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diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..6833f05 --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,3 @@ +* text=auto +*.txt text +*.md text diff --git a/44807-0.txt b/44807-0.txt new file mode 100644 index 0000000..58afdaf --- /dev/null +++ b/44807-0.txt @@ -0,0 +1,1055 @@ +*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44807 *** + + BAUDELAIRE + + ET + + SAINTE-BEUVE + + + _Imprimé à 235 exemplaires + dont + 10 sur papier de Hollande._ + + + + +Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le +typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée +et n'a pas été harmonisée. + + + + + FERNAND VANDÉREM + + BAUDELAIRE + + ET + + SAINTE-BEUVE + + _NOUVELLE ÉDITION_ + + AUGMENTÉE DE NOTES ET D'UN CHAPITRE INÉDIT + + [Illustration: logo] + + PARIS + LIBRAIRIE HENRI LECLERC + + 219, RUE SAINT-HONORÉ, 219 + et 16, rue d'Alger. + + 1917 + + + + +[Illustration: ornement début de page] + + +Cette étude, publiée d'abord dans le _Temps Présent_, a paru en 1914 +sous forme d'une brochure à tirage restreint et depuis longtemps +épuisé. + +Il m'a semblé que le cinquantenaire de Baudelaire pouvait prêter +quelque intérêt à une réédition. + +Je n'ai rien changé au texte primitif, que j'ai seulement complété par +des notes indiquant les sources des textes invoqués et quelques +particularités nouvelles. + +J'y ai joint en outre un appendice où j'ai tenté de mieux élucider +les sentiments de Baudelaire pour Sainte-Beuve. + +On aura ainsi, avec toutes références utiles, un résumé des relations +entre le grand poëte et l'illustre critique. + +[Illustration: ornement fin de page] + + + + +BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE + + + + +I + + +Les relations de Baudelaire et de Sainte-Beuve prêteraient à un +curieux chapitre d'histoire littéraire, dont j'offre ici un aperçu. + +Les sentiments de Baudelaire envers certains de ses contemporains, +comme les sentiments qu'il leur inspirait, présentent parfois des +contradictions. Ainsi, extérieurement, qui douterait de son culte pour +Gautier et de l'estime où Gautier le tenait? Cependant on a retrouvé +un article de Baudelaire où il traitait Gautier en poète verbal, en +enfileur de phrases[1], et, d'autre part, Maxime du Camp nous conte +que, dans l'intimité, Gautier prédisait à Baudelaire la faillite +finale d'un Pétrus Borel[2]. + +Entre Baudelaire et Sainte-Beuve, pas trace de ces fluctuations. De +son extrême jeunesse à sa mort, Baudelaire ne cessa de ressentir et de +marquer pour Sainte-Beuve son admiration. C'est à Sainte-Beuve qu'en +1844 il adresse respectueusement une de ses premières poésies de +collège[3]. Et en 1866, à quelques mois de la paralysie générale, une +de ses dernières lettres ne sera qu'un long panégyrique des poésies de +Sainte-Beuve[4]. + +Les _Consolations_, _Joseph Delorme_, les _Pensées d'Août_, partout il +trouve à louer et à s'enflammer. Notamment les _Rayons Jaunes_ (ce +poème parti d'une impression heureuse, mais développé d'une façon si +méthodique et si dénuée d'ingénuité) lui semblaient un chef-d'Å“uvre +dont il ne se lassait pas de redire les beautés. Baudelaire a subi là +une emprise de jeunesse dont il ne devait plus se défaire. + +On s'étonnera chez lui d'une admiration si constante pour un poète qui +lui était si sensiblement inférieur, tant par l'inspiration et par la +forme que par l'originalité. Et on pourrait être tenté d'y voir, sinon +une flagornerie envers le critique tout-puissant, du moins la +gratitude d'un obligé. Mais les faits s'opposent à cette hypothèse. +Car Sainte-Beuve ne fit jamais rien pour Baudelaire, ou ce qu'il fit +en sa faveur se réduit à l'impondérable. + +Feuilletez d'ailleurs cet immense Larousse que constitue l'Å“uvre +critique de Sainte-Beuve. Alors que tant de poètes subalternes, tant +d'écrivains quelconques y bénéficient de longs articles, vous n'y +découvrez pas un seul Lundi consacré à Baudelaire. Puis contrôlez par +la correspondance des deux écrivains et vous aurez vite établi le +relevé de ce que Sainte-Beuve accorda à son jeune ami, à celui qu'il +appelait paternellement «son cher enfant». + +1856.--Baudelaire publie sa première traduction de Poe: _Histoires +extraordinaires_. Lui qui ne sollicitait jamais pour son compte +n'hésita en aucun cas à quémander pour Poe. Il s'était institué le +barnum, l'impresario de Poe, le cultivateur acharné de sa gloire en +France. Le silence sur Poe, la moindre critique contre son Å“uvre, +meurtrissait Baudelaire au plus vif[5]. Pour une insignifiante réserve +sur le conteur américain, il faillit se brouiller avec d'Aurevilly. + +En 1856 donc, il écrit à Sainte-Beuve pour lui recommander le +volume[6]. Nous avons la réponse de Sainte-Beuve. Il promet ferme un +article. En bas, une note naïve de l'éditeur ajoute: «Cet article n'a +jamais été fait.» Et d'un![7] + +1857.--Les _Nouvelles histoires extraordinaires_. Nouvelle lettre de +Baudelaire à Sainte-Beuve[8]. Même silence de Sainte-Beuve. Et de +deux! + +_Les Fleurs du Mal._ Sainte-Beuve en connaît, avoue en connaître +plusieurs morceaux. Entre autres, il doit avoir lu les vingt pièces +publiées dès 1855, dans la _Revue des Deux Mondes_[9]. Voici l'ouvrage +complet. Occasion unique de lancer un jeune poète qui se détache avec +éclat de la cohue courante, se donne et est reçu par Sainte-Beuve +comme un disciple. Le critique s'en tient pourtant à une longue lettre +embarrassée, où ne sont pas oubliées les _Pensées de Joseph Delorme_ +ni les _Consolations_ et où les éloges sans chaleur se mâtinent de +gronderies vieillottes. Quant à un article, néant. Et de trois! + +Mais arrive le procès: Baudelaire en danger. Concédons que, critique +officiel, Sainte-Beuve se trouve en délicate posture pour intervenir. +Au moins pourrait-il autoriser Baudelaire à publier sa lettre dans le +recueil d'articles adressé aux juges. Pas question. Tout juste s'il +donnera quelques extraits de cette lettre trois ans plus tard, en +1860[10]. Et il ne la publiera complète que neuf après, le poète mort, +en 1869, dans un furtif appendice des _Lundis_. + +Il est vrai que, sous main, il glisse à Baudelaire des: «Petits moyens +de défense.» Effectivement bien petits. «Tout était pris dans le +domaine de la poésie. Lamartine avait pris _les cieux_. Victor Hugo +avait pris _la terre_ (?) et plus que _la terre_ (??). Laprade avait +pris _les forêts_. Musset avait pris _la passion_ et _l'orgie +éblouissante_ (sic). Théophile Gautier avait pris l'Espagne (!). Ce +que Baudelaire a pris. Il y a été comme forcé[11].» + +Et cela finissait par un coup de dent à Musset, dont la vogue +torturait Sainte-Beuve--Musset dont il conseillait de souligner les +côtés obscènes et pornographiques. Ainsi nuls risques et tout profit. + +Baudelaire n'en garda pas moins de ces conseils une éternelle +reconnaissance. + +1858.--_Gordon Pym._ Nouvelle lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve en +faveur de Poe[12]. Pas d'article. Et de quatre! + +1859.--Un petit scandale. Hippolyte Babou moins patient que Baudelaire +a dénoncé dans un article le silence obstiné de Sainte-Beuve sur +l'auteur des _Fleurs du Mal_, et flétri nettement les réticences +cauteleuses du grand critique qui ne se répand en copie que sur les +ouvrages de second ordre[13]. + +Affolement de Baudelaire à l'idée d'être rendu responsable, quoique +innocent. Lettre à Sainte-Beuve pour se disculper[14]. Réponse +indignée de Sainte-Beuve, furieux de se voir dévoilé[15]. + +«Vous ne pouvez vous faire une idée de ce que c'est que la lettre de +Sainte-Beuve, écrit Baudelaire à Malassis. Il paraît que, depuis douze +ans, il notait tous les signes de malveillance de Babou. _Décidément, +voilà un vieillard passionné avec qui il ne fait pas bon se +brouiller...[16]._» + +Vraisemblablement Sainte-Beuve tint toujours rancune à Baudelaire de +cet incident. Du moins, pour se taire, le ressentiment lui fournissait +là une espèce d'excuse. + +La même année, Baudelaire publiait son étude sur _Théophile Gautier_. +Il va de soi que, selon l'usage, Sainte-Beuve n'en souffla pas mot. Et +de cinq! + +1860.--_Les Paradis artificiels._ Lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve +indiquant discrètement que M. Dalloz, directeur du journal où opère le +critique, lui a dit: «Le livre est digne de Sainte-Beuve. Faites une +visite à Sainte-Beuve à ce sujet.» Baudelaire ajoute: «Je n'aurais osé +y penser. Cependant j'ai plus que jamais besoin d'être soutenu.» Le +post-scriptum fait allusion à un morceau de pain d'épice qu'en passant +il avait porté à Sainte-Beuve, fort gourmet[17]. Nous avons la réponse +de Sainte-Beuve. Evasive, ajournant l'article, alléguant des arriérés, +ne promettant rien. Par contre il daigne remercier du pain d'épice. Et +de six![18] + +A la vérité, il se croyait largement quitte envers Baudelaire. Car, +piqué quand même par l'article de Babou, comprenant la nécessité de +rompre le silence, il s'était enfin décidé à nommer Baudelaire dans +une _Causerie du Lundi_, en date du 20 février[19]. Il y revenait sur +l'article de Babou, accusait son accusateur d'envie, et finalement, +comme un chien qu'on fouette, arrivait à Baudelaire. Oh! sans se +fouler, sans se donner grand mal, recopiant simplement entre +guillemets des fragments de la lettre qu'il lui avait adressée en +1857. On trouvera cette lettre à la suite des _Fleurs du Mal_ dans +l'édition définitive. On la rapprochera de l'article que, dans le même +temps, Barbey d'Aurevilly consacrait au livre[20]. Et on pourra +mesurer toute la distance artistique qui sépare un Sainte-Beuve d'un +Baudelaire, un Sainte-Beuve d'un d'Aurevilly. + +Pour Sainte-Beuve, Baudelaire est «un esprit fin», un talent «habile +et curieux». Mais «Baudelaire se défie trop de la passion(?), de la +passion naturelle(?)». Il «accorde trop à l'esprit, à la +combinaison». «Laissez-vous faire, conseille Sainte-Beuve, ne craignez +pas tant de sentir comme les autres, n'ayez jamais peur d'être trop +commun.» Toutefois, il convient aimer quelques pièces dont certaines +lui semblent dignes de l'Anthologie. Enfin «il tient compte surtout à +Baudelaire» (comme à Bouilhet et à Soulary) «de ce qu'ils viennent +tard, quand l'école dont ils sont a déjà tant donné et tant produit, +quand elle est comme épuisée... Ils soutiennent avec honneur, ils +décorent le déclin et le coucher de la Pléïade». + +On possède ici, presque au complet, le sentiment de Sainte-Beuve sur +Baudelaire, la cote qu'il lui attribue: un petit poète de troisième ou +quatrième ligne, un de ces humbles glaneurs à la suite, qui viennent +quand les maîtres ont fauché le meilleur du champ, esprits fins, +bizarres, distingués, mais qui ne peuvent ramasser que les épis de +surcroît, les déchets de grande moisson, ce qui reste... + +Rappelez-vous plus haut les moyens de défense: «Lamartine avait pris +les _cieux_, Hugo avait pris la _terre_... etc.» + +Sainte-Beuve à ce moment, comme on voit, était loin du jugement porté +vingt ans plus tard par Banville et que la postérité ne cessera de +confirmer: + +«Il faut admirer en Baudelaire un des plus grands hommes de ce temps +et qui, si nous ne vivions pas sous le règne intellectuel de Victor +Hugo, mériterait que nul poète contemporain ne fût mis au-dessus de +lui. De tous les artistes modernes du vers, l'auteur des _Fleurs du +Mal_ est le seul qui n'ait rien dû à l'auteur de la _Légende des +siècles_. Il ne procédait ni de lui ni de personne...[21]» + +1861.--_Richard Wagner et Tannhaüser._ Nul article de Sainte-Beuve. Et +de sept. + +_Les Fleurs du Mal_, seconde édition augmentée. Cette fois, +Baudelaire, comme tout le public littéraire, doit attendre son tour de +Lundi. Plus de procès à invoquer. Un recueil classé, consolidé, +abordant presque déjà la gloire. Evidemment le père Sainte-Beuve va y +aller de son article, donner son impression d'ensemble sur l'homme et +sur l'Å“uvre. Mais non. Pas une ligne, pas un mot, pas une allusion. +Et de huit! + +1862.--Un coup de tonnerre. Baudelaire, en manière de manifestation +artistique, d'affirmation personnelle, se présente à l'Académie. +Fâcheux contre-temps pour Sainte-Beuve qui s'apprêtait à faire +campagne dans cette élection et à peser publiquement les titres des +candidats[22]. Arrivé à Baudelaire, comment s'en tirer? Impossible de +passer sous silence, ou de malmener son «jeune ami». Et d'autre part, +pas moyen de s'associer à cette gaminerie sans nom: Baudelaire, le +petit Baudelaire candidat! Sainte-Beuve ici n'a pas trop de toute son +adresse, pour ne pas dire plus. Il écrit: + +«On s'est demandé d'abord si M. Baudelaire en se présentant voulait +faire une niche à l'Académie et une épigramme; s'il ne prétendait +point l'avertir par là qu'il était bien temps qu'elle songeât à +s'adjoindre ce poète et cet écrivain si habile et si distingué dans +tous les genres de diction, Théophile Gautier, son maître[22 _bis_]. +On a eu _à apprendre, à épeler le nom de M. Baudelaire_ à plus d'un +membre de l'Académie qui ignorait totalement son existence. Il n'est +pas si aisé qu'on le croirait de prouver à des Académiciens politiques +et hommes d'État comme quoi il y a, dans les _Fleurs du Mal_, des +pièces très remarquables vraiment pour le talent et pour l'art...; et +qu'en somme M. Baudelaire a trouvé moyen de se bâtir, à l'extrémité +d'une langue de terre réputée inhabitable et par delà les confins du +romantisme connu, un kiosque bizarre, fort orné, fort tourmenté, mais +coquet et mystérieux, où on lit de l'Edgar Poe, où l'on récite des +vers exquis, où l'on s'enivre avec le haschich pour en raisonner +après, où l'on prend de l'opium et mille drogues abominables dans des +tasses d'une porcelaine achevée. Ce singulier kiosque, fait en +marqueterie, d'une _originalité concertée_ et composite, qui, depuis +quelque temps, attire les regards à la pointe du Kamtchatka +romantique, j'appelle cela la folie Baudelaire. Est-ce à dire +seulement, et quand on a tout expliqué de son mieux à de respectables +confrères un peu étonnés, que _toutes ces curiosités, tous ces +regards_ et ces raffinements leur semblent des titres pour +l'_Académie_, et _l'auteur lui-même a-t-il pu sérieusement se le +persuader_? Ce qui est certain, c'est que l'auteur gagne à être vu, +que là où l'on s'attendait à voir entrer un homme étrange, +excentrique, on se trouve en présence d'un candidat poli, respectueux, +_exemplaire, d'un gentil garçon_, fin de langage et tout à fait +classique dans les formes...» + +J'ai souligné quelques-uns des traits les plus protecteurs, les plus +dédaigneux dans ce certificat de bonnes lettres et bonnes façons. Quel +ton, en effet, pour parler de Baudelaire! Quelle différence avec les +accents déférents d'un Barbey d'Aurevilly, d'un Asselineau, d'un +Edouard Thierry! + +N'empêche que de la part de Sainte-Beuve, si gros Monsieur, juché si +haut, un tel acte de condescendance, un tel présent de publicité +pouvaient paraître exceptionnels. Baudelaire, évidemment, sentit plus +l'honneur que les réserves. Il écrivit à Sainte-Beuve une lettre +débordante de gratitude[23]. + +Dès cet instant, il était à sa merci, suivit tous ses conseils +académiques, n'insista plus, se désista. Sainte-Beuve le félicita de +cette renonciation. «Quand on a lu votre dernière phrase de +remerciement conçue en termes si modestes et si polis, on en a dit +tout haut: _Très bien!_ Ainsi vous avez laissé de vous une bonne +impression: n'est-ce donc rien[24]?» + +Baudelaire ne put nier, mais dut probablement penser que, pour ses +candidats, Sainte-Beuve se contentait de peu. + +1863-1864-1865-1866.--_Eurêka_, les _Histoires grotesques et +sérieuses_[25], des vers dans les _Poètes français_ de Crépet, des +vers dans le _Parnasse contemporain_. Sur tout cela cherchez dans +Sainte-Beuve: silence, silence. Une fois pour toutes avec son «jeune +ami» il s'est mis en règle. Compte clos, crédit arrêté. Il ne parlera +plus jamais de Baudelaire[26]. + +Il le sait cependant aux abois, forcé par les dettes à l'exil, +interdit de séjour, gravement malade, plus que pauvre. Sur des prières +aussi discrètes que réitérées, il semble bien, sans que ce soit sûr, +lui avoir donné un coup d'épaule auprès du libraire Garnier pour une +édition complète. Mais d'articles, de citations, plus l'ombre[27]. + +Quand Baudelaire meurt, une banale lettre de condoléances à Mme +Aupick. C'est tout.[28] + +Et pourtant, j'oublie un détail. Cela se passait en 1869. Un grand +mouvement se dessinait autour de la mémoire de Baudelaire. La +Fizelière et Decaux avaient publié l'année précédente--hommage inconnu +à Sainte-Beuve--une bibliographie minutieuse de l'auteur des _Fleurs +du Mal_, où se trouvaient notés les moindres de ses poèmes, les +moindres de ses études[29]. L'éditeur Michel Lévy, emboitant le pas, +adoptait les vÅ“ux des amis de Baudelaire, commençait l'édition des +Å“uvres complètes, tant souhaitée par le poète. + +Une Å“uvre complète à embrasser, une carrière totale à juger, le +sujet idéal pour un _Lundi_ de Sainte-Beuve. Tout le monde sans doute +guettait l'article, l'éditeur comme les lettrés. + +Mais non. Sainte-Beuve, figé dans son mutisme, ne vit là qu'un +prétexte à réclamation personnelle. La lettre de 1857 ayant été +publiée par Michel Lévy à la suite du premier volume, il y aperçut des +fautes d'impression. Pour rectifier, il donna le texte authentique à +la fin d'un tome des _Lundis_. La lettre était précédée de ces +lignes[30]: + +«Le poète Baudelaire, très raffiné, très corrompu à dessein et par +recherche d'art, _avait mis des années_ à extraire de tout sujet et de +toute fleur un suc vénéneux et même, il faut le dire, _assez +agréablement vénéneux_; c'était d'ailleurs un homme d'esprit _assez +aimable à ses heures_ et très capable d'affection...» + +A ce maigre bouquet se réduisit sa couronne funèbre, à cette sèche +notice l'étude définitive qu'on espérait. Même au delà de la tombe, +Sainte-Beuve ne gâtait pas «son cher enfant». + + +Comme chez beaucoup de critiques, chez Sainte-Beuve, à côté de vues +fines et ingénieuses, abondent les bévues, les injustices, les +incompréhensions. + +Toutefois, parmi les siennes, on peut distinguer trois périodes. Dans +la première, c'est un enthousiasme sincère ou voulu qui l'abuse. +S'improvisant le héraut de la phalange romantique, souvent les amitiés +ou les antipathies de groupe l'entraînent trop loin dans le +dénigrement ou dans l'éloge. + +Après 1835, il a pu se convaincre que, comme poète, il était à jamais +surpassé, «gratté», par ses compagnons de lutte: Lamartine, Hugo, +Gautier, Vigny, Musset. Dès lors, malgré lui, c'est l'envie qui +l'égare. Une brouille avec Hugo lui épargnera le supplice de chanter +ses louanges. Envers les autres, par contre, son envie ne se maîtrise +plus. Elle suinte en gouttelettes amères dans ses journaux privés, ses +remarques secrètes. Puis, au jour propice: anniversaire, réception +académique, malheur, mort, elle déferle dans un article. Pas un de ces +grands noms qu'elle n'ait aspergés de ses jets venimeux[A]. + + [A] Pour être exacts, rappelons cependant une épargnée: Mme + Desbordes-Valmore, dont Sainte-Beuve fut des rares à sentir et à + vanter, comme il fallait, le génie. + +Enfin, à partir de 1850, le train artistique le déroute. Il n'y est +plus, ne suit plus. L'incompétence ici l'aveugle. Il néglige Leconte +de Lisle, Michelet, Barbey d'Aurevilly. Il se trompe lourdement sur +Flaubert. Il passe à côté de Verlaine. L'envergure de Baudelaire lui +échappe. + +Dans ces données comme dans les documents cités plus haut, on +trouverait peut-être une explication de son attitude envers +Baudelaire. + +Son silence presque continu sur l'auteur des _Fleurs_ _du Mal_ +procéderait de deux des phases ci-dessus: la troisième, puis la +seconde. Tant que Baudelaire reste obscur, il l'omet ou le diminue, +faute de l'apprécier à sa valeur. Dès que la gloire de son «jeune ami» +se lève, il s'en tait, crainte de la pousser. + +Avec Baudelaire il commence par l'incompétence et il termine par +l'envie. + +[Illustration: ornement fin de page] + + + + +II + + +Parmi les nombreux articles qu'a suscités ma précédente étude et qui +nous montrent en pleine ascension la gloire comme la faveur de +Baudelaire, il s'en est trouvé quelques-uns pour prendre la défense de +Sainte-Beuve. Notamment l'âpre plaidoyer qu'a publié dans le _Temps_ +mon ami M. Paul Souday. + +Il serait oiseux de discuter ici longuement les griefs personnels que +m'oppose le sagace critique du _Temps_. + +De ce qu'on est chroniqueur, romancier, auteur dramatique, s'ensuit-il +que vous soient interdites la culture, la lecture et certaines +prédilections littéraires? De ce qu'on admire chez Vallès le grand +écrivain, le grand romancier, résulte-t-il qu'on doive endosser ses +boutades, ses foucades, ses idées et qu'avec lui on doive renvoyer +Baudelaire à l'asile ou Homère aux Quinze-Vingts? Enfin, parce qu'en +maint endroit Barbey d'Aurevilly surcharge fâcheusement son style +d'arabesques et de clinquant, parce qu'il écrivit sur GÅ“the un +pamphlet superficiel, parce qu'en une de ses phrases il se rencontre +avec Sainte-Beuve, faut-il pour cela taire la rare clairvoyance de son +étude sur les _Fleurs du Mal_ et nier le contraste frappant avec le +critique des _Lundis_? Sincèrement je ne le pense pas. + +Sur le reste du débat, d'autre part, les faits et les documents que +j'ai cités me paraissent répondre; et sans fol orgueil, je crois que +l'interprétation que j'en ai donnée n'outrepassait ni la mesure ni la +vérité. + +Comme exemples, ne reprenons que les dates et les Å“uvres culminantes; +en 1861, la seconde édition des _Fleurs du Mal_,--en 1869, l'édition +des Å“uvres complètes. + +En 1861, l'autorité littéraire de Baudelaire ne souffre plus conteste. +Il apporte un recueil entièrement renouvelé, expurgé des pièces libres +qui pouvaient effaroucher la critique officielle, augmenté de pièces +inédites dont quelques-unes magistrales, comme _le Voyage_, ce joyau +de la poésie française. A ce moment, pas de poète, pas de critique qui +ne s'incline devant son talent. A ce moment, Leconte de Lisle, si +sévère pour lui-même, si dur pour autrui, lui consacre un article, où, +malgré la réserve des épithètes et ce quelque chose de tendu +qu'avaient toujours ses louanges, on voit Baudelaire placé au premier +rang, hors pair[31]. + +Si alors Sainte-Beuve résiste au mouvement, s'obstine dans son +mutisme, ce n'est nullement malveillance ni même absolue +incompréhension. C'est, comme le prouvent nos documents, qu'il tient +Baudelaire pour un _poeta minor_ ne méritant pas encore le _dignus +intrare_ dans la galerie des _Lundis_. + +Or, comment appeler d'un autre nom qu'incompétence une telle faute de +perspective, un tel manque de discernement et de sensibilité? + +En 1869, les circonstances seront différentes. + +D'abord, pour renseigner Sainte-Beuve sur l'importance réelle de «son +jeune ami», toute l'Å“uvre de Baudelaire est là [32]. + +Non seulement les _Fleurs du Mal_, mais encore ces poèmes en prose +auxquels, en passant il a décoché jadis un salut. + +Non seulement l'Å“uvre d'imagination, mais l'Å“uvre critique: les +salons de 1845, de 1846, de 1859, les études sur les caricaturistes, +les articles sur les grands littérateurs du temps, pages saisissantes +par la prescience et la hardiesse des aperçus, par l'esthétique +sereine et stable qui s'en dégage,--modèles accomplis de cette +critique intuitive où les poètes souvent excellent. + +Bref, dans ces quatre volumes, Baudelaire révélé: le reflet constant +d'un des génies les plus profonds, les plus variés, les plus originaux +qu'ait produits la littérature. + +A l'éclat d'une pareille Å“uvre, on a peine à croire que Sainte-Beuve +ne distingue pas son erreur. Fermerait-il même les yeux pour ne pas +la voir, que ses oreilles tinteraient de la rumeur d'éloges montant +autour du nom de Baudelaire. + +Quand je disais, en effet, que tout le monde littéraire attendait son +article d'ensemble sur Baudelaire, je n'avançais pas qu'une +conjecture. Lisez plutôt la préface de la bibliographie de Baudelaire +par La Fizelière et Decaux. Sainte-Beuve y est cité, encensé, mais +aussi mis en demeure. + +«Quant à l'appréciation de ses écrits, déclarent les auteurs (en un +style que pallie la bonne intention), quant à l'appréciation de ses +écrits, elle appartient de toute nécessité à quelque grand critique +habile comme M. Sainte-Beuve, par exemple, à faire courir le scalpel +de l'analyse sur la fibre délicate d'une organisation poétique qui, +chez Baudelaire, était prodigieusement exceptionnelle.» + +Et tout le long de la préface, l'appel direct à Sainte-Beuve se +poursuit, couvrant sous les fleurs une véritable sommation. + +On sait la fin de non-recevoir qu'y opposa le critique des _Lundis_. +Avertissements venus de l'Å“uvre, invites venues du monde des lettres, +rien n'eut raison de son silence. Ici l'erreur n'étant plus invocable, +on ne trouve plus guère d'explication que l'envie. + +Etonnante certes, à première vue, chez ce vieux maréchal, si au-dessus +de l'humble gradé Baudelaire. Mais on oublie que dans les lettres, +hélas! il est deux envies: celle qui vise vos égaux et celle que vous +inspirent vos subalternes, l'envie contre les gens de son bateau et +l'envie contre le bateau qui suit. Or, des deux, qui jurerait que la +seconde n'est pas fréquemment la plus douloureuse, la plus cuisante, +la plus implacable? Et qui prétendrait que, si sujet à la première, +Sainte-Beuve soit demeuré inaccessible à la seconde? + +Pourtant une chance de défense subsistait, puisée dans la santé débile +de Sainte-Beuve et la date de sa mort. + +Durant cette année 1869, nous sommes au fait des tourments que lui +infligea la maladie. Au mois d'août, ses souffrances s'aggravaient. En +septembre il donna son dernier article. Il mourut le mois suivant. + +En tenant compte de ces remarques, une hypothèse aussitôt se +présentait. Les quatre premiers tomes de l'édition complète de +Baudelaire étant datés de 1869, peut-être avaient-ils paru, sur la fin +de l'année, quand Sainte-Beuve touchait à ses suprêmes moments. Des +lors, comment reprocher à un agonisant le silence le plus pardonnable? + +Si pénible que fût une enquête de ce genre funèbre, j'ai voulu en +avoir le cÅ“ur net. J'ai consulté la Bibliographie de la France aux +années 1868 et 1869. Et voici le résultat: + +Dès la fin de 1868, nous le savons par ses écrits, Sainte-Beuve +connaît à fond les _Fleurs du Mal_ et les _Poèmes en prose_. Les +_Curiosités esthétiques_, renfermant les salons et critiques d'art, +paraissent en décembre 1868. L'_Art romantique_, contenant les études +de mÅ“urs et les critiques littéraires, paraît en février 1869. + +De fin février à septembre, Sainte-Beuve disposait donc de six grands +mois, de vingt-quatre _Lundis_, pour parler de Baudelaire. Durant ces +six mois, il continua à se taire. De ces vingt-quatre feuilletons pas +un seul ne fut accordé à Baudelaire. + +Il me semble que cette fois la cause est entendue. + +[Illustration: ornement fin de page] + + + + +APPENDICE + +LES SENTIMENTS DE BAUDELAIRE POUR SAINTE-BEUVE + + +Au cours de l'étude qui précède, on a pu constater l'inaltérable +attachement de Baudelaire pour Sainte-Beuve malgré les constantes +défections du critique à son égard. + +Il resterait à expliquer cette longanimité si contraire à ce que nous +révèlent de Baudelaire ses correspondances et ses papiers intimes. + +Sans s'y montrer positivement vindicatif, le poète ne cesse d'y +attester une extrême sensibilité aussi bien aux bons procédés qu'aux +mauvais. Éloges ou dénigrements, il note tout avec une perspicacité +toujours en éveil. Se défiant même de la mémoire, cette négligente, +qui oublie souvent en route les injures autant que les bienfaits, il +avait institué dans ses carnets une rubrique spéciale intitulée +_Vilaines canailles_, où il inscrivait les noms des personnes qui +l'avaient desservi ou simplement déçu. Or, par un traitement +privilégié, Sainte-Beuve ne figure sur aucune de ces listes +vengeresses. + +Bien mieux, en 1859, au moment où Babou manque de le brouiller avec le +critique, dans la lettre affolée qu'il écrit à Poulet-Malassis, +Baudelaire déclare: «Ce qu'il y avait dangereux là dedans, c'est que +Babou avait l'air de me défendre contre quelqu'un qui m'a rendu _une +foule de services_.» + +Lesquels? On reste rêveur. On cherche et voici ce qu'on trouve jusqu'à +cette date: trois refus d'articles sur Poe, une lettre privée sur les +_Fleurs du Mal_, des conseils privés lors du procès. Secours bien +minces. On cherche encore: on découvre deux lettres de Sainte-Beuve, +l'une en date du 3 octobre 1852 mentionnant la recommandation d'un +manuscrit à Véron, une autre lettre en date du 20 mars 1854 où +Sainte-Beuve se récuse au sujet d'une demande d'appui au _Moniteur_. +Et c'est tout. + +Qu'un poétereau, à visées médiocres et doutant de soi, se fût abusé +sur l'importance de ces menus services, l'illusion semblerait +plausible. Mais chez Baudelaire, elle déconcerte. + +Dans ses lettres, dans ses carnets, le trait dominant, permanent, +c'est l'orgueil. + +Non pas la petite vanité de l'homme de lettres qui puise toute sa +force dans les louanges d'autrui, les publicités bruyantes, les succès +immédiats--et s'effondre aussitôt que ces adjuvants cessent. Mais une +foi intérieure et indéfectible en sa valeur personnelle, en son +génie, en son Å“uvre, une prescience presque miraculeuse du rang où +celle-ci atteindra. Dès 1847, quand il annonce les _Fleurs du Mal_ +sous son titre primitif _Les Lesbiennes_, le format que Baudelaire +leur assigne d'autorité, c'est l'in-quarto--c'est-à -dire le format +réservé aux grands chefs-d'Å“uvre consacrés[B]. En 1860, un an après +l'incident Babou, il écrit à sa mère: «Plus je deviens malheureux, +plus mon orgueil augmente.» Et dans une autre lettre: «Comme j'ai un +genre d'esprit impopulaire, je gagnerai peu d'argent, _mais je +laisserai une grande célébrité, je le sais_.» Et partout de même +répétée, ressassée la certitude de la durée, de l'immortalité des +_Fleurs du Mal_. + + [B] Edition originale de _Chien Caillou_ de Champfleury, Martinon + 1847. Sur le 2e plat de la couverture: A PARAITRE INCESSAMMENT: + Pierre de FAYIS, _Les Lesbiennes_, poèmes, un volume grand in-4. + +Comment supposer alors que Baudelaire n'aperçoive pas la disproportion +entre le sentiment qu'il a de sa grandeur et la taille que lui +attribue Sainte-Beuve? Comment comprendre qu'il tremble à l'idée d'une +brouille avec un protecteur si tiède et qu'il exagère, avec un si +manifeste parti pris, une serviabilité si parcimonieuse? + +Énigme qui n'est insoluble qu'à première vue et qui s'éclaire quand on +analyse un à un les éléments de cet attachement étrange. + +Sans parler de la première emprise de jeunesse, des premiers élans +d'admiration qui durent s'atténuer secrètement lorsque Baudelaire prit +pleine possession de son talent, il est évident que, dans cet +attachement, l'intérêt eut une part. + +Non que dans ses relations avec Sainte-Beuve, Baudelaire poursuivît un +avantage personnel. Vraisemblablement, quoique sans grande confiance, +il espérait, il ne désespérait pas qu'un jour, peut-être, à la longue, +son tour de _Lundi_ viendrait. Mais au peu que Sainte-Beuve lui avait +accordé, à ces éloges retenus, et par raccroc, que le critique lui +dispensait dans un coin d'article, Baudelaire était trop fin pour ne +pas discerner que ce jour était encore bien lointain, bien incertain, +si encore il devait jamais luire. Au surplus, son orgueil lui +permettait d'attendre et lui défendait de demander plus. Une seule +fois il fléchit, c'était en 1860, lorsque parurent les _Paradis +artificiels_. Baudelaire alors nettement sollicita de Sainte-Beuve un +article. Mais par les lettres récemment publiées dans la _Revue de +Paris_, nous connaissons les dessous de cette défaillance. «J'ai plus +que jamais besoin d'être soutenu, écrivait-il à Sainte-Beuve et je +devais vous rendre compte de mon _embarras_.» _Embarras_ signifiait le +dernier degré de la détresse, misères physiques, misère pécuniaire, un +homme à la dérive. Cette sollicitation dictée par l'angoisse resta, on +le sait, sans résultat. Ce fut la première et la dernière. + +Par contre, si peu quémandeur pour lui-même, nous avons vu que, en +faveur de Poe, Baudelaire n'hésitait pas à harceler Sainte-Beuve. De +1856 à 1865, pas une année sans que Baudelaire ne revienne à la +charge, ne caresse et ne relance le critique pour lui arracher +l'article sur Poe. C'est chez lui le même acharnement qu'à demander de +l'argent à sa mère pour Jeanne Duval. Avec la Muse noire, Poe avait +fini par devenir sa grande charge, son grand devoir. Pour lui gagner +Sainte-Beuve, il eût tout pardonné, il pardonnait tout au critique. +Poe fut sûrement dans leur attachement un des liens les plus solides. + +Mais en dehors de ces calculs--bien désintéressés--ce qui semble avoir +le plus retenu Baudelaire à Sainte-Beuve, malgré déboires et +déceptions, c'est Sainte-Beuve lui-même, sa fréquentation, sa société. + +Si orgueilleux que fût Baudelaire, visiblement il avait été flatté par +l'accueil affable de cet écrivain fameux, son aîné presque de vingt +ans, maître de toutes les renommées littéraires de l'heure, et dont la +porte ne s'ouvrait qu'à des pairs ou à des intimes. + +«Un homme qui, malgré ma jeunesse relative, m'a toujours pris pour son +égal!» écrivait-il fièrement à sa mère en 1865. Traitement peu commun +de la part de Sainte-Beuve, si réservé, si en méfiance contre les +intrus et les fâcheux. + +Et effectivement, faute de services, il ressort de leur correspondance +que Sainte-Beuve ne ménageait à Baudelaire ni une paternelle +considération ni de délicats égards ni même des avis et des +réconforts d'autant plus précieux qu'ils venaient de plus haut. + +«Est-il permis de venir se réchauffer et se fortifier à votre contact? +lui écrivait Baudelaire en 1865 (un mois après lui avoir adressée +vainement _Gordon Pym_). Vous savez ce que je pense des hommes +atonifiants et des hommes tonifiants. J'ai besoin de vous comme d'une +douche.» + +On se demande, du reste, dans quelle société Baudelaire si réfléchi, +si épris de belles lettres, eût trouvé l'équivalent en agrément et en +qualité de ce que lui offrait celle de Sainte-Beuve. Banville bien +superficiel et funambulesque, Gautier pliant sous le feuilleton et, en +ses propos, plus rapin que penseur, Leconte de Lisle absorbé dans ses +transcriptions de l'antique, Poulet-Malassis bon lettré mais tout à +ses échéances, Asselineau aimable polygraphe mais sans profondeur, +Théophile Silvestre écrivain de haute marque mais toujours au dehors +pour des inspections d'art, Flaubert à Croisset, Barbey d'Aurevilly, +le tempérament le plus proche du sien, mais accaparé par le roman, le +journalisme, les salons,--à la vérité, comme tous les esprits +supérieurs, Baudelaire se trouvait très isolé dans son époque[C]. A +défaut de Renan qu'il ne connaissait pas et qui d'ailleurs se +désintéressait ouvertement des auteurs du jour, on conçoit que, pour +un poète de cette envergure et de cette culture, la familiarité, même +inefficace, de Sainte-Beuve ait été la planche de salut, le +_præsidium_ rêvé. Et l'on s'explique que pour le garder Baudelaire ait +avalé tant de couleuvres. + + [C] Au moment où se corrigent les épreuves de cette étude, la + _Revue de Paris_, du 15 octobre 1917 publie une lettre de + Baudelaire qui apporte aux remarques ci-dessus la confirmation du + poète lui-même: «Excepté d'Aurevilly, Flaubert, Sainte-Beuve, je + ne peux m'entendre avec personne. Th. Gautier seul peut me + comprendre, quand je parle peinture.» (11 août 1862). + +Cependant, à la digestion, ne lui laissèrent-elles pas quelques +aigreurs? La négative serait aventurée. + +Ouvrons en effet les _Fleurs du Mal_ (première ou seconde ou troisième +édition) et relevons les noms des dédicataires. L'ensemble du volume +est dédié à Gautier, trois pièces sont dédiées à Victor Hugo, deux au +sculpteur Christophe, une autre à Banville, une autre à Constantin +Guys, une autre à Maxime du Camp. + +Mais à Sainte-Beuve pas une seule, malgré les témoignages d'admiration +que prodiguait Baudelaire, dans ses lettres, au poète de _Joseph +Delorme_. + +Consultons la _Revue Fantaisiste_ où parurent de Baudelaire les +_Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains_. Ces _Réflexions_ +ont pour sujets Banville, Barbier, Desbordes-Valmore, Pierre Dupont, +Flaubert, Gautier, Victor Hugo, Leconte de Lisle, Le Vavasseur, Paul +de Molènes, Pétrus Borel. Mais de Sainte-Beuve pas trace. + +Compulsons le recueil des _Poètes Français_ de Crépet où l'anthologie +de chaque poète s'orne d'une étude sur son Å“uvre. Baudelaire a signé +plusieurs de ces notices. Sainte-Beuve y a, bien entendu, la sienne. +Mais elle n'est pas signée: Baudelaire. Elle est signée: Babou. + +Feuilletons enfin les Å“uvres complètes de Baudelaire, fouillons, +scrutons ligne à ligne. Dans les sept volumes, nulle part le nom de +Sainte-Beuve n'est cité. + +Omissions trop répétées pour qu'on les croie dues au hasard. + +Il est plus probable qu'elles furent voulues et que, par ce mutisme +obstiné, Baudelaire entendit rendre à Sainte-Beuve ce qu'on appelle +«la pareille». + +Ici s'accuse nettement la différence de procédés entre les écrivains +de haute classe et les subalternes. + +Négligé par Sainte-Beuve, un Babou s'exaspère, accuse, invective. + +Un Baudelaire, au contraire s'en tiendra au silence, cette légitime +représaille de l'artiste contre ceux qui se taisent sur lui. + +[Illustration: ornement fin de page] + + + + +NOTES + + + [1] «Le second ami était et est encore gros, paresseux et + lymphatique; de plus il n'a pas d'idées et ne sait qu'enfiler et + perler des mots en manière de colliers d'Osages» (Article de + Baudelaire dans l'_Echo des Théâtres_ du 23 août 1846. _OEuvres + posthumes_, Mercure de France, 1908, p. 293). + + [2] La prédiction de Gautier sur Baudelaire est trop longue pour + être citée en entier. Elle se termine ainsi: «Le Baudelaire fera + long feu comme le Pétrus.» (M. DU CAMP, _Souvenirs littéraires_, + t. II, p. 83 et 84). + + A joindre cette autre opinion de Gautier sur _le_ Baudelaire: + «Théophile Gautier qui, dans l'intimité, a un vif sentiment + critique, me disait en 1848:--Baudelaire est un beau vase qui a + une _fissure_» (CHAMPFLEURY, _Souvenirs_, p. 145). + + Il est à remarquer cependant que, dès 1845, la presque totalité + des _Fleurs du Mal_ était connue du monde lettré par les + récitations qu'en faisait Baudelaire. + + [3] _OEuvres posthumes_, Mercure de France, 1908, p. 54. + + [4] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 492, 15 janvier 1866. + + [5] En 1856, dans la _Préface_ de sa traduction des _Histoires + extraordinaires_, à propos d'un biographe de Poe, qui s'était + permis, par une inconvenance étrange, de publier en tête des + Å“uvres de l'écrivain un éreintement en règle de sa vie et de ses + ouvrages, Baudelaire écrivait ces lignes indignées et mémorables: + «Il n'existe donc pas en Amérique d'ordonnance qui interdise aux + chiens l'entrée des cimetières» (_Histoires extraordinaires_, + 1856, p. XX). + + [6] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 190, 19 mars 1856. + + [7] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 210, 24 mars 1856. + + [8] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 104, 9 mars 1857. J'ai omis de + noter la réponse de Sainte-Beuve (_Correspondance_, t. I, p. 222, + 11 mars 1857). Sainte-Beuve préfère qu'Edouard Thierry, rédacteur + au _Moniteur_, parle d'abord de l'ouvrage. Quant à lui, il + ajourne à une date vague, sous prétexte qu'il n'a pas encore «sa + petite idée» sur Poe--malgré la publication de deux volumes + contenant les plus célèbres chefs-d'Å“uvre du conteur. Cette + seconde promesse d'article n'eut pas, d'ailleurs, plus de suites + que la première. + + [9] _Revue des Deux Mondes_, 1er juin 1855. + + [10] _Nouveaux Lundis_, t. I, p. 400, et SAINTE-BEUVE, + _Correspondance_, t. I, p. 219. + + [11] BAUDELAIRE, _OEuvres posthumes_, Quantin, 1887 (éd. Crépet), + p. 285. + + [12] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 163, 14 juin 1858. «... Il y a des + jours où les injures de tous les sots vous montent au cerveau et + alors on implore son vieil ami Sainte-Beuve.» Le vieil ami + Sainte-Beuve n'avait sans doute pas encore assez mûri «sa petite + idée» sur Poe, car il persista dans le silence. + + [13] Cet article, intitulé l'_Amitié littéraire_, avait paru dans + la _Revue Française_. Il reparut dans un volume de Babou, + intitulé _Lettres satiriques et critiques_, Poulet-Malassis, + 1860. Le passage visant Sainte-Beuve se terminait par la phrase + suivante: «Il glorifiera _Fanny_, l'honnête homme! et gardera le + silence sur les _Fleurs du Mal_.» Toutefois, l'éditeur, sans + doute sur la prière de Baudelaire, ayant supprimé la phrase, + Babou la rétablit dans un _Post-scriptum_ avec sommation à + Poulet-Malassis de l'insérer. + + [14] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 184, 21 février 1859. + + A consulter également une lettre à Asselineau sur le même sujet + (p. 185) du 24 février 1859. + + [15] SAINTE-BEUVE, _Nouvelle Correspondance_, p. 153, 23 février + 1859. A consulter aussi une lettre de Sainte-Beuve à + Poulet-Malassis (p. 142), même date, même sujet. Sainte-Beuve + demande à Poulet-Malassis de lui confier la fameuse lettre qu'il + avait adressée à Baudelaire sur les _Fleurs du Mal_ et qui, de + 1857 à 1870, constitue sa grande pièce de défense, sa grande + parade contre les accusations d'indifférence envers Baudelaire. + + [16] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 187. + + [17] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 269. + + [18] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 255, 3 juillet + 1860. + + [19] _Causeries des Lundis_, t. XV, p. 350. _Lettre au + directeur-gérant du Moniteur._ Il est à signaler qu'une fois de + plus, Sainte-Beuve justifie son silence en invoquant un article + consacré à Baudelaire dans le _Moniteur_ par Edouard Thierry. En + 1858 il dit à Baudelaire: «Thierry parlera de vous.» En 1860: + «Thierry a parlé de vous.» Ingénieuse combinaison qui instituait + Thierry définitivement comme délégué aux affaires baudelairiennes + et fournissait aux temporisations de Sainte-Beuve tantôt une + prétexte, tantôt une excuse. + + Il est en outre à noter que l'incident Babou-Sainte-Beuve se + termina au mieux. En 1862, en tête des poésies de Sainte-Beuve + publiées dans les _Poètes Français_ de Crépet, parut une notice + sur Sainte-Beuve, signée Hippolyte Babou et où l'encensoir n'était + pas balancé de main morte (_Poètes Français_, t. IV, p. 357). Sur + quoi, Sainte-Beuve, ne voulant pas demeurer en reste de politesse, + accorda aux notices publiées par Babou dans ce recueil un + paragraphe plus qu'obligeant (_Nouveaux Lundis_, t. III, p. 341). + + Dans cette affaire il n'y eut donc qu'une victime: Baudelaire. + + [20] Ce bel article parut d'abord dans les _Articles + justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des Fleurs du Mal_ + (1857), imprimerie Dondey Dupré, p. 9. Il fut réédité dans _Les + OEuvres et les Hommes_, 1862, t. III. + + [21] Extrait de la notice de Banville, un des morceaux les plus + complets et les plus profonds qu'on ait publiés sur l'OEuvre de + Baudelaire. Banville, d'habitude si menu, si gracile, si + papillonnant, y atteint, en maint endroit, à la force. Cette + notice parut d'abord dans l'_Album de la Galerie contemporaine_, + in-4, Baschet (vers 1877). Elle a été reproduite, en partie + seulement, dans la récente édition des _Fleurs du Mal_, publiée + par la librairie Fasquelle (1912). + + [22] _Nouveaux Lundis_, t. I, p. 400 et 401. + + [22 _bis_] Ce nom, ces mots n'étaient pas mis là sans intention. + Dans un article récent du _Mercure de France_, M. Ernest Raynaud + nous a révélé l'espèce de pacte d'échange qui s'était conclu à ce + moment entre Sainte-Beuve et Gautier: Sainte-Beuve promettant un + fauteuil d'académicien à Gautier contre un siège de sénateur que + celui-ci lui assurerait. On devine le trouble qu'apportait dans + ces _combinaziones_ l'irruption ingénue de Baudelaire. + Sainte-Beuve, il faut le reconnaître, se tira fort habilement de + ce mauvais pas. Désigner Gautier comme le maître de Baudelaire, + c'était du même coup amorcer sa candidature et ruiner celle de + son jeune concurrent. Protester contre l'indifférence de + l'Académie envers les poètes du jour, c'était poser des jalons + pour une compensation prochaine en faveur de Gautier. Dès lors, + l'échec de Baudelaire, soit par voie de scrutin, soit par voie de + désistement, ne faisant pas de doute, on se trouvait en + excellente posture pour pousser Gautier au premier fauteuil + vacant. A tous égards, ce fut du plus joli travail académique et + où il semble bien que Baudelaire n'ait vu que du feu. + + [23] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 325. + + [24] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 285, 15 février + 1862. + + [25] Cependant Baudelaire avait envoyé les _Histoires sérieuses + et grotesques_ à Sainte-Beuve et spécialement attiré son + attention sur ce livre, sans obtenir même un accusé de réception + (_Lettres_, p. 426, 15 mars 1865 et p. 427, 30 mars 1865). + + [26] A titre de curiosité, j'ai relevé les noms des poètes + contemporains auxquels Sainte-Beuve avait consacré des articles + entre 1857 et 1867, date de la mort de Baudelaire. + + 1857.--_Théodore de Banville_, _Alfred de Musset_. + + 1860.--_Mme Desbordes-Valmore_ (OEuvres posthumes). + + 1861.--_Victor de Laprade._ + + 1862.--_Calemard de Lafayette._ + + Même année, étude sur les _Poètes français_ de Crépet qui fournit + prétexte à des études sur _Soulary_, de _Belloy_, _Coran_--sans un + mot sur Baudelaire, quoique celui-ci figurât dans le recueil. + + 1863.--_P. Lebrun_, _Théophile Gautier_. + + 1864.--_Alfred de Vigny._ + + 1865.--_Charles Monselet._ Même année, un article sur la _Poésie + française en 1865_. + + Sainte-Beuve s'y plaint du manque d'originalité des poètes + nouveaux. «Je me dis: ceci est du Musset!» ou bien: «Ceci rappelle + Victor Hugo» ou «Ceci est du Gautier, du Banville, du Leconte de + Lisle--ou _même_ du Baudelaire». Toujours les réserves tendant à + réduire l'importance de Baudelaire. Ce _même_ était bien du même + au même. + + Mais voici plus significatif encore. En 1862 Sainte-Beuve se + chargea de préfacer les _Poètes français_ de Crépet. Il rédigea, à + cet effet, une introduction formant histoire de la poésie + française. Arrivé au XIXe siècle il en conte les débuts--mais, en + 1862, quelle déchéance! Il se lamente sur cette décrépitude, + appelle à grands cris une Poétique nouvelle. «Et ce qui vaudrait + mieux, ajoute-t-il, ce serait un exemple nouveau et vivant. La + Nature seule peut créer le génie. A celui qui _doit venir_ et _en + qui nous avons espérance_, nous dirions....» Suit une prosopopée + assez fade qui se termine ainsi: «Vous n'avez qu'à puiser au gré + de vos inspirations, suivant votre habileté et votre audace;... + vous fondrez tout à la flamme de votre génie; vous remettrez + chaque chose à son point dans la trame du bel art, _ô grand poète + qui naîtrez_!» + + Invocation sincère mais plutôt oiseuse, puisque ce grand poète, à + l'insu de Sainte-Beuve, était né depuis cinq ans déjà . + + [27] BAUDELAIRE, _Lettres_, 1865, _passim_, p. 489 à 496. + + L'appui de Sainte-Beuve semble s'être borné à certifier à + l'éditeur Garnier la valeur littéraire de Baudelaire. + + Dans une des lettres de Baudelaire à sa mère, publiées par la + _Revue de Paris_ (20 juillet 1865), le poète exprime assez + exactement la nature de l'aide que lui prêta le critique des + _Lundis_ en vue de ce traité avec Garnier, qui, au surplus, ne + devait pas aboutir: «Sainte-Beuve, que j'ai vu à mon passage à + Paris, m'a dit qu'il se mêlerait un peu de la question.» + + [28] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. II, p. 209. Il est, dans + cette lettre, à retenir deux points: 1º Sainte-Beuve ne formule + aucune promesse d'article; 2º Sa lettre est datée du 12 + septembre, c'est-à -dire qu'elle ne fut écrite que douze jours + après la mort de Baudelaire. + + [29] A. DE LA FIZELIÈRE et GEORGES DECAUX, _Essais de + bibliographie contemporaine, Charles Baudelaire_, librairie de + l'Académie des Bibliophiles, 1868. + + [30] _Causeries du Lundi_, t. XV, p. 527. + + [31] _Revue Européenne_, 1861. Réédité à la suite des _Derniers + Poèmes_, 1895. + + [32] Il s'est produit ici une grave lacune dans le nomenclature + des symptômes qui, à défaut de perspicacité, eussent dû avertir + Sainte-Beuve de la place prise par Baudelaire dans la poésie + française. + + J'avais en effet oublié de mentionner parmi ces symptômes la + notice de Théophile Gautier, insérée en tête de l'édition + définitive des _OEuvres complètes_ (1868). + + Si défectueuse et restrictive que soit encore cette notice qui + persiste à maintenir Baudelaire dans le cercle des poètes + artificiels et subtils, le fait qu'un écrivain illustre comme + Théophile Gautier, grand potentat du feuilleton, un des maîtres de + la célèbre phalange romantique, eût assumé la charge de présenter + Baudelaire au public et lui eût accordé l'honneur de + soixante-quinze pages en texte serré, ne pouvait manquer d'attirer + l'attention de Sainte-Beuve. + + Il y avait là mieux qu'un acte de complaisance posthume, une + véritable consécration. + + Il paraît peu probable que l'importance de cette manifestation ait + échappé à un esprit aussi avisé que Sainte-Beuve. + + Mais il n'est pas impossible, par contre, qu'elle ait contribué, + par choc en retour, à l'ancrer plus dans son silence. + +[Illustration: ornement fin de page] + + + + +[Illustration: logo] + + +CHARTRES.--IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT. + + + + + +End of Project Gutenberg's Baudelaire et Sainte-Beuve, by Fernand Vandérem + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44807 *** diff --git a/44807-h/44807-h.htm b/44807-h/44807-h.htm new file mode 100644 index 0000000..008d746 --- /dev/null +++ b/44807-h/44807-h.htm @@ -0,0 +1,1462 @@ + <!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" + "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> + <html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" lang="fr" xml:lang="fr"> + <head> + <meta http-equiv="Content-Type" + content="text/html;charset=UTF-8" /> + <meta http-equiv="Content-Style-Type" content="text/css" /> + <title> + The Project Gutenberg's eBook of Baudelaire et Sainte-Beuve, by Fernand Vandérem</title> + <link rel="coverpage" href="images/cover.jpg" /> + <style type="text/css"> + + h1,h2 {text-align: center; 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border: 2px solid black;" src="images/illustration_005.jpg" width="400" height="113" alt="" /> +</div> + +<p class="p4 drop-cap"><span class="smcap">Cette</span> étude, publiée d'abord dans le <cite>Temps Présent</cite>, +a paru en 1914 sous forme d'une brochure à +tirage restreint et depuis longtemps épuisé.</p> + +<p>Il m'a semblé que le cinquantenaire de Baudelaire +pouvait prêter quelque intérêt à une réédition.</p> + +<p>Je n'ai rien changé au texte primitif, que j'ai +seulement complété par des notes indiquant les +sources des textes invoqués et quelques particularités +nouvelles.</p> + +<p>J'y ai joint en outre un appendice où j'ai tenté de +<span class="pagenum"><a id="Page_6"> 6</a></span> +mieux élucider les sentiments de Baudelaire pour +Sainte-Beuve.</p> + +<p>On aura ainsi, avec toutes références utiles, un +résumé des relations entre le grand poëte et l'illustre +critique.</p> + +<div class="p2 figcenter"> +<img src="images/illustration_006.jpg" width="120" height="83" alt="" title="" /> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_7"> 7</a></span></p> + +<div class="header"> +<h2>BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE</h2> +<p class="topspace xlarge center">I</p> +</div> + +<p class="drop-cap"><span class="smcap">Les</span> relations de Baudelaire et de Sainte-Beuve prêteraient +à un curieux chapitre d'histoire littéraire, +dont j'offre ici un aperçu.</p> + +<p>Les sentiments de Baudelaire envers certains de ses +contemporains, comme les sentiments qu'il leur inspirait, +présentent parfois des contradictions. Ainsi, +extérieurement, qui douterait de son culte pour Gautier +et de l'estime où Gautier le tenait? Cependant +on a retrouvé un article de Baudelaire où il traitait +Gautier en poète verbal, en enfileur de phrases<a name="FNanchor_1" id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor"> [1]</a>, et, +d'autre part, Maxime du Camp nous conte que, dans +l'intimité, Gautier prédisait à Baudelaire la faillite +finale d'un Pétrus Borel<a name="FNanchor_2" id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor"> [2]</a>.</p> + +<p>Entre Baudelaire et Sainte-Beuve, pas trace de ces +fluctuations. De son extrême jeunesse à sa mort, +Baudelaire ne cessa de ressentir et de marquer pour +Sainte-Beuve son admiration. C'est à Sainte-Beuve +<span class="pagenum"><a id="Page_8"> 8</a></span> +qu'en 1844 il adresse respectueusement une de ses +premières poésies de collège<a name="FNanchor_3" id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor"> [3]</a>. Et en 1866, à quelques +mois de la paralysie générale, une de ses dernières +lettres ne sera qu'un long panégyrique des poésies de +Sainte-Beuve<a name="FNanchor_4" id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor"> [4]</a>.</p> + +<p>Les <cite>Consolations</cite>, <cite>Joseph Delorme</cite>, les <cite>Pensées d'Août</cite>, +partout il trouve à louer et à s'enflammer. Notamment +les <cite>Rayons Jaunes</cite> (ce poème parti d'une impression +heureuse, mais développé d'une façon si +méthodique et si dénuée d'ingénuité) lui semblaient +un chef-d'œuvre dont il ne se lassait pas de redire +les beautés. Baudelaire a subi là une emprise de jeunesse +dont il ne devait plus se défaire.</p> + +<p>On s'étonnera chez lui d'une admiration si constante +pour un poète qui lui était si sensiblement inférieur, +tant par l'inspiration et par la forme que par +l'originalité. Et on pourrait être tenté d'y voir, sinon +une flagornerie envers le critique tout-puissant, du +moins la gratitude d'un obligé. Mais les faits s'opposent +à cette hypothèse. Car Sainte-Beuve ne fit jamais +rien pour Baudelaire, ou ce qu'il fit en sa faveur se +réduit à l'impondérable.</p> + +<p>Feuilletez d'ailleurs cet immense Larousse que +constitue l'œuvre critique de Sainte-Beuve. Alors que +tant de poètes subalternes, tant d'écrivains quelconques +y bénéficient de longs articles, vous n'y découvrez +pas un seul Lundi consacré à Baudelaire. Puis +contrôlez par la correspondance des deux écrivains et +<span class="pagenum"><a id="Page_9"> 9</a></span> +vous aurez vite établi le relevé de ce que Sainte-Beuve +accorda à son jeune ami, à celui qu'il appelait paternellement +«son cher enfant».</p> + +<p>1856.—Baudelaire publie sa première traduction de +Poe: <cite>Histoires extraordinaires</cite>. Lui qui ne sollicitait +jamais pour son compte n'hésita en aucun cas à quémander +pour Poe. Il s'était institué le barnum, l'impresario +de Poe, le cultivateur acharné de sa gloire +en France. Le silence sur Poe, la moindre critique +contre son œuvre, meurtrissait Baudelaire au plus +vif<a name="FNanchor_5" id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor"> [5]</a>. Pour une insignifiante réserve sur le conteur +américain, il faillit se brouiller avec d'Aurevilly.</p> + +<p>En 1856 donc, il écrit à Sainte-Beuve pour lui +recommander le volume<a name="FNanchor_6" id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor"> [6]</a>. Nous avons la réponse de +Sainte-Beuve. Il promet ferme un article. En bas, +une note naïve de l'éditeur ajoute: «Cet article n'a +jamais été fait.» Et d'un!<a name="FNanchor_7" id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor"> [7]</a></p> + +<p>1857.—Les <cite>Nouvelles histoires extraordinaires</cite>. Nouvelle +lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve<a name="FNanchor_8" id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor"> [8]</a>. Même +silence de Sainte-Beuve. Et de deux!</p> + +<p><cite>Les Fleurs du Mal.</cite> Sainte-Beuve en connaît, avoue +en connaître plusieurs morceaux. Entre autres, il doit +avoir lu les vingt pièces publiées dès 1855, dans la +<cite>Revue des Deux Mondes</cite><a name="FNanchor_9" id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor"> [9]</a>. Voici l'ouvrage complet. +Occasion unique de lancer un jeune poète qui se +détache avec éclat de la cohue courante, se donne et +est reçu par Sainte-Beuve comme un disciple. Le critique +s'en tient pourtant à une longue lettre embarrassée, +<span class="pagenum"><a id="Page_10"> 10</a></span> +où ne sont pas oubliées les <cite>Pensées de Joseph +Delorme</cite> ni les <cite>Consolations</cite> et où les éloges sans chaleur +se mâtinent de gronderies vieillottes. Quant à un article, +néant. Et de trois!</p> + +<p>Mais arrive le procès: Baudelaire en danger. Concédons +que, critique officiel, Sainte-Beuve se trouve +en délicate posture pour intervenir. Au moins pourrait-il +autoriser Baudelaire à publier sa lettre dans le +recueil d'articles adressé aux juges. Pas question. Tout +juste s'il donnera quelques extraits de cette lettre +trois ans plus tard, en 1860<a name="FNanchor_10" id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor"> [10]</a>. Et il ne la publiera +complète que neuf après, le poète mort, en 1869, dans +un furtif appendice des <cite>Lundis</cite>.</p> + +<p>Il est vrai que, sous main, il glisse à Baudelaire +des: «Petits moyens de défense.» Effectivement bien +petits. «Tout était pris dans le domaine de la poésie. +Lamartine avait pris <em>les cieux</em>. Victor Hugo avait pris +<em>la terre</em>(?) et plus que <em>la terre</em>(??). Laprade avait pris +<em>les forêts</em>. Musset avait pris <em>la passion</em> et <em>l'orgie éblouissante</em> +(sic). Théophile Gautier avait pris l'Espagne (!). +Ce que Baudelaire a pris. Il y a été comme forcé<a name="FNanchor_11" id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor"> [11]</a>.»</p> + +<p>Et cela finissait par un coup de dent à Musset, dont +la vogue torturait Sainte-Beuve—Musset dont il conseillait +de souligner les côtés obscènes et pornographiques. +Ainsi nuls risques et tout profit.</p> + +<p>Baudelaire n'en garda pas moins de ces conseils une +éternelle reconnaissance.</p> + +<p>1858.—<cite>Gordon Pym.</cite> Nouvelle lettre de Baudelaire +<span class="pagenum"><a id="Page_11"> 11</a></span> +à Sainte-Beuve en faveur de Poe<a name="FNanchor_12" id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor"> [12]</a>. Pas d'article. Et +de quatre!</p> + +<p>1859.—Un petit scandale. Hippolyte Babou moins +patient que Baudelaire a dénoncé dans un article le +silence obstiné de Sainte-Beuve sur l'auteur des <cite>Fleurs +du Mal</cite>, et flétri nettement les réticences cauteleuses +du grand critique qui ne se répand en copie que sur +les ouvrages de second ordre<a name="FNanchor_13" id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor"> [13]</a>.</p> + +<p>Affolement de Baudelaire à l'idée d'être rendu responsable, +quoique innocent. Lettre à Sainte-Beuve +pour se disculper<a name="FNanchor_14" id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor"> [14]</a>. Réponse indignée de Sainte-Beuve, +furieux de se voir dévoilé<a name="FNanchor_15" id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor"> [15]</a>.</p> + +<p>«Vous ne pouvez vous faire une idée de ce que c'est +que la lettre de Sainte-Beuve, écrit Baudelaire à Malassis. +Il paraît que, depuis douze ans, il notait tous les +signes de malveillance de Babou. <em>Décidément, voilà un +vieillard passionné avec qui il ne fait pas bon se brouiller...<a name="FNanchor_16" id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor"> [16]</a>.</em>»</p> + +<p>Vraisemblablement Sainte-Beuve tint toujours rancune +à Baudelaire de cet incident. Du moins, pour se +taire, le ressentiment lui fournissait là une espèce +d'excuse.</p> + +<p>La même année, Baudelaire publiait son étude sur +<em>Théophile Gautier</em>. Il va de soi que, selon l'usage, Sainte-Beuve +n'en souffla pas mot. Et de cinq!</p> + +<p>1860.—<cite>Les Paradis artificiels.</cite> Lettre de Baudelaire +à Sainte-Beuve indiquant discrètement que M. Dalloz, +directeur du journal où opère le critique, lui a dit: +<span class="pagenum"><a id="Page_12"> 12</a></span> +«Le livre est digne de Sainte-Beuve. Faites une visite +à Sainte-Beuve à ce sujet.» Baudelaire ajoute: «Je +n'aurais osé y penser. Cependant j'ai plus que jamais +besoin d'être soutenu.» Le post-scriptum fait allusion +à un morceau de pain d'épice qu'en passant il avait +porté à Sainte-Beuve, fort gourmet<a name="FNanchor_17" id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor"> [17]</a>. Nous avons la +réponse de Sainte-Beuve. Evasive, ajournant l'article, +alléguant des arriérés, ne promettant rien. Par contre +il daigne remercier du pain d'épice. Et de six!<a name="FNanchor_18" id="FNanchor_18" href="#Footnote_18" class="fnanchor"> [18]</a></p> + +<p>A la vérité, il se croyait largement quitte envers +Baudelaire. Car, piqué quand même par l'article de +Babou, comprenant la nécessité de rompre le silence, +il s'était enfin décidé à nommer Baudelaire dans une +<cite>Causerie du Lundi</cite>, en date du 20 février<a name="FNanchor_19" id="FNanchor_19" href="#Footnote_19" class="fnanchor"> [19]</a>. Il +y revenait sur l'article de Babou, accusait son accusateur +d'envie, et finalement, comme un chien qu'on +fouette, arrivait à Baudelaire. Oh! sans se fouler, sans +se donner grand mal, recopiant simplement entre guillemets +des fragments de la lettre qu'il lui avait adressée +en 1857. On trouvera cette lettre à la suite des +<cite>Fleurs du Mal</cite> dans l'édition définitive. On la rapprochera +de l'article que, dans le même temps, Barbey +d'Aurevilly consacrait au livre<a name="FNanchor_20" id="FNanchor_20" href="#Footnote_20" class="fnanchor"> [20]</a>. Et on pourra mesurer +toute la distance artistique qui sépare un Sainte-Beuve +d'un Baudelaire, un Sainte-Beuve d'un d'Aurevilly.</p> + +<p>Pour Sainte-Beuve, Baudelaire est «un esprit fin», +un talent «habile et curieux». Mais «Baudelaire se +<span class="pagenum"><a id="Page_13"> 13</a></span> +défie trop de la passion(?), de la passion naturelle(?)». +Il «accorde trop à l'esprit, à la combinaison». +«Laissez-vous faire, conseille Sainte-Beuve, ne craignez +pas tant de sentir comme les autres, n'ayez jamais +peur d'être trop commun.» Toutefois, il convient +aimer quelques pièces dont certaines lui semblent +dignes de l'Anthologie. Enfin «il tient compte surtout +à Baudelaire» (comme à Bouilhet et à Soulary) +«de ce qu'ils viennent tard, quand l'école dont ils +sont a déjà tant donné et tant produit, quand elle est +comme épuisée... Ils soutiennent avec honneur, ils +décorent le déclin et le coucher de la Pléïade».</p> + +<p>On possède ici, presque au complet, le sentiment de +Sainte-Beuve sur Baudelaire, la cote qu'il lui attribue: +un petit poète de troisième ou quatrième ligne, un de +ces humbles glaneurs à la suite, qui viennent quand +les maîtres ont fauché le meilleur du champ, esprits +fins, bizarres, distingués, mais qui ne peuvent ramasser +que les épis de surcroît, les déchets de grande moisson, +ce qui reste...</p> + +<p>Rappelez-vous plus haut les moyens de défense: +«Lamartine avait pris les <em>cieux</em>, Hugo avait pris la +<em>terre</em>... etc.»</p> + +<p>Sainte-Beuve à ce moment, comme on voit, était +loin du jugement porté vingt ans plus tard par Banville +et que la postérité ne cessera de confirmer:</p> + +<p>«Il faut admirer en Baudelaire un des plus grands +hommes de ce temps et qui, si nous ne vivions pas +<span class="pagenum"><a id="Page_14"> 14</a></span> +sous le règne intellectuel de Victor Hugo, mériterait +que nul poète contemporain ne fût mis au-dessus de +lui. De tous les artistes modernes du vers, l'auteur +des <cite>Fleurs du Mal</cite> est le seul qui n'ait rien dû à l'auteur +de la <cite>Légende des siècles</cite>. Il ne procédait ni de lui +ni de personne...<a name="FNanchor_21" id="FNanchor_21" href="#Footnote_21" class="fnanchor"> [21]</a>»</p> + +<p>1861.—<cite>Richard Wagner et Tannhaüser.</cite> Nul article +de Sainte-Beuve. Et de sept.</p> + +<p><cite>Les Fleurs du Mal</cite>, seconde édition augmentée. Cette +fois, Baudelaire, comme tout le public littéraire, doit +attendre son tour de Lundi. Plus de procès à invoquer. +Un recueil classé, consolidé, abordant presque +déjà la gloire. Evidemment le père Sainte-Beuve va y +aller de son article, donner son impression d'ensemble +sur l'homme et sur l'œuvre. Mais non. Pas une +ligne, pas un mot, pas une allusion. Et de huit!</p> + +<p>1862.—Un coup de tonnerre. Baudelaire, en manière +de manifestation artistique, d'affirmation personnelle, +se présente à l'Académie. Fâcheux contre-temps pour +Sainte-Beuve qui s'apprêtait à faire campagne dans +cette élection et à peser publiquement les titres des +candidats<a name="FNanchor_22" id="FNanchor_22" href="#Footnote_22" class="fnanchor"> [22]</a>. Arrivé à Baudelaire, comment s'en +tirer? Impossible de passer sous silence, ou de malmener +son «jeune ami». Et d'autre part, pas moyen de +s'associer à cette gaminerie sans nom: Baudelaire, le +petit Baudelaire candidat! Sainte-Beuve ici n'a pas trop +de toute son adresse, pour ne pas dire plus. Il écrit:</p> + +<p>«On s'est demandé d'abord si M. Baudelaire en se +<span class="pagenum"><a id="Page_15"> 15</a></span> +présentant voulait faire une niche à l'Académie et une +épigramme; s'il ne prétendait point l'avertir par là qu'il +était bien temps qu'elle songeât à s'adjoindre ce poète et +cet écrivain si habile et si distingué dans tous les genres +de diction, Théophile Gautier, son maître<a name="FNanchor_22bis" id="FNanchor_22bis" href="#Footnote_22bis" class="fnanchor"> [22 <em>bis</em>]</a>. +On a eu <em>à apprendre, à épeler le nom de M. Baudelaire</em> +à plus d'un membre de l'Académie qui ignorait +totalement son existence. Il n'est pas si aisé qu'on le +croirait de prouver à des Académiciens politiques et +hommes d'État comme quoi il y a, dans les <cite>Fleurs du +Mal</cite>, des pièces très remarquables vraiment pour le +talent et pour l'art...; et qu'en somme M. Baudelaire +a trouvé moyen de se bâtir, à l'extrémité d'une langue +de terre réputée inhabitable et par delà les confins du +romantisme connu, un kiosque bizarre, fort orné, fort +tourmenté, mais coquet et mystérieux, où on lit de +l'Edgar Poe, où l'on récite des vers exquis, où l'on +s'enivre avec le haschich pour en raisonner après, où +l'on prend de l'opium et mille drogues abominables dans +des tasses d'une porcelaine achevée. Ce singulier kiosque, +fait en marqueterie, d'une <em>originalité concertée</em> et +composite, qui, depuis quelque temps, attire les regards +à la pointe du Kamtchatka romantique, j'appelle cela la +folie Baudelaire. Est-ce à dire seulement, et quand on +a tout expliqué de son mieux à de respectables confrères +un peu étonnés, que <em>toutes ces curiosités, tous +ces regards</em> et ces raffinements leur semblent des titres +pour l'<i>Académie</i>, et <i>l'auteur lui-même a-t-il pu sérieusement</i> +<span class="pagenum"><a id="Page_16"> 16</a></span> +<i>se le persuader</i>? Ce qui est certain, c'est que +l'auteur gagne à être vu, que là où l'on s'attendait à +voir entrer un homme étrange, excentrique, on se +trouve en présence d'un candidat poli, respectueux, +<em>exemplaire, d'un gentil garçon</em>, fin de langage et tout +à fait classique dans les formes...»</p> + +<p>J'ai souligné quelques-uns des traits les plus protecteurs, +les plus dédaigneux dans ce certificat de +bonnes lettres et bonnes façons. Quel ton, en effet, +pour parler de Baudelaire! Quelle différence avec les +accents déférents d'un Barbey d'Aurevilly, d'un Asselineau, +d'un Edouard Thierry!</p> + +<p>N'empêche que de la part de Sainte-Beuve, si gros +Monsieur, juché si haut, un tel acte de condescendance, +un tel présent de publicité pouvaient paraître +exceptionnels. Baudelaire, évidemment, sentit plus +l'honneur que les réserves. Il écrivit à Sainte-Beuve +une lettre débordante de gratitude<a name="FNanchor_23" id="FNanchor_23" href="#Footnote_23" class="fnanchor"> [23]</a>.</p> + +<p>Dès cet instant, il était à sa merci, suivit tous ses +conseils académiques, n'insista plus, se désista. Sainte-Beuve +le félicita de cette renonciation. «Quand on a +lu votre dernière phrase de remerciement conçue en +termes si modestes et si polis, on en a dit tout haut: +<em>Très bien!</em> Ainsi vous avez laissé de vous une bonne +impression: n'est-ce donc rien<a name="FNanchor_24" id="FNanchor_24" href="#Footnote_24" class="fnanchor"> [24]</a>?»</p> + +<p>Baudelaire ne put nier, mais dut probablement +penser que, pour ses candidats, Sainte-Beuve se contentait +de peu.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_17"> 17</a></span> +1863-1864-1865-1866.—<cite>Eurêka</cite>, les <cite>Histoires grotesques +et sérieuses</cite><a name="FNanchor_25" id="FNanchor_25" href="#Footnote_25" class="fnanchor"> [25]</a>, des vers dans les <cite>Poètes français</cite> +de Crépet, des vers dans le <cite>Parnasse contemporain</cite>. Sur +tout cela cherchez dans Sainte-Beuve: silence, silence. +Une fois pour toutes avec son «jeune ami» il s'est +mis en règle. Compte clos, crédit arrêté. Il ne parlera +plus jamais de Baudelaire<a name="FNanchor_26" id="FNanchor_26" href="#Footnote_26" class="fnanchor"> [26]</a>.</p> + +<p>Il le sait cependant aux abois, forcé par les dettes +à l'exil, interdit de séjour, gravement malade, plus +que pauvre. Sur des prières aussi discrètes que réitérées, +il semble bien, sans que ce soit sûr, lui avoir +donné un coup d'épaule auprès du libraire Garnier +pour une édition complète. Mais d'articles, de citations, +plus l'ombre<a name="FNanchor_27" id="FNanchor_27" href="#Footnote_27" class="fnanchor"> [27]</a>.</p> + +<p>Quand Baudelaire meurt, une banale lettre de condoléances +à Mme Aupick. C'est tout.<a name="FNanchor_28" id="FNanchor_28" href="#Footnote_28" class="fnanchor"> [28]</a></p> + +<p>Et pourtant, j'oublie un détail. Cela se passait en +1869. Un grand mouvement se dessinait autour de +la mémoire de Baudelaire. La Fizelière et Decaux +avaient publié l'année précédente—hommage inconnu +à Sainte-Beuve—une bibliographie minutieuse de +l'auteur des <cite>Fleurs du Mal</cite>, où se trouvaient notés +les moindres de ses poèmes, les moindres de ses études<a name="FNanchor_29" id="FNanchor_29" href="#Footnote_29" class="fnanchor"> [29]</a>. +L'éditeur Michel Lévy, emboitant le pas, adoptait +les vœux des amis de Baudelaire, commençait +l'édition des œuvres complètes, tant souhaitée par le +poète.</p> + +<p>Une œuvre complète à embrasser, une carrière totale +<span class="pagenum"><a id="Page_18"> 18</a></span> +à juger, le sujet idéal pour un <cite>Lundi</cite> de Sainte-Beuve. +Tout le monde sans doute guettait l'article, l'éditeur +comme les lettrés.</p> + +<p>Mais non. Sainte-Beuve, figé dans son mutisme, ne +vit là qu'un prétexte à réclamation personnelle. La +lettre de 1857 ayant été publiée par Michel Lévy à la +suite du premier volume, il y aperçut des fautes d'impression. +Pour rectifier, il donna le texte authentique +à la fin d'un tome des <cite>Lundis</cite>. La lettre était précédée +de ces lignes<a name="FNanchor_30" id="FNanchor_30" href="#Footnote_30" class="fnanchor"> [30]</a>:</p> + +<p>«Le poète Baudelaire, très raffiné, très corrompu à +dessein et par recherche d'art, <em>avait mis des années</em> à +extraire de tout sujet et de toute fleur un suc vénéneux +et même, il faut le dire, <em>assez agréablement vénéneux</em>; +c'était d'ailleurs un homme d'esprit <em>assez aimable à ses +heures</em> et très capable d'affection...»</p> + +<p>A ce maigre bouquet se réduisit sa couronne funèbre, +à cette sèche notice l'étude définitive qu'on espérait. +Même au delà de la tombe, Sainte-Beuve ne gâtait +pas «son cher enfant».</p> + +<hr class="tb" /> + +<p>Comme chez beaucoup de critiques, chez Sainte-Beuve, +à côté de vues fines et ingénieuses, abondent +les bévues, les injustices, les incompréhensions.</p> + +<p>Toutefois, parmi les siennes, on peut distinguer +trois périodes. Dans la première, c'est un enthousiasme +sincère ou voulu qui l'abuse. S'improvisant le +héraut de la phalange romantique, souvent les amitiés +<span class="pagenum"><a id="Page_19"> 19</a></span> +ou les antipathies de groupe l'entraînent trop loin dans +le dénigrement ou dans l'éloge.</p> + +<p>Après 1835, il a pu se convaincre que, comme +poète, il était à jamais surpassé, «gratté», par ses +compagnons de lutte: Lamartine, Hugo, Gautier, +Vigny, Musset. Dès lors, malgré lui, c'est l'envie qui +l'égare. Une brouille avec Hugo lui épargnera le supplice +de chanter ses louanges. Envers les autres, par +contre, son envie ne se maîtrise plus. Elle suinte en +gouttelettes amères dans ses journaux privés, ses +remarques secrètes. Puis, au jour propice: anniversaire, +réception académique, malheur, mort, elle déferle dans +un article. Pas un de ces grands noms qu'elle n'ait +aspergés de ses jets venimeux<a name="FNanchor_A" id="FNanchor_A" href="#Footnote_A" class="fnanchor"> [A]</a>.</p> + +<div> +<p class="i2"><a name="Footnote_A" id="Footnote_A" href="#FNanchor_A" class="label">[A]</a> Pour être exacts, rappelons cependant une épargnée: +M<sup>me</sup> Desbordes-Valmore, dont Sainte-Beuve fut des rares à sentir +et à vanter, comme il fallait, le génie.</p></div> + +<p>Enfin, à partir de 1850, le train artistique le déroute. +Il n'y est plus, ne suit plus. L'incompétence ici +l'aveugle. Il néglige Leconte de Lisle, Michelet, Barbey +d'Aurevilly. Il se trompe lourdement sur Flaubert. Il +passe à côté de Verlaine. L'envergure de Baudelaire +lui échappe.</p> + +<p>Dans ces données comme dans les documents cités +plus haut, on trouverait peut-être une explication de +son attitude envers Baudelaire.</p> + +<p>Son silence presque continu sur l'auteur des <cite>Fleurs</cite> +<span class="pagenum"><a id="Page_20"> 20</a></span> +<cite>du Mal</cite> procéderait de deux des phases ci-dessus: la +troisième, puis la seconde. Tant que Baudelaire reste +obscur, il l'omet ou le diminue, faute de l'apprécier à +sa valeur. Dès que la gloire de son «jeune ami» se +lève, il s'en tait, crainte de la pousser.</p> + +<p>Avec Baudelaire il commence par l'incompétence et +il termine par l'envie.</p> + +<div class="p2 figcenter"> +<img src="images/illustration_020.jpg" width="120" height="70" alt="" title="" /> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_21"> 21</a></span></p> + + +<div class="header"> +<h2>II</h2> +</div> + +<p class="drop-cap"><span class="smcap">Parmi</span> les nombreux articles qu'a suscités ma précédente +étude et qui nous montrent en pleine ascension +la gloire comme la faveur de Baudelaire, il s'en est +trouvé quelques-uns pour prendre la défense de Sainte-Beuve. +Notamment l'âpre plaidoyer qu'a publié dans +le <cite>Temps</cite> mon ami M. Paul Souday.</p> + +<p>Il serait oiseux de discuter ici longuement les griefs +personnels que m'oppose le sagace critique du <cite>Temps</cite>.</p> + +<p>De ce qu'on est chroniqueur, romancier, auteur dramatique, +s'ensuit-il que vous soient interdites la culture, +la lecture et certaines prédilections littéraires? +De ce qu'on admire chez Vallès le grand écrivain, le +grand romancier, résulte-t-il qu'on doive endosser +ses boutades, ses foucades, ses idées et qu'avec lui +on doive renvoyer Baudelaire à l'asile ou Homère aux +Quinze-Vingts? Enfin, parce qu'en maint endroit Barbey +d'Aurevilly surcharge fâcheusement son style d'arabesques +<span class="pagenum"><a id="Page_22"> 22</a></span> +et de clinquant, parce qu'il écrivit sur Gœthe +un pamphlet superficiel, parce qu'en une de ses phrases +il se rencontre avec Sainte-Beuve, faut-il pour cela +taire la rare clairvoyance de son étude sur les <cite>Fleurs +du Mal</cite> et nier le contraste frappant avec le critique +des <cite>Lundis</cite>? Sincèrement je ne le pense pas.</p> + +<p>Sur le reste du débat, d'autre part, les faits et les +documents que j'ai cités me paraissent répondre; et +sans fol orgueil, je crois que l'interprétation que j'en +ai donnée n'outrepassait ni la mesure ni la vérité.</p> + +<p>Comme exemples, ne reprenons que les dates et les +œuvres culminantes; en 1861, la seconde édition des +<cite>Fleurs du Mal</cite>,—en 1869, l'édition des œuvres complètes.</p> + +<p>En 1861, l'autorité littéraire de Baudelaire ne souffre +plus conteste. Il apporte un recueil entièrement renouvelé, +expurgé des pièces libres qui pouvaient effaroucher +la critique officielle, augmenté de pièces inédites +dont quelques-unes magistrales, comme <cite>le Voyage</cite>, ce +joyau de la poésie française. A ce moment, pas de +poète, pas de critique qui ne s'incline devant son +talent. A ce moment, Leconte de Lisle, si sévère pour +lui-même, si dur pour autrui, lui consacre un article, +où, malgré la réserve des épithètes et ce quelque chose +de tendu qu'avaient toujours ses louanges, on voit +Baudelaire placé au premier rang, hors pair<a name="FNanchor_31" id="FNanchor_31" href="#Footnote_31" class="fnanchor"> [31]</a>.</p> + +<p>Si alors Sainte-Beuve résiste au mouvement, s'obstine +dans son mutisme, ce n'est nullement malveillance +<span class="pagenum"><a id="Page_23"> 23</a></span> +ni même absolue incompréhension. C'est, comme +le prouvent nos documents, qu'il tient Baudelaire pour +un <i lang="la" xml:lang="la">poeta minor</i> ne méritant pas encore le <i lang="la" xml:lang="la">dignus +intrare</i> dans la galerie des <cite>Lundis</cite>.</p> + +<p>Or, comment appeler d'un autre nom qu'incompétence +une telle faute de perspective, un tel manque de +discernement et de sensibilité?</p> + +<p>En 1869, les circonstances seront différentes.</p> + +<p>D'abord, pour renseigner Sainte-Beuve sur l'importance +réelle de «son jeune ami», toute l'œuvre de +Baudelaire est là <a name="FNanchor_32" id="FNanchor_32" href="#Footnote_32" class="fnanchor"> [32]</a>.</p> + +<p>Non seulement les <cite>Fleurs du Mal</cite>, mais encore ces +poèmes en prose auxquels, en passant il a décoché +jadis un salut.</p> + +<p>Non seulement l'œuvre d'imagination, mais l'œuvre +critique: les salons de 1845, de 1846, de 1859, les +études sur les caricaturistes, les articles sur les grands +littérateurs du temps, pages saisissantes par la prescience +et la hardiesse des aperçus, par l'esthétique +sereine et stable qui s'en dégage,—modèles accomplis +de cette critique intuitive où les poètes souvent +excellent.</p> + +<p>Bref, dans ces quatre volumes, Baudelaire révélé: le +reflet constant d'un des génies les plus profonds, les +plus variés, les plus originaux qu'ait produits la littérature.</p> + +<p>A l'éclat d'une pareille œuvre, on a peine à croire +que Sainte-Beuve ne distingue pas son erreur. Fermerait-il +<span class="pagenum"><a id="Page_24"> 24</a></span> +même les yeux pour ne pas la voir, que ses +oreilles tinteraient de la rumeur d'éloges montant +autour du nom de Baudelaire.</p> + +<p>Quand je disais, en effet, que tout le monde littéraire +attendait son article d'ensemble sur Baudelaire, +je n'avançais pas qu'une conjecture. Lisez plutôt la préface +de la bibliographie de Baudelaire par La Fizelière +et Decaux. Sainte-Beuve y est cité, encensé, mais aussi +mis en demeure.</p> + +<p>«Quant à l'appréciation de ses écrits, déclarent les +auteurs (en un style que pallie la bonne intention), +quant à l'appréciation de ses écrits, elle appartient de +toute nécessité à quelque grand critique habile comme +M. Sainte-Beuve, par exemple, à faire courir le scalpel +de l'analyse sur la fibre délicate d'une organisation +poétique qui, chez Baudelaire, était prodigieusement +exceptionnelle.»</p> + +<p>Et tout le long de la préface, l'appel direct à Sainte-Beuve +se poursuit, couvrant sous les fleurs une véritable +sommation.</p> + +<p>On sait la fin de non-recevoir qu'y opposa le critique +des <cite>Lundis</cite>. Avertissements venus de l'œuvre, +invites venues du monde des lettres, rien n'eut raison +de son silence. Ici l'erreur n'étant plus invocable, on +ne trouve plus guère d'explication que l'envie.</p> + +<p>Etonnante certes, à première vue, chez ce vieux +maréchal, si au-dessus de l'humble gradé Baudelaire. +Mais on oublie que dans les lettres, hélas! il est deux +<span class="pagenum"><a id="Page_25"> 25</a></span> +envies: celle qui vise vos égaux et celle que vous +inspirent vos subalternes, l'envie contre les gens de +son bateau et l'envie contre le bateau qui suit. Or, des +deux, qui jurerait que la seconde n'est pas fréquemment +la plus douloureuse, la plus cuisante, la plus +implacable? Et qui prétendrait que, si sujet à la première, +Sainte-Beuve soit demeuré inaccessible à la +seconde?</p> + +<p>Pourtant une chance de défense subsistait, puisée +dans la santé débile de Sainte-Beuve et la date de sa +mort.</p> + +<p>Durant cette année 1869, nous sommes au fait +des tourments que lui infligea la maladie. Au mois +d'août, ses souffrances s'aggravaient. En septembre +il donna son dernier article. Il mourut le mois suivant.</p> + +<p>En tenant compte de ces remarques, une hypothèse +aussitôt se présentait. Les quatre premiers tomes de +l'édition complète de Baudelaire étant datés de 1869, +peut-être avaient-ils paru, sur la fin de l'année, quand +Sainte-Beuve touchait à ses suprêmes moments. Des +lors, comment reprocher à un agonisant le silence le +plus pardonnable?</p> + +<p>Si pénible que fût une enquête de ce genre funèbre, +j'ai voulu en avoir le cœur net. J'ai consulté la Bibliographie +de la France aux années 1868 et 1869. Et voici +le résultat:</p> + +<p>Dès la fin de 1868, nous le savons par ses écrits, +Sainte-Beuve connaît à fond les <cite>Fleurs du Mal</cite> et les +<span class="pagenum"><a id="Page_26"> 26</a></span> +<cite>Poèmes en prose</cite>. Les <cite>Curiosités esthétiques</cite>, renfermant +les salons et critiques d'art, paraissent en décembre +1868. L'<cite>Art romantique</cite>, contenant les études de mœurs +et les critiques littéraires, paraît en février 1869.</p> + +<p>De fin février à septembre, Sainte-Beuve disposait +donc de six grands mois, de vingt-quatre <cite>Lundis</cite>, pour +parler de Baudelaire. Durant ces six mois, il continua +à se taire. De ces vingt-quatre feuilletons pas un seul +ne fut accordé à Baudelaire.</p> + +<p>Il me semble que cette fois la cause est entendue.</p> + +<div class="p2 figcenter"> +<img src="images/illustration_032.jpg" width="120" height="69" alt="" title="" /> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_27"> 27</a></span></p> + +<div class="header"> +<h2>APPENDICE<br /> +<span class="subh medium">LES SENTIMENTS DE BAUDELAIRE POUR SAINTE-BEUVE</span></h2> +</div> + +<p class="drop-cap"><span class="smcap">Au</span> cours de l'étude qui précède, on a pu constater +l'inaltérable attachement de Baudelaire pour +Sainte-Beuve malgré les constantes défections du critique +à son égard.</p> + +<p>Il resterait à expliquer cette longanimité si contraire +à ce que nous révèlent de Baudelaire ses correspondances +et ses papiers intimes.</p> + +<p>Sans s'y montrer positivement vindicatif, le poète +ne cesse d'y attester une extrême sensibilité aussi bien +aux bons procédés qu'aux mauvais. Éloges ou dénigrements, +il note tout avec une perspicacité toujours en +éveil. Se défiant même de la mémoire, cette négligente, +qui oublie souvent en route les injures autant que les +bienfaits, il avait institué dans ses carnets une rubrique +spéciale intitulée <cite>Vilaines canailles</cite>, où il inscrivait les +noms des personnes qui l'avaient desservi ou simplement +<span class="pagenum"><a id="Page_28"> 28</a></span> +déçu. Or, par un traitement privilégié, Sainte-Beuve +ne figure sur aucune de ces listes vengeresses.</p> + +<p>Bien mieux, en 1859, au moment où Babou manque +de le brouiller avec le critique, dans la lettre affolée qu'il +écrit à Poulet-Malassis, Baudelaire déclare: «Ce qu'il +y avait dangereux là dedans, c'est que Babou avait l'air +de me défendre contre quelqu'un qui m'a rendu <em>une +foule de services</em>.»</p> + +<p>Lesquels? On reste rêveur. On cherche et voici ce +qu'on trouve jusqu'à cette date: trois refus d'articles +sur Poe, une lettre privée sur les <cite>Fleurs du Mal</cite>, des +conseils privés lors du procès. Secours bien minces. +On cherche encore: on découvre deux lettres de Sainte-Beuve, +l'une en date du 3 octobre 1852 mentionnant +la recommandation d'un manuscrit à Véron, une autre +lettre en date du 20 mars 1854 où Sainte-Beuve se +récuse au sujet d'une demande d'appui au <cite>Moniteur</cite>. Et +c'est tout.</p> + +<p>Qu'un poétereau, à visées médiocres et doutant de +soi, se fût abusé sur l'importance de ces menus services, +l'illusion semblerait plausible. Mais chez Baudelaire, +elle déconcerte.</p> + +<p>Dans ses lettres, dans ses carnets, le trait dominant, +permanent, c'est l'orgueil.</p> + +<p>Non pas la petite vanité de l'homme de lettres qui +puise toute sa force dans les louanges d'autrui, les +publicités bruyantes, les succès immédiats—et s'effondre +aussitôt que ces adjuvants cessent. Mais une +<span class="pagenum"><a id="Page_29"> 29</a></span> +foi intérieure et indéfectible en sa valeur personnelle, +en son génie, en son œuvre, une prescience presque +miraculeuse du rang où celle-ci atteindra. Dès 1847, +quand il annonce les <cite>Fleurs du Mal</cite> sous son titre primitif +<cite>Les Lesbiennes</cite>, le format que Baudelaire leur +assigne d'autorité, c'est l'in-quarto—c'est-à -dire le +format réservé aux grands chefs-d'œuvre consacrés<a name="FNanchor_B" id="FNanchor_B" href="#Footnote_B" class="fnanchor"> [B]</a>. +En 1860, un an après l'incident Babou, il écrit +à sa mère: «Plus je deviens malheureux, plus mon +orgueil augmente.» Et dans une autre lettre: «Comme +j'ai un genre d'esprit impopulaire, je gagnerai peu +d'argent, <em>mais je laisserai une grande célébrité, je +le sais</em>.» Et partout de même répétée, ressassée la +certitude de la durée, de l'immortalité des <cite>Fleurs du +Mal</cite>.</p> + +<div> +<p class="i2"><a name="Footnote_B" id="Footnote_B" href="#FNanchor_B" class="label">[B]</a> Edition originale de <cite>Chien Caillou</cite> de Champfleury, Martinon +1847. Sur le 2<sup>e</sup> plat de la couverture: <span class="smcap">A paraitre incessamment</span>: +Pierre de <span class="smcap">Fayis</span>, <cite>Les Lesbiennes</cite>, poèmes, un volume +grand in-4.</p></div> + +<p>Comment supposer alors que Baudelaire n'aperçoive +pas la disproportion entre le sentiment qu'il a de sa +grandeur et la taille que lui attribue Sainte-Beuve? Comment +comprendre qu'il tremble à l'idée d'une brouille +avec un protecteur si tiède et qu'il exagère, avec un si +manifeste parti pris, une serviabilité si parcimonieuse?</p> + +<p>Énigme qui n'est insoluble qu'à première vue et qui +s'éclaire quand on analyse un à un les éléments de cet +attachement étrange.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_30"> 30</a></span> +Sans parler de la première emprise de jeunesse, des +premiers élans d'admiration qui durent s'atténuer secrètement +lorsque Baudelaire prit pleine possession de +son talent, il est évident que, dans cet attachement, l'intérêt +eut une part.</p> + +<p>Non que dans ses relations avec Sainte-Beuve, Baudelaire +poursuivît un avantage personnel. Vraisemblablement, +quoique sans grande confiance, il espérait, il +ne désespérait pas qu'un jour, peut-être, à la longue, +son tour de <cite>Lundi</cite> viendrait. Mais au peu que Sainte-Beuve +lui avait accordé, à ces éloges retenus, et par +raccroc, que le critique lui dispensait dans un coin +d'article, Baudelaire était trop fin pour ne pas discerner +que ce jour était encore bien lointain, bien incertain, si +encore il devait jamais luire. Au surplus, son orgueil +lui permettait d'attendre et lui défendait de demander +plus. Une seule fois il fléchit, c'était en 1860, lorsque +parurent les <cite>Paradis artificiels</cite>. Baudelaire alors nettement +sollicita de Sainte-Beuve un article. Mais par les +lettres récemment publiées dans la <cite>Revue de Paris</cite>, nous +connaissons les dessous de cette défaillance. «J'ai plus +que jamais besoin d'être soutenu, écrivait-il à Sainte-Beuve +et je devais vous rendre compte de mon <em>embarras</em>.» +<em>Embarras</em> signifiait le dernier degré de la détresse, +misères physiques, misère pécuniaire, un homme à la +dérive. Cette sollicitation dictée par l'angoisse resta, on +le sait, sans résultat. Ce fut la première et la dernière.</p> + +<p>Par contre, si peu quémandeur pour lui-même, +<span class="pagenum"><a id="Page_31"> 31</a></span> +nous avons vu que, en faveur de Poe, Baudelaire +n'hésitait pas à harceler Sainte-Beuve. De 1856 à 1865, +pas une année sans que Baudelaire ne revienne à la +charge, ne caresse et ne relance le critique pour lui +arracher l'article sur Poe. C'est chez lui le même +acharnement qu'à demander de l'argent à sa mère pour +Jeanne Duval. Avec la Muse noire, Poe avait fini par +devenir sa grande charge, son grand devoir. Pour lui +gagner Sainte-Beuve, il eût tout pardonné, il pardonnait +tout au critique. Poe fut sûrement dans leur +attachement un des liens les plus solides.</p> + +<p>Mais en dehors de ces calculs—bien désintéressés—ce +qui semble avoir le plus retenu Baudelaire à +Sainte-Beuve, malgré déboires et déceptions, c'est +Sainte-Beuve lui-même, sa fréquentation, sa société.</p> + +<p>Si orgueilleux que fût Baudelaire, visiblement il +avait été flatté par l'accueil affable de cet écrivain +fameux, son aîné presque de vingt ans, maître de toutes +les renommées littéraires de l'heure, et dont la +porte ne s'ouvrait qu'à des pairs ou à des intimes.</p> + +<p>«Un homme qui, malgré ma jeunesse relative, +m'a toujours pris pour son égal!» écrivait-il fièrement +à sa mère en 1865. Traitement peu commun de la part +de Sainte-Beuve, si réservé, si en méfiance contre les +intrus et les fâcheux.</p> + +<p>Et effectivement, faute de services, il ressort de +leur correspondance que Sainte-Beuve ne ménageait +à Baudelaire ni une paternelle considération ni de délicats +<span class="pagenum"><a id="Page_32"> 32</a></span> +égards ni même des avis et des réconforts d'autant +plus précieux qu'ils venaient de plus haut.</p> + +<p>«Est-il permis de venir se réchauffer et se fortifier à +votre contact? lui écrivait Baudelaire en 1865 (un mois +après lui avoir adressée vainement <cite>Gordon Pym</cite>). Vous +savez ce que je pense des hommes atonifiants et des +hommes tonifiants. J'ai besoin de vous comme d'une +douche.»</p> + +<p>On se demande, du reste, dans quelle société Baudelaire +si réfléchi, si épris de belles lettres, eût trouvé +l'équivalent en agrément et en qualité de ce que lui +offrait celle de Sainte-Beuve. Banville bien superficiel +et funambulesque, Gautier pliant sous le feuilleton et, +en ses propos, plus rapin que penseur, Leconte de Lisle +absorbé dans ses transcriptions de l'antique, Poulet-Malassis +bon lettré mais tout à ses échéances, Asselineau +aimable polygraphe mais sans profondeur, Théophile +Silvestre écrivain de haute marque mais toujours au +dehors pour des inspections d'art, Flaubert à Croisset, +Barbey d'Aurevilly, le tempérament le plus proche du +sien, mais accaparé par le roman, le journalisme, les +salons,—à la vérité, comme tous les esprits supérieurs, +Baudelaire se trouvait très isolé dans son +époque<a name="FNanchor_C" id="FNanchor_C" href="#Footnote_C" class="fnanchor"> [C]</a>. A défaut de Renan qu'il ne connaissait pas +<span class="pagenum"><a id="Page_33"> 33</a></span> +et qui d'ailleurs se désintéressait ouvertement des auteurs +du jour, on conçoit que, pour un poète de cette +envergure et de cette culture, la familiarité, même +inefficace, de Sainte-Beuve ait été la planche de salut, +le <em>præsidium</em> rêvé. Et l'on s'explique que pour le garder +Baudelaire ait avalé tant de couleuvres.</p> + +<div> +<p class="i2"><a name="Footnote_C" id="Footnote_C" href="#FNanchor_C" class="label">[C]</a> Au moment où se corrigent les épreuves de cette étude, la +<cite>Revue de Paris</cite>, du 15 octobre 1917 publie une lettre de Baudelaire +qui apporte aux remarques ci-dessus la confirmation +du poète lui-même: «Excepté d'Aurevilly, Flaubert, Sainte-Beuve, +je ne peux m'entendre avec personne. Th. Gautier seul +peut me comprendre, quand je parle peinture.» (11 août 1862).</p></div> + +<p>Cependant, à la digestion, ne lui laissèrent-elles pas +quelques aigreurs? La négative serait aventurée.</p> + +<p>Ouvrons en effet les <cite>Fleurs du Mal</cite> (première ou +seconde ou troisième édition) et relevons les noms des +dédicataires. L'ensemble du volume est dédié à Gautier, +trois pièces sont dédiées à Victor Hugo, deux au sculpteur +Christophe, une autre à Banville, une autre à +Constantin Guys, une autre à Maxime du Camp.</p> + +<p>Mais à Sainte-Beuve pas une seule, malgré les +témoignages d'admiration que prodiguait Baudelaire, +dans ses lettres, au poète de <cite>Joseph Delorme</cite>.</p> + +<p>Consultons la <cite>Revue Fantaisiste</cite> où parurent de Baudelaire +les <cite>Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains</cite>. +Ces <cite>Réflexions</cite> ont pour sujets Banville, Barbier, +Desbordes-Valmore, Pierre Dupont, Flaubert, +Gautier, Victor Hugo, Leconte de Lisle, Le Vavasseur, +Paul de Molènes, Pétrus Borel. Mais de Sainte-Beuve +pas trace.</p> + +<p>Compulsons le recueil des <cite>Poètes Français</cite> de Crépet +<span class="pagenum"><a id="Page_34"> 34</a></span> +où l'anthologie de chaque poète s'orne d'une étude sur +son œuvre. Baudelaire a signé plusieurs de ces notices. +Sainte-Beuve y a, bien entendu, la sienne. Mais elle +n'est pas signée: Baudelaire. Elle est signée: Babou.</p> + +<p>Feuilletons enfin les œuvres complètes de Baudelaire, +fouillons, scrutons ligne à ligne. Dans les sept volumes, +nulle part le nom de Sainte-Beuve n'est cité.</p> + +<p>Omissions trop répétées pour qu'on les croie dues +au hasard.</p> + +<p>Il est plus probable qu'elles furent voulues et que, +par ce mutisme obstiné, Baudelaire entendit rendre à +Sainte-Beuve ce qu'on appelle «la pareille».</p> + +<p>Ici s'accuse nettement la différence de procédés +entre les écrivains de haute classe et les subalternes.</p> + +<p>Négligé par Sainte-Beuve, un Babou s'exaspère, +accuse, invective.</p> + +<p>Un Baudelaire, au contraire s'en tiendra au silence, +cette légitime représaille de l'artiste contre ceux qui se +taisent sur lui.</p> + +<div class="p2 figcenter"> +<img src="images/illustration_034.jpg" width="120" height="62" alt="" title="" /> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_35"> 35</a></span></p> + + +<div class="header"> +<div class="footnotes"> +<h2 class="normal">NOTES:</h2> +<div class="footnote"> + +<p><a name="Footnote_1" id="Footnote_1" href="#FNanchor_1" class="label">[1]</a> «Le second ami était et est encore gros, paresseux et lymphatique; +de plus il n'a pas d'idées et ne sait qu'enfiler et +perler des mots en manière de colliers d'Osages» (Article de +Baudelaire dans l'<cite>Echo des Théâtres</cite> du 23 août 1846. <cite>Œuvres +posthumes</cite>, Mercure de France, 1908, p. 293).</p> + +<p><a name="Footnote_2" id="Footnote_2" href="#FNanchor_2" class="label">[2]</a> La prédiction de Gautier sur Baudelaire est trop longue +pour être citée en entier. Elle se termine ainsi: «Le Baudelaire +fera long feu comme le Pétrus.» (<span class="smcap">M. du Camp</span>, <cite>Souvenirs littéraires</cite>, +t. II, p. 83 et 84).</p> + +<p>A joindre cette autre opinion de Gautier sur <em>le</em> Baudelaire: +«Théophile Gautier qui, dans l'intimité, a un vif sentiment +critique, me disait en 1848:—Baudelaire est un beau vase +qui a une <em>fissure</em>» (<span class="smcap">Champfleury</span>, <cite>Souvenirs</cite>, p. 145).</p> + +<p>Il est à remarquer cependant que, dès 1845, la presque totalité +des <cite>Fleurs du Mal</cite> était connue du monde lettré par les récitations +qu'en faisait Baudelaire.</p> + +<p><a name="Footnote_3" id="Footnote_3" href="#FNanchor_3" class="label">[3]</a> <cite>Œuvres posthumes</cite>, Mercure de France, 1908, p. 54.</p> + +<p><a name="Footnote_4" id="Footnote_4" href="#FNanchor_4" class="label">[4]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 492, 15 janvier 1866.</p> + +<p><a name="Footnote_5" id="Footnote_5" href="#FNanchor_5" class="label">[5]</a> En 1856, dans la <em>Préface</em> de sa traduction des <cite>Histoires +extraordinaires</cite>, à propos d'un biographe de Poe, qui s'était permis, +par une inconvenance étrange, de publier en tête des œuvres +de l'écrivain un éreintement en règle de sa vie et de ses ouvrages, +Baudelaire écrivait ces lignes indignées et mémorables: «Il +n'existe donc pas en Amérique d'ordonnance qui interdise aux +chiens l'entrée des cimetières» (<cite>Histoires extraordinaires</cite>, 1856, +p. <span class="smcap">XX</span>).</p> + +<p><a name="Footnote_6" id="Footnote_6" href="#FNanchor_6" class="label">[6]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 190, 19 mars 1856.</p> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_36"> 36</a></span></p> +<p><a name="Footnote_7" id="Footnote_7" href="#FNanchor_7" class="label">[7]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 210, 24 mars +1856.</p> + +<p><a name="Footnote_8" id="Footnote_8" href="#FNanchor_8" class="label">[8]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 104, 9 mars 1857. J'ai omis de +noter la réponse de Sainte-Beuve (<cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 222, +11 mars 1857). Sainte-Beuve préfère qu'Edouard Thierry, rédacteur +au <cite>Moniteur</cite>, parle d'abord de l'ouvrage. Quant à lui, il +ajourne à une date vague, sous prétexte qu'il n'a pas encore «sa +petite idée» sur Poe—malgré la publication de deux volumes +contenant les plus célèbres chefs-d'œuvre du conteur. Cette +seconde promesse d'article n'eut pas, d'ailleurs, plus de suites +que la première.</p> + +<p><a name="Footnote_9" id="Footnote_9" href="#FNanchor_9" class="label">[9]</a> <cite>Revue des Deux Mondes</cite>, 1<sup>er</sup> juin 1855.</p> + +<p><a name="Footnote_10" id="Footnote_10" href="#FNanchor_10" class="label">[10]</a> <cite>Nouveaux Lundis</cite>, t. I, p. 400, et <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, +t. I, p. 219.</p> + +<p><a name="Footnote_11" id="Footnote_11" href="#FNanchor_11" class="label">[11]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Œuvres posthumes</cite>, Quantin, 1887 (éd. Crépet), +p. 285.</p> + +<p><a name="Footnote_12" id="Footnote_12" href="#FNanchor_12" class="label">[12]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 163, 14 juin 1858. «... Il y a +des jours où les injures de tous les sots vous montent au cerveau +et alors on implore son vieil ami Sainte-Beuve.» Le vieil +ami Sainte-Beuve n'avait sans doute pas encore assez mûri «sa +petite idée» sur Poe, car il persista dans le silence.</p> + +<p><a name="Footnote_13" id="Footnote_13" href="#FNanchor_13" class="label">[13]</a> Cet article, intitulé l'<cite>Amitié littéraire</cite>, avait paru dans la +<cite>Revue Française</cite>. Il reparut dans un volume de Babou, intitulé +<cite>Lettres satiriques et critiques</cite>, Poulet-Malassis, 1860. Le passage +visant Sainte-Beuve se terminait par la phrase suivante: «Il +glorifiera <cite>Fanny</cite>, l'honnête homme! et gardera le silence sur les +<cite>Fleurs du Mal</cite>.» Toutefois, l'éditeur, sans doute sur la prière de +Baudelaire, ayant supprimé la phrase, Babou la rétablit dans +un <cite>Post-scriptum</cite> avec sommation à Poulet-Malassis de l'insérer.</p> + +<p><a name="Footnote_14" id="Footnote_14" href="#FNanchor_14" class="label">[14]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 184, 21 février 1859.</p> + +<p>A consulter également une lettre à Asselineau sur le même +sujet (p. 185) du 24 février 1859.</p> + +<p><a name="Footnote_15" id="Footnote_15" href="#FNanchor_15" class="label">[15]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Nouvelle Correspondance</cite>, p. 153, 23 février +1859. A consulter aussi une lettre de Sainte-Beuve à Poulet-Malassis +(p. 142), même date, même sujet. Sainte-Beuve demande +à Poulet-Malassis de lui confier la fameuse lettre qu'il +avait adressée à Baudelaire sur les <cite>Fleurs du Mal</cite> et qui, de 1857 +à 1870, constitue sa grande pièce de défense, sa grande parade +contre les accusations d'indifférence envers Baudelaire.</p> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_37"> 37</a></span></p> +<p><a name="Footnote_16" id="Footnote_16" href="#FNanchor_16" class="label">[16]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 187.</p> + +<p><a name="Footnote_17" id="Footnote_17" href="#FNanchor_17" class="label">[17]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 269.</p> + +<p><a name="Footnote_18" id="Footnote_18" href="#FNanchor_18" class="label">[18]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 255, 3 juillet 1860.</p> + +<p><a name="Footnote_19" id="Footnote_19" href="#FNanchor_19" class="label">[19]</a> <cite>Causeries des Lundis</cite>, t. XV, p. 350. <cite>Lettre au directeur-gérant +du Moniteur.</cite> Il est à signaler qu'une fois de plus, Sainte-Beuve +justifie son silence en invoquant un article consacré à +Baudelaire dans le <cite>Moniteur</cite> par Edouard Thierry. En 1858 il +dit à Baudelaire: «Thierry parlera de vous.» En 1860: +«Thierry a parlé de vous.» Ingénieuse combinaison qui instituait +Thierry définitivement comme délégué aux affaires baudelairiennes +et fournissait aux temporisations de Sainte-Beuve +tantôt une prétexte, tantôt une excuse.</p> + +<p>Il est en outre à noter que l'incident Babou-Sainte-Beuve se +termina au mieux. En 1862, en tête des poésies de Sainte-Beuve +publiées dans les <cite>Poètes Français</cite> de Crépet, parut une notice +sur Sainte-Beuve, signée Hippolyte Babou et où l'encensoir n'était +pas balancé de main morte (<cite>Poètes Français</cite>, t. IV, p. 357). Sur +quoi, Sainte-Beuve, ne voulant pas demeurer en reste de politesse, +accorda aux notices publiées par Babou dans ce recueil un +paragraphe plus qu'obligeant (<cite>Nouveaux Lundis</cite>, t. III, p. 341).</p> + +<p>Dans cette affaire il n'y eut donc qu'une victime: Baudelaire.</p> + +<p><a name="Footnote_20" id="Footnote_20" href="#FNanchor_20" class="label">[20]</a> Ce bel article parut d'abord dans les <cite>Articles justificatifs +pour Charles Baudelaire, auteur des Fleurs du Mal</cite> (1857), imprimerie +Dondey Dupré, p. 9. Il fut réédité dans <cite>Les Œuvres et les +Hommes</cite>, 1862, t. III.</p> + +<p><a name="Footnote_21" id="Footnote_21" href="#FNanchor_21" class="label">[21]</a> Extrait de la notice de Banville, un des morceaux les plus +complets et les plus profonds qu'on ait publiés sur l'Œuvre de +Baudelaire. Banville, d'habitude si menu, si gracile, si papillonnant, +y atteint, en maint endroit, à la force. Cette notice +parut d'abord dans l'<cite>Album de la Galerie contemporaine</cite>, in-4, +Baschet (vers 1877). Elle a été reproduite, en partie seulement, +dans la récente édition des <cite>Fleurs du Mal</cite>, publiée par la librairie +Fasquelle (1912).</p> + +<p><a name="Footnote_22" id="Footnote_22" href="#FNanchor_22" class="label">[22]</a> <cite>Nouveaux Lundis</cite>, t. I, p. 400 et 401.</p> + +<p><a name="Footnote_22bis" id="Footnote_22bis" href="#FNanchor_22bis" class="label">[22 <em>bis</em>]</a> Ce nom, ces mots n'étaient pas mis là sans intention. +Dans un article récent du <cite>Mercure de France</cite>, M. Ernest Raynaud +nous a révélé l'espèce de pacte d'échange qui s'était conclu à ce +moment entre Sainte-Beuve et Gautier: Sainte-Beuve promettant +un fauteuil d'académicien à Gautier contre un siège de sénateur +que celui-ci lui assurerait. On devine le trouble qu'apportait +dans ces <i lang="it" xml:lang="it">combinaziones</i> l'irruption ingénue de Baudelaire. Sainte-Beuve, +il faut le reconnaître, se tira fort habilement de ce mauvais +pas. Désigner Gautier comme le maître de Baudelaire, +c'était du même coup amorcer sa candidature et ruiner celle de +son jeune concurrent. Protester contre l'indifférence de l'Académie +envers les poètes du jour, c'était poser des jalons pour une +compensation prochaine en faveur de Gautier. Dès lors, l'échec +de Baudelaire, soit par voie de scrutin, soit par voie de désistement, +ne faisant pas de doute, on se trouvait en excellente posture +pour pousser Gautier au premier fauteuil vacant. A tous égards, +ce fut du plus joli travail académique et où il semble bien que +Baudelaire n'ait vu que du feu.</p> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_38"> 38</a></span></p> +<p><a name="Footnote_23" id="Footnote_23" href="#FNanchor_23" class="label">[23]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 325.</p> + +<p><a name="Footnote_24" id="Footnote_24" href="#FNanchor_24" class="label">[24]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 285, 15 février +1862.</p> + +<p><a name="Footnote_25" id="Footnote_25" href="#FNanchor_25" class="label">[25]</a> Cependant Baudelaire avait envoyé les <cite>Histoires sérieuses +et grotesques</cite> à Sainte-Beuve et spécialement attiré son attention +sur ce livre, sans obtenir même un accusé de réception (<cite>Lettres</cite>, +p. 426, 15 mars 1865 et p. 427, 30 mars 1865).</p> + +<p><a name="Footnote_26" id="Footnote_26" href="#FNanchor_26" class="label">[26]</a> A titre de curiosité, j'ai relevé les noms des poètes contemporains +auxquels Sainte-Beuve avait consacré des articles +entre 1857 et 1867, date de la mort de Baudelaire.</p> + +<p>1857.—<cite>Théodore de Banville</cite>, <em>Alfred de Musset</em>.</p> + +<p>1860.—<cite>Mme Desbordes-Valmore</cite> (Œuvres posthumes).</p> + +<p>1861.—<em>Victor de Laprade.</em></p> + +<p>1862.—<em>Calemard de Lafayette.</em></p> + +<p>Même année, étude sur les <cite>Poètes français</cite> de Crépet qui fournit +prétexte à des études sur <cite>Soulary</cite>, de <cite>Belloy</cite>, <cite>Coran</cite>—sans +un mot sur Baudelaire, quoique celui-ci figurât dans le recueil.</p> + +<p>1863.—<em>P. Lebrun</em>, <em>Théophile Gautier</em>.</p> + +<p>1864.—<em>Alfred de Vigny.</em></p> + +<p>1865.—<em>Charles Monselet.</em></p> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_39"> 39</a></span> +Même année, un article sur la <cite>Poésie française en 1865</cite>.</p> + +<p>Sainte-Beuve s'y plaint du manque d'originalité des poètes nouveaux. +«Je me dis: ceci est du Musset!» ou bien: «Ceci +rappelle Victor Hugo» ou «Ceci est du Gautier, du Banville, +du Leconte de Lisle—ou <em>même</em> du Baudelaire». Toujours +les réserves tendant à réduire l'importance de Baudelaire. Ce +<em>même</em> était bien du même au même.</p> + +<p>Mais voici plus significatif encore. En 1862 Sainte-Beuve se +chargea de préfacer les <cite>Poètes français</cite> de Crépet. Il rédigea, à +cet effet, une introduction formant histoire de la poésie française. +Arrivé au <span class="smcap">XIX</span><sup>e</sup> siècle il en conte les débuts—mais, en +1862, quelle déchéance! Il se lamente sur cette décrépitude, +appelle à grands cris une Poétique nouvelle. «Et ce qui vaudrait +mieux, ajoute-t-il, ce serait un exemple nouveau et vivant. +La Nature seule peut créer le génie. A celui qui <em>doit venir</em> et +<em>en qui nous avons espérance</em>, nous dirions....» Suit une prosopopée +assez fade qui se termine ainsi: «Vous n'avez qu'à puiser +au gré de vos inspirations, suivant votre habileté et votre +audace;... vous fondrez tout à la flamme de votre génie; vous +remettrez chaque chose à son point dans la trame du bel art, <em>ô +grand poète qui naîtrez</em>!»</p> + +<p>Invocation sincère mais plutôt oiseuse, puisque ce grand poète, +à l'insu de Sainte-Beuve, était né depuis cinq ans déjà .</p> + +<p><a name="Footnote_27" id="Footnote_27" href="#FNanchor_27" class="label">[27]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, 1865, <i lang="la" xml:lang="la">passim</i>, p. 489 à 496.</p> + +<p>L'appui de Sainte-Beuve semble s'être borné à certifier à +l'éditeur Garnier la valeur littéraire de Baudelaire.</p> + +<p>Dans une des lettres de Baudelaire à sa mère, publiées par la +<cite>Revue de Paris</cite> (20 juillet 1865), le poète exprime assez exactement +la nature de l'aide que lui prêta le critique des <cite>Lundis</cite> +en vue de ce traité avec Garnier, qui, au surplus, ne devait pas +aboutir: «Sainte-Beuve, que j'ai vu à mon passage à Paris, +m'a dit qu'il se mêlerait un peu de la question.»</p> + +<p><a name="Footnote_28" id="Footnote_28" href="#FNanchor_28" class="label">[28]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. II, p. 209. Il est, dans +cette lettre, à retenir deux points: 1<sup>o</sup> Sainte-Beuve ne formule +aucune promesse d'article; 2<sup>o</sup> Sa lettre est datée du 12 septembre, +c'est-à -dire qu'elle ne fut écrite que douze jours après la +mort de Baudelaire.</p> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_40"> 40</a></span></p> +<p><a name="Footnote_29" id="Footnote_29" href="#FNanchor_29" class="label">[29]</a> <span class="smcap">A. de La Fizelière</span> et <span class="smcap">Georges Decaux</span>, <cite>Essais de bibliographie +contemporaine, Charles Baudelaire</cite>, librairie de l'Académie +des Bibliophiles, 1868.</p> + +<p><a name="Footnote_30" id="Footnote_30" href="#FNanchor_30" class="label">[30]</a> <cite>Causeries du Lundi</cite>, t. XV, p. 527.</p> + +<p><a name="Footnote_31" id="Footnote_31" href="#FNanchor_31" class="label">[31]</a> <cite>Revue Européenne</cite>, 1861. Réédité à la suite des <cite>Derniers +Poèmes</cite>, 1895.</p> + +<p><a name="Footnote_32" id="Footnote_32" href="#FNanchor_32" class="label">[32]</a> Il s'est produit ici une grave lacune dans le nomenclature +des symptômes qui, à défaut de perspicacité, eussent dû +avertir Sainte-Beuve de la place prise par Baudelaire dans la +poésie française.</p> + +<p>J'avais en effet oublié de mentionner parmi ces symptômes la +notice de Théophile Gautier, insérée en tête de l'édition définitive +des <cite>Œuvres complètes</cite> (1868).</p> + +<p>Si défectueuse et restrictive que soit encore cette notice qui +persiste à maintenir Baudelaire dans le cercle des poètes artificiels +et subtils, le fait qu'un écrivain illustre comme Théophile +Gautier, grand potentat du feuilleton, un des maîtres de la célèbre +phalange romantique, eût assumé la charge de présenter Baudelaire +au public et lui eût accordé l'honneur de soixante-quinze +pages en texte serré, ne pouvait manquer d'attirer l'attention +de Sainte-Beuve.</p> + +<p>Il y avait là mieux qu'un acte de complaisance posthume, une +véritable consécration.</p> + +<p>Il paraît peu probable que l'importance de cette manifestation +ait échappé à un esprit aussi avisé que Sainte-Beuve.</p> + +<p>Mais il n'est pas impossible, par contre, qu'elle ait contribué, +par choc en retour, à l'ancrer plus dans son silence.</p> + </div> + </div> +</div> + +<div class="p2 figcenter"> +<img src="images/illustration_040.jpg" width="130" height="59" alt="" title="" /> +</div> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_41"> 41</a></span></p> + +<div class="p2 figcenter"> +<img src="images/illustration_041.jpg" width="100" height="96" alt="" title="" /> +</div> + +<p class="end">CHARTRES.—IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.</p> + +<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44807 ***</div> +</body> +</html> diff --git a/44807-h/images/cover.jpg b/44807-h/images/cover.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..5e38184 --- /dev/null +++ b/44807-h/images/cover.jpg diff --git a/44807-h/images/illustration_005.jpg b/44807-h/images/illustration_005.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..509a8ae --- /dev/null +++ b/44807-h/images/illustration_005.jpg diff --git a/44807-h/images/illustration_006.jpg b/44807-h/images/illustration_006.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..237e20b --- /dev/null +++ b/44807-h/images/illustration_006.jpg diff --git a/44807-h/images/illustration_020.jpg b/44807-h/images/illustration_020.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..90bba3d --- /dev/null +++ b/44807-h/images/illustration_020.jpg diff --git a/44807-h/images/illustration_032.jpg b/44807-h/images/illustration_032.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..0c54e15 --- /dev/null +++ b/44807-h/images/illustration_032.jpg diff --git a/44807-h/images/illustration_034.jpg b/44807-h/images/illustration_034.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..317b867 --- /dev/null +++ b/44807-h/images/illustration_034.jpg diff --git a/44807-h/images/illustration_040.jpg b/44807-h/images/illustration_040.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..79f8ab0 --- /dev/null +++ b/44807-h/images/illustration_040.jpg diff --git a/44807-h/images/illustration_041.jpg b/44807-h/images/illustration_041.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..410c593 --- /dev/null +++ b/44807-h/images/illustration_041.jpg diff --git a/44807-h/images/logo.jpg b/44807-h/images/logo.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..08a3efc --- /dev/null +++ b/44807-h/images/logo.jpg diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize +this eBook outside of the United States should confirm copyright +status under the laws that apply to them. diff --git a/README.md b/README.md new file mode 100644 index 0000000..35d578a --- /dev/null +++ b/README.md @@ -0,0 +1,2 @@ +Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for +eBook #44807 (https://www.gutenberg.org/ebooks/44807) diff --git a/old/44807-0.txt b/old/44807-0.txt new file mode 100644 index 0000000..87da4a5 --- /dev/null +++ b/old/44807-0.txt @@ -0,0 +1,1446 @@ +Project Gutenberg's Baudelaire et Sainte-Beuve, by Fernand Vandérem + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Baudelaire et Sainte-Beuve + +Author: Fernand Vandérem + +Release Date: January 30, 2014 [EBook #44807] + +Language: French + +Character set encoding: UTF-8 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE *** + + + + +Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by The Internet Archive/Canadian Libraries) + + + + + + + + + + BAUDELAIRE + + ET + + SAINTE-BEUVE + + + _Imprimé à 235 exemplaires + dont + 10 sur papier de Hollande._ + + + + +Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le +typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée +et n'a pas été harmonisée. + + + + + FERNAND VANDÉREM + + BAUDELAIRE + + ET + + SAINTE-BEUVE + + _NOUVELLE ÉDITION_ + + AUGMENTÉE DE NOTES ET D'UN CHAPITRE INÉDIT + + [Illustration: logo] + + PARIS + LIBRAIRIE HENRI LECLERC + + 219, RUE SAINT-HONORÉ, 219 + et 16, rue d'Alger. + + 1917 + + + + +[Illustration: ornement début de page] + + +Cette étude, publiée d'abord dans le _Temps Présent_, a paru en 1914 +sous forme d'une brochure à tirage restreint et depuis longtemps +épuisé. + +Il m'a semblé que le cinquantenaire de Baudelaire pouvait prêter +quelque intérêt à une réédition. + +Je n'ai rien changé au texte primitif, que j'ai seulement complété par +des notes indiquant les sources des textes invoqués et quelques +particularités nouvelles. + +J'y ai joint en outre un appendice où j'ai tenté de mieux élucider +les sentiments de Baudelaire pour Sainte-Beuve. + +On aura ainsi, avec toutes références utiles, un résumé des relations +entre le grand poëte et l'illustre critique. + +[Illustration: ornement fin de page] + + + + +BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE + + + + +I + + +Les relations de Baudelaire et de Sainte-Beuve prêteraient à un +curieux chapitre d'histoire littéraire, dont j'offre ici un aperçu. + +Les sentiments de Baudelaire envers certains de ses contemporains, +comme les sentiments qu'il leur inspirait, présentent parfois des +contradictions. Ainsi, extérieurement, qui douterait de son culte pour +Gautier et de l'estime où Gautier le tenait? Cependant on a retrouvé +un article de Baudelaire où il traitait Gautier en poète verbal, en +enfileur de phrases[1], et, d'autre part, Maxime du Camp nous conte +que, dans l'intimité, Gautier prédisait à Baudelaire la faillite +finale d'un Pétrus Borel[2]. + +Entre Baudelaire et Sainte-Beuve, pas trace de ces fluctuations. De +son extrême jeunesse à sa mort, Baudelaire ne cessa de ressentir et de +marquer pour Sainte-Beuve son admiration. C'est à Sainte-Beuve qu'en +1844 il adresse respectueusement une de ses premières poésies de +collège[3]. Et en 1866, à quelques mois de la paralysie générale, une +de ses dernières lettres ne sera qu'un long panégyrique des poésies de +Sainte-Beuve[4]. + +Les _Consolations_, _Joseph Delorme_, les _Pensées d'Août_, partout il +trouve à louer et à s'enflammer. Notamment les _Rayons Jaunes_ (ce +poème parti d'une impression heureuse, mais développé d'une façon si +méthodique et si dénuée d'ingénuité) lui semblaient un chef-d'Å“uvre +dont il ne se lassait pas de redire les beautés. Baudelaire a subi là +une emprise de jeunesse dont il ne devait plus se défaire. + +On s'étonnera chez lui d'une admiration si constante pour un poète qui +lui était si sensiblement inférieur, tant par l'inspiration et par la +forme que par l'originalité. Et on pourrait être tenté d'y voir, sinon +une flagornerie envers le critique tout-puissant, du moins la +gratitude d'un obligé. Mais les faits s'opposent à cette hypothèse. +Car Sainte-Beuve ne fit jamais rien pour Baudelaire, ou ce qu'il fit +en sa faveur se réduit à l'impondérable. + +Feuilletez d'ailleurs cet immense Larousse que constitue l'Å“uvre +critique de Sainte-Beuve. Alors que tant de poètes subalternes, tant +d'écrivains quelconques y bénéficient de longs articles, vous n'y +découvrez pas un seul Lundi consacré à Baudelaire. Puis contrôlez par +la correspondance des deux écrivains et vous aurez vite établi le +relevé de ce que Sainte-Beuve accorda à son jeune ami, à celui qu'il +appelait paternellement «son cher enfant». + +1856.--Baudelaire publie sa première traduction de Poe: _Histoires +extraordinaires_. Lui qui ne sollicitait jamais pour son compte +n'hésita en aucun cas à quémander pour Poe. Il s'était institué le +barnum, l'impresario de Poe, le cultivateur acharné de sa gloire en +France. Le silence sur Poe, la moindre critique contre son Å“uvre, +meurtrissait Baudelaire au plus vif[5]. Pour une insignifiante réserve +sur le conteur américain, il faillit se brouiller avec d'Aurevilly. + +En 1856 donc, il écrit à Sainte-Beuve pour lui recommander le +volume[6]. Nous avons la réponse de Sainte-Beuve. Il promet ferme un +article. En bas, une note naïve de l'éditeur ajoute: «Cet article n'a +jamais été fait.» Et d'un![7] + +1857.--Les _Nouvelles histoires extraordinaires_. Nouvelle lettre de +Baudelaire à Sainte-Beuve[8]. Même silence de Sainte-Beuve. Et de +deux! + +_Les Fleurs du Mal._ Sainte-Beuve en connaît, avoue en connaître +plusieurs morceaux. Entre autres, il doit avoir lu les vingt pièces +publiées dès 1855, dans la _Revue des Deux Mondes_[9]. Voici l'ouvrage +complet. Occasion unique de lancer un jeune poète qui se détache avec +éclat de la cohue courante, se donne et est reçu par Sainte-Beuve +comme un disciple. Le critique s'en tient pourtant à une longue lettre +embarrassée, où ne sont pas oubliées les _Pensées de Joseph Delorme_ +ni les _Consolations_ et où les éloges sans chaleur se mâtinent de +gronderies vieillottes. Quant à un article, néant. Et de trois! + +Mais arrive le procès: Baudelaire en danger. Concédons que, critique +officiel, Sainte-Beuve se trouve en délicate posture pour intervenir. +Au moins pourrait-il autoriser Baudelaire à publier sa lettre dans le +recueil d'articles adressé aux juges. Pas question. Tout juste s'il +donnera quelques extraits de cette lettre trois ans plus tard, en +1860[10]. Et il ne la publiera complète que neuf après, le poète mort, +en 1869, dans un furtif appendice des _Lundis_. + +Il est vrai que, sous main, il glisse à Baudelaire des: «Petits moyens +de défense.» Effectivement bien petits. «Tout était pris dans le +domaine de la poésie. Lamartine avait pris _les cieux_. Victor Hugo +avait pris _la terre_ (?) et plus que _la terre_ (??). Laprade avait +pris _les forêts_. Musset avait pris _la passion_ et _l'orgie +éblouissante_ (sic). Théophile Gautier avait pris l'Espagne (!). Ce +que Baudelaire a pris. Il y a été comme forcé[11].» + +Et cela finissait par un coup de dent à Musset, dont la vogue +torturait Sainte-Beuve--Musset dont il conseillait de souligner les +côtés obscènes et pornographiques. Ainsi nuls risques et tout profit. + +Baudelaire n'en garda pas moins de ces conseils une éternelle +reconnaissance. + +1858.--_Gordon Pym._ Nouvelle lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve en +faveur de Poe[12]. Pas d'article. Et de quatre! + +1859.--Un petit scandale. Hippolyte Babou moins patient que Baudelaire +a dénoncé dans un article le silence obstiné de Sainte-Beuve sur +l'auteur des _Fleurs du Mal_, et flétri nettement les réticences +cauteleuses du grand critique qui ne se répand en copie que sur les +ouvrages de second ordre[13]. + +Affolement de Baudelaire à l'idée d'être rendu responsable, quoique +innocent. Lettre à Sainte-Beuve pour se disculper[14]. Réponse +indignée de Sainte-Beuve, furieux de se voir dévoilé[15]. + +«Vous ne pouvez vous faire une idée de ce que c'est que la lettre de +Sainte-Beuve, écrit Baudelaire à Malassis. Il paraît que, depuis douze +ans, il notait tous les signes de malveillance de Babou. _Décidément, +voilà un vieillard passionné avec qui il ne fait pas bon se +brouiller...[16]._» + +Vraisemblablement Sainte-Beuve tint toujours rancune à Baudelaire de +cet incident. Du moins, pour se taire, le ressentiment lui fournissait +là une espèce d'excuse. + +La même année, Baudelaire publiait son étude sur _Théophile Gautier_. +Il va de soi que, selon l'usage, Sainte-Beuve n'en souffla pas mot. Et +de cinq! + +1860.--_Les Paradis artificiels._ Lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve +indiquant discrètement que M. Dalloz, directeur du journal où opère le +critique, lui a dit: «Le livre est digne de Sainte-Beuve. Faites une +visite à Sainte-Beuve à ce sujet.» Baudelaire ajoute: «Je n'aurais osé +y penser. Cependant j'ai plus que jamais besoin d'être soutenu.» Le +post-scriptum fait allusion à un morceau de pain d'épice qu'en passant +il avait porté à Sainte-Beuve, fort gourmet[17]. Nous avons la réponse +de Sainte-Beuve. Evasive, ajournant l'article, alléguant des arriérés, +ne promettant rien. Par contre il daigne remercier du pain d'épice. Et +de six![18] + +A la vérité, il se croyait largement quitte envers Baudelaire. Car, +piqué quand même par l'article de Babou, comprenant la nécessité de +rompre le silence, il s'était enfin décidé à nommer Baudelaire dans +une _Causerie du Lundi_, en date du 20 février[19]. Il y revenait sur +l'article de Babou, accusait son accusateur d'envie, et finalement, +comme un chien qu'on fouette, arrivait à Baudelaire. Oh! sans se +fouler, sans se donner grand mal, recopiant simplement entre +guillemets des fragments de la lettre qu'il lui avait adressée en +1857. On trouvera cette lettre à la suite des _Fleurs du Mal_ dans +l'édition définitive. On la rapprochera de l'article que, dans le même +temps, Barbey d'Aurevilly consacrait au livre[20]. Et on pourra +mesurer toute la distance artistique qui sépare un Sainte-Beuve d'un +Baudelaire, un Sainte-Beuve d'un d'Aurevilly. + +Pour Sainte-Beuve, Baudelaire est «un esprit fin», un talent «habile +et curieux». Mais «Baudelaire se défie trop de la passion(?), de la +passion naturelle(?)». Il «accorde trop à l'esprit, à la +combinaison». «Laissez-vous faire, conseille Sainte-Beuve, ne craignez +pas tant de sentir comme les autres, n'ayez jamais peur d'être trop +commun.» Toutefois, il convient aimer quelques pièces dont certaines +lui semblent dignes de l'Anthologie. Enfin «il tient compte surtout à +Baudelaire» (comme à Bouilhet et à Soulary) «de ce qu'ils viennent +tard, quand l'école dont ils sont a déjà tant donné et tant produit, +quand elle est comme épuisée... Ils soutiennent avec honneur, ils +décorent le déclin et le coucher de la Pléïade». + +On possède ici, presque au complet, le sentiment de Sainte-Beuve sur +Baudelaire, la cote qu'il lui attribue: un petit poète de troisième ou +quatrième ligne, un de ces humbles glaneurs à la suite, qui viennent +quand les maîtres ont fauché le meilleur du champ, esprits fins, +bizarres, distingués, mais qui ne peuvent ramasser que les épis de +surcroît, les déchets de grande moisson, ce qui reste... + +Rappelez-vous plus haut les moyens de défense: «Lamartine avait pris +les _cieux_, Hugo avait pris la _terre_... etc.» + +Sainte-Beuve à ce moment, comme on voit, était loin du jugement porté +vingt ans plus tard par Banville et que la postérité ne cessera de +confirmer: + +«Il faut admirer en Baudelaire un des plus grands hommes de ce temps +et qui, si nous ne vivions pas sous le règne intellectuel de Victor +Hugo, mériterait que nul poète contemporain ne fût mis au-dessus de +lui. De tous les artistes modernes du vers, l'auteur des _Fleurs du +Mal_ est le seul qui n'ait rien dû à l'auteur de la _Légende des +siècles_. Il ne procédait ni de lui ni de personne...[21]» + +1861.--_Richard Wagner et Tannhaüser._ Nul article de Sainte-Beuve. Et +de sept. + +_Les Fleurs du Mal_, seconde édition augmentée. Cette fois, +Baudelaire, comme tout le public littéraire, doit attendre son tour de +Lundi. Plus de procès à invoquer. Un recueil classé, consolidé, +abordant presque déjà la gloire. Evidemment le père Sainte-Beuve va y +aller de son article, donner son impression d'ensemble sur l'homme et +sur l'Å“uvre. Mais non. Pas une ligne, pas un mot, pas une allusion. +Et de huit! + +1862.--Un coup de tonnerre. Baudelaire, en manière de manifestation +artistique, d'affirmation personnelle, se présente à l'Académie. +Fâcheux contre-temps pour Sainte-Beuve qui s'apprêtait à faire +campagne dans cette élection et à peser publiquement les titres des +candidats[22]. Arrivé à Baudelaire, comment s'en tirer? Impossible de +passer sous silence, ou de malmener son «jeune ami». Et d'autre part, +pas moyen de s'associer à cette gaminerie sans nom: Baudelaire, le +petit Baudelaire candidat! Sainte-Beuve ici n'a pas trop de toute son +adresse, pour ne pas dire plus. Il écrit: + +«On s'est demandé d'abord si M. Baudelaire en se présentant voulait +faire une niche à l'Académie et une épigramme; s'il ne prétendait +point l'avertir par là qu'il était bien temps qu'elle songeât à +s'adjoindre ce poète et cet écrivain si habile et si distingué dans +tous les genres de diction, Théophile Gautier, son maître[22 _bis_]. +On a eu _à apprendre, à épeler le nom de M. Baudelaire_ à plus d'un +membre de l'Académie qui ignorait totalement son existence. Il n'est +pas si aisé qu'on le croirait de prouver à des Académiciens politiques +et hommes d'État comme quoi il y a, dans les _Fleurs du Mal_, des +pièces très remarquables vraiment pour le talent et pour l'art...; et +qu'en somme M. Baudelaire a trouvé moyen de se bâtir, à l'extrémité +d'une langue de terre réputée inhabitable et par delà les confins du +romantisme connu, un kiosque bizarre, fort orné, fort tourmenté, mais +coquet et mystérieux, où on lit de l'Edgar Poe, où l'on récite des +vers exquis, où l'on s'enivre avec le haschich pour en raisonner +après, où l'on prend de l'opium et mille drogues abominables dans des +tasses d'une porcelaine achevée. Ce singulier kiosque, fait en +marqueterie, d'une _originalité concertée_ et composite, qui, depuis +quelque temps, attire les regards à la pointe du Kamtchatka +romantique, j'appelle cela la folie Baudelaire. Est-ce à dire +seulement, et quand on a tout expliqué de son mieux à de respectables +confrères un peu étonnés, que _toutes ces curiosités, tous ces +regards_ et ces raffinements leur semblent des titres pour +l'_Académie_, et _l'auteur lui-même a-t-il pu sérieusement se le +persuader_? Ce qui est certain, c'est que l'auteur gagne à être vu, +que là où l'on s'attendait à voir entrer un homme étrange, +excentrique, on se trouve en présence d'un candidat poli, respectueux, +_exemplaire, d'un gentil garçon_, fin de langage et tout à fait +classique dans les formes...» + +J'ai souligné quelques-uns des traits les plus protecteurs, les plus +dédaigneux dans ce certificat de bonnes lettres et bonnes façons. Quel +ton, en effet, pour parler de Baudelaire! Quelle différence avec les +accents déférents d'un Barbey d'Aurevilly, d'un Asselineau, d'un +Edouard Thierry! + +N'empêche que de la part de Sainte-Beuve, si gros Monsieur, juché si +haut, un tel acte de condescendance, un tel présent de publicité +pouvaient paraître exceptionnels. Baudelaire, évidemment, sentit plus +l'honneur que les réserves. Il écrivit à Sainte-Beuve une lettre +débordante de gratitude[23]. + +Dès cet instant, il était à sa merci, suivit tous ses conseils +académiques, n'insista plus, se désista. Sainte-Beuve le félicita de +cette renonciation. «Quand on a lu votre dernière phrase de +remerciement conçue en termes si modestes et si polis, on en a dit +tout haut: _Très bien!_ Ainsi vous avez laissé de vous une bonne +impression: n'est-ce donc rien[24]?» + +Baudelaire ne put nier, mais dut probablement penser que, pour ses +candidats, Sainte-Beuve se contentait de peu. + +1863-1864-1865-1866.--_Eurêka_, les _Histoires grotesques et +sérieuses_[25], des vers dans les _Poètes français_ de Crépet, des +vers dans le _Parnasse contemporain_. Sur tout cela cherchez dans +Sainte-Beuve: silence, silence. Une fois pour toutes avec son «jeune +ami» il s'est mis en règle. Compte clos, crédit arrêté. Il ne parlera +plus jamais de Baudelaire[26]. + +Il le sait cependant aux abois, forcé par les dettes à l'exil, +interdit de séjour, gravement malade, plus que pauvre. Sur des prières +aussi discrètes que réitérées, il semble bien, sans que ce soit sûr, +lui avoir donné un coup d'épaule auprès du libraire Garnier pour une +édition complète. Mais d'articles, de citations, plus l'ombre[27]. + +Quand Baudelaire meurt, une banale lettre de condoléances à Mme +Aupick. C'est tout.[28] + +Et pourtant, j'oublie un détail. Cela se passait en 1869. Un grand +mouvement se dessinait autour de la mémoire de Baudelaire. La +Fizelière et Decaux avaient publié l'année précédente--hommage inconnu +à Sainte-Beuve--une bibliographie minutieuse de l'auteur des _Fleurs +du Mal_, où se trouvaient notés les moindres de ses poèmes, les +moindres de ses études[29]. L'éditeur Michel Lévy, emboitant le pas, +adoptait les vÅ“ux des amis de Baudelaire, commençait l'édition des +Å“uvres complètes, tant souhaitée par le poète. + +Une Å“uvre complète à embrasser, une carrière totale à juger, le +sujet idéal pour un _Lundi_ de Sainte-Beuve. Tout le monde sans doute +guettait l'article, l'éditeur comme les lettrés. + +Mais non. Sainte-Beuve, figé dans son mutisme, ne vit là qu'un +prétexte à réclamation personnelle. La lettre de 1857 ayant été +publiée par Michel Lévy à la suite du premier volume, il y aperçut des +fautes d'impression. Pour rectifier, il donna le texte authentique à +la fin d'un tome des _Lundis_. La lettre était précédée de ces +lignes[30]: + +«Le poète Baudelaire, très raffiné, très corrompu à dessein et par +recherche d'art, _avait mis des années_ à extraire de tout sujet et de +toute fleur un suc vénéneux et même, il faut le dire, _assez +agréablement vénéneux_; c'était d'ailleurs un homme d'esprit _assez +aimable à ses heures_ et très capable d'affection...» + +A ce maigre bouquet se réduisit sa couronne funèbre, à cette sèche +notice l'étude définitive qu'on espérait. Même au delà de la tombe, +Sainte-Beuve ne gâtait pas «son cher enfant». + + +Comme chez beaucoup de critiques, chez Sainte-Beuve, à côté de vues +fines et ingénieuses, abondent les bévues, les injustices, les +incompréhensions. + +Toutefois, parmi les siennes, on peut distinguer trois périodes. Dans +la première, c'est un enthousiasme sincère ou voulu qui l'abuse. +S'improvisant le héraut de la phalange romantique, souvent les amitiés +ou les antipathies de groupe l'entraînent trop loin dans le +dénigrement ou dans l'éloge. + +Après 1835, il a pu se convaincre que, comme poète, il était à jamais +surpassé, «gratté», par ses compagnons de lutte: Lamartine, Hugo, +Gautier, Vigny, Musset. Dès lors, malgré lui, c'est l'envie qui +l'égare. Une brouille avec Hugo lui épargnera le supplice de chanter +ses louanges. Envers les autres, par contre, son envie ne se maîtrise +plus. Elle suinte en gouttelettes amères dans ses journaux privés, ses +remarques secrètes. Puis, au jour propice: anniversaire, réception +académique, malheur, mort, elle déferle dans un article. Pas un de ces +grands noms qu'elle n'ait aspergés de ses jets venimeux[A]. + + [A] Pour être exacts, rappelons cependant une épargnée: Mme + Desbordes-Valmore, dont Sainte-Beuve fut des rares à sentir et à + vanter, comme il fallait, le génie. + +Enfin, à partir de 1850, le train artistique le déroute. Il n'y est +plus, ne suit plus. L'incompétence ici l'aveugle. Il néglige Leconte +de Lisle, Michelet, Barbey d'Aurevilly. Il se trompe lourdement sur +Flaubert. Il passe à côté de Verlaine. L'envergure de Baudelaire lui +échappe. + +Dans ces données comme dans les documents cités plus haut, on +trouverait peut-être une explication de son attitude envers +Baudelaire. + +Son silence presque continu sur l'auteur des _Fleurs_ _du Mal_ +procéderait de deux des phases ci-dessus: la troisième, puis la +seconde. Tant que Baudelaire reste obscur, il l'omet ou le diminue, +faute de l'apprécier à sa valeur. Dès que la gloire de son «jeune ami» +se lève, il s'en tait, crainte de la pousser. + +Avec Baudelaire il commence par l'incompétence et il termine par +l'envie. + +[Illustration: ornement fin de page] + + + + +II + + +Parmi les nombreux articles qu'a suscités ma précédente étude et qui +nous montrent en pleine ascension la gloire comme la faveur de +Baudelaire, il s'en est trouvé quelques-uns pour prendre la défense de +Sainte-Beuve. Notamment l'âpre plaidoyer qu'a publié dans le _Temps_ +mon ami M. Paul Souday. + +Il serait oiseux de discuter ici longuement les griefs personnels que +m'oppose le sagace critique du _Temps_. + +De ce qu'on est chroniqueur, romancier, auteur dramatique, s'ensuit-il +que vous soient interdites la culture, la lecture et certaines +prédilections littéraires? De ce qu'on admire chez Vallès le grand +écrivain, le grand romancier, résulte-t-il qu'on doive endosser ses +boutades, ses foucades, ses idées et qu'avec lui on doive renvoyer +Baudelaire à l'asile ou Homère aux Quinze-Vingts? Enfin, parce qu'en +maint endroit Barbey d'Aurevilly surcharge fâcheusement son style +d'arabesques et de clinquant, parce qu'il écrivit sur GÅ“the un +pamphlet superficiel, parce qu'en une de ses phrases il se rencontre +avec Sainte-Beuve, faut-il pour cela taire la rare clairvoyance de son +étude sur les _Fleurs du Mal_ et nier le contraste frappant avec le +critique des _Lundis_? Sincèrement je ne le pense pas. + +Sur le reste du débat, d'autre part, les faits et les documents que +j'ai cités me paraissent répondre; et sans fol orgueil, je crois que +l'interprétation que j'en ai donnée n'outrepassait ni la mesure ni la +vérité. + +Comme exemples, ne reprenons que les dates et les Å“uvres culminantes; +en 1861, la seconde édition des _Fleurs du Mal_,--en 1869, l'édition +des Å“uvres complètes. + +En 1861, l'autorité littéraire de Baudelaire ne souffre plus conteste. +Il apporte un recueil entièrement renouvelé, expurgé des pièces libres +qui pouvaient effaroucher la critique officielle, augmenté de pièces +inédites dont quelques-unes magistrales, comme _le Voyage_, ce joyau +de la poésie française. A ce moment, pas de poète, pas de critique qui +ne s'incline devant son talent. A ce moment, Leconte de Lisle, si +sévère pour lui-même, si dur pour autrui, lui consacre un article, où, +malgré la réserve des épithètes et ce quelque chose de tendu +qu'avaient toujours ses louanges, on voit Baudelaire placé au premier +rang, hors pair[31]. + +Si alors Sainte-Beuve résiste au mouvement, s'obstine dans son +mutisme, ce n'est nullement malveillance ni même absolue +incompréhension. C'est, comme le prouvent nos documents, qu'il tient +Baudelaire pour un _poeta minor_ ne méritant pas encore le _dignus +intrare_ dans la galerie des _Lundis_. + +Or, comment appeler d'un autre nom qu'incompétence une telle faute de +perspective, un tel manque de discernement et de sensibilité? + +En 1869, les circonstances seront différentes. + +D'abord, pour renseigner Sainte-Beuve sur l'importance réelle de «son +jeune ami», toute l'Å“uvre de Baudelaire est là [32]. + +Non seulement les _Fleurs du Mal_, mais encore ces poèmes en prose +auxquels, en passant il a décoché jadis un salut. + +Non seulement l'Å“uvre d'imagination, mais l'Å“uvre critique: les +salons de 1845, de 1846, de 1859, les études sur les caricaturistes, +les articles sur les grands littérateurs du temps, pages saisissantes +par la prescience et la hardiesse des aperçus, par l'esthétique +sereine et stable qui s'en dégage,--modèles accomplis de cette +critique intuitive où les poètes souvent excellent. + +Bref, dans ces quatre volumes, Baudelaire révélé: le reflet constant +d'un des génies les plus profonds, les plus variés, les plus originaux +qu'ait produits la littérature. + +A l'éclat d'une pareille Å“uvre, on a peine à croire que Sainte-Beuve +ne distingue pas son erreur. Fermerait-il même les yeux pour ne pas +la voir, que ses oreilles tinteraient de la rumeur d'éloges montant +autour du nom de Baudelaire. + +Quand je disais, en effet, que tout le monde littéraire attendait son +article d'ensemble sur Baudelaire, je n'avançais pas qu'une +conjecture. Lisez plutôt la préface de la bibliographie de Baudelaire +par La Fizelière et Decaux. Sainte-Beuve y est cité, encensé, mais +aussi mis en demeure. + +«Quant à l'appréciation de ses écrits, déclarent les auteurs (en un +style que pallie la bonne intention), quant à l'appréciation de ses +écrits, elle appartient de toute nécessité à quelque grand critique +habile comme M. Sainte-Beuve, par exemple, à faire courir le scalpel +de l'analyse sur la fibre délicate d'une organisation poétique qui, +chez Baudelaire, était prodigieusement exceptionnelle.» + +Et tout le long de la préface, l'appel direct à Sainte-Beuve se +poursuit, couvrant sous les fleurs une véritable sommation. + +On sait la fin de non-recevoir qu'y opposa le critique des _Lundis_. +Avertissements venus de l'Å“uvre, invites venues du monde des lettres, +rien n'eut raison de son silence. Ici l'erreur n'étant plus invocable, +on ne trouve plus guère d'explication que l'envie. + +Etonnante certes, à première vue, chez ce vieux maréchal, si au-dessus +de l'humble gradé Baudelaire. Mais on oublie que dans les lettres, +hélas! il est deux envies: celle qui vise vos égaux et celle que vous +inspirent vos subalternes, l'envie contre les gens de son bateau et +l'envie contre le bateau qui suit. Or, des deux, qui jurerait que la +seconde n'est pas fréquemment la plus douloureuse, la plus cuisante, +la plus implacable? Et qui prétendrait que, si sujet à la première, +Sainte-Beuve soit demeuré inaccessible à la seconde? + +Pourtant une chance de défense subsistait, puisée dans la santé débile +de Sainte-Beuve et la date de sa mort. + +Durant cette année 1869, nous sommes au fait des tourments que lui +infligea la maladie. Au mois d'août, ses souffrances s'aggravaient. En +septembre il donna son dernier article. Il mourut le mois suivant. + +En tenant compte de ces remarques, une hypothèse aussitôt se +présentait. Les quatre premiers tomes de l'édition complète de +Baudelaire étant datés de 1869, peut-être avaient-ils paru, sur la fin +de l'année, quand Sainte-Beuve touchait à ses suprêmes moments. Des +lors, comment reprocher à un agonisant le silence le plus pardonnable? + +Si pénible que fût une enquête de ce genre funèbre, j'ai voulu en +avoir le cÅ“ur net. J'ai consulté la Bibliographie de la France aux +années 1868 et 1869. Et voici le résultat: + +Dès la fin de 1868, nous le savons par ses écrits, Sainte-Beuve +connaît à fond les _Fleurs du Mal_ et les _Poèmes en prose_. Les +_Curiosités esthétiques_, renfermant les salons et critiques d'art, +paraissent en décembre 1868. L'_Art romantique_, contenant les études +de mÅ“urs et les critiques littéraires, paraît en février 1869. + +De fin février à septembre, Sainte-Beuve disposait donc de six grands +mois, de vingt-quatre _Lundis_, pour parler de Baudelaire. Durant ces +six mois, il continua à se taire. De ces vingt-quatre feuilletons pas +un seul ne fut accordé à Baudelaire. + +Il me semble que cette fois la cause est entendue. + +[Illustration: ornement fin de page] + + + + +APPENDICE + +LES SENTIMENTS DE BAUDELAIRE POUR SAINTE-BEUVE + + +Au cours de l'étude qui précède, on a pu constater l'inaltérable +attachement de Baudelaire pour Sainte-Beuve malgré les constantes +défections du critique à son égard. + +Il resterait à expliquer cette longanimité si contraire à ce que nous +révèlent de Baudelaire ses correspondances et ses papiers intimes. + +Sans s'y montrer positivement vindicatif, le poète ne cesse d'y +attester une extrême sensibilité aussi bien aux bons procédés qu'aux +mauvais. Éloges ou dénigrements, il note tout avec une perspicacité +toujours en éveil. Se défiant même de la mémoire, cette négligente, +qui oublie souvent en route les injures autant que les bienfaits, il +avait institué dans ses carnets une rubrique spéciale intitulée +_Vilaines canailles_, où il inscrivait les noms des personnes qui +l'avaient desservi ou simplement déçu. Or, par un traitement +privilégié, Sainte-Beuve ne figure sur aucune de ces listes +vengeresses. + +Bien mieux, en 1859, au moment où Babou manque de le brouiller avec le +critique, dans la lettre affolée qu'il écrit à Poulet-Malassis, +Baudelaire déclare: «Ce qu'il y avait dangereux là dedans, c'est que +Babou avait l'air de me défendre contre quelqu'un qui m'a rendu _une +foule de services_.» + +Lesquels? On reste rêveur. On cherche et voici ce qu'on trouve jusqu'à +cette date: trois refus d'articles sur Poe, une lettre privée sur les +_Fleurs du Mal_, des conseils privés lors du procès. Secours bien +minces. On cherche encore: on découvre deux lettres de Sainte-Beuve, +l'une en date du 3 octobre 1852 mentionnant la recommandation d'un +manuscrit à Véron, une autre lettre en date du 20 mars 1854 où +Sainte-Beuve se récuse au sujet d'une demande d'appui au _Moniteur_. +Et c'est tout. + +Qu'un poétereau, à visées médiocres et doutant de soi, se fût abusé +sur l'importance de ces menus services, l'illusion semblerait +plausible. Mais chez Baudelaire, elle déconcerte. + +Dans ses lettres, dans ses carnets, le trait dominant, permanent, +c'est l'orgueil. + +Non pas la petite vanité de l'homme de lettres qui puise toute sa +force dans les louanges d'autrui, les publicités bruyantes, les succès +immédiats--et s'effondre aussitôt que ces adjuvants cessent. Mais une +foi intérieure et indéfectible en sa valeur personnelle, en son +génie, en son Å“uvre, une prescience presque miraculeuse du rang où +celle-ci atteindra. Dès 1847, quand il annonce les _Fleurs du Mal_ +sous son titre primitif _Les Lesbiennes_, le format que Baudelaire +leur assigne d'autorité, c'est l'in-quarto--c'est-à -dire le format +réservé aux grands chefs-d'Å“uvre consacrés[B]. En 1860, un an après +l'incident Babou, il écrit à sa mère: «Plus je deviens malheureux, +plus mon orgueil augmente.» Et dans une autre lettre: «Comme j'ai un +genre d'esprit impopulaire, je gagnerai peu d'argent, _mais je +laisserai une grande célébrité, je le sais_.» Et partout de même +répétée, ressassée la certitude de la durée, de l'immortalité des +_Fleurs du Mal_. + + [B] Edition originale de _Chien Caillou_ de Champfleury, Martinon + 1847. Sur le 2e plat de la couverture: A PARAITRE INCESSAMMENT: + Pierre de FAYIS, _Les Lesbiennes_, poèmes, un volume grand in-4. + +Comment supposer alors que Baudelaire n'aperçoive pas la disproportion +entre le sentiment qu'il a de sa grandeur et la taille que lui +attribue Sainte-Beuve? Comment comprendre qu'il tremble à l'idée d'une +brouille avec un protecteur si tiède et qu'il exagère, avec un si +manifeste parti pris, une serviabilité si parcimonieuse? + +Énigme qui n'est insoluble qu'à première vue et qui s'éclaire quand on +analyse un à un les éléments de cet attachement étrange. + +Sans parler de la première emprise de jeunesse, des premiers élans +d'admiration qui durent s'atténuer secrètement lorsque Baudelaire prit +pleine possession de son talent, il est évident que, dans cet +attachement, l'intérêt eut une part. + +Non que dans ses relations avec Sainte-Beuve, Baudelaire poursuivît un +avantage personnel. Vraisemblablement, quoique sans grande confiance, +il espérait, il ne désespérait pas qu'un jour, peut-être, à la longue, +son tour de _Lundi_ viendrait. Mais au peu que Sainte-Beuve lui avait +accordé, à ces éloges retenus, et par raccroc, que le critique lui +dispensait dans un coin d'article, Baudelaire était trop fin pour ne +pas discerner que ce jour était encore bien lointain, bien incertain, +si encore il devait jamais luire. Au surplus, son orgueil lui +permettait d'attendre et lui défendait de demander plus. Une seule +fois il fléchit, c'était en 1860, lorsque parurent les _Paradis +artificiels_. Baudelaire alors nettement sollicita de Sainte-Beuve un +article. Mais par les lettres récemment publiées dans la _Revue de +Paris_, nous connaissons les dessous de cette défaillance. «J'ai plus +que jamais besoin d'être soutenu, écrivait-il à Sainte-Beuve et je +devais vous rendre compte de mon _embarras_.» _Embarras_ signifiait le +dernier degré de la détresse, misères physiques, misère pécuniaire, un +homme à la dérive. Cette sollicitation dictée par l'angoisse resta, on +le sait, sans résultat. Ce fut la première et la dernière. + +Par contre, si peu quémandeur pour lui-même, nous avons vu que, en +faveur de Poe, Baudelaire n'hésitait pas à harceler Sainte-Beuve. De +1856 à 1865, pas une année sans que Baudelaire ne revienne à la +charge, ne caresse et ne relance le critique pour lui arracher +l'article sur Poe. C'est chez lui le même acharnement qu'à demander de +l'argent à sa mère pour Jeanne Duval. Avec la Muse noire, Poe avait +fini par devenir sa grande charge, son grand devoir. Pour lui gagner +Sainte-Beuve, il eût tout pardonné, il pardonnait tout au critique. +Poe fut sûrement dans leur attachement un des liens les plus solides. + +Mais en dehors de ces calculs--bien désintéressés--ce qui semble avoir +le plus retenu Baudelaire à Sainte-Beuve, malgré déboires et +déceptions, c'est Sainte-Beuve lui-même, sa fréquentation, sa société. + +Si orgueilleux que fût Baudelaire, visiblement il avait été flatté par +l'accueil affable de cet écrivain fameux, son aîné presque de vingt +ans, maître de toutes les renommées littéraires de l'heure, et dont la +porte ne s'ouvrait qu'à des pairs ou à des intimes. + +«Un homme qui, malgré ma jeunesse relative, m'a toujours pris pour son +égal!» écrivait-il fièrement à sa mère en 1865. Traitement peu commun +de la part de Sainte-Beuve, si réservé, si en méfiance contre les +intrus et les fâcheux. + +Et effectivement, faute de services, il ressort de leur correspondance +que Sainte-Beuve ne ménageait à Baudelaire ni une paternelle +considération ni de délicats égards ni même des avis et des +réconforts d'autant plus précieux qu'ils venaient de plus haut. + +«Est-il permis de venir se réchauffer et se fortifier à votre contact? +lui écrivait Baudelaire en 1865 (un mois après lui avoir adressée +vainement _Gordon Pym_). Vous savez ce que je pense des hommes +atonifiants et des hommes tonifiants. J'ai besoin de vous comme d'une +douche.» + +On se demande, du reste, dans quelle société Baudelaire si réfléchi, +si épris de belles lettres, eût trouvé l'équivalent en agrément et en +qualité de ce que lui offrait celle de Sainte-Beuve. Banville bien +superficiel et funambulesque, Gautier pliant sous le feuilleton et, en +ses propos, plus rapin que penseur, Leconte de Lisle absorbé dans ses +transcriptions de l'antique, Poulet-Malassis bon lettré mais tout à +ses échéances, Asselineau aimable polygraphe mais sans profondeur, +Théophile Silvestre écrivain de haute marque mais toujours au dehors +pour des inspections d'art, Flaubert à Croisset, Barbey d'Aurevilly, +le tempérament le plus proche du sien, mais accaparé par le roman, le +journalisme, les salons,--à la vérité, comme tous les esprits +supérieurs, Baudelaire se trouvait très isolé dans son époque[C]. A +défaut de Renan qu'il ne connaissait pas et qui d'ailleurs se +désintéressait ouvertement des auteurs du jour, on conçoit que, pour +un poète de cette envergure et de cette culture, la familiarité, même +inefficace, de Sainte-Beuve ait été la planche de salut, le +_præsidium_ rêvé. Et l'on s'explique que pour le garder Baudelaire ait +avalé tant de couleuvres. + + [C] Au moment où se corrigent les épreuves de cette étude, la + _Revue de Paris_, du 15 octobre 1917 publie une lettre de + Baudelaire qui apporte aux remarques ci-dessus la confirmation du + poète lui-même: «Excepté d'Aurevilly, Flaubert, Sainte-Beuve, je + ne peux m'entendre avec personne. Th. Gautier seul peut me + comprendre, quand je parle peinture.» (11 août 1862). + +Cependant, à la digestion, ne lui laissèrent-elles pas quelques +aigreurs? La négative serait aventurée. + +Ouvrons en effet les _Fleurs du Mal_ (première ou seconde ou troisième +édition) et relevons les noms des dédicataires. L'ensemble du volume +est dédié à Gautier, trois pièces sont dédiées à Victor Hugo, deux au +sculpteur Christophe, une autre à Banville, une autre à Constantin +Guys, une autre à Maxime du Camp. + +Mais à Sainte-Beuve pas une seule, malgré les témoignages d'admiration +que prodiguait Baudelaire, dans ses lettres, au poète de _Joseph +Delorme_. + +Consultons la _Revue Fantaisiste_ où parurent de Baudelaire les +_Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains_. Ces _Réflexions_ +ont pour sujets Banville, Barbier, Desbordes-Valmore, Pierre Dupont, +Flaubert, Gautier, Victor Hugo, Leconte de Lisle, Le Vavasseur, Paul +de Molènes, Pétrus Borel. Mais de Sainte-Beuve pas trace. + +Compulsons le recueil des _Poètes Français_ de Crépet où l'anthologie +de chaque poète s'orne d'une étude sur son Å“uvre. Baudelaire a signé +plusieurs de ces notices. Sainte-Beuve y a, bien entendu, la sienne. +Mais elle n'est pas signée: Baudelaire. Elle est signée: Babou. + +Feuilletons enfin les Å“uvres complètes de Baudelaire, fouillons, +scrutons ligne à ligne. Dans les sept volumes, nulle part le nom de +Sainte-Beuve n'est cité. + +Omissions trop répétées pour qu'on les croie dues au hasard. + +Il est plus probable qu'elles furent voulues et que, par ce mutisme +obstiné, Baudelaire entendit rendre à Sainte-Beuve ce qu'on appelle +«la pareille». + +Ici s'accuse nettement la différence de procédés entre les écrivains +de haute classe et les subalternes. + +Négligé par Sainte-Beuve, un Babou s'exaspère, accuse, invective. + +Un Baudelaire, au contraire s'en tiendra au silence, cette légitime +représaille de l'artiste contre ceux qui se taisent sur lui. + +[Illustration: ornement fin de page] + + + + +NOTES + + + [1] «Le second ami était et est encore gros, paresseux et + lymphatique; de plus il n'a pas d'idées et ne sait qu'enfiler et + perler des mots en manière de colliers d'Osages» (Article de + Baudelaire dans l'_Echo des Théâtres_ du 23 août 1846. _OEuvres + posthumes_, Mercure de France, 1908, p. 293). + + [2] La prédiction de Gautier sur Baudelaire est trop longue pour + être citée en entier. Elle se termine ainsi: «Le Baudelaire fera + long feu comme le Pétrus.» (M. DU CAMP, _Souvenirs littéraires_, + t. II, p. 83 et 84). + + A joindre cette autre opinion de Gautier sur _le_ Baudelaire: + «Théophile Gautier qui, dans l'intimité, a un vif sentiment + critique, me disait en 1848:--Baudelaire est un beau vase qui a + une _fissure_» (CHAMPFLEURY, _Souvenirs_, p. 145). + + Il est à remarquer cependant que, dès 1845, la presque totalité + des _Fleurs du Mal_ était connue du monde lettré par les + récitations qu'en faisait Baudelaire. + + [3] _OEuvres posthumes_, Mercure de France, 1908, p. 54. + + [4] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 492, 15 janvier 1866. + + [5] En 1856, dans la _Préface_ de sa traduction des _Histoires + extraordinaires_, à propos d'un biographe de Poe, qui s'était + permis, par une inconvenance étrange, de publier en tête des + Å“uvres de l'écrivain un éreintement en règle de sa vie et de ses + ouvrages, Baudelaire écrivait ces lignes indignées et mémorables: + «Il n'existe donc pas en Amérique d'ordonnance qui interdise aux + chiens l'entrée des cimetières» (_Histoires extraordinaires_, + 1856, p. XX). + + [6] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 190, 19 mars 1856. + + [7] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 210, 24 mars 1856. + + [8] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 104, 9 mars 1857. J'ai omis de + noter la réponse de Sainte-Beuve (_Correspondance_, t. I, p. 222, + 11 mars 1857). Sainte-Beuve préfère qu'Edouard Thierry, rédacteur + au _Moniteur_, parle d'abord de l'ouvrage. Quant à lui, il + ajourne à une date vague, sous prétexte qu'il n'a pas encore «sa + petite idée» sur Poe--malgré la publication de deux volumes + contenant les plus célèbres chefs-d'Å“uvre du conteur. Cette + seconde promesse d'article n'eut pas, d'ailleurs, plus de suites + que la première. + + [9] _Revue des Deux Mondes_, 1er juin 1855. + + [10] _Nouveaux Lundis_, t. I, p. 400, et SAINTE-BEUVE, + _Correspondance_, t. I, p. 219. + + [11] BAUDELAIRE, _OEuvres posthumes_, Quantin, 1887 (éd. Crépet), + p. 285. + + [12] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 163, 14 juin 1858. «... Il y a des + jours où les injures de tous les sots vous montent au cerveau et + alors on implore son vieil ami Sainte-Beuve.» Le vieil ami + Sainte-Beuve n'avait sans doute pas encore assez mûri «sa petite + idée» sur Poe, car il persista dans le silence. + + [13] Cet article, intitulé l'_Amitié littéraire_, avait paru dans + la _Revue Française_. Il reparut dans un volume de Babou, + intitulé _Lettres satiriques et critiques_, Poulet-Malassis, + 1860. Le passage visant Sainte-Beuve se terminait par la phrase + suivante: «Il glorifiera _Fanny_, l'honnête homme! et gardera le + silence sur les _Fleurs du Mal_.» Toutefois, l'éditeur, sans + doute sur la prière de Baudelaire, ayant supprimé la phrase, + Babou la rétablit dans un _Post-scriptum_ avec sommation à + Poulet-Malassis de l'insérer. + + [14] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 184, 21 février 1859. + + A consulter également une lettre à Asselineau sur le même sujet + (p. 185) du 24 février 1859. + + [15] SAINTE-BEUVE, _Nouvelle Correspondance_, p. 153, 23 février + 1859. A consulter aussi une lettre de Sainte-Beuve à + Poulet-Malassis (p. 142), même date, même sujet. Sainte-Beuve + demande à Poulet-Malassis de lui confier la fameuse lettre qu'il + avait adressée à Baudelaire sur les _Fleurs du Mal_ et qui, de + 1857 à 1870, constitue sa grande pièce de défense, sa grande + parade contre les accusations d'indifférence envers Baudelaire. + + [16] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 187. + + [17] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 269. + + [18] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 255, 3 juillet + 1860. + + [19] _Causeries des Lundis_, t. XV, p. 350. _Lettre au + directeur-gérant du Moniteur._ Il est à signaler qu'une fois de + plus, Sainte-Beuve justifie son silence en invoquant un article + consacré à Baudelaire dans le _Moniteur_ par Edouard Thierry. En + 1858 il dit à Baudelaire: «Thierry parlera de vous.» En 1860: + «Thierry a parlé de vous.» Ingénieuse combinaison qui instituait + Thierry définitivement comme délégué aux affaires baudelairiennes + et fournissait aux temporisations de Sainte-Beuve tantôt une + prétexte, tantôt une excuse. + + Il est en outre à noter que l'incident Babou-Sainte-Beuve se + termina au mieux. En 1862, en tête des poésies de Sainte-Beuve + publiées dans les _Poètes Français_ de Crépet, parut une notice + sur Sainte-Beuve, signée Hippolyte Babou et où l'encensoir n'était + pas balancé de main morte (_Poètes Français_, t. IV, p. 357). Sur + quoi, Sainte-Beuve, ne voulant pas demeurer en reste de politesse, + accorda aux notices publiées par Babou dans ce recueil un + paragraphe plus qu'obligeant (_Nouveaux Lundis_, t. III, p. 341). + + Dans cette affaire il n'y eut donc qu'une victime: Baudelaire. + + [20] Ce bel article parut d'abord dans les _Articles + justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des Fleurs du Mal_ + (1857), imprimerie Dondey Dupré, p. 9. Il fut réédité dans _Les + OEuvres et les Hommes_, 1862, t. III. + + [21] Extrait de la notice de Banville, un des morceaux les plus + complets et les plus profonds qu'on ait publiés sur l'OEuvre de + Baudelaire. Banville, d'habitude si menu, si gracile, si + papillonnant, y atteint, en maint endroit, à la force. Cette + notice parut d'abord dans l'_Album de la Galerie contemporaine_, + in-4, Baschet (vers 1877). Elle a été reproduite, en partie + seulement, dans la récente édition des _Fleurs du Mal_, publiée + par la librairie Fasquelle (1912). + + [22] _Nouveaux Lundis_, t. I, p. 400 et 401. + + [22 _bis_] Ce nom, ces mots n'étaient pas mis là sans intention. + Dans un article récent du _Mercure de France_, M. Ernest Raynaud + nous a révélé l'espèce de pacte d'échange qui s'était conclu à ce + moment entre Sainte-Beuve et Gautier: Sainte-Beuve promettant un + fauteuil d'académicien à Gautier contre un siège de sénateur que + celui-ci lui assurerait. On devine le trouble qu'apportait dans + ces _combinaziones_ l'irruption ingénue de Baudelaire. + Sainte-Beuve, il faut le reconnaître, se tira fort habilement de + ce mauvais pas. Désigner Gautier comme le maître de Baudelaire, + c'était du même coup amorcer sa candidature et ruiner celle de + son jeune concurrent. Protester contre l'indifférence de + l'Académie envers les poètes du jour, c'était poser des jalons + pour une compensation prochaine en faveur de Gautier. Dès lors, + l'échec de Baudelaire, soit par voie de scrutin, soit par voie de + désistement, ne faisant pas de doute, on se trouvait en + excellente posture pour pousser Gautier au premier fauteuil + vacant. A tous égards, ce fut du plus joli travail académique et + où il semble bien que Baudelaire n'ait vu que du feu. + + [23] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 325. + + [24] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 285, 15 février + 1862. + + [25] Cependant Baudelaire avait envoyé les _Histoires sérieuses + et grotesques_ à Sainte-Beuve et spécialement attiré son + attention sur ce livre, sans obtenir même un accusé de réception + (_Lettres_, p. 426, 15 mars 1865 et p. 427, 30 mars 1865). + + [26] A titre de curiosité, j'ai relevé les noms des poètes + contemporains auxquels Sainte-Beuve avait consacré des articles + entre 1857 et 1867, date de la mort de Baudelaire. + + 1857.--_Théodore de Banville_, _Alfred de Musset_. + + 1860.--_Mme Desbordes-Valmore_ (OEuvres posthumes). + + 1861.--_Victor de Laprade._ + + 1862.--_Calemard de Lafayette._ + + Même année, étude sur les _Poètes français_ de Crépet qui fournit + prétexte à des études sur _Soulary_, de _Belloy_, _Coran_--sans un + mot sur Baudelaire, quoique celui-ci figurât dans le recueil. + + 1863.--_P. Lebrun_, _Théophile Gautier_. + + 1864.--_Alfred de Vigny._ + + 1865.--_Charles Monselet._ Même année, un article sur la _Poésie + française en 1865_. + + Sainte-Beuve s'y plaint du manque d'originalité des poètes + nouveaux. «Je me dis: ceci est du Musset!» ou bien: «Ceci rappelle + Victor Hugo» ou «Ceci est du Gautier, du Banville, du Leconte de + Lisle--ou _même_ du Baudelaire». Toujours les réserves tendant à + réduire l'importance de Baudelaire. Ce _même_ était bien du même + au même. + + Mais voici plus significatif encore. En 1862 Sainte-Beuve se + chargea de préfacer les _Poètes français_ de Crépet. Il rédigea, à + cet effet, une introduction formant histoire de la poésie + française. Arrivé au XIXe siècle il en conte les débuts--mais, en + 1862, quelle déchéance! Il se lamente sur cette décrépitude, + appelle à grands cris une Poétique nouvelle. «Et ce qui vaudrait + mieux, ajoute-t-il, ce serait un exemple nouveau et vivant. La + Nature seule peut créer le génie. A celui qui _doit venir_ et _en + qui nous avons espérance_, nous dirions....» Suit une prosopopée + assez fade qui se termine ainsi: «Vous n'avez qu'à puiser au gré + de vos inspirations, suivant votre habileté et votre audace;... + vous fondrez tout à la flamme de votre génie; vous remettrez + chaque chose à son point dans la trame du bel art, _ô grand poète + qui naîtrez_!» + + Invocation sincère mais plutôt oiseuse, puisque ce grand poète, à + l'insu de Sainte-Beuve, était né depuis cinq ans déjà . + + [27] BAUDELAIRE, _Lettres_, 1865, _passim_, p. 489 à 496. + + L'appui de Sainte-Beuve semble s'être borné à certifier à + l'éditeur Garnier la valeur littéraire de Baudelaire. + + Dans une des lettres de Baudelaire à sa mère, publiées par la + _Revue de Paris_ (20 juillet 1865), le poète exprime assez + exactement la nature de l'aide que lui prêta le critique des + _Lundis_ en vue de ce traité avec Garnier, qui, au surplus, ne + devait pas aboutir: «Sainte-Beuve, que j'ai vu à mon passage à + Paris, m'a dit qu'il se mêlerait un peu de la question.» + + [28] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. II, p. 209. Il est, dans + cette lettre, à retenir deux points: 1º Sainte-Beuve ne formule + aucune promesse d'article; 2º Sa lettre est datée du 12 + septembre, c'est-à -dire qu'elle ne fut écrite que douze jours + après la mort de Baudelaire. + + [29] A. DE LA FIZELIÈRE et GEORGES DECAUX, _Essais de + bibliographie contemporaine, Charles Baudelaire_, librairie de + l'Académie des Bibliophiles, 1868. + + [30] _Causeries du Lundi_, t. XV, p. 527. + + [31] _Revue Européenne_, 1861. Réédité à la suite des _Derniers + Poèmes_, 1895. + + [32] Il s'est produit ici une grave lacune dans le nomenclature + des symptômes qui, à défaut de perspicacité, eussent dû avertir + Sainte-Beuve de la place prise par Baudelaire dans la poésie + française. + + J'avais en effet oublié de mentionner parmi ces symptômes la + notice de Théophile Gautier, insérée en tête de l'édition + définitive des _OEuvres complètes_ (1868). + + Si défectueuse et restrictive que soit encore cette notice qui + persiste à maintenir Baudelaire dans le cercle des poètes + artificiels et subtils, le fait qu'un écrivain illustre comme + Théophile Gautier, grand potentat du feuilleton, un des maîtres de + la célèbre phalange romantique, eût assumé la charge de présenter + Baudelaire au public et lui eût accordé l'honneur de + soixante-quinze pages en texte serré, ne pouvait manquer d'attirer + l'attention de Sainte-Beuve. + + Il y avait là mieux qu'un acte de complaisance posthume, une + véritable consécration. + + Il paraît peu probable que l'importance de cette manifestation ait + échappé à un esprit aussi avisé que Sainte-Beuve. + + Mais il n'est pas impossible, par contre, qu'elle ait contribué, + par choc en retour, à l'ancrer plus dans son silence. + +[Illustration: ornement fin de page] + + + + +[Illustration: logo] + + +CHARTRES.--IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT. + + + + + +End of Project Gutenberg's Baudelaire et Sainte-Beuve, by Fernand Vandérem + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE *** + +***** This file should be named 44807-0.txt or 44807-0.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/8/0/44807/ + +Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by The Internet Archive/Canadian Libraries) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For forty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Baudelaire et Sainte-Beuve + +Author: Fernand Vandérem + +Release Date: January 30, 2014 [EBook #44807] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE *** + + + + +Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by The Internet Archive/Canadian Libraries) + + + + + + + + + + BAUDELAIRE + + ET + + SAINTE-BEUVE + + + _Imprimé à 235 exemplaires + dont + 10 sur papier de Hollande._ + + + + +Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le +typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée +et n'a pas été harmonisée. + + + + + FERNAND VANDÉREM + + BAUDELAIRE + + ET + + SAINTE-BEUVE + + _NOUVELLE ÉDITION_ + + AUGMENTÉE DE NOTES ET D'UN CHAPITRE INÉDIT + + [Illustration: logo] + + PARIS + LIBRAIRIE HENRI LECLERC + + 219, RUE SAINT-HONORÉ, 219 + et 16, rue d'Alger. + + 1917 + + + + +[Illustration: ornement début de page] + + +Cette étude, publiée d'abord dans le _Temps Présent_, a paru en 1914 +sous forme d'une brochure à tirage restreint et depuis longtemps +épuisé. + +Il m'a semblé que le cinquantenaire de Baudelaire pouvait prêter +quelque intérêt à une réédition. + +Je n'ai rien changé au texte primitif, que j'ai seulement complété par +des notes indiquant les sources des textes invoqués et quelques +particularités nouvelles. + +J'y ai joint en outre un appendice où j'ai tenté de mieux élucider +les sentiments de Baudelaire pour Sainte-Beuve. + +On aura ainsi, avec toutes références utiles, un résumé des relations +entre le grand poëte et l'illustre critique. + +[Illustration: ornement fin de page] + + + + +BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE + + + + +I + + +Les relations de Baudelaire et de Sainte-Beuve prêteraient à un +curieux chapitre d'histoire littéraire, dont j'offre ici un aperçu. + +Les sentiments de Baudelaire envers certains de ses contemporains, +comme les sentiments qu'il leur inspirait, présentent parfois des +contradictions. Ainsi, extérieurement, qui douterait de son culte pour +Gautier et de l'estime où Gautier le tenait? Cependant on a retrouvé +un article de Baudelaire où il traitait Gautier en poète verbal, en +enfileur de phrases[1], et, d'autre part, Maxime du Camp nous conte +que, dans l'intimité, Gautier prédisait à Baudelaire la faillite +finale d'un Pétrus Borel[2]. + +Entre Baudelaire et Sainte-Beuve, pas trace de ces fluctuations. De +son extrême jeunesse à sa mort, Baudelaire ne cessa de ressentir et de +marquer pour Sainte-Beuve son admiration. C'est à Sainte-Beuve qu'en +1844 il adresse respectueusement une de ses premières poésies de +collège[3]. Et en 1866, à quelques mois de la paralysie générale, une +de ses dernières lettres ne sera qu'un long panégyrique des poésies de +Sainte-Beuve[4]. + +Les _Consolations_, _Joseph Delorme_, les _Pensées d'Août_, partout il +trouve à louer et à s'enflammer. Notamment les _Rayons Jaunes_ (ce +poème parti d'une impression heureuse, mais développé d'une façon si +méthodique et si dénuée d'ingénuité) lui semblaient un chef-d'oeuvre +dont il ne se lassait pas de redire les beautés. Baudelaire a subi là +une emprise de jeunesse dont il ne devait plus se défaire. + +On s'étonnera chez lui d'une admiration si constante pour un poète qui +lui était si sensiblement inférieur, tant par l'inspiration et par la +forme que par l'originalité. Et on pourrait être tenté d'y voir, sinon +une flagornerie envers le critique tout-puissant, du moins la +gratitude d'un obligé. Mais les faits s'opposent à cette hypothèse. +Car Sainte-Beuve ne fit jamais rien pour Baudelaire, ou ce qu'il fit +en sa faveur se réduit à l'impondérable. + +Feuilletez d'ailleurs cet immense Larousse que constitue l'oeuvre +critique de Sainte-Beuve. Alors que tant de poètes subalternes, tant +d'écrivains quelconques y bénéficient de longs articles, vous n'y +découvrez pas un seul Lundi consacré à Baudelaire. Puis contrôlez par +la correspondance des deux écrivains et vous aurez vite établi le +relevé de ce que Sainte-Beuve accorda à son jeune ami, à celui qu'il +appelait paternellement «son cher enfant». + +1856.--Baudelaire publie sa première traduction de Poe: _Histoires +extraordinaires_. Lui qui ne sollicitait jamais pour son compte +n'hésita en aucun cas à quémander pour Poe. Il s'était institué le +barnum, l'impresario de Poe, le cultivateur acharné de sa gloire en +France. Le silence sur Poe, la moindre critique contre son oeuvre, +meurtrissait Baudelaire au plus vif[5]. Pour une insignifiante réserve +sur le conteur américain, il faillit se brouiller avec d'Aurevilly. + +En 1856 donc, il écrit à Sainte-Beuve pour lui recommander le +volume[6]. Nous avons la réponse de Sainte-Beuve. Il promet ferme un +article. En bas, une note naïve de l'éditeur ajoute: «Cet article n'a +jamais été fait.» Et d'un![7] + +1857.--Les _Nouvelles histoires extraordinaires_. Nouvelle lettre de +Baudelaire à Sainte-Beuve[8]. Même silence de Sainte-Beuve. Et de +deux! + +_Les Fleurs du Mal._ Sainte-Beuve en connaît, avoue en connaître +plusieurs morceaux. Entre autres, il doit avoir lu les vingt pièces +publiées dès 1855, dans la _Revue des Deux Mondes_[9]. Voici l'ouvrage +complet. Occasion unique de lancer un jeune poète qui se détache avec +éclat de la cohue courante, se donne et est reçu par Sainte-Beuve +comme un disciple. Le critique s'en tient pourtant à une longue lettre +embarrassée, où ne sont pas oubliées les _Pensées de Joseph Delorme_ +ni les _Consolations_ et où les éloges sans chaleur se mâtinent de +gronderies vieillottes. Quant à un article, néant. Et de trois! + +Mais arrive le procès: Baudelaire en danger. Concédons que, critique +officiel, Sainte-Beuve se trouve en délicate posture pour intervenir. +Au moins pourrait-il autoriser Baudelaire à publier sa lettre dans le +recueil d'articles adressé aux juges. Pas question. Tout juste s'il +donnera quelques extraits de cette lettre trois ans plus tard, en +1860[10]. Et il ne la publiera complète que neuf après, le poète mort, +en 1869, dans un furtif appendice des _Lundis_. + +Il est vrai que, sous main, il glisse à Baudelaire des: «Petits moyens +de défense.» Effectivement bien petits. «Tout était pris dans le +domaine de la poésie. Lamartine avait pris _les cieux_. Victor Hugo +avait pris _la terre_ (?) et plus que _la terre_ (??). Laprade avait +pris _les forêts_. Musset avait pris _la passion_ et _l'orgie +éblouissante_ (sic). Théophile Gautier avait pris l'Espagne (!). Ce +que Baudelaire a pris. Il y a été comme forcé[11].» + +Et cela finissait par un coup de dent à Musset, dont la vogue +torturait Sainte-Beuve--Musset dont il conseillait de souligner les +côtés obscènes et pornographiques. Ainsi nuls risques et tout profit. + +Baudelaire n'en garda pas moins de ces conseils une éternelle +reconnaissance. + +1858.--_Gordon Pym._ Nouvelle lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve en +faveur de Poe[12]. Pas d'article. Et de quatre! + +1859.--Un petit scandale. Hippolyte Babou moins patient que Baudelaire +a dénoncé dans un article le silence obstiné de Sainte-Beuve sur +l'auteur des _Fleurs du Mal_, et flétri nettement les réticences +cauteleuses du grand critique qui ne se répand en copie que sur les +ouvrages de second ordre[13]. + +Affolement de Baudelaire à l'idée d'être rendu responsable, quoique +innocent. Lettre à Sainte-Beuve pour se disculper[14]. Réponse +indignée de Sainte-Beuve, furieux de se voir dévoilé[15]. + +«Vous ne pouvez vous faire une idée de ce que c'est que la lettre de +Sainte-Beuve, écrit Baudelaire à Malassis. Il paraît que, depuis douze +ans, il notait tous les signes de malveillance de Babou. _Décidément, +voilà un vieillard passionné avec qui il ne fait pas bon se +brouiller...[16]._» + +Vraisemblablement Sainte-Beuve tint toujours rancune à Baudelaire de +cet incident. Du moins, pour se taire, le ressentiment lui fournissait +là une espèce d'excuse. + +La même année, Baudelaire publiait son étude sur _Théophile Gautier_. +Il va de soi que, selon l'usage, Sainte-Beuve n'en souffla pas mot. Et +de cinq! + +1860.--_Les Paradis artificiels._ Lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve +indiquant discrètement que M. Dalloz, directeur du journal où opère le +critique, lui a dit: «Le livre est digne de Sainte-Beuve. Faites une +visite à Sainte-Beuve à ce sujet.» Baudelaire ajoute: «Je n'aurais osé +y penser. Cependant j'ai plus que jamais besoin d'être soutenu.» Le +post-scriptum fait allusion à un morceau de pain d'épice qu'en passant +il avait porté à Sainte-Beuve, fort gourmet[17]. Nous avons la réponse +de Sainte-Beuve. Evasive, ajournant l'article, alléguant des arriérés, +ne promettant rien. Par contre il daigne remercier du pain d'épice. Et +de six![18] + +A la vérité, il se croyait largement quitte envers Baudelaire. Car, +piqué quand même par l'article de Babou, comprenant la nécessité de +rompre le silence, il s'était enfin décidé à nommer Baudelaire dans +une _Causerie du Lundi_, en date du 20 février[19]. Il y revenait sur +l'article de Babou, accusait son accusateur d'envie, et finalement, +comme un chien qu'on fouette, arrivait à Baudelaire. Oh! sans se +fouler, sans se donner grand mal, recopiant simplement entre +guillemets des fragments de la lettre qu'il lui avait adressée en +1857. On trouvera cette lettre à la suite des _Fleurs du Mal_ dans +l'édition définitive. On la rapprochera de l'article que, dans le même +temps, Barbey d'Aurevilly consacrait au livre[20]. Et on pourra +mesurer toute la distance artistique qui sépare un Sainte-Beuve d'un +Baudelaire, un Sainte-Beuve d'un d'Aurevilly. + +Pour Sainte-Beuve, Baudelaire est «un esprit fin», un talent «habile +et curieux». Mais «Baudelaire se défie trop de la passion(?), de la +passion naturelle(?)». Il «accorde trop à l'esprit, à la +combinaison». «Laissez-vous faire, conseille Sainte-Beuve, ne craignez +pas tant de sentir comme les autres, n'ayez jamais peur d'être trop +commun.» Toutefois, il convient aimer quelques pièces dont certaines +lui semblent dignes de l'Anthologie. Enfin «il tient compte surtout à +Baudelaire» (comme à Bouilhet et à Soulary) «de ce qu'ils viennent +tard, quand l'école dont ils sont a déjà tant donné et tant produit, +quand elle est comme épuisée... Ils soutiennent avec honneur, ils +décorent le déclin et le coucher de la Pléïade». + +On possède ici, presque au complet, le sentiment de Sainte-Beuve sur +Baudelaire, la cote qu'il lui attribue: un petit poète de troisième ou +quatrième ligne, un de ces humbles glaneurs à la suite, qui viennent +quand les maîtres ont fauché le meilleur du champ, esprits fins, +bizarres, distingués, mais qui ne peuvent ramasser que les épis de +surcroît, les déchets de grande moisson, ce qui reste... + +Rappelez-vous plus haut les moyens de défense: «Lamartine avait pris +les _cieux_, Hugo avait pris la _terre_... etc.» + +Sainte-Beuve à ce moment, comme on voit, était loin du jugement porté +vingt ans plus tard par Banville et que la postérité ne cessera de +confirmer: + +«Il faut admirer en Baudelaire un des plus grands hommes de ce temps +et qui, si nous ne vivions pas sous le règne intellectuel de Victor +Hugo, mériterait que nul poète contemporain ne fût mis au-dessus de +lui. De tous les artistes modernes du vers, l'auteur des _Fleurs du +Mal_ est le seul qui n'ait rien dû à l'auteur de la _Légende des +siècles_. Il ne procédait ni de lui ni de personne...[21]» + +1861.--_Richard Wagner et Tannhaüser._ Nul article de Sainte-Beuve. Et +de sept. + +_Les Fleurs du Mal_, seconde édition augmentée. Cette fois, +Baudelaire, comme tout le public littéraire, doit attendre son tour de +Lundi. Plus de procès à invoquer. Un recueil classé, consolidé, +abordant presque déjà la gloire. Evidemment le père Sainte-Beuve va y +aller de son article, donner son impression d'ensemble sur l'homme et +sur l'oeuvre. Mais non. Pas une ligne, pas un mot, pas une allusion. +Et de huit! + +1862.--Un coup de tonnerre. Baudelaire, en manière de manifestation +artistique, d'affirmation personnelle, se présente à l'Académie. +Fâcheux contre-temps pour Sainte-Beuve qui s'apprêtait à faire +campagne dans cette élection et à peser publiquement les titres des +candidats[22]. Arrivé à Baudelaire, comment s'en tirer? Impossible de +passer sous silence, ou de malmener son «jeune ami». Et d'autre part, +pas moyen de s'associer à cette gaminerie sans nom: Baudelaire, le +petit Baudelaire candidat! Sainte-Beuve ici n'a pas trop de toute son +adresse, pour ne pas dire plus. Il écrit: + +«On s'est demandé d'abord si M. Baudelaire en se présentant voulait +faire une niche à l'Académie et une épigramme; s'il ne prétendait +point l'avertir par là qu'il était bien temps qu'elle songeât à +s'adjoindre ce poète et cet écrivain si habile et si distingué dans +tous les genres de diction, Théophile Gautier, son maître[22 _bis_]. +On a eu _à apprendre, à épeler le nom de M. Baudelaire_ à plus d'un +membre de l'Académie qui ignorait totalement son existence. Il n'est +pas si aisé qu'on le croirait de prouver à des Académiciens politiques +et hommes d'État comme quoi il y a, dans les _Fleurs du Mal_, des +pièces très remarquables vraiment pour le talent et pour l'art...; et +qu'en somme M. Baudelaire a trouvé moyen de se bâtir, à l'extrémité +d'une langue de terre réputée inhabitable et par delà les confins du +romantisme connu, un kiosque bizarre, fort orné, fort tourmenté, mais +coquet et mystérieux, où on lit de l'Edgar Poe, où l'on récite des +vers exquis, où l'on s'enivre avec le haschich pour en raisonner +après, où l'on prend de l'opium et mille drogues abominables dans des +tasses d'une porcelaine achevée. Ce singulier kiosque, fait en +marqueterie, d'une _originalité concertée_ et composite, qui, depuis +quelque temps, attire les regards à la pointe du Kamtchatka +romantique, j'appelle cela la folie Baudelaire. Est-ce à dire +seulement, et quand on a tout expliqué de son mieux à de respectables +confrères un peu étonnés, que _toutes ces curiosités, tous ces +regards_ et ces raffinements leur semblent des titres pour +l'_Académie_, et _l'auteur lui-même a-t-il pu sérieusement se le +persuader_? Ce qui est certain, c'est que l'auteur gagne à être vu, +que là où l'on s'attendait à voir entrer un homme étrange, +excentrique, on se trouve en présence d'un candidat poli, respectueux, +_exemplaire, d'un gentil garçon_, fin de langage et tout à fait +classique dans les formes...» + +J'ai souligné quelques-uns des traits les plus protecteurs, les plus +dédaigneux dans ce certificat de bonnes lettres et bonnes façons. Quel +ton, en effet, pour parler de Baudelaire! Quelle différence avec les +accents déférents d'un Barbey d'Aurevilly, d'un Asselineau, d'un +Edouard Thierry! + +N'empêche que de la part de Sainte-Beuve, si gros Monsieur, juché si +haut, un tel acte de condescendance, un tel présent de publicité +pouvaient paraître exceptionnels. Baudelaire, évidemment, sentit plus +l'honneur que les réserves. Il écrivit à Sainte-Beuve une lettre +débordante de gratitude[23]. + +Dès cet instant, il était à sa merci, suivit tous ses conseils +académiques, n'insista plus, se désista. Sainte-Beuve le félicita de +cette renonciation. «Quand on a lu votre dernière phrase de +remerciement conçue en termes si modestes et si polis, on en a dit +tout haut: _Très bien!_ Ainsi vous avez laissé de vous une bonne +impression: n'est-ce donc rien[24]?» + +Baudelaire ne put nier, mais dut probablement penser que, pour ses +candidats, Sainte-Beuve se contentait de peu. + +1863-1864-1865-1866.--_Eurêka_, les _Histoires grotesques et +sérieuses_[25], des vers dans les _Poètes français_ de Crépet, des +vers dans le _Parnasse contemporain_. Sur tout cela cherchez dans +Sainte-Beuve: silence, silence. Une fois pour toutes avec son «jeune +ami» il s'est mis en règle. Compte clos, crédit arrêté. Il ne parlera +plus jamais de Baudelaire[26]. + +Il le sait cependant aux abois, forcé par les dettes à l'exil, +interdit de séjour, gravement malade, plus que pauvre. Sur des prières +aussi discrètes que réitérées, il semble bien, sans que ce soit sûr, +lui avoir donné un coup d'épaule auprès du libraire Garnier pour une +édition complète. Mais d'articles, de citations, plus l'ombre[27]. + +Quand Baudelaire meurt, une banale lettre de condoléances à Mme +Aupick. C'est tout.[28] + +Et pourtant, j'oublie un détail. Cela se passait en 1869. Un grand +mouvement se dessinait autour de la mémoire de Baudelaire. La +Fizelière et Decaux avaient publié l'année précédente--hommage inconnu +à Sainte-Beuve--une bibliographie minutieuse de l'auteur des _Fleurs +du Mal_, où se trouvaient notés les moindres de ses poèmes, les +moindres de ses études[29]. L'éditeur Michel Lévy, emboitant le pas, +adoptait les voeux des amis de Baudelaire, commençait l'édition des +oeuvres complètes, tant souhaitée par le poète. + +Une oeuvre complète à embrasser, une carrière totale à juger, le +sujet idéal pour un _Lundi_ de Sainte-Beuve. Tout le monde sans doute +guettait l'article, l'éditeur comme les lettrés. + +Mais non. Sainte-Beuve, figé dans son mutisme, ne vit là qu'un +prétexte à réclamation personnelle. La lettre de 1857 ayant été +publiée par Michel Lévy à la suite du premier volume, il y aperçut des +fautes d'impression. Pour rectifier, il donna le texte authentique à +la fin d'un tome des _Lundis_. La lettre était précédée de ces +lignes[30]: + +«Le poète Baudelaire, très raffiné, très corrompu à dessein et par +recherche d'art, _avait mis des années_ à extraire de tout sujet et de +toute fleur un suc vénéneux et même, il faut le dire, _assez +agréablement vénéneux_; c'était d'ailleurs un homme d'esprit _assez +aimable à ses heures_ et très capable d'affection...» + +A ce maigre bouquet se réduisit sa couronne funèbre, à cette sèche +notice l'étude définitive qu'on espérait. Même au delà de la tombe, +Sainte-Beuve ne gâtait pas «son cher enfant». + + +Comme chez beaucoup de critiques, chez Sainte-Beuve, à côté de vues +fines et ingénieuses, abondent les bévues, les injustices, les +incompréhensions. + +Toutefois, parmi les siennes, on peut distinguer trois périodes. Dans +la première, c'est un enthousiasme sincère ou voulu qui l'abuse. +S'improvisant le héraut de la phalange romantique, souvent les amitiés +ou les antipathies de groupe l'entraînent trop loin dans le +dénigrement ou dans l'éloge. + +Après 1835, il a pu se convaincre que, comme poète, il était à jamais +surpassé, «gratté», par ses compagnons de lutte: Lamartine, Hugo, +Gautier, Vigny, Musset. Dès lors, malgré lui, c'est l'envie qui +l'égare. Une brouille avec Hugo lui épargnera le supplice de chanter +ses louanges. Envers les autres, par contre, son envie ne se maîtrise +plus. Elle suinte en gouttelettes amères dans ses journaux privés, ses +remarques secrètes. Puis, au jour propice: anniversaire, réception +académique, malheur, mort, elle déferle dans un article. Pas un de ces +grands noms qu'elle n'ait aspergés de ses jets venimeux[A]. + + [A] Pour être exacts, rappelons cependant une épargnée: Mme + Desbordes-Valmore, dont Sainte-Beuve fut des rares à sentir et à + vanter, comme il fallait, le génie. + +Enfin, à partir de 1850, le train artistique le déroute. Il n'y est +plus, ne suit plus. L'incompétence ici l'aveugle. Il néglige Leconte +de Lisle, Michelet, Barbey d'Aurevilly. Il se trompe lourdement sur +Flaubert. Il passe à côté de Verlaine. L'envergure de Baudelaire lui +échappe. + +Dans ces données comme dans les documents cités plus haut, on +trouverait peut-être une explication de son attitude envers +Baudelaire. + +Son silence presque continu sur l'auteur des _Fleurs_ _du Mal_ +procéderait de deux des phases ci-dessus: la troisième, puis la +seconde. Tant que Baudelaire reste obscur, il l'omet ou le diminue, +faute de l'apprécier à sa valeur. Dès que la gloire de son «jeune ami» +se lève, il s'en tait, crainte de la pousser. + +Avec Baudelaire il commence par l'incompétence et il termine par +l'envie. + +[Illustration: ornement fin de page] + + + + +II + + +Parmi les nombreux articles qu'a suscités ma précédente étude et qui +nous montrent en pleine ascension la gloire comme la faveur de +Baudelaire, il s'en est trouvé quelques-uns pour prendre la défense de +Sainte-Beuve. Notamment l'âpre plaidoyer qu'a publié dans le _Temps_ +mon ami M. Paul Souday. + +Il serait oiseux de discuter ici longuement les griefs personnels que +m'oppose le sagace critique du _Temps_. + +De ce qu'on est chroniqueur, romancier, auteur dramatique, s'ensuit-il +que vous soient interdites la culture, la lecture et certaines +prédilections littéraires? De ce qu'on admire chez Vallès le grand +écrivain, le grand romancier, résulte-t-il qu'on doive endosser ses +boutades, ses foucades, ses idées et qu'avec lui on doive renvoyer +Baudelaire à l'asile ou Homère aux Quinze-Vingts? Enfin, parce qu'en +maint endroit Barbey d'Aurevilly surcharge fâcheusement son style +d'arabesques et de clinquant, parce qu'il écrivit sur Goethe un +pamphlet superficiel, parce qu'en une de ses phrases il se rencontre +avec Sainte-Beuve, faut-il pour cela taire la rare clairvoyance de son +étude sur les _Fleurs du Mal_ et nier le contraste frappant avec le +critique des _Lundis_? Sincèrement je ne le pense pas. + +Sur le reste du débat, d'autre part, les faits et les documents que +j'ai cités me paraissent répondre; et sans fol orgueil, je crois que +l'interprétation que j'en ai donnée n'outrepassait ni la mesure ni la +vérité. + +Comme exemples, ne reprenons que les dates et les oeuvres culminantes; +en 1861, la seconde édition des _Fleurs du Mal_,--en 1869, l'édition +des oeuvres complètes. + +En 1861, l'autorité littéraire de Baudelaire ne souffre plus conteste. +Il apporte un recueil entièrement renouvelé, expurgé des pièces libres +qui pouvaient effaroucher la critique officielle, augmenté de pièces +inédites dont quelques-unes magistrales, comme _le Voyage_, ce joyau +de la poésie française. A ce moment, pas de poète, pas de critique qui +ne s'incline devant son talent. A ce moment, Leconte de Lisle, si +sévère pour lui-même, si dur pour autrui, lui consacre un article, où, +malgré la réserve des épithètes et ce quelque chose de tendu +qu'avaient toujours ses louanges, on voit Baudelaire placé au premier +rang, hors pair[31]. + +Si alors Sainte-Beuve résiste au mouvement, s'obstine dans son +mutisme, ce n'est nullement malveillance ni même absolue +incompréhension. C'est, comme le prouvent nos documents, qu'il tient +Baudelaire pour un _poeta minor_ ne méritant pas encore le _dignus +intrare_ dans la galerie des _Lundis_. + +Or, comment appeler d'un autre nom qu'incompétence une telle faute de +perspective, un tel manque de discernement et de sensibilité? + +En 1869, les circonstances seront différentes. + +D'abord, pour renseigner Sainte-Beuve sur l'importance réelle de «son +jeune ami», toute l'oeuvre de Baudelaire est là[32]. + +Non seulement les _Fleurs du Mal_, mais encore ces poèmes en prose +auxquels, en passant il a décoché jadis un salut. + +Non seulement l'oeuvre d'imagination, mais l'oeuvre critique: les +salons de 1845, de 1846, de 1859, les études sur les caricaturistes, +les articles sur les grands littérateurs du temps, pages saisissantes +par la prescience et la hardiesse des aperçus, par l'esthétique +sereine et stable qui s'en dégage,--modèles accomplis de cette +critique intuitive où les poètes souvent excellent. + +Bref, dans ces quatre volumes, Baudelaire révélé: le reflet constant +d'un des génies les plus profonds, les plus variés, les plus originaux +qu'ait produits la littérature. + +A l'éclat d'une pareille oeuvre, on a peine à croire que Sainte-Beuve +ne distingue pas son erreur. Fermerait-il même les yeux pour ne pas +la voir, que ses oreilles tinteraient de la rumeur d'éloges montant +autour du nom de Baudelaire. + +Quand je disais, en effet, que tout le monde littéraire attendait son +article d'ensemble sur Baudelaire, je n'avançais pas qu'une +conjecture. Lisez plutôt la préface de la bibliographie de Baudelaire +par La Fizelière et Decaux. Sainte-Beuve y est cité, encensé, mais +aussi mis en demeure. + +«Quant à l'appréciation de ses écrits, déclarent les auteurs (en un +style que pallie la bonne intention), quant à l'appréciation de ses +écrits, elle appartient de toute nécessité à quelque grand critique +habile comme M. Sainte-Beuve, par exemple, à faire courir le scalpel +de l'analyse sur la fibre délicate d'une organisation poétique qui, +chez Baudelaire, était prodigieusement exceptionnelle.» + +Et tout le long de la préface, l'appel direct à Sainte-Beuve se +poursuit, couvrant sous les fleurs une véritable sommation. + +On sait la fin de non-recevoir qu'y opposa le critique des _Lundis_. +Avertissements venus de l'oeuvre, invites venues du monde des lettres, +rien n'eut raison de son silence. Ici l'erreur n'étant plus invocable, +on ne trouve plus guère d'explication que l'envie. + +Etonnante certes, à première vue, chez ce vieux maréchal, si au-dessus +de l'humble gradé Baudelaire. Mais on oublie que dans les lettres, +hélas! il est deux envies: celle qui vise vos égaux et celle que vous +inspirent vos subalternes, l'envie contre les gens de son bateau et +l'envie contre le bateau qui suit. Or, des deux, qui jurerait que la +seconde n'est pas fréquemment la plus douloureuse, la plus cuisante, +la plus implacable? Et qui prétendrait que, si sujet à la première, +Sainte-Beuve soit demeuré inaccessible à la seconde? + +Pourtant une chance de défense subsistait, puisée dans la santé débile +de Sainte-Beuve et la date de sa mort. + +Durant cette année 1869, nous sommes au fait des tourments que lui +infligea la maladie. Au mois d'août, ses souffrances s'aggravaient. En +septembre il donna son dernier article. Il mourut le mois suivant. + +En tenant compte de ces remarques, une hypothèse aussitôt se +présentait. Les quatre premiers tomes de l'édition complète de +Baudelaire étant datés de 1869, peut-être avaient-ils paru, sur la fin +de l'année, quand Sainte-Beuve touchait à ses suprêmes moments. Des +lors, comment reprocher à un agonisant le silence le plus pardonnable? + +Si pénible que fût une enquête de ce genre funèbre, j'ai voulu en +avoir le coeur net. J'ai consulté la Bibliographie de la France aux +années 1868 et 1869. Et voici le résultat: + +Dès la fin de 1868, nous le savons par ses écrits, Sainte-Beuve +connaît à fond les _Fleurs du Mal_ et les _Poèmes en prose_. Les +_Curiosités esthétiques_, renfermant les salons et critiques d'art, +paraissent en décembre 1868. L'_Art romantique_, contenant les études +de moeurs et les critiques littéraires, paraît en février 1869. + +De fin février à septembre, Sainte-Beuve disposait donc de six grands +mois, de vingt-quatre _Lundis_, pour parler de Baudelaire. Durant ces +six mois, il continua à se taire. De ces vingt-quatre feuilletons pas +un seul ne fut accordé à Baudelaire. + +Il me semble que cette fois la cause est entendue. + +[Illustration: ornement fin de page] + + + + +APPENDICE + +LES SENTIMENTS DE BAUDELAIRE POUR SAINTE-BEUVE + + +Au cours de l'étude qui précède, on a pu constater l'inaltérable +attachement de Baudelaire pour Sainte-Beuve malgré les constantes +défections du critique à son égard. + +Il resterait à expliquer cette longanimité si contraire à ce que nous +révèlent de Baudelaire ses correspondances et ses papiers intimes. + +Sans s'y montrer positivement vindicatif, le poète ne cesse d'y +attester une extrême sensibilité aussi bien aux bons procédés qu'aux +mauvais. Éloges ou dénigrements, il note tout avec une perspicacité +toujours en éveil. Se défiant même de la mémoire, cette négligente, +qui oublie souvent en route les injures autant que les bienfaits, il +avait institué dans ses carnets une rubrique spéciale intitulée +_Vilaines canailles_, où il inscrivait les noms des personnes qui +l'avaient desservi ou simplement déçu. Or, par un traitement +privilégié, Sainte-Beuve ne figure sur aucune de ces listes +vengeresses. + +Bien mieux, en 1859, au moment où Babou manque de le brouiller avec le +critique, dans la lettre affolée qu'il écrit à Poulet-Malassis, +Baudelaire déclare: «Ce qu'il y avait dangereux là dedans, c'est que +Babou avait l'air de me défendre contre quelqu'un qui m'a rendu _une +foule de services_.» + +Lesquels? On reste rêveur. On cherche et voici ce qu'on trouve jusqu'à +cette date: trois refus d'articles sur Poe, une lettre privée sur les +_Fleurs du Mal_, des conseils privés lors du procès. Secours bien +minces. On cherche encore: on découvre deux lettres de Sainte-Beuve, +l'une en date du 3 octobre 1852 mentionnant la recommandation d'un +manuscrit à Véron, une autre lettre en date du 20 mars 1854 où +Sainte-Beuve se récuse au sujet d'une demande d'appui au _Moniteur_. +Et c'est tout. + +Qu'un poétereau, à visées médiocres et doutant de soi, se fût abusé +sur l'importance de ces menus services, l'illusion semblerait +plausible. Mais chez Baudelaire, elle déconcerte. + +Dans ses lettres, dans ses carnets, le trait dominant, permanent, +c'est l'orgueil. + +Non pas la petite vanité de l'homme de lettres qui puise toute sa +force dans les louanges d'autrui, les publicités bruyantes, les succès +immédiats--et s'effondre aussitôt que ces adjuvants cessent. Mais une +foi intérieure et indéfectible en sa valeur personnelle, en son +génie, en son oeuvre, une prescience presque miraculeuse du rang où +celle-ci atteindra. Dès 1847, quand il annonce les _Fleurs du Mal_ +sous son titre primitif _Les Lesbiennes_, le format que Baudelaire +leur assigne d'autorité, c'est l'in-quarto--c'est-à-dire le format +réservé aux grands chefs-d'oeuvre consacrés[B]. En 1860, un an après +l'incident Babou, il écrit à sa mère: «Plus je deviens malheureux, +plus mon orgueil augmente.» Et dans une autre lettre: «Comme j'ai un +genre d'esprit impopulaire, je gagnerai peu d'argent, _mais je +laisserai une grande célébrité, je le sais_.» Et partout de même +répétée, ressassée la certitude de la durée, de l'immortalité des +_Fleurs du Mal_. + + [B] Edition originale de _Chien Caillou_ de Champfleury, Martinon + 1847. Sur le 2e plat de la couverture: A PARAITRE INCESSAMMENT: + Pierre de FAYIS, _Les Lesbiennes_, poèmes, un volume grand in-4. + +Comment supposer alors que Baudelaire n'aperçoive pas la disproportion +entre le sentiment qu'il a de sa grandeur et la taille que lui +attribue Sainte-Beuve? Comment comprendre qu'il tremble à l'idée d'une +brouille avec un protecteur si tiède et qu'il exagère, avec un si +manifeste parti pris, une serviabilité si parcimonieuse? + +Énigme qui n'est insoluble qu'à première vue et qui s'éclaire quand on +analyse un à un les éléments de cet attachement étrange. + +Sans parler de la première emprise de jeunesse, des premiers élans +d'admiration qui durent s'atténuer secrètement lorsque Baudelaire prit +pleine possession de son talent, il est évident que, dans cet +attachement, l'intérêt eut une part. + +Non que dans ses relations avec Sainte-Beuve, Baudelaire poursuivît un +avantage personnel. Vraisemblablement, quoique sans grande confiance, +il espérait, il ne désespérait pas qu'un jour, peut-être, à la longue, +son tour de _Lundi_ viendrait. Mais au peu que Sainte-Beuve lui avait +accordé, à ces éloges retenus, et par raccroc, que le critique lui +dispensait dans un coin d'article, Baudelaire était trop fin pour ne +pas discerner que ce jour était encore bien lointain, bien incertain, +si encore il devait jamais luire. Au surplus, son orgueil lui +permettait d'attendre et lui défendait de demander plus. Une seule +fois il fléchit, c'était en 1860, lorsque parurent les _Paradis +artificiels_. Baudelaire alors nettement sollicita de Sainte-Beuve un +article. Mais par les lettres récemment publiées dans la _Revue de +Paris_, nous connaissons les dessous de cette défaillance. «J'ai plus +que jamais besoin d'être soutenu, écrivait-il à Sainte-Beuve et je +devais vous rendre compte de mon _embarras_.» _Embarras_ signifiait le +dernier degré de la détresse, misères physiques, misère pécuniaire, un +homme à la dérive. Cette sollicitation dictée par l'angoisse resta, on +le sait, sans résultat. Ce fut la première et la dernière. + +Par contre, si peu quémandeur pour lui-même, nous avons vu que, en +faveur de Poe, Baudelaire n'hésitait pas à harceler Sainte-Beuve. De +1856 à 1865, pas une année sans que Baudelaire ne revienne à la +charge, ne caresse et ne relance le critique pour lui arracher +l'article sur Poe. C'est chez lui le même acharnement qu'à demander de +l'argent à sa mère pour Jeanne Duval. Avec la Muse noire, Poe avait +fini par devenir sa grande charge, son grand devoir. Pour lui gagner +Sainte-Beuve, il eût tout pardonné, il pardonnait tout au critique. +Poe fut sûrement dans leur attachement un des liens les plus solides. + +Mais en dehors de ces calculs--bien désintéressés--ce qui semble avoir +le plus retenu Baudelaire à Sainte-Beuve, malgré déboires et +déceptions, c'est Sainte-Beuve lui-même, sa fréquentation, sa société. + +Si orgueilleux que fût Baudelaire, visiblement il avait été flatté par +l'accueil affable de cet écrivain fameux, son aîné presque de vingt +ans, maître de toutes les renommées littéraires de l'heure, et dont la +porte ne s'ouvrait qu'à des pairs ou à des intimes. + +«Un homme qui, malgré ma jeunesse relative, m'a toujours pris pour son +égal!» écrivait-il fièrement à sa mère en 1865. Traitement peu commun +de la part de Sainte-Beuve, si réservé, si en méfiance contre les +intrus et les fâcheux. + +Et effectivement, faute de services, il ressort de leur correspondance +que Sainte-Beuve ne ménageait à Baudelaire ni une paternelle +considération ni de délicats égards ni même des avis et des +réconforts d'autant plus précieux qu'ils venaient de plus haut. + +«Est-il permis de venir se réchauffer et se fortifier à votre contact? +lui écrivait Baudelaire en 1865 (un mois après lui avoir adressée +vainement _Gordon Pym_). Vous savez ce que je pense des hommes +atonifiants et des hommes tonifiants. J'ai besoin de vous comme d'une +douche.» + +On se demande, du reste, dans quelle société Baudelaire si réfléchi, +si épris de belles lettres, eût trouvé l'équivalent en agrément et en +qualité de ce que lui offrait celle de Sainte-Beuve. Banville bien +superficiel et funambulesque, Gautier pliant sous le feuilleton et, en +ses propos, plus rapin que penseur, Leconte de Lisle absorbé dans ses +transcriptions de l'antique, Poulet-Malassis bon lettré mais tout à +ses échéances, Asselineau aimable polygraphe mais sans profondeur, +Théophile Silvestre écrivain de haute marque mais toujours au dehors +pour des inspections d'art, Flaubert à Croisset, Barbey d'Aurevilly, +le tempérament le plus proche du sien, mais accaparé par le roman, le +journalisme, les salons,--à la vérité, comme tous les esprits +supérieurs, Baudelaire se trouvait très isolé dans son époque[C]. A +défaut de Renan qu'il ne connaissait pas et qui d'ailleurs se +désintéressait ouvertement des auteurs du jour, on conçoit que, pour +un poète de cette envergure et de cette culture, la familiarité, même +inefficace, de Sainte-Beuve ait été la planche de salut, le +_præsidium_ rêvé. Et l'on s'explique que pour le garder Baudelaire ait +avalé tant de couleuvres. + + [C] Au moment où se corrigent les épreuves de cette étude, la + _Revue de Paris_, du 15 octobre 1917 publie une lettre de + Baudelaire qui apporte aux remarques ci-dessus la confirmation du + poète lui-même: «Excepté d'Aurevilly, Flaubert, Sainte-Beuve, je + ne peux m'entendre avec personne. Th. Gautier seul peut me + comprendre, quand je parle peinture.» (11 août 1862). + +Cependant, à la digestion, ne lui laissèrent-elles pas quelques +aigreurs? La négative serait aventurée. + +Ouvrons en effet les _Fleurs du Mal_ (première ou seconde ou troisième +édition) et relevons les noms des dédicataires. L'ensemble du volume +est dédié à Gautier, trois pièces sont dédiées à Victor Hugo, deux au +sculpteur Christophe, une autre à Banville, une autre à Constantin +Guys, une autre à Maxime du Camp. + +Mais à Sainte-Beuve pas une seule, malgré les témoignages d'admiration +que prodiguait Baudelaire, dans ses lettres, au poète de _Joseph +Delorme_. + +Consultons la _Revue Fantaisiste_ où parurent de Baudelaire les +_Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains_. Ces _Réflexions_ +ont pour sujets Banville, Barbier, Desbordes-Valmore, Pierre Dupont, +Flaubert, Gautier, Victor Hugo, Leconte de Lisle, Le Vavasseur, Paul +de Molènes, Pétrus Borel. Mais de Sainte-Beuve pas trace. + +Compulsons le recueil des _Poètes Français_ de Crépet où l'anthologie +de chaque poète s'orne d'une étude sur son oeuvre. Baudelaire a signé +plusieurs de ces notices. Sainte-Beuve y a, bien entendu, la sienne. +Mais elle n'est pas signée: Baudelaire. Elle est signée: Babou. + +Feuilletons enfin les oeuvres complètes de Baudelaire, fouillons, +scrutons ligne à ligne. Dans les sept volumes, nulle part le nom de +Sainte-Beuve n'est cité. + +Omissions trop répétées pour qu'on les croie dues au hasard. + +Il est plus probable qu'elles furent voulues et que, par ce mutisme +obstiné, Baudelaire entendit rendre à Sainte-Beuve ce qu'on appelle +«la pareille». + +Ici s'accuse nettement la différence de procédés entre les écrivains +de haute classe et les subalternes. + +Négligé par Sainte-Beuve, un Babou s'exaspère, accuse, invective. + +Un Baudelaire, au contraire s'en tiendra au silence, cette légitime +représaille de l'artiste contre ceux qui se taisent sur lui. + +[Illustration: ornement fin de page] + + + + +NOTES + + + [1] «Le second ami était et est encore gros, paresseux et + lymphatique; de plus il n'a pas d'idées et ne sait qu'enfiler et + perler des mots en manière de colliers d'Osages» (Article de + Baudelaire dans l'_Echo des Théâtres_ du 23 août 1846. _OEuvres + posthumes_, Mercure de France, 1908, p. 293). + + [2] La prédiction de Gautier sur Baudelaire est trop longue pour + être citée en entier. Elle se termine ainsi: «Le Baudelaire fera + long feu comme le Pétrus.» (M. DU CAMP, _Souvenirs littéraires_, + t. II, p. 83 et 84). + + A joindre cette autre opinion de Gautier sur _le_ Baudelaire: + «Théophile Gautier qui, dans l'intimité, a un vif sentiment + critique, me disait en 1848:--Baudelaire est un beau vase qui a + une _fissure_» (CHAMPFLEURY, _Souvenirs_, p. 145). + + Il est à remarquer cependant que, dès 1845, la presque totalité + des _Fleurs du Mal_ était connue du monde lettré par les + récitations qu'en faisait Baudelaire. + + [3] _OEuvres posthumes_, Mercure de France, 1908, p. 54. + + [4] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 492, 15 janvier 1866. + + [5] En 1856, dans la _Préface_ de sa traduction des _Histoires + extraordinaires_, à propos d'un biographe de Poe, qui s'était + permis, par une inconvenance étrange, de publier en tête des + oeuvres de l'écrivain un éreintement en règle de sa vie et de ses + ouvrages, Baudelaire écrivait ces lignes indignées et mémorables: + «Il n'existe donc pas en Amérique d'ordonnance qui interdise aux + chiens l'entrée des cimetières» (_Histoires extraordinaires_, + 1856, p. XX). + + [6] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 190, 19 mars 1856. + + [7] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 210, 24 mars 1856. + + [8] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 104, 9 mars 1857. J'ai omis de + noter la réponse de Sainte-Beuve (_Correspondance_, t. I, p. 222, + 11 mars 1857). Sainte-Beuve préfère qu'Edouard Thierry, rédacteur + au _Moniteur_, parle d'abord de l'ouvrage. Quant à lui, il + ajourne à une date vague, sous prétexte qu'il n'a pas encore «sa + petite idée» sur Poe--malgré la publication de deux volumes + contenant les plus célèbres chefs-d'oeuvre du conteur. Cette + seconde promesse d'article n'eut pas, d'ailleurs, plus de suites + que la première. + + [9] _Revue des Deux Mondes_, 1er juin 1855. + + [10] _Nouveaux Lundis_, t. I, p. 400, et SAINTE-BEUVE, + _Correspondance_, t. I, p. 219. + + [11] BAUDELAIRE, _OEuvres posthumes_, Quantin, 1887 (éd. Crépet), + p. 285. + + [12] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 163, 14 juin 1858. «... Il y a des + jours où les injures de tous les sots vous montent au cerveau et + alors on implore son vieil ami Sainte-Beuve.» Le vieil ami + Sainte-Beuve n'avait sans doute pas encore assez mûri «sa petite + idée» sur Poe, car il persista dans le silence. + + [13] Cet article, intitulé l'_Amitié littéraire_, avait paru dans + la _Revue Française_. Il reparut dans un volume de Babou, + intitulé _Lettres satiriques et critiques_, Poulet-Malassis, + 1860. Le passage visant Sainte-Beuve se terminait par la phrase + suivante: «Il glorifiera _Fanny_, l'honnête homme! et gardera le + silence sur les _Fleurs du Mal_.» Toutefois, l'éditeur, sans + doute sur la prière de Baudelaire, ayant supprimé la phrase, + Babou la rétablit dans un _Post-scriptum_ avec sommation à + Poulet-Malassis de l'insérer. + + [14] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 184, 21 février 1859. + + A consulter également une lettre à Asselineau sur le même sujet + (p. 185) du 24 février 1859. + + [15] SAINTE-BEUVE, _Nouvelle Correspondance_, p. 153, 23 février + 1859. A consulter aussi une lettre de Sainte-Beuve à + Poulet-Malassis (p. 142), même date, même sujet. Sainte-Beuve + demande à Poulet-Malassis de lui confier la fameuse lettre qu'il + avait adressée à Baudelaire sur les _Fleurs du Mal_ et qui, de + 1857 à 1870, constitue sa grande pièce de défense, sa grande + parade contre les accusations d'indifférence envers Baudelaire. + + [16] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 187. + + [17] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 269. + + [18] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 255, 3 juillet + 1860. + + [19] _Causeries des Lundis_, t. XV, p. 350. _Lettre au + directeur-gérant du Moniteur._ Il est à signaler qu'une fois de + plus, Sainte-Beuve justifie son silence en invoquant un article + consacré à Baudelaire dans le _Moniteur_ par Edouard Thierry. En + 1858 il dit à Baudelaire: «Thierry parlera de vous.» En 1860: + «Thierry a parlé de vous.» Ingénieuse combinaison qui instituait + Thierry définitivement comme délégué aux affaires baudelairiennes + et fournissait aux temporisations de Sainte-Beuve tantôt une + prétexte, tantôt une excuse. + + Il est en outre à noter que l'incident Babou-Sainte-Beuve se + termina au mieux. En 1862, en tête des poésies de Sainte-Beuve + publiées dans les _Poètes Français_ de Crépet, parut une notice + sur Sainte-Beuve, signée Hippolyte Babou et où l'encensoir n'était + pas balancé de main morte (_Poètes Français_, t. IV, p. 357). Sur + quoi, Sainte-Beuve, ne voulant pas demeurer en reste de politesse, + accorda aux notices publiées par Babou dans ce recueil un + paragraphe plus qu'obligeant (_Nouveaux Lundis_, t. III, p. 341). + + Dans cette affaire il n'y eut donc qu'une victime: Baudelaire. + + [20] Ce bel article parut d'abord dans les _Articles + justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des Fleurs du Mal_ + (1857), imprimerie Dondey Dupré, p. 9. Il fut réédité dans _Les + OEuvres et les Hommes_, 1862, t. III. + + [21] Extrait de la notice de Banville, un des morceaux les plus + complets et les plus profonds qu'on ait publiés sur l'OEuvre de + Baudelaire. Banville, d'habitude si menu, si gracile, si + papillonnant, y atteint, en maint endroit, à la force. Cette + notice parut d'abord dans l'_Album de la Galerie contemporaine_, + in-4, Baschet (vers 1877). Elle a été reproduite, en partie + seulement, dans la récente édition des _Fleurs du Mal_, publiée + par la librairie Fasquelle (1912). + + [22] _Nouveaux Lundis_, t. I, p. 400 et 401. + + [22 _bis_] Ce nom, ces mots n'étaient pas mis là sans intention. + Dans un article récent du _Mercure de France_, M. Ernest Raynaud + nous a révélé l'espèce de pacte d'échange qui s'était conclu à ce + moment entre Sainte-Beuve et Gautier: Sainte-Beuve promettant un + fauteuil d'académicien à Gautier contre un siège de sénateur que + celui-ci lui assurerait. On devine le trouble qu'apportait dans + ces _combinaziones_ l'irruption ingénue de Baudelaire. + Sainte-Beuve, il faut le reconnaître, se tira fort habilement de + ce mauvais pas. Désigner Gautier comme le maître de Baudelaire, + c'était du même coup amorcer sa candidature et ruiner celle de + son jeune concurrent. Protester contre l'indifférence de + l'Académie envers les poètes du jour, c'était poser des jalons + pour une compensation prochaine en faveur de Gautier. Dès lors, + l'échec de Baudelaire, soit par voie de scrutin, soit par voie de + désistement, ne faisant pas de doute, on se trouvait en + excellente posture pour pousser Gautier au premier fauteuil + vacant. A tous égards, ce fut du plus joli travail académique et + où il semble bien que Baudelaire n'ait vu que du feu. + + [23] BAUDELAIRE, _Lettres_, p. 325. + + [24] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. I, p. 285, 15 février + 1862. + + [25] Cependant Baudelaire avait envoyé les _Histoires sérieuses + et grotesques_ à Sainte-Beuve et spécialement attiré son + attention sur ce livre, sans obtenir même un accusé de réception + (_Lettres_, p. 426, 15 mars 1865 et p. 427, 30 mars 1865). + + [26] A titre de curiosité, j'ai relevé les noms des poètes + contemporains auxquels Sainte-Beuve avait consacré des articles + entre 1857 et 1867, date de la mort de Baudelaire. + + 1857.--_Théodore de Banville_, _Alfred de Musset_. + + 1860.--_Mme Desbordes-Valmore_ (OEuvres posthumes). + + 1861.--_Victor de Laprade._ + + 1862.--_Calemard de Lafayette._ + + Même année, étude sur les _Poètes français_ de Crépet qui fournit + prétexte à des études sur _Soulary_, de _Belloy_, _Coran_--sans un + mot sur Baudelaire, quoique celui-ci figurât dans le recueil. + + 1863.--_P. Lebrun_, _Théophile Gautier_. + + 1864.--_Alfred de Vigny._ + + 1865.--_Charles Monselet._ Même année, un article sur la _Poésie + française en 1865_. + + Sainte-Beuve s'y plaint du manque d'originalité des poètes + nouveaux. «Je me dis: ceci est du Musset!» ou bien: «Ceci rappelle + Victor Hugo» ou «Ceci est du Gautier, du Banville, du Leconte de + Lisle--ou _même_ du Baudelaire». Toujours les réserves tendant à + réduire l'importance de Baudelaire. Ce _même_ était bien du même + au même. + + Mais voici plus significatif encore. En 1862 Sainte-Beuve se + chargea de préfacer les _Poètes français_ de Crépet. Il rédigea, à + cet effet, une introduction formant histoire de la poésie + française. Arrivé au XIXe siècle il en conte les débuts--mais, en + 1862, quelle déchéance! Il se lamente sur cette décrépitude, + appelle à grands cris une Poétique nouvelle. «Et ce qui vaudrait + mieux, ajoute-t-il, ce serait un exemple nouveau et vivant. La + Nature seule peut créer le génie. A celui qui _doit venir_ et _en + qui nous avons espérance_, nous dirions....» Suit une prosopopée + assez fade qui se termine ainsi: «Vous n'avez qu'à puiser au gré + de vos inspirations, suivant votre habileté et votre audace;... + vous fondrez tout à la flamme de votre génie; vous remettrez + chaque chose à son point dans la trame du bel art, _ô grand poète + qui naîtrez_!» + + Invocation sincère mais plutôt oiseuse, puisque ce grand poète, à + l'insu de Sainte-Beuve, était né depuis cinq ans déjà. + + [27] BAUDELAIRE, _Lettres_, 1865, _passim_, p. 489 à 496. + + L'appui de Sainte-Beuve semble s'être borné à certifier à + l'éditeur Garnier la valeur littéraire de Baudelaire. + + Dans une des lettres de Baudelaire à sa mère, publiées par la + _Revue de Paris_ (20 juillet 1865), le poète exprime assez + exactement la nature de l'aide que lui prêta le critique des + _Lundis_ en vue de ce traité avec Garnier, qui, au surplus, ne + devait pas aboutir: «Sainte-Beuve, que j'ai vu à mon passage à + Paris, m'a dit qu'il se mêlerait un peu de la question.» + + [28] SAINTE-BEUVE, _Correspondance_, t. II, p. 209. Il est, dans + cette lettre, à retenir deux points: 1º Sainte-Beuve ne formule + aucune promesse d'article; 2º Sa lettre est datée du 12 + septembre, c'est-à-dire qu'elle ne fut écrite que douze jours + après la mort de Baudelaire. + + [29] A. DE LA FIZELIÈRE et GEORGES DECAUX, _Essais de + bibliographie contemporaine, Charles Baudelaire_, librairie de + l'Académie des Bibliophiles, 1868. + + [30] _Causeries du Lundi_, t. XV, p. 527. + + [31] _Revue Européenne_, 1861. Réédité à la suite des _Derniers + Poèmes_, 1895. + + [32] Il s'est produit ici une grave lacune dans le nomenclature + des symptômes qui, à défaut de perspicacité, eussent dû avertir + Sainte-Beuve de la place prise par Baudelaire dans la poésie + française. + + J'avais en effet oublié de mentionner parmi ces symptômes la + notice de Théophile Gautier, insérée en tête de l'édition + définitive des _OEuvres complètes_ (1868). + + Si défectueuse et restrictive que soit encore cette notice qui + persiste à maintenir Baudelaire dans le cercle des poètes + artificiels et subtils, le fait qu'un écrivain illustre comme + Théophile Gautier, grand potentat du feuilleton, un des maîtres de + la célèbre phalange romantique, eût assumé la charge de présenter + Baudelaire au public et lui eût accordé l'honneur de + soixante-quinze pages en texte serré, ne pouvait manquer d'attirer + l'attention de Sainte-Beuve. + + Il y avait là mieux qu'un acte de complaisance posthume, une + véritable consécration. + + Il paraît peu probable que l'importance de cette manifestation ait + échappé à un esprit aussi avisé que Sainte-Beuve. + + Mais il n'est pas impossible, par contre, qu'elle ait contribué, + par choc en retour, à l'ancrer plus dans son silence. + +[Illustration: ornement fin de page] + + + + +[Illustration: logo] + + +CHARTRES.--IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT. + + + + + +End of Project Gutenberg's Baudelaire et Sainte-Beuve, by Fernand Vandérem + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE *** + +***** This file should be named 44807-8.txt or 44807-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/8/0/44807/ + +Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by The Internet Archive/Canadian Libraries) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Baudelaire et Sainte-Beuve + +Author: Fernand Vandérem + +Release Date: January 30, 2014 [EBook #44807] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE *** + + + + +Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by The Internet Archive/Canadian Libraries) + + + + + + +</pre> + + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_1"> 1</a></span></p> + +<div class="header"> +<div class="tnote"> +<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. +L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. +Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.</p></div> + +<h1>BAUDELAIRE<br /> +<span class="small">ET</span><br /> +<span class="large">SAINTE-BEUVE</span></h1> +</div> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_2"> 2</a></span></p> + +<div class="frontmatter"> +<p><i>Imprimé à 235 exemplaires<br /> +dont<br /> +10 sur papier de Hollande.</i></p> +</div> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_3"> 3</a></span></p> + +<div class="titlepage"> +<p class="large">FERNAND VANDÉREM</p> + +<p><span class="xxlarge">BAUDELAIRE</span><br /> +<span class="small">ET</span><br /> +<span class="large">SAINTE-BEUVE</span></p> + +<hr class="deco" /> + +<p><em>NOUVELLE ÉDITION</em><br /> +<span class="small">AUGMENTÉE DE NOTES ET D'UN CHAPITRE INÉDIT</span></p> + +<div class="figcenter"> +<img src="images/logo.jpg" width="120" height="124" alt="" /> +</div> + +<p><span class="large">PARIS</span><br /> +<span class="large">LIBRAIRIE HENRI LECLERC</span><br /> +<span class="small">219, RUE SAINT-HONORÉ, 219</span><br /> +<span class="xs">et 16, rue d'Alger.</span></p> + +<hr class="deco" /> +<p class="small">1917</p> +</div> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_4"> 4</a></span> +<span class="pagenum"><a id="Page_5"> 5</a></span></p> + +<div class="p4 figcenter"> +<img style="max-width: 95%; border: 2px solid black;" src="images/illustration_005.jpg" width="400" height="113" alt="" /> +</div> + +<p class="p4 drop-cap"><span class="smcap">Cette</span> étude, publiée d'abord dans le <cite>Temps Présent</cite>, +a paru en 1914 sous forme d'une brochure à +tirage restreint et depuis longtemps épuisé.</p> + +<p>Il m'a semblé que le cinquantenaire de Baudelaire +pouvait prêter quelque intérêt à une réédition.</p> + +<p>Je n'ai rien changé au texte primitif, que j'ai +seulement complété par des notes indiquant les +sources des textes invoqués et quelques particularités +nouvelles.</p> + +<p>J'y ai joint en outre un appendice où j'ai tenté de +<span class="pagenum"><a id="Page_6"> 6</a></span> +mieux élucider les sentiments de Baudelaire pour +Sainte-Beuve.</p> + +<p>On aura ainsi, avec toutes références utiles, un +résumé des relations entre le grand poëte et l'illustre +critique.</p> + +<div class="p2 figcenter"> +<img src="images/illustration_006.jpg" width="120" height="83" alt="" title="" /> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_7"> 7</a></span></p> + +<div class="header"> +<h2>BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE</h2> +<p class="topspace xlarge center">I</p> +</div> + +<p class="drop-cap"><span class="smcap">Les</span> relations de Baudelaire et de Sainte-Beuve prêteraient +à un curieux chapitre d'histoire littéraire, +dont j'offre ici un aperçu.</p> + +<p>Les sentiments de Baudelaire envers certains de ses +contemporains, comme les sentiments qu'il leur inspirait, +présentent parfois des contradictions. Ainsi, +extérieurement, qui douterait de son culte pour Gautier +et de l'estime où Gautier le tenait? Cependant +on a retrouvé un article de Baudelaire où il traitait +Gautier en poète verbal, en enfileur de phrases<a name="FNanchor_1" id="FNanchor_1" href="#Footnote_1" class="fnanchor"> [1]</a>, et, +d'autre part, Maxime du Camp nous conte que, dans +l'intimité, Gautier prédisait à Baudelaire la faillite +finale d'un Pétrus Borel<a name="FNanchor_2" id="FNanchor_2" href="#Footnote_2" class="fnanchor"> [2]</a>.</p> + +<p>Entre Baudelaire et Sainte-Beuve, pas trace de ces +fluctuations. De son extrême jeunesse à sa mort, +Baudelaire ne cessa de ressentir et de marquer pour +Sainte-Beuve son admiration. C'est à Sainte-Beuve +<span class="pagenum"><a id="Page_8"> 8</a></span> +qu'en 1844 il adresse respectueusement une de ses +premières poésies de collège<a name="FNanchor_3" id="FNanchor_3" href="#Footnote_3" class="fnanchor"> [3]</a>. Et en 1866, à quelques +mois de la paralysie générale, une de ses dernières +lettres ne sera qu'un long panégyrique des poésies de +Sainte-Beuve<a name="FNanchor_4" id="FNanchor_4" href="#Footnote_4" class="fnanchor"> [4]</a>.</p> + +<p>Les <cite>Consolations</cite>, <cite>Joseph Delorme</cite>, les <cite>Pensées d'Août</cite>, +partout il trouve à louer et à s'enflammer. Notamment +les <cite>Rayons Jaunes</cite> (ce poème parti d'une impression +heureuse, mais développé d'une façon si +méthodique et si dénuée d'ingénuité) lui semblaient +un chef-d'œuvre dont il ne se lassait pas de redire +les beautés. Baudelaire a subi là une emprise de jeunesse +dont il ne devait plus se défaire.</p> + +<p>On s'étonnera chez lui d'une admiration si constante +pour un poète qui lui était si sensiblement inférieur, +tant par l'inspiration et par la forme que par +l'originalité. Et on pourrait être tenté d'y voir, sinon +une flagornerie envers le critique tout-puissant, du +moins la gratitude d'un obligé. Mais les faits s'opposent +à cette hypothèse. Car Sainte-Beuve ne fit jamais +rien pour Baudelaire, ou ce qu'il fit en sa faveur se +réduit à l'impondérable.</p> + +<p>Feuilletez d'ailleurs cet immense Larousse que +constitue l'œuvre critique de Sainte-Beuve. Alors que +tant de poètes subalternes, tant d'écrivains quelconques +y bénéficient de longs articles, vous n'y découvrez +pas un seul Lundi consacré à Baudelaire. Puis +contrôlez par la correspondance des deux écrivains et +<span class="pagenum"><a id="Page_9"> 9</a></span> +vous aurez vite établi le relevé de ce que Sainte-Beuve +accorda à son jeune ami, à celui qu'il appelait paternellement +«son cher enfant».</p> + +<p>1856.—Baudelaire publie sa première traduction de +Poe: <cite>Histoires extraordinaires</cite>. Lui qui ne sollicitait +jamais pour son compte n'hésita en aucun cas à quémander +pour Poe. Il s'était institué le barnum, l'impresario +de Poe, le cultivateur acharné de sa gloire +en France. Le silence sur Poe, la moindre critique +contre son œuvre, meurtrissait Baudelaire au plus +vif<a name="FNanchor_5" id="FNanchor_5" href="#Footnote_5" class="fnanchor"> [5]</a>. Pour une insignifiante réserve sur le conteur +américain, il faillit se brouiller avec d'Aurevilly.</p> + +<p>En 1856 donc, il écrit à Sainte-Beuve pour lui +recommander le volume<a name="FNanchor_6" id="FNanchor_6" href="#Footnote_6" class="fnanchor"> [6]</a>. Nous avons la réponse de +Sainte-Beuve. Il promet ferme un article. En bas, +une note naïve de l'éditeur ajoute: «Cet article n'a +jamais été fait.» Et d'un!<a name="FNanchor_7" id="FNanchor_7" href="#Footnote_7" class="fnanchor"> [7]</a></p> + +<p>1857.—Les <cite>Nouvelles histoires extraordinaires</cite>. Nouvelle +lettre de Baudelaire à Sainte-Beuve<a name="FNanchor_8" id="FNanchor_8" href="#Footnote_8" class="fnanchor"> [8]</a>. Même +silence de Sainte-Beuve. Et de deux!</p> + +<p><cite>Les Fleurs du Mal.</cite> Sainte-Beuve en connaît, avoue +en connaître plusieurs morceaux. Entre autres, il doit +avoir lu les vingt pièces publiées dès 1855, dans la +<cite>Revue des Deux Mondes</cite><a name="FNanchor_9" id="FNanchor_9" href="#Footnote_9" class="fnanchor"> [9]</a>. Voici l'ouvrage complet. +Occasion unique de lancer un jeune poète qui se +détache avec éclat de la cohue courante, se donne et +est reçu par Sainte-Beuve comme un disciple. Le critique +s'en tient pourtant à une longue lettre embarrassée, +<span class="pagenum"><a id="Page_10"> 10</a></span> +où ne sont pas oubliées les <cite>Pensées de Joseph +Delorme</cite> ni les <cite>Consolations</cite> et où les éloges sans chaleur +se mâtinent de gronderies vieillottes. Quant à un article, +néant. Et de trois!</p> + +<p>Mais arrive le procès: Baudelaire en danger. Concédons +que, critique officiel, Sainte-Beuve se trouve +en délicate posture pour intervenir. Au moins pourrait-il +autoriser Baudelaire à publier sa lettre dans le +recueil d'articles adressé aux juges. Pas question. Tout +juste s'il donnera quelques extraits de cette lettre +trois ans plus tard, en 1860<a name="FNanchor_10" id="FNanchor_10" href="#Footnote_10" class="fnanchor"> [10]</a>. Et il ne la publiera +complète que neuf après, le poète mort, en 1869, dans +un furtif appendice des <cite>Lundis</cite>.</p> + +<p>Il est vrai que, sous main, il glisse à Baudelaire +des: «Petits moyens de défense.» Effectivement bien +petits. «Tout était pris dans le domaine de la poésie. +Lamartine avait pris <em>les cieux</em>. Victor Hugo avait pris +<em>la terre</em>(?) et plus que <em>la terre</em>(??). Laprade avait pris +<em>les forêts</em>. Musset avait pris <em>la passion</em> et <em>l'orgie éblouissante</em> +(sic). Théophile Gautier avait pris l'Espagne (!). +Ce que Baudelaire a pris. Il y a été comme forcé<a name="FNanchor_11" id="FNanchor_11" href="#Footnote_11" class="fnanchor"> [11]</a>.»</p> + +<p>Et cela finissait par un coup de dent à Musset, dont +la vogue torturait Sainte-Beuve—Musset dont il conseillait +de souligner les côtés obscènes et pornographiques. +Ainsi nuls risques et tout profit.</p> + +<p>Baudelaire n'en garda pas moins de ces conseils une +éternelle reconnaissance.</p> + +<p>1858.—<cite>Gordon Pym.</cite> Nouvelle lettre de Baudelaire +<span class="pagenum"><a id="Page_11"> 11</a></span> +à Sainte-Beuve en faveur de Poe<a name="FNanchor_12" id="FNanchor_12" href="#Footnote_12" class="fnanchor"> [12]</a>. Pas d'article. Et +de quatre!</p> + +<p>1859.—Un petit scandale. Hippolyte Babou moins +patient que Baudelaire a dénoncé dans un article le +silence obstiné de Sainte-Beuve sur l'auteur des <cite>Fleurs +du Mal</cite>, et flétri nettement les réticences cauteleuses +du grand critique qui ne se répand en copie que sur +les ouvrages de second ordre<a name="FNanchor_13" id="FNanchor_13" href="#Footnote_13" class="fnanchor"> [13]</a>.</p> + +<p>Affolement de Baudelaire à l'idée d'être rendu responsable, +quoique innocent. Lettre à Sainte-Beuve +pour se disculper<a name="FNanchor_14" id="FNanchor_14" href="#Footnote_14" class="fnanchor"> [14]</a>. Réponse indignée de Sainte-Beuve, +furieux de se voir dévoilé<a name="FNanchor_15" id="FNanchor_15" href="#Footnote_15" class="fnanchor"> [15]</a>.</p> + +<p>«Vous ne pouvez vous faire une idée de ce que c'est +que la lettre de Sainte-Beuve, écrit Baudelaire à Malassis. +Il paraît que, depuis douze ans, il notait tous les +signes de malveillance de Babou. <em>Décidément, voilà un +vieillard passionné avec qui il ne fait pas bon se brouiller...<a name="FNanchor_16" id="FNanchor_16" href="#Footnote_16" class="fnanchor"> [16]</a>.</em>»</p> + +<p>Vraisemblablement Sainte-Beuve tint toujours rancune +à Baudelaire de cet incident. Du moins, pour se +taire, le ressentiment lui fournissait là une espèce +d'excuse.</p> + +<p>La même année, Baudelaire publiait son étude sur +<em>Théophile Gautier</em>. Il va de soi que, selon l'usage, Sainte-Beuve +n'en souffla pas mot. Et de cinq!</p> + +<p>1860.—<cite>Les Paradis artificiels.</cite> Lettre de Baudelaire +à Sainte-Beuve indiquant discrètement que M. Dalloz, +directeur du journal où opère le critique, lui a dit: +<span class="pagenum"><a id="Page_12"> 12</a></span> +«Le livre est digne de Sainte-Beuve. Faites une visite +à Sainte-Beuve à ce sujet.» Baudelaire ajoute: «Je +n'aurais osé y penser. Cependant j'ai plus que jamais +besoin d'être soutenu.» Le post-scriptum fait allusion +à un morceau de pain d'épice qu'en passant il avait +porté à Sainte-Beuve, fort gourmet<a name="FNanchor_17" id="FNanchor_17" href="#Footnote_17" class="fnanchor"> [17]</a>. Nous avons la +réponse de Sainte-Beuve. Evasive, ajournant l'article, +alléguant des arriérés, ne promettant rien. Par contre +il daigne remercier du pain d'épice. Et de six!<a name="FNanchor_18" id="FNanchor_18" href="#Footnote_18" class="fnanchor"> [18]</a></p> + +<p>A la vérité, il se croyait largement quitte envers +Baudelaire. Car, piqué quand même par l'article de +Babou, comprenant la nécessité de rompre le silence, +il s'était enfin décidé à nommer Baudelaire dans une +<cite>Causerie du Lundi</cite>, en date du 20 février<a name="FNanchor_19" id="FNanchor_19" href="#Footnote_19" class="fnanchor"> [19]</a>. Il +y revenait sur l'article de Babou, accusait son accusateur +d'envie, et finalement, comme un chien qu'on +fouette, arrivait à Baudelaire. Oh! sans se fouler, sans +se donner grand mal, recopiant simplement entre guillemets +des fragments de la lettre qu'il lui avait adressée +en 1857. On trouvera cette lettre à la suite des +<cite>Fleurs du Mal</cite> dans l'édition définitive. On la rapprochera +de l'article que, dans le même temps, Barbey +d'Aurevilly consacrait au livre<a name="FNanchor_20" id="FNanchor_20" href="#Footnote_20" class="fnanchor"> [20]</a>. Et on pourra mesurer +toute la distance artistique qui sépare un Sainte-Beuve +d'un Baudelaire, un Sainte-Beuve d'un d'Aurevilly.</p> + +<p>Pour Sainte-Beuve, Baudelaire est «un esprit fin», +un talent «habile et curieux». Mais «Baudelaire se +<span class="pagenum"><a id="Page_13"> 13</a></span> +défie trop de la passion(?), de la passion naturelle(?)». +Il «accorde trop à l'esprit, à la combinaison». +«Laissez-vous faire, conseille Sainte-Beuve, ne craignez +pas tant de sentir comme les autres, n'ayez jamais +peur d'être trop commun.» Toutefois, il convient +aimer quelques pièces dont certaines lui semblent +dignes de l'Anthologie. Enfin «il tient compte surtout +à Baudelaire» (comme à Bouilhet et à Soulary) +«de ce qu'ils viennent tard, quand l'école dont ils +sont a déjà tant donné et tant produit, quand elle est +comme épuisée... Ils soutiennent avec honneur, ils +décorent le déclin et le coucher de la Pléïade».</p> + +<p>On possède ici, presque au complet, le sentiment de +Sainte-Beuve sur Baudelaire, la cote qu'il lui attribue: +un petit poète de troisième ou quatrième ligne, un de +ces humbles glaneurs à la suite, qui viennent quand +les maîtres ont fauché le meilleur du champ, esprits +fins, bizarres, distingués, mais qui ne peuvent ramasser +que les épis de surcroît, les déchets de grande moisson, +ce qui reste...</p> + +<p>Rappelez-vous plus haut les moyens de défense: +«Lamartine avait pris les <em>cieux</em>, Hugo avait pris la +<em>terre</em>... etc.»</p> + +<p>Sainte-Beuve à ce moment, comme on voit, était +loin du jugement porté vingt ans plus tard par Banville +et que la postérité ne cessera de confirmer:</p> + +<p>«Il faut admirer en Baudelaire un des plus grands +hommes de ce temps et qui, si nous ne vivions pas +<span class="pagenum"><a id="Page_14"> 14</a></span> +sous le règne intellectuel de Victor Hugo, mériterait +que nul poète contemporain ne fût mis au-dessus de +lui. De tous les artistes modernes du vers, l'auteur +des <cite>Fleurs du Mal</cite> est le seul qui n'ait rien dû à l'auteur +de la <cite>Légende des siècles</cite>. Il ne procédait ni de lui +ni de personne...<a name="FNanchor_21" id="FNanchor_21" href="#Footnote_21" class="fnanchor"> [21]</a>»</p> + +<p>1861.—<cite>Richard Wagner et Tannhaüser.</cite> Nul article +de Sainte-Beuve. Et de sept.</p> + +<p><cite>Les Fleurs du Mal</cite>, seconde édition augmentée. Cette +fois, Baudelaire, comme tout le public littéraire, doit +attendre son tour de Lundi. Plus de procès à invoquer. +Un recueil classé, consolidé, abordant presque +déjà la gloire. Evidemment le père Sainte-Beuve va y +aller de son article, donner son impression d'ensemble +sur l'homme et sur l'œuvre. Mais non. Pas une +ligne, pas un mot, pas une allusion. Et de huit!</p> + +<p>1862.—Un coup de tonnerre. Baudelaire, en manière +de manifestation artistique, d'affirmation personnelle, +se présente à l'Académie. Fâcheux contre-temps pour +Sainte-Beuve qui s'apprêtait à faire campagne dans +cette élection et à peser publiquement les titres des +candidats<a name="FNanchor_22" id="FNanchor_22" href="#Footnote_22" class="fnanchor"> [22]</a>. Arrivé à Baudelaire, comment s'en +tirer? Impossible de passer sous silence, ou de malmener +son «jeune ami». Et d'autre part, pas moyen de +s'associer à cette gaminerie sans nom: Baudelaire, le +petit Baudelaire candidat! Sainte-Beuve ici n'a pas trop +de toute son adresse, pour ne pas dire plus. Il écrit:</p> + +<p>«On s'est demandé d'abord si M. Baudelaire en se +<span class="pagenum"><a id="Page_15"> 15</a></span> +présentant voulait faire une niche à l'Académie et une +épigramme; s'il ne prétendait point l'avertir par là qu'il +était bien temps qu'elle songeât à s'adjoindre ce poète et +cet écrivain si habile et si distingué dans tous les genres +de diction, Théophile Gautier, son maître<a name="FNanchor_22bis" id="FNanchor_22bis" href="#Footnote_22bis" class="fnanchor"> [22 <em>bis</em>]</a>. +On a eu <em>à apprendre, à épeler le nom de M. Baudelaire</em> +à plus d'un membre de l'Académie qui ignorait +totalement son existence. Il n'est pas si aisé qu'on le +croirait de prouver à des Académiciens politiques et +hommes d'État comme quoi il y a, dans les <cite>Fleurs du +Mal</cite>, des pièces très remarquables vraiment pour le +talent et pour l'art...; et qu'en somme M. Baudelaire +a trouvé moyen de se bâtir, à l'extrémité d'une langue +de terre réputée inhabitable et par delà les confins du +romantisme connu, un kiosque bizarre, fort orné, fort +tourmenté, mais coquet et mystérieux, où on lit de +l'Edgar Poe, où l'on récite des vers exquis, où l'on +s'enivre avec le haschich pour en raisonner après, où +l'on prend de l'opium et mille drogues abominables dans +des tasses d'une porcelaine achevée. Ce singulier kiosque, +fait en marqueterie, d'une <em>originalité concertée</em> et +composite, qui, depuis quelque temps, attire les regards +à la pointe du Kamtchatka romantique, j'appelle cela la +folie Baudelaire. Est-ce à dire seulement, et quand on +a tout expliqué de son mieux à de respectables confrères +un peu étonnés, que <em>toutes ces curiosités, tous +ces regards</em> et ces raffinements leur semblent des titres +pour l'<i>Académie</i>, et <i>l'auteur lui-même a-t-il pu sérieusement</i> +<span class="pagenum"><a id="Page_16"> 16</a></span> +<i>se le persuader</i>? Ce qui est certain, c'est que +l'auteur gagne à être vu, que là où l'on s'attendait à +voir entrer un homme étrange, excentrique, on se +trouve en présence d'un candidat poli, respectueux, +<em>exemplaire, d'un gentil garçon</em>, fin de langage et tout +à fait classique dans les formes...»</p> + +<p>J'ai souligné quelques-uns des traits les plus protecteurs, +les plus dédaigneux dans ce certificat de +bonnes lettres et bonnes façons. Quel ton, en effet, +pour parler de Baudelaire! Quelle différence avec les +accents déférents d'un Barbey d'Aurevilly, d'un Asselineau, +d'un Edouard Thierry!</p> + +<p>N'empêche que de la part de Sainte-Beuve, si gros +Monsieur, juché si haut, un tel acte de condescendance, +un tel présent de publicité pouvaient paraître +exceptionnels. Baudelaire, évidemment, sentit plus +l'honneur que les réserves. Il écrivit à Sainte-Beuve +une lettre débordante de gratitude<a name="FNanchor_23" id="FNanchor_23" href="#Footnote_23" class="fnanchor"> [23]</a>.</p> + +<p>Dès cet instant, il était à sa merci, suivit tous ses +conseils académiques, n'insista plus, se désista. Sainte-Beuve +le félicita de cette renonciation. «Quand on a +lu votre dernière phrase de remerciement conçue en +termes si modestes et si polis, on en a dit tout haut: +<em>Très bien!</em> Ainsi vous avez laissé de vous une bonne +impression: n'est-ce donc rien<a name="FNanchor_24" id="FNanchor_24" href="#Footnote_24" class="fnanchor"> [24]</a>?»</p> + +<p>Baudelaire ne put nier, mais dut probablement +penser que, pour ses candidats, Sainte-Beuve se contentait +de peu.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_17"> 17</a></span> +1863-1864-1865-1866.—<cite>Eurêka</cite>, les <cite>Histoires grotesques +et sérieuses</cite><a name="FNanchor_25" id="FNanchor_25" href="#Footnote_25" class="fnanchor"> [25]</a>, des vers dans les <cite>Poètes français</cite> +de Crépet, des vers dans le <cite>Parnasse contemporain</cite>. Sur +tout cela cherchez dans Sainte-Beuve: silence, silence. +Une fois pour toutes avec son «jeune ami» il s'est +mis en règle. Compte clos, crédit arrêté. Il ne parlera +plus jamais de Baudelaire<a name="FNanchor_26" id="FNanchor_26" href="#Footnote_26" class="fnanchor"> [26]</a>.</p> + +<p>Il le sait cependant aux abois, forcé par les dettes +à l'exil, interdit de séjour, gravement malade, plus +que pauvre. Sur des prières aussi discrètes que réitérées, +il semble bien, sans que ce soit sûr, lui avoir +donné un coup d'épaule auprès du libraire Garnier +pour une édition complète. Mais d'articles, de citations, +plus l'ombre<a name="FNanchor_27" id="FNanchor_27" href="#Footnote_27" class="fnanchor"> [27]</a>.</p> + +<p>Quand Baudelaire meurt, une banale lettre de condoléances +à Mme Aupick. C'est tout.<a name="FNanchor_28" id="FNanchor_28" href="#Footnote_28" class="fnanchor"> [28]</a></p> + +<p>Et pourtant, j'oublie un détail. Cela se passait en +1869. Un grand mouvement se dessinait autour de +la mémoire de Baudelaire. La Fizelière et Decaux +avaient publié l'année précédente—hommage inconnu +à Sainte-Beuve—une bibliographie minutieuse de +l'auteur des <cite>Fleurs du Mal</cite>, où se trouvaient notés +les moindres de ses poèmes, les moindres de ses études<a name="FNanchor_29" id="FNanchor_29" href="#Footnote_29" class="fnanchor"> [29]</a>. +L'éditeur Michel Lévy, emboitant le pas, adoptait +les vœux des amis de Baudelaire, commençait +l'édition des œuvres complètes, tant souhaitée par le +poète.</p> + +<p>Une œuvre complète à embrasser, une carrière totale +<span class="pagenum"><a id="Page_18"> 18</a></span> +à juger, le sujet idéal pour un <cite>Lundi</cite> de Sainte-Beuve. +Tout le monde sans doute guettait l'article, l'éditeur +comme les lettrés.</p> + +<p>Mais non. Sainte-Beuve, figé dans son mutisme, ne +vit là qu'un prétexte à réclamation personnelle. La +lettre de 1857 ayant été publiée par Michel Lévy à la +suite du premier volume, il y aperçut des fautes d'impression. +Pour rectifier, il donna le texte authentique +à la fin d'un tome des <cite>Lundis</cite>. La lettre était précédée +de ces lignes<a name="FNanchor_30" id="FNanchor_30" href="#Footnote_30" class="fnanchor"> [30]</a>:</p> + +<p>«Le poète Baudelaire, très raffiné, très corrompu à +dessein et par recherche d'art, <em>avait mis des années</em> à +extraire de tout sujet et de toute fleur un suc vénéneux +et même, il faut le dire, <em>assez agréablement vénéneux</em>; +c'était d'ailleurs un homme d'esprit <em>assez aimable à ses +heures</em> et très capable d'affection...»</p> + +<p>A ce maigre bouquet se réduisit sa couronne funèbre, +à cette sèche notice l'étude définitive qu'on espérait. +Même au delà de la tombe, Sainte-Beuve ne gâtait +pas «son cher enfant».</p> + +<hr class="tb" /> + +<p>Comme chez beaucoup de critiques, chez Sainte-Beuve, +à côté de vues fines et ingénieuses, abondent +les bévues, les injustices, les incompréhensions.</p> + +<p>Toutefois, parmi les siennes, on peut distinguer +trois périodes. Dans la première, c'est un enthousiasme +sincère ou voulu qui l'abuse. S'improvisant le +héraut de la phalange romantique, souvent les amitiés +<span class="pagenum"><a id="Page_19"> 19</a></span> +ou les antipathies de groupe l'entraînent trop loin dans +le dénigrement ou dans l'éloge.</p> + +<p>Après 1835, il a pu se convaincre que, comme +poète, il était à jamais surpassé, «gratté», par ses +compagnons de lutte: Lamartine, Hugo, Gautier, +Vigny, Musset. Dès lors, malgré lui, c'est l'envie qui +l'égare. Une brouille avec Hugo lui épargnera le supplice +de chanter ses louanges. Envers les autres, par +contre, son envie ne se maîtrise plus. Elle suinte en +gouttelettes amères dans ses journaux privés, ses +remarques secrètes. Puis, au jour propice: anniversaire, +réception académique, malheur, mort, elle déferle dans +un article. Pas un de ces grands noms qu'elle n'ait +aspergés de ses jets venimeux<a name="FNanchor_A" id="FNanchor_A" href="#Footnote_A" class="fnanchor"> [A]</a>.</p> + +<div> +<p class="i2"><a name="Footnote_A" id="Footnote_A" href="#FNanchor_A" class="label">[A]</a> Pour être exacts, rappelons cependant une épargnée: +M<sup>me</sup> Desbordes-Valmore, dont Sainte-Beuve fut des rares à sentir +et à vanter, comme il fallait, le génie.</p></div> + +<p>Enfin, à partir de 1850, le train artistique le déroute. +Il n'y est plus, ne suit plus. L'incompétence ici +l'aveugle. Il néglige Leconte de Lisle, Michelet, Barbey +d'Aurevilly. Il se trompe lourdement sur Flaubert. Il +passe à côté de Verlaine. L'envergure de Baudelaire +lui échappe.</p> + +<p>Dans ces données comme dans les documents cités +plus haut, on trouverait peut-être une explication de +son attitude envers Baudelaire.</p> + +<p>Son silence presque continu sur l'auteur des <cite>Fleurs</cite> +<span class="pagenum"><a id="Page_20"> 20</a></span> +<cite>du Mal</cite> procéderait de deux des phases ci-dessus: la +troisième, puis la seconde. Tant que Baudelaire reste +obscur, il l'omet ou le diminue, faute de l'apprécier à +sa valeur. Dès que la gloire de son «jeune ami» se +lève, il s'en tait, crainte de la pousser.</p> + +<p>Avec Baudelaire il commence par l'incompétence et +il termine par l'envie.</p> + +<div class="p2 figcenter"> +<img src="images/illustration_020.jpg" width="120" height="70" alt="" title="" /> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_21"> 21</a></span></p> + + +<div class="header"> +<h2>II</h2> +</div> + +<p class="drop-cap"><span class="smcap">Parmi</span> les nombreux articles qu'a suscités ma précédente +étude et qui nous montrent en pleine ascension +la gloire comme la faveur de Baudelaire, il s'en est +trouvé quelques-uns pour prendre la défense de Sainte-Beuve. +Notamment l'âpre plaidoyer qu'a publié dans +le <cite>Temps</cite> mon ami M. Paul Souday.</p> + +<p>Il serait oiseux de discuter ici longuement les griefs +personnels que m'oppose le sagace critique du <cite>Temps</cite>.</p> + +<p>De ce qu'on est chroniqueur, romancier, auteur dramatique, +s'ensuit-il que vous soient interdites la culture, +la lecture et certaines prédilections littéraires? +De ce qu'on admire chez Vallès le grand écrivain, le +grand romancier, résulte-t-il qu'on doive endosser +ses boutades, ses foucades, ses idées et qu'avec lui +on doive renvoyer Baudelaire à l'asile ou Homère aux +Quinze-Vingts? Enfin, parce qu'en maint endroit Barbey +d'Aurevilly surcharge fâcheusement son style d'arabesques +<span class="pagenum"><a id="Page_22"> 22</a></span> +et de clinquant, parce qu'il écrivit sur Gœthe +un pamphlet superficiel, parce qu'en une de ses phrases +il se rencontre avec Sainte-Beuve, faut-il pour cela +taire la rare clairvoyance de son étude sur les <cite>Fleurs +du Mal</cite> et nier le contraste frappant avec le critique +des <cite>Lundis</cite>? Sincèrement je ne le pense pas.</p> + +<p>Sur le reste du débat, d'autre part, les faits et les +documents que j'ai cités me paraissent répondre; et +sans fol orgueil, je crois que l'interprétation que j'en +ai donnée n'outrepassait ni la mesure ni la vérité.</p> + +<p>Comme exemples, ne reprenons que les dates et les +œuvres culminantes; en 1861, la seconde édition des +<cite>Fleurs du Mal</cite>,—en 1869, l'édition des œuvres complètes.</p> + +<p>En 1861, l'autorité littéraire de Baudelaire ne souffre +plus conteste. Il apporte un recueil entièrement renouvelé, +expurgé des pièces libres qui pouvaient effaroucher +la critique officielle, augmenté de pièces inédites +dont quelques-unes magistrales, comme <cite>le Voyage</cite>, ce +joyau de la poésie française. A ce moment, pas de +poète, pas de critique qui ne s'incline devant son +talent. A ce moment, Leconte de Lisle, si sévère pour +lui-même, si dur pour autrui, lui consacre un article, +où, malgré la réserve des épithètes et ce quelque chose +de tendu qu'avaient toujours ses louanges, on voit +Baudelaire placé au premier rang, hors pair<a name="FNanchor_31" id="FNanchor_31" href="#Footnote_31" class="fnanchor"> [31]</a>.</p> + +<p>Si alors Sainte-Beuve résiste au mouvement, s'obstine +dans son mutisme, ce n'est nullement malveillance +<span class="pagenum"><a id="Page_23"> 23</a></span> +ni même absolue incompréhension. C'est, comme +le prouvent nos documents, qu'il tient Baudelaire pour +un <i lang="la" xml:lang="la">poeta minor</i> ne méritant pas encore le <i lang="la" xml:lang="la">dignus +intrare</i> dans la galerie des <cite>Lundis</cite>.</p> + +<p>Or, comment appeler d'un autre nom qu'incompétence +une telle faute de perspective, un tel manque de +discernement et de sensibilité?</p> + +<p>En 1869, les circonstances seront différentes.</p> + +<p>D'abord, pour renseigner Sainte-Beuve sur l'importance +réelle de «son jeune ami», toute l'œuvre de +Baudelaire est là<a name="FNanchor_32" id="FNanchor_32" href="#Footnote_32" class="fnanchor"> [32]</a>.</p> + +<p>Non seulement les <cite>Fleurs du Mal</cite>, mais encore ces +poèmes en prose auxquels, en passant il a décoché +jadis un salut.</p> + +<p>Non seulement l'œuvre d'imagination, mais l'œuvre +critique: les salons de 1845, de 1846, de 1859, les +études sur les caricaturistes, les articles sur les grands +littérateurs du temps, pages saisissantes par la prescience +et la hardiesse des aperçus, par l'esthétique +sereine et stable qui s'en dégage,—modèles accomplis +de cette critique intuitive où les poètes souvent +excellent.</p> + +<p>Bref, dans ces quatre volumes, Baudelaire révélé: le +reflet constant d'un des génies les plus profonds, les +plus variés, les plus originaux qu'ait produits la littérature.</p> + +<p>A l'éclat d'une pareille œuvre, on a peine à croire +que Sainte-Beuve ne distingue pas son erreur. Fermerait-il +<span class="pagenum"><a id="Page_24"> 24</a></span> +même les yeux pour ne pas la voir, que ses +oreilles tinteraient de la rumeur d'éloges montant +autour du nom de Baudelaire.</p> + +<p>Quand je disais, en effet, que tout le monde littéraire +attendait son article d'ensemble sur Baudelaire, +je n'avançais pas qu'une conjecture. Lisez plutôt la préface +de la bibliographie de Baudelaire par La Fizelière +et Decaux. Sainte-Beuve y est cité, encensé, mais aussi +mis en demeure.</p> + +<p>«Quant à l'appréciation de ses écrits, déclarent les +auteurs (en un style que pallie la bonne intention), +quant à l'appréciation de ses écrits, elle appartient de +toute nécessité à quelque grand critique habile comme +M. Sainte-Beuve, par exemple, à faire courir le scalpel +de l'analyse sur la fibre délicate d'une organisation +poétique qui, chez Baudelaire, était prodigieusement +exceptionnelle.»</p> + +<p>Et tout le long de la préface, l'appel direct à Sainte-Beuve +se poursuit, couvrant sous les fleurs une véritable +sommation.</p> + +<p>On sait la fin de non-recevoir qu'y opposa le critique +des <cite>Lundis</cite>. Avertissements venus de l'œuvre, +invites venues du monde des lettres, rien n'eut raison +de son silence. Ici l'erreur n'étant plus invocable, on +ne trouve plus guère d'explication que l'envie.</p> + +<p>Etonnante certes, à première vue, chez ce vieux +maréchal, si au-dessus de l'humble gradé Baudelaire. +Mais on oublie que dans les lettres, hélas! il est deux +<span class="pagenum"><a id="Page_25"> 25</a></span> +envies: celle qui vise vos égaux et celle que vous +inspirent vos subalternes, l'envie contre les gens de +son bateau et l'envie contre le bateau qui suit. Or, des +deux, qui jurerait que la seconde n'est pas fréquemment +la plus douloureuse, la plus cuisante, la plus +implacable? Et qui prétendrait que, si sujet à la première, +Sainte-Beuve soit demeuré inaccessible à la +seconde?</p> + +<p>Pourtant une chance de défense subsistait, puisée +dans la santé débile de Sainte-Beuve et la date de sa +mort.</p> + +<p>Durant cette année 1869, nous sommes au fait +des tourments que lui infligea la maladie. Au mois +d'août, ses souffrances s'aggravaient. En septembre +il donna son dernier article. Il mourut le mois suivant.</p> + +<p>En tenant compte de ces remarques, une hypothèse +aussitôt se présentait. Les quatre premiers tomes de +l'édition complète de Baudelaire étant datés de 1869, +peut-être avaient-ils paru, sur la fin de l'année, quand +Sainte-Beuve touchait à ses suprêmes moments. Des +lors, comment reprocher à un agonisant le silence le +plus pardonnable?</p> + +<p>Si pénible que fût une enquête de ce genre funèbre, +j'ai voulu en avoir le cœur net. J'ai consulté la Bibliographie +de la France aux années 1868 et 1869. Et voici +le résultat:</p> + +<p>Dès la fin de 1868, nous le savons par ses écrits, +Sainte-Beuve connaît à fond les <cite>Fleurs du Mal</cite> et les +<span class="pagenum"><a id="Page_26"> 26</a></span> +<cite>Poèmes en prose</cite>. Les <cite>Curiosités esthétiques</cite>, renfermant +les salons et critiques d'art, paraissent en décembre +1868. L'<cite>Art romantique</cite>, contenant les études de mœurs +et les critiques littéraires, paraît en février 1869.</p> + +<p>De fin février à septembre, Sainte-Beuve disposait +donc de six grands mois, de vingt-quatre <cite>Lundis</cite>, pour +parler de Baudelaire. Durant ces six mois, il continua +à se taire. De ces vingt-quatre feuilletons pas un seul +ne fut accordé à Baudelaire.</p> + +<p>Il me semble que cette fois la cause est entendue.</p> + +<div class="p2 figcenter"> +<img src="images/illustration_032.jpg" width="120" height="69" alt="" title="" /> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_27"> 27</a></span></p> + +<div class="header"> +<h2>APPENDICE<br /> +<span class="subh medium">LES SENTIMENTS DE BAUDELAIRE POUR SAINTE-BEUVE</span></h2> +</div> + +<p class="drop-cap"><span class="smcap">Au</span> cours de l'étude qui précède, on a pu constater +l'inaltérable attachement de Baudelaire pour +Sainte-Beuve malgré les constantes défections du critique +à son égard.</p> + +<p>Il resterait à expliquer cette longanimité si contraire +à ce que nous révèlent de Baudelaire ses correspondances +et ses papiers intimes.</p> + +<p>Sans s'y montrer positivement vindicatif, le poète +ne cesse d'y attester une extrême sensibilité aussi bien +aux bons procédés qu'aux mauvais. Éloges ou dénigrements, +il note tout avec une perspicacité toujours en +éveil. Se défiant même de la mémoire, cette négligente, +qui oublie souvent en route les injures autant que les +bienfaits, il avait institué dans ses carnets une rubrique +spéciale intitulée <cite>Vilaines canailles</cite>, où il inscrivait les +noms des personnes qui l'avaient desservi ou simplement +<span class="pagenum"><a id="Page_28"> 28</a></span> +déçu. Or, par un traitement privilégié, Sainte-Beuve +ne figure sur aucune de ces listes vengeresses.</p> + +<p>Bien mieux, en 1859, au moment où Babou manque +de le brouiller avec le critique, dans la lettre affolée qu'il +écrit à Poulet-Malassis, Baudelaire déclare: «Ce qu'il +y avait dangereux là dedans, c'est que Babou avait l'air +de me défendre contre quelqu'un qui m'a rendu <em>une +foule de services</em>.»</p> + +<p>Lesquels? On reste rêveur. On cherche et voici ce +qu'on trouve jusqu'à cette date: trois refus d'articles +sur Poe, une lettre privée sur les <cite>Fleurs du Mal</cite>, des +conseils privés lors du procès. Secours bien minces. +On cherche encore: on découvre deux lettres de Sainte-Beuve, +l'une en date du 3 octobre 1852 mentionnant +la recommandation d'un manuscrit à Véron, une autre +lettre en date du 20 mars 1854 où Sainte-Beuve se +récuse au sujet d'une demande d'appui au <cite>Moniteur</cite>. Et +c'est tout.</p> + +<p>Qu'un poétereau, à visées médiocres et doutant de +soi, se fût abusé sur l'importance de ces menus services, +l'illusion semblerait plausible. Mais chez Baudelaire, +elle déconcerte.</p> + +<p>Dans ses lettres, dans ses carnets, le trait dominant, +permanent, c'est l'orgueil.</p> + +<p>Non pas la petite vanité de l'homme de lettres qui +puise toute sa force dans les louanges d'autrui, les +publicités bruyantes, les succès immédiats—et s'effondre +aussitôt que ces adjuvants cessent. Mais une +<span class="pagenum"><a id="Page_29"> 29</a></span> +foi intérieure et indéfectible en sa valeur personnelle, +en son génie, en son œuvre, une prescience presque +miraculeuse du rang où celle-ci atteindra. Dès 1847, +quand il annonce les <cite>Fleurs du Mal</cite> sous son titre primitif +<cite>Les Lesbiennes</cite>, le format que Baudelaire leur +assigne d'autorité, c'est l'in-quarto—c'est-à-dire le +format réservé aux grands chefs-d'œuvre consacrés<a name="FNanchor_B" id="FNanchor_B" href="#Footnote_B" class="fnanchor"> [B]</a>. +En 1860, un an après l'incident Babou, il écrit +à sa mère: «Plus je deviens malheureux, plus mon +orgueil augmente.» Et dans une autre lettre: «Comme +j'ai un genre d'esprit impopulaire, je gagnerai peu +d'argent, <em>mais je laisserai une grande célébrité, je +le sais</em>.» Et partout de même répétée, ressassée la +certitude de la durée, de l'immortalité des <cite>Fleurs du +Mal</cite>.</p> + +<div> +<p class="i2"><a name="Footnote_B" id="Footnote_B" href="#FNanchor_B" class="label">[B]</a> Edition originale de <cite>Chien Caillou</cite> de Champfleury, Martinon +1847. Sur le 2<sup>e</sup> plat de la couverture: <span class="smcap">A paraitre incessamment</span>: +Pierre de <span class="smcap">Fayis</span>, <cite>Les Lesbiennes</cite>, poèmes, un volume +grand in-4.</p></div> + +<p>Comment supposer alors que Baudelaire n'aperçoive +pas la disproportion entre le sentiment qu'il a de sa +grandeur et la taille que lui attribue Sainte-Beuve? Comment +comprendre qu'il tremble à l'idée d'une brouille +avec un protecteur si tiède et qu'il exagère, avec un si +manifeste parti pris, une serviabilité si parcimonieuse?</p> + +<p>Énigme qui n'est insoluble qu'à première vue et qui +s'éclaire quand on analyse un à un les éléments de cet +attachement étrange.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_30"> 30</a></span> +Sans parler de la première emprise de jeunesse, des +premiers élans d'admiration qui durent s'atténuer secrètement +lorsque Baudelaire prit pleine possession de +son talent, il est évident que, dans cet attachement, l'intérêt +eut une part.</p> + +<p>Non que dans ses relations avec Sainte-Beuve, Baudelaire +poursuivît un avantage personnel. Vraisemblablement, +quoique sans grande confiance, il espérait, il +ne désespérait pas qu'un jour, peut-être, à la longue, +son tour de <cite>Lundi</cite> viendrait. Mais au peu que Sainte-Beuve +lui avait accordé, à ces éloges retenus, et par +raccroc, que le critique lui dispensait dans un coin +d'article, Baudelaire était trop fin pour ne pas discerner +que ce jour était encore bien lointain, bien incertain, si +encore il devait jamais luire. Au surplus, son orgueil +lui permettait d'attendre et lui défendait de demander +plus. Une seule fois il fléchit, c'était en 1860, lorsque +parurent les <cite>Paradis artificiels</cite>. Baudelaire alors nettement +sollicita de Sainte-Beuve un article. Mais par les +lettres récemment publiées dans la <cite>Revue de Paris</cite>, nous +connaissons les dessous de cette défaillance. «J'ai plus +que jamais besoin d'être soutenu, écrivait-il à Sainte-Beuve +et je devais vous rendre compte de mon <em>embarras</em>.» +<em>Embarras</em> signifiait le dernier degré de la détresse, +misères physiques, misère pécuniaire, un homme à la +dérive. Cette sollicitation dictée par l'angoisse resta, on +le sait, sans résultat. Ce fut la première et la dernière.</p> + +<p>Par contre, si peu quémandeur pour lui-même, +<span class="pagenum"><a id="Page_31"> 31</a></span> +nous avons vu que, en faveur de Poe, Baudelaire +n'hésitait pas à harceler Sainte-Beuve. De 1856 à 1865, +pas une année sans que Baudelaire ne revienne à la +charge, ne caresse et ne relance le critique pour lui +arracher l'article sur Poe. C'est chez lui le même +acharnement qu'à demander de l'argent à sa mère pour +Jeanne Duval. Avec la Muse noire, Poe avait fini par +devenir sa grande charge, son grand devoir. Pour lui +gagner Sainte-Beuve, il eût tout pardonné, il pardonnait +tout au critique. Poe fut sûrement dans leur +attachement un des liens les plus solides.</p> + +<p>Mais en dehors de ces calculs—bien désintéressés—ce +qui semble avoir le plus retenu Baudelaire à +Sainte-Beuve, malgré déboires et déceptions, c'est +Sainte-Beuve lui-même, sa fréquentation, sa société.</p> + +<p>Si orgueilleux que fût Baudelaire, visiblement il +avait été flatté par l'accueil affable de cet écrivain +fameux, son aîné presque de vingt ans, maître de toutes +les renommées littéraires de l'heure, et dont la +porte ne s'ouvrait qu'à des pairs ou à des intimes.</p> + +<p>«Un homme qui, malgré ma jeunesse relative, +m'a toujours pris pour son égal!» écrivait-il fièrement +à sa mère en 1865. Traitement peu commun de la part +de Sainte-Beuve, si réservé, si en méfiance contre les +intrus et les fâcheux.</p> + +<p>Et effectivement, faute de services, il ressort de +leur correspondance que Sainte-Beuve ne ménageait +à Baudelaire ni une paternelle considération ni de délicats +<span class="pagenum"><a id="Page_32"> 32</a></span> +égards ni même des avis et des réconforts d'autant +plus précieux qu'ils venaient de plus haut.</p> + +<p>«Est-il permis de venir se réchauffer et se fortifier à +votre contact? lui écrivait Baudelaire en 1865 (un mois +après lui avoir adressée vainement <cite>Gordon Pym</cite>). Vous +savez ce que je pense des hommes atonifiants et des +hommes tonifiants. J'ai besoin de vous comme d'une +douche.»</p> + +<p>On se demande, du reste, dans quelle société Baudelaire +si réfléchi, si épris de belles lettres, eût trouvé +l'équivalent en agrément et en qualité de ce que lui +offrait celle de Sainte-Beuve. Banville bien superficiel +et funambulesque, Gautier pliant sous le feuilleton et, +en ses propos, plus rapin que penseur, Leconte de Lisle +absorbé dans ses transcriptions de l'antique, Poulet-Malassis +bon lettré mais tout à ses échéances, Asselineau +aimable polygraphe mais sans profondeur, Théophile +Silvestre écrivain de haute marque mais toujours au +dehors pour des inspections d'art, Flaubert à Croisset, +Barbey d'Aurevilly, le tempérament le plus proche du +sien, mais accaparé par le roman, le journalisme, les +salons,—à la vérité, comme tous les esprits supérieurs, +Baudelaire se trouvait très isolé dans son +époque<a name="FNanchor_C" id="FNanchor_C" href="#Footnote_C" class="fnanchor"> [C]</a>. A défaut de Renan qu'il ne connaissait pas +<span class="pagenum"><a id="Page_33"> 33</a></span> +et qui d'ailleurs se désintéressait ouvertement des auteurs +du jour, on conçoit que, pour un poète de cette +envergure et de cette culture, la familiarité, même +inefficace, de Sainte-Beuve ait été la planche de salut, +le <em>præsidium</em> rêvé. Et l'on s'explique que pour le garder +Baudelaire ait avalé tant de couleuvres.</p> + +<div> +<p class="i2"><a name="Footnote_C" id="Footnote_C" href="#FNanchor_C" class="label">[C]</a> Au moment où se corrigent les épreuves de cette étude, la +<cite>Revue de Paris</cite>, du 15 octobre 1917 publie une lettre de Baudelaire +qui apporte aux remarques ci-dessus la confirmation +du poète lui-même: «Excepté d'Aurevilly, Flaubert, Sainte-Beuve, +je ne peux m'entendre avec personne. Th. Gautier seul +peut me comprendre, quand je parle peinture.» (11 août 1862).</p></div> + +<p>Cependant, à la digestion, ne lui laissèrent-elles pas +quelques aigreurs? La négative serait aventurée.</p> + +<p>Ouvrons en effet les <cite>Fleurs du Mal</cite> (première ou +seconde ou troisième édition) et relevons les noms des +dédicataires. L'ensemble du volume est dédié à Gautier, +trois pièces sont dédiées à Victor Hugo, deux au sculpteur +Christophe, une autre à Banville, une autre à +Constantin Guys, une autre à Maxime du Camp.</p> + +<p>Mais à Sainte-Beuve pas une seule, malgré les +témoignages d'admiration que prodiguait Baudelaire, +dans ses lettres, au poète de <cite>Joseph Delorme</cite>.</p> + +<p>Consultons la <cite>Revue Fantaisiste</cite> où parurent de Baudelaire +les <cite>Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains</cite>. +Ces <cite>Réflexions</cite> ont pour sujets Banville, Barbier, +Desbordes-Valmore, Pierre Dupont, Flaubert, +Gautier, Victor Hugo, Leconte de Lisle, Le Vavasseur, +Paul de Molènes, Pétrus Borel. Mais de Sainte-Beuve +pas trace.</p> + +<p>Compulsons le recueil des <cite>Poètes Français</cite> de Crépet +<span class="pagenum"><a id="Page_34"> 34</a></span> +où l'anthologie de chaque poète s'orne d'une étude sur +son œuvre. Baudelaire a signé plusieurs de ces notices. +Sainte-Beuve y a, bien entendu, la sienne. Mais elle +n'est pas signée: Baudelaire. Elle est signée: Babou.</p> + +<p>Feuilletons enfin les œuvres complètes de Baudelaire, +fouillons, scrutons ligne à ligne. Dans les sept volumes, +nulle part le nom de Sainte-Beuve n'est cité.</p> + +<p>Omissions trop répétées pour qu'on les croie dues +au hasard.</p> + +<p>Il est plus probable qu'elles furent voulues et que, +par ce mutisme obstiné, Baudelaire entendit rendre à +Sainte-Beuve ce qu'on appelle «la pareille».</p> + +<p>Ici s'accuse nettement la différence de procédés +entre les écrivains de haute classe et les subalternes.</p> + +<p>Négligé par Sainte-Beuve, un Babou s'exaspère, +accuse, invective.</p> + +<p>Un Baudelaire, au contraire s'en tiendra au silence, +cette légitime représaille de l'artiste contre ceux qui se +taisent sur lui.</p> + +<div class="p2 figcenter"> +<img src="images/illustration_034.jpg" width="120" height="62" alt="" title="" /> +</div> + +<p><span class="pagenum"><a id="Page_35"> 35</a></span></p> + + +<div class="header"> +<div class="footnotes"> +<h2 class="normal">NOTES:</h2> +<div class="footnote"> + +<p><a name="Footnote_1" id="Footnote_1" href="#FNanchor_1" class="label">[1]</a> «Le second ami était et est encore gros, paresseux et lymphatique; +de plus il n'a pas d'idées et ne sait qu'enfiler et +perler des mots en manière de colliers d'Osages» (Article de +Baudelaire dans l'<cite>Echo des Théâtres</cite> du 23 août 1846. <cite>Œuvres +posthumes</cite>, Mercure de France, 1908, p. 293).</p> + +<p><a name="Footnote_2" id="Footnote_2" href="#FNanchor_2" class="label">[2]</a> La prédiction de Gautier sur Baudelaire est trop longue +pour être citée en entier. Elle se termine ainsi: «Le Baudelaire +fera long feu comme le Pétrus.» (<span class="smcap">M. du Camp</span>, <cite>Souvenirs littéraires</cite>, +t. II, p. 83 et 84).</p> + +<p>A joindre cette autre opinion de Gautier sur <em>le</em> Baudelaire: +«Théophile Gautier qui, dans l'intimité, a un vif sentiment +critique, me disait en 1848:—Baudelaire est un beau vase +qui a une <em>fissure</em>» (<span class="smcap">Champfleury</span>, <cite>Souvenirs</cite>, p. 145).</p> + +<p>Il est à remarquer cependant que, dès 1845, la presque totalité +des <cite>Fleurs du Mal</cite> était connue du monde lettré par les récitations +qu'en faisait Baudelaire.</p> + +<p><a name="Footnote_3" id="Footnote_3" href="#FNanchor_3" class="label">[3]</a> <cite>Œuvres posthumes</cite>, Mercure de France, 1908, p. 54.</p> + +<p><a name="Footnote_4" id="Footnote_4" href="#FNanchor_4" class="label">[4]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 492, 15 janvier 1866.</p> + +<p><a name="Footnote_5" id="Footnote_5" href="#FNanchor_5" class="label">[5]</a> En 1856, dans la <em>Préface</em> de sa traduction des <cite>Histoires +extraordinaires</cite>, à propos d'un biographe de Poe, qui s'était permis, +par une inconvenance étrange, de publier en tête des œuvres +de l'écrivain un éreintement en règle de sa vie et de ses ouvrages, +Baudelaire écrivait ces lignes indignées et mémorables: «Il +n'existe donc pas en Amérique d'ordonnance qui interdise aux +chiens l'entrée des cimetières» (<cite>Histoires extraordinaires</cite>, 1856, +p. <span class="smcap">XX</span>).</p> + +<p><a name="Footnote_6" id="Footnote_6" href="#FNanchor_6" class="label">[6]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 190, 19 mars 1856.</p> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_36"> 36</a></span></p> +<p><a name="Footnote_7" id="Footnote_7" href="#FNanchor_7" class="label">[7]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 210, 24 mars +1856.</p> + +<p><a name="Footnote_8" id="Footnote_8" href="#FNanchor_8" class="label">[8]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 104, 9 mars 1857. J'ai omis de +noter la réponse de Sainte-Beuve (<cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 222, +11 mars 1857). Sainte-Beuve préfère qu'Edouard Thierry, rédacteur +au <cite>Moniteur</cite>, parle d'abord de l'ouvrage. Quant à lui, il +ajourne à une date vague, sous prétexte qu'il n'a pas encore «sa +petite idée» sur Poe—malgré la publication de deux volumes +contenant les plus célèbres chefs-d'œuvre du conteur. Cette +seconde promesse d'article n'eut pas, d'ailleurs, plus de suites +que la première.</p> + +<p><a name="Footnote_9" id="Footnote_9" href="#FNanchor_9" class="label">[9]</a> <cite>Revue des Deux Mondes</cite>, 1<sup>er</sup> juin 1855.</p> + +<p><a name="Footnote_10" id="Footnote_10" href="#FNanchor_10" class="label">[10]</a> <cite>Nouveaux Lundis</cite>, t. I, p. 400, et <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, +t. I, p. 219.</p> + +<p><a name="Footnote_11" id="Footnote_11" href="#FNanchor_11" class="label">[11]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Œuvres posthumes</cite>, Quantin, 1887 (éd. Crépet), +p. 285.</p> + +<p><a name="Footnote_12" id="Footnote_12" href="#FNanchor_12" class="label">[12]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 163, 14 juin 1858. «... Il y a +des jours où les injures de tous les sots vous montent au cerveau +et alors on implore son vieil ami Sainte-Beuve.» Le vieil +ami Sainte-Beuve n'avait sans doute pas encore assez mûri «sa +petite idée» sur Poe, car il persista dans le silence.</p> + +<p><a name="Footnote_13" id="Footnote_13" href="#FNanchor_13" class="label">[13]</a> Cet article, intitulé l'<cite>Amitié littéraire</cite>, avait paru dans la +<cite>Revue Française</cite>. Il reparut dans un volume de Babou, intitulé +<cite>Lettres satiriques et critiques</cite>, Poulet-Malassis, 1860. Le passage +visant Sainte-Beuve se terminait par la phrase suivante: «Il +glorifiera <cite>Fanny</cite>, l'honnête homme! et gardera le silence sur les +<cite>Fleurs du Mal</cite>.» Toutefois, l'éditeur, sans doute sur la prière de +Baudelaire, ayant supprimé la phrase, Babou la rétablit dans +un <cite>Post-scriptum</cite> avec sommation à Poulet-Malassis de l'insérer.</p> + +<p><a name="Footnote_14" id="Footnote_14" href="#FNanchor_14" class="label">[14]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 184, 21 février 1859.</p> + +<p>A consulter également une lettre à Asselineau sur le même +sujet (p. 185) du 24 février 1859.</p> + +<p><a name="Footnote_15" id="Footnote_15" href="#FNanchor_15" class="label">[15]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Nouvelle Correspondance</cite>, p. 153, 23 février +1859. A consulter aussi une lettre de Sainte-Beuve à Poulet-Malassis +(p. 142), même date, même sujet. Sainte-Beuve demande +à Poulet-Malassis de lui confier la fameuse lettre qu'il +avait adressée à Baudelaire sur les <cite>Fleurs du Mal</cite> et qui, de 1857 +à 1870, constitue sa grande pièce de défense, sa grande parade +contre les accusations d'indifférence envers Baudelaire.</p> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_37"> 37</a></span></p> +<p><a name="Footnote_16" id="Footnote_16" href="#FNanchor_16" class="label">[16]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 187.</p> + +<p><a name="Footnote_17" id="Footnote_17" href="#FNanchor_17" class="label">[17]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 269.</p> + +<p><a name="Footnote_18" id="Footnote_18" href="#FNanchor_18" class="label">[18]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 255, 3 juillet 1860.</p> + +<p><a name="Footnote_19" id="Footnote_19" href="#FNanchor_19" class="label">[19]</a> <cite>Causeries des Lundis</cite>, t. XV, p. 350. <cite>Lettre au directeur-gérant +du Moniteur.</cite> Il est à signaler qu'une fois de plus, Sainte-Beuve +justifie son silence en invoquant un article consacré à +Baudelaire dans le <cite>Moniteur</cite> par Edouard Thierry. En 1858 il +dit à Baudelaire: «Thierry parlera de vous.» En 1860: +«Thierry a parlé de vous.» Ingénieuse combinaison qui instituait +Thierry définitivement comme délégué aux affaires baudelairiennes +et fournissait aux temporisations de Sainte-Beuve +tantôt une prétexte, tantôt une excuse.</p> + +<p>Il est en outre à noter que l'incident Babou-Sainte-Beuve se +termina au mieux. En 1862, en tête des poésies de Sainte-Beuve +publiées dans les <cite>Poètes Français</cite> de Crépet, parut une notice +sur Sainte-Beuve, signée Hippolyte Babou et où l'encensoir n'était +pas balancé de main morte (<cite>Poètes Français</cite>, t. IV, p. 357). Sur +quoi, Sainte-Beuve, ne voulant pas demeurer en reste de politesse, +accorda aux notices publiées par Babou dans ce recueil un +paragraphe plus qu'obligeant (<cite>Nouveaux Lundis</cite>, t. III, p. 341).</p> + +<p>Dans cette affaire il n'y eut donc qu'une victime: Baudelaire.</p> + +<p><a name="Footnote_20" id="Footnote_20" href="#FNanchor_20" class="label">[20]</a> Ce bel article parut d'abord dans les <cite>Articles justificatifs +pour Charles Baudelaire, auteur des Fleurs du Mal</cite> (1857), imprimerie +Dondey Dupré, p. 9. Il fut réédité dans <cite>Les Œuvres et les +Hommes</cite>, 1862, t. III.</p> + +<p><a name="Footnote_21" id="Footnote_21" href="#FNanchor_21" class="label">[21]</a> Extrait de la notice de Banville, un des morceaux les plus +complets et les plus profonds qu'on ait publiés sur l'Œuvre de +Baudelaire. Banville, d'habitude si menu, si gracile, si papillonnant, +y atteint, en maint endroit, à la force. Cette notice +parut d'abord dans l'<cite>Album de la Galerie contemporaine</cite>, in-4, +Baschet (vers 1877). Elle a été reproduite, en partie seulement, +dans la récente édition des <cite>Fleurs du Mal</cite>, publiée par la librairie +Fasquelle (1912).</p> + +<p><a name="Footnote_22" id="Footnote_22" href="#FNanchor_22" class="label">[22]</a> <cite>Nouveaux Lundis</cite>, t. I, p. 400 et 401.</p> + +<p><a name="Footnote_22bis" id="Footnote_22bis" href="#FNanchor_22bis" class="label">[22 <em>bis</em>]</a> Ce nom, ces mots n'étaient pas mis là sans intention. +Dans un article récent du <cite>Mercure de France</cite>, M. Ernest Raynaud +nous a révélé l'espèce de pacte d'échange qui s'était conclu à ce +moment entre Sainte-Beuve et Gautier: Sainte-Beuve promettant +un fauteuil d'académicien à Gautier contre un siège de sénateur +que celui-ci lui assurerait. On devine le trouble qu'apportait +dans ces <i lang="it" xml:lang="it">combinaziones</i> l'irruption ingénue de Baudelaire. Sainte-Beuve, +il faut le reconnaître, se tira fort habilement de ce mauvais +pas. Désigner Gautier comme le maître de Baudelaire, +c'était du même coup amorcer sa candidature et ruiner celle de +son jeune concurrent. Protester contre l'indifférence de l'Académie +envers les poètes du jour, c'était poser des jalons pour une +compensation prochaine en faveur de Gautier. Dès lors, l'échec +de Baudelaire, soit par voie de scrutin, soit par voie de désistement, +ne faisant pas de doute, on se trouvait en excellente posture +pour pousser Gautier au premier fauteuil vacant. A tous égards, +ce fut du plus joli travail académique et où il semble bien que +Baudelaire n'ait vu que du feu.</p> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_38"> 38</a></span></p> +<p><a name="Footnote_23" id="Footnote_23" href="#FNanchor_23" class="label">[23]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, p. 325.</p> + +<p><a name="Footnote_24" id="Footnote_24" href="#FNanchor_24" class="label">[24]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. I, p. 285, 15 février +1862.</p> + +<p><a name="Footnote_25" id="Footnote_25" href="#FNanchor_25" class="label">[25]</a> Cependant Baudelaire avait envoyé les <cite>Histoires sérieuses +et grotesques</cite> à Sainte-Beuve et spécialement attiré son attention +sur ce livre, sans obtenir même un accusé de réception (<cite>Lettres</cite>, +p. 426, 15 mars 1865 et p. 427, 30 mars 1865).</p> + +<p><a name="Footnote_26" id="Footnote_26" href="#FNanchor_26" class="label">[26]</a> A titre de curiosité, j'ai relevé les noms des poètes contemporains +auxquels Sainte-Beuve avait consacré des articles +entre 1857 et 1867, date de la mort de Baudelaire.</p> + +<p>1857.—<cite>Théodore de Banville</cite>, <em>Alfred de Musset</em>.</p> + +<p>1860.—<cite>Mme Desbordes-Valmore</cite> (Œuvres posthumes).</p> + +<p>1861.—<em>Victor de Laprade.</em></p> + +<p>1862.—<em>Calemard de Lafayette.</em></p> + +<p>Même année, étude sur les <cite>Poètes français</cite> de Crépet qui fournit +prétexte à des études sur <cite>Soulary</cite>, de <cite>Belloy</cite>, <cite>Coran</cite>—sans +un mot sur Baudelaire, quoique celui-ci figurât dans le recueil.</p> + +<p>1863.—<em>P. Lebrun</em>, <em>Théophile Gautier</em>.</p> + +<p>1864.—<em>Alfred de Vigny.</em></p> + +<p>1865.—<em>Charles Monselet.</em></p> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_39"> 39</a></span> +Même année, un article sur la <cite>Poésie française en 1865</cite>.</p> + +<p>Sainte-Beuve s'y plaint du manque d'originalité des poètes nouveaux. +«Je me dis: ceci est du Musset!» ou bien: «Ceci +rappelle Victor Hugo» ou «Ceci est du Gautier, du Banville, +du Leconte de Lisle—ou <em>même</em> du Baudelaire». Toujours +les réserves tendant à réduire l'importance de Baudelaire. Ce +<em>même</em> était bien du même au même.</p> + +<p>Mais voici plus significatif encore. En 1862 Sainte-Beuve se +chargea de préfacer les <cite>Poètes français</cite> de Crépet. Il rédigea, à +cet effet, une introduction formant histoire de la poésie française. +Arrivé au <span class="smcap">XIX</span><sup>e</sup> siècle il en conte les débuts—mais, en +1862, quelle déchéance! Il se lamente sur cette décrépitude, +appelle à grands cris une Poétique nouvelle. «Et ce qui vaudrait +mieux, ajoute-t-il, ce serait un exemple nouveau et vivant. +La Nature seule peut créer le génie. A celui qui <em>doit venir</em> et +<em>en qui nous avons espérance</em>, nous dirions....» Suit une prosopopée +assez fade qui se termine ainsi: «Vous n'avez qu'à puiser +au gré de vos inspirations, suivant votre habileté et votre +audace;... vous fondrez tout à la flamme de votre génie; vous +remettrez chaque chose à son point dans la trame du bel art, <em>ô +grand poète qui naîtrez</em>!»</p> + +<p>Invocation sincère mais plutôt oiseuse, puisque ce grand poète, +à l'insu de Sainte-Beuve, était né depuis cinq ans déjà.</p> + +<p><a name="Footnote_27" id="Footnote_27" href="#FNanchor_27" class="label">[27]</a> <span class="smcap">Baudelaire</span>, <cite>Lettres</cite>, 1865, <i lang="la" xml:lang="la">passim</i>, p. 489 à 496.</p> + +<p>L'appui de Sainte-Beuve semble s'être borné à certifier à +l'éditeur Garnier la valeur littéraire de Baudelaire.</p> + +<p>Dans une des lettres de Baudelaire à sa mère, publiées par la +<cite>Revue de Paris</cite> (20 juillet 1865), le poète exprime assez exactement +la nature de l'aide que lui prêta le critique des <cite>Lundis</cite> +en vue de ce traité avec Garnier, qui, au surplus, ne devait pas +aboutir: «Sainte-Beuve, que j'ai vu à mon passage à Paris, +m'a dit qu'il se mêlerait un peu de la question.»</p> + +<p><a name="Footnote_28" id="Footnote_28" href="#FNanchor_28" class="label">[28]</a> <span class="smcap">Sainte-Beuve</span>, <cite>Correspondance</cite>, t. II, p. 209. Il est, dans +cette lettre, à retenir deux points: 1<sup>o</sup> Sainte-Beuve ne formule +aucune promesse d'article; 2<sup>o</sup> Sa lettre est datée du 12 septembre, +c'est-à-dire qu'elle ne fut écrite que douze jours après la +mort de Baudelaire.</p> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_40"> 40</a></span></p> +<p><a name="Footnote_29" id="Footnote_29" href="#FNanchor_29" class="label">[29]</a> <span class="smcap">A. de La Fizelière</span> et <span class="smcap">Georges Decaux</span>, <cite>Essais de bibliographie +contemporaine, Charles Baudelaire</cite>, librairie de l'Académie +des Bibliophiles, 1868.</p> + +<p><a name="Footnote_30" id="Footnote_30" href="#FNanchor_30" class="label">[30]</a> <cite>Causeries du Lundi</cite>, t. XV, p. 527.</p> + +<p><a name="Footnote_31" id="Footnote_31" href="#FNanchor_31" class="label">[31]</a> <cite>Revue Européenne</cite>, 1861. Réédité à la suite des <cite>Derniers +Poèmes</cite>, 1895.</p> + +<p><a name="Footnote_32" id="Footnote_32" href="#FNanchor_32" class="label">[32]</a> Il s'est produit ici une grave lacune dans le nomenclature +des symptômes qui, à défaut de perspicacité, eussent dû +avertir Sainte-Beuve de la place prise par Baudelaire dans la +poésie française.</p> + +<p>J'avais en effet oublié de mentionner parmi ces symptômes la +notice de Théophile Gautier, insérée en tête de l'édition définitive +des <cite>Œuvres complètes</cite> (1868).</p> + +<p>Si défectueuse et restrictive que soit encore cette notice qui +persiste à maintenir Baudelaire dans le cercle des poètes artificiels +et subtils, le fait qu'un écrivain illustre comme Théophile +Gautier, grand potentat du feuilleton, un des maîtres de la célèbre +phalange romantique, eût assumé la charge de présenter Baudelaire +au public et lui eût accordé l'honneur de soixante-quinze +pages en texte serré, ne pouvait manquer d'attirer l'attention +de Sainte-Beuve.</p> + +<p>Il y avait là mieux qu'un acte de complaisance posthume, une +véritable consécration.</p> + +<p>Il paraît peu probable que l'importance de cette manifestation +ait échappé à un esprit aussi avisé que Sainte-Beuve.</p> + +<p>Mais il n'est pas impossible, par contre, qu'elle ait contribué, +par choc en retour, à l'ancrer plus dans son silence.</p> + </div> + </div> +</div> + +<div class="p2 figcenter"> +<img src="images/illustration_040.jpg" width="130" height="59" alt="" title="" /> +</div> + +<p><span class="pagenumh"><a id="Page_41"> 41</a></span></p> + +<div class="p2 figcenter"> +<img src="images/illustration_041.jpg" width="100" height="96" alt="" title="" /> +</div> + +<p class="end">CHARTRES.—IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.</p> + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of Project Gutenberg's Baudelaire et Sainte-Beuve, by Fernand Vandérem + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK BAUDELAIRE ET SAINTE-BEUVE *** + +***** This file should be named 44807-h.htm or 44807-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/8/0/44807/ + +Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online +Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by The Internet Archive/Canadian Libraries) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Of course, we hope that you will support the Project +Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by +freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of +this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with +the work. You can easily comply with the terms of this agreement by +keeping this work in the same format with its attached full Project +Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. + +1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern +what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in +a constant state of change. If you are outside the United States, check +the laws of your country in addition to the terms of this agreement +before downloading, copying, displaying, performing, distributing or +creating derivative works based on this work or any other Project +Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning +the copyright status of any work in any country outside the United +States. + +1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: + +1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate +access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently +whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the +phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project +Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, +copied or distributed: + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + +1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived +from the public domain (does not contain a notice indicating that it is +posted with permission of the copyright holder), the work can be copied +and distributed to anyone in the United States without paying any fees +or charges. If you are redistributing or providing access to a work +with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the +work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 +through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the +Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or +1.E.9. + +1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted +with the permission of the copyright holder, your use and distribution +must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional +terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked +to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the +permission of the copyright holder found at the beginning of this work. + +1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm +License terms from this work, or any files containing a part of this +work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. + +1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this +electronic work, or any part of this electronic work, without +prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with +active links or immediate access to the full terms of the Project +Gutenberg-tm License. + +1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, +compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any +word processing or hypertext form. However, if you provide access to or +distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than +"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version +posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), +you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a +copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon +request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other +form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm +License as specified in paragraph 1.E.1. + +1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, +performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works +unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. + +1.E.8. 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INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation information page at www.gutenberg.org + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at 809 +North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email +contact links and up to date contact information can be found at the +Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. 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Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For forty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> diff --git a/old/44807-h/images/cover.jpg b/old/44807-h/images/cover.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..5e38184 --- /dev/null +++ b/old/44807-h/images/cover.jpg diff --git a/old/44807-h/images/illustration_005.jpg b/old/44807-h/images/illustration_005.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..509a8ae --- /dev/null +++ b/old/44807-h/images/illustration_005.jpg diff --git a/old/44807-h/images/illustration_006.jpg b/old/44807-h/images/illustration_006.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..237e20b --- /dev/null +++ b/old/44807-h/images/illustration_006.jpg diff --git a/old/44807-h/images/illustration_020.jpg b/old/44807-h/images/illustration_020.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..90bba3d --- /dev/null +++ b/old/44807-h/images/illustration_020.jpg diff --git a/old/44807-h/images/illustration_032.jpg b/old/44807-h/images/illustration_032.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..0c54e15 --- /dev/null +++ b/old/44807-h/images/illustration_032.jpg diff --git a/old/44807-h/images/illustration_034.jpg b/old/44807-h/images/illustration_034.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..317b867 --- /dev/null +++ b/old/44807-h/images/illustration_034.jpg diff --git a/old/44807-h/images/illustration_040.jpg b/old/44807-h/images/illustration_040.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..79f8ab0 --- /dev/null +++ b/old/44807-h/images/illustration_040.jpg diff --git a/old/44807-h/images/illustration_041.jpg b/old/44807-h/images/illustration_041.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..410c593 --- /dev/null +++ b/old/44807-h/images/illustration_041.jpg diff --git a/old/44807-h/images/logo.jpg b/old/44807-h/images/logo.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..08a3efc --- /dev/null +++ b/old/44807-h/images/logo.jpg |
