se rappelle
+que la tragédie de _Bethsabée_ se vendait (quand elle se vendait!)
+_trente-six sous_. Puisque le curé de Montchauvet trouve la tragédie
+de _Baltazard_ supérieure à celle de _Bethsabée_, comment se fait-il
+qu'il ne l'estime que _vingt-quatre sous_?
+
+La troisième tragédie annoncée ne parut pas. L'abbé Le Petit s'en tint
+à ses deux chefs-d'œuvre, et il fit bien[13].
+
+ [13] Voir à l'_Appendice_.
+
+
+
+
+APPENDICE.
+
+
+_Page 3, note 1._
+
+Si invraisemblable que puisse paraître cette mystification littéraire,
+je dois dire que je n'ai rien inventé: je me suis contenté de
+suivre,--en l'arrangeant un peu,--le récit que nous en ont laissé
+Grimm (_Correspondance litt. philosoph. et crit._, lettres du 1er
+mars, du 1er août et du 15 septembre 1755), et Fréron (_Année litt._
+1754, tome IV, p. 307, et 1755, tome VIII, p. 342).
+
+_Page 3, note 2._
+
+Montchauvet, aujourd'hui dans l'arrondissement de Vire, canton de
+Bény-Bocage (Calvados).
+
+_Page 4, note 3._
+
+Le curé de Montchauvet, la victime de Diderot et de ses amis, se
+nommait, non pas Petit, comme l'appelle Grimm, mais Le Petit. Grâce à
+l'obligeance de M. Lair, instituteur à Montchauvet, qui a bien voulu
+me communiquer les vieux registres conservés dans les archives de la
+mairie, j'ai pu constater que l'abbé Le Petit (Jean-Baptiste) a dû
+arriver à Montchauvet au mois d'avril 1751. Le premier acte signé de
+lui, comme successeur du curé Moussard, est du 14 avril 1751. Deux
+fois seulement (14 août et 15 septembre 1752), l'abbé Le Petit, assez
+souvent appelé dans le corps des actes (baptêmes, mariages ou
+inhumations), Le Petit Dequesnay ou de Quesnay, a signé Le Petit
+Dequesnay. Partout ailleurs il signe tout simplement Le Petit.
+
+Le dernier acte, non pas écrit, mais signé par le curé Le Petit, d'une
+écriture tremblée, est un baptême en date du 30 mai 1786.
+
+Devenu infirme, sans doute, il fut remplacé, de son vivant, par son
+vicaire Lemarchand[14]. L'abbé Le Petit mourut le 16 décembre 1788.
+Voici l'acte d'inhumation du pauvre poète:
+
+ «Le dix-sept décembre 1788 a été par moi curé de Montami
+ soussigné inhumé dans le cimetière de Montchauvet le corps de
+ maistre Jean-Baptiste Le Petit ancien curé de Montchauvet décédé
+ d'hier âgé d'environ soixante-huit ans présence de Mrs le curé et
+ vicaire actuels.
+
+ (Ont signé) Lemarchand [curé], Jouenne [vicaire] et G. Liot [curé
+ de Montamy].
+
+ [14] A partir du 30 mai 1786, les actes sont signés par Jouenne
+ ou Le Marchand, vicaires. Le premier acte que nous ayons trouvé,
+ signé par Le Marchand, _curé_, est du 9 janvier 1788; mais nous
+ devons ajouter que le registre de 1787 manque aux archives de
+ Montchauvet.
+
+Jean-Baptiste Le Petit, âgé de 68 ans environ, quand il mourut en
+1788, a donc dû naître (où ??) vers 1720. Il avait trente quatre ans
+lorsqu'il sentit s'éveiller son génie poétique et qu'il vint lire,
+pour son malheur, à Diderot et à ses amis, l'«immortelle» tragédie de
+_David et Bethsabée_.
+
+D'après les signatures des vicaires Tourgis ou Duhamel, que nous avons
+relevées au bas des actes des registres paroissiaux de Montchauvet, et
+qui constatent l'absence du curé, l'abbé Le Petit dut quitter ses
+sauvages bruyères pour aller à Paris, vers la fin d'août 1753, et ne
+rentrer dans son village qu'au mois d'avril 1754. Ces dates concordent
+bien avec celles que donnent les lettres de Grimm.
+
+Le fait le plus saillant de la vie du curé de Montchauvet est
+assurément sa lecture chez le baron d'Holbach; mais je dois aussi
+rappeler qu'il eut à soutenir un long procès contre Jacques-François
+Mercier, prieur commendataire du prieuré royal du Plessis-Grimoult,
+chanoine de la Sainte-Chapelle du Palais à Paris[15]. Ce procès, qui
+dura au moins dix ans, fut gagné par le curé Le Petit, non seulement
+devant le bailliage de Vire (3 juillet 1762), mais encore devant le
+Parlement de Normandie (19 juin 1771). Le curé de Montchauvet
+réclamait contre le prieur du Plessis-Grimoult «le tiers des dîmes de
+la paroisse et la qualité de curé, au lieu de celle de vicaire
+perpétuel, la seule qu'on voulût lui reconnaître.» Détail intéressant
+et qui a été relevé par M. Ch. de Beaurepaire, le savant archiviste de
+la Seine-Inférieure[16], l'arrêt du Parlement de Normandie qui termine
+le procès intenté par l'abbé Le Petit au prieur du Plessis-Grimoult,
+nous apprend qu'en une semblable circonstance, Bossuet, le grand
+Bossuet, «malgré le droit de _committimus_ dont il avait usé, malgré
+le recours à des juges certainement prévenus en sa faveur», avait
+succombé, d'abord au bailliage de Vire, en second lieu et
+définitivement aux Requêtes du Palais à Paris, dans sa contestation
+avec Mathieu Roger, curé de Montchauvet, un des prédécesseurs du curé
+Le Petit.
+
+ [15] La cure de Montchauvet dépendait du Prieuré du
+ Plessis-Grimoult.
+
+ [16] _Bulletin historique et philologique_, 1896. «Procès entre
+ Bossuet, prieur du Plessis-Grimoult, et le curé de Montchauvet en
+ Normandie, en 1674.»
+
+_Page 4, note 4._
+
+J'ajouterai «et le prieur du Plessis-Grimoult», car Montchauvet était
+une des 39 cures (ou bénéfices) qui dépendaient de ce prieuré.--Voir
+notre étude sur _Bossuet en Normandie_, p. 43.
+
+_Page 5, note 5._
+
+L'abbé Gilles Basset des Rosiers enseigna la philosophie au collège
+d'Harcourt (aujourd'hui lycée St-Louis) vers 1750. Il devint recteur
+de l'Université en 1779. C'était un homme aimable, instruit, en
+relation avec les écrivains les plus renommés. (Voir BOUQUET,
+_L'ancien collège d'Harcourt et le lycée Saint-Louis_, p. 414.)
+
+_Page 10, note 6._
+
+Grimm n'assistait pas à cette mémorable séance; sa chaise de poste
+s'étant brisée à Soissons, il ne put arriver à Paris que le lundi de
+carnaval. «C'est ce contre-temps, nous dit-il, qui m'attira l'honneur
+d'être l'historien du curé de Montchauvet.»
+
+_Page 13, note 7._
+
+M. de la Condamine est bien connu par ses voyages scientifiques et par
+ses _Mémoires sur l'inoculation de la petite vérole_.
+
+Sa surdité donna lieu, lorsqu'il fut reçu à l'Académie française
+(1760) au quatrain suivant. (On dit même qu'il en est l'auteur).
+
+ La Condamine est aujourd'hui
+ Reçu dans la troupe immortelle:
+ Il est bien sourd, tant mieux pour lui,
+ Mais non muet, tant pis pour elle.
+
+Trois ans auparavant (1757),--n'étant plus de la première jeunesse,
+puisqu'il était né en 1701,--il épousa sa nièce. Le madrigal qu'il fit
+à sa jeune femme, pendant la première nuit de ses noces, fit beaucoup
+d'honneur à son esprit:
+
+ D'Aurore et de Titon vous connaissez l'histoire.
+ Notre hymen en retrace aujourd'hui la mémoire;
+ Mais Titon de mon sort pourrait être jaloux.
+ Que ses liens sont différents des nôtres!
+ L'Aurore entre ses bras vit vieillir son époux,
+ Et je rajeunis dans les vôtres.
+
+Après avoir lu ce joli madrigal, M. de Luxemont, secrétaire des
+commandements de M. le comte de Charolais, envoya le huitain suivant à
+M. de la Condamine:
+
+ D'Aurore et de Titon nous connaissons l'histoire.
+ L'infortuné vieillit où vous rajeunissez.
+ Vous le dites du moins, et pour nous c'est assez:
+ Véridique et modeste, il faut bien vous en croire;
+ Mais lorsque de l'Amour, dans le lit nuptial,
+ Vous empruntez la voix pour peindre sa puissance,
+ Ne peut-on soupçonner, sans vous faire une offense,
+ Qu'il n'y fit rien de mieux que votre madrigal?
+
+Piqué au jeu, M. de la Condamine répondit:
+
+ Mon madrigal fut donc, à ce que vous pensez,
+ La nuit de mon hymen, ma plus grande prouesse?
+ Monsieur, sont-ce mes vers que vous applaudissez,
+ Ou pensez-vous déplorer ma faiblesse?
+ Hélas! dans mon printemps, pour tribut conjugal,
+ J'eusse achevé ma neuvaine à Cythère.
+ Aujourd'hui, moins fervent, pour me tirer d'affaire,
+ J'en remplis les deux tiers avec un madrigal.
+
+M. de Luxemont répliqua à son tour:
+
+ Ce sont vos vers que j'applaudis,
+ Sans déplorer votre faiblesse;
+ L'Amour n'en est pas moins surpris
+ Que l'objet de votre tendresse
+ (Dont lui-même serait épris)
+ Ne vous ait pas rendu tel qu'en votre jeunesse.
+ Toutefois, n'en déplaise au dieu de l'Hélicon,
+ Seul garant de cette neuvaine
+ Que commencent souvent, que finissent à peine
+ Les vrais élus de Cupidon,
+ Tout homme sur ce point, dit le bon La Fontaine,
+ Est d'ordinaire un peu gascon;
+ Et l'on croit qu'il avait raison.
+ Mais pour n'être jamais contredit de personne,
+ Rimez toujours, rimez: vos vers vainqueurs du Temps,
+ Prouvent qu'en vos pareils les fruits de leur automne
+ Conservent la saveur de ceux de leur printemps.
+
+Si l'abbé Basset a envoyé ces agréables jeux d'esprit au curé de
+Montchauvet, l'auteur de _Baltazar_ a dû se dire: «Je comprends que ce
+M. de la Condamine n'ait pas voulu écouter mes vers; ce n'est pas un
+poète sérieux.»
+
+_Page 17, note 8._
+
+Le curé tint compte de l'observation. On lit (acte III, sc. 3):
+
+ Le temps vous vengera des soupirs _superflus_,
+ Et je sçauray moi-même enfin n'y songer plus.
+
+_Page 21, note 9._
+
+C'est l'année suivante (dans l'_Orphelin de la Chine_, de Voltaire)
+que Mlle Clairon et les artistes du Théâtre Français renoncèrent à
+jouer avec paniers.
+
+C'est aussi à cette date (1755) que le marquis de Ximenès se brouilla
+avec Mlle Clairon. La grande actrice lui redemanda son portrait, et le
+marquis eut le mauvais goût de le lui renvoyer, avec ce quatrain...
+cruel:
+
+ Tout s'use, tout périt; tu le prouves, Clairon.
+ Ce pastel, dont tu m'as fait don,
+ Du temps a ressenti l'outrage:
+ Il t'en ressemble davantage.
+
+_Page 29, note 10._
+
+Le curé de Montchauvet n'est pas difficile. Sa tragédie est très mal
+imprimée; il y a deux grandes pages de _fautes à corriger_.
+
+_Page 29, note 11._
+
+M. et Mme Fréron ne furent guère sensibles à cette générosité, car
+dans l'_Année littéraire_ de 1754 (tome IV), le curé et sa tragédie
+sont arrangés de la belle façon.
+
+_Page 34, note 12._
+
+M. de Margency ne faisait pas que des vers burlesques. Voici une
+chanson, citée par Grimm (15 novembre 1757), qui nous prouve qu'il
+avait, quand il le voulait, l'esprit aussi ingénieux que délicat.
+
+ J'entends dans ces forêts
+ Gémir la tourterelle;
+ Hélas! si je voulais,
+ Je me plaindrais comme elle.
+
+ Notre sort est égal;
+ L'amour seul fait sa peine:
+ Chez moi c'est même mal,
+ L'amour cause la mienne.
+
+ Ce qui fait nos douleurs,
+ Ce n'est pas l'inconstance;
+ Mais l'on verse des pleurs
+ De même pour l'absence.
+
+ Un cœur qui n'aime rien
+ N'a point de ces alarmes,
+ C'est pourtant un grand bien
+ De répandre des larmes.
+
+_Page 46, note 13._
+
+Cette étude a déjà paru dans la _Nouvelle Revue_, 4e année, tome XIX,
+1re livraison, 1er mars 1882, pages 117 et suivantes.
+
+--Dans la première livraison de la _Revue franco-américaine_ (juin
+1894), Alphonse Daudet a consacré deux pages à l'abbé Le Petit, qu'il
+appelle «un raté littéraire au XVIIIe siècle».
+
+--Les deux tragédies de _David et Bethsabée_ et de _Baltazard_ sont
+devenues excessivement rares. J'ai pu acheter la première à la vente
+du baron Taylor.--Elles se trouvent à la Bibliothèque de Caen, Ch 5/4.
+_Baltazard_ se morfond, très peu lu, à la Bibliothèque de Vire. «Nul
+n'est prophète en son pays.»
+
+ * * * * *
+
+La paroisse de Montchauvet a connu un autre curé-poète de la même
+force que l'abbé Le Petit.
+
+En 1828, le curé Laumonier fit paraître[17]: _L'oraison funèbre ou
+complainte sur le renversement d'un très bel if qui a existé dans le
+cimetière de Montchauvet jusqu'à l'éradication qui en fut faite le 12
+janvier 1828_. (Ouf, quel titre!).
+
+ [17] A Vire, chez Adam, imprimeur du roi. L'abbé Laumonnier avait
+ déguisé son nom sous l'anagramme de NUMA LEROI.
+
+Voici quelques couplets de cette complainte:
+
+ Ici vivait depuis mille ans,
+ A quelques pas du sanctuaire,
+ Athlète contre les autans,
+ Un If,... un arbre tutélaire.
+ . . . . . . . . . . . . . . . . .
+
+ Il était l'arbre du pays,
+ L'expression n'est pas outrée,
+ Où s'assembloient le plus d'amis,
+ D'enfans... de toute la contrée.
+
+ Il était aussi le plus beau
+ Qui fût connu du voisinage:
+ Là s'unissaient près du tombeau
+ L'enfance avec le moyen âge.
+
+ Il aurait pu rester debout:
+ C'était l'avis du commissaire...
+ Mille ans n'auraient pas vu le bout
+ De sa présence salutaire.
+ . . . . . . . . . . . . . . . . .
+
+ De la demeure funéraire
+ Il était le triste ornement.
+ Faut-il qu'un désir de déplaire
+ Ait causé son renversement?
+
+ Il me servait de paravent
+ Quand j'allais à la sacristie;
+ Il me saluait en passant,
+ Me protégeant à la sortie.
+ . . . . . . . . . . . . . . . . .
+
+«La fin couronne l'œuvre», c'est le cas de le dire:
+
+ Adieu bel arbre, adieu bel If...
+ Adieu, ton tronc, ta forte branche;
+ En dépit de mon cri plaintif,
+ Tu meurs la veille d'un dimanche.
+
+«Au haut des cieux, _leur demeure dernière_», (du moins j'aime à le
+supposer), les deux curés de Montchauvet, Le Petit et Laumonier,
+doivent rimailler de conserve et maudire les méchants critiques, qui
+«tâchent de décourager ceux qui donnent quelque espérance».
+
+
+IMPRIMERIE HENRI DELESQUES, A CAEN
+
+
+
+
+
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@@ -0,0 +1,1779 @@
+Project Gutenberg's Diderot et le Curé de Montchauvet, by Armand Gasté
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
+
+
+Title: Diderot et le Curé de Montchauvet
+ Une mystification littéraire chez le baron d'Holbach, 1754
+
+Author: Armand Gasté
+
+Release Date: January 21, 2014 [EBook #44723]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DIDEROT ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET ***
+
+
+
+
+Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
+file was produced from images generously made available
+by The Internet Archive/Canadian Libraries)
+
+
+
+
+
+
+
+Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le
+typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée
+et n'a pas été harmonisée.
+
+
+
+
+ DIDEROT
+ ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET
+
+
+
+
+ Armand Gasté
+
+ DIDEROT
+ ET LE
+ CURÉ DE MONTCHAUVET
+
+ --UNE MYSTIFICATION LITTÉRAIRE CHEZ
+ LE BARON D'HOLBACH, 1754--
+
+ [Illustration]
+
+ PARIS
+ ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
+ _23-31, passage Choiseul, 23-31_
+
+ M. DCCC. XCVIII
+
+
+
+
+DIDEROT
+
+ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET[1]
+
+
+Au milieu du XVIIIe siècle vivait, ou plutôt végétait tristement dans
+l'humble presbytère de Montchauvet, en plein Bocage normand[2], un
+curé poète qui doit aux Encyclopédistes l'immortalité du ridicule, et
+dont les vers extravagants furent,--qui le croirait?--une des causes
+de la rupture de Jean-Jacques Rousseau avec ses bons amis, les
+Philosophes.
+
+ [1] Voir à l'_Appendice_.
+
+ [2] _Ibid._
+
+
+
+I
+
+
+L'abbé Le Petit[3],--c'est le nom de notre curé,--s'ennuyait à mourir
+dans le village où l'avait enterré son évêque[4]. Il avait beau monter
+sur les âpres rochers qui dominent le presbytère et interroger
+l'horizon, il ne voyait venir personne qui fût digne de le comprendre
+et sût goûter les vers qu'il composait dans sa morne solitude. Et
+laissant tomber ses regards sur les masures de ses paroissiens: «Ici,
+il n'y a que moi d'homme d'esprit, se disait-il. Point de société!...
+Pour toute ressource, le magister, c'est-à-dire un paysan habillé de
+noir!»
+
+ [3] Voir à l'_Appendice_.
+
+ [4] _Ibid._
+
+Un beau jour, l'abbé Le Petit, n'y pouvant plus tenir, boucla sa
+valise et partit pour Paris. A Paris, en effet, il trouverait un de
+ses anciens camarades de séminaire, l'abbé Basset[5], professeur de
+philosophie au collège d'Harcourt. L'abbé Basset avait de belles
+relations: il procurerait certainement un éditeur à son confrère.
+L'éditeur trouvé, le livre prôné par les gazettes s'enlevait en un
+clin d'oeil; les salons se disputaient l'illustre compatriote de
+Malherbe et de Pierre Corneille; et qui sait? l'Académie ne se faisait
+pas trop prier pour lui offrir un de ses quarante fauteuils.
+
+ [5] _Ibid._
+
+Tels étaient les beaux rêves que le curé de Montchauvet confiait à
+l'abbé Basset, et que celui-ci, en se promenant avec lui, au
+Luxembourg, par une belle matinée d'hiver, écoutait d'une oreille trop
+indulgente.
+
+Au détour d'une allée, on rencontre Diderot. Diderot, qui demeurait à
+quelques pas de là, sur la hauteur d'où il avait tiré son surnom de
+_Philosophe de la Montagne_, aimait à se promener le matin au
+Luxembourg. L'abbé Basset, qui était fort lié avec lui, connaissait
+ses habitudes. Ce n'était pas sans intention, peut-être, qu'il
+conduisit, ce jour-là, sur le chemin du philosophe, le curé de
+Montchauvet, avide de connaître les grands esprits du siècle, avide
+surtout d'en être connu. L'abbé Basset présente son ami à Diderot. Le
+curé nage dans la joie; il pâlit d'aise, et son nez,--un nez
+extrêmement long, dit la chronique,--est dans un mouvement perpétuel.
+La conversation est bientôt liée. L'abbé Le Petit raconte d'un trait
+ses infortunes: «Je m'étiolais à Montchauvet, le plus triste lieu du
+monde; mes talents y étaient enfouis. Mais, Dieu merci! j'en suis
+hors, et je me réjouis, monsieur, d'avoir fait connaissance avec un
+homme de votre réputation, afin de vous demander votre avis.
+
+--Mon avis, dit le philosophe, et sur quoi, monsieur l'abbé?
+
+--Sur un madrigal de sept cents vers, que j'ai fait dernièrement.
+
+--Un madrigal de sept cents vers! Et sur quel sujet, je vous prie?
+
+--Voici la chose, dit le curé en souriant d'un air malin: mon valet a
+eu le malheur de faire un enfant à ma servante, et cela m'a donné un
+assez beau champ, comme vous allez voir.
+
+Et, disant cela, il tire de la poche de sa soutane un grand cahier de
+papier. Diderot recule épouvanté; puis se ravisant:
+
+--Monsieur le curé, dit-il, je vous trouve bien blâmable d'employer
+vos loisirs à de pareils sujets.
+
+L'abbé Le Petit commençait à rougir de colère; son nez s'agitait,
+menaçant...
+
+--Quand on a un génie aussi sûr que le vôtre, poursuivit Diderot, on
+doit faire des tragédies, et non pas s'amuser à des madrigaux.
+
+Le curé de Montchauvet, agréablement flatté de ce compliment
+inattendu, devint radieux: ses yeux brillaient d'un éclat
+inaccoutumé, son grand nez se dilatait pour mieux aspirer l'encens.
+Il voulait remercier Diderot; celui-ci ne lui en laissa pas le
+temps:--Permettez-moi de vous dire que je n'écouterai pas un seul vers
+de votre façon, avant que vous ne nous ayez apporté une
+tragédie.--Vous avez raison, répliqua le curé;.... je suis trop
+timide. Puis, remettant dans la vaste poche de sa soutane son long
+poème, il salua poliment Diderot. Le philosophe, en s'en allant,
+échangea avec l'abbé Basset un sourire que le bon curé n'aperçut pas,
+ou dont il ne comprit pas la signification.
+
+C'était un sourire de contentement. Diderot s'était débarrassé du même
+coup, (il le croyait du moins), d'un madrigal de sept cents vers et
+d'un importun.
+
+Quelques mois se passent. Diderot, bien tranquille dans son cabinet,
+travaillait, sans doute à ses _Pensées sur l'interprétation de la
+nature_, lorsque, sans se faire annoncer, l'abbé Le Petit se présente
+avec un énorme manuscrit sous le bras. Qu'on juge de la surprise de
+Diderot.--Comment, monsieur le curé, c'est bien vous que je vois! Je
+vous croyais depuis longtemps en Normandie.--On ne peut vivre qu'à
+Paris, monsieur; j'y suis donc resté, et, suivant vos conseils, je me
+suis mis avec ardeur au travail. Je vous apporte...--Encore un
+madrigal? s'écria Diderot; non, monsieur le curé, vous savez nos
+conventions. Je n'écoute pas un vers de vous, que vous ne m'ayez
+apporté une tragédie.--C'est justement...--Quoi! C'est une
+tragédie?--Oui, monsieur, _David et Bethsabée_....
+
+Diderot faillit tomber à la renverse.
+
+--Avez-vous le loisir de m'écouter? poursuivit l'abbé, impitoyable.
+
+Il n'y avait pas à reculer, il fallait bien essuyer cette lecture.
+
+--Monsieur le curé, répondit le philosophe, que diriez-vous si,
+dimanche, je vous présentais à nos amis, et si je vous donnais pour
+juges les plus grands esprits dont notre siècle s'honore?... Allons,
+c'est entendu, je vous mènerai dans le salon de M. le baron d'Holbach.
+Vous y entrerez inconnu; mais, je vous le jure, vous en sortirez
+célèbre.
+
+--Monsieur, balbutia l'abbé, que de grâces...
+
+--Trève de compliments! C'est moi qui suis votre obligé. Ne pas
+produire au grand jour un poète de votre force, mais ce serait un
+crime!... Allons, adieu, monsieur le curé, ou plutôt, au revoir... A
+dimanche! Je vous attends chez moi.
+
+Le curé fut exact au rendez-vous. Diderot avait prévenu ses amis, les
+Encyclopédistes. On sait que le baron d'Holbach les recevait à dîner
+deux fois par semaine, ce qui le faisait appeler par l'abbé Galiani
+«_le maître d'hôtel de la philosophie_».
+
+Ce jour-là--c'était justement le dimanche gras--les convives du baron
+d'Holbach étaient quinze à vingt. Dans le riche cabinet, où le
+richissime philosophe venait de faire placer sa récente acquisition,
+la _Chienne allaitant ses petits_, un des chefs-d'oeuvre du peintre
+Oudry, on voyait réunis, sans compter Diderot et le maître de la
+maison, J.-J. Rousseau, d'Alembert, Duclos, Marmontel, Helvétius, de
+Jaucourt, Raynal, Morellet, de la Condamine, M. de Gauffecourt, M. de
+Margency, etc.[6].
+
+ [6] Voir à l'_Appendice_.
+
+Le curé de Montchauvet est introduit. On lui fait fête; on l'invite à
+s'asseoir. Il promène ses regards de tous côtés: il ne voit que des
+visages riants; cela l'encourage. Pourtant, il aperçoit dans un coin
+du salon une figure renfrognée. C'était J.-J. Rousseau, qui flairait
+une mystification, et qui, avec sa probité à toute épreuve, était
+résolu à faire le rôle d'honnête homme.--C'est un jaloux, se dit
+l'abbé; mais qu'importe?... Et il déroule lentement son
+manuscrit.--D'abord, messieurs, leur dit-il, je dois vous lire
+l'épître que je me permets d'adresser à Madame de Pompadour.
+
+Cette épître commençait par un vers assez singulier:
+
+ Rentrez dans le néant, race de mendiants...
+
+C'était pour flétrir les poètes qui font des dédicaces en vue de
+gagner de l'argent.--Oh! oh! Monsieur le curé, lui dit-on de toutes
+parts, l'épithète n'est-elle pas un peu violente?--Non, messieurs,
+
+ Point d'enfant d'Apollon, s'il ne rime gratis.
+
+Et, continuant sa lecture, il déclame avec emphase ces deux vers:
+
+ Tout ainsi comme Icare, parcourant la lumière,
+ Dans un rayon brûlant vit fondre sa carrière...
+
+--Voilà, lui dit Marmontel, un vers admirable! mais ces sortes de vers
+doivent être bien difficiles à trouver.--Cela est vrai, répondit le
+curé en pâlissant de joie et de vanité; mais aussi est-on bien content
+quand on a trouvé.
+
+L'épître finie, le curé, avant de commencer la lecture de sa tragédie,
+pria la société de lui permettre d'exposer rapidement sa théorie du
+poème dramatique. Corneille l'a fait, ajouta-t-il: compatriote de
+Corneille, ne puis-je pas faire comme lui?--Sans aucun doute, monsieur
+l'abbé, s'écrièrent en choeur tous les convives.--Vils flatteurs,
+murmurait dans son coin le citoyen de Genève.--Ma théorie est bien
+simple, messieurs. Donnez-moi un sujet quelconque.
+
+--_Balthazar_, dit une voix.
+
+--_Balthazar_, soit! Eh bien! vous savez, messieurs, que, pendant le
+souper de ce roi impie, on vit une main écrire sur les murs les mots:
+_Mané, Thécel, Pharès_. Il s'agit donc de savoir si le roi soupera ou
+non; car, s'il ne soupe pas, la main n'écrira pas. Or je n'ai qu'à
+inventer deux acteurs. Le premier veut que le roi soupe, le second ne
+le veut pas, et cela alternativement. Si moi, poète tragique, je veux
+que le roi soupe, celui-là parlera le premier. Ainsi:
+
+Ier acte: _Le roi soupera_;
+
+2e acte: _Il ne soupera pas_;
+
+3e acte: _Il soupera_;
+
+4e acte: _Il ne soupera pas_;
+
+5e acte: _Il soupera_.
+
+Si, au contraire, je ne veux pas que le roi soupe, voici quel sera mon
+plan:
+
+Ier acte: _Il ne soupera pas_;
+
+2e acte: _Il soupera_;
+
+3e acte: _Il ne soupera pas_;
+
+4e acte: _Il soupera_;
+
+5e acte: _Il ne soupera pas_.
+
+Voilà, messieurs, tout le mystère.
+
+Un murmure approbateur accueillit ces paroles. Le poète commença alors
+la lecture de sa tragédie. Tous les philosophes, rangés en cercle,
+écoutaient attentivement. M. de la Condamine, entre autres, avait tiré
+le coton de ses oreilles pour mieux entendre[7]; mais, dès la première
+scène, sa patience était à bout. Dans la seconde, David paraît; il se
+plaint que l'amour le tourmente jour et nuit et l'empêche de dormir.
+Il a cependant de quoi s'occuper; il a de nouveaux ennemis, dit-il:
+
+ Quatre rois, vive Dieu! ci-devant mes amis...
+
+ [7] Voir à l'_Appendice_.
+
+--_Vive Dieu_! s'écria M. de la Condamine, et pourquoi pas _Ventre
+Dieu_? Et, remettant le coton dans ses oreilles, il sortit
+brusquement.
+
+--Voilà, dit le curé froidement, un homme qui ne sait pas que _Vive
+Dieu_! est le serment des Hébreux.
+
+Ces quatre rois, «ci-devant les amis» de David, ont embrassé la
+querelle du barbare Hanon...
+
+A ce mot malencontreux, cinq ou six auditeurs se récrient.
+
+--Ah! messieurs, dit le curé d'un air de profonde pitié, ce nom sonne
+mal à vos oreilles, apparemment à cause de la ridicule équivoque de
+celui d'_ânon_, animal si connu et si commun. Pour moi, je pense qu'un
+nom, par lui-même, n'a rien qui doive offenser. L'Écriture s'en est
+servie; elle a bien les oreilles aussi délicates que les nôtres.
+
+--Mais, lui dit Duclos, ajoutez une lettre à ce nom, et l'équivoque
+cessera.
+
+--Monsieur, répartit le curé, vous voulez sans doute que je fasse de
+ce personnage un Carthaginois?
+
+Dans un autre endroit, Bethsabée, pressée par David «de le rendre
+heureux», veut le piquer d'honneur, et lui rappelant ses grandes
+actions passées, elle dit:
+
+ Vous sûtes arracher Saül à ses furies,
+ Où ce prince, vainqueur de mille incirconcis,
+ Frémissait que David en eût dix mille occis.
+
+--Ah! Dieu! quels vers! s'écria le citoyen de Genève; et pourquoi
+_occis_? pourquoi pas _tués_?
+
+--Je pourrais, riposta sèchement le curé, vous répondre que _tués_ ne
+rime pas à _incirconcis_; mais apparemment que vous imaginez que _tué_
+et _occis_ sont des synonymes. Apprenez, monsieur, que cela n'est pas.
+On dit tous les jours: Cet homme me _tue_ par ses discours, et l'on
+n'en est pas _occis_ pour cela.
+
+--J'avoue, reprit le citoyen, qu'il doit être fort fâcheux d'être
+_occis_; mais je ne me soucierais pas même d'être _tué_.
+
+Le curé de Montchauvet poursuivit sa lecture, sans s'arrêter plus
+qu'il ne convenait à cette misérable querelle de mots.
+
+Arrivé à un passage où il faisait rimer _angoisse_ et _tristesse_,
+Rousseau l'interrompit de nouveau:
+
+--_Angoisse_ et _tristesse_ ne riment pas; vous êtes trop hardi,
+monsieur le curé.
+
+--Trop hardi, monsieur? Cette rime est neuve; voilà tout.
+
+--Dites étrange, monsieur le curé.
+
+--Étrange, monsieur? Mais, vous, savez-vous bien ce que c'est que la
+rime?
+
+--J'ose le croire, monsieur le curé.
+
+--On ne s'en douterait guère, et...
+
+La dispute allait s'envenimer: un geste de d'Holbach rétablit la paix.
+
+--Continuez, dit-il au curé de Montchauvet, nous vous écoutons.
+
+Vers le milieu du deuxième acte, Bethsabée dit à sa confidente:
+
+ Le roi ne m'offre plus que d'_innocentes_ charmes.
+
+--Pardon, monsieur le curé, interrompit un des auditeurs, _charme_ est
+du masculin.
+
+--Ah! vous le prenez comme cela, messieurs, répondit l'abbé; eh bien,
+dans la scène suivante, vous le trouverez masculin; j'ai tâché de
+contenter tout le monde.
+
+Plus loin, il faisait rimer _superflu_ et _plus_.
+
+--Cette rime n'est pas exacte, dit Marmontel.
+
+--Ah! vraiment; et pourquoi cela?
+
+--C'est que _superflu_, étant au singulier, n'a point d's, et par
+conséquent ne peut rimer avec _plus_.
+
+Point d'_s_, reprit vivement le curé en mettant son manuscrit sous le
+nez de Marmontel, point d'_s_! Mais je vous prie de remarquer,
+monsieur, que j'en ai mis une[8].
+
+ [8] Voir à l'_Appendice_.
+
+Et il continua intrépidement sa lecture.
+
+On lui avait fait croire que M. de Margency était un poète de
+profession, et qu'il aurait en lui un dangereux concurrent. Il n'est
+sorte de bassesse que ne lui fit le curé de Montchauvet. M. de
+Margency, comme on en était convenu auparavant, se fit le champion à
+outrance du poète bas-normand. Aussi, c'était vers lui qu'il se
+tournait de préférence.
+
+Au milieu d'une des plus pompeuses tirades, il entend un léger bruit.
+C'était M. de Gauffecourt qui riait tout bas dans ses mains.
+
+--Vous riez, monsieur, lui dit le curé du ton dont il aurait
+apostrophé un bambin au catéchisme?
+
+--Non, monsieur, répondit M. de Gauffecourt avec un grand sérieux; je
+n'ai ri de ma vie.
+
+On arrive, sans autre incident, au quatrième acte. Tout le monde se
+lève. On prie le curé de Montchauvet d'arrêter là sa lecture. Il doit
+être épuisé de fatigue; on lui donnera une nouvelle séance pour
+achever sa tragédie; on n'en veut pas perdre un seul vers.
+
+Chacun s'empresse autour de lui, et lui serre les mains: «Vous
+surpassez Racine, et vous égalez Corneille!»
+
+Le curé absorbe avec intrépidité ces louanges ironiques; il se
+rengorge; son nez s'agite, se dilate de plus en plus. Tout à coup,
+J.-J. Rousseau se précipite vers lui, lui arrache son manuscrit et le
+jette à terre:
+
+--Votre tragédie est absurde, mon cher curé; ces messieurs,--vous ne
+le voyez donc pas?--se moquent de vous. Retournez vicarier dans votre
+village.
+
+L'abbé, rouge de colère, fond sur Rousseau; en vrai poète tragique, il
+veut l'_occire_. On sépare à grand'peine les deux combattants.
+Rousseau sort furieux, pour ne plus remettre les pieds chez le baron
+d'Holbach. On arrête le curé, qui le menace du poing et veut courir
+après lui dans la rue. On réussit à le calmer un peu, en lui peignant
+Rousseau comme un poète jaloux de sa gloire naissante.
+
+On peut bien penser que Diderot ne fut pas l'un des moins empressés à
+verser du baume sur la blessure faite par Rousseau à la vanité du
+poète.
+
+--Votre pièce est excellente, monsieur le curé, lui dit-il; je m'y
+connais: elle aura le plus grand succès au théâtre, si toutefois vous
+y apportez quelques modifications que je crois indispensables... Me
+permettez-vous, monsieur le curé, de vous faire une légère critique?
+
+--Parlez, monsieur, dit le curé, pris par le ton bienveillant que
+Diderot donnait à ses paroles. Je ne puis recevoir que des conseils
+judicieux d'un esprit aussi éminent.
+
+--Eh bien, monsieur l'abbé, puisque vous m'autorisez à vous dire toute
+ma pensée, je vous avouerai que votre pièce ne me semble pas assez
+chargée d'incidents; que la plupart des incidents ne se passant pas
+sur la scène, je trouve,--excusez ma franchise,--la scène un peu trop
+muette. Il est vrai que votre pièce est une pièce sainte; mais ce n'en
+est pas moins un défaut, à mon humble avis.
+
+Tout le monde s'attendait à une explosion de colère; il n'en fut rien.
+Le curé répondit d'un air suffisant:
+
+--Je l'avais senti, monsieur, mais je n'ai pu faire autrement;
+d'ailleurs, ces sortes de pièces sont sujettes à ce défaut...
+Toutefois, vous conviendrez avec moi que j'ai suppléé à la sécheresse
+des récitatifs par une versification assez heureuse.
+
+--Cela est vrai, dit M. de Margency, celui des auditeurs qui s'était
+fait le champion du curé. A mon tour, ajouta-t-il, je reprendrai
+l'objection faite par M. Diderot, et je demanderai à monsieur le curé
+pourquoi il n'a pas placé sur la scène la baignoire de Bethsabée? Son
+récit est plein de beaux vers, je le proclame bien haut, mais Horace a
+dit:
+
+ _Segnius irritant animos demissa per aurem
+ Quant quæ sunt oculis subjecta fidelibus, et quæ
+ Ipse sibi tradit spectator._
+
+--Sans doute, monsieur; mais Horace n'ajoute-t-il pas:
+
+ _Non tamen intus
+ Digna geri promes in scenam; multaque tolles
+ Ex oculis, quæ mox narret facundia præsens..._
+
+--Je suis battu, dit M. de Margency.
+
+Puis, se tournant vers ses amis:
+
+--Quoi qu'en dise Horace, messieurs, ne regrettez-vous pas, comme moi
+que M. le curé n'ait pu mettre sur la scène la baignoire de Bethsabée?
+Vive Dieu! comme Mlle Clairon...[9]
+
+ [9] Voir à l'_Appendice_.
+
+--Pardon, monsieur, interrompit le curé, la rougeur au front; mais
+vous oubliez que ma tragédie est une tragédie sainte, et que rien n'y
+doit offenser les oreilles ou les yeux des spectateurs chrétiens.
+
+--_Omnia sancta sanctis_, monsieur le curé; je tiens à la baignoire.
+Et vous, messieurs?
+
+--Oui, oui, il nous faut la baignoire, s'écrièrent ensemble les
+convives de d'Holbach.
+
+--Messieurs, je ne puis vous l'accorder. N'insistez pas, je vous prie.
+
+--Nous respectons vos scrupules, dit M. de Margency; qu'il soit fait
+selon votre désir... Mais, poursuivit-il, qu'il me soit permis, avant
+de nous séparer, d'ajouter un mot encore...
+
+Le curé dressa l'oreille.
+
+--Vous êtes du pays du grand Corneille, monsieur le curé; nous ne le
+saurions pas, que votre style nous l'aurait bien vite appris. Comment
+avez-vous fait pour arriver du premier coup à cette mâle vigueur,
+dont l'auteur de _Polyeucte_ et vous avez seuls le secret?
+
+--Messieurs, répondit l'abbé, si mon style a quelque ressemblance avec
+celui de Corneille, je le dois à la lecture approfondie que j'ai faite
+de ce grand poète; mais qu'on ne m'accuse d'aucun plagiat: j'affirme
+solennellement que mon style est à moi, et bien à moi... Je vois,
+monsieur, continua le curé, en s'approchant de M. de Margency, que
+vous êtes, comme on dit, un homme du métier, et je ne doute pas que
+vos pièces n'aient obtenu sur la scène un légitime succès.
+
+--Monsieur le curé, dit de Margency, mes amis veulent bien m'accorder
+quelque talent; mais, malgré leurs conseils, je dirai plus, malgré
+leurs instantes prières, je n'ai jamais consenti à laisser jouer mes
+pièces. Vous l'avouerai-je, monsieur le curé? j'ai peur...
+
+--Et de quoi, monsieur, je vous prie?
+
+--D'être sifflé.
+
+Puis, faisant un geste tragique: je crois que j'en mourrais!
+
+--Mon ami, lui dit Diderot, ayez plus de confiance en vous-même.
+Osez, et je vous prédis le succès, comme je le prédis à M. le curé de
+Montchauvet.
+
+--Ne me comparez pas, je vous prie, avec le rival de Pierre Corneille!
+
+--Que du moins son exemple vous enflamme, et, puisque vous travaillez
+actuellement à une tragédie de _Nabuchodonosor_, soumettez-la au
+jugement de M. le curé... Puis, s'adressant à l'abbé: Si nous osions,
+monsieur, vous prier de traiter le même sujet, voudriez-vous nous
+refuser, dans l'intérêt de notre ami qui brûle de marcher sur vos
+traces?
+
+--Monsieur, dit d'Holbach qui, pendant toute cette scène, avait gardé
+le plus grand sérieux, mes amis et moi nous vous attendons dimanche
+prochain. Vous achèverez la lecture de votre tragédie, et vous nous
+lirez, n'est-ce pas? la première scène de _Nabuchodonosor_; c'est un
+sujet extrêmement difficile et délicat. Nous ne doutons nullement que
+vous ne vous en tiriez avec l'habileté dont vous avez fait preuve dans
+votre tragédie de _Bethsabée_. Pour vous, dit d'Holbach à de Margency,
+vous saurez dimanche si vous devez affronter la scène ou brûler vos
+manuscrits. Vous connaissez notre franchise. Nous vous promettons un
+jugement sincère. A dimanche donc, monsieur le curé!
+
+Le curé promit de se rendre à cette aimable invitation.
+
+On se sépara. La vanité du curé de Montchauvet était aussi énorme que
+son talent était mince; aussi était-il loin de se douter qu'il venait
+de servir de bouffon aux convives habituels du baron d'Holbach.
+Cependant, malgré le plaisir que lui avaient causé les éloges de
+Diderot, de d'Holbach et de Margency, il était mécontent: il aurait
+voulu plus d'éloges encore; et il était indigné que l'on ne se fût pas
+montré plus sévère à l'égard de cet impertinent de Rousseau.
+
+Le lendemain, il rencontra M. de Margency et se plaignit beaucoup.--Si
+je fréquentais ces messieurs, lui dit-il, je finirais par soupçonner
+mes vers d'être plats: cependant, je suis bien sûr du contraire; et
+ils n'ont qu'à examiner leurs observations avec autant de sévérité que
+ma tragédie, ils verront ce qu'il y aura plat. Au demeurant, ce n'est
+pas que leur critique m'effraie: je ne tiens pas à ma pièce en auteur
+servile; j'en ai fait chaque vers triple, et je puis, comme vous
+voyez, sacrifier tout ce qu'on veut, sans que j'en sois plus mal à mon
+aise.
+
+M. de Margency l'assura fort qu'il avait laissé la société dans une
+grande admiration de ses talents; mais il n'en voulut rien croire: «Je
+les ai vus rire souvent pendant la lecture, répondit-il, et on ne rit
+pas dans une tragédie, quand on est de bonne foi... Enfin, je vois ce
+que c'est. Ces messieurs redoutent les ouvrages d'une certaine trempe
+et qui pourraient fixer l'attention du public, ils n'ont que leur
+_Encyclopédie_ dans la tête: ils craignent que mes succès ne fassent
+tort aux leurs. Mais le public saura bien rendre justice à chacun.»
+
+
+
+
+II
+
+
+C'est dans ces sentiments que le curé de Montchauvet reprit, trois
+jours après cette mémorable séance, le chemin de la basse Normandie.
+Pour se consoler de l'injustice des Philosophes, il fit imprimer à
+Rouen sa tragédie, qui parut sous ce titre: _David et Bethsabée_,
+tragédie par M. l'abbé ***. Prix, 36 sols.--A Londres [Rouen], aux
+dépens de la Compagnie, 1754.
+
+Lorsque l'imprimeur lui eut envoyé son ballot, l'abbé prit la plume et
+adressa à l'abbé Basset une longue lettre, que celui-ci s'empressa de
+communiquer à Diderot et que le philosophe lut à ses amis. En voici
+quelques extraits:
+
+ «De Montchauvet.
+
+«Je suis parti, monsieur et cher abbé, plein du souvenir de vos
+bontés. Je me suis hâté de quitter un séjour où je commençais à goûter
+quelque satisfaction, mais où je devenais à charge à quelques-uns.
+Disons-le: ils ont pris de l'ombrage d'une pièce où ils ont cru
+reconnaître des beautés que le public n'y reconnaîtra peut-être pas:
+ils m'ont envié un je ne sais quoi que la nature ou le hasard m'a
+prodigué... On m'apprit, avant de partir, que ce qui les avait
+irrités, c'était la pièce adressée à Mme la marquise. Ils ont rugi à
+ces mots de _vils mendiants_, et ils ont mis le curé de Montchauvet à
+toutes sauces... Quoi qu'il en soit, dans le procédé qu'ils ont tenu
+avec moi, ils ont cru me faire leur dupe. Ils y ont réussi jusqu'à un
+certain point, parce qu'ils ont abusé de ma franchise. Qu'ai-je perdu,
+sinon de ne pas croire que ma pièce était plus digne de voir le jour
+que je ne l'espérais? Elle le voit actuellement en beau papier et en
+caractères bien nets[10]: elle se vendra trente-six sous... Voilà donc
+le moment de sa mort ou de sa vie. Le public, qui voit toujours avec
+de bons yeux, du moins pour l'ordinaire, la disséquera comme il
+l'entendra bien. Si elle ne lui plaît pas, je n'aurai garde d'en
+appeler; mais je ne me rebuterai pas, je m'étudierai à faire mieux.
+Tant que ma veine voudra couler, je vous proteste, mon cher abbé, que
+rien ne sera capable de l'arrêter... J'ai déjà commencé une seconde
+pièce. Lorsqu'elle sera faite, j'en ferai sévèrement la critique,
+ainsi que de cette première. Comme l'honneur du théâtre ni l'intérêt
+ne me guident point, ne travaillant qu'à braver l'ennui de ma
+solitude, j'apporterai avec moi cette seconde tout imprimée, au moyen
+de quoi je ne me verrai plus exposé à lire mon manuscrit sur la
+sellette, devant des gens surtout qui vous rient dans leurs mains, au
+lieu d'être touchés, ou qui feignent d'applaudir, sans savoir
+seulement ce que c'est qu'enchaînement de scènes, ni peut-être qu'une
+rime... Maintenant, mon cher abbé, j'ai l'honneur de vous prévenir que
+je vous en enverrai un exemplaire et plusieurs en pur don pour les
+personnes à qui je vous prierai d'avoir la bonté de les remettre. Je
+compte que vous les recevrez la semaine prochaine avec une lettre
+d'avis: ce seront deux ports de lettre que je vous ferai coûter. Ayez
+pour agréable de me mander, au reçu de la présente, à Montchauvet, par
+Aunay, à la Plumaudière, si vous voulez vous donner la peine de m'en
+débiter. Dans le cas où vous pourriez vous en défaire, ce serait à
+l'acquit de ce que mon frère et moi nous vous devons. Excusez-moi de
+la longueur de ma lettre, je l'attends de votre indulgence. J'écris à
+M. l'abbé Fréron, et je lui envoie deux exemplaires, un pour lui, et
+l'autre pour Mme son épouse, en pur don[11]; vous voyez que je fais
+les choses libéralement et que je ne regarde pas à trente-six sous,
+lorsqu'il le faut. Adieu, mon cher abbé, etc.»
+
+ [10] Voir à l'_Appendice_.
+
+ [11] Voir à l'_Appendice_.
+
+ * * * * *
+
+Nous avouerons sans peine, avec Grimm, que quelques centaines de
+pareilles lettres feraient un excellent recueil.
+
+Toutefois, il est à remarquer que le curé de Montchauvet ne parle pas,
+dans cette lettre, d'un envoi que dut lui faire M. de Margency,
+quelques jours après son départ pour la Normandie.
+
+M. de Margency lui avait dit, on s'en souvient, qu'il lui soumettrait,
+le dimanche suivant, la première scène de sa tragédie de
+_Nabuchodonosor_. L'abbé devait, de son côté, apporter une scène sur
+le même sujet. De Margency, ayant appris le départ inopiné du curé,
+lui envoya son travail, accompagné d'une épître dédicatoire. Voici ces
+deux bouffonneries:
+
+_Épître à M. l'abbé Petit, curé du Mont Chauvet_.
+
+ Corneille du Chauvet, rimeur alexandrin,
+ Crois-moi, laisse-les dire, et va toujours ton train.
+ Ne t'aperçois-tu pas qu'envieux de ta gloire,
+ Tes ennemis font tout pour t'empêcher de boire
+ Au ruisseau d'Hippocrène, où Sophocle buvoit
+ Les chefs-d'oeuvre qu'il fit, les beautés qu'il trouvoit?
+ Presque semblable à lui, quand tu touches la rime,
+ Tu te sers du rabot et jamais de la lime;
+ C'est-à-dire que, loin de coudre bout à bout
+ Des mots cherchés longtemps, tu fais bien tout d'un coup;
+ Voilà ce qui s'appelle un esprit bien facile,
+ Tu scandes en Homère et rimes en Virgile,
+ Et c'est ce qui déplaît à ces auteurs jaloux;
+ Va, moque-toi d'iceux, et ris de leur courroux.
+ Ils ont bu comme toi des eaux hippocréniques:
+ Bientôt tu les verras crever en hydropiques,
+ Et, tombant à tes pieds, poussifs et crevassés,
+ Ils _moureront_ tués, occis et trépassés.
+
+«Mon poétique cheval, Monsieur, qui se déferre en ce moment, m'oblige
+de descendre de la rime à la prose; permettez-moi donc de vous dire
+en son langage que votre immortelle et jolie pièce vous a fait bien
+des jaloux; mais n'en redoutez rien. Je viens de vous annoncer dans
+mes épiques vers et leur sort et le vôtre. D'ailleurs, consolez-vous
+avec les admirateurs qui vous restent. Comme j'y touche aussi
+quelquefois, à cette poésie, permettez-moi de vous consulter sur la
+tragédie que j'ai entreprise et dont je vous envoie une scène pour
+échantillon. Le sujet est, comme vous le savez, le fameux
+_Nabuchodonosor_. Je suis bien étonné que ce grand homme ait échappé à
+tant de célèbres auteurs. J'imagine qu'apparemment ils ne l'auront
+regardé que comme une grande bête, comme vous avez pu le regarder
+vous-même. Quoi qu'il en soit, voici ma scène. Nabuchodonosor
+entretient Isabelle avant de l'épouser.»
+
+
+SCÈNE
+
+NABUCHODONOSOR, ISABELLE
+
+ NABUCHODONOSOR.
+
+ Avant qu'à vos pieds beaux je mette ma couronne,
+ Écoutez-moi, princesse, et charmante personne;
+ Je n'allongerai pas, et je vous en répond,
+ Car, de mon naturel, je ne suis pas fort long
+
+ ISABELLE
+
+ Ah! grand prince, tant pis! ..Mais qu'avez-vous à dire?
+
+ NABUCHODONOSOR.
+
+ Reine, asseyez-vous là, je vais vous en instruire.
+ Je fus jeune autrefois, et même fort bien fait;
+ J'avois l'air d'un amour, du moins on le disoit.
+ Vous ne l'auriez pas cru?
+
+ ISABELLE.
+
+ Il est vrai, cher grand prince,
+ Qu'il vous reste à présent une mine assez mince.
+
+ NABUCHODONOSOR.
+
+ Pas tant... Mais il n'importe ..Écoutant mes désirs,
+ Je me divertissois dans les plus grands plaisirs;
+ Ma cour, modèle en tout de faste et d'élégance,
+ Réunissoit encor la joie et l'opulence;
+ Mille jeunes beautés, qui ne vous valoient pas,
+ Pleines de mes bienfaits, me prêtoient leurs appas;
+ Je vantois en tout lieu mon pouvoir, mes richesses,
+ Ma taille, mes bons mots, mes chiens et mes maîtresses.
+ Hélas! pour mon malheur je me vantai trop bien.
+ Le jaloux ciel piqué rabaissa mon maintien;
+ Il m'en punit, ce ciel: sa céleste colère
+ Donna dans mon endroit un exemple à la terre;
+ Je perdis dans un jour mon sceptre, mes États;
+ Une nuit je me vis velu comme les chats;
+ Sur mon corps tout courbé tous mes poils s'allongèrent,
+ De mon front menaçant deux cornes s'élevèrent,
+ Les seules, Dieu merci, que l'on m'ait vu porter...
+ Madame, en cet état, il fallut décamper.
+ Enfin je descendis du trône à quatre pattes.
+ (Où vas-tu nous fourrer, orgueil, quand tu nous flattes!)
+ Pour vous le couper court, et soit dit entre nous,
+ Je fus bête sept ans avant que d'être à vous.
+
+ ISABELLE.
+
+ Prince, que dites-vous?... Mais peut-être qu'encore...
+
+ NABUCHODONOSOR.
+
+ Je crois que vous raillez, madame la pécore!
+ Taisez-vous, reine en herbe; écoutez jusqu'au bout.
+ Galeux donc comme un braque, et velu comme un loup,
+ Je gagnai les forêts, les vallons, les montagnes;
+ La nuit j'allois brouter dans les vertes campagnes.
+ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
+
+
+(_Ici doit être un magnifique morceau poétique de la vie que
+Nabuchodonosor menoit à la campagne, comme une bête._)
+
+ Enfin le ciel touché mit fin à son courroux.
+ «Quittez les bois, dit-il, allez-vous-en chez vous;
+ Vous aviez, mon ami, la tête trop superbe:
+ Pour vous la rafraîchir, il vous falloit de l'herbe;
+ Le ciel est toujours ciel, et l'on s'en moque en vain.
+ Vous vous croyiez un Dieu: vous n'êtes qu'un faquin;
+ Tournez-moi les talons...» Aussitôt, sans trompette,
+ Je quittai dans la nuit ma champêtre retraite.
+ Enfin, au point du jour, je me rendis chez moi.
+ Mon peuple me reçut et reconnut son roi.
+ Je fus un peu malade après cette aventure:
+ L'estomac, tout farci de foin et de verdure,
+ Me donna des hoquets et des indigestions;
+ Il fallut recourir aux évacuations.
+ Mon premier médecin m'ordonna la rhubarbe;
+ Le lendemain, ce fut un furieux jour de barbe.[12]
+
+ [12] Voir à l'_Appendice_.
+
+
+
+
+III
+
+
+Le _Club holbachique_ s'était proposé d'achever de rendre fou le curé
+de Montchauvet, s'il y manquait quelque chose. Ils y réussirent; car,
+l'année suivante, le curé revint à Paris et n'hésita pas un seul
+instant à soumettre aux encyclopédistes la nouvelle pièce qu'il avait
+rimaillée au fond de son village. C'était la tragédie de _Baltazard_,
+dans laquelle, pendant quatre mortels actes, il s'agit de
+savoir,--selon la fameuse théorie inventée par l'abbé Le Petit,--si le
+roi soupera ou s'il ne soupera pas.
+
+On voit d'abord paraître les deux mages, Hyrcan et Arbate. Baltazard
+vient d'être vaincu. Sans aucun doute, la défaite du roi les affecte
+profondément; mais ce qui les tourmente par-dessus tout, c'est la
+crainte de ne pas souper.
+
+Pendant qu'ils délibèrent, sans rire, sur cette grave question,
+survient Aristée, femme du roi et fille d'Abradate, roi de la Susiane;
+elle vient (elle ne s'en cache pas) pour faire un monologue; mais
+comme la présence des deux mages la gêne: «Éloignez-vous...» leur
+dit-elle. Alors elle demande aux Dieux, qu'elle appelle «puissants
+moteurs», de lui rendre compte de l'indigne sort de son époux: «Que
+vais-je devenir?» s'écrie-t-elle:
+
+ Où fuir et dans quels lieux, quelle obscure contrée,
+ Dérober aux humains une reine éplorée?
+
+Mais, tout bien réfléchi, elle ne veut pas se risquer
+
+ Chez un peuple farouche,
+ Sans espoir d'y fléchir des coeurs que rien ne touche.
+
+Mieux vaut aller trouver Baltazard et périr avec lui. Baltazard lui
+épargne cette peine. Il vient,
+
+ Non pas brillant de gloire,
+ Et tel qu'à son départ il vantait sa victoire...
+
+Il est vaincu, mais il n'est pas découragé. A l'entendre faire le
+récit de la bataille qu'il a perdue, on croirait presque qu'il l'a
+gagnée:
+
+ Je m'avance à grands pas dans le sein de la gloire;
+ Tout nage dans le sang; une grêle de dards
+ Fait du jour une nuit; ce n'est de toutes parts
+ Qu'un spectacle effrayant d'hommes qui s'embarrassent,
+ De chevaux renversés, de chars qui se fracassent.
+
+Qu'allez-vous faire? lui demande Aristée. Tâchez de fléchir notre
+vainqueur:
+
+ S'il en est temps encor, proposez-lui la paix,
+ Et cherchez dans lui-même un ami pour jamais.
+
+Non, répond Baltazard, je veux souper, et
+
+ Dans ces vases sacrés qu'à Sion on regrette
+ J'éteindrai mes chagrins, ma honte et ma défaite;
+ Et, dût vomir le Juif mille imprécations,
+ Je les ferai servir à mes libations.
+
+Cette impiété donne le frisson à la reine.--Ne soupez pas, seigneur,
+lui dit elle, ou du moins ne soupez que si les mages l'ordonnent.
+
+Baltazard est bien contrarié de voir que l'_indifférence_ de la reine
+
+ Refuse à ses malheurs la moindre déférence.
+
+Mais enfin il cède: il consultera les devins. Hyrcan et Arbate
+accourent. _Secourez-moi_, leur crie Baltazard du plus loin qu'il les
+voit. Dois-je souper ou ne pas souper? Et il a soin d'ajouter, afin de
+leur dicter leur réponse:
+
+ Parlez, et, consolant mon esprit agité,
+ Songez qu'un jour si beau flatte ma volonté
+
+Les mages ont compris: _Seigneur, il faut souper_. Telle est leur
+réponse. Mais l'allégresse du roi est de courte durée. Survient
+Nitocris, sa mère, qui ne veut pas qu'on soupe.
+
+--Y songez-vous, lui dit-elle,
+
+ Insensible à l'État, votre coeur le néglige,
+ Et vous n'allez au temple, où rien ne vous oblige,
+ Que pour sacrifier, au gré de vos désirs,
+ Moins à l'amour des dieux qu'à l'attrait des plaisirs,
+ Occupé d'une fête, où, parmi la crapule,
+ La nuit ne connaîtra ni remords ni scrupule!
+
+Le roi n'écoute pas. Bien décidé à souper, il s'en va et laisse sa
+mère exhaler sa douleur dans un monologue. Il pousse l'audace encore
+plus loin: il dépêche vers elle les deux mages, qui la prient
+respectueusement de venir souper. Nitocris, comme on le pense bien,
+refuse énergiquement. Baltazard, ennuyé, vient la chercher lui-même.
+
+Nitocris et son fils s'accablent mutuellement de reproches:
+
+ A quoi bon (dit Baltazard) m'opposer ce beau titre de mère
+ S'il ne devient pour moi qu'une loi trop amère,
+ Si vous me refusez jusqu'à de saints plaisirs,
+ Et ne me rappelez que peines et soupirs?...
+ Ah! comment osez-vous, après ce caractère,
+ Me nommer votre fils et vous dire ma mère?
+ --Ingrat! (répond Nitocris) puis-je oublier l'excès de cet amour
+ Qui, quoi que vous disiez, vous mérita le jour?
+ Et pouvois-je empêcher que le ciel vous fît naître
+ Dans le sein qu'il choisit pour vous procurer l'être?
+ Mais si vous le devez, ce jour, à Nitocris,
+ Montrez donc désormais que vous êtes son fils;
+ Commencez à briser cette chaîne fatale
+ Dont vous chérissez tant le poids qui vous ravale,
+ Ce joug empoisonné, que d'indignes flatteurs
+ Savent, pour vous séduire, orner de tant de fleurs...
+
+L'hypocrite Baltazard feint de se rendre aux conseils de sa mère:
+
+ Je vais joindre Cyrus (lui dit-il) et, sans le moindre effroi,
+ Lui montrer que je sais vaincre et mourir en roi.
+
+A peine Nitocris a-t-elle le dos tourné: «Allons souper»,
+s'écrie-t-il.
+
+Ainsi finit le troisième acte. Le quatrième s'ouvre par un monologue.
+Baltazard a changé d'idée: il ne soupera pas; il ne veut pas que sa
+mère regrette
+
+ De n'avoir enfanté qu'un fils pusillanime.
+
+Mais il a compté sans les mages, Hyrcan et Arbate, qui viennent le
+relancer jusque dans son palais. Il se sent faiblir: aussi, pour se
+donner du courage, il se dit à lui-même:
+
+ ..... Soutiens-toi, Baltazard!
+
+Les mages sont les plus forts: ils n'ont qu'à faire un signe, le
+tonnerre gronde, et le pauvre roi ne sait où se cacher:
+
+ Qu'entends-je, malheureux! Quelle indignation!
+ Ah! mages, détournez votre imprécation!
+ Un feu secret et prompt, qui déjà me dévore,
+ Me prouve que le ciel ordonne qu'on l'honore.
+ C'en est fait. Je me rends et n'écoute que lui,
+ Heureux si sa bonté me secoure (_sic_) aujourd'hui!
+ Allez donc, qu'au banquet toute ma cour s'empresse
+ De noyer pour jamais son deuil et sa tristesse!
+
+On soupera donc, enfin! La table du festin est dressée: on la couvre
+des coupes sacrées du temple de Jérusalem.
+
+Au moment où Baltazard demande à boire aux mages, Nitocris se présente
+et reproche à son fils de _perdre le sentiment_. (L'auteur voulait
+sans aucun doute dire _le sens_.)
+
+Baltazard daigne à peine répondre:
+
+ Madame, jusqu'à quand votre importune voix!...
+ Donnez, mages, donnez; c'est trop me faire attendre.
+
+Mais à peine les mages ont-ils présenté la coupe au roi, qu'on voit
+une main écrire sur la muraille les fameux mots: MANÉ, THÉCEL, PHARÈS.
+
+ Que vois-je, mes amis (s'écrie Baltazard), et quel spectre nouveau
+ Crayonne sur ces murs un effrayant tableau?
+ Voyez-vous, comme moi, cette main qui nous trace
+ Certains mots, où mon sang dans mes veines se glace?
+ Ma coupe malgré moi s'échappe de mes doigts,
+ Et je sens peu à peu se dérober ma voix.
+ Mes yeux sont chancelants; mes genoux s'entrechoquent,
+ Et toutes les horreurs à la fois me suffoquent.
+
+Inutile d'ajouter que Baltazard est vaincu de nouveau et tué par
+Cyrus. Mais ce qu'il faut dire (car on ne s'en douterait guère), c'est
+que Cyrus, à peine entré dans Babylone, fait une déclaration des plus
+galantes à la reine Aristée. Celle-ci, comme on le pense bien, est
+furieuse:
+
+ Dois-je donc respecter (lui dit-elle) un bras qui n'a servi
+ Qu'à renverser un roi qu'il a trop poursuivi?
+ Taire tant de forfaits qu'un tyran autorise,
+ Et briser un pinceau qui te caractérise?
+ Barbare! je ne puis assez t'humilier!
+
+Cyrus n'est pas très flatté de ces dédains; car, si on l'en croit,
+sans Aristée, le trône où il monte n'est plus
+
+ ...... qu'un redoutable ennui.
+
+Mais il n'est pas au bout de ses peines. Nitocris vient lui reprocher
+la mort de son fils, et se tue presque sous ses yeux. Aristée veut en
+faire autant. Cyrus l'arrête. «Laisse-moi mourir,» lui crie-t-elle:
+
+ ..... Accorde au moins cette grâce dernière
+ Au reste infortuné d'une famille entière
+
+Cyrus tient bon, l'empêche de s'_occire_, et met fin à la tragédie par
+ces vers mémorables, mais bien peu en situation, puisque Nitocris est
+morte:
+
+ Secourons Nitocris, et demandons aux dieux
+ Qu'ils fassent de ce jour un jour moins odieux!
+
+Il est fâcheux que Grimm ne nous ait pas noté les divers incidents
+auxquels a dû donner lieu la lecture de ce chef-d'oeuvre. Il se
+contente de dire: «Le curé nous a tenu parole; il est revenu avec une
+seconde tragédie, intitulée _Baltazard_, tout aussi bonne que la
+première. Je crois qu'il n'a pas pu trouver d'imprimeur. Mais il est
+reparti pour sa cure un peu plus content de nous.»
+
+Dans la préface de _Baltazard_, le curé de Montchauvet nous en dira
+plus long: «Le peu de succès de ma première pièce m'avoit presque
+déterminé à n'en pas entreprendre une seconde. Cependant, je pensois
+que si Racine avoit été découragé par la médiocrité des _Frères
+ennemis_, nous n'aurions jamais eu ni _Yphigénie_ (_sic_), ni
+_Phèdre_; et je repris la plume que la critique m'avoit presque fait
+tomber des mains. Je composai donc mon _Baltazard_ après ma
+_Bethsabée_, à qui je donnai un frère, comme M. de Boissy l'a dit
+également du _Méchant_ de M. Gresset. J'apportai à Paris cette seconde
+production de ma verve échauffée et de mon génie irrité par les
+difficultés, bien résolu de la sacrifier, si je ne me trouvois pas
+autant au-dessus de moi-même que je le désirois, et que Racine et
+Corneille s'étoient montrés supérieurs à eux-mêmes, à mesure qu'ils se
+familiarisoient davantage avec le génie dramatique. Il ne s'agissoit
+plus que de rencontrer des juges équitables qui m'éclairassent ou sur
+ma médiocrité ou sur mes progrès. Mais où trouver ces juges équitables
+dans une ville fausse comme celle-ci, où l'on semble prendre à tâche
+de décourager ceux qui donnent quelque espérance? Heureusement, un
+homme distingué par sa naissance, son goût, sa probité, et surtout par
+l'accueil qu'il daigne faire aux talents naissants, s'offrit à
+rassembler chez lui cinq ou six des meilleurs esprits, qui la
+jugeroient avec la dernière sévérité, et qui m'apprendroient par le
+jugement qu'ils en porteroient, celui que j'en devois porter moi-même.
+L'avouerai-je? L'examen fut sanglant, et je laissai mes critiques bien
+convaincus qu'ils avoient rempli le projet, que peut-être ils avoient
+formé, de me ramener à des fonctions que je reconnaîtrai sans peine
+avec eux très supérieures à l'occupation d'un poète, ce poète fût-il
+plus grand que Racine et Corneille. Mais je réfléchis sur leurs
+observations; je vis bientôt qu'il n'y avoit aucune pièce au monde sur
+laquelle on n'en pût faire d'aussi solides; et je parvins à me
+démontrer évidemment que ma seconde tentative dramatique m'avoit
+beaucoup mieux réussi que je n'aurois osé le penser, sans le
+_suffrage_ de tous mes censeurs. Je dis le _suffrage_, car ce fut le
+véritable jour sous lequel je ne tardai pas à voir leur critique. Je
+me dis à moi-même: Comment! Voilà donc à quoi se réduit tout ce que
+les hommes de Paris, qui passent pour avoir le plus d'esprit, trouvent
+de répréhensible dans mon ouvrage? En vérité, il faut qu'il soit mieux
+que bien: je ne risque donc rien à le publier; et j'eus tout
+l'empressement que donne l'espoir du succès, de le porter à mon
+imprimeur. C'est donc à ces Messieurs plutôt encore qu'à moi que le
+lecteur en doit la publicité... J'en vais méditer une troisième. Je
+suis jeune, j'ai du courage, et pour peu que je m'élève à chaque
+essort (_sic_) que je prendrai, j'espère me voir enfin à une hauteur
+suffisante pour contenter la vanité d'un auteur qui n'en a pas
+beaucoup. Ainsi soit-il!»
+
+ * * * * *
+
+Quoi qu'en dise Grimm, le curé de Montchauvet trouva, nous le voyons,
+un imprimeur. Sa pièce parut sous ce titre: BALTAZAR, _tragédie_,
+_par M. l'abbé ***_. _Prix vingt-quatre sols_, 1755 [sans lieu ni nom
+d'imprimeur].
+
+En lisant ce titre, on éprouve une certaine surprise. On se rappelle
+que la tragédie de _Bethsabée_ se vendait (quand elle se vendait!)
+_trente-six sous_. Puisque le curé de Montchauvet trouve la tragédie
+de _Baltazard_ supérieure à celle de _Bethsabée_, comment se fait-il
+qu'il ne l'estime que _vingt-quatre sous_?
+
+La troisième tragédie annoncée ne parut pas. L'abbé Le Petit s'en tint
+à ses deux chefs-d'oeuvre, et il fit bien[13].
+
+ [13] Voir à l'_Appendice_.
+
+
+
+
+APPENDICE.
+
+
+_Page 3, note 1._
+
+Si invraisemblable que puisse paraître cette mystification littéraire,
+je dois dire que je n'ai rien inventé: je me suis contenté de
+suivre,--en l'arrangeant un peu,--le récit que nous en ont laissé
+Grimm (_Correspondance litt. philosoph. et crit._, lettres du 1er
+mars, du 1er août et du 15 septembre 1755), et Fréron (_Année litt._
+1754, tome IV, p. 307, et 1755, tome VIII, p. 342).
+
+_Page 3, note 2._
+
+Montchauvet, aujourd'hui dans l'arrondissement de Vire, canton de
+Bény-Bocage (Calvados).
+
+_Page 4, note 3._
+
+Le curé de Montchauvet, la victime de Diderot et de ses amis, se
+nommait, non pas Petit, comme l'appelle Grimm, mais Le Petit. Grâce à
+l'obligeance de M. Lair, instituteur à Montchauvet, qui a bien voulu
+me communiquer les vieux registres conservés dans les archives de la
+mairie, j'ai pu constater que l'abbé Le Petit (Jean-Baptiste) a dû
+arriver à Montchauvet au mois d'avril 1751. Le premier acte signé de
+lui, comme successeur du curé Moussard, est du 14 avril 1751. Deux
+fois seulement (14 août et 15 septembre 1752), l'abbé Le Petit, assez
+souvent appelé dans le corps des actes (baptêmes, mariages ou
+inhumations), Le Petit Dequesnay ou de Quesnay, a signé Le Petit
+Dequesnay. Partout ailleurs il signe tout simplement Le Petit.
+
+Le dernier acte, non pas écrit, mais signé par le curé Le Petit, d'une
+écriture tremblée, est un baptême en date du 30 mai 1786.
+
+Devenu infirme, sans doute, il fut remplacé, de son vivant, par son
+vicaire Lemarchand[14]. L'abbé Le Petit mourut le 16 décembre 1788.
+Voici l'acte d'inhumation du pauvre poète:
+
+ «Le dix-sept décembre 1788 a été par moi curé de Montami
+ soussigné inhumé dans le cimetière de Montchauvet le corps de
+ maistre Jean-Baptiste Le Petit ancien curé de Montchauvet décédé
+ d'hier âgé d'environ soixante-huit ans présence de Mrs le curé et
+ vicaire actuels.
+
+ (Ont signé) Lemarchand [curé], Jouenne [vicaire] et G. Liot [curé
+ de Montamy].
+
+ [14] A partir du 30 mai 1786, les actes sont signés par Jouenne
+ ou Le Marchand, vicaires. Le premier acte que nous ayons trouvé,
+ signé par Le Marchand, _curé_, est du 9 janvier 1788; mais nous
+ devons ajouter que le registre de 1787 manque aux archives de
+ Montchauvet.
+
+Jean-Baptiste Le Petit, âgé de 68 ans environ, quand il mourut en
+1788, a donc dû naître (où ??) vers 1720. Il avait trente quatre ans
+lorsqu'il sentit s'éveiller son génie poétique et qu'il vint lire,
+pour son malheur, à Diderot et à ses amis, l'«immortelle» tragédie de
+_David et Bethsabée_.
+
+D'après les signatures des vicaires Tourgis ou Duhamel, que nous avons
+relevées au bas des actes des registres paroissiaux de Montchauvet, et
+qui constatent l'absence du curé, l'abbé Le Petit dut quitter ses
+sauvages bruyères pour aller à Paris, vers la fin d'août 1753, et ne
+rentrer dans son village qu'au mois d'avril 1754. Ces dates concordent
+bien avec celles que donnent les lettres de Grimm.
+
+Le fait le plus saillant de la vie du curé de Montchauvet est
+assurément sa lecture chez le baron d'Holbach; mais je dois aussi
+rappeler qu'il eut à soutenir un long procès contre Jacques-François
+Mercier, prieur commendataire du prieuré royal du Plessis-Grimoult,
+chanoine de la Sainte-Chapelle du Palais à Paris[15]. Ce procès, qui
+dura au moins dix ans, fut gagné par le curé Le Petit, non seulement
+devant le bailliage de Vire (3 juillet 1762), mais encore devant le
+Parlement de Normandie (19 juin 1771). Le curé de Montchauvet
+réclamait contre le prieur du Plessis-Grimoult «le tiers des dîmes de
+la paroisse et la qualité de curé, au lieu de celle de vicaire
+perpétuel, la seule qu'on voulût lui reconnaître.» Détail intéressant
+et qui a été relevé par M. Ch. de Beaurepaire, le savant archiviste de
+la Seine-Inférieure[16], l'arrêt du Parlement de Normandie qui termine
+le procès intenté par l'abbé Le Petit au prieur du Plessis-Grimoult,
+nous apprend qu'en une semblable circonstance, Bossuet, le grand
+Bossuet, «malgré le droit de _committimus_ dont il avait usé, malgré
+le recours à des juges certainement prévenus en sa faveur», avait
+succombé, d'abord au bailliage de Vire, en second lieu et
+définitivement aux Requêtes du Palais à Paris, dans sa contestation
+avec Mathieu Roger, curé de Montchauvet, un des prédécesseurs du curé
+Le Petit.
+
+ [15] La cure de Montchauvet dépendait du Prieuré du
+ Plessis-Grimoult.
+
+ [16] _Bulletin historique et philologique_, 1896. «Procès entre
+ Bossuet, prieur du Plessis-Grimoult, et le curé de Montchauvet en
+ Normandie, en 1674.»
+
+_Page 4, note 4._
+
+J'ajouterai «et le prieur du Plessis-Grimoult», car Montchauvet était
+une des 39 cures (ou bénéfices) qui dépendaient de ce prieuré.--Voir
+notre étude sur _Bossuet en Normandie_, p. 43.
+
+_Page 5, note 5._
+
+L'abbé Gilles Basset des Rosiers enseigna la philosophie au collège
+d'Harcourt (aujourd'hui lycée St-Louis) vers 1750. Il devint recteur
+de l'Université en 1779. C'était un homme aimable, instruit, en
+relation avec les écrivains les plus renommés. (Voir BOUQUET,
+_L'ancien collège d'Harcourt et le lycée Saint-Louis_, p. 414.)
+
+_Page 10, note 6._
+
+Grimm n'assistait pas à cette mémorable séance; sa chaise de poste
+s'étant brisée à Soissons, il ne put arriver à Paris que le lundi de
+carnaval. «C'est ce contre-temps, nous dit-il, qui m'attira l'honneur
+d'être l'historien du curé de Montchauvet.»
+
+_Page 13, note 7._
+
+M. de la Condamine est bien connu par ses voyages scientifiques et par
+ses _Mémoires sur l'inoculation de la petite vérole_.
+
+Sa surdité donna lieu, lorsqu'il fut reçu à l'Académie française
+(1760) au quatrain suivant. (On dit même qu'il en est l'auteur).
+
+ La Condamine est aujourd'hui
+ Reçu dans la troupe immortelle:
+ Il est bien sourd, tant mieux pour lui,
+ Mais non muet, tant pis pour elle.
+
+Trois ans auparavant (1757),--n'étant plus de la première jeunesse,
+puisqu'il était né en 1701,--il épousa sa nièce. Le madrigal qu'il fit
+à sa jeune femme, pendant la première nuit de ses noces, fit beaucoup
+d'honneur à son esprit:
+
+ D'Aurore et de Titon vous connaissez l'histoire.
+ Notre hymen en retrace aujourd'hui la mémoire;
+ Mais Titon de mon sort pourrait être jaloux.
+ Que ses liens sont différents des nôtres!
+ L'Aurore entre ses bras vit vieillir son époux,
+ Et je rajeunis dans les vôtres.
+
+Après avoir lu ce joli madrigal, M. de Luxemont, secrétaire des
+commandements de M. le comte de Charolais, envoya le huitain suivant à
+M. de la Condamine:
+
+ D'Aurore et de Titon nous connaissons l'histoire.
+ L'infortuné vieillit où vous rajeunissez.
+ Vous le dites du moins, et pour nous c'est assez:
+ Véridique et modeste, il faut bien vous en croire;
+ Mais lorsque de l'Amour, dans le lit nuptial,
+ Vous empruntez la voix pour peindre sa puissance,
+ Ne peut-on soupçonner, sans vous faire une offense,
+ Qu'il n'y fit rien de mieux que votre madrigal?
+
+Piqué au jeu, M. de la Condamine répondit:
+
+ Mon madrigal fut donc, à ce que vous pensez,
+ La nuit de mon hymen, ma plus grande prouesse?
+ Monsieur, sont-ce mes vers que vous applaudissez,
+ Ou pensez-vous déplorer ma faiblesse?
+ Hélas! dans mon printemps, pour tribut conjugal,
+ J'eusse achevé ma neuvaine à Cythère.
+ Aujourd'hui, moins fervent, pour me tirer d'affaire,
+ J'en remplis les deux tiers avec un madrigal.
+
+M. de Luxemont répliqua à son tour:
+
+ Ce sont vos vers que j'applaudis,
+ Sans déplorer votre faiblesse;
+ L'Amour n'en est pas moins surpris
+ Que l'objet de votre tendresse
+ (Dont lui-même serait épris)
+ Ne vous ait pas rendu tel qu'en votre jeunesse.
+ Toutefois, n'en déplaise au dieu de l'Hélicon,
+ Seul garant de cette neuvaine
+ Que commencent souvent, que finissent à peine
+ Les vrais élus de Cupidon,
+ Tout homme sur ce point, dit le bon La Fontaine,
+ Est d'ordinaire un peu gascon;
+ Et l'on croit qu'il avait raison.
+ Mais pour n'être jamais contredit de personne,
+ Rimez toujours, rimez: vos vers vainqueurs du Temps,
+ Prouvent qu'en vos pareils les fruits de leur automne
+ Conservent la saveur de ceux de leur printemps.
+
+Si l'abbé Basset a envoyé ces agréables jeux d'esprit au curé de
+Montchauvet, l'auteur de _Baltazar_ a dû se dire: «Je comprends que ce
+M. de la Condamine n'ait pas voulu écouter mes vers; ce n'est pas un
+poète sérieux.»
+
+_Page 17, note 8._
+
+Le curé tint compte de l'observation. On lit (acte III, sc. 3):
+
+ Le temps vous vengera des soupirs _superflus_,
+ Et je sçauray moi-même enfin n'y songer plus.
+
+_Page 21, note 9._
+
+C'est l'année suivante (dans l'_Orphelin de la Chine_, de Voltaire)
+que Mlle Clairon et les artistes du Théâtre Français renoncèrent à
+jouer avec paniers.
+
+C'est aussi à cette date (1755) que le marquis de Ximenès se brouilla
+avec Mlle Clairon. La grande actrice lui redemanda son portrait, et le
+marquis eut le mauvais goût de le lui renvoyer, avec ce quatrain...
+cruel:
+
+ Tout s'use, tout périt; tu le prouves, Clairon.
+ Ce pastel, dont tu m'as fait don,
+ Du temps a ressenti l'outrage:
+ Il t'en ressemble davantage.
+
+_Page 29, note 10._
+
+Le curé de Montchauvet n'est pas difficile. Sa tragédie est très mal
+imprimée; il y a deux grandes pages de _fautes à corriger_.
+
+_Page 29, note 11._
+
+M. et Mme Fréron ne furent guère sensibles à cette générosité, car
+dans l'_Année littéraire_ de 1754 (tome IV), le curé et sa tragédie
+sont arrangés de la belle façon.
+
+_Page 34, note 12._
+
+M. de Margency ne faisait pas que des vers burlesques. Voici une
+chanson, citée par Grimm (15 novembre 1757), qui nous prouve qu'il
+avait, quand il le voulait, l'esprit aussi ingénieux que délicat.
+
+ J'entends dans ces forêts
+ Gémir la tourterelle;
+ Hélas! si je voulais,
+ Je me plaindrais comme elle.
+
+ Notre sort est égal;
+ L'amour seul fait sa peine:
+ Chez moi c'est même mal,
+ L'amour cause la mienne.
+
+ Ce qui fait nos douleurs,
+ Ce n'est pas l'inconstance;
+ Mais l'on verse des pleurs
+ De même pour l'absence.
+
+ Un coeur qui n'aime rien
+ N'a point de ces alarmes,
+ C'est pourtant un grand bien
+ De répandre des larmes.
+
+_Page 46, note 13._
+
+Cette étude a déjà paru dans la _Nouvelle Revue_, 4e année, tome XIX,
+1re livraison, 1er mars 1882, pages 117 et suivantes.
+
+--Dans la première livraison de la _Revue franco-américaine_ (juin
+1894), Alphonse Daudet a consacré deux pages à l'abbé Le Petit, qu'il
+appelle «un raté littéraire au XVIIIe siècle».
+
+--Les deux tragédies de _David et Bethsabée_ et de _Baltazard_ sont
+devenues excessivement rares. J'ai pu acheter la première à la vente
+du baron Taylor.--Elles se trouvent à la Bibliothèque de Caen, Ch 5/4.
+_Baltazard_ se morfond, très peu lu, à la Bibliothèque de Vire. «Nul
+n'est prophète en son pays.»
+
+ * * * * *
+
+La paroisse de Montchauvet a connu un autre curé-poète de la même
+force que l'abbé Le Petit.
+
+En 1828, le curé Laumonier fit paraître[17]: _L'oraison funèbre ou
+complainte sur le renversement d'un très bel if qui a existé dans le
+cimetière de Montchauvet jusqu'à l'éradication qui en fut faite le 12
+janvier 1828_. (Ouf, quel titre!).
+
+ [17] A Vire, chez Adam, imprimeur du roi. L'abbé Laumonnier avait
+ déguisé son nom sous l'anagramme de NUMA LEROI.
+
+Voici quelques couplets de cette complainte:
+
+ Ici vivait depuis mille ans,
+ A quelques pas du sanctuaire,
+ Athlète contre les autans,
+ Un If,... un arbre tutélaire.
+ . . . . . . . . . . . . . . . . .
+
+ Il était l'arbre du pays,
+ L'expression n'est pas outrée,
+ Où s'assembloient le plus d'amis,
+ D'enfans... de toute la contrée.
+
+ Il était aussi le plus beau
+ Qui fût connu du voisinage:
+ Là s'unissaient près du tombeau
+ L'enfance avec le moyen âge.
+
+ Il aurait pu rester debout:
+ C'était l'avis du commissaire...
+ Mille ans n'auraient pas vu le bout
+ De sa présence salutaire.
+ . . . . . . . . . . . . . . . . .
+
+ De la demeure funéraire
+ Il était le triste ornement.
+ Faut-il qu'un désir de déplaire
+ Ait causé son renversement?
+
+ Il me servait de paravent
+ Quand j'allais à la sacristie;
+ Il me saluait en passant,
+ Me protégeant à la sortie.
+ . . . . . . . . . . . . . . . . .
+
+«La fin couronne l'oeuvre», c'est le cas de le dire:
+
+ Adieu bel arbre, adieu bel If...
+ Adieu, ton tronc, ta forte branche;
+ En dépit de mon cri plaintif,
+ Tu meurs la veille d'un dimanche.
+
+«Au haut des cieux, _leur demeure dernière_», (du moins j'aime à le
+supposer), les deux curés de Montchauvet, Le Petit et Laumonier,
+doivent rimailler de conserve et maudire les méchants critiques, qui
+«tâchent de décourager ceux qui donnent quelque espérance».
+
+
+IMPRIMERIE HENRI DELESQUES, A CAEN
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's Diderot et le Curé de Montchauvet, by Armand Gasté
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DIDEROT ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET ***
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
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+
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+you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
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+ License. You must require such a user to return or
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+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
+
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+LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
+INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
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+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
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+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
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+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
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+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
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+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
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+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
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+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
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+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
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+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
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+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+Project Gutenberg's Diderot et le Curé de Montchauvet, by Armand Gasté
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
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+Title: Diderot et le Curé de Montchauvet
+ Une mystification littéraire chez le baron d'Holbach, 1754
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+Author: Armand Gasté
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+Release Date: January 21, 2014 [EBook #44723]
+
+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DIDEROT ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET ***
+
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+
+Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
+file was produced from images generously made available
+by The Internet Archive/Canadian Libraries)
+
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+
+<div class="tnote">
+<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
+L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
+Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.</p></div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_I"> I</a></span></p>
+
+
+<h1>DIDEROT<br />
+<span class="xlarge">ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET</span></h1>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_II"> II</a></span>
+<span class="pagenum"><a id="Page_1"> 1</a></span></p>
+
+<div class="titlepage">
+<p class="xlarge">Armand Gasté</p>
+<hr class="deco" />
+
+<p><span class="xxlarge">DIDEROT</span><br />
+<span class="small">ET LE</span><br />
+<span class="xlarge">CURÉ de MONTCHAUVET</span></p>
+
+<p class="medium">&mdash;UNE MYSTIFICATION LITTÉRAIRE CHEZ<br />
+LE BARON D'HOLBACH, 1754&mdash;</p>
+
+<div class="figcenter">
+<img src="images/logo.jpg" width="100" height="150" alt="" />
+</div>
+
+<p><span class="large">PARIS</span><br />
+ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR<br />
+<span class="small"><i>23-31, passage Choiseul, 23-31</i></span></p>
+
+<p class="small">M. DCCC. XCVIII</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_2"> 2</a></span>
+<span class="pagenum"><a id="Page_3"> 3</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<h2>DIDEROT<br />
+<span class="medium">ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET</span><a name="FNanchor_1" id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">&nbsp;[1]</a></h2>
+</div>
+
+<p>Au milieu du XVIII<sup>e</sup> siècle vivait, ou plutôt
+végétait tristement dans l'humble presbytère
+de Montchauvet, en plein Bocage normand<a name="FNanchor_2" id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">&nbsp;[2]</a>,
+un curé poète qui doit aux Encyclopédistes
+l'immortalité du ridicule, et dont les vers extravagants
+furent,&mdash;qui le croirait?&mdash;une des
+causes de la rupture de Jean-Jacques Rousseau
+avec ses bons amis, les Philosophes.</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_1" id="Footnote_1" href="#FNanchor_1" class="label">[1]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_3_note_1">note 1</a></p></div>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_2" id="Footnote_2" href="#FNanchor_2" class="label">[2]</a> <em>Ibid.</em> <a href="#Page_3_note_2">note 2</a></p></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_4"> 4</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<h3>I</h3>
+</div>
+
+<p>L'abbé Le Petit<a name="FNanchor_3" id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">&nbsp;[3]</a>,&mdash;c'est le nom de notre
+curé,&mdash;s'ennuyait à mourir dans le village où
+l'avait enterré son évêque<a name="FNanchor_4" id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">&nbsp;[4]</a>. Il avait beau
+monter sur les âpres rochers qui dominent le
+presbytère et interroger l'horizon, il ne voyait
+venir personne qui fût digne de le comprendre
+et sût goûter les vers qu'il composait dans sa
+morne solitude. Et laissant tomber ses regards
+sur les masures de ses paroissiens: «Ici, il n'y
+a que moi d'homme d'esprit, se disait-il. Point
+de société!... Pour toute ressource, le magister,
+c'est-à-dire un paysan habillé de noir!»</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_3" id="Footnote_3" href="#FNanchor_3" class="label">[3]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_4_note_3">note 3</a></p></div>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_4" id="Footnote_4" href="#FNanchor_4" class="label">[4]</a> <em>Ibid.</em> <a href="#Page_4_note_4">note 4</a></p></div>
+
+<p>Un beau jour, l'abbé Le Petit, n'y pouvant
+plus tenir, boucla sa valise et partit pour Paris.
+A Paris, en effet, il trouverait un de ses anciens
+camarades de séminaire, l'abbé Basset<a name="FNanchor_5" id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">&nbsp;[5]</a>,
+professeur de philosophie au collège d'Harcourt.
+L'abbé Basset avait de belles relations: il procurerait
+<span class="pagenum"><a id="Page_5"> 5</a></span>
+certainement un éditeur à son confrère.
+L'éditeur trouvé, le livre prôné par les gazettes
+s'enlevait en un clin d'&oelig;il; les salons se disputaient
+l'illustre compatriote de Malherbe et
+de Pierre Corneille; et qui sait? l'Académie ne
+se faisait pas trop prier pour lui offrir un de
+ses quarante fauteuils.</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_5" id="Footnote_5" href="#FNanchor_5" class="label">[5]</a> <em>Ibid.</em> <a href="#Page_5_note_5">note 5</a></p></div>
+
+<p>Tels étaient les beaux rêves que le curé de
+Montchauvet confiait à l'abbé Basset, et que
+celui-ci, en se promenant avec lui, au Luxembourg,
+par une belle matinée d'hiver, écoutait
+d'une oreille trop indulgente.</p>
+
+<p>Au détour d'une allée, on rencontre Diderot.
+Diderot, qui demeurait à quelques pas de là,
+sur la hauteur d'où il avait tiré son surnom de
+<em>Philosophe de la Montagne</em>, aimait à se promener
+le matin au Luxembourg. L'abbé Basset, qui
+était fort lié avec lui, connaissait ses habitudes.
+Ce n'était pas sans intention, peut-être, qu'il
+conduisit, ce jour-là, sur le chemin du philosophe,
+le curé de Montchauvet, avide de
+connaître les grands esprits du siècle, avide
+surtout d'en être connu. L'abbé Basset présente
+son ami à Diderot. Le curé nage dans la joie;
+il pâlit d'aise, et son nez,&mdash;un nez extrêmement
+<span class="pagenum"><a id="Page_6"> 6</a></span>
+long, dit la chronique,&mdash;est dans un
+mouvement perpétuel. La conversation est
+bientôt liée. L'abbé Le Petit raconte d'un trait
+ses infortunes: «Je m'étiolais à Montchauvet,
+le plus triste lieu du monde; mes talents y
+étaient enfouis. Mais, Dieu merci! j'en suis
+hors, et je me réjouis, monsieur, d'avoir fait
+connaissance avec un homme de votre réputation,
+afin de vous demander votre avis.</p>
+
+<p>&mdash;Mon avis, dit le philosophe, et sur quoi,
+monsieur l'abbé?</p>
+
+<p>&mdash;Sur un madrigal de sept cents vers, que
+j'ai fait dernièrement.</p>
+
+<p>&mdash;Un madrigal de sept cents vers! Et sur
+quel sujet, je vous prie?</p>
+
+<p>&mdash;Voici la chose, dit le curé en souriant
+d'un air malin: mon valet a eu le malheur de
+faire un enfant à ma servante, et cela m'a donné
+un assez beau champ, comme vous allez voir.</p>
+
+<p>Et, disant cela, il tire de la poche de sa soutane
+un grand cahier de papier. Diderot recule
+épouvanté; puis se ravisant:</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur le curé, dit-il, je vous trouve
+bien blâmable d'employer vos loisirs à de
+pareils sujets.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_7"> 7</a></span>
+L'abbé Le Petit commençait à rougir de
+colère; son nez s'agitait, menaçant...</p>
+
+<p>&mdash;Quand on a un génie aussi sûr que le
+vôtre, poursuivit Diderot, on doit faire des tragédies,
+et non pas s'amuser à des madrigaux.</p>
+
+<p>Le curé de Montchauvet, agréablement flatté
+de ce compliment inattendu, devint radieux:
+ses yeux brillaient d'un éclat inaccoutumé, son
+grand nez se dilatait pour mieux aspirer l'encens.
+Il voulait remercier Diderot; celui-ci ne
+lui en laissa pas le temps:&mdash;Permettez-moi
+de vous dire que je n'écouterai pas un seul vers
+de votre façon, avant que vous ne nous ayez
+apporté une tragédie.&mdash;Vous avez raison,
+répliqua le curé;.... je suis trop timide.
+Puis, remettant dans la vaste poche de sa soutane
+son long poème, il salua poliment Diderot.
+Le philosophe, en s'en allant, échangea
+avec l'abbé Basset un sourire que le bon curé
+n'aperçut pas, ou dont il ne comprit pas la
+signification.</p>
+
+<p>C'était un sourire de contentement. Diderot
+s'était débarrassé du même coup, (il le croyait
+du moins), d'un madrigal de sept cents vers et
+d'un importun.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_8"> 8</a></span>
+Quelques mois se passent. Diderot, bien
+tranquille dans son cabinet, travaillait, sans
+doute à ses <cite>Pensées sur l'interprétation de la
+nature</cite>, lorsque, sans se faire annoncer, l'abbé
+Le Petit se présente avec un énorme manuscrit
+sous le bras. Qu'on juge de la surprise de
+Diderot.&mdash;Comment, monsieur le curé, c'est
+bien vous que je vois! Je vous croyais depuis
+longtemps en Normandie.&mdash;On ne peut
+vivre qu'à Paris, monsieur; j'y suis donc resté,
+et, suivant vos conseils, je me suis mis avec
+ardeur au travail. Je vous apporte...&mdash;Encore
+un madrigal? s'écria Diderot; non, monsieur
+le curé, vous savez nos conventions. Je n'écoute
+pas un vers de vous, que vous ne m'ayez apporté
+une tragédie.&mdash;C'est justement...&mdash;Quoi!
+C'est une tragédie?&mdash;Oui, monsieur,
+<cite>David et Bethsabée</cite>....</p>
+
+<p>Diderot faillit tomber à la renverse.</p>
+
+<p>&mdash;Avez-vous le loisir de m'écouter? poursuivit
+l'abbé, impitoyable.</p>
+
+<p>Il n'y avait pas à reculer, il fallait bien essuyer
+cette lecture.</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur le curé, répondit le philosophe,
+que diriez-vous si, dimanche, je vous présentais
+<span class="pagenum"><a id="Page_9"> 9</a></span>
+à nos amis, et si je vous donnais pour juges les
+plus grands esprits dont notre siècle s'honore?...
+Allons, c'est entendu, je vous mènerai dans le
+salon de M. le baron d'Holbach. Vous y entrerez
+inconnu; mais, je vous le jure, vous en
+sortirez célèbre.</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur, balbutia l'abbé, que de grâces...</p>
+
+<p>&mdash;Trève de compliments! C'est moi qui
+suis votre obligé. Ne pas produire au grand jour
+un poète de votre force, mais ce serait un
+crime!... Allons, adieu, monsieur le curé, ou
+plutôt, au revoir... A dimanche! Je vous
+attends chez moi.</p>
+
+<p>Le curé fut exact au rendez-vous. Diderot
+avait prévenu ses amis, les Encyclopédistes. On
+sait que le baron d'Holbach les recevait à dîner
+deux fois par semaine, ce qui le faisait appeler
+par l'abbé Galiani «<em>le maître d'hôtel de la philosophie</em>».</p>
+
+<p>Ce jour-là&mdash;c'était justement le dimanche
+gras&mdash;les convives du baron d'Holbach étaient
+quinze à vingt. Dans le riche cabinet, où le
+richissime philosophe venait de faire placer sa
+récente acquisition, la <cite>Chienne allaitant ses
+petits</cite>, un des chefs-d'&oelig;uvre du peintre Oudry,
+<span class="pagenum"><a id="Page_10"> 10</a></span>
+on voyait réunis, sans compter Diderot et le
+maître de la maison, J.-J. Rousseau, d'Alembert,
+Duclos, Marmontel, Helvétius, de Jaucourt,
+Raynal, Morellet, de la Condamine,
+M. de Gauffecourt, M. de Margency, etc.<a name="FNanchor_6" id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">&nbsp;[6]</a>.</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_6" id="Footnote_6" href="#FNanchor_6" class="label">[6]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_10_note_6">note 6</a></p></div>
+
+<p>Le curé de Montchauvet est introduit. On lui
+fait fête; on l'invite à s'asseoir. Il promène ses
+regards de tous côtés: il ne voit que des visages
+riants; cela l'encourage. Pourtant, il aperçoit
+dans un coin du salon une figure renfrognée.
+C'était J.-J. Rousseau, qui flairait une mystification,
+et qui, avec sa probité à toute épreuve,
+était résolu à faire le rôle d'honnête homme.&mdash;C'est
+un jaloux, se dit l'abbé; mais qu'importe?...
+Et il déroule lentement son manuscrit.&mdash;D'abord,
+messieurs, leur dit-il, je dois
+vous lire l'épître que je me permets d'adresser à
+Madame de Pompadour.</p>
+
+<p>Cette épître commençait par un vers assez
+singulier:</p>
+
+<p class="quote">Rentrez dans le néant, race de mendiants...</p>
+
+<p>C'était pour flétrir les poètes qui font des
+<span class="pagenum"><a id="Page_11"> 11</a></span>
+dédicaces en vue de gagner de l'argent.&mdash;Oh!
+oh! Monsieur le curé, lui dit-on de toutes
+parts, l'épithète n'est-elle pas un peu violente?&mdash;Non,
+messieurs,</p>
+
+<p class="quote">Point d'enfant d'Apollon, s'il ne rime gratis.</p>
+
+<p>Et, continuant sa lecture, il déclame avec
+emphase ces deux vers:</p>
+
+<p class="quote">Tout ainsi comme Icare, parcourant la lumière,<br />
+Dans un rayon brûlant vit fondre sa carrière...</p>
+
+<p>&mdash;Voilà, lui dit Marmontel, un vers admirable!
+mais ces sortes de vers doivent être bien
+difficiles à trouver.&mdash;Cela est vrai, répondit
+le curé en pâlissant de joie et de vanité; mais
+aussi est-on bien content quand on a trouvé.</p>
+
+<p>L'épître finie, le curé, avant de commencer
+la lecture de sa tragédie, pria la société de lui
+permettre d'exposer rapidement sa théorie du
+poème dramatique. Corneille l'a fait, ajouta-t-il:
+compatriote de Corneille, ne puis-je pas faire
+comme lui?&mdash;Sans aucun doute, monsieur
+l'abbé, s'écrièrent en ch&oelig;ur tous les convives.&mdash;Vils
+flatteurs, murmurait dans son coin le
+<span class="pagenum"><a id="Page_12"> 12</a></span>
+citoyen de Genève.&mdash;Ma théorie est bien
+simple, messieurs. Donnez-moi un sujet quelconque.</p>
+
+<p>&mdash;<em>Balthazar</em>, dit une voix.</p>
+
+<p>&mdash;<em>Balthazar</em>, soit! Eh bien! vous savez,
+messieurs, que, pendant le souper de ce roi
+impie, on vit une main écrire sur les murs les
+mots: <em>Mané, Thécel, Pharès</em>. Il s'agit donc de
+savoir si le roi soupera ou non; car, s'il ne
+soupe pas, la main n'écrira pas. Or je n'ai
+qu'à inventer deux acteurs. Le premier veut que
+le roi soupe, le second ne le veut pas, et cela
+alternativement. Si moi, poète tragique, je
+veux que le roi soupe, celui-là parlera le premier.
+Ainsi:</p>
+
+<p>I<sup>er</sup> acte: <em>Le roi soupera</em>;</p>
+
+<p>2<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p>
+
+<p>3<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>;</p>
+
+<p>4<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p>
+
+<p>5<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>.</p>
+
+<p>Si, au contraire, je ne veux pas que le roi
+soupe, voici quel sera mon plan:</p>
+
+<p>I<sup>er</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p>
+
+<p>2<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>;</p>
+
+<p>3<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>;</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_13"> 13</a></span>
+4<sup>e</sup> acte: <em>Il soupera</em>;</p>
+
+<p>5<sup>e</sup> acte: <em>Il ne soupera pas</em>.</p>
+
+<p>Voilà, messieurs, tout le mystère.</p>
+
+<p>Un murmure approbateur accueillit ces paroles.
+Le poète commença alors la lecture de
+sa tragédie. Tous les philosophes, rangés en
+cercle, écoutaient attentivement. M. de la
+Condamine, entre autres, avait tiré le coton de
+ses oreilles pour mieux entendre<a name="FNanchor_7" id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor">&nbsp;[7]</a>; mais,
+dès la première scène, sa patience était à bout.
+Dans la seconde, David paraît; il se plaint que
+l'amour le tourmente jour et nuit et l'empêche
+de dormir. Il a cependant de quoi s'occuper;
+il a de nouveaux ennemis, dit-il:</p>
+
+<p class="quote">Quatre rois, vive Dieu! ci-devant mes amis...</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_7" id="Footnote_7" href="#FNanchor_7" class="label">[7]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_13_note_7">note 7</a></p></div>
+
+<p>&mdash;<em>Vive Dieu</em>! s'écria M. de la Condamine,
+et pourquoi pas <em>Ventre Dieu</em>? Et, remettant le
+coton dans ses oreilles, il sortit brusquement.</p>
+
+<p>&mdash;Voilà, dit le curé froidement, un homme
+qui ne sait pas que <em>Vive Dieu</em>! est le serment
+des Hébreux.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_14"> 14</a></span>
+Ces quatre rois, «ci-devant les amis» de
+David, ont embrassé la querelle du barbare
+Hanon...</p>
+
+<p>A ce mot malencontreux, cinq ou six auditeurs
+se récrient.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! messieurs, dit le curé d'un air de
+profonde pitié, ce nom sonne mal à vos oreilles,
+apparemment à cause de la ridicule équivoque
+de celui d'<em>ânon</em>, animal si connu et si commun.
+Pour moi, je pense qu'un nom, par lui-même,
+n'a rien qui doive offenser. L'Écriture s'en est
+servie; elle a bien les oreilles aussi délicates
+que les nôtres.</p>
+
+<p>&mdash;Mais, lui dit Duclos, ajoutez une lettre
+à ce nom, et l'équivoque cessera.</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur, répartit le curé, vous voulez
+sans doute que je fasse de ce personnage un
+Carthaginois?</p>
+
+<p>Dans un autre endroit, Bethsabée, pressée
+par David «de le rendre heureux», veut le
+piquer d'honneur, et lui rappelant ses grandes
+actions passées, elle dit:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Vous sûtes arracher Saül à ses furies,</p>
+<p>Où ce prince, vainqueur de mille incirconcis,</p>
+<p>Frémissait que David en eût dix mille occis.</p>
+</div></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_15"> 15</a></span>
+&mdash;Ah! Dieu! quels vers! s'écria le citoyen
+de Genève; et pourquoi <em>occis</em>? pourquoi
+pas <em>tués</em>?</p>
+
+<p>&mdash;Je pourrais, riposta sèchement le curé,
+vous répondre que <em>tués</em> ne rime pas à <em>incirconcis</em>;
+mais apparemment que vous imaginez
+que <em>tué</em> et <em>occis</em> sont des synonymes. Apprenez,
+monsieur, que cela n'est pas. On dit tous les
+jours: Cet homme me <em>tue</em> par ses discours, et
+l'on n'en est pas <em>occis</em> pour cela.</p>
+
+<p>&mdash;J'avoue, reprit le citoyen, qu'il doit être
+fort fâcheux d'être <em>occis</em>; mais je ne me soucierais
+pas même d'être <em>tué</em>.</p>
+
+<p>Le curé de Montchauvet poursuivit sa lecture,
+sans s'arrêter plus qu'il ne convenait à cette
+misérable querelle de mots.</p>
+
+<p>Arrivé à un passage où il faisait rimer <em>angoisse</em>
+et <em>tristesse</em>, Rousseau l'interrompit de nouveau:</p>
+
+<p>&mdash;<em>Angoisse</em> et <em>tristesse</em> ne riment pas; vous
+êtes trop hardi, monsieur le curé.</p>
+
+<p>&mdash;Trop hardi, monsieur? Cette rime est
+neuve; voilà tout.</p>
+
+<p>&mdash;Dites étrange, monsieur le curé.</p>
+
+<p>&mdash;Étrange, monsieur? Mais, vous, savez-vous
+bien ce que c'est que la rime?</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_16"> 16</a></span>
+&mdash;J'ose le croire, monsieur le curé.</p>
+
+<p>&mdash;On ne s'en douterait guère, et...</p>
+
+<p>La dispute allait s'envenimer: un geste de
+d'Holbach rétablit la paix.</p>
+
+<p>&mdash;Continuez, dit-il au curé de Montchauvet,
+nous vous écoutons.</p>
+
+<p>Vers le milieu du deuxième acte, Bethsabée
+dit à sa confidente:</p>
+
+<p class="quote">Le roi ne m'offre plus que d'<em>innocentes</em> charmes.</p>
+
+<p>&mdash;Pardon, monsieur le curé, interrompit un
+des auditeurs, <em>charme</em> est du masculin.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! vous le prenez comme cela,
+messieurs, répondit l'abbé; eh bien, dans la
+scène suivante, vous le trouverez masculin; j'ai
+tâché de contenter tout le monde.</p>
+
+<p>Plus loin, il faisait rimer <em>superflu</em> et <em>plus</em>.</p>
+
+<p>&mdash;Cette rime n'est pas exacte, dit Marmontel.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! vraiment; et pourquoi cela?</p>
+
+<p>&mdash;C'est que <em>superflu</em>, étant au singulier, n'a
+point d's, et par conséquent ne peut rimer avec
+<em>plus</em>.</p>
+
+<p>Point d'<em>s</em>, reprit vivement le curé en
+<span class="pagenum"><a id="Page_17"> 17</a></span>
+mettant son manuscrit sous le nez de Marmontel,
+point d'<em>s</em>! Mais je vous prie de remarquer,
+monsieur, que j'en ai mis une<a name="FNanchor_8" id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor">&nbsp;[8]</a>.</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_8" id="Footnote_8" href="#FNanchor_8" class="label">[8]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_17_note_8">note 8</a></p></div>
+
+<p>Et il continua intrépidement sa lecture.</p>
+
+<p>On lui avait fait croire que M. de Margency
+était un poète de profession, et qu'il aurait en
+lui un dangereux concurrent. Il n'est sorte de
+bassesse que ne lui fit le curé de Montchauvet.
+M. de Margency, comme on en était convenu
+auparavant, se fit le champion à outrance
+du poète bas-normand. Aussi, c'était vers lui
+qu'il se tournait de préférence.</p>
+
+<p>Au milieu d'une des plus pompeuses tirades,
+il entend un léger bruit. C'était M. de Gauffecourt
+qui riait tout bas dans ses mains.</p>
+
+<p>&mdash;Vous riez, monsieur, lui dit le curé du
+ton dont il aurait apostrophé un bambin au
+catéchisme?</p>
+
+<p>&mdash;Non, monsieur, répondit M. de Gauffecourt
+avec un grand sérieux; je n'ai ri de ma
+vie.</p>
+
+<p>On arrive, sans autre incident, au quatrième
+acte. Tout le monde se lève. On prie le curé de
+<span class="pagenum"><a id="Page_18"> 18</a></span>
+Montchauvet d'arrêter là sa lecture. Il doit être
+épuisé de fatigue; on lui donnera une nouvelle
+séance pour achever sa tragédie; on n'en
+veut pas perdre un seul vers.</p>
+
+<p>Chacun s'empresse autour de lui, et lui serre
+les mains: «Vous surpassez Racine, et vous
+égalez Corneille!»</p>
+
+<p>Le curé absorbe avec intrépidité ces louanges
+ironiques; il se rengorge; son nez s'agite, se
+dilate de plus en plus. Tout à coup, J.-J.
+Rousseau se précipite vers lui, lui arrache son
+manuscrit et le jette à terre:</p>
+
+<p>&mdash;Votre tragédie est absurde, mon cher
+curé; ces messieurs,&mdash;vous ne le voyez donc
+pas?&mdash;se moquent de vous. Retournez vicarier
+dans votre village.</p>
+
+<p>L'abbé, rouge de colère, fond sur Rousseau;
+en vrai poète tragique, il veut l'<em>occire</em>. On sépare
+à grand'peine les deux combattants. Rousseau
+sort furieux, pour ne plus remettre les pieds
+chez le baron d'Holbach. On arrête le curé, qui
+le menace du poing et veut courir après lui
+dans la rue. On réussit à le calmer un peu, en
+lui peignant Rousseau comme un poète jaloux
+de sa gloire naissante.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_19"> 19</a></span>
+On peut bien penser que Diderot ne fut pas
+l'un des moins empressés à verser du baume sur la
+blessure faite par Rousseau à la vanité du poète.</p>
+
+<p>&mdash;Votre pièce est excellente, monsieur le
+curé, lui dit-il; je m'y connais: elle aura le
+plus grand succès au théâtre, si toutefois vous
+y apportez quelques modifications que je crois
+indispensables... Me permettez-vous, monsieur
+le curé, de vous faire une légère critique?</p>
+
+<p>&mdash;Parlez, monsieur, dit le curé, pris par le
+ton bienveillant que Diderot donnait à ses paroles.
+Je ne puis recevoir que des conseils
+judicieux d'un esprit aussi éminent.</p>
+
+<p>&mdash;Eh bien, monsieur l'abbé, puisque vous
+m'autorisez à vous dire toute ma pensée, je
+vous avouerai que votre pièce ne me semble
+pas assez chargée d'incidents; que la plupart
+des incidents ne se passant pas sur la scène, je
+trouve,&mdash;excusez ma franchise,&mdash;la scène
+un peu trop muette. Il est vrai que votre pièce
+est une pièce sainte; mais ce n'en est pas moins
+un défaut, à mon humble avis.</p>
+
+<p>Tout le monde s'attendait à une explosion
+de colère; il n'en fut rien. Le curé répondit
+d'un air suffisant:</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_20"> 20</a></span>
+&mdash;Je l'avais senti, monsieur, mais je n'ai
+pu faire autrement; d'ailleurs, ces sortes de
+pièces sont sujettes à ce défaut... Toutefois,
+vous conviendrez avec moi que j'ai suppléé à
+la sécheresse des récitatifs par une versification
+assez heureuse.</p>
+
+<p>&mdash;Cela est vrai, dit M. de Margency, celui
+des auditeurs qui s'était fait le champion du
+curé. A mon tour, ajouta-t-il, je reprendrai
+l'objection faite par M. Diderot, et je demanderai
+à monsieur le curé pourquoi il n'a pas
+placé sur la scène la baignoire de Bethsabée?
+Son récit est plein de beaux vers, je le proclame
+bien haut, mais Horace a dit:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p><i lang="la" xml:lang="la">Segnius irritant animos demissa per aurem</i></p>
+<p><i lang="la" xml:lang="la">Quant quæ sunt oculis subjecta fidelibus, et quæ</i></p>
+<p><i lang="la" xml:lang="la">Ipse sibi tradit spectator.</i></p>
+</div></div>
+
+<p>&mdash;Sans doute, monsieur; mais Horace
+n'ajoute-t-il pas:</p>
+
+
+<div class="poetry"><div class="stanza"><p class="i11"> <i lang="la" xml:lang="la">Non tamen intus</i></p>
+<p><i lang="la" xml:lang="la">Digna geri promes in scenam; multaque tolles</i></p>
+<i lang="la" xml:lang="la">Ex oculis, quæ mox narret facundia præsens...</i>
+</div></div>
+
+<p>&mdash;Je suis battu, dit M. de Margency.</p>
+
+<p>Puis, se tournant vers ses amis:</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_21"> 21</a></span>
+&mdash;Quoi qu'en dise Horace, messieurs, ne
+regrettez-vous pas, comme moi que M. le curé
+n'ait pu mettre sur la scène la baignoire de
+Bethsabée? Vive Dieu! comme M<sup>lle</sup> Clairon...<a name="FNanchor_9" id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor">&nbsp;[9]</a></p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_9" id="Footnote_9" href="#FNanchor_9" class="label">[9]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_21_note_9">note 9</a></p></div>
+
+<p>&mdash;Pardon, monsieur, interrompit le curé,
+la rougeur au front; mais vous oubliez que ma
+tragédie est une tragédie sainte, et que rien
+n'y doit offenser les oreilles ou les yeux des
+spectateurs chrétiens.</p>
+
+<p>&mdash;<i lang="la" xml:lang="la">Omnia sancta sanctis</i>, monsieur le curé; je
+tiens à la baignoire. Et vous, messieurs?</p>
+
+<p>&mdash;Oui, oui, il nous faut la baignoire, s'écrièrent
+ensemble les convives de d'Holbach.</p>
+
+<p>&mdash;Messieurs, je ne puis vous l'accorder.
+N'insistez pas, je vous prie.</p>
+
+<p>&mdash;Nous respectons vos scrupules, dit M. de
+Margency; qu'il soit fait selon votre désir...
+Mais, poursuivit-il, qu'il me soit permis, avant
+de nous séparer, d'ajouter un mot encore...</p>
+
+<p>Le curé dressa l'oreille.</p>
+
+<p>&mdash;Vous êtes du pays du grand Corneille,
+monsieur le curé; nous ne le saurions pas, que
+votre style nous l'aurait bien vite appris. Comment
+<span class="pagenum"><a id="Page_22"> 22</a></span>
+avez-vous fait pour arriver du premier
+coup à cette mâle vigueur, dont l'auteur de
+<cite>Polyeucte</cite> et vous avez seuls le secret?</p>
+
+<p>&mdash;Messieurs, répondit l'abbé, si mon style a
+quelque ressemblance avec celui de Corneille,
+je le dois à la lecture approfondie que j'ai faite
+de ce grand poète; mais qu'on ne m'accuse
+d'aucun plagiat: j'affirme solennellement que
+mon style est à moi, et bien à moi... Je vois,
+monsieur, continua le curé, en s'approchant
+de M. de Margency, que vous êtes, comme on
+dit, un homme du métier, et je ne doute pas
+que vos pièces n'aient obtenu sur la scène un
+légitime succès.</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur le curé, dit de Margency, mes
+amis veulent bien m'accorder quelque talent;
+mais, malgré leurs conseils, je dirai plus, malgré
+leurs instantes prières, je n'ai jamais consenti
+à laisser jouer mes pièces. Vous l'avouerai-je,
+monsieur le curé? j'ai peur...</p>
+
+<p>&mdash;Et de quoi, monsieur, je vous prie?</p>
+
+<p>&mdash;D'être sifflé.</p>
+
+<p>Puis, faisant un geste tragique: je crois que
+j'en mourrais!</p>
+
+<p>&mdash;Mon ami, lui dit Diderot, ayez plus de
+<span class="pagenum"><a id="Page_23"> 23</a></span>
+confiance en vous-même. Osez, et je vous prédis
+le succès, comme je le prédis à M. le curé
+de Montchauvet.</p>
+
+<p>&mdash;Ne me comparez pas, je vous prie, avec le
+rival de Pierre Corneille!</p>
+
+<p>&mdash;Que du moins son exemple vous enflamme,
+et, puisque vous travaillez actuellement
+à une tragédie de <cite>Nabuchodonosor</cite>, soumettez-la
+au jugement de M. le curé... Puis, s'adressant
+à l'abbé: Si nous osions, monsieur, vous prier
+de traiter le même sujet, voudriez-vous nous
+refuser, dans l'intérêt de notre ami qui brûle de
+marcher sur vos traces?</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur, dit d'Holbach qui, pendant
+toute cette scène, avait gardé le plus grand
+sérieux, mes amis et moi nous vous attendons
+dimanche prochain. Vous achèverez la lecture
+de votre tragédie, et vous nous lirez, n'est-ce
+pas? la première scène de <cite>Nabuchodonosor</cite>;
+c'est un sujet extrêmement difficile et délicat.
+Nous ne doutons nullement que vous ne
+vous en tiriez avec l'habileté dont vous avez
+fait preuve dans votre tragédie de <cite>Bethsabée</cite>.
+Pour vous, dit d'Holbach à de Margency,
+vous saurez dimanche si vous devez affronter
+<span class="pagenum"><a id="Page_24"> 24</a></span>
+la scène ou brûler vos manuscrits. Vous connaissez
+notre franchise. Nous vous promettons
+un jugement sincère. A dimanche donc, monsieur
+le curé!</p>
+
+<p>Le curé promit de se rendre à cette aimable
+invitation.</p>
+
+<p>On se sépara. La vanité du curé de Montchauvet
+était aussi énorme que son talent était
+mince; aussi était-il loin de se douter qu'il
+venait de servir de bouffon aux convives habituels
+du baron d'Holbach. Cependant, malgré
+le plaisir que lui avaient causé les éloges de
+Diderot, de d'Holbach et de Margency, il était
+mécontent: il aurait voulu plus d'éloges encore;
+et il était indigné que l'on ne se fût pas montré
+plus sévère à l'égard de cet impertinent de
+Rousseau.</p>
+
+<p>Le lendemain, il rencontra M. de Margency
+et se plaignit beaucoup.&mdash;Si je fréquentais
+ces messieurs, lui dit-il, je finirais par soupçonner
+mes vers d'être plats: cependant, je suis
+bien sûr du contraire; et ils n'ont qu'à examiner
+leurs observations avec autant de sévérité que
+ma tragédie, ils verront ce qu'il y aura plat.
+Au demeurant, ce n'est pas que leur critique
+<span class="pagenum"><a id="Page_25"> 25</a></span>
+m'effraie: je ne tiens pas à ma pièce en auteur
+servile; j'en ai fait chaque vers triple, et je puis,
+comme vous voyez, sacrifier tout ce qu'on veut,
+sans que j'en sois plus mal à mon aise.</p>
+
+<p>M. de Margency l'assura fort qu'il avait laissé
+la société dans une grande admiration de ses
+talents; mais il n'en voulut rien croire: «Je
+les ai vus rire souvent pendant la lecture, répondit-il,
+et on ne rit pas dans une tragédie,
+quand on est de bonne foi... Enfin, je vois ce
+que c'est. Ces messieurs redoutent les ouvrages
+d'une certaine trempe et qui pourraient fixer
+l'attention du public, ils n'ont que leur <cite>Encyclopédie</cite>
+dans la tête: ils craignent que mes succès
+ne fassent tort aux leurs. Mais le public
+saura bien rendre justice à chacun.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_26"> 26</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<h3>II</h3>
+</div>
+
+<p>C'est dans ces sentiments que le curé de
+Montchauvet reprit, trois jours après cette mémorable
+séance, le chemin de la basse Normandie.
+Pour se consoler de l'injustice des
+Philosophes, il fit imprimer à Rouen sa tragédie,
+qui parut sous ce titre: <cite>David et Bethsabée</cite>, tragédie
+par M. l'abbé ***. Prix, 36 sols.&mdash;A
+Londres [Rouen], aux dépens de la Compagnie,
+1754.</p>
+
+<p>Lorsque l'imprimeur lui eut envoyé son
+ballot, l'abbé prit la plume et adressa à l'abbé
+Basset une longue lettre, que celui-ci s'empressa
+de communiquer à Diderot et que le philosophe
+lut à ses amis. En voici quelques extraits:</p>
+
+<div class="blocquote">
+<p class="town">«De Montchauvet.</p>
+
+<p>«Je suis parti, monsieur et cher abbé, plein
+du souvenir de vos bontés. Je me suis hâté de
+quitter un séjour où je commençais à goûter
+quelque satisfaction, mais où je devenais à
+<span class="pagenum"><a id="Page_27"> 27</a></span>
+charge à quelques-uns. Disons-le: ils ont pris
+de l'ombrage d'une pièce où ils ont cru reconnaître
+des beautés que le public n'y reconnaîtra
+peut-être pas: ils m'ont envié un je ne sais quoi
+que la nature ou le hasard m'a prodigué... On
+m'apprit, avant de partir, que ce qui les avait
+irrités, c'était la pièce adressée à M<sup>me</sup> la marquise.
+Ils ont rugi à ces mots de <em>vils mendiants</em>,
+et ils ont mis le curé de Montchauvet à toutes
+sauces... Quoi qu'il en soit, dans le procédé
+qu'ils ont tenu avec moi, ils ont cru me faire
+leur dupe. Ils y ont réussi jusqu'à un certain
+point, parce qu'ils ont abusé de ma franchise.
+Qu'ai-je perdu, sinon de ne pas croire que ma
+pièce était plus digne de voir le jour que je ne
+l'espérais? Elle le voit actuellement en beau papier
+et en caractères bien nets<a name="FNanchor_10" id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor">&nbsp;[10]</a>: elle se vendra
+trente-six sous... Voilà donc le moment
+de sa mort ou de sa vie. Le public, qui voit
+toujours avec de bons yeux, du moins pour
+l'ordinaire, la disséquera comme il l'entendra
+bien. Si elle ne lui plaît pas, je n'aurai garde
+d'en appeler; mais je ne me rebuterai pas, je
+<span class="pagenum"><a id="Page_28"> 28</a></span>
+m'étudierai à faire mieux. Tant que ma veine
+voudra couler, je vous proteste, mon cher abbé,
+que rien ne sera capable de l'arrêter... J'ai déjà
+commencé une seconde pièce. Lorsqu'elle sera
+faite, j'en ferai sévèrement la critique, ainsi que
+de cette première. Comme l'honneur du théâtre
+ni l'intérêt ne me guident point, ne travaillant
+qu'à braver l'ennui de ma solitude, j'apporterai
+avec moi cette seconde tout imprimée, au moyen
+de quoi je ne me verrai plus exposé à lire
+mon manuscrit sur la sellette, devant des gens
+surtout qui vous rient dans leurs mains, au lieu
+d'être touchés, ou qui feignent d'applaudir,
+sans savoir seulement ce que c'est qu'enchaînement
+de scènes, ni peut-être qu'une rime...
+Maintenant, mon cher abbé, j'ai l'honneur de
+vous prévenir que je vous en enverrai un
+exemplaire et plusieurs en pur don pour les
+personnes à qui je vous prierai d'avoir la bonté
+de les remettre. Je compte que vous les recevrez
+la semaine prochaine avec une lettre d'avis:
+ce seront deux ports de lettre que je vous ferai
+coûter. Ayez pour agréable de me mander, au
+reçu de la présente, à Montchauvet, par Aunay,
+à la Plumaudière, si vous voulez vous
+<span class="pagenum"><a id="Page_29"> 29</a></span>
+donner la peine de m'en débiter. Dans le cas
+où vous pourriez vous en défaire, ce serait à
+l'acquit de ce que mon frère et moi nous vous
+devons. Excusez-moi de la longueur de ma
+lettre, je l'attends de votre indulgence. J'écris
+à M. l'abbé Fréron, et je lui envoie deux exemplaires,
+un pour lui, et l'autre pour M<sup>me</sup> son
+épouse, en pur don<a name="FNanchor_11" id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor">&nbsp;[11]</a>; vous voyez que je
+fais les choses libéralement et que je ne regarde
+pas à trente-six sous, lorsqu'il le faut. Adieu,
+mon cher abbé, etc.»</p>
+</div>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_10" id="Footnote_10" href="#FNanchor_10" class="label">[10]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>.<a href="#Page_29_note_10"> note 10</a></p></div>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_11" id="Footnote_11" href="#FNanchor_11" class="label">[11]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_29_note_11"> note 11</a></p></div>
+
+<p class="p2">Nous avouerons sans peine, avec Grimm,
+que quelques centaines de pareilles lettres feraient
+un excellent recueil.</p>
+
+<p>Toutefois, il est à remarquer que le curé de
+Montchauvet ne parle pas, dans cette lettre,
+d'un envoi que dut lui faire M. de Margency,
+quelques jours après son départ pour la Normandie.</p>
+
+<p>M. de Margency lui avait dit, on s'en souvient,
+qu'il lui soumettrait, le dimanche suivant,
+la première scène de sa tragédie de <cite>Nabuchodonosor</cite>.
+<span class="pagenum"><a id="Page_30"> 30</a></span>
+L'abbé devait, de son côté, apporter une
+scène sur le même sujet. De Margency, ayant
+appris le départ inopiné du curé, lui envoya
+son travail, accompagné d'une épître dédicatoire.
+Voici ces deux bouffonneries:</p>
+
+<p><cite>Épître à M. l'abbé Petit, curé du Mont Chauvet</cite>.</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Corneille du Chauvet, rimeur alexandrin,</p>
+<p>Crois-moi, laisse-les dire, et va toujours ton train.</p>
+<p>Ne t'aperçois-tu pas qu'envieux de ta gloire,</p>
+<p>Tes ennemis font tout pour t'empêcher de boire</p>
+<p>Au ruisseau d'Hippocrène, où Sophocle buvoit</p>
+<p>Les chefs-d'&oelig;uvre qu'il fit, les beautés qu'il trouvoit?</p>
+<p>Presque semblable à lui, quand tu touches la rime,</p>
+<p>Tu te sers du rabot et jamais de la lime;</p>
+<p>C'est-à-dire que, loin de coudre bout à bout</p>
+<p>Des mots cherchés longtemps, tu fais bien tout d'un coup;</p>
+<p>Voilà ce qui s'appelle un esprit bien facile,</p>
+<p>Tu scandes en Homère et rimes en Virgile,</p>
+<p>Et c'est ce qui déplaît à ces auteurs jaloux;</p>
+<p>Va, moque-toi d'iceux, et ris de leur courroux.</p>
+<p>Ils ont bu comme toi des eaux hippocréniques:</p>
+<p>Bientôt tu les verras crever en hydropiques,</p>
+<p>Et, tombant à tes pieds, poussifs et crevassés,</p>
+<p>Ils <em>moureront</em> tués, occis et trépassés.</p>
+</div></div>
+
+<p>«Mon poétique cheval, Monsieur, qui se
+déferre en ce moment, m'oblige de descendre
+<span class="pagenum"><a id="Page_31"> 31</a></span>
+de la rime à la prose; permettez-moi donc de
+vous dire en son langage que votre immortelle
+et jolie pièce vous a fait bien des jaloux; mais
+n'en redoutez rien. Je viens de vous annoncer
+dans mes épiques vers et leur sort et le vôtre.
+D'ailleurs, consolez-vous avec les admirateurs
+qui vous restent. Comme j'y touche aussi quelquefois,
+à cette poésie, permettez-moi de vous
+consulter sur la tragédie que j'ai entreprise et
+dont je vous envoie une scène pour échantillon.
+Le sujet est, comme vous le savez, le fameux
+<cite>Nabuchodonosor</cite>. Je suis bien étonné que ce
+grand homme ait échappé à tant de célèbres
+auteurs. J'imagine qu'apparemment ils ne l'auront
+regardé que comme une grande bête,
+comme vous avez pu le regarder vous-même.
+Quoi qu'il en soit, voici ma scène. Nabuchodonosor
+entretient Isabelle avant de l'épouser.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_32"> 32</a></span></p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p class="i6">SCÈNE</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i2"><span class="large smcap">Nabuchodonosor, Isabelle</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Avant qu'à vos pieds beaux je mette ma couronne,</p>
+<p>Écoutez-moi, princesse, et charmante personne;</p>
+<p>Je n'allongerai pas, et je vous en répond,</p>
+<p>Car, de mon naturel, je ne suis pas fort long</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i6"><span class="smcap">ISABELLE</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Ah! grand prince, tant pis! ..Mais qu'avez-vous à dire?</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Reine, asseyez-vous là, je vais vous en instruire.</p>
+<p>Je fus jeune autrefois, et même fort bien fait;</p>
+<p>J'avois l'air d'un amour, du moins on le disoit.</p>
+<p>Vous ne l'auriez pas cru?</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i6"><span class="smcap">ISABELLE.</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i11"> Il est vrai, cher grand prince,</p>
+<p>Qu'il vous reste à présent une mine assez mince.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Pas tant... Mais il n'importe ..Écoutant mes désirs,</p>
+<p>Je me divertissois dans les plus grands plaisirs;</p>
+<p>Ma cour, modèle en tout de faste et d'élégance,</p>
+<p>Réunissoit encor la joie et l'opulence;</p>
+<div><span class="pagenum"><a id="Page_33"> 33</a></span></div>
+<p>Mille jeunes beautés, qui ne vous valoient pas,</p>
+<p>Pleines de mes bienfaits, me prêtoient leurs appas;</p>
+<p>Je vantois en tout lieu mon pouvoir, mes richesses,</p>
+<p>Ma taille, mes bons mots, mes chiens et mes maîtresses.</p>
+<p>Hélas! pour mon malheur je me vantai trop bien.</p>
+<p>Le jaloux ciel piqué rabaissa mon maintien;</p>
+<p>Il m'en punit, ce ciel: sa céleste colère</p>
+<p>Donna dans mon endroit un exemple à la terre;</p>
+<p>Je perdis dans un jour mon sceptre, mes États;</p>
+<p>Une nuit je me vis velu comme les chats;</p>
+<p>Sur mon corps tout courbé tous mes poils s'allongèrent,</p>
+<p>De mon front menaçant deux cornes s'élevèrent,</p>
+<p>Les seules, Dieu merci, que l'on m'ait vu porter...</p>
+<p>Madame, en cet état, il fallut décamper.</p>
+<p>Enfin je descendis du trône à quatre pattes.</p>
+<p>(Où vas-tu nous fourrer, orgueil, quand tu nous flattes!)</p>
+<p>Pour vous le couper court, et soit dit entre nous,</p>
+<p>Je fus bête sept ans avant que d'être à vous.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i6"><span class="smcap">ISABELLE.</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Prince, que dites-vous?... Mais peut-être qu'encore...</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p class="i6"><span class="smcap">NABUCHODONOSOR.</span></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Je crois que vous raillez, madame la pécore!</p>
+<p>Taisez-vous, reine en herbe; écoutez jusqu'au bout.</p>
+<p>Galeux donc comme un braque, et velu comme un loup,</p>
+<p>Je gagnai les forêts, les vallons, les montagnes;</p>
+<p>La nuit j'allois brouter dans les vertes campagnes.</p>
+<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p>
+</div></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_34"> 34</a></span>
+(<em>Ici doit être un magnifique morceau poétique de la vie que
+Nabuchodonosor menoit à la campagne, comme une bête.</em>)</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Enfin le ciel touché mit fin à son courroux.</p>
+<p>«Quittez les bois, dit-il, allez-vous-en chez vous;</p>
+<p>Vous aviez, mon ami, la tête trop superbe:</p>
+<p>Pour vous la rafraîchir, il vous falloit de l'herbe;</p>
+<p>Le ciel est toujours ciel, et l'on s'en moque en vain.</p>
+<p>Vous vous croyiez un Dieu: vous n'êtes qu'un faquin;</p>
+<p>Tournez-moi les talons...» Aussitôt, sans trompette,</p>
+<p>Je quittai dans la nuit ma champêtre retraite.</p>
+<p>Enfin, au point du jour, je me rendis chez moi.</p>
+<p>Mon peuple me reçut et reconnut son roi.</p>
+<p>Je fus un peu malade après cette aventure:</p>
+<p>L'estomac, tout farci de foin et de verdure,</p>
+<p>Me donna des hoquets et des indigestions;</p>
+<p>Il fallut recourir aux évacuations.</p>
+<p>Mon premier médecin m'ordonna la rhubarbe;</p>
+<p>Le lendemain, ce fut un furieux jour de barbe.<a name="FNanchor_12" id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor">&nbsp;[12]</a></p>
+</div></div>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_12" id="Footnote_12" href="#FNanchor_12" class="label">[12]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_34_note_12">note 12</a></p></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_35"> 35</a></span></p>
+
+<h3>III</h3>
+
+<p>Le <em>Club holbachique</em> s'était proposé d'achever
+de rendre fou le curé de Montchauvet, s'il y
+manquait quelque chose. Ils y réussirent; car,
+l'année suivante, le curé revint à Paris et n'hésita
+pas un seul instant à soumettre aux encyclopédistes
+la nouvelle pièce qu'il avait rimaillée
+au fond de son village. C'était la tragédie de
+<em>Baltazard</em>, dans laquelle, pendant quatre mortels
+actes, il s'agit de savoir,&mdash;selon la fameuse
+théorie inventée par l'abbé Le Petit,&mdash;si le roi
+soupera ou s'il ne soupera pas.</p>
+
+<p>On voit d'abord paraître les deux mages,
+Hyrcan et Arbate. Baltazard vient d'être vaincu.
+Sans aucun doute, la défaite du roi les affecte
+profondément; mais ce qui les tourmente par-dessus
+tout, c'est la crainte de ne pas souper.</p>
+
+<p>Pendant qu'ils délibèrent, sans rire, sur cette
+grave question, survient Aristée, femme du roi
+et fille d'Abradate, roi de la Susiane; elle vient
+(elle ne s'en cache pas) pour faire un monologue;
+<span class="pagenum"><a id="Page_36"> 36</a></span>
+mais comme la présence des deux mages
+la gêne: «Éloignez-vous...» leur dit-elle.
+Alors elle demande aux Dieux, qu'elle appelle
+«puissants moteurs», de lui rendre compte
+de l'indigne sort de son époux: «Que vais-je
+devenir?» s'écrie-t-elle:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Où fuir et dans quels lieux, quelle obscure contrée,</p>
+<p>Dérober aux humains une reine éplorée?</p>
+</div></div>
+
+<p>Mais, tout bien réfléchi, elle ne veut pas se risquer</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p class="i11"> Chez un peuple farouche,</p>
+<p>Sans espoir d'y fléchir des c&oelig;urs que rien ne touche.</p>
+</div></div>
+
+<p>Mieux vaut aller trouver Baltazard et périr avec
+lui. Baltazard lui épargne cette peine. Il vient,</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p class="i9"> Non pas brillant de gloire,</p>
+<p>Et tel qu'à son départ il vantait sa victoire...</p>
+</div></div>
+
+<p>Il est vaincu, mais il n'est pas découragé. A
+l'entendre faire le récit de la bataille qu'il a
+perdue, on croirait presque qu'il l'a gagnée:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Je m'avance à grands pas dans le sein de la gloire;</p>
+<p>Tout nage dans le sang; une grêle de dards</p>
+<p>Fait du jour une nuit; ce n'est de toutes parts</p>
+<p>Qu'un spectacle effrayant d'hommes qui s'embarrassent,</p>
+<p>De chevaux renversés, de chars qui se fracassent.</p>
+</div></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_37"> 37</a></span>
+Qu'allez-vous faire? lui demande Aristée.
+Tâchez de fléchir notre vainqueur:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>S'il en est temps encor, proposez-lui la paix,</p>
+<p>Et cherchez dans lui-même un ami pour jamais.</p>
+</div></div>
+
+<p>Non, répond Baltazard, je veux souper, et</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Dans ces vases sacrés qu'à Sion on regrette</p>
+<p>J'éteindrai mes chagrins, ma honte et ma défaite;</p>
+<p>Et, dût vomir le Juif mille imprécations,</p>
+<p>Je les ferai servir à mes libations.</p>
+</div></div>
+
+<p>Cette impiété donne le frisson à la reine.&mdash;Ne
+soupez pas, seigneur, lui dit elle, ou du
+moins ne soupez que si les mages l'ordonnent.</p>
+
+<p>Baltazard est bien contrarié de voir que
+l'<em>indifférence</em> de la reine</p>
+
+<p class="quote">Refuse à ses malheurs la moindre déférence.</p>
+
+<p>Mais enfin il cède: il consultera les devins.
+Hyrcan et Arbate accourent. <em>Secourez-moi</em>,
+leur crie Baltazard du plus loin qu'il les voit.
+Dois-je souper ou ne pas souper? Et il a soin
+d'ajouter, afin de leur dicter leur réponse:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Parlez, et, consolant mon esprit agité,</p>
+<p>Songez qu'un jour si beau flatte ma volonté</p>
+</div></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_38"> 38</a></span>
+Les mages ont compris: <em>Seigneur, il faut
+souper</em>. Telle est leur réponse. Mais l'allégresse
+du roi est de courte durée. Survient Nitocris,
+sa mère, qui ne veut pas qu'on soupe.</p>
+
+<p>&mdash;Y songez-vous, lui dit-elle,</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Insensible à l'État, votre c&oelig;ur le néglige,</p>
+<p>Et vous n'allez au temple, où rien ne vous oblige,</p>
+<p>Que pour sacrifier, au gré de vos désirs,</p>
+<p>Moins à l'amour des dieux qu'à l'attrait des plaisirs,</p>
+<p>Occupé d'une fête, où, parmi la crapule,</p>
+<p>La nuit ne connaîtra ni remords ni scrupule!</p>
+</div></div>
+
+<p>Le roi n'écoute pas. Bien décidé à souper, il
+s'en va et laisse sa mère exhaler sa douleur
+dans un monologue. Il pousse l'audace encore
+plus loin: il dépêche vers elle les deux mages,
+qui la prient respectueusement de venir souper.
+Nitocris, comme on le pense bien, refuse énergiquement.
+Baltazard, ennuyé, vient la chercher
+lui-même.</p>
+
+<p>Nitocris et son fils s'accablent mutuellement
+de reproches:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>A quoi bon (dit Baltazard) m'opposer ce beau titre de mère</p>
+<p>S'il ne devient pour moi qu'une loi trop amère,</p>
+<p>Si vous me refusez jusqu'à de saints plaisirs,</p>
+<span class="pagenum"><a id="Page_39"> 39</a></span>
+<p>Et ne me rappelez que peines et soupirs?...</p>
+<p>Ah! comment osez-vous, après ce caractère,</p>
+<p>Me nommer votre fils et vous dire ma mère?</p>
+<p>&mdash;Ingrat! (répond Nitocris) puis-je oublier l'excès de cet amour</p>
+<p>Qui, quoi que vous disiez, vous mérita le jour?</p>
+<p>Et pouvois-je empêcher que le ciel vous fît naître</p>
+<p>Dans le sein qu'il choisit pour vous procurer l'être?</p>
+<p>Mais si vous le devez, ce jour, à Nitocris,</p>
+<p>Montrez donc désormais que vous êtes son fils;</p>
+<p>Commencez à briser cette chaîne fatale</p>
+<p>Dont vous chérissez tant le poids qui vous ravale,</p>
+<p>Ce joug empoisonné, que d'indignes flatteurs</p>
+<p>Savent, pour vous séduire, orner de tant de fleurs...</p>
+</div></div>
+
+<p>L'hypocrite Baltazard feint de se rendre aux
+conseils de sa mère:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Je vais joindre Cyrus (lui dit-il) et, sans le moindre effroi,</p>
+<p>Lui montrer que je sais vaincre et mourir en roi.</p>
+</div></div>
+
+<p>A peine Nitocris a-t-elle le dos tourné:
+«Allons souper», s'écrie-t-il.</p>
+
+<p>Ainsi finit le troisième acte. Le quatrième
+s'ouvre par un monologue. Baltazard a changé
+d'idée: il ne soupera pas; il ne veut pas que
+sa mère regrette</p>
+
+<p class="quote">De n'avoir enfanté qu'un fils pusillanime.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_40"> 40</a></span>
+Mais il a compté sans les mages, Hyrcan et
+Arbate, qui viennent le relancer jusque dans
+son palais. Il se sent faiblir: aussi, pour se
+donner du courage, il se dit à lui-même:</p>
+
+<p class="quote">..... Soutiens-toi, Baltazard!</p>
+
+<p>Les mages sont les plus forts: ils n'ont qu'à
+faire un signe, le tonnerre gronde, et le pauvre
+roi ne sait où se cacher:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Qu'entends-je, malheureux! Quelle indignation!</p>
+<p>Ah! mages, détournez votre imprécation!</p>
+<p>Un feu secret et prompt, qui déjà me dévore,</p>
+<p>Me prouve que le ciel ordonne qu'on l'honore.</p>
+<p>C'en est fait. Je me rends et n'écoute que lui,</p>
+<p>Heureux si sa bonté me secoure (<em>sic</em>) aujourd'hui!</p>
+<p>Allez donc, qu'au banquet toute ma cour s'empresse</p>
+<p>De noyer pour jamais son deuil et sa tristesse!</p>
+</div></div>
+
+<p>On soupera donc, enfin! La table du festin
+est dressée: on la couvre des coupes sacrées du
+temple de Jérusalem.</p>
+
+<p>Au moment où Baltazard demande à boire
+aux mages, Nitocris se présente et reproche à
+son fils de <em>perdre le sentiment</em>. (L'auteur voulait
+sans aucun doute dire <em>le sens</em>.)</p>
+
+<p>Baltazard daigne à peine répondre:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<div><span class="pagenum"><a id="Page_41"> 41</a></span></div>
+<p>Madame, jusqu'à quand votre importune voix!...</p>
+<p>Donnez, mages, donnez; c'est trop me faire attendre.</p>
+</div></div>
+
+<p>Mais à peine les mages ont-ils présenté la
+coupe au roi, qu'on voit une main écrire sur la
+muraille les fameux mots: <span class="smcap">Mané</span>, <span class="smcap">Thécel</span>,
+<span class="smcap">Pharès</span>.</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Que vois-je, mes amis (s'écrie Baltazard), et quel spectre nouveau</p>
+<p>Crayonne sur ces murs un effrayant tableau?</p>
+<p>Voyez-vous, comme moi, cette main qui nous trace</p>
+<p>Certains mots, où mon sang dans mes veines se glace?</p>
+<p>Ma coupe malgré moi s'échappe de mes doigts,</p>
+<p>Et je sens peu à peu se dérober ma voix.</p>
+<p>Mes yeux sont chancelants; mes genoux s'entrechoquent,</p>
+<p>Et toutes les horreurs à la fois me suffoquent.</p>
+</div></div>
+
+<p>Inutile d'ajouter que Baltazard est vaincu de
+nouveau et tué par Cyrus. Mais ce qu'il faut
+dire (car on ne s'en douterait guère), c'est que
+Cyrus, à peine entré dans Babylone, fait une
+déclaration des plus galantes à la reine Aristée.
+Celle-ci, comme on le pense bien, est furieuse:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Dois-je donc respecter (lui dit-elle) un bras qui n'a servi</p>
+<p>Qu'à renverser un roi qu'il a trop poursuivi?</p>
+<div><span class="pagenum"><a id="Page_42"> 42</a></span></div>
+<p>Taire tant de forfaits qu'un tyran autorise,</p>
+<p>Et briser un pinceau qui te caractérise?</p>
+<p>Barbare! je ne puis assez t'humilier!</p>
+</div></div>
+
+<p>Cyrus n'est pas très flatté de ces dédains;
+car, si on l'en croit, sans Aristée, le trône où il
+monte n'est plus</p>
+
+<p class="quote">...... qu'un redoutable ennui.</p>
+
+<p>Mais il n'est pas au bout de ses peines. Nitocris
+vient lui reprocher la mort de son fils, et se
+tue presque sous ses yeux. Aristée veut en faire
+autant. Cyrus l'arrête. «Laisse-moi mourir,»
+lui crie-t-elle:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>..... Accorde au moins cette grâce dernière</p>
+<p>Au reste infortuné d'une famille entière</p>
+</div></div>
+
+<p>Cyrus tient bon, l'empêche de s'<em>occire</em>, et
+met fin à la tragédie par ces vers mémorables,
+mais bien peu en situation, puisque Nitocris
+est morte:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Secourons Nitocris, et demandons aux dieux</p>
+<p>Qu'ils fassent de ce jour un jour moins odieux!</p>
+</div></div>
+
+<p>Il est fâcheux que Grimm ne nous ait pas
+noté les divers incidents auxquels a dû donner
+lieu la lecture de ce chef-d'&oelig;uvre. Il se contente
+<span class="pagenum"><a id="Page_43"> 43</a></span>
+de dire: «Le curé nous a tenu parole; il est
+revenu avec une seconde tragédie, intitulée
+<cite>Baltazard</cite>, tout aussi bonne que la première. Je
+crois qu'il n'a pas pu trouver d'imprimeur.
+Mais il est reparti pour sa cure un peu plus
+content de nous.»</p>
+
+<p>Dans la préface de <cite>Baltazard</cite>, le curé de
+Montchauvet nous en dira plus long: «Le
+peu de succès de ma première pièce m'avoit
+presque déterminé à n'en pas entreprendre une
+seconde. Cependant, je pensois que si Racine
+avoit été découragé par la médiocrité des <em>Frères
+ennemis</em>, nous n'aurions jamais eu ni <em>Yphigénie</em>
+(<em>sic</em>), ni <cite>Phèdre</cite>; et je repris la plume que la
+critique m'avoit presque fait tomber des mains.
+Je composai donc mon <cite>Baltazard</cite> après ma <cite>Bethsabée</cite>,
+à qui je donnai un frère, comme M. de
+Boissy l'a dit également du <em>Méchant</em> de M. Gresset.
+J'apportai à Paris cette seconde production
+de ma verve échauffée et de mon génie irrité
+par les difficultés, bien résolu de la sacrifier, si
+je ne me trouvois pas autant au-dessus de moi-même
+que je le désirois, et que Racine et Corneille
+s'étoient montrés supérieurs à eux-mêmes,
+à mesure qu'ils se familiarisoient davantage
+<span class="pagenum"><a id="Page_44"> 44</a></span>
+avec le génie dramatique. Il ne s'agissoit plus
+que de rencontrer des juges équitables qui
+m'éclairassent ou sur ma médiocrité ou sur
+mes progrès. Mais où trouver ces juges équitables
+dans une ville fausse comme celle-ci, où
+l'on semble prendre à tâche de décourager ceux
+qui donnent quelque espérance? Heureusement,
+un homme distingué par sa naissance, son
+goût, sa probité, et surtout par l'accueil qu'il
+daigne faire aux talents naissants, s'offrit à rassembler
+chez lui cinq ou six des meilleurs
+esprits, qui la jugeroient avec la dernière sévérité,
+et qui m'apprendroient par le jugement
+qu'ils en porteroient, celui que j'en devois
+porter moi-même. L'avouerai-je? L'examen fut
+sanglant, et je laissai mes critiques bien convaincus
+qu'ils avoient rempli le projet, que
+peut-être ils avoient formé, de me ramener à
+des fonctions que je reconnaîtrai sans peine avec
+eux très supérieures à l'occupation d'un poète,
+ce poète fût-il plus grand que Racine et Corneille.
+Mais je réfléchis sur leurs observations;
+je vis bientôt qu'il n'y avoit aucune pièce au
+monde sur laquelle on n'en pût faire d'aussi solides;
+et je parvins à me démontrer évidemment
+<span class="pagenum"><a id="Page_45"> 45</a></span>
+que ma seconde tentative dramatique
+m'avoit beaucoup mieux réussi que je n'aurois
+osé le penser, sans le <em>suffrage</em> de tous mes
+censeurs. Je dis le <em>suffrage</em>, car ce fut le véritable
+jour sous lequel je ne tardai pas à voir leur critique.
+Je me dis à moi-même: Comment!
+Voilà donc à quoi se réduit tout ce que les
+hommes de Paris, qui passent pour avoir le
+plus d'esprit, trouvent de répréhensible dans
+mon ouvrage? En vérité, il faut qu'il soit mieux
+que bien: je ne risque donc rien à le publier;
+et j'eus tout l'empressement que donne l'espoir
+du succès, de le porter à mon imprimeur. C'est
+donc à ces Messieurs plutôt encore qu'à moi
+que le lecteur en doit la publicité... J'en vais
+méditer une troisième. Je suis jeune, j'ai du
+courage, et pour peu que je m'élève à chaque
+essort (<em>sic</em>) que je prendrai, j'espère me voir
+enfin à une hauteur suffisante pour contenter la
+vanité d'un auteur qui n'en a pas beaucoup.
+Ainsi soit-il!»</p>
+
+<hr class="tb" />
+
+<p>Quoi qu'en dise Grimm, le curé de Montchauvet
+trouva, nous le voyons, un imprimeur.
+Sa pièce parut sous ce titre: <span class="smcap">Baltazar</span>, <em>tragédie</em>,
+<span class="pagenum"><a id="Page_46"> 46</a></span>
+<em>par M. l'abbé ***</em>. <em>Prix vingt-quatre sols</em>, 1755
+[sans lieu ni nom d'imprimeur].</p>
+
+<p>En lisant ce titre, on éprouve une certaine
+surprise. On se rappelle que la tragédie de <cite>Bethsabée</cite>
+se vendait (quand elle se vendait!) <em>trente-six
+sous</em>. Puisque le curé de Montchauvet trouve la
+tragédie de <cite>Baltazard</cite> supérieure à celle de
+<cite>Bethsabée</cite>, comment se fait-il qu'il ne l'estime
+que <em>vingt-quatre sous</em>?</p>
+
+<p>La troisième tragédie annoncée ne parut pas.
+L'abbé Le Petit s'en tint à ses deux chefs-d'&oelig;uvre,
+et il fit bien<a name="FNanchor_13" id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor">&nbsp;[13]</a>.</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_13" id="Footnote_13" href="#FNanchor_13" class="label">[13]</a> Voir à l'<em>Appendice</em>. <a href="#Page_46_note_13">note 13</a></p></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_47"> 47</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<h2><a name="APPENDICE" id="APPENDICE"></a>APPENDICE.</h2>
+</div>
+
+<p><a name="Page_3_note_1" id="Page_3_note_1"></a><i>Page 3, note 1.</i></p>
+
+<p>Si invraisemblable que puisse paraître cette mystification
+littéraire, je dois dire que je n'ai rien inventé: je me suis
+contenté de suivre,&mdash;en l'arrangeant un peu,&mdash;le récit
+que nous en ont laissé Grimm (<cite>Correspondance litt. philosoph.
+et crit.</cite>, lettres du 1<sup>er</sup> mars, du 1<sup>er</sup> août et du 15 septembre
+1755), et Fréron (<cite>Année litt.</cite> 1754, tome IV,
+p. 307, et 1755, tome VIII, p. 342).</p>
+
+<p><a name="Page_3_note_2" id="Page_3_note_2"></a><i>Page 3, note 2.</i></p>
+
+<p>Montchauvet, aujourd'hui dans l'arrondissement de
+Vire, canton de Bény-Bocage (Calvados).</p>
+
+<p><a name="Page_4_note_3" id="Page_4_note_3"></a><i>Page 4, note 3.</i></p>
+
+<p>Le curé de Montchauvet, la victime de Diderot et de
+ses amis, se nommait, non pas Petit, comme l'appelle
+Grimm, mais Le Petit. Grâce à l'obligeance de M. Lair,
+instituteur à Montchauvet, qui a bien voulu me communiquer
+les vieux registres conservés dans les archives de
+la mairie, j'ai pu constater que l'abbé Le Petit (Jean-Baptiste)
+a dû arriver à Montchauvet au mois d'avril 1751.
+Le premier acte signé de lui, comme successeur du curé
+<span class="pagenum"><a id="Page_48"> 48</a></span>
+Moussard, est du 14 avril 1751. Deux fois seulement
+(14 août et 15 septembre 1752), l'abbé Le Petit, assez
+souvent appelé dans le corps des actes (baptêmes, mariages
+ou inhumations), Le Petit Dequesnay ou de
+Quesnay, a signé Le Petit Dequesnay. Partout ailleurs il
+signe tout simplement Le Petit.</p>
+
+<p>Le dernier acte, non pas écrit, mais signé par le curé
+Le Petit, d'une écriture tremblée, est un baptême en date
+du 30 mai 1786.</p>
+
+<p>Devenu infirme, sans doute, il fut remplacé, de son
+vivant, par son vicaire Lemarchand<a name="FNanchor_14" id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor">&nbsp;[14]</a>. L'abbé Le Petit
+mourut le 16 décembre 1788. Voici l'acte d'inhumation
+du pauvre poète:</p>
+
+<div class="blockquote">
+<p>«Le dix-sept décembre 1788 a été par moi curé de
+Montami soussigné inhumé dans le cimetière de Montchauvet
+le corps de maistre Jean-Baptiste Le Petit ancien
+curé de Montchauvet décédé d'hier âgé d'environ soixante-huit
+ans présence de M<sup>rs</sup> le curé et vicaire actuels.</p>
+
+<p>(Ont signé) Lemarchand [curé], Jouenne [vicaire] et
+G. Liot [curé de Montamy].</p>
+</div>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_14" id="Footnote_14" href="#FNanchor_14" class="label">[14]</a> A partir du 30 mai 1786, les actes sont signés par Jouenne ou Le
+Marchand, vicaires. Le premier acte que nous ayons trouvé, signé par Le
+Marchand, <em>curé</em>, est du 9 janvier 1788; mais nous devons ajouter que le
+registre de 1787 manque aux archives de Montchauvet.</p></div>
+
+<p>Jean-Baptiste Le Petit, âgé de 68 ans environ, quand
+il mourut en 1788, a donc dû naître (où ??) vers 1720.
+Il avait trente quatre ans lorsqu'il sentit s'éveiller son
+génie poétique et qu'il vint lire, pour son malheur, à
+Diderot et à ses amis, l'«immortelle» tragédie de <cite>David
+et Bethsabée</cite>.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_49"> 49</a></span>
+D'après les signatures des vicaires Tourgis ou Duhamel,
+que nous avons relevées au bas des actes des registres
+paroissiaux de Montchauvet, et qui constatent l'absence
+du curé, l'abbé Le Petit dut quitter ses sauvages bruyères
+pour aller à Paris, vers la fin d'août 1753, et ne rentrer
+dans son village qu'au mois d'avril 1754. Ces dates concordent
+bien avec celles que donnent les lettres de Grimm.</p>
+
+<p>Le fait le plus saillant de la vie du curé de Montchauvet
+est assurément sa lecture chez le baron d'Holbach;
+mais je dois aussi rappeler qu'il eut à soutenir un long
+procès contre Jacques-François Mercier, prieur commendataire
+du prieuré royal du Plessis-Grimoult, chanoine de
+la Sainte-Chapelle du Palais à Paris<a name="FNanchor_15" id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor">&nbsp;[15]</a>. Ce procès, qui
+dura au moins dix ans, fut gagné par le curé Le Petit,
+non seulement devant le bailliage de Vire (3 juillet 1762),
+mais encore devant le Parlement de Normandie (19 juin
+1771). Le curé de Montchauvet réclamait contre le prieur
+du Plessis-Grimoult «le tiers des dîmes de la paroisse et
+la qualité de curé, au lieu de celle de vicaire perpétuel,
+la seule qu'on voulût lui reconnaître.» Détail intéressant
+et qui a été relevé par M. Ch. de Beaurepaire, le savant
+archiviste de la Seine-Inférieure<a name="FNanchor_16" id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor">&nbsp;[16]</a>, l'arrêt du Parlement
+de Normandie qui termine le procès intenté par l'abbé
+Le Petit au prieur du Plessis-Grimoult, nous apprend
+qu'en une semblable circonstance, Bossuet, le grand
+Bossuet, «malgré le droit de <i lang="la" xml:lang="la">committimus</i> dont il avait
+<span class="pagenum"><a id="Page_50"> 50</a></span>
+usé, malgré le recours à des juges certainement prévenus
+en sa faveur», avait succombé, d'abord au bailliage de
+Vire, en second lieu et définitivement aux Requêtes du
+Palais à Paris, dans sa contestation avec Mathieu Roger,
+curé de Montchauvet, un des prédécesseurs du curé Le
+Petit.</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_15" id="Footnote_15" href="#FNanchor_15" class="label">[15]</a> La cure de Montchauvet dépendait du Prieuré du Plessis-Grimoult.</p></div>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_16" id="Footnote_16" href="#FNanchor_16" class="label">[16]</a> <cite>Bulletin historique et philologique</cite>, 1896. «Procès entre Bossuet, prieur
+du Plessis-Grimoult, et le curé de Montchauvet en Normandie, en 1674.»</p></div>
+
+<p><a name="Page_4_note_4" id="Page_4_note_4"></a><i>Page 4, note 4.</i></p>
+
+<p>J'ajouterai «et le prieur du Plessis-Grimoult», car
+Montchauvet était une des 39 cures (ou bénéfices) qui
+dépendaient de ce prieuré.&mdash;Voir notre étude sur <cite>Bossuet
+en Normandie</cite>, p. 43.</p>
+
+<p><a name="Page_5_note_5" id="Page_5_note_5"></a><i>Page 5, note 5.</i></p>
+
+<p>L'abbé Gilles Basset des Rosiers enseigna la philosophie
+au collège d'Harcourt (aujourd'hui lycée St-Louis)
+vers 1750. Il devint recteur de l'Université en 1779.
+C'était un homme aimable, instruit, en relation avec les
+écrivains les plus renommés. (Voir <span class="smcap">Bouquet</span>, <cite>L'ancien
+collège d'Harcourt et le lycée Saint-Louis</cite>, p. 414.)</p>
+
+<p><a name="Page_10_note_6" id="Page_10_note_6"></a><i>Page 10, note 6.</i></p>
+
+<p>Grimm n'assistait pas à cette mémorable séance; sa
+chaise de poste s'étant brisée à Soissons, il ne put arriver
+à Paris que le lundi de carnaval. «C'est ce contre-temps,
+nous dit-il, qui m'attira l'honneur d'être l'historien du
+curé de Montchauvet.»</p>
+
+<p><a name="Page_13_note_7" id="Page_13_note_7"></a><i>Page 13, note 7.</i></p>
+
+<p>M. de la Condamine est bien connu par ses voyages
+scientifiques et par ses <cite>Mémoires sur l'inoculation de la
+petite vérole</cite>.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_51"> 51</a></span>
+Sa surdité donna lieu, lorsqu'il fut reçu à l'Académie
+française (1760) au quatrain suivant. (On dit même
+qu'il en est l'auteur).</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>La Condamine est aujourd'hui</p>
+<p>Reçu dans la troupe immortelle:</p>
+<p>Il est bien sourd, tant mieux pour lui,</p>
+<p>Mais non muet, tant pis pour elle.</p>
+</div></div>
+
+<p>Trois ans auparavant (1757),&mdash;n'étant plus de la première
+jeunesse, puisqu'il était né en 1701,&mdash;il épousa
+sa nièce. Le madrigal qu'il fit à sa jeune femme, pendant
+la première nuit de ses noces, fit beaucoup d'honneur à
+son esprit:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>D'Aurore et de Titon vous connaissez l'histoire.</p>
+<p>Notre hymen en retrace aujourd'hui la mémoire;</p>
+<p>Mais Titon de mon sort pourrait être jaloux.</p>
+<p class="i1"> Que ses liens sont différents des nôtres!</p>
+<p>L'Aurore entre ses bras vit vieillir son époux,</p>
+<p class="i1"> Et je rajeunis dans les vôtres.</p>
+</div></div>
+
+<p>Après avoir lu ce joli madrigal, M. de Luxemont,
+secrétaire des commandements de M. le comte de Charolais,
+envoya le huitain suivant à M. de la Condamine:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>D'Aurore et de Titon nous connaissons l'histoire.</p>
+<p>L'infortuné vieillit où vous rajeunissez.</p>
+<p>Vous le dites du moins, et pour nous c'est assez:</p>
+<p>Véridique et modeste, il faut bien vous en croire;</p>
+<p>Mais lorsque de l'Amour, dans le lit nuptial,</p>
+<p>Vous empruntez la voix pour peindre sa puissance,</p>
+<p>Ne peut-on soupçonner, sans vous faire une offense,</p>
+<p>Qu'il n'y fit rien de mieux que votre madrigal?</p>
+</div></div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_52"> 52</a></span>
+Piqué au jeu, M. de la Condamine répondit:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Mon madrigal fut donc, à ce que vous pensez,</p>
+<p>La nuit de mon hymen, ma plus grande prouesse?</p>
+<p>Monsieur, sont-ce mes vers que vous applaudissez,</p>
+<p> Ou pensez-vous déplorer ma faiblesse?</p>
+<p>Hélas! dans mon printemps, pour tribut conjugal,</p>
+<p> J'eusse achevé ma neuvaine à Cythère.</p>
+<p>Aujourd'hui, moins fervent, pour me tirer d'affaire,</p>
+<p>J'en remplis les deux tiers avec un madrigal.</p>
+</div></div>
+
+<p>M. de Luxemont répliqua à son tour:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p class="i2"> Ce sont vos vers que j'applaudis,</p>
+<p class="i2"> Sans déplorer votre faiblesse;</p>
+<p class="i2"> L'Amour n'en est pas moins surpris</p>
+<p class="i2"> Que l'objet de votre tendresse</p>
+<p class="i2"> (Dont lui-même serait épris)</p>
+<p>Ne vous ait pas rendu tel qu'en votre jeunesse.</p>
+<p>Toutefois, n'en déplaise au dieu de l'Hélicon,</p>
+<p class="i2"> Seul garant de cette neuvaine</p>
+<p>Que commencent souvent, que finissent à peine</p>
+<p class="i2"> Les vrais élus de Cupidon,</p>
+<p>Tout homme sur ce point, dit le bon La Fontaine,</p>
+<p class="i2"> Est d'ordinaire un peu gascon;</p>
+<p class="i2"> Et l'on croit qu'il avait raison.</p>
+<p>Mais pour n'être jamais contredit de personne,</p>
+<p>Rimez toujours, rimez: vos vers vainqueurs du Temps,</p>
+<p>Prouvent qu'en vos pareils les fruits de leur automne</p>
+<p>Conservent la saveur de ceux de leur printemps.</p>
+</div></div>
+
+<p>Si l'abbé Basset a envoyé ces agréables jeux d'esprit au
+curé de Montchauvet, l'auteur de <cite>Baltazar</cite> a dû se dire:
+«Je comprends que ce M. de la Condamine n'ait pas
+voulu écouter mes vers; ce n'est pas un poète sérieux.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_53"> 53</a></span>
+<a name="Page_17_note_8" id="Page_17_note_8"></a><i>Page 17, note 8.</i></p>
+
+<p>Le curé tint compte de l'observation. On lit (acte III,
+sc. 3):</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Le temps vous vengera des soupirs <em>superflus</em>,</p>
+<p>Et je sçauray moi-même enfin n'y songer plus.</p>
+</div></div>
+
+<p><a name="Page_21_note_9" id="Page_21_note_9"></a><i>Page 21, note 9.</i></p>
+
+<p>C'est l'année suivante (dans l'<cite>Orphelin de la Chine</cite>, de
+Voltaire) que M<sup>lle</sup> Clairon et les artistes du Théâtre
+Français renoncèrent à jouer avec paniers.</p>
+
+<p>C'est aussi à cette date (1755) que le marquis de
+Ximenès se brouilla avec M<sup>lle</sup> Clairon. La grande actrice
+lui redemanda son portrait, et le marquis eut le mauvais
+goût de le lui renvoyer, avec ce quatrain... cruel:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Tout s'use, tout périt; tu le prouves, Clairon.</p>
+<p class="i1"> Ce pastel, dont tu m'as fait don,</p>
+<p class="i1"> Du temps a ressenti l'outrage:</p>
+<p class="i1"> Il t'en ressemble davantage.</p>
+</div></div>
+
+<p><a name="Page_29_note_10" id="Page_29_note_10"></a><i>Page 29, note 10.</i></p>
+
+<p>Le curé de Montchauvet n'est pas difficile. Sa tragédie
+est très mal imprimée; il y a deux grandes pages de
+<em>fautes à corriger</em>.</p>
+
+<p><a name="Page_29_note_11" id="Page_29_note_11"></a><i>Page 29, note 11.</i></p>
+
+<p>M. et M<sup>me</sup> Fréron ne furent guère sensibles à cette
+générosité, car dans l'<cite>Année littéraire</cite> de 1754 (tome IV),
+le curé et sa tragédie sont arrangés de la belle façon.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_54"> 54</a></span>
+<a name="Page_34_note_12" id="Page_34_note_12"></a><i>Page 34, note 12.</i></p>
+
+<p>M. de Margency ne faisait pas que des vers burlesques.
+Voici une chanson, citée par Grimm (15 novembre 1757),
+qui nous prouve qu'il avait, quand il le voulait, l'esprit
+aussi ingénieux que délicat.</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>J'entends dans ces forêts</p>
+<p>Gémir la tourterelle;</p>
+<p>Hélas! si je voulais,</p>
+<p>Je me plaindrais comme elle.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Notre sort est égal;</p>
+<p>L'amour seul fait sa peine:</p>
+<p>Chez moi c'est même mal,</p>
+<p>L'amour cause la mienne.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Ce qui fait nos douleurs,</p>
+<p>Ce n'est pas l'inconstance;</p>
+<p>Mais l'on verse des pleurs</p>
+<p>De même pour l'absence.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Un c&oelig;ur qui n'aime rien</p>
+<p>N'a point de ces alarmes,</p>
+<p>C'est pourtant un grand bien</p>
+<p>De répandre des larmes.</p>
+</div></div>
+
+<p><a name="Page_46_note_13" id="Page_46_note_13"></a><i>Page 46, note 13.</i></p>
+
+<p>Cette étude a déjà paru dans la <cite>Nouvelle Revue</cite>, 4<sup>e</sup> année,
+tome XIX, 1<sup>re</sup> livraison, 1<sup>er</sup> mars 1882, pages 117
+et suivantes.</p>
+
+<p>&mdash;Dans la première livraison de la <cite>Revue franco-américaine</cite>
+(juin 1894), Alphonse Daudet a consacré deux
+pages à l'abbé Le Petit, qu'il appelle «un raté littéraire
+au XVIII<sup>e</sup> siècle».</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_55"> 55</a></span>
+&mdash;Les deux tragédies de <cite>David et Bethsabée</cite> et de <cite>Baltazard</cite>
+sont devenues excessivement rares. J'ai pu acheter la première
+à la vente du baron Taylor.&mdash;Elles se trouvent à
+la Bibliothèque de Caen, C<sup>h</sup> 5/4. <cite>Baltazard</cite> se morfond,
+très peu lu, à la Bibliothèque de Vire. «Nul n'est prophète
+en son pays.»</p>
+
+<hr class="tb" />
+
+<p>La paroisse de Montchauvet a connu un autre curé-poète
+de la même force que l'abbé Le Petit.</p>
+
+<p>En 1828, le curé Laumonier fit paraître<a name="FNanchor_17" id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor">&nbsp;[17]</a>: <cite>L'oraison
+funèbre ou complainte sur le renversement d'un très bel if qui
+a existé dans le cimetière de Montchauvet jusqu'à l'éradication
+qui en fut faite le 12 janvier 1828</cite>. (Ouf, quel titre!).</p>
+
+<div><p class="i2"><a name="Footnote_17" id="Footnote_17" href="#FNanchor_17" class="label">[17]</a> A Vire, chez Adam, imprimeur du roi. L'abbé Laumonnier avait
+déguisé son nom sous l'anagramme de <span class="smcap">Numa Leroi</span>.</p></div>
+
+<p>Voici quelques couplets de cette complainte:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Ici vivait depuis mille ans,</p>
+<p>A quelques pas du sanctuaire,</p>
+<p>Athlète contre les autans,</p>
+<p>Un If,... un arbre tutélaire.</p>
+<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Il était l'arbre du pays,</p>
+<p>L'expression n'est pas outrée,</p>
+<p>Où s'assembloient le plus d'amis,</p>
+<p>D'enfans... de toute la contrée.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Il était aussi le plus beau</p>
+<p>Qui fût connu du voisinage:</p>
+<p>Là s'unissaient près du tombeau</p>
+<p>L'enfance avec le moyen âge.</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<div><span class="pagenum"><a id="Page_56"> 56</a></span></div>
+<p>Il aurait pu rester debout:</p>
+<p>C'était l'avis du commissaire...</p>
+<p>Mille ans n'auraient pas vu le bout</p>
+<p>De sa présence salutaire.</p>
+<p><i>. . . . . . . . . . . . . . . . .</i></p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>De la demeure funéraire</p>
+<p>Il était le triste ornement.</p>
+<p>Faut-il qu'un désir de déplaire</p>
+<p>Ait causé son renversement?</p>
+</div>
+<div class="stanza">
+<p>Il me servait de paravent</p>
+<p>Quand j'allais à la sacristie;</p>
+<p>Il me saluait en passant,</p>
+<p>Me protégeant à la sortie.</p>
+<p><b>. . . . . . . . . . . . . . . . .</b></p>
+</div></div>
+
+<p>«La fin couronne l'&oelig;uvre», c'est le cas de le dire:</p>
+
+<div class="poetry"><div class="stanza">
+<p>Adieu bel arbre, adieu bel If...</p>
+<p>Adieu, ton tronc, ta forte branche;</p>
+<p>En dépit de mon cri plaintif,</p>
+<p>Tu meurs la veille d'un dimanche.</p>
+</div></div>
+
+<p>«Au haut des cieux, <em>leur demeure dernière</em>», (du
+moins j'aime à le supposer), les deux curés de Montchauvet,
+Le Petit et Laumonier, doivent rimailler de
+conserve et maudire les méchants critiques, qui «tâchent
+de décourager ceux qui donnent quelque espérance».</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_57"> 57</a></span></p>
+
+<p class="end">IMPRIMERIE HENRI DELESQUES, A CAEN</p>
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's Diderot et le Curé de Montchauvet, by Armand Gasté
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DIDEROT ET LE CURÉ DE MONTCHAUVET ***
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+
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+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
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+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+
+</pre>
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