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-The Project Gutenberg EBook of Les questions esthétiques contemporaines, by
-Robert de La Sizeranne
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: Les questions esthétiques contemporaines
-
-Author: Robert de La Sizeranne
-
-Release Date: April 23, 2016 [EBook #51837]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES QUESTIONS ESTHÉTIQUES ***
-
-
-
-
-Produced by Giovanni Fini, Clarity and the Online
-Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
-file was produced from images generously made available
-by The Internet Archive/American Libraries.)
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-
- NOTES SUR LA TRANSCRIPTION:
-
-—Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
-
-—On a conservé l’orthographie de l’original, incluant ses variantes.
-
-—Les mots écrites en gras ont étées representées ainsi: =mot gras=.
-
-—Les lettres écrites au-dessus ont étées representées ainsi: a^b et
- a^{bc}.
-
-
-
-
- LES
-
- QUESTIONS ESTHÉTIQUES
-
- CONTEMPORAINES
-
-
-
-
- OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
-
- PUBLIÉS PAR LA LIBRAIRIE HACHETTE ET C^{ie}
-
-
- =La Peinture anglaise contemporaine.= 3^e édition.
-
- =Ruskin et la Religion de la Beauté.= 5^e édition.
-
- =Le Miroir de la Vie.= _Essais sur l’évolution esthétique._ 34 grav.
- 1^{re} série: I. L’esthétique des batailles.—II. La caricature.—III.
- La modernité de l’Évangile.—IV. Les portraits d’enfants.
-
-
- 1330-03.—Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.—1-04.
-
-
-
-
- LES
-
- QUESTIONS ESTHÉTIQUES
-
- CONTEMPORAINES
-
- PAR
-
- ROBERT DE LA SIZERANNE
-
- I.—L’ESTHÉTIQUE DU FER.
- II.—LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME.
- III.—LE VÊTEMENT MODERNE DANS LA STATUAIRE.
- IV.—LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE UN ART?
- V.—LES PRISONS DE L’ART.
-
-
- PARIS
- LIBRAIRIE HACHETTE ET C^{ie}
- 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
-
- 1904
-
- Droits de traduction et de reproduction réservés.
-
-
-
-
-INTRODUCTION
-
-
-Ce ne sont pas toutes les questions esthétiques contemporaines qui
-sont traitées ici, mais quelques-unes peut-être des principales et
-assurément des plus nouvelles. Qu’espérer de l’emploi du fer en
-architecture? Comment rendre, en sculpture, le vêtement moderne?
-Quelle place faire à la photographie dans les Arts? En voilà trois,
-par exemple, qu’aucune époque avant la nôtre n’avait eu à résoudre.
-Et si d’autres, comme la relégation de l’Art dans les musées ou les
-recherches de couleur connues sous le nom d’Impressionnisme, ont pu,
-en d’autres temps, inquiéter les artistes, il suffit cependant qu’en
-aucun temps on n’ait vu se fonder tant de musées, ni qu’aucune école
-coloriste n’ait soulevé tant de scandale, pour que les problèmes
-discutés hier soient devenus plus pressants aujourd’hui. Ce sont ces
-questions posées ou imposées à notre attention par la vie moderne
-qu’on trouvera étudiées dans les pages qui vont suivre; non avec la
-prétention de les résoudre, mais avec l’espoir de les éclaircir.
-
-Selon quelle méthode ou dans quel sentiment?
-
-Le plus simplement possible.
-
-Ouvrir les yeux sur le monde et la vie et s’abandonner à l’impression
-de joie ou de répulsion que produit en soi chaque chose: naturelle
-ou artificielle, spontanée ou voulue. S’exalter aux qualités
-«sensorielles» des formes dans l’air et sur la terre, vivantes ou
-inanimées: lignes, couleurs, valeurs, souplesse, éclat, équilibre,
-harmonie; parcourir avec sa sensibilité les innombrables nuances
-colorées ou tactiles dont l’esprit ne peut se faire une idée et que les
-arts intellectuels: la parole, la description littéraire, l’analyse
-philosophique, la poésie ne peuvent rendre ou ne rendent que bien
-grossièrement au regard des arts plastiques; et ainsi, juger de l’Art
-plastique pour la qualité d’émotion que, seul, il apporte et que rien
-autre, ni poésie, ni philosophie, ni histoire ne peuvent nous apporter;
-l’aimer pour lui et non pour elles, pour l’enthousiasme tout sensible
-qu’il nous fait éprouver, pour la sensation d’une vie plus ardente
-et plus complète qu’il éveille, et non pour les souvenirs ou les
-associations d’idées qu’il nous procure,—telle est la méthode employée
-ici. Tel est le «sentiment esthétique». Elle diffère à ce point des
-habitudes prises ou des principes adoptés par les philosophes modernes,
-qu’il faut bien, pour son intelligence, ou au moins pour son excuse,
-dire ce qu’elle n’est pas, ce qu’elle est,—et ce qui l’a fait adopter.
-
-
-I
-
-Pendant longtemps, la critique d’Art s’est crue en possession de «lois»
-esthétiques formelles et inéluctables avec lesquelles il suffisait de
-confronter les œuvres nouvelles pour en juger. On ne devait représenter
-que certains sujets, non tels autres, certaines régions, généralement
-situées dans le Midi, non tous les pays. Le tableau d’histoire était
-la seule matière à chefs-d’œuvre. La vie contemporaine pouvait à peine
-être mise en un petit tableautin. L’activité ouvrière ou rurale, le
-travail quotidien n’avaient point de beauté. Si on les voulait figurer,
-il fallait le faire par des allégories, c’est-à-dire par des femmes
-vêtues de chitons et de diploïs. Ces femmes elles-mêmes devaient
-ressembler à un type grec ou y être le plus possible ramenées. Le nez
-et le front devaient être sur la même ligne et tous les traits mis en
-ordre selon des «canons» que détenait Winckelmann. On savait ce que
-c’était que la Beauté.
-
-A côté de ces lois générales, une foule de lois techniques. Le premier
-plan de tout paysage devait être noir, afin de repousser la lumière au
-second. Un portrait devait s’enlever en clair sur un fond sombre, d’un
-côté; en sombre sur un fond clair, de l’autre. Une composition devait
-être en forme de pyramide, et chaque figure se développer entièrement
-dans son plan, sans être obstruée par une figure de premier plan. Les
-nuages rentraient dans deux ou trois types de cumuli hors desquels
-il était interdit de s’aventurer. Il y avait des arbres nobles. Les
-lumières devaient être «chaudes», c’est-à-dire dorées et les ombres
-brunes, en imitation la plus proche possible des vieux tableaux de
-l’école italienne et de la Renaissance, non pas tels qu’ils avaient
-été peints, mais tels que la patine et les années les ont faits. Il
-ne fallait pas voir du vert dans une prairie; mais du brun. Ces lois
-et bien d’autres étaient dérivées de principes de Beauté déduits
-eux-mêmes, après beaucoup d’abstractions, de l’étude des Anciens. A la
-vérité, on ne les avait pas très attentivement observés, car beaucoup
-eussent démenti cet enseignement. Mais moins on le vérifiait, plus on
-avait pour lui de respect.
-
-Quand parurent les peintres et les sculpteurs de l’époque romantique,
-puis les naturalistes de Barbizon, puis les «réalistes», la critique,
-armée de ces principes, déclara que les nouvelles œuvres ne pouvaient
-être «belles», car elles violaient manifestement ces «lois». Elle
-condamna les romantiques pour leurs excès de couleur et de mouvement,
-les réalistes pour leurs sujets et leurs «laideurs», les indépendants
-de toutes sortes pour leur dédain des sujets admis, des costumes
-adoptés, des «sites» composés, des gestes nobles ou des tons «locaux»
-depuis longtemps observés. Cette critique, jugeant tout par analogie
-avec les anciens maîtres, repoussa tout ce qui en était différent.
-Elle repoussa Delacroix, Rude, David d’Angers, Barye, Corot, Rousseau,
-Millet, plus tard Courbet, Puvis de Chavannes, Bastien-Lepage, au nom
-de lois qu’elle croyait infaillibles. Au même moment, en musique et
-pour des raisons parfois semblables, elle condamnait Wagner. Elle se
-trompa lourdement. Ces hommes étaient des maîtres. Avec le temps, ils
-triomphèrent et la critique d’Art basée sur l’admiration des maîtres
-anciens, des formes reconnues «belles» et des lois déduites d’un «Beau
-idéal», se tut misérablement.
-
-Aujourd’hui, une réaction totale s’est produite. L’idée qui domine
-la critique contemporaine, avertie des erreurs de sa devancière et
-fermement résolue à n’y pas retomber, est qu’il n’y a pas de beau,
-pas de laid, dans la nature ni dans l’homme, ni dans les objets créés
-par l’homme, qu’il n’y a que des formes plus ou moins expressives de
-la vie, caractéristiques d’une civilisation, et qu’ainsi tout dépend
-de la pensée ou du sentiment que l’artiste veut exprimer. Celui-ci
-n’a pas à suivre telle ou telle «loi». Il n’y a pas de «loi». Pourvu
-qu’il exprime sincèrement une émotion, une pensée, une vérité, cela
-suffit. Et il y arrive, surtout, s’il les exprime selon sa race, son
-époque, son milieu. Tout est beau qui est expressif. Tout s’impose qui
-est personnel, quelles que soient l’absence ou la pauvreté des formes
-employées. Rien n’est beau de ce qui ne l’est pas, quelle que soit
-la perfection des formes. Il n’y a donc pas de «canon» de la Beauté.
-D’ailleurs les races, les époques en ont connu de fort dissemblables.
-La nature même ne peut être qu’un substratum ou qu’un prétexte à l’Art:
-elle ne vaut que si elle est vue «à travers un tempérament». Ce que
-l’artiste nous doit montrer, ce n’est pas elle, mais sa pensée sur elle.
-
-Le critique n’a donc pas à s’occuper de la Nature, ni de la tradition,
-ni de la technique. Il n’a qu’une chose à faire: remettre l’artiste
-dans son époque, sa race, son milieu; observer s’il les exprime d’une
-façon personnelle; décrire les liens qui l’y rattachent; non pas
-confronter son œuvre avec la nature, ni avec les anciens, ni avec des
-règles quelconques, mais la comparer à l’auteur même, à la vie où il se
-meut, au peuple d’où il est sorti. Si elle l’exprime, l’acclamer et en
-faire un objet de joie; s’il ne l’exprime pas, la mépriser. Tel est le
-point de vue contemporain.
-
-On n’en avait jamais connu jusqu’ici, je ne dis pas seulement de
-plus faux, mais de moins «esthétique» dans le vrai sens du mot,
-c’est-à-dire de moins orienté vers les qualités «sensorielles» d’un
-objet de nature ou d’Art,—de ces qualités qui frappent les sens et
-qui ne frappent que les sens: formes, couleurs, ombres, lumières,
-densité,—ni de moins «spécifique», c’est-à-dire de moins orienté vers
-une certaine exactitude d’imitation et une certaine perfection de
-matière. Dorénavant, ce sont les qualités qui frappent l’esprit et qui
-n’ont pas besoin, pour le frapper, de l’intermédiaire du sens de la
-vue, ni du secours des arts plastiques qu’on prise par-dessus tout.
-C’est l’expression, c’est la suggestion qui sont requises. Et, encore,
-expression de quoi? suggestion de quoi? De formes?—ce que peut suggérer
-un trait à l’eau-forte de Rembrandt? De profondeurs et de reliefs?—ce
-que peut suggérer une touche de Corot?—Non, mais de sentiments ou
-d’idées, c’est-à-dire de choses qui peuvent être exprimées ou suggérées
-tout aussi bien, et qui le sont tous les jours, par d’autres moyens:
-l’analyse psychologique, la synthèse poétique, et par un tout autre
-intermédiaire que les sens de la vue ou du toucher: par l’ouïe.
-
-Jusqu’ici, les méthodes esthétiques avaient pu tomber dans de grandes
-erreurs, mettre à la base de nos impressions et de nos jugements une
-qualité technique fausse ou insuffisante, proscrire injustement des
-formes ou des expressions très légitimes; mais toujours il était
-resté, au fond de ces erreurs, le désir d’une qualité spécifique,
-d’une «délectation», comme on disait, ou d’une joie des sens. Dans les
-Esthétiques actuelles, les impressions requises de l’Art sont toujours
-des impressions intellectuelles, que l’Art non plastique peut aussi
-bien et même beaucoup mieux nous donner.
-
-De là, deux tendances dominantes dans nos jugements esthétiques sur
-les choses de la vie et jusque dans les moindres considérants de
-la critique quotidienne. Le critique d’art moderne se défie de son
-impression physique, spontanée, «sensorielle», parce qu’il a peur
-qu’elle ne soit une résultante de son accoutumance aux anciens
-chefs-d’œuvre, un réflexe de la routine;—et, au contraire, il acclame
-toute tentative qui exprime un sentiment ou un état de choses récent,
-quelque peu de charme qu’il en éprouve, de peur de repousser, sans le
-savoir, un chef-d’œuvre nouveau. Dans le premier cas, il proscrit avec
-une extrême sévérité; dans le second, il accueille avec une extrême
-candeur; dans les deux, il fait violence à son goût intime et à son
-impression esthétique, bien plus qu’il ne les suit.
-
-La première de ces tendances est singulière. Cette indifférence aux
-qualités purement sensorielles de l’Art nous pousse à condamner toute
-œuvre qui, belle de facture, de matière, de couleur, ne nous apporte
-pas une «émotion nouvelle», mais qui aurait pu être faite en d’autres
-temps, par une autre génération et semble inspirée des anciens: les
-figures de M. Bail ou de M. Roybet, par exemple, ou le _Sacré-Cœur_
-de Montmartre, ou les académies de M. Henner, ou les paysages de
-M. Harpignies. De pareilles choses seront toujours admirées par un
-artiste, non intellectuel, par tout être d’une sensibilité frémissante
-aux qualités de vie colorée, de belle matière, de lignes harmonieuses,
-parce qu’un sensitif en jouit toujours,—qu’elles soient expressives
-ou non d’une idée moderne. Un beau rouge est toujours un beau rouge,
-un beau passage de lumière sur un ton d’opale ou d’aigue marine est
-toujours une belle transition et, s’il est vrai que cet os décrit par
-le Maître ancien soit très beau, quand bien même il n’exprimerait rien
-autre que lui-même, il sera toujours très beau. Mais si, comme le
-critique d’art moderne, l’on met à la base de tout jugement ce postulat
-que l’Art n’existe pas, s’il n’exprime spécialement une idée, une
-époque, une race,—quelle que soit la beauté, le frisson de joie que
-peut donner un beau rapport de couleurs,—on sera obligé de mépriser ces
-choses parce qu’elles n’apportent pas une «émotion nouvelle».
-
-La seconde tendance n’est pas moins étrange. Quelle que soit sa
-répulsion en face des créations de l’Industrialisme moderne—machines,
-bâtiments géométriques, engins informes,—le critique, lorsqu’elles sont
-modernes, adaptées à notre vie, se croit tenu de les trouver belles,
-ou, au moins, génératrices de beauté. Quelle que soit la révolte de son
-sens instinctif, il fait taire cette révolte, en se souvenant qu’on a
-proscrit, en d’autres temps, d’autres formes qui, devenues habituelles,
-n’ont plus paru si laides et se sont trouvées belles, un jour. Il est
-dominé par la peur de proscrire aujourd’hui des choses qui demain
-seront qualifiées chefs-d’œuvre, comme longtemps les fournisseurs de
-Barbizon n’osèrent plus refuser du crédit à un artiste, dans la crainte
-d’affamer un nouveau Millet. «Il faut tout comprendre!» s’écrie-t-il
-avec une candeur touchante et, d’effort en effort, il arrive à
-comprendre ce que les auteurs eux-mêmes ne comprennent pas. Comme ce
-pharmacien de vaudeville, qui lit couramment le nom de savantes drogues
-dans un gribouillage involontaire qu’un pseudo-médecin a griffonné, le
-critique découvre, maintenant, un sens profond et une vision d’humanité
-dans les essais désespérés que fait tout jeune artiste pour enchâsser
-un peu de talent dans beaucoup de saugrenuité. «N’ayons pas la négation
-irraisonnée du temps présent! ne proscrivons aucune tentative!» tel
-est le mot d’ordre des «modernistes». Alors, de peur de manquer, au
-passage, le chef-d’œuvre de demain, ils admirent tout, du moins tout
-ce qui leur paraît «nouveau». Et comme ils reconnaissent la nouveauté
-à ce qu’elle les choque, ils admirent tout ce qui les choque. «Tout
-ce qui a soulevé les protestations de la foule, jadis, était beau. Or
-ceci:—l’_Olympia_, le _Balzac_, la Porte Monumentale,—soulèvent les
-protestations de la foule, donc c’est beau.»
-
-Ce raisonnement par analogie s’applique à tout. Protestons-nous
-contre «l’haussmannisation» de Paris? On nous répond: Les Parisiens
-se plaignaient déjà des travaux de Philippe-Auguste! Trouvons-nous
-qu’il faut simplement voir l’échec d’un grand artiste dans l’œuvre
-intitulée _Balzac_, on nous répond: Vous avez dit la même chose de
-Wagner! Hasardons-nous que la voûte de verre du Grand-Palais est un
-désastre pour la beauté de Paris, on nous dit: Les Grecs eussent parlé
-ainsi devant le gothique! Telle est la grande méthode de la critique
-d’art contemporaine: le raisonnement par analogie. Autrefois, on
-jugeait par analogie de sensations devant les œuvres; aujourd’hui, on
-juge par analogie de faits et de circonstances extérieures qui les
-ont accompagnées, et voici que de la ressemblance de deux mouvements
-d’Art, en un point, on en conclut hardiment à leur ressemblance en tous
-les autres. Aux époques traditionnalistes, on admirait les nouvelles
-œuvres d’autant qu’elles ressemblaient aux anciennes et qu’on pouvait
-les en rapprocher. Aujourd’hui, on les admire d’autant qu’elles en
-diffèrent et qu’on peut les leur opposer. Mais les deux méthodes sont
-aussi peu «esthétiques» l’une que l’autre. Ni l’une ni l’autre ne font
-appel au témoignage des sens. Ni l’une ni l’autre ne comparent l’œuvre
-avec la Nature, qui n’est ni ancienne ni nouvelle, qui ne songe pas à
-l’institut non plus qu’elle ne prend ses mots d’ordre aux Indépendants,
-qui ne songe ni à différer d’elle-même, ni à se ressembler, ni à se
-rajeunir, mais qui, infiniment changeante, et complexe, et semblable,
-et toujours belle à qui sait l’aimer, contient tous les aspects révélés
-par toutes les écoles, et une multitude d’autres qu’aucune école n’a
-jamais révélés, a des flots pour toutes les nefs, des couleurs pour
-tous les rêves et pour tous les pas en avant,—de quelque côté qu’on
-marche,—des horizons.
-
-
-II
-
-Que valent ces postulats de la critique d’art contemporaine ou ces
-axiomes, ou ces dogmes posés par les esthéticiens modernes, sans aucune
-démonstration préalable, que «dans toute forme, même artificielle, il y
-a de la Beauté», ou que «tout ce qui exprime l’idée ou le besoin d’une
-époque est beau», ou encore que «tout ce qui soulève des protestations
-et détermine des résistances dans la foule est beau»?—Ne seraient-ce
-pas là des demi-vérités, presque des erreurs, ou des généralisations
-hâtives succédant à d’un peu superficielles observations,—et toute
-l’Histoire de l’Art et l’expérience personnelle de chacun de nous les
-confirment-elles ou bien plutôt, ne les infirmeraient-elles pas à tout
-instant?
-
-«On ne discute que ce qui est fort.» Voilà, par exemple, un axiome
-très répandu dans la mentalité contemporaine. Mais pour être très
-répandu et même banal, et pour servir en toute occasion et à tous les
-esprits, il n’en est pas moins faux. L’usure d’une pièce ne prouve pas
-toujours qu’elle est bonne. Elle peut prouver simplement qu’on ne l’a
-pas regardée. La vérité est qu’on discute tout ce qui choque et que,
-pour choquer, la force n’est pas nécessaire: l’ingéniosité suffit. Tout
-ce qui s’offre à la discussion avec violence, avec provocation,—que ce
-soit puissant ou non,—est discuté. Et nous avons vu très discutées, il
-y a quinze ans, il y a dix ans des œuvres très faibles dont on a déjà
-perdu le souvenir. Préault a été plus discuté que Rude, Mallarmé plus
-que M. Sully-Prudhomme, les Rose-Croix plus que Corot. Tout le monde a
-encore dans les oreilles le bruit soulevé, il y a quelque vingt ans,
-par les Décadents ou les Symbolistes, mais nul n’a devant les yeux un
-chef-d’œuvre qui en soit sorti. Sans doute, cette observation que tout
-ce qui fait scandale est puissant contient une part de vérité, mais il
-faut, pour l’en dégager, tenir compte de la diversité des causes, et
-de la diversité des temps.
-
-Oui, ce qui fit scandale, autrefois, fut le plus souvent original,
-quand on ne savait pas encore que le scandale ou l’originalité
-seraient des éléments de succès; quand les novateurs étaient originaux
-presque malgré eux, ne connaissant à l’être que des risques à courir,
-et, l’étant cependant, malgré tout, par un irrésistible besoin
-d’exprimer quelque beauté particulière qu’ils découvraient dans la
-Nature et voulant, s’ils ne satisfaisaient point les autres, du
-moins se satisfaire eux-mêmes. Il en est de l’originalité comme de
-l’abnégation, qui n’est véritable que si elle est sans savoir qu’il
-y a un prix institué pour qu’elle soit. Du jour où l’on sait que ce
-prix existe, il n’y a plus de véritable vertu à être vertueux, ni de
-véritable originalité à être original, ni de véritable «sincérité» à
-être sincère. Du jour où l’on crie: «Venez voir comme je suis attaqué,
-condamné par l’Art officiel, proscrit par l’Institut, incompris de
-la foule! Comptez combien de pierres et de quel calibre me jette
-la critique pédante et autorisée! Songez à tous ceux qui furent
-lapidés avant moi! N’oubliez pas que Millet le fut, et Rousseau, et
-Delacroix, et Wagner! Et ne manquez pas de faire entre eux et moi tel
-rapprochement que vous inspirera votre esprit d’analyse et d’équité!»
-De ce jour-là, le sens du scandale n’est plus le même. Car on peut
-craindre que le novateur ne heurte le sentiment public non tant
-parce qu’il exprime le sien que parce qu’il a choisi laborieusement
-quelque chose qui le puisse heurter, et, par contre-coup, lui susciter
-le secours des raffinés aux yeux de qui, d’être d’un sentiment
-incompréhensible à la foule passa toujours pour le signe du génie.
-
-Est-il plus vrai de dire que notre répulsion en face des formes
-nouvelles vient nécessairement de nos habitudes de vision ou, en
-d’autres termes, que notre habitude commande impérativement notre
-goût,—et que les costumes, les gestes, les formes monumentales, les
-engins de la vie, enfin les œuvres d’art que nous admirons le plus
-sont toujours ceux qui existent depuis le plus longtemps?—Nous voyons
-le contraire à toute heure. Nos yeux sont infiniment plus habitués aux
-formes de la redingote qu’à celles du burnous des Arabes et au geste
-du cocher de fiacre qui fouette son cheval qu’à celui de l’archer qui
-ajuste son arme. Nous sommes plus accoutumés à l’arc bombé répété des
-milliers de fois sur nos portes cochères de Paris qu’à l’arc outrepassé
-des palais mauresques. Cependant, si le hasard, en voyage, ou dans
-une de nos expositions exotiques, fait apparaître à nos yeux cette
-draperie, ce geste, cette forme architecturale, nous éprouvons une joie
-esthétique tout à fait absente devant le costume, le geste et le cintre
-accoutumés. L’habitude ne commande donc pas impérativement notre goût.
-
-A cela, que peut-on dire? Que nous sommes enseignés par l’Art à dégager
-des formes anciennes ce qu’elles ont «d’esthétique», et que l’Art ne
-nous l’a pas encore appris des nouvelles? Quel pauvre argument, si
-l’on songe que, depuis trente ans et plus, nos _Salons_ regorgent
-de scènes contemporaines, de portraits, de machines, et que par un
-singulier phénomène, plus on les voit, moins on les aime et plus l’Art
-s’acharne à substituer la redingote à la draperie, la locomotive au
-cheval, la cheminée d’usine à la flèche gothique, moins il produit de
-chefs-d’œuvre et moins il attire notre attention!
-
-Car, bien loin que l’habitude conditionne absolument notre goût, la
-satiété est précisément la cause principale de toutes les réactions
-artistiques. Et de la beauté de certaines œuvres comme de la vertu
-d’Aristide on pourrait dire que le défaut fut seulement qu’on la
-vantait depuis trop longtemps. On a dénoncé maintes et maintes fois
-«l’influence de l’habitude»: on ne dénonce jamais le «goût du nouveau».
-Il expose à autant d’erreurs et est la cause d’autant d’injustices.
-On se passionne pour un aspect de nature ou d’humanité, parce qu’il
-nous apporte une «impression nouvelle». Plus tard, quand le nouveau
-est devenu vieux, quand l’inédit se réédite, quand l’inattendu est
-l’inévitable et, pour ainsi dire, le protocolaire, on s’aperçoit
-qu’il ne lui suffisait pas d’être «autre» pour être meilleur, ni
-d’être plus récent pour être plus durable que les œuvres consacrées
-des anciens. Il ne reste alors de ces œuvres jadis «nouvelles» que
-ce que leurs qualités spécifiques en ont maintenu. Si le tableau est
-matériellement bien peint, si la statue est bien modelée, si l’ouvrage
-est fait de main d’ouvrier, il reste admiré, quel que soit son degré de
-nouveauté—ou de pastiche. Si ces «visions» démocratiques de faubourgs,
-de grèves, de mineurs avec leurs lampes, de chiffonniers, de gares de
-chemins de fer et de laminoirs, de Christs anachroniques eurent un si
-merveilleux succès, il y a vingt ans, c’est qu’on n’avait guère osé,
-auparavant, les figurer dans l’art. On leur attribua mille mérites,
-dont le seul véritable était leur nouveauté. Aujourd’hui qu’ils
-n’excitent plus de surprise, ils n’excitent plus d’admiration. Ce qui
-montre assez que le succès tient de nos jours non pas nécessairement à
-l’habitude, mais souvent, au contraire, à la stupéfaction.
-
-D’où vient, encore, cet autre postulat que «tout ce qui est réel peut
-devenir beau» ou qu’«il n’est pas de forme qui ne recèle une beauté
-secrète et dissimulée au vulgaire», et qu’ainsi l’Art doit adopter
-docilement, pour les reproduire, toutes les formes du machinisme
-actuel?—Il vient d’une confusion perpétuelle, chez les philosophes,
-entre la qualité plastique ou pittoresque des formes ou des couleurs
-et leur signification morale ou intellectuelle. Cette confusion n’est
-jamais faite par Delacroix, ni par Topffer, ni par Fromentin, mais
-depuis les Esthétiques allemandes jusque dans les thèses sur l’Art,
-soutenues, chaque année, à la Sorbonne, elle se glisse à quelque moment
-et dans quelque phrase, et aussitôt le débat dévie. Constamment, le
-philosophe réclame pour les engins que fabrique l’industrie moderne
-le droit de figurer dans le grand Art; il annonce qu’il va montrer en
-quoi consiste la beauté plastique, pittoresque, de cet engin et, tout
-de suite, il oublie qu’il s’agit de plastique et de pittoresque, pour
-n’en montrer que l’intérêt intellectuel ou poétique,—c’est-à-dire ce
-qui échappe au sens de la vue ou ce qui peut nous toucher sans lui. Les
-argumentations de Guyau en sont un parfait exemple et la confusion y
-est d’autant plus dangereuse qu’elle émane d’un plus puissant esprit
-et d’un plus éloquent écrivain. Une page typique est celle qu’il
-consacre à la défense esthétique du «cuirassé» moderne opposé au bateau
-à voiles. Les artistes regrettent la tartane, le lougre, la caravelle,
-le bateau qui s’inclinait sous le vent dominé par une immense voilure
-aux formes aiguës et glissait sur les vagues comme un oiseau. Le
-philosophe leur répond que «les bateaux à vapeur ont eux-mêmes leur
-beauté, bien plus, leur grâce», et il se met en devoir de la leur
-montrer.—Fort bien, pensons-nous, il va louer la forme monumentale du
-cuirassé vu de face, au repos, tendant autour de lui toutes sortes de
-choses pointues ou recourbées comme des antennes, le contraste des
-chaloupes blanches et de sa robe noire, les jeux du soleil sur les
-aciers, peut-être sur les linges qui, parfois, sèchent par milliers,
-«ces torchons radieux» qu’exalte la lumière. C’est peu à opposer aux
-bateaux à voiles immortalisés par Van de Velde, par Ziem et par Turner,
-mais c’est quelque chose.... Nous lisons la page du philosophe: rien de
-tout cela, mais des impressions dont aucune ne peut être plastiquement
-rendue: l’énormité du cuirassé «_se meut_ avec tant d’aisance qu’elle
-effraye à peine; tout alentour l’eau bouillonne»—et ceci c’est la
-beauté de l’eau—«refoulée, ajoute-t-il, par une hélice _invisible_»
-qui, par conséquent, échappe au peintre. Il loue encore les
-«sifflets, les cris, les hurlements, les rugissements (comme ceux de
-la «sirène») qui semblent les éclats de joie d’un monstre épouvantable
-et pourtant docile»,—ce qui peut être perçu par l’ouïe et ensuite par
-le raisonnement, mais nullement par la vue. Enfin, le poète qui est en
-lui célèbre la flotte de guerre moderne, «troupe d’êtres gigantesques
-dont chacun cache au dedans de lui des milliers de volontés distinctes,
-soumises à la même règle, se confondant dans le même corps monstrueux,
-se manifestant par un seul mouvement d’ensemble, une société humaine
-personnifiée qui passe sur la mer en marche vers des dominations
-lointaines....» La page est magnifique et il faut la lire tout entière.
-Mais quand on est au bout, l’on n’a point aperçu, dans le cuirassé,
-telle beauté de lignes, de formes ou de couleurs que le sens de la vue
-puisse éprouver, ni que l’Art plastique, s’adressant à la vue, puisse
-rendre.
-
-D’où peut venir, chez un aussi pénétrant esprit, une telle erreur?
-Elle vient de ce que le philosophe, si artiste qu’on le suppose, est
-psychologue, ou sociologue, ou poète avant d’être artiste. Ouvert
-aux jouissances de l’intelligence beaucoup plus qu’à celles de la
-sensibilité, attentif aux conditions des arts non plastiques beaucoup
-plus qu’à celles de l’art tout matériel du peintre ou du modeleur,
-songeant continuellement au drame ou au poème lyrique lors même qu’il
-parle peinture ou sculpture; posant ainsi pour les arts _plastiques_
-des lois qu’il ne démontrera que par des exemples empruntés aux arts
-_littéraires_, tel est le philosophe contemporain[1].
-
-Il va se promener dans un vieux quartier de sa ville: il voit des rues
-tortueuses, sales, des loques pendantes au soleil, un chaudron dans
-une cuisine, une touffe de pariétaire sur un vieux mur, un étal de
-boucher, une flaque d’eau ou un ruisseau ou un peu d’océan au bout de
-la ruelle,—choses admirables et précieuses pour tout artiste et devant
-lesquelles, peut-être, si la lumière est glorieuse, on s’arrêterait
-une heure en des joies infinies. Il ne trouve là rien de beau. Il
-passe. Au bout de cette vieille ville est un musée. Dans ce musée, il
-retrouve peints par Chardin, par Rembrandt, par Vollon, par Bonvin,
-par M. Thaulow, quoi donc? Le même chaudron, le même étal, le même
-mur, la même flaque d’eau qu’il a tout à l’heure méprisés. Et ici, il
-admire, parce que l’espèce de splendeur qui était dans le chaudron:
-ces beaux reflets de cuivre profonds et nuancés, éclatants comme un
-coucher de soleil ou pleins de choses adverses comme un miroir noir,
-tout cela est ici dégagé, souligné,—moindre à des yeux d’artiste
-que la splendeur de l’original, mais plus perceptible aux yeux du
-philosophe. Il se dit: l’Art peut transfigurer ce chaudron; me faire
-admirer cette flaque d’eau que je n’admirais pas avant: l’Art est
-grand. Jusque-là, le raisonneur a raison. Il ne fait qu’enregistrer
-une observation qu’il a faite. Mais, aussitôt, pressé d’établir un
-principe, il généralise. L’Art peut _tout_ transfigurer, dit-il; et,
-dès lors, il va bien au delà des limites de son observation. Le voici
-sorti du musée et entré dans l’usine. Il voit des roues, des bielles,
-des cylindres, des tuyaux, des lignes géométriques rigoureuses, des
-tons égaux, répandus sur des surfaces dures et plates. Il y a là, dans
-ces engins, des forces mystérieuses et inouïes emmagasinées. Il y a là
-de quoi renouveler la matière, la circulation, les conditions sociales
-peut-être, la vie. L’imagination du philosophe s’exalte: elle évoque
-tout ce que le monde en transformation doit à cet engin, à ce cylindre,
-à cette roue, à ces écheveaux de fils tordus et roulés autour de ce fer
-à cheval. Il pense à tout cela en sociologue, en poète, et, sans songer
-aux différents moyens d’expression qu’emploient les arts intellectuels
-et les arts plastiques, il dit: «Voilà un sujet pour l’Art.» A la
-vérité, ce cylindre, cette roue, il ne les trouve pas «beaux»,
-mais il n’a pas trouvé beaux non plus la loque, le chaudron, l’eau
-dormante. Puisque l’Art en a fait des éléments de beauté, pourquoi
-n’en ferait-il pas de ces bielles, de ces roues qui lui procurent des
-sujets de méditation, de rêverie humanitaire et sociale qu’il n’a pas
-trouvés devant le chaudron? Il n’a pas vu la «beauté» du chaudron;
-il voit l’intérêt de la machine. Or l’artiste a fait une belle
-œuvre du chaudron. Donc, à plus forte raison, il peut transfigurer
-cette machine. Et le syllogisme est fait. Pour le philosophe, il
-est excellent. Pour un artiste, il ne vaut rien. Il repose sur une
-confusion entre la prétendue «laideur» du chaudron, ou du vieux
-mur, ou de la loque, ou de l’étal, et la nullité esthétique de la
-mécanique. Car le chaudron avait déjà une infinie beauté pittoresque.
-Si le philosophe ne l’a pas vue, l’artiste, lui, ne manquera jamais
-de la voir. Tandis que toute cette poésie, cette signification que le
-philosophe découvre dans la machine n’est pas du tout d’ordre plastique
-ou pittoresque. L’artiste souvent ne la voit pas et, dans tous les cas,
-ne peut pas la faire voir.
-
-Enfin, le troisième postulat de la critique contemporaine, infiniment
-moins arbitraire que les précédents, est que le goût change selon
-les races, les époques, les milieux et que les joies esthétiques ne
-sont point déterminées par les mêmes formes dans tous les temps et
-dans tous les pays. De là suit qu’on ne saurait établir de «lois»
-générales du Beau. Et l’on aurait tout à fait raison si l’on disait
-qu’il y en a fort peu et surtout fort peu de générales. Il est vrai,
-par exemple, que les lois posées par David et son école pour la figure
-humaine en réaction contre les nez retroussés, les visages chiffonnés
-du XVIII^e siècle, étaient bien arbitraires et, d’ailleurs, elles
-ne se vérifiaient ni chez la plupart des anciens maîtres: Rubens,
-Vélazquez, Franz Hals, ni chez David lui-même en ses œuvres réalistes
-les meilleures, ni chez les grands artistes qui l’avaient immédiatement
-précédé. Elles ne se vérifiaient que dans la statuaire, et encore dans
-une certaine statuaire: la grecque; et encore que dans une époque de
-la grecque: celle de Phidias. Mais quand, en réaction de l’école de
-David, on a décidé qu’un visage, pour être esthétique, devait refléter
-une passion, ou une pensée, ou une race, ou un état social, on a posé
-là une loi qui ne se vérifie par rien du tout. Pareillement, si l’on
-enseigna, jadis, que le nu seul était beau et que le grand Art ne
-pourrait jamais s’affirmer dans le traitement des costumes vulgaires
-et habituels, ou encore que le seul véritable artiste était celui qui
-pouvait traiter le nu—principe toujours adopté, pour les concours de
-Rome dans notre École des Beaux-Arts,—on a émis là une évidente erreur
-et que l’exemple de bien des chefs-d’œuvre décèle à première vue. Mais
-si, pour réagir contre ce principe, on nous vient dire que tout paletot
-inventé par un tailleur vaut le nu et le drapé parce qu’il reflète un
-«état social» ou un «goût contemporain», et que le grand Art tient dans
-l’expression de cet état et non dans l’expression d’une forme elle-même
-variée et harmonieuse, comme celle du corps humain, ou, encore, qu’il
-y a autant de puissance dans la peinture d’un veston, d’un fauteuil,
-d’un rideau, d’un chapeau que dans une académie de Rubens, et qu’ainsi
-l’étude du nu ou de l’académie ne sert de rien au peintre, on émet,
-là, une contre-vérité artistique. Ou si quelque artiste l’a jamais
-exprimée, dans une boutade d’atelier, il a simplement voulu se divertir
-ou voir jusqu’où pourrait aller la crédulité des philosophes.
-
-Enfin, si en dégoût de l’étalage myologique des imitateurs de la
-Renaissance, de ces grands dentelés, grands obliques, ces muscles
-saillants, ces boules, ces «sacs de noix» qu’on a trop longtemps
-exhibés dans les tableaux d’académies, on prêche la «simplification» et
-la «synthèse», on a raison, d’autant que, dans la Nature, ces rouages
-du corps humain sont à peine visibles. Mais donner à des fautes de
-dessin le nom de «simplifications» ou à des indigences de couleurs le
-nom de «synthèses», admettre que le modelé ne soit même pas indiqué,
-sous prétexte d’«évocation» et de «vision personnelle», c’est seulement
-revêtir de vocables philosophiques les ignorances techniques les plus
-communes et signer «sagesse» ce que l’impuissance a écrit. De ce que
-telles «lois du Beau» reçues autrefois à l’école fussent arbitraires,
-exagérées ou néfastes, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’il n’y ait
-pas de conditions de vie particulières à l’Art plastique ou, si l’on
-veut, des nécessités.
-
-Ces conditions, on les retrouve respectées dans toute la suite des
-chefs-d’œuvre. Quelle que soit la diversité des écoles, des arts, des
-races et des idéals, certaines œuvres ont une perfection technique qui
-les sauve et qui réunit, autour d’elles, peu à peu, avec le temps, tous
-les suffrages. Cela n’arrive pas du premier coup. Ce qui s’impose du
-premier coup, c’est la Mode, non la Beauté: la Mode dont le double et
-précis caractère est d’être impérative et d’être éphémère, de s’imposer
-à tous et de ne s’imposer que pour peu de temps, tandis que le Beau est
-facultatif et éternel; il ne s’impose d’abord qu’à quelques-uns, mais
-il continue à s’imposer toujours.
-
-Il est vrai que la mode, le goût d’une époque et surtout chez ceux
-qui ne sont pas artistes et qui cherchent dans l’art autre chose
-que ses qualités spécifiques, peut faire dédaigner, momentanément,
-telle ou telle œuvre, telle ou telle beauté. La constatation qu’il
-en a été souvent ainsi, dans l’Histoire de l’Art, la surprise et la
-découverte de certaines époques et écoles primitives trop méprisées
-jadis—et, en vérité, trop admirées aujourd’hui,—dominent la critique
-d’art contemporaine. Elle en tire des déductions hâtives. Mais un
-fait beaucoup plus constant s’observe dans l’Histoire de l’Art: c’est
-le retour de l’admiration vers les œuvres jadis admirées; c’est la
-consécration lente mais sûre de certaines œuvres, les mêmes, et
-leur universalité. Tandis que les œuvres médiocres au point de vue
-spécifique ont disparu par milliers, celles où il y avait quelque
-qualité de matière: justesse de dessin, puissance de couleur ou
-harmonie,—ont survécu. Notre jugement varie beaucoup sur «l’esprit»
-d’un tableau, très peu sur sa «matière». Si peu que nous considérions,
-en ce moment, les Carrache, ou le Bernin, ou le Guide, ou le Caravage,
-quel est l’artiste qui, en toute sincérité, nierait leur puissance
-et leur beauté? Et bien qu’on soutienne que Cimabué, ou Giotto, ou
-les sculpteurs français du XV^e siècle sont supérieurs à toute la
-Renaissance, qui voudrait sacrifier la Renaissance à cet engouement
-passager? Quant à certains maîtres comme Velazquez, comme Rembrandt,
-comme le Titien, comme Léonard, comme Rubens, comme Van Dyck, comme
-Franz Hals, quant aux grandes œuvres comme celles de la statuaire
-grecque, est-il vraiment des artistes, à aucune époque, qui sincèrement
-les aient tout à fait méprisés? Il faut se défier extrêmement, en
-un pareil débat, des excommunications prononcées ou des étiquettes
-adoptées par les artistes, dans un moment de lutte, ou des boutades
-d’atelier enregistrées par les biographes. «Nous n’avons jamais nié au
-fond, écrivaient les Préraphaélites, qu’il y eût un art grand et sain
-chez Raphaël, et chez ses successeurs». Un élève d’Ingres lui ayant
-demandé ce qu’il pensait de Delacroix, le maître lui dit: «C’est un
-homme de génie, mais n’en parlez pas,» et M. Bordes-Lassalle ayant
-rapporté ce propos à Delacroix, en lui demandant ce qu’il pensait
-d’Ingres, le maître lui répondit en riant: «C’est un homme de talent,
-mais n’en dites rien.» Exacte ou controuvée, cette anecdote peint le
-vrai sentiment des artistes, pour les plus puissants d’entre eux,
-tel qu’il s’exprime, dans la solitude de l’atelier, lorsque nul
-thuriféraire n’écoute aux portes. Sans doute, Velazquez n’était pas,
-il y a cinquante ans, dans les ateliers, le dieu qu’il est aujourd’hui
-et qu’il ne sera peut-être plus demain, et longtemps le _Laocoon_,
-célébré par Lessing, a été préféré à l’œuvre présumé de Phidias. Ces
-maîtres ont eu des hauts et des bas extraordinaires. Dans ce crible
-que secoue la Mode aux mains puissantes, ils sont fort ballottés.
-Mais l’important n’est pas là. L’important est qu’ils restent tous du
-bon côté du crible,—tandis que le fretin passe au travers, devient
-poussière et se disperse au vent.
-
-Il y a donc des «beautés» sur lesquelles le sentiment des différentes
-générations concorde et des maîtres sur lesquels il s’accorde, et de
-la sorte, s’il est vrai de dire que le goût change, il l’est tout
-autant d’affirmer que le même instinct du beau se perpétue. En le
-niant, la réaction contre les anciennes lois esthétiques est allée
-trop loin. Elle a dépassé de beaucoup les limites de ses observations
-et de ses expériences. On avait affirmé sans preuves: elle a nié
-sans contre-épreuves. On avait embarrassé l’Art de routines; elle
-a contesté qu’il y eût des conditions vitales et des expériences à
-respecter. Enfin, tout en soutenant qu’il n’y a pas de lois en Art,
-elle en a promulgué de très sévères et de très impératives. Ces lois
-de l’Esthétique contemporaine, ou, si l’on veut, ces tendances ou ces
-postulats n’ont jamais fait l’objet d’une démonstration positive. On
-peut, sans trop de témérité, refuser d’y sacrifier son goût personnel,
-la lumière qui éclaire chacun de nous. Comment donc juger des faits
-et des œuvres de la vie actuelle? Peut-être le pourrions-nous avec
-beaucoup moins de philosophie et de sociologie et un peu plus de
-confiance en notre goût instinctif.
-
-
-III
-
-Juger avec son goût instinctif, cela veut-il dire aborder l’œuvre d’un
-maître sans aucune préparation, sans rien savoir de ce maître, de sa
-vie, de son milieu, de son époque, ni rien avoir vu de ses autres
-œuvres, ni de celles qui l’ont inspirée? Cela veut-il dire que l’œuvre
-doive être prise intrinsèquement, sans aucune considération de son
-sujet, de sa signification historique, ou morale, ou légendaire, ou
-sociale?
-
-Ici, nous devons nous garder de confondre deux choses: la jouissance
-qu’on peut prendre à une œuvre d’art et le jugement qu’on doit en
-porter. Pour en jouir, un grand nombre d’idées n’est jamais nuisible
-et il se peut qu’il soit utile; pour en juger, une seule suffit ou
-plutôt un seul sentiment; le «sentiment esthétique» et tout le reste:
-rapprochements historiques, significations morales ou sociales, non
-seulement n’aide pas à en juger, mais peut, jusqu’à un certain point,
-entraver la liberté du goût et égarer le jugement.
-
-Par là, on voit combien il faut se défier de la critique d’art dite
-«littéraire», qui remplace la délicatesse des sensations par la
-subtilité des idées, la poésie des formes et des nuances par la poésie
-des mots et qui les confond de telle sorte qu’un philosophe paraît
-avoir des sensations délicates lorsqu’en réalité ce sont ses idées qui
-sont subtiles, et qu’habile à différencier les moindres nuances d’une
-pensée, il embrouille les divers tons d’une couleur ou les différentes
-phases d’un geste. Je dis qu’il faut s’en défier, non pas quand on veut
-_jouir_ d’une œuvre d’art, mais quand on veut en _juger_. Quant on veut
-en jouir, en effet, quoi de plus naturel, quoi même de plus nécessaire
-que d’en saisir les moindres affinités, les plus subtiles intentions,
-que d’appeler et de rassembler autour d’elle toutes les idées, tous les
-souvenirs qui peuvent nous y attacher? Aussi, quand il arrive à quelque
-philosophe de trouver de belles significations et de profonds symboles
-aux œuvres des peintres ou des sculpteurs, comment pourrait-on le lui
-reprocher? On dit que ceux-ci ne les y ont pas mis? Mais qu’importe,
-si on les trouve? Et qui a jamais reproché à Moïse d’avoir fait jaillir
-une source là où il n’y avait qu’une terre aride et desséchée?
-
-Mais si le philosophe fait de son interprétation à lui la qualité de
-l’œuvre qu’il interprète, s’il élève son impression toute subjective à
-la dignité de caractère objectif de l’œuvre, si, en un mot, il estime
-l’œuvre plus ou moins, en raison du plus ou moins de pensées qu’elle
-lui a inspirées, c’est alors qu’il nous égare et qu’il faut nous défier
-de lui. Car un ingénieux philosophe, un exquis poète peuvent tirer de
-très belles inspirations d’une œuvre très médiocre, tandis qu’une très
-belle matière peut ne rien leur inspirer du tout. Giotto ou Cimabué ont
-inspiré plus de belles pages que Franz Hals ou Velazquez. La beauté
-d’une description ou d’un commentaire n’est nullement en raison directe
-de la beauté de l’objet décrit ou expliqué. On peut même dire, en thèse
-générale, que plus un «motif», plus un sentiment, plus une pensée est
-rendue avec éloquence par la littérature, moins elle peut l’être par
-l’Art plastique. «La langue qui parle aux yeux, a dit Fromentin, n’est
-point celle qui parle à l’esprit.» Et qu’ainsi, demander à l’Art les
-mêmes impressions qu’à la littérature, c’est proprement lui demander ce
-qu’il ne peut pas donner ou ce qu’il ne peut donner sans contrainte,
-sans affectation ou absurdité.
-
-«Un jour, raconte Stendhal, un grand seigneur russe pria le peintre de
-la cour de lui faire le portrait d’un serin qu’il aimait beaucoup. Cet
-oiseau chéri devait être représenté donnant un baiser à son maître, qui
-avait un morceau de sucre à la main: mais on devait voir dans les yeux
-du serin qu’il donnait un baiser à son maître, par amour, et non point
-par le désir d’obtenir le morceau de sucre.» Voilà de l’Art suggestif,
-de l’art intentionniste.—Suggestif d’une sottise ou d’un enfantillage?
-Soit. Mais l’enfantillage tient moins encore dans la chose à suggérer
-que dans le désir de suggérer par l’Art une chose que dix mots
-expliquent beaucoup mieux. Et il faut prendre garde que ce désir ne
-soit aussi vain lorsqu’il s’agit de signifier le bienfait de la mort
-ou la fraternité humaine que lorsqu’il s’agit de montrer le dévouement
-désintéressé d’un serin.
-
-Envisageons un sentiment plus haut: celui de l’amitié et qui a inspiré
-un de nos plus grands suggestifs: Poussin. Prenons le _Testament
-d’Eudamidas_. Eudamidas, vieux soldat de Corinthe, allait mourir
-laissant après lui sa mère et sa fille,—et point de fortune. Mais
-si Eudamidas n’avait point d’argent, il avait deux amis: Charixène
-et Arété. Confiant en leur amitié, il imagina de léguer sa mère au
-premier et sa fille au second, avec mission de nourrir l’une et de
-marier l’autre avec une aussi grosse dot qu’on pourrait lui donner.
-Poussin lut ce trait chez Lucien, le trouva beau et, comme il pensait
-que la peinture doit exprimer de fortes pensées, il en fit un tableau:
-_le Testament d’Eudamidas_. Dans ce tableau, le soldat de Corinthe
-est représenté étendu sur son lit. Le médecin, la main sur le cœur du
-malade, est là, observant les approches de la mort. La mère et la fille
-pleurent: c’est très touchant, mais cela ne nous montre qu’une mort et
-non pas la _confiance en l’amitié_.... Alors, pour l’exprimer, Poussin
-a introduit une cinquième figure, essentielle, la figure symbolique: un
-notaire. Il écrit les dernières volontés. Et c’est à l’expression de ce
-notaire que nous devons de comprendre le legs du mourant. Et, encore,
-devons-nous saisir ce trait.—Que si l’un des deux amis, Charixène ou
-Arété, vient à mourir, le confiant Eudamidas dispose que le legs qu’il
-lui fait—c’est-à-dire la charge dont il l’honore,—revient au survivant.
-Et il faut que nous voyons sur toutes ces figures que le guerrier ne
-doute pas un instant que sa confiance soit bien placée.
-
-Que de choses dans l’expression d’un notaire! Moins encore, cependant,
-ou moins contradictoires que celles admirées par les philosophes dans
-la fameuse _Médée_ de Timmomaque. Timmomaque, raconte Pline, avait
-peint une _Médée massacrant ses enfants_. Ce qu’il y avait d’admirable
-dans ce tableau, c’est que l’artiste avait exprimé, dans le même
-visage, à la fois la fureur de la femme qui tuait ses enfants et la
-tendresse de la mère qui les regrettait. Et comment y était-il parvenu?
-Il y était parvenu, dit l’Histoire, en donnant à la figure un œil
-féroce et un œil attendri; en sorte, ajoute l’historien, que «la fureur
-paraissait dans la pitié et la pitié dans la fureur....»
-
-C’est l’exagération, pensera-t-on peut-être, qui nous choque ici.—Mais
-l’exagération d’une vertu, en Art, ne nous choquerait pas!—Peut-être,
-dira-t-on qu’il n’est rien qui, poussé à l’extrême, ne puisse devenir
-absurde?... Mais si! Il y a les _qualités spécifiques_ de cet Art.
-Un tableau ne peut jamais être trop harmonieux, une statue trop bien
-proportionnée, un monument trop bien équilibré ou trop imposant; une
-succession de couleurs ne peut jamais être trop délicate, un passage de
-lumière jamais trop subtil, une synthèse de traits jamais trop sobre,
-ni trop juste, et s’il y a exagération en quelqu’une de ces qualités
-esthétiques, cette exagération deviendra facilement une caractéristique
-et une beauté.
-
-Qu’il y ait exagération dans la force myologique,—tant mieux, ce sera
-Michel Ange! dans la fraîcheur et la beauté du sang,—tant mieux, ce
-sera Rubens! dans le mystère du clair-obscur,—tant mieux, ce sera
-Rembrandt! exagération dans l’analyse subtile, inquiète des moindres
-frémissements d’indéfinissables teintes rompues sous la lumière,—tant
-mieux ce sera Watteau! exagération dans l’importance donnée au trait
-sobre et juste,—tant mieux, ce sera Ingres! exagération dans les jeux
-splendides mais fugitifs du soleil et de l’atmosphère chargée de
-vapeurs humides,—tant mieux, ce sera Turner! Et dans chacune de ces
-qualités spécifiques, même exagérées, de ces expressions esthétiques,
-même outrées, il y aura une source de beauté. Car plus on développe et
-l’on pousse à l’extrême une vertu _propre à l’Art_, plus on fait un
-chef-d’œuvre dans cet Art.
-
-On voit donc bien la différence: insistance dans le symbolisme, dans
-la suggestion, c’est-à-dire dans les qualités morales ou sociales de
-l’Art,—source de ridicule.
-
-Insistance dans l’harmonie, la précision, la délicatesse, le mouvement,
-qualités spécifiques de l’Art,—source de beauté.
-
-Qu’est-ce à dire, sinon que nous possédons là, le signe, la pierre de
-touche nécessaire pour juger les œuvres d’art et que les qualités
-à considérer, avant tout, dans l’Art, sont évidemment celles qui
-ne peuvent jamais y être trop marquées, être trop puissantes, être
-trop ressenties. Celles, au contraire, qui deviennent facilement des
-défauts: symboles, prédictions morales et sociales, enseignements
-historiques, sont des qualités purement accessoires, ou ne sont pas des
-qualités du tout.
-
-Envisageons, maintenant, les deux hypothèses les plus simples: une
-œuvre d’art nous plaît, une œuvre d’art nous déplaît.
-
-Ceci nous plaît.... Oui, mais pour combien de temps? Ne vous est-il
-jamais arrivé de changer de sentiment sur un édifice, sur un tableau,
-sur un costume, sur un opéra? Une toilette qui plaisait il y a vingt
-ans, plaît-elle autant aujourd’hui? Une symphonie, une «romance»
-qui vous parut pénétrante la première fois que vous l’entendîtes,
-n’a-t-elle pas un peu perdu de charme la centième fois que la meilleure
-_diva_ l’a restituée à vos oreilles? Et, cependant, si vous avez
-aimé les _Pèlerins d’Emmaüs_ de Rembrandt, il y a vingt ans, il y a
-trente ans, les aimerez-vous moins aujourd’hui que vous les connaissez
-mieux? Vous les aimerez davantage et davantage vous aimerez une belle
-symphonie de Beethoven! Il y a donc des goûts dont on change et il y a
-des goûts dont on ne change pas. Il y a donc des œuvres qui plaisent
-du premier coup et qui déplaisent à la longue et il y en a d’autres
-qui, à la longue, plaisent davantage et dont le charme se dégage
-indéfiniment. Ce n’est donc pas tout de savoir si une œuvre d’art nous
-plaît: il faut encore savoir à quoi elle plaît en nous: si c’est à un
-goût passager fait de curiosités éphémères, ou bien si elle répond à ce
-qu’il y a de plus profond en nous et de plus sincère, de plus naïf dans
-notre admiration et de plus permanent dans notre humanité.
-
-Or qu’est-ce qui peut nous égarer un instant et nous tromper sur la
-spontanéité de notre joie et sur la fidélité ou la durée de notre
-adhésion?—Bien des choses, et les plus sages d’entre nous, les mieux
-avertis, les plus artistes peuvent s’y tromper. Voici Ingres, par
-exemple. «Un jour, raconte un de ses biographes,—c’était à l’époque de
-son premier voyage en Italie,—Ingres s’était épris, avec la passion
-qu’il apportait en toutes choses, des fresques de Luca Signorelli,
-dans la cathédrale d’Orvieto. Malgré les incorrections de détail et
-les bizarreries d’un style aussi peu conforme encore au style des
-chefs-d’œuvre prochains de la Renaissance, que dépourvu de la beauté
-antique, ces peintures, qu’il voyait pour la première fois, lui
-apparaissaient comme de vrais modèles, dignes de la plus minutieuse
-étude. Il voulait se les approprier tous, s’installer dans l’église,
-au moins pour une semaine, avec l’élève qui l’accompagnait alors, et
-ne quitter la place que lorsqu’il aurait dessiné jusqu’à la dernière
-figure, recueilli jusqu’au moindre élément d’information. Le lendemain,
-en effet, il accourt armé de son portefeuille et de ses crayons, et le
-voilà au travail.... Au bout d’une heure, l’enthousiasme de ses paroles
-et de ses regards avait cessé. Il ne disait plus mot, détournait la
-tête, s’agitait à tout moment sur sa chaise et comme son élève, étonné
-de ces distractions et de ce silence, lui demandait s’il admirait moins
-ce qu’il avait sous les yeux.... «Oh! si fait! répondit Ingres: c’est
-beau, c’est très beau, mais... c’est laid, c’est très laid! Et puis,
-tenez, moi, je suis un Grec.... Allons-nous-en!»—Quelques instants
-après, il quittait Orvieto, oubliant aussi volontiers Luca Signorelli,
-qu’il s’était passionné pour lui, la veille.»
-
-Qu’est-ce à dire? Qu’Ingres ne fût pas sincère? Il était sincère.
-Qu’il fût dominé par l’habitude? Son premier mouvement avait été, au
-contraire, le goût de la nouveauté. Que, sincère et libre, il n’eut pas
-une connaissance suffisante de son métier? Qui l’aura?... Ou cela ne
-veut-il pas dire plutôt qu’il n’avait pas éprouvé assez son impression
-et qu’il ne suffit pas d’avoir bon goût, d’être libre, de savoir le
-métier: il faut encore éprouver son impression.
-
-Il faut, d’abord, se demander si l’enthousiasme que nous ressentons
-est un enthousiasme positif ou s’il est négatif, c’est-à-dire si nous
-aimons une œuvre d’Art, une mode, une apparition vivante pour la vision
-qu’elle nous apporte ou pour celle dont elle nous débarrasse, pour sa
-beauté nouvelle que nous admirons ou bien simplement pour sa réaction
-contre un idéal vieilli que nous n’admirons plus. Celui qui a dit:
-
- Qui nous délivrera des Grecs et des Romains?
-
-était évidemment prêt à admirer une œuvre d’art pour cela seul qu’elle
-échapperait à l’obsession de l’Antiquité. Constamment, en effet,
-un succès n’est dû qu’à un besoin de réaction. Par réaction contre
-le Réalisme, on se jette dans le Symbolisme le plus suggestif. Par
-réaction contre le Symbolisme qui signifie trop de choses, on se jette
-dans l’Impressionnisme qui n’en signifie plus assez. Par réaction
-contre l’Impressionnisme, où nous allons nous jeter? Assurément dans
-quelque «manière», dont la première qualité sera de restituer une chose
-que l’Impressionnisme aura proscrite. C’est là le secret de certains
-engouements qui, autrement, seraient inexplicables. «Les femmes, à
-l’église, a écrit Mme de Girardin, ont toujours l’air de prier contre
-quelqu’un.» On peut dire, qu’en Art, les grands succès qu’on fait,
-passagèrement, à une école sont faits _contre_ une autre école, dont on
-est fatigué.
-
-Plus tard, lorsque le besoin de réaction est satisfait, on revient à un
-sentiment plus juste; le goût s’exerce plus librement. Or ces besoins
-de réaction, qui influencent notre jugement, ne sont pas les mêmes
-selon les générations. Ils sont contradictoires. Ils font osciller la
-balance tantôt trop d’un côté, tantôt trop de l’autre. Ce n’est qu’à la
-longue que la moyenne s’établit: la _Moyenne_,—c’est-à-dire le jugement
-du goût personnel, de votre goût, seulement de votre goût libéré de la
-Mode, de votre goût sans réaction, de votre goût positif, universel
-et permanent. C’est vers cette moyenne qu’il faut tendre si l’on veut
-juger, à fond et pour l’avenir, d’une œuvre d’Art.
-
-De même qu’il faut prendre garde que le sentiment soit trop passager,
-il faut prendre garde qu’il soit trop personnel, trop individuel,
-comme, par exemple, le souvenir d’un pays que l’on a vu sous une
-impression de joie intérieure, la figuration d’une idée qu’on a faite
-la compagne de sa vie ou d’un fait qui est entré dans notre destinée.
-De ce nombre, sont la plupart des sujets historiques passionnants pour
-les gens d’un seul pays, d’une seule époque et souvent d’une seule
-opinion, mais indifférents à tous les autres. Un sujet, par exemple,
-qui intéresse vivement certains Anglais est celui de John Knox prêchant
-devant les Lords de la Congrégation le 10 juin 1550. Toutes les fois
-qu’on peindra ce sujet, en Angleterre, on est sûr de soulever un vif
-enthousiasme. C’est que de cette prédication date une ère de réformes
-et de persécutions pour l’église anglicane. Pour nous, qui n’avons
-pas les mêmes raisons d’être émus, si nous allons à la _National
-Gallery_ et si nous voyons le _John Knox_ de Wilkie, nous ne prenons
-garde qu’à la façon dont il est peint, et comme il l’est fort mal,
-nous n’éprouvons aucune émotion. Les autres, un Turc, un Russe, feront
-de même. Et, même en Angleterre, lorsque John Knox sera tout à fait
-oublié, ce tableau ne fera plus d’impression à personne.—Tandis que les
-galeries de Florence, de Venise, de Cologne, de Bruges, d’Amsterdam,
-sont pleines de tableaux dont les sujets sont oubliés depuis longtemps:
-scènes d’histoire, dont le récit est indéchiffrable; légendes, dont
-l’intention nous échappe; mythes, dont le sens est perdu; miracles,
-dont on ne trouve pas trace dans les vies des Saints; portraits enfin,
-portraits de femmes inconnues dont le nom a duré moins que le sourire,
-portraits d’enfants dont on n’a jamais su le nom, comme ceux de Murillo
-à Munich, et qui, cependant, après trois siècles écoulés, oubliés de
-tous et de tous inconnus, enchantent encore les imaginations les plus
-diverses et les plus lointaines.
-
-Il peut donc y avoir à notre impression des causes très différentes
-et assez faciles à démêler: les unes toutes personnelles, toutes
-locales, qui tiennent seulement au _sujet_, les autres universelles
-qui ne tiennent qu’à la manière dont le sujet est traité. Ce sont ces
-dernières seules qui comptent,—non pas quand il s’agit de prendre du
-plaisir à l’Art, mais quand on veut en juger. Assurément s’il s’agit
-d’y prendre du plaisir, rien ne nous en donnera un si subtil ni si
-particulier que ce que nous croirons y découvrir tout seuls ou ce qui
-nous semblera y avoir été mis pour nous seuls. Mais s’il s’agit de
-porter sur cette œuvre un jugement qui soit compris par les autres, ou
-de comprendre celui que les autres ont porté, alors il faut laisser
-tomber ce qui dans notre impression est le plus individuel, le plus
-personnel, et, au contraire, en recueillir ce qu’il y a en elle de plus
-altruiste, de plus universel.
-
-Qu’est-ce donc qui est le plus universel? Qu’est-ce qui émeut toutes
-les âmes artistes? C’est la beauté spécifique de l’Art: c’est ou la
-qualité de la sensation colorée, ou celle de la ligne, ou celle de
-la densité ou du relief, ou celle de la puissance et de la souplesse
-de mouvement. Il n’est pas besoin pour les ressentir d’être de tel
-pays, de telle époque, de telle condition sociale. C’est la langue
-universelle parlée par tous, entendue par tous. Si ces qualités-là y
-sont, l’œuvre qui nous a plu est belle.
-
-Envisageons maintenant la seconde hypothèse: l’œuvre nous déplaît. Cela
-suffit, pensez-vous peut-être comme William Morris qui disait: «Ce qui
-est laid, c’est ce qu’on n’aime pas». Non, cela ne suffit pas. Encore
-faut-il savoir à quoi elle déplaît en nous, si c’est réellement à notre
-goût, à notre sentiment esthétique: si elle contrarie notre vision
-directe de la nature ou de la vie, ou bien si ce ne serait pas à une
-idée préétablie, à une habitude prise, à une éducation reçue, à une
-formule, à un type que nous avons accoutumé d’admirer et auquel nous
-rapportons, inconsciemment, tout ce que nous voyons de nouveau. Par
-exemple, sir George Beaumont entre un jour dans l’atelier de Constable,
-qui venait d’achever un paysage, le regarde en connaisseur qu’il était
-et lui dit: «Oui, c’est très bien,... mais je ne vois pas votre petit
-_arbre brun_.... Où allez-vous mettre votre petit _arbre brun_?» Or il
-n’y avait pas de petit arbre brun dans le coin de nature interprété
-par Constable, mais, à cette époque, il était entendu qu’il fallait
-toujours, au premier plan, un petit arbre brun, ou une souche, ou une
-racine noire. C’était une habitude entrée tellement dans la vision des
-amateurs, que s’ils ne voyaient pas le premier plan pourvu de ce sombre
-appendice, ils ne reconnaissaient pas un signe des tableaux de maîtres,
-et ils étaient choqués.
-
-C’est cette habitude, cette intoxication, pourrait-on dire, du
-brun, du noirâtre, de la couleur ambrée qui a fait repousser les
-impressionnistes quand ils ont paru. On s’est écrié: «Qu’est-ce que
-ces ombres violettes? Les ombres ne sont pas violettes! Les ombres
-sont brunes.» Sans entrer, pour le moment, dans l’examen des théories
-impressionnistes, on peut dire que les ombres ne sont certainement
-pas, au moins en plein air, brunes comme on les peignait avant eux.
-Ce n’était nullement une loi de nature: c’était une simple habitude
-prise à regarder les tableaux jaunis et noircis des maîtres. Et, alors,
-devant des essais beaucoup plus justes, on était choqué, on criait au
-scandale. «Le terreux et l’olive, dit Delacroix, ont tellement dominé
-leur couleur que la nature est discordante à leurs yeux avec ses tons
-vifs et hardis.»
-
-Comment donc s’y prendre, quand une œuvre imprévue, une technique
-nouvelle vient étonner la vision que les œuvres anciennes nous
-ont donnée de la nature? Comment discerner si c’est une tentative
-légitime, une vision juste,—ou une gageure, une erreur ou une folie?
-Tout simplement en le demandant au modèle lui-même, à la grande
-inspiratrice: en consultant la Nature et en lui comparant, en
-collationnant, pour ainsi dire, avec elle, l’interprétation nouvelle
-qu’on veut nous en imposer. On dit: Tous les goûts sont dans la Nature.
-Soit. Mais toutes les nouveautés y sont aussi. «Le réalisme, dit
-Delacroix, est la grande ressource des novateurs, dans les temps où
-les écoles alanguies, pour réveiller les goûts blasés du public, en
-sont venues à tourner dans le cercle de leurs inventions. Le retour
-à la Nature est proclamé, un matin, par un homme qui se donne pour
-inspiré.» C’est la loi de toutes les révolutions esthétiques. Il faut
-donc y retourner aussi pour juger d’un nouvel effort. D’ailleurs, quand
-paraît un mot nouveau, une expression inconnue, que faisons-nous pour
-en juger? Par exemple, le mot: _ensoleiller_, le mot: _papillonner_,
-le mot: _mondial_? Irons-nous comparer l’expression nouvelle à celles
-qui existent déjà et voir si elle leur ressemble? Ou n’irons-nous pas
-plutôt la comparer à la pensée et voir si elle la rend? Devrons-nous
-chercher dans un dictionnaire et, si nous ne l’y trouvons pas,
-dire: c’est une expression mauvaise; il ne faut pas l’accepter! Ou
-ne devrons-nous pas chercher dans la pensée si la nuance que rend le
-mot y existe, et si cette nuance existe et si l’on n’a pour la rendre
-encore aucun mot, ne dirons-nous pas qu’il est légitime de l’employer?
-Or comparer l’expression nouvelle à la pensée, en littérature, c’est,
-en Art, comparer la vision nouvelle à la Nature,—qui est peut-être une
-pensée infinie.
-
-Ainsi, pour juger d’une œuvre d’art, d’une forme nouvelle dans la vie,
-un seul guide: le goût.
-
-Mais le goût libéré des associations d’idées et de l’habitude.
-
-Or le goût ne se libère des idées que s’il s’attache aux qualités
-spécifiques de l’art, parce que, seul, il peut les sentir.
-
-Il ne se libère de l’habitude que s’il se retrempe dans la
-contemplation de la Nature parce que, seule, elle contient toute
-nouveauté.
-
-Juger avec son goût; le goût s’exerçant sur les qualités spécifiques;
-ces qualités étant considérées dans leur rapport avec la Nature;—toute
-la méthode pour juger d’une œuvre d’art ne serait-elle pas là?
-
-
-IV
-
-Telle est la méthode appliquée dans les essais qui vont suivre. Dans
-aucun d’eux, l’auteur ne prend parti contre le goût instinctif de la
-foule; mais dans tous, il essaie de libérer ce goût des habitudes
-de la vision et de le mettre en garde contre les sophismes du
-raisonnement. Si l’on condamne, de prime abord, la forme grêle des
-ponts métalliques, il demande un second examen. Il examine si ce n’est
-point l’accoutumance aux formes massives de la pierre qui nous empêche
-d’admirer la fine trajectoire du fer. Si l’on refuse de voir dans les
-meilleures œuvres de Monet ou de Sisley des effets justes rendus avec
-puissance, le lecteur est simplement sollicité d’observer s’il ne
-s’est point fait les yeux aux tonalités chaudes et cuites des anciens
-paysagistes,—et si, en s’efforçant de voir la nature avec des yeux
-neufs, en considérant les champs par le plein soleil, il ne retrouve
-pas plutôt les tons de Claude Monet que ceux de Claude Lorrain. Et,
-ainsi, la beauté de certaines choses nouvelles apparaît, pour peu qu’on
-laisse décider le goût, sans l’obsession des modèles anciens et des
-souvenirs.
-
-Mais, d’autre part, l’auteur ne pousse pas si loin la méfiance
-de cette obsession ou de ces souvenirs qu’elle le détourne de son
-instinct, lorsqu’il s’élève avec persistance contre une chose nouvelle.
-Si donc, sacrifiant son goût instinctif et son impression sensorielle
-à quelque raisonnement, le lecteur se croit tenu d’admirer le vêtement
-géométrique moderne ou les maisons de rapport de vingt étages, «parce
-qu’il n’y a pas de formes laides en soi» et «dont l’Art ne puisse
-tirer parti»,—ou s’il condamne, malgré qu’il les trouve belles,
-certaines photographies de tout point semblables à des mezzo-tintes
-ou à des fusains, «parce que la nature n’y est pas vue à travers un
-tempérament»,—l’auteur demande la permission d’examiner ce que valent
-ces deux propositions philosophiques:—s’il est bien vrai que l’Art
-ait jamais tiré parti de la laideur géométrique ou s’il est bien sûr
-qu’il n’y ait point, dans certaines photographies, «intervention d’un
-tempérament». Car ce sont là des arrêts justiciables de la critique
-la plus rationnelle, puisque le goût, l’instinct naturel y est plutôt
-contrarié que suivi et que, seule, une opération de la raison en a
-décidé.
-
-Quant au reste, quant à ce qui ne relève pas de la critique historique,
-c’est la Nature seule qu’il faut consulter. Elle seule est toujours
-belle, ou,—si le mot de beauté éveille une idée de perfection
-plastique trop restreinte et trop anthropomorphe,—elle seule est
-toujours, en tous ses détails, et à toutes ses heures, une joie pour
-le sentiment profond qui veille en nous. A ce sentiment esthétique, ou
-à cette sensation, qui ne se définit guère que parce qu’il n’est pas
-et qui ne s’explique pas plus à celui qui l’ignore que les sensations
-de la faim ou de la soif à qui ne les a jamais ressenties, constamment
-il faut en appeler. Il est juge suprême de l’Art, parce qu’il en jouit
-et en souffre suprêmement. Combien l’éprouvent, je ne pourrais le
-dire, mais comme un culte commun, il unit à travers l’espace, devant
-les mêmes œuvres, des êtres qui s’ignorent et, à travers le temps, des
-êtres qui se succèdent, par les mêmes émotions subtiles ressenties
-et les mêmes colères, et les mêmes douleurs et les mêmes joies
-éprouvées. S’il est des «questions esthétiques contemporaines», c’est
-pour ceux-là seulement d’entre nous, pour qui il y a des joies et des
-douleurs esthétiques, et toute la science ou la raison du monde ne nous
-servirait de rien sans cette joie ou cette douleur, pour les éclaircir,
-ou seulement pour les éprouver.
-
-
-
-
-PREMIÈRE PARTIE
-
-L’ESTHÉTIQUE DU FER
-
-
-
-
-L’ESTHÉTIQUE DU FER
-
-
-Réssuscitons par la pensée le printemps de l’année 1900. C’est l’année
-de l’Exposition universelle.
-
-Les oiseaux migrateurs qui passent en cette saison sur Paris voient le
-long du fleuve qu’ils connaissent un spectacle qu’ils ne connaissaient
-pas. L’ensemble de la ville n’a pas changé. C’est bien toujours la
-même mer grise de pierres où traînent des vapeurs, où s’enfoncent
-des paquets d’herbes, où émergent çà et là les nefs des cathédrales
-et les bouées noires et dorées des dômes dans le flottement des
-ombres violettes qui suivent la course des nuages. Mais ce qui est
-nouveau, c’est l’entassement d’une multitude de toits, sur des rives
-ordinairement vides, et ce qui est étrange, c’est leur diversité.
-
-La plupart de ces toits, l’oiseau migrateur les connaît et, s’il est de
-ceux qui y suspendent leur nid, il en sait le degré d’hospitalité. Mais
-il ne les a jamais vus ensemble. Il est accoutumé à trouver, après les
-toits pointus en bois ou en ardoises des régions pluvieuses, le toit
-de tuiles des climats tempérés, puis le dôme et la terrasse des pays
-chauds, mais non pas avant d’avoir traversé les montagnes qui partagent
-les bassins, ni suivi les vallées où s’étagent les vignes, ni passé la
-mosaïque bleue et or de la mer et des îles et vu se presser les têtes
-rondes des orangers et la garde montante des cyprès.
-
-Ici, en planant, dans un coup d’ailes, il aperçoit, aussi serrés les
-uns contre les autres que des chapeaux dans une foule, tous les toits
-que séparent d’ordinaire de longues journées de voyage à travers les
-climats changeants: chapeaux plats, chapeaux ronds, chapeaux de paille,
-casques d’or, pyramides à écailles de bois disposées pour le glissement
-des neiges; terrasses faites pour goûter la fraîcheur des soirs, dômes
-d’Orient, piles d’abat-jour, toits relevés à leurs bouts comme des
-souliers à la poulaine, pigeonniers du moyen âge, taillis de couteaux
-du Soudan, tas de grosses bûches des toupas ou des isbas; tous les jets
-des flèches et tous les bouillonnements des coupoles, depuis la pomme
-byzantine jusqu’à la poire d’or moscovite. Voilà ce qu’un migrateur au
-printemps de l’année 1900 pouvait voir en passant.
-
-Mais pendant l’hiver qui précéda l’Exposition, ce qu’il eût aperçu
-était plus étrange encore. Au premier abord, en voyant la fourmilière
-des ouvriers s’acharner à ces constructions hémisphériques tout au bord
-de l’eau et avec des matériaux qui, de haut, ressemblaient beaucoup à
-de fines bûches, il les eût pris pour un peuple de castors au travail.
-Au bout de quelques instants, à mieux considérer ces édifices, il les
-aurait crus construits par des oiseaux. On eût dit en effet des nids
-gigantesques posés sur les deux bords d’un ruisseau: nids formés d’un
-inextricable fouillis de baguettes entremêlées avec une incomparable
-adresse, que peut seule surpasser celle du loriot ou de la rousserole;
-nids feutrés sinon du coton des fleurs de peuplier, de toiles
-d’araignées ou de mousse, du moins de chanvre ou d’étoupe mêlés à du
-plâtre, c’est-à-dire de _staff_; nids tressés de tiges de fer comme ce
-nid qu’on peut voir à Soleure, pays d’horlogers, et que les oiseaux ont
-construit avec des ressorts de montres.
-
-L’armature fine, délicate, nouvelle de tous ces monuments,
-l’ingéniosité de ces nids ou de ces treillis de fer, impondérables
-à l’œil quand ils étaient nus, insoupçonnables dès qu’ils furent
-revêtus, armature commune de tous ces organismes si différents, tel fut
-assurément le plus grand prodige de l’Exposition de 1900.
-
-Devant cette végétation de fer de plus en plus touffue et envahissante,
-nous reconnaissons la marche sûre et les fortes prises de la science.
-Et quand, par hasard, cette armature, débarrassée de tous les matériaux
-qui la cachent, veut se suffire à elle-même et apparaît seule à nos
-regards, comme dans l’intérieur de quelques palais et dans le nouveau
-pont jeté sur la Seine, quand nous voyons se réaliser au seuil du
-siècle nouveau le vœu de ce poète du XVI^e siècle:
-
- Une maison d’archal composée en réseaux,
-
-ce n’est plus seulement de l’admiration pour la Science, mais ce sont
-des inquiétudes pour l’Art.
-
-Inquiétudes mêlées d’espérances, car, dans l’agglomération de toutes
-ces formules de bois, de pierre, ou reproduisant exactement les formes
-du bois et de la pierre, le seul rameau nouveau, qui s’ajoute au vieil
-arbre touffu et confus de l’architecture universelle, est un rameau de
-fer. Que faut-il partager de ces inquiétudes? Jusqu’où faut-il aller de
-ces espérances? C’est ce que les exemples mis depuis quelques années
-sous nos yeux nous permettent peut-être de déterminer.
-
-
-
-
-CHAPITRE I
-
-Comment juger d’une architecture nouvelle?
-
-
-§ 1.
-
-Comment en jugerons-nous? Avec notre goût. Car, pour juger d’une forme
-nouvelle, nous devons nous garer de deux suggestions: l’une que nous
-fournit la pure habitude, l’autre que nous inspire le raisonnement pur;
-la première ayant façonné notre goût, jusqu’à le rendre hostile à toute
-forme nouvelle, et le second nous faisant défier de cette habitude,
-jusqu’à l’abdication complète de notre goût. Les deux manières de
-juger sont fatales, car elles entravent également l’indépendance du
-seul sentiment qui nous permette d’éprouver la beauté: le sentiment
-esthétique, alors que la raison ne doit servir qu’à écarter du sujet
-les entreprises de la raison même et assurer le libre exercice du goût.
-
-En effet, parce qu’une forme imprévue éveille en nous d’autres idées
-que l’usage du monument auquel l’artiste vient de l’employer, il ne
-faut pas la condamner comme laide. Et, par exemple, ce n’est point
-parce qu’un musée ressemblerait de loin à un chapiteau d’alambic ou
-une porte monumentale à un appareil de chauffage, qu’il faudrait, dès
-l’instant, les condamner. Ce n’est point davantage parce que de minces
-piliers, faits d’une matière nouvelle et supportant une énorme voûte,
-ne nous fourniront plus l’impression de stabilité que nous donnaient
-les larges assises de pierre, qu’il faudrait dire que toute beauté est
-perdue. L’habitude n’est pas une loi.
-
-Mais, d’autre part, parce qu’une forme, bien que laide, nous paraîtrait
-s’approprier exactement aux besoins de la vie moderne, comme fait une
-gare de chemin de fer, il ne faudrait pas en conclure nécessairement
-qu’elle est belle. Une forme peut être nouvelle à la fois et belle.
-Mais elle peut être nouvelle, exactement appropriée à un besoin
-moderne, représentative d’une foules d’idées sociologiques,—et laide
-sans plus.
-
-Dans les deux cas, ce dont il faut se méfier, c’est l’abus du
-raisonnement. Ce qu’il faut suivre, c’est l’impression esthétique,
-et non pas ce que cette impression a de surtout intellectuel, comme
-l’association des idées dans notre tête, mais ce qu’elle a surtout de
-sensible, comme l’association des formes devant nos yeux. Ce qu’il faut
-en croire surtout, c’est notre impression.
-
-Or, ce qui provoque d’abord l’impression des yeux, ce n’est pas une
-notion intellectuelle, ce n’est pas l’idée de l’appropriation à un
-usage, ce n’est pas l’idée de signification structurale, ce n’est pas
-même l’idée de stabilité: c’est l’élégance, le rythme, la silhouette
-totale, apparue; c’est, si l’on peut ainsi dire, la _tache_ heureuse
-que fait un monument sur la ville et sur le ciel.
-
-Si cette tache n’est pas heureuse, si, aux yeux, les lignes décisives
-sont lourdes ou étriquées, ou monotones, vainement prouvera-t-on que
-l’édifice est solide, approprié à sa destination, révélateur de sa
-fonction, suggestif d’idées; il pourra plaire à l’esprit, il ne plaira
-pas au sentiment esthétique. A l’inverse, si la tache est heureuse,
-le monument peut être archaïque, exotique, mal approprié au sol et au
-ciel; il peut, vu de son pied, n’offrir que des profils tristes, des
-reliefs masqués les uns par les autres, et pourtant, s’il est contemplé
-de loin, produire sur la ville et dans le ciel une tache heureuse, une
-apparition révélatrice.
-
-Le Sacré-Cœur de Montmartre est un exemple. Peu de projets furent
-assaillis de critiques plus vives, plus unanimes, plus légitimes.
-D’abord, cette église n’était guère qu’une coupole, sans nef qui y
-conduisît. D’en bas, on ne pouvait apercevoir sa façade, mais seulement
-son porche,—ce qui ne donnait l’idée que d’une grande chapelle. Il
-n’y avait point de lumière au dedans, et point d’ombres, accusant les
-reliefs, au dehors. D’ailleurs, pourquoi cet art exotique et vieillot
-du «Bas-Empire»? Pourquoi, sur la Ville Lumière, ce pastiche énorme
-d’une obscure bâtisse de Périgueux? Toutes ces critiques semblaient
-très justes, et si l’on va regarder le colosse de près ou du bas de la
-Butte, elles n’ont rien perdu de leur vérité. Mais puisqu’on le voit de
-tant de points différents de Paris, de l’avenue Montaigne comme de la
-rue Solférino, des boulevards comme du haut de Meudon, c’est sans doute
-son effet lointain et total qu’il faut considérer.
-
-Or, cet effet est une révélation. On ne voit plus, au-dessus de
-la montagne de maisons grises, qu’un léger nuage blanc et violet,
-nuage d’où ne tombe nul orage, mais, seul et rare, le grondement
-d’une cloche. Le critique ne perçoit, si bien qu’il regarde, qu’un
-floconnement de coupoles qui assaillent le ciel, l’une montant sur
-l’autre, la dernière enfin atteignant son but, et recouvrant tout de
-sa splendeur. Bien au-dessus des coupoles de la contemplation et de
-la guerre, au-dessus des observatoires fixés sur les terres, et des
-tourelles errantes sur les mers où s’embusquent les plus prodigieux
-appareils d’observation ou de destruction qu’ait produits le génie
-humain, s’élève maintenant la coupole du Salut. Et l’on sent que cette
-forme est bien celle qui convenait ici. Au sommet d’une ville qui
-pyramide, ce n’est point un nouvel élan qu’il faut, mais une couronne.
-Des plaines, il est bon que les flèches s’élancent vers le ciel comme
-une prière. Mais des hauteurs il est mieux que les coupoles s’abaissent
-comme une bénédiction.
-
-De même, la «tache heureuse», c’est le mérite du Petit Palais et de la
-perspective entière des Champs-Élysées aux Invalides. Certes, il n’y a
-rien dans ces monuments de nouveau, ni de puissant. Le «Grand» Palais
-se prolonge, çà et là, dans un développement si peu compréhensible
-qu’il paraît des deux le plus petit. Sa colonnade se juche sur un
-soubassement si haut et se tapit sous une masse de verre si énorme,
-que les colonnes, réduites à un rôle purement ornemental, ne jouent
-plus le rôle de supports où leur élégance se déploierait. Le style est
-tellement composite, que tout en satisfaisant l’œil à peu près partout,
-il ne frappe et ne s’impose nulle part. Quelques ornements se dressent
-inutilement, telles ces fioles gigantesques et inexplicables qu’on
-voit plantées deux par deux, çà et là, sur le haut de l’édifice. Dès
-qu’on s’éloigne, l’énorme ballon de verre, allongé sur la pierre comme
-un aérostat, plus pesant aux yeux qu’un toit de pierre ou d’ardoises,
-écrase, opprime et aplatit jusqu’à terre le pauvre édifice. Et des
-chevaux féroces, projetés en éventail sur chacune des portes latérales,
-s’épuisent en efforts désespérés pour quitter ce monument auquel un
-sort inexplicable les a, momentanément, attachés.
-
-Mais, quand on aura fait ces critiques et cent autres, il n’en restera
-pas moins que, vus des Champs-Élysées, les deux palais sont ce qu’il
-fallait qu’on vît. Ils forment l’allée nécessaire, plantée de colonnes
-ioniques, qui conduit l’œil aux pylones qui marquent les limites du
-fleuve. Ce sont les jalons indispensables pour creuser l’horizon vers
-le dôme. La «tache» que fait chacun de ces deux palais est si heureuse
-qu’on ne la remarque déjà plus. Il semble qu’ils aient toujours été là.
-Quand on entre dans le Petit Palais de M. Girault, on éprouve cette
-impression de paix. On l’éprouve aussi sous la colonnade intérieure
-qui égaie l’hémicycle, devant les trois miroirs où se reflètent les
-marbres neufs, et où l’on voit, quand un souffle ride l’eau, les
-génies qui se tiennent sur le portique, remuer, au gré des reflets,
-leurs ailes d’or.... Le succès du _Petit Palais_, c’est le triomphe de
-l’éclectisme, mais c’est aussi le signe évident que notre architecture
-n’excelle qu’aux recommencements et, qu’au milieu de tant de choses
-neuves, il n’y a pas une nouveauté.
-
-La pierre n’aura-t-elle donc rien fourni d’imprévu dans cette immense
-poussée architecturale? N’y a-t-il rien qui donne une physionomie
-nouvelle au Paris de 1900?—Si. Mais ce n’est pas un legs de
-l’Exposition. Regardez plus loin vers le Sud et regardez plus haut
-vers le Nord. Deux monuments dont personne ne parlait plus et qu’on
-n’avait point invités à la fête, deux intrus gigantesques surgissent
-brusquement l’un dans la plaine, l’autre sur la colline et, ensemble,
-aux deux côtés de l’horizon, donnent à Paris un couronnement que nous
-ne lui connaissions pas. L’un est le dôme des Invalides, l’autre est
-le Sacré-Cœur de Montmartre. Entre les deux rives qu’ils ponctuent, la
-science a jeté le pont de la Paix. Ce dôme, ce faisceau de coupoles,
-ce pont qui permet d’aller des unes à l’autre, voilà ce que Paris
-n’avait pas encore vu et ce que le monde entier découvre aujourd’hui
-comme une vision nouvelle dans Paris. L’un nous était caché par les
-échafaudages, l’autre par le palais de l’Industrie. Les nuages se
-sont dissipés. Le palais où l’on vit tant de mauvaises peintures est
-tombé comme un mauvais rêve. A son dernier jour seulement, réduit à sa
-porte monumentale sous la pioche du démolisseur, il revêtit un instant
-la dignité d’une ruine. Il eut l’aspect d’un vieil arc de triomphe,
-tandis que dans l’atmosphère de février mêlée de pluie et de soleil,
-l’aiguille d’or des Invalides, soudain apparue, tournée vers les nuages
-derrière les décombres, droite, étincelante, sembla marquer une heure
-invisible, dans le ciel incertain de la patrie....
-
-En bas, _Gallia Victrix_, en haut, _Gallia pœnitens et devota_: la
-vision est singulièrement antithétique et saisissante. Certes ces deux
-monuments furent assaillis de bien des colères philosophiques, le plus
-ancien, pour son souvenir qu’on trouvait insolent, le plus jeune, pour
-sa devise qu’on trouvait trop humble, comme s’il y avait quelque honte
-à faire, après les épreuves que l’on sait, un examen de conscience
-nationale et comme si, d’ailleurs, la foi qui poussa tant de millions
-de Français dans cette œuvre désintéressée, patiente, profonde, dans
-cet édifice dont la hauteur souterraine égale exactement la hauteur
-visible, n’était pas, quelque opinion qu’on puisse avoir sur son
-objet, une preuve de vie, et, autant que nos formidables exhibitions
-industrielles, un signe de force au manomètre d’une nation!
-
-Et, d’autre part, est-il mauvais que l’apparition du dôme de Mansart
-nous rappelle ce qu’à ce manomètre la gloire jadis a marqué? Les choses
-ont leurs ironies plus encore que leurs larmes, et dans la hâte où nous
-sommes de leur donner des significations éternelles, nous courons le
-risque des prédictions d’almanach. On a construit ce pont à l’honneur
-de la Paix et le voici qui mène tout droit au Dieu de la Guerre. On a
-ouvert ce chemin pour aller commodément jusqu’à ce congrès pacifique
-des peuples, entre les mille drapeaux des nations flottant sur diverses
-épices, et il se trouve que c’est une trouée vers le casque flambant au
-soleil qui recouvre les mêmes drapeaux étrangers, seulement déchirés,
-ceux-là, et conquis dans les batailles. De son antre de vieilles
-pierres françaises taillées par les maçons du grand siècle, au fond
-de la cour d’honneur, ayant sous ses pieds le bronze historié de
-Wurtemberg et sur sa tête les étendards suspendus dans le sanctuaire,
-le «petit homme... tout habillé de gris» regarde droit à travers
-l’Exposition jusqu’au cœur de la ville qui lui était masqué.
-
-On savait qu’il existait, sans doute, mais on avait oublié qu’il fût
-là, si près dans ces Champs-Élysées cosmopolites où tous les peuples
-du Nouveau-Monde pouvaient passer et repasser sans le voir. Mais, tout
-d’un coup, il paraît. Et comme une foule qui se range sur le passage
-d’un souverain, voici que tous ces palais de carton: palais des arts
-décoratifs et palais des manufactures nationales, palais des peuples
-nouveaux comme palais des peuples jadis vaincus, palais aigrettés comme
-des casques et chamarrés comme des chambellans, se sont rangés des deux
-côtés pour laisser voir au loin, tout au bout du sillon creusé par le
-respect, le dôme or et noir, le monument solide et hautain d’une gloire
-qui n’est plus. Et il semble qu’on entende retentir tout à coup, dans
-les Champs-Élysées inutilement affairés et gravement frivoles, le cri
-qui faisait ranger tous les courtisans dans les salles des Tuileries ou
-de Saint-Cloud: «l’Empereur!»
-
-
-§2.
-
-Ce don d’une architecture nouvelle que la pierre nous refuse, le fer
-nous le promet-il? On s’en flatte d’ordinaire et l’on a écrit là-dessus
-de très belles pages. Jadis Boileau et Labrouste en fournirent de
-fort bonnes raisons et de fort mauvais exemples. A cette opinion
-Viollet-le-Duc se rangea aussi. Depuis eux, cette idée s’est répandue
-qu’une civilisation nouvelle, servie par de nouveaux matériaux, ne
-pouvait manquer de produire un style d’architecture nouveau. Et puisque
-le fer était d’hier, il devait donner des courbes, des voûtes, des
-lignes que l’Antiquité ni le Moyen Age n’avaient connues.
-
-Dans ces inoubliables pages simplement définies par leur auteur, «les
-Cahiers d’un Étudiant à l’Exposition de 1889», où Melchior de Vogüé
-découvrit à tant d’âmes curieuses, inquiètes, la signification de
-l’évolution matérielle à laquelle nous assistions, l’éloge du fer
-retentit comme la diane et nous réjouit comme une aurore. Beaucoup de
-nos impressions confuses semblaient le corroborer.
-
-Comme les monuments les plus simples que nous devions à son emploi dans
-les usages utiles de la vie nous paraissaient infiniment moins laids
-que nos prétentions architecturales; comme la Galerie des machines de
-Paris ou l’_Ames Building_ de Boston étaient moins offensants pour la
-vue que le casino de Monte-Carlo ou que le Trocadéro, nous en tirions
-tous cette conclusion que le fer possédait par lui-même quelque vertu
-de «beauté abstraite et algébrique», que, dans tous les cas, la «force
-du besoin» clairement manifestée était sans doute un principe de
-beauté.
-
-C’était partir d’une observation très juste, mais incomplète pour en
-tirer une déduction très contestable. Car, s’il est assez difficile, en
-architecture comme ailleurs, de déterminer quel est le vrai principe
-de beauté, il ne l’est pas d’apercevoir qu’il ne tient ni dans la
-force de l’algèbre, ni dans la force du besoin. On n’a jamais observé
-qu’une chose fût belle par cela seul qu’elle était nécessaire. Ce qu’on
-a observé maintes fois, c’est qu’une chose née du besoin et neutre
-au point de vue esthétique devenait laide, quand on la parait d’un
-ornement né de la fantaisie. Ce n’est pas la force du besoin qui est un
-principe de beauté: c’est la faiblesse du superflu qui est une raison
-de laideur. Là où le besoin se manifeste seul, il n’y a le plus souvent
-ni laideur, ni beauté. Il y a une sorte de neutralité esthétique.
-De grands murs nus ou quadrillés de briques apparentes et criblés
-de fenêtres égales peuvent être tristes: ils ne sont pas irritants
-comme des façades de petits théâtres chargés de tous les désordres
-grecs ou de toutes les intempérances de l’Orient. On vivra tristement
-devant ces maisons simples, mais non dans la colère. Elles sont comme
-de longues plaines endormies sous les neiges, qu’aucun accident ne
-trouble, que nul ornement n’égaie. Mais elles ne sont pas de mauvais
-goût. Le mauvais goût ne se révèle qu’avec l’accident, l’ornement,
-la prétention architecturale. Le mauvais goût suppose l’exercice d’un
-goût. Le laid ne commence qu’avec la recherche du beau.
-
-Quand vous passez devant un monument agressivement inesthétique,
-supprimez par la pensée tous les ornements inutiles à sa solidité et
-indépendants de sa fonction, redressez toutes les courbes que rien
-ne suggère, abattez toutes les moulures que rien ne nécessite et le
-monument cessera d’être laid. Mais il ne deviendra pas nécessairement
-beau. En supprimant l’inutile, en serrant de près la logique de la
-construction, vous aurez certainement ôté la laideur. Mais vous n’aurez
-pas nécessairement conféré la beauté.
-
-Et, d’autre part, que de belles lignes monumentales ou décoratives ne
-sont pas logiques le moins du monde et ne satisfont nullement notre
-raison, mais seulement notre goût, notre instinct tout physique, et
-sensoriel d’harmonie, de souplesse et de vigueur! Que de chefs-d’œuvre
-où l’ornement n’est pas une mise en évidence de la structure interne,
-mais une dissimulation! Que de riches courbes qui ne sont pas dérivées
-des qualités spécifiques des matériaux employés, mais imitées de formes
-créées pour d’autres matières, en d’autres temps et sous d’autres
-cieux! Voici le _Baptistère_ de Florence: la forme ronde et cintrée de
-sa structure interne est-elle révélée au dehors par une construction
-circulaire? Point du tout; les murs sont plats et la figure hexagone,
-en sorte qu’on croit entrer dans une salle rectangulaire, et on trouve
-une rotonde. Voici le _Saint-Marc_ de Venise: l’ossature est-elle
-visible? Non, elle est dissimulée sous un revêtement éclatant de
-mosaïque à l’aspect de métal. Voici l’architecture arabe: les arcs, les
-ogives découpés à profusion ne nous laissent pas de doute. Nous voyons
-bien que le poids est rejeté tout entier sur les côtés.... C’est faux!
-Il repose sur les poutres horizontales demeurées invisibles. Prenons la
-colonne dorique. Faut-il blâmer la forme du fût renflée à mi-hauteur,
-parce qu’elle est inspirée de l’écrasement des faisceaux de cannes
-primitivement employés, ou n’est-elle pas un charme de plus? Faut-il
-blâmer les plus anciens monuments de l’Inde, parce qu’ils reproduisent
-en pierre les poutres et les balustrades de bois et en imitent
-jusqu’aux joints? Ou les meubles du Moyen Age et de la Renaissance,
-parce que le bois y reproduit les formes architectoniques de la pierre?
-Où est la logique en tout cela? où l’appropriation de la forme à la
-matière? où l’expression de la structure intime par l’ornement?
-
-Que de beaux édifices, enfin, dont l’aspect ne révèle nullement la
-fonction! Et quand, d’aventure, l’un de ceux qui la révélaient ne
-remplit plus la fonction pour laquelle il fut conçu, cesse-t-il pour
-cela d’être beau? La façade de l’hôtel des Invalides est-elle devenue
-moins belle depuis qu’elle recouvre des comités techniques d’inventions
-à la place de l’hospice héroïque qu’elle était censée annoncer aux
-yeux? Le palais des papes d’Avignon est-il moins beau depuis qu’il ne
-contient plus de papes, les pyramides moins belles depuis qu’elles
-n’ont plus leurs morts? Qui a jamais compris, en les voyant, à quoi
-peuvent servir les gopuras ou les terrasses superposées de l’Inde,
-et qui a hésité à les admirer? Quand s’élève, à l’horizon ou dans
-la forêt, une belle harmonie de pierre, ou de bois, ou de métal,
-qu’importe qu’elle serve à une église ou à un hôpital, à une caserne
-ou à un château, à une forteresse ou à un concert? ce n’en est pas
-moins une belle harmonie. Dire que, pour être belle, une forme doit
-annoncer et exprimer la fonction qu’elle remplit, c’est énoncer une de
-ces propositions respectueusement admises par la critique contemporaine
-pour leur aspect rigoureux, mais que rien ne vérifie et qu’on se passe
-de main en main comme une pièce fausse, de confiance, faute de l’avoir
-jamais regardée.
-
-Quand donc nous aurons établi que le fer est utile, qu’il est logique,
-qu’il est nouveau, qu’il est approprié à nos besoins et à notre état
-social, et qu’il révèle immédiatement au dehors sa structure interne,
-nous n’aurons pas montré qu’il conférera nécessairement à nos monuments
-quelque nouvelle beauté. Il faudra encore qu’il ait certaines qualités
-que la raison perçoit moins clairement peut-être, mais que le sentiment
-éprouve et que les yeux démêlent: la grâce, l’élégance des courbes,
-la sûre et facile harmonie des droites, le jeu des ombres sous les
-reliefs, le balancement des pleins et des vides, l’ordre qui repose la
-vue parce qu’il est facile à percevoir, et la variété qui la sollicite
-parce qu’elle lui offre des multitudes de sensations à éprouver.
-
-
-
-
-CHAPITRE II
-
-Le triomphe du fer: le Pont et son échec, la Maison.
-
-
-Or, les éprouvons-nous? Non. Quand on fait l’apologie des monuments de
-fer, les motifs qu’on nous en donne sont surtout de raison raisonnante.
-On ne dit pas: ce monument est admirable parce qu’il plaît au sens
-obscur de l’ordre dans les formes matérielles et au goût de leur
-variété, de leurs tours et de leurs retours capricieux où l’harmonie se
-devine, mais se dissimule sous la complication, mais on dit: il faut de
-toute nécessité qu’il le soit, puisqu’il répond au temps où nous vivons
-et aux instincts du peuple que nous sommes.
-
-Étrange postulat! Comme si toutes les fois qu’un peuple et qu’un temps
-avaient des besoins nouveaux, ils créaient nécessairement un beau
-style d’architecture pour les exprimer? Quoi de plus nouveau, de plus
-puissant et de plus _genuine_ que la jeune civilisation américaine,
-et quoi de plus banal que ses palais,—château de Blois sur la face,
-Parthénon sur le revers,—qui empruntent à tous les styles et ne rendent
-pas, en intérêt, ce qu’ils ont emprunté? On a voulu faire un sort, en
-esthétique, aux «maisons hautes» des États-Unis comme aux premiers
-phares dressés pour éclairer les novateurs des deux mondes. Mais à
-les bien considérer, les styles de ces gigantesques «accroche-nuages»
-ne sont que des multiplications de styles déjà fort connus et fort
-anciens. Ce n’est point parce que le _Monadnock Building_ entassera
-treize bow-windows les uns sur les autres qu’il aura réalisé un style
-de bow-window nouveau, ni parce que l’_Union Trust Company_ de Missouri
-portera plus haut qu’aucun monument égyptien la «gorge égyptienne»,
-qu’il aura en quelque manière enrichi ce mode de couronner un sommet.
-Ces maisons hautes romanes par leur porte, grecques par leurs colonnes,
-égyptiennes ou plus souvent gothiques par leur couronnement, sont tout
-ce qu’une maison peut être: hors américaines. Par leur masse compacte
-et solide, elles rappellent surtout les vieux monuments romans ou
-anglo-saxons de l’époque carolingienne, comme la tour d’Earl’s Barton,
-par exemple, et rien n’est moins «nouveau-monde». Et en quoi l’arc de
-triomphe élevé en l’honneur de l’amiral Dewey sur la cinquième avenue
-diffère-t-il des arcs de Titus et de Constantin?
-
-Pareillement, est-il un peuple plus particulier, plus puissamment
-original et depuis plus longtemps que les républiques Sud-Africaines,
-et les églises et les palais de Johannesburg ou de Pretoria
-diffèrent-ils de ceux de Londres ou de Chicago? L’exemple des Boërs
-défendant des palais à ordres grecs, et celui des Américains faisant
-passer leurs troupes victorieuses sous l’arc de triomphe de Constantin
-nous montrent assez que l’art ne suit pas nécessairement la marche
-d’une civilisation, et qu’à certaines époques il est plus facile de
-créer une patrie qu’un style ou de la défendre que de l’embellir.
-
-Sans donc nous attarder aux postulats, jugeons donc le fait.
-Interrogeons l’impression produite chez nous tous, dans tous les pays,
-par les monuments de fer aperçus durant ces dernières années: aux
-expositions, dans les villes, dans la campagne, sur les fleuves. Comme
-nous nous sommes gardés soigneusement des suggestions intellectuelles,
-gardons-nous des préjugés d’une habitude de vision, et nous avouerons
-qu’on ne peut écarter, d’un mot, toute l’Esthétique du fer. Il y a
-tout un ordre de monuments où nous reconnaîtrons la Beauté. Elle
-est dans ces fermes admirables du pont Mirabeau ou du pont Alexandre
-III,—dans ces branches de fer qu’une main puissante a courbées d’une
-rive à l’autre pour donner passage à des peuples entiers en quête de
-merveilles.
-
-Rien n’est plus nouveau, mais rien n’est plus heureux que cette
-substitution d’une fine trajectoire de fer au lourd et massif
-établissement des ponts anciens, que nous étions accoutumés d’admirer.
-
-Rien n’a changé davantage dans l’architecture que l’aspect d’un pont.
-Mais rien n’a changé plus heureusement. Au temps où, dans les villes
-ceinturées par leurs remparts, les maisons se serraient, sans perdre
-un pouce de terrain, les unes contre les autres, comme un troupeau
-qui a peur, le pont de pierre était une rue qui se continuait sur
-l’eau. Mais, dans les temps modernes, les populations se desserrent,
-débordent leurs murailles et, les débordant, les renversent. Elles
-descendent des tours, elles font cercle autour de leurs monuments et
-laissent la nature renaître, çà et là, en de carrées oasis. Elles ont
-donc abandonné les ponts, qui ne sont plus qu’un lieu de passage. Les
-anciens étaient en pierre, comme les maisons construites sur leurs
-piles. Les nouveaux sont en fer, comme les trains qui filent sur leurs
-voies. Le pont était une ville, entre les deux villes; on y bâtissait
-des boutiques, on y édifiait des chapelles: on s’arrêtait pour y
-danser, pour y loger, pour y coucher, pour y prier, pour mourir. On
-y enfermait même les prisonniers et il n’est rien de plus banal dans
-l’histoire que l’exemple du pont des Soupirs. Aujourd’hui l’on n’entend
-plus trop parler de gens demeurant sur les ponts et, si la locution
-populaire «coucher sous les ponts» subsiste, ce n’est pas pour porter
-témoignage d’un goût contemporain, mais d’une fâcheuse nécessité.
-
-L’aspect du pont ancien témoignait de ses fonctions diverses. Il
-ressemblait à la fois à une forteresse et à une rangée de navires:
-forteresse contre les hommes, navires contre les flots. Forteresse de
-si étroite ouverture, que, sur le pont Sublicius, un héros suffisait
-à la défendre contre une armée, forteresse munie de portes et de
-créneaux, comme on l’aperçoit encore au pont Nomentane, quand on va
-rêver dans la campagne romaine. Tellement forteresse et tel signe de
-puissance, qu’on représentait un pont dans les armes de certaines
-villes, comme dans celles de Cordoue. Navire contre les flots, chaque
-pile étant construite comme un bateau tournant son avant à l’amont de
-la rivière, portant parfois des figures, pour fendre la nappe d’eau
-contraire. Arrondi en aval comme une poupe, creusé de fenêtres des
-deux côtés comme une dunette, observatoire s’ouvrant d’un côté vers la
-source et de l’autre vers la mer—tel était le pont d’autrefois.
-
-Aujourd’hui, la fonction d’un pont est simplement de relier deux rives
-l’une à l’autre. Aucun pont n’est tenu de faire plus que cela pour
-nous, mais aucun ne doit faire moins. C’est peu qu’il soit un beau
-monument, comme le pont ruiné de Saint-Bénézet sur le Rhône, s’il
-nous laisse à mi-traversée, à pic sur le fleuve. Il faut qu’il aille
-d’un bout à l’autre. Mais, d’ailleurs, il suffit que nous y puissions
-passer. Et, comme nous avons à passer vite, il est inutile qu’il porte
-sur son dos des maisons. Regardez le pont Mirabeau, le pont Alexandre
-III et comparez-les à l’ancien pont de pierres. L’ancien était un
-monument oblong qui barrait l’horizon, terminant une étendue d’eau. On
-eût dit une maison percée de gros caniveaux. On percevait sans doute
-dans les fondations quelques voûtes claires, par où passait le courant,
-mais l’ensemble du monument clôturait l’horizon d’eau et ne révélait
-rien de la venue empressée ou de la fuite majestueuse du fleuve.
-
-Qui dira, si l’on s’en tient uniquement à l’impression des yeux, que
-le pont de fer n’est pas aussi beau? D’abord, il est plus léger.
-Certes on ne doit pas juger de la légèreté d’un monument par la seule
-considération de ses dimensions totales: une arche de 107 mètres n’est
-pas nécessairement plus svelte qu’une arche de 30, non plus qu’un
-dôme de 30 mètres n’est nécessairement plus imposant qu’un dôme de
-15. Les qualités de légèreté ou de grandeur ne sont pas des qualités
-absolues, mais naissent des proportions relatives de l’édifice, parce
-qu’il n’y a pas entre les divers édifices du monde, même d’une ville,
-une commune échelle de grandeur. Seulement, il se trouve qu’ici il y
-a une échelle commune: la Seine, dont la largeur est sensiblement la
-même partout, et le pont qui la traverse d’un bond, comme un cheval,
-paraît nécessairement plus svelte que celui qui, à peu de distance, la
-traverse pas à pas comme un éléphant.
-
-Ce n’est pas seulement là un triomphe pour l’ingénieur: c’est une joie
-pour l’artiste. Aucun des sept ponts dont la Rome impériale était
-si fière, peut-être aucun des cent douze ponts de toutes formes qui
-coupent la Tamise n’ont cette légèreté. Évoquez un instant le grand
-dessin tracé dans l’espace par les manieurs de fer, depuis le puissant
-mammouth du Forth, jusqu’à la suspension aérienne de Brooklyn, les
-merveilles de ces réseaux, depuis les consoles du Niagara jusqu’au
-double viaduc du Douro et aux Cantilevers d’Écosse. Voyez, d’une rive
-à l’autre d’un fleuve, les ingénieurs lancer un pont comme un train
-rigide, ou bien des profondeurs de l’abîme, se soulever un à un vers
-le ciel, comme attirés par un aimant invisible, des tronçons de métal
-qui, s’arrêtant tout à coup dans leur ascension pour se souder les uns
-aux autres, font apparaître entre les deux montagnes un arc-en-ciel
-de fer!... Et admirez qu’ici l’effort de la science, en diminuant
-la matière, ait servi la cause de l’art et que, loin d’opprimer ou
-de cacher la nature, il ait fait apparaître à nos yeux, tout en
-remplissant la même fonction utile qu’autrefois, plus de paysage, plus
-d’eau, plus de ciel.
-
-On a donc trouvé le pont moderne en fer, mais ce n’est pas tout de
-passer: il faudrait demeurer. A-t-on trouvé la demeure moderne? Ici,
-quoi que proteste notre espérance, il faut bien que la franchise
-réponde: Non. L’impression naturelle, spontanée, constamment renouvelée
-de notre instinct esthétique à tous, nous dit qu’on n’a encore trouvé
-ni la maison, ni le palais, ni la tour de fer, ou que, si on les a
-trouvés, on n’en a point trouvé la Beauté. Elle nous dit aussi que
-les grandes prétentions architecturales du fer en 1889 ont paru
-déplaisantes et que quatorze années passées à les considérer n’ont
-guère réconcilié personne avec elles. Et enfin, que, depuis 1889, le
-mouvement en faveur du fer apparent semble arrêté net, et qu’à certains
-de ces monuments, on n’a encore trouvé ni leur emploi, ni même leur
-couleur.
-
-Voilà l’impression. Que dira-t-on contre elle?
-
-Qu’elle tient à une habitude de nos yeux qui ne retrouvent pas dans
-les minces supports de fer les conditions d’équilibre et de stabilité
-auxquelles ils étaient habitués? Et qu’«une longue éducation nouvelle
-du regard sera nécessaire, comme l’affirme M. Sully-Prudhomme, pour
-que la jouissance perdue soit recouvrée[2]»? Sans doute, l’habitude
-est pour quelque chose dans nos impressions. A première vue, la forme
-pyramidale, qui est la forme stable par excellence, nous plaît mieux
-que son contraire et il est rare que nous aimions, si nous la trouvons,
-dans l’architecture, la forme de la pyramide renversée. Mais cette
-exigence de notre vue, due à l’habitude, est-elle inamovible? Non, car
-parfois la nature nous fournit la forme pyramidale renversée sans nous
-choquer. Dans les arbres, la partie la plus large se trouve suspendue
-sur la partie la plus grêle. Le tronc ne rétablit pas toujours par
-sa largeur à la base l’équilibre compromis par son faîte: le tronc
-du palmier, par exemple, diminue en s’approchant du sol et, de toute
-façon, nous apparaît comme une pyramide renversée. Pourtant, nous
-n’avons aucun doute sur sa stabilité. Non plus sur celle d’un homme, vu
-de face, debout, les pieds joints, la tête inclinée sur la poitrine,
-qui lui aussi repose sur une base grêle, eu égard à la largeur de son
-entablement. Dans l’architecture même, nous ne sommes pas inquiétés par
-le profil d’un chalet à encorbellements. Et qui de nous a jamais été
-choqué par le palais des Doges?
-
-Ainsi donc, bien avant le fer, notre surprise de voir de frêles
-supports soutenir un immense appareil n’était pas telle qu’elle
-commandât impérativement notre goût. Quand, en 1889, ont surgi de
-terre les piliers de la galerie des Machines, nous ne nous sommes
-pas scandalisés parce qu’ils s’amincissaient en s’approchant du sol,
-comme des troncs de palmiers. Car nous ne mettions pas en doute leur
-stabilité.
-
-Mais tandis que l’idée de solidité change selon que notre esprit est
-plus ou moins averti des conditions de cette solidité, l’impression
-d’élégance d’une ligne, elle, ne change guère. Et l’on aura beau nous
-dire qu’une voûte de verre est plus légère qu’une voûte de pierre, nos
-yeux la verront toujours plus lourde, plus massive et plus monotone
-dans sa convexité. Ce qui importe donc plus que toutes les notions
-purement intellectuelles, c’est l’impression esthétique en face d’une
-ligne ou d’une couleur, et quand nous repoussons, dans l’ensemble du
-monument vu du dehors, les calottes de verre, c’est-à-dire la matière
-la plus lourde à l’œil et la plus sombre qu’on puisse imaginer, et,
-dans le détail des poutres, les entretoises et les croisillons,
-les N et les croix de Saint-André, dont se compose l’ornementation
-architectonique du fer, ce n’est point une notion intellectuelle
-et qu’un raisonnement peut modifier, mais une impression purement
-sensorielle et qu’aucun raisonnement ne changera. Ce n’est point là
-une impression subtile d’érudit ou d’archéologue. C’est l’impression
-naturelle et spontanée du plus ignorant des hommes, qui a des yeux, qui
-les ouvre, non sur des livres, mais sur la nature, et qui aime mieux
-voir une amphore qu’une cloche à melon!
-
-Contre cette impression que dit-on encore? Qu’elle est fausse parce
-qu’elle est nouvelle. Qu’elle passera avec l’habitude. Que tous les
-partisans d’un art établi l’éprouvèrent en face de l’art qui allait
-le remplacer et que nous sommes devant ces hautes carcasses de fer,
-comme les Grecs eussent été devant les barbares chefs-d’œuvre de l’art
-ogival. On ajoute que le fer n’est déplaisant que là où, abandonnant
-ses qualités propres et dissimulant sa nature pour simuler celle de
-la pierre, il emprunte à celle-ci son aspect décoratif, mais que s’il
-osait se déployer sans modèle, s’aventurer sans guide, s’affirmer
-sans peur, il trouverait de lui-même le caractère de beauté qui lui
-convient, et que, pour le trouver, l’architecte n’a qu’à suivre les
-suggestions de la matière nouvelle qu’il emploie et qu’à donner, comme
-caractéristiques aux palais nouveaux, les caractéristiques mêmes du
-fer? Que valent ces deux arguments?
-
-
-
-
-CHAPITRE III
-
-Pourquoi le fer permet tout et n’ordonne rien.
-
-
-Tout d’abord, est-il vrai que la révolution apportée par le fer dans
-les formes constructives est de la même nature et d’une nature aussi
-importante que celle apportée par l’ogive et l’ensemble des nervures
-succédant au plein cintre ou bien par le plein cintre succédant
-au linteau? Ensuite peut-on comparer le remplacement de la pierre
-par le fer à celui du bois par la pierre? Enfin, y a-t-il dans
-toute l’histoire des révolutions de l’architecture quelque chose de
-comparable à celle-ci, qui nous permette de dire: les anciennes furent
-des sources de vie, la dernière doit en être une nouvelle et pour les
-mêmes raisons.
-
-Or c’est très douteux.—Réduite à ses termes les plus simples,
-l’architecture est l’art d’abord de cacher le ciel et la terre, le ciel
-par le toit, la terre par les murs, et cela, non pour les cacher, mais
-pour se préserver de leurs intempéries. Ensuite, une fois que le plus
-nécessaire est fait, l’architecture est l’art de laisser apercevoir
-au dedans le plus de choses possible de la terre et du ciel, par les
-fenêtres ou par l’atrium. Ainsi, avant tout, l’architecture est un toit
-et un mur: après seulement, c’est une fenêtre. Le progrès des temps
-a été de donner à cette fenêtre, sans nuire à la solidité du reste,
-le plus d’ouverture et le plus d’agrément possible. Ç’a été aussi
-d’étendre ce trou et d’élargir ces murs, de façon que, sans empêcher
-qu’ils protègent, on oublie qu’ils emprisonnent. Mais si grand que
-fût ce progrès, il ne parvenait pas et il ne serait jamais parvenu,
-avec les matériaux anciens, à renverser absolument la proportion des
-pleins et des vides. Si hardis que fussent les arceaux gothiques dans
-leurs ascensions, et si envahissantes que fussent les rosaces dans leur
-floraison, ce qui donnait son caractère à l’édifice, c’était encore
-le toit opaque et les parois pleines. Sur elles et en elles, toute
-l’ornementation reposait et s’accumulait. Or, dans son dernier état,
-réduite à des fils de fer et à des lames de verre, l’architecture ne
-nous cache plus rien. De la galerie des Machines au palais du Génie
-civil, des palais de l’Horticulture aux halls des chemins de fer, c’est
-la leçon inscrite sur tous ces fers à T. Le fer est un support, ce
-n’est pas une surface.
-
-De là, plusieurs grandes conséquences.
-
-Avec la pierre, tout l’effort de l’artiste tend à évider sans détruire:
-avec le fer, à remplir sans incommoder. Avec la pierre, toute son
-industrie consiste à pratiquer des vides pour plaire à l’œil sans
-nuire à la stabilité: avec le fer, à construire des pleins pour plaire
-à l’œil et qui sont inutiles. Autrefois, on faisait des pleins par
-nécessité et des vides par élégance. Aujourd’hui, on fait des vides
-par nécessité et des pleins par élégance. En sorte qu’on peut bien
-parler d’«Architecture de fer», mais, si l’on admet cette définition
-que les pleins sont les parties essentielles de l’architecture, il
-faut avouer que le fer fait bien mieux que de modifier l’architecture:
-il la supprime. Il ne laisse plus que les vides. On peut assurément
-remplir ces vides avec de la pierre, de la brique, et peut-être avec
-du céramo-cristal ou de la terre cuite. Mais alors, ce n’est plus de
-l’architecture de fer. Réduit à sa matière nécessaire et apparente, le
-fer, en supprimant l’obstacle à la vue, supprime l’objet de la vue,
-c’est-à-dire apparemment quelque chose de considérable en esthétique.
-
-C’est la dernière évolution de cet art autrefois si riche, si touffu,
-si fleuri. La voûte, semblable à celle d’une forêt, parvenue à
-l’hiver de l’architecture, laisse tomber ses feuilles. Les caissons,
-les moulures de la Renaissance sont tombés: tombées les floraisons du
-Moyen Age, tombés les amours, les carquois, les babioles mythologiques
-du rococo, l’âge des choses recroquevillées comme des feuilles mortes.
-Aujourd’hui, de ces forêts vivantes, il ne reste plus que les branches
-toutes nues: les branches du fer se profilant seules sur le ciel
-lumineux et changeant.
-
-Aussi ne peut-on pas dire que, dans la substitution du fer à la pierre,
-il n’y ait qu’une révolution semblable à la substitution de l’ogive au
-plein cintre ou de la pierre au bois. Il y a, à la fois, plus et moins.
-
-Il y a plus, car, avec les anciens matériaux, les supports comme
-les frises étaient de la même famille. Dans la pierre, tous ces
-matériaux—os, muscles et peau—sont même substance. Dans la maison de
-fer, les os seuls sont de la même substance. Or, il faut au monument
-autre chose que des os: il faut des muscles, il faut un épiderme. A
-ce moment-là donc, dès que l’ossature est terminée, il faut, de toute
-nécessité, changer de matière, ce qu’il ne fallait pas nécessairement
-avec la pierre ou le bois. Admirable pour supporter quelque chose
-d’autre que lui-même, le fer ne peut recouvrir ce qu’il protège.
-C’est un bras, le plus fort de tous les bras, ce n’est pas un corps
-organisé. La nature, qui construit les montagnes,—ses monuments à
-elle,—en pierre et les décorations superficielles de ses montagnes en
-bois, ne construit pas avec du fer. Elle contient le fer ou la matière
-du fer, mais comme une armature profonde et cachée.
-
-Mais que le fer ne soit pas «monumental», au sens que nous donnions
-autrefois à ce mot, qu’importe, s’il est esthétique? Et que la
-révolution qu’il annonce soit plus grande que toutes celles que
-l’architecture a déjà vues, qu’importe, si elle est féconde? Telle
-est la pensée des novateurs. Et ils se félicitent de voir le nouveau
-venu bouleverser si fort les habitudes de l’ancienne architecture,
-comme d’un gage évident d’une plus complète rénovation. Car le mal
-de notre art, disent-ils, est précisément dans cet attachement aux
-anciennes formules. Il est dans cet entêtement à vouloir faire dire au
-fer ce qu’il n’est pas fait pour exprimer et à repousser, comme trop
-inattendu, ce que naturellement il exprime. Saisissons, au contraire,
-l’enseignement qu’il nous donne. Conformons-nous à sa nature, suivons
-sa direction. Modelons nos conceptions d’après ses propriétés
-nouvelles, et dérivons les formes monumentales nouvelles de son emploi
-judicieux.
-
-Mais, ici, nous allons trouver que la révolution produite par l’emploi
-du fer, si elle est immense au point de vue des services rendus, est
-beaucoup moins importante au point de vue des formes ou des lignes
-accusées. Et que le fer, bien loin qu’il bouleverse trop ces formes ou
-ces lignes, ne les bouleverse point assez pour les rénover et qu’il
-prend de lui-même, d’après le calcul des forces et la rigueur des
-courbes ou des angles qu’il indique, les mêmes courbes que donnait la
-pierre. Il suffit, pour s’en assurer, d’aller avenue de La Bourdonnais
-et d’entrer dans la galerie des Machines. Voici une voûte qui couvre
-48 000 mètres carrés, portée par des fermes de 115 mètres, sans une
-colonne, sans un tirant. C’est là plus qu’un monument: c’est une voûte
-céleste sous laquelle on peut édifier cent monuments et, de fait, en
-1900, nous y avons vu les toits de toute une ville. Certes, ni la
-substitution de l’ogive au plein cintre, ni la substitution du plein
-cintre au linteau, n’ont donné au constructeur une puissance aussi
-formidable. Bien. Maintenant, considérez la forme de cette voûte, de
-ces fermes, où l’architecte n’a voulu imiter aucune forme ancienne,
-mais a suivi simplement les indications du calcul. Il vous semble
-bien que vous l’avez déjà vue: c’est l’_ogive surbaissée_. Elle est,
-sans doute, gigantesque. C’est la plus grande ogive surbaissée qu’on
-ait jamais dessinée. Mais le chiffre ne fait rien à l’affaire et une
-forme n’est point nouvelle pour être tracée sur une échelle plus grande
-que par le passé. Rappelez-vous, maintenant, ou considérez toutes les
-courbes nécessitées, fournies naturellement, sans désir d’esthétique
-et sans prétention à reproduire ni à inventer, par les auteurs des
-principaux monuments de fer: le palais des Arts libéraux en 1889, et
-celui du Génie civil en 1900; le pavillon de la République du Chili en
-1889, les palais de l’Exposition de Chicago, l’église de la Trinité,
-la bibliothèque Nationale et la bibliothèque Sainte-Geneviève, la gare
-Saint-Pancrace à Londres, le hall de l’hôtel Terminus à Paris, la gare
-de Cologne, et vous verrez que, dans toutes ces courbes que donne le
-fer pour soutenir un toit,—ce qui est la principale fonction et le nœud
-de toute architecture,—on retrouve:
-
- L’ogive surbaissée,
-
- L’arc en anse de panier,
-
- L’arc bombé,
-
- Le plein cintre brisé,
-
-toutes formes que la pierre a fortement exprimées depuis des centaines
-d’années,—ou bien le fronton à arbalétriers droits qui répète
-exactement le dessin fourni par les poutres de bois dans les plus
-humbles maisons de nos villages et dans les plus anciennes _Adorations
-des bergers_ de nos musées.
-
-Quelle est donc cette nature «nouvelle», qu’on affirme qu’il faut
-respecter, et quel est cet enseignement essentiel qu’on prétend
-qu’il faut suivre? Il est bientôt dit que le fer ne doit pas imiter
-la pierre, mais ce qu’on devrait nous indiquer, c’est ce qu’il nous
-suggère au point de vue des formes, qui ne soit contenu dans la pierre
-et qu’elle ne signifie pas mieux que lui? Il est bientôt dit qu’il faut
-accepter franchement les formes nouvelles qu’il nécessite, mais ce
-qu’on ne nous dit pas, c’est ce qu’il nécessite de formes nouvelles,
-car nous avons bien vu ce que le fer _supprime_ d’une construction,
-mais non pas ce qu’il _y apporte_; et enfin, c’est une opinion à
-laquelle nous souscrivons volontiers, que, pour dégager sa beauté, il
-faut laisser agir librement sa nature, mais, encore un coup, que fait
-sa nature, quand on la laisse agir librement?
-
-Or, il le faut avouer: elle ne fait rien, car le fer n’a pas de nature,
-ou plutôt sa caractéristique même, ou, si l’on veut, sa nature, c’est
-précisément de n’en point avoir! Oh! ce n’est point qu’il oppose à
-l’artiste plus d’obstacles que la pierre! C’est précisément l’inverse!
-Avec le fer, l’artiste modèle son monument sur la forme qu’il veut,
-car le plus résistant des matériaux est aussi le plus souple. Il peut
-bâtir un hall avec plus de colonnes qu’une forêt n’a de fûts, une
-basilique avec autant de coupoles qu’une framboise a de graines: Zara
-ou Sainte-Sophie ne sont qu’un jeu pour lui. Sous ses doigts le fer se
-tresse comme, sous les doigts du vannier, la paille. Quand on voit les
-charpentes des maisons métalliques, on songe aux _lento... alvearia
-vimine texta_, que décrit le poète. Et, en effet, ce sont bien des
-ruches et des corbeilles renversées qui semblent posées sur les bords
-de la Seine, dans les palais de l’Horticulture et de l’Arboriculture,
-des nasses d’osier tirées hors de l’eau sur les bords du fleuve, où
-elles paraissent guetter un poisson monstrueux.
-
-Le fer peut se prêter à plus de fantaisies encore. Avec lui et avec les
-autres progrès qu’il rend possibles, n’importe qui peut, n’importe où,
-bâtir n’importe quoi. Il triomphe donc de toutes les lois historiques
-de l’architecture et les renverse.
-
-Longtemps l’architecture, comme la plante, naissait du sol et
-s’accommodait au ciel du pays où on l’avait conçue. Le ciel influait
-et pesait sur la forme de ses toits, pendant que, de la terre qui en
-fournissait les matériaux, jaillissaient ses murs. Ainsi, la nature du
-sol en dictait jusqu’à un certain point la forme et l’ornementation.
-La possession du [Greek: leukos lithos] par les Grecs fut la première
-condition de leur art; de même, l’existence des carrières de marbre
-coloré, près de Vérone, et de marbre blanc et de serpentine verte,
-entre Pise et Gênes, a influencé toute l’architecture gothique dans le
-nord de l’Italie, comme l’argile de la terre d’Iran est la condition
-première des admirables terres cuites des monuments de Susiane. Le
-_quid quæque ferat regio et quid quæque recuset_ de Virgile était,
-jadis, une formule aussi juste en architecture qu’en agronomie.
-
-Aujourd’hui, tout est changé. Déjà, le toit a perdu son caractère
-indicatif du climat. Dans toutes les villes modernes de toutes les
-régions du globe, il se réduit et s’égalise selon la coupe uniforme
-des _brisis_. Et le mur ne naît plus de la terre, ne reproduit plus
-les carrières de sa région, du jour où le fer, qui est quasi le même
-partout, l’a remplacé.
-
-Plus puissant que le tailleur de pierre sur ce point, le manieur de
-fer l’est encore sur d’autres. La lutte entre la pesanteur et la
-résistance, qui constitue, comme l’a très bien vu Schopenhauer[3],
-l’intérêt esthétique de la belle architecture, n’est pour lui qu’un jeu.
-
-Seulement, s’il est vrai que la tâche de l’artiste soit de faire
-ressortir cette lutte d’une manière complexe et parfaitement claire,
-plus le jeu est facile pour lui, et plus l’expression d’un effort qu’il
-ne fait pas lui est malaisée. A mesure que l’acier se perfectionne,
-sa propriété ou sa faculté et, par conséquent, la tendance logique
-de son employeur est de réduire de plus en plus les formes de la
-construction. Non qu’on puisse amincir indéfiniment les fermes d’un
-édifice. Il est un point au delà duquel un support ne peut plus être
-réduit, de quelque matière perfectionnée qu’on l’imagine, car il ne
-se supporterait plus lui-même. Mais parce qu’aujourd’hui, avec des
-fermes de même épaisseur qu’autrefois, mais de meilleur acier et de
-plus d’homogénéité, on peut allonger davantage des courbes, recouvrir
-des espaces beaucoup plus grands: l’épaisseur n’augmentant pas quand
-la portée s’étend, cela équivaut, pour l’œil, en somme, à réduire
-l’aspect de la construction. Toute la nature du fer consiste donc à
-accuser moins les formes qu’accusait la pierre, sans en accuser de
-nouvelles que la pierre n’accusait pas. Il remplit la même fonction que
-la pierre, mais il ne montre pas aux yeux qu’il la remplit. Pour qu’on
-l’aperçoive, pour qu’on distingue où porte l’effort, l’architecte est
-obligé d’exagérer, artificiellement et sans nécessité, les dimensions.
-Il faut qu’il renfle le dessin de sa ferme là où elle a le principal
-poids visible à soutenir, et qu’il marque, par quelque ornement voulu,
-le point où se trouve la rotule. Mais ni ce renflement, ni cet ornement
-ne sont indiqués par le fer, comme l’importance et l’ornementation de
-la clef de voûte, par exemple, l’étaient par la pierre. L’architecte
-les choisit à sa guise. Le fer ne lui dicte rien, parce qu’il n’oblige
-par lui-même à aucun style particulier de construction. Il peut les
-reproduire tous et il n’en produit spécialement aucun. Il a le défaut
-des esprits assimilateurs à l’excès: il n’est pas créateur. C’est le
-Protée des matériaux. Admirable pour supporter quelque chose d’autre,
-il ne se manifeste point aux yeux par lui-même. Précisément parce qu’il
-_permet_ tout, il n’_ordonne_ rien.
-
-Et pourquoi le fer n’a-t-il pas de caractères esthétiques à lui?
-Pourquoi n’a-t-il pas de nature? Nous touchons à la raison et à la
-cause profondes qui distinguent le fer de tous les matériaux employés
-jusqu’ici. Ceux-là étaient naturels; celui-ci est artificiel.
-
-La pierre, comme le bois, est une matière directement tirée de la
-nature. L’architecte peut en changer la forme, non la substance. Il
-peut poser la pierre en «délit»; il peut la polir; il peut l’évider.
-Mais la même âme continue d’habiter cette matière et de lui donner sa
-vie: âme formée lentement, avant les premières âmes humaines. Le fer,
-lui, est formé d’hier. Il est une transformation faite sous la main
-de l’homme. Il est un mélange de minerais divers, tirés de diverses
-régions. Il a été fondu, coulé, converti, laminé. Il ne tient plus à
-la nature. Le fil qui le reliait à elle est coupé. Il lui est devenu
-étranger. Vous ne pouvez plus compter sur les forces et les beautés
-naturelles pour l’animer encore. Il n’y a plus, dans le fer, les nœuds
-du bois, qui sont des obstacles, ni la direction des fibres, qui sont
-des entraves, mais qui sont des guides. Ici, tout est égal, tout
-est uniforme, docile, prêt à prendre n’importe quelle figure. Rien
-n’indique une figure plutôt qu’une autre, rien ne la suggère, rien ne
-l’appelle, rien ne la fuit. C’est à la fois le triomphe du progrès
-scientifique et son châtiment. Car, en même temps que vous avez dominé
-les résistances de la nature, vous avez perdu son enseignement. En art,
-comme ailleurs, on ne s’appuie que sur ce qui résiste.
-
-Oh! sans doute, maintes fois dans l’Art, on s’est servi de matériaux
-qui n’avaient point de nature propre plus que le fer: la brique ou
-le stuc, par exemple, et l’on a fait des chefs-d’œuvre. Mais des
-chefs-d’œuvre de fantaisie et non de logique. Jamais on ne leur a
-demandé de dicter des formes «spécifiques», et bien au contraire ce
-sont les formes les plus artificielles issues de l’imagination humaine
-qu’on leur a imposées. Et les dentelles ou les «nids d’abeilles» de
-l’architecture arabe, pour ne citer qu’un exemple, sont les choses les
-moins logiques du monde, puisque, sous des poutres horizontales, on
-a dessiné des arcs fictifs qui n’ont rien à porter, puisque la voûte
-et l’arcade qui semblent les soutenir ne sont que des superfluités
-ornementales, des mensonges architecturaux, dérivés de matières
-toutes différentes: l’ogive inspirée de la pierre et les dentelures,
-du bois, et qu’enfin, l’artiste a joué de la matière malléable qu’il
-maniait sans aucun souci de la nature particulière de cette matière et
-n’écoutant que sa fantaisie!
-
-Puis donc que vous ne pouvez plus compter sur les forces et les
-beautés naturelles du fer pour l’animer encore—et la preuve, c’est
-que les ruines du fer ne sont que des détritus, quand les ruines
-de la pierre—regardez les gravures de Piranese—sont encore des
-monuments,—c’est à vous de lui donner une âme en échange de l’âme
-naturelle qu’il a perdue. Il faut, puisque toute sa substance a été
-formée par l’homme, que l’homme aussi se charge de sa beauté. Vous
-astreindre ou vous restreindre aux formes strictement nécessitées
-par le calcul des forces, c’est retourner aux formes de la pierre ou
-bien vous résigner à ne plus montrer de formes du tout! Vous borner à
-l’utile pouvait être bon avec les matières anciennes: avec la nouvelle,
-vous devez viser au superflu. Que seraient les admirables grilles de
-Jean Lamour, s’il s’était laissé conduire par la logique? Avec le
-fer, il n’y a de salut que dans l’exubérance, dans la végétation même
-parasite, même folle, que dans la richesse! Pourquoi ne pas quadrupler,
-par exemple, les pieds-droits qui supportent les arbalétriers, les
-évider davantage et en multiplier les lignes ornementales sur quatre
-faces plates, mais ajourées; pourquoi ne pas suspendre des dentelles
-et des forêts de fer aux voûtes. Pourquoi ne pas déployer les fleurs
-et les feuilles, les branches et les rameaux qu’on ne pouvait projeter
-au loin avec la pierre ni, sur une grande dimension, avec le bois?
-Pourquoi, en un mot, quand on manie du fer ne pas tenter de la
-_ferronnerie_? Que les artistes saisissent donc l’outil géant et qu’ils
-le plient à la colossale besogne! Qu’ils rêvent et qu’ils osent! Mais
-qu’ils ne comptent donc pas sur sa «logique». Qu’ils ne comptent que
-sur leur propre enthousiasme. Si les poutrelles, les mailles, les
-treillis, les entretoises de fer ne sont qu’une ossature, si ce n’est
-qu’une pile d’ossements inertes, c’est l’artiste qui doit dire, comme
-Ézéchiel dans le cantique fameux: «Je vais envoyer un esprit en vous,
-et vous vivrez. J’étendrai sur vous des nerfs, j’y formerai des chairs
-et des muscles, je les revêtirai de peau, je vous donnerai un esprit,
-et vous vivrez. Esprits, accourez des quatre points de l’horizon,
-soufflez sur ces morts, et faites qu’ils revivent!...»
-
-
-
-
-DEUXIÈME PARTIE
-
-LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME
-
-
-
-
-LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME
-
-
-L’Impressionnisme a déposé son bilan. Vous le trouverez, au Luxembourg,
-dans la salle Caillebotte. Il a aussi figuré à l’Exposition de 1900, et
-dans les multiples occasions où M. Durand-Ruel rassembla, pour notre
-édification, des meules mémorables et de surprenantes cathédrales.
-
-Plusieurs musées étrangers, à Berlin, à Amsterdam, en contiennent des
-morceaux, des chapitres ou des justifications, et des collections
-particulières réunissent assez d’œuvres des maîtres impressionnistes
-pour qu’on puisse porter maintenant un jugement précis sur ce mouvement
-d’art contemporain.
-
-Ce serait une injustice de juger tout l’impressionnisme par quelques
-exemples, si bien choisis soient-ils. Mais c’est peut-être une
-injustice aussi que de laisser plus longtemps les partisans de cette
-École couvrir de mépris les maîtres d’hier, sans nous aviser de
-regarder ce qu’à leur tour ils ont produit et sans nous demander si
-ce mouvement, qui fit tant de bruit, a fait aussi quelque besogne.
-C’est notre droit de ne plus permettre, après trente ans écoulés, que
-l’Impressionnisme se borne, pour affirmer son existence, à montrer
-les défaillances des Écoles anciennes, et, pour élever son monument,
-à entreprendre des démolitions.... C’est pourquoi, sans le juger
-uniquement d’après la salle Caillebotte, mais en y prenant la plupart
-de nos exemples, nous allons rechercher ce que ce mouvement a produit:
-quel fut son point de départ et quel est son point d’arrivée, si ce fut
-une fantaisie et une gageure de quelque ambitieux, ou, au contraire,
-s’il répondait à un ensemble de conditions nouvelles du pittoresque
-dans la nature et dans la vie, si ce fut un mouvement méprisable
-ou un effort vaillant, si cet effort a conduit à un succès ou à un
-avortement, s’il a réussi, à quoi? et s’il a avorté, pourquoi?—en un
-mot, à dresser son bilan.
-
-
-
-
-CHAPITRE I
-
-Ses causes.
-
-
-Lorsqu’un matin de 1877 éclata, rue Lepeletier, la première grande
-révolte impressionniste, ce fut, dans le public, un éclat de rire, mêlé
-de cris d’horreur. On avait vu, çà et là, des tentatives collectives
-de ces révolutionnaires et l’on en avait déjà discuté, mais ils ne
-s’étaient pas révélés encore avec cet ensemble, cette audace et cette
-discipline qui, d’une foule, faisait une armée. Les vieux peintres,
-eux, ne riaient pas. Beaucoup considéraient ce spectacle, avec le
-désespoir morne, l’abattement profond qu’ont les patriciens romains
-devant leurs villas envahies par les Huns, dans le tableau de M.
-Rochegrosse. Que va-t-il advenir, se disaient-ils, des meubles précieux
-qui ornaient nos paysages académiques, des couleurs délicates qui
-les embellissaient, de la vie douce qui s’écoulait sous les arbres
-de M. Paul Flandrin, dans la compagnie des pasteurs de M. Gérome?
-Quelques-uns, aussi vieux, mais plus sages, considéraient ces paysages
-inconnus, l’un après l’autre, avec d’obscures velléités de voyage
-et d’émancipation, comme on se figure les Espagnols du XVI^e siècle
-regardant les vélins que déployaient devant leurs yeux les Juan de la
-Cosa et les Hojeda, révélation d’un autre hémisphère, terres nouvelles,
-terres de soleil et d’or.... Mais la plupart de ceux qui visitèrent
-cette exposition n’y virent qu’une gageure d’artistes affamés de bruit
-et qu’une fantaisie de jeunes gens pressés de se divertir aux dépens de
-l’Institut.
-
-Ce n’était cependant pas une gageure. Rien, au contraire, de plus
-logique, rien de mieux préparé, presque rien de plus inévitable que
-cette apparente fantaisie. C’était en réalité une réaction et—en
-dépit des sujets qui cachaient son sens profond—c’était une réaction
-idéaliste. Elle était amenée par deux choses: par le désir de peindre
-la vie moderne et par l’impossibilité d’en faire une représentation
-réaliste. Elle naissait forcément des conditions pittoresques
-nouvelles de la nature telle que nous l’avons déformée. Elle s’alliait
-par d’obscures affinités aux tendances analytiques de l’esprit
-contemporain et répondait fort exactement, quoique inconsciemment, aux
-nouvelles conceptions panthéistes. Ce serait une profonde injustice
-que de comparer ces chercheurs à aucun de ceux qui, depuis, se sont
-disputé le succès d’une saison: les symbolistes, les «inquiets», les
-rose-croix ou les «peintres de l’âme», c’est-à-dire proprement de
-rien. L’Impressionnisme apportait aux artistes épris de réalisme et
-de modernité le seul moyen d’idéaliser ce réalisme et de sauver cette
-modernité.
-
-En effet, l’idée qui dominait toute la critique, il y a trente ans,
-à l’époque du réalisme, était que l’artiste devait «peindre son
-temps». Notre temps, disait-on, est aussi digne d’être représenté
-par l’art que celui des héros et des dieux. Il n’offre pas des
-spectacles moins intéressants, ni des formes moins belles. D’ailleurs,
-il n’y a pas de formes belles en soi: il n’y a que des formes plus
-ou moins révélatrices de la vie, de la civilisation, du caractère,
-de la pensée. Si nous trouvons plus beau le peplum que la redingote
-et plus pittoresque le lampion que le haut de forme, c’est habitude
-des yeux et mirage du passé. L’usine vaut le temple, l’habit vaut le
-pourpoint, et la locomotive, le cheval de Phidias. Il n’y a pas de
-hiérarchie dans les «sites». A quoi bon faire le voyage d’Italie,
-même de Bretagne? «Pourquoi ces peuples?» Le beau est à nos portes:
-Chatou, Ville-d’Avray, Clamart, valent tous les horizons de l’Oberland
-ou de Taormine. Il n’est même pas besoin d’aller si loin: les
-fortifications, la banlieue, les couches, les gazomètres, un train de
-ceinture qui passe, un chiffonnier qui songe en son gîte, un «petit
-bourgeois qui peint sa porte en vert». Voilà ce que l’art vraiment
-vivant doit représenter.
-
-Les artistes ont écouté ces théories. Ils sont allés regarder les
-couches, le train qui passait, le petit bourgeois qui peignait sa porte
-en vert,—et ils les ont trouvés fort laids. Mais tout enflammés par
-les suggestions de la littérature, ils ont proclamé que c’étaient là
-des sujets très sortables, et qu’il fallait dorénavant s’y dévouer.
-Seulement, comme ils étaient réellement artistes, voici que, tout en
-peignant ces formes, ils se sont mis en devoir de les transformer
-entièrement.
-
-A la vérité, la transformation n’était pas facile.
-
-Puisqu’on ne voulait plus ni composition, ni arrangement, ni symboles,
-ni «stylisation», puisqu’il fallait que l’art représentât des choses
-laides en soi, des lignes monotones ou prétentieuses, comment modifier
-l’aspect absurde et le décor trivial? Un seul moyen restait aux
-réalistes pour s’évader du laid réel: la couleur.
-
-La couleur, en effet, demeure dans le décor de la vie moderne aussi
-belle, aussi variée, aussi riche d’effets qu’aux plus grandes époques
-du passé. Le paysage d’aujourd’hui est aussi coloré que celui
-d’autrefois. Il l’est peut-être davantage, car l’industrialisme et le
-progrès, qui ont détruit tant de belles lignes dans nos campagnes,
-ont rarement supprimé de belles couleurs. Le plus souvent, au
-contraire, ils ont ajouté à la variété des teintes. Si vous observez,
-dans la nature, quelque paysage poussinesque, dont les maisons, les
-vide-bouteilles, les usines, un pont, un tramway, sont venus détruire
-l’harmonie linéaire, vous trouverez toujours que ces nouveautés ont
-accru la variété et l’éclat de son harmonie coloriste: les rouges
-des tuiles, les noirs fins des ardoises, les jaunes frais de la
-terre fraîchement relevée en talus ou les sections saignantes des
-terres rougeâtres, les verts beaucoup plus riches et plus variés des
-cultures maraîchères succédant à la monotonie de la grande culture,
-les blancs crus des viaducs neufs, les dos noirs des usines et même
-les tremblantes colonnes de leurs grises fumées, ajoutent à un paysage
-dévasté par l’industrialisme des colorations gaies que ce paysage, sans
-lui, n’aurait pas connues. Quand le peintre du moyen âge s’en allait
-à la campagne, il trouvait de plus belles ordonnances de lignes que
-nous, mais non pas autant de couleurs. Il n’apercevait, parmi le vert
-toujours semblable du même arbre, ni assurément les plantes exotiques
-et d’agrément qui égayent nos jardins, ni même une foule d’arbres
-comme le vernis du Japon, l’acacia, le platane, le marronnier ou le
-mûrier, qui font partie intégrante de nos paysages modernes. La maison
-de chaume, qu’on voit encore dans les paysanneries des Le Nain, était
-moins colorée que la ferme couverte de tuiles que peint M. Sisley.
-En mer, une bouée rouge avive un vert glauque d’eau. Il n’est pas
-jusqu’aux affiches, aux écriteaux de couleur crue, dont la réclame gâte
-les lignes de nos paysages qui, vus de loin, ne fournissent des touches
-piquantes pour relever la monotonie des verts. Plus la civilisation
-s’empare d’un coin de la nature, plus elle le colore. La campagne du
-XVII^e siècle était monochrome comme une botte de foin; celle du XX^e
-siècle sera variée comme un bouquet de fleurs....
-
-Dans nos villes, le phénomène est moins évident. Tant que dure le jour,
-nos rues, attristées par la foule noire des peuples modernes toujours
-en deuil, ne fournissent pas au peintre plus de couleurs que les rues
-bariolées de jadis. Mais quand vient la nuit, éclate une floraison
-inconnue de nos pères. Quand, un soir d’hiver, avec la pluie, on passe
-sur la place du Carrousel, on voit une orgie de diverses lumières se
-traîner et s’éparpiller dans l’eau où se mêle le sang des lanternes
-d’omnibus, qui éclabousse le pavé, l’or des becs de gaz, qui se
-liquéfie dans les flaques, la neige des lampes électriques qui fond et
-se dilue sur toute la surface humide, les vers luisants des fiacres,
-qui sautillent de flaque en flaque, et sous cette clarté fade, les
-carapaces des coupés vernis qui font reluire, çà et là, des arêtes
-d’argent. La nature et la vie de nos cités pouvaient donc servir de
-thème à de vrais artistes, pourvu qu’en dissimulant la ligne, ils
-exaspérassent la couleur.
-
-C’est ce qu’ont fait les impressionnistes. Ils ont bien représenté,
-selon la formule réaliste, les spectacles de la vie moderne, mais en
-les éclaboussant de tant de couleur, qu’on ne les reconnaît plus.
-Quand la nature était laide, ils ont tâché de la dissimuler à l’aide
-de la nature même. Ils ont demandé au soleil d’effacer les lignes
-disgracieuses, comme autrefois on l’aurait demandé à l’ombre. Et
-quant à notre vêtement noir, uniforme, aux inexplicables élytres,
-quant à ce chapeau que Mallarmé appelait «quelque chose de sombre et
-surnaturel», les impressionnistes les ont bien représentés, puisqu’il
-était entendu que toute forme est également noble et toute couleur
-également plaisante, mais ils les ont mis sous un soleil si ardent avec
-M. Renoir ou à de si fantasques clartés de rampe et de herse, avec M.
-Degas, que l’habit tout violacé de coups de soleil, le chapeau tout
-cabossé de reflets artificiels, ne conservent plus ni leur ingrate
-forme primitive, ni leur monotone couleur.
-
-Ce point a été très clairement aperçu par M. Henry Naegely, tandis
-qu’il burinait la grande figure de Millet d’un trait plus profond et
-plus sûr que les sculpteurs du monument de Barbizon: «Sans doute,
-dit-il, une nouvelle et très intéressante perception des effets du
-rayon solaire est le trait le plus frappant de la peinture moderne,
-perception basée sur l’observation, mais basée, je crois, plus encore
-sur le désir inné, violent, quoique seulement à demi conscient, de
-donner quelque splendeur légitime aux choses sordides et vulgaires qui
-nous entourent aujourd’hui[4]...» Parmi ces choses, est la locomotive
-dont on nous avait dit, en prose et en vers, qu’il n’y avait pas de
-raison pour qu’elle fût exclue de l’art, car elle représentait la
-civilisation en marche. Et, en effet, il n’y avait pas d’autre raison
-que celle-ci,—qu’elle était inesthétique. Les impressionnistes se sont
-attaqués à ce problème et l’ont résolu de la façon la plus simple. Sous
-prétexte de mieux montrer les lumières reflétées par le monstre, ils
-ont caché le monstre.
-
-Déjà Turner, dans son fameux _Grand chemin de fer de l’Ouest_, avait
-trouvé ce moyen de faire entrer dans l’art les formes de l’industrie
-moderne. Les impressionnistes l’ont suivi. Il n’est besoin que de voir
-à la salle Caillebotte, au Luxembourg, la _Gare Saint-Lazare_ de M.
-Monet ou son _Pont de l’Europe_, pour constater cette loi. Pas une
-ligne n’est ici visible, pas un engin industriel n’y est représenté
-dans sa forme. Tout n’y est que couleurs, sous un soleil éblouissant
-qui les surexcite, sous des fumées qui les mélangent et dans un
-mouvement qui les fait vibrer. Les tirants des combles de la gare sont
-d’or, les locomotives de saphir, les wagons d’émeraude. En sorte que
-la théorie moderniste voulant que toute forme moderne soit esthétique,
-du moment qu’elle reproduit les besoins et les aspirations de la vie,
-s’est réduite pratiquement à cacher cette forme sous d’éclatantes
-couleurs. Et après avoir démontré, par de beaux syllogismes, qu’une
-gare de chemin de fer était aussi digne d’être représentée que les
-ruines de Tivoli ou que le temple de Vesta, les modernistes n’en ont
-pu faire un beau tableau qu’à la condition d’en brouiller toutes les
-lignes sous des flots d’une vapeur lumineuse, qui, elle, n’a rien de
-plus moderne que le soleil lui-même d’où elle tire toute sa beauté.
-
-De là, leur nom d’impressionnistes. Ils le prirent, dit-on, pour
-relever une injure qui leur était adressée par leurs détracteurs
-et dont ils se firent leur titre de gloire, comme les révoltés des
-Pays-Bas s’en firent un de l’injure de «gueux». On la leur jeta comme
-une pierre: ils s’en parèrent comme d’un joyau. Il se peut que cette
-histoire soit vraie, mais elle n’est nullement indicative de leur
-rôle. Si ces peintres méritent le nom d’impressionnistes, c’est, qu’en
-effet, ce qu’ils cherchèrent à reproduire de la nature c’était non pas
-la substance qu’elle annonce, mais le rayonnement. Ils ne prétendaient
-qu’aux qualités que donne la vision juste, mais hâtive d’un effet
-éclatant, mais fugitif. Ils ne se chargeaient point de nous fournir
-tout le détail, tout l’agencement, toute la raison d’être des choses,
-mais seulement l’«impression».
-
-Par là, ils se réservaient un avantage que connaissent bien tous ceux
-qui ont fait des études d’après nature et qui, ensuite, ont voulu les
-transformer en tableaux. Ce que l’analyse de l’atelier n’arrive pas à
-débrouiller, la hâte de la pochade le synthétise; ce que le souvenir ne
-fournit plus, la couleur prise sur le vif, devant la nature, le donne.
-L’«Impression» est une admirable metteuse en scène et ce n’est pas
-sans raison que Delacroix dans son _Journal_, en 1859, Champrosay, 9
-janvier, se promettait de réfléchir: «_Sur la difficulté de conserver
-l’impression du croquis définitif..._».
-
-Inspirés par une idée juste de leur époque, inconsciemment pénétrés
-du désir de l’idéaliser, servis par des organes très pénétrants
-et très sensibles, enfin munis d’une retentissante étiquette, les
-impressionnistes, les Renoir, les Monet, les Pissarro, les Cézanne,
-les Sisley, pouvaient accomplir dans notre art du XIX^e siècle un rôle
-utile.
-
-
-
-
-CHAPITRE II
-
-Ses vérités.
-
-
-«Ce fameux Beau que quelques-uns voient dans la ligne serpentine,
-les autres dans la ligne droite, ils ne le voient tous que dans
-les lignes. Je suis à ma fenêtre et je vois le plus beau paysage.
-L’idée d’une ligne ne me vient pas à l’esprit. L’alouette chante, la
-rivière réfléchit mille diamants, le feuillage murmure....» Ainsi
-parle Delacroix dans une de ses lettres et cette réflexion nous
-révèle à quel point l’idée du dessin l’emportait, autour de lui,
-sur l’idée de la couleur. Le mot: «Je mettrai sur ma porte: _École
-de Dessin_, et je formerai des peintres», dit par Ingres, résumait
-à peu près tout l’esprit de l’enseignement. Même dans le paysage,
-sous le fouillis des branches ou les averses du soleil, on cherchait
-d’abord la ligne, l’exacte délimitation d’un plan par un autre, la
-construction anatomique d’un arbre, le «beau feuillé». Par là-dessus,
-se posait la couleur généralement forte, mais sagement contenue par
-le dessin, respectant les limites posées par la ligne, les exagérant
-parfois encore par ses contrastes, ne se permettant pas un éclat qui
-eût brouillé l’ordonnance, comme un vers qui sur le suivant n’ose se
-permettre le moindre enjambement. La révolution, commencée par Corot et
-par les paysagistes de Barbizon, n’était point encore arrivée au point
-où semblait le souhaiter Delacroix, car «l’idée d’une ligne» venait
-encore à tous les esprits. C’est alors que parut Claude Monet.
-
-Regardez son _Église de Varangeville_, son _Champ de tulipes à
-Sassenheim_, son _Antibes_, regardez les toiles de M. Renoir, de M.
-Pissarro. On n’y voit pas plus de lignes que Delacroix n’en apercevait
-de sa fenêtre. Et en plein soleil, il en est souvent ainsi. Dans le
-miroitement des eaux, des feuilles, des rayons, lorsqu’il n’y a ni
-solennelles constructions de beaux arbres au premier plan, ni grands
-découpages de montagnes à l’horizon, dans les sites médiocres explorés
-par nos modernistes, on ne perçoit rien autre chose qu’une harmonie
-de tons. La nature est couleur plus que lignes: voici la première
-découverte de l’Impressionnisme.
-
-La seconde est que les ombres mêmes sont des couleurs. Assurément les
-coloristes, les Titien, les Rubens s’en étaient bien doutés. Mais la
-foule des peintres l’avait oublié et l’école ne l’enseignait point.
-
-Or il suffit du plus rapide coup d’œil pour le reconnaître. Si quelque
-objet coloré, placé près de votre fenêtre sous un rayon de soleil, vous
-paraît divisé en deux régions, l’une lumineuse, l’autre ombrée, vous
-êtes tenté de représenter ce côté ombré par un ton de charbon. Mais ne
-vous hâtez pas de le faire. Placez devant le côté sombre quelque chose
-de vraiment noir, le morceau de fusain, par exemple, avec lequel vous
-alliez le dessiner: voici que, par comparaison, vous verrez briller
-dans cette ombre, que vous pensiez noire, une couleur que votre fusain
-sera impuissant à donner. Vous alliez peindre cela en noir et vous
-auriez fait une ombre morte; dans la nature, pourquoi vit-elle? c’est
-parce qu’elle est une couleur.
-
-Ceci est fort simple à voir, si, pour voir, on ne fait usage que de
-ses yeux, mais l’éducation nous y met des lunettes, qui nous empêchent
-de voir, comme elles sont, les choses les plus simples et, à force
-d’avoir entendu faire des associations de mots comme: «l’ombre noire»,
-nous nous sommes accoutumés à prendre du noir pour exprimer l’ombre.
-Même aux meilleurs artistes, il a fallu de longues réflexions pour
-distinguer, avec leurs yeux, ce que l’éducation les empêchait de
-sentir. Ce n’est pas en travaillant dans son atelier, mais en regardant
-au dehors, que Delacroix écrivait, le 7 septembre 1856, dans son
-_Journal_, ces mots qu’on ne saurait trop méditer: «Je vois de ma
-fenêtre un parqueteur qui travaille nu jusqu’à la ceinture, dans la
-galerie. Je remarque, en comparant sa couleur à celle de la muraille
-extérieure, combien les demi-teintes de la chair sont colorées en
-comparaison des matières inertes. J’ai observé la même chose, hier,
-sur la place Saint-Sulpice, où un polisson était monté sur les statues
-de la fontaine, au soleil, _l’orangé mat dans les chairs, les violets
-les plus vifs pour le passage de l’ombre et des reflets dorés dans les
-ombres qui s’opposaient au sol_. _L’orangé et le violet_ dominaient
-alternativement ou se mêlaient. Le ton doré tenait du vert. _La chair
-n’a sa vraie couleur qu’en plein air et surtout au soleil._ Qu’un homme
-mette la tête à la fenêtre: il est tout autre qu’à l’intérieur: de
-là, la sottise des études d’ateliers, qui s’appliquent à rendre cette
-couleur fausse[5].»
-
-En même temps que Delacroix, au hasard de ses flâneries, découvrait
-cette loi, voici que, loin de lui, un inconnu, un Anglais, la
-découvrait aussi et l’enseignait, selon son habitude, impérieusement:
-«Toutes les ombres ordinaires devraient être de quelque couleur, jamais
-noires, ni approchant du noir, elles devraient être évidemment et
-toujours d’une lumineuse nature, et le noir devrait apparaître étrange
-parmi elles, comme, parmi une foule joyeuse et bigarrée, un moine[6].»
-Et, quelques années plus tard, ce même Anglais qui enseignait à Oxford,
-et qu’il faut bien me permettre de citer encore, puisque nul avant lui
-n’avait prévu, et nul depuis lui n’a si clairement exposé la thèse
-impressionniste, disait encore: «Tenez pour certain le fait que les
-ombres, quoique naturellement plus sombres que les lumières, vis-à-vis
-desquelles elles jouent le rôle d’ombres, ne sont pas nécessairement
-des couleurs moins vigoureuses, mais peut-être de plus vigoureuses
-couleurs. Quelques-uns des plus beaux bleus et des plus beaux pourpres
-dans la nature, par exemple, sont ceux des montagnes vus dans l’ombre,
-contre le ciel couleur d’ambre, et l’obscurité du creux dans le centre
-d’une rose sauvage est un éclat de feux orangé dû à la quantité de ses
-étamines jaunes. Or les Vénitiens virent toujours cela, et tous les
-grands coloristes le voient et se séparent ainsi des non-coloristes ou
-écoles de pur clair-obscur, non par une différence de style seulement,
-mais parce qu’ils sont dans la vérité, tandis que les autres sont dans
-l’erreur. _C’est un fait absolu que les ombres sont des couleurs autant
-que les lumières_[7].»
-
-Les impressionnistes l’ont compris. Rompant bruyamment avec les
-habitudes de l’École, ils ont fait les ombres non pas noires, non pas
-grises, non pas jaunâtres, mais colorées, et comme la complémentaire
-du ton le voulait souvent, ils les firent souvent violettes. Ce fut
-un cri de stupeur. Personne, d’abord, ne voulut reconnaître là un
-effet observé dans la nature. On parla de «gageure», de «puffisme»
-et de «coups de pistolet». Dès savants vinrent gravement expliquer
-qu’il n’y avait, au fond de tout ceci, qu’une maladie de l’œil et, à
-la vérité, le violet impressionniste était bien un peu surprenant;
-mais si l’on regarde la _Campagne de Rome_ de Paul Flandrin, on se
-demandera en quoi les jaunes par où le paysage classique exprimait les
-plantes vertes de ses premiers plans étaient plus naturels? Et, s’il
-y avait maladie de l’œil chez ces jeunes gens qui voyaient tout en
-violet, combien les savants physiologistes n’auraient-ils pas rendu de
-services en découvrant la maladie qui avait permis au public pendant
-si longtemps de voir le vert des prairies tout noir! Combien surtout
-cette découverte fut vaine, puisque loin de guérir cette maladie chez
-ceux qui en étaient déjà affectés, elle n’a pu l’empêcher de gagner
-l’immense foule des peintres. Aujourd’hui, si vous vous promenez à
-travers les _Salons_ des pays un peu arriérés ou les collections
-particulières de nos amateurs, vous en verrez les traces, non seulement
-chez les quasi-impressionnistes, comme M. Besnard, mais chez les
-travailleurs les plus assagis, comme M. Henri Martin, chez Duez, dans
-son _Déjeuner sur la terrasse_, chez les Romantiques attardés, non
-seulement en France, mais au delà des Alpes, mais dans la «sécession»
-d’Autriche, mais en Hongrie, mais dans les tableaux qu’on fait à
-Christiania ou à Stockholm.
-
-De plus, ces ombres qui sont une couleur, sont-elles toujours de la
-même couleur? Y a-t-il une couleur d’ombre comme Perrault pensait
-qu’il y avait une «couleur de temps»? Non, car elles varient au gré
-des objets lumineux qu’elles reflètent. Vous êtes dans une chambre où
-le soleil qui décline éclaire presque horizontalement et embrase d’un
-ton chaud tout un coin de la pièce. Votre interlocuteur oppose au rayon
-lumineux son profil, de façon qu’une moitié de sa figure se trouve
-dans l’ombre. Analysez cette ombre, vous y découvrirez une foule
-de tons que n’a pas la chair: la couleur de la tapisserie éclairée
-par le soleil. Placez sur cette tapisserie un livre rouge: la joue
-s’enflammera comme auprès d’un brasier; vert, elle deviendra livide;
-bleue, et elle se teindra d’une blancheur étrange.
-
-Dans les intérieurs d’appartements, toute surface réfléchissante
-s’impressionne de même. Le marbre de la table d’un coiffeur est vert
-sous le flacon de violette, rouge sous le flacon de quinine, et blanc
-sous le flacon d’eau de Cologne. En plein soleil, sous les arbres, sur
-les eaux, les reflets sont plus tyranniques encore. L’aile des mouettes
-qui se balancent sur les eaux bleues se teint par-dessous des couleurs
-qui se balancent au-dessous d’elles. Il y a, sur les bateaux qui font
-le service des lacs en Suisse, un porte-voix de cuivre jaune qui se
-recourbe légèrement comme une houlette au-dessus de l’eau bleue. Par un
-chaud soleil, quand le lac est absolument bleu, si l’on considère le
-dessous de ce porte-voix, on trouve qu’il est d’un vert criard, quand
-le dessus est d’un jaune d’or: c’est le reflet des vagues.—Une vive
-lumière peut éteindre la couleur propre d’un objet et lui en donner
-une autre. Le 9 mai de l’année 1900, les passants qui considéraient la
-Seine et l’horizon dentelé de l’Exposition vers six heures et demie
-du soir, de la place de la Concorde, n’apercevaient qu’un brouillard
-lumineux çà et là piqué de points d’or. Dans la splendeur du couchant
-toute forme avait disparu; seulement le haut des deux mâts de la porte
-monumentale brillaient à droite comme des torches qui commencent à
-prendre feu. De l’autre côté de la Seine, deux dômes brillaient d’un
-éclat exactement pareil: l’un appartenait au palais de l’Italie, qui
-était tout doré, l’autre à celui des États-Unis, qui était blanc avec
-de simples filets d’or,—et le soleil les confondait dans le même éclat.
-Enfin, au-dessus d’eux, une cloche d’or suspendue dans un campanile
-d’argent lui-même, soutenu en l’air par des forces invisibles, voilà
-tout ce qui restait de la tour Eiffel....
-
-Ainsi de la figure humaine. Dès qu’elle est plongée dans un milieu
-composé de couleurs éclatantes et diverses, elle en reflète les
-éclats et les diversités. Mille silhouettes sont formées sur elle
-par les ombres des branches, par les lentilles de lumière: telles
-des arabesques et des ramages sur un vêtement. Si vous regardez avec
-attention la petite _Paysanne assise_ de M. Pissarro, vous apercevrez
-que si la silhouette suivait les limites de la couleur, vous pourriez
-réduire son bras à presque rien, car toute une moitié n’en est que la
-continuation du ton de l’herbe. Et partout le paysage l’envahit et
-la tatoue à tel point qu’elle est près de se dissoudre dans le vert
-ambiant, selon la formule fameuse des _Déliquescences_:
-
- Ah! verte, verte, combien verte
- Était mon âme ce jour-là!
-
-C’est de la peinture caméléonne. Les objets prennent les teintes des
-milieux où ils sont plongés et, pour l’impressionniste, nous sommes
-comme ces poissons qui changent de couleur selon les eaux qui les
-reçoivent. Est-ce là une vue plus fausse de la nature? Est-il une
-couleur immuable appropriée à une chose? Est-il un sentiment qui colore
-d’une façon indélébile une âme? Le flot bleu, en arrivant contre un
-récif, s’élève, se brise et devient blanc: c’est pourtant la même
-eau;... l’angle d’une table noire, touché par le jour de la fenêtre,
-se sertit de blanc bleuâtre: c’est pourtant le même bois;... un homme
-d’un esprit sceptique, d’une volonté inactive, est saisi par l’amour ou
-par la douleur et devient un poète ou un apôtre: c’est pourtant la même
-âme.... Que la même substance se colore suivant le milieu de façons
-différentes et que chaque couleur différente de ce milieu agisse en
-même temps sur elle de façon à la partager, à la barioler, à la tatouer
-si l’on veut, selon les mille hasards de l’ombre, du rayon, du reflet,
-du nuage et de l’air, voilà qui n’est pas seulement une fantaisie
-impressionniste dans l’art, mais une vérité profonde à la fois dans la
-nature et dans la vie.
-
-Mais ce n’est pas tout. Les taches des reflets ne séparent pas
-seulement une même figure en morceaux de différentes couleurs sur le
-même plan, comme une mosaïque: elles en creusent aussi les surfaces
-planes, et les sculptent en profondeur comme des bas-reliefs. Elles
-varient les plans de cette surface plane de telle sorte qu’elles en
-modifient complètement aux yeux la nature et la composition. Regardez
-_La Loge_ de M. Renoir et vous verrez le plastron empesé du lorgneur,
-qui est apparemment d’une matière dure, creusé par les taches d’ombre,
-et repoussé par les reflets de lumière, de façon à présenter l’aspect
-d’un agglomérat de coton. Parfois, donc, la lumière trompe absolument
-sur la nature de l’objet représenté. Pour le reconstituer, il faut
-faire appel au sens du toucher. Il faut que la main se porte sur
-l’objet et, le palpant, nous rende la notion que sa forme primitive
-subsiste sous les reflets contraires et les diverses couleurs.
-
-Maintenant, ces jeux de la lumière, ces actions et ces réactions
-infinies des reflets, comment les analyser avec assez de finesse pour
-les surprendre et les fixer avec assez d’éclat pour les retenir?
-Cette atmosphère lumineuse, qui bouleverse les formes, interchange
-les couleurs, par quel moyen subtil l’exprimer? Puisque ce n’est plus
-la figure qu’il s’agit de délimiter dans l’espace, ni les arbres dont
-il s’agit d’indiquer l’essence, puisque c’est la lumière qui devient
-le principal personnage du tableau, comment peindre cette lumière
-qui remplace dorénavant le sujet, l’action, la figure, le caractère,
-et pétrissant à son gré tous les corps, enveloppant tous les plans,
-reliant toutes les silhouettes, fondant toutes les couleurs,
-
- Semble l’âme de Tout qui va sur chaque chose
- Se poser tour à tour?...
-
-C’est ici qu’intervient l’effort le plus audacieux, la trouvaille la
-plus précieuse de l’Impressionnisme: la _division de la couleur_.
-
-Cette division, beaucoup de coloristes l’avaient indiquée. Ils avaient
-déjà morcelé la touche. Vous trouverez la touche très morcelée avec
-les reflets très papillotants chez Watteau, dans l’_Embarquement pour
-Cythère_. Elle est morcelée aussi chez Chardin. Elle est balafrée,
-striée, et parfois tourbillonnante chez Turner. Taine cite avec
-raison le _Café Turc_ de Decamps et spécialement le mur de face, à
-gauche, pour montrer que, pour les yeux de l’artiste, la tache est
-en mouvement, car il s’y fait des flageollements, des stries. M. Paul
-Signac a parfaitement établi, dans son vigoureux plaidoyer en faveur
-des néo-impressionnistes[8], que le peintre du _Massacre de Scio_, lui
-aussi, se préoccupa des moyens d’aviver la couleur par le morcellement
-de la touche.
-
-Mais si l’on obtient ainsi plus de mouvement et plus d’air dans la
-couleur, on n’en augmente pas l’éclat. Et, cependant, chacune des
-couleurs dont on se sert est d’un éclat égal, sinon supérieur à
-l’éclat de la couleur correspondante dans la nature; le vert sur la
-palette est aussi étincelant que sur l’herbe. Pourquoi donc, une fois
-mélangées et passées sur la toile, les couleurs baissent-elles de
-ton? «Mélangées»,... c’est qu’elles sont mélangées! Et, apparemment,
-c’est une inexorable loi de la peinture. Elles ne peuvent pas ne pas
-l’être....
-
-Claude Monet et Pissarro en étaient là de leurs réflexions, lorsqu’en
-1870, ils allèrent à Londres et y passèrent de longues journées à
-étudier les Maîtres anglais, Watts, Rossetti, Turner. En observant que,
-dans certains tableaux de Turner vus de près, les couleurs apparaissent
-presque pures, et que, de loin, cependant, l’ensemble des touches
-composait une combinaison harmonieuse, les impressionnistes comprirent
-pourquoi ces tableaux avaient un tel éclat: c’est que la couleur y
-était posée par tons crus; et pourquoi ils avaient, malgré cette
-crudité, une telle harmonie: c’est qu’elle était posée par tout petits
-fragments ou par lignes très minces qui, de loin, n’apparaissaient
-pas seuls, mais se mélangeaient pour la vue avec les lignes voisines.
-Le mélange n’avait pas eu lieu sur la palette, ni même sur la toile:
-il avait lieu sur la rétine du spectateur. C’est ce qu’on appela le
-_mélange optique_.
-
-De ce procédé, qui n’est point constant ni même habituel chez Turner,
-mais qui s’y trouve suffisamment indiqué, les impressionnistes
-dégagèrent et rapportèrent toute une théorie. D’abord, ils
-proscrivirent de leur palette les couleurs neutres et déjà rompues
-comme les bruns, ne gardant que des couleurs vives: des jaunes, des
-orangés, des vermillons, des laques, des rouges, des violets, des
-bleus, des verts intenses comme le véronèse et l’émeraude. Réduits
-à ces couleurs éclatantes qui se rapprochent de celles du spectre
-solaire, ils s’interdirent encore d’en ternir l’éclat par des mélanges
-sur la palette. Enfin, dans leur dernière évolution ils cherchèrent
-à éviter non seulement le mélange sur la palette et dans la brosse,
-mais même, jusqu’à un certain point, le mélange sur la toile, composant
-les tons, le plus qu’ils pouvaient, par petits fragments purs, les uns
-à côté des autres. Pour composer un violet, par exemple, la théorie
-_divisionniste_ enseigne qu’il ne faut point prendre le violet sur
-la palette, ni même mêler sur la toile du rouge et du bleu, mais
-bien poser une touche de rouge, puis une de bleu, à côté, sans les
-mêler, mais si près l’une de l’autre, qu’à une certaine distance l’œil
-recompose le ton violet.
-
-C’est l’application exacte de la théorie enseignée en 1856 par Ruskin
-et que M. Paul Signac a résumée, en 1899, en ces trois articles: 1^o
-Palette composée uniquement de couleurs pures se rapprochant de celles
-du spectre solaire; 2^o Mélange sur la palette et mélange optique; 3^o
-Touches en virgules ou balayées.
-
-Assurément, ce programme, en passant de la théorie à la pratique, a
-subi bien des accommodements. Ni Claude Monet, ni même M. Pissarro ne
-l’ont absolument appliqué. D’ailleurs, ils n’avaient jamais prétendu
-l’appliquer et ce n’était là qu’une suggestion pour l’avenir ou, si
-l’on veut, un idéal. Mais si nous regardons la _Vue de Rouen_ de M.
-Camille Pissarro ou l’_Argenteuil_ de Claude Monet, nous verrons
-qu’autant qu’une suggestion peut être suivie, celle-là le fut par ces
-peintres, et devant ces deux exemples, les plus prévenus conviendront
-qu’elle a conduit à un admirable résultat. L’éclat de ces eaux,
-la vibration de cette lumière, la palpitation de ces reflets, la
-légèreté de cette atmosphère fine, l’harmonie douce de ces tons dont
-chacun est violent, tout prouve que l’Impressionnisme a apporté ici
-une affirmation vraie. La _Danseuse_ de M. Renoir est une merveille
-d’harmonie. Regardez, au Luxembourg, _les Bords de la Seine_ de
-Sisley, les _Toits rouges_ et la _Brouette_ de M. Pissarro, la _gare
-Saint Lazare_ et l’_Eglise de Vétheuil_ de Monet, qui sont de petits
-chefs-d’œuvre, vous reconnaîtrez là les plus précieuses découvertes de
-l’art dans les secrets de la vie.
-
-Seulement, la théorie _divisionniste_, si elle était appliquée partout
-et dans toute sa rigueur, conduirait à proscrire beaucoup des facilités
-de la peinture à l’huile, car précisément ce qui distingue la peinture
-à l’huile d’autres procédés de coloration, du pastel par exemple,
-c’est le pouvoir de mélanger les couleurs, et c’est, pour parler comme
-Delacroix, «l’infernale commodité de la brosse». L’absolue division
-de la couleur, plus tard dégénérée en _pointillisme_, rend le métier
-de peintre extrêmement difficile. En vain, des artistes d’un talent
-indéniable et d’une rare pénétration d’esprit, les Seurat, les Signac,
-les H.-E. Cross cherchèrent à rallier les peintres à la technique
-nouvelle, poussée à son extrême sévérité. Ils échouèrent.
-
-
-
-
-CHAPITRE III
-
-Ses lacunes.
-
-
-Le cycle impressionniste étant clos, on peut le juger maintenant aussi
-clairement qu’on juge l’école romantique ou celle de David. Tant
-que les «jeunes» s’en inspirèrent, tant qu’ils y prirent leur point
-de départ, le jugement dut être suspendu. Car on ne savait pas si,
-parmi ces jeunes, il ne s’en trouverait point qui ferait sortir de
-l’Impressionnisme quelque œuvre plus complète et plus puissante que
-celles réalisées jusque-là. On nous disait: «Ne vous pressez pas de
-conclure, car ce mouvement ne date que d’hier et s’il n’a pas donné
-encore tout ce qu’on en peut attendre, qui sait si à ces tentatives
-ne va pas succéder quelque chef-d’œuvre? Qui sait si le maître
-impressionniste ne va pas paraître?» Mais, aujourd’hui, on ne peut
-plus parler ainsi. Car voici plusieurs années déjà que les jeunes ont
-abandonné la route de l’Impressionnisme et bifurqué sur des chemins
-qui les ramènent tout doucement aux écoles du passé. On nous disait:
-«Désormais la peinture sera claire, _définitivement_ débarrassée de
-la litharge, du bitume, du chocolat, du jus de chique, du graillon et
-du gratin[9]». Demain les jeunes gens ne verront la figure humaine
-qu’enveloppée de soleil; les ombres seront mises en fuite, les
-murailles qui conservent l’ombre renversées, les clartés triomphantes
-dans tous les coins et recoins de la toile, et l’être humain, émancipé
-par la peinture, se tiendra debout, joyeux, dans «une après-midi qui
-n’aura pas de fin». Attendez, et vous allez voir arriver la lumière.
-
-Nous avons attendu, et nous avons vu arriver M. Cottet....
-
-On nous disait enfin: «Regardez s’élaborer le paysage de l’avenir. Il
-ne sera qu’une harmonie en blanc majeur, qu’un inter-échange de lueurs
-entre les eaux, les herbes, les feuilles, les rayons et les fleurs.
-Et, là, il puisera toute sa poésie. Plus d’effets mélodramatiques,
-plus de ruines savantes, plus de fabriques, plus d’arbres composant
-leurs silhouettes comme des modèles d’académie, plus d’effet théâtral,
-plus d’orages! Seulement le clair sceptre de «midi roi des étés», des
-maisons neuves avec du rouge de tuile ou du noir d’ardoise, à travers
-les feuilles tendres d’arbres sans prétentions, d’humbles légumes,
-des eaux sans cascades ni artifices, de petites nuées libres sans
-architecture. Ayez confiance, et vous allez voir apporter dans nos
-salons des morceaux de nature éclatants de lumière et de modernité.»
-Nous avons eu confiance, et nous avons vu apporter les _Terres
-antiques_ de M. Ménard....
-
-Regardez le paysage de M. Ménard, qui se trouve précisément au
-Luxembourg, pas très loin de la salle Caillebotte. Non seulement Claude
-Lorrain n’y est plus méprisé, mais les recettes du vieux clair-obscur y
-sont soigneusement remises en honneur.... Combien n’a-t-on pas raillé
-jadis le procédé qui consiste à opposer, dans un tableau, le point
-le plus lumineux à son point le plus sombre pour obtenir un effet de
-contraste, ce procédé sans cesse employé par Gustave Doré dans ses
-grandes planches? Or, il se retrouve exactement dans les deux paysages
-de M. Ménard, où des bestiaux bénévoles sont venus mettre leur tête
-rousse et sombre, juste au point où le soleil dardait son reflet le
-plus clair. Et pourtant l’œuvre de M. Ménard n’en arrête pas moins tous
-les regards, et n’en retient pas moins toutes les pensées.
-
-Pareillement, dans cette touchante _Nuit de la Saint-Jean_ de M.
-Cottet, où les membres d’une famille bretonne se sont groupés autour
-du feu commémoratif, posant çà et là des pierres pour tenir parmi les
-vivants la place des enfants morts, on observe que le point le plus
-sombre s’oppose au centre lumineux, et nul n’en est scandalisé. De même
-dans l’admirable _Troupeau_ de M. Dauchez.
-
-Qu’on regarde enfin la _Procession_ de M. Simon: ces têtes nues sous la
-brise de mer, ces traits fortement appuyés dans la chair des visages,
-ces oppositions tranchées d’ombre et de lumière, ces arabesques de
-draps noirs sur les surplis blancs, et que l’on dise ce qui reste là
-des théories du plein air et des reflets, de la proscription du brun et
-du noir?
-
-Et ce n’est pas une individualité ou deux qui abandonnent le sentier
-de l’Impressionnisme: c’est une foule. Quand on s’arrête devant les
-toiles de M. Jacques Blanche, de M. Le Sidaner, de M. Morisset, de M.
-Guignard, de M. Albert Moullé, de M. Georges Griveau, de M. Garrido,
-de M. Feliu, de Mlle Rœderstein, de M. Sarlius, il est difficile
-d’y voir cette «peinture claire», cet éblouissement de tons purs,
-cette «proscription des ocres et des bruns», que les théoriciens de
-l’Impressionnisme ont toujours donnés comme les caractéristiques de
-l’art nouveau[10]. Vainement chercherait-on à rattacher tous ces
-«ténébreux,» qui triomphent en ce moment, aux luministes d’hier. Ils en
-diffèrent du tout au tout. On peut, à la vérité, parler de leur commune
-«émotion» et de leur semblable «sincérité»; proclamer que les uns et
-les autres se livrent à un pareil «travail philosophique au cours
-duquel les contingences s’élaguent», et qu’ils sont, aujourd’hui comme
-hier, les «évocateurs savants des forces en exercice;...» propositions
-qui s’appliquent d’autant mieux à plusieurs écoles qu’elles n’en
-définissent aucune.
-
-On peut, en définissant l’Impressionnisme «une peinture qui va vers
-le phénoménisme, vers l’apparition et la signification des choses
-dans l’espace, et qui veut faire tenir la synthèse de ces choses dans
-l’apparition d’un moment[11]», y rattacher tout tableau moderniste,
-comme, d’ailleurs, tout tableau quelconque et, en effet, quel est le
-peintre qui ne se propose pas «l’apparition des choses dans l’espace»,
-et quel moyen pourrait-il bien prendre de les montrer autrement que «
-dans l’apparition d’un moment?»
-
-Mais dès qu’on quitte cette logomachie pour préciser les caractères
-picturaux des «jeunes» de talent, on est obligé de constater
-la réaction qui s’est faite. Car le réalisme était l’absence de
-composition, et l’Impressionnisme l’absence d’effet par les masses
-d’ombre. Or, chez tous les jeunes artistes que le succès accueille
-aujourd’hui, on constate nettement une composition voulue et un parti
-pris d’ombres évident. Il y a huit années, déjà, cette réaction était
-notée par M. André Michel. Sa consciencieuse observation et son
-impartiale clairvoyance en relevaient les premiers symptômes[12].
-Aujourd’hui, personne ne pourrait s’y tromper: l’Impressionnisme
-appartient bien au passé. On peut donc, sans injustice, le comparer à
-toutes les écoles du passé.
-
-Or, il faut bien l’avouer, si nous comparons les portraits que nous ont
-laissés ses meilleurs maîtres avec ceux d’Ingres ou de M. Dagnan, si
-nous rapprochons ses paysages, dans leur ensemble, des pages que nous
-ont laissées les Rousseau, les Corot et les Daubigny, si à ce mouvement
-qui dura trente ans, c’est-à-dire aussi longtemps que le mouvement
-romantique et qui fit beaucoup plus de bruit que l’école de Barbizon,
-nous demandons l’équivalent de ce qu’ont produit l’un ou l’autre de ces
-groupes, l’une ou l’autre de ces écoles, nous ne le trouverons pas. Ni
-ces portraitistes n’ont immortalisé, ni ces paysagistes n’ont exprimé,
-ni ces fantaisistes n’ont conçu, quelque figure humaine, quelque
-aspect de nature, quelque type d’humanité tel que le _Portrait de M.
-Bertin_, la _Danse des Nymphes_ ou _l’Homme à la Houe_. En sorte que
-vouloir comparer l’Impressionnisme aux grandes époques de la peinture
-française, l’opposer à ces écoles, le dresser contre leur enseignement,
-comme l’ont fait la plupart de ses panégyristes, ce serait tout
-simplement conclure à son avortement.
-
-Le maître impressionniste n’a pas paru. Car cette révolution, si
-révolution il y a, fut faite par beaucoup de pygmées et non par un
-géant. C’est la grande différence, en Art, entre les révolutions
-d’autrefois et celles d’aujourd’hui. Autrefois, ce qui était à la mode,
-ce qui était encouragé par la critique, ce qui était par conséquent le
-lot de la foule des artistes, du troupeau des «suiveurs», c’était la
-routine; aujourd’hui, c’est l’innovation. Autrefois, par conséquent,
-il fallait, pour oser une réforme, un artiste vigoureux et puissant,
-rompu à toutes les pratiques antérieures de son art. Le goût étant
-essentiellement hostile à toute réforme, on n’osait point la tenter
-aussi longtemps qu’on n’avait pas en main tous les éléments pour la
-faire triompher. Tant qu’on ne savait pas à peu près tout ce que
-savaient ses prédécesseurs, on ne s’aventurait pas à leur rompre en
-visière ni à leur donner des leçons. Aujourd’hui, rien n’est plus
-facile. Étonner les maîtres suffit à faire penser qu’on est un maître
-soi-même; dire du mal de l’Institut dispense d’avoir du talent. Le goût
-étant aux innovations, à l’agitation et à l’oscillement perpétuel,
-la presse décernant la «maîtrise» à n’importe quel pseudo-novateur,
-beaucoup innovent quand ils devraient copier encore et enseignent un
-métier nouveau quand ils agiraient sagement en apprenant l’ancien. Il
-en résulte parfois des tentatives curieuses, intéressantes pour le
-progrès d’une technique, mais point assez complètes pour la réalisation
-d’une œuvre et, au bout de quelques années, le mouvement avorte ou se
-perd en excentricités, pour avoir été entrepris trop tôt, par des bras
-trop faibles et dans un sentiment trop étroit.
-
-L’Impressionnisme avait un sentiment trop étroit. Il niait trop de
-vérités essentielles dans une œuvre d’art et celle qu’il apportait,
-si importante qu’elle fût, n’était pas suffisante pour tenir lieu
-de toutes les autres. Ce qu’il affirmait c’était la nécessité de la
-couleur vive, ce qu’il niait c’était l’utilité de la ligne. Il la
-niait, et il ne sert de rien, pour le contester, de prétendre que M.
-Degas admire Ingres ou que M. Renoir sait dessiner et qu’ils étaient
-tous deux capables de tracer une ligne impeccable; toute la question
-est de savoir s’ils étaient capables de donner l’éclat nouveau et le
-mouvement imprévu de leurs couleurs tout en conservant leurs lignes.
-Il est évident que les impressionnistes pouvaient d’une part dessiner
-très correctement et d’autre part obtenir des vibrations de couleurs
-inaccoutumées. Mais la question est de savoir s’ils pouvaient _à la
-fois_ donner ces vibrations et conserver cette ligne, profiter de leurs
-recherches et ne rien perdre de leur acquis, appliquer leurs théories
-sans détruire un enseignement essentiel et, en un mot, superposer leurs
-progrès à tous les progrès que la peinture avait faits avant eux. Or
-les exemples de la salle Caillebotte répondent assez clairement à
-cette question: ils ne le pouvaient pas. Ils n’ont pu réaliser leurs
-vibrations de couleurs qu’en sacrifiant la ligne; ils n’ont pu montrer
-les reflets sur les figures qu’en détruisant la silhouette des figures;
-ils n’ont pu peindre l’atmosphère qui enveloppe, qu’en dénaturant la
-substance qui est enveloppée et, en un mot, faire «chanter la couleur»
-qu’en faisant taire le dessin.
-
-Dans la plupart des tableaux impressionnistes, il n’y en a plus et, si
-ce défaut est moins sensible ou plus excusable quand il s’agit d’un
-paysage, surtout des paysages amorphes des environs de Paris où nulle
-montagne ne donne un intéressant profil, il n’en va pas de même avec
-la peinture de figure et surtout avec le portrait. Le but du portrait
-est de nous montrer ce qu’un être humain a de plus personnel, de plus
-intime, de plus _lui_. En le peignant en plein air, sous bois, tatoué
-par l’ombre des branches, bariolé par les reflets, l’impressionniste
-nous montre ce qu’il a de plus superficiel, de plus influencé par
-son milieu, de plus _autre_. Le but du portraitiste est d’abstraire
-le modèle de son milieu, afin de montrer en quoi il diffère de son
-milieu. La thèse impressionniste oblige à le replonger au contraire
-dans ce milieu comme dans un bain multicolore, à éparpiller son âme
-parmi les âmes diverses des choses, à étouffer sa voix sous le murmure
-des êtres, à éclipser son regard par le rayonnement des fleurs,
-en un mot à le faire s’évanouir dans le grand Tout. L’homme n’est
-plus que le produit du «milieu» où on l’a mis et du «moment» où on
-l’observe. Aussi ne trouve-t-on guère de bons portraits dans toute
-l’école impressionniste, et parmi eux, il n’en est pas un qui puisse
-être comparé, je ne dis pas à ceux d’Ingres ou de Reynolds, mais tout
-simplement à ceux de M. Dagnan ou de M. Benjamin-Constant.
-
-La facture en est uniforme. C’était un axiome autrefois chez les
-artistes que chaque objet différent devait être peint d’une façon
-différente, qu’une maison, par exemple, devait se distinguer par sa
-facture d’un arbre et un mouton d’une pièce d’eau ou d’une locomotive;
-qu’il n’y avait pas seulement un ton «local,» mais que la facture
-même devait varier selon l’objet qu’elle était censée réaliser. On
-n’appliquait pas la couleur pour figurer un mur comme pour figurer
-des feuilles d’arbre ni pour un visage comme pour un parquet de bois.
-La matière représentante devait varier comme la matière représentée.
-La touche était posée à plat ou en virgule, ou plus sèche ou plus
-humide, par longues traînées ou par points, par raies verticales ou
-par traits horizontaux ou en coups de sabre, en «banderoles», ou bien
-blaireautée en fourchette, ou encore appuyée comme une pression sur
-un bouton électrique, ou légère comme des passes magnétiques, selon
-qu’il s’agissait de signifier la ronde bosse d’un rocher ou la plate
-épaisseur d’une muraille, ou l’échevellement d’un arbre dans le vent.
-L’Impressionnisme a changé tout cela. Son principe étant de peindre
-l’enveloppe lumineuse des objets plutôt que les objets mêmes, il a
-tout fait vibrer dans un égal scintillement. Dans ses œuvres les plus
-fameuses, tout est peint de la même manière. Une locomotive paraît
-floconneuse comme un nuage; une maison frissonnante comme un arbre
-et un bonhomme tient à la fois du nuage et de la maison. Une touche
-partout égale, que l’objet soit liquide, solide ou aérien, le calfeutre
-d’une sorte de ouate colorée.
-
-Fatal à la figure, le sentiment impressionniste est-il favorable au
-paysage? Oui, sans doute, mais non à tous les paysages, ni dans tous
-les moments. Ce que l’Impressionnisme rend merveilleusement, c’est le
-plein soleil, c’est l’heure où tout ce qui vit danse dans la lumière,
-où, voyant tout, l’on voit mal. C’est l’accablement de la chaleur,
-c’est midi, l’heure de la sieste et des bras lassés par le travail.
-C’est de toutes les heures du jour celle que le rural connaît le moins.
-Car c’est celle où il repose. Mais en même temps c’est l’heure que
-l’artiste citadin connaît le mieux et qui représente pour lui l’instant
-typique de la Nature. Il est parti de Paris par le train du matin, il y
-rentrera par le train du soir, il ne voit la campagne qu’en plein midi.
-Il a un éblouissement. L’impressionniste mieux qu’aucun autre lui
-peint cet éblouissement, il le retrouvera rue Lepeletier. Il est grisé,
-enivré comme les héros de Maupassant dans sa _Partie de campagne_.
-Cela, l’impressionniste le montre bien. Dans sa toile, le citadin
-déchaîné parmi les moissons a des visions extraordinaires.
-
- Le printemps ouvre sa guinguette...
-
- Le bourdon aux excès enclin,
- Entre en chiffonnant sa chemise;...
- Un œillet est un verre plein,
- Un lys est une nappe mise,
-
- La mouche boit le vermillon
- Et l’or dans les fleurs demi-closes,
- Et l’ivrogne est le papillon,
- Et les cabarets sont les roses.
-
-Ces impressions superficielles, ces Bucoliques de banlieue,
-l’impressionniste les chante comme Victor Hugo lui-même. Quant aux
-impressions de nature longuement ressenties, comme la ressentent ceux
-qui vivent sur la montagne ou sous la forêt, quant aux souvenirs qui
-s’enfoncent au plus profond de notre être, ce n’est plus Claude Monet
-ou Victor Hugo qui sont capables de les rendre: c’est Lamartine, c’est
-même Laprade ou Brizeux. Et si nous les voulons retrouver en peinture,
-quittons la salle Caillebotte, quittons le Luxembourg et montons au
-dernier étage du Louvre, revoir les Corot, les Rousseau et les Daubigny
-de la collection Thomy-Thierry.
-
-Incapable de dégager le caractère de la figure humaine, capable
-seulement de dégager l’apparence de la nature dans une seule région à
-une seule heure et très superficiellement, l’Impressionnisme pouvait
-produire, ça et là, quelques excellentes œuvres, comme les _Toits
-rouges_ ou l’_Église de Vétheuil_, mais il était, si on le compare aux
-grandes écoles d’art, destiné à un avortement.
-
-
-
-
-CHAPITRE IV
-
-Son erreur.
-
-
-Et pourquoi a-t-il avorté? Pourquoi a-t-il affiché un sentiment d’art
-si étroit, et l’ensemble de ses négations inutiles a-t-il de beaucoup
-dépassé son affirmation nécessaire?—C’est parce qu’il portait en
-lui, avec des germes de vie, un germe de mort, une certaine humeur
-fatale à tous ceux qui en furent affligés, commune à beaucoup d’écoles
-contemporaines, et qu’il faut dénoncer comme la pire des maladies de
-notre temps: _la recherche de l’originalité_.
-
-Chercher l’originalité est un mal qui, s’il ne date pas d’hier, date
-du moins des temps modernes. Les anciens artistes l’ont peu connu.
-On cite bien Gréco qui, exaspéré d’entendre dire qu’il imitait le
-Titien, chercha dans des procédés un peu semblables aux procédés
-impressionnistes une éphémère originalité. Mais Gréco fut une
-exception. Ce que l’artiste ancien cherchait d’ordinaire, c’était
-l’assentiment de ses pairs et l’applaudissement des «honnêtes gens» en
-continuant ses maîtres, en développant quelque côté de leur manière,
-sans qu’on vît tout de suite la transition et en les transformant
-sans bruit. Il cherchait non _l’originalité_, mais _la puissance_. Il
-ne niait rien de ce qu’on trouvait nécessaire avant lui, mais il y
-ajoutait quelque chose qui lui semblait utile. Chercher l’originalité,
-c’est le signe évident qu’on veut s’écarter de sa voie naturelle,
-de soi-même, de son «origine», bref, de tout ce qu’on peut avoir
-d’originalité. Si l’on a en soi quelque originalité, parmi toutes ses
-qualités natives, c’est en les développant toutes qu’on peut la faire
-apparaître, mais ce n’est jamais en commençant par supprimer l’emploi
-des autres. Ce n’est donc pas en supprimant les qualités reconnues
-comme nécessaires dans une œuvre d’art: la composition, le dessin,
-le côté substantiel des choses, qu’on réalisera l’originalité de la
-couleur. C’est en les gardant toutes, en les cultivant soigneusement,
-qu’éclatera, parmi elles, celle qui est destinée à les faire oublier,
-presque à l’insu de l’artiste qui n’a cherché rien autre chose que la
-puissance. Pour être elle-même, l’originalité doit être non pas voulue,
-mais subie.
-
-Considérons, par exemple, les deux maîtres dont se réclament parfois
-les impressionnistes: Turner et Watteau. Certes, tous les deux furent
-des novateurs et firent de plus grandes révolutions dans l’art que
-les modernistes ne peuvent se flatter d’en avoir même indiqué. Comme
-l’a dit Hamerton: «La critique du XVIII^e siècle eût été incapable
-d’imaginer un Turner». D’autre part, quand on se rappelle que Watteau,
-ce représentant présumé du XVIII^e siècle, fit son éducation en réalité
-au XVII^e, qu’il mourut l’année où naquit Mme de Pompadour, qu’il n’eut
-pour modèles que Le Brun et Mignard, Poussin et Le Sueur, on mesure
-assez le pas géant qu’il fit faire à l’art pour l’amener des tristes
-bords du Tibre où languissait le Poussin jusqu’au parc jaseur et rieur
-où «s’en vont rêvant masques et bergamasques». Or, ces deux grands
-novateurs surent à peine qu’ils innovaient. En tout cas, ils ne le
-proclamèrent point: ils s’en seraient défendus plutôt, et telle était
-leur déférence envers les maîtres et leur peu de scandale que tous deux
-furent élus, fort jeunes, membres l’un de l’Académie royale de France,
-l’autre de l’Académie royale d’Angleterre, sans même l’avoir sollicité.
-
-Était-ce un révolutionnaire, un contempteur des maîtres anciens, ce
-Turner qui, constamment hanté par le souvenir de Claude, dessinait
-un _Liber Studiorum_ pour être comparé au _Liber Veritatis_ de son
-prédécesseur et qui mérita que P. G. Hamerton écrivît de lui: «Jamais
-artiste n’a étudié ses prédécesseurs avec autant d’assiduité pour
-montrer autant d’indépendance dans la suite?» Était-ce un chercheur
-d’originalité que Watteau? Au témoignage de Caylus, il «copiait et
-étudiait avec avidité les plus beaux ouvrages du maître d’Anvers»; il
-écoutait les conseils de maîtres comme Métayer, comme Gillot, comme
-Claude Audran, peintre et concierge, plus concierge que peintre: il
-demandait, en grâce, aux membres de l’Académie les moyens d’aller
-étudier à Rome. Prétendait-il détruire les règles établies, cet esprit
-timide et inquiet qui avait toujours, disent ses biographes, «le
-dégoût de ses propres ouvrages et trouvait toujours qu’ils étaient
-payés beaucoup plus qu’ils ne valaient?» ce client qui donnait à son
-coiffeur deux tableaux pour une perruque et craignait encore, en
-conscience, que ce ne fût pas assez? Tous les deux, enfin, Turner et
-Watteau, ressemblaient-ils aux bruyants révolutionnaires modernistes,
-eux qui, aussi jaloux de cacher leur personne que de perfectionner leur
-art, changeaient constamment de logement pour échapper aux curiosités
-indiscrètes, qui, pendant tout le cours de leur vie, étaient hantés par
-les modèles laissés par les maîtres, tous deux impatients, inquiets,
-doutant de leur mérite et ne souffrant guère qu’on attaquât celui de
-leurs prédécesseurs, tous deux mourant isolés, non comme des chefs
-d’école, mais bien comme de véritables originaux, grands inconscients
-qu’ils étaient: l’un déplorant qu’on eût si mal sculpté le crucifix que
-le prêtre lui donnait à embrasser, l’autre tournant, dans la mansarde
-de Chelsea, ses derniers regards vers les derniers rayons du couchant
-en murmurant: «Le soleil est Dieu!»
-
-Tel fut Watteau, tel fut Turner, ces gauches constructeurs d’ombres
-charmantes, ces inconscients casseurs de vitres et ces prodigieux
-appelants de rêve. L’_Embarquement pour Cythère_ était bien le départ
-pour une terre nouvelle d’art et de poésie. Les _Funérailles en mer du
-peintre Wilkie_ étaient bien l’ensevelissement de toute une peinture
-vieillie et d’un idéal mort. Mais ceux qui firent ces révolutions ne
-se doutaient pas qu’ils les faisaient. Ils croyaient de bonne foi
-suivre la grande route quand ils frayaient des trouées nouvelles. Ils
-ne croyaient qu’agrandir un ancien domaine quand ils découvraient des
-mondes....
-
-Leur exemple est un enseignement. La contre-épreuve qui nous est
-fournie par les modernistes le confirme. C’est que, chez les «jeunes»,
-le mépris est un mauvais véhicule, non seulement pour tout talent,
-mais pour tout progrès? Une réforme, qui se présente avec plus de
-négation que d’affirmation, n’est qu’une ombre de réforme. Les vrais
-révolutionnaires sont ceux qui renouvellent les formes d’Art par lente
-substitution, à la façon de la vie, et non par suppression rapide,
-à la façon de la mort. Les révolutions hâtives sont les révolutions
-éphémères. Le champignon modifie vite l’aspect d’un sous-bois, mais il
-ne le modifie qu’un jour, et le chêne qui, pendant ce temps, pousse
-lentement dans la nuit ses racines invisibles, transformera l’aspect de
-la forêt et sera, dans des siècles, pour les ailes des oiseaux et pour
-les yeux des hommes, un lieu de repos, de rafraîchissement et de paix.
-
-Quant à l’affirmation que, parmi tant de négations, nous apporta
-l’Impressionnisme: l’affirmation des droits de la couleur, elle
-restera sans doute à l’actif des découvertes de l’art. D’abord,
-l’importance des lumières reflétées, ensuite la vive coloration des
-ombres, enfin et surtout la division du ton, si elles ne sont pas
-tout dans l’art de peindre, sont cependant de cet art une partie
-assez importante pour qu’on soit reconnaissant à l’école qui les a le
-mieux indiquées. Précisément parce que les œuvres impressionnistes
-manquent des autres qualités qui font la bonne peinture, on voit
-ces qualités particulières y ressortir avec plus de crudité et une
-clarté plus favorable à l’enseignement. C’est ainsi qu’un «écorché»,
-par exemple, précisément parce qu’il ne cherche pas à rendre tout le
-charme et toute la beauté du corps humain, nous fait comprendre le
-jeu des muscles beaucoup mieux qu’une complète académie. Quand les
-amateurs, aujourd’hui imbus d’idées modernistes, se lasseront de voir
-dans leurs salons ces curiosités de palettes, elles n’iront point, du
-moins, comme les mauvais tableaux, au grenier. Elles s’arrêteront dans
-les ateliers des peintres, qui les suspendront avec honneur entre les
-tableaux des complémentaires de Chevreul et les écorchés de Bandinelli.
-Là, ces choses seront à leur place et rendront des services. Né d’un
-sérieux effort, dû à des causes profondes, assez fortement réalisé
-pour avoir beaucoup appris, même à ceux qui s’en défendent le plus,
-l’Impressionnisme est une découverte: ce n’est pas une peinture.
-
-
-
-
- TROISIÈME PARTIE
-
- LE VÊTEMENT MODERNE
- DANS LA STATUAIRE
-
-
-
-
-LE VÊTEMENT MODERNE DANS LA STATUAIRE
-
-
-Quand les premiers chrétiens débarquaient pour la première fois dans
-les villes de la civilisation païenne, ils demeuraient stupéfaits du
-nombre des statues qu’ils y voyaient. Les héros, les ancêtres, les
-dieux, le monde antique tout entier, étaient là, dressés, en bronze ou
-en marbre, en apparence indestructibles. Et les pieux missionnaires
-n’étaient pas loin de croire que, dans chacune de ces statues, il y
-avait un démon. C’est, aujourd’hui, un sentiment semblable de stupeur
-qui saisit le rural quand il entre dans nos villes ou lorsque, errant
-sur le balcon du grand hall des Champs-Élysées, il jette un regard sur
-cette foule de marbre.
-
-Depuis le temps de Lysippe, on n’avait jamais tant vu de statues
-embarrasser les places publiques. Jamais n’avait passé sur ce pays un
-tel souffle commémoratif. Plus de cent quinze statues furent érigées
-en France de 1870 à 1885. Un idéal inexpliqué d’hommages coûteux et
-d’inaugurations réparatrices hante les ateliers de Montrouge ou de
-Montmartre. Une fatale émulation les tient de ne pas laisser dans
-Paris un square, une place, un carrefour, un rond-point, un refuge
-inoccupé. La sculpture a horreur du vide. Devant qu’une rue soit
-percée ou un square planté, un monument s’y destine et l’on sait
-déjà quel héros y sera honoré, quand on ignore si les maisons auront
-des locataires. Les espaces actuellement ouverts sont insuffisants.
-On a mis des grands hommes partout: on a insinué des acteurs jusque
-dans des squares suburbains, des encyclopédistes jusque parmi des
-bureaux d’omnibus, des réformateurs sociaux jusqu’à la porte des
-«hippo-palaces» et sur les boulevards extérieurs.
-
-Toute place étant occupée, mais la patrie se résignant de moins en
-moins à ne point honorer ses grands hommes, on les juxtapose comme dans
-une revue. Au carrefour de l’Observatoire, un explorateur dispute la
-place au maréchal Ney et l’horizon aux _Quatre parties du monde_. La
-longue perspective de la fontaine du Luxembourg est close. L’œuvre de
-M. Puech offusque celle de Carpeaux. Il y a saturation. Et cependant,
-à chaque Salon, des files nouvelles de grands hommes rangés sous le
-vitrage «attendent», dans les limbes du plâtre, le moment d’entrer, à
-leur tour, dans l’immortalité.
-
-En même temps que ce phénomène, si favorable au sculpteur, il s’en
-produit un autre, qui lui est fort contraire. Si jamais on n’éleva
-tant de statues à des contemporains, jamais non plus les contemporains
-ne se vêtirent d’une façon si peu «statuaire». Le vêtement moderne,
-depuis Henri IV, mais surtout depuis un siècle, est ce que l’histoire
-nous offre de plus impropre à figurer dans une œuvre de plastique. Le
-naïf rural, qui se promène dans nos cités, n’est pas moins indigné que
-le premier chrétien débarquant dans la cité antique. Si ce ne sont pas
-de faux dieux qui se dressent devant lui, ce sont du moins de faux
-hommes, et il a peine à se persuader que des gens si laids aient pu
-être si grands. Il y a désaccord absolu entre la prétention que nous
-avons d’honorer nos héros et les moyens que leur aspect extérieur nous
-en fournit. Le problème du vêtement contemporain dans la statuaire est
-donc posé par les faits.
-
-
-
-
-CHAPITRE I
-
-Pourquoi les sculpteurs ont tenté de représenter le vêtement moderne.
-
-
-Sans doute, il y a longtemps qu’on a senti ce désaccord. Mais on le
-résolvait jadis en sacrifiant hardiment un des termes du problème.
-On sacrifiait le vêtement. On osait habiller d’une toge ou ne pas
-habiller du tout les héros. «L’habit de nature, c’est la peau, disait
-Diderot, plus on s’éloigne de ce vêtement, plus on pèche contre le
-goût.» Canova, Thorwaldsen et leurs successeurs l’avaient établi en
-principe. De même, quand Rude sculptait, au flanc de l’Arc de Triomphe,
-son héroïque _Départ_, il dépouillait le feutre emplumé, l’habit à la
-française, toute la défroque de 1792, et ne retenait des combattants
-que la passion qui les inspirait. Et c’était excellent.
-
-Mais, si féconde que soit une tradition d’art, dès l’instant qu’elle
-est appliquée dans sa lettre et non dans son esprit par une
-foule de médiocres élèves, elle devient insupportable aux esprits
-indépendants et insuffisante aux délicats. Tel fut le sort du «nu» et
-du «drapé». Les innombrables effigies funéraires de Thorwaldsen en
-donnèrent le dégoût. On chercha un renouvellement dans la silhouette
-sculpturale du contemporain. On se demanda si le «nu» était bien une
-«loi» inéluctable,—et si d’ailleurs il y avait en art des lois que
-des novateurs hardis ne pussent enfreindre ou tourner. On chercha,
-de droite et de gauche, des exemples. On remarqua que le _Moïse_
-n’était point selon le canon de Polyclète, que le _Coleone_ portait
-un autre costume que la toge et que les figures enthousiastes de Rude
-ne respectaient point les principes que Lessing avait cru découvrir
-dans le _Laocoon_. En même temps on montrait les Hollandais tirant un
-parti merveilleux de leurs sombres vêtements noirs. On citait Chardin
-pénétrant d’une poésie d’intimité les plus humbles recoins et outils de
-la vie familière. Dans toutes les régions de l’art, on apercevait que
-de prétendues lois n’étaient que des conventions. On avait cru ces lois
-de l’art absolues. Or, elles ne l’étaient pas. Donc, il n’y avait pas
-de lois absolues en art.
-
-C’était une conclusion précipitée. Autant eût valu dire: on a cru que
-tel corps était simple; or, on a découvert qu’il était composé; donc,
-il n’y a pas de corps simple. Mais elle répondait si bien au besoin de
-réaction contre le pédantisme de l’école qu’on l’adopta d’enthousiasme
-et qu’on somma les artistes de s’y rallier. «Croyez-vous, écrivait
-Planche, que si Rubens et Van Dyck revenaient, ils ne sauraient pas
-tirer parti du costume français en =1831=? Nous renvoyons ceux qui
-en douteraient à tous les portraits parlementaires de Lawrence que
-nous connaissons par les gravures de Reynolds, Cousins et Maile.
-_L’art, quoi qu’on en dise, trouve à se loger partout_, tout lui
-obéit, tout lui cède quand il commande impérieusement[13].» Et Planche
-avait raison, s’il voulait dire que jamais un costume sévère, noir,
-monochrome, n’a été rejeté par un grand artiste comme inesthétique,
-mais il s’avançait beaucoup s’il en tirait argument pour le costume
-moderne. Car ce n’est point la couleur monochrome qui est inesthétique
-dans notre vêtement: c’est la ligne géométrique. Dès qu’on ne s’en
-tient pas aux analogies superficielles et qu’on cherche à serrer de
-près la question, en soumettant chaque terme à une attentive épreuve,
-on s’aperçoit que les prétendues dérogations à cette loi n’en sont
-point et que chacune, au contraire, de celles signalées par la critique
-moderniste confirme la vieille opinion des artistes ou,—pour parler
-plus simplement,—s’accorde avec leur instinct. Delacroix, qui avait
-pratiquement tout entrepris et qui, théoriquement, passait sa vie à
-creuser ces problèmes, le dit en termes plus forts qu’aucun classique
-n’en a jamais employé: _Il y a des lignes qui sont des monstres_,
-et il ajoute lesquelles: «la droite, la serpentine régulière,
-surtout deux parallèles. Quand l’homme les établit, les éléments les
-rongent. Les mousses, les accidents rompent les lignes droites de ses
-monuments. Chez les anciens, les lignes rigoureuses corrigées par la
-main de l’ouvrier. Comparer des arcs antiques avec ceux de Percier et
-Fontaine.... Jamais de parallèles dans la nature, soit droites, soit
-courbes[14].»
-
-Et ces lignes, «qui sont des monstres», ne le sont cependant point en
-peinture au même degré qu’en sculpture. Car, dans l’une, elles sont
-dissimulées par l’ombre ou par la couleur et, dans l’autre, elles
-apparaissent dans toute leur beauté ou dans toute leur laideur. Le
-chapeau dit «haut de forme», par exemple, n’a jamais été un bien
-agréable accessoire pour les peintres et l’on ne peut guère citer que
-Delacroix dans sa _Liberté, Journée du 28 juillet 1830_, ou Goya dans
-quelques portraits qui en aient fait état. Partout où un grand artiste
-a tiré un parti satisfaisant du haut de forme: le _Portrait du grand
-bâtard de Bourgogne_, de Roger Van der Weyden, le _Médecin_ ou le
-_Charlatan_ de Steen, le _Portrait de M. Leblanc_, d’Ingres, on trouve
-que les lignes de la coiffe nullement parallèles n’offrent plus du tout
-l’aspect géométrique pur du chapeau actuel. Encore est-il beaucoup
-moins incommode à manier pour le peintre que pour le sculpteur. Le
-peintre peut le mettre dans l’ombre, il peut projeter sur lui des
-reflets qui en varient la silhouette, déployer à son profit toutes les
-magies de la couleur. En tout état de cause, comme il ne le montre que
-sur un plan, il peut tordre ses lignes dans le sursaut des raccourcis.
-Ainsi l’a fait Delacroix. Le sculpteur, lui, est tenu de le prendre tel
-qu’il est et de l’introduire dans son monument tel qu’il sort de chez
-le chapelier. Il ne peut ni le colorer, ni le dissimuler, ni le montrer
-sous un seul angle. En tournant autour du monument, le spectateur
-découvrira toujours le point où sa forme la plus fâcheuse apparaît. Par
-conséquent tel engin inesthétique peut être interprété par le peintre,
-sans qu’on puisse en tirer le moindre argument pour le sculpteur.
-
-Cette différence essentielle n’a pas arrêté les théoriciens. Tenant
-pour établi comme Guyau que «l’utilité constitue toujours comme telle
-une certaine beauté» et que «tout ce qui est réel et vivant peut, dans
-certaines conditions, devenir beau»,—ils en sont venus à proclamer
-l’égalité devant l’Art de toutes les formes naturelles. «Le corps
-fût-il moins fort et moins beau que celui des athlètes de Polyclète ou
-des géants charnus de Rubens, déclare le philosophe, la tête aurait
-acquis une beauté supérieure. _N’est-ce donc rien, même au point de vue
-plastique, qu’un front sous lequel on sent la pensée vivre, des yeux où
-éclate une âme? Même dans le corps entier, l’intelligence peut finir
-par imprimer sa marque. Moins bien équilibré peut-être pour la lutte
-ou la course, un corps fait en quelque sorte pour penser posséderait
-encore une beauté à lui. La beauté doit s’intellectualiser pour ainsi
-dire_[15].»
-
-Ce sont là des affirmations que rien, ni dans l’histoire de l’art
-ancien, ni surtout dans les tentatives de l’art moderne, à aucun degré,
-ne vient vérifier. Il est impossible d’en trouver un seul exemple qui
-résiste à l’examen. Quelle beauté un cerveau pensant peut-il bien
-imprimer dans un corps déjeté? Voilà ce que jamais aucun philosophe
-n’a pu nous dire et que jamais aucun artiste ne nous a fait voir....
-Une beauté perceptible à notre âme, une force accessible à notre
-intelligence, oh! sans doute! Nous le voyons assez, et les arts qui
-s’adressent directement à notre entendement, comme la poésie, comme le
-drame, pourront nous révéler cette force dans un corps contrefait. Au
-théâtre, l’oreille entend les paroles qui nous révèlent la grandeur de
-l’âme logée dans une enveloppe débile. L’histoire ou le roman peuvent
-entourer l’avorton de tels prodiges que nous en venions à l’admirer.
-Mais le sculpteur, ne pouvant ni nous parler comme l’historien, ni
-nous faire voir une suite d’actions comme l’auteur dramatique, ne
-s’adressant qu’à nos yeux, ne peut rendre témoignage que de l’espèce de
-grandeur et de beauté que perçoivent les yeux.
-
-C’est à l’historien qu’il appartient de nous montrer le prestige
-d’un saint Paul petit, laid, maladif, chassieux. C’est du poète que
-nous attendons la beauté d’un chimiste luttant contre la mort et lui
-arrachant, en même temps que son secret, la vie de plusieurs millions
-d’êtres humains. Pour le sculpteur, il ne peut nous montrer saint
-Paul athlète de la foi qu’en lui donnant des muscles d’athlète. Il
-ne peut nous figurer le chimiste terrassant la mort qu’en le douant
-d’une assez forte musculature pour triompher de ce prodigieux ennemi.
-Car, encore un coup, ces figures ne parlent pas et ne se prêtent pas
-à une série d’actions successives. Ce sont leurs proportions grêles
-ou puissantes, leurs attitudes languides ou contractées qui nous les
-révèlent. Si elles parlent, c’est seulement par le langage puissant,
-mais élémentaire, des formes que l’art peut leur donner.
-
-Si commune et si connue que fût cette vérité, les philosophes de
-notre temps l’ont oubliée. La confiance qu’ils ont dans les destinées
-«intellectuelles» de l’art leur a fait généralement adopter le point de
-vue de Guyau. Ils ont tenu pour établi d’abord qu’il n’y avait pas de
-loi restrictive en art et que, par conséquent, aucune forme ne devait
-être proscrite de la statuaire contemporaine; ensuite, que tout ce
-qui est utile peut devenir beau et qu’ainsi tous les outils inventés
-par l’industrie moderne, tous les vêtements nécessités par le confort
-contemporain, avaient droit à la même place dans l’art que le cheval de
-Phidias ou que la toge de Décius.
-
-On décida de les immortaliser. Les sculpteurs devinrent les copistes
-des tailleurs. Montrouge et Montmartre reçurent des modèles du quartier
-de l’Opéra. C’est ce que l’on appelle «se libérer de la tyrannie
-de l’École». Les places publiques d’Europe, depuis Glascow jusqu’à
-Naples, se couvrirent de bronzes fixant pour l’éternité la coupe de
-la redingote, et, au Campo-Santo de Gênes, les artistes italiens,
-prenant leur revanche sur Canova, firent éclater, dans le marbre
-fouillé par leurs ciseaux insidieux, la gloire des vestons à carreaux,
-des bottines vernies, des chapeaux mous, des cravates Lavallière,
-des breloques, des dentelles et des volants semés des larmes de gens
-fashionables récitant les prières des agonisants. Ce que la beauté des
-villes put gagner à cette exhibition ou à cette solidification des
-modes modernes, il suffit, pour en juger, de suivre, à Paris, d’un
-bout à l’autre, le boulevard Saint-Germain. Mais ce parti répondait
-si bien au désir moderne «d’intellectualiser» la sculpture, que nos
-meilleurs esprits et les plus délicats ne voulurent point en sentir
-la monstruosité. «Les vieilles timidités sont décidément surmontées,
-s’écriait M. Larroumet. Nos sculpteurs ne croient plus qu’il soit
-nécessaire de draper à l’antique des personnages qui ont porté le
-costume moderne; ils estiment que celui-ci peut avoir sa poésie. Cette
-victoire du réalisme dans la sculpture est en train d’aller fort loin.
-Elle a commencé par le costume militaire, d’assez bonne heure; on a
-renoncé à déshabiller les héros, sous prétexte de noblesse sculpturale.
-Puis on a osé conserver leurs costumes à des personnages civils _On
-n’aurait plus aujourd’hui l’idée bizarre de représenter Napoléon I^{er}
-les jambes nues, comme l’a fait Chaudet pour la colonne Vendôme, et
-Racine enveloppé d’un drap de laine, comme celui de David d’Angers à la
-Ferté-Milon_[16]....» Cela paraissait définitif.
-
-
-
-
-CHAPITRE II
-
-Les résultats de la tentative.
-
-
-Maintenant regardons les principales œuvres de sculpture parues dans
-ces dernières années. La première chose que nous constaterons, c’est
-que M. Rodin a dépouillé Victor Hugo de ses vêtements modernes, comme
-Chaudet avait fait Napoléon, et que «l’idée bizarre» de représenter
-un contemporain «les jambes nues» non seulement a survécu à Chaudet
-ou à David d’Angers, mais s’est revivifiée dans le plus puissant des
-novateurs.
-
-Il y aurait beaucoup à dire du _Victor Hugo_ de M. Rodin, et le
-moins que la critique puisse suggérer devant lui, c’est qu’une belle
-ébauche n’est pas un chef-d’œuvre, ni même toujours la promesse d’un
-chef-d’œuvre. Car, s’il est une vérité acquise en art, c’est que
-les qualités essentielles d’une prestigieuse esquisse se conservent
-difficilement quand l’œuvre, avec tous ses plans, est achevée.
-Conserver la synthèse naturelle de l’ébauche tout en développant
-l’analyse, garder l’enveloppe du monument en assurant la multiplicité
-des plans, les variétés d’aspects qui font la statue, c’est assurément
-la difficile épreuve, mais c’est aussi la tâche expresse de l’artiste.
-«On ne gâte pas en finissant, quand on est grand artiste», a écrit
-Delacroix[17]. Et lorsque, pour s’en dispenser, on laisse entendre que
-le grand art consiste à réaliser seulement les qualités de l’ébauche,
-on ne fait que remplacer par une théorie ingénieuse l’absence de
-réussite et qu’ajouter à un défaut de réalisation une erreur de
-raisonnement.
-
-On pourra donc regretter les inégalités du _Victor Hugo_, depuis la
-tête admirable et puissante qui rappelle invinciblement celle du
-_Soir_, que tous les visiteurs de Florence ont vue dans la froide
-sacristie de San Lorenzo, jusqu’aux pieds mous et ronds, perdus en
-une agglomération de contours flottants et nuageux. On s’étonnera du
-modelé singulier des omoplates. On se demandera ce qu’un prochain
-avenir pensera des enthousiasmes qui entourèrent le _Balzac_, qui
-entourent le _Victor Hugo_, si ces enthousiasmes ne paraîtront pas dans
-quelques années parfaitement inexplicables lorsque auront disparu nos
-idiosyncrasies passagères avec cet art et nos sentiments de réaction
-contre l’art habile, correct, photographique, impeccable, inutile et
-justement exécré de nos praticiens. On craindra, enfin, que les œuvres
-incomplètes de M. Rodin ne conservent pas dans l’avenir la place où
-nous les avons juchées et que, vantées par une littérature éphémère à
-l’égal de celles de Préault, elles ne tombent devant le goût permanent
-au même niveau où les œuvres de Préault sont tombées.
-
-Mais, quand tout cela serait entendu, il n’en reste pas moins que le
-_Victor Hugo_ témoigne, par toute son attitude et son geste à la fois
-puissant et contenu, d’une grande intention d’artiste. Les marbres de
-M. Rodin sont un peu comme ces montagnes où les guides vous avertissent
-qu’on peut démêler la ressemblance d’une figure humaine. Mais cela même
-est une vertu. A peine détaché de sa gangue de pierre, apparu comme
-une force même de la nature, le _Victor Hugo_ est vraiment monumental.
-C’est une impression que les statuaires contemporains nous donnent
-si rarement, qu’il faut bien passer sur quelques surprises, quand il
-nous arrive de la ressentir. Un des bras, en se repliant et en se
-rétractant vers le front, ramasse toutes les énergies musculaires vers
-le centre où l’on imagine que siège la pensée, et c’est le geste du
-contemplateur. L’autre, tendu comme pour montrer, ou pour affirmer, ou
-pour imposer silence, se développant en longueur avec tout le reste
-du corps, semble indiquer une volonté agissante, et c’est le geste du
-tribun. Quiconque a des yeux, sans rien connaître de Victor Hugo, de sa
-vie, ni de son œuvre, sentira confusément qu’il se trouve en présence
-d’un homme méditatif et impérieux;—et c’est bien assez pour une œuvre
-de plastique.
-
-De plus, autant qu’il est monumental, ce marbre est vivant. Il offre
-des effets picturaux d’ombre et de lumière très prononcés. «On ne
-comprend pas assez souvent, écrivait Ruskin en 1849, que sculpter
-n’est pas simplement tailler la forme d’une chose dans la pierre, mais
-que c’est y tailler _l’effet de cette chose_. Très souvent, la vraie
-forme, mise en marbre, ne ressemblerait plus du tout à ce qu’elle est
-en réalité. Le sculpteur doit peindre avec son ciseau. La moitié de ses
-touches doivent servir non à réaliser la forme, mais à la mettre dans
-le marbre en puissance. _Ce sont des touches de lumière et d’ombre._
-Elles font saillir une crête ou s’enfoncer un creux, non pas pour
-représenter une saillie ou un creux qui existent actuellement dans la
-réalité, mais pour susciter une ligne de lumière ou une tache d’ombre.
-En un mode grossier, cette sorte d’exécution est très marquée dans
-l’ancienne sculpture française sur bois[18].»
-
-C’est presque une définition de M. Rodin, et c’est bien la définition
-d’un artiste, comme, d’ailleurs, c’était bien d’une intention d’artiste
-qu’était sortie l’ébauche du _Balzac_. Et c’est ce même homme, si
-peu timide, si prompt aux innovations, qui, aujourd’hui, ayant à
-représenter deux contemporains, bien loin de chercher l’impossible dans
-le vêtement moderne, a enveloppé l’un, le _Balzac_, d’une draperie, et
-a dépouillé l’autre, le _Victor Hugo_, de tout vêtement.
-
-Si nous considérons les plus récents monuments imaginés par des
-maîtres à la gloire de nos contemporains, l’admirable _Lamoricière_ et
-le _Duc d’Aumale_, de M. Paul Dubois, le _Balzac_, de M. Falguière,
-l’_Alphonse Daudet_, le _Président Faure_ et l’_Alexandre Dumas fils_,
-de M. de Saint-Marceaux, nous voyons qu’au lieu d’affirmer les lignes
-particulières du vêtement contemporain, l’artiste les a dissimulées.
-Une large couverture drape les jambes jusqu’au torse; la tête émerge
-seule clairement, le col rabattu suit l’inflexion du buste. Partout un
-modelé très doux atténue, émousse la géométrie des lignes et enveloppe
-comme d’un nuage le peu qu’il en laisse apercevoir.
-
-Il l’est encore dans la pierre tombale du président Faure, par le même
-artiste. Là, ce sont les drapeaux russe et français unis par la main
-du mort qui ont servi à draper plus amplement la figure, bien que les
-lignes insupportables de l’habit se laissent voir trop nettement.
-Au salon de 1901, M. Dalou a drapé le plus qu’il était possible sa
-statuette de _Lavoisier_. Plus loin, dans un projet en plâtre d’un
-monument à deux industriels, il n’est pas jusqu’à un plan d’ingénieur
-déplié sur les genoux qui ne serve un peu à cet objet, bien que, là
-encore, toute l’ingéniosité du sculpteur, son don du mouvement, du
-pittoresque et de l’observation n’aient pas suffi à rendre sculptural
-un costume qui ne l’est pas.
-
-Dans le monument de _Pasteur_, à la nouvelle Sorbonne, où l’on voit le
-savant assis, maniant le ballon de verre où son regard scrute le secret
-de la mort, M. Hugues a masqué la plus grande partie du costume par
-une couverture. Le _Victor Hugo_ assis de M. Marqueste est hardiment
-anachronique. Il se carre dans une chaise romaine, enveloppé quasi
-tout entier d’un manteau qui dissimule son habit. Le peu qu’on voit du
-pantalon et de la manche libre colle au corps, enroulé, tordu, autour
-du bras ou du jarret. Le gilet bâille, un bouton est écrasé, le col
-et les manches ont perdu leur aspect. C’est un minimum de vêtement
-contemporain.
-
-Si l’on veut faire la contre-épreuve, que l’on regarde les habits
-ajustés: par exemple, le _Baudin_ en redingote, debout sur la
-barricade. Il manie ce chapeau haut de forme qui, figurant déjà sur
-la tombe de Victor Noir, par M. Dalou, paraît définitivement lié au
-sort de tous les grands agitateurs de notre temps. Peut-être les
-archéologues à venir, lorsqu’ils le trouveront accompagnant toutes les
-statues de révolutionnaires, et qu’ils en chercheront la signification,
-incapables d’imaginer qu’il ait jamais pu servir à coiffer une tête
-humaine, seront-ils tentés d’y voir un dangereux engin de destruction.
-Eh bien, ce n’est assurément pas le mouvement qui a embarrassé l’auteur
-du _Baudin_, ni le sujet: c’est le costume. C’est le costume aussi qui
-a rendu insurmontable la tâche entreprise par un autre de rendre épique
-le personnage du président Krüger.
-
-Enfin, dès qu’un souci de ressemblance ne les lie pas absolument, nos
-artistes écartent tout costume moderne. Rappelez-vous ce que vous
-avez admiré dans les _Salons_ depuis dix ou douze ans, vous trouverez
-que tous les beaux ouvrages plastiques de pierre ont représenté le nu
-ou des vêtements qui serrent de près la forme humaine, et sans rien
-d’essentiellement contemporain,—_les Mineurs_ de M. Constantin Meunier,
-comme _les Ouvriers_ de la frise du Travail de M. Guillot ou _le
-Secret_ de M. Bartholomé.
-
-Au Salon de 1899, il y avait une telle abondance de draperies
-imprévues, enveloppant des figures contemporaines, qu’on avait surnommé
-toute une région de la Galerie des Machines: «le coin des robes de
-chambre». Les œuvres les plus puissantes de la sculpture contemporaine,
-_les Bourgeois de Calais_ de M. Rodin et le _Monument aux morts_ de M.
-Bartholomé, sont précisément celles où n’apparaît que le nu et que le
-drapé. Plutôt que de figurer un _Guillaumet_ en veston et en chapeau
-melon, M. Barrias a évoqué sur sa tombe une jeune fille de Bou-Saada
-que le peintre avait peinte au cours de ses voyages. Tout ce qu’on
-peut découvrir de draperie dans les accessoires de la vie moderne
-est utilisé pour masquer notre costume. Le drapeau a servi naguère à
-M. Paul Dubois, non pas seulement pour révéler ce qu’il y avait de
-patriote dans l’âme du Duc d’Aumale, mais surtout pour dissimuler ce
-qu’il y avait de fâcheux dans la coupe de son habit, et, si le maître
-avait pu étendre les plis glorieux jusqu’aux pieds, comme fit Rude avec
-le linceul de son _Cavaignac_, de façon à cacher le bout des bottes
-du général, il est permis de croire que son monument y eût encore
-infiniment gagné.
-
-Il semble, d’ailleurs, que beaucoup d’écrivains, tout en professant
-l’excellence du costume moderne, aient tenté, par un instinct plus
-sûr que leurs théories, de s’en libérer un peu pendant leur vie et de
-fournir à leurs statuaires le prétexte d’en libérer tout à fait leur
-image après leur mort. Tel, Balzac avec sa robe de moine. Tel Alexandre
-Dumas fils, dictant ainsi, dans son testament, le thème sculptural
-dont M. de Saint-Marceaux a tiré un si beau parti: «Après ma mort, je
-serai revêtu d’un de mes costumes de travail, les pieds nus...», ce
-costume de travail étant une robe. En sorte que rien, dans la réalité,
-n’est venu confirmer les hypothèses favorables au vêtement contemporain
-depuis le jour, en 1846, où Gustave Planche félicitait Maindron d’avoir
-représenté, en redingote, Senefelder, l’inventeur de la lithographie.
-Dans ces cinquante ou soixante ans, l’expérience a été maintes fois
-tentée. Elle l’a été par des maîtres. Les résultats en couvrent nos
-places publiques. L’opinion unanime a jugé. Aujourd’hui, les maîtres ne
-la tentent même plus. L’échec est décisif.
-
-
-
-
-CHAPITRE III
-
-Pourquoi le vêtement moderne n’est pas sculptural.
-
-
-Et pourquoi? Pourquoi le vêtement contemporain est-il si peu
-sculptural? Pour en trouver les raisons, il suffit de le considérer.
-D’abord, il est uniforme; il offre de grands espaces dénués d’ombre et
-de lumière. Là où le buste de l’homme se creuse, se renfle, se plie
-et se cambre au gré des muscles grand pectoral, grand dentelé, grand
-oblique, la redingote n’a qu’un plan. Là où le corps dit: relief,
-profondeur, polyèdre, ligne ondulée, accent d’ombre, rouages souples de
-la machine humaine affleurant à la peau, la redingote dit: cylindre. Le
-tailleur rectifie le buste de l’homme et apprend à la nature comment
-elle aurait dû construire les jambes: rectilignes. Car autant qu’il est
-uniforme, le vêtement moderne est artificiel. Non seulement il cache
-la forme humaine, mais il la contrefait. La toge ou le pallium, prêts
-à se modeler sur l’athlète ou l’orateur, ne sont rien sitôt tombés
-de ses épaules, tandis que notre costume est une caricature complète
-de l’homme; il a comme lui des jambes, des bras, un cou. C’est un
-anthropoïde.
-
-Uniforme et artificiel, il est encore immuable. Tandis que les grandes
-lignes de la toge, diversement ondulantes ou serrées, changeaient
-de physionomie,—selon que le prêtre ramenait un peu de draperie
-sur sa tête, ou que le lutteur l’enroulait autour de son bras, ou
-que l’orateur la laissait tomber dégageant son buste, ou que le
-magistrat disposait par longs traits les bords contenant les bandes de
-pourpre,—le veston, lui, ou bien l’habit, reste identique à lui-même,
-que ce soit un homme d’État, un médecin, un chimiste, un escrimeur ou
-un poète qui entre dedans. Sa gloire est dans son indifférence pour le
-personnage qu’il recouvre et dans son imperturbabilité.
-
-Ce contraste apparaît jusque dans le geste de l’homme pour se vêtir.
-Comparez un Arabe qui se drape avec un Européen qui entre dans son
-paletot. L’un fait un beau geste circulaire, souple, simple, conforme
-à la dignité du corps humain. L’autre est tenu à une série d’efforts
-lamentables et ridicules. D’abord, il lance un bras en l’air, puis
-l’autre, afin de se jeter désespérément dans ses manches. Ensuite,
-courbant l’échine et imprimant à tout son être une secousse de bas en
-haut, il n’offre aucune différence avec un oiseau lourd qui s’essaie
-à prendre son vol ou un nageur inexpérimenté qui se noie. Ce détail
-marque nettement la différence entre les deux costumes. L’homme antique
-dispose son vêtement sur lui. L’homme moderne est obligé de se disposer
-lui-même au gré de son vêtement. Quoi d’étonnant si celui-ci est si peu
-vivant?
-
-Sans doute, il le devient, avec beaucoup de stratagèmes. M. Paris
-a réussi à faire vivre les lignes de l’habit de son _Danton_, du
-boulevard Saint-Germain, mais ce n’a été qu’en exagérant formidablement
-le geste du tribun. Encore maniait-il un habit plus souple que le
-nôtre. Avec la redingote ou le veston, il eût dû renchérir sur
-l’agitation du _Danton_. De par la rigidité de son enveloppe, le grand
-homme moderne est tenu, pour l’assouplir, de se livrer à de violentes
-pantomimes aussi peu conciliables avec le vrai caractère de la
-statuaire qu’avec celui de ses pacifiques occupations.
-
-Monotone, immuable, artificiel, le vêtement contemporain est donc
-quelque chose de très particulier dans les annales du costume. Avant
-lui, tous les costumes dont l’art sculptural s’est servi suivaient
-d’assez près les proportions du corps humain, comme l’armure du
-_Coleone_ de Verocchio ou celle du _Saint Georges_ de Donatello, ou
-bien ils n’avaient pas de proportions du tout. Ce que le costume
-moderne a de particulier, c’est qu’il n’est ni modelé sur la forme
-humaine comme le costume de la Renaissance, ni dépourvu de forme comme
-le voile antique, et que, n’étant pas ajusté au corps, n’étant pas un
-«juste-au-corps», il est cependant anthropomorphe à sa manière, et que,
-s’il ne donne pas du tout l’idée d’un homme fait par la nature, il
-donne cependant celle d’un «bonhomme» dessiné par un couturier.
-
-Sans doute, on a vu de beaux vêtements qui n’étaient pas construits
-selon la forme du corps humain. Tel est le cas du plus beau de tous: le
-vêtement antique. Seulement, c’étaient des vêtements sans forme aucune.
-La draperie antique est amorphe. Elle n’est rien par elle-même et doit
-tout à l’être qu’elle recouvre. Un voile léger, une calyptre jetée à
-terre est sans forme comme une nappe d’eau, mais, posée sur la tête
-d’une femme, tombant sur les épaules, sur les seins et jusqu’aux pieds,
-elle devient plastique. Comme cette même nappe d’eau tombant du haut
-d’un rocher, rebondissant en lignes courbes, s’étalant en vagues, se
-réduisant en longs filets liquides, se nouant et se dénouant comme deux
-cordes qu’un mouvement concentrique rapproche et sépare, se rejoignant
-comme des œils de plis, descendant par larges nappes, puis tombant
-droit aux pieds comme une averse de plis parallèles et se répandant
-en gros bouillons tout autour de la déesse, enfin, lorsqu’elle a
-trouvé son équilibre, demeurant toute plane sur le sol comme une eau
-tranquille qui ne bouge plus: telle est la draperie antique.
-
-Étant amorphe, elle peut devenir plastique; étant une, elle est
-infiniment variable. Le corps ne fait pas la plus légère inflexion
-sans que le reflet en tressaille dans tous les plis. Toute statue
-antique, si elle ne porte pas dans le pli de sa toge la paix et la
-guerre, y porte du moins le souvenir du corps humain. Ce ne sont pas
-seulement les expressions prévues par Quintilien qu’elle donne: qu’un
-homme en toge lève doucement le bras, ce mouvement créera derrière
-lui une multitude de plis,—tel, le mouvement du vaisseau crée le
-sillage. Qu’au contraire, un homme en redingote le lève deux fois plus
-haut: la ligne inférieure de la jupe n’oscillera même pas. A peine,
-autour de l’épaule, se fera-t-il une légère grimace, une patte d’oie.
-Le mouvement sous une draperie, c’est une pierre jetée dans l’eau:
-jusqu’aux extrémités, des frémissements concentriques à la surface
-indiquent le geste qui s’est produit. Le mouvement dans un vêtement
-ajusté, c’est une pierre tombant dans du sable. Là où il se produit, il
-y a une légère perturbation, peut-être un froncement d’étoffe: c’est
-tout.
-
-Un artiste ingénieux peut exagérer ce froncement. Il peut coller le
-tissu au corps pour le mouler comme a fait M. Marqueste dans son
-_Victor Hugo_, ou, au contraire, en faire flotter les extrémités pour
-l’animer; il peut imposer à son héros—poète, historien, chimiste,—une
-élégance ou bien une agitation qu’un modeste ou paisible savant n’a
-jamais connues: il n’arrivera pas à traduire les inflexions délicates
-et subtiles du corps. Il ne trouvera pas dans l’enveloppe moderne les
-éléments nécessaires à son œuvre. L’artiste qui veut traduire le corps
-humain par la redingote, c’est un écrivain à qui l’on donnerait pour
-traduire du Bossuet le code des signaux maritimes ou l’Esperanto.
-
-Nous touchons ici à la loi esthétique fondamentale du vêtement humain.
-Il est esthétique dans la mesure où il est révélateur. La draperie,
-elle, révèle trois choses: ou bien la forme du corps,—quand elle
-adhère au corps sous la pression de l’air ou qu’elle est serrée par
-un nœud, comme dans les trois _Parques_ du Parthénon;—ou bien son
-mouvement, quand elle flotte et suit le geste qui l’anime, comme dans
-les combattants du sarcophage de Sidon;—ou bien, à la fois, sa forme et
-son mouvement, quand elle adhère au corps et se déroule en le suivant,
-comme dans la _Victoire_ de Samothrace. Le pli tombant est également
-indicateur de grandes lois naturelles. S’il tombe droit, comme dans
-les figures des portails de nos cathédrales, il marque la loi de
-gravitation. S’il ne tombe pas droit, mais par sursauts, il marque à la
-fois la loi de gravitation et la forme du corps humain, c’est-à-dire
-la lutte infiniment complexe entre la pesanteur qui veut des lignes
-verticales et la résistance qui veut des lignes horizontales. S’il ne
-tombe pas du tout, s’il flotte, il marque le mouvement de ce corps et
-la force de l’air.
-
-En regard de ces indications subtiles, mais précises, perçues par
-l’esprit inconsciemment, en regard de ces phénomènes éternels—les plus
-hautains individualistes nous permettront-ils de dire de ces «lois»
-éternelles qui régissent la vie?—examinons ce que marque la redingote,
-c’est-à-dire le vêtement ajusté? Il ne marque rien. Il ne révèle pas
-le corps, puisqu’il le cache sous une carapace de même diamètre, là
-où la nature a modelé des épaisseurs de proportions très variables.
-Il ne révèle pas le mouvement, puisqu’il est construit précisément en
-vue d’éviter les plis, qu’on appelle tous des «faux plis» et qu’il
-faudrait un désordre inouï dans l’âme d’un homme pour qu’il s’en
-manifestât un quelconque dans sa toilette. Il ne marque pas la marche,
-trop lourd pour flotter et d’ailleurs retenu par les boutons, qui sont
-les gendarmes du costume moderne. Aux jarrets, il est rectificatif de
-la nature et—jambes de coq ou mollets d’Hercule, jarrets du montagnard
-ou jambes du danseur—il confond tout dans le même cylindre égalitaire,
-imperturbable et prévu.
-
-Puisqu’il ne marque rien de réel ni de voulu par la nature, que marque
-donc l’habit ajusté? Eh! c’est fort simple! il marque un idéal: l’idéal
-du tailleur qui l’a fait.
-
-Quel est-il donc, cet idéal, pour avoir produit un costume uniforme,
-artificiel et inexpressif? Voici le dernier terme de la question.
-Croit-on que ce soit le hasard qui ait produit et qui maintienne,
-malgré tous ses défauts, ce vêtement contemporain? Ne voit-on pas
-que ce sont ses défauts mêmes qui le rendent populaire et que c’est
-précisément parce qu’il est uniforme et inexpressif, c’est-à-dire
-égalitaire, qu’il est contemporain? C’est précisément parce qu’il
-confond, sous la même apparence, le torse musclé et la poitrine
-étriquée, les épaules larges et les épaules fuyantes, le bras
-vigoureux, le jarret nerveux et les membres déjetés, les genoux
-cagneux, c’est expressément parce qu’il revêt les êtres les plus
-dissemblables d’une semblable laideur, que ce vêtement s’impose à notre
-temps et à notre société. Ce défaut lui est consubstantiel, c’est
-sa raison d’être; c’est, aux yeux des contemporains, sa qualité. La
-fiction de l’égalité des hommes devient réalité dans les costumes.
-Tout essai de rendre plus plastique le costume ferait apparaître
-l’inégalité physique des individus: aussi est-il repoussé. Notre
-costume contemporain aurait bien manqué son but, s’il pouvait s’allier
-à la Beauté. Il a été construit contre la Beauté.
-
-Il est donc bien, lui-même, une mauvaise œuvre d’art. Il ne faut donc
-plus parler d’un fait réel et vivant à interpréter par l’art comme
-un arbre, un visage, un légume, un monstre naturel, un serpent ou un
-rocher. Non. Il s’agit d’une mauvaise œuvre d’art à reproduire en
-fac-similé. Voilà où dévie la théorie que tout ce qui «est réel et
-vivant peut devenir beau». Elle conduit, pratiquement, à introduire
-dans l’art une forme qui n’est ni réelle, ni vivante, qui est
-artificielle et morte, et à subordonner l’œuvre du statuaire aux
-lois posées par un tailleur,—lois d’ailleurs très précises, très
-impératives, texte impossible à interpréter, à tourner. Le tailleur
-est le statuaire de l’habit ajusté, comme le statuaire était le
-tailleur de la draperie. C’est donc le tailleur qui dicte la statue.
-Prétendre qu’on peut interpréter son œuvre, c’est proprement dire qu’on
-peut interpréter la forme d’un poêle Choubersky. Devant une forme
-aussi mathématiquement définie, il n’y a que deux partis à prendre:
-la surmouler ou la supprimer. Si on la surmoule, c’est le tailleur
-qui fait la statue. Si on la supprime, il n’y a plus de vêtement
-contemporain.
-
-Rien de tout cela n’est assurément une découverte. Et les esprits peu
-compliqués, pour qui ces lois n’ont jamais cessé d’être évidentes,
-trouveront sans doute superflu le soin qui est pris ici de les
-rappeler. Mais il suffit de parcourir quelques pages de critique d’art
-contemporaine pour sentir que, bien loin d’être superflu, ce soin est
-le plus nécessaire dans un moment où la simplicité des impressions est
-si fort méprisée et la recherche de l’originalité si commune et si
-vulgaire, que le moindre rappel d’une vérité claire paraît un paradoxe
-ou une nouveauté.
-
-Les artistes, heureusement, s’en sont souvenus mieux que les critiques.
-Un instant égarés par le désir tout intellectuel et non esthétique
-d’exprimer les mœurs de leur temps par le vêtement contemporain, ils
-abandonnent cette voie fausse, guidés par un instinct plus sûr que
-les plus brillantes théories. S’il était permis au passant attristé
-de faire entendre un seul mot, parmi tant de conseils qui leur sont
-journellement prodigués, ce serait un mot de défiance à l’égard de
-ces conseils et de confiance en eux-mêmes.—Ne vous inquiétez pas,
-leur dirions-nous, de représenter les mœurs de votre temps, ni ses
-aspirations sociologiques; inquiétez-vous de représenter ce que vous
-trouvez beau dans tous les temps, selon les aspirations qui sont les
-vôtres, qu’elles soient ou non celles du monde où vous vivez! Soyez
-sincères, c’est-à-dire soyez artistes, et soyez de votre art avant
-d’être de votre temps! Ne vous laissez pas détourner de votre chemin
-par ceux qui vous diront que les anciens furent grands parce qu’ils
-exprimèrent leur race, leur morale, leurs costumes, leur vie. Peut-être
-est-ce vrai, mais rien n’est moins prouvé, et en toute hypothèse, cela
-ne peut vous servir de rien. Allez tout simplement à ce qui vous paraît
-beau, comme le fleuve va à la mer, comme l’oiseau vole à l’épi chargé
-de grain. Si la draperie vous plaît mieux que la redingote, jetez la
-draperie sur les épaules de vos héros. On en sourira pendant trois
-jours, mais les années le garderont, car votre héros ne sera tenu pour
-grand que si vous l’avez fait beau. Osez toutes les inconséquences
-si elles servent votre dessein. Repoussez toute logique si elle se
-résout en une forme sans grâce. Et croyez qu’il n’est pas une «lumière
-intellectuelle» qui tienne devant le galbe d’un beau bras dressé pour
-assurer l’équilibre de l’amphore,—ni une intention qui vaille un pli
-souple tombant de l’épaule aux pieds de la plus humble statuette de
-Tanagra!
-
-
-
-
-CHAPITRE IV
-
-Comment représenter un grand homme contemporain.
-
-
-N’est-il donc aucun moyen pour le sculpteur de figurer l’homme moderne
-et doit-il nécessairement, s’il veut rendre honneur à un contemporain:
-chimiste, ingénieur ou psychologue, lui donner les muscles du
-_Discobole_ et la pose de l’_Apollon_?
-
-Ce n’est assurément pas nécessaire, ni même désirable. Mais autre
-chose est la conformation, le geste, l’attitude, les inflexions d’un
-savant moderne, qui lui sont imposés par ses préoccupations, par ses
-travaux, par ses émotions, autre chose sont ses cols, ses cravates,
-ses vestons, ses pantalons, ses bottines, qui pourraient être tout
-autres, quand l’homme aurait les mêmes travaux, les mêmes soucis, les
-mêmes émotions, et qui ne lui sont imposées que par son tailleur. Il
-ne faut pas confondre les caractéristiques de la vie moderne avec les
-artifices inutiles et incommodes qui coïncident avec la vie moderne.
-Celles-là sont inévitables et influent sur la musculature même de
-l’homme: c’est-à-dire sur ce qui est sculptural en lui. Ceux-ci sont
-tout arbitraires et n’influent que sur son aspect le plus superficiel.
-
-S’il était vrai que le costume moderne est suffisant et nécessaire à
-révéler ce qu’a de particulièrement sensible, affiné, nerveux, inquiet,
-méditatif, notre contemporain devant les grands problèmes de la vie,
-sans doute faudrait-il dire que le peuple de statues endimanchées qu’on
-voit au _Campo-Santo_ de Gênes donne une idée plus juste de l’homme
-moderne que les figures sans vêtements et sans date de l’admirable
-_Monument aux Morts_ de M. Bartholomé....
-
-Personne ne le dira. Il y a, dans ces figures rampantes ou suppliantes,
-dressées ou prosternées: _A l’entrée du Mystère_, au Père-Lachaise, une
-anatomie particulière, des inflexions, des gestes que difficilement
-l’Antiquité ou la Renaissance eussent imaginés. Tout y est oublié de
-ces pompeux désespoirs où les statuaires funéraires du XVIII^e siècle
-déployaient la gloire des draperies, la délicatesse des dentelles,
-la science du squelette; tout y a disparu de ces honneurs auxquels
-«il ne manque que celui à qui on les rend». Au contraire, tout y
-témoigne bien de la méditation de l’homme moderne devant cette porte,
-soit qu’elle s’ouvre sur ce que le chrétien a tant de fois rêvé, soit
-qu’elle mène à ce «néant tranquille de la mort où l’homme se reposera
-du néant troublé de la vie». Ces figures, une autre époque ne les eût
-ni inspirées ni comprises. Sans costumes qui leur assignent une date,
-les figures de M. Bartholomé appartiennent clairement à notre temps, à
-un moment de l’humanité.
-
-Ce que M. Bartholomé a su faire dans son _Monument aux Morts_, nos
-statuaires ne peuvent-ils donc le tenter, lorsqu’ils glorifient la
-vie? Ne peuvent-ils trouver des gestes, des attitudes qui témoignent
-particulièrement des travaux, des émotions de l’homme moderne? Faut-il
-donc un uniforme pour distinguer un médecin d’un orateur, comme il en
-faut un pour distinguer un artilleur d’un cuirassier? Et nos grands
-hommes contemporains n’ont-ils pas de gestes et d’attitudes qui leur
-soient propres, par où la sculpture puisse exprimer leur modernité?
-
-La réponse dicte le parti à prendre. S’ils en ont, que le statuaire
-l’exprime, et s’ils n’en ont pas, qu’avons-nous besoin de statuaire?
-Qu’on fasse leur biographie, mais non leur statue! Qu’on dresse un
-monument à leur idéal, à la chimère de leur vie, quitte à imprimer, au
-piédestal de ce monument symbolique, un médaillon représentant leurs
-traits[19]! Le médaillon gravé par M. Roty suffirait, par exemple,
-dans un monument à Pasteur, tandis que, sur le piédestal, l’artiste
-dresserait la figure de ce que rêva ou ce qu’accomplit Pasteur. Quelle
-figure? dira-t-on. C’est à l’artiste de la concevoir. Et peut-être
-n’est-ce point une chose facile que de montrer, par exemple, _la
-Science luttant avec la Mort_, mais assurément le résultat en serait
-moins incertain et moindres les chances de ridicule que de vouloir
-ennoblir la redingote ou rendre épique le haut de forme du savant.
-
-Considérons les figures symboliques de Puvis au grand amphithéâtre
-de la Sorbonne, par exemple, la philosophie spiritualiste et la
-philosophie matérialiste: il serait facile de mettre sous ces
-figures des noms de philosophes contemporains. Pourquoi le sculpteur
-n’obéirait-il pas à une même inspiration et, lorsqu’il a quelque
-philosophe contemporain, un Renan ou un Jules Simon, à immortaliser,
-ne dresserait-il pas sur son monument une de ces figures qui sont
-sculpturales, à la place du savant qui ne l’est pas? L’honneur
-serait-il moindre pour le grand homme parce qu’on ne verrait pas son
-gilet? Ce qui est précieux chez un savant ou un philosophe, c’est sa
-découverte ou sa pensée. Ce n’est pas la coupe de ses habits. C’est
-le résultat de ses veilles et de ses travaux connu du monde entier,
-et c’est leur souvenir exprimé par le marbre que le monde entier
-reconnaîtra. Ce n’est pas le résultat des travaux et les veilles de
-son costumier. Si, comme on le prétend, c’est le visage qui reflète
-toute la grandeur de l’homme moderne, c’est son visage seul qu’il
-faut immortaliser. Si c’est son corps tout entier, le costume y est
-indifférent. Si ce n’est ni l’un ni l’autre, et si toute sa grandeur
-consiste dans sa pensée, c’est donc bien sa pensée qu’il faut figurer
-sur son monument....
-
-Et si l’on objecte que, pour figurer la pensée d’un politique, il
-faudrait qu’il en eût une, ou l’action d’un ministre, il faudrait qu’il
-eût fait quelque chose, et que, si les milliers de célébrités qu’on
-érige en marbre ont possédé chacune un visage qu’on peut reproduire,
-il serait fort difficile de leur trouver à toutes un rêve ou une pensée
-qu’on pût symboliser, nous dirons qu’en ce cas on serait quitte pour
-ne rien figurer du tout.... Et l’on ne voit pas ce qu’y perdraient
-l’Art, l’Histoire, la chose publique.... Il n’est pas nécessaire que
-tout grand homme ait une statue, mais il est nécessaire que le goût ne
-soit point perverti par les apparitions grotesques et immuables qui
-s’entassent dans nos cités. Il n’est pas indispensable d’enseigner à
-l’avenir des centaines de noms inconnus au présent, mais il ne faut pas
-qu’un même signe évoque, chez nos descendants, les meilleurs de nos
-contemporains avec les pires des formes esthétiques, ni que le souvenir
-de l’héroïsme ou du génie se confonde, dans leurs imaginations, avec
-celui de la laideur. Enfin, il n’est pas démontré que la statuaire ne
-doive représenter que le drapé ou le nu, mais il semble bien établi
-qu’il est des formes artificielles dont l’art ne peut tirer aucun
-parti, et que, s’il n’y a pas autant de «lois» esthétiques, peut-être,
-qu’on l’a quelquefois professé, il y en a tout de même quelques-unes
-qu’il faut suivre,—et non point parce qu’elles dérivent d’un code et
-qu’elles sont admises par l’Institut, mais simplement parce qu’elles
-dérivent de la nature même des choses et qu’elles sont des nécessités.
-
-
-
-
-QUATRIÈME PARTIE
-
-LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE UN ART?
-
-
-
-
-LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE UN ART?
-
-
-Quelque chose a changé dans l’Esthétique du noir et du blanc. Un
-mouvement nouveau entraîne les photographes hors et à rebours des
-voies où ils avaient accoutumé de cheminer jusqu’ici. Ce mouvement
-est international. Tant à Vienne qu’à Bruxelles, et à Londres qu’à
-Paris, aussi bien sur les terrasses de Taormine en Sicile qu’en
-Nouvelle-Zélande sur la côte d’or de Coromandel, partout où il y a des
-photographes, ils semblent préoccupés de recherches que les chimistes
-ignorent, et agités d’inquiétudes que leurs devanciers n’avaient pas
-connues. Ils flânent plus volontiers en plein air, par les bois, les
-plaines et les grèves, même dans les lieux sans monuments et à des
-heures sans soleil. Que cherchent-ils? Si un vieux professionnel de la
-chambre noire les suit et les observe, il s’étonne et se scandalise. Il
-les voit s’arrêter devant un espace vide de «site», un néant; quelque
-lande aux bruyères fleuries, quelque bord d’étang «où les joncs agités
-font un éternel murmure». Là, il aperçoit avec horreur que ces jeunes
-confrères violent toutes les règles de la profession. Ils se placent à
-contre-jour, en face du soleil. Ils ne mettent pas rigoureusement au
-point. Chose incroyable, il arrive qu’ils ne se servent pas toujours du
-système de lentilles qu’on nomme l’_objectif_!
-
-S’il pénètre dans leur atelier, l’étonnement n’est pas moindre. Où
-est le vitrage en manière d’aquarium, et le jeu de rideaux, et la
-lumière crue indispensable à un «bon cliché»? Où est le carcan de fer
-pour maintenir la tête du patient, et le banc rustique, et la colonne
-torse, et le balustre? Où sont ces boîtes de carton, en polyèdres,
-simulant des rochers, et la cascade peinte sur la toile de fond, toutes
-choses qui, dans nos vieux albums de photographie, environnent d’un
-travestissement uniforme et lamentable les figures disparues que nous
-avons aimées?... Rien de tout cela, mais une simple chambre, orientée
-au hasard, parfois au midi, des tapisseries effacées, et, éparses çà
-et là, des choses gaies, fines, surannées, des péplums, des calyptres,
-des tuniques, des vertugadins, des anaboles, des collerettes pierrot,
-des chapeaux de nos mères-grands, des ridicules qui émerveillaient les
-merveilleux du Directoire, et des mouchoirs qui saluèrent la rentrée
-des vainqueurs d’Austerlitz,... ou bien, moins encore, de simples
-bandes, des lés de mousseline et de gaze, de satinette et de velours de
-coton, des choses amorphes et changeantes, comme le cabriolet de Miss
-Helyett et le feutre de Tabarin, des buissons de rubans, des brassées
-de fleurs, dans un désordre d’archéologue ou de couturier....
-
-L’homme qui manie ces choses est-il un photographe? Il n’a point le ton
-sévère et impératif de l’ancien opérateur qui glaça, du mot de Gorgone,
-tant de générations d’enfants au brassard frangé ou de jeunes mariés
-aux mains prises dans des gants trop étroits: «Ne bougeons plus!» Non,
-ceux-ci aiment tout ce qui bouge: le nuage et la feuille, et l’eau,
-et le regard, et le sourire.... Le voile noir qui couvrait leurs
-épaules est tombé, et ils apparaissent à la foule moins magiciens, mais
-plus hommes. Ils ne parlent plus par C^{12}H^6O^4, mais par versets
-de poètes ou d’esthéticiens. Ils citent moins Herschel que Stendhal
-et moins Janssen que Fromentin. Ils ne fuient pas les artistes. Ils
-causent volontiers avec eux, et non plus en pédagogues, l’index en
-l’air, avec la prétention de leur enseigner les vraies attitudes
-de l’homme en marche ou du cheval au trot, mais, au contraire, en
-disciples, avec le désir de profiter de l’expérience des maîtres et
-d’écarter de la réalité tout ce qui n’est pas conforme à l’idéal....
-Enfin, ils travaillent, au jour, une seule épreuve un temps infini.
-C’est alors que l’indignation du vieux professionnel ne connaîtrait
-plus de bornes. Car il les verrait penchés sur une plaque semblable
-à celle du graveur, durant plus d’une heure pour chaque épreuve, se
-livrant à des besognes que ne désavouerait pas un aquarelliste.... Ne
-serait-ce pas des «retouches»? Encore une fois, que cherchent-ils?
-
-Ce qu’ils ont trouvé est plus surprenant encore. Quiconque est entré
-dans une des plus récentes expositions du Photo-Club, à Paris, ou du
-Link Ring, à Londres, du Camera Club, à Vienne, ou de la Société belge
-de photographie, à Bruxelles, en est sorti stupéfait qu’un procédé
-vieux de soixante ans et qu’on pouvait croire épuisé semblât se
-renouveler jusqu’à une renaissance. N’y avait-il pas là un art modeste,
-sans tapage, sans manifeste, mais à demi créé, balbutiant les premiers
-mots d’une langue inconnue? La foule, sans chercher de raisons, a
-tôt fait de dire son avis: devant les œuvres de MM. Robert Demachy,
-Constant Puyo, Maurice Bucquet, Maurice Brémard, Alfred Boissonnas, H.
-Erfurth Steichen, Miss Mathilde Weil, Miss Ema Spencer, MM. Guido Rey,
-Murchison, Arning, P. Bourgeois, da Cunha, Coste, Naudot, Jacquin,
-Horsley-Hinton, Holland Day, Mme Binder-Mestro, Mlle Laguarde, Alfred
-Maskell, Frederick Hollyer, Craig-Annan, Le Bègue, Bergon, Colard,
-Calland, Watzek, Sollet, Alexandre, la foule a admiré, tout uniment.
-Pourtant, çà et là, apparaissent des figures inquiètes.... Des
-artistes, peut-être, troublés comme des gens qui auraient aperçu, se
-profilant sur l’horizon, aux confins de leur domaine, la silhouette
-des fourriers d’une invasion?... Des critiques d’art, qui, toute leur
-vie, montrèrent, par des syllogismes fort bien ordonnés, que _jamais_
-la photographie ne pourrait donner des résultats équivalents à ceux
-de l’eau-forte ou du fusain, et qui n’entendent autour d’eux que ces
-mots: «On dirait une eau-forte!... On dirait un fusain!» Des idéalistes
-enfin, qui se demandent, attristés par cette intrusion nouvelle de
-la science, ce que va devenir, parmi tout cet appareil chimique
-d’émulsions et de révélateurs, dans toute cette gomme bichromatée ou
-dans ce paramidophénol, les traditions fines et nobles du grand art,
-l’inspiration personnelle et innée, la part de l’âme, l’idée?...
-
-Avec eux et avec tous ceux qui aiment le Beau, abordons ce problème.
-Demandons-nous pourquoi la photographie, jadis unanimement méprisée par
-les artistes, se trouve aujourd’hui sur les confins mêmes de l’art.
-Cherchons si l’opérateur prend une part nouvelle dans le phénomène
-chimique et mécanique qui s’accomplit. Examinons si cette part est
-suffisante pour qu’elle lui permette d’y imprimer sa personnalité.
-Enfin, tâchons de déterminer à quoi tend ce mouvement, et s’il marque
-un nouveau progrès du naturalisme sur les traditions idéalistes et
-classiques de l’ancienne école française; ou bien si, au contraire,
-il ne serait point, par une évolution singulière et inattendue, un
-témoignage éclatant de leur vitalité.
-
-
-
-
-CHAPITRE I
-
-Les défauts de la photographie.
-
-
-On a dit beaucoup trop de mal de la photographie, et pas assez des
-photographes. Il est très vrai que la photographie, telle que nous la
-connaissons d’habitude, a mille défauts qui sont la négation même de
-l’art, sans être le moins du monde l’affirmation de la Nature. Elle
-n’est pas plus près de la vérité que de la beauté. Elle exagère la
-perspective à ce point qu’une grande route, prise de face, fuyant droit
-vers l’horizon, ressemble à une pyramide, qu’une table carrée vue de la
-même façon paraît quasi triangulaire, et qu’une main tendue vers vous
-est plus grosse que la tête de l’ami qui vous la tend. Elle traduit
-si malencontreusement les couleurs les plus nécessaires, qu’un toit
-rouge clair devient noir, pendant que le ciel bleu foncé devient blanc.
-Elle supprime ainsi le ciel et la mer du Midi, et dès qu’un ton aussi
-important vient à manquer, toute la gamme est fausse. Les caps sacrés,
-qui se profilaient doucement sur le ciel, se découpent comme des écrans
-devant le feu; les bateaux noirs, qui s’harmonisaient avec le flot bleu
-sombre, semblent des mouches tombées dans du lait. Les feuilles dorées
-de l’automne et les raisins blancs bien mûrs deviennent quelque chose
-de noir comme des gouttes d’encre sur du papier. Un effet de soleil
-apparaît si éclatant, qu’on le prend pour un effet de neige. Un arbre
-vu à contre-jour est si furieusement sombre, qu’on ne distingue rien de
-son modelé et qu’il paraît une plaque de tôle, plate et enfumée.
-
-Puis, ayant négligé ainsi la vérité sur les points capitaux, la
-photographie devient d’une exactitude indiscrète et cancanière sur
-les détails dont on n’a que faire. Comme l’_Intimé des Plaideurs_,
-elle passe sur le principal de la scène esthétique, seul objet où
-vont les yeux et le cœur, et s’étend longuement et complaisamment
-sur les brindilles, les fétus, les faits étrangers à la cause. Elle
-compte sottement tous les cailloux de la grève, quand elle fut
-incapable de donner des eaux du torrent une idée autre que celle d’une
-chevelure grise qui traînerait par terre. Précise et stupide comme une
-statistique, elle dénombre les feuilles des arbres en les découpant
-lourdement sur le ciel comme si elles étaient de fer. Aussi bien, ne
-peut-on trop mépriser la sécheresse de son trait; le brillant de ses
-noirs et de ses blancs extrêmes, plaqués les uns contre les autres,
-sans échange de reflets, sans intervention de clairs-obscurs; enfin
-la monotonie de son rendu, partout le même, sans un accent, sans
-une vibration des _mortalia corda_ où se montre une impatience, une
-joie, une défaillance; cette lamentable perfection, égale dans mille
-épreuves, où tout ce qui est mécanique se retrouve et à qui tout ce qui
-est humain semble étranger....
-
-Ces reproches sont justes; mais qui les mérite? La photographie ou les
-photographes? Le soleil, ou le laboratoire obscur? Les photographes
-ont-ils bien fait tout ce qu’il fallait pour éviter ces erreurs? Un
-court examen suffit pour voir qu’au lieu de les fuir, ils les ont
-recherchées. Pour eux, la sèche définition du trait, non seulement
-n’est pas un défaut, mais une qualité. C’est ce qu’ils appellent
-faire _net_, et ce qu’ils ont, au contraire, toujours considéré comme
-un défaut, c’est le _flou_, terme de mépris qui, dans leur langage,
-voue à l’exécration publique la grâce, l’indécision, la fraîcheur, ce
-que les artistes recherchent d’abord. Quand, dès 1853, sir William
-Newton et plus tard MM. John Leighton et Buss soutinrent devant les
-sociétés de photographie de leur pays que tous les plans ne devaient
-pas être également nets et que certaines lignes devaient se profiler
-à peine sur le fond, ils soulevèrent une tempête de protestations.
-Sacrifier une herbe, un cheveu, un caillou, jamais! L’idée directrice
-des photographes était alors, comme hier encore, que plus une épreuve
-montre de détails, plus elle est belle, et plus nettement elle les
-montre, mieux son but est rempli. Il faut que, devant la photographie
-d’une ville, on puisse compter toutes les maisons, et dans chaque
-maison toutes les fenêtres, et dire: Voici la mienne, et le contrevent
-est à demi fermé! Tous les perfectionnements de diaphragmes, de
-plaques, de révélateurs et de papiers lisses et brillants ont été faits
-pour obtenir un détail plus minutieux, une opposition de noir et de
-blanc plus tranchée, des silhouettes plus découpées, une documentation
-plus rigoureuse;—toutes choses qu’en effet la science réclame pour ses
-enquêtes, mais que l’art proscrit. Quoi d’étonnant si tant d’efforts
-pour le laid ont été couronnés de succès!
-
-La même tendance s’observe pour les exagérations de perspective.
-On a beaucoup parlé des défauts de l’objectif et de «l’aberration
-de sphéricité»; mais quand donc parlera-t-on de l’aberration des
-opérateurs? Il est très vrai que certains instruments distordent les
-lignes droites dans les coins de l’image, mais pourquoi choisir ces
-instruments? Si l’on remarque des exagérations de perspective dans
-les objectifs à grand angle, pourquoi ne pas choisir des objectifs à
-petit angle qui, eux, ne donneront pas ce résultat monstrueux? Et si
-l’objectif est à grand angle, pourquoi le placer si près de la chose
-à photographier que les lignes principales partent du bas même de
-l’épreuve, et soient agrandies ainsi à l’excès au bord inférieur de
-l’image, puis diminuées à l’excès à mesure qu’elles montent et fuient
-vers l’horizon?—Pourquoi? Simplement parce que le photographe a voulu
-comprendre le plus de choses possible dans le champ de l’appareil, afin
-de voir à la fois ce qu’il y a à ses pieds et ce qui plane au-dessus
-de sa ligne d’horizon. Parce que, dans son désir d’enregistrer un
-grand nombre de détails, et dans son ignorance profonde de la loi des
-sacrifices nécessaires, il veut embrasser avec l’œil de son objectif
-plus qu’il ne peut le faire d’un seul regard de ses propres yeux.
-C’est ainsi que, dans les épreuves dont la perspective nous choque,
-la photographie a été forcée d’enregistrer plusieurs plans que le
-photographe n’apercevait pas d’ensemble, et qu’il n’aurait jamais dû
-réunir dans son image, ne les réunissant pas dans la réalité. Là est le
-défaut, mais il ne tient pas à l’objectif: il tient, au contraire, à
-ce qu’il y a de plus «subjectif» dans l’opérateur: son sentiment faux
-de la beauté. Donnez à ce photographe un crayon: il fera, en dessinant,
-les mêmes erreurs. Donnez à un artiste cet objectif: il ne les fera pas.
-
-Ce qu’il ne fera pas non plus, c’est un paysage sans ciel, comme ce
-fut jusqu’à nos jours la règle de tout bon manieur de collodion ou de
-gélatino-bromure. Et, là encore, est-ce bien l’appareil qu’il faut
-accuser de cette étrange suppression du ton local le plus nécessaire?
-Assurément oui, quand il s’agit d’un ciel bleu, car cette couleur
-impressionne si fortement la plaque qu’il ne reste rien sur cette
-plaque pour donner un ton à l’épreuve, et qu’ainsi tout ce qui était
-bleu dans la nature devient, dans l’image, blanc. Mais on a plusieurs
-moyens de parer à cet inconvénient. On a les verres de diverses
-couleurs, permettant de faire poser longtemps devant la plaque les
-couleurs qui viennent trop lentement, sans laisser passer un seul
-rayon de celles qui viennent trop vite. On a encore la ressource de
-développer plus ou moins toute une partie du cliché. On peut enfin,
-si l’on se sert de papiers charbon-velours ou de papier à la gomme
-bichromatée, réserver, dans le dépouillement, un ton pour tout le
-ciel. Et, bien avant qu’on parlât d’écrans orthochromatiques ou de
-gomme bichromatée, un Anglais, M. H. P. Robinson, étendait des ciels
-d’un ton très ferme et nuancé sur tous ses paysages. On voit donc que
-l’absence du ton du ciel, chez les photographes d’autrefois, n’était
-pas uniquement due à l’imperfection de la photographie, mais à leur
-négligence.
-
-De même, s’ils s’interdisaient les grands effets de lumière, les
-effets à la Turner et à la Claude Lorrain, en enseignant qu’il faut
-toujours tourner le dos au soleil, ce n’était point qu’ils craignissent
-le _halo_ ou des accidents semblables. C’était qu’ils se souciaient
-aussi peu d’effets à la Turner que d’un ton juste pour le ciel. Et ils
-s’en souciaient peu, parce que ces effets artistiques ne s’obtiennent
-en général qu’aux dépens de la minutieuse et scientifique définition
-des détails. Frappées de face par les rayons du soleil, les veines
-d’un caillou, les brindilles d’un buisson reluisent plus exactement.
-Et dans la représentation de la figure humaine, ce n’est pas un
-effet caractéristique et vigoureux qui permet de tout apercevoir,
-c’est un éclairage égal, tendre et mou. Pour les photographes, non
-seulement l’accent n’est pas nécessaire, mais il est nuisible, et s’ils
-aperçoivent dans le cliché, sur le masque humain, un trait un peu vif,
-une ride un peu soulignée, un relief un peu bossué, ils l’enlèvent
-d’une retouche savante, afin que l’épiderme s’arrondisse également à
-la ressemblance d’une baudruche gonflée et que l’ombre se dégrade sur
-l’ovale d’une joue comme sur la panse d’un ballon.
-
-Tout cela tenait au photographe au moins autant qu’à la photographie.
-C’est pourquoi les artistes n’avaient point tort en condamnant les
-épreuves qu’on leur mettait sous les yeux; mais ils allaient peut-être
-un peu vite en déclarant que le procédé ne pouvait en donner d’autres.
-Le jour où des hommes d’un goût sûr sont venus et ont laissé là les
-dogmes photographiques, des œuvres fines, délicates, harmonieuses
-ont paru. On ne retrouve plus aucune perspective exagérée dans les
-scènes d’intérieur de M. Puyo, ni de «noirs bouchés» dans celles de
-M. Demachy, ni de détails inutiles dans les paysages de M. Bucquet,
-ni de chairs molles et rondes dans les figures de M. Maskell, de M.
-Kuhn, de M. Holland Day ou de M. Hollyer. Les ciels de MM. Henneberg et
-Horsley Hinton sont animés, vigoureux, plafonnants. Là même où le ciel
-est bleu dans la Nature, son image est traduite dans l’image par un
-ton assez fort pour que les maisons, blanches, s’enlèvent, _en clair_,
-sur le ciel, comme dans le _Brompton Road_ de M. Calland. La manie de
-l’inventaire et le goût du procès-verbal ont disparu. Les artistes ont
-cherché, non plus le détail, mais l’ensemble, non plus l’accumulation
-des faits, mais la simplification de l’idée. Ils ont choisi, non les
-heures ensoleillées où tout se voit, mais celles voisines du crépuscule
-où quelque chose se laisse deviner. Ils se sont rappelé que c’est
-une erreur, en art, que de vouloir tout définir, parce que, devant
-une chose définie, il ne reste plus rien à faire pour l’imagination.
-L’indéfini, au contraire, est le chemin de l’infini. Telle vallée, tel
-coteau, telle jetée sur la mer, objet banal si l’on en saisit tous les
-contours et si l’on en apprécie toute l’économie, devient, à demi voilé
-par la brume, une chose désirable parce qu’elle est moins possédée,
-curieuse parce qu’elle est moins connue. Le _flou_ est justement
-au _net_ ce que l’espoir est à la satiété. Il est l’équivalent, en
-art, d’une des choses les plus aimées de la vie: cette délicieuse
-incertitude d’une âme où déjà pénétra l’espoir et où l’assurance
-n’est pas entrée encore; où le désir qui commence d’apparaître
-comme réalisable n’a pas cessé d’être avivé par les obstacles à sa
-réalisation; où tout se promet et où rien ne se donne, où tout se
-devine et où rien ne s’avoue; où les figures et les paysages, et le
-ciel et la terre, et l’amour même apparaissent selon les incertaines
-suggestions de l’aube, et non selon la sèche définition des midis....
-
-
-
-
-CHAPITRE II
-
-La triple intervention de l’artiste.
-
-
-Cela suffit-il pour constituer un art? Supprimer certains défauts de
-l’image photographique est bien; mais, pour que cette image soit une
-œuvre d’art, il ne suffit pas que certains défauts soient supprimés,
-encore faut-il la présence de certaines qualités. Et avant toutes, la
-présence pressentie ou reconnue, non d’une machine, mais d’une main
-d’ouvrier. L’art devra être ici «l’homme ajouté à la machine», pour
-parodier Bacon. Mais, déjà, nous venons de voir que l’homme n’en était
-pas si absent qu’on le voulait bien dire, puisqu’une foule de défauts
-venaient moins encore de son instrument que de sa volonté, et moins de
-son absence que de son intervention mal dirigée.
-
-Cette intervention, pense-t-on au premier abord, se réduit à fort peu
-de chose. Choisir le site, placer l’appareil, conseiller des attitudes,
-graduer le jour, et c’est tout. Ce que la plaque a enregistré, on
-est obligé de le garder, et ce qu’elle n’a pas enregistré, on ne peut
-l’y mettre. Tout ce que le photographe peut faire ensuite, c’est de
-verser plus ou moins d’acide dans son révélateur. Son génie peut se
-hausser à remplacer le pyrogallol par le fer, ou le papier aristotype
-par le papier à gros grains. Qu’y a-t-il de personnel dans ce travail?
-Où est le sentiment, l’émotion, l’accent qui signe l’œuvre et fait
-reconnaître l’ouvrier? Où est le trait qui, dirigé par la main
-elle-même, résume, synthétise une silhouette, une expression, une
-attitude, en caractérisant toute une race ou une époque comme le crayon
-de Gavarni ou de M. Forain? Où est l’esprit de composition qui rapporte
-dans la même œuvre des documents pris en des lieux différents? Où,
-l’imagination qui crée l’incréé, réalise l’irréel? Où est cette vision
-personnelle qui fait que Corot, Rousseau et Millet, devant le même
-paysage, auraient rapporté trois tableaux aussi différents que des vues
-de trois différentes planètes, tandis que dix plaques, parfaitement
-ajustées devant le même site, donneront, entre les mains de dix
-opérateurs différents, dix images semblables? Tout cela n’est-il pas
-absent d’une photographie, si belle soit-elle, comme en sont absentes
-les couleurs qui, seules, donnent aux choses tout leur relief et toute
-leur forme, leur distance et leur éclat?
-
-Ces objections sont fortes; mais elles le seraient davantage si elles
-étaient fondées;—et elles ne le sont pas.
-
-D’abord, il va de soi qu’on ne peut demander à la photographie les
-qualités brillantes et savoureuses de la peinture, non plus que celles
-de l’architecture, ou de la musique, ou de l’art des jardins.... On ne
-peut la comparer qu’à des choses comparables: au crayon, au lavis à
-l’encre de Chine ou à la sépia, au fusain ou à la sanguine, voire au
-camaïeu, c’est-à-dire à toute image en noir et blanc ou en une seule
-couleur graduée de son ton le plus sombre, presque noir, jusqu’à son
-ton le plus pâle, presque blanc. Ensuite, on peut bien lui permettre
-d’être autre chose que la mine de plomb ou la lithographie, sans pour
-cela lui refuser le nom d’art. Sans quoi, il faudrait le refuser aux
-œuvres de M. Allongé, ou aux dessins de M. Lhermitte, qui n’ont aucun
-rapport avec un crayon d’Ingres. Enfin, on peut admirer au plus haut
-point la probité d’Ingres, et la profondeur de Gavarni, et la synthèse
-de M. Forain, et l’analyse de M. Caran d’Ache, sans pour cela dire
-que tout l’art du noir et du blanc tient entre le portrait de _Thomas
-Vireloque_ et les silhouettes de _Doux Pays_.
-
-La question n’est donc point de savoir si la photographie possède
-les mêmes qualités que les autres procédés, mais si elle en possède
-quelconques, dignes de leur être comparées; si le rôle de l’artiste y
-est assez important pour modifier l’aspect d’une œuvre, c’est-à-dire
-s’il intervient assez souvent pour qu’il y ait de sa part _production_
-et non simplement _reproduction_, et qu’à la beauté du site qui est à
-tout le monde, il ajoute celle d’une idée ou d’un sentiment qui ne sont
-qu’à lui.
-
-Or, en examinant les opérations photographiques, nous trouvons qu’il
-intervient, à trois moments différents, d’une façon assez décisive.
-
-
-§ 1. _Première intervention de l’artiste._
-
-D’abord, il choisit dans la nature l’objet à représenter. Ceci a l’air
-très simple, et ne l’est pas du tout. «Dans la nature, disait Corot, il
-n’y a jamais deux choses pareilles», et ses compagnons d’étude d’après
-nature, Bertin et Aligny, lui faisaient un grand mérite de «savoir
-s’asseoir» mieux que personne. C’est donc une science que de trouver le
-point juste d’où l’objet doit être regardé, et non seulement le point,
-mais la saison, l’heure, le temps, la raison d’être du motif:
-
- _Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando?_
-
-Car, d’une part, le plus bel objet du monde peut être un médiocre
-sujet de tableau s’il n’est pas vu sous l’angle voulu, au _moment
-esthétique_, et, d’autre part, combien d’admirables sujets dans les
-plus humbles choses qui nous entourent, si le cœur et les yeux savent
-les découvrir! Un chemin courbe, une barrière droite, un toit qui fume,
-un tronc qui se crispe, une tige qui se penche, une flaque d’eau où
-le ciel renversé se reflète et tremble avec tout son empanachement de
-nuages,... c’est assez. Tout autour de nous, la nature, incessamment,
-peint des tableaux fugitifs, mais délicieux. Il faut non les créer,—ils
-existent,—mais les voir. «Il est des bonheurs fortuits, dit M. Jules
-Breton, où la nature fait apparaître un tableau tout fait,» et Frédéric
-Walker, l’admirable peintre de _Harbour of Refuge_: «La composition
-n’est que l’art de conserver un heureux effet aperçu par hasard.» Il
-ne faut pas croire suffisant ni nécessaire d’aller se mettre devant
-la falaise d’Étretat, ou le château de Chillon, ou la tour carrée de
-Saint-Honorat, aux îles de Lérins, pour faire un chef-d’œuvre. Le pays
-le plus «pittoresque» ne fournit aucun sujet à celui qui ne sait pas
-en découvrir dans les variations incessantes du pays le plus monotone.
-_Savoir voir_, c’est un grand point, peut-être le principal. Mais,
-hélas! combien d’amateurs peintres passent, dans le paysage, à côté
-du tableau, comme les ambitieux, dans la vie, à côté du bonheur,—sans
-le voir! Et ils s’en vont gravement, les uns et les autres, leur boîte
-à couleurs ou leur hotte à illusions sur le dos, à la recherche de
-merveilles lointaines qui ne vaudront point ce qui les attendait, ce
-qu’ils n’ont pas su voir, à la porte de leur maison....
-
-S’agit-il de figures? Il en va de même. S’il est vrai de dire qu’«un
-problème bien posé est à moitié résolu», il l’est plus encore
-d’affirmer qu’une figure bien posée est à demi dessinée. Le reste est
-affaire de sûreté de main et de sûreté d’œil. Mais la composition est
-affaire de sûreté d’âme et d’initiative originale. Or, le photographe
-compose. Il dispose, sinon l’image, du moins la réalité. Il ordonne,
-non les lignes gravées sur les planches, mais les lignes vivantes
-devant ses yeux. Pour faire _la Source_, il ne fallait pas seulement
-dessiner comme Ingres: il fallait _composer_ comme Ingres. Le modèle
-qu’il a employé n’a point pris tout seul cette attitude simple, fine et
-noble, ou, s’il l’a prise, ce n’a été que par un hasard qu’il a fallu
-préparer et saisir. Le photographe ne fait-il pas la même chose?
-
-La similitude entre le photographe et l’artiste se voit jusque dans
-les conseils qu’ils donnent à leurs modèles. On connaît l’horreur
-habituelle des portraitistes pour les étoffes sans cassures, sans œils
-de plis. La première photographe artiste d’Angleterre, Mme Cameron,
-raconte, dans ses Mémoires, une anecdote qui montre que cette horreur
-était la même chez elle. Les succès de ses portraits de femmes lui
-valurent un jour la lettre suivante:
-
-«Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins informe Mrs Cameron qu’elle
-désire poser pour son portrait. Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins
-est une personne qui possède équipage et, par conséquent, elle peut
-affirmer à Mrs Cameron qu’elle arrivera dans une toilette exempte de
-tout chiffonnage.
-
-«Si Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins était satisfaite de son
-portrait, Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins a une amie qui possède
-également un équipage et désirerait aussi avoir son portrait.»
-
-«Je répondis à Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins que, Mrs Cameron
-n’étant pas un photographe de profession, regrettait beaucoup de ne
-pouvoir faire son portrait, mais que si Mrs Cameron avait pu le faire,
-elle aurait beaucoup préféré voir cette toilette chiffonnée[20].»
-
-On se tromperait, si l’on croyait que la composition photographique se
-borne au portrait ou à une petite scène de genre moderne, vus au jour
-d’atelier. On a des photographies de scènes historiques, de personnages
-fabuleux, et dans un clair-obscur saisissant; on a des sainte Cécile,
-des docteurs Faust dans leurs laboratoires, des Judith entr’ouvrant
-le rideau d’où filtre la lumière, des Christs morts, étendus sur la
-pierre. Nous ne disons point que ce soient des chefs-d’œuvre de tact
-esthétique, mais ce ne sont point des œuvres à dédaigner. On admire
-beaucoup au palais Doria, à Rome, deux petits tableaux de Van Hontorst,
-dit _della Notte_, qui ne dépassent nullement en audace et en vérité
-d’effet les photographies nocturnes de M. Puyo: _Vengeance_ et _la
-Lampe file_[21].
-
-Les premiers essais de compositions historiques photographiées
-furent tentés en Angleterre; et il faut lire, pour se convaincre de
-l’enthousiasme qui les inspira, les pages où Mme Cameron les a racontés:
-
-«Je fis de ma cave à charbon mon laboratoire, et une sorte de
-poulailler vitré que j’avais donné à mes enfants devint mon atelier.
-Je mis en liberté les poules, j’espère et je crois qu’elles ne furent
-pas mangées, et les profits que mes fils tiraient des œufs frais furent
-supprimés. Mais tout le monde fut sympathique à mon nouveau travail,
-depuis que la société des poulets et des poules avait été remplacée par
-celle des poètes, des prophètes, des peintres et de charmantes jeunes
-filles, qui tous, chacun à leur tour, ont immortalisé l’humble petite
-ferme.
-
-«Un de nos amis intimes se prêta très obligeamment à mes premiers
-essais.
-
-«Sans s’arrêter à cette crainte possible que, en posant souvent à ma
-fantaisie, cela pourrait le rendre ridicule, il consentit, grâce à
-cette grandeur d’âme qui n’appartient qu’à l’amitié désintéressée, à
-être tour à tour Frère Laurence avec Juliette, Prospero avec Miranda,
-Assuérus avec la reine Esther, à tenir un tisonnier comme sceptre et à
-faire complètement tout ce que je désirais.
-
-«Il n’en résulta pas seulement des œuvres pour moi, mais de Prospero et
-Miranda, il advint un mariage qui a, je l’espère, cimenté le bonheur
-et le bien-être d’un vrai roi Cophetua, qui, dans Miranda, avait vu le
-prix, le joyau de la couronne du monarque.
-
-«La vue de mon œuvre fut la cause déterminante de ce que la résolution
-fut traduite en paroles: il s’ensuivit une des plus douces idylles de
-la vie réelle que l’on puisse concevoir, et, ce qui a beaucoup plus
-d’importance, il en résulta un mariage d’inclination avec des enfants
-dignes d’être photographiés, comme leur mère l’avait été, pour leur
-beauté....»
-
-Ce dernier trait est bien d’une artiste, et le suivant est digne d’une
-préraphaélite:
-
-«Ensuite, je fus à Little Holland House, où j’avais transporté mon
-appareil pour faire le portrait du grand Carlyle.
-
-«Lorsque j’avais des hommes comme cela devant mon appareil, toute mon
-âme essayait de faire son devoir vis-à-vis du modèle, en s’efforçant de
-retracer fidèlement la grandeur de l’homme intérieur aussi bien que les
-traits de l’homme extérieur. La photographie prise de cette manière a
-été presque la personnification d’une prière[22]....»
-
-On se tromperait encore si l’on pensait que les grandes scènes de
-nature et d’académie, comme la _Vision antique_, sont interdites à
-la photographie. Qu’est-ce que c’est que cette voiture fermée qui
-s’arrête au bord d’une grève déserte, devant un horizon nu, borné par
-la mer claire où s’allongent de sombres presqu’îles? Il en descend
-d’étranges touristes! Des femmes en chiton et en diploïs, qu’on dirait
-tombées des fresques de la maison des _Vettii_, ou sorties des stucs
-des _Thermes de Dioclétien_, puis un homme portant une boîte à trois
-pieds, puis un brigadier de gendarmerie.... Tout ce monde marche dans
-les herbes hautes et s’attarde à cueillir des fleurs. Le brigadier
-de gendarmerie est là pour protéger l’art des curiosités indiscrètes
-ou des zèles intempestifs des gardes champêtres, des gardes-côtes ou
-des douaniers. Mais peut-être n’est-il pas absolument esthétique. Il
-ne figurera pas dans le tableau. Cependant la troupe des figurantes
-s’avance,
-
- L’une emportant son masque et l’autre son couteau,
-
-sous les oliviers, le long des flots, parmi les plantes salifères.
-C’est un singulier spectacle. Pour la première fois depuis des temps
-immémoriaux, les péplums sortent des magasins d’accessoires et flottent
-à l’air libre. Les calyptres légères ne balayent plus les planchers
-des théâtres, mais s’accrochent aux lentisques et se gonflent sous les
-brises marines. Les eaux des bassins réapprennent à refléter les plis
-nobles des anaboles et le vent à s’insinuer dans les tuyaux des flûtes.
-Mieux que les vieux miroirs de bronze verdi, qu’on conserve sous les
-vitrines des musées, ces bassins diront aux nouvelles canéphores si
-elles ajustent gracieusement leurs corbeilles.
-
-Ce n’est pas anachronique. En conduisant la figure drapée en plein
-air, les photographes ont retrouvé la vie antique. Car ce paysage nous
-a conservé le milieu où se mouvaient les contemporains de Tibulle. Un
-piano serait étonné d’être touché par un homme vêtu d’un _himation_;
-mais dès que cet homme va sur la grève ou dans les bois, aucun costume
-ne s’harmonise mieux avec les lignes de la nature. Le cadre reconnaît
-la figure et lui sourit. Sous l’olivier _tarde crescens_, au pays du
-_ver assiduum_, on ne s’étonne plus de voir revivre les jeux et les
-fêtes sculptés sur les bas-reliefs. Les potiers de Vallauris font
-encore des lécythes et des cratères. L’eau, dans les vasques, chante
-les mêmes airs qu’autrefois. Puisqu’il y a encore des pins, voici
-des thyrses; puisqu’il y a encore des tortues, voici des lyres; et
-puisqu’il y a encore des roseaux, voici des syringes. La _Vision
-antique_ va passer....
-
-Le subtil photographe a choisi le lieu, l’heure, les visages et les
-costumes: il sait les poses qu’il veut reproduire, le groupe qu’il veut
-former. Il les a dits à ses modèles, et, dans sa tête, le tableau est
-fait. Il copiera la réalité, quand la réalité lui donnera sa vision,
-pas avant. Il a calculé la hauteur des têtes sur la ligne d’horizon,
-la longueur des ombres sur l’herbe, l’angle des rayons du soleil
-déclinant, le passage de la lumière sur le coude et l’épaule, et les
-plis que creusera le vent, lorsque s’élevant, il fera flotter le voile
-et toute la tunique, selon le rythme qu’on observe dans la _Victoire
-de Samothrace_. On va, on vient le long des rochers. Vingt fois,
-l’attitude a été prise, puis quittée. Non, ce n’était pas _Ariane_! On
-va abandonner la place, quand, tout d’un coup, sans le vouloir, dans
-un geste spontané, le modèle a réalisé l’idéal. Durant une seconde,
-Ariane a été visible, «aux rochers contant ses infortunes»! Rapide
-comme l’éclair, le photographe a enregistré sur la plaque sensible ce
-qu’il a voulu, cherché, préparé depuis des mois, parfois des années....
-Dira-t-on qu’il n’y a pas eu composition, intervention de l’artiste?
-
-Cette intervention ne va guère loin, objectent les critiques. Elle
-tient toute dans le choix du sujet pour le paysage et une espèce
-de groupement pour les figures, analogue à la mise en scène d’un
-_tableau vivant_. Et quand ce ne serait que cela, serait-ce peu de
-chose? Ce dédain est plaisant dans la bouche des critiques d’art, qui,
-d’ordinaire, ne jugent tableaux et statues qu’au point de vue du choix
-du sujet et de la disposition des personnages, et jamais au point de
-vue de la facture! Que l’on compte, dans tel compte rendu de Salon
-qu’on voudra, les pages consacrées à l’anatomie, à la myologie, à la
-perspective, à la concordance des passages de lumière, à la nature des
-mélanges pigmentaires, au rôle des dessous, et qu’on les compare au
-nombre dix fois plus considérable des pages consacrées à la disposition
-du sujet, et l’on verra si les critiques ont quelque bonne grâce à
-tenir pour peu de chose, en théorie, la seule chose, en pratique, dont
-ils s’occupent, quand ils ont à examiner une œuvre d’art?
-
-
-§ 2. _Seconde intervention de l’artiste._
-
-Mais le photographe intervient une seconde fois, et alors pour la
-facture même. C’est dans le développement du cliché. Comme il a choisi,
-dans la nature, l’heure et l’effet, il choisit, pour le cliché, la
-gamme ou le ton général dans lequel se gradueront les valeurs. Tout
-le monde sait ce que c’est que développer un cliché: c’est le plonger
-dans un liquide qui fait apparaître, peu à peu, l’image que contient,
-en puissance, la plaque sensible. Selon la composition de ce liquide,
-modifiée pendant l’immersion, on obtient une image plus ou moins dure,
-où les ombres et les lumières se différencient avec plus ou moins de
-contraste. Le photographe peut graduer ce contraste et ainsi modifier,
-dans un sens déterminé, l’effet donné par la nature. Mieux encore, il
-peut—bien que ceci soit plus difficile,—rendre telle partie de l’image
-plus apparente que telle autre, le ciel, par exemple, plus que le
-terrain, et lui donner ainsi la force et la solidité nécessaires. A
-cela, d’ailleurs, se borne l’action de l’artiste sur le cliché. Il n’y
-fait pas de «retouches». Mais son rôle n’est pas fini quand le cliché
-est développé. A ce moment, le photographe professionnel a terminé son
-œuvre: il s’en va se laver les mains, et des serviteurs, au besoin,
-tireront les épreuves. L’artiste, lui, prend son cliché et le considère
-avec attention, mais comme une simple ébauche, que, sous sa direction,
-l’instrument a esquissée. A lui, maintenant, de faire, de cette
-étude, un tableau. Le professionnel estime que sa tâche est terminée;
-l’artiste, que la sienne recommence.
-
-
-§ 3. _Troisième intervention de l’artiste._
-
-Car c’est dans le tirage de l’épreuve que le sentiment et l’adresse
-de l’homme vont surtout intervenir et que la puissance directrice
-prendra sa revanche sur la puissance automatique. Le cliché est dû à
-la machine; mais l’épreuve, comme le style, c’est l’homme. Ce l’est à
-tel point que, parfois, on ne reconnaît pas le cliché dur et plat dans
-l’image frissonnante de lueurs et de modelés que l’artiste en a tirée.
-Il existe deux photographies dont l’une s’appelle _Étude_, l’autre
-_Matin argenté_: ce sont deux paysages de roseaux et d’eaux, et de bois
-et de nues. On les regarde; on trouve la seconde incomparablement plus
-belle que la première, et l’on passe,—quand on est averti qu’elles
-sont du même auteur, M. J. H. Gear,—cela étonne. Bien mieux, elles
-représentent le même paysage: est-ce possible? Bien mieux, c’est le
-même cliché! Et en effet, c’est le même cliché; mais—agrandissement,
-changement de papier, mise en cadre différente, transposition de
-valeurs—ce n’est pas la même épreuve. C’est le même canevas, ce n’est
-pas la même trame; ce sont les mêmes paroles, mais avec un autre
-chant. Qu’y a-t-il donc de nouveau?—Un acide?—Non, un sentiment.—Un
-corps?—Non, une âme....
-
-Le seul progrès matériel et technique est l’emploi du _papier à
-dépouillement_. On sait que les papiers sur lesquels s’impriment les
-épreuves photographiques sont de trois sortes: d’abord, les papiers
-blancs, comme le papier albuminé, qui noircissent spontanément sous
-l’action de la lumière sans qu’on puisse intervenir autrement que pour
-arrêter cette action.—Secondement, les papiers au bromure, qu’on
-commence à développer faiblement dans un bain, puis où l’on intervient
-pour activer l’apparition de l’image avec des pinceaux pleins du
-liquide révélateur.—Enfin le papier charbon-velours ou à la gomme
-bichromatée, qui est un papier coloré, par exemple en brun van Dyck ou
-en terre de Sienne brûlée, et d’où l’on enlève lentement avec l’eau et
-le pinceau tout ce que la lumière n’a pas fortement fixé, en laissant
-tout ce qu’on désire garder sur l’épreuve. L’image vient peu à peu
-ainsi par _dépouillement_. Ces derniers papiers se prêtent à un travail
-très lent. La venue de l’image s’y trouve subordonnée à l’intervention
-directe de la main de l’opérateur et est ainsi dirigée par une volonté
-changeante, au lieu de l’être par des lois naturelles et immuables.
-
-On aperçoit tout de suite combien le rôle de l’homme a grandi.
-Quel être faible, et à quelles humiliantes fonctions était réduit
-le photographe autrefois! A partir du moment où le cliché de verre
-était plongé dans le bain, tout échappait à ses prises. Penché sur
-ces cuvettes pleines de vénéneux liquides, il attendait, désarmé,
-impuissant, inactif, que les acides mortels eussent fait leur œuvre.
-C’était à la fois comique et solennel. Cela s’accomplissait dans la
-solitude, comme le crime et dans l’ombre, comme la trahison. A peine
-la lanterne jetait-elle sur les linges épars des taches rouges qui
-semblaient de sang. L’homme tournait autour de ses cuvettes, de ses
-récipients plats, comme on en voit dans les salles de chirurgie,
-et rangeait des bocaux blancs, gris, bleus, vert pâle, roses, où
-l’on hésitait à reconnaître l’attirail d’un coiffeur ou celui d’un
-apothicaire. Ses yeux ne pouvaient percer l’effrayant mystère où
-s’élaborait, sans lui, l’image naissante d’un front, d’une joue, d’une
-prairie, d’eaux, d’insectes, de tiges et de fleurs.
-
-Aujourd’hui, les fenêtres sont entr’ouvertes. L’épreuve ne gît plus
-dans un bain d’argent ou dans un bain d’or. Elle a été posée sur une
-planchette, comme une aquarelle. De l’éponge pressée coulent sur
-elle des gouttes brillantes d’une eau naturelle; sous cette pluie
-intelligente et radieuse, un visage naît, grandit et s’éclaire. Voici
-l’épaule nue, voici le col onduleux, voici les cheveux qui se démêlent,
-voici la ligne du sourcil qui s’arque et le contour des joues qui
-s’enfle et s’insinue dans le clair-obscur. Lentement, paresseusement,
-comme un petit enfant qui s’éveille, l’image ouvre la bouche, puis
-les yeux.... L’ombre se décharne et dit son mot; elle a souri: elle
-va tout dire, quand l’artiste s’arrête. Il se rappelle le mot si
-vrai de M. Jules Breton, qu’en art «il ne faut pas tout dire». La
-poésie est faite d’inconnu. Et ce qui donne aux images leur charme,
-c’est justement qu’elles ne détruisent point par la parole—comme,
-hélas! le font trop souvent les figures réelles—l’illusion causée par
-leur beauté, et qu’elles nous laissent croire, en demeurant à jamais
-silencieuses, que leur lumière intérieure vaut leur rayonnement.
-
-L’artiste sort de son atelier; le grand jour tombe sur l’épreuve,
-et aussitôt l’on aperçoit tout ce que l’homme y a mis de lui. Elle
-n’est pas fille du hasard et de la matière. L’esprit a fait plus que
-la matière, la volonté plus que le hasard. Il y eut collaboration de
-l’intelligence et du cœur; et parce qu’ainsi il a pu y avoir erreur
-ou folie, il peut y avoir vérité et amour. Et s’il est arrivé que
-cette image est belle, de quel nom l’appellerons-nous? Dirons-nous que
-ce n’est pas là une œuvre d’art, parce que le vocabulaire la nomme
-photographie au lieu de la qualifier fusain, lithographie ou sanguine,
-et parce qu’au lieu de tenir entre ses doigts un petit morceau de bois
-carbonisé, l’artiste a en quelque sorte manié un rayon de soleil?
-
-
-
-
-CHAPITRE III
-
-Nouvelles œuvres et idées nouvelles.
-
-
-Les images que voilà ont bien été faites au moyen de la photographie,
-mais elles n’évoquent pas plus l’idée de gélatino-bromure qu’une
-eau-forte n’évoque l’idée d’un acide, une sépia l’idée d’un mollusque,
-ou un fusain l’idée d’une branche d’arbre de la famille des
-célastrinées....
-
-Il y a une vue de Hollande, prise par M. Robert Demachy, qui emmène la
-pensée bien loin de la ville qui l’inspira et de la machine qui aida à
-la fixer. Cela s’appelle _Eaux Mortes_. Une double rangée de maisons
-aux _trap-gerels_ pointus et dentelés trempent leur vieilles murailles
-dans un canal. Pas un monument n’ennoblit ce canal, pas une figure
-ne l’anime. Cela est si triste, que l’eau semble faite de toutes les
-larmes que les générations qui vécurent là ont répandues. Les fenêtres
-sont closes ou vides comme des yeux qui ne voient pas. Une barque
-flotte avec une apparence de cercueil. Un escalier descend profondément
-dans le tranquille abîme, comme un chemin favorable au suicide. Les
-pointes aiguës des toits reflétés et renversés s’enfoncent dans les
-eaux, qui ne frémissent même pas, comme des aiguilles sombres dans des
-chairs inertes.
-
-Voilà bien des _Eaux Mortes_! Eaux qu’aucune pente n’attire, qu’aucun
-penchant n’entraîne! Eaux stériles comme est stérile la terre des
-briques qu’elles baignent! Eaux figées en une forme définitive, comme
-l’eau d’un miroir, en leur cadre de pierres; eaux qui ne se changeront
-plus en perles pour ruisseler des vasques, ni en filets et rayons pour
-se dévider de cascatelles en cascatelles! Eaux muettes qui ne chantent,
-ni ne pleurent, ni ne grondent, comme celles des fontaines, des bassins
-ou des torrents! Eaux sans formes et sans images à elles, qui ne savent
-que répéter les contours et les couleurs des maisons qui se penchent
-sur elles, les redire avec le balbutiement des reflets, incapables
-d’entraîner notre rêve vers des rives meilleures, puisqu’elles nous
-renvoient impitoyablement notre propre image, l’image de nos rides, de
-nos ombres, de nos tristesses, et ainsi les doublent au lieu de les
-dissiper!
-
-Et, au rebours, quelle évocation de vie trouverait-on plus vivante
-qu’une certaine petite épreuve de M. Craig-Annan, intitulée _Frères
-blancs_? Deux moines marchent au soleil, d’un mouvement vif et
-précipité, vers le même but, sous l’empire des mêmes idées et l’ombre
-des mêmes chapeaux, leurs cagoules flottantes et ballottantes sous la
-même poussée d’air, leurs pieds levés, semelles dehors, selon le même
-rythme, hâtés vers l’église, vers l’école ou vers le réfectoire. Pas
-un détail ne distrait l’attention et, des pieds à la tête, on ne sent
-qu’une ligne de vitesse, qu’un effet de lumière chaude et brutale, et
-qu’une volonté têtue.
-
-Quelques-unes de ces œuvres ressemblent à des dessins de maîtres
-presque à s’y méprendre. Il existe un _Effet de soir_, de M.
-Brémard, qui rappelle fort J.-F. Millet, et où les taches noires et
-blanches paraissent reproduire des taches de couleurs. Il y a une
-_Sombre clarté_, de M. Wilms, qui évoque Turner, et un _Soir ramène
-le silence_, de M. Colard, qui est un Corot. Ceux qui ont vu les
-femmes drapées du peintre anglais Albert Moore, en reconnaîtront un
-saisissant souvenir dans les photographies de M. René Le Bègue, et
-ceux, plus nombreux, qui admirent, au Louvre, la finesse indécise et
-le fuyant charme du _Portrait de Jeune fille_, de Flandrin, seront
-heureux de les retrouver dans un _Profil perdu_, de M. Brémard.
-Dans beaucoup de ces œuvres, on hésite à reconnaître la marque de
-la photographie. Un portrait de _Jeune Hollandaise_, de M. Alfred
-Maskell, une _Communiante_, de M. Robert Demachy, sont des prodiges
-d’interprétation, en même temps que de vérité. Si l’on disait que ce
-sont des fusains, personne n’affirmerait le contraire. _Une vue de la
-Loire à Saint-Denis-Hors_, de M. Henry Ballif, a l’air d’une sanguine,
-et un _Septembre en Normandie_, de M. da Cunha, d’une encre de Chine.
-Les qualités de finesse et d’accent qui caractérisent l’œuvre d’art en
-noir et blanc se voient encore dans un _Brouillard_, de M. Sutcliffe;
-dans des _Soldats passant un défilé_, de M. Alexandre; dans un
-paysage, _Après le coucher de soleil_, de M. Bucquet, le président du
-Photo-Club; dans des paysages de MM. Hannon et Watzeck; dans les effets
-de sable de _Marée basse_, de M. de Védrines; dans une _Paix d’or
-sur la contrée_, de M. Smedley Aston. Feuilletez l’_Esthétique de la
-photographie_ publiée par le Photo-Club de Paris, et considérez _Dans
-la vallée_, de M.-F. Coste, vaporeux comme un Corot, _Premiers sillons_
-de M. da Cunha, _Sur la route_ par M. Darnis, l’_Ile heureuse_ par M.
-Puyo et dites si, non prévenu, vous ne verriez pas là des reproductions
-de tableaux et d’excellents tableaux?
-
-Une autre œuvre, curieuse par sa vérité poignante et sa tranquille
-ironie, est cette rue perdue dans la brume et l’eau, déserte, ponctuée
-en son milieu d’un cab noir, intitulée _Beau temps à Londres_, de M.
-Colard. Il est difficile de donner, en raccourci, une impression plus
-profonde de cette ville des fumées de l’usine et des fumées du cerveau,
-de cette ville triste, de cette ville mystique et manufacturière,
-la ville des assommoirs discrets, des tabagies occultes, des lentes
-consomptions, où seules la vertu et la réforme sortent avec fracas,
-affirmant la morale par des coups de trombones et des roulements de
-tambours....
-
-Si ces photographies nouvelles ont fait au public l’impression que lui
-font les sanguines ou les fusains, si elles n’ont pu être obtenues que
-grâce à l’intervention trois fois répétée d’un homme doué de goût et de
-doigté, quelles sont donc les raisons qui s’opposent à ce que nous les
-appelions des œuvres d’art? Nous avouons, pour notre part, ne point les
-apercevoir très clairement....
-
-Il est vrai que cette intervention n’est point aussi longue ni aussi
-décisive que celle de l’artiste, obligé de dessiner et d’ombrer de sa
-main sa toile ou son papier d’un bout à l’autre. Dans la photographie,
-toute une partie de son travail est faite par la machine et simplifiée
-par le procédé. Mais depuis quand juge-t-on de la valeur artistique
-d’une œuvre par la difficulté du procédé? Parce que le pinceau trempé
-dans l’encre de Chine nous fournit plus vite le ton du ciel ou du
-terrain que le fusain, faut-il dire que, nécessairement, le premier
-procédé est moins artistique que le second? Et parce que le fusain,
-aidé de l’estompe, simplifie cent fois, pour tonaliser un ciel ou
-ombrer et masser des arbres, le travail sec et dur de la mine de plomb,
-faut-il dire qu’un beau fusain est moins une œuvre d’art qu’un papier
-noirci de hachures pour le ciel et de «beau feuillé» à la mine de
-plomb? A quelle étrange conclusion ainsi l’on arrive! Et mieux encore,
-parce que le dessinateur, comme était M. Bertin, obtient plus vite
-son effet sur un papier bleuté qui lui fournit un ton général tout
-préparé, faut-il dire qu’il est moins un artiste que celui qui passe
-des heures à couvrir tout un papier blanc du fin réseau de ses pattes
-de mouches?—Eh bien, ce que le papier teinté, le fusain et l’estompe
-font pour simplifier le travail de l’artiste, l’objectif le fait dans
-une beaucoup plus large mesure. Voilà tout.
-
-L’intervention du photographe, à la vérité, n’est point souveraine. Il
-ne peut qu’influer sur les lignes et les tons, non les créer. Il lui
-faut compter avec un agent chimique, qui joue un rôle prépondérant
-dans le développement du cliché et la venue de l’image. Mais l’acide
-n’en joue-t-il pas un très grand aussi dans la préparation d’une
-eau-forte? Est-ce que, là aussi, il n’y a pas collaboration d’un agent
-chimique et inconscient! Le graveur, aquafortiste ou autre, sait-il
-exactement l’image que donnera son œuvre quand ce collaborateur y aura
-passé? Écoutons plutôt M. Bracquemond: «Lorsqu’un graveur creuse des
-tailles sur une planche métallique, avec un burin ou à l’aide d’un
-acide.... il ne connaîtra la _profondeur_ et, par suite, la _valeur_
-de sa taille que par l’_état_ que lui fournira l’impression de sa
-planche.»—Regardez le _Portrait d’un graveur_ par M. Mathey, qui est
-au Luxembourg, considérant la large feuille humide encore. Quel regard
-inquiet, attentif, scrutateur, il attache à son papier courbé, tenu
-au bout de ses bras nus, tandis que sur un coin de la machine, gît sa
-cigarette oubliée, éteinte!... Il semble satisfait, mais il a eu peur!
-C’est qu’il y a des hasards, des imprévus, comme il y en a, d’ailleurs,
-en aquarelle bien plus que les aquarellistes ne veulent le dire, et
-jamais cependant la collaboration de ces acides, ou cet imprévu de
-la tache aqueuse—si utile parfois et si savoureuse!—n’ont empêché
-d’appeler ces hommes des artistes!
-
-On dira encore: Une œuvre d’art est un exemplaire unique de la pensée
-ou du sentiment d’un artiste. Du moment qu’on en peut tirer des
-reproductions à l’infini, comme on fait les épreuves d’un même cliché,
-elle perd cette qualité précieuse et devient un objet de confection.
-Mais croire qu’on peut tirer un nombre indéfini d’épreuves artistiques
-d’un même cliché, c’est une erreur de fait. En réalité, chaque épreuve
-que l’artiste obtient par dépouillement sur un papier teinté à la gomme
-bichromatée est une épreuve unique. Il échoue plusieurs fois. Quand il
-en a obtenu une bonne, il est rare qu’il recommence. S’il recommence,
-il obtient autre chose que l’exemplaire déjà produit. C’est une
-_réplique_, si l’on veut: ce n’est pas un duplicata. Bien plus qu’une
-gravure à l’eau-forte, une photographie de M. Demachy est un exemplaire
-original.
-
-Enfin, c’est également une erreur de croire que, devant la même
-réalité, les artistes que voici sont contraints par leurs machines à
-produire les mêmes images. L’empreinte personnelle qu’ils mettent à
-leurs œuvres est telle que, la plupart du temps, elle dispense de lire
-la signature; et, après quelques visites à leurs expositions, on ne
-confond pas plus une photographie de M. Demachy avec une autre de M.
-Puyo, ou une troisième de M. Craig-Annan avec une quatrième de M. Le
-Bègue, qu’on n’est tenté d’attribuer un paysage de M. Montenard à M.
-Harpignies, ou une nymphe de M. Bouguereau à Burne-Jones.
-
-Cette empreinte personnelle est même le grief le plus vif des
-professionnels de la photographie contre les amateurs. Ce n’est point
-là, disent-ils avec mépris, de la photographie pure: il y a des
-«retouches»! Mais, quand ce reproche serait mérité, il ne saurait
-influer sur le jugement qu’au point de vue artistique on doit porter.
-L’impression est-elle esthétique? qu’importe comment elle est obtenue?
-Tous, nous avons horreur de la gouache en aquarelle. Mais la raison
-est que la gouache alourdit ce qu’elle touche, et qu’en fin de compte,
-elle est moins artistique que l’aquarelle «franche». Si, par hasard, on
-nous montre une gouache plus légère qu’une aquarelle, nous n’hésiterons
-pas à l’admirer, sans reprocher à l’artiste le blanc dont il s’est
-servi. Pareillement, d’où vient l’horreur très justifiée de certains
-amateurs pour les «retouches» en photographie? De cette observation
-très juste que les retouches alourdissent l’épreuve, empâtent les
-contours, tranchent violemment sur tout le reste des tons francs, et
-ainsi rompent l’homogénéité de la _facture photographique_. Mais s’il
-arrive que les retouches n’empâtent point, ne tranchent point, et
-s’harmonisent si parfaitement avec le reste qu’il soit impossible de
-dire où, au juste, la retouche a porté, la raison de l’horreur qu’on en
-avait disparaît, et la retouche est légitime.
-
-En fait, dans les œuvres nouvelles, il n’y a pas de «retouches», si
-l’on entend par ce mot la peinture sur le verre du cliché, ou le coup
-de crayon sur la gélatine; procédés très usités par les professionnels
-de la photographie, et auxquels nous devons ces blancs mats et pesants,
-ces peaux parcheminées que la foule admire à tant de vitrines de
-nos boulevards. Ce qu’il y a, dans les œuvres nouvelles, c’est _le
-travail de l’épreuve_. Or, ce travail ne produit aucun des heurts de
-la retouche; il est aussi harmonieux et homogène, dans sa facture, que
-le travail du lavis, de l’encre de Chine, de la sépia; et, comme on ne
-saurait reprocher à ces œuvres-là des retouches, attendu que tout y est
-retouches en effet, on ne peut les reprocher, non plus, aux nouveaux
-essais de photographie.
-
-Mais s’ils ressemblent tant à d’autres procédés d’art, dira-t-on
-encore, à quoi bon un procédé nouveau?
-
-On devrait, en effet, parler de la sorte si la photographie n’avait
-pas certaines qualités qui lui sont propres. Mais elle en a. D’abord,
-lorsqu’elle est dirigée par un goût prudent et une fine entente des
-altitudes, elle dessine admirablement. La fidélité de l’objectif, qui
-était un défaut avec des modèles vus de trop près, ou trop également
-éclairés, ou noyés dans les accessoires, devient une qualité, quand
-le champ de la vision est bien délimité, l’effet large, les lignes
-longues, souples, simples, à peine profilées sur le fond et bien
-suivies. Il y a une photographie de M. Puyo, représentant une Pénélope
-penchée sur sa tapisserie, où la courbe des cheveux, de la nuque, des
-épaules et de la ligne dorsale est telle qu’Ingres n’eût pu l’infléchir
-d’un crayon plus sobre et plus sûr. Certaines académies photographiées
-en plein air, sous le soleil de Sicile, à côté de bas-reliefs où sont
-sculptés des héros et des dieux, se profilent selon un rythme si pur
-qu’on hésite entre le galbe du héros sculpté et celui du berger vivant
-venu, deux mille ans après, s’asseoir sur le sarcophage vide où l’art
-les réunit.
-
-Ensuite, la photographie est capable d’un modelé infiniment nuancé,
-souple et caressant. L’estompe, seule, parmi les procédés de noir et
-de blanc, peut approximativement l’indiquer. Il ne s’agit point ici de
-nier la supériorité d’une nerveuse eau-forte ou d’une fine gravure;
-mais n’y a-t-il pas certaines transitions insensibles de lumière à
-ombre, évoluant sur les plans inclinés des figures, sur des polyèdres
-de chair, certaines ombres _dolce e sfumose_, comme dirait Léonard,
-«exhalées sur le papier», selon le mot de Ruskin, où la photographie
-est sans rivale? Pour rendre en blanc et noir ce qui, dans la nature,
-se rapproche des figures du Vinci, combien il est difficile à un autre
-procédé de rivaliser avec la photographie! Là où le burin et le crayon
-procèdent par petits traits différents, et par conséquent désunis et
-heurtés, elle agit par teintes liées, continues, uniformes de texture,
-mais graduées à l’infini; elle unit les méplats de la chair par sa
-facture, en même temps qu’elle les distingue par ses tonalités,—comme
-la nature le fait elle-même. Précisément parce qu’elle ne peut donner
-un accent, c’est-à-dire un arrêt brusque, elle est supérieure au crayon
-quand il faut passer, sans heurt, du grave au doux et de la nuit au
-jour.
-
-Le trait a de grandes qualités idéographiques. On donne l’idée d’un
-corps par sa silhouette et sa délimitation dans l’espace: on ne le
-montre pas dans son essence. Dès que le dessinateur veut remplir
-l’espace délimité, la «silhouette», il sent l’imperfection de son
-outil. C’est une boutade d’Ingres, que de dire «que la fumée même doit
-s’exprimer par le _trait_». En réalité, la fumée ne peut s’exprimer que
-par le _ton_. Et toute ombre est plus ou moins fumée. Ce n’est donc
-pas avec le trait seul qu’on peut ombrer une figure; et, tant pour la
-délicate gradation du ton que pour l’impeccabilité du contour, il faut
-bien reconnaître la supériorité de la photographie.
-
-Enfin, la photographie, mieux que le plus agile crayon au monde,
-surprend certains effets précieux, mais insaisissables, soit par leur
-multitude, soit par leur brièveté: un nuage qui passe dans le ciel, un
-troupeau qui passe sur la terre, une armée ondulante au gré des reliefs
-et des creux des vallons, le fouillis mouvant d’une bataille de fleurs,
-la complexe furie d’une meute coiffant un sanglier, le déferlement
-des vagues sur un récif ou encore le cumulus des vagues qui roulent
-lourdement vers le rivage, le stratus des courants qui se forment dans
-la mer et le fin cirrus des traces que chaque flot, sculpteur habile et
-patient, laisse au sable des grèves qu’il a habitées.... Et le multiple
-fléchissement des ailes des colombes qui viennent, d’un tournoiement
-souple, se poser à terre, comme ces âmes que Dante vit attirées par son
-cri miséricordieux, et le fugitif plissement des fossettes d’une femme
-rieuse, et le rapide serrement des muscles d’un homme surpris, et les
-remous d’une foule,—tout ce que le vent, l’orage, la gravitation, le
-feu, l’espoir, la colère, le plaisir, font fléchir, agiter, tomber,
-flamber, secouer, contracter ou sourire!...
-
-Combien souvent le dessinateur a regretté de ne pouvoir saisir
-l’envolée subtile d’un geste, l’agencement inédit d’un groupe, le
-miroitement rare d’un coup de lumière! Il y a donc des raisons pour
-qu’un artiste, devant certains effets, prenne parfois l’objectif, au
-lieu de prendre le crayon ou le pinceau à lavis. Moins souple sous
-certains rapports, c’est un instrument plus délicat sous d’autres
-et toujours plus rapide. On ne saurait pas plus le taxer d’inutile
-que d’impropre à rendre une pensée. Il ne peut remplacer les autres
-procédés, mais les autres ne le remplacent pas.
-
-
-
-
-CHAPITRE IV
-
-Une prétention excessive de la photographie.
-
-
-Où tend ce mouvement d’art en photographie et quelle crainte ou quel
-espoir pour l’idéalisme doit-il nous donner? Pour le bien démêler, et
-quelle évolution singulière il marque dans l’esprit de ses auteurs, il
-faut se rappeler ce qui l’a immédiatement précédé.
-
-Il y a quelques années, nous avons vu de savants photographes, armés
-d’une grande quantité de documents, venir vers nos artistes et leur
-enseigner leur métier. Ils avaient inventé, pour surprendre la nature,
-des instruments très astucieux et très prompts: des disques percés
-de fenêtres qui tournaient très vite et vous prenaient des centaines
-de vues successives d’un homme avant qu’il eût dit: ouf! puis des
-boîtes où ils enfermaient des guêpes dont ils avaient doré le bout
-des ailes pour enregistrer la trajectoire qu’elles décrivaient en
-volant; des revolvers et des fusils à objectif qu’ils braquaient sur
-les oiseaux,—ils l’eussent fait sur des anges!—non pour les tuer, mais
-pour savoir quels mouvements disgracieux ils faisaient dans les airs et
-pour ôter ainsi à leurs images plus que la vie: la beauté! En guise de
-gibecière, ces étranges chasseurs portaient, en bandoulière, une boîte
-«à escamoter», contenant des plaques de rechange.—Déjà, un médecin de
-Boulogne avait imaginé de photographier les manifestations des divers
-sentiments humains qu’il obtenait artificiellement par des applications
-électriques sur la face insensible d’un malheureux malade d’hôpital,
-et il avait ainsi démontré que le _Laocoon_ du Vatican ne remuait
-point du tout les muscles qu’il fallait pour exprimer la douleur.—Nos
-chronophotographes, eux, démontrèrent de même que, chez les grands
-maîtres, les chevaux n’avaient jamais galopé congrûment, ni les hommes
-couru avec vérité, ni les femmes dansé avec sincérité, et certainement
-pas une colombe venant vers l’arche, ni un Saint-Esprit planant sur
-Dieu le père, ni un archange, ni un séraphin, ni un chérubin voletant
-dans nos vieilles peintures ne pouvait résister à leurs redoutables
-investigations. L’art avait ignoré le mouvement: la science allait le
-lui expliquer.
-
-Quelques artistes écoutèrent ces suggestions, et aussitôt tout
-s’arrêta. On ne vit plus que des chevaux dans des attitudes
-d’immobilité absolue et un peu ridicule, des hommes plantés sur un
-pied, des oiseaux en plomb, encapuchonnés dans leurs plumes. Rien
-de plus faux ne parut sur les toiles ou sur les socles que cette
-scientifique et photographique vérité. On s’étonna, on s’indigna, on
-discuta longuement. Enfin, on s’avisa d’une idée assez simple: c’est
-que la science est une chose et que l’art en est une autre; et que,
-s’il y a une vérité pour l’esprit, il y en a une autre pour les yeux
-qui n’est point la même et qui, en art, importe seule. Fromentin et
-bien d’autres l’avaient dit, mais il paraît qu’il est des évidences
-qu’il faut qu’on découvre et des portes ouvertes qu’il faut qu’on
-enfonce.
-
-En effet, dans le cas présent, la vérité de la science est une vérité
-de détail; la vérité de l’art est une vérité d’ensemble. Quand le
-chronophotographe nous apporte une épreuve où il a noté l’une des mille
-phases dont se compose un mouvement, nous lui répondons: Ceci est une
-partie du mouvement,—ce n’est pas le mouvement. Il est très vrai que,
-dans un mouvement, il y a l’attitude que vous avez découverte, mais il
-est non moins vrai qu’il y en a des centaines d’autres et que _c’est
-la résultante de toutes ces attitudes,—chacune immobile durant un
-instant de raison,—qui forme ce qu’on appelle le mouvement_. Mes yeux
-ne perçoivent qu’un ensemble; votre appareil ne perçoit qu’une partie.
-Qui décidera qu’il perçoit la vérité, et que ce sont mes yeux qui sont
-dans l’erreur? Qui décidera que la vérité d’ensemble ne signifie rien
-et que rien ne vaut hors la vérité du détail? Dire qu’on voit mal parce
-que, dans un mouvement, on voit un ensemble d’attitudes, cela revient
-à dire qu’on entend mal parce que, dans un orchestre ou dans un chœur,
-on n’entend qu’un ensemble de sons? Mais le plan du musicien a été
-que vous entendissiez l’ensemble des sonorités. Pourquoi le plan de
-la nature ne serait-il pas que vous voyiez l’ensemble du mouvement?
-Que penseriez-vous d’un savant venant, au moment où nous écoutons un
-chœur, à l’Opéra, nous dire: «Voici un instrument très précieux qui va
-vous permettre d’entendre, non plus l’ensemble de cette musique, mais
-chaque voix et chaque instrument l’un après l’autre. Entendez cette
-voix, elle fait: ah! ah! ah! et celle-ci: oh! oh! oh! et cette autre,
-un son filé.... Maintenant vous connaissez ce chœur. Vous n’en aviez,
-auparavant, qu’une idée confuse et erronée. C’est la grossièreté de
-votre ouïe qui fait que ces sons se confondaient en un tout que les
-ignorants appellent harmonie. Dissociez chaque partie et vous aurez le
-vrai sens de cet opéra...».
-
-Ainsi du mouvement. L’œil de l’objectif instantané est comme une
-oreille qui n’entendrait qu’une partie à la fois dans un orchestre.
-Il voit très bien une des attitudes successives dont se compose un
-geste, mais il ignore le geste et accomplit ce prodige de saisir, dans
-le mouvement, l’immobilité! Une preuve topique nous est donnée par la
-photographie instantanée d’une roue de voiture. L’œil humain, en voyant
-une roue, s’aperçoit fort bien si elle tourne ou non. L’instantané,
-lui, n’en sait rien. Que la roue tourne avec la vitesse d’un phaéton
-traîné par un cheval au grand trot, ou bien qu’elle soit immobile dans
-la remise, l’appareil instantané nous en donne exactement la même
-image. Comme il va aussi vite, plus vite même que la roue, elle lui
-semble toujours immobile. Ce tremblement, cette confusion des lignes
-des rais qui avertissent nos yeux n’existe point pour lui. Il n’en
-compte que mieux les rais de la roue, mais il oublie qu’elle tourne. Il
-perçoit bien une vérité, mais il y a une autre vérité qu’il ne perçoit
-pas;—et c’est justement celle dont l’Art a besoin.
-
-Si nous allons en chemin de fer parallèlement à un autre train qui
-marche beaucoup moins vite que nous, cet autre train nous semble
-immobile. Pour qui est doué d’un mouvement plus rapide, tout ce qui
-est doué d’un mouvement moins rapide semble immobile. Nous appelons
-immobiles dans le monde et dans la vie, les choses dont le mouvement
-ou dont le changement sont si lents que nous ne les percevons pas dans
-le cours de notre vie. Cela ne veut pas dire qu’elles ne soient pas
-douées de mouvement; cela veut dire que ce mouvement nous échappe. Or,
-si l’œil de l’objectif ne reste ouvert qu’un cinq-millième de seconde,
-il est clair qu’un mouvement de cheval qui dure un quart de seconde
-lui échappe tout à fait. Donc, en allant plus vite que le cheval,
-l’objectif transforme le mouvement en immobilité.
-
-Ce n’est pas la seule circonstance ou l’objectif voit autrement que
-notre œil. Il est tantôt plus et tantôt moins perspicace, il détaille
-parfois mieux et confond parfois bien davantage. Il découvre, avant le
-médecin, des taches d’éruption sur un visage qui paraît sain, mais il
-commet les plus lourdes bévues sur la qualité des étoffes. Comme le
-dit très bien M. Puyo: «Son analyse implacable reste superficielle et
-s’en tient aux apparences; bien plus, ces apparences mêmes, l’objectif
-tend naturellement à les magnifier, et bonnement, il se laisse éblouir
-par l’éclat faux des strass, par les reflets trompeurs des satinettes
-et des velours de coton.... C’est ainsi que, par une réunion patiente
-de laissés pour compte et de coupons avariés, le photographe peut
-rassembler sans grands frais des décors et des costumes qui prennent
-sur ses épreuves un aspect véritablement somptueux.» Admirable pour
-déterminer les inflexions de l’aile d’un macroglosse ou de la nageoire
-d’un hippocampe, la plaque photographique ne peut nous renseigner,
-aussi bien que l’œil, sur la tonalité de l’air où vole cet insecte, ni
-de la mer où vit ce poisson. Et c’est précisément parce qu’elle est,
-selon le mot de Janssen, «la rétine du savant» qu’elle n’est pas celle
-de l’artiste.
-
-
-
-
-CHAPITRE V
-
-Une réaction idéaliste.
-
-
-Aujourd’hui les photographes l’ont compris. M. Puyo avoue, à propos
-de la mise au point, que «l’œil a une faculté d’accommodation très
-supérieure à celle de l’objectif». Ces novateurs abandonnent les
-prétentions des chronophotographes. Ils ne veulent plus que la machine
-enseigne l’œil. Ils contrôlent les résultats de la machine avec l’œil
-et repoussent ceux que l’œil n’approuve pas. Ils ne prétendent plus
-réformer les lois de l’esthéthique: ils ambitionnent de s’y soumettre.
-M. Alfred Maskell, qui est le chef de la jeune école en Angleterre,
-le dit expressément: «Notre mouvement peut être considéré comme une
-tendance à traiter les sujets en concordance avec la pratique des
-autres arts graphiques.»—«Il ne faut pas, déclare M. Robert Demachy,
-avoir une esthétique particulière pour la photographie et une autre
-pour la gravure et le dessin.»—MM. Bergon et Le Bègue ajoutent:
-«Il nous paraît que l’étude de l’esthétique est la préparation
-indispensable à tout travail. Le photographe va composer comme s’il
-devait dessiner ou peindre au lieu de photographier.» En ce qui
-concerne les attitudes fournies par la chronophotographie, M. Puyo ne
-parle de retenir que celles qui sont «douées de qualités esthétiques».
-Cela nous montre assez quelle évolution s’est faite chez les
-photographes et dans quel sens le mouvement nouveau est dirigé.
-
-C’est dans un sens idéaliste. On ne peut en douter quand on lit les
-écrits des novateurs. On le peut encore moins quand on regarde leurs
-œuvres. Avoir introduit le sentiment et la pensée dans une opération
-autrefois automatique; avoir transformé en un art ce qui était une
-industrie; avoir décidé que l’esprit devait diriger la matière, au
-lieu de se laisser enseigner par elle; avoir inventé la photographie
-dirigeable, c’est déjà une entreprise idéaliste. Mais les novateurs
-sont allés plus loin dans ce sens. Ils ont vu que leurs œuvres valaient
-surtout par ce qu’ils y avaient mis d’eux. Ils ont compris le mot de
-Ruskin: «Si ce n’est pas un plan humain que vous cherchez, il y a plus
-de beauté dans l’herbe le long de la route que dans tout le papier
-noirci par le soleil que vous rassemblerez durant toute la durée
-de votre vie». Ils ont hardiment soumis leur vision à un plan très
-caractérisé. Dans leur effort pour se dégager de l’imitation servile,
-ils ont retrouvé l’audace des partis pris d’ombre et de lumière, la
-volonté des effets d’ensemble, qui manquent à nos impressionnistes.
-Beaucoup de leurs paysages sont traités par grandes masses, le premier
-plan largement ombré, la lumière repoussée au second, et toutes les
-petites lueurs reflétées, délibérément noyées dans l’ensemble, afin
-d’obtenir un effet franc et général.
-
-Il existe un _Potier_, de M. Declercq, que, par son violent parti
-pris d’ombre diffuse et de saisissante clarté ramassée en un seul
-point, on dirait une eau-forte de Rembrandt. Le magnifique portrait
-de Ruskin par M. Frédérick Hollyer, où seul l’extrême profil de
-l’esthéticien est tiré de l’ombre par la lueur de la fenêtre, accuse,
-chez le photographe, un plan préconçu d’éclairage caractéristique.
-Le papillotement impressionniste est proscrit, M. Puyo l’avoue: «La
-direction des faisceaux de lumière qui éclairent une figure peut être
-quelconque, mais leur intensité relative doit obéir à une loi: il faut
-que l’un des faisceaux employés soit nettement dominant en intensité et
-que tous les autres lui soient nettement subordonnés.»
-
-Avec la dispersion de l’effet, l’école naturaliste enseignait
-l’inutilité ou l’indifférence du sujet. Là, encore, les nouveaux
-photographes sont amenés, par les conditions mêmes de leur art, à une
-réaction dans le sens classique. Ne pouvant compter autant que les
-peintres sur leur imagination, ils en viennent à chercher la beauté
-dans la nature elle-même. Ne pouvant espérer l’atteindre uniquement par
-l’interprétation, ils la veulent d’abord dans l’objet interprété. C’est
-non plus seulement à leurs rêves, mais à la réalité, qu’ils demandent
-d’être une chose belle. Le sujet redevient alors tout de suite digne
-de considération. Il ne s’agit pas ici du «sujet» tant méprisé par les
-novateurs d’il y a vingt ans, et méprisé avec raison, si l’on entend
-par là l’histoire bouffonne ou sentimentale, le «site» numéroté par
-les guides, où d’ingénieux industriels tiennent à la disposition des
-touristes une chaise, une lorgnette et du soda. Il s’agit de ce que
-M. Jules Breton appelle très justement le «sujet esthétique», une
-puissante ordonnance de nuages sur la mer, comme dans une photographie
-de M. Origet, une symphonie de branches emmêlées pour résister au vent
-et tendues vers le ciel pour prendre dans l’air leur nourriture, comme
-on en a vu dans les photographies de M. Dardonville, _Étang du parc de
-Rambouillet_, et de Mme Dansaert, _At Home_; un groupement gracieux de
-jeunes filles et de jeunes fleurs, tel que le tableau de Mme Farnsworth
-exposé jadis sous ce titre: _Quand le printemps arrive souriant dans le
-vallon et sur la colline_.
-
-Ce sujet, ils le veulent nettement déterminé, congruent en toutes
-ses parties et, pour ainsi dire, organique. Comme ils pourront bien
-retrancher l’inutile dans ce que leur fournit la nature, mais non pas y
-ajouter le nécessaire, il faut que cette nature soit plutôt trop riche
-en intérêt que trop pauvre.
-
-D’ailleurs, si ce sujet riche est touffu, ils marquent leur
-intervention d’artistes en le simplifiant. M. Puyo parle de l’«unité du
-motif», et se courrouce contre «les détails qui sollicitent le regard
-en dehors du centre d’intérêt». Il traite de «l’équilibre des lignes»,
-des «rappels nécessaires». On croirait entendre un pur classique de
-l’école de Winckelmann. L’étude prolongée, non des livres, mais de la
-nature, ramène ces photographes aux lois générales qui régirent jadis
-l’école, et non point parce que ce sont des règles, mais simplement
-parce que ce sont des nécessités. «Ces lois de la composition,
-disent-ils, n’ont rien d’arbitraire; quand nous songeons aux conditions
-que doit remplir toute œuvre d’art et que nous apparaissent aussitôt
-les idées d’unité, d’ordonnance, de subordination, n’est-ce pas le
-rationalisme grec et notre conception unitaire du monde qui nous
-imposent ces lois générales? Pareillement, l’idée d’équilibre, qui la
-fait naître, sinon le sentiment intime que tout obéit à la loi de la
-gravitation? D’où l’emploi général, dans la composition, de la forme
-triangulaire, le triangle étant de toutes les figures celle dont le
-centre de gravité est le plus bas. Enfin, les règles qui président à
-l’harmonie des tons et à leurs liaisons et imposent l’usage des rappels
-découlent de l’idée de relation et de l’impuissance des organes à juger
-autrement que par comparaisons successives.»
-
-Ainsi, tout doucement, tout silencieusement, ces hommes armés d’une
-machine conspirent pour l’idéal classique des anciens jours. Ils n’ont
-point fait de hardis manifestes, ni proclamé la déchéance d’aucun art.
-Leur affiche représentait seulement une femme laissant tomber de pâles
-fleurs de tournesol. «Nous ne réclamons nullement le titre d’artistes,
-disaient-ils en 1896; le public, habitué aux choses d’art, saura bien
-nous le décerner de lui-même, s’il trouve que nous sommes arrivés à le
-mériter.» Dans leurs longues et laborieuses contemplations en face de
-la nature, ils n’ont pas rêvé les grandes jouissances de la gloire. Ils
-n’ont pas cherché l’argent. Ils n’ont cherché que le plaisir; et le
-plaisir, rappelons-nous-le bien, a donné plus de belles œuvres à l’art
-que l’ambition,—le plaisir modeste, intime et muet, que cherchaient
-les Millet et les Rousseau dans les sentiers de Barbizon. Ils aiment
-la nature: ils écoutent ce qu’elle dit, et elle leur dit parfois ce
-qu’elle ne dit pas à d’autres. Après la grande moisson faite par les
-paysagistes du siècle, ils viennent, se courbant et ramassant des
-glanes. Mais, des glanes des champs, on peut encore se nourrir, et
-mieux que des fleurs artificielles, quattrocentistes ou cinquocentistes
-cueillies dans les musées....
-
-Ces artistes n’ont rien de mystérieux: ils dévoilent et jettent à la
-foule tous leurs secrets et toutes leurs recettes. Les prend qui veut!
-Mais peu les prennent, et moins encore en profitent. Car ce n’est pas
-leurs papiers et leurs ingrédients chimiques, et leurs écrans et leurs
-lampes au magnésium qui font leur supériorité, c’est leur éducation
-esthétique et c’est leur goût. Pas plus en art qu’en armes, il n’est
-de «botte secrète». Ce sont les procédés les plus simples et les plus
-connus qui mènent le mieux au but qu’on veut atteindre; le secret
-n’est point dans une combinaison de recettes soigneusement tues et
-dont on peut donner ou ne pas donner la formule: il est dans la tête,
-il est dans l’œil, il est dans la main, il est dans le cœur. Et s’il
-fallait une preuve de plus que ce ne sont nullement des procédés
-nouveaux, mais bien de nouvelles intentions qui créent ces belles
-œuvres photographiques, on la trouverait dans ce fait que, parmi tant
-de milliers de photographes qui arpentent la surface de la terre, il
-n’en est guère plus de dix ou douze en France et d’une trentaine à
-l’étranger qui aient, jusqu’ici, produit des épreuves comparables à des
-œuvres d’art. Et combien chacun en produit-il? A peine, par an, une
-ou deux qui vaillent la peine d’être citées. Voilà qui doit rassurer
-les artistes; et ceux-ci feraient sagement en ouvrant les portes de
-leurs expositions de blanc et de noir aux chercheurs modestes et
-enthousiastes qui s’acheminent, par des voies différentes, au même
-idéal.
-
-Quand on se promène dans la longue galerie des Candélabres du musée des
-Antiques, au Vatican, si on lève les yeux au-dessus des têtes d’Hermès
-et des Furies, des Silènes et du Mercure psychopompe, et de la Diane
-d’Éphèse aux seize mamelles, et du Satyre enlevant une épine du pied
-d’un Faune, et si l’on regarde les plafonds peints durant le précédant
-pontificat, on aperçoit une allégorie singulière. Les sciences et les
-arts, représentés par des figures ornées d’attributs, font hommage de
-leurs progrès à la Religion. Et parmi ces figures, en bonne place,
-est la Photographie tenant son horrible machine, appelée objectif.
-On reste un peu surpris, non seulement qu’un Torti ait succédé pour
-décorer les plafonds du Vatican à un Raphaël et à un Michel-Ange, mais
-que la déesse allégorique du collodion ou du gélatino-bromure se carre
-à la même place où l’on a vu, dans la _Sixtine_, les Sibylles et les
-Prophètes. Puis on se souvient des vers de Léon XIII, adressés à la
-princesse Isabelle de Bavière, sur l’_Ars photographica_:
-
- _Imaginem_
- _Naturæ Appelles æmulus
- Non pulchriorem pingeret;_
-
-et l’on se demande si ce qui paraît une hyperbole aujourd’hui ne sera
-pas une vérité demain. Ce que nous avons vu, dans les expositions,
-n’est peut-être pas encore suffisant pour le prédire, mais c’est plus
-qu’il ne faut pour l’espérer.
-
-
-
-
-CINQUIÈME PARTIE
-
-LES PRISONS DE L’ART
-
-
-
-
-LES PRISONS DE L’ART
-
-
-Ce sont les musées.
-
-Jamais on n’en vit tant bâtir, pour tant d’objets, ni de tant
-de sortes. On en fait d’immenses pour y dresser des moulages de
-cathédrales et on en fait de tout petits pour y aligner des poupées.
-On en fait pour y mettre des tableaux contemporains, comme la _Tate
-Gallery_, et on en fait pour y mettre des bronzes d’il y a deux mille
-ans, comme le musée Cernuschi. On en fait pour y mettre des ustensiles,
-comme le Musée des Arts décoratifs, et on en fait pour y mettre des
-dieux, comme le Musée Guimet. On en fait pour y mettre des panetières
-provençales, comme le _Museon Arlaten_, et on en fait pour y loger des
-porcelaines de la famille verte, comme le Musée d’Ennery. On y trouve
-des vertugadins, comme dans le Musée des Passions humaines, à Florence,
-et on y trouve de vénérables affiches ou des télégraphes surannés,
-comme dans le Musée du vieux Montmartre, à Paris. On fait encore des
-Musées pour y mettre de vieux habits héroïques et des canons démodés,
-comme le Musée de l’Armée, et on en fait pour y mettre des tableaux
-statistiques comme le Musée social. On en fait même pour ne rien ou
-presque rien y mettre, comme le Musée Galliera.—Mais, d’ordinaire, ce
-sont les œuvres d’art qu’on y renferme, les plus belles et les plus
-dignes d’être vues qu’on peut trouver.
-
-Tout le monde s’y prête. Jamais les collectionneurs n’ont plus
-volontiers regardé leurs propres galeries comme de futurs musées.
-Jamais on n’a légué à l’État ou aux villes tant de maisons qui, du
-vivant même de leurs hôtes, avaient pris la forme d’un temple du Beau.
-On bâtit un musée aujourd’hui dans le même esprit qu’autrefois un
-hôpital, une église ou un monastère. Lorsque, au soir de la vie, les
-vainqueurs de l’âpre lutte industrielle et sociale se demandent par
-quoi ils embelliront leur victoire et en répandront quelques effets sur
-la foule, ce qui se dresse devant eux, c’est la vision d’un musée. Ici,
-au parc Monceau, il a suffi d’ôter le lit du mort, pour que sa demeure
-fût un musée. Là, lorsqu’il y a quelques années, le vieux prince sans
-enfants, sans trône et sans épée, debout sur la terrasse de sa demeure,
-cherchait ce qui pouvait le mieux perpétuer sa mémoire, il trouvait
-que c’était de changer son château en musée. Et voici que partout les
-châteaux sont devenus des musées. Le Louvre est un musée. Versailles
-est un musée. Fontainebleau est un musée. Chantilly est un musée.
-
-Cette idée hante aussi les âmes collectives. Les municipalités qui
-ont trop d’argent,—et même celles qui n’en ont point assez,—rêvent
-de musées gigantesques accaparant tous les trésors d’art d’une
-province,—comme le Palais des Papes à Avignon,—et vers où se
-dirigeraient, en pèlerinage, les foules du siècle nouveau. Les villes
-montrent aux étrangers leurs musées avec autant d’orgueil que leurs
-hôpitaux ou leurs hospices. Et, de même qu’en bâtissant des hospices,
-elles croient avoir résolu le problème de la justice sociale, de même,
-en bâtissant des musées, elles croient avoir sauvé la beauté dans le
-monde.
-
-Voilà une tendance bien caractéristique de l’esprit contemporain. En
-voici une seconde:
-
-Pendant qu’on bâtit des musées, on détruit des œuvres d’art. On jette
-bas des monuments, parfois des quartiers entiers dans les cités qui
-furent contemporaines des siècles de beauté. On dénoue leur ceinture,
-comme à Avignon. On éventre leurs remparts, comme à Antibes. On
-menace leurs ponts, comme à Lucerne. On disperse les nymphes de leurs
-fontaines, comme à Nuremberg. On complote de combler leurs canaux,
-et, en attendant, on enfume leurs ponts, comme à Venise. On brise
-leurs mosquées, comme en Égypte. On renverse leurs palais et l’on
-défonce leurs jardins, comme à Rome. On mutile leurs couvents, comme à
-Toulouse. On empiète jusque sur leurs tombeaux, comme à Arles.
-
-Florence même, Florence qui consolait de tant d’attentats géométriques
-les artistes des deux hémisphères, Florence voit tout un plan de
-_Riordinamento_ et de _Sventramento_ s’étaler sur les tables de ses
-conseils!... Là, une voie, droite comme une épée, traverse le cœur
-même de la ville, trouant les palais de guingois, coupant les vieilles
-artères vitales du moyen âge, secouant ou ébréchant, sur son passage,
-les _loggie_, les créneaux de la place San Biagio, de la maison des
-Giandonati, du palais di Parte Guelfa, fauchant les tours[23]....
-
-A ces nouvelles, la démocratie bat des mains. Cela sonne à ses oreilles
-comme une victoire. C’est une victoire, en effet, sur le respect, sur
-le passé, sur tout ce qu’elle ne peut empêcher d’avoir été avant elle,
-mais ce qu’elle peut du moins empêcher de lui survivre; victoire sur
-les hommes qu’elle n’a pas élus et les choses qu’elle n’a pas votées.
-Pendant la nuit, fameuse en Avignon, où tomba la porte l’Imbert, à
-la lueur des torches, en toute hâte, quelques heures seulement après
-l’arrêté du maire décrétant sa ruine, une foule enthousiaste acclama
-les ouvriers de cette destruction et le chef élu qui venait y présider.
-
-Ce ne sont là que quelques exemples, et pris dans quelques pays. Mais
-le courant de _Sventramento_ est universel. A chaque heure qui sonne,
-on peut dire qu’il s’accomplit ou qu’il se trame, sur quelque point du
-globe, quelque chose contre sa beauté. Et si l’on a pu calculer, de
-certains grands capitalistes, que, chaque matin, ils se réveillent plus
-riches en capital, sans avoir rien fait que de durer une nuit de plus,
-on peut dire, au rebours, que par le mouvement naturel du progrès,
-chaque soir, le soleil se couche sur des cités moins belles que les
-cités qu’il a le matin même éclairées.
-
-Deux courants traversent donc le monde: l’un pour la beauté dans les
-musées, l’autre pour la laideur dans la vie. Au fond, c’est le même et
-il n’y a entre les deux aucune contradiction. Ils coexistent dans les
-mêmes âmes. Ils vont au même but, comme ils sont nés de la même idée
-sur le rôle de l’art. Et cette idée, toute-puissante en ce moment, est
-telle qu’il faut la dénoncer hautement, s’il en est temps encore, comme
-la plus fausse qui soit dans son principe et la plus funeste dans ses
-applications.
-
-
-
-
-CHAPITRE I
-
-L’art proscrit de la vie et interné dans les musées.
-
-
-Ces deux tendances sont sœurs. Un jour, au mois de septembre 1895,
-on vit, dans la même ville d’Avignon, le même conseil municipal,
-présidé par le même maire, prendre, presque dans la même séance, deux
-résolutions en apparence contradictoires: il résolut, d’abord, de
-démolir les pittoresques remparts de la ville, du côté sud, et ensuite
-de chercher six millions pour transformer le Palais des Papes en un
-musée de la chrétienté.
-
-L’un de ces projets était mesquin et facile, l’autre grandiose et ardu.
-Un seul fut exécuté: ce ne fut pas le grandiose, mais le grandiose fut
-sincèrement désiré. Il l’est encore. Car les mêmes hommes qui trouvent
-nécessaire d’abattre ces belles pierres jaunes, posées par les Papes
-et célébrées par Stendhal, n’estiment pas superflu de fonder un musée
-nouveau. Les mêmes économistes qui reprochent à l’art d’étouffer
-la ville en lui gardant sa couronne de mâchicoulis, sont prêts à
-l’endetter de six millions pour lui faire une collection de vieilles
-chasubles. Et, dans ces deux résolutions, en apparence contradictoires,
-ils sont animés par une même idée d’ordre,—qui est de ne pas laisser
-l’art encombrer la rue, mais de le mettre à sa place, où iront le
-chercher les gens qui croient en avoir absolument besoin: au musée.
-
-Le même souci tient tous les destructeurs de beauté, quelque part
-qu’ils «travaillent». A Arles, on a détruit les maisons qui plongeaient
-dans le fleuve, afin de tracer des quais rectilignes. On y a encore
-détruit, par les bruits de la terre et par les fumées du ciel, le
-charme des tombeaux vides des antiques Alyscamps. Mais, en revanche, on
-y fonde un _Museon Arlaten_ pour y renfermer les choses pittoresques de
-la vie populaire.
-
-A Florence, en 1888, la commission de _Riordinamento del centro della
-città_, après qu’elle eut visité les maisons de la rue des Apothicaires
-et décidé leur disparition, décréta toutefois qu’on enrichirait de
-leurs photographies les archives communales. Aujourd’hui, lorsqu’un
-parti florentin demande qu’on rase le vieux et bizarre palais
-_dell’Arte della Lana_, qu’un arc-boutant joint mystérieusement à Or
-San Michele, que dit-il pour nous consoler? Il dit qu’«on en fera une
-reproduction dans une autre partie de la ville»! Quand on a détruit
-le _Mercato Vecchio_ et tout ce qui avoisinait la vieille église de
-Saint-André, on a pompeusement créé, au musée de Saint-Marc, une salle
-de souvenirs, de fresques, de plafonds, de cheminées, d’écussons tirés
-des maisons du XV^e siècle.
-
-De même qu’à Bruxelles, si l’on a rasé, autrefois, l’ancien palais des
-ducs de Brabant, on en a tenté, deux cents ans après, une restitution,
-de même on a soin, aujourd’hui, de reproduire à huis clos ce qu’on a
-supprimé dans la rue. En Suisse, les hôtels expulsent les chalets,
-mais, quand on a ruiné les chalets de la montagne, on en reconstruit
-tout un quartier à l’Exposition de Genève. A Paris, après avoir
-renversé, au siècle dernier, la Bastille et la rue Saint-Antoine, on
-a cru devoir en restituer des effigies au Champ de Mars, en 1888,
-et, en 1900, on a édifié, sur les berges de la Seine, une parodie du
-vieux Paris jadis démoli avec enthousiasme. Ainsi, détruisons-nous nos
-vieilles demeures séculaires, quittes, cent ans après, à en tenter
-quelque incertaine et coûteuse «restitution», pour que les foules
-viennent goûter des «apéritifs» très nouveaux sur des escabeaux très
-rétrospectifs.
-
-Sans doute, on entend, çà et là, des protestations. A Florence,
-notamment, une clameur, grossie par la clameur des artistes du monde
-entier, a retenti contre les projets en cours d’embellissement
-destructif. Une ligue s’est formée de Florentins passionnés pour la
-beauté de la fleur du val d’Arno, sous le titre d’_Associazione per
-la difesa di Firenze antica_[24]. Mais à ces protestataires on répond
-quelque chose d’apparence très logique: ou ces vieilleries sont dignes
-d’être conservées, leur dit-on, ou elles ne le sont pas. Si elles ne le
-sont pas, qu’importe qu’on les détruise? Et si elles le sont, quoi de
-mieux que de les abriter dans un musée?
-
-D’ailleurs, qu’est-ce qui est menacé dans cette Florence que vous
-prétendez défendre, et pourquoi tout ce bruit? Pourquoi ces dix
-mille signatures de princes, d’évêques, de romanciers et de tribuns,
-protestant contre notre voirie municipale et que vous êtes allés
-chercher jusqu’aux confins de la civilisation, depuis les autorités
-du Massachusetts jusqu’à celles de la Tasmanie?... Est-ce qu’il est
-question de détruire un seul des monuments qui font la gloire de notre
-ville à l’étranger? Est-ce qu’on touche au Palais Vieux, au Palais
-Pitti, à Sainte-Marie-Nouvelle, au Dôme?
-
-Regardez donc le plan que vous attaquez.... Il ne touche même pas au
-_Ponte Vecchio_, pourtant si étroit et si incommode! Il respecte tout
-ce que les guides montrent aux touristes, et, quand il sera exécuté,
-non seulement l’itinéraire des _Cook’s tours_ ne sera pas entravé par
-les démolitions nécessaires, mais, en traçant des voies plus droites et
-plus larges d’un monument à l’autre, nous permettrons aux étrangers de
-tout voir en moins de temps....
-
-Que prétendez-vous encore? Qu’il y a de jolis détails architecturaux
-dans les maisons de la place San Biagio.... Quoi donc? Cet écusson sur
-le _palazzo dei Canacci_, ces moulures?... Et là-bas, au _palazzo di
-Parte Guelfa_, cette colonnette de la _loggetta del Vasari_?... Et,
-dans le _borgo San Jacopo_, quelques mâchicoulis?... Eh bien! on les
-sauvera! On tirera de la masse informe de ces vieilles bâtisses du
-XIV^e ou du XV^e siècle, les rares morceaux dignes d’être vus et on
-les mettra dans un musée. Tout le monde y gagnera, même les esthètes,
-puisqu’ils trouveront rassemblés dans une même salle et qu’ils verront,
-en dix minutes, tous ces détails qui, dispersés sur des murs sans
-intérêt et dans des ruelles impraticables, leur auraient demandé cinq
-ou six heures pour être à grand’peine découverts! En travaillant pour
-les utilitaires, nous travaillons aussi pour vous.
-
-En face des gracieux spectacles ménagés par la Nature, on a pris
-le même parti. Dans ce Paris, qui n’est pas un lieu de pèlerinage
-esthétique, mais qui serait cependant si beau sans ses embellissements,
-on conserve et on détruit avec un semblable acharnement. Les étrangers
-artistes en sont stupéfaits. «Quiconque, dit Ouida, revient à Paris,
-après une absence de quelques saisons, trouve la splendeur de sa vie
-plus obscurcie tous les dix ans par l’empoisonnement de l’atmosphère
-que cause le nombre toujours plus grand de fabriques, de chemins de fer
-et d’autres travaux et par l’extension de la ville parmi les jardins,
-les vergers et les bois qui lui formaient autrefois une admirable
-ceinture.»
-
-Mais, en revanche, le moindre morceau badigeonné de couleurs est
-rentré, étiqueté, conservé, forclos. On a supprimé du ciel parisien
-cette délicate harmonie de ruines noires et de vertes frondaisons, dont
-vingt-huit années avaient effacé l’âcre souvenir et souligné la triste
-beauté,—pour y édifier, entre deux horloges, une gare de chemin de fer.
-Mais on a retiré précieusement quelques médiocres vestiges des fresques
-d’un des plus médiocres décorateurs du second Empire et l’on va leur
-consacrer pompeusement quelque salle de musée.
-
-Dans ces prisons, la vie moderne renferme même les oiseaux et les
-fleurs. Dans toute l’Europe méridionale on dépeuple les bois de leurs
-petits oiseaux, qu’on tue, qu’on empoisonne, qu’on écrase dans les
-nids, qu’on prend par millions aux _roccoli_. Bientôt l’on pourra
-mettre au Muséum les derniers exemplaires de certains oiseaux que, nos
-pères et nous, aurons, pour la dernière fois, entendus chanter. Si l’on
-veut en garder la forme et la voix, qu’on les fasse chanter devant le
-phonographe et qu’on appelle ensuite le taxidermiste!—car les temps
-sont proches où l’espèce entière aura péri. Mais les cages de nos
-jardins zoologiques sont pleines.
-
-Les oiseaux ainsi catalogués, il arrivera un jour où l’on mettra
-aussi les fleurs dans des musées fermés, afin de les soustraire à la
-vie dévastatrice. Que dis-je? Cela est arrivé. On détruit tant de
-fleurs sur les Alpes qu’on a dû créer pour elles des refuges comme _la
-Chanousia_ du petit Saint-Bernard, à laquelle on a donné le nom de
-«jardin-musée».
-
-Un «jardin-musée!» ce nom seul ne définit-il pas une époque, une
-tendance et une idée? Et n’est-ce pas la même idée qui anime les édiles
-de Florence, et ceux de Paris, et ceux de Venise, et ceux de Rome:
-parquer le pittoresque, l’éloigner de la vie, ôter des pas de la foule
-cette chose encombrante, distrayante qu’est le Beau, le ramasser,
-l’emporter au loin, comme ce que ramassent et ce qu’emportent, aux
-heures frileuses de l’aube parisienne, les charrettes des balayeurs
-et des chiffonniers! Dans une ville bien ordonnée pour les affaires,
-il ne faut pas, semble-t-il, que les passants s’arrêtent à considérer
-des architectures, non plus que les flots d’un fleuve à considérer les
-quais. Que les uns et les autres passent vite, portant leurs fardeaux
-multiples, courant vers leur commune fin! Que le mot d’ordre soit, pour
-l’économie de nos cités modernes, celui-ci: «L’utile en liberté, l’art
-en prison.»
-
-
-
-
-CHAPITRE II
-
-Ce que devient l’art en prison.
-
-
-Que devient l’art en prison? Rassemblons, pour le comprendre, les
-impressions qu’à travers l’Europe, nous avons tous ressenties.
-
-Il ne s’agit point, ici, de ces œuvres d’art qui forment toutes seules
-un ensemble esthétique et qui sont faites pour apporter une vision
-du dehors dans l’intérieur d’une maison, loin de la vie qu’elles
-représentent, au fond d’un salon. Cette œuvre-là, d’ailleurs isolée de
-son milieu par son cadre d’or, peut être goûtée indifféremment partout.
-Il ne s’agit donc pas des tableaux de chevalet. Pour eux, un musée
-vaut à peu près un autre milieu et l’on n’imagine rien, non seulement
-de plus périlleux, mais de moins plaisant que les expositions en plein
-air du XVII^e et du XVIII^e siècles, soit que Le Brun accrochât, dans
-la cour de l’hôtel de Richelieu, son _Passage du Granique_, soit que
-l’Académie de Saint-Luc suspendît ses chefs-d’œuvre, place Dauphine,
-sur le parcours de la procession de la Fête-Dieu.
-
-Certes, la manière de présenter les tableaux devant le public ou de
-se présenter devant eux n’est pas chose indifférente. La disposition
-des toiles historiques dans les salles qui virent leur histoire et un
-bel équilibre de nuances dans des appartements sobrement meublés—comme
-ce qu’a commencé de réaliser M. de Nolhac à Versailles,—ajoutent fort
-à la valeur intrinsèque des tableaux. Le recueillement, la solitude
-y ajoutent aussi. Combien de toiles pieusement vénérées dans les
-collections particulières souffriraient d’être vues dans l’immense
-promiscuité de la Galerie du bord de l’eau! Et si l’on va, au loin,
-étudier une seule œuvre à demi cachée au public, combien la distance
-franchie, le blocus forcé, la concentration des forces admiratives
-toutes fraîches sur un seul point, n’ajoutent-ils pas à l’impression
-qu’on ressent de sa beauté!
-
-Bien plus, si l’œuvre est restée là où elle fut créée, dans le milieu
-qui l’a rendue possible et qu’elle a rendu célèbre, n’arrive-t-il pas
-qu’elle ramasse et réfléchit tous les souvenirs épars autour d’elle,
-comme une lentille fait les rayons? Fra Angelico ne se découvre-t-il
-pas mieux dans la plus médiocre des cellules de son couvent que dans
-l’admirable _Couronnement de la Vierge_ exposé, par le malheur des
-circonstances, à deux pas de la rue de Rivoli?
-
-Combien de portraits de Rembrandt n’a-t-on pas vus dans les musées
-d’Europe, sans jamais ressentir l’impression que donnent les figures
-du bourgmestre Six et de sa femme, conservées dans la même famille
-depuis deux cent quarante ans, dans le vieux et petit salon de la
-Heerengracht, au bord de ce canal aux eaux égales comme ces âmes de
-bourgeois et ponctuées de feuilles fanées qui tombent en silence comme
-sont tombées jadis les heures sur ces vies, sans rien agiter, ni
-ternir!...
-
-Lorsqu’on descend des lacs glacés du haut Dauphiné dans la vallée
-du Graisivaudan et qu’au hasard de la route on entre, faute d’autre
-spectacle, dans la petite église, cernée de treilles et de luzernes,
-du village de la Tronche, combien la Vierge orientale qu’on aperçoit
-au coin d’une chapelle avec son grave enfant songeur, le doigt sur
-la bouche, pénètre davantage dans l’imagination que des centaines de
-madones rangées dans les galeries Doria, Borghèse, ou Pitti! Et que
-n’ajoutent pas l’humilité de ce décor et l’imprévu de cette rencontre
-au chef-d’œuvre d’Hébert, pieusement déposé en ex-voto, là où le
-vœu fut fait et là où il fut exaucé, là où il fut promis par le
-patriotisme et réalisé par le génie!
-
-Mais ce n’est pas de tableaux qu’il s’agit ici. Car, quand on met
-un tableau dans un musée, on n’en prive ni la rue, ni le jardin, ni
-l’église, ni la pièce d’eau. Il peut gagner beaucoup à certaines
-dispositions dans un salon, dans un château ou dans une chapelle. Il ne
-perd pas tout son charme dans un musée. Il s’agit ici des œuvres créées
-dans une intention décorative et pour un ensemble déterminé. Il s’agit
-de ce qui est fait pour subir les révolutions de l’ombre et du jour,
-pour baigner dans la vie ambiante et dans la foule, pour les colorer,
-pour y imprimer son effigie, pour donner, en un mot, une figure à la
-cité.
-
-Il s’agit des portes, des façades, des bas-reliefs, des fontaines, des
-ponts, des stèles, des autels ou des tombeaux. Il s’agit de ces figures
-taillées pour se pencher dans le vide, comme les gargouilles, pour
-humaniser l’horizon, comme les statues, pour borner les champs, comme
-les Termes, pour commémorer une victoire, comme les colonnes, ou un
-prodige, comme les chapelles, ou pour dominer la ville et faire lever
-les regards des citoyens, comme jadis les métopes du Parthénon ou ses
-Panathénées.
-
-Voilà les œuvres qui, conçues en dehors des musées et avant les
-musées, ont une fonction dans l’empreinte quotidienne que fait à
-l’imagination la vie. Prenons l’exemple le plus célèbre: celui des
-Panathénées, et imaginons-les au moment de leur gloire. Tandis que
-la ville vaque à ses affaires, à son lucre, à sa politique, à ses
-plaisirs, cette procession qui ne se fait qu’une fois tous les trois
-ans, se poursuit sur les frises du temple et tout Athénien levant les
-yeux vers l’Acropole y devine la présence de son image, qui ne quitte
-point le sanctuaire. Il se dit que l’image survivra à la réalité, la
-statue à l’homme, et peut-être le chef-d’œuvre au culte, l’adorateur à
-la Divinité. Sa figure de marbre, taillée là-haut dans le pentélique,
-ne changera point. Ces genoux qui pointent en avant, étreignant le
-cheval cabré, ne fléchiront point, ces joues demeureront pleines, ces
-torses garderont leur souplesse, ces cheveux ne tomberont jamais, et,
-ainsi, les générations successives ignoreront si les hommes représentés
-là-haut souffrirent jamais de la décrépitude.
-
-Sans doute, cette vie qu’on prête au marbre n’est qu’illusoire, mais la
-vie plus intense qu’on éprouve à leur vue est réelle. Sans doute, ce
-n’est là qu’une ombre d’humanité, mais l’humanité passe et cette ombre
-fixée sur ce mur rivalise de durée avec les montagnes qui environnent
-l’horizon et avec ces étoiles vers lesquelles, à chaque angle, les
-figures de pierre semblent s’acheminer, le soir....
-
-Retirez ces figures de la vie et de la vue de la foule, et mettez-les
-dans un musée, que deviennent-elles? Pour le savoir, allons observer
-ce que deviennent les _Elgin marbles_, dans leur somptueuse demeure de
-Londres.
-
-Morne comme une prison, planté de colonnes comme un temple, couronné
-de brouillards et à peine dégagé des maisons qui l’avoisinent, voici
-le massif noir du _British Museum_. C’est là que sont détenus les
-demi-dieux. Un gazon humide et quelques pigeons qui s’envolent mettent
-seuls du vert et du blanc dans ce paysage sinistre, frotté de suie.
-Lorsque les anciens bâtissaient un temple pour y loger les idoles
-dérobées à l’ennemi, c’était du moins dans quelque site riant où elles
-pussent s’acclimater, se plaire et devenir enclines à protéger leurs
-geôliers. Ici, rien de tel. On imagine aussitôt ce qu’est là-bas la
-radieuse Acropole rose et dorée étagée dans l’air bleu, avec ses
-horizons de montagnes immortelles par leur miel et leur marbre, et
-de golfes qui ont des noms de victoires. On se figure des plaines de
-pins verts et d’oliviers blanchissant sous les brises, avec de petits
-chemins serrés entre des poivriers, des cactus et des aloès, propres à
-conduire les esthètes vers les Immortels paisibles.
-
-Ici, sur le trottoir brillant de pluie, de Great Russell street, tout
-manque de ce qui peut induire l’âme en joie admirative, rien de ce
-qui peut y verser la tristesse. Sur des tables de marbre noir gisent
-les restes des colosses qui siégeaient autrefois sur les frontons
-du Parthénon: Hélios, Thésée, Cérès, Proserpine, Iris, Séléné, les
-Parques, la Victoire, Prométhée, Minerve, Neptune, Amphitrite,
-Leucothéa, Cécrops, Mercure.... La vue de ces pauvres figures, mutilées
-comme des morceaux de corps froids sur les dalles des Morgues, serre le
-cœur. Car ces dieux, s’ils ne règnent plus sur une poignée de croyants
-par leur puissance, dominent encore le genre humain par leur beauté.
-Or, ils portent ici les traces d’un inexplicable et perfide abandon,
-d’une immémoriale impiété.
-
-Tous sont décapités, hors le Thésée qui dresse ses quatre horribles
-moignons comme un monstre mendiant dans un carrefour. Leurs têtes ont
-roulé à terre, et de ces visages augustes faits pour les baisers des
-déesses, quelques-uns peut-être, jetés dans les eaux du Pirée, sont
-encore en proie aux infects suçoirs de quelque éponge perforante!... On
-les a dépouillés de leurs parures et des objets qu’ils tenaient à la
-main, comme signes de leurs fonctions célestes. Çà et là, aux hanches,
-aux cuisses, des trous, que les voleurs n’ont pu boucher et que les
-gardiens du musée lavent pieusement, racontent le sacrilège, avec
-l’éloquence d’une serrure brisée sur un tabernacle ouvert.
-
-Si nous regardons le long des murs, nous y voyons les figures des
-Panathénées mises sous verre comme des ossements de saints, comme de
-petits coléoptères morts ou des fleurs séchées. Par endroits, on a
-restauré. Ainsi, dans le morceau de frise qui représente les divinités
-féminines, la partie inférieure et le bras gauche de plusieurs figures
-n’ont été reconstitués que par des moulages pris il y a cent ans, et
-ces plâtres mal faits ont été insérés dans le marbre primitif. C’est
-ainsi qu’avec beaucoup de peine on a serti quelques fausses pierres
-dans un encadrement de pierres précieuses.
-
-Ailleurs, se presse une grotesque et lamentable armée, composée
-des restes de beaux vieux monstres à barbe de fleuve et à corps de
-cheval et de jeunes héros culs-de-jatte, se livrant, deux par deux,
-à des pugilats chimériques. Un Lapithe qui n’a point de mains veut
-étrangler un Centaure qui n’a pas de gorge. Certains brandissent des
-épées absentes. Un homme-cheval sent quelque chose sur sa croupe, il
-se retourne pour dévisager l’agresseur, et il n’a point d’yeux. Un
-cul-de-jatte cherche à piétiner son adversaire terrassé et à lever
-au ciel ses bras coupés afin de célébrer sa victoire. La peau de
-lion qui pend à son bras semble vouloir dévorer le Lapithe mort. Tel
-autre n’a sur ses épaules que du plâtre: sa tête est à Copenhague.
-Cet homme-cheval boite: une de ses jambes est restée en Grèce. Ce
-jeune Grec n’a pas d’yeux pour voir le Centaure sur lequel il s’élance
-fougueusement: son visage est au Louvre. Là, le Lapithe a grimpé sur
-les flancs du Centaure qu’il fait plier, a saisi le monstre par la
-barbe. On s’imagine que c’est sa propre tête qu’il porte ainsi à la
-main. Ici, le Centaure n’a plus de buste, n’est plus qu’un cheval
-et, ainsi, le Lapithe, tombé à terre, n’est plus qu’un cavalier
-maladroit....
-
-Au milieu de la galerie, sur un piédestal, se tient une femme aux mains
-coupées, à la coiffure géante, à l’aspect architectural d’une colonne
-humaine. C’est la Cariatide. Pendant plus de deux mille ans, elle a
-soutenu le portique de la tribune des jeunes filles, avec ses cinq
-belles compagnes demeurées dans la patrie. Maintenant, il n’y a plus
-là-bas que son sosie de plâtre traversé par une barre de fer et que la
-pluie et le soleil ont noirci misérablement. Il n’y a plus ici qu’une
-exilée, qu’une inutile figure dépaysée, surprise, honteuse de ne plus
-servir à rien et comme lassée par l’absence de son glorieux fardeau....
-
-Cette tristesse, qui se sent plus vivement peut-être au British Museum,
-on l’éprouve partout où sont renfermées des œuvres faites pour demeurer
-en plein air et partout où des figures créées pour jouer un rôle précis
-dans un ensemble décoratif, se trouvent désaffectées. Parcourons les
-salles du Vatican, du Louvre, de la Glyptothèque. Combien d’années
-ont passé depuis que ces marbres ou ces bronzes n’ont pas accusé par
-leurs ombres la révolution du soleil! Il faut, en vérité, qu’une longue
-habitude ait endormi notre critique et fermé nos yeux pour qu’au
-Louvre, par exemple, nous supportions ces entassements de pierres sous
-des voûtes, ces lignes chevauchant les unes sur les autres, ces bras,
-ces têtes, ces draperies s’offusquant mutuellement, se doublant par le
-jeu des glaces ou s’éteignant par l’éclat des dorures! Et il faut une
-extraordinaire docilité d’imagination pour s’expliquer les attitudes
-et les gestes de ces Dianes saisissant leur carquois en marchant
-vers des fenêtres, de cette Victoire naviguant sur un escalier, de
-ces Atlantes écrasés sous un poids qui n’existe pas, de ces Apollons
-inspirés ou de ces Niobés éplorées scrutant du regard les moulures
-d’un plafond.... Qui a jamais vu les dieux ou les héros jetés dans
-la _Salle du sarcophage de Médée_ au Louvre, ou bien dans la salle de
-sculpture au Luxembourg, comme des marchandises dans un dépôt? Quoi! on
-met ces marbres ici, pour qu’on les admire mieux, et on les entasse de
-telle sorte qu’aucun ne se profile sur son voisin et que l’œil brouille
-ensemble toutes leurs lignes! On dirait une assemblée où tout le monde
-parlerait à la fois! Le but est de révéler leur beauté, et on leur ôte
-le plein soleil qui sculpterait à nouveau leur relief, et les ombres
-du plein air qui, changeantes comme est changeante la lumière du jour,
-donneraient tour à tour sa valeur à chaque muscle, à chaque méplat, à
-chaque ride, à chaque pli!
-
-Dans les musées, nombre de statues n’ont jamais été vues tout entières,
-dressées sur un fond neutre et débrouillées des lignes de leurs
-voisines. La plupart n’ont jamais reçu la lumière que d’un seul côté.
-Même celles qu’on expose au milieu d’une salle, comme le _Torse_, au
-Vatican, ne sont pas dégagées des lignes adjacentes. On perçoit mieux
-leur ensemble dans une bonne photographie, dont le fond a été unifié,
-que dans le musée, parmi le papillotement des couleurs. Beaucoup de
-chefs-d’œuvre nous sont ainsi mieux connus par leurs photographies que
-par la vue que nous en avons. Ils ne sont que l’«encaisse» esthétique
-dont les représentations fiduciaires courent l’Europe. On sait qu’ils
-existent, mais, en réalité, on ne les a jamais vus.
-
-Et on les verrait si bien ailleurs! C’est en pleine campagne, en
-pleine forêt, que le sens esthétique éveillé par la joie de la
-Nature, l’œil reposé par la monotonie du décor, l’esprit avide et
-rendu curieux de rythme par l’indiscipline des mouvements de la
-vie végétale, percevraient avec enthousiasme le moindre vestige du
-travail et de la volonté, la moindre ligne voulue et suivie. C’est
-un phénomène bien connu que l’obscur besoin de la symétrie là où
-tout semble échapper à ses règles et d’un plan rationnel et humain
-là où les fantaisies de la Nature triomphent en liberté. Nous sommes
-plus reconnaissants à l’art pour une Madone frustement peinte sur
-la blanche église de quelque pauvre village de l’Engadine que pour
-la centième Vierge au Bambino dans un musée de Florence, quand nous
-en avons vu déjà quatre-vingt-dix-neuf. Que nous fait un sarcophage
-après cent sarcophages, ou un œnochoé, s’il est le centième œnochoé?
-Mais si, au pli d’un vallon, à travers quelque campagne virgilienne,
-nous rencontrons le simple monument où le Poussin arrêta ses bergers
-d’Arcadie, nous faisons halte comme eux, sensibles à la solidité de
-ses lignes et à l’équilibre de ses proportions. Et si, aux approches
-d’une ville ancienne, parmi les vignes ou les potagers, nous trouvons
-le reste d’un taurobole oublié par les archéologues, nous comparons
-le pampre sculpté aux feuilles vivantes qui y jettent leur ombre et
-le bucrâne hiératisé aux bœufs qui cheminent le long du labour; nous
-comprenons alors, bien mieux que dans un musée, l’effort de l’art pour
-fixer le plus capricieux des rameaux en un régulier entrelacs et la
-plus disgracieuse des têtes en un svelte ornement.
-
-Les flâneries dans les vieux quartiers de Rome ou à travers les
-villages toscans ont-elles un autre but? On possède, au milieu de la
-ville, tous les chefs-d’œuvre qu’on peut souhaiter. Si l’on va au
-hasard des chemins, c’est qu’on trouve plus de plaisir à la courbe de
-la _Navicella_ imprévue rencontrée au portail de la villa Mattei, qu’à
-toutes les vasques et les cuves dont s’encombrent la Salle ronde ou la
-Galerie des candélabres. On sait plus de gré à l’artiste pour avoir
-tracé la forme d’un lécythe sur une stèle du cloître de San Saba ou
-des croix sur le puits du cloître du Latran que pour avoir creusé les
-pierres entassées au Capitole. Et toute la ferronnerie ornementale de
-l’_Architectural Court_ du South-Kensington Museum ne se profile pas
-dans la mémoire aussi nettement que le couronnement du puits de la
-Chartreuse d’Éma, quand on l’a vu, par un beau soir rouge, arrondir,
-sur les têtes chauves des derniers moines, sa noire arabesque de fer....
-
-Voilà pourquoi l’expédient, imaginé par les Florentins pour satisfaire
-les admirateurs de leur vieille ville, tout en la détruisant, est le
-signe de la plus profonde erreur esthétique. Ce que les étrangers
-aiment à Florence ce n’est point seulement l’éclat de quelques
-monuments, mais l’atmosphère d’art, qu’on respire, presque sans s’en
-apercevoir, dans les plus humbles coins de la ville. Or vouloir retirer
-de la ville tout ce qui constitue cette atmosphère, pour l’enfermer
-au Musée de Saint-Marc et l’y accumuler, c’est proprement détruire
-le charme des flâneries florentines: l’imprévu de la rencontre d’un
-fragment d’art, la joie de la découverte. Les mêmes choses, délicieuses
-si on les trouve isolées, une à une, deviennent fastidieuses par leur
-rapprochement. Quoi de plus divin qu’un chant d’oiseau, çà et là, dans
-la forêt? Quoi de plus déplaisant qu’une volière?
-
-Et, lorsque l’œuvre est telle qu’elle emprunte son caractère ou son
-culte à un pays déterminé, qu’est-ce donc qu’il en reste dans un musée?
-Que signifient ces idoles dépaysées, ces vases sacrés où l’on voit
-la place des doigts des prêtres et qu’aucun prêtre ne soulève plus?
-C’est du plain-chant dans un casino. Lorsqu’on regarde, dans le hall du
-Musée Cernuschi, au parc Monceau, le Bouddha qui y est captif, on se
-rappelle, sans rire, la douleur des Japonais qui le vénéraient comme
-une beauté tutélaire, dans les jardins de Megouro. Un jour ces pauvres
-jardiniers vinrent à Tokio demander qu’on leur rendît leur statue
-enlevée furtivement, par morceaux. Ce jour-là, ces paysans firent
-plus qu’un acte de piété: ils firent une manifestation esthétique.
-Inconsciemment, ils défendirent l’idée juste de «l’art en place et à sa
-place». Ce bronze est bien aménagé dans le Musée Cernuschi, mais rien
-peut-il valoir, pour les yeux, le grand décor changeant de la nature,
-pour le cœur, le regard suppliant de quelque dévot passant devant son
-Dieu? Et si les choses d’art avaient l’obscur sentiment de ce que gagne
-ou perd leur beauté, selon les milieux qu’elles traversent, nul doute
-que le Bouddha ne regrettât, dans sa somptueuse demeure parisienne,
-les voix qui chantaient, les parfums qui passaient, et le soleil qui
-l’éclairait librement, aux temps de son abandon dans les pauvres
-jardins de Megouro.... Les œuvres d’art, surtout les œuvres d’art
-religieux, sont des fleurs délicates, dont il faut respirer le parfum
-sur plante. Coupez-les; vous avez encore la forme, vous n’avez plus le
-parfum.
-
-
-
-
-CHAPITRE III
-
-Ce que la nature fait pour l’œuvre d’art
-
-
-Mais les ruines? dira-t-on, ne convient-il pas de les mettre à l’abri?
-
-Bien plus encore que les monuments intacts, les ruines doivent être
-laissées _in situ_. C’est surtout à ces œuvres en partie détruites,
-incomplètes, qu’il faut un milieu qui les explique, qui les supplée ou
-qui les justifie. Car un monument complet s’explique de lui-même. Un
-temple, par exemple, est un organisme où tout s’enchaîne, se commande
-et se soutient. Tant qu’il est intact, tant qu’il remplit son but,
-tant que les colonnes font leur office, qui est de supporter les
-architraves, et les antéfixes, le leur, qui est de boucher le creux des
-tuiles, on peut le mettre où l’on voudra. A lui seul, il exprimera son
-rythme et son idée.
-
-Mais, s’il est ruiné, transporté par morceaux sous un hall, que nous
-dira-t-il? Qu’est-ce que des colonnes sans la frise qui unissait leur
-tête? Qu’est-ce que des acrotères sans le fronton dont elles relevaient
-les bouts? Qu’est-ce qu’un arc-boutant sans la voûte qu’il bute, ou
-un pinacle sans le pilier qu’il surmonte? Qu’est-ce qu’une cariatide
-sans son architrave, une canéphore sans sa corbeille, une Victoire
-sans ses ailes, une Espérance sans sa fleur? Mettre une colonne dans
-un musée! Autant mettre un tronc d’arbre dans un salon! Ce n’est plus
-qu’un organisme dissocié, brisé; ce n’est plus qu’un cadavre. Il faut
-donc le laisser en plein air, en plein ciel, dans la nature qui, de
-ses cadavres à elle, de ses rocs fendus par l’eau ou de ses arbres
-foudroyés par le feu, fait des autels, des vasques, des corbeilles ou
-des nids.
-
-La statue une fois mise dehors, tout change. Les gestes grandissent et
-soutiennent le ciel. La mousse emplit les mains auparavant oisives.
-Le lichen met sur les blessures du marbre son baume doré. Les graines
-des fleurs, qui vont par l’air cherchant un gîte, s’arrêtent aux creux
-des urnes penchées par la main des _Fleuves_ ou des cornes d’abondance
-soutenues par le bras des _Pomones_, et, parfois, une eau de pluie
-vient étaler sous les pieds des _Narcisses_ son humide et fugitif
-miroir.
-
-Je sais, sur les terrasses de la villa Pamphili, une statue de femme
-qui lève le bras. Sa main étant cassée, elle ne dresse qu’un moignon
-qui serait horrible à voir. Mais un arbre est auprès. Il abaisse sur
-le marbre mutilé ses branches. Il noie le poignet sous les petites
-vagues vertes de ses feuilles, et la statue, dès lors expliquée, semble
-cueillir, d’une main qu’elle n’a plus, des fruits à l’arbre qui n’en a
-jamais.
-
-Ce sont ces fortuites rencontres qui donnent leur prix aux ruines vues
-par Hubert Robert: le marbre, auguste et éternel, prête son appui aux
-contadines éphémères qui y suspendent leurs hardes éclatantes. Dans
-l’entre-colonnement décrépit, mais hautain encore,
-
- Bien que les Salvucci ni les Ardinghelli
- N’abritent plus que l’humble échoppe et l’établi
- Sous leurs arcades colossales[25],
-
-le lazzarone grignote sa polenta, l’enfant égrène son raisin et le
-moine son chapelet, tandis que sur leurs têtes, une plante sauvage
-jette l’ombre de ses feuilles, le galbe de ses branches, l’aumône de
-ses fleurs....
-
-Ainsi, presque toujours, la nature et le temps savent restituer à
-la pierre l’âme qui l’avait quittée quand elle s’était brisée. Sans
-doute, ils ne peuvent refaire entièrement ce que l’homme a détruit, ni
-combler tout à fait le vide que l’accident a creusé. Ils ne rendent
-pas aux formes mutilées leur beauté _plastique_. Seulement ils leur
-confèrent une nouvelle beauté _pittoresque_. Ils les font entrer dans
-la grande communion du paysage. Un jour même arrive où la ruine fait
-partie si intégrante de son milieu qu’on n’imagine pas avec plaisir
-le monument intact. Quel artiste préférerait la correcte spirale d’un
-escalier en colimaçon à cette description de Tennyson dans _Enide_:
-«Bien haut, au-dessus, un morceau de l’escalier d’une tourelle, usée
-par des pieds qui, maintenant, étaient silencieux, tournait, nu, au
-soleil, et de monstrueuses touffes de lierre serraient le mur gris
-de leurs bras fibreux; elles suçaient les jointures des pierres et
-semblaient, en bas, un nœud de serpents, en haut, un bosquet....»
-Cet escalier qui ne conduit à rien et qui est dépouillé de son
-alvéole devient ici le centre d’un thème décoratif qui n’est plus
-architectural, mais qui est encore pittoresque, thème voulu par la
-Nature et réalisé au gré des semences, des vents et des années.
-
-Mais pour que ces choses s’accomplissent, il faut confier à la nature
-même les débris que nous voulons ennoblir, et ne point troubler, par
-d’inutiles soins, l’œuvre mystérieuse de cette prétendue «marâtre». Le
-mot «laissez faire, laissez passer» de l’économiste doit être notre
-mot d’ordre vis-à-vis d’elle. Laissez le lichen faire des taches à la
-robe de la déesse; laissez le lierre passer aux joints du piédestal. Ne
-soyez pas le Pharisien
-
- Qui croit son mur gâté lorsqu’une fleur y pousse.
-
-Si la plante a jailli, c’est que la terre était bonne et, si le lichen
-a poussé, c’est que l’air était pur!
-
-Il y a un musée où on l’a compris, et ce musée nous donne un admirable
-exemple. Rien n’est plus frappant que de l’évoquer à côté du British
-Museum. Il est situé à l’autre bout de l’Europe, à Rome. Sa porte
-monumentale s’ouvre dans une grande stratification curviligne de
-monuments millénaires et de pauvres bâtisses: pêle-mêle de souvenirs,
-d’idées et de masures disparates, où furent les Thermes de Dioclétien,
-où fut une chartreuse, où est encore un asile d’infirmes errants et
-tremblants. C’est de tous les musées de Rome le moins connu, comme le
-British Museum est du monde entier le plus célèbre. Son budget est
-un des plus faibles, comme celui du British Museum est un des plus
-puissants. Il ne contient que ce que la jeune Italie a trouvé sur son
-sol depuis le Risorgimento. Et, en face de noms comme Phidias, ce musée
-ne peut citer aucun nom.... Il ne fut même pas construit pour y mettre
-des œuvres d’art. Un cloître, une cour carrée au milieu, entourée
-d’arcades, une rangée de petites cellules, de _romitorii_ s’ouvrant
-sur des jardins de poupées avec autant de _loggie_, quelques salles au
-premier étage tapissées de nattes sèches où joue le soleil, c’est tout.
-
-Mais le créateur de ce musée n’est pas seulement un archéologue, c’est
-un artiste. Il ne conserve pas seulement les œuvres d’art: il les
-regarde. Il ne songe pas seulement à les déterrer au bord du Tibre, ou
-à Subiaco, mais aussi à les replanter et à leur redonner des racines.
-A chaque œuvre, il cherche longuement l’orientation qui lui convient
-pour remplacer, le plus qu’il se peut, l’ancienne demeure ignorée ou
-l’ancien milieu perdu. Il l’isole, et, en l’isolant, la grandit. Il
-l’éclaire, et, l’éclairant, la ranime. Et, quand ce ne sont que de
-simples débris, auxquels nul artifice ne pourrait rendre la vie, il
-ne craint pas de les exposer en plein air. Le long du cloître ouvert
-et dans le jardin que bordent les arcades de travertin, sous le ciel,
-sous la pluie, il a jeté tout ce qui, débris de statues, sarcophages,
-colonnes, masques de pierre, peut être sans trop de péril exposé aux
-injures du temps, et il a laissé faire la nature....
-
-Ce qu’elle a fait, une simple promenade suffit pour en juger. Un des
-plus beaux matins de la vie est celui qu’on passe, au mois d’avril ou
-de mai, dans la cour de ce cloître reconquis par le Paganisme. Ce
-n’est plus le lourd silence de la prison. Ce sont les voix tranquilles
-du jardin. Ce n’est plus ce carré de lueur blafarde qui tombe de la
-fenêtre d’un musée et que les prisonniers appellent «ciel»: c’est la
-splendeur du soleil qui, tournant autour des marbres, leur prête la vie
-lente des ombres et des clartés. Au milieu du carré, sur un bassin qui
-murmure, un jet d’eau monte comme une tige de lis et retombe comme une
-poignée de perles. On dirait une chère illusion qui s’est brisée en
-s’élevant trop haut, mais dont les débris sont encore de petites choses
-précieuses. Autour d’un vieux cyprès foudroyé, écume la mousse des
-rosiers banks. Quatre têtes d’animaux de pierre, comme de gigantesques
-rhytons, sortent des godrons verts de quatre touffes de lierre. Aux
-coins extrêmes du quadrilatère, le printemps allume des flammes roses
-sur les branches des amandiers, et le vent agite ces lueurs sans les
-éteindre. En l’air, à l’extrémité de deux hautes colonnes, grimacent
-deux masques de pierre où la bouche et les yeux sont figurés par des
-trous. Dans un musée, on verrait de l’ombre par ces trous. Ici, on voit
-de la lumière.
-
-Pour le moindre de ces débris, la nature a des attentions infinies.
-Sur les touffes sucrées nées dans les fentes du marbre, plane la
-couronne de ces insectes pesants et sonores qui ne savent ni s’élever
-ni se taire. Dans un coin, est une statue de femme dont la tête fut
-brisée. Un églantier a posé des branches sur ses épaules; il a masqué
-la coupure du col, et, à la place des seins absents, fleurissent
-des roses. Les sarcophages, qui se boursouflent extérieurement de
-figures d’Amours grimpant aux échelles pour vendanger les treilles,
-sont pleins, intérieurement, non d’ossements, mais de ronces et de
-fleurs, comme celui qu’on voit dans _l’Amour sacré et l’Amour profane_.
-Dans un angle, un délicat pied blanc, sur une dalle rouge, semble
-une apparition qui commence, et paraît alors moins un débris qu’une
-promesse....
-
-Sans bras pour nous les donner, sans yeux pour nous voir, sans pieds
-pour nous fuir, une Fortune tient ses fruits. La pluie et le soleil
-ont noirci par endroits les robes des déesses, et, quand vient
-l’automne, leurs draperies de marbre s’obstruant de feuilles et de
-fleurs mortes, elles paraissent d’inconscientes Ophélies. Sur les
-savantes inscriptions latines se penchent les ignorantes herbes: les
-mystérieuses euphorbes, et les pelotes d’aiguilles vertes des pins,
-et les bras poilus des lierres, et les redondantes aristoloches, et
-les fins myrtes. Aux bouches demi-ouvertes des bustes, les insectes,
-rôdant, prêtent leur long murmure. De la _Victoire_ brisée, l’oiseau,
-en s’envolant, achève le coup d’aile. Et le grand rosier, qui étincelle
-sur le sarcophage ouvert, vient ajouter encore d’impondérables pétales
-aux lourdes guirlandes de pierre, que, de leurs épaules haussées,
-soulèvent péniblement les petits Amours....
-
-Ainsi, à l’heure de notre course, où toutes les figures que nous nous
-étions faites du Bonheur nous paraissent joncher le sol comme des
-statues brisées, il n’est pas bon de les renfermer avec nous dans le
-musée de nos souvenirs, ni de méditer seuls devant leurs ruines. Il
-faut, au contraire, les porter en pleine nature, les jeter en pleine
-humanité et appeler à notre secours, pour les embellir, toutes les
-influences secrètes et médiatrices de la terre et du ciel. Alors la
-blessure s’adoucit, s’agrandit, s’épure. Nous sentons l’envahissement
-des choses. Bientôt, dans le murmure des vies végétales et profondes
-s’assourdit le murmure de notre vie à nous. L’ombre tombe sur nos
-souvenirs. La lumière éveille nos pensées. La nature dont on dit tant
-de mal nous offre cependant l’oubli dont elle est pleine. Et peu à
-peu pénètre en nous, par la plaie entr’ouverte, quelque chose de sa
-douceur, de son sourire, et de son insensibilité....
-
-
-
-
-CHAPITRE IV
-
-Le paradoxe de la «conservation» des œuvres d’art.
-
-
-«Je ne suis tranquille que quand je sais mes fils en prison», disait
-la mère des deux Reybaud, fameux l’un et l’autre, au milieu du siècle,
-par leurs polémiques et leurs démêlés avec tout le monde. Quand on
-observe quel sentiment pousse nos amateurs à enfermer dans les musées
-les œuvres qu’il faudrait voir ailleurs, on trouve que c’est une
-préoccupation semblable qui les domine et que le mot de Mme Reybaud
-pourrait être leur mot d’ordre. Car dès qu’on mêle à la vie quelques
-belles choses, dès qu’on les tire des nécropoles où elles gisaient,
-aussitôt la presse retentit de leurs cris.
-
-Ceux-ci se lamentent, si deux groupes en marbre, d’un marbre friable
-et déjà usé, dus à Tassaert ou à Guyard, et attribués à Beaujon,
-demeurent devant le perron de l’Élysée: ils réclament qu’on les enlève
-du jardin, et qu’on les mette—où cela?—naturellement dans un musée....
-Ceux-là s’avisent que des tapisseries du garde-meuble, dessinées par
-Audran et tissées d’or, sont converties en portières, et se doublent,
-se cassent et exigent, par suite de leur poids, un effort pour les
-soulever qui, à la longue, les détruira. Où faut-il les mettre?
-Naturellement aux Gobelins, où Bædeker vous dit que vous pourrez
-les voir «les mercredis et samedis, de une heure à trois heures».
-D’autres, ayant découvert qu’un beau _Christ en Croix_ de Jordaens
-se trouve encore dans la cathédrale de Bordeaux, n’ont pu supporter
-plus longtemps de voir un Christ dans une église. Ils le veulent
-mettre à sa place,—qui est le musée. Que fait ce menhir au milieu de
-sa lande bretonne? se sont demandé les pourvoyeurs d’exposition, et
-ils ont proposé d’apporter et de renfermer dans le Champ de Mars, en
-1900, la pierre fameuse de Locmariaker. Ailleurs, enfin, on se plaint
-que quelques-unes des merveilles de la _Suite des châteaux_ soient
-envoyées, çà et là, en Europe, pour garnir nos palais d’ambassade. On
-demande où elles pourraient être mieux, et l’on répond: «aux Gobelins
-ou au Louvre».
-
-Ce sont là les signes de la plus grande erreur esthétique qui
-fut jamais. Car, précisément, de les envoyer garnir nos palais
-d’ambassade, c’est la seule manière que nous ayons d’en jouir.
-Quelques-uns d’entre nous, seulement, dira-t-on.... Oui, quelques-uns.
-Mais, dans un musée, qui peut jouir d’une tapisserie? Personne! Car
-l’esthétique d’un ameublement ne s’insinue pas aussi vite dans l’esprit
-que celle d’un tableau ou d’une statue. De même qu’un paysage frappe
-moins vite qu’une scène de genre, de même les couleurs peu bruyantes
-et les lignes peu écrites de la décoration veulent des heures pour
-être goûtées. Il faut demeurer longtemps devant une aiguière ou une
-crédence pour que leur rythme s’associe à nos pensées. Il faut vivre
-au milieu des objets de bon style pour qu’ils vivent en nous. C’est
-même là précisément ce qui donne à l’art décoratif une physionomie
-bien différente de l’art imitatif. Il ne faut pas qu’il frappe, il
-faut qu’il s’insinue. Et, pour qu’il s’insinue, il faut qu’on vive
-avec lui familièrement, comme on vit avec la tapisserie de sa chambre,
-non pas le mettre dans un musée où l’on va lui rendre une visite rare,
-solennelle et pressée.
-
-Mais c’est le seul moyen de faire durer les œuvres, dira-t-on.—De
-les faire durer, oui, mais comment? Mortes ou en vie? Agissantes ou
-neutres? Tout est là. La momie dure plus que l’homme. La pièce d’or,
-renfermée dans un coffre ou dans une tombe, dure plus que la monnaie
-qui roule de main en main, usant son cordon et ses empreintes, mais
-activant les échanges, soulageant les misères. Il est de toute évidence
-que, moins une œuvre d’art sera exposée au soleil, à la poussière, au
-vent, et à la vue, plus elle durera. Mais elle durera sans remplir son
-but. Son but, c’est de vivre de notre vie et de périr, s’il le faut,
-de notre mort. A ce prix, elle enseigne, elle charme, elle console.
-Autrement, elle ne fait que durer. Quand j’entends les cris des
-pourvoyeurs de musées, il me semble entendre des gens qui chercheraient
-les grains de blé que le semeur a mis dans les champs et qui les
-rentreraient au plus tôt dans le grenier de peur qu’ils ne pourrissent.
-Et, en effet, ils ont empêché la pourriture, mais ils ont empêché la
-germination. Ils ont empêché la mort, mais ils ont empêché la vie!
-
-Les projets éclos de toutes parts empêcheront la vie. Si jamais
-Avignon trouve les millions nécessaires pour expulser les soldats qui
-sont dans son château fort et y introduire les scribes, custodes et
-porte-clefs qu’on rêve d’y voir, tout le Palais des Papes deviendra
-muet et morne. Les milliers d’objets rassemblés ne parleront plus aux
-yeux des populations lointaines d’où ils auront été tirés. La visite
-de ce Musée de la chrétienté ne sera que la visite d’un «trésor».
-Car les arts du culte ne forment point par eux-mêmes un ensemble qui
-se suffise. Ils ne sont que pour que d’autres choses soient. Ces
-objets n’existent que pour servir à d’autres desseins: pour être
-portés, agités, pour resplendir parmi des foules, pour vêtir, pour
-renfermer, pour apparaître sous le pinceau des soleils sincères ou des
-vitraux mensongers ou bien dans la voie lactée des cierges et parmi
-les torsades de l’encens bleu. Là, au contraire, que verra-t-on?—Des
-chaires vides, des retables sans autels, des lampes sans flammes, des
-clochettes sans voix, des chapes sans vivants, des reliquaires sans
-morts: offrandes sans doute trop belles pour le Dieu qui les reçut
-et mieux appropriées à ce culte nouveau d’un «esthétisme» municipal,
-dont les gardiens à tricornes seront les prêtres ennuyés! A cette
-transformation qu’aura gagné le Palais des Papes? C’était une caserne:
-ce sera une prison.
-
-Ce sera quelque chose encore de pire. Ce sera le palliatif ou
-l’apologie des destructions et des «embellissements» de nos villes
-modernes. Ce sera l’excuse invoquée par les démolisseurs à chacun
-de leurs attentats. Ce l’est déjà, et il suffit d’écouter les voix
-qui s’élèvent dans les régions officielles pour ne plus douter
-que l’Art sert aujourd’hui de prétexte contre l’Art et que les
-créations les plus factices sont triomphalement opposées aux beautés
-spontanées de nos vieilles cités. «Vous paraissez émus de certaines
-transformations qui risquent de modifier l’aspect de Paris», disait,
-en 1897, le ministre des Beaux-Arts, à la réunion solennelle des
-_Artistes français_. «Vous voyez dans le progrès industriel l’éternel
-rival de l’Art; pourquoi refuser de reconnaître en lui, ce qui est
-tout aussi vrai, son éternel allié? Les gares de chemin de fer au
-cœur de notre capitale vous apparaissent comme la plus fâcheuse de
-ces transformations. Mais pensez-vous que celles qui s’accomplirent
-dans l’aspect de Paris à travers les âges n’ont pas soulevé chez nos
-pères les mêmes inquiétudes et peut-être les mêmes protestations?...
-Nous avons encore dans l’oreille les récriminations qui s’élevèrent
-contre certain baron, dont le nom est inséparable de la révolution
-topographique de Paris et qui, à travers les dédales des ruelles et des
-anciennes cours des miracles, lançait ces grandes voies rectilignes,
-comme les sillons de quelque colossal projectile.... L’art a-t-il
-tant souffert de ces bouleversements? N’a-t-il pas, dans chacun des
-quartiers nouveaux, planté son drapeau, _installé ses musées, depuis
-le Carnavalet jusqu’au Galliera_, dressé un peuple de statues sur
-les places et les boulevards spacieux qu’a laissés derrière lui le
-cataclysme haussmannien[26]?...»
-
-Ainsi, selon cette thèse, la plus extraordinaire qu’on ait tenté
-de soutenir sur l’esthétique des villes, ce n’est point l’hygiène,
-ou le confort, ou l’activité de Paris qui sont invoqués contre son
-pittoresque, c’est son pittoresque même.... Ce n’est pas au nom de
-l’Utile qu’on approuve sa transformation, c’est au nom du Beau....
-Ce n’est pas des nécessités et des économies de la vie moderne qu’on
-se prévaut, mais des monuments qui lui coûtent le plus cher et qui
-lui sont le plus superflus, lors même que ces monuments, dressés à
-profusion dans nos rues, en sont non pas seulement le plus inutile
-spectacle, mais encore et de beaucoup le plus déplaisant! Et ainsi, par
-une pétition de principes, la plus audacieuse dont on se soit jamais
-avisé, les statues de Shakspeare, de Chappe ou de Dolet, que réprouve
-le goût universel, et que rien en soi ne pourrait excuser, se trouvent,
-tout d’un coup, servir elles-mêmes d’excuses aux perspectives monotones
-du quartier Haussmann et du boulevard Saint-Germain!...
-
-Or, la vie moderne n’a pas besoin d’excuse, mais le mauvais art
-moderne, lui, ne peut être excusé. On ne saurait sacrifier le progrès
-à l’art, mais on doit se faire une idée plus juste de l’art, et ne pas
-ajouter aux ruines subies des erreurs voulues. On ne peut pas toujours
-conserver, dans sa fantaisie ornementale, le vieux décor de la vie,
-mais on peut ne pas en dépouiller soi-même la scène du monde pour le
-mettre dans ces froids magasins d’accessoires où il ne remplit plus sa
-mission.
-
-Il ne s’agit nullement, ici, d’opposer au mouvement naturel du progrès
-des récriminations qui seraient vaines, ni à ses bienfaits des dédains
-qui seraient injustes. La vie moderne a ses harmonies que nous ne
-méconnaissons pas. Les cités de fer et de fumée ont leur éloquence
-barbare. Elles disent par toutes les voix de leurs roues et de leurs
-bielles: «Nous sommes les grandes pourvoyeuses des foules et les
-grandes niveleuses des conditions. Si nos fenêtres, rouges et blanches
-dans la nuit, attirent comme des papillons les _pagani_ répandus
-dans les campagnes, c’est que nous sommes pour eux le symbole et
-l’instrument d’un meilleur devenir. Chaque tour de chacune de nos roues
-éloigne l’homme de l’esclavage antique. Chaque machine relève d’un
-degré sa taille autrefois pliée sur le sillon. Chaque perfectionnement
-ôte quelques minutes au travail mécanique et ajoute un instant aux
-heures ennoblies par la pensée. Si aujourd’hui sa pensée s’épure, se
-libère des soucis matériels, se tourne vers les beautés perdues des
-cités d’autrefois, si elle les goûte et les regrette, c’est que nous
-lui en avons donné le loisir. Et si vous avez le temps aujourd’hui de
-nous maudire, c’est que nous avons travaillé pour vous!»
-
-Écoutons ces voix et aussi le cri de Walt Whitman: «La plus grande cité
-n’est pas l’endroit des plus hauts et des plus précieux édifices».
-Marchons avec les multitudes dans les percées largement ouvertes de
-nos villes renouvelées, et détruisons, s’il le faut, pour la marche
-de ce peuple, les choses pittoresques et surannées qui donnaient sa
-figure à la cité. Soit. Dans la barbarie avouée, il y a de la grandeur.
-Mais n’invoquons pas, pour le faire, l’intérêt sacré de l’art. Avouons
-hardiment que c’est la richesse d’une ville qui nous tente, non sa
-beauté. En frappant ainsi l’art dans ce qu’il a de plus vital et de
-plus consolateur, ne prétendons point que nous le sauvons. Ne demandons
-pas à la nation, en son nom, des subsides qui ne servent qu’à rendre
-sa déchéance plus visible. N’ajoutons pas à des actes de Barbares des
-raisonnements de Byzantins.
-
-Et s’il se trouve, çà et là, par le monde, une ville qui n’ait pas mis
-tout son art en prison et qui en ait, dans ses rues, gardé quelques
-libres vestiges, puissent les hommes debout sur les seuils de ses
-maisons ou assis dans ses assemblées réfléchir longuement avant de
-prononcer l’irrémédiable arrêt! Qu’ils pensent non pas seulement à
-ceux qui habitent cette ville aujourd’hui, mais aussi à ceux qui
-l’habitèrent et dont elle est bien un peu la continuation, et à
-ceux qui l’habiteront et dont elle est bien un peu l’héritage!—«La
-cathédrale d’Avranches appartenait-elle à ceux qui la détruisirent
-plus qu’elle ne nous appartenait à nous qui nous promenons maintenant
-tristement sur ses fondations?»—Avant de détruire, pensons à ceux
-qui ont bâti. Avant d’anéantir, pensons à ceux qui sont morts. Mais
-surtout, avant de construire, pensons à ceux qui vont naître et ne nous
-hâtons pas de modeler le corps de ces villes durables selon la forme
-de nos âmes éphémères. Que savons-nous des âmes de nos successeurs, de
-leurs goûts, de leurs affinités, de leurs désirs? Nous voulons activer
-la circulation humaine au cœur de nos villes.... Qui peut dire qu’ils
-n’abandonneront pas le cœur de nos villes, comme nous abandonnons
-aujourd’hui le fond de nos campagnes? Qui peut même affirmer qu’à
-Florence, comme à Paris, le reflux vers la banlieue n’ait pas déjà
-commencé et qu’un jour, les centres de nos cités à demi dépeuplées ne
-puissent redevenir, si nous sauvons leurs vieilles architectures,
-les asiles de l’esthétique, les oasis de l’idéal et de la paix? Ne
-croyons pas que le type unique et nécessaire de la cité moderne soit
-l’échiquier ou la roue de carrosse! S’il y a «plusieurs demeures
-diverses dans le palais du Père», il y a peut-être bien des types
-possibles de grandes cités dans ce monde. Ne croyons pas une ville
-déshonorée parce que la marche y est lente. Il restera toujours assez
-de villes où la marche sera rapide. Il est bon d’ailleurs quelquefois
-de ralentir le pas dans la vie. Et le fameux mot: «Je prendrai par le
-plus long...» du Fabuliste, voulait dire sans doute: «Je prendrai par
-le plus beau...».
-
-Jamais nous n’eûmes plus besoin de ces asiles. «Aujourd’hui, toute la
-vitalité est concentrée dans les palpitantes artères des villes; la
-campagne est traversée comme une mer verte par des ponts étroits et
-nous sommes jetés en foule toujours plus épaisse contre les portes de
-la ville. La seule influence qui puisse sagement prendre la place des
-bois et des champs est le pouvoir de l’ancienne architecture. Ne vous
-en dessaisissez pas pour l’amour du square régulier, de la promenade
-garnie de haies et d’arbres, ni pour la rue correcte ou le quai ouvert.
-La gloire d’une cité n’est pas en ces choses! Laissez-les à la foule,
-mais souvenez-vous qu’il y aura sûrement quelqu’un dans le circuit
-des murailles troublées, quelqu’un qui aspire à conduire ses pas dans
-d’autres endroits que ceux-ci, à rencontrer d’autres formes en leur
-aspect familier,—comme celui qui s’assit si souvent à cette place
-que frappait le soleil couchant pour contempler les lignes du dôme
-de Florence, ou comme ceux de ses hôtes qui pouvaient soutenir des
-chambres de leur palais la contemplation journalière de cette place où
-leurs pères étaient couchés dans la mort, au carrefour des rues sombres
-de Vérone[27]...».
-
-Ainsi parlait Ruskin, il y a cinquante ans. Le péril alors dénoncé
-est plus grand qu’alors, parce qu’il se cache sous le sophisme de la
-conservation de l’art dans les musées. Ne laissons pas ce sophisme
-davantage se répandre. Quand on aime l’art, ce qu’il faut, ce n’est pas
-le recueillir dans les musées: c’est ne pas le chasser de la vie.
-
-
-
-
-INDEX ALPHABÉTIQUE
-
-DES SUJETS ÉTUDIÉS ET DES NOMS D’ARTISTES ET D’ŒUVRES D’ART CITÉS DANS
-CE VOLUME
-
-
- A
-
- _Acropole_, p. 234.
-
- _Alexandre_ (M.). Soldats passant un défilé, p. 186.
-
- _Aligny_, p. 167.
-
- _Allongé_, p. 166.
-
- _Ames Building_, de Boston, p. 17.
-
- _Apollon_, p. 141.
-
- =Arabe= (L’Architecture): Belle sans être logique, ni révélatrice de
- sa structure interne, pp. 20 et 48.
-
- =Arbres= inconnus au moyen âge et répandus dans le paysage
- contemporain, p. 60.
-
- _Arc de Triomphe de Constantin_, p. 25.
-
- =Arcs= (Les) de l’architecture de fer semblables aux arcs de la
- pierre, p. 40.
- L’arc bombé, l’ogive surbaissé, le plein-cintre brisé, l’arc en anse
- de panier, p. 41.
-
- _Architectural Court_ du South Kensington Muséum, p. 241.
-
- _Arning_ (M.), p. 152.
-
- _Audran_, pp. 98 et 254.
-
- _Avignon_ (Les remparts d’), p. 217.
-
- _Avranches_ (Cathédrale d’), p. 262.
-
-
- B
-
- _Bacon_, p. 164.
-
- _Ballif_ (Henri). Vue de la Loire à Saint-Denis-Hors, p. 186.
-
- _Balzac_. Sa statue par Rodin, p. 121.
-
- _Bandinelli_, p. 103.
-
- _Baptistère de Florence_, p. 19.
-
- _Barbizon_ (École de), pp. 67 et 89.
-
- _Barrias._ Tombeau de Guillaumet, p. 127.
-
- _Bartholomé._ Le secret, p. 127.
- Monument aux Morts, pp. 127 et 143.
-
- _Beaujon_, p. 253.
-
- =Beauté= plastique ne peut être exprimée que par la statuaire, pp. 113
- et 114.
-
- _Benjamin Constant_, p. 93.
-
- _Bergon_ (M.), p. 153.
-
- _Bertin_, pp. 167 et 188.
-
- _Besnard_, p. 71.
-
- _Binder-Mestro_ (Mme), p. 153.
-
- _Blanche_ (Jacques), p. 86.
-
- _Boileau_, architecte, p. 16.
-
- _Boissonnas_ (M. Alfred), p. 152.
-
- _Bouddha_, p. 243.
-
- _Bouguereau_, p. 191.
-
- _Bourgeois_ (P.), p. 152.
-
- _Bracquemond_ (M.), p. 189.
-
- _Brémard_ (M. Maurice), p. 152.
- —Effet de soir, p. 185.
- —Profil perdu, p. 186.
-
- _Breton_ (Jules), p. 168 et 181.
-
- _British Muséum_, p. 234.
-
- _Bucquet_ (M. Maurice), p. 152.
- —Après le coucher du soleil, p. 186.
-
- _Burne-Jones_, p. 191.
-
-
- C
-
- _Caillebotte_ (Salle), au Musée du Luxembourg, p. 53.
-
- _Calland_ (M.), p. 153. Brompton Road.
-
- _Cameron_ (Mme). Annals of my glass house, p. 170.
-
- _Campo Santo de Gênes_, pp. 118 et 142.
-
- _Canova_, p. 110.
-
- _Caran d’Ache_, p. 166.
-
- _Cariatide_ (La) de l’Erechtheion à Londres, p. 237.
-
- _Carpeaux et la Fontaine des Quatre Parties du monde au Luxembourg_,
- p. 108.
-
- _Castagnary_, p. 87.
-
- _Cézanne_, p. 65.
-
- _Chantilly_, p. 217.
-
- =Chapeau= haut de forme. Sa représentation en peinture. Impossibilité
- à représenter en sculpture, p. 113.
- —Sa figuration dans les monuments de Baudin et de Victor Noir,
- p. 126.
-
- _Chappe._ Sa statue, p. 259.
-
- _Chardin_, pp. 77 et 111.
-
- _Chartreuse d’Ema_, son puits, p. 242.
-
- _Chaudet_, pp. 119 et 120.
-
- _Claude Lorrain_, p. 85.
-
- =Cliché.= Amoindrissement de son rôle dans la photographie artistique,
- p. 178.
-
- _Cloître de San Saba_, sa stèle, p. 241.
-
- _Cloître du Latran_, son puits, p. 241.
-
- _Colard_ (M.). Le soir ramène le silence, p. 185.
- —Beau temps à Londres, p. 187.
-
- _Coleone_ (Le) de Verocchio, pp. 111 et 132.
-
- =Conservation= des œuvres d’art (La). Inutile si elle empêche les
- œuvres de jouer leur rôle, p. 256.
-
- _Corot_, pp. 67, 165, 167.
-
- _Coste_ (M.-F.). Dans la Vallée, p. 186.
-
- _Cottet_, p. 84. Nuit de la St-Jean, p. 86.
-
- =Couleur= (La). Sa richesse, sa beauté, p. 58.
- —La nature est couleur plus que lignes, p. 67.
- —La division du ton augmente sa vivacité, p. 79.
- —Théorie de Ruskin réalisée par les impressionnistes, p. 80.
-
- =Courbes= données naturellement par le fer, p. 29.
-
- _Cousins_, p. 112.
-
- _Craig-Annan_ (M.). Frères blancs, p. 185.
-
- _Cross_ (H.-E.), p. 82.
-
- _Cunha_ (M. da). Septembre en Normandie. Premiers sillons, p. 186.
-
-
- D
-
- _Dagnan_, pp. 88 et 93.
-
- _Dalou._ Statuette de Lavoisier, p. 125.
- —Monument de Victor Noir, p. 126.
-
- _Dansaert_ (Mme). At home, p. 207.
-
- _Danse des Nymphes_, p. 89.
-
- _Dardonville._ Étang du parc de Rambouillet, p. 207.
-
- _Darnis_ (M.). Sur la route, p. 186.
-
- _Daubigny_, p. 88.
-
- _Dauchez._ Troupeau, p. 86.
-
- _David d’Angers_, p. 119.
-
- _Decamps._ Café turc, p. 77.
-
- _Declercq._ Potier, p. 206.
-
- =Découvertes de l’impressionnisme.= 1^o La nature est couleur plus que
- lignes, p. 67.
- —2^o Les ombres mêmes sont des couleurs, pp. 67, 68, 69, 70.
- —3^o Le tongagne à être divisé, pp. 77, 78, 79, 80.
-
- _Degas_, p. 61.
-
- _Delacroix_, p. 66.
- —Son journal, pp. 64 et 69, 121.
- Liberté. Journée du 28 juillet 1830, p. 113.
-
- _Demachy_ (M. Robert). Eaux mortes, p. 183.
- —Communiante, p. 186.
-
- _Discobole_ (Le), p. 141.
-
- =Division= des couleurs, enseignée par Ruskin en 1856 et appliquée par
- les Impressionnistes, pp. 80 et 81.
-
- _Dolet_ (Étienne). Sa statue, p. 259.
-
- _Dôme des Invalides._ Son aspect en regard du Sacré-Cœur de
- Montmartre, p. 13.
-
- _Doré_ (Gustave), p. 85.
-
- =Drapé= (Le) antique. Plus esthétique que le vêtement ajusté, pp. 129
- et 130.
- —Pourquoi, pp. 129 et 130.
- —Les trois grandes lois naturelles qu’il exprime, pp. 134 et 135.
-
- _Dubois_ (Paul). Le Duc d’Aumale, le tombeau de Lamoricière, p. 124.
-
- _Duez._ Déjeuner sur la terrasse, p. 72.
-
- _Duret_ (Th.), p. 84 et 87.
-
-
- E
-
- _Earl’s Barton_ (Tour d’), p. 24.
-
- _Egypte_, ses mosquées, p. 218.
-
- _Elgin marbles_, p. 234.
-
- _Ema Spencer_ (Miss), p. 152.
-
- =Epreuve= (Travail de l’), dans la Photographie moderne, p. 180.
-
- _Erfurth Steichen_ (H.), p. 152.
-
- =Esthétique de la Photographie=, p. 186.
-
-
- F
-
- _Falguière._ Balzac, p. 124.
-
- _Farnsworth_ (Mme). Quand le printemps arrive souriant dans le vallon
- et sur la colline, p. 208.
-
- _Feliu_, p. 86.
-
- =Fer= (Le). Espérances qu’il a fait concevoir, p. 17.
- —Nature de la révolution qu’il permet, p. 37.
- —Immense au point de vue constructif, p. 40.
- —Nulle au point de vue esthétique, p. 42.
- —Les formes qu’il donne naturellement, identiques à celles de la
- voûte de pierre, p. 40.
- —Son aptitude à tout imiter, p. 46.
- —Son impuissance à rien suggérer, p. 46.
- —Il est une matière artificielle, p. 47.
-
- _Flandrin_ (Paul), p. 55.
- —Portrait de Jeune Fille, p. 185.
- —La Campagne de Rome, p. 71.
-
- =Florence.= Associazione per la difesa di Firenze antica, p. 218.
- —Plan San Biagio, p. 218.
- —Ponte Vecchio, p. 225.
- —Palazzo dei Canacci, p. 225.
- —Palazzo di Parte Guelfa, pp. 218, 225.
- —Logetta del Vasari, p. 225.
- —Borgo San Jacopo, p. 225.
-
- =Flou= (=Le=), en photographie, p. 163.
-
- _Forain_, p. 165.
- —Doux Pays, p. 166.
-
- _Fra Angelico._ Couronnement de la Vierge, p. 231.
-
- _Fromentin_, pp. 151, 199.
-
-
- G
-
- =Galerie des Machines= (Absence de courbes nouvelles dans la ——),
- p. 17.
-
- _Garrido_, p. 86.
-
- _Gavarni_, pp. 165, 166.
-
- _Gear_ (J.-H.). Étude. Matin argenté, p. 179.
-
- _Geffroy_ (Gustave). La Vie artistique, p. 87.
-
- _Gérôme_, p. 56.
-
- =Geste moderne= (Le) opposé aux attitudes de la statuaire antique,
- Bartholomé et le Monument aux Morts, p. 142.
-
- _Girault_, p. 12.
-
- =Gomme bichromatée=, en photographie, permet à l’artiste d’exprimer sa
- vision particulière de l’objet, p. 180.
-
- _Goya_, p. 113.
-
- _Grand Palais._ Son style composite, p. 11.
-
- _Gréco_, p. 97.
-
- _Griveau_ (Georges), p. 86.
-
- _Guido Rey_ (M.), p. 152.
-
- _Guignard_, p. 86.
-
- _Guillot._ Les Ouvriers, p. 127.
-
- _Guyard_, p. 253.
-
- _Guyau_, pp. XXIII, XXIV, XXV, XXVI et 114.
-
-
- H
-
- _Hamerton_, p. 99.
-
- _Hannon_ (M.), p. 186.
-
- _Harpignies_, p. 191.
-
- _Hébert._ Vierge de La Tronche, p. 231.
-
- _Henneberg_ (M.), p. 162.
-
- _Herschell_, p. 151.
-
- _Holland Day_ (M.), pp. 153, 162.
-
- _Hollyer_ (Frédéric), p. 162.
- —Portrait de Ruskin, p. 206.
-
- _Homme à la Houe_ (L’), p. 89.
-
- _Horsley-Hinton_ (M.), p. 153.
-
- _Hubert Robert_, p. 246.
-
- _Hugues._ Monument de Pasteur à la Nouvelle-Sorbonne, p. 125.
-
-
- I
-
- _Impressionnisme_, p. 64.
-
- _Inde_ (Les anciens monuments de l’), p. 21.
-
- _Ingres._ Son sentiment sur la peinture, p. 66.
- —Portrait de M. Leblanc, p. 114.
- —La Source, p. 169.
-
- _Instantané_ (L’objectif) ne voit pas le mouvement, p. 201.
-
- =Intervention= de l’artiste en photographie, p. 167.
- —Choix du sujet, p. 168.
- —Développement du cliché, p. 177.
- —Développement de l’épreuve, p. 179.
-
-
- J
-
- _Jacquin_ (M.), p. 153.
-
- _Janssen_, p. 151.
-
- _Jardin du Cloître_ aux Thermes de Dioclétien. Description, p. 250.
-
- _Jordaens._ Christ en croix, p. 254.
-
-
- K
-
- _Kuhn_ (M.), p. 162.
-
-
- L
-
- _Labrouste_, p. 16.
-
- _Laguarde_ (Mlle), p. 153.
-
- _Lamour_ (Jean), p. 49.
-
- _Laocoon du Vatican_, p. 198.
-
- _Larroumet._ L’Art et l’État en France, p. 119.
-
- _Lawrence_, p. 112.
-
- _Le Bègue_ (M. René), p. 185.
-
- _Le Brun_, pp. 97, 229.
-
- _Lecomte._ L’Art impressionniste, p. 87.
-
- _Le Nain_, p. 60.
-
- _Le Sidaner_, p. 86.
-
- _Le Sueur_, p. 99.
-
- _Lhermitte_, p. 166.
-
- =Logique= (La) dans la construction. N’est pas nécessaire à la beauté,
- pp. 18, 19 et 20.
-
- =Lumière= (La). Ses jeux, son influence sur les couleurs, p. 72.
- Elle transfigure et idéalise la vie moderne, p. 73.
-
- _Lucerne._ Ses ponts, p. 217.
-
-
- M
-
- _Maile_, p. 112.
-
- _Maindron._ Statue de Senefelder, p. 128.
-
- =Maisons hautes= des États-Unis (Les) n’ont rien d’original, p. 24.
- —Leur style composite, p. 24.
-
- _Mallarmé_, p. 61.
-
- _Marqueste._ Statue de Victor Hugo assis, pp. 125, 134.
-
- _Martin_ (H.), p. 72.
-
- _Maskell_ (M. Alfred). Jeune Hollandaise. pp. 186, 204.
-
- _Massacre de Scio_, p. 78.
-
- _Mathey._ Portrait d’un graveur, p. 189.
- =
- Mélange optique des couleurs= (Le), p. 79.
-
- _Ménard._ Les Terres antiques, p. 85.
-
- _Métayer_, p. 100.
-
- _Meunier_ (Constantin). Les Mineurs, p. 127.
-
- _Michel_ (André), p. 88.
-
- _Millet_ (J.-F.), p. 165.
-
- _Monet_ (Claude), p. 67.
- —Argenteuil, p. 80.
- —Antibes, p. 67.
- —Champ de Tulipes à Sassenheim, p. 67.
- —Église de Varengeville, p. 67.
- —Gare Saint-Lazare, pp. 63, 81.
- —Pont de l’Europe, p. 63.
- —Église de Vetheuil, pp. 81, 96.
-
- _Montenard_, p. 191.
-
- _Moore_ (Albert), p. 185.
-
- _Morisset_, p. 86.
-
- _Moullé_ (Albert), p. 86.
-
- =Mouvement= (le). Sa définition: un ensemble d’attitudes, p. 201.
-
- _Murchison_ (M.), p. 152.
-
- =Musées= (Les). Musée des Antiques, au Vatican, p. 211.
- —Le British Museum, p. 248.
- —National Gallery.
- —Cernuschi, pp. 215, 243.
- —des Thermes de Dioclétien, p. 248.
-
-
- N
-
- _Naegely_ (Henri), p. 62.
-
- _Napoléon._ Sa représentation sur la colonne Vendôme, p. 119.
-
- _Naudot_ (M.), p. 153.
-
- =Net= (Le) en photographie, p. 157.
-
- _Nolhac_ (M. de), p. 230.
-
- _Nuremberg._ Ses fontaines, p. 217.
-
-
- O
-
- _Objectif_ (L’) voit autrement que notre œil: instantané, il
- transforme le mouvement en immobilité, p. 201.
-
- =Ombres= (Les) sont des couleurs. Théorie de Ruskin, précurseur des
- impressionnistes, p. 70.
-
- _Origet_ (M.), p. 207.
-
- =Originalité= (La recherche de l’), le plus grand mal de l’art
- contemporain, pp. 97 et 98.
- —Les vrais originaux n’ont pas recherché l’originalité, p. 99.
-
-
- P
-
- _Palais des papes_, à Avignon, pp. 21 et 257.
-
- _Palais_ (Le grand), l’effet qu’il produit, vu des Champs-Élysées,
- p. 11.
-
- _Palais_ (Le petit), p. 11.
- —Sa beauté intérieure, p. 12.
- —Son succès, p. 13.
-
- _Pamphili_ (Une statue à la villa), p. 247.
-
- _Panathénées_ (Les), pp. 232 et 233.
-
- _Paris._ Statue de Danton, p. 131.
-
- _Parques_ (Les trois) du Parthénon, p. 135.
-
- _Parthénon_, p. 232.
-
- =Paysage moderne= (Le), moins beau comme lignes, mais plus beau comme
- couleurs que le paysage d’autrefois, p. 67.
-
- _Percier et Fontaine_, p. 113.
-
- =Perspective.= Son exagération par la photographie, imputable au
- photographe, p. 158.
-
- _Phidias_ (Cheval de), pp. 57 et 117.
-
- _Pissarro_, p. 65.
- —Paysanne assise, p. 74.
- —Vue de Rouen, p. 80.
- —La brouette, p. 81.
- —Les toits rouges, pp. 81 et 96.
-
- _Planche_ (Gustave). Études sur l’École française, p. 112.
-
- _Plein-air_ (Théorie de Delacroix sur les couleurs vues en), p. 69.
-
- _Pointillisme._ Ses inconvénients, p. 81.
-
- _Polyclète_, p. 111.
-
- =Ponts= (Les anciens), p. 27.
- —Leur rôle dans les villes du moyen âge. Leur aspect, p. 28.
- —Ponts de fer, p. 28.
- —Leur beauté, p. 30.
-
- _Portrait_ (Le) dans l’École impressionniste, p. 92.
-
- _Poussin_, p. 99.
-
- _Préault._ Comparaison avec M. Rodin, p. 122.
-
- _Puech_, p. 108.
-
- _Puvis de Chavannes_, p. 144.
-
- _Puyo_ (M. Constant). Vengeance. La lampe file, p. 171.
- —L’île heureuse, p. 186.
- —Pénélope, p. 193.
-
-
- R
-
- _Racine._ Sa statue à la Ferté-Milon, p. 119.
-
- _Rambaud_ (Alfred), p. 259.
-
- =Redingote= (La). Pourquoi elle est inesthétique, p. 129.
- —Comparaison avec la toge, p. 131.
-
- _Rembrandt._ Portrait du bourgmestre Six et de sa femme, p. 231.
-
- _Renoir_, pp. 61 et 65.
- —Danseuse, p. 81.
- —La loge, p. 76.
-
- _Retouche_ (La), en photographie, doit être proscrite, p. 178.
- —Pourquoi les artistes ne l’emploient pas.
-
- _Reynolds_, pp. 93 et 112.
-
- _Robinson_ (H.-P.). Premier photographe artiste, p. 161.
-
- _Rochegrosse_, p. 55.
-
- _Rodin._ Le monument de Victor-Hugo, pp. 120 et 121.
- —de Balzac, pp. 121 et 124.
- —Les bourgeois de Calais, p. 127.
-
- _Rœderstein_ (Mlle), p. 86.
-
- _Rome._ Ses palais, ses jardins, p. 218.
-
- _Rosa Bonheur._ Son monument à Fontainebleau, type de la
- représentation d’un monument élevé à la gloire d’un
- contemporain, p. 144.
-
- _Rossetti_, p. 78.
-
- _Rousseau_, pp. 95 et 165.
-
- _Rubens_, p. 112.
-
- _Rude._ Le Départ, p. 110.
- —Tombeau de Cavaignac, p. 127.
-
- =Ruines= (Les) doivent être laissées dans la nature, leur beauté
- pittoresque, pp. 242 et 243.
-
- _Ruskin_, précurseur de l’impressionnisme, p. 70.
- —Son opinion sur les villes modernes, p. 264.
- —Elements of Drawing, p. 70.
- —Lectures on art, p. 71.
- —The Seven Lamps of architecture, p. 124.
-
-
- S
-
- _Sacré-Cœur de Montmartre_ (Le), p. 9.
- —Critiques sur ——, pp. 9 et 10.
- —Son aspect vu de Paris, pp. 10, 11 et 13.
-
- _Saint-Georges de Donatello_, p. 132.
-
- _Saint-Marceaux._ Monuments de: Alphonse Daudet, Félix Faure,
- Alexandre Dumas fils, p. 124.
-
- _Saint-Marc_ à Venise, p. 20.
-
- _Sarcophage de Sidon_, p. 135.
-
- _Sarlius_, p. 86.
-
- _Schopenhauer_, p. 44.
-
- _Seurat_, p. 82.
-
- _Signac_ (Paul), pp. 78, 80 et 82.
-
- _Simon._ Procession, p. 86.
-
- _Sisley_, p. 63.
- —Bords de la Seine, p. 81.
-
- _Smedley Aston_ (M.). Paix d’or sur la contrée, p. 186.
-
- _Sollet_ (M.), p. 153.
-
- =Statues= (La manie contemporaine des), p. 107.
-
- _Steen._ Le Médecin. Le Charlatan, p. 114.
-
- _Stendhal_, p. 151.
-
- _Suite des Châteaux_ (La), p. 254.
-
- =Sujet= (Le choix du) en art et en photographie, p. 167.
-
- _Sully-Prudhomme._ Son opinion sur l’Architecture de fer, p. 31.
-
- _Sutcliffe_ (M.). Brouillard, p. 186.
-
-
- T
-
- =Tache= (Théorie de la) en architecture, p. 11.
- —Principale chose à considérer dans un monument au point de vue
- esthétique.
-
- _Taine_, p. 77.
-
- _Tassaert_, p. 253.
-
- =Thermes de Dioclétien= (Le musée des). Exemple d’un musée qui n’est
- pas une prison de l’art, p. 248.
-
- _Thomy-Thiéry_ (Collection) au Louvre, p. 95.
-
- _Thorwaldsen_, p. 111.
-
- _Titien_ (Le), pp. 67, 97.
-
- =Toge= (La). Différentes manières qu’avaient les anciens de la draper,
- en opposition avec la forme immuable de la redingote, p. 130.
-
- _Torse_ (Le), au Vatican, p. 239.
-
- _Torti_, p. 212.
-
- _Toulouse_, ses Couvents, p. 218.
-
- _Trocadéro_, p. 17.
-
- _Turner_, précurseur de l’impressionnisme.
- —Grand chemin de fer de l’Ouest, p. 63.
- —Les Funérailles en mer du peintre Wilkie, p. 101.
-
-
- V
-
- _Van der Weyden_ (Roger). Portrait du Grand Bâtard de Bourgogne,
- p. 114.
-
- _Van Dyck_, p. 112.
-
- _Van Honthorst_, p. 171.
-
- _Védrines_ (M. de). Marée Basse, p. 186.
-
- _Venise_, ses ponts, p. 218.
-
- =Vêtement contemporain= (Le) n’est pas sculptural, p. 129.
- C’est un anthropoïde, p. 130.
- —Il exprime la passion de l’égalité physique, p. 137.
- —Il est une mauvaise œuvre d’art, p. 137.
-
- _Vettii_ (Fresque de la maison des), p. 174.
-
- _Victoire_ (La) de Samothrace, pp. 135, 176.
-
- _Villa Mattéi_, son portail. Navicella, p. 241.
-
- _Viollet-le-Duc_, p. 16.
-
- _Vogüé_ (Melchior de). Son opinion sur l’architecture du fer, p. 17.
-
-
- W
-
- _Walker_ (Frédéric), p. 168.
-
- _Watteau._ L’Embarquement pour Cythère. pp. 77, 101.
- —Son respect pour la tradition, p. 100.
-
- _Watts_, précurseur de l’impressionnisme, p. 78.
-
- _Watzek_ (M.), p. 186.
-
- _Weil_ (Miss Mathilde), p. 152.
-
- _Wilms_ (M.). Sombre Clarté, p. 185.
-
- _Winckelmann_ (L’école de), p. 208.
-
- _Wynford Dewhurst_, p. 87.
-
-
-
-
- TABLE DES MATIÈRES
-
- INTRODUCTION v
-
-
- PREMIÈRE PARTIE
-
- L’ESTHÉTIQUE DU FER 1
-
- CHAP. I.—Comment juger d’une architecture nouvelle 7
-
- —— II.—Le triomphe du fer: le Pont et son échec: la Maison 23
-
- —— III.—Pourquoi le fer permet tout et n’ordonne rien 35
-
-
- DEUXIÈME PARTIE
-
- LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME 51
-
- CHAP. I.—Ses causes 55
-
- —— II.—Ses vérités 66
-
- —— III.—Ses lacunes 83
-
- —— IV.—Son erreur 97
-
-
- TROISIÈME PARTIE
-
- LE VÊTEMENT MODERNE DANS LA STATUAIRE 105
-
- CHAP. I.—Pourquoi les sculpteurs ont tenté de représenter le
- vêtement moderne 110
-
- —— II.—Les résultats de la tentative 120
-
- —— III.—Pourquoi le vêtement moderne n’est pas sculptural 129
-
- —— IV.—Comment représenter un grand homme contemporain 141
-
-
- QUATRIÈME PARTIE
-
- LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE UN ART? 147
-
- CHAP. I.—Les défauts de la photographie 155
-
- —— II.—La triple intervention de l’artiste 164
-
- —— III.—Nouvelles œuvres et idées nouvelles 183
-
- —— IV.—Une prétention excessive de la photographie 197
-
- —— V.—Une réaction idéaliste 204
-
-
- CINQUIÈME PARTIE
-
- LES PRISONS DE L’ART 213
-
- CHAP. I.—L’art proscrit de la vie et interné dans les musées 221
-
- —— II.—Ce que devient l’art en prison 229
-
- —— III.—Ce que la nature fait pour l’œuvre d’art 244
-
- —— IV.—Le paradoxe de la «conservation» des œuvres d’art 253
-
- INDEX 265
-
- 1330-02.—Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.—1-04.
-
-
-
-
-Libraire Hachette et C^{ie}, boulevard Saint-Germain, 79, à Paris.
-
-BIBLIOTHÈQUE VARIÉE, IN-16, 3 FR. 50 LE VOLUME, BROCHÉ
-
-Études sur les littératures française et étrangères
-
-
- =ALBERT= (Paul): _La poésie_; 11^e édit. 1 vol.
- —— _La prose_; 8^e édition. 1 vol.
- —— _La littérature française, des origines à la fin du XVI^e siècle_;
- 8^e édition. 1 vol.
- —— _La littérature française au XVII^e siècle_; 10^e édition, 1 vol.
- —— _La littérature française au XVIII^e siècle_; 9^e édition. 1 vol.
- —— _La littérature française au XIX^e siècle_; les origines du
- romantisme; 7^e édit. 2 vol.
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- Ouvrage couronné par l’Académie française.
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- de l’épopée germanique_; 3^e édition. 1 vol.
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- l’histoire de la littérature française_. 7 vol.
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- —— _L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature_;
- 3^e édit. 1 vol.
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- 2^e édit. 2 vol.
- —— _Les époques du théâtre français_. 1 vol.
- —— _Victor Hugo_. 2 vol.
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- =FILON= (Aug.): _Mérimée et ses amis_. 1 vol.
- —— _La caricature en Angleterre_. 1 vol.
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- =GIRAUD= (Victor): _Essai sur Taine_. 1 vol.
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- =GLACHANT= (P. et V.): _Papiers d’autrefois_. 1 vol.
- Ouvrage couronné par l’Académie française.
- —— _Essai critique sur le théâtre de Victor Hugo_. 2 vol.
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- =GREARD= (Oct.), de l’Académie française: _Edmond Scherer_; 2^e édit.
- 1 vol
- —— _Prévost-Paradol_; 2^e édit. 1 vol.
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- =JUSSERAND= (J.-J.): _Les Anglais au moyen âge_. 2 vol.:
- La vie nomade et les routes d’Angleterre au XIV^e siècle. 1 vol.
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- L’épopée mystique de William Langland.
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- =LAFOSCADE= (L.): _Le théâtre d’Alfred de Musset_. 1 vol.
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- =LANGLOIS= (Ch.-V.): _La société française au XIII^e siècle_. 1 vol.
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- =LARROUMET= (G.), de l’institut: _Marivaux, sa vie et ses œuvres_;
- 3^e édition. 1 vol.
- Ouvrage couronné par l’Académie française.
- —— _La comédie de Molière_; 6^e édit. 1 vol.
- —— _Etudes d’histoire et de critique dramatiques_; 2^e édition. 2 vol.
- —— _Etudes de littérature et d’art_. 4 vol.
- —— _L’art et l’État en France_. 1 vol.
- —— _Petits portraits et notes d’art_. 2 vol.
- —— _Derniers portraits_. 1 vol.
- —— _Vers Athènes et Jérusalem_, 1 vol.
-
- =LENIENT=: _La satire en France au moyen âge_; 4^e édition. 1 vol.
- Ouvrage couronné par l’Académie française.
- —— _La satire en France au XVI^e siècle_; 3^e édition. 2 vol.
- —— _La comédie en France au XVIII^e et au XIX^e siècles_. 4 vol.
- —— _La poésie patriotique en France au moyen âge et dans les temps
- modernes_. 2 v.
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- =LICHTENBERGER=: _Etude sur les poésies lyriques de Gœthe_;
- 2^e édition. 1 vol.
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- =MÉZIÈRES= (A.), de l’Académie française: _Pétrarque_, 1 vol.
- —— _Shakespeare, ses œuvres et ses critiques_; 6^e édit. 1 vol.
- —— _Prédécesseurs et contemporains de Shakespeare_; 4^e édition.
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- —— _Contemporains et successeurs de Shakespeare_. 4^e édition. 1 vol.
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- —— _Hors de France_: Italie, Espagne, Angleterre, Grèce moderne;
- 2^e éd. 1 vol.
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- =PARIS= (G.), de l’Académie française: _La poésie du moyen âge_.
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- PELLISSIER=: _Le mouvement littéraire au XIX^e siècle_; 6^e édit.
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-
- =POMAIROLS= (de): _Lamartine_. 1 vol.
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- =PRÉVOST-PARADOL=: _Études sur les moralistes français_, 9^e édition.
- 1 vol.
-
- =RICARDOU= (A.): _La critique littéraire_. 1 vol.
-
- =RIGAL= (E.): _Le théâtre français avant la période classique_. 1 vol.
-
- =RITTER= (E.): _La famille et la jeunesse de J.-J. Rousseau_. 1 vol.
- Ouvrage couronné par l’Académie française.
-
- =SPENCER= (H.): _Faits et commentaires_, trad. de l’anglais. 1 vol.
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- =STAEL= (M^{me} de): _Lettres inédites à Henri Meister_. 1 vol.
-
- =STAPFER= (P.): _Molière et Shakespeare_. Ouvrage couronné par
- l’Académie française.
- —— _Des réputations littéraires_. 1 vol.
- —— _La famille et les amis de Montaigne_.
-
- =TAINE= (H.): _Histoire de la littérature anglaise_; 11^e éd. 5 vol.
- —— _La Fontaine et ses fables_; 16^e édit. 1 vol.
- —— _Essais de critique et d’histoire_; 9^e édit.
- —— _Nouveaux Essais de critique et d’histoire_; 7^e édit. 1 vol.
- —— _Derniers essais de critique et d’histoire_.
-
- =TEXTE= (J.): _J.-J. Rousseau et les origines du cosmopolitisme
- littéraire_. 1 vol.
- Ouvrage couronné par l’Académie française.
-
-1330-02.—Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.—1-04.
-
-
-
-
-FOOTNOTES:
-
-
-[1] M. Guyau. _Les Problèmes de l’Esthétique contemporaine._ Ch. III.
-L’art et l’Industrie moderne, pp. 120, 121, 122.
-
-[2] _De l’Expression dans les Beaux-Arts._
-
-[3] _Le monde comme volonté et représentation_, livre III.
-
-[4] Henry Naegely, _J. F. Millet and rustic life_, Londres, 1898.
-
-[5] _Journal d’Eugène Delacroix_, t. III.
-
-[6] Ruskin, _Éléments of Drawing_, écrits en 1856.
-
-[7] Ruskin, _Lectures on Art_, 1870.
-
-[8] Paul Signac, _D’Eugène Delacroix au Néo-Impressionnisme_, 1899.
-
-[9] Th. Duret, _Critique d’avant-garde. Les Impressionistes_, 1885.
-
-[10] Cf. Lecomte, _l’Art impressionniste_.—Th. Duret, _Critique
-d’avant-garde_.—Castagnary, _Salons_, année 1876.—Gustave Geffroy,
-_La Vie artistique_, troisième série, Histoire de l’Impressionnisme,
-1894.—Wynford Dewhurst, La Peinture impressionniste, _Studio_, 1903.
-
-[11] Gustave Geoffroy, _La vie artistique_, série III, § 2. Définition
-de l’Impressionnisme.
-
-[12] André Michel, _Notes sur l’Art moderne_.
-
-[13] Gustave Planche, _Études sur l’École française_, t. I, Salon de
-1831, et Salon de 1846.
-
-[14] _Journal d’Eugène Delacroix_, t. I, 1843.
-
-[15] M. Guyau, _Problèmes de l’Esthétique contemporaine_.
-
-[16] Gustave Larroumet, _L’Art et l’État en France_, 1895.
-
-[17] _Journal d’Eugène Delacroix_, t. III, année 1859.
-
-[18] Ruskin, _The Seven Lamps of Architecture_, chap. v, § 21.
-
-[19] Depuis que ces lignes ont paru pour la première fois dans la
-_Revue des Deux Mondes_, le vœu qu’elles exprimaient a été réalisé.
-
-Le monument de _Rosa Bonheur_, érigé à Fontainebleau en 1901,
-représente non Rosa Bonheur elle-même, mais le sujet habituel de ses
-tableaux, un taureau, et le médaillon du peintre est un bas-relief
-appliqué sur un des côtés du piédestal.—La même pensée a inspiré
-M. Peynot, l’auteur du monument de _Français_ à Plombières, et M.
-Marqueste, l’auteur du monument de _Ferdinand Fabre_ au Luxembourg.
-La personne de l’écrivain ou de l’artiste n’est représentée que par
-son buste,—son œuvre par des personnages, qui forment réellement le
-monument.
-
-[20] Mme Cameron, _Annals of my glass-house_.
-
-[21] Puyo, _Notes sur la Photographie artistique_, 1896.
-
-[22] _Annals of my glass-house._
-
-[23] Voir les plans du _Bolletino dell’Associazione per la difesa di
-Firenze antica_, second fascicule, Florence, mars 1900.
-
-[24] Depuis que ces lignes ont paru pour la première fois, dans la
-_Revue des Deux-Mondes_, une ligue semblable s’est fondée en France
-pour la protection des paysages et une campagne très ardente a été
-menée par M. André Hallays, qu’il est juste de ne pas oublier, pour
-l’honneur du goût français.
-
-[25] Pierre de Nolhac, _Paysages de France et d’Italie_.
-
-[26] Alfred Rambaud, ministre de l’Instruction publique et des
-Beaux-Arts, Discours à l’assemblée annuelle des membres de la _Société
-des Artistes français_.
-
-[27] John Ruskin, _The Seven Lamps of Architecture_.
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Les questions esthétique
- contemporaines, by Robert de La Sizeranne
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES QUESTIONS ESTHÉTIQUES ***
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- The Project Gutenberg eBook of Les questions esthétiques contemporaines, by Robert de La Sizeranne.
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-
-
-<pre>
-
-The Project Gutenberg EBook of Les questions esthétiques contemporaines, by
-Robert de La Sizeranne
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
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-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: Les questions esthétiques contemporaines
-
-Author: Robert de La Sizeranne
-
-Release Date: April 23, 2016 [EBook #51837]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES QUESTIONS ESTHÉTIQUES ***
-
-
-
-
-Produced by Giovanni Fini, Clarity and the Online
-Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
-file was produced from images generously made available
-by The Internet Archive/American Libraries.)
-
-
-
-
-
-
-</pre>
-
-<div class="limit">
-
-<div class="chapter">
-<div class="transnote p4">
-<p class="pc large">NOTES SUR LA TRANSCRIPTION:</p>
-<p class="ptn">&mdash;Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.</p>
-<p class="ptn">&mdash;On a conservé l’orthographie de l’original, incluant ses variantes.</p>
-<p class="ptn">&mdash;La couverture de ce livre électronique a été crée par le transcripteur;
-l’image a été placée dans le domaine public.</p>
-</div>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_i" id="Page_i">[i]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<p class="pc4 large">LES</p>
-
-<p class="pc1 xlarge">QUESTIONS ESTHÉTIQUES</p>
-
-<p class="pc1 large">CONTEMPORAINES</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_ii" id="Page_ii">[ii]</a></span></p>
-
-<p class="pc4 mid">OUVRAGES DU MÊME AUTEUR</p>
-
-<p class="pc1 lmid">PUBLIÉS PAR LA LIBRAIRIE HACHETTE ET C<sup>ie</sup></p>
-
-<hr class="d1" />
-
-<p class="ph1"><b>La Peinture anglaise contemporaine.</b> 3<sup>e</sup> édition.</p>
-
-<p class="ph1"><b>Ruskin et la Religion de la Beauté.</b> 5<sup>e</sup> édition.</p>
-
-<p class="ph1"><b>Le Miroir de la Vie.</b> <i>Essais sur l’évolution esthétique.</i> 34 grav.
-1<sup>re</sup> série: I. L’esthétique des batailles.&mdash;II. La caricature.&mdash;III.
-La modernité de l’Évangile.&mdash;IV. Les portraits
-d’enfants.</p>
-
-<hr class="d2" />
-
-<p class="pc reduct">1330-03.&mdash;Coulommiers. Imp. <span class="smcap">Paul</span> BRODARD.&mdash;1-04.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_iii" id="Page_iii">[iii]</a></span></p>
-
-
-<h1 class="p4">LES<br />
-<span class="mid">QUESTIONS ESTHÉTIQUES</span><br />
-CONTEMPORAINES</h1>
-
-<p class="pc4 lmid">PAR</p>
-<p class="pc1 large">ROBERT DE LA SIZERANNE</p>
-
-<div class="bord">
-<p class="pc">I.&mdash;L’ESTHÉTIQUE DU FER.<br />
-II.&mdash;LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME.<br />
-III.&mdash;LE VÊTEMENT MODERNE DANS LA STATUAIRE.<br />
-IV.&mdash;LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE UN ART?<br />
-V.&mdash;LES PRISONS DE L’ART.</p>
-</div>
-
-<p class="pc large">PARIS</p>
-<p class="pc lmid">LIBRAIRIE HACHETTE ET C<sup>ie</sup></p>
-<p class="pc">79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79</p>
-<hr class="d3" />
-<p class="pc">1904</p>
-<p class="pc1 reduct">Droits de traduction et de reproduction réservés.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_iv" id="Page_iv">[iv]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_v" id="Page_v">[v]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">INTRODUCTION</h2>
-
-<hr class="d1" />
-
-<p>Ce ne sont pas toutes les questions esthétiques
-contemporaines qui sont traitées ici, mais quelques-unes
-peut-être des principales et assurément
-des plus nouvelles. Qu’espérer de l’emploi du fer
-en architecture? Comment rendre, en sculpture, le
-vêtement moderne? Quelle place faire à la photographie
-dans les Arts? En voilà trois, par exemple,
-qu’aucune époque avant la nôtre n’avait eu à
-résoudre. Et si d’autres, comme la relégation de
-l’Art dans les musées ou les recherches de couleur
-connues sous le nom d’Impressionnisme, ont pu,
-en d’autres temps, inquiéter les artistes, il suffit
-cependant qu’en aucun temps on n’ait vu se fonder
-tant de musées, ni qu’aucune école coloriste n’ait
-soulevé tant de scandale, pour que les problèmes
-discutés hier soient devenus plus pressants aujourd’hui.<span class="pagenum"><a name="Page_vi" id="Page_vi">[vi]</a></span>
-Ce sont ces questions posées ou imposées à
-notre attention par la vie moderne qu’on trouvera
-étudiées dans les pages qui vont suivre; non avec
-la prétention de les résoudre, mais avec l’espoir de
-les éclaircir.</p>
-
-<p>Selon quelle méthode ou dans quel sentiment?</p>
-
-<p>Le plus simplement possible.</p>
-
-<p>Ouvrir les yeux sur le monde et la vie et s’abandonner
-à l’impression de joie ou de répulsion que
-produit en soi chaque chose: naturelle ou artificielle,
-spontanée ou voulue. S’exalter aux qualités
-«sensorielles» des formes dans l’air et sur
-la terre, vivantes ou inanimées: lignes, couleurs,
-valeurs, souplesse, éclat, équilibre, harmonie; parcourir
-avec sa sensibilité les innombrables nuances
-colorées ou tactiles dont l’esprit ne peut se faire
-une idée et que les arts intellectuels: la parole,
-la description littéraire, l’analyse philosophique, la
-poésie ne peuvent rendre ou ne rendent que bien
-grossièrement au regard des arts plastiques; et
-ainsi, juger de l’Art plastique pour la qualité
-d’émotion que, seul, il apporte et que rien autre,
-ni poésie, ni philosophie, ni histoire ne peuvent
-nous apporter; l’aimer pour lui et non pour elles,
-pour l’enthousiasme tout sensible qu’il nous fait
-éprouver, pour la sensation d’une vie plus ardente
-et plus complète qu’il éveille, et non pour les souvenirs<span class="pagenum"><a name="Page_vii" id="Page_vii">[vii]</a></span>
-ou les associations d’idées qu’il nous procure,&mdash;telle
-est la méthode employée ici. Tel est
-le «sentiment esthétique». Elle diffère à ce point
-des habitudes prises ou des principes adoptés par
-les philosophes modernes, qu’il faut bien, pour
-son intelligence, ou au moins pour son excuse,
-dire ce qu’elle n’est pas, ce qu’elle est,&mdash;et ce qui
-l’a fait adopter.</p>
-
-
-<p class="pc2 mid">I</p>
-
-<p class="p2">Pendant longtemps, la critique d’Art s’est crue
-en possession de «lois» esthétiques formelles et
-inéluctables avec lesquelles il suffisait de confronter
-les œuvres nouvelles pour en juger. On ne devait
-représenter que certains sujets, non tels autres,
-certaines régions, généralement situées dans le
-Midi, non tous les pays. Le tableau d’histoire était
-la seule matière à chefs-d’œuvre. La vie contemporaine
-pouvait à peine être mise en un petit
-tableautin. L’activité ouvrière ou rurale, le travail
-quotidien n’avaient point de beauté. Si on les voulait
-figurer, il fallait le faire par des allégories,
-c’est-à-dire par des femmes vêtues de chitons et de
-diploïs. Ces femmes elles-mêmes devaient ressembler
-à un type grec ou y être le plus possible<span class="pagenum"><a name="Page_viii" id="Page_viii">[viii]</a></span>
-ramenées. Le nez et le front devaient être sur la
-même ligne et tous les traits mis en ordre selon des
-«canons» que détenait Winckelmann. On savait
-ce que c’était que la Beauté.</p>
-
-<p>A côté de ces lois générales, une foule de lois
-techniques. Le premier plan de tout paysage devait
-être noir, afin de repousser la lumière au second.
-Un portrait devait s’enlever en clair sur un fond
-sombre, d’un côté; en sombre sur un fond clair, de
-l’autre. Une composition devait être en forme de
-pyramide, et chaque figure se développer entièrement
-dans son plan, sans être obstruée par une
-figure de premier plan. Les nuages rentraient dans
-deux ou trois types de cumuli hors desquels il
-était interdit de s’aventurer. Il y avait des arbres
-nobles. Les lumières devaient être «chaudes»,
-c’est-à-dire dorées et les ombres brunes, en imitation
-la plus proche possible des vieux tableaux de
-l’école italienne et de la Renaissance, non pas tels
-qu’ils avaient été peints, mais tels que la patine et
-les années les ont faits. Il ne fallait pas voir du
-vert dans une prairie; mais du brun. Ces lois et
-bien d’autres étaient dérivées de principes de
-Beauté déduits eux-mêmes, après beaucoup d’abstractions,
-de l’étude des Anciens. A la vérité, on
-ne les avait pas très attentivement observés, car
-beaucoup eussent démenti cet enseignement. Mais<span class="pagenum"><a name="Page_ix" id="Page_ix">[ix]</a></span>
-moins on le vérifiait, plus on avait pour lui de respect.</p>
-
-<p>Quand parurent les peintres et les sculpteurs de
-l’époque romantique, puis les naturalistes de Barbizon,
-puis les «réalistes», la critique, armée de
-ces principes, déclara que les nouvelles œuvres ne
-pouvaient être «belles», car elles violaient manifestement
-ces «lois». Elle condamna les romantiques
-pour leurs excès de couleur et de mouvement,
-les réalistes pour leurs sujets et leurs
-«laideurs», les indépendants de toutes sortes pour
-leur dédain des sujets admis, des costumes adoptés,
-des «sites» composés, des gestes nobles ou des
-tons «locaux» depuis longtemps observés. Cette
-critique, jugeant tout par analogie avec les anciens
-maîtres, repoussa tout ce qui en était différent.
-Elle repoussa Delacroix, Rude, David d’Angers,
-Barye, Corot, Rousseau, Millet, plus tard Courbet,
-Puvis de Chavannes, Bastien-Lepage, au nom de
-lois qu’elle croyait infaillibles. Au même moment,
-en musique et pour des raisons parfois semblables,
-elle condamnait Wagner. Elle se trompa lourdement.
-Ces hommes étaient des maîtres. Avec le
-temps, ils triomphèrent et la critique d’Art basée
-sur l’admiration des maîtres anciens, des formes
-reconnues «belles» et des lois déduites d’un
-«Beau idéal», se tut misérablement.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_x" id="Page_x">[x]</a></span></p>
-
-<p>Aujourd’hui, une réaction totale s’est produite.
-L’idée qui domine la critique contemporaine,
-avertie des erreurs de sa devancière et fermement
-résolue à n’y pas retomber, est qu’il n’y a pas de
-beau, pas de laid, dans la nature ni dans l’homme,
-ni dans les objets créés par l’homme, qu’il n’y a
-que des formes plus ou moins expressives de la vie,
-caractéristiques d’une civilisation, et qu’ainsi tout
-dépend de la pensée ou du sentiment que l’artiste
-veut exprimer. Celui-ci n’a pas à suivre telle ou
-telle «loi». Il n’y a pas de «loi». Pourvu qu’il
-exprime sincèrement une émotion, une pensée,
-une vérité, cela suffit. Et il y arrive, surtout, s’il
-les exprime selon sa race, son époque, son milieu.
-Tout est beau qui est expressif. Tout s’impose qui
-est personnel, quelles que soient l’absence ou la
-pauvreté des formes employées. Rien n’est beau de
-ce qui ne l’est pas, quelle que soit la perfection des
-formes. Il n’y a donc pas de «canon» de la Beauté.
-D’ailleurs les races, les époques en ont connu
-de fort dissemblables. La nature même ne peut
-être qu’un substratum ou qu’un prétexte à l’Art:
-elle ne vaut que si elle est vue «à travers un tempérament».
-Ce que l’artiste nous doit montrer, ce
-n’est pas elle, mais sa pensée sur elle.</p>
-
-<p>Le critique n’a donc pas à s’occuper de la Nature,
-ni de la tradition, ni de la technique. Il n’a qu’une<span class="pagenum"><a name="Page_xi" id="Page_xi">[xi]</a></span>
-chose à faire: remettre l’artiste dans son époque,
-sa race, son milieu; observer s’il les exprime d’une
-façon personnelle; décrire les liens qui l’y rattachent;
-non pas confronter son œuvre avec la
-nature, ni avec les anciens, ni avec des règles quelconques,
-mais la comparer à l’auteur même, à la
-vie où il se meut, au peuple d’où il est sorti. Si
-elle l’exprime, l’acclamer et en faire un objet de
-joie; s’il ne l’exprime pas, la mépriser. Tel est le
-point de vue contemporain.</p>
-
-<p>On n’en avait jamais connu jusqu’ici, je ne dis
-pas seulement de plus faux, mais de moins «esthétique»
-dans le vrai sens du mot, c’est-à-dire de
-moins orienté vers les qualités «sensorielles» d’un
-objet de nature ou d’Art,&mdash;de ces qualités qui
-frappent les sens et qui ne frappent que les sens:
-formes, couleurs, ombres, lumières, densité,&mdash;ni
-de moins «spécifique», c’est-à-dire de moins
-orienté vers une certaine exactitude d’imitation et
-une certaine perfection de matière. Dorénavant,
-ce sont les qualités qui frappent l’esprit et qui
-n’ont pas besoin, pour le frapper, de l’intermédiaire
-du sens de la vue, ni du secours des arts plastiques
-qu’on prise par-dessus tout. C’est l’expression, c’est
-la suggestion qui sont requises. Et, encore, expression
-de quoi? suggestion de quoi? De formes?&mdash;ce
-que peut suggérer un trait à l’eau-forte de<span class="pagenum"><a name="Page_xii" id="Page_xii">[xii]</a></span>
-Rembrandt? De profondeurs et de reliefs?&mdash;ce que
-peut suggérer une touche de Corot?&mdash;Non, mais
-de sentiments ou d’idées, c’est-à-dire de choses qui
-peuvent être exprimées ou suggérées tout aussi
-bien, et qui le sont tous les jours, par d’autres
-moyens: l’analyse psychologique, la synthèse poétique,
-et par un tout autre intermédiaire que les
-sens de la vue ou du toucher: par l’ouïe.</p>
-
-<p>Jusqu’ici, les méthodes esthétiques avaient pu
-tomber dans de grandes erreurs, mettre à la base
-de nos impressions et de nos jugements une qualité
-technique fausse ou insuffisante, proscrire injustement
-des formes ou des expressions très légitimes;
-mais toujours il était resté, au fond de ces
-erreurs, le désir d’une qualité spécifique, d’une
-«délectation», comme on disait, ou d’une joie
-des sens. Dans les Esthétiques actuelles, les
-impressions requises de l’Art sont toujours des
-impressions intellectuelles, que l’Art non plastique
-peut aussi bien et même beaucoup mieux nous
-donner.</p>
-
-<p>De là, deux tendances dominantes dans nos
-jugements esthétiques sur les choses de la vie et
-jusque dans les moindres considérants de la critique
-quotidienne. Le critique d’art moderne se
-défie de son impression physique, spontanée,
-«sensorielle», parce qu’il a peur qu’elle ne soit<span class="pagenum"><a name="Page_xiii" id="Page_xiii">[xiii]</a></span>
-une résultante de son accoutumance aux anciens
-chefs-d’œuvre, un réflexe de la routine;&mdash;et, au
-contraire, il acclame toute tentative qui exprime
-un sentiment ou un état de choses récent, quelque
-peu de charme qu’il en éprouve, de peur de repousser,
-sans le savoir, un chef-d’œuvre nouveau.
-Dans le premier cas, il proscrit avec une extrême
-sévérité; dans le second, il accueille avec une
-extrême candeur; dans les deux, il fait violence à
-son goût intime et à son impression esthétique,
-bien plus qu’il ne les suit.</p>
-
-<p>La première de ces tendances est singulière.
-Cette indifférence aux qualités purement sensorielles
-de l’Art nous pousse à condamner toute
-œuvre qui, belle de facture, de matière, de couleur,
-ne nous apporte pas une «émotion nouvelle»,
-mais qui aurait pu être faite en d’autres temps,
-par une autre génération et semble inspirée des
-anciens: les figures de M. Bail ou de M. Roybet,
-par exemple, ou le <i>Sacré-Cœur</i> de Montmartre, ou
-les académies de M. Henner, ou les paysages de
-M. Harpignies. De pareilles choses seront toujours
-admirées par un artiste, non intellectuel, par tout
-être d’une sensibilité frémissante aux qualités de
-vie colorée, de belle matière, de lignes harmonieuses,
-parce qu’un sensitif en jouit toujours,&mdash;qu’elles
-soient expressives ou non d’une idée<span class="pagenum"><a name="Page_xiv" id="Page_xiv">[xiv]</a></span>
-moderne. Un beau rouge est toujours un beau
-rouge, un beau passage de lumière sur un ton
-d’opale ou d’aigue marine est toujours une belle
-transition et, s’il est vrai que cet os décrit par le
-Maître ancien soit très beau, quand bien même il
-n’exprimerait rien autre que lui-même, il sera
-toujours très beau. Mais si, comme le critique
-d’art moderne, l’on met à la base de tout jugement
-ce postulat que l’Art n’existe pas, s’il n’exprime
-spécialement une idée, une époque, une race,&mdash;quelle
-que soit la beauté, le frisson de joie que
-peut donner un beau rapport de couleurs,&mdash;on
-sera obligé de mépriser ces choses parce qu’elles
-n’apportent pas une «émotion nouvelle».</p>
-
-<p>La seconde tendance n’est pas moins étrange.
-Quelle que soit sa répulsion en face des créations
-de l’Industrialisme moderne&mdash;machines, bâtiments
-géométriques, engins informes,&mdash;le critique,
-lorsqu’elles sont modernes, adaptées à notre
-vie, se croit tenu de les trouver belles, ou, au
-moins, génératrices de beauté. Quelle que soit la
-révolte de son sens instinctif, il fait taire cette
-révolte, en se souvenant qu’on a proscrit, en
-d’autres temps, d’autres formes qui, devenues
-habituelles, n’ont plus paru si laides et se sont
-trouvées belles, un jour. Il est dominé par la peur
-de proscrire aujourd’hui des choses qui demain<span class="pagenum"><a name="Page_xv" id="Page_xv">[xv]</a></span>
-seront qualifiées chefs-d’œuvre, comme longtemps
-les fournisseurs de Barbizon n’osèrent plus refuser
-du crédit à un artiste, dans la crainte d’affamer un
-nouveau Millet. «Il faut tout comprendre!»
-s’écrie-t-il avec une candeur touchante et, d’effort
-en effort, il arrive à comprendre ce que les auteurs
-eux-mêmes ne comprennent pas. Comme ce
-pharmacien de vaudeville, qui lit couramment le
-nom de savantes drogues dans un gribouillage
-involontaire qu’un pseudo-médecin a griffonné, le
-critique découvre, maintenant, un sens profond et
-une vision d’humanité dans les essais désespérés
-que fait tout jeune artiste pour enchâsser un peu
-de talent dans beaucoup de saugrenuité. «N’ayons
-pas la négation irraisonnée du temps présent! ne
-proscrivons aucune tentative!» tel est le mot
-d’ordre des «modernistes». Alors, de peur de
-manquer, au passage, le chef-d’œuvre de demain,
-ils admirent tout, du moins tout ce qui leur paraît
-«nouveau». Et comme ils reconnaissent la nouveauté
-à ce qu’elle les choque, ils admirent tout ce
-qui les choque. «Tout ce qui a soulevé les protestations
-de la foule, jadis, était beau. Or ceci:&mdash;l’<i>Olympia</i>,
-le <i>Balzac</i>, la Porte Monumentale,&mdash;soulèvent
-les protestations de la foule, donc c’est
-beau.»</p>
-
-<p>Ce raisonnement par analogie s’applique à<span class="pagenum"><a name="Page_xvi" id="Page_xvi">[xvi]</a></span>
-tout. Protestons-nous contre «l’haussmannisation»
-de Paris? On nous répond: Les Parisiens se
-plaignaient déjà des travaux de Philippe-Auguste!
-Trouvons-nous qu’il faut simplement voir l’échec
-d’un grand artiste dans l’œuvre intitulée <i>Balzac</i>,
-on nous répond: Vous avez dit la même chose de
-Wagner! Hasardons-nous que la voûte de verre
-du Grand-Palais est un désastre pour la beauté
-de Paris, on nous dit: Les Grecs eussent parlé
-ainsi devant le gothique! Telle est la grande
-méthode de la critique d’art contemporaine: le
-raisonnement par analogie. Autrefois, on jugeait
-par analogie de sensations devant les œuvres;
-aujourd’hui, on juge par analogie de faits et de
-circonstances extérieures qui les ont accompagnées,
-et voici que de la ressemblance de deux
-mouvements d’Art, en un point, on en conclut
-hardiment à leur ressemblance en tous les autres.
-Aux époques traditionnalistes, on admirait les nouvelles
-œuvres d’autant qu’elles ressemblaient aux
-anciennes et qu’on pouvait les en rapprocher.
-Aujourd’hui, on les admire d’autant qu’elles en
-diffèrent et qu’on peut les leur opposer. Mais les
-deux méthodes sont aussi peu «esthétiques» l’une
-que l’autre. Ni l’une ni l’autre ne font appel au
-témoignage des sens. Ni l’une ni l’autre ne comparent
-l’œuvre avec la Nature, qui n’est ni ancienne<span class="pagenum"><a name="Page_xvii" id="Page_xvii">[xvii]</a></span>
-ni nouvelle, qui ne songe pas à l’institut non plus
-qu’elle ne prend ses mots d’ordre aux Indépendants,
-qui ne songe ni à différer d’elle-même, ni
-à se ressembler, ni à se rajeunir, mais qui, infiniment
-changeante, et complexe, et semblable, et
-toujours belle à qui sait l’aimer, contient tous les
-aspects révélés par toutes les écoles, et une multitude
-d’autres qu’aucune école n’a jamais révélés,
-a des flots pour toutes les nefs, des couleurs pour
-tous les rêves et pour tous les pas en avant,&mdash;de
-quelque côté qu’on marche,&mdash;des horizons.</p>
-
-<p class="pc2 mid">II</p>
-
-<p class="p2">Que valent ces postulats de la critique d’art contemporaine
-ou ces axiomes, ou ces dogmes posés
-par les esthéticiens modernes, sans aucune démonstration
-préalable, que «dans toute forme, même
-artificielle, il y a de la Beauté», ou que «tout ce
-qui exprime l’idée ou le besoin d’une époque est
-beau», ou encore que «tout ce qui soulève des
-protestations et détermine des résistances dans la
-foule est beau»?&mdash;Ne seraient-ce pas là des
-demi-vérités, presque des erreurs, ou des généralisations
-hâtives succédant à d’un peu superficielles<span class="pagenum"><a name="Page_xviii" id="Page_xviii">[xviii]</a></span>
-observations,&mdash;et toute l’Histoire de l’Art
-et l’expérience personnelle de chacun de nous les
-confirment-elles ou bien plutôt, ne les infirmeraient-elles
-pas à tout instant?</p>
-
-<p>«On ne discute que ce qui est fort.» Voilà, par
-exemple, un axiome très répandu dans la mentalité
-contemporaine. Mais pour être très répandu et
-même banal, et pour servir en toute occasion et à
-tous les esprits, il n’en est pas moins faux. L’usure
-d’une pièce ne prouve pas toujours qu’elle est
-bonne. Elle peut prouver simplement qu’on ne l’a
-pas regardée. La vérité est qu’on discute tout ce
-qui choque et que, pour choquer, la force n’est pas
-nécessaire: l’ingéniosité suffit. Tout ce qui s’offre
-à la discussion avec violence, avec provocation,&mdash;que
-ce soit puissant ou non,&mdash;est discuté. Et nous
-avons vu très discutées, il y a quinze ans, il y a
-dix ans des œuvres très faibles dont on a déjà perdu
-le souvenir. Préault a été plus discuté que Rude,
-Mallarmé plus que M. Sully-Prudhomme, les Rose-Croix
-plus que Corot. Tout le monde a encore dans
-les oreilles le bruit soulevé, il y a quelque vingt ans,
-par les Décadents ou les Symbolistes, mais nul
-n’a devant les yeux un chef-d’œuvre qui en soit
-sorti. Sans doute, cette observation que tout ce qui
-fait scandale est puissant contient une part de
-vérité, mais il faut, pour l’en dégager, tenir<span class="pagenum"><a name="Page_xix" id="Page_xix">[xix]</a></span>
-compte de la diversité des causes, et de la diversité
-des temps.</p>
-
-<p>Oui, ce qui fit scandale, autrefois, fut le plus souvent
-original, quand on ne savait pas encore que
-le scandale ou l’originalité seraient des éléments
-de succès; quand les novateurs étaient originaux
-presque malgré eux, ne connaissant à l’être que
-des risques à courir, et, l’étant cependant, malgré
-tout, par un irrésistible besoin d’exprimer quelque
-beauté particulière qu’ils découvraient dans la
-Nature et voulant, s’ils ne satisfaisaient point les
-autres, du moins se satisfaire eux-mêmes. Il en est
-de l’originalité comme de l’abnégation, qui n’est
-véritable que si elle est sans savoir qu’il y a un
-prix institué pour qu’elle soit. Du jour où l’on sait
-que ce prix existe, il n’y a plus de véritable vertu
-à être vertueux, ni de véritable originalité à être
-original, ni de véritable «sincérité» à être sincère.
-Du jour où l’on crie: «Venez voir comme je suis
-attaqué, condamné par l’Art officiel, proscrit par
-l’Institut, incompris de la foule! Comptez combien
-de pierres et de quel calibre me jette la critique
-pédante et autorisée! Songez à tous ceux qui furent
-lapidés avant moi! N’oubliez pas que Millet le fut,
-et Rousseau, et Delacroix, et Wagner! Et ne manquez
-pas de faire entre eux et moi tel rapprochement
-que vous inspirera votre esprit d’analyse et<span class="pagenum"><a name="Page_xx" id="Page_xx">[xx]</a></span>
-d’équité!» De ce jour-là, le sens du scandale n’est
-plus le même. Car on peut craindre que le novateur
-ne heurte le sentiment public non tant parce
-qu’il exprime le sien que parce qu’il a choisi laborieusement
-quelque chose qui le puisse heurter,
-et, par contre-coup, lui susciter le secours des
-raffinés aux yeux de qui, d’être d’un sentiment
-incompréhensible à la foule passa toujours pour le
-signe du génie.</p>
-
-<p>Est-il plus vrai de dire que notre répulsion en
-face des formes nouvelles vient nécessairement de
-nos habitudes de vision ou, en d’autres termes,
-que notre habitude commande impérativement
-notre goût,&mdash;et que les costumes, les gestes, les
-formes monumentales, les engins de la vie, enfin
-les œuvres d’art que nous admirons le plus sont
-toujours ceux qui existent depuis le plus longtemps?&mdash;Nous
-voyons le contraire à toute heure.
-Nos yeux sont infiniment plus habitués aux formes
-de la redingote qu’à celles du burnous des Arabes
-et au geste du cocher de fiacre qui fouette son
-cheval qu’à celui de l’archer qui ajuste son arme.
-Nous sommes plus accoutumés à l’arc bombé répété
-des milliers de fois sur nos portes cochères de
-Paris qu’à l’arc outrepassé des palais mauresques.
-Cependant, si le hasard, en voyage, ou dans une de
-nos expositions exotiques, fait apparaître à nos<span class="pagenum"><a name="Page_xxi" id="Page_xxi">[xxi]</a></span>
-yeux cette draperie, ce geste, cette forme architecturale,
-nous éprouvons une joie esthétique tout
-à fait absente devant le costume, le geste et le cintre
-accoutumés. L’habitude ne commande donc pas
-impérativement notre goût.</p>
-
-<p>A cela, que peut-on dire? Que nous sommes
-enseignés par l’Art à dégager des formes anciennes
-ce qu’elles ont «d’esthétique», et que l’Art ne nous
-l’a pas encore appris des nouvelles? Quel pauvre
-argument, si l’on songe que, depuis trente ans et
-plus, nos <i>Salons</i> regorgent de scènes contemporaines,
-de portraits, de machines, et que par un
-singulier phénomène, plus on les voit, moins on
-les aime et plus l’Art s’acharne à substituer la
-redingote à la draperie, la locomotive au cheval,
-la cheminée d’usine à la flèche gothique, moins il
-produit de chefs-d’œuvre et moins il attire notre
-attention!</p>
-
-<p>Car, bien loin que l’habitude conditionne absolument
-notre goût, la satiété est précisément la
-cause principale de toutes les réactions artistiques.
-Et de la beauté de certaines œuvres comme
-de la vertu d’Aristide on pourrait dire que le
-défaut fut seulement qu’on la vantait depuis trop
-longtemps. On a dénoncé maintes et maintes fois
-«l’influence de l’habitude»: on ne dénonce jamais
-le «goût du nouveau». Il expose à autant d’erreurs<span class="pagenum"><a name="Page_xxii" id="Page_xxii">[xxii]</a></span>
-et est la cause d’autant d’injustices. On se
-passionne pour un aspect de nature ou d’humanité,
-parce qu’il nous apporte une «impression nouvelle».
-Plus tard, quand le nouveau est devenu
-vieux, quand l’inédit se réédite, quand l’inattendu
-est l’inévitable et, pour ainsi dire, le protocolaire,
-on s’aperçoit qu’il ne lui suffisait pas d’être «autre»
-pour être meilleur, ni d’être plus récent pour être
-plus durable que les œuvres consacrées des anciens.
-Il ne reste alors de ces œuvres jadis «nouvelles»
-que ce que leurs qualités spécifiques en ont maintenu.
-Si le tableau est matériellement bien peint,
-si la statue est bien modelée, si l’ouvrage est fait
-de main d’ouvrier, il reste admiré, quel que soit
-son degré de nouveauté&mdash;ou de pastiche. Si ces
-«visions» démocratiques de faubourgs, de grèves,
-de mineurs avec leurs lampes, de chiffonniers, de
-gares de chemins de fer et de laminoirs, de Christs
-anachroniques eurent un si merveilleux succès, il
-y a vingt ans, c’est qu’on n’avait guère osé, auparavant,
-les figurer dans l’art. On leur attribua
-mille mérites, dont le seul véritable était leur nouveauté.
-Aujourd’hui qu’ils n’excitent plus de surprise,
-ils n’excitent plus d’admiration. Ce qui
-montre assez que le succès tient de nos jours
-non pas nécessairement à l’habitude, mais souvent,
-au contraire, à la stupéfaction.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_xxiii" id="Page_xxiii">[xxiii]</a></span></p>
-
-<p>D’où vient, encore, cet autre postulat que «tout
-ce qui est réel peut devenir beau» ou qu’«il n’est
-pas de forme qui ne recèle une beauté secrète et
-dissimulée au vulgaire», et qu’ainsi l’Art doit
-adopter docilement, pour les reproduire, toutes les
-formes du machinisme actuel?&mdash;Il vient d’une
-confusion perpétuelle, chez les philosophes, entre
-la qualité plastique ou pittoresque des formes ou
-des couleurs et leur signification morale ou intellectuelle.
-Cette confusion n’est jamais faite par
-Delacroix, ni par Topffer, ni par Fromentin, mais
-depuis les Esthétiques allemandes jusque dans les
-thèses sur l’Art, soutenues, chaque année, à la
-Sorbonne, elle se glisse à quelque moment et dans
-quelque phrase, et aussitôt le débat dévie. Constamment,
-le philosophe réclame pour les engins
-que fabrique l’industrie moderne le droit de figurer
-dans le grand Art; il annonce qu’il va montrer en
-quoi consiste la beauté plastique, pittoresque, de
-cet engin et, tout de suite, il oublie qu’il s’agit de
-plastique et de pittoresque, pour n’en montrer que
-l’intérêt intellectuel ou poétique,&mdash;c’est-à-dire ce
-qui échappe au sens de la vue ou ce qui peut nous
-toucher sans lui. Les argumentations de Guyau
-en sont un parfait exemple et la confusion y est
-d’autant plus dangereuse qu’elle émane d’un plus
-puissant esprit et d’un plus éloquent écrivain. Une<span class="pagenum"><a name="Page_xxiv" id="Page_xxiv">[xxiv]</a></span>
-page typique est celle qu’il consacre à la défense
-esthétique du «cuirassé» moderne opposé au bateau
-à voiles. Les artistes regrettent la tartane, le lougre,
-la caravelle, le bateau qui s’inclinait sous le vent
-dominé par une immense voilure aux formes
-aiguës et glissait sur les vagues comme un oiseau.
-Le philosophe leur répond que «les bateaux à
-vapeur ont eux-mêmes leur beauté, bien plus, leur
-grâce», et il se met en devoir de la leur montrer.&mdash;Fort
-bien, pensons-nous, il va louer la forme
-monumentale du cuirassé vu de face, au repos,
-tendant autour de lui toutes sortes de choses
-pointues ou recourbées comme des antennes,
-le contraste des chaloupes blanches et de sa robe
-noire, les jeux du soleil sur les aciers, peut-être sur
-les linges qui, parfois, sèchent par milliers, «ces
-torchons radieux» qu’exalte la lumière. C’est peu
-à opposer aux bateaux à voiles immortalisés par
-Van de Velde, par Ziem et par Turner, mais c’est
-quelque chose.... Nous lisons la page du philosophe:
-rien de tout cela, mais des impressions
-dont aucune ne peut être plastiquement rendue:
-l’énormité du cuirassé «<i>se meut</i> avec tant d’aisance
-qu’elle effraye à peine; tout alentour l’eau bouillonne»&mdash;et
-ceci c’est la beauté de l’eau&mdash;«refoulée,
-ajoute-t-il, par une hélice <i>invisible</i>» qui, par
-conséquent, échappe au peintre. Il loue encore<span class="pagenum"><a name="Page_xxv" id="Page_xxv">[xxv]</a></span>
-les «sifflets, les cris, les hurlements, les rugissements
-(comme ceux de la «sirène») qui semblent
-les éclats de joie d’un monstre épouvantable
-et pourtant docile»,&mdash;ce qui peut être
-perçu par l’ouïe et ensuite par le raisonnement,
-mais nullement par la vue. Enfin, le poète qui est
-en lui célèbre la flotte de guerre moderne, «troupe
-d’êtres gigantesques dont chacun cache au dedans
-de lui des milliers de volontés distinctes,
-soumises à la même règle, se confondant dans
-le même corps monstrueux, se manifestant par
-un seul mouvement d’ensemble, une société
-humaine personnifiée qui passe sur la mer en
-marche vers des dominations lointaines....» La
-page est magnifique et il faut la lire tout entière.
-Mais quand on est au bout, l’on n’a point aperçu,
-dans le cuirassé, telle beauté de lignes, de formes
-ou de couleurs que le sens de la vue puisse
-éprouver, ni que l’Art plastique, s’adressant à la
-vue, puisse rendre.</p>
-
-<p>D’où peut venir, chez un aussi pénétrant esprit,
-une telle erreur? Elle vient de ce que le philosophe,
-si artiste qu’on le suppose, est psychologue,
-ou sociologue, ou poète avant d’être artiste. Ouvert
-aux jouissances de l’intelligence beaucoup plus
-qu’à celles de la sensibilité, attentif aux conditions
-des arts non plastiques beaucoup plus qu’à celles<span class="pagenum"><a name="Page_xxvi" id="Page_xxvi">[xxvi]</a></span>
-de l’art tout matériel du peintre ou du modeleur,
-songeant continuellement au drame ou au poème
-lyrique lors même qu’il parle peinture ou sculpture;
-posant ainsi pour les arts <i>plastiques</i> des lois qu’il
-ne démontrera que par des exemples empruntés aux
-arts <i>littéraires</i>, tel est le philosophe contemporain<a name="FNanchor_1_1" id="FNanchor_1_1"></a><a href="#Footnote_1_1" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>Il va se promener dans un vieux quartier de sa
-ville: il voit des rues tortueuses, sales, des loques
-pendantes au soleil, un chaudron dans une cuisine,
-une touffe de pariétaire sur un vieux mur, un
-étal de boucher, une flaque d’eau ou un ruisseau
-ou un peu d’océan au bout de la ruelle,&mdash;choses
-admirables et précieuses pour tout artiste et devant
-lesquelles, peut-être, si la lumière est glorieuse, on
-s’arrêterait une heure en des joies infinies. Il ne
-trouve là rien de beau. Il passe. Au bout de cette
-vieille ville est un musée. Dans ce musée, il retrouve
-peints par Chardin, par Rembrandt, par
-Vollon, par Bonvin, par M. Thaulow, quoi donc?
-Le même chaudron, le même étal, le même mur, la
-même flaque d’eau qu’il a tout à l’heure méprisés.
-Et ici, il admire, parce que l’espèce de splendeur
-qui était dans le chaudron: ces beaux reflets de
-cuivre profonds et nuancés, éclatants comme un
-coucher de soleil ou pleins de choses adverses<span class="pagenum"><a name="Page_xxvii" id="Page_xxvii">[xxvii]</a></span>
-comme un miroir noir, tout cela est ici dégagé,
-souligné,&mdash;moindre à des yeux d’artiste que la
-splendeur de l’original, mais plus perceptible aux
-yeux du philosophe. Il se dit: l’Art peut transfigurer
-ce chaudron; me faire admirer cette flaque
-d’eau que je n’admirais pas avant: l’Art est grand.
-Jusque-là, le raisonneur a raison. Il ne fait qu’enregistrer
-une observation qu’il a faite. Mais, aussitôt,
-pressé d’établir un principe, il généralise. L’Art
-peut <i>tout</i> transfigurer, dit-il; et, dès lors, il va bien
-au delà des limites de son observation. Le voici
-sorti du musée et entré dans l’usine. Il voit des
-roues, des bielles, des cylindres, des tuyaux, des
-lignes géométriques rigoureuses, des tons égaux,
-répandus sur des surfaces dures et plates. Il y a
-là, dans ces engins, des forces mystérieuses et
-inouïes emmagasinées. Il y a là de quoi renouveler
-la matière, la circulation, les conditions sociales
-peut-être, la vie. L’imagination du philosophe
-s’exalte: elle évoque tout ce que le monde en
-transformation doit à cet engin, à ce cylindre, à
-cette roue, à ces écheveaux de fils tordus et roulés
-autour de ce fer à cheval. Il pense à tout cela en
-sociologue, en poète, et, sans songer aux différents
-moyens d’expression qu’emploient les arts intellectuels
-et les arts plastiques, il dit: «Voilà un sujet
-pour l’Art.» A la vérité, ce cylindre, cette roue, il<span class="pagenum"><a name="Page_xxviii" id="Page_xxviii">[xxviii]</a></span>
-ne les trouve pas «beaux», mais il n’a pas trouvé
-beaux non plus la loque, le chaudron, l’eau dormante.
-Puisque l’Art en a fait des éléments de
-beauté, pourquoi n’en ferait-il pas de ces bielles,
-de ces roues qui lui procurent des sujets de méditation,
-de rêverie humanitaire et sociale qu’il n’a
-pas trouvés devant le chaudron? Il n’a pas vu la
-«beauté» du chaudron; il voit l’intérêt de la
-machine. Or l’artiste a fait une belle œuvre du
-chaudron. Donc, à plus forte raison, il peut transfigurer
-cette machine. Et le syllogisme est fait.
-Pour le philosophe, il est excellent. Pour un artiste,
-il ne vaut rien. Il repose sur une confusion entre
-la prétendue «laideur» du chaudron, ou du vieux
-mur, ou de la loque, ou de l’étal, et la nullité
-esthétique de la mécanique. Car le chaudron avait
-déjà une infinie beauté pittoresque. Si le philosophe
-ne l’a pas vue, l’artiste, lui, ne manquera jamais de
-la voir. Tandis que toute cette poésie, cette signification
-que le philosophe découvre dans la machine
-n’est pas du tout d’ordre plastique ou pittoresque.
-L’artiste souvent ne la voit pas et, dans tous les
-cas, ne peut pas la faire voir.</p>
-
-<p>Enfin, le troisième postulat de la critique contemporaine,
-infiniment moins arbitraire que les
-précédents, est que le goût change selon les races,
-les époques, les milieux et que les joies esthétiques<span class="pagenum"><a name="Page_xxix" id="Page_xxix">[xxix]</a></span>
-ne sont point déterminées par les mêmes formes
-dans tous les temps et dans tous les pays. De là
-suit qu’on ne saurait établir de «lois» générales
-du Beau. Et l’on aurait tout à fait raison si l’on
-disait qu’il y en a fort peu et surtout fort peu de
-générales. Il est vrai, par exemple, que les lois
-posées par David et son école pour la figure
-humaine en réaction contre les nez retroussés, les
-visages chiffonnés du <span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup> siècle, étaient bien
-arbitraires et, d’ailleurs, elles ne se vérifiaient ni
-chez la plupart des anciens maîtres: Rubens,
-Vélazquez, Franz Hals, ni chez David lui-même en
-ses œuvres réalistes les meilleures, ni chez les
-grands artistes qui l’avaient immédiatement précédé.
-Elles ne se vérifiaient que dans la statuaire,
-et encore dans une certaine statuaire: la grecque;
-et encore que dans une époque de la grecque:
-celle de Phidias. Mais quand, en réaction de l’école
-de David, on a décidé qu’un visage, pour être esthétique,
-devait refléter une passion, ou une pensée,
-ou une race, ou un état social, on a posé là une loi
-qui ne se vérifie par rien du tout. Pareillement,
-si l’on enseigna, jadis, que le nu seul était beau
-et que le grand Art ne pourrait jamais s’affirmer
-dans le traitement des costumes vulgaires et habituels,
-ou encore que le seul véritable artiste était
-celui qui pouvait traiter le nu&mdash;principe toujours<span class="pagenum"><a name="Page_xxx" id="Page_xxx">[xxx]</a></span>
-adopté, pour les concours de Rome dans notre École
-des Beaux-Arts,&mdash;on a émis là une évidente erreur
-et que l’exemple de bien des chefs-d’œuvre décèle
-à première vue. Mais si, pour réagir contre ce principe,
-on nous vient dire que tout paletot inventé
-par un tailleur vaut le nu et le drapé parce qu’il
-reflète un «état social» ou un «goût contemporain»,
-et que le grand Art tient dans l’expression
-de cet état et non dans l’expression d’une forme elle-même
-variée et harmonieuse, comme celle du corps
-humain, ou, encore, qu’il y a autant de puissance
-dans la peinture d’un veston, d’un fauteuil, d’un
-rideau, d’un chapeau que dans une académie de
-Rubens, et qu’ainsi l’étude du nu ou de l’académie
-ne sert de rien au peintre, on émet, là, une contre-vérité
-artistique. Ou si quelque artiste l’a jamais
-exprimée, dans une boutade d’atelier, il a simplement
-voulu se divertir ou voir jusqu’où pourrait
-aller la crédulité des philosophes.</p>
-
-<p>Enfin, si en dégoût de l’étalage myologique des
-imitateurs de la Renaissance, de ces grands dentelés,
-grands obliques, ces muscles saillants, ces
-boules, ces «sacs de noix» qu’on a trop longtemps
-exhibés dans les tableaux d’académies,
-on prêche la «simplification» et la «synthèse»,
-on a raison, d’autant que, dans la Nature, ces
-rouages du corps humain sont à peine visibles.<span class="pagenum"><a name="Page_xxxi" id="Page_xxxi">[xxxi]</a></span>
-Mais donner à des fautes de dessin le nom de «simplifications»
-ou à des indigences de couleurs le nom
-de «synthèses», admettre que le modelé ne soit
-même pas indiqué, sous prétexte d’«évocation»
-et de «vision personnelle», c’est seulement revêtir
-de vocables philosophiques les ignorances techniques
-les plus communes et signer «sagesse» ce
-que l’impuissance a écrit. De ce que telles «lois
-du Beau» reçues autrefois à l’école fussent arbitraires,
-exagérées ou néfastes, il ne s’ensuit pas
-nécessairement qu’il n’y ait pas de conditions de
-vie particulières à l’Art plastique ou, si l’on veut,
-des nécessités.</p>
-
-<p>Ces conditions, on les retrouve respectées dans
-toute la suite des chefs-d’œuvre. Quelle que soit la
-diversité des écoles, des arts, des races et des idéals,
-certaines œuvres ont une perfection technique qui
-les sauve et qui réunit, autour d’elles, peu à peu,
-avec le temps, tous les suffrages. Cela n’arrive pas
-du premier coup. Ce qui s’impose du premier coup,
-c’est la Mode, non la Beauté: la Mode dont le double
-et précis caractère est d’être impérative et d’être
-éphémère, de s’imposer à tous et de ne s’imposer
-que pour peu de temps, tandis que le Beau est
-facultatif et éternel; il ne s’impose d’abord qu’à
-quelques-uns, mais il continue à s’imposer toujours.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_xxxii" id="Page_xxxii">[xxxii]</a></span></p>
-
-<p>Il est vrai que la mode, le goût d’une époque et
-surtout chez ceux qui ne sont pas artistes et qui
-cherchent dans l’art autre chose que ses qualités
-spécifiques, peut faire dédaigner, momentanément,
-telle ou telle œuvre, telle ou telle beauté. La constatation
-qu’il en a été souvent ainsi, dans l’Histoire
-de l’Art, la surprise et la découverte de certaines
-époques et écoles primitives trop méprisées
-jadis&mdash;et, en vérité, trop admirées aujourd’hui,&mdash;dominent
-la critique d’art contemporaine. Elle
-en tire des déductions hâtives. Mais un fait beaucoup
-plus constant s’observe dans l’Histoire de
-l’Art: c’est le retour de l’admiration vers les
-œuvres jadis admirées; c’est la consécration lente
-mais sûre de certaines œuvres, les mêmes, et leur
-universalité. Tandis que les œuvres médiocres au
-point de vue spécifique ont disparu par milliers,
-celles où il y avait quelque qualité de matière:
-justesse de dessin, puissance de couleur ou harmonie,&mdash;ont
-survécu. Notre jugement varie
-beaucoup sur «l’esprit» d’un tableau, très peu
-sur sa «matière». Si peu que nous considérions,
-en ce moment, les Carrache, ou le Bernin, ou le
-Guide, ou le Caravage, quel est l’artiste qui, en
-toute sincérité, nierait leur puissance et leur
-beauté? Et bien qu’on soutienne que Cimabué, ou
-<span class="pagenum"><a name="Page_xxxiii" id="Page_xxxiii">[xxxiii]</a></span>Giotto, ou les sculpteurs français du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle sont
-supérieurs à toute la Renaissance, qui voudrait
-sacrifier la Renaissance à cet engouement passager?
-Quant à certains maîtres comme Velazquez,
-comme Rembrandt, comme le Titien, comme Léonard,
-comme Rubens, comme Van Dyck, comme
-Franz Hals, quant aux grandes œuvres comme
-celles de la statuaire grecque, est-il vraiment des
-artistes, à aucune époque, qui sincèrement les
-aient tout à fait méprisés? Il faut se défier extrêmement,
-en un pareil débat, des excommunications
-prononcées ou des étiquettes adoptées par
-les artistes, dans un moment de lutte, ou des boutades
-d’atelier enregistrées par les biographes.
-«Nous n’avons jamais nié au fond, écrivaient les
-Préraphaélites, qu’il y eût un art grand et sain
-chez Raphaël, et chez ses successeurs». Un élève
-d’Ingres lui ayant demandé ce qu’il pensait de
-Delacroix, le maître lui dit: «C’est un homme de
-génie, mais n’en parlez pas,» et M. Bordes-Lassalle
-ayant rapporté ce propos à Delacroix, en lui
-demandant ce qu’il pensait d’Ingres, le maître lui
-répondit en riant: «C’est un homme de talent,
-mais n’en dites rien.» Exacte ou controuvée, cette
-anecdote peint le vrai sentiment des artistes, pour
-les plus puissants d’entre eux, tel qu’il s’exprime,
-dans la solitude de l’atelier, lorsque nul thuriféraire
-n’écoute aux portes. Sans doute, Velazquez<span class="pagenum"><a name="Page_xxxiv" id="Page_xxxiv">[xxxiv]</a></span>
-n’était pas, il y a cinquante ans, dans les
-ateliers, le dieu qu’il est aujourd’hui et qu’il ne
-sera peut-être plus demain, et longtemps le <i>Laocoon</i>,
-célébré par Lessing, a été préféré à l’œuvre
-présumé de Phidias. Ces maîtres ont eu des
-hauts et des bas extraordinaires. Dans ce crible
-que secoue la Mode aux mains puissantes, ils
-sont fort ballottés. Mais l’important n’est pas là.
-L’important est qu’ils restent tous du bon côté du
-crible,&mdash;tandis que le fretin passe au travers,
-devient poussière et se disperse au vent.</p>
-
-<p>Il y a donc des «beautés» sur lesquelles le sentiment
-des différentes générations concorde et des
-maîtres sur lesquels il s’accorde, et de la sorte,
-s’il est vrai de dire que le goût change, il l’est tout
-autant d’affirmer que le même instinct du beau
-se perpétue. En le niant, la réaction contre les
-anciennes lois esthétiques est allée trop loin. Elle
-a dépassé de beaucoup les limites de ses observations
-et de ses expériences. On avait affirmé sans
-preuves: elle a nié sans contre-épreuves. On avait
-embarrassé l’Art de routines; elle a contesté qu’il
-y eût des conditions vitales et des expériences à
-respecter. Enfin, tout en soutenant qu’il n’y a pas
-de lois en Art, elle en a promulgué de très sévères
-et de très impératives. Ces lois de l’Esthétique
-contemporaine, ou, si l’on veut, ces tendances<span class="pagenum"><a name="Page_xxxv" id="Page_xxxv">[xxxv]</a></span>
-ou ces postulats n’ont jamais fait l’objet d’une
-démonstration positive. On peut, sans trop de
-témérité, refuser d’y sacrifier son goût personnel,
-la lumière qui éclaire chacun de nous. Comment
-donc juger des faits et des œuvres de la vie
-actuelle? Peut-être le pourrions-nous avec beaucoup
-moins de philosophie et de sociologie et un
-peu plus de confiance en notre goût instinctif.</p>
-
-<p class="pc2 mid">III</p>
-
-<p class="p2">Juger avec son goût instinctif, cela veut-il dire
-aborder l’œuvre d’un maître sans aucune préparation,
-sans rien savoir de ce maître, de sa vie, de
-son milieu, de son époque, ni rien avoir vu de ses
-autres œuvres, ni de celles qui l’ont inspirée? Cela
-veut-il dire que l’œuvre doive être prise intrinsèquement,
-sans aucune considération de son sujet, de
-sa signification historique, ou morale, ou légendaire,
-ou sociale?</p>
-
-<p>Ici, nous devons nous garder de confondre deux
-choses: la jouissance qu’on peut prendre à une
-œuvre d’art et le jugement qu’on doit en porter.
-Pour en jouir, un grand nombre d’idées n’est
-jamais nuisible et il se peut qu’il soit utile; pour
-en juger, une seule suffit ou plutôt un seul sentiment;<span class="pagenum"><a name="Page_xxxvi" id="Page_xxxvi">[xxxvi]</a></span>
-le «sentiment esthétique» et tout le
-reste: rapprochements historiques, significations
-morales ou sociales, non seulement n’aide pas à
-en juger, mais peut, jusqu’à un certain point,
-entraver la liberté du goût et égarer le jugement.</p>
-
-<p>Par là, on voit combien il faut se défier de la
-critique d’art dite «littéraire», qui remplace la
-délicatesse des sensations par la subtilité des
-idées, la poésie des formes et des nuances par la
-poésie des mots et qui les confond de telle sorte
-qu’un philosophe paraît avoir des sensations délicates
-lorsqu’en réalité ce sont ses idées qui sont
-subtiles, et qu’habile à différencier les moindres
-nuances d’une pensée, il embrouille les divers
-tons d’une couleur ou les différentes phases d’un
-geste. Je dis qu’il faut s’en défier, non pas quand
-on veut <i>jouir</i> d’une œuvre d’art, mais quand on
-veut en <i>juger</i>. Quant on veut en jouir, en effet,
-quoi de plus naturel, quoi même de plus nécessaire
-que d’en saisir les moindres affinités, les
-plus subtiles intentions, que d’appeler et de rassembler
-autour d’elle toutes les idées, tous les souvenirs
-qui peuvent nous y attacher? Aussi, quand
-il arrive à quelque philosophe de trouver de
-belles significations et de profonds symboles aux
-œuvres des peintres ou des sculpteurs, comment
-pourrait-on le lui reprocher? On dit que ceux-ci<span class="pagenum"><a name="Page_xxxvii" id="Page_xxxvii">[xxxvii]</a></span>
-ne les y ont pas mis? Mais qu’importe, si on les
-trouve? Et qui a jamais reproché à Moïse d’avoir
-fait jaillir une source là où il n’y avait qu’une
-terre aride et desséchée?</p>
-
-<p>Mais si le philosophe fait de son interprétation
-à lui la qualité de l’œuvre qu’il interprète, s’il
-élève son impression toute subjective à la dignité
-de caractère objectif de l’œuvre, si, en un mot, il
-estime l’œuvre plus ou moins, en raison du plus ou
-moins de pensées qu’elle lui a inspirées, c’est alors
-qu’il nous égare et qu’il faut nous défier de lui. Car
-un ingénieux philosophe, un exquis poète peuvent
-tirer de très belles inspirations d’une œuvre très
-médiocre, tandis qu’une très belle matière peut ne
-rien leur inspirer du tout. Giotto ou Cimabué ont
-inspiré plus de belles pages que Franz Hals ou
-Velazquez. La beauté d’une description ou d’un
-commentaire n’est nullement en raison directe de
-la beauté de l’objet décrit ou expliqué. On peut
-même dire, en thèse générale, que plus un
-«motif», plus un sentiment, plus une pensée est
-rendue avec éloquence par la littérature, moins
-elle peut l’être par l’Art plastique. «La langue qui
-parle aux yeux, a dit Fromentin, n’est point celle
-qui parle à l’esprit.» Et qu’ainsi, demander à
-l’Art les mêmes impressions qu’à la littérature,
-c’est proprement lui demander ce qu’il ne peut pas<span class="pagenum"><a name="Page_xxxviii" id="Page_xxxviii">[xxxviii]</a></span>
-donner ou ce qu’il ne peut donner sans contrainte,
-sans affectation ou absurdité.</p>
-
-<p>«Un jour, raconte Stendhal, un grand seigneur
-russe pria le peintre de la cour de lui faire le portrait
-d’un serin qu’il aimait beaucoup. Cet oiseau
-chéri devait être représenté donnant un baiser à
-son maître, qui avait un morceau de sucre à la
-main: mais on devait voir dans les yeux du serin
-qu’il donnait un baiser à son maître, par amour,
-et non point par le désir d’obtenir le morceau de
-sucre.» Voilà de l’Art suggestif, de l’art intentionniste.&mdash;Suggestif
-d’une sottise ou d’un enfantillage?
-Soit. Mais l’enfantillage tient moins encore
-dans la chose à suggérer que dans le désir de
-suggérer par l’Art une chose que dix mots expliquent
-beaucoup mieux. Et il faut prendre garde
-que ce désir ne soit aussi vain lorsqu’il s’agit de
-signifier le bienfait de la mort ou la fraternité
-humaine que lorsqu’il s’agit de montrer le dévouement
-désintéressé d’un serin.</p>
-
-<p>Envisageons un sentiment plus haut: celui de
-l’amitié et qui a inspiré un de nos plus grands suggestifs:
-Poussin. Prenons le <i>Testament d’Eudamidas</i>.
-Eudamidas, vieux soldat de Corinthe, allait
-mourir laissant après lui sa mère et sa fille,&mdash;et
-point de fortune. Mais si Eudamidas n’avait point
-d’argent, il avait deux amis: Charixène et Arété.<span class="pagenum"><a name="Page_xxxix" id="Page_xxxix">[xxxix]</a></span>
-Confiant en leur amitié, il imagina de léguer sa
-mère au premier et sa fille au second, avec mission
-de nourrir l’une et de marier l’autre avec une aussi
-grosse dot qu’on pourrait lui donner. Poussin lut
-ce trait chez Lucien, le trouva beau et, comme il
-pensait que la peinture doit exprimer de fortes
-pensées, il en fit un tableau: <i>le Testament d’Eudamidas</i>.
-Dans ce tableau, le soldat de Corinthe est
-représenté étendu sur son lit. Le médecin, la main
-sur le cœur du malade, est là, observant les approches
-de la mort. La mère et la fille pleurent: c’est
-très touchant, mais cela ne nous montre qu’une
-mort et non pas la <i>confiance en l’amitié</i>.... Alors,
-pour l’exprimer, Poussin a introduit une cinquième
-figure, essentielle, la figure symbolique: un notaire.
-Il écrit les dernières volontés. Et c’est à l’expression
-de ce notaire que nous devons de comprendre
-le legs du mourant. Et, encore, devons-nous saisir
-ce trait.&mdash;Que si l’un des deux amis, Charixène
-ou Arété, vient à mourir, le confiant Eudamidas
-dispose que le legs qu’il lui fait&mdash;c’est-à-dire la
-charge dont il l’honore,&mdash;revient au survivant. Et
-il faut que nous voyons sur toutes ces figures que
-le guerrier ne doute pas un instant que sa confiance
-soit bien placée.</p>
-
-<p>Que de choses dans l’expression d’un notaire!
-Moins encore, cependant, ou moins contradictoires<span class="pagenum"><a name="Page_xl" id="Page_xl">[xl]</a></span>
-que celles admirées par les philosophes dans
-la fameuse <i>Médée</i> de Timmomaque. Timmomaque,
-raconte Pline, avait peint une <i>Médée massacrant
-ses enfants</i>. Ce qu’il y avait d’admirable dans ce
-tableau, c’est que l’artiste avait exprimé, dans le
-même visage, à la fois la fureur de la femme qui
-tuait ses enfants et la tendresse de la mère qui les
-regrettait. Et comment y était-il parvenu? Il y était
-parvenu, dit l’Histoire, en donnant à la figure un
-œil féroce et un œil attendri; en sorte, ajoute l’historien,
-que «la fureur paraissait dans la pitié et la
-pitié dans la fureur....»</p>
-
-<p>C’est l’exagération, pensera-t-on peut-être, qui
-nous choque ici.&mdash;Mais l’exagération d’une vertu,
-en Art, ne nous choquerait pas!&mdash;Peut-être,
-dira-t-on qu’il n’est rien qui, poussé à l’extrême,
-ne puisse devenir absurde?... Mais si! Il y a les
-<i>qualités spécifiques</i> de cet Art. Un tableau ne peut
-jamais être trop harmonieux, une statue trop bien
-proportionnée, un monument trop bien équilibré
-ou trop imposant; une succession de couleurs ne
-peut jamais être trop délicate, un passage de
-lumière jamais trop subtil, une synthèse de traits
-jamais trop sobre, ni trop juste, et s’il y a exagération
-en quelqu’une de ces qualités esthétiques,
-cette exagération deviendra facilement une caractéristique
-et une beauté.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_xli" id="Page_xli">[xli]</a></span></p>
-
-<p>Qu’il y ait exagération dans la force myologique,&mdash;tant
-mieux, ce sera Michel Ange! dans la fraîcheur
-et la beauté du sang,&mdash;tant mieux, ce
-sera Rubens! dans le mystère du clair-obscur,&mdash;tant
-mieux, ce sera Rembrandt! exagération dans
-l’analyse subtile, inquiète des moindres frémissements
-d’indéfinissables teintes rompues sous la
-lumière,&mdash;tant mieux ce sera Watteau! exagération
-dans l’importance donnée au trait sobre et juste,&mdash;tant
-mieux, ce sera Ingres! exagération dans
-les jeux splendides mais fugitifs du soleil et de
-l’atmosphère chargée de vapeurs humides,&mdash;tant
-mieux, ce sera Turner! Et dans chacune de ces
-qualités spécifiques, même exagérées, de ces
-expressions esthétiques, même outrées, il y aura
-une source de beauté. Car plus on développe et
-l’on pousse à l’extrême une vertu <i>propre à l’Art</i>,
-plus on fait un chef-d’œuvre dans cet Art.</p>
-
-<p>On voit donc bien la différence: insistance dans
-le symbolisme, dans la suggestion, c’est-à-dire dans
-les qualités morales ou sociales de l’Art,&mdash;source
-de ridicule.</p>
-
-<p>Insistance dans l’harmonie, la précision, la délicatesse,
-le mouvement, qualités spécifiques de
-l’Art,&mdash;source de beauté.</p>
-
-<p>Qu’est-ce à dire, sinon que nous possédons là,
-le signe, la pierre de touche nécessaire pour juger<span class="pagenum"><a name="Page_xlii" id="Page_xlii">[xlii]</a></span>
-les œuvres d’art et que les qualités à considérer,
-avant tout, dans l’Art, sont évidemment celles qui
-ne peuvent jamais y être trop marquées, être trop
-puissantes, être trop ressenties. Celles, au contraire,
-qui deviennent facilement des défauts:
-symboles, prédictions morales et sociales, enseignements
-historiques, sont des qualités purement
-accessoires, ou ne sont pas des qualités du tout.</p>
-
-<p>Envisageons, maintenant, les deux hypothèses
-les plus simples: une œuvre d’art nous plaît, une
-œuvre d’art nous déplaît.</p>
-
-<p>Ceci nous plaît.... Oui, mais pour combien de
-temps? Ne vous est-il jamais arrivé de changer de
-sentiment sur un édifice, sur un tableau, sur un
-costume, sur un opéra? Une toilette qui plaisait il
-y a vingt ans, plaît-elle autant aujourd’hui? Une
-symphonie, une «romance» qui vous parut pénétrante
-la première fois que vous l’entendîtes, n’a-t-elle
-pas un peu perdu de charme la centième fois
-que la meilleure <i>diva</i> l’a restituée à vos oreilles?
-Et, cependant, si vous avez aimé les <i>Pèlerins d’Emmaüs</i>
-de Rembrandt, il y a vingt ans, il y a trente
-ans, les aimerez-vous moins aujourd’hui que vous
-les connaissez mieux? Vous les aimerez davantage
-et davantage vous aimerez une belle symphonie de
-Beethoven! Il y a donc des goûts dont on change
-et il y a des goûts dont on ne change pas. Il y a<span class="pagenum"><a name="Page_xliii" id="Page_xliii">[xliii]</a></span>
-donc des œuvres qui plaisent du premier coup et
-qui déplaisent à la longue et il y en a d’autres qui,
-à la longue, plaisent davantage et dont le charme
-se dégage indéfiniment. Ce n’est donc pas tout de
-savoir si une œuvre d’art nous plaît: il faut encore
-savoir à quoi elle plaît en nous: si c’est à un goût
-passager fait de curiosités éphémères, ou bien si
-elle répond à ce qu’il y a de plus profond en nous
-et de plus sincère, de plus naïf dans notre admiration
-et de plus permanent dans notre humanité.</p>
-
-<p>Or qu’est-ce qui peut nous égarer un instant et
-nous tromper sur la spontanéité de notre joie et
-sur la fidélité ou la durée de notre adhésion?&mdash;Bien
-des choses, et les plus sages d’entre nous, les
-mieux avertis, les plus artistes peuvent s’y tromper.
-Voici Ingres, par exemple. «Un jour, raconte un
-de ses biographes,&mdash;c’était à l’époque de son premier
-voyage en Italie,&mdash;Ingres s’était épris, avec la
-passion qu’il apportait en toutes choses, des fresques
-de Luca Signorelli, dans la cathédrale d’Orvieto.
-Malgré les incorrections de détail et les
-bizarreries d’un style aussi peu conforme encore
-au style des chefs-d’œuvre prochains de la Renaissance,
-que dépourvu de la beauté antique, ces
-peintures, qu’il voyait pour la première fois, lui
-apparaissaient comme de vrais modèles, dignes de
-la plus minutieuse étude. Il voulait se les approprier<span class="pagenum"><a name="Page_xliv" id="Page_xliv">[xliv]</a></span>
-tous, s’installer dans l’église, au moins pour
-une semaine, avec l’élève qui l’accompagnait alors,
-et ne quitter la place que lorsqu’il aurait dessiné
-jusqu’à la dernière figure, recueilli jusqu’au
-moindre élément d’information. Le lendemain, en
-effet, il accourt armé de son portefeuille et de ses
-crayons, et le voilà au travail.... Au bout d’une
-heure, l’enthousiasme de ses paroles et de ses
-regards avait cessé. Il ne disait plus mot, détournait
-la tête, s’agitait à tout moment sur sa chaise
-et comme son élève, étonné de ces distractions et
-de ce silence, lui demandait s’il admirait moins ce
-qu’il avait sous les yeux.... «Oh! si fait! répondit
-Ingres: c’est beau, c’est très beau, mais... c’est
-laid, c’est très laid! Et puis, tenez, moi, je suis
-un Grec.... Allons-nous-en!»&mdash;Quelques instants
-après, il quittait Orvieto, oubliant aussi volontiers
-Luca Signorelli, qu’il s’était passionné pour lui,
-la veille.»</p>
-
-<p>Qu’est-ce à dire? Qu’Ingres ne fût pas sincère?
-Il était sincère. Qu’il fût dominé par l’habitude?
-Son premier mouvement avait été, au contraire,
-le goût de la nouveauté. Que, sincère et libre, il
-n’eut pas une connaissance suffisante de son métier?
-Qui l’aura?... Ou cela ne veut-il pas dire plutôt
-qu’il n’avait pas éprouvé assez son impression et
-qu’il ne suffit pas d’avoir bon goût, d’être libre,<span class="pagenum"><a name="Page_xlv" id="Page_xlv">[xlv]</a></span>
-de savoir le métier: il faut encore éprouver son
-impression.</p>
-
-<p>Il faut, d’abord, se demander si l’enthousiasme
-que nous ressentons est un enthousiasme positif
-ou s’il est négatif, c’est-à-dire si nous aimons une
-œuvre d’Art, une mode, une apparition vivante
-pour la vision qu’elle nous apporte ou pour celle
-dont elle nous débarrasse, pour sa beauté nouvelle
-que nous admirons ou bien simplement pour sa
-réaction contre un idéal vieilli que nous n’admirons
-plus. Celui qui a dit:</p>
-
-<p class="pp6 p1">Qui nous délivrera des Grecs et des Romains?</p>
-
-<p class="pn1">était évidemment prêt à admirer une œuvre d’art
-pour cela seul qu’elle échapperait à l’obsession de
-l’Antiquité. Constamment, en effet, un succès n’est
-dû qu’à un besoin de réaction. Par réaction contre
-le Réalisme, on se jette dans le Symbolisme le plus
-suggestif. Par réaction contre le Symbolisme qui
-signifie trop de choses, on se jette dans l’Impressionnisme
-qui n’en signifie plus assez. Par réaction
-contre l’Impressionnisme, où nous allons nous
-jeter? Assurément dans quelque «manière», dont
-la première qualité sera de restituer une chose
-que l’Impressionnisme aura proscrite. C’est là
-le secret de certains engouements qui, autrement,
-seraient inexplicables. «Les femmes, à l’église,<span class="pagenum"><a name="Page_xlvi" id="Page_xlvi">[xlvi]</a></span>
-a écrit Mme de Girardin, ont toujours l’air de
-prier contre quelqu’un.» On peut dire, qu’en
-Art, les grands succès qu’on fait, passagèrement,
-à une école sont faits <i>contre</i> une autre école, dont
-on est fatigué.</p>
-
-<p>Plus tard, lorsque le besoin de réaction est satisfait,
-on revient à un sentiment plus juste; le goût
-s’exerce plus librement. Or ces besoins de réaction,
-qui influencent notre jugement, ne sont pas les
-mêmes selon les générations. Ils sont contradictoires.
-Ils font osciller la balance tantôt trop d’un
-côté, tantôt trop de l’autre. Ce n’est qu’à la longue
-que la moyenne s’établit: la <i>Moyenne</i>,&mdash;c’est-à-dire
-le jugement du goût personnel, de votre goût,
-seulement de votre goût libéré de la Mode, de
-votre goût sans réaction, de votre goût positif,
-universel et permanent. C’est vers cette moyenne
-qu’il faut tendre si l’on veut juger, à fond et pour
-l’avenir, d’une œuvre d’Art.</p>
-
-<p>De même qu’il faut prendre garde que le sentiment
-soit trop passager, il faut prendre garde qu’il
-soit trop personnel, trop individuel, comme, par
-exemple, le souvenir d’un pays que l’on a vu sous
-une impression de joie intérieure, la figuration
-d’une idée qu’on a faite la compagne de sa vie ou
-d’un fait qui est entré dans notre destinée. De ce
-nombre, sont la plupart des sujets historiques passionnants<span class="pagenum"><a name="Page_xlvii" id="Page_xlvii">[xlvii]</a></span>
-pour les gens d’un seul pays, d’une seule
-époque et souvent d’une seule opinion, mais indifférents
-à tous les autres. Un sujet, par exemple,
-qui intéresse vivement certains Anglais est celui de
-John Knox prêchant devant les Lords de la Congrégation
-le 10 juin 1550. Toutes les fois qu’on
-peindra ce sujet, en Angleterre, on est sûr de soulever
-un vif enthousiasme. C’est que de cette prédication
-date une ère de réformes et de persécutions
-pour l’église anglicane. Pour nous, qui
-n’avons pas les mêmes raisons d’être émus, si nous
-allons à la <i>National Gallery</i> et si nous voyons le
-<i>John Knox</i> de Wilkie, nous ne prenons garde qu’à
-la façon dont il est peint, et comme il l’est fort mal,
-nous n’éprouvons aucune émotion. Les autres, un
-Turc, un Russe, feront de même. Et, même en
-Angleterre, lorsque John Knox sera tout à fait
-oublié, ce tableau ne fera plus d’impression à personne.&mdash;Tandis
-que les galeries de Florence, de
-Venise, de Cologne, de Bruges, d’Amsterdam,
-sont pleines de tableaux dont les sujets sont oubliés
-depuis longtemps: scènes d’histoire, dont le récit
-est indéchiffrable; légendes, dont l’intention nous
-échappe; mythes, dont le sens est perdu; miracles,
-dont on ne trouve pas trace dans les vies des
-Saints; portraits enfin, portraits de femmes inconnues
-dont le nom a duré moins que le sourire,<span class="pagenum"><a name="Page_xlviii" id="Page_xlviii">[xlviii]</a></span>
-portraits d’enfants dont on n’a jamais su le nom,
-comme ceux de Murillo à Munich, et qui, cependant,
-après trois siècles écoulés, oubliés de tous et
-de tous inconnus, enchantent encore les imaginations
-les plus diverses et les plus lointaines.</p>
-
-<p>Il peut donc y avoir à notre impression des
-causes très différentes et assez faciles à démêler:
-les unes toutes personnelles, toutes locales, qui
-tiennent seulement au <i>sujet</i>, les autres universelles
-qui ne tiennent qu’à la manière dont le sujet est
-traité. Ce sont ces dernières seules qui comptent,&mdash;non
-pas quand il s’agit de prendre du plaisir à
-l’Art, mais quand on veut en juger. Assurément
-s’il s’agit d’y prendre du plaisir, rien ne nous en
-donnera un si subtil ni si particulier que ce que
-nous croirons y découvrir tout seuls ou ce qui
-nous semblera y avoir été mis pour nous seuls. Mais
-s’il s’agit de porter sur cette œuvre un jugement
-qui soit compris par les autres, ou de comprendre
-celui que les autres ont porté, alors il faut laisser
-tomber ce qui dans notre impression est le plus
-individuel, le plus personnel, et, au contraire, en
-recueillir ce qu’il y a en elle de plus altruiste, de
-plus universel.</p>
-
-<p>Qu’est-ce donc qui est le plus universel? Qu’est-ce
-qui émeut toutes les âmes artistes? C’est la
-beauté spécifique de l’Art: c’est ou la qualité de<span class="pagenum"><a name="Page_xlix" id="Page_xlix">[xlix]</a></span>
-la sensation colorée, ou celle de la ligne, ou celle de
-la densité ou du relief, ou celle de la puissance et
-de la souplesse de mouvement. Il n’est pas besoin
-pour les ressentir d’être de tel pays, de telle époque,
-de telle condition sociale. C’est la langue universelle
-parlée par tous, entendue par tous. Si ces
-qualités-là y sont, l’œuvre qui nous a plu est belle.</p>
-
-<p>Envisageons maintenant la seconde hypothèse:
-l’œuvre nous déplaît. Cela suffit, pensez-vous
-peut-être comme William Morris qui disait: «Ce
-qui est laid, c’est ce qu’on n’aime pas». Non, cela
-ne suffit pas. Encore faut-il savoir à quoi elle
-déplaît en nous, si c’est réellement à notre goût,
-à notre sentiment esthétique: si elle contrarie notre
-vision directe de la nature ou de la vie, ou bien si
-ce ne serait pas à une idée préétablie, à une habitude
-prise, à une éducation reçue, à une formule,
-à un type que nous avons accoutumé d’admirer et
-auquel nous rapportons, inconsciemment, tout ce
-que nous voyons de nouveau. Par exemple, sir
-George Beaumont entre un jour dans l’atelier de
-Constable, qui venait d’achever un paysage, le
-regarde en connaisseur qu’il était et lui dit: «Oui,
-c’est très bien,... mais je ne vois pas votre petit
-<i>arbre brun</i>.... Où allez-vous mettre votre petit
-<i>arbre brun</i>?» Or il n’y avait pas de petit arbre
-brun dans le coin de nature interprété par Constable,<span class="pagenum"><a name="Page_l" id="Page_l">[l]</a></span>
-mais, à cette époque, il était entendu qu’il
-fallait toujours, au premier plan, un petit arbre
-brun, ou une souche, ou une racine noire. C’était
-une habitude entrée tellement dans la vision des
-amateurs, que s’ils ne voyaient pas le premier plan
-pourvu de ce sombre appendice, ils ne reconnaissaient
-pas un signe des tableaux de maîtres, et ils
-étaient choqués.</p>
-
-<p>C’est cette habitude, cette intoxication, pourrait-on
-dire, du brun, du noirâtre, de la couleur ambrée
-qui a fait repousser les impressionnistes quand ils
-ont paru. On s’est écrié: «Qu’est-ce que ces
-ombres violettes? Les ombres ne sont pas violettes!
-Les ombres sont brunes.» Sans entrer, pour le
-moment, dans l’examen des théories impressionnistes,
-on peut dire que les ombres ne sont certainement
-pas, au moins en plein air, brunes comme
-on les peignait avant eux. Ce n’était nullement une
-loi de nature: c’était une simple habitude prise à
-regarder les tableaux jaunis et noircis des maîtres.
-Et, alors, devant des essais beaucoup plus justes,
-on était choqué, on criait au scandale. «Le terreux
-et l’olive, dit Delacroix, ont tellement dominé
-leur couleur que la nature est discordante à leurs
-yeux avec ses tons vifs et hardis.»</p>
-
-<p>Comment donc s’y prendre, quand une œuvre
-imprévue, une technique nouvelle vient étonner<span class="pagenum"><a name="Page_li" id="Page_li">[li]</a></span>
-la vision que les œuvres anciennes nous ont donnée
-de la nature? Comment discerner si c’est une tentative
-légitime, une vision juste,&mdash;ou une gageure,
-une erreur ou une folie? Tout simplement en le
-demandant au modèle lui-même, à la grande inspiratrice:
-en consultant la Nature et en lui
-comparant, en collationnant, pour ainsi dire,
-avec elle, l’interprétation nouvelle qu’on veut nous
-en imposer. On dit: Tous les goûts sont dans la
-Nature. Soit. Mais toutes les nouveautés y sont
-aussi. «Le réalisme, dit Delacroix, est la grande
-ressource des novateurs, dans les temps où les
-écoles alanguies, pour réveiller les goûts blasés
-du public, en sont venues à tourner dans le cercle
-de leurs inventions. Le retour à la Nature est proclamé,
-un matin, par un homme qui se donne pour
-inspiré.» C’est la loi de toutes les révolutions
-esthétiques. Il faut donc y retourner aussi pour
-juger d’un nouvel effort. D’ailleurs, quand paraît
-un mot nouveau, une expression inconnue, que
-faisons-nous pour en juger? Par exemple, le mot:
-<i>ensoleiller</i>, le mot: <i>papillonner</i>, le mot: <i>mondial</i>?
-Irons-nous comparer l’expression nouvelle à celles
-qui existent déjà et voir si elle leur ressemble? Ou
-n’irons-nous pas plutôt la comparer à la pensée et
-voir si elle la rend? Devrons-nous chercher dans
-un dictionnaire et, si nous ne l’y trouvons pas,<span class="pagenum"><a name="Page_lii" id="Page_lii">[lii]</a></span>
-dire: c’est une expression mauvaise; il ne faut
-pas l’accepter! Ou ne devrons-nous pas chercher
-dans la pensée si la nuance que rend le mot y
-existe, et si cette nuance existe et si l’on n’a pour
-la rendre encore aucun mot, ne dirons-nous pas
-qu’il est légitime de l’employer? Or comparer
-l’expression nouvelle à la pensée, en littérature,
-c’est, en Art, comparer la vision nouvelle à la
-Nature,&mdash;qui est peut-être une pensée infinie.</p>
-
-<p>Ainsi, pour juger d’une œuvre d’art, d’une forme
-nouvelle dans la vie, un seul guide: le goût.</p>
-
-<p>Mais le goût libéré des associations d’idées et de
-l’habitude.</p>
-
-<p>Or le goût ne se libère des idées que s’il s’attache
-aux qualités spécifiques de l’art, parce que, seul,
-il peut les sentir.</p>
-
-<p>Il ne se libère de l’habitude que s’il se retrempe
-dans la contemplation de la Nature parce que,
-seule, elle contient toute nouveauté.</p>
-
-<p>Juger avec son goût; le goût s’exerçant sur les
-qualités spécifiques; ces qualités étant considérées
-dans leur rapport avec la Nature;&mdash;toute la
-méthode pour juger d’une œuvre d’art ne serait-elle
-pas là?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_liii" id="Page_liii">[liii]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 mid">IV</p>
-
-<p class="p2">Telle est la méthode appliquée dans les essais qui
-vont suivre. Dans aucun d’eux, l’auteur ne prend
-parti contre le goût instinctif de la foule; mais
-dans tous, il essaie de libérer ce goût des habitudes
-de la vision et de le mettre en garde contre les
-sophismes du raisonnement. Si l’on condamne,
-de prime abord, la forme grêle des ponts métalliques,
-il demande un second examen. Il examine si
-ce n’est point l’accoutumance aux formes massives
-de la pierre qui nous empêche d’admirer la fine trajectoire
-du fer. Si l’on refuse de voir dans les meilleures
-œuvres de Monet ou de Sisley des effets justes
-rendus avec puissance, le lecteur est simplement
-sollicité d’observer s’il ne s’est point fait les yeux
-aux tonalités chaudes et cuites des anciens paysagistes,&mdash;et
-si, en s’efforçant de voir la nature
-avec des yeux neufs, en considérant les champs
-par le plein soleil, il ne retrouve pas plutôt les tons
-de Claude Monet que ceux de Claude Lorrain. Et,
-ainsi, la beauté de certaines choses nouvelles
-apparaît, pour peu qu’on laisse décider le goût,
-sans l’obsession des modèles anciens et des souvenirs.</p>
-
-<p>Mais, d’autre part, l’auteur ne pousse pas si<span class="pagenum"><a name="Page_liv" id="Page_liv">[liv]</a></span>
-loin la méfiance de cette obsession ou de ces
-souvenirs qu’elle le détourne de son instinct,
-lorsqu’il s’élève avec persistance contre une chose
-nouvelle. Si donc, sacrifiant son goût instinctif et
-son impression sensorielle à quelque raisonnement,
-le lecteur se croit tenu d’admirer le vêtement géométrique
-moderne ou les maisons de rapport de
-vingt étages, «parce qu’il n’y a pas de formes laides
-en soi» et «dont l’Art ne puisse tirer parti»,&mdash;ou
-s’il condamne, malgré qu’il les trouve belles,
-certaines photographies de tout point semblables à
-des mezzo-tintes ou à des fusains, «parce que la
-nature n’y est pas vue à travers un tempérament»,&mdash;l’auteur
-demande la permission d’examiner ce
-que valent ces deux propositions philosophiques:&mdash;s’il
-est bien vrai que l’Art ait jamais tiré parti
-de la laideur géométrique ou s’il est bien sûr qu’il
-n’y ait point, dans certaines photographies, «intervention
-d’un tempérament». Car ce sont là des
-arrêts justiciables de la critique la plus rationnelle,
-puisque le goût, l’instinct naturel y est plutôt contrarié
-que suivi et que, seule, une opération de la
-raison en a décidé.</p>
-
-<p>Quant au reste, quant à ce qui ne relève pas de
-la critique historique, c’est la Nature seule qu’il
-faut consulter. Elle seule est toujours belle, ou,&mdash;si
-le mot de beauté éveille une idée de perfection plastique<span class="pagenum"><a name="Page_lv" id="Page_lv">[lv]</a></span>
-trop restreinte et trop anthropomorphe,&mdash;elle
-seule est toujours, en tous ses détails, et à
-toutes ses heures, une joie pour le sentiment profond
-qui veille en nous. A ce sentiment esthétique,
-ou à cette sensation, qui ne se définit guère que
-parce qu’il n’est pas et qui ne s’explique pas plus à
-celui qui l’ignore que les sensations de la faim ou de
-la soif à qui ne les a jamais ressenties, constamment
-il faut en appeler. Il est juge suprême de l’Art, parce
-qu’il en jouit et en souffre suprêmement. Combien
-l’éprouvent, je ne pourrais le dire, mais comme un
-culte commun, il unit à travers l’espace, devant les
-mêmes œuvres, des êtres qui s’ignorent et, à travers
-le temps, des êtres qui se succèdent, par les mêmes
-émotions subtiles ressenties et les mêmes colères,
-et les mêmes douleurs et les mêmes joies éprouvées.
-S’il est des «questions esthétiques contemporaines»,
-c’est pour ceux-là seulement d’entre
-nous, pour qui il y a des joies et des douleurs esthétiques,
-et toute la science ou la raison du monde
-ne nous servirait de rien sans cette joie ou cette
-douleur, pour les éclaircir, ou seulement pour les
-éprouver.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_lvi" id="Page_lvi">[lvi]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_1" id="Page_1">[1]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<p class="pc4 xlarge">PREMIÈRE PARTIE</p>
-
-<p class="pc2 large font1"><b>L’ESTHÉTIQUE DU FER</b></p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_2" id="Page_2">[2]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_3" id="Page_3">[3]</a></span></p>
-
-<h2 class="p2">L’ESTHÉTIQUE DU FER</h2>
-
-<p class="p2">Réssuscitons par la pensée le printemps de
-l’année 1900. C’est l’année de l’Exposition universelle.</p>
-
-<p>Les oiseaux migrateurs qui passent en cette
-saison sur Paris voient le long du fleuve qu’ils
-connaissent un spectacle qu’ils ne connaissaient
-pas. L’ensemble de la ville n’a pas changé. C’est
-bien toujours la même mer grise de pierres où
-traînent des vapeurs, où s’enfoncent des paquets
-d’herbes, où émergent çà et là les nefs des cathédrales
-et les bouées noires et dorées des dômes
-dans le flottement des ombres violettes qui suivent
-la course des nuages. Mais ce qui est nouveau,
-c’est l’entassement d’une multitude de toits,
-sur des rives ordinairement vides, et ce qui est
-étrange, c’est leur diversité.</p>
-
-<p>La plupart de ces toits, l’oiseau migrateur les
-connaît et, s’il est de ceux qui y suspendent leur
-nid, il en sait le degré d’hospitalité. Mais il ne les a
-jamais vus ensemble. Il est accoutumé à trouver,<span class="pagenum"><a name="Page_4" id="Page_4">[4]</a></span>
-après les toits pointus en bois ou en ardoises des
-régions pluvieuses, le toit de tuiles des climats
-tempérés, puis le dôme et la terrasse des pays
-chauds, mais non pas avant d’avoir traversé les
-montagnes qui partagent les bassins, ni suivi les
-vallées où s’étagent les vignes, ni passé la mosaïque
-bleue et or de la mer et des îles et vu se presser
-les têtes rondes des orangers et la garde montante
-des cyprès.</p>
-
-<p>Ici, en planant, dans un coup d’ailes, il aperçoit,
-aussi serrés les uns contre les autres que des
-chapeaux dans une foule, tous les toits que séparent
-d’ordinaire de longues journées de voyage à
-travers les climats changeants: chapeaux plats,
-chapeaux ronds, chapeaux de paille, casques d’or,
-pyramides à écailles de bois disposées pour le glissement
-des neiges; terrasses faites pour goûter la
-fraîcheur des soirs, dômes d’Orient, piles d’abat-jour,
-toits relevés à leurs bouts comme des souliers
-à la poulaine, pigeonniers du moyen âge,
-taillis de couteaux du Soudan, tas de grosses
-bûches des toupas ou des isbas; tous les jets des
-flèches et tous les bouillonnements des coupoles,
-depuis la pomme byzantine jusqu’à la poire d’or
-moscovite. Voilà ce qu’un migrateur au printemps
-de l’année 1900 pouvait voir en passant.</p>
-
-<p>Mais pendant l’hiver qui précéda l’Exposition,<span class="pagenum"><a name="Page_5" id="Page_5">[5]</a></span>
-ce qu’il eût aperçu était plus étrange encore.
-Au premier abord, en voyant la fourmilière des
-ouvriers s’acharner à ces constructions hémisphériques
-tout au bord de l’eau et avec des matériaux
-qui, de haut, ressemblaient beaucoup à de
-fines bûches, il les eût pris pour un peuple de
-castors au travail. Au bout de quelques instants,
-à mieux considérer ces édifices, il les aurait crus
-construits par des oiseaux. On eût dit en effet des
-nids gigantesques posés sur les deux bords d’un
-ruisseau: nids formés d’un inextricable fouillis
-de baguettes entremêlées avec une incomparable
-adresse, que peut seule surpasser celle du loriot
-ou de la rousserole; nids feutrés sinon du coton
-des fleurs de peuplier, de toiles d’araignées ou de
-mousse, du moins de chanvre ou d’étoupe mêlés
-à du plâtre, c’est-à-dire de <i>staff</i>; nids tressés de
-tiges de fer comme ce nid qu’on peut voir à
-Soleure, pays d’horlogers, et que les oiseaux ont
-construit avec des ressorts de montres.</p>
-
-<p>L’armature fine, délicate, nouvelle de tous ces
-monuments, l’ingéniosité de ces nids ou de ces
-treillis de fer, impondérables à l’œil quand ils
-étaient nus, insoupçonnables dès qu’ils furent
-revêtus, armature commune de tous ces organismes
-si différents, tel fut assurément le plus
-grand prodige de l’Exposition de 1900.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_6" id="Page_6">[6]</a></span></p>
-
-<p>Devant cette végétation de fer de plus en plus
-touffue et envahissante, nous reconnaissons la
-marche sûre et les fortes prises de la science. Et
-quand, par hasard, cette armature, débarrassée de
-tous les matériaux qui la cachent, veut se suffire
-à elle-même et apparaît seule à nos regards,
-comme dans l’intérieur de quelques palais et dans
-le nouveau pont jeté sur la Seine, quand nous
-voyons se réaliser au seuil du siècle nouveau le
-vœu de ce poète du <span class="smcap">XVI</span><sup>e</sup> siècle:</p>
-
-<p class="pp6 p1">Une maison d’archal composée en réseaux,</p>
-
-<p class="pn1">ce n’est plus seulement de l’admiration pour la
-Science, mais ce sont des inquiétudes pour l’Art.</p>
-
-<p>Inquiétudes mêlées d’espérances, car, dans l’agglomération
-de toutes ces formules de bois, de
-pierre, ou reproduisant exactement les formes du
-bois et de la pierre, le seul rameau nouveau, qui
-s’ajoute au vieil arbre touffu et confus de l’architecture
-universelle, est un rameau de fer. Que
-faut-il partager de ces inquiétudes? Jusqu’où faut-il
-aller de ces espérances? C’est ce que les exemples
-mis depuis quelques années sous nos yeux
-nous permettent peut-être de déterminer.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">[7]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE I</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Comment juger d’une architecture nouvelle?</b></p>
-
-<p class="pc2 mid">§ 1.</p>
-
-<p class="p2">Comment en jugerons-nous? Avec notre goût.
-Car, pour juger d’une forme nouvelle, nous devons
-nous garer de deux suggestions: l’une que nous
-fournit la pure habitude, l’autre que nous inspire
-le raisonnement pur; la première ayant façonné
-notre goût, jusqu’à le rendre hostile à toute forme
-nouvelle, et le second nous faisant défier de cette
-habitude, jusqu’à l’abdication complète de notre
-goût. Les deux manières de juger sont fatales,
-car elles entravent également l’indépendance du
-seul sentiment qui nous permette d’éprouver la
-beauté: le sentiment esthétique, alors que la
-raison ne doit servir qu’à écarter du sujet les
-entreprises de la raison même et assurer le libre
-exercice du goût.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">[8]</a></span></p>
-
-<p>En effet, parce qu’une forme imprévue éveille
-en nous d’autres idées que l’usage du monument
-auquel l’artiste vient de l’employer, il ne faut pas
-la condamner comme laide. Et, par exemple, ce
-n’est point parce qu’un musée ressemblerait de
-loin à un chapiteau d’alambic ou une porte monumentale
-à un appareil de chauffage, qu’il faudrait,
-dès l’instant, les condamner. Ce n’est point davantage
-parce que de minces piliers, faits d’une matière
-nouvelle et supportant une énorme voûte, ne
-nous fourniront plus l’impression de stabilité que
-nous donnaient les larges assises de pierre, qu’il
-faudrait dire que toute beauté est perdue. L’habitude
-n’est pas une loi.</p>
-
-<p>Mais, d’autre part, parce qu’une forme, bien que
-laide, nous paraîtrait s’approprier exactement aux
-besoins de la vie moderne, comme fait une gare
-de chemin de fer, il ne faudrait pas en conclure
-nécessairement qu’elle est belle. Une forme peut
-être nouvelle à la fois et belle. Mais elle peut être
-nouvelle, exactement appropriée à un besoin moderne,
-représentative d’une foules d’idées sociologiques,&mdash;et
-laide sans plus.</p>
-
-<p>Dans les deux cas, ce dont il faut se méfier, c’est
-l’abus du raisonnement. Ce qu’il faut suivre, c’est
-l’impression esthétique, et non pas ce que cette
-impression a de surtout intellectuel, comme l’association<span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">[9]</a></span>
-des idées dans notre tête, mais ce qu’elle
-a surtout de sensible, comme l’association des
-formes devant nos yeux. Ce qu’il faut en croire
-surtout, c’est notre impression.</p>
-
-<p>Or, ce qui provoque d’abord l’impression des
-yeux, ce n’est pas une notion intellectuelle, ce n’est
-pas l’idée de l’appropriation à un usage, ce n’est
-pas l’idée de signification structurale, ce n’est pas
-même l’idée de stabilité: c’est l’élégance, le rythme,
-la silhouette totale, apparue; c’est, si l’on peut ainsi
-dire, la <i>tache</i> heureuse que fait un monument sur
-la ville et sur le ciel.</p>
-
-<p>Si cette tache n’est pas heureuse, si, aux yeux,
-les lignes décisives sont lourdes ou étriquées, ou
-monotones, vainement prouvera-t-on que l’édifice
-est solide, approprié à sa destination, révélateur
-de sa fonction, suggestif d’idées; il pourra plaire à
-l’esprit, il ne plaira pas au sentiment esthétique.
-A l’inverse, si la tache est heureuse, le monument
-peut être archaïque, exotique, mal approprié au
-sol et au ciel; il peut, vu de son pied, n’offrir que
-des profils tristes, des reliefs masqués les uns par
-les autres, et pourtant, s’il est contemplé de loin,
-produire sur la ville et dans le ciel une tache heureuse,
-une apparition révélatrice.</p>
-
-<p>Le Sacré-Cœur de Montmartre est un exemple.
-Peu de projets furent assaillis de critiques plus<span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">[10]</a></span>
-vives, plus unanimes, plus légitimes. D’abord,
-cette église n’était guère qu’une coupole, sans
-nef qui y conduisît. D’en bas, on ne pouvait apercevoir
-sa façade, mais seulement son porche,&mdash;ce
-qui ne donnait l’idée que d’une grande chapelle.
-Il n’y avait point de lumière au dedans, et point
-d’ombres, accusant les reliefs, au dehors. D’ailleurs,
-pourquoi cet art exotique et vieillot du
-«Bas-Empire»? Pourquoi, sur la Ville Lumière,
-ce pastiche énorme d’une obscure bâtisse de Périgueux?
-Toutes ces critiques semblaient très justes,
-et si l’on va regarder le colosse de près ou du bas
-de la Butte, elles n’ont rien perdu de leur vérité.
-Mais puisqu’on le voit de tant de points différents
-de Paris, de l’avenue Montaigne comme de la rue
-Solférino, des boulevards comme du haut de
-Meudon, c’est sans doute son effet lointain et total
-qu’il faut considérer.</p>
-
-<p>Or, cet effet est une révélation. On ne voit plus,
-au-dessus de la montagne de maisons grises, qu’un
-léger nuage blanc et violet, nuage d’où ne tombe
-nul orage, mais, seul et rare, le grondement
-d’une cloche. Le critique ne perçoit, si bien qu’il
-regarde, qu’un floconnement de coupoles qui
-assaillent le ciel, l’une montant sur l’autre, la
-dernière enfin atteignant son but, et recouvrant
-tout de sa splendeur. Bien au-dessus des coupoles<span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">[11]</a></span>
-de la contemplation et de la guerre, au-dessus
-des observatoires fixés sur les terres, et
-des tourelles errantes sur les mers où s’embusquent
-les plus prodigieux appareils d’observation
-ou de destruction qu’ait produits le génie humain,
-s’élève maintenant la coupole du Salut. Et l’on
-sent que cette forme est bien celle qui convenait
-ici. Au sommet d’une ville qui pyramide, ce n’est
-point un nouvel élan qu’il faut, mais une couronne.
-Des plaines, il est bon que les flèches
-s’élancent vers le ciel comme une prière. Mais
-des hauteurs il est mieux que les coupoles s’abaissent
-comme une bénédiction.</p>
-
-<p>De même, la «tache heureuse», c’est le mérite
-du Petit Palais et de la perspective entière des
-Champs-Élysées aux Invalides. Certes, il n’y a rien
-dans ces monuments de nouveau, ni de puissant.
-Le «Grand» Palais se prolonge, çà et là, dans un
-développement si peu compréhensible qu’il paraît
-des deux le plus petit. Sa colonnade se juche sur
-un soubassement si haut et se tapit sous une
-masse de verre si énorme, que les colonnes,
-réduites à un rôle purement ornemental, ne jouent
-plus le rôle de supports où leur élégance se déploierait.
-Le style est tellement composite, que
-tout en satisfaisant l’œil à peu près partout, il ne
-frappe et ne s’impose nulle part. Quelques ornements<span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">[12]</a></span>
-se dressent inutilement, telles ces fioles
-gigantesques et inexplicables qu’on voit plantées
-deux par deux, çà et là, sur le haut de l’édifice. Dès
-qu’on s’éloigne, l’énorme ballon de verre, allongé
-sur la pierre comme un aérostat, plus pesant aux
-yeux qu’un toit de pierre ou d’ardoises, écrase,
-opprime et aplatit jusqu’à terre le pauvre édifice.
-Et des chevaux féroces, projetés en éventail sur
-chacune des portes latérales, s’épuisent en efforts
-désespérés pour quitter ce monument auquel un
-sort inexplicable les a, momentanément, attachés.</p>
-
-<p>Mais, quand on aura fait ces critiques et cent
-autres, il n’en restera pas moins que, vus des
-Champs-Élysées, les deux palais sont ce qu’il
-fallait qu’on vît. Ils forment l’allée nécessaire,
-plantée de colonnes ioniques, qui conduit l’œil
-aux pylones qui marquent les limites du fleuve.
-Ce sont les jalons indispensables pour creuser
-l’horizon vers le dôme. La «tache» que fait
-chacun de ces deux palais est si heureuse qu’on
-ne la remarque déjà plus. Il semble qu’ils aient
-toujours été là. Quand on entre dans le Petit
-Palais de M. Girault, on éprouve cette impression
-de paix. On l’éprouve aussi sous la colonnade intérieure
-qui égaie l’hémicycle, devant les trois
-miroirs où se reflètent les marbres neufs, et où
-l’on voit, quand un souffle ride l’eau, les génies<span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">[13]</a></span>
-qui se tiennent sur le portique, remuer, au gré des
-reflets, leurs ailes d’or.... Le succès du <i>Petit Palais</i>,
-c’est le triomphe de l’éclectisme, mais c’est aussi le
-signe évident que notre architecture n’excelle
-qu’aux recommencements et, qu’au milieu de
-tant de choses neuves, il n’y a pas une nouveauté.</p>
-
-<p>La pierre n’aura-t-elle donc rien fourni d’imprévu
-dans cette immense poussée architecturale? N’y
-a-t-il rien qui donne une physionomie nouvelle au
-Paris de 1900?&mdash;Si. Mais ce n’est pas un legs de
-l’Exposition. Regardez plus loin vers le Sud et
-regardez plus haut vers le Nord. Deux monuments
-dont personne ne parlait plus et qu’on n’avait point
-invités à la fête, deux intrus gigantesques surgissent
-brusquement l’un dans la plaine, l’autre sur
-la colline et, ensemble, aux deux côtés de l’horizon,
-donnent à Paris un couronnement que nous
-ne lui connaissions pas. L’un est le dôme des
-Invalides, l’autre est le Sacré-Cœur de Montmartre.
-Entre les deux rives qu’ils ponctuent, la science a
-jeté le pont de la Paix. Ce dôme, ce faisceau de
-coupoles, ce pont qui permet d’aller des unes à
-l’autre, voilà ce que Paris n’avait pas encore vu et
-ce que le monde entier découvre aujourd’hui
-comme une vision nouvelle dans Paris. L’un nous
-était caché par les échafaudages, l’autre par le<span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">[14]</a></span>
-palais de l’Industrie. Les nuages se sont dissipés.
-Le palais où l’on vit tant de mauvaises peintures
-est tombé comme un mauvais rêve. A son dernier
-jour seulement, réduit à sa porte monumentale
-sous la pioche du démolisseur, il revêtit un instant
-la dignité d’une ruine. Il eut l’aspect d’un vieil arc
-de triomphe, tandis que dans l’atmosphère de
-février mêlée de pluie et de soleil, l’aiguille d’or
-des Invalides, soudain apparue, tournée vers les
-nuages derrière les décombres, droite, étincelante,
-sembla marquer une heure invisible, dans le ciel
-incertain de la patrie....</p>
-
-<p>En bas, <i>Gallia Victrix</i>, en haut, <i>Gallia pœnitens
-et devota</i>: la vision est singulièrement antithétique
-et saisissante. Certes ces deux monuments
-furent assaillis de bien des colères philosophiques,
-le plus ancien, pour son souvenir qu’on trouvait
-insolent, le plus jeune, pour sa devise qu’on trouvait
-trop humble, comme s’il y avait quelque honte
-à faire, après les épreuves que l’on sait, un examen
-de conscience nationale et comme si, d’ailleurs, la
-foi qui poussa tant de millions de Français dans
-cette œuvre désintéressée, patiente, profonde, dans
-cet édifice dont la hauteur souterraine égale exactement
-la hauteur visible, n’était pas, quelque opinion
-qu’on puisse avoir sur son objet, une preuve
-de vie, et, autant que nos formidables exhibitions<span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">[15]</a></span>
-industrielles, un signe de force au manomètre
-d’une nation!</p>
-
-<p>Et, d’autre part, est-il mauvais que l’apparition
-du dôme de Mansart nous rappelle ce qu’à ce
-manomètre la gloire jadis a marqué? Les choses
-ont leurs ironies plus encore que leurs larmes, et
-dans la hâte où nous sommes de leur donner des
-significations éternelles, nous courons le risque
-des prédictions d’almanach. On a construit ce pont
-à l’honneur de la Paix et le voici qui mène tout
-droit au Dieu de la Guerre. On a ouvert ce chemin
-pour aller commodément jusqu’à ce congrès pacifique
-des peuples, entre les mille drapeaux des
-nations flottant sur diverses épices, et il se trouve
-que c’est une trouée vers le casque flambant au
-soleil qui recouvre les mêmes drapeaux étrangers,
-seulement déchirés, ceux-là, et conquis dans les
-batailles. De son antre de vieilles pierres françaises
-taillées par les maçons du grand siècle, au
-fond de la cour d’honneur, ayant sous ses pieds le
-bronze historié de Wurtemberg et sur sa tête les
-étendards suspendus dans le sanctuaire, le «petit
-homme... tout habillé de gris» regarde droit à
-travers l’Exposition jusqu’au cœur de la ville qui
-lui était masqué.</p>
-
-<p>On savait qu’il existait, sans doute, mais on
-avait oublié qu’il fût là, si près dans ces Champs-Élysées<span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">[16]</a></span>
-cosmopolites où tous les peuples du Nouveau-Monde
-pouvaient passer et repasser sans le
-voir. Mais, tout d’un coup, il paraît. Et comme
-une foule qui se range sur le passage d’un souverain,
-voici que tous ces palais de carton: palais
-des arts décoratifs et palais des manufactures
-nationales, palais des peuples nouveaux comme
-palais des peuples jadis vaincus, palais aigrettés
-comme des casques et chamarrés comme des
-chambellans, se sont rangés des deux côtés pour
-laisser voir au loin, tout au bout du sillon creusé
-par le respect, le dôme or et noir, le monument
-solide et hautain d’une gloire qui n’est plus. Et il
-semble qu’on entende retentir tout à coup, dans les
-Champs-Élysées inutilement affairés et gravement
-frivoles, le cri qui faisait ranger tous les courtisans
-dans les salles des Tuileries ou de Saint-Cloud:
-«l’Empereur!»</p>
-
-<p class="pc2 mid">§2.</p>
-
-<p class="p2">Ce don d’une architecture nouvelle que la pierre
-nous refuse, le fer nous le promet-il? On s’en flatte
-d’ordinaire et l’on a écrit là-dessus de très belles
-pages. Jadis Boileau et Labrouste en fournirent
-de fort bonnes raisons et de fort mauvais exemples.
-A cette opinion Viollet-le-Duc se rangea aussi.<span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">[17]</a></span>
-Depuis eux, cette idée s’est répandue qu’une civilisation
-nouvelle, servie par de nouveaux matériaux,
-ne pouvait manquer de produire un style
-d’architecture nouveau. Et puisque le fer était
-d’hier, il devait donner des courbes, des voûtes,
-des lignes que l’Antiquité ni le Moyen Age n’avaient
-connues.</p>
-
-<p>Dans ces inoubliables pages simplement définies
-par leur auteur, «les Cahiers d’un Étudiant à l’Exposition
-de 1889», où Melchior de Vogüé découvrit
-à tant d’âmes curieuses, inquiètes, la signification
-de l’évolution matérielle à laquelle nous
-assistions, l’éloge du fer retentit comme la diane
-et nous réjouit comme une aurore. Beaucoup de
-nos impressions confuses semblaient le corroborer.</p>
-
-<p>Comme les monuments les plus simples que
-nous devions à son emploi dans les usages utiles
-de la vie nous paraissaient infiniment moins laids
-que nos prétentions architecturales; comme la
-Galerie des machines de Paris ou l’<i>Ames Building</i>
-de Boston étaient moins offensants pour la vue
-que le casino de Monte-Carlo ou que le Trocadéro,
-nous en tirions tous cette conclusion que le fer
-possédait par lui-même quelque vertu de «beauté
-abstraite et algébrique», que, dans tous les cas,
-la «force du besoin» clairement manifestée était
-sans doute un principe de beauté.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">[18]</a></span></p>
-
-<p>C’était partir d’une observation très juste, mais
-incomplète pour en tirer une déduction très contestable.
-Car, s’il est assez difficile, en architecture
-comme ailleurs, de déterminer quel est le
-vrai principe de beauté, il ne l’est pas d’apercevoir
-qu’il ne tient ni dans la force de l’algèbre, ni dans
-la force du besoin. On n’a jamais observé qu’une
-chose fût belle par cela seul qu’elle était nécessaire.
-Ce qu’on a observé maintes fois, c’est qu’une chose
-née du besoin et neutre au point de vue esthétique
-devenait laide, quand on la parait d’un ornement
-né de la fantaisie. Ce n’est pas la force du besoin
-qui est un principe de beauté: c’est la faiblesse
-du superflu qui est une raison de laideur. Là où le
-besoin se manifeste seul, il n’y a le plus souvent ni
-laideur, ni beauté. Il y a une sorte de neutralité
-esthétique. De grands murs nus ou quadrillés de
-briques apparentes et criblés de fenêtres égales
-peuvent être tristes: ils ne sont pas irritants comme
-des façades de petits théâtres chargés de tous les
-désordres grecs ou de toutes les intempérances de
-l’Orient. On vivra tristement devant ces maisons
-simples, mais non dans la colère. Elles sont comme
-de longues plaines endormies sous les neiges,
-qu’aucun accident ne trouble, que nul ornement
-n’égaie. Mais elles ne sont pas de mauvais goût. Le
-mauvais goût ne se révèle qu’avec l’accident, l’ornement,<span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">[19]</a></span>
-la prétention architecturale. Le mauvais
-goût suppose l’exercice d’un goût. Le laid ne commence
-qu’avec la recherche du beau.</p>
-
-<p>Quand vous passez devant un monument agressivement
-inesthétique, supprimez par la pensée
-tous les ornements inutiles à sa solidité et indépendants
-de sa fonction, redressez toutes les
-courbes que rien ne suggère, abattez toutes les
-moulures que rien ne nécessite et le monument
-cessera d’être laid. Mais il ne deviendra pas nécessairement
-beau. En supprimant l’inutile, en serrant
-de près la logique de la construction, vous aurez
-certainement ôté la laideur. Mais vous n’aurez pas
-nécessairement conféré la beauté.</p>
-
-<p>Et, d’autre part, que de belles lignes monumentales
-ou décoratives ne sont pas logiques le moins
-du monde et ne satisfont nullement notre raison,
-mais seulement notre goût, notre instinct tout
-physique, et sensoriel d’harmonie, de souplesse et
-de vigueur! Que de chefs-d’œuvre où l’ornement
-n’est pas une mise en évidence de la structure
-interne, mais une dissimulation! Que de riches
-courbes qui ne sont pas dérivées des qualités spécifiques
-des matériaux employés, mais imitées de
-formes créées pour d’autres matières, en d’autres
-temps et sous d’autres cieux! Voici le <i>Baptistère</i>
-de Florence: la forme ronde et cintrée de sa structure<span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">[20]</a></span>
-interne est-elle révélée au dehors par une construction
-circulaire? Point du tout; les murs sont
-plats et la figure hexagone, en sorte qu’on croit
-entrer dans une salle rectangulaire, et on trouve
-une rotonde. Voici le <i>Saint-Marc</i> de Venise: l’ossature
-est-elle visible? Non, elle est dissimulée sous
-un revêtement éclatant de mosaïque à l’aspect de
-métal. Voici l’architecture arabe: les arcs, les
-ogives découpés à profusion ne nous laissent pas
-de doute. Nous voyons bien que le poids est rejeté
-tout entier sur les côtés.... C’est faux! Il repose sur
-les poutres horizontales demeurées invisibles.
-Prenons la colonne dorique. Faut-il blâmer la
-forme du fût renflée à mi-hauteur, parce qu’elle
-est inspirée de l’écrasement des faisceaux de
-cannes primitivement employés, ou n’est-elle pas
-un charme de plus? Faut-il blâmer les plus anciens
-monuments de l’Inde, parce qu’ils reproduisent en
-pierre les poutres et les balustrades de bois et en
-imitent jusqu’aux joints? Ou les meubles du Moyen
-Age et de la Renaissance, parce que le bois y
-reproduit les formes architectoniques de la pierre?
-Où est la logique en tout cela? où l’appropriation
-de la forme à la matière? où l’expression de la
-structure intime par l’ornement?</p>
-
-<p>Que de beaux édifices, enfin, dont l’aspect ne
-révèle nullement la fonction! Et quand, d’aventure,<span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">[21]</a></span>
-l’un de ceux qui la révélaient ne remplit plus la
-fonction pour laquelle il fut conçu, cesse-t-il pour
-cela d’être beau? La façade de l’hôtel des Invalides
-est-elle devenue moins belle depuis qu’elle recouvre
-des comités techniques d’inventions à la place de
-l’hospice héroïque qu’elle était censée annoncer
-aux yeux? Le palais des papes d’Avignon est-il
-moins beau depuis qu’il ne contient plus de papes,
-les pyramides moins belles depuis qu’elles n’ont
-plus leurs morts? Qui a jamais compris, en les
-voyant, à quoi peuvent servir les gopuras ou les
-terrasses superposées de l’Inde, et qui a hésité à les
-admirer? Quand s’élève, à l’horizon ou dans la
-forêt, une belle harmonie de pierre, ou de bois, ou
-de métal, qu’importe qu’elle serve à une église ou
-à un hôpital, à une caserne ou à un château, à une
-forteresse ou à un concert? ce n’en est pas moins
-une belle harmonie. Dire que, pour être belle, une
-forme doit annoncer et exprimer la fonction qu’elle
-remplit, c’est énoncer une de ces propositions respectueusement
-admises par la critique contemporaine
-pour leur aspect rigoureux, mais que rien ne
-vérifie et qu’on se passe de main en main comme
-une pièce fausse, de confiance, faute de l’avoir
-jamais regardée.</p>
-
-<p>Quand donc nous aurons établi que le fer est
-utile, qu’il est logique, qu’il est nouveau, qu’il est<span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">[22]</a></span>
-approprié à nos besoins et à notre état social, et
-qu’il révèle immédiatement au dehors sa structure
-interne, nous n’aurons pas montré qu’il conférera
-nécessairement à nos monuments quelque
-nouvelle beauté. Il faudra encore qu’il ait certaines
-qualités que la raison perçoit moins clairement
-peut-être, mais que le sentiment éprouve et que
-les yeux démêlent: la grâce, l’élégance des courbes,
-la sûre et facile harmonie des droites, le jeu des
-ombres sous les reliefs, le balancement des pleins
-et des vides, l’ordre qui repose la vue parce qu’il
-est facile à percevoir, et la variété qui la sollicite
-parce qu’elle lui offre des multitudes de sensations
-à éprouver.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">[23]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE II</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Le triomphe du fer: le Pont et son échec,
-la Maison.</b></p>
-
-<p class="p2">Or, les éprouvons-nous? Non. Quand on fait
-l’apologie des monuments de fer, les motifs qu’on
-nous en donne sont surtout de raison raisonnante.
-On ne dit pas: ce monument est admirable parce
-qu’il plaît au sens obscur de l’ordre dans les formes
-matérielles et au goût de leur variété, de leurs
-tours et de leurs retours capricieux où l’harmonie
-se devine, mais se dissimule sous la complication,
-mais on dit: il faut de toute nécessité qu’il le soit,
-puisqu’il répond au temps où nous vivons et aux
-instincts du peuple que nous sommes.</p>
-
-<p>Étrange postulat! Comme si toutes les fois
-qu’un peuple et qu’un temps avaient des besoins
-nouveaux, ils créaient nécessairement un beau
-style d’architecture pour les exprimer? Quoi de
-plus nouveau, de plus puissant et de plus <i>genuine</i><span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">[24]</a></span>
-que la jeune civilisation américaine, et quoi de plus
-banal que ses palais,&mdash;château de Blois sur la
-face, Parthénon sur le revers,&mdash;qui empruntent
-à tous les styles et ne rendent pas, en intérêt, ce
-qu’ils ont emprunté? On a voulu faire un sort, en
-esthétique, aux «maisons hautes» des États-Unis
-comme aux premiers phares dressés pour éclairer
-les novateurs des deux mondes. Mais à les bien considérer,
-les styles de ces gigantesques «accroche-nuages»
-ne sont que des multiplications de styles
-déjà fort connus et fort anciens. Ce n’est point
-parce que le <i>Monadnock Building</i> entassera treize
-bow-windows les uns sur les autres qu’il aura
-réalisé un style de bow-window nouveau, ni parce
-que l’<i>Union Trust Company</i> de Missouri portera
-plus haut qu’aucun monument égyptien la «gorge
-égyptienne», qu’il aura en quelque manière
-enrichi ce mode de couronner un sommet. Ces
-maisons hautes romanes par leur porte, grecques
-par leurs colonnes, égyptiennes ou plus souvent
-gothiques par leur couronnement, sont tout ce
-qu’une maison peut être: hors américaines. Par
-leur masse compacte et solide, elles rappellent surtout
-les vieux monuments romans ou anglo-saxons
-de l’époque carolingienne, comme la tour d’Earl’s
-Barton, par exemple, et rien n’est moins «nouveau-monde».
-Et en quoi l’arc de triomphe élevé en<span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">[25]</a></span>
-l’honneur de l’amiral Dewey sur la cinquième
-avenue diffère-t-il des arcs de Titus et de Constantin?</p>
-
-<p>Pareillement, est-il un peuple plus particulier,
-plus puissamment original et depuis plus longtemps
-que les républiques Sud-Africaines, et les
-églises et les palais de Johannesburg ou de Pretoria
-diffèrent-ils de ceux de Londres ou de Chicago?
-L’exemple des Boërs défendant des palais
-à ordres grecs, et celui des Américains faisant
-passer leurs troupes victorieuses sous l’arc de
-triomphe de Constantin nous montrent assez que
-l’art ne suit pas nécessairement la marche d’une
-civilisation, et qu’à certaines époques il est plus
-facile de créer une patrie qu’un style ou de la
-défendre que de l’embellir.</p>
-
-<p>Sans donc nous attarder aux postulats, jugeons
-donc le fait. Interrogeons l’impression produite
-chez nous tous, dans tous les pays, par les monuments
-de fer aperçus durant ces dernières années:
-aux expositions, dans les villes, dans la campagne,
-sur les fleuves. Comme nous nous sommes gardés
-soigneusement des suggestions intellectuelles, gardons-nous
-des préjugés d’une habitude de vision,
-et nous avouerons qu’on ne peut écarter, d’un mot,
-toute l’Esthétique du fer. Il y a tout un ordre de
-monuments où nous reconnaîtrons la Beauté. Elle<span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">[26]</a></span>
-est dans ces fermes admirables du pont Mirabeau
-ou du pont Alexandre III,&mdash;dans ces branches
-de fer qu’une main puissante a courbées d’une rive
-à l’autre pour donner passage à des peuples entiers
-en quête de merveilles.</p>
-
-<p>Rien n’est plus nouveau, mais rien n’est plus
-heureux que cette substitution d’une fine trajectoire
-de fer au lourd et massif établissement des
-ponts anciens, que nous étions accoutumés d’admirer.</p>
-
-<p>Rien n’a changé davantage dans l’architecture
-que l’aspect d’un pont. Mais rien n’a changé plus
-heureusement. Au temps où, dans les villes ceinturées
-par leurs remparts, les maisons se serraient,
-sans perdre un pouce de terrain, les unes
-contre les autres, comme un troupeau qui a peur,
-le pont de pierre était une rue qui se continuait
-sur l’eau. Mais, dans les temps modernes, les
-populations se desserrent, débordent leurs murailles
-et, les débordant, les renversent. Elles
-descendent des tours, elles font cercle autour de
-leurs monuments et laissent la nature renaître,
-çà et là, en de carrées oasis. Elles ont donc abandonné
-les ponts, qui ne sont plus qu’un lieu de
-passage. Les anciens étaient en pierre, comme les
-maisons construites sur leurs piles. Les nouveaux
-sont en fer, comme les trains qui filent sur leurs<span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">[27]</a></span>
-voies. Le pont était une ville, entre les deux villes;
-on y bâtissait des boutiques, on y édifiait des chapelles:
-on s’arrêtait pour y danser, pour y loger,
-pour y coucher, pour y prier, pour mourir. On y
-enfermait même les prisonniers et il n’est rien de
-plus banal dans l’histoire que l’exemple du pont
-des Soupirs. Aujourd’hui l’on n’entend plus trop
-parler de gens demeurant sur les ponts et, si la
-locution populaire «coucher sous les ponts»
-subsiste, ce n’est pas pour porter témoignage d’un
-goût contemporain, mais d’une fâcheuse nécessité.</p>
-
-<p>L’aspect du pont ancien témoignait de ses fonctions
-diverses. Il ressemblait à la fois à une forteresse
-et à une rangée de navires: forteresse contre
-les hommes, navires contre les flots. Forteresse
-de si étroite ouverture, que, sur le pont Sublicius,
-un héros suffisait à la défendre contre une armée,
-forteresse munie de portes et de créneaux, comme
-on l’aperçoit encore au pont Nomentane, quand
-on va rêver dans la campagne romaine. Tellement
-forteresse et tel signe de puissance, qu’on représentait
-un pont dans les armes de certaines villes,
-comme dans celles de Cordoue. Navire contre les
-flots, chaque pile étant construite comme un
-bateau tournant son avant à l’amont de la rivière,
-portant parfois des figures, pour fendre la nappe
-d’eau contraire. Arrondi en aval comme une<span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">[28]</a></span>
-poupe, creusé de fenêtres des deux côtés comme
-une dunette, observatoire s’ouvrant d’un côté vers
-la source et de l’autre vers la mer&mdash;tel était le
-pont d’autrefois.</p>
-
-<p>Aujourd’hui, la fonction d’un pont est simplement
-de relier deux rives l’une à l’autre. Aucun
-pont n’est tenu de faire plus que cela pour nous,
-mais aucun ne doit faire moins. C’est peu qu’il
-soit un beau monument, comme le pont ruiné de
-Saint-Bénézet sur le Rhône, s’il nous laisse à mi-traversée,
-à pic sur le fleuve. Il faut qu’il aille d’un
-bout à l’autre. Mais, d’ailleurs, il suffit que nous y
-puissions passer. Et, comme nous avons à passer
-vite, il est inutile qu’il porte sur son dos des
-maisons. Regardez le pont Mirabeau, le pont
-Alexandre III et comparez-les à l’ancien pont de
-pierres. L’ancien était un monument oblong qui
-barrait l’horizon, terminant une étendue d’eau. On
-eût dit une maison percée de gros caniveaux. On
-percevait sans doute dans les fondations quelques
-voûtes claires, par où passait le courant, mais
-l’ensemble du monument clôturait l’horizon d’eau
-et ne révélait rien de la venue empressée ou de la
-fuite majestueuse du fleuve.</p>
-
-<p>Qui dira, si l’on s’en tient uniquement à l’impression
-des yeux, que le pont de fer n’est pas
-aussi beau? D’abord, il est plus léger. Certes on<span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">[29]</a></span>
-ne doit pas juger de la légèreté d’un monument
-par la seule considération de ses dimensions
-totales: une arche de 107 mètres n’est pas nécessairement
-plus svelte qu’une arche de 30, non plus
-qu’un dôme de 30 mètres n’est nécessairement
-plus imposant qu’un dôme de 15. Les qualités de
-légèreté ou de grandeur ne sont pas des qualités
-absolues, mais naissent des proportions relatives
-de l’édifice, parce qu’il n’y a pas entre les divers
-édifices du monde, même d’une ville, une commune
-échelle de grandeur. Seulement, il se trouve qu’ici
-il y a une échelle commune: la Seine, dont la
-largeur est sensiblement la même partout, et le
-pont qui la traverse d’un bond, comme un cheval,
-paraît nécessairement plus svelte que celui qui, à
-peu de distance, la traverse pas à pas comme un
-éléphant.</p>
-
-<p>Ce n’est pas seulement là un triomphe pour
-l’ingénieur: c’est une joie pour l’artiste. Aucun
-des sept ponts dont la Rome impériale était si
-fière, peut-être aucun des cent douze ponts de
-toutes formes qui coupent la Tamise n’ont cette
-légèreté. Évoquez un instant le grand dessin tracé
-dans l’espace par les manieurs de fer, depuis le
-puissant mammouth du Forth, jusqu’à la suspension
-aérienne de Brooklyn, les merveilles de ces
-réseaux, depuis les consoles du Niagara jusqu’au<span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">[30]</a></span>
-double viaduc du Douro et aux Cantilevers d’Écosse.
-Voyez, d’une rive à l’autre d’un fleuve, les ingénieurs
-lancer un pont comme un train rigide, ou
-bien des profondeurs de l’abîme, se soulever un
-à un vers le ciel, comme attirés par un aimant
-invisible, des tronçons de métal qui, s’arrêtant
-tout à coup dans leur ascension pour se souder les
-uns aux autres, font apparaître entre les deux
-montagnes un arc-en-ciel de fer!... Et admirez
-qu’ici l’effort de la science, en diminuant la matière,
-ait servi la cause de l’art et que, loin d’opprimer
-ou de cacher la nature, il ait fait apparaître à nos
-yeux, tout en remplissant la même fonction utile
-qu’autrefois, plus de paysage, plus d’eau, plus de
-ciel.</p>
-
-<p>On a donc trouvé le pont moderne en fer, mais
-ce n’est pas tout de passer: il faudrait demeurer.
-A-t-on trouvé la demeure moderne? Ici, quoi que
-proteste notre espérance, il faut bien que la franchise
-réponde: Non. L’impression naturelle, spontanée,
-constamment renouvelée de notre instinct
-esthétique à tous, nous dit qu’on n’a encore trouvé
-ni la maison, ni le palais, ni la tour de fer, ou que,
-si on les a trouvés, on n’en a point trouvé la Beauté.
-Elle nous dit aussi que les grandes prétentions
-architecturales du fer en 1889 ont paru déplaisantes
-et que quatorze années passées à les considérer<span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">[31]</a></span>
-n’ont guère réconcilié personne avec elles.
-Et enfin, que, depuis 1889, le mouvement en
-faveur du fer apparent semble arrêté net, et qu’à
-certains de ces monuments, on n’a encore trouvé
-ni leur emploi, ni même leur couleur.</p>
-
-<p>Voilà l’impression. Que dira-t-on contre elle?</p>
-
-<p>Qu’elle tient à une habitude de nos yeux qui ne
-retrouvent pas dans les minces supports de fer les
-conditions d’équilibre et de stabilité auxquelles ils
-étaient habitués? Et qu’«une longue éducation
-nouvelle du regard sera nécessaire, comme l’affirme
-M. Sully-Prudhomme, pour que la jouissance
-perdue soit recouvrée<a name="FNanchor_2_2" id="FNanchor_2_2"></a><a href="#Footnote_2_2" class="fnanchor">[2]</a>»? Sans doute, l’habitude est
-pour quelque chose dans nos impressions. A première
-vue, la forme pyramidale, qui est la forme
-stable par excellence, nous plaît mieux que son contraire
-et il est rare que nous aimions, si nous la
-trouvons, dans l’architecture, la forme de la pyramide
-renversée. Mais cette exigence de notre vue,
-due à l’habitude, est-elle inamovible? Non, car parfois
-la nature nous fournit la forme pyramidale
-renversée sans nous choquer. Dans les arbres, la
-partie la plus large se trouve suspendue sur la
-partie la plus grêle. Le tronc ne rétablit pas toujours
-par sa largeur à la base l’équilibre compromis<span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">[32]</a></span>
-par son faîte: le tronc du palmier, par exemple,
-diminue en s’approchant du sol et, de toute façon,
-nous apparaît comme une pyramide renversée.
-Pourtant, nous n’avons aucun doute sur sa stabilité.
-Non plus sur celle d’un homme, vu de face,
-debout, les pieds joints, la tête inclinée sur la poitrine,
-qui lui aussi repose sur une base grêle, eu
-égard à la largeur de son entablement. Dans l’architecture
-même, nous ne sommes pas inquiétés par le
-profil d’un chalet à encorbellements. Et qui de
-nous a jamais été choqué par le palais des Doges?</p>
-
-<p>Ainsi donc, bien avant le fer, notre surprise
-de voir de frêles supports soutenir un immense
-appareil n’était pas telle qu’elle commandât impérativement
-notre goût. Quand, en 1889, ont surgi
-de terre les piliers de la galerie des Machines,
-nous ne nous sommes pas scandalisés parce qu’ils
-s’amincissaient en s’approchant du sol, comme des
-troncs de palmiers. Car nous ne mettions pas en
-doute leur stabilité.</p>
-
-<p>Mais tandis que l’idée de solidité change selon
-que notre esprit est plus ou moins averti des conditions
-de cette solidité, l’impression d’élégance
-d’une ligne, elle, ne change guère. Et l’on aura beau
-nous dire qu’une voûte de verre est plus légère
-qu’une voûte de pierre, nos yeux la verront toujours
-plus lourde, plus massive et plus monotone<span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">[33]</a></span>
-dans sa convexité. Ce qui importe donc plus que
-toutes les notions purement intellectuelles, c’est
-l’impression esthétique en face d’une ligne ou d’une
-couleur, et quand nous repoussons, dans l’ensemble
-du monument vu du dehors, les calottes de verre,
-c’est-à-dire la matière la plus lourde à l’œil et la
-plus sombre qu’on puisse imaginer, et, dans le détail
-des poutres, les entretoises et les croisillons, les N
-et les croix de Saint-André, dont se compose l’ornementation
-architectonique du fer, ce n’est point une
-notion intellectuelle et qu’un raisonnement peut
-modifier, mais une impression purement sensorielle
-et qu’aucun raisonnement ne changera. Ce n’est
-point là une impression subtile d’érudit ou d’archéologue.
-C’est l’impression naturelle et spontanée du
-plus ignorant des hommes, qui a des yeux, qui les
-ouvre, non sur des livres, mais sur la nature, et
-qui aime mieux voir une amphore qu’une cloche à
-melon!</p>
-
-<p>Contre cette impression que dit-on encore?
-Qu’elle est fausse parce qu’elle est nouvelle. Qu’elle
-passera avec l’habitude. Que tous les partisans
-d’un art établi l’éprouvèrent en face de l’art qui
-allait le remplacer et que nous sommes devant ces
-hautes carcasses de fer, comme les Grecs eussent
-été devant les barbares chefs-d’œuvre de l’art
-ogival. On ajoute que le fer n’est déplaisant que là<span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">[34]</a></span>
-où, abandonnant ses qualités propres et dissimulant
-sa nature pour simuler celle de la pierre, il
-emprunte à celle-ci son aspect décoratif, mais que
-s’il osait se déployer sans modèle, s’aventurer sans
-guide, s’affirmer sans peur, il trouverait de lui-même
-le caractère de beauté qui lui convient, et
-que, pour le trouver, l’architecte n’a qu’à suivre les
-suggestions de la matière nouvelle qu’il emploie et
-qu’à donner, comme caractéristiques aux palais
-nouveaux, les caractéristiques mêmes du fer? Que
-valent ces deux arguments?</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">[35]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE III</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Pourquoi le fer permet tout et n’ordonne rien.</b></p>
-
-<p class="p2">Tout d’abord, est-il vrai que la révolution apportée
-par le fer dans les formes constructives est
-de la même nature et d’une nature aussi importante
-que celle apportée par l’ogive et l’ensemble des
-nervures succédant au plein cintre ou bien par le
-plein cintre succédant au linteau? Ensuite peut-on
-comparer le remplacement de la pierre par le fer à
-celui du bois par la pierre? Enfin, y a-t-il dans
-toute l’histoire des révolutions de l’architecture
-quelque chose de comparable à celle-ci, qui nous
-permette de dire: les anciennes furent des sources
-de vie, la dernière doit en être une nouvelle et
-pour les mêmes raisons.</p>
-
-<p>Or c’est très douteux.&mdash;Réduite à ses termes
-les plus simples, l’architecture est l’art d’abord de
-cacher le ciel et la terre, le ciel par le toit, la terre<span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">[36]</a></span>
-par les murs, et cela, non pour les cacher, mais
-pour se préserver de leurs intempéries. Ensuite,
-une fois que le plus nécessaire est fait, l’architecture
-est l’art de laisser apercevoir au dedans le
-plus de choses possible de la terre et du ciel, par
-les fenêtres ou par l’atrium. Ainsi, avant tout,
-l’architecture est un toit et un mur: après seulement,
-c’est une fenêtre. Le progrès des temps a
-été de donner à cette fenêtre, sans nuire à la solidité
-du reste, le plus d’ouverture et le plus d’agrément
-possible. Ç’a été aussi d’étendre ce trou et
-d’élargir ces murs, de façon que, sans empêcher
-qu’ils protègent, on oublie qu’ils emprisonnent.
-Mais si grand que fût ce progrès, il ne parvenait
-pas et il ne serait jamais parvenu, avec les matériaux
-anciens, à renverser absolument la proportion
-des pleins et des vides. Si hardis que fussent
-les arceaux gothiques dans leurs ascensions, et si
-envahissantes que fussent les rosaces dans leur
-floraison, ce qui donnait son caractère à l’édifice,
-c’était encore le toit opaque et les parois pleines.
-Sur elles et en elles, toute l’ornementation reposait
-et s’accumulait. Or, dans son dernier état, réduite
-à des fils de fer et à des lames de verre, l’architecture
-ne nous cache plus rien. De la galerie des
-Machines au palais du Génie civil, des palais de
-l’Horticulture aux halls des chemins de fer, c’est la<span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">[37]</a></span>
-leçon inscrite sur tous ces fers à T. Le fer est un
-support, ce n’est pas une surface.</p>
-
-<p>De là, plusieurs grandes conséquences.</p>
-
-<p>Avec la pierre, tout l’effort de l’artiste tend à
-évider sans détruire: avec le fer, à remplir sans
-incommoder. Avec la pierre, toute son industrie
-consiste à pratiquer des vides pour plaire à l’œil
-sans nuire à la stabilité: avec le fer, à construire
-des pleins pour plaire à l’œil et qui sont inutiles.
-Autrefois, on faisait des pleins par nécessité et des
-vides par élégance. Aujourd’hui, on fait des vides
-par nécessité et des pleins par élégance. En sorte
-qu’on peut bien parler d’«Architecture de fer»,
-mais, si l’on admet cette définition que les pleins
-sont les parties essentielles de l’architecture, il faut
-avouer que le fer fait bien mieux que de modifier
-l’architecture: il la supprime. Il ne laisse plus que
-les vides. On peut assurément remplir ces vides
-avec de la pierre, de la brique, et peut-être avec
-du céramo-cristal ou de la terre cuite. Mais alors,
-ce n’est plus de l’architecture de fer. Réduit à sa
-matière nécessaire et apparente, le fer, en supprimant
-l’obstacle à la vue, supprime l’objet de la
-vue, c’est-à-dire apparemment quelque chose de
-considérable en esthétique.</p>
-
-<p>C’est la dernière évolution de cet art autrefois si
-riche, si touffu, si fleuri. La voûte, semblable à<span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">[38]</a></span>
-celle d’une forêt, parvenue à l’hiver de l’architecture,
-laisse tomber ses feuilles. Les caissons, les
-moulures de la Renaissance sont tombés: tombées
-les floraisons du Moyen Age, tombés les amours,
-les carquois, les babioles mythologiques du rococo,
-l’âge des choses recroquevillées comme des feuilles
-mortes. Aujourd’hui, de ces forêts vivantes, il ne
-reste plus que les branches toutes nues: les branches
-du fer se profilant seules sur le ciel lumineux
-et changeant.</p>
-
-<p>Aussi ne peut-on pas dire que, dans la substitution
-du fer à la pierre, il n’y ait qu’une révolution semblable
-à la substitution de l’ogive au plein cintre ou
-de la pierre au bois. Il y a, à la fois, plus et moins.</p>
-
-<p>Il y a plus, car, avec les anciens matériaux, les
-supports comme les frises étaient de la même
-famille. Dans la pierre, tous ces matériaux&mdash;os,
-muscles et peau&mdash;sont même substance. Dans la
-maison de fer, les os seuls sont de la même substance.
-Or, il faut au monument autre chose
-que des os: il faut des muscles, il faut un épiderme.
-A ce moment-là donc, dès que l’ossature
-est terminée, il faut, de toute nécessité, changer
-de matière, ce qu’il ne fallait pas nécessairement
-avec la pierre ou le bois. Admirable pour supporter
-quelque chose d’autre que lui-même, le fer ne
-peut recouvrir ce qu’il protège. C’est un bras, le<span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">[39]</a></span>
-plus fort de tous les bras, ce n’est pas un corps
-organisé. La nature, qui construit les montagnes,&mdash;ses
-monuments à elle,&mdash;en pierre et les décorations
-superficielles de ses montagnes en bois, ne
-construit pas avec du fer. Elle contient le fer ou la
-matière du fer, mais comme une armature profonde
-et cachée.</p>
-
-<p>Mais que le fer ne soit pas «monumental», au
-sens que nous donnions autrefois à ce mot, qu’importe,
-s’il est esthétique? Et que la révolution
-qu’il annonce soit plus grande que toutes celles
-que l’architecture a déjà vues, qu’importe, si elle
-est féconde? Telle est la pensée des novateurs. Et
-ils se félicitent de voir le nouveau venu bouleverser
-si fort les habitudes de l’ancienne architecture,
-comme d’un gage évident d’une plus complète
-rénovation. Car le mal de notre art, disent-ils, est
-précisément dans cet attachement aux anciennes
-formules. Il est dans cet entêtement à vouloir faire
-dire au fer ce qu’il n’est pas fait pour exprimer et
-à repousser, comme trop inattendu, ce que naturellement
-il exprime. Saisissons, au contraire,
-l’enseignement qu’il nous donne. Conformons-nous
-à sa nature, suivons sa direction. Modelons nos conceptions
-d’après ses propriétés nouvelles, et dérivons
-les formes monumentales nouvelles de son
-emploi judicieux.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_40" id="Page_40">[40]</a></span></p>
-
-<p>Mais, ici, nous allons trouver que la révolution
-produite par l’emploi du fer, si elle est immense au
-point de vue des services rendus, est beaucoup
-moins importante au point de vue des formes ou
-des lignes accusées. Et que le fer, bien loin qu’il
-bouleverse trop ces formes ou ces lignes, ne les
-bouleverse point assez pour les rénover et qu’il
-prend de lui-même, d’après le calcul des forces et
-la rigueur des courbes ou des angles qu’il indique,
-les mêmes courbes que donnait la pierre. Il suffit,
-pour s’en assurer, d’aller avenue de La Bourdonnais
-et d’entrer dans la galerie des Machines. Voici une
-voûte qui couvre 48 000 mètres carrés, portée par
-des fermes de 115 mètres, sans une colonne, sans
-un tirant. C’est là plus qu’un monument: c’est
-une voûte céleste sous laquelle on peut édifier cent
-monuments et, de fait, en 1900, nous y avons vu
-les toits de toute une ville. Certes, ni la substitution
-de l’ogive au plein cintre, ni la substitution du
-plein cintre au linteau, n’ont donné au constructeur
-une puissance aussi formidable. Bien. Maintenant,
-considérez la forme de cette voûte, de ces fermes, où
-l’architecte n’a voulu imiter aucune forme ancienne,
-mais a suivi simplement les indications du calcul. Il
-vous semble bien que vous l’avez déjà vue: c’est
-l’<i>ogive surbaissée</i>. Elle est, sans doute, gigantesque.
-C’est la plus grande ogive surbaissée qu’on ait jamais<span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">[41]</a></span>
-dessinée. Mais le chiffre ne fait rien à l’affaire et une
-forme n’est point nouvelle pour être tracée sur une
-échelle plus grande que par le passé. Rappelez-vous,
-maintenant, ou considérez toutes les courbes
-nécessitées, fournies naturellement, sans désir
-d’esthétique et sans prétention à reproduire ni à
-inventer, par les auteurs des principaux monuments
-de fer: le palais des Arts libéraux en 1889, et celui
-du Génie civil en 1900; le pavillon de la République
-du Chili en 1889, les palais de l’Exposition
-de Chicago, l’église de la Trinité, la bibliothèque
-Nationale et la bibliothèque Sainte-Geneviève, la
-gare Saint-Pancrace à Londres, le hall de l’hôtel
-Terminus à Paris, la gare de Cologne, et vous
-verrez que, dans toutes ces courbes que donne le
-fer pour soutenir un toit,&mdash;ce qui est la principale
-fonction et le nœud de toute architecture,&mdash;on
-retrouve:</p>
-
-<p class="pi6 p1">L’ogive surbaissée,<br />
-L’arc en anse de panier,<br />
-L’arc bombé,<br />
-Le plein cintre brisé,</p>
-
-<p class="pn1">toutes formes que la pierre a fortement exprimées
-depuis des centaines d’années,&mdash;ou bien le fronton
-à arbalétriers droits qui répète exactement le
-dessin fourni par les poutres de bois dans les plus
-humbles maisons de nos villages et dans les plus<span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">[42]</a></span>
-anciennes <i>Adorations des bergers</i> de nos musées.</p>
-
-<p>Quelle est donc cette nature «nouvelle», qu’on
-affirme qu’il faut respecter, et quel est cet enseignement
-essentiel qu’on prétend qu’il faut suivre?
-Il est bientôt dit que le fer ne doit pas imiter
-la pierre, mais ce qu’on devrait nous indiquer,
-c’est ce qu’il nous suggère au point de vue des
-formes, qui ne soit contenu dans la pierre et
-qu’elle ne signifie pas mieux que lui? Il est bientôt
-dit qu’il faut accepter franchement les formes nouvelles
-qu’il nécessite, mais ce qu’on ne nous dit
-pas, c’est ce qu’il nécessite de formes nouvelles,
-car nous avons bien vu ce que le fer <i>supprime</i> d’une
-construction, mais non pas ce qu’il <i>y apporte</i>; et
-enfin, c’est une opinion à laquelle nous souscrivons
-volontiers, que, pour dégager sa beauté, il faut
-laisser agir librement sa nature, mais, encore un
-coup, que fait sa nature, quand on la laisse agir
-librement?</p>
-
-<p>Or, il le faut avouer: elle ne fait rien, car le fer
-n’a pas de nature, ou plutôt sa caractéristique
-même, ou, si l’on veut, sa nature, c’est précisément
-de n’en point avoir! Oh! ce n’est point qu’il
-oppose à l’artiste plus d’obstacles que la pierre!
-C’est précisément l’inverse! Avec le fer, l’artiste
-modèle son monument sur la forme qu’il veut,
-car le plus résistant des matériaux est aussi le<span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">[43]</a></span>
-plus souple. Il peut bâtir un hall avec plus de
-colonnes qu’une forêt n’a de fûts, une basilique
-avec autant de coupoles qu’une framboise a de
-graines: Zara ou Sainte-Sophie ne sont qu’un jeu
-pour lui. Sous ses doigts le fer se tresse comme,
-sous les doigts du vannier, la paille. Quand on voit
-les charpentes des maisons métalliques, on songe
-aux <i>lento... alvearia vimine texta</i>, que décrit le
-poète. Et, en effet, ce sont bien des ruches et des
-corbeilles renversées qui semblent posées sur les
-bords de la Seine, dans les palais de l’Horticulture
-et de l’Arboriculture, des nasses d’osier tirées hors
-de l’eau sur les bords du fleuve, où elles paraissent
-guetter un poisson monstrueux.</p>
-
-<p>Le fer peut se prêter à plus de fantaisies encore.
-Avec lui et avec les autres progrès qu’il rend possibles,
-n’importe qui peut, n’importe où, bâtir
-n’importe quoi. Il triomphe donc de toutes les lois
-historiques de l’architecture et les renverse.</p>
-
-<p>Longtemps l’architecture, comme la plante, naissait
-du sol et s’accommodait au ciel du pays où on
-l’avait conçue. Le ciel influait et pesait sur la
-forme de ses toits, pendant que, de la terre qui en
-fournissait les matériaux, jaillissaient ses murs.
-Ainsi, la nature du sol en dictait jusqu’à un certain
-point la forme et l’ornementation. La possession
-du [Greek: leukos lithos] par les Grecs fut la première condition<span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">[44]</a></span>
-de leur art; de même, l’existence des carrières
-de marbre coloré, près de Vérone, et de marbre
-blanc et de serpentine verte, entre Pise et Gênes,
-a influencé toute l’architecture gothique dans le
-nord de l’Italie, comme l’argile de la terre d’Iran
-est la condition première des admirables terres
-cuites des monuments de Susiane. Le <i>quid
-quæque ferat regio et quid quæque recuset</i> de Virgile
-était, jadis, une formule aussi juste en architecture
-qu’en agronomie.</p>
-
-<p>Aujourd’hui, tout est changé. Déjà, le toit a
-perdu son caractère indicatif du climat. Dans
-toutes les villes modernes de toutes les régions
-du globe, il se réduit et s’égalise selon la coupe
-uniforme des <i>brisis</i>. Et le mur ne naît plus de la
-terre, ne reproduit plus les carrières de sa région,
-du jour où le fer, qui est quasi le même partout,
-l’a remplacé.</p>
-
-<p>Plus puissant que le tailleur de pierre sur ce
-point, le manieur de fer l’est encore sur d’autres.
-La lutte entre la pesanteur et la résistance, qui
-constitue, comme l’a très bien vu Schopenhauer<a name="FNanchor_3_3" id="FNanchor_3_3"></a><a href="#Footnote_3_3" class="fnanchor">[3]</a>,
-l’intérêt esthétique de la belle architecture, n’est
-pour lui qu’un jeu.</p>
-
-<p>Seulement, s’il est vrai que la tâche de l’artiste<span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">[45]</a></span>
-soit de faire ressortir cette lutte d’une manière
-complexe et parfaitement claire, plus le jeu est
-facile pour lui, et plus l’expression d’un effort
-qu’il ne fait pas lui est malaisée. A mesure que
-l’acier se perfectionne, sa propriété ou sa faculté
-et, par conséquent, la tendance logique de son
-employeur est de réduire de plus en plus les
-formes de la construction. Non qu’on puisse
-amincir indéfiniment les fermes d’un édifice. Il
-est un point au delà duquel un support ne peut
-plus être réduit, de quelque matière perfectionnée
-qu’on l’imagine, car il ne se supporterait plus
-lui-même. Mais parce qu’aujourd’hui, avec des
-fermes de même épaisseur qu’autrefois, mais de
-meilleur acier et de plus d’homogénéité, on peut
-allonger davantage des courbes, recouvrir des
-espaces beaucoup plus grands: l’épaisseur n’augmentant
-pas quand la portée s’étend, cela équivaut,
-pour l’œil, en somme, à réduire l’aspect de
-la construction. Toute la nature du fer consiste
-donc à accuser moins les formes qu’accusait la
-pierre, sans en accuser de nouvelles que la pierre
-n’accusait pas. Il remplit la même fonction que
-la pierre, mais il ne montre pas aux yeux qu’il la
-remplit. Pour qu’on l’aperçoive, pour qu’on distingue
-où porte l’effort, l’architecte est obligé
-d’exagérer, artificiellement et sans nécessité, les<span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">[46]</a></span>
-dimensions. Il faut qu’il renfle le dessin de sa
-ferme là où elle a le principal poids visible à soutenir,
-et qu’il marque, par quelque ornement
-voulu, le point où se trouve la rotule. Mais ni ce
-renflement, ni cet ornement ne sont indiqués par
-le fer, comme l’importance et l’ornementation de
-la clef de voûte, par exemple, l’étaient par la
-pierre. L’architecte les choisit à sa guise. Le fer
-ne lui dicte rien, parce qu’il n’oblige par lui-même
-à aucun style particulier de construction. Il peut
-les reproduire tous et il n’en produit spécialement
-aucun. Il a le défaut des esprits assimilateurs à
-l’excès: il n’est pas créateur. C’est le Protée des
-matériaux. Admirable pour supporter quelque chose
-d’autre, il ne se manifeste point aux yeux par lui-même.
-Précisément parce qu’il <i>permet</i> tout, il
-n’<i>ordonne</i> rien.</p>
-
-<p>Et pourquoi le fer n’a-t-il pas de caractères
-esthétiques à lui? Pourquoi n’a-t-il pas de nature?
-Nous touchons à la raison et à la cause profondes
-qui distinguent le fer de tous les matériaux
-employés jusqu’ici. Ceux-là étaient naturels; celui-ci
-est artificiel.</p>
-
-<p>La pierre, comme le bois, est une matière directement
-tirée de la nature. L’architecte peut en
-changer la forme, non la substance. Il peut poser
-la pierre en «délit»; il peut la polir; il peut<span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">[47]</a></span>
-l’évider. Mais la même âme continue d’habiter
-cette matière et de lui donner sa vie: âme formée
-lentement, avant les premières âmes humaines.
-Le fer, lui, est formé d’hier. Il est une transformation
-faite sous la main de l’homme. Il est un
-mélange de minerais divers, tirés de diverses
-régions. Il a été fondu, coulé, converti, laminé.
-Il ne tient plus à la nature. Le fil qui le reliait à
-elle est coupé. Il lui est devenu étranger. Vous ne
-pouvez plus compter sur les forces et les beautés
-naturelles pour l’animer encore. Il n’y a plus, dans
-le fer, les nœuds du bois, qui sont des obstacles,
-ni la direction des fibres, qui sont des entraves,
-mais qui sont des guides. Ici, tout est égal, tout
-est uniforme, docile, prêt à prendre n’importe
-quelle figure. Rien n’indique une figure plutôt
-qu’une autre, rien ne la suggère, rien ne l’appelle,
-rien ne la fuit. C’est à la fois le triomphe du progrès
-scientifique et son châtiment. Car, en même
-temps que vous avez dominé les résistances de la
-nature, vous avez perdu son enseignement. En
-art, comme ailleurs, on ne s’appuie que sur ce
-qui résiste.</p>
-
-<p>Oh! sans doute, maintes fois dans l’Art, on s’est
-servi de matériaux qui n’avaient point de nature
-propre plus que le fer: la brique ou le stuc,
-par exemple, et l’on a fait des chefs-d’œuvre. Mais<span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">[48]</a></span>
-des chefs-d’œuvre de fantaisie et non de logique.
-Jamais on ne leur a demandé de dicter des formes
-«spécifiques», et bien au contraire ce sont les
-formes les plus artificielles issues de l’imagination
-humaine qu’on leur a imposées. Et les dentelles
-ou les «nids d’abeilles» de l’architecture
-arabe, pour ne citer qu’un exemple, sont les
-choses les moins logiques du monde, puisque,
-sous des poutres horizontales, on a dessiné des
-arcs fictifs qui n’ont rien à porter, puisque la voûte
-et l’arcade qui semblent les soutenir ne sont que des
-superfluités ornementales, des mensonges architecturaux,
-dérivés de matières toutes différentes:
-l’ogive inspirée de la pierre et les dentelures, du
-bois, et qu’enfin, l’artiste a joué de la matière malléable
-qu’il maniait sans aucun souci de la nature
-particulière de cette matière et n’écoutant que sa
-fantaisie!</p>
-
-<p>Puis donc que vous ne pouvez plus compter sur
-les forces et les beautés naturelles du fer pour
-l’animer encore&mdash;et la preuve, c’est que les
-ruines du fer ne sont que des détritus, quand les
-ruines de la pierre&mdash;regardez les gravures de
-Piranese&mdash;sont encore des monuments,&mdash;c’est
-à vous de lui donner une âme en échange de l’âme
-naturelle qu’il a perdue. Il faut, puisque toute sa
-substance a été formée par l’homme, que l’homme<span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">[49]</a></span>
-aussi se charge de sa beauté. Vous astreindre ou
-vous restreindre aux formes strictement nécessitées
-par le calcul des forces, c’est retourner aux
-formes de la pierre ou bien vous résigner à ne
-plus montrer de formes du tout! Vous borner à
-l’utile pouvait être bon avec les matières anciennes:
-avec la nouvelle, vous devez viser au superflu.
-Que seraient les admirables grilles de Jean Lamour,
-s’il s’était laissé conduire par la logique?
-Avec le fer, il n’y a de salut que dans l’exubérance,
-dans la végétation même parasite, même folle,
-que dans la richesse! Pourquoi ne pas quadrupler,
-par exemple, les pieds-droits qui supportent
-les arbalétriers, les évider davantage et en multiplier
-les lignes ornementales sur quatre faces
-plates, mais ajourées; pourquoi ne pas suspendre
-des dentelles et des forêts de fer aux voûtes. Pourquoi
-ne pas déployer les fleurs et les feuilles, les
-branches et les rameaux qu’on ne pouvait projeter
-au loin avec la pierre ni, sur une grande
-dimension, avec le bois? Pourquoi, en un mot,
-quand on manie du fer ne pas tenter de la <i>ferronnerie</i>?
-Que les artistes saisissent donc l’outil
-géant et qu’ils le plient à la colossale besogne!
-Qu’ils rêvent et qu’ils osent! Mais qu’ils ne comptent
-donc pas sur sa «logique». Qu’ils ne comptent
-que sur leur propre enthousiasme. Si les poutrelles,<span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">[50]</a></span>
-les mailles, les treillis, les entretoises de
-fer ne sont qu’une ossature, si ce n’est qu’une pile
-d’ossements inertes, c’est l’artiste qui doit dire,
-comme Ézéchiel dans le cantique fameux: «Je
-vais envoyer un esprit en vous, et vous vivrez.
-J’étendrai sur vous des nerfs, j’y formerai des
-chairs et des muscles, je les revêtirai de peau, je
-vous donnerai un esprit, et vous vivrez. Esprits,
-accourez des quatre points de l’horizon, soufflez
-sur ces morts, et faites qu’ils revivent!...»</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">[51]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<p class="pc4 xlarge">DEUXIÈME PARTIE</p>
-
-<p class="pc2 large font1"><b>LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME</b></p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">[52]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">[53]</a></span></p>
-
-<h2 class="p4">LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME</h2>
-
-<p class="p2">L’Impressionnisme a déposé son bilan. Vous le
-trouverez, au Luxembourg, dans la salle Caillebotte.
-Il a aussi figuré à l’Exposition de 1900, et
-dans les multiples occasions où M. Durand-Ruel
-rassembla, pour notre édification, des meules
-mémorables et de surprenantes cathédrales.</p>
-
-<p>Plusieurs musées étrangers, à Berlin, à Amsterdam,
-en contiennent des morceaux, des chapitres
-ou des justifications, et des collections particulières
-réunissent assez d’œuvres des maîtres impressionnistes
-pour qu’on puisse porter maintenant un
-jugement précis sur ce mouvement d’art contemporain.</p>
-
-<p>Ce serait une injustice de juger tout l’impressionnisme
-par quelques exemples, si bien choisis
-soient-ils. Mais c’est peut-être une injustice aussi
-que de laisser plus longtemps les partisans de
-cette École couvrir de mépris les maîtres d’hier,
-sans nous aviser de regarder ce qu’à leur tour ils
-ont produit et sans nous demander si ce mouvement,<span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">[54]</a></span>
-qui fit tant de bruit, a fait aussi quelque
-besogne. C’est notre droit de ne plus permettre,
-après trente ans écoulés, que l’Impressionnisme se
-borne, pour affirmer son existence, à montrer les
-défaillances des Écoles anciennes, et, pour élever
-son monument, à entreprendre des démolitions....
-C’est pourquoi, sans le juger uniquement d’après
-la salle Caillebotte, mais en y prenant la plupart
-de nos exemples, nous allons rechercher ce que ce
-mouvement a produit: quel fut son point de
-départ et quel est son point d’arrivée, si ce fut une
-fantaisie et une gageure de quelque ambitieux,
-ou, au contraire, s’il répondait à un ensemble de
-conditions nouvelles du pittoresque dans la nature
-et dans la vie, si ce fut un mouvement méprisable
-ou un effort vaillant, si cet effort a conduit à un
-succès ou à un avortement, s’il a réussi, à quoi? et
-s’il a avorté, pourquoi?&mdash;en un mot, à dresser
-son bilan.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">[55]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE I</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Ses causes.</b></p>
-
-<p class="p2">Lorsqu’un matin de 1877 éclata, rue Lepeletier,
-la première grande révolte impressionniste, ce fut,
-dans le public, un éclat de rire, mêlé de cris d’horreur.
-On avait vu, çà et là, des tentatives collectives
-de ces révolutionnaires et l’on en avait déjà discuté,
-mais ils ne s’étaient pas révélés encore avec
-cet ensemble, cette audace et cette discipline qui,
-d’une foule, faisait une armée. Les vieux peintres,
-eux, ne riaient pas. Beaucoup considéraient ce
-spectacle, avec le désespoir morne, l’abattement
-profond qu’ont les patriciens romains devant leurs
-villas envahies par les Huns, dans le tableau de
-M. Rochegrosse. Que va-t-il advenir, se disaient-ils,
-des meubles précieux qui ornaient nos paysages
-académiques, des couleurs délicates qui les embellissaient,
-de la vie douce qui s’écoulait sous les
-arbres de M. Paul Flandrin, dans la compagnie<span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">[56]</a></span>
-des pasteurs de M. Gérome? Quelques-uns, aussi
-vieux, mais plus sages, considéraient ces paysages
-inconnus, l’un après l’autre, avec d’obscures velléités
-de voyage et d’émancipation, comme on se
-figure les Espagnols du <span class="smcap">XVI</span><sup>e</sup> siècle regardant les
-vélins que déployaient devant leurs yeux les Juan
-de la Cosa et les Hojeda, révélation d’un autre
-hémisphère, terres nouvelles, terres de soleil et
-d’or.... Mais la plupart de ceux qui visitèrent cette
-exposition n’y virent qu’une gageure d’artistes
-affamés de bruit et qu’une fantaisie de jeunes gens
-pressés de se divertir aux dépens de l’Institut.</p>
-
-<p>Ce n’était cependant pas une gageure. Rien, au
-contraire, de plus logique, rien de mieux préparé,
-presque rien de plus inévitable que cette apparente
-fantaisie. C’était en réalité une réaction et&mdash;en
-dépit des sujets qui cachaient son sens profond&mdash;c’était
-une réaction idéaliste. Elle était amenée
-par deux choses: par le désir de peindre la vie
-moderne et par l’impossibilité d’en faire une représentation
-réaliste. Elle naissait forcément des conditions
-pittoresques nouvelles de la nature telle
-que nous l’avons déformée. Elle s’alliait par
-d’obscures affinités aux tendances analytiques de
-l’esprit contemporain et répondait fort exactement,
-quoique inconsciemment, aux nouvelles conceptions
-panthéistes. Ce serait une profonde injustice<span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">[57]</a></span>
-que de comparer ces chercheurs à aucun de ceux
-qui, depuis, se sont disputé le succès d’une saison:
-les symbolistes, les «inquiets», les rose-croix ou
-les «peintres de l’âme», c’est-à-dire proprement
-de rien. L’Impressionnisme apportait aux artistes
-épris de réalisme et de modernité le seul moyen
-d’idéaliser ce réalisme et de sauver cette modernité.</p>
-
-<p>En effet, l’idée qui dominait toute la critique, il
-y a trente ans, à l’époque du réalisme, était que
-l’artiste devait «peindre son temps». Notre temps,
-disait-on, est aussi digne d’être représenté par l’art
-que celui des héros et des dieux. Il n’offre pas des
-spectacles moins intéressants, ni des formes moins
-belles. D’ailleurs, il n’y a pas de formes belles en
-soi: il n’y a que des formes plus ou moins révélatrices
-de la vie, de la civilisation, du caractère, de
-la pensée. Si nous trouvons plus beau le peplum
-que la redingote et plus pittoresque le lampion que
-le haut de forme, c’est habitude des yeux et mirage
-du passé. L’usine vaut le temple, l’habit vaut le
-pourpoint, et la locomotive, le cheval de Phidias.
-Il n’y a pas de hiérarchie dans les «sites». A quoi
-bon faire le voyage d’Italie, même de Bretagne?
-«Pourquoi ces peuples?» Le beau est à nos portes:
-Chatou, Ville-d’Avray, Clamart, valent tous les
-horizons de l’Oberland ou de Taormine. Il n’est<span class="pagenum"><a name="Page_58" id="Page_58">[58]</a></span>
-même pas besoin d’aller si loin: les fortifications,
-la banlieue, les couches, les gazomètres, un train
-de ceinture qui passe, un chiffonnier qui songe en
-son gîte, un «petit bourgeois qui peint sa porte
-en vert». Voilà ce que l’art vraiment vivant doit
-représenter.</p>
-
-<p>Les artistes ont écouté ces théories. Ils sont
-allés regarder les couches, le train qui passait, le
-petit bourgeois qui peignait sa porte en vert,&mdash;et
-ils les ont trouvés fort laids. Mais tout enflammés
-par les suggestions de la littérature, ils ont proclamé
-que c’étaient là des sujets très sortables, et
-qu’il fallait dorénavant s’y dévouer. Seulement,
-comme ils étaient réellement artistes, voici que,
-tout en peignant ces formes, ils se sont mis en
-devoir de les transformer entièrement.</p>
-
-<p>A la vérité, la transformation n’était pas facile.</p>
-
-<p>Puisqu’on ne voulait plus ni composition, ni
-arrangement, ni symboles, ni «stylisation», puisqu’il
-fallait que l’art représentât des choses laides
-en soi, des lignes monotones ou prétentieuses,
-comment modifier l’aspect absurde et le décor
-trivial? Un seul moyen restait aux réalistes pour
-s’évader du laid réel: la couleur.</p>
-
-<p>La couleur, en effet, demeure dans le décor de
-la vie moderne aussi belle, aussi variée, aussi riche
-d’effets qu’aux plus grandes époques du passé. Le<span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">[59]</a></span>
-paysage d’aujourd’hui est aussi coloré que celui
-d’autrefois. Il l’est peut-être davantage, car l’industrialisme
-et le progrès, qui ont détruit tant de
-belles lignes dans nos campagnes, ont rarement
-supprimé de belles couleurs. Le plus souvent, au
-contraire, ils ont ajouté à la variété des teintes. Si
-vous observez, dans la nature, quelque paysage
-poussinesque, dont les maisons, les vide-bouteilles,
-les usines, un pont, un tramway, sont venus
-détruire l’harmonie linéaire, vous trouverez toujours
-que ces nouveautés ont accru la variété et
-l’éclat de son harmonie coloriste: les rouges des
-tuiles, les noirs fins des ardoises, les jaunes frais de
-la terre fraîchement relevée en talus ou les sections
-saignantes des terres rougeâtres, les verts beaucoup
-plus riches et plus variés des cultures
-maraîchères succédant à la monotonie de la grande
-culture, les blancs crus des viaducs neufs, les dos
-noirs des usines et même les tremblantes colonnes
-de leurs grises fumées, ajoutent à un paysage
-dévasté par l’industrialisme des colorations gaies
-que ce paysage, sans lui, n’aurait pas connues.
-Quand le peintre du moyen âge s’en allait à la campagne,
-il trouvait de plus belles ordonnances de
-lignes que nous, mais non pas autant de couleurs.
-Il n’apercevait, parmi le vert toujours semblable du
-même arbre, ni assurément les plantes exotiques<span class="pagenum"><a name="Page_60" id="Page_60">[60]</a></span>
-et d’agrément qui égayent nos jardins, ni même
-une foule d’arbres comme le vernis du Japon,
-l’acacia, le platane, le marronnier ou le mûrier, qui
-font partie intégrante de nos paysages modernes.
-La maison de chaume, qu’on voit encore dans les
-paysanneries des Le Nain, était moins colorée que
-la ferme couverte de tuiles que peint M. Sisley. En
-mer, une bouée rouge avive un vert glauque
-d’eau. Il n’est pas jusqu’aux affiches, aux écriteaux
-de couleur crue, dont la réclame gâte les lignes de
-nos paysages qui, vus de loin, ne fournissent des
-touches piquantes pour relever la monotonie des
-verts. Plus la civilisation s’empare d’un coin de
-la nature, plus elle le colore. La campagne du
-XVII<sup>e</sup> siècle était monochrome comme une botte de
-foin; celle du <span class="smcap">XX</span><sup>e</sup> siècle sera variée comme un bouquet
-de fleurs....</p>
-
-<p>Dans nos villes, le phénomène est moins évident.
-Tant que dure le jour, nos rues, attristées par la
-foule noire des peuples modernes toujours en
-deuil, ne fournissent pas au peintre plus de couleurs
-que les rues bariolées de jadis. Mais quand
-vient la nuit, éclate une floraison inconnue de nos
-pères. Quand, un soir d’hiver, avec la pluie, on
-passe sur la place du Carrousel, on voit une orgie
-de diverses lumières se traîner et s’éparpiller
-dans l’eau où se mêle le sang des lanternes d’omnibus,<span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">[61]</a></span>
-qui éclabousse le pavé, l’or des becs de
-gaz, qui se liquéfie dans les flaques, la neige des
-lampes électriques qui fond et se dilue sur toute la
-surface humide, les vers luisants des fiacres, qui
-sautillent de flaque en flaque, et sous cette clarté
-fade, les carapaces des coupés vernis qui font
-reluire, çà et là, des arêtes d’argent. La nature et
-la vie de nos cités pouvaient donc servir de thème
-à de vrais artistes, pourvu qu’en dissimulant la
-ligne, ils exaspérassent la couleur.</p>
-
-<p>C’est ce qu’ont fait les impressionnistes. Ils ont
-bien représenté, selon la formule réaliste, les
-spectacles de la vie moderne, mais en les éclaboussant
-de tant de couleur, qu’on ne les reconnaît
-plus. Quand la nature était laide, ils ont tâché
-de la dissimuler à l’aide de la nature même. Ils
-ont demandé au soleil d’effacer les lignes disgracieuses,
-comme autrefois on l’aurait demandé à
-l’ombre. Et quant à notre vêtement noir, uniforme,
-aux inexplicables élytres, quant à ce chapeau que
-Mallarmé appelait «quelque chose de sombre et
-surnaturel», les impressionnistes les ont bien
-représentés, puisqu’il était entendu que toute
-forme est également noble et toute couleur également
-plaisante, mais ils les ont mis sous un soleil
-si ardent avec M. Renoir ou à de si fantasques
-clartés de rampe et de herse, avec M. Degas, que<span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">[62]</a></span>
-l’habit tout violacé de coups de soleil, le chapeau
-tout cabossé de reflets artificiels, ne conservent
-plus ni leur ingrate forme primitive, ni leur monotone
-couleur.</p>
-
-<p>Ce point a été très clairement aperçu par
-M. Henry Naegely, tandis qu’il burinait la grande
-figure de Millet d’un trait plus profond et plus sûr
-que les sculpteurs du monument de Barbizon:
-«Sans doute, dit-il, une nouvelle et très intéressante
-perception des effets du rayon solaire est le
-trait le plus frappant de la peinture moderne, perception
-basée sur l’observation, mais basée, je
-crois, plus encore sur le désir inné, violent, quoique
-seulement à demi conscient, de donner quelque
-splendeur légitime aux choses sordides et vulgaires
-qui nous entourent aujourd’hui<a name="FNanchor_4_4" id="FNanchor_4_4"></a><a href="#Footnote_4_4" class="fnanchor">[4]</a>...» Parmi ces
-choses, est la locomotive dont on nous avait dit,
-en prose et en vers, qu’il n’y avait pas de raison
-pour qu’elle fût exclue de l’art, car elle représentait
-la civilisation en marche. Et, en effet, il n’y
-avait pas d’autre raison que celle-ci,&mdash;qu’elle était
-inesthétique. Les impressionnistes se sont attaqués
-à ce problème et l’ont résolu de la façon la
-plus simple. Sous prétexte de mieux montrer les
-lumières reflétées par le monstre, ils ont caché le
-monstre.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">[63]</a></span></p>
-
-<p>Déjà Turner, dans son fameux <i>Grand chemin de
-fer de l’Ouest</i>, avait trouvé ce moyen de faire
-entrer dans l’art les formes de l’industrie moderne.
-Les impressionnistes l’ont suivi. Il n’est besoin
-que de voir à la salle Caillebotte, au Luxembourg,
-la <i>Gare Saint-Lazare</i> de M. Monet ou son <i>Pont de
-l’Europe</i>, pour constater cette loi. Pas une ligne
-n’est ici visible, pas un engin industriel n’y est
-représenté dans sa forme. Tout n’y est que couleurs,
-sous un soleil éblouissant qui les surexcite,
-sous des fumées qui les mélangent et dans un
-mouvement qui les fait vibrer. Les tirants des
-combles de la gare sont d’or, les locomotives de
-saphir, les wagons d’émeraude. En sorte que la
-théorie moderniste voulant que toute forme moderne
-soit esthétique, du moment qu’elle reproduit
-les besoins et les aspirations de la vie, s’est
-réduite pratiquement à cacher cette forme sous
-d’éclatantes couleurs. Et après avoir démontré,
-par de beaux syllogismes, qu’une gare de chemin
-de fer était aussi digne d’être représentée que les
-ruines de Tivoli ou que le temple de Vesta, les
-modernistes n’en ont pu faire un beau tableau qu’à
-la condition d’en brouiller toutes les lignes sous des
-flots d’une vapeur lumineuse, qui, elle, n’a rien de
-plus moderne que le soleil lui-même d’où elle tire
-toute sa beauté.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">[64]</a></span></p>
-
-<p>De là, leur nom d’impressionnistes. Ils le prirent,
-dit-on, pour relever une injure qui leur était
-adressée par leurs détracteurs et dont ils se firent
-leur titre de gloire, comme les révoltés des Pays-Bas
-s’en firent un de l’injure de «gueux». On la
-leur jeta comme une pierre: ils s’en parèrent
-comme d’un joyau. Il se peut que cette histoire
-soit vraie, mais elle n’est nullement indicative de
-leur rôle. Si ces peintres méritent le nom d’impressionnistes,
-c’est, qu’en effet, ce qu’ils cherchèrent
-à reproduire de la nature c’était non pas
-la substance qu’elle annonce, mais le rayonnement.
-Ils ne prétendaient qu’aux qualités que donne la
-vision juste, mais hâtive d’un effet éclatant, mais
-fugitif. Ils ne se chargeaient point de nous fournir
-tout le détail, tout l’agencement, toute la raison
-d’être des choses, mais seulement l’«impression».</p>
-
-<p>Par là, ils se réservaient un avantage que connaissent
-bien tous ceux qui ont fait des études
-d’après nature et qui, ensuite, ont voulu les transformer
-en tableaux. Ce que l’analyse de l’atelier
-n’arrive pas à débrouiller, la hâte de la pochade le
-synthétise; ce que le souvenir ne fournit plus, la
-couleur prise sur le vif, devant la nature, le donne.
-L’«Impression» est une admirable metteuse en
-scène et ce n’est pas sans raison que Delacroix
-dans son <i>Journal</i>, en 1859, Champrosay, 9 janvier,<span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">[65]</a></span>
-se promettait de réfléchir: «<i>Sur la difficulté
-de conserver l’impression du croquis définitif...</i>».</p>
-
-<p>Inspirés par une idée juste de leur époque,
-inconsciemment pénétrés du désir de l’idéaliser,
-servis par des organes très pénétrants et très sensibles,
-enfin munis d’une retentissante étiquette,
-les impressionnistes, les Renoir, les Monet, les
-Pissarro, les Cézanne, les Sisley, pouvaient accomplir
-dans notre art du <span class="smcap">XIX</span><sup>e</sup> siècle un rôle utile.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">[66]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE II</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Ses vérités.</b></p>
-
-<p class="p2">«Ce fameux Beau que quelques-uns voient dans
-la ligne serpentine, les autres dans la ligne droite,
-ils ne le voient tous que dans les lignes. Je suis à
-ma fenêtre et je vois le plus beau paysage. L’idée
-d’une ligne ne me vient pas à l’esprit. L’alouette
-chante, la rivière réfléchit mille diamants, le feuillage
-murmure....» Ainsi parle Delacroix dans une
-de ses lettres et cette réflexion nous révèle à quel
-point l’idée du dessin l’emportait, autour de lui,
-sur l’idée de la couleur. Le mot: «Je mettrai sur
-ma porte: <i>École de Dessin</i>, et je formerai des
-peintres», dit par Ingres, résumait à peu près tout
-l’esprit de l’enseignement. Même dans le paysage,
-sous le fouillis des branches ou les averses du soleil,
-on cherchait d’abord la ligne, l’exacte délimitation
-d’un plan par un autre, la construction anatomique
-d’un arbre, le «beau feuillé». Par là-dessus,<span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">[67]</a></span>
-se posait la couleur généralement forte,
-mais sagement contenue par le dessin, respectant
-les limites posées par la ligne, les exagérant parfois
-encore par ses contrastes, ne se permettant
-pas un éclat qui eût brouillé l’ordonnance, comme
-un vers qui sur le suivant n’ose se permettre le
-moindre enjambement. La révolution, commencée
-par Corot et par les paysagistes de Barbizon,
-n’était point encore arrivée au point où semblait le
-souhaiter Delacroix, car «l’idée d’une ligne»
-venait encore à tous les esprits. C’est alors que
-parut Claude Monet.</p>
-
-<p>Regardez son <i>Église de Varangeville</i>, son <i>Champ
-de tulipes à Sassenheim</i>, son <i>Antibes</i>, regardez les
-toiles de M. Renoir, de M. Pissarro. On n’y voit
-pas plus de lignes que Delacroix n’en apercevait
-de sa fenêtre. Et en plein soleil, il en est souvent
-ainsi. Dans le miroitement des eaux, des feuilles,
-des rayons, lorsqu’il n’y a ni solennelles constructions
-de beaux arbres au premier plan, ni grands
-découpages de montagnes à l’horizon, dans les
-sites médiocres explorés par nos modernistes, on
-ne perçoit rien autre chose qu’une harmonie de
-tons. La nature est couleur plus que lignes: voici
-la première découverte de l’Impressionnisme.</p>
-
-<p>La seconde est que les ombres mêmes sont des
-couleurs. Assurément les coloristes, les Titien, les<span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">[68]</a></span>
-Rubens s’en étaient bien doutés. Mais la foule des
-peintres l’avait oublié et l’école ne l’enseignait
-point.</p>
-
-<p>Or il suffit du plus rapide coup d’œil pour le
-reconnaître. Si quelque objet coloré, placé près de
-votre fenêtre sous un rayon de soleil, vous paraît
-divisé en deux régions, l’une lumineuse, l’autre
-ombrée, vous êtes tenté de représenter ce côté
-ombré par un ton de charbon. Mais ne vous hâtez
-pas de le faire. Placez devant le côté sombre
-quelque chose de vraiment noir, le morceau de
-fusain, par exemple, avec lequel vous alliez le dessiner:
-voici que, par comparaison, vous verrez
-briller dans cette ombre, que vous pensiez noire,
-une couleur que votre fusain sera impuissant à
-donner. Vous alliez peindre cela en noir et vous
-auriez fait une ombre morte; dans la nature, pourquoi
-vit-elle? c’est parce qu’elle est une couleur.</p>
-
-<p>Ceci est fort simple à voir, si, pour voir, on ne
-fait usage que de ses yeux, mais l’éducation nous
-y met des lunettes, qui nous empêchent de voir,
-comme elles sont, les choses les plus simples et, à
-force d’avoir entendu faire des associations de
-mots comme: «l’ombre noire», nous nous sommes
-accoutumés à prendre du noir pour exprimer
-l’ombre. Même aux meilleurs artistes, il a fallu de
-longues réflexions pour distinguer, avec leurs<span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">[69]</a></span>
-yeux, ce que l’éducation les empêchait de sentir.
-Ce n’est pas en travaillant dans son atelier, mais
-en regardant au dehors, que Delacroix écrivait, le
-7 septembre 1856, dans son <i>Journal</i>, ces mots qu’on
-ne saurait trop méditer: «Je vois de ma fenêtre
-un parqueteur qui travaille nu jusqu’à la ceinture,
-dans la galerie. Je remarque, en comparant sa couleur
-à celle de la muraille extérieure, combien les
-demi-teintes de la chair sont colorées en comparaison
-des matières inertes. J’ai observé la même
-chose, hier, sur la place Saint-Sulpice, où un
-polisson était monté sur les statues de la fontaine,
-au soleil, <i>l’orangé mat dans les chairs, les violets
-les plus vifs pour le passage de l’ombre et des
-reflets dorés dans les ombres qui s’opposaient au
-sol</i>. <i>L’orangé et le violet</i> dominaient alternativement
-ou se mêlaient. Le ton doré tenait du vert.
-<i>La chair n’a sa vraie couleur qu’en plein air et surtout
-au soleil.</i> Qu’un homme mette la tête à la
-fenêtre: il est tout autre qu’à l’intérieur: de là, la
-sottise des études d’ateliers, qui s’appliquent à
-rendre cette couleur fausse<a name="FNanchor_5_5" id="FNanchor_5_5"></a><a href="#Footnote_5_5" class="fnanchor">[5]</a>.»</p>
-
-<p>En même temps que Delacroix, au hasard de ses
-flâneries, découvrait cette loi, voici que, loin de
-lui, un inconnu, un Anglais, la découvrait aussi et<span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">[70]</a></span>
-l’enseignait, selon son habitude, impérieusement:
-«Toutes les ombres ordinaires devraient être de
-quelque couleur, jamais noires, ni approchant du
-noir, elles devraient être évidemment et toujours
-d’une lumineuse nature, et le noir devrait apparaître
-étrange parmi elles, comme, parmi une foule
-joyeuse et bigarrée, un moine<a name="FNanchor_6_6" id="FNanchor_6_6"></a><a href="#Footnote_6_6" class="fnanchor">[6]</a>.» Et, quelques
-années plus tard, ce même Anglais qui enseignait
-à Oxford, et qu’il faut bien me permettre de citer
-encore, puisque nul avant lui n’avait prévu, et nul
-depuis lui n’a si clairement exposé la thèse impressionniste,
-disait encore: «Tenez pour certain le
-fait que les ombres, quoique naturellement plus
-sombres que les lumières, vis-à-vis desquelles elles
-jouent le rôle d’ombres, ne sont pas nécessairement
-des couleurs moins vigoureuses, mais peut-être de
-plus vigoureuses couleurs. Quelques-uns des plus
-beaux bleus et des plus beaux pourpres dans la
-nature, par exemple, sont ceux des montagnes vus
-dans l’ombre, contre le ciel couleur d’ambre, et
-l’obscurité du creux dans le centre d’une rose sauvage
-est un éclat de feux orangé dû à la quantité
-de ses étamines jaunes. Or les Vénitiens virent
-toujours cela, et tous les grands coloristes le voient
-et se séparent ainsi des non-coloristes ou écoles de<span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">[71]</a></span>
-pur clair-obscur, non par une différence de style
-seulement, mais parce qu’ils sont dans la vérité,
-tandis que les autres sont dans l’erreur. <i>C’est un
-fait absolu que les ombres sont des couleurs autant
-que les lumières</i><a name="FNanchor_7_7" id="FNanchor_7_7"></a><a href="#Footnote_7_7" class="fnanchor">[7]</a>.»</p>
-
-<p>Les impressionnistes l’ont compris. Rompant
-bruyamment avec les habitudes de l’École, ils ont
-fait les ombres non pas noires, non pas grises, non
-pas jaunâtres, mais colorées, et comme la complémentaire
-du ton le voulait souvent, ils les firent
-souvent violettes. Ce fut un cri de stupeur. Personne,
-d’abord, ne voulut reconnaître là un effet
-observé dans la nature. On parla de «gageure»,
-de «puffisme» et de «coups de pistolet». Dès
-savants vinrent gravement expliquer qu’il n’y
-avait, au fond de tout ceci, qu’une maladie de
-l’œil et, à la vérité, le violet impressionniste était
-bien un peu surprenant; mais si l’on regarde la
-<i>Campagne de Rome</i> de Paul Flandrin, on se
-demandera en quoi les jaunes par où le paysage
-classique exprimait les plantes vertes de ses premiers
-plans étaient plus naturels? Et, s’il y avait
-maladie de l’œil chez ces jeunes gens qui voyaient
-tout en violet, combien les savants physiologistes
-n’auraient-ils pas rendu de services en découvrant<span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">[72]</a></span>
-la maladie qui avait permis au public pendant si
-longtemps de voir le vert des prairies tout noir!
-Combien surtout cette découverte fut vaine,
-puisque loin de guérir cette maladie chez ceux qui
-en étaient déjà affectés, elle n’a pu l’empêcher de
-gagner l’immense foule des peintres. Aujourd’hui,
-si vous vous promenez à travers les <i>Salons</i> des
-pays un peu arriérés ou les collections particulières
-de nos amateurs, vous en verrez les traces, non
-seulement chez les quasi-impressionnistes, comme
-M. Besnard, mais chez les travailleurs les plus
-assagis, comme M. Henri Martin, chez Duez, dans
-son <i>Déjeuner sur la terrasse</i>, chez les Romantiques
-attardés, non seulement en France, mais au delà
-des Alpes, mais dans la «sécession» d’Autriche,
-mais en Hongrie, mais dans les tableaux qu’on
-fait à Christiania ou à Stockholm.</p>
-
-<p>De plus, ces ombres qui sont une couleur, sont-elles
-toujours de la même couleur? Y a-t-il une
-couleur d’ombre comme Perrault pensait qu’il y
-avait une «couleur de temps»? Non, car elles
-varient au gré des objets lumineux qu’elles reflètent.
-Vous êtes dans une chambre où le soleil qui
-décline éclaire presque horizontalement et embrase
-d’un ton chaud tout un coin de la pièce. Votre
-interlocuteur oppose au rayon lumineux son profil,
-de façon qu’une moitié de sa figure se trouve dans<span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">[73]</a></span>
-l’ombre. Analysez cette ombre, vous y découvrirez
-une foule de tons que n’a pas la chair: la couleur
-de la tapisserie éclairée par le soleil. Placez sur
-cette tapisserie un livre rouge: la joue s’enflammera
-comme auprès d’un brasier; vert, elle
-deviendra livide; bleue, et elle se teindra d’une
-blancheur étrange.</p>
-
-<p>Dans les intérieurs d’appartements, toute surface
-réfléchissante s’impressionne de même. Le
-marbre de la table d’un coiffeur est vert sous le
-flacon de violette, rouge sous le flacon de quinine,
-et blanc sous le flacon d’eau de Cologne. En plein
-soleil, sous les arbres, sur les eaux, les reflets sont
-plus tyranniques encore. L’aile des mouettes qui
-se balancent sur les eaux bleues se teint par-dessous
-des couleurs qui se balancent au-dessous d’elles.
-Il y a, sur les bateaux qui font le service des lacs
-en Suisse, un porte-voix de cuivre jaune qui se
-recourbe légèrement comme une houlette au-dessus
-de l’eau bleue. Par un chaud soleil, quand le lac
-est absolument bleu, si l’on considère le dessous
-de ce porte-voix, on trouve qu’il est d’un vert
-criard, quand le dessus est d’un jaune d’or: c’est
-le reflet des vagues.&mdash;Une vive lumière peut
-éteindre la couleur propre d’un objet et lui en
-donner une autre. Le 9 mai de l’année 1900, les
-passants qui considéraient la Seine et l’horizon dentelé<span class="pagenum"><a name="Page_74" id="Page_74">[74]</a></span>
-de l’Exposition vers six heures et demie du
-soir, de la place de la Concorde, n’apercevaient
-qu’un brouillard lumineux çà et là piqué de points
-d’or. Dans la splendeur du couchant toute forme
-avait disparu; seulement le haut des deux mâts de
-la porte monumentale brillaient à droite comme
-des torches qui commencent à prendre feu. De
-l’autre côté de la Seine, deux dômes brillaient d’un
-éclat exactement pareil: l’un appartenait au palais
-de l’Italie, qui était tout doré, l’autre à celui des
-États-Unis, qui était blanc avec de simples filets
-d’or,&mdash;et le soleil les confondait dans le même
-éclat. Enfin, au-dessus d’eux, une cloche d’or suspendue
-dans un campanile d’argent lui-même, soutenu
-en l’air par des forces invisibles, voilà tout ce
-qui restait de la tour Eiffel....</p>
-
-<p>Ainsi de la figure humaine. Dès qu’elle est
-plongée dans un milieu composé de couleurs éclatantes
-et diverses, elle en reflète les éclats et les
-diversités. Mille silhouettes sont formées sur elle
-par les ombres des branches, par les lentilles de
-lumière: telles des arabesques et des ramages sur
-un vêtement. Si vous regardez avec attention la
-petite <i>Paysanne assise</i> de M. Pissarro, vous apercevrez
-que si la silhouette suivait les limites de la
-couleur, vous pourriez réduire son bras à presque
-rien, car toute une moitié n’en est que la continuation<span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">[75]</a></span>
-du ton de l’herbe. Et partout le paysage
-l’envahit et la tatoue à tel point qu’elle est près de
-se dissoudre dans le vert ambiant, selon la formule
-fameuse des <i>Déliquescences</i>:</p>
-
-<p class="pp6 p1">Ah! verte, verte, combien verte<br />
-Était mon âme ce jour-là!</p>
-
-<p class="p1">C’est de la peinture caméléonne. Les objets
-prennent les teintes des milieux où ils sont plongés
-et, pour l’impressionniste, nous sommes comme ces
-poissons qui changent de couleur selon les eaux
-qui les reçoivent. Est-ce là une vue plus fausse de
-la nature? Est-il une couleur immuable appropriée
-à une chose? Est-il un sentiment qui colore d’une
-façon indélébile une âme? Le flot bleu, en arrivant
-contre un récif, s’élève, se brise et devient
-blanc: c’est pourtant la même eau;... l’angle d’une
-table noire, touché par le jour de la fenêtre, se
-sertit de blanc bleuâtre: c’est pourtant le même
-bois;... un homme d’un esprit sceptique, d’une
-volonté inactive, est saisi par l’amour ou par la
-douleur et devient un poète ou un apôtre: c’est
-pourtant la même âme.... Que la même substance
-se colore suivant le milieu de façons différentes et
-que chaque couleur différente de ce milieu agisse
-en même temps sur elle de façon à la partager, à la
-barioler, à la tatouer si l’on veut, selon les mille<span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">[76]</a></span>
-hasards de l’ombre, du rayon, du reflet, du nuage
-et de l’air, voilà qui n’est pas seulement une fantaisie
-impressionniste dans l’art, mais une vérité
-profonde à la fois dans la nature et dans la vie.</p>
-
-<p>Mais ce n’est pas tout. Les taches des reflets ne
-séparent pas seulement une même figure en morceaux
-de différentes couleurs sur le même plan,
-comme une mosaïque: elles en creusent aussi les
-surfaces planes, et les sculptent en profondeur
-comme des bas-reliefs. Elles varient les plans de
-cette surface plane de telle sorte qu’elles en modifient
-complètement aux yeux la nature et la composition.
-Regardez <i>La Loge</i> de M. Renoir et vous
-verrez le plastron empesé du lorgneur, qui est
-apparemment d’une matière dure, creusé par les
-taches d’ombre, et repoussé par les reflets de
-lumière, de façon à présenter l’aspect d’un agglomérat
-de coton. Parfois, donc, la lumière trompe
-absolument sur la nature de l’objet représenté.
-Pour le reconstituer, il faut faire appel au sens du
-toucher. Il faut que la main se porte sur l’objet et,
-le palpant, nous rende la notion que sa forme primitive
-subsiste sous les reflets contraires et les
-diverses couleurs.</p>
-
-<p>Maintenant, ces jeux de la lumière, ces actions
-et ces réactions infinies des reflets, comment les
-analyser avec assez de finesse pour les surprendre<span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">[77]</a></span>
-et les fixer avec assez d’éclat pour les retenir? Cette
-atmosphère lumineuse, qui bouleverse les formes,
-interchange les couleurs, par quel moyen subtil
-l’exprimer? Puisque ce n’est plus la figure qu’il
-s’agit de délimiter dans l’espace, ni les arbres dont
-il s’agit d’indiquer l’essence, puisque c’est la lumière
-qui devient le principal personnage du tableau,
-comment peindre cette lumière qui remplace dorénavant
-le sujet, l’action, la figure, le caractère, et
-pétrissant à son gré tous les corps, enveloppant
-tous les plans, reliant toutes les silhouettes, fondant
-toutes les couleurs,</p>
-
-<p class="pc1 reduct">
-Semble l’âme de Tout qui va sur chaque chose<br />
-Se poser tour à tour?...</p>
-
-<p class="p1">C’est ici qu’intervient l’effort le plus audacieux,
-la trouvaille la plus précieuse de l’Impressionnisme:
-la <i>division de la couleur</i>.</p>
-
-<p>Cette division, beaucoup de coloristes l’avaient
-indiquée. Ils avaient déjà morcelé la touche. Vous
-trouverez la touche très morcelée avec les reflets
-très papillotants chez Watteau, dans l’<i>Embarquement
-pour Cythère</i>. Elle est morcelée aussi chez
-Chardin. Elle est balafrée, striée, et parfois tourbillonnante
-chez Turner. Taine cite avec raison le
-<i>Café Turc</i> de Decamps et spécialement le mur de
-face, à gauche, pour montrer que, pour les yeux<span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">[78]</a></span>
-de l’artiste, la tache est en mouvement, car il s’y
-fait des flageollements, des stries. M. Paul Signac
-a parfaitement établi, dans son vigoureux plaidoyer
-en faveur des néo-impressionnistes<a name="FNanchor_8_8" id="FNanchor_8_8"></a><a href="#Footnote_8_8" class="fnanchor">[8]</a>, que le
-peintre du <i>Massacre de Scio</i>, lui aussi, se préoccupa
-des moyens d’aviver la couleur par le morcellement
-de la touche.</p>
-
-<p>Mais si l’on obtient ainsi plus de mouvement et
-plus d’air dans la couleur, on n’en augmente pas
-l’éclat. Et, cependant, chacune des couleurs dont
-on se sert est d’un éclat égal, sinon supérieur à
-l’éclat de la couleur correspondante dans la nature;
-le vert sur la palette est aussi étincelant que sur
-l’herbe. Pourquoi donc, une fois mélangées et
-passées sur la toile, les couleurs baissent-elles de
-ton? «Mélangées»,... c’est qu’elles sont mélangées!
-Et, apparemment, c’est une inexorable
-loi de la peinture. Elles ne peuvent pas ne pas
-l’être....</p>
-
-<p>Claude Monet et Pissarro en étaient là de leurs
-réflexions, lorsqu’en 1870, ils allèrent à Londres
-et y passèrent de longues journées à étudier
-les Maîtres anglais, Watts, Rossetti, Turner. En
-observant que, dans certains tableaux de Turner
-vus de près, les couleurs apparaissent presque<span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">[79]</a></span>
-pures, et que, de loin, cependant, l’ensemble
-des touches composait une combinaison harmonieuse,
-les impressionnistes comprirent pourquoi
-ces tableaux avaient un tel éclat: c’est que la couleur
-y était posée par tons crus; et pourquoi ils
-avaient, malgré cette crudité, une telle harmonie:
-c’est qu’elle était posée par tout petits fragments
-ou par lignes très minces qui, de loin, n’apparaissaient
-pas seuls, mais se mélangeaient pour la vue
-avec les lignes voisines. Le mélange n’avait pas eu
-lieu sur la palette, ni même sur la toile: il avait
-lieu sur la rétine du spectateur. C’est ce qu’on
-appela le <i>mélange optique</i>.</p>
-
-<p>De ce procédé, qui n’est point constant ni même
-habituel chez Turner, mais qui s’y trouve suffisamment
-indiqué, les impressionnistes dégagèrent et
-rapportèrent toute une théorie. D’abord, ils proscrivirent
-de leur palette les couleurs neutres et
-déjà rompues comme les bruns, ne gardant que
-des couleurs vives: des jaunes, des orangés, des
-vermillons, des laques, des rouges, des violets, des
-bleus, des verts intenses comme le véronèse et
-l’émeraude. Réduits à ces couleurs éclatantes qui
-se rapprochent de celles du spectre solaire, ils s’interdirent
-encore d’en ternir l’éclat par des mélanges
-sur la palette. Enfin, dans leur dernière
-évolution ils cherchèrent à éviter non seulement<span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">[80]</a></span>
-le mélange sur la palette et dans la brosse, mais
-même, jusqu’à un certain point, le mélange sur la
-toile, composant les tons, le plus qu’ils pouvaient,
-par petits fragments purs, les uns à côté des
-autres. Pour composer un violet, par exemple, la
-théorie <i>divisionniste</i> enseigne qu’il ne faut point
-prendre le violet sur la palette, ni même mêler sur
-la toile du rouge et du bleu, mais bien poser une
-touche de rouge, puis une de bleu, à côté, sans
-les mêler, mais si près l’une de l’autre, qu’à
-une certaine distance l’œil recompose le ton
-violet.</p>
-
-<p>C’est l’application exacte de la théorie enseignée
-en 1856 par Ruskin et que M. Paul Signac a résumée,
-en 1899, en ces trois articles: 1<sup>o</sup> Palette
-composée uniquement de couleurs pures se rapprochant
-de celles du spectre solaire; 2<sup>o</sup> Mélange
-sur la palette et mélange optique; 3<sup>o</sup> Touches en
-virgules ou balayées.</p>
-
-<p>Assurément, ce programme, en passant de la
-théorie à la pratique, a subi bien des accommodements.
-Ni Claude Monet, ni même M. Pissarro
-ne l’ont absolument appliqué. D’ailleurs, ils
-n’avaient jamais prétendu l’appliquer et ce n’était
-là qu’une suggestion pour l’avenir ou, si l’on
-veut, un idéal. Mais si nous regardons la <i>Vue de
-Rouen</i> de M. Camille Pissarro ou l’<i>Argenteuil</i><span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">[81]</a></span>
-de Claude Monet, nous verrons qu’autant qu’une
-suggestion peut être suivie, celle-là le fut par
-ces peintres, et devant ces deux exemples, les
-plus prévenus conviendront qu’elle a conduit à un
-admirable résultat. L’éclat de ces eaux, la vibration
-de cette lumière, la palpitation de ces reflets,
-la légèreté de cette atmosphère fine, l’harmonie
-douce de ces tons dont chacun est violent, tout
-prouve que l’Impressionnisme a apporté ici une
-affirmation vraie. La <i>Danseuse</i> de M. Renoir est
-une merveille d’harmonie. Regardez, au Luxembourg,
-<i>les Bords de la Seine</i> de Sisley, les <i>Toits
-rouges</i> et la <i>Brouette</i> de M. Pissarro, la <i>gare Saint
-Lazare</i> et l’<i>Eglise de Vétheuil</i> de Monet, qui sont
-de petits chefs-d’œuvre, vous reconnaîtrez là les
-plus précieuses découvertes de l’art dans les
-secrets de la vie.</p>
-
-<p>Seulement, la théorie <i>divisionniste</i>, si elle était
-appliquée partout et dans toute sa rigueur, conduirait
-à proscrire beaucoup des facilités de la peinture
-à l’huile, car précisément ce qui distingue la peinture
-à l’huile d’autres procédés de coloration, du pastel
-par exemple, c’est le pouvoir de mélanger les couleurs,
-et c’est, pour parler comme Delacroix, «l’infernale
-commodité de la brosse». L’absolue division
-de la couleur, plus tard dégénérée en <i>pointillisme</i>,
-rend le métier de peintre extrêmement<span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">[82]</a></span>
-difficile. En vain, des artistes d’un talent indéniable
-et d’une rare pénétration d’esprit, les Seurat,
-les Signac, les H.-E. Cross cherchèrent à rallier
-les peintres à la technique nouvelle, poussée
-à son extrême sévérité. Ils échouèrent.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">[83]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE III</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Ses lacunes.</b></p>
-
-<p class="p2">Le cycle impressionniste étant clos, on peut le
-juger maintenant aussi clairement qu’on juge
-l’école romantique ou celle de David. Tant que les
-«jeunes» s’en inspirèrent, tant qu’ils y prirent
-leur point de départ, le jugement dut être suspendu.
-Car on ne savait pas si, parmi ces jeunes,
-il ne s’en trouverait point qui ferait sortir de l’Impressionnisme
-quelque œuvre plus complète et
-plus puissante que celles réalisées jusque-là. On
-nous disait: «Ne vous pressez pas de conclure, car
-ce mouvement ne date que d’hier et s’il n’a pas
-donné encore tout ce qu’on en peut attendre, qui
-sait si à ces tentatives ne va pas succéder quelque
-chef-d’œuvre? Qui sait si le maître impressionniste
-ne va pas paraître?» Mais, aujourd’hui, on
-ne peut plus parler ainsi. Car voici plusieurs années
-déjà que les jeunes ont abandonné la route<span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">[84]</a></span>
-de l’Impressionnisme et bifurqué sur des chemins
-qui les ramènent tout doucement aux écoles du
-passé. On nous disait: «Désormais la peinture
-sera claire, <i>définitivement</i> débarrassée de la litharge,
-du bitume, du chocolat, du jus de chique,
-du graillon et du gratin<a name="FNanchor_9_9" id="FNanchor_9_9"></a><a href="#Footnote_9_9" class="fnanchor">[9]</a>». Demain les jeunes
-gens ne verront la figure humaine qu’enveloppée
-de soleil; les ombres seront mises en fuite, les
-murailles qui conservent l’ombre renversées, les
-clartés triomphantes dans tous les coins et recoins
-de la toile, et l’être humain, émancipé par la peinture,
-se tiendra debout, joyeux, dans «une après-midi
-qui n’aura pas de fin». Attendez, et vous
-allez voir arriver la lumière.</p>
-
-<p>Nous avons attendu, et nous avons vu arriver
-M. Cottet....</p>
-
-<p>On nous disait enfin: «Regardez s’élaborer le
-paysage de l’avenir. Il ne sera qu’une harmonie en
-blanc majeur, qu’un inter-échange de lueurs entre
-les eaux, les herbes, les feuilles, les rayons et les
-fleurs. Et, là, il puisera toute sa poésie. Plus d’effets
-mélodramatiques, plus de ruines savantes, plus de
-fabriques, plus d’arbres composant leurs silhouettes
-comme des modèles d’académie, plus d’effet théâtral,
-plus d’orages! Seulement le clair sceptre de<span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">[85]</a></span>
-«midi roi des étés», des maisons neuves avec du
-rouge de tuile ou du noir d’ardoise, à travers les
-feuilles tendres d’arbres sans prétentions, d’humbles
-légumes, des eaux sans cascades ni artifices,
-de petites nuées libres sans architecture. Ayez
-confiance, et vous allez voir apporter dans nos
-salons des morceaux de nature éclatants de lumière
-et de modernité.» Nous avons eu confiance, et
-nous avons vu apporter les <i>Terres antiques</i> de
-M. Ménard....</p>
-
-<p>Regardez le paysage de M. Ménard, qui se trouve
-précisément au Luxembourg, pas très loin de la
-salle Caillebotte. Non seulement Claude Lorrain
-n’y est plus méprisé, mais les recettes du vieux
-clair-obscur y sont soigneusement remises en
-honneur.... Combien n’a-t-on pas raillé jadis le
-procédé qui consiste à opposer, dans un tableau,
-le point le plus lumineux à son point le plus sombre
-pour obtenir un effet de contraste, ce procédé sans
-cesse employé par Gustave Doré dans ses grandes
-planches? Or, il se retrouve exactement dans les
-deux paysages de M. Ménard, où des bestiaux
-bénévoles sont venus mettre leur tête rousse et
-sombre, juste au point où le soleil dardait son
-reflet le plus clair. Et pourtant l’œuvre de
-M. Ménard n’en arrête pas moins tous les regards,
-et n’en retient pas moins toutes les pensées.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">[86]</a></span></p>
-
-<p>Pareillement, dans cette touchante <i>Nuit de la
-Saint-Jean</i> de M. Cottet, où les membres d’une
-famille bretonne se sont groupés autour du feu
-commémoratif, posant çà et là des pierres pour
-tenir parmi les vivants la place des enfants morts,
-on observe que le point le plus sombre s’oppose
-au centre lumineux, et nul n’en est scandalisé. De
-même dans l’admirable <i>Troupeau</i> de M. Dauchez.</p>
-
-<p>Qu’on regarde enfin la <i>Procession</i> de M. Simon:
-ces têtes nues sous la brise de mer, ces traits fortement
-appuyés dans la chair des visages, ces
-oppositions tranchées d’ombre et de lumière, ces
-arabesques de draps noirs sur les surplis blancs,
-et que l’on dise ce qui reste là des théories du
-plein air et des reflets, de la proscription du brun
-et du noir?</p>
-
-<p>Et ce n’est pas une individualité ou deux qui abandonnent
-le sentier de l’Impressionnisme: c’est une
-foule. Quand on s’arrête devant les toiles de M. Jacques
-Blanche, de M. Le Sidaner, de M. Morisset, de
-M. Guignard, de M. Albert Moullé, de M. Georges
-Griveau, de M. Garrido, de M. Feliu, de Mlle Rœderstein,
-de M. Sarlius, il est difficile d’y voir cette
-«peinture claire», cet éblouissement de tons purs,
-cette «proscription des ocres et des bruns», que
-les théoriciens de l’Impressionnisme ont toujours
-donnés comme les caractéristiques de l’art<span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">[87]</a></span>
-nouveau<a name="FNanchor_10_10" id="FNanchor_10_10"></a><a href="#Footnote_10_10" class="fnanchor">[10]</a>. Vainement chercherait-on à rattacher tous
-ces «ténébreux,» qui triomphent en ce moment,
-aux luministes d’hier. Ils en diffèrent du tout au
-tout. On peut, à la vérité, parler de leur commune
-«émotion» et de leur semblable «sincérité»;
-proclamer que les uns et les autres se livrent à un
-pareil «travail philosophique au cours duquel les
-contingences s’élaguent», et qu’ils sont, aujourd’hui
-comme hier, les «évocateurs savants des
-forces en exercice;...» propositions qui s’appliquent
-d’autant mieux à plusieurs écoles qu’elles
-n’en définissent aucune.</p>
-
-<p>On peut, en définissant l’Impressionnisme «une
-peinture qui va vers le phénoménisme, vers l’apparition
-et la signification des choses dans l’espace,
-et qui veut faire tenir la synthèse de ces choses
-dans l’apparition d’un moment<a name="FNanchor_11_11" id="FNanchor_11_11"></a><a href="#Footnote_11_11" class="fnanchor">[11]</a>», y rattacher tout
-tableau moderniste, comme, d’ailleurs, tout tableau
-quelconque et, en effet, quel est le peintre qui ne
-se propose pas «l’apparition des choses dans
-l’espace», et quel moyen pourrait-il bien prendre<span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">[88]</a></span>
-de les montrer autrement que « dans l’apparition
-d’un moment?»</p>
-
-<p>Mais dès qu’on quitte cette logomachie pour préciser
-les caractères picturaux des «jeunes» de
-talent, on est obligé de constater la réaction qui s’est
-faite. Car le réalisme était l’absence de composition,
-et l’Impressionnisme l’absence d’effet par les
-masses d’ombre. Or, chez tous les jeunes artistes
-que le succès accueille aujourd’hui, on constate
-nettement une composition voulue et un parti pris
-d’ombres évident. Il y a huit années, déjà, cette
-réaction était notée par M. André Michel. Sa consciencieuse
-observation et son impartiale clairvoyance
-en relevaient les premiers symptômes<a name="FNanchor_12_12" id="FNanchor_12_12"></a><a href="#Footnote_12_12" class="fnanchor">[12]</a>.
-Aujourd’hui, personne ne pourrait s’y tromper:
-l’Impressionnisme appartient bien au passé. On
-peut donc, sans injustice, le comparer à toutes les
-écoles du passé.</p>
-
-<p>Or, il faut bien l’avouer, si nous comparons les
-portraits que nous ont laissés ses meilleurs maîtres
-avec ceux d’Ingres ou de M. Dagnan, si nous rapprochons
-ses paysages, dans leur ensemble, des
-pages que nous ont laissées les Rousseau, les
-Corot et les Daubigny, si à ce mouvement qui dura
-trente ans, c’est-à-dire aussi longtemps que le<span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">[89]</a></span>
-mouvement romantique et qui fit beaucoup plus
-de bruit que l’école de Barbizon, nous demandons
-l’équivalent de ce qu’ont produit l’un ou
-l’autre de ces groupes, l’une ou l’autre de ces
-écoles, nous ne le trouverons pas. Ni ces portraitistes
-n’ont immortalisé, ni ces paysagistes n’ont
-exprimé, ni ces fantaisistes n’ont conçu, quelque
-figure humaine, quelque aspect de nature, quelque
-type d’humanité tel que le <i>Portrait de M. Bertin</i>,
-la <i>Danse des Nymphes</i> ou <i>l’Homme à la Houe</i>. En
-sorte que vouloir comparer l’Impressionnisme aux
-grandes époques de la peinture française, l’opposer
-à ces écoles, le dresser contre leur enseignement,
-comme l’ont fait la plupart de ses panégyristes,
-ce serait tout simplement conclure à son
-avortement.</p>
-
-<p>Le maître impressionniste n’a pas paru. Car cette
-révolution, si révolution il y a, fut faite par beaucoup
-de pygmées et non par un géant. C’est la
-grande différence, en Art, entre les révolutions
-d’autrefois et celles d’aujourd’hui. Autrefois, ce
-qui était à la mode, ce qui était encouragé par la
-critique, ce qui était par conséquent le lot de la
-foule des artistes, du troupeau des «suiveurs»,
-c’était la routine; aujourd’hui, c’est l’innovation.
-Autrefois, par conséquent, il fallait, pour oser une
-réforme, un artiste vigoureux et puissant, rompu<span class="pagenum"><a name="Page_90" id="Page_90">[90]</a></span>
-à toutes les pratiques antérieures de son art. Le
-goût étant essentiellement hostile à toute réforme,
-on n’osait point la tenter aussi longtemps qu’on
-n’avait pas en main tous les éléments pour la faire
-triompher. Tant qu’on ne savait pas à peu près
-tout ce que savaient ses prédécesseurs, on ne
-s’aventurait pas à leur rompre en visière ni à leur
-donner des leçons. Aujourd’hui, rien n’est plus
-facile. Étonner les maîtres suffit à faire penser
-qu’on est un maître soi-même; dire du mal de
-l’Institut dispense d’avoir du talent. Le goût étant
-aux innovations, à l’agitation et à l’oscillement
-perpétuel, la presse décernant la «maîtrise» à
-n’importe quel pseudo-novateur, beaucoup innovent
-quand ils devraient copier encore et enseignent
-un métier nouveau quand ils agiraient sagement
-en apprenant l’ancien. Il en résulte parfois
-des tentatives curieuses, intéressantes pour le progrès
-d’une technique, mais point assez complètes
-pour la réalisation d’une œuvre et, au bout de
-quelques années, le mouvement avorte ou se perd
-en excentricités, pour avoir été entrepris trop tôt,
-par des bras trop faibles et dans un sentiment trop
-étroit.</p>
-
-<p>L’Impressionnisme avait un sentiment trop étroit.
-Il niait trop de vérités essentielles dans une œuvre
-d’art et celle qu’il apportait, si importante qu’elle<span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">[91]</a></span>
-fût, n’était pas suffisante pour tenir lieu de toutes
-les autres. Ce qu’il affirmait c’était la nécessité de
-la couleur vive, ce qu’il niait c’était l’utilité de la
-ligne. Il la niait, et il ne sert de rien, pour le contester,
-de prétendre que M. Degas admire Ingres
-ou que M. Renoir sait dessiner et qu’ils étaient
-tous deux capables de tracer une ligne impeccable;
-toute la question est de savoir s’ils étaient capables
-de donner l’éclat nouveau et le mouvement
-imprévu de leurs couleurs tout en conservant leurs
-lignes. Il est évident que les impressionnistes pouvaient
-d’une part dessiner très correctement et
-d’autre part obtenir des vibrations de couleurs
-inaccoutumées. Mais la question est de savoir s’ils
-pouvaient <i>à la fois</i> donner ces vibrations et conserver
-cette ligne, profiter de leurs recherches et
-ne rien perdre de leur acquis, appliquer leurs
-théories sans détruire un enseignement essentiel
-et, en un mot, superposer leurs progrès à tous les
-progrès que la peinture avait faits avant eux. Or
-les exemples de la salle Caillebotte répondent assez
-clairement à cette question: ils ne le pouvaient
-pas. Ils n’ont pu réaliser leurs vibrations de couleurs
-qu’en sacrifiant la ligne; ils n’ont pu montrer
-les reflets sur les figures qu’en détruisant la
-silhouette des figures; ils n’ont pu peindre l’atmosphère
-qui enveloppe, qu’en dénaturant la substance<span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">[92]</a></span>
-qui est enveloppée et, en un mot, faire
-«chanter la couleur» qu’en faisant taire le dessin.</p>
-
-<p>Dans la plupart des tableaux impressionnistes,
-il n’y en a plus et, si ce défaut est moins sensible
-ou plus excusable quand il s’agit d’un paysage,
-surtout des paysages amorphes des environs de
-Paris où nulle montagne ne donne un intéressant
-profil, il n’en va pas de même avec la peinture de
-figure et surtout avec le portrait. Le but du portrait
-est de nous montrer ce qu’un être humain a
-de plus personnel, de plus intime, de plus <i>lui</i>. En
-le peignant en plein air, sous bois, tatoué par
-l’ombre des branches, bariolé par les reflets, l’impressionniste
-nous montre ce qu’il a de plus superficiel,
-de plus influencé par son milieu, de plus
-<i>autre</i>. Le but du portraitiste est d’abstraire le
-modèle de son milieu, afin de montrer en quoi il
-diffère de son milieu. La thèse impressionniste
-oblige à le replonger au contraire dans ce milieu
-comme dans un bain multicolore, à éparpiller son
-âme parmi les âmes diverses des choses, à étouffer
-sa voix sous le murmure des êtres, à éclipser son
-regard par le rayonnement des fleurs, en un mot
-à le faire s’évanouir dans le grand Tout. L’homme
-n’est plus que le produit du «milieu» où on l’a
-mis et du «moment» où on l’observe. Aussi ne
-trouve-t-on guère de bons portraits dans toute<span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">[93]</a></span>
-l’école impressionniste, et parmi eux, il n’en est
-pas un qui puisse être comparé, je ne dis pas à
-ceux d’Ingres ou de Reynolds, mais tout simplement
-à ceux de M. Dagnan ou de M. Benjamin-Constant.</p>
-
-<p>La facture en est uniforme. C’était un axiome
-autrefois chez les artistes que chaque objet différent
-devait être peint d’une façon différente, qu’une
-maison, par exemple, devait se distinguer par sa
-facture d’un arbre et un mouton d’une pièce d’eau
-ou d’une locomotive; qu’il n’y avait pas seulement
-un ton «local,» mais que la facture même devait
-varier selon l’objet qu’elle était censée réaliser. On
-n’appliquait pas la couleur pour figurer un mur
-comme pour figurer des feuilles d’arbre ni pour un
-visage comme pour un parquet de bois. La matière
-représentante devait varier comme la matière représentée.
-La touche était posée à plat ou en virgule,
-ou plus sèche ou plus humide, par longues traînées
-ou par points, par raies verticales ou par traits
-horizontaux ou en coups de sabre, en «banderoles»,
-ou bien blaireautée en fourchette, ou
-encore appuyée comme une pression sur un bouton
-électrique, ou légère comme des passes magnétiques,
-selon qu’il s’agissait de signifier la ronde
-bosse d’un rocher ou la plate épaisseur d’une
-muraille, ou l’échevellement d’un arbre dans le<span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">[94]</a></span>
-vent. L’Impressionnisme a changé tout cela. Son
-principe étant de peindre l’enveloppe lumineuse
-des objets plutôt que les objets mêmes, il a tout
-fait vibrer dans un égal scintillement. Dans ses
-œuvres les plus fameuses, tout est peint de la
-même manière. Une locomotive paraît floconneuse
-comme un nuage; une maison frissonnante comme
-un arbre et un bonhomme tient à la fois du nuage
-et de la maison. Une touche partout égale, que
-l’objet soit liquide, solide ou aérien, le calfeutre
-d’une sorte de ouate colorée.</p>
-
-<p>Fatal à la figure, le sentiment impressionniste
-est-il favorable au paysage? Oui, sans doute, mais
-non à tous les paysages, ni dans tous les moments.
-Ce que l’Impressionnisme rend merveilleusement,
-c’est le plein soleil, c’est l’heure où tout ce qui vit
-danse dans la lumière, où, voyant tout, l’on voit
-mal. C’est l’accablement de la chaleur, c’est midi,
-l’heure de la sieste et des bras lassés par le travail.
-C’est de toutes les heures du jour celle que le rural
-connaît le moins. Car c’est celle où il repose. Mais
-en même temps c’est l’heure que l’artiste citadin
-connaît le mieux et qui représente pour lui l’instant
-typique de la Nature. Il est parti de Paris par
-le train du matin, il y rentrera par le train du soir,
-il ne voit la campagne qu’en plein midi. Il a un
-éblouissement. L’impressionniste mieux qu’aucun<span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">[95]</a></span>
-autre lui peint cet éblouissement, il le retrouvera
-rue Lepeletier. Il est grisé, enivré comme les héros
-de Maupassant dans sa <i>Partie de campagne</i>. Cela,
-l’impressionniste le montre bien. Dans sa toile, le
-citadin déchaîné parmi les moissons a des visions
-extraordinaires.</p>
-
-<p class="pp6 p1">Le printemps ouvre sa guinguette...</p>
-
-<p class="pp6 p1">Le bourdon aux excès enclin,<br />
-Entre en chiffonnant sa chemise;...<br />
-Un œillet est un verre plein,<br />
-Un lys est une nappe mise,</p>
-
-<p class="pp6 p1">La mouche boit le vermillon<br />
-Et l’or dans les fleurs demi-closes,<br />
-Et l’ivrogne est le papillon,<br />
-Et les cabarets sont les roses.</p>
-
-<p class="p1">Ces impressions superficielles, ces Bucoliques
-de banlieue, l’impressionniste les chante comme
-Victor Hugo lui-même. Quant aux impressions de
-nature longuement ressenties, comme la ressentent
-ceux qui vivent sur la montagne ou sous la forêt,
-quant aux souvenirs qui s’enfoncent au plus profond
-de notre être, ce n’est plus Claude Monet
-ou Victor Hugo qui sont capables de les rendre:
-c’est Lamartine, c’est même Laprade ou Brizeux.
-Et si nous les voulons retrouver en peinture, quittons
-la salle Caillebotte, quittons le Luxembourg
-et montons au dernier étage du Louvre, revoir les
-Corot, les Rousseau et les Daubigny de la collection
-Thomy-Thierry.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">[96]</a></span></p>
-
-<p>Incapable de dégager le caractère de la figure
-humaine, capable seulement de dégager l’apparence
-de la nature dans une seule région à une
-seule heure et très superficiellement, l’Impressionnisme
-pouvait produire, ça et là, quelques excellentes
-œuvres, comme les <i>Toits rouges</i> ou l’<i>Église
-de Vétheuil</i>, mais il était, si on le compare aux
-grandes écoles d’art, destiné à un avortement.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">[97]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE IV</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Son erreur.</b></p>
-
-<p class="p2">Et pourquoi a-t-il avorté? Pourquoi a-t-il affiché
-un sentiment d’art si étroit, et l’ensemble de ses
-négations inutiles a-t-il de beaucoup dépassé son
-affirmation nécessaire?&mdash;C’est parce qu’il portait
-en lui, avec des germes de vie, un germe de mort,
-une certaine humeur fatale à tous ceux qui en
-furent affligés, commune à beaucoup d’écoles contemporaines,
-et qu’il faut dénoncer comme la pire
-des maladies de notre temps: <i>la recherche de l’originalité</i>.</p>
-
-<p>Chercher l’originalité est un mal qui, s’il ne date
-pas d’hier, date du moins des temps modernes. Les
-anciens artistes l’ont peu connu. On cite bien Gréco
-qui, exaspéré d’entendre dire qu’il imitait le Titien,
-chercha dans des procédés un peu semblables aux
-procédés impressionnistes une éphémère originalité.
-Mais Gréco fut une exception. Ce que l’artiste<span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">[98]</a></span>
-ancien cherchait d’ordinaire, c’était l’assentiment de
-ses pairs et l’applaudissement des «honnêtes gens»
-en continuant ses maîtres, en développant quelque
-côté de leur manière, sans qu’on vît tout de suite
-la transition et en les transformant sans bruit. Il
-cherchait non <i>l’originalité</i>, mais <i>la puissance</i>. Il ne
-niait rien de ce qu’on trouvait nécessaire avant
-lui, mais il y ajoutait quelque chose qui lui semblait
-utile. Chercher l’originalité, c’est le signe
-évident qu’on veut s’écarter de sa voie naturelle,
-de soi-même, de son «origine», bref, de tout ce
-qu’on peut avoir d’originalité. Si l’on a en soi
-quelque originalité, parmi toutes ses qualités
-natives, c’est en les développant toutes qu’on peut
-la faire apparaître, mais ce n’est jamais en commençant
-par supprimer l’emploi des autres. Ce
-n’est donc pas en supprimant les qualités reconnues
-comme nécessaires dans une œuvre d’art: la
-composition, le dessin, le côté substantiel des
-choses, qu’on réalisera l’originalité de la couleur.
-C’est en les gardant toutes, en les cultivant soigneusement,
-qu’éclatera, parmi elles, celle qui est
-destinée à les faire oublier, presque à l’insu de
-l’artiste qui n’a cherché rien autre chose que la
-puissance. Pour être elle-même, l’originalité doit
-être non pas voulue, mais subie.</p>
-
-<p>Considérons, par exemple, les deux maîtres<span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">[99]</a></span>
-dont se réclament parfois les impressionnistes:
-Turner et Watteau. Certes, tous les deux furent
-des novateurs et firent de plus grandes révolutions
-dans l’art que les modernistes ne peuvent se
-flatter d’en avoir même indiqué. Comme l’a dit
-Hamerton: «La critique du <span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup> siècle eût été
-incapable d’imaginer un Turner». D’autre part,
-quand on se rappelle que Watteau, ce représentant
-présumé du <span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup> siècle, fit son éducation en réalité
-au <span class="smcap">XVII</span><sup>e</sup>, qu’il mourut l’année où naquit Mme de
-Pompadour, qu’il n’eut pour modèles que Le Brun
-et Mignard, Poussin et Le Sueur, on mesure assez
-le pas géant qu’il fit faire à l’art pour l’amener des
-tristes bords du Tibre où languissait le Poussin
-jusqu’au parc jaseur et rieur où «s’en vont rêvant
-masques et bergamasques». Or, ces deux grands
-novateurs surent à peine qu’ils innovaient. En
-tout cas, ils ne le proclamèrent point: ils s’en
-seraient défendus plutôt, et telle était leur déférence
-envers les maîtres et leur peu de scandale
-que tous deux furent élus, fort jeunes, membres
-l’un de l’Académie royale de France, l’autre de
-l’Académie royale d’Angleterre, sans même l’avoir
-sollicité.</p>
-
-<p>Était-ce un révolutionnaire, un contempteur des
-maîtres anciens, ce Turner qui, constamment
-hanté par le souvenir de Claude, dessinait un <i>Liber<span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">[100]</a></span>
-Studiorum</i> pour être comparé au <i>Liber Veritatis</i> de
-son prédécesseur et qui mérita que P. G. Hamerton
-écrivît de lui: «Jamais artiste n’a étudié ses prédécesseurs
-avec autant d’assiduité pour montrer autant
-d’indépendance dans la suite?» Était-ce un chercheur
-d’originalité que Watteau? Au témoignage
-de Caylus, il «copiait et étudiait avec avidité les
-plus beaux ouvrages du maître d’Anvers»; il écoutait
-les conseils de maîtres comme Métayer, comme
-Gillot, comme Claude Audran, peintre et concierge,
-plus concierge que peintre: il demandait,
-en grâce, aux membres de l’Académie les moyens
-d’aller étudier à Rome. Prétendait-il détruire les
-règles établies, cet esprit timide et inquiet qui
-avait toujours, disent ses biographes, «le dégoût
-de ses propres ouvrages et trouvait toujours qu’ils
-étaient payés beaucoup plus qu’ils ne valaient?»
-ce client qui donnait à son coiffeur deux tableaux
-pour une perruque et craignait encore, en conscience,
-que ce ne fût pas assez? Tous les deux,
-enfin, Turner et Watteau, ressemblaient-ils aux
-bruyants révolutionnaires modernistes, eux qui,
-aussi jaloux de cacher leur personne que de perfectionner
-leur art, changeaient constamment de
-logement pour échapper aux curiosités indiscrètes,
-qui, pendant tout le cours de leur vie, étaient
-hantés par les modèles laissés par les maîtres,<span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">[101]</a></span>
-tous deux impatients, inquiets, doutant de leur
-mérite et ne souffrant guère qu’on attaquât celui
-de leurs prédécesseurs, tous deux mourant isolés,
-non comme des chefs d’école, mais bien comme
-de véritables originaux, grands inconscients qu’ils
-étaient: l’un déplorant qu’on eût si mal sculpté
-le crucifix que le prêtre lui donnait à embrasser,
-l’autre tournant, dans la mansarde de Chelsea, ses
-derniers regards vers les derniers rayons du couchant
-en murmurant: «Le soleil est Dieu!»</p>
-
-<p>Tel fut Watteau, tel fut Turner, ces gauches
-constructeurs d’ombres charmantes, ces inconscients
-casseurs de vitres et ces prodigieux appelants
-de rêve. L’<i>Embarquement pour Cythère</i> était
-bien le départ pour une terre nouvelle d’art et de
-poésie. Les <i>Funérailles en mer du peintre Wilkie</i>
-étaient bien l’ensevelissement de toute une peinture
-vieillie et d’un idéal mort. Mais ceux qui firent ces
-révolutions ne se doutaient pas qu’ils les faisaient.
-Ils croyaient de bonne foi suivre la grande route
-quand ils frayaient des trouées nouvelles. Ils ne
-croyaient qu’agrandir un ancien domaine quand
-ils découvraient des mondes....</p>
-
-<p>Leur exemple est un enseignement. La contre-épreuve
-qui nous est fournie par les modernistes
-le confirme. C’est que, chez les «jeunes», le
-mépris est un mauvais véhicule, non seulement<span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">[102]</a></span>
-pour tout talent, mais pour tout progrès? Une
-réforme, qui se présente avec plus de négation que
-d’affirmation, n’est qu’une ombre de réforme. Les
-vrais révolutionnaires sont ceux qui renouvellent
-les formes d’Art par lente substitution, à la façon
-de la vie, et non par suppression rapide, à la façon
-de la mort. Les révolutions hâtives sont les révolutions
-éphémères. Le champignon modifie vite l’aspect
-d’un sous-bois, mais il ne le modifie qu’un
-jour, et le chêne qui, pendant ce temps, pousse
-lentement dans la nuit ses racines invisibles, transformera
-l’aspect de la forêt et sera, dans des siècles,
-pour les ailes des oiseaux et pour les yeux
-des hommes, un lieu de repos, de rafraîchissement
-et de paix.</p>
-
-<p>Quant à l’affirmation que, parmi tant de négations,
-nous apporta l’Impressionnisme: l’affirmation
-des droits de la couleur, elle restera sans
-doute à l’actif des découvertes de l’art. D’abord,
-l’importance des lumières reflétées, ensuite la vive
-coloration des ombres, enfin et surtout la division
-du ton, si elles ne sont pas tout dans l’art de
-peindre, sont cependant de cet art une partie
-assez importante pour qu’on soit reconnaissant à
-l’école qui les a le mieux indiquées. Précisément
-parce que les œuvres impressionnistes manquent
-des autres qualités qui font la bonne peinture, on<span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">[103]</a></span>
-voit ces qualités particulières y ressortir avec plus
-de crudité et une clarté plus favorable à l’enseignement.
-C’est ainsi qu’un «écorché», par exemple,
-précisément parce qu’il ne cherche pas à rendre
-tout le charme et toute la beauté du corps humain,
-nous fait comprendre le jeu des muscles beaucoup
-mieux qu’une complète académie. Quand les amateurs,
-aujourd’hui imbus d’idées modernistes, se
-lasseront de voir dans leurs salons ces curiosités
-de palettes, elles n’iront point, du moins, comme
-les mauvais tableaux, au grenier. Elles s’arrêteront
-dans les ateliers des peintres, qui les suspendront
-avec honneur entre les tableaux des complémentaires
-de Chevreul et les écorchés de Bandinelli.
-Là, ces choses seront à leur place et rendront des
-services. Né d’un sérieux effort, dû à des causes
-profondes, assez fortement réalisé pour avoir beaucoup
-appris, même à ceux qui s’en défendent le
-plus, l’Impressionnisme est une découverte: ce
-n’est pas une peinture.</p>
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">[104]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">[105]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<p class="pc4 xlarge">TROISIÈME PARTIE</p>
-
-<p class="pc2 large font1"><b>LE VÊTEMENT MODERNE<br />
-DANS LA STATUAIRE</b></p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">[106]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">[107]</a></span></p>
-
-<h2 class="p4">LE VÊTEMENT MODERNE
-DANS LA STATUAIRE</h2>
-
-<p class="p2">Quand les premiers chrétiens débarquaient pour
-la première fois dans les villes de la civilisation
-païenne, ils demeuraient stupéfaits du nombre des
-statues qu’ils y voyaient. Les héros, les ancêtres,
-les dieux, le monde antique tout entier, étaient là,
-dressés, en bronze ou en marbre, en apparence
-indestructibles. Et les pieux missionnaires n’étaient
-pas loin de croire que, dans chacune de ces statues,
-il y avait un démon. C’est, aujourd’hui, un sentiment
-semblable de stupeur qui saisit le rural quand
-il entre dans nos villes ou lorsque, errant sur le
-balcon du grand hall des Champs-Élysées, il jette
-un regard sur cette foule de marbre.</p>
-
-<p>Depuis le temps de Lysippe, on n’avait jamais
-tant vu de statues embarrasser les places publiques.
-Jamais n’avait passé sur ce pays un tel souffle commémoratif.
-Plus de cent quinze statues furent érigées
-en France de 1870 à 1885. Un idéal inexpliqué
-d’hommages coûteux et d’inaugurations réparatrices
-hante les ateliers de Montrouge ou de Montmartre.<span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">[108]</a></span>
-Une fatale émulation les tient de ne pas
-laisser dans Paris un square, une place, un carrefour,
-un rond-point, un refuge inoccupé. La sculpture
-a horreur du vide. Devant qu’une rue soit percée
-ou un square planté, un monument s’y destine et
-l’on sait déjà quel héros y sera honoré, quand on
-ignore si les maisons auront des locataires. Les
-espaces actuellement ouverts sont insuffisants. On
-a mis des grands hommes partout: on a insinué des
-acteurs jusque dans des squares suburbains, des
-encyclopédistes jusque parmi des bureaux d’omnibus,
-des réformateurs sociaux jusqu’à la porte
-des «hippo-palaces» et sur les boulevards extérieurs.</p>
-
-<p>Toute place étant occupée, mais la patrie se résignant
-de moins en moins à ne point honorer ses
-grands hommes, on les juxtapose comme dans une
-revue. Au carrefour de l’Observatoire, un explorateur
-dispute la place au maréchal Ney et l’horizon
-aux <i>Quatre parties du monde</i>. La longue perspective
-de la fontaine du Luxembourg est close. L’œuvre
-de M. Puech offusque celle de Carpeaux. Il y a
-saturation. Et cependant, à chaque Salon, des files
-nouvelles de grands hommes rangés sous le vitrage
-«attendent», dans les limbes du plâtre, le moment
-d’entrer, à leur tour, dans l’immortalité.</p>
-
-<p>En même temps que ce phénomène, si favorable<span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">[109]</a></span>
-au sculpteur, il s’en produit un autre, qui lui est
-fort contraire. Si jamais on n’éleva tant de statues
-à des contemporains, jamais non plus les contemporains
-ne se vêtirent d’une façon si peu «statuaire».
-Le vêtement moderne, depuis Henri IV,
-mais surtout depuis un siècle, est ce que l’histoire
-nous offre de plus impropre à figurer dans une
-œuvre de plastique. Le naïf rural, qui se promène
-dans nos cités, n’est pas moins indigné que le premier
-chrétien débarquant dans la cité antique. Si
-ce ne sont pas de faux dieux qui se dressent
-devant lui, ce sont du moins de faux hommes, et
-il a peine à se persuader que des gens si laids aient
-pu être si grands. Il y a désaccord absolu entre la
-prétention que nous avons d’honorer nos héros
-et les moyens que leur aspect extérieur nous en
-fournit. Le problème du vêtement contemporain
-dans la statuaire est donc posé par les faits.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">[110]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE I</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Pourquoi les sculpteurs ont tenté
-de représenter le vêtement moderne.</b></p>
-
-<p class="p2">Sans doute, il y a longtemps qu’on a senti ce
-désaccord. Mais on le résolvait jadis en sacrifiant
-hardiment un des termes du problème. On sacrifiait
-le vêtement. On osait habiller d’une toge ou
-ne pas habiller du tout les héros. «L’habit de
-nature, c’est la peau, disait Diderot, plus on
-s’éloigne de ce vêtement, plus on pèche contre le
-goût.» Canova, Thorwaldsen et leurs successeurs
-l’avaient établi en principe. De même, quand Rude
-sculptait, au flanc de l’Arc de Triomphe, son
-héroïque <i>Départ</i>, il dépouillait le feutre emplumé,
-l’habit à la française, toute la défroque de 1792, et
-ne retenait des combattants que la passion qui les
-inspirait. Et c’était excellent.</p>
-
-<p>Mais, si féconde que soit une tradition d’art, dès
-l’instant qu’elle est appliquée dans sa lettre et non<span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">[111]</a></span>
-dans son esprit par une foule de médiocres élèves,
-elle devient insupportable aux esprits indépendants
-et insuffisante aux délicats. Tel fut le sort du «nu»
-et du «drapé». Les innombrables effigies funéraires
-de Thorwaldsen en donnèrent le dégoût. On
-chercha un renouvellement dans la silhouette sculpturale
-du contemporain. On se demanda si le «nu»
-était bien une «loi» inéluctable,&mdash;et si d’ailleurs
-il y avait en art des lois que des novateurs hardis
-ne pussent enfreindre ou tourner. On chercha, de
-droite et de gauche, des exemples. On remarqua
-que le <i>Moïse</i> n’était point selon le canon de Polyclète,
-que le <i>Coleone</i> portait un autre costume que
-la toge et que les figures enthousiastes de Rude
-ne respectaient point les principes que Lessing avait
-cru découvrir dans le <i>Laocoon</i>. En même temps on
-montrait les Hollandais tirant un parti merveilleux
-de leurs sombres vêtements noirs. On citait Chardin
-pénétrant d’une poésie d’intimité les plus humbles
-recoins et outils de la vie familière. Dans toutes
-les régions de l’art, on apercevait que de prétendues
-lois n’étaient que des conventions. On avait
-cru ces lois de l’art absolues. Or, elles ne l’étaient
-pas. Donc, il n’y avait pas de lois absolues en art.</p>
-
-<p>C’était une conclusion précipitée. Autant eût
-valu dire: on a cru que tel corps était simple; or,
-on a découvert qu’il était composé; donc, il n’y a<span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">[112]</a></span>
-pas de corps simple. Mais elle répondait si bien au
-besoin de réaction contre le pédantisme de l’école
-qu’on l’adopta d’enthousiasme et qu’on somma les
-artistes de s’y rallier. «Croyez-vous, écrivait
-Planche, que si Rubens et Van Dyck revenaient,
-ils ne sauraient pas tirer parti du costume français
-en <b>1831</b>? Nous renvoyons ceux qui en douteraient
-à tous les portraits parlementaires de Lawrence
-que nous connaissons par les gravures de Reynolds,
-Cousins et Maile. <i>L’art, quoi qu’on en dise, trouve
-à se loger partout</i>, tout lui obéit, tout lui cède
-quand il commande impérieusement<a name="FNanchor_13_13" id="FNanchor_13_13"></a><a href="#Footnote_13_13" class="fnanchor">[13]</a>.» Et
-Planche avait raison, s’il voulait dire que jamais un
-costume sévère, noir, monochrome, n’a été rejeté
-par un grand artiste comme inesthétique, mais il
-s’avançait beaucoup s’il en tirait argument pour le
-costume moderne. Car ce n’est point la couleur
-monochrome qui est inesthétique dans notre vêtement:
-c’est la ligne géométrique. Dès qu’on ne
-s’en tient pas aux analogies superficielles et qu’on
-cherche à serrer de près la question, en soumettant
-chaque terme à une attentive épreuve, on s’aperçoit
-que les prétendues dérogations à cette loi n’en
-sont point et que chacune, au contraire, de celles
-signalées par la critique moderniste confirme la<span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">[113]</a></span>
-vieille opinion des artistes ou,&mdash;pour parler plus
-simplement,&mdash;s’accorde avec leur instinct. Delacroix,
-qui avait pratiquement tout entrepris et qui,
-théoriquement, passait sa vie à creuser ces problèmes,
-le dit en termes plus forts qu’aucun classique
-n’en a jamais employé: <i>Il y a des lignes qui
-sont des monstres</i>, et il ajoute lesquelles: «la
-droite, la serpentine régulière, surtout deux parallèles.
-Quand l’homme les établit, les éléments les
-rongent. Les mousses, les accidents rompent les
-lignes droites de ses monuments. Chez les anciens,
-les lignes rigoureuses corrigées par la main de
-l’ouvrier. Comparer des arcs antiques avec ceux
-de Percier et Fontaine.... Jamais de parallèles dans
-la nature, soit droites, soit courbes<a name="FNanchor_14_14" id="FNanchor_14_14"></a><a href="#Footnote_14_14" class="fnanchor">[14]</a>.»</p>
-
-<p>Et ces lignes, «qui sont des monstres», ne le
-sont cependant point en peinture au même degré
-qu’en sculpture. Car, dans l’une, elles sont dissimulées
-par l’ombre ou par la couleur et, dans
-l’autre, elles apparaissent dans toute leur beauté
-ou dans toute leur laideur. Le chapeau dit «haut
-de forme», par exemple, n’a jamais été un bien
-agréable accessoire pour les peintres et l’on ne peut
-guère citer que Delacroix dans sa <i>Liberté, Journée
-du 28 juillet 1830</i>, ou Goya dans quelques portraits<span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">[114]</a></span>
-qui en aient fait état. Partout où un grand
-artiste a tiré un parti satisfaisant du haut de forme:
-le <i>Portrait du grand bâtard de Bourgogne</i>, de
-Roger Van der Weyden, le <i>Médecin</i> ou le <i>Charlatan</i>
-de Steen, le <i>Portrait de M. Leblanc</i>, d’Ingres,
-on trouve que les lignes de la coiffe nullement parallèles
-n’offrent plus du tout l’aspect géométrique
-pur du chapeau actuel. Encore est-il beaucoup
-moins incommode à manier pour le peintre que
-pour le sculpteur. Le peintre peut le mettre dans
-l’ombre, il peut projeter sur lui des reflets qui en
-varient la silhouette, déployer à son profit toutes
-les magies de la couleur. En tout état de cause,
-comme il ne le montre que sur un plan, il peut
-tordre ses lignes dans le sursaut des raccourcis.
-Ainsi l’a fait Delacroix. Le sculpteur, lui, est tenu
-de le prendre tel qu’il est et de l’introduire dans
-son monument tel qu’il sort de chez le chapelier.
-Il ne peut ni le colorer, ni le dissimuler, ni le
-montrer sous un seul angle. En tournant autour
-du monument, le spectateur découvrira toujours
-le point où sa forme la plus fâcheuse apparaît. Par
-conséquent tel engin inesthétique peut être interprété
-par le peintre, sans qu’on puisse en tirer le
-moindre argument pour le sculpteur.</p>
-
-<p>Cette différence essentielle n’a pas arrêté les
-théoriciens. Tenant pour établi comme Guyau que<span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">[115]</a></span>
-«l’utilité constitue toujours comme telle une certaine
-beauté» et que «tout ce qui est réel et vivant
-peut, dans certaines conditions, devenir beau»,&mdash;ils
-en sont venus à proclamer l’égalité devant
-l’Art de toutes les formes naturelles. «Le corps
-fût-il moins fort et moins beau que celui des
-athlètes de Polyclète ou des géants charnus de
-Rubens, déclare le philosophe, la tête aurait acquis
-une beauté supérieure. <i>N’est-ce donc rien, même
-au point de vue plastique, qu’un front sous lequel
-on sent la pensée vivre, des yeux où éclate une âme?
-Même dans le corps entier, l’intelligence peut finir
-par imprimer sa marque. Moins bien équilibré peut-être
-pour la lutte ou la course, un corps fait en
-quelque sorte pour penser posséderait encore une
-beauté à lui. La beauté doit s’intellectualiser pour
-ainsi dire</i><a name="FNanchor_15_15" id="FNanchor_15_15"></a><a href="#Footnote_15_15" class="fnanchor">[15]</a>.»</p>
-
-<p>Ce sont là des affirmations que rien, ni dans
-l’histoire de l’art ancien, ni surtout dans les tentatives
-de l’art moderne, à aucun degré, ne vient
-vérifier. Il est impossible d’en trouver un seul
-exemple qui résiste à l’examen. Quelle beauté un
-cerveau pensant peut-il bien imprimer dans un
-corps déjeté? Voilà ce que jamais aucun philosophe
-n’a pu nous dire et que jamais aucun artiste ne<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">[116]</a></span>
-nous a fait voir.... Une beauté perceptible à notre
-âme, une force accessible à notre intelligence, oh!
-sans doute! Nous le voyons assez, et les arts qui
-s’adressent directement à notre entendement,
-comme la poésie, comme le drame, pourront nous
-révéler cette force dans un corps contrefait. Au
-théâtre, l’oreille entend les paroles qui nous révèlent
-la grandeur de l’âme logée dans une enveloppe
-débile. L’histoire ou le roman peuvent entourer
-l’avorton de tels prodiges que nous en venions à
-l’admirer. Mais le sculpteur, ne pouvant ni nous
-parler comme l’historien, ni nous faire voir une
-suite d’actions comme l’auteur dramatique, ne
-s’adressant qu’à nos yeux, ne peut rendre témoignage
-que de l’espèce de grandeur et de beauté
-que perçoivent les yeux.</p>
-
-<p>C’est à l’historien qu’il appartient de nous montrer
-le prestige d’un saint Paul petit, laid, maladif,
-chassieux. C’est du poète que nous attendons la
-beauté d’un chimiste luttant contre la mort et lui
-arrachant, en même temps que son secret, la vie
-de plusieurs millions d’êtres humains. Pour le
-sculpteur, il ne peut nous montrer saint Paul
-athlète de la foi qu’en lui donnant des muscles
-d’athlète. Il ne peut nous figurer le chimiste
-terrassant la mort qu’en le douant d’une assez
-forte musculature pour triompher de ce prodigieux<span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">[117]</a></span>
-ennemi. Car, encore un coup, ces figures ne
-parlent pas et ne se prêtent pas à une série
-d’actions successives. Ce sont leurs proportions
-grêles ou puissantes, leurs attitudes languides ou
-contractées qui nous les révèlent. Si elles parlent,
-c’est seulement par le langage puissant, mais élémentaire,
-des formes que l’art peut leur donner.</p>
-
-<p>Si commune et si connue que fût cette vérité,
-les philosophes de notre temps l’ont oubliée. La
-confiance qu’ils ont dans les destinées «intellectuelles»
-de l’art leur a fait généralement adopter
-le point de vue de Guyau. Ils ont tenu pour établi
-d’abord qu’il n’y avait pas de loi restrictive en art
-et que, par conséquent, aucune forme ne devait
-être proscrite de la statuaire contemporaine;
-ensuite, que tout ce qui est utile peut devenir
-beau et qu’ainsi tous les outils inventés par l’industrie
-moderne, tous les vêtements nécessités par
-le confort contemporain, avaient droit à la même
-place dans l’art que le cheval de Phidias ou que la
-toge de Décius.</p>
-
-<p>On décida de les immortaliser. Les sculpteurs
-devinrent les copistes des tailleurs. Montrouge et
-Montmartre reçurent des modèles du quartier de
-l’Opéra. C’est ce que l’on appelle «se libérer de la
-tyrannie de l’École». Les places publiques d’Europe,
-depuis Glascow jusqu’à Naples, se couvrirent de<span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">[118]</a></span>
-bronzes fixant pour l’éternité la coupe de la redingote,
-et, au Campo-Santo de Gênes, les artistes
-italiens, prenant leur revanche sur Canova, firent
-éclater, dans le marbre fouillé par leurs ciseaux
-insidieux, la gloire des vestons à carreaux, des
-bottines vernies, des chapeaux mous, des cravates
-Lavallière, des breloques, des dentelles et des
-volants semés des larmes de gens fashionables
-récitant les prières des agonisants. Ce que la
-beauté des villes put gagner à cette exhibition ou
-à cette solidification des modes modernes, il suffit,
-pour en juger, de suivre, à Paris, d’un bout à
-l’autre, le boulevard Saint-Germain. Mais ce parti
-répondait si bien au désir moderne «d’intellectualiser»
-la sculpture, que nos meilleurs esprits et
-les plus délicats ne voulurent point en sentir la
-monstruosité. «Les vieilles timidités sont décidément
-surmontées, s’écriait M. Larroumet. Nos
-sculpteurs ne croient plus qu’il soit nécessaire de
-draper à l’antique des personnages qui ont porté
-le costume moderne; ils estiment que celui-ci peut
-avoir sa poésie. Cette victoire du réalisme dans la
-sculpture est en train d’aller fort loin. Elle a
-commencé par le costume militaire, d’assez bonne
-heure; on a renoncé à déshabiller les héros, sous
-prétexte de noblesse sculpturale. Puis on a osé
-conserver leurs costumes à des personnages civils<span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">[119]</a></span>
-<i>On n’aurait plus aujourd’hui l’idée bizarre de représenter
-Napoléon I<sup>er</sup> les jambes nues, comme l’a
-fait Chaudet pour la colonne Vendôme, et Racine
-enveloppé d’un drap de laine, comme celui de
-David d’Angers à la Ferté-Milon</i><a name="FNanchor_16_16" id="FNanchor_16_16"></a><a href="#Footnote_16_16" class="fnanchor">[16]</a>....» Cela paraissait
-définitif.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_120" id="Page_120">[120]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE II</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Les résultats de la tentative.</b></p>
-
-<p class="p2">Maintenant regardons les principales œuvres de
-sculpture parues dans ces dernières années. La
-première chose que nous constaterons, c’est que
-M. Rodin a dépouillé Victor Hugo de ses vêtements
-modernes, comme Chaudet avait fait Napoléon,
-et que «l’idée bizarre» de représenter un
-contemporain «les jambes nues» non seulement
-a survécu à Chaudet ou à David d’Angers, mais
-s’est revivifiée dans le plus puissant des novateurs.</p>
-
-<p>Il y aurait beaucoup à dire du <i>Victor Hugo</i> de
-M. Rodin, et le moins que la critique puisse suggérer
-devant lui, c’est qu’une belle ébauche n’est
-pas un chef-d’œuvre, ni même toujours la promesse
-d’un chef-d’œuvre. Car, s’il est une vérité
-acquise en art, c’est que les qualités essentielles
-d’une prestigieuse esquisse se conservent difficilement
-quand l’œuvre, avec tous ses plans,<span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">[121]</a></span>
-est achevée. Conserver la synthèse naturelle de
-l’ébauche tout en développant l’analyse, garder
-l’enveloppe du monument en assurant la multiplicité
-des plans, les variétés d’aspects qui font la
-statue, c’est assurément la difficile épreuve, mais
-c’est aussi la tâche expresse de l’artiste. «On ne
-gâte pas en finissant, quand on est grand artiste»,
-a écrit Delacroix<a name="FNanchor_17_17" id="FNanchor_17_17"></a><a href="#Footnote_17_17" class="fnanchor">[17]</a>. Et lorsque, pour s’en dispenser,
-on laisse entendre que le grand art consiste à
-réaliser seulement les qualités de l’ébauche, on ne
-fait que remplacer par une théorie ingénieuse
-l’absence de réussite et qu’ajouter à un défaut de
-réalisation une erreur de raisonnement.</p>
-
-<p>On pourra donc regretter les inégalités du <i>Victor
-Hugo</i>, depuis la tête admirable et puissante qui
-rappelle invinciblement celle du <i>Soir</i>, que tous les
-visiteurs de Florence ont vue dans la froide
-sacristie de San Lorenzo, jusqu’aux pieds mous
-et ronds, perdus en une agglomération de contours
-flottants et nuageux. On s’étonnera du modelé
-singulier des omoplates. On se demandera ce qu’un
-prochain avenir pensera des enthousiasmes qui
-entourèrent le <i>Balzac</i>, qui entourent le <i>Victor
-Hugo</i>, si ces enthousiasmes ne paraîtront pas
-dans quelques années parfaitement inexplicables<span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">[122]</a></span>
-lorsque auront disparu nos idiosyncrasies passagères
-avec cet art et nos sentiments de réaction
-contre l’art habile, correct, photographique, impeccable,
-inutile et justement exécré de nos praticiens.
-On craindra, enfin, que les œuvres incomplètes
-de M. Rodin ne conservent pas dans l’avenir
-la place où nous les avons juchées et que, vantées
-par une littérature éphémère à l’égal de celles de
-Préault, elles ne tombent devant le goût permanent
-au même niveau où les œuvres de Préault
-sont tombées.</p>
-
-<p>Mais, quand tout cela serait entendu, il n’en
-reste pas moins que le <i>Victor Hugo</i> témoigne, par
-toute son attitude et son geste à la fois puissant
-et contenu, d’une grande intention d’artiste. Les
-marbres de M. Rodin sont un peu comme ces montagnes
-où les guides vous avertissent qu’on peut
-démêler la ressemblance d’une figure humaine.
-Mais cela même est une vertu. A peine détaché de
-sa gangue de pierre, apparu comme une force
-même de la nature, le <i>Victor Hugo</i> est vraiment
-monumental. C’est une impression que les statuaires
-contemporains nous donnent si rarement,
-qu’il faut bien passer sur quelques surprises, quand
-il nous arrive de la ressentir. Un des bras, en se
-repliant et en se rétractant vers le front, ramasse
-toutes les énergies musculaires vers le centre où<span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">[123]</a></span>
-l’on imagine que siège la pensée, et c’est le geste
-du contemplateur. L’autre, tendu comme pour
-montrer, ou pour affirmer, ou pour imposer silence,
-se développant en longueur avec tout le reste du
-corps, semble indiquer une volonté agissante, et
-c’est le geste du tribun. Quiconque a des yeux,
-sans rien connaître de Victor Hugo, de sa vie, ni
-de son œuvre, sentira confusément qu’il se trouve
-en présence d’un homme méditatif et impérieux;&mdash;et
-c’est bien assez pour une œuvre de plastique.</p>
-
-<p>De plus, autant qu’il est monumental, ce marbre
-est vivant. Il offre des effets picturaux d’ombre et
-de lumière très prononcés. «On ne comprend pas
-assez souvent, écrivait Ruskin en 1849, que sculpter
-n’est pas simplement tailler la forme d’une chose
-dans la pierre, mais que c’est y tailler <i>l’effet de
-cette chose</i>. Très souvent, la vraie forme, mise en
-marbre, ne ressemblerait plus du tout à ce qu’elle
-est en réalité. Le sculpteur doit peindre avec son
-ciseau. La moitié de ses touches doivent servir non
-à réaliser la forme, mais à la mettre dans le marbre
-en puissance. <i>Ce sont des touches de lumière et
-d’ombre.</i> Elles font saillir une crête ou s’enfoncer
-un creux, non pas pour représenter une saillie ou
-un creux qui existent actuellement dans la réalité,
-mais pour susciter une ligne de lumière ou une
-tache d’ombre. En un mode grossier, cette sorte<span class="pagenum"><a name="Page_124" id="Page_124">[124]</a></span>
-d’exécution est très marquée dans l’ancienne sculpture
-française sur bois<a name="FNanchor_18_18" id="FNanchor_18_18"></a><a href="#Footnote_18_18" class="fnanchor">[18]</a>.»</p>
-
-<p>C’est presque une définition de M. Rodin, et
-c’est bien la définition d’un artiste, comme, d’ailleurs,
-c’était bien d’une intention d’artiste qu’était
-sortie l’ébauche du <i>Balzac</i>. Et c’est ce même
-homme, si peu timide, si prompt aux innovations,
-qui, aujourd’hui, ayant à représenter deux contemporains,
-bien loin de chercher l’impossible
-dans le vêtement moderne, a enveloppé l’un, le
-<i>Balzac</i>, d’une draperie, et a dépouillé l’autre, le
-<i>Victor Hugo</i>, de tout vêtement.</p>
-
-<p>Si nous considérons les plus récents monuments
-imaginés par des maîtres à la gloire de nos contemporains,
-l’admirable <i>Lamoricière</i> et le <i>Duc
-d’Aumale</i>, de M. Paul Dubois, le <i>Balzac</i>, de M. Falguière,
-l’<i>Alphonse Daudet</i>, le <i>Président Faure</i> et
-l’<i>Alexandre Dumas fils</i>, de M. de Saint-Marceaux,
-nous voyons qu’au lieu d’affirmer les lignes particulières
-du vêtement contemporain, l’artiste les a
-dissimulées. Une large couverture drape les jambes
-jusqu’au torse; la tête émerge seule clairement, le
-col rabattu suit l’inflexion du buste. Partout un
-modelé très doux atténue, émousse la géométrie
-des lignes et enveloppe comme d’un nuage le peu
-qu’il en laisse apercevoir.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">[125]</a></span></p>
-
-<p>Il l’est encore dans la pierre tombale du président
-Faure, par le même artiste. Là, ce sont les drapeaux
-russe et français unis par la main du mort
-qui ont servi à draper plus amplement la figure,
-bien que les lignes insupportables de l’habit se
-laissent voir trop nettement. Au salon de 1901,
-M. Dalou a drapé le plus qu’il était possible sa
-statuette de <i>Lavoisier</i>. Plus loin, dans un projet en
-plâtre d’un monument à deux industriels, il n’est
-pas jusqu’à un plan d’ingénieur déplié sur les
-genoux qui ne serve un peu à cet objet, bien que,
-là encore, toute l’ingéniosité du sculpteur, son don
-du mouvement, du pittoresque et de l’observation
-n’aient pas suffi à rendre sculptural un costume
-qui ne l’est pas.</p>
-
-<p>Dans le monument de <i>Pasteur</i>, à la nouvelle
-Sorbonne, où l’on voit le savant assis, maniant le
-ballon de verre où son regard scrute le secret de
-la mort, M. Hugues a masqué la plus grande
-partie du costume par une couverture. Le <i>Victor
-Hugo</i> assis de M. Marqueste est hardiment anachronique.
-Il se carre dans une chaise romaine,
-enveloppé quasi tout entier d’un manteau qui dissimule
-son habit. Le peu qu’on voit du pantalon
-et de la manche libre colle au corps, enroulé,
-tordu, autour du bras ou du jarret. Le gilet bâille,
-un bouton est écrasé, le col et les manches ont<span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">[126]</a></span>
-perdu leur aspect. C’est un minimum de vêtement
-contemporain.</p>
-
-<p>Si l’on veut faire la contre-épreuve, que l’on
-regarde les habits ajustés: par exemple, le <i>Baudin</i>
-en redingote, debout sur la barricade. Il manie ce
-chapeau haut de forme qui, figurant déjà sur la
-tombe de Victor Noir, par M. Dalou, paraît définitivement
-lié au sort de tous les grands agitateurs
-de notre temps. Peut-être les archéologues
-à venir, lorsqu’ils le trouveront accompagnant
-toutes les statues de révolutionnaires, et qu’ils en
-chercheront la signification, incapables d’imaginer
-qu’il ait jamais pu servir à coiffer une tête
-humaine, seront-ils tentés d’y voir un dangereux
-engin de destruction. Eh bien, ce n’est assurément
-pas le mouvement qui a embarrassé l’auteur du
-<i>Baudin</i>, ni le sujet: c’est le costume. C’est le costume
-aussi qui a rendu insurmontable la tâche
-entreprise par un autre de rendre épique le personnage
-du président Krüger.</p>
-
-<p>Enfin, dès qu’un souci de ressemblance ne les
-lie pas absolument, nos artistes écartent tout costume
-moderne. Rappelez-vous ce que vous avez
-admiré dans les <i>Salons</i> depuis dix ou douze ans,
-vous trouverez que tous les beaux ouvrages plastiques
-de pierre ont représenté le nu ou des vêtements
-qui serrent de près la forme humaine, et sans<span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">[127]</a></span>
-rien d’essentiellement contemporain,&mdash;<i>les Mineurs</i>
-de M. Constantin Meunier, comme <i>les Ouvriers</i> de
-la frise du Travail de M. Guillot ou <i>le Secret</i> de
-M. Bartholomé.</p>
-
-<p>Au Salon de 1899, il y avait une telle abondance
-de draperies imprévues, enveloppant des figures
-contemporaines, qu’on avait surnommé toute une
-région de la Galerie des Machines: «le coin des
-robes de chambre». Les œuvres les plus puissantes
-de la sculpture contemporaine, <i>les Bourgeois
-de Calais</i> de M. Rodin et le <i>Monument aux
-morts</i> de M. Bartholomé, sont précisément celles
-où n’apparaît que le nu et que le drapé. Plutôt
-que de figurer un <i>Guillaumet</i> en veston et en chapeau
-melon, M. Barrias a évoqué sur sa tombe
-une jeune fille de Bou-Saada que le peintre avait
-peinte au cours de ses voyages. Tout ce qu’on
-peut découvrir de draperie dans les accessoires de
-la vie moderne est utilisé pour masquer notre costume.
-Le drapeau a servi naguère à M. Paul
-Dubois, non pas seulement pour révéler ce qu’il
-y avait de patriote dans l’âme du Duc d’Aumale,
-mais surtout pour dissimuler ce qu’il y avait de
-fâcheux dans la coupe de son habit, et, si le
-maître avait pu étendre les plis glorieux jusqu’aux
-pieds, comme fit Rude avec le linceul de son
-<i>Cavaignac</i>, de façon à cacher le bout des bottes<span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">[128]</a></span>
-du général, il est permis de croire que son monument
-y eût encore infiniment gagné.</p>
-
-<p>Il semble, d’ailleurs, que beaucoup d’écrivains,
-tout en professant l’excellence du costume moderne,
-aient tenté, par un instinct plus sûr que
-leurs théories, de s’en libérer un peu pendant leur
-vie et de fournir à leurs statuaires le prétexte d’en
-libérer tout à fait leur image après leur mort. Tel,
-Balzac avec sa robe de moine. Tel Alexandre
-Dumas fils, dictant ainsi, dans son testament, le
-thème sculptural dont M. de Saint-Marceaux a
-tiré un si beau parti: «Après ma mort, je serai
-revêtu d’un de mes costumes de travail, les pieds
-nus...», ce costume de travail étant une robe. En
-sorte que rien, dans la réalité, n’est venu confirmer
-les hypothèses favorables au vêtement contemporain
-depuis le jour, en 1846, où Gustave
-Planche félicitait Maindron d’avoir représenté, en
-redingote, Senefelder, l’inventeur de la lithographie.
-Dans ces cinquante ou soixante ans, l’expérience
-a été maintes fois tentée. Elle l’a été par
-des maîtres. Les résultats en couvrent nos places
-publiques. L’opinion unanime a jugé. Aujourd’hui,
-les maîtres ne la tentent même plus. L’échec
-est décisif.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">[129]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE III</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Pourquoi le vêtement moderne n’est
-pas sculptural.</b></p>
-
-<p class="p2">Et pourquoi? Pourquoi le vêtement contemporain
-est-il si peu sculptural? Pour en trouver les
-raisons, il suffit de le considérer. D’abord, il est
-uniforme; il offre de grands espaces dénués d’ombre
-et de lumière. Là où le buste de l’homme se creuse,
-se renfle, se plie et se cambre au gré des muscles
-grand pectoral, grand dentelé, grand oblique, la
-redingote n’a qu’un plan. Là où le corps dit:
-relief, profondeur, polyèdre, ligne ondulée, accent
-d’ombre, rouages souples de la machine humaine
-affleurant à la peau, la redingote dit: cylindre. Le
-tailleur rectifie le buste de l’homme et apprend
-à la nature comment elle aurait dû construire les
-jambes: rectilignes. Car autant qu’il est uniforme,
-le vêtement moderne est artificiel. Non seulement
-il cache la forme humaine, mais il la contrefait.<span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">[130]</a></span>
-La toge ou le pallium, prêts à se modeler sur
-l’athlète ou l’orateur, ne sont rien sitôt tombés de
-ses épaules, tandis que notre costume est une
-caricature complète de l’homme; il a comme lui
-des jambes, des bras, un cou. C’est un anthropoïde.</p>
-
-<p>Uniforme et artificiel, il est encore immuable.
-Tandis que les grandes lignes de la toge, diversement
-ondulantes ou serrées, changeaient de physionomie,&mdash;selon
-que le prêtre ramenait un peu de
-draperie sur sa tête, ou que le lutteur l’enroulait
-autour de son bras, ou que l’orateur la laissait
-tomber dégageant son buste, ou que le magistrat
-disposait par longs traits les bords contenant les
-bandes de pourpre,&mdash;le veston, lui, ou bien l’habit,
-reste identique à lui-même, que ce soit un homme
-d’État, un médecin, un chimiste, un escrimeur ou
-un poète qui entre dedans. Sa gloire est dans son
-indifférence pour le personnage qu’il recouvre et
-dans son imperturbabilité.</p>
-
-<p>Ce contraste apparaît jusque dans le geste de
-l’homme pour se vêtir. Comparez un Arabe qui se
-drape avec un Européen qui entre dans son paletot.
-L’un fait un beau geste circulaire, souple,
-simple, conforme à la dignité du corps humain.
-L’autre est tenu à une série d’efforts lamentables
-et ridicules. D’abord, il lance un bras en l’air, puis<span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">[131]</a></span>
-l’autre, afin de se jeter désespérément dans ses
-manches. Ensuite, courbant l’échine et imprimant
-à tout son être une secousse de bas en haut, il
-n’offre aucune différence avec un oiseau lourd qui
-s’essaie à prendre son vol ou un nageur inexpérimenté
-qui se noie. Ce détail marque nettement la
-différence entre les deux costumes. L’homme
-antique dispose son vêtement sur lui. L’homme
-moderne est obligé de se disposer lui-même au gré
-de son vêtement. Quoi d’étonnant si celui-ci est
-si peu vivant?</p>
-
-<p>Sans doute, il le devient, avec beaucoup de
-stratagèmes. M. Paris a réussi à faire vivre les
-lignes de l’habit de son <i>Danton</i>, du boulevard
-Saint-Germain, mais ce n’a été qu’en exagérant
-formidablement le geste du tribun. Encore maniait-il
-un habit plus souple que le nôtre. Avec la
-redingote ou le veston, il eût dû renchérir sur
-l’agitation du <i>Danton</i>. De par la rigidité de son
-enveloppe, le grand homme moderne est tenu,
-pour l’assouplir, de se livrer à de violentes pantomimes
-aussi peu conciliables avec le vrai caractère
-de la statuaire qu’avec celui de ses pacifiques
-occupations.</p>
-
-<p>Monotone, immuable, artificiel, le vêtement
-contemporain est donc quelque chose de très particulier
-dans les annales du costume. Avant lui,<span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">[132]</a></span>
-tous les costumes dont l’art sculptural s’est servi
-suivaient d’assez près les proportions du corps
-humain, comme l’armure du <i>Coleone</i> de Verocchio
-ou celle du <i>Saint Georges</i> de Donatello, ou bien ils
-n’avaient pas de proportions du tout. Ce que le
-costume moderne a de particulier, c’est qu’il n’est
-ni modelé sur la forme humaine comme le costume
-de la Renaissance, ni dépourvu de forme
-comme le voile antique, et que, n’étant pas ajusté
-au corps, n’étant pas un «juste-au-corps», il est
-cependant anthropomorphe à sa manière, et que,
-s’il ne donne pas du tout l’idée d’un homme fait
-par la nature, il donne cependant celle d’un
-«bonhomme» dessiné par un couturier.</p>
-
-<p>Sans doute, on a vu de beaux vêtements qui
-n’étaient pas construits selon la forme du corps
-humain. Tel est le cas du plus beau de tous: le
-vêtement antique. Seulement, c’étaient des vêtements
-sans forme aucune. La draperie antique est
-amorphe. Elle n’est rien par elle-même et doit
-tout à l’être qu’elle recouvre. Un voile léger, une
-calyptre jetée à terre est sans forme comme une
-nappe d’eau, mais, posée sur la tête d’une femme,
-tombant sur les épaules, sur les seins et jusqu’aux
-pieds, elle devient plastique. Comme cette même
-nappe d’eau tombant du haut d’un rocher, rebondissant
-en lignes courbes, s’étalant en vagues, se<span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">[133]</a></span>
-réduisant en longs filets liquides, se nouant et se
-dénouant comme deux cordes qu’un mouvement
-concentrique rapproche et sépare, se rejoignant
-comme des œils de plis, descendant par larges
-nappes, puis tombant droit aux pieds comme une
-averse de plis parallèles et se répandant en gros
-bouillons tout autour de la déesse, enfin, lorsqu’elle
-a trouvé son équilibre, demeurant toute
-plane sur le sol comme une eau tranquille qui ne
-bouge plus: telle est la draperie antique.</p>
-
-<p>Étant amorphe, elle peut devenir plastique;
-étant une, elle est infiniment variable. Le corps
-ne fait pas la plus légère inflexion sans que le
-reflet en tressaille dans tous les plis. Toute statue
-antique, si elle ne porte pas dans le pli de sa toge
-la paix et la guerre, y porte du moins le souvenir
-du corps humain. Ce ne sont pas seulement les
-expressions prévues par Quintilien qu’elle donne:
-qu’un homme en toge lève doucement le bras, ce
-mouvement créera derrière lui une multitude de
-plis,&mdash;tel, le mouvement du vaisseau crée le sillage.
-Qu’au contraire, un homme en redingote le
-lève deux fois plus haut: la ligne inférieure de la
-jupe n’oscillera même pas. A peine, autour de
-l’épaule, se fera-t-il une légère grimace, une patte
-d’oie. Le mouvement sous une draperie, c’est une
-pierre jetée dans l’eau: jusqu’aux extrémités, des<span class="pagenum"><a name="Page_134" id="Page_134">[134]</a></span>
-frémissements concentriques à la surface indiquent
-le geste qui s’est produit. Le mouvement dans un
-vêtement ajusté, c’est une pierre tombant dans du
-sable. Là où il se produit, il y a une légère perturbation,
-peut-être un froncement d’étoffe: c’est
-tout.</p>
-
-<p>Un artiste ingénieux peut exagérer ce froncement.
-Il peut coller le tissu au corps pour le mouler
-comme a fait M. Marqueste dans son <i>Victor
-Hugo</i>, ou, au contraire, en faire flotter les extrémités
-pour l’animer; il peut imposer à son héros&mdash;poète,
-historien, chimiste,&mdash;une élégance ou bien
-une agitation qu’un modeste ou paisible savant
-n’a jamais connues: il n’arrivera pas à traduire
-les inflexions délicates et subtiles du corps. Il ne
-trouvera pas dans l’enveloppe moderne les éléments
-nécessaires à son œuvre. L’artiste qui veut traduire
-le corps humain par la redingote, c’est un
-écrivain à qui l’on donnerait pour traduire du
-Bossuet le code des signaux maritimes ou l’Esperanto.</p>
-
-<p>Nous touchons ici à la loi esthétique fondamentale
-du vêtement humain. Il est esthétique
-dans la mesure où il est révélateur. La draperie,
-elle, révèle trois choses: ou bien la forme du
-corps,&mdash;quand elle adhère au corps sous la pression
-de l’air ou qu’elle est serrée par un nœud,<span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">[135]</a></span>
-comme dans les trois <i>Parques</i> du Parthénon;&mdash;ou
-bien son mouvement, quand elle flotte et suit le
-geste qui l’anime, comme dans les combattants du
-sarcophage de Sidon;&mdash;ou bien, à la fois, sa
-forme et son mouvement, quand elle adhère au
-corps et se déroule en le suivant, comme dans la
-<i>Victoire</i> de Samothrace. Le pli tombant est également
-indicateur de grandes lois naturelles. S’il
-tombe droit, comme dans les figures des portails
-de nos cathédrales, il marque la loi de gravitation.
-S’il ne tombe pas droit, mais par sursauts,
-il marque à la fois la loi de gravitation et la forme
-du corps humain, c’est-à-dire la lutte infiniment
-complexe entre la pesanteur qui veut des lignes
-verticales et la résistance qui veut des lignes horizontales.
-S’il ne tombe pas du tout, s’il flotte, il
-marque le mouvement de ce corps et la force de
-l’air.</p>
-
-<p>En regard de ces indications subtiles, mais précises,
-perçues par l’esprit inconsciemment, en
-regard de ces phénomènes éternels&mdash;les plus
-hautains individualistes nous permettront-ils de
-dire de ces «lois» éternelles qui régissent la vie?&mdash;examinons
-ce que marque la redingote, c’est-à-dire
-le vêtement ajusté? Il ne marque rien. Il ne
-révèle pas le corps, puisqu’il le cache sous une
-carapace de même diamètre, là où la nature a modelé<span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">[136]</a></span>
-des épaisseurs de proportions très variables.
-Il ne révèle pas le mouvement, puisqu’il est construit
-précisément en vue d’éviter les plis, qu’on
-appelle tous des «faux plis» et qu’il faudrait un
-désordre inouï dans l’âme d’un homme pour qu’il
-s’en manifestât un quelconque dans sa toilette. Il
-ne marque pas la marche, trop lourd pour flotter
-et d’ailleurs retenu par les boutons, qui sont les
-gendarmes du costume moderne. Aux jarrets, il
-est rectificatif de la nature et&mdash;jambes de coq ou
-mollets d’Hercule, jarrets du montagnard ou
-jambes du danseur&mdash;il confond tout dans le
-même cylindre égalitaire, imperturbable et prévu.</p>
-
-<p>Puisqu’il ne marque rien de réel ni de voulu par
-la nature, que marque donc l’habit ajusté? Eh!
-c’est fort simple! il marque un idéal: l’idéal du
-tailleur qui l’a fait.</p>
-
-<p>Quel est-il donc, cet idéal, pour avoir produit un
-costume uniforme, artificiel et inexpressif? Voici le
-dernier terme de la question. Croit-on que ce soit
-le hasard qui ait produit et qui maintienne, malgré
-tous ses défauts, ce vêtement contemporain? Ne
-voit-on pas que ce sont ses défauts mêmes qui le
-rendent populaire et que c’est précisément parce
-qu’il est uniforme et inexpressif, c’est-à-dire égalitaire,
-qu’il est contemporain? C’est précisément
-parce qu’il confond, sous la même apparence, le<span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">[137]</a></span>
-torse musclé et la poitrine étriquée, les épaules
-larges et les épaules fuyantes, le bras vigoureux,
-le jarret nerveux et les membres déjetés, les
-genoux cagneux, c’est expressément parce qu’il
-revêt les êtres les plus dissemblables d’une semblable
-laideur, que ce vêtement s’impose à notre
-temps et à notre société. Ce défaut lui est consubstantiel,
-c’est sa raison d’être; c’est, aux yeux des
-contemporains, sa qualité. La fiction de l’égalité
-des hommes devient réalité dans les costumes.
-Tout essai de rendre plus plastique le costume
-ferait apparaître l’inégalité physique des individus:
-aussi est-il repoussé. Notre costume contemporain
-aurait bien manqué son but, s’il pouvait
-s’allier à la Beauté. Il a été construit contre la
-Beauté.</p>
-
-<p>Il est donc bien, lui-même, une mauvaise œuvre
-d’art. Il ne faut donc plus parler d’un fait réel et
-vivant à interpréter par l’art comme un arbre, un
-visage, un légume, un monstre naturel, un serpent
-ou un rocher. Non. Il s’agit d’une mauvaise œuvre
-d’art à reproduire en fac-similé. Voilà où dévie la
-théorie que tout ce qui «est réel et vivant peut
-devenir beau». Elle conduit, pratiquement, à
-introduire dans l’art une forme qui n’est ni réelle,
-ni vivante, qui est artificielle et morte, et à subordonner
-l’œuvre du statuaire aux lois posées par un<span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">[138]</a></span>
-tailleur,&mdash;lois d’ailleurs très précises, très impératives,
-texte impossible à interpréter, à tourner.
-Le tailleur est le statuaire de l’habit ajusté, comme
-le statuaire était le tailleur de la draperie. C’est
-donc le tailleur qui dicte la statue. Prétendre qu’on
-peut interpréter son œuvre, c’est proprement dire
-qu’on peut interpréter la forme d’un poêle Choubersky.
-Devant une forme aussi mathématiquement
-définie, il n’y a que deux partis à prendre:
-la surmouler ou la supprimer. Si on la surmoule,
-c’est le tailleur qui fait la statue. Si on la supprime,
-il n’y a plus de vêtement contemporain.</p>
-
-<p>Rien de tout cela n’est assurément une découverte.
-Et les esprits peu compliqués, pour qui ces
-lois n’ont jamais cessé d’être évidentes, trouveront
-sans doute superflu le soin qui est pris ici de les
-rappeler. Mais il suffit de parcourir quelques pages
-de critique d’art contemporaine pour sentir que,
-bien loin d’être superflu, ce soin est le plus nécessaire
-dans un moment où la simplicité des impressions
-est si fort méprisée et la recherche de l’originalité
-si commune et si vulgaire, que le moindre
-rappel d’une vérité claire paraît un paradoxe ou
-une nouveauté.</p>
-
-<p>Les artistes, heureusement, s’en sont souvenus
-mieux que les critiques. Un instant égarés par le
-désir tout intellectuel et non esthétique d’exprimer<span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">[139]</a></span>
-les mœurs de leur temps par le vêtement contemporain,
-ils abandonnent cette voie fausse, guidés
-par un instinct plus sûr que les plus brillantes
-théories. S’il était permis au passant attristé de
-faire entendre un seul mot, parmi tant de conseils
-qui leur sont journellement prodigués, ce serait un
-mot de défiance à l’égard de ces conseils et de confiance
-en eux-mêmes.&mdash;Ne vous inquiétez pas,
-leur dirions-nous, de représenter les mœurs de
-votre temps, ni ses aspirations sociologiques;
-inquiétez-vous de représenter ce que vous trouvez
-beau dans tous les temps, selon les aspirations
-qui sont les vôtres, qu’elles soient ou non celles du
-monde où vous vivez! Soyez sincères, c’est-à-dire
-soyez artistes, et soyez de votre art avant d’être de
-votre temps! Ne vous laissez pas détourner de
-votre chemin par ceux qui vous diront que les
-anciens furent grands parce qu’ils exprimèrent
-leur race, leur morale, leurs costumes, leur vie.
-Peut-être est-ce vrai, mais rien n’est moins prouvé,
-et en toute hypothèse, cela ne peut vous servir de
-rien. Allez tout simplement à ce qui vous paraît
-beau, comme le fleuve va à la mer, comme l’oiseau
-vole à l’épi chargé de grain. Si la draperie vous
-plaît mieux que la redingote, jetez la draperie sur
-les épaules de vos héros. On en sourira pendant
-trois jours, mais les années le garderont, car votre<span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">[140]</a></span>
-héros ne sera tenu pour grand que si vous l’avez
-fait beau. Osez toutes les inconséquences si elles
-servent votre dessein. Repoussez toute logique si
-elle se résout en une forme sans grâce. Et croyez
-qu’il n’est pas une «lumière intellectuelle» qui
-tienne devant le galbe d’un beau bras dressé pour
-assurer l’équilibre de l’amphore,&mdash;ni une intention
-qui vaille un pli souple tombant de l’épaule
-aux pieds de la plus humble statuette de Tanagra!</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">[141]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE IV</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Comment représenter un grand homme
-contemporain.</b></p>
-
-<p class="p2">N’est-il donc aucun moyen pour le sculpteur de
-figurer l’homme moderne et doit-il nécessairement,
-s’il veut rendre honneur à un contemporain: chimiste,
-ingénieur ou psychologue, lui donner les
-muscles du <i>Discobole</i> et la pose de l’<i>Apollon</i>?</p>
-
-<p>Ce n’est assurément pas nécessaire, ni même
-désirable. Mais autre chose est la conformation,
-le geste, l’attitude, les inflexions d’un savant
-moderne, qui lui sont imposés par ses préoccupations,
-par ses travaux, par ses émotions, autre
-chose sont ses cols, ses cravates, ses vestons, ses
-pantalons, ses bottines, qui pourraient être tout
-autres, quand l’homme aurait les mêmes travaux,
-les mêmes soucis, les mêmes émotions, et qui ne
-lui sont imposées que par son tailleur. Il ne faut
-pas confondre les caractéristiques de la vie moderne<span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">[142]</a></span>
-avec les artifices inutiles et incommodes qui coïncident
-avec la vie moderne. Celles-là sont inévitables
-et influent sur la musculature même de
-l’homme: c’est-à-dire sur ce qui est sculptural en
-lui. Ceux-ci sont tout arbitraires et n’influent que
-sur son aspect le plus superficiel.</p>
-
-<p>S’il était vrai que le costume moderne est suffisant
-et nécessaire à révéler ce qu’a de particulièrement
-sensible, affiné, nerveux, inquiet, méditatif,
-notre contemporain devant les grands problèmes
-de la vie, sans doute faudrait-il dire que le peuple
-de statues endimanchées qu’on voit au <i>Campo-Santo</i>
-de Gênes donne une idée plus juste de
-l’homme moderne que les figures sans vêtements
-et sans date de l’admirable <i>Monument aux Morts</i>
-de M. Bartholomé....</p>
-
-<p>Personne ne le dira. Il y a, dans ces figures rampantes
-ou suppliantes, dressées ou prosternées: <i>A
-l’entrée du Mystère</i>, au Père-Lachaise, une anatomie
-particulière, des inflexions, des gestes que
-difficilement l’Antiquité ou la Renaissance eussent
-imaginés. Tout y est oublié de ces pompeux désespoirs
-où les statuaires funéraires du <span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup> siècle
-déployaient la gloire des draperies, la délicatesse
-des dentelles, la science du squelette; tout y a disparu
-de ces honneurs auxquels «il ne manque que
-celui à qui on les rend». Au contraire, tout y<span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">[143]</a></span>
-témoigne bien de la méditation de l’homme
-moderne devant cette porte, soit qu’elle s’ouvre
-sur ce que le chrétien a tant de fois rêvé, soit
-qu’elle mène à ce «néant tranquille de la mort où
-l’homme se reposera du néant troublé de la vie».
-Ces figures, une autre époque ne les eût ni inspirées
-ni comprises. Sans costumes qui leur assignent
-une date, les figures de M. Bartholomé
-appartiennent clairement à notre temps, à un
-moment de l’humanité.</p>
-
-<p>Ce que M. Bartholomé a su faire dans son <i>Monument
-aux Morts</i>, nos statuaires ne peuvent-ils donc
-le tenter, lorsqu’ils glorifient la vie? Ne peuvent-ils
-trouver des gestes, des attitudes qui témoignent
-particulièrement des travaux, des émotions de
-l’homme moderne? Faut-il donc un uniforme pour
-distinguer un médecin d’un orateur, comme il en
-faut un pour distinguer un artilleur d’un cuirassier?
-Et nos grands hommes contemporains n’ont-ils
-pas de gestes et d’attitudes qui leur soient propres,
-par où la sculpture puisse exprimer leur
-modernité?</p>
-
-<p>La réponse dicte le parti à prendre. S’ils en ont,
-que le statuaire l’exprime, et s’ils n’en ont pas,
-qu’avons-nous besoin de statuaire? Qu’on fasse
-leur biographie, mais non leur statue! Qu’on
-dresse un monument à leur idéal, à la chimère de<span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">[144]</a></span>
-leur vie, quitte à imprimer, au piédestal de ce
-monument symbolique, un médaillon représentant
-leurs traits<a name="FNanchor_19_19" id="FNanchor_19_19"></a><a href="#Footnote_19_19" class="fnanchor">[19]</a>! Le médaillon gravé par M. Roty
-suffirait, par exemple, dans un monument à Pasteur,
-tandis que, sur le piédestal, l’artiste dresserait
-la figure de ce que rêva ou ce qu’accomplit
-Pasteur. Quelle figure? dira-t-on. C’est à l’artiste
-de la concevoir. Et peut-être n’est-ce point une
-chose facile que de montrer, par exemple, <i>la
-Science luttant avec la Mort</i>, mais assurément le
-résultat en serait moins incertain et moindres les
-chances de ridicule que de vouloir ennoblir la
-redingote ou rendre épique le haut de forme du
-savant.</p>
-
-<p>Considérons les figures symboliques de Puvis au
-grand amphithéâtre de la Sorbonne, par exemple,
-la philosophie spiritualiste et la philosophie matérialiste:
-il serait facile de mettre sous ces figures<span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">[145]</a></span>
-des noms de philosophes contemporains. Pourquoi
-le sculpteur n’obéirait-il pas à une même inspiration
-et, lorsqu’il a quelque philosophe contemporain,
-un Renan ou un Jules Simon, à immortaliser,
-ne dresserait-il pas sur son monument une de ces
-figures qui sont sculpturales, à la place du savant
-qui ne l’est pas? L’honneur serait-il moindre pour
-le grand homme parce qu’on ne verrait pas son
-gilet? Ce qui est précieux chez un savant ou un
-philosophe, c’est sa découverte ou sa pensée. Ce
-n’est pas la coupe de ses habits. C’est le résultat
-de ses veilles et de ses travaux connu du monde
-entier, et c’est leur souvenir exprimé par le marbre
-que le monde entier reconnaîtra. Ce n’est pas le
-résultat des travaux et les veilles de son costumier.
-Si, comme on le prétend, c’est le visage qui reflète
-toute la grandeur de l’homme moderne, c’est son
-visage seul qu’il faut immortaliser. Si c’est son
-corps tout entier, le costume y est indifférent. Si
-ce n’est ni l’un ni l’autre, et si toute sa grandeur
-consiste dans sa pensée, c’est donc bien sa pensée
-qu’il faut figurer sur son monument....</p>
-
-<p>Et si l’on objecte que, pour figurer la pensée
-d’un politique, il faudrait qu’il en eût une, ou
-l’action d’un ministre, il faudrait qu’il eût fait
-quelque chose, et que, si les milliers de célébrités
-qu’on érige en marbre ont possédé chacune un<span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">[146]</a></span>
-visage qu’on peut reproduire, il serait fort difficile
-de leur trouver à toutes un rêve ou une pensée
-qu’on pût symboliser, nous dirons qu’en ce cas on
-serait quitte pour ne rien figurer du tout.... Et l’on
-ne voit pas ce qu’y perdraient l’Art, l’Histoire, la
-chose publique.... Il n’est pas nécessaire que tout
-grand homme ait une statue, mais il est nécessaire
-que le goût ne soit point perverti par les apparitions
-grotesques et immuables qui s’entassent dans
-nos cités. Il n’est pas indispensable d’enseigner
-à l’avenir des centaines de noms inconnus au
-présent, mais il ne faut pas qu’un même signe
-évoque, chez nos descendants, les meilleurs de nos
-contemporains avec les pires des formes esthétiques,
-ni que le souvenir de l’héroïsme ou du génie
-se confonde, dans leurs imaginations, avec celui
-de la laideur. Enfin, il n’est pas démontré que la
-statuaire ne doive représenter que le drapé ou le
-nu, mais il semble bien établi qu’il est des formes
-artificielles dont l’art ne peut tirer aucun parti, et
-que, s’il n’y a pas autant de «lois» esthétiques,
-peut-être, qu’on l’a quelquefois professé, il y en a
-tout de même quelques-unes qu’il faut suivre,&mdash;et
-non point parce qu’elles dérivent d’un code et
-qu’elles sont admises par l’Institut, mais simplement
-parce qu’elles dérivent de la nature même
-des choses et qu’elles sont des nécessités.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">[147]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<p class="pc4 xlarge">QUATRIÈME PARTIE</p>
-
-<p class="pc2 large font1"><b>LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE
-UN ART?</b></p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">[148]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">[149]</a></span></p>
-
-<h2 class="p4">LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE UN ART?</h2>
-
-<p class="p2">Quelque chose a changé dans l’Esthétique du
-noir et du blanc. Un mouvement nouveau entraîne
-les photographes hors et à rebours des voies où
-ils avaient accoutumé de cheminer jusqu’ici. Ce
-mouvement est international. Tant à Vienne qu’à
-Bruxelles, et à Londres qu’à Paris, aussi bien sur
-les terrasses de Taormine en Sicile qu’en Nouvelle-Zélande
-sur la côte d’or de Coromandel, partout
-où il y a des photographes, ils semblent préoccupés
-de recherches que les chimistes ignorent, et
-agités d’inquiétudes que leurs devanciers n’avaient
-pas connues. Ils flânent plus volontiers en plein
-air, par les bois, les plaines et les grèves, même
-dans les lieux sans monuments et à des heures
-sans soleil. Que cherchent-ils? Si un vieux professionnel
-de la chambre noire les suit et les
-observe, il s’étonne et se scandalise. Il les voit
-s’arrêter devant un espace vide de «site», un
-néant; quelque lande aux bruyères fleuries, quelque
-bord d’étang «où les joncs agités font un éternel<span class="pagenum"><a name="Page_150" id="Page_150">[150]</a></span>
-murmure». Là, il aperçoit avec horreur que ces
-jeunes confrères violent toutes les règles de la profession.
-Ils se placent à contre-jour, en face du
-soleil. Ils ne mettent pas rigoureusement au point.
-Chose incroyable, il arrive qu’ils ne se servent pas
-toujours du système de lentilles qu’on nomme
-l’<i>objectif</i>!</p>
-
-<p>S’il pénètre dans leur atelier, l’étonnement n’est
-pas moindre. Où est le vitrage en manière d’aquarium,
-et le jeu de rideaux, et la lumière crue
-indispensable à un «bon cliché»? Où est le carcan
-de fer pour maintenir la tête du patient, et le banc
-rustique, et la colonne torse, et le balustre? Où
-sont ces boîtes de carton, en polyèdres, simulant
-des rochers, et la cascade peinte sur la toile de
-fond, toutes choses qui, dans nos vieux albums de
-photographie, environnent d’un travestissement
-uniforme et lamentable les figures disparues que
-nous avons aimées?... Rien de tout cela, mais une
-simple chambre, orientée au hasard, parfois au
-midi, des tapisseries effacées, et, éparses çà et là,
-des choses gaies, fines, surannées, des péplums,
-des calyptres, des tuniques, des vertugadins, des
-anaboles, des collerettes pierrot, des chapeaux de
-nos mères-grands, des ridicules qui émerveillaient
-les merveilleux du Directoire, et des mouchoirs
-qui saluèrent la rentrée des vainqueurs d’Austerlitz,...<span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">[151]</a></span>
-ou bien, moins encore, de simples bandes,
-des lés de mousseline et de gaze, de satinette et de
-velours de coton, des choses amorphes et changeantes,
-comme le cabriolet de Miss Helyett et le
-feutre de Tabarin, des buissons de rubans, des
-brassées de fleurs, dans un désordre d’archéologue
-ou de couturier....</p>
-
-<p>L’homme qui manie ces choses est-il un photographe?
-Il n’a point le ton sévère et impératif de
-l’ancien opérateur qui glaça, du mot de Gorgone,
-tant de générations d’enfants au brassard frangé
-ou de jeunes mariés aux mains prises dans des
-gants trop étroits: «Ne bougeons plus!» Non,
-ceux-ci aiment tout ce qui bouge: le nuage et la
-feuille, et l’eau, et le regard, et le sourire.... Le
-voile noir qui couvrait leurs épaules est tombé, et
-ils apparaissent à la foule moins magiciens, mais
-plus hommes. Ils ne parlent plus par C<sup>12</sup>H<sup>6</sup>O<sup>4</sup>, mais
-par versets de poètes ou d’esthéticiens. Ils citent
-moins Herschel que Stendhal et moins Janssen
-que Fromentin. Ils ne fuient pas les artistes. Ils
-causent volontiers avec eux, et non plus en pédagogues,
-l’index en l’air, avec la prétention de
-leur enseigner les vraies attitudes de l’homme en
-marche ou du cheval au trot, mais, au contraire,
-en disciples, avec le désir de profiter de l’expérience
-des maîtres et d’écarter de la réalité tout ce<span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">[152]</a></span>
-qui n’est pas conforme à l’idéal.... Enfin, ils travaillent,
-au jour, une seule épreuve un temps
-infini. C’est alors que l’indignation du vieux professionnel
-ne connaîtrait plus de bornes. Car il les
-verrait penchés sur une plaque semblable à celle
-du graveur, durant plus d’une heure pour chaque
-épreuve, se livrant à des besognes que ne désavouerait
-pas un aquarelliste.... Ne serait-ce pas
-des «retouches»? Encore une fois, que cherchent-ils?</p>
-
-<p>Ce qu’ils ont trouvé est plus surprenant encore.
-Quiconque est entré dans une des plus récentes
-expositions du Photo-Club, à Paris, ou du Link
-Ring, à Londres, du Camera Club, à Vienne, ou
-de la Société belge de photographie, à Bruxelles,
-en est sorti stupéfait qu’un procédé vieux de
-soixante ans et qu’on pouvait croire épuisé semblât
-se renouveler jusqu’à une renaissance. N’y avait-il
-pas là un art modeste, sans tapage, sans manifeste,
-mais à demi créé, balbutiant les premiers
-mots d’une langue inconnue? La foule, sans chercher
-de raisons, a tôt fait de dire son avis: devant
-les œuvres de MM. Robert Demachy, Constant
-Puyo, Maurice Bucquet, Maurice Brémard,
-Alfred Boissonnas, H. Erfurth Steichen, Miss Mathilde
-Weil, Miss Ema Spencer, MM. Guido Rey,
-Murchison, Arning, P. Bourgeois, da Cunha, Coste,<span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">[153]</a></span>
-Naudot, Jacquin, Horsley-Hinton, Holland Day,
-Mme Binder-Mestro, Mlle Laguarde, Alfred Maskell,
-Frederick Hollyer, Craig-Annan, Le Bègue,
-Bergon, Colard, Calland, Watzek, Sollet, Alexandre,
-la foule a admiré, tout uniment. Pourtant, çà et
-là, apparaissent des figures inquiètes.... Des artistes,
-peut-être, troublés comme des gens qui
-auraient aperçu, se profilant sur l’horizon, aux
-confins de leur domaine, la silhouette des fourriers
-d’une invasion?... Des critiques d’art, qui, toute
-leur vie, montrèrent, par des syllogismes fort bien
-ordonnés, que <i>jamais</i> la photographie ne pourrait
-donner des résultats équivalents à ceux de l’eau-forte
-ou du fusain, et qui n’entendent autour
-d’eux que ces mots: «On dirait une eau-forte!...
-On dirait un fusain!» Des idéalistes enfin, qui se
-demandent, attristés par cette intrusion nouvelle
-de la science, ce que va devenir, parmi tout cet
-appareil chimique d’émulsions et de révélateurs,
-dans toute cette gomme bichromatée ou dans ce
-paramidophénol, les traditions fines et nobles du
-grand art, l’inspiration personnelle et innée, la
-part de l’âme, l’idée?...</p>
-
-<p>Avec eux et avec tous ceux qui aiment le Beau,
-abordons ce problème. Demandons-nous pourquoi
-la photographie, jadis unanimement méprisée par
-les artistes, se trouve aujourd’hui sur les confins<span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">[154]</a></span>
-mêmes de l’art. Cherchons si l’opérateur prend une
-part nouvelle dans le phénomène chimique et
-mécanique qui s’accomplit. Examinons si cette
-part est suffisante pour qu’elle lui permette d’y
-imprimer sa personnalité. Enfin, tâchons de déterminer
-à quoi tend ce mouvement, et s’il marque
-un nouveau progrès du naturalisme sur les traditions
-idéalistes et classiques de l’ancienne école
-française; ou bien si, au contraire, il ne serait
-point, par une évolution singulière et inattendue,
-un témoignage éclatant de leur vitalité.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">[155]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE I</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Les défauts de la photographie.</b></p>
-
-<p class="p2">On a dit beaucoup trop de mal de la photographie,
-et pas assez des photographes. Il est très
-vrai que la photographie, telle que nous la connaissons
-d’habitude, a mille défauts qui sont la négation
-même de l’art, sans être le moins du monde
-l’affirmation de la Nature. Elle n’est pas plus près
-de la vérité que de la beauté. Elle exagère la perspective
-à ce point qu’une grande route, prise de
-face, fuyant droit vers l’horizon, ressemble à une
-pyramide, qu’une table carrée vue de la même façon
-paraît quasi triangulaire, et qu’une main tendue
-vers vous est plus grosse que la tête de l’ami qui
-vous la tend. Elle traduit si malencontreusement
-les couleurs les plus nécessaires, qu’un toit rouge
-clair devient noir, pendant que le ciel bleu foncé
-devient blanc. Elle supprime ainsi le ciel et la mer
-du Midi, et dès qu’un ton aussi important vient à<span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">[156]</a></span>
-manquer, toute la gamme est fausse. Les caps
-sacrés, qui se profilaient doucement sur le ciel, se
-découpent comme des écrans devant le feu; les
-bateaux noirs, qui s’harmonisaient avec le flot
-bleu sombre, semblent des mouches tombées dans
-du lait. Les feuilles dorées de l’automne et les
-raisins blancs bien mûrs deviennent quelque chose
-de noir comme des gouttes d’encre sur du papier.
-Un effet de soleil apparaît si éclatant, qu’on le
-prend pour un effet de neige. Un arbre vu à contre-jour
-est si furieusement sombre, qu’on ne distingue
-rien de son modelé et qu’il paraît une plaque de
-tôle, plate et enfumée.</p>
-
-<p>Puis, ayant négligé ainsi la vérité sur les points
-capitaux, la photographie devient d’une exactitude
-indiscrète et cancanière sur les détails dont on n’a
-que faire. Comme l’<i>Intimé des Plaideurs</i>, elle passe
-sur le principal de la scène esthétique, seul objet
-où vont les yeux et le cœur, et s’étend longuement
-et complaisamment sur les brindilles, les fétus, les
-faits étrangers à la cause. Elle compte sottement
-tous les cailloux de la grève, quand elle fut incapable
-de donner des eaux du torrent une idée autre
-que celle d’une chevelure grise qui traînerait par
-terre. Précise et stupide comme une statistique,
-elle dénombre les feuilles des arbres en les découpant
-lourdement sur le ciel comme si elles étaient<span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">[157]</a></span>
-de fer. Aussi bien, ne peut-on trop mépriser la
-sécheresse de son trait; le brillant de ses noirs et
-de ses blancs extrêmes, plaqués les uns contre les
-autres, sans échange de reflets, sans intervention
-de clairs-obscurs; enfin la monotonie de son rendu,
-partout le même, sans un accent, sans une vibration
-des <i>mortalia corda</i> où se montre une impatience,
-une joie, une défaillance; cette lamentable
-perfection, égale dans mille épreuves, où tout ce
-qui est mécanique se retrouve et à qui tout ce
-qui est humain semble étranger....</p>
-
-<p>Ces reproches sont justes; mais qui les mérite?
-La photographie ou les photographes? Le soleil, ou
-le laboratoire obscur? Les photographes ont-ils
-bien fait tout ce qu’il fallait pour éviter ces
-erreurs? Un court examen suffit pour voir qu’au
-lieu de les fuir, ils les ont recherchées. Pour eux,
-la sèche définition du trait, non seulement n’est
-pas un défaut, mais une qualité. C’est ce qu’ils
-appellent faire <i>net</i>, et ce qu’ils ont, au contraire,
-toujours considéré comme un défaut, c’est le <i>flou</i>,
-terme de mépris qui, dans leur langage, voue à
-l’exécration publique la grâce, l’indécision, la fraîcheur,
-ce que les artistes recherchent d’abord.
-Quand, dès 1853, sir William Newton et plus tard
-MM. John Leighton et Buss soutinrent devant les
-sociétés de photographie de leur pays que tous les<span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">[158]</a></span>
-plans ne devaient pas être également nets et que
-certaines lignes devaient se profiler à peine sur le
-fond, ils soulevèrent une tempête de protestations.
-Sacrifier une herbe, un cheveu, un caillou, jamais!
-L’idée directrice des photographes était alors,
-comme hier encore, que plus une épreuve montre
-de détails, plus elle est belle, et plus nettement
-elle les montre, mieux son but est rempli. Il faut
-que, devant la photographie d’une ville, on puisse
-compter toutes les maisons, et dans chaque maison
-toutes les fenêtres, et dire: Voici la mienne, et le
-contrevent est à demi fermé! Tous les perfectionnements
-de diaphragmes, de plaques, de révélateurs
-et de papiers lisses et brillants ont été faits
-pour obtenir un détail plus minutieux, une opposition
-de noir et de blanc plus tranchée, des silhouettes
-plus découpées, une documentation plus
-rigoureuse;&mdash;toutes choses qu’en effet la science
-réclame pour ses enquêtes, mais que l’art proscrit.
-Quoi d’étonnant si tant d’efforts pour le laid ont
-été couronnés de succès!</p>
-
-<p>La même tendance s’observe pour les exagérations
-de perspective. On a beaucoup parlé des
-défauts de l’objectif et de «l’aberration de sphéricité»;
-mais quand donc parlera-t-on de l’aberration
-des opérateurs? Il est très vrai que certains
-instruments distordent les lignes droites dans les<span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">[159]</a></span>
-coins de l’image, mais pourquoi choisir ces instruments?
-Si l’on remarque des exagérations de perspective
-dans les objectifs à grand angle, pourquoi
-ne pas choisir des objectifs à petit angle qui, eux,
-ne donneront pas ce résultat monstrueux? Et si
-l’objectif est à grand angle, pourquoi le placer si
-près de la chose à photographier que les lignes
-principales partent du bas même de l’épreuve, et
-soient agrandies ainsi à l’excès au bord inférieur
-de l’image, puis diminuées à l’excès à mesure
-qu’elles montent et fuient vers l’horizon?&mdash;Pourquoi?
-Simplement parce que le photographe a
-voulu comprendre le plus de choses possible dans
-le champ de l’appareil, afin de voir à la fois ce
-qu’il y a à ses pieds et ce qui plane au-dessus de
-sa ligne d’horizon. Parce que, dans son désir d’enregistrer
-un grand nombre de détails, et dans son
-ignorance profonde de la loi des sacrifices nécessaires,
-il veut embrasser avec l’œil de son objectif
-plus qu’il ne peut le faire d’un seul regard de ses
-propres yeux. C’est ainsi que, dans les épreuves
-dont la perspective nous choque, la photographie
-a été forcée d’enregistrer plusieurs plans que le
-photographe n’apercevait pas d’ensemble, et qu’il
-n’aurait jamais dû réunir dans son image, ne les
-réunissant pas dans la réalité. Là est le défaut,
-mais il ne tient pas à l’objectif: il tient, au contraire,<span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">[160]</a></span>
-à ce qu’il y a de plus «subjectif» dans
-l’opérateur: son sentiment faux de la beauté.
-Donnez à ce photographe un crayon: il fera, en
-dessinant, les mêmes erreurs. Donnez à un artiste
-cet objectif: il ne les fera pas.</p>
-
-<p>Ce qu’il ne fera pas non plus, c’est un paysage
-sans ciel, comme ce fut jusqu’à nos jours la règle
-de tout bon manieur de collodion ou de gélatino-bromure.
-Et, là encore, est-ce bien l’appareil qu’il
-faut accuser de cette étrange suppression du ton
-local le plus nécessaire? Assurément oui, quand il
-s’agit d’un ciel bleu, car cette couleur impressionne
-si fortement la plaque qu’il ne reste rien sur cette
-plaque pour donner un ton à l’épreuve, et qu’ainsi
-tout ce qui était bleu dans la nature devient, dans
-l’image, blanc. Mais on a plusieurs moyens de
-parer à cet inconvénient. On a les verres de diverses
-couleurs, permettant de faire poser longtemps
-devant la plaque les couleurs qui viennent
-trop lentement, sans laisser passer un seul rayon
-de celles qui viennent trop vite. On a encore la
-ressource de développer plus ou moins toute une
-partie du cliché. On peut enfin, si l’on se sert de
-papiers charbon-velours ou de papier à la gomme
-bichromatée, réserver, dans le dépouillement, un
-ton pour tout le ciel. Et, bien avant qu’on parlât
-d’écrans orthochromatiques ou de gomme bichromatée,<span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">[161]</a></span>
-un Anglais, M. H. P. Robinson, étendait
-des ciels d’un ton très ferme et nuancé sur tous
-ses paysages. On voit donc que l’absence du ton
-du ciel, chez les photographes d’autrefois, n’était
-pas uniquement due à l’imperfection de la photographie,
-mais à leur négligence.</p>
-
-<p>De même, s’ils s’interdisaient les grands effets
-de lumière, les effets à la Turner et à la Claude
-Lorrain, en enseignant qu’il faut toujours tourner
-le dos au soleil, ce n’était point qu’ils craignissent
-le <i>halo</i> ou des accidents semblables. C’était qu’ils
-se souciaient aussi peu d’effets à la Turner que
-d’un ton juste pour le ciel. Et ils s’en souciaient
-peu, parce que ces effets artistiques ne s’obtiennent
-en général qu’aux dépens de la minutieuse et
-scientifique définition des détails. Frappées de face
-par les rayons du soleil, les veines d’un caillou, les
-brindilles d’un buisson reluisent plus exactement.
-Et dans la représentation de la figure humaine, ce
-n’est pas un effet caractéristique et vigoureux qui
-permet de tout apercevoir, c’est un éclairage égal,
-tendre et mou. Pour les photographes, non seulement
-l’accent n’est pas nécessaire, mais il est nuisible,
-et s’ils aperçoivent dans le cliché, sur le
-masque humain, un trait un peu vif, une ride un
-peu soulignée, un relief un peu bossué, ils l’enlèvent
-d’une retouche savante, afin que l’épiderme<span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">[162]</a></span>
-s’arrondisse également à la ressemblance d’une
-baudruche gonflée et que l’ombre se dégrade sur
-l’ovale d’une joue comme sur la panse d’un ballon.</p>
-
-<p>Tout cela tenait au photographe au moins autant
-qu’à la photographie. C’est pourquoi les artistes
-n’avaient point tort en condamnant les épreuves
-qu’on leur mettait sous les yeux; mais ils allaient
-peut-être un peu vite en déclarant que le procédé
-ne pouvait en donner d’autres. Le jour où des
-hommes d’un goût sûr sont venus et ont laissé là
-les dogmes photographiques, des œuvres fines,
-délicates, harmonieuses ont paru. On ne retrouve
-plus aucune perspective exagérée dans les scènes
-d’intérieur de M. Puyo, ni de «noirs bouchés»
-dans celles de M. Demachy, ni de détails inutiles
-dans les paysages de M. Bucquet, ni de chairs
-molles et rondes dans les figures de M. Maskell,
-de M. Kuhn, de M. Holland Day ou de M. Hollyer.
-Les ciels de MM. Henneberg et Horsley Hinton sont
-animés, vigoureux, plafonnants. Là même où le
-ciel est bleu dans la Nature, son image est traduite
-dans l’image par un ton assez fort pour que les maisons,
-blanches, s’enlèvent, <i>en clair</i>, sur le ciel,
-comme dans le <i>Brompton Road</i> de M. Calland. La
-manie de l’inventaire et le goût du procès-verbal ont
-disparu. Les artistes ont cherché, non plus le détail,
-mais l’ensemble, non plus l’accumulation des faits,<span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">[163]</a></span>
-mais la simplification de l’idée. Ils ont choisi, non
-les heures ensoleillées où tout se voit, mais celles
-voisines du crépuscule où quelque chose se laisse
-deviner. Ils se sont rappelé que c’est une erreur,
-en art, que de vouloir tout définir, parce que,
-devant une chose définie, il ne reste plus rien à
-faire pour l’imagination. L’indéfini, au contraire,
-est le chemin de l’infini. Telle vallée, tel coteau,
-telle jetée sur la mer, objet banal si l’on en saisit
-tous les contours et si l’on en apprécie toute
-l’économie, devient, à demi voilé par la brume,
-une chose désirable parce qu’elle est moins possédée,
-curieuse parce qu’elle est moins connue. Le
-<i>flou</i> est justement au <i>net</i> ce que l’espoir est à la
-satiété. Il est l’équivalent, en art, d’une des choses
-les plus aimées de la vie: cette délicieuse incertitude
-d’une âme où déjà pénétra l’espoir et où
-l’assurance n’est pas entrée encore; où le désir qui
-commence d’apparaître comme réalisable n’a pas
-cessé d’être avivé par les obstacles à sa réalisation;
-où tout se promet et où rien ne se donne, où tout
-se devine et où rien ne s’avoue; où les figures et
-les paysages, et le ciel et la terre, et l’amour même
-apparaissent selon les incertaines suggestions de
-l’aube, et non selon la sèche définition des midis....</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">[164]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE II</h2>
-
-<p class="pc2"><b>La triple intervention de l’artiste.</b></p>
-
-<p class="p2">Cela suffit-il pour constituer un art? Supprimer
-certains défauts de l’image photographique est
-bien; mais, pour que cette image soit une œuvre
-d’art, il ne suffit pas que certains défauts soient
-supprimés, encore faut-il la présence de certaines
-qualités. Et avant toutes, la présence pressentie
-ou reconnue, non d’une machine, mais d’une main
-d’ouvrier. L’art devra être ici «l’homme ajouté à
-la machine», pour parodier Bacon. Mais, déjà, nous
-venons de voir que l’homme n’en était pas si
-absent qu’on le voulait bien dire, puisqu’une foule
-de défauts venaient moins encore de son instrument
-que de sa volonté, et moins de son absence
-que de son intervention mal dirigée.</p>
-
-<p>Cette intervention, pense-t-on au premier abord,
-se réduit à fort peu de chose. Choisir le site,
-placer l’appareil, conseiller des attitudes, graduer<span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">[165]</a></span>
-le jour, et c’est tout. Ce que la plaque a enregistré,
-on est obligé de le garder, et ce qu’elle n’a
-pas enregistré, on ne peut l’y mettre. Tout ce que
-le photographe peut faire ensuite, c’est de verser
-plus ou moins d’acide dans son révélateur. Son
-génie peut se hausser à remplacer le pyrogallol
-par le fer, ou le papier aristotype par le papier à
-gros grains. Qu’y a-t-il de personnel dans ce travail?
-Où est le sentiment, l’émotion, l’accent qui
-signe l’œuvre et fait reconnaître l’ouvrier? Où est
-le trait qui, dirigé par la main elle-même, résume,
-synthétise une silhouette, une expression, une
-attitude, en caractérisant toute une race ou une
-époque comme le crayon de Gavarni ou de M. Forain?
-Où est l’esprit de composition qui rapporte
-dans la même œuvre des documents pris en des
-lieux différents? Où, l’imagination qui crée l’incréé,
-réalise l’irréel? Où est cette vision personnelle
-qui fait que Corot, Rousseau et Millet,
-devant le même paysage, auraient rapporté trois
-tableaux aussi différents que des vues de trois différentes
-planètes, tandis que dix plaques, parfaitement
-ajustées devant le même site, donneront,
-entre les mains de dix opérateurs différents, dix
-images semblables? Tout cela n’est-il pas absent
-d’une photographie, si belle soit-elle, comme en
-sont absentes les couleurs qui, seules, donnent<span class="pagenum"><a name="Page_166" id="Page_166">[166]</a></span>
-aux choses tout leur relief et toute leur forme,
-leur distance et leur éclat?</p>
-
-<p>Ces objections sont fortes; mais elles le seraient
-davantage si elles étaient fondées;&mdash;et elles ne
-le sont pas.</p>
-
-<p>D’abord, il va de soi qu’on ne peut demander à
-la photographie les qualités brillantes et savoureuses
-de la peinture, non plus que celles de l’architecture,
-ou de la musique, ou de l’art des jardins....
-On ne peut la comparer qu’à des choses
-comparables: au crayon, au lavis à l’encre de
-Chine ou à la sépia, au fusain ou à la sanguine,
-voire au camaïeu, c’est-à-dire à toute image en
-noir et blanc ou en une seule couleur graduée de
-son ton le plus sombre, presque noir, jusqu’à son
-ton le plus pâle, presque blanc. Ensuite, on peut
-bien lui permettre d’être autre chose que la mine
-de plomb ou la lithographie, sans pour cela lui
-refuser le nom d’art. Sans quoi, il faudrait le refuser
-aux œuvres de M. Allongé, ou aux dessins de
-M. Lhermitte, qui n’ont aucun rapport avec un
-crayon d’Ingres. Enfin, on peut admirer au plus
-haut point la probité d’Ingres, et la profondeur de
-Gavarni, et la synthèse de M. Forain, et l’analyse
-de M. Caran d’Ache, sans pour cela dire que tout
-l’art du noir et du blanc tient entre le portrait de
-<i>Thomas Vireloque</i> et les silhouettes de <i>Doux Pays</i>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_167" id="Page_167">[167]</a></span></p>
-
-<p>La question n’est donc point de savoir si la photographie
-possède les mêmes qualités que les
-autres procédés, mais si elle en possède quelconques,
-dignes de leur être comparées; si le rôle
-de l’artiste y est assez important pour modifier
-l’aspect d’une œuvre, c’est-à-dire s’il intervient
-assez souvent pour qu’il y ait de sa part <i>production</i>
-et non simplement <i>reproduction</i>, et qu’à la
-beauté du site qui est à tout le monde, il ajoute
-celle d’une idée ou d’un sentiment qui ne sont
-qu’à lui.</p>
-
-<p>Or, en examinant les opérations photographiques,
-nous trouvons qu’il intervient, à trois moments
-différents, d’une façon assez décisive.</p>
-
-<p class="pc1 mid">§ 1. <i>Première intervention de l’artiste.</i></p>
-
-<p class="p1">D’abord, il choisit dans la nature l’objet à représenter.
-Ceci a l’air très simple, et ne l’est pas du
-tout. «Dans la nature, disait Corot, il n’y a jamais
-deux choses pareilles», et ses compagnons d’étude
-d’après nature, Bertin et Aligny, lui faisaient un
-grand mérite de «savoir s’asseoir» mieux que personne.
-C’est donc une science que de trouver le
-point juste d’où l’objet doit être regardé, et non
-seulement le point, mais la saison, l’heure, le
-temps, la raison d’être du motif:</p>
-
-<p class="pc1 reduct"><i>Quis, quid, ubi, quibus auxiliis, cur, quomodo, quando?</i></p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_168" id="Page_168">[168]</a></span></p>
-
-<p class="p1">Car, d’une part, le plus bel objet du monde peut
-être un médiocre sujet de tableau s’il n’est pas vu
-sous l’angle voulu, au <i>moment esthétique</i>, et,
-d’autre part, combien d’admirables sujets dans les
-plus humbles choses qui nous entourent, si le
-cœur et les yeux savent les découvrir! Un chemin
-courbe, une barrière droite, un toit qui fume, un
-tronc qui se crispe, une tige qui se penche, une
-flaque d’eau où le ciel renversé se reflète et tremble
-avec tout son empanachement de nuages,... c’est
-assez. Tout autour de nous, la nature, incessamment,
-peint des tableaux fugitifs, mais délicieux.
-Il faut non les créer,&mdash;ils existent,&mdash;mais les
-voir. «Il est des bonheurs fortuits, dit M. Jules
-Breton, où la nature fait apparaître un tableau
-tout fait,» et Frédéric Walker, l’admirable peintre
-de <i>Harbour of Refuge</i>: «La composition n’est que
-l’art de conserver un heureux effet aperçu par
-hasard.» Il ne faut pas croire suffisant ni nécessaire
-d’aller se mettre devant la falaise d’Étretat,
-ou le château de Chillon, ou la tour carrée de
-Saint-Honorat, aux îles de Lérins, pour faire un
-chef-d’œuvre. Le pays le plus «pittoresque» ne
-fournit aucun sujet à celui qui ne sait pas en
-découvrir dans les variations incessantes du pays
-le plus monotone. <i>Savoir voir</i>, c’est un grand
-point, peut-être le principal. Mais, hélas! combien<span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">[169]</a></span>
-d’amateurs peintres passent, dans le paysage, à
-côté du tableau, comme les ambitieux, dans la
-vie, à côté du bonheur,&mdash;sans le voir! Et ils s’en
-vont gravement, les uns et les autres, leur boîte à
-couleurs ou leur hotte à illusions sur le dos, à la
-recherche de merveilles lointaines qui ne vaudront
-point ce qui les attendait, ce qu’ils n’ont
-pas su voir, à la porte de leur maison....</p>
-
-<p>S’agit-il de figures? Il en va de même. S’il est
-vrai de dire qu’«un problème bien posé est à
-moitié résolu», il l’est plus encore d’affirmer
-qu’une figure bien posée est à demi dessinée. Le
-reste est affaire de sûreté de main et de sûreté
-d’œil. Mais la composition est affaire de sûreté
-d’âme et d’initiative originale. Or, le photographe
-compose. Il dispose, sinon l’image, du moins la
-réalité. Il ordonne, non les lignes gravées sur les
-planches, mais les lignes vivantes devant ses yeux.
-Pour faire <i>la Source</i>, il ne fallait pas seulement
-dessiner comme Ingres: il fallait <i>composer</i> comme
-Ingres. Le modèle qu’il a employé n’a point pris
-tout seul cette attitude simple, fine et noble, ou,
-s’il l’a prise, ce n’a été que par un hasard qu’il a
-fallu préparer et saisir. Le photographe ne fait-il
-pas la même chose?</p>
-
-<p>La similitude entre le photographe et l’artiste se
-voit jusque dans les conseils qu’ils donnent à leurs<span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">[170]</a></span>
-modèles. On connaît l’horreur habituelle des portraitistes
-pour les étoffes sans cassures, sans œils
-de plis. La première photographe artiste d’Angleterre,
-Mme Cameron, raconte, dans ses Mémoires,
-une anecdote qui montre que cette horreur était la
-même chez elle. Les succès de ses portraits de
-femmes lui valurent un jour la lettre suivante:</p>
-
-<p>«Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins
-informe Mrs Cameron qu’elle désire poser pour
-son portrait. Miss Lydia Louisa Summerhouse
-Donkins est une personne qui possède équipage
-et, par conséquent, elle peut affirmer à Mrs
-Cameron qu’elle arrivera dans une toilette exempte
-de tout chiffonnage.</p>
-
-<p>«Si Miss Lydia Louisa Summerhouse Donkins
-était satisfaite de son portrait, Miss Lydia Louisa
-Summerhouse Donkins a une amie qui possède
-également un équipage et désirerait aussi avoir son
-portrait.»</p>
-
-<p>«Je répondis à Miss Lydia Louisa Summerhouse
-Donkins que, Mrs Cameron n’étant pas un photographe
-de profession, regrettait beaucoup de ne
-pouvoir faire son portrait, mais que si Mrs Cameron
-avait pu le faire, elle aurait beaucoup préféré voir
-cette toilette chiffonnée<a name="FNanchor_20_20" id="FNanchor_20_20"></a><a href="#Footnote_20_20" class="fnanchor">[20]</a>.»</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">[171]</a></span></p>
-
-<p>On se tromperait, si l’on croyait que la composition
-photographique se borne au portrait ou à une
-petite scène de genre moderne, vus au jour
-d’atelier. On a des photographies de scènes historiques,
-de personnages fabuleux, et dans un clair-obscur
-saisissant; on a des sainte Cécile, des
-docteurs Faust dans leurs laboratoires, des Judith
-entr’ouvrant le rideau d’où filtre la lumière, des
-Christs morts, étendus sur la pierre. Nous ne
-disons point que ce soient des chefs-d’œuvre de
-tact esthétique, mais ce ne sont point des œuvres
-à dédaigner. On admire beaucoup au palais Doria,
-à Rome, deux petits tableaux de Van Hontorst,
-dit <i>della Notte</i>, qui ne dépassent nullement en
-audace et en vérité d’effet les photographies nocturnes
-de M. Puyo: <i>Vengeance</i> et <i>la Lampe file</i><a name="FNanchor_21_21" id="FNanchor_21_21"></a><a href="#Footnote_21_21" class="fnanchor">[21]</a>.</p>
-
-<p>Les premiers essais de compositions historiques
-photographiées furent tentés en Angleterre; et il
-faut lire, pour se convaincre de l’enthousiasme
-qui les inspira, les pages où Mme Cameron les a
-racontés:</p>
-
-<p>«Je fis de ma cave à charbon mon laboratoire, et
-une sorte de poulailler vitré que j’avais donné à
-mes enfants devint mon atelier. Je mis en liberté
-les poules, j’espère et je crois qu’elles ne furent<span class="pagenum"><a name="Page_172" id="Page_172">[172]</a></span>
-pas mangées, et les profits que mes fils tiraient des œufs
-frais furent supprimés. Mais tout le monde
-fut sympathique à mon nouveau travail, depuis que
-la société des poulets et des poules avait été remplacée
-par celle des poètes, des prophètes, des
-peintres et de charmantes jeunes filles, qui tous,
-chacun à leur tour, ont immortalisé l’humble
-petite ferme.</p>
-
-<p>«Un de nos amis intimes se prêta très obligeamment
-à mes premiers essais.</p>
-
-<p>«Sans s’arrêter à cette crainte possible que, en
-posant souvent à ma fantaisie, cela pourrait le
-rendre ridicule, il consentit, grâce à cette grandeur
-d’âme qui n’appartient qu’à l’amitié désintéressée,
-à être tour à tour Frère Laurence avec Juliette,
-Prospero avec Miranda, Assuérus avec la reine
-Esther, à tenir un tisonnier comme sceptre et à
-faire complètement tout ce que je désirais.</p>
-
-<p>«Il n’en résulta pas seulement des œuvres pour
-moi, mais de Prospero et Miranda, il advint un
-mariage qui a, je l’espère, cimenté le bonheur et
-le bien-être d’un vrai roi Cophetua, qui, dans
-Miranda, avait vu le prix, le joyau de la couronne
-du monarque.</p>
-
-<p>«La vue de mon œuvre fut la cause déterminante
-de ce que la résolution fut traduite en paroles: il
-s’ensuivit une des plus douces idylles de la vie<span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">[173]</a></span>
-réelle que l’on puisse concevoir, et, ce qui a beaucoup
-plus d’importance, il en résulta un mariage
-d’inclination avec des enfants dignes d’être photographiés,
-comme leur mère l’avait été, pour leur
-beauté....»</p>
-
-<p>Ce dernier trait est bien d’une artiste, et le suivant
-est digne d’une préraphaélite:</p>
-
-<p>«Ensuite, je fus à Little Holland House, où
-j’avais transporté mon appareil pour faire le portrait
-du grand Carlyle.</p>
-
-<p>«Lorsque j’avais des hommes comme cela devant
-mon appareil, toute mon âme essayait de faire son
-devoir vis-à-vis du modèle, en s’efforçant de retracer
-fidèlement la grandeur de l’homme intérieur
-aussi bien que les traits de l’homme extérieur. La
-photographie prise de cette manière a été presque
-la personnification d’une prière<a name="FNanchor_22_22" id="FNanchor_22_22"></a><a href="#Footnote_22_22" class="fnanchor">[22]</a>....»</p>
-
-<p>On se tromperait encore si l’on pensait que les
-grandes scènes de nature et d’académie, comme la
-<i>Vision antique</i>, sont interdites à la photographie.
-Qu’est-ce que c’est que cette voiture fermée qui
-s’arrête au bord d’une grève déserte, devant un
-horizon nu, borné par la mer claire où s’allongent
-de sombres presqu’îles? Il en descend d’étranges
-touristes! Des femmes en chiton et en diploïs,<span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">[174]</a></span>
-qu’on dirait tombées des fresques de la maison des
-<i>Vettii</i>, ou sorties des stucs des <i>Thermes de Dioclétien</i>,
-puis un homme portant une boîte à trois
-pieds, puis un brigadier de gendarmerie.... Tout
-ce monde marche dans les herbes hautes et s’attarde
-à cueillir des fleurs. Le brigadier de gendarmerie
-est là pour protéger l’art des curiosités
-indiscrètes ou des zèles intempestifs des gardes
-champêtres, des gardes-côtes ou des douaniers.
-Mais peut-être n’est-il pas absolument esthétique.
-Il ne figurera pas dans le tableau. Cependant la
-troupe des figurantes s’avance,</p>
-
-<p class="pp6 p1">L’une emportant son masque et l’autre son couteau,</p>
-
-<p class="pn1">sous les oliviers, le long des flots, parmi les plantes
-salifères. C’est un singulier spectacle. Pour la première
-fois depuis des temps immémoriaux, les
-péplums sortent des magasins d’accessoires et
-flottent à l’air libre. Les calyptres légères ne
-balayent plus les planchers des théâtres, mais
-s’accrochent aux lentisques et se gonflent sous les
-brises marines. Les eaux des bassins réapprennent
-à refléter les plis nobles des anaboles et le vent à
-s’insinuer dans les tuyaux des flûtes. Mieux que
-les vieux miroirs de bronze verdi, qu’on conserve
-sous les vitrines des musées, ces bassins diront aux<span class="pagenum"><a name="Page_175" id="Page_175">[175]</a></span>
-nouvelles canéphores si elles ajustent gracieusement
-leurs corbeilles.</p>
-
-<p>Ce n’est pas anachronique. En conduisant la
-figure drapée en plein air, les photographes ont
-retrouvé la vie antique. Car ce paysage nous a
-conservé le milieu où se mouvaient les contemporains
-de Tibulle. Un piano serait étonné d’être
-touché par un homme vêtu d’un <i>himation</i>; mais
-dès que cet homme va sur la grève ou dans les
-bois, aucun costume ne s’harmonise mieux avec
-les lignes de la nature. Le cadre reconnaît la figure
-et lui sourit. Sous l’olivier <i>tarde crescens</i>, au pays
-du <i>ver assiduum</i>, on ne s’étonne plus de voir revivre
-les jeux et les fêtes sculptés sur les bas-reliefs. Les
-potiers de Vallauris font encore des lécythes et des
-cratères. L’eau, dans les vasques, chante les mêmes
-airs qu’autrefois. Puisqu’il y a encore des pins,
-voici des thyrses; puisqu’il y a encore des tortues,
-voici des lyres; et puisqu’il y a encore des roseaux,
-voici des syringes. La <i>Vision antique</i> va passer....</p>
-
-<p>Le subtil photographe a choisi le lieu, l’heure,
-les visages et les costumes: il sait les poses qu’il
-veut reproduire, le groupe qu’il veut former. Il les
-a dits à ses modèles, et, dans sa tête, le tableau est
-fait. Il copiera la réalité, quand la réalité lui donnera
-sa vision, pas avant. Il a calculé la hauteur
-des têtes sur la ligne d’horizon, la longueur des<span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">[176]</a></span>
-ombres sur l’herbe, l’angle des rayons du soleil
-déclinant, le passage de la lumière sur le coude et
-l’épaule, et les plis que creusera le vent, lorsque
-s’élevant, il fera flotter le voile et toute la tunique,
-selon le rythme qu’on observe dans la <i>Victoire de
-Samothrace</i>. On va, on vient le long des rochers.
-Vingt fois, l’attitude a été prise, puis quittée. Non,
-ce n’était pas <i>Ariane</i>! On va abandonner la place,
-quand, tout d’un coup, sans le vouloir, dans un
-geste spontané, le modèle a réalisé l’idéal. Durant
-une seconde, Ariane a été visible, «aux rochers
-contant ses infortunes»! Rapide comme l’éclair,
-le photographe a enregistré sur la plaque sensible
-ce qu’il a voulu, cherché, préparé depuis des mois,
-parfois des années.... Dira-t-on qu’il n’y a pas eu
-composition, intervention de l’artiste?</p>
-
-<p>Cette intervention ne va guère loin, objectent
-les critiques. Elle tient toute dans le choix du
-sujet pour le paysage et une espèce de groupement
-pour les figures, analogue à la mise en scène
-d’un <i>tableau vivant</i>. Et quand ce ne serait que
-cela, serait-ce peu de chose? Ce dédain est plaisant
-dans la bouche des critiques d’art, qui, d’ordinaire,
-ne jugent tableaux et statues qu’au point de
-vue du choix du sujet et de la disposition des personnages,
-et jamais au point de vue de la facture!
-Que l’on compte, dans tel compte rendu de Salon<span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">[177]</a></span>
-qu’on voudra, les pages consacrées à l’anatomie, à
-la myologie, à la perspective, à la concordance des
-passages de lumière, à la nature des mélanges
-pigmentaires, au rôle des dessous, et qu’on les
-compare au nombre dix fois plus considérable des
-pages consacrées à la disposition du sujet, et l’on
-verra si les critiques ont quelque bonne grâce à
-tenir pour peu de chose, en théorie, la seule chose,
-en pratique, dont ils s’occupent, quand ils ont à
-examiner une œuvre d’art?</p>
-
-<p class="pc1 mid">§ 2. <i>Seconde intervention de l’artiste.</i></p>
-
-<p class="p1">Mais le photographe intervient une seconde fois,
-et alors pour la facture même. C’est dans le développement
-du cliché. Comme il a choisi, dans la
-nature, l’heure et l’effet, il choisit, pour le cliché,
-la gamme ou le ton général dans lequel se gradueront
-les valeurs. Tout le monde sait ce que c’est
-que développer un cliché: c’est le plonger dans un
-liquide qui fait apparaître, peu à peu, l’image que
-contient, en puissance, la plaque sensible. Selon la
-composition de ce liquide, modifiée pendant l’immersion,
-on obtient une image plus ou moins dure,
-où les ombres et les lumières se différencient avec
-plus ou moins de contraste. Le photographe peut
-graduer ce contraste et ainsi modifier, dans un<span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">[178]</a></span>
-sens déterminé, l’effet donné par la nature. Mieux
-encore, il peut&mdash;bien que ceci soit plus difficile,&mdash;rendre
-telle partie de l’image plus apparente
-que telle autre, le ciel, par exemple, plus que le
-terrain, et lui donner ainsi la force et la solidité
-nécessaires. A cela, d’ailleurs, se borne l’action de
-l’artiste sur le cliché. Il n’y fait pas de «retouches».
-Mais son rôle n’est pas fini quand le cliché est
-développé. A ce moment, le photographe professionnel
-a terminé son œuvre: il s’en va se laver
-les mains, et des serviteurs, au besoin, tireront
-les épreuves. L’artiste, lui, prend son cliché et le
-considère avec attention, mais comme une simple
-ébauche, que, sous sa direction, l’instrument a
-esquissée. A lui, maintenant, de faire, de cette
-étude, un tableau. Le professionnel estime que sa
-tâche est terminée; l’artiste, que la sienne recommence.</p>
-
-<p class="pc1 mid">§ 3. <i>Troisième intervention de l’artiste.</i></p>
-
-<p class="p1">Car c’est dans le tirage de l’épreuve que le sentiment
-et l’adresse de l’homme vont surtout intervenir
-et que la puissance directrice prendra sa
-revanche sur la puissance automatique. Le cliché
-est dû à la machine; mais l’épreuve, comme le
-style, c’est l’homme. Ce l’est à tel point que, parfois,<span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">[179]</a></span>
-on ne reconnaît pas le cliché dur et plat dans
-l’image frissonnante de lueurs et de modelés que
-l’artiste en a tirée. Il existe deux photographies
-dont l’une s’appelle <i>Étude</i>, l’autre <i>Matin argenté</i>:
-ce sont deux paysages de roseaux et d’eaux, et de
-bois et de nues. On les regarde; on trouve la
-seconde incomparablement plus belle que la première,
-et l’on passe,&mdash;quand on est averti qu’elles
-sont du même auteur, M. J. H. Gear,&mdash;cela
-étonne. Bien mieux, elles représentent le même
-paysage: est-ce possible? Bien mieux, c’est le
-même cliché! Et en effet, c’est le même cliché;
-mais&mdash;agrandissement, changement de papier,
-mise en cadre différente, transposition de valeurs&mdash;ce
-n’est pas la même épreuve. C’est le même
-canevas, ce n’est pas la même trame; ce sont les
-mêmes paroles, mais avec un autre chant. Qu’y a-t-il
-donc de nouveau?&mdash;Un acide?&mdash;Non, un
-sentiment.&mdash;Un corps?&mdash;Non, une âme....</p>
-
-<p>Le seul progrès matériel et technique est l’emploi
-du <i>papier à dépouillement</i>. On sait que les
-papiers sur lesquels s’impriment les épreuves photographiques
-sont de trois sortes: d’abord, les
-papiers blancs, comme le papier albuminé, qui noircissent
-spontanément sous l’action de la lumière
-sans qu’on puisse intervenir autrement que pour
-arrêter cette action.&mdash;Secondement, les papiers<span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">[180]</a></span>
-au bromure, qu’on commence à développer faiblement
-dans un bain, puis où l’on intervient pour
-activer l’apparition de l’image avec des pinceaux
-pleins du liquide révélateur.&mdash;Enfin le papier
-charbon-velours ou à la gomme bichromatée, qui
-est un papier coloré, par exemple en brun van Dyck
-ou en terre de Sienne brûlée, et d’où l’on enlève
-lentement avec l’eau et le pinceau tout ce que la
-lumière n’a pas fortement fixé, en laissant tout ce
-qu’on désire garder sur l’épreuve. L’image vient
-peu à peu ainsi par <i>dépouillement</i>. Ces derniers
-papiers se prêtent à un travail très lent. La venue
-de l’image s’y trouve subordonnée à l’intervention
-directe de la main de l’opérateur et est ainsi dirigée
-par une volonté changeante, au lieu de l’être par
-des lois naturelles et immuables.</p>
-
-<p>On aperçoit tout de suite combien le rôle de
-l’homme a grandi. Quel être faible, et à quelles
-humiliantes fonctions était réduit le photographe
-autrefois! A partir du moment où le cliché de
-verre était plongé dans le bain, tout échappait à
-ses prises. Penché sur ces cuvettes pleines de
-vénéneux liquides, il attendait, désarmé, impuissant,
-inactif, que les acides mortels eussent fait
-leur œuvre. C’était à la fois comique et solennel.
-Cela s’accomplissait dans la solitude, comme le
-crime et dans l’ombre, comme la trahison. A peine<span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">[181]</a></span>
-la lanterne jetait-elle sur les linges épars des
-taches rouges qui semblaient de sang. L’homme
-tournait autour de ses cuvettes, de ses récipients
-plats, comme on en voit dans les salles de chirurgie,
-et rangeait des bocaux blancs, gris, bleus, vert
-pâle, roses, où l’on hésitait à reconnaître l’attirail
-d’un coiffeur ou celui d’un apothicaire. Ses yeux
-ne pouvaient percer l’effrayant mystère où s’élaborait,
-sans lui, l’image naissante d’un front, d’une
-joue, d’une prairie, d’eaux, d’insectes, de tiges et
-de fleurs.</p>
-
-<p>Aujourd’hui, les fenêtres sont entr’ouvertes.
-L’épreuve ne gît plus dans un bain d’argent ou
-dans un bain d’or. Elle a été posée sur une planchette,
-comme une aquarelle. De l’éponge pressée
-coulent sur elle des gouttes brillantes d’une eau
-naturelle; sous cette pluie intelligente et radieuse,
-un visage naît, grandit et s’éclaire. Voici l’épaule
-nue, voici le col onduleux, voici les cheveux qui
-se démêlent, voici la ligne du sourcil qui s’arque
-et le contour des joues qui s’enfle et s’insinue
-dans le clair-obscur. Lentement, paresseusement,
-comme un petit enfant qui s’éveille, l’image ouvre
-la bouche, puis les yeux.... L’ombre se décharne et
-dit son mot; elle a souri: elle va tout dire, quand
-l’artiste s’arrête. Il se rappelle le mot si vrai de
-M. Jules Breton, qu’en art «il ne faut pas tout<span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">[182]</a></span>
-dire». La poésie est faite d’inconnu. Et ce qui
-donne aux images leur charme, c’est justement
-qu’elles ne détruisent point par la parole&mdash;comme,
-hélas! le font trop souvent les figures réelles&mdash;l’illusion
-causée par leur beauté, et qu’elles nous
-laissent croire, en demeurant à jamais silencieuses,
-que leur lumière intérieure vaut leur rayonnement.</p>
-
-<p>L’artiste sort de son atelier; le grand jour tombe
-sur l’épreuve, et aussitôt l’on aperçoit tout ce que
-l’homme y a mis de lui. Elle n’est pas fille du
-hasard et de la matière. L’esprit a fait plus que la
-matière, la volonté plus que le hasard. Il y eut
-collaboration de l’intelligence et du cœur; et parce
-qu’ainsi il a pu y avoir erreur ou folie, il peut y
-avoir vérité et amour. Et s’il est arrivé que cette
-image est belle, de quel nom l’appellerons-nous?
-Dirons-nous que ce n’est pas là une œuvre d’art,
-parce que le vocabulaire la nomme photographie
-au lieu de la qualifier fusain, lithographie ou
-sanguine, et parce qu’au lieu de tenir entre ses
-doigts un petit morceau de bois carbonisé, l’artiste
-a en quelque sorte manié un rayon de soleil?</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">[183]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE III</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Nouvelles œuvres et idées nouvelles.</b></p>
-
-<p class="p2">Les images que voilà ont bien été faites au
-moyen de la photographie, mais elles n’évoquent
-pas plus l’idée de gélatino-bromure qu’une eau-forte
-n’évoque l’idée d’un acide, une sépia l’idée
-d’un mollusque, ou un fusain l’idée d’une branche
-d’arbre de la famille des célastrinées....</p>
-
-<p>Il y a une vue de Hollande, prise par M. Robert
-Demachy, qui emmène la pensée bien loin de la
-ville qui l’inspira et de la machine qui aida à la
-fixer. Cela s’appelle <i>Eaux Mortes</i>. Une double
-rangée de maisons aux <i>trap-gerels</i> pointus et
-dentelés trempent leur vieilles murailles dans un
-canal. Pas un monument n’ennoblit ce canal, pas
-une figure ne l’anime. Cela est si triste, que l’eau
-semble faite de toutes les larmes que les générations
-qui vécurent là ont répandues. Les fenêtres
-sont closes ou vides comme des yeux qui ne<span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">[184]</a></span>
-voient pas. Une barque flotte avec une apparence
-de cercueil. Un escalier descend profondément
-dans le tranquille abîme, comme un chemin favorable
-au suicide. Les pointes aiguës des toits
-reflétés et renversés s’enfoncent dans les eaux, qui
-ne frémissent même pas, comme des aiguilles
-sombres dans des chairs inertes.</p>
-
-<p>Voilà bien des <i>Eaux Mortes</i>! Eaux qu’aucune
-pente n’attire, qu’aucun penchant n’entraîne! Eaux
-stériles comme est stérile la terre des briques
-qu’elles baignent! Eaux figées en une forme définitive,
-comme l’eau d’un miroir, en leur cadre de
-pierres; eaux qui ne se changeront plus en perles
-pour ruisseler des vasques, ni en filets et rayons
-pour se dévider de cascatelles en cascatelles! Eaux
-muettes qui ne chantent, ni ne pleurent, ni ne
-grondent, comme celles des fontaines, des bassins
-ou des torrents! Eaux sans formes et sans images
-à elles, qui ne savent que répéter les contours et
-les couleurs des maisons qui se penchent sur elles,
-les redire avec le balbutiement des reflets, incapables
-d’entraîner notre rêve vers des rives meilleures,
-puisqu’elles nous renvoient impitoyablement
-notre propre image, l’image de nos rides, de
-nos ombres, de nos tristesses, et ainsi les doublent
-au lieu de les dissiper!</p>
-
-<p>Et, au rebours, quelle évocation de vie trouverait-on<span class="pagenum"><a name="Page_185" id="Page_185">[185]</a></span>
-plus vivante qu’une certaine petite épreuve
-de M. Craig-Annan, intitulée <i>Frères blancs</i>? Deux
-moines marchent au soleil, d’un mouvement vif
-et précipité, vers le même but, sous l’empire des
-mêmes idées et l’ombre des mêmes chapeaux,
-leurs cagoules flottantes et ballottantes sous la
-même poussée d’air, leurs pieds levés, semelles
-dehors, selon le même rythme, hâtés vers l’église,
-vers l’école ou vers le réfectoire. Pas un détail
-ne distrait l’attention et, des pieds à la tête, on
-ne sent qu’une ligne de vitesse, qu’un effet de
-lumière chaude et brutale, et qu’une volonté
-têtue.</p>
-
-<p>Quelques-unes de ces œuvres ressemblent à des
-dessins de maîtres presque à s’y méprendre. Il
-existe un <i>Effet de soir</i>, de M. Brémard, qui rappelle
-fort J.-F. Millet, et où les taches noires et blanches
-paraissent reproduire des taches de couleurs. Il y
-a une <i>Sombre clarté</i>, de M. Wilms, qui évoque
-Turner, et un <i>Soir ramène le silence</i>, de M. Colard,
-qui est un Corot. Ceux qui ont vu les femmes drapées
-du peintre anglais Albert Moore, en reconnaîtront
-un saisissant souvenir dans les photographies
-de M. René Le Bègue, et ceux, plus nombreux, qui
-admirent, au Louvre, la finesse indécise et le
-fuyant charme du <i>Portrait de Jeune fille</i>, de Flandrin,
-seront heureux de les retrouver dans un<span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">[186]</a></span>
-<i>Profil perdu</i>, de M. Brémard. Dans beaucoup de
-ces œuvres, on hésite à reconnaître la marque de
-la photographie. Un portrait de <i>Jeune Hollandaise</i>,
-de M. Alfred Maskell, une <i>Communiante</i>,
-de M. Robert Demachy, sont des prodiges d’interprétation,
-en même temps que de vérité. Si l’on
-disait que ce sont des fusains, personne n’affirmerait
-le contraire. <i>Une vue de la Loire à Saint-Denis-Hors</i>,
-de M. Henry Ballif, a l’air d’une sanguine,
-et un <i>Septembre en Normandie</i>, de M. da
-Cunha, d’une encre de Chine. Les qualités de
-finesse et d’accent qui caractérisent l’œuvre d’art
-en noir et blanc se voient encore dans un <i>Brouillard</i>,
-de M. Sutcliffe; dans des <i>Soldats passant un
-défilé</i>, de M. Alexandre; dans un paysage, <i>Après
-le coucher de soleil</i>, de M. Bucquet, le président
-du Photo-Club; dans des paysages de MM. Hannon
-et Watzeck; dans les effets de sable de <i>Marée
-basse</i>, de M. de Védrines; dans une <i>Paix d’or sur
-la contrée</i>, de M. Smedley Aston. Feuilletez l’<i>Esthétique
-de la photographie</i> publiée par le Photo-Club
-de Paris, et considérez <i>Dans la vallée</i>, de
-M.-F. Coste, vaporeux comme un Corot, <i>Premiers
-sillons</i> de M. da Cunha, <i>Sur la route</i> par M. Darnis,
-l’<i>Ile heureuse</i> par M. Puyo et dites si, non prévenu,
-vous ne verriez pas là des reproductions de
-tableaux et d’excellents tableaux?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">[187]</a></span></p>
-
-<p>Une autre œuvre, curieuse par sa vérité poignante
-et sa tranquille ironie, est cette rue perdue
-dans la brume et l’eau, déserte, ponctuée en son
-milieu d’un cab noir, intitulée <i>Beau temps à Londres</i>,
-de M. Colard. Il est difficile de donner, en
-raccourci, une impression plus profonde de cette
-ville des fumées de l’usine et des fumées du cerveau,
-de cette ville triste, de cette ville mystique
-et manufacturière, la ville des assommoirs discrets,
-des tabagies occultes, des lentes consomptions, où
-seules la vertu et la réforme sortent avec fracas,
-affirmant la morale par des coups de trombones et
-des roulements de tambours....</p>
-
-<p>Si ces photographies nouvelles ont fait au public
-l’impression que lui font les sanguines ou les
-fusains, si elles n’ont pu être obtenues que grâce à
-l’intervention trois fois répétée d’un homme doué
-de goût et de doigté, quelles sont donc les raisons
-qui s’opposent à ce que nous les appelions des
-œuvres d’art? Nous avouons, pour notre part, ne
-point les apercevoir très clairement....</p>
-
-<p>Il est vrai que cette intervention n’est point aussi
-longue ni aussi décisive que celle de l’artiste, obligé
-de dessiner et d’ombrer de sa main sa toile ou son
-papier d’un bout à l’autre. Dans la photographie,
-toute une partie de son travail est faite par la
-machine et simplifiée par le procédé. Mais depuis<span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">[188]</a></span>
-quand juge-t-on de la valeur artistique d’une œuvre
-par la difficulté du procédé? Parce que le pinceau
-trempé dans l’encre de Chine nous fournit plus
-vite le ton du ciel ou du terrain que le fusain,
-faut-il dire que, nécessairement, le premier procédé
-est moins artistique que le second? Et parce
-que le fusain, aidé de l’estompe, simplifie cent fois,
-pour tonaliser un ciel ou ombrer et masser des
-arbres, le travail sec et dur de la mine de plomb,
-faut-il dire qu’un beau fusain est moins une œuvre
-d’art qu’un papier noirci de hachures pour le ciel
-et de «beau feuillé» à la mine de plomb? A quelle
-étrange conclusion ainsi l’on arrive! Et mieux
-encore, parce que le dessinateur, comme était
-M. Bertin, obtient plus vite son effet sur un papier
-bleuté qui lui fournit un ton général tout préparé,
-faut-il dire qu’il est moins un artiste que celui qui
-passe des heures à couvrir tout un papier blanc du
-fin réseau de ses pattes de mouches?&mdash;Eh bien, ce
-que le papier teinté, le fusain et l’estompe font
-pour simplifier le travail de l’artiste, l’objectif le
-fait dans une beaucoup plus large mesure. Voilà
-tout.</p>
-
-<p>L’intervention du photographe, à la vérité, n’est
-point souveraine. Il ne peut qu’influer sur les lignes
-et les tons, non les créer. Il lui faut compter avec
-un agent chimique, qui joue un rôle prépondérant<span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">[189]</a></span>
-dans le développement du cliché et la venue de
-l’image. Mais l’acide n’en joue-t-il pas un très grand
-aussi dans la préparation d’une eau-forte? Est-ce
-que, là aussi, il n’y a pas collaboration d’un agent
-chimique et inconscient! Le graveur, aquafortiste
-ou autre, sait-il exactement l’image que donnera
-son œuvre quand ce collaborateur y aura passé?
-Écoutons plutôt M. Bracquemond: «Lorsqu’un
-graveur creuse des tailles sur une planche métallique,
-avec un burin ou à l’aide d’un acide.... il ne
-connaîtra la <i>profondeur</i> et, par suite, la <i>valeur</i> de
-sa taille que par l’<i>état</i> que lui fournira l’impression
-de sa planche.»&mdash;Regardez le <i>Portrait d’un graveur</i>
-par M. Mathey, qui est au Luxembourg, considérant
-la large feuille humide encore. Quel
-regard inquiet, attentif, scrutateur, il attache à
-son papier courbé, tenu au bout de ses bras nus,
-tandis que sur un coin de la machine, gît sa cigarette
-oubliée, éteinte!... Il semble satisfait, mais il
-a eu peur! C’est qu’il y a des hasards, des imprévus,
-comme il y en a, d’ailleurs, en aquarelle bien plus
-que les aquarellistes ne veulent le dire, et jamais
-cependant la collaboration de ces acides, ou cet
-imprévu de la tache aqueuse&mdash;si utile parfois et
-si savoureuse!&mdash;n’ont empêché d’appeler ces
-hommes des artistes!</p>
-
-<p>On dira encore: Une œuvre d’art est un exemplaire<span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">[190]</a></span>
-unique de la pensée ou du sentiment d’un
-artiste. Du moment qu’on en peut tirer des reproductions
-à l’infini, comme on fait les épreuves
-d’un même cliché, elle perd cette qualité précieuse
-et devient un objet de confection. Mais croire qu’on
-peut tirer un nombre indéfini d’épreuves artistiques
-d’un même cliché, c’est une erreur de fait.
-En réalité, chaque épreuve que l’artiste obtient par
-dépouillement sur un papier teinté à la gomme
-bichromatée est une épreuve unique. Il échoue
-plusieurs fois. Quand il en a obtenu une bonne, il
-est rare qu’il recommence. S’il recommence, il
-obtient autre chose que l’exemplaire déjà produit.
-C’est une <i>réplique</i>, si l’on veut: ce n’est pas un
-duplicata. Bien plus qu’une gravure à l’eau-forte,
-une photographie de M. Demachy est un exemplaire
-original.</p>
-
-<p>Enfin, c’est également une erreur de croire
-que, devant la même réalité, les artistes que voici
-sont contraints par leurs machines à produire
-les mêmes images. L’empreinte personnelle qu’ils
-mettent à leurs œuvres est telle que, la plupart du
-temps, elle dispense de lire la signature; et, après
-quelques visites à leurs expositions, on ne confond
-pas plus une photographie de M. Demachy avec
-une autre de M. Puyo, ou une troisième de
-M. Craig-Annan avec une quatrième de M. Le<span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">[191]</a></span>
-Bègue, qu’on n’est tenté d’attribuer un paysage de
-M. Montenard à M. Harpignies, ou une nymphe de
-M. Bouguereau à Burne-Jones.</p>
-
-<p>Cette empreinte personnelle est même le grief
-le plus vif des professionnels de la photographie
-contre les amateurs. Ce n’est point là, disent-ils
-avec mépris, de la photographie pure: il y a des
-«retouches»! Mais, quand ce reproche serait
-mérité, il ne saurait influer sur le jugement qu’au
-point de vue artistique on doit porter. L’impression
-est-elle esthétique? qu’importe comment elle
-est obtenue? Tous, nous avons horreur de la
-gouache en aquarelle. Mais la raison est que la
-gouache alourdit ce qu’elle touche, et qu’en fin de
-compte, elle est moins artistique que l’aquarelle
-«franche». Si, par hasard, on nous montre une
-gouache plus légère qu’une aquarelle, nous n’hésiterons
-pas à l’admirer, sans reprocher à l’artiste le
-blanc dont il s’est servi. Pareillement, d’où vient
-l’horreur très justifiée de certains amateurs pour
-les «retouches» en photographie? De cette observation
-très juste que les retouches alourdissent
-l’épreuve, empâtent les contours, tranchent violemment
-sur tout le reste des tons francs, et ainsi
-rompent l’homogénéité de la <i>facture photographique</i>.
-Mais s’il arrive que les retouches n’empâtent
-point, ne tranchent point, et s’harmonisent<span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">[192]</a></span>
-si parfaitement avec le reste qu’il soit impossible
-de dire où, au juste, la retouche a porté, la raison
-de l’horreur qu’on en avait disparaît, et la retouche
-est légitime.</p>
-
-<p>En fait, dans les œuvres nouvelles, il n’y a pas
-de «retouches», si l’on entend par ce mot la peinture
-sur le verre du cliché, ou le coup de crayon
-sur la gélatine; procédés très usités par les professionnels
-de la photographie, et auxquels nous
-devons ces blancs mats et pesants, ces peaux parcheminées
-que la foule admire à tant de vitrines
-de nos boulevards. Ce qu’il y a, dans les œuvres
-nouvelles, c’est <i>le travail de l’épreuve</i>. Or, ce travail
-ne produit aucun des heurts de la retouche; il
-est aussi harmonieux et homogène, dans sa facture,
-que le travail du lavis, de l’encre de Chine, de la
-sépia; et, comme on ne saurait reprocher à ces
-œuvres-là des retouches, attendu que tout y est
-retouches en effet, on ne peut les reprocher, non
-plus, aux nouveaux essais de photographie.</p>
-
-<p>Mais s’ils ressemblent tant à d’autres procédés
-d’art, dira-t-on encore, à quoi bon un procédé
-nouveau?</p>
-
-<p>On devrait, en effet, parler de la sorte si la photographie
-n’avait pas certaines qualités qui lui sont
-propres. Mais elle en a. D’abord, lorsqu’elle est
-dirigée par un goût prudent et une fine entente<span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">[193]</a></span>
-des altitudes, elle dessine admirablement. La fidélité
-de l’objectif, qui était un défaut avec des
-modèles vus de trop près, ou trop également
-éclairés, ou noyés dans les accessoires, devient une
-qualité, quand le champ de la vision est bien délimité,
-l’effet large, les lignes longues, souples,
-simples, à peine profilées sur le fond et bien suivies.
-Il y a une photographie de M. Puyo, représentant
-une Pénélope penchée sur sa tapisserie, où
-la courbe des cheveux, de la nuque, des épaules et
-de la ligne dorsale est telle qu’Ingres n’eût pu
-l’infléchir d’un crayon plus sobre et plus sûr. Certaines
-académies photographiées en plein air,
-sous le soleil de Sicile, à côté de bas-reliefs où
-sont sculptés des héros et des dieux, se profilent
-selon un rythme si pur qu’on hésite entre le galbe
-du héros sculpté et celui du berger vivant venu,
-deux mille ans après, s’asseoir sur le sarcophage
-vide où l’art les réunit.</p>
-
-<p>Ensuite, la photographie est capable d’un modelé
-infiniment nuancé, souple et caressant. L’estompe,
-seule, parmi les procédés de noir et de
-blanc, peut approximativement l’indiquer. Il ne
-s’agit point ici de nier la supériorité d’une nerveuse
-eau-forte ou d’une fine gravure; mais n’y a-t-il pas
-certaines transitions insensibles de lumière à
-ombre, évoluant sur les plans inclinés des figures,<span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">[194]</a></span>
-sur des polyèdres de chair, certaines ombres <i>dolce
-e sfumose</i>, comme dirait Léonard, «exhalées sur le
-papier», selon le mot de Ruskin, où la photographie
-est sans rivale? Pour rendre en blanc et noir
-ce qui, dans la nature, se rapproche des figures du
-Vinci, combien il est difficile à un autre procédé
-de rivaliser avec la photographie! Là où le burin
-et le crayon procèdent par petits traits différents,
-et par conséquent désunis et heurtés, elle agit par
-teintes liées, continues, uniformes de texture, mais
-graduées à l’infini; elle unit les méplats de la chair
-par sa facture, en même temps qu’elle les distingue
-par ses tonalités,&mdash;comme la nature le fait elle-même.
-Précisément parce qu’elle ne peut donner
-un accent, c’est-à-dire un arrêt brusque, elle est
-supérieure au crayon quand il faut passer, sans
-heurt, du grave au doux et de la nuit au jour.</p>
-
-<p>Le trait a de grandes qualités idéographiques.
-On donne l’idée d’un corps par sa silhouette et sa
-délimitation dans l’espace: on ne le montre pas
-dans son essence. Dès que le dessinateur veut
-remplir l’espace délimité, la «silhouette», il sent
-l’imperfection de son outil. C’est une boutade
-d’Ingres, que de dire «que la fumée même doit
-s’exprimer par le <i>trait</i>». En réalité, la fumée ne
-peut s’exprimer que par le <i>ton</i>. Et toute ombre est
-plus ou moins fumée. Ce n’est donc pas avec le<span class="pagenum"><a name="Page_195" id="Page_195">[195]</a></span>
-trait seul qu’on peut ombrer une figure; et, tant
-pour la délicate gradation du ton que pour l’impeccabilité
-du contour, il faut bien reconnaître la
-supériorité de la photographie.</p>
-
-<p>Enfin, la photographie, mieux que le plus agile
-crayon au monde, surprend certains effets précieux,
-mais insaisissables, soit par leur multitude,
-soit par leur brièveté: un nuage qui passe dans le
-ciel, un troupeau qui passe sur la terre, une armée
-ondulante au gré des reliefs et des creux des vallons,
-le fouillis mouvant d’une bataille de fleurs,
-la complexe furie d’une meute coiffant un sanglier,
-le déferlement des vagues sur un récif ou encore
-le cumulus des vagues qui roulent lourdement vers
-le rivage, le stratus des courants qui se forment
-dans la mer et le fin cirrus des traces que chaque
-flot, sculpteur habile et patient, laisse au sable des
-grèves qu’il a habitées.... Et le multiple fléchissement
-des ailes des colombes qui viennent, d’un
-tournoiement souple, se poser à terre, comme ces
-âmes que Dante vit attirées par son cri miséricordieux,
-et le fugitif plissement des fossettes d’une
-femme rieuse, et le rapide serrement des muscles
-d’un homme surpris, et les remous d’une foule,&mdash;tout
-ce que le vent, l’orage, la gravitation, le feu,
-l’espoir, la colère, le plaisir, font fléchir, agiter,
-tomber, flamber, secouer, contracter ou sourire!...</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_196" id="Page_196">[196]</a></span></p>
-
-<p>Combien souvent le dessinateur a regretté de ne
-pouvoir saisir l’envolée subtile d’un geste, l’agencement
-inédit d’un groupe, le miroitement rare
-d’un coup de lumière! Il y a donc des raisons pour
-qu’un artiste, devant certains effets, prenne parfois
-l’objectif, au lieu de prendre le crayon ou
-le pinceau à lavis. Moins souple sous certains
-rapports, c’est un instrument plus délicat sous
-d’autres et toujours plus rapide. On ne saurait
-pas plus le taxer d’inutile que d’impropre à rendre
-une pensée. Il ne peut remplacer les autres procédés,
-mais les autres ne le remplacent pas.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">[197]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE IV</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Une prétention excessive de la
-photographie.</b></p>
-
-
-<p class="p2">Où tend ce mouvement d’art en photographie et
-quelle crainte ou quel espoir pour l’idéalisme doit-il
-nous donner? Pour le bien démêler, et quelle
-évolution singulière il marque dans l’esprit de ses
-auteurs, il faut se rappeler ce qui l’a immédiatement
-précédé.</p>
-
-<p>Il y a quelques années, nous avons vu de
-savants photographes, armés d’une grande quantité
-de documents, venir vers nos artistes et leur
-enseigner leur métier. Ils avaient inventé, pour
-surprendre la nature, des instruments très astucieux
-et très prompts: des disques percés de
-fenêtres qui tournaient très vite et vous prenaient
-des centaines de vues successives d’un homme
-avant qu’il eût dit: ouf! puis des boîtes où ils
-enfermaient des guêpes dont ils avaient doré le
-bout des ailes pour enregistrer la trajectoire<span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">[198]</a></span>
-qu’elles décrivaient en volant; des revolvers et des
-fusils à objectif qu’ils braquaient sur les oiseaux,&mdash;ils
-l’eussent fait sur des anges!&mdash;non pour les
-tuer, mais pour savoir quels mouvements disgracieux
-ils faisaient dans les airs et pour ôter ainsi
-à leurs images plus que la vie: la beauté! En
-guise de gibecière, ces étranges chasseurs portaient,
-en bandoulière, une boîte «à escamoter»,
-contenant des plaques de rechange.&mdash;Déjà, un
-médecin de Boulogne avait imaginé de photographier
-les manifestations des divers sentiments
-humains qu’il obtenait artificiellement par des
-applications électriques sur la face insensible d’un
-malheureux malade d’hôpital, et il avait ainsi
-démontré que le <i>Laocoon</i> du Vatican ne remuait
-point du tout les muscles qu’il fallait pour
-exprimer la douleur.&mdash;Nos chronophotographes,
-eux, démontrèrent de même que, chez les grands
-maîtres, les chevaux n’avaient jamais galopé congrûment,
-ni les hommes couru avec vérité, ni les
-femmes dansé avec sincérité, et certainement pas
-une colombe venant vers l’arche, ni un Saint-Esprit
-planant sur Dieu le père, ni un archange, ni un
-séraphin, ni un chérubin voletant dans nos vieilles
-peintures ne pouvait résister à leurs redoutables
-investigations. L’art avait ignoré le mouvement:
-la science allait le lui expliquer.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">[199]</a></span></p>
-
-<p>Quelques artistes écoutèrent ces suggestions, et
-aussitôt tout s’arrêta. On ne vit plus que des chevaux
-dans des attitudes d’immobilité absolue et un
-peu ridicule, des hommes plantés sur un pied, des
-oiseaux en plomb, encapuchonnés dans leurs
-plumes. Rien de plus faux ne parut sur les toiles
-ou sur les socles que cette scientifique et photographique
-vérité. On s’étonna, on s’indigna, on
-discuta longuement. Enfin, on s’avisa d’une idée
-assez simple: c’est que la science est une chose et
-que l’art en est une autre; et que, s’il y a une
-vérité pour l’esprit, il y en a une autre pour les
-yeux qui n’est point la même et qui, en art, importe
-seule. Fromentin et bien d’autres l’avaient dit,
-mais il paraît qu’il est des évidences qu’il faut
-qu’on découvre et des portes ouvertes qu’il faut
-qu’on enfonce.</p>
-
-<p>En effet, dans le cas présent, la vérité de la
-science est une vérité de détail; la vérité de l’art
-est une vérité d’ensemble. Quand le chronophotographe
-nous apporte une épreuve où il a noté l’une
-des mille phases dont se compose un mouvement,
-nous lui répondons: Ceci est une partie du mouvement,&mdash;ce
-n’est pas le mouvement. Il est très vrai
-que, dans un mouvement, il y a l’attitude que vous
-avez découverte, mais il est non moins vrai qu’il y
-en a des centaines d’autres et que <i>c’est la résultante<span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">[200]</a></span>
-de toutes ces attitudes,&mdash;chacune immobile durant
-un instant de raison,&mdash;qui forme ce qu’on appelle
-le mouvement</i>. Mes yeux ne perçoivent qu’un
-ensemble; votre appareil ne perçoit qu’une partie.
-Qui décidera qu’il perçoit la vérité, et que ce sont
-mes yeux qui sont dans l’erreur? Qui décidera que
-la vérité d’ensemble ne signifie rien et que rien ne
-vaut hors la vérité du détail? Dire qu’on voit mal
-parce que, dans un mouvement, on voit un
-ensemble d’attitudes, cela revient à dire qu’on
-entend mal parce que, dans un orchestre ou dans
-un chœur, on n’entend qu’un ensemble de sons?
-Mais le plan du musicien a été que vous entendissiez
-l’ensemble des sonorités. Pourquoi le plan de
-la nature ne serait-il pas que vous voyiez l’ensemble
-du mouvement? Que penseriez-vous d’un savant
-venant, au moment où nous écoutons un chœur,
-à l’Opéra, nous dire: «Voici un instrument très
-précieux qui va vous permettre d’entendre, non
-plus l’ensemble de cette musique, mais chaque
-voix et chaque instrument l’un après l’autre.
-Entendez cette voix, elle fait: ah! ah! ah! et celle-ci:
-oh! oh! oh! et cette autre, un son filé....
-Maintenant vous connaissez ce chœur. Vous n’en
-aviez, auparavant, qu’une idée confuse et erronée.
-C’est la grossièreté de votre ouïe qui fait que ces
-sons se confondaient en un tout que les ignorants<span class="pagenum"><a name="Page_201" id="Page_201">[201]</a></span>
-appellent harmonie. Dissociez chaque partie et
-vous aurez le vrai sens de cet opéra...».</p>
-
-<p>Ainsi du mouvement. L’œil de l’objectif instantané
-est comme une oreille qui n’entendrait qu’une
-partie à la fois dans un orchestre. Il voit très bien
-une des attitudes successives dont se compose un
-geste, mais il ignore le geste et accomplit ce prodige
-de saisir, dans le mouvement, l’immobilité!
-Une preuve topique nous est donnée par la photographie
-instantanée d’une roue de voiture. L’œil
-humain, en voyant une roue, s’aperçoit fort bien
-si elle tourne ou non. L’instantané, lui, n’en sait
-rien. Que la roue tourne avec la vitesse d’un
-phaéton traîné par un cheval au grand trot, ou bien
-qu’elle soit immobile dans la remise, l’appareil
-instantané nous en donne exactement la même
-image. Comme il va aussi vite, plus vite même que
-la roue, elle lui semble toujours immobile. Ce tremblement,
-cette confusion des lignes des rais qui
-avertissent nos yeux n’existe point pour lui. Il n’en
-compte que mieux les rais de la roue, mais il
-oublie qu’elle tourne. Il perçoit bien une vérité,
-mais il y a une autre vérité qu’il ne perçoit pas;&mdash;et
-c’est justement celle dont l’Art a besoin.</p>
-
-<p>Si nous allons en chemin de fer parallèlement
-à un autre train qui marche beaucoup moins vite
-que nous, cet autre train nous semble immobile.<span class="pagenum"><a name="Page_202" id="Page_202">[202]</a></span>
-Pour qui est doué d’un mouvement plus
-rapide, tout ce qui est doué d’un mouvement
-moins rapide semble immobile. Nous appelons
-immobiles dans le monde et dans la vie, les choses
-dont le mouvement ou dont le changement sont si
-lents que nous ne les percevons pas dans le cours
-de notre vie. Cela ne veut pas dire qu’elles ne
-soient pas douées de mouvement; cela veut dire que
-ce mouvement nous échappe. Or, si l’œil de l’objectif
-ne reste ouvert qu’un cinq-millième de
-seconde, il est clair qu’un mouvement de cheval
-qui dure un quart de seconde lui échappe tout à
-fait. Donc, en allant plus vite que le cheval, l’objectif
-transforme le mouvement en immobilité.</p>
-
-<p>Ce n’est pas la seule circonstance ou l’objectif voit
-autrement que notre œil. Il est tantôt plus et tantôt
-moins perspicace, il détaille parfois mieux et confond
-parfois bien davantage. Il découvre, avant le
-médecin, des taches d’éruption sur un visage qui
-paraît sain, mais il commet les plus lourdes bévues
-sur la qualité des étoffes. Comme le dit très bien
-M. Puyo: «Son analyse implacable reste superficielle
-et s’en tient aux apparences; bien plus, ces
-apparences mêmes, l’objectif tend naturellement à
-les magnifier, et bonnement, il se laisse éblouir
-par l’éclat faux des strass, par les reflets trompeurs
-des satinettes et des velours de coton.... C’est ainsi<span class="pagenum"><a name="Page_203" id="Page_203">[203]</a></span>
-que, par une réunion patiente de laissés pour
-compte et de coupons avariés, le photographe peut
-rassembler sans grands frais des décors et des costumes
-qui prennent sur ses épreuves un aspect
-véritablement somptueux.» Admirable pour déterminer
-les inflexions de l’aile d’un macroglosse ou
-de la nageoire d’un hippocampe, la plaque photographique
-ne peut nous renseigner, aussi bien que
-l’œil, sur la tonalité de l’air où vole cet insecte, ni
-de la mer où vit ce poisson. Et c’est précisément
-parce qu’elle est, selon le mot de Janssen, «la
-rétine du savant» qu’elle n’est pas celle de l’artiste.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_204" id="Page_204">[204]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE V</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Une réaction idéaliste.</b></p>
-
-<p class="p2">Aujourd’hui les photographes l’ont compris.
-M. Puyo avoue, à propos de la mise au point, que
-«l’œil a une faculté d’accommodation très supérieure
-à celle de l’objectif». Ces novateurs abandonnent
-les prétentions des chronophotographes.
-Ils ne veulent plus que la machine enseigne l’œil.
-Ils contrôlent les résultats de la machine avec l’œil
-et repoussent ceux que l’œil n’approuve pas. Ils
-ne prétendent plus réformer les lois de l’esthéthique:
-ils ambitionnent de s’y soumettre.
-M. Alfred Maskell, qui est le chef de la jeune
-école en Angleterre, le dit expressément: «Notre
-mouvement peut être considéré comme une tendance
-à traiter les sujets en concordance avec la
-pratique des autres arts graphiques.»&mdash;«Il ne
-faut pas, déclare M. Robert Demachy, avoir une
-esthétique particulière pour la photographie et<span class="pagenum"><a name="Page_205" id="Page_205">[205]</a></span>
-une autre pour la gravure et le dessin.»&mdash;MM.
-Bergon et Le Bègue ajoutent: «Il nous paraît
-que l’étude de l’esthétique est la préparation indispensable
-à tout travail. Le photographe va composer
-comme s’il devait dessiner ou peindre au
-lieu de photographier.» En ce qui concerne les
-attitudes fournies par la chronophotographie,
-M. Puyo ne parle de retenir que celles qui sont
-«douées de qualités esthétiques». Cela nous
-montre assez quelle évolution s’est faite chez les
-photographes et dans quel sens le mouvement nouveau
-est dirigé.</p>
-
-<p>C’est dans un sens idéaliste. On ne peut en
-douter quand on lit les écrits des novateurs. On le
-peut encore moins quand on regarde leurs œuvres.
-Avoir introduit le sentiment et la pensée dans une
-opération autrefois automatique; avoir transformé
-en un art ce qui était une industrie; avoir décidé
-que l’esprit devait diriger la matière, au lieu de se
-laisser enseigner par elle; avoir inventé la photographie
-dirigeable, c’est déjà une entreprise idéaliste.
-Mais les novateurs sont allés plus loin dans
-ce sens. Ils ont vu que leurs œuvres valaient surtout
-par ce qu’ils y avaient mis d’eux. Ils ont compris
-le mot de Ruskin: «Si ce n’est pas un plan
-humain que vous cherchez, il y a plus de beauté
-dans l’herbe le long de la route que dans tout le<span class="pagenum"><a name="Page_206" id="Page_206">[206]</a></span>
-papier noirci par le soleil que vous rassemblerez
-durant toute la durée de votre vie». Ils ont hardiment
-soumis leur vision à un plan très caractérisé.
-Dans leur effort pour se dégager de l’imitation servile,
-ils ont retrouvé l’audace des partis pris d’ombre
-et de lumière, la volonté des effets d’ensemble, qui
-manquent à nos impressionnistes. Beaucoup de
-leurs paysages sont traités par grandes masses,
-le premier plan largement ombré, la lumière
-repoussée au second, et toutes les petites lueurs
-reflétées, délibérément noyées dans l’ensemble, afin
-d’obtenir un effet franc et général.</p>
-
-<p>Il existe un <i>Potier</i>, de M. Declercq, que, par son
-violent parti pris d’ombre diffuse et de saisissante
-clarté ramassée en un seul point, on dirait une
-eau-forte de Rembrandt. Le magnifique portrait de
-Ruskin par M. Frédérick Hollyer, où seul l’extrême
-profil de l’esthéticien est tiré de l’ombre par
-la lueur de la fenêtre, accuse, chez le photographe,
-un plan préconçu d’éclairage caractéristique.
-Le papillotement impressionniste est proscrit,
-M. Puyo l’avoue: «La direction des faisceaux de
-lumière qui éclairent une figure peut être quelconque,
-mais leur intensité relative doit obéir à
-une loi: il faut que l’un des faisceaux employés soit
-nettement dominant en intensité et que tous les
-autres lui soient nettement subordonnés.»</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_207" id="Page_207">[207]</a></span></p>
-
-<p>Avec la dispersion de l’effet, l’école naturaliste
-enseignait l’inutilité ou l’indifférence du sujet. Là,
-encore, les nouveaux photographes sont amenés,
-par les conditions mêmes de leur art, à une réaction
-dans le sens classique. Ne pouvant compter
-autant que les peintres sur leur imagination, ils en
-viennent à chercher la beauté dans la nature elle-même.
-Ne pouvant espérer l’atteindre uniquement
-par l’interprétation, ils la veulent d’abord dans
-l’objet interprété. C’est non plus seulement à
-leurs rêves, mais à la réalité, qu’ils demandent d’être
-une chose belle. Le sujet redevient alors tout de
-suite digne de considération. Il ne s’agit pas ici
-du «sujet» tant méprisé par les novateurs d’il
-y a vingt ans, et méprisé avec raison, si l’on
-entend par là l’histoire bouffonne ou sentimentale,
-le «site» numéroté par les guides, où d’ingénieux
-industriels tiennent à la disposition des touristes
-une chaise, une lorgnette et du soda. Il s’agit de
-ce que M. Jules Breton appelle très justement
-le «sujet esthétique», une puissante ordonnance
-de nuages sur la mer, comme dans une photographie
-de M. Origet, une symphonie de branches
-emmêlées pour résister au vent et tendues
-vers le ciel pour prendre dans l’air leur nourriture,
-comme on en a vu dans les photographies de
-M. Dardonville, <i>Étang du parc de Rambouillet</i>, et<span class="pagenum"><a name="Page_208" id="Page_208">[208]</a></span>
-de Mme Dansaert, <i>At Home</i>; un groupement gracieux
-de jeunes filles et de jeunes fleurs, tel que
-le tableau de Mme Farnsworth exposé jadis sous ce
-titre: <i>Quand le printemps arrive souriant dans le
-vallon et sur la colline</i>.</p>
-
-<p>Ce sujet, ils le veulent nettement déterminé, congruent
-en toutes ses parties et, pour ainsi dire,
-organique. Comme ils pourront bien retrancher
-l’inutile dans ce que leur fournit la nature, mais
-non pas y ajouter le nécessaire, il faut que cette
-nature soit plutôt trop riche en intérêt que trop
-pauvre.</p>
-
-<p>D’ailleurs, si ce sujet riche est touffu, ils marquent
-leur intervention d’artistes en le simplifiant.
-M. Puyo parle de l’«unité du motif», et se courrouce
-contre «les détails qui sollicitent le regard
-en dehors du centre d’intérêt». Il traite de «l’équilibre
-des lignes», des «rappels nécessaires». On
-croirait entendre un pur classique de l’école de
-Winckelmann. L’étude prolongée, non des livres,
-mais de la nature, ramène ces photographes aux
-lois générales qui régirent jadis l’école, et non
-point parce que ce sont des règles, mais simplement
-parce que ce sont des nécessités. «Ces lois
-de la composition, disent-ils, n’ont rien d’arbitraire;
-quand nous songeons aux conditions que
-doit remplir toute œuvre d’art et que nous apparaissent<span class="pagenum"><a name="Page_209" id="Page_209">[209]</a></span>
-aussitôt les idées d’unité, d’ordonnance,
-de subordination, n’est-ce pas le rationalisme grec
-et notre conception unitaire du monde qui nous
-imposent ces lois générales? Pareillement, l’idée
-d’équilibre, qui la fait naître, sinon le sentiment
-intime que tout obéit à la loi de la gravitation?
-D’où l’emploi général, dans la composition, de la
-forme triangulaire, le triangle étant de toutes les
-figures celle dont le centre de gravité est le plus
-bas. Enfin, les règles qui président à l’harmonie
-des tons et à leurs liaisons et imposent l’usage des
-rappels découlent de l’idée de relation et de l’impuissance
-des organes à juger autrement que par
-comparaisons successives.»</p>
-
-<p>Ainsi, tout doucement, tout silencieusement, ces
-hommes armés d’une machine conspirent pour
-l’idéal classique des anciens jours. Ils n’ont point
-fait de hardis manifestes, ni proclamé la déchéance
-d’aucun art. Leur affiche représentait seulement
-une femme laissant tomber de pâles fleurs de tournesol.
-«Nous ne réclamons nullement le titre d’artistes,
-disaient-ils en 1896; le public, habitué aux
-choses d’art, saura bien nous le décerner de lui-même,
-s’il trouve que nous sommes arrivés à le
-mériter.» Dans leurs longues et laborieuses contemplations
-en face de la nature, ils n’ont pas rêvé
-les grandes jouissances de la gloire. Ils n’ont pas<span class="pagenum"><a name="Page_210" id="Page_210">[210]</a></span>
-cherché l’argent. Ils n’ont cherché que le plaisir;
-et le plaisir, rappelons-nous-le bien, a donné plus
-de belles œuvres à l’art que l’ambition,&mdash;le plaisir
-modeste, intime et muet, que cherchaient les Millet
-et les Rousseau dans les sentiers de Barbizon. Ils
-aiment la nature: ils écoutent ce qu’elle dit, et elle
-leur dit parfois ce qu’elle ne dit pas à d’autres.
-Après la grande moisson faite par les paysagistes
-du siècle, ils viennent, se courbant et ramassant
-des glanes. Mais, des glanes des champs, on peut
-encore se nourrir, et mieux que des fleurs artificielles,
-quattrocentistes ou cinquocentistes cueillies
-dans les musées....</p>
-
-<p>Ces artistes n’ont rien de mystérieux: ils dévoilent
-et jettent à la foule tous leurs secrets et toutes
-leurs recettes. Les prend qui veut! Mais peu les
-prennent, et moins encore en profitent. Car ce
-n’est pas leurs papiers et leurs ingrédients chimiques,
-et leurs écrans et leurs lampes au magnésium
-qui font leur supériorité, c’est leur éducation
-esthétique et c’est leur goût. Pas plus en art qu’en
-armes, il n’est de «botte secrète». Ce sont les
-procédés les plus simples et les plus connus qui
-mènent le mieux au but qu’on veut atteindre; le
-secret n’est point dans une combinaison de recettes
-soigneusement tues et dont on peut donner ou ne
-pas donner la formule: il est dans la tête, il est<span class="pagenum"><a name="Page_211" id="Page_211">[211]</a></span>
-dans l’œil, il est dans la main, il est dans le cœur.
-Et s’il fallait une preuve de plus que ce ne sont
-nullement des procédés nouveaux, mais bien de
-nouvelles intentions qui créent ces belles œuvres
-photographiques, on la trouverait dans ce fait que,
-parmi tant de milliers de photographes qui arpentent
-la surface de la terre, il n’en est guère plus
-de dix ou douze en France et d’une trentaine à
-l’étranger qui aient, jusqu’ici, produit des épreuves
-comparables à des œuvres d’art. Et combien
-chacun en produit-il? A peine, par an, une ou deux
-qui vaillent la peine d’être citées. Voilà qui doit
-rassurer les artistes; et ceux-ci feraient sagement
-en ouvrant les portes de leurs expositions de blanc
-et de noir aux chercheurs modestes et enthousiastes
-qui s’acheminent, par des voies différentes,
-au même idéal.</p>
-
-<p>Quand on se promène dans la longue galerie des
-Candélabres du musée des Antiques, au Vatican,
-si on lève les yeux au-dessus des têtes d’Hermès
-et des Furies, des Silènes et du Mercure psychopompe,
-et de la Diane d’Éphèse aux seize mamelles,
-et du Satyre enlevant une épine du pied d’un
-Faune, et si l’on regarde les plafonds peints durant
-le précédant pontificat, on aperçoit une allégorie
-singulière. Les sciences et les arts, représentés
-par des figures ornées d’attributs, font hommage de<span class="pagenum"><a name="Page_212" id="Page_212">[212]</a></span>
-leurs progrès à la Religion. Et parmi ces figures,
-en bonne place, est la Photographie tenant son
-horrible machine, appelée objectif. On reste un
-peu surpris, non seulement qu’un Torti ait succédé
-pour décorer les plafonds du Vatican à un Raphaël
-et à un Michel-Ange, mais que la déesse allégorique
-du collodion ou du gélatino-bromure se carre
-à la même place où l’on a vu, dans la <i>Sixtine</i>, les
-Sibylles et les Prophètes. Puis on se souvient des
-vers de Léon XIII, adressés à la princesse Isabelle
-de Bavière, sur l’<i>Ars photographica</i>:</p>
-
-<p class="pp10 p1"><i>Imaginem</i></p>
-<p class="pp6"><i>Naturæ Appelles æmulus<br />
-Non pulchriorem pingeret;</i></p>
-
-<p class="pn1">et l’on se demande si ce qui paraît une hyperbole
-aujourd’hui ne sera pas une vérité demain. Ce que
-nous avons vu, dans les expositions, n’est peut-être
-pas encore suffisant pour le prédire, mais c’est plus
-qu’il ne faut pour l’espérer.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_213" id="Page_213">[213]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<p class="pc4 xlarge">CINQUIÈME PARTIE</p>
-
-<p class="pc2 large font1"><b>LES PRISONS DE L’ART</b></p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_214" id="Page_214">[214]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_215" id="Page_215">[215]</a></span></p>
-
-<h2 class="p4">LES PRISONS DE L’ART</h2>
-
-<p class="p2">Ce sont les musées.</p>
-
-<p>Jamais on n’en vit tant bâtir, pour tant d’objets,
-ni de tant de sortes. On en fait d’immenses pour y
-dresser des moulages de cathédrales et on en fait
-de tout petits pour y aligner des poupées. On en
-fait pour y mettre des tableaux contemporains,
-comme la <i>Tate Gallery</i>, et on en fait pour y mettre
-des bronzes d’il y a deux mille ans, comme le
-musée Cernuschi. On en fait pour y mettre des
-ustensiles, comme le Musée des Arts décoratifs, et
-on en fait pour y mettre des dieux, comme le Musée
-Guimet. On en fait pour y mettre des panetières
-provençales, comme le <i>Museon Arlaten</i>, et on en
-fait pour y loger des porcelaines de la famille verte,
-comme le Musée d’Ennery. On y trouve des vertugadins,
-comme dans le Musée des Passions
-humaines, à Florence, et on y trouve de vénérables
-affiches ou des télégraphes surannés, comme dans
-le Musée du vieux Montmartre, à Paris. On fait
-encore des Musées pour y mettre de vieux habits<span class="pagenum"><a name="Page_216" id="Page_216">[216]</a></span>
-héroïques et des canons démodés, comme le Musée
-de l’Armée, et on en fait pour y mettre des tableaux
-statistiques comme le Musée social. On en fait
-même pour ne rien ou presque rien y mettre,
-comme le Musée Galliera.&mdash;Mais, d’ordinaire, ce
-sont les œuvres d’art qu’on y renferme, les plus
-belles et les plus dignes d’être vues qu’on peut
-trouver.</p>
-
-<p>Tout le monde s’y prête. Jamais les collectionneurs
-n’ont plus volontiers regardé leurs propres
-galeries comme de futurs musées. Jamais on n’a
-légué à l’État ou aux villes tant de maisons qui,
-du vivant même de leurs hôtes, avaient pris la
-forme d’un temple du Beau. On bâtit un musée
-aujourd’hui dans le même esprit qu’autrefois un
-hôpital, une église ou un monastère. Lorsque, au
-soir de la vie, les vainqueurs de l’âpre lutte industrielle
-et sociale se demandent par quoi ils embelliront
-leur victoire et en répandront quelques effets
-sur la foule, ce qui se dresse devant eux, c’est la
-vision d’un musée. Ici, au parc Monceau, il a suffi
-d’ôter le lit du mort, pour que sa demeure fût un
-musée. Là, lorsqu’il y a quelques années, le vieux
-prince sans enfants, sans trône et sans épée, debout
-sur la terrasse de sa demeure, cherchait ce qui
-pouvait le mieux perpétuer sa mémoire, il trouvait
-que c’était de changer son château en musée. Et<span class="pagenum"><a name="Page_217" id="Page_217">[217]</a></span>
-voici que partout les châteaux sont devenus des
-musées. Le Louvre est un musée. Versailles est un
-musée. Fontainebleau est un musée. Chantilly est
-un musée.</p>
-
-<p>Cette idée hante aussi les âmes collectives. Les
-municipalités qui ont trop d’argent,&mdash;et même
-celles qui n’en ont point assez,&mdash;rêvent de musées
-gigantesques accaparant tous les trésors d’art d’une
-province,&mdash;comme le Palais des Papes à Avignon,&mdash;et
-vers où se dirigeraient, en pèlerinage, les
-foules du siècle nouveau. Les villes montrent aux
-étrangers leurs musées avec autant d’orgueil que
-leurs hôpitaux ou leurs hospices. Et, de même
-qu’en bâtissant des hospices, elles croient avoir
-résolu le problème de la justice sociale, de même,
-en bâtissant des musées, elles croient avoir sauvé
-la beauté dans le monde.</p>
-
-<p>Voilà une tendance bien caractéristique de l’esprit
-contemporain. En voici une seconde:</p>
-
-<p>Pendant qu’on bâtit des musées, on détruit des
-œuvres d’art. On jette bas des monuments, parfois
-des quartiers entiers dans les cités qui furent contemporaines
-des siècles de beauté. On dénoue
-leur ceinture, comme à Avignon. On éventre leurs
-remparts, comme à Antibes. On menace leurs
-ponts, comme à Lucerne. On disperse les nymphes
-de leurs fontaines, comme à Nuremberg. On complote<span class="pagenum"><a name="Page_218" id="Page_218">[218]</a></span>
-de combler leurs canaux, et, en attendant,
-on enfume leurs ponts, comme à Venise. On brise
-leurs mosquées, comme en Égypte. On renverse
-leurs palais et l’on défonce leurs jardins, comme à
-Rome. On mutile leurs couvents, comme à Toulouse.
-On empiète jusque sur leurs tombeaux,
-comme à Arles.</p>
-
-<p>Florence même, Florence qui consolait de
-tant d’attentats géométriques les artistes des
-deux hémisphères, Florence voit tout un plan de
-<i>Riordinamento</i> et de <i>Sventramento</i> s’étaler sur
-les tables de ses conseils!... Là, une voie, droite
-comme une épée, traverse le cœur même de la
-ville, trouant les palais de guingois, coupant
-les vieilles artères vitales du moyen âge, secouant
-ou ébréchant, sur son passage, les <i>loggie</i>, les
-créneaux de la place San Biagio, de la maison des
-Giandonati, du palais di Parte Guelfa, fauchant
-les tours<a name="FNanchor_23_23" id="FNanchor_23_23"></a><a href="#Footnote_23_23" class="fnanchor">[23]</a>....</p>
-
-<p>A ces nouvelles, la démocratie bat des mains.
-Cela sonne à ses oreilles comme une victoire. C’est
-une victoire, en effet, sur le respect, sur le passé,
-sur tout ce qu’elle ne peut empêcher d’avoir été
-avant elle, mais ce qu’elle peut du moins empêcher<span class="pagenum"><a name="Page_219" id="Page_219">[219]</a></span>
-de lui survivre; victoire sur les hommes qu’elle n’a
-pas élus et les choses qu’elle n’a pas votées. Pendant
-la nuit, fameuse en Avignon, où tomba la
-porte l’Imbert, à la lueur des torches, en toute
-hâte, quelques heures seulement après l’arrêté du
-maire décrétant sa ruine, une foule enthousiaste
-acclama les ouvriers de cette destruction et le chef
-élu qui venait y présider.</p>
-
-<p>Ce ne sont là que quelques exemples, et pris
-dans quelques pays. Mais le courant de <i>Sventramento</i>
-est universel. A chaque heure qui sonne, on
-peut dire qu’il s’accomplit ou qu’il se trame, sur
-quelque point du globe, quelque chose contre sa
-beauté. Et si l’on a pu calculer, de certains grands
-capitalistes, que, chaque matin, ils se réveillent
-plus riches en capital, sans avoir rien fait que
-de durer une nuit de plus, on peut dire, au
-rebours, que par le mouvement naturel du progrès,
-chaque soir, le soleil se couche sur des cités
-moins belles que les cités qu’il a le matin même
-éclairées.</p>
-
-<p>Deux courants traversent donc le monde: l’un
-pour la beauté dans les musées, l’autre pour la laideur
-dans la vie. Au fond, c’est le même et il n’y a
-entre les deux aucune contradiction. Ils coexistent
-dans les mêmes âmes. Ils vont au même but,
-comme ils sont nés de la même idée sur le rôle de<span class="pagenum"><a name="Page_220" id="Page_220">[220]</a></span>
-l’art. Et cette idée, toute-puissante en ce moment,
-est telle qu’il faut la dénoncer hautement, s’il en
-est temps encore, comme la plus fausse qui soit
-dans son principe et la plus funeste dans ses applications.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_221" id="Page_221">[221]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE I</h2>
-
-<p class="pc2"><b>L’art proscrit de la vie
-et interné dans les musées.</b></p>
-
-<p class="p2">Ces deux tendances sont sœurs. Un jour, au
-mois de septembre 1895, on vit, dans la même
-ville d’Avignon, le même conseil municipal, présidé
-par le même maire, prendre, presque dans la
-même séance, deux résolutions en apparence contradictoires:
-il résolut, d’abord, de démolir les
-pittoresques remparts de la ville, du côté sud, et
-ensuite de chercher six millions pour transformer
-le Palais des Papes en un musée de la chrétienté.</p>
-
-<p>L’un de ces projets était mesquin et facile,
-l’autre grandiose et ardu. Un seul fut exécuté: ce
-ne fut pas le grandiose, mais le grandiose fut sincèrement
-désiré. Il l’est encore. Car les mêmes
-hommes qui trouvent nécessaire d’abattre ces
-belles pierres jaunes, posées par les Papes et
-célébrées par Stendhal, n’estiment pas superflu<span class="pagenum"><a name="Page_222" id="Page_222">[222]</a></span>
-de fonder un musée nouveau. Les mêmes économistes
-qui reprochent à l’art d’étouffer la ville en
-lui gardant sa couronne de mâchicoulis, sont prêts
-à l’endetter de six millions pour lui faire une collection
-de vieilles chasubles. Et, dans ces deux résolutions,
-en apparence contradictoires, ils sont animés
-par une même idée d’ordre,&mdash;qui est de ne pas
-laisser l’art encombrer la rue, mais de le mettre à sa
-place, où iront le chercher les gens qui croient en
-avoir absolument besoin: au musée.</p>
-
-<p>Le même souci tient tous les destructeurs de
-beauté, quelque part qu’ils «travaillent». A Arles,
-on a détruit les maisons qui plongeaient dans le
-fleuve, afin de tracer des quais rectilignes. On y a
-encore détruit, par les bruits de la terre et par les
-fumées du ciel, le charme des tombeaux vides des
-antiques Alyscamps. Mais, en revanche, on y fonde
-un <i>Museon Arlaten</i> pour y renfermer les choses
-pittoresques de la vie populaire.</p>
-
-<p>A Florence, en 1888, la commission de <i>Riordinamento
-del centro della città</i>, après qu’elle eut
-visité les maisons de la rue des Apothicaires et
-décidé leur disparition, décréta toutefois qu’on
-enrichirait de leurs photographies les archives
-communales. Aujourd’hui, lorsqu’un parti florentin
-demande qu’on rase le vieux et bizarre
-palais <i>dell’Arte della Lana</i>, qu’un arc-boutant<span class="pagenum"><a name="Page_223" id="Page_223">[223]</a></span>
-joint mystérieusement à Or San Michele, que
-dit-il pour nous consoler? Il dit qu’«on en fera
-une reproduction dans une autre partie de la
-ville»! Quand on a détruit le <i>Mercato Vecchio</i> et
-tout ce qui avoisinait la vieille église de Saint-André,
-on a pompeusement créé, au musée de
-Saint-Marc, une salle de souvenirs, de fresques,
-de plafonds, de cheminées, d’écussons tirés des
-maisons du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle.</p>
-
-<p>De même qu’à Bruxelles, si l’on a rasé, autrefois,
-l’ancien palais des ducs de Brabant, on en a
-tenté, deux cents ans après, une restitution, de
-même on a soin, aujourd’hui, de reproduire à huis
-clos ce qu’on a supprimé dans la rue. En Suisse,
-les hôtels expulsent les chalets, mais, quand on a
-ruiné les chalets de la montagne, on en reconstruit
-tout un quartier à l’Exposition de Genève.
-A Paris, après avoir renversé, au siècle dernier,
-la Bastille et la rue Saint-Antoine, on a cru devoir
-en restituer des effigies au Champ de Mars, en
-1888, et, en 1900, on a édifié, sur les berges de la
-Seine, une parodie du vieux Paris jadis démoli avec
-enthousiasme. Ainsi, détruisons-nous nos vieilles
-demeures séculaires, quittes, cent ans après, à en
-tenter quelque incertaine et coûteuse «restitution»,
-pour que les foules viennent goûter des «apéritifs»
-très nouveaux sur des escabeaux très rétrospectifs.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_224" id="Page_224">[224]</a></span></p>
-
-<p>Sans doute, on entend, çà et là, des protestations.
-A Florence, notamment, une clameur,
-grossie par la clameur des artistes du monde
-entier, a retenti contre les projets en cours d’embellissement
-destructif. Une ligue s’est formée de
-Florentins passionnés pour la beauté de la fleur
-du val d’Arno, sous le titre d’<i>Associazione per la
-difesa di Firenze antica</i><a name="FNanchor_24_24" id="FNanchor_24_24"></a><a href="#Footnote_24_24" class="fnanchor">[24]</a>. Mais à ces protestataires
-on répond quelque chose d’apparence très logique:
-ou ces vieilleries sont dignes d’être conservées,
-leur dit-on, ou elles ne le sont pas. Si elles ne le
-sont pas, qu’importe qu’on les détruise? Et si elles
-le sont, quoi de mieux que de les abriter dans un
-musée?</p>
-
-<p>D’ailleurs, qu’est-ce qui est menacé dans cette
-Florence que vous prétendez défendre, et pourquoi
-tout ce bruit? Pourquoi ces dix mille signatures
-de princes, d’évêques, de romanciers et de
-tribuns, protestant contre notre voirie municipale
-et que vous êtes allés chercher jusqu’aux confins
-de la civilisation, depuis les autorités du Massachusetts
-jusqu’à celles de la Tasmanie?... Est-ce
-qu’il est question de détruire un seul des monuments<span class="pagenum"><a name="Page_225" id="Page_225">[225]</a></span>
-qui font la gloire de notre ville à l’étranger?
-Est-ce qu’on touche au Palais Vieux, au Palais
-Pitti, à Sainte-Marie-Nouvelle, au Dôme?</p>
-
-<p>Regardez donc le plan que vous attaquez.... Il
-ne touche même pas au <i>Ponte Vecchio</i>, pourtant
-si étroit et si incommode! Il respecte tout ce que
-les guides montrent aux touristes, et, quand il
-sera exécuté, non seulement l’itinéraire des <i>Cook’s
-tours</i> ne sera pas entravé par les démolitions
-nécessaires, mais, en traçant des voies plus droites
-et plus larges d’un monument à l’autre, nous permettrons
-aux étrangers de tout voir en moins de
-temps....</p>
-
-<p>Que prétendez-vous encore? Qu’il y a de jolis
-détails architecturaux dans les maisons de la
-place San Biagio.... Quoi donc? Cet écusson sur le
-<i>palazzo dei Canacci</i>, ces moulures?... Et là-bas,
-au <i>palazzo di Parte Guelfa</i>, cette colonnette de
-la <i>loggetta del Vasari</i>?... Et, dans le <i>borgo San
-Jacopo</i>, quelques mâchicoulis?... Eh bien! on les
-sauvera! On tirera de la masse informe de ces
-vieilles bâtisses du <span class="smcap">XIV</span><sup>e</sup> ou du <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle, les rares
-morceaux dignes d’être vus et on les mettra dans
-un musée. Tout le monde y gagnera, même les
-esthètes, puisqu’ils trouveront rassemblés dans
-une même salle et qu’ils verront, en dix minutes,
-tous ces détails qui, dispersés sur des murs sans<span class="pagenum"><a name="Page_226" id="Page_226">[226]</a></span>
-intérêt et dans des ruelles impraticables, leur
-auraient demandé cinq ou six heures pour être à
-grand’peine découverts! En travaillant pour les
-utilitaires, nous travaillons aussi pour vous.</p>
-
-<p>En face des gracieux spectacles ménagés par la
-Nature, on a pris le même parti. Dans ce Paris, qui
-n’est pas un lieu de pèlerinage esthétique, mais qui
-serait cependant si beau sans ses embellissements,
-on conserve et on détruit avec un semblable acharnement.
-Les étrangers artistes en sont stupéfaits.
-«Quiconque, dit Ouida, revient à Paris, après une
-absence de quelques saisons, trouve la splendeur
-de sa vie plus obscurcie tous les dix ans par l’empoisonnement
-de l’atmosphère que cause le nombre
-toujours plus grand de fabriques, de chemins
-de fer et d’autres travaux et par l’extension de la
-ville parmi les jardins, les vergers et les bois qui
-lui formaient autrefois une admirable ceinture.»</p>
-
-<p>Mais, en revanche, le moindre morceau badigeonné
-de couleurs est rentré, étiqueté, conservé,
-forclos. On a supprimé du ciel parisien cette délicate
-harmonie de ruines noires et de vertes frondaisons,
-dont vingt-huit années avaient effacé
-l’âcre souvenir et souligné la triste beauté,&mdash;pour
-y édifier, entre deux horloges, une gare de chemin
-de fer. Mais on a retiré précieusement quelques
-médiocres vestiges des fresques d’un des plus<span class="pagenum"><a name="Page_227" id="Page_227">[227]</a></span>
-médiocres décorateurs du second Empire et l’on
-va leur consacrer pompeusement quelque salle de
-musée.</p>
-
-<p>Dans ces prisons, la vie moderne renferme même
-les oiseaux et les fleurs. Dans toute l’Europe méridionale
-on dépeuple les bois de leurs petits oiseaux,
-qu’on tue, qu’on empoisonne, qu’on écrase dans les
-nids, qu’on prend par millions aux <i>roccoli</i>. Bientôt
-l’on pourra mettre au Muséum les derniers exemplaires
-de certains oiseaux que, nos pères et nous,
-aurons, pour la dernière fois, entendus chanter. Si
-l’on veut en garder la forme et la voix, qu’on les fasse
-chanter devant le phonographe et qu’on appelle
-ensuite le taxidermiste!&mdash;car les temps sont proches
-où l’espèce entière aura péri. Mais les cages
-de nos jardins zoologiques sont pleines.</p>
-
-<p>Les oiseaux ainsi catalogués, il arrivera un jour
-où l’on mettra aussi les fleurs dans des musées
-fermés, afin de les soustraire à la vie dévastatrice.
-Que dis-je? Cela est arrivé. On détruit tant de
-fleurs sur les Alpes qu’on a dû créer pour elles des
-refuges comme <i>la Chanousia</i> du petit Saint-Bernard,
-à laquelle on a donné le nom de «jardin-musée».</p>
-
-<p>Un «jardin-musée!» ce nom seul ne définit-il
-pas une époque, une tendance et une idée? Et
-n’est-ce pas la même idée qui anime les édiles de<span class="pagenum"><a name="Page_228" id="Page_228">[228]</a></span>
-Florence, et ceux de Paris, et ceux de Venise, et
-ceux de Rome: parquer le pittoresque, l’éloigner
-de la vie, ôter des pas de la foule cette chose
-encombrante, distrayante qu’est le Beau, le ramasser,
-l’emporter au loin, comme ce que ramassent
-et ce qu’emportent, aux heures frileuses de
-l’aube parisienne, les charrettes des balayeurs et
-des chiffonniers! Dans une ville bien ordonnée
-pour les affaires, il ne faut pas, semble-t-il, que
-les passants s’arrêtent à considérer des architectures,
-non plus que les flots d’un fleuve à considérer
-les quais. Que les uns et les autres passent
-vite, portant leurs fardeaux multiples, courant vers
-leur commune fin! Que le mot d’ordre soit, pour
-l’économie de nos cités modernes, celui-ci: «L’utile
-en liberté, l’art en prison.»</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_229" id="Page_229">[229]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE II</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Ce que devient l’art en prison.</b></p>
-
-<p class="p2">Que devient l’art en prison? Rassemblons, pour
-le comprendre, les impressions qu’à travers l’Europe,
-nous avons tous ressenties.</p>
-
-<p>Il ne s’agit point, ici, de ces œuvres d’art qui forment
-toutes seules un ensemble esthétique et qui
-sont faites pour apporter une vision du dehors
-dans l’intérieur d’une maison, loin de la vie qu’elles
-représentent, au fond d’un salon. Cette œuvre-là,
-d’ailleurs isolée de son milieu par son cadre d’or,
-peut être goûtée indifféremment partout. Il ne
-s’agit donc pas des tableaux de chevalet. Pour
-eux, un musée vaut à peu près un autre milieu et
-l’on n’imagine rien, non seulement de plus périlleux,
-mais de moins plaisant que les expositions
-en plein air du XVII<sup>e</sup> et du XVIII<sup>e</sup> siècles, soit que
-Le Brun accrochât, dans la cour de l’hôtel de
-Richelieu, son <i>Passage du Granique</i>, soit que l’Académie<span class="pagenum"><a name="Page_230" id="Page_230">[230]</a></span>
-de Saint-Luc suspendît ses chefs-d’œuvre,
-place Dauphine, sur le parcours de la procession
-de la Fête-Dieu.</p>
-
-<p>Certes, la manière de présenter les tableaux
-devant le public ou de se présenter devant eux
-n’est pas chose indifférente. La disposition des
-toiles historiques dans les salles qui virent leur
-histoire et un bel équilibre de nuances dans des
-appartements sobrement meublés&mdash;comme ce qu’a
-commencé de réaliser M. de Nolhac à Versailles,&mdash;ajoutent
-fort à la valeur intrinsèque des tableaux.
-Le recueillement, la solitude y ajoutent aussi.
-Combien de toiles pieusement vénérées dans les
-collections particulières souffriraient d’être vues
-dans l’immense promiscuité de la Galerie du bord
-de l’eau! Et si l’on va, au loin, étudier une seule
-œuvre à demi cachée au public, combien la distance
-franchie, le blocus forcé, la concentration
-des forces admiratives toutes fraîches sur un seul
-point, n’ajoutent-ils pas à l’impression qu’on ressent
-de sa beauté!</p>
-
-<p>Bien plus, si l’œuvre est restée là où elle fut
-créée, dans le milieu qui l’a rendue possible et
-qu’elle a rendu célèbre, n’arrive-t-il pas qu’elle
-ramasse et réfléchit tous les souvenirs épars
-autour d’elle, comme une lentille fait les rayons?
-Fra Angelico ne se découvre-t-il pas mieux dans la<span class="pagenum"><a name="Page_231" id="Page_231">[231]</a></span>
-plus médiocre des cellules de son couvent que
-dans l’admirable <i>Couronnement de la Vierge</i>
-exposé, par le malheur des circonstances, à deux
-pas de la rue de Rivoli?</p>
-
-<p>Combien de portraits de Rembrandt n’a-t-on pas
-vus dans les musées d’Europe, sans jamais ressentir
-l’impression que donnent les figures du bourgmestre
-Six et de sa femme, conservées dans la
-même famille depuis deux cent quarante ans,
-dans le vieux et petit salon de la Heerengracht, au
-bord de ce canal aux eaux égales comme ces âmes
-de bourgeois et ponctuées de feuilles fanées qui
-tombent en silence comme sont tombées jadis les
-heures sur ces vies, sans rien agiter, ni ternir!...</p>
-
-<p>Lorsqu’on descend des lacs glacés du haut
-Dauphiné dans la vallée du Graisivaudan et qu’au
-hasard de la route on entre, faute d’autre spectacle,
-dans la petite église, cernée de treilles et de
-luzernes, du village de la Tronche, combien la
-Vierge orientale qu’on aperçoit au coin d’une chapelle
-avec son grave enfant songeur, le doigt sur
-la bouche, pénètre davantage dans l’imagination
-que des centaines de madones rangées dans les
-galeries Doria, Borghèse, ou Pitti! Et que n’ajoutent
-pas l’humilité de ce décor et l’imprévu de cette
-rencontre au chef-d’œuvre d’Hébert, pieusement
-déposé en ex-voto, là où le vœu fut fait et là où il<span class="pagenum"><a name="Page_232" id="Page_232">[232]</a></span>
-fut exaucé, là où il fut promis par le patriotisme
-et réalisé par le génie!</p>
-
-<p>Mais ce n’est pas de tableaux qu’il s’agit ici. Car,
-quand on met un tableau dans un musée, on n’en
-prive ni la rue, ni le jardin, ni l’église, ni la pièce
-d’eau. Il peut gagner beaucoup à certaines dispositions
-dans un salon, dans un château ou dans une
-chapelle. Il ne perd pas tout son charme dans un
-musée. Il s’agit ici des œuvres créées dans une
-intention décorative et pour un ensemble déterminé.
-Il s’agit de ce qui est fait pour subir les révolutions
-de l’ombre et du jour, pour baigner dans
-la vie ambiante et dans la foule, pour les colorer,
-pour y imprimer son effigie, pour donner, en un
-mot, une figure à la cité.</p>
-
-<p>Il s’agit des portes, des façades, des bas-reliefs,
-des fontaines, des ponts, des stèles, des autels ou
-des tombeaux. Il s’agit de ces figures taillées pour
-se pencher dans le vide, comme les gargouilles,
-pour humaniser l’horizon, comme les statues, pour
-borner les champs, comme les Termes, pour commémorer
-une victoire, comme les colonnes, ou un
-prodige, comme les chapelles, ou pour dominer la
-ville et faire lever les regards des citoyens, comme
-jadis les métopes du Parthénon ou ses Panathénées.</p>
-
-<p>Voilà les œuvres qui, conçues en dehors des<span class="pagenum"><a name="Page_233" id="Page_233">[233]</a></span>
-musées et avant les musées, ont une fonction dans
-l’empreinte quotidienne que fait à l’imagination la
-vie. Prenons l’exemple le plus célèbre: celui des
-Panathénées, et imaginons-les au moment de leur
-gloire. Tandis que la ville vaque à ses affaires, à
-son lucre, à sa politique, à ses plaisirs, cette procession
-qui ne se fait qu’une fois tous les trois ans,
-se poursuit sur les frises du temple et tout Athénien
-levant les yeux vers l’Acropole y devine la
-présence de son image, qui ne quitte point le
-sanctuaire. Il se dit que l’image survivra à la réalité,
-la statue à l’homme, et peut-être le chef-d’œuvre
-au culte, l’adorateur à la Divinité. Sa
-figure de marbre, taillée là-haut dans le pentélique,
-ne changera point. Ces genoux qui pointent
-en avant, étreignant le cheval cabré, ne fléchiront
-point, ces joues demeureront pleines, ces torses
-garderont leur souplesse, ces cheveux ne tomberont
-jamais, et, ainsi, les générations successives
-ignoreront si les hommes représentés là-haut souffrirent
-jamais de la décrépitude.</p>
-
-<p>Sans doute, cette vie qu’on prête au marbre
-n’est qu’illusoire, mais la vie plus intense qu’on
-éprouve à leur vue est réelle. Sans doute, ce n’est
-là qu’une ombre d’humanité, mais l’humanité
-passe et cette ombre fixée sur ce mur rivalise de
-durée avec les montagnes qui environnent l’horizon<span class="pagenum"><a name="Page_234" id="Page_234">[234]</a></span>
-et avec ces étoiles vers lesquelles, à chaque angle,
-les figures de pierre semblent s’acheminer, le
-soir....</p>
-
-<p>Retirez ces figures de la vie et de la vue de la
-foule, et mettez-les dans un musée, que deviennent-elles?
-Pour le savoir, allons observer ce que
-deviennent les <i>Elgin marbles</i>, dans leur somptueuse
-demeure de Londres.</p>
-
-<p>Morne comme une prison, planté de colonnes
-comme un temple, couronné de brouillards et à
-peine dégagé des maisons qui l’avoisinent, voici
-le massif noir du <i>British Museum</i>. C’est là que
-sont détenus les demi-dieux. Un gazon humide
-et quelques pigeons qui s’envolent mettent seuls
-du vert et du blanc dans ce paysage sinistre, frotté
-de suie. Lorsque les anciens bâtissaient un temple
-pour y loger les idoles dérobées à l’ennemi, c’était
-du moins dans quelque site riant où elles pussent
-s’acclimater, se plaire et devenir enclines à protéger
-leurs geôliers. Ici, rien de tel. On imagine
-aussitôt ce qu’est là-bas la radieuse Acropole rose
-et dorée étagée dans l’air bleu, avec ses horizons
-de montagnes immortelles par leur miel et leur
-marbre, et de golfes qui ont des noms de victoires.
-On se figure des plaines de pins verts et d’oliviers
-blanchissant sous les brises, avec de petits chemins
-serrés entre des poivriers, des cactus et des<span class="pagenum"><a name="Page_235" id="Page_235">[235]</a></span>
-aloès, propres à conduire les esthètes vers les
-Immortels paisibles.</p>
-
-<p>Ici, sur le trottoir brillant de pluie, de Great
-Russell street, tout manque de ce qui peut induire
-l’âme en joie admirative, rien de ce qui peut y
-verser la tristesse. Sur des tables de marbre noir
-gisent les restes des colosses qui siégeaient autrefois
-sur les frontons du Parthénon: Hélios, Thésée,
-Cérès, Proserpine, Iris, Séléné, les Parques, la
-Victoire, Prométhée, Minerve, Neptune, Amphitrite,
-Leucothéa, Cécrops, Mercure.... La vue de
-ces pauvres figures, mutilées comme des morceaux
-de corps froids sur les dalles des Morgues, serre le
-cœur. Car ces dieux, s’ils ne règnent plus sur une
-poignée de croyants par leur puissance, dominent
-encore le genre humain par leur beauté. Or, ils
-portent ici les traces d’un inexplicable et perfide
-abandon, d’une immémoriale impiété.</p>
-
-<p>Tous sont décapités, hors le Thésée qui dresse
-ses quatre horribles moignons comme un monstre
-mendiant dans un carrefour. Leurs têtes ont roulé
-à terre, et de ces visages augustes faits pour les
-baisers des déesses, quelques-uns peut-être, jetés
-dans les eaux du Pirée, sont encore en proie aux
-infects suçoirs de quelque éponge perforante!...
-On les a dépouillés de leurs parures et des objets
-qu’ils tenaient à la main, comme signes de leurs<span class="pagenum"><a name="Page_236" id="Page_236">[236]</a></span>
-fonctions célestes. Çà et là, aux hanches, aux
-cuisses, des trous, que les voleurs n’ont pu boucher
-et que les gardiens du musée lavent pieusement,
-racontent le sacrilège, avec l’éloquence
-d’une serrure brisée sur un tabernacle ouvert.</p>
-
-<p>Si nous regardons le long des murs, nous y
-voyons les figures des Panathénées mises sous
-verre comme des ossements de saints, comme de
-petits coléoptères morts ou des fleurs séchées. Par
-endroits, on a restauré. Ainsi, dans le morceau de
-frise qui représente les divinités féminines, la
-partie inférieure et le bras gauche de plusieurs
-figures n’ont été reconstitués que par des moulages
-pris il y a cent ans, et ces plâtres mal faits
-ont été insérés dans le marbre primitif. C’est ainsi
-qu’avec beaucoup de peine on a serti quelques
-fausses pierres dans un encadrement de pierres
-précieuses.</p>
-
-<p>Ailleurs, se presse une grotesque et lamentable
-armée, composée des restes de beaux vieux
-monstres à barbe de fleuve et à corps de cheval
-et de jeunes héros culs-de-jatte, se livrant, deux
-par deux, à des pugilats chimériques. Un Lapithe
-qui n’a point de mains veut étrangler un Centaure
-qui n’a pas de gorge. Certains brandissent des
-épées absentes. Un homme-cheval sent quelque
-chose sur sa croupe, il se retourne pour dévisager<span class="pagenum"><a name="Page_237" id="Page_237">[237]</a></span>
-l’agresseur, et il n’a point d’yeux. Un cul-de-jatte
-cherche à piétiner son adversaire terrassé et à lever
-au ciel ses bras coupés afin de célébrer sa victoire.
-La peau de lion qui pend à son bras semble vouloir
-dévorer le Lapithe mort. Tel autre n’a sur ses
-épaules que du plâtre: sa tête est à Copenhague.
-Cet homme-cheval boite: une de ses jambes est
-restée en Grèce. Ce jeune Grec n’a pas d’yeux
-pour voir le Centaure sur lequel il s’élance fougueusement:
-son visage est au Louvre. Là, le
-Lapithe a grimpé sur les flancs du Centaure qu’il
-fait plier, a saisi le monstre par la barbe. On
-s’imagine que c’est sa propre tête qu’il porte ainsi
-à la main. Ici, le Centaure n’a plus de buste, n’est
-plus qu’un cheval et, ainsi, le Lapithe, tombé à
-terre, n’est plus qu’un cavalier maladroit....</p>
-
-<p>Au milieu de la galerie, sur un piédestal, se
-tient une femme aux mains coupées, à la coiffure
-géante, à l’aspect architectural d’une colonne
-humaine. C’est la Cariatide. Pendant plus de deux
-mille ans, elle a soutenu le portique de la tribune
-des jeunes filles, avec ses cinq belles compagnes
-demeurées dans la patrie. Maintenant, il n’y a plus
-là-bas que son sosie de plâtre traversé par une
-barre de fer et que la pluie et le soleil ont noirci
-misérablement. Il n’y a plus ici qu’une exilée,
-qu’une inutile figure dépaysée, surprise, honteuse<span class="pagenum"><a name="Page_238" id="Page_238">[238]</a></span>
-de ne plus servir à rien et comme lassée par
-l’absence de son glorieux fardeau....</p>
-
-<p>Cette tristesse, qui se sent plus vivement peut-être
-au British Museum, on l’éprouve partout où sont
-renfermées des œuvres faites pour demeurer en
-plein air et partout où des figures créées pour
-jouer un rôle précis dans un ensemble décoratif,
-se trouvent désaffectées. Parcourons les salles du
-Vatican, du Louvre, de la Glyptothèque. Combien
-d’années ont passé depuis que ces marbres ou ces
-bronzes n’ont pas accusé par leurs ombres la révolution
-du soleil! Il faut, en vérité, qu’une longue
-habitude ait endormi notre critique et fermé nos
-yeux pour qu’au Louvre, par exemple, nous supportions
-ces entassements de pierres sous des
-voûtes, ces lignes chevauchant les unes sur les
-autres, ces bras, ces têtes, ces draperies s’offusquant
-mutuellement, se doublant par le jeu des
-glaces ou s’éteignant par l’éclat des dorures! Et il
-faut une extraordinaire docilité d’imagination pour
-s’expliquer les attitudes et les gestes de ces Dianes
-saisissant leur carquois en marchant vers des
-fenêtres, de cette Victoire naviguant sur un escalier,
-de ces Atlantes écrasés sous un poids qui
-n’existe pas, de ces Apollons inspirés ou de ces
-Niobés éplorées scrutant du regard les moulures
-d’un plafond.... Qui a jamais vu les dieux ou les<span class="pagenum"><a name="Page_239" id="Page_239">[239]</a></span>
-héros jetés dans la <i>Salle du sarcophage de Médée</i>
-au Louvre, ou bien dans la salle de sculpture au
-Luxembourg, comme des marchandises dans un
-dépôt? Quoi! on met ces marbres ici, pour qu’on
-les admire mieux, et on les entasse de telle sorte
-qu’aucun ne se profile sur son voisin et que l’œil
-brouille ensemble toutes leurs lignes! On dirait
-une assemblée où tout le monde parlerait à la fois!
-Le but est de révéler leur beauté, et on leur ôte le
-plein soleil qui sculpterait à nouveau leur relief,
-et les ombres du plein air qui, changeantes comme
-est changeante la lumière du jour, donneraient
-tour à tour sa valeur à chaque muscle, à chaque
-méplat, à chaque ride, à chaque pli!</p>
-
-<p>Dans les musées, nombre de statues n’ont
-jamais été vues tout entières, dressées sur un fond
-neutre et débrouillées des lignes de leurs voisines.
-La plupart n’ont jamais reçu la lumière que d’un
-seul côté. Même celles qu’on expose au milieu
-d’une salle, comme le <i>Torse</i>, au Vatican, ne sont
-pas dégagées des lignes adjacentes. On perçoit
-mieux leur ensemble dans une bonne photographie,
-dont le fond a été unifié, que dans le musée,
-parmi le papillotement des couleurs. Beaucoup de
-chefs-d’œuvre nous sont ainsi mieux connus par
-leurs photographies que par la vue que nous en
-avons. Ils ne sont que l’«encaisse» esthétique<span class="pagenum"><a name="Page_240" id="Page_240">[240]</a></span>
-dont les représentations fiduciaires courent l’Europe.
-On sait qu’ils existent, mais, en réalité, on
-ne les a jamais vus.</p>
-
-<p>Et on les verrait si bien ailleurs! C’est en pleine
-campagne, en pleine forêt, que le sens esthétique
-éveillé par la joie de la Nature, l’œil reposé par la
-monotonie du décor, l’esprit avide et rendu curieux
-de rythme par l’indiscipline des mouvements de la
-vie végétale, percevraient avec enthousiasme le
-moindre vestige du travail et de la volonté, la
-moindre ligne voulue et suivie. C’est un phénomène
-bien connu que l’obscur besoin de la symétrie là
-où tout semble échapper à ses règles et d’un plan
-rationnel et humain là où les fantaisies de la
-Nature triomphent en liberté. Nous sommes plus
-reconnaissants à l’art pour une Madone frustement
-peinte sur la blanche église de quelque
-pauvre village de l’Engadine que pour la centième
-Vierge au Bambino dans un musée de Florence,
-quand nous en avons vu déjà quatre-vingt-dix-neuf.
-Que nous fait un sarcophage après cent
-sarcophages, ou un œnochoé, s’il est le centième
-œnochoé? Mais si, au pli d’un vallon, à travers
-quelque campagne virgilienne, nous rencontrons
-le simple monument où le Poussin arrêta ses
-bergers d’Arcadie, nous faisons halte comme eux,
-sensibles à la solidité de ses lignes et à l’équilibre<span class="pagenum"><a name="Page_241" id="Page_241">[241]</a></span>
-de ses proportions. Et si, aux approches d’une
-ville ancienne, parmi les vignes ou les potagers,
-nous trouvons le reste d’un taurobole oublié par les
-archéologues, nous comparons le pampre sculpté
-aux feuilles vivantes qui y jettent leur ombre et le
-bucrâne hiératisé aux bœufs qui cheminent le
-long du labour; nous comprenons alors, bien
-mieux que dans un musée, l’effort de l’art pour
-fixer le plus capricieux des rameaux en un régulier
-entrelacs et la plus disgracieuse des têtes en
-un svelte ornement.</p>
-
-<p>Les flâneries dans les vieux quartiers de Rome
-ou à travers les villages toscans ont-elles un autre
-but? On possède, au milieu de la ville, tous les
-chefs-d’œuvre qu’on peut souhaiter. Si l’on va au
-hasard des chemins, c’est qu’on trouve plus de
-plaisir à la courbe de la <i>Navicella</i> imprévue rencontrée
-au portail de la villa Mattei, qu’à toutes
-les vasques et les cuves dont s’encombrent la Salle
-ronde ou la Galerie des candélabres. On sait plus
-de gré à l’artiste pour avoir tracé la forme d’un
-lécythe sur une stèle du cloître de San Saba ou
-des croix sur le puits du cloître du Latran que
-pour avoir creusé les pierres entassées au Capitole.
-Et toute la ferronnerie ornementale de l’<i>Architectural
-Court</i> du South-Kensington Museum ne se
-profile pas dans la mémoire aussi nettement que<span class="pagenum"><a name="Page_242" id="Page_242">[242]</a></span>
-le couronnement du puits de la Chartreuse d’Éma,
-quand on l’a vu, par un beau soir rouge, arrondir,
-sur les têtes chauves des derniers moines, sa noire
-arabesque de fer....</p>
-
-<p>Voilà pourquoi l’expédient, imaginé par les Florentins
-pour satisfaire les admirateurs de leur
-vieille ville, tout en la détruisant, est le signe de
-la plus profonde erreur esthétique. Ce que les étrangers
-aiment à Florence ce n’est point seulement
-l’éclat de quelques monuments, mais l’atmosphère
-d’art, qu’on respire, presque sans s’en apercevoir,
-dans les plus humbles coins de la ville. Or vouloir
-retirer de la ville tout ce qui constitue cette atmosphère,
-pour l’enfermer au Musée de Saint-Marc et
-l’y accumuler, c’est proprement détruire le charme
-des flâneries florentines: l’imprévu de la rencontre
-d’un fragment d’art, la joie de la découverte. Les
-mêmes choses, délicieuses si on les trouve isolées,
-une à une, deviennent fastidieuses par leur rapprochement.
-Quoi de plus divin qu’un chant d’oiseau,
-çà et là, dans la forêt? Quoi de plus déplaisant
-qu’une volière?</p>
-
-<p>Et, lorsque l’œuvre est telle qu’elle emprunte
-son caractère ou son culte à un pays déterminé,
-qu’est-ce donc qu’il en reste dans un musée? Que
-signifient ces idoles dépaysées, ces vases sacrés où
-l’on voit la place des doigts des prêtres et qu’aucun<span class="pagenum"><a name="Page_243" id="Page_243">[243]</a></span>
-prêtre ne soulève plus? C’est du plain-chant dans
-un casino. Lorsqu’on regarde, dans le hall du
-Musée Cernuschi, au parc Monceau, le Bouddha
-qui y est captif, on se rappelle, sans rire, la douleur
-des Japonais qui le vénéraient comme une
-beauté tutélaire, dans les jardins de Megouro. Un
-jour ces pauvres jardiniers vinrent à Tokio demander
-qu’on leur rendît leur statue enlevée furtivement,
-par morceaux. Ce jour-là, ces paysans firent
-plus qu’un acte de piété: ils firent une manifestation
-esthétique. Inconsciemment, ils défendirent l’idée
-juste de «l’art en place et à sa place». Ce bronze
-est bien aménagé dans le Musée Cernuschi, mais
-rien peut-il valoir, pour les yeux, le grand décor
-changeant de la nature, pour le cœur, le regard suppliant
-de quelque dévot passant devant son Dieu?
-Et si les choses d’art avaient l’obscur sentiment de
-ce que gagne ou perd leur beauté, selon les milieux
-qu’elles traversent, nul doute que le Bouddha
-ne regrettât, dans sa somptueuse demeure parisienne,
-les voix qui chantaient, les parfums qui
-passaient, et le soleil qui l’éclairait librement, aux
-temps de son abandon dans les pauvres jardins de
-Megouro.... Les œuvres d’art, surtout les œuvres
-d’art religieux, sont des fleurs délicates, dont il faut
-respirer le parfum sur plante. Coupez-les; vous
-avez encore la forme, vous n’avez plus le parfum.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_244" id="Page_244">[244]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE III</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Ce que la nature fait pour l’œuvre d’art</b></p>
-
-<p class="p2">Mais les ruines? dira-t-on, ne convient-il pas de
-les mettre à l’abri?</p>
-
-<p>Bien plus encore que les monuments intacts,
-les ruines doivent être laissées <i>in situ</i>. C’est surtout
-à ces œuvres en partie détruites, incomplètes,
-qu’il faut un milieu qui les explique, qui les supplée
-ou qui les justifie. Car un monument complet
-s’explique de lui-même. Un temple, par exemple,
-est un organisme où tout s’enchaîne, se commande
-et se soutient. Tant qu’il est intact, tant qu’il
-remplit son but, tant que les colonnes font leur
-office, qui est de supporter les architraves, et les
-antéfixes, le leur, qui est de boucher le creux des
-tuiles, on peut le mettre où l’on voudra. A lui seul,
-il exprimera son rythme et son idée.</p>
-
-<p>Mais, s’il est ruiné, transporté par morceaux
-sous un hall, que nous dira-t-il? Qu’est-ce que des<span class="pagenum"><a name="Page_245" id="Page_245">[245]</a></span>
-colonnes sans la frise qui unissait leur tête?
-Qu’est-ce que des acrotères sans le fronton dont
-elles relevaient les bouts? Qu’est-ce qu’un arc-boutant
-sans la voûte qu’il bute, ou un pinacle
-sans le pilier qu’il surmonte? Qu’est-ce qu’une
-cariatide sans son architrave, une canéphore sans
-sa corbeille, une Victoire sans ses ailes, une Espérance
-sans sa fleur? Mettre une colonne dans un
-musée! Autant mettre un tronc d’arbre dans un
-salon! Ce n’est plus qu’un organisme dissocié,
-brisé; ce n’est plus qu’un cadavre. Il faut donc le
-laisser en plein air, en plein ciel, dans la nature qui,
-de ses cadavres à elle, de ses rocs fendus par l’eau
-ou de ses arbres foudroyés par le feu, fait des
-autels, des vasques, des corbeilles ou des nids.</p>
-
-<p>La statue une fois mise dehors, tout change.
-Les gestes grandissent et soutiennent le ciel. La
-mousse emplit les mains auparavant oisives. Le
-lichen met sur les blessures du marbre son baume
-doré. Les graines des fleurs, qui vont par l’air
-cherchant un gîte, s’arrêtent aux creux des urnes
-penchées par la main des <i>Fleuves</i> ou des cornes
-d’abondance soutenues par le bras des <i>Pomones</i>,
-et, parfois, une eau de pluie vient étaler sous les
-pieds des <i>Narcisses</i> son humide et fugitif miroir.</p>
-
-<p>Je sais, sur les terrasses de la villa Pamphili,
-une statue de femme qui lève le bras. Sa main<span class="pagenum"><a name="Page_246" id="Page_246">[246]</a></span>
-étant cassée, elle ne dresse qu’un moignon qui
-serait horrible à voir. Mais un arbre est auprès. Il
-abaisse sur le marbre mutilé ses branches. Il noie
-le poignet sous les petites vagues vertes de ses
-feuilles, et la statue, dès lors expliquée, semble
-cueillir, d’une main qu’elle n’a plus, des fruits à
-l’arbre qui n’en a jamais.</p>
-
-<p>Ce sont ces fortuites rencontres qui donnent
-leur prix aux ruines vues par Hubert Robert: le
-marbre, auguste et éternel, prête son appui aux contadines
-éphémères qui y suspendent leurs hardes
-éclatantes. Dans l’entre-colonnement décrépit, mais
-hautain encore,</p>
-
-<p class="pp6 p1">Bien que les Salvucci ni les Ardinghelli<br />
-N’abritent plus que l’humble échoppe et l’établi</p>
-<p class="pp8">Sous leurs arcades colossales<a name="FNanchor_25_25" id="FNanchor_25_25"></a><a href="#Footnote_25_25" class="fnanchor">[25]</a>,</p>
-
-<p class="pn1">le lazzarone grignote sa polenta, l’enfant égrène
-son raisin et le moine son chapelet, tandis que sur
-leurs têtes, une plante sauvage jette l’ombre de
-ses feuilles, le galbe de ses branches, l’aumône de
-ses fleurs....</p>
-
-<p>Ainsi, presque toujours, la nature et le temps
-savent restituer à la pierre l’âme qui l’avait quittée
-quand elle s’était brisée. Sans doute, ils ne peuvent
-refaire entièrement ce que l’homme a détruit, ni<span class="pagenum"><a name="Page_247" id="Page_247">[247]</a></span>
-combler tout à fait le vide que l’accident a creusé.
-Ils ne rendent pas aux formes mutilées leur beauté
-<i>plastique</i>. Seulement ils leur confèrent une nouvelle
-beauté <i>pittoresque</i>. Ils les font entrer dans
-la grande communion du paysage. Un jour même
-arrive où la ruine fait partie si intégrante de son
-milieu qu’on n’imagine pas avec plaisir le monument
-intact. Quel artiste préférerait la correcte
-spirale d’un escalier en colimaçon à cette description
-de Tennyson dans <i>Enide</i>: «Bien haut, au-dessus,
-un morceau de l’escalier d’une tourelle,
-usée par des pieds qui, maintenant, étaient silencieux,
-tournait, nu, au soleil, et de monstrueuses
-touffes de lierre serraient le mur gris de leurs bras
-fibreux; elles suçaient les jointures des pierres et
-semblaient, en bas, un nœud de serpents, en haut,
-un bosquet....» Cet escalier qui ne conduit à rien
-et qui est dépouillé de son alvéole devient ici le
-centre d’un thème décoratif qui n’est plus architectural,
-mais qui est encore pittoresque, thème
-voulu par la Nature et réalisé au gré des semences,
-des vents et des années.</p>
-
-<p>Mais pour que ces choses s’accomplissent, il
-faut confier à la nature même les débris que nous
-voulons ennoblir, et ne point troubler, par d’inutiles
-soins, l’œuvre mystérieuse de cette prétendue
-«marâtre». Le mot «laissez faire, laissez passer»<span class="pagenum"><a name="Page_248" id="Page_248">[248]</a></span>
-de l’économiste doit être notre mot d’ordre vis-à-vis
-d’elle. Laissez le lichen faire des taches à la
-robe de la déesse; laissez le lierre passer aux joints
-du piédestal. Ne soyez pas le Pharisien</p>
-
-<p class="pp6 p1">Qui croit son mur gâté lorsqu’une fleur y pousse.</p>
-
-<p class="p1">Si la plante a jailli, c’est que la terre était bonne
-et, si le lichen a poussé, c’est que l’air était pur!</p>
-
-<p>Il y a un musée où on l’a compris, et ce musée
-nous donne un admirable exemple. Rien n’est plus
-frappant que de l’évoquer à côté du British
-Museum. Il est situé à l’autre bout de l’Europe, à
-Rome. Sa porte monumentale s’ouvre dans une
-grande stratification curviligne de monuments millénaires
-et de pauvres bâtisses: pêle-mêle de souvenirs,
-d’idées et de masures disparates, où furent
-les Thermes de Dioclétien, où fut une chartreuse,
-où est encore un asile d’infirmes errants et tremblants.
-C’est de tous les musées de Rome le moins
-connu, comme le British Museum est du monde
-entier le plus célèbre. Son budget est un des plus
-faibles, comme celui du British Museum est un
-des plus puissants. Il ne contient que ce que la
-jeune Italie a trouvé sur son sol depuis le Risorgimento.
-Et, en face de noms comme Phidias, ce
-musée ne peut citer aucun nom.... Il ne fut même
-pas construit pour y mettre des œuvres d’art. Un<span class="pagenum"><a name="Page_249" id="Page_249">[249]</a></span>
-cloître, une cour carrée au milieu, entourée d’arcades,
-une rangée de petites cellules, de <i>romitorii</i>
-s’ouvrant sur des jardins de poupées avec autant
-de <i>loggie</i>, quelques salles au premier étage tapissées
-de nattes sèches où joue le soleil, c’est tout.</p>
-
-<p>Mais le créateur de ce musée n’est pas seulement
-un archéologue, c’est un artiste. Il ne conserve
-pas seulement les œuvres d’art: il les
-regarde. Il ne songe pas seulement à les déterrer
-au bord du Tibre, ou à Subiaco, mais aussi à les
-replanter et à leur redonner des racines. A chaque
-œuvre, il cherche longuement l’orientation qui lui
-convient pour remplacer, le plus qu’il se peut,
-l’ancienne demeure ignorée ou l’ancien milieu
-perdu. Il l’isole, et, en l’isolant, la grandit. Il
-l’éclaire, et, l’éclairant, la ranime. Et, quand ce ne
-sont que de simples débris, auxquels nul artifice
-ne pourrait rendre la vie, il ne craint pas de les
-exposer en plein air. Le long du cloître ouvert et
-dans le jardin que bordent les arcades de travertin,
-sous le ciel, sous la pluie, il a jeté tout ce qui,
-débris de statues, sarcophages, colonnes, masques
-de pierre, peut être sans trop de péril exposé aux
-injures du temps, et il a laissé faire la nature....</p>
-
-<p>Ce qu’elle a fait, une simple promenade suffit
-pour en juger. Un des plus beaux matins de la vie
-est celui qu’on passe, au mois d’avril ou de mai,<span class="pagenum"><a name="Page_250" id="Page_250">[250]</a></span>
-dans la cour de ce cloître reconquis par le Paganisme.
-Ce n’est plus le lourd silence de la prison.
-Ce sont les voix tranquilles du jardin. Ce n’est
-plus ce carré de lueur blafarde qui tombe de la
-fenêtre d’un musée et que les prisonniers appellent
-«ciel»: c’est la splendeur du soleil qui, tournant
-autour des marbres, leur prête la vie lente des
-ombres et des clartés. Au milieu du carré, sur un
-bassin qui murmure, un jet d’eau monte comme
-une tige de lis et retombe comme une poignée de
-perles. On dirait une chère illusion qui s’est brisée
-en s’élevant trop haut, mais dont les débris sont
-encore de petites choses précieuses. Autour d’un
-vieux cyprès foudroyé, écume la mousse des
-rosiers banks. Quatre têtes d’animaux de pierre,
-comme de gigantesques rhytons, sortent des
-godrons verts de quatre touffes de lierre. Aux coins
-extrêmes du quadrilatère, le printemps allume des
-flammes roses sur les branches des amandiers, et
-le vent agite ces lueurs sans les éteindre. En l’air,
-à l’extrémité de deux hautes colonnes, grimacent
-deux masques de pierre où la bouche et les yeux
-sont figurés par des trous. Dans un musée, on
-verrait de l’ombre par ces trous. Ici, on voit de la
-lumière.</p>
-
-<p>Pour le moindre de ces débris, la nature a des
-attentions infinies. Sur les touffes sucrées nées<span class="pagenum"><a name="Page_251" id="Page_251">[251]</a></span>
-dans les fentes du marbre, plane la couronne de
-ces insectes pesants et sonores qui ne savent ni
-s’élever ni se taire. Dans un coin, est une statue de
-femme dont la tête fut brisée. Un églantier a posé
-des branches sur ses épaules; il a masqué la coupure
-du col, et, à la place des seins absents, fleurissent
-des roses. Les sarcophages, qui se boursouflent
-extérieurement de figures d’Amours grimpant
-aux échelles pour vendanger les treilles, sont
-pleins, intérieurement, non d’ossements, mais de
-ronces et de fleurs, comme celui qu’on voit dans
-<i>l’Amour sacré et l’Amour profane</i>. Dans un angle,
-un délicat pied blanc, sur une dalle rouge, semble
-une apparition qui commence, et paraît alors
-moins un débris qu’une promesse....</p>
-
-<p>Sans bras pour nous les donner, sans yeux pour
-nous voir, sans pieds pour nous fuir, une Fortune
-tient ses fruits. La pluie et le soleil ont noirci par
-endroits les robes des déesses, et, quand vient l’automne,
-leurs draperies de marbre s’obstruant de
-feuilles et de fleurs mortes, elles paraissent d’inconscientes
-Ophélies. Sur les savantes inscriptions
-latines se penchent les ignorantes herbes: les
-mystérieuses euphorbes, et les pelotes d’aiguilles
-vertes des pins, et les bras poilus des lierres, et les
-redondantes aristoloches, et les fins myrtes. Aux
-bouches demi-ouvertes des bustes, les insectes,<span class="pagenum"><a name="Page_252" id="Page_252">[252]</a></span>
-rôdant, prêtent leur long murmure. De la <i>Victoire</i>
-brisée, l’oiseau, en s’envolant, achève le coup d’aile.
-Et le grand rosier, qui étincelle sur le sarcophage
-ouvert, vient ajouter encore d’impondérables pétales
-aux lourdes guirlandes de pierre, que, de leurs
-épaules haussées, soulèvent péniblement les petits
-Amours....</p>
-
-<p>Ainsi, à l’heure de notre course, où toutes les
-figures que nous nous étions faites du Bonheur
-nous paraissent joncher le sol comme des statues
-brisées, il n’est pas bon de les renfermer avec nous
-dans le musée de nos souvenirs, ni de méditer
-seuls devant leurs ruines. Il faut, au contraire, les
-porter en pleine nature, les jeter en pleine humanité
-et appeler à notre secours, pour les embellir,
-toutes les influences secrètes et médiatrices de la
-terre et du ciel. Alors la blessure s’adoucit,
-s’agrandit, s’épure. Nous sentons l’envahissement
-des choses. Bientôt, dans le murmure des vies
-végétales et profondes s’assourdit le murmure de
-notre vie à nous. L’ombre tombe sur nos souvenirs.
-La lumière éveille nos pensées. La nature dont on
-dit tant de mal nous offre cependant l’oubli dont
-elle est pleine. Et peu à peu pénètre en nous, par
-la plaie entr’ouverte, quelque chose de sa douceur,
-de son sourire, et de son insensibilité....</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_253" id="Page_253">[253]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">CHAPITRE IV</h2>
-
-<p class="pc2"><b>Le paradoxe de la «conservation» des
-œuvres d’art.</b></p>
-
-
-<p class="p2">«Je ne suis tranquille que quand je sais mes fils
-en prison», disait la mère des deux Reybaud,
-fameux l’un et l’autre, au milieu du siècle, par
-leurs polémiques et leurs démêlés avec tout le
-monde. Quand on observe quel sentiment pousse
-nos amateurs à enfermer dans les musées les
-œuvres qu’il faudrait voir ailleurs, on trouve que
-c’est une préoccupation semblable qui les domine
-et que le mot de Mme Reybaud pourrait être leur
-mot d’ordre. Car dès qu’on mêle à la vie quelques
-belles choses, dès qu’on les tire des nécropoles où
-elles gisaient, aussitôt la presse retentit de leurs
-cris.</p>
-
-<p>Ceux-ci se lamentent, si deux groupes en marbre,
-d’un marbre friable et déjà usé, dus à Tassaert
-ou à Guyard, et attribués à Beaujon, demeurent<span class="pagenum"><a name="Page_254" id="Page_254">[254]</a></span>
-devant le perron de l’Élysée: ils réclament qu’on
-les enlève du jardin, et qu’on les mette&mdash;où cela?&mdash;naturellement
-dans un musée.... Ceux-là s’avisent
-que des tapisseries du garde-meuble, dessinées
-par Audran et tissées d’or, sont converties en
-portières, et se doublent, se cassent et exigent,
-par suite de leur poids, un effort pour les soulever
-qui, à la longue, les détruira. Où faut-il les mettre?
-Naturellement aux Gobelins, où Bædeker vous
-dit que vous pourrez les voir «les mercredis et
-samedis, de une heure à trois heures». D’autres,
-ayant découvert qu’un beau <i>Christ en Croix</i> de
-Jordaens se trouve encore dans la cathédrale de
-Bordeaux, n’ont pu supporter plus longtemps de
-voir un Christ dans une église. Ils le veulent mettre
-à sa place,&mdash;qui est le musée. Que fait ce menhir
-au milieu de sa lande bretonne? se sont demandé
-les pourvoyeurs d’exposition, et ils ont proposé
-d’apporter et de renfermer dans le Champ de Mars,
-en 1900, la pierre fameuse de Locmariaker. Ailleurs,
-enfin, on se plaint que quelques-unes des
-merveilles de la <i>Suite des châteaux</i> soient envoyées,
-çà et là, en Europe, pour garnir nos palais d’ambassade.
-On demande où elles pourraient être mieux,
-et l’on répond: «aux Gobelins ou au Louvre».</p>
-
-<p>Ce sont là les signes de la plus grande erreur
-esthétique qui fut jamais. Car, précisément, de les<span class="pagenum"><a name="Page_255" id="Page_255">[255]</a></span>
-envoyer garnir nos palais d’ambassade, c’est la
-seule manière que nous ayons d’en jouir. Quelques-uns
-d’entre nous, seulement, dira-t-on.... Oui, quelques-uns.
-Mais, dans un musée, qui peut jouir
-d’une tapisserie? Personne! Car l’esthétique d’un
-ameublement ne s’insinue pas aussi vite dans l’esprit
-que celle d’un tableau ou d’une statue. De
-même qu’un paysage frappe moins vite qu’une
-scène de genre, de même les couleurs peu
-bruyantes et les lignes peu écrites de la décoration
-veulent des heures pour être goûtées. Il faut
-demeurer longtemps devant une aiguière ou une
-crédence pour que leur rythme s’associe à nos pensées.
-Il faut vivre au milieu des objets de bon style
-pour qu’ils vivent en nous. C’est même là précisément
-ce qui donne à l’art décoratif une physionomie
-bien différente de l’art imitatif. Il ne faut
-pas qu’il frappe, il faut qu’il s’insinue. Et, pour
-qu’il s’insinue, il faut qu’on vive avec lui familièrement,
-comme on vit avec la tapisserie de sa
-chambre, non pas le mettre dans un musée où l’on
-va lui rendre une visite rare, solennelle et pressée.</p>
-
-<p>Mais c’est le seul moyen de faire durer les
-œuvres, dira-t-on.&mdash;De les faire durer, oui, mais
-comment? Mortes ou en vie? Agissantes ou neutres?
-Tout est là. La momie dure plus que
-l’homme. La pièce d’or, renfermée dans un coffre<span class="pagenum"><a name="Page_256" id="Page_256">[256]</a></span>
-ou dans une tombe, dure plus que la monnaie qui
-roule de main en main, usant son cordon et ses
-empreintes, mais activant les échanges, soulageant
-les misères. Il est de toute évidence que, moins
-une œuvre d’art sera exposée au soleil, à la poussière,
-au vent, et à la vue, plus elle durera. Mais
-elle durera sans remplir son but. Son but, c’est de
-vivre de notre vie et de périr, s’il le faut, de notre
-mort. A ce prix, elle enseigne, elle charme, elle
-console. Autrement, elle ne fait que durer. Quand
-j’entends les cris des pourvoyeurs de musées, il me
-semble entendre des gens qui chercheraient les
-grains de blé que le semeur a mis dans les champs
-et qui les rentreraient au plus tôt dans le grenier
-de peur qu’ils ne pourrissent. Et, en effet, ils ont
-empêché la pourriture, mais ils ont empêché la
-germination. Ils ont empêché la mort, mais ils ont
-empêché la vie!</p>
-
-<p>Les projets éclos de toutes parts empêcheront la
-vie. Si jamais Avignon trouve les millions nécessaires
-pour expulser les soldats qui sont dans
-son château fort et y introduire les scribes, custodes
-et porte-clefs qu’on rêve d’y voir, tout le
-Palais des Papes deviendra muet et morne. Les
-milliers d’objets rassemblés ne parleront plus aux
-yeux des populations lointaines d’où ils auront été
-tirés. La visite de ce Musée de la chrétienté ne sera<span class="pagenum"><a name="Page_257" id="Page_257">[257]</a></span>
-que la visite d’un «trésor». Car les arts du culte
-ne forment point par eux-mêmes un ensemble qui
-se suffise. Ils ne sont que pour que d’autres
-choses soient. Ces objets n’existent que pour servir
-à d’autres desseins: pour être portés, agités,
-pour resplendir parmi des foules, pour vêtir, pour
-renfermer, pour apparaître sous le pinceau des
-soleils sincères ou des vitraux mensongers ou bien
-dans la voie lactée des cierges et parmi les torsades
-de l’encens bleu. Là, au contraire, que verra-t-on?&mdash;Des
-chaires vides, des retables sans autels, des
-lampes sans flammes, des clochettes sans voix, des
-chapes sans vivants, des reliquaires sans morts:
-offrandes sans doute trop belles pour le Dieu qui
-les reçut et mieux appropriées à ce culte nouveau
-d’un «esthétisme» municipal, dont les gardiens à
-tricornes seront les prêtres ennuyés! A cette transformation
-qu’aura gagné le Palais des Papes?
-C’était une caserne: ce sera une prison.</p>
-
-<p>Ce sera quelque chose encore de pire. Ce sera
-le palliatif ou l’apologie des destructions et des
-«embellissements» de nos villes modernes. Ce
-sera l’excuse invoquée par les démolisseurs à
-chacun de leurs attentats. Ce l’est déjà, et il suffit
-d’écouter les voix qui s’élèvent dans les régions
-officielles pour ne plus douter que l’Art sert
-aujourd’hui de prétexte contre l’Art et que les<span class="pagenum"><a name="Page_258" id="Page_258">[258]</a></span>
-créations les plus factices sont triomphalement
-opposées aux beautés spontanées de nos vieilles
-cités. «Vous paraissez émus de certaines transformations
-qui risquent de modifier l’aspect de
-Paris», disait, en 1897, le ministre des Beaux-Arts,
-à la réunion solennelle des <i>Artistes français</i>. «Vous
-voyez dans le progrès industriel l’éternel rival de
-l’Art; pourquoi refuser de reconnaître en lui, ce
-qui est tout aussi vrai, son éternel allié? Les gares
-de chemin de fer au cœur de notre capitale vous
-apparaissent comme la plus fâcheuse de ces transformations.
-Mais pensez-vous que celles qui s’accomplirent
-dans l’aspect de Paris à travers les âges
-n’ont pas soulevé chez nos pères les mêmes inquiétudes
-et peut-être les mêmes protestations?... Nous
-avons encore dans l’oreille les récriminations qui
-s’élevèrent contre certain baron, dont le nom est
-inséparable de la révolution topographique de
-Paris et qui, à travers les dédales des ruelles et
-des anciennes cours des miracles, lançait ces
-grandes voies rectilignes, comme les sillons de
-quelque colossal projectile.... L’art a-t-il tant souffert
-de ces bouleversements? N’a-t-il pas, dans
-chacun des quartiers nouveaux, planté son drapeau,
-<i>installé ses musées, depuis le Carnavalet jusqu’au
-Galliera</i>, dressé un peuple de statues sur
-les places et les boulevards spacieux qu’a laissés<span class="pagenum"><a name="Page_259" id="Page_259">[259]</a></span>
-derrière lui le cataclysme haussmannien<a name="FNanchor_26_26" id="FNanchor_26_26"></a><a href="#Footnote_26_26" class="fnanchor">[26]</a>?...»</p>
-
-<p>Ainsi, selon cette thèse, la plus extraordinaire
-qu’on ait tenté de soutenir sur l’esthétique des
-villes, ce n’est point l’hygiène, ou le confort, ou
-l’activité de Paris qui sont invoqués contre son
-pittoresque, c’est son pittoresque même.... Ce n’est
-pas au nom de l’Utile qu’on approuve sa transformation,
-c’est au nom du Beau.... Ce n’est pas des
-nécessités et des économies de la vie moderne
-qu’on se prévaut, mais des monuments qui lui
-coûtent le plus cher et qui lui sont le plus superflus,
-lors même que ces monuments, dressés à profusion
-dans nos rues, en sont non pas seulement le
-plus inutile spectacle, mais encore et de beaucoup
-le plus déplaisant! Et ainsi, par une pétition de
-principes, la plus audacieuse dont on se soit jamais
-avisé, les statues de Shakspeare, de Chappe ou de
-Dolet, que réprouve le goût universel, et que rien
-en soi ne pourrait excuser, se trouvent, tout d’un
-coup, servir elles-mêmes d’excuses aux perspectives
-monotones du quartier Haussmann et du boulevard
-Saint-Germain!...</p>
-
-<p>Or, la vie moderne n’a pas besoin d’excuse, mais
-le mauvais art moderne, lui, ne peut être excusé.<span class="pagenum"><a name="Page_260" id="Page_260">[260]</a></span>
-On ne saurait sacrifier le progrès à l’art, mais on
-doit se faire une idée plus juste de l’art, et ne pas
-ajouter aux ruines subies des erreurs voulues. On
-ne peut pas toujours conserver, dans sa fantaisie
-ornementale, le vieux décor de la vie, mais on peut
-ne pas en dépouiller soi-même la scène du monde
-pour le mettre dans ces froids magasins d’accessoires
-où il ne remplit plus sa mission.</p>
-
-<p>Il ne s’agit nullement, ici, d’opposer au mouvement
-naturel du progrès des récriminations qui
-seraient vaines, ni à ses bienfaits des dédains qui
-seraient injustes. La vie moderne a ses harmonies
-que nous ne méconnaissons pas. Les cités de fer
-et de fumée ont leur éloquence barbare. Elles
-disent par toutes les voix de leurs roues et de leurs
-bielles: «Nous sommes les grandes pourvoyeuses
-des foules et les grandes niveleuses des conditions.
-Si nos fenêtres, rouges et blanches dans la nuit,
-attirent comme des papillons les <i>pagani</i> répandus
-dans les campagnes, c’est que nous sommes pour
-eux le symbole et l’instrument d’un meilleur devenir.
-Chaque tour de chacune de nos roues éloigne
-l’homme de l’esclavage antique. Chaque machine
-relève d’un degré sa taille autrefois pliée sur le
-sillon. Chaque perfectionnement ôte quelques
-minutes au travail mécanique et ajoute un instant
-aux heures ennoblies par la pensée. Si aujourd’hui<span class="pagenum"><a name="Page_261" id="Page_261">[261]</a></span>
-sa pensée s’épure, se libère des soucis matériels,
-se tourne vers les beautés perdues des cités d’autrefois,
-si elle les goûte et les regrette, c’est que
-nous lui en avons donné le loisir. Et si vous avez
-le temps aujourd’hui de nous maudire, c’est que
-nous avons travaillé pour vous!»</p>
-
-<p>Écoutons ces voix et aussi le cri de Walt
-Whitman: «La plus grande cité n’est pas l’endroit
-des plus hauts et des plus précieux édifices».
-Marchons avec les multitudes dans les percées largement
-ouvertes de nos villes renouvelées, et
-détruisons, s’il le faut, pour la marche de ce
-peuple, les choses pittoresques et surannées qui
-donnaient sa figure à la cité. Soit. Dans la barbarie
-avouée, il y a de la grandeur. Mais n’invoquons
-pas, pour le faire, l’intérêt sacré de l’art. Avouons
-hardiment que c’est la richesse d’une ville qui nous
-tente, non sa beauté. En frappant ainsi l’art dans
-ce qu’il a de plus vital et de plus consolateur, ne
-prétendons point que nous le sauvons. Ne demandons
-pas à la nation, en son nom, des subsides
-qui ne servent qu’à rendre sa déchéance plus
-visible. N’ajoutons pas à des actes de Barbares des
-raisonnements de Byzantins.</p>
-
-<p>Et s’il se trouve, çà et là, par le monde, une
-ville qui n’ait pas mis tout son art en prison et
-qui en ait, dans ses rues, gardé quelques libres<span class="pagenum"><a name="Page_262" id="Page_262">[262]</a></span>
-vestiges, puissent les hommes debout sur les
-seuils de ses maisons ou assis dans ses assemblées
-réfléchir longuement avant de prononcer l’irrémédiable
-arrêt! Qu’ils pensent non pas seulement à
-ceux qui habitent cette ville aujourd’hui, mais
-aussi à ceux qui l’habitèrent et dont elle est bien
-un peu la continuation, et à ceux qui l’habiteront
-et dont elle est bien un peu l’héritage!&mdash;«La
-cathédrale d’Avranches appartenait-elle à ceux qui
-la détruisirent plus qu’elle ne nous appartenait à
-nous qui nous promenons maintenant tristement
-sur ses fondations?»&mdash;Avant de détruire, pensons
-à ceux qui ont bâti. Avant d’anéantir, pensons
-à ceux qui sont morts. Mais surtout, avant
-de construire, pensons à ceux qui vont naître et
-ne nous hâtons pas de modeler le corps de ces
-villes durables selon la forme de nos âmes éphémères.
-Que savons-nous des âmes de nos successeurs,
-de leurs goûts, de leurs affinités, de
-leurs désirs? Nous voulons activer la circulation
-humaine au cœur de nos villes.... Qui peut dire
-qu’ils n’abandonneront pas le cœur de nos villes,
-comme nous abandonnons aujourd’hui le fond de
-nos campagnes? Qui peut même affirmer qu’à
-Florence, comme à Paris, le reflux vers la banlieue
-n’ait pas déjà commencé et qu’un jour, les
-centres de nos cités à demi dépeuplées ne puissent<span class="pagenum"><a name="Page_263" id="Page_263">[263]</a></span>
-redevenir, si nous sauvons leurs vieilles
-architectures, les asiles de l’esthétique, les oasis
-de l’idéal et de la paix? Ne croyons pas que le
-type unique et nécessaire de la cité moderne soit
-l’échiquier ou la roue de carrosse! S’il y a «plusieurs
-demeures diverses dans le palais du Père»,
-il y a peut-être bien des types possibles de grandes
-cités dans ce monde. Ne croyons pas une ville
-déshonorée parce que la marche y est lente. Il
-restera toujours assez de villes où la marche sera
-rapide. Il est bon d’ailleurs quelquefois de ralentir
-le pas dans la vie. Et le fameux mot: «Je prendrai
-par le plus long...» du Fabuliste, voulait
-dire sans doute: «Je prendrai par le plus beau...».</p>
-
-<p>Jamais nous n’eûmes plus besoin de ces asiles.
-«Aujourd’hui, toute la vitalité est concentrée dans
-les palpitantes artères des villes; la campagne est
-traversée comme une mer verte par des ponts
-étroits et nous sommes jetés en foule toujours plus
-épaisse contre les portes de la ville. La seule
-influence qui puisse sagement prendre la place
-des bois et des champs est le pouvoir de l’ancienne
-architecture. Ne vous en dessaisissez pas pour
-l’amour du square régulier, de la promenade
-garnie de haies et d’arbres, ni pour la rue correcte
-ou le quai ouvert. La gloire d’une cité n’est pas
-en ces choses! Laissez-les à la foule, mais souvenez-vous<span class="pagenum"><a name="Page_264" id="Page_264">[264]</a></span>
-qu’il y aura sûrement quelqu’un dans
-le circuit des murailles troublées, quelqu’un qui
-aspire à conduire ses pas dans d’autres endroits
-que ceux-ci, à rencontrer d’autres formes en leur
-aspect familier,&mdash;comme celui qui s’assit si souvent
-à cette place que frappait le soleil couchant
-pour contempler les lignes du dôme de Florence,
-ou comme ceux de ses hôtes qui pouvaient soutenir
-des chambres de leur palais la contemplation journalière
-de cette place où leurs pères étaient couchés
-dans la mort, au carrefour des rues sombres
-de Vérone<a name="FNanchor_27_27" id="FNanchor_27_27"></a><a href="#Footnote_27_27" class="fnanchor">[27]</a>...».</p>
-
-<p>Ainsi parlait Ruskin, il y a cinquante ans. Le
-péril alors dénoncé est plus grand qu’alors, parce
-qu’il se cache sous le sophisme de la conservation
-de l’art dans les musées. Ne laissons pas ce
-sophisme davantage se répandre. Quand on aime
-l’art, ce qu’il faut, ce n’est pas le recueillir dans
-les musées: c’est ne pas le chasser de la vie.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_265" id="Page_265">[265]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">INDEX ALPHABÉTIQUE</h2>
-
-<p class="pc2 lmid">DES SUJETS ÉTUDIÉS ET DES NOMS D’ARTISTES
-ET D’ŒUVRES D’ART CITÉS DANS CE VOLUME</p>
-
-<hr class="d1" />
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>A</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Acropole</i>, p. <a href="#Page_234">234</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Alexandre</i> (M.). Soldats passant un défilé, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Aligny</i>, p. <a href="#Page_167">167</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Allongé</i>, p. <a href="#Page_166">166</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Ames Building</i>, de Boston, p. <a href="#Page_17">17</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Apollon</i>, p. <a href="#Page_141">141</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Arabe</b> (L’Architecture): Belle sans être logique, ni révélatrice de sa structure interne, pp. <a href="#Page_20">20</a> et <a href="#Page_48">48</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Arbres</b> inconnus au moyen âge et répandus dans le paysage contemporain, p. <a href="#Page_60">60</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Arc de Triomphe de Constantin</i>, p. <a href="#Page_25">25</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Arcs</b> (Les) de l’architecture de fer semblables aux arcs de la pierre, p. <a href="#Page_40">40</a>.</p>
-<p class="pnii">L’arc bombé, l’ogive surbaissé, le plein-cintre brisé, l’arc en anse de panier, p. <a href="#Page_41">41</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Architectural Court</i> du South Kensington Muséum, p. <a href="#Page_241">241</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Arning</i> (M.), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Audran</i>, pp. <a href="#Page_98">98</a> et <a href="#Page_254">254</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Avignon</i> (Les remparts d’), p. <a href="#Page_217">217</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Avranches</i> (Cathédrale d’), p. <a href="#Page_262">262</a>.</p>
-
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>B</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Bacon</i>, p. <a href="#Page_164">164</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Ballif</i> (Henri). Vue de la Loire à Saint-Denis-Hors, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Balzac</i>. Sa statue par Rodin, p. <a href="#Page_121">121</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Bandinelli</i>, p. <a href="#Page_103">103</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Baptistère de Florence</i>, p. <a href="#Page_19">19</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Barbizon</i> (École de), pp. <a href="#Page_67">67</a> et <a href="#Page_89">89</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Barrias.</i> Tombeau de Guillaumet, p. <a href="#Page_127">127</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Bartholomé.</i> Le secret, p. <a href="#Page_127">127</a>.</p>
-<p class="pnii">Monument aux Morts, pp. <a href="#Page_127">127</a> et <a href="#Page_143">143</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Beaujon</i>, p. <a href="#Page_253">253</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Beauté</b> plastique ne peut être exprimée que par la statuaire, pp. <a href="#Page_113">113</a> et <a href="#Page_114">114</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Benjamin Constant</i>, p. <a href="#Page_93">93</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Bergon</i> (M.), p. <a href="#Page_153">153</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Bertin</i>, pp. <a href="#Page_167">167</a> et <a href="#Page_188">188</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Besnard</i>, p. <a href="#Page_71">71</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Binder-Mestro</i> (Mme), p. <a href="#Page_153">153</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Blanche</i> (Jacques), p. <a href="#Page_86">86</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Boileau</i>, architecte, p. <a href="#Page_16">16</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Boissonnas</i> (M. Alfred), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Bouddha</i>, p. <a href="#Page_243">243</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Bouguereau</i>, p. <a href="#Page_191">191</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Bourgeois</i> (P.), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_266" id="Page_266">[266]</a></span></p><p class="pni"><i>Bracquemond</i> (M.), p. <a href="#Page_189">189</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Brémard</i> (M. Maurice), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Effet de soir, p. <a href="#Page_185">185</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Profil perdu, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Breton</i> (Jules), p. <a href="#Page_168">168</a> et <a href="#Page_181">181</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>British Muséum</i>, p. <a href="#Page_234">234</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Bucquet</i> (M. Maurice), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Après le coucher du soleil, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Burne-Jones</i>, p. <a href="#Page_191">191</a>.</p>
-
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>C</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Caillebotte</i> (Salle), au Musée du Luxembourg, p. <a href="#Page_53">53</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Calland</i> (M.), p. <a href="#Page_153">153</a>. Brompton Road.</p>
-
-<p class="pni"><i>Cameron</i> (Mme). Annals of my glass house, p. <a href="#Page_170">170</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Campo Santo de Gênes</i>, pp. <a href="#Page_118">118</a> et <a href="#Page_142">142</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Canova</i>, p. <a href="#Page_110">110</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Caran d’Ache</i>, p. <a href="#Page_166">166</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Cariatide</i> (La) de l’Erechtheion à Londres, p. <a href="#Page_237">237</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Carpeaux et la Fontaine des Quatre Parties du monde au Luxembourg</i>, p. <a href="#Page_108">108</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Castagnary</i>, p. <a href="#Page_87">87</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Cézanne</i>, p. <a href="#Page_65">65</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Chantilly</i>, p. <a href="#Page_217">217</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Chapeau</b> haut de forme. Sa représentation en peinture. Impossibilité à représenter en sculpture, p. <a href="#Page_113">113</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Sa figuration dans les monuments de Baudin et de Victor Noir, p. <a href="#Page_126">126</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Chappe.</i> Sa statue, p. <a href="#Page_259">259</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Chardin</i>, pp. <a href="#Page_77">77</a> et <a href="#Page_111">111</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Chartreuse d’Ema</i>, son puits, p. <a href="#Page_242">242</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Chaudet</i>, pp. <a href="#Page_119">119</a> et <a href="#Page_120">120</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Claude Lorrain</i>, p. <a href="#Page_85">85</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Cliché.</b> Amoindrissement de son rôle dans la photographie artistique, p. <a href="#Page_178">178</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Cloître de San Saba</i>, sa stèle, p. <a href="#Page_241">241</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Cloître du Latran</i>, son puits, p. <a href="#Page_241">241</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Colard</i> (M.). Le soir ramène le silence, p. <a href="#Page_185">185</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Beau temps à Londres, p. <a href="#Page_187">187</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Coleone</i> (Le) de Verocchio, pp. <a href="#Page_111">111</a> et <a href="#Page_132">132</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Conservation</b> des œuvres d’art (La). Inutile si elle empêche les œuvres de jouer leur rôle, p. <a href="#Page_256">256</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Corot</i>, pp. <a href="#Page_67">67</a>, <a href="#Page_165">165</a>, <a href="#Page_167">167</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Coste</i> (M.-F.). Dans la Vallée, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Cottet</i>, p. <a href="#Page_84">84</a>. Nuit de la St-Jean, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Couleur</b> (La). Sa richesse, sa beauté, p. <a href="#Page_58">58</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;La nature est couleur plus que lignes, p. <a href="#Page_67">67</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;La division du ton augmente sa vivacité, p. <a href="#Page_79">79</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Théorie de Ruskin réalisée par les impressionnistes, p. <a href="#Page_80">80</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Courbes</b> données naturellement par le fer, p. <a href="#Page_29">29</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Cousins</i>, p. <a href="#Page_112">112</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Craig-Annan</i> (M.). Frères blancs, p. <a href="#Page_185">185</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Cross</i> (H.-E.), p. <a href="#Page_82">82</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Cunha</i> (M. da). Septembre en Normandie. Premiers sillons, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p>
-
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>D</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Dagnan</i>, pp. <a href="#Page_88">88</a> et <a href="#Page_93">93</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Dalou.</i> Statuette de Lavoisier, p. <a href="#Page_125">125</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Monument de Victor Noir, p. <a href="#Page_126">126</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Dansaert</i> (Mme). At home, p. <a href="#Page_207">207</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Danse des Nymphes</i>, p. <a href="#Page_89">89</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Dardonville.</i> Étang du parc de Rambouillet, p. <a href="#Page_207">207</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Darnis</i> (M.). Sur la route, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Daubigny</i>, p. <a href="#Page_88">88</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Dauchez.</i> Troupeau, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>David d’Angers</i>, p. <a href="#Page_119">119</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Decamps.</i> Café turc, p. <a href="#Page_77">77</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Declercq.</i> Potier, p. <a href="#Page_206">206</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Découvertes de l’impressionnisme.</b> 1<sup>o</sup> La nature est couleur plus que lignes, p. <a href="#Page_67">67</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;2<sup>o</sup> Les ombres mêmes sont des couleurs, pp. <a href="#Page_67">67</a>, <a href="#Page_68">68</a>, <a href="#Page_69">69</a>, <a href="#Page_70">70</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;3<sup>o</sup> Le tongagne à être divisé, pp. <a href="#Page_77">77</a>, <a href="#Page_78">78</a>, <a href="#Page_79">79</a>, <a href="#Page_80">80</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Degas</i>, p. <a href="#Page_61">61</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Delacroix</i>, p. <a href="#Page_66">66</a>.</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_267" id="Page_267">[267]</a></span></p><p class="pnii">&mdash;Son journal, pp. <a href="#Page_64">64</a> et <a href="#Page_69">69</a>, <a href="#Page_121">121</a>.</p>
-<p class="pnii">Liberté. Journée du 28 juillet 1830, p. <a href="#Page_113">113</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Demachy</i> (M. Robert). Eaux mortes, p. <a href="#Page_183">183</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Communiante, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Discobole</i> (Le), p. <a href="#Page_141">141</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Division</b> des couleurs, enseignée par Ruskin en 1856 et appliquée par les Impressionnistes, pp. <a href="#Page_80">80</a> et <a href="#Page_81">81</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Dolet</i> (Étienne). Sa statue, p. <a href="#Page_259">259</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Dôme des Invalides.</i> Son aspect en regard du Sacré-Cœur de Montmartre, p. <a href="#Page_13">13</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Doré</i> (Gustave), p. <a href="#Page_85">85</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Drapé</b> (Le) antique. Plus esthétique que le vêtement ajusté, pp. <a href="#Page_129">129</a> et <a href="#Page_130">130</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Pourquoi, pp. <a href="#Page_129">129</a> et <a href="#Page_130">130</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Les trois grandes lois naturelles qu’il exprime, pp. <a href="#Page_134">134</a> et <a href="#Page_135">135</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Dubois</i> (Paul). Le Duc d’Aumale, le tombeau de Lamoricière, p. <a href="#Page_124">124</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Duez.</i> Déjeuner sur la terrasse, p. <a href="#Page_72">72</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Duret</i> (Th.), p. <a href="#Page_84">84</a> et <a href="#Page_87">87</a>.</p>
-
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>E</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Earl’s Barton</i> (Tour d’), p. <a href="#Page_24">24</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Egypte</i>, ses mosquées, p. <a href="#Page_218">218</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Elgin marbles</i>, p. <a href="#Page_234">234</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Ema Spencer</i> (Miss), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Epreuve</b> (Travail de l’), dans la Photographie moderne, p. <a href="#Page_180">180</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Erfurth Steichen</i> (H.), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Esthétique de la Photographie</b>, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p>
-
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>F</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Falguière.</i> Balzac, p. <a href="#Page_124">124</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Farnsworth</i> (Mme). Quand le printemps arrive souriant dans le vallon et sur la colline, p. <a href="#Page_208">208</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Feliu</i>, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Fer</b> (Le). Espérances qu’il a fait concevoir, p. <a href="#Page_17">17</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Nature de la révolution qu’il permet, p. <a href="#Page_37">37</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Immense au point de vue constructif, p. <a href="#Page_40">40</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Nulle au point de vue esthétique, p. <a href="#Page_42">42</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Les formes qu’il donne naturellement, identiques à celles de la voûte de pierre, p. <a href="#Page_40">40</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Son aptitude à tout imiter, p. <a href="#Page_46">46</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Son impuissance à rien suggérer, p. <a href="#Page_46">46</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Il est une matière artificielle, p. <a href="#Page_47">47</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Flandrin</i> (Paul), p. <a href="#Page_55">55</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Portrait de Jeune Fille, p. <a href="#Page_185">185</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;La Campagne de Rome, p. <a href="#Page_71">71</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Florence.</b> Associazione per la difesa di Firenze antica, p. <a href="#Page_218">218</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Plan San Biagio, p. <a href="#Page_218">218</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Ponte Vecchio, p. <a href="#Page_225">225</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Palazzo dei Canacci, p. <a href="#Page_225">225</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Palazzo di Parte Guelfa, pp. <a href="#Page_218">218</a>, <a href="#Page_225">225</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Logetta del Vasari, p. <a href="#Page_225">225</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Borgo San Jacopo, p. <a href="#Page_225">225</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Flou</b> (<b>Le</b>), en photographie, p. <a href="#Page_163">163</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Forain</i>, p. <a href="#Page_165">165</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Doux Pays, p. <a href="#Page_166">166</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Fra Angelico.</i> Couronnement de la Vierge, p. <a href="#Page_231">231</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Fromentin</i>, pp. <a href="#Page_151">151</a>, <a href="#Page_199">199</a>.</p>
-
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>G</b></p>
-
-<p class="pni"><b>Galerie des Machines</b> (Absence de courbes nouvelles dans la &mdash;&mdash;), p. <a href="#Page_17">17</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Garrido</i>, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Gavarni</i>, pp. <a href="#Page_165">165</a>, <a href="#Page_166">166</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Gear</i> (J.-H.). Étude. Matin argenté, p. <a href="#Page_179">179</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Geffroy</i> (Gustave). La Vie artistique, p. <a href="#Page_87">87</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Gérôme</i>, p. <a href="#Page_56">56</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Geste moderne</b> (Le) opposé aux attitudes de la statuaire antique, Bartholomé et le Monument aux Morts, p. <a href="#Page_142">142</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Girault</i>, p. <a href="#Page_12">12</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_268" id="Page_268">[268]</a></span></p><p class="pni"><b>Gomme bichromatée</b>, en photographie, permet à l’artiste d’exprimer sa vision particulière de l’objet, p. <a href="#Page_180">180</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Goya</i>, p. <a href="#Page_113">113</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Grand Palais.</i> Son style composite, p. <a href="#Page_11">11</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Gréco</i>, p. <a href="#Page_97">97</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Griveau</i> (Georges), p. <a href="#Page_86">86</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Guido Rey</i> (M.), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Guignard</i>, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Guillot.</i> Les Ouvriers, p. <a href="#Page_127">127</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Guyard</i>, p. <a href="#Page_253">253</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Guyau</i>, pp. XXIII, XXIV, XXV, XXVI et <a href="#Page_114">114</a>.</p>
-
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>H</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Hamerton</i>, p. <a href="#Page_99">99</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Hannon</i> (M.), p. <a href="#Page_186">186</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Harpignies</i>, p. <a href="#Page_191">191</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Hébert.</i> Vierge de La Tronche, p. <a href="#Page_231">231</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Henneberg</i> (M.), p. <a href="#Page_162">162</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Herschell</i>, p. <a href="#Page_151">151</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Holland Day</i> (M.), pp. <a href="#Page_153">153</a>, <a href="#Page_162">162</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Hollyer</i> (Frédéric), p. <a href="#Page_162">162</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Portrait de Ruskin, p. <a href="#Page_206">206</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Homme à la Houe</i> (L’), p. <a href="#Page_89">89</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Horsley-Hinton</i> (M.), p. <a href="#Page_153">153</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Hubert Robert</i>, p. <a href="#Page_246">246</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Hugues.</i> Monument de Pasteur à la Nouvelle-Sorbonne, p. <a href="#Page_125">125</a>.</p>
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>I</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Impressionnisme</i>, p. <a href="#Page_64">64</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Inde</i> (Les anciens monuments de l’), p. <a href="#Page_21">21</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Ingres.</i> Son sentiment sur la peinture, p. <a href="#Page_66">66</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Portrait de M. Leblanc, p. <a href="#Page_114">114</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;La Source, p. <a href="#Page_169">169</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Instantané</i> (L’objectif) ne voit pas le mouvement, p. <a href="#Page_201">201</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Intervention</b> de l’artiste en photographie, p. <a href="#Page_167">167</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Choix du sujet, p. <a href="#Page_168">168</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Développement du cliché, p. <a href="#Page_177">177</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Développement de l’épreuve, p. <a href="#Page_179">179</a>.</p>
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>J</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Jacquin</i> (M.), p. <a href="#Page_153">153</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Janssen</i>, p. <a href="#Page_151">151</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Jardin du Cloître</i> aux Thermes de Dioclétien. Description, p. <a href="#Page_250">250</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Jordaens.</i> Christ en croix, p. <a href="#Page_254">254</a>.</p>
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>K</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Kuhn</i> (M.), p. <a href="#Page_162">162</a>.</p>
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>L</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Labrouste</i>, p. <a href="#Page_16">16</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Laguarde</i> (Mlle), p. <a href="#Page_153">153</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Lamour</i> (Jean), p. <a href="#Page_49">49</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Laocoon du Vatican</i>, p. <a href="#Page_198">198</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Larroumet.</i> L’Art et l’État en France, p. <a href="#Page_119">119</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Lawrence</i>, p. <a href="#Page_112">112</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Le Bègue</i> (M. René), p. <a href="#Page_185">185</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Le Brun</i>, pp. <a href="#Page_97">97</a>, <a href="#Page_229">229</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Lecomte.</i> L’Art impressionniste, p. <a href="#Page_87">87</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Le Nain</i>, p. <a href="#Page_60">60</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Le Sidaner</i>, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Le Sueur</i>, p. <a href="#Page_99">99</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Lhermitte</i>, p. <a href="#Page_166">166</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Logique</b> (La) dans la construction. N’est pas nécessaire à la beauté, pp. <a href="#Page_18">18</a>, <a href="#Page_19">19</a> et <a href="#Page_20">20</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Lumière</b> (La). Ses jeux, son influence sur les couleurs, p. <a href="#Page_72">72</a>.</p>
-<p class="pnii">Elle transfigure et idéalise la vie moderne, p. <a href="#Page_73">73</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Lucerne.</i> Ses ponts, p. <a href="#Page_217">217</a>.</p>
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>M</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Maile</i>, p. <a href="#Page_112">112</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Maindron.</i> Statue de Senefelder, p. <a href="#Page_128">128</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_269" id="Page_269">[269]</a></span></p><p class="pni"><b>Maisons hautes</b> des États-Unis (Les) n’ont rien d’original, p. <a href="#Page_24">24</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Leur style composite, p. <a href="#Page_24">24</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Mallarmé</i>, p. <a href="#Page_61">61</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Marqueste.</i> Statue de Victor Hugo assis, pp. <a href="#Page_125">125</a>, <a href="#Page_134">134</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Martin</i> (H.), p. <a href="#Page_72">72</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Maskell</i> (M. Alfred). Jeune Hollandaise. pp. <a href="#Page_186">186</a>, <a href="#Page_204">204</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Massacre de Scio</i>, p. <a href="#Page_78">78</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Mathey.</i> Portrait d’un graveur, p. <a href="#Page_189">189</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Mélange optique des couleurs</b> (Le), p. <a href="#Page_79">79</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Ménard.</i> Les Terres antiques, p. <a href="#Page_85">85</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Métayer</i>, p. <a href="#Page_100">100</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Meunier</i> (Constantin). Les Mineurs, p. <a href="#Page_127">127</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Michel</i> (André), p. <a href="#Page_88">88</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Millet</i> (J.-F.), p. <a href="#Page_165">165</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Monet</i> (Claude), p. <a href="#Page_67">67</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Argenteuil, p. <a href="#Page_80">80</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Antibes, p. <a href="#Page_67">67</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Champ de Tulipes à Sassenheim, p. <a href="#Page_67">67</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Église de Varengeville, p. <a href="#Page_67">67</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Gare Saint-Lazare, pp. <a href="#Page_63">63</a>, <a href="#Page_81">81</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Pont de l’Europe, p. <a href="#Page_63">63</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Église de Vetheuil, pp. <a href="#Page_81">81</a>, <a href="#Page_96">96</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Montenard</i>, p. <a href="#Page_191">191</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Moore</i> (Albert), p. <a href="#Page_185">185</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Morisset</i>, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Moullé</i> (Albert), p. <a href="#Page_86">86</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Mouvement</b> (le). Sa définition: un ensemble d’attitudes, p. <a href="#Page_201">201</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Murchison</i> (M.), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Musées</b> (Les). Musée des Antiques, au Vatican, p. <a href="#Page_211">211</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Le British Museum, p. <a href="#Page_248">248</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;National Gallery.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Cernuschi, pp. <a href="#Page_215">215</a>, <a href="#Page_243">243</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;des Thermes de Dioclétien, p. <a href="#Page_248">248</a>.</p>
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>N</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Naegely</i> (Henri), p. <a href="#Page_62">62</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Napoléon.</i> Sa représentation sur la colonne Vendôme, p. <a href="#Page_119">119</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Naudot</i> (M.), p. <a href="#Page_153">153</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Net</b> (Le) en photographie, p. <a href="#Page_157">157</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Nolhac</i> (M. de), p. <a href="#Page_230">230</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Nuremberg.</i> Ses fontaines, p. <a href="#Page_217">217</a>.</p>
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>O</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Objectif</i> (L’) voit autrement que notre œil: instantané, il transforme le mouvement en immobilité, p. <a href="#Page_201">201</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Ombres</b> (Les) sont des couleurs. Théorie de Ruskin, précurseur des impressionnistes, p. <a href="#Page_70">70</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Origet</i> (M.), p. <a href="#Page_207">207</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Originalité</b> (La recherche de l’), le plus grand mal de l’art contemporain, pp. <a href="#Page_97">97</a> et <a href="#Page_98">98</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Les vrais originaux n’ont pas recherché l’originalité, p. <a href="#Page_99">99</a>.</p>
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>P</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Palais des papes</i>, à Avignon, pp. <a href="#Page_21">21</a> et <a href="#Page_257">257</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Palais</i> (Le grand), l’effet qu’il produit, vu des Champs-Élysées, p. <a href="#Page_11">11</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Palais</i> (Le petit), p. <a href="#Page_11">11</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Sa beauté intérieure, p. <a href="#Page_12">12</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Son succès, p. <a href="#Page_13">13</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Pamphili</i> (Une statue à la villa), p. <a href="#Page_247">247</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Panathénées</i> (Les), pp. <a href="#Page_232">232</a> et <a href="#Page_233">233</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Paris.</i> Statue de Danton, p. <a href="#Page_131">131</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Parques</i> (Les trois) du Parthénon, p. <a href="#Page_135">135</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Parthénon</i>, p. <a href="#Page_232">232</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Paysage moderne</b> (Le), moins beau comme lignes, mais plus beau comme couleurs que le paysage d’autrefois, p. <a href="#Page_67">67</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Percier et Fontaine</i>, p. <a href="#Page_113">113</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Perspective.</b> Son exagération par la photographie, imputable au photographe, p. <a href="#Page_158">158</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Phidias</i> (Cheval de), pp. <a href="#Page_57">57</a> et <a href="#Page_117">117</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Pissarro</i>, p. <a href="#Page_65">65</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Paysanne assise, p. <a href="#Page_74">74</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Vue de Rouen, p. <a href="#Page_80">80</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;La brouette, p. <a href="#Page_81">81</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Les toits rouges, pp. <a href="#Page_81">81</a> et <a href="#Page_96">96</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_270" id="Page_270">[270]</a></span></p><p class="pni"><i>Planche</i> (Gustave). Études sur l’École française, p. <a href="#Page_112">112</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Plein-air</i> (Théorie de Delacroix sur les couleurs vues en), p. <a href="#Page_69">69</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Pointillisme.</i> Ses inconvénients, p. <a href="#Page_81">81</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Polyclète</i>, p. <a href="#Page_111">111</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Ponts</b> (Les anciens), p. <a href="#Page_27">27</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Leur rôle dans les villes du moyen âge. Leur aspect, p. <a href="#Page_28">28</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Ponts de fer, p. <a href="#Page_28">28</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Leur beauté, p. <a href="#Page_30">30</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Portrait</i> (Le) dans l’École impressionniste, p. <a href="#Page_92">92</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Poussin</i>, p. <a href="#Page_99">99</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Préault.</i> Comparaison avec M. Rodin, p. <a href="#Page_122">122</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Puech</i>, p. <a href="#Page_108">108</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Puvis de Chavannes</i>, p. <a href="#Page_144">144</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Puyo</i> (M. Constant). Vengeance. La lampe file, p. <a href="#Page_171">171</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;L’île heureuse, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Pénélope, p. <a href="#Page_193">193</a>.</p>
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>R</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Racine.</i> Sa statue à la Ferté-Milon, p. <a href="#Page_119">119</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Rambaud</i> (Alfred), p. <a href="#Page_259">259</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Redingote</b> (La). Pourquoi elle est inesthétique, p. <a href="#Page_129">129</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Comparaison avec la toge, p. <a href="#Page_131">131</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Rembrandt.</i> Portrait du bourgmestre Six et de sa femme, p. <a href="#Page_231">231</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Renoir</i>, pp. <a href="#Page_61">61</a> et <a href="#Page_65">65</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Danseuse, p. <a href="#Page_81">81</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;La loge, p. <a href="#Page_76">76</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Retouche</i> (La), en photographie, doit être proscrite, p. <a href="#Page_178">178</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Pourquoi les artistes ne l’emploient pas.</p>
-
-<p class="pni"><i>Reynolds</i>, pp. <a href="#Page_93">93</a> et <a href="#Page_112">112</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Robinson</i> (H.-P.). Premier photographe artiste, p. <a href="#Page_161">161</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Rochegrosse</i>, p. <a href="#Page_55">55</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Rodin.</i> Le monument de Victor-Hugo, pp. <a href="#Page_120">120</a> et <a href="#Page_121">121</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;de Balzac, pp. <a href="#Page_121">121</a> et <a href="#Page_124">124</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Les bourgeois de Calais, p. <a href="#Page_127">127</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Rœderstein</i> (Mlle), p. <a href="#Page_86">86</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Rome.</i> Ses palais, ses jardins, p. <a href="#Page_218">218</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Rosa Bonheur.</i> Son monument à Fontainebleau, type de la représentation d’un monument élevé à la gloire d’un contemporain, p. <a href="#Page_144">144</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Rossetti</i>, p. <a href="#Page_78">78</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Rousseau</i>, pp. <a href="#Page_95">95</a> et <a href="#Page_165">165</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Rubens</i>, p. <a href="#Page_112">112</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Rude.</i> Le Départ, p. <a href="#Page_110">110</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Tombeau de Cavaignac, p. <a href="#Page_127">127</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Ruines</b> (Les) doivent être laissées dans la nature, leur beauté pittoresque, pp. <a href="#Page_242">242</a> et <a href="#Page_243">243</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Ruskin</i>, précurseur de l’impressionnisme, p. <a href="#Page_70">70</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Son opinion sur les villes modernes, p. <a href="#Page_264">264</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Elements of Drawing, p. <a href="#Page_70">70</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Lectures on art, p. <a href="#Page_71">71</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;The Seven Lamps of architecture, p. <a href="#Page_124">124</a>.</p>
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>S</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Sacré-Cœur de Montmartre</i> (Le), p. <a href="#Page_9">9</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Critiques sur &mdash;&mdash;, pp. <a href="#Page_9">9</a> et <a href="#Page_10">10</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Son aspect vu de Paris, pp. <a href="#Page_10">10</a>, <a href="#Page_11">11</a> et <a href="#Page_13">13</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Saint-Georges de Donatello</i>, p. <a href="#Page_132">132</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Saint-Marceaux.</i> Monuments de: Alphonse Daudet, Félix Faure, Alexandre Dumas fils, p. <a href="#Page_124">124</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Saint-Marc</i> à Venise, p. <a href="#Page_20">20</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Sarcophage de Sidon</i>, p. <a href="#Page_135">135</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Sarlius</i>, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Schopenhauer</i>, p. <a href="#Page_44">44</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Seurat</i>, p. <a href="#Page_82">82</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Signac</i> (Paul), pp. <a href="#Page_78">78</a>, <a href="#Page_80">80</a> et <a href="#Page_82">82</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Simon.</i> Procession, p. <a href="#Page_86">86</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Sisley</i>, p. <a href="#Page_63">63</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Bords de la Seine, p. <a href="#Page_81">81</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Smedley Aston</i> (M.). Paix d’or sur la contrée, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Sollet</i> (M.), p. <a href="#Page_153">153</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Statues</b> (La manie contemporaine des), p. <a href="#Page_107">107</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Steen.</i> Le Médecin. Le Charlatan, p. <a href="#Page_114">114</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Stendhal</i>, p. <a href="#Page_151">151</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_271" id="Page_271">[271]</a></span></p><p class="pni"><i>Suite des Châteaux</i> (La), p. <a href="#Page_254">254</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Sujet</b> (Le choix du) en art et en photographie, p. <a href="#Page_167">167</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Sully-Prudhomme.</i> Son opinion sur l’Architecture de fer, p. <a href="#Page_31">31</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Sutcliffe</i> (M.). Brouillard, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p>
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>T</b></p>
-
-<p class="pni"><b>Tache</b> (Théorie de la) en architecture, p. <a href="#Page_11">11</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Principale chose à considérer dans un monument au point de vue esthétique.</p>
-
-<p class="pni"><i>Taine</i>, p. <a href="#Page_77">77</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Tassaert</i>, p. <a href="#Page_253">253</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Thermes de Dioclétien</b> (Le musée des). Exemple d’un musée qui n’est pas une prison de l’art, p. <a href="#Page_248">248</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Thomy-Thiéry</i> (Collection) au Louvre, p. <a href="#Page_95">95</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Thorwaldsen</i>, p. <a href="#Page_111">111</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Titien</i> (Le), pp. <a href="#Page_67">67</a>, <a href="#Page_97">97</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Toge</b> (La). Différentes manières qu’avaient les anciens de la draper, en opposition avec la forme immuable de la redingote, p. <a href="#Page_130">130</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Torse</i> (Le), au Vatican, p. <a href="#Page_239">239</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Torti</i>, p. <a href="#Page_212">212</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Toulouse</i>, ses Couvents, p. <a href="#Page_218">218</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Trocadéro</i>, p. <a href="#Page_17">17</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Turner</i>, précurseur de l’impressionnisme.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Grand chemin de fer de l’Ouest, p. <a href="#Page_63">63</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Les Funérailles en mer du peintre Wilkie, p. <a href="#Page_101">101</a>.</p>
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>V</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Van der Weyden</i> (Roger). Portrait du Grand Bâtard de Bourgogne, p. <a href="#Page_114">114</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Van Dyck</i>, p. <a href="#Page_112">112</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Van Honthorst</i>, p. <a href="#Page_171">171</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Védrines</i> (M. de). Marée Basse, p. <a href="#Page_186">186</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Venise</i>, ses ponts, p. <a href="#Page_218">218</a>.</p>
-
-<p class="pni"><b>Vêtement contemporain</b> (Le) n’est pas sculptural, p. <a href="#Page_129">129</a>.</p>
-<p class="pnii">C’est un anthropoïde, p. <a href="#Page_130">130</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Il exprime la passion de l’égalité physique, p. <a href="#Page_137">137</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Il est une mauvaise œuvre d’art, p. <a href="#Page_137">137</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Vettii</i> (Fresque de la maison des), p. <a href="#Page_174">174</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Victoire</i> (La) de Samothrace, pp. <a href="#Page_135">135</a>, <a href="#Page_176">176</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Villa Mattéi</i>, son portail. Navicella, p. <a href="#Page_241">241</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Viollet-le-Duc</i>, p. <a href="#Page_16">16</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Vogüé</i> (Melchior de). Son opinion sur l’architecture du fer, p. <a href="#Page_17">17</a>.</p>
-
-<p class="pi6 p2 mid font1"><b>W</b></p>
-
-<p class="pni"><i>Walker</i> (Frédéric), p. <a href="#Page_168">168</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Watteau.</i> L’Embarquement pour Cythère. pp. <a href="#Page_77">77</a>, <a href="#Page_101">101</a>.</p>
-<p class="pnii">&mdash;Son respect pour la tradition, p. <a href="#Page_100">100</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Watts</i>, précurseur de l’impressionnisme, p. <a href="#Page_78">78</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Watzek</i> (M.), p. <a href="#Page_186">186</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Weil</i> (Miss Mathilde), p. <a href="#Page_152">152</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Wilms</i> (M.). Sombre Clarté, p. <a href="#Page_185">185</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Winckelmann</i> (L’école de), p. <a href="#Page_208">208</a>.</p>
-
-<p class="pni"><i>Wynford Dewhurst</i>, p. <a href="#Page_87">87</a>.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_272" id="Page_272">[272]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_273" id="Page_273">[273]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">TABLE DES MATIÈRES</h2>
-
-<hr class="d1" />
-
-<table id="toc" summary="cont">
-
- <tr>
- <td colspan="3" class="tdl"><span class="smcap">Introduction</span></td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_v">v</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td colspan="3" class="tch1">PREMIÈRE PARTIE</td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td colspan="3" class="tch2">L’ESTHÉTIQUE DU FER</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_1">1</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3"><span class="smcap">Chap.</span></td>
- <td class="tdr1">I.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Comment juger d’une architecture nouvelle</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_7">7</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3">&mdash;</td>
- <td class="tdr1">II.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Le triomphe du fer: le Pont et son échec: la Maison</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_23">23</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3">&mdash;</td>
- <td class="tdr1">III.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Pourquoi le fer permet tout et n’ordonne rien</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_35">35</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td colspan="3" class="tch1">DEUXIÈME PARTIE</td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td colspan="3" class="tch2">LE BILAN DE L’IMPRESSIONNISME</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_51">51</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3"><span class="smcap">Chap.</span></td>
- <td class="tdr1">I.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Ses causes</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_55">55</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3"><span class="smcap">&mdash;</span></td>
- <td class="tdr1">II.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Ses vérités</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_66">66</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3"><span class="smcap">&mdash;</span></td>
- <td class="tdr1">III.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Ses lacunes</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_83">83</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3"><span class="smcap">&mdash;</span></td>
- <td class="tdr1">IV.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Son erreur</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_97">97</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td colspan="3" class="tch1">TROISIÈME PARTIE</td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td colspan="3" class="tch2">LE VÊTEMENT MODERNE DANS LA STATUAIRE</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_105">105</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3"><span class="smcap">Chap.</span></td>
- <td class="tdr1">I.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Pourquoi les sculpteurs ont tenté de représenter le vêtement moderne</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_110">110</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3">&mdash;</td>
- <td class="tdr1">II.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Les résultats de la tentative</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_120">120</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3">&mdash;<span class="pagenum"><a name="Page_274" id="Page_274">[274]</a></span></td>
- <td class="tdr1">III.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Pourquoi le vêtement moderne n’est pas sculptural</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_129">129</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3">&mdash;</td>
- <td class="tdr1">IV.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Comment représenter un grand homme contemporain</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_141">141</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td colspan="3" class="tch1">QUATRIÈME PARTIE</td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td colspan="3" class="tch2">LA PHOTOGRAPHIE EST-ELLE UN ART?</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_147">147</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3"><span class="smcap">Chap.</span></td>
- <td class="tdr1">I.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Les défauts de la photographie</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_155">155</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3">&mdash;</td>
- <td class="tdr1">II.</td>
- <td class="ti1">&mdash;La triple intervention de l’artiste</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_164">164</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3">&mdash;</td>
- <td class="tdr1">III.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Nouvelles œuvres et idées nouvelles</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_183">183</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3">&mdash;</td>
- <td class="tdr1">IV.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Une prétention excessive de la photographie</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_197">197</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3">&mdash;</td>
- <td class="tdr1">V.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Une réaction idéaliste</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_204">204</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td colspan="3" class="tch1">CINQUIÈME PARTIE</td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td colspan="3" class="tch2">LES PRISONS DE L’ART</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_213">213</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3"><span class="smcap">Chap.</span></td>
- <td class="tdr1">I.</td>
- <td class="ti1">&mdash;L’art proscrit de la vie et interné dans les musées</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_221">221</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3">&mdash;</td>
- <td class="tdr1">II.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Ce que devient l’art en prison</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_229">229</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3">&mdash;</td>
- <td class="tdr1">III.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Ce que la nature fait pour l’œuvre d’art</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_244">244</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tch3">&mdash;</td>
- <td class="tdr1">IV.</td>
- <td class="ti1">&mdash;Le paradoxe de la «conservation» des œuvres d’art</td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_253">253</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td colspan="3" class="tdl"><span class="smcap">Index</span></td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_265">265</a></td>
- </tr>
-
-</table>
-
-<hr class="d2" />
-
-<p class="pc reduct">1330-02.&mdash;Coulommiers. Imp. <span class="smcap">Paul</span> BRODARD.&mdash;1-04.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_275" id="Page_275">[275]</a></span></p>
-
-<p class="pc4">Libraire Hachette et C<sup>ie</sup>, boulevard Saint-Germain, 79, à Paris.</p>
-<hr class="d4" />
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-&mdash; <i>La prose</i>; 8^e édition. 1 vol.<br />
-&mdash; <i>La littérature française, des origines à la fin du XVI^e siècle</i>; 8^e édition. 1 vol.<br />
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-&mdash; <i>Gœthe, ses précurseurs et ses contemporains</i>; 4^e édition. 1 vol.<br />
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-&mdash; <i>L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature</i>; 3^e édit. 1 vol.<br />
-&mdash; <i>L’évolution de la poésie lyrique en France au XIX^e siècle</i>; 2^e édit. 2 vol.<br />
-&mdash; <i>Les époques du théâtre français</i>. 1 vol.<br />
-&mdash; <i>Victor Hugo</i>. 2 vol.</p>
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-<p class="pn1"><b>DESPOIS</b> (E.): <i>Le théâtre français sous Louis XIV</i>; 4^e édition. 1 vol.</p>
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-<p class="pn1"><b>FILON</b> (Aug.): <i>Mérimée et ses amis</i>. 1 vol.<br />
-&mdash; <i>La caricature en Angleterre</i>. 1 vol.</p>
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-<p class="pn1"><b>GIRAUD</b> (Victor): <i>Essai sur Taine</i>. 1 vol.<br />
-Ouvrage couronné par l’Académie française.</p>
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-<p class="pn1"><b>GLACHANT</b> (P. et V.): <i>Papiers d’autrefois</i>. 1 vol.<br />
-Ouvrage couronné par l’Académie française.<br />
-&mdash; <i>Essai critique sur le théâtre de Victor Hugo</i>. 2 vol.</p>
-
-<p class="pn1"><b>GREARD</b> (Oct.), de l’Académie française: <i>Edmond Scherer</i>; 2^e édit. 1 vol<br />
-&mdash; <i>Prévost-Paradol</i>; 2^e édit. 1 vol.</p>
-
-<p class="pn1"><b>JUSSERAND</b> (J.-J.): <i>Les Anglais au moyen âge</i>. 2 vol.:<br />
-La vie nomade et les routes d’Angleterre au XIV^e siècle. 1 vol.<br />
-Ouvrage couronné par l’Académie française.<br />
-L’épopée mystique de William Langland.</p>
-
-<p class="pn1"><b>LAFOSCADE</b> (L.): <i>Le théâtre d’Alfred de Musset</i>. 1 vol.</p>
-
-<p class="pn1"><b>LANGLOIS</b> (Ch.-V.): <i>La société française au XIII^e siècle</i>. 1 vol.</p>
-
-<p class="pn1"><b>LARROUMET</b> (G.), de l’institut: <i>Marivaux, sa vie et ses œuvres</i>; 3^e édition. 1 vol.<br />
-Ouvrage couronné par l’Académie française.<br />
-&mdash; <i>La comédie de Molière</i>; 6^e édit. 1 vol.<br />
-&mdash; <i>Etudes d’histoire et de critique dramatiques</i>; 2^e édition. 2 vol.<br />
-&mdash; <i>Etudes de littérature et d’art</i>. 4 vol.<br />
-&mdash; <i>L’art et l’État en France</i>. 1 vol.<br />
-&mdash; <i>Petits portraits et notes d’art</i>. 2 vol.<br />
-&mdash; <i>Derniers portraits</i>. 1 vol.<br />
-&mdash; <i>Vers Athènes et Jérusalem</i>, 1 vol.</p>
-
-<p class="pn1"><b>LENIENT</b>: <i>La satire en France au moyen âge</i>; 4^e édition. 1 vol.<br />
-Ouvrage couronné par l’Académie française.<br />
-&mdash; <i>La satire en France au XVI^e siècle</i>; 3^e édition. 2 vol.<br />
-&mdash; <i>La comédie en France au XVIII^e et au XIX^e siècles</i>. 4 vol.<br />
-&mdash; <i>La poésie patriotique en France au moyen âge et dans les temps modernes</i>. 2 v.</p>
-
-<p class="pn1"><b>LICHTENBERGER</b>: <i>Etude sur les poésies lyriques de Gœthe</i>; 2^e édition. 1 vol.<br />
-Ouvrage couronné par l’Académie française.</p>
-
-<p class="pn1"><b>MÉZIÈRES</b> (A.), de l’Académie française: <i>Pétrarque</i>, 1 vol.<br />
-&mdash; <i>Shakespeare, ses œuvres et ses critiques</i>; 6^e édit. 1 vol.<br />
-&mdash; <i>Prédécesseurs et contemporains de Shakespeare</i>; 4^e édition. 1 vol.<br />
-&mdash; <i>Contemporains et successeurs de Shakespeare</i>. 4^e édition. 1 vol.<br />
-Ouvrages couronnés par l’Académie française.<br />
-&mdash; <i>Hors de France</i>: Italie, Espagne, Angleterre, Grèce moderne; 2^e éd. 1 vol.<br />
-&mdash; <i>Vie de Mirabeau</i>. 1 vol.<br />
-&mdash; <i>Gœthe</i>. les œuvres expliquées par la vie. 2 vol.<br />
-&mdash; <i>Morts et Vivants</i>. 1 vol.</p>
-
-<p class="pn1"><b>MICHE</b>L (Henri): <i>Le quarantième fauteuil</i>. 1 vol.</p>
-
-<p class="pn1"><b>PARIS</b> (G.), de l’Académie française: <i>La poésie du moyen âge</i>. 2 vol.</p>
-
-<p class="pn1"><b>PELLISSIER</b>: <i>Le mouvement littéraire au XIX^e siècle</i>; 6^e édit. 1 vol.</p>
-
-<p class="pn1"><b>POMAIROLS</b> (de): <i>Lamartine</i>. 1 vol.</p>
-
-<p class="pn1"><b>PRÉVOST-PARADOL</b>: <i>Études sur les moralistes français</i>, 9^e édition. 1 vol.</p>
-
-<p class="pn1"><b>RICARDOU</b> (A.): <i>La critique littéraire</i>. 1 vol.</p>
-
-<p class="pn1"><b>RIGAL</b> (E.): <i>Le théâtre français avant la période classique</i>. 1 vol.</p>
-
-<p class="pn1"><b>RITTER</b> (E.): <i>La famille et la jeunesse de J.-J. Rousseau</i>. 1 vol.<br />
-Ouvrage couronné par l’Académie française.</p>
-
-<p class="pn1"><b>SPENCER</b> (H.): <i>Faits et commentaires</i>, trad. de l’anglais. 1 vol.</p>
-
-<p class="pn1"><b>STAEL</b> (M^{me} de): <i>Lettres inédites à Henri Meister</i>. 1 vol.</p>
-
-<p class="pn1"><b>STAPFER</b> (P.): <i>Molière et Shakespeare</i>. Ouvrage couronné par l’Académie française.<br />
-&mdash; <i>Des réputations littéraires</i>. 1 vol.<br />
-&mdash; <i>La famille et les amis de Montaigne</i>.</p>
-
-<p class="pn1"><b>TAINE</b> (H.): <i>Histoire de la littérature anglaise</i>; 11^e éd. 5 vol.<br />
-&mdash; <i>La Fontaine et ses fables</i>; 16^e édit. 1 vol.<br />
-&mdash; <i>Essais de critique et d’histoire</i>; 9^e édit.<br />
-&mdash; <i>Nouveaux Essais de critique et d’histoire</i>; 7^e édit. 1 vol.<br />
-&mdash; <i>Derniers essais de critique et d’histoire</i>.</p>
-
-<p class="pn1"><b>TEXTE</b> (J.): <i>J.-J. Rousseau et les origines du cosmopolitisme littéraire</i>. 1 vol.<br />
-Ouvrage couronné par l’Académie française.</p>
-
-<p>1330-02.&mdash;Coulommiers. Imp. <span class="smcap">Paul Brodard</span>.&mdash;1-04.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">FOOTNOTES:</h2>
-
-<div class="footnotes">
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_1_1" id="Footnote_1_1"></a><a href="#FNanchor_1_1"><span class="label">[1]</span></a></span>
-M. Guyau. <i>Les Problèmes de l’Esthétique contemporaine.</i>
-Ch. <span class="smcap">III</span>. L’art et l’Industrie moderne, pp. 120, 121, 122.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_2_2" id="Footnote_2_2"></a><a href="#FNanchor_2_2"><span class="label">[2]</span></a></span>
-<i>De l’Expression dans les Beaux-Arts.</i></p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_3_3" id="Footnote_3_3"></a><a href="#FNanchor_3_3"><span class="label">[3]</span></a></span>
-<i>Le monde comme volonté et représentation</i>, livre III.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_4_4" id="Footnote_4_4"></a><a href="#FNanchor_4_4"><span class="label">[4]</span></a></span>
-Henry Naegely, <i>J. F. Millet and rustic life</i>, Londres, 1898.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_5_5" id="Footnote_5_5"></a><a href="#FNanchor_5_5"><span class="label">[5]</span></a></span>
-<i>Journal d’Eugène Delacroix</i>, t. III.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_6_6" id="Footnote_6_6"></a><a href="#FNanchor_6_6"><span class="label">[6]</span></a></span>
-Ruskin, <i>Éléments of Drawing</i>, écrits en 1856.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_7_7" id="Footnote_7_7"></a><a href="#FNanchor_7_7"><span class="label">[7]</span></a></span>
-Ruskin, <i>Lectures on Art</i>, 1870.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_8_8" id="Footnote_8_8"></a><a href="#FNanchor_8_8"><span class="label">[8]</span></a></span>
-Paul Signac, <i>D’Eugène Delacroix au Néo-Impressionnisme</i>,
-1899.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_9_9" id="Footnote_9_9"></a><a href="#FNanchor_9_9"><span class="label">[9]</span></a></span>
-Th. Duret, <i>Critique d’avant-garde. Les Impressionistes</i>,
-1885.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_10_10" id="Footnote_10_10"></a><a href="#FNanchor_10_10"><span class="label">[10]</span></a></span>
-Cf. Lecomte, <i>l’Art impressionniste</i>.&mdash;Th. Duret, <i>Critique
-d’avant-garde</i>.&mdash;Castagnary, <i>Salons</i>, année 1876.&mdash;Gustave
-Geffroy, <i>La Vie artistique</i>, troisième série, Histoire de l’Impressionnisme,
-1894.&mdash;Wynford Dewhurst, La Peinture
-impressionniste, <i>Studio</i>, 1903.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_11_11" id="Footnote_11_11"></a><a href="#FNanchor_11_11"><span class="label">[11]</span></a></span>
-Gustave Geoffroy, <i>La vie artistique</i>, série III, § 2. Définition
-de l’Impressionnisme.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_12_12" id="Footnote_12_12"></a><a href="#FNanchor_12_12"><span class="label">[12]</span></a></span>
-André Michel, <i>Notes sur l’Art moderne</i>.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_13_13" id="Footnote_13_13"></a><a href="#FNanchor_13_13"><span class="label">[13]</span></a></span>
-Gustave Planche, <i>Études sur l’École française</i>, t. I, Salon
-de 1831, et Salon de 1846.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_14_14" id="Footnote_14_14"></a><a href="#FNanchor_14_14"><span class="label">[14]</span></a></span>
-<i>Journal d’Eugène Delacroix</i>, t. I, 1843.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_15_15" id="Footnote_15_15"></a><a href="#FNanchor_15_15"><span class="label">[15]</span></a></span>
-M. Guyau, <i>Problèmes de l’Esthétique contemporaine</i>.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_16_16" id="Footnote_16_16"></a><a href="#FNanchor_16_16"><span class="label">[16]</span></a></span>
-Gustave Larroumet, <i>L’Art et l’État en France</i>, 1895.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_17_17" id="Footnote_17_17"></a><a href="#FNanchor_17_17"><span class="label">[17]</span></a></span>
-<i>Journal d’Eugène Delacroix</i>, t. III, année 1859.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_18_18" id="Footnote_18_18"></a><a href="#FNanchor_18_18"><span class="label">[18]</span></a></span>
-Ruskin, <i>The Seven Lamps of Architecture</i>, chap. v, § 21.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_19_19" id="Footnote_19_19"></a><a href="#FNanchor_19_19"><span class="label">[19]</span></a></span>
-Depuis que ces lignes ont paru pour la première fois dans
-la <i>Revue des Deux Mondes</i>, le vœu qu’elles exprimaient a été
-réalisé.</p>
-<p class="pfc4">
-Le monument de <i>Rosa Bonheur</i>, érigé à Fontainebleau en
-1901, représente non Rosa Bonheur elle-même, mais le sujet
-habituel de ses tableaux, un taureau, et le médaillon du peintre
-est un bas-relief appliqué sur un des côtés du piédestal.&mdash;La
-même pensée a inspiré M. Peynot, l’auteur du monument de
-<i>Français</i> à Plombières, et M. Marqueste, l’auteur du monument
-de <i>Ferdinand Fabre</i> au Luxembourg. La personne de l’écrivain
-ou de l’artiste n’est représentée que par son buste,&mdash;son œuvre
-par des personnages, qui forment réellement le monument.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_20_20" id="Footnote_20_20"></a><a href="#FNanchor_20_20"><span class="label">[20]</span></a></span>
-Mme Cameron, <i>Annals of my glass-house</i>.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_21_21" id="Footnote_21_21"></a><a href="#FNanchor_21_21"><span class="label">[21]</span></a></span>
-Puyo, <i>Notes sur la Photographie artistique</i>, 1896.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_22_22" id="Footnote_22_22"></a><a href="#FNanchor_22_22"><span class="label">[22]</span></a></span>
-<i>Annals of my glass-house.</i></p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_23_23" id="Footnote_23_23"></a><a href="#FNanchor_23_23"><span class="label">[23]</span></a></span>
-Voir les plans du <i>Bolletino dell’Associazione per
-la difesa di Firenze antica</i>, second fascicule, Florence,
-mars 1900.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_24_24" id="Footnote_24_24"></a><a href="#FNanchor_24_24"><span class="label">[24]</span></a></span>
-Depuis que ces lignes ont paru pour la première fois, dans
-la <i>Revue des Deux-Mondes</i>, une ligue semblable s’est fondée
-en France pour la protection des paysages et une campagne
-très ardente a été menée par M. André Hallays, qu’il est juste
-de ne pas oublier, pour l’honneur du goût français.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_25_25" id="Footnote_25_25"></a><a href="#FNanchor_25_25"><span class="label">[25]</span></a></span>
-Pierre de Nolhac, <i>Paysages de France et d’Italie</i>.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_26_26" id="Footnote_26_26"></a><a href="#FNanchor_26_26"><span class="label">[26]</span></a></span>
-Alfred Rambaud, ministre de l’Instruction publique et des
-Beaux-Arts, Discours à l’assemblée annuelle des membres de la
-<i>Société des Artistes français</i>.</p>
-
-<p class="pfn4"><span class="ln1"><a name="Footnote_27_27" id="Footnote_27_27"></a><a href="#FNanchor_27_27"><span class="label">[27]</span></a></span>
-John Ruskin, <i>The Seven Lamps of Architecture</i>.</p></div>
-</div>
-
-</div>
-
-
-
-
-
-
-
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Les questions esthétique
- contemporaines, by Robert de La Sizeranne
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES QUESTIONS ESTHÉTIQUES ***
-
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-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
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-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
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-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
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-
-The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the
-mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its
-volunteers and employees are scattered throughout numerous
-locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt
-Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
-date contact information can be found at the Foundation's web site and
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-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
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-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
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-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
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-
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
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