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+The Project Gutenberg EBook of Le Lutrin, by Boileau
+[Nicolas Boileau-Despréaux]
+#1 in our series by Boileau [Nicolas Boileau-Despréaux]
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+**Welcome To The World of Free Plain Vanilla Electronic Texts**
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+*****These eBooks Were Prepared By Thousands of Volunteers!*****
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+Title: Le Lutrin
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+Author: Boileau [Nicolas Boileau-Despréaux]
+
+Release Date: May, 2004 [EBook #5158]
+[Yes, we are more than one year ahead of schedule]
+[This file was first posted on May 16, 2002]
+
+Edition: 10
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, LE LUTRIN ***
+
+
+This eBook was produced by Christian SCHERER <scherer@paris.ensmp.fr>,
+and prepared for PG by Laurent Le Guillou <leguillou.laurent@free.fr>.
+
+
+
+Title: Le Lutrin
+
+Language: French
+
+Encoding: ISO-8859-1
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+
+Source:
+
+Nicolas Boileau-Despréaux (1636-1711),
+"Oeuvres Complètes de Boileau-Despréaux,
+Nouvelle édition, Accompagnée de notes pour l'intelligence du texte,
+et précédée d'une notice historique sur la vie et les écrits de l'auteur,
+Avec gravures"
+Paris, B. Renault et Cie, Libraires-Éditeurs, 8, rue Larrey,
+1858.
+
+[Text encoding is iso-8859-1.]
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+
+ LE LUTRIN
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+
+ Poème héroï-comique
+
+
+CHANT PREMIER
+
+
+Je chante les combats, et ce prélat terrible
+Qui par ses longs travaux et sa force invincible,
+Dans une illustre église exerçant son grand coeur,
+Fit placer à la fin un lutrin dans le choeur.
+C'est en vain que le chantre, abusant d'un faux titre,
+Deux fois l'en fit ôter par les mains du chapitre :
+Ce prélat, sur le banc de son rival altier
+Deux fois le reportant, l'en couvrit tout entier.
+
+Muse redis-mois donc quelle ardeur de vengeance
+De ces hommes sacrés rompit l'intelligence,
+Et troubla si longtemps deux célèbres rivaux.
+Tant de fiel entre-t-il dans l'âme des dévots !
+
+Et toi, fameux héros, dont la sage entremise
+De ce schisme naissant débarrassa l'Eglise,
+Viens d'un regard heureux animer mon projet,
+Et garde-toi de rire en ce grave sujet.
+
+Paris voyait fleurir son antique chapelle :
+Ses chanoines vermeils et brillants de santé
+S'engraissaient d'une longue et sainte oisiveté ;
+Sans sortir de leurs lits plus doux que des hermines,
+Ces pieux fainéants faisaient chanter matines,
+Veillaient à bien dîner, et laissaient en leur lieu
+A des chantres gagés le soin de louer Dieu :
+Quand la Discorde, encore toute noire de crimes,
+Sortant des Cordeliers pour aller aux Minimes,
+Avec cet air hideux qui fait frémir la Paix,
+S'arrêter près d'un arbre au pied de son palais,
+Là, d'un oeil attentif contemplant son empire,
+A l'aspect du tumulte elle-même s'admire.
+Elle y voit par le coche et d'Evreux et du Mans
+Accourir à grand flots ses fidèles Normands :
+Elle y voit aborder le marquis, la comtesse,
+Le bourgeois, le manant, le clergé, la noblesse ;
+Et partout des plaideurs les escadrons épars
+Faire autour de Thémis flotter ses étendards.
+Mais une église seule à ses yeux immobile
+Garde au sein du tumulte une assiette tranquille.
+Elle seule la brave ; elle seule aux procès
+De ses paisibles murs veut défendre l'accès.
+La Discorde, à l'aspect d'un calme qui l'offense,
+Fait siffler ses serpents, s'excite à la vengeance
+Sa bouche se remplit d'un poison odieux,
+Et de longs traits de feu lui sortent par les yeux.
+
+Quoi ! dit-elle d'un ton qui fit trembler les vitres,
+J'aurai pu jusqu'ici brouiller tous les chapitres,
+Diviser Cordeliers, Carmes et Célestins ;
+J'aurai fait soutenir un siège aux Augustins :
+Et cette église seule, à mes ordres rebelle,
+Nourrira dans son sein une paix éternelle !
+Suis-je donc la Discorde ? et, parmi les mortels,
+Qui voudra désormais encenser mes autels ?
+
+A ces mots, d'un bonnet couvrant sa tête énorme,
+Elle prend d'un vieux chantre et la taille et la forme :
+Elle peint de bourgeons son visage guerrier,
+Et s'en va de ce pas trouver le trésorier.
+
+Dans le réduit obscur d'une alcôve enfoncée
+S'élève un lit de plume à grand frais amassée :
+Quatre rideaux pompeux, par un double contour,
+En défendent l'entrée à la clarté du jour.
+Là, parmi les douceurs d'un tranquille silence,
+Règne sur le duvet une heureuse indolence :
+C'est que le prélat, muni d'un déjeuner,
+Dormant d'un léger somme, attendait le dîner.
+La jeunesse en sa fleur brille sur son visage :
+Son menton sur son sein descend à double étage ;
+Et son corps ramassé dans sa courte grosseur
+Fait gémir les coussins sous sa molle épaisseur.
+
+La déesse en entrant, qui voit la nappe mise,
+Admire un si bel ordre, et reconnaît l'Eglise :
+Et, marchant à grand pas vers le lieu du repos,
+Au prélat sommeillant elle adresse ces mots :
+
+Tu dors, Prélat, tu dors, et là haut à ta place
+Le chantre aux yeux du choeur étale son audace,
+Chante les orémus, fait des processions,
+Et répand à grands flots les bénédictions.
+Tu dors ! Attends-tu donc que, sans bulle et sans titre,
+Il te ravisse encore le rochet et la mitre ?
+Sort de ce lit oiseux qui te tient attaché,
+Et renonce au repos, ou bien à l'évêché.
+
+Elle dit, et, du vent de sa bouche profane,
+Lui souffle avec ces mots l'ardeur de la chicane.
+Le prélat se réveille, et, plein d'émotion,
+Lui donne toutefois la bénédiction.
+
+Tel qu'on voit un taureau qu'une guêpe en furie
+A piqué dans les flancs aux dépens de sa vie ;
+Le superbe animal, agité de tourments,
+Exhale sa douleur en longs mugissements ;
+Tel le fougueux prélat, que ce songe épouvante,
+Querelle en se levant et laquais et servante ;
+Et, d'un juste courroux rallumant sa vigueur,
+Même avant le dîner, parle d'aller au choeur.
+Le prudent Gilotin, son aumônier fidèle,
+En vain par ses conseils sagement le rappelle ;
+Lui montre le péril ; que midi va sonner ;
+Qu'il va faire, s'il sort, refroidir le dîner.
+
+Quelle fureur, dit-il, quel aveugle caprice,
+Quand le dîner est prêt, vous appelle à l'office ?
+De votre dignité soutenez mieux l'éclat :
+Est-ce pour travailler que vous êtes prélat ?
+A quoi bon ce dégoût et ce zèle inutile ?
+Est-il donc pour jeûner quatre-temps ou vigile ?
+reprenez vos esprits et souvenez-vous bien
+Qu'un dîner réchauffé ne valut jamais rien.
+
+Ainsi dit Gilotin ; et ce ministre sage
+Sur table, au même instant, fit servir le potage.
+Le prélat voit la soupe, et plein d'un saint respect,
+Demeure quelque temps muet à cet aspect.
+Il cède, dîne enfin : mais, toujours plus farouche,
+Les morceaux trop hâtés se pressent dans sa bouche.
+Gilotin en frémit, et, sortant de fureur,
+Chez tous ses partisans va semer la terreur.
+On voit courir chez lui leurs troupes éperdues,
+Comme l'on voit marcher les bataillons de grues
+Quand le Pygmée altier, redoublant ses efforts,
+De l'Hèbre ou du Styrmon vient d'occuper les bords.
+A l'aspect imprévu de leur foule agréable,
+Le prélat radouci veut se lever de table :
+La couleur lui renaît, sa voix change de ton ;
+Il fait par Gilotin rapporter un jambon.
+Lui-même le premier pour honorer la troupe,
+D'un vin pur et vermeil il fait remplir sa coupe ;
+Il l'avale d'un trait : et chacun l'imitant,
+La cruche au large ventre est vide en un instant.
+Sitôt que du nectar la troupe est abreuvée,
+On dessert : et soudain, la nappe étant levée,
+Le prélat, d'une voix conforme à son malheur,
+Leur confie en ces mots sa trop juste douleur :
+
+Illustres compagnons de mes longues fatigues,
+Qui m'avez soutenu par vos pieuses ligues,
+Et par qui, maître enfin d'un chapitre insensé,
+Seul à Magnificat je me vois encensé ;
+Souffrirez-vous toujours qu'un orgueilleux m'outrage ;
+Que le chantre à vos yeux détruise votre ouvrage,
+Usurpe tous mes droits, et s'égalant à moi,
+Donne à votre lutrin et le ton et la loi ?
+Ce matin même encore, ce n'est point un mensonge,
+Une divinité me l'a fait voir en songe :
+L'insolent s'emparant du fruit de mes travaux,
+A prononcé pour moi le Benedicat vos !
+Oui, pour mieux m'égorger, il prend mes propres armes.
+
+Le prélat à ces mots verse un torrent de larmes.
+Il veut, mais vainement, poursuivre son discours ;
+Ses sanglots redoublés en arrêtent le cours.
+Le zélé Gilotin, qui prend part à sa gloire,
+Pour lui rendre la voix, fait rapporter à boire :
+Quand Sidrae, à qui l'âge allonge le chemin,
+Arrive dans la chambre, un bâton à la main,
+Ce vieillard dans le choeur a déjà vu quatre âges ;
+Il sait de tous les temps les différents usages :
+Et son rare savoir, de simple marguillier,
+L'éleva par degrés au rang de chevecier.
+A l'aspect du prélat qui tombe en défaillance,
+Il devine son mal, il se ride, il s'avance ;
+Et d'un ton paternel réprimant ses douleurs :
+
+Laisse au chantre, dit-il, la tristesse et les pleurs,
+Prélat ; et pour sauver tes droits et ton empire,
+Ecoute seulement ce que le ciel m'inspire.
+Vers cet endroit du choeur où le chantre orgueilleux
+Montre, assis à ta gauche, un front si sourcilleux,
+Sur ce rang d'ais serrés qui forment sa clôture
+Fut jadis un lutrin d'inégale structure,
+Dont les flancs élargis de leur vaste contour
+Ombrageaient pleinement tous les lieux d'alentour.
+Derrière ce lutrin, ainsi qu'au fond d'un antre,
+A peine sur son banc on discernait le chantre :
+Tandis qu'à l'autre banc le prélat radieux,
+Découvert au grand jour, attirait tous les yeux.
+Mais un démon, fatal à cette ample machine,
+Soit qu'une main la nuit eût hâté sa ruine,
+Soit qu'ainsi de tout temps l'ordonnât le destin,
+Fit tomber à nos yeux le pupitre un matin.
+J'eus beau prendre le ciel et le chantre à partie,
+Il fallut l'emporter dans notre sacristie,
+Où depuis trente hivers, sans gloire enseveli,
+Il languit tout poudreux dans un honteux oubli.
+Entends-moi donc, Prélat. Dès que l'ombre tranquille
+Viendra d'un crêpe noir envelopper la ville,
+Il faut que trois de nous, sans tumulte et sans bruit,
+Partent, à l a faveur de la naissante nuit,
+Et du lutrin rompu réunissant la masse,
+Aillent d'un zèle adroit le remettre en sa place.
+Si le chantre demain ose le renverser,
+Alors de cent arrêts tu peux le terrasser.
+Pour soutenir tes droits, que le ciel autorise,
+Abyme tout plutôt : c'est l'esprit de l'Eglise ;
+C'est par là qu'un prélat signale sa vigueur.
+Ne borne pas ta gloire à prier dans un choeur :
+Ces vertus dans Aleth peuvent être en usage ;
+Mais dans Paris, plaidons ; c'est là notre partage.
+Tes bénédictions, dans le trouble croissant,
+Tu pourras les répandre et par vingt et par cent ;
+Et, pour braver le chantre en son orgueil extrême,
+Les répandre à ses yeux, et le bénir lui-même.
+
+Ce discours aussitôt frappe tous les esprits ;
+Et le prélat charmé l'approuve par des cris.
+Il veut que, sur-le-champ, dans la troupe on choisisse
+Les trois que Dieu destine à ce pieux office :
+Mais chacun prétend part à cet illustre emploi.
+Le sort, dit le prélat, vous servira de loi.
+Que l'on tire au billet ceux que l'on doit élire.
+Il dit, on obéit, on se presse d'écrire.
+Aussitôt trente noms, sur le papier tracés,
+Sont au fond d'un bonnet par billets entassés.
+Pour tirer ces billets avec moins d'artifice,
+Guillaume, enfant de choeur, prête sa main novice :
+Son front nouveau tondu, symbole de candeur,
+Rougit, en approchant, d'une honnête pudeur.
+Cependant le prélat, l'oeil au ciel, la main nue,
+Bénit trois fois les noms, et trois fois les remue.
+Il tourne le bonnet : l'enfant tire et Brontin
+Est le premier des noms qu'apporte le destin.
+Le prélat en conçoit un favorable augure
+Et ce nom dans la troupe excite un doux murmure.
+On se tait ; et bientôt on voit paraître au jour
+Le nom, le fameux nom du perruquier l'Amour.
+Ce nouvel Adonis, à la blonde crinière,
+Est l'unique souci d'Anne sa perruquière :
+Ils s'adorent l'un l'autre ; et ce couple charmant
+S'unit longtemps, dit-on, avant le sacrement ;
+Mais, depuis trois moissons, à leur saint assemblage
+L'official a joint le nom de mariage.
+Ce perruquier superbe est l'effroi du quartier,
+Et son courage est peint sur son visage altier.
+Un des noms reste encore et le prélat par grâce
+Une dernière fois les brouille et les ressasse.
+Chacun croit que son nom est le dernier des trois.
+Mais que ne dis-tu point, ô puissant porte-croix,
+Boirude, sacristain, cher appui de ton maître,
+Lorsqu'aux yeux du prélat tu vis ton nom paraître !
+On dit que ton front jaune, et ton teint sans couleur,
+perdit en ce moment son antique pâleur ;
+Et que ton corps goutteux, plein d'une ardeur guerrière,
+Pour sauter au plancher fit deux pas en arrière.
+Chacun bénit tout haut l'arbitre des humains,
+Qui remet leur bon droit en de si bonnes mains.
+Aussitôt on se lève ; et l'assemblée en foule,
+Avec un bruit confus, par les portes s'écoule.
+
+Le prélat resté seul calme un peu son dépit,
+Et jusques au souper se couche et s'assoupit.
+
+
+
+
+
+
+
+
+CHANT SECOND
+
+Cependant cet oiseau qui prône les merveilles,
+Ce monstre composé de bouches et d'oreilles,
+Qui, sans cesse volant de climats en climats,
+Dit partout ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas ;
+La Renommée enfin, cette prompte courrière,
+Va d'un mortel effroi glacer la perruquière ;
+Lui dit que son époux, d'un faux zèle conduit,
+Pour placer un lutrin doit veiller cette nuit.
+
+A ce triste récit, tremblante, désolée,
+Elle accourt, l'oeil en feu, la tête échevelée,
+Et trop sûre d'un mal qu'on pense lui celer :
+
+Oses-tu bien encor, traître, dissimuler ?
+Dit-elle : et ni la foi que ta main m'a donnée,
+Ni nos embrassements qu'a suivis l'hyménée,
+Ni ton épouse enfin toute prête à périr,
+Ne sauraient donc t'ôter cette ardeur de courir ?
+Perfide ! si du moins, à ton devoir fidèle,
+Tu veillais pour orner quelque tête nouvelle !
+L'espoir d'un juste gain consolant ma langueur
+Pourrait de ton absence adoucir la longueur.
+Mais quel zèle indiscret, quelle aveugle entreprise
+Arme aujourd'hui ton bras en faveur d'une église ?
+Où vas-tu cher époux, est-ce que tu me fuis ?
+As-tu oublié tant de si douces nuits ?
+Quoi ! d'un oeil sans pitié vois-tu couler mes larmes ?
+Au nom de nos baisers jadis si plein de charmes,
+Si mon coeur, de tout temps facile à tes désirs,
+N'a jamais d'un moment différé tes plaisirs ;
+Si pour te prodiguer mes plus tendres caresses,
+Je n'ai point exigé ni serments, ni promesses ;
+Si toi seul à mon lit enfin eus toujours part ;
+Diffère au moins d'un jour ce funeste départ .
+
+En achevant ces mots cette amante enflammée
+Sur un placet voisin tombe demi-pâmée.
+Son époux s'en émeut, et son coeur éperdu
+Entre deux passions demeure suspendu ;
+Mais enfin rappelant son audace première :
+
+Ma femme, lui dit-il d'une voix douce et fière,
+Je ne veux point nier les solides bienfaits
+Dont ton amour prodigue a comblé mes souhaits,
+Et le Rhin de ses flots ira grossir la Loire
+Avant que tes faveurs sortent de ma mémoire ;
+Mais ne présume pas qu'en te donnant ma foi
+L'hymen m'ait pour jamais asservi sous ta loi.
+Si le ciel en mes mains eût mis ma destinée,
+Nous aurions fui tous deux le joug de l'hyménée ;
+Et, sans nous opposer ces devoirs prétendus,
+Nous goûterions encor des plaisirs défendus.
+Cesse donc à mes yeux d'étaler un vain titre :
+Ne m'ôte pas l'honneur d'élever un pupitre,
+Et toi-même, donnant un frein à tes désirs,
+Raffermis la vertu qu'ébranlent tes soupirs.
+Que te dirai-je enfin ? C'est le ciel qui m'appelle,
+Une église, un prélat m'engage en sa querelle,
+Il faut partir : j'y cours. Dissipe tes douleurs ,
+Et ne me trouble plus par ces indignes pleurs.
+
+Il la quitte à ces mots. Son amante effarée
+Demeure le teint pâle, et la vue égarée :
+La force l'abandonne ; et sa bouche, trois fois
+Voulant le rappeler, ne trouve plus de voix.
+Elle fuit, et de pleurs inondant son visage,
+Seule pour s'enfermer vole au cinquième étage.
+Mais d'un bouge prochain accourant à ce bruit,
+Sa servante Alizon la rattrape et la suit.
+
+Les ombres cependant, sur la ville épandues,
+Du faîte des maisons descendent dans les rues .
+Le souper hors du coeur chasse les chapelains,
+Et de chantres buvant les cabarets sont pleins.
+Le redouté Brontin, que son devoir éveille,
+Sort à l'instant, chargé d'une triple bouteille,
+D'un vin dont Gilotin, qui savait tout prévoir,
+Au sortir du conseil eut soin de le pourvoir.
+L'odeur d'un jus si doux lui rend la faim moins rude.
+Il est bientôt suivi du sacristain Boirude ;
+Et tous deux, de ce pas, s'en vont avec chaleur
+Du trop lent perruquier réveiller la valeur.
+Partons, lui dit Brontin : déjà le jour plus sombre,
+Dans les eaux s'éteignant, va faire place à l'ombre.
+D'où vient ce noir chagrin que je lis dans tes yeux ?
+Quoi ? le pardon sonnant te retrouve en ces lieux !
+Où donc est ce grand coeur dont tantôt l'allégresse
+Semblait du jour trop long accuser la paresse ?
+Marche, et suis nous du moins où l'honneur nous attend.
+
+Le perruquier honteux rougit en l'écoutant.
+Aussitôt de longs clous il prend une poignée :
+Sur son épaule il charge une lourde cognée ;
+Et derrière son dos, qui tremble sous le poids,
+Il attache une scie en forme de carquois :
+Il sort au même instant, il se met à leur tête.
+A suivre ce grand chef l'un et l'autre s'apprête :
+Leur coeur semble allumé d'un zèle tout nouveau ;
+Brontin tient un maillet ; et Boirude un marteau.
+La lune, qui du ciel voit leur démarche altière,
+Retire en leur faveur sa paisible lumière.
+La Discorde en sourit, et, les suivant des yeux,
+De joie, en les voyant, pousse un cri dans les cieux.
+L'air, qui gémit du cri de l'horrible déesse,
+Va jusque dans Citeaux réveiller la Mollesse.
+C'est là qu'en un dortoir elle fait son séjour :
+Les Plaisirs nonchalants folâtrent à l'entour ;
+L'un pétrit dans un coin l'embonpoint des chanoines ;
+L'autre broie en riant le vermillon des moines :
+La Volupté la sert avec des yeux dévots,
+Et toujours le Sommeil lui verse des pavots.
+Ce soir, plus que jamais, en vain il les redouble.
+La Mollesse à ce bruit se réveille, se trouble :
+Quand la Nuit, qui déjà va tout envelopper,
+D'un funeste récit vient encor la frapper ;
+Lui conte du prélat l'entreprise nouvelle :
+Aux pieds des murs sacrés d'une sainte chapelle,
+Elle a vu trois guerriers, ennemis de la paix,
+Marcher à la faveur de ses voiles épais.
+La Discorde en ces lieux menace de s'accroître :
+Demain avec l'aurore un lutrin va paraître,
+Qui doit y soulever un peuple de mutins :
+Ainsi le ciel l'écrit au livre des destins.
+
+A ce triste discours, qu'un long soupir achève,
+La Mollesse, en pleurant, sur un bras se relève,
+Ouvre un oeil languissant, et, d'un faible voix,
+Laisse tomber ces mots qu'elle interrompt vingt fois :
+O Nuit ! que m'as-tu dit ? quel démon sur la terre
+Souffle dans tous les coeurs la fatigue et la guerre ?
+Hélas ! qu'est devenu ce temps, cet heureux temps,
+Où les rois s'honoraient du nom de fainéants,
+S'endormaient sur le trône, et me servant sans honte
+Laissaient leur sceptre aux mains d'un maire ou d'un comte !
+Aucun soin n'approchait de leur paisible cour :
+On reposait la nuit, on dormait tout le jour.
+Seulement au printemps, quand Flore dans les plaines
+Faisait taire des vents les bruyantes haleines,
+Quatre boeufs attelés, d'un pas tranquille et lent,
+Promenaient dans Paris le monarque indolent.
+Ce doux siècle n'est plus. Le ciel impitoyable
+A placé sur le trône un prince infatigable.
+Il brave mes douceurs, il est sourd à ma voix :
+Tous les jours il m'éveille du bruit de ses exploits.
+Rien ne peut arrêter sa vigilante audace :
+L'été n'a point de feux, l'hiver n'a point de glace.
+J'entends à son seul nom tous mes sujets frémir
+En vain deux fois la paix a voulu l'endormir ;
+Loin de moi son courage, entraîné par la gloire,
+Ne se plaît qu'à courir de victoire en victoire.
+Je me fatiguerais de te tracer le cours
+Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours.
+Je croyais, loin des lieux où ce prince m'exile,
+Que l'Eglise du moins m'assurait un asile.
+Mais qu'en vain j'espérais y régner sans effroi :
+Moines, abbés prieurs, tout s'arme contre moi.
+Par mon exil honteux la Trappe est ennoblie ;
+J'ai vu dans Saint Denys la réforme établie ;
+La Carme, le Feuillant, s'endurcit aux travaux ;
+Et la règle déjà se remet dans Clairvaux.
+Citeaux dormait encor, et la sainte Chapelle
+Conservait du vieux temps l'oisiveté fidèle :
+Et voici qu'un lutrin, prêt à tout renverser,
+D'un séjour si chéri vient encor me chasser !
+O toi, de mon repos, compagne aimable et sombre,
+A de si noirs forfaits prêteras-tu ton ombre ?
+Ah ! Nuit, si tant de fois, dans les bras de l'amour,
+Je t'admis aux plaisirs que je cachais au jour,
+Du moins ne permets pas... La Mollesse oppressée
+Dans sa bouche à ce mot sent sa langue glacée ;
+Et, lasse de parler, succombant sous l'effort,
+Soupire, étend les bras, ferme l'oeil et s'endort.
+
+
+
+
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+
+CHANT TROISIEME
+
+
+Mais la nuit aussitôt de ses ailes affreuses
+Couvre des Bourguignons les campagnes vineuses,
+Revole vers Paris, et, hâtant son retour,
+Déjà de Mont-Lhéri voit la fameuse tour.
+Ses murs, dont le sommet se dérobe à la vue,
+Sur la cime d'un roc s'allongent dans la nue,
+Et présentant de loin leur objet ennuyeux,
+Du passant qui le fuit semblent le suivre des yeux.
+Mille oiseaux effrayants, mille corbeaux funèbres,
+De ces murs désertés habitent les ténèbres.
+Là, depuis trente hivers, un hibou retiré
+Trouvait contre le jour un refuge assuré.
+Des désastres fameux ce messager fidèle
+Sait toujours des malheurs la première nouvelle,
+Et, tout prêt d'en semer le présage odieux,
+Il attendait la nuit dans ces sauvages lieux.
+Aux cris qu'à son abord vers le ciel il envoie,
+Il rend tous ses voisins attristés de sa joie.
+La plaintive Prognée de douleur en frémit ;
+Et, dans les bois prochains, Philomène en gémit.
+Suis-moi, lui dit la Nuit. L'oiseau plein d'allégresse
+Reconnaît à ce ton la voix de sa maîtresse.
+Il la suit : et tous deux, d'un cours précipité,
+De Paris à l'instant ils abordent la cité ;
+Là, s'élançant d'un vol que le vent favorise,
+Ils montent au sommet de la fatale église.
+La Nuit baisse la vue, et, du haut du clocher,
+Observe les guerriers, les regarde marcher.
+Elle voit le barbier qui, d'une main légère,
+Tient un verre de vin qui rit dans la fougère ;
+Et chacun, tour à tour s'inondant de ce jus,
+Célébrer, en riant, Gilotin et Bacchus.
+Ils triomphent, dit-elle, et leur âme abusée
+Se promet dans mon ombre une victoire aisée :
+Mais allons ; il est temps qu'il connaissent la Nuit.
+A ces mots, regardant le hibou qui la suit,
+Elle perce les murs de la voûte sacrée ;
+Jusqu'à la sacristie elle s'ouvre une entrée
+Et, dans le ventre creux du pupitre fatal,
+Va placer de ce pas le sinistre animal.
+
+Mais les trois champions, pleins de vin et d'audace,
+Du palais cependant passent la grande place ;
+Et, suivant de Bacchus les auspices sacrés,
+De l'auguste chapelle ils montent les degrés.
+Ils atteignaient déjà le superbe portique
+Où Ribou le libraire, au fond de sa boutique,
+Sous vingt fidèles clefs, garde et tient en dépôt
+L'amas toujours entier des écrits de Haynaut :
+Quand Boirude, qui voit que le péril approche,
+Les arrête, et, tirant un fusil de sa poche,
+Des veines d'un caillou, qu'il frappe au même instant,
+Il fait jaillir un feu qui pétille en sortant ;
+Et bientôt, au brasier d'une mèche enflammée,
+Montre, à l'aide du soufre, une cire allumée.
+Cet astre tremblotant, dont le jour les conduit,
+Est pour eux un soleil au milieu de la nuit.
+Le temple à sa faveur est ouvert par Boirude :
+Ils passent de la nef la vaste solitude,
+Et dans la sacristie entrant, non sans terreur,
+En percent jusqu'au fond la ténébreuse horreur.
+
+C'est là que du lutrin gît la machine énorme :
+La troupe quelque temps en admire la forme.
+Mais le barbier, qui tient les moments précieux :
+Ce spectacle n'est pas pour amuser nos yeux,
+Dit-il : ce temps est cher, portons-le dans le temple :
+C'est là qu'il faut demain qu'un prélat le contemple.
+Et d'un bras, à ces mots, qui peut tout ébranler,
+Lui-même, se courbant, s'apprête à le rouler.
+Mais à peine il y touche, ô prodige incroyable !
+Que du pupitre sort une voix effroyable.
+Brontin en est ému, le sacristain pâlit ;
+Le perruquier commence à regretter son lit.
+Dans son hardi projet toutefois il s'obstine ;
+Lorsque des flanc poudreux de la vaste machine
+L'oiseau sort en courroux, et, d'un cri menaçant,
+Achève d'étonner le barbier frémissant :
+De ses ailes dans l'air secouant la poussière,
+Dans la main de Boirude il éteint la lumière.
+Les guerriers à ce coup demeurent confondus ;
+Ils regagnent la nef, de frayeur éperdus :
+Sous leurs corps tremblotants leurs genoux s'affaiblissent,
+D'une subite horreur leurs cheveux se hérissent ;
+Et bientôt, au travers des ombres de la nuit,
+Le timide escadron se dissipe et s'enfuit.
+
+Ainsi lorsqu'en un coin, qui leur tient lieu d'asile,
+D'écoliers libertins une troupe indocile,
+Loin des yeux d'un préfet au travail assidu
+Va tenir quelquefois un brelan défendu :
+Si du vaillant Argas la figure effrayante
+Dans l'ardeur du plaisir à leurs yeux se présente,
+Le jeu cesse à l'instant, l'asile est déserté,
+Et tout fuit à grand pas le tyran redouté.
+
+La Discorde, qui voit leur honteuse disgrâce,
+Dans les airs, cependant tonne, éclate, menace,
+Et, malgré la frayeur dont leurs coeurs sont glacés,
+S'apprête à réunir ses soldats dispersés.
+Aussitôt de Sidrac elle emprunte l'image :
+Elle ride son front, allonge son visage,
+Sur un bâton noueux laisse courber son corps,
+Dont la chicane semble animer les ressorts ;
+Prend un cierge en sa main, et d'une voix cassée,
+Vient ainsi gourmander la troupe terrassée.
+
+Lâches, où fuyez-vous ? quelle peur vous abat ?
+Aux cris du vil oiseau vous cédez sans combat ?
+Où sont ces beaux discours jadis si pleins d'audace ?
+Craignez-vous d'un hibou l'impuissante grimace ?
+Que feriez-vous, hélas, si quelque exploit nouveau
+Chaque jour, comme moi, vous traînait au barreau ;
+S'il fallait, sans amis, briguant une audience,
+D'un magistrat glacé soutenir la présence,
+Ou, d'un nouveau procès, hardi solliciteur,
+Aborder sans argent un clerc de rapporteur ?
+Croyez-moi, mes enfants, je vous parle à bon titre :
+J'ai moi seul autrefois plaidé tout un chapitre ;
+Et le barreau n'a point de monstres si hagards,
+Dont mon oeil n'ait cent fois soutenu les regards.
+Tous les jours sans trembler j'assiégeais leurs passages.
+L'Eglise était alors fertile en grands courages :
+Le moindre d'entre nous, sans argent, sans appui,
+Eût plaidé le prélat, et le chantre avec lui.
+Le monde, de qui l'âge avance les ruines,
+Ne peut plus enfanter de ces âmes divines :
+Mais que vos coeurs, du moins, imitant leurs vertus,
+De l'aspect d'un hibou ne soient pas abattus.
+Songez quel déshonneur va souiller votre gloire,
+Quand le chantre demain entendra sa victoire.
+Vous verrez tous les jours le chanoine insolent,
+Au seul mot de hibou, vous sourire en parlant.
+Votre âme, à ce penser, de colère murmure :
+Allez donc de ce pas en prévenir l'injure ;
+Méritez les lauriers qui vous sont réservés,
+Et ressouvenez-vous quel prélat vous servez.
+Mais déjà la fureur dans vos yeux étincelle.
+Marchez, courez, volez où l'honneur vous appelle.
+Que le prélat, surpris d'un changement si prompt,
+Apprenne la vengeance aussitôt que l'affront.
+
+En achevant ces mots, la déesse guerrière
+De son pied trace en l'air un sillon de lumière ;
+rend aux trois champions leur intrépidité,
+Et les laisse tout pleins de sa divinité.
+
+C'est ainsi, grand Condé, qu'en ce combat célèbre,
+Où ton bras fit trembler le Rhin, l'Escaut et l'Ebre,
+Lorsqu'aux plaines de Lens nos bataillons poussés
+Furent presque à tes yeux ouverts ou renversés,
+Ta valeur, arrêtant les troupes fugitives,
+Rallia d'un regard leurs cohortes craintives ;
+Répandit dans leurs rangs ton esprit belliqueux,
+Et força la victoire à te suivre avec eux.
+
+La colère à l'instant succédant à la crainte,
+Ils rallument le feu de leur bougie éteinte :
+Ils rentrent ; l'oiseau sort : l'escadron raffermi
+Rit du honteux départ d'un si faible ennemi.
+Aussitôt dans le choeur la machine emportée
+Est sur le banc du chantre à grand bruit remontée.
+Ses ais demi-pourris, que l'âge a relâchés,
+Sont à coups de maillet unis et rapprochés.
+Sous les coups redoublés tous les bancs retentissent,
+Les murs en sont émus, les voûtes en mugissent.
+Et l'orgue même en pousse un long gémissement.
+
+Que fais-tu, chantre, hélas ! dans ce triste moment ?
+Tu dors d'un profond somme, et ton coeur sans alarmes
+Ne sait pas qu'on bâtit l'instrument de tes larmes !
+Oh ! que si quelque bruit, par un heureux réveil,
+T'annonçait du lutrin le funeste appareil ;
+Avant que de souffrir qu'on en posât la masse,
+Tu viendrais en apôtre expirer dans ta place ;
+Et, martyr glorieux d'un point d'honneur nouveau
+Offrir ton corps aux clous et ta tête au marteau.
+
+Mais déjà sur ton banc la machine enclavée
+Est, durant ton sommeil, à ta honte élevée.
+Le sacristain achève en deux coups de rabot ;
+Et le pupitre enfin tourne sur son pivot.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+CHANT QUATRIEME
+
+
+Les cloches, dans les airs, de leurs voix argentines,
+Appelaient à grand bruit les chantres à matines ;
+Quand leur chef, agité d'un sommeil effrayant,
+Encor tout en sueur se réveille en criant.
+Aux élans redoublés de sa voix douloureuse,
+Tous ses valets tremblants quittent la plume oiseuse ;
+Le vigilant Girot court à lui le premier :
+C'est d'un maître si saint le plus digne officier ;
+La porte dans le choeur à sa garde est commise :
+Valet souple au logis, fier huissier à l'église.
+
+Quel chagrin, lui dit-il, trouble votre sommeil ?
+Quoi ! voulez-vous au choeur prévenir le soleil ?
+Ah ! dormez, et laissez à des chantres vulgaires
+Le soin d'aller sitôt mériter leurs salaires.
+
+Ami, lui dit le chantre encor pâle d'horreur,
+N'insulte point, de grâce, à ma juste terreur :
+Mêle plutôt ici tes soupirs à mes plaintes,
+Et tremble en écoutant le sujet de mes craintes.
+Pour la seconde fois un sommeil grâcieux
+Avait sous ses pavots appesanti mes yeux ;
+Quand, l'esprit enivré d'une douce fumée,
+J'ai cru remplir au choeur ma place accoutumée.
+Là, triomphant aux yeux des chantres impuissant,
+Je bénissais le peuple, et j'avalais l'encens ;
+Lorsque du fond caché de notre sacristie
+Une épaisse nuée à longs flots est sortie,
+Qui, s'ouvrant à mes yeux, dans un bleuâtre éclat
+M'a fait voir un serpent conduit par le prélat.
+Du corps de ce dragon, plein de soufre et de nitre,
+Une tête sortait en forme de pupitre,
+Dont le triangle affreux, tout hérissé de crins,
+Surpassait en grosseur nos plus épais lutrins.
+Animé par son guide, en sifflant il s'avance :
+Contre moi sur mon banc je le vois qui s'élance.
+J'ai crié, mais en vain : et, fuyant sa fureur,
+Je me suis réveillé plein de trouble et d'horreur.
+
+Le chantre, s'arrêtant à cet endroit funeste,
+A ses yeux effrayés laisse dire le reste.
+Girot en vain l'assure, et, riant de sa peur,
+Nomme sa vision l'effet d'une vapeur :
+Le désolé vieillard, qui hait la raillerie,
+Lui défend de parler, sort du lit en furie.
+On apporte à l'instant ses somptueux habits,
+Où sur l'ouate molle éclata le tabis.
+D'une longue soutane il endosse la moire,
+Prend ses gants violets, les marques de sa gloire ;
+Et saisit, en pleurant, ce rochet qu'autrefois
+Le prélat trop jaloux lui rogna de trois doigts.
+Aussitôt d'un bonnet ornant sa tête grise,
+Déjà l'aumuce en main il marche vers l'église,
+Et, hâtant de ses ans l'importune langueur,
+Court, vole, et, le premier, arrive dans le choeur.
+
+O toi qui, sur ces bords qu'une eau dormante mouille
+Vit combattre autrefois le rat et la grenouille ;
+Qui, par les traits hardis d'un bizarre pinceau,
+Mit l'Italie en feu pour la perte d'un seau ;
+Muse, prête à ma bouche une voix plus sauvage,
+Pour chanter le dépit, la colère, la rage,
+Que le chantre sentit allumer dans son sang
+A l'aspect du pupitre élevé sur son banc.
+D'abord pâle et muet, de colère immobile,
+A force de douleur, il demeura tranquille ;
+Mais sa voix s'échappant au travers des sanglots
+Dans sa bouche à la fin fit passage à ces mots :
+La voilà donc, Girot, cette hydre épouvantable
+Que m'a fait voir un songe, hélas ! trop véritable !
+Je le vois ce dragon tout prêt à m'égorger,
+Ce pupitre fatal qui me doit ombrager !
+Prélat, que t'ai-je fait ? quelle rage envieuse
+Rend pour me tourmenter ton âme ingénieuse ?
+Quoi ! même dans ton lit, cruel, entre deux draps,
+Ta profane fureur ne se repose pas !
+O ciel ! quoi ! sur mon banc une honteuse masse
+Désormais me va faire un cachot de ma place !
+Inconnu dans l'église, ignoré dans ce lieu,
+Je ne pourrai donc plus être vu que de Dieu !
+Ah ! plutôt qu'un moment cet affront m'obscurcisse,
+Renonçons à l'autel, abandonnons l'office ;
+Et, sans lasser le ciel par de chants superflus,
+Ne voyons plus un choeur où l'on ne nous voit plus.
+Sortons... Mais cependant mon ennemi tranquille
+Jouira sur son banc de ma rage inutile,
+Et verra dans le choeur le pupitre exhaussé
+Tourner sur le pivot où sa main l'a placé !
+Non, s'il n'est abattu, je ne saurais plus vivre.
+A moi, Girot, je veux que mon bras l'en délivre.
+Périssons s'il le faut, mais de ses ais brisés
+Entraînons, en mourant, les restes divisés.
+
+A ces mots, d'une main par la rage affermie,
+Il saisissait déjà la machine ennemie.
+Lorsqu'en ce sacré lieu, par un heureux hasard,
+Entre Jean le choriste, et le sonneur Girard
+Deux Manseaux renommés, en qui l'expérience
+Pour les procès est jointe à la vaste science.
+L'un et l'autre aussitôt prend part à son affront.
+Toutefois condamnant un mouvement trop prompt
+Du lutrin, disent-ils, abattons la machine :
+Mais ne nous chargeons pas tous seuls de sa ruine ;
+Et que tantôt, aux yeux du chapitre assemblé,
+Il soit sous trente mains en plein jour accablé.
+
+Ces mots des mains du chantre arrachent le pupitre.
+J'y consens, leur dit-il ; assemblons le chapitre.
+Allez donc de ce pas, par de saints hurlements,
+Vous-mêmes appeler les chanoines dormants.
+Partez. Mais ce discours les surprend et les glace.
+Nous ! qu'en ce vain projet, pleins d'une folle audace,
+Nous allions, dit Girard, la nuit nous engager !
+De notre complaisance osez-vous l'exiger ?
+Hé ! seigneur ! quand nos cris pourraient, du fond des rues,
+De leurs appartements percer les avenues,
+Réveiller ces valets autour d'eux étendus,
+De leurs sacrés repos ministres assidus,
+Et pénétrer des lits aux bruits inaccessibles ;
+Pensez-vous, au moment que les ombres paisibles
+A ces lits enchanteurs ont su les attacher.
+Que la voix d'un mortel les en puisse arracher ?
+Deux chantres feront-ils, dans l'ardeur de vous plaire,
+Ce que depuis trente ans six cloches n'ont pu faire ?
+
+Ah ! je vois bien où tend tout ce discours trompeur,
+Reprend le chaud vieillard : le prélat vous fait peur.
+Je vous ai vus cent fois, sous sa main bénissante,
+Courber servilement une épaule tremblante.
+Hé bien ! allez ; sous lui fléchissez les genoux :
+Je saurai réveiller les chanoines sans vous.
+Viens, Girot, seul ami qui me reste fidèle :
+Prenons du saint jeudi la bruyante crécelle.
+Suis-moi. Qu'à son lever le soleil aujourd'hui
+trouve tout le chapitre éveillé devant lui.
+
+Il dit. Du fond poudreux d'une armoire sacrée
+Par les mains de Girot la crécelle est tirée.
+Ils sortent à l'instant, et, par d'heureux efforts,
+Du lugubre instrument font crier les ressorts.
+Pour augmenter l'effroi, la Discorde infernale
+Monte dans le palais, entre dans la grand'salle,
+Et, du fond de cet antre, au travers de la nuit,
+Fait sortir le démon du tumulte et du bruit.
+Le quartier alarmé n'a plus d'yeux qui sommeillent ;
+Déjà de toutes parts les chanoines s'éveillent
+L'on croit que le tonnerre est tombé sur les toits,
+Et que l'église brûle une seconde fois ;
+L'autre, encor agité de vapeurs plus funèbres,
+Pense être au jeudi saint, croit que l'on dit ténèbres,
+Et déjà tout confus, tenant midi sonné,
+En soi-même frémit de n'avoir point dîné.
+
+Ainsi, lorsque tout prêt à briser cent murailles
+Louis, la foudre en main abandonnant Versailles,
+Au retour du soleil et des zéphyrs nouveaux,
+Fait dans les champs de Mars déployer les drapeaux ;
+Au seul bruit répandu de sa marche étonnante,
+Le Danube s'émeut, le Tage s'épouvante,
+Bruxelles attend le coup qui la doit foudroyer,
+Et le Batave encore est prêt à se noyer.
+
+Mais en vain dans leurs lits un juste effroi les presse :
+Aucun ne laisse encor la plume enchanteresse.
+Pour les en arracher Girot s'inquiétant
+Va crier qu'au chapitre un repas les attend.
+Ce mot, dans tous les coeurs répand la vigilance.
+Tout s'ébranle, tout sort, tout marche en diligence.
+Ils courent au chapitre, et chacun se pressant
+Flatte d'un doux espoir son appétit naissant.
+Mais, ô d'un déjeuner vaine et frivole attente !
+A peine ils sont assis, que, d'une voix dolente,
+Le chantre désolé, lamentant son malheur,
+Fait mourir l'appétit et naître la douleur.
+Le seul chanoine Evrard, d'abstinence incapable,
+Ose encor proposer qu'on apporte la table.
+Mais il a beau presser, aucun ne lui répond :
+Quand le premier rompant ce silence profond,
+Alain tousse et se lève ; Alain, ce savant homme,
+Qui de Bauny vingt fois a lu toute la somme,
+Qui possède Abéli, qui sait tout Raconis,
+Et même entend, dit-on, le latin d'A-Kempis.
+
+N'en doutez point, leur dit ce savant canoniste,
+Ce coup part, j'en suis sûr, d'une main janséniste.
+Mes yeux en sont témoins : j'ai vu moi-même hier
+Entrer chez le prélat le chapelain Garnier.
+Arnaud, cet hérétique ardent à nous détruire,
+Par ce ministre adroit tente de le séduire :
+Sans doute il aura lu dans son saint Augustin
+Qu'autrefois saint Louis érigea ce lutrin ;
+Il va nous inonder des torrents de sa plume.
+Il faut, pour lui répondre, ouvrir plus d'un volume.
+Consultons sur ce point quelque auteur signalé ;
+Voyons si des lutrins Bauny n'a point parlé
+Etudions enfin, il en est temps encor ;
+Et, pour ce grand projet, tantôt dès que l'aurore
+Rallumera le jour dans l'onde enseveli,
+Que chacun prenne en main le moelleux Abéli.
+
+Ce conseil imprévu de nouveau les étonne :
+Surtout le gras Evrard d'épouvante en frissonne.
+Moi, dit-il, qu'à mon âge, écolier tout nouveau,
+J'aille pour un lutrin me troubler le cerveau !
+O le plaisant conseil ! Non, non, songeons à vivre :
+Va maigrir, si tu veux, et sécher sur un livre.
+Pour moi, je lis la bible autant que l'alcoran :
+Je sais ce qu'un fermier nous doit rendre par an ;
+Sur quelle vigne à Reims nous avons hypothèque :
+Vingt muids rangés chez moi font ma bibliothèque.
+En plaçant un pupitre on croit nous rabaisser :
+Mon bras seul sans latin saura le renverser.
+Que m'importe qu'Arnaud me condamne ou m'approuve ?
+J'abats ce qui me nuit partout où je le trouve :
+C'est là mon sentiments. A quoi bon tant d'apprêts ?
+Du reste déjeûnons, messieurs, et buvons frais.
+
+Ce discours, que soutient l'embonpoint du visage,
+Rétablit l'appétit, réchauffe le courage.
+Mais le chantre surtout en paraît rassuré,
+Oui, dit-il, le pupitre a déjà trop duré.
+Allons sur sa ruine assurer ma vengeance :
+Donnons à ce grand oeuvre une heure d'abstinence,
+Et qu'au retour tantôt un ample déjeûner
+Longtemps nous tienne à table, et s'unisse au dîner.
+
+Aussitôt il se lève, et la troupe fidèle
+Par ces mots attirants sent redoubler son zèle.
+Ils marchent droit au coeur d'un pas audacieux.
+Et bientôt le lutrin se fait voir à leurs yeux.
+A ce terrible objet aucun d'eux ne consulte,
+Sur l'ennemi commun ils fondent en tumulte,
+Ils sapent le pivot, qui se défend en vain ;
+Chacun sur lui d'un coup veut honorer sa main.
+Enfin sous tant d'efforts la machine succombe,
+Et son corps entr'ouvert chancelle, éclate et tombe :
+Tel sur les monts glacés des farouches Gélons
+Tombe un chêne battu des voisins aquilons ;
+Ou tel, abandonné de ses poutres usées,
+Fond enfin un vieux toit sous ses tuiles brisés.
+La masse est emportée, et ses ais arrachés
+Sont aux yeux des mortels chez le chantre cachés.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+CHANT CINQUIEME
+
+
+
+L'Aurore cependant, d'un juste effroi troublée,
+Des chanoines levés voit la troupe assemblée,
+Et contemple longtemps, avec des yeux confus,
+Ces visages fleuris qu'elle n'a jamais vus.
+Chez Sidrac aussitôt Brontin d'un pied fidèle
+Du pupitre abattu va porter la nouvelle.
+Le vieillard de ses soins bénit l'heureux succès,
+Et sur le bois détruit bâtit mille procès.
+L'espoir d'un doux tumulte échauffant son courage,
+Il ne sent plus le poids ni les glaces de l'âge ;
+Et chez le trésorier, de ce pas, à grand bruit,
+Vient éclater au jour les crimes de la nuit.
+
+Au récit imprévu de l'horrible insolence,
+Le prélat hors du lit impétueux s'élance
+Vainement d'un breuvage à deux mains apporté
+Gilotin avant tout le veut voir humecté :
+Il veut partir à jeun. Il se peigne, il s'apprête ;
+L'ivoire trop hâté deux fois rompt sur sa tête,
+Et deux fois de sa main le buis tombe en morceaux ;
+Tel Hercule filant rompait tous les fuseaux,
+Il sort demi-paré. Mais déjà sur sa porte
+Il voit de saints guerriers une ardente cohorte,
+Qui tous, remplis pour lui d'une égale vigueur,
+Sont prêts, pour le servir, à déserter le choeur.
+Mais le vieillard condamne un projet inutile.
+Nos destins sont, dit-il, écrits chez la Sibylle :
+Son antre n'est pas loin ; allons la consulter,
+Et subissons la loi qu'elle nous va dicter.
+Il dit : à ce conseil, où la raison domine,
+Sur ses pas au barreau la troupe s'achemine,
+Et bientôt dans le temple, entend, non sans frémir,
+De l'antre redouté les soupiraux gémir.
+
+Entre ces vieux appuis dont l'affreuse grand'salle
+Soutient l'énorme poids de sa voûte infernale,
+Est un pilier fameux, des plaideurs respecté,
+Et toujours de Normands à midi fréquenté.
+Là, sur des tas poudreux de sacs et de pratique,
+Hurle tous les matins une Sibylle étique :
+On l'appelle Chicane ; et ce monstre odieux
+Jamais pour l'équité n'eut d'oreilles ni d'yeux.
+La Disette au teint blême, et la triste Famine,
+Les Chagrins dévorants, et l'infâme Ruine,
+Enfants infortunés de ses raffinements,
+Troublent l'air d'alentour de longs gémissements.
+Sans cesse feuilletant les lois et la coutume,
+Pour consumer autrui, le monstre se consume ;
+Et, dévorant maison, palais, châteaux entiers,
+Rend pour des monceaux d'or de vains tas de papiers.
+Sous le coupable effort de ta noire insolence,
+Thémis a vu cent fois chanceler sa balance.
+Incessamment il va de détour en détour.
+Comme un hibou, souvent il se dérobe au jour :
+Tantôt, les yeux en feu, c'est un lion superbe ;
+Tantôt, humble serpent, il se glisse sous l'herbe.
+En vain, pour le dompter, le plus juste des rois
+Fit régler le chaos des ténébreuses lois ;
+Ses griffes vainement par Pussort accourcies,
+Se rallongent déjà, toujours d'encre noircies ;
+Et ses ruses, perçant et digues et remparts,
+Par cent brèches déjà rentrent de toutes parts.
+
+Le vieillard humblement l'aborde et le salue,
+Et faisant, avant tout, briller l'or à sa vue :
+Reine des longs procès, dit-il, dont le savoir
+Rend la force inutile, et les lois sans pouvoir,
+Toi, pour qui dans le Mans le laboureur moissonne,
+Pour qui naissent à Caen tous les fruits de l'automne :
+Si, dès mes premiers ans, heurtant tous les mortels,
+L'encre a toujours pour loi coulé sur tes autels,
+Daigne encor me connaître en ma saison dernière ;
+D'un prélat qui t'implore exauce la prière.
+Un rival orgueilleux, de sa gloire offensé,
+A détruit le lutrin par nos mains redressé.
+Epuise en sa faveur ta science fatale :
+Du digeste et du code ouvre-nous le dédale;
+Et montre-nous cet art, connu de tes amis,
+Qui, dans ses propres lois, embarrasse Thémis.
+
+La Sibylle, à ces mots, déjà hors d'elle-même,
+Fait lire sa fureur sur son visage blême,
+Et, pleine du démon qui la vient oppresser,
+Par ces mots étonnants tâche à le repousser.
+
+Chantres, ne craignez plus une audace insensée.
+Je vois, je vois au choeur la masse replacée :
+Mais il faut des combats. Tel est l'arrêt du sort,
+Et surtout évitez un dangereux accord.
+
+Là bornant son discours, encor tout écumante,
+Elle souffle aux guerriers l'esprit qui la tourmente ;
+Et dans leurs coeurs brûlants de la soif de plaider
+Verse l'amour de nuire, et la peur de céder.
+
+Pour tracer à loisir une longue requête,
+A retourner chez soi leur brigade s'apprête.
+Sous leurs pas diligents le chemin disparaît,
+Et le pilier, loin d'eux, déjà baisse et décroît.
+
+Loin du bruit cependant les chanoines à table
+Immolent trente mets à leur faim indomptable.
+Leur appétit fougueux, par l'objet excité,
+Parcourt tous les recoins d'un monstrueux pâté ;
+Par le sel irritant la soif est allumée :
+Lorsque d'un pied léger la prompte Renommée,
+Semant partout l'effroi, vient au chantre éperdu
+Conter l'affreux détail de l'oracle rendu.
+Il se lève, enflammé de muscat et de bile,
+Et prétend à son tour consulter la Sibylle.
+Evrard a beau gémir du repas déserté,
+Lui-même est au barreau par le nombre emporté.
+Par les détours étroits d'une barrière oblique,
+Ils gagnent les degrés, et le perron antique
+Où sans cesse, étalant bons et méchants écrits,
+Barbin vend aux passants les auteurs à tout prix.
+
+Là le chantre à grand bruit arrive et se fait place,
+Dans le fatal instant que, d'un égale audace,
+Le prélat et sa troupe , à pas tumultueux,
+Descendaient du palais l'escalier tortueux.
+L'un et l'autre rival, s'arrêtant au passage,
+Se mesure des yeux, s'observe, s'envisage ;
+Une égale fureur anime les esprits :
+Tels deux fougueux taureaux, de jalousie épris
+Auprès d'une génisse au front large et superbe
+Oubliant tous les jours le pâturage et l'herbe,
+A l'aspect l'un de l'autre, embrasés, furieux,
+Déjà le front baissé, se menacent des yeux.
+Mais Evrard, en passant coudoyé par Boirude,
+Ne sait point contenir son aigre inquiétude ;
+Il entre chez Barbin, et, d'un bras irrité,
+Saisissant du Cyrus un volume écarté,
+Il lance au sacristain le tome épouvantable.
+Boirude fuit le coup : le volume effroyable
+Lui rase le visage, et, droit dans l'estomac,
+Va frapper en sifflant l'infortuné Sidrac.
+Le vieillard, accablé de l'horrible Artamène,
+Tombe aux pieds du prélat, sans pouls et sans haleine.
+Sa troupe le croit mort, et chacun empressé
+Se croit frappé du coup dont il le voit blessé.
+Aussitôt contre Evrard vingt champions s'élancent ;
+Pour soutenir leur choc les chanoine s'avancent.
+La Discorde triomphe, et du combat fatal
+Par un cri donne en l'air l'effroyable signal.
+
+Chez le libraire absent tout entre, tout se mêle :
+Les livres sur Evrard fondent comme la grêle
+Qui, dans un grand jardin, à coups impétueux,
+Abat l'honneur naissant des rameaux fructueux.
+Chacun s'arme au hasard du livre qu'il rencontre :
+L'un tient l'Edit d'amour, l'autre en saisit la Montre ;
+L'un prend le seul Jonas qu'on ait vu relié ;
+L'autre un Tasse français, en naissant oublié.
+L'élève de Barbin, commis à la boutique,
+veut en vain s'opposer à leur fureur gothique :
+Les volumes, sans choix à la tête jetés,
+Sur le perron poudreux volent de tous côtés :
+Là, près d'un Guarini, Térence tombe à terre ;
+Là, Xénophon dans l'air heurte contre un la Serre,
+Oh ! que d'écrits obscurs, de livres ignorés,
+Furent en ce grand jour de la poudre tirés !
+Vous en fûtes tirés, Almerinde et Simandre :
+Et toi, rebut du peuple, inconnu Caloandre,
+Dans ton repos, dit-on, saisi par Gaillerbois,
+Tu vis le jour alors pour la première fois.
+Chaque coup sur la chair laisse une meurtrissure :
+Déjà plus d'un guerrier se plaint d'une blessure.
+D'un le Vayer épais Giraut est renversé :
+Marineau, d'un Brébeuf à l'épaule blessé,
+En sent par tout le bras une douleur amère,
+Et maudit le Pharsale aux provinces si chère.
+D'un Pinchêne in-quarto Dodillon étourdi
+A longtemps le teint pâle et le coeur affadi.
+Au plus fort du combat le chapelain Garagne,
+Vers le sommet du front atteint d'un Charlemagne,
+(Des vers de ce poème effet prodigieux)!
+Tout prêt à s'endormir, bâille, et ferme les yeux.
+A plus d'un combattant la Clélie est fatale :
+Girou dix fois par elle éclate et se signale.
+Mais tout cède aux efforts du chanoine Fabri.
+Ce guerrier, dans l'église aux querelles nourri,
+Est robuste de corps, terrible de visage,
+Et de l'eau dans son vin n'a jamais su l'usage.
+Il terrasse lui seul et Guilbert et Grasset,
+Et Gorillon la basse, et Grandin le fausset,
+Et Gerbais l'agréable, et Guerin l'insipide.
+
+Des chantres désormais la brigade timide
+S'écarte, et du palais regagne les chemins :
+Telle, à l'aspect d'un loup, terreur des champs voisins,
+Fuit d'agneaux effrayés une troupe bêlante ;
+Ou tels devant Achille, aux campagnes de Xanthe,
+Les Troyens se sauvaient à l'abri de leurs tours,
+Quand Brontin à Boirude adresse ce discours :
+
+Illustre porte-croix, par qui notre bannière
+N'a jamais en marchant fait un pas en arrière,
+Un chanoine lui seul triomphant du prélat
+Du rochet à nos yeux ternira-t-il l'éclat ?
+Non, non : pour te couvrir de sa main redoutable,
+Accepte de mon corps l'épaisseur favorable.
+Viens, et, sous ce rempart, à ce guerrier hautain
+Fais voler ce Quinault qui me reste à la main.
+A ces mots, il lui tend le doux et tendre ouvrage.
+Le sacristain, bouillant de zèle et de courage,
+Le prend, se cache, approche, et, droit entre le syeux,
+Frappe du noble écrit l'athlète audacieux.
+Mais c'est pour l'ébranler une faible tempête,
+Le livre sans vigueur mollit contre sa tête.
+Le chanoine les voit, de colère embrasé :
+Attendez, leur dit-il, couple lâche et rusé,
+Et jugez si ma main, aux grands exploits novice,
+Lance à mes ennemis un livre qui mollisse.
+A ces mots il saisit un vieil Infortiat,
+Grossi des visions d'Accurse et d'Alciat,
+Inutile ramas de gothique écriture,
+Dont quatre ais mal unis formaient la couverture,
+Entouré à demi d'un vieux parchemin noir,
+Où pendait à trois clous un reste de fermoir.
+Sur l'ais qui le soutient auprès d'un Avicenne,
+Deux des plus forts mortels l'ébranleraient à peine :
+Le chanoine pourtant l'enlève sans effort,
+Et, sur le couple pâle et déjà demi-mort,
+Fait tomber à deux mains l'effroyable tonnerre.
+Les guerriers de ce coup vont mesurer la terre,
+Et, du bois et des clous meurtris et déchirés,
+Longtemps, loin du perron, roulent sur les degrés.
+
+Au spectacle étonnant de leur chute imprévue,
+Le prélat pousse un cri qui pénètre la nue.
+Il maudit dans son coeur le démon des combats,
+Et de l'horreur du coup il recule six pas.
+Mais bientôt rappelant son antique prouesse
+Il tire du manteau sa dextre vengeresse ;
+Il part, et, de ses doigts saintement allongés,
+Bénit tous les passants, en deux files rangés.
+Il sait que l'ennemi, que ce coup va surprendre,
+Désormais sur ses pieds ne l'oserait attendre,
+Et déjà voit pour lui tout ce peuple en courroux
+Crier aux combattants : Profanes, à genoux !
+Le chantre, qui de loin voit approcher l'orage,
+Dans son coeur éperdu cherche en vain du courage :
+Sa fierté l'abandonne, il tremble, il cède, il fuit.
+Le long des sacrés murs sa brigade le suit :
+Tout s'écarte à l'instant ; mais aucun n'en réchappe ;
+Partout le doigt vainqueur les suit et les rattrape.
+Evrard seul, en un coin prudemment retiré,
+Se croyait à couvert de l'insulte sacré :
+Mais le prélat vers lui fait une marche adroite,
+Il l'observe de l'oeil ; et tirant vers la droite,
+Tout d'un coup tourne à gauche, et d'un bras fortuné
+Bénit subitement le guerrier consterné.
+Le chanoine, surpris de la foudre mortelle,
+Se dresse, et lève en vain une tête rebelle ;
+Sur ses genoux tremblants il tombe à cet aspect,
+Et donne à la frayeur ce qu'il doit au respect.
+Dans le temple aussitôt le prélat plein de gloire
+Va goûter les doux fruits de sa sainte victoire ;
+Et de leur vain projet les chanoines punis
+S'en retournent chez eux, éperdus et bénis.
+
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+CHANT SIXIEME
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+
+
+Tandis que tout conspire à la guerre sacrée,
+La Piété sincère, aux Alpes retirée,
+Du fond de son désert entend les tristes cris,
+De ses sujets cachés dans les murs de Paris.
+Elle quitte à l'instant sa retraite divine
+La Foi, d'un pas certain, devant elle chemine ;
+L'Espérance au front gai l'appuie et la conduit ;
+Et, la bourse à la main, la Charité la suit.
+Vers Paris elle vole, et d'une audace sainte,
+Vient aux pieds de Thémis proférer cette plainte :
+
+Vierge, effroi des méchants, appui de mes autels,
+Qui, la balance en main, règle tous les mortels,
+Ne viendrai-je jamais en tes bras salutaires
+Que pousser des soupirs et pleurer mes misères !
+Ce n'est donc pas assez qu'au mépris de tes lois
+L'Hypocrisie ait pris et mon nom et ma voix ;
+Que, sous ce nom sacré, partout ses mains avares
+Cherchent à me ravir crosses, mitres, tiares !
+Faudra-t-il voir encor cent monstres furieux
+Ravager mes états usurpés à tes yeux !
+Dans les temps orageux de mon naissant empire,
+Au sortir de baptême on courait au martyre.
+Chacun, plein de mon nom, ne respirait que moi :
+Le fidèle, attentif aux règles de sa loi,
+Fuyant des vanités la dangereuse amorce,
+Aux honneurs appelé, n'y montait que par force :
+Ces coeurs, que les bourreaux ne faisaient point frémir,
+A l'offre d'une mitre étaient prêts à gémir ;
+Et, sans peur des travaux, sur mes traces divines
+Couraient chercher le ciel au travers des épines.
+Mais, depuis que l'Eglise eut, aux yeux des mortels,
+De son sang en tous lieux cimenté ses autels,
+Le calme dangereux succédant aux orages,
+Une lâche tiédeur s'empara des courages,
+De leur zèle brûlant l'ardeur se ralentit.
+Sous le joug des péchés leur foi s'appesantit :
+Le moine secoua la cilice et la haire,
+Le chanoine indolent apprit à ne rien faire ;
+Le prélat, par la brigue aux honneurs parvenu,
+Ne sut plus qu'abuser d'un humble revenu,
+Et pour toutes vertus fit, au dos d'un carrosse,
+A côté d'une mitre armorier sa crosse ;
+L'Ambition partout chassa l'Humilité ;
+Dans la crasse du froc logea la Vanité.
+Alors de tous les coeurs l'union fut détruite.
+Dans mes cloîtres sacrés la Discorde introduite
+Y bâtit de mon bien ses plus sûrs arsenaux ;
+Traîne tous mes sujets au pied des tribunaux.
+En vain à ses fureurs j'opposai mes prières ;
+L'insolente, à mes yeux, marcha sous mes bannières.
+Pour comble de misère, un tas de faux docteurs
+Vint flatter les péchés de discours imposteurs ;
+Infectant les esprits d'exécrables maximes,
+Voulut faire à Dieu même approuver tous les crimes.
+Une servile peur leur tint lieu de charité,
+Le besoin d'aimer Dieu passa pour nouveauté ;
+Et chacun à mes pieds, conservant sa malice,
+N'apporta de vertu que l'aveu de son vice.
+
+Pour éviter l'affront de ces noirs attentats,
+J'allai chercher le calme au séjour des frimas,
+Sur ces monts entourés d'une éternelle glace
+Où jamais au printemps les hivers n'ont fait place.
+Mais, jusques dans la nuit de mes sacrés déserts,
+Le bruit de mes malheurs fait retentir les airs.
+Aujourd'hui même encore une voix trop fidèle
+M'a d'un triste désastre apporté la nouvelle :
+J'apprends que, dans ce temple où le plus saint des rois
+Consacra tout le fruit de ses pieux exploits,
+Et signala pour moi sa pompeuse largesse,
+L'implacable Discorde et l'infâme Mollesse,
+Foulant aux pieds les lois, l'honneur et le devoir,
+Usurpent en mon nom le souverain pouvoir.
+Souffriras-tu, ma soeur, une action si noire ?
+Quoi ! ce temple, à ta porte, élevé pour ma gloire,
+Où jadis des humains j'attirais tous les voeux,
+Sera de leurs combats le théâtre honteux !
+Non, non, il faut enfin que ma vengeance éclate :
+Assez et trop longtemps l'impunité les flatte.
+Prends ton glaive, et, fondant sur ces audacieux,
+Viens aux yeux des mortels justifier les cieux.
+
+Ainsi parle à sa soeur cette vierge enflammée :
+La grâce est dans ses yeux d'un feu pur allumée.
+Thémis sans différer lui promet son secours,
+La flatte, la rassure et lui tient ce discours :
+
+Chère et divine soeur, dont les mains secourables
+Ont tant de fois séché les pleurs des misérables,
+Pourquoi toi-même, en proie à tes vives douleurs,
+Cherches-tu sans raison à grossir tes malheurs ?
+En vain de tes sujets l'ardeur est ralentie ;
+D'un ciment éternel ton Eglise est bâtie,
+Et jamais de l'enfer les noirs frémissements
+N'en sauraient ébranler les fermes fondements.
+Au milieu des combats, des troubles, des querelles,
+Ton nom encor chéri vit au sein des fidèles.
+Crois-moi, dans ce lieu même où l'on veut t'opprimer,
+Le trouble qui t'étonne est facile à calmer ;
+Et, pour y rappeler la paix tant désirée,
+Je vais t'ouvrir, ma soeur, une route assurée.
+Prête-moi donc l'oreille, et retiens tes soupirs.
+
+Vers ce temple fameux, si chers à tes désirs
+Où le ciel fut pour toi si prodigue en miracles,
+Non loin de ce palais où je rends mes oracles,
+Est un vaste séjour des mortels révéré,
+Et de clients soumis à toute heure entouré,
+Là, sous le faix pompeux de ma pourpre honorable,
+Veille au soin de ma gloire un homme incomparable,
+Ariste, dont le Ciel et Louis ont fait choix
+Pour régler ma balance et dispenser mes lois.
+Par lui dans le barreau sur mon trône affermie
+Je vois hurler en vain la chicane ennemie ;
+Par lui la vérité ne craint plus l'imposteur,
+Et l'orphelin n'est plus dévoré du tuteur.
+Mais pourquoi vainement t'en retracer l'image ?
+Tu le connais assez : Ariste est ton ouvrage.
+C'est toi qui le formas dès ses plus jeunes ans :
+Son mérite sans tache est un de tes présents.
+Tes divines leçons, avec le lait sucées,
+Allumèrent l'ardeur de ses nobles pensées.
+Aussi son coeur, pour toi brûlant d'un si beau feu,
+N'en fit point dans le monde un lâche désaveu ;
+Et son zèle hardi, toujours prêt à paraître,
+N'alla point se cacher dans le sombres d'un cloître.
+Va le trouver, ma soeur a ton auguste nom,
+Tout s'ouvrira d'abord en sa sainte maison.
+Ton visage est connu de sa noble famille.
+Tout y garde tes lois, enfants, soeurs, femme, fille.
+Tes yeux d'un seul regard sauront le pénétrer ;
+Et, pour obtenir tout, tu n'as qu'à te montrer.
+
+Là s'arrêta Thémis. La Piété charmée
+Sent renaître la joie en son âme calmée.
+Elle court chez Ariste ; Et s'offrant à ses yeux :
+
+Que me sert, lui dit-elle, Ariste qu'en tous lieux
+Tu signales pour moi ton zèle et ton courage,
+Si la Discorde impie à ma porte m'outrage ?
+Dans ces murs, autrefois si saints, si renommés,
+A mes sacrés autels font un profane insulte,
+Remplissent tout d'effroi, de trouble et de tumulte.
+De leur crime à leurs yeux va-t-en peindre l'horreur :
+Sauve-moi, sauve-les de leur propre fureur.
+
+Elle sort à ces mots. Le héros en prière
+Demeure tout couvert de feux et de lumière.
+De la céleste fille il reconnaît l'éclat,
+Et mande au même instant le chantre et le prélat.
+
+Muse, c'est à ce coup que mon esprit timide
+Dans sa course élevée a besoin qu'on le guide.
+Pour chanter par quels soins, par quels nobles travaux
+Un mortel sut fléchir ces superbes rivaux.
+
+Mais plutôt, toi qui fis ce merveilleux ouvrage,
+Ariste, c'est à toi d'en instruire nôtre âge.
+Seul tu peux révéler par quel art tout puissant
+Tu rendis tout-à-coup le chantre obéissant.
+Tu sais par quel conseil rassemblant le chapitre
+Lui-même, de sa main, reporta le pupitre ;
+Et comment le prélat, de ses respects content,
+Le fit du banc fatal enlever à l'instant.
+Parle donc : c'est à toi d'éclaircir ces merveilles.
+Il me suffit pour moi d'avoir su, par mes veilles
+Jusqu'au sixième chant pousser ma fiction,
+Et fait d'un vain pupitre un second Ilion.
+Finissons. Aussi bien, quelque ardeur qui m'inspire,
+Quand je songe au héros qui me reste à décrire,
+Qu'il faut parler de toi, mon esprit éperdu
+Demeure sans parole, interdit, confondu.
+
+Ariste, c'est ainsi qu'en ce sénat illustre
+Où Thémis, par tes soins, reprend son premier lustre,
+Quand, la première fois, un athlète nouveau
+Vient combattre en champ clos aux joutes du barreau,
+Souvent sans y penser ton auguste présence
+Troublant par trop d'éclat sa timide éloquence,
+Le nouveau Cicéron, tremblant, décoloré,
+Cherche en vain son discours sur sa langue égaré :
+En vain, pour gagner temps, dans ses transes affreuses,
+Traîne d'un dernier mot les syllabes honteuses ;
+Il hésite, il bégaie ; et le triste orateur
+Demeure enfin muet aux yeux du spectateur.
+
+
+
+BOILEAU
+
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+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, LE LUTRIN ***
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
+metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be
+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
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+Procedures for determining public domain status are described in
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
+eBook #5158 (https://www.gutenberg.org/ebooks/5158)