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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44807 ***
+
+ BAUDELAIRE
+
+ ET
+
+ SAINTE-BEUVE
+
+
+ _Imprimé à 235 exemplaires
+ dont
+ 10 sur papier de Hollande._
+
+
+
+
+Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le
+typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée
+et n'a pas été harmonisée.
+
+
+
+
+ FERNAND VANDÉREM
+
+ BAUDELAIRE
+
+ ET
+
+ SAINTE-BEUVE
+
+ _NOUVELLE ÉDITION_
+
+ AUGMENTÉE DE NOTES ET D'UN CHAPITRE INÉDIT
+
+ [Illustration: logo]
+
+ PARIS
+ LIBRAIRIE HENRI LECLERC
+
+ 219, RUE SAINT-HONORÉ, 219
+ et 16, rue d'Alger.
+
+ 1917
+
+
+
+
+[Illustration: ornement début de page]
+
+
+Cette étude, publiée d'abord dans le _Temps Présent_, a paru en 1914
+sous forme d'une brochure à tirage restreint et depuis longtemps
+épuisé.
+
+Il m'a semblé que le cinquantenaire de Baudelaire pouvait prêter
+quelque intérêt à une réédition.
+
+Je n'ai rien changé au texte primitif, que j'ai seulement complété par
+des notes indiquant les sources des textes invoqués et quelques
+particularités nouvelles.
+
+J'y ai joint en outre un appendice où j'ai tenté de mieux élucider
+les sentiments de Baudelaire pour Sainte-Beuve.
+
+On aura ainsi, avec toutes références utiles, un résumé des relations
+entre le grand poëte et l'illustre critique.
+
+[Illustration: ornement fin de page]
+
+
+
+
+BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE
+
+
+
+
+I
+
+
+Les relations de Baudelaire et de Sainte-Beuve prêteraient à un
+curieux chapitre d'histoire littéraire, dont j'offre ici un aperçu.
+
+Les sentiments de Baudelaire envers certains de ses contemporains,
+comme les sentiments qu'il leur inspirait, présentent parfois des
+contradictions. Ainsi, extérieurement, qui douterait de son culte pour
+Gautier et de l'estime où Gautier le tenait? Cependant on a retrouvé
+un article de Baudelaire où il traitait Gautier en poète verbal, en
+enfileur de phrases[1], et, d'autre part, Maxime du Camp nous conte
+que, dans l'intimité, Gautier prédisait à Baudelaire la faillite
+finale d'un Pétrus Borel[2].
+
+Entre Baudelaire et Sainte-Beuve, pas trace de ces fluctuations. De
+son extrême jeunesse à sa mort, Baudelaire ne cessa de ressentir et de
+marquer pour Sainte-Beuve son admiration. C'est à Sainte-Beuve qu'en
+1844 il adresse respectueusement une de ses premières poésies de
+collège[3]. Et en 1866, à quelques mois de la paralysie générale, une
+de ses dernières lettres ne sera qu'un long panégyrique des poésies de
+Sainte-Beuve[4].
+
+Les _Consolations_, _Joseph Delorme_, les _Pensées d'Août_, partout il
+trouve à louer et à s'enflammer. Notamment les _Rayons Jaunes_ (ce
+poème parti d'une impression heureuse, mais développé d'une façon si
+méthodique et si dénuée d'ingénuité) lui semblaient un chef-d'œuvre
+dont il ne se lassait pas de redire les beautés. Baudelaire a subi là
+une emprise de jeunesse dont il ne devait plus se défaire.
+
+On s'étonnera chez lui d'une admiration si constante pour un poète qui
+lui était si sensiblement inférieur, tant par l'inspiration et par la
+forme que par l'originalité. Et on pourrait être tenté d'y voir, sinon
+une flagornerie envers le critique tout-puissant, du moins la
+gratitude d'un obligé. Mais les faits s'opposent à cette hypothèse.
+Car Sainte-Beuve ne fit jamais rien pour Baudelaire, ou ce qu'il fit
+en sa faveur se réduit à l'impondérable.
+
+Feuilletez d'ailleurs cet immense Larousse que constitue l'œuvre
+critique de Sainte-Beuve. Alors que tant de poètes subalternes, tant
+d'écrivains quelconques y bénéficient de longs articles, vous n'y
+découvrez pas un seul Lundi consacré à Baudelaire. Puis contrôlez par
+la correspondance des deux écrivains et vous aurez vite établi le
+relevé de ce que Sainte-Beuve accorda à son jeune ami, à celui qu'il
+appelait paternellement «son cher enfant».
+
+1856.--Baudelaire publie sa première traduction de Poe: _Histoires
+extraordinaires_. Lui qui ne sollicitait jamais pour son compte
+n'hésita en aucun cas à quémander pour Poe. Il s'était institué le
+barnum, l'impresario de Poe, le cultivateur acharné de sa gloire en
+France. Le silence sur Poe, la moindre critique contre son œuvre,
+meurtrissait Baudelaire au plus vif[5]. Pour une insignifiante réserve
+sur le conteur américain, il faillit se brouiller avec d'Aurevilly.
+
+En 1856 donc, il écrit à Sainte-Beuve pour lui recommander le
+volume[6]. Nous avons la réponse de Sainte-Beuve. Il promet ferme un
+article. En bas, une note naïve de l'éditeur ajoute: «Cet article n'a
+jamais été fait.» Et d'un![7]
+
+1857.--Les _Nouvelles histoires extraordinaires_. Nouvelle lettre de
+Baudelaire à Sainte-Beuve[8]. Même silence de Sainte-Beuve. Et de
+deux!
+
+_Les Fleurs du Mal._ Sainte-Beuve en connaît, avoue en connaître
+plusieurs morceaux. Entre autres, il doit avoir lu les vingt pièces
+publiées dès 1855, dans la _Revue des Deux Mondes_[9]. Voici l'ouvrage
+complet. Occasion unique de lancer un jeune poète qui se détache avec
+éclat de la cohue courante, se donne et est reçu par Sainte-Beuve
+comme un disciple. Le critique s'en tient pourtant à une longue lettre
+embarrassée, où ne sont pas oubliées les _Pensées de Joseph Delorme_
+ni les _Consolations_ et où les éloges sans chaleur se mâtinent de
+gronderies vieillottes. Quant à un article, néant. Et de trois!
+
+Mais arrive le procès: Baudelaire en danger. Concédons que, critique
+officiel, Sainte-Beuve se trouve en délicate posture pour intervenir.
+Au moins pourrait-il autoriser Baudelaire à publier sa lettre dans le
+recueil d'articles adressé aux juges. Pas question. Tout juste s'il
+donnera quelques extraits de cette lettre trois ans plus tard, en
+1860[10]. Et il ne la publiera complète que neuf après, le poète mort,
+en 1869, dans un furtif appendice des _Lundis_.
+
+Il est vrai que, sous main, il glisse à Baudelaire des: «Petits moyens
+de défense.» Effectivement bien petits. «Tout était pris dans le
+domaine de la poésie. Lamartine avait pris _les cieux_. Victor Hugo
+avait pris _la terre_ (?) et plus que _la terre_ (??). Laprade avait
+pris _les forêts_. Musset avait pris _la passion_ et _l'orgie
+éblouissante_ (sic). Théophile Gautier avait pris l'Espagne (!). Ce
+que Baudelaire a pris. Il y a été comme forcé[11].»
+
+Et cela finissait par un coup de dent à Musset, dont la vogue
+torturait Sainte-Beuve--Musset dont il conseillait de souligner les
+côtés obscènes et pornographiques. Ainsi nuls risques et tout profit.
+
+Baudelaire n'en garda pas moins de ces conseils une éternelle
+reconnaissance.
+
+1858.--_Gordon Pym._ Nouvelle lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve en
+faveur de Poe[12]. Pas d'article. Et de quatre!
+
+1859.--Un petit scandale. Hippolyte Babou moins patient que Baudelaire
+a dénoncé dans un article le silence obstiné de Sainte-Beuve sur
+l'auteur des _Fleurs du Mal_, et flétri nettement les réticences
+cauteleuses du grand critique qui ne se répand en copie que sur les
+ouvrages de second ordre[13].
+
+Affolement de Baudelaire à l'idée d'être rendu responsable, quoique
+innocent. Lettre à Sainte-Beuve pour se disculper[14]. Réponse
+indignée de Sainte-Beuve, furieux de se voir dévoilé[15].
+
+«Vous ne pouvez vous faire une idée de ce que c'est que la lettre de
+Sainte-Beuve, écrit Baudelaire à Malassis. Il paraît que, depuis douze
+ans, il notait tous les signes de malveillance de Babou. _Décidément,
+voilà un vieillard passionné avec qui il ne fait pas bon se
+brouiller...[16]._»
+
+Vraisemblablement Sainte-Beuve tint toujours rancune à Baudelaire de
+cet incident. Du moins, pour se taire, le ressentiment lui fournissait
+là une espèce d'excuse.
+
+La même année, Baudelaire publiait son étude sur _Théophile Gautier_.
+Il va de soi que, selon l'usage, Sainte-Beuve n'en souffla pas mot. Et
+de cinq!
+
+1860.--_Les Paradis artificiels._ Lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve
+indiquant discrètement que M. Dalloz, directeur du journal où opère le
+critique, lui a dit: «Le livre est digne de Sainte-Beuve. Faites une
+visite à Sainte-Beuve à ce sujet.» Baudelaire ajoute: «Je n'aurais osé
+y penser. Cependant j'ai plus que jamais besoin d'être soutenu.» Le
+post-scriptum fait allusion à un morceau de pain d'épice qu'en passant
+il avait porté à Sainte-Beuve, fort gourmet[17]. Nous avons la réponse
+de Sainte-Beuve. Evasive, ajournant l'article, alléguant des arriérés,
+ne promettant rien. Par contre il daigne remercier du pain d'épice. Et
+de six![18]
+
+A la vérité, il se croyait largement quitte envers Baudelaire. Car,
+piqué quand même par l'article de Babou, comprenant la nécessité de
+rompre le silence, il s'était enfin décidé à nommer Baudelaire dans
+une _Causerie du Lundi_, en date du 20 février[19]. Il y revenait sur
+l'article de Babou, accusait son accusateur d'envie, et finalement,
+comme un chien qu'on fouette, arrivait à Baudelaire. Oh! sans se
+fouler, sans se donner grand mal, recopiant simplement entre
+guillemets des fragments de la lettre qu'il lui avait adressée en
+1857. On trouvera cette lettre à la suite des _Fleurs du Mal_ dans
+l'édition définitive. On la rapprochera de l'article que, dans le même
+temps, Barbey d'Aurevilly consacrait au livre[20]. Et on pourra
+mesurer toute la distance artistique qui sépare un Sainte-Beuve d'un
+Baudelaire, un Sainte-Beuve d'un d'Aurevilly.
+
+Pour Sainte-Beuve, Baudelaire est «un esprit fin», un talent «habile
+et curieux». Mais «Baudelaire se défie trop de la passion(?), de la
+passion naturelle(?)». Il «accorde trop à l'esprit, à la
+combinaison». «Laissez-vous faire, conseille Sainte-Beuve, ne craignez
+pas tant de sentir comme les autres, n'ayez jamais peur d'être trop
+commun.» Toutefois, il convient aimer quelques pièces dont certaines
+lui semblent dignes de l'Anthologie. Enfin «il tient compte surtout à
+Baudelaire» (comme à Bouilhet et à Soulary) «de ce qu'ils viennent
+tard, quand l'école dont ils sont a déjà tant donné et tant produit,
+quand elle est comme épuisée... Ils soutiennent avec honneur, ils
+décorent le déclin et le coucher de la Pléïade».
+
+On possède ici, presque au complet, le sentiment de Sainte-Beuve sur
+Baudelaire, la cote qu'il lui attribue: un petit poète de troisième ou
+quatrième ligne, un de ces humbles glaneurs à la suite, qui viennent
+quand les maîtres ont fauché le meilleur du champ, esprits fins,
+bizarres, distingués, mais qui ne peuvent ramasser que les épis de
+surcroît, les déchets de grande moisson, ce qui reste...
+
+Rappelez-vous plus haut les moyens de défense: «Lamartine avait pris
+les _cieux_, Hugo avait pris la _terre_... etc.»
+
+Sainte-Beuve à ce moment, comme on voit, était loin du jugement porté
+vingt ans plus tard par Banville et que la postérité ne cessera de
+confirmer:
+
+«Il faut admirer en Baudelaire un des plus grands hommes de ce temps
+et qui, si nous ne vivions pas sous le règne intellectuel de Victor
+Hugo, mériterait que nul poète contemporain ne fût mis au-dessus de
+lui. De tous les artistes modernes du vers, l'auteur des _Fleurs du
+Mal_ est le seul qui n'ait rien dû à l'auteur de la _Légende des
+siècles_. Il ne procédait ni de lui ni de personne...[21]»
+
+1861.--_Richard Wagner et Tannhaüser._ Nul article de Sainte-Beuve. Et
+de sept.
+
+_Les Fleurs du Mal_, seconde édition augmentée. Cette fois,
+Baudelaire, comme tout le public littéraire, doit attendre son tour de
+Lundi. Plus de procès à invoquer. Un recueil classé, consolidé,
+abordant presque déjà la gloire. Evidemment le père Sainte-Beuve va y
+aller de son article, donner son impression d'ensemble sur l'homme et
+sur l'œuvre. Mais non. Pas une ligne, pas un mot, pas une allusion.
+Et de huit!
+
+1862.--Un coup de tonnerre. Baudelaire, en manière de manifestation
+artistique, d'affirmation personnelle, se présente à l'Académie.
+Fâcheux contre-temps pour Sainte-Beuve qui s'apprêtait à faire
+campagne dans cette élection et à peser publiquement les titres des
+candidats[22]. Arrivé à Baudelaire, comment s'en tirer? Impossible de
+passer sous silence, ou de malmener son «jeune ami». Et d'autre part,
+pas moyen de s'associer à cette gaminerie sans nom: Baudelaire, le
+petit Baudelaire candidat! Sainte-Beuve ici n'a pas trop de toute son
+adresse, pour ne pas dire plus. Il écrit:
+
+«On s'est demandé d'abord si M. Baudelaire en se présentant voulait
+faire une niche à l'Académie et une épigramme; s'il ne prétendait
+point l'avertir par là qu'il était bien temps qu'elle songeât à
+s'adjoindre ce poète et cet écrivain si habile et si distingué dans
+tous les genres de diction, Théophile Gautier, son maître[22 _bis_].
+On a eu _à apprendre, à épeler le nom de M. Baudelaire_ à plus d'un
+membre de l'Académie qui ignorait totalement son existence. Il n'est
+pas si aisé qu'on le croirait de prouver à des Académiciens politiques
+et hommes d'État comme quoi il y a, dans les _Fleurs du Mal_, des
+pièces très remarquables vraiment pour le talent et pour l'art...; et
+qu'en somme M. Baudelaire a trouvé moyen de se bâtir, à l'extrémité
+d'une langue de terre réputée inhabitable et par delà les confins du
+romantisme connu, un kiosque bizarre, fort orné, fort tourmenté, mais
+coquet et mystérieux, où on lit de l'Edgar Poe, où l'on récite des
+vers exquis, où l'on s'enivre avec le haschich pour en raisonner
+après, où l'on prend de l'opium et mille drogues abominables dans des
+tasses d'une porcelaine achevée. Ce singulier kiosque, fait en
+marqueterie, d'une _originalité concertée_ et composite, qui, depuis
+quelque temps, attire les regards à la pointe du Kamtchatka
+romantique, j'appelle cela la folie Baudelaire. Est-ce à dire
+seulement, et quand on a tout expliqué de son mieux à de respectables
+confrères un peu étonnés, que _toutes ces curiosités, tous ces
+regards_ et ces raffinements leur semblent des titres pour
+l'_Académie_, et _l'auteur lui-même a-t-il pu sérieusement se le
+persuader_? Ce qui est certain, c'est que l'auteur gagne à être vu,
+que là où l'on s'attendait à voir entrer un homme étrange,
+excentrique, on se trouve en présence d'un candidat poli, respectueux,
+_exemplaire, d'un gentil garçon_, fin de langage et tout à fait
+classique dans les formes...»
+
+J'ai souligné quelques-uns des traits les plus protecteurs, les plus
+dédaigneux dans ce certificat de bonnes lettres et bonnes façons. Quel
+ton, en effet, pour parler de Baudelaire! Quelle différence avec les
+accents déférents d'un Barbey d'Aurevilly, d'un Asselineau, d'un
+Edouard Thierry!
+
+N'empêche que de la part de Sainte-Beuve, si gros Monsieur, juché si
+haut, un tel acte de condescendance, un tel présent de publicité
+pouvaient paraître exceptionnels. Baudelaire, évidemment, sentit plus
+l'honneur que les réserves. Il écrivit à Sainte-Beuve une lettre
+débordante de gratitude[23].
+
+Dès cet instant, il était à sa merci, suivit tous ses conseils
+académiques, n'insista plus, se désista. Sainte-Beuve le félicita de
+cette renonciation. «Quand on a lu votre dernière phrase de
+remerciement conçue en termes si modestes et si polis, on en a dit
+tout haut: _Très bien!_ Ainsi vous avez laissé de vous une bonne
+impression: n'est-ce donc rien[24]?»
+
+Baudelaire ne put nier, mais dut probablement penser que, pour ses
+candidats, Sainte-Beuve se contentait de peu.
+
+1863-1864-1865-1866.--_Eurêka_, les _Histoires grotesques et
+sérieuses_[25], des vers dans les _Poètes français_ de Crépet, des
+vers dans le _Parnasse contemporain_. Sur tout cela cherchez dans
+Sainte-Beuve: silence, silence. Une fois pour toutes avec son «jeune
+ami» il s'est mis en règle. Compte clos, crédit arrêté. Il ne parlera
+plus jamais de Baudelaire[26].
+
+Il le sait cependant aux abois, forcé par les dettes à l'exil,
+interdit de séjour, gravement malade, plus que pauvre. Sur des prières
+aussi discrètes que réitérées, il semble bien, sans que ce soit sûr,
+lui avoir donné un coup d'épaule auprès du libraire Garnier pour une
+édition complète. Mais d'articles, de citations, plus l'ombre[27].
+
+Quand Baudelaire meurt, une banale lettre de condoléances à Mme
+Aupick. C'est tout.[28]
+
+Et pourtant, j'oublie un détail. Cela se passait en 1869. Un grand
+mouvement se dessinait autour de la mémoire de Baudelaire. La
+Fizelière et Decaux avaient publié l'année précédente--hommage inconnu
+à Sainte-Beuve--une bibliographie minutieuse de l'auteur des _Fleurs
+du Mal_, où se trouvaient notés les moindres de ses poèmes, les
+moindres de ses études[29]. L'éditeur Michel Lévy, emboitant le pas,
+adoptait les vœux des amis de Baudelaire, commençait l'édition des
+œuvres complètes, tant souhaitée par le poète.
+
+Une œuvre complète à embrasser, une carrière totale à juger, le
+sujet idéal pour un _Lundi_ de Sainte-Beuve. Tout le monde sans doute
+guettait l'article, l'éditeur comme les lettrés.
+
+Mais non. Sainte-Beuve, figé dans son mutisme, ne vit là qu'un
+prétexte à réclamation personnelle. La lettre de 1857 ayant été
+publiée par Michel Lévy à la suite du premier volume, il y aperçut des
+fautes d'impression. Pour rectifier, il donna le texte authentique à
+la fin d'un tome des _Lundis_. La lettre était précédée de ces
+lignes[30]:
+
+«Le poète Baudelaire, très raffiné, très corrompu à dessein et par
+recherche d'art, _avait mis des années_ à extraire de tout sujet et de
+toute fleur un suc vénéneux et même, il faut le dire, _assez
+agréablement vénéneux_; c'était d'ailleurs un homme d'esprit _assez
+aimable à ses heures_ et très capable d'affection...»
+
+A ce maigre bouquet se réduisit sa couronne funèbre, à cette sèche
+notice l'étude définitive qu'on espérait. Même au delà de la tombe,
+Sainte-Beuve ne gâtait pas «son cher enfant».
+
+
+Comme chez beaucoup de critiques, chez Sainte-Beuve, à côté de vues
+fines et ingénieuses, abondent les bévues, les injustices, les
+incompréhensions.
+
+Toutefois, parmi les siennes, on peut distinguer trois périodes. Dans
+la première, c'est un enthousiasme sincère ou voulu qui l'abuse.
+S'improvisant le héraut de la phalange romantique, souvent les amitiés
+ou les antipathies de groupe l'entraînent trop loin dans le
+dénigrement ou dans l'éloge.
+
+Après 1835, il a pu se convaincre que, comme poète, il était à jamais
+surpassé, «gratté», par ses compagnons de lutte: Lamartine, Hugo,
+Gautier, Vigny, Musset. Dès lors, malgré lui, c'est l'envie qui
+l'égare. Une brouille avec Hugo lui épargnera le supplice de chanter
+ses louanges. Envers les autres, par contre, son envie ne se maîtrise
+plus. Elle suinte en gouttelettes amères dans ses journaux privés, ses
+remarques secrètes. Puis, au jour propice: anniversaire, réception
+académique, malheur, mort, elle déferle dans un article. Pas un de ces
+grands noms qu'elle n'ait aspergés de ses jets venimeux[A].
+
+ [A] Pour être exacts, rappelons cependant une épargnée: Mme
+ Desbordes-Valmore, dont Sainte-Beuve fut des rares à sentir et à
+ vanter, comme il fallait, le génie.
+
+Enfin, à partir de 1850, le train artistique le déroute. Il n'y est
+plus, ne suit plus. L'incompétence ici l'aveugle. Il néglige Leconte
+de Lisle, Michelet, Barbey d'Aurevilly. Il se trompe lourdement sur
+Flaubert. Il passe à côté de Verlaine. L'envergure de Baudelaire lui
+échappe.
+
+Dans ces données comme dans les documents cités plus haut, on
+trouverait peut-être une explication de son attitude envers
+Baudelaire.
+
+Son silence presque continu sur l'auteur des _Fleurs_ _du Mal_
+procéderait de deux des phases ci-dessus: la troisième, puis la
+seconde. Tant que Baudelaire reste obscur, il l'omet ou le diminue,
+faute de l'apprécier à sa valeur. Dès que la gloire de son «jeune ami»
+se lève, il s'en tait, crainte de la pousser.
+
+Avec Baudelaire il commence par l'incompétence et il termine par
+l'envie.
+
+[Illustration: ornement fin de page]
+
+
+
+
+II
+
+
+Parmi les nombreux articles qu'a suscités ma précédente étude et qui
+nous montrent en pleine ascension la gloire comme la faveur de
+Baudelaire, il s'en est trouvé quelques-uns pour prendre la défense de
+Sainte-Beuve. Notamment l'âpre plaidoyer qu'a publié dans le _Temps_
+mon ami M. Paul Souday.
+
+Il serait oiseux de discuter ici longuement les griefs personnels que
+m'oppose le sagace critique du _Temps_.
+
+De ce qu'on est chroniqueur, romancier, auteur dramatique, s'ensuit-il
+que vous soient interdites la culture, la lecture et certaines
+prédilections littéraires? De ce qu'on admire chez Vallès le grand
+écrivain, le grand romancier, résulte-t-il qu'on doive endosser ses
+boutades, ses foucades, ses idées et qu'avec lui on doive renvoyer
+Baudelaire à l'asile ou Homère aux Quinze-Vingts? Enfin, parce qu'en
+maint endroit Barbey d'Aurevilly surcharge fâcheusement son style
+d'arabesques et de clinquant, parce qu'il écrivit sur Gœthe un
+pamphlet superficiel, parce qu'en une de ses phrases il se rencontre
+avec Sainte-Beuve, faut-il pour cela taire la rare clairvoyance de son
+étude sur les _Fleurs du Mal_ et nier le contraste frappant avec le
+critique des _Lundis_? Sincèrement je ne le pense pas.
+
+Sur le reste du débat, d'autre part, les faits et les documents que
+j'ai cités me paraissent répondre; et sans fol orgueil, je crois que
+l'interprétation que j'en ai donnée n'outrepassait ni la mesure ni la
+vérité.
+
+Comme exemples, ne reprenons que les dates et les œuvres culminantes;
+en 1861, la seconde édition des _Fleurs du Mal_,--en 1869, l'édition
+des œuvres complètes.
+
+En 1861, l'autorité littéraire de Baudelaire ne souffre plus conteste.
+Il apporte un recueil entièrement renouvelé, expurgé des pièces libres
+qui pouvaient effaroucher la critique officielle, augmenté de pièces
+inédites dont quelques-unes magistrales, comme _le Voyage_, ce joyau
+de la poésie française. A ce moment, pas de poète, pas de critique qui
+ne s'incline devant son talent. A ce moment, Leconte de Lisle, si
+sévère pour lui-même, si dur pour autrui, lui consacre un article, où,
+malgré la réserve des épithètes et ce quelque chose de tendu
+qu'avaient toujours ses louanges, on voit Baudelaire placé au premier
+rang, hors pair[31].
+
+Si alors Sainte-Beuve résiste au mouvement, s'obstine dans son
+mutisme, ce n'est nullement malveillance ni même absolue
+incompréhension. C'est, comme le prouvent nos documents, qu'il tient
+Baudelaire pour un _poeta minor_ ne méritant pas encore le _dignus
+intrare_ dans la galerie des _Lundis_.
+
+Or, comment appeler d'un autre nom qu'incompétence une telle faute de
+perspective, un tel manque de discernement et de sensibilité?
+
+En 1869, les circonstances seront différentes.
+
+D'abord, pour renseigner Sainte-Beuve sur l'importance réelle de «son
+jeune ami», toute l'œuvre de Baudelaire est là[32].
+
+Non seulement les _Fleurs du Mal_, mais encore ces poèmes en prose
+auxquels, en passant il a décoché jadis un salut.
+
+Non seulement l'œuvre d'imagination, mais l'œuvre critique: les
+salons de 1845, de 1846, de 1859, les études sur les caricaturistes,
+les articles sur les grands littérateurs du temps, pages saisissantes
+par la prescience et la hardiesse des aperçus, par l'esthétique
+sereine et stable qui s'en dégage,--modèles accomplis de cette
+critique intuitive où les poètes souvent excellent.
+
+Bref, dans ces quatre volumes, Baudelaire révélé: le reflet constant
+d'un des génies les plus profonds, les plus variés, les plus originaux
+qu'ait produits la littérature.
+
+A l'éclat d'une pareille œuvre, on a peine à croire que Sainte-Beuve
+ne distingue pas son erreur. Fermerait-il même les yeux pour ne pas
+la voir, que ses oreilles tinteraient de la rumeur d'éloges montant
+autour du nom de Baudelaire.
+
+Quand je disais, en effet, que tout le monde littéraire attendait son
+article d'ensemble sur Baudelaire, je n'avançais pas qu'une
+conjecture. Lisez plutôt la préface de la bibliographie de Baudelaire
+par La Fizelière et Decaux. Sainte-Beuve y est cité, encensé, mais
+aussi mis en demeure.
+
+«Quant à l'appréciation de ses écrits, déclarent les auteurs (en un
+style que pallie la bonne intention), quant à l'appréciation de ses
+écrits, elle appartient de toute nécessité à quelque grand critique
+habile comme M. Sainte-Beuve, par exemple, à faire courir le scalpel
+de l'analyse sur la fibre délicate d'une organisation poétique qui,
+chez Baudelaire, était prodigieusement exceptionnelle.»
+
+Et tout le long de la préface, l'appel direct à Sainte-Beuve se
+poursuit, couvrant sous les fleurs une véritable sommation.
+
+On sait la fin de non-recevoir qu'y opposa le critique des _Lundis_.
+Avertissements venus de l'œuvre, invites venues du monde des lettres,
+rien n'eut raison de son silence. Ici l'erreur n'étant plus invocable,
+on ne trouve plus guère d'explication que l'envie.
+
+Etonnante certes, à première vue, chez ce vieux maréchal, si au-dessus
+de l'humble gradé Baudelaire. Mais on oublie que dans les lettres,
+hélas! il est deux envies: celle qui vise vos égaux et celle que vous
+inspirent vos subalternes, l'envie contre les gens de son bateau et
+l'envie contre le bateau qui suit. Or, des deux, qui jurerait que la
+seconde n'est pas fréquemment la plus douloureuse, la plus cuisante,
+la plus implacable? Et qui prétendrait que, si sujet à la première,
+Sainte-Beuve soit demeuré inaccessible à la seconde?
+
+Pourtant une chance de défense subsistait, puisée dans la santé débile
+de Sainte-Beuve et la date de sa mort.
+
+Durant cette année 1869, nous sommes au fait des tourments que lui
+infligea la maladie. Au mois d'août, ses souffrances s'aggravaient. En
+septembre il donna son dernier article. Il mourut le mois suivant.
+
+En tenant compte de ces remarques, une hypothèse aussitôt se
+présentait. Les quatre premiers tomes de l'édition complète de
+Baudelaire étant datés de 1869, peut-être avaient-ils paru, sur la fin
+de l'année, quand Sainte-Beuve touchait à ses suprêmes moments. Des
+lors, comment reprocher à un agonisant le silence le plus pardonnable?
+
+Si pénible que fût une enquête de ce genre funèbre, j'ai voulu en
+avoir le cœur net. J'ai consulté la Bibliographie de la France aux
+années 1868 et 1869. Et voici le résultat:
+
+Dès la fin de 1868, nous le savons par ses écrits, Sainte-Beuve
+connaît à fond les _Fleurs du Mal_ et les _Poèmes en prose_. Les
+_Curiosités esthétiques_, renfermant les salons et critiques d'art,
+paraissent en décembre 1868. L'_Art romantique_, contenant les études
+de mœurs et les critiques littéraires, paraît en février 1869.
+
+De fin février à septembre, Sainte-Beuve disposait donc de six grands
+mois, de vingt-quatre _Lundis_, pour parler de Baudelaire. Durant ces
+six mois, il continua à se taire. De ces vingt-quatre feuilletons pas
+un seul ne fut accordé à Baudelaire.
+
+Il me semble que cette fois la cause est entendue.
+
+[Illustration: ornement fin de page]
+
+
+
+
+APPENDICE
+
+LES SENTIMENTS DE BAUDELAIRE POUR SAINTE-BEUVE
+
+
+Au cours de l'étude qui précède, on a pu constater l'inaltérable
+attachement de Baudelaire pour Sainte-Beuve malgré les constantes
+défections du critique à son égard.
+
+Il resterait à expliquer cette longanimité si contraire à ce que nous
+révèlent de Baudelaire ses correspondances et ses papiers intimes.
+
+Sans s'y montrer positivement vindicatif, le poète ne cesse d'y
+attester une extrême sensibilité aussi bien aux bons procédés qu'aux
+mauvais. Éloges ou dénigrements, il note tout avec une perspicacité
+toujours en éveil. Se défiant même de la mémoire, cette négligente,
+qui oublie souvent en route les injures autant que les bienfaits, il
+avait institué dans ses carnets une rubrique spéciale intitulée
+_Vilaines canailles_, où il inscrivait les noms des personnes qui
+l'avaient desservi ou simplement déçu. Or, par un traitement
+privilégié, Sainte-Beuve ne figure sur aucune de ces listes
+vengeresses.
+
+Bien mieux, en 1859, au moment où Babou manque de le brouiller avec le
+critique, dans la lettre affolée qu'il écrit à Poulet-Malassis,
+Baudelaire déclare: «Ce qu'il y avait dangereux là dedans, c'est que
+Babou avait l'air de me défendre contre quelqu'un qui m'a rendu _une
+foule de services_.»
+
+Lesquels? On reste rêveur. On cherche et voici ce qu'on trouve jusqu'à
+cette date: trois refus d'articles sur Poe, une lettre privée sur les
+_Fleurs du Mal_, des conseils privés lors du procès. Secours bien
+minces. On cherche encore: on découvre deux lettres de Sainte-Beuve,
+l'une en date du 3 octobre 1852 mentionnant la recommandation d'un
+manuscrit à Véron, une autre lettre en date du 20 mars 1854 où
+Sainte-Beuve se récuse au sujet d'une demande d'appui au _Moniteur_.
+Et c'est tout.
+
+Qu'un poétereau, à visées médiocres et doutant de soi, se fût abusé
+sur l'importance de ces menus services, l'illusion semblerait
+plausible. Mais chez Baudelaire, elle déconcerte.
+
+Dans ses lettres, dans ses carnets, le trait dominant, permanent,
+c'est l'orgueil.
+
+Non pas la petite vanité de l'homme de lettres qui puise toute sa
+force dans les louanges d'autrui, les publicités bruyantes, les succès
+immédiats--et s'effondre aussitôt que ces adjuvants cessent. Mais une
+foi intérieure et indéfectible en sa valeur personnelle, en son
+génie, en son œuvre, une prescience presque miraculeuse du rang où
+celle-ci atteindra. Dès 1847, quand il annonce les _Fleurs du Mal_
+sous son titre primitif _Les Lesbiennes_, le format que Baudelaire
+leur assigne d'autorité, c'est l'in-quarto--c'est-à-dire le format
+réservé aux grands chefs-d'œuvre consacrés[B]. En 1860, un an après
+l'incident Babou, il écrit à sa mère: «Plus je deviens malheureux,
+plus mon orgueil augmente.» Et dans une autre lettre: «Comme j'ai un
+genre d'esprit impopulaire, je gagnerai peu d'argent, _mais je
+laisserai une grande célébrité, je le sais_.» Et partout de même
+répétée, ressassée la certitude de la durée, de l'immortalité des
+_Fleurs du Mal_.
+
+ [B] Edition originale de _Chien Caillou_ de Champfleury, Martinon
+ 1847. Sur le 2e plat de la couverture: A PARAITRE INCESSAMMENT:
+ Pierre de FAYIS, _Les Lesbiennes_, poèmes, un volume grand in-4.
+
+Comment supposer alors que Baudelaire n'aperçoive pas la disproportion
+entre le sentiment qu'il a de sa grandeur et la taille que lui
+attribue Sainte-Beuve? Comment comprendre qu'il tremble à l'idée d'une
+brouille avec un protecteur si tiède et qu'il exagère, avec un si
+manifeste parti pris, une serviabilité si parcimonieuse?
+
+Énigme qui n'est insoluble qu'à première vue et qui s'éclaire quand on
+analyse un à un les éléments de cet attachement étrange.
+
+Sans parler de la première emprise de jeunesse, des premiers élans
+d'admiration qui durent s'atténuer secrètement lorsque Baudelaire prit
+pleine possession de son talent, il est évident que, dans cet
+attachement, l'intérêt eut une part.
+
+Non que dans ses relations avec Sainte-Beuve, Baudelaire poursuivît un
+avantage personnel. Vraisemblablement, quoique sans grande confiance,
+il espérait, il ne désespérait pas qu'un jour, peut-être, à la longue,
+son tour de _Lundi_ viendrait. Mais au peu que Sainte-Beuve lui avait
+accordé, à ces éloges retenus, et par raccroc, que le critique lui
+dispensait dans un coin d'article, Baudelaire était trop fin pour ne
+pas discerner que ce jour était encore bien lointain, bien incertain,
+si encore il devait jamais luire. Au surplus, son orgueil lui
+permettait d'attendre et lui défendait de demander plus. Une seule
+fois il fléchit, c'était en 1860, lorsque parurent les _Paradis
+artificiels_. Baudelaire alors nettement sollicita de Sainte-Beuve un
+article. Mais par les lettres récemment publiées dans la _Revue de
+Paris_, nous connaissons les dessous de cette défaillance. «J'ai plus
+que jamais besoin d'être soutenu, écrivait-il à Sainte-Beuve et je
+devais vous rendre compte de mon _embarras_.» _Embarras_ signifiait le
+dernier degré de la détresse, misères physiques, misère pécuniaire, un
+homme à la dérive. Cette sollicitation dictée par l'angoisse resta, on
+le sait, sans résultat. Ce fut la première et la dernière.
+
+Par contre, si peu quémandeur pour lui-même, nous avons vu que, en
+faveur de Poe, Baudelaire n'hésitait pas à harceler Sainte-Beuve. De
+1856 à 1865, pas une année sans que Baudelaire ne revienne à la
+charge, ne caresse et ne relance le critique pour lui arracher
+l'article sur Poe. C'est chez lui le même acharnement qu'à demander de
+l'argent à sa mère pour Jeanne Duval. Avec la Muse noire, Poe avait
+fini par devenir sa grande charge, son grand devoir. Pour lui gagner
+Sainte-Beuve, il eût tout pardonné, il pardonnait tout au critique.
+Poe fut sûrement dans leur attachement un des liens les plus solides.
+
+Mais en dehors de ces calculs--bien désintéressés--ce qui semble avoir
+le plus retenu Baudelaire à Sainte-Beuve, malgré déboires et
+déceptions, c'est Sainte-Beuve lui-même, sa fréquentation, sa société.
+
+Si orgueilleux que fût Baudelaire, visiblement il avait été flatté par
+l'accueil affable de cet écrivain fameux, son aîné presque de vingt
+ans, maître de toutes les renommées littéraires de l'heure, et dont la
+porte ne s'ouvrait qu'à des pairs ou à des intimes.
+
+«Un homme qui, malgré ma jeunesse relative, m'a toujours pris pour son
+égal!» écrivait-il fièrement à sa mère en 1865. Traitement peu commun
+de la part de Sainte-Beuve, si réservé, si en méfiance contre les
+intrus et les fâcheux.
+
+Et effectivement, faute de services, il ressort de leur correspondance
+que Sainte-Beuve ne ménageait à Baudelaire ni une paternelle
+considération ni de délicats égards ni même des avis et des
+réconforts d'autant plus précieux qu'ils venaient de plus haut.
+
+«Est-il permis de venir se réchauffer et se fortifier à votre contact?
+lui écrivait Baudelaire en 1865 (un mois après lui avoir adressée
+vainement _Gordon Pym_). Vous savez ce que je pense des hommes
+atonifiants et des hommes tonifiants. J'ai besoin de vous comme d'une
+douche.»
+
+On se demande, du reste, dans quelle société Baudelaire si réfléchi,
+si épris de belles lettres, eût trouvé l'équivalent en agrément et en
+qualité de ce que lui offrait celle de Sainte-Beuve. Banville bien
+superficiel et funambulesque, Gautier pliant sous le feuilleton et, en
+ses propos, plus rapin que penseur, Leconte de Lisle absorbé dans ses
+transcriptions de l'antique, Poulet-Malassis bon lettré mais tout à
+ses échéances, Asselineau aimable polygraphe mais sans profondeur,
+Théophile Silvestre écrivain de haute marque mais toujours au dehors
+pour des inspections d'art, Flaubert à Croisset, Barbey d'Aurevilly,
+le tempérament le plus proche du sien, mais accaparé par le roman, le
+journalisme, les salons,--à la vérité, comme tous les esprits
+supérieurs, Baudelaire se trouvait très isolé dans son époque[C]. A
+défaut de Renan qu'il ne connaissait pas et qui d'ailleurs se
+désintéressait ouvertement des auteurs du jour, on conçoit que, pour
+un poète de cette envergure et de cette culture, la familiarité, même
+inefficace, de Sainte-Beuve ait été la planche de salut, le
+_præsidium_ rêvé. Et l'on s'explique que pour le garder Baudelaire ait
+avalé tant de couleuvres.
+
+ [C] Au moment où se corrigent les épreuves de cette étude, la
+ _Revue de Paris_, du 15 octobre 1917 publie une lettre de
+ Baudelaire qui apporte aux remarques ci-dessus la confirmation du
+ poète lui-même: «Excepté d'Aurevilly, Flaubert, Sainte-Beuve, je
+ ne peux m'entendre avec personne. Th. Gautier seul peut me
+ comprendre, quand je parle peinture.» (11 août 1862).
+
+Cependant, à la digestion, ne lui laissèrent-elles pas quelques
+aigreurs? La négative serait aventurée.
+
+Ouvrons en effet les _Fleurs du Mal_ (première ou seconde ou troisième
+édition) et relevons les noms des dédicataires. L'ensemble du volume
+est dédié à Gautier, trois pièces sont dédiées à Victor Hugo, deux au
+sculpteur Christophe, une autre à Banville, une autre à Constantin
+Guys, une autre à Maxime du Camp.
+
+Mais à Sainte-Beuve pas une seule, malgré les témoignages d'admiration
+que prodiguait Baudelaire, dans ses lettres, au poète de _Joseph
+Delorme_.
+
+Consultons la _Revue Fantaisiste_ où parurent de Baudelaire les
+_Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains_. Ces _Réflexions_
+ont pour sujets Banville, Barbier, Desbordes-Valmore, Pierre Dupont,
+Flaubert, Gautier, Victor Hugo, Leconte de Lisle, Le Vavasseur, Paul
+de Molènes, Pétrus Borel. Mais de Sainte-Beuve pas trace.
+
+Compulsons le recueil des _Poètes Français_ de Crépet où l'anthologie
+de chaque poète s'orne d'une étude sur son œuvre. Baudelaire a signé
+plusieurs de ces notices. Sainte-Beuve y a, bien entendu, la sienne.
+Mais elle n'est pas signée: Baudelaire. Elle est signée: Babou.
+
+Feuilletons enfin les œuvres complètes de Baudelaire, fouillons,
+scrutons ligne à ligne. Dans les sept volumes, nulle part le nom de
+Sainte-Beuve n'est cité.
+
+Omissions trop répétées pour qu'on les croie dues au hasard.
+
+Il est plus probable qu'elles furent voulues et que, par ce mutisme
+obstiné, Baudelaire entendit rendre à Sainte-Beuve ce qu'on appelle
+«la pareille».
+
+Ici s'accuse nettement la différence de procédés entre les écrivains
+de haute classe et les subalternes.
+
+Négligé par Sainte-Beuve, un Babou s'exaspère, accuse, invective.
+
+Un Baudelaire, au contraire s'en tiendra au silence, cette légitime
+représaille de l'artiste contre ceux qui se taisent sur lui.
+
+[Illustration: ornement fin de page]
+
+
+
+
+NOTES
+
+
+ [1] «Le second ami était et est encore gros, paresseux et
+ lymphatique; de plus il n'a pas d'idées et ne sait qu'enfiler et
+ perler des mots en manière de colliers d'Osages» (Article de
+ Baudelaire dans l'_Echo des Théâtres_ du 23 août 1846. _OEuvres
+ posthumes_, Mercure de France, 1908, p. 293).
+
+ [2] La prédiction de Gautier sur Baudelaire est trop longue pour
+ être citée en entier. Elle se termine ainsi: «Le Baudelaire fera
+ long feu comme le Pétrus.» (M. DU CAMP, _Souvenirs littéraires_,
+ t. II, p. 83 et 84).
+
+ A joindre cette autre opinion de Gautier sur _le_ Baudelaire:
+ «Théophile Gautier qui, dans l'intimité, a un vif sentiment
+ critique, me disait en 1848:--Baudelaire est un beau vase qui a
+ une _fissure_» (CHAMPFLEURY, _Souvenirs_, p. 145).
+
+ Il est à remarquer cependant que, dès 1845, la presque totalité
+ des _Fleurs du Mal_ était connue du monde lettré par les
+ récitations qu'en faisait Baudelaire.
+
+ [3] _OEuvres posthumes_, Mercure de France, 1908, p. 54.
+
+ [4] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 492, 15 janvier 1866.
+
+ [5] En 1856, dans la _Préface_ de sa traduction des _Histoires
+ extraordinaires_, à propos d'un biographe de Poe, qui s'était
+ permis, par une inconvenance étrange, de publier en tête des
+ œuvres de l'écrivain un éreintement en règle de sa vie et de ses
+ ouvrages, Baudelaire écrivait ces lignes indignées et mémorables:
+ «Il n'existe donc pas en Amérique d'ordonnance qui interdise aux
+ chiens l'entrée des cimetières» (_Histoires extraordinaires_,
+ 1856, p. XX).
+
+ [6] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 190, 19 mars 1856.
+
+ [7] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 210, 24 mars 1856.
+
+ [8] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 104, 9 mars 1857. J'ai omis de
+ noter la réponse de Sainte-Beuve (_Correspondance_, t. I, p. 222,
+ 11 mars 1857). Sainte-Beuve préfère qu'Edouard Thierry, rédacteur
+ au _Moniteur_, parle d'abord de l'ouvrage. Quant à lui, il
+ ajourne à une date vague, sous prétexte qu'il n'a pas encore «sa
+ petite idée» sur Poe--malgré la publication de deux volumes
+ contenant les plus célèbres chefs-d'œuvre du conteur. Cette
+ seconde promesse d'article n'eut pas, d'ailleurs, plus de suites
+ que la première.
+
+ [9] _Revue des Deux Mondes_, 1er juin 1855.
+
+ [10] _Nouveaux Lundis_, t. I, p. 400, et SAINTE-BEUVE,
+ _Correspondance_, t. I, p. 219.
+
+ [11] BAUDELAIRE, _OEuvres posthumes_, Quantin, 1887 (éd. Crépet),
+ p. 285.
+
+ [12] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 163, 14 juin 1858. «... Il y a des
+ jours où les injures de tous les sots vous montent au cerveau et
+ alors on implore son vieil ami Sainte-Beuve.» Le vieil ami
+ Sainte-Beuve n'avait sans doute pas encore assez mûri «sa petite
+ idée» sur Poe, car il persista dans le silence.
+
+ [13] Cet article, intitulé l'_Amitié littéraire_, avait paru dans
+ la _Revue Française_. Il reparut dans un volume de Babou,
+ intitulé _Lettres satiriques et critiques_, Poulet-Malassis,
+ 1860. Le passage visant Sainte-Beuve se terminait par la phrase
+ suivante: «Il glorifiera _Fanny_, l'honnête homme! et gardera le
+ silence sur les _Fleurs du Mal_.» Toutefois, l'éditeur, sans
+ doute sur la prière de Baudelaire, ayant supprimé la phrase,
+ Babou la rétablit dans un _Post-scriptum_ avec sommation à
+ Poulet-Malassis de l'insérer.
+
+ [14] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 184, 21 février 1859.
+
+ A consulter également une lettre à Asselineau sur le même sujet
+ (p. 185) du 24 février 1859.
+
+ [15] SAINTE-BEUVE, _Nouvelle Correspondance_, p. 153, 23 février
+ 1859. A consulter aussi une lettre de Sainte-Beuve à
+ Poulet-Malassis (p. 142), même date, même sujet. Sainte-Beuve
+ demande à Poulet-Malassis de lui confier la fameuse lettre qu'il
+ avait adressée à Baudelaire sur les _Fleurs du Mal_ et qui, de
+ 1857 à 1870, constitue sa grande pièce de défense, sa grande
+ parade contre les accusations d'indifférence envers Baudelaire.
+
+ [16] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 187.
+
+ [17] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 269.
+
+ [18] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 255, 3 juillet
+ 1860.
+
+ [19] _Causeries des Lundis_, t. XV, p. 350. _Lettre au
+ directeur-gérant du Moniteur._ Il est à signaler qu'une fois de
+ plus, Sainte-Beuve justifie son silence en invoquant un article
+ consacré à Baudelaire dans le _Moniteur_ par Edouard Thierry. En
+ 1858 il dit à Baudelaire: «Thierry parlera de vous.» En 1860:
+ «Thierry a parlé de vous.» Ingénieuse combinaison qui instituait
+ Thierry définitivement comme délégué aux affaires baudelairiennes
+ et fournissait aux temporisations de Sainte-Beuve tantôt une
+ prétexte, tantôt une excuse.
+
+ Il est en outre à noter que l'incident Babou-Sainte-Beuve se
+ termina au mieux. En 1862, en tête des poésies de Sainte-Beuve
+ publiées dans les _Poètes Français_ de Crépet, parut une notice
+ sur Sainte-Beuve, signée Hippolyte Babou et où l'encensoir n'était
+ pas balancé de main morte (_Poètes Français_, t. IV, p. 357). Sur
+ quoi, Sainte-Beuve, ne voulant pas demeurer en reste de politesse,
+ accorda aux notices publiées par Babou dans ce recueil un
+ paragraphe plus qu'obligeant (_Nouveaux Lundis_, t. III, p. 341).
+
+ Dans cette affaire il n'y eut donc qu'une victime: Baudelaire.
+
+ [20] Ce bel article parut d'abord dans les _Articles
+ justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des Fleurs du Mal_
+ (1857), imprimerie Dondey Dupré, p. 9. Il fut réédité dans _Les
+ OEuvres et les Hommes_, 1862, t. III.
+
+ [21] Extrait de la notice de Banville, un des morceaux les plus
+ complets et les plus profonds qu'on ait publiés sur l'OEuvre de
+ Baudelaire. Banville, d'habitude si menu, si gracile, si
+ papillonnant, y atteint, en maint endroit, à la force. Cette
+ notice parut d'abord dans l'_Album de la Galerie contemporaine_,
+ in-4, Baschet (vers 1877). Elle a été reproduite, en partie
+ seulement, dans la récente édition des _Fleurs du Mal_, publiée
+ par la librairie Fasquelle (1912).
+
+ [22] _Nouveaux Lundis_, t. I, p. 400 et 401.
+
+ [22 _bis_] Ce nom, ces mots n'étaient pas mis là sans intention.
+ Dans un article récent du _Mercure de France_, M. Ernest Raynaud
+ nous a révélé l'espèce de pacte d'échange qui s'était conclu à ce
+ moment entre Sainte-Beuve et Gautier: Sainte-Beuve promettant un
+ fauteuil d'académicien à Gautier contre un siège de sénateur que
+ celui-ci lui assurerait. On devine le trouble qu'apportait dans
+ ces _combinaziones_ l'irruption ingénue de Baudelaire.
+ Sainte-Beuve, il faut le reconnaître, se tira fort habilement de
+ ce mauvais pas. Désigner Gautier comme le maître de Baudelaire,
+ c'était du même coup amorcer sa candidature et ruiner celle de
+ son jeune concurrent. Protester contre l'indifférence de
+ l'Académie envers les poètes du jour, c'était poser des jalons
+ pour une compensation prochaine en faveur de Gautier. Dès lors,
+ l'échec de Baudelaire, soit par voie de scrutin, soit par voie de
+ désistement, ne faisant pas de doute, on se trouvait en
+ excellente posture pour pousser Gautier au premier fauteuil
+ vacant. A tous égards, ce fut du plus joli travail académique et
+ où il semble bien que Baudelaire n'ait vu que du feu.
+
+ [23] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 325.
+
+ [24] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 285, 15 février
+ 1862.
+
+ [25] Cependant Baudelaire avait envoyé les _Histoires sérieuses
+ et grotesques_ à Sainte-Beuve et spécialement attiré son
+ attention sur ce livre, sans obtenir même un accusé de réception
+ (_Lettres_, p. 426, 15 mars 1865 et p. 427, 30 mars 1865).
+
+ [26] A titre de curiosité, j'ai relevé les noms des poètes
+ contemporains auxquels Sainte-Beuve avait consacré des articles
+ entre 1857 et 1867, date de la mort de Baudelaire.
+
+ 1857.--_Théodore de Banville_, _Alfred de Musset_.
+
+ 1860.--_Mme Desbordes-Valmore_ (OEuvres posthumes).
+
+ 1861.--_Victor de Laprade._
+
+ 1862.--_Calemard de Lafayette._
+
+ Même année, étude sur les _Poètes français_ de Crépet qui fournit
+ prétexte à des études sur _Soulary_, de _Belloy_, _Coran_--sans un
+ mot sur Baudelaire, quoique celui-ci figurât dans le recueil.
+
+ 1863.--_P. Lebrun_, _Théophile Gautier_.
+
+ 1864.--_Alfred de Vigny._
+
+ 1865.--_Charles Monselet._ Même année, un article sur la _Poésie
+ française en 1865_.
+
+ Sainte-Beuve s'y plaint du manque d'originalité des poètes
+ nouveaux. «Je me dis: ceci est du Musset!» ou bien: «Ceci rappelle
+ Victor Hugo» ou «Ceci est du Gautier, du Banville, du Leconte de
+ Lisle--ou _même_ du Baudelaire». Toujours les réserves tendant à
+ réduire l'importance de Baudelaire. Ce _même_ était bien du même
+ au même.
+
+ Mais voici plus significatif encore. En 1862 Sainte-Beuve se
+ chargea de préfacer les _Poètes français_ de Crépet. Il rédigea, à
+ cet effet, une introduction formant histoire de la poésie
+ française. Arrivé au XIXe siècle il en conte les débuts--mais, en
+ 1862, quelle déchéance! Il se lamente sur cette décrépitude,
+ appelle à grands cris une Poétique nouvelle. «Et ce qui vaudrait
+ mieux, ajoute-t-il, ce serait un exemple nouveau et vivant. La
+ Nature seule peut créer le génie. A celui qui _doit venir_ et _en
+ qui nous avons espérance_, nous dirions....» Suit une prosopopée
+ assez fade qui se termine ainsi: «Vous n'avez qu'à puiser au gré
+ de vos inspirations, suivant votre habileté et votre audace;...
+ vous fondrez tout à la flamme de votre génie; vous remettrez
+ chaque chose à son point dans la trame du bel art, _ô grand poète
+ qui naîtrez_!»
+
+ Invocation sincère mais plutôt oiseuse, puisque ce grand poète, à
+ l'insu de Sainte-Beuve, était né depuis cinq ans déjà.
+
+ [27] BAUDELAIRE, _Lettres_, 1865, _passim_, p. 489 à 496.
+
+ L'appui de Sainte-Beuve semble s'être borné à certifier à
+ l'éditeur Garnier la valeur littéraire de Baudelaire.
+
+ Dans une des lettres de Baudelaire à sa mère, publiées par la
+ _Revue de Paris_ (20 juillet 1865), le poète exprime assez
+ exactement la nature de l'aide que lui prêta le critique des
+ _Lundis_ en vue de ce traité avec Garnier, qui, au surplus, ne
+ devait pas aboutir: «Sainte-Beuve, que j'ai vu à mon passage à
+ Paris, m'a dit qu'il se mêlerait un peu de la question.»
+
+ [28] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. II, p. 209. Il est, dans
+ cette lettre, à retenir deux points: 1º Sainte-Beuve ne formule
+ aucune promesse d'article; 2º Sa lettre est datée du 12
+ septembre, c'est-à-dire qu'elle ne fut écrite que douze jours
+ après la mort de Baudelaire.
+
+ [29] A. DE LA FIZELIÈRE et GEORGES DECAUX, _Essais de
+ bibliographie contemporaine, Charles Baudelaire_, librairie de
+ l'Académie des Bibliophiles, 1868.
+
+ [30] _Causeries du Lundi_, t. XV, p. 527.
+
+ [31] _Revue Européenne_, 1861. Réédité à la suite des _Derniers
+ Poèmes_, 1895.
+
+ [32] Il s'est produit ici une grave lacune dans le nomenclature
+ des symptômes qui, à défaut de perspicacité, eussent dû avertir
+ Sainte-Beuve de la place prise par Baudelaire dans la poésie
+ française.
+
+ J'avais en effet oublié de mentionner parmi ces symptômes la
+ notice de Théophile Gautier, insérée en tête de l'édition
+ définitive des _OEuvres complètes_ (1868).
+
+ Si défectueuse et restrictive que soit encore cette notice qui
+ persiste à maintenir Baudelaire dans le cercle des poètes
+ artificiels et subtils, le fait qu'un écrivain illustre comme
+ Théophile Gautier, grand potentat du feuilleton, un des maîtres de
+ la célèbre phalange romantique, eût assumé la charge de présenter
+ Baudelaire au public et lui eût accordé l'honneur de
+ soixante-quinze pages en texte serré, ne pouvait manquer d'attirer
+ l'attention de Sainte-Beuve.
+
+ Il y avait là mieux qu'un acte de complaisance posthume, une
+ véritable consécration.
+
+ Il paraît peu probable que l'importance de cette manifestation ait
+ échappé à un esprit aussi avisé que Sainte-Beuve.
+
+ Mais il n'est pas impossible, par contre, qu'elle ait contribué,
+ par choc en retour, à l'ancrer plus dans son silence.
+
+[Illustration: ornement fin de page]
+
+
+
+
+[Illustration: logo]
+
+
+CHARTRES.--IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's Baudelaire et Sainte-Beuve, by Fernand Vandérem
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44807 ***
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+ The Project Gutenberg's eBook of Baudelaire et Sainte-Beuve, by Fernand Vandérem</title>
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+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44807 ***</div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_1"> 1</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<div class="tnote">
+<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
+L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
+Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.</p></div>
+
+<h1>BAUDELAIRE<br />
+<span class="small">ET</span><br />
+<span class="large">SAINTE-BEUVE</span></h1>
+</div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_2"> 2</a></span></p>
+
+<div class="frontmatter">
+<p><i>Imprimé à 235 exemplaires<br />
+dont<br />
+10 sur papier de Hollande.</i></p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_3"> 3</a></span></p>
+
+<div class="titlepage">
+<p class="large">FERNAND VANDÉREM</p>
+
+<p><span class="xxlarge">BAUDELAIRE</span><br />
+<span class="small">ET</span><br />
+<span class="large">SAINTE-BEUVE</span></p>
+
+<hr class="deco" />
+
+<p><em>NOUVELLE ÉDITION</em><br />
+<span class="small">AUGMENTÉE DE NOTES ET D'UN CHAPITRE INÉDIT</span></p>
+
+<div class="figcenter">
+<img src="images/logo.jpg" width="120" height="124" alt="" />
+</div>
+
+<p><span class="large">PARIS</span><br />
+<span class="large">LIBRAIRIE HENRI LECLERC</span><br />
+<span class="small">219, RUE SAINT-HONORÉ, 219</span><br />
+<span class="xs">et 16, rue d'Alger.</span></p>
+
+<hr class="deco" />
+<p class="small">1917</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_4"> 4</a></span>
+<span class="pagenum"><a id="Page_5"> 5</a></span></p>
+
+<div class="p4 figcenter">
+<img style="max-width: 95%; border: 2px solid black;" src="images/illustration_005.jpg" width="400" height="113" alt="" />
+</div>
+
+<p class="p4 drop-cap"><span class="smcap">Cette</span> étude, publiée d'abord dans le <cite>Temps Présent</cite>,
+a paru en 1914 sous forme d'une brochure à
+tirage restreint et depuis longtemps épuisé.</p>
+
+<p>Il m'a semblé que le cinquantenaire de Baudelaire
+pouvait prêter quelque intérêt à une réédition.</p>
+
+<p>Je n'ai rien changé au texte primitif, que j'ai
+seulement complété par des notes indiquant les
+sources des textes invoqués et quelques particularités
+nouvelles.</p>
+
+<p>J'y ai joint en outre un appendice où j'ai tenté de
+<span class="pagenum"><a id="Page_6"> 6</a></span>
+mieux élucider les sentiments de Baudelaire pour
+Sainte-Beuve.</p>
+
+<p>On aura ainsi, avec toutes références utiles, un
+résumé des relations entre le grand poëte et l'illustre
+critique.</p>
+
+<div class="p2 figcenter">
+<img src="images/illustration_006.jpg" width="120" height="83" alt="" title="" />
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_7"> 7</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<h2>BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE</h2>
+<p class="topspace xlarge center">I</p>
+</div>
+
+<p class="drop-cap"><span class="smcap">Les</span> relations de Baudelaire et de Sainte-Beuve prêteraient
+à un curieux chapitre d'histoire littéraire,
+dont j'offre ici un aperçu.</p>
+
+<p>Les sentiments de Baudelaire envers certains de ses
+contemporains, comme les sentiments qu'il leur inspirait,
+présentent parfois des contradictions. Ainsi,
+extérieurement, qui douterait de son culte pour Gautier
+et de l'estime où Gautier le tenait? Cependant
+on a retrouvé un article de Baudelaire où il traitait
+Gautier en poète verbal, en enfileur de phrases<a name="FNanchor_1" id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">&nbsp;[1]</a>, et,
+d'autre part, Maxime du Camp nous conte que, dans
+l'intimité, Gautier prédisait à Baudelaire la faillite
+finale d'un Pétrus Borel<a name="FNanchor_2" id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">&nbsp;[2]</a>.</p>
+
+<p>Entre Baudelaire et Sainte-Beuve, pas trace de ces
+fluctuations. De son extrême jeunesse à sa mort,
+Baudelaire ne cessa de ressentir et de marquer pour
+Sainte-Beuve son admiration. C'est à Sainte-Beuve
+<span class="pagenum"><a id="Page_8"> 8</a></span>
+qu'en 1844 il adresse respectueusement une de ses
+premières poésies de collège<a name="FNanchor_3" id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">&nbsp;[3]</a>. Et en 1866, à quelques
+mois de la paralysie générale, une de ses dernières
+lettres ne sera qu'un long panégyrique des poésies de
+Sainte-Beuve<a name="FNanchor_4" id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">&nbsp;[4]</a>.</p>
+
+<p>Les <cite>Consolations</cite>, <cite>Joseph Delorme</cite>, les <cite>Pensées d'Août</cite>,
+partout il trouve à louer et à s'enflammer. Notamment
+les <cite>Rayons Jaunes</cite> (ce poème parti d'une impression
+heureuse, mais développé d'une façon si
+méthodique et si dénuée d'ingénuité) lui semblaient
+un chef-d'&oelig;uvre dont il ne se lassait pas de redire
+les beautés. Baudelaire a subi là une emprise de jeunesse
+dont il ne devait plus se défaire.</p>
+
+<p>On s'étonnera chez lui d'une admiration si constante
+pour un poète qui lui était si sensiblement inférieur,
+tant par l'inspiration et par la forme que par
+l'originalité. Et on pourrait être tenté d'y voir, sinon
+une flagornerie envers le critique tout-puissant, du
+moins la gratitude d'un obligé. Mais les faits s'opposent
+à cette hypothèse. Car Sainte-Beuve ne fit jamais
+rien pour Baudelaire, ou ce qu'il fit en sa faveur se
+réduit à l'impondérable.</p>
+
+<p>Feuilletez d'ailleurs cet immense Larousse que
+constitue l'&oelig;uvre critique de Sainte-Beuve. Alors que
+tant de poètes subalternes, tant d'écrivains quelconques
+y bénéficient de longs articles, vous n'y découvrez
+pas un seul Lundi consacré à Baudelaire. Puis
+contrôlez par la correspondance des deux écrivains et
+<span class="pagenum"><a id="Page_9"> 9</a></span>
+vous aurez vite établi le relevé de ce que Sainte-Beuve
+accorda à son jeune ami, à celui qu'il appelait paternellement
+«son cher enfant».</p>
+
+<p>1856.&mdash;Baudelaire publie sa première traduction de
+Poe: <cite>Histoires extraordinaires</cite>. Lui qui ne sollicitait
+jamais pour son compte n'hésita en aucun cas à quémander
+pour Poe. Il s'était institué le barnum, l'impresario
+de Poe, le cultivateur acharné de sa gloire
+en France. Le silence sur Poe, la moindre critique
+contre son &oelig;uvre, meurtrissait Baudelaire au plus
+vif<a name="FNanchor_5" id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">&nbsp;[5]</a>. Pour une insignifiante réserve sur le conteur
+américain, il faillit se brouiller avec d'Aurevilly.</p>
+
+<p>En 1856 donc, il écrit à Sainte-Beuve pour lui
+recommander le volume<a name="FNanchor_6" id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">&nbsp;[6]</a>. Nous avons la réponse de
+Sainte-Beuve. Il promet ferme un article. En bas,
+une note naïve de l'éditeur ajoute: «Cet article n'a
+jamais été fait.» Et d'un!<a name="FNanchor_7" id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor">&nbsp;[7]</a></p>
+
+<p>1857.&mdash;Les <cite>Nouvelles histoires extraordinaires</cite>. Nouvelle
+lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve<a name="FNanchor_8" id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor">&nbsp;[8]</a>. Même
+silence de Sainte-Beuve. Et de deux!</p>
+
+<p><cite>Les Fleurs du Mal.</cite> Sainte-Beuve en connaît, avoue
+en connaître plusieurs morceaux. Entre autres, il doit
+avoir lu les vingt pièces publiées dès 1855, dans la
+<cite>Revue des Deux Mondes</cite><a name="FNanchor_9" id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor">&nbsp;[9]</a>. Voici l'ouvrage complet.
+Occasion unique de lancer un jeune poète qui se
+détache avec éclat de la cohue courante, se donne et
+est reçu par Sainte-Beuve comme un disciple. Le critique
+s'en tient pourtant à une longue lettre embarrassée,
+<span class="pagenum"><a id="Page_10"> 10</a></span>
+où ne sont pas oubliées les <cite>Pensées de Joseph
+Delorme</cite> ni les <cite>Consolations</cite> et où les éloges sans chaleur
+se mâtinent de gronderies vieillottes. Quant à un article,
+néant. Et de trois!</p>
+
+<p>Mais arrive le procès: Baudelaire en danger. Concédons
+que, critique officiel, Sainte-Beuve se trouve
+en délicate posture pour intervenir. Au moins pourrait-il
+autoriser Baudelaire à publier sa lettre dans le
+recueil d'articles adressé aux juges. Pas question. Tout
+juste s'il donnera quelques extraits de cette lettre
+trois ans plus tard, en 1860<a name="FNanchor_10" id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor">&nbsp;[10]</a>. Et il ne la publiera
+complète que neuf après, le poète mort, en 1869, dans
+un furtif appendice des <cite>Lundis</cite>.</p>
+
+<p>Il est vrai que, sous main, il glisse à Baudelaire
+des: «Petits moyens de défense.» Effectivement bien
+petits. «Tout était pris dans le domaine de la poésie.
+Lamartine avait pris <em>les cieux</em>. Victor Hugo avait pris
+<em>la terre</em>(?) et plus que <em>la terre</em>(??). Laprade avait pris
+<em>les forêts</em>. Musset avait pris <em>la passion</em> et <em>l'orgie éblouissante</em>
+(sic). Théophile Gautier avait pris l'Espagne (!).
+Ce que Baudelaire a pris. Il y a été comme forcé<a name="FNanchor_11" id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor">&nbsp;[11]</a>.»</p>
+
+<p>Et cela finissait par un coup de dent à Musset, dont
+la vogue torturait Sainte-Beuve&mdash;Musset dont il conseillait
+de souligner les côtés obscènes et pornographiques.
+Ainsi nuls risques et tout profit.</p>
+
+<p>Baudelaire n'en garda pas moins de ces conseils une
+éternelle reconnaissance.</p>
+
+<p>1858.&mdash;<cite>Gordon Pym.</cite> Nouvelle lettre de Baudelaire
+<span class="pagenum"><a id="Page_11"> 11</a></span>
+à Sainte-Beuve en faveur de Poe<a name="FNanchor_12" id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor">&nbsp;[12]</a>. Pas d'article. Et
+de quatre!</p>
+
+<p>1859.&mdash;Un petit scandale. Hippolyte Babou moins
+patient que Baudelaire a dénoncé dans un article le
+silence obstiné de Sainte-Beuve sur l'auteur des <cite>Fleurs
+du Mal</cite>, et flétri nettement les réticences cauteleuses
+du grand critique qui ne se répand en copie que sur
+les ouvrages de second ordre<a name="FNanchor_13" id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor">&nbsp;[13]</a>.</p>
+
+<p>Affolement de Baudelaire à l'idée d'être rendu responsable,
+quoique innocent. Lettre à Sainte-Beuve
+pour se disculper<a name="FNanchor_14" id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor">&nbsp;[14]</a>. Réponse indignée de Sainte-Beuve,
+furieux de se voir dévoilé<a name="FNanchor_15" id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor">&nbsp;[15]</a>.</p>
+
+<p>«Vous ne pouvez vous faire une idée de ce que c'est
+que la lettre de Sainte-Beuve, écrit Baudelaire à Malassis.
+Il paraît que, depuis douze ans, il notait tous les
+signes de malveillance de Babou. <em>Décidément, voilà un
+vieillard passionné avec qui il ne fait pas bon se brouiller...<a name="FNanchor_16" id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor">&nbsp;[16]</a>.</em>»</p>
+
+<p>Vraisemblablement Sainte-Beuve tint toujours rancune
+à Baudelaire de cet incident. Du moins, pour se
+taire, le ressentiment lui fournissait là une espèce
+d'excuse.</p>
+
+<p>La même année, Baudelaire publiait son étude sur
+<em>Théophile Gautier</em>. Il va de soi que, selon l'usage, Sainte-Beuve
+n'en souffla pas mot. Et de cinq!</p>
+
+<p>1860.&mdash;<cite>Les Paradis artificiels.</cite> Lettre de Baudelaire
+à Sainte-Beuve indiquant discrètement que M. Dalloz,
+directeur du journal où opère le critique, lui a dit:
+<span class="pagenum"><a id="Page_12"> 12</a></span>
+«Le livre est digne de Sainte-Beuve. Faites une visite
+à Sainte-Beuve à ce sujet.» Baudelaire ajoute: «Je
+n'aurais osé y penser. Cependant j'ai plus que jamais
+besoin d'être soutenu.» Le post-scriptum fait allusion
+à un morceau de pain d'épice qu'en passant il avait
+porté à Sainte-Beuve, fort gourmet<a name="FNanchor_17" id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor">&nbsp;[17]</a>. Nous avons la
+réponse de Sainte-Beuve. Evasive, ajournant l'article,
+alléguant des arriérés, ne promettant rien. Par contre
+il daigne remercier du pain d'épice. Et de six!<a name="FNanchor_18" id="FNanchor_18" href="#Footnote_18" class="fnanchor">&nbsp;[18]</a></p>
+
+<p>A la vérité, il se croyait largement quitte envers
+Baudelaire. Car, piqué quand même par l'article de
+Babou, comprenant la nécessité de rompre le silence,
+il s'était enfin décidé à nommer Baudelaire dans une
+<cite>Causerie du Lundi</cite>, en date du 20 février<a name="FNanchor_19" id="FNanchor_19" href="#Footnote_19" class="fnanchor">&nbsp;[19]</a>. Il
+y revenait sur l'article de Babou, accusait son accusateur
+d'envie, et finalement, comme un chien qu'on
+fouette, arrivait à Baudelaire. Oh! sans se fouler, sans
+se donner grand mal, recopiant simplement entre guillemets
+des fragments de la lettre qu'il lui avait adressée
+en 1857. On trouvera cette lettre à la suite des
+<cite>Fleurs du Mal</cite> dans l'édition définitive. On la rapprochera
+de l'article que, dans le même temps, Barbey
+d'Aurevilly consacrait au livre<a name="FNanchor_20" id="FNanchor_20" href="#Footnote_20" class="fnanchor">&nbsp;[20]</a>. Et on pourra mesurer
+toute la distance artistique qui sépare un Sainte-Beuve
+d'un Baudelaire, un Sainte-Beuve d'un d'Aurevilly.</p>
+
+<p>Pour Sainte-Beuve, Baudelaire est «un esprit fin»,
+un talent «habile et curieux». Mais «Baudelaire se
+<span class="pagenum"><a id="Page_13"> 13</a></span>
+défie trop de la passion(?), de la passion naturelle(?)».
+Il «accorde trop à l'esprit, à la combinaison».
+«Laissez-vous faire, conseille Sainte-Beuve, ne craignez
+pas tant de sentir comme les autres, n'ayez jamais
+peur d'être trop commun.» Toutefois, il convient
+aimer quelques pièces dont certaines lui semblent
+dignes de l'Anthologie. Enfin «il tient compte surtout
+à Baudelaire» (comme à Bouilhet et à Soulary)
+«de ce qu'ils viennent tard, quand l'école dont ils
+sont a déjà tant donné et tant produit, quand elle est
+comme épuisée... Ils soutiennent avec honneur, ils
+décorent le déclin et le coucher de la Pléïade».</p>
+
+<p>On possède ici, presque au complet, le sentiment de
+Sainte-Beuve sur Baudelaire, la cote qu'il lui attribue:
+un petit poète de troisième ou quatrième ligne, un de
+ces humbles glaneurs à la suite, qui viennent quand
+les maîtres ont fauché le meilleur du champ, esprits
+fins, bizarres, distingués, mais qui ne peuvent ramasser
+que les épis de surcroît, les déchets de grande moisson,
+ce qui reste...</p>
+
+<p>Rappelez-vous plus haut les moyens de défense:
+«Lamartine avait pris les <em>cieux</em>, Hugo avait pris la
+<em>terre</em>... etc.»</p>
+
+<p>Sainte-Beuve à ce moment, comme on voit, était
+loin du jugement porté vingt ans plus tard par Banville
+et que la postérité ne cessera de confirmer:</p>
+
+<p>«Il faut admirer en Baudelaire un des plus grands
+hommes de ce temps et qui, si nous ne vivions pas
+<span class="pagenum"><a id="Page_14"> 14</a></span>
+sous le règne intellectuel de Victor Hugo, mériterait
+que nul poète contemporain ne fût mis au-dessus de
+lui. De tous les artistes modernes du vers, l'auteur
+des <cite>Fleurs du Mal</cite> est le seul qui n'ait rien dû à l'auteur
+de la <cite>Légende des siècles</cite>. Il ne procédait ni de lui
+ni de personne...<a name="FNanchor_21" id="FNanchor_21" href="#Footnote_21" class="fnanchor">&nbsp;[21]</a>»</p>
+
+<p>1861.&mdash;<cite>Richard Wagner et Tannhaüser.</cite> Nul article
+de Sainte-Beuve. Et de sept.</p>
+
+<p><cite>Les Fleurs du Mal</cite>, seconde édition augmentée. Cette
+fois, Baudelaire, comme tout le public littéraire, doit
+attendre son tour de Lundi. Plus de procès à invoquer.
+Un recueil classé, consolidé, abordant presque
+déjà la gloire. Evidemment le père Sainte-Beuve va y
+aller de son article, donner son impression d'ensemble
+sur l'homme et sur l'&oelig;uvre. Mais non. Pas une
+ligne, pas un mot, pas une allusion. Et de huit!</p>
+
+<p>1862.&mdash;Un coup de tonnerre. Baudelaire, en manière
+de manifestation artistique, d'affirmation personnelle,
+se présente à l'Académie. Fâcheux contre-temps pour
+Sainte-Beuve qui s'apprêtait à faire campagne dans
+cette élection et à peser publiquement les titres des
+candidats<a name="FNanchor_22" id="FNanchor_22" href="#Footnote_22" class="fnanchor">&nbsp;[22]</a>. Arrivé à Baudelaire, comment s'en
+tirer? Impossible de passer sous silence, ou de malmener
+son «jeune ami». Et d'autre part, pas moyen de
+s'associer à cette gaminerie sans nom: Baudelaire, le
+petit Baudelaire candidat! Sainte-Beuve ici n'a pas trop
+de toute son adresse, pour ne pas dire plus. Il écrit:</p>
+
+<p>«On s'est demandé d'abord si M. Baudelaire en se
+<span class="pagenum"><a id="Page_15"> 15</a></span>
+présentant voulait faire une niche à l'Académie et une
+épigramme; s'il ne prétendait point l'avertir par là qu'il
+était bien temps qu'elle songeât à s'adjoindre ce poète et
+cet écrivain si habile et si distingué dans tous les genres
+de diction, Théophile Gautier, son maître<a name="FNanchor_22bis" id="FNanchor_22bis" href="#Footnote_22bis" class="fnanchor">&nbsp;[22 <em>bis</em>]</a>.
+On a eu <em>à apprendre, à épeler le nom de M. Baudelaire</em>
+à plus d'un membre de l'Académie qui ignorait
+totalement son existence. Il n'est pas si aisé qu'on le
+croirait de prouver à des Académiciens politiques et
+hommes d'État comme quoi il y a, dans les <cite>Fleurs du
+Mal</cite>, des pièces très remarquables vraiment pour le
+talent et pour l'art...; et qu'en somme M. Baudelaire
+a trouvé moyen de se bâtir, à l'extrémité d'une langue
+de terre réputée inhabitable et par delà les confins du
+romantisme connu, un kiosque bizarre, fort orné, fort
+tourmenté, mais coquet et mystérieux, où on lit de
+l'Edgar Poe, où l'on récite des vers exquis, où l'on
+s'enivre avec le haschich pour en raisonner après, où
+l'on prend de l'opium et mille drogues abominables dans
+des tasses d'une porcelaine achevée. Ce singulier kiosque,
+fait en marqueterie, d'une <em>originalité concertée</em> et
+composite, qui, depuis quelque temps, attire les regards
+à la pointe du Kamtchatka romantique, j'appelle cela la
+folie Baudelaire. Est-ce à dire seulement, et quand on
+a tout expliqué de son mieux à de respectables confrères
+un peu étonnés, que <em>toutes ces curiosités, tous
+ces regards</em> et ces raffinements leur semblent des titres
+pour l'<i>Académie</i>, et <i>l'auteur lui-même a-t-il pu sérieusement</i>
+<span class="pagenum"><a id="Page_16"> 16</a></span>
+<i>se le persuader</i>? Ce qui est certain, c'est que
+l'auteur gagne à être vu, que là où l'on s'attendait à
+voir entrer un homme étrange, excentrique, on se
+trouve en présence d'un candidat poli, respectueux,
+<em>exemplaire, d'un gentil garçon</em>, fin de langage et tout
+à fait classique dans les formes...»</p>
+
+<p>J'ai souligné quelques-uns des traits les plus protecteurs,
+les plus dédaigneux dans ce certificat de
+bonnes lettres et bonnes façons. Quel ton, en effet,
+pour parler de Baudelaire! Quelle différence avec les
+accents déférents d'un Barbey d'Aurevilly, d'un Asselineau,
+d'un Edouard Thierry!</p>
+
+<p>N'empêche que de la part de Sainte-Beuve, si gros
+Monsieur, juché si haut, un tel acte de condescendance,
+un tel présent de publicité pouvaient paraître
+exceptionnels. Baudelaire, évidemment, sentit plus
+l'honneur que les réserves. Il écrivit à Sainte-Beuve
+une lettre débordante de gratitude<a name="FNanchor_23" id="FNanchor_23" href="#Footnote_23" class="fnanchor">&nbsp;[23]</a>.</p>
+
+<p>Dès cet instant, il était à sa merci, suivit tous ses
+conseils académiques, n'insista plus, se désista. Sainte-Beuve
+le félicita de cette renonciation. «Quand on a
+lu votre dernière phrase de remerciement conçue en
+termes si modestes et si polis, on en a dit tout haut:
+<em>Très bien!</em> Ainsi vous avez laissé de vous une bonne
+impression: n'est-ce donc rien<a name="FNanchor_24" id="FNanchor_24" href="#Footnote_24" class="fnanchor">&nbsp;[24]</a>?»</p>
+
+<p>Baudelaire ne put nier, mais dut probablement
+penser que, pour ses candidats, Sainte-Beuve se contentait
+de peu.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_17"> 17</a></span>
+1863-1864-1865-1866.&mdash;<cite>Eurêka</cite>, les <cite>Histoires grotesques
+et sérieuses</cite><a name="FNanchor_25" id="FNanchor_25" href="#Footnote_25" class="fnanchor">&nbsp;[25]</a>, des vers dans les <cite>Poètes français</cite>
+de Crépet, des vers dans le <cite>Parnasse contemporain</cite>. Sur
+tout cela cherchez dans Sainte-Beuve: silence, silence.
+Une fois pour toutes avec son «jeune ami» il s'est
+mis en règle. Compte clos, crédit arrêté. Il ne parlera
+plus jamais de Baudelaire<a name="FNanchor_26" id="FNanchor_26" href="#Footnote_26" class="fnanchor">&nbsp;[26]</a>.</p>
+
+<p>Il le sait cependant aux abois, forcé par les dettes
+à l'exil, interdit de séjour, gravement malade, plus
+que pauvre. Sur des prières aussi discrètes que réitérées,
+il semble bien, sans que ce soit sûr, lui avoir
+donné un coup d'épaule auprès du libraire Garnier
+pour une édition complète. Mais d'articles, de citations,
+plus l'ombre<a name="FNanchor_27" id="FNanchor_27" href="#Footnote_27" class="fnanchor">&nbsp;[27]</a>.</p>
+
+<p>Quand Baudelaire meurt, une banale lettre de condoléances
+à Mme Aupick. C'est tout.<a name="FNanchor_28" id="FNanchor_28" href="#Footnote_28" class="fnanchor">&nbsp;[28]</a></p>
+
+<p>Et pourtant, j'oublie un détail. Cela se passait en
+1869. Un grand mouvement se dessinait autour de
+la mémoire de Baudelaire. La Fizelière et Decaux
+avaient publié l'année précédente&mdash;hommage inconnu
+à Sainte-Beuve&mdash;une bibliographie minutieuse de
+l'auteur des <cite>Fleurs du Mal</cite>, où se trouvaient notés
+les moindres de ses poèmes, les moindres de ses études<a name="FNanchor_29" id="FNanchor_29" href="#Footnote_29" class="fnanchor">&nbsp;[29]</a>.
+L'éditeur Michel Lévy, emboitant le pas, adoptait
+les v&oelig;ux des amis de Baudelaire, commençait
+l'édition des &oelig;uvres complètes, tant souhaitée par le
+poète.</p>
+
+<p>Une &oelig;uvre complète à embrasser, une carrière totale
+<span class="pagenum"><a id="Page_18"> 18</a></span>
+à juger, le sujet idéal pour un <cite>Lundi</cite> de Sainte-Beuve.
+Tout le monde sans doute guettait l'article, l'éditeur
+comme les lettrés.</p>
+
+<p>Mais non. Sainte-Beuve, figé dans son mutisme, ne
+vit là qu'un prétexte à réclamation personnelle. La
+lettre de 1857 ayant été publiée par Michel Lévy à la
+suite du premier volume, il y aperçut des fautes d'impression.
+Pour rectifier, il donna le texte authentique
+à la fin d'un tome des <cite>Lundis</cite>. La lettre était précédée
+de ces lignes<a name="FNanchor_30" id="FNanchor_30" href="#Footnote_30" class="fnanchor">&nbsp;[30]</a>:</p>
+
+<p>«Le poète Baudelaire, très raffiné, très corrompu à
+dessein et par recherche d'art, <em>avait mis des années</em> à
+extraire de tout sujet et de toute fleur un suc vénéneux
+et même, il faut le dire, <em>assez agréablement vénéneux</em>;
+c'était d'ailleurs un homme d'esprit <em>assez aimable à ses
+heures</em> et très capable d'affection...»</p>
+
+<p>A ce maigre bouquet se réduisit sa couronne funèbre,
+à cette sèche notice l'étude définitive qu'on espérait.
+Même au delà de la tombe, Sainte-Beuve ne gâtait
+pas «son cher enfant».</p>
+
+<hr class="tb" />
+
+<p>Comme chez beaucoup de critiques, chez Sainte-Beuve,
+à côté de vues fines et ingénieuses, abondent
+les bévues, les injustices, les incompréhensions.</p>
+
+<p>Toutefois, parmi les siennes, on peut distinguer
+trois périodes. Dans la première, c'est un enthousiasme
+sincère ou voulu qui l'abuse. S'improvisant le
+héraut de la phalange romantique, souvent les amitiés
+<span class="pagenum"><a id="Page_19"> 19</a></span>
+ou les antipathies de groupe l'entraînent trop loin dans
+le dénigrement ou dans l'éloge.</p>
+
+<p>Après 1835, il a pu se convaincre que, comme
+poète, il était à jamais surpassé, «gratté», par ses
+compagnons de lutte: Lamartine, Hugo, Gautier,
+Vigny, Musset. Dès lors, malgré lui, c'est l'envie qui
+l'égare. Une brouille avec Hugo lui épargnera le supplice
+de chanter ses louanges. Envers les autres, par
+contre, son envie ne se maîtrise plus. Elle suinte en
+gouttelettes amères dans ses journaux privés, ses
+remarques secrètes. Puis, au jour propice: anniversaire,
+réception académique, malheur, mort, elle déferle dans
+un article. Pas un de ces grands noms qu'elle n'ait
+aspergés de ses jets venimeux<a name="FNanchor_A" id="FNanchor_A" href="#Footnote_A" class="fnanchor">&nbsp;[A]</a>.</p>
+
+<div>
+<p class="i2"><a name="Footnote_A" id="Footnote_A" href="#FNanchor_A" class="label">[A]</a> Pour être exacts, rappelons cependant une épargnée:
+M<sup>me</sup> Desbordes-Valmore, dont Sainte-Beuve fut des rares à sentir
+et à vanter, comme il fallait, le génie.</p></div>
+
+<p>Enfin, à partir de 1850, le train artistique le déroute.
+Il n'y est plus, ne suit plus. L'incompétence ici
+l'aveugle. Il néglige Leconte de Lisle, Michelet, Barbey
+d'Aurevilly. Il se trompe lourdement sur Flaubert. Il
+passe à côté de Verlaine. L'envergure de Baudelaire
+lui échappe.</p>
+
+<p>Dans ces données comme dans les documents cités
+plus haut, on trouverait peut-être une explication de
+son attitude envers Baudelaire.</p>
+
+<p>Son silence presque continu sur l'auteur des <cite>Fleurs</cite>
+<span class="pagenum"><a id="Page_20"> 20</a></span>
+<cite>du Mal</cite> procéderait de deux des phases ci-dessus: la
+troisième, puis la seconde. Tant que Baudelaire reste
+obscur, il l'omet ou le diminue, faute de l'apprécier à
+sa valeur. Dès que la gloire de son «jeune ami» se
+lève, il s'en tait, crainte de la pousser.</p>
+
+<p>Avec Baudelaire il commence par l'incompétence et
+il termine par l'envie.</p>
+
+<div class="p2 figcenter">
+<img src="images/illustration_020.jpg" width="120" height="70" alt="" title="" />
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_21"> 21</a></span></p>
+
+
+<div class="header">
+<h2>II</h2>
+</div>
+
+<p class="drop-cap"><span class="smcap">Parmi</span> les nombreux articles qu'a suscités ma précédente
+étude et qui nous montrent en pleine ascension
+la gloire comme la faveur de Baudelaire, il s'en est
+trouvé quelques-uns pour prendre la défense de Sainte-Beuve.
+Notamment l'âpre plaidoyer qu'a publié dans
+le <cite>Temps</cite> mon ami M. Paul Souday.</p>
+
+<p>Il serait oiseux de discuter ici longuement les griefs
+personnels que m'oppose le sagace critique du <cite>Temps</cite>.</p>
+
+<p>De ce qu'on est chroniqueur, romancier, auteur dramatique,
+s'ensuit-il que vous soient interdites la culture,
+la lecture et certaines prédilections littéraires?
+De ce qu'on admire chez Vallès le grand écrivain, le
+grand romancier, résulte-t-il qu'on doive endosser
+ses boutades, ses foucades, ses idées et qu'avec lui
+on doive renvoyer Baudelaire à l'asile ou Homère aux
+Quinze-Vingts? Enfin, parce qu'en maint endroit Barbey
+d'Aurevilly surcharge fâcheusement son style d'arabesques
+<span class="pagenum"><a id="Page_22"> 22</a></span>
+et de clinquant, parce qu'il écrivit sur G&oelig;the
+un pamphlet superficiel, parce qu'en une de ses phrases
+il se rencontre avec Sainte-Beuve, faut-il pour cela
+taire la rare clairvoyance de son étude sur les <cite>Fleurs
+du Mal</cite> et nier le contraste frappant avec le critique
+des <cite>Lundis</cite>? Sincèrement je ne le pense pas.</p>
+
+<p>Sur le reste du débat, d'autre part, les faits et les
+documents que j'ai cités me paraissent répondre; et
+sans fol orgueil, je crois que l'interprétation que j'en
+ai donnée n'outrepassait ni la mesure ni la vérité.</p>
+
+<p>Comme exemples, ne reprenons que les dates et les
+&oelig;uvres culminantes; en 1861, la seconde édition des
+<cite>Fleurs du Mal</cite>,&mdash;en 1869, l'édition des &oelig;uvres complètes.</p>
+
+<p>En 1861, l'autorité littéraire de Baudelaire ne souffre
+plus conteste. Il apporte un recueil entièrement renouvelé,
+expurgé des pièces libres qui pouvaient effaroucher
+la critique officielle, augmenté de pièces inédites
+dont quelques-unes magistrales, comme <cite>le Voyage</cite>, ce
+joyau de la poésie française. A ce moment, pas de
+poète, pas de critique qui ne s'incline devant son
+talent. A ce moment, Leconte de Lisle, si sévère pour
+lui-même, si dur pour autrui, lui consacre un article,
+où, malgré la réserve des épithètes et ce quelque chose
+de tendu qu'avaient toujours ses louanges, on voit
+Baudelaire placé au premier rang, hors pair<a name="FNanchor_31" id="FNanchor_31" href="#Footnote_31" class="fnanchor">&nbsp;[31]</a>.</p>
+
+<p>Si alors Sainte-Beuve résiste au mouvement, s'obstine
+dans son mutisme, ce n'est nullement malveillance
+<span class="pagenum"><a id="Page_23"> 23</a></span>
+ni même absolue incompréhension. C'est, comme
+le prouvent nos documents, qu'il tient Baudelaire pour
+un <i lang="la" xml:lang="la">poeta minor</i> ne méritant pas encore le <i lang="la" xml:lang="la">dignus
+intrare</i> dans la galerie des <cite>Lundis</cite>.</p>
+
+<p>Or, comment appeler d'un autre nom qu'incompétence
+une telle faute de perspective, un tel manque de
+discernement et de sensibilité?</p>
+
+<p>En 1869, les circonstances seront différentes.</p>
+
+<p>D'abord, pour renseigner Sainte-Beuve sur l'importance
+réelle de «son jeune ami», toute l'&oelig;uvre de
+Baudelaire est là<a name="FNanchor_32" id="FNanchor_32" href="#Footnote_32" class="fnanchor">&nbsp;[32]</a>.</p>
+
+<p>Non seulement les <cite>Fleurs du Mal</cite>, mais encore ces
+poèmes en prose auxquels, en passant il a décoché
+jadis un salut.</p>
+
+<p>Non seulement l'&oelig;uvre d'imagination, mais l'&oelig;uvre
+critique: les salons de 1845, de 1846, de 1859, les
+études sur les caricaturistes, les articles sur les grands
+littérateurs du temps, pages saisissantes par la prescience
+et la hardiesse des aperçus, par l'esthétique
+sereine et stable qui s'en dégage,&mdash;modèles accomplis
+de cette critique intuitive où les poètes souvent
+excellent.</p>
+
+<p>Bref, dans ces quatre volumes, Baudelaire révélé: le
+reflet constant d'un des génies les plus profonds, les
+plus variés, les plus originaux qu'ait produits la littérature.</p>
+
+<p>A l'éclat d'une pareille &oelig;uvre, on a peine à croire
+que Sainte-Beuve ne distingue pas son erreur. Fermerait-il
+<span class="pagenum"><a id="Page_24"> 24</a></span>
+même les yeux pour ne pas la voir, que ses
+oreilles tinteraient de la rumeur d'éloges montant
+autour du nom de Baudelaire.</p>
+
+<p>Quand je disais, en effet, que tout le monde littéraire
+attendait son article d'ensemble sur Baudelaire,
+je n'avançais pas qu'une conjecture. Lisez plutôt la préface
+de la bibliographie de Baudelaire par La Fizelière
+et Decaux. Sainte-Beuve y est cité, encensé, mais aussi
+mis en demeure.</p>
+
+<p>«Quant à l'appréciation de ses écrits, déclarent les
+auteurs (en un style que pallie la bonne intention),
+quant à l'appréciation de ses écrits, elle appartient de
+toute nécessité à quelque grand critique habile comme
+M. Sainte-Beuve, par exemple, à faire courir le scalpel
+de l'analyse sur la fibre délicate d'une organisation
+poétique qui, chez Baudelaire, était prodigieusement
+exceptionnelle.»</p>
+
+<p>Et tout le long de la préface, l'appel direct à Sainte-Beuve
+se poursuit, couvrant sous les fleurs une véritable
+sommation.</p>
+
+<p>On sait la fin de non-recevoir qu'y opposa le critique
+des <cite>Lundis</cite>. Avertissements venus de l'&oelig;uvre,
+invites venues du monde des lettres, rien n'eut raison
+de son silence. Ici l'erreur n'étant plus invocable, on
+ne trouve plus guère d'explication que l'envie.</p>
+
+<p>Etonnante certes, à première vue, chez ce vieux
+maréchal, si au-dessus de l'humble gradé Baudelaire.
+Mais on oublie que dans les lettres, hélas! il est deux
+<span class="pagenum"><a id="Page_25"> 25</a></span>
+envies: celle qui vise vos égaux et celle que vous
+inspirent vos subalternes, l'envie contre les gens de
+son bateau et l'envie contre le bateau qui suit. Or, des
+deux, qui jurerait que la seconde n'est pas fréquemment
+la plus douloureuse, la plus cuisante, la plus
+implacable? Et qui prétendrait que, si sujet à la première,
+Sainte-Beuve soit demeuré inaccessible à la
+seconde?</p>
+
+<p>Pourtant une chance de défense subsistait, puisée
+dans la santé débile de Sainte-Beuve et la date de sa
+mort.</p>
+
+<p>Durant cette année 1869, nous sommes au fait
+des tourments que lui infligea la maladie. Au mois
+d'août, ses souffrances s'aggravaient. En septembre
+il donna son dernier article. Il mourut le mois suivant.</p>
+
+<p>En tenant compte de ces remarques, une hypothèse
+aussitôt se présentait. Les quatre premiers tomes de
+l'édition complète de Baudelaire étant datés de 1869,
+peut-être avaient-ils paru, sur la fin de l'année, quand
+Sainte-Beuve touchait à ses suprêmes moments. Des
+lors, comment reprocher à un agonisant le silence le
+plus pardonnable?</p>
+
+<p>Si pénible que fût une enquête de ce genre funèbre,
+j'ai voulu en avoir le c&oelig;ur net. J'ai consulté la Bibliographie
+de la France aux années 1868 et 1869. Et voici
+le résultat:</p>
+
+<p>Dès la fin de 1868, nous le savons par ses écrits,
+Sainte-Beuve connaît à fond les <cite>Fleurs du Mal</cite> et les
+<span class="pagenum"><a id="Page_26"> 26</a></span>
+<cite>Poèmes en prose</cite>. Les <cite>Curiosités esthétiques</cite>, renfermant
+les salons et critiques d'art, paraissent en décembre
+1868. L'<cite>Art romantique</cite>, contenant les études de m&oelig;urs
+et les critiques littéraires, paraît en février 1869.</p>
+
+<p>De fin février à septembre, Sainte-Beuve disposait
+donc de six grands mois, de vingt-quatre <cite>Lundis</cite>, pour
+parler de Baudelaire. Durant ces six mois, il continua
+à se taire. De ces vingt-quatre feuilletons pas un seul
+ne fut accordé à Baudelaire.</p>
+
+<p>Il me semble que cette fois la cause est entendue.</p>
+
+<div class="p2 figcenter">
+<img src="images/illustration_032.jpg" width="120" height="69" alt="" title="" />
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_27"> 27</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<h2>APPENDICE<br />
+<span class="subh medium">LES SENTIMENTS DE BAUDELAIRE POUR SAINTE-BEUVE</span></h2>
+</div>
+
+<p class="drop-cap"><span class="smcap">Au</span> cours de l'étude qui précède, on a pu constater
+l'inaltérable attachement de Baudelaire pour
+Sainte-Beuve malgré les constantes défections du critique
+à son égard.</p>
+
+<p>Il resterait à expliquer cette longanimité si contraire
+à ce que nous révèlent de Baudelaire ses correspondances
+et ses papiers intimes.</p>
+
+<p>Sans s'y montrer positivement vindicatif, le poète
+ne cesse d'y attester une extrême sensibilité aussi bien
+aux bons procédés qu'aux mauvais. Éloges ou dénigrements,
+il note tout avec une perspicacité toujours en
+éveil. Se défiant même de la mémoire, cette négligente,
+qui oublie souvent en route les injures autant que les
+bienfaits, il avait institué dans ses carnets une rubrique
+spéciale intitulée <cite>Vilaines canailles</cite>, où il inscrivait les
+noms des personnes qui l'avaient desservi ou simplement
+<span class="pagenum"><a id="Page_28"> 28</a></span>
+déçu. Or, par un traitement privilégié, Sainte-Beuve
+ne figure sur aucune de ces listes vengeresses.</p>
+
+<p>Bien mieux, en 1859, au moment où Babou manque
+de le brouiller avec le critique, dans la lettre affolée qu'il
+écrit à Poulet-Malassis, Baudelaire déclare: «Ce qu'il
+y avait dangereux là dedans, c'est que Babou avait l'air
+de me défendre contre quelqu'un qui m'a rendu <em>une
+foule de services</em>.»</p>
+
+<p>Lesquels? On reste rêveur. On cherche et voici ce
+qu'on trouve jusqu'à cette date: trois refus d'articles
+sur Poe, une lettre privée sur les <cite>Fleurs du Mal</cite>, des
+conseils privés lors du procès. Secours bien minces.
+On cherche encore: on découvre deux lettres de Sainte-Beuve,
+l'une en date du 3 octobre 1852 mentionnant
+la recommandation d'un manuscrit à Véron, une autre
+lettre en date du 20 mars 1854 où Sainte-Beuve se
+récuse au sujet d'une demande d'appui au <cite>Moniteur</cite>. Et
+c'est tout.</p>
+
+<p>Qu'un poétereau, à visées médiocres et doutant de
+soi, se fût abusé sur l'importance de ces menus services,
+l'illusion semblerait plausible. Mais chez Baudelaire,
+elle déconcerte.</p>
+
+<p>Dans ses lettres, dans ses carnets, le trait dominant,
+permanent, c'est l'orgueil.</p>
+
+<p>Non pas la petite vanité de l'homme de lettres qui
+puise toute sa force dans les louanges d'autrui, les
+publicités bruyantes, les succès immédiats&mdash;et s'effondre
+aussitôt que ces adjuvants cessent. Mais une
+<span class="pagenum"><a id="Page_29"> 29</a></span>
+foi intérieure et indéfectible en sa valeur personnelle,
+en son génie, en son &oelig;uvre, une prescience presque
+miraculeuse du rang où celle-ci atteindra. Dès 1847,
+quand il annonce les <cite>Fleurs du Mal</cite> sous son titre primitif
+<cite>Les Lesbiennes</cite>, le format que Baudelaire leur
+assigne d'autorité, c'est l'in-quarto&mdash;c'est-à-dire le
+format réservé aux grands chefs-d'&oelig;uvre consacrés<a name="FNanchor_B" id="FNanchor_B" href="#Footnote_B" class="fnanchor">&nbsp;[B]</a>.
+En 1860, un an après l'incident Babou, il écrit
+à sa mère: «Plus je deviens malheureux, plus mon
+orgueil augmente.» Et dans une autre lettre: «Comme
+j'ai un genre d'esprit impopulaire, je gagnerai peu
+d'argent, <em>mais je laisserai une grande célébrité, je
+le sais</em>.» Et partout de même répétée, ressassée la
+certitude de la durée, de l'immortalité des <cite>Fleurs du
+Mal</cite>.</p>
+
+<div>
+<p class="i2"><a name="Footnote_B" id="Footnote_B" href="#FNanchor_B" class="label">[B]</a> Edition originale de <cite>Chien Caillou</cite> de Champfleury, Martinon
+1847. Sur le 2<sup>e</sup> plat de la couverture: <span class="smcap">A paraitre incessamment</span>:
+Pierre de <span class="smcap">Fayis</span>, <cite>Les Lesbiennes</cite>, poèmes, un volume
+grand in-4.</p></div>
+
+<p>Comment supposer alors que Baudelaire n'aperçoive
+pas la disproportion entre le sentiment qu'il a de sa
+grandeur et la taille que lui attribue Sainte-Beuve? Comment
+comprendre qu'il tremble à l'idée d'une brouille
+avec un protecteur si tiède et qu'il exagère, avec un si
+manifeste parti pris, une serviabilité si parcimonieuse?</p>
+
+<p>Énigme qui n'est insoluble qu'à première vue et qui
+s'éclaire quand on analyse un à un les éléments de cet
+attachement étrange.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_30"> 30</a></span>
+Sans parler de la première emprise de jeunesse, des
+premiers élans d'admiration qui durent s'atténuer secrètement
+lorsque Baudelaire prit pleine possession de
+son talent, il est évident que, dans cet attachement, l'intérêt
+eut une part.</p>
+
+<p>Non que dans ses relations avec Sainte-Beuve, Baudelaire
+poursuivît un avantage personnel. Vraisemblablement,
+quoique sans grande confiance, il espérait, il
+ne désespérait pas qu'un jour, peut-être, à la longue,
+son tour de <cite>Lundi</cite> viendrait. Mais au peu que Sainte-Beuve
+lui avait accordé, à ces éloges retenus, et par
+raccroc, que le critique lui dispensait dans un coin
+d'article, Baudelaire était trop fin pour ne pas discerner
+que ce jour était encore bien lointain, bien incertain, si
+encore il devait jamais luire. Au surplus, son orgueil
+lui permettait d'attendre et lui défendait de demander
+plus. Une seule fois il fléchit, c'était en 1860, lorsque
+parurent les <cite>Paradis artificiels</cite>. Baudelaire alors nettement
+sollicita de Sainte-Beuve un article. Mais par les
+lettres récemment publiées dans la <cite>Revue de Paris</cite>, nous
+connaissons les dessous de cette défaillance. «J'ai plus
+que jamais besoin d'être soutenu, écrivait-il à Sainte-Beuve
+et je devais vous rendre compte de mon <em>embarras</em>.»
+<em>Embarras</em> signifiait le dernier degré de la détresse,
+misères physiques, misère pécuniaire, un homme à la
+dérive. Cette sollicitation dictée par l'angoisse resta, on
+le sait, sans résultat. Ce fut la première et la dernière.</p>
+
+<p>Par contre, si peu quémandeur pour lui-même,
+<span class="pagenum"><a id="Page_31"> 31</a></span>
+nous avons vu que, en faveur de Poe, Baudelaire
+n'hésitait pas à harceler Sainte-Beuve. De 1856 à 1865,
+pas une année sans que Baudelaire ne revienne à la
+charge, ne caresse et ne relance le critique pour lui
+arracher l'article sur Poe. C'est chez lui le même
+acharnement qu'à demander de l'argent à sa mère pour
+Jeanne Duval. Avec la Muse noire, Poe avait fini par
+devenir sa grande charge, son grand devoir. Pour lui
+gagner Sainte-Beuve, il eût tout pardonné, il pardonnait
+tout au critique. Poe fut sûrement dans leur
+attachement un des liens les plus solides.</p>
+
+<p>Mais en dehors de ces calculs&mdash;bien désintéressés&mdash;ce
+qui semble avoir le plus retenu Baudelaire à
+Sainte-Beuve, malgré déboires et déceptions, c'est
+Sainte-Beuve lui-même, sa fréquentation, sa société.</p>
+
+<p>Si orgueilleux que fût Baudelaire, visiblement il
+avait été flatté par l'accueil affable de cet écrivain
+fameux, son aîné presque de vingt ans, maître de toutes
+les renommées littéraires de l'heure, et dont la
+porte ne s'ouvrait qu'à des pairs ou à des intimes.</p>
+
+<p>«Un homme qui, malgré ma jeunesse relative,
+m'a toujours pris pour son égal!» écrivait-il fièrement
+à sa mère en 1865. Traitement peu commun de la part
+de Sainte-Beuve, si réservé, si en méfiance contre les
+intrus et les fâcheux.</p>
+
+<p>Et effectivement, faute de services, il ressort de
+leur correspondance que Sainte-Beuve ne ménageait
+à Baudelaire ni une paternelle considération ni de délicats
+<span class="pagenum"><a id="Page_32"> 32</a></span>
+égards ni même des avis et des réconforts d'autant
+plus précieux qu'ils venaient de plus haut.</p>
+
+<p>«Est-il permis de venir se réchauffer et se fortifier à
+votre contact? lui écrivait Baudelaire en 1865 (un mois
+après lui avoir adressée vainement <cite>Gordon Pym</cite>). Vous
+savez ce que je pense des hommes atonifiants et des
+hommes tonifiants. J'ai besoin de vous comme d'une
+douche.»</p>
+
+<p>On se demande, du reste, dans quelle société Baudelaire
+si réfléchi, si épris de belles lettres, eût trouvé
+l'équivalent en agrément et en qualité de ce que lui
+offrait celle de Sainte-Beuve. Banville bien superficiel
+et funambulesque, Gautier pliant sous le feuilleton et,
+en ses propos, plus rapin que penseur, Leconte de Lisle
+absorbé dans ses transcriptions de l'antique, Poulet-Malassis
+bon lettré mais tout à ses échéances, Asselineau
+aimable polygraphe mais sans profondeur, Théophile
+Silvestre écrivain de haute marque mais toujours au
+dehors pour des inspections d'art, Flaubert à Croisset,
+Barbey d'Aurevilly, le tempérament le plus proche du
+sien, mais accaparé par le roman, le journalisme, les
+salons,&mdash;à la vérité, comme tous les esprits supérieurs,
+Baudelaire se trouvait très isolé dans son
+époque<a name="FNanchor_C" id="FNanchor_C" href="#Footnote_C" class="fnanchor">&nbsp;[C]</a>. A défaut de Renan qu'il ne connaissait pas
+<span class="pagenum"><a id="Page_33"> 33</a></span>
+et qui d'ailleurs se désintéressait ouvertement des auteurs
+du jour, on conçoit que, pour un poète de cette
+envergure et de cette culture, la familiarité, même
+inefficace, de Sainte-Beuve ait été la planche de salut,
+le <em>præsidium</em> rêvé. Et l'on s'explique que pour le garder
+Baudelaire ait avalé tant de couleuvres.</p>
+
+<div>
+<p class="i2"><a name="Footnote_C" id="Footnote_C" href="#FNanchor_C" class="label">[C]</a> Au moment où se corrigent les épreuves de cette étude, la
+<cite>Revue de Paris</cite>, du 15 octobre 1917 publie une lettre de Baudelaire
+qui apporte aux remarques ci-dessus la confirmation
+du poète lui-même: «Excepté d'Aurevilly, Flaubert, Sainte-Beuve,
+je ne peux m'entendre avec personne. Th. Gautier seul
+peut me comprendre, quand je parle peinture.» (11 août 1862).</p></div>
+
+<p>Cependant, à la digestion, ne lui laissèrent-elles pas
+quelques aigreurs? La négative serait aventurée.</p>
+
+<p>Ouvrons en effet les <cite>Fleurs du Mal</cite> (première ou
+seconde ou troisième édition) et relevons les noms des
+dédicataires. L'ensemble du volume est dédié à Gautier,
+trois pièces sont dédiées à Victor Hugo, deux au sculpteur
+Christophe, une autre à Banville, une autre à
+Constantin Guys, une autre à Maxime du Camp.</p>
+
+<p>Mais à Sainte-Beuve pas une seule, malgré les
+témoignages d'admiration que prodiguait Baudelaire,
+dans ses lettres, au poète de <cite>Joseph Delorme</cite>.</p>
+
+<p>Consultons la <cite>Revue Fantaisiste</cite> où parurent de Baudelaire
+les <cite>Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains</cite>.
+Ces <cite>Réflexions</cite> ont pour sujets Banville, Barbier,
+Desbordes-Valmore, Pierre Dupont, Flaubert,
+Gautier, Victor Hugo, Leconte de Lisle, Le Vavasseur,
+Paul de Molènes, Pétrus Borel. Mais de Sainte-Beuve
+pas trace.</p>
+
+<p>Compulsons le recueil des <cite>Poètes Français</cite> de Crépet
+<span class="pagenum"><a id="Page_34"> 34</a></span>
+où l'anthologie de chaque poète s'orne d'une étude sur
+son &oelig;uvre. Baudelaire a signé plusieurs de ces notices.
+Sainte-Beuve y a, bien entendu, la sienne. Mais elle
+n'est pas signée: Baudelaire. Elle est signée: Babou.</p>
+
+<p>Feuilletons enfin les &oelig;uvres complètes de Baudelaire,
+fouillons, scrutons ligne à ligne. Dans les sept volumes,
+nulle part le nom de Sainte-Beuve n'est cité.</p>
+
+<p>Omissions trop répétées pour qu'on les croie dues
+au hasard.</p>
+
+<p>Il est plus probable qu'elles furent voulues et que,
+par ce mutisme obstiné, Baudelaire entendit rendre à
+Sainte-Beuve ce qu'on appelle «la pareille».</p>
+
+<p>Ici s'accuse nettement la différence de procédés
+entre les écrivains de haute classe et les subalternes.</p>
+
+<p>Négligé par Sainte-Beuve, un Babou s'exaspère,
+accuse, invective.</p>
+
+<p>Un Baudelaire, au contraire s'en tiendra au silence,
+cette légitime représaille de l'artiste contre ceux qui se
+taisent sur lui.</p>
+
+<div class="p2 figcenter">
+<img src="images/illustration_034.jpg" width="120" height="62" alt="" title="" />
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_35"> 35</a></span></p>
+
+
+<div class="header">
+<div class="footnotes">
+<h2 class="normal">NOTES:</h2>
+<div class="footnote">
+
+<p><a name="Footnote_1" id="Footnote_1" href="#FNanchor_1" class="label">[1]</a> «Le second ami était et est encore gros, paresseux et lymphatique;
+de plus il n'a pas d'idées et ne sait qu'enfiler et
+perler des mots en manière de colliers d'Osages» (Article de
+Baudelaire dans l'<cite>Echo des Théâtres</cite> du 23 août 1846. <cite>&OElig;uvres
+posthumes</cite>, Mercure de France, 1908, p. 293).</p>
+
+<p><a name="Footnote_2" id="Footnote_2" href="#FNanchor_2" class="label">[2]</a> La prédiction de Gautier sur Baudelaire est trop longue
+pour être citée en entier. Elle se termine ainsi: «Le Baudelaire
+fera long feu comme le Pétrus.» (<span class="smcap">M. du Camp</span>, <cite>Souvenirs littéraires</cite>,
+t. II, p. 83 et 84).</p>
+
+<p>A joindre cette autre opinion de Gautier sur <em>le</em> Baudelaire:
+«Théophile Gautier qui, dans l'intimité, a un vif sentiment
+critique, me disait en 1848:&mdash;Baudelaire est un beau vase
+qui a une <em>fissure</em>» (<span class="smcap">Champfleury</span>, <cite>Souvenirs</cite>, p. 145).</p>
+
+<p>Il est à remarquer cependant que, dès 1845, la presque totalité
+des <cite>Fleurs du Mal</cite> était connue du monde lettré par les récitations
+qu'en faisait Baudelaire.</p>
+
+<p><a name="Footnote_3" id="Footnote_3" href="#FNanchor_3" class="label">[3]</a> <cite>&OElig;uvres posthumes</cite>, Mercure de France, 1908, p. 54.</p>
+
+<p><a name="Footnote_4" id="Footnote_4" href="#FNanchor_4" class="label">[4]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 492, 15 janvier 1866.</p>
+
+<p><a name="Footnote_5" id="Footnote_5" href="#FNanchor_5" class="label">[5]</a> En 1856, dans la <em>Préface</em> de sa traduction des <cite>Histoires
+extraordinaires</cite>, à propos d'un biographe de Poe, qui s'était permis,
+par une inconvenance étrange, de publier en tête des &oelig;uvres
+de l'écrivain un éreintement en règle de sa vie et de ses ouvrages,
+Baudelaire écrivait ces lignes indignées et mémorables: «Il
+n'existe donc pas en Amérique d'ordonnance qui interdise aux
+chiens l'entrée des cimetières» (<cite>Histoires extraordinaires</cite>, 1856,
+p. <span class="smcap">XX</span>).</p>
+
+<p><a name="Footnote_6" id="Footnote_6" href="#FNanchor_6" class="label">[6]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 190, 19 mars 1856.</p>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_36"> 36</a></span></p>
+<p><a name="Footnote_7" id="Footnote_7" href="#FNanchor_7" class="label">[7]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 210, 24 mars
+1856.</p>
+
+<p><a name="Footnote_8" id="Footnote_8" href="#FNanchor_8" class="label">[8]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 104, 9 mars 1857. J'ai omis de
+noter la réponse de Sainte-Beuve (<cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 222,
+11 mars 1857). Sainte-Beuve préfère qu'Edouard Thierry, rédacteur
+au <cite>Moniteur</cite>, parle d'abord de l'ouvrage. Quant à lui, il
+ajourne à une date vague, sous prétexte qu'il n'a pas encore «sa
+petite idée» sur Poe&mdash;malgré la publication de deux volumes
+contenant les plus célèbres chefs-d'&oelig;uvre du conteur. Cette
+seconde promesse d'article n'eut pas, d'ailleurs, plus de suites
+que la première.</p>
+
+<p><a name="Footnote_9" id="Footnote_9" href="#FNanchor_9" class="label">[9]</a> <cite>Revue des Deux Mondes</cite>, 1<sup>er</sup> juin 1855.</p>
+
+<p><a name="Footnote_10" id="Footnote_10" href="#FNanchor_10" class="label">[10]</a> <cite>Nouveaux Lundis</cite>, t. I, p. 400, et <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>,
+t. I, p. 219.</p>
+
+<p><a name="Footnote_11" id="Footnote_11" href="#FNanchor_11" class="label">[11]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>&OElig;uvres posthumes</cite>, Quantin, 1887 (éd. Crépet),
+p. 285.</p>
+
+<p><a name="Footnote_12" id="Footnote_12" href="#FNanchor_12" class="label">[12]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 163, 14 juin 1858. «... Il y a
+des jours où les injures de tous les sots vous montent au cerveau
+et alors on implore son vieil ami Sainte-Beuve.» Le vieil
+ami Sainte-Beuve n'avait sans doute pas encore assez mûri «sa
+petite idée» sur Poe, car il persista dans le silence.</p>
+
+<p><a name="Footnote_13" id="Footnote_13" href="#FNanchor_13" class="label">[13]</a> Cet article, intitulé l'<cite>Amitié littéraire</cite>, avait paru dans la
+<cite>Revue Française</cite>. Il reparut dans un volume de Babou, intitulé
+<cite>Lettres satiriques et critiques</cite>, Poulet-Malassis, 1860. Le passage
+visant Sainte-Beuve se terminait par la phrase suivante: «Il
+glorifiera <cite>Fanny</cite>, l'honnête homme! et gardera le silence sur les
+<cite>Fleurs du Mal</cite>.» Toutefois, l'éditeur, sans doute sur la prière de
+Baudelaire, ayant supprimé la phrase, Babou la rétablit dans
+un <cite>Post-scriptum</cite> avec sommation à Poulet-Malassis de l'insérer.</p>
+
+<p><a name="Footnote_14" id="Footnote_14" href="#FNanchor_14" class="label">[14]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 184, 21 février 1859.</p>
+
+<p>A consulter également une lettre à Asselineau sur le même
+sujet (p. 185) du 24 février 1859.</p>
+
+<p><a name="Footnote_15" id="Footnote_15" href="#FNanchor_15" class="label">[15]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Nouvelle Correspondance</cite>, p. 153, 23 février
+1859. A consulter aussi une lettre de Sainte-Beuve à Poulet-Malassis
+(p. 142), même date, même sujet. Sainte-Beuve demande
+à Poulet-Malassis de lui confier la fameuse lettre qu'il
+avait adressée à Baudelaire sur les <cite>Fleurs du Mal</cite> et qui, de 1857
+à 1870, constitue sa grande pièce de défense, sa grande parade
+contre les accusations d'indifférence envers Baudelaire.</p>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_37"> 37</a></span></p>
+<p><a name="Footnote_16" id="Footnote_16" href="#FNanchor_16" class="label">[16]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 187.</p>
+
+<p><a name="Footnote_17" id="Footnote_17" href="#FNanchor_17" class="label">[17]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 269.</p>
+
+<p><a name="Footnote_18" id="Footnote_18" href="#FNanchor_18" class="label">[18]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 255, 3 juillet 1860.</p>
+
+<p><a name="Footnote_19" id="Footnote_19" href="#FNanchor_19" class="label">[19]</a> <cite>Causeries des Lundis</cite>, t. XV, p. 350. <cite>Lettre au directeur-gérant
+du Moniteur.</cite> Il est à signaler qu'une fois de plus, Sainte-Beuve
+justifie son silence en invoquant un article consacré à
+Baudelaire dans le <cite>Moniteur</cite> par Edouard Thierry. En 1858 il
+dit à Baudelaire: «Thierry parlera de vous.» En 1860:
+«Thierry a parlé de vous.» Ingénieuse combinaison qui instituait
+Thierry définitivement comme délégué aux affaires baudelairiennes
+et fournissait aux temporisations de Sainte-Beuve
+tantôt une prétexte, tantôt une excuse.</p>
+
+<p>Il est en outre à noter que l'incident Babou-Sainte-Beuve se
+termina au mieux. En 1862, en tête des poésies de Sainte-Beuve
+publiées dans les <cite>Poètes Français</cite> de Crépet, parut une notice
+sur Sainte-Beuve, signée Hippolyte Babou et où l'encensoir n'était
+pas balancé de main morte (<cite>Poètes Français</cite>, t. IV, p. 357). Sur
+quoi, Sainte-Beuve, ne voulant pas demeurer en reste de politesse,
+accorda aux notices publiées par Babou dans ce recueil un
+paragraphe plus qu'obligeant (<cite>Nouveaux Lundis</cite>, t. III, p. 341).</p>
+
+<p>Dans cette affaire il n'y eut donc qu'une victime: Baudelaire.</p>
+
+<p><a name="Footnote_20" id="Footnote_20" href="#FNanchor_20" class="label">[20]</a> Ce bel article parut d'abord dans les <cite>Articles justificatifs
+pour Charles Baudelaire, auteur des Fleurs du Mal</cite> (1857), imprimerie
+Dondey Dupré, p. 9. Il fut réédité dans <cite>Les &OElig;uvres et les
+Hommes</cite>, 1862, t. III.</p>
+
+<p><a name="Footnote_21" id="Footnote_21" href="#FNanchor_21" class="label">[21]</a> Extrait de la notice de Banville, un des morceaux les plus
+complets et les plus profonds qu'on ait publiés sur l'&OElig;uvre de
+Baudelaire. Banville, d'habitude si menu, si gracile, si papillonnant,
+y atteint, en maint endroit, à la force. Cette notice
+parut d'abord dans l'<cite>Album de la Galerie contemporaine</cite>, in-4,
+Baschet (vers 1877). Elle a été reproduite, en partie seulement,
+dans la récente édition des <cite>Fleurs du Mal</cite>, publiée par la librairie
+Fasquelle (1912).</p>
+
+<p><a name="Footnote_22" id="Footnote_22" href="#FNanchor_22" class="label">[22]</a> <cite>Nouveaux Lundis</cite>, t. I, p. 400 et 401.</p>
+
+<p><a name="Footnote_22bis" id="Footnote_22bis" href="#FNanchor_22bis" class="label">[22 <em>bis</em>]</a> Ce nom, ces mots n'étaient pas mis là sans intention.
+Dans un article récent du <cite>Mercure de France</cite>, M. Ernest Raynaud
+nous a révélé l'espèce de pacte d'échange qui s'était conclu à ce
+moment entre Sainte-Beuve et Gautier: Sainte-Beuve promettant
+un fauteuil d'académicien à Gautier contre un siège de sénateur
+que celui-ci lui assurerait. On devine le trouble qu'apportait
+dans ces <i lang="it" xml:lang="it">combinaziones</i> l'irruption ingénue de Baudelaire. Sainte-Beuve,
+il faut le reconnaître, se tira fort habilement de ce mauvais
+pas. Désigner Gautier comme le maître de Baudelaire,
+c'était du même coup amorcer sa candidature et ruiner celle de
+son jeune concurrent. Protester contre l'indifférence de l'Académie
+envers les poètes du jour, c'était poser des jalons pour une
+compensation prochaine en faveur de Gautier. Dès lors, l'échec
+de Baudelaire, soit par voie de scrutin, soit par voie de désistement,
+ne faisant pas de doute, on se trouvait en excellente posture
+pour pousser Gautier au premier fauteuil vacant. A tous égards,
+ce fut du plus joli travail académique et où il semble bien que
+Baudelaire n'ait vu que du feu.</p>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_38"> 38</a></span></p>
+<p><a name="Footnote_23" id="Footnote_23" href="#FNanchor_23" class="label">[23]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 325.</p>
+
+<p><a name="Footnote_24" id="Footnote_24" href="#FNanchor_24" class="label">[24]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 285, 15 février
+1862.</p>
+
+<p><a name="Footnote_25" id="Footnote_25" href="#FNanchor_25" class="label">[25]</a> Cependant Baudelaire avait envoyé les <cite>Histoires sérieuses
+et grotesques</cite> à Sainte-Beuve et spécialement attiré son attention
+sur ce livre, sans obtenir même un accusé de réception (<cite>Lettres</cite>,
+p. 426, 15 mars 1865 et p. 427, 30 mars 1865).</p>
+
+<p><a name="Footnote_26" id="Footnote_26" href="#FNanchor_26" class="label">[26]</a> A titre de curiosité, j'ai relevé les noms des poètes contemporains
+auxquels Sainte-Beuve avait consacré des articles
+entre 1857 et 1867, date de la mort de Baudelaire.</p>
+
+<p>1857.&mdash;<cite>Théodore de Banville</cite>, <em>Alfred de Musset</em>.</p>
+
+<p>1860.&mdash;<cite>Mme Desbordes-Valmore</cite> (&OElig;uvres posthumes).</p>
+
+<p>1861.&mdash;<em>Victor de Laprade.</em></p>
+
+<p>1862.&mdash;<em>Calemard de Lafayette.</em></p>
+
+<p>Même année, étude sur les <cite>Poètes français</cite> de Crépet qui fournit
+prétexte à des études sur <cite>Soulary</cite>, de <cite>Belloy</cite>, <cite>Coran</cite>&mdash;sans
+un mot sur Baudelaire, quoique celui-ci figurât dans le recueil.</p>
+
+<p>1863.&mdash;<em>P. Lebrun</em>, <em>Théophile Gautier</em>.</p>
+
+<p>1864.&mdash;<em>Alfred de Vigny.</em></p>
+
+<p>1865.&mdash;<em>Charles Monselet.</em></p>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_39"> 39</a></span>
+Même année, un article sur la <cite>Poésie française en 1865</cite>.</p>
+
+<p>Sainte-Beuve s'y plaint du manque d'originalité des poètes nouveaux.
+«Je me dis: ceci est du Musset!» ou bien: «Ceci
+rappelle Victor Hugo» ou «Ceci est du Gautier, du Banville,
+du Leconte de Lisle&mdash;ou <em>même</em> du Baudelaire». Toujours
+les réserves tendant à réduire l'importance de Baudelaire. Ce
+<em>même</em> était bien du même au même.</p>
+
+<p>Mais voici plus significatif encore. En 1862 Sainte-Beuve se
+chargea de préfacer les <cite>Poètes français</cite> de Crépet. Il rédigea, à
+cet effet, une introduction formant histoire de la poésie française.
+Arrivé au <span class="smcap">XIX</span><sup>e</sup> siècle il en conte les débuts&mdash;mais, en
+1862, quelle déchéance! Il se lamente sur cette décrépitude,
+appelle à grands cris une Poétique nouvelle. «Et ce qui vaudrait
+mieux, ajoute-t-il, ce serait un exemple nouveau et vivant.
+La Nature seule peut créer le génie. A celui qui <em>doit venir</em> et
+<em>en qui nous avons espérance</em>, nous dirions....» Suit une prosopopée
+assez fade qui se termine ainsi: «Vous n'avez qu'à puiser
+au gré de vos inspirations, suivant votre habileté et votre
+audace;... vous fondrez tout à la flamme de votre génie; vous
+remettrez chaque chose à son point dans la trame du bel art, <em>ô
+grand poète qui naîtrez</em>!»</p>
+
+<p>Invocation sincère mais plutôt oiseuse, puisque ce grand poète,
+à l'insu de Sainte-Beuve, était né depuis cinq ans déjà.</p>
+
+<p><a name="Footnote_27" id="Footnote_27" href="#FNanchor_27" class="label">[27]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, 1865, <i lang="la" xml:lang="la">passim</i>, p. 489 à 496.</p>
+
+<p>L'appui de Sainte-Beuve semble s'être borné à certifier à
+l'éditeur Garnier la valeur littéraire de Baudelaire.</p>
+
+<p>Dans une des lettres de Baudelaire à sa mère, publiées par la
+<cite>Revue de Paris</cite> (20 juillet 1865), le poète exprime assez exactement
+la nature de l'aide que lui prêta le critique des <cite>Lundis</cite>
+en vue de ce traité avec Garnier, qui, au surplus, ne devait pas
+aboutir: «Sainte-Beuve, que j'ai vu à mon passage à Paris,
+m'a dit qu'il se mêlerait un peu de la question.»</p>
+
+<p><a name="Footnote_28" id="Footnote_28" href="#FNanchor_28" class="label">[28]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. II, p. 209. Il est, dans
+cette lettre, à retenir deux points: 1<sup>o</sup> Sainte-Beuve ne formule
+aucune promesse d'article; 2<sup>o</sup> Sa lettre est datée du 12 septembre,
+c'est-à-dire qu'elle ne fut écrite que douze jours après la
+mort de Baudelaire.</p>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_40"> 40</a></span></p>
+<p><a name="Footnote_29" id="Footnote_29" href="#FNanchor_29" class="label">[29]</a> <span class="smcap">A. de La Fizelière</span> et <span class="smcap">Georges Decaux</span>, <cite>Essais de bibliographie
+contemporaine, Charles Baudelaire</cite>, librairie de l'Académie
+des Bibliophiles, 1868.</p>
+
+<p><a name="Footnote_30" id="Footnote_30" href="#FNanchor_30" class="label">[30]</a> <cite>Causeries du Lundi</cite>, t. XV, p. 527.</p>
+
+<p><a name="Footnote_31" id="Footnote_31" href="#FNanchor_31" class="label">[31]</a> <cite>Revue Européenne</cite>, 1861. Réédité à la suite des <cite>Derniers
+Poèmes</cite>, 1895.</p>
+
+<p><a name="Footnote_32" id="Footnote_32" href="#FNanchor_32" class="label">[32]</a> Il s'est produit ici une grave lacune dans le nomenclature
+des symptômes qui, à défaut de perspicacité, eussent dû
+avertir Sainte-Beuve de la place prise par Baudelaire dans la
+poésie française.</p>
+
+<p>J'avais en effet oublié de mentionner parmi ces symptômes la
+notice de Théophile Gautier, insérée en tête de l'édition définitive
+des <cite>&OElig;uvres complètes</cite> (1868).</p>
+
+<p>Si défectueuse et restrictive que soit encore cette notice qui
+persiste à maintenir Baudelaire dans le cercle des poètes artificiels
+et subtils, le fait qu'un écrivain illustre comme Théophile
+Gautier, grand potentat du feuilleton, un des maîtres de la célèbre
+phalange romantique, eût assumé la charge de présenter Baudelaire
+au public et lui eût accordé l'honneur de soixante-quinze
+pages en texte serré, ne pouvait manquer d'attirer l'attention
+de Sainte-Beuve.</p>
+
+<p>Il y avait là mieux qu'un acte de complaisance posthume, une
+véritable consécration.</p>
+
+<p>Il paraît peu probable que l'importance de cette manifestation
+ait échappé à un esprit aussi avisé que Sainte-Beuve.</p>
+
+<p>Mais il n'est pas impossible, par contre, qu'elle ait contribué,
+par choc en retour, à l'ancrer plus dans son silence.</p>
+ </div>
+ </div>
+</div>
+
+<div class="p2 figcenter">
+<img src="images/illustration_040.jpg" width="130" height="59" alt="" title="" />
+</div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_41"> 41</a></span></p>
+
+<div class="p2 figcenter">
+<img src="images/illustration_041.jpg" width="100" height="96" alt="" title="" />
+</div>
+
+<p class="end">CHARTRES.&mdash;IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.</p>
+
+<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44807 ***</div>
+</body>
+</html>
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+Project Gutenberg's Baudelaire et Sainte-Beuve, by Fernand Vandérem
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+
+Title: Baudelaire et Sainte-Beuve
+
+Author: Fernand Vandérem
+
+Release Date: January 30, 2014 [EBook #44807]
+
+Language: French
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+Character set encoding: UTF-8
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE ***
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+Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
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+by The Internet Archive/Canadian Libraries)
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+
+
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+
+ BAUDELAIRE
+
+ ET
+
+ SAINTE-BEUVE
+
+
+ _Imprimé à 235 exemplaires
+ dont
+ 10 sur papier de Hollande._
+
+
+
+
+Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le
+typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée
+et n'a pas été harmonisée.
+
+
+
+
+ FERNAND VANDÉREM
+
+ BAUDELAIRE
+
+ ET
+
+ SAINTE-BEUVE
+
+ _NOUVELLE ÉDITION_
+
+ AUGMENTÉE DE NOTES ET D'UN CHAPITRE INÉDIT
+
+ [Illustration: logo]
+
+ PARIS
+ LIBRAIRIE HENRI LECLERC
+
+ 219, RUE SAINT-HONORÉ, 219
+ et 16, rue d'Alger.
+
+ 1917
+
+
+
+
+[Illustration: ornement début de page]
+
+
+Cette étude, publiée d'abord dans le _Temps Présent_, a paru en 1914
+sous forme d'une brochure à tirage restreint et depuis longtemps
+épuisé.
+
+Il m'a semblé que le cinquantenaire de Baudelaire pouvait prêter
+quelque intérêt à une réédition.
+
+Je n'ai rien changé au texte primitif, que j'ai seulement complété par
+des notes indiquant les sources des textes invoqués et quelques
+particularités nouvelles.
+
+J'y ai joint en outre un appendice où j'ai tenté de mieux élucider
+les sentiments de Baudelaire pour Sainte-Beuve.
+
+On aura ainsi, avec toutes références utiles, un résumé des relations
+entre le grand poëte et l'illustre critique.
+
+[Illustration: ornement fin de page]
+
+
+
+
+BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE
+
+
+
+
+I
+
+
+Les relations de Baudelaire et de Sainte-Beuve prêteraient à un
+curieux chapitre d'histoire littéraire, dont j'offre ici un aperçu.
+
+Les sentiments de Baudelaire envers certains de ses contemporains,
+comme les sentiments qu'il leur inspirait, présentent parfois des
+contradictions. Ainsi, extérieurement, qui douterait de son culte pour
+Gautier et de l'estime où Gautier le tenait? Cependant on a retrouvé
+un article de Baudelaire où il traitait Gautier en poète verbal, en
+enfileur de phrases[1], et, d'autre part, Maxime du Camp nous conte
+que, dans l'intimité, Gautier prédisait à Baudelaire la faillite
+finale d'un Pétrus Borel[2].
+
+Entre Baudelaire et Sainte-Beuve, pas trace de ces fluctuations. De
+son extrême jeunesse à sa mort, Baudelaire ne cessa de ressentir et de
+marquer pour Sainte-Beuve son admiration. C'est à Sainte-Beuve qu'en
+1844 il adresse respectueusement une de ses premières poésies de
+collège[3]. Et en 1866, à quelques mois de la paralysie générale, une
+de ses dernières lettres ne sera qu'un long panégyrique des poésies de
+Sainte-Beuve[4].
+
+Les _Consolations_, _Joseph Delorme_, les _Pensées d'Août_, partout il
+trouve à louer et à s'enflammer. Notamment les _Rayons Jaunes_ (ce
+poème parti d'une impression heureuse, mais développé d'une façon si
+méthodique et si dénuée d'ingénuité) lui semblaient un chef-d'œuvre
+dont il ne se lassait pas de redire les beautés. Baudelaire a subi là
+une emprise de jeunesse dont il ne devait plus se défaire.
+
+On s'étonnera chez lui d'une admiration si constante pour un poète qui
+lui était si sensiblement inférieur, tant par l'inspiration et par la
+forme que par l'originalité. Et on pourrait être tenté d'y voir, sinon
+une flagornerie envers le critique tout-puissant, du moins la
+gratitude d'un obligé. Mais les faits s'opposent à cette hypothèse.
+Car Sainte-Beuve ne fit jamais rien pour Baudelaire, ou ce qu'il fit
+en sa faveur se réduit à l'impondérable.
+
+Feuilletez d'ailleurs cet immense Larousse que constitue l'œuvre
+critique de Sainte-Beuve. Alors que tant de poètes subalternes, tant
+d'écrivains quelconques y bénéficient de longs articles, vous n'y
+découvrez pas un seul Lundi consacré à Baudelaire. Puis contrôlez par
+la correspondance des deux écrivains et vous aurez vite établi le
+relevé de ce que Sainte-Beuve accorda à son jeune ami, à celui qu'il
+appelait paternellement «son cher enfant».
+
+1856.--Baudelaire publie sa première traduction de Poe: _Histoires
+extraordinaires_. Lui qui ne sollicitait jamais pour son compte
+n'hésita en aucun cas à quémander pour Poe. Il s'était institué le
+barnum, l'impresario de Poe, le cultivateur acharné de sa gloire en
+France. Le silence sur Poe, la moindre critique contre son œuvre,
+meurtrissait Baudelaire au plus vif[5]. Pour une insignifiante réserve
+sur le conteur américain, il faillit se brouiller avec d'Aurevilly.
+
+En 1856 donc, il écrit à Sainte-Beuve pour lui recommander le
+volume[6]. Nous avons la réponse de Sainte-Beuve. Il promet ferme un
+article. En bas, une note naïve de l'éditeur ajoute: «Cet article n'a
+jamais été fait.» Et d'un![7]
+
+1857.--Les _Nouvelles histoires extraordinaires_. Nouvelle lettre de
+Baudelaire à Sainte-Beuve[8]. Même silence de Sainte-Beuve. Et de
+deux!
+
+_Les Fleurs du Mal._ Sainte-Beuve en connaît, avoue en connaître
+plusieurs morceaux. Entre autres, il doit avoir lu les vingt pièces
+publiées dès 1855, dans la _Revue des Deux Mondes_[9]. Voici l'ouvrage
+complet. Occasion unique de lancer un jeune poète qui se détache avec
+éclat de la cohue courante, se donne et est reçu par Sainte-Beuve
+comme un disciple. Le critique s'en tient pourtant à une longue lettre
+embarrassée, où ne sont pas oubliées les _Pensées de Joseph Delorme_
+ni les _Consolations_ et où les éloges sans chaleur se mâtinent de
+gronderies vieillottes. Quant à un article, néant. Et de trois!
+
+Mais arrive le procès: Baudelaire en danger. Concédons que, critique
+officiel, Sainte-Beuve se trouve en délicate posture pour intervenir.
+Au moins pourrait-il autoriser Baudelaire à publier sa lettre dans le
+recueil d'articles adressé aux juges. Pas question. Tout juste s'il
+donnera quelques extraits de cette lettre trois ans plus tard, en
+1860[10]. Et il ne la publiera complète que neuf après, le poète mort,
+en 1869, dans un furtif appendice des _Lundis_.
+
+Il est vrai que, sous main, il glisse à Baudelaire des: «Petits moyens
+de défense.» Effectivement bien petits. «Tout était pris dans le
+domaine de la poésie. Lamartine avait pris _les cieux_. Victor Hugo
+avait pris _la terre_ (?) et plus que _la terre_ (??). Laprade avait
+pris _les forêts_. Musset avait pris _la passion_ et _l'orgie
+éblouissante_ (sic). Théophile Gautier avait pris l'Espagne (!). Ce
+que Baudelaire a pris. Il y a été comme forcé[11].»
+
+Et cela finissait par un coup de dent à Musset, dont la vogue
+torturait Sainte-Beuve--Musset dont il conseillait de souligner les
+côtés obscènes et pornographiques. Ainsi nuls risques et tout profit.
+
+Baudelaire n'en garda pas moins de ces conseils une éternelle
+reconnaissance.
+
+1858.--_Gordon Pym._ Nouvelle lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve en
+faveur de Poe[12]. Pas d'article. Et de quatre!
+
+1859.--Un petit scandale. Hippolyte Babou moins patient que Baudelaire
+a dénoncé dans un article le silence obstiné de Sainte-Beuve sur
+l'auteur des _Fleurs du Mal_, et flétri nettement les réticences
+cauteleuses du grand critique qui ne se répand en copie que sur les
+ouvrages de second ordre[13].
+
+Affolement de Baudelaire à l'idée d'être rendu responsable, quoique
+innocent. Lettre à Sainte-Beuve pour se disculper[14]. Réponse
+indignée de Sainte-Beuve, furieux de se voir dévoilé[15].
+
+«Vous ne pouvez vous faire une idée de ce que c'est que la lettre de
+Sainte-Beuve, écrit Baudelaire à Malassis. Il paraît que, depuis douze
+ans, il notait tous les signes de malveillance de Babou. _Décidément,
+voilà un vieillard passionné avec qui il ne fait pas bon se
+brouiller...[16]._»
+
+Vraisemblablement Sainte-Beuve tint toujours rancune à Baudelaire de
+cet incident. Du moins, pour se taire, le ressentiment lui fournissait
+là une espèce d'excuse.
+
+La même année, Baudelaire publiait son étude sur _Théophile Gautier_.
+Il va de soi que, selon l'usage, Sainte-Beuve n'en souffla pas mot. Et
+de cinq!
+
+1860.--_Les Paradis artificiels._ Lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve
+indiquant discrètement que M. Dalloz, directeur du journal où opère le
+critique, lui a dit: «Le livre est digne de Sainte-Beuve. Faites une
+visite à Sainte-Beuve à ce sujet.» Baudelaire ajoute: «Je n'aurais osé
+y penser. Cependant j'ai plus que jamais besoin d'être soutenu.» Le
+post-scriptum fait allusion à un morceau de pain d'épice qu'en passant
+il avait porté à Sainte-Beuve, fort gourmet[17]. Nous avons la réponse
+de Sainte-Beuve. Evasive, ajournant l'article, alléguant des arriérés,
+ne promettant rien. Par contre il daigne remercier du pain d'épice. Et
+de six![18]
+
+A la vérité, il se croyait largement quitte envers Baudelaire. Car,
+piqué quand même par l'article de Babou, comprenant la nécessité de
+rompre le silence, il s'était enfin décidé à nommer Baudelaire dans
+une _Causerie du Lundi_, en date du 20 février[19]. Il y revenait sur
+l'article de Babou, accusait son accusateur d'envie, et finalement,
+comme un chien qu'on fouette, arrivait à Baudelaire. Oh! sans se
+fouler, sans se donner grand mal, recopiant simplement entre
+guillemets des fragments de la lettre qu'il lui avait adressée en
+1857. On trouvera cette lettre à la suite des _Fleurs du Mal_ dans
+l'édition définitive. On la rapprochera de l'article que, dans le même
+temps, Barbey d'Aurevilly consacrait au livre[20]. Et on pourra
+mesurer toute la distance artistique qui sépare un Sainte-Beuve d'un
+Baudelaire, un Sainte-Beuve d'un d'Aurevilly.
+
+Pour Sainte-Beuve, Baudelaire est «un esprit fin», un talent «habile
+et curieux». Mais «Baudelaire se défie trop de la passion(?), de la
+passion naturelle(?)». Il «accorde trop à l'esprit, à la
+combinaison». «Laissez-vous faire, conseille Sainte-Beuve, ne craignez
+pas tant de sentir comme les autres, n'ayez jamais peur d'être trop
+commun.» Toutefois, il convient aimer quelques pièces dont certaines
+lui semblent dignes de l'Anthologie. Enfin «il tient compte surtout à
+Baudelaire» (comme à Bouilhet et à Soulary) «de ce qu'ils viennent
+tard, quand l'école dont ils sont a déjà tant donné et tant produit,
+quand elle est comme épuisée... Ils soutiennent avec honneur, ils
+décorent le déclin et le coucher de la Pléïade».
+
+On possède ici, presque au complet, le sentiment de Sainte-Beuve sur
+Baudelaire, la cote qu'il lui attribue: un petit poète de troisième ou
+quatrième ligne, un de ces humbles glaneurs à la suite, qui viennent
+quand les maîtres ont fauché le meilleur du champ, esprits fins,
+bizarres, distingués, mais qui ne peuvent ramasser que les épis de
+surcroît, les déchets de grande moisson, ce qui reste...
+
+Rappelez-vous plus haut les moyens de défense: «Lamartine avait pris
+les _cieux_, Hugo avait pris la _terre_... etc.»
+
+Sainte-Beuve à ce moment, comme on voit, était loin du jugement porté
+vingt ans plus tard par Banville et que la postérité ne cessera de
+confirmer:
+
+«Il faut admirer en Baudelaire un des plus grands hommes de ce temps
+et qui, si nous ne vivions pas sous le règne intellectuel de Victor
+Hugo, mériterait que nul poète contemporain ne fût mis au-dessus de
+lui. De tous les artistes modernes du vers, l'auteur des _Fleurs du
+Mal_ est le seul qui n'ait rien dû à l'auteur de la _Légende des
+siècles_. Il ne procédait ni de lui ni de personne...[21]»
+
+1861.--_Richard Wagner et Tannhaüser._ Nul article de Sainte-Beuve. Et
+de sept.
+
+_Les Fleurs du Mal_, seconde édition augmentée. Cette fois,
+Baudelaire, comme tout le public littéraire, doit attendre son tour de
+Lundi. Plus de procès à invoquer. Un recueil classé, consolidé,
+abordant presque déjà la gloire. Evidemment le père Sainte-Beuve va y
+aller de son article, donner son impression d'ensemble sur l'homme et
+sur l'œuvre. Mais non. Pas une ligne, pas un mot, pas une allusion.
+Et de huit!
+
+1862.--Un coup de tonnerre. Baudelaire, en manière de manifestation
+artistique, d'affirmation personnelle, se présente à l'Académie.
+Fâcheux contre-temps pour Sainte-Beuve qui s'apprêtait à faire
+campagne dans cette élection et à peser publiquement les titres des
+candidats[22]. Arrivé à Baudelaire, comment s'en tirer? Impossible de
+passer sous silence, ou de malmener son «jeune ami». Et d'autre part,
+pas moyen de s'associer à cette gaminerie sans nom: Baudelaire, le
+petit Baudelaire candidat! Sainte-Beuve ici n'a pas trop de toute son
+adresse, pour ne pas dire plus. Il écrit:
+
+«On s'est demandé d'abord si M. Baudelaire en se présentant voulait
+faire une niche à l'Académie et une épigramme; s'il ne prétendait
+point l'avertir par là qu'il était bien temps qu'elle songeât à
+s'adjoindre ce poète et cet écrivain si habile et si distingué dans
+tous les genres de diction, Théophile Gautier, son maître[22 _bis_].
+On a eu _à apprendre, à épeler le nom de M. Baudelaire_ à plus d'un
+membre de l'Académie qui ignorait totalement son existence. Il n'est
+pas si aisé qu'on le croirait de prouver à des Académiciens politiques
+et hommes d'État comme quoi il y a, dans les _Fleurs du Mal_, des
+pièces très remarquables vraiment pour le talent et pour l'art...; et
+qu'en somme M. Baudelaire a trouvé moyen de se bâtir, à l'extrémité
+d'une langue de terre réputée inhabitable et par delà les confins du
+romantisme connu, un kiosque bizarre, fort orné, fort tourmenté, mais
+coquet et mystérieux, où on lit de l'Edgar Poe, où l'on récite des
+vers exquis, où l'on s'enivre avec le haschich pour en raisonner
+après, où l'on prend de l'opium et mille drogues abominables dans des
+tasses d'une porcelaine achevée. Ce singulier kiosque, fait en
+marqueterie, d'une _originalité concertée_ et composite, qui, depuis
+quelque temps, attire les regards à la pointe du Kamtchatka
+romantique, j'appelle cela la folie Baudelaire. Est-ce à dire
+seulement, et quand on a tout expliqué de son mieux à de respectables
+confrères un peu étonnés, que _toutes ces curiosités, tous ces
+regards_ et ces raffinements leur semblent des titres pour
+l'_Académie_, et _l'auteur lui-même a-t-il pu sérieusement se le
+persuader_? Ce qui est certain, c'est que l'auteur gagne à être vu,
+que là où l'on s'attendait à voir entrer un homme étrange,
+excentrique, on se trouve en présence d'un candidat poli, respectueux,
+_exemplaire, d'un gentil garçon_, fin de langage et tout à fait
+classique dans les formes...»
+
+J'ai souligné quelques-uns des traits les plus protecteurs, les plus
+dédaigneux dans ce certificat de bonnes lettres et bonnes façons. Quel
+ton, en effet, pour parler de Baudelaire! Quelle différence avec les
+accents déférents d'un Barbey d'Aurevilly, d'un Asselineau, d'un
+Edouard Thierry!
+
+N'empêche que de la part de Sainte-Beuve, si gros Monsieur, juché si
+haut, un tel acte de condescendance, un tel présent de publicité
+pouvaient paraître exceptionnels. Baudelaire, évidemment, sentit plus
+l'honneur que les réserves. Il écrivit à Sainte-Beuve une lettre
+débordante de gratitude[23].
+
+Dès cet instant, il était à sa merci, suivit tous ses conseils
+académiques, n'insista plus, se désista. Sainte-Beuve le félicita de
+cette renonciation. «Quand on a lu votre dernière phrase de
+remerciement conçue en termes si modestes et si polis, on en a dit
+tout haut: _Très bien!_ Ainsi vous avez laissé de vous une bonne
+impression: n'est-ce donc rien[24]?»
+
+Baudelaire ne put nier, mais dut probablement penser que, pour ses
+candidats, Sainte-Beuve se contentait de peu.
+
+1863-1864-1865-1866.--_Eurêka_, les _Histoires grotesques et
+sérieuses_[25], des vers dans les _Poètes français_ de Crépet, des
+vers dans le _Parnasse contemporain_. Sur tout cela cherchez dans
+Sainte-Beuve: silence, silence. Une fois pour toutes avec son «jeune
+ami» il s'est mis en règle. Compte clos, crédit arrêté. Il ne parlera
+plus jamais de Baudelaire[26].
+
+Il le sait cependant aux abois, forcé par les dettes à l'exil,
+interdit de séjour, gravement malade, plus que pauvre. Sur des prières
+aussi discrètes que réitérées, il semble bien, sans que ce soit sûr,
+lui avoir donné un coup d'épaule auprès du libraire Garnier pour une
+édition complète. Mais d'articles, de citations, plus l'ombre[27].
+
+Quand Baudelaire meurt, une banale lettre de condoléances à Mme
+Aupick. C'est tout.[28]
+
+Et pourtant, j'oublie un détail. Cela se passait en 1869. Un grand
+mouvement se dessinait autour de la mémoire de Baudelaire. La
+Fizelière et Decaux avaient publié l'année précédente--hommage inconnu
+à Sainte-Beuve--une bibliographie minutieuse de l'auteur des _Fleurs
+du Mal_, où se trouvaient notés les moindres de ses poèmes, les
+moindres de ses études[29]. L'éditeur Michel Lévy, emboitant le pas,
+adoptait les vœux des amis de Baudelaire, commençait l'édition des
+œuvres complètes, tant souhaitée par le poète.
+
+Une œuvre complète à embrasser, une carrière totale à juger, le
+sujet idéal pour un _Lundi_ de Sainte-Beuve. Tout le monde sans doute
+guettait l'article, l'éditeur comme les lettrés.
+
+Mais non. Sainte-Beuve, figé dans son mutisme, ne vit là qu'un
+prétexte à réclamation personnelle. La lettre de 1857 ayant été
+publiée par Michel Lévy à la suite du premier volume, il y aperçut des
+fautes d'impression. Pour rectifier, il donna le texte authentique à
+la fin d'un tome des _Lundis_. La lettre était précédée de ces
+lignes[30]:
+
+«Le poète Baudelaire, très raffiné, très corrompu à dessein et par
+recherche d'art, _avait mis des années_ à extraire de tout sujet et de
+toute fleur un suc vénéneux et même, il faut le dire, _assez
+agréablement vénéneux_; c'était d'ailleurs un homme d'esprit _assez
+aimable à ses heures_ et très capable d'affection...»
+
+A ce maigre bouquet se réduisit sa couronne funèbre, à cette sèche
+notice l'étude définitive qu'on espérait. Même au delà de la tombe,
+Sainte-Beuve ne gâtait pas «son cher enfant».
+
+
+Comme chez beaucoup de critiques, chez Sainte-Beuve, à côté de vues
+fines et ingénieuses, abondent les bévues, les injustices, les
+incompréhensions.
+
+Toutefois, parmi les siennes, on peut distinguer trois périodes. Dans
+la première, c'est un enthousiasme sincère ou voulu qui l'abuse.
+S'improvisant le héraut de la phalange romantique, souvent les amitiés
+ou les antipathies de groupe l'entraînent trop loin dans le
+dénigrement ou dans l'éloge.
+
+Après 1835, il a pu se convaincre que, comme poète, il était à jamais
+surpassé, «gratté», par ses compagnons de lutte: Lamartine, Hugo,
+Gautier, Vigny, Musset. Dès lors, malgré lui, c'est l'envie qui
+l'égare. Une brouille avec Hugo lui épargnera le supplice de chanter
+ses louanges. Envers les autres, par contre, son envie ne se maîtrise
+plus. Elle suinte en gouttelettes amères dans ses journaux privés, ses
+remarques secrètes. Puis, au jour propice: anniversaire, réception
+académique, malheur, mort, elle déferle dans un article. Pas un de ces
+grands noms qu'elle n'ait aspergés de ses jets venimeux[A].
+
+ [A] Pour être exacts, rappelons cependant une épargnée: Mme
+ Desbordes-Valmore, dont Sainte-Beuve fut des rares à sentir et à
+ vanter, comme il fallait, le génie.
+
+Enfin, à partir de 1850, le train artistique le déroute. Il n'y est
+plus, ne suit plus. L'incompétence ici l'aveugle. Il néglige Leconte
+de Lisle, Michelet, Barbey d'Aurevilly. Il se trompe lourdement sur
+Flaubert. Il passe à côté de Verlaine. L'envergure de Baudelaire lui
+échappe.
+
+Dans ces données comme dans les documents cités plus haut, on
+trouverait peut-être une explication de son attitude envers
+Baudelaire.
+
+Son silence presque continu sur l'auteur des _Fleurs_ _du Mal_
+procéderait de deux des phases ci-dessus: la troisième, puis la
+seconde. Tant que Baudelaire reste obscur, il l'omet ou le diminue,
+faute de l'apprécier à sa valeur. Dès que la gloire de son «jeune ami»
+se lève, il s'en tait, crainte de la pousser.
+
+Avec Baudelaire il commence par l'incompétence et il termine par
+l'envie.
+
+[Illustration: ornement fin de page]
+
+
+
+
+II
+
+
+Parmi les nombreux articles qu'a suscités ma précédente étude et qui
+nous montrent en pleine ascension la gloire comme la faveur de
+Baudelaire, il s'en est trouvé quelques-uns pour prendre la défense de
+Sainte-Beuve. Notamment l'âpre plaidoyer qu'a publié dans le _Temps_
+mon ami M. Paul Souday.
+
+Il serait oiseux de discuter ici longuement les griefs personnels que
+m'oppose le sagace critique du _Temps_.
+
+De ce qu'on est chroniqueur, romancier, auteur dramatique, s'ensuit-il
+que vous soient interdites la culture, la lecture et certaines
+prédilections littéraires? De ce qu'on admire chez Vallès le grand
+écrivain, le grand romancier, résulte-t-il qu'on doive endosser ses
+boutades, ses foucades, ses idées et qu'avec lui on doive renvoyer
+Baudelaire à l'asile ou Homère aux Quinze-Vingts? Enfin, parce qu'en
+maint endroit Barbey d'Aurevilly surcharge fâcheusement son style
+d'arabesques et de clinquant, parce qu'il écrivit sur Gœthe un
+pamphlet superficiel, parce qu'en une de ses phrases il se rencontre
+avec Sainte-Beuve, faut-il pour cela taire la rare clairvoyance de son
+étude sur les _Fleurs du Mal_ et nier le contraste frappant avec le
+critique des _Lundis_? Sincèrement je ne le pense pas.
+
+Sur le reste du débat, d'autre part, les faits et les documents que
+j'ai cités me paraissent répondre; et sans fol orgueil, je crois que
+l'interprétation que j'en ai donnée n'outrepassait ni la mesure ni la
+vérité.
+
+Comme exemples, ne reprenons que les dates et les œuvres culminantes;
+en 1861, la seconde édition des _Fleurs du Mal_,--en 1869, l'édition
+des œuvres complètes.
+
+En 1861, l'autorité littéraire de Baudelaire ne souffre plus conteste.
+Il apporte un recueil entièrement renouvelé, expurgé des pièces libres
+qui pouvaient effaroucher la critique officielle, augmenté de pièces
+inédites dont quelques-unes magistrales, comme _le Voyage_, ce joyau
+de la poésie française. A ce moment, pas de poète, pas de critique qui
+ne s'incline devant son talent. A ce moment, Leconte de Lisle, si
+sévère pour lui-même, si dur pour autrui, lui consacre un article, où,
+malgré la réserve des épithètes et ce quelque chose de tendu
+qu'avaient toujours ses louanges, on voit Baudelaire placé au premier
+rang, hors pair[31].
+
+Si alors Sainte-Beuve résiste au mouvement, s'obstine dans son
+mutisme, ce n'est nullement malveillance ni même absolue
+incompréhension. C'est, comme le prouvent nos documents, qu'il tient
+Baudelaire pour un _poeta minor_ ne méritant pas encore le _dignus
+intrare_ dans la galerie des _Lundis_.
+
+Or, comment appeler d'un autre nom qu'incompétence une telle faute de
+perspective, un tel manque de discernement et de sensibilité?
+
+En 1869, les circonstances seront différentes.
+
+D'abord, pour renseigner Sainte-Beuve sur l'importance réelle de «son
+jeune ami», toute l'œuvre de Baudelaire est là[32].
+
+Non seulement les _Fleurs du Mal_, mais encore ces poèmes en prose
+auxquels, en passant il a décoché jadis un salut.
+
+Non seulement l'œuvre d'imagination, mais l'œuvre critique: les
+salons de 1845, de 1846, de 1859, les études sur les caricaturistes,
+les articles sur les grands littérateurs du temps, pages saisissantes
+par la prescience et la hardiesse des aperçus, par l'esthétique
+sereine et stable qui s'en dégage,--modèles accomplis de cette
+critique intuitive où les poètes souvent excellent.
+
+Bref, dans ces quatre volumes, Baudelaire révélé: le reflet constant
+d'un des génies les plus profonds, les plus variés, les plus originaux
+qu'ait produits la littérature.
+
+A l'éclat d'une pareille œuvre, on a peine à croire que Sainte-Beuve
+ne distingue pas son erreur. Fermerait-il même les yeux pour ne pas
+la voir, que ses oreilles tinteraient de la rumeur d'éloges montant
+autour du nom de Baudelaire.
+
+Quand je disais, en effet, que tout le monde littéraire attendait son
+article d'ensemble sur Baudelaire, je n'avançais pas qu'une
+conjecture. Lisez plutôt la préface de la bibliographie de Baudelaire
+par La Fizelière et Decaux. Sainte-Beuve y est cité, encensé, mais
+aussi mis en demeure.
+
+«Quant à l'appréciation de ses écrits, déclarent les auteurs (en un
+style que pallie la bonne intention), quant à l'appréciation de ses
+écrits, elle appartient de toute nécessité à quelque grand critique
+habile comme M. Sainte-Beuve, par exemple, à faire courir le scalpel
+de l'analyse sur la fibre délicate d'une organisation poétique qui,
+chez Baudelaire, était prodigieusement exceptionnelle.»
+
+Et tout le long de la préface, l'appel direct à Sainte-Beuve se
+poursuit, couvrant sous les fleurs une véritable sommation.
+
+On sait la fin de non-recevoir qu'y opposa le critique des _Lundis_.
+Avertissements venus de l'œuvre, invites venues du monde des lettres,
+rien n'eut raison de son silence. Ici l'erreur n'étant plus invocable,
+on ne trouve plus guère d'explication que l'envie.
+
+Etonnante certes, à première vue, chez ce vieux maréchal, si au-dessus
+de l'humble gradé Baudelaire. Mais on oublie que dans les lettres,
+hélas! il est deux envies: celle qui vise vos égaux et celle que vous
+inspirent vos subalternes, l'envie contre les gens de son bateau et
+l'envie contre le bateau qui suit. Or, des deux, qui jurerait que la
+seconde n'est pas fréquemment la plus douloureuse, la plus cuisante,
+la plus implacable? Et qui prétendrait que, si sujet à la première,
+Sainte-Beuve soit demeuré inaccessible à la seconde?
+
+Pourtant une chance de défense subsistait, puisée dans la santé débile
+de Sainte-Beuve et la date de sa mort.
+
+Durant cette année 1869, nous sommes au fait des tourments que lui
+infligea la maladie. Au mois d'août, ses souffrances s'aggravaient. En
+septembre il donna son dernier article. Il mourut le mois suivant.
+
+En tenant compte de ces remarques, une hypothèse aussitôt se
+présentait. Les quatre premiers tomes de l'édition complète de
+Baudelaire étant datés de 1869, peut-être avaient-ils paru, sur la fin
+de l'année, quand Sainte-Beuve touchait à ses suprêmes moments. Des
+lors, comment reprocher à un agonisant le silence le plus pardonnable?
+
+Si pénible que fût une enquête de ce genre funèbre, j'ai voulu en
+avoir le cœur net. J'ai consulté la Bibliographie de la France aux
+années 1868 et 1869. Et voici le résultat:
+
+Dès la fin de 1868, nous le savons par ses écrits, Sainte-Beuve
+connaît à fond les _Fleurs du Mal_ et les _Poèmes en prose_. Les
+_Curiosités esthétiques_, renfermant les salons et critiques d'art,
+paraissent en décembre 1868. L'_Art romantique_, contenant les études
+de mœurs et les critiques littéraires, paraît en février 1869.
+
+De fin février à septembre, Sainte-Beuve disposait donc de six grands
+mois, de vingt-quatre _Lundis_, pour parler de Baudelaire. Durant ces
+six mois, il continua à se taire. De ces vingt-quatre feuilletons pas
+un seul ne fut accordé à Baudelaire.
+
+Il me semble que cette fois la cause est entendue.
+
+[Illustration: ornement fin de page]
+
+
+
+
+APPENDICE
+
+LES SENTIMENTS DE BAUDELAIRE POUR SAINTE-BEUVE
+
+
+Au cours de l'étude qui précède, on a pu constater l'inaltérable
+attachement de Baudelaire pour Sainte-Beuve malgré les constantes
+défections du critique à son égard.
+
+Il resterait à expliquer cette longanimité si contraire à ce que nous
+révèlent de Baudelaire ses correspondances et ses papiers intimes.
+
+Sans s'y montrer positivement vindicatif, le poète ne cesse d'y
+attester une extrême sensibilité aussi bien aux bons procédés qu'aux
+mauvais. Éloges ou dénigrements, il note tout avec une perspicacité
+toujours en éveil. Se défiant même de la mémoire, cette négligente,
+qui oublie souvent en route les injures autant que les bienfaits, il
+avait institué dans ses carnets une rubrique spéciale intitulée
+_Vilaines canailles_, où il inscrivait les noms des personnes qui
+l'avaient desservi ou simplement déçu. Or, par un traitement
+privilégié, Sainte-Beuve ne figure sur aucune de ces listes
+vengeresses.
+
+Bien mieux, en 1859, au moment où Babou manque de le brouiller avec le
+critique, dans la lettre affolée qu'il écrit à Poulet-Malassis,
+Baudelaire déclare: «Ce qu'il y avait dangereux là dedans, c'est que
+Babou avait l'air de me défendre contre quelqu'un qui m'a rendu _une
+foule de services_.»
+
+Lesquels? On reste rêveur. On cherche et voici ce qu'on trouve jusqu'à
+cette date: trois refus d'articles sur Poe, une lettre privée sur les
+_Fleurs du Mal_, des conseils privés lors du procès. Secours bien
+minces. On cherche encore: on découvre deux lettres de Sainte-Beuve,
+l'une en date du 3 octobre 1852 mentionnant la recommandation d'un
+manuscrit à Véron, une autre lettre en date du 20 mars 1854 où
+Sainte-Beuve se récuse au sujet d'une demande d'appui au _Moniteur_.
+Et c'est tout.
+
+Qu'un poétereau, à visées médiocres et doutant de soi, se fût abusé
+sur l'importance de ces menus services, l'illusion semblerait
+plausible. Mais chez Baudelaire, elle déconcerte.
+
+Dans ses lettres, dans ses carnets, le trait dominant, permanent,
+c'est l'orgueil.
+
+Non pas la petite vanité de l'homme de lettres qui puise toute sa
+force dans les louanges d'autrui, les publicités bruyantes, les succès
+immédiats--et s'effondre aussitôt que ces adjuvants cessent. Mais une
+foi intérieure et indéfectible en sa valeur personnelle, en son
+génie, en son œuvre, une prescience presque miraculeuse du rang où
+celle-ci atteindra. Dès 1847, quand il annonce les _Fleurs du Mal_
+sous son titre primitif _Les Lesbiennes_, le format que Baudelaire
+leur assigne d'autorité, c'est l'in-quarto--c'est-à-dire le format
+réservé aux grands chefs-d'œuvre consacrés[B]. En 1860, un an après
+l'incident Babou, il écrit à sa mère: «Plus je deviens malheureux,
+plus mon orgueil augmente.» Et dans une autre lettre: «Comme j'ai un
+genre d'esprit impopulaire, je gagnerai peu d'argent, _mais je
+laisserai une grande célébrité, je le sais_.» Et partout de même
+répétée, ressassée la certitude de la durée, de l'immortalité des
+_Fleurs du Mal_.
+
+ [B] Edition originale de _Chien Caillou_ de Champfleury, Martinon
+ 1847. Sur le 2e plat de la couverture: A PARAITRE INCESSAMMENT:
+ Pierre de FAYIS, _Les Lesbiennes_, poèmes, un volume grand in-4.
+
+Comment supposer alors que Baudelaire n'aperçoive pas la disproportion
+entre le sentiment qu'il a de sa grandeur et la taille que lui
+attribue Sainte-Beuve? Comment comprendre qu'il tremble à l'idée d'une
+brouille avec un protecteur si tiède et qu'il exagère, avec un si
+manifeste parti pris, une serviabilité si parcimonieuse?
+
+Énigme qui n'est insoluble qu'à première vue et qui s'éclaire quand on
+analyse un à un les éléments de cet attachement étrange.
+
+Sans parler de la première emprise de jeunesse, des premiers élans
+d'admiration qui durent s'atténuer secrètement lorsque Baudelaire prit
+pleine possession de son talent, il est évident que, dans cet
+attachement, l'intérêt eut une part.
+
+Non que dans ses relations avec Sainte-Beuve, Baudelaire poursuivît un
+avantage personnel. Vraisemblablement, quoique sans grande confiance,
+il espérait, il ne désespérait pas qu'un jour, peut-être, à la longue,
+son tour de _Lundi_ viendrait. Mais au peu que Sainte-Beuve lui avait
+accordé, à ces éloges retenus, et par raccroc, que le critique lui
+dispensait dans un coin d'article, Baudelaire était trop fin pour ne
+pas discerner que ce jour était encore bien lointain, bien incertain,
+si encore il devait jamais luire. Au surplus, son orgueil lui
+permettait d'attendre et lui défendait de demander plus. Une seule
+fois il fléchit, c'était en 1860, lorsque parurent les _Paradis
+artificiels_. Baudelaire alors nettement sollicita de Sainte-Beuve un
+article. Mais par les lettres récemment publiées dans la _Revue de
+Paris_, nous connaissons les dessous de cette défaillance. «J'ai plus
+que jamais besoin d'être soutenu, écrivait-il à Sainte-Beuve et je
+devais vous rendre compte de mon _embarras_.» _Embarras_ signifiait le
+dernier degré de la détresse, misères physiques, misère pécuniaire, un
+homme à la dérive. Cette sollicitation dictée par l'angoisse resta, on
+le sait, sans résultat. Ce fut la première et la dernière.
+
+Par contre, si peu quémandeur pour lui-même, nous avons vu que, en
+faveur de Poe, Baudelaire n'hésitait pas à harceler Sainte-Beuve. De
+1856 à 1865, pas une année sans que Baudelaire ne revienne à la
+charge, ne caresse et ne relance le critique pour lui arracher
+l'article sur Poe. C'est chez lui le même acharnement qu'à demander de
+l'argent à sa mère pour Jeanne Duval. Avec la Muse noire, Poe avait
+fini par devenir sa grande charge, son grand devoir. Pour lui gagner
+Sainte-Beuve, il eût tout pardonné, il pardonnait tout au critique.
+Poe fut sûrement dans leur attachement un des liens les plus solides.
+
+Mais en dehors de ces calculs--bien désintéressés--ce qui semble avoir
+le plus retenu Baudelaire à Sainte-Beuve, malgré déboires et
+déceptions, c'est Sainte-Beuve lui-même, sa fréquentation, sa société.
+
+Si orgueilleux que fût Baudelaire, visiblement il avait été flatté par
+l'accueil affable de cet écrivain fameux, son aîné presque de vingt
+ans, maître de toutes les renommées littéraires de l'heure, et dont la
+porte ne s'ouvrait qu'à des pairs ou à des intimes.
+
+«Un homme qui, malgré ma jeunesse relative, m'a toujours pris pour son
+égal!» écrivait-il fièrement à sa mère en 1865. Traitement peu commun
+de la part de Sainte-Beuve, si réservé, si en méfiance contre les
+intrus et les fâcheux.
+
+Et effectivement, faute de services, il ressort de leur correspondance
+que Sainte-Beuve ne ménageait à Baudelaire ni une paternelle
+considération ni de délicats égards ni même des avis et des
+réconforts d'autant plus précieux qu'ils venaient de plus haut.
+
+«Est-il permis de venir se réchauffer et se fortifier à votre contact?
+lui écrivait Baudelaire en 1865 (un mois après lui avoir adressée
+vainement _Gordon Pym_). Vous savez ce que je pense des hommes
+atonifiants et des hommes tonifiants. J'ai besoin de vous comme d'une
+douche.»
+
+On se demande, du reste, dans quelle société Baudelaire si réfléchi,
+si épris de belles lettres, eût trouvé l'équivalent en agrément et en
+qualité de ce que lui offrait celle de Sainte-Beuve. Banville bien
+superficiel et funambulesque, Gautier pliant sous le feuilleton et, en
+ses propos, plus rapin que penseur, Leconte de Lisle absorbé dans ses
+transcriptions de l'antique, Poulet-Malassis bon lettré mais tout à
+ses échéances, Asselineau aimable polygraphe mais sans profondeur,
+Théophile Silvestre écrivain de haute marque mais toujours au dehors
+pour des inspections d'art, Flaubert à Croisset, Barbey d'Aurevilly,
+le tempérament le plus proche du sien, mais accaparé par le roman, le
+journalisme, les salons,--à la vérité, comme tous les esprits
+supérieurs, Baudelaire se trouvait très isolé dans son époque[C]. A
+défaut de Renan qu'il ne connaissait pas et qui d'ailleurs se
+désintéressait ouvertement des auteurs du jour, on conçoit que, pour
+un poète de cette envergure et de cette culture, la familiarité, même
+inefficace, de Sainte-Beuve ait été la planche de salut, le
+_præsidium_ rêvé. Et l'on s'explique que pour le garder Baudelaire ait
+avalé tant de couleuvres.
+
+ [C] Au moment où se corrigent les épreuves de cette étude, la
+ _Revue de Paris_, du 15 octobre 1917 publie une lettre de
+ Baudelaire qui apporte aux remarques ci-dessus la confirmation du
+ poète lui-même: «Excepté d'Aurevilly, Flaubert, Sainte-Beuve, je
+ ne peux m'entendre avec personne. Th. Gautier seul peut me
+ comprendre, quand je parle peinture.» (11 août 1862).
+
+Cependant, à la digestion, ne lui laissèrent-elles pas quelques
+aigreurs? La négative serait aventurée.
+
+Ouvrons en effet les _Fleurs du Mal_ (première ou seconde ou troisième
+édition) et relevons les noms des dédicataires. L'ensemble du volume
+est dédié à Gautier, trois pièces sont dédiées à Victor Hugo, deux au
+sculpteur Christophe, une autre à Banville, une autre à Constantin
+Guys, une autre à Maxime du Camp.
+
+Mais à Sainte-Beuve pas une seule, malgré les témoignages d'admiration
+que prodiguait Baudelaire, dans ses lettres, au poète de _Joseph
+Delorme_.
+
+Consultons la _Revue Fantaisiste_ où parurent de Baudelaire les
+_Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains_. Ces _Réflexions_
+ont pour sujets Banville, Barbier, Desbordes-Valmore, Pierre Dupont,
+Flaubert, Gautier, Victor Hugo, Leconte de Lisle, Le Vavasseur, Paul
+de Molènes, Pétrus Borel. Mais de Sainte-Beuve pas trace.
+
+Compulsons le recueil des _Poètes Français_ de Crépet où l'anthologie
+de chaque poète s'orne d'une étude sur son œuvre. Baudelaire a signé
+plusieurs de ces notices. Sainte-Beuve y a, bien entendu, la sienne.
+Mais elle n'est pas signée: Baudelaire. Elle est signée: Babou.
+
+Feuilletons enfin les œuvres complètes de Baudelaire, fouillons,
+scrutons ligne à ligne. Dans les sept volumes, nulle part le nom de
+Sainte-Beuve n'est cité.
+
+Omissions trop répétées pour qu'on les croie dues au hasard.
+
+Il est plus probable qu'elles furent voulues et que, par ce mutisme
+obstiné, Baudelaire entendit rendre à Sainte-Beuve ce qu'on appelle
+«la pareille».
+
+Ici s'accuse nettement la différence de procédés entre les écrivains
+de haute classe et les subalternes.
+
+Négligé par Sainte-Beuve, un Babou s'exaspère, accuse, invective.
+
+Un Baudelaire, au contraire s'en tiendra au silence, cette légitime
+représaille de l'artiste contre ceux qui se taisent sur lui.
+
+[Illustration: ornement fin de page]
+
+
+
+
+NOTES
+
+
+ [1] «Le second ami était et est encore gros, paresseux et
+ lymphatique; de plus il n'a pas d'idées et ne sait qu'enfiler et
+ perler des mots en manière de colliers d'Osages» (Article de
+ Baudelaire dans l'_Echo des Théâtres_ du 23 août 1846. _OEuvres
+ posthumes_, Mercure de France, 1908, p. 293).
+
+ [2] La prédiction de Gautier sur Baudelaire est trop longue pour
+ être citée en entier. Elle se termine ainsi: «Le Baudelaire fera
+ long feu comme le Pétrus.» (M. DU CAMP, _Souvenirs littéraires_,
+ t. II, p. 83 et 84).
+
+ A joindre cette autre opinion de Gautier sur _le_ Baudelaire:
+ «Théophile Gautier qui, dans l'intimité, a un vif sentiment
+ critique, me disait en 1848:--Baudelaire est un beau vase qui a
+ une _fissure_» (CHAMPFLEURY, _Souvenirs_, p. 145).
+
+ Il est à remarquer cependant que, dès 1845, la presque totalité
+ des _Fleurs du Mal_ était connue du monde lettré par les
+ récitations qu'en faisait Baudelaire.
+
+ [3] _OEuvres posthumes_, Mercure de France, 1908, p. 54.
+
+ [4] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 492, 15 janvier 1866.
+
+ [5] En 1856, dans la _Préface_ de sa traduction des _Histoires
+ extraordinaires_, à propos d'un biographe de Poe, qui s'était
+ permis, par une inconvenance étrange, de publier en tête des
+ œuvres de l'écrivain un éreintement en règle de sa vie et de ses
+ ouvrages, Baudelaire écrivait ces lignes indignées et mémorables:
+ «Il n'existe donc pas en Amérique d'ordonnance qui interdise aux
+ chiens l'entrée des cimetières» (_Histoires extraordinaires_,
+ 1856, p. XX).
+
+ [6] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 190, 19 mars 1856.
+
+ [7] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 210, 24 mars 1856.
+
+ [8] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 104, 9 mars 1857. J'ai omis de
+ noter la réponse de Sainte-Beuve (_Correspondance_, t. I, p. 222,
+ 11 mars 1857). Sainte-Beuve préfère qu'Edouard Thierry, rédacteur
+ au _Moniteur_, parle d'abord de l'ouvrage. Quant à lui, il
+ ajourne à une date vague, sous prétexte qu'il n'a pas encore «sa
+ petite idée» sur Poe--malgré la publication de deux volumes
+ contenant les plus célèbres chefs-d'œuvre du conteur. Cette
+ seconde promesse d'article n'eut pas, d'ailleurs, plus de suites
+ que la première.
+
+ [9] _Revue des Deux Mondes_, 1er juin 1855.
+
+ [10] _Nouveaux Lundis_, t. I, p. 400, et SAINTE-BEUVE,
+ _Correspondance_, t. I, p. 219.
+
+ [11] BAUDELAIRE, _OEuvres posthumes_, Quantin, 1887 (éd. Crépet),
+ p. 285.
+
+ [12] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 163, 14 juin 1858. «... Il y a des
+ jours où les injures de tous les sots vous montent au cerveau et
+ alors on implore son vieil ami Sainte-Beuve.» Le vieil ami
+ Sainte-Beuve n'avait sans doute pas encore assez mûri «sa petite
+ idée» sur Poe, car il persista dans le silence.
+
+ [13] Cet article, intitulé l'_Amitié littéraire_, avait paru dans
+ la _Revue Française_. Il reparut dans un volume de Babou,
+ intitulé _Lettres satiriques et critiques_, Poulet-Malassis,
+ 1860. Le passage visant Sainte-Beuve se terminait par la phrase
+ suivante: «Il glorifiera _Fanny_, l'honnête homme! et gardera le
+ silence sur les _Fleurs du Mal_.» Toutefois, l'éditeur, sans
+ doute sur la prière de Baudelaire, ayant supprimé la phrase,
+ Babou la rétablit dans un _Post-scriptum_ avec sommation à
+ Poulet-Malassis de l'insérer.
+
+ [14] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 184, 21 février 1859.
+
+ A consulter également une lettre à Asselineau sur le même sujet
+ (p. 185) du 24 février 1859.
+
+ [15] SAINTE-BEUVE, _Nouvelle Correspondance_, p. 153, 23 février
+ 1859. A consulter aussi une lettre de Sainte-Beuve à
+ Poulet-Malassis (p. 142), même date, même sujet. Sainte-Beuve
+ demande à Poulet-Malassis de lui confier la fameuse lettre qu'il
+ avait adressée à Baudelaire sur les _Fleurs du Mal_ et qui, de
+ 1857 à 1870, constitue sa grande pièce de défense, sa grande
+ parade contre les accusations d'indifférence envers Baudelaire.
+
+ [16] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 187.
+
+ [17] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 269.
+
+ [18] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 255, 3 juillet
+ 1860.
+
+ [19] _Causeries des Lundis_, t. XV, p. 350. _Lettre au
+ directeur-gérant du Moniteur._ Il est à signaler qu'une fois de
+ plus, Sainte-Beuve justifie son silence en invoquant un article
+ consacré à Baudelaire dans le _Moniteur_ par Edouard Thierry. En
+ 1858 il dit à Baudelaire: «Thierry parlera de vous.» En 1860:
+ «Thierry a parlé de vous.» Ingénieuse combinaison qui instituait
+ Thierry définitivement comme délégué aux affaires baudelairiennes
+ et fournissait aux temporisations de Sainte-Beuve tantôt une
+ prétexte, tantôt une excuse.
+
+ Il est en outre à noter que l'incident Babou-Sainte-Beuve se
+ termina au mieux. En 1862, en tête des poésies de Sainte-Beuve
+ publiées dans les _Poètes Français_ de Crépet, parut une notice
+ sur Sainte-Beuve, signée Hippolyte Babou et où l'encensoir n'était
+ pas balancé de main morte (_Poètes Français_, t. IV, p. 357). Sur
+ quoi, Sainte-Beuve, ne voulant pas demeurer en reste de politesse,
+ accorda aux notices publiées par Babou dans ce recueil un
+ paragraphe plus qu'obligeant (_Nouveaux Lundis_, t. III, p. 341).
+
+ Dans cette affaire il n'y eut donc qu'une victime: Baudelaire.
+
+ [20] Ce bel article parut d'abord dans les _Articles
+ justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des Fleurs du Mal_
+ (1857), imprimerie Dondey Dupré, p. 9. Il fut réédité dans _Les
+ OEuvres et les Hommes_, 1862, t. III.
+
+ [21] Extrait de la notice de Banville, un des morceaux les plus
+ complets et les plus profonds qu'on ait publiés sur l'OEuvre de
+ Baudelaire. Banville, d'habitude si menu, si gracile, si
+ papillonnant, y atteint, en maint endroit, à la force. Cette
+ notice parut d'abord dans l'_Album de la Galerie contemporaine_,
+ in-4, Baschet (vers 1877). Elle a été reproduite, en partie
+ seulement, dans la récente édition des _Fleurs du Mal_, publiée
+ par la librairie Fasquelle (1912).
+
+ [22] _Nouveaux Lundis_, t. I, p. 400 et 401.
+
+ [22 _bis_] Ce nom, ces mots n'étaient pas mis là sans intention.
+ Dans un article récent du _Mercure de France_, M. Ernest Raynaud
+ nous a révélé l'espèce de pacte d'échange qui s'était conclu à ce
+ moment entre Sainte-Beuve et Gautier: Sainte-Beuve promettant un
+ fauteuil d'académicien à Gautier contre un siège de sénateur que
+ celui-ci lui assurerait. On devine le trouble qu'apportait dans
+ ces _combinaziones_ l'irruption ingénue de Baudelaire.
+ Sainte-Beuve, il faut le reconnaître, se tira fort habilement de
+ ce mauvais pas. Désigner Gautier comme le maître de Baudelaire,
+ c'était du même coup amorcer sa candidature et ruiner celle de
+ son jeune concurrent. Protester contre l'indifférence de
+ l'Académie envers les poètes du jour, c'était poser des jalons
+ pour une compensation prochaine en faveur de Gautier. Dès lors,
+ l'échec de Baudelaire, soit par voie de scrutin, soit par voie de
+ désistement, ne faisant pas de doute, on se trouvait en
+ excellente posture pour pousser Gautier au premier fauteuil
+ vacant. A tous égards, ce fut du plus joli travail académique et
+ où il semble bien que Baudelaire n'ait vu que du feu.
+
+ [23] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 325.
+
+ [24] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 285, 15 février
+ 1862.
+
+ [25] Cependant Baudelaire avait envoyé les _Histoires sérieuses
+ et grotesques_ à Sainte-Beuve et spécialement attiré son
+ attention sur ce livre, sans obtenir même un accusé de réception
+ (_Lettres_, p. 426, 15 mars 1865 et p. 427, 30 mars 1865).
+
+ [26] A titre de curiosité, j'ai relevé les noms des poètes
+ contemporains auxquels Sainte-Beuve avait consacré des articles
+ entre 1857 et 1867, date de la mort de Baudelaire.
+
+ 1857.--_Théodore de Banville_, _Alfred de Musset_.
+
+ 1860.--_Mme Desbordes-Valmore_ (OEuvres posthumes).
+
+ 1861.--_Victor de Laprade._
+
+ 1862.--_Calemard de Lafayette._
+
+ Même année, étude sur les _Poètes français_ de Crépet qui fournit
+ prétexte à des études sur _Soulary_, de _Belloy_, _Coran_--sans un
+ mot sur Baudelaire, quoique celui-ci figurât dans le recueil.
+
+ 1863.--_P. Lebrun_, _Théophile Gautier_.
+
+ 1864.--_Alfred de Vigny._
+
+ 1865.--_Charles Monselet._ Même année, un article sur la _Poésie
+ française en 1865_.
+
+ Sainte-Beuve s'y plaint du manque d'originalité des poètes
+ nouveaux. «Je me dis: ceci est du Musset!» ou bien: «Ceci rappelle
+ Victor Hugo» ou «Ceci est du Gautier, du Banville, du Leconte de
+ Lisle--ou _même_ du Baudelaire». Toujours les réserves tendant à
+ réduire l'importance de Baudelaire. Ce _même_ était bien du même
+ au même.
+
+ Mais voici plus significatif encore. En 1862 Sainte-Beuve se
+ chargea de préfacer les _Poètes français_ de Crépet. Il rédigea, à
+ cet effet, une introduction formant histoire de la poésie
+ française. Arrivé au XIXe siècle il en conte les débuts--mais, en
+ 1862, quelle déchéance! Il se lamente sur cette décrépitude,
+ appelle à grands cris une Poétique nouvelle. «Et ce qui vaudrait
+ mieux, ajoute-t-il, ce serait un exemple nouveau et vivant. La
+ Nature seule peut créer le génie. A celui qui _doit venir_ et _en
+ qui nous avons espérance_, nous dirions....» Suit une prosopopée
+ assez fade qui se termine ainsi: «Vous n'avez qu'à puiser au gré
+ de vos inspirations, suivant votre habileté et votre audace;...
+ vous fondrez tout à la flamme de votre génie; vous remettrez
+ chaque chose à son point dans la trame du bel art, _ô grand poète
+ qui naîtrez_!»
+
+ Invocation sincère mais plutôt oiseuse, puisque ce grand poète, à
+ l'insu de Sainte-Beuve, était né depuis cinq ans déjà.
+
+ [27] BAUDELAIRE, _Lettres_, 1865, _passim_, p. 489 à 496.
+
+ L'appui de Sainte-Beuve semble s'être borné à certifier à
+ l'éditeur Garnier la valeur littéraire de Baudelaire.
+
+ Dans une des lettres de Baudelaire à sa mère, publiées par la
+ _Revue de Paris_ (20 juillet 1865), le poète exprime assez
+ exactement la nature de l'aide que lui prêta le critique des
+ _Lundis_ en vue de ce traité avec Garnier, qui, au surplus, ne
+ devait pas aboutir: «Sainte-Beuve, que j'ai vu à mon passage à
+ Paris, m'a dit qu'il se mêlerait un peu de la question.»
+
+ [28] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. II, p. 209. Il est, dans
+ cette lettre, à retenir deux points: 1º Sainte-Beuve ne formule
+ aucune promesse d'article; 2º Sa lettre est datée du 12
+ septembre, c'est-à-dire qu'elle ne fut écrite que douze jours
+ après la mort de Baudelaire.
+
+ [29] A. DE LA FIZELIÈRE et GEORGES DECAUX, _Essais de
+ bibliographie contemporaine, Charles Baudelaire_, librairie de
+ l'Académie des Bibliophiles, 1868.
+
+ [30] _Causeries du Lundi_, t. XV, p. 527.
+
+ [31] _Revue Européenne_, 1861. Réédité à la suite des _Derniers
+ Poèmes_, 1895.
+
+ [32] Il s'est produit ici une grave lacune dans le nomenclature
+ des symptômes qui, à défaut de perspicacité, eussent dû avertir
+ Sainte-Beuve de la place prise par Baudelaire dans la poésie
+ française.
+
+ J'avais en effet oublié de mentionner parmi ces symptômes la
+ notice de Théophile Gautier, insérée en tête de l'édition
+ définitive des _OEuvres complètes_ (1868).
+
+ Si défectueuse et restrictive que soit encore cette notice qui
+ persiste à maintenir Baudelaire dans le cercle des poètes
+ artificiels et subtils, le fait qu'un écrivain illustre comme
+ Théophile Gautier, grand potentat du feuilleton, un des maîtres de
+ la célèbre phalange romantique, eût assumé la charge de présenter
+ Baudelaire au public et lui eût accordé l'honneur de
+ soixante-quinze pages en texte serré, ne pouvait manquer d'attirer
+ l'attention de Sainte-Beuve.
+
+ Il y avait là mieux qu'un acte de complaisance posthume, une
+ véritable consécration.
+
+ Il paraît peu probable que l'importance de cette manifestation ait
+ échappé à un esprit aussi avisé que Sainte-Beuve.
+
+ Mais il n'est pas impossible, par contre, qu'elle ait contribué,
+ par choc en retour, à l'ancrer plus dans son silence.
+
+[Illustration: ornement fin de page]
+
+
+
+
+[Illustration: logo]
+
+
+CHARTRES.--IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.
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+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
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+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation information page at www.gutenberg.org
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+Foundation
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+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
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+Project Gutenberg's Baudelaire et Sainte-Beuve, by Fernand Vandérem
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
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+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+Title: Baudelaire et Sainte-Beuve
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+Author: Fernand Vandérem
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+Release Date: January 30, 2014 [EBook #44807]
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+Language: French
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+Character set encoding: ISO-8859-1
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE ***
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+Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
+file was produced from images generously made available
+by The Internet Archive/Canadian Libraries)
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+ BAUDELAIRE
+
+ ET
+
+ SAINTE-BEUVE
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+ _Imprimé à 235 exemplaires
+ dont
+ 10 sur papier de Hollande._
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+Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le
+typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée
+et n'a pas été harmonisée.
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+
+ FERNAND VANDÉREM
+
+ BAUDELAIRE
+
+ ET
+
+ SAINTE-BEUVE
+
+ _NOUVELLE ÉDITION_
+
+ AUGMENTÉE DE NOTES ET D'UN CHAPITRE INÉDIT
+
+ [Illustration: logo]
+
+ PARIS
+ LIBRAIRIE HENRI LECLERC
+
+ 219, RUE SAINT-HONORÉ, 219
+ et 16, rue d'Alger.
+
+ 1917
+
+
+
+
+[Illustration: ornement début de page]
+
+
+Cette étude, publiée d'abord dans le _Temps Présent_, a paru en 1914
+sous forme d'une brochure à tirage restreint et depuis longtemps
+épuisé.
+
+Il m'a semblé que le cinquantenaire de Baudelaire pouvait prêter
+quelque intérêt à une réédition.
+
+Je n'ai rien changé au texte primitif, que j'ai seulement complété par
+des notes indiquant les sources des textes invoqués et quelques
+particularités nouvelles.
+
+J'y ai joint en outre un appendice où j'ai tenté de mieux élucider
+les sentiments de Baudelaire pour Sainte-Beuve.
+
+On aura ainsi, avec toutes références utiles, un résumé des relations
+entre le grand poëte et l'illustre critique.
+
+[Illustration: ornement fin de page]
+
+
+
+
+BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE
+
+
+
+
+I
+
+
+Les relations de Baudelaire et de Sainte-Beuve prêteraient à un
+curieux chapitre d'histoire littéraire, dont j'offre ici un aperçu.
+
+Les sentiments de Baudelaire envers certains de ses contemporains,
+comme les sentiments qu'il leur inspirait, présentent parfois des
+contradictions. Ainsi, extérieurement, qui douterait de son culte pour
+Gautier et de l'estime où Gautier le tenait? Cependant on a retrouvé
+un article de Baudelaire où il traitait Gautier en poète verbal, en
+enfileur de phrases[1], et, d'autre part, Maxime du Camp nous conte
+que, dans l'intimité, Gautier prédisait à Baudelaire la faillite
+finale d'un Pétrus Borel[2].
+
+Entre Baudelaire et Sainte-Beuve, pas trace de ces fluctuations. De
+son extrême jeunesse à sa mort, Baudelaire ne cessa de ressentir et de
+marquer pour Sainte-Beuve son admiration. C'est à Sainte-Beuve qu'en
+1844 il adresse respectueusement une de ses premières poésies de
+collège[3]. Et en 1866, à quelques mois de la paralysie générale, une
+de ses dernières lettres ne sera qu'un long panégyrique des poésies de
+Sainte-Beuve[4].
+
+Les _Consolations_, _Joseph Delorme_, les _Pensées d'Août_, partout il
+trouve à louer et à s'enflammer. Notamment les _Rayons Jaunes_ (ce
+poème parti d'une impression heureuse, mais développé d'une façon si
+méthodique et si dénuée d'ingénuité) lui semblaient un chef-d'oeuvre
+dont il ne se lassait pas de redire les beautés. Baudelaire a subi là
+une emprise de jeunesse dont il ne devait plus se défaire.
+
+On s'étonnera chez lui d'une admiration si constante pour un poète qui
+lui était si sensiblement inférieur, tant par l'inspiration et par la
+forme que par l'originalité. Et on pourrait être tenté d'y voir, sinon
+une flagornerie envers le critique tout-puissant, du moins la
+gratitude d'un obligé. Mais les faits s'opposent à cette hypothèse.
+Car Sainte-Beuve ne fit jamais rien pour Baudelaire, ou ce qu'il fit
+en sa faveur se réduit à l'impondérable.
+
+Feuilletez d'ailleurs cet immense Larousse que constitue l'oeuvre
+critique de Sainte-Beuve. Alors que tant de poètes subalternes, tant
+d'écrivains quelconques y bénéficient de longs articles, vous n'y
+découvrez pas un seul Lundi consacré à Baudelaire. Puis contrôlez par
+la correspondance des deux écrivains et vous aurez vite établi le
+relevé de ce que Sainte-Beuve accorda à son jeune ami, à celui qu'il
+appelait paternellement «son cher enfant».
+
+1856.--Baudelaire publie sa première traduction de Poe: _Histoires
+extraordinaires_. Lui qui ne sollicitait jamais pour son compte
+n'hésita en aucun cas à quémander pour Poe. Il s'était institué le
+barnum, l'impresario de Poe, le cultivateur acharné de sa gloire en
+France. Le silence sur Poe, la moindre critique contre son oeuvre,
+meurtrissait Baudelaire au plus vif[5]. Pour une insignifiante réserve
+sur le conteur américain, il faillit se brouiller avec d'Aurevilly.
+
+En 1856 donc, il écrit à Sainte-Beuve pour lui recommander le
+volume[6]. Nous avons la réponse de Sainte-Beuve. Il promet ferme un
+article. En bas, une note naïve de l'éditeur ajoute: «Cet article n'a
+jamais été fait.» Et d'un![7]
+
+1857.--Les _Nouvelles histoires extraordinaires_. Nouvelle lettre de
+Baudelaire à Sainte-Beuve[8]. Même silence de Sainte-Beuve. Et de
+deux!
+
+_Les Fleurs du Mal._ Sainte-Beuve en connaît, avoue en connaître
+plusieurs morceaux. Entre autres, il doit avoir lu les vingt pièces
+publiées dès 1855, dans la _Revue des Deux Mondes_[9]. Voici l'ouvrage
+complet. Occasion unique de lancer un jeune poète qui se détache avec
+éclat de la cohue courante, se donne et est reçu par Sainte-Beuve
+comme un disciple. Le critique s'en tient pourtant à une longue lettre
+embarrassée, où ne sont pas oubliées les _Pensées de Joseph Delorme_
+ni les _Consolations_ et où les éloges sans chaleur se mâtinent de
+gronderies vieillottes. Quant à un article, néant. Et de trois!
+
+Mais arrive le procès: Baudelaire en danger. Concédons que, critique
+officiel, Sainte-Beuve se trouve en délicate posture pour intervenir.
+Au moins pourrait-il autoriser Baudelaire à publier sa lettre dans le
+recueil d'articles adressé aux juges. Pas question. Tout juste s'il
+donnera quelques extraits de cette lettre trois ans plus tard, en
+1860[10]. Et il ne la publiera complète que neuf après, le poète mort,
+en 1869, dans un furtif appendice des _Lundis_.
+
+Il est vrai que, sous main, il glisse à Baudelaire des: «Petits moyens
+de défense.» Effectivement bien petits. «Tout était pris dans le
+domaine de la poésie. Lamartine avait pris _les cieux_. Victor Hugo
+avait pris _la terre_ (?) et plus que _la terre_ (??). Laprade avait
+pris _les forêts_. Musset avait pris _la passion_ et _l'orgie
+éblouissante_ (sic). Théophile Gautier avait pris l'Espagne (!). Ce
+que Baudelaire a pris. Il y a été comme forcé[11].»
+
+Et cela finissait par un coup de dent à Musset, dont la vogue
+torturait Sainte-Beuve--Musset dont il conseillait de souligner les
+côtés obscènes et pornographiques. Ainsi nuls risques et tout profit.
+
+Baudelaire n'en garda pas moins de ces conseils une éternelle
+reconnaissance.
+
+1858.--_Gordon Pym._ Nouvelle lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve en
+faveur de Poe[12]. Pas d'article. Et de quatre!
+
+1859.--Un petit scandale. Hippolyte Babou moins patient que Baudelaire
+a dénoncé dans un article le silence obstiné de Sainte-Beuve sur
+l'auteur des _Fleurs du Mal_, et flétri nettement les réticences
+cauteleuses du grand critique qui ne se répand en copie que sur les
+ouvrages de second ordre[13].
+
+Affolement de Baudelaire à l'idée d'être rendu responsable, quoique
+innocent. Lettre à Sainte-Beuve pour se disculper[14]. Réponse
+indignée de Sainte-Beuve, furieux de se voir dévoilé[15].
+
+«Vous ne pouvez vous faire une idée de ce que c'est que la lettre de
+Sainte-Beuve, écrit Baudelaire à Malassis. Il paraît que, depuis douze
+ans, il notait tous les signes de malveillance de Babou. _Décidément,
+voilà un vieillard passionné avec qui il ne fait pas bon se
+brouiller...[16]._»
+
+Vraisemblablement Sainte-Beuve tint toujours rancune à Baudelaire de
+cet incident. Du moins, pour se taire, le ressentiment lui fournissait
+là une espèce d'excuse.
+
+La même année, Baudelaire publiait son étude sur _Théophile Gautier_.
+Il va de soi que, selon l'usage, Sainte-Beuve n'en souffla pas mot. Et
+de cinq!
+
+1860.--_Les Paradis artificiels._ Lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve
+indiquant discrètement que M. Dalloz, directeur du journal où opère le
+critique, lui a dit: «Le livre est digne de Sainte-Beuve. Faites une
+visite à Sainte-Beuve à ce sujet.» Baudelaire ajoute: «Je n'aurais osé
+y penser. Cependant j'ai plus que jamais besoin d'être soutenu.» Le
+post-scriptum fait allusion à un morceau de pain d'épice qu'en passant
+il avait porté à Sainte-Beuve, fort gourmet[17]. Nous avons la réponse
+de Sainte-Beuve. Evasive, ajournant l'article, alléguant des arriérés,
+ne promettant rien. Par contre il daigne remercier du pain d'épice. Et
+de six![18]
+
+A la vérité, il se croyait largement quitte envers Baudelaire. Car,
+piqué quand même par l'article de Babou, comprenant la nécessité de
+rompre le silence, il s'était enfin décidé à nommer Baudelaire dans
+une _Causerie du Lundi_, en date du 20 février[19]. Il y revenait sur
+l'article de Babou, accusait son accusateur d'envie, et finalement,
+comme un chien qu'on fouette, arrivait à Baudelaire. Oh! sans se
+fouler, sans se donner grand mal, recopiant simplement entre
+guillemets des fragments de la lettre qu'il lui avait adressée en
+1857. On trouvera cette lettre à la suite des _Fleurs du Mal_ dans
+l'édition définitive. On la rapprochera de l'article que, dans le même
+temps, Barbey d'Aurevilly consacrait au livre[20]. Et on pourra
+mesurer toute la distance artistique qui sépare un Sainte-Beuve d'un
+Baudelaire, un Sainte-Beuve d'un d'Aurevilly.
+
+Pour Sainte-Beuve, Baudelaire est «un esprit fin», un talent «habile
+et curieux». Mais «Baudelaire se défie trop de la passion(?), de la
+passion naturelle(?)». Il «accorde trop à l'esprit, à la
+combinaison». «Laissez-vous faire, conseille Sainte-Beuve, ne craignez
+pas tant de sentir comme les autres, n'ayez jamais peur d'être trop
+commun.» Toutefois, il convient aimer quelques pièces dont certaines
+lui semblent dignes de l'Anthologie. Enfin «il tient compte surtout à
+Baudelaire» (comme à Bouilhet et à Soulary) «de ce qu'ils viennent
+tard, quand l'école dont ils sont a déjà tant donné et tant produit,
+quand elle est comme épuisée... Ils soutiennent avec honneur, ils
+décorent le déclin et le coucher de la Pléïade».
+
+On possède ici, presque au complet, le sentiment de Sainte-Beuve sur
+Baudelaire, la cote qu'il lui attribue: un petit poète de troisième ou
+quatrième ligne, un de ces humbles glaneurs à la suite, qui viennent
+quand les maîtres ont fauché le meilleur du champ, esprits fins,
+bizarres, distingués, mais qui ne peuvent ramasser que les épis de
+surcroît, les déchets de grande moisson, ce qui reste...
+
+Rappelez-vous plus haut les moyens de défense: «Lamartine avait pris
+les _cieux_, Hugo avait pris la _terre_... etc.»
+
+Sainte-Beuve à ce moment, comme on voit, était loin du jugement porté
+vingt ans plus tard par Banville et que la postérité ne cessera de
+confirmer:
+
+«Il faut admirer en Baudelaire un des plus grands hommes de ce temps
+et qui, si nous ne vivions pas sous le règne intellectuel de Victor
+Hugo, mériterait que nul poète contemporain ne fût mis au-dessus de
+lui. De tous les artistes modernes du vers, l'auteur des _Fleurs du
+Mal_ est le seul qui n'ait rien dû à l'auteur de la _Légende des
+siècles_. Il ne procédait ni de lui ni de personne...[21]»
+
+1861.--_Richard Wagner et Tannhaüser._ Nul article de Sainte-Beuve. Et
+de sept.
+
+_Les Fleurs du Mal_, seconde édition augmentée. Cette fois,
+Baudelaire, comme tout le public littéraire, doit attendre son tour de
+Lundi. Plus de procès à invoquer. Un recueil classé, consolidé,
+abordant presque déjà la gloire. Evidemment le père Sainte-Beuve va y
+aller de son article, donner son impression d'ensemble sur l'homme et
+sur l'oeuvre. Mais non. Pas une ligne, pas un mot, pas une allusion.
+Et de huit!
+
+1862.--Un coup de tonnerre. Baudelaire, en manière de manifestation
+artistique, d'affirmation personnelle, se présente à l'Académie.
+Fâcheux contre-temps pour Sainte-Beuve qui s'apprêtait à faire
+campagne dans cette élection et à peser publiquement les titres des
+candidats[22]. Arrivé à Baudelaire, comment s'en tirer? Impossible de
+passer sous silence, ou de malmener son «jeune ami». Et d'autre part,
+pas moyen de s'associer à cette gaminerie sans nom: Baudelaire, le
+petit Baudelaire candidat! Sainte-Beuve ici n'a pas trop de toute son
+adresse, pour ne pas dire plus. Il écrit:
+
+«On s'est demandé d'abord si M. Baudelaire en se présentant voulait
+faire une niche à l'Académie et une épigramme; s'il ne prétendait
+point l'avertir par là qu'il était bien temps qu'elle songeât à
+s'adjoindre ce poète et cet écrivain si habile et si distingué dans
+tous les genres de diction, Théophile Gautier, son maître[22 _bis_].
+On a eu _à apprendre, à épeler le nom de M. Baudelaire_ à plus d'un
+membre de l'Académie qui ignorait totalement son existence. Il n'est
+pas si aisé qu'on le croirait de prouver à des Académiciens politiques
+et hommes d'État comme quoi il y a, dans les _Fleurs du Mal_, des
+pièces très remarquables vraiment pour le talent et pour l'art...; et
+qu'en somme M. Baudelaire a trouvé moyen de se bâtir, à l'extrémité
+d'une langue de terre réputée inhabitable et par delà les confins du
+romantisme connu, un kiosque bizarre, fort orné, fort tourmenté, mais
+coquet et mystérieux, où on lit de l'Edgar Poe, où l'on récite des
+vers exquis, où l'on s'enivre avec le haschich pour en raisonner
+après, où l'on prend de l'opium et mille drogues abominables dans des
+tasses d'une porcelaine achevée. Ce singulier kiosque, fait en
+marqueterie, d'une _originalité concertée_ et composite, qui, depuis
+quelque temps, attire les regards à la pointe du Kamtchatka
+romantique, j'appelle cela la folie Baudelaire. Est-ce à dire
+seulement, et quand on a tout expliqué de son mieux à de respectables
+confrères un peu étonnés, que _toutes ces curiosités, tous ces
+regards_ et ces raffinements leur semblent des titres pour
+l'_Académie_, et _l'auteur lui-même a-t-il pu sérieusement se le
+persuader_? Ce qui est certain, c'est que l'auteur gagne à être vu,
+que là où l'on s'attendait à voir entrer un homme étrange,
+excentrique, on se trouve en présence d'un candidat poli, respectueux,
+_exemplaire, d'un gentil garçon_, fin de langage et tout à fait
+classique dans les formes...»
+
+J'ai souligné quelques-uns des traits les plus protecteurs, les plus
+dédaigneux dans ce certificat de bonnes lettres et bonnes façons. Quel
+ton, en effet, pour parler de Baudelaire! Quelle différence avec les
+accents déférents d'un Barbey d'Aurevilly, d'un Asselineau, d'un
+Edouard Thierry!
+
+N'empêche que de la part de Sainte-Beuve, si gros Monsieur, juché si
+haut, un tel acte de condescendance, un tel présent de publicité
+pouvaient paraître exceptionnels. Baudelaire, évidemment, sentit plus
+l'honneur que les réserves. Il écrivit à Sainte-Beuve une lettre
+débordante de gratitude[23].
+
+Dès cet instant, il était à sa merci, suivit tous ses conseils
+académiques, n'insista plus, se désista. Sainte-Beuve le félicita de
+cette renonciation. «Quand on a lu votre dernière phrase de
+remerciement conçue en termes si modestes et si polis, on en a dit
+tout haut: _Très bien!_ Ainsi vous avez laissé de vous une bonne
+impression: n'est-ce donc rien[24]?»
+
+Baudelaire ne put nier, mais dut probablement penser que, pour ses
+candidats, Sainte-Beuve se contentait de peu.
+
+1863-1864-1865-1866.--_Eurêka_, les _Histoires grotesques et
+sérieuses_[25], des vers dans les _Poètes français_ de Crépet, des
+vers dans le _Parnasse contemporain_. Sur tout cela cherchez dans
+Sainte-Beuve: silence, silence. Une fois pour toutes avec son «jeune
+ami» il s'est mis en règle. Compte clos, crédit arrêté. Il ne parlera
+plus jamais de Baudelaire[26].
+
+Il le sait cependant aux abois, forcé par les dettes à l'exil,
+interdit de séjour, gravement malade, plus que pauvre. Sur des prières
+aussi discrètes que réitérées, il semble bien, sans que ce soit sûr,
+lui avoir donné un coup d'épaule auprès du libraire Garnier pour une
+édition complète. Mais d'articles, de citations, plus l'ombre[27].
+
+Quand Baudelaire meurt, une banale lettre de condoléances à Mme
+Aupick. C'est tout.[28]
+
+Et pourtant, j'oublie un détail. Cela se passait en 1869. Un grand
+mouvement se dessinait autour de la mémoire de Baudelaire. La
+Fizelière et Decaux avaient publié l'année précédente--hommage inconnu
+à Sainte-Beuve--une bibliographie minutieuse de l'auteur des _Fleurs
+du Mal_, où se trouvaient notés les moindres de ses poèmes, les
+moindres de ses études[29]. L'éditeur Michel Lévy, emboitant le pas,
+adoptait les voeux des amis de Baudelaire, commençait l'édition des
+oeuvres complètes, tant souhaitée par le poète.
+
+Une oeuvre complète à embrasser, une carrière totale à juger, le
+sujet idéal pour un _Lundi_ de Sainte-Beuve. Tout le monde sans doute
+guettait l'article, l'éditeur comme les lettrés.
+
+Mais non. Sainte-Beuve, figé dans son mutisme, ne vit là qu'un
+prétexte à réclamation personnelle. La lettre de 1857 ayant été
+publiée par Michel Lévy à la suite du premier volume, il y aperçut des
+fautes d'impression. Pour rectifier, il donna le texte authentique à
+la fin d'un tome des _Lundis_. La lettre était précédée de ces
+lignes[30]:
+
+«Le poète Baudelaire, très raffiné, très corrompu à dessein et par
+recherche d'art, _avait mis des années_ à extraire de tout sujet et de
+toute fleur un suc vénéneux et même, il faut le dire, _assez
+agréablement vénéneux_; c'était d'ailleurs un homme d'esprit _assez
+aimable à ses heures_ et très capable d'affection...»
+
+A ce maigre bouquet se réduisit sa couronne funèbre, à cette sèche
+notice l'étude définitive qu'on espérait. Même au delà de la tombe,
+Sainte-Beuve ne gâtait pas «son cher enfant».
+
+
+Comme chez beaucoup de critiques, chez Sainte-Beuve, à côté de vues
+fines et ingénieuses, abondent les bévues, les injustices, les
+incompréhensions.
+
+Toutefois, parmi les siennes, on peut distinguer trois périodes. Dans
+la première, c'est un enthousiasme sincère ou voulu qui l'abuse.
+S'improvisant le héraut de la phalange romantique, souvent les amitiés
+ou les antipathies de groupe l'entraînent trop loin dans le
+dénigrement ou dans l'éloge.
+
+Après 1835, il a pu se convaincre que, comme poète, il était à jamais
+surpassé, «gratté», par ses compagnons de lutte: Lamartine, Hugo,
+Gautier, Vigny, Musset. Dès lors, malgré lui, c'est l'envie qui
+l'égare. Une brouille avec Hugo lui épargnera le supplice de chanter
+ses louanges. Envers les autres, par contre, son envie ne se maîtrise
+plus. Elle suinte en gouttelettes amères dans ses journaux privés, ses
+remarques secrètes. Puis, au jour propice: anniversaire, réception
+académique, malheur, mort, elle déferle dans un article. Pas un de ces
+grands noms qu'elle n'ait aspergés de ses jets venimeux[A].
+
+ [A] Pour être exacts, rappelons cependant une épargnée: Mme
+ Desbordes-Valmore, dont Sainte-Beuve fut des rares à sentir et à
+ vanter, comme il fallait, le génie.
+
+Enfin, à partir de 1850, le train artistique le déroute. Il n'y est
+plus, ne suit plus. L'incompétence ici l'aveugle. Il néglige Leconte
+de Lisle, Michelet, Barbey d'Aurevilly. Il se trompe lourdement sur
+Flaubert. Il passe à côté de Verlaine. L'envergure de Baudelaire lui
+échappe.
+
+Dans ces données comme dans les documents cités plus haut, on
+trouverait peut-être une explication de son attitude envers
+Baudelaire.
+
+Son silence presque continu sur l'auteur des _Fleurs_ _du Mal_
+procéderait de deux des phases ci-dessus: la troisième, puis la
+seconde. Tant que Baudelaire reste obscur, il l'omet ou le diminue,
+faute de l'apprécier à sa valeur. Dès que la gloire de son «jeune ami»
+se lève, il s'en tait, crainte de la pousser.
+
+Avec Baudelaire il commence par l'incompétence et il termine par
+l'envie.
+
+[Illustration: ornement fin de page]
+
+
+
+
+II
+
+
+Parmi les nombreux articles qu'a suscités ma précédente étude et qui
+nous montrent en pleine ascension la gloire comme la faveur de
+Baudelaire, il s'en est trouvé quelques-uns pour prendre la défense de
+Sainte-Beuve. Notamment l'âpre plaidoyer qu'a publié dans le _Temps_
+mon ami M. Paul Souday.
+
+Il serait oiseux de discuter ici longuement les griefs personnels que
+m'oppose le sagace critique du _Temps_.
+
+De ce qu'on est chroniqueur, romancier, auteur dramatique, s'ensuit-il
+que vous soient interdites la culture, la lecture et certaines
+prédilections littéraires? De ce qu'on admire chez Vallès le grand
+écrivain, le grand romancier, résulte-t-il qu'on doive endosser ses
+boutades, ses foucades, ses idées et qu'avec lui on doive renvoyer
+Baudelaire à l'asile ou Homère aux Quinze-Vingts? Enfin, parce qu'en
+maint endroit Barbey d'Aurevilly surcharge fâcheusement son style
+d'arabesques et de clinquant, parce qu'il écrivit sur Goethe un
+pamphlet superficiel, parce qu'en une de ses phrases il se rencontre
+avec Sainte-Beuve, faut-il pour cela taire la rare clairvoyance de son
+étude sur les _Fleurs du Mal_ et nier le contraste frappant avec le
+critique des _Lundis_? Sincèrement je ne le pense pas.
+
+Sur le reste du débat, d'autre part, les faits et les documents que
+j'ai cités me paraissent répondre; et sans fol orgueil, je crois que
+l'interprétation que j'en ai donnée n'outrepassait ni la mesure ni la
+vérité.
+
+Comme exemples, ne reprenons que les dates et les oeuvres culminantes;
+en 1861, la seconde édition des _Fleurs du Mal_,--en 1869, l'édition
+des oeuvres complètes.
+
+En 1861, l'autorité littéraire de Baudelaire ne souffre plus conteste.
+Il apporte un recueil entièrement renouvelé, expurgé des pièces libres
+qui pouvaient effaroucher la critique officielle, augmenté de pièces
+inédites dont quelques-unes magistrales, comme _le Voyage_, ce joyau
+de la poésie française. A ce moment, pas de poète, pas de critique qui
+ne s'incline devant son talent. A ce moment, Leconte de Lisle, si
+sévère pour lui-même, si dur pour autrui, lui consacre un article, où,
+malgré la réserve des épithètes et ce quelque chose de tendu
+qu'avaient toujours ses louanges, on voit Baudelaire placé au premier
+rang, hors pair[31].
+
+Si alors Sainte-Beuve résiste au mouvement, s'obstine dans son
+mutisme, ce n'est nullement malveillance ni même absolue
+incompréhension. C'est, comme le prouvent nos documents, qu'il tient
+Baudelaire pour un _poeta minor_ ne méritant pas encore le _dignus
+intrare_ dans la galerie des _Lundis_.
+
+Or, comment appeler d'un autre nom qu'incompétence une telle faute de
+perspective, un tel manque de discernement et de sensibilité?
+
+En 1869, les circonstances seront différentes.
+
+D'abord, pour renseigner Sainte-Beuve sur l'importance réelle de «son
+jeune ami», toute l'oeuvre de Baudelaire est là[32].
+
+Non seulement les _Fleurs du Mal_, mais encore ces poèmes en prose
+auxquels, en passant il a décoché jadis un salut.
+
+Non seulement l'oeuvre d'imagination, mais l'oeuvre critique: les
+salons de 1845, de 1846, de 1859, les études sur les caricaturistes,
+les articles sur les grands littérateurs du temps, pages saisissantes
+par la prescience et la hardiesse des aperçus, par l'esthétique
+sereine et stable qui s'en dégage,--modèles accomplis de cette
+critique intuitive où les poètes souvent excellent.
+
+Bref, dans ces quatre volumes, Baudelaire révélé: le reflet constant
+d'un des génies les plus profonds, les plus variés, les plus originaux
+qu'ait produits la littérature.
+
+A l'éclat d'une pareille oeuvre, on a peine à croire que Sainte-Beuve
+ne distingue pas son erreur. Fermerait-il même les yeux pour ne pas
+la voir, que ses oreilles tinteraient de la rumeur d'éloges montant
+autour du nom de Baudelaire.
+
+Quand je disais, en effet, que tout le monde littéraire attendait son
+article d'ensemble sur Baudelaire, je n'avançais pas qu'une
+conjecture. Lisez plutôt la préface de la bibliographie de Baudelaire
+par La Fizelière et Decaux. Sainte-Beuve y est cité, encensé, mais
+aussi mis en demeure.
+
+«Quant à l'appréciation de ses écrits, déclarent les auteurs (en un
+style que pallie la bonne intention), quant à l'appréciation de ses
+écrits, elle appartient de toute nécessité à quelque grand critique
+habile comme M. Sainte-Beuve, par exemple, à faire courir le scalpel
+de l'analyse sur la fibre délicate d'une organisation poétique qui,
+chez Baudelaire, était prodigieusement exceptionnelle.»
+
+Et tout le long de la préface, l'appel direct à Sainte-Beuve se
+poursuit, couvrant sous les fleurs une véritable sommation.
+
+On sait la fin de non-recevoir qu'y opposa le critique des _Lundis_.
+Avertissements venus de l'oeuvre, invites venues du monde des lettres,
+rien n'eut raison de son silence. Ici l'erreur n'étant plus invocable,
+on ne trouve plus guère d'explication que l'envie.
+
+Etonnante certes, à première vue, chez ce vieux maréchal, si au-dessus
+de l'humble gradé Baudelaire. Mais on oublie que dans les lettres,
+hélas! il est deux envies: celle qui vise vos égaux et celle que vous
+inspirent vos subalternes, l'envie contre les gens de son bateau et
+l'envie contre le bateau qui suit. Or, des deux, qui jurerait que la
+seconde n'est pas fréquemment la plus douloureuse, la plus cuisante,
+la plus implacable? Et qui prétendrait que, si sujet à la première,
+Sainte-Beuve soit demeuré inaccessible à la seconde?
+
+Pourtant une chance de défense subsistait, puisée dans la santé débile
+de Sainte-Beuve et la date de sa mort.
+
+Durant cette année 1869, nous sommes au fait des tourments que lui
+infligea la maladie. Au mois d'août, ses souffrances s'aggravaient. En
+septembre il donna son dernier article. Il mourut le mois suivant.
+
+En tenant compte de ces remarques, une hypothèse aussitôt se
+présentait. Les quatre premiers tomes de l'édition complète de
+Baudelaire étant datés de 1869, peut-être avaient-ils paru, sur la fin
+de l'année, quand Sainte-Beuve touchait à ses suprêmes moments. Des
+lors, comment reprocher à un agonisant le silence le plus pardonnable?
+
+Si pénible que fût une enquête de ce genre funèbre, j'ai voulu en
+avoir le coeur net. J'ai consulté la Bibliographie de la France aux
+années 1868 et 1869. Et voici le résultat:
+
+Dès la fin de 1868, nous le savons par ses écrits, Sainte-Beuve
+connaît à fond les _Fleurs du Mal_ et les _Poèmes en prose_. Les
+_Curiosités esthétiques_, renfermant les salons et critiques d'art,
+paraissent en décembre 1868. L'_Art romantique_, contenant les études
+de moeurs et les critiques littéraires, paraît en février 1869.
+
+De fin février à septembre, Sainte-Beuve disposait donc de six grands
+mois, de vingt-quatre _Lundis_, pour parler de Baudelaire. Durant ces
+six mois, il continua à se taire. De ces vingt-quatre feuilletons pas
+un seul ne fut accordé à Baudelaire.
+
+Il me semble que cette fois la cause est entendue.
+
+[Illustration: ornement fin de page]
+
+
+
+
+APPENDICE
+
+LES SENTIMENTS DE BAUDELAIRE POUR SAINTE-BEUVE
+
+
+Au cours de l'étude qui précède, on a pu constater l'inaltérable
+attachement de Baudelaire pour Sainte-Beuve malgré les constantes
+défections du critique à son égard.
+
+Il resterait à expliquer cette longanimité si contraire à ce que nous
+révèlent de Baudelaire ses correspondances et ses papiers intimes.
+
+Sans s'y montrer positivement vindicatif, le poète ne cesse d'y
+attester une extrême sensibilité aussi bien aux bons procédés qu'aux
+mauvais. Éloges ou dénigrements, il note tout avec une perspicacité
+toujours en éveil. Se défiant même de la mémoire, cette négligente,
+qui oublie souvent en route les injures autant que les bienfaits, il
+avait institué dans ses carnets une rubrique spéciale intitulée
+_Vilaines canailles_, où il inscrivait les noms des personnes qui
+l'avaient desservi ou simplement déçu. Or, par un traitement
+privilégié, Sainte-Beuve ne figure sur aucune de ces listes
+vengeresses.
+
+Bien mieux, en 1859, au moment où Babou manque de le brouiller avec le
+critique, dans la lettre affolée qu'il écrit à Poulet-Malassis,
+Baudelaire déclare: «Ce qu'il y avait dangereux là dedans, c'est que
+Babou avait l'air de me défendre contre quelqu'un qui m'a rendu _une
+foule de services_.»
+
+Lesquels? On reste rêveur. On cherche et voici ce qu'on trouve jusqu'à
+cette date: trois refus d'articles sur Poe, une lettre privée sur les
+_Fleurs du Mal_, des conseils privés lors du procès. Secours bien
+minces. On cherche encore: on découvre deux lettres de Sainte-Beuve,
+l'une en date du 3 octobre 1852 mentionnant la recommandation d'un
+manuscrit à Véron, une autre lettre en date du 20 mars 1854 où
+Sainte-Beuve se récuse au sujet d'une demande d'appui au _Moniteur_.
+Et c'est tout.
+
+Qu'un poétereau, à visées médiocres et doutant de soi, se fût abusé
+sur l'importance de ces menus services, l'illusion semblerait
+plausible. Mais chez Baudelaire, elle déconcerte.
+
+Dans ses lettres, dans ses carnets, le trait dominant, permanent,
+c'est l'orgueil.
+
+Non pas la petite vanité de l'homme de lettres qui puise toute sa
+force dans les louanges d'autrui, les publicités bruyantes, les succès
+immédiats--et s'effondre aussitôt que ces adjuvants cessent. Mais une
+foi intérieure et indéfectible en sa valeur personnelle, en son
+génie, en son oeuvre, une prescience presque miraculeuse du rang où
+celle-ci atteindra. Dès 1847, quand il annonce les _Fleurs du Mal_
+sous son titre primitif _Les Lesbiennes_, le format que Baudelaire
+leur assigne d'autorité, c'est l'in-quarto--c'est-à-dire le format
+réservé aux grands chefs-d'oeuvre consacrés[B]. En 1860, un an après
+l'incident Babou, il écrit à sa mère: «Plus je deviens malheureux,
+plus mon orgueil augmente.» Et dans une autre lettre: «Comme j'ai un
+genre d'esprit impopulaire, je gagnerai peu d'argent, _mais je
+laisserai une grande célébrité, je le sais_.» Et partout de même
+répétée, ressassée la certitude de la durée, de l'immortalité des
+_Fleurs du Mal_.
+
+ [B] Edition originale de _Chien Caillou_ de Champfleury, Martinon
+ 1847. Sur le 2e plat de la couverture: A PARAITRE INCESSAMMENT:
+ Pierre de FAYIS, _Les Lesbiennes_, poèmes, un volume grand in-4.
+
+Comment supposer alors que Baudelaire n'aperçoive pas la disproportion
+entre le sentiment qu'il a de sa grandeur et la taille que lui
+attribue Sainte-Beuve? Comment comprendre qu'il tremble à l'idée d'une
+brouille avec un protecteur si tiède et qu'il exagère, avec un si
+manifeste parti pris, une serviabilité si parcimonieuse?
+
+Énigme qui n'est insoluble qu'à première vue et qui s'éclaire quand on
+analyse un à un les éléments de cet attachement étrange.
+
+Sans parler de la première emprise de jeunesse, des premiers élans
+d'admiration qui durent s'atténuer secrètement lorsque Baudelaire prit
+pleine possession de son talent, il est évident que, dans cet
+attachement, l'intérêt eut une part.
+
+Non que dans ses relations avec Sainte-Beuve, Baudelaire poursuivît un
+avantage personnel. Vraisemblablement, quoique sans grande confiance,
+il espérait, il ne désespérait pas qu'un jour, peut-être, à la longue,
+son tour de _Lundi_ viendrait. Mais au peu que Sainte-Beuve lui avait
+accordé, à ces éloges retenus, et par raccroc, que le critique lui
+dispensait dans un coin d'article, Baudelaire était trop fin pour ne
+pas discerner que ce jour était encore bien lointain, bien incertain,
+si encore il devait jamais luire. Au surplus, son orgueil lui
+permettait d'attendre et lui défendait de demander plus. Une seule
+fois il fléchit, c'était en 1860, lorsque parurent les _Paradis
+artificiels_. Baudelaire alors nettement sollicita de Sainte-Beuve un
+article. Mais par les lettres récemment publiées dans la _Revue de
+Paris_, nous connaissons les dessous de cette défaillance. «J'ai plus
+que jamais besoin d'être soutenu, écrivait-il à Sainte-Beuve et je
+devais vous rendre compte de mon _embarras_.» _Embarras_ signifiait le
+dernier degré de la détresse, misères physiques, misère pécuniaire, un
+homme à la dérive. Cette sollicitation dictée par l'angoisse resta, on
+le sait, sans résultat. Ce fut la première et la dernière.
+
+Par contre, si peu quémandeur pour lui-même, nous avons vu que, en
+faveur de Poe, Baudelaire n'hésitait pas à harceler Sainte-Beuve. De
+1856 à 1865, pas une année sans que Baudelaire ne revienne à la
+charge, ne caresse et ne relance le critique pour lui arracher
+l'article sur Poe. C'est chez lui le même acharnement qu'à demander de
+l'argent à sa mère pour Jeanne Duval. Avec la Muse noire, Poe avait
+fini par devenir sa grande charge, son grand devoir. Pour lui gagner
+Sainte-Beuve, il eût tout pardonné, il pardonnait tout au critique.
+Poe fut sûrement dans leur attachement un des liens les plus solides.
+
+Mais en dehors de ces calculs--bien désintéressés--ce qui semble avoir
+le plus retenu Baudelaire à Sainte-Beuve, malgré déboires et
+déceptions, c'est Sainte-Beuve lui-même, sa fréquentation, sa société.
+
+Si orgueilleux que fût Baudelaire, visiblement il avait été flatté par
+l'accueil affable de cet écrivain fameux, son aîné presque de vingt
+ans, maître de toutes les renommées littéraires de l'heure, et dont la
+porte ne s'ouvrait qu'à des pairs ou à des intimes.
+
+«Un homme qui, malgré ma jeunesse relative, m'a toujours pris pour son
+égal!» écrivait-il fièrement à sa mère en 1865. Traitement peu commun
+de la part de Sainte-Beuve, si réservé, si en méfiance contre les
+intrus et les fâcheux.
+
+Et effectivement, faute de services, il ressort de leur correspondance
+que Sainte-Beuve ne ménageait à Baudelaire ni une paternelle
+considération ni de délicats égards ni même des avis et des
+réconforts d'autant plus précieux qu'ils venaient de plus haut.
+
+«Est-il permis de venir se réchauffer et se fortifier à votre contact?
+lui écrivait Baudelaire en 1865 (un mois après lui avoir adressée
+vainement _Gordon Pym_). Vous savez ce que je pense des hommes
+atonifiants et des hommes tonifiants. J'ai besoin de vous comme d'une
+douche.»
+
+On se demande, du reste, dans quelle société Baudelaire si réfléchi,
+si épris de belles lettres, eût trouvé l'équivalent en agrément et en
+qualité de ce que lui offrait celle de Sainte-Beuve. Banville bien
+superficiel et funambulesque, Gautier pliant sous le feuilleton et, en
+ses propos, plus rapin que penseur, Leconte de Lisle absorbé dans ses
+transcriptions de l'antique, Poulet-Malassis bon lettré mais tout à
+ses échéances, Asselineau aimable polygraphe mais sans profondeur,
+Théophile Silvestre écrivain de haute marque mais toujours au dehors
+pour des inspections d'art, Flaubert à Croisset, Barbey d'Aurevilly,
+le tempérament le plus proche du sien, mais accaparé par le roman, le
+journalisme, les salons,--à la vérité, comme tous les esprits
+supérieurs, Baudelaire se trouvait très isolé dans son époque[C]. A
+défaut de Renan qu'il ne connaissait pas et qui d'ailleurs se
+désintéressait ouvertement des auteurs du jour, on conçoit que, pour
+un poète de cette envergure et de cette culture, la familiarité, même
+inefficace, de Sainte-Beuve ait été la planche de salut, le
+_præsidium_ rêvé. Et l'on s'explique que pour le garder Baudelaire ait
+avalé tant de couleuvres.
+
+ [C] Au moment où se corrigent les épreuves de cette étude, la
+ _Revue de Paris_, du 15 octobre 1917 publie une lettre de
+ Baudelaire qui apporte aux remarques ci-dessus la confirmation du
+ poète lui-même: «Excepté d'Aurevilly, Flaubert, Sainte-Beuve, je
+ ne peux m'entendre avec personne. Th. Gautier seul peut me
+ comprendre, quand je parle peinture.» (11 août 1862).
+
+Cependant, à la digestion, ne lui laissèrent-elles pas quelques
+aigreurs? La négative serait aventurée.
+
+Ouvrons en effet les _Fleurs du Mal_ (première ou seconde ou troisième
+édition) et relevons les noms des dédicataires. L'ensemble du volume
+est dédié à Gautier, trois pièces sont dédiées à Victor Hugo, deux au
+sculpteur Christophe, une autre à Banville, une autre à Constantin
+Guys, une autre à Maxime du Camp.
+
+Mais à Sainte-Beuve pas une seule, malgré les témoignages d'admiration
+que prodiguait Baudelaire, dans ses lettres, au poète de _Joseph
+Delorme_.
+
+Consultons la _Revue Fantaisiste_ où parurent de Baudelaire les
+_Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains_. Ces _Réflexions_
+ont pour sujets Banville, Barbier, Desbordes-Valmore, Pierre Dupont,
+Flaubert, Gautier, Victor Hugo, Leconte de Lisle, Le Vavasseur, Paul
+de Molènes, Pétrus Borel. Mais de Sainte-Beuve pas trace.
+
+Compulsons le recueil des _Poètes Français_ de Crépet où l'anthologie
+de chaque poète s'orne d'une étude sur son oeuvre. Baudelaire a signé
+plusieurs de ces notices. Sainte-Beuve y a, bien entendu, la sienne.
+Mais elle n'est pas signée: Baudelaire. Elle est signée: Babou.
+
+Feuilletons enfin les oeuvres complètes de Baudelaire, fouillons,
+scrutons ligne à ligne. Dans les sept volumes, nulle part le nom de
+Sainte-Beuve n'est cité.
+
+Omissions trop répétées pour qu'on les croie dues au hasard.
+
+Il est plus probable qu'elles furent voulues et que, par ce mutisme
+obstiné, Baudelaire entendit rendre à Sainte-Beuve ce qu'on appelle
+«la pareille».
+
+Ici s'accuse nettement la différence de procédés entre les écrivains
+de haute classe et les subalternes.
+
+Négligé par Sainte-Beuve, un Babou s'exaspère, accuse, invective.
+
+Un Baudelaire, au contraire s'en tiendra au silence, cette légitime
+représaille de l'artiste contre ceux qui se taisent sur lui.
+
+[Illustration: ornement fin de page]
+
+
+
+
+NOTES
+
+
+ [1] «Le second ami était et est encore gros, paresseux et
+ lymphatique; de plus il n'a pas d'idées et ne sait qu'enfiler et
+ perler des mots en manière de colliers d'Osages» (Article de
+ Baudelaire dans l'_Echo des Théâtres_ du 23 août 1846. _OEuvres
+ posthumes_, Mercure de France, 1908, p. 293).
+
+ [2] La prédiction de Gautier sur Baudelaire est trop longue pour
+ être citée en entier. Elle se termine ainsi: «Le Baudelaire fera
+ long feu comme le Pétrus.» (M. DU CAMP, _Souvenirs littéraires_,
+ t. II, p. 83 et 84).
+
+ A joindre cette autre opinion de Gautier sur _le_ Baudelaire:
+ «Théophile Gautier qui, dans l'intimité, a un vif sentiment
+ critique, me disait en 1848:--Baudelaire est un beau vase qui a
+ une _fissure_» (CHAMPFLEURY, _Souvenirs_, p. 145).
+
+ Il est à remarquer cependant que, dès 1845, la presque totalité
+ des _Fleurs du Mal_ était connue du monde lettré par les
+ récitations qu'en faisait Baudelaire.
+
+ [3] _OEuvres posthumes_, Mercure de France, 1908, p. 54.
+
+ [4] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 492, 15 janvier 1866.
+
+ [5] En 1856, dans la _Préface_ de sa traduction des _Histoires
+ extraordinaires_, à propos d'un biographe de Poe, qui s'était
+ permis, par une inconvenance étrange, de publier en tête des
+ oeuvres de l'écrivain un éreintement en règle de sa vie et de ses
+ ouvrages, Baudelaire écrivait ces lignes indignées et mémorables:
+ «Il n'existe donc pas en Amérique d'ordonnance qui interdise aux
+ chiens l'entrée des cimetières» (_Histoires extraordinaires_,
+ 1856, p. XX).
+
+ [6] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 190, 19 mars 1856.
+
+ [7] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 210, 24 mars 1856.
+
+ [8] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 104, 9 mars 1857. J'ai omis de
+ noter la réponse de Sainte-Beuve (_Correspondance_, t. I, p. 222,
+ 11 mars 1857). Sainte-Beuve préfère qu'Edouard Thierry, rédacteur
+ au _Moniteur_, parle d'abord de l'ouvrage. Quant à lui, il
+ ajourne à une date vague, sous prétexte qu'il n'a pas encore «sa
+ petite idée» sur Poe--malgré la publication de deux volumes
+ contenant les plus célèbres chefs-d'oeuvre du conteur. Cette
+ seconde promesse d'article n'eut pas, d'ailleurs, plus de suites
+ que la première.
+
+ [9] _Revue des Deux Mondes_, 1er juin 1855.
+
+ [10] _Nouveaux Lundis_, t. I, p. 400, et SAINTE-BEUVE,
+ _Correspondance_, t. I, p. 219.
+
+ [11] BAUDELAIRE, _OEuvres posthumes_, Quantin, 1887 (éd. Crépet),
+ p. 285.
+
+ [12] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 163, 14 juin 1858. «... Il y a des
+ jours où les injures de tous les sots vous montent au cerveau et
+ alors on implore son vieil ami Sainte-Beuve.» Le vieil ami
+ Sainte-Beuve n'avait sans doute pas encore assez mûri «sa petite
+ idée» sur Poe, car il persista dans le silence.
+
+ [13] Cet article, intitulé l'_Amitié littéraire_, avait paru dans
+ la _Revue Française_. Il reparut dans un volume de Babou,
+ intitulé _Lettres satiriques et critiques_, Poulet-Malassis,
+ 1860. Le passage visant Sainte-Beuve se terminait par la phrase
+ suivante: «Il glorifiera _Fanny_, l'honnête homme! et gardera le
+ silence sur les _Fleurs du Mal_.» Toutefois, l'éditeur, sans
+ doute sur la prière de Baudelaire, ayant supprimé la phrase,
+ Babou la rétablit dans un _Post-scriptum_ avec sommation à
+ Poulet-Malassis de l'insérer.
+
+ [14] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 184, 21 février 1859.
+
+ A consulter également une lettre à Asselineau sur le même sujet
+ (p. 185) du 24 février 1859.
+
+ [15] SAINTE-BEUVE, _Nouvelle Correspondance_, p. 153, 23 février
+ 1859. A consulter aussi une lettre de Sainte-Beuve à
+ Poulet-Malassis (p. 142), même date, même sujet. Sainte-Beuve
+ demande à Poulet-Malassis de lui confier la fameuse lettre qu'il
+ avait adressée à Baudelaire sur les _Fleurs du Mal_ et qui, de
+ 1857 à 1870, constitue sa grande pièce de défense, sa grande
+ parade contre les accusations d'indifférence envers Baudelaire.
+
+ [16] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 187.
+
+ [17] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 269.
+
+ [18] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 255, 3 juillet
+ 1860.
+
+ [19] _Causeries des Lundis_, t. XV, p. 350. _Lettre au
+ directeur-gérant du Moniteur._ Il est à signaler qu'une fois de
+ plus, Sainte-Beuve justifie son silence en invoquant un article
+ consacré à Baudelaire dans le _Moniteur_ par Edouard Thierry. En
+ 1858 il dit à Baudelaire: «Thierry parlera de vous.» En 1860:
+ «Thierry a parlé de vous.» Ingénieuse combinaison qui instituait
+ Thierry définitivement comme délégué aux affaires baudelairiennes
+ et fournissait aux temporisations de Sainte-Beuve tantôt une
+ prétexte, tantôt une excuse.
+
+ Il est en outre à noter que l'incident Babou-Sainte-Beuve se
+ termina au mieux. En 1862, en tête des poésies de Sainte-Beuve
+ publiées dans les _Poètes Français_ de Crépet, parut une notice
+ sur Sainte-Beuve, signée Hippolyte Babou et où l'encensoir n'était
+ pas balancé de main morte (_Poètes Français_, t. IV, p. 357). Sur
+ quoi, Sainte-Beuve, ne voulant pas demeurer en reste de politesse,
+ accorda aux notices publiées par Babou dans ce recueil un
+ paragraphe plus qu'obligeant (_Nouveaux Lundis_, t. III, p. 341).
+
+ Dans cette affaire il n'y eut donc qu'une victime: Baudelaire.
+
+ [20] Ce bel article parut d'abord dans les _Articles
+ justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des Fleurs du Mal_
+ (1857), imprimerie Dondey Dupré, p. 9. Il fut réédité dans _Les
+ OEuvres et les Hommes_, 1862, t. III.
+
+ [21] Extrait de la notice de Banville, un des morceaux les plus
+ complets et les plus profonds qu'on ait publiés sur l'OEuvre de
+ Baudelaire. Banville, d'habitude si menu, si gracile, si
+ papillonnant, y atteint, en maint endroit, à la force. Cette
+ notice parut d'abord dans l'_Album de la Galerie contemporaine_,
+ in-4, Baschet (vers 1877). Elle a été reproduite, en partie
+ seulement, dans la récente édition des _Fleurs du Mal_, publiée
+ par la librairie Fasquelle (1912).
+
+ [22] _Nouveaux Lundis_, t. I, p. 400 et 401.
+
+ [22 _bis_] Ce nom, ces mots n'étaient pas mis là sans intention.
+ Dans un article récent du _Mercure de France_, M. Ernest Raynaud
+ nous a révélé l'espèce de pacte d'échange qui s'était conclu à ce
+ moment entre Sainte-Beuve et Gautier: Sainte-Beuve promettant un
+ fauteuil d'académicien à Gautier contre un siège de sénateur que
+ celui-ci lui assurerait. On devine le trouble qu'apportait dans
+ ces _combinaziones_ l'irruption ingénue de Baudelaire.
+ Sainte-Beuve, il faut le reconnaître, se tira fort habilement de
+ ce mauvais pas. Désigner Gautier comme le maître de Baudelaire,
+ c'était du même coup amorcer sa candidature et ruiner celle de
+ son jeune concurrent. Protester contre l'indifférence de
+ l'Académie envers les poètes du jour, c'était poser des jalons
+ pour une compensation prochaine en faveur de Gautier. Dès lors,
+ l'échec de Baudelaire, soit par voie de scrutin, soit par voie de
+ désistement, ne faisant pas de doute, on se trouvait en
+ excellente posture pour pousser Gautier au premier fauteuil
+ vacant. A tous égards, ce fut du plus joli travail académique et
+ où il semble bien que Baudelaire n'ait vu que du feu.
+
+ [23] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 325.
+
+ [24] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 285, 15 février
+ 1862.
+
+ [25] Cependant Baudelaire avait envoyé les _Histoires sérieuses
+ et grotesques_ à Sainte-Beuve et spécialement attiré son
+ attention sur ce livre, sans obtenir même un accusé de réception
+ (_Lettres_, p. 426, 15 mars 1865 et p. 427, 30 mars 1865).
+
+ [26] A titre de curiosité, j'ai relevé les noms des poètes
+ contemporains auxquels Sainte-Beuve avait consacré des articles
+ entre 1857 et 1867, date de la mort de Baudelaire.
+
+ 1857.--_Théodore de Banville_, _Alfred de Musset_.
+
+ 1860.--_Mme Desbordes-Valmore_ (OEuvres posthumes).
+
+ 1861.--_Victor de Laprade._
+
+ 1862.--_Calemard de Lafayette._
+
+ Même année, étude sur les _Poètes français_ de Crépet qui fournit
+ prétexte à des études sur _Soulary_, de _Belloy_, _Coran_--sans un
+ mot sur Baudelaire, quoique celui-ci figurât dans le recueil.
+
+ 1863.--_P. Lebrun_, _Théophile Gautier_.
+
+ 1864.--_Alfred de Vigny._
+
+ 1865.--_Charles Monselet._ Même année, un article sur la _Poésie
+ française en 1865_.
+
+ Sainte-Beuve s'y plaint du manque d'originalité des poètes
+ nouveaux. «Je me dis: ceci est du Musset!» ou bien: «Ceci rappelle
+ Victor Hugo» ou «Ceci est du Gautier, du Banville, du Leconte de
+ Lisle--ou _même_ du Baudelaire». Toujours les réserves tendant à
+ réduire l'importance de Baudelaire. Ce _même_ était bien du même
+ au même.
+
+ Mais voici plus significatif encore. En 1862 Sainte-Beuve se
+ chargea de préfacer les _Poètes français_ de Crépet. Il rédigea, à
+ cet effet, une introduction formant histoire de la poésie
+ française. Arrivé au XIXe siècle il en conte les débuts--mais, en
+ 1862, quelle déchéance! Il se lamente sur cette décrépitude,
+ appelle à grands cris une Poétique nouvelle. «Et ce qui vaudrait
+ mieux, ajoute-t-il, ce serait un exemple nouveau et vivant. La
+ Nature seule peut créer le génie. A celui qui _doit venir_ et _en
+ qui nous avons espérance_, nous dirions....» Suit une prosopopée
+ assez fade qui se termine ainsi: «Vous n'avez qu'à puiser au gré
+ de vos inspirations, suivant votre habileté et votre audace;...
+ vous fondrez tout à la flamme de votre génie; vous remettrez
+ chaque chose à son point dans la trame du bel art, _ô grand poète
+ qui naîtrez_!»
+
+ Invocation sincère mais plutôt oiseuse, puisque ce grand poète, à
+ l'insu de Sainte-Beuve, était né depuis cinq ans déjà.
+
+ [27] BAUDELAIRE, _Lettres_, 1865, _passim_, p. 489 à 496.
+
+ L'appui de Sainte-Beuve semble s'être borné à certifier à
+ l'éditeur Garnier la valeur littéraire de Baudelaire.
+
+ Dans une des lettres de Baudelaire à sa mère, publiées par la
+ _Revue de Paris_ (20 juillet 1865), le poète exprime assez
+ exactement la nature de l'aide que lui prêta le critique des
+ _Lundis_ en vue de ce traité avec Garnier, qui, au surplus, ne
+ devait pas aboutir: «Sainte-Beuve, que j'ai vu à mon passage à
+ Paris, m'a dit qu'il se mêlerait un peu de la question.»
+
+ [28] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. II, p. 209. Il est, dans
+ cette lettre, à retenir deux points: 1º Sainte-Beuve ne formule
+ aucune promesse d'article; 2º Sa lettre est datée du 12
+ septembre, c'est-à-dire qu'elle ne fut écrite que douze jours
+ après la mort de Baudelaire.
+
+ [29] A. DE LA FIZELIÈRE et GEORGES DECAUX, _Essais de
+ bibliographie contemporaine, Charles Baudelaire_, librairie de
+ l'Académie des Bibliophiles, 1868.
+
+ [30] _Causeries du Lundi_, t. XV, p. 527.
+
+ [31] _Revue Européenne_, 1861. Réédité à la suite des _Derniers
+ Poèmes_, 1895.
+
+ [32] Il s'est produit ici une grave lacune dans le nomenclature
+ des symptômes qui, à défaut de perspicacité, eussent dû avertir
+ Sainte-Beuve de la place prise par Baudelaire dans la poésie
+ française.
+
+ J'avais en effet oublié de mentionner parmi ces symptômes la
+ notice de Théophile Gautier, insérée en tête de l'édition
+ définitive des _OEuvres complètes_ (1868).
+
+ Si défectueuse et restrictive que soit encore cette notice qui
+ persiste à maintenir Baudelaire dans le cercle des poètes
+ artificiels et subtils, le fait qu'un écrivain illustre comme
+ Théophile Gautier, grand potentat du feuilleton, un des maîtres de
+ la célèbre phalange romantique, eût assumé la charge de présenter
+ Baudelaire au public et lui eût accordé l'honneur de
+ soixante-quinze pages en texte serré, ne pouvait manquer d'attirer
+ l'attention de Sainte-Beuve.
+
+ Il y avait là mieux qu'un acte de complaisance posthume, une
+ véritable consécration.
+
+ Il paraît peu probable que l'importance de cette manifestation ait
+ échappé à un esprit aussi avisé que Sainte-Beuve.
+
+ Mais il n'est pas impossible, par contre, qu'elle ait contribué,
+ par choc en retour, à l'ancrer plus dans son silence.
+
+[Illustration: ornement fin de page]
+
+
+
+
+[Illustration: logo]
+
+
+CHARTRES.--IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's Baudelaire et Sainte-Beuve, by Fernand Vandérem
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE ***
+
+***** This file should be named 44807-8.txt or 44807-8.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
+ http://www.gutenberg.org/4/4/8/0/44807/
+
+Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
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+by The Internet Archive/Canadian Libraries)
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+will be renamed.
+
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+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
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+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
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+such as creation of derivative works, reports, performances and
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+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
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+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
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+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
+Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
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+Foundation as set forth in Section 3 below.
+
+1.F.
+
+1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
+effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
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+works, and the medium on which they may be stored, may contain
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+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
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+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
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+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
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+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
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+Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact
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+Literary Archive Foundation
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+
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+works.
+
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+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For forty years, he produced and distributed Project
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+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
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+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+Project Gutenberg's Baudelaire et Sainte-Beuve, by Fernand Vandérem
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
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+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+Title: Baudelaire et Sainte-Beuve
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+Author: Fernand Vandérem
+
+Release Date: January 30, 2014 [EBook #44807]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE ***
+
+
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+
+Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online
+Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
+file was produced from images generously made available
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+
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+</pre>
+
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_1"> 1</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<div class="tnote">
+<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
+L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
+Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.</p></div>
+
+<h1>BAUDELAIRE<br />
+<span class="small">ET</span><br />
+<span class="large">SAINTE-BEUVE</span></h1>
+</div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_2"> 2</a></span></p>
+
+<div class="frontmatter">
+<p><i>Imprimé à 235 exemplaires<br />
+dont<br />
+10 sur papier de Hollande.</i></p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_3"> 3</a></span></p>
+
+<div class="titlepage">
+<p class="large">FERNAND VANDÉREM</p>
+
+<p><span class="xxlarge">BAUDELAIRE</span><br />
+<span class="small">ET</span><br />
+<span class="large">SAINTE-BEUVE</span></p>
+
+<hr class="deco" />
+
+<p><em>NOUVELLE ÉDITION</em><br />
+<span class="small">AUGMENTÉE DE NOTES ET D'UN CHAPITRE INÉDIT</span></p>
+
+<div class="figcenter">
+<img src="images/logo.jpg" width="120" height="124" alt="" />
+</div>
+
+<p><span class="large">PARIS</span><br />
+<span class="large">LIBRAIRIE HENRI LECLERC</span><br />
+<span class="small">219, RUE SAINT-HONORÉ, 219</span><br />
+<span class="xs">et 16, rue d'Alger.</span></p>
+
+<hr class="deco" />
+<p class="small">1917</p>
+</div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_4"> 4</a></span>
+<span class="pagenum"><a id="Page_5"> 5</a></span></p>
+
+<div class="p4 figcenter">
+<img style="max-width: 95%; border: 2px solid black;" src="images/illustration_005.jpg" width="400" height="113" alt="" />
+</div>
+
+<p class="p4 drop-cap"><span class="smcap">Cette</span> étude, publiée d'abord dans le <cite>Temps Présent</cite>,
+a paru en 1914 sous forme d'une brochure à
+tirage restreint et depuis longtemps épuisé.</p>
+
+<p>Il m'a semblé que le cinquantenaire de Baudelaire
+pouvait prêter quelque intérêt à une réédition.</p>
+
+<p>Je n'ai rien changé au texte primitif, que j'ai
+seulement complété par des notes indiquant les
+sources des textes invoqués et quelques particularités
+nouvelles.</p>
+
+<p>J'y ai joint en outre un appendice où j'ai tenté de
+<span class="pagenum"><a id="Page_6"> 6</a></span>
+mieux élucider les sentiments de Baudelaire pour
+Sainte-Beuve.</p>
+
+<p>On aura ainsi, avec toutes références utiles, un
+résumé des relations entre le grand poëte et l'illustre
+critique.</p>
+
+<div class="p2 figcenter">
+<img src="images/illustration_006.jpg" width="120" height="83" alt="" title="" />
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_7"> 7</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<h2>BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE</h2>
+<p class="topspace xlarge center">I</p>
+</div>
+
+<p class="drop-cap"><span class="smcap">Les</span> relations de Baudelaire et de Sainte-Beuve prêteraient
+à un curieux chapitre d'histoire littéraire,
+dont j'offre ici un aperçu.</p>
+
+<p>Les sentiments de Baudelaire envers certains de ses
+contemporains, comme les sentiments qu'il leur inspirait,
+présentent parfois des contradictions. Ainsi,
+extérieurement, qui douterait de son culte pour Gautier
+et de l'estime où Gautier le tenait? Cependant
+on a retrouvé un article de Baudelaire où il traitait
+Gautier en poète verbal, en enfileur de phrases<a name="FNanchor_1" id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor">&nbsp;[1]</a>, et,
+d'autre part, Maxime du Camp nous conte que, dans
+l'intimité, Gautier prédisait à Baudelaire la faillite
+finale d'un Pétrus Borel<a name="FNanchor_2" id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor">&nbsp;[2]</a>.</p>
+
+<p>Entre Baudelaire et Sainte-Beuve, pas trace de ces
+fluctuations. De son extrême jeunesse à sa mort,
+Baudelaire ne cessa de ressentir et de marquer pour
+Sainte-Beuve son admiration. C'est à Sainte-Beuve
+<span class="pagenum"><a id="Page_8"> 8</a></span>
+qu'en 1844 il adresse respectueusement une de ses
+premières poésies de collège<a name="FNanchor_3" id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor">&nbsp;[3]</a>. Et en 1866, à quelques
+mois de la paralysie générale, une de ses dernières
+lettres ne sera qu'un long panégyrique des poésies de
+Sainte-Beuve<a name="FNanchor_4" id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor">&nbsp;[4]</a>.</p>
+
+<p>Les <cite>Consolations</cite>, <cite>Joseph Delorme</cite>, les <cite>Pensées d'Août</cite>,
+partout il trouve à louer et à s'enflammer. Notamment
+les <cite>Rayons Jaunes</cite> (ce poème parti d'une impression
+heureuse, mais développé d'une façon si
+méthodique et si dénuée d'ingénuité) lui semblaient
+un chef-d'&oelig;uvre dont il ne se lassait pas de redire
+les beautés. Baudelaire a subi là une emprise de jeunesse
+dont il ne devait plus se défaire.</p>
+
+<p>On s'étonnera chez lui d'une admiration si constante
+pour un poète qui lui était si sensiblement inférieur,
+tant par l'inspiration et par la forme que par
+l'originalité. Et on pourrait être tenté d'y voir, sinon
+une flagornerie envers le critique tout-puissant, du
+moins la gratitude d'un obligé. Mais les faits s'opposent
+à cette hypothèse. Car Sainte-Beuve ne fit jamais
+rien pour Baudelaire, ou ce qu'il fit en sa faveur se
+réduit à l'impondérable.</p>
+
+<p>Feuilletez d'ailleurs cet immense Larousse que
+constitue l'&oelig;uvre critique de Sainte-Beuve. Alors que
+tant de poètes subalternes, tant d'écrivains quelconques
+y bénéficient de longs articles, vous n'y découvrez
+pas un seul Lundi consacré à Baudelaire. Puis
+contrôlez par la correspondance des deux écrivains et
+<span class="pagenum"><a id="Page_9"> 9</a></span>
+vous aurez vite établi le relevé de ce que Sainte-Beuve
+accorda à son jeune ami, à celui qu'il appelait paternellement
+«son cher enfant».</p>
+
+<p>1856.&mdash;Baudelaire publie sa première traduction de
+Poe: <cite>Histoires extraordinaires</cite>. Lui qui ne sollicitait
+jamais pour son compte n'hésita en aucun cas à quémander
+pour Poe. Il s'était institué le barnum, l'impresario
+de Poe, le cultivateur acharné de sa gloire
+en France. Le silence sur Poe, la moindre critique
+contre son &oelig;uvre, meurtrissait Baudelaire au plus
+vif<a name="FNanchor_5" id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor">&nbsp;[5]</a>. Pour une insignifiante réserve sur le conteur
+américain, il faillit se brouiller avec d'Aurevilly.</p>
+
+<p>En 1856 donc, il écrit à Sainte-Beuve pour lui
+recommander le volume<a name="FNanchor_6" id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor">&nbsp;[6]</a>. Nous avons la réponse de
+Sainte-Beuve. Il promet ferme un article. En bas,
+une note naïve de l'éditeur ajoute: «Cet article n'a
+jamais été fait.» Et d'un!<a name="FNanchor_7" id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor">&nbsp;[7]</a></p>
+
+<p>1857.&mdash;Les <cite>Nouvelles histoires extraordinaires</cite>. Nouvelle
+lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve<a name="FNanchor_8" id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor">&nbsp;[8]</a>. Même
+silence de Sainte-Beuve. Et de deux!</p>
+
+<p><cite>Les Fleurs du Mal.</cite> Sainte-Beuve en connaît, avoue
+en connaître plusieurs morceaux. Entre autres, il doit
+avoir lu les vingt pièces publiées dès 1855, dans la
+<cite>Revue des Deux Mondes</cite><a name="FNanchor_9" id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor">&nbsp;[9]</a>. Voici l'ouvrage complet.
+Occasion unique de lancer un jeune poète qui se
+détache avec éclat de la cohue courante, se donne et
+est reçu par Sainte-Beuve comme un disciple. Le critique
+s'en tient pourtant à une longue lettre embarrassée,
+<span class="pagenum"><a id="Page_10"> 10</a></span>
+où ne sont pas oubliées les <cite>Pensées de Joseph
+Delorme</cite> ni les <cite>Consolations</cite> et où les éloges sans chaleur
+se mâtinent de gronderies vieillottes. Quant à un article,
+néant. Et de trois!</p>
+
+<p>Mais arrive le procès: Baudelaire en danger. Concédons
+que, critique officiel, Sainte-Beuve se trouve
+en délicate posture pour intervenir. Au moins pourrait-il
+autoriser Baudelaire à publier sa lettre dans le
+recueil d'articles adressé aux juges. Pas question. Tout
+juste s'il donnera quelques extraits de cette lettre
+trois ans plus tard, en 1860<a name="FNanchor_10" id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor">&nbsp;[10]</a>. Et il ne la publiera
+complète que neuf après, le poète mort, en 1869, dans
+un furtif appendice des <cite>Lundis</cite>.</p>
+
+<p>Il est vrai que, sous main, il glisse à Baudelaire
+des: «Petits moyens de défense.» Effectivement bien
+petits. «Tout était pris dans le domaine de la poésie.
+Lamartine avait pris <em>les cieux</em>. Victor Hugo avait pris
+<em>la terre</em>(?) et plus que <em>la terre</em>(??). Laprade avait pris
+<em>les forêts</em>. Musset avait pris <em>la passion</em> et <em>l'orgie éblouissante</em>
+(sic). Théophile Gautier avait pris l'Espagne (!).
+Ce que Baudelaire a pris. Il y a été comme forcé<a name="FNanchor_11" id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor">&nbsp;[11]</a>.»</p>
+
+<p>Et cela finissait par un coup de dent à Musset, dont
+la vogue torturait Sainte-Beuve&mdash;Musset dont il conseillait
+de souligner les côtés obscènes et pornographiques.
+Ainsi nuls risques et tout profit.</p>
+
+<p>Baudelaire n'en garda pas moins de ces conseils une
+éternelle reconnaissance.</p>
+
+<p>1858.&mdash;<cite>Gordon Pym.</cite> Nouvelle lettre de Baudelaire
+<span class="pagenum"><a id="Page_11"> 11</a></span>
+à Sainte-Beuve en faveur de Poe<a name="FNanchor_12" id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor">&nbsp;[12]</a>. Pas d'article. Et
+de quatre!</p>
+
+<p>1859.&mdash;Un petit scandale. Hippolyte Babou moins
+patient que Baudelaire a dénoncé dans un article le
+silence obstiné de Sainte-Beuve sur l'auteur des <cite>Fleurs
+du Mal</cite>, et flétri nettement les réticences cauteleuses
+du grand critique qui ne se répand en copie que sur
+les ouvrages de second ordre<a name="FNanchor_13" id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor">&nbsp;[13]</a>.</p>
+
+<p>Affolement de Baudelaire à l'idée d'être rendu responsable,
+quoique innocent. Lettre à Sainte-Beuve
+pour se disculper<a name="FNanchor_14" id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor">&nbsp;[14]</a>. Réponse indignée de Sainte-Beuve,
+furieux de se voir dévoilé<a name="FNanchor_15" id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor">&nbsp;[15]</a>.</p>
+
+<p>«Vous ne pouvez vous faire une idée de ce que c'est
+que la lettre de Sainte-Beuve, écrit Baudelaire à Malassis.
+Il paraît que, depuis douze ans, il notait tous les
+signes de malveillance de Babou. <em>Décidément, voilà un
+vieillard passionné avec qui il ne fait pas bon se brouiller...<a name="FNanchor_16" id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor">&nbsp;[16]</a>.</em>»</p>
+
+<p>Vraisemblablement Sainte-Beuve tint toujours rancune
+à Baudelaire de cet incident. Du moins, pour se
+taire, le ressentiment lui fournissait là une espèce
+d'excuse.</p>
+
+<p>La même année, Baudelaire publiait son étude sur
+<em>Théophile Gautier</em>. Il va de soi que, selon l'usage, Sainte-Beuve
+n'en souffla pas mot. Et de cinq!</p>
+
+<p>1860.&mdash;<cite>Les Paradis artificiels.</cite> Lettre de Baudelaire
+à Sainte-Beuve indiquant discrètement que M. Dalloz,
+directeur du journal où opère le critique, lui a dit:
+<span class="pagenum"><a id="Page_12"> 12</a></span>
+«Le livre est digne de Sainte-Beuve. Faites une visite
+à Sainte-Beuve à ce sujet.» Baudelaire ajoute: «Je
+n'aurais osé y penser. Cependant j'ai plus que jamais
+besoin d'être soutenu.» Le post-scriptum fait allusion
+à un morceau de pain d'épice qu'en passant il avait
+porté à Sainte-Beuve, fort gourmet<a name="FNanchor_17" id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor">&nbsp;[17]</a>. Nous avons la
+réponse de Sainte-Beuve. Evasive, ajournant l'article,
+alléguant des arriérés, ne promettant rien. Par contre
+il daigne remercier du pain d'épice. Et de six!<a name="FNanchor_18" id="FNanchor_18" href="#Footnote_18" class="fnanchor">&nbsp;[18]</a></p>
+
+<p>A la vérité, il se croyait largement quitte envers
+Baudelaire. Car, piqué quand même par l'article de
+Babou, comprenant la nécessité de rompre le silence,
+il s'était enfin décidé à nommer Baudelaire dans une
+<cite>Causerie du Lundi</cite>, en date du 20 février<a name="FNanchor_19" id="FNanchor_19" href="#Footnote_19" class="fnanchor">&nbsp;[19]</a>. Il
+y revenait sur l'article de Babou, accusait son accusateur
+d'envie, et finalement, comme un chien qu'on
+fouette, arrivait à Baudelaire. Oh! sans se fouler, sans
+se donner grand mal, recopiant simplement entre guillemets
+des fragments de la lettre qu'il lui avait adressée
+en 1857. On trouvera cette lettre à la suite des
+<cite>Fleurs du Mal</cite> dans l'édition définitive. On la rapprochera
+de l'article que, dans le même temps, Barbey
+d'Aurevilly consacrait au livre<a name="FNanchor_20" id="FNanchor_20" href="#Footnote_20" class="fnanchor">&nbsp;[20]</a>. Et on pourra mesurer
+toute la distance artistique qui sépare un Sainte-Beuve
+d'un Baudelaire, un Sainte-Beuve d'un d'Aurevilly.</p>
+
+<p>Pour Sainte-Beuve, Baudelaire est «un esprit fin»,
+un talent «habile et curieux». Mais «Baudelaire se
+<span class="pagenum"><a id="Page_13"> 13</a></span>
+défie trop de la passion(?), de la passion naturelle(?)».
+Il «accorde trop à l'esprit, à la combinaison».
+«Laissez-vous faire, conseille Sainte-Beuve, ne craignez
+pas tant de sentir comme les autres, n'ayez jamais
+peur d'être trop commun.» Toutefois, il convient
+aimer quelques pièces dont certaines lui semblent
+dignes de l'Anthologie. Enfin «il tient compte surtout
+à Baudelaire» (comme à Bouilhet et à Soulary)
+«de ce qu'ils viennent tard, quand l'école dont ils
+sont a déjà tant donné et tant produit, quand elle est
+comme épuisée... Ils soutiennent avec honneur, ils
+décorent le déclin et le coucher de la Pléïade».</p>
+
+<p>On possède ici, presque au complet, le sentiment de
+Sainte-Beuve sur Baudelaire, la cote qu'il lui attribue:
+un petit poète de troisième ou quatrième ligne, un de
+ces humbles glaneurs à la suite, qui viennent quand
+les maîtres ont fauché le meilleur du champ, esprits
+fins, bizarres, distingués, mais qui ne peuvent ramasser
+que les épis de surcroît, les déchets de grande moisson,
+ce qui reste...</p>
+
+<p>Rappelez-vous plus haut les moyens de défense:
+«Lamartine avait pris les <em>cieux</em>, Hugo avait pris la
+<em>terre</em>... etc.»</p>
+
+<p>Sainte-Beuve à ce moment, comme on voit, était
+loin du jugement porté vingt ans plus tard par Banville
+et que la postérité ne cessera de confirmer:</p>
+
+<p>«Il faut admirer en Baudelaire un des plus grands
+hommes de ce temps et qui, si nous ne vivions pas
+<span class="pagenum"><a id="Page_14"> 14</a></span>
+sous le règne intellectuel de Victor Hugo, mériterait
+que nul poète contemporain ne fût mis au-dessus de
+lui. De tous les artistes modernes du vers, l'auteur
+des <cite>Fleurs du Mal</cite> est le seul qui n'ait rien dû à l'auteur
+de la <cite>Légende des siècles</cite>. Il ne procédait ni de lui
+ni de personne...<a name="FNanchor_21" id="FNanchor_21" href="#Footnote_21" class="fnanchor">&nbsp;[21]</a>»</p>
+
+<p>1861.&mdash;<cite>Richard Wagner et Tannhaüser.</cite> Nul article
+de Sainte-Beuve. Et de sept.</p>
+
+<p><cite>Les Fleurs du Mal</cite>, seconde édition augmentée. Cette
+fois, Baudelaire, comme tout le public littéraire, doit
+attendre son tour de Lundi. Plus de procès à invoquer.
+Un recueil classé, consolidé, abordant presque
+déjà la gloire. Evidemment le père Sainte-Beuve va y
+aller de son article, donner son impression d'ensemble
+sur l'homme et sur l'&oelig;uvre. Mais non. Pas une
+ligne, pas un mot, pas une allusion. Et de huit!</p>
+
+<p>1862.&mdash;Un coup de tonnerre. Baudelaire, en manière
+de manifestation artistique, d'affirmation personnelle,
+se présente à l'Académie. Fâcheux contre-temps pour
+Sainte-Beuve qui s'apprêtait à faire campagne dans
+cette élection et à peser publiquement les titres des
+candidats<a name="FNanchor_22" id="FNanchor_22" href="#Footnote_22" class="fnanchor">&nbsp;[22]</a>. Arrivé à Baudelaire, comment s'en
+tirer? Impossible de passer sous silence, ou de malmener
+son «jeune ami». Et d'autre part, pas moyen de
+s'associer à cette gaminerie sans nom: Baudelaire, le
+petit Baudelaire candidat! Sainte-Beuve ici n'a pas trop
+de toute son adresse, pour ne pas dire plus. Il écrit:</p>
+
+<p>«On s'est demandé d'abord si M. Baudelaire en se
+<span class="pagenum"><a id="Page_15"> 15</a></span>
+présentant voulait faire une niche à l'Académie et une
+épigramme; s'il ne prétendait point l'avertir par là qu'il
+était bien temps qu'elle songeât à s'adjoindre ce poète et
+cet écrivain si habile et si distingué dans tous les genres
+de diction, Théophile Gautier, son maître<a name="FNanchor_22bis" id="FNanchor_22bis" href="#Footnote_22bis" class="fnanchor">&nbsp;[22 <em>bis</em>]</a>.
+On a eu <em>à apprendre, à épeler le nom de M. Baudelaire</em>
+à plus d'un membre de l'Académie qui ignorait
+totalement son existence. Il n'est pas si aisé qu'on le
+croirait de prouver à des Académiciens politiques et
+hommes d'État comme quoi il y a, dans les <cite>Fleurs du
+Mal</cite>, des pièces très remarquables vraiment pour le
+talent et pour l'art...; et qu'en somme M. Baudelaire
+a trouvé moyen de se bâtir, à l'extrémité d'une langue
+de terre réputée inhabitable et par delà les confins du
+romantisme connu, un kiosque bizarre, fort orné, fort
+tourmenté, mais coquet et mystérieux, où on lit de
+l'Edgar Poe, où l'on récite des vers exquis, où l'on
+s'enivre avec le haschich pour en raisonner après, où
+l'on prend de l'opium et mille drogues abominables dans
+des tasses d'une porcelaine achevée. Ce singulier kiosque,
+fait en marqueterie, d'une <em>originalité concertée</em> et
+composite, qui, depuis quelque temps, attire les regards
+à la pointe du Kamtchatka romantique, j'appelle cela la
+folie Baudelaire. Est-ce à dire seulement, et quand on
+a tout expliqué de son mieux à de respectables confrères
+un peu étonnés, que <em>toutes ces curiosités, tous
+ces regards</em> et ces raffinements leur semblent des titres
+pour l'<i>Académie</i>, et <i>l'auteur lui-même a-t-il pu sérieusement</i>
+<span class="pagenum"><a id="Page_16"> 16</a></span>
+<i>se le persuader</i>? Ce qui est certain, c'est que
+l'auteur gagne à être vu, que là où l'on s'attendait à
+voir entrer un homme étrange, excentrique, on se
+trouve en présence d'un candidat poli, respectueux,
+<em>exemplaire, d'un gentil garçon</em>, fin de langage et tout
+à fait classique dans les formes...»</p>
+
+<p>J'ai souligné quelques-uns des traits les plus protecteurs,
+les plus dédaigneux dans ce certificat de
+bonnes lettres et bonnes façons. Quel ton, en effet,
+pour parler de Baudelaire! Quelle différence avec les
+accents déférents d'un Barbey d'Aurevilly, d'un Asselineau,
+d'un Edouard Thierry!</p>
+
+<p>N'empêche que de la part de Sainte-Beuve, si gros
+Monsieur, juché si haut, un tel acte de condescendance,
+un tel présent de publicité pouvaient paraître
+exceptionnels. Baudelaire, évidemment, sentit plus
+l'honneur que les réserves. Il écrivit à Sainte-Beuve
+une lettre débordante de gratitude<a name="FNanchor_23" id="FNanchor_23" href="#Footnote_23" class="fnanchor">&nbsp;[23]</a>.</p>
+
+<p>Dès cet instant, il était à sa merci, suivit tous ses
+conseils académiques, n'insista plus, se désista. Sainte-Beuve
+le félicita de cette renonciation. «Quand on a
+lu votre dernière phrase de remerciement conçue en
+termes si modestes et si polis, on en a dit tout haut:
+<em>Très bien!</em> Ainsi vous avez laissé de vous une bonne
+impression: n'est-ce donc rien<a name="FNanchor_24" id="FNanchor_24" href="#Footnote_24" class="fnanchor">&nbsp;[24]</a>?»</p>
+
+<p>Baudelaire ne put nier, mais dut probablement
+penser que, pour ses candidats, Sainte-Beuve se contentait
+de peu.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_17"> 17</a></span>
+1863-1864-1865-1866.&mdash;<cite>Eurêka</cite>, les <cite>Histoires grotesques
+et sérieuses</cite><a name="FNanchor_25" id="FNanchor_25" href="#Footnote_25" class="fnanchor">&nbsp;[25]</a>, des vers dans les <cite>Poètes français</cite>
+de Crépet, des vers dans le <cite>Parnasse contemporain</cite>. Sur
+tout cela cherchez dans Sainte-Beuve: silence, silence.
+Une fois pour toutes avec son «jeune ami» il s'est
+mis en règle. Compte clos, crédit arrêté. Il ne parlera
+plus jamais de Baudelaire<a name="FNanchor_26" id="FNanchor_26" href="#Footnote_26" class="fnanchor">&nbsp;[26]</a>.</p>
+
+<p>Il le sait cependant aux abois, forcé par les dettes
+à l'exil, interdit de séjour, gravement malade, plus
+que pauvre. Sur des prières aussi discrètes que réitérées,
+il semble bien, sans que ce soit sûr, lui avoir
+donné un coup d'épaule auprès du libraire Garnier
+pour une édition complète. Mais d'articles, de citations,
+plus l'ombre<a name="FNanchor_27" id="FNanchor_27" href="#Footnote_27" class="fnanchor">&nbsp;[27]</a>.</p>
+
+<p>Quand Baudelaire meurt, une banale lettre de condoléances
+à Mme Aupick. C'est tout.<a name="FNanchor_28" id="FNanchor_28" href="#Footnote_28" class="fnanchor">&nbsp;[28]</a></p>
+
+<p>Et pourtant, j'oublie un détail. Cela se passait en
+1869. Un grand mouvement se dessinait autour de
+la mémoire de Baudelaire. La Fizelière et Decaux
+avaient publié l'année précédente&mdash;hommage inconnu
+à Sainte-Beuve&mdash;une bibliographie minutieuse de
+l'auteur des <cite>Fleurs du Mal</cite>, où se trouvaient notés
+les moindres de ses poèmes, les moindres de ses études<a name="FNanchor_29" id="FNanchor_29" href="#Footnote_29" class="fnanchor">&nbsp;[29]</a>.
+L'éditeur Michel Lévy, emboitant le pas, adoptait
+les v&oelig;ux des amis de Baudelaire, commençait
+l'édition des &oelig;uvres complètes, tant souhaitée par le
+poète.</p>
+
+<p>Une &oelig;uvre complète à embrasser, une carrière totale
+<span class="pagenum"><a id="Page_18"> 18</a></span>
+à juger, le sujet idéal pour un <cite>Lundi</cite> de Sainte-Beuve.
+Tout le monde sans doute guettait l'article, l'éditeur
+comme les lettrés.</p>
+
+<p>Mais non. Sainte-Beuve, figé dans son mutisme, ne
+vit là qu'un prétexte à réclamation personnelle. La
+lettre de 1857 ayant été publiée par Michel Lévy à la
+suite du premier volume, il y aperçut des fautes d'impression.
+Pour rectifier, il donna le texte authentique
+à la fin d'un tome des <cite>Lundis</cite>. La lettre était précédée
+de ces lignes<a name="FNanchor_30" id="FNanchor_30" href="#Footnote_30" class="fnanchor">&nbsp;[30]</a>:</p>
+
+<p>«Le poète Baudelaire, très raffiné, très corrompu à
+dessein et par recherche d'art, <em>avait mis des années</em> à
+extraire de tout sujet et de toute fleur un suc vénéneux
+et même, il faut le dire, <em>assez agréablement vénéneux</em>;
+c'était d'ailleurs un homme d'esprit <em>assez aimable à ses
+heures</em> et très capable d'affection...»</p>
+
+<p>A ce maigre bouquet se réduisit sa couronne funèbre,
+à cette sèche notice l'étude définitive qu'on espérait.
+Même au delà de la tombe, Sainte-Beuve ne gâtait
+pas «son cher enfant».</p>
+
+<hr class="tb" />
+
+<p>Comme chez beaucoup de critiques, chez Sainte-Beuve,
+à côté de vues fines et ingénieuses, abondent
+les bévues, les injustices, les incompréhensions.</p>
+
+<p>Toutefois, parmi les siennes, on peut distinguer
+trois périodes. Dans la première, c'est un enthousiasme
+sincère ou voulu qui l'abuse. S'improvisant le
+héraut de la phalange romantique, souvent les amitiés
+<span class="pagenum"><a id="Page_19"> 19</a></span>
+ou les antipathies de groupe l'entraînent trop loin dans
+le dénigrement ou dans l'éloge.</p>
+
+<p>Après 1835, il a pu se convaincre que, comme
+poète, il était à jamais surpassé, «gratté», par ses
+compagnons de lutte: Lamartine, Hugo, Gautier,
+Vigny, Musset. Dès lors, malgré lui, c'est l'envie qui
+l'égare. Une brouille avec Hugo lui épargnera le supplice
+de chanter ses louanges. Envers les autres, par
+contre, son envie ne se maîtrise plus. Elle suinte en
+gouttelettes amères dans ses journaux privés, ses
+remarques secrètes. Puis, au jour propice: anniversaire,
+réception académique, malheur, mort, elle déferle dans
+un article. Pas un de ces grands noms qu'elle n'ait
+aspergés de ses jets venimeux<a name="FNanchor_A" id="FNanchor_A" href="#Footnote_A" class="fnanchor">&nbsp;[A]</a>.</p>
+
+<div>
+<p class="i2"><a name="Footnote_A" id="Footnote_A" href="#FNanchor_A" class="label">[A]</a> Pour être exacts, rappelons cependant une épargnée:
+M<sup>me</sup> Desbordes-Valmore, dont Sainte-Beuve fut des rares à sentir
+et à vanter, comme il fallait, le génie.</p></div>
+
+<p>Enfin, à partir de 1850, le train artistique le déroute.
+Il n'y est plus, ne suit plus. L'incompétence ici
+l'aveugle. Il néglige Leconte de Lisle, Michelet, Barbey
+d'Aurevilly. Il se trompe lourdement sur Flaubert. Il
+passe à côté de Verlaine. L'envergure de Baudelaire
+lui échappe.</p>
+
+<p>Dans ces données comme dans les documents cités
+plus haut, on trouverait peut-être une explication de
+son attitude envers Baudelaire.</p>
+
+<p>Son silence presque continu sur l'auteur des <cite>Fleurs</cite>
+<span class="pagenum"><a id="Page_20"> 20</a></span>
+<cite>du Mal</cite> procéderait de deux des phases ci-dessus: la
+troisième, puis la seconde. Tant que Baudelaire reste
+obscur, il l'omet ou le diminue, faute de l'apprécier à
+sa valeur. Dès que la gloire de son «jeune ami» se
+lève, il s'en tait, crainte de la pousser.</p>
+
+<p>Avec Baudelaire il commence par l'incompétence et
+il termine par l'envie.</p>
+
+<div class="p2 figcenter">
+<img src="images/illustration_020.jpg" width="120" height="70" alt="" title="" />
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_21"> 21</a></span></p>
+
+
+<div class="header">
+<h2>II</h2>
+</div>
+
+<p class="drop-cap"><span class="smcap">Parmi</span> les nombreux articles qu'a suscités ma précédente
+étude et qui nous montrent en pleine ascension
+la gloire comme la faveur de Baudelaire, il s'en est
+trouvé quelques-uns pour prendre la défense de Sainte-Beuve.
+Notamment l'âpre plaidoyer qu'a publié dans
+le <cite>Temps</cite> mon ami M. Paul Souday.</p>
+
+<p>Il serait oiseux de discuter ici longuement les griefs
+personnels que m'oppose le sagace critique du <cite>Temps</cite>.</p>
+
+<p>De ce qu'on est chroniqueur, romancier, auteur dramatique,
+s'ensuit-il que vous soient interdites la culture,
+la lecture et certaines prédilections littéraires?
+De ce qu'on admire chez Vallès le grand écrivain, le
+grand romancier, résulte-t-il qu'on doive endosser
+ses boutades, ses foucades, ses idées et qu'avec lui
+on doive renvoyer Baudelaire à l'asile ou Homère aux
+Quinze-Vingts? Enfin, parce qu'en maint endroit Barbey
+d'Aurevilly surcharge fâcheusement son style d'arabesques
+<span class="pagenum"><a id="Page_22"> 22</a></span>
+et de clinquant, parce qu'il écrivit sur G&oelig;the
+un pamphlet superficiel, parce qu'en une de ses phrases
+il se rencontre avec Sainte-Beuve, faut-il pour cela
+taire la rare clairvoyance de son étude sur les <cite>Fleurs
+du Mal</cite> et nier le contraste frappant avec le critique
+des <cite>Lundis</cite>? Sincèrement je ne le pense pas.</p>
+
+<p>Sur le reste du débat, d'autre part, les faits et les
+documents que j'ai cités me paraissent répondre; et
+sans fol orgueil, je crois que l'interprétation que j'en
+ai donnée n'outrepassait ni la mesure ni la vérité.</p>
+
+<p>Comme exemples, ne reprenons que les dates et les
+&oelig;uvres culminantes; en 1861, la seconde édition des
+<cite>Fleurs du Mal</cite>,&mdash;en 1869, l'édition des &oelig;uvres complètes.</p>
+
+<p>En 1861, l'autorité littéraire de Baudelaire ne souffre
+plus conteste. Il apporte un recueil entièrement renouvelé,
+expurgé des pièces libres qui pouvaient effaroucher
+la critique officielle, augmenté de pièces inédites
+dont quelques-unes magistrales, comme <cite>le Voyage</cite>, ce
+joyau de la poésie française. A ce moment, pas de
+poète, pas de critique qui ne s'incline devant son
+talent. A ce moment, Leconte de Lisle, si sévère pour
+lui-même, si dur pour autrui, lui consacre un article,
+où, malgré la réserve des épithètes et ce quelque chose
+de tendu qu'avaient toujours ses louanges, on voit
+Baudelaire placé au premier rang, hors pair<a name="FNanchor_31" id="FNanchor_31" href="#Footnote_31" class="fnanchor">&nbsp;[31]</a>.</p>
+
+<p>Si alors Sainte-Beuve résiste au mouvement, s'obstine
+dans son mutisme, ce n'est nullement malveillance
+<span class="pagenum"><a id="Page_23"> 23</a></span>
+ni même absolue incompréhension. C'est, comme
+le prouvent nos documents, qu'il tient Baudelaire pour
+un <i lang="la" xml:lang="la">poeta minor</i> ne méritant pas encore le <i lang="la" xml:lang="la">dignus
+intrare</i> dans la galerie des <cite>Lundis</cite>.</p>
+
+<p>Or, comment appeler d'un autre nom qu'incompétence
+une telle faute de perspective, un tel manque de
+discernement et de sensibilité?</p>
+
+<p>En 1869, les circonstances seront différentes.</p>
+
+<p>D'abord, pour renseigner Sainte-Beuve sur l'importance
+réelle de «son jeune ami», toute l'&oelig;uvre de
+Baudelaire est là<a name="FNanchor_32" id="FNanchor_32" href="#Footnote_32" class="fnanchor">&nbsp;[32]</a>.</p>
+
+<p>Non seulement les <cite>Fleurs du Mal</cite>, mais encore ces
+poèmes en prose auxquels, en passant il a décoché
+jadis un salut.</p>
+
+<p>Non seulement l'&oelig;uvre d'imagination, mais l'&oelig;uvre
+critique: les salons de 1845, de 1846, de 1859, les
+études sur les caricaturistes, les articles sur les grands
+littérateurs du temps, pages saisissantes par la prescience
+et la hardiesse des aperçus, par l'esthétique
+sereine et stable qui s'en dégage,&mdash;modèles accomplis
+de cette critique intuitive où les poètes souvent
+excellent.</p>
+
+<p>Bref, dans ces quatre volumes, Baudelaire révélé: le
+reflet constant d'un des génies les plus profonds, les
+plus variés, les plus originaux qu'ait produits la littérature.</p>
+
+<p>A l'éclat d'une pareille &oelig;uvre, on a peine à croire
+que Sainte-Beuve ne distingue pas son erreur. Fermerait-il
+<span class="pagenum"><a id="Page_24"> 24</a></span>
+même les yeux pour ne pas la voir, que ses
+oreilles tinteraient de la rumeur d'éloges montant
+autour du nom de Baudelaire.</p>
+
+<p>Quand je disais, en effet, que tout le monde littéraire
+attendait son article d'ensemble sur Baudelaire,
+je n'avançais pas qu'une conjecture. Lisez plutôt la préface
+de la bibliographie de Baudelaire par La Fizelière
+et Decaux. Sainte-Beuve y est cité, encensé, mais aussi
+mis en demeure.</p>
+
+<p>«Quant à l'appréciation de ses écrits, déclarent les
+auteurs (en un style que pallie la bonne intention),
+quant à l'appréciation de ses écrits, elle appartient de
+toute nécessité à quelque grand critique habile comme
+M. Sainte-Beuve, par exemple, à faire courir le scalpel
+de l'analyse sur la fibre délicate d'une organisation
+poétique qui, chez Baudelaire, était prodigieusement
+exceptionnelle.»</p>
+
+<p>Et tout le long de la préface, l'appel direct à Sainte-Beuve
+se poursuit, couvrant sous les fleurs une véritable
+sommation.</p>
+
+<p>On sait la fin de non-recevoir qu'y opposa le critique
+des <cite>Lundis</cite>. Avertissements venus de l'&oelig;uvre,
+invites venues du monde des lettres, rien n'eut raison
+de son silence. Ici l'erreur n'étant plus invocable, on
+ne trouve plus guère d'explication que l'envie.</p>
+
+<p>Etonnante certes, à première vue, chez ce vieux
+maréchal, si au-dessus de l'humble gradé Baudelaire.
+Mais on oublie que dans les lettres, hélas! il est deux
+<span class="pagenum"><a id="Page_25"> 25</a></span>
+envies: celle qui vise vos égaux et celle que vous
+inspirent vos subalternes, l'envie contre les gens de
+son bateau et l'envie contre le bateau qui suit. Or, des
+deux, qui jurerait que la seconde n'est pas fréquemment
+la plus douloureuse, la plus cuisante, la plus
+implacable? Et qui prétendrait que, si sujet à la première,
+Sainte-Beuve soit demeuré inaccessible à la
+seconde?</p>
+
+<p>Pourtant une chance de défense subsistait, puisée
+dans la santé débile de Sainte-Beuve et la date de sa
+mort.</p>
+
+<p>Durant cette année 1869, nous sommes au fait
+des tourments que lui infligea la maladie. Au mois
+d'août, ses souffrances s'aggravaient. En septembre
+il donna son dernier article. Il mourut le mois suivant.</p>
+
+<p>En tenant compte de ces remarques, une hypothèse
+aussitôt se présentait. Les quatre premiers tomes de
+l'édition complète de Baudelaire étant datés de 1869,
+peut-être avaient-ils paru, sur la fin de l'année, quand
+Sainte-Beuve touchait à ses suprêmes moments. Des
+lors, comment reprocher à un agonisant le silence le
+plus pardonnable?</p>
+
+<p>Si pénible que fût une enquête de ce genre funèbre,
+j'ai voulu en avoir le c&oelig;ur net. J'ai consulté la Bibliographie
+de la France aux années 1868 et 1869. Et voici
+le résultat:</p>
+
+<p>Dès la fin de 1868, nous le savons par ses écrits,
+Sainte-Beuve connaît à fond les <cite>Fleurs du Mal</cite> et les
+<span class="pagenum"><a id="Page_26"> 26</a></span>
+<cite>Poèmes en prose</cite>. Les <cite>Curiosités esthétiques</cite>, renfermant
+les salons et critiques d'art, paraissent en décembre
+1868. L'<cite>Art romantique</cite>, contenant les études de m&oelig;urs
+et les critiques littéraires, paraît en février 1869.</p>
+
+<p>De fin février à septembre, Sainte-Beuve disposait
+donc de six grands mois, de vingt-quatre <cite>Lundis</cite>, pour
+parler de Baudelaire. Durant ces six mois, il continua
+à se taire. De ces vingt-quatre feuilletons pas un seul
+ne fut accordé à Baudelaire.</p>
+
+<p>Il me semble que cette fois la cause est entendue.</p>
+
+<div class="p2 figcenter">
+<img src="images/illustration_032.jpg" width="120" height="69" alt="" title="" />
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_27"> 27</a></span></p>
+
+<div class="header">
+<h2>APPENDICE<br />
+<span class="subh medium">LES SENTIMENTS DE BAUDELAIRE POUR SAINTE-BEUVE</span></h2>
+</div>
+
+<p class="drop-cap"><span class="smcap">Au</span> cours de l'étude qui précède, on a pu constater
+l'inaltérable attachement de Baudelaire pour
+Sainte-Beuve malgré les constantes défections du critique
+à son égard.</p>
+
+<p>Il resterait à expliquer cette longanimité si contraire
+à ce que nous révèlent de Baudelaire ses correspondances
+et ses papiers intimes.</p>
+
+<p>Sans s'y montrer positivement vindicatif, le poète
+ne cesse d'y attester une extrême sensibilité aussi bien
+aux bons procédés qu'aux mauvais. Éloges ou dénigrements,
+il note tout avec une perspicacité toujours en
+éveil. Se défiant même de la mémoire, cette négligente,
+qui oublie souvent en route les injures autant que les
+bienfaits, il avait institué dans ses carnets une rubrique
+spéciale intitulée <cite>Vilaines canailles</cite>, où il inscrivait les
+noms des personnes qui l'avaient desservi ou simplement
+<span class="pagenum"><a id="Page_28"> 28</a></span>
+déçu. Or, par un traitement privilégié, Sainte-Beuve
+ne figure sur aucune de ces listes vengeresses.</p>
+
+<p>Bien mieux, en 1859, au moment où Babou manque
+de le brouiller avec le critique, dans la lettre affolée qu'il
+écrit à Poulet-Malassis, Baudelaire déclare: «Ce qu'il
+y avait dangereux là dedans, c'est que Babou avait l'air
+de me défendre contre quelqu'un qui m'a rendu <em>une
+foule de services</em>.»</p>
+
+<p>Lesquels? On reste rêveur. On cherche et voici ce
+qu'on trouve jusqu'à cette date: trois refus d'articles
+sur Poe, une lettre privée sur les <cite>Fleurs du Mal</cite>, des
+conseils privés lors du procès. Secours bien minces.
+On cherche encore: on découvre deux lettres de Sainte-Beuve,
+l'une en date du 3 octobre 1852 mentionnant
+la recommandation d'un manuscrit à Véron, une autre
+lettre en date du 20 mars 1854 où Sainte-Beuve se
+récuse au sujet d'une demande d'appui au <cite>Moniteur</cite>. Et
+c'est tout.</p>
+
+<p>Qu'un poétereau, à visées médiocres et doutant de
+soi, se fût abusé sur l'importance de ces menus services,
+l'illusion semblerait plausible. Mais chez Baudelaire,
+elle déconcerte.</p>
+
+<p>Dans ses lettres, dans ses carnets, le trait dominant,
+permanent, c'est l'orgueil.</p>
+
+<p>Non pas la petite vanité de l'homme de lettres qui
+puise toute sa force dans les louanges d'autrui, les
+publicités bruyantes, les succès immédiats&mdash;et s'effondre
+aussitôt que ces adjuvants cessent. Mais une
+<span class="pagenum"><a id="Page_29"> 29</a></span>
+foi intérieure et indéfectible en sa valeur personnelle,
+en son génie, en son &oelig;uvre, une prescience presque
+miraculeuse du rang où celle-ci atteindra. Dès 1847,
+quand il annonce les <cite>Fleurs du Mal</cite> sous son titre primitif
+<cite>Les Lesbiennes</cite>, le format que Baudelaire leur
+assigne d'autorité, c'est l'in-quarto&mdash;c'est-à-dire le
+format réservé aux grands chefs-d'&oelig;uvre consacrés<a name="FNanchor_B" id="FNanchor_B" href="#Footnote_B" class="fnanchor">&nbsp;[B]</a>.
+En 1860, un an après l'incident Babou, il écrit
+à sa mère: «Plus je deviens malheureux, plus mon
+orgueil augmente.» Et dans une autre lettre: «Comme
+j'ai un genre d'esprit impopulaire, je gagnerai peu
+d'argent, <em>mais je laisserai une grande célébrité, je
+le sais</em>.» Et partout de même répétée, ressassée la
+certitude de la durée, de l'immortalité des <cite>Fleurs du
+Mal</cite>.</p>
+
+<div>
+<p class="i2"><a name="Footnote_B" id="Footnote_B" href="#FNanchor_B" class="label">[B]</a> Edition originale de <cite>Chien Caillou</cite> de Champfleury, Martinon
+1847. Sur le 2<sup>e</sup> plat de la couverture: <span class="smcap">A paraitre incessamment</span>:
+Pierre de <span class="smcap">Fayis</span>, <cite>Les Lesbiennes</cite>, poèmes, un volume
+grand in-4.</p></div>
+
+<p>Comment supposer alors que Baudelaire n'aperçoive
+pas la disproportion entre le sentiment qu'il a de sa
+grandeur et la taille que lui attribue Sainte-Beuve? Comment
+comprendre qu'il tremble à l'idée d'une brouille
+avec un protecteur si tiède et qu'il exagère, avec un si
+manifeste parti pris, une serviabilité si parcimonieuse?</p>
+
+<p>Énigme qui n'est insoluble qu'à première vue et qui
+s'éclaire quand on analyse un à un les éléments de cet
+attachement étrange.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_30"> 30</a></span>
+Sans parler de la première emprise de jeunesse, des
+premiers élans d'admiration qui durent s'atténuer secrètement
+lorsque Baudelaire prit pleine possession de
+son talent, il est évident que, dans cet attachement, l'intérêt
+eut une part.</p>
+
+<p>Non que dans ses relations avec Sainte-Beuve, Baudelaire
+poursuivît un avantage personnel. Vraisemblablement,
+quoique sans grande confiance, il espérait, il
+ne désespérait pas qu'un jour, peut-être, à la longue,
+son tour de <cite>Lundi</cite> viendrait. Mais au peu que Sainte-Beuve
+lui avait accordé, à ces éloges retenus, et par
+raccroc, que le critique lui dispensait dans un coin
+d'article, Baudelaire était trop fin pour ne pas discerner
+que ce jour était encore bien lointain, bien incertain, si
+encore il devait jamais luire. Au surplus, son orgueil
+lui permettait d'attendre et lui défendait de demander
+plus. Une seule fois il fléchit, c'était en 1860, lorsque
+parurent les <cite>Paradis artificiels</cite>. Baudelaire alors nettement
+sollicita de Sainte-Beuve un article. Mais par les
+lettres récemment publiées dans la <cite>Revue de Paris</cite>, nous
+connaissons les dessous de cette défaillance. «J'ai plus
+que jamais besoin d'être soutenu, écrivait-il à Sainte-Beuve
+et je devais vous rendre compte de mon <em>embarras</em>.»
+<em>Embarras</em> signifiait le dernier degré de la détresse,
+misères physiques, misère pécuniaire, un homme à la
+dérive. Cette sollicitation dictée par l'angoisse resta, on
+le sait, sans résultat. Ce fut la première et la dernière.</p>
+
+<p>Par contre, si peu quémandeur pour lui-même,
+<span class="pagenum"><a id="Page_31"> 31</a></span>
+nous avons vu que, en faveur de Poe, Baudelaire
+n'hésitait pas à harceler Sainte-Beuve. De 1856 à 1865,
+pas une année sans que Baudelaire ne revienne à la
+charge, ne caresse et ne relance le critique pour lui
+arracher l'article sur Poe. C'est chez lui le même
+acharnement qu'à demander de l'argent à sa mère pour
+Jeanne Duval. Avec la Muse noire, Poe avait fini par
+devenir sa grande charge, son grand devoir. Pour lui
+gagner Sainte-Beuve, il eût tout pardonné, il pardonnait
+tout au critique. Poe fut sûrement dans leur
+attachement un des liens les plus solides.</p>
+
+<p>Mais en dehors de ces calculs&mdash;bien désintéressés&mdash;ce
+qui semble avoir le plus retenu Baudelaire à
+Sainte-Beuve, malgré déboires et déceptions, c'est
+Sainte-Beuve lui-même, sa fréquentation, sa société.</p>
+
+<p>Si orgueilleux que fût Baudelaire, visiblement il
+avait été flatté par l'accueil affable de cet écrivain
+fameux, son aîné presque de vingt ans, maître de toutes
+les renommées littéraires de l'heure, et dont la
+porte ne s'ouvrait qu'à des pairs ou à des intimes.</p>
+
+<p>«Un homme qui, malgré ma jeunesse relative,
+m'a toujours pris pour son égal!» écrivait-il fièrement
+à sa mère en 1865. Traitement peu commun de la part
+de Sainte-Beuve, si réservé, si en méfiance contre les
+intrus et les fâcheux.</p>
+
+<p>Et effectivement, faute de services, il ressort de
+leur correspondance que Sainte-Beuve ne ménageait
+à Baudelaire ni une paternelle considération ni de délicats
+<span class="pagenum"><a id="Page_32"> 32</a></span>
+égards ni même des avis et des réconforts d'autant
+plus précieux qu'ils venaient de plus haut.</p>
+
+<p>«Est-il permis de venir se réchauffer et se fortifier à
+votre contact? lui écrivait Baudelaire en 1865 (un mois
+après lui avoir adressée vainement <cite>Gordon Pym</cite>). Vous
+savez ce que je pense des hommes atonifiants et des
+hommes tonifiants. J'ai besoin de vous comme d'une
+douche.»</p>
+
+<p>On se demande, du reste, dans quelle société Baudelaire
+si réfléchi, si épris de belles lettres, eût trouvé
+l'équivalent en agrément et en qualité de ce que lui
+offrait celle de Sainte-Beuve. Banville bien superficiel
+et funambulesque, Gautier pliant sous le feuilleton et,
+en ses propos, plus rapin que penseur, Leconte de Lisle
+absorbé dans ses transcriptions de l'antique, Poulet-Malassis
+bon lettré mais tout à ses échéances, Asselineau
+aimable polygraphe mais sans profondeur, Théophile
+Silvestre écrivain de haute marque mais toujours au
+dehors pour des inspections d'art, Flaubert à Croisset,
+Barbey d'Aurevilly, le tempérament le plus proche du
+sien, mais accaparé par le roman, le journalisme, les
+salons,&mdash;à la vérité, comme tous les esprits supérieurs,
+Baudelaire se trouvait très isolé dans son
+époque<a name="FNanchor_C" id="FNanchor_C" href="#Footnote_C" class="fnanchor">&nbsp;[C]</a>. A défaut de Renan qu'il ne connaissait pas
+<span class="pagenum"><a id="Page_33"> 33</a></span>
+et qui d'ailleurs se désintéressait ouvertement des auteurs
+du jour, on conçoit que, pour un poète de cette
+envergure et de cette culture, la familiarité, même
+inefficace, de Sainte-Beuve ait été la planche de salut,
+le <em>præsidium</em> rêvé. Et l'on s'explique que pour le garder
+Baudelaire ait avalé tant de couleuvres.</p>
+
+<div>
+<p class="i2"><a name="Footnote_C" id="Footnote_C" href="#FNanchor_C" class="label">[C]</a> Au moment où se corrigent les épreuves de cette étude, la
+<cite>Revue de Paris</cite>, du 15 octobre 1917 publie une lettre de Baudelaire
+qui apporte aux remarques ci-dessus la confirmation
+du poète lui-même: «Excepté d'Aurevilly, Flaubert, Sainte-Beuve,
+je ne peux m'entendre avec personne. Th. Gautier seul
+peut me comprendre, quand je parle peinture.» (11 août 1862).</p></div>
+
+<p>Cependant, à la digestion, ne lui laissèrent-elles pas
+quelques aigreurs? La négative serait aventurée.</p>
+
+<p>Ouvrons en effet les <cite>Fleurs du Mal</cite> (première ou
+seconde ou troisième édition) et relevons les noms des
+dédicataires. L'ensemble du volume est dédié à Gautier,
+trois pièces sont dédiées à Victor Hugo, deux au sculpteur
+Christophe, une autre à Banville, une autre à
+Constantin Guys, une autre à Maxime du Camp.</p>
+
+<p>Mais à Sainte-Beuve pas une seule, malgré les
+témoignages d'admiration que prodiguait Baudelaire,
+dans ses lettres, au poète de <cite>Joseph Delorme</cite>.</p>
+
+<p>Consultons la <cite>Revue Fantaisiste</cite> où parurent de Baudelaire
+les <cite>Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains</cite>.
+Ces <cite>Réflexions</cite> ont pour sujets Banville, Barbier,
+Desbordes-Valmore, Pierre Dupont, Flaubert,
+Gautier, Victor Hugo, Leconte de Lisle, Le Vavasseur,
+Paul de Molènes, Pétrus Borel. Mais de Sainte-Beuve
+pas trace.</p>
+
+<p>Compulsons le recueil des <cite>Poètes Français</cite> de Crépet
+<span class="pagenum"><a id="Page_34"> 34</a></span>
+où l'anthologie de chaque poète s'orne d'une étude sur
+son &oelig;uvre. Baudelaire a signé plusieurs de ces notices.
+Sainte-Beuve y a, bien entendu, la sienne. Mais elle
+n'est pas signée: Baudelaire. Elle est signée: Babou.</p>
+
+<p>Feuilletons enfin les &oelig;uvres complètes de Baudelaire,
+fouillons, scrutons ligne à ligne. Dans les sept volumes,
+nulle part le nom de Sainte-Beuve n'est cité.</p>
+
+<p>Omissions trop répétées pour qu'on les croie dues
+au hasard.</p>
+
+<p>Il est plus probable qu'elles furent voulues et que,
+par ce mutisme obstiné, Baudelaire entendit rendre à
+Sainte-Beuve ce qu'on appelle «la pareille».</p>
+
+<p>Ici s'accuse nettement la différence de procédés
+entre les écrivains de haute classe et les subalternes.</p>
+
+<p>Négligé par Sainte-Beuve, un Babou s'exaspère,
+accuse, invective.</p>
+
+<p>Un Baudelaire, au contraire s'en tiendra au silence,
+cette légitime représaille de l'artiste contre ceux qui se
+taisent sur lui.</p>
+
+<div class="p2 figcenter">
+<img src="images/illustration_034.jpg" width="120" height="62" alt="" title="" />
+</div>
+
+<p><span class="pagenum"><a id="Page_35"> 35</a></span></p>
+
+
+<div class="header">
+<div class="footnotes">
+<h2 class="normal">NOTES:</h2>
+<div class="footnote">
+
+<p><a name="Footnote_1" id="Footnote_1" href="#FNanchor_1" class="label">[1]</a> «Le second ami était et est encore gros, paresseux et lymphatique;
+de plus il n'a pas d'idées et ne sait qu'enfiler et
+perler des mots en manière de colliers d'Osages» (Article de
+Baudelaire dans l'<cite>Echo des Théâtres</cite> du 23 août 1846. <cite>&OElig;uvres
+posthumes</cite>, Mercure de France, 1908, p. 293).</p>
+
+<p><a name="Footnote_2" id="Footnote_2" href="#FNanchor_2" class="label">[2]</a> La prédiction de Gautier sur Baudelaire est trop longue
+pour être citée en entier. Elle se termine ainsi: «Le Baudelaire
+fera long feu comme le Pétrus.» (<span class="smcap">M. du Camp</span>, <cite>Souvenirs littéraires</cite>,
+t. II, p. 83 et 84).</p>
+
+<p>A joindre cette autre opinion de Gautier sur <em>le</em> Baudelaire:
+«Théophile Gautier qui, dans l'intimité, a un vif sentiment
+critique, me disait en 1848:&mdash;Baudelaire est un beau vase
+qui a une <em>fissure</em>» (<span class="smcap">Champfleury</span>, <cite>Souvenirs</cite>, p. 145).</p>
+
+<p>Il est à remarquer cependant que, dès 1845, la presque totalité
+des <cite>Fleurs du Mal</cite> était connue du monde lettré par les récitations
+qu'en faisait Baudelaire.</p>
+
+<p><a name="Footnote_3" id="Footnote_3" href="#FNanchor_3" class="label">[3]</a> <cite>&OElig;uvres posthumes</cite>, Mercure de France, 1908, p. 54.</p>
+
+<p><a name="Footnote_4" id="Footnote_4" href="#FNanchor_4" class="label">[4]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 492, 15 janvier 1866.</p>
+
+<p><a name="Footnote_5" id="Footnote_5" href="#FNanchor_5" class="label">[5]</a> En 1856, dans la <em>Préface</em> de sa traduction des <cite>Histoires
+extraordinaires</cite>, à propos d'un biographe de Poe, qui s'était permis,
+par une inconvenance étrange, de publier en tête des &oelig;uvres
+de l'écrivain un éreintement en règle de sa vie et de ses ouvrages,
+Baudelaire écrivait ces lignes indignées et mémorables: «Il
+n'existe donc pas en Amérique d'ordonnance qui interdise aux
+chiens l'entrée des cimetières» (<cite>Histoires extraordinaires</cite>, 1856,
+p. <span class="smcap">XX</span>).</p>
+
+<p><a name="Footnote_6" id="Footnote_6" href="#FNanchor_6" class="label">[6]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 190, 19 mars 1856.</p>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_36"> 36</a></span></p>
+<p><a name="Footnote_7" id="Footnote_7" href="#FNanchor_7" class="label">[7]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 210, 24 mars
+1856.</p>
+
+<p><a name="Footnote_8" id="Footnote_8" href="#FNanchor_8" class="label">[8]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 104, 9 mars 1857. J'ai omis de
+noter la réponse de Sainte-Beuve (<cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 222,
+11 mars 1857). Sainte-Beuve préfère qu'Edouard Thierry, rédacteur
+au <cite>Moniteur</cite>, parle d'abord de l'ouvrage. Quant à lui, il
+ajourne à une date vague, sous prétexte qu'il n'a pas encore «sa
+petite idée» sur Poe&mdash;malgré la publication de deux volumes
+contenant les plus célèbres chefs-d'&oelig;uvre du conteur. Cette
+seconde promesse d'article n'eut pas, d'ailleurs, plus de suites
+que la première.</p>
+
+<p><a name="Footnote_9" id="Footnote_9" href="#FNanchor_9" class="label">[9]</a> <cite>Revue des Deux Mondes</cite>, 1<sup>er</sup> juin 1855.</p>
+
+<p><a name="Footnote_10" id="Footnote_10" href="#FNanchor_10" class="label">[10]</a> <cite>Nouveaux Lundis</cite>, t. I, p. 400, et <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>,
+t. I, p. 219.</p>
+
+<p><a name="Footnote_11" id="Footnote_11" href="#FNanchor_11" class="label">[11]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>&OElig;uvres posthumes</cite>, Quantin, 1887 (éd. Crépet),
+p. 285.</p>
+
+<p><a name="Footnote_12" id="Footnote_12" href="#FNanchor_12" class="label">[12]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 163, 14 juin 1858. «... Il y a
+des jours où les injures de tous les sots vous montent au cerveau
+et alors on implore son vieil ami Sainte-Beuve.» Le vieil
+ami Sainte-Beuve n'avait sans doute pas encore assez mûri «sa
+petite idée» sur Poe, car il persista dans le silence.</p>
+
+<p><a name="Footnote_13" id="Footnote_13" href="#FNanchor_13" class="label">[13]</a> Cet article, intitulé l'<cite>Amitié littéraire</cite>, avait paru dans la
+<cite>Revue Française</cite>. Il reparut dans un volume de Babou, intitulé
+<cite>Lettres satiriques et critiques</cite>, Poulet-Malassis, 1860. Le passage
+visant Sainte-Beuve se terminait par la phrase suivante: «Il
+glorifiera <cite>Fanny</cite>, l'honnête homme! et gardera le silence sur les
+<cite>Fleurs du Mal</cite>.» Toutefois, l'éditeur, sans doute sur la prière de
+Baudelaire, ayant supprimé la phrase, Babou la rétablit dans
+un <cite>Post-scriptum</cite> avec sommation à Poulet-Malassis de l'insérer.</p>
+
+<p><a name="Footnote_14" id="Footnote_14" href="#FNanchor_14" class="label">[14]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 184, 21 février 1859.</p>
+
+<p>A consulter également une lettre à Asselineau sur le même
+sujet (p. 185) du 24 février 1859.</p>
+
+<p><a name="Footnote_15" id="Footnote_15" href="#FNanchor_15" class="label">[15]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Nouvelle Correspondance</cite>, p. 153, 23 février
+1859. A consulter aussi une lettre de Sainte-Beuve à Poulet-Malassis
+(p. 142), même date, même sujet. Sainte-Beuve demande
+à Poulet-Malassis de lui confier la fameuse lettre qu'il
+avait adressée à Baudelaire sur les <cite>Fleurs du Mal</cite> et qui, de 1857
+à 1870, constitue sa grande pièce de défense, sa grande parade
+contre les accusations d'indifférence envers Baudelaire.</p>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_37"> 37</a></span></p>
+<p><a name="Footnote_16" id="Footnote_16" href="#FNanchor_16" class="label">[16]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 187.</p>
+
+<p><a name="Footnote_17" id="Footnote_17" href="#FNanchor_17" class="label">[17]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 269.</p>
+
+<p><a name="Footnote_18" id="Footnote_18" href="#FNanchor_18" class="label">[18]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 255, 3 juillet 1860.</p>
+
+<p><a name="Footnote_19" id="Footnote_19" href="#FNanchor_19" class="label">[19]</a> <cite>Causeries des Lundis</cite>, t. XV, p. 350. <cite>Lettre au directeur-gérant
+du Moniteur.</cite> Il est à signaler qu'une fois de plus, Sainte-Beuve
+justifie son silence en invoquant un article consacré à
+Baudelaire dans le <cite>Moniteur</cite> par Edouard Thierry. En 1858 il
+dit à Baudelaire: «Thierry parlera de vous.» En 1860:
+«Thierry a parlé de vous.» Ingénieuse combinaison qui instituait
+Thierry définitivement comme délégué aux affaires baudelairiennes
+et fournissait aux temporisations de Sainte-Beuve
+tantôt une prétexte, tantôt une excuse.</p>
+
+<p>Il est en outre à noter que l'incident Babou-Sainte-Beuve se
+termina au mieux. En 1862, en tête des poésies de Sainte-Beuve
+publiées dans les <cite>Poètes Français</cite> de Crépet, parut une notice
+sur Sainte-Beuve, signée Hippolyte Babou et où l'encensoir n'était
+pas balancé de main morte (<cite>Poètes Français</cite>, t. IV, p. 357). Sur
+quoi, Sainte-Beuve, ne voulant pas demeurer en reste de politesse,
+accorda aux notices publiées par Babou dans ce recueil un
+paragraphe plus qu'obligeant (<cite>Nouveaux Lundis</cite>, t. III, p. 341).</p>
+
+<p>Dans cette affaire il n'y eut donc qu'une victime: Baudelaire.</p>
+
+<p><a name="Footnote_20" id="Footnote_20" href="#FNanchor_20" class="label">[20]</a> Ce bel article parut d'abord dans les <cite>Articles justificatifs
+pour Charles Baudelaire, auteur des Fleurs du Mal</cite> (1857), imprimerie
+Dondey Dupré, p. 9. Il fut réédité dans <cite>Les &OElig;uvres et les
+Hommes</cite>, 1862, t. III.</p>
+
+<p><a name="Footnote_21" id="Footnote_21" href="#FNanchor_21" class="label">[21]</a> Extrait de la notice de Banville, un des morceaux les plus
+complets et les plus profonds qu'on ait publiés sur l'&OElig;uvre de
+Baudelaire. Banville, d'habitude si menu, si gracile, si papillonnant,
+y atteint, en maint endroit, à la force. Cette notice
+parut d'abord dans l'<cite>Album de la Galerie contemporaine</cite>, in-4,
+Baschet (vers 1877). Elle a été reproduite, en partie seulement,
+dans la récente édition des <cite>Fleurs du Mal</cite>, publiée par la librairie
+Fasquelle (1912).</p>
+
+<p><a name="Footnote_22" id="Footnote_22" href="#FNanchor_22" class="label">[22]</a> <cite>Nouveaux Lundis</cite>, t. I, p. 400 et 401.</p>
+
+<p><a name="Footnote_22bis" id="Footnote_22bis" href="#FNanchor_22bis" class="label">[22 <em>bis</em>]</a> Ce nom, ces mots n'étaient pas mis là sans intention.
+Dans un article récent du <cite>Mercure de France</cite>, M. Ernest Raynaud
+nous a révélé l'espèce de pacte d'échange qui s'était conclu à ce
+moment entre Sainte-Beuve et Gautier: Sainte-Beuve promettant
+un fauteuil d'académicien à Gautier contre un siège de sénateur
+que celui-ci lui assurerait. On devine le trouble qu'apportait
+dans ces <i lang="it" xml:lang="it">combinaziones</i> l'irruption ingénue de Baudelaire. Sainte-Beuve,
+il faut le reconnaître, se tira fort habilement de ce mauvais
+pas. Désigner Gautier comme le maître de Baudelaire,
+c'était du même coup amorcer sa candidature et ruiner celle de
+son jeune concurrent. Protester contre l'indifférence de l'Académie
+envers les poètes du jour, c'était poser des jalons pour une
+compensation prochaine en faveur de Gautier. Dès lors, l'échec
+de Baudelaire, soit par voie de scrutin, soit par voie de désistement,
+ne faisant pas de doute, on se trouvait en excellente posture
+pour pousser Gautier au premier fauteuil vacant. A tous égards,
+ce fut du plus joli travail académique et où il semble bien que
+Baudelaire n'ait vu que du feu.</p>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_38"> 38</a></span></p>
+<p><a name="Footnote_23" id="Footnote_23" href="#FNanchor_23" class="label">[23]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 325.</p>
+
+<p><a name="Footnote_24" id="Footnote_24" href="#FNanchor_24" class="label">[24]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 285, 15 février
+1862.</p>
+
+<p><a name="Footnote_25" id="Footnote_25" href="#FNanchor_25" class="label">[25]</a> Cependant Baudelaire avait envoyé les <cite>Histoires sérieuses
+et grotesques</cite> à Sainte-Beuve et spécialement attiré son attention
+sur ce livre, sans obtenir même un accusé de réception (<cite>Lettres</cite>,
+p. 426, 15 mars 1865 et p. 427, 30 mars 1865).</p>
+
+<p><a name="Footnote_26" id="Footnote_26" href="#FNanchor_26" class="label">[26]</a> A titre de curiosité, j'ai relevé les noms des poètes contemporains
+auxquels Sainte-Beuve avait consacré des articles
+entre 1857 et 1867, date de la mort de Baudelaire.</p>
+
+<p>1857.&mdash;<cite>Théodore de Banville</cite>, <em>Alfred de Musset</em>.</p>
+
+<p>1860.&mdash;<cite>Mme Desbordes-Valmore</cite> (&OElig;uvres posthumes).</p>
+
+<p>1861.&mdash;<em>Victor de Laprade.</em></p>
+
+<p>1862.&mdash;<em>Calemard de Lafayette.</em></p>
+
+<p>Même année, étude sur les <cite>Poètes français</cite> de Crépet qui fournit
+prétexte à des études sur <cite>Soulary</cite>, de <cite>Belloy</cite>, <cite>Coran</cite>&mdash;sans
+un mot sur Baudelaire, quoique celui-ci figurât dans le recueil.</p>
+
+<p>1863.&mdash;<em>P. Lebrun</em>, <em>Théophile Gautier</em>.</p>
+
+<p>1864.&mdash;<em>Alfred de Vigny.</em></p>
+
+<p>1865.&mdash;<em>Charles Monselet.</em></p>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_39"> 39</a></span>
+Même année, un article sur la <cite>Poésie française en 1865</cite>.</p>
+
+<p>Sainte-Beuve s'y plaint du manque d'originalité des poètes nouveaux.
+«Je me dis: ceci est du Musset!» ou bien: «Ceci
+rappelle Victor Hugo» ou «Ceci est du Gautier, du Banville,
+du Leconte de Lisle&mdash;ou <em>même</em> du Baudelaire». Toujours
+les réserves tendant à réduire l'importance de Baudelaire. Ce
+<em>même</em> était bien du même au même.</p>
+
+<p>Mais voici plus significatif encore. En 1862 Sainte-Beuve se
+chargea de préfacer les <cite>Poètes français</cite> de Crépet. Il rédigea, à
+cet effet, une introduction formant histoire de la poésie française.
+Arrivé au <span class="smcap">XIX</span><sup>e</sup> siècle il en conte les débuts&mdash;mais, en
+1862, quelle déchéance! Il se lamente sur cette décrépitude,
+appelle à grands cris une Poétique nouvelle. «Et ce qui vaudrait
+mieux, ajoute-t-il, ce serait un exemple nouveau et vivant.
+La Nature seule peut créer le génie. A celui qui <em>doit venir</em> et
+<em>en qui nous avons espérance</em>, nous dirions....» Suit une prosopopée
+assez fade qui se termine ainsi: «Vous n'avez qu'à puiser
+au gré de vos inspirations, suivant votre habileté et votre
+audace;... vous fondrez tout à la flamme de votre génie; vous
+remettrez chaque chose à son point dans la trame du bel art, <em>ô
+grand poète qui naîtrez</em>!»</p>
+
+<p>Invocation sincère mais plutôt oiseuse, puisque ce grand poète,
+à l'insu de Sainte-Beuve, était né depuis cinq ans déjà.</p>
+
+<p><a name="Footnote_27" id="Footnote_27" href="#FNanchor_27" class="label">[27]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, 1865, <i lang="la" xml:lang="la">passim</i>, p. 489 à 496.</p>
+
+<p>L'appui de Sainte-Beuve semble s'être borné à certifier à
+l'éditeur Garnier la valeur littéraire de Baudelaire.</p>
+
+<p>Dans une des lettres de Baudelaire à sa mère, publiées par la
+<cite>Revue de Paris</cite> (20 juillet 1865), le poète exprime assez exactement
+la nature de l'aide que lui prêta le critique des <cite>Lundis</cite>
+en vue de ce traité avec Garnier, qui, au surplus, ne devait pas
+aboutir: «Sainte-Beuve, que j'ai vu à mon passage à Paris,
+m'a dit qu'il se mêlerait un peu de la question.»</p>
+
+<p><a name="Footnote_28" id="Footnote_28" href="#FNanchor_28" class="label">[28]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. II, p. 209. Il est, dans
+cette lettre, à retenir deux points: 1<sup>o</sup> Sainte-Beuve ne formule
+aucune promesse d'article; 2<sup>o</sup> Sa lettre est datée du 12 septembre,
+c'est-à-dire qu'elle ne fut écrite que douze jours après la
+mort de Baudelaire.</p>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_40"> 40</a></span></p>
+<p><a name="Footnote_29" id="Footnote_29" href="#FNanchor_29" class="label">[29]</a> <span class="smcap">A. de La Fizelière</span> et <span class="smcap">Georges Decaux</span>, <cite>Essais de bibliographie
+contemporaine, Charles Baudelaire</cite>, librairie de l'Académie
+des Bibliophiles, 1868.</p>
+
+<p><a name="Footnote_30" id="Footnote_30" href="#FNanchor_30" class="label">[30]</a> <cite>Causeries du Lundi</cite>, t. XV, p. 527.</p>
+
+<p><a name="Footnote_31" id="Footnote_31" href="#FNanchor_31" class="label">[31]</a> <cite>Revue Européenne</cite>, 1861. Réédité à la suite des <cite>Derniers
+Poèmes</cite>, 1895.</p>
+
+<p><a name="Footnote_32" id="Footnote_32" href="#FNanchor_32" class="label">[32]</a> Il s'est produit ici une grave lacune dans le nomenclature
+des symptômes qui, à défaut de perspicacité, eussent dû
+avertir Sainte-Beuve de la place prise par Baudelaire dans la
+poésie française.</p>
+
+<p>J'avais en effet oublié de mentionner parmi ces symptômes la
+notice de Théophile Gautier, insérée en tête de l'édition définitive
+des <cite>&OElig;uvres complètes</cite> (1868).</p>
+
+<p>Si défectueuse et restrictive que soit encore cette notice qui
+persiste à maintenir Baudelaire dans le cercle des poètes artificiels
+et subtils, le fait qu'un écrivain illustre comme Théophile
+Gautier, grand potentat du feuilleton, un des maîtres de la célèbre
+phalange romantique, eût assumé la charge de présenter Baudelaire
+au public et lui eût accordé l'honneur de soixante-quinze
+pages en texte serré, ne pouvait manquer d'attirer l'attention
+de Sainte-Beuve.</p>
+
+<p>Il y avait là mieux qu'un acte de complaisance posthume, une
+véritable consécration.</p>
+
+<p>Il paraît peu probable que l'importance de cette manifestation
+ait échappé à un esprit aussi avisé que Sainte-Beuve.</p>
+
+<p>Mais il n'est pas impossible, par contre, qu'elle ait contribué,
+par choc en retour, à l'ancrer plus dans son silence.</p>
+ </div>
+ </div>
+</div>
+
+<div class="p2 figcenter">
+<img src="images/illustration_040.jpg" width="130" height="59" alt="" title="" />
+</div>
+
+<p><span class="pagenumh"><a id="Page_41"> 41</a></span></p>
+
+<div class="p2 figcenter">
+<img src="images/illustration_041.jpg" width="100" height="96" alt="" title="" />
+</div>
+
+<p class="end">CHARTRES.&mdash;IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.</p>
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
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+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
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+
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+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation information page at www.gutenberg.org
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+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
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+Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact
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+Literary Archive Foundation
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+To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For forty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
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+
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+
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+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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