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If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: Les questions esthétiques contemporaines - -Author: Robert de La Sizeranne - -Release Date: April 23, 2016 [EBook #51837] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES QUESTIONS ESTHÉTIQUES *** - - - - -Produced by Giovanni Fini, Clarity and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/American Libraries.) - - - - - - - - NOTES SUR LA TRANSCRIPTION: - -—Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. - -—On a conservé l’orthographie de l’original, incluant ses variantes. - -—Les mots écrites en gras ont étées representées ainsi: =mot gras=. - -—Les lettres écrites au-dessus ont étées representées ainsi: a^b et - a^{bc}. - - - - - LES - - QUESTIONS ESTHÉTIQUES - - CONTEMPORAINES - - - - - OUVRAGES DU MÊME AUTEUR - - PUBLIÉS PAR LA LIBRAIRIE HACHETTE ET C^{ie} - - - =La Peinture anglaise contemporaine.= 3^e édition. - - =Ruskin et la Religion de la Beauté.= 5^e édition. - - =Le Miroir de la Vie.= _Essais sur l’évolution esthétique._ 34 grav. - 1^{re} série: I. L’esthétique des batailles.—II. La caricature.—III. - La modernité de l’Évangile.—IV. Les portraits d’enfants. - - - 1330-03.—Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.—1-04. - - - - - LES - - QUESTIONS ESTHÉTIQUES - - CONTEMPORAINES - - PAR - - ROBERT DE LA SIZERANNE - - I.—L’ESTHÉTIQUE DU FER. - II.—LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME. - III.—LE VÊTEMENT MODERNE DANS LA STATUAIRE. - IV.—LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE UN ART? - V.—LES PRISONS DE L’ART. - - - PARIS - LIBRAIRIE HACHETTE ET C^{ie} - 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79 - - 1904 - - Droits de traduction et de reproduction réservés. - - - - -INTRODUCTION - - -Ce ne sont pas toutes les questions esthétiques contemporaines qui -sont traitées ici, mais quelques-unes peut-être des principales et -assurément des plus nouvelles. Qu’espérer de l’emploi du fer en -architecture? Comment rendre, en sculpture, le vêtement moderne? -Quelle place faire à la photographie dans les Arts? En voilà trois, -par exemple, qu’aucune époque avant la nôtre n’avait eu à résoudre. -Et si d’autres, comme la relégation de l’Art dans les musées ou les -recherches de couleur connues sous le nom d’Impressionnisme, ont pu, -en d’autres temps, inquiéter les artistes, il suffit cependant qu’en -aucun temps on n’ait vu se fonder tant de musées, ni qu’aucune école -coloriste n’ait soulevé tant de scandale, pour que les problèmes -discutés hier soient devenus plus pressants aujourd’hui. Ce sont ces -questions posées ou imposées à notre attention par la vie moderne -qu’on trouvera étudiées dans les pages qui vont suivre; non avec la -prétention de les résoudre, mais avec l’espoir de les éclaircir. - -Selon quelle méthode ou dans quel sentiment? - -Le plus simplement possible. - -Ouvrir les yeux sur le monde et la vie et s’abandonner à l’impression -de joie ou de répulsion que produit en soi chaque chose: naturelle -ou artificielle, spontanée ou voulue. S’exalter aux qualités -«sensorielles» des formes dans l’air et sur la terre, vivantes ou -inanimées: lignes, couleurs, valeurs, souplesse, éclat, équilibre, -harmonie; parcourir avec sa sensibilité les innombrables nuances -colorées ou tactiles dont l’esprit ne peut se faire une idée et que les -arts intellectuels: la parole, la description littéraire, l’analyse -philosophique, la poésie ne peuvent rendre ou ne rendent que bien -grossièrement au regard des arts plastiques; et ainsi, juger de l’Art -plastique pour la qualité d’émotion que, seul, il apporte et que rien -autre, ni poésie, ni philosophie, ni histoire ne peuvent nous apporter; -l’aimer pour lui et non pour elles, pour l’enthousiasme tout sensible -qu’il nous fait éprouver, pour la sensation d’une vie plus ardente -et plus complète qu’il éveille, et non pour les souvenirs ou les -associations d’idées qu’il nous procure,—telle est la méthode employée -ici. Tel est le «sentiment esthétique». Elle diffère à ce point des -habitudes prises ou des principes adoptés par les philosophes modernes, -qu’il faut bien, pour son intelligence, ou au moins pour son excuse, -dire ce qu’elle n’est pas, ce qu’elle est,—et ce qui l’a fait adopter. - - -I - -Pendant longtemps, la critique d’Art s’est crue en possession de «lois» -esthétiques formelles et inéluctables avec lesquelles il suffisait de -confronter les œuvres nouvelles pour en juger. On ne devait représenter -que certains sujets, non tels autres, certaines régions, généralement -situées dans le Midi, non tous les pays. Le tableau d’histoire était -la seule matière à chefs-d’œuvre. La vie contemporaine pouvait à peine -être mise en un petit tableautin. L’activité ouvrière ou rurale, le -travail quotidien n’avaient point de beauté. Si on les voulait figurer, -il fallait le faire par des allégories, c’est-à-dire par des femmes -vêtues de chitons et de diploïs. Ces femmes elles-mêmes devaient -ressembler à un type grec ou y être le plus possible ramenées. Le nez -et le front devaient être sur la même ligne et tous les traits mis en -ordre selon des «canons» que détenait Winckelmann. On savait ce que -c’était que la Beauté. - -A côté de ces lois générales, une foule de lois techniques. Le premier -plan de tout paysage devait être noir, afin de repousser la lumière au -second. Un portrait devait s’enlever en clair sur un fond sombre, d’un -côté; en sombre sur un fond clair, de l’autre. Une composition devait -être en forme de pyramide, et chaque figure se développer entièrement -dans son plan, sans être obstruée par une figure de premier plan. Les -nuages rentraient dans deux ou trois types de cumuli hors desquels -il était interdit de s’aventurer. Il y avait des arbres nobles. Les -lumières devaient être «chaudes», c’est-à-dire dorées et les ombres -brunes, en imitation la plus proche possible des vieux tableaux de -l’école italienne et de la Renaissance, non pas tels qu’ils avaient -été peints, mais tels que la patine et les années les ont faits. Il -ne fallait pas voir du vert dans une prairie; mais du brun. Ces lois -et bien d’autres étaient dérivées de principes de Beauté déduits -eux-mêmes, après beaucoup d’abstractions, de l’étude des Anciens. A la -vérité, on ne les avait pas très attentivement observés, car beaucoup -eussent démenti cet enseignement. Mais moins on le vérifiait, plus on -avait pour lui de respect. - -Quand parurent les peintres et les sculpteurs de l’époque romantique, -puis les naturalistes de Barbizon, puis les «réalistes», la critique, -armée de ces principes, déclara que les nouvelles œuvres ne pouvaient -être «belles», car elles violaient manifestement ces «lois». Elle -condamna les romantiques pour leurs excès de couleur et de mouvement, -les réalistes pour leurs sujets et leurs «laideurs», les indépendants -de toutes sortes pour leur dédain des sujets admis, des costumes -adoptés, des «sites» composés, des gestes nobles ou des tons «locaux» -depuis longtemps observés. Cette critique, jugeant tout par analogie -avec les anciens maîtres, repoussa tout ce qui en était différent. -Elle repoussa Delacroix, Rude, David d’Angers, Barye, Corot, Rousseau, -Millet, plus tard Courbet, Puvis de Chavannes, Bastien-Lepage, au nom -de lois qu’elle croyait infaillibles. Au même moment, en musique et -pour des raisons parfois semblables, elle condamnait Wagner. Elle se -trompa lourdement. Ces hommes étaient des maîtres. Avec le temps, ils -triomphèrent et la critique d’Art basée sur l’admiration des maîtres -anciens, des formes reconnues «belles» et des lois déduites d’un «Beau -idéal», se tut misérablement. - -Aujourd’hui, une réaction totale s’est produite. L’idée qui domine -la critique contemporaine, avertie des erreurs de sa devancière et -fermement résolue à n’y pas retomber, est qu’il n’y a pas de beau, -pas de laid, dans la nature ni dans l’homme, ni dans les objets créés -par l’homme, qu’il n’y a que des formes plus ou moins expressives de -la vie, caractéristiques d’une civilisation, et qu’ainsi tout dépend -de la pensée ou du sentiment que l’artiste veut exprimer. Celui-ci -n’a pas à suivre telle ou telle «loi». Il n’y a pas de «loi». Pourvu -qu’il exprime sincèrement une émotion, une pensée, une vérité, cela -suffit. Et il y arrive, surtout, s’il les exprime selon sa race, son -époque, son milieu. Tout est beau qui est expressif. Tout s’impose qui -est personnel, quelles que soient l’absence ou la pauvreté des formes -employées. Rien n’est beau de ce qui ne l’est pas, quelle que soit -la perfection des formes. Il n’y a donc pas de «canon» de la Beauté. -D’ailleurs les races, les époques en ont connu de fort dissemblables. -La nature même ne peut être qu’un substratum ou qu’un prétexte à l’Art: -elle ne vaut que si elle est vue «à travers un tempérament». Ce que -l’artiste nous doit montrer, ce n’est pas elle, mais sa pensée sur elle. - -Le critique n’a donc pas à s’occuper de la Nature, ni de la tradition, -ni de la technique. Il n’a qu’une chose à faire: remettre l’artiste -dans son époque, sa race, son milieu; observer s’il les exprime d’une -façon personnelle; décrire les liens qui l’y rattachent; non pas -confronter son œuvre avec la nature, ni avec les anciens, ni avec des -règles quelconques, mais la comparer à l’auteur même, à la vie où il se -meut, au peuple d’où il est sorti. Si elle l’exprime, l’acclamer et en -faire un objet de joie; s’il ne l’exprime pas, la mépriser. Tel est le -point de vue contemporain. - -On n’en avait jamais connu jusqu’ici, je ne dis pas seulement de -plus faux, mais de moins «esthétique» dans le vrai sens du mot, -c’est-à-dire de moins orienté vers les qualités «sensorielles» d’un -objet de nature ou d’Art,—de ces qualités qui frappent les sens et -qui ne frappent que les sens: formes, couleurs, ombres, lumières, -densité,—ni de moins «spécifique», c’est-à-dire de moins orienté vers -une certaine exactitude d’imitation et une certaine perfection de -matière. Dorénavant, ce sont les qualités qui frappent l’esprit et qui -n’ont pas besoin, pour le frapper, de l’intermédiaire du sens de la -vue, ni du secours des arts plastiques qu’on prise par-dessus tout. -C’est l’expression, c’est la suggestion qui sont requises. Et, encore, -expression de quoi? suggestion de quoi? De formes?—ce que peut suggérer -un trait à l’eau-forte de Rembrandt? De profondeurs et de reliefs?—ce -que peut suggérer une touche de Corot?—Non, mais de sentiments ou -d’idées, c’est-à-dire de choses qui peuvent être exprimées ou suggérées -tout aussi bien, et qui le sont tous les jours, par d’autres moyens: -l’analyse psychologique, la synthèse poétique, et par un tout autre -intermédiaire que les sens de la vue ou du toucher: par l’ouïe. - -Jusqu’ici, les méthodes esthétiques avaient pu tomber dans de grandes -erreurs, mettre à la base de nos impressions et de nos jugements une -qualité technique fausse ou insuffisante, proscrire injustement des -formes ou des expressions très légitimes; mais toujours il était -resté, au fond de ces erreurs, le désir d’une qualité spécifique, -d’une «délectation», comme on disait, ou d’une joie des sens. Dans les -Esthétiques actuelles, les impressions requises de l’Art sont toujours -des impressions intellectuelles, que l’Art non plastique peut aussi -bien et même beaucoup mieux nous donner. - -De là, deux tendances dominantes dans nos jugements esthétiques sur -les choses de la vie et jusque dans les moindres considérants de -la critique quotidienne. Le critique d’art moderne se défie de son -impression physique, spontanée, «sensorielle», parce qu’il a peur -qu’elle ne soit une résultante de son accoutumance aux anciens -chefs-d’œuvre, un réflexe de la routine;—et, au contraire, il acclame -toute tentative qui exprime un sentiment ou un état de choses récent, -quelque peu de charme qu’il en éprouve, de peur de repousser, sans le -savoir, un chef-d’œuvre nouveau. Dans le premier cas, il proscrit avec -une extrême sévérité; dans le second, il accueille avec une extrême -candeur; dans les deux, il fait violence à son goût intime et à son -impression esthétique, bien plus qu’il ne les suit. - -La première de ces tendances est singulière. Cette indifférence aux -qualités purement sensorielles de l’Art nous pousse à condamner toute -œuvre qui, belle de facture, de matière, de couleur, ne nous apporte -pas une «émotion nouvelle», mais qui aurait pu être faite en d’autres -temps, par une autre génération et semble inspirée des anciens: les -figures de M. Bail ou de M. Roybet, par exemple, ou le _Sacré-Cœur_ -de Montmartre, ou les académies de M. Henner, ou les paysages de -M. Harpignies. De pareilles choses seront toujours admirées par un -artiste, non intellectuel, par tout être d’une sensibilité frémissante -aux qualités de vie colorée, de belle matière, de lignes harmonieuses, -parce qu’un sensitif en jouit toujours,—qu’elles soient expressives -ou non d’une idée moderne. Un beau rouge est toujours un beau rouge, -un beau passage de lumière sur un ton d’opale ou d’aigue marine est -toujours une belle transition et, s’il est vrai que cet os décrit par -le Maître ancien soit très beau, quand bien même il n’exprimerait rien -autre que lui-même, il sera toujours très beau. Mais si, comme le -critique d’art moderne, l’on met à la base de tout jugement ce postulat -que l’Art n’existe pas, s’il n’exprime spécialement une idée, une -époque, une race,—quelle que soit la beauté, le frisson de joie que -peut donner un beau rapport de couleurs,—on sera obligé de mépriser ces -choses parce qu’elles n’apportent pas une «émotion nouvelle». - -La seconde tendance n’est pas moins étrange. Quelle que soit sa -répulsion en face des créations de l’Industrialisme moderne—machines, -bâtiments géométriques, engins informes,—le critique, lorsqu’elles sont -modernes, adaptées à notre vie, se croit tenu de les trouver belles, -ou, au moins, génératrices de beauté. Quelle que soit la révolte de son -sens instinctif, il fait taire cette révolte, en se souvenant qu’on a -proscrit, en d’autres temps, d’autres formes qui, devenues habituelles, -n’ont plus paru si laides et se sont trouvées belles, un jour. Il est -dominé par la peur de proscrire aujourd’hui des choses qui demain -seront qualifiées chefs-d’œuvre, comme longtemps les fournisseurs de -Barbizon n’osèrent plus refuser du crédit à un artiste, dans la crainte -d’affamer un nouveau Millet. «Il faut tout comprendre!» s’écrie-t-il -avec une candeur touchante et, d’effort en effort, il arrive à -comprendre ce que les auteurs eux-mêmes ne comprennent pas. Comme ce -pharmacien de vaudeville, qui lit couramment le nom de savantes drogues -dans un gribouillage involontaire qu’un pseudo-médecin a griffonné, le -critique découvre, maintenant, un sens profond et une vision d’humanité -dans les essais désespérés que fait tout jeune artiste pour enchâsser -un peu de talent dans beaucoup de saugrenuité. «N’ayons pas la négation -irraisonnée du temps présent! ne proscrivons aucune tentative!» tel -est le mot d’ordre des «modernistes». Alors, de peur de manquer, au -passage, le chef-d’œuvre de demain, ils admirent tout, du moins tout -ce qui leur paraît «nouveau». Et comme ils reconnaissent la nouveauté -à ce qu’elle les choque, ils admirent tout ce qui les choque. «Tout -ce qui a soulevé les protestations de la foule, jadis, était beau. Or -ceci:—l’_Olympia_, le _Balzac_, la Porte Monumentale,—soulèvent les -protestations de la foule, donc c’est beau.» - -Ce raisonnement par analogie s’applique à tout. Protestons-nous -contre «l’haussmannisation» de Paris? On nous répond: Les Parisiens -se plaignaient déjà des travaux de Philippe-Auguste! Trouvons-nous -qu’il faut simplement voir l’échec d’un grand artiste dans l’œuvre -intitulée _Balzac_, on nous répond: Vous avez dit la même chose de -Wagner! Hasardons-nous que la voûte de verre du Grand-Palais est un -désastre pour la beauté de Paris, on nous dit: Les Grecs eussent parlé -ainsi devant le gothique! Telle est la grande méthode de la critique -d’art contemporaine: le raisonnement par analogie. Autrefois, on -jugeait par analogie de sensations devant les œuvres; aujourd’hui, on -juge par analogie de faits et de circonstances extérieures qui les -ont accompagnées, et voici que de la ressemblance de deux mouvements -d’Art, en un point, on en conclut hardiment à leur ressemblance en tous -les autres. Aux époques traditionnalistes, on admirait les nouvelles -œuvres d’autant qu’elles ressemblaient aux anciennes et qu’on pouvait -les en rapprocher. Aujourd’hui, on les admire d’autant qu’elles en -diffèrent et qu’on peut les leur opposer. Mais les deux méthodes sont -aussi peu «esthétiques» l’une que l’autre. Ni l’une ni l’autre ne font -appel au témoignage des sens. Ni l’une ni l’autre ne comparent l’œuvre -avec la Nature, qui n’est ni ancienne ni nouvelle, qui ne songe pas à -l’institut non plus qu’elle ne prend ses mots d’ordre aux Indépendants, -qui ne songe ni à différer d’elle-même, ni à se ressembler, ni à se -rajeunir, mais qui, infiniment changeante, et complexe, et semblable, -et toujours belle à qui sait l’aimer, contient tous les aspects révélés -par toutes les écoles, et une multitude d’autres qu’aucune école n’a -jamais révélés, a des flots pour toutes les nefs, des couleurs pour -tous les rêves et pour tous les pas en avant,—de quelque côté qu’on -marche,—des horizons. - - -II - -Que valent ces postulats de la critique d’art contemporaine ou ces -axiomes, ou ces dogmes posés par les esthéticiens modernes, sans aucune -démonstration préalable, que «dans toute forme, même artificielle, il y -a de la Beauté», ou que «tout ce qui exprime l’idée ou le besoin d’une -époque est beau», ou encore que «tout ce qui soulève des protestations -et détermine des résistances dans la foule est beau»?—Ne seraient-ce -pas là des demi-vérités, presque des erreurs, ou des généralisations -hâtives succédant à d’un peu superficielles observations,—et toute -l’Histoire de l’Art et l’expérience personnelle de chacun de nous les -confirment-elles ou bien plutôt, ne les infirmeraient-elles pas à tout -instant? - -«On ne discute que ce qui est fort.» Voilà, par exemple, un axiome -très répandu dans la mentalité contemporaine. Mais pour être très -répandu et même banal, et pour servir en toute occasion et à tous les -esprits, il n’en est pas moins faux. L’usure d’une pièce ne prouve pas -toujours qu’elle est bonne. Elle peut prouver simplement qu’on ne l’a -pas regardée. La vérité est qu’on discute tout ce qui choque et que, -pour choquer, la force n’est pas nécessaire: l’ingéniosité suffit. Tout -ce qui s’offre à la discussion avec violence, avec provocation,—que ce -soit puissant ou non,—est discuté. Et nous avons vu très discutées, il -y a quinze ans, il y a dix ans des œuvres très faibles dont on a déjà -perdu le souvenir. Préault a été plus discuté que Rude, Mallarmé plus -que M. Sully-Prudhomme, les Rose-Croix plus que Corot. Tout le monde a -encore dans les oreilles le bruit soulevé, il y a quelque vingt ans, -par les Décadents ou les Symbolistes, mais nul n’a devant les yeux un -chef-d’œuvre qui en soit sorti. Sans doute, cette observation que tout -ce qui fait scandale est puissant contient une part de vérité, mais il -faut, pour l’en dégager, tenir compte de la diversité des causes, et -de la diversité des temps. - -Oui, ce qui fit scandale, autrefois, fut le plus souvent original, -quand on ne savait pas encore que le scandale ou l’originalité -seraient des éléments de succès; quand les novateurs étaient originaux -presque malgré eux, ne connaissant à l’être que des risques à courir, -et, l’étant cependant, malgré tout, par un irrésistible besoin -d’exprimer quelque beauté particulière qu’ils découvraient dans la -Nature et voulant, s’ils ne satisfaisaient point les autres, du -moins se satisfaire eux-mêmes. Il en est de l’originalité comme de -l’abnégation, qui n’est véritable que si elle est sans savoir qu’il -y a un prix institué pour qu’elle soit. Du jour où l’on sait que ce -prix existe, il n’y a plus de véritable vertu à être vertueux, ni de -véritable originalité à être original, ni de véritable «sincérité» à -être sincère. Du jour où l’on crie: «Venez voir comme je suis attaqué, -condamné par l’Art officiel, proscrit par l’Institut, incompris de -la foule! Comptez combien de pierres et de quel calibre me jette -la critique pédante et autorisée! Songez à tous ceux qui furent -lapidés avant moi! N’oubliez pas que Millet le fut, et Rousseau, et -Delacroix, et Wagner! Et ne manquez pas de faire entre eux et moi tel -rapprochement que vous inspirera votre esprit d’analyse et d’équité!» -De ce jour-là, le sens du scandale n’est plus le même. Car on peut -craindre que le novateur ne heurte le sentiment public non tant -parce qu’il exprime le sien que parce qu’il a choisi laborieusement -quelque chose qui le puisse heurter, et, par contre-coup, lui susciter -le secours des raffinés aux yeux de qui, d’être d’un sentiment -incompréhensible à la foule passa toujours pour le signe du génie. - -Est-il plus vrai de dire que notre répulsion en face des formes -nouvelles vient nécessairement de nos habitudes de vision ou, en -d’autres termes, que notre habitude commande impérativement notre -goût,—et que les costumes, les gestes, les formes monumentales, les -engins de la vie, enfin les œuvres d’art que nous admirons le plus -sont toujours ceux qui existent depuis le plus longtemps?—Nous voyons -le contraire à toute heure. Nos yeux sont infiniment plus habitués aux -formes de la redingote qu’à celles du burnous des Arabes et au geste -du cocher de fiacre qui fouette son cheval qu’à celui de l’archer qui -ajuste son arme. Nous sommes plus accoutumés à l’arc bombé répété des -milliers de fois sur nos portes cochères de Paris qu’à l’arc outrepassé -des palais mauresques. Cependant, si le hasard, en voyage, ou dans -une de nos expositions exotiques, fait apparaître à nos yeux cette -draperie, ce geste, cette forme architecturale, nous éprouvons une joie -esthétique tout à fait absente devant le costume, le geste et le cintre -accoutumés. L’habitude ne commande donc pas impérativement notre goût. - -A cela, que peut-on dire? Que nous sommes enseignés par l’Art à dégager -des formes anciennes ce qu’elles ont «d’esthétique», et que l’Art ne -nous l’a pas encore appris des nouvelles? Quel pauvre argument, si -l’on songe que, depuis trente ans et plus, nos _Salons_ regorgent -de scènes contemporaines, de portraits, de machines, et que par un -singulier phénomène, plus on les voit, moins on les aime et plus l’Art -s’acharne à substituer la redingote à la draperie, la locomotive au -cheval, la cheminée d’usine à la flèche gothique, moins il produit de -chefs-d’œuvre et moins il attire notre attention! - -Car, bien loin que l’habitude conditionne absolument notre goût, la -satiété est précisément la cause principale de toutes les réactions -artistiques. Et de la beauté de certaines œuvres comme de la vertu -d’Aristide on pourrait dire que le défaut fut seulement qu’on la -vantait depuis trop longtemps. On a dénoncé maintes et maintes fois -«l’influence de l’habitude»: on ne dénonce jamais le «goût du nouveau». -Il expose à autant d’erreurs et est la cause d’autant d’injustices. -On se passionne pour un aspect de nature ou d’humanité, parce qu’il -nous apporte une «impression nouvelle». Plus tard, quand le nouveau -est devenu vieux, quand l’inédit se réédite, quand l’inattendu est -l’inévitable et, pour ainsi dire, le protocolaire, on s’aperçoit -qu’il ne lui suffisait pas d’être «autre» pour être meilleur, ni -d’être plus récent pour être plus durable que les œuvres consacrées -des anciens. Il ne reste alors de ces œuvres jadis «nouvelles» que -ce que leurs qualités spécifiques en ont maintenu. Si le tableau est -matériellement bien peint, si la statue est bien modelée, si l’ouvrage -est fait de main d’ouvrier, il reste admiré, quel que soit son degré de -nouveauté—ou de pastiche. Si ces «visions» démocratiques de faubourgs, -de grèves, de mineurs avec leurs lampes, de chiffonniers, de gares de -chemins de fer et de laminoirs, de Christs anachroniques eurent un si -merveilleux succès, il y a vingt ans, c’est qu’on n’avait guère osé, -auparavant, les figurer dans l’art. On leur attribua mille mérites, -dont le seul véritable était leur nouveauté. Aujourd’hui qu’ils -n’excitent plus de surprise, ils n’excitent plus d’admiration. Ce qui -montre assez que le succès tient de nos jours non pas nécessairement à -l’habitude, mais souvent, au contraire, à la stupéfaction. - -D’où vient, encore, cet autre postulat que «tout ce qui est réel peut -devenir beau» ou qu’«il n’est pas de forme qui ne recèle une beauté -secrète et dissimulée au vulgaire», et qu’ainsi l’Art doit adopter -docilement, pour les reproduire, toutes les formes du machinisme -actuel?—Il vient d’une confusion perpétuelle, chez les philosophes, -entre la qualité plastique ou pittoresque des formes ou des couleurs -et leur signification morale ou intellectuelle. Cette confusion n’est -jamais faite par Delacroix, ni par Topffer, ni par Fromentin, mais -depuis les Esthétiques allemandes jusque dans les thèses sur l’Art, -soutenues, chaque année, à la Sorbonne, elle se glisse à quelque moment -et dans quelque phrase, et aussitôt le débat dévie. Constamment, le -philosophe réclame pour les engins que fabrique l’industrie moderne -le droit de figurer dans le grand Art; il annonce qu’il va montrer en -quoi consiste la beauté plastique, pittoresque, de cet engin et, tout -de suite, il oublie qu’il s’agit de plastique et de pittoresque, pour -n’en montrer que l’intérêt intellectuel ou poétique,—c’est-à-dire ce -qui échappe au sens de la vue ou ce qui peut nous toucher sans lui. Les -argumentations de Guyau en sont un parfait exemple et la confusion y -est d’autant plus dangereuse qu’elle émane d’un plus puissant esprit -et d’un plus éloquent écrivain. Une page typique est celle qu’il -consacre à la défense esthétique du «cuirassé» moderne opposé au bateau -à voiles. Les artistes regrettent la tartane, le lougre, la caravelle, -le bateau qui s’inclinait sous le vent dominé par une immense voilure -aux formes aiguës et glissait sur les vagues comme un oiseau. Le -philosophe leur répond que «les bateaux à vapeur ont eux-mêmes leur -beauté, bien plus, leur grâce», et il se met en devoir de la leur -montrer.—Fort bien, pensons-nous, il va louer la forme monumentale du -cuirassé vu de face, au repos, tendant autour de lui toutes sortes de -choses pointues ou recourbées comme des antennes, le contraste des -chaloupes blanches et de sa robe noire, les jeux du soleil sur les -aciers, peut-être sur les linges qui, parfois, sèchent par milliers, -«ces torchons radieux» qu’exalte la lumière. C’est peu à opposer aux -bateaux à voiles immortalisés par Van de Velde, par Ziem et par Turner, -mais c’est quelque chose.... Nous lisons la page du philosophe: rien de -tout cela, mais des impressions dont aucune ne peut être plastiquement -rendue: l’énormité du cuirassé «_se meut_ avec tant d’aisance qu’elle -effraye à peine; tout alentour l’eau bouillonne»—et ceci c’est la -beauté de l’eau—«refoulée, ajoute-t-il, par une hélice _invisible_» -qui, par conséquent, échappe au peintre. Il loue encore les -«sifflets, les cris, les hurlements, les rugissements (comme ceux de -la «sirène») qui semblent les éclats de joie d’un monstre épouvantable -et pourtant docile»,—ce qui peut être perçu par l’ouïe et ensuite par -le raisonnement, mais nullement par la vue. Enfin, le poète qui est en -lui célèbre la flotte de guerre moderne, «troupe d’êtres gigantesques -dont chacun cache au dedans de lui des milliers de volontés distinctes, -soumises à la même règle, se confondant dans le même corps monstrueux, -se manifestant par un seul mouvement d’ensemble, une société humaine -personnifiée qui passe sur la mer en marche vers des dominations -lointaines....» La page est magnifique et il faut la lire tout entière. -Mais quand on est au bout, l’on n’a point aperçu, dans le cuirassé, -telle beauté de lignes, de formes ou de couleurs que le sens de la vue -puisse éprouver, ni que l’Art plastique, s’adressant à la vue, puisse -rendre. - -D’où peut venir, chez un aussi pénétrant esprit, une telle erreur? -Elle vient de ce que le philosophe, si artiste qu’on le suppose, est -psychologue, ou sociologue, ou poète avant d’être artiste. Ouvert -aux jouissances de l’intelligence beaucoup plus qu’à celles de la -sensibilité, attentif aux conditions des arts non plastiques beaucoup -plus qu’à celles de l’art tout matériel du peintre ou du modeleur, -songeant continuellement au drame ou au poème lyrique lors même qu’il -parle peinture ou sculpture; posant ainsi pour les arts _plastiques_ -des lois qu’il ne démontrera que par des exemples empruntés aux arts -_littéraires_, tel est le philosophe contemporain[1]. - -Il va se promener dans un vieux quartier de sa ville: il voit des rues -tortueuses, sales, des loques pendantes au soleil, un chaudron dans -une cuisine, une touffe de pariétaire sur un vieux mur, un étal de -boucher, une flaque d’eau ou un ruisseau ou un peu d’océan au bout de -la ruelle,—choses admirables et précieuses pour tout artiste et devant -lesquelles, peut-être, si la lumière est glorieuse, on s’arrêterait -une heure en des joies infinies. Il ne trouve là rien de beau. Il -passe. Au bout de cette vieille ville est un musée. Dans ce musée, il -retrouve peints par Chardin, par Rembrandt, par Vollon, par Bonvin, -par M. Thaulow, quoi donc? Le même chaudron, le même étal, le même -mur, la même flaque d’eau qu’il a tout à l’heure méprisés. Et ici, il -admire, parce que l’espèce de splendeur qui était dans le chaudron: -ces beaux reflets de cuivre profonds et nuancés, éclatants comme un -coucher de soleil ou pleins de choses adverses comme un miroir noir, -tout cela est ici dégagé, souligné,—moindre à des yeux d’artiste -que la splendeur de l’original, mais plus perceptible aux yeux du -philosophe. Il se dit: l’Art peut transfigurer ce chaudron; me faire -admirer cette flaque d’eau que je n’admirais pas avant: l’Art est -grand. Jusque-là, le raisonneur a raison. Il ne fait qu’enregistrer -une observation qu’il a faite. Mais, aussitôt, pressé d’établir un -principe, il généralise. L’Art peut _tout_ transfigurer, dit-il; et, -dès lors, il va bien au delà des limites de son observation. Le voici -sorti du musée et entré dans l’usine. Il voit des roues, des bielles, -des cylindres, des tuyaux, des lignes géométriques rigoureuses, des -tons égaux, répandus sur des surfaces dures et plates. Il y a là, dans -ces engins, des forces mystérieuses et inouïes emmagasinées. Il y a là -de quoi renouveler la matière, la circulation, les conditions sociales -peut-être, la vie. L’imagination du philosophe s’exalte: elle évoque -tout ce que le monde en transformation doit à cet engin, à ce cylindre, -à cette roue, à ces écheveaux de fils tordus et roulés autour de ce fer -à cheval. Il pense à tout cela en sociologue, en poète, et, sans songer -aux différents moyens d’expression qu’emploient les arts intellectuels -et les arts plastiques, il dit: «Voilà un sujet pour l’Art.» A la -vérité, ce cylindre, cette roue, il ne les trouve pas «beaux», -mais il n’a pas trouvé beaux non plus la loque, le chaudron, l’eau -dormante. Puisque l’Art en a fait des éléments de beauté, pourquoi -n’en ferait-il pas de ces bielles, de ces roues qui lui procurent des -sujets de méditation, de rêverie humanitaire et sociale qu’il n’a pas -trouvés devant le chaudron? Il n’a pas vu la «beauté» du chaudron; -il voit l’intérêt de la machine. Or l’artiste a fait une belle -œuvre du chaudron. Donc, à plus forte raison, il peut transfigurer -cette machine. Et le syllogisme est fait. Pour le philosophe, il -est excellent. Pour un artiste, il ne vaut rien. Il repose sur une -confusion entre la prétendue «laideur» du chaudron, ou du vieux -mur, ou de la loque, ou de l’étal, et la nullité esthétique de la -mécanique. Car le chaudron avait déjà une infinie beauté pittoresque. -Si le philosophe ne l’a pas vue, l’artiste, lui, ne manquera jamais -de la voir. Tandis que toute cette poésie, cette signification que le -philosophe découvre dans la machine n’est pas du tout d’ordre plastique -ou pittoresque. L’artiste souvent ne la voit pas et, dans tous les cas, -ne peut pas la faire voir. - -Enfin, le troisième postulat de la critique contemporaine, infiniment -moins arbitraire que les précédents, est que le goût change selon -les races, les époques, les milieux et que les joies esthétiques ne -sont point déterminées par les mêmes formes dans tous les temps et -dans tous les pays. De là suit qu’on ne saurait établir de «lois» -générales du Beau. Et l’on aurait tout à fait raison si l’on disait -qu’il y en a fort peu et surtout fort peu de générales. Il est vrai, -par exemple, que les lois posées par David et son école pour la figure -humaine en réaction contre les nez retroussés, les visages chiffonnés -du XVIII^e siècle, étaient bien arbitraires et, d’ailleurs, elles -ne se vérifiaient ni chez la plupart des anciens maîtres: Rubens, -Vélazquez, Franz Hals, ni chez David lui-même en ses œuvres réalistes -les meilleures, ni chez les grands artistes qui l’avaient immédiatement -précédé. Elles ne se vérifiaient que dans la statuaire, et encore dans -une certaine statuaire: la grecque; et encore que dans une époque de -la grecque: celle de Phidias. Mais quand, en réaction de l’école de -David, on a décidé qu’un visage, pour être esthétique, devait refléter -une passion, ou une pensée, ou une race, ou un état social, on a posé -là une loi qui ne se vérifie par rien du tout. Pareillement, si l’on -enseigna, jadis, que le nu seul était beau et que le grand Art ne -pourrait jamais s’affirmer dans le traitement des costumes vulgaires -et habituels, ou encore que le seul véritable artiste était celui qui -pouvait traiter le nu—principe toujours adopté, pour les concours de -Rome dans notre École des Beaux-Arts,—on a émis là une évidente erreur -et que l’exemple de bien des chefs-d’œuvre décèle à première vue. Mais -si, pour réagir contre ce principe, on nous vient dire que tout paletot -inventé par un tailleur vaut le nu et le drapé parce qu’il reflète un -«état social» ou un «goût contemporain», et que le grand Art tient dans -l’expression de cet état et non dans l’expression d’une forme elle-même -variée et harmonieuse, comme celle du corps humain, ou, encore, qu’il -y a autant de puissance dans la peinture d’un veston, d’un fauteuil, -d’un rideau, d’un chapeau que dans une académie de Rubens, et qu’ainsi -l’étude du nu ou de l’académie ne sert de rien au peintre, on émet, -là, une contre-vérité artistique. Ou si quelque artiste l’a jamais -exprimée, dans une boutade d’atelier, il a simplement voulu se divertir -ou voir jusqu’où pourrait aller la crédulité des philosophes. - -Enfin, si en dégoût de l’étalage myologique des imitateurs de la -Renaissance, de ces grands dentelés, grands obliques, ces muscles -saillants, ces boules, ces «sacs de noix» qu’on a trop longtemps -exhibés dans les tableaux d’académies, on prêche la «simplification» et -la «synthèse», on a raison, d’autant que, dans la Nature, ces rouages -du corps humain sont à peine visibles. Mais donner à des fautes de -dessin le nom de «simplifications» ou à des indigences de couleurs le -nom de «synthèses», admettre que le modelé ne soit même pas indiqué, -sous prétexte d’«évocation» et de «vision personnelle», c’est seulement -revêtir de vocables philosophiques les ignorances techniques les plus -communes et signer «sagesse» ce que l’impuissance a écrit. De ce que -telles «lois du Beau» reçues autrefois à l’école fussent arbitraires, -exagérées ou néfastes, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’il n’y ait -pas de conditions de vie particulières à l’Art plastique ou, si l’on -veut, des nécessités. - -Ces conditions, on les retrouve respectées dans toute la suite des -chefs-d’œuvre. Quelle que soit la diversité des écoles, des arts, des -races et des idéals, certaines œuvres ont une perfection technique qui -les sauve et qui réunit, autour d’elles, peu à peu, avec le temps, tous -les suffrages. Cela n’arrive pas du premier coup. Ce qui s’impose du -premier coup, c’est la Mode, non la Beauté: la Mode dont le double et -précis caractère est d’être impérative et d’être éphémère, de s’imposer -à tous et de ne s’imposer que pour peu de temps, tandis que le Beau est -facultatif et éternel; il ne s’impose d’abord qu’à quelques-uns, mais -il continue à s’imposer toujours. - -Il est vrai que la mode, le goût d’une époque et surtout chez ceux -qui ne sont pas artistes et qui cherchent dans l’art autre chose -que ses qualités spécifiques, peut faire dédaigner, momentanément, -telle ou telle œuvre, telle ou telle beauté. La constatation qu’il -en a été souvent ainsi, dans l’Histoire de l’Art, la surprise et la -découverte de certaines époques et écoles primitives trop méprisées -jadis—et, en vérité, trop admirées aujourd’hui,—dominent la critique -d’art contemporaine. Elle en tire des déductions hâtives. Mais un -fait beaucoup plus constant s’observe dans l’Histoire de l’Art: c’est -le retour de l’admiration vers les œuvres jadis admirées; c’est la -consécration lente mais sûre de certaines œuvres, les mêmes, et -leur universalité. Tandis que les œuvres médiocres au point de vue -spécifique ont disparu par milliers, celles où il y avait quelque -qualité de matière: justesse de dessin, puissance de couleur ou -harmonie,—ont survécu. Notre jugement varie beaucoup sur «l’esprit» -d’un tableau, très peu sur sa «matière». Si peu que nous considérions, -en ce moment, les Carrache, ou le Bernin, ou le Guide, ou le Caravage, -quel est l’artiste qui, en toute sincérité, nierait leur puissance -et leur beauté? Et bien qu’on soutienne que Cimabué, ou Giotto, ou -les sculpteurs français du XV^e siècle sont supérieurs à toute la -Renaissance, qui voudrait sacrifier la Renaissance à cet engouement -passager? Quant à certains maîtres comme Velazquez, comme Rembrandt, -comme le Titien, comme Léonard, comme Rubens, comme Van Dyck, comme -Franz Hals, quant aux grandes œuvres comme celles de la statuaire -grecque, est-il vraiment des artistes, à aucune époque, qui sincèrement -les aient tout à fait méprisés? Il faut se défier extrêmement, en -un pareil débat, des excommunications prononcées ou des étiquettes -adoptées par les artistes, dans un moment de lutte, ou des boutades -d’atelier enregistrées par les biographes. «Nous n’avons jamais nié au -fond, écrivaient les Préraphaélites, qu’il y eût un art grand et sain -chez Raphaël, et chez ses successeurs». Un élève d’Ingres lui ayant -demandé ce qu’il pensait de Delacroix, le maître lui dit: «C’est un -homme de génie, mais n’en parlez pas,» et M. Bordes-Lassalle ayant -rapporté ce propos à Delacroix, en lui demandant ce qu’il pensait -d’Ingres, le maître lui répondit en riant: «C’est un homme de talent, -mais n’en dites rien.» Exacte ou controuvée, cette anecdote peint le -vrai sentiment des artistes, pour les plus puissants d’entre eux, -tel qu’il s’exprime, dans la solitude de l’atelier, lorsque nul -thuriféraire n’écoute aux portes. Sans doute, Velazquez n’était pas, -il y a cinquante ans, dans les ateliers, le dieu qu’il est aujourd’hui -et qu’il ne sera peut-être plus demain, et longtemps le _Laocoon_, -célébré par Lessing, a été préféré à l’œuvre présumé de Phidias. Ces -maîtres ont eu des hauts et des bas extraordinaires. Dans ce crible -que secoue la Mode aux mains puissantes, ils sont fort ballottés. -Mais l’important n’est pas là. L’important est qu’ils restent tous du -bon côté du crible,—tandis que le fretin passe au travers, devient -poussière et se disperse au vent. - -Il y a donc des «beautés» sur lesquelles le sentiment des différentes -générations concorde et des maîtres sur lesquels il s’accorde, et de -la sorte, s’il est vrai de dire que le goût change, il l’est tout -autant d’affirmer que le même instinct du beau se perpétue. En le -niant, la réaction contre les anciennes lois esthétiques est allée -trop loin. Elle a dépassé de beaucoup les limites de ses observations -et de ses expériences. On avait affirmé sans preuves: elle a nié -sans contre-épreuves. On avait embarrassé l’Art de routines; elle -a contesté qu’il y eût des conditions vitales et des expériences à -respecter. Enfin, tout en soutenant qu’il n’y a pas de lois en Art, -elle en a promulgué de très sévères et de très impératives. Ces lois -de l’Esthétique contemporaine, ou, si l’on veut, ces tendances ou ces -postulats n’ont jamais fait l’objet d’une démonstration positive. On -peut, sans trop de témérité, refuser d’y sacrifier son goût personnel, -la lumière qui éclaire chacun de nous. Comment donc juger des faits -et des œuvres de la vie actuelle? Peut-être le pourrions-nous avec -beaucoup moins de philosophie et de sociologie et un peu plus de -confiance en notre goût instinctif. - - -III - -Juger avec son goût instinctif, cela veut-il dire aborder l’œuvre d’un -maître sans aucune préparation, sans rien savoir de ce maître, de sa -vie, de son milieu, de son époque, ni rien avoir vu de ses autres -œuvres, ni de celles qui l’ont inspirée? Cela veut-il dire que l’œuvre -doive être prise intrinsèquement, sans aucune considération de son -sujet, de sa signification historique, ou morale, ou légendaire, ou -sociale? - -Ici, nous devons nous garder de confondre deux choses: la jouissance -qu’on peut prendre à une œuvre d’art et le jugement qu’on doit en -porter. Pour en jouir, un grand nombre d’idées n’est jamais nuisible -et il se peut qu’il soit utile; pour en juger, une seule suffit ou -plutôt un seul sentiment; le «sentiment esthétique» et tout le reste: -rapprochements historiques, significations morales ou sociales, non -seulement n’aide pas à en juger, mais peut, jusqu’à un certain point, -entraver la liberté du goût et égarer le jugement. - -Par là, on voit combien il faut se défier de la critique d’art dite -«littéraire», qui remplace la délicatesse des sensations par la -subtilité des idées, la poésie des formes et des nuances par la poésie -des mots et qui les confond de telle sorte qu’un philosophe paraît -avoir des sensations délicates lorsqu’en réalité ce sont ses idées qui -sont subtiles, et qu’habile à différencier les moindres nuances d’une -pensée, il embrouille les divers tons d’une couleur ou les différentes -phases d’un geste. Je dis qu’il faut s’en défier, non pas quand on veut -_jouir_ d’une œuvre d’art, mais quand on veut en _juger_. Quant on veut -en jouir, en effet, quoi de plus naturel, quoi même de plus nécessaire -que d’en saisir les moindres affinités, les plus subtiles intentions, -que d’appeler et de rassembler autour d’elle toutes les idées, tous les -souvenirs qui peuvent nous y attacher? Aussi, quand il arrive à quelque -philosophe de trouver de belles significations et de profonds symboles -aux œuvres des peintres ou des sculpteurs, comment pourrait-on le lui -reprocher? On dit que ceux-ci ne les y ont pas mis? Mais qu’importe, -si on les trouve? Et qui a jamais reproché à Moïse d’avoir fait jaillir -une source là où il n’y avait qu’une terre aride et desséchée? - -Mais si le philosophe fait de son interprétation à lui la qualité de -l’œuvre qu’il interprète, s’il élève son impression toute subjective à -la dignité de caractère objectif de l’œuvre, si, en un mot, il estime -l’œuvre plus ou moins, en raison du plus ou moins de pensées qu’elle -lui a inspirées, c’est alors qu’il nous égare et qu’il faut nous défier -de lui. Car un ingénieux philosophe, un exquis poète peuvent tirer de -très belles inspirations d’une œuvre très médiocre, tandis qu’une très -belle matière peut ne rien leur inspirer du tout. Giotto ou Cimabué ont -inspiré plus de belles pages que Franz Hals ou Velazquez. La beauté -d’une description ou d’un commentaire n’est nullement en raison directe -de la beauté de l’objet décrit ou expliqué. On peut même dire, en thèse -générale, que plus un «motif», plus un sentiment, plus une pensée est -rendue avec éloquence par la littérature, moins elle peut l’être par -l’Art plastique. «La langue qui parle aux yeux, a dit Fromentin, n’est -point celle qui parle à l’esprit.» Et qu’ainsi, demander à l’Art les -mêmes impressions qu’à la littérature, c’est proprement lui demander ce -qu’il ne peut pas donner ou ce qu’il ne peut donner sans contrainte, -sans affectation ou absurdité. - -«Un jour, raconte Stendhal, un grand seigneur russe pria le peintre de -la cour de lui faire le portrait d’un serin qu’il aimait beaucoup. Cet -oiseau chéri devait être représenté donnant un baiser à son maître, qui -avait un morceau de sucre à la main: mais on devait voir dans les yeux -du serin qu’il donnait un baiser à son maître, par amour, et non point -par le désir d’obtenir le morceau de sucre.» Voilà de l’Art suggestif, -de l’art intentionniste.—Suggestif d’une sottise ou d’un enfantillage? -Soit. Mais l’enfantillage tient moins encore dans la chose à suggérer -que dans le désir de suggérer par l’Art une chose que dix mots -expliquent beaucoup mieux. Et il faut prendre garde que ce désir ne -soit aussi vain lorsqu’il s’agit de signifier le bienfait de la mort -ou la fraternité humaine que lorsqu’il s’agit de montrer le dévouement -désintéressé d’un serin. - -Envisageons un sentiment plus haut: celui de l’amitié et qui a inspiré -un de nos plus grands suggestifs: Poussin. Prenons le _Testament -d’Eudamidas_. Eudamidas, vieux soldat de Corinthe, allait mourir -laissant après lui sa mère et sa fille,—et point de fortune. Mais -si Eudamidas n’avait point d’argent, il avait deux amis: Charixène -et Arété. Confiant en leur amitié, il imagina de léguer sa mère au -premier et sa fille au second, avec mission de nourrir l’une et de -marier l’autre avec une aussi grosse dot qu’on pourrait lui donner. -Poussin lut ce trait chez Lucien, le trouva beau et, comme il pensait -que la peinture doit exprimer de fortes pensées, il en fit un tableau: -_le Testament d’Eudamidas_. Dans ce tableau, le soldat de Corinthe -est représenté étendu sur son lit. Le médecin, la main sur le cœur du -malade, est là, observant les approches de la mort. La mère et la fille -pleurent: c’est très touchant, mais cela ne nous montre qu’une mort et -non pas la _confiance en l’amitié_.... Alors, pour l’exprimer, Poussin -a introduit une cinquième figure, essentielle, la figure symbolique: un -notaire. Il écrit les dernières volontés. Et c’est à l’expression de ce -notaire que nous devons de comprendre le legs du mourant. Et, encore, -devons-nous saisir ce trait.—Que si l’un des deux amis, Charixène ou -Arété, vient à mourir, le confiant Eudamidas dispose que le legs qu’il -lui fait—c’est-à-dire la charge dont il l’honore,—revient au survivant. -Et il faut que nous voyons sur toutes ces figures que le guerrier ne -doute pas un instant que sa confiance soit bien placée. - -Que de choses dans l’expression d’un notaire! Moins encore, cependant, -ou moins contradictoires que celles admirées par les philosophes dans -la fameuse _Médée_ de Timmomaque. Timmomaque, raconte Pline, avait -peint une _Médée massacrant ses enfants_. Ce qu’il y avait d’admirable -dans ce tableau, c’est que l’artiste avait exprimé, dans le même -visage, à la fois la fureur de la femme qui tuait ses enfants et la -tendresse de la mère qui les regrettait. Et comment y était-il parvenu? -Il y était parvenu, dit l’Histoire, en donnant à la figure un œil -féroce et un œil attendri; en sorte, ajoute l’historien, que «la fureur -paraissait dans la pitié et la pitié dans la fureur....» - -C’est l’exagération, pensera-t-on peut-être, qui nous choque ici.—Mais -l’exagération d’une vertu, en Art, ne nous choquerait pas!—Peut-être, -dira-t-on qu’il n’est rien qui, poussé à l’extrême, ne puisse devenir -absurde?... Mais si! Il y a les _qualités spécifiques_ de cet Art. -Un tableau ne peut jamais être trop harmonieux, une statue trop bien -proportionnée, un monument trop bien équilibré ou trop imposant; une -succession de couleurs ne peut jamais être trop délicate, un passage de -lumière jamais trop subtil, une synthèse de traits jamais trop sobre, -ni trop juste, et s’il y a exagération en quelqu’une de ces qualités -esthétiques, cette exagération deviendra facilement une caractéristique -et une beauté. - -Qu’il y ait exagération dans la force myologique,—tant mieux, ce sera -Michel Ange! dans la fraîcheur et la beauté du sang,—tant mieux, ce -sera Rubens! dans le mystère du clair-obscur,—tant mieux, ce sera -Rembrandt! exagération dans l’analyse subtile, inquiète des moindres -frémissements d’indéfinissables teintes rompues sous la lumière,—tant -mieux ce sera Watteau! exagération dans l’importance donnée au trait -sobre et juste,—tant mieux, ce sera Ingres! exagération dans les jeux -splendides mais fugitifs du soleil et de l’atmosphère chargée de -vapeurs humides,—tant mieux, ce sera Turner! Et dans chacune de ces -qualités spécifiques, même exagérées, de ces expressions esthétiques, -même outrées, il y aura une source de beauté. Car plus on développe et -l’on pousse à l’extrême une vertu _propre à l’Art_, plus on fait un -chef-d’œuvre dans cet Art. - -On voit donc bien la différence: insistance dans le symbolisme, dans -la suggestion, c’est-à-dire dans les qualités morales ou sociales de -l’Art,—source de ridicule. - -Insistance dans l’harmonie, la précision, la délicatesse, le mouvement, -qualités spécifiques de l’Art,—source de beauté. - -Qu’est-ce à dire, sinon que nous possédons là, le signe, la pierre de -touche nécessaire pour juger les œuvres d’art et que les qualités -à considérer, avant tout, dans l’Art, sont évidemment celles qui -ne peuvent jamais y être trop marquées, être trop puissantes, être -trop ressenties. Celles, au contraire, qui deviennent facilement des -défauts: symboles, prédictions morales et sociales, enseignements -historiques, sont des qualités purement accessoires, ou ne sont pas des -qualités du tout. - -Envisageons, maintenant, les deux hypothèses les plus simples: une -œuvre d’art nous plaît, une œuvre d’art nous déplaît. - -Ceci nous plaît.... Oui, mais pour combien de temps? Ne vous est-il -jamais arrivé de changer de sentiment sur un édifice, sur un tableau, -sur un costume, sur un opéra? Une toilette qui plaisait il y a vingt -ans, plaît-elle autant aujourd’hui? Une symphonie, une «romance» -qui vous parut pénétrante la première fois que vous l’entendîtes, -n’a-t-elle pas un peu perdu de charme la centième fois que la meilleure -_diva_ l’a restituée à vos oreilles? Et, cependant, si vous avez -aimé les _Pèlerins d’Emmaüs_ de Rembrandt, il y a vingt ans, il y a -trente ans, les aimerez-vous moins aujourd’hui que vous les connaissez -mieux? Vous les aimerez davantage et davantage vous aimerez une belle -symphonie de Beethoven! Il y a donc des goûts dont on change et il y a -des goûts dont on ne change pas. Il y a donc des œuvres qui plaisent -du premier coup et qui déplaisent à la longue et il y en a d’autres -qui, à la longue, plaisent davantage et dont le charme se dégage -indéfiniment. Ce n’est donc pas tout de savoir si une œuvre d’art nous -plaît: il faut encore savoir à quoi elle plaît en nous: si c’est à un -goût passager fait de curiosités éphémères, ou bien si elle répond à ce -qu’il y a de plus profond en nous et de plus sincère, de plus naïf dans -notre admiration et de plus permanent dans notre humanité. - -Or qu’est-ce qui peut nous égarer un instant et nous tromper sur la -spontanéité de notre joie et sur la fidélité ou la durée de notre -adhésion?—Bien des choses, et les plus sages d’entre nous, les mieux -avertis, les plus artistes peuvent s’y tromper. Voici Ingres, par -exemple. «Un jour, raconte un de ses biographes,—c’était à l’époque de -son premier voyage en Italie,—Ingres s’était épris, avec la passion -qu’il apportait en toutes choses, des fresques de Luca Signorelli, -dans la cathédrale d’Orvieto. Malgré les incorrections de détail et -les bizarreries d’un style aussi peu conforme encore au style des -chefs-d’œuvre prochains de la Renaissance, que dépourvu de la beauté -antique, ces peintures, qu’il voyait pour la première fois, lui -apparaissaient comme de vrais modèles, dignes de la plus minutieuse -étude. Il voulait se les approprier tous, s’installer dans l’église, -au moins pour une semaine, avec l’élève qui l’accompagnait alors, et -ne quitter la place que lorsqu’il aurait dessiné jusqu’à la dernière -figure, recueilli jusqu’au moindre élément d’information. Le lendemain, -en effet, il accourt armé de son portefeuille et de ses crayons, et le -voilà au travail.... Au bout d’une heure, l’enthousiasme de ses paroles -et de ses regards avait cessé. Il ne disait plus mot, détournait la -tête, s’agitait à tout moment sur sa chaise et comme son élève, étonné -de ces distractions et de ce silence, lui demandait s’il admirait moins -ce qu’il avait sous les yeux.... «Oh! si fait! répondit Ingres: c’est -beau, c’est très beau, mais... c’est laid, c’est très laid! Et puis, -tenez, moi, je suis un Grec.... Allons-nous-en!»—Quelques instants -après, il quittait Orvieto, oubliant aussi volontiers Luca Signorelli, -qu’il s’était passionné pour lui, la veille.» - -Qu’est-ce à dire? Qu’Ingres ne fût pas sincère? Il était sincère. -Qu’il fût dominé par l’habitude? Son premier mouvement avait été, au -contraire, le goût de la nouveauté. Que, sincère et libre, il n’eut pas -une connaissance suffisante de son métier? Qui l’aura?... Ou cela ne -veut-il pas dire plutôt qu’il n’avait pas éprouvé assez son impression -et qu’il ne suffit pas d’avoir bon goût, d’être libre, de savoir le -métier: il faut encore éprouver son impression. - -Il faut, d’abord, se demander si l’enthousiasme que nous ressentons -est un enthousiasme positif ou s’il est négatif, c’est-à-dire si nous -aimons une œuvre d’Art, une mode, une apparition vivante pour la vision -qu’elle nous apporte ou pour celle dont elle nous débarrasse, pour sa -beauté nouvelle que nous admirons ou bien simplement pour sa réaction -contre un idéal vieilli que nous n’admirons plus. Celui qui a dit: - - Qui nous délivrera des Grecs et des Romains? - -était évidemment prêt à admirer une œuvre d’art pour cela seul qu’elle -échapperait à l’obsession de l’Antiquité. Constamment, en effet, -un succès n’est dû qu’à un besoin de réaction. Par réaction contre -le Réalisme, on se jette dans le Symbolisme le plus suggestif. Par -réaction contre le Symbolisme qui signifie trop de choses, on se jette -dans l’Impressionnisme qui n’en signifie plus assez. Par réaction -contre l’Impressionnisme, où nous allons nous jeter? Assurément dans -quelque «manière», dont la première qualité sera de restituer une chose -que l’Impressionnisme aura proscrite. C’est là le secret de certains -engouements qui, autrement, seraient inexplicables. «Les femmes, à -l’église, a écrit Mme de Girardin, ont toujours l’air de prier contre -quelqu’un.» On peut dire, qu’en Art, les grands succès qu’on fait, -passagèrement, à une école sont faits _contre_ une autre école, dont on -est fatigué. - -Plus tard, lorsque le besoin de réaction est satisfait, on revient à un -sentiment plus juste; le goût s’exerce plus librement. Or ces besoins -de réaction, qui influencent notre jugement, ne sont pas les mêmes -selon les générations. Ils sont contradictoires. Ils font osciller la -balance tantôt trop d’un côté, tantôt trop de l’autre. Ce n’est qu’à la -longue que la moyenne s’établit: la _Moyenne_,—c’est-à-dire le jugement -du goût personnel, de votre goût, seulement de votre goût libéré de la -Mode, de votre goût sans réaction, de votre goût positif, universel -et permanent. C’est vers cette moyenne qu’il faut tendre si l’on veut -juger, à fond et pour l’avenir, d’une œuvre d’Art. - -De même qu’il faut prendre garde que le sentiment soit trop passager, -il faut prendre garde qu’il soit trop personnel, trop individuel, -comme, par exemple, le souvenir d’un pays que l’on a vu sous une -impression de joie intérieure, la figuration d’une idée qu’on a faite -la compagne de sa vie ou d’un fait qui est entré dans notre destinée. -De ce nombre, sont la plupart des sujets historiques passionnants pour -les gens d’un seul pays, d’une seule époque et souvent d’une seule -opinion, mais indifférents à tous les autres. Un sujet, par exemple, -qui intéresse vivement certains Anglais est celui de John Knox prêchant -devant les Lords de la Congrégation le 10 juin 1550. Toutes les fois -qu’on peindra ce sujet, en Angleterre, on est sûr de soulever un vif -enthousiasme. C’est que de cette prédication date une ère de réformes -et de persécutions pour l’église anglicane. Pour nous, qui n’avons -pas les mêmes raisons d’être émus, si nous allons à la _National -Gallery_ et si nous voyons le _John Knox_ de Wilkie, nous ne prenons -garde qu’à la façon dont il est peint, et comme il l’est fort mal, -nous n’éprouvons aucune émotion. Les autres, un Turc, un Russe, feront -de même. Et, même en Angleterre, lorsque John Knox sera tout à fait -oublié, ce tableau ne fera plus d’impression à personne.—Tandis que les -galeries de Florence, de Venise, de Cologne, de Bruges, d’Amsterdam, -sont pleines de tableaux dont les sujets sont oubliés depuis longtemps: -scènes d’histoire, dont le récit est indéchiffrable; légendes, dont -l’intention nous échappe; mythes, dont le sens est perdu; miracles, -dont on ne trouve pas trace dans les vies des Saints; portraits enfin, -portraits de femmes inconnues dont le nom a duré moins que le sourire, -portraits d’enfants dont on n’a jamais su le nom, comme ceux de Murillo -à Munich, et qui, cependant, après trois siècles écoulés, oubliés de -tous et de tous inconnus, enchantent encore les imaginations les plus -diverses et les plus lointaines. - -Il peut donc y avoir à notre impression des causes très différentes -et assez faciles à démêler: les unes toutes personnelles, toutes -locales, qui tiennent seulement au _sujet_, les autres universelles -qui ne tiennent qu’à la manière dont le sujet est traité. Ce sont ces -dernières seules qui comptent,—non pas quand il s’agit de prendre du -plaisir à l’Art, mais quand on veut en juger. Assurément s’il s’agit -d’y prendre du plaisir, rien ne nous en donnera un si subtil ni si -particulier que ce que nous croirons y découvrir tout seuls ou ce qui -nous semblera y avoir été mis pour nous seuls. Mais s’il s’agit de -porter sur cette œuvre un jugement qui soit compris par les autres, ou -de comprendre celui que les autres ont porté, alors il faut laisser -tomber ce qui dans notre impression est le plus individuel, le plus -personnel, et, au contraire, en recueillir ce qu’il y a en elle de plus -altruiste, de plus universel. - -Qu’est-ce donc qui est le plus universel? Qu’est-ce qui émeut toutes -les âmes artistes? C’est la beauté spécifique de l’Art: c’est ou la -qualité de la sensation colorée, ou celle de la ligne, ou celle de -la densité ou du relief, ou celle de la puissance et de la souplesse -de mouvement. Il n’est pas besoin pour les ressentir d’être de tel -pays, de telle époque, de telle condition sociale. C’est la langue -universelle parlée par tous, entendue par tous. Si ces qualités-là y -sont, l’œuvre qui nous a plu est belle. - -Envisageons maintenant la seconde hypothèse: l’œuvre nous déplaît. Cela -suffit, pensez-vous peut-être comme William Morris qui disait: «Ce qui -est laid, c’est ce qu’on n’aime pas». Non, cela ne suffit pas. Encore -faut-il savoir à quoi elle déplaît en nous, si c’est réellement à notre -goût, à notre sentiment esthétique: si elle contrarie notre vision -directe de la nature ou de la vie, ou bien si ce ne serait pas à une -idée préétablie, à une habitude prise, à une éducation reçue, à une -formule, à un type que nous avons accoutumé d’admirer et auquel nous -rapportons, inconsciemment, tout ce que nous voyons de nouveau. Par -exemple, sir George Beaumont entre un jour dans l’atelier de Constable, -qui venait d’achever un paysage, le regarde en connaisseur qu’il était -et lui dit: «Oui, c’est très bien,... mais je ne vois pas votre petit -_arbre brun_.... Où allez-vous mettre votre petit _arbre brun_?» Or il -n’y avait pas de petit arbre brun dans le coin de nature interprété -par Constable, mais, à cette époque, il était entendu qu’il fallait -toujours, au premier plan, un petit arbre brun, ou une souche, ou une -racine noire. C’était une habitude entrée tellement dans la vision des -amateurs, que s’ils ne voyaient pas le premier plan pourvu de ce sombre -appendice, ils ne reconnaissaient pas un signe des tableaux de maîtres, -et ils étaient choqués. - -C’est cette habitude, cette intoxication, pourrait-on dire, du -brun, du noirâtre, de la couleur ambrée qui a fait repousser les -impressionnistes quand ils ont paru. On s’est écrié: «Qu’est-ce que -ces ombres violettes? Les ombres ne sont pas violettes! Les ombres -sont brunes.» Sans entrer, pour le moment, dans l’examen des théories -impressionnistes, on peut dire que les ombres ne sont certainement -pas, au moins en plein air, brunes comme on les peignait avant eux. -Ce n’était nullement une loi de nature: c’était une simple habitude -prise à regarder les tableaux jaunis et noircis des maîtres. Et, alors, -devant des essais beaucoup plus justes, on était choqué, on criait au -scandale. «Le terreux et l’olive, dit Delacroix, ont tellement dominé -leur couleur que la nature est discordante à leurs yeux avec ses tons -vifs et hardis.» - -Comment donc s’y prendre, quand une œuvre imprévue, une technique -nouvelle vient étonner la vision que les œuvres anciennes nous -ont donnée de la nature? Comment discerner si c’est une tentative -légitime, une vision juste,—ou une gageure, une erreur ou une folie? -Tout simplement en le demandant au modèle lui-même, à la grande -inspiratrice: en consultant la Nature et en lui comparant, en -collationnant, pour ainsi dire, avec elle, l’interprétation nouvelle -qu’on veut nous en imposer. On dit: Tous les goûts sont dans la Nature. -Soit. Mais toutes les nouveautés y sont aussi. «Le réalisme, dit -Delacroix, est la grande ressource des novateurs, dans les temps où -les écoles alanguies, pour réveiller les goûts blasés du public, en -sont venues à tourner dans le cercle de leurs inventions. Le retour -à la Nature est proclamé, un matin, par un homme qui se donne pour -inspiré.» C’est la loi de toutes les révolutions esthétiques. Il faut -donc y retourner aussi pour juger d’un nouvel effort. D’ailleurs, quand -paraît un mot nouveau, une expression inconnue, que faisons-nous pour -en juger? Par exemple, le mot: _ensoleiller_, le mot: _papillonner_, -le mot: _mondial_? Irons-nous comparer l’expression nouvelle à celles -qui existent déjà et voir si elle leur ressemble? Ou n’irons-nous pas -plutôt la comparer à la pensée et voir si elle la rend? Devrons-nous -chercher dans un dictionnaire et, si nous ne l’y trouvons pas, -dire: c’est une expression mauvaise; il ne faut pas l’accepter! Ou -ne devrons-nous pas chercher dans la pensée si la nuance que rend le -mot y existe, et si cette nuance existe et si l’on n’a pour la rendre -encore aucun mot, ne dirons-nous pas qu’il est légitime de l’employer? -Or comparer l’expression nouvelle à la pensée, en littérature, c’est, -en Art, comparer la vision nouvelle à la Nature,—qui est peut-être une -pensée infinie. - -Ainsi, pour juger d’une œuvre d’art, d’une forme nouvelle dans la vie, -un seul guide: le goût. - -Mais le goût libéré des associations d’idées et de l’habitude. - -Or le goût ne se libère des idées que s’il s’attache aux qualités -spécifiques de l’art, parce que, seul, il peut les sentir. - -Il ne se libère de l’habitude que s’il se retrempe dans la -contemplation de la Nature parce que, seule, elle contient toute -nouveauté. - -Juger avec son goût; le goût s’exerçant sur les qualités spécifiques; -ces qualités étant considérées dans leur rapport avec la Nature;—toute -la méthode pour juger d’une œuvre d’art ne serait-elle pas là? - - -IV - -Telle est la méthode appliquée dans les essais qui vont suivre. Dans -aucun d’eux, l’auteur ne prend parti contre le goût instinctif de la -foule; mais dans tous, il essaie de libérer ce goût des habitudes -de la vision et de le mettre en garde contre les sophismes du -raisonnement. Si l’on condamne, de prime abord, la forme grêle des -ponts métalliques, il demande un second examen. Il examine si ce n’est -point l’accoutumance aux formes massives de la pierre qui nous empêche -d’admirer la fine trajectoire du fer. Si l’on refuse de voir dans les -meilleures œuvres de Monet ou de Sisley des effets justes rendus avec -puissance, le lecteur est simplement sollicité d’observer s’il ne -s’est point fait les yeux aux tonalités chaudes et cuites des anciens -paysagistes,—et si, en s’efforçant de voir la nature avec des yeux -neufs, en considérant les champs par le plein soleil, il ne retrouve -pas plutôt les tons de Claude Monet que ceux de Claude Lorrain. Et, -ainsi, la beauté de certaines choses nouvelles apparaît, pour peu qu’on -laisse décider le goût, sans l’obsession des modèles anciens et des -souvenirs. - -Mais, d’autre part, l’auteur ne pousse pas si loin la méfiance -de cette obsession ou de ces souvenirs qu’elle le détourne de son -instinct, lorsqu’il s’élève avec persistance contre une chose nouvelle. -Si donc, sacrifiant son goût instinctif et son impression sensorielle -à quelque raisonnement, le lecteur se croit tenu d’admirer le vêtement -géométrique moderne ou les maisons de rapport de vingt étages, «parce -qu’il n’y a pas de formes laides en soi» et «dont l’Art ne puisse -tirer parti»,—ou s’il condamne, malgré qu’il les trouve belles, -certaines photographies de tout point semblables à des mezzo-tintes -ou à des fusains, «parce que la nature n’y est pas vue à travers un -tempérament»,—l’auteur demande la permission d’examiner ce que valent -ces deux propositions philosophiques:—s’il est bien vrai que l’Art -ait jamais tiré parti de la laideur géométrique ou s’il est bien sûr -qu’il n’y ait point, dans certaines photographies, «intervention d’un -tempérament». Car ce sont là des arrêts justiciables de la critique -la plus rationnelle, puisque le goût, l’instinct naturel y est plutôt -contrarié que suivi et que, seule, une opération de la raison en a -décidé. - -Quant au reste, quant à ce qui ne relève pas de la critique historique, -c’est la Nature seule qu’il faut consulter. Elle seule est toujours -belle, ou,—si le mot de beauté éveille une idée de perfection -plastique trop restreinte et trop anthropomorphe,—elle seule est -toujours, en tous ses détails, et à toutes ses heures, une joie pour -le sentiment profond qui veille en nous. A ce sentiment esthétique, ou -à cette sensation, qui ne se définit guère que parce qu’il n’est pas -et qui ne s’explique pas plus à celui qui l’ignore que les sensations -de la faim ou de la soif à qui ne les a jamais ressenties, constamment -il faut en appeler. Il est juge suprême de l’Art, parce qu’il en jouit -et en souffre suprêmement. Combien l’éprouvent, je ne pourrais le -dire, mais comme un culte commun, il unit à travers l’espace, devant -les mêmes œuvres, des êtres qui s’ignorent et, à travers le temps, des -êtres qui se succèdent, par les mêmes émotions subtiles ressenties -et les mêmes colères, et les mêmes douleurs et les mêmes joies -éprouvées. S’il est des «questions esthétiques contemporaines», c’est -pour ceux-là seulement d’entre nous, pour qui il y a des joies et des -douleurs esthétiques, et toute la science ou la raison du monde ne nous -servirait de rien sans cette joie ou cette douleur, pour les éclaircir, -ou seulement pour les éprouver. - - - - -PREMIÈRE PARTIE - -L’ESTHÉTIQUE DU FER - - - - -L’ESTHÉTIQUE DU FER - - -Réssuscitons par la pensée le printemps de l’année 1900. C’est l’année -de l’Exposition universelle. - -Les oiseaux migrateurs qui passent en cette saison sur Paris voient le -long du fleuve qu’ils connaissent un spectacle qu’ils ne connaissaient -pas. L’ensemble de la ville n’a pas changé. C’est bien toujours la -même mer grise de pierres où traînent des vapeurs, où s’enfoncent -des paquets d’herbes, où émergent çà et là les nefs des cathédrales -et les bouées noires et dorées des dômes dans le flottement des -ombres violettes qui suivent la course des nuages. Mais ce qui est -nouveau, c’est l’entassement d’une multitude de toits, sur des rives -ordinairement vides, et ce qui est étrange, c’est leur diversité. - -La plupart de ces toits, l’oiseau migrateur les connaît et, s’il est de -ceux qui y suspendent leur nid, il en sait le degré d’hospitalité. Mais -il ne les a jamais vus ensemble. Il est accoutumé à trouver, après les -toits pointus en bois ou en ardoises des régions pluvieuses, le toit -de tuiles des climats tempérés, puis le dôme et la terrasse des pays -chauds, mais non pas avant d’avoir traversé les montagnes qui partagent -les bassins, ni suivi les vallées où s’étagent les vignes, ni passé la -mosaïque bleue et or de la mer et des îles et vu se presser les têtes -rondes des orangers et la garde montante des cyprès. - -Ici, en planant, dans un coup d’ailes, il aperçoit, aussi serrés les -uns contre les autres que des chapeaux dans une foule, tous les toits -que séparent d’ordinaire de longues journées de voyage à travers les -climats changeants: chapeaux plats, chapeaux ronds, chapeaux de paille, -casques d’or, pyramides à écailles de bois disposées pour le glissement -des neiges; terrasses faites pour goûter la fraîcheur des soirs, dômes -d’Orient, piles d’abat-jour, toits relevés à leurs bouts comme des -souliers à la poulaine, pigeonniers du moyen âge, taillis de couteaux -du Soudan, tas de grosses bûches des toupas ou des isbas; tous les jets -des flèches et tous les bouillonnements des coupoles, depuis la pomme -byzantine jusqu’à la poire d’or moscovite. Voilà ce qu’un migrateur au -printemps de l’année 1900 pouvait voir en passant. - -Mais pendant l’hiver qui précéda l’Exposition, ce qu’il eût aperçu -était plus étrange encore. Au premier abord, en voyant la fourmilière -des ouvriers s’acharner à ces constructions hémisphériques tout au bord -de l’eau et avec des matériaux qui, de haut, ressemblaient beaucoup à -de fines bûches, il les eût pris pour un peuple de castors au travail. -Au bout de quelques instants, à mieux considérer ces édifices, il les -aurait crus construits par des oiseaux. On eût dit en effet des nids -gigantesques posés sur les deux bords d’un ruisseau: nids formés d’un -inextricable fouillis de baguettes entremêlées avec une incomparable -adresse, que peut seule surpasser celle du loriot ou de la rousserole; -nids feutrés sinon du coton des fleurs de peuplier, de toiles -d’araignées ou de mousse, du moins de chanvre ou d’étoupe mêlés à du -plâtre, c’est-à-dire de _staff_; nids tressés de tiges de fer comme ce -nid qu’on peut voir à Soleure, pays d’horlogers, et que les oiseaux ont -construit avec des ressorts de montres. - -L’armature fine, délicate, nouvelle de tous ces monuments, -l’ingéniosité de ces nids ou de ces treillis de fer, impondérables -à l’œil quand ils étaient nus, insoupçonnables dès qu’ils furent -revêtus, armature commune de tous ces organismes si différents, tel fut -assurément le plus grand prodige de l’Exposition de 1900. - -Devant cette végétation de fer de plus en plus touffue et envahissante, -nous reconnaissons la marche sûre et les fortes prises de la science. -Et quand, par hasard, cette armature, débarrassée de tous les matériaux -qui la cachent, veut se suffire à elle-même et apparaît seule à nos -regards, comme dans l’intérieur de quelques palais et dans le nouveau -pont jeté sur la Seine, quand nous voyons se réaliser au seuil du -siècle nouveau le vœu de ce poète du XVI^e siècle: - - Une maison d’archal composée en réseaux, - -ce n’est plus seulement de l’admiration pour la Science, mais ce sont -des inquiétudes pour l’Art. - -Inquiétudes mêlées d’espérances, car, dans l’agglomération de toutes -ces formules de bois, de pierre, ou reproduisant exactement les formes -du bois et de la pierre, le seul rameau nouveau, qui s’ajoute au vieil -arbre touffu et confus de l’architecture universelle, est un rameau de -fer. Que faut-il partager de ces inquiétudes? Jusqu’où faut-il aller de -ces espérances? C’est ce que les exemples mis depuis quelques années -sous nos yeux nous permettent peut-être de déterminer. - - - - -CHAPITRE I - -Comment juger d’une architecture nouvelle? - - -§ 1. - -Comment en jugerons-nous? Avec notre goût. Car, pour juger d’une forme -nouvelle, nous devons nous garer de deux suggestions: l’une que nous -fournit la pure habitude, l’autre que nous inspire le raisonnement pur; -la première ayant façonné notre goût, jusqu’à le rendre hostile à toute -forme nouvelle, et le second nous faisant défier de cette habitude, -jusqu’à l’abdication complète de notre goût. Les deux manières de -juger sont fatales, car elles entravent également l’indépendance du -seul sentiment qui nous permette d’éprouver la beauté: le sentiment -esthétique, alors que la raison ne doit servir qu’à écarter du sujet -les entreprises de la raison même et assurer le libre exercice du goût. - -En effet, parce qu’une forme imprévue éveille en nous d’autres idées -que l’usage du monument auquel l’artiste vient de l’employer, il ne -faut pas la condamner comme laide. Et, par exemple, ce n’est point -parce qu’un musée ressemblerait de loin à un chapiteau d’alambic ou -une porte monumentale à un appareil de chauffage, qu’il faudrait, dès -l’instant, les condamner. Ce n’est point davantage parce que de minces -piliers, faits d’une matière nouvelle et supportant une énorme voûte, -ne nous fourniront plus l’impression de stabilité que nous donnaient -les larges assises de pierre, qu’il faudrait dire que toute beauté est -perdue. L’habitude n’est pas une loi. - -Mais, d’autre part, parce qu’une forme, bien que laide, nous paraîtrait -s’approprier exactement aux besoins de la vie moderne, comme fait une -gare de chemin de fer, il ne faudrait pas en conclure nécessairement -qu’elle est belle. Une forme peut être nouvelle à la fois et belle. -Mais elle peut être nouvelle, exactement appropriée à un besoin -moderne, représentative d’une foules d’idées sociologiques,—et laide -sans plus. - -Dans les deux cas, ce dont il faut se méfier, c’est l’abus du -raisonnement. Ce qu’il faut suivre, c’est l’impression esthétique, -et non pas ce que cette impression a de surtout intellectuel, comme -l’association des idées dans notre tête, mais ce qu’elle a surtout de -sensible, comme l’association des formes devant nos yeux. Ce qu’il faut -en croire surtout, c’est notre impression. - -Or, ce qui provoque d’abord l’impression des yeux, ce n’est pas une -notion intellectuelle, ce n’est pas l’idée de l’appropriation à un -usage, ce n’est pas l’idée de signification structurale, ce n’est pas -même l’idée de stabilité: c’est l’élégance, le rythme, la silhouette -totale, apparue; c’est, si l’on peut ainsi dire, la _tache_ heureuse -que fait un monument sur la ville et sur le ciel. - -Si cette tache n’est pas heureuse, si, aux yeux, les lignes décisives -sont lourdes ou étriquées, ou monotones, vainement prouvera-t-on que -l’édifice est solide, approprié à sa destination, révélateur de sa -fonction, suggestif d’idées; il pourra plaire à l’esprit, il ne plaira -pas au sentiment esthétique. A l’inverse, si la tache est heureuse, -le monument peut être archaïque, exotique, mal approprié au sol et au -ciel; il peut, vu de son pied, n’offrir que des profils tristes, des -reliefs masqués les uns par les autres, et pourtant, s’il est contemplé -de loin, produire sur la ville et dans le ciel une tache heureuse, une -apparition révélatrice. - -Le Sacré-Cœur de Montmartre est un exemple. Peu de projets furent -assaillis de critiques plus vives, plus unanimes, plus légitimes. -D’abord, cette église n’était guère qu’une coupole, sans nef qui y -conduisît. D’en bas, on ne pouvait apercevoir sa façade, mais seulement -son porche,—ce qui ne donnait l’idée que d’une grande chapelle. Il -n’y avait point de lumière au dedans, et point d’ombres, accusant les -reliefs, au dehors. D’ailleurs, pourquoi cet art exotique et vieillot -du «Bas-Empire»? Pourquoi, sur la Ville Lumière, ce pastiche énorme -d’une obscure bâtisse de Périgueux? Toutes ces critiques semblaient -très justes, et si l’on va regarder le colosse de près ou du bas de la -Butte, elles n’ont rien perdu de leur vérité. Mais puisqu’on le voit de -tant de points différents de Paris, de l’avenue Montaigne comme de la -rue Solférino, des boulevards comme du haut de Meudon, c’est sans doute -son effet lointain et total qu’il faut considérer. - -Or, cet effet est une révélation. On ne voit plus, au-dessus de -la montagne de maisons grises, qu’un léger nuage blanc et violet, -nuage d’où ne tombe nul orage, mais, seul et rare, le grondement -d’une cloche. Le critique ne perçoit, si bien qu’il regarde, qu’un -floconnement de coupoles qui assaillent le ciel, l’une montant sur -l’autre, la dernière enfin atteignant son but, et recouvrant tout de -sa splendeur. Bien au-dessus des coupoles de la contemplation et de -la guerre, au-dessus des observatoires fixés sur les terres, et des -tourelles errantes sur les mers où s’embusquent les plus prodigieux -appareils d’observation ou de destruction qu’ait produits le génie -humain, s’élève maintenant la coupole du Salut. Et l’on sent que cette -forme est bien celle qui convenait ici. Au sommet d’une ville qui -pyramide, ce n’est point un nouvel élan qu’il faut, mais une couronne. -Des plaines, il est bon que les flèches s’élancent vers le ciel comme -une prière. Mais des hauteurs il est mieux que les coupoles s’abaissent -comme une bénédiction. - -De même, la «tache heureuse», c’est le mérite du Petit Palais et de la -perspective entière des Champs-Élysées aux Invalides. Certes, il n’y a -rien dans ces monuments de nouveau, ni de puissant. Le «Grand» Palais -se prolonge, çà et là, dans un développement si peu compréhensible -qu’il paraît des deux le plus petit. Sa colonnade se juche sur un -soubassement si haut et se tapit sous une masse de verre si énorme, -que les colonnes, réduites à un rôle purement ornemental, ne jouent -plus le rôle de supports où leur élégance se déploierait. Le style est -tellement composite, que tout en satisfaisant l’œil à peu près partout, -il ne frappe et ne s’impose nulle part. Quelques ornements se dressent -inutilement, telles ces fioles gigantesques et inexplicables qu’on -voit plantées deux par deux, çà et là, sur le haut de l’édifice. Dès -qu’on s’éloigne, l’énorme ballon de verre, allongé sur la pierre comme -un aérostat, plus pesant aux yeux qu’un toit de pierre ou d’ardoises, -écrase, opprime et aplatit jusqu’à terre le pauvre édifice. Et des -chevaux féroces, projetés en éventail sur chacune des portes latérales, -s’épuisent en efforts désespérés pour quitter ce monument auquel un -sort inexplicable les a, momentanément, attachés. - -Mais, quand on aura fait ces critiques et cent autres, il n’en restera -pas moins que, vus des Champs-Élysées, les deux palais sont ce qu’il -fallait qu’on vît. Ils forment l’allée nécessaire, plantée de colonnes -ioniques, qui conduit l’œil aux pylones qui marquent les limites du -fleuve. Ce sont les jalons indispensables pour creuser l’horizon vers -le dôme. La «tache» que fait chacun de ces deux palais est si heureuse -qu’on ne la remarque déjà plus. Il semble qu’ils aient toujours été là. -Quand on entre dans le Petit Palais de M. Girault, on éprouve cette -impression de paix. On l’éprouve aussi sous la colonnade intérieure -qui égaie l’hémicycle, devant les trois miroirs où se reflètent les -marbres neufs, et où l’on voit, quand un souffle ride l’eau, les -génies qui se tiennent sur le portique, remuer, au gré des reflets, -leurs ailes d’or.... Le succès du _Petit Palais_, c’est le triomphe de -l’éclectisme, mais c’est aussi le signe évident que notre architecture -n’excelle qu’aux recommencements et, qu’au milieu de tant de choses -neuves, il n’y a pas une nouveauté. - -La pierre n’aura-t-elle donc rien fourni d’imprévu dans cette immense -poussée architecturale? N’y a-t-il rien qui donne une physionomie -nouvelle au Paris de 1900?—Si. Mais ce n’est pas un legs de -l’Exposition. Regardez plus loin vers le Sud et regardez plus haut -vers le Nord. Deux monuments dont personne ne parlait plus et qu’on -n’avait point invités à la fête, deux intrus gigantesques surgissent -brusquement l’un dans la plaine, l’autre sur la colline et, ensemble, -aux deux côtés de l’horizon, donnent à Paris un couronnement que nous -ne lui connaissions pas. L’un est le dôme des Invalides, l’autre est -le Sacré-Cœur de Montmartre. Entre les deux rives qu’ils ponctuent, la -science a jeté le pont de la Paix. Ce dôme, ce faisceau de coupoles, -ce pont qui permet d’aller des unes à l’autre, voilà ce que Paris -n’avait pas encore vu et ce que le monde entier découvre aujourd’hui -comme une vision nouvelle dans Paris. L’un nous était caché par les -échafaudages, l’autre par le palais de l’Industrie. Les nuages se -sont dissipés. Le palais où l’on vit tant de mauvaises peintures est -tombé comme un mauvais rêve. A son dernier jour seulement, réduit à sa -porte monumentale sous la pioche du démolisseur, il revêtit un instant -la dignité d’une ruine. Il eut l’aspect d’un vieil arc de triomphe, -tandis que dans l’atmosphère de février mêlée de pluie et de soleil, -l’aiguille d’or des Invalides, soudain apparue, tournée vers les nuages -derrière les décombres, droite, étincelante, sembla marquer une heure -invisible, dans le ciel incertain de la patrie.... - -En bas, _Gallia Victrix_, en haut, _Gallia pœnitens et devota_: la -vision est singulièrement antithétique et saisissante. Certes ces deux -monuments furent assaillis de bien des colères philosophiques, le plus -ancien, pour son souvenir qu’on trouvait insolent, le plus jeune, pour -sa devise qu’on trouvait trop humble, comme s’il y avait quelque honte -à faire, après les épreuves que l’on sait, un examen de conscience -nationale et comme si, d’ailleurs, la foi qui poussa tant de millions -de Français dans cette œuvre désintéressée, patiente, profonde, dans -cet édifice dont la hauteur souterraine égale exactement la hauteur -visible, n’était pas, quelque opinion qu’on puisse avoir sur son -objet, une preuve de vie, et, autant que nos formidables exhibitions -industrielles, un signe de force au manomètre d’une nation! - -Et, d’autre part, est-il mauvais que l’apparition du dôme de Mansart -nous rappelle ce qu’à ce manomètre la gloire jadis a marqué? Les choses -ont leurs ironies plus encore que leurs larmes, et dans la hâte où nous -sommes de leur donner des significations éternelles, nous courons le -risque des prédictions d’almanach. On a construit ce pont à l’honneur -de la Paix et le voici qui mène tout droit au Dieu de la Guerre. On a -ouvert ce chemin pour aller commodément jusqu’à ce congrès pacifique -des peuples, entre les mille drapeaux des nations flottant sur diverses -épices, et il se trouve que c’est une trouée vers le casque flambant au -soleil qui recouvre les mêmes drapeaux étrangers, seulement déchirés, -ceux-là, et conquis dans les batailles. De son antre de vieilles -pierres françaises taillées par les maçons du grand siècle, au fond -de la cour d’honneur, ayant sous ses pieds le bronze historié de -Wurtemberg et sur sa tête les étendards suspendus dans le sanctuaire, -le «petit homme... tout habillé de gris» regarde droit à travers -l’Exposition jusqu’au cœur de la ville qui lui était masqué. - -On savait qu’il existait, sans doute, mais on avait oublié qu’il fût -là, si près dans ces Champs-Élysées cosmopolites où tous les peuples -du Nouveau-Monde pouvaient passer et repasser sans le voir. Mais, tout -d’un coup, il paraît. Et comme une foule qui se range sur le passage -d’un souverain, voici que tous ces palais de carton: palais des arts -décoratifs et palais des manufactures nationales, palais des peuples -nouveaux comme palais des peuples jadis vaincus, palais aigrettés comme -des casques et chamarrés comme des chambellans, se sont rangés des deux -côtés pour laisser voir au loin, tout au bout du sillon creusé par le -respect, le dôme or et noir, le monument solide et hautain d’une gloire -qui n’est plus. Et il semble qu’on entende retentir tout à coup, dans -les Champs-Élysées inutilement affairés et gravement frivoles, le cri -qui faisait ranger tous les courtisans dans les salles des Tuileries ou -de Saint-Cloud: «l’Empereur!» - - -§2. - -Ce don d’une architecture nouvelle que la pierre nous refuse, le fer -nous le promet-il? On s’en flatte d’ordinaire et l’on a écrit là-dessus -de très belles pages. Jadis Boileau et Labrouste en fournirent de -fort bonnes raisons et de fort mauvais exemples. A cette opinion -Viollet-le-Duc se rangea aussi. Depuis eux, cette idée s’est répandue -qu’une civilisation nouvelle, servie par de nouveaux matériaux, ne -pouvait manquer de produire un style d’architecture nouveau. Et puisque -le fer était d’hier, il devait donner des courbes, des voûtes, des -lignes que l’Antiquité ni le Moyen Age n’avaient connues. - -Dans ces inoubliables pages simplement définies par leur auteur, «les -Cahiers d’un Étudiant à l’Exposition de 1889», où Melchior de Vogüé -découvrit à tant d’âmes curieuses, inquiètes, la signification de -l’évolution matérielle à laquelle nous assistions, l’éloge du fer -retentit comme la diane et nous réjouit comme une aurore. Beaucoup de -nos impressions confuses semblaient le corroborer. - -Comme les monuments les plus simples que nous devions à son emploi dans -les usages utiles de la vie nous paraissaient infiniment moins laids -que nos prétentions architecturales; comme la Galerie des machines de -Paris ou l’_Ames Building_ de Boston étaient moins offensants pour la -vue que le casino de Monte-Carlo ou que le Trocadéro, nous en tirions -tous cette conclusion que le fer possédait par lui-même quelque vertu -de «beauté abstraite et algébrique», que, dans tous les cas, la «force -du besoin» clairement manifestée était sans doute un principe de -beauté. - -C’était partir d’une observation très juste, mais incomplète pour en -tirer une déduction très contestable. Car, s’il est assez difficile, en -architecture comme ailleurs, de déterminer quel est le vrai principe -de beauté, il ne l’est pas d’apercevoir qu’il ne tient ni dans la -force de l’algèbre, ni dans la force du besoin. On n’a jamais observé -qu’une chose fût belle par cela seul qu’elle était nécessaire. Ce qu’on -a observé maintes fois, c’est qu’une chose née du besoin et neutre -au point de vue esthétique devenait laide, quand on la parait d’un -ornement né de la fantaisie. Ce n’est pas la force du besoin qui est un -principe de beauté: c’est la faiblesse du superflu qui est une raison -de laideur. Là où le besoin se manifeste seul, il n’y a le plus souvent -ni laideur, ni beauté. Il y a une sorte de neutralité esthétique. -De grands murs nus ou quadrillés de briques apparentes et criblés -de fenêtres égales peuvent être tristes: ils ne sont pas irritants -comme des façades de petits théâtres chargés de tous les désordres -grecs ou de toutes les intempérances de l’Orient. On vivra tristement -devant ces maisons simples, mais non dans la colère. Elles sont comme -de longues plaines endormies sous les neiges, qu’aucun accident ne -trouble, que nul ornement n’égaie. Mais elles ne sont pas de mauvais -goût. Le mauvais goût ne se révèle qu’avec l’accident, l’ornement, -la prétention architecturale. Le mauvais goût suppose l’exercice d’un -goût. Le laid ne commence qu’avec la recherche du beau. - -Quand vous passez devant un monument agressivement inesthétique, -supprimez par la pensée tous les ornements inutiles à sa solidité et -indépendants de sa fonction, redressez toutes les courbes que rien -ne suggère, abattez toutes les moulures que rien ne nécessite et le -monument cessera d’être laid. Mais il ne deviendra pas nécessairement -beau. En supprimant l’inutile, en serrant de près la logique de la -construction, vous aurez certainement ôté la laideur. Mais vous n’aurez -pas nécessairement conféré la beauté. - -Et, d’autre part, que de belles lignes monumentales ou décoratives ne -sont pas logiques le moins du monde et ne satisfont nullement notre -raison, mais seulement notre goût, notre instinct tout physique, et -sensoriel d’harmonie, de souplesse et de vigueur! Que de chefs-d’œuvre -où l’ornement n’est pas une mise en évidence de la structure interne, -mais une dissimulation! Que de riches courbes qui ne sont pas dérivées -des qualités spécifiques des matériaux employés, mais imitées de formes -créées pour d’autres matières, en d’autres temps et sous d’autres -cieux! Voici le _Baptistère_ de Florence: la forme ronde et cintrée de -sa structure interne est-elle révélée au dehors par une construction -circulaire? Point du tout; les murs sont plats et la figure hexagone, -en sorte qu’on croit entrer dans une salle rectangulaire, et on trouve -une rotonde. Voici le _Saint-Marc_ de Venise: l’ossature est-elle -visible? Non, elle est dissimulée sous un revêtement éclatant de -mosaïque à l’aspect de métal. Voici l’architecture arabe: les arcs, les -ogives découpés à profusion ne nous laissent pas de doute. Nous voyons -bien que le poids est rejeté tout entier sur les côtés.... C’est faux! -Il repose sur les poutres horizontales demeurées invisibles. Prenons la -colonne dorique. Faut-il blâmer la forme du fût renflée à mi-hauteur, -parce qu’elle est inspirée de l’écrasement des faisceaux de cannes -primitivement employés, ou n’est-elle pas un charme de plus? Faut-il -blâmer les plus anciens monuments de l’Inde, parce qu’ils reproduisent -en pierre les poutres et les balustrades de bois et en imitent -jusqu’aux joints? Ou les meubles du Moyen Age et de la Renaissance, -parce que le bois y reproduit les formes architectoniques de la pierre? -Où est la logique en tout cela? où l’appropriation de la forme à la -matière? où l’expression de la structure intime par l’ornement? - -Que de beaux édifices, enfin, dont l’aspect ne révèle nullement la -fonction! Et quand, d’aventure, l’un de ceux qui la révélaient ne -remplit plus la fonction pour laquelle il fut conçu, cesse-t-il pour -cela d’être beau? La façade de l’hôtel des Invalides est-elle devenue -moins belle depuis qu’elle recouvre des comités techniques d’inventions -à la place de l’hospice héroïque qu’elle était censée annoncer aux -yeux? Le palais des papes d’Avignon est-il moins beau depuis qu’il ne -contient plus de papes, les pyramides moins belles depuis qu’elles -n’ont plus leurs morts? Qui a jamais compris, en les voyant, à quoi -peuvent servir les gopuras ou les terrasses superposées de l’Inde, -et qui a hésité à les admirer? Quand s’élève, à l’horizon ou dans -la forêt, une belle harmonie de pierre, ou de bois, ou de métal, -qu’importe qu’elle serve à une église ou à un hôpital, à une caserne -ou à un château, à une forteresse ou à un concert? ce n’en est pas -moins une belle harmonie. Dire que, pour être belle, une forme doit -annoncer et exprimer la fonction qu’elle remplit, c’est énoncer une de -ces propositions respectueusement admises par la critique contemporaine -pour leur aspect rigoureux, mais que rien ne vérifie et qu’on se passe -de main en main comme une pièce fausse, de confiance, faute de l’avoir -jamais regardée. - -Quand donc nous aurons établi que le fer est utile, qu’il est logique, -qu’il est nouveau, qu’il est approprié à nos besoins et à notre état -social, et qu’il révèle immédiatement au dehors sa structure interne, -nous n’aurons pas montré qu’il conférera nécessairement à nos monuments -quelque nouvelle beauté. Il faudra encore qu’il ait certaines qualités -que la raison perçoit moins clairement peut-être, mais que le sentiment -éprouve et que les yeux démêlent: la grâce, l’élégance des courbes, -la sûre et facile harmonie des droites, le jeu des ombres sous les -reliefs, le balancement des pleins et des vides, l’ordre qui repose la -vue parce qu’il est facile à percevoir, et la variété qui la sollicite -parce qu’elle lui offre des multitudes de sensations à éprouver. - - - - -CHAPITRE II - -Le triomphe du fer: le Pont et son échec, la Maison. - - -Or, les éprouvons-nous? Non. Quand on fait l’apologie des monuments de -fer, les motifs qu’on nous en donne sont surtout de raison raisonnante. -On ne dit pas: ce monument est admirable parce qu’il plaît au sens -obscur de l’ordre dans les formes matérielles et au goût de leur -variété, de leurs tours et de leurs retours capricieux où l’harmonie se -devine, mais se dissimule sous la complication, mais on dit: il faut de -toute nécessité qu’il le soit, puisqu’il répond au temps où nous vivons -et aux instincts du peuple que nous sommes. - -Étrange postulat! Comme si toutes les fois qu’un peuple et qu’un temps -avaient des besoins nouveaux, ils créaient nécessairement un beau -style d’architecture pour les exprimer? Quoi de plus nouveau, de plus -puissant et de plus _genuine_ que la jeune civilisation américaine, -et quoi de plus banal que ses palais,—château de Blois sur la face, -Parthénon sur le revers,—qui empruntent à tous les styles et ne rendent -pas, en intérêt, ce qu’ils ont emprunté? On a voulu faire un sort, en -esthétique, aux «maisons hautes» des États-Unis comme aux premiers -phares dressés pour éclairer les novateurs des deux mondes. Mais à -les bien considérer, les styles de ces gigantesques «accroche-nuages» -ne sont que des multiplications de styles déjà fort connus et fort -anciens. Ce n’est point parce que le _Monadnock Building_ entassera -treize bow-windows les uns sur les autres qu’il aura réalisé un style -de bow-window nouveau, ni parce que l’_Union Trust Company_ de Missouri -portera plus haut qu’aucun monument égyptien la «gorge égyptienne», -qu’il aura en quelque manière enrichi ce mode de couronner un sommet. -Ces maisons hautes romanes par leur porte, grecques par leurs colonnes, -égyptiennes ou plus souvent gothiques par leur couronnement, sont tout -ce qu’une maison peut être: hors américaines. Par leur masse compacte -et solide, elles rappellent surtout les vieux monuments romans ou -anglo-saxons de l’époque carolingienne, comme la tour d’Earl’s Barton, -par exemple, et rien n’est moins «nouveau-monde». Et en quoi l’arc de -triomphe élevé en l’honneur de l’amiral Dewey sur la cinquième avenue -diffère-t-il des arcs de Titus et de Constantin? - -Pareillement, est-il un peuple plus particulier, plus puissamment -original et depuis plus longtemps que les républiques Sud-Africaines, -et les églises et les palais de Johannesburg ou de Pretoria -diffèrent-ils de ceux de Londres ou de Chicago? L’exemple des Boërs -défendant des palais à ordres grecs, et celui des Américains faisant -passer leurs troupes victorieuses sous l’arc de triomphe de Constantin -nous montrent assez que l’art ne suit pas nécessairement la marche -d’une civilisation, et qu’à certaines époques il est plus facile de -créer une patrie qu’un style ou de la défendre que de l’embellir. - -Sans donc nous attarder aux postulats, jugeons donc le fait. -Interrogeons l’impression produite chez nous tous, dans tous les pays, -par les monuments de fer aperçus durant ces dernières années: aux -expositions, dans les villes, dans la campagne, sur les fleuves. Comme -nous nous sommes gardés soigneusement des suggestions intellectuelles, -gardons-nous des préjugés d’une habitude de vision, et nous avouerons -qu’on ne peut écarter, d’un mot, toute l’Esthétique du fer. Il y a -tout un ordre de monuments où nous reconnaîtrons la Beauté. Elle -est dans ces fermes admirables du pont Mirabeau ou du pont Alexandre -III,—dans ces branches de fer qu’une main puissante a courbées d’une -rive à l’autre pour donner passage à des peuples entiers en quête de -merveilles. - -Rien n’est plus nouveau, mais rien n’est plus heureux que cette -substitution d’une fine trajectoire de fer au lourd et massif -établissement des ponts anciens, que nous étions accoutumés d’admirer. - -Rien n’a changé davantage dans l’architecture que l’aspect d’un pont. -Mais rien n’a changé plus heureusement. Au temps où, dans les villes -ceinturées par leurs remparts, les maisons se serraient, sans perdre -un pouce de terrain, les unes contre les autres, comme un troupeau -qui a peur, le pont de pierre était une rue qui se continuait sur -l’eau. Mais, dans les temps modernes, les populations se desserrent, -débordent leurs murailles et, les débordant, les renversent. Elles -descendent des tours, elles font cercle autour de leurs monuments et -laissent la nature renaître, çà et là, en de carrées oasis. Elles ont -donc abandonné les ponts, qui ne sont plus qu’un lieu de passage. Les -anciens étaient en pierre, comme les maisons construites sur leurs -piles. Les nouveaux sont en fer, comme les trains qui filent sur leurs -voies. Le pont était une ville, entre les deux villes; on y bâtissait -des boutiques, on y édifiait des chapelles: on s’arrêtait pour y -danser, pour y loger, pour y coucher, pour y prier, pour mourir. On -y enfermait même les prisonniers et il n’est rien de plus banal dans -l’histoire que l’exemple du pont des Soupirs. Aujourd’hui l’on n’entend -plus trop parler de gens demeurant sur les ponts et, si la locution -populaire «coucher sous les ponts» subsiste, ce n’est pas pour porter -témoignage d’un goût contemporain, mais d’une fâcheuse nécessité. - -L’aspect du pont ancien témoignait de ses fonctions diverses. Il -ressemblait à la fois à une forteresse et à une rangée de navires: -forteresse contre les hommes, navires contre les flots. Forteresse de -si étroite ouverture, que, sur le pont Sublicius, un héros suffisait -à la défendre contre une armée, forteresse munie de portes et de -créneaux, comme on l’aperçoit encore au pont Nomentane, quand on va -rêver dans la campagne romaine. Tellement forteresse et tel signe de -puissance, qu’on représentait un pont dans les armes de certaines -villes, comme dans celles de Cordoue. Navire contre les flots, chaque -pile étant construite comme un bateau tournant son avant à l’amont de -la rivière, portant parfois des figures, pour fendre la nappe d’eau -contraire. Arrondi en aval comme une poupe, creusé de fenêtres des -deux côtés comme une dunette, observatoire s’ouvrant d’un côté vers la -source et de l’autre vers la mer—tel était le pont d’autrefois. - -Aujourd’hui, la fonction d’un pont est simplement de relier deux rives -l’une à l’autre. Aucun pont n’est tenu de faire plus que cela pour -nous, mais aucun ne doit faire moins. C’est peu qu’il soit un beau -monument, comme le pont ruiné de Saint-Bénézet sur le Rhône, s’il -nous laisse à mi-traversée, à pic sur le fleuve. Il faut qu’il aille -d’un bout à l’autre. Mais, d’ailleurs, il suffit que nous y puissions -passer. Et, comme nous avons à passer vite, il est inutile qu’il porte -sur son dos des maisons. Regardez le pont Mirabeau, le pont Alexandre -III et comparez-les à l’ancien pont de pierres. L’ancien était un -monument oblong qui barrait l’horizon, terminant une étendue d’eau. On -eût dit une maison percée de gros caniveaux. On percevait sans doute -dans les fondations quelques voûtes claires, par où passait le courant, -mais l’ensemble du monument clôturait l’horizon d’eau et ne révélait -rien de la venue empressée ou de la fuite majestueuse du fleuve. - -Qui dira, si l’on s’en tient uniquement à l’impression des yeux, que -le pont de fer n’est pas aussi beau? D’abord, il est plus léger. -Certes on ne doit pas juger de la légèreté d’un monument par la seule -considération de ses dimensions totales: une arche de 107 mètres n’est -pas nécessairement plus svelte qu’une arche de 30, non plus qu’un -dôme de 30 mètres n’est nécessairement plus imposant qu’un dôme de -15. Les qualités de légèreté ou de grandeur ne sont pas des qualités -absolues, mais naissent des proportions relatives de l’édifice, parce -qu’il n’y a pas entre les divers édifices du monde, même d’une ville, -une commune échelle de grandeur. Seulement, il se trouve qu’ici il y -a une échelle commune: la Seine, dont la largeur est sensiblement la -même partout, et le pont qui la traverse d’un bond, comme un cheval, -paraît nécessairement plus svelte que celui qui, à peu de distance, la -traverse pas à pas comme un éléphant. - -Ce n’est pas seulement là un triomphe pour l’ingénieur: c’est une joie -pour l’artiste. Aucun des sept ponts dont la Rome impériale était -si fière, peut-être aucun des cent douze ponts de toutes formes qui -coupent la Tamise n’ont cette légèreté. Évoquez un instant le grand -dessin tracé dans l’espace par les manieurs de fer, depuis le puissant -mammouth du Forth, jusqu’à la suspension aérienne de Brooklyn, les -merveilles de ces réseaux, depuis les consoles du Niagara jusqu’au -double viaduc du Douro et aux Cantilevers d’Écosse. Voyez, d’une rive -à l’autre d’un fleuve, les ingénieurs lancer un pont comme un train -rigide, ou bien des profondeurs de l’abîme, se soulever un à un vers -le ciel, comme attirés par un aimant invisible, des tronçons de métal -qui, s’arrêtant tout à coup dans leur ascension pour se souder les uns -aux autres, font apparaître entre les deux montagnes un arc-en-ciel -de fer!... Et admirez qu’ici l’effort de la science, en diminuant -la matière, ait servi la cause de l’art et que, loin d’opprimer ou -de cacher la nature, il ait fait apparaître à nos yeux, tout en -remplissant la même fonction utile qu’autrefois, plus de paysage, plus -d’eau, plus de ciel. - -On a donc trouvé le pont moderne en fer, mais ce n’est pas tout de -passer: il faudrait demeurer. A-t-on trouvé la demeure moderne? Ici, -quoi que proteste notre espérance, il faut bien que la franchise -réponde: Non. L’impression naturelle, spontanée, constamment renouvelée -de notre instinct esthétique à tous, nous dit qu’on n’a encore trouvé -ni la maison, ni le palais, ni la tour de fer, ou que, si on les a -trouvés, on n’en a point trouvé la Beauté. Elle nous dit aussi que -les grandes prétentions architecturales du fer en 1889 ont paru -déplaisantes et que quatorze années passées à les considérer n’ont -guère réconcilié personne avec elles. Et enfin, que, depuis 1889, le -mouvement en faveur du fer apparent semble arrêté net, et qu’à certains -de ces monuments, on n’a encore trouvé ni leur emploi, ni même leur -couleur. - -Voilà l’impression. Que dira-t-on contre elle? - -Qu’elle tient à une habitude de nos yeux qui ne retrouvent pas dans -les minces supports de fer les conditions d’équilibre et de stabilité -auxquelles ils étaient habitués? Et qu’«une longue éducation nouvelle -du regard sera nécessaire, comme l’affirme M. Sully-Prudhomme, pour -que la jouissance perdue soit recouvrée[2]»? Sans doute, l’habitude -est pour quelque chose dans nos impressions. A première vue, la forme -pyramidale, qui est la forme stable par excellence, nous plaît mieux -que son contraire et il est rare que nous aimions, si nous la trouvons, -dans l’architecture, la forme de la pyramide renversée. Mais cette -exigence de notre vue, due à l’habitude, est-elle inamovible? Non, car -parfois la nature nous fournit la forme pyramidale renversée sans nous -choquer. Dans les arbres, la partie la plus large se trouve suspendue -sur la partie la plus grêle. Le tronc ne rétablit pas toujours par -sa largeur à la base l’équilibre compromis par son faîte: le tronc -du palmier, par exemple, diminue en s’approchant du sol et, de toute -façon, nous apparaît comme une pyramide renversée. Pourtant, nous -n’avons aucun doute sur sa stabilité. Non plus sur celle d’un homme, vu -de face, debout, les pieds joints, la tête inclinée sur la poitrine, -qui lui aussi repose sur une base grêle, eu égard à la largeur de son -entablement. Dans l’architecture même, nous ne sommes pas inquiétés par -le profil d’un chalet à encorbellements. Et qui de nous a jamais été -choqué par le palais des Doges? - -Ainsi donc, bien avant le fer, notre surprise de voir de frêles -supports soutenir un immense appareil n’était pas telle qu’elle -commandât impérativement notre goût. Quand, en 1889, ont surgi de -terre les piliers de la galerie des Machines, nous ne nous sommes -pas scandalisés parce qu’ils s’amincissaient en s’approchant du sol, -comme des troncs de palmiers. Car nous ne mettions pas en doute leur -stabilité. - -Mais tandis que l’idée de solidité change selon que notre esprit est -plus ou moins averti des conditions de cette solidité, l’impression -d’élégance d’une ligne, elle, ne change guère. Et l’on aura beau nous -dire qu’une voûte de verre est plus légère qu’une voûte de pierre, nos -yeux la verront toujours plus lourde, plus massive et plus monotone -dans sa convexité. Ce qui importe donc plus que toutes les notions -purement intellectuelles, c’est l’impression esthétique en face d’une -ligne ou d’une couleur, et quand nous repoussons, dans l’ensemble du -monument vu du dehors, les calottes de verre, c’est-à-dire la matière -la plus lourde à l’œil et la plus sombre qu’on puisse imaginer, et, -dans le détail des poutres, les entretoises et les croisillons, -les N et les croix de Saint-André, dont se compose l’ornementation -architectonique du fer, ce n’est point une notion intellectuelle -et qu’un raisonnement peut modifier, mais une impression purement -sensorielle et qu’aucun raisonnement ne changera. Ce n’est point là -une impression subtile d’érudit ou d’archéologue. C’est l’impression -naturelle et spontanée du plus ignorant des hommes, qui a des yeux, qui -les ouvre, non sur des livres, mais sur la nature, et qui aime mieux -voir une amphore qu’une cloche à melon! - -Contre cette impression que dit-on encore? Qu’elle est fausse parce -qu’elle est nouvelle. Qu’elle passera avec l’habitude. Que tous les -partisans d’un art établi l’éprouvèrent en face de l’art qui allait -le remplacer et que nous sommes devant ces hautes carcasses de fer, -comme les Grecs eussent été devant les barbares chefs-d’œuvre de l’art -ogival. On ajoute que le fer n’est déplaisant que là où, abandonnant -ses qualités propres et dissimulant sa nature pour simuler celle de -la pierre, il emprunte à celle-ci son aspect décoratif, mais que s’il -osait se déployer sans modèle, s’aventurer sans guide, s’affirmer -sans peur, il trouverait de lui-même le caractère de beauté qui lui -convient, et que, pour le trouver, l’architecte n’a qu’à suivre les -suggestions de la matière nouvelle qu’il emploie et qu’à donner, comme -caractéristiques aux palais nouveaux, les caractéristiques mêmes du -fer? Que valent ces deux arguments? - - - - -CHAPITRE III - -Pourquoi le fer permet tout et n’ordonne rien. - - -Tout d’abord, est-il vrai que la révolution apportée par le fer dans -les formes constructives est de la même nature et d’une nature aussi -importante que celle apportée par l’ogive et l’ensemble des nervures -succédant au plein cintre ou bien par le plein cintre succédant -au linteau? Ensuite peut-on comparer le remplacement de la pierre -par le fer à celui du bois par la pierre? Enfin, y a-t-il dans -toute l’histoire des révolutions de l’architecture quelque chose de -comparable à celle-ci, qui nous permette de dire: les anciennes furent -des sources de vie, la dernière doit en être une nouvelle et pour les -mêmes raisons. - -Or c’est très douteux.—Réduite à ses termes les plus simples, -l’architecture est l’art d’abord de cacher le ciel et la terre, le ciel -par le toit, la terre par les murs, et cela, non pour les cacher, mais -pour se préserver de leurs intempéries. Ensuite, une fois que le plus -nécessaire est fait, l’architecture est l’art de laisser apercevoir -au dedans le plus de choses possible de la terre et du ciel, par les -fenêtres ou par l’atrium. Ainsi, avant tout, l’architecture est un toit -et un mur: après seulement, c’est une fenêtre. Le progrès des temps -a été de donner à cette fenêtre, sans nuire à la solidité du reste, -le plus d’ouverture et le plus d’agrément possible. Ç’a été aussi -d’étendre ce trou et d’élargir ces murs, de façon que, sans empêcher -qu’ils protègent, on oublie qu’ils emprisonnent. Mais si grand que -fût ce progrès, il ne parvenait pas et il ne serait jamais parvenu, -avec les matériaux anciens, à renverser absolument la proportion des -pleins et des vides. Si hardis que fussent les arceaux gothiques dans -leurs ascensions, et si envahissantes que fussent les rosaces dans leur -floraison, ce qui donnait son caractère à l’édifice, c’était encore -le toit opaque et les parois pleines. Sur elles et en elles, toute -l’ornementation reposait et s’accumulait. Or, dans son dernier état, -réduite à des fils de fer et à des lames de verre, l’architecture ne -nous cache plus rien. De la galerie des Machines au palais du Génie -civil, des palais de l’Horticulture aux halls des chemins de fer, c’est -la leçon inscrite sur tous ces fers à T. Le fer est un support, ce -n’est pas une surface. - -De là, plusieurs grandes conséquences. - -Avec la pierre, tout l’effort de l’artiste tend à évider sans détruire: -avec le fer, à remplir sans incommoder. Avec la pierre, toute son -industrie consiste à pratiquer des vides pour plaire à l’œil sans -nuire à la stabilité: avec le fer, à construire des pleins pour plaire -à l’œil et qui sont inutiles. Autrefois, on faisait des pleins par -nécessité et des vides par élégance. Aujourd’hui, on fait des vides -par nécessité et des pleins par élégance. En sorte qu’on peut bien -parler d’«Architecture de fer», mais, si l’on admet cette définition -que les pleins sont les parties essentielles de l’architecture, il -faut avouer que le fer fait bien mieux que de modifier l’architecture: -il la supprime. Il ne laisse plus que les vides. On peut assurément -remplir ces vides avec de la pierre, de la brique, et peut-être avec -du céramo-cristal ou de la terre cuite. Mais alors, ce n’est plus de -l’architecture de fer. Réduit à sa matière nécessaire et apparente, le -fer, en supprimant l’obstacle à la vue, supprime l’objet de la vue, -c’est-à-dire apparemment quelque chose de considérable en esthétique. - -C’est la dernière évolution de cet art autrefois si riche, si touffu, -si fleuri. La voûte, semblable à celle d’une forêt, parvenue à -l’hiver de l’architecture, laisse tomber ses feuilles. Les caissons, -les moulures de la Renaissance sont tombés: tombées les floraisons du -Moyen Age, tombés les amours, les carquois, les babioles mythologiques -du rococo, l’âge des choses recroquevillées comme des feuilles mortes. -Aujourd’hui, de ces forêts vivantes, il ne reste plus que les branches -toutes nues: les branches du fer se profilant seules sur le ciel -lumineux et changeant. - -Aussi ne peut-on pas dire que, dans la substitution du fer à la pierre, -il n’y ait qu’une révolution semblable à la substitution de l’ogive au -plein cintre ou de la pierre au bois. Il y a, à la fois, plus et moins. - -Il y a plus, car, avec les anciens matériaux, les supports comme -les frises étaient de la même famille. Dans la pierre, tous ces -matériaux—os, muscles et peau—sont même substance. Dans la maison de -fer, les os seuls sont de la même substance. Or, il faut au monument -autre chose que des os: il faut des muscles, il faut un épiderme. A -ce moment-là donc, dès que l’ossature est terminée, il faut, de toute -nécessité, changer de matière, ce qu’il ne fallait pas nécessairement -avec la pierre ou le bois. Admirable pour supporter quelque chose -d’autre que lui-même, le fer ne peut recouvrir ce qu’il protège. -C’est un bras, le plus fort de tous les bras, ce n’est pas un corps -organisé. La nature, qui construit les montagnes,—ses monuments à -elle,—en pierre et les décorations superficielles de ses montagnes en -bois, ne construit pas avec du fer. Elle contient le fer ou la matière -du fer, mais comme une armature profonde et cachée. - -Mais que le fer ne soit pas «monumental», au sens que nous donnions -autrefois à ce mot, qu’importe, s’il est esthétique? Et que la -révolution qu’il annonce soit plus grande que toutes celles que -l’architecture a déjà vues, qu’importe, si elle est féconde? Telle -est la pensée des novateurs. Et ils se félicitent de voir le nouveau -venu bouleverser si fort les habitudes de l’ancienne architecture, -comme d’un gage évident d’une plus complète rénovation. Car le mal -de notre art, disent-ils, est précisément dans cet attachement aux -anciennes formules. Il est dans cet entêtement à vouloir faire dire au -fer ce qu’il n’est pas fait pour exprimer et à repousser, comme trop -inattendu, ce que naturellement il exprime. Saisissons, au contraire, -l’enseignement qu’il nous donne. Conformons-nous à sa nature, suivons -sa direction. Modelons nos conceptions d’après ses propriétés -nouvelles, et dérivons les formes monumentales nouvelles de son emploi -judicieux. - -Mais, ici, nous allons trouver que la révolution produite par l’emploi -du fer, si elle est immense au point de vue des services rendus, est -beaucoup moins importante au point de vue des formes ou des lignes -accusées. Et que le fer, bien loin qu’il bouleverse trop ces formes ou -ces lignes, ne les bouleverse point assez pour les rénover et qu’il -prend de lui-même, d’après le calcul des forces et la rigueur des -courbes ou des angles qu’il indique, les mêmes courbes que donnait la -pierre. Il suffit, pour s’en assurer, d’aller avenue de La Bourdonnais -et d’entrer dans la galerie des Machines. Voici une voûte qui couvre -48 000 mètres carrés, portée par des fermes de 115 mètres, sans une -colonne, sans un tirant. C’est là plus qu’un monument: c’est une voûte -céleste sous laquelle on peut édifier cent monuments et, de fait, en -1900, nous y avons vu les toits de toute une ville. Certes, ni la -substitution de l’ogive au plein cintre, ni la substitution du plein -cintre au linteau, n’ont donné au constructeur une puissance aussi -formidable. Bien. Maintenant, considérez la forme de cette voûte, de -ces fermes, où l’architecte n’a voulu imiter aucune forme ancienne, -mais a suivi simplement les indications du calcul. Il vous semble -bien que vous l’avez déjà vue: c’est l’_ogive surbaissée_. Elle est, -sans doute, gigantesque. C’est la plus grande ogive surbaissée qu’on -ait jamais dessinée. Mais le chiffre ne fait rien à l’affaire et une -forme n’est point nouvelle pour être tracée sur une échelle plus grande -que par le passé. Rappelez-vous, maintenant, ou considérez toutes les -courbes nécessitées, fournies naturellement, sans désir d’esthétique -et sans prétention à reproduire ni à inventer, par les auteurs des -principaux monuments de fer: le palais des Arts libéraux en 1889, et -celui du Génie civil en 1900; le pavillon de la République du Chili en -1889, les palais de l’Exposition de Chicago, l’église de la Trinité, -la bibliothèque Nationale et la bibliothèque Sainte-Geneviève, la gare -Saint-Pancrace à Londres, le hall de l’hôtel Terminus à Paris, la gare -de Cologne, et vous verrez que, dans toutes ces courbes que donne le -fer pour soutenir un toit,—ce qui est la principale fonction et le nœud -de toute architecture,—on retrouve: - - L’ogive surbaissée, - - L’arc en anse de panier, - - L’arc bombé, - - Le plein cintre brisé, - -toutes formes que la pierre a fortement exprimées depuis des centaines -d’années,—ou bien le fronton à arbalétriers droits qui répète -exactement le dessin fourni par les poutres de bois dans les plus -humbles maisons de nos villages et dans les plus anciennes _Adorations -des bergers_ de nos musées. - -Quelle est donc cette nature «nouvelle», qu’on affirme qu’il faut -respecter, et quel est cet enseignement essentiel qu’on prétend -qu’il faut suivre? Il est bientôt dit que le fer ne doit pas imiter -la pierre, mais ce qu’on devrait nous indiquer, c’est ce qu’il nous -suggère au point de vue des formes, qui ne soit contenu dans la pierre -et qu’elle ne signifie pas mieux que lui? Il est bientôt dit qu’il faut -accepter franchement les formes nouvelles qu’il nécessite, mais ce -qu’on ne nous dit pas, c’est ce qu’il nécessite de formes nouvelles, -car nous avons bien vu ce que le fer _supprime_ d’une construction, -mais non pas ce qu’il _y apporte_; et enfin, c’est une opinion à -laquelle nous souscrivons volontiers, que, pour dégager sa beauté, il -faut laisser agir librement sa nature, mais, encore un coup, que fait -sa nature, quand on la laisse agir librement? - -Or, il le faut avouer: elle ne fait rien, car le fer n’a pas de nature, -ou plutôt sa caractéristique même, ou, si l’on veut, sa nature, c’est -précisément de n’en point avoir! Oh! ce n’est point qu’il oppose à -l’artiste plus d’obstacles que la pierre! C’est précisément l’inverse! -Avec le fer, l’artiste modèle son monument sur la forme qu’il veut, -car le plus résistant des matériaux est aussi le plus souple. Il peut -bâtir un hall avec plus de colonnes qu’une forêt n’a de fûts, une -basilique avec autant de coupoles qu’une framboise a de graines: Zara -ou Sainte-Sophie ne sont qu’un jeu pour lui. Sous ses doigts le fer se -tresse comme, sous les doigts du vannier, la paille. Quand on voit les -charpentes des maisons métalliques, on songe aux _lento... alvearia -vimine texta_, que décrit le poète. Et, en effet, ce sont bien des -ruches et des corbeilles renversées qui semblent posées sur les bords -de la Seine, dans les palais de l’Horticulture et de l’Arboriculture, -des nasses d’osier tirées hors de l’eau sur les bords du fleuve, où -elles paraissent guetter un poisson monstrueux. - -Le fer peut se prêter à plus de fantaisies encore. Avec lui et avec les -autres progrès qu’il rend possibles, n’importe qui peut, n’importe où, -bâtir n’importe quoi. Il triomphe donc de toutes les lois historiques -de l’architecture et les renverse. - -Longtemps l’architecture, comme la plante, naissait du sol et -s’accommodait au ciel du pays où on l’avait conçue. Le ciel influait -et pesait sur la forme de ses toits, pendant que, de la terre qui en -fournissait les matériaux, jaillissaient ses murs. Ainsi, la nature du -sol en dictait jusqu’à un certain point la forme et l’ornementation. -La possession du [Greek: leukos lithos] par les Grecs fut la première -condition de leur art; de même, l’existence des carrières de marbre -coloré, près de Vérone, et de marbre blanc et de serpentine verte, -entre Pise et Gênes, a influencé toute l’architecture gothique dans le -nord de l’Italie, comme l’argile de la terre d’Iran est la condition -première des admirables terres cuites des monuments de Susiane. Le -_quid quæque ferat regio et quid quæque recuset_ de Virgile était, -jadis, une formule aussi juste en architecture qu’en agronomie. - -Aujourd’hui, tout est changé. Déjà, le toit a perdu son caractère -indicatif du climat. Dans toutes les villes modernes de toutes les -régions du globe, il se réduit et s’égalise selon la coupe uniforme -des _brisis_. Et le mur ne naît plus de la terre, ne reproduit plus -les carrières de sa région, du jour où le fer, qui est quasi le même -partout, l’a remplacé. - -Plus puissant que le tailleur de pierre sur ce point, le manieur de -fer l’est encore sur d’autres. La lutte entre la pesanteur et la -résistance, qui constitue, comme l’a très bien vu Schopenhauer[3], -l’intérêt esthétique de la belle architecture, n’est pour lui qu’un jeu. - -Seulement, s’il est vrai que la tâche de l’artiste soit de faire -ressortir cette lutte d’une manière complexe et parfaitement claire, -plus le jeu est facile pour lui, et plus l’expression d’un effort qu’il -ne fait pas lui est malaisée. A mesure que l’acier se perfectionne, -sa propriété ou sa faculté et, par conséquent, la tendance logique -de son employeur est de réduire de plus en plus les formes de la -construction. Non qu’on puisse amincir indéfiniment les fermes d’un -édifice. Il est un point au delà duquel un support ne peut plus être -réduit, de quelque matière perfectionnée qu’on l’imagine, car il ne -se supporterait plus lui-même. Mais parce qu’aujourd’hui, avec des -fermes de même épaisseur qu’autrefois, mais de meilleur acier et de -plus d’homogénéité, on peut allonger davantage des courbes, recouvrir -des espaces beaucoup plus grands: l’épaisseur n’augmentant pas quand -la portée s’étend, cela équivaut, pour l’œil, en somme, à réduire -l’aspect de la construction. Toute la nature du fer consiste donc à -accuser moins les formes qu’accusait la pierre, sans en accuser de -nouvelles que la pierre n’accusait pas. Il remplit la même fonction que -la pierre, mais il ne montre pas aux yeux qu’il la remplit. Pour qu’on -l’aperçoive, pour qu’on distingue où porte l’effort, l’architecte est -obligé d’exagérer, artificiellement et sans nécessité, les dimensions. -Il faut qu’il renfle le dessin de sa ferme là où elle a le principal -poids visible à soutenir, et qu’il marque, par quelque ornement voulu, -le point où se trouve la rotule. Mais ni ce renflement, ni cet ornement -ne sont indiqués par le fer, comme l’importance et l’ornementation de -la clef de voûte, par exemple, l’étaient par la pierre. L’architecte -les choisit à sa guise. Le fer ne lui dicte rien, parce qu’il n’oblige -par lui-même à aucun style particulier de construction. Il peut les -reproduire tous et il n’en produit spécialement aucun. Il a le défaut -des esprits assimilateurs à l’excès: il n’est pas créateur. C’est le -Protée des matériaux. Admirable pour supporter quelque chose d’autre, -il ne se manifeste point aux yeux par lui-même. Précisément parce qu’il -_permet_ tout, il n’_ordonne_ rien. - -Et pourquoi le fer n’a-t-il pas de caractères esthétiques à lui? -Pourquoi n’a-t-il pas de nature? Nous touchons à la raison et à la -cause profondes qui distinguent le fer de tous les matériaux employés -jusqu’ici. Ceux-là étaient naturels; celui-ci est artificiel. - -La pierre, comme le bois, est une matière directement tirée de la -nature. L’architecte peut en changer la forme, non la substance. Il -peut poser la pierre en «délit»; il peut la polir; il peut l’évider. -Mais la même âme continue d’habiter cette matière et de lui donner sa -vie: âme formée lentement, avant les premières âmes humaines. Le fer, -lui, est formé d’hier. Il est une transformation faite sous la main -de l’homme. Il est un mélange de minerais divers, tirés de diverses -régions. Il a été fondu, coulé, converti, laminé. Il ne tient plus à -la nature. Le fil qui le reliait à elle est coupé. Il lui est devenu -étranger. Vous ne pouvez plus compter sur les forces et les beautés -naturelles pour l’animer encore. Il n’y a plus, dans le fer, les nœuds -du bois, qui sont des obstacles, ni la direction des fibres, qui sont -des entraves, mais qui sont des guides. Ici, tout est égal, tout -est uniforme, docile, prêt à prendre n’importe quelle figure. Rien -n’indique une figure plutôt qu’une autre, rien ne la suggère, rien ne -l’appelle, rien ne la fuit. C’est à la fois le triomphe du progrès -scientifique et son châtiment. Car, en même temps que vous avez dominé -les résistances de la nature, vous avez perdu son enseignement. En art, -comme ailleurs, on ne s’appuie que sur ce qui résiste. - -Oh! sans doute, maintes fois dans l’Art, on s’est servi de matériaux -qui n’avaient point de nature propre plus que le fer: la brique ou -le stuc, par exemple, et l’on a fait des chefs-d’œuvre. Mais des -chefs-d’œuvre de fantaisie et non de logique. Jamais on ne leur a -demandé de dicter des formes «spécifiques», et bien au contraire ce -sont les formes les plus artificielles issues de l’imagination humaine -qu’on leur a imposées. Et les dentelles ou les «nids d’abeilles» de -l’architecture arabe, pour ne citer qu’un exemple, sont les choses les -moins logiques du monde, puisque, sous des poutres horizontales, on -a dessiné des arcs fictifs qui n’ont rien à porter, puisque la voûte -et l’arcade qui semblent les soutenir ne sont que des superfluités -ornementales, des mensonges architecturaux, dérivés de matières -toutes différentes: l’ogive inspirée de la pierre et les dentelures, -du bois, et qu’enfin, l’artiste a joué de la matière malléable qu’il -maniait sans aucun souci de la nature particulière de cette matière et -n’écoutant que sa fantaisie! - -Puis donc que vous ne pouvez plus compter sur les forces et les -beautés naturelles du fer pour l’animer encore—et la preuve, c’est -que les ruines du fer ne sont que des détritus, quand les ruines -de la pierre—regardez les gravures de Piranese—sont encore des -monuments,—c’est à vous de lui donner une âme en échange de l’âme -naturelle qu’il a perdue. Il faut, puisque toute sa substance a été -formée par l’homme, que l’homme aussi se charge de sa beauté. Vous -astreindre ou vous restreindre aux formes strictement nécessitées -par le calcul des forces, c’est retourner aux formes de la pierre ou -bien vous résigner à ne plus montrer de formes du tout! Vous borner à -l’utile pouvait être bon avec les matières anciennes: avec la nouvelle, -vous devez viser au superflu. Que seraient les admirables grilles de -Jean Lamour, s’il s’était laissé conduire par la logique? Avec le -fer, il n’y a de salut que dans l’exubérance, dans la végétation même -parasite, même folle, que dans la richesse! Pourquoi ne pas quadrupler, -par exemple, les pieds-droits qui supportent les arbalétriers, les -évider davantage et en multiplier les lignes ornementales sur quatre -faces plates, mais ajourées; pourquoi ne pas suspendre des dentelles -et des forêts de fer aux voûtes. Pourquoi ne pas déployer les fleurs -et les feuilles, les branches et les rameaux qu’on ne pouvait projeter -au loin avec la pierre ni, sur une grande dimension, avec le bois? -Pourquoi, en un mot, quand on manie du fer ne pas tenter de la -_ferronnerie_? Que les artistes saisissent donc l’outil géant et qu’ils -le plient à la colossale besogne! Qu’ils rêvent et qu’ils osent! Mais -qu’ils ne comptent donc pas sur sa «logique». Qu’ils ne comptent que -sur leur propre enthousiasme. Si les poutrelles, les mailles, les -treillis, les entretoises de fer ne sont qu’une ossature, si ce n’est -qu’une pile d’ossements inertes, c’est l’artiste qui doit dire, comme -Ézéchiel dans le cantique fameux: «Je vais envoyer un esprit en vous, -et vous vivrez. J’étendrai sur vous des nerfs, j’y formerai des chairs -et des muscles, je les revêtirai de peau, je vous donnerai un esprit, -et vous vivrez. Esprits, accourez des quatre points de l’horizon, -soufflez sur ces morts, et faites qu’ils revivent!...» - - - - -DEUXIÈME PARTIE - -LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME - - - - -LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME - - -L’Impressionnisme a déposé son bilan. Vous le trouverez, au Luxembourg, -dans la salle Caillebotte. Il a aussi figuré à l’Exposition de 1900, et -dans les multiples occasions où M. Durand-Ruel rassembla, pour notre -édification, des meules mémorables et de surprenantes cathédrales. - -Plusieurs musées étrangers, à Berlin, à Amsterdam, en contiennent des -morceaux, des chapitres ou des justifications, et des collections -particulières réunissent assez d’œuvres des maîtres impressionnistes -pour qu’on puisse porter maintenant un jugement précis sur ce mouvement -d’art contemporain. - -Ce serait une injustice de juger tout l’impressionnisme par quelques -exemples, si bien choisis soient-ils. Mais c’est peut-être une -injustice aussi que de laisser plus longtemps les partisans de cette -École couvrir de mépris les maîtres d’hier, sans nous aviser de -regarder ce qu’à leur tour ils ont produit et sans nous demander si -ce mouvement, qui fit tant de bruit, a fait aussi quelque besogne. -C’est notre droit de ne plus permettre, après trente ans écoulés, que -l’Impressionnisme se borne, pour affirmer son existence, à montrer -les défaillances des Écoles anciennes, et, pour élever son monument, -à entreprendre des démolitions.... C’est pourquoi, sans le juger -uniquement d’après la salle Caillebotte, mais en y prenant la plupart -de nos exemples, nous allons rechercher ce que ce mouvement a produit: -quel fut son point de départ et quel est son point d’arrivée, si ce fut -une fantaisie et une gageure de quelque ambitieux, ou, au contraire, -s’il répondait à un ensemble de conditions nouvelles du pittoresque -dans la nature et dans la vie, si ce fut un mouvement méprisable -ou un effort vaillant, si cet effort a conduit à un succès ou à un -avortement, s’il a réussi, à quoi? et s’il a avorté, pourquoi?—en un -mot, à dresser son bilan. - - - - -CHAPITRE I - -Ses causes. - - -Lorsqu’un matin de 1877 éclata, rue Lepeletier, la première grande -révolte impressionniste, ce fut, dans le public, un éclat de rire, mêlé -de cris d’horreur. On avait vu, çà et là, des tentatives collectives -de ces révolutionnaires et l’on en avait déjà discuté, mais ils ne -s’étaient pas révélés encore avec cet ensemble, cette audace et cette -discipline qui, d’une foule, faisait une armée. Les vieux peintres, -eux, ne riaient pas. Beaucoup considéraient ce spectacle, avec le -désespoir morne, l’abattement profond qu’ont les patriciens romains -devant leurs villas envahies par les Huns, dans le tableau de M. -Rochegrosse. Que va-t-il advenir, se disaient-ils, des meubles précieux -qui ornaient nos paysages académiques, des couleurs délicates qui -les embellissaient, de la vie douce qui s’écoulait sous les arbres -de M. Paul Flandrin, dans la compagnie des pasteurs de M. Gérome? -Quelques-uns, aussi vieux, mais plus sages, considéraient ces paysages -inconnus, l’un après l’autre, avec d’obscures velléités de voyage -et d’émancipation, comme on se figure les Espagnols du XVI^e siècle -regardant les vélins que déployaient devant leurs yeux les Juan de la -Cosa et les Hojeda, révélation d’un autre hémisphère, terres nouvelles, -terres de soleil et d’or.... Mais la plupart de ceux qui visitèrent -cette exposition n’y virent qu’une gageure d’artistes affamés de bruit -et qu’une fantaisie de jeunes gens pressés de se divertir aux dépens de -l’Institut. - -Ce n’était cependant pas une gageure. Rien, au contraire, de plus -logique, rien de mieux préparé, presque rien de plus inévitable que -cette apparente fantaisie. C’était en réalité une réaction et—en -dépit des sujets qui cachaient son sens profond—c’était une réaction -idéaliste. Elle était amenée par deux choses: par le désir de peindre -la vie moderne et par l’impossibilité d’en faire une représentation -réaliste. Elle naissait forcément des conditions pittoresques -nouvelles de la nature telle que nous l’avons déformée. Elle s’alliait -par d’obscures affinités aux tendances analytiques de l’esprit -contemporain et répondait fort exactement, quoique inconsciemment, aux -nouvelles conceptions panthéistes. Ce serait une profonde injustice -que de comparer ces chercheurs à aucun de ceux qui, depuis, se sont -disputé le succès d’une saison: les symbolistes, les «inquiets», les -rose-croix ou les «peintres de l’âme», c’est-à-dire proprement de -rien. L’Impressionnisme apportait aux artistes épris de réalisme et -de modernité le seul moyen d’idéaliser ce réalisme et de sauver cette -modernité. - -En effet, l’idée qui dominait toute la critique, il y a trente ans, -à l’époque du réalisme, était que l’artiste devait «peindre son -temps». Notre temps, disait-on, est aussi digne d’être représenté -par l’art que celui des héros et des dieux. Il n’offre pas des -spectacles moins intéressants, ni des formes moins belles. D’ailleurs, -il n’y a pas de formes belles en soi: il n’y a que des formes plus -ou moins révélatrices de la vie, de la civilisation, du caractère, -de la pensée. Si nous trouvons plus beau le peplum que la redingote -et plus pittoresque le lampion que le haut de forme, c’est habitude -des yeux et mirage du passé. L’usine vaut le temple, l’habit vaut le -pourpoint, et la locomotive, le cheval de Phidias. Il n’y a pas de -hiérarchie dans les «sites». A quoi bon faire le voyage d’Italie, -même de Bretagne? «Pourquoi ces peuples?» Le beau est à nos portes: -Chatou, Ville-d’Avray, Clamart, valent tous les horizons de l’Oberland -ou de Taormine. Il n’est même pas besoin d’aller si loin: les -fortifications, la banlieue, les couches, les gazomètres, un train de -ceinture qui passe, un chiffonnier qui songe en son gîte, un «petit -bourgeois qui peint sa porte en vert». Voilà ce que l’art vraiment -vivant doit représenter. - -Les artistes ont écouté ces théories. Ils sont allés regarder les -couches, le train qui passait, le petit bourgeois qui peignait sa porte -en vert,—et ils les ont trouvés fort laids. Mais tout enflammés par -les suggestions de la littérature, ils ont proclamé que c’étaient là -des sujets très sortables, et qu’il fallait dorénavant s’y dévouer. -Seulement, comme ils étaient réellement artistes, voici que, tout en -peignant ces formes, ils se sont mis en devoir de les transformer -entièrement. - -A la vérité, la transformation n’était pas facile. - -Puisqu’on ne voulait plus ni composition, ni arrangement, ni symboles, -ni «stylisation», puisqu’il fallait que l’art représentât des choses -laides en soi, des lignes monotones ou prétentieuses, comment modifier -l’aspect absurde et le décor trivial? Un seul moyen restait aux -réalistes pour s’évader du laid réel: la couleur. - -La couleur, en effet, demeure dans le décor de la vie moderne aussi -belle, aussi variée, aussi riche d’effets qu’aux plus grandes époques -du passé. Le paysage d’aujourd’hui est aussi coloré que celui -d’autrefois. Il l’est peut-être davantage, car l’industrialisme et le -progrès, qui ont détruit tant de belles lignes dans nos campagnes, -ont rarement supprimé de belles couleurs. Le plus souvent, au -contraire, ils ont ajouté à la variété des teintes. Si vous observez, -dans la nature, quelque paysage poussinesque, dont les maisons, les -vide-bouteilles, les usines, un pont, un tramway, sont venus détruire -l’harmonie linéaire, vous trouverez toujours que ces nouveautés ont -accru la variété et l’éclat de son harmonie coloriste: les rouges -des tuiles, les noirs fins des ardoises, les jaunes frais de la -terre fraîchement relevée en talus ou les sections saignantes des -terres rougeâtres, les verts beaucoup plus riches et plus variés des -cultures maraîchères succédant à la monotonie de la grande culture, -les blancs crus des viaducs neufs, les dos noirs des usines et même -les tremblantes colonnes de leurs grises fumées, ajoutent à un paysage -dévasté par l’industrialisme des colorations gaies que ce paysage, sans -lui, n’aurait pas connues. Quand le peintre du moyen âge s’en allait -à la campagne, il trouvait de plus belles ordonnances de lignes que -nous, mais non pas autant de couleurs. Il n’apercevait, parmi le vert -toujours semblable du même arbre, ni assurément les plantes exotiques -et d’agrément qui égayent nos jardins, ni même une foule d’arbres -comme le vernis du Japon, l’acacia, le platane, le marronnier ou le -mûrier, qui font partie intégrante de nos paysages modernes. La maison -de chaume, qu’on voit encore dans les paysanneries des Le Nain, était -moins colorée que la ferme couverte de tuiles que peint M. Sisley. -En mer, une bouée rouge avive un vert glauque d’eau. Il n’est pas -jusqu’aux affiches, aux écriteaux de couleur crue, dont la réclame gâte -les lignes de nos paysages qui, vus de loin, ne fournissent des touches -piquantes pour relever la monotonie des verts. Plus la civilisation -s’empare d’un coin de la nature, plus elle le colore. La campagne du -XVII^e siècle était monochrome comme une botte de foin; celle du XX^e -siècle sera variée comme un bouquet de fleurs.... - -Dans nos villes, le phénomène est moins évident. Tant que dure le jour, -nos rues, attristées par la foule noire des peuples modernes toujours -en deuil, ne fournissent pas au peintre plus de couleurs que les rues -bariolées de jadis. Mais quand vient la nuit, éclate une floraison -inconnue de nos pères. Quand, un soir d’hiver, avec la pluie, on passe -sur la place du Carrousel, on voit une orgie de diverses lumières se -traîner et s’éparpiller dans l’eau où se mêle le sang des lanternes -d’omnibus, qui éclabousse le pavé, l’or des becs de gaz, qui se -liquéfie dans les flaques, la neige des lampes électriques qui fond et -se dilue sur toute la surface humide, les vers luisants des fiacres, -qui sautillent de flaque en flaque, et sous cette clarté fade, les -carapaces des coupés vernis qui font reluire, çà et là, des arêtes -d’argent. La nature et la vie de nos cités pouvaient donc servir de -thème à de vrais artistes, pourvu qu’en dissimulant la ligne, ils -exaspérassent la couleur. - -C’est ce qu’ont fait les impressionnistes. Ils ont bien représenté, -selon la formule réaliste, les spectacles de la vie moderne, mais en -les éclaboussant de tant de couleur, qu’on ne les reconnaît plus. -Quand la nature était laide, ils ont tâché de la dissimuler à l’aide -de la nature même. Ils ont demandé au soleil d’effacer les lignes -disgracieuses, comme autrefois on l’aurait demandé à l’ombre. Et -quant à notre vêtement noir, uniforme, aux inexplicables élytres, -quant à ce chapeau que Mallarmé appelait «quelque chose de sombre et -surnaturel», les impressionnistes les ont bien représentés, puisqu’il -était entendu que toute forme est également noble et toute couleur -également plaisante, mais ils les ont mis sous un soleil si ardent avec -M. Renoir ou à de si fantasques clartés de rampe et de herse, avec M. -Degas, que l’habit tout violacé de coups de soleil, le chapeau tout -cabossé de reflets artificiels, ne conservent plus ni leur ingrate -forme primitive, ni leur monotone couleur. - -Ce point a été très clairement aperçu par M. Henry Naegely, tandis -qu’il burinait la grande figure de Millet d’un trait plus profond et -plus sûr que les sculpteurs du monument de Barbizon: «Sans doute, -dit-il, une nouvelle et très intéressante perception des effets du -rayon solaire est le trait le plus frappant de la peinture moderne, -perception basée sur l’observation, mais basée, je crois, plus encore -sur le désir inné, violent, quoique seulement à demi conscient, de -donner quelque splendeur légitime aux choses sordides et vulgaires qui -nous entourent aujourd’hui[4]...» Parmi ces choses, est la locomotive -dont on nous avait dit, en prose et en vers, qu’il n’y avait pas de -raison pour qu’elle fût exclue de l’art, car elle représentait la -civilisation en marche. Et, en effet, il n’y avait pas d’autre raison -que celle-ci,—qu’elle était inesthétique. Les impressionnistes se sont -attaqués à ce problème et l’ont résolu de la façon la plus simple. Sous -prétexte de mieux montrer les lumières reflétées par le monstre, ils -ont caché le monstre. - -Déjà Turner, dans son fameux _Grand chemin de fer de l’Ouest_, avait -trouvé ce moyen de faire entrer dans l’art les formes de l’industrie -moderne. Les impressionnistes l’ont suivi. Il n’est besoin que de voir -à la salle Caillebotte, au Luxembourg, la _Gare Saint-Lazare_ de M. -Monet ou son _Pont de l’Europe_, pour constater cette loi. Pas une -ligne n’est ici visible, pas un engin industriel n’y est représenté -dans sa forme. Tout n’y est que couleurs, sous un soleil éblouissant -qui les surexcite, sous des fumées qui les mélangent et dans un -mouvement qui les fait vibrer. Les tirants des combles de la gare sont -d’or, les locomotives de saphir, les wagons d’émeraude. En sorte que -la théorie moderniste voulant que toute forme moderne soit esthétique, -du moment qu’elle reproduit les besoins et les aspirations de la vie, -s’est réduite pratiquement à cacher cette forme sous d’éclatantes -couleurs. Et après avoir démontré, par de beaux syllogismes, qu’une -gare de chemin de fer était aussi digne d’être représentée que les -ruines de Tivoli ou que le temple de Vesta, les modernistes n’en ont -pu faire un beau tableau qu’à la condition d’en brouiller toutes les -lignes sous des flots d’une vapeur lumineuse, qui, elle, n’a rien de -plus moderne que le soleil lui-même d’où elle tire toute sa beauté. - -De là, leur nom d’impressionnistes. Ils le prirent, dit-on, pour -relever une injure qui leur était adressée par leurs détracteurs -et dont ils se firent leur titre de gloire, comme les révoltés des -Pays-Bas s’en firent un de l’injure de «gueux». On la leur jeta comme -une pierre: ils s’en parèrent comme d’un joyau. Il se peut que cette -histoire soit vraie, mais elle n’est nullement indicative de leur -rôle. Si ces peintres méritent le nom d’impressionnistes, c’est, qu’en -effet, ce qu’ils cherchèrent à reproduire de la nature c’était non pas -la substance qu’elle annonce, mais le rayonnement. Ils ne prétendaient -qu’aux qualités que donne la vision juste, mais hâtive d’un effet -éclatant, mais fugitif. Ils ne se chargeaient point de nous fournir -tout le détail, tout l’agencement, toute la raison d’être des choses, -mais seulement l’«impression». - -Par là, ils se réservaient un avantage que connaissent bien tous ceux -qui ont fait des études d’après nature et qui, ensuite, ont voulu les -transformer en tableaux. Ce que l’analyse de l’atelier n’arrive pas à -débrouiller, la hâte de la pochade le synthétise; ce que le souvenir ne -fournit plus, la couleur prise sur le vif, devant la nature, le donne. -L’«Impression» est une admirable metteuse en scène et ce n’est pas -sans raison que Delacroix dans son _Journal_, en 1859, Champrosay, 9 -janvier, se promettait de réfléchir: «_Sur la difficulté de conserver -l’impression du croquis définitif..._». - -Inspirés par une idée juste de leur époque, inconsciemment pénétrés -du désir de l’idéaliser, servis par des organes très pénétrants -et très sensibles, enfin munis d’une retentissante étiquette, les -impressionnistes, les Renoir, les Monet, les Pissarro, les Cézanne, -les Sisley, pouvaient accomplir dans notre art du XIX^e siècle un rôle -utile. - - - - -CHAPITRE II - -Ses vérités. - - -«Ce fameux Beau que quelques-uns voient dans la ligne serpentine, -les autres dans la ligne droite, ils ne le voient tous que dans -les lignes. Je suis à ma fenêtre et je vois le plus beau paysage. -L’idée d’une ligne ne me vient pas à l’esprit. L’alouette chante, la -rivière réfléchit mille diamants, le feuillage murmure....» Ainsi -parle Delacroix dans une de ses lettres et cette réflexion nous -révèle à quel point l’idée du dessin l’emportait, autour de lui, -sur l’idée de la couleur. Le mot: «Je mettrai sur ma porte: _École -de Dessin_, et je formerai des peintres», dit par Ingres, résumait -à peu près tout l’esprit de l’enseignement. Même dans le paysage, -sous le fouillis des branches ou les averses du soleil, on cherchait -d’abord la ligne, l’exacte délimitation d’un plan par un autre, la -construction anatomique d’un arbre, le «beau feuillé». Par là-dessus, -se posait la couleur généralement forte, mais sagement contenue par -le dessin, respectant les limites posées par la ligne, les exagérant -parfois encore par ses contrastes, ne se permettant pas un éclat qui -eût brouillé l’ordonnance, comme un vers qui sur le suivant n’ose se -permettre le moindre enjambement. La révolution, commencée par Corot et -par les paysagistes de Barbizon, n’était point encore arrivée au point -où semblait le souhaiter Delacroix, car «l’idée d’une ligne» venait -encore à tous les esprits. C’est alors que parut Claude Monet. - -Regardez son _Église de Varangeville_, son _Champ de tulipes à -Sassenheim_, son _Antibes_, regardez les toiles de M. Renoir, de M. -Pissarro. On n’y voit pas plus de lignes que Delacroix n’en apercevait -de sa fenêtre. Et en plein soleil, il en est souvent ainsi. Dans le -miroitement des eaux, des feuilles, des rayons, lorsqu’il n’y a ni -solennelles constructions de beaux arbres au premier plan, ni grands -découpages de montagnes à l’horizon, dans les sites médiocres explorés -par nos modernistes, on ne perçoit rien autre chose qu’une harmonie -de tons. La nature est couleur plus que lignes: voici la première -découverte de l’Impressionnisme. - -La seconde est que les ombres mêmes sont des couleurs. Assurément les -coloristes, les Titien, les Rubens s’en étaient bien doutés. Mais la -foule des peintres l’avait oublié et l’école ne l’enseignait point. - -Or il suffit du plus rapide coup d’œil pour le reconnaître. Si quelque -objet coloré, placé près de votre fenêtre sous un rayon de soleil, vous -paraît divisé en deux régions, l’une lumineuse, l’autre ombrée, vous -êtes tenté de représenter ce côté ombré par un ton de charbon. Mais ne -vous hâtez pas de le faire. Placez devant le côté sombre quelque chose -de vraiment noir, le morceau de fusain, par exemple, avec lequel vous -alliez le dessiner: voici que, par comparaison, vous verrez briller -dans cette ombre, que vous pensiez noire, une couleur que votre fusain -sera impuissant à donner. Vous alliez peindre cela en noir et vous -auriez fait une ombre morte; dans la nature, pourquoi vit-elle? c’est -parce qu’elle est une couleur. - -Ceci est fort simple à voir, si, pour voir, on ne fait usage que de -ses yeux, mais l’éducation nous y met des lunettes, qui nous empêchent -de voir, comme elles sont, les choses les plus simples et, à force -d’avoir entendu faire des associations de mots comme: «l’ombre noire», -nous nous sommes accoutumés à prendre du noir pour exprimer l’ombre. -Même aux meilleurs artistes, il a fallu de longues réflexions pour -distinguer, avec leurs yeux, ce que l’éducation les empêchait de -sentir. Ce n’est pas en travaillant dans son atelier, mais en regardant -au dehors, que Delacroix écrivait, le 7 septembre 1856, dans son -_Journal_, ces mots qu’on ne saurait trop méditer: «Je vois de ma -fenêtre un parqueteur qui travaille nu jusqu’à la ceinture, dans la -galerie. Je remarque, en comparant sa couleur à celle de la muraille -extérieure, combien les demi-teintes de la chair sont colorées en -comparaison des matières inertes. J’ai observé la même chose, hier, -sur la place Saint-Sulpice, où un polisson était monté sur les statues -de la fontaine, au soleil, _l’orangé mat dans les chairs, les violets -les plus vifs pour le passage de l’ombre et des reflets dorés dans les -ombres qui s’opposaient au sol_. _L’orangé et le violet_ dominaient -alternativement ou se mêlaient. Le ton doré tenait du vert. _La chair -n’a sa vraie couleur qu’en plein air et surtout au soleil._ Qu’un homme -mette la tête à la fenêtre: il est tout autre qu’à l’intérieur: de -là, la sottise des études d’ateliers, qui s’appliquent à rendre cette -couleur fausse[5].» - -En même temps que Delacroix, au hasard de ses flâneries, découvrait -cette loi, voici que, loin de lui, un inconnu, un Anglais, la -découvrait aussi et l’enseignait, selon son habitude, impérieusement: -«Toutes les ombres ordinaires devraient être de quelque couleur, jamais -noires, ni approchant du noir, elles devraient être évidemment et -toujours d’une lumineuse nature, et le noir devrait apparaître étrange -parmi elles, comme, parmi une foule joyeuse et bigarrée, un moine[6].» -Et, quelques années plus tard, ce même Anglais qui enseignait à Oxford, -et qu’il faut bien me permettre de citer encore, puisque nul avant lui -n’avait prévu, et nul depuis lui n’a si clairement exposé la thèse -impressionniste, disait encore: «Tenez pour certain le fait que les -ombres, quoique naturellement plus sombres que les lumières, vis-à-vis -desquelles elles jouent le rôle d’ombres, ne sont pas nécessairement -des couleurs moins vigoureuses, mais peut-être de plus vigoureuses -couleurs. Quelques-uns des plus beaux bleus et des plus beaux pourpres -dans la nature, par exemple, sont ceux des montagnes vus dans l’ombre, -contre le ciel couleur d’ambre, et l’obscurité du creux dans le centre -d’une rose sauvage est un éclat de feux orangé dû à la quantité de ses -étamines jaunes. Or les Vénitiens virent toujours cela, et tous les -grands coloristes le voient et se séparent ainsi des non-coloristes ou -écoles de pur clair-obscur, non par une différence de style seulement, -mais parce qu’ils sont dans la vérité, tandis que les autres sont dans -l’erreur. _C’est un fait absolu que les ombres sont des couleurs autant -que les lumières_[7].» - -Les impressionnistes l’ont compris. Rompant bruyamment avec les -habitudes de l’École, ils ont fait les ombres non pas noires, non pas -grises, non pas jaunâtres, mais colorées, et comme la complémentaire -du ton le voulait souvent, ils les firent souvent violettes. Ce fut -un cri de stupeur. Personne, d’abord, ne voulut reconnaître là un -effet observé dans la nature. On parla de «gageure», de «puffisme» -et de «coups de pistolet». Dès savants vinrent gravement expliquer -qu’il n’y avait, au fond de tout ceci, qu’une maladie de l’œil et, à -la vérité, le violet impressionniste était bien un peu surprenant; -mais si l’on regarde la _Campagne de Rome_ de Paul Flandrin, on se -demandera en quoi les jaunes par où le paysage classique exprimait les -plantes vertes de ses premiers plans étaient plus naturels? Et, s’il -y avait maladie de l’œil chez ces jeunes gens qui voyaient tout en -violet, combien les savants physiologistes n’auraient-ils pas rendu de -services en découvrant la maladie qui avait permis au public pendant -si longtemps de voir le vert des prairies tout noir! Combien surtout -cette découverte fut vaine, puisque loin de guérir cette maladie chez -ceux qui en étaient déjà affectés, elle n’a pu l’empêcher de gagner -l’immense foule des peintres. Aujourd’hui, si vous vous promenez à -travers les _Salons_ des pays un peu arriérés ou les collections -particulières de nos amateurs, vous en verrez les traces, non seulement -chez les quasi-impressionnistes, comme M. Besnard, mais chez les -travailleurs les plus assagis, comme M. Henri Martin, chez Duez, dans -son _Déjeuner sur la terrasse_, chez les Romantiques attardés, non -seulement en France, mais au delà des Alpes, mais dans la «sécession» -d’Autriche, mais en Hongrie, mais dans les tableaux qu’on fait à -Christiania ou à Stockholm. - -De plus, ces ombres qui sont une couleur, sont-elles toujours de la -même couleur? Y a-t-il une couleur d’ombre comme Perrault pensait -qu’il y avait une «couleur de temps»? Non, car elles varient au gré -des objets lumineux qu’elles reflètent. Vous êtes dans une chambre où -le soleil qui décline éclaire presque horizontalement et embrase d’un -ton chaud tout un coin de la pièce. Votre interlocuteur oppose au rayon -lumineux son profil, de façon qu’une moitié de sa figure se trouve -dans l’ombre. Analysez cette ombre, vous y découvrirez une foule -de tons que n’a pas la chair: la couleur de la tapisserie éclairée -par le soleil. Placez sur cette tapisserie un livre rouge: la joue -s’enflammera comme auprès d’un brasier; vert, elle deviendra livide; -bleue, et elle se teindra d’une blancheur étrange. - -Dans les intérieurs d’appartements, toute surface réfléchissante -s’impressionne de même. Le marbre de la table d’un coiffeur est vert -sous le flacon de violette, rouge sous le flacon de quinine, et blanc -sous le flacon d’eau de Cologne. En plein soleil, sous les arbres, sur -les eaux, les reflets sont plus tyranniques encore. L’aile des mouettes -qui se balancent sur les eaux bleues se teint par-dessous des couleurs -qui se balancent au-dessous d’elles. Il y a, sur les bateaux qui font -le service des lacs en Suisse, un porte-voix de cuivre jaune qui se -recourbe légèrement comme une houlette au-dessus de l’eau bleue. Par un -chaud soleil, quand le lac est absolument bleu, si l’on considère le -dessous de ce porte-voix, on trouve qu’il est d’un vert criard, quand -le dessus est d’un jaune d’or: c’est le reflet des vagues.—Une vive -lumière peut éteindre la couleur propre d’un objet et lui en donner -une autre. Le 9 mai de l’année 1900, les passants qui considéraient la -Seine et l’horizon dentelé de l’Exposition vers six heures et demie -du soir, de la place de la Concorde, n’apercevaient qu’un brouillard -lumineux çà et là piqué de points d’or. Dans la splendeur du couchant -toute forme avait disparu; seulement le haut des deux mâts de la porte -monumentale brillaient à droite comme des torches qui commencent à -prendre feu. De l’autre côté de la Seine, deux dômes brillaient d’un -éclat exactement pareil: l’un appartenait au palais de l’Italie, qui -était tout doré, l’autre à celui des États-Unis, qui était blanc avec -de simples filets d’or,—et le soleil les confondait dans le même éclat. -Enfin, au-dessus d’eux, une cloche d’or suspendue dans un campanile -d’argent lui-même, soutenu en l’air par des forces invisibles, voilà -tout ce qui restait de la tour Eiffel.... - -Ainsi de la figure humaine. Dès qu’elle est plongée dans un milieu -composé de couleurs éclatantes et diverses, elle en reflète les -éclats et les diversités. Mille silhouettes sont formées sur elle -par les ombres des branches, par les lentilles de lumière: telles -des arabesques et des ramages sur un vêtement. Si vous regardez avec -attention la petite _Paysanne assise_ de M. Pissarro, vous apercevrez -que si la silhouette suivait les limites de la couleur, vous pourriez -réduire son bras à presque rien, car toute une moitié n’en est que la -continuation du ton de l’herbe. Et partout le paysage l’envahit et -la tatoue à tel point qu’elle est près de se dissoudre dans le vert -ambiant, selon la formule fameuse des _Déliquescences_: - - Ah! verte, verte, combien verte - Était mon âme ce jour-là! - -C’est de la peinture caméléonne. Les objets prennent les teintes des -milieux où ils sont plongés et, pour l’impressionniste, nous sommes -comme ces poissons qui changent de couleur selon les eaux qui les -reçoivent. Est-ce là une vue plus fausse de la nature? Est-il une -couleur immuable appropriée à une chose? Est-il un sentiment qui colore -d’une façon indélébile une âme? Le flot bleu, en arrivant contre un -récif, s’élève, se brise et devient blanc: c’est pourtant la même -eau;... l’angle d’une table noire, touché par le jour de la fenêtre, -se sertit de blanc bleuâtre: c’est pourtant le même bois;... un homme -d’un esprit sceptique, d’une volonté inactive, est saisi par l’amour ou -par la douleur et devient un poète ou un apôtre: c’est pourtant la même -âme.... Que la même substance se colore suivant le milieu de façons -différentes et que chaque couleur différente de ce milieu agisse en -même temps sur elle de façon à la partager, à la barioler, à la tatouer -si l’on veut, selon les mille hasards de l’ombre, du rayon, du reflet, -du nuage et de l’air, voilà qui n’est pas seulement une fantaisie -impressionniste dans l’art, mais une vérité profonde à la fois dans la -nature et dans la vie. - -Mais ce n’est pas tout. Les taches des reflets ne séparent pas -seulement une même figure en morceaux de différentes couleurs sur le -même plan, comme une mosaïque: elles en creusent aussi les surfaces -planes, et les sculptent en profondeur comme des bas-reliefs. Elles -varient les plans de cette surface plane de telle sorte qu’elles en -modifient complètement aux yeux la nature et la composition. Regardez -_La Loge_ de M. Renoir et vous verrez le plastron empesé du lorgneur, -qui est apparemment d’une matière dure, creusé par les taches d’ombre, -et repoussé par les reflets de lumière, de façon à présenter l’aspect -d’un agglomérat de coton. Parfois, donc, la lumière trompe absolument -sur la nature de l’objet représenté. Pour le reconstituer, il faut -faire appel au sens du toucher. Il faut que la main se porte sur -l’objet et, le palpant, nous rende la notion que sa forme primitive -subsiste sous les reflets contraires et les diverses couleurs. - -Maintenant, ces jeux de la lumière, ces actions et ces réactions -infinies des reflets, comment les analyser avec assez de finesse pour -les surprendre et les fixer avec assez d’éclat pour les retenir? -Cette atmosphère lumineuse, qui bouleverse les formes, interchange -les couleurs, par quel moyen subtil l’exprimer? Puisque ce n’est plus -la figure qu’il s’agit de délimiter dans l’espace, ni les arbres dont -il s’agit d’indiquer l’essence, puisque c’est la lumière qui devient -le principal personnage du tableau, comment peindre cette lumière -qui remplace dorénavant le sujet, l’action, la figure, le caractère, -et pétrissant à son gré tous les corps, enveloppant tous les plans, -reliant toutes les silhouettes, fondant toutes les couleurs, - - Semble l’âme de Tout qui va sur chaque chose - Se poser tour à tour?... - -C’est ici qu’intervient l’effort le plus audacieux, la trouvaille la -plus précieuse de l’Impressionnisme: la _division de la couleur_. - -Cette division, beaucoup de coloristes l’avaient indiquée. Ils avaient -déjà morcelé la touche. Vous trouverez la touche très morcelée avec -les reflets très papillotants chez Watteau, dans l’_Embarquement pour -Cythère_. Elle est morcelée aussi chez Chardin. Elle est balafrée, -striée, et parfois tourbillonnante chez Turner. Taine cite avec -raison le _Café Turc_ de Decamps et spécialement le mur de face, à -gauche, pour montrer que, pour les yeux de l’artiste, la tache est -en mouvement, car il s’y fait des flageollements, des stries. M. Paul -Signac a parfaitement établi, dans son vigoureux plaidoyer en faveur -des néo-impressionnistes[8], que le peintre du _Massacre de Scio_, lui -aussi, se préoccupa des moyens d’aviver la couleur par le morcellement -de la touche. - -Mais si l’on obtient ainsi plus de mouvement et plus d’air dans la -couleur, on n’en augmente pas l’éclat. Et, cependant, chacune des -couleurs dont on se sert est d’un éclat égal, sinon supérieur à -l’éclat de la couleur correspondante dans la nature; le vert sur la -palette est aussi étincelant que sur l’herbe. Pourquoi donc, une fois -mélangées et passées sur la toile, les couleurs baissent-elles de -ton? «Mélangées»,... c’est qu’elles sont mélangées! Et, apparemment, -c’est une inexorable loi de la peinture. Elles ne peuvent pas ne pas -l’être.... - -Claude Monet et Pissarro en étaient là de leurs réflexions, lorsqu’en -1870, ils allèrent à Londres et y passèrent de longues journées à -étudier les Maîtres anglais, Watts, Rossetti, Turner. En observant que, -dans certains tableaux de Turner vus de près, les couleurs apparaissent -presque pures, et que, de loin, cependant, l’ensemble des touches -composait une combinaison harmonieuse, les impressionnistes comprirent -pourquoi ces tableaux avaient un tel éclat: c’est que la couleur y -était posée par tons crus; et pourquoi ils avaient, malgré cette -crudité, une telle harmonie: c’est qu’elle était posée par tout petits -fragments ou par lignes très minces qui, de loin, n’apparaissaient -pas seuls, mais se mélangeaient pour la vue avec les lignes voisines. -Le mélange n’avait pas eu lieu sur la palette, ni même sur la toile: -il avait lieu sur la rétine du spectateur. C’est ce qu’on appela le -_mélange optique_. - -De ce procédé, qui n’est point constant ni même habituel chez Turner, -mais qui s’y trouve suffisamment indiqué, les impressionnistes -dégagèrent et rapportèrent toute une théorie. D’abord, ils -proscrivirent de leur palette les couleurs neutres et déjà rompues -comme les bruns, ne gardant que des couleurs vives: des jaunes, des -orangés, des vermillons, des laques, des rouges, des violets, des -bleus, des verts intenses comme le véronèse et l’émeraude. Réduits -à ces couleurs éclatantes qui se rapprochent de celles du spectre -solaire, ils s’interdirent encore d’en ternir l’éclat par des mélanges -sur la palette. Enfin, dans leur dernière évolution ils cherchèrent -à éviter non seulement le mélange sur la palette et dans la brosse, -mais même, jusqu’à un certain point, le mélange sur la toile, composant -les tons, le plus qu’ils pouvaient, par petits fragments purs, les uns -à côté des autres. Pour composer un violet, par exemple, la théorie -_divisionniste_ enseigne qu’il ne faut point prendre le violet sur -la palette, ni même mêler sur la toile du rouge et du bleu, mais -bien poser une touche de rouge, puis une de bleu, à côté, sans les -mêler, mais si près l’une de l’autre, qu’à une certaine distance l’œil -recompose le ton violet. - -C’est l’application exacte de la théorie enseignée en 1856 par Ruskin -et que M. Paul Signac a résumée, en 1899, en ces trois articles: 1^o -Palette composée uniquement de couleurs pures se rapprochant de celles -du spectre solaire; 2^o Mélange sur la palette et mélange optique; 3^o -Touches en virgules ou balayées. - -Assurément, ce programme, en passant de la théorie à la pratique, a -subi bien des accommodements. Ni Claude Monet, ni même M. Pissarro ne -l’ont absolument appliqué. D’ailleurs, ils n’avaient jamais prétendu -l’appliquer et ce n’était là qu’une suggestion pour l’avenir ou, si -l’on veut, un idéal. Mais si nous regardons la _Vue de Rouen_ de M. -Camille Pissarro ou l’_Argenteuil_ de Claude Monet, nous verrons -qu’autant qu’une suggestion peut être suivie, celle-là le fut par ces -peintres, et devant ces deux exemples, les plus prévenus conviendront -qu’elle a conduit à un admirable résultat. L’éclat de ces eaux, -la vibration de cette lumière, la palpitation de ces reflets, la -légèreté de cette atmosphère fine, l’harmonie douce de ces tons dont -chacun est violent, tout prouve que l’Impressionnisme a apporté ici -une affirmation vraie. La _Danseuse_ de M. Renoir est une merveille -d’harmonie. Regardez, au Luxembourg, _les Bords de la Seine_ de -Sisley, les _Toits rouges_ et la _Brouette_ de M. Pissarro, la _gare -Saint Lazare_ et l’_Eglise de Vétheuil_ de Monet, qui sont de petits -chefs-d’œuvre, vous reconnaîtrez là les plus précieuses découvertes de -l’art dans les secrets de la vie. - -Seulement, la théorie _divisionniste_, si elle était appliquée partout -et dans toute sa rigueur, conduirait à proscrire beaucoup des facilités -de la peinture à l’huile, car précisément ce qui distingue la peinture -à l’huile d’autres procédés de coloration, du pastel par exemple, -c’est le pouvoir de mélanger les couleurs, et c’est, pour parler comme -Delacroix, «l’infernale commodité de la brosse». L’absolue division -de la couleur, plus tard dégénérée en _pointillisme_, rend le métier -de peintre extrêmement difficile. En vain, des artistes d’un talent -indéniable et d’une rare pénétration d’esprit, les Seurat, les Signac, -les H.-E. Cross cherchèrent à rallier les peintres à la technique -nouvelle, poussée à son extrême sévérité. Ils échouèrent. - - - - -CHAPITRE III - -Ses lacunes. - - -Le cycle impressionniste étant clos, on peut le juger maintenant aussi -clairement qu’on juge l’école romantique ou celle de David. Tant -que les «jeunes» s’en inspirèrent, tant qu’ils y prirent leur point -de départ, le jugement dut être suspendu. Car on ne savait pas si, -parmi ces jeunes, il ne s’en trouverait point qui ferait sortir de -l’Impressionnisme quelque œuvre plus complète et plus puissante que -celles réalisées jusque-là. On nous disait: «Ne vous pressez pas de -conclure, car ce mouvement ne date que d’hier et s’il n’a pas donné -encore tout ce qu’on en peut attendre, qui sait si à ces tentatives -ne va pas succéder quelque chef-d’œuvre? Qui sait si le maître -impressionniste ne va pas paraître?» Mais, aujourd’hui, on ne peut -plus parler ainsi. Car voici plusieurs années déjà que les jeunes ont -abandonné la route de l’Impressionnisme et bifurqué sur des chemins -qui les ramènent tout doucement aux écoles du passé. On nous disait: -«Désormais la peinture sera claire, _définitivement_ débarrassée de -la litharge, du bitume, du chocolat, du jus de chique, du graillon et -du gratin[9]». Demain les jeunes gens ne verront la figure humaine -qu’enveloppée de soleil; les ombres seront mises en fuite, les -murailles qui conservent l’ombre renversées, les clartés triomphantes -dans tous les coins et recoins de la toile, et l’être humain, émancipé -par la peinture, se tiendra debout, joyeux, dans «une après-midi qui -n’aura pas de fin». Attendez, et vous allez voir arriver la lumière. - -Nous avons attendu, et nous avons vu arriver M. Cottet.... - -On nous disait enfin: «Regardez s’élaborer le paysage de l’avenir. Il -ne sera qu’une harmonie en blanc majeur, qu’un inter-échange de lueurs -entre les eaux, les herbes, les feuilles, les rayons et les fleurs. -Et, là, il puisera toute sa poésie. Plus d’effets mélodramatiques, -plus de ruines savantes, plus de fabriques, plus d’arbres composant -leurs silhouettes comme des modèles d’académie, plus d’effet théâtral, -plus d’orages! Seulement le clair sceptre de «midi roi des étés», des -maisons neuves avec du rouge de tuile ou du noir d’ardoise, à travers -les feuilles tendres d’arbres sans prétentions, d’humbles légumes, -des eaux sans cascades ni artifices, de petites nuées libres sans -architecture. Ayez confiance, et vous allez voir apporter dans nos -salons des morceaux de nature éclatants de lumière et de modernité.» -Nous avons eu confiance, et nous avons vu apporter les _Terres -antiques_ de M. Ménard.... - -Regardez le paysage de M. Ménard, qui se trouve précisément au -Luxembourg, pas très loin de la salle Caillebotte. Non seulement Claude -Lorrain n’y est plus méprisé, mais les recettes du vieux clair-obscur y -sont soigneusement remises en honneur.... Combien n’a-t-on pas raillé -jadis le procédé qui consiste à opposer, dans un tableau, le point -le plus lumineux à son point le plus sombre pour obtenir un effet de -contraste, ce procédé sans cesse employé par Gustave Doré dans ses -grandes planches? Or, il se retrouve exactement dans les deux paysages -de M. Ménard, où des bestiaux bénévoles sont venus mettre leur tête -rousse et sombre, juste au point où le soleil dardait son reflet le -plus clair. Et pourtant l’œuvre de M. Ménard n’en arrête pas moins tous -les regards, et n’en retient pas moins toutes les pensées. - -Pareillement, dans cette touchante _Nuit de la Saint-Jean_ de M. -Cottet, où les membres d’une famille bretonne se sont groupés autour -du feu commémoratif, posant çà et là des pierres pour tenir parmi les -vivants la place des enfants morts, on observe que le point le plus -sombre s’oppose au centre lumineux, et nul n’en est scandalisé. De même -dans l’admirable _Troupeau_ de M. Dauchez. - -Qu’on regarde enfin la _Procession_ de M. Simon: ces têtes nues sous la -brise de mer, ces traits fortement appuyés dans la chair des visages, -ces oppositions tranchées d’ombre et de lumière, ces arabesques de -draps noirs sur les surplis blancs, et que l’on dise ce qui reste là -des théories du plein air et des reflets, de la proscription du brun et -du noir? - -Et ce n’est pas une individualité ou deux qui abandonnent le sentier -de l’Impressionnisme: c’est une foule. Quand on s’arrête devant les -toiles de M. Jacques Blanche, de M. Le Sidaner, de M. Morisset, de M. -Guignard, de M. Albert Moullé, de M. Georges Griveau, de M. Garrido, -de M. Feliu, de Mlle Rœderstein, de M. Sarlius, il est difficile -d’y voir cette «peinture claire», cet éblouissement de tons purs, -cette «proscription des ocres et des bruns», que les théoriciens de -l’Impressionnisme ont toujours donnés comme les caractéristiques de -l’art nouveau[10]. Vainement chercherait-on à rattacher tous ces -«ténébreux,» qui triomphent en ce moment, aux luministes d’hier. Ils en -diffèrent du tout au tout. On peut, à la vérité, parler de leur commune -«émotion» et de leur semblable «sincérité»; proclamer que les uns et -les autres se livrent à un pareil «travail philosophique au cours -duquel les contingences s’élaguent», et qu’ils sont, aujourd’hui comme -hier, les «évocateurs savants des forces en exercice;...» propositions -qui s’appliquent d’autant mieux à plusieurs écoles qu’elles n’en -définissent aucune. - -On peut, en définissant l’Impressionnisme «une peinture qui va vers -le phénoménisme, vers l’apparition et la signification des choses -dans l’espace, et qui veut faire tenir la synthèse de ces choses dans -l’apparition d’un moment[11]», y rattacher tout tableau moderniste, -comme, d’ailleurs, tout tableau quelconque et, en effet, quel est le -peintre qui ne se propose pas «l’apparition des choses dans l’espace», -et quel moyen pourrait-il bien prendre de les montrer autrement que « -dans l’apparition d’un moment?» - -Mais dès qu’on quitte cette logomachie pour préciser les caractères -picturaux des «jeunes» de talent, on est obligé de constater -la réaction qui s’est faite. Car le réalisme était l’absence de -composition, et l’Impressionnisme l’absence d’effet par les masses -d’ombre. Or, chez tous les jeunes artistes que le succès accueille -aujourd’hui, on constate nettement une composition voulue et un parti -pris d’ombres évident. Il y a huit années, déjà, cette réaction était -notée par M. André Michel. Sa consciencieuse observation et son -impartiale clairvoyance en relevaient les premiers symptômes[12]. -Aujourd’hui, personne ne pourrait s’y tromper: l’Impressionnisme -appartient bien au passé. On peut donc, sans injustice, le comparer à -toutes les écoles du passé. - -Or, il faut bien l’avouer, si nous comparons les portraits que nous ont -laissés ses meilleurs maîtres avec ceux d’Ingres ou de M. Dagnan, si -nous rapprochons ses paysages, dans leur ensemble, des pages que nous -ont laissées les Rousseau, les Corot et les Daubigny, si à ce mouvement -qui dura trente ans, c’est-à-dire aussi longtemps que le mouvement -romantique et qui fit beaucoup plus de bruit que l’école de Barbizon, -nous demandons l’équivalent de ce qu’ont produit l’un ou l’autre de ces -groupes, l’une ou l’autre de ces écoles, nous ne le trouverons pas. Ni -ces portraitistes n’ont immortalisé, ni ces paysagistes n’ont exprimé, -ni ces fantaisistes n’ont conçu, quelque figure humaine, quelque -aspect de nature, quelque type d’humanité tel que le _Portrait de M. -Bertin_, la _Danse des Nymphes_ ou _l’Homme à la Houe_. En sorte que -vouloir comparer l’Impressionnisme aux grandes époques de la peinture -française, l’opposer à ces écoles, le dresser contre leur enseignement, -comme l’ont fait la plupart de ses panégyristes, ce serait tout -simplement conclure à son avortement. - -Le maître impressionniste n’a pas paru. Car cette révolution, si -révolution il y a, fut faite par beaucoup de pygmées et non par un -géant. C’est la grande différence, en Art, entre les révolutions -d’autrefois et celles d’aujourd’hui. Autrefois, ce qui était à la mode, -ce qui était encouragé par la critique, ce qui était par conséquent le -lot de la foule des artistes, du troupeau des «suiveurs», c’était la -routine; aujourd’hui, c’est l’innovation. Autrefois, par conséquent, -il fallait, pour oser une réforme, un artiste vigoureux et puissant, -rompu à toutes les pratiques antérieures de son art. Le goût étant -essentiellement hostile à toute réforme, on n’osait point la tenter -aussi longtemps qu’on n’avait pas en main tous les éléments pour la -faire triompher. Tant qu’on ne savait pas à peu près tout ce que -savaient ses prédécesseurs, on ne s’aventurait pas à leur rompre en -visière ni à leur donner des leçons. Aujourd’hui, rien n’est plus -facile. Étonner les maîtres suffit à faire penser qu’on est un maître -soi-même; dire du mal de l’Institut dispense d’avoir du talent. Le goût -étant aux innovations, à l’agitation et à l’oscillement perpétuel, -la presse décernant la «maîtrise» à n’importe quel pseudo-novateur, -beaucoup innovent quand ils devraient copier encore et enseignent un -métier nouveau quand ils agiraient sagement en apprenant l’ancien. Il -en résulte parfois des tentatives curieuses, intéressantes pour le -progrès d’une technique, mais point assez complètes pour la réalisation -d’une œuvre et, au bout de quelques années, le mouvement avorte ou se -perd en excentricités, pour avoir été entrepris trop tôt, par des bras -trop faibles et dans un sentiment trop étroit. - -L’Impressionnisme avait un sentiment trop étroit. Il niait trop de -vérités essentielles dans une œuvre d’art et celle qu’il apportait, -si importante qu’elle fût, n’était pas suffisante pour tenir lieu -de toutes les autres. Ce qu’il affirmait c’était la nécessité de la -couleur vive, ce qu’il niait c’était l’utilité de la ligne. Il la -niait, et il ne sert de rien, pour le contester, de prétendre que M. -Degas admire Ingres ou que M. Renoir sait dessiner et qu’ils étaient -tous deux capables de tracer une ligne impeccable; toute la question -est de savoir s’ils étaient capables de donner l’éclat nouveau et le -mouvement imprévu de leurs couleurs tout en conservant leurs lignes. -Il est évident que les impressionnistes pouvaient d’une part dessiner -très correctement et d’autre part obtenir des vibrations de couleurs -inaccoutumées. Mais la question est de savoir s’ils pouvaient _à la -fois_ donner ces vibrations et conserver cette ligne, profiter de leurs -recherches et ne rien perdre de leur acquis, appliquer leurs théories -sans détruire un enseignement essentiel et, en un mot, superposer leurs -progrès à tous les progrès que la peinture avait faits avant eux. Or -les exemples de la salle Caillebotte répondent assez clairement à -cette question: ils ne le pouvaient pas. Ils n’ont pu réaliser leurs -vibrations de couleurs qu’en sacrifiant la ligne; ils n’ont pu montrer -les reflets sur les figures qu’en détruisant la silhouette des figures; -ils n’ont pu peindre l’atmosphère qui enveloppe, qu’en dénaturant la -substance qui est enveloppée et, en un mot, faire «chanter la couleur» -qu’en faisant taire le dessin. - -Dans la plupart des tableaux impressionnistes, il n’y en a plus et, si -ce défaut est moins sensible ou plus excusable quand il s’agit d’un -paysage, surtout des paysages amorphes des environs de Paris où nulle -montagne ne donne un intéressant profil, il n’en va pas de même avec -la peinture de figure et surtout avec le portrait. Le but du portrait -est de nous montrer ce qu’un être humain a de plus personnel, de plus -intime, de plus _lui_. En le peignant en plein air, sous bois, tatoué -par l’ombre des branches, bariolé par les reflets, l’impressionniste -nous montre ce qu’il a de plus superficiel, de plus influencé par -son milieu, de plus _autre_. Le but du portraitiste est d’abstraire -le modèle de son milieu, afin de montrer en quoi il diffère de son -milieu. La thèse impressionniste oblige à le replonger au contraire -dans ce milieu comme dans un bain multicolore, à éparpiller son âme -parmi les âmes diverses des choses, à étouffer sa voix sous le murmure -des êtres, à éclipser son regard par le rayonnement des fleurs, -en un mot à le faire s’évanouir dans le grand Tout. L’homme n’est -plus que le produit du «milieu» où on l’a mis et du «moment» où on -l’observe. Aussi ne trouve-t-on guère de bons portraits dans toute -l’école impressionniste, et parmi eux, il n’en est pas un qui puisse -être comparé, je ne dis pas à ceux d’Ingres ou de Reynolds, mais tout -simplement à ceux de M. Dagnan ou de M. Benjamin-Constant. - -La facture en est uniforme. C’était un axiome autrefois chez les -artistes que chaque objet différent devait être peint d’une façon -différente, qu’une maison, par exemple, devait se distinguer par sa -facture d’un arbre et un mouton d’une pièce d’eau ou d’une locomotive; -qu’il n’y avait pas seulement un ton «local,» mais que la facture -même devait varier selon l’objet qu’elle était censée réaliser. On -n’appliquait pas la couleur pour figurer un mur comme pour figurer -des feuilles d’arbre ni pour un visage comme pour un parquet de bois. -La matière représentante devait varier comme la matière représentée. -La touche était posée à plat ou en virgule, ou plus sèche ou plus -humide, par longues traînées ou par points, par raies verticales ou -par traits horizontaux ou en coups de sabre, en «banderoles», ou bien -blaireautée en fourchette, ou encore appuyée comme une pression sur -un bouton électrique, ou légère comme des passes magnétiques, selon -qu’il s’agissait de signifier la ronde bosse d’un rocher ou la plate -épaisseur d’une muraille, ou l’échevellement d’un arbre dans le vent. -L’Impressionnisme a changé tout cela. Son principe étant de peindre -l’enveloppe lumineuse des objets plutôt que les objets mêmes, il a -tout fait vibrer dans un égal scintillement. Dans ses œuvres les plus -fameuses, tout est peint de la même manière. Une locomotive paraît -floconneuse comme un nuage; une maison frissonnante comme un arbre -et un bonhomme tient à la fois du nuage et de la maison. Une touche -partout égale, que l’objet soit liquide, solide ou aérien, le calfeutre -d’une sorte de ouate colorée. - -Fatal à la figure, le sentiment impressionniste est-il favorable au -paysage? Oui, sans doute, mais non à tous les paysages, ni dans tous -les moments. Ce que l’Impressionnisme rend merveilleusement, c’est le -plein soleil, c’est l’heure où tout ce qui vit danse dans la lumière, -où, voyant tout, l’on voit mal. C’est l’accablement de la chaleur, -c’est midi, l’heure de la sieste et des bras lassés par le travail. -C’est de toutes les heures du jour celle que le rural connaît le moins. -Car c’est celle où il repose. Mais en même temps c’est l’heure que -l’artiste citadin connaît le mieux et qui représente pour lui l’instant -typique de la Nature. Il est parti de Paris par le train du matin, il y -rentrera par le train du soir, il ne voit la campagne qu’en plein midi. -Il a un éblouissement. L’impressionniste mieux qu’aucun autre lui -peint cet éblouissement, il le retrouvera rue Lepeletier. Il est grisé, -enivré comme les héros de Maupassant dans sa _Partie de campagne_. -Cela, l’impressionniste le montre bien. Dans sa toile, le citadin -déchaîné parmi les moissons a des visions extraordinaires. - - Le printemps ouvre sa guinguette... - - Le bourdon aux excès enclin, - Entre en chiffonnant sa chemise;... - Un œillet est un verre plein, - Un lys est une nappe mise, - - La mouche boit le vermillon - Et l’or dans les fleurs demi-closes, - Et l’ivrogne est le papillon, - Et les cabarets sont les roses. - -Ces impressions superficielles, ces Bucoliques de banlieue, -l’impressionniste les chante comme Victor Hugo lui-même. Quant aux -impressions de nature longuement ressenties, comme la ressentent ceux -qui vivent sur la montagne ou sous la forêt, quant aux souvenirs qui -s’enfoncent au plus profond de notre être, ce n’est plus Claude Monet -ou Victor Hugo qui sont capables de les rendre: c’est Lamartine, c’est -même Laprade ou Brizeux. Et si nous les voulons retrouver en peinture, -quittons la salle Caillebotte, quittons le Luxembourg et montons au -dernier étage du Louvre, revoir les Corot, les Rousseau et les Daubigny -de la collection Thomy-Thierry. - -Incapable de dégager le caractère de la figure humaine, capable -seulement de dégager l’apparence de la nature dans une seule région à -une seule heure et très superficiellement, l’Impressionnisme pouvait -produire, ça et là, quelques excellentes œuvres, comme les _Toits -rouges_ ou l’_Église de Vétheuil_, mais il était, si on le compare aux -grandes écoles d’art, destiné à un avortement. - - - - -CHAPITRE IV - -Son erreur. - - -Et pourquoi a-t-il avorté? Pourquoi a-t-il affiché un sentiment d’art -si étroit, et l’ensemble de ses négations inutiles a-t-il de beaucoup -dépassé son affirmation nécessaire?—C’est parce qu’il portait en -lui, avec des germes de vie, un germe de mort, une certaine humeur -fatale à tous ceux qui en furent affligés, commune à beaucoup d’écoles -contemporaines, et qu’il faut dénoncer comme la pire des maladies de -notre temps: _la recherche de l’originalité_. - -Chercher l’originalité est un mal qui, s’il ne date pas d’hier, date -du moins des temps modernes. Les anciens artistes l’ont peu connu. -On cite bien Gréco qui, exaspéré d’entendre dire qu’il imitait le -Titien, chercha dans des procédés un peu semblables aux procédés -impressionnistes une éphémère originalité. Mais Gréco fut une -exception. Ce que l’artiste ancien cherchait d’ordinaire, c’était -l’assentiment de ses pairs et l’applaudissement des «honnêtes gens» en -continuant ses maîtres, en développant quelque côté de leur manière, -sans qu’on vît tout de suite la transition et en les transformant -sans bruit. Il cherchait non _l’originalité_, mais _la puissance_. Il -ne niait rien de ce qu’on trouvait nécessaire avant lui, mais il y -ajoutait quelque chose qui lui semblait utile. Chercher l’originalité, -c’est le signe évident qu’on veut s’écarter de sa voie naturelle, -de soi-même, de son «origine», bref, de tout ce qu’on peut avoir -d’originalité. Si l’on a en soi quelque originalité, parmi toutes ses -qualités natives, c’est en les développant toutes qu’on peut la faire -apparaître, mais ce n’est jamais en commençant par supprimer l’emploi -des autres. Ce n’est donc pas en supprimant les qualités reconnues -comme nécessaires dans une œuvre d’art: la composition, le dessin, -le côté substantiel des choses, qu’on réalisera l’originalité de la -couleur. C’est en les gardant toutes, en les cultivant soigneusement, -qu’éclatera, parmi elles, celle qui est destinée à les faire oublier, -presque à l’insu de l’artiste qui n’a cherché rien autre chose que la -puissance. Pour être elle-même, l’originalité doit être non pas voulue, -mais subie. - -Considérons, par exemple, les deux maîtres dont se réclament parfois -les impressionnistes: Turner et Watteau. Certes, tous les deux furent -des novateurs et firent de plus grandes révolutions dans l’art que -les modernistes ne peuvent se flatter d’en avoir même indiqué. Comme -l’a dit Hamerton: «La critique du XVIII^e siècle eût été incapable -d’imaginer un Turner». D’autre part, quand on se rappelle que Watteau, -ce représentant présumé du XVIII^e siècle, fit son éducation en réalité -au XVII^e, qu’il mourut l’année où naquit Mme de Pompadour, qu’il n’eut -pour modèles que Le Brun et Mignard, Poussin et Le Sueur, on mesure -assez le pas géant qu’il fit faire à l’art pour l’amener des tristes -bords du Tibre où languissait le Poussin jusqu’au parc jaseur et rieur -où «s’en vont rêvant masques et bergamasques». Or, ces deux grands -novateurs surent à peine qu’ils innovaient. En tout cas, ils ne le -proclamèrent point: ils s’en seraient défendus plutôt, et telle était -leur déférence envers les maîtres et leur peu de scandale que tous deux -furent élus, fort jeunes, membres l’un de l’Académie royale de France, -l’autre de l’Académie royale d’Angleterre, sans même l’avoir sollicité. - -Était-ce un révolutionnaire, un contempteur des maîtres anciens, ce -Turner qui, constamment hanté par le souvenir de Claude, dessinait -un _Liber Studiorum_ pour être comparé au _Liber Veritatis_ de son -prédécesseur et qui mérita que P. G. Hamerton écrivît de lui: «Jamais -artiste n’a étudié ses prédécesseurs avec autant d’assiduité pour -montrer autant d’indépendance dans la suite?» Était-ce un chercheur -d’originalité que Watteau? Au témoignage de Caylus, il «copiait et -étudiait avec avidité les plus beaux ouvrages du maître d’Anvers»; il -écoutait les conseils de maîtres comme Métayer, comme Gillot, comme -Claude Audran, peintre et concierge, plus concierge que peintre: il -demandait, en grâce, aux membres de l’Académie les moyens d’aller -étudier à Rome. Prétendait-il détruire les règles établies, cet esprit -timide et inquiet qui avait toujours, disent ses biographes, «le -dégoût de ses propres ouvrages et trouvait toujours qu’ils étaient -payés beaucoup plus qu’ils ne valaient?» ce client qui donnait à son -coiffeur deux tableaux pour une perruque et craignait encore, en -conscience, que ce ne fût pas assez? Tous les deux, enfin, Turner et -Watteau, ressemblaient-ils aux bruyants révolutionnaires modernistes, -eux qui, aussi jaloux de cacher leur personne que de perfectionner leur -art, changeaient constamment de logement pour échapper aux curiosités -indiscrètes, qui, pendant tout le cours de leur vie, étaient hantés par -les modèles laissés par les maîtres, tous deux impatients, inquiets, -doutant de leur mérite et ne souffrant guère qu’on attaquât celui de -leurs prédécesseurs, tous deux mourant isolés, non comme des chefs -d’école, mais bien comme de véritables originaux, grands inconscients -qu’ils étaient: l’un déplorant qu’on eût si mal sculpté le crucifix que -le prêtre lui donnait à embrasser, l’autre tournant, dans la mansarde -de Chelsea, ses derniers regards vers les derniers rayons du couchant -en murmurant: «Le soleil est Dieu!» - -Tel fut Watteau, tel fut Turner, ces gauches constructeurs d’ombres -charmantes, ces inconscients casseurs de vitres et ces prodigieux -appelants de rêve. L’_Embarquement pour Cythère_ était bien le départ -pour une terre nouvelle d’art et de poésie. Les _Funérailles en mer du -peintre Wilkie_ étaient bien l’ensevelissement de toute une peinture -vieillie et d’un idéal mort. Mais ceux qui firent ces révolutions ne -se doutaient pas qu’ils les faisaient. Ils croyaient de bonne foi -suivre la grande route quand ils frayaient des trouées nouvelles. Ils -ne croyaient qu’agrandir un ancien domaine quand ils découvraient des -mondes.... - -Leur exemple est un enseignement. La contre-épreuve qui nous est -fournie par les modernistes le confirme. C’est que, chez les «jeunes», -le mépris est un mauvais véhicule, non seulement pour tout talent, -mais pour tout progrès? Une réforme, qui se présente avec plus de -négation que d’affirmation, n’est qu’une ombre de réforme. Les vrais -révolutionnaires sont ceux qui renouvellent les formes d’Art par lente -substitution, à la façon de la vie, et non par suppression rapide, -à la façon de la mort. Les révolutions hâtives sont les révolutions -éphémères. Le champignon modifie vite l’aspect d’un sous-bois, mais il -ne le modifie qu’un jour, et le chêne qui, pendant ce temps, pousse -lentement dans la nuit ses racines invisibles, transformera l’aspect de -la forêt et sera, dans des siècles, pour les ailes des oiseaux et pour -les yeux des hommes, un lieu de repos, de rafraîchissement et de paix. - -Quant à l’affirmation que, parmi tant de négations, nous apporta -l’Impressionnisme: l’affirmation des droits de la couleur, elle -restera sans doute à l’actif des découvertes de l’art. D’abord, -l’importance des lumières reflétées, ensuite la vive coloration des -ombres, enfin et surtout la division du ton, si elles ne sont pas -tout dans l’art de peindre, sont cependant de cet art une partie -assez importante pour qu’on soit reconnaissant à l’école qui les a le -mieux indiquées. Précisément parce que les œuvres impressionnistes -manquent des autres qualités qui font la bonne peinture, on voit -ces qualités particulières y ressortir avec plus de crudité et une -clarté plus favorable à l’enseignement. C’est ainsi qu’un «écorché», -par exemple, précisément parce qu’il ne cherche pas à rendre tout le -charme et toute la beauté du corps humain, nous fait comprendre le -jeu des muscles beaucoup mieux qu’une complète académie. Quand les -amateurs, aujourd’hui imbus d’idées modernistes, se lasseront de voir -dans leurs salons ces curiosités de palettes, elles n’iront point, du -moins, comme les mauvais tableaux, au grenier. Elles s’arrêteront dans -les ateliers des peintres, qui les suspendront avec honneur entre les -tableaux des complémentaires de Chevreul et les écorchés de Bandinelli. -Là, ces choses seront à leur place et rendront des services. Né d’un -sérieux effort, dû à des causes profondes, assez fortement réalisé -pour avoir beaucoup appris, même à ceux qui s’en défendent le plus, -l’Impressionnisme est une découverte: ce n’est pas une peinture. - - - - - TROISIÈME PARTIE - - LE VÊTEMENT MODERNE - DANS LA STATUAIRE - - - - -LE VÊTEMENT MODERNE DANS LA STATUAIRE - - -Quand les premiers chrétiens débarquaient pour la première fois dans -les villes de la civilisation païenne, ils demeuraient stupéfaits du -nombre des statues qu’ils y voyaient. Les héros, les ancêtres, les -dieux, le monde antique tout entier, étaient là, dressés, en bronze ou -en marbre, en apparence indestructibles. Et les pieux missionnaires -n’étaient pas loin de croire que, dans chacune de ces statues, il y -avait un démon. C’est, aujourd’hui, un sentiment semblable de stupeur -qui saisit le rural quand il entre dans nos villes ou lorsque, errant -sur le balcon du grand hall des Champs-Élysées, il jette un regard sur -cette foule de marbre. - -Depuis le temps de Lysippe, on n’avait jamais tant vu de statues -embarrasser les places publiques. Jamais n’avait passé sur ce pays un -tel souffle commémoratif. Plus de cent quinze statues furent érigées -en France de 1870 à 1885. Un idéal inexpliqué d’hommages coûteux et -d’inaugurations réparatrices hante les ateliers de Montrouge ou de -Montmartre. Une fatale émulation les tient de ne pas laisser dans -Paris un square, une place, un carrefour, un rond-point, un refuge -inoccupé. La sculpture a horreur du vide. Devant qu’une rue soit -percée ou un square planté, un monument s’y destine et l’on sait -déjà quel héros y sera honoré, quand on ignore si les maisons auront -des locataires. Les espaces actuellement ouverts sont insuffisants. -On a mis des grands hommes partout: on a insinué des acteurs jusque -dans des squares suburbains, des encyclopédistes jusque parmi des -bureaux d’omnibus, des réformateurs sociaux jusqu’à la porte des -«hippo-palaces» et sur les boulevards extérieurs. - -Toute place étant occupée, mais la patrie se résignant de moins en -moins à ne point honorer ses grands hommes, on les juxtapose comme dans -une revue. Au carrefour de l’Observatoire, un explorateur dispute la -place au maréchal Ney et l’horizon aux _Quatre parties du monde_. La -longue perspective de la fontaine du Luxembourg est close. L’œuvre de -M. Puech offusque celle de Carpeaux. Il y a saturation. Et cependant, -à chaque Salon, des files nouvelles de grands hommes rangés sous le -vitrage «attendent», dans les limbes du plâtre, le moment d’entrer, à -leur tour, dans l’immortalité. - -En même temps que ce phénomène, si favorable au sculpteur, il s’en -produit un autre, qui lui est fort contraire. Si jamais on n’éleva -tant de statues à des contemporains, jamais non plus les contemporains -ne se vêtirent d’une façon si peu «statuaire». Le vêtement moderne, -depuis Henri IV, mais surtout depuis un siècle, est ce que l’histoire -nous offre de plus impropre à figurer dans une œuvre de plastique. Le -naïf rural, qui se promène dans nos cités, n’est pas moins indigné que -le premier chrétien débarquant dans la cité antique. Si ce ne sont pas -de faux dieux qui se dressent devant lui, ce sont du moins de faux -hommes, et il a peine à se persuader que des gens si laids aient pu -être si grands. Il y a désaccord absolu entre la prétention que nous -avons d’honorer nos héros et les moyens que leur aspect extérieur nous -en fournit. Le problème du vêtement contemporain dans la statuaire est -donc posé par les faits. - - - - -CHAPITRE I - -Pourquoi les sculpteurs ont tenté de représenter le vêtement moderne. - - -Sans doute, il y a longtemps qu’on a senti ce désaccord. Mais on le -résolvait jadis en sacrifiant hardiment un des termes du problème. -On sacrifiait le vêtement. On osait habiller d’une toge ou ne pas -habiller du tout les héros. «L’habit de nature, c’est la peau, disait -Diderot, plus on s’éloigne de ce vêtement, plus on pèche contre le -goût.» Canova, Thorwaldsen et leurs successeurs l’avaient établi en -principe. De même, quand Rude sculptait, au flanc de l’Arc de Triomphe, -son héroïque _Départ_, il dépouillait le feutre emplumé, l’habit à la -française, toute la défroque de 1792, et ne retenait des combattants -que la passion qui les inspirait. Et c’était excellent. - -Mais, si féconde que soit une tradition d’art, dès l’instant qu’elle -est appliquée dans sa lettre et non dans son esprit par une -foule de médiocres élèves, elle devient insupportable aux esprits -indépendants et insuffisante aux délicats. Tel fut le sort du «nu» et -du «drapé». Les innombrables effigies funéraires de Thorwaldsen en -donnèrent le dégoût. On chercha un renouvellement dans la silhouette -sculpturale du contemporain. On se demanda si le «nu» était bien une -«loi» inéluctable,—et si d’ailleurs il y avait en art des lois que -des novateurs hardis ne pussent enfreindre ou tourner. On chercha, -de droite et de gauche, des exemples. On remarqua que le _Moïse_ -n’était point selon le canon de Polyclète, que le _Coleone_ portait -un autre costume que la toge et que les figures enthousiastes de Rude -ne respectaient point les principes que Lessing avait cru découvrir -dans le _Laocoon_. En même temps on montrait les Hollandais tirant un -parti merveilleux de leurs sombres vêtements noirs. On citait Chardin -pénétrant d’une poésie d’intimité les plus humbles recoins et outils de -la vie familière. Dans toutes les régions de l’art, on apercevait que -de prétendues lois n’étaient que des conventions. On avait cru ces lois -de l’art absolues. Or, elles ne l’étaient pas. Donc, il n’y avait pas -de lois absolues en art. - -C’était une conclusion précipitée. Autant eût valu dire: on a cru que -tel corps était simple; or, on a découvert qu’il était composé; donc, -il n’y a pas de corps simple. Mais elle répondait si bien au besoin de -réaction contre le pédantisme de l’école qu’on l’adopta d’enthousiasme -et qu’on somma les artistes de s’y rallier. «Croyez-vous, écrivait -Planche, que si Rubens et Van Dyck revenaient, ils ne sauraient pas -tirer parti du costume français en =1831=? Nous renvoyons ceux qui -en douteraient à tous les portraits parlementaires de Lawrence que -nous connaissons par les gravures de Reynolds, Cousins et Maile. -_L’art, quoi qu’on en dise, trouve à se loger partout_, tout lui -obéit, tout lui cède quand il commande impérieusement[13].» Et Planche -avait raison, s’il voulait dire que jamais un costume sévère, noir, -monochrome, n’a été rejeté par un grand artiste comme inesthétique, -mais il s’avançait beaucoup s’il en tirait argument pour le costume -moderne. Car ce n’est point la couleur monochrome qui est inesthétique -dans notre vêtement: c’est la ligne géométrique. Dès qu’on ne s’en -tient pas aux analogies superficielles et qu’on cherche à serrer de -près la question, en soumettant chaque terme à une attentive épreuve, -on s’aperçoit que les prétendues dérogations à cette loi n’en sont -point et que chacune, au contraire, de celles signalées par la critique -moderniste confirme la vieille opinion des artistes ou,—pour parler -plus simplement,—s’accorde avec leur instinct. Delacroix, qui avait -pratiquement tout entrepris et qui, théoriquement, passait sa vie à -creuser ces problèmes, le dit en termes plus forts qu’aucun classique -n’en a jamais employé: _Il y a des lignes qui sont des monstres_, -et il ajoute lesquelles: «la droite, la serpentine régulière, -surtout deux parallèles. Quand l’homme les établit, les éléments les -rongent. Les mousses, les accidents rompent les lignes droites de ses -monuments. Chez les anciens, les lignes rigoureuses corrigées par la -main de l’ouvrier. Comparer des arcs antiques avec ceux de Percier et -Fontaine.... Jamais de parallèles dans la nature, soit droites, soit -courbes[14].» - -Et ces lignes, «qui sont des monstres», ne le sont cependant point en -peinture au même degré qu’en sculpture. Car, dans l’une, elles sont -dissimulées par l’ombre ou par la couleur et, dans l’autre, elles -apparaissent dans toute leur beauté ou dans toute leur laideur. Le -chapeau dit «haut de forme», par exemple, n’a jamais été un bien -agréable accessoire pour les peintres et l’on ne peut guère citer que -Delacroix dans sa _Liberté, Journée du 28 juillet 1830_, ou Goya dans -quelques portraits qui en aient fait état. Partout où un grand artiste -a tiré un parti satisfaisant du haut de forme: le _Portrait du grand -bâtard de Bourgogne_, de Roger Van der Weyden, le _Médecin_ ou le -_Charlatan_ de Steen, le _Portrait de M. Leblanc_, d’Ingres, on trouve -que les lignes de la coiffe nullement parallèles n’offrent plus du tout -l’aspect géométrique pur du chapeau actuel. Encore est-il beaucoup -moins incommode à manier pour le peintre que pour le sculpteur. Le -peintre peut le mettre dans l’ombre, il peut projeter sur lui des -reflets qui en varient la silhouette, déployer à son profit toutes les -magies de la couleur. En tout état de cause, comme il ne le montre que -sur un plan, il peut tordre ses lignes dans le sursaut des raccourcis. -Ainsi l’a fait Delacroix. Le sculpteur, lui, est tenu de le prendre tel -qu’il est et de l’introduire dans son monument tel qu’il sort de chez -le chapelier. Il ne peut ni le colorer, ni le dissimuler, ni le montrer -sous un seul angle. En tournant autour du monument, le spectateur -découvrira toujours le point où sa forme la plus fâcheuse apparaît. Par -conséquent tel engin inesthétique peut être interprété par le peintre, -sans qu’on puisse en tirer le moindre argument pour le sculpteur. - -Cette différence essentielle n’a pas arrêté les théoriciens. Tenant -pour établi comme Guyau que «l’utilité constitue toujours comme telle -une certaine beauté» et que «tout ce qui est réel et vivant peut, dans -certaines conditions, devenir beau»,—ils en sont venus à proclamer -l’égalité devant l’Art de toutes les formes naturelles. «Le corps -fût-il moins fort et moins beau que celui des athlètes de Polyclète ou -des géants charnus de Rubens, déclare le philosophe, la tête aurait -acquis une beauté supérieure. _N’est-ce donc rien, même au point de vue -plastique, qu’un front sous lequel on sent la pensée vivre, des yeux où -éclate une âme? Même dans le corps entier, l’intelligence peut finir -par imprimer sa marque. Moins bien équilibré peut-être pour la lutte -ou la course, un corps fait en quelque sorte pour penser posséderait -encore une beauté à lui. La beauté doit s’intellectualiser pour ainsi -dire_[15].» - -Ce sont là des affirmations que rien, ni dans l’histoire de l’art -ancien, ni surtout dans les tentatives de l’art moderne, à aucun degré, -ne vient vérifier. Il est impossible d’en trouver un seul exemple qui -résiste à l’examen. Quelle beauté un cerveau pensant peut-il bien -imprimer dans un corps déjeté? Voilà ce que jamais aucun philosophe -n’a pu nous dire et que jamais aucun artiste ne nous a fait voir.... -Une beauté perceptible à notre âme, une force accessible à notre -intelligence, oh! sans doute! Nous le voyons assez, et les arts qui -s’adressent directement à notre entendement, comme la poésie, comme le -drame, pourront nous révéler cette force dans un corps contrefait. Au -théâtre, l’oreille entend les paroles qui nous révèlent la grandeur de -l’âme logée dans une enveloppe débile. L’histoire ou le roman peuvent -entourer l’avorton de tels prodiges que nous en venions à l’admirer. -Mais le sculpteur, ne pouvant ni nous parler comme l’historien, ni -nous faire voir une suite d’actions comme l’auteur dramatique, ne -s’adressant qu’à nos yeux, ne peut rendre témoignage que de l’espèce de -grandeur et de beauté que perçoivent les yeux. - -C’est à l’historien qu’il appartient de nous montrer le prestige -d’un saint Paul petit, laid, maladif, chassieux. C’est du poète que -nous attendons la beauté d’un chimiste luttant contre la mort et lui -arrachant, en même temps que son secret, la vie de plusieurs millions -d’êtres humains. Pour le sculpteur, il ne peut nous montrer saint -Paul athlète de la foi qu’en lui donnant des muscles d’athlète. Il -ne peut nous figurer le chimiste terrassant la mort qu’en le douant -d’une assez forte musculature pour triompher de ce prodigieux ennemi. -Car, encore un coup, ces figures ne parlent pas et ne se prêtent pas -à une série d’actions successives. Ce sont leurs proportions grêles -ou puissantes, leurs attitudes languides ou contractées qui nous les -révèlent. Si elles parlent, c’est seulement par le langage puissant, -mais élémentaire, des formes que l’art peut leur donner. - -Si commune et si connue que fût cette vérité, les philosophes de -notre temps l’ont oubliée. La confiance qu’ils ont dans les destinées -«intellectuelles» de l’art leur a fait généralement adopter le point de -vue de Guyau. Ils ont tenu pour établi d’abord qu’il n’y avait pas de -loi restrictive en art et que, par conséquent, aucune forme ne devait -être proscrite de la statuaire contemporaine; ensuite, que tout ce -qui est utile peut devenir beau et qu’ainsi tous les outils inventés -par l’industrie moderne, tous les vêtements nécessités par le confort -contemporain, avaient droit à la même place dans l’art que le cheval de -Phidias ou que la toge de Décius. - -On décida de les immortaliser. Les sculpteurs devinrent les copistes -des tailleurs. Montrouge et Montmartre reçurent des modèles du quartier -de l’Opéra. C’est ce que l’on appelle «se libérer de la tyrannie -de l’École». Les places publiques d’Europe, depuis Glascow jusqu’à -Naples, se couvrirent de bronzes fixant pour l’éternité la coupe de -la redingote, et, au Campo-Santo de Gênes, les artistes italiens, -prenant leur revanche sur Canova, firent éclater, dans le marbre -fouillé par leurs ciseaux insidieux, la gloire des vestons à carreaux, -des bottines vernies, des chapeaux mous, des cravates Lavallière, -des breloques, des dentelles et des volants semés des larmes de gens -fashionables récitant les prières des agonisants. Ce que la beauté des -villes put gagner à cette exhibition ou à cette solidification des -modes modernes, il suffit, pour en juger, de suivre, à Paris, d’un -bout à l’autre, le boulevard Saint-Germain. Mais ce parti répondait -si bien au désir moderne «d’intellectualiser» la sculpture, que nos -meilleurs esprits et les plus délicats ne voulurent point en sentir -la monstruosité. «Les vieilles timidités sont décidément surmontées, -s’écriait M. Larroumet. Nos sculpteurs ne croient plus qu’il soit -nécessaire de draper à l’antique des personnages qui ont porté le -costume moderne; ils estiment que celui-ci peut avoir sa poésie. Cette -victoire du réalisme dans la sculpture est en train d’aller fort loin. -Elle a commencé par le costume militaire, d’assez bonne heure; on a -renoncé à déshabiller les héros, sous prétexte de noblesse sculpturale. -Puis on a osé conserver leurs costumes à des personnages civils _On -n’aurait plus aujourd’hui l’idée bizarre de représenter Napoléon I^{er} -les jambes nues, comme l’a fait Chaudet pour la colonne Vendôme, et -Racine enveloppé d’un drap de laine, comme celui de David d’Angers à la -Ferté-Milon_[16]....» Cela paraissait définitif. - - - - -CHAPITRE II - -Les résultats de la tentative. - - -Maintenant regardons les principales œuvres de sculpture parues dans -ces dernières années. La première chose que nous constaterons, c’est -que M. Rodin a dépouillé Victor Hugo de ses vêtements modernes, comme -Chaudet avait fait Napoléon, et que «l’idée bizarre» de représenter -un contemporain «les jambes nues» non seulement a survécu à Chaudet -ou à David d’Angers, mais s’est revivifiée dans le plus puissant des -novateurs. - -Il y aurait beaucoup à dire du _Victor Hugo_ de M. Rodin, et le -moins que la critique puisse suggérer devant lui, c’est qu’une belle -ébauche n’est pas un chef-d’œuvre, ni même toujours la promesse d’un -chef-d’œuvre. Car, s’il est une vérité acquise en art, c’est que -les qualités essentielles d’une prestigieuse esquisse se conservent -difficilement quand l’œuvre, avec tous ses plans, est achevée. -Conserver la synthèse naturelle de l’ébauche tout en développant -l’analyse, garder l’enveloppe du monument en assurant la multiplicité -des plans, les variétés d’aspects qui font la statue, c’est assurément -la difficile épreuve, mais c’est aussi la tâche expresse de l’artiste. -«On ne gâte pas en finissant, quand on est grand artiste», a écrit -Delacroix[17]. Et lorsque, pour s’en dispenser, on laisse entendre que -le grand art consiste à réaliser seulement les qualités de l’ébauche, -on ne fait que remplacer par une théorie ingénieuse l’absence de -réussite et qu’ajouter à un défaut de réalisation une erreur de -raisonnement. - -On pourra donc regretter les inégalités du _Victor Hugo_, depuis la -tête admirable et puissante qui rappelle invinciblement celle du -_Soir_, que tous les visiteurs de Florence ont vue dans la froide -sacristie de San Lorenzo, jusqu’aux pieds mous et ronds, perdus en -une agglomération de contours flottants et nuageux. On s’étonnera du -modelé singulier des omoplates. On se demandera ce qu’un prochain -avenir pensera des enthousiasmes qui entourèrent le _Balzac_, qui -entourent le _Victor Hugo_, si ces enthousiasmes ne paraîtront pas dans -quelques années parfaitement inexplicables lorsque auront disparu nos -idiosyncrasies passagères avec cet art et nos sentiments de réaction -contre l’art habile, correct, photographique, impeccable, inutile et -justement exécré de nos praticiens. On craindra, enfin, que les œuvres -incomplètes de M. Rodin ne conservent pas dans l’avenir la place où -nous les avons juchées et que, vantées par une littérature éphémère à -l’égal de celles de Préault, elles ne tombent devant le goût permanent -au même niveau où les œuvres de Préault sont tombées. - -Mais, quand tout cela serait entendu, il n’en reste pas moins que le -_Victor Hugo_ témoigne, par toute son attitude et son geste à la fois -puissant et contenu, d’une grande intention d’artiste. Les marbres de -M. Rodin sont un peu comme ces montagnes où les guides vous avertissent -qu’on peut démêler la ressemblance d’une figure humaine. Mais cela même -est une vertu. A peine détaché de sa gangue de pierre, apparu comme -une force même de la nature, le _Victor Hugo_ est vraiment monumental. -C’est une impression que les statuaires contemporains nous donnent -si rarement, qu’il faut bien passer sur quelques surprises, quand il -nous arrive de la ressentir. Un des bras, en se repliant et en se -rétractant vers le front, ramasse toutes les énergies musculaires vers -le centre où l’on imagine que siège la pensée, et c’est le geste du -contemplateur. L’autre, tendu comme pour montrer, ou pour affirmer, ou -pour imposer silence, se développant en longueur avec tout le reste -du corps, semble indiquer une volonté agissante, et c’est le geste du -tribun. Quiconque a des yeux, sans rien connaître de Victor Hugo, de sa -vie, ni de son œuvre, sentira confusément qu’il se trouve en présence -d’un homme méditatif et impérieux;—et c’est bien assez pour une œuvre -de plastique. - -De plus, autant qu’il est monumental, ce marbre est vivant. Il offre -des effets picturaux d’ombre et de lumière très prononcés. «On ne -comprend pas assez souvent, écrivait Ruskin en 1849, que sculpter -n’est pas simplement tailler la forme d’une chose dans la pierre, mais -que c’est y tailler _l’effet de cette chose_. Très souvent, la vraie -forme, mise en marbre, ne ressemblerait plus du tout à ce qu’elle est -en réalité. Le sculpteur doit peindre avec son ciseau. La moitié de ses -touches doivent servir non à réaliser la forme, mais à la mettre dans -le marbre en puissance. _Ce sont des touches de lumière et d’ombre._ -Elles font saillir une crête ou s’enfoncer un creux, non pas pour -représenter une saillie ou un creux qui existent actuellement dans la -réalité, mais pour susciter une ligne de lumière ou une tache d’ombre. -En un mode grossier, cette sorte d’exécution est très marquée dans -l’ancienne sculpture française sur bois[18].» - -C’est presque une définition de M. Rodin, et c’est bien la définition -d’un artiste, comme, d’ailleurs, c’était bien d’une intention d’artiste -qu’était sortie l’ébauche du _Balzac_. Et c’est ce même homme, si -peu timide, si prompt aux innovations, qui, aujourd’hui, ayant à -représenter deux contemporains, bien loin de chercher l’impossible dans -le vêtement moderne, a enveloppé l’un, le _Balzac_, d’une draperie, et -a dépouillé l’autre, le _Victor Hugo_, de tout vêtement. - -Si nous considérons les plus récents monuments imaginés par des -maîtres à la gloire de nos contemporains, l’admirable _Lamoricière_ et -le _Duc d’Aumale_, de M. Paul Dubois, le _Balzac_, de M. Falguière, -l’_Alphonse Daudet_, le _Président Faure_ et l’_Alexandre Dumas fils_, -de M. de Saint-Marceaux, nous voyons qu’au lieu d’affirmer les lignes -particulières du vêtement contemporain, l’artiste les a dissimulées. -Une large couverture drape les jambes jusqu’au torse; la tête émerge -seule clairement, le col rabattu suit l’inflexion du buste. Partout un -modelé très doux atténue, émousse la géométrie des lignes et enveloppe -comme d’un nuage le peu qu’il en laisse apercevoir. - -Il l’est encore dans la pierre tombale du président Faure, par le même -artiste. Là, ce sont les drapeaux russe et français unis par la main -du mort qui ont servi à draper plus amplement la figure, bien que les -lignes insupportables de l’habit se laissent voir trop nettement. -Au salon de 1901, M. Dalou a drapé le plus qu’il était possible sa -statuette de _Lavoisier_. Plus loin, dans un projet en plâtre d’un -monument à deux industriels, il n’est pas jusqu’à un plan d’ingénieur -déplié sur les genoux qui ne serve un peu à cet objet, bien que, là -encore, toute l’ingéniosité du sculpteur, son don du mouvement, du -pittoresque et de l’observation n’aient pas suffi à rendre sculptural -un costume qui ne l’est pas. - -Dans le monument de _Pasteur_, à la nouvelle Sorbonne, où l’on voit le -savant assis, maniant le ballon de verre où son regard scrute le secret -de la mort, M. Hugues a masqué la plus grande partie du costume par -une couverture. Le _Victor Hugo_ assis de M. Marqueste est hardiment -anachronique. Il se carre dans une chaise romaine, enveloppé quasi -tout entier d’un manteau qui dissimule son habit. Le peu qu’on voit du -pantalon et de la manche libre colle au corps, enroulé, tordu, autour -du bras ou du jarret. Le gilet bâille, un bouton est écrasé, le col -et les manches ont perdu leur aspect. C’est un minimum de vêtement -contemporain. - -Si l’on veut faire la contre-épreuve, que l’on regarde les habits -ajustés: par exemple, le _Baudin_ en redingote, debout sur la -barricade. Il manie ce chapeau haut de forme qui, figurant déjà sur -la tombe de Victor Noir, par M. Dalou, paraît définitivement lié au -sort de tous les grands agitateurs de notre temps. Peut-être les -archéologues à venir, lorsqu’ils le trouveront accompagnant toutes les -statues de révolutionnaires, et qu’ils en chercheront la signification, -incapables d’imaginer qu’il ait jamais pu servir à coiffer une tête -humaine, seront-ils tentés d’y voir un dangereux engin de destruction. -Eh bien, ce n’est assurément pas le mouvement qui a embarrassé l’auteur -du _Baudin_, ni le sujet: c’est le costume. C’est le costume aussi qui -a rendu insurmontable la tâche entreprise par un autre de rendre épique -le personnage du président Krüger. - -Enfin, dès qu’un souci de ressemblance ne les lie pas absolument, nos -artistes écartent tout costume moderne. Rappelez-vous ce que vous -avez admiré dans les _Salons_ depuis dix ou douze ans, vous trouverez -que tous les beaux ouvrages plastiques de pierre ont représenté le nu -ou des vêtements qui serrent de près la forme humaine, et sans rien -d’essentiellement contemporain,—_les Mineurs_ de M. Constantin Meunier, -comme _les Ouvriers_ de la frise du Travail de M. Guillot ou _le -Secret_ de M. Bartholomé. - -Au Salon de 1899, il y avait une telle abondance de draperies -imprévues, enveloppant des figures contemporaines, qu’on avait surnommé -toute une région de la Galerie des Machines: «le coin des robes de -chambre». Les œuvres les plus puissantes de la sculpture contemporaine, -_les Bourgeois de Calais_ de M. Rodin et le _Monument aux morts_ de M. -Bartholomé, sont précisément celles où n’apparaît que le nu et que le -drapé. Plutôt que de figurer un _Guillaumet_ en veston et en chapeau -melon, M. Barrias a évoqué sur sa tombe une jeune fille de Bou-Saada -que le peintre avait peinte au cours de ses voyages. Tout ce qu’on -peut découvrir de draperie dans les accessoires de la vie moderne -est utilisé pour masquer notre costume. Le drapeau a servi naguère à -M. Paul Dubois, non pas seulement pour révéler ce qu’il y avait de -patriote dans l’âme du Duc d’Aumale, mais surtout pour dissimuler ce -qu’il y avait de fâcheux dans la coupe de son habit, et, si le maître -avait pu étendre les plis glorieux jusqu’aux pieds, comme fit Rude avec -le linceul de son _Cavaignac_, de façon à cacher le bout des bottes -du général, il est permis de croire que son monument y eût encore -infiniment gagné. - -Il semble, d’ailleurs, que beaucoup d’écrivains, tout en professant -l’excellence du costume moderne, aient tenté, par un instinct plus -sûr que leurs théories, de s’en libérer un peu pendant leur vie et de -fournir à leurs statuaires le prétexte d’en libérer tout à fait leur -image après leur mort. Tel, Balzac avec sa robe de moine. Tel Alexandre -Dumas fils, dictant ainsi, dans son testament, le thème sculptural -dont M. de Saint-Marceaux a tiré un si beau parti: «Après ma mort, je -serai revêtu d’un de mes costumes de travail, les pieds nus...», ce -costume de travail étant une robe. En sorte que rien, dans la réalité, -n’est venu confirmer les hypothèses favorables au vêtement contemporain -depuis le jour, en 1846, où Gustave Planche félicitait Maindron d’avoir -représenté, en redingote, Senefelder, l’inventeur de la lithographie. -Dans ces cinquante ou soixante ans, l’expérience a été maintes fois -tentée. Elle l’a été par des maîtres. Les résultats en couvrent nos -places publiques. L’opinion unanime a jugé. Aujourd’hui, les maîtres ne -la tentent même plus. L’échec est décisif. - - - - -CHAPITRE III - -Pourquoi le vêtement moderne n’est pas sculptural. - - -Et pourquoi? Pourquoi le vêtement contemporain est-il si peu -sculptural? Pour en trouver les raisons, il suffit de le considérer. -D’abord, il est uniforme; il offre de grands espaces dénués d’ombre et -de lumière. Là où le buste de l’homme se creuse, se renfle, se plie -et se cambre au gré des muscles grand pectoral, grand dentelé, grand -oblique, la redingote n’a qu’un plan. Là où le corps dit: relief, -profondeur, polyèdre, ligne ondulée, accent d’ombre, rouages souples de -la machine humaine affleurant à la peau, la redingote dit: cylindre. Le -tailleur rectifie le buste de l’homme et apprend à la nature comment -elle aurait dû construire les jambes: rectilignes. Car autant qu’il est -uniforme, le vêtement moderne est artificiel. Non seulement il cache -la forme humaine, mais il la contrefait. La toge ou le pallium, prêts -à se modeler sur l’athlète ou l’orateur, ne sont rien sitôt tombés -de ses épaules, tandis que notre costume est une caricature complète -de l’homme; il a comme lui des jambes, des bras, un cou. C’est un -anthropoïde. - -Uniforme et artificiel, il est encore immuable. Tandis que les grandes -lignes de la toge, diversement ondulantes ou serrées, changeaient -de physionomie,—selon que le prêtre ramenait un peu de draperie -sur sa tête, ou que le lutteur l’enroulait autour de son bras, ou -que l’orateur la laissait tomber dégageant son buste, ou que le -magistrat disposait par longs traits les bords contenant les bandes de -pourpre,—le veston, lui, ou bien l’habit, reste identique à lui-même, -que ce soit un homme d’État, un médecin, un chimiste, un escrimeur ou -un poète qui entre dedans. Sa gloire est dans son indifférence pour le -personnage qu’il recouvre et dans son imperturbabilité. - -Ce contraste apparaît jusque dans le geste de l’homme pour se vêtir. -Comparez un Arabe qui se drape avec un Européen qui entre dans son -paletot. L’un fait un beau geste circulaire, souple, simple, conforme -à la dignité du corps humain. L’autre est tenu à une série d’efforts -lamentables et ridicules. D’abord, il lance un bras en l’air, puis -l’autre, afin de se jeter désespérément dans ses manches. Ensuite, -courbant l’échine et imprimant à tout son être une secousse de bas en -haut, il n’offre aucune différence avec un oiseau lourd qui s’essaie -à prendre son vol ou un nageur inexpérimenté qui se noie. Ce détail -marque nettement la différence entre les deux costumes. L’homme antique -dispose son vêtement sur lui. L’homme moderne est obligé de se disposer -lui-même au gré de son vêtement. Quoi d’étonnant si celui-ci est si peu -vivant? - -Sans doute, il le devient, avec beaucoup de stratagèmes. M. Paris -a réussi à faire vivre les lignes de l’habit de son _Danton_, du -boulevard Saint-Germain, mais ce n’a été qu’en exagérant formidablement -le geste du tribun. Encore maniait-il un habit plus souple que le -nôtre. Avec la redingote ou le veston, il eût dû renchérir sur -l’agitation du _Danton_. De par la rigidité de son enveloppe, le grand -homme moderne est tenu, pour l’assouplir, de se livrer à de violentes -pantomimes aussi peu conciliables avec le vrai caractère de la -statuaire qu’avec celui de ses pacifiques occupations. - -Monotone, immuable, artificiel, le vêtement contemporain est donc -quelque chose de très particulier dans les annales du costume. Avant -lui, tous les costumes dont l’art sculptural s’est servi suivaient -d’assez près les proportions du corps humain, comme l’armure du -_Coleone_ de Verocchio ou celle du _Saint Georges_ de Donatello, ou -bien ils n’avaient pas de proportions du tout. Ce que le costume -moderne a de particulier, c’est qu’il n’est ni modelé sur la forme -humaine comme le costume de la Renaissance, ni dépourvu de forme comme -le voile antique, et que, n’étant pas ajusté au corps, n’étant pas un -«juste-au-corps», il est cependant anthropomorphe à sa manière, et que, -s’il ne donne pas du tout l’idée d’un homme fait par la nature, il -donne cependant celle d’un «bonhomme» dessiné par un couturier. - -Sans doute, on a vu de beaux vêtements qui n’étaient pas construits -selon la forme du corps humain. Tel est le cas du plus beau de tous: le -vêtement antique. Seulement, c’étaient des vêtements sans forme aucune. -La draperie antique est amorphe. Elle n’est rien par elle-même et doit -tout à l’être qu’elle recouvre. Un voile léger, une calyptre jetée à -terre est sans forme comme une nappe d’eau, mais, posée sur la tête -d’une femme, tombant sur les épaules, sur les seins et jusqu’aux pieds, -elle devient plastique. Comme cette même nappe d’eau tombant du haut -d’un rocher, rebondissant en lignes courbes, s’étalant en vagues, se -réduisant en longs filets liquides, se nouant et se dénouant comme deux -cordes qu’un mouvement concentrique rapproche et sépare, se rejoignant -comme des œils de plis, descendant par larges nappes, puis tombant -droit aux pieds comme une averse de plis parallèles et se répandant -en gros bouillons tout autour de la déesse, enfin, lorsqu’elle a -trouvé son équilibre, demeurant toute plane sur le sol comme une eau -tranquille qui ne bouge plus: telle est la draperie antique. - -Étant amorphe, elle peut devenir plastique; étant une, elle est -infiniment variable. Le corps ne fait pas la plus légère inflexion -sans que le reflet en tressaille dans tous les plis. Toute statue -antique, si elle ne porte pas dans le pli de sa toge la paix et la -guerre, y porte du moins le souvenir du corps humain. Ce ne sont pas -seulement les expressions prévues par Quintilien qu’elle donne: qu’un -homme en toge lève doucement le bras, ce mouvement créera derrière -lui une multitude de plis,—tel, le mouvement du vaisseau crée le -sillage. Qu’au contraire, un homme en redingote le lève deux fois plus -haut: la ligne inférieure de la jupe n’oscillera même pas. A peine, -autour de l’épaule, se fera-t-il une légère grimace, une patte d’oie. -Le mouvement sous une draperie, c’est une pierre jetée dans l’eau: -jusqu’aux extrémités, des frémissements concentriques à la surface -indiquent le geste qui s’est produit. Le mouvement dans un vêtement -ajusté, c’est une pierre tombant dans du sable. Là où il se produit, il -y a une légère perturbation, peut-être un froncement d’étoffe: c’est -tout. - -Un artiste ingénieux peut exagérer ce froncement. Il peut coller le -tissu au corps pour le mouler comme a fait M. Marqueste dans son -_Victor Hugo_, ou, au contraire, en faire flotter les extrémités pour -l’animer; il peut imposer à son héros—poète, historien, chimiste,—une -élégance ou bien une agitation qu’un modeste ou paisible savant n’a -jamais connues: il n’arrivera pas à traduire les inflexions délicates -et subtiles du corps. Il ne trouvera pas dans l’enveloppe moderne les -éléments nécessaires à son œuvre. L’artiste qui veut traduire le corps -humain par la redingote, c’est un écrivain à qui l’on donnerait pour -traduire du Bossuet le code des signaux maritimes ou l’Esperanto. - -Nous touchons ici à la loi esthétique fondamentale du vêtement humain. -Il est esthétique dans la mesure où il est révélateur. La draperie, -elle, révèle trois choses: ou bien la forme du corps,—quand elle -adhère au corps sous la pression de l’air ou qu’elle est serrée par -un nœud, comme dans les trois _Parques_ du Parthénon;—ou bien son -mouvement, quand elle flotte et suit le geste qui l’anime, comme dans -les combattants du sarcophage de Sidon;—ou bien, à la fois, sa forme et -son mouvement, quand elle adhère au corps et se déroule en le suivant, -comme dans la _Victoire_ de Samothrace. Le pli tombant est également -indicateur de grandes lois naturelles. S’il tombe droit, comme dans -les figures des portails de nos cathédrales, il marque la loi de -gravitation. S’il ne tombe pas droit, mais par sursauts, il marque à la -fois la loi de gravitation et la forme du corps humain, c’est-à-dire -la lutte infiniment complexe entre la pesanteur qui veut des lignes -verticales et la résistance qui veut des lignes horizontales. S’il ne -tombe pas du tout, s’il flotte, il marque le mouvement de ce corps et -la force de l’air. - -En regard de ces indications subtiles, mais précises, perçues par -l’esprit inconsciemment, en regard de ces phénomènes éternels—les plus -hautains individualistes nous permettront-ils de dire de ces «lois» -éternelles qui régissent la vie?—examinons ce que marque la redingote, -c’est-à-dire le vêtement ajusté? Il ne marque rien. Il ne révèle pas -le corps, puisqu’il le cache sous une carapace de même diamètre, là -où la nature a modelé des épaisseurs de proportions très variables. -Il ne révèle pas le mouvement, puisqu’il est construit précisément en -vue d’éviter les plis, qu’on appelle tous des «faux plis» et qu’il -faudrait un désordre inouï dans l’âme d’un homme pour qu’il s’en -manifestât un quelconque dans sa toilette. Il ne marque pas la marche, -trop lourd pour flotter et d’ailleurs retenu par les boutons, qui sont -les gendarmes du costume moderne. Aux jarrets, il est rectificatif de -la nature et—jambes de coq ou mollets d’Hercule, jarrets du montagnard -ou jambes du danseur—il confond tout dans le même cylindre égalitaire, -imperturbable et prévu. - -Puisqu’il ne marque rien de réel ni de voulu par la nature, que marque -donc l’habit ajusté? Eh! c’est fort simple! il marque un idéal: l’idéal -du tailleur qui l’a fait. - -Quel est-il donc, cet idéal, pour avoir produit un costume uniforme, -artificiel et inexpressif? Voici le dernier terme de la question. -Croit-on que ce soit le hasard qui ait produit et qui maintienne, -malgré tous ses défauts, ce vêtement contemporain? Ne voit-on pas -que ce sont ses défauts mêmes qui le rendent populaire et que c’est -précisément parce qu’il est uniforme et inexpressif, c’est-à-dire -égalitaire, qu’il est contemporain? C’est précisément parce qu’il -confond, sous la même apparence, le torse musclé et la poitrine -étriquée, les épaules larges et les épaules fuyantes, le bras -vigoureux, le jarret nerveux et les membres déjetés, les genoux -cagneux, c’est expressément parce qu’il revêt les êtres les plus -dissemblables d’une semblable laideur, que ce vêtement s’impose à notre -temps et à notre société. Ce défaut lui est consubstantiel, c’est -sa raison d’être; c’est, aux yeux des contemporains, sa qualité. La -fiction de l’égalité des hommes devient réalité dans les costumes. -Tout essai de rendre plus plastique le costume ferait apparaître -l’inégalité physique des individus: aussi est-il repoussé. Notre -costume contemporain aurait bien manqué son but, s’il pouvait s’allier -à la Beauté. Il a été construit contre la Beauté. - -Il est donc bien, lui-même, une mauvaise œuvre d’art. Il ne faut donc -plus parler d’un fait réel et vivant à interpréter par l’art comme -un arbre, un visage, un légume, un monstre naturel, un serpent ou un -rocher. Non. Il s’agit d’une mauvaise œuvre d’art à reproduire en -fac-similé. Voilà où dévie la théorie que tout ce qui «est réel et -vivant peut devenir beau». Elle conduit, pratiquement, à introduire -dans l’art une forme qui n’est ni réelle, ni vivante, qui est -artificielle et morte, et à subordonner l’œuvre du statuaire aux -lois posées par un tailleur,—lois d’ailleurs très précises, très -impératives, texte impossible à interpréter, à tourner. Le tailleur -est le statuaire de l’habit ajusté, comme le statuaire était le -tailleur de la draperie. C’est donc le tailleur qui dicte la statue. -Prétendre qu’on peut interpréter son œuvre, c’est proprement dire qu’on -peut interpréter la forme d’un poêle Choubersky. Devant une forme -aussi mathématiquement définie, il n’y a que deux partis à prendre: -la surmouler ou la supprimer. Si on la surmoule, c’est le tailleur -qui fait la statue. Si on la supprime, il n’y a plus de vêtement -contemporain. - -Rien de tout cela n’est assurément une découverte. Et les esprits peu -compliqués, pour qui ces lois n’ont jamais cessé d’être évidentes, -trouveront sans doute superflu le soin qui est pris ici de les -rappeler. Mais il suffit de parcourir quelques pages de critique d’art -contemporaine pour sentir que, bien loin d’être superflu, ce soin est -le plus nécessaire dans un moment où la simplicité des impressions est -si fort méprisée et la recherche de l’originalité si commune et si -vulgaire, que le moindre rappel d’une vérité claire paraît un paradoxe -ou une nouveauté. - -Les artistes, heureusement, s’en sont souvenus mieux que les critiques. -Un instant égarés par le désir tout intellectuel et non esthétique -d’exprimer les mœurs de leur temps par le vêtement contemporain, ils -abandonnent cette voie fausse, guidés par un instinct plus sûr que -les plus brillantes théories. S’il était permis au passant attristé -de faire entendre un seul mot, parmi tant de conseils qui leur sont -journellement prodigués, ce serait un mot de défiance à l’égard de -ces conseils et de confiance en eux-mêmes.—Ne vous inquiétez pas, -leur dirions-nous, de représenter les mœurs de votre temps, ni ses -aspirations sociologiques; inquiétez-vous de représenter ce que vous -trouvez beau dans tous les temps, selon les aspirations qui sont les -vôtres, qu’elles soient ou non celles du monde où vous vivez! Soyez -sincères, c’est-à-dire soyez artistes, et soyez de votre art avant -d’être de votre temps! Ne vous laissez pas détourner de votre chemin -par ceux qui vous diront que les anciens furent grands parce qu’ils -exprimèrent leur race, leur morale, leurs costumes, leur vie. Peut-être -est-ce vrai, mais rien n’est moins prouvé, et en toute hypothèse, cela -ne peut vous servir de rien. Allez tout simplement à ce qui vous paraît -beau, comme le fleuve va à la mer, comme l’oiseau vole à l’épi chargé -de grain. Si la draperie vous plaît mieux que la redingote, jetez la -draperie sur les épaules de vos héros. On en sourira pendant trois -jours, mais les années le garderont, car votre héros ne sera tenu pour -grand que si vous l’avez fait beau. Osez toutes les inconséquences -si elles servent votre dessein. Repoussez toute logique si elle se -résout en une forme sans grâce. Et croyez qu’il n’est pas une «lumière -intellectuelle» qui tienne devant le galbe d’un beau bras dressé pour -assurer l’équilibre de l’amphore,—ni une intention qui vaille un pli -souple tombant de l’épaule aux pieds de la plus humble statuette de -Tanagra! - - - - -CHAPITRE IV - -Comment représenter un grand homme contemporain. - - -N’est-il donc aucun moyen pour le sculpteur de figurer l’homme moderne -et doit-il nécessairement, s’il veut rendre honneur à un contemporain: -chimiste, ingénieur ou psychologue, lui donner les muscles du -_Discobole_ et la pose de l’_Apollon_? - -Ce n’est assurément pas nécessaire, ni même désirable. Mais autre -chose est la conformation, le geste, l’attitude, les inflexions d’un -savant moderne, qui lui sont imposés par ses préoccupations, par ses -travaux, par ses émotions, autre chose sont ses cols, ses cravates, -ses vestons, ses pantalons, ses bottines, qui pourraient être tout -autres, quand l’homme aurait les mêmes travaux, les mêmes soucis, les -mêmes émotions, et qui ne lui sont imposées que par son tailleur. Il -ne faut pas confondre les caractéristiques de la vie moderne avec les -artifices inutiles et incommodes qui coïncident avec la vie moderne. -Celles-là sont inévitables et influent sur la musculature même de -l’homme: c’est-à-dire sur ce qui est sculptural en lui. Ceux-ci sont -tout arbitraires et n’influent que sur son aspect le plus superficiel. - -S’il était vrai que le costume moderne est suffisant et nécessaire à -révéler ce qu’a de particulièrement sensible, affiné, nerveux, inquiet, -méditatif, notre contemporain devant les grands problèmes de la vie, -sans doute faudrait-il dire que le peuple de statues endimanchées qu’on -voit au _Campo-Santo_ de Gênes donne une idée plus juste de l’homme -moderne que les figures sans vêtements et sans date de l’admirable -_Monument aux Morts_ de M. Bartholomé.... - -Personne ne le dira. Il y a, dans ces figures rampantes ou suppliantes, -dressées ou prosternées: _A l’entrée du Mystère_, au Père-Lachaise, une -anatomie particulière, des inflexions, des gestes que difficilement -l’Antiquité ou la Renaissance eussent imaginés. Tout y est oublié de -ces pompeux désespoirs où les statuaires funéraires du XVIII^e siècle -déployaient la gloire des draperies, la délicatesse des dentelles, -la science du squelette; tout y a disparu de ces honneurs auxquels -«il ne manque que celui à qui on les rend». Au contraire, tout y -témoigne bien de la méditation de l’homme moderne devant cette porte, -soit qu’elle s’ouvre sur ce que le chrétien a tant de fois rêvé, soit -qu’elle mène à ce «néant tranquille de la mort où l’homme se reposera -du néant troublé de la vie». Ces figures, une autre époque ne les eût -ni inspirées ni comprises. Sans costumes qui leur assignent une date, -les figures de M. Bartholomé appartiennent clairement à notre temps, à -un moment de l’humanité. - -Ce que M. Bartholomé a su faire dans son _Monument aux Morts_, nos -statuaires ne peuvent-ils donc le tenter, lorsqu’ils glorifient la -vie? Ne peuvent-ils trouver des gestes, des attitudes qui témoignent -particulièrement des travaux, des émotions de l’homme moderne? Faut-il -donc un uniforme pour distinguer un médecin d’un orateur, comme il en -faut un pour distinguer un artilleur d’un cuirassier? Et nos grands -hommes contemporains n’ont-ils pas de gestes et d’attitudes qui leur -soient propres, par où la sculpture puisse exprimer leur modernité? - -La réponse dicte le parti à prendre. S’ils en ont, que le statuaire -l’exprime, et s’ils n’en ont pas, qu’avons-nous besoin de statuaire? -Qu’on fasse leur biographie, mais non leur statue! Qu’on dresse un -monument à leur idéal, à la chimère de leur vie, quitte à imprimer, au -piédestal de ce monument symbolique, un médaillon représentant leurs -traits[19]! Le médaillon gravé par M. Roty suffirait, par exemple, -dans un monument à Pasteur, tandis que, sur le piédestal, l’artiste -dresserait la figure de ce que rêva ou ce qu’accomplit Pasteur. Quelle -figure? dira-t-on. C’est à l’artiste de la concevoir. Et peut-être -n’est-ce point une chose facile que de montrer, par exemple, _la -Science luttant avec la Mort_, mais assurément le résultat en serait -moins incertain et moindres les chances de ridicule que de vouloir -ennoblir la redingote ou rendre épique le haut de forme du savant. - -Considérons les figures symboliques de Puvis au grand amphithéâtre -de la Sorbonne, par exemple, la philosophie spiritualiste et la -philosophie matérialiste: il serait facile de mettre sous ces -figures des noms de philosophes contemporains. Pourquoi le sculpteur -n’obéirait-il pas à une même inspiration et, lorsqu’il a quelque -philosophe contemporain, un Renan ou un Jules Simon, à immortaliser, -ne dresserait-il pas sur son monument une de ces figures qui sont -sculpturales, à la place du savant qui ne l’est pas? L’honneur -serait-il moindre pour le grand homme parce qu’on ne verrait pas son -gilet? Ce qui est précieux chez un savant ou un philosophe, c’est sa -découverte ou sa pensée. Ce n’est pas la coupe de ses habits. C’est -le résultat de ses veilles et de ses travaux connu du monde entier, -et c’est leur souvenir exprimé par le marbre que le monde entier -reconnaîtra. Ce n’est pas le résultat des travaux et les veilles de -son costumier. Si, comme on le prétend, c’est le visage qui reflète -toute la grandeur de l’homme moderne, c’est son visage seul qu’il -faut immortaliser. Si c’est son corps tout entier, le costume y est -indifférent. Si ce n’est ni l’un ni l’autre, et si toute sa grandeur -consiste dans sa pensée, c’est donc bien sa pensée qu’il faut figurer -sur son monument.... - -Et si l’on objecte que, pour figurer la pensée d’un politique, il -faudrait qu’il en eût une, ou l’action d’un ministre, il faudrait qu’il -eût fait quelque chose, et que, si les milliers de célébrités qu’on -érige en marbre ont possédé chacune un visage qu’on peut reproduire, -il serait fort difficile de leur trouver à toutes un rêve ou une pensée -qu’on pût symboliser, nous dirons qu’en ce cas on serait quitte pour -ne rien figurer du tout.... Et l’on ne voit pas ce qu’y perdraient -l’Art, l’Histoire, la chose publique.... Il n’est pas nécessaire que -tout grand homme ait une statue, mais il est nécessaire que le goût ne -soit point perverti par les apparitions grotesques et immuables qui -s’entassent dans nos cités. Il n’est pas indispensable d’enseigner à -l’avenir des centaines de noms inconnus au présent, mais il ne faut pas -qu’un même signe évoque, chez nos descendants, les meilleurs de nos -contemporains avec les pires des formes esthétiques, ni que le souvenir -de l’héroïsme ou du génie se confonde, dans leurs imaginations, avec -celui de la laideur. Enfin, il n’est pas démontré que la statuaire ne -doive représenter que le drapé ou le nu, mais il semble bien établi -qu’il est des formes artificielles dont l’art ne peut tirer aucun -parti, et que, s’il n’y a pas autant de «lois» esthétiques, peut-être, -qu’on l’a quelquefois professé, il y en a tout de même quelques-unes -qu’il faut suivre,—et non point parce qu’elles dérivent d’un code et -qu’elles sont admises par l’Institut, mais simplement parce qu’elles -dérivent de la nature même des choses et qu’elles sont des nécessités. - - - - -QUATRIÈME PARTIE - -LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE UN ART? - - - - -LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE UN ART? - - -Quelque chose a changé dans l’Esthétique du noir et du blanc. Un -mouvement nouveau entraîne les photographes hors et à rebours des -voies où ils avaient accoutumé de cheminer jusqu’ici. Ce mouvement -est international. Tant à Vienne qu’à Bruxelles, et à Londres qu’à -Paris, aussi bien sur les terrasses de Taormine en Sicile qu’en -Nouvelle-Zélande sur la côte d’or de Coromandel, partout où il y a des -photographes, ils semblent préoccupés de recherches que les chimistes -ignorent, et agités d’inquiétudes que leurs devanciers n’avaient pas -connues. Ils flânent plus volontiers en plein air, par les bois, les -plaines et les grèves, même dans les lieux sans monuments et à des -heures sans soleil. Que cherchent-ils? Si un vieux professionnel de la -chambre noire les suit et les observe, il s’étonne et se scandalise. Il -les voit s’arrêter devant un espace vide de «site», un néant; quelque -lande aux bruyères fleuries, quelque bord d’étang «où les joncs agités -font un éternel murmure». Là, il aperçoit avec horreur que ces jeunes -confrères violent toutes les règles de la profession. Ils se placent à -contre-jour, en face du soleil. Ils ne mettent pas rigoureusement au -point. Chose incroyable, il arrive qu’ils ne se servent pas toujours du -système de lentilles qu’on nomme l’_objectif_! - -S’il pénètre dans leur atelier, l’étonnement n’est pas moindre. Où -est le vitrage en manière d’aquarium, et le jeu de rideaux, et la -lumière crue indispensable à un «bon cliché»? Où est le carcan de fer -pour maintenir la tête du patient, et le banc rustique, et la colonne -torse, et le balustre? Où sont ces boîtes de carton, en polyèdres, -simulant des rochers, et la cascade peinte sur la toile de fond, toutes -choses qui, dans nos vieux albums de photographie, environnent d’un -travestissement uniforme et lamentable les figures disparues que nous -avons aimées?... Rien de tout cela, mais une simple chambre, orientée -au hasard, parfois au midi, des tapisseries effacées, et, éparses çà -et là, des choses gaies, fines, surannées, des péplums, des calyptres, -des tuniques, des vertugadins, des anaboles, des collerettes pierrot, -des chapeaux de nos mères-grands, des ridicules qui émerveillaient les -merveilleux du Directoire, et des mouchoirs qui saluèrent la rentrée -des vainqueurs d’Austerlitz,... ou bien, moins encore, de simples -bandes, des lés de mousseline et de gaze, de satinette et de velours de -coton, des choses amorphes et changeantes, comme le cabriolet de Miss -Helyett et le feutre de Tabarin, des buissons de rubans, des brassées -de fleurs, dans un désordre d’archéologue ou de couturier.... - -L’homme qui manie ces choses est-il un photographe? Il n’a point le ton -sévère et impératif de l’ancien opérateur qui glaça, du mot de Gorgone, -tant de générations d’enfants au brassard frangé ou de jeunes mariés -aux mains prises dans des gants trop étroits: «Ne bougeons plus!» Non, -ceux-ci aiment tout ce qui bouge: le nuage et la feuille, et l’eau, -et le regard, et le sourire.... Le voile noir qui couvrait leurs -épaules est tombé, et ils apparaissent à la foule moins magiciens, mais -plus hommes. Ils ne parlent plus par C^{12}H^6O^4, mais par versets -de poètes ou d’esthéticiens. Ils citent moins Herschel que Stendhal -et moins Janssen que Fromentin. Ils ne fuient pas les artistes. Ils -causent volontiers avec eux, et non plus en pédagogues, l’index en -l’air, avec la prétention de leur enseigner les vraies attitudes -de l’homme en marche ou du cheval au trot, mais, au contraire, en -disciples, avec le désir de profiter de l’expérience des maîtres et -d’écarter de la réalité tout ce qui n’est pas conforme à l’idéal.... -Enfin, ils travaillent, au jour, une seule épreuve un temps infini. -C’est alors que l’indignation du vieux professionnel ne connaîtrait -plus de bornes. Car il les verrait penchés sur une plaque semblable -à celle du graveur, durant plus d’une heure pour chaque épreuve, se -livrant à des besognes que ne désavouerait pas un aquarelliste.... Ne -serait-ce pas des «retouches»? Encore une fois, que cherchent-ils? - -Ce qu’ils ont trouvé est plus surprenant encore. Quiconque est entré -dans une des plus récentes expositions du Photo-Club, à Paris, ou du -Link Ring, à Londres, du Camera Club, à Vienne, ou de la Société belge -de photographie, à Bruxelles, en est sorti stupéfait qu’un procédé -vieux de soixante ans et qu’on pouvait croire épuisé semblât se -renouveler jusqu’à une renaissance. N’y avait-il pas là un art modeste, -sans tapage, sans manifeste, mais à demi créé, balbutiant les premiers -mots d’une langue inconnue? La foule, sans chercher de raisons, a -tôt fait de dire son avis: devant les œuvres de MM. Robert Demachy, -Constant Puyo, Maurice Bucquet, Maurice Brémard, Alfred Boissonnas, H. -Erfurth Steichen, Miss Mathilde Weil, Miss Ema Spencer, MM. Guido Rey, -Murchison, Arning, P. Bourgeois, da Cunha, Coste, Naudot, Jacquin, -Horsley-Hinton, Holland Day, Mme Binder-Mestro, Mlle Laguarde, Alfred -Maskell, Frederick Hollyer, Craig-Annan, Le Bègue, Bergon, Colard, -Calland, Watzek, Sollet, Alexandre, la foule a admiré, tout uniment. -Pourtant, çà et là, apparaissent des figures inquiètes.... Des -artistes, peut-être, troublés comme des gens qui auraient aperçu, se -profilant sur l’horizon, aux confins de leur domaine, la silhouette -des fourriers d’une invasion?... Des critiques d’art, qui, toute leur -vie, montrèrent, par des syllogismes fort bien ordonnés, que _jamais_ -la photographie ne pourrait donner des résultats équivalents à ceux -de l’eau-forte ou du fusain, et qui n’entendent autour d’eux que ces -mots: «On dirait une eau-forte!... On dirait un fusain!» Des idéalistes -enfin, qui se demandent, attristés par cette intrusion nouvelle de -la science, ce que va devenir, parmi tout cet appareil chimique -d’émulsions et de révélateurs, dans toute cette gomme bichromatée ou -dans ce paramidophénol, les traditions fines et nobles du grand art, -l’inspiration personnelle et innée, la part de l’âme, l’idée?... - -Avec eux et avec tous ceux qui aiment le Beau, abordons ce problème. -Demandons-nous pourquoi la photographie, jadis unanimement méprisée par -les artistes, se trouve aujourd’hui sur les confins mêmes de l’art. -Cherchons si l’opérateur prend une part nouvelle dans le phénomène -chimique et mécanique qui s’accomplit. Examinons si cette part est -suffisante pour qu’elle lui permette d’y imprimer sa personnalité. -Enfin, tâchons de déterminer à quoi tend ce mouvement, et s’il marque -un nouveau progrès du naturalisme sur les traditions idéalistes et -classiques de l’ancienne école française; ou bien si, au contraire, -il ne serait point, par une évolution singulière et inattendue, un -témoignage éclatant de leur vitalité. - - - - -CHAPITRE I - -Les défauts de la photographie. - - -On a dit beaucoup trop de mal de la photographie, et pas assez des -photographes. Il est très vrai que la photographie, telle que nous la -connaissons d’habitude, a mille défauts qui sont la négation même de -l’art, sans être le moins du monde l’affirmation de la Nature. Elle -n’est pas plus près de la vérité que de la beauté. Elle exagère la -perspective à ce point qu’une grande route, prise de face, fuyant droit -vers l’horizon, ressemble à une pyramide, qu’une table carrée vue de la -même façon paraît quasi triangulaire, et qu’une main tendue vers vous -est plus grosse que la tête de l’ami qui vous la tend. Elle traduit -si malencontreusement les couleurs les plus nécessaires, qu’un toit -rouge clair devient noir, pendant que le ciel bleu foncé devient blanc. -Elle supprime ainsi le ciel et la mer du Midi, et dès qu’un ton aussi -important vient à manquer, toute la gamme est fausse. Les caps sacrés, -qui se profilaient doucement sur le ciel, se découpent comme des écrans -devant le feu; les bateaux noirs, qui s’harmonisaient avec le flot bleu -sombre, semblent des mouches tombées dans du lait. Les feuilles dorées -de l’automne et les raisins blancs bien mûrs deviennent quelque chose -de noir comme des gouttes d’encre sur du papier. Un effet de soleil -apparaît si éclatant, qu’on le prend pour un effet de neige. Un arbre -vu à contre-jour est si furieusement sombre, qu’on ne distingue rien de -son modelé et qu’il paraît une plaque de tôle, plate et enfumée. - -Puis, ayant négligé ainsi la vérité sur les points capitaux, la -photographie devient d’une exactitude indiscrète et cancanière sur -les détails dont on n’a que faire. Comme l’_Intimé des Plaideurs_, -elle passe sur le principal de la scène esthétique, seul objet où -vont les yeux et le cœur, et s’étend longuement et complaisamment -sur les brindilles, les fétus, les faits étrangers à la cause. Elle -compte sottement tous les cailloux de la grève, quand elle fut -incapable de donner des eaux du torrent une idée autre que celle d’une -chevelure grise qui traînerait par terre. Précise et stupide comme une -statistique, elle dénombre les feuilles des arbres en les découpant -lourdement sur le ciel comme si elles étaient de fer. Aussi bien, ne -peut-on trop mépriser la sécheresse de son trait; le brillant de ses -noirs et de ses blancs extrêmes, plaqués les uns contre les autres, -sans échange de reflets, sans intervention de clairs-obscurs; enfin -la monotonie de son rendu, partout le même, sans un accent, sans -une vibration des _mortalia corda_ où se montre une impatience, une -joie, une défaillance; cette lamentable perfection, égale dans mille -épreuves, où tout ce qui est mécanique se retrouve et à qui tout ce qui -est humain semble étranger.... - -Ces reproches sont justes; mais qui les mérite? La photographie ou les -photographes? Le soleil, ou le laboratoire obscur? Les photographes -ont-ils bien fait tout ce qu’il fallait pour éviter ces erreurs? Un -court examen suffit pour voir qu’au lieu de les fuir, ils les ont -recherchées. Pour eux, la sèche définition du trait, non seulement -n’est pas un défaut, mais une qualité. C’est ce qu’ils appellent -faire _net_, et ce qu’ils ont, au contraire, toujours considéré comme -un défaut, c’est le _flou_, terme de mépris qui, dans leur langage, -voue à l’exécration publique la grâce, l’indécision, la fraîcheur, ce -que les artistes recherchent d’abord. Quand, dès 1853, sir William -Newton et plus tard MM. John Leighton et Buss soutinrent devant les -sociétés de photographie de leur pays que tous les plans ne devaient -pas être également nets et que certaines lignes devaient se profiler -à peine sur le fond, ils soulevèrent une tempête de protestations. -Sacrifier une herbe, un cheveu, un caillou, jamais! L’idée directrice -des photographes était alors, comme hier encore, que plus une épreuve -montre de détails, plus elle est belle, et plus nettement elle les -montre, mieux son but est rempli. Il faut que, devant la photographie -d’une ville, on puisse compter toutes les maisons, et dans chaque -maison toutes les fenêtres, et dire: Voici la mienne, et le contrevent -est à demi fermé! Tous les perfectionnements de diaphragmes, de -plaques, de révélateurs et de papiers lisses et brillants ont été faits -pour obtenir un détail plus minutieux, une opposition de noir et de -blanc plus tranchée, des silhouettes plus découpées, une documentation -plus rigoureuse;—toutes choses qu’en effet la science réclame pour ses -enquêtes, mais que l’art proscrit. Quoi d’étonnant si tant d’efforts -pour le laid ont été couronnés de succès! - -La même tendance s’observe pour les exagérations de perspective. -On a beaucoup parlé des défauts de l’objectif et de «l’aberration -de sphéricité»; mais quand donc parlera-t-on de l’aberration des -opérateurs? Il est très vrai que certains instruments distordent les -lignes droites dans les coins de l’image, mais pourquoi choisir ces -instruments? Si l’on remarque des exagérations de perspective dans -les objectifs à grand angle, pourquoi ne pas choisir des objectifs à -petit angle qui, eux, ne donneront pas ce résultat monstrueux? Et si -l’objectif est à grand angle, pourquoi le placer si près de la chose -à photographier que les lignes principales partent du bas même de -l’épreuve, et soient agrandies ainsi à l’excès au bord inférieur de -l’image, puis diminuées à l’excès à mesure qu’elles montent et fuient -vers l’horizon?—Pourquoi? Simplement parce que le photographe a voulu -comprendre le plus de choses possible dans le champ de l’appareil, afin -de voir à la fois ce qu’il y a à ses pieds et ce qui plane au-dessus -de sa ligne d’horizon. Parce que, dans son désir d’enregistrer un -grand nombre de détails, et dans son ignorance profonde de la loi des -sacrifices nécessaires, il veut embrasser avec l’œil de son objectif -plus qu’il ne peut le faire d’un seul regard de ses propres yeux. -C’est ainsi que, dans les épreuves dont la perspective nous choque, -la photographie a été forcée d’enregistrer plusieurs plans que le -photographe n’apercevait pas d’ensemble, et qu’il n’aurait jamais dû -réunir dans son image, ne les réunissant pas dans la réalité. Là est le -défaut, mais il ne tient pas à l’objectif: il tient, au contraire, à -ce qu’il y a de plus «subjectif» dans l’opérateur: son sentiment faux -de la beauté. Donnez à ce photographe un crayon: il fera, en dessinant, -les mêmes erreurs. Donnez à un artiste cet objectif: il ne les fera pas. - -Ce qu’il ne fera pas non plus, c’est un paysage sans ciel, comme ce -fut jusqu’à nos jours la règle de tout bon manieur de collodion ou de -gélatino-bromure. Et, là encore, est-ce bien l’appareil qu’il faut -accuser de cette étrange suppression du ton local le plus nécessaire? -Assurément oui, quand il s’agit d’un ciel bleu, car cette couleur -impressionne si fortement la plaque qu’il ne reste rien sur cette -plaque pour donner un ton à l’épreuve, et qu’ainsi tout ce qui était -bleu dans la nature devient, dans l’image, blanc. Mais on a plusieurs -moyens de parer à cet inconvénient. On a les verres de diverses -couleurs, permettant de faire poser longtemps devant la plaque les -couleurs qui viennent trop lentement, sans laisser passer un seul -rayon de celles qui viennent trop vite. On a encore la ressource de -développer plus ou moins toute une partie du cliché. On peut enfin, -si l’on se sert de papiers charbon-velours ou de papier à la gomme -bichromatée, réserver, dans le dépouillement, un ton pour tout le -ciel. Et, bien avant qu’on parlât d’écrans orthochromatiques ou de -gomme bichromatée, un Anglais, M. H. P. Robinson, étendait des ciels -d’un ton très ferme et nuancé sur tous ses paysages. On voit donc que -l’absence du ton du ciel, chez les photographes d’autrefois, n’était -pas uniquement due à l’imperfection de la photographie, mais à leur -négligence. - -De même, s’ils s’interdisaient les grands effets de lumière, les -effets à la Turner et à la Claude Lorrain, en enseignant qu’il faut -toujours tourner le dos au soleil, ce n’était point qu’ils craignissent -le _halo_ ou des accidents semblables. C’était qu’ils se souciaient -aussi peu d’effets à la Turner que d’un ton juste pour le ciel. Et ils -s’en souciaient peu, parce que ces effets artistiques ne s’obtiennent -en général qu’aux dépens de la minutieuse et scientifique définition -des détails. Frappées de face par les rayons du soleil, les veines -d’un caillou, les brindilles d’un buisson reluisent plus exactement. -Et dans la représentation de la figure humaine, ce n’est pas un -effet caractéristique et vigoureux qui permet de tout apercevoir, -c’est un éclairage égal, tendre et mou. Pour les photographes, non -seulement l’accent n’est pas nécessaire, mais il est nuisible, et s’ils -aperçoivent dans le cliché, sur le masque humain, un trait un peu vif, -une ride un peu soulignée, un relief un peu bossué, ils l’enlèvent -d’une retouche savante, afin que l’épiderme s’arrondisse également à -la ressemblance d’une baudruche gonflée et que l’ombre se dégrade sur -l’ovale d’une joue comme sur la panse d’un ballon. - -Tout cela tenait au photographe au moins autant qu’à la photographie. -C’est pourquoi les artistes n’avaient point tort en condamnant les -épreuves qu’on leur mettait sous les yeux; mais ils allaient peut-être -un peu vite en déclarant que le procédé ne pouvait en donner d’autres. -Le jour où des hommes d’un goût sûr sont venus et ont laissé là les -dogmes photographiques, des œuvres fines, délicates, harmonieuses -ont paru. On ne retrouve plus aucune perspective exagérée dans les -scènes d’intérieur de M. Puyo, ni de «noirs bouchés» dans celles de -M. Demachy, ni de détails inutiles dans les paysages de M. Bucquet, -ni de chairs molles et rondes dans les figures de M. Maskell, de M. -Kuhn, de M. Holland Day ou de M. Hollyer. Les ciels de MM. Henneberg et -Horsley Hinton sont animés, vigoureux, plafonnants. Là même où le ciel -est bleu dans la Nature, son image est traduite dans l’image par un -ton assez fort pour que les maisons, blanches, s’enlèvent, _en clair_, -sur le ciel, comme dans le _Brompton Road_ de M. Calland. La manie de -l’inventaire et le goût du procès-verbal ont disparu. Les artistes ont -cherché, non plus le détail, mais l’ensemble, non plus l’accumulation -des faits, mais la simplification de l’idée. Ils ont choisi, non les -heures ensoleillées où tout se voit, mais celles voisines du crépuscule -où quelque chose se laisse deviner. Ils se sont rappelé que c’est -une erreur, en art, que de vouloir tout définir, parce que, devant -une chose définie, il ne reste plus rien à faire pour l’imagination. -L’indéfini, au contraire, est le chemin de l’infini. Telle vallée, tel -coteau, telle jetée sur la mer, objet banal si l’on en saisit tous les -contours et si l’on en apprécie toute l’économie, devient, à demi voilé -par la brume, une chose désirable parce qu’elle est moins possédée, -curieuse parce qu’elle est moins connue. Le _flou_ est justement -au _net_ ce que l’espoir est à la satiété. Il est l’équivalent, en -art, d’une des choses les plus aimées de la vie: cette délicieuse -incertitude d’une âme où déjà pénétra l’espoir et où l’assurance -n’est pas entrée encore; où le désir qui commence d’apparaître -comme réalisable n’a pas cessé d’être avivé par les obstacles à sa -réalisation; où tout se promet et où rien ne se donne, où tout se -devine et où rien ne s’avoue; où les figures et les paysages, et le -ciel et la terre, et l’amour même apparaissent selon les incertaines -suggestions de l’aube, et non selon la sèche définition des midis.... - - - - -CHAPITRE II - -La triple intervention de l’artiste. - - -Cela suffit-il pour constituer un art? Supprimer certains défauts de -l’image photographique est bien; mais, pour que cette image soit une -œuvre d’art, il ne suffit pas que certains défauts soient supprimés, -encore faut-il la présence de certaines qualités. Et avant toutes, la -présence pressentie ou reconnue, non d’une machine, mais d’une main -d’ouvrier. L’art devra être ici «l’homme ajouté à la machine», pour -parodier Bacon. Mais, déjà, nous venons de voir que l’homme n’en était -pas si absent qu’on le voulait bien dire, puisqu’une foule de défauts -venaient moins encore de son instrument que de sa volonté, et moins de -son absence que de son intervention mal dirigée. - -Cette intervention, pense-t-on au premier abord, se réduit à fort peu -de chose. Choisir le site, placer l’appareil, conseiller des attitudes, -graduer le jour, et c’est tout. Ce que la plaque a enregistré, on -est obligé de le garder, et ce qu’elle n’a pas enregistré, on ne peut -l’y mettre. Tout ce que le photographe peut faire ensuite, c’est de -verser plus ou moins d’acide dans son révélateur. Son génie peut se -hausser à remplacer le pyrogallol par le fer, ou le papier aristotype -par le papier à gros grains. Qu’y a-t-il de personnel dans ce travail? -Où est le sentiment, l’émotion, l’accent qui signe l’œuvre et fait -reconnaître l’ouvrier? Où est le trait qui, dirigé par la main -elle-même, résume, synthétise une silhouette, une expression, une -attitude, en caractérisant toute une race ou une époque comme le crayon -de Gavarni ou de M. Forain? Où est l’esprit de composition qui rapporte -dans la même œuvre des documents pris en des lieux différents? Où, -l’imagination qui crée l’incréé, réalise l’irréel? Où est cette vision -personnelle qui fait que Corot, Rousseau et Millet, devant le même -paysage, auraient rapporté trois tableaux aussi différents que des vues -de trois différentes planètes, tandis que dix plaques, parfaitement -ajustées devant le même site, donneront, entre les mains de dix -opérateurs différents, dix images semblables? Tout cela n’est-il pas -absent d’une photographie, si belle soit-elle, comme en sont absentes -les couleurs qui, seules, donnent aux choses tout leur relief et toute -leur forme, leur distance et leur éclat? - -Ces objections sont fortes; mais elles le seraient davantage si elles -étaient fondées;—et elles ne le sont pas. - -D’abord, il va de soi qu’on ne peut demander à la photographie les -qualités brillantes et savoureuses de la peinture, non plus que celles -de l’architecture, ou de la musique, ou de l’art des jardins.... On ne -peut la comparer qu’à des choses comparables: au crayon, au lavis à -l’encre de Chine ou à la sépia, au fusain ou à la sanguine, voire au -camaïeu, c’est-à-dire à toute image en noir et blanc ou en une seule -couleur graduée de son ton le plus sombre, presque noir, jusqu’à son -ton le plus pâle, presque blanc. Ensuite, on peut bien lui permettre -d’être autre chose que la mine de plomb ou la lithographie, sans pour -cela lui refuser le nom d’art. Sans quoi, il faudrait le refuser aux -œuvres de M. Allongé, ou aux dessins de M. Lhermitte, qui n’ont aucun -rapport avec un crayon d’Ingres. Enfin, on peut admirer au plus haut -point la probité d’Ingres, et la profondeur de Gavarni, et la synthèse -de M. Forain, et l’analyse de M. Caran d’Ache, sans pour cela dire -que tout l’art du noir et du blanc tient entre le portrait de _Thomas -Vireloque_ et les silhouettes de _Doux Pays_. - -La question n’est donc point de savoir si la photographie possède -les mêmes qualités que les autres procédés, mais si elle en possède -quelconques, dignes de leur être comparées; si le rôle de l’artiste y -est assez important pour modifier l’aspect d’une œuvre, c’est-à-dire -s’il intervient assez souvent pour qu’il y ait de sa part _production_ -et non simplement _reproduction_, et qu’à la beauté du site qui est à -tout le monde, il ajoute celle d’une idée ou d’un sentiment qui ne sont -qu’à lui. - -Or, en examinant les opérations photographiques, nous trouvons qu’il -intervient, à trois moments différents, d’une façon assez décisive. - - -§ 1. _Première intervention de l’artiste._ - -D’abord, il choisit dans la nature l’objet à représenter. Ceci a l’air -très simple, et ne l’est pas du tout. «Dans la nature, disait Corot, il -n’y a jamais deux choses pareilles», et ses compagnons d’étude d’après -nature, Bertin et Aligny, lui faisaient un grand mérite de «savoir -s’asseoir» mieux que personne. C’est donc une science que de trouver le -point juste d’où l’objet doit être regardé, et non seulement le point, -mais la saison, l’heure, le temps, la raison d’être du motif: - - _Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando?_ - -Car, d’une part, le plus bel objet du monde peut être un médiocre -sujet de tableau s’il n’est pas vu sous l’angle voulu, au _moment -esthétique_, et, d’autre part, combien d’admirables sujets dans les -plus humbles choses qui nous entourent, si le cœur et les yeux savent -les découvrir! Un chemin courbe, une barrière droite, un toit qui fume, -un tronc qui se crispe, une tige qui se penche, une flaque d’eau où -le ciel renversé se reflète et tremble avec tout son empanachement de -nuages,... c’est assez. Tout autour de nous, la nature, incessamment, -peint des tableaux fugitifs, mais délicieux. Il faut non les créer,—ils -existent,—mais les voir. «Il est des bonheurs fortuits, dit M. Jules -Breton, où la nature fait apparaître un tableau tout fait,» et Frédéric -Walker, l’admirable peintre de _Harbour of Refuge_: «La composition -n’est que l’art de conserver un heureux effet aperçu par hasard.» Il -ne faut pas croire suffisant ni nécessaire d’aller se mettre devant -la falaise d’Étretat, ou le château de Chillon, ou la tour carrée de -Saint-Honorat, aux îles de Lérins, pour faire un chef-d’œuvre. Le pays -le plus «pittoresque» ne fournit aucun sujet à celui qui ne sait pas -en découvrir dans les variations incessantes du pays le plus monotone. -_Savoir voir_, c’est un grand point, peut-être le principal. Mais, -hélas! combien d’amateurs peintres passent, dans le paysage, à côté -du tableau, comme les ambitieux, dans la vie, à côté du bonheur,—sans -le voir! Et ils s’en vont gravement, les uns et les autres, leur boîte -à couleurs ou leur hotte à illusions sur le dos, à la recherche de -merveilles lointaines qui ne vaudront point ce qui les attendait, ce -qu’ils n’ont pas su voir, à la porte de leur maison.... - -S’agit-il de figures? Il en va de même. S’il est vrai de dire qu’«un -problème bien posé est à moitié résolu», il l’est plus encore -d’affirmer qu’une figure bien posée est à demi dessinée. Le reste est -affaire de sûreté de main et de sûreté d’œil. Mais la composition est -affaire de sûreté d’âme et d’initiative originale. Or, le photographe -compose. Il dispose, sinon l’image, du moins la réalité. Il ordonne, -non les lignes gravées sur les planches, mais les lignes vivantes -devant ses yeux. Pour faire _la Source_, il ne fallait pas seulement -dessiner comme Ingres: il fallait _composer_ comme Ingres. Le modèle -qu’il a employé n’a point pris tout seul cette attitude simple, fine et -noble, ou, s’il l’a prise, ce n’a été que par un hasard qu’il a fallu -préparer et saisir. Le photographe ne fait-il pas la même chose? - -La similitude entre le photographe et l’artiste se voit jusque dans -les conseils qu’ils donnent à leurs modèles. On connaît l’horreur -habituelle des portraitistes pour les étoffes sans cassures, sans œils -de plis. La première photographe artiste d’Angleterre, Mme Cameron, -raconte, dans ses Mémoires, une anecdote qui montre que cette horreur -était la même chez elle. Les succès de ses portraits de femmes lui -valurent un jour la lettre suivante: - -«Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins informe Mrs Cameron qu’elle -désire poser pour son portrait. Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins -est une personne qui possède équipage et, par conséquent, elle peut -affirmer à Mrs Cameron qu’elle arrivera dans une toilette exempte de -tout chiffonnage. - -«Si Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins était satisfaite de son -portrait, Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins a une amie qui possède -également un équipage et désirerait aussi avoir son portrait.» - -«Je répondis à Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins que, Mrs Cameron -n’étant pas un photographe de profession, regrettait beaucoup de ne -pouvoir faire son portrait, mais que si Mrs Cameron avait pu le faire, -elle aurait beaucoup préféré voir cette toilette chiffonnée[20].» - -On se tromperait, si l’on croyait que la composition photographique se -borne au portrait ou à une petite scène de genre moderne, vus au jour -d’atelier. On a des photographies de scènes historiques, de personnages -fabuleux, et dans un clair-obscur saisissant; on a des sainte Cécile, -des docteurs Faust dans leurs laboratoires, des Judith entr’ouvrant -le rideau d’où filtre la lumière, des Christs morts, étendus sur la -pierre. Nous ne disons point que ce soient des chefs-d’œuvre de tact -esthétique, mais ce ne sont point des œuvres à dédaigner. On admire -beaucoup au palais Doria, à Rome, deux petits tableaux de Van Hontorst, -dit _della Notte_, qui ne dépassent nullement en audace et en vérité -d’effet les photographies nocturnes de M. Puyo: _Vengeance_ et _la -Lampe file_[21]. - -Les premiers essais de compositions historiques photographiées -furent tentés en Angleterre; et il faut lire, pour se convaincre de -l’enthousiasme qui les inspira, les pages où Mme Cameron les a racontés: - -«Je fis de ma cave à charbon mon laboratoire, et une sorte de -poulailler vitré que j’avais donné à mes enfants devint mon atelier. -Je mis en liberté les poules, j’espère et je crois qu’elles ne furent -pas mangées, et les profits que mes fils tiraient des œufs frais furent -supprimés. Mais tout le monde fut sympathique à mon nouveau travail, -depuis que la société des poulets et des poules avait été remplacée par -celle des poètes, des prophètes, des peintres et de charmantes jeunes -filles, qui tous, chacun à leur tour, ont immortalisé l’humble petite -ferme. - -«Un de nos amis intimes se prêta très obligeamment à mes premiers -essais. - -«Sans s’arrêter à cette crainte possible que, en posant souvent à ma -fantaisie, cela pourrait le rendre ridicule, il consentit, grâce à -cette grandeur d’âme qui n’appartient qu’à l’amitié désintéressée, à -être tour à tour Frère Laurence avec Juliette, Prospero avec Miranda, -Assuérus avec la reine Esther, à tenir un tisonnier comme sceptre et à -faire complètement tout ce que je désirais. - -«Il n’en résulta pas seulement des œuvres pour moi, mais de Prospero et -Miranda, il advint un mariage qui a, je l’espère, cimenté le bonheur -et le bien-être d’un vrai roi Cophetua, qui, dans Miranda, avait vu le -prix, le joyau de la couronne du monarque. - -«La vue de mon œuvre fut la cause déterminante de ce que la résolution -fut traduite en paroles: il s’ensuivit une des plus douces idylles de -la vie réelle que l’on puisse concevoir, et, ce qui a beaucoup plus -d’importance, il en résulta un mariage d’inclination avec des enfants -dignes d’être photographiés, comme leur mère l’avait été, pour leur -beauté....» - -Ce dernier trait est bien d’une artiste, et le suivant est digne d’une -préraphaélite: - -«Ensuite, je fus à Little Holland House, où j’avais transporté mon -appareil pour faire le portrait du grand Carlyle. - -«Lorsque j’avais des hommes comme cela devant mon appareil, toute mon -âme essayait de faire son devoir vis-à-vis du modèle, en s’efforçant de -retracer fidèlement la grandeur de l’homme intérieur aussi bien que les -traits de l’homme extérieur. La photographie prise de cette manière a -été presque la personnification d’une prière[22]....» - -On se tromperait encore si l’on pensait que les grandes scènes de -nature et d’académie, comme la _Vision antique_, sont interdites à -la photographie. Qu’est-ce que c’est que cette voiture fermée qui -s’arrête au bord d’une grève déserte, devant un horizon nu, borné par -la mer claire où s’allongent de sombres presqu’îles? Il en descend -d’étranges touristes! Des femmes en chiton et en diploïs, qu’on dirait -tombées des fresques de la maison des _Vettii_, ou sorties des stucs -des _Thermes de Dioclétien_, puis un homme portant une boîte à trois -pieds, puis un brigadier de gendarmerie.... Tout ce monde marche dans -les herbes hautes et s’attarde à cueillir des fleurs. Le brigadier -de gendarmerie est là pour protéger l’art des curiosités indiscrètes -ou des zèles intempestifs des gardes champêtres, des gardes-côtes ou -des douaniers. Mais peut-être n’est-il pas absolument esthétique. Il -ne figurera pas dans le tableau. Cependant la troupe des figurantes -s’avance, - - L’une emportant son masque et l’autre son couteau, - -sous les oliviers, le long des flots, parmi les plantes salifères. -C’est un singulier spectacle. Pour la première fois depuis des temps -immémoriaux, les péplums sortent des magasins d’accessoires et flottent -à l’air libre. Les calyptres légères ne balayent plus les planchers -des théâtres, mais s’accrochent aux lentisques et se gonflent sous les -brises marines. Les eaux des bassins réapprennent à refléter les plis -nobles des anaboles et le vent à s’insinuer dans les tuyaux des flûtes. -Mieux que les vieux miroirs de bronze verdi, qu’on conserve sous les -vitrines des musées, ces bassins diront aux nouvelles canéphores si -elles ajustent gracieusement leurs corbeilles. - -Ce n’est pas anachronique. En conduisant la figure drapée en plein -air, les photographes ont retrouvé la vie antique. Car ce paysage nous -a conservé le milieu où se mouvaient les contemporains de Tibulle. Un -piano serait étonné d’être touché par un homme vêtu d’un _himation_; -mais dès que cet homme va sur la grève ou dans les bois, aucun costume -ne s’harmonise mieux avec les lignes de la nature. Le cadre reconnaît -la figure et lui sourit. Sous l’olivier _tarde crescens_, au pays du -_ver assiduum_, on ne s’étonne plus de voir revivre les jeux et les -fêtes sculptés sur les bas-reliefs. Les potiers de Vallauris font -encore des lécythes et des cratères. L’eau, dans les vasques, chante -les mêmes airs qu’autrefois. Puisqu’il y a encore des pins, voici -des thyrses; puisqu’il y a encore des tortues, voici des lyres; et -puisqu’il y a encore des roseaux, voici des syringes. La _Vision -antique_ va passer.... - -Le subtil photographe a choisi le lieu, l’heure, les visages et les -costumes: il sait les poses qu’il veut reproduire, le groupe qu’il veut -former. Il les a dits à ses modèles, et, dans sa tête, le tableau est -fait. Il copiera la réalité, quand la réalité lui donnera sa vision, -pas avant. Il a calculé la hauteur des têtes sur la ligne d’horizon, -la longueur des ombres sur l’herbe, l’angle des rayons du soleil -déclinant, le passage de la lumière sur le coude et l’épaule, et les -plis que creusera le vent, lorsque s’élevant, il fera flotter le voile -et toute la tunique, selon le rythme qu’on observe dans la _Victoire -de Samothrace_. On va, on vient le long des rochers. Vingt fois, -l’attitude a été prise, puis quittée. Non, ce n’était pas _Ariane_! On -va abandonner la place, quand, tout d’un coup, sans le vouloir, dans -un geste spontané, le modèle a réalisé l’idéal. Durant une seconde, -Ariane a été visible, «aux rochers contant ses infortunes»! Rapide -comme l’éclair, le photographe a enregistré sur la plaque sensible ce -qu’il a voulu, cherché, préparé depuis des mois, parfois des années.... -Dira-t-on qu’il n’y a pas eu composition, intervention de l’artiste? - -Cette intervention ne va guère loin, objectent les critiques. Elle -tient toute dans le choix du sujet pour le paysage et une espèce -de groupement pour les figures, analogue à la mise en scène d’un -_tableau vivant_. Et quand ce ne serait que cela, serait-ce peu de -chose? Ce dédain est plaisant dans la bouche des critiques d’art, qui, -d’ordinaire, ne jugent tableaux et statues qu’au point de vue du choix -du sujet et de la disposition des personnages, et jamais au point de -vue de la facture! Que l’on compte, dans tel compte rendu de Salon -qu’on voudra, les pages consacrées à l’anatomie, à la myologie, à la -perspective, à la concordance des passages de lumière, à la nature des -mélanges pigmentaires, au rôle des dessous, et qu’on les compare au -nombre dix fois plus considérable des pages consacrées à la disposition -du sujet, et l’on verra si les critiques ont quelque bonne grâce à -tenir pour peu de chose, en théorie, la seule chose, en pratique, dont -ils s’occupent, quand ils ont à examiner une œuvre d’art? - - -§ 2. _Seconde intervention de l’artiste._ - -Mais le photographe intervient une seconde fois, et alors pour la -facture même. C’est dans le développement du cliché. Comme il a choisi, -dans la nature, l’heure et l’effet, il choisit, pour le cliché, la -gamme ou le ton général dans lequel se gradueront les valeurs. Tout -le monde sait ce que c’est que développer un cliché: c’est le plonger -dans un liquide qui fait apparaître, peu à peu, l’image que contient, -en puissance, la plaque sensible. Selon la composition de ce liquide, -modifiée pendant l’immersion, on obtient une image plus ou moins dure, -où les ombres et les lumières se différencient avec plus ou moins de -contraste. Le photographe peut graduer ce contraste et ainsi modifier, -dans un sens déterminé, l’effet donné par la nature. Mieux encore, il -peut—bien que ceci soit plus difficile,—rendre telle partie de l’image -plus apparente que telle autre, le ciel, par exemple, plus que le -terrain, et lui donner ainsi la force et la solidité nécessaires. A -cela, d’ailleurs, se borne l’action de l’artiste sur le cliché. Il n’y -fait pas de «retouches». Mais son rôle n’est pas fini quand le cliché -est développé. A ce moment, le photographe professionnel a terminé son -œuvre: il s’en va se laver les mains, et des serviteurs, au besoin, -tireront les épreuves. L’artiste, lui, prend son cliché et le considère -avec attention, mais comme une simple ébauche, que, sous sa direction, -l’instrument a esquissée. A lui, maintenant, de faire, de cette -étude, un tableau. Le professionnel estime que sa tâche est terminée; -l’artiste, que la sienne recommence. - - -§ 3. _Troisième intervention de l’artiste._ - -Car c’est dans le tirage de l’épreuve que le sentiment et l’adresse -de l’homme vont surtout intervenir et que la puissance directrice -prendra sa revanche sur la puissance automatique. Le cliché est dû à -la machine; mais l’épreuve, comme le style, c’est l’homme. Ce l’est à -tel point que, parfois, on ne reconnaît pas le cliché dur et plat dans -l’image frissonnante de lueurs et de modelés que l’artiste en a tirée. -Il existe deux photographies dont l’une s’appelle _Étude_, l’autre -_Matin argenté_: ce sont deux paysages de roseaux et d’eaux, et de bois -et de nues. On les regarde; on trouve la seconde incomparablement plus -belle que la première, et l’on passe,—quand on est averti qu’elles -sont du même auteur, M. J. H. Gear,—cela étonne. Bien mieux, elles -représentent le même paysage: est-ce possible? Bien mieux, c’est le -même cliché! Et en effet, c’est le même cliché; mais—agrandissement, -changement de papier, mise en cadre différente, transposition de -valeurs—ce n’est pas la même épreuve. C’est le même canevas, ce n’est -pas la même trame; ce sont les mêmes paroles, mais avec un autre -chant. Qu’y a-t-il donc de nouveau?—Un acide?—Non, un sentiment.—Un -corps?—Non, une âme.... - -Le seul progrès matériel et technique est l’emploi du _papier à -dépouillement_. On sait que les papiers sur lesquels s’impriment les -épreuves photographiques sont de trois sortes: d’abord, les papiers -blancs, comme le papier albuminé, qui noircissent spontanément sous -l’action de la lumière sans qu’on puisse intervenir autrement que pour -arrêter cette action.—Secondement, les papiers au bromure, qu’on -commence à développer faiblement dans un bain, puis où l’on intervient -pour activer l’apparition de l’image avec des pinceaux pleins du -liquide révélateur.—Enfin le papier charbon-velours ou à la gomme -bichromatée, qui est un papier coloré, par exemple en brun van Dyck ou -en terre de Sienne brûlée, et d’où l’on enlève lentement avec l’eau et -le pinceau tout ce que la lumière n’a pas fortement fixé, en laissant -tout ce qu’on désire garder sur l’épreuve. L’image vient peu à peu -ainsi par _dépouillement_. Ces derniers papiers se prêtent à un travail -très lent. La venue de l’image s’y trouve subordonnée à l’intervention -directe de la main de l’opérateur et est ainsi dirigée par une volonté -changeante, au lieu de l’être par des lois naturelles et immuables. - -On aperçoit tout de suite combien le rôle de l’homme a grandi. -Quel être faible, et à quelles humiliantes fonctions était réduit -le photographe autrefois! A partir du moment où le cliché de verre -était plongé dans le bain, tout échappait à ses prises. Penché sur -ces cuvettes pleines de vénéneux liquides, il attendait, désarmé, -impuissant, inactif, que les acides mortels eussent fait leur œuvre. -C’était à la fois comique et solennel. Cela s’accomplissait dans la -solitude, comme le crime et dans l’ombre, comme la trahison. A peine -la lanterne jetait-elle sur les linges épars des taches rouges qui -semblaient de sang. L’homme tournait autour de ses cuvettes, de ses -récipients plats, comme on en voit dans les salles de chirurgie, -et rangeait des bocaux blancs, gris, bleus, vert pâle, roses, où -l’on hésitait à reconnaître l’attirail d’un coiffeur ou celui d’un -apothicaire. Ses yeux ne pouvaient percer l’effrayant mystère où -s’élaborait, sans lui, l’image naissante d’un front, d’une joue, d’une -prairie, d’eaux, d’insectes, de tiges et de fleurs. - -Aujourd’hui, les fenêtres sont entr’ouvertes. L’épreuve ne gît plus -dans un bain d’argent ou dans un bain d’or. Elle a été posée sur une -planchette, comme une aquarelle. De l’éponge pressée coulent sur -elle des gouttes brillantes d’une eau naturelle; sous cette pluie -intelligente et radieuse, un visage naît, grandit et s’éclaire. Voici -l’épaule nue, voici le col onduleux, voici les cheveux qui se démêlent, -voici la ligne du sourcil qui s’arque et le contour des joues qui -s’enfle et s’insinue dans le clair-obscur. Lentement, paresseusement, -comme un petit enfant qui s’éveille, l’image ouvre la bouche, puis -les yeux.... L’ombre se décharne et dit son mot; elle a souri: elle -va tout dire, quand l’artiste s’arrête. Il se rappelle le mot si -vrai de M. Jules Breton, qu’en art «il ne faut pas tout dire». La -poésie est faite d’inconnu. Et ce qui donne aux images leur charme, -c’est justement qu’elles ne détruisent point par la parole—comme, -hélas! le font trop souvent les figures réelles—l’illusion causée par -leur beauté, et qu’elles nous laissent croire, en demeurant à jamais -silencieuses, que leur lumière intérieure vaut leur rayonnement. - -L’artiste sort de son atelier; le grand jour tombe sur l’épreuve, -et aussitôt l’on aperçoit tout ce que l’homme y a mis de lui. Elle -n’est pas fille du hasard et de la matière. L’esprit a fait plus que -la matière, la volonté plus que le hasard. Il y eut collaboration de -l’intelligence et du cœur; et parce qu’ainsi il a pu y avoir erreur -ou folie, il peut y avoir vérité et amour. Et s’il est arrivé que -cette image est belle, de quel nom l’appellerons-nous? Dirons-nous que -ce n’est pas là une œuvre d’art, parce que le vocabulaire la nomme -photographie au lieu de la qualifier fusain, lithographie ou sanguine, -et parce qu’au lieu de tenir entre ses doigts un petit morceau de bois -carbonisé, l’artiste a en quelque sorte manié un rayon de soleil? - - - - -CHAPITRE III - -Nouvelles œuvres et idées nouvelles. - - -Les images que voilà ont bien été faites au moyen de la photographie, -mais elles n’évoquent pas plus l’idée de gélatino-bromure qu’une -eau-forte n’évoque l’idée d’un acide, une sépia l’idée d’un mollusque, -ou un fusain l’idée d’une branche d’arbre de la famille des -célastrinées.... - -Il y a une vue de Hollande, prise par M. Robert Demachy, qui emmène la -pensée bien loin de la ville qui l’inspira et de la machine qui aida à -la fixer. Cela s’appelle _Eaux Mortes_. Une double rangée de maisons -aux _trap-gerels_ pointus et dentelés trempent leur vieilles murailles -dans un canal. Pas un monument n’ennoblit ce canal, pas une figure -ne l’anime. Cela est si triste, que l’eau semble faite de toutes les -larmes que les générations qui vécurent là ont répandues. Les fenêtres -sont closes ou vides comme des yeux qui ne voient pas. Une barque -flotte avec une apparence de cercueil. Un escalier descend profondément -dans le tranquille abîme, comme un chemin favorable au suicide. Les -pointes aiguës des toits reflétés et renversés s’enfoncent dans les -eaux, qui ne frémissent même pas, comme des aiguilles sombres dans des -chairs inertes. - -Voilà bien des _Eaux Mortes_! Eaux qu’aucune pente n’attire, qu’aucun -penchant n’entraîne! Eaux stériles comme est stérile la terre des -briques qu’elles baignent! Eaux figées en une forme définitive, comme -l’eau d’un miroir, en leur cadre de pierres; eaux qui ne se changeront -plus en perles pour ruisseler des vasques, ni en filets et rayons pour -se dévider de cascatelles en cascatelles! Eaux muettes qui ne chantent, -ni ne pleurent, ni ne grondent, comme celles des fontaines, des bassins -ou des torrents! Eaux sans formes et sans images à elles, qui ne savent -que répéter les contours et les couleurs des maisons qui se penchent -sur elles, les redire avec le balbutiement des reflets, incapables -d’entraîner notre rêve vers des rives meilleures, puisqu’elles nous -renvoient impitoyablement notre propre image, l’image de nos rides, de -nos ombres, de nos tristesses, et ainsi les doublent au lieu de les -dissiper! - -Et, au rebours, quelle évocation de vie trouverait-on plus vivante -qu’une certaine petite épreuve de M. Craig-Annan, intitulée _Frères -blancs_? Deux moines marchent au soleil, d’un mouvement vif et -précipité, vers le même but, sous l’empire des mêmes idées et l’ombre -des mêmes chapeaux, leurs cagoules flottantes et ballottantes sous la -même poussée d’air, leurs pieds levés, semelles dehors, selon le même -rythme, hâtés vers l’église, vers l’école ou vers le réfectoire. Pas -un détail ne distrait l’attention et, des pieds à la tête, on ne sent -qu’une ligne de vitesse, qu’un effet de lumière chaude et brutale, et -qu’une volonté têtue. - -Quelques-unes de ces œuvres ressemblent à des dessins de maîtres -presque à s’y méprendre. Il existe un _Effet de soir_, de M. -Brémard, qui rappelle fort J.-F. Millet, et où les taches noires et -blanches paraissent reproduire des taches de couleurs. Il y a une -_Sombre clarté_, de M. Wilms, qui évoque Turner, et un _Soir ramène -le silence_, de M. Colard, qui est un Corot. Ceux qui ont vu les -femmes drapées du peintre anglais Albert Moore, en reconnaîtront un -saisissant souvenir dans les photographies de M. René Le Bègue, et -ceux, plus nombreux, qui admirent, au Louvre, la finesse indécise et -le fuyant charme du _Portrait de Jeune fille_, de Flandrin, seront -heureux de les retrouver dans un _Profil perdu_, de M. Brémard. -Dans beaucoup de ces œuvres, on hésite à reconnaître la marque de -la photographie. Un portrait de _Jeune Hollandaise_, de M. Alfred -Maskell, une _Communiante_, de M. Robert Demachy, sont des prodiges -d’interprétation, en même temps que de vérité. Si l’on disait que ce -sont des fusains, personne n’affirmerait le contraire. _Une vue de la -Loire à Saint-Denis-Hors_, de M. Henry Ballif, a l’air d’une sanguine, -et un _Septembre en Normandie_, de M. da Cunha, d’une encre de Chine. -Les qualités de finesse et d’accent qui caractérisent l’œuvre d’art en -noir et blanc se voient encore dans un _Brouillard_, de M. Sutcliffe; -dans des _Soldats passant un défilé_, de M. Alexandre; dans un -paysage, _Après le coucher de soleil_, de M. Bucquet, le président du -Photo-Club; dans des paysages de MM. Hannon et Watzeck; dans les effets -de sable de _Marée basse_, de M. de Védrines; dans une _Paix d’or -sur la contrée_, de M. Smedley Aston. Feuilletez l’_Esthétique de la -photographie_ publiée par le Photo-Club de Paris, et considérez _Dans -la vallée_, de M.-F. Coste, vaporeux comme un Corot, _Premiers sillons_ -de M. da Cunha, _Sur la route_ par M. Darnis, l’_Ile heureuse_ par M. -Puyo et dites si, non prévenu, vous ne verriez pas là des reproductions -de tableaux et d’excellents tableaux? - -Une autre œuvre, curieuse par sa vérité poignante et sa tranquille -ironie, est cette rue perdue dans la brume et l’eau, déserte, ponctuée -en son milieu d’un cab noir, intitulée _Beau temps à Londres_, de M. -Colard. Il est difficile de donner, en raccourci, une impression plus -profonde de cette ville des fumées de l’usine et des fumées du cerveau, -de cette ville triste, de cette ville mystique et manufacturière, -la ville des assommoirs discrets, des tabagies occultes, des lentes -consomptions, où seules la vertu et la réforme sortent avec fracas, -affirmant la morale par des coups de trombones et des roulements de -tambours.... - -Si ces photographies nouvelles ont fait au public l’impression que lui -font les sanguines ou les fusains, si elles n’ont pu être obtenues que -grâce à l’intervention trois fois répétée d’un homme doué de goût et de -doigté, quelles sont donc les raisons qui s’opposent à ce que nous les -appelions des œuvres d’art? Nous avouons, pour notre part, ne point les -apercevoir très clairement.... - -Il est vrai que cette intervention n’est point aussi longue ni aussi -décisive que celle de l’artiste, obligé de dessiner et d’ombrer de sa -main sa toile ou son papier d’un bout à l’autre. Dans la photographie, -toute une partie de son travail est faite par la machine et simplifiée -par le procédé. Mais depuis quand juge-t-on de la valeur artistique -d’une œuvre par la difficulté du procédé? Parce que le pinceau trempé -dans l’encre de Chine nous fournit plus vite le ton du ciel ou du -terrain que le fusain, faut-il dire que, nécessairement, le premier -procédé est moins artistique que le second? Et parce que le fusain, -aidé de l’estompe, simplifie cent fois, pour tonaliser un ciel ou -ombrer et masser des arbres, le travail sec et dur de la mine de plomb, -faut-il dire qu’un beau fusain est moins une œuvre d’art qu’un papier -noirci de hachures pour le ciel et de «beau feuillé» à la mine de -plomb? A quelle étrange conclusion ainsi l’on arrive! Et mieux encore, -parce que le dessinateur, comme était M. Bertin, obtient plus vite -son effet sur un papier bleuté qui lui fournit un ton général tout -préparé, faut-il dire qu’il est moins un artiste que celui qui passe -des heures à couvrir tout un papier blanc du fin réseau de ses pattes -de mouches?—Eh bien, ce que le papier teinté, le fusain et l’estompe -font pour simplifier le travail de l’artiste, l’objectif le fait dans -une beaucoup plus large mesure. Voilà tout. - -L’intervention du photographe, à la vérité, n’est point souveraine. Il -ne peut qu’influer sur les lignes et les tons, non les créer. Il lui -faut compter avec un agent chimique, qui joue un rôle prépondérant -dans le développement du cliché et la venue de l’image. Mais l’acide -n’en joue-t-il pas un très grand aussi dans la préparation d’une -eau-forte? Est-ce que, là aussi, il n’y a pas collaboration d’un agent -chimique et inconscient! Le graveur, aquafortiste ou autre, sait-il -exactement l’image que donnera son œuvre quand ce collaborateur y aura -passé? Écoutons plutôt M. Bracquemond: «Lorsqu’un graveur creuse des -tailles sur une planche métallique, avec un burin ou à l’aide d’un -acide.... il ne connaîtra la _profondeur_ et, par suite, la _valeur_ -de sa taille que par l’_état_ que lui fournira l’impression de sa -planche.»—Regardez le _Portrait d’un graveur_ par M. Mathey, qui est -au Luxembourg, considérant la large feuille humide encore. Quel regard -inquiet, attentif, scrutateur, il attache à son papier courbé, tenu -au bout de ses bras nus, tandis que sur un coin de la machine, gît sa -cigarette oubliée, éteinte!... Il semble satisfait, mais il a eu peur! -C’est qu’il y a des hasards, des imprévus, comme il y en a, d’ailleurs, -en aquarelle bien plus que les aquarellistes ne veulent le dire, et -jamais cependant la collaboration de ces acides, ou cet imprévu de -la tache aqueuse—si utile parfois et si savoureuse!—n’ont empêché -d’appeler ces hommes des artistes! - -On dira encore: Une œuvre d’art est un exemplaire unique de la pensée -ou du sentiment d’un artiste. Du moment qu’on en peut tirer des -reproductions à l’infini, comme on fait les épreuves d’un même cliché, -elle perd cette qualité précieuse et devient un objet de confection. -Mais croire qu’on peut tirer un nombre indéfini d’épreuves artistiques -d’un même cliché, c’est une erreur de fait. En réalité, chaque épreuve -que l’artiste obtient par dépouillement sur un papier teinté à la gomme -bichromatée est une épreuve unique. Il échoue plusieurs fois. Quand il -en a obtenu une bonne, il est rare qu’il recommence. S’il recommence, -il obtient autre chose que l’exemplaire déjà produit. C’est une -_réplique_, si l’on veut: ce n’est pas un duplicata. Bien plus qu’une -gravure à l’eau-forte, une photographie de M. Demachy est un exemplaire -original. - -Enfin, c’est également une erreur de croire que, devant la même -réalité, les artistes que voici sont contraints par leurs machines à -produire les mêmes images. L’empreinte personnelle qu’ils mettent à -leurs œuvres est telle que, la plupart du temps, elle dispense de lire -la signature; et, après quelques visites à leurs expositions, on ne -confond pas plus une photographie de M. Demachy avec une autre de M. -Puyo, ou une troisième de M. Craig-Annan avec une quatrième de M. Le -Bègue, qu’on n’est tenté d’attribuer un paysage de M. Montenard à M. -Harpignies, ou une nymphe de M. Bouguereau à Burne-Jones. - -Cette empreinte personnelle est même le grief le plus vif des -professionnels de la photographie contre les amateurs. Ce n’est point -là, disent-ils avec mépris, de la photographie pure: il y a des -«retouches»! Mais, quand ce reproche serait mérité, il ne saurait -influer sur le jugement qu’au point de vue artistique on doit porter. -L’impression est-elle esthétique? qu’importe comment elle est obtenue? -Tous, nous avons horreur de la gouache en aquarelle. Mais la raison -est que la gouache alourdit ce qu’elle touche, et qu’en fin de compte, -elle est moins artistique que l’aquarelle «franche». Si, par hasard, on -nous montre une gouache plus légère qu’une aquarelle, nous n’hésiterons -pas à l’admirer, sans reprocher à l’artiste le blanc dont il s’est -servi. Pareillement, d’où vient l’horreur très justifiée de certains -amateurs pour les «retouches» en photographie? De cette observation -très juste que les retouches alourdissent l’épreuve, empâtent les -contours, tranchent violemment sur tout le reste des tons francs, et -ainsi rompent l’homogénéité de la _facture photographique_. Mais s’il -arrive que les retouches n’empâtent point, ne tranchent point, et -s’harmonisent si parfaitement avec le reste qu’il soit impossible de -dire où, au juste, la retouche a porté, la raison de l’horreur qu’on en -avait disparaît, et la retouche est légitime. - -En fait, dans les œuvres nouvelles, il n’y a pas de «retouches», si -l’on entend par ce mot la peinture sur le verre du cliché, ou le coup -de crayon sur la gélatine; procédés très usités par les professionnels -de la photographie, et auxquels nous devons ces blancs mats et pesants, -ces peaux parcheminées que la foule admire à tant de vitrines de -nos boulevards. Ce qu’il y a, dans les œuvres nouvelles, c’est _le -travail de l’épreuve_. Or, ce travail ne produit aucun des heurts de -la retouche; il est aussi harmonieux et homogène, dans sa facture, que -le travail du lavis, de l’encre de Chine, de la sépia; et, comme on ne -saurait reprocher à ces œuvres-là des retouches, attendu que tout y est -retouches en effet, on ne peut les reprocher, non plus, aux nouveaux -essais de photographie. - -Mais s’ils ressemblent tant à d’autres procédés d’art, dira-t-on -encore, à quoi bon un procédé nouveau? - -On devrait, en effet, parler de la sorte si la photographie n’avait -pas certaines qualités qui lui sont propres. Mais elle en a. D’abord, -lorsqu’elle est dirigée par un goût prudent et une fine entente des -altitudes, elle dessine admirablement. La fidélité de l’objectif, qui -était un défaut avec des modèles vus de trop près, ou trop également -éclairés, ou noyés dans les accessoires, devient une qualité, quand -le champ de la vision est bien délimité, l’effet large, les lignes -longues, souples, simples, à peine profilées sur le fond et bien -suivies. Il y a une photographie de M. Puyo, représentant une Pénélope -penchée sur sa tapisserie, où la courbe des cheveux, de la nuque, des -épaules et de la ligne dorsale est telle qu’Ingres n’eût pu l’infléchir -d’un crayon plus sobre et plus sûr. Certaines académies photographiées -en plein air, sous le soleil de Sicile, à côté de bas-reliefs où sont -sculptés des héros et des dieux, se profilent selon un rythme si pur -qu’on hésite entre le galbe du héros sculpté et celui du berger vivant -venu, deux mille ans après, s’asseoir sur le sarcophage vide où l’art -les réunit. - -Ensuite, la photographie est capable d’un modelé infiniment nuancé, -souple et caressant. L’estompe, seule, parmi les procédés de noir et -de blanc, peut approximativement l’indiquer. Il ne s’agit point ici de -nier la supériorité d’une nerveuse eau-forte ou d’une fine gravure; -mais n’y a-t-il pas certaines transitions insensibles de lumière à -ombre, évoluant sur les plans inclinés des figures, sur des polyèdres -de chair, certaines ombres _dolce e sfumose_, comme dirait Léonard, -«exhalées sur le papier», selon le mot de Ruskin, où la photographie -est sans rivale? Pour rendre en blanc et noir ce qui, dans la nature, -se rapproche des figures du Vinci, combien il est difficile à un autre -procédé de rivaliser avec la photographie! Là où le burin et le crayon -procèdent par petits traits différents, et par conséquent désunis et -heurtés, elle agit par teintes liées, continues, uniformes de texture, -mais graduées à l’infini; elle unit les méplats de la chair par sa -facture, en même temps qu’elle les distingue par ses tonalités,—comme -la nature le fait elle-même. Précisément parce qu’elle ne peut donner -un accent, c’est-à-dire un arrêt brusque, elle est supérieure au crayon -quand il faut passer, sans heurt, du grave au doux et de la nuit au -jour. - -Le trait a de grandes qualités idéographiques. On donne l’idée d’un -corps par sa silhouette et sa délimitation dans l’espace: on ne le -montre pas dans son essence. Dès que le dessinateur veut remplir -l’espace délimité, la «silhouette», il sent l’imperfection de son -outil. C’est une boutade d’Ingres, que de dire «que la fumée même doit -s’exprimer par le _trait_». En réalité, la fumée ne peut s’exprimer que -par le _ton_. Et toute ombre est plus ou moins fumée. Ce n’est donc -pas avec le trait seul qu’on peut ombrer une figure; et, tant pour la -délicate gradation du ton que pour l’impeccabilité du contour, il faut -bien reconnaître la supériorité de la photographie. - -Enfin, la photographie, mieux que le plus agile crayon au monde, -surprend certains effets précieux, mais insaisissables, soit par leur -multitude, soit par leur brièveté: un nuage qui passe dans le ciel, un -troupeau qui passe sur la terre, une armée ondulante au gré des reliefs -et des creux des vallons, le fouillis mouvant d’une bataille de fleurs, -la complexe furie d’une meute coiffant un sanglier, le déferlement -des vagues sur un récif ou encore le cumulus des vagues qui roulent -lourdement vers le rivage, le stratus des courants qui se forment dans -la mer et le fin cirrus des traces que chaque flot, sculpteur habile et -patient, laisse au sable des grèves qu’il a habitées.... Et le multiple -fléchissement des ailes des colombes qui viennent, d’un tournoiement -souple, se poser à terre, comme ces âmes que Dante vit attirées par son -cri miséricordieux, et le fugitif plissement des fossettes d’une femme -rieuse, et le rapide serrement des muscles d’un homme surpris, et les -remous d’une foule,—tout ce que le vent, l’orage, la gravitation, le -feu, l’espoir, la colère, le plaisir, font fléchir, agiter, tomber, -flamber, secouer, contracter ou sourire!... - -Combien souvent le dessinateur a regretté de ne pouvoir saisir -l’envolée subtile d’un geste, l’agencement inédit d’un groupe, le -miroitement rare d’un coup de lumière! Il y a donc des raisons pour -qu’un artiste, devant certains effets, prenne parfois l’objectif, au -lieu de prendre le crayon ou le pinceau à lavis. Moins souple sous -certains rapports, c’est un instrument plus délicat sous d’autres -et toujours plus rapide. On ne saurait pas plus le taxer d’inutile -que d’impropre à rendre une pensée. Il ne peut remplacer les autres -procédés, mais les autres ne le remplacent pas. - - - - -CHAPITRE IV - -Une prétention excessive de la photographie. - - -Où tend ce mouvement d’art en photographie et quelle crainte ou quel -espoir pour l’idéalisme doit-il nous donner? Pour le bien démêler, et -quelle évolution singulière il marque dans l’esprit de ses auteurs, il -faut se rappeler ce qui l’a immédiatement précédé. - -Il y a quelques années, nous avons vu de savants photographes, armés -d’une grande quantité de documents, venir vers nos artistes et leur -enseigner leur métier. Ils avaient inventé, pour surprendre la nature, -des instruments très astucieux et très prompts: des disques percés -de fenêtres qui tournaient très vite et vous prenaient des centaines -de vues successives d’un homme avant qu’il eût dit: ouf! puis des -boîtes où ils enfermaient des guêpes dont ils avaient doré le bout -des ailes pour enregistrer la trajectoire qu’elles décrivaient en -volant; des revolvers et des fusils à objectif qu’ils braquaient sur -les oiseaux,—ils l’eussent fait sur des anges!—non pour les tuer, mais -pour savoir quels mouvements disgracieux ils faisaient dans les airs et -pour ôter ainsi à leurs images plus que la vie: la beauté! En guise de -gibecière, ces étranges chasseurs portaient, en bandoulière, une boîte -«à escamoter», contenant des plaques de rechange.—Déjà, un médecin de -Boulogne avait imaginé de photographier les manifestations des divers -sentiments humains qu’il obtenait artificiellement par des applications -électriques sur la face insensible d’un malheureux malade d’hôpital, -et il avait ainsi démontré que le _Laocoon_ du Vatican ne remuait -point du tout les muscles qu’il fallait pour exprimer la douleur.—Nos -chronophotographes, eux, démontrèrent de même que, chez les grands -maîtres, les chevaux n’avaient jamais galopé congrûment, ni les hommes -couru avec vérité, ni les femmes dansé avec sincérité, et certainement -pas une colombe venant vers l’arche, ni un Saint-Esprit planant sur -Dieu le père, ni un archange, ni un séraphin, ni un chérubin voletant -dans nos vieilles peintures ne pouvait résister à leurs redoutables -investigations. L’art avait ignoré le mouvement: la science allait le -lui expliquer. - -Quelques artistes écoutèrent ces suggestions, et aussitôt tout -s’arrêta. On ne vit plus que des chevaux dans des attitudes -d’immobilité absolue et un peu ridicule, des hommes plantés sur un -pied, des oiseaux en plomb, encapuchonnés dans leurs plumes. Rien -de plus faux ne parut sur les toiles ou sur les socles que cette -scientifique et photographique vérité. On s’étonna, on s’indigna, on -discuta longuement. Enfin, on s’avisa d’une idée assez simple: c’est -que la science est une chose et que l’art en est une autre; et que, -s’il y a une vérité pour l’esprit, il y en a une autre pour les yeux -qui n’est point la même et qui, en art, importe seule. Fromentin et -bien d’autres l’avaient dit, mais il paraît qu’il est des évidences -qu’il faut qu’on découvre et des portes ouvertes qu’il faut qu’on -enfonce. - -En effet, dans le cas présent, la vérité de la science est une vérité -de détail; la vérité de l’art est une vérité d’ensemble. Quand le -chronophotographe nous apporte une épreuve où il a noté l’une des mille -phases dont se compose un mouvement, nous lui répondons: Ceci est une -partie du mouvement,—ce n’est pas le mouvement. Il est très vrai que, -dans un mouvement, il y a l’attitude que vous avez découverte, mais il -est non moins vrai qu’il y en a des centaines d’autres et que _c’est -la résultante de toutes ces attitudes,—chacune immobile durant un -instant de raison,—qui forme ce qu’on appelle le mouvement_. Mes yeux -ne perçoivent qu’un ensemble; votre appareil ne perçoit qu’une partie. -Qui décidera qu’il perçoit la vérité, et que ce sont mes yeux qui sont -dans l’erreur? Qui décidera que la vérité d’ensemble ne signifie rien -et que rien ne vaut hors la vérité du détail? Dire qu’on voit mal parce -que, dans un mouvement, on voit un ensemble d’attitudes, cela revient -à dire qu’on entend mal parce que, dans un orchestre ou dans un chœur, -on n’entend qu’un ensemble de sons? Mais le plan du musicien a été -que vous entendissiez l’ensemble des sonorités. Pourquoi le plan de -la nature ne serait-il pas que vous voyiez l’ensemble du mouvement? -Que penseriez-vous d’un savant venant, au moment où nous écoutons un -chœur, à l’Opéra, nous dire: «Voici un instrument très précieux qui va -vous permettre d’entendre, non plus l’ensemble de cette musique, mais -chaque voix et chaque instrument l’un après l’autre. Entendez cette -voix, elle fait: ah! ah! ah! et celle-ci: oh! oh! oh! et cette autre, -un son filé.... Maintenant vous connaissez ce chœur. Vous n’en aviez, -auparavant, qu’une idée confuse et erronée. C’est la grossièreté de -votre ouïe qui fait que ces sons se confondaient en un tout que les -ignorants appellent harmonie. Dissociez chaque partie et vous aurez le -vrai sens de cet opéra...». - -Ainsi du mouvement. L’œil de l’objectif instantané est comme une -oreille qui n’entendrait qu’une partie à la fois dans un orchestre. -Il voit très bien une des attitudes successives dont se compose un -geste, mais il ignore le geste et accomplit ce prodige de saisir, dans -le mouvement, l’immobilité! Une preuve topique nous est donnée par la -photographie instantanée d’une roue de voiture. L’œil humain, en voyant -une roue, s’aperçoit fort bien si elle tourne ou non. L’instantané, -lui, n’en sait rien. Que la roue tourne avec la vitesse d’un phaéton -traîné par un cheval au grand trot, ou bien qu’elle soit immobile dans -la remise, l’appareil instantané nous en donne exactement la même -image. Comme il va aussi vite, plus vite même que la roue, elle lui -semble toujours immobile. Ce tremblement, cette confusion des lignes -des rais qui avertissent nos yeux n’existe point pour lui. Il n’en -compte que mieux les rais de la roue, mais il oublie qu’elle tourne. Il -perçoit bien une vérité, mais il y a une autre vérité qu’il ne perçoit -pas;—et c’est justement celle dont l’Art a besoin. - -Si nous allons en chemin de fer parallèlement à un autre train qui -marche beaucoup moins vite que nous, cet autre train nous semble -immobile. Pour qui est doué d’un mouvement plus rapide, tout ce qui -est doué d’un mouvement moins rapide semble immobile. Nous appelons -immobiles dans le monde et dans la vie, les choses dont le mouvement -ou dont le changement sont si lents que nous ne les percevons pas dans -le cours de notre vie. Cela ne veut pas dire qu’elles ne soient pas -douées de mouvement; cela veut dire que ce mouvement nous échappe. Or, -si l’œil de l’objectif ne reste ouvert qu’un cinq-millième de seconde, -il est clair qu’un mouvement de cheval qui dure un quart de seconde -lui échappe tout à fait. Donc, en allant plus vite que le cheval, -l’objectif transforme le mouvement en immobilité. - -Ce n’est pas la seule circonstance ou l’objectif voit autrement que -notre œil. Il est tantôt plus et tantôt moins perspicace, il détaille -parfois mieux et confond parfois bien davantage. Il découvre, avant le -médecin, des taches d’éruption sur un visage qui paraît sain, mais il -commet les plus lourdes bévues sur la qualité des étoffes. Comme le -dit très bien M. Puyo: «Son analyse implacable reste superficielle et -s’en tient aux apparences; bien plus, ces apparences mêmes, l’objectif -tend naturellement à les magnifier, et bonnement, il se laisse éblouir -par l’éclat faux des strass, par les reflets trompeurs des satinettes -et des velours de coton.... C’est ainsi que, par une réunion patiente -de laissés pour compte et de coupons avariés, le photographe peut -rassembler sans grands frais des décors et des costumes qui prennent -sur ses épreuves un aspect véritablement somptueux.» Admirable pour -déterminer les inflexions de l’aile d’un macroglosse ou de la nageoire -d’un hippocampe, la plaque photographique ne peut nous renseigner, -aussi bien que l’œil, sur la tonalité de l’air où vole cet insecte, ni -de la mer où vit ce poisson. Et c’est précisément parce qu’elle est, -selon le mot de Janssen, «la rétine du savant» qu’elle n’est pas celle -de l’artiste. - - - - -CHAPITRE V - -Une réaction idéaliste. - - -Aujourd’hui les photographes l’ont compris. M. Puyo avoue, à propos -de la mise au point, que «l’œil a une faculté d’accommodation très -supérieure à celle de l’objectif». Ces novateurs abandonnent les -prétentions des chronophotographes. Ils ne veulent plus que la machine -enseigne l’œil. Ils contrôlent les résultats de la machine avec l’œil -et repoussent ceux que l’œil n’approuve pas. Ils ne prétendent plus -réformer les lois de l’esthéthique: ils ambitionnent de s’y soumettre. -M. Alfred Maskell, qui est le chef de la jeune école en Angleterre, -le dit expressément: «Notre mouvement peut être considéré comme une -tendance à traiter les sujets en concordance avec la pratique des -autres arts graphiques.»—«Il ne faut pas, déclare M. Robert Demachy, -avoir une esthétique particulière pour la photographie et une autre -pour la gravure et le dessin.»—MM. Bergon et Le Bègue ajoutent: -«Il nous paraît que l’étude de l’esthétique est la préparation -indispensable à tout travail. Le photographe va composer comme s’il -devait dessiner ou peindre au lieu de photographier.» En ce qui -concerne les attitudes fournies par la chronophotographie, M. Puyo ne -parle de retenir que celles qui sont «douées de qualités esthétiques». -Cela nous montre assez quelle évolution s’est faite chez les -photographes et dans quel sens le mouvement nouveau est dirigé. - -C’est dans un sens idéaliste. On ne peut en douter quand on lit les -écrits des novateurs. On le peut encore moins quand on regarde leurs -œuvres. Avoir introduit le sentiment et la pensée dans une opération -autrefois automatique; avoir transformé en un art ce qui était une -industrie; avoir décidé que l’esprit devait diriger la matière, au -lieu de se laisser enseigner par elle; avoir inventé la photographie -dirigeable, c’est déjà une entreprise idéaliste. Mais les novateurs -sont allés plus loin dans ce sens. Ils ont vu que leurs œuvres valaient -surtout par ce qu’ils y avaient mis d’eux. Ils ont compris le mot de -Ruskin: «Si ce n’est pas un plan humain que vous cherchez, il y a plus -de beauté dans l’herbe le long de la route que dans tout le papier -noirci par le soleil que vous rassemblerez durant toute la durée -de votre vie». Ils ont hardiment soumis leur vision à un plan très -caractérisé. Dans leur effort pour se dégager de l’imitation servile, -ils ont retrouvé l’audace des partis pris d’ombre et de lumière, la -volonté des effets d’ensemble, qui manquent à nos impressionnistes. -Beaucoup de leurs paysages sont traités par grandes masses, le premier -plan largement ombré, la lumière repoussée au second, et toutes les -petites lueurs reflétées, délibérément noyées dans l’ensemble, afin -d’obtenir un effet franc et général. - -Il existe un _Potier_, de M. Declercq, que, par son violent parti -pris d’ombre diffuse et de saisissante clarté ramassée en un seul -point, on dirait une eau-forte de Rembrandt. Le magnifique portrait -de Ruskin par M. Frédérick Hollyer, où seul l’extrême profil de -l’esthéticien est tiré de l’ombre par la lueur de la fenêtre, accuse, -chez le photographe, un plan préconçu d’éclairage caractéristique. -Le papillotement impressionniste est proscrit, M. Puyo l’avoue: «La -direction des faisceaux de lumière qui éclairent une figure peut être -quelconque, mais leur intensité relative doit obéir à une loi: il faut -que l’un des faisceaux employés soit nettement dominant en intensité et -que tous les autres lui soient nettement subordonnés.» - -Avec la dispersion de l’effet, l’école naturaliste enseignait -l’inutilité ou l’indifférence du sujet. Là, encore, les nouveaux -photographes sont amenés, par les conditions mêmes de leur art, à une -réaction dans le sens classique. Ne pouvant compter autant que les -peintres sur leur imagination, ils en viennent à chercher la beauté -dans la nature elle-même. Ne pouvant espérer l’atteindre uniquement par -l’interprétation, ils la veulent d’abord dans l’objet interprété. C’est -non plus seulement à leurs rêves, mais à la réalité, qu’ils demandent -d’être une chose belle. Le sujet redevient alors tout de suite digne -de considération. Il ne s’agit pas ici du «sujet» tant méprisé par les -novateurs d’il y a vingt ans, et méprisé avec raison, si l’on entend -par là l’histoire bouffonne ou sentimentale, le «site» numéroté par -les guides, où d’ingénieux industriels tiennent à la disposition des -touristes une chaise, une lorgnette et du soda. Il s’agit de ce que -M. Jules Breton appelle très justement le «sujet esthétique», une -puissante ordonnance de nuages sur la mer, comme dans une photographie -de M. Origet, une symphonie de branches emmêlées pour résister au vent -et tendues vers le ciel pour prendre dans l’air leur nourriture, comme -on en a vu dans les photographies de M. Dardonville, _Étang du parc de -Rambouillet_, et de Mme Dansaert, _At Home_; un groupement gracieux de -jeunes filles et de jeunes fleurs, tel que le tableau de Mme Farnsworth -exposé jadis sous ce titre: _Quand le printemps arrive souriant dans le -vallon et sur la colline_. - -Ce sujet, ils le veulent nettement déterminé, congruent en toutes -ses parties et, pour ainsi dire, organique. Comme ils pourront bien -retrancher l’inutile dans ce que leur fournit la nature, mais non pas y -ajouter le nécessaire, il faut que cette nature soit plutôt trop riche -en intérêt que trop pauvre. - -D’ailleurs, si ce sujet riche est touffu, ils marquent leur -intervention d’artistes en le simplifiant. M. Puyo parle de l’«unité du -motif», et se courrouce contre «les détails qui sollicitent le regard -en dehors du centre d’intérêt». Il traite de «l’équilibre des lignes», -des «rappels nécessaires». On croirait entendre un pur classique de -l’école de Winckelmann. L’étude prolongée, non des livres, mais de la -nature, ramène ces photographes aux lois générales qui régirent jadis -l’école, et non point parce que ce sont des règles, mais simplement -parce que ce sont des nécessités. «Ces lois de la composition, -disent-ils, n’ont rien d’arbitraire; quand nous songeons aux conditions -que doit remplir toute œuvre d’art et que nous apparaissent aussitôt -les idées d’unité, d’ordonnance, de subordination, n’est-ce pas le -rationalisme grec et notre conception unitaire du monde qui nous -imposent ces lois générales? Pareillement, l’idée d’équilibre, qui la -fait naître, sinon le sentiment intime que tout obéit à la loi de la -gravitation? D’où l’emploi général, dans la composition, de la forme -triangulaire, le triangle étant de toutes les figures celle dont le -centre de gravité est le plus bas. Enfin, les règles qui président à -l’harmonie des tons et à leurs liaisons et imposent l’usage des rappels -découlent de l’idée de relation et de l’impuissance des organes à juger -autrement que par comparaisons successives.» - -Ainsi, tout doucement, tout silencieusement, ces hommes armés d’une -machine conspirent pour l’idéal classique des anciens jours. Ils n’ont -point fait de hardis manifestes, ni proclamé la déchéance d’aucun art. -Leur affiche représentait seulement une femme laissant tomber de pâles -fleurs de tournesol. «Nous ne réclamons nullement le titre d’artistes, -disaient-ils en 1896; le public, habitué aux choses d’art, saura bien -nous le décerner de lui-même, s’il trouve que nous sommes arrivés à le -mériter.» Dans leurs longues et laborieuses contemplations en face de -la nature, ils n’ont pas rêvé les grandes jouissances de la gloire. Ils -n’ont pas cherché l’argent. Ils n’ont cherché que le plaisir; et le -plaisir, rappelons-nous-le bien, a donné plus de belles œuvres à l’art -que l’ambition,—le plaisir modeste, intime et muet, que cherchaient -les Millet et les Rousseau dans les sentiers de Barbizon. Ils aiment -la nature: ils écoutent ce qu’elle dit, et elle leur dit parfois ce -qu’elle ne dit pas à d’autres. Après la grande moisson faite par les -paysagistes du siècle, ils viennent, se courbant et ramassant des -glanes. Mais, des glanes des champs, on peut encore se nourrir, et -mieux que des fleurs artificielles, quattrocentistes ou cinquocentistes -cueillies dans les musées.... - -Ces artistes n’ont rien de mystérieux: ils dévoilent et jettent à la -foule tous leurs secrets et toutes leurs recettes. Les prend qui veut! -Mais peu les prennent, et moins encore en profitent. Car ce n’est pas -leurs papiers et leurs ingrédients chimiques, et leurs écrans et leurs -lampes au magnésium qui font leur supériorité, c’est leur éducation -esthétique et c’est leur goût. Pas plus en art qu’en armes, il n’est -de «botte secrète». Ce sont les procédés les plus simples et les plus -connus qui mènent le mieux au but qu’on veut atteindre; le secret -n’est point dans une combinaison de recettes soigneusement tues et -dont on peut donner ou ne pas donner la formule: il est dans la tête, -il est dans l’œil, il est dans la main, il est dans le cœur. Et s’il -fallait une preuve de plus que ce ne sont nullement des procédés -nouveaux, mais bien de nouvelles intentions qui créent ces belles -œuvres photographiques, on la trouverait dans ce fait que, parmi tant -de milliers de photographes qui arpentent la surface de la terre, il -n’en est guère plus de dix ou douze en France et d’une trentaine à -l’étranger qui aient, jusqu’ici, produit des épreuves comparables à des -œuvres d’art. Et combien chacun en produit-il? A peine, par an, une -ou deux qui vaillent la peine d’être citées. Voilà qui doit rassurer -les artistes; et ceux-ci feraient sagement en ouvrant les portes de -leurs expositions de blanc et de noir aux chercheurs modestes et -enthousiastes qui s’acheminent, par des voies différentes, au même -idéal. - -Quand on se promène dans la longue galerie des Candélabres du musée des -Antiques, au Vatican, si on lève les yeux au-dessus des têtes d’Hermès -et des Furies, des Silènes et du Mercure psychopompe, et de la Diane -d’Éphèse aux seize mamelles, et du Satyre enlevant une épine du pied -d’un Faune, et si l’on regarde les plafonds peints durant le précédant -pontificat, on aperçoit une allégorie singulière. Les sciences et les -arts, représentés par des figures ornées d’attributs, font hommage de -leurs progrès à la Religion. Et parmi ces figures, en bonne place, -est la Photographie tenant son horrible machine, appelée objectif. -On reste un peu surpris, non seulement qu’un Torti ait succédé pour -décorer les plafonds du Vatican à un Raphaël et à un Michel-Ange, mais -que la déesse allégorique du collodion ou du gélatino-bromure se carre -à la même place où l’on a vu, dans la _Sixtine_, les Sibylles et les -Prophètes. Puis on se souvient des vers de Léon XIII, adressés à la -princesse Isabelle de Bavière, sur l’_Ars photographica_: - - _Imaginem_ - _Naturæ Appelles æmulus - Non pulchriorem pingeret;_ - -et l’on se demande si ce qui paraît une hyperbole aujourd’hui ne sera -pas une vérité demain. Ce que nous avons vu, dans les expositions, -n’est peut-être pas encore suffisant pour le prédire, mais c’est plus -qu’il ne faut pour l’espérer. - - - - -CINQUIÈME PARTIE - -LES PRISONS DE L’ART - - - - -LES PRISONS DE L’ART - - -Ce sont les musées. - -Jamais on n’en vit tant bâtir, pour tant d’objets, ni de tant -de sortes. On en fait d’immenses pour y dresser des moulages de -cathédrales et on en fait de tout petits pour y aligner des poupées. -On en fait pour y mettre des tableaux contemporains, comme la _Tate -Gallery_, et on en fait pour y mettre des bronzes d’il y a deux mille -ans, comme le musée Cernuschi. On en fait pour y mettre des ustensiles, -comme le Musée des Arts décoratifs, et on en fait pour y mettre des -dieux, comme le Musée Guimet. On en fait pour y mettre des panetières -provençales, comme le _Museon Arlaten_, et on en fait pour y loger des -porcelaines de la famille verte, comme le Musée d’Ennery. On y trouve -des vertugadins, comme dans le Musée des Passions humaines, à Florence, -et on y trouve de vénérables affiches ou des télégraphes surannés, -comme dans le Musée du vieux Montmartre, à Paris. On fait encore des -Musées pour y mettre de vieux habits héroïques et des canons démodés, -comme le Musée de l’Armée, et on en fait pour y mettre des tableaux -statistiques comme le Musée social. On en fait même pour ne rien ou -presque rien y mettre, comme le Musée Galliera.—Mais, d’ordinaire, ce -sont les œuvres d’art qu’on y renferme, les plus belles et les plus -dignes d’être vues qu’on peut trouver. - -Tout le monde s’y prête. Jamais les collectionneurs n’ont plus -volontiers regardé leurs propres galeries comme de futurs musées. -Jamais on n’a légué à l’État ou aux villes tant de maisons qui, du -vivant même de leurs hôtes, avaient pris la forme d’un temple du Beau. -On bâtit un musée aujourd’hui dans le même esprit qu’autrefois un -hôpital, une église ou un monastère. Lorsque, au soir de la vie, les -vainqueurs de l’âpre lutte industrielle et sociale se demandent par -quoi ils embelliront leur victoire et en répandront quelques effets sur -la foule, ce qui se dresse devant eux, c’est la vision d’un musée. Ici, -au parc Monceau, il a suffi d’ôter le lit du mort, pour que sa demeure -fût un musée. Là, lorsqu’il y a quelques années, le vieux prince sans -enfants, sans trône et sans épée, debout sur la terrasse de sa demeure, -cherchait ce qui pouvait le mieux perpétuer sa mémoire, il trouvait -que c’était de changer son château en musée. Et voici que partout les -châteaux sont devenus des musées. Le Louvre est un musée. Versailles -est un musée. Fontainebleau est un musée. Chantilly est un musée. - -Cette idée hante aussi les âmes collectives. Les municipalités qui -ont trop d’argent,—et même celles qui n’en ont point assez,—rêvent -de musées gigantesques accaparant tous les trésors d’art d’une -province,—comme le Palais des Papes à Avignon,—et vers où se -dirigeraient, en pèlerinage, les foules du siècle nouveau. Les villes -montrent aux étrangers leurs musées avec autant d’orgueil que leurs -hôpitaux ou leurs hospices. Et, de même qu’en bâtissant des hospices, -elles croient avoir résolu le problème de la justice sociale, de même, -en bâtissant des musées, elles croient avoir sauvé la beauté dans le -monde. - -Voilà une tendance bien caractéristique de l’esprit contemporain. En -voici une seconde: - -Pendant qu’on bâtit des musées, on détruit des œuvres d’art. On jette -bas des monuments, parfois des quartiers entiers dans les cités qui -furent contemporaines des siècles de beauté. On dénoue leur ceinture, -comme à Avignon. On éventre leurs remparts, comme à Antibes. On -menace leurs ponts, comme à Lucerne. On disperse les nymphes de leurs -fontaines, comme à Nuremberg. On complote de combler leurs canaux, -et, en attendant, on enfume leurs ponts, comme à Venise. On brise -leurs mosquées, comme en Égypte. On renverse leurs palais et l’on -défonce leurs jardins, comme à Rome. On mutile leurs couvents, comme à -Toulouse. On empiète jusque sur leurs tombeaux, comme à Arles. - -Florence même, Florence qui consolait de tant d’attentats géométriques -les artistes des deux hémisphères, Florence voit tout un plan de -_Riordinamento_ et de _Sventramento_ s’étaler sur les tables de ses -conseils!... Là, une voie, droite comme une épée, traverse le cœur -même de la ville, trouant les palais de guingois, coupant les vieilles -artères vitales du moyen âge, secouant ou ébréchant, sur son passage, -les _loggie_, les créneaux de la place San Biagio, de la maison des -Giandonati, du palais di Parte Guelfa, fauchant les tours[23].... - -A ces nouvelles, la démocratie bat des mains. Cela sonne à ses oreilles -comme une victoire. C’est une victoire, en effet, sur le respect, sur -le passé, sur tout ce qu’elle ne peut empêcher d’avoir été avant elle, -mais ce qu’elle peut du moins empêcher de lui survivre; victoire sur -les hommes qu’elle n’a pas élus et les choses qu’elle n’a pas votées. -Pendant la nuit, fameuse en Avignon, où tomba la porte l’Imbert, à -la lueur des torches, en toute hâte, quelques heures seulement après -l’arrêté du maire décrétant sa ruine, une foule enthousiaste acclama -les ouvriers de cette destruction et le chef élu qui venait y présider. - -Ce ne sont là que quelques exemples, et pris dans quelques pays. Mais -le courant de _Sventramento_ est universel. A chaque heure qui sonne, -on peut dire qu’il s’accomplit ou qu’il se trame, sur quelque point du -globe, quelque chose contre sa beauté. Et si l’on a pu calculer, de -certains grands capitalistes, que, chaque matin, ils se réveillent plus -riches en capital, sans avoir rien fait que de durer une nuit de plus, -on peut dire, au rebours, que par le mouvement naturel du progrès, -chaque soir, le soleil se couche sur des cités moins belles que les -cités qu’il a le matin même éclairées. - -Deux courants traversent donc le monde: l’un pour la beauté dans les -musées, l’autre pour la laideur dans la vie. Au fond, c’est le même et -il n’y a entre les deux aucune contradiction. Ils coexistent dans les -mêmes âmes. Ils vont au même but, comme ils sont nés de la même idée -sur le rôle de l’art. Et cette idée, toute-puissante en ce moment, est -telle qu’il faut la dénoncer hautement, s’il en est temps encore, comme -la plus fausse qui soit dans son principe et la plus funeste dans ses -applications. - - - - -CHAPITRE I - -L’art proscrit de la vie et interné dans les musées. - - -Ces deux tendances sont sœurs. Un jour, au mois de septembre 1895, -on vit, dans la même ville d’Avignon, le même conseil municipal, -présidé par le même maire, prendre, presque dans la même séance, deux -résolutions en apparence contradictoires: il résolut, d’abord, de -démolir les pittoresques remparts de la ville, du côté sud, et ensuite -de chercher six millions pour transformer le Palais des Papes en un -musée de la chrétienté. - -L’un de ces projets était mesquin et facile, l’autre grandiose et ardu. -Un seul fut exécuté: ce ne fut pas le grandiose, mais le grandiose fut -sincèrement désiré. Il l’est encore. Car les mêmes hommes qui trouvent -nécessaire d’abattre ces belles pierres jaunes, posées par les Papes -et célébrées par Stendhal, n’estiment pas superflu de fonder un musée -nouveau. Les mêmes économistes qui reprochent à l’art d’étouffer -la ville en lui gardant sa couronne de mâchicoulis, sont prêts à -l’endetter de six millions pour lui faire une collection de vieilles -chasubles. Et, dans ces deux résolutions, en apparence contradictoires, -ils sont animés par une même idée d’ordre,—qui est de ne pas laisser -l’art encombrer la rue, mais de le mettre à sa place, où iront le -chercher les gens qui croient en avoir absolument besoin: au musée. - -Le même souci tient tous les destructeurs de beauté, quelque part -qu’ils «travaillent». A Arles, on a détruit les maisons qui plongeaient -dans le fleuve, afin de tracer des quais rectilignes. On y a encore -détruit, par les bruits de la terre et par les fumées du ciel, le -charme des tombeaux vides des antiques Alyscamps. Mais, en revanche, on -y fonde un _Museon Arlaten_ pour y renfermer les choses pittoresques de -la vie populaire. - -A Florence, en 1888, la commission de _Riordinamento del centro della -città_, après qu’elle eut visité les maisons de la rue des Apothicaires -et décidé leur disparition, décréta toutefois qu’on enrichirait de -leurs photographies les archives communales. Aujourd’hui, lorsqu’un -parti florentin demande qu’on rase le vieux et bizarre palais -_dell’Arte della Lana_, qu’un arc-boutant joint mystérieusement à Or -San Michele, que dit-il pour nous consoler? Il dit qu’«on en fera une -reproduction dans une autre partie de la ville»! Quand on a détruit -le _Mercato Vecchio_ et tout ce qui avoisinait la vieille église de -Saint-André, on a pompeusement créé, au musée de Saint-Marc, une salle -de souvenirs, de fresques, de plafonds, de cheminées, d’écussons tirés -des maisons du XV^e siècle. - -De même qu’à Bruxelles, si l’on a rasé, autrefois, l’ancien palais des -ducs de Brabant, on en a tenté, deux cents ans après, une restitution, -de même on a soin, aujourd’hui, de reproduire à huis clos ce qu’on a -supprimé dans la rue. En Suisse, les hôtels expulsent les chalets, -mais, quand on a ruiné les chalets de la montagne, on en reconstruit -tout un quartier à l’Exposition de Genève. A Paris, après avoir -renversé, au siècle dernier, la Bastille et la rue Saint-Antoine, on -a cru devoir en restituer des effigies au Champ de Mars, en 1888, -et, en 1900, on a édifié, sur les berges de la Seine, une parodie du -vieux Paris jadis démoli avec enthousiasme. Ainsi, détruisons-nous nos -vieilles demeures séculaires, quittes, cent ans après, à en tenter -quelque incertaine et coûteuse «restitution», pour que les foules -viennent goûter des «apéritifs» très nouveaux sur des escabeaux très -rétrospectifs. - -Sans doute, on entend, çà et là, des protestations. A Florence, -notamment, une clameur, grossie par la clameur des artistes du monde -entier, a retenti contre les projets en cours d’embellissement -destructif. Une ligue s’est formée de Florentins passionnés pour la -beauté de la fleur du val d’Arno, sous le titre d’_Associazione per -la difesa di Firenze antica_[24]. Mais à ces protestataires on répond -quelque chose d’apparence très logique: ou ces vieilleries sont dignes -d’être conservées, leur dit-on, ou elles ne le sont pas. Si elles ne le -sont pas, qu’importe qu’on les détruise? Et si elles le sont, quoi de -mieux que de les abriter dans un musée? - -D’ailleurs, qu’est-ce qui est menacé dans cette Florence que vous -prétendez défendre, et pourquoi tout ce bruit? Pourquoi ces dix -mille signatures de princes, d’évêques, de romanciers et de tribuns, -protestant contre notre voirie municipale et que vous êtes allés -chercher jusqu’aux confins de la civilisation, depuis les autorités -du Massachusetts jusqu’à celles de la Tasmanie?... Est-ce qu’il est -question de détruire un seul des monuments qui font la gloire de notre -ville à l’étranger? Est-ce qu’on touche au Palais Vieux, au Palais -Pitti, à Sainte-Marie-Nouvelle, au Dôme? - -Regardez donc le plan que vous attaquez.... Il ne touche même pas au -_Ponte Vecchio_, pourtant si étroit et si incommode! Il respecte tout -ce que les guides montrent aux touristes, et, quand il sera exécuté, -non seulement l’itinéraire des _Cook’s tours_ ne sera pas entravé par -les démolitions nécessaires, mais, en traçant des voies plus droites et -plus larges d’un monument à l’autre, nous permettrons aux étrangers de -tout voir en moins de temps.... - -Que prétendez-vous encore? Qu’il y a de jolis détails architecturaux -dans les maisons de la place San Biagio.... Quoi donc? Cet écusson sur -le _palazzo dei Canacci_, ces moulures?... Et là-bas, au _palazzo di -Parte Guelfa_, cette colonnette de la _loggetta del Vasari_?... Et, -dans le _borgo San Jacopo_, quelques mâchicoulis?... Eh bien! on les -sauvera! On tirera de la masse informe de ces vieilles bâtisses du -XIV^e ou du XV^e siècle, les rares morceaux dignes d’être vus et on -les mettra dans un musée. Tout le monde y gagnera, même les esthètes, -puisqu’ils trouveront rassemblés dans une même salle et qu’ils verront, -en dix minutes, tous ces détails qui, dispersés sur des murs sans -intérêt et dans des ruelles impraticables, leur auraient demandé cinq -ou six heures pour être à grand’peine découverts! En travaillant pour -les utilitaires, nous travaillons aussi pour vous. - -En face des gracieux spectacles ménagés par la Nature, on a pris -le même parti. Dans ce Paris, qui n’est pas un lieu de pèlerinage -esthétique, mais qui serait cependant si beau sans ses embellissements, -on conserve et on détruit avec un semblable acharnement. Les étrangers -artistes en sont stupéfaits. «Quiconque, dit Ouida, revient à Paris, -après une absence de quelques saisons, trouve la splendeur de sa vie -plus obscurcie tous les dix ans par l’empoisonnement de l’atmosphère -que cause le nombre toujours plus grand de fabriques, de chemins de fer -et d’autres travaux et par l’extension de la ville parmi les jardins, -les vergers et les bois qui lui formaient autrefois une admirable -ceinture.» - -Mais, en revanche, le moindre morceau badigeonné de couleurs est -rentré, étiqueté, conservé, forclos. On a supprimé du ciel parisien -cette délicate harmonie de ruines noires et de vertes frondaisons, dont -vingt-huit années avaient effacé l’âcre souvenir et souligné la triste -beauté,—pour y édifier, entre deux horloges, une gare de chemin de fer. -Mais on a retiré précieusement quelques médiocres vestiges des fresques -d’un des plus médiocres décorateurs du second Empire et l’on va leur -consacrer pompeusement quelque salle de musée. - -Dans ces prisons, la vie moderne renferme même les oiseaux et les -fleurs. Dans toute l’Europe méridionale on dépeuple les bois de leurs -petits oiseaux, qu’on tue, qu’on empoisonne, qu’on écrase dans les -nids, qu’on prend par millions aux _roccoli_. Bientôt l’on pourra -mettre au Muséum les derniers exemplaires de certains oiseaux que, nos -pères et nous, aurons, pour la dernière fois, entendus chanter. Si l’on -veut en garder la forme et la voix, qu’on les fasse chanter devant le -phonographe et qu’on appelle ensuite le taxidermiste!—car les temps -sont proches où l’espèce entière aura péri. Mais les cages de nos -jardins zoologiques sont pleines. - -Les oiseaux ainsi catalogués, il arrivera un jour où l’on mettra -aussi les fleurs dans des musées fermés, afin de les soustraire à la -vie dévastatrice. Que dis-je? Cela est arrivé. On détruit tant de -fleurs sur les Alpes qu’on a dû créer pour elles des refuges comme _la -Chanousia_ du petit Saint-Bernard, à laquelle on a donné le nom de -«jardin-musée». - -Un «jardin-musée!» ce nom seul ne définit-il pas une époque, une -tendance et une idée? Et n’est-ce pas la même idée qui anime les édiles -de Florence, et ceux de Paris, et ceux de Venise, et ceux de Rome: -parquer le pittoresque, l’éloigner de la vie, ôter des pas de la foule -cette chose encombrante, distrayante qu’est le Beau, le ramasser, -l’emporter au loin, comme ce que ramassent et ce qu’emportent, aux -heures frileuses de l’aube parisienne, les charrettes des balayeurs -et des chiffonniers! Dans une ville bien ordonnée pour les affaires, -il ne faut pas, semble-t-il, que les passants s’arrêtent à considérer -des architectures, non plus que les flots d’un fleuve à considérer les -quais. Que les uns et les autres passent vite, portant leurs fardeaux -multiples, courant vers leur commune fin! Que le mot d’ordre soit, pour -l’économie de nos cités modernes, celui-ci: «L’utile en liberté, l’art -en prison.» - - - - -CHAPITRE II - -Ce que devient l’art en prison. - - -Que devient l’art en prison? Rassemblons, pour le comprendre, les -impressions qu’à travers l’Europe, nous avons tous ressenties. - -Il ne s’agit point, ici, de ces œuvres d’art qui forment toutes seules -un ensemble esthétique et qui sont faites pour apporter une vision -du dehors dans l’intérieur d’une maison, loin de la vie qu’elles -représentent, au fond d’un salon. Cette œuvre-là, d’ailleurs isolée de -son milieu par son cadre d’or, peut être goûtée indifféremment partout. -Il ne s’agit donc pas des tableaux de chevalet. Pour eux, un musée -vaut à peu près un autre milieu et l’on n’imagine rien, non seulement -de plus périlleux, mais de moins plaisant que les expositions en plein -air du XVII^e et du XVIII^e siècles, soit que Le Brun accrochât, dans -la cour de l’hôtel de Richelieu, son _Passage du Granique_, soit que -l’Académie de Saint-Luc suspendît ses chefs-d’œuvre, place Dauphine, -sur le parcours de la procession de la Fête-Dieu. - -Certes, la manière de présenter les tableaux devant le public ou de -se présenter devant eux n’est pas chose indifférente. La disposition -des toiles historiques dans les salles qui virent leur histoire et un -bel équilibre de nuances dans des appartements sobrement meublés—comme -ce qu’a commencé de réaliser M. de Nolhac à Versailles,—ajoutent fort -à la valeur intrinsèque des tableaux. Le recueillement, la solitude -y ajoutent aussi. Combien de toiles pieusement vénérées dans les -collections particulières souffriraient d’être vues dans l’immense -promiscuité de la Galerie du bord de l’eau! Et si l’on va, au loin, -étudier une seule œuvre à demi cachée au public, combien la distance -franchie, le blocus forcé, la concentration des forces admiratives -toutes fraîches sur un seul point, n’ajoutent-ils pas à l’impression -qu’on ressent de sa beauté! - -Bien plus, si l’œuvre est restée là où elle fut créée, dans le milieu -qui l’a rendue possible et qu’elle a rendu célèbre, n’arrive-t-il pas -qu’elle ramasse et réfléchit tous les souvenirs épars autour d’elle, -comme une lentille fait les rayons? Fra Angelico ne se découvre-t-il -pas mieux dans la plus médiocre des cellules de son couvent que dans -l’admirable _Couronnement de la Vierge_ exposé, par le malheur des -circonstances, à deux pas de la rue de Rivoli? - -Combien de portraits de Rembrandt n’a-t-on pas vus dans les musées -d’Europe, sans jamais ressentir l’impression que donnent les figures -du bourgmestre Six et de sa femme, conservées dans la même famille -depuis deux cent quarante ans, dans le vieux et petit salon de la -Heerengracht, au bord de ce canal aux eaux égales comme ces âmes de -bourgeois et ponctuées de feuilles fanées qui tombent en silence comme -sont tombées jadis les heures sur ces vies, sans rien agiter, ni -ternir!... - -Lorsqu’on descend des lacs glacés du haut Dauphiné dans la vallée -du Graisivaudan et qu’au hasard de la route on entre, faute d’autre -spectacle, dans la petite église, cernée de treilles et de luzernes, -du village de la Tronche, combien la Vierge orientale qu’on aperçoit -au coin d’une chapelle avec son grave enfant songeur, le doigt sur -la bouche, pénètre davantage dans l’imagination que des centaines de -madones rangées dans les galeries Doria, Borghèse, ou Pitti! Et que -n’ajoutent pas l’humilité de ce décor et l’imprévu de cette rencontre -au chef-d’œuvre d’Hébert, pieusement déposé en ex-voto, là où le -vœu fut fait et là où il fut exaucé, là où il fut promis par le -patriotisme et réalisé par le génie! - -Mais ce n’est pas de tableaux qu’il s’agit ici. Car, quand on met -un tableau dans un musée, on n’en prive ni la rue, ni le jardin, ni -l’église, ni la pièce d’eau. Il peut gagner beaucoup à certaines -dispositions dans un salon, dans un château ou dans une chapelle. Il ne -perd pas tout son charme dans un musée. Il s’agit ici des œuvres créées -dans une intention décorative et pour un ensemble déterminé. Il s’agit -de ce qui est fait pour subir les révolutions de l’ombre et du jour, -pour baigner dans la vie ambiante et dans la foule, pour les colorer, -pour y imprimer son effigie, pour donner, en un mot, une figure à la -cité. - -Il s’agit des portes, des façades, des bas-reliefs, des fontaines, des -ponts, des stèles, des autels ou des tombeaux. Il s’agit de ces figures -taillées pour se pencher dans le vide, comme les gargouilles, pour -humaniser l’horizon, comme les statues, pour borner les champs, comme -les Termes, pour commémorer une victoire, comme les colonnes, ou un -prodige, comme les chapelles, ou pour dominer la ville et faire lever -les regards des citoyens, comme jadis les métopes du Parthénon ou ses -Panathénées. - -Voilà les œuvres qui, conçues en dehors des musées et avant les -musées, ont une fonction dans l’empreinte quotidienne que fait à -l’imagination la vie. Prenons l’exemple le plus célèbre: celui des -Panathénées, et imaginons-les au moment de leur gloire. Tandis que -la ville vaque à ses affaires, à son lucre, à sa politique, à ses -plaisirs, cette procession qui ne se fait qu’une fois tous les trois -ans, se poursuit sur les frises du temple et tout Athénien levant les -yeux vers l’Acropole y devine la présence de son image, qui ne quitte -point le sanctuaire. Il se dit que l’image survivra à la réalité, la -statue à l’homme, et peut-être le chef-d’œuvre au culte, l’adorateur à -la Divinité. Sa figure de marbre, taillée là-haut dans le pentélique, -ne changera point. Ces genoux qui pointent en avant, étreignant le -cheval cabré, ne fléchiront point, ces joues demeureront pleines, ces -torses garderont leur souplesse, ces cheveux ne tomberont jamais, et, -ainsi, les générations successives ignoreront si les hommes représentés -là-haut souffrirent jamais de la décrépitude. - -Sans doute, cette vie qu’on prête au marbre n’est qu’illusoire, mais la -vie plus intense qu’on éprouve à leur vue est réelle. Sans doute, ce -n’est là qu’une ombre d’humanité, mais l’humanité passe et cette ombre -fixée sur ce mur rivalise de durée avec les montagnes qui environnent -l’horizon et avec ces étoiles vers lesquelles, à chaque angle, les -figures de pierre semblent s’acheminer, le soir.... - -Retirez ces figures de la vie et de la vue de la foule, et mettez-les -dans un musée, que deviennent-elles? Pour le savoir, allons observer -ce que deviennent les _Elgin marbles_, dans leur somptueuse demeure de -Londres. - -Morne comme une prison, planté de colonnes comme un temple, couronné -de brouillards et à peine dégagé des maisons qui l’avoisinent, voici -le massif noir du _British Museum_. C’est là que sont détenus les -demi-dieux. Un gazon humide et quelques pigeons qui s’envolent mettent -seuls du vert et du blanc dans ce paysage sinistre, frotté de suie. -Lorsque les anciens bâtissaient un temple pour y loger les idoles -dérobées à l’ennemi, c’était du moins dans quelque site riant où elles -pussent s’acclimater, se plaire et devenir enclines à protéger leurs -geôliers. Ici, rien de tel. On imagine aussitôt ce qu’est là-bas la -radieuse Acropole rose et dorée étagée dans l’air bleu, avec ses -horizons de montagnes immortelles par leur miel et leur marbre, et -de golfes qui ont des noms de victoires. On se figure des plaines de -pins verts et d’oliviers blanchissant sous les brises, avec de petits -chemins serrés entre des poivriers, des cactus et des aloès, propres à -conduire les esthètes vers les Immortels paisibles. - -Ici, sur le trottoir brillant de pluie, de Great Russell street, tout -manque de ce qui peut induire l’âme en joie admirative, rien de ce -qui peut y verser la tristesse. Sur des tables de marbre noir gisent -les restes des colosses qui siégeaient autrefois sur les frontons -du Parthénon: Hélios, Thésée, Cérès, Proserpine, Iris, Séléné, les -Parques, la Victoire, Prométhée, Minerve, Neptune, Amphitrite, -Leucothéa, Cécrops, Mercure.... La vue de ces pauvres figures, mutilées -comme des morceaux de corps froids sur les dalles des Morgues, serre le -cœur. Car ces dieux, s’ils ne règnent plus sur une poignée de croyants -par leur puissance, dominent encore le genre humain par leur beauté. -Or, ils portent ici les traces d’un inexplicable et perfide abandon, -d’une immémoriale impiété. - -Tous sont décapités, hors le Thésée qui dresse ses quatre horribles -moignons comme un monstre mendiant dans un carrefour. Leurs têtes ont -roulé à terre, et de ces visages augustes faits pour les baisers des -déesses, quelques-uns peut-être, jetés dans les eaux du Pirée, sont -encore en proie aux infects suçoirs de quelque éponge perforante!... On -les a dépouillés de leurs parures et des objets qu’ils tenaient à la -main, comme signes de leurs fonctions célestes. Çà et là, aux hanches, -aux cuisses, des trous, que les voleurs n’ont pu boucher et que les -gardiens du musée lavent pieusement, racontent le sacrilège, avec -l’éloquence d’une serrure brisée sur un tabernacle ouvert. - -Si nous regardons le long des murs, nous y voyons les figures des -Panathénées mises sous verre comme des ossements de saints, comme de -petits coléoptères morts ou des fleurs séchées. Par endroits, on a -restauré. Ainsi, dans le morceau de frise qui représente les divinités -féminines, la partie inférieure et le bras gauche de plusieurs figures -n’ont été reconstitués que par des moulages pris il y a cent ans, et -ces plâtres mal faits ont été insérés dans le marbre primitif. C’est -ainsi qu’avec beaucoup de peine on a serti quelques fausses pierres -dans un encadrement de pierres précieuses. - -Ailleurs, se presse une grotesque et lamentable armée, composée -des restes de beaux vieux monstres à barbe de fleuve et à corps de -cheval et de jeunes héros culs-de-jatte, se livrant, deux par deux, -à des pugilats chimériques. Un Lapithe qui n’a point de mains veut -étrangler un Centaure qui n’a pas de gorge. Certains brandissent des -épées absentes. Un homme-cheval sent quelque chose sur sa croupe, il -se retourne pour dévisager l’agresseur, et il n’a point d’yeux. Un -cul-de-jatte cherche à piétiner son adversaire terrassé et à lever -au ciel ses bras coupés afin de célébrer sa victoire. La peau de -lion qui pend à son bras semble vouloir dévorer le Lapithe mort. Tel -autre n’a sur ses épaules que du plâtre: sa tête est à Copenhague. -Cet homme-cheval boite: une de ses jambes est restée en Grèce. Ce -jeune Grec n’a pas d’yeux pour voir le Centaure sur lequel il s’élance -fougueusement: son visage est au Louvre. Là, le Lapithe a grimpé sur -les flancs du Centaure qu’il fait plier, a saisi le monstre par la -barbe. On s’imagine que c’est sa propre tête qu’il porte ainsi à la -main. Ici, le Centaure n’a plus de buste, n’est plus qu’un cheval -et, ainsi, le Lapithe, tombé à terre, n’est plus qu’un cavalier -maladroit.... - -Au milieu de la galerie, sur un piédestal, se tient une femme aux mains -coupées, à la coiffure géante, à l’aspect architectural d’une colonne -humaine. C’est la Cariatide. Pendant plus de deux mille ans, elle a -soutenu le portique de la tribune des jeunes filles, avec ses cinq -belles compagnes demeurées dans la patrie. Maintenant, il n’y a plus -là-bas que son sosie de plâtre traversé par une barre de fer et que la -pluie et le soleil ont noirci misérablement. Il n’y a plus ici qu’une -exilée, qu’une inutile figure dépaysée, surprise, honteuse de ne plus -servir à rien et comme lassée par l’absence de son glorieux fardeau.... - -Cette tristesse, qui se sent plus vivement peut-être au British Museum, -on l’éprouve partout où sont renfermées des œuvres faites pour demeurer -en plein air et partout où des figures créées pour jouer un rôle précis -dans un ensemble décoratif, se trouvent désaffectées. Parcourons les -salles du Vatican, du Louvre, de la Glyptothèque. Combien d’années -ont passé depuis que ces marbres ou ces bronzes n’ont pas accusé par -leurs ombres la révolution du soleil! Il faut, en vérité, qu’une longue -habitude ait endormi notre critique et fermé nos yeux pour qu’au -Louvre, par exemple, nous supportions ces entassements de pierres sous -des voûtes, ces lignes chevauchant les unes sur les autres, ces bras, -ces têtes, ces draperies s’offusquant mutuellement, se doublant par le -jeu des glaces ou s’éteignant par l’éclat des dorures! Et il faut une -extraordinaire docilité d’imagination pour s’expliquer les attitudes -et les gestes de ces Dianes saisissant leur carquois en marchant -vers des fenêtres, de cette Victoire naviguant sur un escalier, de -ces Atlantes écrasés sous un poids qui n’existe pas, de ces Apollons -inspirés ou de ces Niobés éplorées scrutant du regard les moulures -d’un plafond.... Qui a jamais vu les dieux ou les héros jetés dans -la _Salle du sarcophage de Médée_ au Louvre, ou bien dans la salle de -sculpture au Luxembourg, comme des marchandises dans un dépôt? Quoi! on -met ces marbres ici, pour qu’on les admire mieux, et on les entasse de -telle sorte qu’aucun ne se profile sur son voisin et que l’œil brouille -ensemble toutes leurs lignes! On dirait une assemblée où tout le monde -parlerait à la fois! Le but est de révéler leur beauté, et on leur ôte -le plein soleil qui sculpterait à nouveau leur relief, et les ombres -du plein air qui, changeantes comme est changeante la lumière du jour, -donneraient tour à tour sa valeur à chaque muscle, à chaque méplat, à -chaque ride, à chaque pli! - -Dans les musées, nombre de statues n’ont jamais été vues tout entières, -dressées sur un fond neutre et débrouillées des lignes de leurs -voisines. La plupart n’ont jamais reçu la lumière que d’un seul côté. -Même celles qu’on expose au milieu d’une salle, comme le _Torse_, au -Vatican, ne sont pas dégagées des lignes adjacentes. On perçoit mieux -leur ensemble dans une bonne photographie, dont le fond a été unifié, -que dans le musée, parmi le papillotement des couleurs. Beaucoup de -chefs-d’œuvre nous sont ainsi mieux connus par leurs photographies que -par la vue que nous en avons. Ils ne sont que l’«encaisse» esthétique -dont les représentations fiduciaires courent l’Europe. On sait qu’ils -existent, mais, en réalité, on ne les a jamais vus. - -Et on les verrait si bien ailleurs! C’est en pleine campagne, en -pleine forêt, que le sens esthétique éveillé par la joie de la -Nature, l’œil reposé par la monotonie du décor, l’esprit avide et -rendu curieux de rythme par l’indiscipline des mouvements de la -vie végétale, percevraient avec enthousiasme le moindre vestige du -travail et de la volonté, la moindre ligne voulue et suivie. C’est -un phénomène bien connu que l’obscur besoin de la symétrie là où -tout semble échapper à ses règles et d’un plan rationnel et humain -là où les fantaisies de la Nature triomphent en liberté. Nous sommes -plus reconnaissants à l’art pour une Madone frustement peinte sur -la blanche église de quelque pauvre village de l’Engadine que pour -la centième Vierge au Bambino dans un musée de Florence, quand nous -en avons vu déjà quatre-vingt-dix-neuf. Que nous fait un sarcophage -après cent sarcophages, ou un œnochoé, s’il est le centième œnochoé? -Mais si, au pli d’un vallon, à travers quelque campagne virgilienne, -nous rencontrons le simple monument où le Poussin arrêta ses bergers -d’Arcadie, nous faisons halte comme eux, sensibles à la solidité de -ses lignes et à l’équilibre de ses proportions. Et si, aux approches -d’une ville ancienne, parmi les vignes ou les potagers, nous trouvons -le reste d’un taurobole oublié par les archéologues, nous comparons -le pampre sculpté aux feuilles vivantes qui y jettent leur ombre et -le bucrâne hiératisé aux bœufs qui cheminent le long du labour; nous -comprenons alors, bien mieux que dans un musée, l’effort de l’art pour -fixer le plus capricieux des rameaux en un régulier entrelacs et la -plus disgracieuse des têtes en un svelte ornement. - -Les flâneries dans les vieux quartiers de Rome ou à travers les -villages toscans ont-elles un autre but? On possède, au milieu de la -ville, tous les chefs-d’œuvre qu’on peut souhaiter. Si l’on va au -hasard des chemins, c’est qu’on trouve plus de plaisir à la courbe de -la _Navicella_ imprévue rencontrée au portail de la villa Mattei, qu’à -toutes les vasques et les cuves dont s’encombrent la Salle ronde ou la -Galerie des candélabres. On sait plus de gré à l’artiste pour avoir -tracé la forme d’un lécythe sur une stèle du cloître de San Saba ou -des croix sur le puits du cloître du Latran que pour avoir creusé les -pierres entassées au Capitole. Et toute la ferronnerie ornementale de -l’_Architectural Court_ du South-Kensington Museum ne se profile pas -dans la mémoire aussi nettement que le couronnement du puits de la -Chartreuse d’Éma, quand on l’a vu, par un beau soir rouge, arrondir, -sur les têtes chauves des derniers moines, sa noire arabesque de fer.... - -Voilà pourquoi l’expédient, imaginé par les Florentins pour satisfaire -les admirateurs de leur vieille ville, tout en la détruisant, est le -signe de la plus profonde erreur esthétique. Ce que les étrangers -aiment à Florence ce n’est point seulement l’éclat de quelques -monuments, mais l’atmosphère d’art, qu’on respire, presque sans s’en -apercevoir, dans les plus humbles coins de la ville. Or vouloir retirer -de la ville tout ce qui constitue cette atmosphère, pour l’enfermer -au Musée de Saint-Marc et l’y accumuler, c’est proprement détruire -le charme des flâneries florentines: l’imprévu de la rencontre d’un -fragment d’art, la joie de la découverte. Les mêmes choses, délicieuses -si on les trouve isolées, une à une, deviennent fastidieuses par leur -rapprochement. Quoi de plus divin qu’un chant d’oiseau, çà et là, dans -la forêt? Quoi de plus déplaisant qu’une volière? - -Et, lorsque l’œuvre est telle qu’elle emprunte son caractère ou son -culte à un pays déterminé, qu’est-ce donc qu’il en reste dans un musée? -Que signifient ces idoles dépaysées, ces vases sacrés où l’on voit -la place des doigts des prêtres et qu’aucun prêtre ne soulève plus? -C’est du plain-chant dans un casino. Lorsqu’on regarde, dans le hall du -Musée Cernuschi, au parc Monceau, le Bouddha qui y est captif, on se -rappelle, sans rire, la douleur des Japonais qui le vénéraient comme -une beauté tutélaire, dans les jardins de Megouro. Un jour ces pauvres -jardiniers vinrent à Tokio demander qu’on leur rendît leur statue -enlevée furtivement, par morceaux. Ce jour-là, ces paysans firent -plus qu’un acte de piété: ils firent une manifestation esthétique. -Inconsciemment, ils défendirent l’idée juste de «l’art en place et à sa -place». Ce bronze est bien aménagé dans le Musée Cernuschi, mais rien -peut-il valoir, pour les yeux, le grand décor changeant de la nature, -pour le cœur, le regard suppliant de quelque dévot passant devant son -Dieu? Et si les choses d’art avaient l’obscur sentiment de ce que gagne -ou perd leur beauté, selon les milieux qu’elles traversent, nul doute -que le Bouddha ne regrettât, dans sa somptueuse demeure parisienne, -les voix qui chantaient, les parfums qui passaient, et le soleil qui -l’éclairait librement, aux temps de son abandon dans les pauvres -jardins de Megouro.... Les œuvres d’art, surtout les œuvres d’art -religieux, sont des fleurs délicates, dont il faut respirer le parfum -sur plante. Coupez-les; vous avez encore la forme, vous n’avez plus le -parfum. - - - - -CHAPITRE III - -Ce que la nature fait pour l’œuvre d’art - - -Mais les ruines? dira-t-on, ne convient-il pas de les mettre à l’abri? - -Bien plus encore que les monuments intacts, les ruines doivent être -laissées _in situ_. C’est surtout à ces œuvres en partie détruites, -incomplètes, qu’il faut un milieu qui les explique, qui les supplée ou -qui les justifie. Car un monument complet s’explique de lui-même. Un -temple, par exemple, est un organisme où tout s’enchaîne, se commande -et se soutient. Tant qu’il est intact, tant qu’il remplit son but, -tant que les colonnes font leur office, qui est de supporter les -architraves, et les antéfixes, le leur, qui est de boucher le creux des -tuiles, on peut le mettre où l’on voudra. A lui seul, il exprimera son -rythme et son idée. - -Mais, s’il est ruiné, transporté par morceaux sous un hall, que nous -dira-t-il? Qu’est-ce que des colonnes sans la frise qui unissait leur -tête? Qu’est-ce que des acrotères sans le fronton dont elles relevaient -les bouts? Qu’est-ce qu’un arc-boutant sans la voûte qu’il bute, ou -un pinacle sans le pilier qu’il surmonte? Qu’est-ce qu’une cariatide -sans son architrave, une canéphore sans sa corbeille, une Victoire -sans ses ailes, une Espérance sans sa fleur? Mettre une colonne dans -un musée! Autant mettre un tronc d’arbre dans un salon! Ce n’est plus -qu’un organisme dissocié, brisé; ce n’est plus qu’un cadavre. Il faut -donc le laisser en plein air, en plein ciel, dans la nature qui, de -ses cadavres à elle, de ses rocs fendus par l’eau ou de ses arbres -foudroyés par le feu, fait des autels, des vasques, des corbeilles ou -des nids. - -La statue une fois mise dehors, tout change. Les gestes grandissent et -soutiennent le ciel. La mousse emplit les mains auparavant oisives. -Le lichen met sur les blessures du marbre son baume doré. Les graines -des fleurs, qui vont par l’air cherchant un gîte, s’arrêtent aux creux -des urnes penchées par la main des _Fleuves_ ou des cornes d’abondance -soutenues par le bras des _Pomones_, et, parfois, une eau de pluie -vient étaler sous les pieds des _Narcisses_ son humide et fugitif -miroir. - -Je sais, sur les terrasses de la villa Pamphili, une statue de femme -qui lève le bras. Sa main étant cassée, elle ne dresse qu’un moignon -qui serait horrible à voir. Mais un arbre est auprès. Il abaisse sur -le marbre mutilé ses branches. Il noie le poignet sous les petites -vagues vertes de ses feuilles, et la statue, dès lors expliquée, semble -cueillir, d’une main qu’elle n’a plus, des fruits à l’arbre qui n’en a -jamais. - -Ce sont ces fortuites rencontres qui donnent leur prix aux ruines vues -par Hubert Robert: le marbre, auguste et éternel, prête son appui aux -contadines éphémères qui y suspendent leurs hardes éclatantes. Dans -l’entre-colonnement décrépit, mais hautain encore, - - Bien que les Salvucci ni les Ardinghelli - N’abritent plus que l’humble échoppe et l’établi - Sous leurs arcades colossales[25], - -le lazzarone grignote sa polenta, l’enfant égrène son raisin et le -moine son chapelet, tandis que sur leurs têtes, une plante sauvage -jette l’ombre de ses feuilles, le galbe de ses branches, l’aumône de -ses fleurs.... - -Ainsi, presque toujours, la nature et le temps savent restituer à -la pierre l’âme qui l’avait quittée quand elle s’était brisée. Sans -doute, ils ne peuvent refaire entièrement ce que l’homme a détruit, ni -combler tout à fait le vide que l’accident a creusé. Ils ne rendent -pas aux formes mutilées leur beauté _plastique_. Seulement ils leur -confèrent une nouvelle beauté _pittoresque_. Ils les font entrer dans -la grande communion du paysage. Un jour même arrive où la ruine fait -partie si intégrante de son milieu qu’on n’imagine pas avec plaisir -le monument intact. Quel artiste préférerait la correcte spirale d’un -escalier en colimaçon à cette description de Tennyson dans _Enide_: -«Bien haut, au-dessus, un morceau de l’escalier d’une tourelle, usée -par des pieds qui, maintenant, étaient silencieux, tournait, nu, au -soleil, et de monstrueuses touffes de lierre serraient le mur gris -de leurs bras fibreux; elles suçaient les jointures des pierres et -semblaient, en bas, un nœud de serpents, en haut, un bosquet....» -Cet escalier qui ne conduit à rien et qui est dépouillé de son -alvéole devient ici le centre d’un thème décoratif qui n’est plus -architectural, mais qui est encore pittoresque, thème voulu par la -Nature et réalisé au gré des semences, des vents et des années. - -Mais pour que ces choses s’accomplissent, il faut confier à la nature -même les débris que nous voulons ennoblir, et ne point troubler, par -d’inutiles soins, l’œuvre mystérieuse de cette prétendue «marâtre». Le -mot «laissez faire, laissez passer» de l’économiste doit être notre -mot d’ordre vis-à-vis d’elle. Laissez le lichen faire des taches à la -robe de la déesse; laissez le lierre passer aux joints du piédestal. Ne -soyez pas le Pharisien - - Qui croit son mur gâté lorsqu’une fleur y pousse. - -Si la plante a jailli, c’est que la terre était bonne et, si le lichen -a poussé, c’est que l’air était pur! - -Il y a un musée où on l’a compris, et ce musée nous donne un admirable -exemple. Rien n’est plus frappant que de l’évoquer à côté du British -Museum. Il est situé à l’autre bout de l’Europe, à Rome. Sa porte -monumentale s’ouvre dans une grande stratification curviligne de -monuments millénaires et de pauvres bâtisses: pêle-mêle de souvenirs, -d’idées et de masures disparates, où furent les Thermes de Dioclétien, -où fut une chartreuse, où est encore un asile d’infirmes errants et -tremblants. C’est de tous les musées de Rome le moins connu, comme le -British Museum est du monde entier le plus célèbre. Son budget est -un des plus faibles, comme celui du British Museum est un des plus -puissants. Il ne contient que ce que la jeune Italie a trouvé sur son -sol depuis le Risorgimento. Et, en face de noms comme Phidias, ce musée -ne peut citer aucun nom.... Il ne fut même pas construit pour y mettre -des œuvres d’art. Un cloître, une cour carrée au milieu, entourée -d’arcades, une rangée de petites cellules, de _romitorii_ s’ouvrant -sur des jardins de poupées avec autant de _loggie_, quelques salles au -premier étage tapissées de nattes sèches où joue le soleil, c’est tout. - -Mais le créateur de ce musée n’est pas seulement un archéologue, c’est -un artiste. Il ne conserve pas seulement les œuvres d’art: il les -regarde. Il ne songe pas seulement à les déterrer au bord du Tibre, ou -à Subiaco, mais aussi à les replanter et à leur redonner des racines. -A chaque œuvre, il cherche longuement l’orientation qui lui convient -pour remplacer, le plus qu’il se peut, l’ancienne demeure ignorée ou -l’ancien milieu perdu. Il l’isole, et, en l’isolant, la grandit. Il -l’éclaire, et, l’éclairant, la ranime. Et, quand ce ne sont que de -simples débris, auxquels nul artifice ne pourrait rendre la vie, il -ne craint pas de les exposer en plein air. Le long du cloître ouvert -et dans le jardin que bordent les arcades de travertin, sous le ciel, -sous la pluie, il a jeté tout ce qui, débris de statues, sarcophages, -colonnes, masques de pierre, peut être sans trop de péril exposé aux -injures du temps, et il a laissé faire la nature.... - -Ce qu’elle a fait, une simple promenade suffit pour en juger. Un des -plus beaux matins de la vie est celui qu’on passe, au mois d’avril ou -de mai, dans la cour de ce cloître reconquis par le Paganisme. Ce -n’est plus le lourd silence de la prison. Ce sont les voix tranquilles -du jardin. Ce n’est plus ce carré de lueur blafarde qui tombe de la -fenêtre d’un musée et que les prisonniers appellent «ciel»: c’est la -splendeur du soleil qui, tournant autour des marbres, leur prête la vie -lente des ombres et des clartés. Au milieu du carré, sur un bassin qui -murmure, un jet d’eau monte comme une tige de lis et retombe comme une -poignée de perles. On dirait une chère illusion qui s’est brisée en -s’élevant trop haut, mais dont les débris sont encore de petites choses -précieuses. Autour d’un vieux cyprès foudroyé, écume la mousse des -rosiers banks. Quatre têtes d’animaux de pierre, comme de gigantesques -rhytons, sortent des godrons verts de quatre touffes de lierre. Aux -coins extrêmes du quadrilatère, le printemps allume des flammes roses -sur les branches des amandiers, et le vent agite ces lueurs sans les -éteindre. En l’air, à l’extrémité de deux hautes colonnes, grimacent -deux masques de pierre où la bouche et les yeux sont figurés par des -trous. Dans un musée, on verrait de l’ombre par ces trous. Ici, on voit -de la lumière. - -Pour le moindre de ces débris, la nature a des attentions infinies. -Sur les touffes sucrées nées dans les fentes du marbre, plane la -couronne de ces insectes pesants et sonores qui ne savent ni s’élever -ni se taire. Dans un coin, est une statue de femme dont la tête fut -brisée. Un églantier a posé des branches sur ses épaules; il a masqué -la coupure du col, et, à la place des seins absents, fleurissent -des roses. Les sarcophages, qui se boursouflent extérieurement de -figures d’Amours grimpant aux échelles pour vendanger les treilles, -sont pleins, intérieurement, non d’ossements, mais de ronces et de -fleurs, comme celui qu’on voit dans _l’Amour sacré et l’Amour profane_. -Dans un angle, un délicat pied blanc, sur une dalle rouge, semble -une apparition qui commence, et paraît alors moins un débris qu’une -promesse.... - -Sans bras pour nous les donner, sans yeux pour nous voir, sans pieds -pour nous fuir, une Fortune tient ses fruits. La pluie et le soleil -ont noirci par endroits les robes des déesses, et, quand vient -l’automne, leurs draperies de marbre s’obstruant de feuilles et de -fleurs mortes, elles paraissent d’inconscientes Ophélies. Sur les -savantes inscriptions latines se penchent les ignorantes herbes: les -mystérieuses euphorbes, et les pelotes d’aiguilles vertes des pins, -et les bras poilus des lierres, et les redondantes aristoloches, et -les fins myrtes. Aux bouches demi-ouvertes des bustes, les insectes, -rôdant, prêtent leur long murmure. De la _Victoire_ brisée, l’oiseau, -en s’envolant, achève le coup d’aile. Et le grand rosier, qui étincelle -sur le sarcophage ouvert, vient ajouter encore d’impondérables pétales -aux lourdes guirlandes de pierre, que, de leurs épaules haussées, -soulèvent péniblement les petits Amours.... - -Ainsi, à l’heure de notre course, où toutes les figures que nous nous -étions faites du Bonheur nous paraissent joncher le sol comme des -statues brisées, il n’est pas bon de les renfermer avec nous dans le -musée de nos souvenirs, ni de méditer seuls devant leurs ruines. Il -faut, au contraire, les porter en pleine nature, les jeter en pleine -humanité et appeler à notre secours, pour les embellir, toutes les -influences secrètes et médiatrices de la terre et du ciel. Alors la -blessure s’adoucit, s’agrandit, s’épure. Nous sentons l’envahissement -des choses. Bientôt, dans le murmure des vies végétales et profondes -s’assourdit le murmure de notre vie à nous. L’ombre tombe sur nos -souvenirs. La lumière éveille nos pensées. La nature dont on dit tant -de mal nous offre cependant l’oubli dont elle est pleine. Et peu à -peu pénètre en nous, par la plaie entr’ouverte, quelque chose de sa -douceur, de son sourire, et de son insensibilité.... - - - - -CHAPITRE IV - -Le paradoxe de la «conservation» des œuvres d’art. - - -«Je ne suis tranquille que quand je sais mes fils en prison», disait -la mère des deux Reybaud, fameux l’un et l’autre, au milieu du siècle, -par leurs polémiques et leurs démêlés avec tout le monde. Quand on -observe quel sentiment pousse nos amateurs à enfermer dans les musées -les œuvres qu’il faudrait voir ailleurs, on trouve que c’est une -préoccupation semblable qui les domine et que le mot de Mme Reybaud -pourrait être leur mot d’ordre. Car dès qu’on mêle à la vie quelques -belles choses, dès qu’on les tire des nécropoles où elles gisaient, -aussitôt la presse retentit de leurs cris. - -Ceux-ci se lamentent, si deux groupes en marbre, d’un marbre friable -et déjà usé, dus à Tassaert ou à Guyard, et attribués à Beaujon, -demeurent devant le perron de l’Élysée: ils réclament qu’on les enlève -du jardin, et qu’on les mette—où cela?—naturellement dans un musée.... -Ceux-là s’avisent que des tapisseries du garde-meuble, dessinées par -Audran et tissées d’or, sont converties en portières, et se doublent, -se cassent et exigent, par suite de leur poids, un effort pour les -soulever qui, à la longue, les détruira. Où faut-il les mettre? -Naturellement aux Gobelins, où Bædeker vous dit que vous pourrez -les voir «les mercredis et samedis, de une heure à trois heures». -D’autres, ayant découvert qu’un beau _Christ en Croix_ de Jordaens -se trouve encore dans la cathédrale de Bordeaux, n’ont pu supporter -plus longtemps de voir un Christ dans une église. Ils le veulent -mettre à sa place,—qui est le musée. Que fait ce menhir au milieu de -sa lande bretonne? se sont demandé les pourvoyeurs d’exposition, et -ils ont proposé d’apporter et de renfermer dans le Champ de Mars, en -1900, la pierre fameuse de Locmariaker. Ailleurs, enfin, on se plaint -que quelques-unes des merveilles de la _Suite des châteaux_ soient -envoyées, çà et là, en Europe, pour garnir nos palais d’ambassade. On -demande où elles pourraient être mieux, et l’on répond: «aux Gobelins -ou au Louvre». - -Ce sont là les signes de la plus grande erreur esthétique qui -fut jamais. Car, précisément, de les envoyer garnir nos palais -d’ambassade, c’est la seule manière que nous ayons d’en jouir. -Quelques-uns d’entre nous, seulement, dira-t-on.... Oui, quelques-uns. -Mais, dans un musée, qui peut jouir d’une tapisserie? Personne! Car -l’esthétique d’un ameublement ne s’insinue pas aussi vite dans l’esprit -que celle d’un tableau ou d’une statue. De même qu’un paysage frappe -moins vite qu’une scène de genre, de même les couleurs peu bruyantes -et les lignes peu écrites de la décoration veulent des heures pour -être goûtées. Il faut demeurer longtemps devant une aiguière ou une -crédence pour que leur rythme s’associe à nos pensées. Il faut vivre -au milieu des objets de bon style pour qu’ils vivent en nous. C’est -même là précisément ce qui donne à l’art décoratif une physionomie -bien différente de l’art imitatif. Il ne faut pas qu’il frappe, il -faut qu’il s’insinue. Et, pour qu’il s’insinue, il faut qu’on vive -avec lui familièrement, comme on vit avec la tapisserie de sa chambre, -non pas le mettre dans un musée où l’on va lui rendre une visite rare, -solennelle et pressée. - -Mais c’est le seul moyen de faire durer les œuvres, dira-t-on.—De -les faire durer, oui, mais comment? Mortes ou en vie? Agissantes ou -neutres? Tout est là. La momie dure plus que l’homme. La pièce d’or, -renfermée dans un coffre ou dans une tombe, dure plus que la monnaie -qui roule de main en main, usant son cordon et ses empreintes, mais -activant les échanges, soulageant les misères. Il est de toute évidence -que, moins une œuvre d’art sera exposée au soleil, à la poussière, au -vent, et à la vue, plus elle durera. Mais elle durera sans remplir son -but. Son but, c’est de vivre de notre vie et de périr, s’il le faut, -de notre mort. A ce prix, elle enseigne, elle charme, elle console. -Autrement, elle ne fait que durer. Quand j’entends les cris des -pourvoyeurs de musées, il me semble entendre des gens qui chercheraient -les grains de blé que le semeur a mis dans les champs et qui les -rentreraient au plus tôt dans le grenier de peur qu’ils ne pourrissent. -Et, en effet, ils ont empêché la pourriture, mais ils ont empêché la -germination. Ils ont empêché la mort, mais ils ont empêché la vie! - -Les projets éclos de toutes parts empêcheront la vie. Si jamais -Avignon trouve les millions nécessaires pour expulser les soldats qui -sont dans son château fort et y introduire les scribes, custodes et -porte-clefs qu’on rêve d’y voir, tout le Palais des Papes deviendra -muet et morne. Les milliers d’objets rassemblés ne parleront plus aux -yeux des populations lointaines d’où ils auront été tirés. La visite -de ce Musée de la chrétienté ne sera que la visite d’un «trésor». -Car les arts du culte ne forment point par eux-mêmes un ensemble qui -se suffise. Ils ne sont que pour que d’autres choses soient. Ces -objets n’existent que pour servir à d’autres desseins: pour être -portés, agités, pour resplendir parmi des foules, pour vêtir, pour -renfermer, pour apparaître sous le pinceau des soleils sincères ou des -vitraux mensongers ou bien dans la voie lactée des cierges et parmi -les torsades de l’encens bleu. Là, au contraire, que verra-t-on?—Des -chaires vides, des retables sans autels, des lampes sans flammes, des -clochettes sans voix, des chapes sans vivants, des reliquaires sans -morts: offrandes sans doute trop belles pour le Dieu qui les reçut -et mieux appropriées à ce culte nouveau d’un «esthétisme» municipal, -dont les gardiens à tricornes seront les prêtres ennuyés! A cette -transformation qu’aura gagné le Palais des Papes? C’était une caserne: -ce sera une prison. - -Ce sera quelque chose encore de pire. Ce sera le palliatif ou -l’apologie des destructions et des «embellissements» de nos villes -modernes. Ce sera l’excuse invoquée par les démolisseurs à chacun -de leurs attentats. Ce l’est déjà, et il suffit d’écouter les voix -qui s’élèvent dans les régions officielles pour ne plus douter -que l’Art sert aujourd’hui de prétexte contre l’Art et que les -créations les plus factices sont triomphalement opposées aux beautés -spontanées de nos vieilles cités. «Vous paraissez émus de certaines -transformations qui risquent de modifier l’aspect de Paris», disait, -en 1897, le ministre des Beaux-Arts, à la réunion solennelle des -_Artistes français_. «Vous voyez dans le progrès industriel l’éternel -rival de l’Art; pourquoi refuser de reconnaître en lui, ce qui est -tout aussi vrai, son éternel allié? Les gares de chemin de fer au -cœur de notre capitale vous apparaissent comme la plus fâcheuse de -ces transformations. Mais pensez-vous que celles qui s’accomplirent -dans l’aspect de Paris à travers les âges n’ont pas soulevé chez nos -pères les mêmes inquiétudes et peut-être les mêmes protestations?... -Nous avons encore dans l’oreille les récriminations qui s’élevèrent -contre certain baron, dont le nom est inséparable de la révolution -topographique de Paris et qui, à travers les dédales des ruelles et des -anciennes cours des miracles, lançait ces grandes voies rectilignes, -comme les sillons de quelque colossal projectile.... L’art a-t-il -tant souffert de ces bouleversements? N’a-t-il pas, dans chacun des -quartiers nouveaux, planté son drapeau, _installé ses musées, depuis -le Carnavalet jusqu’au Galliera_, dressé un peuple de statues sur -les places et les boulevards spacieux qu’a laissés derrière lui le -cataclysme haussmannien[26]?...» - -Ainsi, selon cette thèse, la plus extraordinaire qu’on ait tenté -de soutenir sur l’esthétique des villes, ce n’est point l’hygiène, -ou le confort, ou l’activité de Paris qui sont invoqués contre son -pittoresque, c’est son pittoresque même.... Ce n’est pas au nom de -l’Utile qu’on approuve sa transformation, c’est au nom du Beau.... -Ce n’est pas des nécessités et des économies de la vie moderne qu’on -se prévaut, mais des monuments qui lui coûtent le plus cher et qui -lui sont le plus superflus, lors même que ces monuments, dressés à -profusion dans nos rues, en sont non pas seulement le plus inutile -spectacle, mais encore et de beaucoup le plus déplaisant! Et ainsi, par -une pétition de principes, la plus audacieuse dont on se soit jamais -avisé, les statues de Shakspeare, de Chappe ou de Dolet, que réprouve -le goût universel, et que rien en soi ne pourrait excuser, se trouvent, -tout d’un coup, servir elles-mêmes d’excuses aux perspectives monotones -du quartier Haussmann et du boulevard Saint-Germain!... - -Or, la vie moderne n’a pas besoin d’excuse, mais le mauvais art -moderne, lui, ne peut être excusé. On ne saurait sacrifier le progrès -à l’art, mais on doit se faire une idée plus juste de l’art, et ne pas -ajouter aux ruines subies des erreurs voulues. On ne peut pas toujours -conserver, dans sa fantaisie ornementale, le vieux décor de la vie, -mais on peut ne pas en dépouiller soi-même la scène du monde pour le -mettre dans ces froids magasins d’accessoires où il ne remplit plus sa -mission. - -Il ne s’agit nullement, ici, d’opposer au mouvement naturel du progrès -des récriminations qui seraient vaines, ni à ses bienfaits des dédains -qui seraient injustes. La vie moderne a ses harmonies que nous ne -méconnaissons pas. Les cités de fer et de fumée ont leur éloquence -barbare. Elles disent par toutes les voix de leurs roues et de leurs -bielles: «Nous sommes les grandes pourvoyeuses des foules et les -grandes niveleuses des conditions. Si nos fenêtres, rouges et blanches -dans la nuit, attirent comme des papillons les _pagani_ répandus -dans les campagnes, c’est que nous sommes pour eux le symbole et -l’instrument d’un meilleur devenir. Chaque tour de chacune de nos roues -éloigne l’homme de l’esclavage antique. Chaque machine relève d’un -degré sa taille autrefois pliée sur le sillon. Chaque perfectionnement -ôte quelques minutes au travail mécanique et ajoute un instant aux -heures ennoblies par la pensée. Si aujourd’hui sa pensée s’épure, se -libère des soucis matériels, se tourne vers les beautés perdues des -cités d’autrefois, si elle les goûte et les regrette, c’est que nous -lui en avons donné le loisir. Et si vous avez le temps aujourd’hui de -nous maudire, c’est que nous avons travaillé pour vous!» - -Écoutons ces voix et aussi le cri de Walt Whitman: «La plus grande cité -n’est pas l’endroit des plus hauts et des plus précieux édifices». -Marchons avec les multitudes dans les percées largement ouvertes de -nos villes renouvelées, et détruisons, s’il le faut, pour la marche -de ce peuple, les choses pittoresques et surannées qui donnaient sa -figure à la cité. Soit. Dans la barbarie avouée, il y a de la grandeur. -Mais n’invoquons pas, pour le faire, l’intérêt sacré de l’art. Avouons -hardiment que c’est la richesse d’une ville qui nous tente, non sa -beauté. En frappant ainsi l’art dans ce qu’il a de plus vital et de -plus consolateur, ne prétendons point que nous le sauvons. Ne demandons -pas à la nation, en son nom, des subsides qui ne servent qu’à rendre -sa déchéance plus visible. N’ajoutons pas à des actes de Barbares des -raisonnements de Byzantins. - -Et s’il se trouve, çà et là, par le monde, une ville qui n’ait pas mis -tout son art en prison et qui en ait, dans ses rues, gardé quelques -libres vestiges, puissent les hommes debout sur les seuils de ses -maisons ou assis dans ses assemblées réfléchir longuement avant de -prononcer l’irrémédiable arrêt! Qu’ils pensent non pas seulement à -ceux qui habitent cette ville aujourd’hui, mais aussi à ceux qui -l’habitèrent et dont elle est bien un peu la continuation, et à -ceux qui l’habiteront et dont elle est bien un peu l’héritage!—«La -cathédrale d’Avranches appartenait-elle à ceux qui la détruisirent -plus qu’elle ne nous appartenait à nous qui nous promenons maintenant -tristement sur ses fondations?»—Avant de détruire, pensons à ceux -qui ont bâti. Avant d’anéantir, pensons à ceux qui sont morts. Mais -surtout, avant de construire, pensons à ceux qui vont naître et ne nous -hâtons pas de modeler le corps de ces villes durables selon la forme -de nos âmes éphémères. Que savons-nous des âmes de nos successeurs, de -leurs goûts, de leurs affinités, de leurs désirs? Nous voulons activer -la circulation humaine au cœur de nos villes.... Qui peut dire qu’ils -n’abandonneront pas le cœur de nos villes, comme nous abandonnons -aujourd’hui le fond de nos campagnes? Qui peut même affirmer qu’à -Florence, comme à Paris, le reflux vers la banlieue n’ait pas déjà -commencé et qu’un jour, les centres de nos cités à demi dépeuplées ne -puissent redevenir, si nous sauvons leurs vieilles architectures, -les asiles de l’esthétique, les oasis de l’idéal et de la paix? Ne -croyons pas que le type unique et nécessaire de la cité moderne soit -l’échiquier ou la roue de carrosse! S’il y a «plusieurs demeures -diverses dans le palais du Père», il y a peut-être bien des types -possibles de grandes cités dans ce monde. Ne croyons pas une ville -déshonorée parce que la marche y est lente. Il restera toujours assez -de villes où la marche sera rapide. Il est bon d’ailleurs quelquefois -de ralentir le pas dans la vie. Et le fameux mot: «Je prendrai par le -plus long...» du Fabuliste, voulait dire sans doute: «Je prendrai par -le plus beau...». - -Jamais nous n’eûmes plus besoin de ces asiles. «Aujourd’hui, toute la -vitalité est concentrée dans les palpitantes artères des villes; la -campagne est traversée comme une mer verte par des ponts étroits et -nous sommes jetés en foule toujours plus épaisse contre les portes de -la ville. La seule influence qui puisse sagement prendre la place des -bois et des champs est le pouvoir de l’ancienne architecture. Ne vous -en dessaisissez pas pour l’amour du square régulier, de la promenade -garnie de haies et d’arbres, ni pour la rue correcte ou le quai ouvert. -La gloire d’une cité n’est pas en ces choses! Laissez-les à la foule, -mais souvenez-vous qu’il y aura sûrement quelqu’un dans le circuit -des murailles troublées, quelqu’un qui aspire à conduire ses pas dans -d’autres endroits que ceux-ci, à rencontrer d’autres formes en leur -aspect familier,—comme celui qui s’assit si souvent à cette place -que frappait le soleil couchant pour contempler les lignes du dôme -de Florence, ou comme ceux de ses hôtes qui pouvaient soutenir des -chambres de leur palais la contemplation journalière de cette place où -leurs pères étaient couchés dans la mort, au carrefour des rues sombres -de Vérone[27]...». - -Ainsi parlait Ruskin, il y a cinquante ans. Le péril alors dénoncé -est plus grand qu’alors, parce qu’il se cache sous le sophisme de la -conservation de l’art dans les musées. Ne laissons pas ce sophisme -davantage se répandre. Quand on aime l’art, ce qu’il faut, ce n’est pas -le recueillir dans les musées: c’est ne pas le chasser de la vie. - - - - -INDEX ALPHABÉTIQUE - -DES SUJETS ÉTUDIÉS ET DES NOMS D’ARTISTES ET D’ŒUVRES D’ART CITÉS DANS -CE VOLUME - - - A - - _Acropole_, p. 234. - - _Alexandre_ (M.). Soldats passant un défilé, p. 186. - - _Aligny_, p. 167. - - _Allongé_, p. 166. - - _Ames Building_, de Boston, p. 17. - - _Apollon_, p. 141. - - =Arabe= (L’Architecture): Belle sans être logique, ni révélatrice de - sa structure interne, pp. 20 et 48. - - =Arbres= inconnus au moyen âge et répandus dans le paysage - contemporain, p. 60. - - _Arc de Triomphe de Constantin_, p. 25. - - =Arcs= (Les) de l’architecture de fer semblables aux arcs de la - pierre, p. 40. - L’arc bombé, l’ogive surbaissé, le plein-cintre brisé, l’arc en anse - de panier, p. 41. - - _Architectural Court_ du South Kensington Muséum, p. 241. - - _Arning_ (M.), p. 152. - - _Audran_, pp. 98 et 254. - - _Avignon_ (Les remparts d’), p. 217. - - _Avranches_ (Cathédrale d’), p. 262. - - - B - - _Bacon_, p. 164. - - _Ballif_ (Henri). Vue de la Loire à Saint-Denis-Hors, p. 186. - - _Balzac_. Sa statue par Rodin, p. 121. - - _Bandinelli_, p. 103. - - _Baptistère de Florence_, p. 19. - - _Barbizon_ (École de), pp. 67 et 89. - - _Barrias._ Tombeau de Guillaumet, p. 127. - - _Bartholomé._ Le secret, p. 127. - Monument aux Morts, pp. 127 et 143. - - _Beaujon_, p. 253. - - =Beauté= plastique ne peut être exprimée que par la statuaire, pp. 113 - et 114. - - _Benjamin Constant_, p. 93. - - _Bergon_ (M.), p. 153. - - _Bertin_, pp. 167 et 188. - - _Besnard_, p. 71. - - _Binder-Mestro_ (Mme), p. 153. - - _Blanche_ (Jacques), p. 86. - - _Boileau_, architecte, p. 16. - - _Boissonnas_ (M. Alfred), p. 152. - - _Bouddha_, p. 243. - - _Bouguereau_, p. 191. - - _Bourgeois_ (P.), p. 152. - - _Bracquemond_ (M.), p. 189. - - _Brémard_ (M. Maurice), p. 152. - —Effet de soir, p. 185. - —Profil perdu, p. 186. - - _Breton_ (Jules), p. 168 et 181. - - _British Muséum_, p. 234. - - _Bucquet_ (M. Maurice), p. 152. - —Après le coucher du soleil, p. 186. - - _Burne-Jones_, p. 191. - - - C - - _Caillebotte_ (Salle), au Musée du Luxembourg, p. 53. - - _Calland_ (M.), p. 153. Brompton Road. - - _Cameron_ (Mme). Annals of my glass house, p. 170. - - _Campo Santo de Gênes_, pp. 118 et 142. - - _Canova_, p. 110. - - _Caran d’Ache_, p. 166. - - _Cariatide_ (La) de l’Erechtheion à Londres, p. 237. - - _Carpeaux et la Fontaine des Quatre Parties du monde au Luxembourg_, - p. 108. - - _Castagnary_, p. 87. - - _Cézanne_, p. 65. - - _Chantilly_, p. 217. - - =Chapeau= haut de forme. Sa représentation en peinture. Impossibilité - à représenter en sculpture, p. 113. - —Sa figuration dans les monuments de Baudin et de Victor Noir, - p. 126. - - _Chappe._ Sa statue, p. 259. - - _Chardin_, pp. 77 et 111. - - _Chartreuse d’Ema_, son puits, p. 242. - - _Chaudet_, pp. 119 et 120. - - _Claude Lorrain_, p. 85. - - =Cliché.= Amoindrissement de son rôle dans la photographie artistique, - p. 178. - - _Cloître de San Saba_, sa stèle, p. 241. - - _Cloître du Latran_, son puits, p. 241. - - _Colard_ (M.). Le soir ramène le silence, p. 185. - —Beau temps à Londres, p. 187. - - _Coleone_ (Le) de Verocchio, pp. 111 et 132. - - =Conservation= des œuvres d’art (La). Inutile si elle empêche les - œuvres de jouer leur rôle, p. 256. - - _Corot_, pp. 67, 165, 167. - - _Coste_ (M.-F.). Dans la Vallée, p. 186. - - _Cottet_, p. 84. Nuit de la St-Jean, p. 86. - - =Couleur= (La). Sa richesse, sa beauté, p. 58. - —La nature est couleur plus que lignes, p. 67. - —La division du ton augmente sa vivacité, p. 79. - —Théorie de Ruskin réalisée par les impressionnistes, p. 80. - - =Courbes= données naturellement par le fer, p. 29. - - _Cousins_, p. 112. - - _Craig-Annan_ (M.). Frères blancs, p. 185. - - _Cross_ (H.-E.), p. 82. - - _Cunha_ (M. da). Septembre en Normandie. Premiers sillons, p. 186. - - - D - - _Dagnan_, pp. 88 et 93. - - _Dalou._ Statuette de Lavoisier, p. 125. - —Monument de Victor Noir, p. 126. - - _Dansaert_ (Mme). At home, p. 207. - - _Danse des Nymphes_, p. 89. - - _Dardonville._ Étang du parc de Rambouillet, p. 207. - - _Darnis_ (M.). Sur la route, p. 186. - - _Daubigny_, p. 88. - - _Dauchez._ Troupeau, p. 86. - - _David d’Angers_, p. 119. - - _Decamps._ Café turc, p. 77. - - _Declercq._ Potier, p. 206. - - =Découvertes de l’impressionnisme.= 1^o La nature est couleur plus que - lignes, p. 67. - —2^o Les ombres mêmes sont des couleurs, pp. 67, 68, 69, 70. - —3^o Le tongagne à être divisé, pp. 77, 78, 79, 80. - - _Degas_, p. 61. - - _Delacroix_, p. 66. - —Son journal, pp. 64 et 69, 121. - Liberté. Journée du 28 juillet 1830, p. 113. - - _Demachy_ (M. Robert). Eaux mortes, p. 183. - —Communiante, p. 186. - - _Discobole_ (Le), p. 141. - - =Division= des couleurs, enseignée par Ruskin en 1856 et appliquée par - les Impressionnistes, pp. 80 et 81. - - _Dolet_ (Étienne). Sa statue, p. 259. - - _Dôme des Invalides._ Son aspect en regard du Sacré-Cœur de - Montmartre, p. 13. - - _Doré_ (Gustave), p. 85. - - =Drapé= (Le) antique. Plus esthétique que le vêtement ajusté, pp. 129 - et 130. - —Pourquoi, pp. 129 et 130. - —Les trois grandes lois naturelles qu’il exprime, pp. 134 et 135. - - _Dubois_ (Paul). Le Duc d’Aumale, le tombeau de Lamoricière, p. 124. - - _Duez._ Déjeuner sur la terrasse, p. 72. - - _Duret_ (Th.), p. 84 et 87. - - - E - - _Earl’s Barton_ (Tour d’), p. 24. - - _Egypte_, ses mosquées, p. 218. - - _Elgin marbles_, p. 234. - - _Ema Spencer_ (Miss), p. 152. - - =Epreuve= (Travail de l’), dans la Photographie moderne, p. 180. - - _Erfurth Steichen_ (H.), p. 152. - - =Esthétique de la Photographie=, p. 186. - - - F - - _Falguière._ Balzac, p. 124. - - _Farnsworth_ (Mme). Quand le printemps arrive souriant dans le vallon - et sur la colline, p. 208. - - _Feliu_, p. 86. - - =Fer= (Le). Espérances qu’il a fait concevoir, p. 17. - —Nature de la révolution qu’il permet, p. 37. - —Immense au point de vue constructif, p. 40. - —Nulle au point de vue esthétique, p. 42. - —Les formes qu’il donne naturellement, identiques à celles de la - voûte de pierre, p. 40. - —Son aptitude à tout imiter, p. 46. - —Son impuissance à rien suggérer, p. 46. - —Il est une matière artificielle, p. 47. - - _Flandrin_ (Paul), p. 55. - —Portrait de Jeune Fille, p. 185. - —La Campagne de Rome, p. 71. - - =Florence.= Associazione per la difesa di Firenze antica, p. 218. - —Plan San Biagio, p. 218. - —Ponte Vecchio, p. 225. - —Palazzo dei Canacci, p. 225. - —Palazzo di Parte Guelfa, pp. 218, 225. - —Logetta del Vasari, p. 225. - —Borgo San Jacopo, p. 225. - - =Flou= (=Le=), en photographie, p. 163. - - _Forain_, p. 165. - —Doux Pays, p. 166. - - _Fra Angelico._ Couronnement de la Vierge, p. 231. - - _Fromentin_, pp. 151, 199. - - - G - - =Galerie des Machines= (Absence de courbes nouvelles dans la ——), - p. 17. - - _Garrido_, p. 86. - - _Gavarni_, pp. 165, 166. - - _Gear_ (J.-H.). Étude. Matin argenté, p. 179. - - _Geffroy_ (Gustave). La Vie artistique, p. 87. - - _Gérôme_, p. 56. - - =Geste moderne= (Le) opposé aux attitudes de la statuaire antique, - Bartholomé et le Monument aux Morts, p. 142. - - _Girault_, p. 12. - - =Gomme bichromatée=, en photographie, permet à l’artiste d’exprimer sa - vision particulière de l’objet, p. 180. - - _Goya_, p. 113. - - _Grand Palais._ Son style composite, p. 11. - - _Gréco_, p. 97. - - _Griveau_ (Georges), p. 86. - - _Guido Rey_ (M.), p. 152. - - _Guignard_, p. 86. - - _Guillot._ Les Ouvriers, p. 127. - - _Guyard_, p. 253. - - _Guyau_, pp. XXIII, XXIV, XXV, XXVI et 114. - - - H - - _Hamerton_, p. 99. - - _Hannon_ (M.), p. 186. - - _Harpignies_, p. 191. - - _Hébert._ Vierge de La Tronche, p. 231. - - _Henneberg_ (M.), p. 162. - - _Herschell_, p. 151. - - _Holland Day_ (M.), pp. 153, 162. - - _Hollyer_ (Frédéric), p. 162. - —Portrait de Ruskin, p. 206. - - _Homme à la Houe_ (L’), p. 89. - - _Horsley-Hinton_ (M.), p. 153. - - _Hubert Robert_, p. 246. - - _Hugues._ Monument de Pasteur à la Nouvelle-Sorbonne, p. 125. - - - I - - _Impressionnisme_, p. 64. - - _Inde_ (Les anciens monuments de l’), p. 21. - - _Ingres._ Son sentiment sur la peinture, p. 66. - —Portrait de M. Leblanc, p. 114. - —La Source, p. 169. - - _Instantané_ (L’objectif) ne voit pas le mouvement, p. 201. - - =Intervention= de l’artiste en photographie, p. 167. - —Choix du sujet, p. 168. - —Développement du cliché, p. 177. - —Développement de l’épreuve, p. 179. - - - J - - _Jacquin_ (M.), p. 153. - - _Janssen_, p. 151. - - _Jardin du Cloître_ aux Thermes de Dioclétien. Description, p. 250. - - _Jordaens._ Christ en croix, p. 254. - - - K - - _Kuhn_ (M.), p. 162. - - - L - - _Labrouste_, p. 16. - - _Laguarde_ (Mlle), p. 153. - - _Lamour_ (Jean), p. 49. - - _Laocoon du Vatican_, p. 198. - - _Larroumet._ L’Art et l’État en France, p. 119. - - _Lawrence_, p. 112. - - _Le Bègue_ (M. René), p. 185. - - _Le Brun_, pp. 97, 229. - - _Lecomte._ L’Art impressionniste, p. 87. - - _Le Nain_, p. 60. - - _Le Sidaner_, p. 86. - - _Le Sueur_, p. 99. - - _Lhermitte_, p. 166. - - =Logique= (La) dans la construction. N’est pas nécessaire à la beauté, - pp. 18, 19 et 20. - - =Lumière= (La). Ses jeux, son influence sur les couleurs, p. 72. - Elle transfigure et idéalise la vie moderne, p. 73. - - _Lucerne._ Ses ponts, p. 217. - - - M - - _Maile_, p. 112. - - _Maindron._ Statue de Senefelder, p. 128. - - =Maisons hautes= des États-Unis (Les) n’ont rien d’original, p. 24. - —Leur style composite, p. 24. - - _Mallarmé_, p. 61. - - _Marqueste._ Statue de Victor Hugo assis, pp. 125, 134. - - _Martin_ (H.), p. 72. - - _Maskell_ (M. Alfred). Jeune Hollandaise. pp. 186, 204. - - _Massacre de Scio_, p. 78. - - _Mathey._ Portrait d’un graveur, p. 189. - = - Mélange optique des couleurs= (Le), p. 79. - - _Ménard._ Les Terres antiques, p. 85. - - _Métayer_, p. 100. - - _Meunier_ (Constantin). Les Mineurs, p. 127. - - _Michel_ (André), p. 88. - - _Millet_ (J.-F.), p. 165. - - _Monet_ (Claude), p. 67. - —Argenteuil, p. 80. - —Antibes, p. 67. - —Champ de Tulipes à Sassenheim, p. 67. - —Église de Varengeville, p. 67. - —Gare Saint-Lazare, pp. 63, 81. - —Pont de l’Europe, p. 63. - —Église de Vetheuil, pp. 81, 96. - - _Montenard_, p. 191. - - _Moore_ (Albert), p. 185. - - _Morisset_, p. 86. - - _Moullé_ (Albert), p. 86. - - =Mouvement= (le). Sa définition: un ensemble d’attitudes, p. 201. - - _Murchison_ (M.), p. 152. - - =Musées= (Les). Musée des Antiques, au Vatican, p. 211. - —Le British Museum, p. 248. - —National Gallery. - —Cernuschi, pp. 215, 243. - —des Thermes de Dioclétien, p. 248. - - - N - - _Naegely_ (Henri), p. 62. - - _Napoléon._ Sa représentation sur la colonne Vendôme, p. 119. - - _Naudot_ (M.), p. 153. - - =Net= (Le) en photographie, p. 157. - - _Nolhac_ (M. de), p. 230. - - _Nuremberg._ Ses fontaines, p. 217. - - - O - - _Objectif_ (L’) voit autrement que notre œil: instantané, il - transforme le mouvement en immobilité, p. 201. - - =Ombres= (Les) sont des couleurs. Théorie de Ruskin, précurseur des - impressionnistes, p. 70. - - _Origet_ (M.), p. 207. - - =Originalité= (La recherche de l’), le plus grand mal de l’art - contemporain, pp. 97 et 98. - —Les vrais originaux n’ont pas recherché l’originalité, p. 99. - - - P - - _Palais des papes_, à Avignon, pp. 21 et 257. - - _Palais_ (Le grand), l’effet qu’il produit, vu des Champs-Élysées, - p. 11. - - _Palais_ (Le petit), p. 11. - —Sa beauté intérieure, p. 12. - —Son succès, p. 13. - - _Pamphili_ (Une statue à la villa), p. 247. - - _Panathénées_ (Les), pp. 232 et 233. - - _Paris._ Statue de Danton, p. 131. - - _Parques_ (Les trois) du Parthénon, p. 135. - - _Parthénon_, p. 232. - - =Paysage moderne= (Le), moins beau comme lignes, mais plus beau comme - couleurs que le paysage d’autrefois, p. 67. - - _Percier et Fontaine_, p. 113. - - =Perspective.= Son exagération par la photographie, imputable au - photographe, p. 158. - - _Phidias_ (Cheval de), pp. 57 et 117. - - _Pissarro_, p. 65. - —Paysanne assise, p. 74. - —Vue de Rouen, p. 80. - —La brouette, p. 81. - —Les toits rouges, pp. 81 et 96. - - _Planche_ (Gustave). Études sur l’École française, p. 112. - - _Plein-air_ (Théorie de Delacroix sur les couleurs vues en), p. 69. - - _Pointillisme._ Ses inconvénients, p. 81. - - _Polyclète_, p. 111. - - =Ponts= (Les anciens), p. 27. - —Leur rôle dans les villes du moyen âge. Leur aspect, p. 28. - —Ponts de fer, p. 28. - —Leur beauté, p. 30. - - _Portrait_ (Le) dans l’École impressionniste, p. 92. - - _Poussin_, p. 99. - - _Préault._ Comparaison avec M. Rodin, p. 122. - - _Puech_, p. 108. - - _Puvis de Chavannes_, p. 144. - - _Puyo_ (M. Constant). Vengeance. La lampe file, p. 171. - —L’île heureuse, p. 186. - —Pénélope, p. 193. - - - R - - _Racine._ Sa statue à la Ferté-Milon, p. 119. - - _Rambaud_ (Alfred), p. 259. - - =Redingote= (La). Pourquoi elle est inesthétique, p. 129. - —Comparaison avec la toge, p. 131. - - _Rembrandt._ Portrait du bourgmestre Six et de sa femme, p. 231. - - _Renoir_, pp. 61 et 65. - —Danseuse, p. 81. - —La loge, p. 76. - - _Retouche_ (La), en photographie, doit être proscrite, p. 178. - —Pourquoi les artistes ne l’emploient pas. - - _Reynolds_, pp. 93 et 112. - - _Robinson_ (H.-P.). Premier photographe artiste, p. 161. - - _Rochegrosse_, p. 55. - - _Rodin._ Le monument de Victor-Hugo, pp. 120 et 121. - —de Balzac, pp. 121 et 124. - —Les bourgeois de Calais, p. 127. - - _Rœderstein_ (Mlle), p. 86. - - _Rome._ Ses palais, ses jardins, p. 218. - - _Rosa Bonheur._ Son monument à Fontainebleau, type de la - représentation d’un monument élevé à la gloire d’un - contemporain, p. 144. - - _Rossetti_, p. 78. - - _Rousseau_, pp. 95 et 165. - - _Rubens_, p. 112. - - _Rude._ Le Départ, p. 110. - —Tombeau de Cavaignac, p. 127. - - =Ruines= (Les) doivent être laissées dans la nature, leur beauté - pittoresque, pp. 242 et 243. - - _Ruskin_, précurseur de l’impressionnisme, p. 70. - —Son opinion sur les villes modernes, p. 264. - —Elements of Drawing, p. 70. - —Lectures on art, p. 71. - —The Seven Lamps of architecture, p. 124. - - - S - - _Sacré-Cœur de Montmartre_ (Le), p. 9. - —Critiques sur ——, pp. 9 et 10. - —Son aspect vu de Paris, pp. 10, 11 et 13. - - _Saint-Georges de Donatello_, p. 132. - - _Saint-Marceaux._ Monuments de: Alphonse Daudet, Félix Faure, - Alexandre Dumas fils, p. 124. - - _Saint-Marc_ à Venise, p. 20. - - _Sarcophage de Sidon_, p. 135. - - _Sarlius_, p. 86. - - _Schopenhauer_, p. 44. - - _Seurat_, p. 82. - - _Signac_ (Paul), pp. 78, 80 et 82. - - _Simon._ Procession, p. 86. - - _Sisley_, p. 63. - —Bords de la Seine, p. 81. - - _Smedley Aston_ (M.). Paix d’or sur la contrée, p. 186. - - _Sollet_ (M.), p. 153. - - =Statues= (La manie contemporaine des), p. 107. - - _Steen._ Le Médecin. Le Charlatan, p. 114. - - _Stendhal_, p. 151. - - _Suite des Châteaux_ (La), p. 254. - - =Sujet= (Le choix du) en art et en photographie, p. 167. - - _Sully-Prudhomme._ Son opinion sur l’Architecture de fer, p. 31. - - _Sutcliffe_ (M.). Brouillard, p. 186. - - - T - - =Tache= (Théorie de la) en architecture, p. 11. - —Principale chose à considérer dans un monument au point de vue - esthétique. - - _Taine_, p. 77. - - _Tassaert_, p. 253. - - =Thermes de Dioclétien= (Le musée des). Exemple d’un musée qui n’est - pas une prison de l’art, p. 248. - - _Thomy-Thiéry_ (Collection) au Louvre, p. 95. - - _Thorwaldsen_, p. 111. - - _Titien_ (Le), pp. 67, 97. - - =Toge= (La). Différentes manières qu’avaient les anciens de la draper, - en opposition avec la forme immuable de la redingote, p. 130. - - _Torse_ (Le), au Vatican, p. 239. - - _Torti_, p. 212. - - _Toulouse_, ses Couvents, p. 218. - - _Trocadéro_, p. 17. - - _Turner_, précurseur de l’impressionnisme. - —Grand chemin de fer de l’Ouest, p. 63. - —Les Funérailles en mer du peintre Wilkie, p. 101. - - - V - - _Van der Weyden_ (Roger). Portrait du Grand Bâtard de Bourgogne, - p. 114. - - _Van Dyck_, p. 112. - - _Van Honthorst_, p. 171. - - _Védrines_ (M. de). Marée Basse, p. 186. - - _Venise_, ses ponts, p. 218. - - =Vêtement contemporain= (Le) n’est pas sculptural, p. 129. - C’est un anthropoïde, p. 130. - —Il exprime la passion de l’égalité physique, p. 137. - —Il est une mauvaise œuvre d’art, p. 137. - - _Vettii_ (Fresque de la maison des), p. 174. - - _Victoire_ (La) de Samothrace, pp. 135, 176. - - _Villa Mattéi_, son portail. Navicella, p. 241. - - _Viollet-le-Duc_, p. 16. - - _Vogüé_ (Melchior de). Son opinion sur l’architecture du fer, p. 17. - - - W - - _Walker_ (Frédéric), p. 168. - - _Watteau._ L’Embarquement pour Cythère. pp. 77, 101. - —Son respect pour la tradition, p. 100. - - _Watts_, précurseur de l’impressionnisme, p. 78. - - _Watzek_ (M.), p. 186. - - _Weil_ (Miss Mathilde), p. 152. - - _Wilms_ (M.). Sombre Clarté, p. 185. - - _Winckelmann_ (L’école de), p. 208. - - _Wynford Dewhurst_, p. 87. - - - - - TABLE DES MATIÈRES - - INTRODUCTION v - - - PREMIÈRE PARTIE - - L’ESTHÉTIQUE DU FER 1 - - CHAP. I.—Comment juger d’une architecture nouvelle 7 - - —— II.—Le triomphe du fer: le Pont et son échec: la Maison 23 - - —— III.—Pourquoi le fer permet tout et n’ordonne rien 35 - - - DEUXIÈME PARTIE - - LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME 51 - - CHAP. I.—Ses causes 55 - - —— II.—Ses vérités 66 - - —— III.—Ses lacunes 83 - - —— IV.—Son erreur 97 - - - TROISIÈME PARTIE - - LE VÊTEMENT MODERNE DANS LA STATUAIRE 105 - - CHAP. I.—Pourquoi les sculpteurs ont tenté de représenter le - vêtement moderne 110 - - —— II.—Les résultats de la tentative 120 - - —— III.—Pourquoi le vêtement moderne n’est pas sculptural 129 - - —— IV.—Comment représenter un grand homme contemporain 141 - - - QUATRIÈME PARTIE - - LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE UN ART? 147 - - CHAP. I.—Les défauts de la photographie 155 - - —— II.—La triple intervention de l’artiste 164 - - —— III.—Nouvelles œuvres et idées nouvelles 183 - - —— IV.—Une prétention excessive de la photographie 197 - - —— V.—Une réaction idéaliste 204 - - - CINQUIÈME PARTIE - - LES PRISONS DE L’ART 213 - - CHAP. I.—L’art proscrit de la vie et interné dans les musées 221 - - —— II.—Ce que devient l’art en prison 229 - - —— III.—Ce que la nature fait pour l’œuvre d’art 244 - - —— IV.—Le paradoxe de la «conservation» des œuvres d’art 253 - - INDEX 265 - - 1330-02.—Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.—1-04. - - - - -Libraire Hachette et C^{ie}, boulevard Saint-Germain, 79, à Paris. - -BIBLIOTHÈQUE VARIÉE, IN-16, 3 FR. 50 LE VOLUME, BROCHÉ - -Études sur les littératures française et étrangères - - - =ALBERT= (Paul): _La poésie_; 11^e édit. 1 vol. - —— _La prose_; 8^e édition. 1 vol. - —— _La littérature française, des origines à la fin du XVI^e siècle_; - 8^e édition. 1 vol. - —— _La littérature française au XVII^e siècle_; 10^e édition, 1 vol. - —— _La littérature française au XVIII^e siècle_; 9^e édition. 1 vol. - —— _La littérature française au XIX^e siècle_; les origines du - romantisme; 7^e édit. 2 vol. - —— _Variétés morales et littéraires_. 1 vol. - —— _Poètes et poésies_; 3^e édition. 1 vol. - - =ALBERT= (Maurice): _Les théâtres de la foire_ (1610-1789). 1 vol. - Ouvrage couronné par l’Académie française. - - =BERTRAND= (L.): _La fin du classicisme et le retour à l’antique_. - 1 vol. - - =BOSSERT= (A.): _La littérature allemande au moyen âge et les origines - de l’épopée germanique_; 3^e édition. 1 vol. - —— _Gœthe et Schiller_; 5^e édition. 1 vol. - —— _Gœthe, ses précurseurs et ses contemporains_; 4^e édition. 1 vol. - —— _La légende chevaleresque de Tristan et Iseult_. 1 vol. - —— _Schopenhauer_. 1 vol. - - =BRUNETIÈRE=, de l’Académie française: _Etudes critiques sur - l’histoire de la littérature française_. 7 vol. - Ouvrage couronné par l’Académie française. - —— _L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature_; - 3^e édit. 1 vol. - —— _L’évolution de la poésie lyrique en France au XIX^e siècle_; - 2^e édit. 2 vol. - —— _Les époques du théâtre français_. 1 vol. - —— _Victor Hugo_. 2 vol. - - =DESPOIS= (E.): _Le théâtre français sous Louis XIV_; 4^e édition. - 1 vol. - - =FILON= (Aug.): _Mérimée et ses amis_. 1 vol. - —— _La caricature en Angleterre_. 1 vol. - - =GIRAUD= (Victor): _Essai sur Taine_. 1 vol. - Ouvrage couronné par l’Académie française. - - =GLACHANT= (P. et V.): _Papiers d’autrefois_. 1 vol. - Ouvrage couronné par l’Académie française. - —— _Essai critique sur le théâtre de Victor Hugo_. 2 vol. - - =GREARD= (Oct.), de l’Académie française: _Edmond Scherer_; 2^e édit. - 1 vol - —— _Prévost-Paradol_; 2^e édit. 1 vol. - - =JUSSERAND= (J.-J.): _Les Anglais au moyen âge_. 2 vol.: - La vie nomade et les routes d’Angleterre au XIV^e siècle. 1 vol. - Ouvrage couronné par l’Académie française. - L’épopée mystique de William Langland. - - =LAFOSCADE= (L.): _Le théâtre d’Alfred de Musset_. 1 vol. - - =LANGLOIS= (Ch.-V.): _La société française au XIII^e siècle_. 1 vol. - - =LARROUMET= (G.), de l’institut: _Marivaux, sa vie et ses œuvres_; - 3^e édition. 1 vol. - Ouvrage couronné par l’Académie française. - —— _La comédie de Molière_; 6^e édit. 1 vol. - —— _Etudes d’histoire et de critique dramatiques_; 2^e édition. 2 vol. - —— _Etudes de littérature et d’art_. 4 vol. - —— _L’art et l’État en France_. 1 vol. - —— _Petits portraits et notes d’art_. 2 vol. - —— _Derniers portraits_. 1 vol. - —— _Vers Athènes et Jérusalem_, 1 vol. - - =LENIENT=: _La satire en France au moyen âge_; 4^e édition. 1 vol. - Ouvrage couronné par l’Académie française. - —— _La satire en France au XVI^e siècle_; 3^e édition. 2 vol. - —— _La comédie en France au XVIII^e et au XIX^e siècles_. 4 vol. - —— _La poésie patriotique en France au moyen âge et dans les temps - modernes_. 2 v. - - =LICHTENBERGER=: _Etude sur les poésies lyriques de Gœthe_; - 2^e édition. 1 vol. - Ouvrage couronné par l’Académie française. - - =MÉZIÈRES= (A.), de l’Académie française: _Pétrarque_, 1 vol. - —— _Shakespeare, ses œuvres et ses critiques_; 6^e édit. 1 vol. - —— _Prédécesseurs et contemporains de Shakespeare_; 4^e édition. - 1 vol. - —— _Contemporains et successeurs de Shakespeare_. 4^e édition. 1 vol. - Ouvrages couronnés par l’Académie française. - —— _Hors de France_: Italie, Espagne, Angleterre, Grèce moderne; - 2^e éd. 1 vol. - —— _Vie de Mirabeau_. 1 vol. - —— _Gœthe_. les œuvres expliquées par la vie. 2 vol. - —— _Morts et Vivants_. 1 vol. - - =MICHEL= (Henri): _Le quarantième fauteuil_. 1 vol. - - =PARIS= (G.), de l’Académie française: _La poésie du moyen âge_. - 2 vol. - = - PELLISSIER=: _Le mouvement littéraire au XIX^e siècle_; 6^e édit. - 1 vol. - - =POMAIROLS= (de): _Lamartine_. 1 vol. - - =PRÉVOST-PARADOL=: _Études sur les moralistes français_, 9^e édition. - 1 vol. - - =RICARDOU= (A.): _La critique littéraire_. 1 vol. - - =RIGAL= (E.): _Le théâtre français avant la période classique_. 1 vol. - - =RITTER= (E.): _La famille et la jeunesse de J.-J. Rousseau_. 1 vol. - Ouvrage couronné par l’Académie française. - - =SPENCER= (H.): _Faits et commentaires_, trad. de l’anglais. 1 vol. - - =STAEL= (M^{me} de): _Lettres inédites à Henri Meister_. 1 vol. - - =STAPFER= (P.): _Molière et Shakespeare_. Ouvrage couronné par - l’Académie française. - —— _Des réputations littéraires_. 1 vol. - —— _La famille et les amis de Montaigne_. - - =TAINE= (H.): _Histoire de la littérature anglaise_; 11^e éd. 5 vol. - —— _La Fontaine et ses fables_; 16^e édit. 1 vol. - —— _Essais de critique et d’histoire_; 9^e édit. - —— _Nouveaux Essais de critique et d’histoire_; 7^e édit. 1 vol. - —— _Derniers essais de critique et d’histoire_. - - =TEXTE= (J.): _J.-J. Rousseau et les origines du cosmopolitisme - littéraire_. 1 vol. - Ouvrage couronné par l’Académie française. - -1330-02.—Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.—1-04. - - - - -FOOTNOTES: - - -[1] M. Guyau. _Les Problèmes de l’Esthétique contemporaine._ Ch. III. -L’art et l’Industrie moderne, pp. 120, 121, 122. - -[2] _De l’Expression dans les Beaux-Arts._ - -[3] _Le monde comme volonté et représentation_, livre III. - -[4] Henry Naegely, _J. F. Millet and rustic life_, Londres, 1898. - -[5] _Journal d’Eugène Delacroix_, t. III. - -[6] Ruskin, _Éléments of Drawing_, écrits en 1856. - -[7] Ruskin, _Lectures on Art_, 1870. - -[8] Paul Signac, _D’Eugène Delacroix au Néo-Impressionnisme_, 1899. - -[9] Th. Duret, _Critique d’avant-garde. Les Impressionistes_, 1885. - -[10] Cf. Lecomte, _l’Art impressionniste_.—Th. Duret, _Critique -d’avant-garde_.—Castagnary, _Salons_, année 1876.—Gustave Geffroy, -_La Vie artistique_, troisième série, Histoire de l’Impressionnisme, -1894.—Wynford Dewhurst, La Peinture impressionniste, _Studio_, 1903. - -[11] Gustave Geoffroy, _La vie artistique_, série III, § 2. Définition -de l’Impressionnisme. - -[12] André Michel, _Notes sur l’Art moderne_. - -[13] Gustave Planche, _Études sur l’École française_, t. I, Salon de -1831, et Salon de 1846. - -[14] _Journal d’Eugène Delacroix_, t. I, 1843. - -[15] M. Guyau, _Problèmes de l’Esthétique contemporaine_. - -[16] Gustave Larroumet, _L’Art et l’État en France_, 1895. - -[17] _Journal d’Eugène Delacroix_, t. III, année 1859. - -[18] Ruskin, _The Seven Lamps of Architecture_, chap. v, § 21. - -[19] Depuis que ces lignes ont paru pour la première fois dans la -_Revue des Deux Mondes_, le vœu qu’elles exprimaient a été réalisé. - -Le monument de _Rosa Bonheur_, érigé à Fontainebleau en 1901, -représente non Rosa Bonheur elle-même, mais le sujet habituel de ses -tableaux, un taureau, et le médaillon du peintre est un bas-relief -appliqué sur un des côtés du piédestal.—La même pensée a inspiré -M. Peynot, l’auteur du monument de _Français_ à Plombières, et M. -Marqueste, l’auteur du monument de _Ferdinand Fabre_ au Luxembourg. -La personne de l’écrivain ou de l’artiste n’est représentée que par -son buste,—son œuvre par des personnages, qui forment réellement le -monument. - -[20] Mme Cameron, _Annals of my glass-house_. - -[21] Puyo, _Notes sur la Photographie artistique_, 1896. - -[22] _Annals of my glass-house._ - -[23] Voir les plans du _Bolletino dell’Associazione per la difesa di -Firenze antica_, second fascicule, Florence, mars 1900. - -[24] Depuis que ces lignes ont paru pour la première fois, dans la -_Revue des Deux-Mondes_, une ligue semblable s’est fondée en France -pour la protection des paysages et une campagne très ardente a été -menée par M. André Hallays, qu’il est juste de ne pas oublier, pour -l’honneur du goût français. - -[25] Pierre de Nolhac, _Paysages de France et d’Italie_. - -[26] Alfred Rambaud, ministre de l’Instruction publique et des -Beaux-Arts, Discours à l’assemblée annuelle des membres de la _Société -des Artistes français_. - -[27] John Ruskin, _The Seven Lamps of Architecture_. - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Les questions esthétique - contemporaines, by Robert de La Sizeranne - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES QUESTIONS ESTHÉTIQUES *** - -***** This file should be named 51837-0.txt or 51837-0.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/1/8/3/51837/ - -Produced by Giovanni Fini, Clarity and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/American Libraries.) - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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Redistribution is subject to the -trademark license, especially commercial redistribution. - -START: FULL LICENSE - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg-tm License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the -trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone -providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in -accordance with this agreement, and any volunteers associated with the -production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm -electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, -including legal fees, that arise directly or indirectly from any of -the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this -or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or -additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any -Defect you cause. - -Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm - -Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of -electronic works in formats readable by the widest variety of -computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It -exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations -from people in all walks of life. - -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's -goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg-tm and future -generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see -Sections 3 and 4 and the Foundation information page at -www.gutenberg.org - - - -Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by -U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the -mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its -volunteers and employees are scattered throughout numerous -locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt -Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to -date contact information can be found at the Foundation's web site and -official page at www.gutenberg.org/contact - -For additional contact information: - - Dr. Gregory B. Newby - Chief Executive and Director - gbnewby@pglaf.org - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide -spread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. 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Thus, we do not -necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper -edition. - -Most people start at our Web site which has the main PG search -facility: www.gutenberg.org - -This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. - diff --git a/old/51837-0.zip b/old/51837-0.zip Binary files differdeleted file mode 100644 index 4c8b654..0000000 --- a/old/51837-0.zip +++ /dev/null diff --git a/old/51837-h.zip b/old/51837-h.zip Binary files differdeleted file mode 100644 index 826bc4c..0000000 --- a/old/51837-h.zip +++ /dev/null diff --git a/old/51837-h/51837-h.htm b/old/51837-h/51837-h.htm deleted file mode 100644 index dc13cc1..0000000 --- a/old/51837-h/51837-h.htm +++ /dev/null @@ -1,10200 +0,0 @@ -<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" - "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> -<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" xml:lang="fr" lang="fr"> - <head> - <meta http-equiv="Content-Type" content="text/html;charset=utf-8" /> - <meta http-equiv="Content-Style-Type" content="text/css" /> - <title> - The Project Gutenberg eBook of Les questions esthétiques contemporaines, by Robert de La Sizeranne. - </title> - <link rel="coverpage" href="images/cover.jpg" /> - <style type="text/css"> - -body {margin-left: 10%; 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You may copy it, give it away or re-use it under the terms of -the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: Les questions esthétiques contemporaines - -Author: Robert de La Sizeranne - -Release Date: April 23, 2016 [EBook #51837] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES QUESTIONS ESTHÉTIQUES *** - - - - -Produced by Giovanni Fini, Clarity and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/American Libraries.) - - - - - - -</pre> - -<div class="limit"> - -<div class="chapter"> -<div class="transnote p4"> -<p class="pc large">NOTES SUR LA TRANSCRIPTION:</p> -<p class="ptn">—Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.</p> -<p class="ptn">—On a conservé l’orthographie de l’original, incluant ses variantes.</p> -<p class="ptn">—La couverture de ce livre électronique a été crée par le transcripteur; -l’image a été placée dans le domaine public.</p> -</div> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_i" id="Page_i">[i]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<p class="pc4 large">LES</p> - -<p class="pc1 xlarge">QUESTIONS ESTHÉTIQUES</p> - -<p class="pc1 large">CONTEMPORAINES</p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_ii" id="Page_ii">[ii]</a></span></p> - -<p class="pc4 mid">OUVRAGES DU MÊME AUTEUR</p> - -<p class="pc1 lmid">PUBLIÉS PAR LA LIBRAIRIE HACHETTE ET C<sup>ie</sup></p> - -<hr class="d1" /> - -<p class="ph1"><b>La Peinture anglaise contemporaine.</b> 3<sup>e</sup> édition.</p> - -<p class="ph1"><b>Ruskin et la Religion de la Beauté.</b> 5<sup>e</sup> édition.</p> - -<p class="ph1"><b>Le Miroir de la Vie.</b> <i>Essais sur l’évolution esthétique.</i> 34 grav. -1<sup>re</sup> série: I. L’esthétique des batailles.—II. La caricature.—III. -La modernité de l’Évangile.—IV. Les portraits -d’enfants.</p> - -<hr class="d2" /> - -<p class="pc reduct">1330-03.—Coulommiers. Imp. <span class="smcap">Paul</span> BRODARD.—1-04.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_iii" id="Page_iii">[iii]</a></span></p> - - -<h1 class="p4">LES<br /> -<span class="mid">QUESTIONS ESTHÉTIQUES</span><br /> -CONTEMPORAINES</h1> - -<p class="pc4 lmid">PAR</p> -<p class="pc1 large">ROBERT DE LA SIZERANNE</p> - -<div class="bord"> -<p class="pc">I.—L’ESTHÉTIQUE DU FER.<br /> -II.—LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME.<br /> -III.—LE VÊTEMENT MODERNE DANS LA STATUAIRE.<br /> -IV.—LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE UN ART?<br /> -V.—LES PRISONS DE L’ART.</p> -</div> - -<p class="pc large">PARIS</p> -<p class="pc lmid">LIBRAIRIE HACHETTE ET C<sup>ie</sup></p> -<p class="pc">79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79</p> -<hr class="d3" /> -<p class="pc">1904</p> -<p class="pc1 reduct">Droits de traduction et de reproduction réservés.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_iv" id="Page_iv">[iv]</a></span></p> -<p> </p> -<p><span class="pagenum"><a name="Page_v" id="Page_v">[v]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">INTRODUCTION</h2> - -<hr class="d1" /> - -<p>Ce ne sont pas toutes les questions esthétiques -contemporaines qui sont traitées ici, mais quelques-unes -peut-être des principales et assurément -des plus nouvelles. Qu’espérer de l’emploi du fer -en architecture? Comment rendre, en sculpture, le -vêtement moderne? Quelle place faire à la photographie -dans les Arts? En voilà trois, par exemple, -qu’aucune époque avant la nôtre n’avait eu à -résoudre. Et si d’autres, comme la relégation de -l’Art dans les musées ou les recherches de couleur -connues sous le nom d’Impressionnisme, ont pu, -en d’autres temps, inquiéter les artistes, il suffit -cependant qu’en aucun temps on n’ait vu se fonder -tant de musées, ni qu’aucune école coloriste n’ait -soulevé tant de scandale, pour que les problèmes -discutés hier soient devenus plus pressants aujourd’hui.<span class="pagenum"><a name="Page_vi" id="Page_vi">[vi]</a></span> -Ce sont ces questions posées ou imposées à -notre attention par la vie moderne qu’on trouvera -étudiées dans les pages qui vont suivre; non avec -la prétention de les résoudre, mais avec l’espoir de -les éclaircir.</p> - -<p>Selon quelle méthode ou dans quel sentiment?</p> - -<p>Le plus simplement possible.</p> - -<p>Ouvrir les yeux sur le monde et la vie et s’abandonner -à l’impression de joie ou de répulsion que -produit en soi chaque chose: naturelle ou artificielle, -spontanée ou voulue. S’exalter aux qualités -«sensorielles» des formes dans l’air et sur -la terre, vivantes ou inanimées: lignes, couleurs, -valeurs, souplesse, éclat, équilibre, harmonie; parcourir -avec sa sensibilité les innombrables nuances -colorées ou tactiles dont l’esprit ne peut se faire -une idée et que les arts intellectuels: la parole, -la description littéraire, l’analyse philosophique, la -poésie ne peuvent rendre ou ne rendent que bien -grossièrement au regard des arts plastiques; et -ainsi, juger de l’Art plastique pour la qualité -d’émotion que, seul, il apporte et que rien autre, -ni poésie, ni philosophie, ni histoire ne peuvent -nous apporter; l’aimer pour lui et non pour elles, -pour l’enthousiasme tout sensible qu’il nous fait -éprouver, pour la sensation d’une vie plus ardente -et plus complète qu’il éveille, et non pour les souvenirs<span class="pagenum"><a name="Page_vii" id="Page_vii">[vii]</a></span> -ou les associations d’idées qu’il nous procure,—telle -est la méthode employée ici. Tel est -le «sentiment esthétique». Elle diffère à ce point -des habitudes prises ou des principes adoptés par -les philosophes modernes, qu’il faut bien, pour -son intelligence, ou au moins pour son excuse, -dire ce qu’elle n’est pas, ce qu’elle est,—et ce qui -l’a fait adopter.</p> - - -<p class="pc2 mid">I</p> - -<p class="p2">Pendant longtemps, la critique d’Art s’est crue -en possession de «lois» esthétiques formelles et -inéluctables avec lesquelles il suffisait de confronter -les œuvres nouvelles pour en juger. On ne devait -représenter que certains sujets, non tels autres, -certaines régions, généralement situées dans le -Midi, non tous les pays. Le tableau d’histoire était -la seule matière à chefs-d’œuvre. La vie contemporaine -pouvait à peine être mise en un petit -tableautin. L’activité ouvrière ou rurale, le travail -quotidien n’avaient point de beauté. Si on les voulait -figurer, il fallait le faire par des allégories, -c’est-à-dire par des femmes vêtues de chitons et de -diploïs. Ces femmes elles-mêmes devaient ressembler -à un type grec ou y être le plus possible<span class="pagenum"><a name="Page_viii" id="Page_viii">[viii]</a></span> -ramenées. Le nez et le front devaient être sur la -même ligne et tous les traits mis en ordre selon des -«canons» que détenait Winckelmann. On savait -ce que c’était que la Beauté.</p> - -<p>A côté de ces lois générales, une foule de lois -techniques. Le premier plan de tout paysage devait -être noir, afin de repousser la lumière au second. -Un portrait devait s’enlever en clair sur un fond -sombre, d’un côté; en sombre sur un fond clair, de -l’autre. Une composition devait être en forme de -pyramide, et chaque figure se développer entièrement -dans son plan, sans être obstruée par une -figure de premier plan. Les nuages rentraient dans -deux ou trois types de cumuli hors desquels il -était interdit de s’aventurer. Il y avait des arbres -nobles. Les lumières devaient être «chaudes», -c’est-à-dire dorées et les ombres brunes, en imitation -la plus proche possible des vieux tableaux de -l’école italienne et de la Renaissance, non pas tels -qu’ils avaient été peints, mais tels que la patine et -les années les ont faits. Il ne fallait pas voir du -vert dans une prairie; mais du brun. Ces lois et -bien d’autres étaient dérivées de principes de -Beauté déduits eux-mêmes, après beaucoup d’abstractions, -de l’étude des Anciens. A la vérité, on -ne les avait pas très attentivement observés, car -beaucoup eussent démenti cet enseignement. Mais<span class="pagenum"><a name="Page_ix" id="Page_ix">[ix]</a></span> -moins on le vérifiait, plus on avait pour lui de respect.</p> - -<p>Quand parurent les peintres et les sculpteurs de -l’époque romantique, puis les naturalistes de Barbizon, -puis les «réalistes», la critique, armée de -ces principes, déclara que les nouvelles œuvres ne -pouvaient être «belles», car elles violaient manifestement -ces «lois». Elle condamna les romantiques -pour leurs excès de couleur et de mouvement, -les réalistes pour leurs sujets et leurs -«laideurs», les indépendants de toutes sortes pour -leur dédain des sujets admis, des costumes adoptés, -des «sites» composés, des gestes nobles ou des -tons «locaux» depuis longtemps observés. Cette -critique, jugeant tout par analogie avec les anciens -maîtres, repoussa tout ce qui en était différent. -Elle repoussa Delacroix, Rude, David d’Angers, -Barye, Corot, Rousseau, Millet, plus tard Courbet, -Puvis de Chavannes, Bastien-Lepage, au nom de -lois qu’elle croyait infaillibles. Au même moment, -en musique et pour des raisons parfois semblables, -elle condamnait Wagner. Elle se trompa lourdement. -Ces hommes étaient des maîtres. Avec le -temps, ils triomphèrent et la critique d’Art basée -sur l’admiration des maîtres anciens, des formes -reconnues «belles» et des lois déduites d’un -«Beau idéal», se tut misérablement.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_x" id="Page_x">[x]</a></span></p> - -<p>Aujourd’hui, une réaction totale s’est produite. -L’idée qui domine la critique contemporaine, -avertie des erreurs de sa devancière et fermement -résolue à n’y pas retomber, est qu’il n’y a pas de -beau, pas de laid, dans la nature ni dans l’homme, -ni dans les objets créés par l’homme, qu’il n’y a -que des formes plus ou moins expressives de la vie, -caractéristiques d’une civilisation, et qu’ainsi tout -dépend de la pensée ou du sentiment que l’artiste -veut exprimer. Celui-ci n’a pas à suivre telle ou -telle «loi». Il n’y a pas de «loi». Pourvu qu’il -exprime sincèrement une émotion, une pensée, -une vérité, cela suffit. Et il y arrive, surtout, s’il -les exprime selon sa race, son époque, son milieu. -Tout est beau qui est expressif. Tout s’impose qui -est personnel, quelles que soient l’absence ou la -pauvreté des formes employées. Rien n’est beau de -ce qui ne l’est pas, quelle que soit la perfection des -formes. Il n’y a donc pas de «canon» de la Beauté. -D’ailleurs les races, les époques en ont connu -de fort dissemblables. La nature même ne peut -être qu’un substratum ou qu’un prétexte à l’Art: -elle ne vaut que si elle est vue «à travers un tempérament». -Ce que l’artiste nous doit montrer, ce -n’est pas elle, mais sa pensée sur elle.</p> - -<p>Le critique n’a donc pas à s’occuper de la Nature, -ni de la tradition, ni de la technique. Il n’a qu’une<span class="pagenum"><a name="Page_xi" id="Page_xi">[xi]</a></span> -chose à faire: remettre l’artiste dans son époque, -sa race, son milieu; observer s’il les exprime d’une -façon personnelle; décrire les liens qui l’y rattachent; -non pas confronter son œuvre avec la -nature, ni avec les anciens, ni avec des règles quelconques, -mais la comparer à l’auteur même, à la -vie où il se meut, au peuple d’où il est sorti. Si -elle l’exprime, l’acclamer et en faire un objet de -joie; s’il ne l’exprime pas, la mépriser. Tel est le -point de vue contemporain.</p> - -<p>On n’en avait jamais connu jusqu’ici, je ne dis -pas seulement de plus faux, mais de moins «esthétique» -dans le vrai sens du mot, c’est-à-dire de -moins orienté vers les qualités «sensorielles» d’un -objet de nature ou d’Art,—de ces qualités qui -frappent les sens et qui ne frappent que les sens: -formes, couleurs, ombres, lumières, densité,—ni -de moins «spécifique», c’est-à-dire de moins -orienté vers une certaine exactitude d’imitation et -une certaine perfection de matière. Dorénavant, -ce sont les qualités qui frappent l’esprit et qui -n’ont pas besoin, pour le frapper, de l’intermédiaire -du sens de la vue, ni du secours des arts plastiques -qu’on prise par-dessus tout. C’est l’expression, c’est -la suggestion qui sont requises. Et, encore, expression -de quoi? suggestion de quoi? De formes?—ce -que peut suggérer un trait à l’eau-forte de<span class="pagenum"><a name="Page_xii" id="Page_xii">[xii]</a></span> -Rembrandt? De profondeurs et de reliefs?—ce que -peut suggérer une touche de Corot?—Non, mais -de sentiments ou d’idées, c’est-à-dire de choses qui -peuvent être exprimées ou suggérées tout aussi -bien, et qui le sont tous les jours, par d’autres -moyens: l’analyse psychologique, la synthèse poétique, -et par un tout autre intermédiaire que les -sens de la vue ou du toucher: par l’ouïe.</p> - -<p>Jusqu’ici, les méthodes esthétiques avaient pu -tomber dans de grandes erreurs, mettre à la base -de nos impressions et de nos jugements une qualité -technique fausse ou insuffisante, proscrire injustement -des formes ou des expressions très légitimes; -mais toujours il était resté, au fond de ces -erreurs, le désir d’une qualité spécifique, d’une -«délectation», comme on disait, ou d’une joie -des sens. Dans les Esthétiques actuelles, les -impressions requises de l’Art sont toujours des -impressions intellectuelles, que l’Art non plastique -peut aussi bien et même beaucoup mieux nous -donner.</p> - -<p>De là, deux tendances dominantes dans nos -jugements esthétiques sur les choses de la vie et -jusque dans les moindres considérants de la critique -quotidienne. Le critique d’art moderne se -défie de son impression physique, spontanée, -«sensorielle», parce qu’il a peur qu’elle ne soit<span class="pagenum"><a name="Page_xiii" id="Page_xiii">[xiii]</a></span> -une résultante de son accoutumance aux anciens -chefs-d’œuvre, un réflexe de la routine;—et, au -contraire, il acclame toute tentative qui exprime -un sentiment ou un état de choses récent, quelque -peu de charme qu’il en éprouve, de peur de repousser, -sans le savoir, un chef-d’œuvre nouveau. -Dans le premier cas, il proscrit avec une extrême -sévérité; dans le second, il accueille avec une -extrême candeur; dans les deux, il fait violence à -son goût intime et à son impression esthétique, -bien plus qu’il ne les suit.</p> - -<p>La première de ces tendances est singulière. -Cette indifférence aux qualités purement sensorielles -de l’Art nous pousse à condamner toute -œuvre qui, belle de facture, de matière, de couleur, -ne nous apporte pas une «émotion nouvelle», -mais qui aurait pu être faite en d’autres temps, -par une autre génération et semble inspirée des -anciens: les figures de M. Bail ou de M. Roybet, -par exemple, ou le <i>Sacré-Cœur</i> de Montmartre, ou -les académies de M. Henner, ou les paysages de -M. Harpignies. De pareilles choses seront toujours -admirées par un artiste, non intellectuel, par tout -être d’une sensibilité frémissante aux qualités de -vie colorée, de belle matière, de lignes harmonieuses, -parce qu’un sensitif en jouit toujours,—qu’elles -soient expressives ou non d’une idée<span class="pagenum"><a name="Page_xiv" id="Page_xiv">[xiv]</a></span> -moderne. Un beau rouge est toujours un beau -rouge, un beau passage de lumière sur un ton -d’opale ou d’aigue marine est toujours une belle -transition et, s’il est vrai que cet os décrit par le -Maître ancien soit très beau, quand bien même il -n’exprimerait rien autre que lui-même, il sera -toujours très beau. Mais si, comme le critique -d’art moderne, l’on met à la base de tout jugement -ce postulat que l’Art n’existe pas, s’il n’exprime -spécialement une idée, une époque, une race,—quelle -que soit la beauté, le frisson de joie que -peut donner un beau rapport de couleurs,—on -sera obligé de mépriser ces choses parce qu’elles -n’apportent pas une «émotion nouvelle».</p> - -<p>La seconde tendance n’est pas moins étrange. -Quelle que soit sa répulsion en face des créations -de l’Industrialisme moderne—machines, bâtiments -géométriques, engins informes,—le critique, -lorsqu’elles sont modernes, adaptées à notre -vie, se croit tenu de les trouver belles, ou, au -moins, génératrices de beauté. Quelle que soit la -révolte de son sens instinctif, il fait taire cette -révolte, en se souvenant qu’on a proscrit, en -d’autres temps, d’autres formes qui, devenues -habituelles, n’ont plus paru si laides et se sont -trouvées belles, un jour. Il est dominé par la peur -de proscrire aujourd’hui des choses qui demain<span class="pagenum"><a name="Page_xv" id="Page_xv">[xv]</a></span> -seront qualifiées chefs-d’œuvre, comme longtemps -les fournisseurs de Barbizon n’osèrent plus refuser -du crédit à un artiste, dans la crainte d’affamer un -nouveau Millet. «Il faut tout comprendre!» -s’écrie-t-il avec une candeur touchante et, d’effort -en effort, il arrive à comprendre ce que les auteurs -eux-mêmes ne comprennent pas. Comme ce -pharmacien de vaudeville, qui lit couramment le -nom de savantes drogues dans un gribouillage -involontaire qu’un pseudo-médecin a griffonné, le -critique découvre, maintenant, un sens profond et -une vision d’humanité dans les essais désespérés -que fait tout jeune artiste pour enchâsser un peu -de talent dans beaucoup de saugrenuité. «N’ayons -pas la négation irraisonnée du temps présent! ne -proscrivons aucune tentative!» tel est le mot -d’ordre des «modernistes». Alors, de peur de -manquer, au passage, le chef-d’œuvre de demain, -ils admirent tout, du moins tout ce qui leur paraît -«nouveau». Et comme ils reconnaissent la nouveauté -à ce qu’elle les choque, ils admirent tout ce -qui les choque. «Tout ce qui a soulevé les protestations -de la foule, jadis, était beau. Or ceci:—l’<i>Olympia</i>, -le <i>Balzac</i>, la Porte Monumentale,—soulèvent -les protestations de la foule, donc c’est -beau.»</p> - -<p>Ce raisonnement par analogie s’applique à<span class="pagenum"><a name="Page_xvi" id="Page_xvi">[xvi]</a></span> -tout. Protestons-nous contre «l’haussmannisation» -de Paris? On nous répond: Les Parisiens se -plaignaient déjà des travaux de Philippe-Auguste! -Trouvons-nous qu’il faut simplement voir l’échec -d’un grand artiste dans l’œuvre intitulée <i>Balzac</i>, -on nous répond: Vous avez dit la même chose de -Wagner! Hasardons-nous que la voûte de verre -du Grand-Palais est un désastre pour la beauté -de Paris, on nous dit: Les Grecs eussent parlé -ainsi devant le gothique! Telle est la grande -méthode de la critique d’art contemporaine: le -raisonnement par analogie. Autrefois, on jugeait -par analogie de sensations devant les œuvres; -aujourd’hui, on juge par analogie de faits et de -circonstances extérieures qui les ont accompagnées, -et voici que de la ressemblance de deux -mouvements d’Art, en un point, on en conclut -hardiment à leur ressemblance en tous les autres. -Aux époques traditionnalistes, on admirait les nouvelles -œuvres d’autant qu’elles ressemblaient aux -anciennes et qu’on pouvait les en rapprocher. -Aujourd’hui, on les admire d’autant qu’elles en -diffèrent et qu’on peut les leur opposer. Mais les -deux méthodes sont aussi peu «esthétiques» l’une -que l’autre. Ni l’une ni l’autre ne font appel au -témoignage des sens. Ni l’une ni l’autre ne comparent -l’œuvre avec la Nature, qui n’est ni ancienne<span class="pagenum"><a name="Page_xvii" id="Page_xvii">[xvii]</a></span> -ni nouvelle, qui ne songe pas à l’institut non plus -qu’elle ne prend ses mots d’ordre aux Indépendants, -qui ne songe ni à différer d’elle-même, ni -à se ressembler, ni à se rajeunir, mais qui, infiniment -changeante, et complexe, et semblable, et -toujours belle à qui sait l’aimer, contient tous les -aspects révélés par toutes les écoles, et une multitude -d’autres qu’aucune école n’a jamais révélés, -a des flots pour toutes les nefs, des couleurs pour -tous les rêves et pour tous les pas en avant,—de -quelque côté qu’on marche,—des horizons.</p> - -<p class="pc2 mid">II</p> - -<p class="p2">Que valent ces postulats de la critique d’art contemporaine -ou ces axiomes, ou ces dogmes posés -par les esthéticiens modernes, sans aucune démonstration -préalable, que «dans toute forme, même -artificielle, il y a de la Beauté», ou que «tout ce -qui exprime l’idée ou le besoin d’une époque est -beau», ou encore que «tout ce qui soulève des -protestations et détermine des résistances dans la -foule est beau»?—Ne seraient-ce pas là des -demi-vérités, presque des erreurs, ou des généralisations -hâtives succédant à d’un peu superficielles<span class="pagenum"><a name="Page_xviii" id="Page_xviii">[xviii]</a></span> -observations,—et toute l’Histoire de l’Art -et l’expérience personnelle de chacun de nous les -confirment-elles ou bien plutôt, ne les infirmeraient-elles -pas à tout instant?</p> - -<p>«On ne discute que ce qui est fort.» Voilà, par -exemple, un axiome très répandu dans la mentalité -contemporaine. Mais pour être très répandu et -même banal, et pour servir en toute occasion et à -tous les esprits, il n’en est pas moins faux. L’usure -d’une pièce ne prouve pas toujours qu’elle est -bonne. Elle peut prouver simplement qu’on ne l’a -pas regardée. La vérité est qu’on discute tout ce -qui choque et que, pour choquer, la force n’est pas -nécessaire: l’ingéniosité suffit. Tout ce qui s’offre -à la discussion avec violence, avec provocation,—que -ce soit puissant ou non,—est discuté. Et nous -avons vu très discutées, il y a quinze ans, il y a -dix ans des œuvres très faibles dont on a déjà perdu -le souvenir. Préault a été plus discuté que Rude, -Mallarmé plus que M. Sully-Prudhomme, les Rose-Croix -plus que Corot. Tout le monde a encore dans -les oreilles le bruit soulevé, il y a quelque vingt ans, -par les Décadents ou les Symbolistes, mais nul -n’a devant les yeux un chef-d’œuvre qui en soit -sorti. Sans doute, cette observation que tout ce qui -fait scandale est puissant contient une part de -vérité, mais il faut, pour l’en dégager, tenir<span class="pagenum"><a name="Page_xix" id="Page_xix">[xix]</a></span> -compte de la diversité des causes, et de la diversité -des temps.</p> - -<p>Oui, ce qui fit scandale, autrefois, fut le plus souvent -original, quand on ne savait pas encore que -le scandale ou l’originalité seraient des éléments -de succès; quand les novateurs étaient originaux -presque malgré eux, ne connaissant à l’être que -des risques à courir, et, l’étant cependant, malgré -tout, par un irrésistible besoin d’exprimer quelque -beauté particulière qu’ils découvraient dans la -Nature et voulant, s’ils ne satisfaisaient point les -autres, du moins se satisfaire eux-mêmes. Il en est -de l’originalité comme de l’abnégation, qui n’est -véritable que si elle est sans savoir qu’il y a un -prix institué pour qu’elle soit. Du jour où l’on sait -que ce prix existe, il n’y a plus de véritable vertu -à être vertueux, ni de véritable originalité à être -original, ni de véritable «sincérité» à être sincère. -Du jour où l’on crie: «Venez voir comme je suis -attaqué, condamné par l’Art officiel, proscrit par -l’Institut, incompris de la foule! Comptez combien -de pierres et de quel calibre me jette la critique -pédante et autorisée! Songez à tous ceux qui furent -lapidés avant moi! N’oubliez pas que Millet le fut, -et Rousseau, et Delacroix, et Wagner! Et ne manquez -pas de faire entre eux et moi tel rapprochement -que vous inspirera votre esprit d’analyse et<span class="pagenum"><a name="Page_xx" id="Page_xx">[xx]</a></span> -d’équité!» De ce jour-là, le sens du scandale n’est -plus le même. Car on peut craindre que le novateur -ne heurte le sentiment public non tant parce -qu’il exprime le sien que parce qu’il a choisi laborieusement -quelque chose qui le puisse heurter, -et, par contre-coup, lui susciter le secours des -raffinés aux yeux de qui, d’être d’un sentiment -incompréhensible à la foule passa toujours pour le -signe du génie.</p> - -<p>Est-il plus vrai de dire que notre répulsion en -face des formes nouvelles vient nécessairement de -nos habitudes de vision ou, en d’autres termes, -que notre habitude commande impérativement -notre goût,—et que les costumes, les gestes, les -formes monumentales, les engins de la vie, enfin -les œuvres d’art que nous admirons le plus sont -toujours ceux qui existent depuis le plus longtemps?—Nous -voyons le contraire à toute heure. -Nos yeux sont infiniment plus habitués aux formes -de la redingote qu’à celles du burnous des Arabes -et au geste du cocher de fiacre qui fouette son -cheval qu’à celui de l’archer qui ajuste son arme. -Nous sommes plus accoutumés à l’arc bombé répété -des milliers de fois sur nos portes cochères de -Paris qu’à l’arc outrepassé des palais mauresques. -Cependant, si le hasard, en voyage, ou dans une de -nos expositions exotiques, fait apparaître à nos<span class="pagenum"><a name="Page_xxi" id="Page_xxi">[xxi]</a></span> -yeux cette draperie, ce geste, cette forme architecturale, -nous éprouvons une joie esthétique tout -à fait absente devant le costume, le geste et le cintre -accoutumés. L’habitude ne commande donc pas -impérativement notre goût.</p> - -<p>A cela, que peut-on dire? Que nous sommes -enseignés par l’Art à dégager des formes anciennes -ce qu’elles ont «d’esthétique», et que l’Art ne nous -l’a pas encore appris des nouvelles? Quel pauvre -argument, si l’on songe que, depuis trente ans et -plus, nos <i>Salons</i> regorgent de scènes contemporaines, -de portraits, de machines, et que par un -singulier phénomène, plus on les voit, moins on -les aime et plus l’Art s’acharne à substituer la -redingote à la draperie, la locomotive au cheval, -la cheminée d’usine à la flèche gothique, moins il -produit de chefs-d’œuvre et moins il attire notre -attention!</p> - -<p>Car, bien loin que l’habitude conditionne absolument -notre goût, la satiété est précisément la -cause principale de toutes les réactions artistiques. -Et de la beauté de certaines œuvres comme -de la vertu d’Aristide on pourrait dire que le -défaut fut seulement qu’on la vantait depuis trop -longtemps. On a dénoncé maintes et maintes fois -«l’influence de l’habitude»: on ne dénonce jamais -le «goût du nouveau». Il expose à autant d’erreurs<span class="pagenum"><a name="Page_xxii" id="Page_xxii">[xxii]</a></span> -et est la cause d’autant d’injustices. On se -passionne pour un aspect de nature ou d’humanité, -parce qu’il nous apporte une «impression nouvelle». -Plus tard, quand le nouveau est devenu -vieux, quand l’inédit se réédite, quand l’inattendu -est l’inévitable et, pour ainsi dire, le protocolaire, -on s’aperçoit qu’il ne lui suffisait pas d’être «autre» -pour être meilleur, ni d’être plus récent pour être -plus durable que les œuvres consacrées des anciens. -Il ne reste alors de ces œuvres jadis «nouvelles» -que ce que leurs qualités spécifiques en ont maintenu. -Si le tableau est matériellement bien peint, -si la statue est bien modelée, si l’ouvrage est fait -de main d’ouvrier, il reste admiré, quel que soit -son degré de nouveauté—ou de pastiche. Si ces -«visions» démocratiques de faubourgs, de grèves, -de mineurs avec leurs lampes, de chiffonniers, de -gares de chemins de fer et de laminoirs, de Christs -anachroniques eurent un si merveilleux succès, il -y a vingt ans, c’est qu’on n’avait guère osé, auparavant, -les figurer dans l’art. On leur attribua -mille mérites, dont le seul véritable était leur nouveauté. -Aujourd’hui qu’ils n’excitent plus de surprise, -ils n’excitent plus d’admiration. Ce qui -montre assez que le succès tient de nos jours -non pas nécessairement à l’habitude, mais souvent, -au contraire, à la stupéfaction.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_xxiii" id="Page_xxiii">[xxiii]</a></span></p> - -<p>D’où vient, encore, cet autre postulat que «tout -ce qui est réel peut devenir beau» ou qu’«il n’est -pas de forme qui ne recèle une beauté secrète et -dissimulée au vulgaire», et qu’ainsi l’Art doit -adopter docilement, pour les reproduire, toutes les -formes du machinisme actuel?—Il vient d’une -confusion perpétuelle, chez les philosophes, entre -la qualité plastique ou pittoresque des formes ou -des couleurs et leur signification morale ou intellectuelle. -Cette confusion n’est jamais faite par -Delacroix, ni par Topffer, ni par Fromentin, mais -depuis les Esthétiques allemandes jusque dans les -thèses sur l’Art, soutenues, chaque année, à la -Sorbonne, elle se glisse à quelque moment et dans -quelque phrase, et aussitôt le débat dévie. Constamment, -le philosophe réclame pour les engins -que fabrique l’industrie moderne le droit de figurer -dans le grand Art; il annonce qu’il va montrer en -quoi consiste la beauté plastique, pittoresque, de -cet engin et, tout de suite, il oublie qu’il s’agit de -plastique et de pittoresque, pour n’en montrer que -l’intérêt intellectuel ou poétique,—c’est-à-dire ce -qui échappe au sens de la vue ou ce qui peut nous -toucher sans lui. Les argumentations de Guyau -en sont un parfait exemple et la confusion y est -d’autant plus dangereuse qu’elle émane d’un plus -puissant esprit et d’un plus éloquent écrivain. Une<span class="pagenum"><a name="Page_xxiv" id="Page_xxiv">[xxiv]</a></span> -page typique est celle qu’il consacre à la défense -esthétique du «cuirassé» moderne opposé au bateau -à voiles. Les artistes regrettent la tartane, le lougre, -la caravelle, le bateau qui s’inclinait sous le vent -dominé par une immense voilure aux formes -aiguës et glissait sur les vagues comme un oiseau. -Le philosophe leur répond que «les bateaux à -vapeur ont eux-mêmes leur beauté, bien plus, leur -grâce», et il se met en devoir de la leur montrer.—Fort -bien, pensons-nous, il va louer la forme -monumentale du cuirassé vu de face, au repos, -tendant autour de lui toutes sortes de choses -pointues ou recourbées comme des antennes, -le contraste des chaloupes blanches et de sa robe -noire, les jeux du soleil sur les aciers, peut-être sur -les linges qui, parfois, sèchent par milliers, «ces -torchons radieux» qu’exalte la lumière. C’est peu -à opposer aux bateaux à voiles immortalisés par -Van de Velde, par Ziem et par Turner, mais c’est -quelque chose.... Nous lisons la page du philosophe: -rien de tout cela, mais des impressions -dont aucune ne peut être plastiquement rendue: -l’énormité du cuirassé «<i>se meut</i> avec tant d’aisance -qu’elle effraye à peine; tout alentour l’eau bouillonne»—et -ceci c’est la beauté de l’eau—«refoulée, -ajoute-t-il, par une hélice <i>invisible</i>» qui, par -conséquent, échappe au peintre. Il loue encore<span class="pagenum"><a name="Page_xxv" id="Page_xxv">[xxv]</a></span> -les «sifflets, les cris, les hurlements, les rugissements -(comme ceux de la «sirène») qui semblent -les éclats de joie d’un monstre épouvantable -et pourtant docile»,—ce qui peut être -perçu par l’ouïe et ensuite par le raisonnement, -mais nullement par la vue. Enfin, le poète qui est -en lui célèbre la flotte de guerre moderne, «troupe -d’êtres gigantesques dont chacun cache au dedans -de lui des milliers de volontés distinctes, -soumises à la même règle, se confondant dans -le même corps monstrueux, se manifestant par -un seul mouvement d’ensemble, une société -humaine personnifiée qui passe sur la mer en -marche vers des dominations lointaines....» La -page est magnifique et il faut la lire tout entière. -Mais quand on est au bout, l’on n’a point aperçu, -dans le cuirassé, telle beauté de lignes, de formes -ou de couleurs que le sens de la vue puisse -éprouver, ni que l’Art plastique, s’adressant à la -vue, puisse rendre.</p> - -<p>D’où peut venir, chez un aussi pénétrant esprit, -une telle erreur? Elle vient de ce que le philosophe, -si artiste qu’on le suppose, est psychologue, -ou sociologue, ou poète avant d’être artiste. Ouvert -aux jouissances de l’intelligence beaucoup plus -qu’à celles de la sensibilité, attentif aux conditions -des arts non plastiques beaucoup plus qu’à celles<span class="pagenum"><a name="Page_xxvi" id="Page_xxvi">[xxvi]</a></span> -de l’art tout matériel du peintre ou du modeleur, -songeant continuellement au drame ou au poème -lyrique lors même qu’il parle peinture ou sculpture; -posant ainsi pour les arts <i>plastiques</i> des lois qu’il -ne démontrera que par des exemples empruntés aux -arts <i>littéraires</i>, tel est le philosophe contemporain<a name="FNanchor_1_1" id="FNanchor_1_1"></a><a href="#Footnote_1_1" class="fnanchor">[1]</a>.</p> - -<p>Il va se promener dans un vieux quartier de sa -ville: il voit des rues tortueuses, sales, des loques -pendantes au soleil, un chaudron dans une cuisine, -une touffe de pariétaire sur un vieux mur, un -étal de boucher, une flaque d’eau ou un ruisseau -ou un peu d’océan au bout de la ruelle,—choses -admirables et précieuses pour tout artiste et devant -lesquelles, peut-être, si la lumière est glorieuse, on -s’arrêterait une heure en des joies infinies. Il ne -trouve là rien de beau. Il passe. Au bout de cette -vieille ville est un musée. Dans ce musée, il retrouve -peints par Chardin, par Rembrandt, par -Vollon, par Bonvin, par M. Thaulow, quoi donc? -Le même chaudron, le même étal, le même mur, la -même flaque d’eau qu’il a tout à l’heure méprisés. -Et ici, il admire, parce que l’espèce de splendeur -qui était dans le chaudron: ces beaux reflets de -cuivre profonds et nuancés, éclatants comme un -coucher de soleil ou pleins de choses adverses<span class="pagenum"><a name="Page_xxvii" id="Page_xxvii">[xxvii]</a></span> -comme un miroir noir, tout cela est ici dégagé, -souligné,—moindre à des yeux d’artiste que la -splendeur de l’original, mais plus perceptible aux -yeux du philosophe. Il se dit: l’Art peut transfigurer -ce chaudron; me faire admirer cette flaque -d’eau que je n’admirais pas avant: l’Art est grand. -Jusque-là, le raisonneur a raison. Il ne fait qu’enregistrer -une observation qu’il a faite. Mais, aussitôt, -pressé d’établir un principe, il généralise. L’Art -peut <i>tout</i> transfigurer, dit-il; et, dès lors, il va bien -au delà des limites de son observation. Le voici -sorti du musée et entré dans l’usine. Il voit des -roues, des bielles, des cylindres, des tuyaux, des -lignes géométriques rigoureuses, des tons égaux, -répandus sur des surfaces dures et plates. Il y a -là, dans ces engins, des forces mystérieuses et -inouïes emmagasinées. Il y a là de quoi renouveler -la matière, la circulation, les conditions sociales -peut-être, la vie. L’imagination du philosophe -s’exalte: elle évoque tout ce que le monde en -transformation doit à cet engin, à ce cylindre, à -cette roue, à ces écheveaux de fils tordus et roulés -autour de ce fer à cheval. Il pense à tout cela en -sociologue, en poète, et, sans songer aux différents -moyens d’expression qu’emploient les arts intellectuels -et les arts plastiques, il dit: «Voilà un sujet -pour l’Art.» A la vérité, ce cylindre, cette roue, il<span class="pagenum"><a name="Page_xxviii" id="Page_xxviii">[xxviii]</a></span> -ne les trouve pas «beaux», mais il n’a pas trouvé -beaux non plus la loque, le chaudron, l’eau dormante. -Puisque l’Art en a fait des éléments de -beauté, pourquoi n’en ferait-il pas de ces bielles, -de ces roues qui lui procurent des sujets de méditation, -de rêverie humanitaire et sociale qu’il n’a -pas trouvés devant le chaudron? Il n’a pas vu la -«beauté» du chaudron; il voit l’intérêt de la -machine. Or l’artiste a fait une belle œuvre du -chaudron. Donc, à plus forte raison, il peut transfigurer -cette machine. Et le syllogisme est fait. -Pour le philosophe, il est excellent. Pour un artiste, -il ne vaut rien. Il repose sur une confusion entre -la prétendue «laideur» du chaudron, ou du vieux -mur, ou de la loque, ou de l’étal, et la nullité -esthétique de la mécanique. Car le chaudron avait -déjà une infinie beauté pittoresque. Si le philosophe -ne l’a pas vue, l’artiste, lui, ne manquera jamais de -la voir. Tandis que toute cette poésie, cette signification -que le philosophe découvre dans la machine -n’est pas du tout d’ordre plastique ou pittoresque. -L’artiste souvent ne la voit pas et, dans tous les -cas, ne peut pas la faire voir.</p> - -<p>Enfin, le troisième postulat de la critique contemporaine, -infiniment moins arbitraire que les -précédents, est que le goût change selon les races, -les époques, les milieux et que les joies esthétiques<span class="pagenum"><a name="Page_xxix" id="Page_xxix">[xxix]</a></span> -ne sont point déterminées par les mêmes formes -dans tous les temps et dans tous les pays. De là -suit qu’on ne saurait établir de «lois» générales -du Beau. Et l’on aurait tout à fait raison si l’on -disait qu’il y en a fort peu et surtout fort peu de -générales. Il est vrai, par exemple, que les lois -posées par David et son école pour la figure -humaine en réaction contre les nez retroussés, les -visages chiffonnés du <span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup> siècle, étaient bien -arbitraires et, d’ailleurs, elles ne se vérifiaient ni -chez la plupart des anciens maîtres: Rubens, -Vélazquez, Franz Hals, ni chez David lui-même en -ses œuvres réalistes les meilleures, ni chez les -grands artistes qui l’avaient immédiatement précédé. -Elles ne se vérifiaient que dans la statuaire, -et encore dans une certaine statuaire: la grecque; -et encore que dans une époque de la grecque: -celle de Phidias. Mais quand, en réaction de l’école -de David, on a décidé qu’un visage, pour être esthétique, -devait refléter une passion, ou une pensée, -ou une race, ou un état social, on a posé là une loi -qui ne se vérifie par rien du tout. Pareillement, -si l’on enseigna, jadis, que le nu seul était beau -et que le grand Art ne pourrait jamais s’affirmer -dans le traitement des costumes vulgaires et habituels, -ou encore que le seul véritable artiste était -celui qui pouvait traiter le nu—principe toujours<span class="pagenum"><a name="Page_xxx" id="Page_xxx">[xxx]</a></span> -adopté, pour les concours de Rome dans notre École -des Beaux-Arts,—on a émis là une évidente erreur -et que l’exemple de bien des chefs-d’œuvre décèle -à première vue. Mais si, pour réagir contre ce principe, -on nous vient dire que tout paletot inventé -par un tailleur vaut le nu et le drapé parce qu’il -reflète un «état social» ou un «goût contemporain», -et que le grand Art tient dans l’expression -de cet état et non dans l’expression d’une forme elle-même -variée et harmonieuse, comme celle du corps -humain, ou, encore, qu’il y a autant de puissance -dans la peinture d’un veston, d’un fauteuil, d’un -rideau, d’un chapeau que dans une académie de -Rubens, et qu’ainsi l’étude du nu ou de l’académie -ne sert de rien au peintre, on émet, là, une contre-vérité -artistique. Ou si quelque artiste l’a jamais -exprimée, dans une boutade d’atelier, il a simplement -voulu se divertir ou voir jusqu’où pourrait -aller la crédulité des philosophes.</p> - -<p>Enfin, si en dégoût de l’étalage myologique des -imitateurs de la Renaissance, de ces grands dentelés, -grands obliques, ces muscles saillants, ces -boules, ces «sacs de noix» qu’on a trop longtemps -exhibés dans les tableaux d’académies, -on prêche la «simplification» et la «synthèse», -on a raison, d’autant que, dans la Nature, ces -rouages du corps humain sont à peine visibles.<span class="pagenum"><a name="Page_xxxi" id="Page_xxxi">[xxxi]</a></span> -Mais donner à des fautes de dessin le nom de «simplifications» -ou à des indigences de couleurs le nom -de «synthèses», admettre que le modelé ne soit -même pas indiqué, sous prétexte d’«évocation» -et de «vision personnelle», c’est seulement revêtir -de vocables philosophiques les ignorances techniques -les plus communes et signer «sagesse» ce -que l’impuissance a écrit. De ce que telles «lois -du Beau» reçues autrefois à l’école fussent arbitraires, -exagérées ou néfastes, il ne s’ensuit pas -nécessairement qu’il n’y ait pas de conditions de -vie particulières à l’Art plastique ou, si l’on veut, -des nécessités.</p> - -<p>Ces conditions, on les retrouve respectées dans -toute la suite des chefs-d’œuvre. Quelle que soit la -diversité des écoles, des arts, des races et des idéals, -certaines œuvres ont une perfection technique qui -les sauve et qui réunit, autour d’elles, peu à peu, -avec le temps, tous les suffrages. Cela n’arrive pas -du premier coup. Ce qui s’impose du premier coup, -c’est la Mode, non la Beauté: la Mode dont le double -et précis caractère est d’être impérative et d’être -éphémère, de s’imposer à tous et de ne s’imposer -que pour peu de temps, tandis que le Beau est -facultatif et éternel; il ne s’impose d’abord qu’à -quelques-uns, mais il continue à s’imposer toujours.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_xxxii" id="Page_xxxii">[xxxii]</a></span></p> - -<p>Il est vrai que la mode, le goût d’une époque et -surtout chez ceux qui ne sont pas artistes et qui -cherchent dans l’art autre chose que ses qualités -spécifiques, peut faire dédaigner, momentanément, -telle ou telle œuvre, telle ou telle beauté. La constatation -qu’il en a été souvent ainsi, dans l’Histoire -de l’Art, la surprise et la découverte de certaines -époques et écoles primitives trop méprisées -jadis—et, en vérité, trop admirées aujourd’hui,—dominent -la critique d’art contemporaine. Elle -en tire des déductions hâtives. Mais un fait beaucoup -plus constant s’observe dans l’Histoire de -l’Art: c’est le retour de l’admiration vers les -œuvres jadis admirées; c’est la consécration lente -mais sûre de certaines œuvres, les mêmes, et leur -universalité. Tandis que les œuvres médiocres au -point de vue spécifique ont disparu par milliers, -celles où il y avait quelque qualité de matière: -justesse de dessin, puissance de couleur ou harmonie,—ont -survécu. Notre jugement varie -beaucoup sur «l’esprit» d’un tableau, très peu -sur sa «matière». Si peu que nous considérions, -en ce moment, les Carrache, ou le Bernin, ou le -Guide, ou le Caravage, quel est l’artiste qui, en -toute sincérité, nierait leur puissance et leur -beauté? Et bien qu’on soutienne que Cimabué, ou -<span class="pagenum"><a name="Page_xxxiii" id="Page_xxxiii">[xxxiii]</a></span>Giotto, ou les sculpteurs français du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle sont -supérieurs à toute la Renaissance, qui voudrait -sacrifier la Renaissance à cet engouement passager? -Quant à certains maîtres comme Velazquez, -comme Rembrandt, comme le Titien, comme Léonard, -comme Rubens, comme Van Dyck, comme -Franz Hals, quant aux grandes œuvres comme -celles de la statuaire grecque, est-il vraiment des -artistes, à aucune époque, qui sincèrement les -aient tout à fait méprisés? Il faut se défier extrêmement, -en un pareil débat, des excommunications -prononcées ou des étiquettes adoptées par -les artistes, dans un moment de lutte, ou des boutades -d’atelier enregistrées par les biographes. -«Nous n’avons jamais nié au fond, écrivaient les -Préraphaélites, qu’il y eût un art grand et sain -chez Raphaël, et chez ses successeurs». Un élève -d’Ingres lui ayant demandé ce qu’il pensait de -Delacroix, le maître lui dit: «C’est un homme de -génie, mais n’en parlez pas,» et M. Bordes-Lassalle -ayant rapporté ce propos à Delacroix, en lui -demandant ce qu’il pensait d’Ingres, le maître lui -répondit en riant: «C’est un homme de talent, -mais n’en dites rien.» Exacte ou controuvée, cette -anecdote peint le vrai sentiment des artistes, pour -les plus puissants d’entre eux, tel qu’il s’exprime, -dans la solitude de l’atelier, lorsque nul thuriféraire -n’écoute aux portes. Sans doute, Velazquez<span class="pagenum"><a name="Page_xxxiv" id="Page_xxxiv">[xxxiv]</a></span> -n’était pas, il y a cinquante ans, dans les -ateliers, le dieu qu’il est aujourd’hui et qu’il ne -sera peut-être plus demain, et longtemps le <i>Laocoon</i>, -célébré par Lessing, a été préféré à l’œuvre -présumé de Phidias. Ces maîtres ont eu des -hauts et des bas extraordinaires. Dans ce crible -que secoue la Mode aux mains puissantes, ils -sont fort ballottés. Mais l’important n’est pas là. -L’important est qu’ils restent tous du bon côté du -crible,—tandis que le fretin passe au travers, -devient poussière et se disperse au vent.</p> - -<p>Il y a donc des «beautés» sur lesquelles le sentiment -des différentes générations concorde et des -maîtres sur lesquels il s’accorde, et de la sorte, -s’il est vrai de dire que le goût change, il l’est tout -autant d’affirmer que le même instinct du beau -se perpétue. En le niant, la réaction contre les -anciennes lois esthétiques est allée trop loin. Elle -a dépassé de beaucoup les limites de ses observations -et de ses expériences. On avait affirmé sans -preuves: elle a nié sans contre-épreuves. On avait -embarrassé l’Art de routines; elle a contesté qu’il -y eût des conditions vitales et des expériences à -respecter. Enfin, tout en soutenant qu’il n’y a pas -de lois en Art, elle en a promulgué de très sévères -et de très impératives. Ces lois de l’Esthétique -contemporaine, ou, si l’on veut, ces tendances<span class="pagenum"><a name="Page_xxxv" id="Page_xxxv">[xxxv]</a></span> -ou ces postulats n’ont jamais fait l’objet d’une -démonstration positive. On peut, sans trop de -témérité, refuser d’y sacrifier son goût personnel, -la lumière qui éclaire chacun de nous. Comment -donc juger des faits et des œuvres de la vie -actuelle? Peut-être le pourrions-nous avec beaucoup -moins de philosophie et de sociologie et un -peu plus de confiance en notre goût instinctif.</p> - -<p class="pc2 mid">III</p> - -<p class="p2">Juger avec son goût instinctif, cela veut-il dire -aborder l’œuvre d’un maître sans aucune préparation, -sans rien savoir de ce maître, de sa vie, de -son milieu, de son époque, ni rien avoir vu de ses -autres œuvres, ni de celles qui l’ont inspirée? Cela -veut-il dire que l’œuvre doive être prise intrinsèquement, -sans aucune considération de son sujet, de -sa signification historique, ou morale, ou légendaire, -ou sociale?</p> - -<p>Ici, nous devons nous garder de confondre deux -choses: la jouissance qu’on peut prendre à une -œuvre d’art et le jugement qu’on doit en porter. -Pour en jouir, un grand nombre d’idées n’est -jamais nuisible et il se peut qu’il soit utile; pour -en juger, une seule suffit ou plutôt un seul sentiment;<span class="pagenum"><a name="Page_xxxvi" id="Page_xxxvi">[xxxvi]</a></span> -le «sentiment esthétique» et tout le -reste: rapprochements historiques, significations -morales ou sociales, non seulement n’aide pas à -en juger, mais peut, jusqu’à un certain point, -entraver la liberté du goût et égarer le jugement.</p> - -<p>Par là, on voit combien il faut se défier de la -critique d’art dite «littéraire», qui remplace la -délicatesse des sensations par la subtilité des -idées, la poésie des formes et des nuances par la -poésie des mots et qui les confond de telle sorte -qu’un philosophe paraît avoir des sensations délicates -lorsqu’en réalité ce sont ses idées qui sont -subtiles, et qu’habile à différencier les moindres -nuances d’une pensée, il embrouille les divers -tons d’une couleur ou les différentes phases d’un -geste. Je dis qu’il faut s’en défier, non pas quand -on veut <i>jouir</i> d’une œuvre d’art, mais quand on -veut en <i>juger</i>. Quant on veut en jouir, en effet, -quoi de plus naturel, quoi même de plus nécessaire -que d’en saisir les moindres affinités, les -plus subtiles intentions, que d’appeler et de rassembler -autour d’elle toutes les idées, tous les souvenirs -qui peuvent nous y attacher? Aussi, quand -il arrive à quelque philosophe de trouver de -belles significations et de profonds symboles aux -œuvres des peintres ou des sculpteurs, comment -pourrait-on le lui reprocher? On dit que ceux-ci<span class="pagenum"><a name="Page_xxxvii" id="Page_xxxvii">[xxxvii]</a></span> -ne les y ont pas mis? Mais qu’importe, si on les -trouve? Et qui a jamais reproché à Moïse d’avoir -fait jaillir une source là où il n’y avait qu’une -terre aride et desséchée?</p> - -<p>Mais si le philosophe fait de son interprétation -à lui la qualité de l’œuvre qu’il interprète, s’il -élève son impression toute subjective à la dignité -de caractère objectif de l’œuvre, si, en un mot, il -estime l’œuvre plus ou moins, en raison du plus ou -moins de pensées qu’elle lui a inspirées, c’est alors -qu’il nous égare et qu’il faut nous défier de lui. Car -un ingénieux philosophe, un exquis poète peuvent -tirer de très belles inspirations d’une œuvre très -médiocre, tandis qu’une très belle matière peut ne -rien leur inspirer du tout. Giotto ou Cimabué ont -inspiré plus de belles pages que Franz Hals ou -Velazquez. La beauté d’une description ou d’un -commentaire n’est nullement en raison directe de -la beauté de l’objet décrit ou expliqué. On peut -même dire, en thèse générale, que plus un -«motif», plus un sentiment, plus une pensée est -rendue avec éloquence par la littérature, moins -elle peut l’être par l’Art plastique. «La langue qui -parle aux yeux, a dit Fromentin, n’est point celle -qui parle à l’esprit.» Et qu’ainsi, demander à -l’Art les mêmes impressions qu’à la littérature, -c’est proprement lui demander ce qu’il ne peut pas<span class="pagenum"><a name="Page_xxxviii" id="Page_xxxviii">[xxxviii]</a></span> -donner ou ce qu’il ne peut donner sans contrainte, -sans affectation ou absurdité.</p> - -<p>«Un jour, raconte Stendhal, un grand seigneur -russe pria le peintre de la cour de lui faire le portrait -d’un serin qu’il aimait beaucoup. Cet oiseau -chéri devait être représenté donnant un baiser à -son maître, qui avait un morceau de sucre à la -main: mais on devait voir dans les yeux du serin -qu’il donnait un baiser à son maître, par amour, -et non point par le désir d’obtenir le morceau de -sucre.» Voilà de l’Art suggestif, de l’art intentionniste.—Suggestif -d’une sottise ou d’un enfantillage? -Soit. Mais l’enfantillage tient moins encore -dans la chose à suggérer que dans le désir de -suggérer par l’Art une chose que dix mots expliquent -beaucoup mieux. Et il faut prendre garde -que ce désir ne soit aussi vain lorsqu’il s’agit de -signifier le bienfait de la mort ou la fraternité -humaine que lorsqu’il s’agit de montrer le dévouement -désintéressé d’un serin.</p> - -<p>Envisageons un sentiment plus haut: celui de -l’amitié et qui a inspiré un de nos plus grands suggestifs: -Poussin. Prenons le <i>Testament d’Eudamidas</i>. -Eudamidas, vieux soldat de Corinthe, allait -mourir laissant après lui sa mère et sa fille,—et -point de fortune. Mais si Eudamidas n’avait point -d’argent, il avait deux amis: Charixène et Arété.<span class="pagenum"><a name="Page_xxxix" id="Page_xxxix">[xxxix]</a></span> -Confiant en leur amitié, il imagina de léguer sa -mère au premier et sa fille au second, avec mission -de nourrir l’une et de marier l’autre avec une aussi -grosse dot qu’on pourrait lui donner. Poussin lut -ce trait chez Lucien, le trouva beau et, comme il -pensait que la peinture doit exprimer de fortes -pensées, il en fit un tableau: <i>le Testament d’Eudamidas</i>. -Dans ce tableau, le soldat de Corinthe est -représenté étendu sur son lit. Le médecin, la main -sur le cœur du malade, est là, observant les approches -de la mort. La mère et la fille pleurent: c’est -très touchant, mais cela ne nous montre qu’une -mort et non pas la <i>confiance en l’amitié</i>.... Alors, -pour l’exprimer, Poussin a introduit une cinquième -figure, essentielle, la figure symbolique: un notaire. -Il écrit les dernières volontés. Et c’est à l’expression -de ce notaire que nous devons de comprendre -le legs du mourant. Et, encore, devons-nous saisir -ce trait.—Que si l’un des deux amis, Charixène -ou Arété, vient à mourir, le confiant Eudamidas -dispose que le legs qu’il lui fait—c’est-à-dire la -charge dont il l’honore,—revient au survivant. Et -il faut que nous voyons sur toutes ces figures que -le guerrier ne doute pas un instant que sa confiance -soit bien placée.</p> - -<p>Que de choses dans l’expression d’un notaire! -Moins encore, cependant, ou moins contradictoires<span class="pagenum"><a name="Page_xl" id="Page_xl">[xl]</a></span> -que celles admirées par les philosophes dans -la fameuse <i>Médée</i> de Timmomaque. Timmomaque, -raconte Pline, avait peint une <i>Médée massacrant -ses enfants</i>. Ce qu’il y avait d’admirable dans ce -tableau, c’est que l’artiste avait exprimé, dans le -même visage, à la fois la fureur de la femme qui -tuait ses enfants et la tendresse de la mère qui les -regrettait. Et comment y était-il parvenu? Il y était -parvenu, dit l’Histoire, en donnant à la figure un -œil féroce et un œil attendri; en sorte, ajoute l’historien, -que «la fureur paraissait dans la pitié et la -pitié dans la fureur....»</p> - -<p>C’est l’exagération, pensera-t-on peut-être, qui -nous choque ici.—Mais l’exagération d’une vertu, -en Art, ne nous choquerait pas!—Peut-être, -dira-t-on qu’il n’est rien qui, poussé à l’extrême, -ne puisse devenir absurde?... Mais si! Il y a les -<i>qualités spécifiques</i> de cet Art. Un tableau ne peut -jamais être trop harmonieux, une statue trop bien -proportionnée, un monument trop bien équilibré -ou trop imposant; une succession de couleurs ne -peut jamais être trop délicate, un passage de -lumière jamais trop subtil, une synthèse de traits -jamais trop sobre, ni trop juste, et s’il y a exagération -en quelqu’une de ces qualités esthétiques, -cette exagération deviendra facilement une caractéristique -et une beauté.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_xli" id="Page_xli">[xli]</a></span></p> - -<p>Qu’il y ait exagération dans la force myologique,—tant -mieux, ce sera Michel Ange! dans la fraîcheur -et la beauté du sang,—tant mieux, ce -sera Rubens! dans le mystère du clair-obscur,—tant -mieux, ce sera Rembrandt! exagération dans -l’analyse subtile, inquiète des moindres frémissements -d’indéfinissables teintes rompues sous la -lumière,—tant mieux ce sera Watteau! exagération -dans l’importance donnée au trait sobre et juste,—tant -mieux, ce sera Ingres! exagération dans -les jeux splendides mais fugitifs du soleil et de -l’atmosphère chargée de vapeurs humides,—tant -mieux, ce sera Turner! Et dans chacune de ces -qualités spécifiques, même exagérées, de ces -expressions esthétiques, même outrées, il y aura -une source de beauté. Car plus on développe et -l’on pousse à l’extrême une vertu <i>propre à l’Art</i>, -plus on fait un chef-d’œuvre dans cet Art.</p> - -<p>On voit donc bien la différence: insistance dans -le symbolisme, dans la suggestion, c’est-à-dire dans -les qualités morales ou sociales de l’Art,—source -de ridicule.</p> - -<p>Insistance dans l’harmonie, la précision, la délicatesse, -le mouvement, qualités spécifiques de -l’Art,—source de beauté.</p> - -<p>Qu’est-ce à dire, sinon que nous possédons là, -le signe, la pierre de touche nécessaire pour juger<span class="pagenum"><a name="Page_xlii" id="Page_xlii">[xlii]</a></span> -les œuvres d’art et que les qualités à considérer, -avant tout, dans l’Art, sont évidemment celles qui -ne peuvent jamais y être trop marquées, être trop -puissantes, être trop ressenties. Celles, au contraire, -qui deviennent facilement des défauts: -symboles, prédictions morales et sociales, enseignements -historiques, sont des qualités purement -accessoires, ou ne sont pas des qualités du tout.</p> - -<p>Envisageons, maintenant, les deux hypothèses -les plus simples: une œuvre d’art nous plaît, une -œuvre d’art nous déplaît.</p> - -<p>Ceci nous plaît.... Oui, mais pour combien de -temps? Ne vous est-il jamais arrivé de changer de -sentiment sur un édifice, sur un tableau, sur un -costume, sur un opéra? Une toilette qui plaisait il -y a vingt ans, plaît-elle autant aujourd’hui? Une -symphonie, une «romance» qui vous parut pénétrante -la première fois que vous l’entendîtes, n’a-t-elle -pas un peu perdu de charme la centième fois -que la meilleure <i>diva</i> l’a restituée à vos oreilles? -Et, cependant, si vous avez aimé les <i>Pèlerins d’Emmaüs</i> -de Rembrandt, il y a vingt ans, il y a trente -ans, les aimerez-vous moins aujourd’hui que vous -les connaissez mieux? Vous les aimerez davantage -et davantage vous aimerez une belle symphonie de -Beethoven! Il y a donc des goûts dont on change -et il y a des goûts dont on ne change pas. Il y a<span class="pagenum"><a name="Page_xliii" id="Page_xliii">[xliii]</a></span> -donc des œuvres qui plaisent du premier coup et -qui déplaisent à la longue et il y en a d’autres qui, -à la longue, plaisent davantage et dont le charme -se dégage indéfiniment. Ce n’est donc pas tout de -savoir si une œuvre d’art nous plaît: il faut encore -savoir à quoi elle plaît en nous: si c’est à un goût -passager fait de curiosités éphémères, ou bien si -elle répond à ce qu’il y a de plus profond en nous -et de plus sincère, de plus naïf dans notre admiration -et de plus permanent dans notre humanité.</p> - -<p>Or qu’est-ce qui peut nous égarer un instant et -nous tromper sur la spontanéité de notre joie et -sur la fidélité ou la durée de notre adhésion?—Bien -des choses, et les plus sages d’entre nous, les -mieux avertis, les plus artistes peuvent s’y tromper. -Voici Ingres, par exemple. «Un jour, raconte un -de ses biographes,—c’était à l’époque de son premier -voyage en Italie,—Ingres s’était épris, avec la -passion qu’il apportait en toutes choses, des fresques -de Luca Signorelli, dans la cathédrale d’Orvieto. -Malgré les incorrections de détail et les -bizarreries d’un style aussi peu conforme encore -au style des chefs-d’œuvre prochains de la Renaissance, -que dépourvu de la beauté antique, ces -peintures, qu’il voyait pour la première fois, lui -apparaissaient comme de vrais modèles, dignes de -la plus minutieuse étude. Il voulait se les approprier<span class="pagenum"><a name="Page_xliv" id="Page_xliv">[xliv]</a></span> -tous, s’installer dans l’église, au moins pour -une semaine, avec l’élève qui l’accompagnait alors, -et ne quitter la place que lorsqu’il aurait dessiné -jusqu’à la dernière figure, recueilli jusqu’au -moindre élément d’information. Le lendemain, en -effet, il accourt armé de son portefeuille et de ses -crayons, et le voilà au travail.... Au bout d’une -heure, l’enthousiasme de ses paroles et de ses -regards avait cessé. Il ne disait plus mot, détournait -la tête, s’agitait à tout moment sur sa chaise -et comme son élève, étonné de ces distractions et -de ce silence, lui demandait s’il admirait moins ce -qu’il avait sous les yeux.... «Oh! si fait! répondit -Ingres: c’est beau, c’est très beau, mais... c’est -laid, c’est très laid! Et puis, tenez, moi, je suis -un Grec.... Allons-nous-en!»—Quelques instants -après, il quittait Orvieto, oubliant aussi volontiers -Luca Signorelli, qu’il s’était passionné pour lui, -la veille.»</p> - -<p>Qu’est-ce à dire? Qu’Ingres ne fût pas sincère? -Il était sincère. Qu’il fût dominé par l’habitude? -Son premier mouvement avait été, au contraire, -le goût de la nouveauté. Que, sincère et libre, il -n’eut pas une connaissance suffisante de son métier? -Qui l’aura?... Ou cela ne veut-il pas dire plutôt -qu’il n’avait pas éprouvé assez son impression et -qu’il ne suffit pas d’avoir bon goût, d’être libre,<span class="pagenum"><a name="Page_xlv" id="Page_xlv">[xlv]</a></span> -de savoir le métier: il faut encore éprouver son -impression.</p> - -<p>Il faut, d’abord, se demander si l’enthousiasme -que nous ressentons est un enthousiasme positif -ou s’il est négatif, c’est-à-dire si nous aimons une -œuvre d’Art, une mode, une apparition vivante -pour la vision qu’elle nous apporte ou pour celle -dont elle nous débarrasse, pour sa beauté nouvelle -que nous admirons ou bien simplement pour sa -réaction contre un idéal vieilli que nous n’admirons -plus. Celui qui a dit:</p> - -<p class="pp6 p1">Qui nous délivrera des Grecs et des Romains?</p> - -<p class="pn1">était évidemment prêt à admirer une œuvre d’art -pour cela seul qu’elle échapperait à l’obsession de -l’Antiquité. Constamment, en effet, un succès n’est -dû qu’à un besoin de réaction. Par réaction contre -le Réalisme, on se jette dans le Symbolisme le plus -suggestif. Par réaction contre le Symbolisme qui -signifie trop de choses, on se jette dans l’Impressionnisme -qui n’en signifie plus assez. Par réaction -contre l’Impressionnisme, où nous allons nous -jeter? Assurément dans quelque «manière», dont -la première qualité sera de restituer une chose -que l’Impressionnisme aura proscrite. C’est là -le secret de certains engouements qui, autrement, -seraient inexplicables. «Les femmes, à l’église,<span class="pagenum"><a name="Page_xlvi" id="Page_xlvi">[xlvi]</a></span> -a écrit Mme de Girardin, ont toujours l’air de -prier contre quelqu’un.» On peut dire, qu’en -Art, les grands succès qu’on fait, passagèrement, -à une école sont faits <i>contre</i> une autre école, dont -on est fatigué.</p> - -<p>Plus tard, lorsque le besoin de réaction est satisfait, -on revient à un sentiment plus juste; le goût -s’exerce plus librement. Or ces besoins de réaction, -qui influencent notre jugement, ne sont pas les -mêmes selon les générations. Ils sont contradictoires. -Ils font osciller la balance tantôt trop d’un -côté, tantôt trop de l’autre. Ce n’est qu’à la longue -que la moyenne s’établit: la <i>Moyenne</i>,—c’est-à-dire -le jugement du goût personnel, de votre goût, -seulement de votre goût libéré de la Mode, de -votre goût sans réaction, de votre goût positif, -universel et permanent. C’est vers cette moyenne -qu’il faut tendre si l’on veut juger, à fond et pour -l’avenir, d’une œuvre d’Art.</p> - -<p>De même qu’il faut prendre garde que le sentiment -soit trop passager, il faut prendre garde qu’il -soit trop personnel, trop individuel, comme, par -exemple, le souvenir d’un pays que l’on a vu sous -une impression de joie intérieure, la figuration -d’une idée qu’on a faite la compagne de sa vie ou -d’un fait qui est entré dans notre destinée. De ce -nombre, sont la plupart des sujets historiques passionnants<span class="pagenum"><a name="Page_xlvii" id="Page_xlvii">[xlvii]</a></span> -pour les gens d’un seul pays, d’une seule -époque et souvent d’une seule opinion, mais indifférents -à tous les autres. Un sujet, par exemple, -qui intéresse vivement certains Anglais est celui de -John Knox prêchant devant les Lords de la Congrégation -le 10 juin 1550. Toutes les fois qu’on -peindra ce sujet, en Angleterre, on est sûr de soulever -un vif enthousiasme. C’est que de cette prédication -date une ère de réformes et de persécutions -pour l’église anglicane. Pour nous, qui -n’avons pas les mêmes raisons d’être émus, si nous -allons à la <i>National Gallery</i> et si nous voyons le -<i>John Knox</i> de Wilkie, nous ne prenons garde qu’à -la façon dont il est peint, et comme il l’est fort mal, -nous n’éprouvons aucune émotion. Les autres, un -Turc, un Russe, feront de même. Et, même en -Angleterre, lorsque John Knox sera tout à fait -oublié, ce tableau ne fera plus d’impression à personne.—Tandis -que les galeries de Florence, de -Venise, de Cologne, de Bruges, d’Amsterdam, -sont pleines de tableaux dont les sujets sont oubliés -depuis longtemps: scènes d’histoire, dont le récit -est indéchiffrable; légendes, dont l’intention nous -échappe; mythes, dont le sens est perdu; miracles, -dont on ne trouve pas trace dans les vies des -Saints; portraits enfin, portraits de femmes inconnues -dont le nom a duré moins que le sourire,<span class="pagenum"><a name="Page_xlviii" id="Page_xlviii">[xlviii]</a></span> -portraits d’enfants dont on n’a jamais su le nom, -comme ceux de Murillo à Munich, et qui, cependant, -après trois siècles écoulés, oubliés de tous et -de tous inconnus, enchantent encore les imaginations -les plus diverses et les plus lointaines.</p> - -<p>Il peut donc y avoir à notre impression des -causes très différentes et assez faciles à démêler: -les unes toutes personnelles, toutes locales, qui -tiennent seulement au <i>sujet</i>, les autres universelles -qui ne tiennent qu’à la manière dont le sujet est -traité. Ce sont ces dernières seules qui comptent,—non -pas quand il s’agit de prendre du plaisir à -l’Art, mais quand on veut en juger. Assurément -s’il s’agit d’y prendre du plaisir, rien ne nous en -donnera un si subtil ni si particulier que ce que -nous croirons y découvrir tout seuls ou ce qui -nous semblera y avoir été mis pour nous seuls. Mais -s’il s’agit de porter sur cette œuvre un jugement -qui soit compris par les autres, ou de comprendre -celui que les autres ont porté, alors il faut laisser -tomber ce qui dans notre impression est le plus -individuel, le plus personnel, et, au contraire, en -recueillir ce qu’il y a en elle de plus altruiste, de -plus universel.</p> - -<p>Qu’est-ce donc qui est le plus universel? Qu’est-ce -qui émeut toutes les âmes artistes? C’est la -beauté spécifique de l’Art: c’est ou la qualité de<span class="pagenum"><a name="Page_xlix" id="Page_xlix">[xlix]</a></span> -la sensation colorée, ou celle de la ligne, ou celle de -la densité ou du relief, ou celle de la puissance et -de la souplesse de mouvement. Il n’est pas besoin -pour les ressentir d’être de tel pays, de telle époque, -de telle condition sociale. C’est la langue universelle -parlée par tous, entendue par tous. Si ces -qualités-là y sont, l’œuvre qui nous a plu est belle.</p> - -<p>Envisageons maintenant la seconde hypothèse: -l’œuvre nous déplaît. Cela suffit, pensez-vous -peut-être comme William Morris qui disait: «Ce -qui est laid, c’est ce qu’on n’aime pas». Non, cela -ne suffit pas. Encore faut-il savoir à quoi elle -déplaît en nous, si c’est réellement à notre goût, -à notre sentiment esthétique: si elle contrarie notre -vision directe de la nature ou de la vie, ou bien si -ce ne serait pas à une idée préétablie, à une habitude -prise, à une éducation reçue, à une formule, -à un type que nous avons accoutumé d’admirer et -auquel nous rapportons, inconsciemment, tout ce -que nous voyons de nouveau. Par exemple, sir -George Beaumont entre un jour dans l’atelier de -Constable, qui venait d’achever un paysage, le -regarde en connaisseur qu’il était et lui dit: «Oui, -c’est très bien,... mais je ne vois pas votre petit -<i>arbre brun</i>.... Où allez-vous mettre votre petit -<i>arbre brun</i>?» Or il n’y avait pas de petit arbre -brun dans le coin de nature interprété par Constable,<span class="pagenum"><a name="Page_l" id="Page_l">[l]</a></span> -mais, à cette époque, il était entendu qu’il -fallait toujours, au premier plan, un petit arbre -brun, ou une souche, ou une racine noire. C’était -une habitude entrée tellement dans la vision des -amateurs, que s’ils ne voyaient pas le premier plan -pourvu de ce sombre appendice, ils ne reconnaissaient -pas un signe des tableaux de maîtres, et ils -étaient choqués.</p> - -<p>C’est cette habitude, cette intoxication, pourrait-on -dire, du brun, du noirâtre, de la couleur ambrée -qui a fait repousser les impressionnistes quand ils -ont paru. On s’est écrié: «Qu’est-ce que ces -ombres violettes? Les ombres ne sont pas violettes! -Les ombres sont brunes.» Sans entrer, pour le -moment, dans l’examen des théories impressionnistes, -on peut dire que les ombres ne sont certainement -pas, au moins en plein air, brunes comme -on les peignait avant eux. Ce n’était nullement une -loi de nature: c’était une simple habitude prise à -regarder les tableaux jaunis et noircis des maîtres. -Et, alors, devant des essais beaucoup plus justes, -on était choqué, on criait au scandale. «Le terreux -et l’olive, dit Delacroix, ont tellement dominé -leur couleur que la nature est discordante à leurs -yeux avec ses tons vifs et hardis.»</p> - -<p>Comment donc s’y prendre, quand une œuvre -imprévue, une technique nouvelle vient étonner<span class="pagenum"><a name="Page_li" id="Page_li">[li]</a></span> -la vision que les œuvres anciennes nous ont donnée -de la nature? Comment discerner si c’est une tentative -légitime, une vision juste,—ou une gageure, -une erreur ou une folie? Tout simplement en le -demandant au modèle lui-même, à la grande inspiratrice: -en consultant la Nature et en lui -comparant, en collationnant, pour ainsi dire, -avec elle, l’interprétation nouvelle qu’on veut nous -en imposer. On dit: Tous les goûts sont dans la -Nature. Soit. Mais toutes les nouveautés y sont -aussi. «Le réalisme, dit Delacroix, est la grande -ressource des novateurs, dans les temps où les -écoles alanguies, pour réveiller les goûts blasés -du public, en sont venues à tourner dans le cercle -de leurs inventions. Le retour à la Nature est proclamé, -un matin, par un homme qui se donne pour -inspiré.» C’est la loi de toutes les révolutions -esthétiques. Il faut donc y retourner aussi pour -juger d’un nouvel effort. D’ailleurs, quand paraît -un mot nouveau, une expression inconnue, que -faisons-nous pour en juger? Par exemple, le mot: -<i>ensoleiller</i>, le mot: <i>papillonner</i>, le mot: <i>mondial</i>? -Irons-nous comparer l’expression nouvelle à celles -qui existent déjà et voir si elle leur ressemble? Ou -n’irons-nous pas plutôt la comparer à la pensée et -voir si elle la rend? Devrons-nous chercher dans -un dictionnaire et, si nous ne l’y trouvons pas,<span class="pagenum"><a name="Page_lii" id="Page_lii">[lii]</a></span> -dire: c’est une expression mauvaise; il ne faut -pas l’accepter! Ou ne devrons-nous pas chercher -dans la pensée si la nuance que rend le mot y -existe, et si cette nuance existe et si l’on n’a pour -la rendre encore aucun mot, ne dirons-nous pas -qu’il est légitime de l’employer? Or comparer -l’expression nouvelle à la pensée, en littérature, -c’est, en Art, comparer la vision nouvelle à la -Nature,—qui est peut-être une pensée infinie.</p> - -<p>Ainsi, pour juger d’une œuvre d’art, d’une forme -nouvelle dans la vie, un seul guide: le goût.</p> - -<p>Mais le goût libéré des associations d’idées et de -l’habitude.</p> - -<p>Or le goût ne se libère des idées que s’il s’attache -aux qualités spécifiques de l’art, parce que, seul, -il peut les sentir.</p> - -<p>Il ne se libère de l’habitude que s’il se retrempe -dans la contemplation de la Nature parce que, -seule, elle contient toute nouveauté.</p> - -<p>Juger avec son goût; le goût s’exerçant sur les -qualités spécifiques; ces qualités étant considérées -dans leur rapport avec la Nature;—toute la -méthode pour juger d’une œuvre d’art ne serait-elle -pas là?</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_liii" id="Page_liii">[liii]</a></span></p> - -<p class="pc2 mid">IV</p> - -<p class="p2">Telle est la méthode appliquée dans les essais qui -vont suivre. Dans aucun d’eux, l’auteur ne prend -parti contre le goût instinctif de la foule; mais -dans tous, il essaie de libérer ce goût des habitudes -de la vision et de le mettre en garde contre les -sophismes du raisonnement. Si l’on condamne, -de prime abord, la forme grêle des ponts métalliques, -il demande un second examen. Il examine si -ce n’est point l’accoutumance aux formes massives -de la pierre qui nous empêche d’admirer la fine trajectoire -du fer. Si l’on refuse de voir dans les meilleures -œuvres de Monet ou de Sisley des effets justes -rendus avec puissance, le lecteur est simplement -sollicité d’observer s’il ne s’est point fait les yeux -aux tonalités chaudes et cuites des anciens paysagistes,—et -si, en s’efforçant de voir la nature -avec des yeux neufs, en considérant les champs -par le plein soleil, il ne retrouve pas plutôt les tons -de Claude Monet que ceux de Claude Lorrain. Et, -ainsi, la beauté de certaines choses nouvelles -apparaît, pour peu qu’on laisse décider le goût, -sans l’obsession des modèles anciens et des souvenirs.</p> - -<p>Mais, d’autre part, l’auteur ne pousse pas si<span class="pagenum"><a name="Page_liv" id="Page_liv">[liv]</a></span> -loin la méfiance de cette obsession ou de ces -souvenirs qu’elle le détourne de son instinct, -lorsqu’il s’élève avec persistance contre une chose -nouvelle. Si donc, sacrifiant son goût instinctif et -son impression sensorielle à quelque raisonnement, -le lecteur se croit tenu d’admirer le vêtement géométrique -moderne ou les maisons de rapport de -vingt étages, «parce qu’il n’y a pas de formes laides -en soi» et «dont l’Art ne puisse tirer parti»,—ou -s’il condamne, malgré qu’il les trouve belles, -certaines photographies de tout point semblables à -des mezzo-tintes ou à des fusains, «parce que la -nature n’y est pas vue à travers un tempérament»,—l’auteur -demande la permission d’examiner ce -que valent ces deux propositions philosophiques:—s’il -est bien vrai que l’Art ait jamais tiré parti -de la laideur géométrique ou s’il est bien sûr qu’il -n’y ait point, dans certaines photographies, «intervention -d’un tempérament». Car ce sont là des -arrêts justiciables de la critique la plus rationnelle, -puisque le goût, l’instinct naturel y est plutôt contrarié -que suivi et que, seule, une opération de la -raison en a décidé.</p> - -<p>Quant au reste, quant à ce qui ne relève pas de -la critique historique, c’est la Nature seule qu’il -faut consulter. Elle seule est toujours belle, ou,—si -le mot de beauté éveille une idée de perfection plastique<span class="pagenum"><a name="Page_lv" id="Page_lv">[lv]</a></span> -trop restreinte et trop anthropomorphe,—elle -seule est toujours, en tous ses détails, et à -toutes ses heures, une joie pour le sentiment profond -qui veille en nous. A ce sentiment esthétique, -ou à cette sensation, qui ne se définit guère que -parce qu’il n’est pas et qui ne s’explique pas plus à -celui qui l’ignore que les sensations de la faim ou de -la soif à qui ne les a jamais ressenties, constamment -il faut en appeler. Il est juge suprême de l’Art, parce -qu’il en jouit et en souffre suprêmement. Combien -l’éprouvent, je ne pourrais le dire, mais comme un -culte commun, il unit à travers l’espace, devant les -mêmes œuvres, des êtres qui s’ignorent et, à travers -le temps, des êtres qui se succèdent, par les mêmes -émotions subtiles ressenties et les mêmes colères, -et les mêmes douleurs et les mêmes joies éprouvées. -S’il est des «questions esthétiques contemporaines», -c’est pour ceux-là seulement d’entre -nous, pour qui il y a des joies et des douleurs esthétiques, -et toute la science ou la raison du monde -ne nous servirait de rien sans cette joie ou cette -douleur, pour les éclaircir, ou seulement pour les -éprouver.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_lvi" id="Page_lvi">[lvi]</a></span></p> -<p> </p> -<p><span class="pagenum"><a name="Page_1" id="Page_1">[1]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<p class="pc4 xlarge">PREMIÈRE PARTIE</p> - -<p class="pc2 large font1"><b>L’ESTHÉTIQUE DU FER</b></p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_2" id="Page_2">[2]</a></span></p> -<p> </p> -<p><span class="pagenum"><a name="Page_3" id="Page_3">[3]</a></span></p> - -<h2 class="p2">L’ESTHÉTIQUE DU FER</h2> - -<p class="p2">Réssuscitons par la pensée le printemps de -l’année 1900. C’est l’année de l’Exposition universelle.</p> - -<p>Les oiseaux migrateurs qui passent en cette -saison sur Paris voient le long du fleuve qu’ils -connaissent un spectacle qu’ils ne connaissaient -pas. L’ensemble de la ville n’a pas changé. C’est -bien toujours la même mer grise de pierres où -traînent des vapeurs, où s’enfoncent des paquets -d’herbes, où émergent çà et là les nefs des cathédrales -et les bouées noires et dorées des dômes -dans le flottement des ombres violettes qui suivent -la course des nuages. Mais ce qui est nouveau, -c’est l’entassement d’une multitude de toits, -sur des rives ordinairement vides, et ce qui est -étrange, c’est leur diversité.</p> - -<p>La plupart de ces toits, l’oiseau migrateur les -connaît et, s’il est de ceux qui y suspendent leur -nid, il en sait le degré d’hospitalité. Mais il ne les a -jamais vus ensemble. Il est accoutumé à trouver,<span class="pagenum"><a name="Page_4" id="Page_4">[4]</a></span> -après les toits pointus en bois ou en ardoises des -régions pluvieuses, le toit de tuiles des climats -tempérés, puis le dôme et la terrasse des pays -chauds, mais non pas avant d’avoir traversé les -montagnes qui partagent les bassins, ni suivi les -vallées où s’étagent les vignes, ni passé la mosaïque -bleue et or de la mer et des îles et vu se presser -les têtes rondes des orangers et la garde montante -des cyprès.</p> - -<p>Ici, en planant, dans un coup d’ailes, il aperçoit, -aussi serrés les uns contre les autres que des -chapeaux dans une foule, tous les toits que séparent -d’ordinaire de longues journées de voyage à -travers les climats changeants: chapeaux plats, -chapeaux ronds, chapeaux de paille, casques d’or, -pyramides à écailles de bois disposées pour le glissement -des neiges; terrasses faites pour goûter la -fraîcheur des soirs, dômes d’Orient, piles d’abat-jour, -toits relevés à leurs bouts comme des souliers -à la poulaine, pigeonniers du moyen âge, -taillis de couteaux du Soudan, tas de grosses -bûches des toupas ou des isbas; tous les jets des -flèches et tous les bouillonnements des coupoles, -depuis la pomme byzantine jusqu’à la poire d’or -moscovite. Voilà ce qu’un migrateur au printemps -de l’année 1900 pouvait voir en passant.</p> - -<p>Mais pendant l’hiver qui précéda l’Exposition,<span class="pagenum"><a name="Page_5" id="Page_5">[5]</a></span> -ce qu’il eût aperçu était plus étrange encore. -Au premier abord, en voyant la fourmilière des -ouvriers s’acharner à ces constructions hémisphériques -tout au bord de l’eau et avec des matériaux -qui, de haut, ressemblaient beaucoup à de -fines bûches, il les eût pris pour un peuple de -castors au travail. Au bout de quelques instants, -à mieux considérer ces édifices, il les aurait crus -construits par des oiseaux. On eût dit en effet des -nids gigantesques posés sur les deux bords d’un -ruisseau: nids formés d’un inextricable fouillis -de baguettes entremêlées avec une incomparable -adresse, que peut seule surpasser celle du loriot -ou de la rousserole; nids feutrés sinon du coton -des fleurs de peuplier, de toiles d’araignées ou de -mousse, du moins de chanvre ou d’étoupe mêlés -à du plâtre, c’est-à-dire de <i>staff</i>; nids tressés de -tiges de fer comme ce nid qu’on peut voir à -Soleure, pays d’horlogers, et que les oiseaux ont -construit avec des ressorts de montres.</p> - -<p>L’armature fine, délicate, nouvelle de tous ces -monuments, l’ingéniosité de ces nids ou de ces -treillis de fer, impondérables à l’œil quand ils -étaient nus, insoupçonnables dès qu’ils furent -revêtus, armature commune de tous ces organismes -si différents, tel fut assurément le plus -grand prodige de l’Exposition de 1900.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_6" id="Page_6">[6]</a></span></p> - -<p>Devant cette végétation de fer de plus en plus -touffue et envahissante, nous reconnaissons la -marche sûre et les fortes prises de la science. Et -quand, par hasard, cette armature, débarrassée de -tous les matériaux qui la cachent, veut se suffire -à elle-même et apparaît seule à nos regards, -comme dans l’intérieur de quelques palais et dans -le nouveau pont jeté sur la Seine, quand nous -voyons se réaliser au seuil du siècle nouveau le -vœu de ce poète du <span class="smcap">XVI</span><sup>e</sup> siècle:</p> - -<p class="pp6 p1">Une maison d’archal composée en réseaux,</p> - -<p class="pn1">ce n’est plus seulement de l’admiration pour la -Science, mais ce sont des inquiétudes pour l’Art.</p> - -<p>Inquiétudes mêlées d’espérances, car, dans l’agglomération -de toutes ces formules de bois, de -pierre, ou reproduisant exactement les formes du -bois et de la pierre, le seul rameau nouveau, qui -s’ajoute au vieil arbre touffu et confus de l’architecture -universelle, est un rameau de fer. Que -faut-il partager de ces inquiétudes? Jusqu’où faut-il -aller de ces espérances? C’est ce que les exemples -mis depuis quelques années sous nos yeux -nous permettent peut-être de déterminer.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">[7]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE I</h2> - -<p class="pc2"><b>Comment juger d’une architecture nouvelle?</b></p> - -<p class="pc2 mid">§ 1.</p> - -<p class="p2">Comment en jugerons-nous? Avec notre goût. -Car, pour juger d’une forme nouvelle, nous devons -nous garer de deux suggestions: l’une que nous -fournit la pure habitude, l’autre que nous inspire -le raisonnement pur; la première ayant façonné -notre goût, jusqu’à le rendre hostile à toute forme -nouvelle, et le second nous faisant défier de cette -habitude, jusqu’à l’abdication complète de notre -goût. Les deux manières de juger sont fatales, -car elles entravent également l’indépendance du -seul sentiment qui nous permette d’éprouver la -beauté: le sentiment esthétique, alors que la -raison ne doit servir qu’à écarter du sujet les -entreprises de la raison même et assurer le libre -exercice du goût.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">[8]</a></span></p> - -<p>En effet, parce qu’une forme imprévue éveille -en nous d’autres idées que l’usage du monument -auquel l’artiste vient de l’employer, il ne faut pas -la condamner comme laide. Et, par exemple, ce -n’est point parce qu’un musée ressemblerait de -loin à un chapiteau d’alambic ou une porte monumentale -à un appareil de chauffage, qu’il faudrait, -dès l’instant, les condamner. Ce n’est point davantage -parce que de minces piliers, faits d’une matière -nouvelle et supportant une énorme voûte, ne -nous fourniront plus l’impression de stabilité que -nous donnaient les larges assises de pierre, qu’il -faudrait dire que toute beauté est perdue. L’habitude -n’est pas une loi.</p> - -<p>Mais, d’autre part, parce qu’une forme, bien que -laide, nous paraîtrait s’approprier exactement aux -besoins de la vie moderne, comme fait une gare -de chemin de fer, il ne faudrait pas en conclure -nécessairement qu’elle est belle. Une forme peut -être nouvelle à la fois et belle. Mais elle peut être -nouvelle, exactement appropriée à un besoin moderne, -représentative d’une foules d’idées sociologiques,—et -laide sans plus.</p> - -<p>Dans les deux cas, ce dont il faut se méfier, c’est -l’abus du raisonnement. Ce qu’il faut suivre, c’est -l’impression esthétique, et non pas ce que cette -impression a de surtout intellectuel, comme l’association<span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">[9]</a></span> -des idées dans notre tête, mais ce qu’elle -a surtout de sensible, comme l’association des -formes devant nos yeux. Ce qu’il faut en croire -surtout, c’est notre impression.</p> - -<p>Or, ce qui provoque d’abord l’impression des -yeux, ce n’est pas une notion intellectuelle, ce n’est -pas l’idée de l’appropriation à un usage, ce n’est -pas l’idée de signification structurale, ce n’est pas -même l’idée de stabilité: c’est l’élégance, le rythme, -la silhouette totale, apparue; c’est, si l’on peut ainsi -dire, la <i>tache</i> heureuse que fait un monument sur -la ville et sur le ciel.</p> - -<p>Si cette tache n’est pas heureuse, si, aux yeux, -les lignes décisives sont lourdes ou étriquées, ou -monotones, vainement prouvera-t-on que l’édifice -est solide, approprié à sa destination, révélateur -de sa fonction, suggestif d’idées; il pourra plaire à -l’esprit, il ne plaira pas au sentiment esthétique. -A l’inverse, si la tache est heureuse, le monument -peut être archaïque, exotique, mal approprié au -sol et au ciel; il peut, vu de son pied, n’offrir que -des profils tristes, des reliefs masqués les uns par -les autres, et pourtant, s’il est contemplé de loin, -produire sur la ville et dans le ciel une tache heureuse, -une apparition révélatrice.</p> - -<p>Le Sacré-Cœur de Montmartre est un exemple. -Peu de projets furent assaillis de critiques plus<span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">[10]</a></span> -vives, plus unanimes, plus légitimes. D’abord, -cette église n’était guère qu’une coupole, sans -nef qui y conduisît. D’en bas, on ne pouvait apercevoir -sa façade, mais seulement son porche,—ce -qui ne donnait l’idée que d’une grande chapelle. -Il n’y avait point de lumière au dedans, et point -d’ombres, accusant les reliefs, au dehors. D’ailleurs, -pourquoi cet art exotique et vieillot du -«Bas-Empire»? Pourquoi, sur la Ville Lumière, -ce pastiche énorme d’une obscure bâtisse de Périgueux? -Toutes ces critiques semblaient très justes, -et si l’on va regarder le colosse de près ou du bas -de la Butte, elles n’ont rien perdu de leur vérité. -Mais puisqu’on le voit de tant de points différents -de Paris, de l’avenue Montaigne comme de la rue -Solférino, des boulevards comme du haut de -Meudon, c’est sans doute son effet lointain et total -qu’il faut considérer.</p> - -<p>Or, cet effet est une révélation. On ne voit plus, -au-dessus de la montagne de maisons grises, qu’un -léger nuage blanc et violet, nuage d’où ne tombe -nul orage, mais, seul et rare, le grondement -d’une cloche. Le critique ne perçoit, si bien qu’il -regarde, qu’un floconnement de coupoles qui -assaillent le ciel, l’une montant sur l’autre, la -dernière enfin atteignant son but, et recouvrant -tout de sa splendeur. Bien au-dessus des coupoles<span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">[11]</a></span> -de la contemplation et de la guerre, au-dessus -des observatoires fixés sur les terres, et -des tourelles errantes sur les mers où s’embusquent -les plus prodigieux appareils d’observation -ou de destruction qu’ait produits le génie humain, -s’élève maintenant la coupole du Salut. Et l’on -sent que cette forme est bien celle qui convenait -ici. Au sommet d’une ville qui pyramide, ce n’est -point un nouvel élan qu’il faut, mais une couronne. -Des plaines, il est bon que les flèches -s’élancent vers le ciel comme une prière. Mais -des hauteurs il est mieux que les coupoles s’abaissent -comme une bénédiction.</p> - -<p>De même, la «tache heureuse», c’est le mérite -du Petit Palais et de la perspective entière des -Champs-Élysées aux Invalides. Certes, il n’y a rien -dans ces monuments de nouveau, ni de puissant. -Le «Grand» Palais se prolonge, çà et là, dans un -développement si peu compréhensible qu’il paraît -des deux le plus petit. Sa colonnade se juche sur -un soubassement si haut et se tapit sous une -masse de verre si énorme, que les colonnes, -réduites à un rôle purement ornemental, ne jouent -plus le rôle de supports où leur élégance se déploierait. -Le style est tellement composite, que -tout en satisfaisant l’œil à peu près partout, il ne -frappe et ne s’impose nulle part. Quelques ornements<span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">[12]</a></span> -se dressent inutilement, telles ces fioles -gigantesques et inexplicables qu’on voit plantées -deux par deux, çà et là, sur le haut de l’édifice. Dès -qu’on s’éloigne, l’énorme ballon de verre, allongé -sur la pierre comme un aérostat, plus pesant aux -yeux qu’un toit de pierre ou d’ardoises, écrase, -opprime et aplatit jusqu’à terre le pauvre édifice. -Et des chevaux féroces, projetés en éventail sur -chacune des portes latérales, s’épuisent en efforts -désespérés pour quitter ce monument auquel un -sort inexplicable les a, momentanément, attachés.</p> - -<p>Mais, quand on aura fait ces critiques et cent -autres, il n’en restera pas moins que, vus des -Champs-Élysées, les deux palais sont ce qu’il -fallait qu’on vît. Ils forment l’allée nécessaire, -plantée de colonnes ioniques, qui conduit l’œil -aux pylones qui marquent les limites du fleuve. -Ce sont les jalons indispensables pour creuser -l’horizon vers le dôme. La «tache» que fait -chacun de ces deux palais est si heureuse qu’on -ne la remarque déjà plus. Il semble qu’ils aient -toujours été là. Quand on entre dans le Petit -Palais de M. Girault, on éprouve cette impression -de paix. On l’éprouve aussi sous la colonnade intérieure -qui égaie l’hémicycle, devant les trois -miroirs où se reflètent les marbres neufs, et où -l’on voit, quand un souffle ride l’eau, les génies<span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">[13]</a></span> -qui se tiennent sur le portique, remuer, au gré des -reflets, leurs ailes d’or.... Le succès du <i>Petit Palais</i>, -c’est le triomphe de l’éclectisme, mais c’est aussi le -signe évident que notre architecture n’excelle -qu’aux recommencements et, qu’au milieu de -tant de choses neuves, il n’y a pas une nouveauté.</p> - -<p>La pierre n’aura-t-elle donc rien fourni d’imprévu -dans cette immense poussée architecturale? N’y -a-t-il rien qui donne une physionomie nouvelle au -Paris de 1900?—Si. Mais ce n’est pas un legs de -l’Exposition. Regardez plus loin vers le Sud et -regardez plus haut vers le Nord. Deux monuments -dont personne ne parlait plus et qu’on n’avait point -invités à la fête, deux intrus gigantesques surgissent -brusquement l’un dans la plaine, l’autre sur -la colline et, ensemble, aux deux côtés de l’horizon, -donnent à Paris un couronnement que nous -ne lui connaissions pas. L’un est le dôme des -Invalides, l’autre est le Sacré-Cœur de Montmartre. -Entre les deux rives qu’ils ponctuent, la science a -jeté le pont de la Paix. Ce dôme, ce faisceau de -coupoles, ce pont qui permet d’aller des unes à -l’autre, voilà ce que Paris n’avait pas encore vu et -ce que le monde entier découvre aujourd’hui -comme une vision nouvelle dans Paris. L’un nous -était caché par les échafaudages, l’autre par le<span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">[14]</a></span> -palais de l’Industrie. Les nuages se sont dissipés. -Le palais où l’on vit tant de mauvaises peintures -est tombé comme un mauvais rêve. A son dernier -jour seulement, réduit à sa porte monumentale -sous la pioche du démolisseur, il revêtit un instant -la dignité d’une ruine. Il eut l’aspect d’un vieil arc -de triomphe, tandis que dans l’atmosphère de -février mêlée de pluie et de soleil, l’aiguille d’or -des Invalides, soudain apparue, tournée vers les -nuages derrière les décombres, droite, étincelante, -sembla marquer une heure invisible, dans le ciel -incertain de la patrie....</p> - -<p>En bas, <i>Gallia Victrix</i>, en haut, <i>Gallia pœnitens -et devota</i>: la vision est singulièrement antithétique -et saisissante. Certes ces deux monuments -furent assaillis de bien des colères philosophiques, -le plus ancien, pour son souvenir qu’on trouvait -insolent, le plus jeune, pour sa devise qu’on trouvait -trop humble, comme s’il y avait quelque honte -à faire, après les épreuves que l’on sait, un examen -de conscience nationale et comme si, d’ailleurs, la -foi qui poussa tant de millions de Français dans -cette œuvre désintéressée, patiente, profonde, dans -cet édifice dont la hauteur souterraine égale exactement -la hauteur visible, n’était pas, quelque opinion -qu’on puisse avoir sur son objet, une preuve -de vie, et, autant que nos formidables exhibitions<span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">[15]</a></span> -industrielles, un signe de force au manomètre -d’une nation!</p> - -<p>Et, d’autre part, est-il mauvais que l’apparition -du dôme de Mansart nous rappelle ce qu’à ce -manomètre la gloire jadis a marqué? Les choses -ont leurs ironies plus encore que leurs larmes, et -dans la hâte où nous sommes de leur donner des -significations éternelles, nous courons le risque -des prédictions d’almanach. On a construit ce pont -à l’honneur de la Paix et le voici qui mène tout -droit au Dieu de la Guerre. On a ouvert ce chemin -pour aller commodément jusqu’à ce congrès pacifique -des peuples, entre les mille drapeaux des -nations flottant sur diverses épices, et il se trouve -que c’est une trouée vers le casque flambant au -soleil qui recouvre les mêmes drapeaux étrangers, -seulement déchirés, ceux-là, et conquis dans les -batailles. De son antre de vieilles pierres françaises -taillées par les maçons du grand siècle, au -fond de la cour d’honneur, ayant sous ses pieds le -bronze historié de Wurtemberg et sur sa tête les -étendards suspendus dans le sanctuaire, le «petit -homme... tout habillé de gris» regarde droit à -travers l’Exposition jusqu’au cœur de la ville qui -lui était masqué.</p> - -<p>On savait qu’il existait, sans doute, mais on -avait oublié qu’il fût là, si près dans ces Champs-Élysées<span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">[16]</a></span> -cosmopolites où tous les peuples du Nouveau-Monde -pouvaient passer et repasser sans le -voir. Mais, tout d’un coup, il paraît. Et comme -une foule qui se range sur le passage d’un souverain, -voici que tous ces palais de carton: palais -des arts décoratifs et palais des manufactures -nationales, palais des peuples nouveaux comme -palais des peuples jadis vaincus, palais aigrettés -comme des casques et chamarrés comme des -chambellans, se sont rangés des deux côtés pour -laisser voir au loin, tout au bout du sillon creusé -par le respect, le dôme or et noir, le monument -solide et hautain d’une gloire qui n’est plus. Et il -semble qu’on entende retentir tout à coup, dans les -Champs-Élysées inutilement affairés et gravement -frivoles, le cri qui faisait ranger tous les courtisans -dans les salles des Tuileries ou de Saint-Cloud: -«l’Empereur!»</p> - -<p class="pc2 mid">§2.</p> - -<p class="p2">Ce don d’une architecture nouvelle que la pierre -nous refuse, le fer nous le promet-il? On s’en flatte -d’ordinaire et l’on a écrit là-dessus de très belles -pages. Jadis Boileau et Labrouste en fournirent -de fort bonnes raisons et de fort mauvais exemples. -A cette opinion Viollet-le-Duc se rangea aussi.<span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">[17]</a></span> -Depuis eux, cette idée s’est répandue qu’une civilisation -nouvelle, servie par de nouveaux matériaux, -ne pouvait manquer de produire un style -d’architecture nouveau. Et puisque le fer était -d’hier, il devait donner des courbes, des voûtes, -des lignes que l’Antiquité ni le Moyen Age n’avaient -connues.</p> - -<p>Dans ces inoubliables pages simplement définies -par leur auteur, «les Cahiers d’un Étudiant à l’Exposition -de 1889», où Melchior de Vogüé découvrit -à tant d’âmes curieuses, inquiètes, la signification -de l’évolution matérielle à laquelle nous -assistions, l’éloge du fer retentit comme la diane -et nous réjouit comme une aurore. Beaucoup de -nos impressions confuses semblaient le corroborer.</p> - -<p>Comme les monuments les plus simples que -nous devions à son emploi dans les usages utiles -de la vie nous paraissaient infiniment moins laids -que nos prétentions architecturales; comme la -Galerie des machines de Paris ou l’<i>Ames Building</i> -de Boston étaient moins offensants pour la vue -que le casino de Monte-Carlo ou que le Trocadéro, -nous en tirions tous cette conclusion que le fer -possédait par lui-même quelque vertu de «beauté -abstraite et algébrique», que, dans tous les cas, -la «force du besoin» clairement manifestée était -sans doute un principe de beauté.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">[18]</a></span></p> - -<p>C’était partir d’une observation très juste, mais -incomplète pour en tirer une déduction très contestable. -Car, s’il est assez difficile, en architecture -comme ailleurs, de déterminer quel est le -vrai principe de beauté, il ne l’est pas d’apercevoir -qu’il ne tient ni dans la force de l’algèbre, ni dans -la force du besoin. On n’a jamais observé qu’une -chose fût belle par cela seul qu’elle était nécessaire. -Ce qu’on a observé maintes fois, c’est qu’une chose -née du besoin et neutre au point de vue esthétique -devenait laide, quand on la parait d’un ornement -né de la fantaisie. Ce n’est pas la force du besoin -qui est un principe de beauté: c’est la faiblesse -du superflu qui est une raison de laideur. Là où le -besoin se manifeste seul, il n’y a le plus souvent ni -laideur, ni beauté. Il y a une sorte de neutralité -esthétique. De grands murs nus ou quadrillés de -briques apparentes et criblés de fenêtres égales -peuvent être tristes: ils ne sont pas irritants comme -des façades de petits théâtres chargés de tous les -désordres grecs ou de toutes les intempérances de -l’Orient. On vivra tristement devant ces maisons -simples, mais non dans la colère. Elles sont comme -de longues plaines endormies sous les neiges, -qu’aucun accident ne trouble, que nul ornement -n’égaie. Mais elles ne sont pas de mauvais goût. Le -mauvais goût ne se révèle qu’avec l’accident, l’ornement,<span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">[19]</a></span> -la prétention architecturale. Le mauvais -goût suppose l’exercice d’un goût. Le laid ne commence -qu’avec la recherche du beau.</p> - -<p>Quand vous passez devant un monument agressivement -inesthétique, supprimez par la pensée -tous les ornements inutiles à sa solidité et indépendants -de sa fonction, redressez toutes les -courbes que rien ne suggère, abattez toutes les -moulures que rien ne nécessite et le monument -cessera d’être laid. Mais il ne deviendra pas nécessairement -beau. En supprimant l’inutile, en serrant -de près la logique de la construction, vous aurez -certainement ôté la laideur. Mais vous n’aurez pas -nécessairement conféré la beauté.</p> - -<p>Et, d’autre part, que de belles lignes monumentales -ou décoratives ne sont pas logiques le moins -du monde et ne satisfont nullement notre raison, -mais seulement notre goût, notre instinct tout -physique, et sensoriel d’harmonie, de souplesse et -de vigueur! Que de chefs-d’œuvre où l’ornement -n’est pas une mise en évidence de la structure -interne, mais une dissimulation! Que de riches -courbes qui ne sont pas dérivées des qualités spécifiques -des matériaux employés, mais imitées de -formes créées pour d’autres matières, en d’autres -temps et sous d’autres cieux! Voici le <i>Baptistère</i> -de Florence: la forme ronde et cintrée de sa structure<span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">[20]</a></span> -interne est-elle révélée au dehors par une construction -circulaire? Point du tout; les murs sont -plats et la figure hexagone, en sorte qu’on croit -entrer dans une salle rectangulaire, et on trouve -une rotonde. Voici le <i>Saint-Marc</i> de Venise: l’ossature -est-elle visible? Non, elle est dissimulée sous -un revêtement éclatant de mosaïque à l’aspect de -métal. Voici l’architecture arabe: les arcs, les -ogives découpés à profusion ne nous laissent pas -de doute. Nous voyons bien que le poids est rejeté -tout entier sur les côtés.... C’est faux! Il repose sur -les poutres horizontales demeurées invisibles. -Prenons la colonne dorique. Faut-il blâmer la -forme du fût renflée à mi-hauteur, parce qu’elle -est inspirée de l’écrasement des faisceaux de -cannes primitivement employés, ou n’est-elle pas -un charme de plus? Faut-il blâmer les plus anciens -monuments de l’Inde, parce qu’ils reproduisent en -pierre les poutres et les balustrades de bois et en -imitent jusqu’aux joints? Ou les meubles du Moyen -Age et de la Renaissance, parce que le bois y -reproduit les formes architectoniques de la pierre? -Où est la logique en tout cela? où l’appropriation -de la forme à la matière? où l’expression de la -structure intime par l’ornement?</p> - -<p>Que de beaux édifices, enfin, dont l’aspect ne -révèle nullement la fonction! Et quand, d’aventure,<span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">[21]</a></span> -l’un de ceux qui la révélaient ne remplit plus la -fonction pour laquelle il fut conçu, cesse-t-il pour -cela d’être beau? La façade de l’hôtel des Invalides -est-elle devenue moins belle depuis qu’elle recouvre -des comités techniques d’inventions à la place de -l’hospice héroïque qu’elle était censée annoncer -aux yeux? Le palais des papes d’Avignon est-il -moins beau depuis qu’il ne contient plus de papes, -les pyramides moins belles depuis qu’elles n’ont -plus leurs morts? Qui a jamais compris, en les -voyant, à quoi peuvent servir les gopuras ou les -terrasses superposées de l’Inde, et qui a hésité à les -admirer? Quand s’élève, à l’horizon ou dans la -forêt, une belle harmonie de pierre, ou de bois, ou -de métal, qu’importe qu’elle serve à une église ou -à un hôpital, à une caserne ou à un château, à une -forteresse ou à un concert? ce n’en est pas moins -une belle harmonie. Dire que, pour être belle, une -forme doit annoncer et exprimer la fonction qu’elle -remplit, c’est énoncer une de ces propositions respectueusement -admises par la critique contemporaine -pour leur aspect rigoureux, mais que rien ne -vérifie et qu’on se passe de main en main comme -une pièce fausse, de confiance, faute de l’avoir -jamais regardée.</p> - -<p>Quand donc nous aurons établi que le fer est -utile, qu’il est logique, qu’il est nouveau, qu’il est<span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">[22]</a></span> -approprié à nos besoins et à notre état social, et -qu’il révèle immédiatement au dehors sa structure -interne, nous n’aurons pas montré qu’il conférera -nécessairement à nos monuments quelque -nouvelle beauté. Il faudra encore qu’il ait certaines -qualités que la raison perçoit moins clairement -peut-être, mais que le sentiment éprouve et que -les yeux démêlent: la grâce, l’élégance des courbes, -la sûre et facile harmonie des droites, le jeu des -ombres sous les reliefs, le balancement des pleins -et des vides, l’ordre qui repose la vue parce qu’il -est facile à percevoir, et la variété qui la sollicite -parce qu’elle lui offre des multitudes de sensations -à éprouver.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">[23]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE II</h2> - -<p class="pc2"><b>Le triomphe du fer: le Pont et son échec, -la Maison.</b></p> - -<p class="p2">Or, les éprouvons-nous? Non. Quand on fait -l’apologie des monuments de fer, les motifs qu’on -nous en donne sont surtout de raison raisonnante. -On ne dit pas: ce monument est admirable parce -qu’il plaît au sens obscur de l’ordre dans les formes -matérielles et au goût de leur variété, de leurs -tours et de leurs retours capricieux où l’harmonie -se devine, mais se dissimule sous la complication, -mais on dit: il faut de toute nécessité qu’il le soit, -puisqu’il répond au temps où nous vivons et aux -instincts du peuple que nous sommes.</p> - -<p>Étrange postulat! Comme si toutes les fois -qu’un peuple et qu’un temps avaient des besoins -nouveaux, ils créaient nécessairement un beau -style d’architecture pour les exprimer? Quoi de -plus nouveau, de plus puissant et de plus <i>genuine</i><span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">[24]</a></span> -que la jeune civilisation américaine, et quoi de plus -banal que ses palais,—château de Blois sur la -face, Parthénon sur le revers,—qui empruntent -à tous les styles et ne rendent pas, en intérêt, ce -qu’ils ont emprunté? On a voulu faire un sort, en -esthétique, aux «maisons hautes» des États-Unis -comme aux premiers phares dressés pour éclairer -les novateurs des deux mondes. Mais à les bien considérer, -les styles de ces gigantesques «accroche-nuages» -ne sont que des multiplications de styles -déjà fort connus et fort anciens. Ce n’est point -parce que le <i>Monadnock Building</i> entassera treize -bow-windows les uns sur les autres qu’il aura -réalisé un style de bow-window nouveau, ni parce -que l’<i>Union Trust Company</i> de Missouri portera -plus haut qu’aucun monument égyptien la «gorge -égyptienne», qu’il aura en quelque manière -enrichi ce mode de couronner un sommet. Ces -maisons hautes romanes par leur porte, grecques -par leurs colonnes, égyptiennes ou plus souvent -gothiques par leur couronnement, sont tout ce -qu’une maison peut être: hors américaines. Par -leur masse compacte et solide, elles rappellent surtout -les vieux monuments romans ou anglo-saxons -de l’époque carolingienne, comme la tour d’Earl’s -Barton, par exemple, et rien n’est moins «nouveau-monde». -Et en quoi l’arc de triomphe élevé en<span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">[25]</a></span> -l’honneur de l’amiral Dewey sur la cinquième -avenue diffère-t-il des arcs de Titus et de Constantin?</p> - -<p>Pareillement, est-il un peuple plus particulier, -plus puissamment original et depuis plus longtemps -que les républiques Sud-Africaines, et les -églises et les palais de Johannesburg ou de Pretoria -diffèrent-ils de ceux de Londres ou de Chicago? -L’exemple des Boërs défendant des palais -à ordres grecs, et celui des Américains faisant -passer leurs troupes victorieuses sous l’arc de -triomphe de Constantin nous montrent assez que -l’art ne suit pas nécessairement la marche d’une -civilisation, et qu’à certaines époques il est plus -facile de créer une patrie qu’un style ou de la -défendre que de l’embellir.</p> - -<p>Sans donc nous attarder aux postulats, jugeons -donc le fait. Interrogeons l’impression produite -chez nous tous, dans tous les pays, par les monuments -de fer aperçus durant ces dernières années: -aux expositions, dans les villes, dans la campagne, -sur les fleuves. Comme nous nous sommes gardés -soigneusement des suggestions intellectuelles, gardons-nous -des préjugés d’une habitude de vision, -et nous avouerons qu’on ne peut écarter, d’un mot, -toute l’Esthétique du fer. Il y a tout un ordre de -monuments où nous reconnaîtrons la Beauté. Elle<span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">[26]</a></span> -est dans ces fermes admirables du pont Mirabeau -ou du pont Alexandre III,—dans ces branches -de fer qu’une main puissante a courbées d’une rive -à l’autre pour donner passage à des peuples entiers -en quête de merveilles.</p> - -<p>Rien n’est plus nouveau, mais rien n’est plus -heureux que cette substitution d’une fine trajectoire -de fer au lourd et massif établissement des -ponts anciens, que nous étions accoutumés d’admirer.</p> - -<p>Rien n’a changé davantage dans l’architecture -que l’aspect d’un pont. Mais rien n’a changé plus -heureusement. Au temps où, dans les villes ceinturées -par leurs remparts, les maisons se serraient, -sans perdre un pouce de terrain, les unes -contre les autres, comme un troupeau qui a peur, -le pont de pierre était une rue qui se continuait -sur l’eau. Mais, dans les temps modernes, les -populations se desserrent, débordent leurs murailles -et, les débordant, les renversent. Elles -descendent des tours, elles font cercle autour de -leurs monuments et laissent la nature renaître, -çà et là, en de carrées oasis. Elles ont donc abandonné -les ponts, qui ne sont plus qu’un lieu de -passage. Les anciens étaient en pierre, comme les -maisons construites sur leurs piles. Les nouveaux -sont en fer, comme les trains qui filent sur leurs<span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">[27]</a></span> -voies. Le pont était une ville, entre les deux villes; -on y bâtissait des boutiques, on y édifiait des chapelles: -on s’arrêtait pour y danser, pour y loger, -pour y coucher, pour y prier, pour mourir. On y -enfermait même les prisonniers et il n’est rien de -plus banal dans l’histoire que l’exemple du pont -des Soupirs. Aujourd’hui l’on n’entend plus trop -parler de gens demeurant sur les ponts et, si la -locution populaire «coucher sous les ponts» -subsiste, ce n’est pas pour porter témoignage d’un -goût contemporain, mais d’une fâcheuse nécessité.</p> - -<p>L’aspect du pont ancien témoignait de ses fonctions -diverses. Il ressemblait à la fois à une forteresse -et à une rangée de navires: forteresse contre -les hommes, navires contre les flots. Forteresse -de si étroite ouverture, que, sur le pont Sublicius, -un héros suffisait à la défendre contre une armée, -forteresse munie de portes et de créneaux, comme -on l’aperçoit encore au pont Nomentane, quand -on va rêver dans la campagne romaine. Tellement -forteresse et tel signe de puissance, qu’on représentait -un pont dans les armes de certaines villes, -comme dans celles de Cordoue. Navire contre les -flots, chaque pile étant construite comme un -bateau tournant son avant à l’amont de la rivière, -portant parfois des figures, pour fendre la nappe -d’eau contraire. Arrondi en aval comme une<span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">[28]</a></span> -poupe, creusé de fenêtres des deux côtés comme -une dunette, observatoire s’ouvrant d’un côté vers -la source et de l’autre vers la mer—tel était le -pont d’autrefois.</p> - -<p>Aujourd’hui, la fonction d’un pont est simplement -de relier deux rives l’une à l’autre. Aucun -pont n’est tenu de faire plus que cela pour nous, -mais aucun ne doit faire moins. C’est peu qu’il -soit un beau monument, comme le pont ruiné de -Saint-Bénézet sur le Rhône, s’il nous laisse à mi-traversée, -à pic sur le fleuve. Il faut qu’il aille d’un -bout à l’autre. Mais, d’ailleurs, il suffit que nous y -puissions passer. Et, comme nous avons à passer -vite, il est inutile qu’il porte sur son dos des -maisons. Regardez le pont Mirabeau, le pont -Alexandre III et comparez-les à l’ancien pont de -pierres. L’ancien était un monument oblong qui -barrait l’horizon, terminant une étendue d’eau. On -eût dit une maison percée de gros caniveaux. On -percevait sans doute dans les fondations quelques -voûtes claires, par où passait le courant, mais -l’ensemble du monument clôturait l’horizon d’eau -et ne révélait rien de la venue empressée ou de la -fuite majestueuse du fleuve.</p> - -<p>Qui dira, si l’on s’en tient uniquement à l’impression -des yeux, que le pont de fer n’est pas -aussi beau? D’abord, il est plus léger. Certes on<span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">[29]</a></span> -ne doit pas juger de la légèreté d’un monument -par la seule considération de ses dimensions -totales: une arche de 107 mètres n’est pas nécessairement -plus svelte qu’une arche de 30, non plus -qu’un dôme de 30 mètres n’est nécessairement -plus imposant qu’un dôme de 15. Les qualités de -légèreté ou de grandeur ne sont pas des qualités -absolues, mais naissent des proportions relatives -de l’édifice, parce qu’il n’y a pas entre les divers -édifices du monde, même d’une ville, une commune -échelle de grandeur. Seulement, il se trouve qu’ici -il y a une échelle commune: la Seine, dont la -largeur est sensiblement la même partout, et le -pont qui la traverse d’un bond, comme un cheval, -paraît nécessairement plus svelte que celui qui, à -peu de distance, la traverse pas à pas comme un -éléphant.</p> - -<p>Ce n’est pas seulement là un triomphe pour -l’ingénieur: c’est une joie pour l’artiste. Aucun -des sept ponts dont la Rome impériale était si -fière, peut-être aucun des cent douze ponts de -toutes formes qui coupent la Tamise n’ont cette -légèreté. Évoquez un instant le grand dessin tracé -dans l’espace par les manieurs de fer, depuis le -puissant mammouth du Forth, jusqu’à la suspension -aérienne de Brooklyn, les merveilles de ces -réseaux, depuis les consoles du Niagara jusqu’au<span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">[30]</a></span> -double viaduc du Douro et aux Cantilevers d’Écosse. -Voyez, d’une rive à l’autre d’un fleuve, les ingénieurs -lancer un pont comme un train rigide, ou -bien des profondeurs de l’abîme, se soulever un -à un vers le ciel, comme attirés par un aimant -invisible, des tronçons de métal qui, s’arrêtant -tout à coup dans leur ascension pour se souder les -uns aux autres, font apparaître entre les deux -montagnes un arc-en-ciel de fer!... Et admirez -qu’ici l’effort de la science, en diminuant la matière, -ait servi la cause de l’art et que, loin d’opprimer -ou de cacher la nature, il ait fait apparaître à nos -yeux, tout en remplissant la même fonction utile -qu’autrefois, plus de paysage, plus d’eau, plus de -ciel.</p> - -<p>On a donc trouvé le pont moderne en fer, mais -ce n’est pas tout de passer: il faudrait demeurer. -A-t-on trouvé la demeure moderne? Ici, quoi que -proteste notre espérance, il faut bien que la franchise -réponde: Non. L’impression naturelle, spontanée, -constamment renouvelée de notre instinct -esthétique à tous, nous dit qu’on n’a encore trouvé -ni la maison, ni le palais, ni la tour de fer, ou que, -si on les a trouvés, on n’en a point trouvé la Beauté. -Elle nous dit aussi que les grandes prétentions -architecturales du fer en 1889 ont paru déplaisantes -et que quatorze années passées à les considérer<span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">[31]</a></span> -n’ont guère réconcilié personne avec elles. -Et enfin, que, depuis 1889, le mouvement en -faveur du fer apparent semble arrêté net, et qu’à -certains de ces monuments, on n’a encore trouvé -ni leur emploi, ni même leur couleur.</p> - -<p>Voilà l’impression. Que dira-t-on contre elle?</p> - -<p>Qu’elle tient à une habitude de nos yeux qui ne -retrouvent pas dans les minces supports de fer les -conditions d’équilibre et de stabilité auxquelles ils -étaient habitués? Et qu’«une longue éducation -nouvelle du regard sera nécessaire, comme l’affirme -M. Sully-Prudhomme, pour que la jouissance -perdue soit recouvrée<a name="FNanchor_2_2" id="FNanchor_2_2"></a><a href="#Footnote_2_2" class="fnanchor">[2]</a>»? Sans doute, l’habitude est -pour quelque chose dans nos impressions. A première -vue, la forme pyramidale, qui est la forme -stable par excellence, nous plaît mieux que son contraire -et il est rare que nous aimions, si nous la -trouvons, dans l’architecture, la forme de la pyramide -renversée. Mais cette exigence de notre vue, -due à l’habitude, est-elle inamovible? Non, car parfois -la nature nous fournit la forme pyramidale -renversée sans nous choquer. Dans les arbres, la -partie la plus large se trouve suspendue sur la -partie la plus grêle. Le tronc ne rétablit pas toujours -par sa largeur à la base l’équilibre compromis<span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">[32]</a></span> -par son faîte: le tronc du palmier, par exemple, -diminue en s’approchant du sol et, de toute façon, -nous apparaît comme une pyramide renversée. -Pourtant, nous n’avons aucun doute sur sa stabilité. -Non plus sur celle d’un homme, vu de face, -debout, les pieds joints, la tête inclinée sur la poitrine, -qui lui aussi repose sur une base grêle, eu -égard à la largeur de son entablement. Dans l’architecture -même, nous ne sommes pas inquiétés par le -profil d’un chalet à encorbellements. Et qui de -nous a jamais été choqué par le palais des Doges?</p> - -<p>Ainsi donc, bien avant le fer, notre surprise -de voir de frêles supports soutenir un immense -appareil n’était pas telle qu’elle commandât impérativement -notre goût. Quand, en 1889, ont surgi -de terre les piliers de la galerie des Machines, -nous ne nous sommes pas scandalisés parce qu’ils -s’amincissaient en s’approchant du sol, comme des -troncs de palmiers. Car nous ne mettions pas en -doute leur stabilité.</p> - -<p>Mais tandis que l’idée de solidité change selon -que notre esprit est plus ou moins averti des conditions -de cette solidité, l’impression d’élégance -d’une ligne, elle, ne change guère. Et l’on aura beau -nous dire qu’une voûte de verre est plus légère -qu’une voûte de pierre, nos yeux la verront toujours -plus lourde, plus massive et plus monotone<span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">[33]</a></span> -dans sa convexité. Ce qui importe donc plus que -toutes les notions purement intellectuelles, c’est -l’impression esthétique en face d’une ligne ou d’une -couleur, et quand nous repoussons, dans l’ensemble -du monument vu du dehors, les calottes de verre, -c’est-à-dire la matière la plus lourde à l’œil et la -plus sombre qu’on puisse imaginer, et, dans le détail -des poutres, les entretoises et les croisillons, les N -et les croix de Saint-André, dont se compose l’ornementation -architectonique du fer, ce n’est point une -notion intellectuelle et qu’un raisonnement peut -modifier, mais une impression purement sensorielle -et qu’aucun raisonnement ne changera. Ce n’est -point là une impression subtile d’érudit ou d’archéologue. -C’est l’impression naturelle et spontanée du -plus ignorant des hommes, qui a des yeux, qui les -ouvre, non sur des livres, mais sur la nature, et -qui aime mieux voir une amphore qu’une cloche à -melon!</p> - -<p>Contre cette impression que dit-on encore? -Qu’elle est fausse parce qu’elle est nouvelle. Qu’elle -passera avec l’habitude. Que tous les partisans -d’un art établi l’éprouvèrent en face de l’art qui -allait le remplacer et que nous sommes devant ces -hautes carcasses de fer, comme les Grecs eussent -été devant les barbares chefs-d’œuvre de l’art -ogival. On ajoute que le fer n’est déplaisant que là<span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">[34]</a></span> -où, abandonnant ses qualités propres et dissimulant -sa nature pour simuler celle de la pierre, il -emprunte à celle-ci son aspect décoratif, mais que -s’il osait se déployer sans modèle, s’aventurer sans -guide, s’affirmer sans peur, il trouverait de lui-même -le caractère de beauté qui lui convient, et -que, pour le trouver, l’architecte n’a qu’à suivre les -suggestions de la matière nouvelle qu’il emploie et -qu’à donner, comme caractéristiques aux palais -nouveaux, les caractéristiques mêmes du fer? Que -valent ces deux arguments?</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">[35]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE III</h2> - -<p class="pc2"><b>Pourquoi le fer permet tout et n’ordonne rien.</b></p> - -<p class="p2">Tout d’abord, est-il vrai que la révolution apportée -par le fer dans les formes constructives est -de la même nature et d’une nature aussi importante -que celle apportée par l’ogive et l’ensemble des -nervures succédant au plein cintre ou bien par le -plein cintre succédant au linteau? Ensuite peut-on -comparer le remplacement de la pierre par le fer à -celui du bois par la pierre? Enfin, y a-t-il dans -toute l’histoire des révolutions de l’architecture -quelque chose de comparable à celle-ci, qui nous -permette de dire: les anciennes furent des sources -de vie, la dernière doit en être une nouvelle et -pour les mêmes raisons.</p> - -<p>Or c’est très douteux.—Réduite à ses termes -les plus simples, l’architecture est l’art d’abord de -cacher le ciel et la terre, le ciel par le toit, la terre<span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">[36]</a></span> -par les murs, et cela, non pour les cacher, mais -pour se préserver de leurs intempéries. Ensuite, -une fois que le plus nécessaire est fait, l’architecture -est l’art de laisser apercevoir au dedans le -plus de choses possible de la terre et du ciel, par -les fenêtres ou par l’atrium. Ainsi, avant tout, -l’architecture est un toit et un mur: après seulement, -c’est une fenêtre. Le progrès des temps a -été de donner à cette fenêtre, sans nuire à la solidité -du reste, le plus d’ouverture et le plus d’agrément -possible. Ç’a été aussi d’étendre ce trou et -d’élargir ces murs, de façon que, sans empêcher -qu’ils protègent, on oublie qu’ils emprisonnent. -Mais si grand que fût ce progrès, il ne parvenait -pas et il ne serait jamais parvenu, avec les matériaux -anciens, à renverser absolument la proportion -des pleins et des vides. Si hardis que fussent -les arceaux gothiques dans leurs ascensions, et si -envahissantes que fussent les rosaces dans leur -floraison, ce qui donnait son caractère à l’édifice, -c’était encore le toit opaque et les parois pleines. -Sur elles et en elles, toute l’ornementation reposait -et s’accumulait. Or, dans son dernier état, réduite -à des fils de fer et à des lames de verre, l’architecture -ne nous cache plus rien. De la galerie des -Machines au palais du Génie civil, des palais de -l’Horticulture aux halls des chemins de fer, c’est la<span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">[37]</a></span> -leçon inscrite sur tous ces fers à T. Le fer est un -support, ce n’est pas une surface.</p> - -<p>De là, plusieurs grandes conséquences.</p> - -<p>Avec la pierre, tout l’effort de l’artiste tend à -évider sans détruire: avec le fer, à remplir sans -incommoder. Avec la pierre, toute son industrie -consiste à pratiquer des vides pour plaire à l’œil -sans nuire à la stabilité: avec le fer, à construire -des pleins pour plaire à l’œil et qui sont inutiles. -Autrefois, on faisait des pleins par nécessité et des -vides par élégance. Aujourd’hui, on fait des vides -par nécessité et des pleins par élégance. En sorte -qu’on peut bien parler d’«Architecture de fer», -mais, si l’on admet cette définition que les pleins -sont les parties essentielles de l’architecture, il faut -avouer que le fer fait bien mieux que de modifier -l’architecture: il la supprime. Il ne laisse plus que -les vides. On peut assurément remplir ces vides -avec de la pierre, de la brique, et peut-être avec -du céramo-cristal ou de la terre cuite. Mais alors, -ce n’est plus de l’architecture de fer. Réduit à sa -matière nécessaire et apparente, le fer, en supprimant -l’obstacle à la vue, supprime l’objet de la -vue, c’est-à-dire apparemment quelque chose de -considérable en esthétique.</p> - -<p>C’est la dernière évolution de cet art autrefois si -riche, si touffu, si fleuri. La voûte, semblable à<span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">[38]</a></span> -celle d’une forêt, parvenue à l’hiver de l’architecture, -laisse tomber ses feuilles. Les caissons, les -moulures de la Renaissance sont tombés: tombées -les floraisons du Moyen Age, tombés les amours, -les carquois, les babioles mythologiques du rococo, -l’âge des choses recroquevillées comme des feuilles -mortes. Aujourd’hui, de ces forêts vivantes, il ne -reste plus que les branches toutes nues: les branches -du fer se profilant seules sur le ciel lumineux -et changeant.</p> - -<p>Aussi ne peut-on pas dire que, dans la substitution -du fer à la pierre, il n’y ait qu’une révolution semblable -à la substitution de l’ogive au plein cintre ou -de la pierre au bois. Il y a, à la fois, plus et moins.</p> - -<p>Il y a plus, car, avec les anciens matériaux, les -supports comme les frises étaient de la même -famille. Dans la pierre, tous ces matériaux—os, -muscles et peau—sont même substance. Dans la -maison de fer, les os seuls sont de la même substance. -Or, il faut au monument autre chose -que des os: il faut des muscles, il faut un épiderme. -A ce moment-là donc, dès que l’ossature -est terminée, il faut, de toute nécessité, changer -de matière, ce qu’il ne fallait pas nécessairement -avec la pierre ou le bois. Admirable pour supporter -quelque chose d’autre que lui-même, le fer ne -peut recouvrir ce qu’il protège. C’est un bras, le<span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">[39]</a></span> -plus fort de tous les bras, ce n’est pas un corps -organisé. La nature, qui construit les montagnes,—ses -monuments à elle,—en pierre et les décorations -superficielles de ses montagnes en bois, ne -construit pas avec du fer. Elle contient le fer ou la -matière du fer, mais comme une armature profonde -et cachée.</p> - -<p>Mais que le fer ne soit pas «monumental», au -sens que nous donnions autrefois à ce mot, qu’importe, -s’il est esthétique? Et que la révolution -qu’il annonce soit plus grande que toutes celles -que l’architecture a déjà vues, qu’importe, si elle -est féconde? Telle est la pensée des novateurs. Et -ils se félicitent de voir le nouveau venu bouleverser -si fort les habitudes de l’ancienne architecture, -comme d’un gage évident d’une plus complète -rénovation. Car le mal de notre art, disent-ils, est -précisément dans cet attachement aux anciennes -formules. Il est dans cet entêtement à vouloir faire -dire au fer ce qu’il n’est pas fait pour exprimer et -à repousser, comme trop inattendu, ce que naturellement -il exprime. Saisissons, au contraire, -l’enseignement qu’il nous donne. Conformons-nous -à sa nature, suivons sa direction. Modelons nos conceptions -d’après ses propriétés nouvelles, et dérivons -les formes monumentales nouvelles de son -emploi judicieux.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_40" id="Page_40">[40]</a></span></p> - -<p>Mais, ici, nous allons trouver que la révolution -produite par l’emploi du fer, si elle est immense au -point de vue des services rendus, est beaucoup -moins importante au point de vue des formes ou -des lignes accusées. Et que le fer, bien loin qu’il -bouleverse trop ces formes ou ces lignes, ne les -bouleverse point assez pour les rénover et qu’il -prend de lui-même, d’après le calcul des forces et -la rigueur des courbes ou des angles qu’il indique, -les mêmes courbes que donnait la pierre. Il suffit, -pour s’en assurer, d’aller avenue de La Bourdonnais -et d’entrer dans la galerie des Machines. Voici une -voûte qui couvre 48 000 mètres carrés, portée par -des fermes de 115 mètres, sans une colonne, sans -un tirant. C’est là plus qu’un monument: c’est -une voûte céleste sous laquelle on peut édifier cent -monuments et, de fait, en 1900, nous y avons vu -les toits de toute une ville. Certes, ni la substitution -de l’ogive au plein cintre, ni la substitution du -plein cintre au linteau, n’ont donné au constructeur -une puissance aussi formidable. Bien. Maintenant, -considérez la forme de cette voûte, de ces fermes, où -l’architecte n’a voulu imiter aucune forme ancienne, -mais a suivi simplement les indications du calcul. Il -vous semble bien que vous l’avez déjà vue: c’est -l’<i>ogive surbaissée</i>. Elle est, sans doute, gigantesque. -C’est la plus grande ogive surbaissée qu’on ait jamais<span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">[41]</a></span> -dessinée. Mais le chiffre ne fait rien à l’affaire et une -forme n’est point nouvelle pour être tracée sur une -échelle plus grande que par le passé. Rappelez-vous, -maintenant, ou considérez toutes les courbes -nécessitées, fournies naturellement, sans désir -d’esthétique et sans prétention à reproduire ni à -inventer, par les auteurs des principaux monuments -de fer: le palais des Arts libéraux en 1889, et celui -du Génie civil en 1900; le pavillon de la République -du Chili en 1889, les palais de l’Exposition -de Chicago, l’église de la Trinité, la bibliothèque -Nationale et la bibliothèque Sainte-Geneviève, la -gare Saint-Pancrace à Londres, le hall de l’hôtel -Terminus à Paris, la gare de Cologne, et vous -verrez que, dans toutes ces courbes que donne le -fer pour soutenir un toit,—ce qui est la principale -fonction et le nœud de toute architecture,—on -retrouve:</p> - -<p class="pi6 p1">L’ogive surbaissée,<br /> -L’arc en anse de panier,<br /> -L’arc bombé,<br /> -Le plein cintre brisé,</p> - -<p class="pn1">toutes formes que la pierre a fortement exprimées -depuis des centaines d’années,—ou bien le fronton -à arbalétriers droits qui répète exactement le -dessin fourni par les poutres de bois dans les plus -humbles maisons de nos villages et dans les plus<span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">[42]</a></span> -anciennes <i>Adorations des bergers</i> de nos musées.</p> - -<p>Quelle est donc cette nature «nouvelle», qu’on -affirme qu’il faut respecter, et quel est cet enseignement -essentiel qu’on prétend qu’il faut suivre? -Il est bientôt dit que le fer ne doit pas imiter -la pierre, mais ce qu’on devrait nous indiquer, -c’est ce qu’il nous suggère au point de vue des -formes, qui ne soit contenu dans la pierre et -qu’elle ne signifie pas mieux que lui? Il est bientôt -dit qu’il faut accepter franchement les formes nouvelles -qu’il nécessite, mais ce qu’on ne nous dit -pas, c’est ce qu’il nécessite de formes nouvelles, -car nous avons bien vu ce que le fer <i>supprime</i> d’une -construction, mais non pas ce qu’il <i>y apporte</i>; et -enfin, c’est une opinion à laquelle nous souscrivons -volontiers, que, pour dégager sa beauté, il faut -laisser agir librement sa nature, mais, encore un -coup, que fait sa nature, quand on la laisse agir -librement?</p> - -<p>Or, il le faut avouer: elle ne fait rien, car le fer -n’a pas de nature, ou plutôt sa caractéristique -même, ou, si l’on veut, sa nature, c’est précisément -de n’en point avoir! Oh! ce n’est point qu’il -oppose à l’artiste plus d’obstacles que la pierre! -C’est précisément l’inverse! Avec le fer, l’artiste -modèle son monument sur la forme qu’il veut, -car le plus résistant des matériaux est aussi le<span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">[43]</a></span> -plus souple. Il peut bâtir un hall avec plus de -colonnes qu’une forêt n’a de fûts, une basilique -avec autant de coupoles qu’une framboise a de -graines: Zara ou Sainte-Sophie ne sont qu’un jeu -pour lui. Sous ses doigts le fer se tresse comme, -sous les doigts du vannier, la paille. Quand on voit -les charpentes des maisons métalliques, on songe -aux <i>lento... alvearia vimine texta</i>, que décrit le -poète. Et, en effet, ce sont bien des ruches et des -corbeilles renversées qui semblent posées sur les -bords de la Seine, dans les palais de l’Horticulture -et de l’Arboriculture, des nasses d’osier tirées hors -de l’eau sur les bords du fleuve, où elles paraissent -guetter un poisson monstrueux.</p> - -<p>Le fer peut se prêter à plus de fantaisies encore. -Avec lui et avec les autres progrès qu’il rend possibles, -n’importe qui peut, n’importe où, bâtir -n’importe quoi. Il triomphe donc de toutes les lois -historiques de l’architecture et les renverse.</p> - -<p>Longtemps l’architecture, comme la plante, naissait -du sol et s’accommodait au ciel du pays où on -l’avait conçue. Le ciel influait et pesait sur la -forme de ses toits, pendant que, de la terre qui en -fournissait les matériaux, jaillissaient ses murs. -Ainsi, la nature du sol en dictait jusqu’à un certain -point la forme et l’ornementation. La possession -du [Greek: leukos lithos] par les Grecs fut la première condition<span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">[44]</a></span> -de leur art; de même, l’existence des carrières -de marbre coloré, près de Vérone, et de marbre -blanc et de serpentine verte, entre Pise et Gênes, -a influencé toute l’architecture gothique dans le -nord de l’Italie, comme l’argile de la terre d’Iran -est la condition première des admirables terres -cuites des monuments de Susiane. Le <i>quid -quæque ferat regio et quid quæque recuset</i> de Virgile -était, jadis, une formule aussi juste en architecture -qu’en agronomie.</p> - -<p>Aujourd’hui, tout est changé. Déjà, le toit a -perdu son caractère indicatif du climat. Dans -toutes les villes modernes de toutes les régions -du globe, il se réduit et s’égalise selon la coupe -uniforme des <i>brisis</i>. Et le mur ne naît plus de la -terre, ne reproduit plus les carrières de sa région, -du jour où le fer, qui est quasi le même partout, -l’a remplacé.</p> - -<p>Plus puissant que le tailleur de pierre sur ce -point, le manieur de fer l’est encore sur d’autres. -La lutte entre la pesanteur et la résistance, qui -constitue, comme l’a très bien vu Schopenhauer<a name="FNanchor_3_3" id="FNanchor_3_3"></a><a href="#Footnote_3_3" class="fnanchor">[3]</a>, -l’intérêt esthétique de la belle architecture, n’est -pour lui qu’un jeu.</p> - -<p>Seulement, s’il est vrai que la tâche de l’artiste<span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">[45]</a></span> -soit de faire ressortir cette lutte d’une manière -complexe et parfaitement claire, plus le jeu est -facile pour lui, et plus l’expression d’un effort -qu’il ne fait pas lui est malaisée. A mesure que -l’acier se perfectionne, sa propriété ou sa faculté -et, par conséquent, la tendance logique de son -employeur est de réduire de plus en plus les -formes de la construction. Non qu’on puisse -amincir indéfiniment les fermes d’un édifice. Il -est un point au delà duquel un support ne peut -plus être réduit, de quelque matière perfectionnée -qu’on l’imagine, car il ne se supporterait plus -lui-même. Mais parce qu’aujourd’hui, avec des -fermes de même épaisseur qu’autrefois, mais de -meilleur acier et de plus d’homogénéité, on peut -allonger davantage des courbes, recouvrir des -espaces beaucoup plus grands: l’épaisseur n’augmentant -pas quand la portée s’étend, cela équivaut, -pour l’œil, en somme, à réduire l’aspect de -la construction. Toute la nature du fer consiste -donc à accuser moins les formes qu’accusait la -pierre, sans en accuser de nouvelles que la pierre -n’accusait pas. Il remplit la même fonction que -la pierre, mais il ne montre pas aux yeux qu’il la -remplit. Pour qu’on l’aperçoive, pour qu’on distingue -où porte l’effort, l’architecte est obligé -d’exagérer, artificiellement et sans nécessité, les<span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">[46]</a></span> -dimensions. Il faut qu’il renfle le dessin de sa -ferme là où elle a le principal poids visible à soutenir, -et qu’il marque, par quelque ornement -voulu, le point où se trouve la rotule. Mais ni ce -renflement, ni cet ornement ne sont indiqués par -le fer, comme l’importance et l’ornementation de -la clef de voûte, par exemple, l’étaient par la -pierre. L’architecte les choisit à sa guise. Le fer -ne lui dicte rien, parce qu’il n’oblige par lui-même -à aucun style particulier de construction. Il peut -les reproduire tous et il n’en produit spécialement -aucun. Il a le défaut des esprits assimilateurs à -l’excès: il n’est pas créateur. C’est le Protée des -matériaux. Admirable pour supporter quelque chose -d’autre, il ne se manifeste point aux yeux par lui-même. -Précisément parce qu’il <i>permet</i> tout, il -n’<i>ordonne</i> rien.</p> - -<p>Et pourquoi le fer n’a-t-il pas de caractères -esthétiques à lui? Pourquoi n’a-t-il pas de nature? -Nous touchons à la raison et à la cause profondes -qui distinguent le fer de tous les matériaux -employés jusqu’ici. Ceux-là étaient naturels; celui-ci -est artificiel.</p> - -<p>La pierre, comme le bois, est une matière directement -tirée de la nature. L’architecte peut en -changer la forme, non la substance. Il peut poser -la pierre en «délit»; il peut la polir; il peut<span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">[47]</a></span> -l’évider. Mais la même âme continue d’habiter -cette matière et de lui donner sa vie: âme formée -lentement, avant les premières âmes humaines. -Le fer, lui, est formé d’hier. Il est une transformation -faite sous la main de l’homme. Il est un -mélange de minerais divers, tirés de diverses -régions. Il a été fondu, coulé, converti, laminé. -Il ne tient plus à la nature. Le fil qui le reliait à -elle est coupé. Il lui est devenu étranger. Vous ne -pouvez plus compter sur les forces et les beautés -naturelles pour l’animer encore. Il n’y a plus, dans -le fer, les nœuds du bois, qui sont des obstacles, -ni la direction des fibres, qui sont des entraves, -mais qui sont des guides. Ici, tout est égal, tout -est uniforme, docile, prêt à prendre n’importe -quelle figure. Rien n’indique une figure plutôt -qu’une autre, rien ne la suggère, rien ne l’appelle, -rien ne la fuit. C’est à la fois le triomphe du progrès -scientifique et son châtiment. Car, en même -temps que vous avez dominé les résistances de la -nature, vous avez perdu son enseignement. En -art, comme ailleurs, on ne s’appuie que sur ce -qui résiste.</p> - -<p>Oh! sans doute, maintes fois dans l’Art, on s’est -servi de matériaux qui n’avaient point de nature -propre plus que le fer: la brique ou le stuc, -par exemple, et l’on a fait des chefs-d’œuvre. Mais<span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">[48]</a></span> -des chefs-d’œuvre de fantaisie et non de logique. -Jamais on ne leur a demandé de dicter des formes -«spécifiques», et bien au contraire ce sont les -formes les plus artificielles issues de l’imagination -humaine qu’on leur a imposées. Et les dentelles -ou les «nids d’abeilles» de l’architecture -arabe, pour ne citer qu’un exemple, sont les -choses les moins logiques du monde, puisque, -sous des poutres horizontales, on a dessiné des -arcs fictifs qui n’ont rien à porter, puisque la voûte -et l’arcade qui semblent les soutenir ne sont que des -superfluités ornementales, des mensonges architecturaux, -dérivés de matières toutes différentes: -l’ogive inspirée de la pierre et les dentelures, du -bois, et qu’enfin, l’artiste a joué de la matière malléable -qu’il maniait sans aucun souci de la nature -particulière de cette matière et n’écoutant que sa -fantaisie!</p> - -<p>Puis donc que vous ne pouvez plus compter sur -les forces et les beautés naturelles du fer pour -l’animer encore—et la preuve, c’est que les -ruines du fer ne sont que des détritus, quand les -ruines de la pierre—regardez les gravures de -Piranese—sont encore des monuments,—c’est -à vous de lui donner une âme en échange de l’âme -naturelle qu’il a perdue. Il faut, puisque toute sa -substance a été formée par l’homme, que l’homme<span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">[49]</a></span> -aussi se charge de sa beauté. Vous astreindre ou -vous restreindre aux formes strictement nécessitées -par le calcul des forces, c’est retourner aux -formes de la pierre ou bien vous résigner à ne -plus montrer de formes du tout! Vous borner à -l’utile pouvait être bon avec les matières anciennes: -avec la nouvelle, vous devez viser au superflu. -Que seraient les admirables grilles de Jean Lamour, -s’il s’était laissé conduire par la logique? -Avec le fer, il n’y a de salut que dans l’exubérance, -dans la végétation même parasite, même folle, -que dans la richesse! Pourquoi ne pas quadrupler, -par exemple, les pieds-droits qui supportent -les arbalétriers, les évider davantage et en multiplier -les lignes ornementales sur quatre faces -plates, mais ajourées; pourquoi ne pas suspendre -des dentelles et des forêts de fer aux voûtes. Pourquoi -ne pas déployer les fleurs et les feuilles, les -branches et les rameaux qu’on ne pouvait projeter -au loin avec la pierre ni, sur une grande -dimension, avec le bois? Pourquoi, en un mot, -quand on manie du fer ne pas tenter de la <i>ferronnerie</i>? -Que les artistes saisissent donc l’outil -géant et qu’ils le plient à la colossale besogne! -Qu’ils rêvent et qu’ils osent! Mais qu’ils ne comptent -donc pas sur sa «logique». Qu’ils ne comptent -que sur leur propre enthousiasme. Si les poutrelles,<span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">[50]</a></span> -les mailles, les treillis, les entretoises de -fer ne sont qu’une ossature, si ce n’est qu’une pile -d’ossements inertes, c’est l’artiste qui doit dire, -comme Ézéchiel dans le cantique fameux: «Je -vais envoyer un esprit en vous, et vous vivrez. -J’étendrai sur vous des nerfs, j’y formerai des -chairs et des muscles, je les revêtirai de peau, je -vous donnerai un esprit, et vous vivrez. Esprits, -accourez des quatre points de l’horizon, soufflez -sur ces morts, et faites qu’ils revivent!...»</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">[51]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<p class="pc4 xlarge">DEUXIÈME PARTIE</p> - -<p class="pc2 large font1"><b>LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME</b></p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">[52]</a></span></p> -<p> </p> -<p><span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">[53]</a></span></p> - -<h2 class="p4">LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME</h2> - -<p class="p2">L’Impressionnisme a déposé son bilan. Vous le -trouverez, au Luxembourg, dans la salle Caillebotte. -Il a aussi figuré à l’Exposition de 1900, et -dans les multiples occasions où M. Durand-Ruel -rassembla, pour notre édification, des meules -mémorables et de surprenantes cathédrales.</p> - -<p>Plusieurs musées étrangers, à Berlin, à Amsterdam, -en contiennent des morceaux, des chapitres -ou des justifications, et des collections particulières -réunissent assez d’œuvres des maîtres impressionnistes -pour qu’on puisse porter maintenant un -jugement précis sur ce mouvement d’art contemporain.</p> - -<p>Ce serait une injustice de juger tout l’impressionnisme -par quelques exemples, si bien choisis -soient-ils. Mais c’est peut-être une injustice aussi -que de laisser plus longtemps les partisans de -cette École couvrir de mépris les maîtres d’hier, -sans nous aviser de regarder ce qu’à leur tour ils -ont produit et sans nous demander si ce mouvement,<span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">[54]</a></span> -qui fit tant de bruit, a fait aussi quelque -besogne. C’est notre droit de ne plus permettre, -après trente ans écoulés, que l’Impressionnisme se -borne, pour affirmer son existence, à montrer les -défaillances des Écoles anciennes, et, pour élever -son monument, à entreprendre des démolitions.... -C’est pourquoi, sans le juger uniquement d’après -la salle Caillebotte, mais en y prenant la plupart -de nos exemples, nous allons rechercher ce que ce -mouvement a produit: quel fut son point de -départ et quel est son point d’arrivée, si ce fut une -fantaisie et une gageure de quelque ambitieux, -ou, au contraire, s’il répondait à un ensemble de -conditions nouvelles du pittoresque dans la nature -et dans la vie, si ce fut un mouvement méprisable -ou un effort vaillant, si cet effort a conduit à un -succès ou à un avortement, s’il a réussi, à quoi? et -s’il a avorté, pourquoi?—en un mot, à dresser -son bilan.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">[55]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE I</h2> - -<p class="pc2"><b>Ses causes.</b></p> - -<p class="p2">Lorsqu’un matin de 1877 éclata, rue Lepeletier, -la première grande révolte impressionniste, ce fut, -dans le public, un éclat de rire, mêlé de cris d’horreur. -On avait vu, çà et là, des tentatives collectives -de ces révolutionnaires et l’on en avait déjà discuté, -mais ils ne s’étaient pas révélés encore avec -cet ensemble, cette audace et cette discipline qui, -d’une foule, faisait une armée. Les vieux peintres, -eux, ne riaient pas. Beaucoup considéraient ce -spectacle, avec le désespoir morne, l’abattement -profond qu’ont les patriciens romains devant leurs -villas envahies par les Huns, dans le tableau de -M. Rochegrosse. Que va-t-il advenir, se disaient-ils, -des meubles précieux qui ornaient nos paysages -académiques, des couleurs délicates qui les embellissaient, -de la vie douce qui s’écoulait sous les -arbres de M. Paul Flandrin, dans la compagnie<span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">[56]</a></span> -des pasteurs de M. Gérome? Quelques-uns, aussi -vieux, mais plus sages, considéraient ces paysages -inconnus, l’un après l’autre, avec d’obscures velléités -de voyage et d’émancipation, comme on se -figure les Espagnols du <span class="smcap">XVI</span><sup>e</sup> siècle regardant les -vélins que déployaient devant leurs yeux les Juan -de la Cosa et les Hojeda, révélation d’un autre -hémisphère, terres nouvelles, terres de soleil et -d’or.... Mais la plupart de ceux qui visitèrent cette -exposition n’y virent qu’une gageure d’artistes -affamés de bruit et qu’une fantaisie de jeunes gens -pressés de se divertir aux dépens de l’Institut.</p> - -<p>Ce n’était cependant pas une gageure. Rien, au -contraire, de plus logique, rien de mieux préparé, -presque rien de plus inévitable que cette apparente -fantaisie. C’était en réalité une réaction et—en -dépit des sujets qui cachaient son sens profond—c’était -une réaction idéaliste. Elle était amenée -par deux choses: par le désir de peindre la vie -moderne et par l’impossibilité d’en faire une représentation -réaliste. Elle naissait forcément des conditions -pittoresques nouvelles de la nature telle -que nous l’avons déformée. Elle s’alliait par -d’obscures affinités aux tendances analytiques de -l’esprit contemporain et répondait fort exactement, -quoique inconsciemment, aux nouvelles conceptions -panthéistes. Ce serait une profonde injustice<span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">[57]</a></span> -que de comparer ces chercheurs à aucun de ceux -qui, depuis, se sont disputé le succès d’une saison: -les symbolistes, les «inquiets», les rose-croix ou -les «peintres de l’âme», c’est-à-dire proprement -de rien. L’Impressionnisme apportait aux artistes -épris de réalisme et de modernité le seul moyen -d’idéaliser ce réalisme et de sauver cette modernité.</p> - -<p>En effet, l’idée qui dominait toute la critique, il -y a trente ans, à l’époque du réalisme, était que -l’artiste devait «peindre son temps». Notre temps, -disait-on, est aussi digne d’être représenté par l’art -que celui des héros et des dieux. Il n’offre pas des -spectacles moins intéressants, ni des formes moins -belles. D’ailleurs, il n’y a pas de formes belles en -soi: il n’y a que des formes plus ou moins révélatrices -de la vie, de la civilisation, du caractère, de -la pensée. Si nous trouvons plus beau le peplum -que la redingote et plus pittoresque le lampion que -le haut de forme, c’est habitude des yeux et mirage -du passé. L’usine vaut le temple, l’habit vaut le -pourpoint, et la locomotive, le cheval de Phidias. -Il n’y a pas de hiérarchie dans les «sites». A quoi -bon faire le voyage d’Italie, même de Bretagne? -«Pourquoi ces peuples?» Le beau est à nos portes: -Chatou, Ville-d’Avray, Clamart, valent tous les -horizons de l’Oberland ou de Taormine. Il n’est<span class="pagenum"><a name="Page_58" id="Page_58">[58]</a></span> -même pas besoin d’aller si loin: les fortifications, -la banlieue, les couches, les gazomètres, un train -de ceinture qui passe, un chiffonnier qui songe en -son gîte, un «petit bourgeois qui peint sa porte -en vert». Voilà ce que l’art vraiment vivant doit -représenter.</p> - -<p>Les artistes ont écouté ces théories. Ils sont -allés regarder les couches, le train qui passait, le -petit bourgeois qui peignait sa porte en vert,—et -ils les ont trouvés fort laids. Mais tout enflammés -par les suggestions de la littérature, ils ont proclamé -que c’étaient là des sujets très sortables, et -qu’il fallait dorénavant s’y dévouer. Seulement, -comme ils étaient réellement artistes, voici que, -tout en peignant ces formes, ils se sont mis en -devoir de les transformer entièrement.</p> - -<p>A la vérité, la transformation n’était pas facile.</p> - -<p>Puisqu’on ne voulait plus ni composition, ni -arrangement, ni symboles, ni «stylisation», puisqu’il -fallait que l’art représentât des choses laides -en soi, des lignes monotones ou prétentieuses, -comment modifier l’aspect absurde et le décor -trivial? Un seul moyen restait aux réalistes pour -s’évader du laid réel: la couleur.</p> - -<p>La couleur, en effet, demeure dans le décor de -la vie moderne aussi belle, aussi variée, aussi riche -d’effets qu’aux plus grandes époques du passé. Le<span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">[59]</a></span> -paysage d’aujourd’hui est aussi coloré que celui -d’autrefois. Il l’est peut-être davantage, car l’industrialisme -et le progrès, qui ont détruit tant de -belles lignes dans nos campagnes, ont rarement -supprimé de belles couleurs. Le plus souvent, au -contraire, ils ont ajouté à la variété des teintes. Si -vous observez, dans la nature, quelque paysage -poussinesque, dont les maisons, les vide-bouteilles, -les usines, un pont, un tramway, sont venus -détruire l’harmonie linéaire, vous trouverez toujours -que ces nouveautés ont accru la variété et -l’éclat de son harmonie coloriste: les rouges des -tuiles, les noirs fins des ardoises, les jaunes frais de -la terre fraîchement relevée en talus ou les sections -saignantes des terres rougeâtres, les verts beaucoup -plus riches et plus variés des cultures -maraîchères succédant à la monotonie de la grande -culture, les blancs crus des viaducs neufs, les dos -noirs des usines et même les tremblantes colonnes -de leurs grises fumées, ajoutent à un paysage -dévasté par l’industrialisme des colorations gaies -que ce paysage, sans lui, n’aurait pas connues. -Quand le peintre du moyen âge s’en allait à la campagne, -il trouvait de plus belles ordonnances de -lignes que nous, mais non pas autant de couleurs. -Il n’apercevait, parmi le vert toujours semblable du -même arbre, ni assurément les plantes exotiques<span class="pagenum"><a name="Page_60" id="Page_60">[60]</a></span> -et d’agrément qui égayent nos jardins, ni même -une foule d’arbres comme le vernis du Japon, -l’acacia, le platane, le marronnier ou le mûrier, qui -font partie intégrante de nos paysages modernes. -La maison de chaume, qu’on voit encore dans les -paysanneries des Le Nain, était moins colorée que -la ferme couverte de tuiles que peint M. Sisley. En -mer, une bouée rouge avive un vert glauque -d’eau. Il n’est pas jusqu’aux affiches, aux écriteaux -de couleur crue, dont la réclame gâte les lignes de -nos paysages qui, vus de loin, ne fournissent des -touches piquantes pour relever la monotonie des -verts. Plus la civilisation s’empare d’un coin de -la nature, plus elle le colore. La campagne du -XVII<sup>e</sup> siècle était monochrome comme une botte de -foin; celle du <span class="smcap">XX</span><sup>e</sup> siècle sera variée comme un bouquet -de fleurs....</p> - -<p>Dans nos villes, le phénomène est moins évident. -Tant que dure le jour, nos rues, attristées par la -foule noire des peuples modernes toujours en -deuil, ne fournissent pas au peintre plus de couleurs -que les rues bariolées de jadis. Mais quand -vient la nuit, éclate une floraison inconnue de nos -pères. Quand, un soir d’hiver, avec la pluie, on -passe sur la place du Carrousel, on voit une orgie -de diverses lumières se traîner et s’éparpiller -dans l’eau où se mêle le sang des lanternes d’omnibus,<span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">[61]</a></span> -qui éclabousse le pavé, l’or des becs de -gaz, qui se liquéfie dans les flaques, la neige des -lampes électriques qui fond et se dilue sur toute la -surface humide, les vers luisants des fiacres, qui -sautillent de flaque en flaque, et sous cette clarté -fade, les carapaces des coupés vernis qui font -reluire, çà et là, des arêtes d’argent. La nature et -la vie de nos cités pouvaient donc servir de thème -à de vrais artistes, pourvu qu’en dissimulant la -ligne, ils exaspérassent la couleur.</p> - -<p>C’est ce qu’ont fait les impressionnistes. Ils ont -bien représenté, selon la formule réaliste, les -spectacles de la vie moderne, mais en les éclaboussant -de tant de couleur, qu’on ne les reconnaît -plus. Quand la nature était laide, ils ont tâché -de la dissimuler à l’aide de la nature même. Ils -ont demandé au soleil d’effacer les lignes disgracieuses, -comme autrefois on l’aurait demandé à -l’ombre. Et quant à notre vêtement noir, uniforme, -aux inexplicables élytres, quant à ce chapeau que -Mallarmé appelait «quelque chose de sombre et -surnaturel», les impressionnistes les ont bien -représentés, puisqu’il était entendu que toute -forme est également noble et toute couleur également -plaisante, mais ils les ont mis sous un soleil -si ardent avec M. Renoir ou à de si fantasques -clartés de rampe et de herse, avec M. Degas, que<span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">[62]</a></span> -l’habit tout violacé de coups de soleil, le chapeau -tout cabossé de reflets artificiels, ne conservent -plus ni leur ingrate forme primitive, ni leur monotone -couleur.</p> - -<p>Ce point a été très clairement aperçu par -M. Henry Naegely, tandis qu’il burinait la grande -figure de Millet d’un trait plus profond et plus sûr -que les sculpteurs du monument de Barbizon: -«Sans doute, dit-il, une nouvelle et très intéressante -perception des effets du rayon solaire est le -trait le plus frappant de la peinture moderne, perception -basée sur l’observation, mais basée, je -crois, plus encore sur le désir inné, violent, quoique -seulement à demi conscient, de donner quelque -splendeur légitime aux choses sordides et vulgaires -qui nous entourent aujourd’hui<a name="FNanchor_4_4" id="FNanchor_4_4"></a><a href="#Footnote_4_4" class="fnanchor">[4]</a>...» Parmi ces -choses, est la locomotive dont on nous avait dit, -en prose et en vers, qu’il n’y avait pas de raison -pour qu’elle fût exclue de l’art, car elle représentait -la civilisation en marche. Et, en effet, il n’y -avait pas d’autre raison que celle-ci,—qu’elle était -inesthétique. Les impressionnistes se sont attaqués -à ce problème et l’ont résolu de la façon la -plus simple. Sous prétexte de mieux montrer les -lumières reflétées par le monstre, ils ont caché le -monstre.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">[63]</a></span></p> - -<p>Déjà Turner, dans son fameux <i>Grand chemin de -fer de l’Ouest</i>, avait trouvé ce moyen de faire -entrer dans l’art les formes de l’industrie moderne. -Les impressionnistes l’ont suivi. Il n’est besoin -que de voir à la salle Caillebotte, au Luxembourg, -la <i>Gare Saint-Lazare</i> de M. Monet ou son <i>Pont de -l’Europe</i>, pour constater cette loi. Pas une ligne -n’est ici visible, pas un engin industriel n’y est -représenté dans sa forme. Tout n’y est que couleurs, -sous un soleil éblouissant qui les surexcite, -sous des fumées qui les mélangent et dans un -mouvement qui les fait vibrer. Les tirants des -combles de la gare sont d’or, les locomotives de -saphir, les wagons d’émeraude. En sorte que la -théorie moderniste voulant que toute forme moderne -soit esthétique, du moment qu’elle reproduit -les besoins et les aspirations de la vie, s’est -réduite pratiquement à cacher cette forme sous -d’éclatantes couleurs. Et après avoir démontré, -par de beaux syllogismes, qu’une gare de chemin -de fer était aussi digne d’être représentée que les -ruines de Tivoli ou que le temple de Vesta, les -modernistes n’en ont pu faire un beau tableau qu’à -la condition d’en brouiller toutes les lignes sous des -flots d’une vapeur lumineuse, qui, elle, n’a rien de -plus moderne que le soleil lui-même d’où elle tire -toute sa beauté.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">[64]</a></span></p> - -<p>De là, leur nom d’impressionnistes. Ils le prirent, -dit-on, pour relever une injure qui leur était -adressée par leurs détracteurs et dont ils se firent -leur titre de gloire, comme les révoltés des Pays-Bas -s’en firent un de l’injure de «gueux». On la -leur jeta comme une pierre: ils s’en parèrent -comme d’un joyau. Il se peut que cette histoire -soit vraie, mais elle n’est nullement indicative de -leur rôle. Si ces peintres méritent le nom d’impressionnistes, -c’est, qu’en effet, ce qu’ils cherchèrent -à reproduire de la nature c’était non pas -la substance qu’elle annonce, mais le rayonnement. -Ils ne prétendaient qu’aux qualités que donne la -vision juste, mais hâtive d’un effet éclatant, mais -fugitif. Ils ne se chargeaient point de nous fournir -tout le détail, tout l’agencement, toute la raison -d’être des choses, mais seulement l’«impression».</p> - -<p>Par là, ils se réservaient un avantage que connaissent -bien tous ceux qui ont fait des études -d’après nature et qui, ensuite, ont voulu les transformer -en tableaux. Ce que l’analyse de l’atelier -n’arrive pas à débrouiller, la hâte de la pochade le -synthétise; ce que le souvenir ne fournit plus, la -couleur prise sur le vif, devant la nature, le donne. -L’«Impression» est une admirable metteuse en -scène et ce n’est pas sans raison que Delacroix -dans son <i>Journal</i>, en 1859, Champrosay, 9 janvier,<span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">[65]</a></span> -se promettait de réfléchir: «<i>Sur la difficulté -de conserver l’impression du croquis définitif...</i>».</p> - -<p>Inspirés par une idée juste de leur époque, -inconsciemment pénétrés du désir de l’idéaliser, -servis par des organes très pénétrants et très sensibles, -enfin munis d’une retentissante étiquette, -les impressionnistes, les Renoir, les Monet, les -Pissarro, les Cézanne, les Sisley, pouvaient accomplir -dans notre art du <span class="smcap">XIX</span><sup>e</sup> siècle un rôle utile.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">[66]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE II</h2> - -<p class="pc2"><b>Ses vérités.</b></p> - -<p class="p2">«Ce fameux Beau que quelques-uns voient dans -la ligne serpentine, les autres dans la ligne droite, -ils ne le voient tous que dans les lignes. Je suis à -ma fenêtre et je vois le plus beau paysage. L’idée -d’une ligne ne me vient pas à l’esprit. L’alouette -chante, la rivière réfléchit mille diamants, le feuillage -murmure....» Ainsi parle Delacroix dans une -de ses lettres et cette réflexion nous révèle à quel -point l’idée du dessin l’emportait, autour de lui, -sur l’idée de la couleur. Le mot: «Je mettrai sur -ma porte: <i>École de Dessin</i>, et je formerai des -peintres», dit par Ingres, résumait à peu près tout -l’esprit de l’enseignement. Même dans le paysage, -sous le fouillis des branches ou les averses du soleil, -on cherchait d’abord la ligne, l’exacte délimitation -d’un plan par un autre, la construction anatomique -d’un arbre, le «beau feuillé». Par là-dessus,<span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">[67]</a></span> -se posait la couleur généralement forte, -mais sagement contenue par le dessin, respectant -les limites posées par la ligne, les exagérant parfois -encore par ses contrastes, ne se permettant -pas un éclat qui eût brouillé l’ordonnance, comme -un vers qui sur le suivant n’ose se permettre le -moindre enjambement. La révolution, commencée -par Corot et par les paysagistes de Barbizon, -n’était point encore arrivée au point où semblait le -souhaiter Delacroix, car «l’idée d’une ligne» -venait encore à tous les esprits. C’est alors que -parut Claude Monet.</p> - -<p>Regardez son <i>Église de Varangeville</i>, son <i>Champ -de tulipes à Sassenheim</i>, son <i>Antibes</i>, regardez les -toiles de M. Renoir, de M. Pissarro. On n’y voit -pas plus de lignes que Delacroix n’en apercevait -de sa fenêtre. Et en plein soleil, il en est souvent -ainsi. Dans le miroitement des eaux, des feuilles, -des rayons, lorsqu’il n’y a ni solennelles constructions -de beaux arbres au premier plan, ni grands -découpages de montagnes à l’horizon, dans les -sites médiocres explorés par nos modernistes, on -ne perçoit rien autre chose qu’une harmonie de -tons. La nature est couleur plus que lignes: voici -la première découverte de l’Impressionnisme.</p> - -<p>La seconde est que les ombres mêmes sont des -couleurs. Assurément les coloristes, les Titien, les<span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">[68]</a></span> -Rubens s’en étaient bien doutés. Mais la foule des -peintres l’avait oublié et l’école ne l’enseignait -point.</p> - -<p>Or il suffit du plus rapide coup d’œil pour le -reconnaître. Si quelque objet coloré, placé près de -votre fenêtre sous un rayon de soleil, vous paraît -divisé en deux régions, l’une lumineuse, l’autre -ombrée, vous êtes tenté de représenter ce côté -ombré par un ton de charbon. Mais ne vous hâtez -pas de le faire. Placez devant le côté sombre -quelque chose de vraiment noir, le morceau de -fusain, par exemple, avec lequel vous alliez le dessiner: -voici que, par comparaison, vous verrez -briller dans cette ombre, que vous pensiez noire, -une couleur que votre fusain sera impuissant à -donner. Vous alliez peindre cela en noir et vous -auriez fait une ombre morte; dans la nature, pourquoi -vit-elle? c’est parce qu’elle est une couleur.</p> - -<p>Ceci est fort simple à voir, si, pour voir, on ne -fait usage que de ses yeux, mais l’éducation nous -y met des lunettes, qui nous empêchent de voir, -comme elles sont, les choses les plus simples et, à -force d’avoir entendu faire des associations de -mots comme: «l’ombre noire», nous nous sommes -accoutumés à prendre du noir pour exprimer -l’ombre. Même aux meilleurs artistes, il a fallu de -longues réflexions pour distinguer, avec leurs<span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">[69]</a></span> -yeux, ce que l’éducation les empêchait de sentir. -Ce n’est pas en travaillant dans son atelier, mais -en regardant au dehors, que Delacroix écrivait, le -7 septembre 1856, dans son <i>Journal</i>, ces mots qu’on -ne saurait trop méditer: «Je vois de ma fenêtre -un parqueteur qui travaille nu jusqu’à la ceinture, -dans la galerie. Je remarque, en comparant sa couleur -à celle de la muraille extérieure, combien les -demi-teintes de la chair sont colorées en comparaison -des matières inertes. J’ai observé la même -chose, hier, sur la place Saint-Sulpice, où un -polisson était monté sur les statues de la fontaine, -au soleil, <i>l’orangé mat dans les chairs, les violets -les plus vifs pour le passage de l’ombre et des -reflets dorés dans les ombres qui s’opposaient au -sol</i>. <i>L’orangé et le violet</i> dominaient alternativement -ou se mêlaient. Le ton doré tenait du vert. -<i>La chair n’a sa vraie couleur qu’en plein air et surtout -au soleil.</i> Qu’un homme mette la tête à la -fenêtre: il est tout autre qu’à l’intérieur: de là, la -sottise des études d’ateliers, qui s’appliquent à -rendre cette couleur fausse<a name="FNanchor_5_5" id="FNanchor_5_5"></a><a href="#Footnote_5_5" class="fnanchor">[5]</a>.»</p> - -<p>En même temps que Delacroix, au hasard de ses -flâneries, découvrait cette loi, voici que, loin de -lui, un inconnu, un Anglais, la découvrait aussi et<span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">[70]</a></span> -l’enseignait, selon son habitude, impérieusement: -«Toutes les ombres ordinaires devraient être de -quelque couleur, jamais noires, ni approchant du -noir, elles devraient être évidemment et toujours -d’une lumineuse nature, et le noir devrait apparaître -étrange parmi elles, comme, parmi une foule -joyeuse et bigarrée, un moine<a name="FNanchor_6_6" id="FNanchor_6_6"></a><a href="#Footnote_6_6" class="fnanchor">[6]</a>.» Et, quelques -années plus tard, ce même Anglais qui enseignait -à Oxford, et qu’il faut bien me permettre de citer -encore, puisque nul avant lui n’avait prévu, et nul -depuis lui n’a si clairement exposé la thèse impressionniste, -disait encore: «Tenez pour certain le -fait que les ombres, quoique naturellement plus -sombres que les lumières, vis-à-vis desquelles elles -jouent le rôle d’ombres, ne sont pas nécessairement -des couleurs moins vigoureuses, mais peut-être de -plus vigoureuses couleurs. Quelques-uns des plus -beaux bleus et des plus beaux pourpres dans la -nature, par exemple, sont ceux des montagnes vus -dans l’ombre, contre le ciel couleur d’ambre, et -l’obscurité du creux dans le centre d’une rose sauvage -est un éclat de feux orangé dû à la quantité -de ses étamines jaunes. Or les Vénitiens virent -toujours cela, et tous les grands coloristes le voient -et se séparent ainsi des non-coloristes ou écoles de<span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">[71]</a></span> -pur clair-obscur, non par une différence de style -seulement, mais parce qu’ils sont dans la vérité, -tandis que les autres sont dans l’erreur. <i>C’est un -fait absolu que les ombres sont des couleurs autant -que les lumières</i><a name="FNanchor_7_7" id="FNanchor_7_7"></a><a href="#Footnote_7_7" class="fnanchor">[7]</a>.»</p> - -<p>Les impressionnistes l’ont compris. Rompant -bruyamment avec les habitudes de l’École, ils ont -fait les ombres non pas noires, non pas grises, non -pas jaunâtres, mais colorées, et comme la complémentaire -du ton le voulait souvent, ils les firent -souvent violettes. Ce fut un cri de stupeur. Personne, -d’abord, ne voulut reconnaître là un effet -observé dans la nature. On parla de «gageure», -de «puffisme» et de «coups de pistolet». Dès -savants vinrent gravement expliquer qu’il n’y -avait, au fond de tout ceci, qu’une maladie de -l’œil et, à la vérité, le violet impressionniste était -bien un peu surprenant; mais si l’on regarde la -<i>Campagne de Rome</i> de Paul Flandrin, on se -demandera en quoi les jaunes par où le paysage -classique exprimait les plantes vertes de ses premiers -plans étaient plus naturels? Et, s’il y avait -maladie de l’œil chez ces jeunes gens qui voyaient -tout en violet, combien les savants physiologistes -n’auraient-ils pas rendu de services en découvrant<span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">[72]</a></span> -la maladie qui avait permis au public pendant si -longtemps de voir le vert des prairies tout noir! -Combien surtout cette découverte fut vaine, -puisque loin de guérir cette maladie chez ceux qui -en étaient déjà affectés, elle n’a pu l’empêcher de -gagner l’immense foule des peintres. Aujourd’hui, -si vous vous promenez à travers les <i>Salons</i> des -pays un peu arriérés ou les collections particulières -de nos amateurs, vous en verrez les traces, non -seulement chez les quasi-impressionnistes, comme -M. Besnard, mais chez les travailleurs les plus -assagis, comme M. Henri Martin, chez Duez, dans -son <i>Déjeuner sur la terrasse</i>, chez les Romantiques -attardés, non seulement en France, mais au delà -des Alpes, mais dans la «sécession» d’Autriche, -mais en Hongrie, mais dans les tableaux qu’on -fait à Christiania ou à Stockholm.</p> - -<p>De plus, ces ombres qui sont une couleur, sont-elles -toujours de la même couleur? Y a-t-il une -couleur d’ombre comme Perrault pensait qu’il y -avait une «couleur de temps»? Non, car elles -varient au gré des objets lumineux qu’elles reflètent. -Vous êtes dans une chambre où le soleil qui -décline éclaire presque horizontalement et embrase -d’un ton chaud tout un coin de la pièce. Votre -interlocuteur oppose au rayon lumineux son profil, -de façon qu’une moitié de sa figure se trouve dans<span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">[73]</a></span> -l’ombre. Analysez cette ombre, vous y découvrirez -une foule de tons que n’a pas la chair: la couleur -de la tapisserie éclairée par le soleil. Placez sur -cette tapisserie un livre rouge: la joue s’enflammera -comme auprès d’un brasier; vert, elle -deviendra livide; bleue, et elle se teindra d’une -blancheur étrange.</p> - -<p>Dans les intérieurs d’appartements, toute surface -réfléchissante s’impressionne de même. Le -marbre de la table d’un coiffeur est vert sous le -flacon de violette, rouge sous le flacon de quinine, -et blanc sous le flacon d’eau de Cologne. En plein -soleil, sous les arbres, sur les eaux, les reflets sont -plus tyranniques encore. L’aile des mouettes qui -se balancent sur les eaux bleues se teint par-dessous -des couleurs qui se balancent au-dessous d’elles. -Il y a, sur les bateaux qui font le service des lacs -en Suisse, un porte-voix de cuivre jaune qui se -recourbe légèrement comme une houlette au-dessus -de l’eau bleue. Par un chaud soleil, quand le lac -est absolument bleu, si l’on considère le dessous -de ce porte-voix, on trouve qu’il est d’un vert -criard, quand le dessus est d’un jaune d’or: c’est -le reflet des vagues.—Une vive lumière peut -éteindre la couleur propre d’un objet et lui en -donner une autre. Le 9 mai de l’année 1900, les -passants qui considéraient la Seine et l’horizon dentelé<span class="pagenum"><a name="Page_74" id="Page_74">[74]</a></span> -de l’Exposition vers six heures et demie du -soir, de la place de la Concorde, n’apercevaient -qu’un brouillard lumineux çà et là piqué de points -d’or. Dans la splendeur du couchant toute forme -avait disparu; seulement le haut des deux mâts de -la porte monumentale brillaient à droite comme -des torches qui commencent à prendre feu. De -l’autre côté de la Seine, deux dômes brillaient d’un -éclat exactement pareil: l’un appartenait au palais -de l’Italie, qui était tout doré, l’autre à celui des -États-Unis, qui était blanc avec de simples filets -d’or,—et le soleil les confondait dans le même -éclat. Enfin, au-dessus d’eux, une cloche d’or suspendue -dans un campanile d’argent lui-même, soutenu -en l’air par des forces invisibles, voilà tout ce -qui restait de la tour Eiffel....</p> - -<p>Ainsi de la figure humaine. Dès qu’elle est -plongée dans un milieu composé de couleurs éclatantes -et diverses, elle en reflète les éclats et les -diversités. Mille silhouettes sont formées sur elle -par les ombres des branches, par les lentilles de -lumière: telles des arabesques et des ramages sur -un vêtement. Si vous regardez avec attention la -petite <i>Paysanne assise</i> de M. Pissarro, vous apercevrez -que si la silhouette suivait les limites de la -couleur, vous pourriez réduire son bras à presque -rien, car toute une moitié n’en est que la continuation<span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">[75]</a></span> -du ton de l’herbe. Et partout le paysage -l’envahit et la tatoue à tel point qu’elle est près de -se dissoudre dans le vert ambiant, selon la formule -fameuse des <i>Déliquescences</i>:</p> - -<p class="pp6 p1">Ah! verte, verte, combien verte<br /> -Était mon âme ce jour-là!</p> - -<p class="p1">C’est de la peinture caméléonne. Les objets -prennent les teintes des milieux où ils sont plongés -et, pour l’impressionniste, nous sommes comme ces -poissons qui changent de couleur selon les eaux -qui les reçoivent. Est-ce là une vue plus fausse de -la nature? Est-il une couleur immuable appropriée -à une chose? Est-il un sentiment qui colore d’une -façon indélébile une âme? Le flot bleu, en arrivant -contre un récif, s’élève, se brise et devient -blanc: c’est pourtant la même eau;... l’angle d’une -table noire, touché par le jour de la fenêtre, se -sertit de blanc bleuâtre: c’est pourtant le même -bois;... un homme d’un esprit sceptique, d’une -volonté inactive, est saisi par l’amour ou par la -douleur et devient un poète ou un apôtre: c’est -pourtant la même âme.... Que la même substance -se colore suivant le milieu de façons différentes et -que chaque couleur différente de ce milieu agisse -en même temps sur elle de façon à la partager, à la -barioler, à la tatouer si l’on veut, selon les mille<span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">[76]</a></span> -hasards de l’ombre, du rayon, du reflet, du nuage -et de l’air, voilà qui n’est pas seulement une fantaisie -impressionniste dans l’art, mais une vérité -profonde à la fois dans la nature et dans la vie.</p> - -<p>Mais ce n’est pas tout. Les taches des reflets ne -séparent pas seulement une même figure en morceaux -de différentes couleurs sur le même plan, -comme une mosaïque: elles en creusent aussi les -surfaces planes, et les sculptent en profondeur -comme des bas-reliefs. Elles varient les plans de -cette surface plane de telle sorte qu’elles en modifient -complètement aux yeux la nature et la composition. -Regardez <i>La Loge</i> de M. Renoir et vous -verrez le plastron empesé du lorgneur, qui est -apparemment d’une matière dure, creusé par les -taches d’ombre, et repoussé par les reflets de -lumière, de façon à présenter l’aspect d’un agglomérat -de coton. Parfois, donc, la lumière trompe -absolument sur la nature de l’objet représenté. -Pour le reconstituer, il faut faire appel au sens du -toucher. Il faut que la main se porte sur l’objet et, -le palpant, nous rende la notion que sa forme primitive -subsiste sous les reflets contraires et les -diverses couleurs.</p> - -<p>Maintenant, ces jeux de la lumière, ces actions -et ces réactions infinies des reflets, comment les -analyser avec assez de finesse pour les surprendre<span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">[77]</a></span> -et les fixer avec assez d’éclat pour les retenir? Cette -atmosphère lumineuse, qui bouleverse les formes, -interchange les couleurs, par quel moyen subtil -l’exprimer? Puisque ce n’est plus la figure qu’il -s’agit de délimiter dans l’espace, ni les arbres dont -il s’agit d’indiquer l’essence, puisque c’est la lumière -qui devient le principal personnage du tableau, -comment peindre cette lumière qui remplace dorénavant -le sujet, l’action, la figure, le caractère, et -pétrissant à son gré tous les corps, enveloppant -tous les plans, reliant toutes les silhouettes, fondant -toutes les couleurs,</p> - -<p class="pc1 reduct"> -Semble l’âme de Tout qui va sur chaque chose<br /> -Se poser tour à tour?...</p> - -<p class="p1">C’est ici qu’intervient l’effort le plus audacieux, -la trouvaille la plus précieuse de l’Impressionnisme: -la <i>division de la couleur</i>.</p> - -<p>Cette division, beaucoup de coloristes l’avaient -indiquée. Ils avaient déjà morcelé la touche. Vous -trouverez la touche très morcelée avec les reflets -très papillotants chez Watteau, dans l’<i>Embarquement -pour Cythère</i>. Elle est morcelée aussi chez -Chardin. Elle est balafrée, striée, et parfois tourbillonnante -chez Turner. Taine cite avec raison le -<i>Café Turc</i> de Decamps et spécialement le mur de -face, à gauche, pour montrer que, pour les yeux<span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">[78]</a></span> -de l’artiste, la tache est en mouvement, car il s’y -fait des flageollements, des stries. M. Paul Signac -a parfaitement établi, dans son vigoureux plaidoyer -en faveur des néo-impressionnistes<a name="FNanchor_8_8" id="FNanchor_8_8"></a><a href="#Footnote_8_8" class="fnanchor">[8]</a>, que le -peintre du <i>Massacre de Scio</i>, lui aussi, se préoccupa -des moyens d’aviver la couleur par le morcellement -de la touche.</p> - -<p>Mais si l’on obtient ainsi plus de mouvement et -plus d’air dans la couleur, on n’en augmente pas -l’éclat. Et, cependant, chacune des couleurs dont -on se sert est d’un éclat égal, sinon supérieur à -l’éclat de la couleur correspondante dans la nature; -le vert sur la palette est aussi étincelant que sur -l’herbe. Pourquoi donc, une fois mélangées et -passées sur la toile, les couleurs baissent-elles de -ton? «Mélangées»,... c’est qu’elles sont mélangées! -Et, apparemment, c’est une inexorable -loi de la peinture. Elles ne peuvent pas ne pas -l’être....</p> - -<p>Claude Monet et Pissarro en étaient là de leurs -réflexions, lorsqu’en 1870, ils allèrent à Londres -et y passèrent de longues journées à étudier -les Maîtres anglais, Watts, Rossetti, Turner. En -observant que, dans certains tableaux de Turner -vus de près, les couleurs apparaissent presque<span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">[79]</a></span> -pures, et que, de loin, cependant, l’ensemble -des touches composait une combinaison harmonieuse, -les impressionnistes comprirent pourquoi -ces tableaux avaient un tel éclat: c’est que la couleur -y était posée par tons crus; et pourquoi ils -avaient, malgré cette crudité, une telle harmonie: -c’est qu’elle était posée par tout petits fragments -ou par lignes très minces qui, de loin, n’apparaissaient -pas seuls, mais se mélangeaient pour la vue -avec les lignes voisines. Le mélange n’avait pas eu -lieu sur la palette, ni même sur la toile: il avait -lieu sur la rétine du spectateur. C’est ce qu’on -appela le <i>mélange optique</i>.</p> - -<p>De ce procédé, qui n’est point constant ni même -habituel chez Turner, mais qui s’y trouve suffisamment -indiqué, les impressionnistes dégagèrent et -rapportèrent toute une théorie. D’abord, ils proscrivirent -de leur palette les couleurs neutres et -déjà rompues comme les bruns, ne gardant que -des couleurs vives: des jaunes, des orangés, des -vermillons, des laques, des rouges, des violets, des -bleus, des verts intenses comme le véronèse et -l’émeraude. Réduits à ces couleurs éclatantes qui -se rapprochent de celles du spectre solaire, ils s’interdirent -encore d’en ternir l’éclat par des mélanges -sur la palette. Enfin, dans leur dernière -évolution ils cherchèrent à éviter non seulement<span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">[80]</a></span> -le mélange sur la palette et dans la brosse, mais -même, jusqu’à un certain point, le mélange sur la -toile, composant les tons, le plus qu’ils pouvaient, -par petits fragments purs, les uns à côté des -autres. Pour composer un violet, par exemple, la -théorie <i>divisionniste</i> enseigne qu’il ne faut point -prendre le violet sur la palette, ni même mêler sur -la toile du rouge et du bleu, mais bien poser une -touche de rouge, puis une de bleu, à côté, sans -les mêler, mais si près l’une de l’autre, qu’à -une certaine distance l’œil recompose le ton -violet.</p> - -<p>C’est l’application exacte de la théorie enseignée -en 1856 par Ruskin et que M. Paul Signac a résumée, -en 1899, en ces trois articles: 1<sup>o</sup> Palette -composée uniquement de couleurs pures se rapprochant -de celles du spectre solaire; 2<sup>o</sup> Mélange -sur la palette et mélange optique; 3<sup>o</sup> Touches en -virgules ou balayées.</p> - -<p>Assurément, ce programme, en passant de la -théorie à la pratique, a subi bien des accommodements. -Ni Claude Monet, ni même M. Pissarro -ne l’ont absolument appliqué. D’ailleurs, ils -n’avaient jamais prétendu l’appliquer et ce n’était -là qu’une suggestion pour l’avenir ou, si l’on -veut, un idéal. Mais si nous regardons la <i>Vue de -Rouen</i> de M. Camille Pissarro ou l’<i>Argenteuil</i><span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">[81]</a></span> -de Claude Monet, nous verrons qu’autant qu’une -suggestion peut être suivie, celle-là le fut par -ces peintres, et devant ces deux exemples, les -plus prévenus conviendront qu’elle a conduit à un -admirable résultat. L’éclat de ces eaux, la vibration -de cette lumière, la palpitation de ces reflets, -la légèreté de cette atmosphère fine, l’harmonie -douce de ces tons dont chacun est violent, tout -prouve que l’Impressionnisme a apporté ici une -affirmation vraie. La <i>Danseuse</i> de M. Renoir est -une merveille d’harmonie. Regardez, au Luxembourg, -<i>les Bords de la Seine</i> de Sisley, les <i>Toits -rouges</i> et la <i>Brouette</i> de M. Pissarro, la <i>gare Saint -Lazare</i> et l’<i>Eglise de Vétheuil</i> de Monet, qui sont -de petits chefs-d’œuvre, vous reconnaîtrez là les -plus précieuses découvertes de l’art dans les -secrets de la vie.</p> - -<p>Seulement, la théorie <i>divisionniste</i>, si elle était -appliquée partout et dans toute sa rigueur, conduirait -à proscrire beaucoup des facilités de la peinture -à l’huile, car précisément ce qui distingue la peinture -à l’huile d’autres procédés de coloration, du pastel -par exemple, c’est le pouvoir de mélanger les couleurs, -et c’est, pour parler comme Delacroix, «l’infernale -commodité de la brosse». L’absolue division -de la couleur, plus tard dégénérée en <i>pointillisme</i>, -rend le métier de peintre extrêmement<span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">[82]</a></span> -difficile. En vain, des artistes d’un talent indéniable -et d’une rare pénétration d’esprit, les Seurat, -les Signac, les H.-E. Cross cherchèrent à rallier -les peintres à la technique nouvelle, poussée -à son extrême sévérité. Ils échouèrent.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">[83]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE III</h2> - -<p class="pc2"><b>Ses lacunes.</b></p> - -<p class="p2">Le cycle impressionniste étant clos, on peut le -juger maintenant aussi clairement qu’on juge -l’école romantique ou celle de David. Tant que les -«jeunes» s’en inspirèrent, tant qu’ils y prirent -leur point de départ, le jugement dut être suspendu. -Car on ne savait pas si, parmi ces jeunes, -il ne s’en trouverait point qui ferait sortir de l’Impressionnisme -quelque œuvre plus complète et -plus puissante que celles réalisées jusque-là. On -nous disait: «Ne vous pressez pas de conclure, car -ce mouvement ne date que d’hier et s’il n’a pas -donné encore tout ce qu’on en peut attendre, qui -sait si à ces tentatives ne va pas succéder quelque -chef-d’œuvre? Qui sait si le maître impressionniste -ne va pas paraître?» Mais, aujourd’hui, on -ne peut plus parler ainsi. Car voici plusieurs années -déjà que les jeunes ont abandonné la route<span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">[84]</a></span> -de l’Impressionnisme et bifurqué sur des chemins -qui les ramènent tout doucement aux écoles du -passé. On nous disait: «Désormais la peinture -sera claire, <i>définitivement</i> débarrassée de la litharge, -du bitume, du chocolat, du jus de chique, -du graillon et du gratin<a name="FNanchor_9_9" id="FNanchor_9_9"></a><a href="#Footnote_9_9" class="fnanchor">[9]</a>». Demain les jeunes -gens ne verront la figure humaine qu’enveloppée -de soleil; les ombres seront mises en fuite, les -murailles qui conservent l’ombre renversées, les -clartés triomphantes dans tous les coins et recoins -de la toile, et l’être humain, émancipé par la peinture, -se tiendra debout, joyeux, dans «une après-midi -qui n’aura pas de fin». Attendez, et vous -allez voir arriver la lumière.</p> - -<p>Nous avons attendu, et nous avons vu arriver -M. Cottet....</p> - -<p>On nous disait enfin: «Regardez s’élaborer le -paysage de l’avenir. Il ne sera qu’une harmonie en -blanc majeur, qu’un inter-échange de lueurs entre -les eaux, les herbes, les feuilles, les rayons et les -fleurs. Et, là, il puisera toute sa poésie. Plus d’effets -mélodramatiques, plus de ruines savantes, plus de -fabriques, plus d’arbres composant leurs silhouettes -comme des modèles d’académie, plus d’effet théâtral, -plus d’orages! Seulement le clair sceptre de<span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">[85]</a></span> -«midi roi des étés», des maisons neuves avec du -rouge de tuile ou du noir d’ardoise, à travers les -feuilles tendres d’arbres sans prétentions, d’humbles -légumes, des eaux sans cascades ni artifices, -de petites nuées libres sans architecture. Ayez -confiance, et vous allez voir apporter dans nos -salons des morceaux de nature éclatants de lumière -et de modernité.» Nous avons eu confiance, et -nous avons vu apporter les <i>Terres antiques</i> de -M. Ménard....</p> - -<p>Regardez le paysage de M. Ménard, qui se trouve -précisément au Luxembourg, pas très loin de la -salle Caillebotte. Non seulement Claude Lorrain -n’y est plus méprisé, mais les recettes du vieux -clair-obscur y sont soigneusement remises en -honneur.... Combien n’a-t-on pas raillé jadis le -procédé qui consiste à opposer, dans un tableau, -le point le plus lumineux à son point le plus sombre -pour obtenir un effet de contraste, ce procédé sans -cesse employé par Gustave Doré dans ses grandes -planches? Or, il se retrouve exactement dans les -deux paysages de M. Ménard, où des bestiaux -bénévoles sont venus mettre leur tête rousse et -sombre, juste au point où le soleil dardait son -reflet le plus clair. Et pourtant l’œuvre de -M. Ménard n’en arrête pas moins tous les regards, -et n’en retient pas moins toutes les pensées.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">[86]</a></span></p> - -<p>Pareillement, dans cette touchante <i>Nuit de la -Saint-Jean</i> de M. Cottet, où les membres d’une -famille bretonne se sont groupés autour du feu -commémoratif, posant çà et là des pierres pour -tenir parmi les vivants la place des enfants morts, -on observe que le point le plus sombre s’oppose -au centre lumineux, et nul n’en est scandalisé. De -même dans l’admirable <i>Troupeau</i> de M. Dauchez.</p> - -<p>Qu’on regarde enfin la <i>Procession</i> de M. Simon: -ces têtes nues sous la brise de mer, ces traits fortement -appuyés dans la chair des visages, ces -oppositions tranchées d’ombre et de lumière, ces -arabesques de draps noirs sur les surplis blancs, -et que l’on dise ce qui reste là des théories du -plein air et des reflets, de la proscription du brun -et du noir?</p> - -<p>Et ce n’est pas une individualité ou deux qui abandonnent -le sentier de l’Impressionnisme: c’est une -foule. Quand on s’arrête devant les toiles de M. Jacques -Blanche, de M. Le Sidaner, de M. Morisset, de -M. Guignard, de M. Albert Moullé, de M. Georges -Griveau, de M. Garrido, de M. Feliu, de Mlle Rœderstein, -de M. Sarlius, il est difficile d’y voir cette -«peinture claire», cet éblouissement de tons purs, -cette «proscription des ocres et des bruns», que -les théoriciens de l’Impressionnisme ont toujours -donnés comme les caractéristiques de l’art<span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">[87]</a></span> -nouveau<a name="FNanchor_10_10" id="FNanchor_10_10"></a><a href="#Footnote_10_10" class="fnanchor">[10]</a>. Vainement chercherait-on à rattacher tous -ces «ténébreux,» qui triomphent en ce moment, -aux luministes d’hier. Ils en diffèrent du tout au -tout. On peut, à la vérité, parler de leur commune -«émotion» et de leur semblable «sincérité»; -proclamer que les uns et les autres se livrent à un -pareil «travail philosophique au cours duquel les -contingences s’élaguent», et qu’ils sont, aujourd’hui -comme hier, les «évocateurs savants des -forces en exercice;...» propositions qui s’appliquent -d’autant mieux à plusieurs écoles qu’elles -n’en définissent aucune.</p> - -<p>On peut, en définissant l’Impressionnisme «une -peinture qui va vers le phénoménisme, vers l’apparition -et la signification des choses dans l’espace, -et qui veut faire tenir la synthèse de ces choses -dans l’apparition d’un moment<a name="FNanchor_11_11" id="FNanchor_11_11"></a><a href="#Footnote_11_11" class="fnanchor">[11]</a>», y rattacher tout -tableau moderniste, comme, d’ailleurs, tout tableau -quelconque et, en effet, quel est le peintre qui ne -se propose pas «l’apparition des choses dans -l’espace», et quel moyen pourrait-il bien prendre<span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">[88]</a></span> -de les montrer autrement que « dans l’apparition -d’un moment?»</p> - -<p>Mais dès qu’on quitte cette logomachie pour préciser -les caractères picturaux des «jeunes» de -talent, on est obligé de constater la réaction qui s’est -faite. Car le réalisme était l’absence de composition, -et l’Impressionnisme l’absence d’effet par les -masses d’ombre. Or, chez tous les jeunes artistes -que le succès accueille aujourd’hui, on constate -nettement une composition voulue et un parti pris -d’ombres évident. Il y a huit années, déjà, cette -réaction était notée par M. André Michel. Sa consciencieuse -observation et son impartiale clairvoyance -en relevaient les premiers symptômes<a name="FNanchor_12_12" id="FNanchor_12_12"></a><a href="#Footnote_12_12" class="fnanchor">[12]</a>. -Aujourd’hui, personne ne pourrait s’y tromper: -l’Impressionnisme appartient bien au passé. On -peut donc, sans injustice, le comparer à toutes les -écoles du passé.</p> - -<p>Or, il faut bien l’avouer, si nous comparons les -portraits que nous ont laissés ses meilleurs maîtres -avec ceux d’Ingres ou de M. Dagnan, si nous rapprochons -ses paysages, dans leur ensemble, des -pages que nous ont laissées les Rousseau, les -Corot et les Daubigny, si à ce mouvement qui dura -trente ans, c’est-à-dire aussi longtemps que le<span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">[89]</a></span> -mouvement romantique et qui fit beaucoup plus -de bruit que l’école de Barbizon, nous demandons -l’équivalent de ce qu’ont produit l’un ou -l’autre de ces groupes, l’une ou l’autre de ces -écoles, nous ne le trouverons pas. Ni ces portraitistes -n’ont immortalisé, ni ces paysagistes n’ont -exprimé, ni ces fantaisistes n’ont conçu, quelque -figure humaine, quelque aspect de nature, quelque -type d’humanité tel que le <i>Portrait de M. Bertin</i>, -la <i>Danse des Nymphes</i> ou <i>l’Homme à la Houe</i>. En -sorte que vouloir comparer l’Impressionnisme aux -grandes époques de la peinture française, l’opposer -à ces écoles, le dresser contre leur enseignement, -comme l’ont fait la plupart de ses panégyristes, -ce serait tout simplement conclure à son -avortement.</p> - -<p>Le maître impressionniste n’a pas paru. Car cette -révolution, si révolution il y a, fut faite par beaucoup -de pygmées et non par un géant. C’est la -grande différence, en Art, entre les révolutions -d’autrefois et celles d’aujourd’hui. Autrefois, ce -qui était à la mode, ce qui était encouragé par la -critique, ce qui était par conséquent le lot de la -foule des artistes, du troupeau des «suiveurs», -c’était la routine; aujourd’hui, c’est l’innovation. -Autrefois, par conséquent, il fallait, pour oser une -réforme, un artiste vigoureux et puissant, rompu<span class="pagenum"><a name="Page_90" id="Page_90">[90]</a></span> -à toutes les pratiques antérieures de son art. Le -goût étant essentiellement hostile à toute réforme, -on n’osait point la tenter aussi longtemps qu’on -n’avait pas en main tous les éléments pour la faire -triompher. Tant qu’on ne savait pas à peu près -tout ce que savaient ses prédécesseurs, on ne -s’aventurait pas à leur rompre en visière ni à leur -donner des leçons. Aujourd’hui, rien n’est plus -facile. Étonner les maîtres suffit à faire penser -qu’on est un maître soi-même; dire du mal de -l’Institut dispense d’avoir du talent. Le goût étant -aux innovations, à l’agitation et à l’oscillement -perpétuel, la presse décernant la «maîtrise» à -n’importe quel pseudo-novateur, beaucoup innovent -quand ils devraient copier encore et enseignent -un métier nouveau quand ils agiraient sagement -en apprenant l’ancien. Il en résulte parfois -des tentatives curieuses, intéressantes pour le progrès -d’une technique, mais point assez complètes -pour la réalisation d’une œuvre et, au bout de -quelques années, le mouvement avorte ou se perd -en excentricités, pour avoir été entrepris trop tôt, -par des bras trop faibles et dans un sentiment trop -étroit.</p> - -<p>L’Impressionnisme avait un sentiment trop étroit. -Il niait trop de vérités essentielles dans une œuvre -d’art et celle qu’il apportait, si importante qu’elle<span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">[91]</a></span> -fût, n’était pas suffisante pour tenir lieu de toutes -les autres. Ce qu’il affirmait c’était la nécessité de -la couleur vive, ce qu’il niait c’était l’utilité de la -ligne. Il la niait, et il ne sert de rien, pour le contester, -de prétendre que M. Degas admire Ingres -ou que M. Renoir sait dessiner et qu’ils étaient -tous deux capables de tracer une ligne impeccable; -toute la question est de savoir s’ils étaient capables -de donner l’éclat nouveau et le mouvement -imprévu de leurs couleurs tout en conservant leurs -lignes. Il est évident que les impressionnistes pouvaient -d’une part dessiner très correctement et -d’autre part obtenir des vibrations de couleurs -inaccoutumées. Mais la question est de savoir s’ils -pouvaient <i>à la fois</i> donner ces vibrations et conserver -cette ligne, profiter de leurs recherches et -ne rien perdre de leur acquis, appliquer leurs -théories sans détruire un enseignement essentiel -et, en un mot, superposer leurs progrès à tous les -progrès que la peinture avait faits avant eux. Or -les exemples de la salle Caillebotte répondent assez -clairement à cette question: ils ne le pouvaient -pas. Ils n’ont pu réaliser leurs vibrations de couleurs -qu’en sacrifiant la ligne; ils n’ont pu montrer -les reflets sur les figures qu’en détruisant la -silhouette des figures; ils n’ont pu peindre l’atmosphère -qui enveloppe, qu’en dénaturant la substance<span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">[92]</a></span> -qui est enveloppée et, en un mot, faire -«chanter la couleur» qu’en faisant taire le dessin.</p> - -<p>Dans la plupart des tableaux impressionnistes, -il n’y en a plus et, si ce défaut est moins sensible -ou plus excusable quand il s’agit d’un paysage, -surtout des paysages amorphes des environs de -Paris où nulle montagne ne donne un intéressant -profil, il n’en va pas de même avec la peinture de -figure et surtout avec le portrait. Le but du portrait -est de nous montrer ce qu’un être humain a -de plus personnel, de plus intime, de plus <i>lui</i>. En -le peignant en plein air, sous bois, tatoué par -l’ombre des branches, bariolé par les reflets, l’impressionniste -nous montre ce qu’il a de plus superficiel, -de plus influencé par son milieu, de plus -<i>autre</i>. Le but du portraitiste est d’abstraire le -modèle de son milieu, afin de montrer en quoi il -diffère de son milieu. La thèse impressionniste -oblige à le replonger au contraire dans ce milieu -comme dans un bain multicolore, à éparpiller son -âme parmi les âmes diverses des choses, à étouffer -sa voix sous le murmure des êtres, à éclipser son -regard par le rayonnement des fleurs, en un mot -à le faire s’évanouir dans le grand Tout. L’homme -n’est plus que le produit du «milieu» où on l’a -mis et du «moment» où on l’observe. Aussi ne -trouve-t-on guère de bons portraits dans toute<span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">[93]</a></span> -l’école impressionniste, et parmi eux, il n’en est -pas un qui puisse être comparé, je ne dis pas à -ceux d’Ingres ou de Reynolds, mais tout simplement -à ceux de M. Dagnan ou de M. Benjamin-Constant.</p> - -<p>La facture en est uniforme. C’était un axiome -autrefois chez les artistes que chaque objet différent -devait être peint d’une façon différente, qu’une -maison, par exemple, devait se distinguer par sa -facture d’un arbre et un mouton d’une pièce d’eau -ou d’une locomotive; qu’il n’y avait pas seulement -un ton «local,» mais que la facture même devait -varier selon l’objet qu’elle était censée réaliser. On -n’appliquait pas la couleur pour figurer un mur -comme pour figurer des feuilles d’arbre ni pour un -visage comme pour un parquet de bois. La matière -représentante devait varier comme la matière représentée. -La touche était posée à plat ou en virgule, -ou plus sèche ou plus humide, par longues traînées -ou par points, par raies verticales ou par traits -horizontaux ou en coups de sabre, en «banderoles», -ou bien blaireautée en fourchette, ou -encore appuyée comme une pression sur un bouton -électrique, ou légère comme des passes magnétiques, -selon qu’il s’agissait de signifier la ronde -bosse d’un rocher ou la plate épaisseur d’une -muraille, ou l’échevellement d’un arbre dans le<span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">[94]</a></span> -vent. L’Impressionnisme a changé tout cela. Son -principe étant de peindre l’enveloppe lumineuse -des objets plutôt que les objets mêmes, il a tout -fait vibrer dans un égal scintillement. Dans ses -œuvres les plus fameuses, tout est peint de la -même manière. Une locomotive paraît floconneuse -comme un nuage; une maison frissonnante comme -un arbre et un bonhomme tient à la fois du nuage -et de la maison. Une touche partout égale, que -l’objet soit liquide, solide ou aérien, le calfeutre -d’une sorte de ouate colorée.</p> - -<p>Fatal à la figure, le sentiment impressionniste -est-il favorable au paysage? Oui, sans doute, mais -non à tous les paysages, ni dans tous les moments. -Ce que l’Impressionnisme rend merveilleusement, -c’est le plein soleil, c’est l’heure où tout ce qui vit -danse dans la lumière, où, voyant tout, l’on voit -mal. C’est l’accablement de la chaleur, c’est midi, -l’heure de la sieste et des bras lassés par le travail. -C’est de toutes les heures du jour celle que le rural -connaît le moins. Car c’est celle où il repose. Mais -en même temps c’est l’heure que l’artiste citadin -connaît le mieux et qui représente pour lui l’instant -typique de la Nature. Il est parti de Paris par -le train du matin, il y rentrera par le train du soir, -il ne voit la campagne qu’en plein midi. Il a un -éblouissement. L’impressionniste mieux qu’aucun<span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">[95]</a></span> -autre lui peint cet éblouissement, il le retrouvera -rue Lepeletier. Il est grisé, enivré comme les héros -de Maupassant dans sa <i>Partie de campagne</i>. Cela, -l’impressionniste le montre bien. Dans sa toile, le -citadin déchaîné parmi les moissons a des visions -extraordinaires.</p> - -<p class="pp6 p1">Le printemps ouvre sa guinguette...</p> - -<p class="pp6 p1">Le bourdon aux excès enclin,<br /> -Entre en chiffonnant sa chemise;...<br /> -Un œillet est un verre plein,<br /> -Un lys est une nappe mise,</p> - -<p class="pp6 p1">La mouche boit le vermillon<br /> -Et l’or dans les fleurs demi-closes,<br /> -Et l’ivrogne est le papillon,<br /> -Et les cabarets sont les roses.</p> - -<p class="p1">Ces impressions superficielles, ces Bucoliques -de banlieue, l’impressionniste les chante comme -Victor Hugo lui-même. Quant aux impressions de -nature longuement ressenties, comme la ressentent -ceux qui vivent sur la montagne ou sous la forêt, -quant aux souvenirs qui s’enfoncent au plus profond -de notre être, ce n’est plus Claude Monet -ou Victor Hugo qui sont capables de les rendre: -c’est Lamartine, c’est même Laprade ou Brizeux. -Et si nous les voulons retrouver en peinture, quittons -la salle Caillebotte, quittons le Luxembourg -et montons au dernier étage du Louvre, revoir les -Corot, les Rousseau et les Daubigny de la collection -Thomy-Thierry.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">[96]</a></span></p> - -<p>Incapable de dégager le caractère de la figure -humaine, capable seulement de dégager l’apparence -de la nature dans une seule région à une -seule heure et très superficiellement, l’Impressionnisme -pouvait produire, ça et là, quelques excellentes -œuvres, comme les <i>Toits rouges</i> ou l’<i>Église -de Vétheuil</i>, mais il était, si on le compare aux -grandes écoles d’art, destiné à un avortement.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">[97]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE IV</h2> - -<p class="pc2"><b>Son erreur.</b></p> - -<p class="p2">Et pourquoi a-t-il avorté? Pourquoi a-t-il affiché -un sentiment d’art si étroit, et l’ensemble de ses -négations inutiles a-t-il de beaucoup dépassé son -affirmation nécessaire?—C’est parce qu’il portait -en lui, avec des germes de vie, un germe de mort, -une certaine humeur fatale à tous ceux qui en -furent affligés, commune à beaucoup d’écoles contemporaines, -et qu’il faut dénoncer comme la pire -des maladies de notre temps: <i>la recherche de l’originalité</i>.</p> - -<p>Chercher l’originalité est un mal qui, s’il ne date -pas d’hier, date du moins des temps modernes. Les -anciens artistes l’ont peu connu. On cite bien Gréco -qui, exaspéré d’entendre dire qu’il imitait le Titien, -chercha dans des procédés un peu semblables aux -procédés impressionnistes une éphémère originalité. -Mais Gréco fut une exception. Ce que l’artiste<span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">[98]</a></span> -ancien cherchait d’ordinaire, c’était l’assentiment de -ses pairs et l’applaudissement des «honnêtes gens» -en continuant ses maîtres, en développant quelque -côté de leur manière, sans qu’on vît tout de suite -la transition et en les transformant sans bruit. Il -cherchait non <i>l’originalité</i>, mais <i>la puissance</i>. Il ne -niait rien de ce qu’on trouvait nécessaire avant -lui, mais il y ajoutait quelque chose qui lui semblait -utile. Chercher l’originalité, c’est le signe -évident qu’on veut s’écarter de sa voie naturelle, -de soi-même, de son «origine», bref, de tout ce -qu’on peut avoir d’originalité. Si l’on a en soi -quelque originalité, parmi toutes ses qualités -natives, c’est en les développant toutes qu’on peut -la faire apparaître, mais ce n’est jamais en commençant -par supprimer l’emploi des autres. Ce -n’est donc pas en supprimant les qualités reconnues -comme nécessaires dans une œuvre d’art: la -composition, le dessin, le côté substantiel des -choses, qu’on réalisera l’originalité de la couleur. -C’est en les gardant toutes, en les cultivant soigneusement, -qu’éclatera, parmi elles, celle qui est -destinée à les faire oublier, presque à l’insu de -l’artiste qui n’a cherché rien autre chose que la -puissance. Pour être elle-même, l’originalité doit -être non pas voulue, mais subie.</p> - -<p>Considérons, par exemple, les deux maîtres<span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">[99]</a></span> -dont se réclament parfois les impressionnistes: -Turner et Watteau. Certes, tous les deux furent -des novateurs et firent de plus grandes révolutions -dans l’art que les modernistes ne peuvent se -flatter d’en avoir même indiqué. Comme l’a dit -Hamerton: «La critique du <span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup> siècle eût été -incapable d’imaginer un Turner». D’autre part, -quand on se rappelle que Watteau, ce représentant -présumé du <span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup> siècle, fit son éducation en réalité -au <span class="smcap">XVII</span><sup>e</sup>, qu’il mourut l’année où naquit Mme de -Pompadour, qu’il n’eut pour modèles que Le Brun -et Mignard, Poussin et Le Sueur, on mesure assez -le pas géant qu’il fit faire à l’art pour l’amener des -tristes bords du Tibre où languissait le Poussin -jusqu’au parc jaseur et rieur où «s’en vont rêvant -masques et bergamasques». Or, ces deux grands -novateurs surent à peine qu’ils innovaient. En -tout cas, ils ne le proclamèrent point: ils s’en -seraient défendus plutôt, et telle était leur déférence -envers les maîtres et leur peu de scandale -que tous deux furent élus, fort jeunes, membres -l’un de l’Académie royale de France, l’autre de -l’Académie royale d’Angleterre, sans même l’avoir -sollicité.</p> - -<p>Était-ce un révolutionnaire, un contempteur des -maîtres anciens, ce Turner qui, constamment -hanté par le souvenir de Claude, dessinait un <i>Liber<span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">[100]</a></span> -Studiorum</i> pour être comparé au <i>Liber Veritatis</i> de -son prédécesseur et qui mérita que P. G. Hamerton -écrivît de lui: «Jamais artiste n’a étudié ses prédécesseurs -avec autant d’assiduité pour montrer autant -d’indépendance dans la suite?» Était-ce un chercheur -d’originalité que Watteau? Au témoignage -de Caylus, il «copiait et étudiait avec avidité les -plus beaux ouvrages du maître d’Anvers»; il écoutait -les conseils de maîtres comme Métayer, comme -Gillot, comme Claude Audran, peintre et concierge, -plus concierge que peintre: il demandait, -en grâce, aux membres de l’Académie les moyens -d’aller étudier à Rome. Prétendait-il détruire les -règles établies, cet esprit timide et inquiet qui -avait toujours, disent ses biographes, «le dégoût -de ses propres ouvrages et trouvait toujours qu’ils -étaient payés beaucoup plus qu’ils ne valaient?» -ce client qui donnait à son coiffeur deux tableaux -pour une perruque et craignait encore, en conscience, -que ce ne fût pas assez? Tous les deux, -enfin, Turner et Watteau, ressemblaient-ils aux -bruyants révolutionnaires modernistes, eux qui, -aussi jaloux de cacher leur personne que de perfectionner -leur art, changeaient constamment de -logement pour échapper aux curiosités indiscrètes, -qui, pendant tout le cours de leur vie, étaient -hantés par les modèles laissés par les maîtres,<span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">[101]</a></span> -tous deux impatients, inquiets, doutant de leur -mérite et ne souffrant guère qu’on attaquât celui -de leurs prédécesseurs, tous deux mourant isolés, -non comme des chefs d’école, mais bien comme -de véritables originaux, grands inconscients qu’ils -étaient: l’un déplorant qu’on eût si mal sculpté -le crucifix que le prêtre lui donnait à embrasser, -l’autre tournant, dans la mansarde de Chelsea, ses -derniers regards vers les derniers rayons du couchant -en murmurant: «Le soleil est Dieu!»</p> - -<p>Tel fut Watteau, tel fut Turner, ces gauches -constructeurs d’ombres charmantes, ces inconscients -casseurs de vitres et ces prodigieux appelants -de rêve. L’<i>Embarquement pour Cythère</i> était -bien le départ pour une terre nouvelle d’art et de -poésie. Les <i>Funérailles en mer du peintre Wilkie</i> -étaient bien l’ensevelissement de toute une peinture -vieillie et d’un idéal mort. Mais ceux qui firent ces -révolutions ne se doutaient pas qu’ils les faisaient. -Ils croyaient de bonne foi suivre la grande route -quand ils frayaient des trouées nouvelles. Ils ne -croyaient qu’agrandir un ancien domaine quand -ils découvraient des mondes....</p> - -<p>Leur exemple est un enseignement. La contre-épreuve -qui nous est fournie par les modernistes -le confirme. C’est que, chez les «jeunes», le -mépris est un mauvais véhicule, non seulement<span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">[102]</a></span> -pour tout talent, mais pour tout progrès? Une -réforme, qui se présente avec plus de négation que -d’affirmation, n’est qu’une ombre de réforme. Les -vrais révolutionnaires sont ceux qui renouvellent -les formes d’Art par lente substitution, à la façon -de la vie, et non par suppression rapide, à la façon -de la mort. Les révolutions hâtives sont les révolutions -éphémères. Le champignon modifie vite l’aspect -d’un sous-bois, mais il ne le modifie qu’un -jour, et le chêne qui, pendant ce temps, pousse -lentement dans la nuit ses racines invisibles, transformera -l’aspect de la forêt et sera, dans des siècles, -pour les ailes des oiseaux et pour les yeux -des hommes, un lieu de repos, de rafraîchissement -et de paix.</p> - -<p>Quant à l’affirmation que, parmi tant de négations, -nous apporta l’Impressionnisme: l’affirmation -des droits de la couleur, elle restera sans -doute à l’actif des découvertes de l’art. D’abord, -l’importance des lumières reflétées, ensuite la vive -coloration des ombres, enfin et surtout la division -du ton, si elles ne sont pas tout dans l’art de -peindre, sont cependant de cet art une partie -assez importante pour qu’on soit reconnaissant à -l’école qui les a le mieux indiquées. Précisément -parce que les œuvres impressionnistes manquent -des autres qualités qui font la bonne peinture, on<span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">[103]</a></span> -voit ces qualités particulières y ressortir avec plus -de crudité et une clarté plus favorable à l’enseignement. -C’est ainsi qu’un «écorché», par exemple, -précisément parce qu’il ne cherche pas à rendre -tout le charme et toute la beauté du corps humain, -nous fait comprendre le jeu des muscles beaucoup -mieux qu’une complète académie. Quand les amateurs, -aujourd’hui imbus d’idées modernistes, se -lasseront de voir dans leurs salons ces curiosités -de palettes, elles n’iront point, du moins, comme -les mauvais tableaux, au grenier. Elles s’arrêteront -dans les ateliers des peintres, qui les suspendront -avec honneur entre les tableaux des complémentaires -de Chevreul et les écorchés de Bandinelli. -Là, ces choses seront à leur place et rendront des -services. Né d’un sérieux effort, dû à des causes -profondes, assez fortement réalisé pour avoir beaucoup -appris, même à ceux qui s’en défendent le -plus, l’Impressionnisme est une découverte: ce -n’est pas une peinture.</p> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">[104]</a></span></p> -<p> </p> -<p><span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">[105]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<p class="pc4 xlarge">TROISIÈME PARTIE</p> - -<p class="pc2 large font1"><b>LE VÊTEMENT MODERNE<br /> -DANS LA STATUAIRE</b></p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">[106]</a></span></p> -<p> </p> -<p><span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">[107]</a></span></p> - -<h2 class="p4">LE VÊTEMENT MODERNE -DANS LA STATUAIRE</h2> - -<p class="p2">Quand les premiers chrétiens débarquaient pour -la première fois dans les villes de la civilisation -païenne, ils demeuraient stupéfaits du nombre des -statues qu’ils y voyaient. Les héros, les ancêtres, -les dieux, le monde antique tout entier, étaient là, -dressés, en bronze ou en marbre, en apparence -indestructibles. Et les pieux missionnaires n’étaient -pas loin de croire que, dans chacune de ces statues, -il y avait un démon. C’est, aujourd’hui, un sentiment -semblable de stupeur qui saisit le rural quand -il entre dans nos villes ou lorsque, errant sur le -balcon du grand hall des Champs-Élysées, il jette -un regard sur cette foule de marbre.</p> - -<p>Depuis le temps de Lysippe, on n’avait jamais -tant vu de statues embarrasser les places publiques. -Jamais n’avait passé sur ce pays un tel souffle commémoratif. -Plus de cent quinze statues furent érigées -en France de 1870 à 1885. Un idéal inexpliqué -d’hommages coûteux et d’inaugurations réparatrices -hante les ateliers de Montrouge ou de Montmartre.<span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">[108]</a></span> -Une fatale émulation les tient de ne pas -laisser dans Paris un square, une place, un carrefour, -un rond-point, un refuge inoccupé. La sculpture -a horreur du vide. Devant qu’une rue soit percée -ou un square planté, un monument s’y destine et -l’on sait déjà quel héros y sera honoré, quand on -ignore si les maisons auront des locataires. Les -espaces actuellement ouverts sont insuffisants. On -a mis des grands hommes partout: on a insinué des -acteurs jusque dans des squares suburbains, des -encyclopédistes jusque parmi des bureaux d’omnibus, -des réformateurs sociaux jusqu’à la porte -des «hippo-palaces» et sur les boulevards extérieurs.</p> - -<p>Toute place étant occupée, mais la patrie se résignant -de moins en moins à ne point honorer ses -grands hommes, on les juxtapose comme dans une -revue. Au carrefour de l’Observatoire, un explorateur -dispute la place au maréchal Ney et l’horizon -aux <i>Quatre parties du monde</i>. La longue perspective -de la fontaine du Luxembourg est close. L’œuvre -de M. Puech offusque celle de Carpeaux. Il y a -saturation. Et cependant, à chaque Salon, des files -nouvelles de grands hommes rangés sous le vitrage -«attendent», dans les limbes du plâtre, le moment -d’entrer, à leur tour, dans l’immortalité.</p> - -<p>En même temps que ce phénomène, si favorable<span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">[109]</a></span> -au sculpteur, il s’en produit un autre, qui lui est -fort contraire. Si jamais on n’éleva tant de statues -à des contemporains, jamais non plus les contemporains -ne se vêtirent d’une façon si peu «statuaire». -Le vêtement moderne, depuis Henri IV, -mais surtout depuis un siècle, est ce que l’histoire -nous offre de plus impropre à figurer dans une -œuvre de plastique. Le naïf rural, qui se promène -dans nos cités, n’est pas moins indigné que le premier -chrétien débarquant dans la cité antique. Si -ce ne sont pas de faux dieux qui se dressent -devant lui, ce sont du moins de faux hommes, et -il a peine à se persuader que des gens si laids aient -pu être si grands. Il y a désaccord absolu entre la -prétention que nous avons d’honorer nos héros -et les moyens que leur aspect extérieur nous en -fournit. Le problème du vêtement contemporain -dans la statuaire est donc posé par les faits.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">[110]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE I</h2> - -<p class="pc2"><b>Pourquoi les sculpteurs ont tenté -de représenter le vêtement moderne.</b></p> - -<p class="p2">Sans doute, il y a longtemps qu’on a senti ce -désaccord. Mais on le résolvait jadis en sacrifiant -hardiment un des termes du problème. On sacrifiait -le vêtement. On osait habiller d’une toge ou -ne pas habiller du tout les héros. «L’habit de -nature, c’est la peau, disait Diderot, plus on -s’éloigne de ce vêtement, plus on pèche contre le -goût.» Canova, Thorwaldsen et leurs successeurs -l’avaient établi en principe. De même, quand Rude -sculptait, au flanc de l’Arc de Triomphe, son -héroïque <i>Départ</i>, il dépouillait le feutre emplumé, -l’habit à la française, toute la défroque de 1792, et -ne retenait des combattants que la passion qui les -inspirait. Et c’était excellent.</p> - -<p>Mais, si féconde que soit une tradition d’art, dès -l’instant qu’elle est appliquée dans sa lettre et non<span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">[111]</a></span> -dans son esprit par une foule de médiocres élèves, -elle devient insupportable aux esprits indépendants -et insuffisante aux délicats. Tel fut le sort du «nu» -et du «drapé». Les innombrables effigies funéraires -de Thorwaldsen en donnèrent le dégoût. On -chercha un renouvellement dans la silhouette sculpturale -du contemporain. On se demanda si le «nu» -était bien une «loi» inéluctable,—et si d’ailleurs -il y avait en art des lois que des novateurs hardis -ne pussent enfreindre ou tourner. On chercha, de -droite et de gauche, des exemples. On remarqua -que le <i>Moïse</i> n’était point selon le canon de Polyclète, -que le <i>Coleone</i> portait un autre costume que -la toge et que les figures enthousiastes de Rude -ne respectaient point les principes que Lessing avait -cru découvrir dans le <i>Laocoon</i>. En même temps on -montrait les Hollandais tirant un parti merveilleux -de leurs sombres vêtements noirs. On citait Chardin -pénétrant d’une poésie d’intimité les plus humbles -recoins et outils de la vie familière. Dans toutes -les régions de l’art, on apercevait que de prétendues -lois n’étaient que des conventions. On avait -cru ces lois de l’art absolues. Or, elles ne l’étaient -pas. Donc, il n’y avait pas de lois absolues en art.</p> - -<p>C’était une conclusion précipitée. Autant eût -valu dire: on a cru que tel corps était simple; or, -on a découvert qu’il était composé; donc, il n’y a<span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">[112]</a></span> -pas de corps simple. Mais elle répondait si bien au -besoin de réaction contre le pédantisme de l’école -qu’on l’adopta d’enthousiasme et qu’on somma les -artistes de s’y rallier. «Croyez-vous, écrivait -Planche, que si Rubens et Van Dyck revenaient, -ils ne sauraient pas tirer parti du costume français -en <b>1831</b>? Nous renvoyons ceux qui en douteraient -à tous les portraits parlementaires de Lawrence -que nous connaissons par les gravures de Reynolds, -Cousins et Maile. <i>L’art, quoi qu’on en dise, trouve -à se loger partout</i>, tout lui obéit, tout lui cède -quand il commande impérieusement<a name="FNanchor_13_13" id="FNanchor_13_13"></a><a href="#Footnote_13_13" class="fnanchor">[13]</a>.» Et -Planche avait raison, s’il voulait dire que jamais un -costume sévère, noir, monochrome, n’a été rejeté -par un grand artiste comme inesthétique, mais il -s’avançait beaucoup s’il en tirait argument pour le -costume moderne. Car ce n’est point la couleur -monochrome qui est inesthétique dans notre vêtement: -c’est la ligne géométrique. Dès qu’on ne -s’en tient pas aux analogies superficielles et qu’on -cherche à serrer de près la question, en soumettant -chaque terme à une attentive épreuve, on s’aperçoit -que les prétendues dérogations à cette loi n’en -sont point et que chacune, au contraire, de celles -signalées par la critique moderniste confirme la<span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">[113]</a></span> -vieille opinion des artistes ou,—pour parler plus -simplement,—s’accorde avec leur instinct. Delacroix, -qui avait pratiquement tout entrepris et qui, -théoriquement, passait sa vie à creuser ces problèmes, -le dit en termes plus forts qu’aucun classique -n’en a jamais employé: <i>Il y a des lignes qui -sont des monstres</i>, et il ajoute lesquelles: «la -droite, la serpentine régulière, surtout deux parallèles. -Quand l’homme les établit, les éléments les -rongent. Les mousses, les accidents rompent les -lignes droites de ses monuments. Chez les anciens, -les lignes rigoureuses corrigées par la main de -l’ouvrier. Comparer des arcs antiques avec ceux -de Percier et Fontaine.... Jamais de parallèles dans -la nature, soit droites, soit courbes<a name="FNanchor_14_14" id="FNanchor_14_14"></a><a href="#Footnote_14_14" class="fnanchor">[14]</a>.»</p> - -<p>Et ces lignes, «qui sont des monstres», ne le -sont cependant point en peinture au même degré -qu’en sculpture. Car, dans l’une, elles sont dissimulées -par l’ombre ou par la couleur et, dans -l’autre, elles apparaissent dans toute leur beauté -ou dans toute leur laideur. Le chapeau dit «haut -de forme», par exemple, n’a jamais été un bien -agréable accessoire pour les peintres et l’on ne peut -guère citer que Delacroix dans sa <i>Liberté, Journée -du 28 juillet 1830</i>, ou Goya dans quelques portraits<span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">[114]</a></span> -qui en aient fait état. Partout où un grand -artiste a tiré un parti satisfaisant du haut de forme: -le <i>Portrait du grand bâtard de Bourgogne</i>, de -Roger Van der Weyden, le <i>Médecin</i> ou le <i>Charlatan</i> -de Steen, le <i>Portrait de M. Leblanc</i>, d’Ingres, -on trouve que les lignes de la coiffe nullement parallèles -n’offrent plus du tout l’aspect géométrique -pur du chapeau actuel. Encore est-il beaucoup -moins incommode à manier pour le peintre que -pour le sculpteur. Le peintre peut le mettre dans -l’ombre, il peut projeter sur lui des reflets qui en -varient la silhouette, déployer à son profit toutes -les magies de la couleur. En tout état de cause, -comme il ne le montre que sur un plan, il peut -tordre ses lignes dans le sursaut des raccourcis. -Ainsi l’a fait Delacroix. Le sculpteur, lui, est tenu -de le prendre tel qu’il est et de l’introduire dans -son monument tel qu’il sort de chez le chapelier. -Il ne peut ni le colorer, ni le dissimuler, ni le -montrer sous un seul angle. En tournant autour -du monument, le spectateur découvrira toujours -le point où sa forme la plus fâcheuse apparaît. Par -conséquent tel engin inesthétique peut être interprété -par le peintre, sans qu’on puisse en tirer le -moindre argument pour le sculpteur.</p> - -<p>Cette différence essentielle n’a pas arrêté les -théoriciens. Tenant pour établi comme Guyau que<span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">[115]</a></span> -«l’utilité constitue toujours comme telle une certaine -beauté» et que «tout ce qui est réel et vivant -peut, dans certaines conditions, devenir beau»,—ils -en sont venus à proclamer l’égalité devant -l’Art de toutes les formes naturelles. «Le corps -fût-il moins fort et moins beau que celui des -athlètes de Polyclète ou des géants charnus de -Rubens, déclare le philosophe, la tête aurait acquis -une beauté supérieure. <i>N’est-ce donc rien, même -au point de vue plastique, qu’un front sous lequel -on sent la pensée vivre, des yeux où éclate une âme? -Même dans le corps entier, l’intelligence peut finir -par imprimer sa marque. Moins bien équilibré peut-être -pour la lutte ou la course, un corps fait en -quelque sorte pour penser posséderait encore une -beauté à lui. La beauté doit s’intellectualiser pour -ainsi dire</i><a name="FNanchor_15_15" id="FNanchor_15_15"></a><a href="#Footnote_15_15" class="fnanchor">[15]</a>.»</p> - -<p>Ce sont là des affirmations que rien, ni dans -l’histoire de l’art ancien, ni surtout dans les tentatives -de l’art moderne, à aucun degré, ne vient -vérifier. Il est impossible d’en trouver un seul -exemple qui résiste à l’examen. Quelle beauté un -cerveau pensant peut-il bien imprimer dans un -corps déjeté? Voilà ce que jamais aucun philosophe -n’a pu nous dire et que jamais aucun artiste ne<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">[116]</a></span> -nous a fait voir.... Une beauté perceptible à notre -âme, une force accessible à notre intelligence, oh! -sans doute! Nous le voyons assez, et les arts qui -s’adressent directement à notre entendement, -comme la poésie, comme le drame, pourront nous -révéler cette force dans un corps contrefait. Au -théâtre, l’oreille entend les paroles qui nous révèlent -la grandeur de l’âme logée dans une enveloppe -débile. L’histoire ou le roman peuvent entourer -l’avorton de tels prodiges que nous en venions à -l’admirer. Mais le sculpteur, ne pouvant ni nous -parler comme l’historien, ni nous faire voir une -suite d’actions comme l’auteur dramatique, ne -s’adressant qu’à nos yeux, ne peut rendre témoignage -que de l’espèce de grandeur et de beauté -que perçoivent les yeux.</p> - -<p>C’est à l’historien qu’il appartient de nous montrer -le prestige d’un saint Paul petit, laid, maladif, -chassieux. C’est du poète que nous attendons la -beauté d’un chimiste luttant contre la mort et lui -arrachant, en même temps que son secret, la vie -de plusieurs millions d’êtres humains. Pour le -sculpteur, il ne peut nous montrer saint Paul -athlète de la foi qu’en lui donnant des muscles -d’athlète. Il ne peut nous figurer le chimiste -terrassant la mort qu’en le douant d’une assez -forte musculature pour triompher de ce prodigieux<span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">[117]</a></span> -ennemi. Car, encore un coup, ces figures ne -parlent pas et ne se prêtent pas à une série -d’actions successives. Ce sont leurs proportions -grêles ou puissantes, leurs attitudes languides ou -contractées qui nous les révèlent. Si elles parlent, -c’est seulement par le langage puissant, mais élémentaire, -des formes que l’art peut leur donner.</p> - -<p>Si commune et si connue que fût cette vérité, -les philosophes de notre temps l’ont oubliée. La -confiance qu’ils ont dans les destinées «intellectuelles» -de l’art leur a fait généralement adopter -le point de vue de Guyau. Ils ont tenu pour établi -d’abord qu’il n’y avait pas de loi restrictive en art -et que, par conséquent, aucune forme ne devait -être proscrite de la statuaire contemporaine; -ensuite, que tout ce qui est utile peut devenir -beau et qu’ainsi tous les outils inventés par l’industrie -moderne, tous les vêtements nécessités par -le confort contemporain, avaient droit à la même -place dans l’art que le cheval de Phidias ou que la -toge de Décius.</p> - -<p>On décida de les immortaliser. Les sculpteurs -devinrent les copistes des tailleurs. Montrouge et -Montmartre reçurent des modèles du quartier de -l’Opéra. C’est ce que l’on appelle «se libérer de la -tyrannie de l’École». Les places publiques d’Europe, -depuis Glascow jusqu’à Naples, se couvrirent de<span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">[118]</a></span> -bronzes fixant pour l’éternité la coupe de la redingote, -et, au Campo-Santo de Gênes, les artistes -italiens, prenant leur revanche sur Canova, firent -éclater, dans le marbre fouillé par leurs ciseaux -insidieux, la gloire des vestons à carreaux, des -bottines vernies, des chapeaux mous, des cravates -Lavallière, des breloques, des dentelles et des -volants semés des larmes de gens fashionables -récitant les prières des agonisants. Ce que la -beauté des villes put gagner à cette exhibition ou -à cette solidification des modes modernes, il suffit, -pour en juger, de suivre, à Paris, d’un bout à -l’autre, le boulevard Saint-Germain. Mais ce parti -répondait si bien au désir moderne «d’intellectualiser» -la sculpture, que nos meilleurs esprits et -les plus délicats ne voulurent point en sentir la -monstruosité. «Les vieilles timidités sont décidément -surmontées, s’écriait M. Larroumet. Nos -sculpteurs ne croient plus qu’il soit nécessaire de -draper à l’antique des personnages qui ont porté -le costume moderne; ils estiment que celui-ci peut -avoir sa poésie. Cette victoire du réalisme dans la -sculpture est en train d’aller fort loin. Elle a -commencé par le costume militaire, d’assez bonne -heure; on a renoncé à déshabiller les héros, sous -prétexte de noblesse sculpturale. Puis on a osé -conserver leurs costumes à des personnages civils<span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">[119]</a></span> -<i>On n’aurait plus aujourd’hui l’idée bizarre de représenter -Napoléon I<sup>er</sup> les jambes nues, comme l’a -fait Chaudet pour la colonne Vendôme, et Racine -enveloppé d’un drap de laine, comme celui de -David d’Angers à la Ferté-Milon</i><a name="FNanchor_16_16" id="FNanchor_16_16"></a><a href="#Footnote_16_16" class="fnanchor">[16]</a>....» Cela paraissait -définitif.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_120" id="Page_120">[120]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE II</h2> - -<p class="pc2"><b>Les résultats de la tentative.</b></p> - -<p class="p2">Maintenant regardons les principales œuvres de -sculpture parues dans ces dernières années. La -première chose que nous constaterons, c’est que -M. Rodin a dépouillé Victor Hugo de ses vêtements -modernes, comme Chaudet avait fait Napoléon, -et que «l’idée bizarre» de représenter un -contemporain «les jambes nues» non seulement -a survécu à Chaudet ou à David d’Angers, mais -s’est revivifiée dans le plus puissant des novateurs.</p> - -<p>Il y aurait beaucoup à dire du <i>Victor Hugo</i> de -M. Rodin, et le moins que la critique puisse suggérer -devant lui, c’est qu’une belle ébauche n’est -pas un chef-d’œuvre, ni même toujours la promesse -d’un chef-d’œuvre. Car, s’il est une vérité -acquise en art, c’est que les qualités essentielles -d’une prestigieuse esquisse se conservent difficilement -quand l’œuvre, avec tous ses plans,<span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">[121]</a></span> -est achevée. Conserver la synthèse naturelle de -l’ébauche tout en développant l’analyse, garder -l’enveloppe du monument en assurant la multiplicité -des plans, les variétés d’aspects qui font la -statue, c’est assurément la difficile épreuve, mais -c’est aussi la tâche expresse de l’artiste. «On ne -gâte pas en finissant, quand on est grand artiste», -a écrit Delacroix<a name="FNanchor_17_17" id="FNanchor_17_17"></a><a href="#Footnote_17_17" class="fnanchor">[17]</a>. Et lorsque, pour s’en dispenser, -on laisse entendre que le grand art consiste à -réaliser seulement les qualités de l’ébauche, on ne -fait que remplacer par une théorie ingénieuse -l’absence de réussite et qu’ajouter à un défaut de -réalisation une erreur de raisonnement.</p> - -<p>On pourra donc regretter les inégalités du <i>Victor -Hugo</i>, depuis la tête admirable et puissante qui -rappelle invinciblement celle du <i>Soir</i>, que tous les -visiteurs de Florence ont vue dans la froide -sacristie de San Lorenzo, jusqu’aux pieds mous -et ronds, perdus en une agglomération de contours -flottants et nuageux. On s’étonnera du modelé -singulier des omoplates. On se demandera ce qu’un -prochain avenir pensera des enthousiasmes qui -entourèrent le <i>Balzac</i>, qui entourent le <i>Victor -Hugo</i>, si ces enthousiasmes ne paraîtront pas -dans quelques années parfaitement inexplicables<span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">[122]</a></span> -lorsque auront disparu nos idiosyncrasies passagères -avec cet art et nos sentiments de réaction -contre l’art habile, correct, photographique, impeccable, -inutile et justement exécré de nos praticiens. -On craindra, enfin, que les œuvres incomplètes -de M. Rodin ne conservent pas dans l’avenir -la place où nous les avons juchées et que, vantées -par une littérature éphémère à l’égal de celles de -Préault, elles ne tombent devant le goût permanent -au même niveau où les œuvres de Préault -sont tombées.</p> - -<p>Mais, quand tout cela serait entendu, il n’en -reste pas moins que le <i>Victor Hugo</i> témoigne, par -toute son attitude et son geste à la fois puissant -et contenu, d’une grande intention d’artiste. Les -marbres de M. Rodin sont un peu comme ces montagnes -où les guides vous avertissent qu’on peut -démêler la ressemblance d’une figure humaine. -Mais cela même est une vertu. A peine détaché de -sa gangue de pierre, apparu comme une force -même de la nature, le <i>Victor Hugo</i> est vraiment -monumental. C’est une impression que les statuaires -contemporains nous donnent si rarement, -qu’il faut bien passer sur quelques surprises, quand -il nous arrive de la ressentir. Un des bras, en se -repliant et en se rétractant vers le front, ramasse -toutes les énergies musculaires vers le centre où<span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">[123]</a></span> -l’on imagine que siège la pensée, et c’est le geste -du contemplateur. L’autre, tendu comme pour -montrer, ou pour affirmer, ou pour imposer silence, -se développant en longueur avec tout le reste du -corps, semble indiquer une volonté agissante, et -c’est le geste du tribun. Quiconque a des yeux, -sans rien connaître de Victor Hugo, de sa vie, ni -de son œuvre, sentira confusément qu’il se trouve -en présence d’un homme méditatif et impérieux;—et -c’est bien assez pour une œuvre de plastique.</p> - -<p>De plus, autant qu’il est monumental, ce marbre -est vivant. Il offre des effets picturaux d’ombre et -de lumière très prononcés. «On ne comprend pas -assez souvent, écrivait Ruskin en 1849, que sculpter -n’est pas simplement tailler la forme d’une chose -dans la pierre, mais que c’est y tailler <i>l’effet de -cette chose</i>. Très souvent, la vraie forme, mise en -marbre, ne ressemblerait plus du tout à ce qu’elle -est en réalité. Le sculpteur doit peindre avec son -ciseau. La moitié de ses touches doivent servir non -à réaliser la forme, mais à la mettre dans le marbre -en puissance. <i>Ce sont des touches de lumière et -d’ombre.</i> Elles font saillir une crête ou s’enfoncer -un creux, non pas pour représenter une saillie ou -un creux qui existent actuellement dans la réalité, -mais pour susciter une ligne de lumière ou une -tache d’ombre. En un mode grossier, cette sorte<span class="pagenum"><a name="Page_124" id="Page_124">[124]</a></span> -d’exécution est très marquée dans l’ancienne sculpture -française sur bois<a name="FNanchor_18_18" id="FNanchor_18_18"></a><a href="#Footnote_18_18" class="fnanchor">[18]</a>.»</p> - -<p>C’est presque une définition de M. Rodin, et -c’est bien la définition d’un artiste, comme, d’ailleurs, -c’était bien d’une intention d’artiste qu’était -sortie l’ébauche du <i>Balzac</i>. Et c’est ce même -homme, si peu timide, si prompt aux innovations, -qui, aujourd’hui, ayant à représenter deux contemporains, -bien loin de chercher l’impossible -dans le vêtement moderne, a enveloppé l’un, le -<i>Balzac</i>, d’une draperie, et a dépouillé l’autre, le -<i>Victor Hugo</i>, de tout vêtement.</p> - -<p>Si nous considérons les plus récents monuments -imaginés par des maîtres à la gloire de nos contemporains, -l’admirable <i>Lamoricière</i> et le <i>Duc -d’Aumale</i>, de M. Paul Dubois, le <i>Balzac</i>, de M. Falguière, -l’<i>Alphonse Daudet</i>, le <i>Président Faure</i> et -l’<i>Alexandre Dumas fils</i>, de M. de Saint-Marceaux, -nous voyons qu’au lieu d’affirmer les lignes particulières -du vêtement contemporain, l’artiste les a -dissimulées. Une large couverture drape les jambes -jusqu’au torse; la tête émerge seule clairement, le -col rabattu suit l’inflexion du buste. Partout un -modelé très doux atténue, émousse la géométrie -des lignes et enveloppe comme d’un nuage le peu -qu’il en laisse apercevoir.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">[125]</a></span></p> - -<p>Il l’est encore dans la pierre tombale du président -Faure, par le même artiste. Là, ce sont les drapeaux -russe et français unis par la main du mort -qui ont servi à draper plus amplement la figure, -bien que les lignes insupportables de l’habit se -laissent voir trop nettement. Au salon de 1901, -M. Dalou a drapé le plus qu’il était possible sa -statuette de <i>Lavoisier</i>. Plus loin, dans un projet en -plâtre d’un monument à deux industriels, il n’est -pas jusqu’à un plan d’ingénieur déplié sur les -genoux qui ne serve un peu à cet objet, bien que, -là encore, toute l’ingéniosité du sculpteur, son don -du mouvement, du pittoresque et de l’observation -n’aient pas suffi à rendre sculptural un costume -qui ne l’est pas.</p> - -<p>Dans le monument de <i>Pasteur</i>, à la nouvelle -Sorbonne, où l’on voit le savant assis, maniant le -ballon de verre où son regard scrute le secret de -la mort, M. Hugues a masqué la plus grande -partie du costume par une couverture. Le <i>Victor -Hugo</i> assis de M. Marqueste est hardiment anachronique. -Il se carre dans une chaise romaine, -enveloppé quasi tout entier d’un manteau qui dissimule -son habit. Le peu qu’on voit du pantalon -et de la manche libre colle au corps, enroulé, -tordu, autour du bras ou du jarret. Le gilet bâille, -un bouton est écrasé, le col et les manches ont<span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">[126]</a></span> -perdu leur aspect. C’est un minimum de vêtement -contemporain.</p> - -<p>Si l’on veut faire la contre-épreuve, que l’on -regarde les habits ajustés: par exemple, le <i>Baudin</i> -en redingote, debout sur la barricade. Il manie ce -chapeau haut de forme qui, figurant déjà sur la -tombe de Victor Noir, par M. Dalou, paraît définitivement -lié au sort de tous les grands agitateurs -de notre temps. Peut-être les archéologues -à venir, lorsqu’ils le trouveront accompagnant -toutes les statues de révolutionnaires, et qu’ils en -chercheront la signification, incapables d’imaginer -qu’il ait jamais pu servir à coiffer une tête -humaine, seront-ils tentés d’y voir un dangereux -engin de destruction. Eh bien, ce n’est assurément -pas le mouvement qui a embarrassé l’auteur du -<i>Baudin</i>, ni le sujet: c’est le costume. C’est le costume -aussi qui a rendu insurmontable la tâche -entreprise par un autre de rendre épique le personnage -du président Krüger.</p> - -<p>Enfin, dès qu’un souci de ressemblance ne les -lie pas absolument, nos artistes écartent tout costume -moderne. Rappelez-vous ce que vous avez -admiré dans les <i>Salons</i> depuis dix ou douze ans, -vous trouverez que tous les beaux ouvrages plastiques -de pierre ont représenté le nu ou des vêtements -qui serrent de près la forme humaine, et sans<span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">[127]</a></span> -rien d’essentiellement contemporain,—<i>les Mineurs</i> -de M. Constantin Meunier, comme <i>les Ouvriers</i> de -la frise du Travail de M. Guillot ou <i>le Secret</i> de -M. Bartholomé.</p> - -<p>Au Salon de 1899, il y avait une telle abondance -de draperies imprévues, enveloppant des figures -contemporaines, qu’on avait surnommé toute une -région de la Galerie des Machines: «le coin des -robes de chambre». Les œuvres les plus puissantes -de la sculpture contemporaine, <i>les Bourgeois -de Calais</i> de M. Rodin et le <i>Monument aux -morts</i> de M. Bartholomé, sont précisément celles -où n’apparaît que le nu et que le drapé. Plutôt -que de figurer un <i>Guillaumet</i> en veston et en chapeau -melon, M. Barrias a évoqué sur sa tombe -une jeune fille de Bou-Saada que le peintre avait -peinte au cours de ses voyages. Tout ce qu’on -peut découvrir de draperie dans les accessoires de -la vie moderne est utilisé pour masquer notre costume. -Le drapeau a servi naguère à M. Paul -Dubois, non pas seulement pour révéler ce qu’il -y avait de patriote dans l’âme du Duc d’Aumale, -mais surtout pour dissimuler ce qu’il y avait de -fâcheux dans la coupe de son habit, et, si le -maître avait pu étendre les plis glorieux jusqu’aux -pieds, comme fit Rude avec le linceul de son -<i>Cavaignac</i>, de façon à cacher le bout des bottes<span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">[128]</a></span> -du général, il est permis de croire que son monument -y eût encore infiniment gagné.</p> - -<p>Il semble, d’ailleurs, que beaucoup d’écrivains, -tout en professant l’excellence du costume moderne, -aient tenté, par un instinct plus sûr que -leurs théories, de s’en libérer un peu pendant leur -vie et de fournir à leurs statuaires le prétexte d’en -libérer tout à fait leur image après leur mort. Tel, -Balzac avec sa robe de moine. Tel Alexandre -Dumas fils, dictant ainsi, dans son testament, le -thème sculptural dont M. de Saint-Marceaux a -tiré un si beau parti: «Après ma mort, je serai -revêtu d’un de mes costumes de travail, les pieds -nus...», ce costume de travail étant une robe. En -sorte que rien, dans la réalité, n’est venu confirmer -les hypothèses favorables au vêtement contemporain -depuis le jour, en 1846, où Gustave -Planche félicitait Maindron d’avoir représenté, en -redingote, Senefelder, l’inventeur de la lithographie. -Dans ces cinquante ou soixante ans, l’expérience -a été maintes fois tentée. Elle l’a été par -des maîtres. Les résultats en couvrent nos places -publiques. L’opinion unanime a jugé. Aujourd’hui, -les maîtres ne la tentent même plus. L’échec -est décisif.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">[129]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE III</h2> - -<p class="pc2"><b>Pourquoi le vêtement moderne n’est -pas sculptural.</b></p> - -<p class="p2">Et pourquoi? Pourquoi le vêtement contemporain -est-il si peu sculptural? Pour en trouver les -raisons, il suffit de le considérer. D’abord, il est -uniforme; il offre de grands espaces dénués d’ombre -et de lumière. Là où le buste de l’homme se creuse, -se renfle, se plie et se cambre au gré des muscles -grand pectoral, grand dentelé, grand oblique, la -redingote n’a qu’un plan. Là où le corps dit: -relief, profondeur, polyèdre, ligne ondulée, accent -d’ombre, rouages souples de la machine humaine -affleurant à la peau, la redingote dit: cylindre. Le -tailleur rectifie le buste de l’homme et apprend -à la nature comment elle aurait dû construire les -jambes: rectilignes. Car autant qu’il est uniforme, -le vêtement moderne est artificiel. Non seulement -il cache la forme humaine, mais il la contrefait.<span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">[130]</a></span> -La toge ou le pallium, prêts à se modeler sur -l’athlète ou l’orateur, ne sont rien sitôt tombés de -ses épaules, tandis que notre costume est une -caricature complète de l’homme; il a comme lui -des jambes, des bras, un cou. C’est un anthropoïde.</p> - -<p>Uniforme et artificiel, il est encore immuable. -Tandis que les grandes lignes de la toge, diversement -ondulantes ou serrées, changeaient de physionomie,—selon -que le prêtre ramenait un peu de -draperie sur sa tête, ou que le lutteur l’enroulait -autour de son bras, ou que l’orateur la laissait -tomber dégageant son buste, ou que le magistrat -disposait par longs traits les bords contenant les -bandes de pourpre,—le veston, lui, ou bien l’habit, -reste identique à lui-même, que ce soit un homme -d’État, un médecin, un chimiste, un escrimeur ou -un poète qui entre dedans. Sa gloire est dans son -indifférence pour le personnage qu’il recouvre et -dans son imperturbabilité.</p> - -<p>Ce contraste apparaît jusque dans le geste de -l’homme pour se vêtir. Comparez un Arabe qui se -drape avec un Européen qui entre dans son paletot. -L’un fait un beau geste circulaire, souple, -simple, conforme à la dignité du corps humain. -L’autre est tenu à une série d’efforts lamentables -et ridicules. D’abord, il lance un bras en l’air, puis<span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">[131]</a></span> -l’autre, afin de se jeter désespérément dans ses -manches. Ensuite, courbant l’échine et imprimant -à tout son être une secousse de bas en haut, il -n’offre aucune différence avec un oiseau lourd qui -s’essaie à prendre son vol ou un nageur inexpérimenté -qui se noie. Ce détail marque nettement la -différence entre les deux costumes. L’homme -antique dispose son vêtement sur lui. L’homme -moderne est obligé de se disposer lui-même au gré -de son vêtement. Quoi d’étonnant si celui-ci est -si peu vivant?</p> - -<p>Sans doute, il le devient, avec beaucoup de -stratagèmes. M. Paris a réussi à faire vivre les -lignes de l’habit de son <i>Danton</i>, du boulevard -Saint-Germain, mais ce n’a été qu’en exagérant -formidablement le geste du tribun. Encore maniait-il -un habit plus souple que le nôtre. Avec la -redingote ou le veston, il eût dû renchérir sur -l’agitation du <i>Danton</i>. De par la rigidité de son -enveloppe, le grand homme moderne est tenu, -pour l’assouplir, de se livrer à de violentes pantomimes -aussi peu conciliables avec le vrai caractère -de la statuaire qu’avec celui de ses pacifiques -occupations.</p> - -<p>Monotone, immuable, artificiel, le vêtement -contemporain est donc quelque chose de très particulier -dans les annales du costume. Avant lui,<span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">[132]</a></span> -tous les costumes dont l’art sculptural s’est servi -suivaient d’assez près les proportions du corps -humain, comme l’armure du <i>Coleone</i> de Verocchio -ou celle du <i>Saint Georges</i> de Donatello, ou bien ils -n’avaient pas de proportions du tout. Ce que le -costume moderne a de particulier, c’est qu’il n’est -ni modelé sur la forme humaine comme le costume -de la Renaissance, ni dépourvu de forme -comme le voile antique, et que, n’étant pas ajusté -au corps, n’étant pas un «juste-au-corps», il est -cependant anthropomorphe à sa manière, et que, -s’il ne donne pas du tout l’idée d’un homme fait -par la nature, il donne cependant celle d’un -«bonhomme» dessiné par un couturier.</p> - -<p>Sans doute, on a vu de beaux vêtements qui -n’étaient pas construits selon la forme du corps -humain. Tel est le cas du plus beau de tous: le -vêtement antique. Seulement, c’étaient des vêtements -sans forme aucune. La draperie antique est -amorphe. Elle n’est rien par elle-même et doit -tout à l’être qu’elle recouvre. Un voile léger, une -calyptre jetée à terre est sans forme comme une -nappe d’eau, mais, posée sur la tête d’une femme, -tombant sur les épaules, sur les seins et jusqu’aux -pieds, elle devient plastique. Comme cette même -nappe d’eau tombant du haut d’un rocher, rebondissant -en lignes courbes, s’étalant en vagues, se<span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">[133]</a></span> -réduisant en longs filets liquides, se nouant et se -dénouant comme deux cordes qu’un mouvement -concentrique rapproche et sépare, se rejoignant -comme des œils de plis, descendant par larges -nappes, puis tombant droit aux pieds comme une -averse de plis parallèles et se répandant en gros -bouillons tout autour de la déesse, enfin, lorsqu’elle -a trouvé son équilibre, demeurant toute -plane sur le sol comme une eau tranquille qui ne -bouge plus: telle est la draperie antique.</p> - -<p>Étant amorphe, elle peut devenir plastique; -étant une, elle est infiniment variable. Le corps -ne fait pas la plus légère inflexion sans que le -reflet en tressaille dans tous les plis. Toute statue -antique, si elle ne porte pas dans le pli de sa toge -la paix et la guerre, y porte du moins le souvenir -du corps humain. Ce ne sont pas seulement les -expressions prévues par Quintilien qu’elle donne: -qu’un homme en toge lève doucement le bras, ce -mouvement créera derrière lui une multitude de -plis,—tel, le mouvement du vaisseau crée le sillage. -Qu’au contraire, un homme en redingote le -lève deux fois plus haut: la ligne inférieure de la -jupe n’oscillera même pas. A peine, autour de -l’épaule, se fera-t-il une légère grimace, une patte -d’oie. Le mouvement sous une draperie, c’est une -pierre jetée dans l’eau: jusqu’aux extrémités, des<span class="pagenum"><a name="Page_134" id="Page_134">[134]</a></span> -frémissements concentriques à la surface indiquent -le geste qui s’est produit. Le mouvement dans un -vêtement ajusté, c’est une pierre tombant dans du -sable. Là où il se produit, il y a une légère perturbation, -peut-être un froncement d’étoffe: c’est -tout.</p> - -<p>Un artiste ingénieux peut exagérer ce froncement. -Il peut coller le tissu au corps pour le mouler -comme a fait M. Marqueste dans son <i>Victor -Hugo</i>, ou, au contraire, en faire flotter les extrémités -pour l’animer; il peut imposer à son héros—poète, -historien, chimiste,—une élégance ou bien -une agitation qu’un modeste ou paisible savant -n’a jamais connues: il n’arrivera pas à traduire -les inflexions délicates et subtiles du corps. Il ne -trouvera pas dans l’enveloppe moderne les éléments -nécessaires à son œuvre. L’artiste qui veut traduire -le corps humain par la redingote, c’est un -écrivain à qui l’on donnerait pour traduire du -Bossuet le code des signaux maritimes ou l’Esperanto.</p> - -<p>Nous touchons ici à la loi esthétique fondamentale -du vêtement humain. Il est esthétique -dans la mesure où il est révélateur. La draperie, -elle, révèle trois choses: ou bien la forme du -corps,—quand elle adhère au corps sous la pression -de l’air ou qu’elle est serrée par un nœud,<span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">[135]</a></span> -comme dans les trois <i>Parques</i> du Parthénon;—ou -bien son mouvement, quand elle flotte et suit le -geste qui l’anime, comme dans les combattants du -sarcophage de Sidon;—ou bien, à la fois, sa -forme et son mouvement, quand elle adhère au -corps et se déroule en le suivant, comme dans la -<i>Victoire</i> de Samothrace. Le pli tombant est également -indicateur de grandes lois naturelles. S’il -tombe droit, comme dans les figures des portails -de nos cathédrales, il marque la loi de gravitation. -S’il ne tombe pas droit, mais par sursauts, -il marque à la fois la loi de gravitation et la forme -du corps humain, c’est-à-dire la lutte infiniment -complexe entre la pesanteur qui veut des lignes -verticales et la résistance qui veut des lignes horizontales. -S’il ne tombe pas du tout, s’il flotte, il -marque le mouvement de ce corps et la force de -l’air.</p> - -<p>En regard de ces indications subtiles, mais précises, -perçues par l’esprit inconsciemment, en -regard de ces phénomènes éternels—les plus -hautains individualistes nous permettront-ils de -dire de ces «lois» éternelles qui régissent la vie?—examinons -ce que marque la redingote, c’est-à-dire -le vêtement ajusté? Il ne marque rien. Il ne -révèle pas le corps, puisqu’il le cache sous une -carapace de même diamètre, là où la nature a modelé<span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">[136]</a></span> -des épaisseurs de proportions très variables. -Il ne révèle pas le mouvement, puisqu’il est construit -précisément en vue d’éviter les plis, qu’on -appelle tous des «faux plis» et qu’il faudrait un -désordre inouï dans l’âme d’un homme pour qu’il -s’en manifestât un quelconque dans sa toilette. Il -ne marque pas la marche, trop lourd pour flotter -et d’ailleurs retenu par les boutons, qui sont les -gendarmes du costume moderne. Aux jarrets, il -est rectificatif de la nature et—jambes de coq ou -mollets d’Hercule, jarrets du montagnard ou -jambes du danseur—il confond tout dans le -même cylindre égalitaire, imperturbable et prévu.</p> - -<p>Puisqu’il ne marque rien de réel ni de voulu par -la nature, que marque donc l’habit ajusté? Eh! -c’est fort simple! il marque un idéal: l’idéal du -tailleur qui l’a fait.</p> - -<p>Quel est-il donc, cet idéal, pour avoir produit un -costume uniforme, artificiel et inexpressif? Voici le -dernier terme de la question. Croit-on que ce soit -le hasard qui ait produit et qui maintienne, malgré -tous ses défauts, ce vêtement contemporain? Ne -voit-on pas que ce sont ses défauts mêmes qui le -rendent populaire et que c’est précisément parce -qu’il est uniforme et inexpressif, c’est-à-dire égalitaire, -qu’il est contemporain? C’est précisément -parce qu’il confond, sous la même apparence, le<span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">[137]</a></span> -torse musclé et la poitrine étriquée, les épaules -larges et les épaules fuyantes, le bras vigoureux, -le jarret nerveux et les membres déjetés, les -genoux cagneux, c’est expressément parce qu’il -revêt les êtres les plus dissemblables d’une semblable -laideur, que ce vêtement s’impose à notre -temps et à notre société. Ce défaut lui est consubstantiel, -c’est sa raison d’être; c’est, aux yeux des -contemporains, sa qualité. La fiction de l’égalité -des hommes devient réalité dans les costumes. -Tout essai de rendre plus plastique le costume -ferait apparaître l’inégalité physique des individus: -aussi est-il repoussé. Notre costume contemporain -aurait bien manqué son but, s’il pouvait -s’allier à la Beauté. Il a été construit contre la -Beauté.</p> - -<p>Il est donc bien, lui-même, une mauvaise œuvre -d’art. Il ne faut donc plus parler d’un fait réel et -vivant à interpréter par l’art comme un arbre, un -visage, un légume, un monstre naturel, un serpent -ou un rocher. Non. Il s’agit d’une mauvaise œuvre -d’art à reproduire en fac-similé. Voilà où dévie la -théorie que tout ce qui «est réel et vivant peut -devenir beau». Elle conduit, pratiquement, à -introduire dans l’art une forme qui n’est ni réelle, -ni vivante, qui est artificielle et morte, et à subordonner -l’œuvre du statuaire aux lois posées par un<span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">[138]</a></span> -tailleur,—lois d’ailleurs très précises, très impératives, -texte impossible à interpréter, à tourner. -Le tailleur est le statuaire de l’habit ajusté, comme -le statuaire était le tailleur de la draperie. C’est -donc le tailleur qui dicte la statue. Prétendre qu’on -peut interpréter son œuvre, c’est proprement dire -qu’on peut interpréter la forme d’un poêle Choubersky. -Devant une forme aussi mathématiquement -définie, il n’y a que deux partis à prendre: -la surmouler ou la supprimer. Si on la surmoule, -c’est le tailleur qui fait la statue. Si on la supprime, -il n’y a plus de vêtement contemporain.</p> - -<p>Rien de tout cela n’est assurément une découverte. -Et les esprits peu compliqués, pour qui ces -lois n’ont jamais cessé d’être évidentes, trouveront -sans doute superflu le soin qui est pris ici de les -rappeler. Mais il suffit de parcourir quelques pages -de critique d’art contemporaine pour sentir que, -bien loin d’être superflu, ce soin est le plus nécessaire -dans un moment où la simplicité des impressions -est si fort méprisée et la recherche de l’originalité -si commune et si vulgaire, que le moindre -rappel d’une vérité claire paraît un paradoxe ou -une nouveauté.</p> - -<p>Les artistes, heureusement, s’en sont souvenus -mieux que les critiques. Un instant égarés par le -désir tout intellectuel et non esthétique d’exprimer<span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">[139]</a></span> -les mœurs de leur temps par le vêtement contemporain, -ils abandonnent cette voie fausse, guidés -par un instinct plus sûr que les plus brillantes -théories. S’il était permis au passant attristé de -faire entendre un seul mot, parmi tant de conseils -qui leur sont journellement prodigués, ce serait un -mot de défiance à l’égard de ces conseils et de confiance -en eux-mêmes.—Ne vous inquiétez pas, -leur dirions-nous, de représenter les mœurs de -votre temps, ni ses aspirations sociologiques; -inquiétez-vous de représenter ce que vous trouvez -beau dans tous les temps, selon les aspirations -qui sont les vôtres, qu’elles soient ou non celles du -monde où vous vivez! Soyez sincères, c’est-à-dire -soyez artistes, et soyez de votre art avant d’être de -votre temps! Ne vous laissez pas détourner de -votre chemin par ceux qui vous diront que les -anciens furent grands parce qu’ils exprimèrent -leur race, leur morale, leurs costumes, leur vie. -Peut-être est-ce vrai, mais rien n’est moins prouvé, -et en toute hypothèse, cela ne peut vous servir de -rien. Allez tout simplement à ce qui vous paraît -beau, comme le fleuve va à la mer, comme l’oiseau -vole à l’épi chargé de grain. Si la draperie vous -plaît mieux que la redingote, jetez la draperie sur -les épaules de vos héros. On en sourira pendant -trois jours, mais les années le garderont, car votre<span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">[140]</a></span> -héros ne sera tenu pour grand que si vous l’avez -fait beau. Osez toutes les inconséquences si elles -servent votre dessein. Repoussez toute logique si -elle se résout en une forme sans grâce. Et croyez -qu’il n’est pas une «lumière intellectuelle» qui -tienne devant le galbe d’un beau bras dressé pour -assurer l’équilibre de l’amphore,—ni une intention -qui vaille un pli souple tombant de l’épaule -aux pieds de la plus humble statuette de Tanagra!</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">[141]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE IV</h2> - -<p class="pc2"><b>Comment représenter un grand homme -contemporain.</b></p> - -<p class="p2">N’est-il donc aucun moyen pour le sculpteur de -figurer l’homme moderne et doit-il nécessairement, -s’il veut rendre honneur à un contemporain: chimiste, -ingénieur ou psychologue, lui donner les -muscles du <i>Discobole</i> et la pose de l’<i>Apollon</i>?</p> - -<p>Ce n’est assurément pas nécessaire, ni même -désirable. Mais autre chose est la conformation, -le geste, l’attitude, les inflexions d’un savant -moderne, qui lui sont imposés par ses préoccupations, -par ses travaux, par ses émotions, autre -chose sont ses cols, ses cravates, ses vestons, ses -pantalons, ses bottines, qui pourraient être tout -autres, quand l’homme aurait les mêmes travaux, -les mêmes soucis, les mêmes émotions, et qui ne -lui sont imposées que par son tailleur. Il ne faut -pas confondre les caractéristiques de la vie moderne<span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">[142]</a></span> -avec les artifices inutiles et incommodes qui coïncident -avec la vie moderne. Celles-là sont inévitables -et influent sur la musculature même de -l’homme: c’est-à-dire sur ce qui est sculptural en -lui. Ceux-ci sont tout arbitraires et n’influent que -sur son aspect le plus superficiel.</p> - -<p>S’il était vrai que le costume moderne est suffisant -et nécessaire à révéler ce qu’a de particulièrement -sensible, affiné, nerveux, inquiet, méditatif, -notre contemporain devant les grands problèmes -de la vie, sans doute faudrait-il dire que le peuple -de statues endimanchées qu’on voit au <i>Campo-Santo</i> -de Gênes donne une idée plus juste de -l’homme moderne que les figures sans vêtements -et sans date de l’admirable <i>Monument aux Morts</i> -de M. Bartholomé....</p> - -<p>Personne ne le dira. Il y a, dans ces figures rampantes -ou suppliantes, dressées ou prosternées: <i>A -l’entrée du Mystère</i>, au Père-Lachaise, une anatomie -particulière, des inflexions, des gestes que -difficilement l’Antiquité ou la Renaissance eussent -imaginés. Tout y est oublié de ces pompeux désespoirs -où les statuaires funéraires du <span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup> siècle -déployaient la gloire des draperies, la délicatesse -des dentelles, la science du squelette; tout y a disparu -de ces honneurs auxquels «il ne manque que -celui à qui on les rend». Au contraire, tout y<span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">[143]</a></span> -témoigne bien de la méditation de l’homme -moderne devant cette porte, soit qu’elle s’ouvre -sur ce que le chrétien a tant de fois rêvé, soit -qu’elle mène à ce «néant tranquille de la mort où -l’homme se reposera du néant troublé de la vie». -Ces figures, une autre époque ne les eût ni inspirées -ni comprises. Sans costumes qui leur assignent -une date, les figures de M. Bartholomé -appartiennent clairement à notre temps, à un -moment de l’humanité.</p> - -<p>Ce que M. Bartholomé a su faire dans son <i>Monument -aux Morts</i>, nos statuaires ne peuvent-ils donc -le tenter, lorsqu’ils glorifient la vie? Ne peuvent-ils -trouver des gestes, des attitudes qui témoignent -particulièrement des travaux, des émotions de -l’homme moderne? Faut-il donc un uniforme pour -distinguer un médecin d’un orateur, comme il en -faut un pour distinguer un artilleur d’un cuirassier? -Et nos grands hommes contemporains n’ont-ils -pas de gestes et d’attitudes qui leur soient propres, -par où la sculpture puisse exprimer leur -modernité?</p> - -<p>La réponse dicte le parti à prendre. S’ils en ont, -que le statuaire l’exprime, et s’ils n’en ont pas, -qu’avons-nous besoin de statuaire? Qu’on fasse -leur biographie, mais non leur statue! Qu’on -dresse un monument à leur idéal, à la chimère de<span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">[144]</a></span> -leur vie, quitte à imprimer, au piédestal de ce -monument symbolique, un médaillon représentant -leurs traits<a name="FNanchor_19_19" id="FNanchor_19_19"></a><a href="#Footnote_19_19" class="fnanchor">[19]</a>! Le médaillon gravé par M. Roty -suffirait, par exemple, dans un monument à Pasteur, -tandis que, sur le piédestal, l’artiste dresserait -la figure de ce que rêva ou ce qu’accomplit -Pasteur. Quelle figure? dira-t-on. C’est à l’artiste -de la concevoir. Et peut-être n’est-ce point une -chose facile que de montrer, par exemple, <i>la -Science luttant avec la Mort</i>, mais assurément le -résultat en serait moins incertain et moindres les -chances de ridicule que de vouloir ennoblir la -redingote ou rendre épique le haut de forme du -savant.</p> - -<p>Considérons les figures symboliques de Puvis au -grand amphithéâtre de la Sorbonne, par exemple, -la philosophie spiritualiste et la philosophie matérialiste: -il serait facile de mettre sous ces figures<span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">[145]</a></span> -des noms de philosophes contemporains. Pourquoi -le sculpteur n’obéirait-il pas à une même inspiration -et, lorsqu’il a quelque philosophe contemporain, -un Renan ou un Jules Simon, à immortaliser, -ne dresserait-il pas sur son monument une de ces -figures qui sont sculpturales, à la place du savant -qui ne l’est pas? L’honneur serait-il moindre pour -le grand homme parce qu’on ne verrait pas son -gilet? Ce qui est précieux chez un savant ou un -philosophe, c’est sa découverte ou sa pensée. Ce -n’est pas la coupe de ses habits. C’est le résultat -de ses veilles et de ses travaux connu du monde -entier, et c’est leur souvenir exprimé par le marbre -que le monde entier reconnaîtra. Ce n’est pas le -résultat des travaux et les veilles de son costumier. -Si, comme on le prétend, c’est le visage qui reflète -toute la grandeur de l’homme moderne, c’est son -visage seul qu’il faut immortaliser. Si c’est son -corps tout entier, le costume y est indifférent. Si -ce n’est ni l’un ni l’autre, et si toute sa grandeur -consiste dans sa pensée, c’est donc bien sa pensée -qu’il faut figurer sur son monument....</p> - -<p>Et si l’on objecte que, pour figurer la pensée -d’un politique, il faudrait qu’il en eût une, ou -l’action d’un ministre, il faudrait qu’il eût fait -quelque chose, et que, si les milliers de célébrités -qu’on érige en marbre ont possédé chacune un<span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">[146]</a></span> -visage qu’on peut reproduire, il serait fort difficile -de leur trouver à toutes un rêve ou une pensée -qu’on pût symboliser, nous dirons qu’en ce cas on -serait quitte pour ne rien figurer du tout.... Et l’on -ne voit pas ce qu’y perdraient l’Art, l’Histoire, la -chose publique.... Il n’est pas nécessaire que tout -grand homme ait une statue, mais il est nécessaire -que le goût ne soit point perverti par les apparitions -grotesques et immuables qui s’entassent dans -nos cités. Il n’est pas indispensable d’enseigner -à l’avenir des centaines de noms inconnus au -présent, mais il ne faut pas qu’un même signe -évoque, chez nos descendants, les meilleurs de nos -contemporains avec les pires des formes esthétiques, -ni que le souvenir de l’héroïsme ou du génie -se confonde, dans leurs imaginations, avec celui -de la laideur. Enfin, il n’est pas démontré que la -statuaire ne doive représenter que le drapé ou le -nu, mais il semble bien établi qu’il est des formes -artificielles dont l’art ne peut tirer aucun parti, et -que, s’il n’y a pas autant de «lois» esthétiques, -peut-être, qu’on l’a quelquefois professé, il y en a -tout de même quelques-unes qu’il faut suivre,—et -non point parce qu’elles dérivent d’un code et -qu’elles sont admises par l’Institut, mais simplement -parce qu’elles dérivent de la nature même -des choses et qu’elles sont des nécessités.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">[147]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<p class="pc4 xlarge">QUATRIÈME PARTIE</p> - -<p class="pc2 large font1"><b>LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE -UN ART?</b></p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">[148]</a></span></p> -<p> </p> -<p><span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">[149]</a></span></p> - -<h2 class="p4">LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE UN ART?</h2> - -<p class="p2">Quelque chose a changé dans l’Esthétique du -noir et du blanc. Un mouvement nouveau entraîne -les photographes hors et à rebours des voies où -ils avaient accoutumé de cheminer jusqu’ici. Ce -mouvement est international. Tant à Vienne qu’à -Bruxelles, et à Londres qu’à Paris, aussi bien sur -les terrasses de Taormine en Sicile qu’en Nouvelle-Zélande -sur la côte d’or de Coromandel, partout -où il y a des photographes, ils semblent préoccupés -de recherches que les chimistes ignorent, et -agités d’inquiétudes que leurs devanciers n’avaient -pas connues. Ils flânent plus volontiers en plein -air, par les bois, les plaines et les grèves, même -dans les lieux sans monuments et à des heures -sans soleil. Que cherchent-ils? Si un vieux professionnel -de la chambre noire les suit et les -observe, il s’étonne et se scandalise. Il les voit -s’arrêter devant un espace vide de «site», un -néant; quelque lande aux bruyères fleuries, quelque -bord d’étang «où les joncs agités font un éternel<span class="pagenum"><a name="Page_150" id="Page_150">[150]</a></span> -murmure». Là, il aperçoit avec horreur que ces -jeunes confrères violent toutes les règles de la profession. -Ils se placent à contre-jour, en face du -soleil. Ils ne mettent pas rigoureusement au point. -Chose incroyable, il arrive qu’ils ne se servent pas -toujours du système de lentilles qu’on nomme -l’<i>objectif</i>!</p> - -<p>S’il pénètre dans leur atelier, l’étonnement n’est -pas moindre. Où est le vitrage en manière d’aquarium, -et le jeu de rideaux, et la lumière crue -indispensable à un «bon cliché»? Où est le carcan -de fer pour maintenir la tête du patient, et le banc -rustique, et la colonne torse, et le balustre? Où -sont ces boîtes de carton, en polyèdres, simulant -des rochers, et la cascade peinte sur la toile de -fond, toutes choses qui, dans nos vieux albums de -photographie, environnent d’un travestissement -uniforme et lamentable les figures disparues que -nous avons aimées?... Rien de tout cela, mais une -simple chambre, orientée au hasard, parfois au -midi, des tapisseries effacées, et, éparses çà et là, -des choses gaies, fines, surannées, des péplums, -des calyptres, des tuniques, des vertugadins, des -anaboles, des collerettes pierrot, des chapeaux de -nos mères-grands, des ridicules qui émerveillaient -les merveilleux du Directoire, et des mouchoirs -qui saluèrent la rentrée des vainqueurs d’Austerlitz,...<span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">[151]</a></span> -ou bien, moins encore, de simples bandes, -des lés de mousseline et de gaze, de satinette et de -velours de coton, des choses amorphes et changeantes, -comme le cabriolet de Miss Helyett et le -feutre de Tabarin, des buissons de rubans, des -brassées de fleurs, dans un désordre d’archéologue -ou de couturier....</p> - -<p>L’homme qui manie ces choses est-il un photographe? -Il n’a point le ton sévère et impératif de -l’ancien opérateur qui glaça, du mot de Gorgone, -tant de générations d’enfants au brassard frangé -ou de jeunes mariés aux mains prises dans des -gants trop étroits: «Ne bougeons plus!» Non, -ceux-ci aiment tout ce qui bouge: le nuage et la -feuille, et l’eau, et le regard, et le sourire.... Le -voile noir qui couvrait leurs épaules est tombé, et -ils apparaissent à la foule moins magiciens, mais -plus hommes. Ils ne parlent plus par C<sup>12</sup>H<sup>6</sup>O<sup>4</sup>, mais -par versets de poètes ou d’esthéticiens. Ils citent -moins Herschel que Stendhal et moins Janssen -que Fromentin. Ils ne fuient pas les artistes. Ils -causent volontiers avec eux, et non plus en pédagogues, -l’index en l’air, avec la prétention de -leur enseigner les vraies attitudes de l’homme en -marche ou du cheval au trot, mais, au contraire, -en disciples, avec le désir de profiter de l’expérience -des maîtres et d’écarter de la réalité tout ce<span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">[152]</a></span> -qui n’est pas conforme à l’idéal.... Enfin, ils travaillent, -au jour, une seule épreuve un temps -infini. C’est alors que l’indignation du vieux professionnel -ne connaîtrait plus de bornes. Car il les -verrait penchés sur une plaque semblable à celle -du graveur, durant plus d’une heure pour chaque -épreuve, se livrant à des besognes que ne désavouerait -pas un aquarelliste.... Ne serait-ce pas -des «retouches»? Encore une fois, que cherchent-ils?</p> - -<p>Ce qu’ils ont trouvé est plus surprenant encore. -Quiconque est entré dans une des plus récentes -expositions du Photo-Club, à Paris, ou du Link -Ring, à Londres, du Camera Club, à Vienne, ou -de la Société belge de photographie, à Bruxelles, -en est sorti stupéfait qu’un procédé vieux de -soixante ans et qu’on pouvait croire épuisé semblât -se renouveler jusqu’à une renaissance. N’y avait-il -pas là un art modeste, sans tapage, sans manifeste, -mais à demi créé, balbutiant les premiers -mots d’une langue inconnue? La foule, sans chercher -de raisons, a tôt fait de dire son avis: devant -les œuvres de MM. Robert Demachy, Constant -Puyo, Maurice Bucquet, Maurice Brémard, -Alfred Boissonnas, H. Erfurth Steichen, Miss Mathilde -Weil, Miss Ema Spencer, MM. Guido Rey, -Murchison, Arning, P. Bourgeois, da Cunha, Coste,<span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">[153]</a></span> -Naudot, Jacquin, Horsley-Hinton, Holland Day, -Mme Binder-Mestro, Mlle Laguarde, Alfred Maskell, -Frederick Hollyer, Craig-Annan, Le Bègue, -Bergon, Colard, Calland, Watzek, Sollet, Alexandre, -la foule a admiré, tout uniment. Pourtant, çà et -là, apparaissent des figures inquiètes.... Des artistes, -peut-être, troublés comme des gens qui -auraient aperçu, se profilant sur l’horizon, aux -confins de leur domaine, la silhouette des fourriers -d’une invasion?... Des critiques d’art, qui, toute -leur vie, montrèrent, par des syllogismes fort bien -ordonnés, que <i>jamais</i> la photographie ne pourrait -donner des résultats équivalents à ceux de l’eau-forte -ou du fusain, et qui n’entendent autour -d’eux que ces mots: «On dirait une eau-forte!... -On dirait un fusain!» Des idéalistes enfin, qui se -demandent, attristés par cette intrusion nouvelle -de la science, ce que va devenir, parmi tout cet -appareil chimique d’émulsions et de révélateurs, -dans toute cette gomme bichromatée ou dans ce -paramidophénol, les traditions fines et nobles du -grand art, l’inspiration personnelle et innée, la -part de l’âme, l’idée?...</p> - -<p>Avec eux et avec tous ceux qui aiment le Beau, -abordons ce problème. Demandons-nous pourquoi -la photographie, jadis unanimement méprisée par -les artistes, se trouve aujourd’hui sur les confins<span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">[154]</a></span> -mêmes de l’art. Cherchons si l’opérateur prend une -part nouvelle dans le phénomène chimique et -mécanique qui s’accomplit. Examinons si cette -part est suffisante pour qu’elle lui permette d’y -imprimer sa personnalité. Enfin, tâchons de déterminer -à quoi tend ce mouvement, et s’il marque -un nouveau progrès du naturalisme sur les traditions -idéalistes et classiques de l’ancienne école -française; ou bien si, au contraire, il ne serait -point, par une évolution singulière et inattendue, -un témoignage éclatant de leur vitalité.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">[155]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE I</h2> - -<p class="pc2"><b>Les défauts de la photographie.</b></p> - -<p class="p2">On a dit beaucoup trop de mal de la photographie, -et pas assez des photographes. Il est très -vrai que la photographie, telle que nous la connaissons -d’habitude, a mille défauts qui sont la négation -même de l’art, sans être le moins du monde -l’affirmation de la Nature. Elle n’est pas plus près -de la vérité que de la beauté. Elle exagère la perspective -à ce point qu’une grande route, prise de -face, fuyant droit vers l’horizon, ressemble à une -pyramide, qu’une table carrée vue de la même façon -paraît quasi triangulaire, et qu’une main tendue -vers vous est plus grosse que la tête de l’ami qui -vous la tend. Elle traduit si malencontreusement -les couleurs les plus nécessaires, qu’un toit rouge -clair devient noir, pendant que le ciel bleu foncé -devient blanc. Elle supprime ainsi le ciel et la mer -du Midi, et dès qu’un ton aussi important vient à<span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">[156]</a></span> -manquer, toute la gamme est fausse. Les caps -sacrés, qui se profilaient doucement sur le ciel, se -découpent comme des écrans devant le feu; les -bateaux noirs, qui s’harmonisaient avec le flot -bleu sombre, semblent des mouches tombées dans -du lait. Les feuilles dorées de l’automne et les -raisins blancs bien mûrs deviennent quelque chose -de noir comme des gouttes d’encre sur du papier. -Un effet de soleil apparaît si éclatant, qu’on le -prend pour un effet de neige. Un arbre vu à contre-jour -est si furieusement sombre, qu’on ne distingue -rien de son modelé et qu’il paraît une plaque de -tôle, plate et enfumée.</p> - -<p>Puis, ayant négligé ainsi la vérité sur les points -capitaux, la photographie devient d’une exactitude -indiscrète et cancanière sur les détails dont on n’a -que faire. Comme l’<i>Intimé des Plaideurs</i>, elle passe -sur le principal de la scène esthétique, seul objet -où vont les yeux et le cœur, et s’étend longuement -et complaisamment sur les brindilles, les fétus, les -faits étrangers à la cause. Elle compte sottement -tous les cailloux de la grève, quand elle fut incapable -de donner des eaux du torrent une idée autre -que celle d’une chevelure grise qui traînerait par -terre. Précise et stupide comme une statistique, -elle dénombre les feuilles des arbres en les découpant -lourdement sur le ciel comme si elles étaient<span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">[157]</a></span> -de fer. Aussi bien, ne peut-on trop mépriser la -sécheresse de son trait; le brillant de ses noirs et -de ses blancs extrêmes, plaqués les uns contre les -autres, sans échange de reflets, sans intervention -de clairs-obscurs; enfin la monotonie de son rendu, -partout le même, sans un accent, sans une vibration -des <i>mortalia corda</i> où se montre une impatience, -une joie, une défaillance; cette lamentable -perfection, égale dans mille épreuves, où tout ce -qui est mécanique se retrouve et à qui tout ce -qui est humain semble étranger....</p> - -<p>Ces reproches sont justes; mais qui les mérite? -La photographie ou les photographes? Le soleil, ou -le laboratoire obscur? Les photographes ont-ils -bien fait tout ce qu’il fallait pour éviter ces -erreurs? Un court examen suffit pour voir qu’au -lieu de les fuir, ils les ont recherchées. Pour eux, -la sèche définition du trait, non seulement n’est -pas un défaut, mais une qualité. C’est ce qu’ils -appellent faire <i>net</i>, et ce qu’ils ont, au contraire, -toujours considéré comme un défaut, c’est le <i>flou</i>, -terme de mépris qui, dans leur langage, voue à -l’exécration publique la grâce, l’indécision, la fraîcheur, -ce que les artistes recherchent d’abord. -Quand, dès 1853, sir William Newton et plus tard -MM. John Leighton et Buss soutinrent devant les -sociétés de photographie de leur pays que tous les<span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">[158]</a></span> -plans ne devaient pas être également nets et que -certaines lignes devaient se profiler à peine sur le -fond, ils soulevèrent une tempête de protestations. -Sacrifier une herbe, un cheveu, un caillou, jamais! -L’idée directrice des photographes était alors, -comme hier encore, que plus une épreuve montre -de détails, plus elle est belle, et plus nettement -elle les montre, mieux son but est rempli. Il faut -que, devant la photographie d’une ville, on puisse -compter toutes les maisons, et dans chaque maison -toutes les fenêtres, et dire: Voici la mienne, et le -contrevent est à demi fermé! Tous les perfectionnements -de diaphragmes, de plaques, de révélateurs -et de papiers lisses et brillants ont été faits -pour obtenir un détail plus minutieux, une opposition -de noir et de blanc plus tranchée, des silhouettes -plus découpées, une documentation plus -rigoureuse;—toutes choses qu’en effet la science -réclame pour ses enquêtes, mais que l’art proscrit. -Quoi d’étonnant si tant d’efforts pour le laid ont -été couronnés de succès!</p> - -<p>La même tendance s’observe pour les exagérations -de perspective. On a beaucoup parlé des -défauts de l’objectif et de «l’aberration de sphéricité»; -mais quand donc parlera-t-on de l’aberration -des opérateurs? Il est très vrai que certains -instruments distordent les lignes droites dans les<span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">[159]</a></span> -coins de l’image, mais pourquoi choisir ces instruments? -Si l’on remarque des exagérations de perspective -dans les objectifs à grand angle, pourquoi -ne pas choisir des objectifs à petit angle qui, eux, -ne donneront pas ce résultat monstrueux? Et si -l’objectif est à grand angle, pourquoi le placer si -près de la chose à photographier que les lignes -principales partent du bas même de l’épreuve, et -soient agrandies ainsi à l’excès au bord inférieur -de l’image, puis diminuées à l’excès à mesure -qu’elles montent et fuient vers l’horizon?—Pourquoi? -Simplement parce que le photographe a -voulu comprendre le plus de choses possible dans -le champ de l’appareil, afin de voir à la fois ce -qu’il y a à ses pieds et ce qui plane au-dessus de -sa ligne d’horizon. Parce que, dans son désir d’enregistrer -un grand nombre de détails, et dans son -ignorance profonde de la loi des sacrifices nécessaires, -il veut embrasser avec l’œil de son objectif -plus qu’il ne peut le faire d’un seul regard de ses -propres yeux. C’est ainsi que, dans les épreuves -dont la perspective nous choque, la photographie -a été forcée d’enregistrer plusieurs plans que le -photographe n’apercevait pas d’ensemble, et qu’il -n’aurait jamais dû réunir dans son image, ne les -réunissant pas dans la réalité. Là est le défaut, -mais il ne tient pas à l’objectif: il tient, au contraire,<span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">[160]</a></span> -à ce qu’il y a de plus «subjectif» dans -l’opérateur: son sentiment faux de la beauté. -Donnez à ce photographe un crayon: il fera, en -dessinant, les mêmes erreurs. Donnez à un artiste -cet objectif: il ne les fera pas.</p> - -<p>Ce qu’il ne fera pas non plus, c’est un paysage -sans ciel, comme ce fut jusqu’à nos jours la règle -de tout bon manieur de collodion ou de gélatino-bromure. -Et, là encore, est-ce bien l’appareil qu’il -faut accuser de cette étrange suppression du ton -local le plus nécessaire? Assurément oui, quand il -s’agit d’un ciel bleu, car cette couleur impressionne -si fortement la plaque qu’il ne reste rien sur cette -plaque pour donner un ton à l’épreuve, et qu’ainsi -tout ce qui était bleu dans la nature devient, dans -l’image, blanc. Mais on a plusieurs moyens de -parer à cet inconvénient. On a les verres de diverses -couleurs, permettant de faire poser longtemps -devant la plaque les couleurs qui viennent -trop lentement, sans laisser passer un seul rayon -de celles qui viennent trop vite. On a encore la -ressource de développer plus ou moins toute une -partie du cliché. On peut enfin, si l’on se sert de -papiers charbon-velours ou de papier à la gomme -bichromatée, réserver, dans le dépouillement, un -ton pour tout le ciel. Et, bien avant qu’on parlât -d’écrans orthochromatiques ou de gomme bichromatée,<span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">[161]</a></span> -un Anglais, M. H. P. Robinson, étendait -des ciels d’un ton très ferme et nuancé sur tous -ses paysages. On voit donc que l’absence du ton -du ciel, chez les photographes d’autrefois, n’était -pas uniquement due à l’imperfection de la photographie, -mais à leur négligence.</p> - -<p>De même, s’ils s’interdisaient les grands effets -de lumière, les effets à la Turner et à la Claude -Lorrain, en enseignant qu’il faut toujours tourner -le dos au soleil, ce n’était point qu’ils craignissent -le <i>halo</i> ou des accidents semblables. C’était qu’ils -se souciaient aussi peu d’effets à la Turner que -d’un ton juste pour le ciel. Et ils s’en souciaient -peu, parce que ces effets artistiques ne s’obtiennent -en général qu’aux dépens de la minutieuse et -scientifique définition des détails. Frappées de face -par les rayons du soleil, les veines d’un caillou, les -brindilles d’un buisson reluisent plus exactement. -Et dans la représentation de la figure humaine, ce -n’est pas un effet caractéristique et vigoureux qui -permet de tout apercevoir, c’est un éclairage égal, -tendre et mou. Pour les photographes, non seulement -l’accent n’est pas nécessaire, mais il est nuisible, -et s’ils aperçoivent dans le cliché, sur le -masque humain, un trait un peu vif, une ride un -peu soulignée, un relief un peu bossué, ils l’enlèvent -d’une retouche savante, afin que l’épiderme<span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">[162]</a></span> -s’arrondisse également à la ressemblance d’une -baudruche gonflée et que l’ombre se dégrade sur -l’ovale d’une joue comme sur la panse d’un ballon.</p> - -<p>Tout cela tenait au photographe au moins autant -qu’à la photographie. C’est pourquoi les artistes -n’avaient point tort en condamnant les épreuves -qu’on leur mettait sous les yeux; mais ils allaient -peut-être un peu vite en déclarant que le procédé -ne pouvait en donner d’autres. Le jour où des -hommes d’un goût sûr sont venus et ont laissé là -les dogmes photographiques, des œuvres fines, -délicates, harmonieuses ont paru. On ne retrouve -plus aucune perspective exagérée dans les scènes -d’intérieur de M. Puyo, ni de «noirs bouchés» -dans celles de M. Demachy, ni de détails inutiles -dans les paysages de M. Bucquet, ni de chairs -molles et rondes dans les figures de M. Maskell, -de M. Kuhn, de M. Holland Day ou de M. Hollyer. -Les ciels de MM. Henneberg et Horsley Hinton sont -animés, vigoureux, plafonnants. Là même où le -ciel est bleu dans la Nature, son image est traduite -dans l’image par un ton assez fort pour que les maisons, -blanches, s’enlèvent, <i>en clair</i>, sur le ciel, -comme dans le <i>Brompton Road</i> de M. Calland. La -manie de l’inventaire et le goût du procès-verbal ont -disparu. Les artistes ont cherché, non plus le détail, -mais l’ensemble, non plus l’accumulation des faits,<span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">[163]</a></span> -mais la simplification de l’idée. Ils ont choisi, non -les heures ensoleillées où tout se voit, mais celles -voisines du crépuscule où quelque chose se laisse -deviner. Ils se sont rappelé que c’est une erreur, -en art, que de vouloir tout définir, parce que, -devant une chose définie, il ne reste plus rien à -faire pour l’imagination. L’indéfini, au contraire, -est le chemin de l’infini. Telle vallée, tel coteau, -telle jetée sur la mer, objet banal si l’on en saisit -tous les contours et si l’on en apprécie toute -l’économie, devient, à demi voilé par la brume, -une chose désirable parce qu’elle est moins possédée, -curieuse parce qu’elle est moins connue. Le -<i>flou</i> est justement au <i>net</i> ce que l’espoir est à la -satiété. Il est l’équivalent, en art, d’une des choses -les plus aimées de la vie: cette délicieuse incertitude -d’une âme où déjà pénétra l’espoir et où -l’assurance n’est pas entrée encore; où le désir qui -commence d’apparaître comme réalisable n’a pas -cessé d’être avivé par les obstacles à sa réalisation; -où tout se promet et où rien ne se donne, où tout -se devine et où rien ne s’avoue; où les figures et -les paysages, et le ciel et la terre, et l’amour même -apparaissent selon les incertaines suggestions de -l’aube, et non selon la sèche définition des midis....</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">[164]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE II</h2> - -<p class="pc2"><b>La triple intervention de l’artiste.</b></p> - -<p class="p2">Cela suffit-il pour constituer un art? Supprimer -certains défauts de l’image photographique est -bien; mais, pour que cette image soit une œuvre -d’art, il ne suffit pas que certains défauts soient -supprimés, encore faut-il la présence de certaines -qualités. Et avant toutes, la présence pressentie -ou reconnue, non d’une machine, mais d’une main -d’ouvrier. L’art devra être ici «l’homme ajouté à -la machine», pour parodier Bacon. Mais, déjà, nous -venons de voir que l’homme n’en était pas si -absent qu’on le voulait bien dire, puisqu’une foule -de défauts venaient moins encore de son instrument -que de sa volonté, et moins de son absence -que de son intervention mal dirigée.</p> - -<p>Cette intervention, pense-t-on au premier abord, -se réduit à fort peu de chose. Choisir le site, -placer l’appareil, conseiller des attitudes, graduer<span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">[165]</a></span> -le jour, et c’est tout. Ce que la plaque a enregistré, -on est obligé de le garder, et ce qu’elle n’a -pas enregistré, on ne peut l’y mettre. Tout ce que -le photographe peut faire ensuite, c’est de verser -plus ou moins d’acide dans son révélateur. Son -génie peut se hausser à remplacer le pyrogallol -par le fer, ou le papier aristotype par le papier à -gros grains. Qu’y a-t-il de personnel dans ce travail? -Où est le sentiment, l’émotion, l’accent qui -signe l’œuvre et fait reconnaître l’ouvrier? Où est -le trait qui, dirigé par la main elle-même, résume, -synthétise une silhouette, une expression, une -attitude, en caractérisant toute une race ou une -époque comme le crayon de Gavarni ou de M. Forain? -Où est l’esprit de composition qui rapporte -dans la même œuvre des documents pris en des -lieux différents? Où, l’imagination qui crée l’incréé, -réalise l’irréel? Où est cette vision personnelle -qui fait que Corot, Rousseau et Millet, -devant le même paysage, auraient rapporté trois -tableaux aussi différents que des vues de trois différentes -planètes, tandis que dix plaques, parfaitement -ajustées devant le même site, donneront, -entre les mains de dix opérateurs différents, dix -images semblables? Tout cela n’est-il pas absent -d’une photographie, si belle soit-elle, comme en -sont absentes les couleurs qui, seules, donnent<span class="pagenum"><a name="Page_166" id="Page_166">[166]</a></span> -aux choses tout leur relief et toute leur forme, -leur distance et leur éclat?</p> - -<p>Ces objections sont fortes; mais elles le seraient -davantage si elles étaient fondées;—et elles ne -le sont pas.</p> - -<p>D’abord, il va de soi qu’on ne peut demander à -la photographie les qualités brillantes et savoureuses -de la peinture, non plus que celles de l’architecture, -ou de la musique, ou de l’art des jardins.... -On ne peut la comparer qu’à des choses -comparables: au crayon, au lavis à l’encre de -Chine ou à la sépia, au fusain ou à la sanguine, -voire au camaïeu, c’est-à-dire à toute image en -noir et blanc ou en une seule couleur graduée de -son ton le plus sombre, presque noir, jusqu’à son -ton le plus pâle, presque blanc. Ensuite, on peut -bien lui permettre d’être autre chose que la mine -de plomb ou la lithographie, sans pour cela lui -refuser le nom d’art. Sans quoi, il faudrait le refuser -aux œuvres de M. Allongé, ou aux dessins de -M. Lhermitte, qui n’ont aucun rapport avec un -crayon d’Ingres. Enfin, on peut admirer au plus -haut point la probité d’Ingres, et la profondeur de -Gavarni, et la synthèse de M. Forain, et l’analyse -de M. Caran d’Ache, sans pour cela dire que tout -l’art du noir et du blanc tient entre le portrait de -<i>Thomas Vireloque</i> et les silhouettes de <i>Doux Pays</i>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_167" id="Page_167">[167]</a></span></p> - -<p>La question n’est donc point de savoir si la photographie -possède les mêmes qualités que les -autres procédés, mais si elle en possède quelconques, -dignes de leur être comparées; si le rôle -de l’artiste y est assez important pour modifier -l’aspect d’une œuvre, c’est-à-dire s’il intervient -assez souvent pour qu’il y ait de sa part <i>production</i> -et non simplement <i>reproduction</i>, et qu’à la -beauté du site qui est à tout le monde, il ajoute -celle d’une idée ou d’un sentiment qui ne sont -qu’à lui.</p> - -<p>Or, en examinant les opérations photographiques, -nous trouvons qu’il intervient, à trois moments -différents, d’une façon assez décisive.</p> - -<p class="pc1 mid">§ 1. <i>Première intervention de l’artiste.</i></p> - -<p class="p1">D’abord, il choisit dans la nature l’objet à représenter. -Ceci a l’air très simple, et ne l’est pas du -tout. «Dans la nature, disait Corot, il n’y a jamais -deux choses pareilles», et ses compagnons d’étude -d’après nature, Bertin et Aligny, lui faisaient un -grand mérite de «savoir s’asseoir» mieux que personne. -C’est donc une science que de trouver le -point juste d’où l’objet doit être regardé, et non -seulement le point, mais la saison, l’heure, le -temps, la raison d’être du motif:</p> - -<p class="pc1 reduct"><i>Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando?</i></p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_168" id="Page_168">[168]</a></span></p> - -<p class="p1">Car, d’une part, le plus bel objet du monde peut -être un médiocre sujet de tableau s’il n’est pas vu -sous l’angle voulu, au <i>moment esthétique</i>, et, -d’autre part, combien d’admirables sujets dans les -plus humbles choses qui nous entourent, si le -cœur et les yeux savent les découvrir! Un chemin -courbe, une barrière droite, un toit qui fume, un -tronc qui se crispe, une tige qui se penche, une -flaque d’eau où le ciel renversé se reflète et tremble -avec tout son empanachement de nuages,... c’est -assez. Tout autour de nous, la nature, incessamment, -peint des tableaux fugitifs, mais délicieux. -Il faut non les créer,—ils existent,—mais les -voir. «Il est des bonheurs fortuits, dit M. Jules -Breton, où la nature fait apparaître un tableau -tout fait,» et Frédéric Walker, l’admirable peintre -de <i>Harbour of Refuge</i>: «La composition n’est que -l’art de conserver un heureux effet aperçu par -hasard.» Il ne faut pas croire suffisant ni nécessaire -d’aller se mettre devant la falaise d’Étretat, -ou le château de Chillon, ou la tour carrée de -Saint-Honorat, aux îles de Lérins, pour faire un -chef-d’œuvre. Le pays le plus «pittoresque» ne -fournit aucun sujet à celui qui ne sait pas en -découvrir dans les variations incessantes du pays -le plus monotone. <i>Savoir voir</i>, c’est un grand -point, peut-être le principal. Mais, hélas! combien<span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">[169]</a></span> -d’amateurs peintres passent, dans le paysage, à -côté du tableau, comme les ambitieux, dans la -vie, à côté du bonheur,—sans le voir! Et ils s’en -vont gravement, les uns et les autres, leur boîte à -couleurs ou leur hotte à illusions sur le dos, à la -recherche de merveilles lointaines qui ne vaudront -point ce qui les attendait, ce qu’ils n’ont -pas su voir, à la porte de leur maison....</p> - -<p>S’agit-il de figures? Il en va de même. S’il est -vrai de dire qu’«un problème bien posé est à -moitié résolu», il l’est plus encore d’affirmer -qu’une figure bien posée est à demi dessinée. Le -reste est affaire de sûreté de main et de sûreté -d’œil. Mais la composition est affaire de sûreté -d’âme et d’initiative originale. Or, le photographe -compose. Il dispose, sinon l’image, du moins la -réalité. Il ordonne, non les lignes gravées sur les -planches, mais les lignes vivantes devant ses yeux. -Pour faire <i>la Source</i>, il ne fallait pas seulement -dessiner comme Ingres: il fallait <i>composer</i> comme -Ingres. Le modèle qu’il a employé n’a point pris -tout seul cette attitude simple, fine et noble, ou, -s’il l’a prise, ce n’a été que par un hasard qu’il a -fallu préparer et saisir. Le photographe ne fait-il -pas la même chose?</p> - -<p>La similitude entre le photographe et l’artiste se -voit jusque dans les conseils qu’ils donnent à leurs<span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">[170]</a></span> -modèles. On connaît l’horreur habituelle des portraitistes -pour les étoffes sans cassures, sans œils -de plis. La première photographe artiste d’Angleterre, -Mme Cameron, raconte, dans ses Mémoires, -une anecdote qui montre que cette horreur était la -même chez elle. Les succès de ses portraits de -femmes lui valurent un jour la lettre suivante:</p> - -<p>«Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins -informe Mrs Cameron qu’elle désire poser pour -son portrait. Miss Lydia Louisa Summerhouse -Donkins est une personne qui possède équipage -et, par conséquent, elle peut affirmer à Mrs -Cameron qu’elle arrivera dans une toilette exempte -de tout chiffonnage.</p> - -<p>«Si Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins -était satisfaite de son portrait, Miss Lydia Louisa -Summerhouse Donkins a une amie qui possède -également un équipage et désirerait aussi avoir son -portrait.»</p> - -<p>«Je répondis à Miss Lydia Louisa Summerhouse -Donkins que, Mrs Cameron n’étant pas un photographe -de profession, regrettait beaucoup de ne -pouvoir faire son portrait, mais que si Mrs Cameron -avait pu le faire, elle aurait beaucoup préféré voir -cette toilette chiffonnée<a name="FNanchor_20_20" id="FNanchor_20_20"></a><a href="#Footnote_20_20" class="fnanchor">[20]</a>.»</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">[171]</a></span></p> - -<p>On se tromperait, si l’on croyait que la composition -photographique se borne au portrait ou à une -petite scène de genre moderne, vus au jour -d’atelier. On a des photographies de scènes historiques, -de personnages fabuleux, et dans un clair-obscur -saisissant; on a des sainte Cécile, des -docteurs Faust dans leurs laboratoires, des Judith -entr’ouvrant le rideau d’où filtre la lumière, des -Christs morts, étendus sur la pierre. Nous ne -disons point que ce soient des chefs-d’œuvre de -tact esthétique, mais ce ne sont point des œuvres -à dédaigner. On admire beaucoup au palais Doria, -à Rome, deux petits tableaux de Van Hontorst, -dit <i>della Notte</i>, qui ne dépassent nullement en -audace et en vérité d’effet les photographies nocturnes -de M. Puyo: <i>Vengeance</i> et <i>la Lampe file</i><a name="FNanchor_21_21" id="FNanchor_21_21"></a><a href="#Footnote_21_21" class="fnanchor">[21]</a>.</p> - -<p>Les premiers essais de compositions historiques -photographiées furent tentés en Angleterre; et il -faut lire, pour se convaincre de l’enthousiasme -qui les inspira, les pages où Mme Cameron les a -racontés:</p> - -<p>«Je fis de ma cave à charbon mon laboratoire, et -une sorte de poulailler vitré que j’avais donné à -mes enfants devint mon atelier. Je mis en liberté -les poules, j’espère et je crois qu’elles ne furent<span class="pagenum"><a name="Page_172" id="Page_172">[172]</a></span> -pas mangées, et les profits que mes fils tiraient des œufs -frais furent supprimés. Mais tout le monde -fut sympathique à mon nouveau travail, depuis que -la société des poulets et des poules avait été remplacée -par celle des poètes, des prophètes, des -peintres et de charmantes jeunes filles, qui tous, -chacun à leur tour, ont immortalisé l’humble -petite ferme.</p> - -<p>«Un de nos amis intimes se prêta très obligeamment -à mes premiers essais.</p> - -<p>«Sans s’arrêter à cette crainte possible que, en -posant souvent à ma fantaisie, cela pourrait le -rendre ridicule, il consentit, grâce à cette grandeur -d’âme qui n’appartient qu’à l’amitié désintéressée, -à être tour à tour Frère Laurence avec Juliette, -Prospero avec Miranda, Assuérus avec la reine -Esther, à tenir un tisonnier comme sceptre et à -faire complètement tout ce que je désirais.</p> - -<p>«Il n’en résulta pas seulement des œuvres pour -moi, mais de Prospero et Miranda, il advint un -mariage qui a, je l’espère, cimenté le bonheur et -le bien-être d’un vrai roi Cophetua, qui, dans -Miranda, avait vu le prix, le joyau de la couronne -du monarque.</p> - -<p>«La vue de mon œuvre fut la cause déterminante -de ce que la résolution fut traduite en paroles: il -s’ensuivit une des plus douces idylles de la vie<span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">[173]</a></span> -réelle que l’on puisse concevoir, et, ce qui a beaucoup -plus d’importance, il en résulta un mariage -d’inclination avec des enfants dignes d’être photographiés, -comme leur mère l’avait été, pour leur -beauté....»</p> - -<p>Ce dernier trait est bien d’une artiste, et le suivant -est digne d’une préraphaélite:</p> - -<p>«Ensuite, je fus à Little Holland House, où -j’avais transporté mon appareil pour faire le portrait -du grand Carlyle.</p> - -<p>«Lorsque j’avais des hommes comme cela devant -mon appareil, toute mon âme essayait de faire son -devoir vis-à-vis du modèle, en s’efforçant de retracer -fidèlement la grandeur de l’homme intérieur -aussi bien que les traits de l’homme extérieur. La -photographie prise de cette manière a été presque -la personnification d’une prière<a name="FNanchor_22_22" id="FNanchor_22_22"></a><a href="#Footnote_22_22" class="fnanchor">[22]</a>....»</p> - -<p>On se tromperait encore si l’on pensait que les -grandes scènes de nature et d’académie, comme la -<i>Vision antique</i>, sont interdites à la photographie. -Qu’est-ce que c’est que cette voiture fermée qui -s’arrête au bord d’une grève déserte, devant un -horizon nu, borné par la mer claire où s’allongent -de sombres presqu’îles? Il en descend d’étranges -touristes! Des femmes en chiton et en diploïs,<span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">[174]</a></span> -qu’on dirait tombées des fresques de la maison des -<i>Vettii</i>, ou sorties des stucs des <i>Thermes de Dioclétien</i>, -puis un homme portant une boîte à trois -pieds, puis un brigadier de gendarmerie.... Tout -ce monde marche dans les herbes hautes et s’attarde -à cueillir des fleurs. Le brigadier de gendarmerie -est là pour protéger l’art des curiosités -indiscrètes ou des zèles intempestifs des gardes -champêtres, des gardes-côtes ou des douaniers. -Mais peut-être n’est-il pas absolument esthétique. -Il ne figurera pas dans le tableau. Cependant la -troupe des figurantes s’avance,</p> - -<p class="pp6 p1">L’une emportant son masque et l’autre son couteau,</p> - -<p class="pn1">sous les oliviers, le long des flots, parmi les plantes -salifères. C’est un singulier spectacle. Pour la première -fois depuis des temps immémoriaux, les -péplums sortent des magasins d’accessoires et -flottent à l’air libre. Les calyptres légères ne -balayent plus les planchers des théâtres, mais -s’accrochent aux lentisques et se gonflent sous les -brises marines. Les eaux des bassins réapprennent -à refléter les plis nobles des anaboles et le vent à -s’insinuer dans les tuyaux des flûtes. Mieux que -les vieux miroirs de bronze verdi, qu’on conserve -sous les vitrines des musées, ces bassins diront aux<span class="pagenum"><a name="Page_175" id="Page_175">[175]</a></span> -nouvelles canéphores si elles ajustent gracieusement -leurs corbeilles.</p> - -<p>Ce n’est pas anachronique. En conduisant la -figure drapée en plein air, les photographes ont -retrouvé la vie antique. Car ce paysage nous a -conservé le milieu où se mouvaient les contemporains -de Tibulle. Un piano serait étonné d’être -touché par un homme vêtu d’un <i>himation</i>; mais -dès que cet homme va sur la grève ou dans les -bois, aucun costume ne s’harmonise mieux avec -les lignes de la nature. Le cadre reconnaît la figure -et lui sourit. Sous l’olivier <i>tarde crescens</i>, au pays -du <i>ver assiduum</i>, on ne s’étonne plus de voir revivre -les jeux et les fêtes sculptés sur les bas-reliefs. Les -potiers de Vallauris font encore des lécythes et des -cratères. L’eau, dans les vasques, chante les mêmes -airs qu’autrefois. Puisqu’il y a encore des pins, -voici des thyrses; puisqu’il y a encore des tortues, -voici des lyres; et puisqu’il y a encore des roseaux, -voici des syringes. La <i>Vision antique</i> va passer....</p> - -<p>Le subtil photographe a choisi le lieu, l’heure, -les visages et les costumes: il sait les poses qu’il -veut reproduire, le groupe qu’il veut former. Il les -a dits à ses modèles, et, dans sa tête, le tableau est -fait. Il copiera la réalité, quand la réalité lui donnera -sa vision, pas avant. Il a calculé la hauteur -des têtes sur la ligne d’horizon, la longueur des<span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">[176]</a></span> -ombres sur l’herbe, l’angle des rayons du soleil -déclinant, le passage de la lumière sur le coude et -l’épaule, et les plis que creusera le vent, lorsque -s’élevant, il fera flotter le voile et toute la tunique, -selon le rythme qu’on observe dans la <i>Victoire de -Samothrace</i>. On va, on vient le long des rochers. -Vingt fois, l’attitude a été prise, puis quittée. Non, -ce n’était pas <i>Ariane</i>! On va abandonner la place, -quand, tout d’un coup, sans le vouloir, dans un -geste spontané, le modèle a réalisé l’idéal. Durant -une seconde, Ariane a été visible, «aux rochers -contant ses infortunes»! Rapide comme l’éclair, -le photographe a enregistré sur la plaque sensible -ce qu’il a voulu, cherché, préparé depuis des mois, -parfois des années.... Dira-t-on qu’il n’y a pas eu -composition, intervention de l’artiste?</p> - -<p>Cette intervention ne va guère loin, objectent -les critiques. Elle tient toute dans le choix du -sujet pour le paysage et une espèce de groupement -pour les figures, analogue à la mise en scène -d’un <i>tableau vivant</i>. Et quand ce ne serait que -cela, serait-ce peu de chose? Ce dédain est plaisant -dans la bouche des critiques d’art, qui, d’ordinaire, -ne jugent tableaux et statues qu’au point de -vue du choix du sujet et de la disposition des personnages, -et jamais au point de vue de la facture! -Que l’on compte, dans tel compte rendu de Salon<span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">[177]</a></span> -qu’on voudra, les pages consacrées à l’anatomie, à -la myologie, à la perspective, à la concordance des -passages de lumière, à la nature des mélanges -pigmentaires, au rôle des dessous, et qu’on les -compare au nombre dix fois plus considérable des -pages consacrées à la disposition du sujet, et l’on -verra si les critiques ont quelque bonne grâce à -tenir pour peu de chose, en théorie, la seule chose, -en pratique, dont ils s’occupent, quand ils ont à -examiner une œuvre d’art?</p> - -<p class="pc1 mid">§ 2. <i>Seconde intervention de l’artiste.</i></p> - -<p class="p1">Mais le photographe intervient une seconde fois, -et alors pour la facture même. C’est dans le développement -du cliché. Comme il a choisi, dans la -nature, l’heure et l’effet, il choisit, pour le cliché, -la gamme ou le ton général dans lequel se gradueront -les valeurs. Tout le monde sait ce que c’est -que développer un cliché: c’est le plonger dans un -liquide qui fait apparaître, peu à peu, l’image que -contient, en puissance, la plaque sensible. Selon la -composition de ce liquide, modifiée pendant l’immersion, -on obtient une image plus ou moins dure, -où les ombres et les lumières se différencient avec -plus ou moins de contraste. Le photographe peut -graduer ce contraste et ainsi modifier, dans un<span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">[178]</a></span> -sens déterminé, l’effet donné par la nature. Mieux -encore, il peut—bien que ceci soit plus difficile,—rendre -telle partie de l’image plus apparente -que telle autre, le ciel, par exemple, plus que le -terrain, et lui donner ainsi la force et la solidité -nécessaires. A cela, d’ailleurs, se borne l’action de -l’artiste sur le cliché. Il n’y fait pas de «retouches». -Mais son rôle n’est pas fini quand le cliché est -développé. A ce moment, le photographe professionnel -a terminé son œuvre: il s’en va se laver -les mains, et des serviteurs, au besoin, tireront -les épreuves. L’artiste, lui, prend son cliché et le -considère avec attention, mais comme une simple -ébauche, que, sous sa direction, l’instrument a -esquissée. A lui, maintenant, de faire, de cette -étude, un tableau. Le professionnel estime que sa -tâche est terminée; l’artiste, que la sienne recommence.</p> - -<p class="pc1 mid">§ 3. <i>Troisième intervention de l’artiste.</i></p> - -<p class="p1">Car c’est dans le tirage de l’épreuve que le sentiment -et l’adresse de l’homme vont surtout intervenir -et que la puissance directrice prendra sa -revanche sur la puissance automatique. Le cliché -est dû à la machine; mais l’épreuve, comme le -style, c’est l’homme. Ce l’est à tel point que, parfois,<span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">[179]</a></span> -on ne reconnaît pas le cliché dur et plat dans -l’image frissonnante de lueurs et de modelés que -l’artiste en a tirée. Il existe deux photographies -dont l’une s’appelle <i>Étude</i>, l’autre <i>Matin argenté</i>: -ce sont deux paysages de roseaux et d’eaux, et de -bois et de nues. On les regarde; on trouve la -seconde incomparablement plus belle que la première, -et l’on passe,—quand on est averti qu’elles -sont du même auteur, M. J. H. Gear,—cela -étonne. Bien mieux, elles représentent le même -paysage: est-ce possible? Bien mieux, c’est le -même cliché! Et en effet, c’est le même cliché; -mais—agrandissement, changement de papier, -mise en cadre différente, transposition de valeurs—ce -n’est pas la même épreuve. C’est le même -canevas, ce n’est pas la même trame; ce sont les -mêmes paroles, mais avec un autre chant. Qu’y a-t-il -donc de nouveau?—Un acide?—Non, un -sentiment.—Un corps?—Non, une âme....</p> - -<p>Le seul progrès matériel et technique est l’emploi -du <i>papier à dépouillement</i>. On sait que les -papiers sur lesquels s’impriment les épreuves photographiques -sont de trois sortes: d’abord, les -papiers blancs, comme le papier albuminé, qui noircissent -spontanément sous l’action de la lumière -sans qu’on puisse intervenir autrement que pour -arrêter cette action.—Secondement, les papiers<span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">[180]</a></span> -au bromure, qu’on commence à développer faiblement -dans un bain, puis où l’on intervient pour -activer l’apparition de l’image avec des pinceaux -pleins du liquide révélateur.—Enfin le papier -charbon-velours ou à la gomme bichromatée, qui -est un papier coloré, par exemple en brun van Dyck -ou en terre de Sienne brûlée, et d’où l’on enlève -lentement avec l’eau et le pinceau tout ce que la -lumière n’a pas fortement fixé, en laissant tout ce -qu’on désire garder sur l’épreuve. L’image vient -peu à peu ainsi par <i>dépouillement</i>. Ces derniers -papiers se prêtent à un travail très lent. La venue -de l’image s’y trouve subordonnée à l’intervention -directe de la main de l’opérateur et est ainsi dirigée -par une volonté changeante, au lieu de l’être par -des lois naturelles et immuables.</p> - -<p>On aperçoit tout de suite combien le rôle de -l’homme a grandi. Quel être faible, et à quelles -humiliantes fonctions était réduit le photographe -autrefois! A partir du moment où le cliché de -verre était plongé dans le bain, tout échappait à -ses prises. Penché sur ces cuvettes pleines de -vénéneux liquides, il attendait, désarmé, impuissant, -inactif, que les acides mortels eussent fait -leur œuvre. C’était à la fois comique et solennel. -Cela s’accomplissait dans la solitude, comme le -crime et dans l’ombre, comme la trahison. A peine<span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">[181]</a></span> -la lanterne jetait-elle sur les linges épars des -taches rouges qui semblaient de sang. L’homme -tournait autour de ses cuvettes, de ses récipients -plats, comme on en voit dans les salles de chirurgie, -et rangeait des bocaux blancs, gris, bleus, vert -pâle, roses, où l’on hésitait à reconnaître l’attirail -d’un coiffeur ou celui d’un apothicaire. Ses yeux -ne pouvaient percer l’effrayant mystère où s’élaborait, -sans lui, l’image naissante d’un front, d’une -joue, d’une prairie, d’eaux, d’insectes, de tiges et -de fleurs.</p> - -<p>Aujourd’hui, les fenêtres sont entr’ouvertes. -L’épreuve ne gît plus dans un bain d’argent ou -dans un bain d’or. Elle a été posée sur une planchette, -comme une aquarelle. De l’éponge pressée -coulent sur elle des gouttes brillantes d’une eau -naturelle; sous cette pluie intelligente et radieuse, -un visage naît, grandit et s’éclaire. Voici l’épaule -nue, voici le col onduleux, voici les cheveux qui -se démêlent, voici la ligne du sourcil qui s’arque -et le contour des joues qui s’enfle et s’insinue -dans le clair-obscur. Lentement, paresseusement, -comme un petit enfant qui s’éveille, l’image ouvre -la bouche, puis les yeux.... L’ombre se décharne et -dit son mot; elle a souri: elle va tout dire, quand -l’artiste s’arrête. Il se rappelle le mot si vrai de -M. Jules Breton, qu’en art «il ne faut pas tout<span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">[182]</a></span> -dire». La poésie est faite d’inconnu. Et ce qui -donne aux images leur charme, c’est justement -qu’elles ne détruisent point par la parole—comme, -hélas! le font trop souvent les figures réelles—l’illusion -causée par leur beauté, et qu’elles nous -laissent croire, en demeurant à jamais silencieuses, -que leur lumière intérieure vaut leur rayonnement.</p> - -<p>L’artiste sort de son atelier; le grand jour tombe -sur l’épreuve, et aussitôt l’on aperçoit tout ce que -l’homme y a mis de lui. Elle n’est pas fille du -hasard et de la matière. L’esprit a fait plus que la -matière, la volonté plus que le hasard. Il y eut -collaboration de l’intelligence et du cœur; et parce -qu’ainsi il a pu y avoir erreur ou folie, il peut y -avoir vérité et amour. Et s’il est arrivé que cette -image est belle, de quel nom l’appellerons-nous? -Dirons-nous que ce n’est pas là une œuvre d’art, -parce que le vocabulaire la nomme photographie -au lieu de la qualifier fusain, lithographie ou -sanguine, et parce qu’au lieu de tenir entre ses -doigts un petit morceau de bois carbonisé, l’artiste -a en quelque sorte manié un rayon de soleil?</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">[183]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE III</h2> - -<p class="pc2"><b>Nouvelles œuvres et idées nouvelles.</b></p> - -<p class="p2">Les images que voilà ont bien été faites au -moyen de la photographie, mais elles n’évoquent -pas plus l’idée de gélatino-bromure qu’une eau-forte -n’évoque l’idée d’un acide, une sépia l’idée -d’un mollusque, ou un fusain l’idée d’une branche -d’arbre de la famille des célastrinées....</p> - -<p>Il y a une vue de Hollande, prise par M. Robert -Demachy, qui emmène la pensée bien loin de la -ville qui l’inspira et de la machine qui aida à la -fixer. Cela s’appelle <i>Eaux Mortes</i>. Une double -rangée de maisons aux <i>trap-gerels</i> pointus et -dentelés trempent leur vieilles murailles dans un -canal. Pas un monument n’ennoblit ce canal, pas -une figure ne l’anime. Cela est si triste, que l’eau -semble faite de toutes les larmes que les générations -qui vécurent là ont répandues. Les fenêtres -sont closes ou vides comme des yeux qui ne<span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">[184]</a></span> -voient pas. Une barque flotte avec une apparence -de cercueil. Un escalier descend profondément -dans le tranquille abîme, comme un chemin favorable -au suicide. Les pointes aiguës des toits -reflétés et renversés s’enfoncent dans les eaux, qui -ne frémissent même pas, comme des aiguilles -sombres dans des chairs inertes.</p> - -<p>Voilà bien des <i>Eaux Mortes</i>! Eaux qu’aucune -pente n’attire, qu’aucun penchant n’entraîne! Eaux -stériles comme est stérile la terre des briques -qu’elles baignent! Eaux figées en une forme définitive, -comme l’eau d’un miroir, en leur cadre de -pierres; eaux qui ne se changeront plus en perles -pour ruisseler des vasques, ni en filets et rayons -pour se dévider de cascatelles en cascatelles! Eaux -muettes qui ne chantent, ni ne pleurent, ni ne -grondent, comme celles des fontaines, des bassins -ou des torrents! Eaux sans formes et sans images -à elles, qui ne savent que répéter les contours et -les couleurs des maisons qui se penchent sur elles, -les redire avec le balbutiement des reflets, incapables -d’entraîner notre rêve vers des rives meilleures, -puisqu’elles nous renvoient impitoyablement -notre propre image, l’image de nos rides, de -nos ombres, de nos tristesses, et ainsi les doublent -au lieu de les dissiper!</p> - -<p>Et, au rebours, quelle évocation de vie trouverait-on<span class="pagenum"><a name="Page_185" id="Page_185">[185]</a></span> -plus vivante qu’une certaine petite épreuve -de M. Craig-Annan, intitulée <i>Frères blancs</i>? Deux -moines marchent au soleil, d’un mouvement vif -et précipité, vers le même but, sous l’empire des -mêmes idées et l’ombre des mêmes chapeaux, -leurs cagoules flottantes et ballottantes sous la -même poussée d’air, leurs pieds levés, semelles -dehors, selon le même rythme, hâtés vers l’église, -vers l’école ou vers le réfectoire. Pas un détail -ne distrait l’attention et, des pieds à la tête, on -ne sent qu’une ligne de vitesse, qu’un effet de -lumière chaude et brutale, et qu’une volonté -têtue.</p> - -<p>Quelques-unes de ces œuvres ressemblent à des -dessins de maîtres presque à s’y méprendre. Il -existe un <i>Effet de soir</i>, de M. Brémard, qui rappelle -fort J.-F. Millet, et où les taches noires et blanches -paraissent reproduire des taches de couleurs. Il y -a une <i>Sombre clarté</i>, de M. Wilms, qui évoque -Turner, et un <i>Soir ramène le silence</i>, de M. Colard, -qui est un Corot. Ceux qui ont vu les femmes drapées -du peintre anglais Albert Moore, en reconnaîtront -un saisissant souvenir dans les photographies -de M. René Le Bègue, et ceux, plus nombreux, qui -admirent, au Louvre, la finesse indécise et le -fuyant charme du <i>Portrait de Jeune fille</i>, de Flandrin, -seront heureux de les retrouver dans un<span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">[186]</a></span> -<i>Profil perdu</i>, de M. Brémard. Dans beaucoup de -ces œuvres, on hésite à reconnaître la marque de -la photographie. Un portrait de <i>Jeune Hollandaise</i>, -de M. Alfred Maskell, une <i>Communiante</i>, -de M. Robert Demachy, sont des prodiges d’interprétation, -en même temps que de vérité. Si l’on -disait que ce sont des fusains, personne n’affirmerait -le contraire. <i>Une vue de la Loire à Saint-Denis-Hors</i>, -de M. Henry Ballif, a l’air d’une sanguine, -et un <i>Septembre en Normandie</i>, de M. da -Cunha, d’une encre de Chine. Les qualités de -finesse et d’accent qui caractérisent l’œuvre d’art -en noir et blanc se voient encore dans un <i>Brouillard</i>, -de M. Sutcliffe; dans des <i>Soldats passant un -défilé</i>, de M. Alexandre; dans un paysage, <i>Après -le coucher de soleil</i>, de M. Bucquet, le président -du Photo-Club; dans des paysages de MM. Hannon -et Watzeck; dans les effets de sable de <i>Marée -basse</i>, de M. de Védrines; dans une <i>Paix d’or sur -la contrée</i>, de M. Smedley Aston. Feuilletez l’<i>Esthétique -de la photographie</i> publiée par le Photo-Club -de Paris, et considérez <i>Dans la vallée</i>, de -M.-F. Coste, vaporeux comme un Corot, <i>Premiers -sillons</i> de M. da Cunha, <i>Sur la route</i> par M. Darnis, -l’<i>Ile heureuse</i> par M. Puyo et dites si, non prévenu, -vous ne verriez pas là des reproductions de -tableaux et d’excellents tableaux?</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">[187]</a></span></p> - -<p>Une autre œuvre, curieuse par sa vérité poignante -et sa tranquille ironie, est cette rue perdue -dans la brume et l’eau, déserte, ponctuée en son -milieu d’un cab noir, intitulée <i>Beau temps à Londres</i>, -de M. Colard. Il est difficile de donner, en -raccourci, une impression plus profonde de cette -ville des fumées de l’usine et des fumées du cerveau, -de cette ville triste, de cette ville mystique -et manufacturière, la ville des assommoirs discrets, -des tabagies occultes, des lentes consomptions, où -seules la vertu et la réforme sortent avec fracas, -affirmant la morale par des coups de trombones et -des roulements de tambours....</p> - -<p>Si ces photographies nouvelles ont fait au public -l’impression que lui font les sanguines ou les -fusains, si elles n’ont pu être obtenues que grâce à -l’intervention trois fois répétée d’un homme doué -de goût et de doigté, quelles sont donc les raisons -qui s’opposent à ce que nous les appelions des -œuvres d’art? Nous avouons, pour notre part, ne -point les apercevoir très clairement....</p> - -<p>Il est vrai que cette intervention n’est point aussi -longue ni aussi décisive que celle de l’artiste, obligé -de dessiner et d’ombrer de sa main sa toile ou son -papier d’un bout à l’autre. Dans la photographie, -toute une partie de son travail est faite par la -machine et simplifiée par le procédé. Mais depuis<span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">[188]</a></span> -quand juge-t-on de la valeur artistique d’une œuvre -par la difficulté du procédé? Parce que le pinceau -trempé dans l’encre de Chine nous fournit plus -vite le ton du ciel ou du terrain que le fusain, -faut-il dire que, nécessairement, le premier procédé -est moins artistique que le second? Et parce -que le fusain, aidé de l’estompe, simplifie cent fois, -pour tonaliser un ciel ou ombrer et masser des -arbres, le travail sec et dur de la mine de plomb, -faut-il dire qu’un beau fusain est moins une œuvre -d’art qu’un papier noirci de hachures pour le ciel -et de «beau feuillé» à la mine de plomb? A quelle -étrange conclusion ainsi l’on arrive! Et mieux -encore, parce que le dessinateur, comme était -M. Bertin, obtient plus vite son effet sur un papier -bleuté qui lui fournit un ton général tout préparé, -faut-il dire qu’il est moins un artiste que celui qui -passe des heures à couvrir tout un papier blanc du -fin réseau de ses pattes de mouches?—Eh bien, ce -que le papier teinté, le fusain et l’estompe font -pour simplifier le travail de l’artiste, l’objectif le -fait dans une beaucoup plus large mesure. Voilà -tout.</p> - -<p>L’intervention du photographe, à la vérité, n’est -point souveraine. Il ne peut qu’influer sur les lignes -et les tons, non les créer. Il lui faut compter avec -un agent chimique, qui joue un rôle prépondérant<span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">[189]</a></span> -dans le développement du cliché et la venue de -l’image. Mais l’acide n’en joue-t-il pas un très grand -aussi dans la préparation d’une eau-forte? Est-ce -que, là aussi, il n’y a pas collaboration d’un agent -chimique et inconscient! Le graveur, aquafortiste -ou autre, sait-il exactement l’image que donnera -son œuvre quand ce collaborateur y aura passé? -Écoutons plutôt M. Bracquemond: «Lorsqu’un -graveur creuse des tailles sur une planche métallique, -avec un burin ou à l’aide d’un acide.... il ne -connaîtra la <i>profondeur</i> et, par suite, la <i>valeur</i> de -sa taille que par l’<i>état</i> que lui fournira l’impression -de sa planche.»—Regardez le <i>Portrait d’un graveur</i> -par M. Mathey, qui est au Luxembourg, considérant -la large feuille humide encore. Quel -regard inquiet, attentif, scrutateur, il attache à -son papier courbé, tenu au bout de ses bras nus, -tandis que sur un coin de la machine, gît sa cigarette -oubliée, éteinte!... Il semble satisfait, mais il -a eu peur! C’est qu’il y a des hasards, des imprévus, -comme il y en a, d’ailleurs, en aquarelle bien plus -que les aquarellistes ne veulent le dire, et jamais -cependant la collaboration de ces acides, ou cet -imprévu de la tache aqueuse—si utile parfois et -si savoureuse!—n’ont empêché d’appeler ces -hommes des artistes!</p> - -<p>On dira encore: Une œuvre d’art est un exemplaire<span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">[190]</a></span> -unique de la pensée ou du sentiment d’un -artiste. Du moment qu’on en peut tirer des reproductions -à l’infini, comme on fait les épreuves -d’un même cliché, elle perd cette qualité précieuse -et devient un objet de confection. Mais croire qu’on -peut tirer un nombre indéfini d’épreuves artistiques -d’un même cliché, c’est une erreur de fait. -En réalité, chaque épreuve que l’artiste obtient par -dépouillement sur un papier teinté à la gomme -bichromatée est une épreuve unique. Il échoue -plusieurs fois. Quand il en a obtenu une bonne, il -est rare qu’il recommence. S’il recommence, il -obtient autre chose que l’exemplaire déjà produit. -C’est une <i>réplique</i>, si l’on veut: ce n’est pas un -duplicata. Bien plus qu’une gravure à l’eau-forte, -une photographie de M. Demachy est un exemplaire -original.</p> - -<p>Enfin, c’est également une erreur de croire -que, devant la même réalité, les artistes que voici -sont contraints par leurs machines à produire -les mêmes images. L’empreinte personnelle qu’ils -mettent à leurs œuvres est telle que, la plupart du -temps, elle dispense de lire la signature; et, après -quelques visites à leurs expositions, on ne confond -pas plus une photographie de M. Demachy avec -une autre de M. Puyo, ou une troisième de -M. Craig-Annan avec une quatrième de M. Le<span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">[191]</a></span> -Bègue, qu’on n’est tenté d’attribuer un paysage de -M. Montenard à M. Harpignies, ou une nymphe de -M. Bouguereau à Burne-Jones.</p> - -<p>Cette empreinte personnelle est même le grief -le plus vif des professionnels de la photographie -contre les amateurs. Ce n’est point là, disent-ils -avec mépris, de la photographie pure: il y a des -«retouches»! Mais, quand ce reproche serait -mérité, il ne saurait influer sur le jugement qu’au -point de vue artistique on doit porter. L’impression -est-elle esthétique? qu’importe comment elle -est obtenue? Tous, nous avons horreur de la -gouache en aquarelle. Mais la raison est que la -gouache alourdit ce qu’elle touche, et qu’en fin de -compte, elle est moins artistique que l’aquarelle -«franche». Si, par hasard, on nous montre une -gouache plus légère qu’une aquarelle, nous n’hésiterons -pas à l’admirer, sans reprocher à l’artiste le -blanc dont il s’est servi. Pareillement, d’où vient -l’horreur très justifiée de certains amateurs pour -les «retouches» en photographie? De cette observation -très juste que les retouches alourdissent -l’épreuve, empâtent les contours, tranchent violemment -sur tout le reste des tons francs, et ainsi -rompent l’homogénéité de la <i>facture photographique</i>. -Mais s’il arrive que les retouches n’empâtent -point, ne tranchent point, et s’harmonisent<span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">[192]</a></span> -si parfaitement avec le reste qu’il soit impossible -de dire où, au juste, la retouche a porté, la raison -de l’horreur qu’on en avait disparaît, et la retouche -est légitime.</p> - -<p>En fait, dans les œuvres nouvelles, il n’y a pas -de «retouches», si l’on entend par ce mot la peinture -sur le verre du cliché, ou le coup de crayon -sur la gélatine; procédés très usités par les professionnels -de la photographie, et auxquels nous -devons ces blancs mats et pesants, ces peaux parcheminées -que la foule admire à tant de vitrines -de nos boulevards. Ce qu’il y a, dans les œuvres -nouvelles, c’est <i>le travail de l’épreuve</i>. Or, ce travail -ne produit aucun des heurts de la retouche; il -est aussi harmonieux et homogène, dans sa facture, -que le travail du lavis, de l’encre de Chine, de la -sépia; et, comme on ne saurait reprocher à ces -œuvres-là des retouches, attendu que tout y est -retouches en effet, on ne peut les reprocher, non -plus, aux nouveaux essais de photographie.</p> - -<p>Mais s’ils ressemblent tant à d’autres procédés -d’art, dira-t-on encore, à quoi bon un procédé -nouveau?</p> - -<p>On devrait, en effet, parler de la sorte si la photographie -n’avait pas certaines qualités qui lui sont -propres. Mais elle en a. D’abord, lorsqu’elle est -dirigée par un goût prudent et une fine entente<span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">[193]</a></span> -des altitudes, elle dessine admirablement. La fidélité -de l’objectif, qui était un défaut avec des -modèles vus de trop près, ou trop également -éclairés, ou noyés dans les accessoires, devient une -qualité, quand le champ de la vision est bien délimité, -l’effet large, les lignes longues, souples, -simples, à peine profilées sur le fond et bien suivies. -Il y a une photographie de M. Puyo, représentant -une Pénélope penchée sur sa tapisserie, où -la courbe des cheveux, de la nuque, des épaules et -de la ligne dorsale est telle qu’Ingres n’eût pu -l’infléchir d’un crayon plus sobre et plus sûr. Certaines -académies photographiées en plein air, -sous le soleil de Sicile, à côté de bas-reliefs où -sont sculptés des héros et des dieux, se profilent -selon un rythme si pur qu’on hésite entre le galbe -du héros sculpté et celui du berger vivant venu, -deux mille ans après, s’asseoir sur le sarcophage -vide où l’art les réunit.</p> - -<p>Ensuite, la photographie est capable d’un modelé -infiniment nuancé, souple et caressant. L’estompe, -seule, parmi les procédés de noir et de -blanc, peut approximativement l’indiquer. Il ne -s’agit point ici de nier la supériorité d’une nerveuse -eau-forte ou d’une fine gravure; mais n’y a-t-il pas -certaines transitions insensibles de lumière à -ombre, évoluant sur les plans inclinés des figures,<span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">[194]</a></span> -sur des polyèdres de chair, certaines ombres <i>dolce -e sfumose</i>, comme dirait Léonard, «exhalées sur le -papier», selon le mot de Ruskin, où la photographie -est sans rivale? Pour rendre en blanc et noir -ce qui, dans la nature, se rapproche des figures du -Vinci, combien il est difficile à un autre procédé -de rivaliser avec la photographie! Là où le burin -et le crayon procèdent par petits traits différents, -et par conséquent désunis et heurtés, elle agit par -teintes liées, continues, uniformes de texture, mais -graduées à l’infini; elle unit les méplats de la chair -par sa facture, en même temps qu’elle les distingue -par ses tonalités,—comme la nature le fait elle-même. -Précisément parce qu’elle ne peut donner -un accent, c’est-à-dire un arrêt brusque, elle est -supérieure au crayon quand il faut passer, sans -heurt, du grave au doux et de la nuit au jour.</p> - -<p>Le trait a de grandes qualités idéographiques. -On donne l’idée d’un corps par sa silhouette et sa -délimitation dans l’espace: on ne le montre pas -dans son essence. Dès que le dessinateur veut -remplir l’espace délimité, la «silhouette», il sent -l’imperfection de son outil. C’est une boutade -d’Ingres, que de dire «que la fumée même doit -s’exprimer par le <i>trait</i>». En réalité, la fumée ne -peut s’exprimer que par le <i>ton</i>. Et toute ombre est -plus ou moins fumée. Ce n’est donc pas avec le<span class="pagenum"><a name="Page_195" id="Page_195">[195]</a></span> -trait seul qu’on peut ombrer une figure; et, tant -pour la délicate gradation du ton que pour l’impeccabilité -du contour, il faut bien reconnaître la -supériorité de la photographie.</p> - -<p>Enfin, la photographie, mieux que le plus agile -crayon au monde, surprend certains effets précieux, -mais insaisissables, soit par leur multitude, -soit par leur brièveté: un nuage qui passe dans le -ciel, un troupeau qui passe sur la terre, une armée -ondulante au gré des reliefs et des creux des vallons, -le fouillis mouvant d’une bataille de fleurs, -la complexe furie d’une meute coiffant un sanglier, -le déferlement des vagues sur un récif ou encore -le cumulus des vagues qui roulent lourdement vers -le rivage, le stratus des courants qui se forment -dans la mer et le fin cirrus des traces que chaque -flot, sculpteur habile et patient, laisse au sable des -grèves qu’il a habitées.... Et le multiple fléchissement -des ailes des colombes qui viennent, d’un -tournoiement souple, se poser à terre, comme ces -âmes que Dante vit attirées par son cri miséricordieux, -et le fugitif plissement des fossettes d’une -femme rieuse, et le rapide serrement des muscles -d’un homme surpris, et les remous d’une foule,—tout -ce que le vent, l’orage, la gravitation, le feu, -l’espoir, la colère, le plaisir, font fléchir, agiter, -tomber, flamber, secouer, contracter ou sourire!...</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_196" id="Page_196">[196]</a></span></p> - -<p>Combien souvent le dessinateur a regretté de ne -pouvoir saisir l’envolée subtile d’un geste, l’agencement -inédit d’un groupe, le miroitement rare -d’un coup de lumière! Il y a donc des raisons pour -qu’un artiste, devant certains effets, prenne parfois -l’objectif, au lieu de prendre le crayon ou -le pinceau à lavis. Moins souple sous certains -rapports, c’est un instrument plus délicat sous -d’autres et toujours plus rapide. On ne saurait -pas plus le taxer d’inutile que d’impropre à rendre -une pensée. Il ne peut remplacer les autres procédés, -mais les autres ne le remplacent pas.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">[197]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE IV</h2> - -<p class="pc2"><b>Une prétention excessive de la -photographie.</b></p> - - -<p class="p2">Où tend ce mouvement d’art en photographie et -quelle crainte ou quel espoir pour l’idéalisme doit-il -nous donner? Pour le bien démêler, et quelle -évolution singulière il marque dans l’esprit de ses -auteurs, il faut se rappeler ce qui l’a immédiatement -précédé.</p> - -<p>Il y a quelques années, nous avons vu de -savants photographes, armés d’une grande quantité -de documents, venir vers nos artistes et leur -enseigner leur métier. Ils avaient inventé, pour -surprendre la nature, des instruments très astucieux -et très prompts: des disques percés de -fenêtres qui tournaient très vite et vous prenaient -des centaines de vues successives d’un homme -avant qu’il eût dit: ouf! puis des boîtes où ils -enfermaient des guêpes dont ils avaient doré le -bout des ailes pour enregistrer la trajectoire<span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">[198]</a></span> -qu’elles décrivaient en volant; des revolvers et des -fusils à objectif qu’ils braquaient sur les oiseaux,—ils -l’eussent fait sur des anges!—non pour les -tuer, mais pour savoir quels mouvements disgracieux -ils faisaient dans les airs et pour ôter ainsi -à leurs images plus que la vie: la beauté! En -guise de gibecière, ces étranges chasseurs portaient, -en bandoulière, une boîte «à escamoter», -contenant des plaques de rechange.—Déjà, un -médecin de Boulogne avait imaginé de photographier -les manifestations des divers sentiments -humains qu’il obtenait artificiellement par des -applications électriques sur la face insensible d’un -malheureux malade d’hôpital, et il avait ainsi -démontré que le <i>Laocoon</i> du Vatican ne remuait -point du tout les muscles qu’il fallait pour -exprimer la douleur.—Nos chronophotographes, -eux, démontrèrent de même que, chez les grands -maîtres, les chevaux n’avaient jamais galopé congrûment, -ni les hommes couru avec vérité, ni les -femmes dansé avec sincérité, et certainement pas -une colombe venant vers l’arche, ni un Saint-Esprit -planant sur Dieu le père, ni un archange, ni un -séraphin, ni un chérubin voletant dans nos vieilles -peintures ne pouvait résister à leurs redoutables -investigations. L’art avait ignoré le mouvement: -la science allait le lui expliquer.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">[199]</a></span></p> - -<p>Quelques artistes écoutèrent ces suggestions, et -aussitôt tout s’arrêta. On ne vit plus que des chevaux -dans des attitudes d’immobilité absolue et un -peu ridicule, des hommes plantés sur un pied, des -oiseaux en plomb, encapuchonnés dans leurs -plumes. Rien de plus faux ne parut sur les toiles -ou sur les socles que cette scientifique et photographique -vérité. On s’étonna, on s’indigna, on -discuta longuement. Enfin, on s’avisa d’une idée -assez simple: c’est que la science est une chose et -que l’art en est une autre; et que, s’il y a une -vérité pour l’esprit, il y en a une autre pour les -yeux qui n’est point la même et qui, en art, importe -seule. Fromentin et bien d’autres l’avaient dit, -mais il paraît qu’il est des évidences qu’il faut -qu’on découvre et des portes ouvertes qu’il faut -qu’on enfonce.</p> - -<p>En effet, dans le cas présent, la vérité de la -science est une vérité de détail; la vérité de l’art -est une vérité d’ensemble. Quand le chronophotographe -nous apporte une épreuve où il a noté l’une -des mille phases dont se compose un mouvement, -nous lui répondons: Ceci est une partie du mouvement,—ce -n’est pas le mouvement. Il est très vrai -que, dans un mouvement, il y a l’attitude que vous -avez découverte, mais il est non moins vrai qu’il y -en a des centaines d’autres et que <i>c’est la résultante<span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">[200]</a></span> -de toutes ces attitudes,—chacune immobile durant -un instant de raison,—qui forme ce qu’on appelle -le mouvement</i>. Mes yeux ne perçoivent qu’un -ensemble; votre appareil ne perçoit qu’une partie. -Qui décidera qu’il perçoit la vérité, et que ce sont -mes yeux qui sont dans l’erreur? Qui décidera que -la vérité d’ensemble ne signifie rien et que rien ne -vaut hors la vérité du détail? Dire qu’on voit mal -parce que, dans un mouvement, on voit un -ensemble d’attitudes, cela revient à dire qu’on -entend mal parce que, dans un orchestre ou dans -un chœur, on n’entend qu’un ensemble de sons? -Mais le plan du musicien a été que vous entendissiez -l’ensemble des sonorités. Pourquoi le plan de -la nature ne serait-il pas que vous voyiez l’ensemble -du mouvement? Que penseriez-vous d’un savant -venant, au moment où nous écoutons un chœur, -à l’Opéra, nous dire: «Voici un instrument très -précieux qui va vous permettre d’entendre, non -plus l’ensemble de cette musique, mais chaque -voix et chaque instrument l’un après l’autre. -Entendez cette voix, elle fait: ah! ah! ah! et celle-ci: -oh! oh! oh! et cette autre, un son filé.... -Maintenant vous connaissez ce chœur. Vous n’en -aviez, auparavant, qu’une idée confuse et erronée. -C’est la grossièreté de votre ouïe qui fait que ces -sons se confondaient en un tout que les ignorants<span class="pagenum"><a name="Page_201" id="Page_201">[201]</a></span> -appellent harmonie. Dissociez chaque partie et -vous aurez le vrai sens de cet opéra...».</p> - -<p>Ainsi du mouvement. L’œil de l’objectif instantané -est comme une oreille qui n’entendrait qu’une -partie à la fois dans un orchestre. Il voit très bien -une des attitudes successives dont se compose un -geste, mais il ignore le geste et accomplit ce prodige -de saisir, dans le mouvement, l’immobilité! -Une preuve topique nous est donnée par la photographie -instantanée d’une roue de voiture. L’œil -humain, en voyant une roue, s’aperçoit fort bien -si elle tourne ou non. L’instantané, lui, n’en sait -rien. Que la roue tourne avec la vitesse d’un -phaéton traîné par un cheval au grand trot, ou bien -qu’elle soit immobile dans la remise, l’appareil -instantané nous en donne exactement la même -image. Comme il va aussi vite, plus vite même que -la roue, elle lui semble toujours immobile. Ce tremblement, -cette confusion des lignes des rais qui -avertissent nos yeux n’existe point pour lui. Il n’en -compte que mieux les rais de la roue, mais il -oublie qu’elle tourne. Il perçoit bien une vérité, -mais il y a une autre vérité qu’il ne perçoit pas;—et -c’est justement celle dont l’Art a besoin.</p> - -<p>Si nous allons en chemin de fer parallèlement -à un autre train qui marche beaucoup moins vite -que nous, cet autre train nous semble immobile.<span class="pagenum"><a name="Page_202" id="Page_202">[202]</a></span> -Pour qui est doué d’un mouvement plus -rapide, tout ce qui est doué d’un mouvement -moins rapide semble immobile. Nous appelons -immobiles dans le monde et dans la vie, les choses -dont le mouvement ou dont le changement sont si -lents que nous ne les percevons pas dans le cours -de notre vie. Cela ne veut pas dire qu’elles ne -soient pas douées de mouvement; cela veut dire que -ce mouvement nous échappe. Or, si l’œil de l’objectif -ne reste ouvert qu’un cinq-millième de -seconde, il est clair qu’un mouvement de cheval -qui dure un quart de seconde lui échappe tout à -fait. Donc, en allant plus vite que le cheval, l’objectif -transforme le mouvement en immobilité.</p> - -<p>Ce n’est pas la seule circonstance ou l’objectif voit -autrement que notre œil. Il est tantôt plus et tantôt -moins perspicace, il détaille parfois mieux et confond -parfois bien davantage. Il découvre, avant le -médecin, des taches d’éruption sur un visage qui -paraît sain, mais il commet les plus lourdes bévues -sur la qualité des étoffes. Comme le dit très bien -M. Puyo: «Son analyse implacable reste superficielle -et s’en tient aux apparences; bien plus, ces -apparences mêmes, l’objectif tend naturellement à -les magnifier, et bonnement, il se laisse éblouir -par l’éclat faux des strass, par les reflets trompeurs -des satinettes et des velours de coton.... C’est ainsi<span class="pagenum"><a name="Page_203" id="Page_203">[203]</a></span> -que, par une réunion patiente de laissés pour -compte et de coupons avariés, le photographe peut -rassembler sans grands frais des décors et des costumes -qui prennent sur ses épreuves un aspect -véritablement somptueux.» Admirable pour déterminer -les inflexions de l’aile d’un macroglosse ou -de la nageoire d’un hippocampe, la plaque photographique -ne peut nous renseigner, aussi bien que -l’œil, sur la tonalité de l’air où vole cet insecte, ni -de la mer où vit ce poisson. Et c’est précisément -parce qu’elle est, selon le mot de Janssen, «la -rétine du savant» qu’elle n’est pas celle de l’artiste.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_204" id="Page_204">[204]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE V</h2> - -<p class="pc2"><b>Une réaction idéaliste.</b></p> - -<p class="p2">Aujourd’hui les photographes l’ont compris. -M. Puyo avoue, à propos de la mise au point, que -«l’œil a une faculté d’accommodation très supérieure -à celle de l’objectif». Ces novateurs abandonnent -les prétentions des chronophotographes. -Ils ne veulent plus que la machine enseigne l’œil. -Ils contrôlent les résultats de la machine avec l’œil -et repoussent ceux que l’œil n’approuve pas. Ils -ne prétendent plus réformer les lois de l’esthéthique: -ils ambitionnent de s’y soumettre. -M. Alfred Maskell, qui est le chef de la jeune -école en Angleterre, le dit expressément: «Notre -mouvement peut être considéré comme une tendance -à traiter les sujets en concordance avec la -pratique des autres arts graphiques.»—«Il ne -faut pas, déclare M. Robert Demachy, avoir une -esthétique particulière pour la photographie et<span class="pagenum"><a name="Page_205" id="Page_205">[205]</a></span> -une autre pour la gravure et le dessin.»—MM. -Bergon et Le Bègue ajoutent: «Il nous paraît -que l’étude de l’esthétique est la préparation indispensable -à tout travail. Le photographe va composer -comme s’il devait dessiner ou peindre au -lieu de photographier.» En ce qui concerne les -attitudes fournies par la chronophotographie, -M. Puyo ne parle de retenir que celles qui sont -«douées de qualités esthétiques». Cela nous -montre assez quelle évolution s’est faite chez les -photographes et dans quel sens le mouvement nouveau -est dirigé.</p> - -<p>C’est dans un sens idéaliste. On ne peut en -douter quand on lit les écrits des novateurs. On le -peut encore moins quand on regarde leurs œuvres. -Avoir introduit le sentiment et la pensée dans une -opération autrefois automatique; avoir transformé -en un art ce qui était une industrie; avoir décidé -que l’esprit devait diriger la matière, au lieu de se -laisser enseigner par elle; avoir inventé la photographie -dirigeable, c’est déjà une entreprise idéaliste. -Mais les novateurs sont allés plus loin dans -ce sens. Ils ont vu que leurs œuvres valaient surtout -par ce qu’ils y avaient mis d’eux. Ils ont compris -le mot de Ruskin: «Si ce n’est pas un plan -humain que vous cherchez, il y a plus de beauté -dans l’herbe le long de la route que dans tout le<span class="pagenum"><a name="Page_206" id="Page_206">[206]</a></span> -papier noirci par le soleil que vous rassemblerez -durant toute la durée de votre vie». Ils ont hardiment -soumis leur vision à un plan très caractérisé. -Dans leur effort pour se dégager de l’imitation servile, -ils ont retrouvé l’audace des partis pris d’ombre -et de lumière, la volonté des effets d’ensemble, qui -manquent à nos impressionnistes. Beaucoup de -leurs paysages sont traités par grandes masses, -le premier plan largement ombré, la lumière -repoussée au second, et toutes les petites lueurs -reflétées, délibérément noyées dans l’ensemble, afin -d’obtenir un effet franc et général.</p> - -<p>Il existe un <i>Potier</i>, de M. Declercq, que, par son -violent parti pris d’ombre diffuse et de saisissante -clarté ramassée en un seul point, on dirait une -eau-forte de Rembrandt. Le magnifique portrait de -Ruskin par M. Frédérick Hollyer, où seul l’extrême -profil de l’esthéticien est tiré de l’ombre par -la lueur de la fenêtre, accuse, chez le photographe, -un plan préconçu d’éclairage caractéristique. -Le papillotement impressionniste est proscrit, -M. Puyo l’avoue: «La direction des faisceaux de -lumière qui éclairent une figure peut être quelconque, -mais leur intensité relative doit obéir à -une loi: il faut que l’un des faisceaux employés soit -nettement dominant en intensité et que tous les -autres lui soient nettement subordonnés.»</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_207" id="Page_207">[207]</a></span></p> - -<p>Avec la dispersion de l’effet, l’école naturaliste -enseignait l’inutilité ou l’indifférence du sujet. Là, -encore, les nouveaux photographes sont amenés, -par les conditions mêmes de leur art, à une réaction -dans le sens classique. Ne pouvant compter -autant que les peintres sur leur imagination, ils en -viennent à chercher la beauté dans la nature elle-même. -Ne pouvant espérer l’atteindre uniquement -par l’interprétation, ils la veulent d’abord dans -l’objet interprété. C’est non plus seulement à -leurs rêves, mais à la réalité, qu’ils demandent d’être -une chose belle. Le sujet redevient alors tout de -suite digne de considération. Il ne s’agit pas ici -du «sujet» tant méprisé par les novateurs d’il -y a vingt ans, et méprisé avec raison, si l’on -entend par là l’histoire bouffonne ou sentimentale, -le «site» numéroté par les guides, où d’ingénieux -industriels tiennent à la disposition des touristes -une chaise, une lorgnette et du soda. Il s’agit de -ce que M. Jules Breton appelle très justement -le «sujet esthétique», une puissante ordonnance -de nuages sur la mer, comme dans une photographie -de M. Origet, une symphonie de branches -emmêlées pour résister au vent et tendues -vers le ciel pour prendre dans l’air leur nourriture, -comme on en a vu dans les photographies de -M. Dardonville, <i>Étang du parc de Rambouillet</i>, et<span class="pagenum"><a name="Page_208" id="Page_208">[208]</a></span> -de Mme Dansaert, <i>At Home</i>; un groupement gracieux -de jeunes filles et de jeunes fleurs, tel que -le tableau de Mme Farnsworth exposé jadis sous ce -titre: <i>Quand le printemps arrive souriant dans le -vallon et sur la colline</i>.</p> - -<p>Ce sujet, ils le veulent nettement déterminé, congruent -en toutes ses parties et, pour ainsi dire, -organique. Comme ils pourront bien retrancher -l’inutile dans ce que leur fournit la nature, mais -non pas y ajouter le nécessaire, il faut que cette -nature soit plutôt trop riche en intérêt que trop -pauvre.</p> - -<p>D’ailleurs, si ce sujet riche est touffu, ils marquent -leur intervention d’artistes en le simplifiant. -M. Puyo parle de l’«unité du motif», et se courrouce -contre «les détails qui sollicitent le regard -en dehors du centre d’intérêt». Il traite de «l’équilibre -des lignes», des «rappels nécessaires». On -croirait entendre un pur classique de l’école de -Winckelmann. L’étude prolongée, non des livres, -mais de la nature, ramène ces photographes aux -lois générales qui régirent jadis l’école, et non -point parce que ce sont des règles, mais simplement -parce que ce sont des nécessités. «Ces lois -de la composition, disent-ils, n’ont rien d’arbitraire; -quand nous songeons aux conditions que -doit remplir toute œuvre d’art et que nous apparaissent<span class="pagenum"><a name="Page_209" id="Page_209">[209]</a></span> -aussitôt les idées d’unité, d’ordonnance, -de subordination, n’est-ce pas le rationalisme grec -et notre conception unitaire du monde qui nous -imposent ces lois générales? Pareillement, l’idée -d’équilibre, qui la fait naître, sinon le sentiment -intime que tout obéit à la loi de la gravitation? -D’où l’emploi général, dans la composition, de la -forme triangulaire, le triangle étant de toutes les -figures celle dont le centre de gravité est le plus -bas. Enfin, les règles qui président à l’harmonie -des tons et à leurs liaisons et imposent l’usage des -rappels découlent de l’idée de relation et de l’impuissance -des organes à juger autrement que par -comparaisons successives.»</p> - -<p>Ainsi, tout doucement, tout silencieusement, ces -hommes armés d’une machine conspirent pour -l’idéal classique des anciens jours. Ils n’ont point -fait de hardis manifestes, ni proclamé la déchéance -d’aucun art. Leur affiche représentait seulement -une femme laissant tomber de pâles fleurs de tournesol. -«Nous ne réclamons nullement le titre d’artistes, -disaient-ils en 1896; le public, habitué aux -choses d’art, saura bien nous le décerner de lui-même, -s’il trouve que nous sommes arrivés à le -mériter.» Dans leurs longues et laborieuses contemplations -en face de la nature, ils n’ont pas rêvé -les grandes jouissances de la gloire. Ils n’ont pas<span class="pagenum"><a name="Page_210" id="Page_210">[210]</a></span> -cherché l’argent. Ils n’ont cherché que le plaisir; -et le plaisir, rappelons-nous-le bien, a donné plus -de belles œuvres à l’art que l’ambition,—le plaisir -modeste, intime et muet, que cherchaient les Millet -et les Rousseau dans les sentiers de Barbizon. Ils -aiment la nature: ils écoutent ce qu’elle dit, et elle -leur dit parfois ce qu’elle ne dit pas à d’autres. -Après la grande moisson faite par les paysagistes -du siècle, ils viennent, se courbant et ramassant -des glanes. Mais, des glanes des champs, on peut -encore se nourrir, et mieux que des fleurs artificielles, -quattrocentistes ou cinquocentistes cueillies -dans les musées....</p> - -<p>Ces artistes n’ont rien de mystérieux: ils dévoilent -et jettent à la foule tous leurs secrets et toutes -leurs recettes. Les prend qui veut! Mais peu les -prennent, et moins encore en profitent. Car ce -n’est pas leurs papiers et leurs ingrédients chimiques, -et leurs écrans et leurs lampes au magnésium -qui font leur supériorité, c’est leur éducation -esthétique et c’est leur goût. Pas plus en art qu’en -armes, il n’est de «botte secrète». Ce sont les -procédés les plus simples et les plus connus qui -mènent le mieux au but qu’on veut atteindre; le -secret n’est point dans une combinaison de recettes -soigneusement tues et dont on peut donner ou ne -pas donner la formule: il est dans la tête, il est<span class="pagenum"><a name="Page_211" id="Page_211">[211]</a></span> -dans l’œil, il est dans la main, il est dans le cœur. -Et s’il fallait une preuve de plus que ce ne sont -nullement des procédés nouveaux, mais bien de -nouvelles intentions qui créent ces belles œuvres -photographiques, on la trouverait dans ce fait que, -parmi tant de milliers de photographes qui arpentent -la surface de la terre, il n’en est guère plus -de dix ou douze en France et d’une trentaine à -l’étranger qui aient, jusqu’ici, produit des épreuves -comparables à des œuvres d’art. Et combien -chacun en produit-il? A peine, par an, une ou deux -qui vaillent la peine d’être citées. Voilà qui doit -rassurer les artistes; et ceux-ci feraient sagement -en ouvrant les portes de leurs expositions de blanc -et de noir aux chercheurs modestes et enthousiastes -qui s’acheminent, par des voies différentes, -au même idéal.</p> - -<p>Quand on se promène dans la longue galerie des -Candélabres du musée des Antiques, au Vatican, -si on lève les yeux au-dessus des têtes d’Hermès -et des Furies, des Silènes et du Mercure psychopompe, -et de la Diane d’Éphèse aux seize mamelles, -et du Satyre enlevant une épine du pied d’un -Faune, et si l’on regarde les plafonds peints durant -le précédant pontificat, on aperçoit une allégorie -singulière. Les sciences et les arts, représentés -par des figures ornées d’attributs, font hommage de<span class="pagenum"><a name="Page_212" id="Page_212">[212]</a></span> -leurs progrès à la Religion. Et parmi ces figures, -en bonne place, est la Photographie tenant son -horrible machine, appelée objectif. On reste un -peu surpris, non seulement qu’un Torti ait succédé -pour décorer les plafonds du Vatican à un Raphaël -et à un Michel-Ange, mais que la déesse allégorique -du collodion ou du gélatino-bromure se carre -à la même place où l’on a vu, dans la <i>Sixtine</i>, les -Sibylles et les Prophètes. Puis on se souvient des -vers de Léon XIII, adressés à la princesse Isabelle -de Bavière, sur l’<i>Ars photographica</i>:</p> - -<p class="pp10 p1"><i>Imaginem</i></p> -<p class="pp6"><i>Naturæ Appelles æmulus<br /> -Non pulchriorem pingeret;</i></p> - -<p class="pn1">et l’on se demande si ce qui paraît une hyperbole -aujourd’hui ne sera pas une vérité demain. Ce que -nous avons vu, dans les expositions, n’est peut-être -pas encore suffisant pour le prédire, mais c’est plus -qu’il ne faut pour l’espérer.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_213" id="Page_213">[213]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<p class="pc4 xlarge">CINQUIÈME PARTIE</p> - -<p class="pc2 large font1"><b>LES PRISONS DE L’ART</b></p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_214" id="Page_214">[214]</a></span></p> -<p> </p> -<p><span class="pagenum"><a name="Page_215" id="Page_215">[215]</a></span></p> - -<h2 class="p4">LES PRISONS DE L’ART</h2> - -<p class="p2">Ce sont les musées.</p> - -<p>Jamais on n’en vit tant bâtir, pour tant d’objets, -ni de tant de sortes. On en fait d’immenses pour y -dresser des moulages de cathédrales et on en fait -de tout petits pour y aligner des poupées. On en -fait pour y mettre des tableaux contemporains, -comme la <i>Tate Gallery</i>, et on en fait pour y mettre -des bronzes d’il y a deux mille ans, comme le -musée Cernuschi. On en fait pour y mettre des -ustensiles, comme le Musée des Arts décoratifs, et -on en fait pour y mettre des dieux, comme le Musée -Guimet. On en fait pour y mettre des panetières -provençales, comme le <i>Museon Arlaten</i>, et on en -fait pour y loger des porcelaines de la famille verte, -comme le Musée d’Ennery. On y trouve des vertugadins, -comme dans le Musée des Passions -humaines, à Florence, et on y trouve de vénérables -affiches ou des télégraphes surannés, comme dans -le Musée du vieux Montmartre, à Paris. On fait -encore des Musées pour y mettre de vieux habits<span class="pagenum"><a name="Page_216" id="Page_216">[216]</a></span> -héroïques et des canons démodés, comme le Musée -de l’Armée, et on en fait pour y mettre des tableaux -statistiques comme le Musée social. On en fait -même pour ne rien ou presque rien y mettre, -comme le Musée Galliera.—Mais, d’ordinaire, ce -sont les œuvres d’art qu’on y renferme, les plus -belles et les plus dignes d’être vues qu’on peut -trouver.</p> - -<p>Tout le monde s’y prête. Jamais les collectionneurs -n’ont plus volontiers regardé leurs propres -galeries comme de futurs musées. Jamais on n’a -légué à l’État ou aux villes tant de maisons qui, -du vivant même de leurs hôtes, avaient pris la -forme d’un temple du Beau. On bâtit un musée -aujourd’hui dans le même esprit qu’autrefois un -hôpital, une église ou un monastère. Lorsque, au -soir de la vie, les vainqueurs de l’âpre lutte industrielle -et sociale se demandent par quoi ils embelliront -leur victoire et en répandront quelques effets -sur la foule, ce qui se dresse devant eux, c’est la -vision d’un musée. Ici, au parc Monceau, il a suffi -d’ôter le lit du mort, pour que sa demeure fût un -musée. Là, lorsqu’il y a quelques années, le vieux -prince sans enfants, sans trône et sans épée, debout -sur la terrasse de sa demeure, cherchait ce qui -pouvait le mieux perpétuer sa mémoire, il trouvait -que c’était de changer son château en musée. Et<span class="pagenum"><a name="Page_217" id="Page_217">[217]</a></span> -voici que partout les châteaux sont devenus des -musées. Le Louvre est un musée. Versailles est un -musée. Fontainebleau est un musée. Chantilly est -un musée.</p> - -<p>Cette idée hante aussi les âmes collectives. Les -municipalités qui ont trop d’argent,—et même -celles qui n’en ont point assez,—rêvent de musées -gigantesques accaparant tous les trésors d’art d’une -province,—comme le Palais des Papes à Avignon,—et -vers où se dirigeraient, en pèlerinage, les -foules du siècle nouveau. Les villes montrent aux -étrangers leurs musées avec autant d’orgueil que -leurs hôpitaux ou leurs hospices. Et, de même -qu’en bâtissant des hospices, elles croient avoir -résolu le problème de la justice sociale, de même, -en bâtissant des musées, elles croient avoir sauvé -la beauté dans le monde.</p> - -<p>Voilà une tendance bien caractéristique de l’esprit -contemporain. En voici une seconde:</p> - -<p>Pendant qu’on bâtit des musées, on détruit des -œuvres d’art. On jette bas des monuments, parfois -des quartiers entiers dans les cités qui furent contemporaines -des siècles de beauté. On dénoue -leur ceinture, comme à Avignon. On éventre leurs -remparts, comme à Antibes. On menace leurs -ponts, comme à Lucerne. On disperse les nymphes -de leurs fontaines, comme à Nuremberg. On complote<span class="pagenum"><a name="Page_218" id="Page_218">[218]</a></span> -de combler leurs canaux, et, en attendant, -on enfume leurs ponts, comme à Venise. On brise -leurs mosquées, comme en Égypte. On renverse -leurs palais et l’on défonce leurs jardins, comme à -Rome. On mutile leurs couvents, comme à Toulouse. -On empiète jusque sur leurs tombeaux, -comme à Arles.</p> - -<p>Florence même, Florence qui consolait de -tant d’attentats géométriques les artistes des -deux hémisphères, Florence voit tout un plan de -<i>Riordinamento</i> et de <i>Sventramento</i> s’étaler sur -les tables de ses conseils!... Là, une voie, droite -comme une épée, traverse le cœur même de la -ville, trouant les palais de guingois, coupant -les vieilles artères vitales du moyen âge, secouant -ou ébréchant, sur son passage, les <i>loggie</i>, les -créneaux de la place San Biagio, de la maison des -Giandonati, du palais di Parte Guelfa, fauchant -les tours<a name="FNanchor_23_23" id="FNanchor_23_23"></a><a href="#Footnote_23_23" class="fnanchor">[23]</a>....</p> - -<p>A ces nouvelles, la démocratie bat des mains. -Cela sonne à ses oreilles comme une victoire. C’est -une victoire, en effet, sur le respect, sur le passé, -sur tout ce qu’elle ne peut empêcher d’avoir été -avant elle, mais ce qu’elle peut du moins empêcher<span class="pagenum"><a name="Page_219" id="Page_219">[219]</a></span> -de lui survivre; victoire sur les hommes qu’elle n’a -pas élus et les choses qu’elle n’a pas votées. Pendant -la nuit, fameuse en Avignon, où tomba la -porte l’Imbert, à la lueur des torches, en toute -hâte, quelques heures seulement après l’arrêté du -maire décrétant sa ruine, une foule enthousiaste -acclama les ouvriers de cette destruction et le chef -élu qui venait y présider.</p> - -<p>Ce ne sont là que quelques exemples, et pris -dans quelques pays. Mais le courant de <i>Sventramento</i> -est universel. A chaque heure qui sonne, on -peut dire qu’il s’accomplit ou qu’il se trame, sur -quelque point du globe, quelque chose contre sa -beauté. Et si l’on a pu calculer, de certains grands -capitalistes, que, chaque matin, ils se réveillent -plus riches en capital, sans avoir rien fait que -de durer une nuit de plus, on peut dire, au -rebours, que par le mouvement naturel du progrès, -chaque soir, le soleil se couche sur des cités -moins belles que les cités qu’il a le matin même -éclairées.</p> - -<p>Deux courants traversent donc le monde: l’un -pour la beauté dans les musées, l’autre pour la laideur -dans la vie. Au fond, c’est le même et il n’y a -entre les deux aucune contradiction. Ils coexistent -dans les mêmes âmes. Ils vont au même but, -comme ils sont nés de la même idée sur le rôle de<span class="pagenum"><a name="Page_220" id="Page_220">[220]</a></span> -l’art. Et cette idée, toute-puissante en ce moment, -est telle qu’il faut la dénoncer hautement, s’il en -est temps encore, comme la plus fausse qui soit -dans son principe et la plus funeste dans ses applications.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_221" id="Page_221">[221]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE I</h2> - -<p class="pc2"><b>L’art proscrit de la vie -et interné dans les musées.</b></p> - -<p class="p2">Ces deux tendances sont sœurs. Un jour, au -mois de septembre 1895, on vit, dans la même -ville d’Avignon, le même conseil municipal, présidé -par le même maire, prendre, presque dans la -même séance, deux résolutions en apparence contradictoires: -il résolut, d’abord, de démolir les -pittoresques remparts de la ville, du côté sud, et -ensuite de chercher six millions pour transformer -le Palais des Papes en un musée de la chrétienté.</p> - -<p>L’un de ces projets était mesquin et facile, -l’autre grandiose et ardu. Un seul fut exécuté: ce -ne fut pas le grandiose, mais le grandiose fut sincèrement -désiré. Il l’est encore. Car les mêmes -hommes qui trouvent nécessaire d’abattre ces -belles pierres jaunes, posées par les Papes et -célébrées par Stendhal, n’estiment pas superflu<span class="pagenum"><a name="Page_222" id="Page_222">[222]</a></span> -de fonder un musée nouveau. Les mêmes économistes -qui reprochent à l’art d’étouffer la ville en -lui gardant sa couronne de mâchicoulis, sont prêts -à l’endetter de six millions pour lui faire une collection -de vieilles chasubles. Et, dans ces deux résolutions, -en apparence contradictoires, ils sont animés -par une même idée d’ordre,—qui est de ne pas -laisser l’art encombrer la rue, mais de le mettre à sa -place, où iront le chercher les gens qui croient en -avoir absolument besoin: au musée.</p> - -<p>Le même souci tient tous les destructeurs de -beauté, quelque part qu’ils «travaillent». A Arles, -on a détruit les maisons qui plongeaient dans le -fleuve, afin de tracer des quais rectilignes. On y a -encore détruit, par les bruits de la terre et par les -fumées du ciel, le charme des tombeaux vides des -antiques Alyscamps. Mais, en revanche, on y fonde -un <i>Museon Arlaten</i> pour y renfermer les choses -pittoresques de la vie populaire.</p> - -<p>A Florence, en 1888, la commission de <i>Riordinamento -del centro della città</i>, après qu’elle eut -visité les maisons de la rue des Apothicaires et -décidé leur disparition, décréta toutefois qu’on -enrichirait de leurs photographies les archives -communales. Aujourd’hui, lorsqu’un parti florentin -demande qu’on rase le vieux et bizarre -palais <i>dell’Arte della Lana</i>, qu’un arc-boutant<span class="pagenum"><a name="Page_223" id="Page_223">[223]</a></span> -joint mystérieusement à Or San Michele, que -dit-il pour nous consoler? Il dit qu’«on en fera -une reproduction dans une autre partie de la -ville»! Quand on a détruit le <i>Mercato Vecchio</i> et -tout ce qui avoisinait la vieille église de Saint-André, -on a pompeusement créé, au musée de -Saint-Marc, une salle de souvenirs, de fresques, -de plafonds, de cheminées, d’écussons tirés des -maisons du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle.</p> - -<p>De même qu’à Bruxelles, si l’on a rasé, autrefois, -l’ancien palais des ducs de Brabant, on en a -tenté, deux cents ans après, une restitution, de -même on a soin, aujourd’hui, de reproduire à huis -clos ce qu’on a supprimé dans la rue. En Suisse, -les hôtels expulsent les chalets, mais, quand on a -ruiné les chalets de la montagne, on en reconstruit -tout un quartier à l’Exposition de Genève. -A Paris, après avoir renversé, au siècle dernier, -la Bastille et la rue Saint-Antoine, on a cru devoir -en restituer des effigies au Champ de Mars, en -1888, et, en 1900, on a édifié, sur les berges de la -Seine, une parodie du vieux Paris jadis démoli avec -enthousiasme. Ainsi, détruisons-nous nos vieilles -demeures séculaires, quittes, cent ans après, à en -tenter quelque incertaine et coûteuse «restitution», -pour que les foules viennent goûter des «apéritifs» -très nouveaux sur des escabeaux très rétrospectifs.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_224" id="Page_224">[224]</a></span></p> - -<p>Sans doute, on entend, çà et là, des protestations. -A Florence, notamment, une clameur, -grossie par la clameur des artistes du monde -entier, a retenti contre les projets en cours d’embellissement -destructif. Une ligue s’est formée de -Florentins passionnés pour la beauté de la fleur -du val d’Arno, sous le titre d’<i>Associazione per la -difesa di Firenze antica</i><a name="FNanchor_24_24" id="FNanchor_24_24"></a><a href="#Footnote_24_24" class="fnanchor">[24]</a>. Mais à ces protestataires -on répond quelque chose d’apparence très logique: -ou ces vieilleries sont dignes d’être conservées, -leur dit-on, ou elles ne le sont pas. Si elles ne le -sont pas, qu’importe qu’on les détruise? Et si elles -le sont, quoi de mieux que de les abriter dans un -musée?</p> - -<p>D’ailleurs, qu’est-ce qui est menacé dans cette -Florence que vous prétendez défendre, et pourquoi -tout ce bruit? Pourquoi ces dix mille signatures -de princes, d’évêques, de romanciers et de -tribuns, protestant contre notre voirie municipale -et que vous êtes allés chercher jusqu’aux confins -de la civilisation, depuis les autorités du Massachusetts -jusqu’à celles de la Tasmanie?... Est-ce -qu’il est question de détruire un seul des monuments<span class="pagenum"><a name="Page_225" id="Page_225">[225]</a></span> -qui font la gloire de notre ville à l’étranger? -Est-ce qu’on touche au Palais Vieux, au Palais -Pitti, à Sainte-Marie-Nouvelle, au Dôme?</p> - -<p>Regardez donc le plan que vous attaquez.... Il -ne touche même pas au <i>Ponte Vecchio</i>, pourtant -si étroit et si incommode! Il respecte tout ce que -les guides montrent aux touristes, et, quand il -sera exécuté, non seulement l’itinéraire des <i>Cook’s -tours</i> ne sera pas entravé par les démolitions -nécessaires, mais, en traçant des voies plus droites -et plus larges d’un monument à l’autre, nous permettrons -aux étrangers de tout voir en moins de -temps....</p> - -<p>Que prétendez-vous encore? Qu’il y a de jolis -détails architecturaux dans les maisons de la -place San Biagio.... Quoi donc? Cet écusson sur le -<i>palazzo dei Canacci</i>, ces moulures?... Et là-bas, -au <i>palazzo di Parte Guelfa</i>, cette colonnette de -la <i>loggetta del Vasari</i>?... Et, dans le <i>borgo San -Jacopo</i>, quelques mâchicoulis?... Eh bien! on les -sauvera! On tirera de la masse informe de ces -vieilles bâtisses du <span class="smcap">XIV</span><sup>e</sup> ou du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle, les rares -morceaux dignes d’être vus et on les mettra dans -un musée. Tout le monde y gagnera, même les -esthètes, puisqu’ils trouveront rassemblés dans -une même salle et qu’ils verront, en dix minutes, -tous ces détails qui, dispersés sur des murs sans<span class="pagenum"><a name="Page_226" id="Page_226">[226]</a></span> -intérêt et dans des ruelles impraticables, leur -auraient demandé cinq ou six heures pour être à -grand’peine découverts! En travaillant pour les -utilitaires, nous travaillons aussi pour vous.</p> - -<p>En face des gracieux spectacles ménagés par la -Nature, on a pris le même parti. Dans ce Paris, qui -n’est pas un lieu de pèlerinage esthétique, mais qui -serait cependant si beau sans ses embellissements, -on conserve et on détruit avec un semblable acharnement. -Les étrangers artistes en sont stupéfaits. -«Quiconque, dit Ouida, revient à Paris, après une -absence de quelques saisons, trouve la splendeur -de sa vie plus obscurcie tous les dix ans par l’empoisonnement -de l’atmosphère que cause le nombre -toujours plus grand de fabriques, de chemins -de fer et d’autres travaux et par l’extension de la -ville parmi les jardins, les vergers et les bois qui -lui formaient autrefois une admirable ceinture.»</p> - -<p>Mais, en revanche, le moindre morceau badigeonné -de couleurs est rentré, étiqueté, conservé, -forclos. On a supprimé du ciel parisien cette délicate -harmonie de ruines noires et de vertes frondaisons, -dont vingt-huit années avaient effacé -l’âcre souvenir et souligné la triste beauté,—pour -y édifier, entre deux horloges, une gare de chemin -de fer. Mais on a retiré précieusement quelques -médiocres vestiges des fresques d’un des plus<span class="pagenum"><a name="Page_227" id="Page_227">[227]</a></span> -médiocres décorateurs du second Empire et l’on -va leur consacrer pompeusement quelque salle de -musée.</p> - -<p>Dans ces prisons, la vie moderne renferme même -les oiseaux et les fleurs. Dans toute l’Europe méridionale -on dépeuple les bois de leurs petits oiseaux, -qu’on tue, qu’on empoisonne, qu’on écrase dans les -nids, qu’on prend par millions aux <i>roccoli</i>. Bientôt -l’on pourra mettre au Muséum les derniers exemplaires -de certains oiseaux que, nos pères et nous, -aurons, pour la dernière fois, entendus chanter. Si -l’on veut en garder la forme et la voix, qu’on les fasse -chanter devant le phonographe et qu’on appelle -ensuite le taxidermiste!—car les temps sont proches -où l’espèce entière aura péri. Mais les cages -de nos jardins zoologiques sont pleines.</p> - -<p>Les oiseaux ainsi catalogués, il arrivera un jour -où l’on mettra aussi les fleurs dans des musées -fermés, afin de les soustraire à la vie dévastatrice. -Que dis-je? Cela est arrivé. On détruit tant de -fleurs sur les Alpes qu’on a dû créer pour elles des -refuges comme <i>la Chanousia</i> du petit Saint-Bernard, -à laquelle on a donné le nom de «jardin-musée».</p> - -<p>Un «jardin-musée!» ce nom seul ne définit-il -pas une époque, une tendance et une idée? Et -n’est-ce pas la même idée qui anime les édiles de<span class="pagenum"><a name="Page_228" id="Page_228">[228]</a></span> -Florence, et ceux de Paris, et ceux de Venise, et -ceux de Rome: parquer le pittoresque, l’éloigner -de la vie, ôter des pas de la foule cette chose -encombrante, distrayante qu’est le Beau, le ramasser, -l’emporter au loin, comme ce que ramassent -et ce qu’emportent, aux heures frileuses de -l’aube parisienne, les charrettes des balayeurs et -des chiffonniers! Dans une ville bien ordonnée -pour les affaires, il ne faut pas, semble-t-il, que -les passants s’arrêtent à considérer des architectures, -non plus que les flots d’un fleuve à considérer -les quais. Que les uns et les autres passent -vite, portant leurs fardeaux multiples, courant vers -leur commune fin! Que le mot d’ordre soit, pour -l’économie de nos cités modernes, celui-ci: «L’utile -en liberté, l’art en prison.»</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_229" id="Page_229">[229]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE II</h2> - -<p class="pc2"><b>Ce que devient l’art en prison.</b></p> - -<p class="p2">Que devient l’art en prison? Rassemblons, pour -le comprendre, les impressions qu’à travers l’Europe, -nous avons tous ressenties.</p> - -<p>Il ne s’agit point, ici, de ces œuvres d’art qui forment -toutes seules un ensemble esthétique et qui -sont faites pour apporter une vision du dehors -dans l’intérieur d’une maison, loin de la vie qu’elles -représentent, au fond d’un salon. Cette œuvre-là, -d’ailleurs isolée de son milieu par son cadre d’or, -peut être goûtée indifféremment partout. Il ne -s’agit donc pas des tableaux de chevalet. Pour -eux, un musée vaut à peu près un autre milieu et -l’on n’imagine rien, non seulement de plus périlleux, -mais de moins plaisant que les expositions -en plein air du XVII<sup>e</sup> et du XVIII<sup>e</sup> siècles, soit que -Le Brun accrochât, dans la cour de l’hôtel de -Richelieu, son <i>Passage du Granique</i>, soit que l’Académie<span class="pagenum"><a name="Page_230" id="Page_230">[230]</a></span> -de Saint-Luc suspendît ses chefs-d’œuvre, -place Dauphine, sur le parcours de la procession -de la Fête-Dieu.</p> - -<p>Certes, la manière de présenter les tableaux -devant le public ou de se présenter devant eux -n’est pas chose indifférente. La disposition des -toiles historiques dans les salles qui virent leur -histoire et un bel équilibre de nuances dans des -appartements sobrement meublés—comme ce qu’a -commencé de réaliser M. de Nolhac à Versailles,—ajoutent -fort à la valeur intrinsèque des tableaux. -Le recueillement, la solitude y ajoutent aussi. -Combien de toiles pieusement vénérées dans les -collections particulières souffriraient d’être vues -dans l’immense promiscuité de la Galerie du bord -de l’eau! Et si l’on va, au loin, étudier une seule -œuvre à demi cachée au public, combien la distance -franchie, le blocus forcé, la concentration -des forces admiratives toutes fraîches sur un seul -point, n’ajoutent-ils pas à l’impression qu’on ressent -de sa beauté!</p> - -<p>Bien plus, si l’œuvre est restée là où elle fut -créée, dans le milieu qui l’a rendue possible et -qu’elle a rendu célèbre, n’arrive-t-il pas qu’elle -ramasse et réfléchit tous les souvenirs épars -autour d’elle, comme une lentille fait les rayons? -Fra Angelico ne se découvre-t-il pas mieux dans la<span class="pagenum"><a name="Page_231" id="Page_231">[231]</a></span> -plus médiocre des cellules de son couvent que -dans l’admirable <i>Couronnement de la Vierge</i> -exposé, par le malheur des circonstances, à deux -pas de la rue de Rivoli?</p> - -<p>Combien de portraits de Rembrandt n’a-t-on pas -vus dans les musées d’Europe, sans jamais ressentir -l’impression que donnent les figures du bourgmestre -Six et de sa femme, conservées dans la -même famille depuis deux cent quarante ans, -dans le vieux et petit salon de la Heerengracht, au -bord de ce canal aux eaux égales comme ces âmes -de bourgeois et ponctuées de feuilles fanées qui -tombent en silence comme sont tombées jadis les -heures sur ces vies, sans rien agiter, ni ternir!...</p> - -<p>Lorsqu’on descend des lacs glacés du haut -Dauphiné dans la vallée du Graisivaudan et qu’au -hasard de la route on entre, faute d’autre spectacle, -dans la petite église, cernée de treilles et de -luzernes, du village de la Tronche, combien la -Vierge orientale qu’on aperçoit au coin d’une chapelle -avec son grave enfant songeur, le doigt sur -la bouche, pénètre davantage dans l’imagination -que des centaines de madones rangées dans les -galeries Doria, Borghèse, ou Pitti! Et que n’ajoutent -pas l’humilité de ce décor et l’imprévu de cette -rencontre au chef-d’œuvre d’Hébert, pieusement -déposé en ex-voto, là où le vœu fut fait et là où il<span class="pagenum"><a name="Page_232" id="Page_232">[232]</a></span> -fut exaucé, là où il fut promis par le patriotisme -et réalisé par le génie!</p> - -<p>Mais ce n’est pas de tableaux qu’il s’agit ici. Car, -quand on met un tableau dans un musée, on n’en -prive ni la rue, ni le jardin, ni l’église, ni la pièce -d’eau. Il peut gagner beaucoup à certaines dispositions -dans un salon, dans un château ou dans une -chapelle. Il ne perd pas tout son charme dans un -musée. Il s’agit ici des œuvres créées dans une -intention décorative et pour un ensemble déterminé. -Il s’agit de ce qui est fait pour subir les révolutions -de l’ombre et du jour, pour baigner dans -la vie ambiante et dans la foule, pour les colorer, -pour y imprimer son effigie, pour donner, en un -mot, une figure à la cité.</p> - -<p>Il s’agit des portes, des façades, des bas-reliefs, -des fontaines, des ponts, des stèles, des autels ou -des tombeaux. Il s’agit de ces figures taillées pour -se pencher dans le vide, comme les gargouilles, -pour humaniser l’horizon, comme les statues, pour -borner les champs, comme les Termes, pour commémorer -une victoire, comme les colonnes, ou un -prodige, comme les chapelles, ou pour dominer la -ville et faire lever les regards des citoyens, comme -jadis les métopes du Parthénon ou ses Panathénées.</p> - -<p>Voilà les œuvres qui, conçues en dehors des<span class="pagenum"><a name="Page_233" id="Page_233">[233]</a></span> -musées et avant les musées, ont une fonction dans -l’empreinte quotidienne que fait à l’imagination la -vie. Prenons l’exemple le plus célèbre: celui des -Panathénées, et imaginons-les au moment de leur -gloire. Tandis que la ville vaque à ses affaires, à -son lucre, à sa politique, à ses plaisirs, cette procession -qui ne se fait qu’une fois tous les trois ans, -se poursuit sur les frises du temple et tout Athénien -levant les yeux vers l’Acropole y devine la -présence de son image, qui ne quitte point le -sanctuaire. Il se dit que l’image survivra à la réalité, -la statue à l’homme, et peut-être le chef-d’œuvre -au culte, l’adorateur à la Divinité. Sa -figure de marbre, taillée là-haut dans le pentélique, -ne changera point. Ces genoux qui pointent -en avant, étreignant le cheval cabré, ne fléchiront -point, ces joues demeureront pleines, ces torses -garderont leur souplesse, ces cheveux ne tomberont -jamais, et, ainsi, les générations successives -ignoreront si les hommes représentés là-haut souffrirent -jamais de la décrépitude.</p> - -<p>Sans doute, cette vie qu’on prête au marbre -n’est qu’illusoire, mais la vie plus intense qu’on -éprouve à leur vue est réelle. Sans doute, ce n’est -là qu’une ombre d’humanité, mais l’humanité -passe et cette ombre fixée sur ce mur rivalise de -durée avec les montagnes qui environnent l’horizon<span class="pagenum"><a name="Page_234" id="Page_234">[234]</a></span> -et avec ces étoiles vers lesquelles, à chaque angle, -les figures de pierre semblent s’acheminer, le -soir....</p> - -<p>Retirez ces figures de la vie et de la vue de la -foule, et mettez-les dans un musée, que deviennent-elles? -Pour le savoir, allons observer ce que -deviennent les <i>Elgin marbles</i>, dans leur somptueuse -demeure de Londres.</p> - -<p>Morne comme une prison, planté de colonnes -comme un temple, couronné de brouillards et à -peine dégagé des maisons qui l’avoisinent, voici -le massif noir du <i>British Museum</i>. C’est là que -sont détenus les demi-dieux. Un gazon humide -et quelques pigeons qui s’envolent mettent seuls -du vert et du blanc dans ce paysage sinistre, frotté -de suie. Lorsque les anciens bâtissaient un temple -pour y loger les idoles dérobées à l’ennemi, c’était -du moins dans quelque site riant où elles pussent -s’acclimater, se plaire et devenir enclines à protéger -leurs geôliers. Ici, rien de tel. On imagine -aussitôt ce qu’est là-bas la radieuse Acropole rose -et dorée étagée dans l’air bleu, avec ses horizons -de montagnes immortelles par leur miel et leur -marbre, et de golfes qui ont des noms de victoires. -On se figure des plaines de pins verts et d’oliviers -blanchissant sous les brises, avec de petits chemins -serrés entre des poivriers, des cactus et des<span class="pagenum"><a name="Page_235" id="Page_235">[235]</a></span> -aloès, propres à conduire les esthètes vers les -Immortels paisibles.</p> - -<p>Ici, sur le trottoir brillant de pluie, de Great -Russell street, tout manque de ce qui peut induire -l’âme en joie admirative, rien de ce qui peut y -verser la tristesse. Sur des tables de marbre noir -gisent les restes des colosses qui siégeaient autrefois -sur les frontons du Parthénon: Hélios, Thésée, -Cérès, Proserpine, Iris, Séléné, les Parques, la -Victoire, Prométhée, Minerve, Neptune, Amphitrite, -Leucothéa, Cécrops, Mercure.... La vue de -ces pauvres figures, mutilées comme des morceaux -de corps froids sur les dalles des Morgues, serre le -cœur. Car ces dieux, s’ils ne règnent plus sur une -poignée de croyants par leur puissance, dominent -encore le genre humain par leur beauté. Or, ils -portent ici les traces d’un inexplicable et perfide -abandon, d’une immémoriale impiété.</p> - -<p>Tous sont décapités, hors le Thésée qui dresse -ses quatre horribles moignons comme un monstre -mendiant dans un carrefour. Leurs têtes ont roulé -à terre, et de ces visages augustes faits pour les -baisers des déesses, quelques-uns peut-être, jetés -dans les eaux du Pirée, sont encore en proie aux -infects suçoirs de quelque éponge perforante!... -On les a dépouillés de leurs parures et des objets -qu’ils tenaient à la main, comme signes de leurs<span class="pagenum"><a name="Page_236" id="Page_236">[236]</a></span> -fonctions célestes. Çà et là, aux hanches, aux -cuisses, des trous, que les voleurs n’ont pu boucher -et que les gardiens du musée lavent pieusement, -racontent le sacrilège, avec l’éloquence -d’une serrure brisée sur un tabernacle ouvert.</p> - -<p>Si nous regardons le long des murs, nous y -voyons les figures des Panathénées mises sous -verre comme des ossements de saints, comme de -petits coléoptères morts ou des fleurs séchées. Par -endroits, on a restauré. Ainsi, dans le morceau de -frise qui représente les divinités féminines, la -partie inférieure et le bras gauche de plusieurs -figures n’ont été reconstitués que par des moulages -pris il y a cent ans, et ces plâtres mal faits -ont été insérés dans le marbre primitif. C’est ainsi -qu’avec beaucoup de peine on a serti quelques -fausses pierres dans un encadrement de pierres -précieuses.</p> - -<p>Ailleurs, se presse une grotesque et lamentable -armée, composée des restes de beaux vieux -monstres à barbe de fleuve et à corps de cheval -et de jeunes héros culs-de-jatte, se livrant, deux -par deux, à des pugilats chimériques. Un Lapithe -qui n’a point de mains veut étrangler un Centaure -qui n’a pas de gorge. Certains brandissent des -épées absentes. Un homme-cheval sent quelque -chose sur sa croupe, il se retourne pour dévisager<span class="pagenum"><a name="Page_237" id="Page_237">[237]</a></span> -l’agresseur, et il n’a point d’yeux. Un cul-de-jatte -cherche à piétiner son adversaire terrassé et à lever -au ciel ses bras coupés afin de célébrer sa victoire. -La peau de lion qui pend à son bras semble vouloir -dévorer le Lapithe mort. Tel autre n’a sur ses -épaules que du plâtre: sa tête est à Copenhague. -Cet homme-cheval boite: une de ses jambes est -restée en Grèce. Ce jeune Grec n’a pas d’yeux -pour voir le Centaure sur lequel il s’élance fougueusement: -son visage est au Louvre. Là, le -Lapithe a grimpé sur les flancs du Centaure qu’il -fait plier, a saisi le monstre par la barbe. On -s’imagine que c’est sa propre tête qu’il porte ainsi -à la main. Ici, le Centaure n’a plus de buste, n’est -plus qu’un cheval et, ainsi, le Lapithe, tombé à -terre, n’est plus qu’un cavalier maladroit....</p> - -<p>Au milieu de la galerie, sur un piédestal, se -tient une femme aux mains coupées, à la coiffure -géante, à l’aspect architectural d’une colonne -humaine. C’est la Cariatide. Pendant plus de deux -mille ans, elle a soutenu le portique de la tribune -des jeunes filles, avec ses cinq belles compagnes -demeurées dans la patrie. Maintenant, il n’y a plus -là-bas que son sosie de plâtre traversé par une -barre de fer et que la pluie et le soleil ont noirci -misérablement. Il n’y a plus ici qu’une exilée, -qu’une inutile figure dépaysée, surprise, honteuse<span class="pagenum"><a name="Page_238" id="Page_238">[238]</a></span> -de ne plus servir à rien et comme lassée par -l’absence de son glorieux fardeau....</p> - -<p>Cette tristesse, qui se sent plus vivement peut-être -au British Museum, on l’éprouve partout où sont -renfermées des œuvres faites pour demeurer en -plein air et partout où des figures créées pour -jouer un rôle précis dans un ensemble décoratif, -se trouvent désaffectées. Parcourons les salles du -Vatican, du Louvre, de la Glyptothèque. Combien -d’années ont passé depuis que ces marbres ou ces -bronzes n’ont pas accusé par leurs ombres la révolution -du soleil! Il faut, en vérité, qu’une longue -habitude ait endormi notre critique et fermé nos -yeux pour qu’au Louvre, par exemple, nous supportions -ces entassements de pierres sous des -voûtes, ces lignes chevauchant les unes sur les -autres, ces bras, ces têtes, ces draperies s’offusquant -mutuellement, se doublant par le jeu des -glaces ou s’éteignant par l’éclat des dorures! Et il -faut une extraordinaire docilité d’imagination pour -s’expliquer les attitudes et les gestes de ces Dianes -saisissant leur carquois en marchant vers des -fenêtres, de cette Victoire naviguant sur un escalier, -de ces Atlantes écrasés sous un poids qui -n’existe pas, de ces Apollons inspirés ou de ces -Niobés éplorées scrutant du regard les moulures -d’un plafond.... Qui a jamais vu les dieux ou les<span class="pagenum"><a name="Page_239" id="Page_239">[239]</a></span> -héros jetés dans la <i>Salle du sarcophage de Médée</i> -au Louvre, ou bien dans la salle de sculpture au -Luxembourg, comme des marchandises dans un -dépôt? Quoi! on met ces marbres ici, pour qu’on -les admire mieux, et on les entasse de telle sorte -qu’aucun ne se profile sur son voisin et que l’œil -brouille ensemble toutes leurs lignes! On dirait -une assemblée où tout le monde parlerait à la fois! -Le but est de révéler leur beauté, et on leur ôte le -plein soleil qui sculpterait à nouveau leur relief, -et les ombres du plein air qui, changeantes comme -est changeante la lumière du jour, donneraient -tour à tour sa valeur à chaque muscle, à chaque -méplat, à chaque ride, à chaque pli!</p> - -<p>Dans les musées, nombre de statues n’ont -jamais été vues tout entières, dressées sur un fond -neutre et débrouillées des lignes de leurs voisines. -La plupart n’ont jamais reçu la lumière que d’un -seul côté. Même celles qu’on expose au milieu -d’une salle, comme le <i>Torse</i>, au Vatican, ne sont -pas dégagées des lignes adjacentes. On perçoit -mieux leur ensemble dans une bonne photographie, -dont le fond a été unifié, que dans le musée, -parmi le papillotement des couleurs. Beaucoup de -chefs-d’œuvre nous sont ainsi mieux connus par -leurs photographies que par la vue que nous en -avons. Ils ne sont que l’«encaisse» esthétique<span class="pagenum"><a name="Page_240" id="Page_240">[240]</a></span> -dont les représentations fiduciaires courent l’Europe. -On sait qu’ils existent, mais, en réalité, on -ne les a jamais vus.</p> - -<p>Et on les verrait si bien ailleurs! C’est en pleine -campagne, en pleine forêt, que le sens esthétique -éveillé par la joie de la Nature, l’œil reposé par la -monotonie du décor, l’esprit avide et rendu curieux -de rythme par l’indiscipline des mouvements de la -vie végétale, percevraient avec enthousiasme le -moindre vestige du travail et de la volonté, la -moindre ligne voulue et suivie. C’est un phénomène -bien connu que l’obscur besoin de la symétrie là -où tout semble échapper à ses règles et d’un plan -rationnel et humain là où les fantaisies de la -Nature triomphent en liberté. Nous sommes plus -reconnaissants à l’art pour une Madone frustement -peinte sur la blanche église de quelque -pauvre village de l’Engadine que pour la centième -Vierge au Bambino dans un musée de Florence, -quand nous en avons vu déjà quatre-vingt-dix-neuf. -Que nous fait un sarcophage après cent -sarcophages, ou un œnochoé, s’il est le centième -œnochoé? Mais si, au pli d’un vallon, à travers -quelque campagne virgilienne, nous rencontrons -le simple monument où le Poussin arrêta ses -bergers d’Arcadie, nous faisons halte comme eux, -sensibles à la solidité de ses lignes et à l’équilibre<span class="pagenum"><a name="Page_241" id="Page_241">[241]</a></span> -de ses proportions. Et si, aux approches d’une -ville ancienne, parmi les vignes ou les potagers, -nous trouvons le reste d’un taurobole oublié par les -archéologues, nous comparons le pampre sculpté -aux feuilles vivantes qui y jettent leur ombre et le -bucrâne hiératisé aux bœufs qui cheminent le -long du labour; nous comprenons alors, bien -mieux que dans un musée, l’effort de l’art pour -fixer le plus capricieux des rameaux en un régulier -entrelacs et la plus disgracieuse des têtes en -un svelte ornement.</p> - -<p>Les flâneries dans les vieux quartiers de Rome -ou à travers les villages toscans ont-elles un autre -but? On possède, au milieu de la ville, tous les -chefs-d’œuvre qu’on peut souhaiter. Si l’on va au -hasard des chemins, c’est qu’on trouve plus de -plaisir à la courbe de la <i>Navicella</i> imprévue rencontrée -au portail de la villa Mattei, qu’à toutes -les vasques et les cuves dont s’encombrent la Salle -ronde ou la Galerie des candélabres. On sait plus -de gré à l’artiste pour avoir tracé la forme d’un -lécythe sur une stèle du cloître de San Saba ou -des croix sur le puits du cloître du Latran que -pour avoir creusé les pierres entassées au Capitole. -Et toute la ferronnerie ornementale de l’<i>Architectural -Court</i> du South-Kensington Museum ne se -profile pas dans la mémoire aussi nettement que<span class="pagenum"><a name="Page_242" id="Page_242">[242]</a></span> -le couronnement du puits de la Chartreuse d’Éma, -quand on l’a vu, par un beau soir rouge, arrondir, -sur les têtes chauves des derniers moines, sa noire -arabesque de fer....</p> - -<p>Voilà pourquoi l’expédient, imaginé par les Florentins -pour satisfaire les admirateurs de leur -vieille ville, tout en la détruisant, est le signe de -la plus profonde erreur esthétique. Ce que les étrangers -aiment à Florence ce n’est point seulement -l’éclat de quelques monuments, mais l’atmosphère -d’art, qu’on respire, presque sans s’en apercevoir, -dans les plus humbles coins de la ville. Or vouloir -retirer de la ville tout ce qui constitue cette atmosphère, -pour l’enfermer au Musée de Saint-Marc et -l’y accumuler, c’est proprement détruire le charme -des flâneries florentines: l’imprévu de la rencontre -d’un fragment d’art, la joie de la découverte. Les -mêmes choses, délicieuses si on les trouve isolées, -une à une, deviennent fastidieuses par leur rapprochement. -Quoi de plus divin qu’un chant d’oiseau, -çà et là, dans la forêt? Quoi de plus déplaisant -qu’une volière?</p> - -<p>Et, lorsque l’œuvre est telle qu’elle emprunte -son caractère ou son culte à un pays déterminé, -qu’est-ce donc qu’il en reste dans un musée? Que -signifient ces idoles dépaysées, ces vases sacrés où -l’on voit la place des doigts des prêtres et qu’aucun<span class="pagenum"><a name="Page_243" id="Page_243">[243]</a></span> -prêtre ne soulève plus? C’est du plain-chant dans -un casino. Lorsqu’on regarde, dans le hall du -Musée Cernuschi, au parc Monceau, le Bouddha -qui y est captif, on se rappelle, sans rire, la douleur -des Japonais qui le vénéraient comme une -beauté tutélaire, dans les jardins de Megouro. Un -jour ces pauvres jardiniers vinrent à Tokio demander -qu’on leur rendît leur statue enlevée furtivement, -par morceaux. Ce jour-là, ces paysans firent -plus qu’un acte de piété: ils firent une manifestation -esthétique. Inconsciemment, ils défendirent l’idée -juste de «l’art en place et à sa place». Ce bronze -est bien aménagé dans le Musée Cernuschi, mais -rien peut-il valoir, pour les yeux, le grand décor -changeant de la nature, pour le cœur, le regard suppliant -de quelque dévot passant devant son Dieu? -Et si les choses d’art avaient l’obscur sentiment de -ce que gagne ou perd leur beauté, selon les milieux -qu’elles traversent, nul doute que le Bouddha -ne regrettât, dans sa somptueuse demeure parisienne, -les voix qui chantaient, les parfums qui -passaient, et le soleil qui l’éclairait librement, aux -temps de son abandon dans les pauvres jardins de -Megouro.... Les œuvres d’art, surtout les œuvres -d’art religieux, sont des fleurs délicates, dont il faut -respirer le parfum sur plante. Coupez-les; vous -avez encore la forme, vous n’avez plus le parfum.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_244" id="Page_244">[244]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE III</h2> - -<p class="pc2"><b>Ce que la nature fait pour l’œuvre d’art</b></p> - -<p class="p2">Mais les ruines? dira-t-on, ne convient-il pas de -les mettre à l’abri?</p> - -<p>Bien plus encore que les monuments intacts, -les ruines doivent être laissées <i>in situ</i>. C’est surtout -à ces œuvres en partie détruites, incomplètes, -qu’il faut un milieu qui les explique, qui les supplée -ou qui les justifie. Car un monument complet -s’explique de lui-même. Un temple, par exemple, -est un organisme où tout s’enchaîne, se commande -et se soutient. Tant qu’il est intact, tant qu’il -remplit son but, tant que les colonnes font leur -office, qui est de supporter les architraves, et les -antéfixes, le leur, qui est de boucher le creux des -tuiles, on peut le mettre où l’on voudra. A lui seul, -il exprimera son rythme et son idée.</p> - -<p>Mais, s’il est ruiné, transporté par morceaux -sous un hall, que nous dira-t-il? Qu’est-ce que des<span class="pagenum"><a name="Page_245" id="Page_245">[245]</a></span> -colonnes sans la frise qui unissait leur tête? -Qu’est-ce que des acrotères sans le fronton dont -elles relevaient les bouts? Qu’est-ce qu’un arc-boutant -sans la voûte qu’il bute, ou un pinacle -sans le pilier qu’il surmonte? Qu’est-ce qu’une -cariatide sans son architrave, une canéphore sans -sa corbeille, une Victoire sans ses ailes, une Espérance -sans sa fleur? Mettre une colonne dans un -musée! Autant mettre un tronc d’arbre dans un -salon! Ce n’est plus qu’un organisme dissocié, -brisé; ce n’est plus qu’un cadavre. Il faut donc le -laisser en plein air, en plein ciel, dans la nature qui, -de ses cadavres à elle, de ses rocs fendus par l’eau -ou de ses arbres foudroyés par le feu, fait des -autels, des vasques, des corbeilles ou des nids.</p> - -<p>La statue une fois mise dehors, tout change. -Les gestes grandissent et soutiennent le ciel. La -mousse emplit les mains auparavant oisives. Le -lichen met sur les blessures du marbre son baume -doré. Les graines des fleurs, qui vont par l’air -cherchant un gîte, s’arrêtent aux creux des urnes -penchées par la main des <i>Fleuves</i> ou des cornes -d’abondance soutenues par le bras des <i>Pomones</i>, -et, parfois, une eau de pluie vient étaler sous les -pieds des <i>Narcisses</i> son humide et fugitif miroir.</p> - -<p>Je sais, sur les terrasses de la villa Pamphili, -une statue de femme qui lève le bras. Sa main<span class="pagenum"><a name="Page_246" id="Page_246">[246]</a></span> -étant cassée, elle ne dresse qu’un moignon qui -serait horrible à voir. Mais un arbre est auprès. Il -abaisse sur le marbre mutilé ses branches. Il noie -le poignet sous les petites vagues vertes de ses -feuilles, et la statue, dès lors expliquée, semble -cueillir, d’une main qu’elle n’a plus, des fruits à -l’arbre qui n’en a jamais.</p> - -<p>Ce sont ces fortuites rencontres qui donnent -leur prix aux ruines vues par Hubert Robert: le -marbre, auguste et éternel, prête son appui aux contadines -éphémères qui y suspendent leurs hardes -éclatantes. Dans l’entre-colonnement décrépit, mais -hautain encore,</p> - -<p class="pp6 p1">Bien que les Salvucci ni les Ardinghelli<br /> -N’abritent plus que l’humble échoppe et l’établi</p> -<p class="pp8">Sous leurs arcades colossales<a name="FNanchor_25_25" id="FNanchor_25_25"></a><a href="#Footnote_25_25" class="fnanchor">[25]</a>,</p> - -<p class="pn1">le lazzarone grignote sa polenta, l’enfant égrène -son raisin et le moine son chapelet, tandis que sur -leurs têtes, une plante sauvage jette l’ombre de -ses feuilles, le galbe de ses branches, l’aumône de -ses fleurs....</p> - -<p>Ainsi, presque toujours, la nature et le temps -savent restituer à la pierre l’âme qui l’avait quittée -quand elle s’était brisée. Sans doute, ils ne peuvent -refaire entièrement ce que l’homme a détruit, ni<span class="pagenum"><a name="Page_247" id="Page_247">[247]</a></span> -combler tout à fait le vide que l’accident a creusé. -Ils ne rendent pas aux formes mutilées leur beauté -<i>plastique</i>. Seulement ils leur confèrent une nouvelle -beauté <i>pittoresque</i>. Ils les font entrer dans -la grande communion du paysage. Un jour même -arrive où la ruine fait partie si intégrante de son -milieu qu’on n’imagine pas avec plaisir le monument -intact. Quel artiste préférerait la correcte -spirale d’un escalier en colimaçon à cette description -de Tennyson dans <i>Enide</i>: «Bien haut, au-dessus, -un morceau de l’escalier d’une tourelle, -usée par des pieds qui, maintenant, étaient silencieux, -tournait, nu, au soleil, et de monstrueuses -touffes de lierre serraient le mur gris de leurs bras -fibreux; elles suçaient les jointures des pierres et -semblaient, en bas, un nœud de serpents, en haut, -un bosquet....» Cet escalier qui ne conduit à rien -et qui est dépouillé de son alvéole devient ici le -centre d’un thème décoratif qui n’est plus architectural, -mais qui est encore pittoresque, thème -voulu par la Nature et réalisé au gré des semences, -des vents et des années.</p> - -<p>Mais pour que ces choses s’accomplissent, il -faut confier à la nature même les débris que nous -voulons ennoblir, et ne point troubler, par d’inutiles -soins, l’œuvre mystérieuse de cette prétendue -«marâtre». Le mot «laissez faire, laissez passer»<span class="pagenum"><a name="Page_248" id="Page_248">[248]</a></span> -de l’économiste doit être notre mot d’ordre vis-à-vis -d’elle. Laissez le lichen faire des taches à la -robe de la déesse; laissez le lierre passer aux joints -du piédestal. Ne soyez pas le Pharisien</p> - -<p class="pp6 p1">Qui croit son mur gâté lorsqu’une fleur y pousse.</p> - -<p class="p1">Si la plante a jailli, c’est que la terre était bonne -et, si le lichen a poussé, c’est que l’air était pur!</p> - -<p>Il y a un musée où on l’a compris, et ce musée -nous donne un admirable exemple. Rien n’est plus -frappant que de l’évoquer à côté du British -Museum. Il est situé à l’autre bout de l’Europe, à -Rome. Sa porte monumentale s’ouvre dans une -grande stratification curviligne de monuments millénaires -et de pauvres bâtisses: pêle-mêle de souvenirs, -d’idées et de masures disparates, où furent -les Thermes de Dioclétien, où fut une chartreuse, -où est encore un asile d’infirmes errants et tremblants. -C’est de tous les musées de Rome le moins -connu, comme le British Museum est du monde -entier le plus célèbre. Son budget est un des plus -faibles, comme celui du British Museum est un -des plus puissants. Il ne contient que ce que la -jeune Italie a trouvé sur son sol depuis le Risorgimento. -Et, en face de noms comme Phidias, ce -musée ne peut citer aucun nom.... Il ne fut même -pas construit pour y mettre des œuvres d’art. Un<span class="pagenum"><a name="Page_249" id="Page_249">[249]</a></span> -cloître, une cour carrée au milieu, entourée d’arcades, -une rangée de petites cellules, de <i>romitorii</i> -s’ouvrant sur des jardins de poupées avec autant -de <i>loggie</i>, quelques salles au premier étage tapissées -de nattes sèches où joue le soleil, c’est tout.</p> - -<p>Mais le créateur de ce musée n’est pas seulement -un archéologue, c’est un artiste. Il ne conserve -pas seulement les œuvres d’art: il les -regarde. Il ne songe pas seulement à les déterrer -au bord du Tibre, ou à Subiaco, mais aussi à les -replanter et à leur redonner des racines. A chaque -œuvre, il cherche longuement l’orientation qui lui -convient pour remplacer, le plus qu’il se peut, -l’ancienne demeure ignorée ou l’ancien milieu -perdu. Il l’isole, et, en l’isolant, la grandit. Il -l’éclaire, et, l’éclairant, la ranime. Et, quand ce ne -sont que de simples débris, auxquels nul artifice -ne pourrait rendre la vie, il ne craint pas de les -exposer en plein air. Le long du cloître ouvert et -dans le jardin que bordent les arcades de travertin, -sous le ciel, sous la pluie, il a jeté tout ce qui, -débris de statues, sarcophages, colonnes, masques -de pierre, peut être sans trop de péril exposé aux -injures du temps, et il a laissé faire la nature....</p> - -<p>Ce qu’elle a fait, une simple promenade suffit -pour en juger. Un des plus beaux matins de la vie -est celui qu’on passe, au mois d’avril ou de mai,<span class="pagenum"><a name="Page_250" id="Page_250">[250]</a></span> -dans la cour de ce cloître reconquis par le Paganisme. -Ce n’est plus le lourd silence de la prison. -Ce sont les voix tranquilles du jardin. Ce n’est -plus ce carré de lueur blafarde qui tombe de la -fenêtre d’un musée et que les prisonniers appellent -«ciel»: c’est la splendeur du soleil qui, tournant -autour des marbres, leur prête la vie lente des -ombres et des clartés. Au milieu du carré, sur un -bassin qui murmure, un jet d’eau monte comme -une tige de lis et retombe comme une poignée de -perles. On dirait une chère illusion qui s’est brisée -en s’élevant trop haut, mais dont les débris sont -encore de petites choses précieuses. Autour d’un -vieux cyprès foudroyé, écume la mousse des -rosiers banks. Quatre têtes d’animaux de pierre, -comme de gigantesques rhytons, sortent des -godrons verts de quatre touffes de lierre. Aux coins -extrêmes du quadrilatère, le printemps allume des -flammes roses sur les branches des amandiers, et -le vent agite ces lueurs sans les éteindre. En l’air, -à l’extrémité de deux hautes colonnes, grimacent -deux masques de pierre où la bouche et les yeux -sont figurés par des trous. Dans un musée, on -verrait de l’ombre par ces trous. Ici, on voit de la -lumière.</p> - -<p>Pour le moindre de ces débris, la nature a des -attentions infinies. Sur les touffes sucrées nées<span class="pagenum"><a name="Page_251" id="Page_251">[251]</a></span> -dans les fentes du marbre, plane la couronne de -ces insectes pesants et sonores qui ne savent ni -s’élever ni se taire. Dans un coin, est une statue de -femme dont la tête fut brisée. Un églantier a posé -des branches sur ses épaules; il a masqué la coupure -du col, et, à la place des seins absents, fleurissent -des roses. Les sarcophages, qui se boursouflent -extérieurement de figures d’Amours grimpant -aux échelles pour vendanger les treilles, sont -pleins, intérieurement, non d’ossements, mais de -ronces et de fleurs, comme celui qu’on voit dans -<i>l’Amour sacré et l’Amour profane</i>. Dans un angle, -un délicat pied blanc, sur une dalle rouge, semble -une apparition qui commence, et paraît alors -moins un débris qu’une promesse....</p> - -<p>Sans bras pour nous les donner, sans yeux pour -nous voir, sans pieds pour nous fuir, une Fortune -tient ses fruits. La pluie et le soleil ont noirci par -endroits les robes des déesses, et, quand vient l’automne, -leurs draperies de marbre s’obstruant de -feuilles et de fleurs mortes, elles paraissent d’inconscientes -Ophélies. Sur les savantes inscriptions -latines se penchent les ignorantes herbes: les -mystérieuses euphorbes, et les pelotes d’aiguilles -vertes des pins, et les bras poilus des lierres, et les -redondantes aristoloches, et les fins myrtes. Aux -bouches demi-ouvertes des bustes, les insectes,<span class="pagenum"><a name="Page_252" id="Page_252">[252]</a></span> -rôdant, prêtent leur long murmure. De la <i>Victoire</i> -brisée, l’oiseau, en s’envolant, achève le coup d’aile. -Et le grand rosier, qui étincelle sur le sarcophage -ouvert, vient ajouter encore d’impondérables pétales -aux lourdes guirlandes de pierre, que, de leurs -épaules haussées, soulèvent péniblement les petits -Amours....</p> - -<p>Ainsi, à l’heure de notre course, où toutes les -figures que nous nous étions faites du Bonheur -nous paraissent joncher le sol comme des statues -brisées, il n’est pas bon de les renfermer avec nous -dans le musée de nos souvenirs, ni de méditer -seuls devant leurs ruines. Il faut, au contraire, les -porter en pleine nature, les jeter en pleine humanité -et appeler à notre secours, pour les embellir, -toutes les influences secrètes et médiatrices de la -terre et du ciel. Alors la blessure s’adoucit, -s’agrandit, s’épure. Nous sentons l’envahissement -des choses. Bientôt, dans le murmure des vies -végétales et profondes s’assourdit le murmure de -notre vie à nous. L’ombre tombe sur nos souvenirs. -La lumière éveille nos pensées. La nature dont on -dit tant de mal nous offre cependant l’oubli dont -elle est pleine. Et peu à peu pénètre en nous, par -la plaie entr’ouverte, quelque chose de sa douceur, -de son sourire, et de son insensibilité....</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_253" id="Page_253">[253]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">CHAPITRE IV</h2> - -<p class="pc2"><b>Le paradoxe de la «conservation» des -œuvres d’art.</b></p> - - -<p class="p2">«Je ne suis tranquille que quand je sais mes fils -en prison», disait la mère des deux Reybaud, -fameux l’un et l’autre, au milieu du siècle, par -leurs polémiques et leurs démêlés avec tout le -monde. Quand on observe quel sentiment pousse -nos amateurs à enfermer dans les musées les -œuvres qu’il faudrait voir ailleurs, on trouve que -c’est une préoccupation semblable qui les domine -et que le mot de Mme Reybaud pourrait être leur -mot d’ordre. Car dès qu’on mêle à la vie quelques -belles choses, dès qu’on les tire des nécropoles où -elles gisaient, aussitôt la presse retentit de leurs -cris.</p> - -<p>Ceux-ci se lamentent, si deux groupes en marbre, -d’un marbre friable et déjà usé, dus à Tassaert -ou à Guyard, et attribués à Beaujon, demeurent<span class="pagenum"><a name="Page_254" id="Page_254">[254]</a></span> -devant le perron de l’Élysée: ils réclament qu’on -les enlève du jardin, et qu’on les mette—où cela?—naturellement -dans un musée.... Ceux-là s’avisent -que des tapisseries du garde-meuble, dessinées -par Audran et tissées d’or, sont converties en -portières, et se doublent, se cassent et exigent, -par suite de leur poids, un effort pour les soulever -qui, à la longue, les détruira. Où faut-il les mettre? -Naturellement aux Gobelins, où Bædeker vous -dit que vous pourrez les voir «les mercredis et -samedis, de une heure à trois heures». D’autres, -ayant découvert qu’un beau <i>Christ en Croix</i> de -Jordaens se trouve encore dans la cathédrale de -Bordeaux, n’ont pu supporter plus longtemps de -voir un Christ dans une église. Ils le veulent mettre -à sa place,—qui est le musée. Que fait ce menhir -au milieu de sa lande bretonne? se sont demandé -les pourvoyeurs d’exposition, et ils ont proposé -d’apporter et de renfermer dans le Champ de Mars, -en 1900, la pierre fameuse de Locmariaker. Ailleurs, -enfin, on se plaint que quelques-unes des -merveilles de la <i>Suite des châteaux</i> soient envoyées, -çà et là, en Europe, pour garnir nos palais d’ambassade. -On demande où elles pourraient être mieux, -et l’on répond: «aux Gobelins ou au Louvre».</p> - -<p>Ce sont là les signes de la plus grande erreur -esthétique qui fut jamais. Car, précisément, de les<span class="pagenum"><a name="Page_255" id="Page_255">[255]</a></span> -envoyer garnir nos palais d’ambassade, c’est la -seule manière que nous ayons d’en jouir. Quelques-uns -d’entre nous, seulement, dira-t-on.... Oui, quelques-uns. -Mais, dans un musée, qui peut jouir -d’une tapisserie? Personne! Car l’esthétique d’un -ameublement ne s’insinue pas aussi vite dans l’esprit -que celle d’un tableau ou d’une statue. De -même qu’un paysage frappe moins vite qu’une -scène de genre, de même les couleurs peu -bruyantes et les lignes peu écrites de la décoration -veulent des heures pour être goûtées. Il faut -demeurer longtemps devant une aiguière ou une -crédence pour que leur rythme s’associe à nos pensées. -Il faut vivre au milieu des objets de bon style -pour qu’ils vivent en nous. C’est même là précisément -ce qui donne à l’art décoratif une physionomie -bien différente de l’art imitatif. Il ne faut -pas qu’il frappe, il faut qu’il s’insinue. Et, pour -qu’il s’insinue, il faut qu’on vive avec lui familièrement, -comme on vit avec la tapisserie de sa -chambre, non pas le mettre dans un musée où l’on -va lui rendre une visite rare, solennelle et pressée.</p> - -<p>Mais c’est le seul moyen de faire durer les -œuvres, dira-t-on.—De les faire durer, oui, mais -comment? Mortes ou en vie? Agissantes ou neutres? -Tout est là. La momie dure plus que -l’homme. La pièce d’or, renfermée dans un coffre<span class="pagenum"><a name="Page_256" id="Page_256">[256]</a></span> -ou dans une tombe, dure plus que la monnaie qui -roule de main en main, usant son cordon et ses -empreintes, mais activant les échanges, soulageant -les misères. Il est de toute évidence que, moins -une œuvre d’art sera exposée au soleil, à la poussière, -au vent, et à la vue, plus elle durera. Mais -elle durera sans remplir son but. Son but, c’est de -vivre de notre vie et de périr, s’il le faut, de notre -mort. A ce prix, elle enseigne, elle charme, elle -console. Autrement, elle ne fait que durer. Quand -j’entends les cris des pourvoyeurs de musées, il me -semble entendre des gens qui chercheraient les -grains de blé que le semeur a mis dans les champs -et qui les rentreraient au plus tôt dans le grenier -de peur qu’ils ne pourrissent. Et, en effet, ils ont -empêché la pourriture, mais ils ont empêché la -germination. Ils ont empêché la mort, mais ils ont -empêché la vie!</p> - -<p>Les projets éclos de toutes parts empêcheront la -vie. Si jamais Avignon trouve les millions nécessaires -pour expulser les soldats qui sont dans -son château fort et y introduire les scribes, custodes -et porte-clefs qu’on rêve d’y voir, tout le -Palais des Papes deviendra muet et morne. Les -milliers d’objets rassemblés ne parleront plus aux -yeux des populations lointaines d’où ils auront été -tirés. La visite de ce Musée de la chrétienté ne sera<span class="pagenum"><a name="Page_257" id="Page_257">[257]</a></span> -que la visite d’un «trésor». Car les arts du culte -ne forment point par eux-mêmes un ensemble qui -se suffise. Ils ne sont que pour que d’autres -choses soient. Ces objets n’existent que pour servir -à d’autres desseins: pour être portés, agités, -pour resplendir parmi des foules, pour vêtir, pour -renfermer, pour apparaître sous le pinceau des -soleils sincères ou des vitraux mensongers ou bien -dans la voie lactée des cierges et parmi les torsades -de l’encens bleu. Là, au contraire, que verra-t-on?—Des -chaires vides, des retables sans autels, des -lampes sans flammes, des clochettes sans voix, des -chapes sans vivants, des reliquaires sans morts: -offrandes sans doute trop belles pour le Dieu qui -les reçut et mieux appropriées à ce culte nouveau -d’un «esthétisme» municipal, dont les gardiens à -tricornes seront les prêtres ennuyés! A cette transformation -qu’aura gagné le Palais des Papes? -C’était une caserne: ce sera une prison.</p> - -<p>Ce sera quelque chose encore de pire. Ce sera -le palliatif ou l’apologie des destructions et des -«embellissements» de nos villes modernes. Ce -sera l’excuse invoquée par les démolisseurs à -chacun de leurs attentats. Ce l’est déjà, et il suffit -d’écouter les voix qui s’élèvent dans les régions -officielles pour ne plus douter que l’Art sert -aujourd’hui de prétexte contre l’Art et que les<span class="pagenum"><a name="Page_258" id="Page_258">[258]</a></span> -créations les plus factices sont triomphalement -opposées aux beautés spontanées de nos vieilles -cités. «Vous paraissez émus de certaines transformations -qui risquent de modifier l’aspect de -Paris», disait, en 1897, le ministre des Beaux-Arts, -à la réunion solennelle des <i>Artistes français</i>. «Vous -voyez dans le progrès industriel l’éternel rival de -l’Art; pourquoi refuser de reconnaître en lui, ce -qui est tout aussi vrai, son éternel allié? Les gares -de chemin de fer au cœur de notre capitale vous -apparaissent comme la plus fâcheuse de ces transformations. -Mais pensez-vous que celles qui s’accomplirent -dans l’aspect de Paris à travers les âges -n’ont pas soulevé chez nos pères les mêmes inquiétudes -et peut-être les mêmes protestations?... Nous -avons encore dans l’oreille les récriminations qui -s’élevèrent contre certain baron, dont le nom est -inséparable de la révolution topographique de -Paris et qui, à travers les dédales des ruelles et -des anciennes cours des miracles, lançait ces -grandes voies rectilignes, comme les sillons de -quelque colossal projectile.... L’art a-t-il tant souffert -de ces bouleversements? N’a-t-il pas, dans -chacun des quartiers nouveaux, planté son drapeau, -<i>installé ses musées, depuis le Carnavalet jusqu’au -Galliera</i>, dressé un peuple de statues sur -les places et les boulevards spacieux qu’a laissés<span class="pagenum"><a name="Page_259" id="Page_259">[259]</a></span> -derrière lui le cataclysme haussmannien<a name="FNanchor_26_26" id="FNanchor_26_26"></a><a href="#Footnote_26_26" class="fnanchor">[26]</a>?...»</p> - -<p>Ainsi, selon cette thèse, la plus extraordinaire -qu’on ait tenté de soutenir sur l’esthétique des -villes, ce n’est point l’hygiène, ou le confort, ou -l’activité de Paris qui sont invoqués contre son -pittoresque, c’est son pittoresque même.... Ce n’est -pas au nom de l’Utile qu’on approuve sa transformation, -c’est au nom du Beau.... Ce n’est pas des -nécessités et des économies de la vie moderne -qu’on se prévaut, mais des monuments qui lui -coûtent le plus cher et qui lui sont le plus superflus, -lors même que ces monuments, dressés à profusion -dans nos rues, en sont non pas seulement le -plus inutile spectacle, mais encore et de beaucoup -le plus déplaisant! Et ainsi, par une pétition de -principes, la plus audacieuse dont on se soit jamais -avisé, les statues de Shakspeare, de Chappe ou de -Dolet, que réprouve le goût universel, et que rien -en soi ne pourrait excuser, se trouvent, tout d’un -coup, servir elles-mêmes d’excuses aux perspectives -monotones du quartier Haussmann et du boulevard -Saint-Germain!...</p> - -<p>Or, la vie moderne n’a pas besoin d’excuse, mais -le mauvais art moderne, lui, ne peut être excusé.<span class="pagenum"><a name="Page_260" id="Page_260">[260]</a></span> -On ne saurait sacrifier le progrès à l’art, mais on -doit se faire une idée plus juste de l’art, et ne pas -ajouter aux ruines subies des erreurs voulues. On -ne peut pas toujours conserver, dans sa fantaisie -ornementale, le vieux décor de la vie, mais on peut -ne pas en dépouiller soi-même la scène du monde -pour le mettre dans ces froids magasins d’accessoires -où il ne remplit plus sa mission.</p> - -<p>Il ne s’agit nullement, ici, d’opposer au mouvement -naturel du progrès des récriminations qui -seraient vaines, ni à ses bienfaits des dédains qui -seraient injustes. La vie moderne a ses harmonies -que nous ne méconnaissons pas. Les cités de fer -et de fumée ont leur éloquence barbare. Elles -disent par toutes les voix de leurs roues et de leurs -bielles: «Nous sommes les grandes pourvoyeuses -des foules et les grandes niveleuses des conditions. -Si nos fenêtres, rouges et blanches dans la nuit, -attirent comme des papillons les <i>pagani</i> répandus -dans les campagnes, c’est que nous sommes pour -eux le symbole et l’instrument d’un meilleur devenir. -Chaque tour de chacune de nos roues éloigne -l’homme de l’esclavage antique. Chaque machine -relève d’un degré sa taille autrefois pliée sur le -sillon. Chaque perfectionnement ôte quelques -minutes au travail mécanique et ajoute un instant -aux heures ennoblies par la pensée. Si aujourd’hui<span class="pagenum"><a name="Page_261" id="Page_261">[261]</a></span> -sa pensée s’épure, se libère des soucis matériels, -se tourne vers les beautés perdues des cités d’autrefois, -si elle les goûte et les regrette, c’est que -nous lui en avons donné le loisir. Et si vous avez -le temps aujourd’hui de nous maudire, c’est que -nous avons travaillé pour vous!»</p> - -<p>Écoutons ces voix et aussi le cri de Walt -Whitman: «La plus grande cité n’est pas l’endroit -des plus hauts et des plus précieux édifices». -Marchons avec les multitudes dans les percées largement -ouvertes de nos villes renouvelées, et -détruisons, s’il le faut, pour la marche de ce -peuple, les choses pittoresques et surannées qui -donnaient sa figure à la cité. Soit. Dans la barbarie -avouée, il y a de la grandeur. Mais n’invoquons -pas, pour le faire, l’intérêt sacré de l’art. Avouons -hardiment que c’est la richesse d’une ville qui nous -tente, non sa beauté. En frappant ainsi l’art dans -ce qu’il a de plus vital et de plus consolateur, ne -prétendons point que nous le sauvons. Ne demandons -pas à la nation, en son nom, des subsides -qui ne servent qu’à rendre sa déchéance plus -visible. N’ajoutons pas à des actes de Barbares des -raisonnements de Byzantins.</p> - -<p>Et s’il se trouve, çà et là, par le monde, une -ville qui n’ait pas mis tout son art en prison et -qui en ait, dans ses rues, gardé quelques libres<span class="pagenum"><a name="Page_262" id="Page_262">[262]</a></span> -vestiges, puissent les hommes debout sur les -seuils de ses maisons ou assis dans ses assemblées -réfléchir longuement avant de prononcer l’irrémédiable -arrêt! Qu’ils pensent non pas seulement à -ceux qui habitent cette ville aujourd’hui, mais -aussi à ceux qui l’habitèrent et dont elle est bien -un peu la continuation, et à ceux qui l’habiteront -et dont elle est bien un peu l’héritage!—«La -cathédrale d’Avranches appartenait-elle à ceux qui -la détruisirent plus qu’elle ne nous appartenait à -nous qui nous promenons maintenant tristement -sur ses fondations?»—Avant de détruire, pensons -à ceux qui ont bâti. Avant d’anéantir, pensons -à ceux qui sont morts. Mais surtout, avant -de construire, pensons à ceux qui vont naître et -ne nous hâtons pas de modeler le corps de ces -villes durables selon la forme de nos âmes éphémères. -Que savons-nous des âmes de nos successeurs, -de leurs goûts, de leurs affinités, de -leurs désirs? Nous voulons activer la circulation -humaine au cœur de nos villes.... Qui peut dire -qu’ils n’abandonneront pas le cœur de nos villes, -comme nous abandonnons aujourd’hui le fond de -nos campagnes? Qui peut même affirmer qu’à -Florence, comme à Paris, le reflux vers la banlieue -n’ait pas déjà commencé et qu’un jour, les -centres de nos cités à demi dépeuplées ne puissent<span class="pagenum"><a name="Page_263" id="Page_263">[263]</a></span> -redevenir, si nous sauvons leurs vieilles -architectures, les asiles de l’esthétique, les oasis -de l’idéal et de la paix? Ne croyons pas que le -type unique et nécessaire de la cité moderne soit -l’échiquier ou la roue de carrosse! S’il y a «plusieurs -demeures diverses dans le palais du Père», -il y a peut-être bien des types possibles de grandes -cités dans ce monde. Ne croyons pas une ville -déshonorée parce que la marche y est lente. Il -restera toujours assez de villes où la marche sera -rapide. Il est bon d’ailleurs quelquefois de ralentir -le pas dans la vie. Et le fameux mot: «Je prendrai -par le plus long...» du Fabuliste, voulait -dire sans doute: «Je prendrai par le plus beau...».</p> - -<p>Jamais nous n’eûmes plus besoin de ces asiles. -«Aujourd’hui, toute la vitalité est concentrée dans -les palpitantes artères des villes; la campagne est -traversée comme une mer verte par des ponts -étroits et nous sommes jetés en foule toujours plus -épaisse contre les portes de la ville. La seule -influence qui puisse sagement prendre la place -des bois et des champs est le pouvoir de l’ancienne -architecture. Ne vous en dessaisissez pas pour -l’amour du square régulier, de la promenade -garnie de haies et d’arbres, ni pour la rue correcte -ou le quai ouvert. La gloire d’une cité n’est pas -en ces choses! Laissez-les à la foule, mais souvenez-vous<span class="pagenum"><a name="Page_264" id="Page_264">[264]</a></span> -qu’il y aura sûrement quelqu’un dans -le circuit des murailles troublées, quelqu’un qui -aspire à conduire ses pas dans d’autres endroits -que ceux-ci, à rencontrer d’autres formes en leur -aspect familier,—comme celui qui s’assit si souvent -à cette place que frappait le soleil couchant -pour contempler les lignes du dôme de Florence, -ou comme ceux de ses hôtes qui pouvaient soutenir -des chambres de leur palais la contemplation journalière -de cette place où leurs pères étaient couchés -dans la mort, au carrefour des rues sombres -de Vérone<a name="FNanchor_27_27" id="FNanchor_27_27"></a><a href="#Footnote_27_27" class="fnanchor">[27]</a>...».</p> - -<p>Ainsi parlait Ruskin, il y a cinquante ans. Le -péril alors dénoncé est plus grand qu’alors, parce -qu’il se cache sous le sophisme de la conservation -de l’art dans les musées. Ne laissons pas ce -sophisme davantage se répandre. Quand on aime -l’art, ce qu’il faut, ce n’est pas le recueillir dans -les musées: c’est ne pas le chasser de la vie.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_265" id="Page_265">[265]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">INDEX ALPHABÉTIQUE</h2> - -<p class="pc2 lmid">DES SUJETS ÉTUDIÉS ET DES NOMS D’ARTISTES -ET D’ŒUVRES D’ART CITÉS DANS CE VOLUME</p> - -<hr class="d1" /> - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>A</b></p> - -<p class="pni"><i>Acropole</i>, p. <a href="#Page_234">234</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Alexandre</i> (M.). Soldats passant un défilé, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Aligny</i>, p. <a href="#Page_167">167</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Allongé</i>, p. <a href="#Page_166">166</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Ames Building</i>, de Boston, p. <a href="#Page_17">17</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Apollon</i>, p. <a href="#Page_141">141</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Arabe</b> (L’Architecture): Belle sans être logique, ni révélatrice de sa structure interne, pp. <a href="#Page_20">20</a> et <a href="#Page_48">48</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Arbres</b> inconnus au moyen âge et répandus dans le paysage contemporain, p. <a href="#Page_60">60</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Arc de Triomphe de Constantin</i>, p. <a href="#Page_25">25</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Arcs</b> (Les) de l’architecture de fer semblables aux arcs de la pierre, p. <a href="#Page_40">40</a>.</p> -<p class="pnii">L’arc bombé, l’ogive surbaissé, le plein-cintre brisé, l’arc en anse de panier, p. <a href="#Page_41">41</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Architectural Court</i> du South Kensington Muséum, p. <a href="#Page_241">241</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Arning</i> (M.), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Audran</i>, pp. <a href="#Page_98">98</a> et <a href="#Page_254">254</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Avignon</i> (Les remparts d’), p. <a href="#Page_217">217</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Avranches</i> (Cathédrale d’), p. <a href="#Page_262">262</a>.</p> - - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>B</b></p> - -<p class="pni"><i>Bacon</i>, p. <a href="#Page_164">164</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Ballif</i> (Henri). Vue de la Loire à Saint-Denis-Hors, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Balzac</i>. Sa statue par Rodin, p. <a href="#Page_121">121</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Bandinelli</i>, p. <a href="#Page_103">103</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Baptistère de Florence</i>, p. <a href="#Page_19">19</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Barbizon</i> (École de), pp. <a href="#Page_67">67</a> et <a href="#Page_89">89</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Barrias.</i> Tombeau de Guillaumet, p. <a href="#Page_127">127</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Bartholomé.</i> Le secret, p. <a href="#Page_127">127</a>.</p> -<p class="pnii">Monument aux Morts, pp. <a href="#Page_127">127</a> et <a href="#Page_143">143</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Beaujon</i>, p. <a href="#Page_253">253</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Beauté</b> plastique ne peut être exprimée que par la statuaire, pp. <a href="#Page_113">113</a> et <a href="#Page_114">114</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Benjamin Constant</i>, p. <a href="#Page_93">93</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Bergon</i> (M.), p. <a href="#Page_153">153</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Bertin</i>, pp. <a href="#Page_167">167</a> et <a href="#Page_188">188</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Besnard</i>, p. <a href="#Page_71">71</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Binder-Mestro</i> (Mme), p. <a href="#Page_153">153</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Blanche</i> (Jacques), p. <a href="#Page_86">86</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Boileau</i>, architecte, p. <a href="#Page_16">16</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Boissonnas</i> (M. Alfred), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Bouddha</i>, p. <a href="#Page_243">243</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Bouguereau</i>, p. <a href="#Page_191">191</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Bourgeois</i> (P.), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_266" id="Page_266">[266]</a></span></p><p class="pni"><i>Bracquemond</i> (M.), p. <a href="#Page_189">189</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Brémard</i> (M. Maurice), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p> -<p class="pnii">—Effet de soir, p. <a href="#Page_185">185</a>.</p> -<p class="pnii">—Profil perdu, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Breton</i> (Jules), p. <a href="#Page_168">168</a> et <a href="#Page_181">181</a>.</p> - -<p class="pni"><i>British Muséum</i>, p. <a href="#Page_234">234</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Bucquet</i> (M. Maurice), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p> -<p class="pnii">—Après le coucher du soleil, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Burne-Jones</i>, p. <a href="#Page_191">191</a>.</p> - - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>C</b></p> - -<p class="pni"><i>Caillebotte</i> (Salle), au Musée du Luxembourg, p. <a href="#Page_53">53</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Calland</i> (M.), p. <a href="#Page_153">153</a>. Brompton Road.</p> - -<p class="pni"><i>Cameron</i> (Mme). Annals of my glass house, p. <a href="#Page_170">170</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Campo Santo de Gênes</i>, pp. <a href="#Page_118">118</a> et <a href="#Page_142">142</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Canova</i>, p. <a href="#Page_110">110</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Caran d’Ache</i>, p. <a href="#Page_166">166</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Cariatide</i> (La) de l’Erechtheion à Londres, p. <a href="#Page_237">237</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Carpeaux et la Fontaine des Quatre Parties du monde au Luxembourg</i>, p. <a href="#Page_108">108</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Castagnary</i>, p. <a href="#Page_87">87</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Cézanne</i>, p. <a href="#Page_65">65</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Chantilly</i>, p. <a href="#Page_217">217</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Chapeau</b> haut de forme. Sa représentation en peinture. Impossibilité à représenter en sculpture, p. <a href="#Page_113">113</a>.</p> -<p class="pnii">—Sa figuration dans les monuments de Baudin et de Victor Noir, p. <a href="#Page_126">126</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Chappe.</i> Sa statue, p. <a href="#Page_259">259</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Chardin</i>, pp. <a href="#Page_77">77</a> et <a href="#Page_111">111</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Chartreuse d’Ema</i>, son puits, p. <a href="#Page_242">242</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Chaudet</i>, pp. <a href="#Page_119">119</a> et <a href="#Page_120">120</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Claude Lorrain</i>, p. <a href="#Page_85">85</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Cliché.</b> Amoindrissement de son rôle dans la photographie artistique, p. <a href="#Page_178">178</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Cloître de San Saba</i>, sa stèle, p. <a href="#Page_241">241</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Cloître du Latran</i>, son puits, p. <a href="#Page_241">241</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Colard</i> (M.). Le soir ramène le silence, p. <a href="#Page_185">185</a>.</p> -<p class="pnii">—Beau temps à Londres, p. <a href="#Page_187">187</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Coleone</i> (Le) de Verocchio, pp. <a href="#Page_111">111</a> et <a href="#Page_132">132</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Conservation</b> des œuvres d’art (La). Inutile si elle empêche les œuvres de jouer leur rôle, p. <a href="#Page_256">256</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Corot</i>, pp. <a href="#Page_67">67</a>, <a href="#Page_165">165</a>, <a href="#Page_167">167</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Coste</i> (M.-F.). Dans la Vallée, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Cottet</i>, p. <a href="#Page_84">84</a>. Nuit de la St-Jean, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Couleur</b> (La). Sa richesse, sa beauté, p. <a href="#Page_58">58</a>.</p> -<p class="pnii">—La nature est couleur plus que lignes, p. <a href="#Page_67">67</a>.</p> -<p class="pnii">—La division du ton augmente sa vivacité, p. <a href="#Page_79">79</a>.</p> -<p class="pnii">—Théorie de Ruskin réalisée par les impressionnistes, p. <a href="#Page_80">80</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Courbes</b> données naturellement par le fer, p. <a href="#Page_29">29</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Cousins</i>, p. <a href="#Page_112">112</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Craig-Annan</i> (M.). Frères blancs, p. <a href="#Page_185">185</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Cross</i> (H.-E.), p. <a href="#Page_82">82</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Cunha</i> (M. da). Septembre en Normandie. Premiers sillons, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p> - - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>D</b></p> - -<p class="pni"><i>Dagnan</i>, pp. <a href="#Page_88">88</a> et <a href="#Page_93">93</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Dalou.</i> Statuette de Lavoisier, p. <a href="#Page_125">125</a>.</p> -<p class="pnii">—Monument de Victor Noir, p. <a href="#Page_126">126</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Dansaert</i> (Mme). At home, p. <a href="#Page_207">207</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Danse des Nymphes</i>, p. <a href="#Page_89">89</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Dardonville.</i> Étang du parc de Rambouillet, p. <a href="#Page_207">207</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Darnis</i> (M.). Sur la route, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Daubigny</i>, p. <a href="#Page_88">88</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Dauchez.</i> Troupeau, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p> - -<p class="pni"><i>David d’Angers</i>, p. <a href="#Page_119">119</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Decamps.</i> Café turc, p. <a href="#Page_77">77</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Declercq.</i> Potier, p. <a href="#Page_206">206</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Découvertes de l’impressionnisme.</b> 1<sup>o</sup> La nature est couleur plus que lignes, p. <a href="#Page_67">67</a>.</p> -<p class="pnii">—2<sup>o</sup> Les ombres mêmes sont des couleurs, pp. <a href="#Page_67">67</a>, <a href="#Page_68">68</a>, <a href="#Page_69">69</a>, <a href="#Page_70">70</a>.</p> -<p class="pnii">—3<sup>o</sup> Le tongagne à être divisé, pp. <a href="#Page_77">77</a>, <a href="#Page_78">78</a>, <a href="#Page_79">79</a>, <a href="#Page_80">80</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Degas</i>, p. <a href="#Page_61">61</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Delacroix</i>, p. <a href="#Page_66">66</a>.</p> -<p><span class="pagenum"><a name="Page_267" id="Page_267">[267]</a></span></p><p class="pnii">—Son journal, pp. <a href="#Page_64">64</a> et <a href="#Page_69">69</a>, <a href="#Page_121">121</a>.</p> -<p class="pnii">Liberté. Journée du 28 juillet 1830, p. <a href="#Page_113">113</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Demachy</i> (M. Robert). Eaux mortes, p. <a href="#Page_183">183</a>.</p> -<p class="pnii">—Communiante, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Discobole</i> (Le), p. <a href="#Page_141">141</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Division</b> des couleurs, enseignée par Ruskin en 1856 et appliquée par les Impressionnistes, pp. <a href="#Page_80">80</a> et <a href="#Page_81">81</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Dolet</i> (Étienne). Sa statue, p. <a href="#Page_259">259</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Dôme des Invalides.</i> Son aspect en regard du Sacré-Cœur de Montmartre, p. <a href="#Page_13">13</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Doré</i> (Gustave), p. <a href="#Page_85">85</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Drapé</b> (Le) antique. Plus esthétique que le vêtement ajusté, pp. <a href="#Page_129">129</a> et <a href="#Page_130">130</a>.</p> -<p class="pnii">—Pourquoi, pp. <a href="#Page_129">129</a> et <a href="#Page_130">130</a>.</p> -<p class="pnii">—Les trois grandes lois naturelles qu’il exprime, pp. <a href="#Page_134">134</a> et <a href="#Page_135">135</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Dubois</i> (Paul). Le Duc d’Aumale, le tombeau de Lamoricière, p. <a href="#Page_124">124</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Duez.</i> Déjeuner sur la terrasse, p. <a href="#Page_72">72</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Duret</i> (Th.), p. <a href="#Page_84">84</a> et <a href="#Page_87">87</a>.</p> - - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>E</b></p> - -<p class="pni"><i>Earl’s Barton</i> (Tour d’), p. <a href="#Page_24">24</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Egypte</i>, ses mosquées, p. <a href="#Page_218">218</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Elgin marbles</i>, p. <a href="#Page_234">234</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Ema Spencer</i> (Miss), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Epreuve</b> (Travail de l’), dans la Photographie moderne, p. <a href="#Page_180">180</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Erfurth Steichen</i> (H.), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Esthétique de la Photographie</b>, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p> - - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>F</b></p> - -<p class="pni"><i>Falguière.</i> Balzac, p. <a href="#Page_124">124</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Farnsworth</i> (Mme). Quand le printemps arrive souriant dans le vallon et sur la colline, p. <a href="#Page_208">208</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Feliu</i>, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Fer</b> (Le). Espérances qu’il a fait concevoir, p. <a href="#Page_17">17</a>.</p> -<p class="pnii">—Nature de la révolution qu’il permet, p. <a href="#Page_37">37</a>.</p> -<p class="pnii">—Immense au point de vue constructif, p. <a href="#Page_40">40</a>.</p> -<p class="pnii">—Nulle au point de vue esthétique, p. <a href="#Page_42">42</a>.</p> -<p class="pnii">—Les formes qu’il donne naturellement, identiques à celles de la voûte de pierre, p. <a href="#Page_40">40</a>.</p> -<p class="pnii">—Son aptitude à tout imiter, p. <a href="#Page_46">46</a>.</p> -<p class="pnii">—Son impuissance à rien suggérer, p. <a href="#Page_46">46</a>.</p> -<p class="pnii">—Il est une matière artificielle, p. <a href="#Page_47">47</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Flandrin</i> (Paul), p. <a href="#Page_55">55</a>.</p> -<p class="pnii">—Portrait de Jeune Fille, p. <a href="#Page_185">185</a>.</p> -<p class="pnii">—La Campagne de Rome, p. <a href="#Page_71">71</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Florence.</b> Associazione per la difesa di Firenze antica, p. <a href="#Page_218">218</a>.</p> -<p class="pnii">—Plan San Biagio, p. <a href="#Page_218">218</a>.</p> -<p class="pnii">—Ponte Vecchio, p. <a href="#Page_225">225</a>.</p> -<p class="pnii">—Palazzo dei Canacci, p. <a href="#Page_225">225</a>.</p> -<p class="pnii">—Palazzo di Parte Guelfa, pp. <a href="#Page_218">218</a>, <a href="#Page_225">225</a>.</p> -<p class="pnii">—Logetta del Vasari, p. <a href="#Page_225">225</a>.</p> -<p class="pnii">—Borgo San Jacopo, p. <a href="#Page_225">225</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Flou</b> (<b>Le</b>), en photographie, p. <a href="#Page_163">163</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Forain</i>, p. <a href="#Page_165">165</a>.</p> -<p class="pnii">—Doux Pays, p. <a href="#Page_166">166</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Fra Angelico.</i> Couronnement de la Vierge, p. <a href="#Page_231">231</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Fromentin</i>, pp. <a href="#Page_151">151</a>, <a href="#Page_199">199</a>.</p> - - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>G</b></p> - -<p class="pni"><b>Galerie des Machines</b> (Absence de courbes nouvelles dans la ——), p. <a href="#Page_17">17</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Garrido</i>, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Gavarni</i>, pp. <a href="#Page_165">165</a>, <a href="#Page_166">166</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Gear</i> (J.-H.). Étude. Matin argenté, p. <a href="#Page_179">179</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Geffroy</i> (Gustave). La Vie artistique, p. <a href="#Page_87">87</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Gérôme</i>, p. <a href="#Page_56">56</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Geste moderne</b> (Le) opposé aux attitudes de la statuaire antique, Bartholomé et le Monument aux Morts, p. <a href="#Page_142">142</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Girault</i>, p. <a href="#Page_12">12</a>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_268" id="Page_268">[268]</a></span></p><p class="pni"><b>Gomme bichromatée</b>, en photographie, permet à l’artiste d’exprimer sa vision particulière de l’objet, p. <a href="#Page_180">180</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Goya</i>, p. <a href="#Page_113">113</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Grand Palais.</i> Son style composite, p. <a href="#Page_11">11</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Gréco</i>, p. <a href="#Page_97">97</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Griveau</i> (Georges), p. <a href="#Page_86">86</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Guido Rey</i> (M.), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Guignard</i>, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Guillot.</i> Les Ouvriers, p. <a href="#Page_127">127</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Guyard</i>, p. <a href="#Page_253">253</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Guyau</i>, pp. XXIII, XXIV, XXV, XXVI et <a href="#Page_114">114</a>.</p> - - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>H</b></p> - -<p class="pni"><i>Hamerton</i>, p. <a href="#Page_99">99</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Hannon</i> (M.), p. <a href="#Page_186">186</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Harpignies</i>, p. <a href="#Page_191">191</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Hébert.</i> Vierge de La Tronche, p. <a href="#Page_231">231</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Henneberg</i> (M.), p. <a href="#Page_162">162</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Herschell</i>, p. <a href="#Page_151">151</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Holland Day</i> (M.), pp. <a href="#Page_153">153</a>, <a href="#Page_162">162</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Hollyer</i> (Frédéric), p. <a href="#Page_162">162</a>.</p> -<p class="pnii">—Portrait de Ruskin, p. <a href="#Page_206">206</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Homme à la Houe</i> (L’), p. <a href="#Page_89">89</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Horsley-Hinton</i> (M.), p. <a href="#Page_153">153</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Hubert Robert</i>, p. <a href="#Page_246">246</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Hugues.</i> Monument de Pasteur à la Nouvelle-Sorbonne, p. <a href="#Page_125">125</a>.</p> - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>I</b></p> - -<p class="pni"><i>Impressionnisme</i>, p. <a href="#Page_64">64</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Inde</i> (Les anciens monuments de l’), p. <a href="#Page_21">21</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Ingres.</i> Son sentiment sur la peinture, p. <a href="#Page_66">66</a>.</p> -<p class="pnii">—Portrait de M. Leblanc, p. <a href="#Page_114">114</a>.</p> -<p class="pnii">—La Source, p. <a href="#Page_169">169</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Instantané</i> (L’objectif) ne voit pas le mouvement, p. <a href="#Page_201">201</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Intervention</b> de l’artiste en photographie, p. <a href="#Page_167">167</a>.</p> -<p class="pnii">—Choix du sujet, p. <a href="#Page_168">168</a>.</p> -<p class="pnii">—Développement du cliché, p. <a href="#Page_177">177</a>.</p> -<p class="pnii">—Développement de l’épreuve, p. <a href="#Page_179">179</a>.</p> - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>J</b></p> - -<p class="pni"><i>Jacquin</i> (M.), p. <a href="#Page_153">153</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Janssen</i>, p. <a href="#Page_151">151</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Jardin du Cloître</i> aux Thermes de Dioclétien. Description, p. <a href="#Page_250">250</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Jordaens.</i> Christ en croix, p. <a href="#Page_254">254</a>.</p> - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>K</b></p> - -<p class="pni"><i>Kuhn</i> (M.), p. <a href="#Page_162">162</a>.</p> - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>L</b></p> - -<p class="pni"><i>Labrouste</i>, p. <a href="#Page_16">16</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Laguarde</i> (Mlle), p. <a href="#Page_153">153</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Lamour</i> (Jean), p. <a href="#Page_49">49</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Laocoon du Vatican</i>, p. <a href="#Page_198">198</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Larroumet.</i> L’Art et l’État en France, p. <a href="#Page_119">119</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Lawrence</i>, p. <a href="#Page_112">112</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Le Bègue</i> (M. René), p. <a href="#Page_185">185</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Le Brun</i>, pp. <a href="#Page_97">97</a>, <a href="#Page_229">229</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Lecomte.</i> L’Art impressionniste, p. <a href="#Page_87">87</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Le Nain</i>, p. <a href="#Page_60">60</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Le Sidaner</i>, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Le Sueur</i>, p. <a href="#Page_99">99</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Lhermitte</i>, p. <a href="#Page_166">166</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Logique</b> (La) dans la construction. N’est pas nécessaire à la beauté, pp. <a href="#Page_18">18</a>, <a href="#Page_19">19</a> et <a href="#Page_20">20</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Lumière</b> (La). Ses jeux, son influence sur les couleurs, p. <a href="#Page_72">72</a>.</p> -<p class="pnii">Elle transfigure et idéalise la vie moderne, p. <a href="#Page_73">73</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Lucerne.</i> Ses ponts, p. <a href="#Page_217">217</a>.</p> - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>M</b></p> - -<p class="pni"><i>Maile</i>, p. <a href="#Page_112">112</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Maindron.</i> Statue de Senefelder, p. <a href="#Page_128">128</a>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_269" id="Page_269">[269]</a></span></p><p class="pni"><b>Maisons hautes</b> des États-Unis (Les) n’ont rien d’original, p. <a href="#Page_24">24</a>.</p> -<p class="pnii">—Leur style composite, p. <a href="#Page_24">24</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Mallarmé</i>, p. <a href="#Page_61">61</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Marqueste.</i> Statue de Victor Hugo assis, pp. <a href="#Page_125">125</a>, <a href="#Page_134">134</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Martin</i> (H.), p. <a href="#Page_72">72</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Maskell</i> (M. Alfred). Jeune Hollandaise. pp. <a href="#Page_186">186</a>, <a href="#Page_204">204</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Massacre de Scio</i>, p. <a href="#Page_78">78</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Mathey.</i> Portrait d’un graveur, p. <a href="#Page_189">189</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Mélange optique des couleurs</b> (Le), p. <a href="#Page_79">79</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Ménard.</i> Les Terres antiques, p. <a href="#Page_85">85</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Métayer</i>, p. <a href="#Page_100">100</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Meunier</i> (Constantin). Les Mineurs, p. <a href="#Page_127">127</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Michel</i> (André), p. <a href="#Page_88">88</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Millet</i> (J.-F.), p. <a href="#Page_165">165</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Monet</i> (Claude), p. <a href="#Page_67">67</a>.</p> -<p class="pnii">—Argenteuil, p. <a href="#Page_80">80</a>.</p> -<p class="pnii">—Antibes, p. <a href="#Page_67">67</a>.</p> -<p class="pnii">—Champ de Tulipes à Sassenheim, p. <a href="#Page_67">67</a>.</p> -<p class="pnii">—Église de Varengeville, p. <a href="#Page_67">67</a>.</p> -<p class="pnii">—Gare Saint-Lazare, pp. <a href="#Page_63">63</a>, <a href="#Page_81">81</a>.</p> -<p class="pnii">—Pont de l’Europe, p. <a href="#Page_63">63</a>.</p> -<p class="pnii">—Église de Vetheuil, pp. <a href="#Page_81">81</a>, <a href="#Page_96">96</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Montenard</i>, p. <a href="#Page_191">191</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Moore</i> (Albert), p. <a href="#Page_185">185</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Morisset</i>, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Moullé</i> (Albert), p. <a href="#Page_86">86</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Mouvement</b> (le). Sa définition: un ensemble d’attitudes, p. <a href="#Page_201">201</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Murchison</i> (M.), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Musées</b> (Les). Musée des Antiques, au Vatican, p. <a href="#Page_211">211</a>.</p> -<p class="pnii">—Le British Museum, p. <a href="#Page_248">248</a>.</p> -<p class="pnii">—National Gallery.</p> -<p class="pnii">—Cernuschi, pp. <a href="#Page_215">215</a>, <a href="#Page_243">243</a>.</p> -<p class="pnii">—des Thermes de Dioclétien, p. <a href="#Page_248">248</a>.</p> - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>N</b></p> - -<p class="pni"><i>Naegely</i> (Henri), p. <a href="#Page_62">62</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Napoléon.</i> Sa représentation sur la colonne Vendôme, p. <a href="#Page_119">119</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Naudot</i> (M.), p. <a href="#Page_153">153</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Net</b> (Le) en photographie, p. <a href="#Page_157">157</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Nolhac</i> (M. de), p. <a href="#Page_230">230</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Nuremberg.</i> Ses fontaines, p. <a href="#Page_217">217</a>.</p> - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>O</b></p> - -<p class="pni"><i>Objectif</i> (L’) voit autrement que notre œil: instantané, il transforme le mouvement en immobilité, p. <a href="#Page_201">201</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Ombres</b> (Les) sont des couleurs. Théorie de Ruskin, précurseur des impressionnistes, p. <a href="#Page_70">70</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Origet</i> (M.), p. <a href="#Page_207">207</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Originalité</b> (La recherche de l’), le plus grand mal de l’art contemporain, pp. <a href="#Page_97">97</a> et <a href="#Page_98">98</a>.</p> -<p class="pnii">—Les vrais originaux n’ont pas recherché l’originalité, p. <a href="#Page_99">99</a>.</p> - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>P</b></p> - -<p class="pni"><i>Palais des papes</i>, à Avignon, pp. <a href="#Page_21">21</a> et <a href="#Page_257">257</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Palais</i> (Le grand), l’effet qu’il produit, vu des Champs-Élysées, p. <a href="#Page_11">11</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Palais</i> (Le petit), p. <a href="#Page_11">11</a>.</p> -<p class="pnii">—Sa beauté intérieure, p. <a href="#Page_12">12</a>.</p> -<p class="pnii">—Son succès, p. <a href="#Page_13">13</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Pamphili</i> (Une statue à la villa), p. <a href="#Page_247">247</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Panathénées</i> (Les), pp. <a href="#Page_232">232</a> et <a href="#Page_233">233</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Paris.</i> Statue de Danton, p. <a href="#Page_131">131</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Parques</i> (Les trois) du Parthénon, p. <a href="#Page_135">135</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Parthénon</i>, p. <a href="#Page_232">232</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Paysage moderne</b> (Le), moins beau comme lignes, mais plus beau comme couleurs que le paysage d’autrefois, p. <a href="#Page_67">67</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Percier et Fontaine</i>, p. <a href="#Page_113">113</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Perspective.</b> Son exagération par la photographie, imputable au photographe, p. <a href="#Page_158">158</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Phidias</i> (Cheval de), pp. <a href="#Page_57">57</a> et <a href="#Page_117">117</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Pissarro</i>, p. <a href="#Page_65">65</a>.</p> -<p class="pnii">—Paysanne assise, p. <a href="#Page_74">74</a>.</p> -<p class="pnii">—Vue de Rouen, p. <a href="#Page_80">80</a>.</p> -<p class="pnii">—La brouette, p. <a href="#Page_81">81</a>.</p> -<p class="pnii">—Les toits rouges, pp. <a href="#Page_81">81</a> et <a href="#Page_96">96</a>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_270" id="Page_270">[270]</a></span></p><p class="pni"><i>Planche</i> (Gustave). Études sur l’École française, p. <a href="#Page_112">112</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Plein-air</i> (Théorie de Delacroix sur les couleurs vues en), p. <a href="#Page_69">69</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Pointillisme.</i> Ses inconvénients, p. <a href="#Page_81">81</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Polyclète</i>, p. <a href="#Page_111">111</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Ponts</b> (Les anciens), p. <a href="#Page_27">27</a>.</p> -<p class="pnii">—Leur rôle dans les villes du moyen âge. Leur aspect, p. <a href="#Page_28">28</a>.</p> -<p class="pnii">—Ponts de fer, p. <a href="#Page_28">28</a>.</p> -<p class="pnii">—Leur beauté, p. <a href="#Page_30">30</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Portrait</i> (Le) dans l’École impressionniste, p. <a href="#Page_92">92</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Poussin</i>, p. <a href="#Page_99">99</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Préault.</i> Comparaison avec M. Rodin, p. <a href="#Page_122">122</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Puech</i>, p. <a href="#Page_108">108</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Puvis de Chavannes</i>, p. <a href="#Page_144">144</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Puyo</i> (M. Constant). Vengeance. La lampe file, p. <a href="#Page_171">171</a>.</p> -<p class="pnii">—L’île heureuse, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p> -<p class="pnii">—Pénélope, p. <a href="#Page_193">193</a>.</p> - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>R</b></p> - -<p class="pni"><i>Racine.</i> Sa statue à la Ferté-Milon, p. <a href="#Page_119">119</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Rambaud</i> (Alfred), p. <a href="#Page_259">259</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Redingote</b> (La). Pourquoi elle est inesthétique, p. <a href="#Page_129">129</a>.</p> -<p class="pnii">—Comparaison avec la toge, p. <a href="#Page_131">131</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Rembrandt.</i> Portrait du bourgmestre Six et de sa femme, p. <a href="#Page_231">231</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Renoir</i>, pp. <a href="#Page_61">61</a> et <a href="#Page_65">65</a>.</p> -<p class="pnii">—Danseuse, p. <a href="#Page_81">81</a>.</p> -<p class="pnii">—La loge, p. <a href="#Page_76">76</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Retouche</i> (La), en photographie, doit être proscrite, p. <a href="#Page_178">178</a>.</p> -<p class="pnii">—Pourquoi les artistes ne l’emploient pas.</p> - -<p class="pni"><i>Reynolds</i>, pp. <a href="#Page_93">93</a> et <a href="#Page_112">112</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Robinson</i> (H.-P.). Premier photographe artiste, p. <a href="#Page_161">161</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Rochegrosse</i>, p. <a href="#Page_55">55</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Rodin.</i> Le monument de Victor-Hugo, pp. <a href="#Page_120">120</a> et <a href="#Page_121">121</a>.</p> -<p class="pnii">—de Balzac, pp. <a href="#Page_121">121</a> et <a href="#Page_124">124</a>.</p> -<p class="pnii">—Les bourgeois de Calais, p. <a href="#Page_127">127</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Rœderstein</i> (Mlle), p. <a href="#Page_86">86</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Rome.</i> Ses palais, ses jardins, p. <a href="#Page_218">218</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Rosa Bonheur.</i> Son monument à Fontainebleau, type de la représentation d’un monument élevé à la gloire d’un contemporain, p. <a href="#Page_144">144</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Rossetti</i>, p. <a href="#Page_78">78</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Rousseau</i>, pp. <a href="#Page_95">95</a> et <a href="#Page_165">165</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Rubens</i>, p. <a href="#Page_112">112</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Rude.</i> Le Départ, p. <a href="#Page_110">110</a>.</p> -<p class="pnii">—Tombeau de Cavaignac, p. <a href="#Page_127">127</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Ruines</b> (Les) doivent être laissées dans la nature, leur beauté pittoresque, pp. <a href="#Page_242">242</a> et <a href="#Page_243">243</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Ruskin</i>, précurseur de l’impressionnisme, p. <a href="#Page_70">70</a>.</p> -<p class="pnii">—Son opinion sur les villes modernes, p. <a href="#Page_264">264</a>.</p> -<p class="pnii">—Elements of Drawing, p. <a href="#Page_70">70</a>.</p> -<p class="pnii">—Lectures on art, p. <a href="#Page_71">71</a>.</p> -<p class="pnii">—The Seven Lamps of architecture, p. <a href="#Page_124">124</a>.</p> - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>S</b></p> - -<p class="pni"><i>Sacré-Cœur de Montmartre</i> (Le), p. <a href="#Page_9">9</a>.</p> -<p class="pnii">—Critiques sur ——, pp. <a href="#Page_9">9</a> et <a href="#Page_10">10</a>.</p> -<p class="pnii">—Son aspect vu de Paris, pp. <a href="#Page_10">10</a>, <a href="#Page_11">11</a> et <a href="#Page_13">13</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Saint-Georges de Donatello</i>, p. <a href="#Page_132">132</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Saint-Marceaux.</i> Monuments de: Alphonse Daudet, Félix Faure, Alexandre Dumas fils, p. <a href="#Page_124">124</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Saint-Marc</i> à Venise, p. <a href="#Page_20">20</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Sarcophage de Sidon</i>, p. <a href="#Page_135">135</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Sarlius</i>, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Schopenhauer</i>, p. <a href="#Page_44">44</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Seurat</i>, p. <a href="#Page_82">82</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Signac</i> (Paul), pp. <a href="#Page_78">78</a>, <a href="#Page_80">80</a> et <a href="#Page_82">82</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Simon.</i> Procession, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Sisley</i>, p. <a href="#Page_63">63</a>.</p> -<p class="pnii">—Bords de la Seine, p. <a href="#Page_81">81</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Smedley Aston</i> (M.). Paix d’or sur la contrée, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Sollet</i> (M.), p. <a href="#Page_153">153</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Statues</b> (La manie contemporaine des), p. <a href="#Page_107">107</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Steen.</i> Le Médecin. Le Charlatan, p. <a href="#Page_114">114</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Stendhal</i>, p. <a href="#Page_151">151</a>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_271" id="Page_271">[271]</a></span></p><p class="pni"><i>Suite des Châteaux</i> (La), p. <a href="#Page_254">254</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Sujet</b> (Le choix du) en art et en photographie, p. <a href="#Page_167">167</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Sully-Prudhomme.</i> Son opinion sur l’Architecture de fer, p. <a href="#Page_31">31</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Sutcliffe</i> (M.). Brouillard, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p> - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>T</b></p> - -<p class="pni"><b>Tache</b> (Théorie de la) en architecture, p. <a href="#Page_11">11</a>.</p> -<p class="pnii">—Principale chose à considérer dans un monument au point de vue esthétique.</p> - -<p class="pni"><i>Taine</i>, p. <a href="#Page_77">77</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Tassaert</i>, p. <a href="#Page_253">253</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Thermes de Dioclétien</b> (Le musée des). Exemple d’un musée qui n’est pas une prison de l’art, p. <a href="#Page_248">248</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Thomy-Thiéry</i> (Collection) au Louvre, p. <a href="#Page_95">95</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Thorwaldsen</i>, p. <a href="#Page_111">111</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Titien</i> (Le), pp. <a href="#Page_67">67</a>, <a href="#Page_97">97</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Toge</b> (La). Différentes manières qu’avaient les anciens de la draper, en opposition avec la forme immuable de la redingote, p. <a href="#Page_130">130</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Torse</i> (Le), au Vatican, p. <a href="#Page_239">239</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Torti</i>, p. <a href="#Page_212">212</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Toulouse</i>, ses Couvents, p. <a href="#Page_218">218</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Trocadéro</i>, p. <a href="#Page_17">17</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Turner</i>, précurseur de l’impressionnisme.</p> -<p class="pnii">—Grand chemin de fer de l’Ouest, p. <a href="#Page_63">63</a>.</p> -<p class="pnii">—Les Funérailles en mer du peintre Wilkie, p. <a href="#Page_101">101</a>.</p> - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>V</b></p> - -<p class="pni"><i>Van der Weyden</i> (Roger). Portrait du Grand Bâtard de Bourgogne, p. <a href="#Page_114">114</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Van Dyck</i>, p. <a href="#Page_112">112</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Van Honthorst</i>, p. <a href="#Page_171">171</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Védrines</i> (M. de). Marée Basse, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Venise</i>, ses ponts, p. <a href="#Page_218">218</a>.</p> - -<p class="pni"><b>Vêtement contemporain</b> (Le) n’est pas sculptural, p. <a href="#Page_129">129</a>.</p> -<p class="pnii">C’est un anthropoïde, p. <a href="#Page_130">130</a>.</p> -<p class="pnii">—Il exprime la passion de l’égalité physique, p. <a href="#Page_137">137</a>.</p> -<p class="pnii">—Il est une mauvaise œuvre d’art, p. <a href="#Page_137">137</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Vettii</i> (Fresque de la maison des), p. <a href="#Page_174">174</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Victoire</i> (La) de Samothrace, pp. <a href="#Page_135">135</a>, <a href="#Page_176">176</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Villa Mattéi</i>, son portail. Navicella, p. <a href="#Page_241">241</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Viollet-le-Duc</i>, p. <a href="#Page_16">16</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Vogüé</i> (Melchior de). Son opinion sur l’architecture du fer, p. <a href="#Page_17">17</a>.</p> - -<p class="pi6 p2 mid font1"><b>W</b></p> - -<p class="pni"><i>Walker</i> (Frédéric), p. <a href="#Page_168">168</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Watteau.</i> L’Embarquement pour Cythère. pp. <a href="#Page_77">77</a>, <a href="#Page_101">101</a>.</p> -<p class="pnii">—Son respect pour la tradition, p. <a href="#Page_100">100</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Watts</i>, précurseur de l’impressionnisme, p. <a href="#Page_78">78</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Watzek</i> (M.), p. <a href="#Page_186">186</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Weil</i> (Miss Mathilde), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Wilms</i> (M.). Sombre Clarté, p. <a href="#Page_185">185</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Winckelmann</i> (L’école de), p. <a href="#Page_208">208</a>.</p> - -<p class="pni"><i>Wynford Dewhurst</i>, p. <a href="#Page_87">87</a>.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_272" id="Page_272">[272]</a></span></p> -<p> </p> -<p><span class="pagenum"><a name="Page_273" id="Page_273">[273]</a></span></p> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">TABLE DES MATIÈRES</h2> - -<hr class="d1" /> - -<table id="toc" summary="cont"> - - <tr> - <td colspan="3" class="tdl"><span class="smcap">Introduction</span></td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_v">v</a></td> - </tr> - - <tr> - <td colspan="3" class="tch1">PREMIÈRE PARTIE</td> - </tr> - - <tr> - <td colspan="3" class="tch2">L’ESTHÉTIQUE DU FER</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_1">1</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3"><span class="smcap">Chap.</span></td> - <td class="tdr1">I.</td> - <td class="ti1">—Comment juger d’une architecture nouvelle</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_7">7</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3">—</td> - <td class="tdr1">II.</td> - <td class="ti1">—Le triomphe du fer: le Pont et son échec: la Maison</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_23">23</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3">—</td> - <td class="tdr1">III.</td> - <td class="ti1">—Pourquoi le fer permet tout et n’ordonne rien</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_35">35</a></td> - </tr> - - <tr> - <td colspan="3" class="tch1">DEUXIÈME PARTIE</td> - </tr> - - <tr> - <td colspan="3" class="tch2">LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_51">51</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3"><span class="smcap">Chap.</span></td> - <td class="tdr1">I.</td> - <td class="ti1">—Ses causes</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_55">55</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3"><span class="smcap">—</span></td> - <td class="tdr1">II.</td> - <td class="ti1">—Ses vérités</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_66">66</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3"><span class="smcap">—</span></td> - <td class="tdr1">III.</td> - <td class="ti1">—Ses lacunes</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_83">83</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3"><span class="smcap">—</span></td> - <td class="tdr1">IV.</td> - <td class="ti1">—Son erreur</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_97">97</a></td> - </tr> - - <tr> - <td colspan="3" class="tch1">TROISIÈME PARTIE</td> - </tr> - - <tr> - <td colspan="3" class="tch2">LE VÊTEMENT MODERNE DANS LA STATUAIRE</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_105">105</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3"><span class="smcap">Chap.</span></td> - <td class="tdr1">I.</td> - <td class="ti1">—Pourquoi les sculpteurs ont tenté de représenter le vêtement moderne</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_110">110</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3">—</td> - <td class="tdr1">II.</td> - <td class="ti1">—Les résultats de la tentative</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_120">120</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3">—<span class="pagenum"><a name="Page_274" id="Page_274">[274]</a></span></td> - <td class="tdr1">III.</td> - <td class="ti1">—Pourquoi le vêtement moderne n’est pas sculptural</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_129">129</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3">—</td> - <td class="tdr1">IV.</td> - <td class="ti1">—Comment représenter un grand homme contemporain</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_141">141</a></td> - </tr> - - <tr> - <td colspan="3" class="tch1">QUATRIÈME PARTIE</td> - </tr> - - <tr> - <td colspan="3" class="tch2">LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE UN ART?</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_147">147</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3"><span class="smcap">Chap.</span></td> - <td class="tdr1">I.</td> - <td class="ti1">—Les défauts de la photographie</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_155">155</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3">—</td> - <td class="tdr1">II.</td> - <td class="ti1">—La triple intervention de l’artiste</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_164">164</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3">—</td> - <td class="tdr1">III.</td> - <td class="ti1">—Nouvelles œuvres et idées nouvelles</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_183">183</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3">—</td> - <td class="tdr1">IV.</td> - <td class="ti1">—Une prétention excessive de la photographie</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_197">197</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3">—</td> - <td class="tdr1">V.</td> - <td class="ti1">—Une réaction idéaliste</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_204">204</a></td> - </tr> - - <tr> - <td colspan="3" class="tch1">CINQUIÈME PARTIE</td> - </tr> - - <tr> - <td colspan="3" class="tch2">LES PRISONS DE L’ART</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_213">213</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3"><span class="smcap">Chap.</span></td> - <td class="tdr1">I.</td> - <td class="ti1">—L’art proscrit de la vie et interné dans les musées</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_221">221</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3">—</td> - <td class="tdr1">II.</td> - <td class="ti1">—Ce que devient l’art en prison</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_229">229</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3">—</td> - <td class="tdr1">III.</td> - <td class="ti1">—Ce que la nature fait pour l’œuvre d’art</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_244">244</a></td> - </tr> - - <tr> - <td class="tch3">—</td> - <td class="tdr1">IV.</td> - <td class="ti1">—Le paradoxe de la «conservation» des œuvres d’art</td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_253">253</a></td> - </tr> - - <tr> - <td colspan="3" class="tdl"><span class="smcap">Index</span></td> - <td class="tdr2"><a href="#Page_265">265</a></td> - </tr> - -</table> - -<hr class="d2" /> - -<p class="pc reduct">1330-02.—Coulommiers. Imp. <span class="smcap">Paul</span> BRODARD.—1-04.</p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_275" id="Page_275">[275]</a></span></p> - -<p class="pc4">Libraire Hachette et C<sup>ie</sup>, boulevard Saint-Germain, 79, à Paris.</p> -<hr class="d4" /> -<p class="pc">BIBLIOTHÈQUE VARIÉE, IN-16, 3 FR. 50 LE VOLUME, BROCHÉ</p> - -<p class="pc1"><b>Études sur les littératures française et étrangères</b></p> - - -<p class="pn2"> -<b>ALBERT</b> (Paul): <i>La poésie</i>; 11^e édit. 1 vol.<br /> -— <i>La prose</i>; 8^e édition. 1 vol.<br /> -— <i>La littérature française, des origines à la fin du XVI^e siècle</i>; 8^e édition. 1 vol.<br /> -— <i>La littérature française au XVII^e siècle</i>; 10^e édition, 1 vol.<br /> -— <i>La littérature française au XVIII^e siècle</i>; 9^e édition. 1 vol.<br /> -— <i>La littérature française au XIX^e siècle</i>; les origines du romantisme; 7^e édit. 2 vol.<br /> -— <i>Variétés morales et littéraires</i>. 1 vol.<br /> -— <i>Poètes et poésies</i>; 3^e édition. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>ALBERT</b> (Maurice): <i>Les théâtres de la foire</i> (1610-1789). 1 vol.<br /> -Ouvrage couronné par l’Académie française.</p> - -<p class="pn1"><b>BERTRAND</b> (L.): <i>La fin du classicisme et le retour à l’antique</i>. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>BOSSERT</b> (A.): <i>La littérature allemande au moyen âge et les origines de l’épopée germanique</i>; 3<sup>e</sup> édition. 1 vol.<br /> -— <i>Gœthe et Schiller</i>; 5^e édition. 1 vol.<br /> -— <i>Gœthe, ses précurseurs et ses contemporains</i>; 4^e édition. 1 vol.<br /> -— <i>La légende chevaleresque de Tristan et Iseult</i>. 1 vol.<br /> -— <i>Schopenhauer</i>. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>BRUNETIÈRE</b>, de l’Académie française: <i>Etudes critiques sur l’histoire de la littérature française</i>. 7 vol.<br /> -Ouvrage couronné par l’Académie française.<br /> -— <i>L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature</i>; 3^e édit. 1 vol.<br /> -— <i>L’évolution de la poésie lyrique en France au XIX^e siècle</i>; 2^e édit. 2 vol.<br /> -— <i>Les époques du théâtre français</i>. 1 vol.<br /> -— <i>Victor Hugo</i>. 2 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>DESPOIS</b> (E.): <i>Le théâtre français sous Louis XIV</i>; 4^e édition. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>FILON</b> (Aug.): <i>Mérimée et ses amis</i>. 1 vol.<br /> -— <i>La caricature en Angleterre</i>. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>GIRAUD</b> (Victor): <i>Essai sur Taine</i>. 1 vol.<br /> -Ouvrage couronné par l’Académie française.</p> - -<p class="pn1"><b>GLACHANT</b> (P. et V.): <i>Papiers d’autrefois</i>. 1 vol.<br /> -Ouvrage couronné par l’Académie française.<br /> -— <i>Essai critique sur le théâtre de Victor Hugo</i>. 2 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>GREARD</b> (Oct.), de l’Académie française: <i>Edmond Scherer</i>; 2^e édit. 1 vol<br /> -— <i>Prévost-Paradol</i>; 2^e édit. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>JUSSERAND</b> (J.-J.): <i>Les Anglais au moyen âge</i>. 2 vol.:<br /> -La vie nomade et les routes d’Angleterre au XIV^e siècle. 1 vol.<br /> -Ouvrage couronné par l’Académie française.<br /> -L’épopée mystique de William Langland.</p> - -<p class="pn1"><b>LAFOSCADE</b> (L.): <i>Le théâtre d’Alfred de Musset</i>. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>LANGLOIS</b> (Ch.-V.): <i>La société française au XIII^e siècle</i>. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>LARROUMET</b> (G.), de l’institut: <i>Marivaux, sa vie et ses œuvres</i>; 3^e édition. 1 vol.<br /> -Ouvrage couronné par l’Académie française.<br /> -— <i>La comédie de Molière</i>; 6^e édit. 1 vol.<br /> -— <i>Etudes d’histoire et de critique dramatiques</i>; 2^e édition. 2 vol.<br /> -— <i>Etudes de littérature et d’art</i>. 4 vol.<br /> -— <i>L’art et l’État en France</i>. 1 vol.<br /> -— <i>Petits portraits et notes d’art</i>. 2 vol.<br /> -— <i>Derniers portraits</i>. 1 vol.<br /> -— <i>Vers Athènes et Jérusalem</i>, 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>LENIENT</b>: <i>La satire en France au moyen âge</i>; 4^e édition. 1 vol.<br /> -Ouvrage couronné par l’Académie française.<br /> -— <i>La satire en France au XVI^e siècle</i>; 3^e édition. 2 vol.<br /> -— <i>La comédie en France au XVIII^e et au XIX^e siècles</i>. 4 vol.<br /> -— <i>La poésie patriotique en France au moyen âge et dans les temps modernes</i>. 2 v.</p> - -<p class="pn1"><b>LICHTENBERGER</b>: <i>Etude sur les poésies lyriques de Gœthe</i>; 2^e édition. 1 vol.<br /> -Ouvrage couronné par l’Académie française.</p> - -<p class="pn1"><b>MÉZIÈRES</b> (A.), de l’Académie française: <i>Pétrarque</i>, 1 vol.<br /> -— <i>Shakespeare, ses œuvres et ses critiques</i>; 6^e édit. 1 vol.<br /> -— <i>Prédécesseurs et contemporains de Shakespeare</i>; 4^e édition. 1 vol.<br /> -— <i>Contemporains et successeurs de Shakespeare</i>. 4^e édition. 1 vol.<br /> -Ouvrages couronnés par l’Académie française.<br /> -— <i>Hors de France</i>: Italie, Espagne, Angleterre, Grèce moderne; 2^e éd. 1 vol.<br /> -— <i>Vie de Mirabeau</i>. 1 vol.<br /> -— <i>Gœthe</i>. les œuvres expliquées par la vie. 2 vol.<br /> -— <i>Morts et Vivants</i>. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>MICHE</b>L (Henri): <i>Le quarantième fauteuil</i>. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>PARIS</b> (G.), de l’Académie française: <i>La poésie du moyen âge</i>. 2 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>PELLISSIER</b>: <i>Le mouvement littéraire au XIX^e siècle</i>; 6^e édit. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>POMAIROLS</b> (de): <i>Lamartine</i>. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>PRÉVOST-PARADOL</b>: <i>Études sur les moralistes français</i>, 9^e édition. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>RICARDOU</b> (A.): <i>La critique littéraire</i>. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>RIGAL</b> (E.): <i>Le théâtre français avant la période classique</i>. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>RITTER</b> (E.): <i>La famille et la jeunesse de J.-J. Rousseau</i>. 1 vol.<br /> -Ouvrage couronné par l’Académie française.</p> - -<p class="pn1"><b>SPENCER</b> (H.): <i>Faits et commentaires</i>, trad. de l’anglais. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>STAEL</b> (M^{me} de): <i>Lettres inédites à Henri Meister</i>. 1 vol.</p> - -<p class="pn1"><b>STAPFER</b> (P.): <i>Molière et Shakespeare</i>. Ouvrage couronné par l’Académie française.<br /> -— <i>Des réputations littéraires</i>. 1 vol.<br /> -— <i>La famille et les amis de Montaigne</i>.</p> - -<p class="pn1"><b>TAINE</b> (H.): <i>Histoire de la littérature anglaise</i>; 11^e éd. 5 vol.<br /> -— <i>La Fontaine et ses fables</i>; 16^e édit. 1 vol.<br /> -— <i>Essais de critique et d’histoire</i>; 9^e édit.<br /> -— <i>Nouveaux Essais de critique et d’histoire</i>; 7^e édit. 1 vol.<br /> -— <i>Derniers essais de critique et d’histoire</i>.</p> - -<p class="pn1"><b>TEXTE</b> (J.): <i>J.-J. Rousseau et les origines du cosmopolitisme littéraire</i>. 1 vol.<br /> -Ouvrage couronné par l’Académie française.</p> - -<p>1330-02.—Coulommiers. Imp. <span class="smcap">Paul Brodard</span>.—1-04.</p> - -<hr class="chap" /> - -</div> - -<div class="chapter"> - -<h2 class="p4">FOOTNOTES:</h2> - -<div class="footnotes"> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_1_1" id="Footnote_1_1"></a><a href="#FNanchor_1_1"><span class="label">[1]</span></a></span> -M. Guyau. <i>Les Problèmes de l’Esthétique contemporaine.</i> -Ch. <span class="smcap">III</span>. L’art et l’Industrie moderne, pp. 120, 121, 122.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_2_2" id="Footnote_2_2"></a><a href="#FNanchor_2_2"><span class="label">[2]</span></a></span> -<i>De l’Expression dans les Beaux-Arts.</i></p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_3_3" id="Footnote_3_3"></a><a href="#FNanchor_3_3"><span class="label">[3]</span></a></span> -<i>Le monde comme volonté et représentation</i>, livre III.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_4_4" id="Footnote_4_4"></a><a href="#FNanchor_4_4"><span class="label">[4]</span></a></span> -Henry Naegely, <i>J. F. Millet and rustic life</i>, Londres, 1898.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_5_5" id="Footnote_5_5"></a><a href="#FNanchor_5_5"><span class="label">[5]</span></a></span> -<i>Journal d’Eugène Delacroix</i>, t. III.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_6_6" id="Footnote_6_6"></a><a href="#FNanchor_6_6"><span class="label">[6]</span></a></span> -Ruskin, <i>Éléments of Drawing</i>, écrits en 1856.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_7_7" id="Footnote_7_7"></a><a href="#FNanchor_7_7"><span class="label">[7]</span></a></span> -Ruskin, <i>Lectures on Art</i>, 1870.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_8_8" id="Footnote_8_8"></a><a href="#FNanchor_8_8"><span class="label">[8]</span></a></span> -Paul Signac, <i>D’Eugène Delacroix au Néo-Impressionnisme</i>, -1899.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_9_9" id="Footnote_9_9"></a><a href="#FNanchor_9_9"><span class="label">[9]</span></a></span> -Th. Duret, <i>Critique d’avant-garde. Les Impressionistes</i>, -1885.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_10_10" id="Footnote_10_10"></a><a href="#FNanchor_10_10"><span class="label">[10]</span></a></span> -Cf. Lecomte, <i>l’Art impressionniste</i>.—Th. Duret, <i>Critique -d’avant-garde</i>.—Castagnary, <i>Salons</i>, année 1876.—Gustave -Geffroy, <i>La Vie artistique</i>, troisième série, Histoire de l’Impressionnisme, -1894.—Wynford Dewhurst, La Peinture -impressionniste, <i>Studio</i>, 1903.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_11_11" id="Footnote_11_11"></a><a href="#FNanchor_11_11"><span class="label">[11]</span></a></span> -Gustave Geoffroy, <i>La vie artistique</i>, série III, § 2. Définition -de l’Impressionnisme.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_12_12" id="Footnote_12_12"></a><a href="#FNanchor_12_12"><span class="label">[12]</span></a></span> -André Michel, <i>Notes sur l’Art moderne</i>.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_13_13" id="Footnote_13_13"></a><a href="#FNanchor_13_13"><span class="label">[13]</span></a></span> -Gustave Planche, <i>Études sur l’École française</i>, t. I, Salon -de 1831, et Salon de 1846.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_14_14" id="Footnote_14_14"></a><a href="#FNanchor_14_14"><span class="label">[14]</span></a></span> -<i>Journal d’Eugène Delacroix</i>, t. I, 1843.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_15_15" id="Footnote_15_15"></a><a href="#FNanchor_15_15"><span class="label">[15]</span></a></span> -M. Guyau, <i>Problèmes de l’Esthétique contemporaine</i>.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_16_16" id="Footnote_16_16"></a><a href="#FNanchor_16_16"><span class="label">[16]</span></a></span> -Gustave Larroumet, <i>L’Art et l’État en France</i>, 1895.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_17_17" id="Footnote_17_17"></a><a href="#FNanchor_17_17"><span class="label">[17]</span></a></span> -<i>Journal d’Eugène Delacroix</i>, t. III, année 1859.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_18_18" id="Footnote_18_18"></a><a href="#FNanchor_18_18"><span class="label">[18]</span></a></span> -Ruskin, <i>The Seven Lamps of Architecture</i>, chap. v, § 21.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_19_19" id="Footnote_19_19"></a><a href="#FNanchor_19_19"><span class="label">[19]</span></a></span> -Depuis que ces lignes ont paru pour la première fois dans -la <i>Revue des Deux Mondes</i>, le vœu qu’elles exprimaient a été -réalisé.</p> -<p class="pfc4"> -Le monument de <i>Rosa Bonheur</i>, érigé à Fontainebleau en -1901, représente non Rosa Bonheur elle-même, mais le sujet -habituel de ses tableaux, un taureau, et le médaillon du peintre -est un bas-relief appliqué sur un des côtés du piédestal.—La -même pensée a inspiré M. Peynot, l’auteur du monument de -<i>Français</i> à Plombières, et M. Marqueste, l’auteur du monument -de <i>Ferdinand Fabre</i> au Luxembourg. La personne de l’écrivain -ou de l’artiste n’est représentée que par son buste,—son œuvre -par des personnages, qui forment réellement le monument.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_20_20" id="Footnote_20_20"></a><a href="#FNanchor_20_20"><span class="label">[20]</span></a></span> -Mme Cameron, <i>Annals of my glass-house</i>.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_21_21" id="Footnote_21_21"></a><a href="#FNanchor_21_21"><span class="label">[21]</span></a></span> -Puyo, <i>Notes sur la Photographie artistique</i>, 1896.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_22_22" id="Footnote_22_22"></a><a href="#FNanchor_22_22"><span class="label">[22]</span></a></span> -<i>Annals of my glass-house.</i></p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_23_23" id="Footnote_23_23"></a><a href="#FNanchor_23_23"><span class="label">[23]</span></a></span> -Voir les plans du <i>Bolletino dell’Associazione per -la difesa di Firenze antica</i>, second fascicule, Florence, -mars 1900.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_24_24" id="Footnote_24_24"></a><a href="#FNanchor_24_24"><span class="label">[24]</span></a></span> -Depuis que ces lignes ont paru pour la première fois, dans -la <i>Revue des Deux-Mondes</i>, une ligue semblable s’est fondée -en France pour la protection des paysages et une campagne -très ardente a été menée par M. André Hallays, qu’il est juste -de ne pas oublier, pour l’honneur du goût français.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_25_25" id="Footnote_25_25"></a><a href="#FNanchor_25_25"><span class="label">[25]</span></a></span> -Pierre de Nolhac, <i>Paysages de France et d’Italie</i>.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_26_26" id="Footnote_26_26"></a><a href="#FNanchor_26_26"><span class="label">[26]</span></a></span> -Alfred Rambaud, ministre de l’Instruction publique et des -Beaux-Arts, Discours à l’assemblée annuelle des membres de la -<i>Société des Artistes français</i>.</p> - -<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_27_27" id="Footnote_27_27"></a><a href="#FNanchor_27_27"><span class="label">[27]</span></a></span> -John Ruskin, <i>The Seven Lamps of Architecture</i>.</p></div> -</div> - -</div> - - - - - - - -<pre> - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Les questions esthétique - contemporaines, by Robert de La Sizeranne - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES QUESTIONS ESTHÉTIQUES *** - -***** This file should be named 51837-h.htm or 51837-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/1/8/3/51837/ - -Produced by Giovanni Fini, Clarity and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/American Libraries.) - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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