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If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: Vie de Henri Brulard, tome 1 (of 2) - -Author: Stendhal - -Release Date: December 17, 2016 [EBook #53749] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VIE DE HENRI BRULARD, TOME 1 *** - - - - -Produced by Laura Natal Rodriguez and Marc D'Hooghe at -Free Literature (back online soon in an extended version, -also linking to free sources for education worldwide ... -MOOC's, educational materials,...) Images generously made -available by Gallica (Bibliothèque nationale de France.) - - - - - -STENDHAL - -VIE - -DE - -HENRI BRULARD - -PUBLIÉE INTÉGRALEMENT POUR LA PREMIÈRE FOIS - -D'APRÈS LES MANUSCRITS DE LA BIBLIOTHÈQUE DE GRENOBLE - -PAR - -HENRY DEBRAYE - -Ancien élève de l'École des chartes -Archiviste de la ville de Grenoble - -TOME PREMIER - -AVEC NOTE DE L'ÉDITEUR, INTRODUCTION -ET CINQ PLANCHES HORS TEXTE - -PARIS - -LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ ET ÉDOUARD CHAMPION -5, Quai Malaquais, VIe - -1913 - - -[Illustration: Portrait de Stendhal jeune.] - - - - -NOTE DE L'ÉDITEUR - - -Nous tentons pour la première fois de donner au public lettré les -œuvres complètes de Stendhal. L'édition publiée par MM. Calmann-Lévy, -en volumes d'aspects et de mérites divers, n'est pas complète et ne -répond pas aux exigences de la critique moderne, encore qu'elle ait -rendu de grands services, que la notice de Mérimée, notamment, placée -à la tête de la _Correspondance_ ait été longtemps le seul guide des -Stendhaliens, et que la publication récente du _Journal d'Italie_ par -M. Arbelet soit un modèle de sagace érudition. Les ouvrages posthumes -sont dispersés chez différents libraires ou dans des revues quelquefois -peu accessibles; plusieurs sont épuisés ou demeurent introuvables. Rien -de plus difficile à constituer qu'une collection des œuvres de Stendhal -comme celle qu'a réunie, au siège du Stendhal-Club, l'archiviste zélé -et obligeant, M. Paupe. - -Si l'on songe à l'influence de Stendhal sur les esprits les plus -notoires de notre génération, si l'on réfléchit à la substance de son -œuvre, on reste surpris que le dessein d'en donner une édition complète -n'ait tenté aucun de nos grands libraires si audacieux et si avisés. -Sans doute ils ont jugé l'entreprise trop malaisée. Stendhal semble -avoir pris plaisir à dérouter ses futurs éditeurs par l'énigme de son -écriture, de ses signes particuliers, de son langage conventionnel. Il -s'enveloppe d'ombre et de mystère. Il faut d'abord l'avoir bien prié, -ou bien maltraité, pour qu'il se dévoile. Et c'est ainsi que m'a été -laissé le soin de l'éditeur. - -Stendhal avait légué son manuscrit de _Brulard_ au plus âgé des -libraires de Londres et dont le nom commençait par un C.; ce sera le -plus jeune des libraires de Paris dont le nom commence par un C. qui -recueillera pieusement son legs. - -Un érudit plus qualifié avait accepté de diriger notre entreprise et -de mener à bien cette lourde tâche. Il savait tout de Stendhal et -n'ignorait rien de Beyle. J'ai nommé Casimir Stryienski, trop tôt -enlevé aux lettres et aux études historiques. J'avais jugé naturel -et nécessaire de lui offrir la direction de cette œuvre, il l'avait -acceptée dans des termes dont je reste encore confus, mais je ne fus -pas moins surpris de sa retraite quand je lui demandai de revoir les -textes sur les manuscrits de Stendhal qui sont parvenus jusqu'à nous. -«Toute réflexion faite, je ne puis me charger de ce grand labeur. -Cette édition complète de Stendhal représente un travail considérable: -recherches, corrections d'épreuves, contrôles divers. Tout cela est -au-dessus de mes forces. Il y a dix ans j'aurais accepté. J'ai, du -reste, des travaux nombreux en vue qui me suffisent, et je considère -ma tâche stendhalienne comme finie. Que les autres profitent de tout -ce que j'ai publié... Il va sans dire que je reste à la disposition -de vos collaborateurs et que je serai très heureux de leur donner des -conseils...» (19 février 1912).--«Je comprends votre insistance -très aimable. Je vois bien, au point où j'en suis, quel profit vous -retireriez de mon nom, mais permettez-moi de vous confesser que -j'ai mieux à faire à mon âge...» (20 février 1912). Il s'était -cependant «ravisé pour un unique volume (_Brulard_)», «le premier -des œuvres complètes», mais ce projet fut définitivement abandonné -quand j'exprimais ma volonté absolue de corriger les épreuves sur le -manuscrit conservé à la Bibliothèque de Grenoble et d'y relever les -variantes et les inédits. N'est-ce pas là un détail à noter au chapitre -Brulard de l'excellente _Histoire des œuvres?_ - -Je devais ces explications aux nombreux amis connus ou inconnus qui, -au courant de mes projets, se sont étonnés de la publication en juin -dernier d'une nouvelle édition de la _Vie de Henri Brulard_ à la -librairie de mon excellent confrère, M. Émile Paul. Si C. Stryienski -l'a rééditée, quelques jours seulement avant le tragique accident où -il devait trouver la mort, alors qu'il n'ignorait rien de mon projet, -n'était-ce pas pour affirmer sa méthode d'éditeur? Il l'avait indiquée -dès la première édition: «Fort de la permission de Beyle, j'ai -reproduit presque entièrement le texte, me permettant toutefois de -supprimer les redites et de couper quelques longueurs». «Toutefois -», ajoutait-il, «j'ai fort peu profité de cette permission, je -suppose que les lecteurs ne s'en plaindront pas». La réédition -Émile Paul (1912), presque textuelle, sauf quelques corrections -(dont l'une, proposée par M. J. Bédier, acceptée sans vérification, -n'est pas confirmée par l'examen du manuscrit), affirme donc un -dessein déterminé: elle soulève un problème de méthode, qui a ici son -importance. - -M. Paul Arbelet, l'un des plus savants et des plus compétents -beylistes, a défendu par avance la mémoire de celui qu'il désigne à -juste titre comme l'inventeur de Stendhal[1]: «Il fallait glaner -et extraire: œuvre personnelle que chacun entend à sa façon, œuvre -difficile où l'on ne saurait contenter tout le monde, mais qui est ici -inévitable. Et il faut admirer Stryienski si, du premier coup, il -sut aller à l'essentiel...» Par l'effet de mon éducation peut-être, -par scrupule de vérité historique certainement, je ne puis accepter -cette manière de voir. Dès qu'il s'agit d'une autobiographie, on doit -tout publier. Le lecteur fera lui-même son choix. Autrement l'on -risque de trahir l'auteur; et même lorsqu'il vous invite à les faire, -les coupures ne sont pas légitimes, puisqu'il ne les a pas opérées -lui-même. «Souviens-toi de te méfier», disait cet ami de Stendhal, -Prosper Mérimée, le malicieux auteur de _H. B._ Appliquons ici cet -axiome. Qui jurerait qu'après la publication de ce nouveau _Brulard_ -que voici, avec cent et quelques pages inédites, qu'après la nouvelle -édition du _Journal_ et la publication des tomes dédaignés par les -précédents éditeurs, un jugement comme celui de M. Paul Bourget, par -exemple, ne serait pas à réviser? Et certainement les biographies, -celle de E. Rod, celle de M. Arthur Chuquet, pourtant si studieuse et -si bien documentée, les études de Stryienski lui-même, sont toutes -à revoir, comme les _Pages choisies_ de M. Léautaud à compléter. -Nous ne croyons donc pas prudent de faire une œuvre personnelle en -choisissant là où l'auteur n'a pas voulu le faire. Si nous ne publions -pas tout des 72 in-folios manuscrits de la Bibliothèque de Grenoble, -ce sera--absolument d'accord avec M. P. Arbelet--pour éliminer les -versions latines de l'élève Beyle ou les copies d'ouvrages exécutés -dans l'ennui d'un consulat. Je ne publierai pas comme de Stendhal des -fragments du _Dictionnaire philosophique_ de Bayle, et j'éviterai de -rééditer le _Code civil_, quand Henri Beyle s'est calmé à en copier les -articles les plus concis. - -Voici le plan de notre édition. - -En ce qui concerne les ouvrages de Stendhal dont nous avons pu -retrouver des manuscrits authentiques dans les bibliothèques publiques -ou privées, nous avons reproduit scrupuleusement la leçon de ces -manuscrits. Quand les originaux ont disparu, nous suivons la dernière -édition imprimée du vivant de l'auteur. Les variantes des éditions -précédentes seront notées exactement, et, comme nous l'avons fait pour -_Brulard_, rejetées à la fin, avec les notes. Celles-ci ne contiendront -que l'essentiel. Chaque volume sera accompagné d'illustrations -documentaires propres à situer l'œuvre et à l'éclairer. - -Les époques de publication seront variables: il paraîtra par an -environ quatre volumes suivant, autant que possible, un ordre logique -et rationnel. Après _Brulard_, où Stendhal raconte sa jeunesse, -suivront le _Journal_ et les _Souvenirs d'égotisme_, pour en finir -avec l'autobiographie. Sans doute ne résisterons-nous pas au plaisir, -avant de continuer l'édition des œuvres connues, de publier certains -inédits. Il en est ainsi d'une série d'articles écrits par Stendhal -sur la littérature, les beaux-arts et la société. Imprimés, après -traduction, dans diverses revues anglaises, le _Monthly Review_, le -_London Magazine_, la _Revue Britannique_, entre 1820 et 1830, ils ont -été retrouvés et traduits en français par Miss Doris Gunnell, maître de -conférences à l'université de Leeds, et sont comme les preuves de son -très utile ouvrage _Stendhal et l'Angleterre._ - -Ils forment la matière de quatre volumes de manuscrits in-folios, et -feront l'objet d'une publication à laquelle Miss Doris Gunnell et M. -Émile Henriot ont accepté de donner leurs soins, en se chargeant de -mettre en ordre et de présenter au public ces documents inédits. - -Les volumes publiés du vivant de Stendhal paraîtront dans l'ordre de -leur première date de publication: _Vies de Haydn, Mozart et Métastase; -Histoire de la peinture en Italie; Rome, Naples, Florence_, etc., etc. - -La correspondance sera réservée pour les derniers volumes: chaque jour -elle s'augmente, et notre édition aidant, nos appels étant entendus, il -ne restera plus bientôt, nous l'espérons, aucun trésor caché et nous -pourrons enfin donner une édition complète des Lettres de Beyle. - -Je souhaite aussi que, certaines riches archives privées m'étant -ouvertes, j'y puisse relever des annotations mises par l'auteur de la -_Chartreuse_ en marge de ses lectures. A en juger par celles qui ont -été publiées déjà, la moindre de ses remarques a de l'intérêt--et -elles en présentent toutes pour l'histoire de la formation -intellectuelle de Stendhal. - -Le tout dernier volume sera consacré à une table générale des noms -propres de personnes et de lieux, réels ou fictifs, figurant dans -l'œuvre entière. - -Entre temps aura paru une bibliographie de Stendhal, due à M. Cordier, -le savant membre de l'Institut. C'est le complément indispensable de -toute édition. M. Cordier a fait ses preuves d'érudition stendhalienne. -En nous apportant tout de suite le résultat de son expérience et de -ses recherches, en éclairant l'œuvre parfois cachée et mystérieuse de -Stendhal, en mettant de l'ordre et de la clarté dans les travaux des -Stendhaliens, depuis qu'il y en a et qui écrivent, il aura rendu un -inappréciable service tant à nous-mêmes qu'à nos lecteurs. Une notice -iconographique par M. Octave Uzanne, avec l'indication des gravures, -dessins, tableaux, est également dans notre programme. - -Chacun de nos volumes sera présenté à l'aide de substantielles préfaces -par l'élite des écrivains contemporains que notre œuvre intéresse et -qui l'encouragent: Charles Maurras (_Rome, Naples, Florence_); Rémy de -Gourmont (_De l'Amour_); G. d'Annunzio (_Promenades dans Rome_); Henry -Roujon (_Mélanges d'Art_), etc., pour n'en citer que quelques-uns et -suivant l'ordre de publication. MM. Anatole France et Maurice Barrès -nous ont promis leur précieux concours pour l'_Abbesse de Castro_ -et la _Chartreuse de Parme._ Notons ici que cette édition de la -_Chartreuse_ sera rendue nouvelle par les appendices où seront relevés, -d'après l'exemplaire si précieux de l'érudit grenoblois M. Chaper, les -corrections et additions qu'y fit Stendhal après le fameux article de -Balzac, quand il cherchait «le caractère de perfection, le cachet -d'irréprochable beauté» que lui conseillait le directeur de la _Revue -Parisienne._ - -Le soin de mettre au point l'édition de _Brulard_, du _Journal_, de -_Lucien Leuwen_, de _Napoléon_ et en général de toutes les œuvres, -inédites ou non, complètes ou ébauchées, que renferment les manuscrits -de la Bibliothèque de Grenoble, est échu à M. Henry Debraye. Ancien -élève de l'École des chartes, archiviste de la ville de Grenoble, M. -Debraye s'est voué entièrement à l'édification de ce monument des -_Œuvres complètes._ L'écriture hiéroglyphique de Stendhal n'a plus -guère de secret pour lui: telle page de _Brulard_ ou du _Journal_ -demeurée jusqu'à présent mystérieuse, il l'a déchiffrée avec une -patience et une sagacité admirables, se défiant des interprétations -de bon sens dont il faut souvent se garder en paléographie. Que l'on -compare plutôt son édition et les précédentes! D'une page de _Brulard_, -écrite en hâte et sans chandelle, deux mots ont pourtant échappé au -déchiffrement de M. Debraye--la page entière échappait d'ailleurs le -lendemain à Stendhal lui-même--nous avons décidé de la reproduire en -fac-simile: bien que l'image soit légèrement réduite par les exigences -de notre format, on pourra s'amuser à en tenter la lecture. Et on -applaudira vite à la science du parfait paléographe qu'est Henry -Debraye. - -Il m'est impossible de nommer à cette place toutes les personnes qui -m'ont encouragé dans mon entreprise. Je tiens pourtant à remercier -M. Élie-Joseph Bois, rédacteur au _Temps_, qui, le premier, a -annoncé l'édition des _Œuvres complètes_; M. Henri Welschinger, qui -a réalisé ce miracle de réconcilier Stendhal et l'Institut en lisant -à l'Académie des Sciences morales des inédits ensuite insérés dans -les Procès-verbaux officiels: M. Georges Cain, dont les _Souvenirs -stendhaliens_ (_Figaro_ du 29 septembre 1912) me sont particulièrement -chers; M. A. Paupe, dont le concours incessant m'est toujours précieux -et dont l'ouvrage sous presse, _Vie littéraire de Stendhal, Documents -inédits_, appendice aux _Œuvres complètes_, sera bien souvent cité dans -nos études préliminaires. M. Georges Grappe s'est employé amicalement -pour _Brulard_ comme si cette œuvre était sienne. J'ai profité des -conseils de M. Mario Roques que mon projet a toujours intéressé. -Je dois aussi une reconnaissance toute particulière à M. Maignien, -conservateur de la Bibliothèque de Grenoble, à ses bibliothécaires et -à ses commis. M. Paillart, l'obligeant maître-imprimeur, a surveillé -personnellement, dans ses ateliers d'Abbeville, la confection de cette -édition, à qui M. Longuet, par d'admirables phototypies et M. Lafuma, -par un impérissable papier pur chiffon, assurent, je puis le dire, -l'immortalité. - -Edouard Champion. - -16 Février 1913. - - -[Footnote 1: _Casimir Stryienski_ et Stendhal, Revue Bleue, 21 -septembre 1912.] - - - - -INTRODUCTION - - -LE MANUSCRIT DE LA VIE DE HENRI BRULARD - - -Une lettre de Henri Beyle annonçait, le 11 novembre 1832, au libraire -parisien Levavasseur: «J'écris maintenant un livre qui peut-être est -une grande sottise; c'est _Mes Confessions_, au style près, comme -Jean-Jacques Rousseau, avec plus de franchise.» Suivait un plan -sommaire du nouvel ouvrage: «J'ai commencé par la campagne de Russie -en 1812... A côté de la campagne de Russie et de la cour de l'Empereur, -il y a les amours de l'auteur; c'est un beau contraste.» - -Stendhal faisait-il allusion à une première rédaction de son -autobiographie, qu'il intitula plus tard la _Vie de Henri -Brulard_?--C'est possible, mais peu probable, nous le verrons tout à -l'heure; en tout cas, rien n'est resté de ce premier essai. Aurait-il -été détruit par son auteur? Ce serait bien extraordinaire, car Beyle -fut toujours très soucieux de conserver la moindre page de ses écrits. - -Dès 1832, cependant, Stendhal se préoccupait de raconter les -différentes péripéties de son existence. Il écrivait, de -Cività-Vecchia, le 12 juin, à son ami Di Fiore: «Quand je suis exilé -ici, j'écris l'histoire de mon dernier voyage à Paris, de juin 1821 à -novembre 1830. Je m'amuse à décrire toutes les faiblesses de l'animal; -je ne l'épargne nullement...» Mais cette histoire porte le titre de -_Souvenirs d'Egotisme_, elle n'a rien de commun avec la _Vie de Henri -Brulard._ - -En 1833, nouvelle tentative: le 15 février, Beyle commence les -_Mémoires de Henri B._, mais écrit à peine les quelques pages du -premier chapitre du livre I, que nous donnons en annexe de la présente -édition. - -Enfin, il se décida en 1835: le 23 novembre, il commençait son -autobiographie, qu'il appela _Vie de Henri Brulard_, et dont il écrivit -sans désemparer près de neuf cents pages. - -Son idée de 1832 le hantait encore: Stendhal débute ainsi: «Je me -trouvais ce matin, 16 octobre 1832...,» et affirme, quelques pages -plus loin: «Je ne continue que le 23 novembre 1835.» Fantaisie -d'écrivain, car le premier feuillet porte bien la date du 23 novembre -1835, et celle du 16 octobre 1831 (sic), mise en surcharge, a été -ajoutée postérieurement, lorsque Beyle a revu sa première rédaction: -les mots: 16 octobre 1831, et les corrections, sont de la même encre. - -Le manuscrit, tel que le possède la Bibliothèque municipale de -Grenoble, est formé de trois gros volumes, cotés R 299, du format 300 -sur 210 millimètres, que Beyle lui-même fit relier, et, en outre, de -deux cahiers, l'un compris dans le carton côté R 300, l'autre relié -avec le tome XII de la collection en vingt-huit volumes, cotée R 5.896. -Les trois volumes reliés contiennent respectivement les feuillets 2[1] -à 248, 249 à 500, et 501 à 796; la fin de l'ouvrage (fol. 797 à 808) -est dans le tome XII de la collection R 5.896; enfin, le cahier R 300 -comprend (dans cet ordre) les chapitres XV, XIII et V de la présente -édition. Le papier est rugueux, de couleur verdâtre, sauf à partir du -feuillet 708, dans un angle duquel Stendhal a noté: «Nouveau papier, -acheté à Cività-Vecchia.» - -Stendhal n'a pas économisé son papier: il a couvert seulement le recto -des feuillets, son écriture est large, les lignes sont très espacées. -Mais il corrigeait souvent, ajoutait à son texte, l'accompagnait -de réflexions; aussi, en beaucoup d'endroits, les marges, les -interlignes, le verso des pages ont été abondamment surchargés. - -Enfin, le texte lui-même ou bien le verso des feuillets est illustré de -nombreux plans, dessinés à la diable, sans recherche des proportions ni -de l'échelle, et cependant, en général, exacts dans l'ensemble. On se -rappelle, en voyant ces croquis de mathématicien, que Beyle a préparé -l'École polytechnique; ils dénotent un très grand souci de précision -et permettent au lecteur de comprendre sans peine le texte[2]. Ils -localisent, bien souvent, la situation exacte d'un évènement, et -surtout d'une maison, d'un magasin. En plusieurs endroits, la légende -qui accompagne le plan de Grenoble en 1793, annexé à la présente -édition, a été précisée, après vérification, au moyen des dessins du -manuscrit. - - -La _Vie de Henri Brulard_ se présente comme très homogène de pensée -et de composition; elle a été écrite, presque sans interruption, -entre le 23 novembre 1835 et le 17 mars 1836, tantôt à Rome, tantôt -à Cività-Vecchia. Stendhal occupait tous ses moments de loisir à sa -nouvelle œuvre, et en rédigeait en moyenne dix pages par jour, ou -plutôt, comme il le dit lui-même dans l'une des notes marginales de -son manuscrit, «ordinairement dix-huit ou vingt pages par jour et, les -jours de courrier, quatre ou cinq, ou pas du tout». Au reste, «aucun -travail les jours de voyage et le soir d'arrivée». - -Le résultat de ce travail est du plus haut intérêt pour le biographe -et le critique, non seulement à cause du texte lui-même, mais aussi -à cause des notes et des observations que Stendhal a semées dans les -marges et au verso des feuillets. Manuscrit vivant entre tous, où -l'auteur se raconte avec toute la sincérité dont il est susceptible, -où parfois il se juge lui-même, où très souvent il met le lecteur au -courant des plus petits faits de sa vie journalière; aussi, l'ouvrage -est à la fois la synthèse de l'enfance et de la jeunesse de Beyle, et -le tableau de son existence en Italie, ou plus exactement à Rome, à la -fin de 1835 et au commencement de 1836. - -Cette autobiographie est certainement, de tous ses livres, celui que -Stendhal a composé avec le plus de plaisir. Il dit, le premier jour: « -J'ai fait allumer du feu et j'écris ceci, sans mentir, j'espère, sans -me faire illusion, avec plaisir, comme une lettre à un ami.» Et il -ajoute encore, le 6 avril 1836, après avoir rédigé la dernière page[3]: -«Écrire ce qui suit était une consolation.» - -C'est même plus que du plaisir, c'est de la passion: à mesure que les -souvenirs reviennent en foule, l'écriture se précipite, de mauvaise -devient parfois énigmatique, surtout lorsque Beyle, emporté par son -sujet, laisse tomber le jour et trace dans l'obscurité des signes -presque indéchiffrables. - -Il est facile de constater, d'ailleurs, que la passion l'entraîne. -Au début, Stendhal est résolu à produire une œuvre bien écrite et -bien composée. Puis, le chaos de ses souvenirs l'embarrasse, le flot -des pensées fait bouillonner tumultueusement le style, qui se charge -d'incidentes, de parenthèses, de réflexions qui n'ont rien de commun -avec le sujet, si bien que cet aveu échappe à l'auteur: «En relisant, -il faudra effacer, ou mettre à une autre place, la moitié de ce -manuscrit.» - - -La _Vie de Henri Brulard_, en effet, telle que nous la possédons, n'est -qu'une ébauche, et une ébauche inachevée. On dirait d'un livre écrit -en voyage; et, de fait, c'est un peu cela: Beyle résidait le moins -possible au siège de son consulat, et passait le plus clair de son -temps à Rome; son manuscrit fit donc plusieurs fois le trajet de Rome -à Cività-Vecchia. Et puis, le nerveux écrivain accuse d'autres causes: -les devoirs de sa charge de consul, qu'il appelle dédaigneusement -le «métier», ensuite le froid de l'hiver, et surtout l'ennui qui -l'accable au milieu des «sauvages» d'Italie. Lui-même explique -cet état d'esprit dans une longue note ajoutée à l'un des cahiers du -manuscrit[4]: - -«Pourquoi Rome m'est pesante. - -«C'est que je n'ai pas une société, le soir, pour me distraire de mes -idées du matin. Quand je faisais un ouvrage à Paris, je travaillais -jusqu'à étourdissement et impossibilité de marcher. Six heures sonnant, -il fallait pourtant aller dîner... J'allais dans un salon; là, à moins -qu'il ne fût bien piètre, j'étais absolument distrait de mon travail du -matin, au point d'en avoir oublié même le sujet en rentrant chez moi, à -une heure. - -«Voilà ce qui me manque à Rome: la société est si languissante!... - -«Tout cela ne peut me distraire de mes idées du matin, de façon que, -quand je reprends mon travail, le lendemain, au lieu d'être frais et -délassé, je suis abîmé, éreinté, et, après quatre ou cinq jours de -cette vie, je me dégoûte de mon travail, j'en ai réellement usé les -idées en y pensant trop continuement. Je fais un voyage de quinze jours -à Cività-Vecchia ou à Ravenne (1835, octobre); cet intervalle est trop -long, j'ai _oublié_ mon travail. Voilà pourquoi le _Chasseur vert_[5] -languit, voilà ce qui, avec le manque total de bonne musique, me -déplaît dans Rome.» - -Stendhal réduisit cet inconvénient au minimum en ne se séparant de -son manuscrit dans aucun de ses déplacements. Commencée à Rome le 23 -novembre 1835, la _Vie de Henri Brulard_ est continuée à Cività-Vecchia -du 5 au 10 décembre; à Rome de nouveau du 13 décembre 1835 au 7 -février 1836; à Cività-Vecchia du 24 février au 17 mars, avec quelques -corrections, faites à Rome les 22 et 23 mars. Enfin Stendhal en -reste là: le 26 mars 1836, dit-il, «annonce du congé pour Lutèce; -l'imagination vole ailleurs, ce travail en est interrompu». Et il -ajoute avec mélancolie: «L'ennui engourdit l'esprit, trop éprouvé de -1832 à 1836, Rome. Ce travail, interrompu sans cesse par le métier, se -ressent sans doute de cet engourdissement[6].» - -Stendhal cependant comptait faire de ses confessions un véritable -livre, il écrivait pour la postérité. Les nombreux testaments, ou -fragments de testaments, qu'il sème au hasard des feuillets, en sont la -preuve. Je ne veux citer que les plus caractéristiques. - -L'un est du 24 novembre 1835: - - - «Testament. - - «Je lègue et donne ce manuscrit: _Vie de Henri Brulard_, - etc., et tous ceux relatifs à l'histoire de ma vie, à M. - Abraham Constantin, chevalier de la Légion d'honneur, et, - s'il ne l'imprime pas, à M. Alphonse Levavasseur, libraire, - place Vendôme, et, s'il meurt avant moi, je le lègue - successivement à MM. Ladvocat, Fournier, Amyot, Treutel et - Wurtz, Didot, sous la condition: 1° qu'avant d'imprimer ce - manuscrit, ils changeront tous les noms de femme: là où j'ai - mis Pauline Sirot, ils mettront Adèle Bonnet, et il suffit - de prendre les noms de la prochaine liste[7], de changer - absolument tous les noms de femmes et de ne changer aucun - nom d'homme.--Seconde condition: envoyer des exemplaires - aux bibliothèques d'Édimbourg, Philadelphie, New-York, - Mexico, Madrid et Brunswick. Changer tous les noms de femme, - condition _sine qua non._ - - H. Beyle[8].» - - -Le deuxième testament a été écrit moins d'un mois après: - - - «Je lègue et donne le présent volume à M. le chevalier - Abraham Constantin (de Genève), peintre sur porcelaine. - Si M. Constantin ne l'a pas fait imprimer dans les mille - jours qui suivront celui de mon décès, je lègue et donne ce - volume successivement à MM. Alphonse Levavasseur, libraire, - n° 7, place Vendôme. Philarète Chasles, homme de lettres, - Henri Fournier, libraire, rue de Seine, Paulin, libraire, - Delaunay, libraire, et si aucun de ces Messieurs ne trouve - son intérêt à faire imprimer dans les cinq ans qui suivront - mon décès, je laisse ce volume au plus âgé des libraires - habitant dans Londres et dont le nom commencera par un C. - - H. Beyle.[9]» - - -Désireux de laisser un livre digne de lui, Stendhal avait eu souci -de la composition. Il eut certainement l'intention de reprendre sa -première rédaction pour donner à l'ouvrage plus de cohésion, plus -d'harmonie, pour rétablir enfin la chronologie un peu confuse des -chapitres consacrés à son enfance et à sa première jeunesse. - -Il voulait consacrer au moins deux volumes à son autobiographie; la -page 249 porte cette note: «Laisser le n° 249 à cette page et aller -ainsi jusqu'à 1.000.» Et je trouve sur la feuille contenant la table -du troisième tome cette mention: «Chapitre 42 [XLVII de la présente -édition] commencera le quatrième volume.» Or, de ce quatrième volume, -Stendhal a écrit à peine un chapitre. - -Il s'était également proposé d'établir un texte définitif, puisqu'il -note à la page 783 de son manuscrit: «A placer ailleurs en -recopiant[10].» - -Malheureusement, le ministre des Affaires étrangères accorda un congé -au consul de France à Cività-Vecchia; et, laissant là souvenirs et -réflexions, Beyle partit pour Paris. Son congé se prolongea pendant -trois ans. Au retour, la _Vie de Henri Brulard_ était oubliée, elle ne -fut jamais achevée, ni corrigée. - -Stendhal avait, avant d'écrire, dressé un plan général de son -autobiographie. Le voici, tel qu'il nous est parvenu: - - - «Division. - - Pour la clarté, diviser cet ouvrage ainsi: - - Livre premier. - - «De sa naissance à la mort de madame Henriette Gagnon. - - Livre second. - - «Tyrannie Raillane (ainsi nommée non pour sa forme, mais - pour ses effets pernicieux). - - Livre 3. - - «Le maître Durand. - - Livre 4. - - «L'École centrale, les mathématiques jusqu'au départ pour - Paris, en novembre 1799. - - «Diviser en chapitres de vingt pages. - - «Plan: établir les époques, couvrir la toile, puis, en - relisant, ajouter les souvenirs, par exemple: - - 1° l'abbé Chélan;--2° _je me révolte_ (l'ouvrier chapelier, - journée des Tuiles[11]).» - - - -De ce plan si soigneusement établi, ne prévoyant cependant que la -première partie de l'ouvrage, Stendhal n'a pu respecter le cadre. Ses -souvenirs étaient, chronologiquement, trop confus, et le nombre des -épisodes trop inégal pour chacun des quatre livres projetés: les faits -du temps de la «tyrannie Raillane» et ceux du «maître Durand», -par exemple, ont une importance bien différente. Aussi, en cours de -rédaction, Stendhal ébauche-t-il un nouveau plan, le livre II devant -commencer à son premier séjour à Paris. Division sans doute aussi -précaire que la première, puisque l'auteur ne prévoit pas un livre III -lorsqu'il raconte son départ de Paris et son voyage jusqu'à Milan, à la -suite de l'armée de réserve. - -Cette difficulté de proportionner à peu près également plusieurs -livres, Stendhal la retrouve lorsqu'il s'agit de partager l'ouvrage -en chapitres. Nous l'avons vu tout à l'heure indiquer une division « -en chapitres de vingt pages». Dans le fait, cette méthode est _à peu -près_ respectée, mais elle a été appliquée _a posteriori._ La _Vie de -Henri Brulard_ a été écrite sans souci de chapitres divers, à part -quelques périodes bien déterminées, qui exigeaient une coupure nette ou -racontaient une anecdote spéciale: le chapitre III, où commencent les -souvenirs de Beyle, le chapitre X, qui narre le début du préceptorat -Durand, le chapitre XI, Amar et Merlinot, le chapitre XII, épisode -du billet Gardon, le chapitre XIII, premier voyage aux Échelles, le -chapitre XIV, mort du pauvre Lambert, le chapitre XXXI, commencement -de la passion pour les mathématiques, le chapitre XXXVI, Paris. -Plus on va, moins la division est précise. Stendhal, emporté par la -passion, jette ses souvenirs, pêle-mêle, sur le papier, au fur et à -mesure qu'ils lui viennent à l'esprit; puis, en revoyant une première -fois son ébauche, il intercale, de vingt en vingt pages environ, un -feuillet _bis_; ce feuillet indique la séparation du chapitre, dont il -reproduit généralement la première page, ou seulement les premières -lignes; enfin, ce premier travail une fois terminé, les chapitres sont -numérotés. - -Travail factice, on le voit, et que Stendhal considérait lui-même -comme provisoire, puisqu'il écrit à la fin de la table qui termine -le premier volume: «Je laisse les chapitres XIII et XIV pour les -augmentations à faire à ces premiers temps. J'ai quarante pages écrites -à insérer[12].» - -Stendhal doit cette incertitude dans la division et dans la mise en -place de certains de ses chapitres à l'inexactitude de sa chronologie. -Il connaît mal les dates auxquelles tels ou tels événements se sont -passés. Il en convient à plusieurs reprises dans son texte: «Il -faudrait, dit-il par exemple dans une note, acheter un plan de Grenoble -et le coller ici. Faire prendre les extraits mortuaires de mes parents, -ce qui me donnerait des dates, et l'extrait de naissance de _my dearest -mother_ et de mon bon grand-père[13].» - -Nous retrouvons pareille incertitude dans la division matérielle des -chapitres. J'en veux seulement pour preuve les chapitres XV et XVIII de -la présente édition. - -Stendhal avait d'abord songé à incorporer le chapitre XV au chapitre -XVII: il a d'abord occupé les feuillets 256 à 268, et le feuillet 255 -fait précisément partie du chapitre XVII[14]. Ce feuillet, au reste, -se termine par ces mots, qui ont été rayés: «Ma pauvre mère dessinait -fort...», et d'autre part l'ancien feuillet 256 continuait ainsi: « -... bien, disait-on dans la famille.» Puis, Stendhal s'est ravisé, il -a songé à placer le chapitre XV après le chapitre XVI: la dernière page -de celui-ci est la deux cent quarante-huitième du manuscrit, et notre -chapitre XV porte une nouvelle numérotation 249 à 260. Enfin, l'auteur -s'est rendu compte que ce passage ne pouvait convenir ni à l'une, ni à -l'autre place, et il a pris le parti de le placer ailleurs, «_after -the death of poor Lambert_», après le récit de la mort du domestique -Lambert, et d'en faire un chapitre spécial. - -Même difficulté pour le chapitre de «la première communion», le -dix-huitième de la présente édition. Stendhal l'avait d'abord incorporé -au chapitre X, «le maître Durand»: les deux passages, en effet, -portent la même date, 10 décembre 1835, et l'un devait suivre l'autre, -puisque les deux premiers feuillets du chapitre XVIII ont été chiffrés -168 et 169; puis un regret est venu, Beyle a continué son chapitre sans -numéroter les pages et, incertain de la place définitive, il a inscrit -dans son manuscrit deux mentions contradictoires; en tête du chapitre, -on lit: «A placer après _Amar et Merlinot_», et d'autre part, à -la fin du chapitre XVII, après le feuillet 259, une note indique: « -_First_ communion, à 260.» C'est la place que j'ai choisie, et c'est -bien celle que lui attribuait Stendhal, puisqu'il a laissé sans les -numéroter les feuillets 260 à 273, entre lesquels il a fait relier -et le récit de sa première communion et ce hors-d'œuvre intitulé: « -Encyclopédie du XIXe siècle», que j'ai rejeté parmi les -annexes[15]. - - * * * * * - -La _Vie de Henri Brulard_, telle qu'elle nous est parvenue, est donc -une ébauche, un amoncellement de matériaux ramassés en vue de la -construction d'une œuvre plus parfaite. Stendhal n'a exécuté qu'une -partie du plan qu'il s'était tracé: il a «établi les époques», il a « -couvert la toile», niais il n'a pu «en relisant ajouter les souvenirs -», ou, plus exactement, _tous_ les souvenirs. La valeur littéraire de -l'ouvrage y perd peut-être, mais de quels avantages cette perte légère -est-elle compensée! Nous y trouvons d'abord un Stendhal sincère, ou, -plus exactement, aussi sincère qu'il peut l'être, car il dit lui-même: -«Je n'ai pas grande confiance, au fond, dans tous les jugements dont -j'ai rempli les 536 pages précédentes. Il n'y a de sûrement vrai que -les sensations; seulement, pour parvenir à la vérité, il faut mettre -quatre dièses à mes impressions. Je les rends avec la froideur et les -sens amortis par l'expérience d'un homme de quarante ans[16].» - -C'est Beyle jugé par Beyle, seulement à trente-cinq ou quarante-cinq -ans de distance! Mais on y trouve aussi le Beyle de cinquante-deux ans, -et celui-là tout entier. Le texte foisonne de jugements contemporains; -de plus, de précieuses notes illustrent le manuscrit, soit dans les -marges, soit en haut des feuillets, soit au verso. Au fur et à mesure -qu'il écrit, Stendhal explique sa pensée, la justifie, et raconte ses -impressions ou ses actions du jour. - -C'est ainsi qu'il s'excuse d'écrire ses Mémoires: «Droit que j'ai -d'écrire ces Mémoires: quel être n'aime pas qu'on se souvienne de -lui[17]?» Il s'excuse en même temps d'avoir dit souvent du mal de -ses parents: «Qui pense à eux aujourd'hui que moi, et avec quelle -tendresse, à ma mère, morte depuis quarante-six ans? Je puis donc -parler librement de leurs défauts. La même justification pour -Mme la baronne de Barckoff, Mme Alexandrine -Petit, Mme la baronne Dembowski[18] (que de temps que je -n'ai pas écrit ce nom!), Virginie, deux Victorines, Angela, Mélanie, -Alexandrine, Métilde, Clémentine, Julia, Alberthe de Rubempré, adorée -pendant un mois seulement.» - -Il découvre un peu sa méthode d'investigation psychologique: «Je -rumine sans cesse sur ce qui m'intéresse, à force de le regarder dans -des _positions d'âmes_ différentes, je finis par y voir du nouveau, -et je le fais changer d'aspect[19].» Plus loin, c'est un peu de sa -méthode de composition qui transparaît: «Style, ordre des idées. -Préparer l'attention par quelques mots en passant: 1° sur Lambert;--2° -sur mon oncle, dans les premiers chapitres[20]». Et ailleurs: « -Idée: aller passer trois jours à Grenoble, et ne voir Crozet _que le -troisième jour._ Aller seul, incognito, à Claix, à la Bastille, à La -Tronche[21].» - -Son style aussi le préoccupe; il écrit, au hasard d'une marge: « -Style: pas de style soutenu[22].» Cependant, il châtie sa langue, -de nombreuses ratures en témoignent. Et, une fois, il écrit deux -phrases de même sens, et note en face: «Style: choisir des deux -rédactions[23].» Il va jusqu'à juger ses effets: «Style. Ces mots, -_pour un instant_, sont un repos pour l'esprit; je les eusse effacés -en 1830. mais, en 1835, je regrette de ne pas en trouver de semblables -dans le _Rouge_[24].» Son ironie s'exerce même à ses propres dépens: -racontant la journée des Tuiles, qui marque le prélude de la -Révolution à Grenoble, la mort de l'ouvrier chapelier et l'agitation -de cette ridicule bonne femme qui se «révolte», il ajoute après -coup cette phrase: «Le soir même, mon grand-père me conta la mort de -Pyrrhus; «et il remarque en note: «Cette queue savante fait-elle -bien[25]?» Il connaît si bien son caractère qu'il écrit en marge du -chapitre VII: «Idée. Peut-être, en ne corrigeant pas ce premier jet, -parviendrai-je à ne pas mentir par vanité[26].» - -Le sort de son livre le préoccupe. Il pense à intéresser le public: « -Non laisser cela tel quel. Dorer l'histoire Kably, peut-être ennuyeuse -pour les Pasquier de cinquante ans. Ces gens sont cependant l'élite -des lecteurs[27].» Mais il se décourage parfois, il doute du succès, -et s'écrie mélancoliquement: «Qui diable pourrait s'intéresser aux -simples mouvements d'un cœur, décrits sans rhétorique[28]?» Ou encore: -«J'ai été fort ennemi du mensonge en écrivant, mais n'ai-je point -communiqué au lecteur bénévole l'ennui qui me faisait m'endormir -au milieu du travail, au lieu des battements de cœur du n° 71, -Richelieu[29]?» - -Stendhal serait bien rassuré, s'il revenait parmi nous, en voyant avec -quelle passion son récit autobiographique a été étudié et commenté, et -quel cas ses fidèles font de ses confessions! - - * * * * * - -Le manuscrit de la _Vie de Henri Brulard_ a un autre intérêt encore: il -contient de minutieux détails sur la vie au jour le jour d'Henri Beyle. -Un petit nombre de privilégiés ont eu le bonheur de voir de leurs yeux -le précieux manuscrit, c'est pourquoi nous avons tenu à reproduire -aussi minutieusement que possible, dans les notes placées à la fin de -l'ouvrage, la plupart des observations, réflexions et «idées» de -Stendhal. - -L'auteur nous raconte les plus petits détails de son existence, tant -à Rome qu'à Cività-Vecchia. Nous savons qu'il quitta la ville des -papes le 3 ou le 4 décembre 1835 pour rejoindre son poste, qu'il fit -un nouveau séjour à Rome entre le 11 ou le 12 décembre 1835 et le -24 février 1836, et qu'il y revint encore, après un court séjour à -Cività-Vecchia, le 19 mars suivant. - -Nous savons aussi que le mois de décembre fut froid, à Rome, en 1835. -Le 17, le pauvre Stendhal avoue: «Je souffre du froid, collé contre ma -cheminée. La jambe gauche est gelée.» Le lendemain, encore, «froid de -chien, avec nuages et soleil», et trois jours après, le 21, «pluie -infâme» et «continue». Le 27, la chaleur n'est pas revenue, Stendhal -a «froid aux jambes, surtout aux mollets, un peu de colique, envie de -dormir. Le froid et le café du 24 décembre m'a donné sur les nerfs. Il -faudrait un bain, mais comment, avec ce froid?» Le 4 janvier 1836, il -est auprès de son feu, «se brûlant les jambes et mourant de froid au -dos». La santé, au reste, n'est pas très bonne: «A trois heures, idée -de goutte à la main droite, dessus; douleur dans un muscle de l'épaule -droite.» Puis, c'est de nouveau la pluie au commencement de février; -le 4, Beyle va voir le Tibre qui «monte au tiers de l'inscription sous -le pont Saint-Ange». - -La température de Cività-Vecchia est plus clémente, car, le 6 décembre -1835, on peut s'habiller «la fenêtre ouverte, à neuf heures et demie; -impossible à Rome, plus froide l'hiver». - -Mais qu'on s'ennuie dans ce triste port de mer! Tout excède Stendhal: -les habitants de Cività-Vecchia, qui ne peuvent soutenir la moindre -conversation spirituelle, le chancelier du consulat, Lysimaque -Tavernier, sa charge elle-même, qu'il appelle avec dédain le «métier -», le «gagne-pain». Aussi, notre consul passe-t-il le plus clair -de son temps à Rome; là, du moins, les distractions ne manquent pas. -Beyle assiste, le 2 décembre, à une messe de Bellini chantée à San -Lorenzo-in-Damaso, admire le pape officiant à Saint-Pierre le jour de -Noël, entend une messe grecque le 6 janvier et écoute, le 31 mars, les -«vieux couplets barbares en latin rimé» du _Stabat Mater_, qui, du -moins, ne sont pas infestés d'«esprit à la Marmontel». - -Le «métier» l'occupe toujours, mais peu, et il se console en lisant -les œuvres du président de Brosses, le _Chatterton_ d'Alfred de Vigny, -le _Scarabée d'Or_ d'Edgar Poë, en écrivant à ses amis Di Fiore, de -Mareste, Romain Colomb. Il visite musées et expositions de peinture, -et se promène dans les jardins de la villa Aldobrandini ou à San -Pietro-in-Montorio, où l'idée de raconter sa vie lui vint, en 1832. -Il dîne en ville, va au bal et y ébauche même une intrigue avec la -_comtesse Sandre_, du 8 au 17 février. Quoique la musique romaine soit -mauvaise, le concert l'attire, et le 19 décembre il écoute jouer la -_Filarmonia._ - -Il se garderait de négliger le spectacle, qui l'a toujours passionné, -et fréquente assidûment le théâtre _della Valle._ Il y entend, -notamment, une «comédie de Scribe, par Bettini»; il y passe la soirée -du 31 décembre 1835 et termine l'année, de onze heures trois quarts à -minuit, chez M. Linpra, en devisant devant le feu avec son jeune ami -Don Philippe Caetani. - -Cependant, nous l'avons déjà vu, Rome l'ennuie, il aspire à quitter -l'Italie, et reçoit avec joie la lettre ministérielle qui lui accorde -un congé. Des projets de voyage l'occupent: il ira en bateau à vapeur -jusqu'à Marseille et y prendra la malle-poste, fût-ce celle de Toulouse -ou de Bordeaux, afin d'éviter la route de Paris par Valence, Lyon, -Semur et Auxerre, villes trop connues, dont le souvenir le remplit de -dégoût. - - * * * * * - -Le manuscrit de la _Vie de Henri Brulard_ nous raconte tout cela, et -beaucoup d'autres menus détails encore. Il vit, et de la vie la plus -intense, il nous dit fidèlement les petites joies, les petits soucis -du grand écrivain, il est le témoin le plus sûr d'une tranche de sa -vie pendant quatre mois. Le lecteur ne me reprochera pas, je l'espère, -d'avoir présenté les à-côtés du livre avant de lui en donner le texte -enfin complet et, je veux croire, définitif. - -Je dois cependant dire encore quelques mots de ce manuscrit, si -précieux dans l'histoire de la pensée et de la méthode stendhaliennes. -Tout y est particulier, personnel, original: l'écriture, la -ponctuation, l'orthographe, la forme même des noms. - -L'écriture, d'abord. Tout le monde connaît cette graphie fantaisiste, -inquiète, élégante parfois mais plus souvent presque illisible, «en -pieds de mouche», comme l'avoue Stendhal lui-même. On en trouvera -des spécimens caractéristiques au cours de ces deux volumes. Il faut -un œil exercé pour lire intégralement le manuscrit de la _Vie de -Henri Brulard_, encore certains mois échappent-ils même à ceux qui -fréquentent le plus assidûment les papiers stendhaliens. - -Beyle mettait d'ailleurs, à écrire mal, une sorte de coquetterie. Il -considérait ses grimoires comme une bastille difficilement vulnérable, -accessible aux seuls initiés. Il dit quelque part à ce sujet: «La -vergogne de voir un indiscret lire dans mon âme en lisant mes papiers -m'empêche, depuis l'âge de raison, ou plutôt pour moi de passion, -d'écrire ce que je sens[30].» Il faut croire qu'il jugea son écriture -suffisamment indéchiffrable en rédigeant la _Vie de Henri Brulard_, -car une des notes marginales porte: «Ma mauvaise écriture arrête -les indiscrets.» Paroles qu'on jugerait naïves chez un autre que -lui--car, après tout, le meilleur moyen de n'être jamais lu est de ne -pas écrire!--mais qui n'étonnent pas de la part de cet esprit souvent -mystificateur et toujours en contradiction avec lui-même. - -La vérité est plus simple, et Beyle n'est pas poussé à mal écrire par -le désir de n'être pas lu. Son écriture a toujours été déplorable; -celle de la jeunesse est déjà très défectueuse, et Stendhal va même -jusqu'à dire que son griffonnage de 1800, du temps qu'il était commis -auxiliaire au ministère de la Guerre, était «bien pire» que celui de -1836[31]. Affirmation d'ailleurs inexacte: l'écriture de 1800 est, du -moins en général, assez lisible. - -En fait, Beyle a toujours écrit fort vite[32]. Son esprit vif et mobile -obligeait sa main à suivre le cours rapide de ses idées. Et, constatant -le résultat de cette méthode: «Voilà, s'écrie-t-il, comment j'écris -quand la pensée me talonne. Si j'écris bien, je la perds[33].» Il -répond en ces termes aux reproches de Romain Colomb: «Comment veut-on -que j'écrive bien, forcé d'écrire aussi vite pour ne pas perdre mes -idées[34]?» - -Et puis, Stendhal écrit sa _Vie de Henri Brulard_ en hiver: il fait -froid, et le soir tombe vite. Il confesse, le 1er janvier -1836, en écrivant la vingt-sixième page de la journée: «Toutes les -plumes vont mal, il fait un froid de chien; au lieu de chercher à bien -former mes lettres et de m'impatienter, _io tiro avanti._» La passion -d'écrire domine son impatience. Emporté par son sujet, il est parfois -étreint par l'émotion, il laisse tomber le jour sans s'en apercevoir, -et note alors en marge: «Écrit à la nuit tombante», ou: «Écrit de -nuit», ou encore: «Écrit absolument de nuit.» Il est à remarquer que -les passages les plus particulièrement difficiles à déchiffrer sont -précisément ceux qu'il a écrits avec le plus de passion: le récit de -la mort de sa mère, le premier séjour aux Échelles, le souvenir de -l'arrivée à Milan, et certains passages où il cherche à s'analyser plus -profondément. - -Une autre particularité complique les difficultés de lecture: c'est -ce que j'appellerai le _jargon_ de Stendhal. Certains mots paraissent -illisibles d'abord, incompréhensibles ensuite; or, ce sont tout -simplement des anagrammes; l'auteur s'est contenté d'en intervertir les -syllabes ou les lettres. - -Le plus connu de ces anagrammes est le mot _jésuite_, que Stendhal -écrit le plus souvent _tejé_, ou encore _tejésui, tejessui._ Cette -méthode est, la plupart du temps, appliquée à des mots d'ordre -religieux ou politique; Beyle, avec sa prudence habituelle et sa -crainte maladive de la police, jargonne alors à plaisir: le jésuitisme -devient _tistmejésui_, la religion s'écrit _gionreli_, ou _gionré_, -ou abréviativement, _gion_; le prêtre est un _reprêt_, les prêtres, -des _trespré_, le vicaire, un _cairevi_; un dévot est un _votdé_, -une absurde dévotion, _surdeab tiondévo_; les pairs sont _sairp_ ou -_sraip_; des opinions républicaines deviennent _kainesrépubli_, et le -congé qu'a demandé le consul de France s'appelle un _gékon._ Les noms -propres sont aussi déformés, puisque Rome est mué en _Omar_ ou _Mero_, -M. Daru en M. _Ruda_, et le ministre Molé en _Lémo._ D'autres fois, -Stendhal se contente d'écrire la première lettre du mot: au lecteur de -deviner le reste. Enfin, la langue anglaise vient à son secours: Dieu -est traduit _God_, et un roi s'appelle un _king._ - -Ces continuelles transpositions rendent souvent la lecture du texte -assez pénible, aussi ai-je rétabli les formes régulières, et indiqué en -note la forme originale. Mais j'ai conservé les mots en anglais et en -italien, dont Stendhal aimait à charger son style. - -Mon respect du texte n'est pas allé non plus jusqu'à reproduire -l'orthographe parfois fantaisiste de l'auteur; outre qu'il emploie -des formes orthographiques maintenant désuètes, il tombe parfois -dans l'irrégularité absolue. Il s'en excuse à plusieurs reprises, et -remarque, par exemple: «Voilà l'orthographe de la passion: _orreur!_ -» Ou bien: «Voilà déjà que j'oublie l'orthographe, comme il m'arrive -dans les grands transports de passion!» - -Ce tempérament passionné rend aussi la ponctuation des plus -irrégulières. Stendhal eut rarement le souci de la virgule, du -point et virgule, voire même du point. Il laissait à ses éditeurs -le soin de mettre au net sa rédaction. Je n'ai cru devoir respecter -scrupuleusement que ses coupures d'alinéas. J'estime que l'alinéa est -plus qu'une élégance typographique, il marque les étapes de la pensée -d'un écrivain. - - * * * * * - -J'aurai donné une idée complète du manuscrit de la _Vie de Henri -Brulard_ en décrivant encore deux de ses particularités. - -Il forme, je l'ai déjà dit, trois gros volumes in-quarto, plus -deux cahiers. C'est beaucoup pour 878 pages, même écrites au recto -seulement, et pourvues parfois de _bis_, de _ter_ et même de _quater._ -Mais Beyle a laissé de nombreuses pages blanches à la fin, souvent même -au milieu des chapitres. Dans quel but? Cela est difficile à démêler. -Mieux vaut ne rien dire que d'échafauder de hasardeuses hypothèses. - -Enfin, le manuscrit est accompagné d'une vingtaine de gravures -au trait; la plupart ont été insérées dans le premier volume, -quelques-unes ornent le second, et le troisième en est complètement -dépourvu. Ces gravures reproduisent des tableaux de vieux maîtres -italiens aimés de Beyle: Pérugin, Mantegna, Titien, et surtout Raphaël -et le Dominiquin. Certaines proviennent d'une revue d'art alors en -faveur: _L'Ape Italiana._ Deux d'entre elles portent des notes au -crayon, hâtivement griffonnées par Stendhal. Au bas de la Vocation -des saints Pierre et André, l'auteur a écrit: «A Saint-André _della -Valle_, admirable Dominiquin»; et, sous la Sainte Famille d'Annibal -Carrache, il note: «Physionomie commune: les grands peintres ne -vivaient qu'avec des ouvriers, Annibal Carrache par exemple (la Reine -de Saba, aux Loges de Raphaël, canaille).» - -Outre ces gravures, Stendhal a joint au premier volume un petit -portrait à l'aquarelle, peu poussé, mais de facture large et agréable. -Il note de sa main que ce portrait est celui de Don Philippe Caetani. -Deux ébauches au crayon accompagnent le portrait; des légendes de -Stendhal annoncent le «baron Aulajani» et la «main de la comtesse -Sandre». Une note de Casimir Stryienski attribue le portrait de Don -Philippe--dubitativement d'ailleurs et sans aucune preuve--à Abraham -Constantin, peintre sur porcelaine et miniaturiste, fort lié avec -Beyle, et qui effectivement séjournait à Rome en 1835. - - * * * * * - -Telle est cette masse touffue et cependant si vivante qui constitue le -manuscrit de la _Vie de Henri Brulard._ - -Avec une piété fidèle, j'ai reproduit ce manuscrit dans son -intégralité. En supprimant certaines parties, en en abrégeant d'autres, -on risque de diminuer l'œuvre et d'égarer soit les biographes, soit -les critiques. Sur la foi de l'édition de Casimir Stryienski M. Arthur -Chuquet, l'auteur de _Stendhal-Beyle_, s'étonne (page 5) que Stendhal -ait à peine mentionné ses camarades d'enfance, et n'ait pas dit un mot -de Crozet. Étonnement injustifié, surtout en ce qui concerne Crozet. - -A dire vrai, les éditions de Casimir Stryienski, aussi bien celle de -1890 que celle de 1912, ont laissé beaucoup d'inédit dans le texte de -la _Vie de Henri Brulard_, surtout dans la période de la formation -intellectuelle du jeune Beyle. Elles sont souvent inexactes dans -la lecture et ont même, une fois, ajouté au texte de Stendhal une -réflexion de Romain Colomb. - -Loin de moi la pensée d'en faire un grief à Casimir Stryienski. Son -mérite est assez grand, et il a rendu trop de services aux fidèles de -Stendhal, pour qu'on ne puisse lui pardonner des péchés, en somme, -véniels. - -Et, grâce à lui, cette _Vie de Henri Brulard_ est bien autre chose -qu'une banale réédition[35]. - -Henry Debraye. - - -[Footnote 1: Par une erreur inconcevable, le premier feuillet a été -relié avec le manuscrit R 5.886. tome XII, fol. 3.] - -[Footnote 2: Nous ne pouvons, malheureusement, reproduire tous ces -dessins. Mais on les trouvera décrits aussi minutieusement que possible -dans les notes et, d'autre part, résumés en grand nombre, dans deux -planches de la présente édition: _Grenoble en 1793_ et _Plan de -l'appartement du docteur Gagnon._] - -[Footnote 3: Feuillet de garde, en tête du tome III du manuscrit.] - -[Footnote 4: R .900, fol. 09 v° vl 70 v°.] - -[Footnote 5: Le _Chasseur vert_ devint _Lucien Leuwen_, publié pour la -première fois, en 1894, par M. Jean de Mitty.] - -[Footnote 6: Tome III du manuscrit, dernier feuillet.] - -[Footnote 7: La clef annoncée par Stendhal n'existe pas. Il n'y a plus -lieu, d'ailleurs, de respecter exactement celte volonté du testateur: -les noms cités par lui sont devenus historiques pour la plupart.] - -[Footnote 8: Manuscrit R 5.896, vol. XII, fol. 3 v°.--Stendhal ajoute -à côté: «_Vie de Henri Brulard_. Conditions: 1° N'imprimer qu'après -mon décès; 2° Changer absolument tous les noms de femmes; 3° Ne changer -aucun nom d'homme. Cività-Vecchia, le 30 novembre 1835. H. Beyle.»] - -[Footnote 9: Tome 1er du manuscrit, feuillet de garde.--Les -autres testaments ou fragments de testaments se trouvent aux feuillets -7 _bis_, 59 v°, 511 v°, 554 v° et 572 v°. Le lecteur les trouvera -dans les notes de la présente édition correspondant à ces passages du -manuscrit.] - -[Footnote 10: Voir chapitre XLII.] - -[Footnote 11: Ce plan se trouve dans R 5.896, tome XII, fol. 2.] - -[Footnote 12: Ces quarante pages se trouvent clans le cahier R 300. -Elles constituent les chapitres XIII et XV de la présente édition.] - -[Footnote 13: Cette note est placée à la fin du cahier R 300, fol. 68 -v°.] - -[Footnote 14: Le fol. 255 se termine par cette phrase: «Pendant plus -d'un mois, je fus fier de cette vengeance; j'aime cela dans un enfant. -» (Tome I, p. 200 de la présente édition.)] - -[Footnote 15: Cf. la note placée en tête du chapitre XVIII, tome II, p. -249.--L'«Encyclopédie du XIXe siècle» est la deuxième des -annexes, tome II, p. 311.] - -[Footnote 16: Chapitre XXXIV, tome II, p. 57-58.] - -[Footnote 17: Cette note est placée à la fin du cahier R 300, fol. 08 -v°.--La note citée un peu plus loin est écrite sur ce même feuillet.] - -[Footnote 18: La seconde est Alexandrine, la troisième Métilde, que -Stendhal cite plus loin dans la même phrase.] - -[Footnote 19: Chapitre XXXI.] - -[Footnote 20: Chapitre V.] - -[Footnote 21: Chapitre XIV.] - -[Footnote 22: Chapitre XXV.] - -[Footnote 23: Chapitre XXX. La rédaction écartée a été rayée au crayon -par Stendhal.] - -[Footnote 24: Chapitre XV. Stendhal vient d'écrire: «J'emprunterai -pour un instant la langue de Cabanis.»] - -[Footnote 25: Chapitre V.] - -[Footnote 26: Chapitre VII.] - -[Footnote 27: Chapitre XXV.] - -[Footnote 28: Chapitre XXXIV.] - -[Footnote 29: Écrit le 6 avril 1830, avant de partir en congé, sur un -feuillet de garde du volume III.] - -[Footnote 30: Lettre à Romain Colomb, du 4 novembre 1834.] - -[Footnote 31: Chapitre XLI.] - -[Footnote 32: J'ai écrit horriblement vite douze ou quinze volumes -in-octavo, que M. de Stendhal a imprimés. (Lettre à Romain Colomb citée -ci-dessus.)] - -[Footnote 33: Chapitre XXX.] - -[Footnote 34: Chapitre XX.--Stendhal écrit encore, un peu plus loin: « -Justification de ma mauvaise écriture: les idées me salopent et s'en -vont si je ne les saisis pas. Souvent, mouvement nerveux de la main.»] - -[Footnote 35: J'ai l'agréable devoir de remercier, à cette place, tous -ceux qui ont bien voulu m'assister de leur expérience. J'adresse en -particulier l'expression de ma gratitude à M. Georges Cain, Stendhalien -passionné et Parisien érudit, ainsi qu'à mes aimables concitoyens -Grenoblois, M. Edmond Maignien, bibliothécaire municipal, le dévoué -et compétent gardien des manuscrits de Stendhal; M. Samuel Chabert, -professeur à la Faculté des Lettres, dont la notice sur la Maison -natale d'Henri Beyle complète le présent ouvrage, et M. Émile Robert, -architecte municipal, un de ceux qui connaissent le mieux l'ancien -Grenoble.] - - - - -CHAPITRE I[1] - - -Je me trouvais ce matin, 16 octobre 1832, à San Pietro in Montorio, -sur le mont Janicule, à Rome. Il faisait un soleil magnifique; un -léger vent de sirocco à peine sensible faisait flotter quelques petits -nuages blancs au-dessus du mont Albano; une chaleur délicieuse régnait -dans l'air, j'étais heureux de vivre. Je distinguais parfaitement -Frascati et Castel-Gandolfo, qui sont à quatre lieues d'ici, la villa -Aldobrandini où est cette sublime fresque de Judith du Dominiquin. Je -vois parfaitement le mur blanc qui marque les réparations faites en -dernier lieu par le prince F. Borghèse, celui-là même que je vis à -Wagram colonel du régiment de cuirassiers, le jour où M. de M..., mon -ami, eut la jambe emportée. Bien plus loin, j'aperçois la roche de -Palestrina et la maison blanche de Castel San Pietro, qui fut autrefois -sa forteresse. Au-dessous du mur contre lequel je m'appuie, sont les -grands orangers du verger des Capucins, puis le Tibre et le prieuré de -Malte, et un peu après, sur la droite, le tombeau de Cecilia Metella, -Saint-Paul et la pyramide de Cestius. En face de moi, je vois[2] -Sainte-Marie-Majeure et les longues lignes du palais de Monte-Cavallo. -Toute la Rome ancienne et moderne, depuis l'ancienne voie Appienne -avec les ruines de ses tombeaux et de ses aqueducs jusqu'au magnifique -jardin du Pincio, bâtis par les Français, se déploie à la vue. - -Ce lieu est unique au monde, me disais-je en rêvant; et la Rome -ancienne, malgré moi, l'emportait sur la moderne, tous les souvenirs -de Tite-Live me revenaient en foule. Sur le mont Albano, à gauche du -couvent, j'apercevais les Prés d'Annibal. - - * * * * * - -Quelle vue magnifique! C'est donc ici que la _Transfiguration_ de -Raphaël a été admirée pendant deux siècles et demi. Quelle différence -avec la triste galerie de marbre gris où elle est enterrée aujourd'hui -au fond du Vatican! Ainsi, pendant deux cent cinquante ans ce -chef-d'œuvre a été ici, deux cent cinquante ans!... Ah! dans trois -mois j'aurai cinquante ans, est-il bien possible! 1783, 93, 1803, je -suis tout le compte sur mes doigts... et 1833, cinquante. Est-il bien -possible! Cinquante! Je vais avoir la cinquantaine: et je chantais -l'air de Grétry: - - - Quand on a la cinquantaine. - - -Cette découverte imprévue ne m'irrita point, je venais de songer à -Annibal et aux Romains. De plus grands que moi sont bien morts!... -Après tout, me dis-je, je n'ai pas mal occupé ma vie, _occupé!_ Ah! -c'est-à-dire que le hasard ne m'a pas donné trop de malheurs, car en -vérité ai-je dirigé le moins du monde ma vie? - -Aller devenir amoureux de Mlle de Grisheim! Que pouvais-je -espérer d'une demoiselle noble, fille d'un général en faveur deux mois -auparavant, avant la bataille de Iéna! Brichaud avait bien raison quand -il me disait, avec sa méchanceté habituelle: «Quand on aime une femme, -on se dit: Qu'en veux-je faire?» - - * * * * * - -Je me suis assis sur les marches de San Pietro et là j'ai rêvé une -heure ou deux à cette idée: je vais avoir cinquante ans, il serait bien -temps de me connaître. Qu'ai-je été, que suis-je, en vérité je serais -bien embarrassé de le dire. - -Je passe pour un homme de beaucoup d'esprit et fort insensible, -roué même, et je vois que j'ai été constamment occupé par des -amours malheureuses. J'ai aimé éperdument Mlle Kably, -Mlle de Grisheim, Mme de Diphortz, Métilde, et -je ne les ai point eues, et plusieurs de ces amours ont duré trois ou -quatre ans. Métilde a occupé absolument ma vie de 1818 à 1824. Et je -ne suis pas encore guéri, ai-je ajouté, après avoir rêvé à elle seule -pendant un gros quart d'heure peut-être. M'aimait-elle[3]? - -J'étais attendri, en prière, en extase. Et Menti[4], dans quel -chagrin ne m'a-t-elle pas plongé quand elle m'a quitté? Là, j'ai eu -un frisson en pensant au 15 septembre 1826, à San Remo, à mon retour -d'Angleterre. Quelle année ai-je passée du 15 septembre 1826 au 15 -septembre 1827! Le jour de ce redoutable anniversaire, j'étais à l'île -d'Ischia. Et je remarquai un mieux sensible; au lieu de songer à mon -malheur directement, comme quelques mois auparavant, je ne songeais -plus qu'au _souvenir_ de l'état malheureux où j'étais plongé en octobre -1826 par exemple. Cette observation me consola beaucoup. - -Qu'ai-je donc été? Je ne le saurai. A quel ami, quelque éclairé qu'il -soit, puis-je le demander? M. di Fiore lui-même ne pourrait me donner -d'avis. A quel ami ai-je jamais dit un mot de mes chagrins d'amour? - -Et ce qu'il y a de singulier et de bien malheureux, me disais-je ce -matin, c'est que mes _victoires_ (comme je les appelais alors, la tête -remplie de choses militaires) ne m'ont pas fait un plaisir qui fût la -moitié seulement du profond malheur que me causaient mes défaites. - -La victoire étonnante de Menti ne m'a pas fait un plaisir comparable à -la centième partie de la peine qu'elle m'a faite en me quittant pour M. -de Bospier. - -Avais-je donc un caractère triste? - -... Et là, comme je ne savais que dire, je me suis mis sans y songer -à admirer de nouveau l'aspect sublime des ruines de Rome et de sa -grandeur moderne: le Colysée vis-à-vis de moi et sous mes pieds, le -Palais Farnèse, avec sa belle galerie de choses modernes ouverte en -arceaux, le palais Corsini sous mes pieds. - -Ai-je été un homme d'esprit? Ai-je eu du talent pour quelque chose? M. -Daru[5] disait que j'étais ignorant comme une carpe; oui, mais c'est -Besançon qui m'a rapporté cela et la gaieté de mon caractère rendait -fort jalouse la morosité de cet ancien secrétaire-général de Besançon -[6]. Mais ai-je eu le caractère gai? - - * * * * * - -Enfin, je ne suis descendu du Janicule que lorsque la légère brume du -soir est venue m'avertir que bientôt je serais saisi par le froid subit -et fort désagréable et malsain qui en ce pays suit immédiatement le -coucher du soleil. Je me suis hâté de rentrer au Palazzo Conti (Piazza -Minerva), j'étais harassé. J'étais en pantalon de...[7] blanc -anglais, j'ai écrit sur la ceinture, en dedans: 16 octobre 1832, je -vais avoir la cinquantaine, ainsi abrégé pour n'être pas compris: _J. -vaisa voir la_ 5[8]. - - * * * * * - -Le soir, en rentrant assez ennuyé de la soirée de l'ambassadeur, je me -suis dit: Je devrais écrire ma vie, je saurais peut-être enfin, quand -cela sera fini, dans deux ou trois ans, ce que j'ai été, gai ou triste, -homme d'esprit ou sot, homme de courage ou peureux, et enfin au total -heureux ou malheureux, je pourrai faire lire ce manuscrit à di Fiore. - -Cette idée me sourit.--Oui, mais cette effroyable quantité de _Je_ -et de _Moi!_ Il y a de quoi donner de l'humeur au lecteur le plus -bénévole. _Je_ et _moi_, ce serait, au talent près[9], comme M. de -Chateaubriand, ce roi des _égotistes._ - - - De _je_ mis avec _moi_ tu fais la récidive... - - -Je me dis ce vers à chaque fois que je lis une de ses pages. On -pourrait écrire, il est vrai, en se servant de la troisième personne, -_il_ fit, _il_ dit; oui, mais comment rendre compte des mouvements -intérieurs de l'âme? C'est là-dessus surtout que j'aimerais à consulter -di Fiore. - -Je ne continue que le 23 novembre 1835. La même idée d'écrire _my -life_ m'est venue dernièrement pendant mon voyage de Ravenne; à vrai -dire, je l'ai eue bien des fois depuis 1832, mais toujours j'ai été -découragé par cette effroyable difficulté des _Je_ et des _Moi_, qui -fera prendre l'auteur en grippe; je ne me sens pas le talent pour la -tourner. A vrai dire, je ne suis rien moins que sûr d'avoir quelque -talent pour me faire lire. Je trouve quelquefois beaucoup de plaisir à -écrire, voilà tout[10]. - -S'il y a un autre monde, je ne manquerai pas d'aller voir Montesquieu; -s'il me dit: «Mon pauvre ami, vous n'avez pas eu de talent du tout,» -j'en serai fâché, mais nullement surpris. Je sens cela souvent, quel -œil peut se voir soi-même? Il n'y a pas trois ans que j'ai trouvé ce -_pourquoi._ - -Je vois clairement que beaucoup d'écrivains qui jouissent d'une -grande renommée sont détestables. Ce qui serait un blasphème à dire -aujourd'hui de M. de Chateaubriand (sorte de Balzac) sera un _truism_ -en 1880. Je n'ai jamais varié sur ce Balzac: en paraissant, vers 1803, -le _Génie_ de Chateaubriand m'a semblé ridicule[11]. Mais sentir les -défauts d'un autre, est-ce avoir du talent? Je vois les plus mauvais -peintres voir très bien les défauts les uns des autres: M. Ingres a -toute raison contre M. Gros, et M. Gros contre M. Ingres (je choisis -ceux dont on parlera peut-être encore en 1835). - -Voici le raisonnement qui m'a rassuré à l'égard de ces Mémoires. -Supposons que je continue ce manuscrit et qu'une fois écrit je ne -le brûle pas; je le léguerai non à un ami qui pourrait devenir dévot -[12] ou vendu à un parti, comme ce jeune serin de Thomas Moore, je le -léguerai à un libraire, par exemple à M. Levavasseur (place Vendôme, -Paris). - -Voilà donc un libraire qui, après moi, reçoit un gros volume relié de -cette détestable écriture. Il en fera copier quelque peu, et lira; -si la chose lui semble ennuyeuse, si personne ne parle plus de M. de -Stendhal, il laissera là le fatras, qui sera peut-être retrouvé deux -cents ans plus tard, comme les mémoires de Benvenuto Cellini. - -S'il imprime, et que la chose semble ennuyeuse, on en parlera au bout -de trente ans comme aujourd'hui l'on parle du poème de la _Navigation_ -de cet espion d'Esménard, dont il était si souvent question aux -déjeuners de M. Daru en 1802. Et encore cet espion était, ce me -semble, censeur ou directeur de tous les journaux qui le _poffaient_ -(de _to puff_) à outrance toutes les semaines. C'était le Salvandy de -ce temps-là, encore plus impudent, s'il se peut, mais avec bien plus -d'idées. - - * * * * * - -Mes Confessions n'existeront donc plus trente ans après avoir été -imprimées, si les _Je_ et les _Moi_ assomment trop les lecteurs; et -toutefois j'aurai eu le plaisir de les écrire, et de faire à fond mon -examen de conscience. De plus, s'il y a succès, je cours la chance -d'être lu en 1900 par les âmes que j'aime, les madame Roland, les -Mélanie Guilbert, les...[13] - -Par exemple, aujourd'hui 24 novembre 1835, j'arrive de la chapelle -Sixtine, où je n'ai eu aucun plaisir, quoique muni d'une bonne lunette -pour voir la voûte et le Jugement dernier de Michel-Ange; mais un excès -de café commis avant-hier chez les Caetani par la faute d'une machine -que Michel-Ange[14] a rapportée de Londres, m'avait jeté dans la -névralgie. Une machine trop parfaite. Ce café trop excellent, lettre de -change tirée sur le bonheur à venir au profit du moment présent, m'a -rendu mon ancienne névralgie, et j'ai été à la chapelle Sixtine comme -un mouton, _id est_ sans plaisir, jamais l'imagination n'a pu prendre -son vol. J'ai admiré la draperie de brocart d'or, peinte à fresque à -côté du trône, c'est-à-dire du grand fauteuil de bois de noyer du Pape. -Cette, draperie, qui porte le nom de Sixte IV, Pape (_Sixtus IIII, -Papa_), on peut la toucher de la main, elle est à deux pieds de l'œil -où elle fait illusion après trois cent cinquante quatre ans. - -N'étant bon à rien, pas même à écrire des lettres officielles pour -mon métier, j'ai fait allumer du feu, et j'écris ceci, sans mentir -j'espère, sans me faire illusion, avec plaisir, comme une lettre à un -ami. Quelles seront les idées de cet ami en 1880? Combien différentes -des nôtres! Aujourd'hui c'est une énorme imprudence, une énormité pour -les trois quarts de mes connaissances, que ces deux idées: le _plus -fripon des Kings_ et _Tartare hypocrite_[15] appliquées à deux -noms que je n'ose écrire; en 1880, ces jugements seront des _truisms_ -que même les Kératry de l'époque n'oseront plus répéter. Ceci est -du nouveau pour moi; parler à des gens dont on ignore absolument la -tournure d'esprit, le genre d'éducation, les préjugés, la religion -[16]! Quel encouragement à être _vrai_, et simplement _vrai_, il -n'y a que cela qui tienne. Benvenuto a été _vrai_, et on le suit -avec plaisir, comme s'il était écrit d'hier, tandis qu'on saute -les feuillets de ce jésuite[17] de Marmontel qui pourtant prend -toutes les précautions possibles pour ne pas déplaire, en véritable -Académicien. J'ai refusé d'acheter ses mémoires à Livourne, à vingt -sous le volume, moi qui adore ce genre d'écrits. - -Mais combien ne faut-il pas de précautions pour ne pas mentir! - -Par exemple, au commencement du premier chapitre, il y a une chose qui -peut sembler une hâblerie: non, mon lecteur, je n'étais point soldat à -Wagram en 1809. - -Il faut que vous sachiez que, quarante-cinq ans avant vous, il était -de mode d'avoir été soldat sous Napoléon. C'est, doue aujourd'hui, -1835, un mensonge tout à fait digne d'être écrit que de faire entendre -indirectement, et sans mensonge absolu (_jesuitico_[18] _more_), -qu'on a été soldat à Wagram. - -Le fait est que j'ai été maréchal des logis et sous-lieutenant au -sixième dragons à l'arrivée de ce régiment en Italie, mai 1800, je -crois, et que je donnai ma démission à l'époque de la petite paix de -1803. J'étais ennuyé à l'excès de mes camarades, et ne trouvais rien -de si doux que de vivre à Paris, _en philosophe_, c'était le mot dont -je me servais alors avec moi-même, au moyen de cent cinquante francs -par mois que mon père me donnait. Je supposais qu'après lui j'aurais le -double ou deux fois le double; avec l'ardeur de savoir qui me brûlait -alors, c'était beaucoup trop. - -Je ne suis pas devenu colonel, comme je l'aurais été avec la puissante -protection de M. le comte Daru, mon cousin, mais j'ai été, je crois, -bien plus heureux. Je ne songeai bientôt plus à étudier M. de Turenne -et à l'imiter, cette idée avait été mon but fixe pendant les trois ans -que je fus dragon. Quelquefois elle était combattue par cette autre: -faire des comédies comme Molière et vivre avec une actrice. J'avais -déjà alors un dégoût mortel pour les femmes honnêtes et l'hypocrisie -qui leur est indispensable. Ma paresse énorme l'emporta; une fois à -Paris, je passais des six mois entiers sans faire de visites à ma -famille (MM. Daru, Mme Le Brun, M. et Mme de -Baure), je me disais toujours _demain_; je passai deux ans ainsi, -dans un cinquième étage de la rue d'Angiviller, avec une belle vue -sur la colonnade du Louvre, et lisant La Bruyère, Montaigne et J.-J. -Rousseau, dont bientôt l'emphase m'offensa. Là se forma mon caractère. -Je lisais beaucoup aussi les tragédies d'Alfieri, m'efforçant d'y -trouver du plaisir, je vénérais Cabanis, Tracy et J.-B. Say, je lisais -souvent Cabanis, dont le style vague me désolait. Je vivais solitaire -et fou comme un Espagnol, à mille lieues de la vie réelle. Le bon père -Jeki, Irlandais, me donnait des leçons d'anglais, mais je ne faisais -aucun progrès, j'étais fou d'Hamlet. - -Mais je me laisse emporter, je m'égare, je serai inintelligible si je -ne suis pas l'ordre des temps, et d'ailleurs les circonstances ne me -reviendront pas si bien. - -Donc, à Wagram, en 1809, je n'étais pas militaire, mais au contraire -adjoint aux commissaires des Guerres, place où mon cousin, M. Daru, -m'avait mis pour _me retirer du vice_, suivant le style de ma famille. -Car ma solitude de la rue d'Angiviller avait fini par vivre une année -à Marseille avec une actrice charmante[19] qui avait les sentiments -les plus élevés et à laquelle je n'ai jamais donné un sou. - -D'abord, par la grandissime raison que mon père me donnait toujours -cent cinquante francs par mois sur lesquels il fallait vivre, et cette -pension était fort mal payée à Marseille, en 1805. - -Mais je m'égare encore. En octobre 1806, après _Iéna_, je fus adjoint -aux commissaires des Guerres, place honnie par les soldats; en 1810, -le 3 août, auditeur au Conseil d'Etat, inspecteur général du mobilier -de la Couronne quelques jours après. Je fus en faveur, non auprès du -maître, Napoléon ne parlait pas à des fous de mon espèce, mais fort -bien vu du meilleur des hommes, M. le duc de Frioul (Duroc). Mais je -m'égare. - - -[Footnote 1: Le _chapitre I_ comprend les feuillets 1 à 20.--Écrit les -23 et 24 novembre 1835.--Le fol. 1 ne fait pas partie du ms. R 299 de -la Bibl. mun. de Grenoble. Il a été relié avec le vol. R 5896. Le fol. -1 du ms. R 299 porte: «Moi, Henri Brulard, j'écrivais ce qui suit, à -Rome, de 1832 à 1836.»] - -[Footnote 2: _En face de moi, je vois ..._--Variante: «_J'aperçois._»] - -[Footnote 3: _M'aimait-elle_?--Nous n'adoptons pas la leçon proposée -par M. Bédier à M. Paul Arbelet et adoptée par Stryienski dans sa -2e édition de la _Vie de Henri Brulard._ Le manuscrit -porte en effet nettement un point entre les mots: _peut-être_ et -_m'aimait-elle._ (Cf. Casimir Stryienski et Paul Arbelet, _Soirées du -Stendhal-Club_, 2e série, p. 81 note.)] - -[Footnote 4: _Et Menti ..._--Clémentine, que Stendhal appelle plus -souvent Menta (Sur Mme Clémentine C..., voir A. Chuquet, -_Stendhal-Beyle_, p. 180-183.] - -[Footnote 5: _M. Daru...._--Ms.: «_Ruda._»--Sur les habitudes -anagrammatiques de Stendhal, voir l'Introduction.] - -[Footnote 6: _ ...cet ancien secrétaire-général de Besançon._--Stendhal -surnomme souvent Besançon son ami de Mareste, qui fut -secrétaire-général de la préfecture du Doubs.] - -[Footnote 7: _J'étais en pantalon de ..._--Le nom est laissé en blanc -dans le manuscrit.] - -[Footnote 8: _J. vaisa voir la 5._--Entre cet alinéa et le suivant, -Stendhal a laissé un assez grand espace dans lequel il a écrit le mot: -«_Chap._»] - -[Footnote 9: ... _au talent près ..._--Variante: «_Moins le talent._»] - -[Footnote 10: _Je trouve quelquefois beaucoup de plaisir à écrire, -voilà tout._--Un feuillet intercalaire est ainsi conçu: «Au lieu de -tant de bavardages, peut-être que ceci suffit: - -Brulard (Marie-Henry), né à Grenoble en 1786 (_sic_), d'une famille -de bonne bourgeoisie qui prétendait à la noblesse, il n'y eut pas de -plus fiers aristocrates qu'on pût voir dès 1752. Il fut témoin de bonne -heure de la méchanceté et de l'hypocrisie de certaines gens, de là sa -haine d'instinct pour la gion. Son enfance fut heureuse jusqu'à la mort -de sa mère, qu'il perdit à sept ans, ensuite les prêtres en firent un -enfer. Pour en sortir, il étudia les mathématiques avec passion et en -1797 ou 98 remporta le premier prix, tandis que cinq élèves reçus le -mois après à l'École polytechnique n'avaient que le second. Il arriva -à Paris le lendemain du 18 brumaire (9 novembre 1799), mais se garda -bien de se présenter à l'examen pour l'École polytechnique. Il partit -avec l'armée de réserve en amateur et passa le Saint-Bernard deux -jours après le Premier Consul. A son arrivée à Milan, M. Daru, son -cousin, alors inspecteur aux revues de l'armée, le fit entrer comme -maréchal des logis, et bientôt sous-lieutenant, dans le 6e -de Dragons, dont M. Le Baron, son ami, était colonel. Dans son régiment -B., qui avait 150 francs de pension par mois et qui se disait riche, -il avait 17 ans, fut envié et pas trop bien reçu; il eut cependant -un beau certificat du Conseil d'administration. Un an après, il fut -aide-de-camp du brave lieutenant-général Michaud, fit la campagne du -Mincio contre le général Bellegarde, jugea la sottise du général Brune -et fit des garnisons charmantes à Brescia et Bergame. Obligé de quitter -le général Michaud, car il fallait être au moins lieutenant pour -remplir les fonctions d'aide-de-camp, il rejoignit le 6e de -Dragons à Alba et Savigliano, fièrement, fit une maladie mortelle à -Saluces ... - -Ennuyé de ses camarades, culottes de peau, B. vint à Grenoble, devint -amoureux de Mlle Victorine M.; et, profitant de la petite -paix, donna sa démission et alla à Paris, où il passa dix ans dans -la solitude, croyant ne faire que s'amuser en lisant les _Lettres -Persanes_, Montaigne, Cabanis, Tracy, et dans le fait finissant son -éducation.»] - -[Footnote 11: ... _le_ Génie _de Cha_[teaubriand]: m'a semblé -ridicule.--Le _Génie du Christianisme_ parut en 1802.] - -[Footnote 12: ... _qui pourrait devenir dévot ..._--Ms.: «_Votdé._»] - -[Footnote 13: ... _les madame Roland, les Mélanie Guilbert, les -..._--La phrase est inachevée.] - -[Footnote 14: ... _une machine que Michel-Ange ..._--Le prince -Michel-Ange Caetani, frère de Don Philippe, ami de Stendhal.] - -[Footnote 15: ... _le plus fripon des Kings et Tartare hypocrite -..._--Le premier est Louis-Philippe, le second le tsar de Russie, -Alexandre Ier.] - -[Footnote 16: ... _les préjugés, la religion!_--Ms.: «_Gionreli._»] - -[Footnote 17: ... _tandis qu'on saute les feuillets de ce jésuite -..._--Ms.: «_Tejessui._»] - -[Footnote 18: ... _(jesuitico more) ..._--Ms.: «_Ticojesui._»] - -[Footnote 19: ... _vivre une année à Marseille avec une actrice -charmante ..._--Mélanie Guilbert, que Stendhal appelle ailleurs -Louason.] - - - - -CHAPITRE II[1] - - -Je tombai avec Napoléon en avril 1814. Je vins en Italie vivre comme -clans la rue d'Angiviller[2]. En 1821, je quittai Milan, le désespoir -dans l'âme à cause de Métilde, et songeant beaucoup à me brûler la -cervelle. D'abord tout m'ennuya à Paris; plus tard, j'écrivis pour -me distraire; Métilde mourut, donc inutile de retourner à Milan. -J'étais devenu parfaitement heureux; c'est trop dire, mais enfin fort -passablement heureux, en 1830, quand j'écrivais _le Rouge et le Noir._ - -Je fus ravi par les journées de juillet, je vis les balles sous les -colonnes du Théâtre-Français, fort peu de danger de ma part; je -n'oublierai jamais ce beau soleil, et la première vue du drapeau -tricolore, le 29 ou le 30[3], vers huit heures, après avoir couché -chez le commandeur Pinto, dont la nièce avait peur. Le 25 septembre, -je fus nommé consul à Trieste par M. Molé[4], que je n'avais jamais -vu. De Trieste, je suis venu en 1831 à Cività-Vecchia et Rome[5], -où je suis encore et où je m'ennuie, faute de pouvoir faire échange -d'idées. J'ai besoin de temps en temps de converser le soir avec des -gens d'esprit, faute de quoi je me sens comme asphyxié. - -Ainsi, voici les grandes divisions de mon conte: né en 1783, dragon en -1800, étudiant de 1803 à 1806[6]. En 1806, adjoint aux commissaires -des Guerres, intendant à Brunswick. En 1809, relevant les blessés à -Essling ou à Wagram, remplissant des missions le long du Danube, sur -ses rives couvertes de neige, à Linz et Passau, amoureux de madame la -comtesse Petit, pour la revoir demandant à aller en Espagne. Le 3 août -1810 nommé par elle, à peu près, auditeur au Conseil d'Etat. Cette vie -de haute faveur et de dépenses me conduit à Moscou, me fait intendant à -Sagan, en Silésie, et enfin tomber en avril 1814[7]. Qui le croirait! -quant à moi personnellement, la chute me fit plaisir. - -Après la chute, étudiant, écrivain, fou d'amour, faisant imprimer[8] -l'_Histoire de la Peinture en Italie en 1817_; mon père, devenu ultra, -se ruine et meurt en 1819, je crois; je reviens à Paris en juin 1821. -Je suis au désespoir à cause de Métilde, elle meurt, je l'aimais mieux -morte qu'infidèle, j'écris, je me console, je suis heureux. En 1830, -au mois de septembre, je rentre dans la carrière administrative où je -suis encore, regrettant la vie d'écrivain au troisième étage de l'hôtel -de Valois, rue de Richelieu, n° 71. - -J'ai été homme d'esprit depuis l'hiver 1826, auparavant je me taisais -par paresse. Je passe, je crois, pour l'homme le plus gai et le plus -insensible, il est vrai que je n'ai jamais dit un seul mot des femmes -que j'aimais. J'ai éprouvé absolument à cet égard tous les symptômes du -tempérament mélancolique décrit par Cabanis. J'ai eu très peu de succès. - -Mais, l'autre jour, rêvant à la vie dans le chemin solitaire au-dessus -du lac d'Albano, je trouvai que ma vie pouvait se résumer par les noms -que voici, et dont j'écrivais les initiales sur la poussière, comme -Zadig, avec ma canne, assis sur le petit banc derrière les stations -du Calvaire des _Minori Menzati_ bâti par le frère d'Urbain VIII, -Barberini, auprès de ces deux beaux arbres enfermés par un petit mur -rond[9]: - -Virginie (Kably), Angela (Pietragrua), Adèle (Rebuffel), Mélanie -(Guilbert), Mina (de Grisheim), Alexandrine (Petit), Angelina que je -n'ai jamais aimée (Bereyter), Angela (Pietragrua), Métilde (Dembowski), -Clémentine, Giulia. Et enfin, pendant un mois au plus, Mme -Azur dont j'ai oublié le nom de baptême[10], et, imprudemment, hier, -Amalia (B.). - -La plupart de ces êtres charmants ne m'ont point honoré de leurs -bontés; mais elles ont à la lettre occupé toute ma vie. A elles ont -succédé mes ouvrages. Réellement je n'ai jamais été ambitieux, mais en -1811 je me croyais ambitieux. - -L'état habituel de ma vie a été celui d'amant malheureux, aimant la -musique et la peinture, c'est-à-dire jouir des produits de ces arts -et non les pratiquer gauchement. J'ai recherché avec une sensibilité -exquise la vue des beaux paysages; c'est pour cela uniquement que j'ai -voyagé. Les paysages étaient comme un _archet_ qui jouait sur mon -âme, et des aspects que personne ne citait, la ligne de rochers en -approchant d'Arbois, je crois, en venant de Dole par la grande route, -sont pour moi une image sensible et évidente de l'âme de Métilde. Je -vois que la Rêverie a été ce que j'ai préféré à tout, même à passer -pour homme d'esprit. Je ne me suis donné cette peine, je n'ai pris -cet état d'improviser en dialogue, au profit de la société où je me -trouvais, qu'en 1826, à cause du désespoir où je passai les premiers -mois de cette année fatale. - -Dernièrement, j'ai appris, en le lisant dans un livre (les lettres -de Victor Jacquemont, l'Indien) que quelqu'un avait pu me trouver -brillant. Il y a quelques années, j'avais vu la même chose à peu près -dans un livre, alors à la mode, de lady Morgan. J'avais oublié cette -belle qualité qui m'a fait tant d'ennemis. (Ce n'était peut-être que -l'apparence de la qualité, et les ennemis sont des êtres trop communs -pour juger du brillant; par exemple, comment un comte d'Argout peut-il -juger du _brillant?_ Un homme dont le bonheur est de lire deux ou trois -volumes de romans in-12, pour femme de chambre, par jour! Comment M. de -Lamartine jugerait-il de l'esprit? D'abord il n'en a pas et, en second -lieu, il dévore aussi deux volumes par jour des plus plats ouvrages. Vu -à Florence en 1824 ou 1826.) - -Le grand _drawback_ (inconvénient) d'avoir de l'esprit, c'est qu'il -faut avoir l'œil fixé sur les demi-sots qui vous entourent, _et se -pénétrer de leurs plates sensations._ J'ai le défaut de m'attacher au -moins impuissant d'imagination et de devenir inintelligible pour les -autres qui, peut-être, n'en sont que plus contents. - -Depuis que je suis à Rome, je n'ai pas d'esprit une fois la semaine -et encore pendant cinq minutes, j'aime mieux rêver. Ces gens-ci ne -comprennent pas assez les finesses de la langue française pour sentir -les finesses de mes observations: il leur faut du gros esprit de -commis-voyageur, comme Mélodrame qui les enchante (exemple: Michel-Ange -Caetani) et est leur véritable pain quotidien. La vue d'un pareil -succès me glace, je ne daigne plus parler aux gens qui ont applaudi -Mélodrame. Je vois tout le néant de la vanité. - -Il y a deux mois donc, en septembre 1835, rêvant à écrire ces mémoires, -sur la rive du lac d'Albano (à deux cents pieds du niveau du lac), -j'écrivais sur la poussière, comme Zadig, ces initiales: - - - V. Aa. Ad. M. Mi. Al. Aine. Apg. Mde. C. G. Ar. - - 1 2 3 4 5 6 - - -(Mme Azur, dont j'ai oublié le nom de baptême). - -Je rêvais profondément à ces noms et aux étonnantes bêtises et sottises -qu'ils m'ont fait faire (je dis étonnantes pour moi, non pour le -lecteur, et d'ailleurs je ne m'en repens pas). - -Dans le fait je n ai eu que six femmes que j'ai aimées. - - - La plus grande passion est à débattre entre - Mélanie, Alexandrine, Métilde et Clémentine. - - 2 4 - - -Clémentine est celle qui m'a causé la plus grande douleur en me -quittant. Mais cette douleur est-elle comparable à celle occasionnée -par Métilde, qui ne voulait pas me dire qu'elle m'aimait? - -Avec toutes celles-là et avec plusieurs autres, j'ai toujours été un -enfant; aussi ai-je eu très peu de succès. Mais, en revanche, elles -m'ont occupé beaucoup et passionnément, et laissé des souvenirs qui -me charment, quelques-uns après vingt-quatre ans, comme le souvenir -de la Madone del Monte, à Varèse, en 1811. Je n'ai point été galant, -pas assez, je n'étais occupé que de la femme que j'aimais, et quand je -n'aimais pas, je rêvais au spectacle des choses humaines, ou je lisais -avec délices Montesquieu ou Walter Scott. _Par ainsi_, comme disent -les enfants, je suis si loin d'être blasé sur leurs ruses et petites -grâces qu'à mon âge, cinquante-deux[ans][11], et en écrivant ceci, -je suis encore tout charmé d'une longue _chiacchierata_ qu'Amalia a eue -hier avec moi au Th[éâtre] Valle. - -Pour les considérer le plus philosophiquement possible et tâcher ainsi -de les dépouiller de l'auréole qui me fait _aller les yeux_, qui -m'éblouit et m'ôte la faculté de voir distinctement, _j'ordonnerai_ ces -dames (langage mathématique) selon leurs diverses qualités. Je dirai -donc, pour commencer par leur passion habituelle: la vanité, que deux -d'entre elles étaient comtesses et une, baronne. - -La plus riche fut Alexandrine Petit, son mari et elle surtout -dépensaient bien 80.000 francs par an. La plus pauvre fut Mina de -Grisheim, fille cadette d'un général sans nulle fortune et favori d'un -prince tombé, dont les app[ointement]s faisaient vivre la famille, ou -Mlle Bereyter, actrice de l'Opera-Buffa. - -Je cherche à distraire le charme, le _dazzling_ des événements, en les -considérant ainsi militairement. C'est ma seule ressource pour arriver -au vrai dans un sujet sur lequel je ne puis converser avec personne. -Par pudeur de tempérament mélancolique (Cabanis), j'ai toujours été, -à cet égard, d'une discrétion incroyable, folle. Quant à l'esprit, -Clémentine l'a emporté sur toutes les autres. Métilde l'a emporté par -les sentiments nobles, espagnols; Giulia, ce me semble, par la force -du caractère, tandis que, au premier moment, elle semblait la plus -faible: Angela P. a été catin sublime à italienne, à la Lucrèce Borgia, -et Mme Azur, catin non sublime, à la Du Barry. - -L'argent ne m'a jamais fait la guerre que deux fois, à la fin de 1805 -et en 1806 jusqu'en août, que mon père ne m'envoyait plus d'argent, et -sans _m'en prévenir_, là était le mal; [il] fut une fois cinq mois sans -payer ma pension de cent cinquante francs. Alors nos grandes misères -avec le vicomte[12], lui recevait exactement sa pension, mais la -jouait régulièrement toute, le jour qu'il la recevait. - -En 1829 et 30, j'ai été embarrassé plutôt par manque de soin et -insouciance que par l'absence véritablement de moyen, puisque de 1821 -à 1830 j'ai fait trois ou quatre voyages en Italie, en Angleterre, à -Barcelone, et qu'à la fin de cette période je ne devais que quatre -cents francs. - -Mon plus grand manque d'argent m'a conduit à la démarche désagréable -d'emprunter cent francs ou, quelquefois, deux cents à M. Beau. Je -rendais après un mois ou deux; et enfin, en septembre 1830, je devais -quatre cents francs à mon tailleur Michel. Ceux qui connaissent la vie -des jeunes gens de mon époque trouveront cela bien modéré. De 1800 -à 1830, je n'avais jamais dû un sou à mon tailleur Léger, ni à son -successeur Michel (22, rue Vivienne). - -Mes amis d'alors, 1830, MM. de Mareste, Colomb, étaient des amis d'une -singulière espèce, ils auraient fait sans doute des démarches actives -pour me tirer d'un grand danger, mais lorsque je sortais avec un habit -neuf ils auraient donné vingt francs, le premier surtout, pour qu'on me -jetât un verre d'eau sale, (Excepté le vicomte de Barral et Bigillion -(de Saint-Ismier), je n'ai guère eu, en toute ma vie, que des amis de -cette espèce.) - -C'étaient de braves gens fort prudents qui avaient réuni 12 ou 15.000 -[francs] d'appointements ou de rente par un travail ou une adresse -assidue, et qui ne pouvaient souffrir de me voir allègre, insouciant, -heureux avec un cahier de papier blanc et une plume, et vivant avec non -plus de 4 ou 5.000 francs. Ils m'auraient aimé cent fois mieux s'ils -m'eussent vu attristé et malheureux de n'avoir que la moitié ou le -tiers de leur revenu, moi qui jadis les avais peut-être un peu choqués -quand j'avais un cocher, deux chevaux, une calèche et un cabriolet, car -jusqu'à cette hauteur s'était élevé mon luxe, du temps de l'Empereur. -Alors j'étais ou me croyais ambitieux; ce qui me gênait dans cette -supposition[13], c'est que je ne savais quoi désirer. J'avais honte -d'être amoureux de la comtesse Al. Petit, j'avais comme maîtresse -entretenue Mlle A. Bereyter, actrice de l'Opera-Buffa, -je déjeunais au café Hardy, j'étais d'une activité incroyable. Je -revenais de Saint-Cloud à Paris exprès pour assister à un acte du -_Matrimonio segreto_ à l'Odéon (Madame Barilli, Barilli, Tachinardi. -Mme Festa, Mlle Bereyter). Mon cabriolet -attendait à la porte du café Hardy, voilà ce que mon beau-frère[14] -ne m'a jamais pardonné. - -Tout cela pouvait passer pour de la fatuité et pourtant n'en était pas. -Je cherchais à jouir et à agir, mais je ne cherchais nullement à faire -paraître plus de jouissances ou d'action qu'il n'y en avait réellement. -M. Prunelle, médecin, homme d'esprit, dont la raison me plaisait fort, -horriblement laid et depuis célèbre comme député vendu et maire de Lyon -vers 1833, qui était de ma connaissance en ce temps-là, dit de moi: -_C'était un fier fat._ Ce jugement retentit parmi mes connaissances. -Peut-être au reste avaient-ils raison. - -Mon excellent et vrai bourgeois de beau-frère, M. Périer-Lagrange -(ancien négociant qui se ruinait, sans le savoir, en faisant de -l'agriculture près de La Tour-du-Pin), déjeunant avec moi au café Hardy -et me voyant commander ferme aux garçons, car avec tous mes devoirs à -remplir j'étais souvent pressé, fut ravi parce que ces garçons firent -entre eux quelque plaisanterie qui impliquait que j'étais un fat, ce -qui ne me fâcha nullement. J'ai toujours et comme par instinct (si bien -vérifié depuis par les Chambres), profondément méprisé les bourgeois. - -Toutefois, j'entrevoyais aussi que parmi les bourgeois seulement se -trouvaient les hommes énergiques tels que mon cousin Rebuffel[15] -(négociant rue Saint-Denis), le Père Ducros, bibliothécaire de la -ville de Grenoble, l'incomparable Gros (de la rue Saint-Laurent), -géomètre de la haute volée et mon maître, à l'insu de mes parents -mâles, car il était jacobin et toute ma famille bigotement ultra. Ces -trois hommes ont possédé toute mon estime et tout mon cœur, autant que -le respect et la différence d'âge pouvaient admettre ces communications -qui font qu'on aime. Même, je fus avec eux comme je fus plus tard avec -les êtres que j'ai trop aimés, muet, immobile, stupide, peu aimable -et quelquefois offensant à force de dévouement et d'absence _du moi._ -Mon amour-propre, mon intérêt, mon moi avaient disparu en présence de -la personne aimée, j'étais transformé en elle. Qu'était-ce quand cette -personne était une coquine comme madame Piétragrua? Mais j'anticipe -toujours. Aurai-je le courage d'écrire ces Confessions d'une façon -intelligible? Il faut narrer, et j'écris des _considérations_ sur des -événements bien petits mais qui, précisément à cause de leur taille -microscopique, ont besoin d'être contés très distinctement. Quelle -patience il vous faudra, ô mon lecteur! - -Donc, suivant moi, l'_énergie_ ne se trouvait, même à mes yeux (en -1811), que dans la classe qui est en lutte avec les vrais besoins. - -Mes amis nobles. MM. Raymond de Bérenger (tué à Lutzen), de -Saint-Ferréol, de Sinard (dévot mort jeune), Gabriel Du B.......... -(sorte de filou ou d'emprunteur peu délicat, aujourd'hui pair de -France et ultra par l'âme), MM. de Monval, m'avaient paru comme ayant -toujours quelque chose de singulier, un respect effroyable pour les -_convenances_ (par exemple, Sinard). Ils cherchaient toujours à être de -_bon ton_ ou _comme il faut_, ainsi qu'on disait à Grenoble en 1793. -Mais cette idée-là, j'étais loin de l'avoir clairement. Il n'y a pas un -an que mon idée sur la noblesse est enfin arrivée à être complète. Par -instinct, ma vie morale s'est passée à considérer attentivement cinq ou -six idées principales, et à tâcher de voir la vérité sur elles. - -Raymond de Bérenger était excellent et un véritable exemple de -la maxime: _noblesse oblige_, tandis que Monval (mort colonel et -généralement méprisé vers 1829, à Grenoble) était l'idéal d'un député -du centre. Tout cela se voyait déjà fort bien quand ces Messieurs -avaient quinze ans, vers 1798. - -Je ne vois la vérité nettement sur la plupart de ces choses qu'en -les écrivant, en 1835, tant elles ont été enveloppées jusqu'ici -de l'auréole de la jeunesse, provenant de l'extrême vivacité des -sensations. - -A force d'employer des méthodes philosophiques, par exemple à force de -classer mes amis de jeunesse par genres, comme M. Adrien de Jussieu -fait pour ses plantes (en botanique), je cherche à atteindre cette -vérité qui me fuit. Je m'aperçois que ce que je prenais pour de hautes -montagnes, en 1800, n'étaient la plupart que des _taupinières_; mais -c'est une découverte que je n'ai faite que bien tard. - -Je vois que j'étais comme un cheval ombrageux, et c'est à un mot que -me dit M. de Tracy (l'illustre comte Destutt de Tracy, pair de France, -membre de l'Académie française et, bien mieux, auteur de la loi du 3 -prairial[16] sur les Écoles centrales), c'est à un mot que me dit M. -de Tracy que je dois cette découverte. - -Il me faut un exemple. Pour un rien, par exemple une porte à demi -ouverte, la nuit, je me figurais deux hommes armés m'attendant pour -m'empêcher d'arriver à une fenêtre donnant sur une galerie où je voyais -ma maîtresse. C'était une illusion, qu'un homme sage comme Abraham -Constantin[17], mon ami, n'aurait point eue. Mais au bout de peu de -secondes (quatre ou cinq tout au plus) le sacrifice de ma vie était -fait et parfait, et je me précipitais comme un héros au devant des deux -ennemis, qui se changeaient en une porte à demi fermée. - -Il n'y a pas deux mois qu'une chose de ce genre, au moral toutefois, -m'est encore arrivée. Le sacrifice était fait et tout le courage -nécessaire était présent, quand après vingt heures je me suis aperçu, -en relisant une lettre mal lue (de M. Herrard), que c'était une -illusion. Je lis toujours fort vite ce qui me fait de la peine. - -Donc, en classant ma vie comme une collection de plantes, je trouvai: - - - Enfance, première éducation, de 1786 - - à 1800 15 ans. - - Service militaire, de 1800 à 1803 3 -- - - Seconde éducation, amours ridicules avec Mlle - Adèle Clozel et avec sa mère, qui se donna l'amoureux de sa - fille. Vie rue d'Angiviller. Enfin beau séjour à Marseille - avec Mélanie, de 1803 à 1805 2 -- - - Retour à Paris, fin de l'éducation 1 -- - - Service sous Napoléon, de 1806 à la fin de 1815 (d'octobre - 1806 à l'abdication en 1814) 7 1/2 - - Mon adhésion, dans le même numéro du _Moniteur_ on se trouva - l'abdication de Napoléon. Voyages, grandes et terribles - amours, consolations en écrivant des livres, de 1814 à 1830 - 15 1/2 - - Second service, allant du 15 septembre 1830 au présent quart - d'heure 5 -- - - -J'ai débuté dans le monde par le salon de Mme de Vaulserre, -dévote à la figure singulière, sans menton, fille de M. le baron des -Adrets et amie de ma mère. C'était probablement vers 1794. J'avais -un tempérament de feu et la timidité décrite par Cabanis. Je fus -excessivement touché de la beauté du bras de Mlle Bonne de -Saint-Vallier, je pense, je vois la figure et les beaux bras, mais le -nom est incertain, peut-être était-ce Mlle de Lavalette. -M. de Saint-Ferréol, dont depuis je n'ai jamais ouï parler, était mon -ennemi et mon rival, M. de Sinard, ami commun, nous calmait. Tout cela -se passait dans un magnifique rez-de-chaussée donnant sur le jardin de -l'hôtel des Adrets, maintenant détruit et changé en maison bourgeoise, -rue Neuve, à Grenoble. A la même époque commença mon admiration -passionnée pour le Père Ducros (moine cordelier sécularisé, homme du -premier mérite, du moins il me semble). J'avais pour ami intime mon -grand-père, M. Henri Gagnon, docteur en médecine. - -Après tant de considérations générales, je vais naître. - - -[Footnote 1: Le _chapitre II_ comprend les feuillets 20 à 42. Non daté.] - -[Footnote 2: _Je vins en Italie vivre comme dans la rue -d'Angiviller._--L'auteur était en 1819 à Grenoble, lors de l'élection -de l'abbé Grégoire à la Chambre des Députés. (Note au crayon de H. -Colomb.)] - -[Footnote 3: ... _le_ 29 _ou le_ 30 ...--C'est le 28. (Note au crayon de R. -Colomb.)] - -[Footnote 4: ... _M. Molé ..._--Ms.: «_Lémo._»--Molé fut ministre des Affaires -étrangères entre le 11 août et le 2 novembre 1830.] - -[Footnote 5: ... _Cività-Vecchia et Rome ..._--Ms.: «_Omar._»] - -[Footnote 6: ... _étudiant de_ 1803 à 1806.--Négociant à Marseille, 1805. -(Note au crayon de R. Colomb.)] - -[Footnote 7: ... _tomber en avril_ 1814.--En avril 1814. (Note au crayon de R. -Colomb.)--Le manuscrit porte: 1815.] - -[Footnote 8: ... _faisant imprimer ..._--Les lettres sur Mozart, Haydn, etc. -(Note au crayon de R. Colomb.)] - -[Footnote 9: ... _enfermés par un petit mur rond._--En face, au verso du fol. -22, est une esquisse de cette scène: le «couvent», près duquel passe la -«route tendant à Albano»; à droite, un arbre entouré d'un mur bas; à -droite encore, au bord du «lac d'Albano», Stendhal assis. Devant lui, -en capitales, les mots suivants: «ZADIG. ASTARTÉ.»] - -[Footnote 10: ... _dont j'ai oublié le nom de baptême._--Mme Azur -est Mme Alberthe de Rubempré.] - -[Footnote 11: ... à _mon âge, cinquante-deux ans ..._--Les chiffres ont été -intervertis par Stendhal. Il explique le 52 en mettant en surcharge: -(72 + 3).] - -[Footnote 12: _Alors nos grandes misères avec le vicomte ..._--Le vicomte de -Barral.] - -[Footnote 13: ... _ce qui me gênait dans cette supposition ..._--Variante: -«_Idée._»] - -[Footnote 14: ... _mon beau-frère ..._--Pauline, sœur de Beyle, avait épousé -François-Daniel Périer-Lagrange.] - -[Footnote 15: ... _mon cousin Rebuffel ..._--Jean-Baptiste Rebuffet. Stendhal -orthographie continuellement _Rebuffel._ Nous avons respecté cette -orthographe.] - -[Footnote 16: ... _loi du_ 3 _prairial ..._--La loi instituant les Écoles -centrales est du 3 brumaire an IV.] - -[Footnote 17: ... _Abraham Constantin ..._--Peintre sur porcelaine, originaire -de Genève.] - - - - -CHAPITRE III[1] - - -Mon premier souvenir est d'avoir mordu à la joue ou au front madame -Pison-Dugalland, ma cousine, femme de l'homme d'esprit député à -l'Assemblée constituante. Je la vois encore, une femme de vingt-cinq -ans qui avait de l'embonpoint et beaucoup de rouge. Ce fut apparemment -ce rouge qui me piqua. Assise au milieu du pré qu'on appelait le glacis -de la porte de Bonne, sa joue se trouvait précisément à ma hauteur. - -«Embrasse-moi, Henri», me disait-elle. Je ne voulus pas, elle se -fâcha, je mordis ferme. Je vois la scène, mais sans doute parce que -sur-le-champ on m'en fit un crime et que sans cesse on m'en parlait. - -Ce glacis de la porte de Bonne était couvert de marguerites. C'est une -jolie petite fleur dont je faisais un bouquet. Ce pré de 1786 se trouve -sans doute aujourd'hui au milieu de la ville, au sud de l'église du -collège[2]. - -Ma tante Séraphie[3] déclara que j'étais un monstre et que j'avais -un caractère atroce. Cette tante Séraphie avait toute l'aigreur d'une -fille dévote qui n'a pas pu se marier. Que lui était-il arrivé? Je ne -l'ai jamais su, nous ne savons jamais la chronique scandaleuse de nos -parents, et j'ai quitté la ville pour toujours à seize ans, après trois -ans de la passion la plus vive, qui m'avait relégué dans une solitude -complète. - -Le second trait de caractère fut bien autrement noir. - -J'avais fait une collection de joncs, toujours sur le glacis de la -porte de Bonne (Bonne de Lesdiguières. Demander le nom botanique du -jonc, herbe de forme cylindrique comme une plume de poulet et d'un pied -de long). - -On m'avait ramené à la maison, dont une fenêtre au premier étage -donnait sur la Grande-rue, à l'angle de la place Grenette. Je faisais -un jardin en coupant ces joncs en morceaux[4] de deux pouces de long -que je plaçais dans l'intervalle entre le balcon et le _jet d'eau_ -de la croisée. Le couteau de cuisine dont je me servais m'échappa et -tomba dans la rue, c'est-à-dire d'une douzaine de pieds, près d'une -madame Chenavaz. C'était la plus méchante femme de toute la ville -(mère de Candide Chenavaz qui, dans sa jeunesse, adorait la _Clarisse -Harlowe_ de Richardson, depuis l'un des trois cents de M. de Villèle -et récompensé par la place de premier président de la cour royale de -Grenoble; mort à Lyon non reçu). - -Ma tante Séraphie dit que j'avais voulu tuer madame Chenavaz; je -fus déclaré pourvu d'un caractère atroce, grondé par mon excellent -grand-père, M. Gagnon, qui avait peur de sa fille Séraphie, la dévote -la plus en crédit dans la ville, grondé même par ce caractère élevé -et espagnol, mon excellente grand'tante, Mlle Elisabeth -Gagnon[5]. - -Je me révoltai, je pouvais avoir quatre ans[6]. De cette époque -date mon horreur pour la religion[7], horreur que ma raison a pu à -grand'peine réduire à de justes dimensions, et cela tout nouvellement, -il n'y a pas six ans. Presque en même temps prit sa première naissance -mon amour filial instinctif, forcené dans ces temps-là, pour la... -[8]. - -Je n'avais pas plus de cinq ans[9]. - -Cette tante Séraphie a été mon mauvais génie pendant toute mon enfance; -elle était abhorrée, mais avait beaucoup de crédit dans la famille. Je -suppose que dans la suite mon père fut amoureux d'elle, du moins il y -avait de longues promenades aux _Granges_, dans un marais sous les murs -de la ville, où j'étais le seul _tiers incommode_, et où je m'ennuyais -fort. Je me cachais au moment de partir pour ces promenades. Là fit -naufrage la très petite amitié que j'avais pour mon père. - -Dans le fait, j'ai été exclusivement élevé par mon excellent -grand-père, M. Henri Gagnon. Cet homme rare avait fait un pèlerinage -à Ferney pour voir Voltaire et en avait été reçu avec distinction. -Il avait un petit buste de Voltaire, gros comme le poing, monté sur -un pied de bois d'ébène de six pouces de haut. (C'était un singulier -goût, mais les beaux-arts n'étaient le fort ni de Voltaire, ni de mon -excellent grand-père.) - -Ce buste était placé devant le bureau où il écrivait; son cabinet était -au fond d'un très vaste appartement donnant sur une terrasse élégante -ornée de fleurs[10]. C'était pour moi une rare faveur d'y être admis, -et une plus rare de voir et de toucher le buste de Voltaire. - -Et avec tout cela, du plus loin que je me souvienne, les écrits de -Voltaire m'ont toujours souverainement déplu, ils me semblaient un -enfantillage. Je puis dire que rien de ce grand homme ne m'a jamais -plu. Je ne pouvais voir alors qu'il était le législateur et l'apôtre de -la France, son Martin Luther. - -M. Henri Gagnon portait une perruque poudrée, ronde, à trois rangs de -boucles, parce qu'il était docteur en médecine, et docteur à la mode -parmi les dames, accusé même d'avoir été l'amant de plusieurs, entre -autres madame Teisseire, l'une des plus jolies de la ville, que je -ne me souviens pas d'avoir jamais vue, car alors on était brouillé, -mais on me l'a fait comprendre plus tard d'une singulière façon. Mon -excellent grand-père, à cause de sa perruque, m'a toujours semblé -avoir quatre-vingts ans. Il avait des vapeurs (comme moi misérable), -des rhumatismes, marchait avec peine, mais par principe ne montait -jamais en voiture et ne mettait jamais son chapeau: un petit chapeau -triangulaire à mettre sous le bras[11] et qui faisait ma joie quand -je pouvais l'accrocher pour le mettre sur ma tête, ce qui était -considéré par toute la famille comme un manque de respect; et enfin, -par respect, je cessai de m'occuper du chapeau triangulaire et de la -petite canne à pomme en racine de buis bordée d'écaille. Mon grand-père -adorait la correspondance apocryphe d'Hippocrate, qu'il lisait en latin -(quoiqu'il sût un peu de grec), et l'Horace de l'édition de _Johannes_ -Bond, imprimée en caractères horriblement menus. Il me communiqua ces -deux passions et en réalité presque tous ses goûts, mais pas comme il -l'aurait voulu, ainsi que je l'expliquerai plus tard. - -Si jamais je retourne à Grenoble, il faut que je fasse rechercher les -extraits de naissance et de décès de cet excellent homme, qui m'adorait -et n'aimait point son fils, M. Romain Gagnon, père de M. Oronce Gagnon, -chef d'escadrons de dragons qui a tué son homme en duel il y a trois -ans, ce dont je lui sais gré, probablement il n'est pas un niais. Il y -a trente-trois ans que je ne l'ai vu, il peut en avoir trente-cinq. - -J'ai perdu mon grand-père pendant que j'étais en Allemagne, est-ce en -1807 ou en 1813, je n'ai pas de souvenir net. Je me souviens que je -fis un voyage à Grenoble pour le revoir encore; je le trouvai fort -attristé. Cet homme si aimable, qui était le centre des _veillées_ où -il allait, ne parlait presque plus. Il me dit: «_C'est une visite -d'adieu_», et puis parla d'autres choses; il avait en horreur -l'attendrissement de famille niais. - -Un souvenir me revient, vers 1807 je me fis peindre, pour engager -Mme Alex. Petit à se faire peindre aussi, et comme le nombre -des séances était une objection, je la conduisis chez un peintre -vis-à-vis la Fontaine du Diorama qui peignait à l'huile, en une séance, -pour cent-vingt francs[12]. Mon bon grand-père vit ce portrait, -que j'avais envoyé à ma sœur, je crois, pour m'en défaire, il avait -déjà perdu beaucoup de ses idées; il dit en voyant ce portrait: « -_Celui-là est le véritable_», et puis retomba dans l'affaissement et -la tristesse. Il mourut bientôt après, ce me semble, à l'âge de 82 ans, -je crois. - -Si cette date est exacte, il devait avoir 61 ans en 1789 et être né -vers 1728. Il racontait quelquefois la bataille de l'_Assiette_, assaut -dans les Alpes, tenté en vain par le chevalier de Belle-Isle en 1742, -je crois[13]. Son père, homme ferme, plein d'énergie et d'honneur, -l'avait envoyé là comme chirurgien d'armée, pour lui former le -caractère. Mon grand-père commençait ses études en médecine et pouvait -avoir dix-huit ou vingt ans, ce qui indique encore 1724 comme époque de -sa naissance. - -Il possédait une vieille maison située dans la plus belle position de -la ville, sur la place Grenette, au coin de la Grande-rue, en plein -midi et ayant devant elle la plus belle place de la ville, les deux -cafés rivaux et le centre de la bonne compagnie. Là, dans un premier -étage fort bas, mais d'une gaieté admirable, habita mon grand-père -jusqu'en 1789. - -Il faut qu'il fût riche alors, car il acheta une superbe maison -située derrière la sienne et qui appartenait aux dames de Marnais. Il -occupa le second étage de sa maison, place Grenette, et tout l'étage -correspondant de la maison de Marnais, et se fit le plus beau logement -de la ville. Il y avait un escalier magnifique pour le temps et un -salon qui pouvait avoir trente-cinq pieds sur vingt-huit. - -On fit des réparations aux deux chambres de cet appartement qui -donnaient sur la place Grenette, et entre autres une _gippe_[14] -(cloison formée par du plâtre et des briques placées de champ l'une sur -l'autre) pour séparer la chambre de la terrible tante Séraphie, fille -de M. Gagnon, de celle de ma grand'-tante Elisabeth, sa sœur. On posa -des _happes_ en fer dans cette gippe et sur le plâtre de chacune de -ces happes j'écrivis: _Henri Beyle_, 1789. Je vois encore ces belles -inscriptions qui émerveillaient mon grand-père. - -«Puisque tu écris si bien, me dit-il, tu es digne de commencer le -latin.» - -Ce mot m'inspirait une sorte de terreur, et un pédant affreux par la -forme, M. Joubert, grand, pâle, maigre, en couteau, s'appuyant sur une -_épine_, vint me montrer, m'enseigner _mura_, la mûre. Nous allâmes -acheter un rudiment chez M. Giroud, libraire, au fond d'une cour -donnant sur la place aux Herbes. Je ne soupçonnais[15] guère alors -quel instrument de dommage on m'achetait là. - -Ici commencent mes malheurs. - -Mais je diffère depuis longtemps un récit nécessaire, un des deux ou -trois peut-être[16] qui me feront jeter ces mémoires au feu. - -Ma mère, madame Henriette Gagnon, était une femme charmante et j'étais -amoureux de ma mère. - -Je me hâte d'ajouter que je la perdis quand j'avais sept ans. - -En l'aimant à six ans peut-être (1789), j'avais absolument le même -caractère que, en 1828, en aimant à la fureur Alberthe de Rubempré. -Ma manière d'aller à la chasse du bonheur n'avait au fond nullement -changé, il n'y a que cette seule exception: j'étais, pour ce qui -constitue le physique de l'amour, comme César serait, s'il revenait au -monde, pour l'usage du canon et des petites armes. Je l'eusse bien -vite appris et cela n'eût rien changé au fond de ma tactique. - -Je voulais couvrir ma mère de baisers et qu'il n'y eût pas de -vêtements. Elle m'aimait à la passion et m'embrassait souvent, je lui -rendais ses baisers avec un tel feu qu'elle était souvent obligée -de s'en aller. J'abhorrais mon père quand il venait interrompre nos -baisers. Je voulais toujours les lui donner à la gorge. Qu'on daigne se -rappeler que je la perdis, par une couche, quand à peine j'avais sept -ans. - -Elle avait de l'embonpoint, une fraîcheur parfaite, elle était fort -jolie, et je crois que seulement elle n'était pas assez grande. Elle -avait une noblesse et une sérénité parfaite dans les traits; brune, -vive, avec une vraie cour et souvent elle manqua de commander à ses -trois servantes et enfin[17] lisait souvent dans l'original la -_Divine Comédie_ de Dante, dont j'ai trouvé bien plus tard cinq à six -livres d'éditions différentes dans son appartement resté fermé depuis -sa mort. - -Elle périt à la fleur de la jeunesse et de la beauté, en 1790, elle -pouvait avoir vingt-huit ou trente ans. - -Là commence ma vie morale. - -Ma tante Séraphie osa me reprocher de ne pas pleurer assez. Qu'on juge -de ma douleur et de ce que je sentis! Mais il me semblait que je la -reverrais le lendemain: je ne comprenais pas la mort. - -Ainsi, il y a quarante-cinq ans que j'ai perdu ce que j'aimais le plus -au monde[18]. - -Elle ne peut pas s'offenser de la liberté que je prends avec elle en -révélant que je l'aimais; si je la retrouve jamais, je le lui dirais -encore. D'ailleurs, elle n'a participé en rien à cet amour. Elle -n'en agit pas à la Vénitienne, comme madame Benzoni avec l'auteur de -_Nella._ Quant à moi, j'étais aussi criminel que possible, j'aimais ses -charmes avec fureur. - -[Illustration] - -Un soir, comme par quelque hasard on m'avait mis coucher dans sa -chambre par terre, sur un matelas, cette femme vive et légère comme une -biche sauta par-dessus mon matelas pour atteindre plus vite à son lit -[19]. - - * * * * * - -Sa chambre est restée fermée dix ans après sa mort[20]. Mon père -me permit avec difficulté d'y placer un tableau de toile cirée et d'y -étudier les mathématiques en 1798, mais aucun domestique n'y entrait, -il eût été sévèrement grondé, moi seul j'en avais la clef. Ce sentiment -de mon père lui fait beaucoup d'honneur à mes yeux, maintenant que j'y -réfléchis. - -[Illustration] - -Elle mourut donc dans sa chambre, rue des Vieux-Jésuites, la cinquième -ou sixième maison à gauche en venant de la Grande-rue[21], vis-à-vis -la maison de M. Teisseire. Là j'étais né, cette maison appartenait à -mon père qui la vendit lorsqu'il se mit à bâtir sa rue nouvelle et à -faire des folies. Cette rue, qui l'a ruiné, fut nommée rue _Dauphin_ -(mon père était extrêmement ultra, partisan des pr[êtres] et des -nobles) et s'appelle, je crois, maintenant rue Lafayette. - -Je passais ma vie chez mon grand-père, dont la maison était à peine à -cent pas de la nôtre[22]. - - -[Footnote 1: Le _chapitre III_ comprend les feuillets 43 à 59.--Écrit à Rome, -les 27 et 30 novembre 1835.] - -[Footnote 2: ... _au sud de l'église du collège._--La porte de Bonne, en -effet, a été démolie en 1832, lors de l'agrandissement de la partie -sud-est de l'enceinte de Grenoble par le général Haxo, de 1832 à 1836.] - -[Footnote 3: _Ma tante Séraphie ..._--Sœur cadette de la mère de Beyle. Sur -les membres de la famille Gagnon, voir plus loin, chapitre VII, et -l'Annexe IV.] - -[Footnote 4: ... _coupant ces joncs en morceaux ..._--Variante: «_Bouts._»] - -[Footnote 5: ... _Mlle Elisabeth Gagnon.--_Elisabeth Gagnon, sœur -d'Henri Gagnon, grand-père maternel de Beyle.] - -[Footnote 6: ... _je pouvais avoir quatre ans._--On lit, à ce sujet, sur un -feuillet intercalé en face du fol. 8: «M. Gagnon achète la maison -voisine de madame de Marnais, on change d'appartement, j'écris partout -sur le plâtre des happes: «Henri Beyle, 1789.» Je vois encore cette -belle inscription qui émerveillait mon bon grand-père.] - -«Donc, mon attentat à la vie de madame Chenavaz est antérieur à 1789.»] - -[Footnote 7: ... _mon horreur pour la religion ..._--Ms.: «_Gion._»] - -[Footnote 8: ... _forcené dans ces temps-là, pour la ..._--Mot illisible.] - -[Footnote 9: _Je n'avais pas plus de cinq ans._--Variante: «_Je pouvais avoir -quatre ou cinq ans._»] - -[Footnote 10: ... _une terrasse élégante ornée de fleurs._--Il s'agit du -cabinet d'été d'Henri Gagnon. Voir notre plan de l'appartement Gagnon.] - -[Footnote 11: ... _un petit chapeau triangulaire à mettre sous le bras -..._--Dans la marge, Stendhal a fait un dessin grossier représentant le -chapeau de son grand-père.] - -[Footnote 12: ... _pour cent-vingt francs ..._--Ce portrait est de Boilly. Il -fait partie actuellement de la collection Lesbros.] - -[Footnote 13: ... _la bataille de l'Assiette ... en_ 1742, _je crois._--Cette -bataille eut lieu pendant la guerre de la Succession d'Autriche. Le 19 -juillet 1747, le chevalier de Belle-Isle, frère du maréchal, voulant -envahir le Piémont, fut repoussé au col de l'Assiette, entre Exiles et -Fénestrelles.] - -[Footnote 14: ... _entre autres une_ gippe ...--Terme local, encore en usage à -Grenoble.] - -[Footnote 15: _Je ne soupçonnais_ ...--Variante: «_Savais._»] - -[Footnote 16: ... _un des deux ou trois peut-être ..._--Stendhal a d'abord -écrit: «_un de ceux p_», puis il continue: «_des deux ou trois -peut-être_». Il semble que, dans ces conditions, la leçon «_un de ceux -p_» doive être supprimée, quoique n'ayant pas été rayée par l'auteur.] - -[Footnote 17: ... _et enfin lisait ..._--La lecture de cette ligne et de la -précédente est très incertaine. Cette partie du texte est fort mal -écrite. Stendhal s'en excuse dans la marge en disant: «_Écrit de nuit à -la hâte._»] - -[Footnote 18: ... _ce que j'aimais le plus au monde._--Entre cet alinéa et -le suivant, Stendhal a laissé un large espace où il a écrit le mot: -«_Chapitre._»] - -[Footnote 19: ... _pour atteindre plus vite à son lit._--Entre cet alinéa et -le suivant, nouvel espace assez large, marqué d'une +.] - -[Footnote 20: _Sa chambre est restée fermée dix ans après sa mort._--En marge -de cet alinéa, Stendhal a fait un croquis représentant la chambre de sa -mère, avec une notice explicative.] - -[Footnote 21: ... _en venant de la Grands-rue ..._--Aujourd'hui rue -Jean-Jacques-Rousseau, n° 14.--Voir l'Appendice II, _la Maison natale -de Stendhal_, par M. Samuel Chabert.] - -[Footnote 22: ... _à peine à cent pas de la nôtre._--Dans la marge, Stendhal -a dessiné un croquis donnant la situation respective de la maison de -son père, de celle de son grand-père, et de la maison de Marnais. -Un autre dessin plus grand est ajouté au manuscrit. Il représente -la «_partie de la ville de Grenoble en_ 1793» comprise entre la rue -Lafayette, la rue Saint-Jacques, la place Grenette (où sont figurés -l'«arbre de la Liberté», l' «arbre de la Fraternité» et la «pompe -ancienne»), la Grande-rue et la rue des Vieux-Jésuites (aujourd'hui -rue Jean-Jacques-Rousseau).--La maison occupée par Henri Gagnon porte -actuellement le n° 20 de la Grande-rue et le n° 2 de la place Grenette. - -Au verso, nouveau testament, ainsi conçu: - - - «_Testament_. - - Je lègue et donne la _Vie de Henri Brulard_, écrite par - lui-même, à M. Alphonse Levavasseur, place Vendôme, et après - lui à MM. Philarète Chasles, Henri Foumier, Amyot, sous la - condition de changer tous les noms de femme et aucun nom - d'homme. - - Cività-Vecchia, le 1er décembre 1835. - - H. BEYLE.» - - -] - - - - -CHAPITRE IV[1] - - -J'écrirais un volume sur les circonstances de la mort d'une personne si -chère[2]. - -C'est-à-dire: j'ignore absolument les détails, elle était morte en -couches, apparemment par la maladresse d'un chirurgien nommé _Hérault_, -sot choisi apparemment par pique contre un autre accoucheur, homme -d'esprit et de talent, c'est ainsi à peu près que mourut Mme -Petit en 1814. Je ne puis décrire au long que mes sentiments, qui -probablement sembleraient exagérés ou incroyables au spectateur -accoutumé à la nature fausse des romans (je ne parle pas de Fielding) -ou à la nature étiolée des romans construits avec des cœurs de Paris. - -J'apprends au lecteur que le Dauphiné a une manière de sentir à soi, -vive, opiniâtre, raisonneuse, que je n'ai rencontrée en aucun pays. -Pour des yeux clairvoyants, à tous les trois degrés de latitude la -musique, les paysages et les romans devraient changer. Par exemple, -à Valence, sur le Rhône, la nature provençale finit, la nature -bourguignonne commence à Valence et fait place, entre Dijon et Troyes, -à la nature parisienne, polie, spirituelle, sans profondeur, en un mot -songeant beaucoup aux autres. - -La nature dauphinoise a une ténacité, une profondeur, un esprit, une -finesse que l'on chercherait en vain dans la civilisation provençale -ou dans la bourguignonne, ses voisines. Là où le Provençal s'exhale en -injures atroces, le Dauphinois réfléchit et s'entretient avec son cœur. - -Tout le monde sait que le Dauphiné a été un Etat séparé de la France -et à-demi italien par sa politique jusqu'à l'an 1349[3]. Ensuite -Louis XI, dauphin, brouillé avec son père, administra le pays pendant -seize[4] ans, et je croirais assez que c'est ce génie profond et -profondément timide et ennemi des premiers mouvements qui a donné -son empreinte au caractère dauphinois. De mon temps encore, dans la -croyance de mon grand-père et de ma tante Elisabeth, véritable type des -sentiments énergiques et généreux de la famille, Paris n'était point un -modèle, c'était une ville éloignée et ennemie dont il fallait redouter -l'influence. - -Maintenant que j'ai fait la cour aux lecteurs peu sensibles par cette -digression, je raconterai que, la veille de la mort de ma mère, on nous -mena promener, ma sœur Pauline et moi, rue Montorge: nous revînmes -le long des maisons à gauche de cette rue (au Nord). On nous avait -établis chez mon grand-père, dans la maison sur la place Grenette. -Je couchais sur le plancher, sur un matelas, entre le fenêtre et la -cheminée, lorsque sur les deux heures du matin toute la famille rentra -en poussant des sanglots. - -«Mais comment les médecins n'ont pas trouvé de remèdes?» disais-je à -la vieille Marion (vraie servante de Molière, amie de ses maîtres mais -leur disant bien son mot, qui avait vu ma mère fort jeune, qui l'avait -vu marier dix ans auparavant, en 1780) et qui m'aimait beaucoup. - -Marie Thomasset, de Vinay, vrai type de caractère dauphinois, appelée -du diminutif _Marion_, passa la nuit assise à côté de mon matelas, -pleurant à chaudes larmes et chargée apparemment de me contenir. -J'étais beaucoup plus étonné que désespéré, je ne comprenais pas la -mort, j'y croyais peu. - -«Quoi, disais-je à Marion, je ne la reverrai jamais? - ---Comment veux-tu la revoir, si on l'emportera (_sic_) au cimetière? - ---Et où est-il, le cimetière? - ---Rue des Mûriers, c'est celui de la paroisse Notre-Dame.» - -Tout le dialogue de cette nuit m'est encore présent, et il ne tiendrait -qu'à moi de le transcrire ici. Là véritablement a commencé ma vie -morale, je devais avoir six ans et demi. Au reste, ces dates sont -faciles à vérifier par les actes de l'état-civil. - -Je m'endormis; le lendemain, à mon réveil, Marion me dit: - -«Il faut aller embrasser ton père. - ---Comment, ma petite maman est morte! mais comment est-ce que je ne la -reverrai plus? - ---Veux-tu bien te taire, ton père t'entend, il est là, dans le lit de -la grand'tante.» - -J'allai avec répugnance dans la ruelle de ce lit qui était obscure -parce que les rideaux étaient fermés. J'avais de l'éloignement pour mon -père et de la répugnance à l'embrasser. - -Un instant après arriva l'abbé Rey, un homme fort grand, très froid, -marqué[5] de petite vérole, l'air sans esprit et bon, parlant du nez, -qui bientôt après fut grand vicaire. C'était un ami de la famille. - -Le croira-t-on? à cause de son état de prêtre j'avais de l'antipathie -pour lui. - -M. l'abbé Rey se plaça près de la fenêtre, mon père se leva, passa sa -robe de chambre, sortit de l'alcôve fermée par des rideaux de serge -verte (il y avait d'autres beaux rideaux de taffetas rose, brodés de -blanc, qui le jour cachaient les autres). - -L'abbé Rey embrassa mon père en silence, je trouvai mon père bien laid, -il avait les yeux gonflés, et les larmes le gagnaient à tous moments. -J'étais resté dans l'alcôve obscure et je voyais fort bien. - -«Mon ami, ceci vient de Dieu», dit enfin l'abbé; et ce mot, dit par -un homme que je haïssais à un autre que je n'aimais guère, me fit -réfléchir profondément. - -On me croira insensible, je n'étais encore qu'étonné de la mort de ma -mère. Je ne comprenais pas ce mot. Oserai-je écrire ce que Marion m'a -souvent répété depuis en forme de reproche? Je me mis à dire du mal de -_God._ - -Au reste, supposons que je mente sur ces _pointes_ d'esprit qui -percent le sol, certainement je ne mens pas sur tout le reste. Si je -suis tenté de mentir, ce sera plus tard, quand il s'agira de très -grandes fautes, bien postérieures. Je n'ai aucune foi dans l'esprit -des enfants annonçant un homme supérieur. Dans un genre moins sujet à -illusions, car enfin les monuments restent, tous les mauvais peintres -que j'ai connus ont fait des choses étonnantes vers huit ou dix ans et -_annonçant le génie._[6] - -Hélas! rien n'annonce le génie, peut-être l'opiniâtreté serait un signe -[7]. - - -Le lendemain, il fut question de l'enterrement; mon père, dont la -figure était réellement absolument changée, me revêtit d'une sorte de -manteau en laine noire[8] qu'il me lia an cou. La scène se passa -dans le cabinet de mon père, rue des Vieux-Jésuites: mon père était -noir et tout le cabinet tapissé d'in-folio funèbres, horribles à voir. -La seule _Encyclopédie_ de d'Alembert et Diderot, brochée en bleu, -faisait exception à la laideur générale. - -Ce .... de droit avait[9] appartenu à M. de Brenier, mari de -Mlle de Vaulserre et comte de...[10] Mlle de -Vaulserre donna ce titre à son mari; dès lors on avait changé de nom. -Vaulserre étant plus noble et plus beau que de Brenier. Depuis, elle -s'était faite chanoinesse[11]. - -Tous les parents et amis se réunirent dans le cabinet de mon père[12]. - -Revêtu de ma mante noire, j'étais entre les genoux de mon père[en] 1 -[13]. M. Picot, le père, notre cousin, homme sérieux, mais du sérieux -d'un homme de cour, et fort respecté dans la famille comme esprit de -conduite (il était maigre, cinquante-cinq ans et la tournure la plus -distinguée), entra et se plaça en 3. - -[Illustration: UNE PAGE MAL ÉCRITE DU MANUSCRIT DE LA VIE DE HENRI BRULARD -(Bibl. mun. de Grenoble: ms R _299, t. 1, fol. 69_)] - -Au lieu de pleurer et d'être triste, il se mit à faire la conversation -comme à l'ordinaire et à parler de la Cour. (Peut-être était-ce la Cour -du Parlement, c'est fort probable.) Je crus qu'il parlait des Cours -étrangères et je fus profondément choqué de son insensibilité. - -Un instant après entra mon oncle, le frère de ma mère, jeune homme on -ne peut pas mieux fait et on ne peut pas plus agréable et vêtu avec -la dernière élégance. C'était l'homme à bonnes fortunes de la ville, -lui aussi se mit à faire la conversation comme à l'ordinaire avec M. -Picot; il se plaça en 4. Je fus violemment indigné et je me souvins que -mon père l'appelait un homme léger. Cependant je remarquai qu'il avait -les yeux fort rouges, et il avait la plus jolie figure, cela me calma -un peu. - -Il était coiffé avec la dernière élégance et une poudre qui embaumait; -cette coiffure consistait en une bourse carrée de taffetas noir et deux -grandes oreilles de chien (tel fut leur nom six ans plus tard), comme -en porte encore aujourd'hui M. le prince de Talleyrand. - -Il se fit un grand bruit, c'était la bière de ma pauvre mère que l'on -prenait au salon pour l'emporter. - -«Ah! çà, je ne sais pas l'ordre de ces cérémonies», dit d'un air -indifférent[14] M. Picot en se levant, ce qui me choqua fort; ce fut -là ma dernière sensation _sociale._ En entrant au salon et voyant la -bière couverte du drap noir où _était ma mère_, je fus saisi du plus -violent désespoir, je comprenais enfin ce que c'était que la mort. - -Ma tante Séraphie m'avait déjà accusé d'être insensible. - -J'épargnerai au lecteur le récit de toutes les phases de mon désespoir -à l'église paroissiale de Saint-Hugues. J'étouffais, on fut obligé, je -crois, de m'emmener parce que ma douleur faisait trop de bruit. Je -n'ai jamais pu regarder de sang-froid cette église de Saint-Hugues et -la cathédrale qui est attenante[15]. Le son seul des cloches de la -cathédrale, même en 1828, quand je suis allé revoir Grenoble, m'a donné -une tristesse morne, sèche, sans attendrissement, de cette tristesse -voisine de la colère. - - * * * * * - -En arrivant au cimetière, qui était dans un bastion près de la rue -des Mûriers[16] (aujourd'hui, du moins en 1828, occupé par un grand -bâtiment, magasin du génie), je fis des folies que Marion m'a racontées -depuis. Il paraît que je ne voulais pas qu'on jetât de la terre sur la -bière de ma mère, prétendant qu'on lui ferait mal. Mais - - - Sur les noires couleurs d'un si triste tableau - Il faut passer l'éponge ou tirer le rideau. - - -Par suite du jeu compliqué des caractères de ma famille, il se trouva -qu'avec ma mère finit toute la joie de mon enfance. - - -[Footnote 1: Le _chapitre IV_ comprend les feuillets 60 à 74.--Écrit les -1er et 2 décembre 1835.] - -[Footnote 2: ... _les circonstances de la mort d'une personne si chère._--En -surcharge: «_Je remplirais des volumes si j'entreprenais de décrire -tous les souvenirs enchanteurs des choses que j'ai vues ou avec -ma mère, ou de son temps._» Ni le premier texte, ni celui-ci, -ne conviennent absolument. Nous conservons la première leçon de -Stendhal, qui n'a pas été rayée par lui, et qui correspond mieux au -contexte.--Henriette Gagnon, mère de Stendhal, mourut le 23 novembre -1790.] - -[Footnote 3: ... _jusqu'à l'an_ 1349.--Une partie de la date est en blanc.--Le -Dauphiné fut cédé au roi de France Philippe VI par le dauphin Humbert -II.] - -[Footnote 4: _ ...pendant seize ans ..._--Egalement en blanc.--Louis XI -gouverna le Dauphiné depuis 1440 jusqu'à sa retraite auprès de Philippe -le Bon, duc de Bourgogne, en août 1456.] - -[Footnote 5: ... _marqué de petite vérole ..._--Variante: «_Creusé._»] - -[Footnote 6: ... _et_ annonçant le génie.--Dans la marge du fol. 68, on lit: -«Écrit de nuit, le 1er déc. 35.» De fait, l'écriture de ce -passage est particulièrement mauvaise.] - -[Footnote 7: ... _peut-être l'opiniâtreté serait un signe._--Variante: -«_Peut-être l'opiniâtreté est-elle un signe._»] - -[Footnote 8: ... _en laine noire ..._--Variante: «_Noir._»] - -[Footnote 9:--_Ce ... de droit avait ..._--Un mot illisible. La lecture des -autres mots est incertaine.] - -[Footnote 10: ... _Mlle de Vaulserre et comte de ..._--Mot -illisible. Ce titre de comte nous est totalement inconnu dans l'une -comme dans l'autre des familles de Brenier et de Vaulserre.] - -[Footnote 11: _Depuis elle s'était faite -chanoinesse._--Angélique-Françoise-Marie-Louise-Elisabeth-Gabrielle de -Vaulserre, née le 4 mars 1754, épousa, le 10 juillet 1780, Jean-Antoine -de Brenier. Elle mourut le 11 février 1812.] - -[Footnote 12: _Tous les parents et amis se réunirent dans le cabinet de mon -père._--En haut du fol. 70 on lit la date: «2 décembre 1835.»] - -Presque toute la page est occupée par un plan intitulé: «_Corps de -logis où je fus placé avec mon précepteur, M. l'abbé Raillane._» -Stendhal y indique, dans le cabinet de son père, la place de celui-ci, -«dans un fauteuil» (1), et celles de M. Picot (3) et de Romain Gagnon -(4).] - -[Footnote 13: ... _j'étais entre les genoux de mon père en_ 1.--Les numéros -correspondent au plan ci-dessus: M. Beyle et Henri sont placés près de -la cheminée, MM. Picot et Romain Gagnon contre le mur opposé.] - -[Footnote 14: ... _dit d'un air indifférent M. Picot ..._--Les mots: «_d'un -air indifférent_» sont en interligne, entre les mots «_cérémonies, dit -M._» et: «_choqua fort; ce fut._»] - -[Footnote 15: ... _la cathédrale qui est attenante._--En marge est un plan -grossier de l'église Saint-Hugues et de la cathédrale. Le même plan, -plus précis, se trouve reproduit en face du fol. 73 (verso du fol. 72).] - -[Footnote 16: ... _cimetière, qui était dans un bastion près de la rue des -Mûriers ..._--Voir l'emplacement du cimetière sur notre plan de -Grenoble en 1793.--Le cimetière de la rue des Mûriers a été désaffecté -en l'an VIII.] - - - - -CHAPITRE V[1] - - -PETITS SOUVENIRS DE MA PREMIÈRE ENFANCE - - -A l'époque où nous[2] occupions le premier étage sur la place -Grenette, avant 1790 ou plus exactement jusqu'au milieu de 1789, mon -oncle, jeune avocat, avait un joli petit appartement au second, au coin -de la place Grenette et de la Grande-rue[3]. Il riait avec moi, et me -permettait de le voir dépouiller ses beaux habits et prendre sa robe -de chambre, le soir, à neuf heures, avant souper. C'était un moment -délicieux pour moi, et je redescendais tout joyeux au premier étage en -portant devant lui le flambeau d'argent. Mon aristocrate famille se -serait crue déshonorée si le flambeau n'avait pas été d'argent. Il est -vrai qu'il ne portait pas la noble bougie, l'usage était alors de se -servir de chandelle. Mais cette chandelle, on la faisait venir avec -grand soin et en caisse des environs de Briançon; on voulait qu'elle -fût faite avec du suif de chèvre, on écrivait pour cela en temps utile -à un ami qu'on avait dans ces montagnes. Je me vois encore assistant -au déballement de la chandelle et mangeant du lait avec du pain dans -l'écuelle d'argent; le frottement de la cuiller contre le fond de -l'écuelle mouillé de lait me frappait comme singulier. C'étaient -presque des relations d'_hôte_ à _hôte_, comme on les voit dans Homère, -que celles qu'on avait avec cet ami de Briançon, suite naturelle de la -défiance et de la barbarie générales[4]. - -Mon oncle, jeune, brillant, léger, passait pour l'homme le plus aimable -de la ville, au point que, bien des années après, madame Delaunay, -voulant justifier sa vertu, laquelle pourtant avait fait tant de -faux-pas: «Pourtant, disait-elle, je n'ai jamais cédé à M. Gagnon -fils.» - -Mon oncle, dis-je, se moquait fort de la gravité de son père, lequel, -le rencontrant dans le monde avec de riches habits qu'il n'avait pas -payés, était fort étonné. «Je m'éclipsais au plus vite», ajoutait mon -oncle qui me racontait ce cas. - -Un soir, malgré tout le monde (mais quels étaient donc les opposants -avant 1790?), il me mena au spectacle. On jouait _Le Cid._ - -«Mais cet enfant est fou», dit mon excellent grand-père à mon -retour, son amour pour les lettres l'avait empêché de s'opposer bien -sérieusement à ma course[5] au spectacle. Je vis donc jouer _Le Cid_, -mais, ce me semble, en habits de satin bleu de ciel avec des souliers -de satin blanc. - -En disant les Stances, ou ailleurs, en maniant une épée avec trop de -feu, le Cid se blessa à l'œil droit. - -«Un peu plus, dit-on autour de moi, il se crevait l'œil.» J'étais aux -premières loges, la seconde à droite[6]. - -Une autre fois, mon oncle eut la complaisance de me mener à _la -Caravane du Caire._ (Je le gênais dans ses évolutions autour, auprès -des dames. Je m'en apercevais fort bien[7].) Les chameaux me firent -absolument perdre la tête, L'_Infante de Zamora_, où un poltron, ou -bien un cuisinier, chantait une ariette, portant un casque avec un -rat pour cimier, me charma jusqu'au délire. C'était pour moi le vrai -comique. - - * * * * * - -Je me disais, fort obscurément sans doute, et pas aussi nettement que -je l'écris ici: «Tous les moments de la vie de mon oncle sont aussi -délicieux que ceux dont je partage le plaisir au spectacle. La plus -belle chose du monde est donc d'être un homme aimable, comme mon oncle. -» Il n'entrait pas dans ma tête de cinq ans que mon oncle ne fût pas -aussi heureux que moi en voyant défiler les chameaux de _la Caravane._ - -Mais j'allai trop loin: au lieu d'être galant, je devins passionné -auprès des femmes que j'aimais, presque indifférent et surtout sans -vanité pour les autres, de là le manque de succès et le _fiasco._ -Peut-être aucun homme de la Cour de l'Empereur n'a eu moins de femmes -que moi, que l'on croyait l'amant de la femme du premier ministre. - -Le spectacle, le son d'une belle cloche grave (comme à l'église -de...[8], au-dessus de Rolle, en mai 1800, allant au Saint-Bernard) -sont et furent toujours d'un effet profond sur mon cœur. La messe même, -à laquelle je croyais si peu, m'inspirait de la gravité. Bien jeune -encore, et certainement avant dix ans et le billet de l'abbé Gardon, je -croyais que _God_ méprisait ces jongleurs. (Après quarante-deux ans de -réflexions, j'en suis encore la mystification, trop utile à ceux qui la -pratiquent pour ne pas trouver toujours des continuateurs. Histoire de -la médaille, que raconta avant-hier Umbert Guitri, décembre 1835.) - -J'ai le souvenir le plus net et le plus clair de la perruque ronde et -poudrée de mon grand-père, elle avait trois rangs de boucles. Il ne -portait jamais de chapeau. - -Ce costume avait contribué, ce me semble, à le faire connaître et -respecter du peuple, duquel il ne prenait jamais d'argent pour ses -soins comme médecin. - -Il était le médecin et l'ami de la plupart des maisons nobles. M. de -Chaléon, dont je me rappelle encore le son des _clercs_[9] sonnés à -Saint-Louis lors de sa mort; M. de Lacoste, qui eut une apoplexie dans -les Terres-Froides, à La Frette; M. de Langon, d'une haute noblesse, -disaient les sots; M. de Ravix, qui avait la gale et jetait son -manteau à terre sur le plancher, dans la chambre de mon grand-père, -qui me gronda avec une mesure parfaite parce que, après avoir parlé de -cette circonstance, j'articulai le nom de[10] M. de Ravix; M. et -Mme des Adrets, Mme de Vaulserre, leur fille, -dans le salon de laquelle je _vis le monde_ pour la première fois. Sa -sœur, Mme de M......., me semblait bien jolie et passait -pour fort galante[11]. - -Il était et avait été depuis vingt-cinq ans, à l'époque où je l'ai -connu, le promoteur de toutes les entreprises utiles et que, vu -l'époque d'enfance politique de ces temps reculés (1760), on pourrait -appeler libérales. On lui doit la Bibliothèque[12]. Ce ne fut pas -une petite affaire. Il fallut d'abord l'acheter, puis la placer, puis -doter le bibliothécaire. - -Il protégeait, d'abord contre leurs parents, puis plus efficacement, -tous les jeunes gens qui montraient l'amour de l'étude. Il citait aux -parents récalcitrants l'exemple de Vaucanson. - -Quand mon grand-père revint de Montpellier à Grenoble (docteur en -médecine), il avait une fort belle chevelure, mais l'opinion publique -de 1760 lui déclara impérieusement que s'il ne prenait pas perruque -personne n'aurait confiance en lui. Une vieille cousine Didier, qui -le fit héritier avec ma tante Elisabeth et mourut vers 1788, avait -été de cet avis. Cette bonne cousine me faisait manger du pain jaune -(avec du safran) quand j'allais la voir le jour de Saint-Laurent. Elle -demeurait dans la rue auprès de l'église de Saint-Laurent. Dans la même -rue mon ancienne bonne Françoise, que toujours j'adorai, avait une -boutique d'épicerie, elle avait quitté ma mère pour se marier. Elle fut -remplacée par la belle Geneviève, sa sœur, auprès de laquelle mon père, -dit-on, était galant. - -La chambre de mon grand-père, au premier étage sur la Grenette, était -peinte en gros vert et mon père me disait dès ce temps-là: - -«Le grand-papa, qui a tant d'esprit, n'a pas de bon goût pour les -arts.» - -Le caractère timide des Français fait qu'ils emploient rarement les -couleurs franches: vert, rouge, bleu, jaune vif; ils préfèrent les -nuances indécises. A cela près, je ne vois pas ce qu'il y avait à -blâmer dans le choix de mon grand-père. Sa chambre était en plein midi, -il lisait énormément, il voulait ménager ses yeux, desquels il se -plaignait quelquefois. - -Mais le lecteur, s'il s'en trouve jamais pour ces fadaises[13], verra -sans peine que tous mes _pourquoi_, toutes mes explications, peuvent -être très fautives. Je n'ai que des images fort nettes, toutes mes -explications me viennent en écrivant ceci, quarante-cinq ans après les -événements[14]. - - * * * * * - -Mon excellent grand-père, qui dans le fait fut mon véritable père -et mon ami intime jusqu'à mon parti pris, vers 1796, de me tirer -de Grenoble par les mathématiques, racontait souvent une chose -merveilleuse. - -Ma mère m'ayant fait porter dans sa chambre (verte), le jour où j'avais -un an, 23 janvier 1784[15], me tenait debout près de la fenêtre; mon -grand-père, placé vers le lit, m'appelait, je me déterminai à marcher -et arrivai jusqu'à lui. - -Alors je parlais un peu et pour saluer je disais _hateus._ Mon oncle -plaisantait sa sœur Henriette (ma mère) sur ma laideur. Il paraît que -j'avais une tête énorme, sans cheveux, et que je ressemblais au Père -Brulard[16], un moine adroit, bon vivant et à grande influence sur -son couvent, mon oncle ou grand-oncle, mort avant moi. - -J'étais fort entreprenant, de là deux accidents racontés avec terreur -et regret par mon grand-père: vers le rocher de la Porte-de-France je -piquai avec un morceau de fagot appointé, taillé en pointe avec un -couteau, un mulet qui eut l'impudence de me camper ses deux fers dans -la poitrine, il me renversa. «Un peu plus, il était mort», disait mon -grand-père[17]. - -Je me figure l'événement, mais probablement ce n'est pas un souvenir -direct, ce n'est que le souvenir de l'image que je me formai de la -chose, fort anciennement et à l'époque des premiers récits qu'on m'en -fit. - -Le second événement tragique fut qu'entre ma mère et mon grand-père je -me cassai deux dents de devant en tombant sur le coin d'une chaise. Mon -bon grand-père ne revenait pas de son étonnement: «Entre sa mère et -moi!» répétait-il, comme pour déplorer la force de la fatalité. - -Le grand trait, à mes yeux, de l'appartement au premier étage, c'est -que j'entendais le bruissement de la barre de fer à l'aide de laquelle -on pompait, ce gémissement prolongé et point aigre me plaisait fort. - - * * * * * - -Le bon sens dauphinois se révolta à peu près contre la Cour. Je me -souviens fort bien du départ de mon grand-père pour les Etats de -Romans, il était alors patriote fort considéré, mais des plus modérés; -on peut se figurer Fontenelle tribun du peuple. - -Le jour du départ, il faisait un froid à pierre fendre (ce fut (à -vérifier) le grand hiver de 1789 à 1790[18], il y avait un pied de -neige sur la place Grenette). - -Dans la cheminée de la chambre de mon grand-père, il y avait un feu -énorme. La chambre était remplie d'amis qui venaient voir monter en -voiture. Le plus célèbre avocat consultant de la ville, l'oracle -en matière de droit, belle place dans une ville de Parlement, M. -Barthélemy d'Orbane, ami intime de la famille, était en O et moi en H -[19], devant le feu pétillant. J'étais le héros du moment, car je -suis convaincu que mon grand-père ne regrettait que moi à Grenoble et -n'aimait que moi. - -Dans cette position, M. Barthélemy d'Orbane m'apprit à faire des -grimaces. Je le vois encore et moi aussi. C'est un art dans lequel -je fis les plus rapides progrès, je riais moi-même des mines que je -faisais pour faire rire les autres. Ce fut en vain qu'on s'opposa -bientôt au goût croissant des grimaces, il dure encore, je ris souvent -des mines que je fais quand je suis seul. - -Dans la rue un fat passe avec une mine affectée (M. Lysimaque[20], -par exemple, ou M. le comte ..., amant de Mme Del Monte), -j'imite sa mine et je ris. Mon instinct est plutôt d'imiter les -mouvements ou plutôt les positions affectées de la figure (face) que -ceux du corps. Au Conseil d'Etat, j'imitais sans le vouloir et d'une -façon fort dangereuse l'air d'importance du fameux comte Regnault de -Saint-Jean-d'Angely, placé à trois pas de moi, particulièrement quand, -pour mieux écouter le colérique abbé Louis, placé de l'autre côté de la -salle vis-à-vis de lui, il abaissait les cols démesurément longs de sa -chemise[21]. Cet instinct ou cet art que je dois à M. d'Orbane m'a -fait beaucoup d'ennemis. Actuellement, le sage di Fiore me reproche -l'ironie cachée, ou plutôt mal cachée, et apparente malgré moi dans le -coin droit de la bouche. - - * * * * * - -A Romans, il ne manqua que cinq voix à mon grand-père pour être -député. «J'y serais mort», répétait-il souvent en se félicitant -d'avoir refusé les voix de plusieurs bourgeois de campagne qui avaient -confiance en lui et venaient le consulter le matin chez lui. Sa -prudence à la Fontenelle l'empêchait d'avoir une ambition sérieuse, -il aimait beaucoup cependant à faire un discours devant une assemblée -choisie, par exemple à la Bibliothèque[22]. Je m'y vois encore, -l'écoutant dans la première salle remplie de monde, et immense à mes -yeux. Mais pourquoi ce monde? à quelle occasion? C'est ce que l'image -ne me dit pas. Elle n'est qu'image. - -Mon grand-père nous racontait souvent qu'à Romans son encre, placée -sur la cheminée bien chauffée, gelait au bout de sa plume. Il ne fut -pas nommé, mais fit nommer un député ou deux dont j'ai oublié les -noms, mais lui n'oubliait pas le service qu'il leur avait rendu et les -suivait des yeux dans l'assemblée, où il blâmait leur énergie. - -J'aimais beaucoup M. d'Orbane ainsi que le gros chanoine son frère, -j'allais les voir place des Tilleuls ou sous la voûte qui de la place -Notre-Dame conduisait à celle des Tilleuls, à deux pas de Notre-Dame, -où le chanoine chantait. Mon père ou mon grand-père envoyait à -l'avocat célèbre des dindons gras à l'occasion de Noël[23]. - -J'aimais aussi beaucoup le Père Ducros, cordelier défroqué (du couvent -situé entre le Jardin-de-Ville et l'hôtel de Franquières lequel, à mon -souvenir, me semble style de la Renaissance). - -J'aimais encore l'aimable abbé Chélan, curé de Risset près Claix, -petit homme maigre, tout nerfs, tout feu, pétillant d'esprit, déjà -d'un certain âge, qui me paraissait vieux, mais n'avait peut-être -que quarante ou quarante-cinq ans et dont les discussions à table -m'amusaient infiniment. Il ne manquait pas de venir dîner chez mon -grand-père quand il venait à Grenoble, et le dîner était bien plus gai -qu'à l'ordinaire. - -Un jour, à souper, il parlait depuis trois-quarts d'heure en tenant à -la main une cuillerée de fraises[24]. Enfin il porta la cuiller à la -bouche. - -«L'abbé, vous ne direz pas votre messe demain, dit mon grand-père. - ---Pardonnez-moi, je la dirai demain, mais non pas aujourd'hui, car -il est minuit passé.» Ce dialogue fit ma joie pendant un mois, cela -me paraissait pétillant d'esprit. Tel est l'esprit pour un peuple ou -pour un homme jeune, l'émotion est en eux;--voir les réponses d'esprit -admirées par Boccace ou Vasari. - -Mon grand-père, en ces temps heureux, prenait la religion fort -gaiement, et ces Messieurs étaient de son avis; il ne devint triste -et un peu religieux qu'après la mort de ma mère (en 1790), et encore, -je pense, par l'espoir incertain de la retrouver--revoir--dans l'autre -monde, comme M. de Broglie[25] qui dit en parlant de son aimable -fille, morte à treize ans: - -«Il me semble que ma fille est en Amérique.» - - * * * * * - -Je crois que M. l'abbé Chélan dînait à la maison[26] lors de la -_journée des tuiles._ Ce jour-là, je vis couler le premier sang répandu -par la Révolution française. C'était un malheureux ouvrier chapelier -(S), blessé à mort par un coup de baïonnette (S') au bas du dos. - -On quitta [la] table au milieu du dîner (T). J'étais en H et le curé -Chélan en C. - -Je chercherai la date dans quelque chronologie. L'image est on ne peut -plus nette chez moi, il y a peut-être de cela quarante-trois ans[27]. - -Un M. de Clermont-Tonnerre, commandant en Dauphiné et qui occupait -l'hôtel du Gouvernement, maison isolée donnant sur le rempart (avec -une vue superbe sur les coteaux d'Eybens, une vue tranquille et -belle, digne de Claude Lorrain) et une entrée par une belle cour rue -Neuve, près de la rue des Mûriers, voulut, ce me semble, dissiper un -rassemblement; il avait deux régiments, contre lesquels le peuple se -défendit avec les tuiles qu'il jetait du liant des maisons, de là le -nom: _Journée des tuiles_[28]. - -Un des sous-officiers de ces régiments était Bernadotte, actuel roi -de Suède, une âme aussi noble que celle de Murat, roi de Naples, mais -bien autrement adroit. Lefèvre, perruquier et ami de mon père, nous a -souvent raconté qu'il avait sauvé la vie au général Bernadotte (comme -il disait en 1804), vivement pressé au fond d'une allée. Lefèvre était -un bel homme fort brave, et le maréchal Bernadotte lui avait envoyé un -cadeau. - -Mais tout ceci est de l'histoire, à la vérité racontée par des témoins -oculaires, mais que je n'ai pas vue. Je ne veux dire à l'avenir, en -Russie et ailleurs, que ce que _j'ai vu._ - -Mes parents ayant quitté le dîner avant la fin et moi étant seul à la -fenêtre de la salle-à-manger, ou plutôt à la fenêtre d'une chambre -donnant sur la Grande-rue, je vis une vieille femme qui, tenant à -la main ses vieux souliers, criait de toutes ses forces: «Je me -_révorte_! Je me _révorte_!» - -Elle allait de la place Grenette à la Grande-rue. Je la vis en R -[29]. Le ridicule de cette révolte me frappa beaucoup. Une vieille -femme contre un régiment me frappa beaucoup. Le soir même, mon -grand-père me raconta la mort de Pyrrhus. - -Je pensais encore à la vieille femme quand je fus distrait[30] par -un spectacle tragique en O. Un ouvrier chapelier, blessé dans le dos -d'un coup de baïonnette, à ce qu'on dit, marchait avec beaucoup de -peine, soutenu par deux hommes sur les épaules desquels il avait les -bras passés. Il était sans habit, sa chemise et son pantalon de nankin -ou blanc étaient remplis de sang, je le vois encore, la blessure d'où -le sang sortait abondamment était au bas du dos, à peu près vis-à-vis -le nombril. - -On le faisait marcher avec peine pour gagner sa chambre, située au -sixième étage de la maison Périer[31], et en y arrivant il mourut. - -Mes parents me grondaient et m'éloignaient de la fenêtre de la chambre -de mon grand-père pour que je ne visse pas ce spectacle d'horreur, mais -j'y revenais toujours. Cette fenêtre appartenait à un premier étage -fort bas. - -Je revis ce malheureux à tous les étages de l'escalier de la maison -Périer, escalier éclairé par de grandes fenêtres donnant sur la place. - -Ce souvenir, comme il est naturel, est le plus net qui me soit resté de -ces temps-là. - -Au contraire, je retrouve à grand'peine quelques vestiges du souvenir -d'un feu de joie au Fontanil (route de Grenoble à Voreppe) où l'on -venait de brûler _Lamoignon._ Je regrettai beaucoup la vue d'une grande -figure de paille habillée, le fait est que mes parents, _pensant bien_ -et fort contrariés de tout ce qui s'écartait de _l'ordre_ (l'ordre -règne dans Varsovie, dit M. le général Sébastiani vers 1632), ne -voulaient pas que je fusse frappé de ces preuves de la colère ou de la -force du peuple. Moi, déjà à cet âge, j'étais de l'opinion contraire; -on peut-être mon opinion à l'âge de huit ans est-elle cachée par celle, -bien décidée, que j'eus à dix ans. - -Une fois, MM. Barthélemy d'Orbane, le chanoine Barthélemy, M. l'abbé -Rey, M. Bouvier, tout le monde, parlait chez mon grand-père de la -prochaine arrivée de M. le maréchal de Vaux. - -«Il vient faire ici une entrée de ballet», dit mon grand-père; ce -mot que je ne compris pas me donna beaucoup à penser. Que pouvait-il y -avoir de commun, me disais-je, entre un vieux maréchal et un balai? - -Il mourut[32], le son majestueux des cloches m'émut profondément. -On me mena voir la chapelle ardente (ce me semble, dans l'hôtel du -Commandement, vers la rue des Mûriers, souvenir presque effacé); le -spectacle de cette tombe noire et éclairée en plein jour par une -quantité de cierges, les fenêtres étant fermées, me frappa. C'était -l'idée de la mort paraissant pour la première fois. J'étais mené par -Lambert, domestique (valet de chambre) de mon grand-père et mon intime -ami. C'était un jeune et bel homme très dégourdi. - -Un de ses amis à lui vint lui dire: «La fille du Maréchal n'est qu'une -avare, ce qu'elle donne de drap noir aux tambours pour couvrir leur -caisse ne suffit pas pour faire une culotte. Les tambours se plaignent -beaucoup, l'usage est de donner ce qu'il faut pour faire une culotte. -» De retour à la maison, je trouvai que mes parents parlaient aussi de -l'avarice de cette fille du maréchal. - -Le lendemain fut un jour de bataille pour moi. J'obtins avec grande -difficulté, ce me semble, que Lambert me mènerait voir passer le -convoi. Il y avait une foule énorme. Je me vois au point H[33], -entre la grande route et l'eau, près le four à chaux, à deux cents pas -en-deçà et à l'orient de la Porte-de-France. - -Le son des tambours voilés par le petit coupon de drap noir non -suffisant pour faire une culotte m'émut beaucoup. Mais voici bien une -autre affaire: je me trouvais au point H, à l'extrême gauche d'un -bataillon du régiment d'Austrasie, je crois, habit blanc et parements -noirs, L est Lambert me donnant la main à moi, H. J'étais à six pouces -du dernier soldat du régiment, S. - -Il me dit tout-à-coup: - -«Eloignez-vous un peu, afin qu'en _tirant_ je ne vous fasse pas mal.» - -On allait donc tirer! et tant de soldats! ils portaient l'arme -renversée. - -Je mourais de peur; je lorgnais de loin la voiture noire qui s'avançait -lentement par le pont de pierre[34], tirée par six ou huit chevaux. -J'attendais en frémissant la décharge. Enfin, l'officier fit un cri, -immédiatement suivi de la décharge de feu. Je fus soulagé d'un grand -poids. A ce moment, la foule se précipitait vers la voiture drapée que -je vis avec beaucoup de plaisir, il me semble qu'il y avait des cierges. - -On fit une seconde, peut-être une troisième décharge, hors de la -Porte-de-France, mais j'étais aguerri[35]. - - * * * * * - -Il me semble que je me souviens aussi un peu du départ pour Vizille -(Etats de la province, tenus au château de Vizille, bâti par le -connétable de Lesdiguières). Mon grand-père adorait les antiquités -et me fit concevoir une idée sublime de ce château par la façon dont -il en parlait. J'étais sur le point de concevoir de la vénération -pour la noblesse, mais bientôt MM. de Saint-Ferréol et de Sinard, mes -camarades, me guérirent. - -On portait des matelas attachés derrière les chaises de poste (à deux -roues). - -_Le jeune Mounier_, comme disait mon grand-père, vint à la maison. -C'est par l'effet d'une séparation violente que sa fille et moi n'avons -pas conçu par la suite une passion violente l'un pour l'autre, dernière -heure que je passai sous une porte cochère, rue Montmartre, vers le -boulevard, pendant une averse, en 1803 ou 1804, lorsque M. Mounier alla -remplir les fonctions de préfet à Rennes[36]. (Mes lettres à son fils -Edouard, lettre de Victorine, à moi adressée. Le bon est qu'Edouard -croit, ce me semble, que je suis allé à Rennes.) - -Le petit portrait raide et mal peint que l'on voit dans une chambre -attenant à la bibliothèque publique de Grenoble, et qui représente M. -Mounier en habit de préfet, si je ne me trompe, est ressemblant[37]. -Figure de fermeté, mais tête étroite. Son fils, que j'ai beaucoup -connu en 1803 et en Russie en 1812 (Viasma sur Tripes)[38], est -un plat, adroit et fin matois, vrai type de Dauphinois ainsi que le -ministre Casimir Périer, mais ce dernier a trouvé plus Dauphinois que -lui. Edouard Mounier en a l'accent traînant, quoique élevé à Weimar, -il est pair de France et baron, et juge bravement à la Cour de Paris -(1835, décembre). Le lecteur me croira-t-il si j'ose ajouter que je ne -voudrais pas être à la place de MM. Félix Faure et Mounier, pairs de -France et jadis de mes amis? - - * * * * * - -Mon grand-père, ami tendre et zélé de tous les jeunes gens qui aimaient -à travailler, prêtait des livres à M. Mounier, et le soutenait contre -le blâme de son père. Quelquefois, en passant dans la Grande-rue, il -entrait dans la boutique de celui-ci et lui parlait de son fils. Le -vieux marchand de drap, qui avait beaucoup d'enfants et ne songeait -qu'à l'utile, voyait avec un chagrin mortel ce fils perdre son temps à -lire. - -Le fort de M. Mounier fils était le caractère, mais les lumières ne -répondaient pas à la fermeté. Mon grand-père nous racontait en riant, -quelques années après, que madame Borel, qui devait être la belle-mère -de M. Mounier, étant venue acheter du drap, M. Mounier, commis de son -père, déploya la pièce, fit manier le drap, et ajouta: - -«Ce drap se vend vingt-sept livres l'aune. - ---Hé bien! monsieur, je vous en donnerai vingt-cinq», dit madame Borel. - -Sur quoi M. Mounier replia la pièce de drap, et la reporta[39] -froidement dans sa case. - -«Mais, monsieur! monsieur! dit Mme Borel étonnée, j'irai -bien jusqu'à vingt-cinq livres dix sous. - ---Madame, un honnête homme n'a que son mot.» - -La bourgeoise fut fort scandalisée. - -Ce même amour du travail chez les jeunes gens, qui rendrait mon -grand-père si coupable aujourd'hui, lui faisait protéger le jeune -Barnave[40]. - -Barnave était notre voisin de campagne, lui à Saint-Robert, nous à -Saint-Vincent (route de Grenoble à Voreppe et Lyon). Séraphie le -détestait et bientôt après applaudit à sa mort et au peu de bien qui -restait à ses sœurs, dont l'une s'appelait, ce me semble, madame -Saint-Germain. A chaque fois que nous passions à Saint-Robert: «Ah! -voilà la maison de Barnave», disait Séraphie, et elle le traitait -en dévote piquée. Mon grand-père, très bien venu des nobles, était -l'oracle de la bourgeoisie, et je pense que la mère de l'immortel -Barnave, qui le voyait avec peine négliger les procès pour Mably et -Montesquieu, était calmée par mon grand-père. Dans ces temps-là, notre -compatriote Mably passait pour quelque chose, et deux ans après on -donna son nom à la rue des Clercs[41]. - - -[Footnote 1: Le _chapitre V_ ne fait pas partie des trois volumes de la -bibliothèque municipale de Grenoble cotés R 299. Il forme les feuillets -39 à 68 (numérotés en outre par Stendhal de 1 à 29) d'un cahier côté -R 300, n° 1. Stendhal a écrit dans la marge du fol. 39: «A dicter et -mettre à sa place page 75. Relier ce manuscrit à la fin du second.» -Il indique encore, en marge du fol. 40: «_Petits souvenirs._ A placer -à son rang vers 1791. Copier à gauche à son rang.» Enfin, un feuillet -intercalaire porte: «Petits souvenirs, à placer _after the recit of my -mother death_: Barthélémy d'Orbane. Départ pour Romans, grande neige. -Départ pour Vizille. Haine de Séraphie pour les demoiselles Barnave. -Décrire la _campagne_ (maison de campagne) ... (un mot illisible) nous -passons à Saint-Robert.» - -D'autre part, Stendhal a écrit au verso du fol. 74 (ms. R 299, t. I): -«A mon égard la plus noire méchanceté succède à la bonté et à la gaieté. - - -CHAPITRE 4 _bis_: SOMMAIRE - -Voici les souvenirs qui après 23 X 2 ans me restent des jours heureux -passés du temps de ma mère: Salons. Soupers. Le Père Chérubin Beyle. -L'abbé Chélan. _Je me révorte!_ Départ pour Romans. Barthélémy -d'Orbane. M. Barthélemy m'apprend les grimaces.» - ---En haut du fol. 39 (ms. R 300), on lit la date suivante: «17-22 -décembre 1835, Omar.» On lit également au verso du fol. 38: «18 déc. -1835, de 2 à 4 h. 1/2, 14 pages. Je suis si absorbé par les souvenirs -qui se dévoilent à mes yeux que je puis à peine former mes lettres.»] - -[Footnote 2: _A l'époque où nous occupions le premier étage ..._--Variante: -«_Quand nous occupions ..._»] - -[Footnote 3: ... _au coin de la place Grenette et de la Grande-rue._--17 déc. -1835. Je souffre du froid, collé contre la cheminée. La cuisse gauche -est gelée. (Note de Stendhal.)] - -[Footnote 4: ... _suite naturelle de la défiance et de la barbarie -générales._--Style. Ordre des idées. Préparer l'attention par quelques -mots en parlant: 1° de Lambert;--2° sur mon oncle, dans les premiers -chapitres. 17 déc. 35. (Note de Stendhal.)--Autre note de Stendhal: -«Style. Rapport des mots aux idées: directeur à l'Académie, artiste, -Saint-Marc-Girardin, chevalier _of Konig von Janfoutre, Débats._»] - -[Footnote 5: ... _de s'opposer bien sérieusement à ma course au -spectacle._--Il y a un blanc dans le manuscrit entre «_course_» et «au -_spectacle_».] - -[Footnote 6: _J'étais aux premières loges, la seconde à droite._--Ici Stendhal -a dessiné un plan de la salle du Théâtre, avec cette légende: «Infâme -salle de spectacle de Grenoble, laquelle m'inspirait la vénération -la plus tendre. J'en aimais même la mauvaise odeur. Vers 1794, 95 et -96, cet amour alla jusqu'à la fureur, du temps de Mlle -Kably.»--En face, plan de la partie de la ville où est situé le -théâtre, jusqu'à «la Bastille, fortifiée de 1826 à 1836 par le général -Haxo (infatigable hâbleur)».] - -[Footnote 7: _Je m'en apercevais fort bien._--Variante: «_De quoi je -m'apercevais._»] - -[Footnote 8: ... _comme à l'église de ..._--Le nom a été laissé en blanc.] - -[Footnote 9: ... _je me rappelle encore le son des_ clercs ...--Ce mot -est surmonté d'une croix. Ce signe revient plusieurs fois dans le -manuscrit, à des passages incomplets ou obscurs. Il indique sans doute -les endroits que Stendhal se proposait de corriger ultérieurement.] - -[Footnote 10: ... _j'articulai le nom de M. de Ravix ..._--Variante: «_Je -nommai._»] - -[Footnote 11: ... _Mme de M......, me semblait bien jolie et -passait pour fort galante._--Tout cet alinéa est une addition, qui -paraît avoir été écrite le lendemain, d'après la comparaison des -écritures.] - -[Footnote 12: _On lui doit la Bibliothèque._--Le nom de M. Henri Gagnon figure -en effet parmi ceux des fondateurs de la bibliothèque municipale.] - -[Footnote 13: ... _s'il s'en trouve jamais pour ces fadaises ..._--Variantes: -«_Fariboles, puérilités._»] - -[Footnote 14: ... _en écrivant ceci quarante-cinq ans après les -événements._--Suit un plan de l'appartement de M. Gagnon ayant vue -sur la Grande-rue et la place Grenette. Stendhal n'y indique pas les -chambres d'Elisabeth et de Séraphie Gagnon. Il dit à ce sujet: «Je ne -vois pas où logeaient ma tante Séraphie et ma grand'tante Elisabeth. -J'ai un souvenir vague d'une chambre entre la salle-à-manger et la -Grande-rue.»--En face, plan du quartier Saint-Laurent entre le pont de -pierre (aujourd'hui pont de l'Hôpital) et les premières maisons de La -Tronche. La Tronche était l'«église de M. Dumolard, mon confesseur, -curé de La Tronche et grand tejé». Dans l'enceinte de Grenoble, non -loin de la Citadelle, Stendhal indique l'emplacement de la a maison -d'éducation de Mlle de La Sagne, ma sœur, son amie -Mlle Sophie Gauthier». C'est l'ancien couvent des Ursulines, -rue Sainte-Ursule, aujourd'hui occupé par les bureaux de la direction -du Génie.] - -[Footnote 15: ... _le jour où j'avais un an_, 23 _janvier_1784 ...--Stendhal -indique 1783 (1786--3). Cette erreur est volontaire, car elle est -reproduite dans un plan de l'appartement de M. Gagnon, dessina au verso -du fol. 8, et portant: «Détail, 23 janvier 1788--5.»] - -[Footnote 16: ... _je ressemblais au Père Brulard ..._--Chérubin Beyle, né le -17 septembre 1709, religieux du couvent de Saint-François de Grenoble, -fils de Joseph Beyle et oncle de Joseph-Chérubin Beyle, père de -Stendhal. (Sur la famille paternelle de Stendhal, voir Ed. Maignien, -_La famille de Beyle-Stendhal_, Grenoble, 1889, broch. in-8.)] - -[Footnote 17: _«Un peu plus il était mort», disait mon grand-père._--En face, -se trouve un croquis représentant une «_coupe de la Porte-de-France_», -avec le «lieu de la ruade du mulet».] - -[Footnote 18: ... _le grand hiver de_ 1789 _à_ 1790 ...--En surcharge, au -crayon, de la main de R. Colomb: «1788 à 1789». La session des Etats de -Romans à laquelle Stendhal fait allusion a duré du 2 novembre 1788 au -16 janvier 1789.] - -[Footnote 19: ... _M. Barthélémy d'Orbane, ami intime de la famille, était en -O et moi en H ..._--En face, est un plan d'une partie de l'appartement -de M. Gagnon. Au coin à droite de la cheminée est Barthélémy d'Orbane -et près de lui, devant le feu, le jeune Henri.] - -[Footnote 20: ... _M. Lysimaque ..._--Lysimaque Tavernier, chancelier du -consulat de France à Cività-Vecchia.--Sur ce personnage, voir C. -Stryienski, _Soirées du Stendhal-Club_ (1899), p. 236-242, et A. -Chuquet, _Stendhal-Beyle_ (1904), p. 532-533.] - -[Footnote 21: ... _il abaissait les cols démesurément longs de sa -chemise._--Dans la marge est un croquis donnant les places respectives -de «l'Empereur», du «colérique abbé Louis (alors non voleur et fort -estimé)», du «terrible comte Regnault», et des auditeurs au Conseil -d'Etat, parmi lesquels Henri Beyle.] - -[Footnote 22: ... _devant une assemblée choisie, par exemple à la -Bibliothèque._--La bibliothèque municipale était alors située dans le -passage dit aujourd'hui du Lycée, près de l'École centrale, plus tard -lycée de garçons (voir notre plan de Grenoble en 1793).] - -[Footnote 23: ... _A l'occasion de Noël._--Variante: «_Pour Noël._»] - -[Footnote 24: ... _tenant à la main une cuillerée de fraises._--Dans -l'interligne est cette addition, marquée de deux croix: «Comme il -allait manger des fraises.»] - -[Footnote 25: ... _M. de Broglie._--Ms.: «_Gliebro._» Sur les habitudes -anagrammatiques de Stendhal, voir notre Introduction.] - -[Footnote 26: ... _M. l'abbé Chélan dînait à la maison ..._--Suit un plan -d'une partie de l'appartement «au 1er étage», avec la table -dans la salle-à-manger, la cuisine et une chambre à coucher. On y voit -également, sur la place Grenette, l'emplacement où fut tué l'ouvrier -chapelier (au pied des degrés qui conduisent aujourd'hui au n° 4 de la -place Grenette).] - -[Footnote 27: ... _il y a peut-être de cela quarante-trois ans._--La journée -des Tuiles eut lieu le 7 juin 1788. (Voir à ce sujet A. Prudhomme, -_Histoire de Grenoble_, p. 587-590.)] - -[Footnote 28: _Journée des tuiles._--J'ai laissé à Grenoble une vue de cette -révolte-émeute à l'aquarelle, par M. Le Roy. (Note de Stendhal.)] - -[Footnote 29: _Je la vis en R._--Plan indiquant la place de la vieille femme -en R (Grande-rue) et «venant en R'» (place Grenette), et la situation -en O (angle Nord de la place Grenette) de l'ouvrier blessé.] - -[Footnote 30: ... _quand je fus distrait ..._--Variante: «_Mais bientôt après -je fus distrait ..._»--En face, au verso du fol. 19, on lit: «Cette -queue savante fait-elle bien? 22 décembre.»] - -[Footnote 31: ... _la maison Périer._--Maison Périer-Lagrange, aujourd'hui -place Grenette, n° 4. (Voir notre plan de Grenoble en 1793.)] - -[Footnote 32: _Il mourut ..._--Noël de Jourda, comte de Vaux, maréchal de -France et lieutenant général du roi en Dauphiné, mourut à Grenoble le -14 septembre 1788.] - -[Footnote 33: _Je me vois au point H ..._--Deux croquis expliquent la position -des personnages; l'un est en coupe, l'autre en plan. Un autre dessin -(en coupe) se trouve également au verso du fol. 10. Sur le bord de la -route, du côté de l'Isère, est en H le «point d'où j'ai vu passer la -voiture noire portant les restes du maréchal de Vaux, et, ce qui est -bien pis, point d'où j'ai entendu la décharge à deux pieds de moi».] - -[Footnote 34: ... _le pont de pierre ..._--Aujourd'hui, pont de l'Hôpital.] - -[Footnote 35: ... _mais j'étais aguerri._--Ici, nouveau plan indiquant la -place de Stendhal, en H, à la première et aux seconde et troisième -décharges.] - -[Footnote 36: ... _M. Mounier alla remplir les fonctions de préfet à -Rennes._--Mounier fut nommé préfet de l'Ille-et-Vilaine le 13 avril -1802 par Bonaparte, premier consul.] - -[Footnote 37: ... _M. Mounier en habit de préfet ... est ressemblant._--Un -portrait de Mounier existe en effet dans la galerie dauphinoise de la -Bibliothèque municipale.] - -[Footnote 38: (_Viazma sur Tripes ..._)--Viazma, chef-lieu de district du -gouvernement de Smolensk, est situé sur deux rivières: la Viazma et la -Bebréïa.] - -[Footnote 39: ... _et la reporta froidement dans sa case._--Variante: -«_Remit._»] - -[Footnote 40: ... _lui faisait protéger le jeune Barnave._--23 déc. 35. -Fatigué du travail _after_ 3 heures. (Note de Stendhal.)] - -[Footnote 41: ... _la rue des Clercs._--Le feuillet se termine par un plan -indiquant la «grand'route» de Grenoble à Lyon, avec Saint-Robert et la -maison de Barnave, le Fontanil et Saint-Vincent, avec la «chaumière -pittoresque de mon grand-père», dit Stendhal. - -Au verso de ce feuillet, on lit: «A placer: Secret de la fortune de -MM. Rothschild, vu par Dominique le 23 décembre 1835. Ils vendent ce -dont tout le monde a envie, _des rentes_, et de plus s'en sont faits -fabricants (_id est_ en prenant les emprunts).» - -Au-dessous: «Il faudrait acheter un plan de Grenoble et le coller -ici. Faire prendre les extraits mortuaires de mes parents, ce qui -me donnerait des dates, et l'extrait de naissance de _my dearest -mother_ et de mon bon grand-père. Décembre 1835.--Qui pense à eux -aujourd'hui que moi, et avec quelle tendresse, à ma mère, morte depuis -quarante-six ans? Je puis donc parler librement de leurs défauts. La -même justification pour madame la baronne de Barckoff, Mme -Alex. Petit, Mme la baronne Dembowski (que de temps que -je n'ai pas écrit ce nom!), Virginie, 2 Victorines, Angela, Mélanie, -Alexandrine, Méthilde, Clémentine, Julia, Alberthe de Rubempré (adorée -pendant un mois seulement). - -V. 2 V. A. M. A. M. C. I. A. - -Un homme plus positif dirait: - -A. M. C. I. A.» - -On lit encore: «Droit que j'ai d'écrire ces mémoires: quel être n'aime -pas qu'on se souvienne de lui?» - ---Deux feuillets supplémentaires, numérotés 69 et 70 du cahier, -portent: (Fol. 69 recto) «20 décembre 1835. Faits à placer en leur -lieu, mis ci-derrière pour ne pas les oublier: nomination d'inspecteur -du mobilier, derrière la page 254 de la présente numération.--A sept -ans commencé le latin, donc en 1790.» - -(Fol. 69 verso): «Faits placés ici pour ne pas les oublier, à mettre en -leur lieu: Pourquoi Omar m'est pesante. - -C'est que je n'ai pas une société le soir pour me distraire de mes -idées du matin. Quand je faisais un ouvrage à Paris, je travaillais -jusqu'à étourdissements et impossibilité de marcher. Six heures -sonnant, il fallait pourtant aller dîner, sous peine de déranger les -garçons du restaurateur, pour un dîner de 3 fr. 50, ce qui m'arrivait -souvent, et j'en rougissais. J'allais dans un salon; là, à moins qu'il -ne fût bien piètre, j'étais absolument distrait de mon travail du -matin, au point d'en avoir oublié même le sujet en rentrant chez moi à -une heure.» - -(Fol 70 verso): «20 décembre 1835. Fatigue du matin. - -Voilà ce qui me manque à Omar: la société est si languissante -(_Mme Sandre, the mother of Marieta_), la comtesse Rave ..., -la princesse de Da ... ne valent pas la peine de monter en voiture. - -Tout cela ne peut me distraire des idées du matin, de façon que quand -je reprends mon travail le lendemain, au lieu d'être frais et soulagé -je suis absolument éreinté. - -Et après quatre ou cinq jours de cette vie, je me dégoûte de -mon travail, j'en ai réellement tué les idées en y pensant trop -continuement. Je fais un voyage de quinze jours à Cività-Vecchia et à -Ravenne (1835, octobre). Cet intervalle est trop long, j'ai _oublié_ -mon travail. Voilà pourquoi le _Chasseur vert_ languit, voilà ce qui, -avec le manque total de bonne musique, me déplaît dans Omar.»] - - - - -CHAPITRE VI[1] - - -Après la mort de ma mère, mon grand-père fut au désespoir. Je vois, -mais aujourd'hui seulement, que c'était un homme qui devait avoir un -caractère dans le genre de celui de Fontenelle, modeste, prudent, -discret, extrêmement aimable et amusant avant la mort de sa fille -chérie. Depuis, il se renfermait souvent dans un silence discret. Il -n'aimait au monde que cette fille et moi[2]. - -Son autre fille, Séraphie, l'ennuyait et le vexait; il aimait la paix -par-dessus tout, et elle ne vivait que de scènes. Mon bon grand-père, -pensant à son autorité de père, se faisait de vifs reproches de ne pas -montrer les dents (_c'est une expression du pays_; je les conserve, -sauf à les traduire plus tard en français de Paris, je les conserve en -ce moment pour mieux me rappeler les détails qui m'arrivent en foule). -M. Gagnon estimait et craignait sa sœur, qui lui avait préféré dans la -jeunesse un frère mort à Paris, chose que le frère survivant ne lui -avait jamais pardonné, mais avec son caractère à la Fontenelle, aimable -et pacifique, il n'y paraissait nullement; j'ai deviné cela plus tard. - -M. Gagnon avait une sorte d'aversion pour son fils, Romain Gagnon, mon -oncle, jeune homme brillant et parfaitement aimable. - -C'est la possession de cette qualité qui brouillait, ce me semble, -le père et le fils; ils étaient tous deux, mais dans des genres -différents, les hommes les plus aimables de la ville. Mon grand-père -était plein de mesure dans les plaisanteries et son esprit fin et froid -pouvait passer inaperçu. Il était d'ailleurs un prodige de science -pour ce temps-là (où florissait la plus drôle d'ignorance). Les sots -ou les envieux (MM. Champel, Tournus (le cocu), Tourte) lui faisaient -sans cesse, pour se venger, des compliments sur sa mémoire. Il savait, -croyait et citait les auteurs approuvés sur toutes sortes de sujets. - -«Mou fils n'a rien lu», disait-il quelquefois avec humeur. Rien -n'était plus vrai, mais il était impossible de s'ennuyer dans une -société où était M. Gagnon le fils. Son père lui avait donné un -charmant appartement dans sa maison et l'avait fait avocat. Dans une -ville de parlement, tout le monde aimait la chicane, et vivait de -la chicane, et faisait de l'esprit sur la chicane. Je sais encore un -nombre de plaisanteries sur le _pétitoire_ et le _possessoire._ - -Mon grand-père donnait le logement et la table à son fils, plus une -pension de cent francs par mois, somme énorme à Grenoble en 1789, pour -ses menus plaisirs, et mon oncle achetait des habits brodés de mille -écus et entretenait des actrices. - -Je n'ai fait qu'entrevoir ces choses, que je pénétrais par les -demi-mots de mon grand-père. Je suppose que mon oncle recevait des -cadeaux de ses maîtresses riches, et avec cet argent s'habillait -magnifiquement et entretenait les maîtresses pauvres. Il faut savoir -que, dans notre pays et alors, il n'y avait rien de mal à recevoir de -l'argent de Mme Dulauron, ou de Mme de Marcieu, -ou de Mme de Sassenage, pourvu qu'on le dépensât _hic et -nunc_ et qu'on ne thésaurisât pas. _Hic et nunc_ est une façon de -parler que Grenoble devait à son parlement. - -Il est arrivé plusieurs fois que mon grand-père, arrivant chez M. de -Quinsonnas ou dans un autre cercle, apercevait un jeune homme richement -vêtu et que tout le inonde écoutait, c'était son fils. - -«Mon père ne me connaissait pas ces habits, me disait mon oncle, je -m'éclipsais au plus vite et rentrais pour reprendre le modeste frac. -Quand mon père me disait: Mais faites-moi un peu le plaisir de me -dire où vous prenez les frais de cette toilette.--Je joue et j'ai -du bonheur, répondais-je.--Mais alors, pourquoi ne pas payer vos -dettes?--Et madame Une telle qui voulait me voir avec le bel habit -qu'elle m'avait acheté! continuait mon oncle. Je m'en tirais par -quelque calembredaine.» - -Je ne sais si mon lecteur de 1880 connaît un roman fort célèbre -encore aujourd'hui: les _Liaisons dangereuses_ avaient été composées -à Grenoble par M. Choderlos de Laclos, officier d'artillerie, et -peignaient les mœurs de Grenoble. - -J'ai encore connu Mme de Merteuil, c'était Mme -de Montmort, qui me donnait des noix confites, boiteuse qui avait la -maison Drevon au Chevallon, près l'église de Saint-Vincent, entre -le Fontanil et Voreppe, mais plus près du Fontanil. La largeur du -chemin séparait le domaine de Mme de Montmort (ou loué par -Mme de Montmort) et celui de M. Henri Gagnon. La jeune -personne riche qui est obligée de se mettre au couvent a dû être une -demoiselle de Blacons, de Voreppe. - -Cette famille est exemplaire par la tristesse, la dévotion, la -régularité et l'ultracisme, ou du moins était exemplaire vers 1814, -quand l'Empereur m'envoya commissaire dans la 7me division -militaire avec le vieux sénateur comte de Saint-Vallier, un des roués -de l'époque de mon oncle et qui me parla beaucoup de lui comme ayant -fait faire d'insignes folies à mesdames N. et N., j'ai oublié les noms. -Alors j'étais brûlé du feu sacré et ne songeais qu'aux moyens de -repousser les Autrichiens, ou du moins de les empêcher d'entrer aussi -vite. - -J'ai donc vu cette fin des mœurs de Mme de Merteuil, comme -un enfant de neuf ou dix ans dévoré par un tempérament de feu peut voir -ces choses, dont tout le monde évite de lui dire le fin mot. - - -[Footnote 1: Le _chapitre VI_ est le chapitre IV _bis_ du manuscrit (R 299, -fol. 75 à 81).--Écrit à Rome, le 2 décembre 1835.] - -[Footnote 2: _Il n'aimait au monde que cette fille et moi._--_Et moi_ a été -ajouté au crayon par Stendhal.] - - - - -CHAPITRE VII[1] - - -La famille était clone composée, à l'époque de la mort de ma mère, -vers 1790, de MM. Gagnon père, 60 ans; Romain Gagnon, son fils, 25; -Séraphie, sa fille, 24; Elisabeth, sa sœur, 64; Chérubin Beyle, son -gendre, 43; Henri, son fils, 7; Pauline, sa fille, 4; Zénaïde, sa -fille, 2. - -Voilà les personnages du triste drame de ma jeunesse, qui ne me -rappelle presque que souffrances et profondes contrariétés morales. -Mais voyons un peu le caractère de ces personnages. - -Mon grand-père, Henri Gagnon (60 ans); sa fille Séraphie, ce diable -femelle dont je n'ai jamais su l'âge, elle pouvait avoir 22 ou 24 ans; -sa sœur Elisabeth Gagnon (64 ans), grande femme maigre, sèche, avec -une belle figure italienne, caractère parfaitement noble, mais noble -avec les raffinements et les scrupules de conscience espagnols. Elle a -à cet égard formé mon cœur et c'est à ma tante Elisabeth que je dois -les abominables duperies de noblesse à l'espagnole dans lesquelles je -suis tombé pendant les premiers trente ans de ma vie. Je suppose que ma -tante Elisabeth, riche (pour Grenoble), était restée fille à la suite -d'une passion malheureuse. J'ai appris[2] quelque chose comme cela de -la bouche de ma tante Séraphie dans ma première jeunesse. - -La famille était enfin composée de mon père. - -Joseph-Chérubin Beyle, avocat au Parlement du pays, ultra et chevalier -de la Légion d'honneur, adjoint au maire de Grenoble, mort en 1819, à -72 ans, dit-on, ce qui le suppose né en 1747. Il avait donc, en 1790, -quarante-trois ans[3]. - -C'était un homme extrêmement peu aimable, réfléchissant toujours à des -acquisitions et à des ventes de domaines, excessivement fin, accoutumé -à vendre aux paysans et à acheter d'eux, archi-Dauphinois. Il n'y -avait rien de moins espagnol et de moins follement noble que cette -âme-là, aussi était-il antipathique à ma tante Elisabeth. Il était de -plus excessivement ridé et laid, et déconcerté et silencieux avec les -femmes, qui pourtant lui étaient nécessaires. - -Cette dernière qualité lui avait donné l'intelligence de la -_Nouvelle-Héloïse_ et des autres ouvrages de Rousseau, dont il ne -parlait qu'avec adoration, tout en le maudissant comme impie, car -la mort de ma mère le jeta dans la plus haute et la plus absurde -dévotion[4]. Il s'imposa l'obligation de dire tous les offices d'un -prêtre, il fut même question pendant trois ou quatre ans de son entrée -dans les ordres, et probablement il fut retenu par le désir de me -laisser sa place d'avocat; il allait être _consistorial_: c'était une -distinction noble parmi les avocats, dont il parlait comme un jeune -lieutenant de grenadiers parle de la croix. Il ne m'aimait pas comme -individu, mais comme fils devant continuer sa famille. - -Il aurait été bien difficile qu'il m'aimât: 1° il voyait clairement -que je ne l'aimais point, jamais je ne lui parlais sans nécessité, -car il était étranger à toutes ces belles idées littéraires et -philosophiques qui faisaient la base de mes questions à mon grand-père -et des excellentes réponses de ce vieillard aimable. Je le voyais fort -peu. Ma passion pour quitter Grenoble, c'est-à-dire lui, et ma passion -pour les mathématiques,--seul moyen que j'avais de quitter cette ville -que j'abhorrais et que je hais encore, car c'est là que j'ai appris -à connaître les hommes,--ma passion mathématique me jeta dans une -profonde solitude de 1797 à 1799. Je puis dire avoir travaillé pendant -ces deux années et même pendant une partie de 1790 comme Michel-Ange -travailla à la Sixtine. - -Depuis mon départ, à la fin d'octobre 1799,--je me souviens de la date -parce que le 18 brumaire, 9 novembre, je me trouvais à Nemours,--je -n'ai été pour mon père qu'un demandeur d'argent, la froideur a sans -cesse augmenté, il ne pouvait pas dire un mot qui ne me déplût. Mon -horreur était de vendre un champ à un paysan en finassant pendant huit -jours, à l'effet de gagner 300 francs; c'était là sa passion. - -Rien de plus naturel. Son père, qui portait, je crois, le grand nom -de _Pierre_ Beyle, mourut de la goutte, à Claix, à l'improviste, à -63 ans. Mon père à 18 ans (c'était donc vers 1765) se trouva avec un -domaine à Claix rendant 800 ou 1.800 francs, c'est l'un des deux, une -charge de procureur et dix sœurs à établir, une mère, riche héritière, -c'est-à-dire ayant peut-être 60.000 francs et en sa qualité d'héritière -ayant le diable au corps. Elle m'a encore longtemps souffleté dans mon -enfance quand je tirais la queue à son chien Azor (chien de Bologne à -longues soies blanches). L'argent fut donc, et avec raison, la grande -pensée de mon père, et moi je n'y ai jamais songé qu'avec dégoût. Cette -idée me représente des peines cruelles, car en avoir ne me fait aucun -plaisir, en manquer est un vilain malheur. - -Jamais peut-être le hasard n'a rassemblé deux êtres plus foncièrement -antipathiques que mon père et moi. - -De là l'absence de tout plaisir dans mon enfance, de 1790 à 1799. Cette -saison, que tout le monde[5] dit être celle des vrais plaisirs de la -vie, grâce à mon père n'a été pour moi qu'une suite de douleurs amères -et de dégoûts. Deux diables étaient déchaînés contre ma pauvre enfance, -ma tante Séraphie et mon père, qui dès 1791 devint son esclave. - -Le lecteur peut se rassurer sur le récit de mes malheurs, d'abord il -peut sauter quelques pages, parti que je le supplie de prendre, car -j'écris à l'aveugle, peut-être des choses fort ennuyeuses même pour -1835, que sera-ce en 1880? - -En second lieu, je n'ai presque aucun souvenir de la triste époque -1790-1795, pendant laquelle j'ai été un pauvre petit bambin persécuté, -toujours grondé à tout propos, et protégé seulement par un sage à la -Fontenelle qui ne voulait pas livrer bataille pour moi, et d'autant -qu'en ces batailles son autorité supérieure à tout lui commandait -d'élever davantage la voix, or c'est ce qu'il avait le plus en horreur; -et ma tante Séraphie qui, je ne sais pourquoi, m'avait pris en guignon, -le savait bien aussi. - -Quinze ou vingt jours après la mort de ma mère, mon père et moi nous -retournâmes coucher dans la triste maison, moi dans un petit lit -vernissé fait en cage, placé dans l'alcôve de mon père. Il renvoya -ses domestiques et mangea chez mon grand-père, qui jamais ne voulut -entendre parler de pension. Je crois que c'est par intérêt[6] pour -moi que mon grand-père se donna ainsi la société habituelle d'un homme -qui lui était antipathique. - -Ils n'étaient réunis que par le sentiment d'une profonde douleur. -A l'occasion de la mort de ma mère, ma famille rompit toutes ses -relations de société, et, pour comble d'ennui pour moi, elle a depuis -constamment vécu isolée. - -M. Joubert, mon pédant montagnard (on appelle cela à Grenoble _Bet_, -ce qui veut dire un homme grossier né dans les montagnes de Gap), M. -Joubert qui me montrait le latin, Dieu sait avec quelle sottise, en -me faisant réciter les règles du rudiment, chose qui rebutait mon -intelligence, et l'on m'en accordait beaucoup, mourut. J'allais prendre -ses leçons sur la petite place Notre-Dame[7], je puis dire n'y avoir -jamais passé sans me rappeler ma mère et la parfaite gaieté de la vie -que j'avais menée de son temps. Actuellement, même mon bon grand-père -en m'embrassant me causait du dégoût. - -Le pédant Joubert à figure terrible me laissa en legs le second volume -d'une traduction française de Quinte-Curce, ce plat Romain qui a écrit -la vie d'Alexandre. - -Cet affreux pédant, homme de cinq pieds six pouces, horriblement maigre -et portant une redingote noire, sale et déchirée, n'était cependant pas -mauvais au fond. - -Mais son successeur, M. l'abbé Raillane, fut dans toute l'étendue du -mot un noir coquin. Je ne prétends pas qu'il ait commis des crimes, -mais il est difficile d'avoir une âme plus sèche, plus ennemie de -tout ce qui est honnête, plus parfaitement dégagée de tout sentiment -d'humanité. Il était prêtre, natif d'un village de Provence; il était -petit, maigre, très pincé, le teint vert, l'œil faux avec les sourcils -abominables. - -Il venait de finir l'éducation de Casimir et Augustin Périer et de -leurs quatre ou six frères[8]. - -Casimir a été un ministre très célèbre et selon moi dupe de -Louis-Philippe[9]. Augustin, le plus emphatique des hommes, est mort -pair de France[10]. Scipion était mort un peu fou vers 1806[11]. -Camille a été un plat préfet[12] et vient d'épouser en secondes noces -une femme fort riche[13], il est un peu fou comme tous ses frères. -Joseph, mari d'une jolie femme extrêmement affectueuse et qui a eu des -amours célèbres, a peut-être été le plus sage de tous[14]. Un autre, -Amédée[15], je crois, a peut-être volé au jeu vers 1815, aima mieux -passer cinq ans à Sainte-Pélagie que payer. - -Tous ces frères étaient fous au mois de mai, eh bien! je crois qu'ils -devaient départir cet avantage à notre commun précepteur, M. l'abbé -Raillane. - -Cet homme, par adresse, ou par instinct de prêtre[16], était ennemi -juré de la logique et de tout raisonnement droit. - -Mon père le prit apparemment par vanité. M. Périer _milord_[17], le -père du ministre Casimir, passait pour l'homme le plus riche du pays. -Dans le fait, il avait dix ou onze enfants et a laissé trois cent -cinquante mille francs à chacun[18]. Quel honneur pour un avocat au -parlement de prendre pour son fils le précepteur sortant de chez M. -Périer! - -Peut-être M. Raillane fut-il renvoyé pour quelque méfait; ce qui me -donne ce soupçon aujourd'hui, c'est qu'il y avait encore dans la maison -Périer trois enfants fort jeunes, Camille de mon âge, Joseph et Amédée, -je crois, beaucoup plus jeunes. - -J'ignore absolument les arrangements financiers que mon père fit avec -l'abbé Raillane. Toute attention donnée aux choses d'argent était -réputée vile et basse au suprême degré dans ma famille. Il y était en -quelque sorte contre la pudeur de parler d'argent, l'argent était comme -une triste nécessité de la vie et indispensable malheureusement, comme -les lieux d'aisance, mais dont il ne fallait jamais parler. On parlait -toutefois et par exception des sommes rondes que coûtait un immeuble, -le mot immeuble était prononcé avec respect. - -M. Bellier a payé son domaine de Voreppe 20.000 écus. Pariset coûte -plus de 12.000 écus (de trois livres) à notre cousin Colomb. - -Cette répugnance, si contraire aux usages de Paris, de parler d'argent -venait, de je ne sais où et s est complètement impatronisée dans mon -caractère. La vue d'une grosse somme d'or ne réveille d'autre idée en -moi que l'ennui de la garantir des voleurs, ce sentiment a souvent été -pris pour de l'affectation, et je n'en parle plus. - -Tout l'honneur, tous les sentiments élevée et fiers de la famille nous -venaient de ma tante Elisabeth; ces sentiments régnaient en despotes -dans la maison, et toutefois elle en parlait fort rarement, peut-être -une fois en deux ans; en général, ils étaient amenés par un éloge -de son père. Cette femme, d'une rare élévation de caractère, était -adorée, par moi, et pouvait avoir alors soixante-cinq ans, toujours -mise avec beaucoup de propreté et employant à sa toilette fort modeste -des étoiles chères. On conçoit bien que ce n'est qu'aujourd'hui et -en y pensant que je découvre ces choses. Par exemple, je ne sais la -physionomie d'aucun de mes parents et cependant, j'ai présents leurs -traits jusque dans le plus petit détail. Si je me figure un lieu la -physionomie de mon excellent grand-père, c'est à cause de la visite que -je lui fis quand j'étais déjà auditeur ou adjoint aux commissaires des -guerres; j'ai perdu absolument l'époque de cette visite. J'ai été homme -fort tard pour le caractère, c'est ainsi que j'explique aujourd'hui -ce manque de mémoire pour les physionomies. Jusqu'à vingt-cinq ans, -que dis-je, souvent encore il faut que je me tienne à deux mains pour -n'être pas tout à la sensation produite par les objets et pouvoir les -juger raisonnablement, avec mon expérience. Mais que diable est-ce que -cela fait au lecteur? Que lui fait tout cet ouvrage? Et cependant, si -je n'approfondis pas ce caractère de Henri, si difficile à connaître -pour moi, je ne me conduis pas en honnête auteur cherchant à dire sur -son sujet tout ce qu'il peut savoir. Je prie mon éditeur, si jamais -j'en ai un, de couper ferme ces longueurs. - -Un jour, ma tante Elisabeth Gagnon s'attendrit sur le souvenir de son -frère, mort jeune à Paris; nous étions seuls, une après-dînée, dans sa -chambre sur la Grenette. Evidemment cette âme élevée répondait à ses -pensées, et comme elle m'aimait m'adressait la parole pour la forme. - -«... Quel caractère! (Ce qui voulait dire: quelle force de volonté.) -Quelle activité! Ah! quelle différence!» (Cela voulait dire: quelle -différence avec celui-ci, mon grand-père, Henri Gagnon.) Et aussitôt, -se reprenant et songeant devant qui elle parlait, elle ajouta: « -_Jamais je n en ai tant dit._» - -Moi: «Et à quel âge est-il mort?» - -Mlle Elisabeth: «A vingt-trois ans.» - -Le dialogue dura longtemps; elle vint à parler de son père. Parmi cent -détails, de moi oubliés, elle dit: - -«A telle époque, _il pleurait de rage en apprenant que l'ennemi s -approchait de Toulon._» - -(Mais quand l'ennemi s'est-il approché de Toulon? Vers 1736, peut-être, -dans la guerre marquée par la bataille de l'_Assiette_, dont je viens -de voir en 34 une gravure intéressante par la _vérité._) - -11 aurait voulu que la milice marchât. Or, rien au monde n'était plus -opposé aux sentiments de mon grand-père Gagnon, véritable Fontenelle, -l'homme le plus spirituel et le moins patriote que j'aie jamais connu. -Le patriotisme aurait distrait bassement mon grand-père de ses idées -élégantes et littéraires. Mon père aurait calculé sur-le-champ ce qu'il -pouvait lui rapporter. Mon oncle Romain aurait dit d'un air alarmé: -«Diable! cela peut me faire courir quelque danger.» Le cœur de ma -vieille tante et le mien auraient palpité[19] d'intérêt. - -Peut-être j'avance un peu les choses à mon égard et j'attribue à sept -ou huit ans les sentiments que j'eus à neuf ou dix. Il est impossible -pour moi de distinguer sur les même choses les sentiments de deux -époques antiques. - -Ce dont je suis sûr, c'est que le portrait sérieux et rébarbatif de -mon arrière-grand-père[20] dans son cadre doré à grandes rosaces -d'un demi-pied de large, qui me faisait presque peur, me devint cher et -sacré dès que j'eus appris les sentiments courageux et généreux que lui -avaient inspiré les ennemis s'approchant de Toulon. - -[Illustration] - -PORTRAIT DE HENRI GAGNON. MÉDECIN (Bibl. mun. de Grenoble. collection -de portraits Dauphinois) - - -[Footnote 1: Le _chapitre VII_ est le chapitre V du manuscrit (fol. 81 à -99).--Écrit à Rome, le 2 décembre, et à Cività-Vecchia, le 5 décembre -1835.--On lit au verso du fol. 92: «Idée: Peut-être en ne corrigeant -pas ce premier jet parviendrai-je à ne pas mentir par vanité. Omar, 3 -décembre 1835.»] - -[Footnote 2: _J'ai appris ..._--Variante: «_Su._»] - -[Footnote 3: _Il avait donc, en _1790, _quarante-trois ans._--Chérubin-Joseph -Beyle était né le 29 mars 1747. Il épousa le 20 février 1781 -Caroline-Adélaïde-Henriette Gagnon et mourut le 20 juin 1819.] - -[Footnote 4: ... _la plus absurde dévotion._--Ms.: «_Surdeab tiondévo._»] - -[Footnote 5: _Cette saison, que tout le monde ..._--Variante: «_Cet âge, que -l'avis de tout le monde ..._»] - -[Footnote 6: _Je crois que c'est par intérêt pour moi ..._--Variante: -«_Amitié._»] - -[Footnote 7: _J'allais prendre ses leçons sur la petite place Notre-Dame -..._--A cette époque, la «voie centrale» (rue Président-Carnot) et -l'avenue Maréchal-Randon n'étaient pas encore ouvertes. Voir notre plan -de Grenoble en 1793.] - -[Footnote 8: ... _Casimir et Augustin Périer et de leurs quatre ou six -frères._--Casimir et Augustin Périer étaient fils de Claude Périer. -Claude Périer eut neuf fils et trois filles: Jacques-Prosper (mort -enfant), Elisabeth-Joséphine, Euphrosine-Marine (morte enfant), -Augustin-Charles, Alexandre-Jacques, Antoine-Scipion, Casimir-Pierre, -Adélaïde-Hélène, surnommée Marine, Camille-Joseph, Alphonse, -Amédée-Auguste et André-Jean-Joseph.] - -[Footnote 9: _Casimir a été un ministre très célèbre ..._--Casimir-Pierre -Périer, le ministre, était né à Grenoble le 11 octobre 1777; il mourut -à Paris le 16 mai 1832.] - -[Footnote 10: _Augustin ... est mort pair de France._--Augustin-Charles Périer -était né à Grenoble le 22 mai 1773. Pair de France à la mort de son -frère Casimir (16 mai 1832), il mourut à Frémigny (Seine-et-Oise), le 2 -décembre 1833.] - -[Footnote 11: _Scipion était mort ... vers_ 1806.--Scipion Périer est mort à -Paris en 1821. (Note au crayon de R. Colomb.)--Il était né le 14 juin -1776.] - -[Footnote 12: _Camille a été un plat préfet ..._--Camille-Joseph Périer, né -a Grenoble le 15 août 1781. Préfet de la Corrèze depuis le 12 février -1810 jusqu'en 1815, et de la Meuse depuis le 10 février 1819 jusqu'en -1822. Plus tard député et pair de France, il est mort le 14 septembre -1844.] - -[Footnote 13: ... _et vient d'épouser en secondes noces une femme fort riche -..._--Erreur, Mlle de Sahune n'a pas eu un sou de dot. (Note -au crayon de R. Colomb.)--Camille Périer épousa en premières noces -Adèle Lecoulteux de Canteleux, et en secondes noces Amélie Pourcet -de Sahune, cousine de Louise-Henriette de Berckeim, femme d'Augustin -Périer.] - -[Footnote 14: _Joseph, mari dune jolie femme ..._--André-Joseph-Jean Périer, -né à Grenoble le 27 novembre 1786, dirigea la banque Périer frères, -à Paris. A l'époque où Stendhal écrivait la _Vie de Henri Brulard_, -il était député de la Marne (Epernay) depuis le 15 novembre 1832. Il -épousa Mlle Marie-Aglaé du Clavel de Kergonan et mourut à -Paris le 18 décembre 1868.] - -[Footnote 15: ... _Amédée ... a peut-être volé au jeu vers_ 1815 -...--Amédée-Auguste Périer, né à Grenoble le 14 mars 1785, est mort à -Paris en 1851.--L'histoire racontée par Stendhal nous est absolument -inconnue et nous semble un produit de l'esprit caustique de notre -auteur.] - -[Footnote 16: ... _par instinct de prêtre ..._--Ms.: «_Reprêt._»] - -[Footnote 17: _M. Périer milord ..._--Sur ce surnom de _milord_ donné à Claude -Périer, voir t. II, p. 149.] - -[Footnote 18: ... _a laissé trois cent cinquante mille francs à chacun._---M. -Périer a laissé dix enfants et 500.000 francs à chacun. (Note au crayon -de R. Colomb.)--En réalité, Claude Périer eut douze enfants, dont deux -moururent jeunes.] - -[Footnote 19: ... _auraient palpité ..._--Variante: «_Palpitaient._»] - -[Footnote 20: ... _le portrait sérieux et rébarbatif de mon arrière-grand-père -..._--Le manuscrit porte: «_Mon grand-père._»] - - - - -CHAPITRE VIII[1] - - -A cette occasion, ma tante Elisabeth me raconta que mon -arrière-grand-père était né à Avignon, ville de Provence, pays _où -venaient les oranges_, me dit-elle avec l'accent du regret, et -beaucoup plus rapprochée de Toulon que Grenoble. Il faut savoir que la -grande magnificence de la ville c'étaient soixante ou quatre-vingts -orangers en caisse, provenant peut-être du connétable de Lesdiguières, -le dernier grand personnage produit par le Dauphiné, lesquels, à -l'approche de l'été, étaient places en grande pompe dans les environs -de la magnifique allée des Marronniers, plantée aussi, je crois, par -Lesdiguières[2]. «Il y a donc un pays où les orangers viennent en -pleine terre?» dis-je à ma tante. Je comprends aujourd'hui que, sans -le savoir, je lui rappelais l'objet éternel de ses regrets. - -Elle me raconta que nous étions originaires d'un pays encore plus beau -que la Provence (nous, c'est-à-dire les Gagnon), que le grand-père de -son grand-père, à la suite d'une circonstance bien funeste, était venu -se cacher à Avignon à la suite[3] d'un pape; que là il avait été -obligé de changer un peu son nom et de se cacher, qu'alors il avait -vécu du métier de chirurgien. - -Avec ce que je sais de l'Italie d'aujourd'hui, je traduirais ainsi: -qu'un M. Guadagni ou Guadanianno, ayant commis quelque petit assassinat -en Italie, était venu à Avignon vers 1650, à la suite de quelque légat. -Ce qui me frappa beaucoup alors, c'est que nous étions venus (car je -me regardais comme Gagnon et je ne pensais jamais aux Beyle qu'avec -une répugnance qui dure encore en 1835), que nous étions venus d'un -pays où les orangers croissent en pleine terre. Quel pays de délices, -pensais-je! - -Ce qui me confirmerait dans cette idée d'origine italienne, c'est que -la langue de ce pays était en grand honneur dans la famille, chose -bien singulière dans une famille bourgeoise de 1780. Mon grand-père -savait et honorait l'italien, ma pauvre mère lisait le Dante, chose -fort difficile, même de nos jours; M. Artaud, qui a passé vingt ans en -Italie et qui vient d'imprimer une traduction de Dante, ne met pas -moins de deux contre-sens et d'une absurdité par page. De tous les -Français de ma connaissance, deux seuls: M. Fauriel, qui m'a donné les -histoires d'amour arabes, et M. Delécluze, des _Débats_, comprennent -Dante, et cependant tous les écrivailleurs de Paris gâtent sans cesse -ce grand nom en le citant et prétendant l'expliquer. Rien ne m'indigne -davantage. - -Mon respect pour le Dante est ancien, il date des exemplaires que je -trouvai dans le rayon de la bibliothèque paternelle occupé par les -livres de ma pauvre mère et qui faisaient ma seule consolation pendant -la _tyrannie Raillane._ - -Mon horreur pour le métier de cet homme et pour ce qu'il enseignait par -métier arriva à un point qui frise la manie. - -Croirait-on que, hier encore, 4 décembre 1835, venant de R[ome] à -C[ivit]à-V[ecchia], j'ai eu l'occasion de rendre, sans me gêner, un -fort grand service à une jeune femme que je ne soupçonne pas fort -cruelle. En route, elle a découvert mon nom malgré moi, elle était -porteur d'une lettre de recommandation pour mon secrétaire. Elle a des -yeux fort beaux et ces yeux m'ont regardé sans cruauté pendant les huit -dernières lieues du voyage. Elle m'a prié de lui chercher un logement -peu cher; enfin il ne tenait probablement qu'à moi d'en être bien -traité; mais, comme j'écris ceci depuis huit jours, le fatal souvenir -de M. l'abbé Raillane était réveillé. Le nez aquilin, mais un peu -trop petit, de celte jolie Lyonnaise, Mme ...[4], m'a rappelé celui -de l'abbé, dès lors il m'a été impossible même de la regarder, et j'ai -fait semblant de dormir en voiture. Même, après l'avoir fait embarquer -par grâce et moyennant huit écus au lieu de vingt-cinq, j'hésitais à -aller voir le nouveau lazaret pour n'être pas obligé de la voir et de -recevoir ses remerciements. - -Comme il n'y a aucune consolation, rien que de laid et de sale, dans -les souvenirs de l'abbé Raillane, depuis vingt ans au moins je détourne -les yeux avec horreur du souvenir de cette terrible époque. Cet homme -aurait dû faire de moi un coquin, c'était, je le vois maintenant, un -parfait jésuite[5], il me prenait à part dans nos promenades le long -de l'Isère, de la porte de la Graille[6] à l'embouchure du Drac, ou -simplement à un petit bois au-delà du travers de l'île A[7] pour -m'expliquer que j'étais imprudent en paroles: «Mais, Monsieur, lui -disais-je en d'autres termes, c'est vrai, c'est ce que je sens. - ---N'importe, mon petit ami, il ne faut pas le dire, cela ne convient -pas.» Si ces maximes eussent pris, je serais riche aujourd'hui, car -trois ou quatre fois la fortune a frappé à ma porte. (J'ai refusé en -mai 1814 la direction générale des subsistances (blé) de Paris, sous -les ordres de M. le comte Beugnot, dont la femme avait pour moi la plus -vive amitié; après son amant, M. Pépin de Bellile, mon ami intime, -j'étais peut-être ce qu'elle aimait le mieux.) Je serais donc riche, -mais je serais un coquin, je n'aurais pas les charmantes visions du -beau, qui souvent remplissent ma tête à mon âge de _fifty two._ - -Le lecteur croit peut-être que je cherche à éloigner cette coupe fatale -d'avoir à parler de l'abbé Raillane. - -Il avait un frère, tailleur au bout de la Grande-rue, près la place -Claveyson, qui était l'ignoble en personne. Une seule disgrâce manquait -à ce jésuite[8], il n'était pas sale, mais au contraire fort soigné -et fort propre. Il avait le goût des serins des Canaries, il les -faisait nicher et les tenait fort proprement, mais à côté de mon lit. -Je ne conçois pas comment mon père souillait une chose aussi peu saine. - -Mon grand-père n'était jamais remonté dans la maison[9] après la mort -de sa fille, il ne l'eût pas souffert, lui: mon père, Chérubin Beyle, -comme je l'ai dit, m'aimait comme le soutien de son nom, mais nullement -comme fils. - -La cage des serins, en fils de fer attachés à des montants en bois, -eux-mêmes attachés au mur par des happes à plâtre, pouvait avoir neuf -pieds de long, six de haut et quatre de profondeur. Dans cet espace -voltigeaient tristement, loin du soleil, une trentaine de pauvres -serins de toute couleur. Quand ils nichaient, l'abbé les nourrissait -avec des jaunes d'œuf, et de tout ce qu'il faisait cela seul -m'intéressait. Mais ces diables d'oiseaux me réveillaient au point du -jour, bientôt après j'entendais la pelle de l'abbé qui arrangeait son -feu avec un soin que j'ai reconnu plus tard appartenir aux jésuites -[10]. Mais cette volière produisait beaucoup d'odeur, et à deux pieds -de mon lit et dans une chambre humide, obscure, où le soleil ne donnait -jamais. Nous n'avions pas de fenêtre sur le jardin Lamouroux, seulement -un _jour de souffrance_ (les villes de parlement sont remplies de mots -de droit) qui donnait une brillante lumière à l'escalier L[11], -ombragé par un beau tilleul, quoique l'escalier fût au moins à quarante -pieds de terre. Ce tilleul devait être fort grand. - -L'abbé se mettait en colère calme, sombre et méchante d'un diplomate -flegmatique, quand je mangeais le pain sec de mon goûter près de ses -orangers. Ces orangers étaient une véritable manie, bien plus incommode -encore que celle des oiseaux. Ils avaient les uns trois pouces et les -autres un pied de haut, ils étaient placés sur la fenêtre O, à laquelle -le soleil atteignait un peu pendant deux mois d'été. Le fatal abbé -prétendait que les miettes qui tombaient de notre pain bis attiraient -les mouches, lesquelles mangeaient ses orangers. Cet abbé aurait donné -des leçons de petitesse aux bourgeois les plus bourgeois, les plus -_patets_ de la ville. (Patet, prononcez: _Patais_, extrême attention -donnée aux plus petits intérêts.) - -Mes compagnons, MM. Chazel et Reytiers[12], étaient bien moins -malheureux que moi. Chazel était un bon garçon déjà grand, dont le -père, méridional je crois, Ce qui veut dire homme franc, brusque, -grossier, et commis-commissionnaire de MM. Périer, ne tenait pas -beaucoup au latin. Il venait _seul_ (sans domestique) vers les dix -heures, faisait mal son _devoir_ latin et filait à midi et demi, -souvent il ne venait pas le soir. - -Reytiers, extrêmement joli garçon, blond et timide comme une -demoiselle, n'osait pas regarder en face le terrible abbé Raillane. -Il était fils unique d'un père le plus timide des hommes et le plus -religieux. Il arrivait dès huit heures, sous la garde sévère d'un -domestique qui venait le reprendre comme midi sonnait à Saint-André -(église à la mode de la ville, dont nous entendions fort bien les -cloches). Dès deux heures, le domestique ramenait Reytiers avec son -goûter dans un panier. En été, vers cinq heures M. Raillane nous menait -promener, en hiver rarement, et alors c'était vers les trois heures. -Chazel, qui était un _grand_, s'ennuyait de la promenade et nous -quittait bien vite. - -Nous ambitionnions beaucoup aller du côté de l'île de l'Isère: d'abord -la montagne, vue de là, a un aspect délicieux, et l'un des défauts -littéraires de mon père et de M. Raillane était d'exagérer sans cesse -les beautés de la nature (que ces belles âmes devaient bien peu sentir; -ils ne pensaient qu'à gagner de l'argent). A force de nous parler -de la beauté du rocher de la Buisserate[13], M. l'abbé Raillane -nous avait fait lever la tête. Mais c'était un bien autre objet qui -nous faisait aimer le rivage près l'île. Là nous voyions, nous autres -pauvres prisonniers, des jeunes gens qui _jouissaient de la liberté_, -allaient et venaient _seuls_ et après se baignaient dans l'Isère et un -ruisseau affluent nommé la Biole[14]. Excès de bonheur dont nous -n'apercevions pas même la possibilité dans le lointain le plus éloigné. - -M. Raillane, comme un vrai journal ministériel de nos jours, ne savait -nous parler que des dangers de la liberté. Il ne voyait jamais un -enfant se baignant sans nous prédire qu'il finirait par se noyer, -nous rendant ainsi le service de faire de nous des lâches, et il a -parfaitement réussi à mon égard. Jamais je n'ai pu apprendre à nager. -Quand je fus libre, deux ans après, vers 1795, je pense, et encore en -trompant mes parents et faisant chaque jour un nouveau mensonge, je -songeais déjà à quitter Grenoble, à quelque prix que ce fût, j'étais -amoureux de Mlle Kably, et la nage n'était plus un objet -assez intéressant pour moi pour l'apprendre. Toutes les fois que je me -mettais à l'eau, Roland (Alphonse) ou quelque autre _fort_ me faisait -boire. - - * * * * * - -Je n'ai point de dates pendant l'affreuse tyrannie Raillane; je -devins sombre et haïssant tout le monde. Mon grand malheur était -de ne pouvoir jouer avec d'autres enfants; mon père, probablement -très fier d'avoir un précepteur pour son fils, ne craignait rien à -l'égal de me voir _aller avec des enfants du commun_, telle était la -locution des aristocrates de ce temps-là. Une seule chose pourrait -me fournir une date: Mlle Marine Périer[15] (sœur du -ministre Casimir Périer) vint voir M. Raillane, qui peut-être était -son confesseur, peu de temps avant son mariage avec ce fou de Camille -Teisseire, patriote enragé qui plus tard a brûlé ses exemplaires de -Voltaire et de Rousseau, qui, en 1811, lui étant sous-préfet par la -grâce de M. Crétet, son cousin, fut si stupéfait de la faveur dont -il me vit jouir dans le salon[16] de madame la comtesse Daru (au -rez-de-chaussée sur le jardin de l'hôtel de Biron, je crois, hôtel de -la Liste civile, dernière maison à gauche de la rue Saint-Dominique, -au coin du boulevard des Invalides). Je vois encore sa mine envieuse -et la gaucherie de sa politesse à mon égard. Camille Teisseire s'était -enrichi, ou plutôt son père s'était enrichi en fabriquant du _ratafia -de cerises_, ce dont il avait une grande honte. - -En faisant rechercher dans les actes de l'état-civil de Grenoble -(que Louis XVIII appelait Grelibre) l'acte de mariage de M. Camille -Teisseire (rue des Vieux-Jésuites ou place Grenette, car sa vaste -maison avait deux entrées) avec Mlle Marine Périer, j'aurais -la date de la tyrannie Raillane. - -J'étais sombre, sournois, mécontent, je traduisais Virgile, l'abbé -m'exagérait les beautés de ce poète et j'accueillais ses louanges -comme les pauvres Polonais d'aujourd'hui doivent accueillir les -louanges de la bonhomie russe dans leurs gazettes vendues; je haïssais -l'abbé, je haïssais mon père, source des pouvoirs de l'abbé, je -haïssais encore plus la religion[17] au nom de laquelle il me -tyrannisait. Je prouvais à mon compagnon de chaîne, le timide Reytiers, -que toutes les choses qu'on nous apprenait étaient des contes. Où -avais-je pris ces idées? Je l'ignore. Nous avions une grande bible à -estampes reliée en vert, avec des estampes gravées sur bois et insérées -dans le texte, rien n'est mieux pour les enfants. Je me souviens que je -cherchais sans cesse des ridicules à cette pauvre bible. Reytiers, plus -timide, plus croyant, adoré par son père et par sa mère, qui mettait -un pied de rouge et avait été une beauté, admettait mes doutes par -complaisance pour moi. - -Nous traduisions donc Virgile à grand'peine, lorsque je découvris dans -la bibliothèque de mon père une traduction de Virgile en quatre volumes -in-8° fort bien reliés, par ce coquin d'abbé Desfontaines, je crois. Je -trouvai le volume correspondant aux Géorgiques et au second livre que -nous écorchions (réellement nous ne savions pas du tout le latin). Je -cachai ce bienheureux volume aux lieux d'aisance, dans une armoire où -l'on déposait les plumes des chapons consommés à la maison; et là, deux -ou trois fois pendant notre pénible _version_, nous allions consulter -celle de Desfontaines. Il me semble que l'abbé s'en aperçut par la -débonnaireté de Reytiers, ce fut une scène abominable. Je devenais de -plus en plus sombre, méchant, malheureux. J'exécrais tout le monde, et -ma tante Séraphie superlativement. - -Un an après la mort de ma mère, vers 1791 ou 92, il me semble -aujourd'hui que mon père en devint amoureux, de là d'interminables -promenades aux _Granges_[18], où l'on méprenait en tiers en prenant -la précaution de me faire marcher à quarante pas en avant dès que -nous avions passé la porte de Bonne. Cette tante Séraphie m'avait -pris en grippe, je ne sais pourquoi, et me faisait sans cesse gronder -par mon père. Je les exécrais et il devait y paraître puisque, même -aujourd'hui, quand j'ai de l'éloignement pour quelqu'un, les personnes -présentes s'en aperçoivent sur-le-champ. Je détestais ma sœur cadette, -Zénaïde (aujourd'hui Mme Alexandre Mallein[19]), parce -qu'elle était chérie par mon père, qui chaque soir l'endormait sur -ses genoux, et hautement protégée par Mlle Séraphie. Je -couvrais les plâtres de la maison (et particulièrement des gippes) -de caricatures[20] contre Zénaïde _rapporteuse._ Ma sœur Pauline -(aujourd'hui Mme veuve Périer-Lagrange) et moi accusions -Zénaïde de jouer auprès de nous le rôle d'espion, et je crois bien -qu'il en était quelque chose. Je dînais toujours chez mon grand-père, -mais nous avions fini de dîner comme une heure et quart sonnait à -Saint-André, et à deux heures il fallait quitter le beau soleil de la -place Grenette pour les chambres humides et froides que l'abbé Raillane -occupait sur la cour de la maison paternelle, rue des Vieux-Jésuites. -Rien n'était plus pénible pour moi; comme j'étais sombre et sournois, -je faisais des projets de m'enfuir, mais où prendre de l'argent? - -Un jour, mon grand-père dit à l'abbé Raillane: - -«Mais, monsieur, pourquoi enseigner à cet enfant le système céleste de -Ptolémée, que vous savez être faux? - ---Mais il explique tout, et d'ailleurs est approuvé par l'Eglise.» - -Mon grand-père ne put digérer cette réponse et souvent la répétait, -mais en riant; il ne s'indignait jamais contre ce qui dépendait des -autres, or mon éducation dépendait de mon père, et moins M. Gagnon -avait d'estime pour son savoir, plus il respectait ses droits de père. - -Mais cette réponse de l'abbé, souvent répétée par mon grand-père, -que j'adorais, acheva de faire de moi un impie forcené et d'ailleurs -l'être le plus sombre. Mon grand-père savait l'astronomie, quoiqu'il -ne comprit rien au calcul; nous passions les soirées d'été sur la -magnifique terrasse de son appartement, là il me montrait la grande et -la petite Ourse et me parlait poétiquement des bergers de la Chaldée et -d'Abraham. Je pris ainsi de la considération pour Abraham, et je dis -à Reytiers: Ce n'est pas un coquin comme ces autres personnages de la -Bible. - -Mon grand-père avait à lui, ou emprunté à la bibliothèque publique, -dont il avait été le promoteur, un exemplaire in-4° du voyage de -_Bruce en Nubie et Abyssinie._ Ce voyage avait des gravures, de là son -influence immense sur mon éducation. - -J'exécrais tout ce que m'enseignaient mon père et l'abbé Raillane. Or, -mon père me faisait réciter par cœur la géographie de _Lacroix_, l'abbé -avait continué; je la savais bien, par force, mais je l'exécrais. - -Bruce, descendant des rois d'Ecosse, me disait mon excellent -grand-père, me donna un goût vif pour toutes les sciences dont il -parlait. De là mon amour pour les mathématiques et enfin cette idée, -j'ose dire de génie: _Les mathématiques peuvent me faire sortir de -Grenoble._ - - -[Footnote 1: Le _chapitre VIII_ est le chapitre VI du manuscrit (fol. 99 à -121).--Écrit à Cività-Vecchia, les 5 et 6 décembre 1835.] - -[Footnote 2: ... _la magnifique allée des Marronniers, plantée ... par -Lesdiguières._--Il s'agit de la promenade de la Terrasse du -Jardin-de-Ville. Les orangers de la Ville de Grenoble proviennent en -effet de Lesdiguières. Lors de la vente de l'hôtel de Lesdiguières -aux Consuls de Grenoble pour en faire un Hôtel-de-Ville, il y eut -une longue discussion au sujet de la cession de l'orangerie et des -orangers. Ceux-ci furent définitivement compris dans le contrat de -vente du 5 août 1719 (Arch. mun. de Grenoble, DD 101).--Il importe -toutefois de noter que la terrasse et l'orangerie ne furent pas -l'œuvre de Lesdiguières lui-même. Elles datent en effet de 1675 -environ.--Les orangers sont encore aujourd'hui,--mais non plus «en -grande pompe»,--placés dans le Jardin-de-Ville et sur la place Grenette.] - -[Footnote 3: ... _était venu se cacher à Avignon à la suite ..._--Après ces -mots il y a dans le manuscrit un blanc d'une demi-ligne.] - -[Footnote 4:--_cette jolie Lyonnaise, Mme ..._--Le nom a été laissé -en blanc par Stendhal.] - -[Footnote 5: ... _un parfait jésuite ..._--Ms.: «_Tejé._»] - -[Footnote 6: ... _la porte de la Graille ..._--Cette porte se trouvait -sur l'actuel quai Créqui. Elle a été démolie en 1884, lors de -l'agrandissement de l'enceinte. (Voir notre plan de Grenoble en 1793.)] - -[Footnote 7: ... _au-delà du travers de l'île A ..._--Ici un plan -explicatif.--L'île a disparu aujourd'hui; elle s'appelait l'île Sirand.] - -[Footnote 8: _Une seule disgrâce manquait à ce jésuite ..._--Ms.: «_Tejé._»] - -[Footnote 9: _Mon grand-père n'était jamais remonté dans la maison ..._--Suit -un plan d'une partie de la «maison paternelle», rue des Vieux-Jésuites.] - -[Footnote 10: ... _que j'ai reconnu plus tard appartenir aux jésuites._--Ms.: -«_Tejés._»] - -[Footnote 11: ... _qui donnait une brillante lumière à l'escalier L -..._--Ainsi désigné par Stendhal dans son plan de la maison paternelle: -«Escalier rejoignant celui de la maison.»] - -[Footnote 12: ... _Reytiers ..._--Teisseire. (Note de Stendhal.)] - -[Footnote 13: ... _la beauté du rocher de la Buisserate ..._--La montagne du -Néron, appelée aussi, improprement, le Casque de Néron, qui se termine -au-dessus de la Buisserate (hameau de Saint-Martin-le-Vinoux) par un -rocher à pic de 300 mètres environ.] - -[Footnote 14: ... un _ruisseau affluent nommé la Biole._--Mot patois -signifiant petit ruisseau. Il s'agit sans doute d'un petit cours d'eau, -dénommé aujourd'hui canal de la Scierie, et qui du temps de Stendhal -servait au colmatage des terrains voisins.] - -[Footnote 15: _ Mlle Marine Périer ..._--Adélaïde-Hélène, dite -Marine Périer, a épousé Camille-Hyacinthe Teisseire le 13 thermidor an -II (31 juillet 1794).] - -[Footnote 16: ... _la faveur dont il me vit jouir dans le salon ..._ ---Variante: «_Où il me vit établi dans ..._»] - -[Footnote 17: ... _je haïssais encore plus la religion ..._--Ms.: «_Gion._»] - -[Footnote 18: ... _d'interminables promenades aux_ Granges ...--Ce quartier -suburbain, alors peuplé en grande partie de peigneurs de chanvre, est -aujourd'hui à l'intérieur de la ville. Il est situé aux alentours de -l'église Saint-Joseph. (Voir notre plan de Grenoble en 1793.)] - -[Footnote 19: ... _Mme Alexandre Mallein -..._--Marie-Zénaïde-Caroline Beyle, née le 10 octobre 1788, épousa le -30 mai 1815 Alexandre-Charles Mallein, contrôleur des Contributions -directes.] - -[Footnote 20: _Je couvrais les plâtres de la maison de caricatures ..._--Je -me rappelle d'une fort plaisante. Zénaïde était représentée -dévidant du fil placé sur un tour; elle y était dessinée en pied, -assez grotesquement, avec cette devise au bas: «_Zénaïde, jalousie -rapportante, Caroline Beyle._» (Note au crayon de R. Colomb.)] - - - - -CHAPITRE IX[1] - - -Malgré toute sa finesse dauphinoise, mon père, Chérubin Beyle, était -un homme passionné. A sa passion pour Bourdaloue et Massillon avait -succédé la passion de l'agriculture, qui, dans la suite, fut renversée -par l'amour de la truelle (ou de la bâtisse), qu'il avait toujours -eu, et enfin par l'ultracisme et la passion d'administrer la Ville de -Grenoble au profit des Bourbons[2]. Mon père rêvait nuit et jour -à ce qui était l'objet de sa passion, il avait beaucoup de finesse, -une grande expérience des finasseries des autres Dauphinois, et je -concilierais assez volontiers de tout cela qu'il avait du talent. Mais -je n'ai pas plus d'idée de cela que de sa physionomie. - -Mon père se mit à aller deux fois la semaine à Claix; c'est un domaine -(terme du pays qui veut dire une petite terre) de cent cinquante -arpents, je crois, situé au midi de la ville, sur le penchant de -la montagne, au-delà du Drac[3]. Tout le terrain de Claix et de -Furonières est sec, calcaire, rempli de pierres. Un curé libertin -inventa, vers 1750, de cultiver le _marais_ au couchant du pont de -Claix; ce marais a fait la fortune du pays. - - * * * * * - -La maison de mon père était à deux lieues de Grenoble, j'ai fait -ce trajet, à pied, mille fois peut-être. C'est sans doute à cet -exercice que mon père a dû une santé parfaite qui l'a conduit jusqu'à -soixante-douze ans, je pense. Un bourgeois, à Grenoble, n'est considéré -qu'autant qu'il a un domaine. Lefèvre, le perruquier de mon père, avait -un domaine à Corenc et manquait souvent sa pratique _parce qu'il était -allé_ à Corenc, excuse toujours bien reçue. Quelquefois nous abrégions -en passant le Drac au bac de Seyssins, au point A. - -Mon père était si rempli de sa passion nouvelle qu'il m'en parlait sans -cesse. _Il fit venir_ (terme du pays, apparemment), il fit venir de -Paris, ou de Lyon, la Bibliothèque agronomique ou économique, laquelle -avait des estampes; je feuilletais beaucoup ce livre, ce qui me valut -d'aller souvent à Claix (c'est-à-dire à notre maison de Furonières) -les jeudis, jours de congé. Je promenais avec mon père dans les champs -et j'écoutais de mauvaise grâce l'exposé de ses projets, toutefois -le plaisir d'avoir quelqu'un pour écouter ces romans qu'il appelait -des calculs fit que plusieurs fois je ne revenais à la ville que le -vendredi; quelquefois nous partions dès le mercredi soir. - -Claix me déplaisait parce que j'y étais toujours assiégé de projets -d'agriculture; mais bientôt je découvris[4] une grande compensation. -Je trouvai moyen de voler des volumes de Voltaire[5] dans l'édition -des quarante volumes _encadrés_ que mon père avait à Claix (son -domaine) et qui était parfaitement reliée, en veau imitant le marbre. -Il y avait quarante volumes, je pense, fort serrés, j'en prenais deux -et écartais un peu tous les autres, il n'y paraissait pas. D'ailleurs, -ce livre dangereux avait été placé au rayon le plus élevé de la -bibliothèque, en bois de cerisier et glaces, laquelle était souvent -fermée à clef. - -Par la grâce de Dieu, même à cet âge les gravures me semblaient -ridicules, et quelles gravures! Celles de la _Pucelle._ - -Ce miracle me faisait presque croire que Dieu m'avait destiné à avoir -bon goût et à écrire un jour l'_Histoire de la Peinture en Italie._ - -Vous passions toujours les féries[6] à Claix, c'est-à-dire les mois -de septembre et d'août. Mes maîtres se plaignaient que j'oubliais tout -mon latin pendant ce temps de plaisir. Rien ne m'était si odieux[7] -que quand mon père appelait nos courses à Claix _nos plaisirs._ -J'étais comme un galérien que l'on forcerait à appeler _ses plaisirs_ -un système de chaînes un peu moins pesantes que les autres. - -J'étais outré et, je pense, fort méchant et fort injuste envers mon -père et l'abbé Raillane. J'avoue, mais c'est avec un grand effort de -raison, même en 1835, que je ne puis juger ces deux hommes. Ils ont -empoisonné mon enfance dans toute l'énergie du mot empoisonnement. Ils -avaient des visages sévères et m'ont constamment empêché d'échanger -un mot avec un enfant de mon âge. Ce n'est qu'à l'époque des Écoles -centrales (admirable ouvrage de M. de Tracy) que j'ai débuté dans -la société des enfants de mon âge, mais non pas avec la gaieté et -l'insouciance de l'enfance; j'y suis arrivé sournois, méchant, rempli -d'idées de vengeance pour le moindre coup de poing, qui me faisait -l'effet d'un soufflet entre hommes, en un mot tout, excepté traître. - -Le grand mal de la tyrannie Raillane, c'est que je sentais mes maux. -Je voyais sans cesse passer sur la Grenette des enfants de mon âge -qui allaient _ensemble_ se promener et courir, or c'est ce qu'on ne -m'a pas permis une seule fois. Quand je laissais entrevoir le chagrin -qui me dévorait, on me disait: «Tu monteras en voiture», et madame -Périer-Lagrange (mère de mon beau-frère), figure des plus tristes, me -prenait dans sa voiture quand elle allait faire une promenade de santé; -elle me grondait au moins autant que l'abbé Raillane, elle était -sèche et dévote et avait, comme l'abbé, une de ces figures inflexibles -qui ne rient jamais. Quel équivalent pour une promenade avec de -petits polissons de mon âge! Qui le croirait, je n'ai jamais joué aux -_gobilles_ (billes) et je n'ai eu de toupie qu'à l'intercession de mon -grand-père, auquel, pour ce sujet, sa fille Séraphie fit _une scène._ - -J'étais donc fort sournois, fort méchant, lorsque dans la belle -bibliothèque de Claix je fis la découverte d'un Don Quichotte français. -Ce livre avait des estampes, mais il avait l'air vieux, et j'abhorrais -tout ce qui était vieux, car mes parents m'empêchaient de voir les -jeunes et ils me semblaient extrêmement vieux. Mais enfin, je sus -comprendre les estampes, qui me semblaient plaisantes: Sancho Pança -monté sur son bon biquet est soutenu par quatre piquets, Ginès de -Panamone a enlevé l'âne[8]. - -Don Quichotte me fit mourir de rire. Qu'on daigne réfléchir que depuis -la mort de ma pauvre mère je n'avais pas ri, j'étais victime de -l'éducation aristocratique et religieuse la plus suivie. Mes tyrans -ne s'étaient pas démentis un moment. On refusait toute invitation. Je -surprenais souvent des discussions dans lesquelles mon grand-père était -d'avis qu'on me permît d'accepter. Ma tante Séraphie faisait opposition -en termes injurieux pour moi, mon père, qui lui était soumis, faisait à -mon grand-père des réponses jésuitiques, que je savais bien n'engager -à rien. Ma tante Elisabeth haussait les épaules. Quand un projet de -promenade avait résisté à une telle discussion, mon père faisait -intervenir l'abbé Raillane pour un devoir dont je ne m'étais pas -acquitté la veille et qu'il fallait faire précisément au moment de la -promenade. - - * * * * * - -Qu'on juge de l'effet de Don Quichotte au milieu d'une si horrible -tristesse! La découverte de ce livre, lu sous le second tilleul de -l'allée du côté du parterre, dont le terrain s'enfonçait d'un pied, et -là je m'asseyais, est peut-être la plus grande époque de ma vie. - -Qui le croira? Mon père, me voyant pouffer de rire, venait me -gronder, me menaçait de me retirer le livre, ce qu'il fit plusieurs -fois, et m'emmenait dans ses champs pour m'expliquer ses projets de -_réparations_ (bonifications, amendements). - -Troublé, même dans la lecture de Don Quichotte, je me cachai dans les -charmilles, petite salle de verdure à l'extrémité orientale du clos -(petit parc), enceinte de murs[9]. - -Je trouvai un Molière avec estampes, les estampes me semblaient -ridicules et je ne compris que l'_Avare._ Je trouvai les comédies de -Destouches, et l une des plus ridicules m'attendrit jusqu'aux larmes. -Il y avait une histoire d'amour mêlé de générosité, c'était là mon -faible. C'est en vain que je cherche dans ma mémoire le titre de -cette comédie, inconnue même parmi les comédies inconnues de ce plat -diplomate. _Le Tambour nocturne_, où se trouve une idée copiée de -l'anglais, m'amusa beaucoup. - -Je trouve comme fait établi dans ma tête que, dès l'âge de sept ans, -j'avais résolu de faire des comédies, comme Molière. Il n'y a pas dix -ans que je me souvenais encore du _comment_ de cette résolution. - -Mon grand-père fut charmé de mon enthousiasme pour Don Quichotte que je -lui racontai, car je lui disais tout à peu près, cet excellent homme de -65 ans était, dans le fait, mon seul camarade. - -Il me prêta, mais à l'insu de sa fille Séraphie, le _Roland furieux_, -traduit ou plutôt, je crois, imité de l'Arioste par M. de Tressan (dont -le fils, aujourd'hui maréchal de camp, et en 1820, ultra assez plat, -mais, en 1788, jeune homme charmant, avait tant contribué à me faire -apprendre à lire en me promettant un petit livre plein d'images qu'il -ne m'a jamais donné, manque de parole qui me choqua beaucoup). - -L'Arioste forma mon caractère, je devins amoureux fou de Bradamante, -que je me figurais une grosse fille de vingt-quatre ans avec des appas -de la plus éclatante blancheur. - -J'avais en horreur tous les détails bourgeois et bas qui ont servi à -Molière pour faire connaître sa pensée. Ces détails me rappelaient trop -ma malheureuse vie. Il n'y a pas trois jours (décembre 1835) que deux -bourgeois de ma connaissance, allant donner entre eux une scène comique -de petite dissimulation et de demi-dispute, j'ai fait dix pas pour ne -pas entendre. J'ai horreur de ces choses-là, ce qui m'a empêché de -prendre de l'expérience. Ce n'est pas _un petit malheur._ - -Tout ce qui est bas et plat dans le genre bourgeois me rappelle -Grenoble, tout ce qui me rappelle Grenoble me fait horreur: non, -_horreur_ est trop noble, mal au cœur. - -Grenoble est pour moi comme le souvenir d'une abominable indigestion; -il n'y a pas de danger, mais un effroyable dégoût. Tout ce qui est bas -et plat sans compensation, tout ce qui est ennemi du moindre mouvement -généreux, tout ce qui se réjouit du malheur de qui aime la patrie ou -est généreux, voilà Grenoble pour moi. - -Rien ne m'a étonné dans mes voyages comme d'entendre dire par des -officiers de ma connaissance que Grenoble était une ville charmante, -pétillante d'esprit et où _les jolies femmes ne s'oubliaient pas._ -La première fois que j'entendis ce propos, ce fut à table, chez le -général Moncey (aujourd'hui maréchal, duc de Conegliano), en 1802, -à Milan ou à Crémone; je fus si étonné que je demandai des détails -d'un côté de la table à l'autre: alors sous-lieutenant _riche_, 150 -francs par mois, je ne doutais de rien. Mon exécration pour l'état de -mal au cœur et d'indigestion continue, auquel je venais seulement -d'échapper, était au comble. L'officier d'état-major soutint fort -bien son dire, il avait passé quinze ou dix-huit mois à Grenoble, il -soutenait que c'était la ville la plus agréable de la province, il -me cita mesdames Menand-Dulauron, Piat-Desvials, Tournus, Duchamps -de Montmort, les demoiselles Rivière (filles de l'aubergiste, rue -Montorge), les demoiselles Bailly, marchandes de modes, amies de mon -oncle, messieurs Drevon, Drevon l'aîné et Drevon la Pareille, M. Dolle -de la Porte-de-France[10], et, pour la société aristocrate (mot de -1800, remplacé par _ultra_, puis par légitimiste), M. le chevalier de -Marcieu, M. de Bailly. - -Hélas! à peine avais-je entendu prononcer ces noms aimables! Mes -parents ne les rappelaient que pour déplorer leur folie, car ils -blâmaient tout, ils avaient la _jaunisse_, il faut le répéter pour -expliquer mon malheur d'une façon raisonnable. A la mort de ma mère, -mes parents désespérés avaient rompu toute relation avec le monde; ma -mère était l'âme et la gaieté de la famille, mon père, sombre, timide, -rancunier, peu aimable, avait le caractère de Genève (on y calcule et -jamais on n'y rit) et n'avait, ce me semble, jamais eu de relations -qu'à cause de ma mère. Mon grand-père, homme aimable, homme du monde, -l'homme de la ville dont la conversation était le plus recherchée par -tous, depuis l'artisan jusqu'au grand seigneur, depuis Mme -Barthélemy, cordonnière, femme d'esprit, jusqu'à M. le baron des -Adrets, chez qui il continua à dîner une fois par mois, percé jusqu'au -fond du cœur par la mort du seul être qu'il aimât et se voyant arrivé à -soixante ans, avait rompu avec le monde par dégoût de la vie. Ma seule -tante Elisabeth, indépendante et même riche (de la richesse de Grenoble -en 1789), avait conservé des maisons où elle allait faire sa partie -le soir (l'avant-souper, de 7 heures à 9). Elle sortait ainsi deux ou -trois fois la semaine et quelquefois, quoique remplie de respect pour -les droits paternels, par pitié pour moi, quand mon père était à Claix, -elle prétendait avoir besoin de moi et m'emmenait, comme son chevalier, -chez M_lle_ Simon, dans la maison neuve des Jacobins, laquelle mettait -un pied de rouge. Ma bonne tante me fit même assister à un grand -souper donné par M_lle_ Simon. Je me souviens encore de l'éclat des -lumières et de la magnificence du service; il y eut au milieu de la -table un surtout avec des statues d'argent. Le lendemain, ma tante -Séraphie me dénonça à mon père et il y eut une scène. Ces disputes, -fort polies dans la forme mais où l'on se disait de ces mots piquants -qu'on n'oublie pas, faisaient le seul amusement de cette famille morose -où mon mauvais sort m'avait jeté. Combien j'enviais le neveu de madame -Barthélemy, notre cordonnière! - -Je souffrais, mais je ne voyais point les causes de tout cela, -j'attribuais tout à la méchanceté de mon père et de Séraphie. Il -fallait, pour être juste, voir des bourgeois bouffis d'orgueil et -qui veulent donner à leur _unique fils_, comme ils m'appelaient, -une éducation aristocratique. Ces idées étaient bien au-dessus de -mon âge, et d'ailleurs qui me les aurait données? Je n'avais pour -amis que Marion, la cuisinière, et Lambert, le valet de chambre de -mon grand-père, et sans cesse, m'entendant rire à la cuisine avec -eux, Séraphie me rappelait. Dans leur humeur noire, j'étais leur -unique occupation, ils décoraient cette vexation du nom d'éducation -et probablement étaient de bonne foi. Par ce contact continuel, mon -grand-père me communiqua sa vénération pour les lettres. Horace et -Hippocrate étaient bien d'autres hommes, à mes yeux, que Romulus, -Alexandre et Numa. M. de Voltaire était bien un autre homme que cet -imbécile de Louis XVI, dont il se moquait, ou ce roué de Louis XV, dont -il réprouvait les mœurs sales; il nommait avec dégoût _la_ du Barry, -et l'absence du mot _madame_, au milieu de nos habitudes polies, me -frappa beaucoup, j'avais horreur de ces êtres. On disait toujours: M. -de Voltaire, et mon grand-père ne prononçait ce nom qu'avec un sourire -mélangé de respect et d'affection. - -Bientôt arriva la politique. Ma famille était des plus aristocrates de -la ville, ce qui fit que sur-le-champ je me sentis républicain enragé. -Je voyais passer les beaux régiments de dragons allant en Italie, -toujours quelqu'un était logé à la maison, je les dévorais des yeux; -or, mes parents les exécraient. Bientôt, les prêtres se cachèrent, il -y eut toujours à la maison un prêtre ou deux de caché. La gloutonnerie -d'un des premiers qui vinrent, un gros homme avec des yeux hors de la -tête lorsqu'il mangeait du petit salé, me frappa[11] de dégoût. -(Nous avions d'excellent _petit salé_ que j'allais chercher à la cave -avec le domestique Lambert, il était conservé dans une pierre creusée -en bassin.) On mangeait, à la maison, avec une rare propreté et des -soins recherchés. On me recommandait, par exemple, de ne faire aucun -bruit avec la bouche. La plupart de ces prêtres, gens du commun, -produisaient ce bruit de la langue contre le palais, ils rompaient le -pain d'une manière sale, il n'en fallait pas tant pour que ces gens-là, -dont la place était à ma gauche, me fissent horreur[12]. - -On guillotina un de nos cousins à Lyon (M. Senterre), et le sombre de -la famille et son état de haine et de mécontentement de toutes choses -redoubla. - -Autrefois, quand j'entendais parler des joies naïves de l'enfance, -des étourderies de cet âge, du bonheur de la première jeunesse, le -seul véritable de la vie, mon cœur se serrait. Je n'ai rien connu de -tout cela; et bien plus, cet âge a été pour moi une époque continue de -malheur, et de haine, et de désirs de vengeance toujours impuissants. -Tout mon malheur peut se résumer en deux mots: jamais on ne m'a permis -de parler à un enfant de mon âge. Et mes parents, s'ennuyant beaucoup -par suite de leur séparation de toute société, m'honoraient d'une -attention continue. Pour ces deux causes, à cette époque de la vie, si -gaie pour les autres enfants, j'étais méchant, sombre, déraisonnable, -_esclave_ en un mot, dans le pire sens du mot, et peu à peu je pris les -sentiments de cet état. Le peu de bonheur que je pouvais arracher était -préservé par le mensonge. Sous un autre rapport, j'étais absolument -comme les peuples actuels de l'Europe, mes tyrans me parlaient toujours -avec les douces paroles de la plus tendre sollicitude, et leur plus -ferme alliée ôtait la religion[13]. J'avais à subir des homélies -continuelles sur l'amour paternel et les devoirs des enfants. Un jour, -ennuyé des paroles de mon père, je lui dis: «Si tu m'aimes tant, -donne-moi cinq sous par jour et laisse-moi vivre comme je voudrai. -D'ailleurs, sois bien sûr d'une chose, c'est que dès que j'aurai l'âge -je m'engagerai.» - -Mon père marcha sur moi comme pour m'anéantir, il était hors de lui. « -_Tu n'es qu'un vilain impie_», me dit-il. Ne dirait-on pas l'empereur -Nicolas et la municipalité de Varsovie, dont on parle tant le jour où -j'écris (7 décembre 1835, Cività-Vecchia), tant il est vrai que toutes -les tyrannies se ressemblent. - -Par un grand hasard, il me semble que je ne suis pas resté méchant, -mais seulement dégoûté pour le reste de ma vie des bourgeois, des -jésuites[14] et des hypocrites de toutes les espèces. Je fus -peut-être guéri de la méchanceté par mes succès de 1797, 98 et 99 et -la conscience de mes forces. Outre mes autres belles qualités, j'avais -un orgueil insupportable[15]. - -A vrai dire, en y pensant bien, je ne me suis pas guéri de mon horreur -peu raisonnable pour Grenoble; dans le vrai sens du mot, je l'ai -_oubliée._ Les magnifiques souvenirs de l'Italie, de Milan, ont tout -effacé. - -Il ne m'est resté qu'un notable manque dans ma connaissance des hommes -et des choses. Tous les détails qui forment la vie de Chrysale dans -l'_École des Femmes_: - - - Et hors un gros Plutarque à mettre mes rabats[16], - - -me font horreur... Si l'on veut me permettre une image _aussi -dégoûtante que ma sensation_, c'est comme l'odeur des huîtres pour un -homme qui a eu une effroyable indigestion d'huîtres. - -Tous les faits qui forment la vie de Chrysale sont remplacés chez moi -par du romanesque. Je crois que celle tache dans mon télescope a été -utile pour mes personnages de roman, il y a une sorte de bassesse -bourgeoise qu'ils ne peuvent avoir, et pour l'auteur ce serait -parler le _chinois_, qu'il ne sait pas. Ce mot: bassesse bourgeoise, -n'exprime qu'une nuance, cela sera peut-être bien obscur en 1880. -Grâce aux journaux, le bourgeois provincial devient rare, il n'y a -plus de _mœurs d'état_: un jeune homme élégant de Paris, avec lequel -je me rencontrais en compagnie fort gaie, était fort bien mis, sans -affectation, et dépensait 8 ou 10.000 francs. In jour je demandai: - -«Que fait-il? - ---C'est un avoué (procureur) fort occupé», me dit-on. - -Je citerai donc, comme exemple de la bassesse bourgeoise, le style de -mon excellent ami M. Fauriel (de l'Institut), dans son excellente _Vie -de Dante_, imprimée en 1834 dans la _Revue de Paris._ Mais, hélas! -où seront ces choses en 1880? Quelque homme d'esprit écrivant bien -se sera emparé des profondes recherches de l'excellent Fauriel, et -les travaux de ce bon bourgeois si consciencieux seront complètement -oubliés. Il a été le plus bel homme de Paris. Madame Condorcet (Sophie -Grouchy), grande connaisseuse, se l'adjugea, le bourgeois Fauriel eut -la niaiserie de l'aimer, et en mourant, vers 1820, je crois, elle lui a -laissé 1.200 francs de rente, comme à un laquais. Il a été profondément -humilié. Je lui dis, quand il me donna dix pages pour l'_Amour_, -aventures arabes: «Quand on a affaire à une princesse ou à une femme -trop riche, il faut la battre, ou l'amour s'éteint.» Ce propos lui fit -horreur, et il le dit sans doute à la petite mademoiselle Clarke, qui -est faite comme un point d'interrogation, comme Pope. Ce qui fit que, -peu après, elle me fit faire une réprimande par un nigaud de ses amis -(M. Augustin Thierry, membre de l'Institut), et je la plantai là. Il -y avait une jolie femme dans cette société, madame Belloc, mais elle -faisait l'amour avec un autre point d'interrogation, noir et crochu, -mademoiselle de M....; et, en vérité, j'approuve ces pauvres femmes. - - -[Footnote 1: Le _chapitre IX_ est le chapitre VII du manuscrit (fol. 122 à -144).--Écrit à Cività-Vecchia, les 6 et 7 décembre 1835.] - -[Footnote 2: ... _la passion d'administrer la Ville de Grenoble au profit des -Bourbons ..._--Chérubin Beyle, le père de Stendhal, nommé adjoint au -maire de Grenoble le 29 septembre 1803, était encore en fonctions lors -de l'avènement de Louis XVIII. Il fut remplacé en 1816 par le marquis -de Pina, qui devint la même année maire de la ville.] - -[Footnote 3: ... _sur le penchant de la montagne, au-delà du Drac._--Suit un -plan des environs au midi de Grenoble. En «A, pont en fil de fer établi -vers 1826;--B, pont de Claix, fort remarquable, à plein cintre;--C, -citadelle;--G, place Grenette;--D, rocher de Comboire, à pic sur le -Drac, lequel est fort rapide, rocher et bois remplis de renards;--R, -maison de campagne qui joua le plus grand rôle dans mon enfance, que -j'ai revue en 1828, vendue à un général».--Le pont suspendu sur le -Drac, dit _pont de Sussenage_, remplaça en 1826 le _bac de Seyasins_, -dont Stendhal parle un peu plus loin.] - -[Footnote 4: ... _mais bientôt je découvris ..._--Variante; «_Trouvai._»] - -[Footnote 5: _Je trouvai moyen de voler des volumes de Voltaire ..._--En -surcharge: «Bientôt après, je volai des volumes.»] - -[Footnote 6: _Nous passions toujours les_ fériés _à Claix ..._--C'est-à-dire -vacances. Nom latin francisé.] - -[Footnote 7: _Rien ne m'était si odieux ..._--Le reste de la ligne a été -laissé en blanc et marqué d'une +.] - -[Footnote 8: ... _Ginès de Panamone a enlevé l'âne._--Suit un grossier croquis -de Sancho Pança sur son âne.] - -[Footnote 9: ... _petite salle de verdure ... enceinte de murs._--Suit un plan -de la propriété de Claix, avec la mention: «Ce clos a six journaux de -600 toises.»] - -[Footnote 10: ... _M. Dolle de la Porte-de-France ..._--Jean-Baptiste Dolle -le jeune, qui avait construit à grands frais, au-dessus du rocher -de la Porte-de-France, un beau jardin d'agrément. (Voir J. Vellein, -_L'habitation de plaisance d'un grenoblois au XVIIIe siècle. -Les Jardins Dolle._ Grenoble, 1896, br. in-8°.) Ces jardins sont -aujourd'hui la propriété de la Ville de Grenoble; ils sont loués au -Syndicat d'initiative de Grenoble, qui en a fait à nouveau une belle -promenade publique.] - -[Footnote 11: ... _me frappa ..._--Ce mot est marqué d'une croix. Il était -certainement destiné à être corrigé.] - -[Footnote 12: ... _me fissent horreur._--Ms.: «_Fît_».--Le bas du fol. -138 est occupé par deux plans: 1° «Voici le plan de la table chez -mon grand-père, où j'ai mangé de 7 ans à 16 et demi»;--2° «Voici -la salle-à-manger.» Celle-ci possède de nombreux dégagements: «D, -porte sur le petit escalier tournant»; «R, porte de la cuisine»; «E, -grand passage conduisant dans l'autre maison sur la place Grenette»; -«N, entrée de la chambre de Lambert»; «T, grande porte sur le grand -escalier», «très beau»; «K, porte de la chambre de mon grand-père.» -(Voir notre plan de l'appartement Gagnon.)] - -[Footnote 13: ... _leur plus ferme alliée était la religion._--Ms.: «_Gion._»] - -[Footnote 14: ... _des jésuites..._--Ms.: «_Tejé._»] - -[Footnote 15: ... _j'avais un orgueil insupportable._--Le fol. 141 commence de -la manière suivante: «Quand j'arrivai à l'École centrale (en l'an V, je -crois), dès l'année suivante je remportai des premiers prix, peut-être -y a-t-il mémoire de cela dans les papiers du _Département_ (depuis, -préfecture). Quand j'arrivai à l'École centrale, j'y apportai tous ces -vices abominables, dont je fus guéri à coups de poing.» Stendhal a -ajouté dans la marge: «Renvoyé à l'article: École centrale.»] - -[Footnote 16: _Et hors un gros Plutarque à mettre mes rabats._--Stendhal a -voulu dire: «_les Femmes Savantes_» (Acte II, scène VII).] - - - - -CHAPITRE X[1] - - -LE MAITRE DURAND - - -Je ne trouve aucune mémoire de la manière dont je fus délivré de la -tyrannie Raillane. Ce coquin-là aurait dû faire de moi un excellent -jésuite[2], digne de succéder à mon père, ou un soldat crapuleux, -coureur de filles et de cabarets. Le tempérament eût, comme chez -Fielding, absolument voilé l'_ignoble._ Je serais donc l'une ou l'autre -de ces deux aimables choses, sans mon excellent grand-père qui, à -son insu, me communiqua son culte pour Horace, Sophocle, Euripide et -la littérature élégante. Par bonheur, il méprisait tous les galants -écrivains ses contemporains, je ne fus point empoisonné par les -Marmontel, Dorat et autres canailles. Je ne sais pourquoi il faisait à -tous moments des protestations de respect en faveur des prêtres, qui -dans le fait lui faisaient horreur comme quelque chose de sale. Les -voyant impatronisés dans son salon par sa fille Séraphie et mon père, -son gendre, il était parfaitement poli à leur égard comme avec tout -le monde. Pour parler de quelque chose, il parlait littérature et, -par exemple, des auteurs sacrés, quoiqu'il ne les aimât guère. Mais -cet homme si poli avait toutes les peines du monde à dissimuler[3] -le profond dégoût que lui donnait leur ignorance. «Quoi, même l'abbé -Fleury, leur historien, ils l'ignorent!» Je surpris un jour ce propos, -qui redoubla ma confiance en lui. - -Je découvris bientôt après qu'il se confessait fort rarement. Il était -extrêmement poli envers la religion[4] plutôt que croyant. Il eut -été dévot s'il avait pu croire de retrouver dans le ciel sa fille -Henriette (M. le duc de Bro[glie] dit: «Il me semble que ma fille est -en Amérique»), mais il n'était que triste et silencieux. Dès qu'il -arrivait quelqu'un, par politesse il parlait et racontait des anecdotes. - -Peut-être M. Raillane fut-il obligé de se cacher pour refus de serment -à la Constitution civile du clergé. Quoi qu'il en soit, son éloignement -fut pour moi le plus grand événement possible, et je n'en ai pas de -souvenir. - -Ceci constitue un défaut de ma tête, dont je découvre plusieurs -exemples, depuis trois ans que m'est venue, sur l'esplanade de _San -Pietro in Montorio_ (Janicule), l'idée lumineuse que j'allais avoir -cinquante[5] ans et qu'il était temps de songer au départ, et -auparavant de se donner le plaisir de regarder un instant en arrière. -Je n'ai aucune mémoire des époques ou des moments où j'ai senti trop -vivement. Une de mes raisons pour me croire brave, c'est que je me -souviens avec une clarté parfaite des moindres circonstances des duels -où je me suis trouvé engagé. A l'armée, quand il pleuvait, et que je -marchais dans la boue, cette bravoure était suffisante tout juste; mais -quand je n'avais pas été mouillé durant la nuit précédente, et que mon -cheval ne glissait pas sous moi, la témérité la plus périlleuse était -pour moi, à la lettre, un vrai plaisir. Mes camarades raisonnables -devenaient sérieux et pâles, ou bien tout rouges, Mathis devenait plus -gai, et Forisse plus raisonnable. C'est comme actuellement, je ne pense -jamais à la possibilité _of wanting of a thousand francs_, ce qui me -semble pourtant l'idée dominante, la grande pensée de mes amis de mon -âge, qui ont une aisance dont je suis bien loin (par exemple, MM. -Besan[6], Kolon[7], etc.); mais je m'égare. La grande difficulté -d'écrire ces mémoires, c'est de n'avoir et de n'écrire juste que -les souvenirs relatifs à l'époque que je tiens par les cheveux; par -exemple, il s'agit maintenant des temps, évidemment moins malheureux, -que j'ai passés sous le maître Durand. - -C'était un bonhomme de quarante-cinq ans peut-être, gros et rond de -toutes les manières, qui avait un grand fils de dix-huit ans fort -aimable, que j'admirais de loin et qui plus tard fut, je pense, -amoureux de ma sœur. Il n'y avait rien de moins jésuite[8] et de -moins sournois que ce pauvre M. Durand; de plus il était poli, vêtu -avec une stricte économie, mais jamais salement. A la vérité, il ne -savait pas un mot de latin, mais ni moi non plus, et cela n'était pas -fait pour nous brouiller. - -Je savais par cœur le _Selectæ e profanis_, et surtout l'histoire -d'Androclès et de son lion, je savais de même l'Ancien Testament et -peut-être un peu de Virgile et de Cornélius Nepos. Mais si l'on m'eût -donné, écrite en latin, la permission d'un congé de huit jours, je n'y -eusse rien compris. Le malheureux latin fait par des modernes, le _De -Viris illustribus_, où l'on parlait de Romulus, que j'aimais fort, -était inintelligible pour moi. Hé bien! M. Durand était de même, il -savait par cœur les auteurs qu'il expliquait depuis vingt ans, mais mon -grand-père ayant essayé une ou deux fois de le consulter sur quelque -difficulté de son Horace non expliqué par Jean Bond (ce mot faisait mon -bonheur; au milieu de tant d'ennuis, quel plaisir de pouvoir rire de -_Jambon_!), M. Durand ne comprenait pas même ce qui faisait l'objet de -la discussion. - -Ainsi la méthode était pitoyable et, si je le voulais, j'enseignerais -le latin en dix-huit mois à un enfant d'une intelligence ordinaire. -Mais n'était-ce rien que d'être accoutumé à manger de la vache -enragée, deux heures le matin et trois heures le soir? C'est une -grande question. (Vers 1819, j'ai enseigné l'anglais en vingt-six -jours à M. Antonio Clerichetti, de Milan, qui souffrait sous un père -avare. Le trentième jour, il _vendit_ à un libraire sa traduction des -interrogatoires de la princesse de Galles (Caroline de Brunswick), -insigne catin que son mari, roi et prodiguant les millions, n'a pas pu -convaincre de l'avoir fait ce que sont 95 maris sur 100.) - -Donc, je n'ai aucune souvenance de l'événement qui me sépara de M. -Raillane. - -Après la douleur de tous les moments, fruit de la tyrannie de ce -jésuite[9] méchant, je me vois tout-à-coup établi chez mon excellent -grand-père, couché dans un petit cabinet en trapèze à côté de sa -chambre, et recevant des leçons de latin du bonhomme Durand qui venait, -ce me semble, deux fois par jour, de dix à onze heures et de deux à -trois. Mes parents tenaient toujours fermement au principe de ne pas -me laisser avoir communication _avec des enfants du commun._ Mais -les leçons de M. Durand avaient lieu en présence de mon excellent -grand-père, en hiver dans sa chambre, au point M, en été dans le -grand salon du côté de la terrasse, en M', quelquefois en M" dans une -antichambre où l'on ne passait presque jamais[10]. - -Les souvenirs de la tyrannie Raillane m'ont fait horreur jusqu'en -1814; vers cette époque je les ai oubliés, les événements de la -Restauration absorbaient mon horreur et mon dégoût. C'est ce dernier -sentiment tout seul que m'inspirent les souvenirs du maître Durand -_à la maison_, car j'ai aussi suivi son cours à l'École centrale, -mais alors j'étais heureux, du moins comparativement, je commençais à -être sensible au beau paysage formé par la vue des collines d'Eybens -et d'Echirolles et par le beau pré anglais de _la porte de Bonne_, -sur lesquels dominait la fenêtre de l'École, heureusement située au -troisième étage du collège[11]; on réparait le reste[12]. - -Il paraît qu'en hiver M. Durand venait me donner leçon de sept heures -du soir à huit. Du moins, je me vois sur une petite table éclairée -par une chandelle, M. Durand presque en rang d'oignons[13] avec -la famille, devant le feu de mon grand-père, et par un demi à droite -faisant face à la petite table où moi, H, étais placé[14]. - -C'est là que M. Durand commença à m'expliquer les Métamorphoses -d'Ovide. Je le vois encore, ainsi que la couleur jaune ou racine de -buis de la couverture du livre. Il me semble qu'à cause du sujet trop -gai il y eut une discussion entre Séraphie, qui avait le diable au -corps plus que jamais, et son père. Par amour de la belle littérature, -il tint ferme et au lieu des horreurs sombres de l'Ancien Testament -[15], j'eus les amours de Pyrame et de Thisbé, et surtout Daphné -changée en laurier. Rien ne m'amusa autant que ce conte. Pour la -première fois de ma vie, je compris qu'il pouvait être agréable de -savoir le latin, qui faisait mon supplice depuis tant d'années. - -Mais ici la chronologie de cette importante histoire demande: «Depuis -combien d'années?» - -En vérité, je n'en sais rien, j'avais commencé le latin à sept[16] -ans, en 1790. Je suppose que l'an VII de la République correspond à -1799 à cause du rébus: - - - Lancette - Laitue - Rat[17] - - -affiché au Luxembourg à propos du Directoire. - -Il me semble qu'en l'an V j'étais à l'École centrale. - -J'y étais depuis un an, car nous occupions la grande salle des -mathématiques, au premier, quand arriva l'assassinat de Roberjot -à Rastadt[18]. C'était peut-être en 1794 que j'expliquais les -Métamorphoses d'Ovide. Mon grand-père me permettait quelquefois de lire -la traduction de M. Dubois-Fontanelle, je crois, qui plus tard fut mon -professeur. - -Il me semble que la mort de Louis XVI, 21 janvier 1795, eut lieu -pendant la tyrannie Raillane. Chose plaisante et que la postérité aura -peine à croire, ma famille bourgeoise mais qui se croyait sur le bord -de la noblesse, mon père surtout qui se croyait noble ruiné, lisait -tous les journaux, suivait le procès du roi comme elle eut pu suivre -celui d'un ami intime ou d'un parent. - -Arriva la nouvelle de la condamnation; ma famille fut au désespoir -absolument. «Mais jamais ils n'oseront faire exécuter cet arrêt infâme -», disait-elle. «Pourquoi pas, pensais-je, s'il a trahi?» - -J'étais dans le cabinet de mon père, rue des Veux-Jésuites, vers -les sept heures du soir, nuit serrée, lisant à la lueur de ma lampe -et séparé de mon père par une fort grande table[19]. Je faisais -semblant de travailler, mais je lisais les _Mémoires d'un homme de -qualité_ de l'abbé Prévost, dont j'avais découvert un exemplaire tout -gâté par le temps. La maison fut ébranlée par la voiture du courrier -qui arrivait de Lyon et de Paris. - -«Il faut que j'aille voir ce que ces monstres auront fait», dit mon -père en se levant. - -«J'espère que le traître aura été exécuté», pensai-je. Puis je -réfléchis à l'extrême différence de mes sentiments et de ceux de mon -père. J'aimais tendrement nos régiments, que je voyais passer sur la -place Grenette de la fenêtre de mon grand-père, je me figurais que le -roi cherchait à les faire battre par les Autrichiens. (On voit que, -quoique à peine Agé de dix[20] ans, je n'étais pas fort loin du -vrai.) Mais j'avouerai qu'il m'eût suffi de l'intérêt que prenaient -au sort de Louis XVI M. le grand vicaire Rey et les autres prêtres, -amis de la famille, pour me faire désirer sa mort. Je regardais -alors, en vertu d'un couplet de chanson que je chantais quand je ne -craignais pas d'être entendu par mon père ou ma tante Séraphie, qu'il -était de _devoir étroit_ de mourir pour la patrie quand il le fallait. -Qu'était-ce que la vie d'un traître qui par une lettre secrète pouvait -faire égorger un de ces beaux régiments que je voyais passer sur la -place Grenette? Je jugeais la cause entre ma famille et moi, lorsque -mon père rentra. Je le vois encore, en redingote de molleton blanc -qu'il n'avait pas ôtée pour aller à deux pas de la porte. - -«C'en est fait, dit-il avec un gros soupir, ils l'ont assassiné.» - -Je fus saisi d'un des plus vifs mouvements de joie que j'aie éprouvés -en ma vie. Le lecteur pensera peut-être que je suis cruel, mais tel -j'étais à dix ans, tel je suis à cinquante-deux[21]. - -Lorsqu'en décembre 1830 l'on n'a pas puni de mort cet insolent maraud -de Peyronnet et les autres signataires des Ordonnances, j'ai dit des -bourgeois de Paris: ils prennent l'étiolement de leur âme pour de la -civilisation et de la générosité. Comment, après une telle faiblesse, -oser condamner à mort un simple assassin? - -Il me semble que ce qui se passe en 1835 a justifié ma prévision de -1830. - -Je fus si transporté de ce grand acte de justice nationale que je ne -pus pas continuer la lecture de mon roman, certainement l'un des -plus touchants qui existent. Je le cachai, je mis devant moi le livre -sérieux, probablement Rollin, que mon père me faisait lire, et je -fermai les yeux pour pouvoir goûter en paix ce grand événement. C'est -exactement ce que je ferais encore aujourd'hui, en ajoutant qu'à moins -d'un devoir impérieux rien ne pourrait me déterminer à voir le traître -que l'intérêt de la patrie envoie au supplice. Je pourrais remplir dix -pages des détails de cette soirée, mais si les lecteurs de 1880 sont -aussi étiolés que la bonne compagnie de 1835, la scène comme le héros -leur inspireront un sentiment d'éloignement profond et allant presque -jusqu'à ce que les âmes de papier mâché appellent de l'horreur. Quant -à moi, j'aurais beaucoup plus de pitié d'un assassin condamné à mort -sans preuves tout-à-fait suffisantes que d'un _King_ qui se trouverait -dans le même cas. La _death of a King_ coupable est toujours utile _in -terrorem_ pour empêcher les étranges abus dans lesquels la _dernière -folie_ produite par le pouvoir absolu jette ces gens-là. (Voyez l'amour -de Louis XV pour les fosses récemment recouvertes dans les cimetières -de campagne qu'il apercevait de sa voiture en promenant dans les -environs de Versailles. Voyez la folie actuelle de la petite reine Dona -Maria de Portugal.) - -[Illustration: LA MAISON NATALE DR STENDHAL 14 rue J. J. Rousseau, à Grenoble - -La page que je viens d'écrire scandaliserait fort même mes amis de -1835. Je fus honni par le cœur chez Mme Bernonde, en -1829, pour avoir _wished the death of the Duke of Bordeaux_. M. -Mignet même (aujourd'hui conseiller d'Etat) eut horreur de moi, et -la maîtresse de la maison, que j'aimais (_did like_) parce qu'elle -ressemblait à Cervantès, ne me l'a jamais pardonné, elle disait que -j'étais souverainement immoral et fut scandalisée, en 1833, aux bains -d'Aix, parce que madame la comtesse C...al[22] prenait ma défense. -Je puis dire que l'approbation des êtres que je regarde comme faibles -m'est absolument indifférente. Ils me semblent fous, je vois clairement -qu'ils ne comprennent pas le problème. - -Enfin, supposons que je sois cruel, hé bien, oui, je le suis, on en -verra bien d'autres de moi si je continue à écrire. - -Je conclus de ce souvenir, si présent à mes yeux, qu'en 1793, il y a -quarante-deux ans, j'allais à la chasse du bonheur précisément comme -aujourd'hui, en d'autres termes plus communs, mon caractère était -absolument le même qu'aujourd'hui. Tous les ménagements, quand il -s'agit de la _patrie_, me semblent encore _puérils._ - -Je dirais _criminels_, sans mon mépris sans bornes pour les êtres -faibles. (Exemple: M. Félix Faure, pair de France, Premier Président, -parlant à son fils, à Saint-Ismier, été 1828, de la mort de Louis -XVI: «_Il a été mis à mort par des méchants._» C'est le même homme -qui condamne aujourd'hui, à la Chambre des Pairs, les jeunes et -respectables fous qu'on appelle les conspirateurs d'avril. Moi, je -les condamnerais à un an de séjour à _Cincinnati_ (Amérique), pendant -laquelle année je leur donnerais deux cents francs par mois.) Je n'ai -un souvenir aussi distinct que de ma première communion, que mon père -me fit faire à Claix, en présence du dévot charpentier Charbonot, de -Cossey[23], vers 1795. - -Comme, en 1793, le courrier mettait cinq grandes journées et peut-être -six, de Paris à Grenoble, la scène du cabinet de mon père est peut-être -du 28 ou 29 janvier, à sept heures du soir. A souper, ma tante Séraphie -me fit une scène sur mon âme _atroce_, etc. Je regardais mon père, il -n'ouvrait pas la bouche, apparemment de peur de se porter et de me -porter aux dernières extrémités. Quelque cruel et atroce que je sois, -du moins je ne passais pas pour lâche dans la famille. Mon père était -trop Dauphinois et trop fin pour ne pas avoir pénétré, même dans son -cabinet (à sept heures), la sensation d'un enfant de dix[24] ans. - - * * * * * - -A douze ans, un prodige de science pour mon âge, je questionnais sans -cesse mon excellent grand-père, dont le bonheur était de me répondre. -J'étais le seul être à qui il voulût parler de ma mère. Personne dans -la famille n'osait lui parler de cet être chéri. A douze ans donc, -j'étais un prodige de science et, à vingt, un prodige d'ignorance. - -De 1796 à 1799, je n'ai fait attention qu'à ce qui pouvait me donner -les moyens de quitter Grenoble, c'est-à-dire aux mathématiques. Je -calculais avec anxiété les moyens de pouvoir consacrer au travail une -demi-heure de plus par jour. De plus j'aimais, et j'aime encore, les -mathématiques pour elles-mêmes, comme n'admettant pas l'_hypocrisie_ et -le _vague_, mes deux bêtes d'aversion. - -Dans cet état de l'âme, que me faisait une réponse sensée et développée -de mon excellent grand-père renfermant une notice sur Sanchonioton, une -appréciation des travaux de Court de Gebelin[25], dont mon père, je -ne sais comment, avait une belle édition in-4° (peut-être qu'il n'y en -a pas d'in-12), avec une belle gravure représentant les organes de la -voix chez l'homme? - -A dix ans, je fis en grande cachette une comédie en prose, ou plutôt -un premier acte. Je travaillais peu parce que j'attendais le moment -du génie, c'est-à-dire cet état d'exaltation qui alors me prenait -peut-être deux fois par mois. Ce travail était un grand secret, mes -compositions m'ont toujours inspiré la même pudeur que mes amours. Rien -ne m'eût été plus pénible que d'en entendre parler. J'ai encore éprouvé -vivement ce sentiment en 1830, quand M. Victor de Tracy m'a parlé de -_Le Rouge et le Noir_ (roman en deux volumes). - - -[Footnote 1: Le _chapitre X_ est le chapitre VIII du manuscrit (fol. 146 _ter_ -à 169; les feuillets 145, 146, 146 _bis_ et 153 sont numérotés, mais -laissés en blanc).--Écrit les 9 et 10 décembre 1835.] - -[Footnote 2: ... _faire de moi un excellent jésuite ..._--Ms.: «_Tejé._»] - -[Footnote 3: ... _toutes les peines du monde à dissimuler ..._--Variante: -«_Cacher._»] - -[Footnote 4: ... _extrêmement poli envers la religion ..._--Ms.: «_Gionré._»] - -[Footnote 5: ... _j'allais avoir cinquante ans ..._--Ms.: «25 x 2.»] - -[Footnote 6: ... _Besan ..._--Besançon, c'est-à-dire le baron de Mareste.] - -[Footnote 7: ... _Kolon ..._--Romain Colomb.] - -[Footnote 8: ... _rien de moins jésuite ..._--Ms.: «_Tejé._»] - -[Footnote 9: ... _la tyrannie de ce jésuite ..._--Ms.: «_Tejé._»] - -[Footnote 10: ... _dans une antichambre où l'on ne passait presque -jamais._--En face, plan explicatif. Le point M est en face de la -cheminée de la chambre de Henri Gagnon, laquelle était meublée du -«magnifique lit de damas rouge de mon grand-père», de «son armoire,» -d'une «magnifique commode en marqueterie, surmontée d'une pendule: -Mars offrant son bras à la France; la France avait un manteau garni de -fleurs de lis, ce qui plus tard donna de grandes inquiétudes». Cette -chambre était éclairée, sur la grande cour, par une «unique fenêtre -en magnifiques verres de Bohême. L'un d'eux, en haut, à gauche, étant -fendu, resta ainsi dix ans». Le point M' est près d'une des fenêtres -du «grand salon à l'italienne»; le point M" est devant la fenêtre de -l'antichambre du salon. (Voir notre plan de l'appartement Gagnon.)] - -[Footnote 11: ... _située au troisième étage du collège ..._--La fortification -passait alors derrière le collège, ou École centrale (aujourd'hui lycée -de filles), lequel se trouvait non loin de la porte de Bonne. (Voir -notre plan de Grenoble en 1793.)] - -[Footnote 12: ... _on réparait le reste._--Le fol. 153, numéroté par Stendhal, -est resté en blanc.] - -[Footnote 13: ... _presque en rang d'oignons ..._--Le seigneur d'Oignon. (Note -de Stendhal.)] - -[Footnote 14: ... _la petite table où moi, H, étais placé._--Suit un plan de -la position des personnages dans la chambre de Henri Gagnon, voisine -de la salle-à-manger. Ils sont en demi-cercle autour de la cheminée, -la table d'Henri est juste en face de cette cheminée, et placée -obliquement.] - -[Footnote 15:. ... _l'Ancien Testament ..._--Ms.: «_Ment-testa_», selon la -méthode anagrammatique chère à Stendhal.] - -[Footnote 16: ... _j'avais commencé le latin à sept ans ..._--Ms.: «17--10.»] - -[Footnote 17: _Lancette Laitue Rat._--«L'an VII les tuera». Après le mot -«rat», Stendhal a fait un croquis très grossier représentant cet animal.] - -[Footnote 18: ... _l'assassinat de Roberjot à Rastadt._--28 avril 1799.] - -[Footnote 19: ... _séparé de mon père par une fort grande table._--Suit un -plan indiquant les places respectives de Beyle et de son père. Celui-ci -tournait le dos à son fils et était assis à son bureau, dans un angle -de la pièce: «Mon père, placé à son bureau C et écrivant.»] - -[Footnote 20: ... _quoique à peine âgé de dix ans ..._--Ms.: «2 x 5.»] - -[Footnote 21: ... _tel j'tais à dix ans, tel je suis à cinquante-deux._--Ms.: -«5 X 2» et «10 X 5 + 2».] - -[Footnote 22: ... _madame la comtesse C...al...._--Le reste du nom est en -blanc.] - -[Footnote 23: ... _Cossey ..._--Hameau de Claix.] - -[Footnote 24: ... _la sensation d'un enfant de dix ans._--Ms.: «2 X 5.»] - -[Footnote 25: ... _une appréciation des travaux de Court de Gebelin -..._--_L'Histoire naturelle de la parole_, de Court de Gebelin, parut en -1776, en un volume in-8°, accompagné de deux gravures.] - - - - -CHAPITRE XI[1] - - -AMAR ET MERLINOT - - -Ce sont deux représentants du peuple qui un beau jour arrivèrent à -Grenoble[2] et quelque temps après publièrent une liste de 152 -notoirement suspects (de ne pas aimer la République, c'est-à-dire -le gouvernement de la patrie) et de 350 simplement suspects. Les -_notoirement_ devaient être placés en état d'arrestation; quant aux -_simplement_, ils ne devaient être que simplement surveillés. - -J'ai vu tout cela d'en bas, comme un enfant, peut-être qu'en faisant -des recherches dans le journal du Département, s'il en existait un à -cette époque, ou dans les archives, on trouverait tout le contraire -quant aux époques, mais pour l'effet sur moi et la famille il est -certain. Quoiqu'il en soit, mon père était notoirement suspect et M. -Henri Gagnon simplement suspect[3]. - -La publication de ces deux listes fut un coup de foudre pour la -famille. Je me hâte de dire que mon père n'a été délivré que le 6 -thermidor (ah! voici une date. Délivré le 6 thermidor, trois jours -avant la mort de Robespierre) et placé sur la liste pendant vingt-deux -mois. - -Ce grand événement remonterait donc au 26 avril 1793[4]. Enfin je -trouve dans ma mémoire que mon père fut vingt-deux mois sur la liste et -n'a passé en prison que trente-deux jours ou quarante-deux jours[5]. - -Ma tante Séraphie montra dans cette occasion beaucoup de courage et -d'activité. Elle allait voir les _membres du Département_, c'est-à-dire -de l'administration départementale, elle allait voir les représentants -du peuple, et obtenait toujours des sursis de quinze jours ou -vingt-deux jours, de cinquante jours quelquefois. - -Mon père attribue l'apparition de son nom sur la fatale liste à une -ancienne rivalité d'Amar avec lui, lequel était aussi avocat, ce me -semble[6]. - -Deux ou trois mois après cette vexation, de laquelle on parlait sans -cesse le soir en famille, il m'échappa une naïveté qui confirma mon -caractère _atroce_[7]. On exprimait en termes polis toute l'horreur -qu'inspirait le nom d'Amar. - -«Mais, dis-je, à mon père, Amar t'a placé sur la liste comme -notoirement _suspect_ de ne pas aimer la République, il me semble qu'il -est _certain_ que tu ne l'aimes pas.» - -A ce mot, toute la famille rougit de colère, on fut sur le point -de m'envoyer en prison dans ma chambre; et pendant le souper, pour -lequel bientôt on vint avertir, personne ne m'adressa la parole. Je -réfléchissais profondément. «Rien n'est plus vrai que ce que j'ai dit, -mon père se fait gloire d'exécrer _le nouvel ordre des choses_ (terme à -la mode alors parmi les aristocrates); quel droit ont-ils de se fâcher?» - -Cette forme de raisonnement: _Quel droit a-t-il?_ fut habituelle chez -moi depuis les premiers actes arbitraires qui suivirent la mort de ma -mère, aigrirent mon caractère et m'ont fait ce que je suis. - -Le lecteur remarquera sans doute que cette forme conduisait rapidement -à la plus haute indignation. - - * * * * * - -Mon père, Chérubin Beyle, vint s'établir dans la chambre O, appelée -chambre de mon oncle[8]. (Mon aimable oncle Romain Gagnon s'était -marié aux Échelles, en Savoie, et quand il venait à Grenoble, tous -les deux ou trois mois, à l'effet de revoir ses anciennes amies, -il habitait cette chambre meublée avec magnificence en damas -rouge--magnificence de Grenoble vers 1793.) - -On remarquera encore la sagesse de l'esprit dauphinois. Mon père -appelait se cacher traverser la rue et venir coucher chez son -beau-père, où l'on savait qu'il dînait et soupait depuis deux ou trois -ans. La Terreur fut donc très douce et j'ajouterai hardiment fort -raisonnable, à Grenoble. Malgré vingt-deux ans de progrès, la Terreur -de 1815, ou réaction du parti de mon père, me semble avoir été plus -cruelle. Mais l'extrême dégoût que 1815 m'a inspiré m'a fait oublier -les faits, et peut-être un historien impartial serait-il d'un autre -avis. Je supplie le lecteur, si jamais j'en trouve, de se souvenir que -je n'ai de prétention à la véracité qu'en ce qui touche mes sentiments; -quant aux faits, j'ai toujours eu peu de mémoire. Ce qui fait, par -parenthèse, que le célèbre Georges Cuvier me battait toujours dans les -discussions qu'il daignait quelquefois avoir avec moi dans son salon, -les samedis, de 1827 à 1830. - -Mon père, pour se soustraire à la persécution horrible, vint s'établir -dans la chambre de mon oncle, O. C'était l'hiver, car il me disait: « -_Ceci est une glacière._» - -Je couchais à côté de son lit dans un joli lit fait en cage d'oiseau et -duquel il était impossible de tomber. Mais cela ne dura pas. Bientôt je -me vis dans le trapèze à côté de la chambre, de mon grand-père[9]. - -Il me semble maintenant que ce fut seulement à l'époque Amar et -Merlinot que je vins habiter le trapèze, j'y étais fort gêné par -l'odeur de la cuisine de M. Reyboz ou Reybaud, épicier, provençal, dont -l'accent me faisait rire. Je l'entendis souvent grommeler contre sa -fille, horriblement laide, sans quoi je n'eusse pas manqué d'en faire -la dame de mes pensées. C'était là ma folie et elle a duré longtemps, -mais j'eus toujours l'habitude d'une discrétion parfaite que j'ai -retrouvée dans le tempérament mélancolique de Cabanis. - - * * * * * - -Je fus bien étonné, en voyant mon père de plus près dans la chambre -de mon oncle, de trouver qu'il ne lisait plus Bourdaloue, Massillon -ou sa Bible de Sacy en vingt-deux volumes. La mort de Louis XVI -l'avait jeté, ainsi que beaucoup d'autres, dans l'_Histoire de Charles -Ier_ de Hume; comme il ne ne savait pas l'anglais, il lisait -la traduction, unique alors, d'un M. Belot, ou président Belot. Bientôt -mon père, variable et absolu dans ses goûts, fut tout politique. Je -ne voyais dans mon enfance que le ridicule du changement, aujourd'hui -je vois le pourquoi. Peut-être que l'abandon de toute autre idée avec -lequel mon père suivait ses passions (ou ses goûts) en faisait un homme -un peu au-dessus du vulgaire. - -Le voilà donc tout Hume et Smolett et voulant me faire goûter ces -livres comme, deux ans plus tôt, il avait voulu me faire adorer -Bourdaloue. On juge de la façon dont fut accueillie celte proposition -de l'ami intime de mon ennemie Séraphie. - - * * * * * - -La haine de cette aigre dévote redoubla quand elle me vit établi chez -son père sur le pied de favori. Nous avions des scènes horribles -ensemble, car je lui tenais tête fort bien, je raisonnais et c'est ce -qui la mettait en fureur. - -Mesdames Romagnier et Colomb, de moi tendrement aimées, mes cousines, -femmes alors de trente-six ou quarante ans, et la seconde mère de M. -Romain Colomb, mon meilleur ami (qui par sa lettre du . . décembre -1835, reçue hier, me fait une scène à l'occasion de la Préface de -de Brosses, mais n'importe), venaient faire la partie de ma tante -Elisabeth. Ces dames étaient étonnées des scènes que j'avais avec -Séraphie, lesquelles allaient souvent jusqu'à interrompre le boston, et -je croyais voir évidemment qu'elles me donnaient raison contre cette -folle. - -En pensant sérieusement à ces scènes depuis leur époque, 1793, ce me -semble, je les expliquerais ainsi: Séraphie, assez jolie, faisait -l'amour[10] avec mon père et haïssait passionnément en moi l'être -qui mettait un obstacle moral ou légal à leur mariage. Reste à savoir -si en 1793 l'autorité ecclésiastique eût permis un mariage entre -beau-frère et belle-sœur. Je pense que oui, Séraphie était du premier -sanhédrin dévot de la ville avec une Mme Vignon, son amie -intime. - -Pendant ces scènes violentes, qui se renouvelaient une ou deux fois par -semaine, mon grand-père ne disait rien, j'ai déjà averti qu'il avait -un caractère à la Fontenelle, mais au fond je devinais qu'il était -pour moi. Raisonnablement, que pouvait-il y avoir de commun entre une -demoiselle de vingt-six ou trente ans et un enfant de dix ou douze ans? - -Les domestiques, savoir: Marion, Lambert d'abord et puis l'homme qui -lui succéda, étaient de mon parti. Ma sœur Pauline, jolie jeune fille -qui avait trois ou quatre ans de moins que moi, était de mon parti. Ma -seconde sœur, Zénaïde (aujourd'hui madame Alexandre Mallein), était du -parti de Séraphie et était accusée par Pauline et moi d'être son espion -auprès de nous. - -Je fis une caricature dessinée à la mine de plomb sur le plâtre du -grand passage de la salle à manger aux chambres de la Grenette, dans -l'ancienne maison de mon grand-père. Zénaïde était représentée dans un -prétendu portrait qui avait deux pieds de haut, au-dessous j'écrivis: - - - Caroline-Zénaïde B..., rapporteuse. - - -Cette bagatelle fut l'occasion d'une scène abominable et dont je vois -encore les détails. Séraphie était furieuse, la partie fut interrompue. -Il me semble que Séraphie prit à partie mesdames Romagnier et Colomb. -Il était déjà huit heures. Ces dames, justement offensées des -incartades de cette folle et voyant que ni son père (M. Henri Gagnon) -ni sa tante (ma grand'tante Elisabeth) ne pouvaient ou n'osaient lui -imposer silence, prirent le parti de s'en aller. Ce départ fut le -signal d'un redoublement dans la tempête. Il y eut quelque mot sévère -de mon grand-père ou de ma tante; pour repousser Séraphie voulant -s'élancer sur moi, je pris une chaise de paille que je tins entre nous, -et je m'en fus à la cuisine, où j'étais bien sûr que la bonne Marion, -qui m'adorait et détestait Séraphie, me protégerait. - - * * * * * - -A côté des images les plus claires, je trouve des _manques_ dans ce -souvenir, c'est comme une fresque dont de grands morceaux seraient -tombés. Je vois Séraphie se retirant de la cuisine et moi faisant la -conduite à l'ennemi le long du passage. La scène avait eu lieu dans la -chambre de ma tante Elisabeth. - -Je me vois et je vois Séraphie au point S[11]. Comme j'aimais -beaucoup la cuisine, occupée par mes amis Lambert et Marion et la -servante de mon père, qui avaient le grand avantage de n'être pas mes -supérieurs, là seulement je trouvais la douce égalité et la liberté. Je -profitai de la scène pour ne pas paraître jusqu'au souper. Il me semble -que je pleurai de rage pour les injures atroces (impie, scélérat, etc.) -que Séraphie m'avait lancées, mais j'avais une honte amère de mes -larmes. - -Je m'interroge depuis une heure pour savoir si cette scène est bien -vraie, réelle, ainsi que vingt autres qui, évoquées des ombres, -reparaissent un peu, après des années d'oubli; mais oui, cela est bien -réel, quoique jamais dans une autre famille je n'aie rien observé de -semblable. Il est vrai que j'ai vu peu d'intérieurs bourgeois, le -dégoût m'en éloignait et la peur que je faisais par mon rang ou mon -esprit (je demande pardon de cette vanité) empêchaient peut-être que de -telles scènes eussent lieu en ma présence. Enfin, je ne puis douter de -la réalité de celle de la caricature de Zénaïde et de plusieurs autres. -Je triomphais surtout quand mon père était à Claix, c'était un ennemi -de moins, et le seul réellement puissant. - -«_Indigne enfant, je te mangerais!_» me dit un jour mon père en -s'avançant sur moi furieux; mais il ne m'a jamais frappé, ou tout au -plus deux ou trois fois. Ces mots: _indigne enfant_, etc., me furent -adressés un jour que j'avais battu Pauline qui pleurait et faisait -retentir la maison. - -Aux yeux de mon père j'avais un caractère atroce, c'était une vérité -établie par Séraphie et sur des faits: l'assassinat de Mme -Chenavaz, mon coup de dent au front de Mme Pison-Dugalland, -mon mot sur Amar. Bientôt arriva la fameuse lettre anonyme signée -Gardon. Mais il faut des explications pour comprendre ce grand crime. -Réellement ce fut un méchant tour, j'en ai eu honte pendant quelques -années, quand je songeais encore à mon enfance avant ma passion pour -Mélanie, passion qui finit en 1805, quand j'eus vingt-deux[12] ans. -Aujourd'hui que l'action d'écrire ma vie m'en fait apparaître de grands -lambeaux, je trouve fort bien la tentative Gardon. - - -[Footnote 1: Le _chapitre XI_ est le chapitre IX du ms. de Stendhal (fol. -172 à 187).--Les fol. 170 et 171 ont été numérotés par Stendhal, mais -laissés en blanc.--En haut du fol. 172, on lit: «10 déc. 1835.» Et plus -bas: «Chronologie: peut-être M. Durand ne vint-il dans la maison Gagnon -qu'après Amar et Merlinot.» En face: «Voir la date dans les _Fastes_ de -Marrast.»--Ce chapitre a été écrit en partie à Cività-Vecchia, le 10 -décembre 1835 (fol. 172 et 173), et en partie à Rome, le 13 décembre.] - -[Footnote 2: ... _deux représentants ... arrivèrent à Grenoble ..._--Amar et -Merlinot arrivèrent à Grenoble le 21 avril 1793.] - -[Footnote 3: ... _mon père était notoirement suspect et M. Henri Gagnon -simplement suspect._--Cependant ni l'un ni l'autre n'ont été ni obligés -de se cacher, ni emprisonnés. (Note au crayon de R. Colomb.)--Les -listes ont été publiées le 26 avril 1793 avec un arrêté d'Amar et de -Merlinot. Parmi les «personnes notoirement suspectes» figurait «Beyle, -homme de loi, rue des Vieux-Jésuites»; mais le nom du docteur Gagnon -n'est pas inscrit sur la liste des personnes «simplement suspectes». Le -6 thermidor correspondant au 24 juillet 1794, c'est donc pendant quinze -mois seulement que Chérubin Beyle fut considéré comme notoirement -suspect.] - -[Footnote 4: _Ce grand événement remonterait donc au_ 26 _avril_1793.--La date -est en blanc dans le manuscrit.] - -[Footnote 5:. ... _n'a passé en prison que trente-deux jours ou quarante-deux -jours._--Comme le dit plus haut R. Colomb, Chérubin Beyle ne fut jamais -emprisonné.] - -[Footnote 6: ... _Amar ... avocat, ce me semble._--Amar (né à Grenoble le -11 mai 1755) était au moment de la Révolution trésorier de France au -bureau des Finances de Grenoble et avocat au Parlement de cette ville.] - -[Footnote 7: ... _qui confirma mon caractère_ atroce.--On lit en tête du fol. -175: «13 décembre 1835. Omar. Repris le travail _of Life._» Et au verso -du fol. 174: «Écrit de la page 93 à celle-ci à Cività-Vecchia du 3 au -13 décembre 1835.»] - -[Footnote 8: _Mon père ... vint s'établir dans la chambre O ..._--Au bas du -fol. 176 est un plan de la partie de l'appartement Gagnon voisine -de la maison Périer-Lagrange. On y voit, en O, la «chambre de mon -oncle» occupée par «mon père, Chérubin Beyle, lisant Hume». Cette -chambre s'ouvrait sur la «terrasse avec vue admirable» donnant sur le -«jardin Périer» et, par delà celui-ci, sur le «jardin public nommé -Jardin-de-Ville». Elle était voisine d'une «grande salle» où était un -autel. (Voir notre plan de l'appartement Gagnon.)] - -[Footnote 9: _Bientôt je me vis dans le trapèze à côté de la chambre de mon -grand-père._--Suit un plan de la chambre de M. Gagnon et de la chambre -en trapèze. Cette forme était nécessitée par l'escalier voisin. Le -«trapèze» donnait sur une «petite cour. Odeur de cuisine de M. Rayboz».] - -[Footnote 10: _Séraphie, assez jolie, faisait l'amour ..._--Italianisme à -ôter. (Note de Stendhal.)] - -[Footnote 11: _Je me vois et je vois Séraphie au point S._--Suit un plan des -lieux de la scène: «La ligne pointillé marque la ligne de bataille», à -travers la chambre d'Elisabeth Gagnon, le passage, la salle-à-manger et -la cuisine. Le point S est situé dans le passage.] - -[Footnote 12: ... _quand j'eus vingt-deux ans._--Ms.: «11 x 2.»] - - - - -CHAPITRE XII[1] - - -BILLET GARDON - - -On avait formé les bataillons d'Espérance, ou l'armée d'Espérance -(chose singulière, que je ne me rappelle pas même avec certitude le nom -d'une chose qui a tant agité mon enfance). Je brûlais d'être de ces -bataillons que je voyais défiler. Je vois aujourd'hui que c'était une -excellente institution, la seule qui puisse déraciner le jésuitisme -[2] en France. Au lieu de jouer à la chapelle, l'imagination des -enfants pense à la guerre et s'accoutume au danger. D'ailleurs, quand -la patrie les appelle à vingt ans, ils savent _l'exercice_, et au -lieu de frémir devant _l'inconnu_, ils se rappellent les jeux de leur -enfance. - - * * * * * - -La Terreur était si peu la Terreur à Grenoble que les aristocrates -n'envoyaient pas leurs enfants. - -Un certain abbé Gardon, qui avait jeté le froc aux orties, dirigeait -l'armée de l'Espérance. Je fis un faux, je pris un morceau de papier -plus large que haut, de la forme d'une lettre de change (je le vois -encore) et, en contrefaisant mon écriture, j'invitai le citoyen Gagnon -à envoyer son petit-fils, Henri Beyle, à Saint-André, pour qu'il pût -être incorporé dans le bataillon de l'Espérance. Cela finissait par: - -«Salut et fraternité, - -Gardon.» - -La seule idée d'aller à Saint-André était pour moi le bonheur suprême. -Mes parents firent preuve de bien peu de lumières, ils se laissèrent -prendre à cette lettre d'un enfant, qui devait contenir cent fautes -contre la vraisemblance. Ils eurent besoin des conseils d'un petit -bossu nommé _Tourte_, véritable _toad-eater_[3], mangeur de -crapauds, qui s'était faufilé à la maison par cet infâme métier. Mais -comprendra-t-on cela en 1880? - -M. Tourte[4], horriblement bossu et commis expéditionnaire à -l'administration du Département, s'était faufilé à la maison comme -être subalterne, ne s'offensant de rien, bon flatteur de tous. J'avais -déposé mon papier dans l'entredeux des portes formant antichambre sur -l'escalier tournant, au point A[5]. - -Mes parents, fort alarmés, appelèrent au conseil le petit Tourte -qui, en sa capacité de scribe officiel, connaissait apparemment la -signature de M. Gardon. Il demanda de mon écriture, compara avec sa -sagacité de commis expéditionnaire, et mon pauvre petit artifice pour -sortir de cage fut découvert. Pendant qu'on délibérait sur mon sort, on -m'avait relégué dans le cabinet d'histoire naturelle de mon grand-père, -formant vestibule sur notre magnifique terrasse[6]. Là je m'amusais -à faire _sauter en l'air_ (locution du pays) une boule de terre glaise -rouge que je venais de pétrir. J'étais dans la position morale d'un -jeune déserteur qu'on va fusiller. L'action de faire _un faux_ me -_chicanait_ un peu. - -Il y avait dans ce vestibule de la terrasse une magnifique carte du -Dauphiné[7] de quatre pieds de large, accrochée au mur. Ma boule de -terre glaise, en descendant du plafond fort élevé, toucha la précieuse -carte, fort admirée par mon grand-père, et, comme elle était fort -humide, y traça une longue _raie_ rouge. - -«Ah! pour le coup, je suis flambé, pensai-je. Ceci est bien une autre -affaire; j'offense mon seul protecteur.» J'étais en même temps fort -affligé d'avoir fait une chose désagréable à mon grand-père. - -En ce moment on m'appela pour comparaître devant mes juges, Séraphie en -tête, et à côté d'elle le hideux bossu Tourte. Je m'étais proposé de -répondre en Romain, c'est-à-dire que je désirais servir la patrie, que -c'était mon devoir aussi bien que mon plaisir, etc. Mais la conscience -de ma faute envers mon excellent grand-père (la tache à la carte), -que je voyais pâle à cause de la peur que lui avait fait le billet -signé _Gardon_, m'attendrit, et je crois que je fus pitoyable. J'ai -toujours eu le défaut de me laisser attendrir comme un niais par la -moindre parole de soumission des gens contre lesquels j'étais le plus -en colère, _et tentatum contemni._ En vain plus tard écrivis-je partout -cette réflexion de Tite-Live, je n'ai jamais été sûr de garder ma -colère. - -Je perdis malheureusement par ma faiblesse de cœur (non de caractère) -ma position superbe. J'avais le projet de menacer d'aller moi-même -déclarer à l'abbé Gardon ma résolution de servir la patrie. Je fis -cette déclaration, mais d'une voix faible et timide. Mon idée fit peur -et on vit que je manquais d'énergie. Mon grand-père même me condamna, -la sentence fut que pendant trois jours je ne dînerais pas à table. A -peine condamné, ma tendresse se dissipa et je redevins un héros. - -«J'aime bien mieux, leur dis-je, dîner seul qu'avec des tyrans qui me -grondent sans cesse.» - -Le petit Tourte voulut faire son métier: - -«Mais, monsieur Henri, il me semble... - ---Vous devriez avoir honte et vous taire, lui dis-je en l'interrompant. -Est-ce que vous êtes mon parent pour parler ainsi?» etc. - ---Mais, monsieur, dit-il, devenu tout rouge derrière les lunettes dont -son nez était armé, comme ami de la famille... - ---Je ne me laisserai jamais gronder par un homme tel que vous.» - -Cette allusion à sa bosse énorme supprima son éloquence. - -En sortant de la chambre de mon grand-père, où la scène s'était passée, -pour aller faire du latin tout seul dans le grand salon, j'étais d'une -humeur noire. Je sentais confusément que j'étais un être faible; plus -je réfléchissais, plus je m'en voulais. - -Le fils d'un notoirement suspect, toujours hors de prison au moyen -de _sursis_ successifs, venant demander à l'abbé Gardon de servir -la patrie, que pouvaient répondre mes parents, avec leur messe de -quatre-vingts personnes tous les dimanches? - -Aussi, dès le lendemain on me fit la cour. Mais cette affaire, que -Séraphie ne manqua pas de me reprocher dès la première scène qu'elle -me fit, éleva comme un mur entre mes parents et moi. Je le dis avec -peine, je commençai à moins aimer mon grand-père, et aussitôt je vis -clairement son défaut: Il a peur de sa fille, il a peur de Séraphie! Ma -seule tante Elisabeth m'était restée fidèle. Aussi mon affection pour -elle redoubla-t-elle[8]. - -Elle combattait, je m'en souviens, ma haine pour mon père, et me gronda -vertement parce qu'une fois, en lui parlant de lui, je l'appelai _cet -homme._ - -Sur quoi je ferai deux observations[9]: - -1° Cette haine de mon père pour moi et de moi pour lui était chose -tellement convenue dans ma tête, que ma mémoire n'a pas daigné garder -[10] souvenir du rôle qu'il a dû jouer dans la terrible affaire du -billet Gardon. - -2° Ma tante Elisabeth avait l'âme espagnole. Son caractère était la -quintessence de l'honneur. Elle me communiqua pleinement cette façon -de sentir et de là ma suite ridicule de sottises par délicatesse et -grandeur d'âme. Cette sottise n'a un peu cessé en moi qu'en 1810, à -Paris, quand j'étais amoureux de Mme Petit. Mais encore -aujourd'hui l'excellent Fiore (condamné à mort à Naples en 1800) me dit: - -«Vous tendez vos filets trop haut.» (Thucydide.) - -Ma tante Elisabeth disait encore communément, quand elle admirait -excessivement quelque chose: - -«Cela est beau comme le Cid.» - -Elle sentait, éprouvait[11], mais n'exprimait jamais, un assez -grand mépris pour le _Fontenellisme_ de son frère (Henri Gagnon, mon -grand-père). Elle adorait ma mère, mais elle ne s'attendrissait pas -en en parlant, comme mon grand-père. Je n'ai jamais vu pleurer, je -crois, ma tante Elisabeth. Elle m'eût pardonné tout au monde plutôt que -d'appeler mon père _cet homme._ - -«Mais comment veux-tu que je puisse l'aimer? lui disais-je. Excepté me -peigner quand j'avais la rache[12], qu'a-t-il jamais fait pour moi? - ---Il a la bonté de te mener promener. - ---J'aime bien mieux rester à la maison, je déteste la promenade aux -_Granges._» - -(Vers l'église de Saint-Joseph et au sud-est de cette église, que l'on -comprend maintenant dans la place de Grenoble que le général Haxo -fortifie[13], mais, en 1794, les environs de Saint-Joseph étaient -occupés par des tasses à chanvre et d'infâmes _routoirs_ (trous à demi -pleins d'eau pour faire rouir le chanvre), où je distinguais les œufs -gluants de grenouilles qui me faisaient horreur: _horreur_ est le mot -propre, je frisonne en y pensant.) - -En me parlant de ma mère, un jour, il échappa à ma tante de dire -qu'elle n'avait point eu d'inclination pour mon père. Ce mot fut pour -moi d'une portée immense. J'étais encore, au fond de l'âme, jaloux de -mon père. - -J'allai raconter ce mot à Marion, qui me combla d'aise en me disant -qu'à l'époque du mariage de ma mère, vers 1780, elle avait dit un jour -à mon père qui lui faisait la cour: «_Laissez-moi, vilain laid._» - -Je ne vis point alors l'ignoble et l'improbabilité d'un tel mot, -je n'en vis que le sens, qui me charmait. Les tyrans sont souvent -maladroits, c'est peut-être la chose qui m'a fait rire le plus en ma -vie. - -Nous avions un cousin Senterre[14], homme trop galant, trop gai -et, comme tel, assez haï de mon grand-père, beaucoup plus prudent et -peut-être pas tout-à-fait exempt d'envie pour ce pauvre Senterre, -maintenant sur l'âge et assez pauvre. Mon grand-père prétendait ne -faire que le mépriser à cause de ses mauvaises mœurs passées. Ce pauvre -Senterre était fort grand, creusé (marqué) de petite vérole, les yeux -bordés de rouge et assez faibles, il portait des lunettes et un chapeau -rabattu à grands bords. - -Tous les deux jours, ce me semble, enfin quand le courrier arrivait -de Paris, il venait apporter à mon grand-père cinq ou six journaux -adressés à d'autres personnes et que nous lisions avant ces autres -personnes. - -M. Senterre venait le matin, vers les onze heures, on lui donnait à -déjeuner un demi-verre de vin et du pain, et la haine de mon grand-père -alla plusieurs fois jusqu'à rappeler en ma présence la fable de la -Cigale et de la Fourmi, ce qui voulait dire que le pauvre Senterre -venait à la maison attiré par le doigt de vin et le _crochon_ de pain -[15]. - -La bassesse de ce reproche révoltait ma tante Elisabeth, et moi -peut-être encore plus. Mais l'essentiel de la sottise des tyrans, c'est -que mon grand-père mettait ses lunettes et lisait haut à la famille -tous les journaux. Je n'en perdais pas une syllabe. - -Et dans mon cœur je faisais des commentaires absolument contraires à -ceux que j'entendais faire. - -Séraphie était une bigote enragée, mon père, souvent absent de ces -lectures, aristocrate excessif, mon grand-père, aristocrate, mais -beaucoup plus modéré; il haïssait les Jacobins surtout comme gens mal -vêtus et de mauvais ton. - -«_Quel nom: Pichegru!_» disait-il. C'était là sa grande objection -contre ce fameux traître qui alors conquérait la Hollande. Ma tante -Elisabeth n'avait horreur que des condamnations à mort. - -Les titres de ces journaux, que je buvais, étaient: _Le Journal des -hommes libres, Perlet_, dont je vois encore le titre, dont le dernier -mot était formé par une griffe imitant la signature de ce Perlet -[16]; _le Journal des Débats; le Journal des défenseurs de la -Patrie._ Plus tard, ce me semble, ce journal, qui partait par courrier -extraordinaire, rejoignait la malle, partie vingt-quatre heures avant -lui. - - * * * * * - -Je fonde mon idée que M. Senterre ne venait pas tous les jours sur le -nombre de journaux qu'il y avait à lire. Mais peut-être, au lieu de -plusieurs numéros du même journal, y avait-il seulement un grand nombre -de journaux. - -Quelquefois, quand mon grand-père était enrhumé, j'étais chargé de la -lecture. Quelle maladresse chez mes tyrans! C'est comme _the Papes_ -fondant une bibliothèque au lieu de brûler tous les livres comme Omar -(dont on conteste cette belle action). - -Pendant toutes ces lectures qui duraient, ce me semble, encore un an -après la mort de Robespierre et qui prenaient bien deux heures chaque -matin, je ne me souviens pas d'avoir été une seule fois de l'avis que -j'entendais exprimer par mes parents. Par prudence, je me gardais bien -de parler, et si quelquefois je voulais parler, au lieu de me réfuter -on m'imposait silence. Je vois maintenant que cette lecture était un -remède à l'effroyable ennui dans lequel ma famille s'était plongée -trois ans auparavant, à la mort de ma mère, en rompant absolument avec -le monde. - - * * * * * - -Le petit Tourte prenait mon excellent grand-père pour confident de ses -amours avec une de nos parentes que nous méprisions comme pauvre et -faisant tort à notre noblesse. Il était jaune, hideux, l'air malade. -Il se mit à montrer à écrire à ma sœur Pauline, et il me semble que -l'animal en devint amoureux. Il amena à la maison l'abbé Tourte, son -frère, qui avait la figure abîmée d'_humeurs froides._ Mon grand-père -ayant dit qu'il était _dégoûté_ quand il invitait cet abbé à dîner, ce -sentiment devint excessif chez moi. - -M. Durand continuait à venir une ou deux fois le jour à la maison, mais -il me semble que c'était deux fois, voici pourquoi: j'étais arrivé -à cette époque incroyable de sottise où l'on fait faire des vers à -l'écolier latin (on veut essayer s'il a le génie poétique), et de cette -époque date mon horreur pour les vers. Même dans Racine, qui me semble -fort éloquent, je trouve force chevilles. - - * * * * * - -Pour développer chez moi le génie poétique, M. Durand apporta un grand -in-12 dont la reliure noire était horriblement grasse et sale. - -La saleté m'eût fait prendre en horreur l'Arioste de M. de Tressan, -que j'adorais, qu'on juge du volume noir de M. Durand, assez mal mis -lui-même. Ce volume contenait le poème d'un jésuite sur une mouche -qui se noie dans une jatte de lait. Tout l'esprit était fondé sur -l'antithèse produite par la blancheur du lait et la noirceur du corps -de la mouche, la douceur qu'elle cherchait dans le lait et l'amertume -de la mort. - -On me dictait ces vers en supprimant les épithètes, par exemple: - - - Musca (_épit._) duxerit annos (_ép._) multos (_synonime_). - - -J'ouvrais le _Gradus ad Parnassum_; je lisais toutes les épithètes de -la mouche: _volucris, avis, nigra_, et je choisissais, pour faire la -mesure de mes hexamètres et de mes pentamètres, _nigra_, par exemple, -pour _musca, felices_ pour _annos._[17] - -La saleté du livre et la platitude des idées me donnèrent un tel dégoût -que régulièrement tous les jours, vers les deux heures, c'était mon -grand-père qui faisait mes vers en ayant l'air de m'aider. - -M. Durand revenait à sept heures du soir et me faisait remarquer et -admirer la différence qu'il y avait entre mes vers et ceux du Père -jésuite. - -Il faut absolument _l'émulation_ pour faire avaler de telles inepties. -Mon grand-père me racontait ses exploits au collège, et je soupirais -après le collège, là du moins j'aurais pu échanger des paroles avec des -enfants de mon âge. - -Bientôt je devais avoir cette joie: on forma une École centrale, mon -grand-père fut du jury organisateur, il fit nommer professeur M. -Durand. - - -[Footnote 1: Le _chapitre XII_ est le chapitre X du manuscrit de Stendhal -(fol. 188 à 210).--Écrit à Rome, le 14 décembre 1835.] - -[Footnote 2: ... _qui puisse déraciner le jésuitisme ..._-Ms.: «_Tisjésui._»] - -[Footnote 3: ... _toad-eater ..._--Expression anglaise signifiant -littéralement: mangeur de crapauds, et, au figuré: flagorneur, -flatteur, parasite.] - -[Footnote 4: _M. Tourte ..._--Donnait des leçons d'écriture à Pauline; je le -vois encore, taillant des plumes, d'un air important, avec des lunettes -dont les verres avaient l'épaisseur d'un fond de gobelet. (Note au -crayon de R. Colomb.)] - -[Footnote 5: ... _l'entredeux des portes formant antichambre ... au point -A._--Suit un plan de cette partie de l'appartement; dans l'antichambre, -en A, entre les deux fenêtres donnant sur la première cour, est la -place où le jeune Beyle avait placé le billet Gardon.] - -[Footnote 6: ... _formant vestibule sur notre magnifique terrasse._--En -face, est un plan de cette partie de l'appartement Gagnon. Au fond du -grand salon à l'Italienne, en «A, autel où je servais la messe tous -les dimanches»; dans la pièce voisine, donnant accès sur la terrasse, -était pendue la «carte du Dauphiné dressée par M. de Bourcet, père -du Tartufe et grand-père de mon ami à Brunswick, le général Bourcet, -aide-de-camp du maréchal Oudinot, maintenant cocu et, je crois, fou». -Dans le cabinet de M. Gagnon, également voisin du grand salon, se -trouvait, dans un angle, un «tas de romans et autres mauvais livres -ayant appartenu à mon oncle et sentant l'ambre ou le musc d'une lieue». -Enfin, depuis «la terrasse, mur sarrazin large de quinze pieds et haut -de quarante», Stendhal indique une vue «magnifique vers les montagnes -en S (montagne de Seyssins et Sassenage), B (Bastille, que le général -Haxo fortifie en 1835) et R (tour de Rabot)».] - -[Footnote 7: ... _une magnifique carte du Dauphiné ..._--La carte du Dauphiné -par Bourcet est en effet très belle. Elle est composée de dix feuilles -in-folio, portant ce titre: _Carte géométrique du haut Dauphiné et de -la frontière ultérieure, levée par ordre du Roi, sous la direction de -M. de Bourcet, maréchal de camp, par MM. les ingénieurs géographes de -Sa Majesté, pendant les années_ 1749 _jusqu'en_ 1754. _Dressé par le -sieur Villaret, capitaine ingénieur géographe du Roi._--Sur la famille -de Bourcet, voir: Edmond Maignien, _L'ingénieur militaire Bourcet et sa -famille._ Grenoble, 1890, in-8°.] - -[Footnote 8: _Aussi mon affection pour elle redoubla-t-elle._--On lit au verso -du fol. 197: «Écrit de 188 à 197 en une heure, grand froid et beau -soleil, le 14 décembre 1835.»] - -[Footnote 9: _Sur quoi je ferai deux observations._--«Je sens bien que tout -ceci est trop long, mais je m'amuse à voir reparaître ces temps -primitifs, quoique malheureux, et je prie M. Levavasseur d'abréger -ferme, s'il imprime. H. BEYLE.»] - -[Footnote 10: ... _ma mémoire n'a pas daigné garder ..._-Variante: «_N'a pas -gardé._»] - -[Footnote 11: _Elle sentait, éprouvait ..._--Une partie de la ligne a été -laissée en blanc.] - -[Footnote 12: ... _quand j'avais la roche ..._--Affection du cuir chevelu chez -les enfants, que le patois dauphinois étend, mais à tort, à la croûte -de lait.] - -[Footnote 13: ... _la place de Grenoble que le général Haxo fortifie -..._--L'agrandissement de l'enceinte par le général Haxo fut effectué -entre 1832 et 1836.] - -[Footnote 14: ... _cousin Senterre ..._--Il était contrôleur de la poste à -Grenoble; en sa qualité de mon grand-oncle, il m'administrait force -taloches; et lorsque je pleurais trop _haut_, il me faisait avaler -des verres de kirsch, pour obtenir du silence et son pardon. (Note au -crayon de R. Colomb.)] - -[Footnote 15: ... _le_ crochon _de pain._--Terme dauphinois signifiant un -morceau de pain, avec de la croûte.] - -[Footnote 16: ... _la signature de ce Perlet ..._--A la suite du nom, Stendhal -a tracé une imitation de la signature de Perlet.] - -[Footnote 17: ... felices _pour_ annos.--On lit au verso du fol. 209: «Le -14 décembre 1835, écrit 24 pages et fini la Vie de Costard, fou -intéressant ...»] - - - - -CHAPITRE XIII[1] - - -PREMIER VOYAGE AUX ÉCHELLES - - -Il faut parler de mon oncle, cet homme aimable qui portait la joie dans -la famille quand des _Échelles_ (Savoie), où il était marié, il venait -à Grenoble. - -En écrivant ma vie en 1835, j'y fais bien des découvertes; ces -découvertes sont de deux espèces: d'abord, 1° ce sont de grands -morceaux de fresques sur un mur, qui depuis longtemps oubliés -apparaissent tout-à-coup, et à côté de ces morceaux bien conservés -sont, comme je l'ai dit plusieurs fois, de grands espaces où l'on ne -voit que les briques du mur. L'éparvérage, le crépi sur lequel la -fresque était peinte est tombé[2], et la fresque est à jamais perdue. -A côté des morceaux de fresque conservés il n'y a pas de date, il faut -que j'aille à la chasse des dates actuellement, en 1835. Heureusement, -peu importe un anachronisme, une confusion d'une ou de deux années. A -partir de mon arrivée à Paris en 1799, comme ma vie est mêlée avec les -événements de la gazette, toutes les dates sont sûres. - -2° en 1835, je découvre la physionomie et le pourquoi des événements. -Mon oncle (Romain Gagnon) ne venait probablement à Grenoble, vers 1795 -ou 96, que pour voir ses anciennes maîtresses et pour se délasser des -Échelles où il régnait, car les Échelles sont un bourg, composé alors -de manants enrichis par la contrebande et l'agriculture, et dont le -seul plaisir était la chasse. Les _élégances_ de la vie, les jolies -femmes gaies, frivoles et bien parées, mon oncle ne pouvait les trouver -qu'à Grenoble. - - * * * * * - -Je fis un voyage aux Échelles, ce fut comme un séjour dans le ciel, -tout y fut ravissant pour moi. Le bruit du _Guiers_, torrent qui -passait à deux cents pas devant les fenêtres de mon oncle, devint un -son sacré pour moi, et qui sur-le-champ me transportait dans le ciel. - -Ici déjà les phrases me manquent, il faudra que je travaille et -transcrive les morceaux, comme il m'arrivera plus tard pour mon séjour -à Milan; où trouver des mots pour peindre le bonheur parfait goûté avec -délices et sans satiété par une aine sensible jusqu'à l'anéantissement -et la folie? - -Je ne sais si je ne renoncerai pas à ce travail. Je ne pourrais, ce -me semble, peindre ce bonheur ravissant, pur, frais, divin, que par -l'énumération des maux et de l'ennui dont il était l'absence complète. -Or, ce doit être une triste façon de peindre[3] le bonheur. - -Une course de sept heures dans un cabriolet léger par Voreppe, la -Placette et Saint-Laurent-du-Pont me conduisit au Guiers, qui alors -séparait la France de la Savoie[4]. Donc, alors la Savoie n'était -point conquise par le général Montesquiou, dont je vois encore le -plumet; elle fut occupée vers 1792, je crois. Mon divin séjour aux -Échelles est donc de 1790 ou 91. J'avais sept ou huit ans. - -Ce fut un bonheur subit, complet, parfait, amené et maintenu par -un changement de décoration. Un voyage amusant de sept heures fait -disparaître à jamais Séraphie, mon père, le rudiment, le maître de -latin, la triste maison Gagnon de Grenoble, la bien autrement triste -maison de la rue des Vieux-Jésuites. - -Séraphie, le cher père[5], tout ce qui était si terrible et si -puissant à Grenoble me manque aux Échelles. Ma tante Camille Poucet, -mariée à mon oncle Gagnon, grande et belle personne, était la bonté et -la gaieté même. Un an ou deux avant ce voyage, près du pont de Claix, -du côté de Claix, au point A[6], j'avais entrevu un instant sa peau -blanche à deux doigts au-dessus des genoux, connue elle descendait de -notre charrette couverte. Elle était pour moi, quand je pensais à -elle, un objet du plus ardent désir. Elle vit encore, je ne l'ai pas -vue depuis trente ou trente-trois ans, elle a toujours été parfaitement -bonne. Etant jeune, elle avait une sensibilité vraie. Elle ressemble -beaucoup à ces charmantes femmes de Chambéry (où elle allait souvent, -à cinq lieues de chez elle) si bien peintes par J.-J. Rousseau -(Confessions)[7]; elle avait une sœur de la beauté la plus fine, du -teint le plus pur, avec laquelle il me semble que mon oncle faisait -un peu l'amour. Je ne voudrais pas jurer qu'il n'honorât aussi de ses -attentions la _Fanchon_, la femme de chambre factotum, la meilleure et -la plus gaie des filles, quoique point jolie. - -Tout fut sensations exquises et poignantes de bonheur dans ce voyage, -sur lequel je pourrais écrire, vingt pages de superlatifs. - -La difficulté, le regret profond de mal peindre et de gâter ainsi un -souvenir céleste, où le sujet surpasse trop le disant, me donne une -véritable peine au lieu du plaisir d'écrire. Je pourrai bien ne pas -décrire du tout par la suite le passage du Mont-Saint-Bernard avec -l'armée de réserve (16 au 18 mai 1800) et le séjour à Milan dans la -Casa Castelbarco ou dans la Casa Bovara. - -Enfin, pour ne pas laisser en blanc le voyage des Échelles, je noterai -quelques souvenirs qui doivent donner une idée aussi inexacte que -possible des objets qui les causèrent. J'avais huit ans lorsque j'eus -cette vision du ciel. - -Une idée me vient, peut-être que tout le malheur de mon affreuse vie -de Grenoble, de 1790 à 1799, a été un bonheur, puisqu'il a amené le -bonheur, que pour moi rien ne peut surpasser, du séjour aux Échelles et -du séjour à Milan du temps de Marengo. - -Arrivé aux Échelles, je fus l'ami de tout le monde, tout le monde me -souriait comme à un enfant rempli d'esprit. Mon grand-père, homme du -monde, m'avait dit: «Tu es laid, mais personne ne te reprochera jamais -ta laideur.» - -J'ai appris, il y a une dizaine d'années, qu'une des femmes qui m'a le -mieux ou du moins le plus longtemps aimé, Victorine Bigillion, parlait -de moi dans les mêmes termes après vingt-cinq ans d'absence. - -Aux Échelles, je fis mon amie intime de _la Fauchon_, comme on -l'appelait. J'étais en respect devant la beauté de ma _tatan_ Camille -et n'osais guère lui parler, je la dévorais des yeux. On me conduisit -chez MM. Bonne ou de Bonne, car ils prétendaient fort à la noblesse, je -ne sais même s'ils ne se disaient pas parents de Lesdiguières. - -J'ai, quelques années après, retrouvé trait pour trait le portrait -de ces bonnes gens dans les _Confessions_ de Rousseau, à l'article -Chambéry. - -Bonne l'aîné, qui cultivait le domaine de Berlandet, à dix minutes des -Échelles, où il donna une fête charmante avec des gâteaux et du lait, -où je fus monté sur un âne mené par Grubillon fils, était le meilleur -des hommes; son frère M. Biaise, le notaire, en était le plus nigaud. -On se moquait toute la journée de M. Blaise, qui riait avec les autres. -Leur frère, Bonne-Savardin, négociant à Marseille, était fort élégant: -mais le courtisan de la famille, le roué que tous regardaient avec -respect, était au service du roi à Turin, et je ne fis que l'entrevoir. - -Je ne me souviens de lui que par un portrait que Mme Camille -Gagnon a maintenant dans sa chambre à Grenoble (la chambre de feu mon -grand-père; le portrait, garni d'une croix rouge, dont toute la famille -est fière, est placé entre la cheminée et le petit cabinet[8]). - -Il y avait aux Échelles une grande et belle fille, Lyonnaise réfugiée. -(Donc la Terreur avait[9] commencé à Lyon, ceci pourrait me donner -une date certaine. Ce délicieux voyage eut lieu avant la conquête de la -Savoie par le général Montesquiou, comme on disait alors, et après que -les royalistes se sauvaient de Lyon.) - -Mlle Cochet était sous la tutelle de sa mère, mais -accompagnée par son amant, un beau jeune homme, M...[10], brun et -qui avait l'air assez triste. Il me semble qu'ils venaient seulement -d'arriver de Lyon. Depuis, Mlle Cochet a épousé un bel -imbécile de mes cousins (M. Doyat, de La Terrasse, et a eu un fils à -l'École polytechnique. Il me semble qu'elle a été un peu la maîtresse -de mon père). Elle était grande, bonne, assez jolie et, quand je la -connus aux Échelles, fort gaie. Elle fut charmante à la partie de -Berlandet. Mais Mlle Poncet, sœur de Camille (aujourd'hui -madame veuve Blanchet), avait une beauté plus fine; elle parlait fort -peu. - -La mère de ma tante Camille et de MMlle ...[11], madame -Poncet, sœur des Bonne et de madame Giraud, et belle-mère de mon oncle, -était la meilleure des femmes. Sa maison, où je logeais, était le -quartier général de la gaieté[12]. - -Cette maison délicieuse avait une galerie de bois, et un jardin du côté -du torrent le Guiers. Le jardin était traversé obliquement par la digue -du Guiers[13]. - - * * * * * - -À une seconde partie à Berlandet je me révoltai par jalousie, une -demoiselle que j'aimais avait bien traité un rival de vingt ou -vingt-cinq ans. Mais quel était l'objet de mes amours? Peut-être cela -me reviendra-t-il comme beaucoup de choses me reviennent en écrivant. -Voici le lieu de la scène[14], que je vois aussi nettement que si je -l'eusse quitté il y a huit jours, mais sans physionomie. - -Après ma révolte par jalousie, du point A je jetai des pierres à ces -dames. Le grand Corbeau (officier en semestre) me prit et me mit sur un -pommier ou mûrier en M, au point O, entre deux branches dont je n'osais -pas descendre. Je sautai, je me lis mal, je m'enfuis vers Z. - -Je m'étais un peu foulé le pied et je fuyais en boitant; l'excellent -Corbeau me poursuivit, me prit et me porta sur ses épaules jusqu'aux -Échelles. - -Il jouait un peu le rôle de _patito_, me disant qu'il avait été -amoureux de Mlle Camille Poncet, ma tante, qui lui avait -préféré le brillant Romain Gagnon, jeune avocat de Grenoble revenant -d'émigration à Turin[15]. - -J'entrevis à ce voyage Mlle Thérésine Maistre, sœur de M. -le comte de Maistre, surnommé Bance, et c'est Bance, auteur du _Voyage -autour de ma Chambre_, dont j'ai vu la montée à Rome vers 1832; il -n'est plus qu'un ultra fort poli, dominé par une femme russe, et -s'occupant encore de peinture. Le génie et la gaieté ont disparu, il -n'est resté que la bonté. - -Que dirai-je d'un voyage à la Grotte[16]? J'entends encore les -gouttes silencieuses tomber du haut des grands rochers sur la route. On -fit quelques pas dans la grotte avec ces dames: Mlle Poncet -eut peur, Mlle Cochet montra plus de courage. Au retour, -nous passâmes par le pont Jean-Lioud (Dieu sait quel est son vrai nom). - -Que dirai-je d'une chasse dans le bois de Berland, rive gauche du -Guiers, près le pont Jean-Lioud? Je glissais souvent sous les immenses -hêtres. M..., l'amant de Mlle Cochet, chassait avec ... (les -noms et les images sont échappés). Mon oncle donna à mon père un chien -énorme, nommé Berland, de couleur noirâtre. Au bout d'un an ou deux, ce -souvenir d'un pays délicieux pour moi mourut de maladie, je le vois -encore. - -Sous les bois de Berland je plaçai les scènes de l'Arioste. - -Les forets de Berland et les précipices en forme de falaises qui les -bornent du côté de la route de Saint-Laurent-du-Pont devinrent pour moi -un type cher et sacré. C'est là que j'ai placé tous les enchantements -d'Ismène de la Jérusalem délivrée. A mon retour à Grenoble, mon -grand-père me laissa lire la traduction de la _Jérusalem_ par Mirabaud, -malgré toutes les observations et réclamations de Séraphie. - -Mon père, le moins élégant, le plus finasseur, le plus politique, -disons tout en un mot, le plus Dauphinois des hommes, ne pouvait pas -n'être pas jaloux de l'amabilité, de la gaieté, de l'élégance physique -et morale de mon oncle. - -Il l'accusait de _broder_ (mentir); voulant être aimable comme mon -oncle à ce voyage aux Échelles, je voulus broder pour l'imiter. - -J'inventai je ne sais quelle histoire de mon rudiment. (C'est un volume -caché par moi sous mon lit pour que le maître de latin (était-ce M. -Joubert ou M. Durand?) ne me marquât pas (avec l'ongle) les leçons à -apprendre aux Échelles.) - -Mon oncle découvrit sans peine le mensonge d'un enfant de huit ou neuf -ans; je n'eus pas la prudence d'esprit de lui dire: «Je cherchais à -être aimable comme toi!» Comme je l'aimais, je m'attendris, et la -leçon me fit une impression profonde. - -En me _grondant_ (reprenant) avec cette raison et cette justice, on -eût tout fait de moi. Je frémis en y pensant: si Séraphie eût eu la -politesse et l'esprit de son frère, elle eût fait de moi un jésuite -[17]. - -(Je suis tout _confit de mépris_ aujourd'hui. Que de bassesse et de -lâcheté il y a dans les généraux de l'Empire! Voilà le vrai défaut du -genre de génie de Napoléon: porter aux premières dignités un homme -parce qu'il est brave et a le talent de conduire une attaque. Quel -abîme de bassesse et de lâcheté morales que les Pairs[18] qui -viennent de condamner le sous-officier Samto à une prison perpétuelle, -sous le soleil de Pondichéry, pour une faute méritant à peine six mois -de prison! Et six pauvres jeunes gens ont déjà subi vingt mois (18 -décembre 1835)! - -Dès que j'aurai reçu mon _Histoire de la Révolution_ de M. Thiers, il -faut que j'écrive dans le blanc du volume de 1793 les noms de tous les -généraux Pairs[19] qui viennent de condamner M. Thomas, afin de -les mépriser suffisamment tout en lisant les belles actions qui les -firent connaître vers 1793. La plupart de ces infâmes ont maintenant -soixante-cinq à soixante-dix ans. Mon plat ami Félix Faure a la -bassesse infâme sans les belles actions. Et M. d'Houdetot[20]! Et -Dijon! Je dirai comme Julien: Canaille! Canaille! Canaille!) - -Excusez cette longue parenthèse, ô lecteur de 1880! Tout ce dont -je parle sera oublié à cette époque. La généreuse indignation qui -fait palpiter mon cœur m'empêche d'écrire davantage sans ridicule. -Si en 1880 on a un gouvernement passable, les cascades, les rapides, -les anxiétés par lesquelles la Fr[ance] aura passé pour y arriver -seront oubliées, l'histoire n'écrira qu'un seul mot à celui du nom de -Louis-Philippe: _le plus fripon des Kings._ - - -M. de Corbeau, devenu mon ami depuis qu'il m'avait rapporté sur son dos -de Berlandet aux Échelles, me menait à la pêche de la truite à la ligne -dans le Guiers. Il pêchait entre les portes de Chailles, au bas des -précipices du défilé de Chailles, et le pont des Échelles, quelquefois -vers le pont Jean-Lioud. Sa ligne avait quinze ou vingt pieds. Vers -Chailles, en relevant vivement l'hameçon, sa ligne de crin blanc passa -sur un arbre, et la truite de trois-quarts de livre[21] nous apparut -pendant à vingt pieds de terre au haut de l'arbre, qui était sans -feuilles. Quelle joie pour moi[22]! - - -[Footnote 1: Le _chapitre XIII_ se trouve dans un cahier séparé, côté B 300 -(Bibl. mun. de Grenoble), en même temps que les chapitres V et XV. Il -va du feuillet 15 au feuillet 38, et porte une foliotation spéciale, -de 1 à 24. En tête, Stendhal indique: «Dicter ceci et le faire écrire -sur le papier blanc à la fin du 1er volume. Relier ce chapitre à la -fin du second volume. 18 décembre.» Il ajoute: «Placer ce morceau vers -1792 à son rang, vers 1791.» Un feuillet intercalaire porte encore: -«A placer à son époque, avant la conquête de la Savoie par le général -Montesquiou, avant 1792. A faire copier sur le papier blanc. Placer -a la fin du 1er volume.»--Le chapitre XIII a été écrit n Rome le 18 -décembre 1835, par un «froid de chien».] - -[Footnote 2: ... _le crépi sur lequel la fresque était peinte est tombé -..._--On lit en tête du fol. 2: «18 décembre 1835. Omar. Froid de -chien, avec nuages au ciel.»] - -[Footnote 3: ... _triste façon de peindre le bonheur._--Variante: «_Rendre._»] - -[Footnote 4: ... _qui alors séparait la France de la Savoie._--On lit en tête -du fol. 5: «18 déc. Froid de loup près du feu.»] - -[Footnote 5: ... _le cher père ..._--Lecture incertaine.] - -[Footnote 6: _ ...du côté de Claix, au point A ..._--En face, dans la marge, -est un dessin représentant une coupe du pont de Claix. Le point A est -sur la route, au sud du pont, sur la rive gauche du Drac.] - -[Footnote 7: ... _J.-J. Rousseau (Confessions) ..._--On lit en tête du fol. 7: -«18 décembre 1835. Froid à deux pieds de mon feu. Omar.»] - -[Footnote 8: ... _entre la cheminée et le petit cabinet._--En face, est un -plan de la chambre, avec la place du portrait, près de la cheminée.] - -[Footnote 9: _Donc la Terreur avait commencé ..._--Variante: «_Etait -commencée._»] - -[Footnote 10: ... _un beau jeune homme, M ..._--Le nom est en blanc.] - -[Footnote 11: _La mère de ma tante Camille et de Mlle ..._--Le nom est en -blanc. Il s'agit sans doute de Marie Poncet, sœur de madame Romain -Gagnon.] - -[Footnote 12: _Sa maison, où je logeais ..._--Plan des Échelles et de ses -environs, avec la maison Poncet (M). «Aux points AA étaient les poteaux -avec les armes de Savoie du cité de la rive droite.»] - -[Footnote 13: ... _par la digue du Guiers._--Ici, un plan de la maison Poncet, -avec le jardin traversé par la digue du Guiers.] - -[Footnote 14: _Voici le lieu de la scène ..._--Suit un plan grossier de la -scène: derrière une haie se trouve Beyle jetant des pierres aux dames, -assises sur une «pente rapide en gazon». C'est une «pente de huit ou -dix pieds où toutes ces dames étaient assises, On riait, on buvait du -ratafia de Teisseire (Grenoble), les verres manquant, dans des dessus -de tabatière d'écaillé». Plus haut est l'arbre M dans la fourche duquel -fut placé Beyle, en O; tout près est un ruisseau, le long duquel il -s'enfuit.] - -[Footnote 15: ... _revenant d'émigration à Turin._--En tête du fol. 17 on lit: -«18 décembre 1835. Froid; jambe gauche gelée.»] - -[Footnote 16: _Que dirai-je d'un voyage à la Grotte?_--Au verso du fol. 17 est -un plan des environs des Échelles. La grotte y est figurée, avec son -entrée sur la «route de Chambéry», non loin des «roches énormes coupées -par Philibert-Emmanuel» et de la «coupure dans le roc par Napoléon». -Y sont figurés l' «ancienne route» des Échelles, la «nouvelle route -que je n'ai jamais vue, faite vers 1810», et le sentier conduisant, au -«pont Jean-Lioud, à 100 pieds ou 80 au-dessus du torrent».--Au verso du -fol. 18 est encore un plan du défilé de Chailles; Stendhal y a indiqué -la situation de «Corbaron, domaine de M. de Corbeau». Dessous est un -«détail des Portes de Chailles»: «là sont quatre diocèses».] - -Le pont Jean-Lioud, que Stendhal orthographie Janliou, est jeté -sur le Guiers-Mort, lequel avait son cours entièrement en France. -C'est le Guiers-Vif qui servait de frontière entre la France et la -Savoie.--Actuellement, le pont Jean-Lioud est une passerelle en bois, -utilisée par le charmant chemin qui va d'Entre-deux-Guiers à Villette, -près Saint-Laurent-du-Pont.] - -[Footnote 17: ... _elle eût fait de moi un jésuite._--Ms.: «_Tejé._»] - -[Footnote 18: _ ...les Pairs ..._--Ms.: «_Sraip._»] - -[Footnote 19: ... _tous les généraux Pairs ..._--Ms.: «_Sairp._»] - -[Footnote 20: ... _M. d'Houdetot ..._--Ms.: «_Detothou._»] - -[Footnote 21: ... _la truite de trois-quarts de livre ..._--Suit une -parenthèse comprenant trois ou quatre mots illisibles.] - -[Footnote 22: _Quelle joie pour moi!_--Le chapitre est inachevé. On lit à la -fin: «A 4 h. 50 m., manque de jour; je m'arrête.»] - - - - -CHAPITRE XIV[1] - - -MORT DU PAUVRE LAMBERT - - -Je place ici, pour ne pas le perdre, un dessin[2] dont j'ai orné -ce matin une lettre que j'écris à mon ami R. Colomb, qui à son âge, -en homme prudent, a été mordu du chien de la Métromanie, ce qui l'a -porté à me faire des reproches parce que j'ai écrit une préface pour la -nouvelle édition de de Brosses; or, lui aussi avait fait une préface. -Cette carte est faite pour répondre à Colomb, qui dit que je vais le -mépriser. - -J'ajoute: s'il y a un autre monde, j'irai vénérer Montesquieu, il me -dira peut-être: «Mon pauvre ami, vous n'avez eu aucun talent dans -l'autre inonde.» J'en serai fâché, mais point surpris: l'œil ne se -voit pas lui-même. - -Mais ma lettre à Colomb ne fera que blanchir tous les gens à argent; -quand ils sont arrivés au bien-être, ils se mettent à haïr les gens qui -ont été lus du public. Les commis des Affaires étrangères seraient bien -aises de me donner quelque petit déboire dans mon métier. Cette maladie -est plus maligne quand l'homme à argent, arrivé à cinquante ans, prend -la manie de se faire écrivain. C'est comme les généraux de l'Empire -qui, voyant, vers 1820, que la Restauration ne voulait pas d'eux, se -mirent à aimer _passionnément_, c'est-à-dire comme un _pis aller_, la -musique. - - * * * * * - -Revenons à 1794 ou 95. Je proteste de nouveau que je ne prétends pas -peindre les choses en elles-mêmes, mais seulement leur effet sur moi. -Comment ne serais-je pas persuadé de cette vérité par cette simple -observation: je ne me souviens pas de la physionomie de mes parents, -par exemple de mon excellent grand-père, que j'ai regardé si souvent et -avec toute l'affection dont un enfant ambitieux est capable. - -Comme, d'après le système barbare adopté par mon père et Séraphie, -je n'avais point d'ami ou de camarade de mon âge, ma _sociabilité_ -(inclination à parler librement de tout) s'était divisée en deux -branches. - -Mon grand-père était mon camarade sérieux et respectable. - -Mon ami, auquel je disais tout, était un garçon fort intelligent, nommé -Lambert, valet de chambre de mon grand-père. Mes confidences ennuyaient -souvent Lambert et, quand je le serrais de trop près, il me donnait une -petite calotte bien sèche et proportionnée à mon âge. Je ne l'en aimais -que mieux. Son principal emploi, qui lui déplaisait fort, était d'aller -chercher des pêches à Saint-Vincent (près le Fontanil), domaine de mon -grand-père. Il y avait près de cette chaumière, que j'adorais, des -espaliers fort bien exposés qui produisaient des pêches magnifiques. -Il y avait des treilles qui produisaient d'excellent _lardan_ (sorte -de chasselas, celui de Fontainebleau n'en est que la copie). Tout cela -arrivait à Grenoble dans deux paniers placés à l'extrémité d'un bâton -plat, et ce bâton se balançait sur l'épaule de Lambert, qui devait -faire ainsi[3] les quatre milles qui séparent Saint-Vincent de -Grenoble. - -Lambert avait de l'ambition, il était mécontent de son sort; pour -l'améliorer, il entreprit d'élever des vers à soie, à l'exemple de ma -tante Séraphie, qui s'abîmait la poitrine en _faisant_ des vers à soie -à Saint-Vincent. (Pendant ce temps je respirais, la maison de Grenoble, -dirigée par mon grand-père et la sage Elisabeth, devenait agréable -pour moi. Je me hasardais quelquefois à sortir sans l'indispensable -compagnie de Lambert.) - -Ce meilleur ami que j'eusse avait acheté un mûrier (près de -Saint-Joseph), il élevait ses vers à soie dans la chambre de quelque -maîtresse. - -En _ramassant_ (cueillant) lui-même les feuilles de ce mûrier, il -tomba, on nous le rapporta sur une échelle. Mon grand-père le soigna -comme un fils. Mais il y avait commotion au cerveau, la lumière ne -faisait plus d'impression sur ses pupilles, il mourut au bout de trois -jours. Il poussait dans le délire, qui ne le quitta jamais, des cris -lamentables qui me perçaient le cœur. - -Je connus la douleur pour la première fois de ma vie. Je pensai à la -mort. - -L'arrachement produit par la perte de ma mère avait été de la folie où -il entrait, à ce qui me semble, beaucoup d'amour. La douleur de la mort -de Lambert fut de la douleur comme je l'ai éprouvée tout le reste de -ma vie, une douleur réfléchie, sèche, sans larmes, sans consolation. -J'étais navré et sur le point de tomber (ce qui fut vertement blâmé par -Séraphie) en entrant dix fois le jour dans la chambre de mon ami dont -je regardais la belle figure, il était mourant et expirant. - -Je n'oublierai jamais ses beaux sourcils noirs et cet air de force et -de santé que son délire ne faisait qu'augmenter. Je le voyais saigner, -après chaque saignée je voyais tenter l'expérience de la lumière devant -les yeux (sensation qui me fut rappelée le soir de la bataille de -Landshut, je crois, 1809). - -J'ai vu une fois, en Italie, une figure de saint Jean regardant -crucifier son ami et son Dieu qui, tout-à-coup, me saisit par le -souvenir de ce que j'avais éprouvé, vingt-cinq ans auparavant, à la -mort du _pauvre Lambert_, c'est le nom qu'il prit dans la famille après -sa mort. Je pourrais remplir encore cinq ou six pages de souvenirs -clairs qui me restent de cette grande douleur. On le cloua dans sa -bière, on l'emporta... - - - Sunt lacrimae rerum. - - -Le même côté de mon cœur est ému par certains accompagnements de Mozart -dans _Don Juan._ - - * * * * * - -La chambre du pauvre Lambert était située sur le grand escalier, à côté -de l'armoire aux liqueurs[4]. - -Huit jours après sa mort, Séraphie se mit fort justement en colère -parce qu'on lui servit je ne sais quel potage (à Grenoble: _soupe_) -dans une petite écuelle de faïence ébréchée, que je vois encore -(quarante ans après l'événement), et qui avait servi à recevoir le sang -de Lambert pendant une des saignées. Je fondis en larmes tout-à-coup, -au point d'avoir des sanglots qui m'étouffaient. Je n'avais jamais pu -pleurer à la mort de ma mère. Je ne commençai à pouvoir pleurer que -plus d'un an après, seul, pendant la nuit, dans mon lit. Séraphie, en -me voyant pleurer Lambert, me fit une scène. Je m'en allai à la cuisine -en répétant à demi-voix et comme pour me venger: infâme! infâme! - -Mes plus doux épanchements avec mon ami avaient lieu pendant qu'il -travaillait à scier le bois au bûcher[5], séparé de la cour, en C, -par une cloison à jours, formée de montants de noyer façonnés au tour, -comme une balustrade de jardin[6]. - -Après sa mort, je me plaçais dans la galerie, au second étage de -laquelle j'apercevais parfaitement les montants de la balustrade, qui -me semblaient superbes pour faire des toupies. Quel âge pouvais-je -avoir alors? Cette idée de toupie indique du moins l'âge de ma raison. -Je pense à une chose, je puis faire rechercher l'extrait mortuaire du -pauvre Lambert, mais _Lambert_ était-il un nom de baptême ou de maison? -Il me semble que son frère, qui tenait un petit café de mauvais ton, -rue de Bonne, près de la caserne, s'appelait aussi Lambert. Mais quelle -différence, grand Dieu! Je trouvais alors qu'il n'y avait rien de si -commun que ce frère, chez lequel Lambert me conduisait quelquefois. -Car, il faut l'avouer, malgré mes opinions parfaitement et foncièrement -républicaines[7] mes parents m'avaient parfaitement communiqué -leurs goûts aristocratiques et réservés. Ce défaut m'est resté et par -exemple m'a empêché, il n'y a pas dix jours, de cueillir une bonne -fortune. J'abhorre la canaille (pour avoir des communications avec), -en même temps que sous le nom de _peuple_ je désire passionnément son -bonheur, et que je crois qu'on ne peut le procurer qu'en lui faisant -des questions sur un objet important, c'est-à-dire en l'appelant à se -nommer des députés. - -Mes amis, ou plutôt prétendus amis, partent de là pour mettre en doute -mon sincère libéralisme. J'ai horreur de ce qui est sale, or le peuple -est toujours sale à mes yeux. Il n'y a qu'une exception pour Rome, -mais là la saleté est cachée par la férocité. (Par exemple, l'unique -saleté du petit abbé sarde Crobras; mais mon respect sans bornes pour -son énergie. Son procès de cinq ans avec ses chefs. _Ubi missa, ibi -menia._ Peu d'hommes sont de cette force. Les princes Caetani savent -parfaitement ces histoires de M. Crobras, de Sartène, je crois, en -Sardaigne[8].) - -Les .....[9] que je me donnais au point H sont incroyables. C'était au -point de me faire éclater une veine. Je viens de me faire mal en les -_mimiquant_ au moins quarante ans après. Qui se souvient de Lambert -aujourd'hui, autre que le cœur de son ami! - -J'irai plus loin, qui se souvient d'Alexandrine, morte en janvier 1815, -il y a vingt ans? - -Qui se souvient de Métilde, morte eu 1825? Ne sont-elles pas à moi, -moi qui les aime mieux que tout le reste du monde? Moi qui pense -passionnément à elles dix fois la semaine, et souvent deux heures de -suite[10]? - - -[Footnote 1: Le _chapitre XIV_ est le chapitre XI du manuscrit (Bibl. de -Grenoble, R 299, fol. 211 à 225).--Écrit à Rome, le 15 décembre 1835.] - -[Footnote 2: _Je place ici ... un dessin ..._--Ce dessin représente un -carrefour où aboutissent quatre voies. Au centre, au point A, -est le _moment de la naissance_; à droite, horizontalement, la -_route de la fortune par le commerce ou les places_; au milieu et -perpendiculairement, la _route de la considération: Félix Faure est -fait pair de France_; à gauche et obliquement, la _route de l'art de se -faire lire_; à gauche, horizontalement, la _route de la folie._] - -[Footnote 3: ... _Lambert, qui devait faire ainsi ..._--Variante: «_Qui -faisait ainsi._»] - -[Footnote 4: _La chambre du pauvre Lambert était située ..._--En face, est un -plan d'une partie de l'appartement. On y voit la chambre de Lambert, -voisine de la salle-à-manger, où se trouvait, dans un angle, l'armoire -aux liqueurs. Cette chambre avait une «fenêtre éclairant mal, donnant -sur l'escalier, mais fort grande et fort belle»; elle contenait une -«grande armoire de noyer pour le linge de la famille. Le linge était -regardé avec une sorte de respect». (Voir notre plan de l'appartement -Gagnon.)] - -[Footnote 5: ... _scier le bois au bûchier ..._--Plan du bûcher indiquant sa -position au sud de la grande cour, près du grand escalier.] - -[Footnote 6: ... _séparé de la cour ..._--Plan de la cour, avec le bûcher et -la galerie. Stendhal y a joint des dessins représentant un chevalet -avec une bûche, la scie de Lambert et les balustres du bûcher.] - -[Footnote 7: ... _mes opinions parfaitement et foncièrement républicaines -..._--Ms.: «_Kainesrépubli._»] - -[Footnote 8: ... _M. Crobras, de Sartène, je crois, en Sardaigne._--Erreur: -Sartène est en Corse.] - -[Footnote 9: _Les ... que je me donnais ..._--Deux mots illisibles. Stendhal -doit faire allusion ici à quelque grimace d'enfant. Dans un croquis -du fol. 221 il indique le point H dans la galerie du second étage, -qui longeait la grande cour de la maison Gagnon: «H, moi. De là, je -contemplais les barreaux de bois du bûcher et je me donnais des (_les -mêmes mots, toujours illisibles_) en portant le sang à la tête et -ouvrant la bouche.»] - -[Footnote 10: ... _souvent deux heures de suite?_--On lit au verso du fol. -225: «Idée: Aller passer trois jours à Grenoble, et ne voir Crozet que -le troisième jour. Aller seul incognito à Claix, à la Bastille, à La -Tronche.»] - - - - -CHAPITRE XV[1] - - -Ma mère avait eu un rare talent pour le dessin, disait-on souvent -dans la famille. «Hélas! que ne faisait-elle pas bien?» ajoutait-on -avec un profond soupir. Après quoi, silence triste et long. Le fait -est qu'avant la Révolution, qui changea tout dans ces provinces -reculées, on enseignait le dessin à Grenoble aussi ridiculement que le -latin. Dessiner, c'était faire avec de la sanguine des hachures bien -parallèles et imitant la gravure; on donnait peu d'attention au contour. - -Je trouvais souvent de grandes têtes à la sanguine dessinées par ma -mère. - -Mon grand-père allégua cet exemple, ce précédent tout-puissant, et -malgré Séraphie j'allai apprendre à dessiner chez M. Le Roy. Ce fut -un grand point de gagné; comme M. _Le Roy_ demeurait dans la maison -Teisseire, avant le grand portail des Jacobins[2], peu à peu on me -laissa aller seul chez lui et surtout revenir. - -Cela était immense pour moi. Mes tyrans, je les appelais ainsi en -voyant courir les autres enfants, souffraient que j'allasse seul de -P en R[3]. Je compris qu'en allant fort vite, car on comptait les -minutes, et la fenêtre de Séraphie donnait précisément sur la place -Grenette, je pourrais faire un tour sur la place de la Halle, à -laquelle on arrivait par le portail L. Je n'étais exposé que pendant -le trajet de R en L. L'horloge de Saint-André, qui réglait la ville, -sonnait les quarts, je devais sortir à trois heures et demie ou quatre -heures (je ne me souviens pas bien lequel) de chez M. Le Roy et cinq -minutes après être rentré. M. Le Roy, ou plutôt madame Le Roy, une -diablesse de trente-cinq ans, fort piquante et avec des yeux charmants, -était spécialement chargée sous menace, je pense, de perdre un élève -payant bien, de ne me laisser sortir[4] qu'à trois heures et quart. -Quelquefois, en montant, je m'arrêtais des quarts d'heure entiers, -regardant par la fenêtre de l'escalier, en F, sans autre plaisir que -de me sentir libre; dans ces rares moments, au lieu d'être employée -à calculer les démarches de mes tyrans, mon imagination se mettait à -jouir de tout. - -Ma grande affaire fut bientôt de deviner si Séraphie serait à la maison -à trois heures et demie, heure de ma rentrée. Ma bonne amie Marion -(Marie Thomasset, de Vinay), servante de Molière et qui détestait -Séraphie, m'aidait beaucoup. Un jour que Marion m'avait dit que -Séraphie sortait après le café, vers trois heures, pour aller chez -sa bonne amie madame Vignon, _la boime_[5], je me hasardai à aller -au Jardin-de-Ville (rempli de petits polissons (gamins). Pour cela, -je traversai la place Grenette en passant derrière la baraque des -châtaignes et la pompe, et en me glissant par la voûte du jardin. - -Je fus aperçu, quelque ami ou protégé de Séraphie me trahit, scène -le soir devant les grands-parents. Je mentis, comme de juste, sur la -demande de Séraphie: - -«As-tu été au Jardin-de-Ville?» - -Là-dessus, mon grand-père me gronda doucement et poliment, mais -ferme, pour le mensonge. Je sentais vivement ce que je ne savais -exprimer. Mentir n'est-il pas la seule ressource des esclaves? Un vieux -domestique, successeur du pauvre Lambert, sorte de La Rancune, fidèle -exécuteur des ordres des parents et qui disait avec morosité en parlant -de soi: «Je suis assassineur (_sic_) de pots-de-chambre», fut chargé -de me conduire chez M. Le Roy. J'étais libre les jours où il allait à -Saint-Vincent chercher des fruits. - -Cette lueur de liberté me rendit furieux. «Que me feront-ils après -tout, me dis-je, où est l'enfant de mon âge qui ne va pas seul?» - -Plusieurs fois j'allai au Jardin-de-Ville; si l'on s'en apercevait -on me grondait, mais je ne répondais pas. On menaça de supprimer le -maître de dessin, mais je continuai mes courses. Alléché par un peu de -liberté, j'étais devenu féroce. Mon père commençait à prendre sa grande -passion pour l'agriculture et il allait souvent à Claix[6]. Je crus -m'apercevoir qu'en son absence je commençais à faire peur à Séraphie. -Ma tante Elisabeth, par fierté espagnole, n'ayant pas d'autorité -légitime, restait neutre; mon grand-père, d'après son caractère à la -Fontenelle, abhorrait les cris; Marion et ma sœur Pauline étaient -hautement pour moi. Séraphie passait pour folle aux yeux de bien des -gens, et par exemple aux yeux de nos cousines, mesdames Colomb et -Romagnier, femmes excellentes. (J'ai pu les apprécier après que j'ai -eu l'âge de raison et quelque expérience de la vie.) Dans ces temps-là -un mot de Mme Colomb me faisait rentrer en moi-même, ce -qui me fait supposer qu'avec de la douceur on eût tout fait de moi, -probablement un _plat_ Dauphinois bien _retors._ Je me mis à résister à -Séraphie, j'avais à mon tour des accès de colère abominables. - -«Tu n'iras plus chez M. Le Roy», disait-elle. - -Il me semble, en y pensant bien, qu'il y eut une victoire de Séraphie, -et par conséquent, interruption dans les leçons de dessin. - -La Terreur était si douce à Grenoble que mon père, de temps à autre, -allait habiter sa maison, rue des Vieux-Jésuites. Là, je vois M. Le -Roy me donnant leçon sur le grand bureau[7] noir du cabinet de mon -père[8], et me disant à la fin de la leçon: - -«Monsieur, dites à votre _cher_ père que je ne puis plus venir pour -trente-cinq (ou quarante-cinq) francs par mois.» - -Il s'agissait d'assignats qui _dégringolaient_ ferme (terme du pays). -Mais quelle date donner à cette image fort nette qui m'est revenue -tout-à-coup? Peut-être était-ce beaucoup plus tard, à l'époque où je -peignais à la gouache. - -Les dessins de M. Le Roy étaient ce qui m'importait le moins. Ce maître -me faisait faire[9] des yeux de profil et de face, et des oreilles à -la sanguine d'après d'autres dessins gravés à la manière du crayon. - -M. Le Roy était un _Parisien_ fort poli, sec et faible, vieilli par -le libertinage le plus excessif (telle est mon impression, mais -comment pouvais-je justifier ces mots: le plus excessif?), du reste -poli, civilisé comme on l'est à Paris, ce qui me faisait l'effet de: -excessivement poli, à moi accoutumé à l'air froid, mécontent, nullement -civilisé qui fait la physionomie ordinaire de ces Dauphinois si fins. -(Voir le caractère de Sorel père, dans le _Rouge_, mais où diable sera -le _Rouge_ en 1880?--Il aura passé les sombres bords.) - -Un soir, à la nuit tombante, il faisait froid, j'eus l'audace de -m'échapper, apparemment en allant rejoindre ma tante Elisabeth chez -madame Colomb; j'osai entrer à la Société des Jacobins, qui tenait -ses séances dans l'église de Saint-André. J'étais rempli des héros de -l'histoire romaine, je me voyais un jour un Camille ou un Cincinnatus, -ou tous les deux à la fois[10]. Dieu sait à quelle peine je -m'expose, me disais-je, si quelque espion de Séraphie (c'est mon idée -d'alors) m'aperçoit ici? Le président était en P, des femmes mal mises -en F, moi en H[11]. - -On demandait la parole et on parlait avec assez de désordre. Mon -grand-père se moquait habituellement, et _gaiement_, de leurs façons -de parler. Il me sembla sur-le-champ que mon grand-père avait raison, -l'impression fut peu favorable, je trouvai horriblement vulgaires ces -gens que j'aurais voulu aimer[12]. Cette église étroite et haute -était fort mal éclairée, j'y trouvai beaucoup de femmes de la dernière -classe. En un mot, je fus alors comme aujourd'hui, j'aime le peuple, je -déteste les oppresseurs, mais ce serait pour moi un supplice de tous -les instants de vivre avec le peuple. - -J'emprunterai pour un instant[13] la langue de Cabanis. J'ai la peau -beaucoup trop fine, une peau de femme (plus tard j'avais toujours des -ampoules après avoir tenu mon sabre pendant une heure), je m'écorche -les doigts, que j'ai fort bien, pour un rien, en un mot la superficie -de mon corps est de femme. De là peut-être une horreur incommensurable -pour ce qui a l'air _sale_, ou _humide_, ou _noirâtre._ Beaucoup de -ces choses se trouvaient aux Jacobins de Saint-André. - -En rentrant, une heure après, chez madame Colomb, ma tante au caractère -espagnol me regarda d'un air fort sérieux. Nous sortîmes: quand nous -fûmes seuls dans la rue, elle me dit: - -«Si tu t'échappes ainsi, ton père s'en apercevra... - ---Jamais de la vie, si Séraphie ne me dénonce pas. - ---Laisse-moi parler... Et je ne me soucie pas d'avoir à parler de toi -avec ton père. Je ne te mènerai plus chez Mme Colomb.» - -Ces paroles, dites avec beaucoup de simplicité, me touchèrent; la -laideur des Jacobins m'avait frappé, je fus pensif le lendemain et -les jours suivants: mon idole était ébranlée. Si mon grand-père -avait deviné ma sensation, et je lui aurais tout dit s'il m'en eût -parlé au moment où nous arrosions les fleurs sur la terrasse, il -pouvait ridiculiser à jamais les Jacobins et me ramener au giron de -l'_Aristocratie_ (ainsi nommée alors, aujourd'hui parti légitimiste -ou conservateur). Au lieu de diviniser les Jacobins, mon imagination -eut été employée à se figurer et à exagérer la saleté de leur salle de -Saint-André. - -Cette saleté laissée à elle-même fut bientôt effacée par quelque récit -de bataille gagnée qui faisait gémir ma famille. - -Vers cette époque, les arts s'emparaient de mon imagination, par la -voie des sens, dirait un prédicateur. Il y avait dans l'atelier de M. -Le Roy un grand et beau paysage: une montagne rapide très voisine de -l'œil, garnie de grands arbres; au pied de cette montagne un ruisseau -peu profond, mais large, limpide, coulait de gauche à droite au pied -des derniers arbres. Là, trois femmes presque nues (ou sans presque) -se baignaient gaiement. C'était presque le seul point clair dans cette -toile de trois pieds et demi sur deux et demi. - -Ce paysage, d'une verdure charmante, trouvant une imagination préparée -par _Félicia_, devint pour moi l'idéal du bonheur. C'était un mélange -de sentiments tendres et de douce volupté. Se baigner ainsi avec des -femmes si aimables[14]! - -L'eau était d'une limpidité qui faisait un beau contraste avec les -puants ruisseaux des _Granges_, remplis de grenouilles et recouverts -d'une pourriture verte. Je prenais la plante verte qui croît sur ces -sales ruisseaux pour une corruption. Si mon grand-père m'eût dit: « -C'est une plante, le moisi même qui gâte le pain est une plante», mon -horreur eût rapidement cessé. Je ne l'ai surmontée tout-à-fait qu'après -que M. Adrien de Jussieu, dans notre voyage à Naples (1832), (cet homme -si naturel, si sage, si raisonnable, si digne d'être aimé), m'eut parlé -au long de ces petites plantes, toujours un peu signes de pourriture à -mes yeux, quoique je susse vaguement que c'étaient des plantes. - -Je n'ai qu'un moyen d'empêcher mon imagination de me jouer des tours, -c'est de marcher droit à l'objet. Je vis bien cela en marchant sur les -deux pièces de canon (dont il est parlé dans le certificat du général -Michaud)[15]. - -Plus tard, je veux dire vers 1805, à Marseille, j'eus le plaisir -délicieux de voir ma maîtresse, supérieurement bien faite, se baigner -dans l'Huveaune couronnée de grands arbres (dans la bastide de madame -Roy). - -Je me rappelai vivement le paysage de M. Le Roy, qui pendant quatre ou -cinq ans avait été pour moi l'idéal du bonheur voluptueux. J'aurais pu -m'écrier, comme je ne sais quel niais d'un des romans de 1832: _Voilà -mon idéal!_ - -Tout cela, comme on sent, est fort indépendant du mérite du paysage, -qui était probablement un plat d'épinards, sans perspective aérienne. - -Plus tard, le _Traité nul_, opéra de Gaveau, fut pour moi le -commencement de la passion qui s'est arrêtée au _Matrimonio segreto_, -rencontré à Ivrée (fin de mai 1800), et à _Don Juan._ - - -[Footnote 1: _Chapitre XV._--Comme les chapitres V et XIII, le présent -chapitre se trouve dans un cahier séparé côté R 300 à la bibliothèque -municipale de Grenoble, fol. I à 14. Stendhal a indiqué en tête de ce -chapitre, qu'il intitule «chapitre 13»: «A placer _after the death of -poor Lambert.»_--Écrit à Rome, le 17 décembre 1835; corrigé, à partir -du fol. 11, le 25 décembre.--On lit en tête du fol. I: «17 déc. 35. -Grand froid à la jambe gauche gelée.»] - -[Footnote 2: ... _M._ Le Roy _demeurait dans la maison Teisseire, avant le -grand portail des Jacobins ..._--Aujourd'hui, place Grenette, no 5, -à l'angle de la rue de la République (autrefois rue de la Halle). -La voûte qui séparait la rue de la Halle de la place Grenette a été -démolie en 1908.] - -[Footnote 3: _Mes tyrans ... souffraient que j'allasse seul de P en R ..._--Au -verso du fol. 2 est un plan des environs de la place Grenette. On y -voit les «portes de la maison de M. Gagnon (il me semble jurer quand je -dis: M. Gagnon).»] - -[Footnote 4: ... _de ne me laisser sortir ..._--Variante: «_De ne me lâcher._»] - -[Footnote 5: ... _la boime ..._--Terme dauphinois, que Stendhal définit ainsi: -«_Boime_ à Grenoble veut dire hypocrite, doucereuse, jésuite-femelle.» -(Voir plus loin, chapitre XVII.)] - -[Footnote 6: ... _il allait souvent à Claix._--En face, au verso du fol. 5, -est une carte grossière de la campagne située au midi de Grenoble, -avec les chemins suivis pour aller à Claix et au hameau de Furonières, -où se trouvait la propriété des Beyle. Stendhal ajoute en note: «Pour -aller à Claix, c'est-à-dire à Furonières, nous prenions le chemin -Meney par O F, le Cours (appelé le _Course_)[cours de Saint-André], -le pont de Claix et les chemins R et R', quelquefois le chemin E du -Moulin-de-Canel et le bac de Seyssins. Mon ami Crozet y a fait un pont -en fil de fer vers 1826.»--Louis Crozet fut inspecteur divisionnaire -des Ponts et Chaussées; il exerça les fonctions de maire de Grenoble -entre 1853 et 1858.] - -[Footnote 7: ... _sur le grand bureau ..._--Variante: «_Table._»] - -[Footnote 8: ... _cabinet de mon père ..._--Un plan des situations respectives -des personnages accompagne le récit.] - -[Footnote 9: _Ce maître me faisait faire ..._--Variante: «_M. Le Roy me -faisait faire ..._»] - -[Footnote 10: ... _tous les deux à la fois._--Variante: «_En même temps._»] - -[Footnote 11: ... _des femmes mal mises en F, moi en H._--En face du fol. -8 (verso du fol. 7) est un plan de l'église Saint-André et de ses -abords, et notamment, dans la Grande-rue, la «maison où habitaient -Mmes Colomb et Romagnier.»] - -[Footnote 12: ... _ces gens que j'aurais voulu aimer._--On lit en haut du fol. -9: «17 décembre 1835.--Je souffre du froid devant mon feu, à deux pieds -et demi du foyer, grand froid _for_ Omar.»] - -[Footnote 13: _J'emprunterai pour un instant la langue de Cabanis._--On lit -fol. 8 V°: «Style. Ces mots: _pour un instant_, je les eusse effacés en -1830, mais en 35 je regrette de ne pas en trouver de semblables dans le -_Rouge._ 25 décembre 1835.»] - -[Footnote 14: _Se baigner ainsi avec des femmes si aimables!_--On trouve en -tête du fol. 13 un dessin schématique du «Paysage de M. Le Roy», et au -verso du fol. 12 un plan de l'atelier.] - -[Footnote 15: _ ...(dont il est parle dans le certificat du général -Michaud)._--«M. Colomb doit avoir ce certificat,» (Note de Stendhal.) -«Oui,» a ajouté au crayon R. Colomb.] - - - - -CHAPITRE XVI[1] - - -Je travaillais sur une petite table au point P[2], près de la seconde -fenêtre du grand salon à l'italienne, je traduisais avec plaisir -Virgile ou les Métamorphoses d'Ovide, quand un sombre murmure d'un -peuple immense, rassemblé sur la place Grenette, m'apprit qu'on venait -de guillotiner deux prêtres[3]. - -C'est le seul sang que la Terreur de 93 ait fait couler à Grenoble. - -Voici un de mes grands torts: mon lecteur de 1880, éloigné de la fureur -et du sérieux des partis, me prendra en grippe quand je lui avouerai -que cette mort, qui glaçait d'horreur mon grand-père, qui rendait -Séraphie furibonde, qui redoublait le silence hautain et espagnol de -ma tante Elisabeth, me fit _pleasure._ Voilà le grand mot écrit. - -Il y a plus, il y a bien pis, j'aime encore _in_ 1835 _the man of_ 1794. - -(Voici encore un moyen d'accrocher une date véritable. Le registre du -tribunal criminel, actuellement Cour royale, place Saint-André, doit -donner la date de la mort de MM. Revenas et Guillabert[4].) - -Mon confesseur, M. Dumolard, du Bourg-d'Oisans[5], (prêtre borgne et -assez bonhomme en apparence, depuis 1815 jésuite furieux[6]), me -montra, avec des gestes qui me semblèrent ridicules, des prières ou des -vers latins écrits par MM. Revenas et Guillabert, qu'il voulait à toute -force me faire considérer comme généraux de brigade. - -Je lui répondis fièrement: - -«Mon bon papa (grand-père) m'a dit qu'il y a vingt ans on pendit à la -même place deux ministres protestants. - ---Ah! c'est bien différent! - ---Le Parlement condamna les deux premiers pour leur religion, le -tribunal civil criminel vient de condamner ceux-ci pour avoir trahi la -patrie.» - -Si ce ne sont les mots, c'est du moins le sens. - -Mais je ne savais pas encore que discuter avec les tyrans est -dangereux, on devait lire dans mes yeux mon peu de sympathie pour deux -traîtres à la patrie. (Il n'y avait pas en 1795 et il n'y a pas à mes -yeux, en 1835, de crime seulement _comparable._) - -On me fit une querelle abominable, mon père se mit contre moi dans une -des plus grandes colères dont j'aie souvenance. Séraphie triomphait. Ma -tante Elisabeth me fit la morale en particulier. Mais je crois, Dieu me -pardonne, que je la convainquis que c'était la peine du talion. - -Heureusement pour moi, mon grand-père ne se joignit pas à mes ennemis, -en particulier il fut tout-à-fait d'avis que la mort des deux ministres -protestants était aussi condamnable. - -«C'est petit: sous le _tyran_ Louis XV la patrie n'était pas en -danger.» - -Je ne dis pas tyran, mais ma physionomie devait le dire. - -Si mon grand-père, qui déjà avait été contre moi dans la bataille abbé -Gardon, se fût montré de même dans cette affaire, c'en était fait -[7], je ne l'aimais plus. Nos conversations sur la belle littérature, -Horace, M. de Voltaire, le chapitre XV de Bélisaire, les beaux endroits -de Télémaque, Séthos, qui ont formé mon esprit, eussent cessé et -j'eusse été bien plus malheureux dans tout le temps qui s'écoula de -la mort des deux malheureux prêtres à ma passion exclusive pour les -mathématiques: printemps ou été 1797. - -Tous les après-midi d'hiver se passaient, les jambes au soleil, dans -la chambre de ma tante Elisabeth, qui donnait sur la Grenette au point -A[8]. Par-dessus l'église de Saint-Louis ou à côté, pour mieux dire, -on voyait le trapèze T de la montagne du Villard-de-Lans[9]. Là -était mon imagination, dirigée[10] par l'Arioste de M. de Tressan, -elle ne voyait, rêvait qu'un pré au milieu de hautes montagnes. Mon -griffonnage d'alors ressemblait beaucoup à l'écriture ci-jointe de mon -illustre compatriote[11]. - -Mon grand-père avait coutume de dire en prenant son excellent café, sur -les deux heures après-midi, les jambes au soleil: «Dès le 15 février, -_dans ce climat_, il fait _bon_ au soleil.» - -Il aimait beaucoup les idées géologiques et aurait été un partisan -ou un adversaire des soulèvements de M. Elie de Beaumont, qui -m'enchantent. Mon grand-père me parlait _avec passion_, c'est là -l'essentiel, des idées géologiques d'un M. Guettard[12], qu'il avait -connu, _ce me semble._ - -Je remarquai avec ma sœur Pauline, qui était de mon parti, que la -conversation dans le plus beau moment de la journée, en prenant le -café, consistait toujours en gémissements. On gémissait de tout. - -Je ne puis pas donner la réalité des faits, je n'en puis présenter que -_l'ombre._ - -Nous passions les soirées d'été, de sept à neuf et demie (à neuf -heures, le sein ou saint[13] sonnait à Saint-André, les beaux sons -de cette cloche me donnaient une vive émotion). Mon père, peu sensible -à la beauté des étoiles (je parlais sans cesse constellations avec mon -grand-père), disait qu'il s'enrhumait et allait faire la conversation -dans la chambre attenante avec Séraphie. - -Cette terrasse, formée par l'épaisseur d'un mur nommé Sarrasin[14], -mur qui avait quinze ou dix-huit pieds, avait une vue magnifique sur -la montagne de Sassenage; là, le soleil se couchait en hiver; sur -le rocher[15] de Voreppe, coucher d'été, et au nord-ouest de la -Bastille, donc la montagne (maintenant transformée par le général Haxo) -s'élevait au-dessus de toutes les maisons et sur la tour de Rabot, qui -fut, ce me semble, l'ancienne entrée de la ville avant qu'on eût coupé -le rocher de la Porte-de-France[16]. - - * * * * * - -Mon grand-père fit beaucoup de dépenses pour cette terrasse. Le -menuisier Poncet vint s'établir pendant un an dans le cabinet -d'histoire naturelle, dont il fit les armoires en bois blanc; il fit -ensuite des caisses de dix-huit pouces de large et deux pieds de haut, -en châtaignier, remplies de bonne terre, de vigne et de fleurs. Deux -ceps montaient du jardin de M. Périer-Lagrange, bon imbécile, notre -voisin. - -Mon grand-père avait fait établir des portiques en liteaux de -châtaignier. Ce fut un grand travail dont fut chargé un menuisier nommé -Poncet, bon ivrogne de trente ans assez gai. Il devint mon ami, car -enfin avec lui je trouvais la douce égalité. - -Mon grand-père arrosait ses fleurs tous les jours, plutôt deux fois -qu'une; Séraphie ne venait jamais sur cette terrasse, c'était un moment -de répit. J'aidais toujours mon grand-père à arroser les fleurs, et il -me parlait de Linné et de Pline, non pas par devoir, mais avec plaisir. - -Voilà la grande et extrême obligation que j'ai à cet excellent homme. -Par surcroît de bonheur, il se moquait fort des pédants (les Lerminier, -les Salvandy, les...[17] d'aujourd'hui), il avait un esprit dans -le genre de M. Letronne, qui vient de détrôner Memnon[18] (ni plus -ni moins que la statue de Memnon). Mon grand-père me parlait avec le -même intérêt de l'Egypte, il me fit voir la momie achetée, par son -influence, pour la bibliothèque publique; là, l'excellent Père Ducros -(le premier homme supérieur auquel j'ai parlé dans ma vie) eut mille -complaisances pour moi. Mon grand-père, fort blâmé par Séraphie appuyée -du silence de mon père, me fit lire _Séthos_ (lourd roman de l'abbé -Terrasson), alors divin pour moi. Un roman est comme un archet, la -caisse du violon qui _rend les sons_, c'est l'âme du lecteur. Mon âme -alors était folle, et je vais dire pourquoi. Pendant que mon grand-père -lisait, assis dans un fauteuil en D[19], vis-à-vis le petit buste -de Voltaire en V, je regardais sa bibliothèque placée en B, j'ouvrais -les volumes in-4° de Pline, traduction avec texte en regard. Là je -cherchais surtout l'histoire naturelle de _la femme._ - -L'odeur excellente, c'était de l'ambre ou du musc (qui me font malade -depuis seize ans, c'est peut-être la même odeur ambre et musc), enfin -je fus attiré vers un tas de livres brochés jetés confusément en L. -C'étaient de mauvais romans non reliés que mon oncle avait laissés -à Grenoble lors de son départ pour s'établir aux Échelles (Savoie, -près le Pont-de-Beauvoisin). Cette découverte fut décisive pour mon -caractère. J'ouvris quelques-uns de ces livres, c'étaient de plats -romans de 1780, mais pour moi c'était l'essence de la volupté. - -Mon grand-père me défendit d'y toucher, mais j'épiais le moment où -il était le plus occupé dans son fauteuil à lire les livres nouveaux -dont, je ne sais comment, il avait toujours grande abondance, et je -volais un volume des romans de mon oncle. Mon grand-père s'aperçut -sans doute de mes larcins, car je me vois établi dans le cabinet -d'histoire naturelle, épiant que quelque malade vînt le demander. Dans -ces circonstances, mon grand-père gémissait de se voir enlevé à ses -chères études et allait recevoir le malade dans sa chambre ou dans -l'antichambre du grand appartement. Crac! je passais dans le cabinet -d'études, en L, et je volais un volume. - -Je ne saurais exprimer la passion avec laquelle je lisais ces livres. -Au bout d'un mois ou deux, je trouvai _Félicia ou mes fredaines._ Je -devins fou absolument, la possession d'une maîtresse réelle, alors -l'objet de tous mes vœux, ne m'eût pas plongé dans un tel torrent de -volupté. - -Dès ce moment, ma vocation fut décidée: vivre à Paris en faisant des -comédies, comme Molière. - -Ce fut là mon idée fixe, que je cachai sous une dissimulation profonde, -la tyrannie de Séraphie m'avait donné les habitudes d'un esclave. - -Je n'ai jamais pu parler de ce que j'adorais, un tel discours m'eût -semblé un blasphème. - -Je sens cela aussi vivement en 1835 que je le sentais en 1794. - -Ces livres de mon oncle portaient l'adresse de M. Falcon[20], qui -tenait alors l'unique cabinet littéraire; c'était un chaud patriote, -profondément méprisé par mon grand-père et parfaitement haï par -Séraphie et mon père. - -Je me mis par conséquent à l'aimer, c'est peut-être le Grenoblois que -j'ai le plus estimé. Il y avait dans cet ancien laquais de madame de -Brizon (ou d'une autre dame de la rue Neuve, chez laquelle[21] mon -grand-père avait été servi à table par lui), il y avait dans ce laquais -une âme vingt fois plus noble que celle de mon grand-père, de mon -oncle, je ne parlerai pas de mon père et du jésuite Séraphie. Peut-être -ma seule tante Elisabeth lui était-elle comparable. Pauvre, gagnant -peu et dédaignant de gagner de l'argent, Falcon plaçait un drapeau -tricolore en dehors de sa boutique à chaque victoire des armées et les -jours de fête de la République. - -Il a adoré cette République du temps de Napoléon comme sous les -Bourbons, et est mort à quatre-vingt-deux ans, vers 1820, toujours -pauvre, mais honnête jusqu'à la plus extrême délicatesse. - -En passant, je lorgnais la boutique de Falcon, qui avait un grand -toupet à l'œil au royal, parfaitement poudré, et arborait un bel habit -rouge à grands boutons d'acier, la mode d'alors, les jours heureux -pour sa chère République. C'est le plus bel échantillon[22] du -caractère dauphinois. Sa boutique était vers la place Saint-André, je -me rappelle son déménagement. Falcon vint occuper la boutique A[23], -dans l'ancien Palais des Dauphins, où siégeait le Parlement et ensuite -la Cour royale. Je passais exprès sous le passage B pour le voir. Il -avait une fille fort laide, le sujet ordinaire des plaisanteries de ma -tante Séraphie, qui l'accusait de faire l'amour avec les patriotes qui -venaient lire les journaux dans le cabinet littéraire de son père. - -Plus tard, Falcon s'établit en A'. Alors j'avais la hardiesse d'aller -lire chez lui. Je ne sais pas si, dans le temps où je volais les livres -de mon oncle, j'eus la hardiesse de m'abonner chez lui; il me semble -que, d'une façon quelconque, j'avais de ses livres. - -Mes rêveries furent dirigées puissamment par _la Vie et les aventures -de Mme de * * *_[24], roman extrêmement touchant, -peut-être fort ridicule, car l'héroïne était prise par les sauvages. -Je prêtai, ce me semble, ce roman à mon ami Romain Colomb, qui encore -aujourd'hui en a gardé le souvenir. - -Bientôt je me procurai la _Nouvelle-Héloïse_, je crois que je la pris -au rayon le plus élevé de la bibliothèque de mon père, à Claix. - -Je la lus couché sur mon lit dans mon _trapèze_[25] à Grenoble, -après avoir eu soin de m'enfermer à clef, et dans des transports de -bonheur et de volupté impossibles à décrire. Aujourd'hui, cet ouvrage -me semble pédantesque et, même en 1819, dans les transports de l'amour -le plus fou, je ne pus pas en lire vingt pages de suite. Dès lors, -voler des livres devint ma grande affaire. - -J'avais un coin à côté du bureau de mon père; rue des Vieux-Jésuites, -où je déposais, à demi cachés par leur humble position, les livres qui -me plaisaient; c'étaient des exemplaires du Dante avec des gravures sur -bois bizarres, des traductions de Lucien par Perrot d'Ablancourt (les -belles infidèles), la correspondance de milord _All-eye_ avec milord -_All-ear_, du marquis d'Argens, et enfin les _Mémoires d'un homme de -qualité retiré du monde._ - -Je trouvai moyen de me faire ouvrir le cabinet de mon père, qui -était désert depuis la fatale tyrannie Amar et Merlinot, et je -passai une revue exacte de tous les livres. Il avait une superbe -collection d'Elzévirs, mais malheureusement je ne comprenais rien au -latin, quoique sachant par cœur le _Selectae e profanis._ Je trouvai -quelques livres in-12 au-dessus de la petite porte communiquant au -salon, et j'essayai de lire quelques articles de l'Encyclopédie. -Mais qu'était-ce que tout cela à côté de _Félicia_ et de la -_Nouvelle-Héloïse?_ - - * * * * * - -Ma confiance littéraire en mon grand-père était extrême, je comptais -bien qu'il ne me trahirait pas envers Séraphie et mon père. Sans avouer -que j'avais lu la _Nouvelle-Héloïse_, j'osai lui en parler avec éloge. -Sa conversion au jésuitisme[26] ne devait pas être ancienne, au -lieu de m'interroger avec sévérité il me raconta que M. le baron des -Adrets (le seul des amis chez qui il eût continué à dîner deux ou trois -fois par mois, depuis la mort de ma mère), dans le temps que parut la -_Nouvelle-Héloïse_ (n'est-ce pas 1770[27]?), se fît attendre un jour -à dîner chez lui; Mme des Adrets le fit avertir une seconde fois, enfin -cet homme si froid arriva tout en larmes. - -«Qu'avez-vous donc, mon ami? lui dit Mme des Adrets, tout alarmée. - ---Ah! Madame, Julie est morte!» Et il ne mangea presque pas. - -Je dévorais les annonces de livres à vendre qui arrivaient avec les -journaux. Mes parents recevaient alors, ce me semble, un journal en -société avec quelqu'un. - -J'allai m'imaginer que Florian devait être un livre sublime, -apparemment d'après les titres: _Gonsalve de Cordoue, Estelle_, etc. - -Je mis un petit écu (3 francs) dans une lettre et j'écrivis à un -libraire de Paris de m'envoyer un certain ouvrage de Florian. C'était -hardi, qu'eût dit Séraphie à l'arrivée du paquet? - -Mais enfin il n'arriva jamais, et avec un louis que mon grand-père -m'avait donné le jour de l'an j'achetai un Florian. Ce fut des œuvres -de ce grand homme que je tirai ma première comédie[28]. - - -[Footnote 1: Le _chapitre XVI_ est le chapitre XII du manuscrit (R 299, fol. -226 à 248).--Écrit à Rome, les 15 et 16 décembre 1835.] - -[Footnote 2: _Je travaillais sur uns petite table au point P ..._--Un fol. -226 _bis_ est rempli par un plan d'une partie de l'appartement Gagnon, -avec le «grand salon à l'Italienne». (Voir notre plan de l'appartement -Gagnon.)] - -[Footnote 3: ... _m'apprit qu'on venait de guillotiner deux -prêtres._--Variante: «_Deux généraux de brigade._» Voir l'explication -de ce terme donnée plus loin par l'abbé Dumolard au jeune Henri.] - -[Footnote 4: ... _date de la mort de MM. Revenus et Guillabert_--Les abbés -Revenas et Guillabert furent guillotinés le 26 juin 1794. (Voir A. -Prudhomme, _Histoire de Grenoble_, p. 645.)] - -[Footnote 5: ... _M. Dumolard, du Bourg-d'Oisans ..._--L'abbé Dumolard était -curé de La Tronche, près Grenoble.] - -[Footnote 6: ... _depuis_ 1815, _jésuite furieux ..._--Ms:«_Tejé._»] - -[Footnote 7: ... _c'en était fait ..._--Ici une croix et un blanc d'une -demi-ligne.] - -[Footnote 8: ... _qui donnait sur la Grenette au point A._--Plan de la place -Grenette, avec en A la chambre d'Elisabeth Gagnon, à l'extrémité Nord -de l'appartement (voir notre plan). En B, à l'angle de la place et -de la Grande-rue, «salle-à-manger du premier étage, occupé par mon -grand-père avant notre passage à la maison de Marnais».] - -[Footnote 9: ... _le trapèze T de la montagne du Villard-de-Lans._--Croquis -indiquant le trapèze formé, en haut par la crête de la montagne, et -sur les trois autres cités par l'église Saint-Louis et les toits des -maisons. La crête de la montagne, ainsi limitée, correspond à l'arête -des montagnes de Lans, entre le Moucherotte et le col de l'Arc.] - -[Footnote 10: ... _mon imagination, dirigée ..._--Variante: «_Formée._»] - -[Footnote 11: ... _l'écriture ci-jointe de mon illustre compatriote._--Avec -le manuscrit est relié (après les fol. 99 et 231) un fac-similé -lithographique de l'écriture de Barnave. Ce fac-similé porte les -légendes suivantes: «Extrait d'un album de Barnave ... L'original de -cet écrit, tracé par Barnave en 1792, nous a été communiqué par MMmes -ses sœurs.»] - -[Footnote 12: ... _M. Guettard.--_Guettard (1715-1786), minéralogiste -grenoblois, a laissé un ouvrage intitulé: _Mémoires sur la minéralogie -du Dauphiné_ (Paris, 1779, deux vol. in-4°).] - -[Footnote 13: ... _le sein ou saint ..._--Le _sing_ (de _signum_, signal) -annonçait aux habitants de Grenoble la fermeture des portes de la -ville; cette coutume fut conservée jusqu'en 1877, quoique depuis 1864 -on ne fermât plus les portes de l'enceinte.] - -[Footnote 14: _Cette terrasse, formée par l'épaisseur d'un mur nommé Sarrasin -..._--Ce mur, qui porte encore aujourd'hui le nom de _mur sarrasin_, -est en réalité le mur de l'ancienne enceinte romaine de Grenoble. Il -n'en reste plus qu'un vestige: la terrasse dont parle Stendhal, et qui -se prolonge à travers toute la maison presque jusqu'à la Grande-rue. -(Voir notre plan de l'appartement Gagnon.)] - -[Footnote 15: ... _sur le rocher de Voreppe ..._--Stendhal a oublié un mot; -nous le rétablissons d'après le sens du contexte.] - -[Footnote 16: ... _l'ancienne entrée de la ville avant qu'on eût coupé le -rocher de la Porte-de-France._--La route qui passe au pied du rocher de -Rabot date de la construction de la Porte-de-France par Lesdiguières en -1620. Avant cette date, on arrivait en effet à Grenoble par la tour de -Rabot et la rue ou «montée» de Chalemont, et la «montée» du Rabot. - -En face du fol. 234, Stendhal a figuré la terrasse, avec l'emplacement -du «cabinet en losanges de châtaignier avec forme d'architecture de -mauvais goût, à la Bernin». Y est également figuré le cabinet d'été -de M. Gagnon; dans le cabinet voisin, «où s'établit Poncet», est -indiqué le «banc de menuisier à côté duquel je passais ma vie». Dans le -lointain est figurée la silhouette de la «montagne de Sassenage», avec -la position du soleil à son coucher en juin et en décembre.] - -[Footnote 17: _ ...(les Lerminier, les Salvandy, les ..._--Le nom est en blanc -dans le manuscrit.] - -[Footnote 18: ... _dans le genre de M. Letronne, qui vient de détrôner Memnon -..._--Jean-Antoine Letronne, célèbre archéologue français (1787-1848), -était en 1835 directeur de la Bibliothèque royale. Il avait publié en -1833 un mémoire sur _la Statue vocale de Memnon._] - -[Footnote 19: _Pendant que mon grand-père lisait, assis dans un fauteuil en D -..._--Plan du cabinet de M. Gagnon. Le fauteuil du grand-père de Beyle -était placé devant la cheminée, où se trouvait le buste de Voltaire; -derrière lui était la bibliothèque et dans un coin, en L, le tas des -livres brochés laissés par Romain Gagnon.] - -[Footnote 20: _Ces livres de mon oncle portaient l'adresse de M. Falcon -..._--Le libraire Falcon (1753-1830) prit une part très active au -mouvement révolutionnaire. Il fut secrétaire, puis président (22 -juillet-18 août 1794) de la Société populaire, qui se réunissait -dans l'église Saint-André. La boutique de Falcon servait de lieu de -réunion aux patriotes exaltés, si bien que le 24 thermidor an III -(11 août 1795) le Conseil général de la commune de Grenoble prit une -délibération pour interdire à «ceux qui ont participé aux horreurs -commises sous la tyrannie de se rendre dans la boutique de Falcon et -le café Dumas et dans tout autre lieu public, à peine de huit jours de -détention et même de plus grande peine, s'il y échoit ...» Il était en -outre enjoint à Falcon «de tenir sa boutique fermée à six heures du -soir ..., sous les mêmes peines». (Archives municipales de Grenoble, LL -8, page 227.)] - -[Footnote 21: ... _une autre dame de la rue Neuve, chez laquelle ..._--Ms.: -«_Lequel._»] - -[Footnote 22: _C'est le plus bel échantillon ..._--Variante: «_Exemple._»] - -[Footnote 23: _Falcon vint occuper la boutique A ..._--Plan de la place -Saint-André, avec la situation, en A, de la première boutique de -Falcon, à l'angle du passage du Palais, B, «avec têtes en relief, comme -à Florence» (ces têtes sont actuellement au Musée de Grenoble, mais -des copies ornent encore, à leur ancienne place, l'entrée du Palais de -Justice). En A', près de la «salle de spectacle», est l'emplacement de -la seconde boutique de Falcon.] - -[Footnote 24: ... _la Vie et les aventures de Mme de*** ..._--Voici -le titre: _Vie, faiblesses et repentir d'une femme._ J'en ai un -exemplaire, mis en très mauvais état par l'humidité. (Note au crayon de -Romain Colomb.)] - -[Footnote 25: _Je la lus couché sur mon lit dans mon trapèze ..._--Voir notre -plan de l'appartement de Henri Gagnon.] - -[Footnote 26: _Sa conversion au jésuitisme ..._--Ms.: «_Tismejésui._»] - -[Footnote 27: ... _dans le temps que parut la_ Nouvelle Héloïse (_n'est-ce -pas_ 1770?) ...--La _Nouvelle-Héloïse_ parut en 1761.] - -[Footnote 28: --On lit sur l'avant-dernier feuillet du premier volume: «27 -décembre 1835. Lacenaire aussi écrit ses Mémoires. On en dit brûlé un -volume dans l'incendie de la rue du Pont-de-Fer.» Le dernier feuillet -contient une table. Elle se termine ainsi: «Je laisse les chapitre XIII -et XIV pour les augmentations à faire à ces premiers temps. J'ai 40 -pages écrites à insérer. Le volume 2 commence par le chapitre XV.--Book -commencé _the twenty third of november_ 35, il y a 31 _days._»] - - - - -CHAPITRE XVII[1] - - -Séraphie avait fait son amie intime d'une certaine madame Vignon, la -première _boime_ de la ville[2]. (_Boime_, à Grenoble, veut dire -hypocrite doucereuse, jésuite femelle.) Mme Vignon demeurait -au troisième étage, place Saint-André, et était femme d'un procureur, -je crois, mais respectée comme une mère de l'Eglise, plaçant les -prêtres et en ayant toujours chez elle de passage. Ce qui me touchait, -c'est qu'elle avait une fille de quinze ans qui ressemblait assez à un -lapin blanc, dont elle avait les yeux gros et rouges. J'essayai, mais -en vain, d'en devenir amoureux pendant un voyage d'une semaine ou deux -que nous finies à Claix. Là, mon père ne se cachait nullement et a -toujours habité sa maison, la plus belle du canton. - -A ce voyage il y avait Séraphie, Mme et Mlle -Vignon, ma sœur Pauline, moi, et peut-être un M. Blanc, de Seyssins, -personnage ridicule qui admirait beaucoup les jambes nues de Séraphie. -Elle sortait jambes nues, sans bas, le malin, dans le _clos._ - -J'étais tellement emporté par le diable[3] que les jambes de ma plus -cruelle ennemie me firent impression. Volontiers j'eusse été amoureux -de Séraphie. Je me figurais un plaisir délicieux à serrer[4] dans -mes bras cette ennemie acharnée. - -Malgré sa qualité de demoiselle à marier, elle fit ouvrir une grande -porte condamnée qui, de sa chambre, donnait sur l'escalier de la place -Grenette, et à la suite d'une scène abominable, dans laquelle je -vois encore sa figure, fit faire une clef. Apparemment, son père lui -refusait celle de cette porte[5]. - -Elle introduisait ses amies par cette porte, en entre autres cette -Mme Vignon, Tartufe femelle, qui avait des oraisons -particulières pour les saints, et que mon bon grand-père eut eu en -horreur si son caractère à la Fontenelle lui eût permis: 1° de sentir -l'horreur;--2° de l'exprimer. - -Mon grand-père employait son grand juron contre cette madame Vignon: Le -Diable te crache au cul! - -Mon père se cachait toujours à Grenoble, c'est-à-dire qu'il habitait -[6] chez mon grand-père et ne sortait pas de jour. La passion -politique ne dura que dix-huit mois. Je me vois allant de sa part -chez Allier, libraire, place Saint-André, avec cinquante francs en -assignats, pour acheter la Chimie de Fourcroy, qui le conduisit à la -passion pour l'agriculture. Je conçois bien la naissance de ce goût: il -ne pouvait promener qu'à Claix. - -Mais tout cela ne fut-il pas causé par ses amours avec Séraphie, si -amour y a? Je ne puis voir la physionomie des choses, je n'ai que -ma mémoire d'enfant. Je vois des images, je me souviens des effets -sur mon cœur, mais pour les causes et la physionomie, néant. C'est -toujours comme les fresques du [Campo-Santo][7] de Pise, où l'on -aperçoit fort bien un bras, et le morceau d'à côté, qui représentait la -tête, est tombé. Je vois une suite d'images _fort nettes_, mais sans -physionomie autre que celle qu'elles eurent à mon égard. Bien plus, -je ne vois cette physionomie que par le souvenir de l'effet qu'elle -produisit sur moi[8]. - - * * * * * - -Mon père éprouva bientôt une sensation digne du cœur d'un tyran. -J'avais une grive privée qui se tenait ordinairement sous les chaises -de la salle-à-manger. Elle avait perdu un pied à la bataille et -marchait en sautant. Elle se défendait contre les chats, chiens, et -tout le monde la protégeait, ce qui était fort obligeant pour moi, -car elle remplissait le plancher de taches blanches peu propres. Je -nourrissais cette grive d'une façon peu propre, avec les _chaplepans_ -[9] noyés dans la _benne_ de la cuisine (cafards noyés dans le seau -de l'eau sale de la cuisine). - -Sévèrement séparé de tout être de mon âge, ne vivant qu'avec des vieux, -cet enfantillage avait du charme pour moi. - - * * * * * - -Tout-à-coup, la grive disparut, personne ne voulut me dire comment: -quelqu'un, par inadvertance, l'avait écrasée en ouvrant une porte. Je -crus que mon père l'avait tuée par méchanceté; il le sut, cette idée -lui fit peine, un jour il m'en parla en termes fort indirects et fort -délicats. - -Je fus sublime, je rougis jusqu'au blanc des yeux, mais je n'ouvris pas -la bouche. Il me pressa de répondre, même silence; mais les yeux, que -j'avais fort expressifs à cet âge, devaient parler. - -Me voilà vengé, tyran, de l'air doux et paternel avec lequel tu m'as -forcé tant de fois d'aller à cette détestable promenade des _Granges_, -au milieu des champs arrosés avec les _voitures de minuit_ (poudrette -de la ville). - -Pendant plus d'un mois je fus fier de cette vengeance; j'aime cela dans -un enfant[10]. - -La passion de mon père pour son domaine de Claix et pour l'agriculture -devenait extrême. Il faisait faire de grandes _réparations_, -amendements, par exemple _miner_ le terrain, le défoncer à deux pieds -et demi de profondeur et emporter dans un coin du champ toutes les -pierres plus grosses qu'un œuf. Jean Vial, notre ancien jardinier, -Charrière, Mayousse, le vieux ...[11], ancien soldat, exécutaient -ces travaux par _prix faits_, par exemple vingt écus (soixante francs) -pour miner une tière, espace de terre compris entre deux rangées de -hautaies ou bien d'érables porteurs de vignes. - -Mon père planta les grandes Barres, ensuite la Jomate, où il arracha la -vigne basse. Il obtint par échange de l'hôpital (qui l'avait eue, ce me -semble, par le testament d'un M. Gutin, marchand de draps) la vigne du -Molard (entre le verger et notre Molard à nous), il l'arracha, la mina -en enterrant le _Murger_ (tas de pierres de sept à dix pieds de haut), -et enfin la planta. - -Il m'entretenait longuement de tous ces projets, il était devenu un -vrai _propriétaire du Midi._ - -C'est un genre de folie qui se rencontre souvent au midi de Lyon et -de Tours; cette manie consiste à acheter des champs qui rendent un ou -deux pour cent, à retirer, pour cela faire, de l'argent prêté au cinq -ou six, et quelquefois à emprunter au cinq pour _s'arrondir_, c'est -le mot, en achetant des champs qui rapportent le deux. Un ministre de -l'Intérieur qui se douterait de son métier entreprendrait une mission -contre cette manie qui détruit l'aisance et toute la partie du bonheur -qui tient à l'argent, dans les vingt départements au midi de Tours et -de Lyon. - -Mon père fut un exemple mémorable de cette manie, qui a sa source à la -fois dans l'avarice, l'orgueil et la manie nobiliaire[12]. - -[Illustration: DEUX CHAPITRES SUR LA MÊME PAGE-DÉBUT DES CHAP. XVIII ET -XIX (_Bibl. mun. de Grenoble: ms R 299. t. II, fol. 260bis_)] - - -[Footnote 1: Le _chapitre XVII_ est le chapitre XV de Stendhal (fol. 249 à -258).--Écrit à Rome, les 16, 17 et 25 décembre 1835.--Avec ce chapitre -commence le second volume du manuscrit.] - -[Footnote 2: ... _la première_ boime _de la ville._--On lit en tête du fol. -249 _bis_: «16 déc. 1835.--Envoyé la fin du chapitre XII.--Laisser le -n° 249 à cette page et aller jusqu'à 1.000.--Faire suivre aussi les -numéros des chapitres.»] - -[Footnote 3: _J'étais tellement emporté par le diable ..._--Variante: «_Par -l'âge._»] - -[Footnote 4: _Je me figurais un plaisir délicieux à serrer ..._--Variante: -«_Tenir._»] - -[Footnote 5: ... _son père lui refusait celle de cette porte._--En face, au -verso du fol. 250, plan d'une partie de l'appartement Gagnon, avec la -«chambre de Séraphie» et la porte sur l'escalier de la place Grenette. -A côté, dans la «chambre de ma tante Elisabeth», «la famille au -soleil». A l'angle de la Grande-rue et de la place Grenette, en «O, -logement de mon oncle, au second étage, avant son mariage». Sur ce -plan sont également indiquées les rues voisines: rue des Clercs, «ici -logeaient Mably et Condillac»; rue du Département (aujourd'hui rue -Diodore-Rahoult), au point «G', là je m'élevai à 7 avec Mr -Galice»; place Saint-André, où sont indiquées les maisons de -Mme Vignon et de Falcon. (Voir nos plans de l'appartement -Gagnon et de Grenoble en 1793.)] - -[Footnote 6: ... _il habitait ..._--Variante: «_Logeait._»] - -[Footnote 7: ... _les fresques du Campo-Santo ..._--Le nom a été laissé en -blanc dans le manuscrit.] - -[Footnote 8: ... _l'effet quelle produisit sur moi._--On lit dans la marge: -«Mettre un mot des promenades forcées aux Granges.»] - -[Footnote 9: ... _avec les_ chaplepans ...--Ce mot signifie, en patois du -Dauphiné, gâcheur de pain (de _chapla_, briser en petits morceaux, et -_pan_, pain).] - -[Footnote 10: ... _j'aime cela dans un enfant._--On lit au verso du fol. 254: -«20 décembre 1835, faits à placer en leur temps, mis ici pour ne pas -l'oublier: inspecteur du mobilier de la Couronne, comment, 1811.--Après -l'objection de l'Empereur, je devins inspecteur du mobilier au moyen de -mon acte de naissance, 2° du certificat Michaud, 3° de l'addition de -nom. La faute est de ne pas avoir mis: Brulard de la Jomate (la Jomate -étant à _nous._) M. de Bor (Baure) était un magistrat parfaitement -sage et poli de la fin du XVIIIe siècle; il aimait ce qui -était honnête et droit, et n'aurait commis une mauvaise action qu'à la -dernière nécessité et à son corps défendant. Du reste, de l'esprit, -disert, bien disant, possédant une grande connaissance des auteurs, ami -particulier de M. le colonel de Beaussac et de M. de Villaret, évêque -(de l' (_un mot illisible_)), grand, maigre, digne, avec de petits yeux -malins et un nez infini; il me fut un excellent et très digne archer. -Il souffrait pour de l'argent ce que je n'aurais souffert pour rien, -d'être vilipendé par M. le comte Daru, dont il était le secrétaire -général. Ce fut lui qui, pour obliger M. Petit (car moi, avec mon -étourderie et mes idées de haute et franche vertu, je devais le choquer -vingt fois par jour), moyenne toute ma nomination après l'objection de -l'Empereur. Mourut à Amsterdam le ... septembre ou novembre 1811.»] - -[Footnote 11: ... _Charrière, Mayousse, le vieux ..._--Le nom est en blanc -dans le manuscrit.] - -[Footnote 12: ... _cette manie, qui a sa source à la fois dans l'avarice, -l'orgueil et la manie nobiliaire._--Variante: «_Cette manie, qui tient -à la fois à l'avarice, à l'argent et à la manie nobiliaire._»] - - - - -CHAPITRE XVIII[1] - - -LA PREMIÈRE COMMUNION - - -Cette manie, qui a fini par ruiner radicalement mon père et par me -réduire, pour tout potage, à mon tiers de la dot de ma mère, me procura -beaucoup de bien-être vers 1794[2]. - -Mais avant d'aller plus loin, il faut dépêcher l'histoire de ma -première communion antérieure, ce me semble, au 21 juillet 1794[3]. - -Ce fut un pr[être][4] infiniment moins coquin que l'abbé Raillane, -il faut l'avouer, qui fut chargé de cette grande opération de ma -première communion, à laquelle mon père, fort dévot dans ce temps-là, -attachait la plus grande importance. Le jésuitisme de l'abbé Raillane -faisait peur même à mon père; c'est ainsi que M. Coissi a fait peur, -ici même, au jésuite[5]. - -Ce bon prêtre, si bonhomme en apparence, s'appelait Dumolard et était -un paysan rempli de simplesse et né dans les environs de la Matheysine -ou de La Mure, près le Bourg d'Oisans. Depuis, il est devenu un grand -jésuite[6] et a obtenu la charmante cure de La Tronche, à dix -minutes de Grenoble. (C'est comme la sous-préfecture de Sceaux pour -un sous-préfet, âme damnée des ministres ou qui épouse une de leurs -bâtardes.) - -Dans ce temps-là, M. Dumolard était tellement bonhomme que je pus lui -prêter une petite édition italienne de l'Arioste en quatre volumes -in-18. Peut-être pourtant ne la lui ai-je prêtée qu'en 1803. - -La figure de M. Dumolard n'était pas mal, à cela près d'un œil qui -était toujours fermé; il était borgne, puisqu'il faut le dire, mais -ses traits étaient bien et exprimaient non seulement la bonhomie, -mais, ce qui est bien plus ridicule, une franchise gaie et parfaite. -Réellement il n'était pas coquin en ce temps-là, et pour ainsi dire, en -y réfléchissant, ma pénétration de douze ans, exercée par une solitude -complète, fut complètement trompée, car depuis il a été un des plus -profonds jésuites[7] de la ville, et d'ailleurs son excellentissime -cure, à portée des dévotes de la ville, _jure pour lui_ et contre ma -niaiserie de douze ans. - -M. le Premier Président de Barrai, l'homme le plus indulgent et le -mieux élevé, me dit vers 1816, je crois, en me promenant dans son -magnifique jardin de La Tronche, qui touchait la cure: - -«Ce Dumolard est un des plus fieffés co[quins] de la troupe. - ---Et M. Raillane? lui dis-je. - ---Oh! le Raillane les passe tous. Comment M. votre père avait-il pu -choisir un tel homme? - ---Ma foi, je l'ignore, je fus victime et non pas complice.» - -Depuis deux ou trois ans, M. Dumolard disait la messe souvent chez -nous, dans le salon à l'italienne de mon grand-père. La Terreur, -qui jamais ne fut Terreur en Dauphiné, ne s'aperçut jamais que -quatre-vingts ou cent dévotes sortaient de chez mon grand-père tous les -dimanches, à midi. J'ai oublié de dire que tout petit on me faisait -servir ces messes[8], et je ne m'en acquittais que trop bien. J'avais -un air très décent et très sérieux. Toute ma vie les cérémonies -religieuses m'ont extrêmement ému. J'avais longtemps servi la messe de -ce coquin d'abbé Raillane, qui allait la dire à la Propagation, au bout -de la rue Saint-Jacques, à gauche; c'était un couvent et nous disions -notre messe dans la tribune. - -Nous étions tellement enfants, Reytiers et moi, qu'un grand événement, -un jour, fut que Reytiers, apparemment par timidité, fit pipi pendant -la messe, que je servais, sur un prie-Dieu de sapin. Le pauvre diable -cherchait à absorber[9] l'humidité produite à sa grande honte en -frottant son genou contre la planche horizontale du prie-Dieu. Ce fut -une grande scène. Nous entrions souvent chez les nonnes; l'une d'elles, -grande et bien faite, me plaisait beaucoup, on s'en aperçut sans doute, -car en ce genre j'ai toujours été un grand maladroit, et je ne la vis -plus. Une de mes remarques fut que madame l'abbesse avait une quantité -de points noirs au bout du nez; je trouvais cela horrible. - -Le Gouvernement était tombé dans l'abominable sottise de persécuter les -prêtres. Le bon sens de Grenoble et sa méfiance de Paris nous sauvèrent -de ce que cette sottise avait de trop âpre. - -Les prêtres se disaient bien persécutés, mais soixante dévotes -venaient, à onze heures du matin, entendre leur messe dans le salon de -mon grand-père. La police ne pouvait même faire semblant de l'ignorer. -La sortie de notre messe faisait foule dans la Grande-rue[10]. - - -[Footnote 1: Le _chapitre XVIII_ est le chapitre XVI de Stendhal (fol. 260 -à 266; le fol. 259 est blanc).--La leçon que je donne de ce chapitre -ne suit pas d'une manière absolue l'ordre du manuscrit. Le premier -alinéa est suivi de cette observation de Stendhal: «Ici, ma première -communion.» Conformément à cette indication, j'ai inséré à cette place -le récit de la première communion, lequel, dans le manuscrit, se trouve -relié immédiatement avant, sans pagination. Le folio 260 _bis_ a été -écrit le 25 décembre 1835, alors que «_la première communion_» est du -10 décembre. Ce dernier texte commence ainsi: «Ce qui me console un -peu de l'impertinence d'écrire tant de _je_ et de _moi_, c'est que je -suppose que beaucoup de gens fort ordinaires de ce XIXe -siècle font comme moi. On sera donc inondé de Mémoires vers 1880 et -avec mes _je_ et mes _moi_, je ne serai que comme tout le monde. M. de -Talleyrand, M. Molé, écrivent leurs Mémoires, M. Delécluze aussi.» J'ai -cru devoir alléger le récit de cet alinéa. - -En tête du récit de sa première communion, Stendhal avait écrit: -«A placer après Amar et Merlinot. 10 décembre 1835, corrigé le 3 -janvier 1836.» Je n'ai pas suivi cette indication, qui déjà n'a pu -être respectée exactement dans l'édition Stryienski, et je me suis -conformé à la note de Stendhal indiquée ci-dessus, opinion justifiée -encore par ce fait que le fragment: «La première communion», est relié -immédiatement avant le fol. 260, c'est-à-dire à peu près à sa place -logique.] - -[Footnote 2: ... _me procura beaucoup de bien-être vers_ 1794.--Le fol. 260 -_bis_ est daté: «25 décembre 1835.» Il comprend le début du chapitre -XVIII et celui du chapitre suivant, que Stendhal a marqué dans la -marge par cette note: «Chapitre commençant à: «Mon père fut rayé.» Le -lecteur pourra se rendre compte de la méthode que j'ai adoptée dans -rétablissement du texte du commencement des chapitres XVIII et XIX, en -se reportant à la planche reproduisant le fol. 260 _bis._] - -[Footnote 3: _Mais avant d'aller plus loin ..._--Ainsi que le lecteur -peut s'en rendre compte sur l'illustration, cet alinéa ne fait pas -immédiatement suite au précédent sur le manuscrit. Je l'ai cependant -placé ici, à cause du contexte, et parce qu'il fait une transition -voulue par Stendhal lui-même.] - -[Footnote 4: _Ce fut un prêtre ..._--Le feuillet 261 et tous ceux qui -constituent désormais notre chapitre XVIII n'ont pas été numérotés par -Stendhal. Notre foliotation (261 à 266) est factice. Cette numérotation -ne nuit pas à la foliotation indiquée par Stendhal lui-même, car -l'auteur a laissé en blanc les feuillets compris entre les chiffres 261 -et 273. C'est ainsi que nous verrons le chapitre XIX commencer au fol. -260 _bis_ pour continuer au fol. 274.] - -[Footnote 5: ... _a fait peur, ici même, au jésuite._--Ms.: «_Tejê._»] - -[Footnote 6: ... _devenu un grand jésuite ..._--Ms.: «_Tejê._»] - -[Footnote 7: ... _un des plus profonds jésuites ..._--Ms.: «_Tejê._»] - -[Footnote 8: ... _on me faisait servir ces messes ..._--A cette époque, je -servais une et quelquefois deux messes par jour, ce qui probablement -m'a empêché de me rappeler que l'auteur faisait la même besogne. (Note -au crayon de R. Colomb.)] - -[Footnote 9: _Le pauvre diable cherchait à absorber ..._--Variantes: -«_Consommer, essuyer._»] - -[Footnote 10: _La sortie de notre messe faisait foule dans la -Grande-rue._--Suit un plan du quartier où était située la maison -Gagnon. On voit, sur la Grande-rue, en «A', porte par laquelle -sortaient les soixante ou quatre-vingts dévotes, vers les onze heures -et demie». - -A la suite de ce chapitre est un fragment intitulé: «Encyclopédie du -XIXe siècle.» Stendhal l'a accompagné de cette note: «A -placer après ma _first_ communion.» Ce fragment n'ayant rien de commun -avec le récit, nous l'avons rejeté en annexe.] - - - - -CHAPITRE XIX[1] - - -Mon père fut rayé de la liste des suspects (ce qui, pendant vingt-et-un -mois, avait été l'objet unique de notre ambition) le 21 juillet 1794, à -l'aide des beaux yeux de ma jolie cousine Joséphine Martin. - -Il fit alors de longs séjours à Claix (c'est-à-dire à Furonières -[2]). Mon indépendance prit naissance comme la liberté dans les -villes d'Italie vers le VIIIe siècle[3], par la faiblesse -de mes tyrans. - -Pendant les absences de mon père, j'inventai d'aller travailler rue des -Vieux-Jésuites dans le salon de notre appartement, où, depuis quatre -ans, personne n'avait mis les pieds[4]. - -Cette idée, fille du besoin du moment, comme toutes les inventions de -la mécanique, avait d'immenses avantages. D'abord, j'allais seul rue -des Vieux-Jésuites, à deux cents pas de la maison Gagnon; secondo, j'y -étais à l'abri des incursions de Séraphie qui, chez mon grand-père, -venait, quand elle avait le diable au corps plus qu'à l'ordinaire, -visiter mes livres et fourrager mes papiers. - -Tranquille dans le salon silencieux où était le beau meuble brodé par -ma pauvre mère, je commençai à travailler avec plaisir. J'écrivis ma -comédie appelée, je crois, _M. Piklar._ - -Pour écrire, j'attendais toujours le moment du génie. - -Je n'ai été corrigé de cette manie que bien tard. Si je l'eusse chassée -plus tôt, j'aurais fini ma comédie de Letellier et Saint-Bernard, que -j'ai portée à Moscou et, qui plus est, rapportée (et qui est dans mes -papiers, à Paris). Cette sottise a nui beaucoup à la quantité de mes -travaux. Encore en 1806, j'attendais le moment du génie pour écrire. -Pendant tout le cours de ma vie, je n'ai jamais parlé de la chose -pour laquelle j'étais passionné, la moindre objection m'eût percé le -cœur. Mais je n'ai jamais parlé littérature. Mon ami, alors intime, M. -Adolphe de Mareste (né à Grenoble vers 1782), m'écrivit à Milan pour me -donner son avis sur la _Vie de Haydn, Mozart et Métastase._ Il ne se -doutait nullement que j'eu fusse _the author_. - -Si j'eusse parlé, vers 1795, de mon projet d'écrire, quelque homme -sensé m'eût dit: «Ecrivez tous les jours pendant deux heures, génie ou -non.» Ce mot m'eût fait employer dix ans de ma vie dépensés niaisement -à attendre le _génie._ - -Mon imagination avait été employée à prévoir le mal que me faisaient -mes tyrans et à les maudire; dès que je fus libre, en H[5], dans le -salon de ma mère, j'eus le loisir d'avoir du goût pour quelque chose. -Ma passion fut: les médailles moulées en plâtre sur des moules ou -creux de soufre. J'avais eu auparavant une petite passion: l'amour des -épinaux[6], bâtons noueux pris dans les haies d'aubépine, je crois; -la chasse. - -Mon père et Séraphie avaient comprimé les deux. Celle pour les épinaux -disparut sous les plaisanteries de mon oncle; celle pour la chasse, -appuyée sur les rêveries de volupté nourries par le paysage de M. -Le Roy et sur les images vives que mon imagination avait fabriquées -en lisant l'Arioste, devint une fureur, me fit adorer _la Maison -rustique_, Buffon, me fit écrire sur les animaux, et enfin n'a péri que -par la satiété. A Brunswick, en 1808, je fus un des chefs de chasses où -l'on tuait cinquante ou soixante lièvres avec des battues faites par -des paysans. J'eus horreur de tuer une biche, cette horreur a augmenté. -Rien ne me semble plus plat aujourd'hui que de changer un oiseau -charmant en quatre onces de chair morte. - -Si mon père, par peur bourgeoise, m'eût permis d'aller à la chasse, -j'eusse été plus leste, ce qui m'eût servi pour la guerre. Je n'y ai -été leste qu'à force de _force._ - -Je reparlerai de la chasse, revenons aux médailles[7]. - - -[Footnote 1: Le _chapitre XIX_ est le chapitre XVI du manuscrit (fol. 260 -_bis_ et 274 à 279; les fol. 261 à 273 sont blancs).--Écrit à Rome, -les 25 et 26 décembre 1835.--Au sujet de l'établissement du texte du -début de ce chapitre, voir les notes du début du chapitre XVIII, et la -reproduction du fol. 260 _bis._] - -[Footnote 2: ... _Furonières ..._--Hameau de la commune de Claix.] - -[Footnote 3: ... _les villes d'Italie vers le_ VIIIe _siècle -..._--A vérifier sur la dissertation 55 de Muratori, lue il y a quinze -jours et déjà oubliée quant à la date. (Note de Stendhal.)] - -[Footnote 4: ... _où, depuis quatre ans, personne n'avait mis les pieds_--En -face, au verso du fol. 273, plan du quartier des maisons Gagnon -et Beyle. On y voit, à l'angle de la Grande-rue et de la rue du -Département, l'emplacement du «café tenu par M. Genou, père de M. de -Genoude, de la _Gazette de France_». (Voir notre plan de Grenoble -en 1793.) A ce sujet, on lit cette note au crayon de R. Colomb: «Le -café Genou était sur la place Saint-André, dans la maison qu'habitait -Mme Vignon, je crois; celui de la Grande-rue était tenu par -Charréa.»] - -[Footnote 5: ... _dès que je fus libre, en H ..._--En face, au verso du fol. -274, plan de l'appartement Beyle, rue des Vieux-Jésuites. On voit dans -le salon, près de la fenêtre, en «H, table de travail» de Beyle.] - -[Footnote 6: ... _l'amour des épinaux ..._--La lecture du dernier mot est -incertaine.] - -[Footnote 7: _Je reparlerai de la chasse, revenons aux médailles._--On lit au -verso du fol. 279, avec la date du 26 décembre: «A placer: «Caractère -_of my father_ Chérubin Beyle.--Il n'était point avare, mais bien -passionné. Rien ne lui coûtait pour satisfaire la passion dominante: -ainsi pour faire _miner_ une _tière_, il ne m'envoyait pas à Paris les -150 francs par mois, sans lesquels je ne pouvais vivre.] - -Il eut la passion pour l'agriculture et pour Claix, puis un an ou -deux de passion pour bâtir (la maison de la rue de Bonne, dont j'eus -la sottise de faire le plan avec Mante). Il empruntait à huit ou dix -pour cent à l'effet de terminer une maison qui un jour lui rendrait le -six. Ennuyé de la maison, il se livra à la passion d'administrer pour -les Bourbons, au point incroyable de passer dix-sept mois sans aller -à Claix, à deux lieues de la ville. Il s'est ruiné de 1814 à 1819, je -crois, époque de sa mort. Il aimait les femmes avec excès, mais timide -comme un enfant de douze ans; Mme Abraham Mallein, née -Pascal, se moquait ferme de lui à cet égard.»] - - - - -CHAPITRE XX[1] - - -Après quatre ou cinq ans du plus profond et du plus plat malheur, je -respirai seulement alors, quand je me vis seul et fermé à clef dans -l'appartement de la rue des Vieux-Jésuites, jusque-là abhorré par moi. -Pendant ces quatre ou cinq ans, mon cœur fut rempli du sentiment de la -haine impuissante. Sans mon goût pour la volupté, je serais peut-être -devenu, par une telle éducation, dont ceux qui la donnaient ne se -doutaient pas, un _scélérat noir_ ou un coquin gracieux et insinuant, -un vrai jésuite[2], et je serais sans doute fort riche. La lecture -de la _Nouvelle-Héloïse_ et les scrupules de Saint-Preux me formèrent -profondément honnête homme; je pouvais encore, après cette lecture -faite avec larmes et dans des transports d'amour pour la vertu, faire -des coquineries, mais je me serais senti coquin. Ainsi, c'est un livre -lu en grande cachette et malgré mes parents qui m'a fait honnête homme. - -L'histoire romaine du cotonneux Rollin, malgré ses plates réflexions, -m'avait meublé la tête de faits d'une solide vertu (basée sur -l'_utilité_ et non sur le vaniteux honneur des monarchies; Saint-Simon -est une belle pièce justificative pour la manière de Montesquieu, -l'_honneur_ bas des monarchies; il n'est pas mal d'avoir vu cela en -1734 dans l'état d'enfance où, à cette époque, était encore la raison -des Français). - -Avec les faits appris dans Rollin, confirmés, expliqués, illustrés par -la conversation continue de mon excellent grand-père et les théories -de Saint-Preux, rien n'était égal à la répugnance et au mépris profond -que j'avais pour les...[3] expliqués par des prêtres que je voyais -chaque jour s'affliger des _victoires de la patrie_ et désirer que les -troupes françaises fussent battues. - - * * * * * - -La conversation de mon excellent grand-père, auquel je dois tout, sa -vénération pour les bienfaiteurs de l'humanité, si contraire aux idées -du ch[ristian]isme, m'empêcha sans doute d'être pris comme une mouche -dans les toiles d'araignée par mon respect pour les cérémonies. (Je -vois aujourd'hui que c'était la première forme de mon amour pour -la musique, 1, la peinture, 2, et l'art de Vigano, 3.) Je croirais -volontiers que mon grand-père était un nouveau converti vers 1793. -Peut-être s'était-il fait dévot[4] à la mort de ma mère (1790), -peut-être la nécessité d'avoir l'appui du clergé dans son métier de -médecin lui avait-elle imposé un léger vernis d'hypocrisie en même -temps que la perruque à trois rangs de boucles. Je croirais plutôt -ce dernier, car je le trouvai ami, et de longue date, de M. l'abbé -Sadin, curé de Saint-Louis (sa paroisse), de M. le chanoine Rey et de -Mlle Rey, sa sœur, chez lequel nous allions souvent (ma -tante Elisabeth y faisait sa partie), petite rue derrière Saint-André, -plus tard rue du Département[5], même l'aimable et trop aimable abbé -Hélie, curé de Saint-Hugues, qui m'avait baptisé et me l'a rappelé -depuis au café de la Régence, à Paris, où je déjeûnais vers 1803 -pendant mon éducation véritable, rue d'Angiviller. - -Il faut remarquer qu'en 1790 les prêtres ne prenaient pas les -conséquences de la théorie et étaient bien loin d'être intolérants et -absurdes[6] comme nous les voyons en 1835. On souffrait fort bien -que mon grand-père travaillât en présence de[7] son petit buste de -Voltaire et que sa conversation, excepté sur un seul sujet, fût ce -qu'elle eût été dans le salon de Voltaire, et les trois jours qu'il -avait passés dans ce salon étaient cités[8] par lui comme les plus -beaux de sa vie, quand l'occasion s'en présentait. Il ne s'interdisait -nullement l'anecdote critique ou scandaleuse sur les prêtres, et -pendant sa longue carrière d'observations cet esprit sage et froid en -avait recueilli des centaines. Jamais il n'exagérait, jamais il ne -mentait, ce qui me permet, ce me semble, d'avancer aujourd'hui que -quant à l'esprit ce n'était pas un bourgeois; mais il était apte[9] -à concevoir des haines éternelles à l'occasion de torts très minimes -[10], et je ne crois pas laver son âme du reproche de bourgeoisie. - -Je retrouve le type bourgeois, même à Rome, chez M. ... et sa famille, -... M. Bois, le beau-frère, enrichi ...[11]. - -Mon grand-père avait une vénération et un amour pour les grands hommes -qui choquèrent bien M. le curé actuel de Saint-Louis et M. le grand -vicaire[12] actuel de l'évêque de Grenoble, lequel se fait un point -d'honneur de ne pas rendre sa visite au préfet, en sa qualité de -_prince_ de Grenoble[13], je crois (raconté par M. Rubichon et avec -approbation, Cività-Vecchia, juin 1835). - -Le Père Ducros, ce cordelier que je suppose homme de génie, avait perdu -sa santé en empaillant des oiseaux avec des poisons. Il souffrait -beaucoup des entrailles et mon oncle m'apprit par ses plaisanteries -qu'il avait un ...[14]. Je ne compris guère cette maladie, qui -me semblait toute naturelle. Le Père Ducros aimait beaucoup mon -grand-père, son médecin, et auquel il devait en partie sa place de -bibliothécaire; mais il ne pouvait s'empêcher de _méprisoter_ un peu -la faiblesse de son caractère, il ne pouvait tolérer les incartades de -Séraphie, qui allaient souvent jusqu'à interrompre la conversation, -troubler la société, et forcer les amis à se retirer[15]. - -Les caractères à la Fontenelle sont fort sensibles à cette nuance -de mépris non exprimé, mon grand-père combattait donc souvent mon -enthousiasme pour le Père Ducros. Quelquefois, quand le Père Ducros -arrivait à la maison avec quelque chose d'intéressant à dire, on -m'envoyait à la cuisine; je n'étais nullement piqué, mais fâché de -ne pas savoir la chose curieuse. Ce philosophe fut sensible à mes -empressements et au goût vif que je montrais pour lui, et qui faisait -que je ne quittais jamais la chambre quand il y était. - -Il faisait cadeau à ses amis et amies de cadres dorés de deux pieds -et demi sur trois, garnis d'une grande vitre, derrière laquelle il -disposait six ou huit douzaines de médailles en plâtre de dix-huit -lignes de diamètre. C'étaient tous les empereurs romains et les -impératrices, un autre cadre présentait tous les grands hommes de -France, de Clément Marot à Voltaire, Diderot et d'Alembert. Que dirait -le M. Rey d'aujourd'hui à une telle vue? - - * * * * * - -Ces médailles étaient environnées, avec beaucoup de grâce, de petits -cartons dorés sur tranche, et des volutes exécutées en même matière -remplissaient les intervalles entre les médailles. Les ornements de ce -genre étaient fort rares alors et je puis avouer que l'opposition de -la couleur blanc mat des médailles et des ombres légères, fines, bien -dessinées, qui marquaient les traits des personnages, avec la tranche -dorée des cartons et leur couleur jaune d'or, faisaient un effet très -élégant. - -Les bourgeois de Vienne, Romans, La Tour du Pin, Voiron, etc., qui -venaient dîner chez mon grand-père ne se lassaient pas d'admirer ces -cadres. Moi, de mon côté, monté sur une chaise, je ne me lassais pas -d'étudier les traits de ces _hommes illustres_ dont j'aurais voulu -imiter la vie et lire les œuvres. - -Le Père Ducros écrivait dans le haut de la partie la plus élevée de ces -cartons[16]: - - - HOMMES ILLUSTRES DE FRANCE - - ou - - EMPEREURS ET IMPÉRATRICES. - - -À Voiron, par exemple, chez mon cousin Allard du Plantier[17] -(descendant de l'historien et antiquaire Allard), ces cadres étaient -admirés comme des médailles antiques; je ne sais pas même si le cousin, -qui n'était pas fort, ne les prenait pas pour des médailles antiques. -(C'était un fils étiolé par un père homme d'esprit, comme Monseigneur -par Louis XIV.) - -Un jour, le Père Ducros me dit: - -«Veux-tu que je t'apprenne à faire des médailles?» - -Ce fut pour moi les cieux ouverts. - -J'allai dans son appartement, vraiment délicieux pour un homme qui aime -à penser, tel que je voudrais bien en avoir un pareil pour y finir mes -jours. - -Quatre petites chambres de dix pieds de haut, exposées au midi et au -couchant, avec très jolie vue sur Saint-Joseph, les coteaux d'Eybens, -le pont de Claix et les montagnes à l'infini vers Gap. - -Ces chambres étaient remplies de bas-reliefs et de médailles moulées -sur l'antique ou sur du moderne passable. - -Les médailles étaient, la plupart, en soufre rouge (rougi par un -mélange de cinabre), ce qui est beau et sérieux; enfin, il n'y avait -pas un pied carré de la surface de cet appartement qui ne donnât une -idée. Il y avait aussi des tableaux. «Mais je ne suis pas assez riche, -disait le Père Ducros, pour acheter ceux qui me plairaient.» Le -principal tableau représentait une neige, ce n'était pas absolument mal. - -Mon grand-père m'avait mené plusieurs fois dans cet appartement -charmant. Dès que j'étais seul avec mon grand-père, hors de la maison, -loin de la portée de mon père et de Séraphie, j'étais d'une gaieté -parfaite. Je marchais fort lentement, car mon bon grand-père avait -des rhumatismes, que je suppose goutteux (car moi, son véritable -petit-fils et qui ai le même corps, j'ai eu la goutte en mai 1835 à -Cività-Vecchia). - -Le Père Ducros, qui avait de l'aisance, car il a fait son héritier M. -Navizet, de Saint-Laurent, ancien entrepreneur de chamoiserie, était -fort bien servi par un grand et gros valet, bonhomme qui était garçon -de bibliothèque, et une excellente servante. Je donnais l'étrenne à -tout cela, par avis de ma tante Elisabeth. - -J'étais neuf autant que possible par le miracle de cette abominable -éducation solitaire et de toute une famille s'acharnant sur un pauvre -enfant pour l'endoctriner, dont le système avait été fort bien suivi -parce que la douleur de la famille mettait ce système dans ses goûts. - -Cette inexpérience des choses les plus simples me fit faire bien des -gaucheries chez M. Daru le père, de novembre 1799 à mai 1800. - -Revenons aux médailles. Le Père Ducros s'était procuré, je ne sais -comment, une quantité de médailles en plâtre. Il les imbibait d'huile -et sur cette huile coulait du soufre mêlé avec de l'ardoise bien sèche -et pulvérisée. - -Quand ce moule ôtait bien froid[18], il y mettait un peu d'huile, -l'entourait d'un papier huilé, haut, de A en B, de trois lignes, le -moule au fond. - -Sur le moule il versait du plâtre liquide fait à l'instant, et -sur-le-champ du plâtre moins fin et plus fort, de façon à donner quatre -lignes d'épaisseur à la médaille en plâtre. Voilà ce que je ne parvins -jamais à bien faire. Je ne gâchais pas mon plâtre assez vite, ou plutôt -je le laissais s'éventer. C'est en vain que Saint-...[19], le vieux -domestique, m'apportait du plâtre en poudre. Je retrouvais mon plâtre -en gelée, cinq ou six heures après l'avoir placé sur le moule en soufre. - -Mais ces moules-là étant les plus difficiles, je les fis sur-le-champ, -et fort bien, seulement trop épais. Je n'épargnais pas la matière. - -J'établis mon atelier de plâtrerie dans le cabinet de toilette de ma -pauvre mère, pénétrais dans cette chambre où personne n'entrait depuis -cinq ans qu'avec un sentiment religieux; j'évitais de regarder vers le -lit. Je n'aurais jamais ri dans cette chambre, tapissée de papier de -Lyon imitant bien le damas rouge. - -Quoique je ne parvinsse jamais à faire un cadre de médailler comme le -Père Ducros, je me préparais éternellement à ce grand renom en faisant -une quantité de moules en soufre (en B, dans la cuisine)[20]. - -J'achetai une grande armoire renfermant douze ou quinze tiroirs de -trois pouces de haut, où j'emmagasinais mes richesses. - -Je laissai tout cela à Grenoble en 1799. Dès 1796 je n'en faisais plus -de cas; on aura fait des allumettes de ces précieux moules (ou creux) -en soufre de couleur d'ardoise. - -Je lus le dictionnaire des médailles de l'Encyclopédie méthodique -[21]. - -Un maître adroit qui eût su profiter de ce goût m'eût fait étudier avec -passion toute l'histoire ancienne; il fallait me faire lire Suétone, -puis Denis d'Halicarnasse, à mesure que ma jeune tête eût pu recevoir -les idées sérieuses. - -Mais le goût régnant alors à Grenoble portait à lire et à citer les -épîtres d'un M. de Bonnard, c'est, je pense, du petit Dorât (comme on -dit: du petit Mâcon). Mon grand-père nommait avec respect la _Grandeur -des Romains_ de Montesquieu, mais je n'y comprenais rien; chose peu -difficile à croire, j'ignorais les événements sur lesquels Montesquieu -a dressé ses magnifiques considérations. - -Il fallait au moins me faire lire Tite-Live. Au lieu de cela, on -me faisait lire et admirer les hymnes de Santeuil: «_Ecce sede -louantes... _» On peut se figurer la façon dont j'accueillais cette -religion[22] de mes tyrans. - -Les prêtres qui dînaient à la maison cherchaient à reconnaître -l'hospitalité de mes parents en me faisant du pathos sur la Bible de -Royaumont, dont le ton patelin et mielleux m'inspirait le plus profond -dégoût. J'aimais cent fois mieux le Nouveau Testament eu latin, que -j'avais appris par cœur tout entier dans un exemplaire in-18. Mes -parents, comme les rois d'aujourd'hui, voulaient que la religion me -maintint en soumission[23], et moi je ne respirais que révolte. - -Je voyais défiler la légion Allobroge (celle, je crois, qui fut -commandée par M. Caffe, mort aux Invalides, à 85 ans, en novembre ou -décembre 1835), ma grande pensée était à l'armée. Ne ferais-je pas bien -de m'engager? - -Je sortais souvent seul, j'allais au Jardin[24], mais je trouvais -les autres enfants trop familiers, de loin je brûlais de jouer avec -eux, de près je les trouvais grossiers. - -Je commençais même, je crois, à aller au spectacle, que je quittais -[25] au moment le plus intéressant, à neuf heures en été, quand -j'entendais sonner le sing (ou saint)[26]. - -Tout ce qui était tyrannie me révoltait, et je n'aimais pas le pouvoir. -Je _faisais mes devoirs_ (thèmes, traductions, vers sur la mouche noyée -dans une jatte de lait[27]) sur une jolie petite table de noyer, -dans l'antichambre du grand salon à l'italienne, excepté le dimanche -pour notre messe; la porte sur le grand escalier était toujours fermée. -Je m'avisai d écrire sur le bois de cette table les noms de tous les -assassins de princes, par exemple: Poltrot, duc de Guise, en 1562. Mon -grand-père, en m'aidant à faire mes vers, ou plutôt en les faisant -lui-même, vit cette liste; son âme assez tranquille, ennemie de toute -violence, en fut navrée, d en conclut presque que Séraphie avait raison -quand elle me représentait comme pourvu d'une âme atroce. Peut-être -avais-je été conduit à faire ma liste d'assassins par l'action de -Charlotte Corday--11 ou 12 juillet 1793--dont j'étais fou. J'étais -dans ce temps-là grand enthousiaste de Caton d'Utique, les réflexions -doucereuses et chrétiennes du _bon Rollin_, comme l'appelait mon -grand-père, me semblaient le comble de la niaiserie. - -Et en même temps j'étais si enfant qu'ayant trouvé dans l'_Histoire -ancienne_ de Rollin, je crois, un personnage qui s'appelait -Aristocrate, je fus émerveillé de cette circonstance et fis partager -mon enthousiasme à ma sœur Pauline, qui était libérale et de mon parti -contre Zénaïde-Caroline, attachée au parti de Séraphie et appelée -espionne par nous. - - * * * * * - -Avant ou après, j'avais eu un goût violent pour l'optique, qui me -porta à lire l'_Optique_ de Smith à la bibliothèque publique. Je -faisais des lunettes pour voir le voisin en ayant l'air de regarder -devant moi[28]. On pouvait encore, avec un peu d'adresse, par ce -moyen-là, facilement me lancer dans la science de l'optique et me faire -_emporter_ un bon morceau de mathématiques. De là à l'astronomie, il n -y avait qu'un pas. - - -[Footnote 1: Le _chapitre XX_ est le chapitre XVII du manuscrit (fol. 280 à -298).--Écrit à Rome, les 26, 27 et 29 décembre 1835.] - -[Footnote 2: ... un _vrai jésuite ..._--Ms.: «_Tejê._»] - -[Footnote 3: ... _j'avaie pour les ..._--Suivent quelques mots anglais -illisibles.] - -[Footnote 4: _Peut-être s'était-il fait dévot ..._--Ms.: «_Votdé._»] - -[Footnote 5: ... _plue tard rue du Département ..._--Plus tard encore, rue -Saint-André, aujourd'hui rue Diodore-Rahoult.] - -[Footnote 6: ... _intolérants et absurdes ..._--Ms.: «_Surdesab._»] - -[Footnote 7: ... _que mon grand-père travaillât en présence de ..._--Variante: -«_Devant._»] - -[Footnote 8: ... _dans ce salon étaient cités par lui ..._--Variante: -«_Rappelés._»] - -[Footnote 9: ... _mais il était apte ..._--Variante: «_Facile._»] - -[Footnote 10: ... _à l'occasion de torts très minimes ..._--Variante: «_Pour -des torts très petits._»] - -[Footnote 11: ... _chez M ... et sa famille, ... M. Bois, le beau-frère, -enrichi ..._--Trois mots illisibles.] - -[Footnote 12: ... _M. le grand vicaire ..._--Ms.: «_Cairevi._»] - -[Footnote 13: ... _en sa qualité de _prince_ de Grenoble ..._--L'évêque de -Grenoble avait le titre d'évêque-prince.] - -[Footnote 14: ... _mon oncle m'apprit par ses plaisanteries qu'il avait un_ -...--Un mot illisible.] - -[Footnote 15: ... _forcer les amis à se retirer._--En face, au verso du fol. -285, on lit: «Réponse à un reproche: comment veut-on que j'écrive bien, -forcé d'écrire aussi vite pour ne pas perdre mes idées? 27 décembre -1835. Réponse à MM. Colomb, etc.»] - -[Footnote 16: _Le Père Ducros écrivait dans le haut de la partie la plue -élevée de ces cartons._--Au verso du fol. 287, Stendhal a dessiné le -modèle de l'un de ces cadres, avec la légende suivante: «Cadre de -médailles en plâtre blanc par le Père Ducros, bibliothécaire de la -Ville de Grenoble (vers 1790), mort vers 1806 ou 1818.»] - -[Footnote 17: ... _mon cousin Allard du Plantier ..._--Allard du Plantier -(1721-1801), avocat au Parlement de Grenoble, fut élu en 1788 député -du Tiers-Etat du Dauphiné aux États-Généraux. Il se retira à Voiron en -1790.] - -[Footnote 18: _Quand ce moule était bien froid ..._--Dessin du moule. Le -papier huilé est plus haut (de A en B) que l'épaisseur du moule, de -manière à pouvoir recevoir le plâtre coulé.] - -[Footnote 19: _C'est en vain que Saint-..._--Le reste du nom est en blanc.] - -[Footnote 20: _( ...en B, dans la cuisine)._--Au verso du fol. 291 est un plan -d'une partie de l'appartement Beyle. Dans la «chambre de ma mère», en -«A, atelier de mon plâtre»; dans la cuisine, en «B, fourneau où je -faisais mes soufres». On lit au-dessous: «Maison paternelle, vendue en -1804. En 1816, nous logions au coin de la rue de Bonne et de la place -Grenette, où je fis l'amour à Sophie Vernier et à Mlle -Elise, en 1814 et 1816, mais pas assez, je me serais moins ennuyé. -De là j'entendis guillotiner David, qui fait la gloire de M. le duc -Decazes.»] - -[Footnote 21: ..._l'Encyclopédie méthodique._--On lit au verso du fol. 293: -«27 décembre 1835. Fatigué après 13 pages. Froid aux jambes, surtout au -mollet; un peu de colique; envie de dormir. Le froid et le café du 24 -décembre m'ont donné sur les nerfs. Il faudrait un bain, mais comment, -avec ce froid? Comment supporterai-je le froid de Paris?»] - -[Footnote 22: ... _j'accueillais cette religion ..._--Ms.: «_Gionreli._»] - -[Footnote 23: ... _me maintînt en soumission ..._--Variante: «_Abjection._»] - -[Footnote 24: ... _j'allais au Jardin ..._--Il s'agit du Jardin-de-Ville.] - -[Footnote 25: ... _à aller au spectacle que je quittais ..._--Variante: «_Dont -je sortais._»] - -[Footnote 26: ... _quand j'entendais sonner le sing (ou saint)._--Sur le -_sing_. voyez plus haut, notes du chapitre XVI, p. 244.] - -[Footnote 27: ... _vers sur la mouche noyée dans une jatte de lait -..._--Allusion à la pièce de vers latin déjà citée plus haut, chapitre -XII.] - -[Footnote 28: _Je faisais des lunettes pour voir le voisin en ayant l'air -de regarder devant moi._--Suit un grossier croquis représentant une -lunette munie d'un miroir incliné.] - - - - -CHAPITRE XXI[1] - - -Quand je demandais de l'argent à mon père par justice, par exemple -parce qu'il me l'avait promis, il murmurait, se fâchait, et au lieu de -six francs promis m'en donnait trois. Cela m'outrait; comment? n'être -pas fidèle à sa promesse? - -Les sentiments espagnols communiqués par ma tante Elisabeth me -mettaient dans les nues, je ne songeais qu'à l'honneur, qu'à -l'héroïsme. Je n'avais pas la moindre adresse, pas le plus petit art de -me retourner, pas la moindre hypocrisie doucereuse (ou jésuite[2]). - -Ce défaut a résisté à l'expérience, au raisonnement, au remords d'une -infinité de duperies où, par _espagnolisme_, j'étais tombé. - -J'ai encore ce manque d'adresse: tous les jours, par espagnolisme, je -suis trompé d'un paul ou deux en achetant la moindre chose. Le remords -que j'en ai, une heure après, a fini par me donner l'habitude de peu -acheter. Je me laisse manquer une année de suite d'un petit meuble -qui me coûtera douze francs par la certitude d'être trompé, ce qui me -donnera de l'humeur, et cette humeur est supérieure au plaisir d'avoir -le petit meuble. - -J'écris ceci debout, sur un bureau à la Tronchin fait par un menuisier -qui n'avait jamais vu telle chose, il y a un an que je m'en prive -par l'ennui d'être trompé. Enfin, j'ai pris la précaution de n'aller -pas parler au menuisier en revenant du café, à onze heures du matin, -alors mon caractère est dans sa fougue (exactement comme en 1803 quand -je prenais du café _enflammé_ rue Saint-Honoré, au coin de la rue de -Grenelle ou d'Orléans), mais dans les moments de fatigue, et mon bureau -à la Tronchin ne m'a coûté que quatre écus et demi (ou 4 X 5,45 = 24 -fr. 52[3]). - -Ce caractère faisait que mes conférences d'argent, chose si épineuse -entre un père de cinquante-et-un[4] ans et un fils de quinze, -finissaient ordinairement de ma part par un accès de mépris profond et -d'indignation concentrée. - -Quelquefois, non par adresse mais par pur hasard, je parlais avec -éloquence à mon père de la chose que je voulais acheter, sans m'en -douter je _l'enfiévrais_ (je lui donnais un peu de ma passion), et -alors sans difficulté, même avec plaisir, il me donnait tout ce qu'il -me fallait. Un jour de foire place Grenette, pendant qu'il se cachait, -je lui parlai de mon désir d'avoir de ces caractères mobiles percés -dans une feuille de laiton grande comme une carte à jouer[5]; il me -donna six ou sept assignats de quinze sous, au retour j'avais tout -dépensé. - -«Tu dépenses toujours tout l'argent que je te donne.» - -Comme il avait mis à me donner ces assignats de quinze sous ce que -dans un caractère aussi disgracieux on pouvait appeler de la grâce, je -trouvai son reproche fort juste. Si mes parents avaient su me mener, -ils auraient fait de moi un niais comme j'en vois tant en province. -L'indignation que j'ai ressentie dès mon enfance et au plus haut point, -à cause de mes sentiments espagnols, m'a créé, en dépit d'eux, le -caractère que j'ai. Mais quel est ce caractère? Je serais bien en peine -de le dire. Peut-être verrai-je la vérité à soixante-cinq ans, si j'y -arrive[6]. - -Un pauvre qui m'adresse la parole en _style tragique_, comme à Rome, ou -en _style de comédie_, comme en France, m'indigne: 1° je déteste être -troublé dans ma rêverie;--2° je ne crois pas un mot de ce qu'il me dit. - -Hier, en passant dans la rue, une femme du peuple de quarante ans, -mais assez bien, disait à un homme qui marchait avec elle: _Bisogna -camprar_ (il faut vivre toutefois). Ce mot, exempt de comédie, m'a -touché jusqu'aux larmes. Je ne donne jamais aux pauvres qui me -demandent, je pense que ce n'est pas par avarice. Le gros garde de -santé (le 11 décembre) à Cività-Vecchia, me parlant d'un pauvre -Portugais au lazaret qui ne demande que six ...[7] par jour, -sur-le-champ je lui ai donné six ou huit pauls en monnaie. Comme il les -refusait, de peur de se compromettre avec son chef (un paysan grossier, -venant de Finevista, nommé Manelli), j'ai pensé qu'il serait plus digne -d'un consul de donner un écu, ce que j'ai fait; ainsi, six pauls par -véritable humanité, et quatre à cause de la broderie de l'habit. - -A propos de colloque financier d'un père avec son fils: le marquis -Torrigiani, de Florence (gros joueur dans sa jeunesse et fort accusé -de gagner comme il ne faut pas), voyant que ses trois fils perdaient -quelquefois dix ou quinze louis au jeu, pour leur éviter l'ennui de -lui en demander, a remis trois mille francs à un vieux portier fidèle, -avec, ordre de remettre cet argent à ses fils quand ils auraient perdu, -et de lui en demander d'autre quand les trois mille francs seraient -dépensés. - -Cela est fort bien en soi, et d'ailleurs le procédé a touché les fils, -qui se sont modérés. Ce marquis, officier de la Légion d'honneur, est -père de madame Pozzi, dont les beaux yeux m'avaient inspiré une si vive -admiration en 1817. L'anecdote sur le jeu de son père m'aurait fait -une peine horrible en 1817 à cause de ce maudit espagnolisme de mon -caractère, dont je me plaignais naguère. Cet espagnolisme m'empêche -d'avoir le _génie comique_: - -1° je détourne mes regards et ma mémoire de tout ce qui est bas; - -2° je sympathise, comme à dix ans lorsque je lisais l'Arioste, avec -tout ce qui est contes d'amour, de forêts (les bois et leur vaste -silence), de générosité. - -Le conte espagnol le plus commun, s'il y a de la générosité, me fait -venir les larmes aux yeux, tandis que je détourne les yeux du caractère -de Chrysale de Molière, et encore plus du fond méchant de Zadig, -Candide, le pauvre Diable et autres ouvrages de Voltaire, dont je -n'adore vraiment que: - - - Vous êtes, lui dit-il, l'existence et l'essence, - Simple avec attribut et de pure substance. - - -Barral (le comte Paul de Barral, né à Grenoble vers 1785) m'a -communiqué bien jeune son goût pour ces vers, que son père, le Premier -Président, lui avait appris. - -Cet espagnolisme, communiqué par ma tante Elisabeth, me fait passer, -même à mon âge, pour un enfant privé d'expérience, pour un fou _de plus -en plus incapable d'aucune affaire sérieuse_, ainsi que dit mon cousin -Colomb (dont ce sont les propres termes), vrai bourgeois. - -La conversation du vrai bourgeois sur les _hommes et la vie_, qui n'est -qu'une collection de ces détails laids, me jette dans un _spleen_ -profond quand je suis forcé par quelque convenance de l'entendre un peu -longtemps. - -Voilà le secret de mon horreur pour Grenoble vers 1816, qu'alors je ne -pouvais m'expliquer. - -Je ne puis pas encore m'expliquer aujourd'hui, à cinquante-deux[8] -ans, la disposition au malheur que me donne le dimanche. Cela est -au point que je suis gai et content--au bout de deux cents pas dans -la rue, je m'aperçois que les boutiques sont fermées: _Ah! c'est -dimanche_, me dis-je. - -A l'instant, toute disposition intérieure au bonheur s'envole. - -Est-ce envie pour l'air content des ouvriers et bourgeois endimanchés? - -J'ai beau me dire: Mais je perds ainsi cinquante-deux dimanches par an -et peut-être dix fêtes; la chose est plus forte que moi, je n'ai de -ressource qu'un travail obstiné. - -Ce défaut--mon horreur pour Chrysale--m'a peut-être maintenu jeune. Ce -serait donc un heureux malheur, comme celui d'avoir eu peu de femmes -(des femmes comme Bianca Milai, que je manquai à Paris, un malin, vers -1829, uniquement, pour ne m'être aperçu de l'heure du berger--elle -avait une robe de velours noir ce jour-là, vers la rue du Helder ou du -Mont-Blanc). - -Comme je n'ai presque pas eu de ces femmes-là (vraies bourgeoises), -je ne suis pas blasé le moins du monde à cinquante ans[9]. Je veux -dire blasé au moral, car le physique, comme de raison, est émoussé -considérablement, au point de passer très bien quinze jours ou trois -semaines sans femme; ce carême-là ne me gêne que la première semaine. - -La plupart de mes folies apparentes, surtout la bêtise de ne pas avoir -saisi au passage l'occasion. _qui est chauve_, comme dit Don Japhet -d'Arménie, toutes mes duperies en achetant, etc., etc., viennent de -_l'espagnolisme_ communiqué par ma tante Elisabeth, pour laquelle j'eus -toujours le plus profond respect, un respect si profond qu'il empêchait -mon amitié d'être tendre, et, ce me semble, de la lecture de l'Arioste -faite si jeune et avec tant de plaisir. (Aujourd'hui, les héros de -l'Arioste me semblent des palefreniers dont la force fait l'unique -mérite, ce qui me met en dispute avec les gens d'esprit qui préfèrent -hautement l'Arioste au Tasse, tandis qu'à mes yeux, quand par bonheur -le Tasse oublie d'imiter Virgile ou Homère, il est le plus touchant des -poètes.) - - * * * * * - -En moins d'une heure, je viens d'écrire ces douze pages, et en -m'arrêtant de temps en temps pour tâcher de ne pas écrire des choses -peu nettes, que je serais obligé d'effacer. - -Comment aurais-je pu écrire bien _physiquement_, M. Colomb?--Mon ami -Colomb, qui m'accable de ce reproche dans sa lettre d'hier et dans les -précédentes, braverait les supplices pour sa parole, et pour moi. (Il -est né à Lyon vers 1785, son père, ancien négociant fort loyal, se -retira à Grenoble vers 1788. M. Romain Colomb a 20 ou 25.000 francs de -revenu et trois filles, rue Godot-de-Mauroy, Paris[10].) - - -[Footnote 1: Le _chapitre XXI_ est le chapitre XVIII du manuscrit (fol. 299 à -311).--Écrit à Rome, le 30 décembre 1835.] - -[Footnote 2: ... _hypocrisie doucereuse (ou jésuite)._--Ms.: «_Tejé._»] - -[Footnote 3: ... _mon bureau à la Tronchin ne m'a coûté que quatre écus et -demi_ (_ou_ 4 X 5.45 = 24 _fr._ 52).--Nous reproduisons sans le modifier, -le calcul de Stendhal.] - -[Footnote 4: ... _un père de cinquante-et-un ans ..._--_Cinquante-et-un_ est -en blanc dans le manuscrit.] - -[Footnote 5: ... _ces caractères mobiles percés dans une feuille de laiton -grande comme une carte à jouer ..._--Suit une figure représentant un B -en laiton.] - -[Footnote 6: ... _verrai-je la vérité à soixante-cinq ans, si j'y arrive._--On -lit en face, au verso du fol. 302: «A placer. Touchant mon caractère. -On me dira: Mais êtes-vous un prince ou un Émile pour que quelque -Jean-Jacques Rousseau se donne la peine d'étudier et de guider votre -caractère? Je répondrai: Toute ma famille se mêlait de mon éducation. -Après la haute imprudence d'avoir tout quitté à la mort de ma mère, -j'étais pour eux le seul remède à l'ennui, et ils me donnaient tout -l'ennui que je leur ôtais. Ne jamais parler à aucun autre enfant de mon -âge!] - ---Écriture: les idées me galopent, si je ne les note pas vite, je les -perds. Comment écrirais-je vite (_sic_)? Voila, M. Colomb, comment -je prends l'habitude de mal écrire. Omar, _thirthent december_ 1835, -revenant de San Gregorio et du Foro boario.»] - -[Footnote 7: ... _qui ne demande que six ..._--Un mot illisible.] - -[Footnote 8: ... _à cinquante-deux ans ..._--Ms.: «26 X 2.»] - -[Footnote 9: ... _à cinquante ans._--Ms.: «25 X 2.»] - -[Footnote 10: ... _rue Godot-de-Mauroy, Paris._--Justification de ma mauvaise -écriture: les idées me galopent et s'en vont si je ne les saisis pas. -Souvent, mouvement nerveux de la main. (Note de Stendhal.) - -Au verso du fol. 311 est ce _testament_ de Stendhal: «J'exige (_sine -qua non conditio_) que tous les noms de femme soient changés avant -l'impression. Je compte que cette précaution et la distance des temps -empêcheront tout scandale. Cività-Vecchia, le 31 décembre 1835. H. -BEYLE.»] - - - - -CHAPITRE XXII[1] - - -Le siège de Lyon agitait[2] tout le Midi: j'étais pour Kellermann et -les républicains, mes parents pour les émigrés et Précy (sans Monsieur, -comme ils disaient). - -Le cousin Senterre, de la poste, dont le cousin ou neveu[3] se -battait dans Lyon[4], venait à la maison deux fois par jour; comme -c'était l'été, nous prenions le café au lait du matin dans le cabinet -d'histoire naturelle sur la terrasse. - -C'est au point H[5] que j'ai peut-être éprouvé les plus vifs -transports d'amour de la patrie et de haine pour les _aristocrates_ -(légitimistes de 1835) et les prêtres[6], ses ennemis. - -M. Senterre, employé à la poste aux lettres[7], nous apportait -constamment six ou sept journaux dérobés aux abonnés, qui ne les -recevaient que deux heures plus tard à cause de notre curiosité. Il -avait son doigt de vin et son pain et écoutait les journaux. Souvent, -il avait des nouvelles de Lyon. - -Je venais le soir, seul, sur la terrasse, pour tâcher d'entendre le -canon de Lyon. Je vois dans la _Table chronologique_, le seul livre que -j'aie à Rome[8], que Lyon fut pris le 9 octobre 1793. Ce fut donc -pendant l'été de 1793, à dix[9] ans, que je venais écouter le canon -de Lyon; je ne l'entendis jamais. Je regardais avec envie la montagne -de Méaudre (prononcez Mioudre)[10], de laquelle on l'entendait. -Notre brave cousin Romagnier (cousin pour avoir épousé une demoiselle -Blanchet, parente de la femme de mon grand-père), je crois, était de -Méaudre[11], où il allait tous les deux mois voir son père. Au -retour, il faisait palpiter mon cœur en me disant: «Nous entendons -fort bien le canon de Lyon, surtout le soir, au coucher du soleil, et -quand le vent est au nord-ouest (nordoua).» - -Je contemplais avec le plus vif désir d'y aller le point B, mais -c'était un désir qu'il fallait bien se garder d'énoncer. - -J'aurais peut-être dû placer ce détail bien plus haut, mais je répète -que pour mon enfance je n'ai que des images fort nettes, sans _date_ -comme sans _physionomie._ - -Je les écris un peu comme cela me vient. - -Je n'ai aucun livre et je ne veux lire aucun livre, je m'aide à peine -de la stupide _Chronologie_ qui porte le nom de cet homme fin et sec, -M. Loïs Weymar. Je ferai de même pour la campagne de Marengo (1800), -pour celle de 1809, pour la campagne de Moscou, pour celle de 1813, -où je fus intendant à Sagan (Silésie, sur la Bober); je ne prétends -nullement écrire une histoire, mais tout simplement noter mes souvenirs -afin de deviner quel homme j'ai été: bête ou spirituel, peureux ou -courageux, etc., etc. C'est la réponse au grand mot: - - - Γνωτι σεαυτον - - -Durant cet été de 1793, le siège de Toulon m'agitait beaucoup; il va -sans dire que mes parents approuvaient les traîtres qui le rendirent, -cependant ma tante Elisabeth, avec sa fierté castillane, me dit ... -[12]. - - * * * * * - -Je vis partir le général Carteau ou Cartaud, qui parada sur la place -Grenette. Je vois encore son nom sur les fourgons[13] défilant -lentement et à grand bruit par la rue Montorge pour aller à Toulon. - - * * * * * - -Un grand événement se préparait pour moi, j'y fus fort sensible dans -le moment, mais il était trop tard, tout lien d'amitié était à jamais -rompu entre mon père et moi, et mon horreur pour les détails bourgeois -et pour Grenoble était désormais invincible. - -Ma tante Séraphie était malade depuis longtemps. Enfin, on parla -de danger; ce fut la bonne Marion (Marie Thomasset), mon amie, -qui prononça ce grand mot. Le danger devint pressant, les prêtres -affluèrent. - -Un soir d'hiver, ce me semble, j'étais dans la cuisine, vers les sept -heures du soir[14], au point H, vis-à-vis l'armoire de Marion. -Quelqu'un vint dire: «Elle est passée.» Je me jetai à genoux au point -H pour remercier Dieu de cette grande délivrance. - -Si les Parisiens sont aussi niais en 1880 qu'en 1835, cette façon de -prendre la mort de la sœur de ma mère me fera passer pour barbare, -cruel, atroce. - -Quoi qu'il en soit, telle est la vérité. Après la première semaine de -messes des morts et de prières, tout le monde se trouva grandement -soulagé[15] dans la maison. Je crois que mon père même fut bien aise -d'être délivré de cette maîtresse diabolique, si toutefois elle a été -sa maîtresse, ou de cette amie intime diabolique. - -Une de ses dernières actions avait été, un soir que je lisais sur la -commode de ma tante Elisabeth[16], au point H, la _Henriade_ ou -_Bélisaire_, que mon grand-père venait de me prêter, de s'écrier: « -Comment peut-on donner de tels livres à cet enfant! Qui lui a donné ce -livre?» - -Mon excellent grand-père, sur ma demande importune, venait d'avoir la -complaisance, malgré le froid, d'aller avec moi jusque dans son cabinet -de travail, touchant la terrasse, à l'autre bout de la maison, pour me -donner ce livre dont j'avais soif ce soir-là. - -Toute la famille était en rang d'oignons devant le feu, au point D -[17]. On répétait souvent, à Grenoble, ce mot: rang d'oignons[18]. -Mon grand-père, au reproche insolent de sa fille, ne répondit, en -haussant les épaules, que: «Elle est malade.» - -J'ignore absolument la date de cette mort; je pourrai la faire prendre -sur les registres de l'état-civil à Grenoble[19]. - - * * * * * - -Il me semble que bientôt après j'allai à l'École centrale, chose que -Séraphie n'eût jamais souffert. Je crois que ce fut vers 1797 et que je -ne fus que trois ans à l'École centrale. - - -[Footnote 1: _Chapitre XXII._--Ce chapitre, non numéroté par Stendhal, va du -fol. 311 _ter_ au fol. 315 _bis._--Le chapitre commence ainsi: «Le -fameux siège de Lyon (dont plus tard j'ai tant connu le chef, M. de -Précy, à Brunswick, 1806-1809, mon premier modèle d'homme de bonne -compagnie, après M. de Tressan, dans ma première enfance).» - ---Le fol. 311 _bis_ porte simplement ces deux mentions: «Tome second», -et: «Siège de Lyon, été de 1793.»] - -[Footnote 2: _Le siège de Lyon agitait ..._--Variante: «_Agita._»] - -[Footnote 3: ... _dont le cousin ou neveu ..._--Les deux mots: _cousin ou_, -ont été rayés au crayon par R. Colomb.] - -[Footnote 4: ... _se battait dans Lyon ..._--Il ne se battait pas; sa -condamnation à mort fut motivée sur une lettre écrite à une dame de -ses amies et interceptée par Dubois de Crancé. (Note au crayon de R. -Colomb.)] - -[Footnote 5: _C'est au point H que j'ai peut-être éprouvé ..._--En face, -au verso du fol. 311 _ter_, se trouve un plan de la scène: dans le -«cabinet d'histoire naturelle», garni sur ses deux plus grands murs -d' «armoires fermées contenant minéraux, coquillages», est la «table -de déjeuner avec café au lait excellent et fort bons petits pains -très cuits, _griches_ perfectionnées»; autour de la table, en «S, M. -Senterre avec son chapeau à larges bords, à cause de ses yeux faibles -et bordés de rouge»; en «H, moi, dévorant ses nouvelles». La terrasse -est voisine; au bout se trouve en «J, mon jardin particulier, à côté de -la pierre à eau».] - -[Footnote 6: _ ... et les prêtres ..._--Ms.: «_Tresp._»] - -[Footnote 7: _M. Senterre, employé à la poste aux lettres ..._--Stendhal a -déjà parlé de son cousin Senterre et de la scène des journaux. Voir -plus haut, chapitre XII.] - -[Footnote 8: ... _le seul livre que j'ai à Rome ..._--Ms.: «_Mero._»] - -[Footnote 9: ... _à dix ans ..._--Ms.: «_Ten._»] - -[Footnote 10: ... _la montagne de Méandre (prononcez Mioudre)..._--En face, au -verso du fol 312, est un dessin représentant la silhouette des plateaux -de Saint-Nizier (A) et de Sornin (B) jusqu'à la vallée de l'Isère (V). -«Méaudre ou Mioudre en M, dans la vallée entre les deux montagnes A -et B»; «V, vallée de Voreppe, adorée par moi comme étant le chemin de -Paris».] - -[Footnote 11: ... _Méaudre ..._--Ms.: «_Mioudre._»--Méaudre est un village de -784 habitants situé à 1.012 m. d'altitude, dans la vallée de la Bourne.] - -[Footnote 12: ... _ma tante Elisabeth, avec sa fierté castillane, me dit -..._--Le reste de la page a été laissé en blanc par Stendhal. -Cet alinéa et le suivant, accompagnés d'un grand blanc, étaient -certainement destinés à être développés.] - -[Footnote 13: ... _sur les fourgons ..._--Variante: «_Ses fourgons._»] - -[Footnote 14: ... _j'étais dans la cuisine vers les sept heures du soir -..._--Suit un plan de la cuisine. Sur la «grande table» de milieu, en -«O, boîte à poudre qui éclata». En H, le jeune Henri devant l'armoire. -(Voir notre plan de l'appartement Gagnon.)] - -[Footnote 15: ... _se trouva grandement soulagé ..._--Variante: «_Délivré._»] - -[Footnote 16: ... _un soir que je lisais sur la commode de ma tante Elisabeth -..._--En face, au verso du fol. 313 _quater_, est un plan de la partie -de l'appartement Gagnon occupé par les chambres d'Elisabeth et Séraphie -Gagnon. Dans la chambre d'Elisabeth, en «H, moi lisant la _Henriade_ -ou _Bélisaire_, dont mon grand-père admirait beaucoup le quinzième -chapitre ou le commencement: _Justinien vieillissait ..._ Quel tableau -de la vieillesse de Louis XV, disait-il!»--Dans un angle de la place -Grenette est figuré l'«escalier et perron de la maison Périer-Lagrange. -François, le fils aîné, bon et bête, grand homme de cheval, épousa ma -sœur Pauline pendant les campagnes d'Allemagne».] - -[Footnote 17: _Toute la famille était en rang d'oignons devant le jeu au point -D._--Plan de la chambre d'Elisabeth Gagnon en haut du fol. 314; autour -de la cheminée, en D, la famille en _rang d'oignons_; en face de la -cheminée, le jeune Beyle lisant sur la commode.] - -[Footnote 18: ... _rang d'oignons._--On lit en haut du fol. 315 _bis_: «30 -décembre 1835. Omar.»--Le fol. 315 porte simplement: «Chapitre XIX.» -Ce chapitre commence au milieu de la page 315 _bis_, suivant une -indication de Stendhal lui-même.] - -[Footnote 19: ... _sur les registres de l'état civil à Grenoble._--Séraphie -Gagnon est morte le 9 janvier 1797, à dix heures du soir.] - - - - -CHAPITRE XXIII[1] - - -ÉCOLE CENTRALE - - -Bien des années après, vers 1817, j'appris de M. de Tracy que c'était -lui, en grande partie, qui avait fait la loi excellente des Écoles -centrales[2]. - -Mon grand-père fut le très digne chef du jury chargé de présenter à -l'administration départementale les noms des professeurs et d'organiser -l'école. Mon grand-père adorait les lettres et l'instruction, et, -depuis quarante ans, était à la tête de tout ce qui s'était fait de -littéraire et de libéral à Grenoble. - -Séraphie l'avait vertement blâmé d'avoir accepté ces fonctions de -membre du jury d'organisation, mais le fondateur de la bibliothèque -publique devait à sa considération dans le monde d'être le chef de -l'École centrale[3]. - -Mon maître Durand, qui venait à la maison me donner des leçons, fut -professeur de latin; comment ne pas aller à son cours à l'École -centrale? Si Séraphie eût vécu, elle eût trouvé une raison, mais, -dans l'état des choses, mon père se borna à dire des mots profonds et -sérieux sur le danger des mauvaises connaissances pour les mœurs. Je ne -me sentais pas de joie; il y eut une séance d'ouverture de l'École dans -les salles de la bibliothèque, où mon grand-père fit un discours. - -C'est peut-être là cette assemblée si nombreuse dans la première salle -SS[4], dont je trouve l'image dans ma tête. - -Les professeurs étaient MM. Durand, pour la langue latine; Gattel, -grammaire générale et même logique, ce me semble; Dubois-Fontanelle, -auteur de la tragédie d'_Ericie_[5] _ou la Vestale_ et rédacteur -pendant vingt-deux ans de la Gazette des Deux-Ponts[6], -belles-lettres; Trousset, jeune médecin, la chimie; Jay, grand hâbleur -de cinq pieds dix pouces, sans l'ombre de talent, mais bon pour -enfiévrer (monter la tête des enfants), le dessin,--il eut bientôt -trois cents élèves; Chalvet (Pierre, Vincent), jeune pauvre libertin, -véritable auteur sans aucun talent, l'histoire--et chargé de recevoir -l'argent des inscriptions qu'il mangea en partie avec trois sœurs, -fort catins de leur métier, qui lui donnèrent une nouvelle v..., de -laquelle il mourut bientôt après; enfin Dupuy, le bourgeois le plus -emphatique et le plus paternel que j'aie jamais vu, professeur de -mathématiques--sans l'ombre de talent. C'était à peine un arpenteur, -on le nomma dans une ville qui avait un Gros! Mais mon grand-père ne -savait pas un mot de mathématiques et les haïssait, et d'ailleurs -l'emphase du père Dupuy (comme nous l'appelions; lui nous disait: -mes enfants) était bien faite pour lui conquérir l'estime générale à -Grenoble. Cet homme si vide disait cependant une grande parole: «_Mon -enfant, étudie la Logique de Condillac, c'est la base de tout._» - -On ne dirait pas mieux aujourd'hui, en remplaçant toutefois le nom de -Condillac par celui de Tracy. - -Le bon, c'est que je crois que M. Dupuy ne comprenait pas le premier -mot de cette logique de Condillac, qu'il nous conseillait; c'était un -fort mince volume petit in-12. Mais j'anticipe, c'est mon défaut, il -faudra peut-être en relisant effacer toutes ces phrases qui offensent -l'ordre chronologique. - -Le seul homme parfaitement à sa place était M. l'abbé Gattel, abbé -coquet, propret, toujours dans la société des femmes, véritable abbé -du XVIIe siècle; mais il était fort sérieux en faisant son -cours et savait, je crois, tout ce qu'on savait alors des habitudes -principales des mouvements d'instinct et en second lieu de facilité et -d'analogie que les peuples ont suivie en formant les langues. - -M. Gattel avait fait un fort bon dictionnaire où il avait osé noter -la prononciation, et dont je me suis toujours servi. Enfin, c'était -un homme qui savait travailler cinq à six heures tous les jours, ce -qui est rare en province, où l'on ne sait que _baguenauder_ toute la -journée. - -Les niais de Paris blâment cette peinture de la prononciation saine, -naturelle. C'est par lâcheté et par ignorance. Ils ont peur d'être -ridicules en notant la prononciation d'_Anvers_ (ville), de _cours_, de -_vers._ Ils ne savent pas qu'à Grenoble, par exemple, on dit: J'ai été -au _Cour-ce_, ou: j'ai lu des _ver-ce_ sur _Anver-se_ et _Calai-se._ -Si l'on parle ainsi à Grenoble, ville d'esprit et tenant encore un peu -aux pays du Nord, qui pour la langue ont évincé le Midi, que sera-ce -à Toulouse, Béziers, Pézenas, Digne? Pays où l'on devrait afficher la -prononciation française à la porte des églises. - -Un ministre de l'Intérieur qui voudrait faire son métier, au lieu -d'intriguer auprès du roi et dans les Chambres, comme M. Guizot[7], -devrait demander un crédit de deux millions par an pour amener[8] au -niveau d'instruction des autres Français les peuples qui habitent dans -le fatal triangle qui s'étend entre Bordeaux, Bayonne et Valence. On -croit aux sorciers, on ne sait pas lire et on ne parle pas français -en ces pays. Ils peuvent produire par hasard un homme supérieur -comme Lannes, Soult, mais le général ...[9] y est d'une ignorance -incroyable. Je pense qu'à cause du climat et de l'amour et de -l'énergie qu'il donne à la machine, ce triangle devrait produire les -premiers hommes de France. La Corse me conduit à cette idée. - -Avec ses 180.000 habitants, cette île a donné huit ou dix hommes de -mérite à la Révolution et le département du Nord, avec ses 900.000 -habitants, à peine un. Encore j'ignore le nom de cet _un._ Il va sans -dire que les prêtres[10] sont tout-puissants dans ce fatal triangle. -La civilisation est de Lille à Rennes et cesse vers Orléans et Tours. -Au sud de Grenoble est sa brillante limite[11]. - - * * * * * - -Nommer les professeurs à l'École centrale[12] coûtait peu et était -bientôt fait, mais il y avait de grandes réparations à faire aux -bâtiments. Malgré la guerre, tout se faisait dans ces temps d'énergie. -Mon grand-père demandait sans cesse des fonds à l'administration -départementale. - -Les cours s'ouvrirent au printemps, je crois, dans des salles -provisoires. - -Celle de M. Durand avait une vue délicieuse et enfin, après un mois, -j'y fus sensible. C'était un beau jour d'été et une brise douce agitait -les foins des glacis de la porte de Bonne, sous nos yeux[13], à -soixante ou quatre-vingts pieds plus bas. - -Mes parents me vantaient sans cesse, et à leur manière, la beauté des -champs, de la verdure, des fleurs, etc., des renoncules, etc. - -Ces plates phrases m'ont donné, pour les fleurs et les plates-bandes, -un dégoût qui dure encore. - -Par bonheur, la vue magnifique que je trouvai _tout seul_ à une fenêtre -du collège, voisine de la salle du latin, où j'allais rêver tout seul, -surmonta le profond dégoût causé par les phrases de mon père et des -prêtres, ses amis. - -C'est ainsi que, tant d'années après, les phrases nombreuses et -prétentieuses de MM. Chateaubriand et de Salvandy m'ont fait écrire _le -Rouge et le Noir_ d'un style trop haché. Grande sottise, car dans vingt -ans, qui songera aux fatras hypocrites de ces Messieurs? Et moi, je -mets un billet à une loterie, dont le gros lot se réduit à ceci: être -lu en 1935. - -C'est la même disposition d'âme qui me faisait fermer les yeux aux -paysages des extases de ma tante Séraphie. J'étais en 1794 comme -le peuple de Milan[14] est en 1835: les autorités allemandes et -abhorrées veulent lui faire goûter Schiller, dont la belle âme, si -différente de celle du plat Goethe, serait bien choquée de voir de tels -apôtres à sa gloire. - - * * * * * - -Ce fut une chose bien étrange pour moi que de débuter, au printemps de -1791 ou 95, à onze ou douze ans, dans une école où j'avais dix ou douze -camarades. - -Je trouvai la réalité bien au-dessous des folles images de mon -imagination. Ces camarades n'étaient pas assez gais, pas assez fous, -et ils avaient des façons bien ignobles. - -Il me semble que M. Durand, tout enflé de se voir professeur d'une -École centrale, mais toujours bonhomme, me mit à traduire Salluste, _De -Bello Jugurtino._ La liberté produisit ses premiers fruits, je revins -au bon sens en perdant ma colère et goûtai fort Salluste. - -Tout le collège était rempli d'ouvriers, beaucoup de chambres de notre -troisième étage étaient ouvertes, j'allais y rêver seul. - -Tout m'étonnait dans cette liberté tant souhaitée, et à laquelle -j'arrivais enfin. Les charmes que j'y trouvais n'étaient pas ceux que -j'avais rêvés, ces compagnons si gais, si aimables, si nobles, que -je m'étais figurés, je ne les trouvais pas, mais à leur place, des -polissons très égoïstes. - -Ce désappointement, je l'ai eu à peu près dans tout le courant de ma -vie. Les seuls bonheurs d'ambition en ont été exempts, lorsque, en -1810[15], je fus auditeur et, quinze jours après, inspecteur du -mobilier. Je fus ivre de contentement, pendant trois mois, de n'être -plus commissaire des Guerres et exposé à l'envie et aux mauvais -traitements de ces héros si grossiers qui étaient les manœuvres -de l'Empereur à Iéna et à Wagram. La postérité ne saura jamais la -grossièreté et la bêtise de ces gens-là, hors de leur champ de -bataille. Et même sur ce champ de bataille, quelle prudence! C'étaient -des gens comme l'amiral Nelson, le héros de Naples (voir Caletta et -ce que m'a conté M. Di Fiore), comme Nelson, songeant toujours à ce -que chaque blessure leur rapporterait en dotations et en croix. Quels -animaux ignobles, comparés à la haute vertu du général Michaud, du -colonel Mathis! Non, la postérité ne saura jamais quels plats jésuites -ont été ces héros des bulletins de Napoléon, et comme je riais en -recevant le _Moniteur_, à Vienne, Dresde, Berlin, Moscou, que personne -presque ne recevait à l'armée afin qu'on ne pût pas se moquer des -messages. Les Bulletins étaient des machines de guerre, des _travaux de -campagne_, et non des pièces historiques. - -Heureusement pour la pauvre vérité, l'extrême lâcheté de ces héros, -devenus pairs de France et juges en 1835, mettra la postérité au fait -de leur héroïsme en 1809. Je ne fais exception que pour l'aimable -Lasalle et pour Exelmans, qui depuis... Mais alors il n'était pas allé -rendre visite au maréchal Bournon, ministre de la Guerre. Moncey aussi -n'aurait pas fait certaines bassesses, mais Suchet...[16] J'oubliais -le grand Gouvion-Saint-Cyr avant que l'âge l'eût rendu à-demi imbécile, -et celte imbécillité remonte à 1814. Il n'eut plus, après cette époque, -que le talent d'écrire. Et dans l'ordre civil, sous Napoléon, quels -plats bougres[17] que M. de B...., venant persécuter M. Daru à -Saint-Cloud, au mois de novembre, dès sept heures du matin, que le -comte d'Argout, bas flatteur du général Sébastiani[18]! - - -Mais, bon Dieu, où en suis-je? A l'école de latin, dans les bâtiments -du collège. - - -[Footnote 1: Le _chapitre XXIII_ est le chapitre XIX du manuscrit (fol. 315 -_bis_ à 331 _bis_).--Écrit à Rome, les 30 et 31 décembre 1835, et -1er janvier 1836.] - -[Footnote 2: ... _la loi excellente des Écoles centrales._--Stendhal avait -d'abord écrit: «La loi excellente des Écoles centrales avait été faite, -ce me semble, par un comité dont M. de Tracy était le chef avec 6.000 -francs d'appointements, lui qui avait commencé avec 200.000 livres -de rente; mais ceci arrivera plus tard.»--Sur l'enseignement donné -dans les Écoles centrales en général et dans celle de Grenoble, en -particulier, ainsi que sur les camarades et amis d'Henri Beyle, voir -l'ouvrage de M. A. Chuquet, _Stendhal-Beyle_ (1904).] - -[Footnote 3: ... _d'être le chef de l'École centrale.--_Peut-être aussi -la crainte des patriotes entra-t-elle pour quelque chose dans -l'acceptation de cette fonction. (Note au crayon de R. Colomb.)] - -[Footnote 4: ... _dans la première salle SS ..._--Plan de cette salle, à -l'entrée de laquelle se trouvait le «bureau du bibliothécaire, le -R. P. Ducros».--Au verso du fol. 314, Stendhal a figuré un plan du -collège (aujourd'hui le Lycée de filles), alors situé entre la «rue -Neuve, le faubourg Saint-Germain de Grenoble», et les «remparts de -la ville en 1795». On y voit au rez-de-chaussée la «première salle -des mathématiques» et la «salle de la chimie, professée par M. le Dr -Trousset»; au premier étage, la «seconde salle où j'ai remporté le -premier prix, sur sept ou huit élèves admis un mois après à l'École -polytechnique»; enfin la «salle de latin, au second ou troisième, -vue délicieuse» sur les «montagnes d'Echirolles» et sur des sommets -recouverts par des «neiges éternelles ou de huit mois de l'année au -moins».] - -[Footnote 5: ... _la tragédie d'_Ericie ...--Ms.: «_Aricie._»] - -[Footnote 6: ... _la Gazette des Deux-Ponts ..._--La _Gazette universelle -de politique et de littérature des Deux-Ponts_, fondée en 1770. -Dubois-Fontanelle n'y collabora que jusqu'au 1er juin 1776.] - -[Footnote 7: ... _M. Guizot ..._--Ms.: «_Zotgui._»] - -[Footnote 8: ... _pour amener ..._--Variante: «_Porter._»] - -[Footnote 9: ... _mais le général ..._--Le mot est en blanc dans le manuscrit.] - -[Footnote 10: _Il va sans dire que les prêtres ..._--Ms.: «_Tresp._»] - -[Footnote 11: _Au sud de Grenoble est sa brillante limite._--On lit en tête du -fol. 324: «31 décembre 1835. Omar.»--Ce feuillet n'a qu'une seule ligne -écrite; le reste est blanc.] - -[Footnote 12: _Nommer les professeurs à l'École centrale ..._--On lit en haut -du fol. 325: «31 décembre 1835. Omar. Commencé ce livre, dont voici la -trois cent vingt-cinquième page, et cent, me ferait quatre cents le -... 1835.»--Le verso du même feuillet porte: «Rapidité: le 3 décembre -1835, j'en étais à 93, le 31 décembre à 325. 232 en 28 jours. Sur quoi -il y a eu voyage à Cività-Vecchia. Aucun travail les jours de voyage et -le soir d'arrivée ici, soit un ou deux sans écrire. Donc, en 23 jours, -232, ou dix pages par jour, ordinairement dix-huit ou vingt pages par -jour, et les jours de courrier quatre ou cinq ou pas du tout. Comment -pourrais-je écrire bien physiquement? D'ailleurs, ma mauvaise écriture -arrête les indiscrets. 1er janvier 1836.»] - ---En interligne (aux mots: les professeurs de l'École centrale), -Stendhal a écrit: «MM. Gattel, Dubois-Fontanelle, Trousset, Villars -(paysan des Hautes-Alpes), Jay, Durand, Dupuy, Chabert, les voilà à peu -près par ordre d'utilité pour les enfants; les trois premiers avaient -du mérite.»--En face (fol. 324 verso) est encore un plan du «Collège ou -École centrale».] - -[Footnote 13: ... _sous nos yeux ..._--Variante: «_Vis-à-vis de nous._»] - -[Footnote 14: ... _le peuple de Milan ..._--Ms.: «_Lanmi._»] - -[Footnote 15: ... _lorsque, en_ 1810 ...--Ms.: «1811.»] - -[Footnote 16: ... _mais Suchet ..._--Suit un blanc d'un quart de ligne.] - -[Footnote 17: ... _quels plats bougres ..._--Ms.: «_Ougresb._»] - -[Footnote 18: ... _général Sébastiani!_--Ms.: «_Bastiani-sebas._»] - - - - - -CHAPITRE XXIV[1] - - -Je ne réussissais guère avec mes camarades; je vois aujourd'hui que -j'avais alors un mélange fort ridicule de hauteur et de besoin de -m'amuser. Je répondis à leur égoïsme le plus âpre par mes idées de -noblesse espagnole. J'étais navré quand, dans leurs jeux, ils me -laissaient de côté; pour comble de misère, je ne savais point ces jeux, -j'y portais une noblesse d'âme, une délicatesse qui devaient leur -sembler de la folie absolue. La finesse et la promptitude de l'égoïsme, -un égoïsme, je crois, hors de mesure, sont les seules choses qui aient -du succès parmi les enfants. - -Pour achever mon peu de succès, j'étais timide envers le professeur, -un mot de reproche contenu et dit par hasard par ce petit bourgeois -pédant avec un accent juste, me faisait venir les larmes aux yeux. -Ces larmes étaient de la lâcheté aux yeux de MM. Gauthier frères, -Saint-Ferréol, je crois, Robert (directeur actuel du théâtre Italien, à -Paris), et surtout Odru. Ce dernier était un paysan très fort et encore -plus grossier, qui avait un pied de plus qu'aucun de nous et que nous -appelions Goliath; il en avait la grâce, mais nous donnait de fières -taloches quand sa grosse intelligence s'apercevait enfin que nous nous -moquions de lui. - -Son père, riche paysan de Lumbin ou d'un autre village dans la -vallée[2]. (On appelle ainsi par excellence l'admirable vallée de -l'Isère, de Grenoble à Montmélian. Réellement, la vallée s'étend -jusqu'à la _dent_ de Moirans, de cette sorte[3].) - - * * * * * - -Mon grand-père avait profité du départ de Séraphie pour me faire suivre -les cours de mathématiques, de chimie et de dessin. - -M. Dupuy, ce bourgeois si emphatique et si plaisant, était, en -importance citoyenne, une sorte de rival subalterne de M. le docteur -Gagnon. Il était à plat ventre devant la noblesse, mais cet avantage -qu'il avait sur M. Gagnon était compensé par l'absence totale -d'amabilité et d'idées littéraires, qui alors formaient comme le pain -quotidien de la conversation. M. Dupuy, jaloux de voir M. Gagnon -membre du jury d'organisation et son supérieur, n'accueillit point la -recommandation de ce rival heureux en ma faveur, et je n'ai gagné ma -place dans la salle de mathématiques qu'à force de mérite, et en voyant -ce mérite, pendant trois ans de suite, mis continuellement en question. -M. Dupuy, qui parlait sans cesse et (jamais trop) de Condillac et de -sa Logique, n'avait pas l'ombre de logique dans la tête. Il parlait -noblement et avec grâce, et il avait une figure imposante et des -manières fort polies. - -Il eut une idée bien belle en 1794, ce fut de diviser les cent élèves -qui remplissaient la salle au rez-de-chaussée, à la première leçon de -mathématiques, en brigades de six ou de sept ayant chacune un chef. - -Le mien était un _grand_, c'est-à-dire un jeune homme au-delà de la -puberté et ayant un pied de plus que nous. Il nous crachait dessus, -en plaçant adroitement un doigt devant sa bouche. Au régiment, un tel -caractère s'appelle _arsouille._ Nous nous plaignions de cet arsouille, -nommé, je crois, Raimonet, à M. Dupuy, qui fut admirable de noblesse -en le cassant. M. Dupuy avait l'habitude de donner leçon aux jeunes -officiers d'artillerie de Valence et était fort sensible à l'honneur -(au coup d'épée). - -Nous suivions le plat cours de Bezout, mais M. Dupuy eut le bon esprit -de nous parler de Clairaut et de la nouvelle édition que M. Biot (ce -charlatan travailleur) venait d'en donner. - -Clairaut était fait pour ouvrir l'esprit, que Bezout tendait à laisser -à jamais bouché. Chaque proposition, dans Bezout, a l'air d'un grand -secret appris d'une bonne femme voisine. - - * * * * * - -Dans la salle de dessin, je trouvai que M. Jay et M. Couturier (au -nez cassé), son adjoint, me faisaient une terrible injustice. Mais M. -Jay, à défaut de tout autre mérite, avait celui de l'emphase, laquelle -emphase, au lieu de nous faire rire, nous enflammait. M. Jay obtenait -un beau succès, fort important pour l'École centrale, calomniée par les -prêtres. Il avait deux ou trois cents élèves. - -Tout cela était distribué par bancs de sept ou huit[4], et chaque -jour il fallait faire construire de nouveaux bancs. Et quels modèles! -de mauvaises académies dessinées par MM. Pajou et Jay lui-même; les -jambes, les bras, tout était en à peu près, bien patauds, bien lourds, -bien laids. C'était le dessin de M. Moreau jeune, ou de ce M. Cachoud -qui parle si drôlement de Michel-Ange et du Dominiquin dans ses trois -petits volumes sur l'Italie. - -Les grandes têtes étaient dessinées à la sanguine ou gravées à la -manière du crayon. Il faut avouer que la totale ignorance du dessin -y paraissait moins que dans les _académies_ (figures nues). Le grand -mérite de ces têtes, qui avaient dix-huit pouces de haut, était que les -hachures fussent bien parallèles; quant à imiter la nature, il n'en -était pas question. - -Un nommé Moulezin, bête et important à manger du foin et aujourd'hui -riche et important bourgeois de Grenoble, et sans doute l'un des plus -rudes ennemis du sens commun, s'immortalisa bientôt par le parallélisme -parfait de ses hachures à la sanguine. Il faisait des académies et -avait été élève de M. Villonne (de Lyon); moi, élève de M. Le Roy, que -la maladie et le bon goût parisien avaient empêché de son vivant d'être -aussi charlatan que M. Villonne à Lyon, dessinateur pour étoffes, je ne -pus obtenir que les grandes têtes, ce qui me choqua fort, mais eut le -grand avantage d'être une leçon de modestie. - - * * * * * - -J'en avais grand besoin, puisqu'il faut parler net. Mes parents, dont -j'étais l'ouvrage, s'applaudissaient de mes talents devant moi, et je -me croyais le jeune homme le plus distingué de Grenoble. - -Mon infériorité dans les jeux avec mes camarades de latin commença à -m'ouvrir les yeux. Le banc des grandes têtes, vers H[5], où l'on me -plaça, tout près des deux fils d'un cordonnier, à figures ridicules -(quelle inconvenance pour le petit-fils de M. Gagnon!), m'inspira la -volonté de crever ou d'avancer[6]. - -Voici l'histoire de mon talent pour le dessin: ma famille, toujours -judicieuse, avait décidé, après un an ou dix-huit mois de leçons chez -cet homme si poli, M. Le Roy, que je dessinais fort bien. - -Le fait est que je ne me doutais pas seulement que le dessin est une -invention de la nature. Je dessinais avec un crayon noir et blanc une -tête en demi-relief. (J'ai vu à Rome, au Braccio nuovo, que c'est la -tête de Musa, médecin d'Auguste.) Mon dessin était propre, froid, sans -aucun mérite, comme le dessin d'un jeune pensionnaire. - -Mes parents, qui avec toutes leurs phrases sur les beautés de la -campagne et les beaux paysages, n'avaient aucun sentiment des arts, pas -une gravure passable à la maison, me déclarèrent très fort en dessin. -M. Le Roy vivait encore et peignait[7] des paysages à la gouache -(couleur épaisse), moins mal que le reste. - -J'obtins de laisser là le crayon et de peindre à la gouache. - -M. Le Roy avait fait une vue du pont de la Vence, entre la Buisserate -et Saint-Robert, prise du point A[8]. - -Je passais ce pont plusieurs fois l'an pour aller à Saint-Vincent, je -trouvais que le dessin, surtout la montagne en M, ressemblait fort, -je fus illusionné. Donc, d'abord, et avant tout, il faut qu'un dessin -ressemble à la nature! - -Il n'était plus question de hachures bien parallèles. Après cette belle -découverte, je fis de rapides progrès. - -Le pauvre M. Le Roy vint à mourir, je le regrettai. Cependant, j'étais -encore esclave alors, et tous les jeunes gens allaient chez M. -Villonne, dessinateur pour étoffes chassé de _Commune-Affranchie_ par -la guerre et les échafauds. Commune-Affranchie était le nouveau nom -donné à Lyon depuis sa prise. - -Je communiquai à mon père (mais par hasard et sans avoir l'esprit d'y -songer) mon goût pour la gouache, et j'achetai de Mme Le -Roy, au triple de leur valeur, beaucoup de gouaches de son mari. - -Je convoitais fort deux volumes des _Contes_ de La Fontaine, avec -gravures fort délicatement faites, mais fort claires. - -«Ce sont des horreurs, me dit Mme Le Roy avec ses beaux -yeux de soubrette bien hypocrites; mais ce sont des chefs-d'œuvre.» - -Je vis que je ne pouvais escamoter le prix des _Contes_ de La Fontaine -sur celui des gouaches. L'École centrale s'ouvrit, je ne songeai plus -à la gouache, mais ma découverte me resta[9]: il fallait imiter -la nature, et cela empêcha peut-être que mes grandes têtes, copiées -d'après ces plats dessins, fussent aussi exécrables qu'elles auraient -dû l'être. Je me souviens du _Soldat indigné_, dans Héliodore chassé, -de Raphaël; je ne vois jamais l'original (au Vatican) sans me souvenir -de ma copie; le mécanisme du crayon, tout-à-fait arbitraire, même faux, -brillait surtout dans le dragon qui surmonte le casque. - -Quand nous avions fait un ouvrage passable, M. Jay s'asseyait à la -place de l'élève, corrigeait un peu la tête et raisonnait avec emphase, -mais enfin en raisonnant, et enfin signait la tête par derrière, -apparemment _ne varietur_, pour qu'elle pût, au milieu ou à la fin -de l'année, être présentée au concours. Il nous enflammait, mais -n'avait pas la plus petite notion du _beau._ Il n'avait fait en sa vie -qu'un tableau indigne, une Liberté copiée d'après sa femme, courte, -ramassée, sans forme. Pour l'alléger, il avait occupé le premier plan -par un tombeau derrière lequel la Liberté paraissait cachée jusqu'aux -genoux[10]. - - - * * * * * - -La fin de l'année arriva, il y eut des examens en présence du jury, et, -je crois, d'un membre du Département. - -Je n'obtins qu'un misérable _accessit_, et encore pour faire plaisir, -je pense, à M. Gagnon, chef du jury, et à M. Dausse, autre membre du -jury, fort ami de M. Gagnon. - -Mon grand-père en fut humilié, et il me le dit avec une politesse -et une mesure parfaites. Son mot si simple fit sur moi tout l'effet -possible. Il ajouta en riant: «Tu ne savais que nous montrer ton gros -derrière!» - -Cette position peu aimable avait été remarquée au tableau de la salle -de mathématiques. - -C'était une ardoise de six pieds sur quatre, soutenue, à cinq pieds de -haut, par un châssis fort solide; on y montait par trois degrés. - -M. Dupuy faisait démontrer une proposition, par exemple le carré de -l'hypoténuse ou ce problème: un ouvrage coûte sept livres, quatre sous, -trois deniers la toise; l'ouvrier en a fait deux toises, cinq pieds, -trois pouces. Combien lui revient-il? - -Dans le courant de l'année, M. Dupuy avait toujours appelé au tableau -M. de Monval, qui était noble, M. de Pina, noble et ultra. M. Anglès, -M. de Renneville, noble, et jamais moi, ou une seule fois[11]. - -Le cadet Monval, buse à figure de buse, mais bon mathématicien (terme -de l'école), a été massacré par les brigands en Calabre, vers 1806, je -crois. L'aîné, étant avec Paul-Louis Courier dans sa prise...[12], -devint un sale vieux ultra. Il fut colonel, ruina d'une vilaine façon -une grande dame de Naples; à Grenoble, voulut souffler le froid et le -chaud vers 1830, fut découvert et généralement méprisé. Il est mort de -ce mépris général, et richement mérité, fort loué par les dévots (voir -la _Gazette_ de 1832 ou 1833). C'était un joli homme, coquin à tout -faire. - -M. de P..., maire à Grenoble de 1825 à 1830. Ultra à tout faire et -oubliant la probité en faveur de ses neuf ou dix enfants, il a réuni 60 -ou 70.000 francs de rente. Fanatique sombre et, je pense, coquin à tout -faire, vrai jésuite[13]. - -Anglès, depuis préfet de police, travailleur infatigable, aimant -l'ordre, mais en politique coquin à tout faire, mais, selon moi, -infiniment moins coquin que les deux précédents, lesquels, dans le -genre coquin, tiennent la première place dans mon esprit. - -La jolie Mme la comtesse Anglès était amie de Mme -la comtesse Daru[14], dans le salon de laquelle je la vis. Le joli -comte de Meffrey (de Grenoble, comme M. Anglès) était son amant. La -pauvre femme s'ennuyait beaucoup, ce me semble, malgré les grandes -places du mari. - -Ce mari, fils d'un avare célèbre, et avare lui-même, était -l'animal le plus triste et avait l'esprit le plus pauvre, le plus -anti-mathématique. D'ailleurs, lâche jusqu'au scandale; je conterai -plus tard l'histoire de son soufflet et de sa queue. Vers 1826 ou 29, -il perdit la préfecture de police et alla bâtir un beau château dans -les montagnes, près de Roanne, et y mourut fort brusquement bientôt -après, jeune encore. C'était un triste animal, il avait tout le mauvais -du caractère dauphinois, bas, fin, cauteleux, attentif aux moindres -détails. - -M. de Renneville, cousin des Monval, était beau et bête à manger du -foin. Son père était l'homme le plus sale et le plus fier de Grenoble. -Je n'ai plus entendu parler de lui depuis l'école. - -M. de Sinard, bon écolier, réduit à la mendicité par l'émigration, -protégé et soutenu par M. de Vaulserre, fut mon ami. - -Monté au tableau, on écrivait en O[15]. La tête du démontrant -était bien à huit pieds de haut. Moi, placé en évidence une fois -par mois, nullement soutenu par M. Dupuy, qui parlait à Monval ou à -M. de Pina pendant que je démontrais, j'étais pénétré de timidité -et je bredouillais. Quand je montai au tableau à mon tour, devant -le jury, ma timidité redoubla, je m'embrouillai en regardant ces -Messieurs, et surtout le terrible M. Dausse, assis à côté et à droite -du tableau. J'eus la présence d'esprit de ne plus les regarder, -de ne plus faire attention qu'à mon opération, et je m'en tirai -correctement, mais en les ennuyant. Quelle différence avec ce qui se -passa en août 1799! Je puis dire que c'est à force de mérite que j'ai -percé _aux mathématiques_ et au dessin, comme nous disions à l'École -centrale[16]. - -J'étais gros et peu grand, j'avais une redingote gris clair, de là le -reproche. - -«Pourquoi donc n'as-tu pas eu de prix? me disait mon grand-père. - ---Je n'ai pas eu le temps.» - -Les cours n'avaient, je crois, duré, cette première année, que quatre -ou cinq mois. - - * * * * * - -J'allai à Claix, toujours fou de la chasse; mais en courant les champs, -malgré mon père, je réfléchissais profondément à ce mot: «Pourquoi -n'as-tu pas eu de prix?» - -Je ne puis me rappeler si je suis allé pendant - -quatre ans ou seulement pendant trois à l'École centrale. Je suis sûr -de la date de sortie, examen de la fin de 1799, les Russes attendus à -Grenoble. - -Les aristocrates et mes parents, je crois, disaient: - - - _O Rus, quando ego le adspiciam!_ - - -Pour moi, je tremblais pour l'examen qui devait me faire sortir de -Grenoble! Si j'y reviens jamais, quelques recherches dans les archives -de l'Administration départementale, à la Préfecture, m'apprendront si -l'École centrale a été ouverte en 1796 ou seulement en 1797[17]. - -On comptait alors par les années de la République, c'était l'an V ou -l'an VI. Ce n'est que longtemps après, quand l'Empereur l'a bêtement -voulu, que j'ai appris à connaître 1796, 1797. Je voyais les choses de -près, alors[18]. - -L'Empereur commença alors à élever le trône des Bourbons, et fut -secondé par la lâcheté sans bornes de M. de Laplace. Chose singulière, -les poètes ont du cœur, les savants proprement dits sont serviles et -lâches. Quelle n'a pas été la servilité et la bassesse vers le pouvoir -de M. Cuvier! Elle faisait horreur même au sage Sutton Sharpe. Au -Conseil d'Etat, M. le baron Cuvier était toujours de l'avis le plus -lâche. - -Lors de la création de l'ordre de la Réunion, j'étais dans le plus -intime de la Cour; il vint _pleurer_, c'est le mot, pour l'avoir. Je -rapporterai en son temps la réponse de l'Empereur. Arrivés par la -lâcheté: Bacon, Laplace, Cuvier. M. Lagrange fut moins plat, ce me -semble. - -Sûrs de leur gloire par leurs écrits, ces Messieurs espèrent que le -savant couvrira l'homme d'Etat: en affaires d'argent, comme on le sait, -ils courent à l'utile. Le célèbre Legendre, géomètre de premier ordre, -recevant la croix de la Légion d'honneur, l'attacha à son habit, se -regarda à son miroir, et sauta de joie. - -L'appartement était bas, sa tête heurta le plafond, il tomba, à moitié -assommé. Digne mort c'eût été pour ce successeur d'Archimède! - -Que de bassesses n'ont-ils pas faites à l'Académie des Sciences, de -1825 à 1830 et depuis, pour s'escamoter des croix! Cela est incroyable, -j'en ai su le détail par MM. de Jussieu, Edwards, Milne-Edwards, et par -le salon de M. le baron Gérard. J'ai oublié tant de saletés. - -Un Maupeou[19] est moins bas en ce qu'il dit ouvertement: «Je ferai -tout ce qu'il faut pour avancer[20].» - - -[Footnote 1: Le _chapitre XXIV_ est le chapitre XX du manuscrit (fol. 331 -_bis_ à 355).--Écrit à Rome, le 1er janvier 1836. Stendhal -note au fol. 335: «Froid en écrivant.»] - -[Footnote 2: ... _un autre village dans la vallée._--Du Versoud. (Note au -crayon de R. Colomb.)] - -[Footnote 3: ... _la vallée s'étend jusqu'à la_ dent _de Moirans, de cette -sorte._--Suit une carte-esquisse, d'ailleurs inexacte. Stendhal appelle -_Dent de Moirans_ le _Bec de l'Echaillon,_ situé sur la rive droite de -l'Isère, au-dessus de Veurey. Entre Moirans et Voreppe, il signale des -«campagnes comparables à celle de Lombardie et de Marmande, les plus -belles du monde».] - -[Footnote 4: _Tout cela était distribuée par bancs de sept ou huit ..._--Suit -un plan de la classe de dessin; entre les deux rangées, «le grand Jay -arpentant sa salle avec l'air de gémir et en tenant la tête renversée». -La place du jeune Beyle était en H, dans les bancs placés du côté de la -rue Neuve.] - -[Footnote 5: _Le banc des grandes têtes, vers H ..._--Cette référence se -rapporte au plan décrit ci-dessus.] - -[Footnote 6: ... _la volonté de crever ou d'avancer._--Rapidité, raison de -la mauvaise écriture. 1er janvier 1836. Il n'est que deux -heures, j'ai déjà écrit seize pages, il fait froid, la plume va mal; au -lieu de me mettre en colère, je vais en avant, écrivant comme je puis. -(Note de Stendhal.)] - -[Footnote 7: _M. Le Roy vivait encore et peignait ..._--Variante: «_Faisait._»] - -[Footnote 8: _M. Le Roy avait fait une vue du pont de la Vence, ... prise du -point A ..._--Suit un croquis schématique du point de vue. Le point A -est au bas du pont, sur le bord du torrent, et l'arche du pont encadre -la montagne M.] - -[Footnote 9: ... _mais ma découverte me resta ..._--Stendhal a, par -inadvertance, oublié un mot en passant d'un feuillet à un autre.] - -[Footnote 10: ... _la Liberté paraissait cachée jusqu'aux genoux._---Le fol. -345 est aux trois-quarts blanc.] - -[Footnote 11: ... _ et jamais moi, ou une seule fois._--En face, au verso -du fol. 346, est un plan de la partie du collège contenant la «salle -de dessin» et la «salle des mathématiques». Dans celle-ci, près du -tableau, en «D, M. Dupuy, homme de cinq pieds huit pouces, avec sa -grande canne, dans son immense fauteuil». Parmi les élèves, en «H, moi, -mourant d'envie d'être appelé pour monter au tableau, et me cachant -pour n'être pas appelé, mourant de peur et de timidité».] - -[Footnote 12: ... _avec Paul-Louis Courier dans sa prise ..._--Un mot -illisible. La lecture du mot _prise_ n'est pas certaine.] - -[Footnote 13: ... _vrai jésuite._--Ms.: «_Tejé._»] - -[Footnote 14: ... _Mme la comtesse Daru ..._--Ms.: «_Ruda._»] - -[Footnote 15: _Monté au tableau, on écrivait en O._--Croquis représentant un -élève au tableau.] - -[Footnote 16: ... _comme nous disions à l'École centrale._--Suit une phrase -que Stendhal n'a pas effacée, mais que nous supprimons cependant, -car il l'a accompagnée de cette mention: _répétition._ «Pour ne pas -m'embrouiller dans une longue opération d'arithmétique, je me mis à ne -regarder que le tableau.»] - -[Footnote 17: ... _si l'École centrale a été ouverte en_ 1796 ou _seulement -en_ 1797.--L'École centrale de Grenoble, créée par le décret de la -Convention du 7 ventôse an III, fut inaugurée le 11 frimaire an V -(1er décembre 1796). Des prix furent décernés aux élèves -le 30 fructidor an V (16 septembre 1797), le 10 germinal an VI (30 -mars 1798), jour de la fête de la Jeunesse, le 30 fructidor an VI (16 -septembre 1798) et le 17 brumaire an VII (7 novembre 1798).] - -[Footnote 18: _Je voyais les choses de près, alors._--Écriture. Le -1er janvier 1836, 26 pages. Toutes les plumes vont mal, il -fait un froid de chien; au lieu de chercher à bien former mes lettres -et de m'impatienter, _io tiro avanti._ M. Colomb me reproche dans -chaque lettre d'écrire mal. (Note de Stendhal.)] - -[Footnote 19: _Un Maupeou ..._--Ms.: «_Maudpw._»] - -[Footnote 20:--On lit à la fin du chapitre: «Le 1er janvier 1836, -29 pages. Je cesse, faute de lumière au ciel, à quatre heures trois -quarts.»] - - - - -CHAPITRE XXV[1] - - -Mon âme délivrée de la tyrannie commençait à prendre quelque ressort. -Peu à peu je n'étais plus continuellement obsédé de ce sentiment si -énervant: la haine impuissante. - -Ma bonne tante Elisabeth était ma providence. Elle allait presque -tous les soirs faire sa partie chez mesdames Colomb ou Romagnier. -Ces excellentes sœurs n'avaient de bourgeois que quelques manies de -prudence et quelques habitudes. Elles avaient de belles âmes, chose si -rare en province, et étaient tendrement attachées à ma tante Elisabeth. - -Je ne dis pas assez de bien de ces bonnes cousines; elles avaient l'âme -grande, généreuse; elles en avaient donné des preuves singulières dans -les grandes occasions de leur vie. - -Mon père, de plus en plus absorbé par sa passion pour l'agriculture -et pour Claix, y passait trois ou quatre jours par semaine. La maison -de M. Gagnon, où il dînait et soupait tous les jours depuis la mort -de ma mère, ne lui était plus aussi agréable à beaucoup près. Il ne -parlait à cœur ouvert qu'à Séraphie. Les sentiments espagnols de ma -tante Elisabeth le tenaient en respect, il y avait toujours très peu -de conversation entre eux. La petite finesse dauphinoise de tous -les instants et la timidité désagréable de l'un s'alliait mal à la -sincérité noble et à la simplicité de l'autre. Mademoiselle Gagnon -n'avait aucun goût[2] pour mon père qui, d'un autre côté, n'était -pas de force à soutenir la conversation avec M. le docteur Gagnon; il -était respectueux et poli, M. Gagnon était très poli, et voilà tout. -Mon père ne sacrifiait donc rien en allant passer trois ou quatre jours -par semaine à Claix. Il me dit deux ou trois fois, quand il me forçait -à l'accompagner à Claix, qu'il était triste, à son âge, de ne pas avoir -un chez-soi. - -Rentrant le soir pour souper avec ma tante Elisabeth, mon grand-père -et mes deux sœurs, je n'avais pas à craindre un interrogatoire bien -sévère. En général, je disais en riant que j'étais allé chercher ma -tante chez mesdames Romagnier et Colomb; souvent, en effet, de chez -ces dames je l'accompagnais jusqu'à la porte de l'appartement et -je redescendais en courant pour aller passer une demi-heure à la -promenade du Jardin-de-Ville qui, le soir, en été, au clair de lune, -sous de superbes marronniers de quatre-vingts pieds de haut, servait de -rendez-vous à tout ce qui était jeune et brillant dans la ville. - -Peu à peu je m'enhardis, j'allai plus souvent au spectacle, toujours au -parterre debout. - -Je sentais un tendre intérêt à regarder une jeune actrice, nommée -Mlle Kably. Bientôt j'en fus éperdument amoureux; je ne lui -ai jamais parlé. - -C'était une jeune femme mince, assez grande, avec un nez aquilin, -jolie, svelte, bien faite. Elle avait encore la maigreur de la première -jeunesse, mais un visage sérieux et souvent mélancolique. - -Tout fut nouveau pour moi dans l'étrange folie qui, tout-à-coup, se -trouva maîtresse de toutes mes pensées. Tout autre intérêt s'évanouit -pour moi. A peine je reconnus le sentiment dont la peinture m'avait -charmé dans la _Nouvelle Héloïse_, encore moins était-ce la volupté de -_Félicia._ Je devins tout-à-coup indifférent et juste pour tout ce qui -m'environnait, ce fut[3] l'époque de la mort de ma haine pour feu ma -tante Séraphie. - -Mlle Kably jouait dans la comédie les rôles de jeunes -premières, elle chantait aussi dans l'opéra-comique. - -On sent bien que la vraie comédie n'était pas à mon usage. Mon -grand-père m'étourdissait sans cesse du grand mot: _la connaissance -du cœur humain._ Mais que pouvais-je savoir sur ce _cœur humain?_ -Quelques _prédictions_ tout au plus, accrochées dans les livres, dans -_Don Quichotte_ particulièrement, le seul presque qui ne m'inspirât -pas de la méfiance; tous les autres avaient été conseillés par mes -tyrans, car mon grand-père (nouveau converti, je pense) s'abstenait de -plaisanter sur les livres que mon père et Séraphie me faisaient lire -[4]. - -Il me fallait donc la comédie romanesque, c'est-à-dire le drame peu -noir, présentant des malheurs d'amour et non d'argent (le drame noir -et triste s'appuyant sur le manque d'argent m'a toujours fait horreur -comme bourgeois et trop vrai). - -Mlle Kably brillait dans _Claudine_, de Florian. - -Une jeune Savoyarde, qui a eu un petit enfant, au Montanvert, d'un -jeune voyageur élégant, s'habille en homme et, suivie de son petit -marmot, fait le métier de décrotteur sur une place de Turin. Elle -retrouve son amant qu'elle aime toujours, elle devient son domestique, -mais cet amant va se marier. - -L'auteur qui jouait l'amant, nommé Poussi, ce me semble,--ce nom me -revient huit à coup après tant d'années,--disait avec un naturel -parfait: «Claude! Claude!» dans un certain moment où il grondait son -domestique qui lui disait du mal de sa future. Ce ton de voix retentit -encore dans mon âme, je vois l'acteur. - -Pendant plusieurs mois, cet ouvrage, souvent redemandé par le public, -me donna les plaisirs les plus vifs, et je dirais les plus vifs que -m'aient donnés les ouvrages d'art, si, depuis longtemps, mon plaisir -n'avait été l'admiration tendre, la plus dévouée et la plus folle. - -Je n'osais pas prononcer le nom de Mlle Kably; si quelqu'un -la nommait devant moi, je sentais un mouvement singulier près du cœur, -j'étais sur le point de tomber. Il y avait comme une tempête dans mon -sang. - -Si quelqu'un disait _la_ Kably, au lieu de: Mademoiselle Kably, -j'éprouvais un sentiment de haine et d'horreur[5], que j'étais à -peine maître de contenir. - -Elle chantait de sa pauvre petite voix faible dans _Le Traité nul_, -opéra de Gaveau (pauvre d'esprit, mort fou quelques années plus tard). - -Là commença mon amour pour la musique, qui a peut-être été ma -passion la plus forte et la plus coûteuse; elle dure encore à -cinquante-deux[6] ans, et plus vive que jamais. Je ne sais combien -de lieues je ne ferais pas à pied, ou à combien de jours de prison -je ne me soumettrais pas pour entendre _Don Juan_ ou le _Matrimonio -Segreto_, et je ne sais pour quelle autre chose je ferais cet effort. -Mais, pour mon malheur, j'exècre la musique _médiocre_ (à mes yeux elle -est un pamphlet satyrique contre la bonne, par exemple le _Furioso_ de -Donizetti, hier soir, Rome, _Valle_[7]. Les Italiens, bien différents -de moi, ne peuvent souffrir une musique dès qu'elle a plus de cinq ou -six ans. L'un d'eux disait devant moi, chez madame ...[8]: «Une -musique qui a plus d'un an peut-elle être belle?») - -Quelle parenthèse, grand Dieu[9]! En relisant, il faudra effacer, ou -mettre à une autre place, la moitié de ce manuscrit[10]. - - * * * * * - -J'appris par cœur, et avec quels transports! ce filet de vinaigre -continu et saccadé qu'on appelait _Le Traité nul._ - -Un acteur passable, qui jouait gaiement le rôle du valet (je vois -aujourd'hui qu'il avait la véritable insouciance d'un pauvre diable qui -n'a que de tristes pensées à la maison, et qui se livre à son rôle avec -bonheur), me donna les premières idées du _comique_, surtout au moment -où il arrange la contre-danse qui finit par: Mathurine nous écoutait... - -Un paysage de la forme et de la grandeur d'une lettre de change, où il -y avait beaucoup de gomme-gutte fortifiée par du bistre, surtout sur -le premier plan à gauche, que j'avais acheté chez M. Le Roy, et que je -copiais alors avec délices, me semblait absolument la même chose que -le jeu de cet acteur comique, qui me faisait rire de bon cœur quand -Melle Kably n'était pas en scène; s'il lui adressait la -parole, j'étais attendri, enchanté. De là vient, peut-être qu'encore -aujourd'hui la même sensation m'est souvent donnée par un tableau ou -par un morceau de musique. Que de fois j'ai trouvé cette identité dans -le musée Brera, à Milan (1814-1812)! - -Cela est d'un vrai et d'une force que j'ai peine à exprimer, et que -d'ailleurs on croirait difficilement. - -Le mariage, l'union intime de ces deux beaux-arts, a été à jamais -cimenté, quand j'avais douze ou treize ans, par quatre ou cinq mois du -bonheur le plus vif et de la sensation de volupté la plus forte, et -allant presque jusqu'à la douleur, que j'aie jamais éprouvée. - -Actuellement, je vois (mais je vois de Rome, à cinquante-deux[11] -ans) que j'avais le goût de la musique avant ce _Traité nul_ si -sautillant, si filet de vinaigre, si français, mais que je sais encore -par cœur. Voici mes souvenirs: 1° le son des cloches de Saint-André, -surtout sonnées pour les élections, une année que mon cousin Abraham -Mallein (père de mon beau-frère Alexandre) était président ou -simplement électeur;--2° le bruit de la pompe de la place Grenette, -quand les servantes, le soir, pompaient avec la grande barre de -fer;--3° enfin, mais le moins de tous, le bruit d'une flûte que quelque -commis marchand jouait, au quatrième étage, sur la place Grenette. - -Ces choses m'avaient déjà donné des plaisirs qui, à mon insu, étaient -des plaisirs musicaux. - - * * * * * - -Mademoiselle Kably jouait aussi dans l'_Epreuve villageoise_ de Grétry, -infiniment moins mauvaise que le _Traité nul._ Une situation tragique -me fit frémir dans _Raoul, sire de Créqui_; en un mot, tous les mauvais -petits opéras de 1794 furent portés au sublime pour moi, par la -présence de Melle Kably; rien ne pouvait être commun ou plat -dès qu'elle paraissait. - -J'eus, un jour, l'extrême courage de demander à quelqu'un où logeait -Melle Kably. C'est probablement l'action la plus brave de ma -vie. - -«Rue des Clercs», me répondit-on. - -J'avais eu le courage, bien auparavant, de demander si elle avait -un amant. A quoi l'interrogé me répondit par quelque dicton[12] -grossier; il ne savait rien sur son genre de vie. - -Je passais par la rue des Clercs à mes jours de grand courage: le cœur -me battait, je serais peut-être tombé si je l'eusse rencontrée; j'étais -bien délivré quand, arrivé au bas de la rue des Clercs, j'étais sûr de -ne pas la rencontrer. - -Un matin, me promenant seul au bout de l'allée des grands marronniers, -au Jardin-de-Ville, et pensant à elle, comme toujours, je l'aperçus -à l'autre bout du jardin, contre le mur de l'Intendance, qui venait -vers la terrasse. Je faillis me trouver mal[13] et enfin _je pris la -fuite_, comme si le diable m'emportait, le long de la grille, par la -ligne F; elle était, je crois, en K'[14]. J'eus le bonheur de n'en -être pas aperçu. Notez qu'elle ne me connaissait d'aucune façon. Voilà -un des traits les plus marqués de mon caractère, tel j'ai toujours été -(même avant-hier). Le bonheur de la voir de près, à cinq ou six pas de -distance, était trop grand, il me brûlait, et je fuyais cette brûlure, -peine fort réelle. - -Cette singularité me porterait assez à croire que, pour l'amour, j'ai -le tempérament mélancolique de Cabanis. - -En effet, l'amour a toujours été pour moi la plus grande des affaires, -ou plutôt la seule. Jamais je n'ai eu peur de rien que de voir la -femme que j'aime regarder un rival avec intimité. J'ai très peu -de colère contre le rival: il fait son affaire, pensé-je, mais ma -douleur est sans bornes et poignante; c'est au point que j'ai besoin -de m'abandonner sur un banc de pierre, à la porte de la maison. -J'admire tout dans le rival préféré (le chef d'escadrons Gibory et -Mme Martin, palazzo Aguissola, Milan). - -Aucun autre chagrin ne produit chez moi la millième partie de cet effet. - -Auprès de l'Empereur, j'étais attentif, zélé, ne pensant nullement à -ma cravate, à la grande différence des autres. (Exemple: un soir, à 7 -heures, à ...[15], en Lusace, campagne de 1813, le lendemain de la -mort du duc de Frioul.) - -Je ne suis ni timide, ni mélancolique en écrivant et m'exposant au -risque d'être sifflé; je me sens plein de courage et de fierté quand -j'écris une phrase qui serait repoussée par l'un de ces deux géants (de -1835): MM. de Chateaubriand ou Villemain. - -Sans cloute, en 1880, il y aura quelque charlatan adroit, mesuré, à la -mode, comme ces Messieurs aujourd'hui. Mais si on lit ceci on me croira -envieux, ceci me désole; ce plat vice bourgeois est, ce me semble, le -plus étranger à mon caractère. - -Réellement, je ne suis que mortellement jaloux des gens qui font la -cour à une femme que j'aime; bien plus, je le suis même de ceux qui lui -ont fait la cour, dix ans avant moi. (Par exemple, le premier amant de -Babet, à Vienne, en 1809. - -«Tu le recevais dans ta chambre! - ---Tout était chambre pour nous, nous étions seuls dans le château, et -il avait les clefs.» - -Je sens encore le mal que me firent ces paroles, c'était pourtant en -1809, il y a vingt-sept ans; je vois cette naïveté parfaite de la jolie -Babet; elle me regardait.) - - * * * * * - -Je trouve[16] sans doute beaucoup de plaisir à écrire depuis une -heure, et à chercher à peindre _bien juste_ mes sensations du temps -de Melle Kably[17], mais qui diable aura le courage de -lire cet amas excessif de _je_ et de _moi?_ Cela me paraît _puant_ à -moi-même. C'est là le défaut de ce genre d'écrit et, d'ailleurs, je ne -puis relever la fadeur par aucune sauce de charlatanisme. Oserais-je -ajouter: _comme les confessions de Rousseau?_ Non, malgré l'énorme -absurdité de l'objection, l'on va encore me croire envieux ou plutôt -cherchant à établir une comparaison. effroyable par l'absurde, avec le -chef-d'œuvre de ce grand écrivain. - -Je proteste de nouveau et une fois pour toutes que je méprise -souverainement et sincèrement M. Pariset, M. de Salvandy, M. Saint-Marc -Girardin et les autres hâbleurs, pédants gagés et jésuites[18] du -Journal des Débats, mais pour cela je ne m'en crois pas plus près -des grands écrivains. Je ne me crois d'autre garant de mérite que de -peindre _ressemblante_ la nature, qui m'apparaît si clairement en de -certains moments. - -Secondement, je suis sûr de ma parfaite bonne foi, de mon adoration -pour le vrai: troisièmement, et du plaisir que j'ai à écrire, plaisir -qui allait jusqu'à la folie en 1817, à Milan, chez M. Peroult, corsia -del Giardino[19]. - - -[Footnote 1: Le _chapitre XXV_ est le chapitre XXI du manuscrit (fol. 356 à -370; le bas du fol. 370 et le fol. 371, d'abord écrits par Stendhal, -ont été barrés avec cette mention: «_Longueur_»).--Écrit à Rome, les 2 -et 3 janvier 1836.] - -[Footnote 2: _Mademoiselle Gagnon n'avait aucun goût ..._--Variante: «_Pas de -goût._»] - -[Footnote 3: ... _ce fut l'époque ..._--Mot oublié inconsciemment par -Stendhal, en passant d'un feuillet à un autre.] - -[Footnote 4: ... _que mon père et Séraphie me faisaient lire._--Style. Pas de -style soutenu. (Note de Stendhal.)] - -[Footnote 5: ... _un sentiment de haine et d'horreur ..._--Stendhal -orthographie: «_Orreur._» Et il ajoute en note: «Voilà l'orthographe de -la passion: orreur».] - -[Footnote 6: ... _elle dure encore à cinquante-deux ans ..._--Ms.: «26 X 2.»] - -[Footnote 7: ..._hier soir, Rome, Valle._--Au théâtre della Valle, à Rome. -(Note au crayon de R. Colomb.)] - -[Footnote 8: ... _chez madame_ ...--Nom en blanc.] - -[Footnote 9: _Quelle parenthèse, grand Dieu !_--On lit en tête du fol. 363: -«1836, corrigé 4 janvier 1836, auprès de mon feu, me brûlant les jambes -et mourant de froid au dos.»] - -[Footnote 10: ... _la moitié de ce manuscrit._--Stendhal a écrit à ce sujet, -au verso du fol. 362, la note suivante: «Non laisser cela tel quel. -Dorer l'histoire Kably, peut-être ennuyeuse pour les Pasquier de 51 -ans. Ces gens sont cependant l'élite des lecteurs.»] - -[Footnote 11: ... _(mais je vois de Rome, à cinquante-deux ans) ..._--Ms.: «26 -X 2.»] - -[Footnote 12: ... _par quelque dicton ..._--Variante: «_Lieu commun._»] - -[Footnote 13: _Je faillis me trouver mal ..._--Variante: «_Tomber._»] - -[Footnote 14: ..._elle était, je croie, en K'_--Suit un plan de la scène. En -outre, au verso du fol. 366, plan du Jardin-de-Ville et de ses abords. -Stendhal se trouvait sur la terrasse. Il note à ce sujet: «J'ai laissé -à Grenoble un petit tableau à l'huile de M. Le Roy, qui rend fort bien -cette promenade-ci.» Mlle Kably se trouvait dans l'allée -qui longeait la rue du Quai (aujourd'hui rue Hector-Berlioz). A cette -époque, un mur séparait le jardin de la rue: «Mur en 1794, bêtement -remplacé par une belle grille vers 1814.»] - ---Ce mur est appelé par Stendhal «mur de l'Intendance», parce que le -rez-de-chaussée de l'Hôtel-de-Ville fut occupé, jusqu'à la Révolution, -par les bureaux de l'intendant de la province.] - -[Footnote 15: ... _un soir, à_ 7 _heures, à ... en Lusace ..._--Le nom est en -blanc.] - -[Footnote 16: _Je trouve ..._--Variante: «_J'ai._»] - -[Footnote 17: ... _mes sensations du temps de Mlle Kably -..._--Variante: «_Mes sensations d'alors._»] - -[Footnote 18: ... _pédants gagés et jésuites ..._--Ms.: «_Tejê._»] - -[Footnote 19: ... _chez M. Peroult, corsia del Giardino._-Peut-être tout le -feuillet 370 est-il mal placé, mais la fadeur de l'amour Kably doit -être relevée par une pensée plus substantielle. (Note de Stendhal.)] - - - - -CHAPITRE XXVI[1] - - -Mais revenons à Mlle Kably. Que j'étais loin de l'envie, et -de songer à craindre l'_imputation d'envie_, et de songer aux autres de -quelque façon que ce fût dans ce temps-là! La vie commençait pour moi. - -Il n'y avait qu'un être au monde: Mlle Kably; qu'un -événement: devait-elle jouer ce soir-là, ou le lendemain? - -Quel désappointement quand elle ne jouait pas, et qu'on donnait quelque -tragédie! - -Quel transport de joie pure, tendre, triomphante, quand je lisais son -nom sur l'affiche! Je la vois encore, cette affiche, sa forme, son -papier, ses caractères. - -J'allais successivement lire ce nom chéri à trois ou quatre des -endroits auxquels on affichait: à la porte des Jacobins[2], à la -voûte du Jardin[3], à l'angle[4] de la maison de mon grand-père. -Je ne lisais pas seulement son nom, je me donnais le plaisir de relire -toute l'affiche. Les caractères un peu usés du mauvais imprimeur qui -fabriquait cette affiche devinrent chers et sacrés pour moi, et, durant -de longues années, je les ai aimés, mieux que de plus beaux[5]. - -Même, je me rappelle ceci: en arrivant à Paris, en novembre 1799, la -beauté des caractères me choqua; ce n'étaient plus ceux qui avaient -imprimé le nom de Kably[6]. - -Elle partit, je ne puis dire l'époque. Pendant longtemps je ne pus plus -aller au spectacle. J'obtins d'apprendre la musique, ce ne fut pas sans -peine: la religion de mon père était choquée d'un art si profane, et -mon grand-père n'avait pas le plus petit goût pour cet art. - -Je pris un maître de violon, nommé Mention, l'homme le plus plaisant: -c'était là l'ancienne gaieté française mêlée de bravoure et d'amour. -Il était fort pauvre, mais il avait le cœur d'artiste; un jour que je -jouais plus mal qu'à l'ordinaire, il ferma le cahier, disant: «Je ne -donne plus leçon.» - -J'allai chez un maître de clarinette, nommé Hoffmann (rue de Bonne), -bon allemand; je jouais un peu moins mal. Je ne sais comment je quittai -ce maître pour passer chez M. Holleville, rue Saint-Louis, vis-à-vis -Mme Barthélemy, notre cordonnière. Violon fort passable, il -était sourd, mais distinguait la moindre fausse note. Je me rencontrais -là avec M. Félix Faure (aujourd'hui pair de France, Premier Président, -jugeur d'août 1835). Je ne sais comment je quittai Holleville. - -Enfin, j'allai prendre leçon de musique vocale, à l'insu de mes -parents, à six heures du matin, place Saint-Louis, chez un fort bon -chanteur. - -Mais rien n'y faisait: j'avais horreur tout le premier des sons que -je produisais. J'achetais des airs italiens, un, entre autres, où je -lisais _Amore_, ou je ne sais quoi, _nello cimento_: je comprenais: -_dans le ciment, dans le mortier._ J'adorais ces airs italiens auxquels -je ne comprenais rien. J'avais commencé trop tard. Si quelque chose eût -été capable de me dégoûter de la musique, c'eût été les sons exécrables -qu'il faut produire pour l'apprendre. Le seul _piano_ eût pu me faire -tourner la difficulté, mais j'étais né dans une famille essentiellement -inharmonique. - -Quand, dans la suite, j'ai écrit sur la musique, mes amis m'ont fait -une objection principale de cette ignorance. Mais je dois dire sans -affectation aucune qu'au même moment je sentais dans le morceau qu'on -exécutait des nuances qu'ils n'apercevaient pas. Il en est de même pour -les nuances des physionomies dans les copies du même tableau. Je vois -ces choses aussi clairement _qu'à travers un cristal._ Mais, grand -Dieu! on va me croire un sot! - -Quand je revins à la vie après quelques mois de l'absence de -Mlle Kably, je me trouvai un autre homme.[7] - -Je ne haïssais plus Séraphie, je l'oubliais; quant à mon père, je ne -désirais qu'une chose: ne pas me trouver auprès de lui. J'observai, -avec remords, que je n'avais pas pour lui une _goutte_ de tendresse ni -d'affection. - -Je suis donc un monstre, me disais-je. Et pendant de longues années je -n'ai pas trouvé de réponse à cette objection. On parlait sans cesse et -_à la nausée_ de tendresse dans ma famille. Ces braves gens appelaient -_tendresse_ la vexation continue dont ils m'honoraient depuis cinq ou -six ans. Je commençai à entrevoir qu'ils s'ennuyaient mortellement et -qu'ayant trop de vanité pour reprendre avec le monde, qu'ils avaient -imprudemment quitté à l'époque d'une perte cruelle, j'étais leur[8] -ressource contre l'ennui. - -Mais rien ne pouvait plus m'émouvoir après ce que je venais de sentir. -J'étudiai ferme le latin et le dessin, et j'eus un premier prix, je ne -sais dans lequel de ces deux cours, et un second. Je traduisis avec -plaisir la _Vie d'Agricola_ de Tacite, ce fut presque la première fois -que le latin me causa quelque plaisir. Ce plaisir était gâté amèrement -par les taloches que me donnait le grand Odru, gros et ignare paysan -de Lumbin, qui étudiait avec nous et ne comprenait rien à rien. Je me -battais ferme avec Giroud, qui avait un habit rouge. J'étais encore un -enfant pour une grande moitié de mon existence. - -Et toutefois, la tempête morale à laquelle j'avais été en proie durant -plusieurs mois m'avait mûri, je commençai à me dire sérieusement: - -«Il faut prendre un parti et me tirer de ce bourbier.» - -Je n'avais qu'un moyen au monde: les mathématiques. Mais on me les -expliquait si bêtement que je ne faisais aucun progrès; il est vrai que -mes camarades en faisaient encore moins, s'il est possible. Ce grand M. -Dupuy nous expliquait les propositions comme une suite de recettes pour -faire du vinaigre[8]. - -Cependant, Bezout était ma seule ressource pour sortir de Grenoble. -Mais Bezout était si bête! C'était une tête comme celle de M. Dupuy, -notre emphatique professeur. - -Mon grand-père connaissait un bourgeois à tête étroite, nommé Chabert, -lequel _montrait les mathématiques en chambre._ Voilà le mot du pays -et qui va parfaitement à l'homme. J'obtins avec assez de peine d'aller -dans cette chambre de M. Chabert; on avait peur d'offenser M. Dupuy, et -d'ailleurs il fallait payer douze francs par mois, ce me semble. - -Je répondis que la plupart des élèves du cours de mathématiques, à -l'École centrale, allaient chez M. Chabert, et que si je n'y allais -pas je resterais le dernier à l'École centrale. J'allai donc chez M. -Chabert. M. Chabert était un bourgeois assez bien mis, mais qui avait -toujours l'air endimanché et dans les transes de gâter son habit et -son gilet et sa jolie culotte de Casimir _merde d'oie_; il avait aussi -une assez jolie figure bourgeoise. Il logeait rue Neuve[9], près la -rue Saint-Jacques et presque en face de Bourbon, marchand de fer, dont -le nom me frappait, car ce n'était qu'avec les signes du plus profond -respect et du plus véritable dévouement que mes bourgeois de parents -prononçaient ce nom. On eût dit que la vie de la France y eût été -attachée. - -Mais je retrouvai chez M. Chabert ce manque de faveur qui m'assommait -à l'École centrale et ne me faisait jamais appeler au tableau. Dans -une petite pièce et au milieu de sept à huit élèves réunis autour d'un -tableau de toile cirée, rien n'était plus disgracieux que de demander -à monter au tableau, c'est-à-dire à aller expliquer pour la cinquième -ou sixième fois une proposition que quatre ou cinq élèves avaient déjà -expliquée. C'est cependant ce que j'étais obligé de faire quelquefois -chez M. Chabert, sans quoi je n'eusse jamais _démontré._ M. Chabert me -croyait un _minus habens_ et est resté dans cette abominable opinion. -Rien n'était drôle, dans la suite, comme de l'entendre parler de mes -succès en mathématiques. - -Mais dans ces commencements ce fut un étrange manque de soin et, pour -mieux dire, d'esprit, de la part de mes parents, de ne pas demander -si j'étais en état de _démontrer_, et combien de fois par semaine -je montais au tableau; ils ne descendaient pas dans ces détails. M. -Chabert, qui faisait profession d'un grand respect pour M. Dupuy, -n'appelait guère au tableau que ceux qui y parvenaient[10] à l'École -centrale. Il y avait un certain M. de Renneville, que M. Dupuy appelait -au tableau comme noble et comme cousin des Monval; c'était une sorte -d'imbécile presque muet et les yeux très ouverts; j'étais choqué à -déborder quand je voyais M. Dupuy et M. Chabert le préférer à moi. - -J'excuse M. Chabert, je devais être le petit garçon le plus -présomptueux et le plus méprisant. Mon grand-père et ma famille me -proclamaient une merveille: n'y avait-il pas cinq ans qu'ils me -donnaient tous leurs soins? - -M. Chabert était, dans le fait, moins ignare que M. Dupuy. Je trouvai -chez lui Euler et ses problèmes sur le nombre d'œufs qu'une paysanne -apportait au marché, lorsqu'un méchant lui en vole un cinquième, puis -elle laisse toute la moitié du reste, etc., etc. - -Cela m'ouvrit l'esprit, j'entrevis ce que c'était que se servir de -l'instrument nommé algèbre. Du diable si personne me l'avait jamais -dit, sans cesse M. Dupuy faisait des phrases emphatiques sur ce sujet, -mais jamais ce mot simple: c'est une _division du travail_ qui produit -des prodiges, comme toutes les divisions du travail, et permet à -l'esprit de réunir toutes ses forces sur un seul côté des objets, sur -une seule de leurs qualités. - -Quelle différence pour nous si M. Dupuy nous eût dit: Ce fromage est -mou, ou il est dur; il est blanc, il est bleu; il est vieux, il est -jeune; il est à moi, il est à toi; il est léger, ou il est lourd. De -tant de qualités ne considérons absolument que le poids. Quel que soit -ce poids, appelons-le A. Maintenant, sans plus penser absolument au -fromage, appliquons à A tout ce que nous savons des quantités. - -Cette chose si simple, personne ne nous la disait dans cette province -reculée; depuis cette époque, l'École polytechnique et les idées de -Lagrange auront reflété vers la province. - -Le chef-d'œuvre de l'éducation de ce temps-là était un petit coquin -vêtu de vert, doux, hypocrite, gentil, qui n'avait pas trois pieds de -haut et apprenait par cœur les _propositions_ que l'on démontrait, -mais sans s'inquiéter s'il les comprenait le moins du monde[11]. Ce -favori de M. Chabert non moins que de M. Dupuy s'appelait, si je ne me -trompe, Paul-Émile Teisseire. L'examinateur pour l'École polytechnique, -frère du grand géomètre, qui a écrit cette fameuse sottise (au -commencement de la _Statique_), ne s'aperçut pas que tout le mérite de -Paul-Émile était une mémoire étonnante. - -Il arriva à l'École; son hypocrisie complète, sa mémoire et sa jolie -figure de fille n'y eurent pas le même succès qu'à Grenoble; il en -sortit bien officier, mais bientôt fut touché de la grâce et se fit -prêtre. Malheureusement, il mourut de la poitrine: j'aurais suivi de -l'œil sa fortune avec plaisir. J'avais quitté Grenoble avec une envie -démesurée de pouvoir un jour, à mon aise, lui donner une énorme volée -de calottes. - -Il me semble que je lui avais déjà donné un à-compte chez M. Chabert, -où il me primait avec raison par sa mémoire imperturbable. - -Pour lui, il ne se fâchait jamais de rien et passait avec un sang-froid -parfait sous les volées de: _petit hypocrite_, qui lui arrivaient de -toutes parts, et qui redoublèrent un jour que nous le vîmes couronné de -roses et faisant le rôle d'ange dans une procession. - -C'est à peu près le seul caractère que j'aie remarqué à l'École -centrale. Il faisait un beau contraste avec le sombre Benoît, que je -rencontrai au cours de belles-lettres de M. Dubois-Fontanelle et qui -faisait consister la sublime science dans l'amour socratique, que le -docteur Clapier, le fou, lui avait enseigné. - -Il y a peut-être dix ans que je n'ai pensé à M. Chabert; peu à peu -je me rappelle qu'il était effectivement beaucoup moins borné que M. -Dupuy, quoiqu'il eût un parler plus traînard encore et une apparence -bien plus piètre et bourgeoise. - -Il estimait Clairaut et c'était une chose immense que de nous mettre -en contact avec cet homme de génie, et nous sortions un peu du plat -Bezout. Il avait Bruce, l'abbé Marie, et de temps à autre nous faisait -étudier un théorème dans ces auteurs. Il avait même en manuscrit -quelques petites choses de Lagrange, de ces choses bonnes pour notre -petite portée. - -Il me semble que nous travaillions avec une plume sur un cahier de -papier et à un tableau de toile cirée[12]. - -Ma disgrâce s'étendait à tout, peut-être venait-elle de quelque -gaucherie de mes parents, qui avaient oublié d'envoyer un dindon, -à Noël, à M. Chabert ou à ses sœurs, car il en avait et de fort -jolies, et sans ma timidité je leur eusse bien fait la cour. Elles -avaient beaucoup de considération pour le petit-fils de M. Gagnon, et -d'ailleurs venaient à la messe à la maison, le dimanche. - -Nous allions lever des plans au graphomètre et à la planchette; un jour -nous levâmes un champ à côté du chemin des Boiteuses[13]. Il s'agit -du champ B C D E. M. Chabert fit tirer les lignes à tous les autres sur -la planchette, enfin mon tour vint, mais le dernier ou l'avant-dernier, -avant un enfant. J'étais humilié et fâché; j'appuyai trop la plume. - -«Mais c'était une ligne que je vous avais dit de tirer, dit M. Chabert -avec son accent traînard, et c'est une barre que vous avez faite là.» - -Il avait raison. Je pense que cet état de défaveur marquée chez MM. -Dupuy et Chabert, et d'indifférence marquée chez M. Jay, à l'école -de dessin, m'empêcha d'être un sot. J'y avais de merveilleuses -dispositions, mes parents, dont la morosité bigote déclamait sans -cesse contre l'éducation publique, s'étaient convaincus sans beaucoup -de peine qu'avec cinq ans de soins, hélas! trop assidus, ils avaient -produit un chef-d'œuvre, et ce chef-d'œuvre, c'était moi. - -Un jour, je me disais, mais, à la vérité, c'était avant l'École -centrale: Ne serais-je point le fils d'un grand prince, et tout ce que -j'entends dire de la Révolution, et le peu que j'en vois, une fable -destinée à faire mon éducation, comme dans _Émile?_ - -Car mon grand-père, homme d'aimable conversation, en dépit de ses -résolutions pieuses, avait nommé _Émile_ devant moi, parlé de la -_Profession_[14] _de foi du vicaire savoyard_, etc., etc. J'avais -volé ce livre à Claix, mais je n'y avais rien compris, pas même les -absurdités de la première page, et après un quart d'heure l'avais -laissé. Il faut rendre justice au goût de mon père, il était -enthousiaste de Rousseau et il en parlait quelquefois, pour laquelle -chose et pour son imprudence devant un enfant il était bien grondé de -ma tante Séraphie. - - -[Footnote 1: Le _chapitre XXVI_ est le chapitre XXII du manuscrit (fol. 372 à -386).--Écrit a Rome, les 3, 4 et 6 janvier 1836.--En face du feuillet -commençant le chapitre, on lit: «Treize pages en une heure et demie. -Froid du diable. 3 janvier 1836.»] - -[Footnote 2: ... _à la porte des Jacobins ..._--La porte des Jacobins -était située place Grenette, à remplacement de l'actuelle rue de la -République.] - -[Footnote 3: ... à _la voûte du Jardin ..._--Le Jardin-de-Ville.] - -[Footnote 4: ... _à l'angle de la maison ..._--Stendhal orthographie: -«_Engle._» Et il ajoute: «Engle, orthographe de la passion, peinture -des sons, et rien autre.»] - ---Au verso du fol. 372 est un plan de la place Grenette et de ses -environs, avec les emplacements où étaient collées les affiches -théâtrales.] - -[Footnote 5: ... _mieux que de plus beaux._---On lit en haut du fol. 373: «4 -janvier 1836. A trois heures, idée de goutte à la main droite, dessus, -douleur dans un muscle de l'épaule droite.» Aussi Stendhal n'a-t-il -écrit ce jour-là qu'une page et un tiers environ.] - -[Footnote 6: ... _le nom de Kably._--Les deux tiers du fol. 373 ont été -laissés en blanc.] - -[Footnote 7: ... _j'étais leur ressource ..._--Un blanc d'un tiers de ligne.] - -[Footnote 8: ... _recettes pour faire du vinaigre._--Le fol. 379, qui se -termine ici, est aux trois-quarts blanc. On lit en tête du fol. 380, -qui suit: «6 janvier 1836. Les Rois. Le froid est revenu et me donne -sur les nerfs. Envie de dormir.»] - -[Footnote 9: _Il logeait rue Neuve ..._--Aujourd'hui rue du Lycée. Un plan -du carrefour des rues Neuve, Saint-Jacques et de Bonne est dessiné au -verso du fol. 380. On y voit l'appartement de M. Chabert, figuré au -troisième étage de l'immeuble portant actuellement le n° 15 de la rue -du Lycée. A l'angle de la rue de Bonne et de la place Grenette, «ici -fut dix ans plus tard la maison bâtie sur mes plans et qui a ruiné mon -père».] - -[Footnote 10: ... _ceux qui y parvenaient ..._--Variante: «_Montaient._»] - -[Footnote 11: ... _s'il les comprenait le moins du monde._--La première moitié -du fol. 383 a été laissée en blanc.] - -[Footnote 12: ... _sur un cahier de papier et à un tableau de toile -cirée._--Suit un plan de la salle d'études.] - -[Footnote 13: ... un _jour noue levâmes un champ à côté du chemin des -Boiteuses._--Suit un plan explicatif.--Le chemin des Boiteuses allait -depuis la porte de Bonne jusqu'au cours de Saint-André. Il est remplacé -aujourd'hui par les rues Lakanal et de Turenne. Stendhal y figure, -non loin de la porte de Bonne, en «T, maison de ce fou de Camille -Teisseire, jacobin qui, en 1811, veut brûler Rousseau et Voltaire»; -plus loin, en «A, hôtel de la Bonne Femme; elle est représentée sans -tête, cela me frappait beaucoup». Cet établissement, dit de la Femme -sans Tête, a subsiste longtemps rue Lakanal; il a disparu il y a une -huitaine d'années, en 1905.] - -[Footnote 14: ... _parlé de la_ Profession de foi du vicaire savoyard -...--Ms.: «_Confession._»] - - - - -CHAPITRE XXVII[1] - - -J'avais, et j'ai encore, les goûts les plus aristocrates; je ferais -tout pour le bonheur du peuple, mais j'aimerais mieux, je crois, passer -quinze jours de chaque mois en prison que de vivre avec les habitants -des boutiques. - -Vers ce temps-là, je me liai, je ne sais comment, avec François -Bigillion[2] (qui depuis s'est tué, je crois, par ennui de sa femme). - -C'était un homme simple, naturel, de bonne foi, qui ne cherchait jamais -à faire entendre par une réponse ambitieuse qu'il connaissait le monde, -les femmes, etc. C'était là notre grande ambition et notre principale -fatuité au collège. Chacun de ces marmots voulait persuader à l'autre -qu'il avait eu des femmes et connaissait le monde; rien de pareil -chez le bon Bigillion. Nous faisions de longues promenades ensemble, -surtout vers la tour de Rabot et la Bastille. La vue magnifique dont on -jouit de là, surtout vers Eybens, derrière lequel apparaissent les plus -hautes Alpes, élevait notre âme. Rabot et la Bastille sont le premier -une vieille tour, la seconde une maisonnette, situées à deux hauteurs -bien différentes[3], sur la montagne qui enferme l'enceinte de la -ville, fort ridicule en 1795, mais que l'on rend bonne en 1836[4]. - -Dans ces promenades nous nous faisions part, avec toute franchise, de -ce qui nous semblait de cette foret terrible, sombre et délicieuse, -dans laquelle nous étions sur le point d'entrer. On voit qu'il s'agit -de la société et du monde. - -Bigillion avait de grands avantages sur moi: - -1° Il avait vécu libre depuis son enfance, fils d'un père qui ne -l'aimait point trop, et savait s'amuser autrement qu'en faisant de son -fils sa poupée. - -2° Ce père, bourgeois de campagne fort aisé, habitait Saint-Ismier, -village situé à une porte de Grenoble, vers l'Est, dans une position -fort agréable dans la vallée de l'Isère. Ce bon campagnard, amateur -du vin, de la bonne chère et des Fauchons paysannes, avait loué un -petit appartement à Grenoble pour ses deux fils qui y faisaient leur -éducation. L'aîné se nommait Bigillion, suivant l'usage de notre -province, le cadet Rémy, humoriste, homme singulier, vrai Dauphinois, -mais généreux, un peu jaloux, même alors, de l'amitié que Bigillion et -moi avions l'un pour l'autre. - -Fondée sur la plus parfaite bonne foi, cette amitié fut intime au bout -de quinze jours. Il avait pour oncle un moine savant et, ce me semble, -très peu moine, le bon Père Morlon, bénédictin peut-être, qui, dans mon -enfance, avait bien voulu, par amitié pour mon grand-père, me confesser -une ou deux fois. J'avais été bien surpris de son ton de douceur et de -politesse, bien différent de l'âpre pédantisme des cuistres morfondus, -auxquels mon père me livrait le plus souvent, tels que M. l'abbé -Rambault. - -Ce bon Père Morlon a eu une grande influence sur mon esprit; il -avait Shakespeare traduit par Letourneur, et son neveu Bigillion -emprunta pour moi, successivement, tous les volumes de cet ouvrage -considérable[5] pour un enfant, dix-huit ou vingt volumes. - -Je crus renaître en le lisant. D'abord, il avait l'immense avantage -de n'avoir pas été loué et prêché par mes parents, comme Racine. Il -suffisait qu'ils louassent une chose _de plaisir_ pour me la faire -prendre en horreur. - -Pour que rien ne manquât au pouvoir de Shakespeare sur mon cœur, je -crois même que mon père m'en dit du mal. - -Je me méfiais de ma famille sur toutes choses[6]; mais en fait de -beaux-arts ses louanges suffisaient pour me donner un dégoût mortel -pour les plus belles choses. Mon cœur, bien plus avancé que l'esprit -[7], sentait vivement qu'elle les louait comme les _kings_ louent -aujourd'hui la religion[8], c'est-à-dire _avec une seconde foi_. Je -sentais bien confusément, mais bien vivement et avec un feu que _je -n'ai plus_, que tout beau moral, c'est-à-dire d'intérêt dans l'artiste, -tue tout ouvrage d'art. J'ai lu continuellement Shakespeare de 1796 -à 1799. Racine, sans cesse loué par mes parents, me faisait l'effet -d'un plat hypocrite. Mon grand-père m'avait conté l'anecdote de sa -mort pour n'avoir plus été regardé par Louis XIV. D'ailleurs, les vers -m'ennuyaient comme allongeant la phrase et lui faisant perdre de sa -netteté. J'abhorrais _coursier_ au lieu de cheval. J'appelais cela de -l'hypocrisie. - -Comment, vivant solitaire dans le sein d'une famille parlant fort bien, -aurais-je pu sentir le langage plus ou moins noble? Où aurais-je pris -le langage non élégant? - -Corneille me déplaisait moins. Les auteurs qui me plaisaient alors à -la folie furent Cervantès, Don Quichotte, et l'Arioste (tous les trois -traduits), dans des traductions. Immédiatement après venait Rousseau, -qui avait le double défaut (_drawback_) de louer les prêtres et d'être -loué par mon père. Je lisais avec délices les _Contes_ de La Fontaine -et _Félicia._ Mais ce n'étaient pas des _plaisirs littéraires_. -Ce sont de ces livres qu'on ne lit que d'une main, comme disait -Mme * * *[9]. - -Quand, en 1824, au moment de tomber amoureux de Clémentine, je -m'efforçais de ne pas laisser absorber mon âme par la contemplation de -ses grâces (je me souviens d'un grand combat, un soir, au concert de M. -du Bignon, où j'étais à côté du célèbre général Foy; Clémentine, ultra, -n'allait pas dans cette maison), quand, dis-je, j'écrivis _Racine -et Shakespeare_, on m'accusa de jouer la comédie et de renier mes -premières sensations d'enfance, on voit combien était vrai, ce que je -me gardai de dire (comme incroyable), que mon premier amour avait été -pour Shakespeare, et entre autres pour _Hamlet_ et _Roméo et Juliette._ - - * * * * * - -Les Bigillion habitaient rue Chenoise (je ne suis pas sûr du nom -[10]), cette rue qui débouchait entre la voûte de Notre-Dame et une -petite rivière sur laquelle était bâti le couvent des Augustins. Là -était un fameux bouquiniste que je visitais souvent. Au-delà était -l'oratoire où mon père avait été en prison[11] quelques jours avec -M. Colomb[12], père de Romain Colomb, le plus ancien de mes amis (en -1836)[13]. - -Dans cet appartement, situé au troisième étage, vivait avec les -Bigillion leur sœur, Mlle Victorine Bigillion, fort simple, -fort jolie, mais nullement d'une beauté grecque; au contraire, c'était -une figure profondément allobroge[14]. Il me semble qu'on appelle -cela aujourd'hui la race Galle. (Voir le Dr Edwards et M. -Antoine de Jussieu; c'est du moins ce dernier qui m'a fait croire à -cette classification.) - - * * * * * - -Mademoiselle Victorine avait de l'esprit et réfléchissait beaucoup; -elle était la fraîcheur même. Sa figure était parfaitement d'accord -avec les fenêtres à croisillons de l'appartement qu'elle occupait avec -ses deux frères, sombre quoique au midi et au troisième étage; mais -la maison vis-à-vis était énorme. Cet accord parfait me frappait, ou -plutôt j'en sentais l'effet, mais je n'y comprenais rien. - -Là, souvent j'assistais au souper des deux frères et de la sœur. -Une servante de leur pays, simple comme eux, le leur préparait, ils -mangeaient du pain bis, ce qui me semblait incompréhensible, à moi qui -n'avais jamais mangé que du pain blanc. - -Là était tout mon avantage à leur égard; à leurs yeux, j'étais d'une -classe supérieure: le petit-fils[15] de M. Gagnon, membre du jury de -l'École centrale, était _noble_ et eux, bourgeois tendant au paysan. Ce -n'est pas qu'il y eut chez eux regret ni sotte admiration; par exemple, -ils aimaient mieux le pain bis que le pain blanc, et il ne dépendait -que d'eux de faire bluter leur farine pour avoir du pain blanc[16]. - -Nous vivions là en toute innocence, autour de cette table de noyer -couverte d'une nappe de toile écrue, Bigillion, le frère aîné, 14 ou 15 -ans, Rémy 12, Mlle Victorine 13, moi 13, la servante 17. - -Nous formions une société bien jeune[17], comme on voit, et aucun -grand parent pour nous gêner. Quand M. Bigillion, le père, venait à la -ville pour un jour ou deux, nous n'osions pas désirer son absence, mais -il nous gênait. - -Peut-être bien avions-nous tous un an de plus, mais c'est tout au plus, -mes deux dernières années 1799 et 1798 furent entièrement absorbées par -les mathématiques et Paris au bout; c'était donc 1797 ou plutôt 1796, -or en 1796 j'avais treize ans[18]. - -Nous vivions alors comme de jeunes lapins jouant dans un bois tout en -broutant le serpolet. Mlle Victorine était la ménagère; elle -avait des grappes de raisin séché dans une feuille de vigne serrée -par un fil, qu'elle me donnait et que j'aimais presque autant que sa -charmante figure. Quelquefois, je lui demandais une seconde grappe, et -souvent elle me refusait, disant: «Nous n'en avons plus que huit, et -il faut finir la semaine.» - -Chaque semaine, une ou deux fois, les provisions venaient de -Saint-Ismier. C'est l'usage à Grenoble. La passion de chaque bourgeois -est son _domaine_, et il préfère une salade qui vient de son domaine -à Montbonnot, Saint-Ismier, Corenc, Voreppe, Saint-Vincent ou Claix, -Echirolles, Eybens, Domène, etc., et qui lui revient[19] à quatre -sous, à la même salade achetée deux sous à la place aux Herbes. Ce -bourgeois avait 10.000 francs placés au 5% chez les Périer (père et -cousin de Casimir, ministre en 1832), il les place en un domaine qui -lui rend le 2 ou le 2 1/2, et il est ravi. Je pense qu'il est payé -en vanité et par le plaisir de dire d'un air important: _Il faut que -j'aille à Montbonnot_, ou: _Je viens de Montbonnot._ - -Je n'avais pas d'amour pour Victorine, mon cœur était encore tout -meurtri du départ de Mlle Kably et mon amitié pour Bigillion -était si intime qu'il me semble que, d'une façon abrégée, de peur du -rire, j'avais osé lui confier ma folie. - -Il ne s'en était point effarouché, c'était l'être le meilleur et le -plus simple, qualités précieuses qui allaient[20] réunies avec le -bon sens le plus fin, bon sens caractéristique de cette famille et qui -était fortifié chez lui par la conversation de Rémy, son frère et son -ami intime, peu sensible, mais d'un bon sens bien autrement inexorable. -Rémy passait souvent des après-midi entières sans desserrer les dents. - -Dans ce troisième étage passèrent les moments les plus heureux de -ma vie. Peu après, les Bigillion quittèrent cette maison pour aller -habiter à la Montée du Pont-de-Bois; ou plutôt c'est tout le contraire, -du Pont-de-Bois ils vinrent dans la rue Chenoise, ce me semble, -certainement celle à laquelle aboutit la rue du Pont-Saint-Jaime. Je -suis sûr de ces trois fenêtres à croisillons, en B[21], et de leur -position à l'égard de la rue du Pont-Saint-Jaime. Plus que jamais je -fais des découvertes en écrivant ceci (à Rome, en janvier 1836). J'ai -oublié aux trois-quarts ces choses, auxquelles je n'ai pas pensé six -fois par an depuis vingt ans. - -J'étais fort timide envers Victorine, dont j'admirais la gorge -naissante, mais je lui faisais confidence de tout, par exemple les -persécutions de Séraphie, dont j'échappais à peine, et je me souviens -qu'elle refusait de me croire, ce qui me faisait une peine mortelle. -Elle me faisait entendre que j'avais un mauvais caractère. - - -[Footnote 1: Le _chapitre XXVII_ est le chapitre XXIII du manuscrit (fol. 387 -à 398).--Écrit à Rome, les 6 et 10 janvier 1836.] - -[Footnote 2: _Vers ce temps-là, je me liai ... avec François Bigillion -..._--C'est par l'intermédiaire de Romain Colomb, qui s'était lié avec -les deux frères, pour les avoir rencontrés dans la maison Faure, lors -de leur arrivée à Grenoble. (Note au crayon de R. Colomb.)] - -[Footnote 3: _Rabot et la Bastille sont ... situes à des hauteurs bien -différentes ..._--Le fort Rabot est à l'altitude de 270 mètres environ, -et la plateforme de la Bastille à 470 mètres.] - -[Footnote 4: ... _mais que l'on rend bonne en_ 1836.--On lit en tête du fol. -389: «10 janvier 1836. Le métier m'a occupé depuis huit jours. Froid du -diable, 6 degrés le lundi.»] - -[Footnote 5: ... _cet ouvrage considérable ..._--Variante: «_Grand._»] - -[Footnote 6: ... _sur toutes choses ..._--Variante: «_Sur tous) les objets._»] - -[Footnote 7: ... _bien plus avancé que l'esprit ..._--Variante: «_Ma tête._»] - -[Footnote 8: ... _louent aujourd'hui la religion ..._--Ms.: «_Gionreli._»] - -[Footnote 9: ... _comme disait_ Mme ***.--Duclos.] - -[Footnote 10: _Les Bigillion habitaient rue Chenoise (e ne suis pas sûr du -nom) ..._--Il s'agit, en effet, de la rue Chenoise.] - -[Footnote 11: ... _l'oratoire où mon père avait été en prison ..._--Erreur; -son père a pu se cacher, mais n'a jamais été en prison, surtout à -l'Oratoire, où il n'y avait que des femmes et trois enfants: les deux -Monval et moi. Le guichetier, dur et renfrogné, s'appelait Pilon. (Note -au crayon de R. Colomb.)] - -[Footnote 12: ... _avec M. Colomb ..._--M. Colomb père a fait toute sa prison -à la Conciergerie, place Saint-André; j'ai couché quelquefois avec lui, -dans cette prison. (Note au crayon de R. Colomb.)] - -[Footnote 13: ... _Romain Colomb, le plus ancien de mes amis._--Stendhal écrit -ensuite: «Voici cette rue, dont le nom est à peu près effacé, mais non -l'aspect.» Et il dessine au-dessous un plan de la partie de la ville où -se trouvait la rue Chenoise.---La maison où logeaient les Bigillion se -trouvait entre la Montée du Pont de Bois (aujourd'hui rue de Lionne) et -la rue du Pont-Saint-Jaime.] - -[Footnote 14: ... _c'était une figure profondément allobroge._--Elle était -plutôt laide que jolie, mais piquante et bonne fille; Victorine jouait -avec nous, sans se douter que nous appartenions à des sexes différents. -(Note au crayon de R. Colomb.)] - -[Footnote 15: ... _le petit-fils de M. Gagnon ..._--Ms.: «_Le fils._»] - -[Footnote 16: ... _faire bluter leur farine pour avoir du pain blanc._--En -face, au verso du fol. 393, est un plan des environs de la maison -où logeaient les Bigillion, ainsi qu'un croquis représentant le -Pont-de-Bois, situé au bout de la Montée du Pont-de-Bois. Stendhal -note à ce sujet: «J'ai laissé à Grenoble une vue du pont de Bois, -achetée par moi à la veuve de M. Le Roy. Elle est à l'huile et -_sbiadita,_ doucereuse, à la Dorat, à la Florian, mais enfin c'est -ressemblant _quant aux lignes_; les couleurs seules sont _adoucies_ et -_florianisées_».] - -[Footnote 17: _Nous formions une société bien jeune ..._--Variante: «_C'était -un ménage bien jeune._»] - -[Footnote 18: ... _en_ 1796 _j'avais treize ans._--Ms.: «10 + 3.»] - -[Footnote 19: ... _qui lui revient à quatre sous ..._--Variante: «_Qui lui -coûte._»] - -[Footnote 20: ... _qualités précieuses qui allaient ..._--Un blanc d'une -demi-ligne.] - -[Footnote 21: _Je suis sûr de ces trois fenêtres à croisillons, en B -..._--Cette référence se rapporte au plan cité plus haut.] - - - - -CHAPITRE XXVIII[1] - - -Le sévère Rémy aurait vu de fort mauvais œil que je fisse la cour à sa -sœur, Bigillion me le fit entendre et ce fut le seul point sur lequel -il n'y eut pas franchise parfaite entre nous. Souvent, vers la tombée -de la nuit, après la promenade, comme je faisais mine de monter chez -Victorine, je recevais un adieu hâtif qui me contrariait fort. J'avais -besoin d'amitié et de parler avec franchise, le cœur ulcéré par tant de -méchancetés, dont, à tort ou à raison, je croyais fermement avoir été -l'objet. - -J'avouerai pourtant que cette conversation toute simple, je préférais -de beaucoup l'avoir avec Victorine qu'avec ses frères. Je vois -aujourd'hui mon sentiment d'alors, il me semblait incroyable de voir -de si près cet animal terrible, une femme, et encore avec des cheveux -superbes, un bras divinement fait quoique un peu maigre, et enfin -une gorge charmante, souvent un peu découverte à cause de l'extrême -chaleur. Il est vrai qu'assis contre la table de noyer, à deux pieds -de Mlle Bigillion, l'angle de la table entre nous, je ne -parlais aux frères que pour être bien sage. Mais pour cela je n'avais -aucune envie d'être amoureux, j'étais _scolato_ (brûlé, échaudé), comme -on dit en italien, je venais d'éprouver que l'amour était une chose -sérieuse et terrible. Je ne me disais pas, mais je sentais fort bien -qu'au total mon amour pour Mlle Kably m'avait probablement -causé plus de peines que de plaisirs. - -Pendant ce sentiment pour Victorine, tellement innocent en paroles -et même en idées, j'oubliais de haïr et surtout de croire qu'on me -haïssait. - -Il me semble qu'après un certain temps la jalousie fraternelle de Rémy -se calma; ou bien il alla passer quelques mois à Saint-Ismier. Il vit -peut-être que réellement je n'aimais pas, ou eut quelque affaire à lui; -nous étions tous des politiques de treize ou quatorze ans. Mais dès cet -âge on est très fin en Dauphiné, nous n'avons ni l'insouciance ni le... -[2] du gamin de Paris, et de bonne heure les passions s'emparent de -nous. Passions pour des bagatelles, mais enfin le fait est que nous -désirons passionnément. - -Enfin, j'allais bien cinq fois la semaine, à partir de la tombée de -la nuit ou _sing_[3] (cloche de neuf heures, sonnée à Saint-André), -passer la soirée chez Mlle Bigillion. - -Sans parler nullement de l'amitié qui régnait entre nous, j'eus -l'imprudence de nommer cette famille, un jour, en soupant avec mes -parents. Je fus sévèrement puni de ma légèreté. Je vis mépriser, avec -la pantomime la plus expressive, la famille et le père de Victorine. - -«N'y a-t-il pas une fille? Ce sera quelque demoiselle de campagne.» - -Je ne me rappelle que faiblement les termes d'affreux mépris et la -mine de froid dédain qui les accompagnait. Je n'ai mémoire que pour -l'impression brûlante que fit sur moi ce mépris. - -Ce devait être absolument l'air de mépris froid et moqueur que M. le -baron des Adrets employait sans doute en parlant de ma mère ou de ma -tante. - -Ma famille, malgré l'état de médecin et d'avocat, se croyait être sur -le bord de la noblesse, les prétentions de mon père n'allaient même -à rien moins que celles de gentilhomme déchu. Tout le mépris qu'on -exprima, ce soir-là, pendant tout le souper, était fondé sur l'état -de bourgeois de campagne de M. Bigillion, père de mes amis, et sur -ce que son frère cadet, homme très fin, était directeur de la prison -départementale, place Saint-André, une sorte de geôlier bourgeois. - -Cette famille avait reçu saint Bruno à la Grande-Chartreuse -en....[4]. Rien n'était mieux prouvé, cela était autrement -respectable que la famille B[ey]le, juge du village de Sassenage -sous les seigneurs du moyen-âge. Mais le bon Bigillion père, homme -de plaisir, fort aisé dans son village, ne dînait point chez M. de -Marcieu ou chez Mme de Sassenage et saluait le premier mon -grand-père du plus loin qu'il l'apercevait, et, de plus, parlait de M. -Gagnon avec la plus haute considération. - -Cette sortie de hauteur amusait une famille qui, par habitude, mourait -d'ennui, et dans tout le souper j'avais perdu l'appétit en entendant -traiter ainsi mes amis. On me demanda ce que j'avais. Je répondis que -j'avais _goûté_ fort tard. Le mensonge est la seule ressource de la -faiblesse. Je mourais de colère contre moi-même: quoi! j'avais été -assez sot pour parler à mes parents de ce qui m'intéressait? - -Ce mépris me jeta dans un trouble profond; j'en vois le pourquoi en -ce moment, c'était Victorine. Ce n'était donc pas avec cet animal -terrible, si redouté, mais si exclusivement adoré, une femme comme -il faut et jolie, que j'avais le bonheur de faire, chaque soir, la -conversation presque intime? - -Au bout de quatre ou cinq jours de peine cruelle, Victorine l'emporta, -je la déclarai plus aimable et plus du monde que ma famille triste, -_ratatinée_ (ce fut mon mot), sauvage, ne donnant jamais à souper, -n'allant jamais dans un salon où il y eût dix personnes, tandis -que Mlle Bigillion assistait souvent chez M. Faure, à -Saint-Ismier, et chez les parents de sa mère, à Chapareillan, à des -dîners de vingt-cinq personnes. Elle était même plus noble, à cause de -la réception de saint Bruno, en 1080[5]. - -Bien des années après, j'ai vu le mécanisme de ce qui se passa -alors dans mon cœur et, faute d'un meilleur mot, je l'ai appelé -_cristallisation_ (mot qui a si fort choqué ce grand littérateur, -ministre de l'Intérieur en 1833, M. le comte d'Argout, scène plaisante -racontée par Clara Gazul[6]). - -Cette absolution du mépris dura bien cinq ou six jours, pendant -lesquels je ne songeais à autre chose. Cette insulte si glorieusement -mince mit _un fait nouveau_ entre Mlle Kably et mon état -actuel. Sans que mon innocence s'en doutât, c'était un grand point: -entre le chagrin et nous il faut mettre des faits nouveaux, fût-ce de -se casser le bras. - -Je venais d'acheter un Bezout d'une bonne édition, et de le faire -relier avec soin (peut-être existe-t-il encore à Grenoble, chez M. -Alexandre Mallein, directeur des Contributions); j'y traçai une -couronne de feuillage, et au milieu un V majuscule[7]. Tous les -jours je regardais ce monument. - -Après la mort de Séraphie j'aurais pu, par besoin d'aimer, me -réconcilier avec ma famille; ce trait de hauteur mit Victorine[8] -entre eux et moi; j'aurais pardonné l'imputation d'un crime à la -famille Bigillion, mais le mépris! Et mon grand-père était celui qui -l'avait exprimé avec le plus de grâce, et par conséquent d'effet! - - * * * * * - -Je me gardai bien de parler à mes parents d'autres amis que je fis à -cette époque: MM. Galle, La Bayette...[9] - -Galle était fils d'une veuve qui l'aimait uniquement et le respectait, -par probité, comme le maître de la fortune; le père devait être quelque -vieil officier. Ce spectacle, si singulier pour moi, m'attachait et -m'attendrissait. Ah! si ma pauvre mère eût vécu, me disais-je. Si, du -moins, j'avais eu des parents dans le genre de madame Galle, comme je -les eusse aimés! Mme Galle me respectait beaucoup, comme -le petit-fils de M. Gagnon, le bienfaiteur des pauvres, auxquels il -donnait des soins gratuits, et même deux livres de bœuf pour faire du -bouillon. Mon père était inconnu. - -Galle était pâle, maigre, _crinche_, marqué de petite vérole, -d'ailleurs d'un caractère très froid, très modéré, très prudent. Il -sentait qu'il était maître absolu de la petite fortune et qu'il ne -fallait pas la perdre. Il était simple, honnête, et nullement hâbleur -ni menteur. Il me semble qu'il quitta Grenoble et l'École centrale -avant moi pour aller à Toulon et entrer dans la marine. - - * * * * * - -C'était aussi à la marine que se destinait l'aimable La Bavette, neveu -ou parent de l'amiral (c'est-à-dire contre-amiral ou vice-amiral) -Morard de Galles. - -Il était aussi aimable et aussi noble que Galle était estimable. Je me -souviens encore des charmantes après-midi que nous passions, devisant -ensemble à la fenêtre de sa petite chambre. Elle était au troisième -étage d'une maison donnant sur la nouvelle place du Département[10]. -Là, je partageais son _goûter_: des pommes et du pain bis. J'étais -affamé de toute conversation sincère et sans hypocrisie. A ces deux -mérites, communs à tous mes amis, La Bavette joignait une grande -noblesse de sentiments et de manières[11] et une tendresse d'âme non -susceptible de passion profonde, comme Bigillion, mais plus élégante -dans l'expression. - -Il me semble qu'il me donna de bons conseils dans le temps de mon amour -pour Mlle Kably, dont j'osai lui parler, tant il était -sincère et bon. Nous mettions ensemble toute notre petite expérience -des femmes, ou plutôt toute notre petite science puisée dans les romans -lus par nous. Nous devions être drôles à entendre. - -Bientôt après le départ de ma tante Séraphie, j'avais lu et adoré les -_Mémoires secrets_ de Duclos[12], que lisait mon grand-père. - - * * * * * - -Ce fut, ce me semble, à la salle de mathématiques que je fis la -connaissance de Galle et de La Bayette; ce fut certainement là que je -pris de l'amitié pour Louis de Barral (maintenant le plus ancien et -le meilleur de mes amis; c'est l'être au monde qui m'aime le plus, il -n'est aussi, ce me semble, aucun sacrifice que je ne fisse pour lui). - -Il était alors fort petit, fort maigre, fort _crinche_, il passait pour -porter à l'excès une mauvaise habitude que nous avions tous, et le fait -est qu'il en avait la mine. Mais la sienne était singulièrement relevée -par un superbe uniforme de lieutenant du génie, on appelait cela être -adjoint du génie; c'eût été un bon moyen d'attacher à la Révolution les -familles riches, ou du moins de mitiger leur haine. - -Anglès aussi, depuis comte Anglès et préfet de police, enrichi par -les Bourbons, était adjoint du génie, ainsi qu'un être subalterne par -essence, orné de cheveux rouges et qui s'appelait Giroud, différent -du Giroud à l'habit rouge avec lequel je me battais assez souvent. Je -plaisantais ferme le Giroud garni d'une épaulette d'or et qui était -beaucoup plus _grand_ que moi, c'est-à-dire qui était un homme de -dix-huit ans tandis que j'étais encore un bambin de treize ou quatorze. -Cette différence de deux ou trois ans est immense au collège, c'est à -peu près celle du noble au roturier en Piémont. - - * * * * * - -Ce qui fit ma conquête net dans Barral, la première fois que nous -parlâmes ensemble (il avait alors, ce me semble, pour surveillant -Pierre-Vincent Chalvet, professeur d'histoire et fort malade de la -sœur aînée de la petite vérole), ce qui donc fit ma conquête dans -Barral, ce fut: 1° la beauté de son habit, dont le bleu me parut -enchanteur;--2° sa façon de dire ces vers de Voltaire, dont je me -souviens encore: - - - Vous êtes, lui dit-il, l'existence et l'essence, - Simple...[13] - - -Sa mère, fort grande dame, _c'était une Grolée_[14], disait mon -grand-père avec respect, fut la dernière de son ordre à en porter le -costume; je la vois encore près de la statue d'Hercule, au Jardin -[15], avec une robe à ramages, c'est-à-dire de satin blanc ornée de -fleurs, ladite robe retroussée dans les poches comme ma grand-mère -(Jeanne Dupéron, veuve Beyle[16]), avec un énorme chignon poudré et -peut-être un petit chien sur le bras. Les petits polissons la suivaient -à distance avec admiration, et quant à moi j'étais mené, ou porté, par -le fidèle Lambert: je pouvais avoir trois ou quatre ans lors de cette -vision. Cette grande dame avait les mœurs de la Chine, M. le marquis de -Barrai, sou mari et Président, ou même Premier Président au Parlement, -ne voulut point émigrer, ce pourquoi il était honni de ma famille comme -s'il eût reçu vingt soufflets. - -Le sage M. Destutt de Tracy eût la même idée à Paris et fut obligé -de prendre des plans, comme M. de Barral, qui, avant la Révolution, -s'appelait M. de Montferrat, c'est-à-dire M. le marquis de Montferrat -(prononcez: Monferâ, _a_ très long); M. de Tracy fut réduit à vivre -avec les appointements de la place de commis de l'Instruction publique, -je crois; M. de Barral avait conservé 20 ou 25.000 francs de rente, -dont en 1793 il donnait la moitié ou les deux-tiers non à la patrie, -mais à la peur de la guillotine. Peut-être avait-il été retenu en -France par son amour pour Mme Brémont, que depuis il -épousa. J'ai rencontré M. Brémont fils à l'armée, où il était chef de -bataillon, je crois, puis sous-inspecteur des Revues, et toujours homme -de plaisir. - -Je ne dis pas que son beau-père, M. le Premier Président de -Barral (car Napoléon le fit Premier Président en créant les Cours -impériales[17]) fût un génie, mais à mes yeux il était tellement -le contraire de mon père et avait tant d'horreur de la pédanterie -et de froisser l'amour-propre de son fils qu'en sortant de la -maison pour aller à la promenade dans les _délaissés du Drac_, - - - si le père disait:..................................Bonjour, - le fils répondait...................................Toujours, - le père.............................................Oie, le - fils................................................Lamproie, - - -et la promenade se passait ainsi à dire des rimes, et à tâcher de -s'embarrasser. - -Ce père apprenait à son fils les _Satires_ de Voltaire (la seule chose -parfaite, selon moi, qu'ait faite ce grand réformateur). - -Ce fut alors que j'entrevis le vrai _bon ton_, et il fit sur-le-champ -ma conquête. - -Je comparais sans cesse ce père faisant des rimes et plein d'attentions -délicates pour l'amour-propre de ses enfants avec le noir pédantisme du -mien. J'avais le respect le plus profond pour la science de M. Gagnon, -je l'aimais sincèrement, je n'allais pas jusqu'à me dire: - -«Ne pourrait-on pas réunir[18] la science sans bornes de mon -grand-père et l'amabilité si gaie et si gentille de M. de Barral?» - -Mais mon cœur, pour ainsi dire, _pressentait_ cette idée, qui devait -par la suite devenir fondamentale pour moi. - -J'avais déjà vu le bon ton, mais à demi défiguré, masqué par la -dévotion dans les soirées pieuses où Mme de Vaulserre -réunissait, au rez-de-chaussée de l'hôtel des Adrets, M. du Bouchage -(pair de France, ruiné), M. de Saint-Vallier (le grand Saint-Vallier), -Scipion, son frère. M. de Pina (ex-maire de Grenoble, jésuite[19] -profond, 80.000 francs de rente et dix-sept enfants), MM. de Sinard, de -Saint-Ferréol, moi, Mlle Bonne de Saint-Vallier (dont les -beaux bras blancs et charmants, à la Vénitienne, me touchaient si fort). - -Le curé Chélan, M. Barthélemy d'Orbane étaient aussi des modèles. Le -Père Ducros avait le ton du génie. (Le mot _génie_ était alors, pour -moi, comme le mot Dieu pour les bigots.) - - -[Footnote 1: Le _chapitre XXVIII_ est le chapitre XXIII du manuscrit. Stendhal -a mis par erreur le chiffre XXIII, au lieu de XXIV, et cette erreur -se perpétue jusqu'à la fin de l'ouvrage.--Comprend les fol. 399 à -416.--Écrit à Rome, les 10, 11 et 12 janvier 1836.] - -[Footnote 2: ... _ni l'insouciance ni le ... du gamin de Paris ..._--Le mot est -en blanc dans le manuscrit.] - -[Footnote 3: ... _à partir de la tombée de la nuit ou_ sing ...--Ms.: -«_Saint._»] - -[Footnote 4: _Cette famille avait reçu saint Bruno à la Grande-Chartreuse en -..._--La date est en blanc.] - -[Footnote 5: ... à _cause de la réception de Saint-Bruno, en 1080._--Date: -Saint Bruno, mort en 1101 en Calabre. (Note de Stendhal.)--Cette -date est exacte, mais c'est en 1084 seulement que saint Bruno vint à -Grenoble et fonda la Grande-Chartreuse, dont l'église fut consacrée en -1085.] - -[Footnote 6: ... _scène plaisante racontée par Clara Gazul._--Le _Théâtre -de Clara Gazul_, de Mérimée, a paru en 1825.--Mérimée est appelé, la -plupart du temps, _Clara_ par Stendhal.] - -[Footnote 7: ... _j'y traçai une couronne de feuillage, et au milieu un V -majuscule._--Suit un croquis de cette lettre ornée.--En face, au -verso du fol. 403, Stendhal écrit: «Mettre ceci ici, coupé trop -net, le placer en son temps, à 1806 ou 10. A l'un de mes voyages -(retours) à Grenoble, vers 1806, une personne bien informée me dit que -Mlle Victorine était amoureuse. J'enviai fort la personne. -Je supposais que c'était Félix Faure. Plus tard, une autre personne me -dit: «Mlle Victorine, me parlant de la personne qu'elle a -aimé si longtemps, m'a dit: Il n'est peut-être pas beau, mais jamais on -ne lui reproche sa laideur ... C'est l'homme qui a eu le plus d'esprit -et d'amabilité parmi les jeunes gens de mon temps. En un mot, ajouta -cette personne, c'est vous.»--10 janvier 1836.--Lu de Brosses.»] - -[Footnote 8: ... _ce trait de hauteur mit Victorine ..._--Ms.: -«_Virginie._»--Ce mot est surmonté d'une croix.] - -[Footnote 9: _MM. Galle, La Bayette ..._--Une ligne est restée en blanc après -ces deux noms.] - -[Footnote 10: ... _la nouvelle place du Département._--Près du -Jardin-de-Ville. Aujourd'hui place de Gordes. Cette place a été créée -en 1791.--Au verso du fol. 406 est un plan de la place et de ses -alentours.] - -[Footnote 11: ... _La Bayette joignait une grande noblesse de sentiments et -de manières ..._--Nous faisions dans sa chambre des pique-niques, à -cinq ou six sous par tête, pour manger ensemble du _Mont-d'Or_, avec -des griches, le tout arrosé d'un petit vin blanc qui nous semblait -délicieux. La Bayette avait un charmant caractère: il était aimant et -avait beaucoup d'expansion. (Note au crayon de R. Colomb.)] - -[Footnote 12: ... _les_ Mémoires secrets _de Duclos ..._--Les _Mémoires -secrets sur les règnes de Louis XIV et de Louis XV_ furent publiés en -1791, dix-neuf ans après la mort de Duclos.] - -[Footnote 13: _Vous êtes, lui dit-il, l'existence et l'essence, Simple -..._--On lit en tête du fol. 411: «12 janvier 1836. Omar. Sirocco après -trente ou quarante jours de froid infâme ...»] - -[Footnote 14: _Sa mère, fort grande dame_, c'était une Grolée ...--La famille -de Grolée était l'une des familles les plus anciennes et les plus -estimées du Dauphiné.] - -[Footnote 15: ... _près de la statue d'Hercule, au Jardin ..._--Au -Jardin-de-Ville. Au milieu du jardin se trouve une statue du connétable -de Lesdiguières sous les traits d'Hercule, attribuée à Jacob Richier. -Cette statue, primitivement érigée dans l'île de l'étang du château de -Lesdiguières, à Vizille, a été acquise par la Ville de Grenoble en 1740.] - -[Footnote 16: ... _Jeanne Dupéron, veuve Beyle ..._--Jeanne Dupéron, fille -de Pierre, banquier à Grenoble, et de Dominique Bérard, épousa le -14 septembre 1734 Pierre Beyle, procureur au Parlement. (Voir Ed. -Maignien, _La famille de Beyle-Stendhal, notes généalogiques._ -Grenoble, 1889.)] - -[Footnote 17: ... _les Cours impériales ..._--Ms.: «_Royales._»--M. de Barral -fut Premier Président depuis 1804 jusqu'en décembre 1815.] - -[Footnote 18: _Ne pourrait-on pas réunir ..._--Variante: «_Avoir._»] - -[Footnote 19: ... _ex-maire de Grenoble, jésuite ..._--Ms.: -«_Tejé._»--Jean-François-Calixte, marquis de Pina, remplaça comme -adjoint au maire de Grenoble, en 1816, Joseph-Chérubin Beyle. Il fut -nommé maire la même année, resta en fonctions jusqu'au 13 octobre -1818. Puis il fut encore maire de Grenoble entre le 26 août 1824 et la -révolution de 1830.] - - - - -CHAPITRE XXIX[1] - - -Je ne voyais pas M. de Barral aussi en beau alors, il était la bête -noire de mes parents pour avoir émigré. - -La nécessité me rendant hypocrite (défaut dont je me suis trop corrigé -et dont l'absence m'a tant nui, à Rome[2], par exemple), je citais -à ma famille les noms de MM. de La Bayette et de Barrai, mes nouveaux -amis. - -«La Bayette! bonne famille, dit mon grand-père; son père était -capitaine de vaisseau, son oncle, M. de ...[3], Président au -Parlement. Pour Montferrat, c'est un plat.» - -Il faut avouer qu'un matin, à deux heures du matin, des municipaux, et -M. de Barral avec eux, étaient venus pour arrêter M. d'Anthon[4], -ancien conseiller au Parlement, qui habitait le premier étage, et dont -l'occupation constante était de se promener dans sa grande salle en se -rongeant les ongles. Le pauvre diable perdait la vue et de plus était -notoirement suspect, comme mon père. Il était dévot jusqu'au fanatisme, -mais à cela près point méchant. On trouvait indigne dans M. de Barral -d'être venu arrêter un des conseillers jadis ses camarades quand il -était Président au Parlement[5]. - - * * * * * - -Il faut convenir[6] que c'était un plaisant animal qu'un bourgeois -de France vers 1794, quand j'ai pu commencer à le comprendre, se -plaignant amèrement de la hauteur des nobles et entre eux n'estimant -un homme absolument qu'à cause de sa naissance. La vertu, la bonté, la -générosité n'y faisaient rien; même, plus un homme était distingué, -plus fortement ils lui reprochaient le manque de naissance, et quelle -naissance! - -Vers 1803, quand mon oncle Romain Gagnon vint à Paris et logea chez -moi, rue de Nemours, je ne le présentai pas chez Mme de -Neuilly; il y avait une raison pour cela: cette dame n'existait pas. -Choquée de cette absence de présentation, ma bonne tante Elisabeth dit: - -«Il faut qu'il y ait quelque chose d'extraordinaire, autrement Henri -aurait mené son oncle chez cette dame; on est bien aise de montrer -_qu'on n'est pas né sous un chou._» - -C'est moi, s'il vous plaît, qui ne suis pas né sous un chou. - -Et quand notre cousin Clet, horriblement laid, figure d'apothicaire et, -de plus, apothicaire effectif, pharmacien militaire, fut sur le point -de se marier en Italie, ma tante Elisabeth répondait au reproche de -tournure abominable: - -«Il faut convenir que c'est un vrai _Margageat_, disait quelqu'un. - ---A la bonne heure, mais il y a la naissance! Cousin du premier médecin -de Grenoble, n'est-ce rien?» - -Le caractère de cette excellente[7] fille était un exemple bien -frappant de la maxime: _Noblesse oblige._ Je ne connais rien de -généreux, de noble, de difficile qui fût au-dessus d'elle et de son -désintéressement[8]. C'est à elle en partie que je dois de bien -parler; s'il m'échappait un mot bas, elle disait: «Ah! Henri!» Et -sa figure exprimait un froid dédain dont le souvenir me _hantait_ (me -poursuivait longtemps). - -J'ai connu des familles où l'on parlait aussi bien, mais pas une où -l'on parlât mieux que dans la mienne. Ce n'est point à dire qu'on n'y -fît pas communément les huit ou dix fautes dauphinoises. - -Mais, si je me servais d'un mot peu précis ou prétentieux, à -l'instant[9] une plaisanterie m'arrivait, et avec d'autant plus de -bonheur, de la part de mon grand-père, que c'étaient à peu près les -seules que la piété morose de ma tante Séraphie permît au pauvre homme. -Il fallait, pour éviter le regard railleur de cet homme d'esprit, -employer la tournure la plus simple et le mot propre, et toutefois il -ne fallait pas s'aviser de se servir d'un mot bas. - -J'ai vu les enfants, dans les familles riches de Paris, employer -toujours la tournure la plus ambitieuse pour arriver au style noble, -et les parents applaudir à cet essai d'emphase. Les jeunes Parisiens -diraient volontiers _coursier_ au lieu de _cheval_; de là, leur -admiration pour MM. de Salvandy, Chateaubriand, etc. - -Il y avait d'ailleurs, en ce temps-là, une profondeur et une vérité de -sentiment dans le jeune Dauphinois de quatorze ans que je n'ai jamais -aperçues chez le jeune Parisien. En revanche, nous disions: J'étais au -_Cour-se_, où M. _Passe-kin_ (Pasquin) m'a lu une pièce de ver-_se_, -sur le voyage d'Anver-_se_ à Calai-_ce_. - -Ce n'est qu'en arrivant à Paris, en 1799, que je me suis douté qu'il -y avait une autre prononciation. Dans la suite, j'ai pris des leçons -du célèbre La Rive et de Dugazon pour chasser les derniers restes du -parler _traînard_ de mon pays. Il ne me reste plus que deux ou trois -mots (côte, _kote_, au lieu de _kaute_, petite élévation; le bon abbé -Gattel a donc eu toute raison de noter la prononciation dans son -bon dictionnaire, chose blâmée dernièrement par un nigaud d'_homme -de lettres_ de Paris), et l'accent ferme et passionné du Midi qui, -décelant la _force du sentiment_, la vigueur avec laquelle on aime ou -on hait, est, sur-le-champ, singulier et partant _voisin du ridicule_, -à Paris. - -C'est donc en disant chose au lieu de chause, cote au lieu de caute, -Calai-ce au lieu de Kalai (Calais), que je faisais la conversation avec -mes amis Bigillion, La Bavette, Galle, Barral. - -Ce dernier venait, ce me semble, de La Tronche chaque matin passer la -journée chez Pierre-Vincent Chalvet, professeur d'histoire, logé au -collège sous la voûte[10]; vers B, il y avait une assez jolie allée -de tilleuls, allée fort étroite, mais les tilleuls étaient vieux et -touffus, quoique taillés, la vue était délicieuse; là je me promenais -avec Barral, qui venait du point C, très voisin; M. Chalvet, occupé de -ses catins, de sa v... et des livres qu'il fabriquait, et de plus le -plus insouciant des hommes, le laissait volontiers s'échapper. - -Je crois que c'est en nous promenant au point P[11] que nous -rencontrâmes Michoud, figure de bœuf, mais homme excellent (qui n'a -eu que le tort de mourir ministériel pourri, et conseiller à la Cour -royale, vers 1827). Je croirais assez que cet excellent homme croyait -que la probité n'est d'obligation qu'entre particuliers et qu'il est -toujours permis de trahir ses devoirs de citoyen pour arracher quelque -argent au Gouvernement. Je fais une énorme différence entre lui et son -camarade Félix Faure; celui-ci est né avec l'âme basse, aussi est-il -pair de France et Premier Président de la Cour royale de Grenoble. - -Mais quels qu'aient été les motifs du pauvre Michoud pour vendre la -patrie aux désirs du Procureur général, vers 1795, c'était le meilleur, -le plus naturel, le plus fin, mais le plus simple de cœur des camarades. - -Je crois qu'il avait appris à lire avec Barral chez Mlle -Chavand, ils parlaient souvent de leurs aventures dans cette petite -classe. (Déjà les rivalités, les amitiés, les haines du monde!) Comme -je les enviais! Je crois même que je mentis une fois ou deux en -laissant entendre à d'autres de mes compagnons que moi aussi j'avais -appris à lire chez Mlle Chavand. - -Michoud m'a aimé jusqu'à sa mort, et il n'aimait pas un ingrat; j'avais -la plus haute estime pour son bon sens et sa bonté. Une autre fois, -nous nous donnâmes des coups de poing, et comme il était deux fois plus -gros que moi, il me rossa. - -Je me reprochai mon incartade, non pas à cause des coups reçus, mais -comme ayant méconnu son extrême bonté. J'étais malin et je disais des -bons mots qui m'ont valu force coups de poing, et ce même caractère m'a -valu, en Italie et en Allemagne, à l'armée, quelque chose de mieux et, -à Paris, des critiques acharnées dans la petite littérature. - -Quand un mot me vient, je vois sa gentillesse et non sa méchanceté. -Je suis toujours surpris de sa portée comme méchanceté, par exemple: -C'est Ampère ou A. de Jussieu qui m'ont fait voir la portée du mot à ce -faquin de vicomte de La Passe (Cività-Vecchia, septembre 1831 ou 1832): -«Oserais-je vous demander votre nom?» que le La Passe ne pardonnera -jamais. - -Maintenant, par prudence, je ne dis plus ces mots, et, l'un de ces -jours, Don Philippe Caetani me rendait cette justice que j'étais -l'un des hommes les moins méchants qu'il eût jamais vus, quoique ma -réputation fût homme d'infiniment d'esprit, mais bien méchant et -encore plus immoral (immoral, parce que j'ai écrit sur les femmes dans -l'_Amour_ et parce que, malgré moi, je me moque des hypocrites, corps -respectable à Paris, qui le croirait? plus encore qu'à Rome[12]). - -Dernièrement, Mme Toldi, de _Valle_, dit, comme je sortais -de chez elle, au prince Caetani: - -«Mais c'est M. de S[tendhal], cet homme de tant d'esprit, _si -immoral._» - -Une actrice qui a un bambin[13] du prince Léopold de Syracuse de -Naples! Le bon Don Filippo me justifia fort sérieusement du reproche -d'immoralité. - -Même en racontant qu'un cabriolet jaune vient de passer dans la rue, -j'ai le malheur d'offenser mortellement les hypocrites, et même les -_niais._ - -Mais au fond, cher lecteur, je ne sais pas ce que je suis: bon, -méchant, spirituel, sot. Ce que je sais parfaitement, ce sont les -choses qui me font peine ou plaisir, que je désire ou que je hais. - -Un salon de provinciaux enrichis, et qui étalent du luxe, est ma -bête noire, par exemple. Ensuite, vient un salon de marquis et de -grands-cordons de la Légion d'honneur, qui étalent de la morale. - -Un salon de huit ou dix personnes dont toutes les femmes ont eu des -amants, où la conversation est gaie, anecdotique, et où l'on prend -du punch léger à minuit et demi, est l'endroit du monde où je me -trouve le mieux; là, dans mon centre, j'aime infiniment mieux entendre -parler un autre que de parler moi-même. Volontiers je tombe dans le -silence du _bonheur_ et, si je parle, ce n'est que pour _payer mon -billet d'entrée_, mot employé dans ce sens, que j'ai introduit dans la -société de Paris; il est comme _fioriture_ (importé par moi) et que je -rencontre sans cesse; je rencontre plus rarement, il faut en convenir, -cristallisation[14] (voir l'_Amour_). Mais je n'y tiens pas le moins -du monde: si l'on trouve un meilleur mot, plus apparenté, dans la -langue, pour la même idée, je serai le premier à y applaudir et à m'en -servir. - - -[Footnote 1: Le _chapitre XXIX_ est le chapitre XXIV du manuscrit (fol. 416 à -431).--Écrit à Rome, les 12 et 13 janvier 1836.] - -[Footnote 2: ... _dont l'absence m'a tant nui, à Rome ..._--Ms.: «_Omar._»] - -[Footnote 3: ... _son oncle, M. de ..._--Le nom a été laissé en blanc.] - -[Footnote 4: ... _M. d'Anthon ..._--Jean-Jacques-Gabriel de Vidaud d'Anthon de -La Tour, né le 28 mars 1745, avait été nommé conseiller au Parlement -par lettres patentes du 2 juillet 1766.] - -[Footnote 5: ... _quand il était Président au Parlement._--Le reste du -feuillet est blanc, ainsi que tout le fol. 419.] - -[Footnote 6: _Il faut convenir ..._--On lit en tête du fol. 419 _bis_: «12 -janvier 36. Omar.--13 janvier, sans feu après ce froid si long de 3 à 7 -degrés.»] - -[Footnote 7: ... _cette excellente fille..._--Variante: «_Noble._»] - -[Footnote 8: _Je ne connais rien de généreux, de noble, de difficile, -qui fût au-dessus d'elle et de son désintéressement._--Variante: -«_Aucun sacrifice n'eût été au-dessus de sa générosité et de son -désintéressement._»] - -[Footnote 9: ... _un mot peu précis ou prétentieux, à l'instant -..._--Variante: «_Un mot peu précis ou prétendant à l'effet, -sur-le-champ._»] - -[Footnote 10: ... _au collège sous la voûte ..._--Aujourd'hui passage du -Lycée, allant de la rue du Lycée à la place Jean-Achard, celle-ci -occupée à la fin du XVIIIe siècle par les remparts de la -ville. Stendhal donne un croquis des lieux. B est l'allée de tilleuls, -sur les remparts. (Voir notre plan de Grenoble en 1793.)] - -[Footnote 11: _Je crois que c'est en nous promenant au point P ..._--En face, -au verso du fol. 425, est un plan des lieux. A l'extrémité de la rue -des Mûriers, qui longeait le rempart et le derrière de l'École centrale -est, en «P, commencement de la promenade de vieux tilleuls écourtés -(_maimed_) par la taille;» entre la rue des Mûriers et la promenade, -en «L, jardin en contrebas de M. de Plainville, commandant ou adjudant -de la place, père de Plainville, l'ami de Barral». (Voir notre plan de -Grenoble en 1793.)] - -[Footnote 12: ... _plus encore qu'à Borne._--Ms.: «_Omar._»] - -[Footnote 13: _Une actrice qui a un bambin ..._--Variante: «_Bâtard._»] - -[Footnote 14: ... _il faut en convenir,_ cristallisation ...--Sorte de folie -qui fait voir toutes les perfections et tout _tourner à perfection_ -dans l'objet qui fait effet sur la matrice. _Il est pauvre_, ah! que je -l'en aime mieux! _Il est riche_, ah! que je l'en aime mieux! (Note de -Stendhal.)] - - - -NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS - -FEUILLETS DE GARDE - - -Le premier volume du manuscrit (côté R 299) de la _Vie de Henri -Brulard_ commence par un testament: - -«Je lègue et donne le présent volume à M. le chevalier Abraham -Constantin (de Genève), peintre sur porcelaine. Si M. Constantin ne -l'a pas fait imprimer dans les mille jours qui suivront celui de mon -décès, je lègue et donne ce volume, successivement, à MM. Alphonse -Levavasseur, libraire, n° 16, place Vendôme, Philarète Chasles, homme -de lettres, Henry Fournier, libraire, rue de Seine, Paulin, libraire, -Delaunay, libraire; et si aucun de ces Messieurs ne trouve son intérêt -à faire imprimer dans les cinq ans qui suivront mon décès, je laisse ce -volume au plus âgé des libraires habitant dans Londres et dont le nom -commence par un C. - -Cività-Vecchia, le 24 décembre 1835.» - - -On lit encore, sur un feuillet intercalé en face du fol. 8, le fragment -suivant: «... de n'imprimer, si cela en vaut la peine, que quinze mois -après mon décès. Rome, le 29 novembre 1835. H. BEYLE.» - ---Sur un autre feuillet, on lit: - -«PETITS FAITS A PLACER - -1. Mauvaise odeur de gens qui assistaient aux vêpres, à la Charité (M. -Beyle, supérieur). - -2. L'abbé Rey me fait entrer dans le chœur, à Saint-André. -D'ordinaire, je me tenais tout près de la grande grille du chœur. -Sermons. - -Tout cela, avant la clôture des églises; mais à quelle époque -furent-elles fermées à Grenoble? - -3. Enterrement, ou plutôt obsèques, à Notre-Dame, de l'évêque intrus, -appelé l'abbé Pouchot avec dédain par ma famille.» - -Stendhal a pris soin de répéter le titre de son auto-biographie en -tête de chacun des volumes de son manuscrit. Il y ajoute diverses -indications destinées à dérouter les investigations possibles de la -police, dont il avait une crainte maladive. Voici les diverses mentions -placées sur les feuillets de garde des trois volumes: - -TOME Ier - -Vie de Henri Brulard. - -A Messieurs de la Police. Ceci est un roman imité du _Vicaire de -Wakefield._ Le héros, Henri Brulard, écrit sa vie, à cinquante-deux -ans, après la mort de sa femme, la célèbre Charlotte Corday. - -TOME II - -Vie de Henri Brulard, écrite par lui-même. Roman imité du _Vicaire de -Wakefield_, surtout pour la pureté des sentiments. - -A Messieurs de la Police. Rien de politique. Le héros de ce roman finit -par se faire prêtre, comme Jocelyn. - -TOME III - -Vie de Henri Brulard, écrite par lui-même. Roman à détails, imité du -_Vicaire de Wakefield._ - -A Messieurs de la Police. Rien de politique dans ce roman. Le plan est -un exalté dans tous les genres qui, dégoûté et éclairé peu à peu, finit -par se consacrer au culte des hôtels (_sic_). - - -CHAPITRE I etc... - - - - - TABLE DES GRAVURES DU TOME PREMIER - - Portrait de Stendhal. - Reproduction du f° 69 du manuscrit - Portrait d'Henri Gagnon - La maison natale de Stendhal - Reproduction du f° 260 bis du manuscrit - - - - - TABLE DU TOME PREMIER - - NOTE DE L'ÉDITEUR vii - - INTRODUCTION.--Le manuscrit de la Vie de Henri Brulard, par Henry Debraye xix - CHAPITRE Ier - CHAPITRE II - CHAPITRE III - CHAPITRE IV - CHAPITRE V.--Petits souvenirs de ma première enfance - CHAPITRE VI - CHAPITRE VII - CHAPITRE VIII - CHAPITRE IX - CHAPITRE X.--Le maître Durant - CHAPITRE XI.--Amar et JHerlinot - CHAPITRE XII.--Billet Cardon - CHAPITRE XIII.--Premier voyage aux Échelles - CHAPITRE XIV.--Mort du pauvre Lambert - CHAPITRE XV - CHAPITRE XVI - CHAPITRE XVII - CHAPITRE XVIII.--La première communion - CHAPITRE XIX - CHAPITRE XX - CHAPITRE XXI - - - -TABLE ALPHABÉTIQUE - - -La table alphabétique que nous donnons ici est très succincte -et indique simplement les noms de personnes, sans aucun détail -biographique. Une table alphabétique plus détaillée formera le -dernier volume des _Œuvres complètes de Stendhal._ - - - - A - - Adrets (le baron des) - Adrets (Mme des), femme du précédent - Alembert (d') - Alexandre - Alexandrine. Voyez: Petit (la comtesse Alexandrine). - Alfieri - Allard (Guy), généalogiste grenoblois - Allard du Plantier, cousin de Stendhal - Allier, libraire à Grenoble - Amalia - Amar, représentant du peuple - Ampère - Ancelot (Mme) - Angela. Voyez: Pietragrua (Angela). - Anglès (le comte), camarade de Stendhal, plus - tard préfet de police - Anglès (Mme), femme du précédent - Anthon (d'), conseiller au parlement de Grenoble - Arago - Argens (le marquis d') - Argout (le comte d') - Aribert, camarade de Stendhal - Arioste (l') - Aristote - Arlincourt (d') - Artaud, traducteur de Dante - Aubernon - Aubernon (Mme), femme du précédent - Augué des Portes (Mme et Mlles), sœur et nièces de - Mme Cardon - Azur (Mme). Voyez: Rubempré (Alberthe de). - - - B - - Babet, maîtresse de Stendhal - Bacon - Bailly (Mlles), marchandes de modes à Grenoble - Bailly (Mme de) - Balzac (Guez de) - Barberen (Mlle), associée et maîtresse de Rebuffet - Barberini - Barbier, fermier des Beyle à Claix - Barilli, acteur de l'Odéon de Paris - Barilli (Mme), actrice de l'Odéon de Paris, femme - du précédent - Barnave - Barral-Montferrat (le marquis de), président au parlement - de Grenoble, puis Premier Président de la cour d'appel de - Grenoble - Barral (le comte Paul de), fils du précédent - Barral (le vicomte Louis de), fils et frère des précédents, - ami de Stendhal - Bartelon - Barthélemy (Mme), cordonnière à Grenoble - Barthélemy d'Orbane, avocat consistorial au parlement - de Grenoble - Barthélemy (le chanoine), frère du précédent - Barthomeuf, commis au ministère de la Guerre - Bassano (le duc de) - Basset (Jean-Louis), baron de Richebourg, camarade - de Stendhal - Basville, intendant du Languedoc - Baure (M. de), gendre de Noël Daru - Baure (Mme de), femme du précédent. Voyez: Daru (Sophie). - Bayle (Pierre) - Beau - Beauharnais (Hortense de) - Beaumont (Elie de) - Beauvilliers (le duc de) - Beethoven - Bellier - Bellile (Pépin de). Voyez: Pépin de Bellile. - Belloc (Mme) - Belot (le président), traducteur de Hume - Benoît, camarade de Stendhal à l'École centrale - Benvenuto Cellini - Benzoni (Mme) - Béranger - Bérenger (Raymond de), camarade de Stendhal - Bereyter (Angelina), actrice, maîtresse de Stendhal - Bernadotte, roi de Suède - Bernard - Bernonde (Mme) - Berry (la duchesse de) - Berthier, prince de Neuchâtel - Bertrand (Mme la comtesse) - Berwick, graveur - Besançon. Voyez: Mareste (le baron de). - Beugnot (le comte) - Beugnot (la comtesse), femme du précédent - Beyle (Pierre), grand-père de Stendhal - Beyle (le capitaine), grand-oncle de Stendhal - Beyle (Joseph-Chérubin), père de Stendhal - Beyle (Pauline), sœur de Stendhal, depuis Mme Périer-Lagrange - Beyle (Zénaïde-Caroline), sœur de Stendhal, depuis Mallein - Bezout, auteur d'un manuel de mathématiques - Bigillion - Bigillion (François), fils du précédent, ami de Stendhal - Bigillion (Rémy), frère du précédent - Bigillion (Victorine), fille et sœur des précédents - Bignon (du). Voyez: Du Bignon. - Biot - Blacons (Mlle de) - Blanc - Blanchet (Mlle), puis Mme - Romagnier. Voyez: Romagnier (Mme), cousine de Stendhal. - Blancmesnil (de) - Boccace - Bois - Boissat (Jules-César) - Bonaparte. Voyez: Napoléon. - Bond (Jean), traducteur d'Horace - Bonnard (de) - Bonne (MM.), oncles de Mme Romain Gagnon - Bonne (Mlle), depuis Mme Poncet, mère de Mme Romain Gagnon, I, 161. - Bonoldi, chanteur italienx - Borel (Mme), belle-mère de Mounier - Borel (Mlle), fille de la précédente, - depuis Mme Létourneaux - Borghèse (prince F.) - Bossuet - Bouchage (du). Voyez: Du Bouchage. - Boufflers (le maréchal de) - Bourdaloue - Bourgogne (la duchesse de) - Bourmont (le maréchal de) - Bournon (le maréchal) - Bouvier - Brémont (Mme), depuis Mme de Barral-Montferrat - Brémont, fils de la précédente - Brenier (de) - Brenier (Mme de), femme du précédent. Voyez: Vaulserre (Mlle de). - Brichaud - Brizon (Mme de) - Broglie (le duc de) - Brossard (le général de) - Brossard (Mme de), femme du précédent. Voyez: Le Brun (Mlle Pulchérie). - Brosses (le président de) - Bruce - Brun (Joseph), paysan de Claix - Bruno (saint), fondateur de la Grande-Chartreuse - Buffon - Burelviller (le capitaine) - - - C - - Cabanis - Cachoud, peintre et graveur - Caetani (les princes), amis de Stendhal - Caetani (Michel-Ange) - Caetani (don Philippe), frère du précédent - Caetani (don Rugiero) - Caffe - Cailhava - Calderon - Caletta - Cambon (Mme), fille aînée de Noël Daru - Cambon (Mlle), fille de la précédente - Campan (Mme) - Cardan, mathématicien italien - Cardon (Mme) - Cardon (Edmond), fils de la précédente, ami de Stendhal - Cardon de Montigny, fils du précédent - Carnot - Cartaud (le général) - Castellane (Mme Boni de) - Caton d'Utique - Cauchain (le comte de) - Cauchain (le général de), oncle du précédent - Caudey (Mlles), marchandes de modes à Grenoble - Caudey, leur frère - Cavé - Caylus (Mme de) - Cervantes - Chaalons - Chabert, professeur de Stendhal - Chaléon (M. de) - Chalvet, professeur à l'École centrale de Grenoble - Champel - Charbonot, charpentier à Claix - Charost (le duc de) - Charrière (Sébastien) - Chateaubriand - Chatel - Chavand (Mlle), maîtresse d'écriture à Grenoble - Chazel, camarade de Stendhal - Chélan (l'abbé), curé de Risset - Cheminade, camarade de Stendhal - Chenavaz (Mme) - Chenavaz (Candide), fils de la précédente - Chevreuse (le duc de) - Chieze - Choderlos de Laclos. Voyez: Laclos (Choderlos de). - Cimarosa - Clairaut, auteur d'un manuel de mathématiques - Clapier (le docteur) - Clara, Clara Gazul. Voyez: Mérimée (Prosper). - Clarke (Mlle) - Clémentine. Voyez: Menti. - Clermont-Tonnerre (de), gouverneur du Dauphiné - Clerichetti (Antonio) - Clet, cousin de Stendhal - Cochet (Mlle) - Coissi - Collé - Colomb, cousin de Stendhal - Colomb (Mme) femme du précédent - Colomb (Romain), fils des précédents, ami de Stendhal - Condillac - Condorcet - Condorcet (Mme), femme du précédent. Voyez: Grouchy (Sophie). - Constantin (Abraham), peintre - Corbeau (de) - Corday (Charlotte) - Corneille - Cornélius Nepos - Corner (André) - Corrège - Courchamp - Courier (Paul-Louis) - Court ds Gebelin - Couturier - Crobras (l'abbé) - Crozet (Louis), ami de Stendhal - Cuvier (Georges, baron) - - - D - - Damoreau (Mme) - Dante - Daru (Noël) - Daru (Mme), femme du précédent - Daru (le comte Pierre), fils des précédents - Daru (Mme la comtesse), femme du précédent - Daru (Martial), frère du comte Pierre Darux - Daru (Mlle Sophie), depuis Mme de Baure - Daru (Mlles). Voyez: Cambon (Mme); Le Brun (Mme). - Dausse - Debelleyme, préfet de policex - Delavigne (Casimir) - Delécluze - Delille - Del Monte (Mme) - Dembowski (Mathilde), appelée Métilde par Stendhal - Denis d'Halicarnasse - Des Adrets (le baron). Voyez: Adrets (le baron des). - Desfontaines (l'abbé), traducteur de Virgile - Destouches - Destutt de Tracy. Voyez: Tracy (Destutt de). - Diane (Mlle) - Diday (Maurice), camarade de Stendhal - Diderot - Didier (Mme), cousine de Stendhal - Di Fiore, ami de Stendhal - Dijon - Diphortz (Mme de) - Dittmer - Dolle le Jeune - Domeniconi, acteur italien - Dominiquin (le) - Donizetti - Dorat - Doyatx - Drevon - Drier, cousin de Stendhal - Du Barry (Mme - Du Bignon - Dubois-Fontanelle, professeur à l'École centrale - de Grenoble - Dubos (l'abbé) - Du Bouchage - Duchesne - Duchesnois (Mlle), actrice de la Comédie française - Duclos - Ducros (le Père), bibliothécaire de la ville de Grenoble - Dufay. Voyez: Grand-Dufay. - Dufour (le colonel) - Dugazon, actrice - Dulauron (Mme). Voyez: Menand-Dulauron (Mme). - Dumolard (l'abbé), curé de La Tronche - Dupéron (Jeanne), grand'mère paternelle de Stendhal - Dupin aîné - Dupuy, professeur à l'École centrale de Grenoble - Durand, précepteur de Stendhal, professeur à l'École centrale - de Grenoble - Duroc, duc de Frioul - Duvergier de Hauranne - - - E - - Edwards (le docteur) - Esménard - Euler - Euripide - Exelmans (le maréchal) - - - F - - Fabien, maître d'armes à - Falcon, libraire à Grenoble - Fanchon, servante de Romain Gagnon aux Échelles - Faure (Félix), pair de France, ami de Stendhal - Faure (Frédéric), frère du précédent - Faure (Michel), frère des précédents - Faure, père des précédents - Fauriel - Fauriel (Mme), femme du précédent. Voyez: Grouchy (Sophie). - Festa (Mme), actrice italienne - Feydeau - Fielding - Fieschi - Fiore (di) - Fioravanti - Fitz-James (le duc de) - Fleury (l'abbé) - Florian - Foix (le duc de) - Fontanelle. Voyez: Dubois-Fontanelle. - Fontenelle - Forisse - Fourcroy - Foy (le général) - Français de Nantes - Françoise, servante des Beyle - Frioul (duc de). Voyez: Duroc, duc de Frioul. - - - G - - Gagnon (Elisabeth), grand'tante de Stendhal - Gagnon (le docteur Henri), grand-père de Stendhal - Gagnon (Henriette), mère de Stendhal - Gagnon (Séraphie), tante de Stendhal - Gagnon (Romain), oncle de Stendhal - Gagnon (Oronce), fils du précédent - Galle, camarade de Stendhal - Galle (Mme), mère du précédent - Gardon (l'abbé) - Gattel (l'abbé), professeur à l'École centrale de Grenoble - Gauthier (les frères), camarades de Stendhal - Gaveau - Geneviève, servante des Beyle - Genoude, ou de Genoude - Geoffrin (Mme) - Gérard (le baron) - Gibbon - Gibory, chef d'escadron - Giraud (Mme), tante de Mme Romain Gagnon - Giroud, libraire à Grenoble - Giroud, camarades de Stendhal - Giulia, Giul - Goethe - Gorse ou Gosse - Gouvion-Saint-Cyr (le maréchal) - Gozlanx - Grand-Dufay, camarade de Stendhal - Graves (la marquise de). Voyez: Le Brun (Mme). - Grétry - Grisheim (Mlle Mina de) - Gros, géomètre grenoblois, professeur de Stendhal - Gros, peintre - Grouchy (Sophie), depuis Mme de Condorcet, puis Mme Fauriel - Grubillon fils - Guettard, minéralogiste grenoblois - Guilbert (Mélanie), actrice, maîtresse de Stendhal - Guillabert (l'abbé) - Guise (le duc de) - Guitri (Umbert) - Guizot - Gutin, marchand de draps dauphinois - Guyardet - - - H - - Hampden - Harcourt (le duc d') - Haxo (le général) - Hélie (l'abbé), curé de Saint-Hugues de Grenoblex - Hélie (Ennemond), camarade de Stendhal - Helvétius - Herrardx - Hippocratex - Hoffmann, professeur de clarinette à Grenoble - Holleville, professeur de violon à Grenoble - Homèrex - Horacex - Houdetot (d') - Hugo (Victor) - Hume - Humières (le duc d') - - - I - - Ingres - - - J - - Jacquemont (Victor) - - Jay, peintre, professeur à l'École centrale de Grenoble - Jeki (le Père) - Joinville (le baron) - - JOMARD - Joubert, précepteur de Stendhal - Jussieu (Adrien de) - Jussieu (Antoine de) - - - K - - Kably (Virginie), actrice - Kellermann - Kératry (de) - Kersanné - Koreff - - - L - - La Bayette (de), camarad de Stendhal - La Bruyère - Laclos (Choderlos de) - Lacoste (de) - Lacroix, géographe - La Feuillade (le duc de) - La Fontaine - Lagarde - Lagrange - Laharpe - Laisné (le vicomte) - Lamartine - Lambert, valet de chambre d'Henri Gagnon - Lamoignonx - Lannes (le maréchal) - La Passe (le vicomte de) - La Peyrouse (de) - Laplace (de) - La Rive, acteur - La Rochefoucauld (le duc de) - La Rocheguyon (le duc de) - Lasalle (le général) - La Valette (de) - La Valette (Mme) - La Valette (Mlle de) - La Vallière (Mlle de) - Le Brun (Mme), fille de Noël Daru, depuis marquise de Gravesx - Le Brun (Mlle Pulchérie), fille de la précédente, depuis - marquise de Brossard - Lefèvre, perruquier à Grenoble - Legendre - Léger, tailleur à Paris - Léopold de Syracuse, prince de Naples - Lerminier - Le Roy, professeur de peinture de Stendhal à Grenoble - Le Roy (Mme), femme du précédent - Lesdiguières (le connétable de) - Lesdiguières (le duc de) - Létourneau - Létourneau (Mme), femme du précédent. Voyez: Borel (Mlle). - Létourneau (Mlle), depuis Mme Maurice Diday - Letourneur, traducteur de Shakespeare - Letronne - Linné - Lorrain (Claude) - Louis le Gros - Louis XI - Louis XIV - Louis XV - Louis XVI - Louis XVIII - Louis-Philippe Ier - Luther (Martin) - - - M - - Mably - Machiavel - Mâcon - Maintenon (Mme de) - Maistre (Mlle Thérésine de) - Maistre (le comte Xavier de), frère de la précédente - Mallein (Abraham), beau-père de Zénaïde Beyle - Mallein (Alexandre), fils du précédent, beau-frère de Stendhal - Manelli, paysan italien - Mante, ami de Stendhal - Marcieu (de) - Marcieu (le chevalier de) - Marcieu (Mme de) - Mareste (le baron Adolphe de), surnommé par Stendhal Besançonx - Maria (dona), reine de Portugal - Marie (l'abbé), mathématicien - Marie-Antoinette - Marion, servante des Gagnon. Voyez: Thomasset (Marie). - Marmont (le maréchal), duc de Raguse - Marmontel - Marnais (Mmes de) - Marot (Clément) - Marquis, camarade de Stendhal - Martin - Martin (Joséphine), cousine de Stendhal - Martin (Mme) - Masséna (le maréchal) - Massillonx - Mathis (le colonel) - Maupeou (de) - Maximilien-Joseph, roi de Bavière - Mayousse, paysan de Claix - Mazoyer, commis au ministère de la Guerre - Meffrey (le comte de) - Menand-Dulauron (Mme) - Mengs - Menti, Menta (Clémentine) - Mention, professeur de violon à Grenoblex - Mérimée (Prosper), appelé par Stendhal Clara ou Clara Gazul - Mérimée (Mme), femme du précédent - Merlinot, représentant du peuple - Merteuil (Mme de). Voyez: Montmort (Mme de). - Métilde. Voyez: Dembowski (Mathilde). - Meyerbeer - Michaud (le général) - Michel-Ange - Michel, tailleur à Paris - Michoud, camarade de Stendhal - Mignet - Milai (Bianca) - Mirabaud, traducteur de l'Arioste - Milne-Edwards - Ming - Mirepoix (Mme de) - Molé, ministre des Affaires étrangères en 1830 - Moncrif - Monge - Monge (Louis), frère du précédent - Montaigne - Montesquieu - Montesquiou (le général) - Montfort (le duc de) - Montmort (Mme Duchamps de) - Monval (les frères de), camarades de Stendhalx - Moore (Thomas) - Morard de Galles (l'amiral) - Moreau le Jeune - Morey - Morgan (lady) - Morlon (le Père) - Moulezin, camarade de Stendhal - Mounier, marchand de drap à Grenoblex - Mounier, fils du précédent, conventionnel, préfet de Rennes - Mounier (Edouard), fils du précédent - Mounier (Victorine), sœur du précédent - Mozart - Muller, graveur - Munichhausen (le grand chambellan de) - Murat, roi de Naples - - - N - - Napoléon Ier - Navizet, entrepreneur de chamoiserie à Grenoble - Naytall (le chevalier) - Nelson (l'amiral) - Ney (le maréchal) - Nicolas (l'empereur) - Nivernais (le duc de) - Nodier (Charles) - Numa Pompilius - - - O - - Odru, camarade de Stendhal - Olivier (le général) - Orbane (Barthélemy d'). Voyez: Barthélemy d'Orbane. - Ornisse (? la comtesse) - Ossian - Ovide - - P - - Paisiello - Pajou - Panseron - Pariset - Parny - Pascal (César) - Passe (le vicomte de la). Voyez: La Passe (le vicomte de). - Pasta (Mme), actrice - Pastoret (de) - Penet, camarade de Stendhal - Pépin de Bellile - Périer (Claude), dit milord - Périer (Amédée), fils du précédent - Périer (Augustin), frère du précédent - Périer (Camille), frère des précédents - Périer (Joseph), frère des précédents - Périer (Casimir), ministre, frère des précédents - Périer (Scipion), frère des précédents - Périer (Elisabeth-Joséphine), depuis Mme Savoye de - Rollin, sœur des précédents - Périer (Mlle Marine), depuis Mme Teisseire, sœur des - précédents - Périer-Lagrange, voisin des Gagnon - Périer-Lagrange (Mme) femme du précédent - Périer-Lagrange, fils des précédents, beau-frère de Stendhal - Perlet, publiciste à Paris - Perrot d'Ablancourt - Peroult - Petiet (Mme) - Petiet (le baron Auguste), fils de la précédente - Petiet (Mme), femme du précédent. Voyez: Rebuffet (Adèle). - Petit (la comtesse Alexandrine) - Philippe-Auguste - Piat-Desvials (Mme) - Picard - Pichegru (le général) - Pichot (Amédée) - Picot le père - Pietragrua (Angela), maîtresse de Stendhal - Pina (de), camarade de Stendhal, maire de Grenoble - Pinto (le commandeur) - Pipelet (Constance), depuis princesse de Salm-Dyck - Pison-Dugalland (Mme), cousine de Stendhal - Plana, ami de Stendhal - Plana, pharmacien à Grenoble - Pline - Poitou (le baron) - Poltrot de Méré - Poncet (Mme), mère de Mme Romain Gagnon. Voyez: Bonne (Mlle). - Poncet (Camille), femme de Romain Gagnon - Poncet (Mlle), sœur de Mme Romain Gagnon - Poncet, menuisier à Grenoble - Pope - Portal (le docteur) - Poulet, gargotier à Grenoble - Poussi - Pozzi (Mme) - Précy - Prévost (l'abbé) - Prié, camarade de Stendhal - Prunelle, médecin, maire de Lyon - Ptolémée - Pyrrhus - - - Q - - Quinsonnas (de) - Quinsonnas (Mme de), femme du précédent - Quinte-Curce - - R - - Racine, I - Raillane (l'abbé), précepteur de Stendhal - Raimonet - Raindre - Rambault (l'abbé) - Raphaël - Raymond - Ravix (M. de) - Rebuffet ou Rebuffel (Jean-Baptiste), neveu de Noël Daru, - Rebuffet (Mme), femme du précédent - Rebuffet (Mlle Adèle), fille des précédents, depuis - Mme Auguste Petiet. - Regnault de Saint-Jean-d'Angély (le comte) - Renauldon, maire de Grenoble, gendre de Dubois-Fontanelle - Renauldon (Ch.), fils du précédent - Renault, peintre, directeur d'une académie à Paris - Renneville (de) - Renneville (de), fils du précédent, camarade de Stendhal - Renouvier, prévôt d'armes à Paris - Revenas (l'abbé) - Rey - Rey (l'abbé), grand-vicaire de Grenoble - Rey (le chanoine) - Rey (Mlle), sœur du précédent - Rey, notaire, oncle de Stendhal - Rey (Mme), femme du précédent - Rey (Edouard), fils des précédents - Reybaud ou Reyboz, épicier à Grenoble - Reytiers, camarade de Stendhal - Richardson - Richebourg (le baron de). Voyez: Basset (Jean-Louis). - Richelieu (le duc de) - Rietti (Mlle) - Rivaut (le général) - Rivière (Mlles) - Roberjot - Robert - Robespierre - Roederer - Roland (Alphonse) - Roland (Mme) - Rollin - Romagnier (M.), cousin de Stendhal - Romagnier (Mme), femme du précédent - Romulus, I - Rosset, appelé aussi Sorel par Stendhal - Rosset (Mme), femme du précédent - Rossini - Rouget de Lisle - Rousseau (Jean-Jacques) - Roy (Mme) - Royaumont - Royer (Louis) - Royer gros-bec - Rubempré (Alberthe de), maîtresse de Stendhal - Rubichon - - - S - - Sacy (Silvestre de) - Sadin (l'abbé), curé de Saint-Louis de Grenoble - Saint-Ferréol (de), camarade de Stendhal - Saint-Germain (Mme), sœur de Barnave - Saint-Marc Girardin - Saint-Priest (de), intendant du Languedoc - Saint-Simon - Saint-Vallier (de) - Saint-Vallier (le sénateur, comte de) - Saint-Vallier (Mlle Bonne de) - Sainte-Aulaire - Salluste - Salm-Dyck (prince de) - Salm-Dyck (princesse de), femme du précédent. - Voyez: Pipelet (Constance). - Salvandy (de) - Sandre (la comtesse) - Santeuil - Sassenage (Mme de) - Savoye de Rollin (le baron) - Savoye de Rollin (Mme), femme du précédent. - Voyez: Périer (Elisabeth-Joséphine). - Say (Jean-Baptiste) - Schiller - Scott (Walter) - Sébastiani (le général) - Senterre, cousin de Stendhal - Shakespeare. - Sharpe (Sutton). Voyez: Sutton Sharpe. - Sieyès (l'abbé) - Simon (Mlle) - Sinard (de), camarade de - Stendhal - Sixte IV, pape - Smith (Adam) - Smith, physicien - Smolett - Sophocle - Sorel (M. et Mme). Voyez: Rosset. - Soulié - Soult (le maréchal) - Suchet (le maréchal) - Suétone - Sutton Sharpe, ami de Stendhal - - - T - - Tachinardi - Tacite - Talaru (Mme de) - Talleyrand (le prince de) - Tasse (le) - Tavernier (Lysimaque), chancelier du consulat de - France à Cività-Vecchiax - Teisseire - Teisseire (Camille) - Teisseire (Mme Camille), femme du précédent. - Voyez: Périer (Marine). - Teisseire (Mme) - Teisseire (Paul-Emile), camarade de Stendhal - Ternaux - Terrasson (l'abbé) - Thénard - Thierry (Augustin) - Thiersx - Thomas - Thomasset (Marie), dite Marion, servante des Gagnon - Thucydide - Tiarinix - Tite-Livex - Toldi (Mme), actricex - Torrigiani (le marquis) - Tortelebeaux - Tournusx - Tourte, maître d'écriture de Pauline Beylex - Tourte (l'abbé), frère du précédent - Tracy (Destutt de) - Treillard, camarade de Stendhal - Tressan (de), traducteur de l'Ariostex - Trousset, professeur à l'École centrale de Grenoble - Turenne (de) - Turquin - - - U - - Urbain VIII, pape - - - V - - Vasari - Vaucanson - Vaudreuil (de) - Vaulserre (de) - Vaulserre (Mme de), femme du précédent - Vaulserre (Mlle de), depuis Mme de Brenier - Vaux (le maréchal de) - Vial (Jean), jardinier des Beyle à Claix - Vigano - Vignon (Mme), amie de Séraphie Gagnon - Vignon (Mlle), fille de la précédentex - Villars (le duc de) - Villèle (de) - Villemain - Villonne, professeur de dessin à Grenoble - Virgile - Voltaire - - - W - - Weymar (Loïs) - - - - - -End of Project Gutenberg's Vie de Henri Brulard, tome 1 (of 2), by Stendhal - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VIE DE HENRI BRULARD, TOME 1 *** - -***** This file should be named 53749-0.txt or 53749-0.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/3/7/4/53749/ - -Produced by Laura Natal Rodriguez and Marc D'Hooghe at -Free Literature (back online soon in an extended version, -also linking to free sources for education worldwide ... -MOOC's, educational materials,...) Images generously made -available by Gallica (Bibliothèque nationale de France.) - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm -concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, -and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive -specific permission. If you do not charge anything for copies of this -eBook, complying with the rules is very easy. 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By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all -the terms of this agreement, you must cease using and return or -destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your -possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a -Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound -by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the -person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph -1.E.8. - -1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be -used on or associated in any way with an electronic work by people who -agree to be bound by the terms of this agreement. 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It -exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations -from people in all walks of life. - -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's -goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg-tm and future -generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see -Sections 3 and 4 and the Foundation information page at -www.gutenberg.org - - - -Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by -U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the -mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its -volunteers and employees are scattered throughout numerous -locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt -Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to -date contact information can be found at the Foundation's web site and -official page at www.gutenberg.org/contact - -For additional contact information: - - Dr. Gregory B. Newby - Chief Executive and Director - gbnewby@pglaf.org - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide -spread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. 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You may copy it, give it away or re-use it under the terms of -the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: Vie de Henri Brulard, tome 1 (of 2) - -Author: Stendhal - -Release Date: December 17, 2016 [EBook #53749] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VIE DE HENRI BRULARD, TOME 1 *** - - - - -Produced by Laura Natal Rodriguez and Marc D'Hooghe at -Free Literature (back online soon in an extended version, -also linking to free sources for education worldwide ... -MOOC's, educational materials,...) Images generously made -available by Gallica (Bibliothèque nationale de France.) - - - - - - -</pre> - - -<div class="figcenter" style="width: 500px;"> -<img src="images/cover.jpg" width="500" alt="" /> -</div> - -<h1>VIE</h1> - -<h3>DE</h3> - -<h1>HENRI BRULARD</h1> - -<h3>Par</h3> - -<h2>STENDHAL</h2> - -<h4>PUBLIÉE INTÉGRALEMENT POUR LA PREMIÈRE FOIS</h4> - -<h4>D'APRÈS LES MANUSCRITS DE LA BIBLIOTHÈQUE DE GRENOBLE</h4> - -<h5>PAR</h5> - -<h4>HENRY DEBRAYE</h4> - -<h4>Ancien élève de l'École des chartes<br /> -Archiviste de la ville de Grenoble</h4> - -<h5>TOME PREMIER</h5> - -<h5>AVEC NOTE DE L'ÉDITEUR, INTRODUCTION<br /> -ET CINQ PLANCHES HORS TEXTE</h5> - -<h5>PARIS</h5> - -<h5>LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ ET ÉDOUARD CHAMPION<br /> -5, Quai Malaquais, VI<sup>e</sup></h5> - -<h5>1913</h5> -<hr class="full" /> -<p><span class="pagenum"><a name="Page_vii" id="Page_vii">[p. vii]</a></span></p> - - -<div class="figcenter" style="width: 475px;"> -<a id="stend001"></a> -<img src="images/stend001.jpg" width="475" alt="" /> -<p class="caption">Portrait de Stendhal jeune.</p> -</div> - - - -<hr class="chap" /> -<h4><a name="NOTE_DE_LEDITEUR" id="NOTE_DE_LEDITEUR">NOTE DE L'ÉDITEUR</a></h4> - - -<p>Nous tentons pour la première fois de donner au public lettré les -œuvres complètes de Stendhal. L'édition publiée par MM. Calmann-Lévy, -en volumes d'aspects et de mérites divers, n'est pas complète et ne -répond pas aux exigences de la critique moderne, encore qu'elle ait -rendu de grands services, que la notice de Mérimée, notamment, placée -à la tête de la <i>Correspondance</i> ait été longtemps le seul guide des -Stendhaliens, et que la publication récente du <i>Journal d'Italie</i> par -M. Arbelet soit un modèle de sagace érudition. Les ouvrages posthumes -sont dispersés chez différents libraires ou dans des revues quelquefois -peu accessibles; plusieurs sont épuisés ou demeurent introuvables. Rien -de plus difficile à constituer qu'une collection des œuvres de Stendhal -comme celle qu'a réunie,<span class="pagenum"><a name="Page_viii" id="Page_viii">[p. viii]</a></span> au siège du Stendhal-Club, l'archiviste zélé -et obligeant, M. Paupe.</p> - -<p>Si l'on songe à l'influence de Stendhal sur les esprits les plus -notoires de notre génération, si l'on réfléchit à la substance de son -œuvre, on reste surpris que le dessein d'en donner une édition complète -n'ait tenté aucun de nos grands libraires si audacieux et si avisés. -Sans doute ils ont jugé l'entreprise trop malaisée. Stendhal semble -avoir pris plaisir à dérouter ses futurs éditeurs par l'énigme de son -écriture, de ses signes particuliers, de son langage conventionnel. Il -s'enveloppe d'ombre et de mystère. Il faut d'abord l'avoir bien prié, -ou bien maltraité, pour qu'il se dévoile. Et c'est ainsi que m'a été -laissé le soin de l'éditeur.</p> - -<p>Stendhal avait légué son manuscrit de <i>Brulard</i> au plus âgé des -libraires de Londres et dont le nom commençait par un C.; ce sera le -plus jeune des libraires de Paris dont le nom commence par un C. qui -recueillera pieusement son legs.</p> - -<p>Un érudit plus qualifié avait accepté de diriger notre entreprise et -de mener à bien cette lourde tâche. Il savait tout de Stendhal et -n'ignorait rien de Beyle. J'ai nommé Casimir Stryienski, trop tôt -enlevé aux lettres et aux études historiques. J'avais jugé naturel -et nécessaire de lui offrir la direction de cette œuvre, il l'avait -acceptée dans des termes dont je reste encore confus, mais je ne fus -pas moins surpris de sa retraite quand je lui<span class="pagenum"><a name="Page_ix" id="Page_ix">[p. ix]</a></span> demandai de revoir les -textes sur les manuscrits de Stendhal qui sont parvenus jusqu'à nous. -«Toute réflexion faite, je ne puis me charger de ce grand labeur. -Cette édition complète de Stendhal représente un travail considérable: -recherches, corrections d'épreuves, contrôles divers. Tout cela est -au-dessus de mes forces. Il y a dix ans j'aurais accepté. J'ai, du -reste, des travaux nombreux en vue qui me suffisent, et je considère -ma tâche stendhalienne comme finie. Que les autres profitent de tout -ce que j'ai publié... Il va sans dire que je reste à la disposition -de vos collaborateurs et que je serai très heureux de leur donner des -conseils...» (19 février 1912).—«Je comprends votre insistance -très aimable. Je vois bien, au point où j'en suis, quel profit vous -retireriez de mon nom, mais permettez-moi de vous confesser que -j'ai mieux à faire à mon âge...» (20 février 1912). Il s'était -cependant «ravisé pour un unique volume (<i>Brulard</i>)», «le premier -des œuvres complètes», mais ce projet fut définitivement abandonné -quand j'exprimais ma volonté absolue de corriger les épreuves sur le -manuscrit conservé à la Bibliothèque de Grenoble et d'y relever les -variantes et les inédits. N'est-ce pas là un détail à noter au chapitre -Brulard de l'excellente <i>Histoire des œuvres?</i></p> - -<p>Je devais ces explications aux nombreux amis connus ou inconnus qui, -au courant de mes projets, se sont étonnés de la publication en juin -dernier<span class="pagenum"><a name="Page_x" id="Page_x">[p. x]</a></span> d'une nouvelle édition de la <i>Vie de Henri Brulard</i> à la -librairie de mon excellent confrère, M. Émile Paul. Si C. Stryienski -l'a rééditée, quelques jours seulement avant le tragique accident où -il devait trouver la mort, alors qu'il n'ignorait rien de mon projet, -n'était-ce pas pour affirmer sa méthode d'éditeur? Il l'avait indiquée -dès la première édition: «Fort de la permission de Beyle, j'ai -reproduit presque entièrement le texte, me permettant toutefois de -supprimer les redites et de couper quelques longueurs». «Toutefois», -ajoutait-il, «j'ai fort peu profité de cette permission, je -suppose que les lecteurs ne s'en plaindront pas». La réédition -Émile Paul (1912), presque textuelle, sauf quelques corrections -(dont l'une, proposée par M. J. Bédier, acceptée sans vérification, -n'est pas confirmée par l'examen du manuscrit), affirme donc un -dessein déterminé: elle soulève un problème de méthode, qui a ici son -importance.</p> - -<p>M. Paul Arbelet, l'un des plus savants et des plus compétents -beylistes, a défendu par avance la mémoire de celui qu'il désigne à -juste titre comme l'inventeur de Stendhal<a name="NoteRef_1_1" id="NoteRef_1_1"></a><a href="#Note_1_1" class="fnanchor">[1]</a>: «Il fallait glaner -et extraire: œuvre personnelle que chacun entend à sa façon, œuvre -difficile où l'on ne saurait contenter tout le monde, mais qui est ici -inévitable. Et il faut admirer Stryienski si, du premier coup,<span class="pagenum"><a name="Page_xi" id="Page_xi">[p. xi]</a></span> il -sut aller à l'essentiel...» Par l'effet de mon éducation peut-être, -par scrupule de vérité historique certainement, je ne puis accepter -cette manière de voir. Dès qu'il s'agit d'une autobiographie, on doit -tout publier. Le lecteur fera lui-même son choix. Autrement l'on -risque de trahir l'auteur; et même lorsqu'il vous invite à les faire, -les coupures ne sont pas légitimes, puisqu'il ne les a pas opérées -lui-même. «Souviens-toi de te méfier», disait cet ami de Stendhal, -Prosper Mérimée, le malicieux auteur de <i>H. B.</i> Appliquons ici cet -axiome. Qui jurerait qu'après la publication de ce nouveau <i>Brulard</i> -que voici, avec cent et quelques pages inédites, qu'après la nouvelle -édition du <i>Journal</i> et la publication des tomes dédaignés par les -précédents éditeurs, un jugement comme celui de M. Paul Bourget, par -exemple, ne serait pas à réviser? Et certainement les biographies, -celle de E. Rod, celle de M. Arthur Chuquet, pourtant si studieuse et -si bien documentée, les études de Stryienski lui-même, sont toutes -à revoir, comme les <i>Pages choisies</i> de M. Léautaud à compléter. -Nous ne croyons donc pas prudent de faire une œuvre personnelle en -choisissant là où l'auteur n'a pas voulu le faire. Si nous ne publions -pas tout des 72 in-folios manuscrits de la Bibliothèque de Grenoble, -ce sera—absolument d'accord avec M. P. Arbelet—pour éliminer les -versions latines de l'élève Beyle ou les copies d'ouvrages exécutés<span class="pagenum"><a name="Page_xii" id="Page_xii">[p. xii]</a></span> -dans l'ennui d'un consulat. Je ne publierai pas comme de Stendhal des -fragments du <i>Dictionnaire philosophique</i> de Bayle, et j'éviterai de -rééditer le <i>Code civil</i>, quand Henri Beyle s'est calmé à en copier les -articles les plus concis.</p> - -<p>Voici le plan de notre édition.</p> - -<p>En ce qui concerne les ouvrages de Stendhal dont nous avons pu -retrouver des manuscrits authentiques dans les bibliothèques publiques -ou privées, nous avons reproduit scrupuleusement la leçon de ces -manuscrits. Quand les originaux ont disparu, nous suivons la dernière -édition imprimée du vivant de l'auteur. Les variantes des éditions -précédentes seront notées exactement, et, comme nous l'avons fait pour -<i>Brulard</i>, rejetées à la fin, avec les notes. Celles-ci ne contiendront -que l'essentiel. Chaque volume sera accompagné d'illustrations -documentaires propres à situer l'œuvre et à l'éclairer.</p> - -<p>Les époques de publication seront variables: il paraîtra par an -environ quatre volumes suivant, autant que possible, un ordre logique -et rationnel. Après <i>Brulard</i>, où Stendhal raconte sa jeunesse, -suivront le <i>Journal</i> et les <i>Souvenirs d'égotisme</i>, pour en finir -avec l'autobiographie. Sans doute ne résisterons-nous pas au plaisir, -avant de continuer l'édition des œuvres connues, de publier certains -inédits. Il en est ainsi d'une série d'articles écrits par Stendhal -sur la littérature, les beaux-arts et la société.<span class="pagenum"><a name="Page_xiii" id="Page_xiii">[p. xiii]</a></span> Imprimés, après -traduction, dans diverses revues anglaises, le <i>Monthly Review</i>, le -<i>London Magazine</i>, la <i>Revue Britannique</i>, entre 1820 et 1830, ils ont -été retrouvés et traduits en français par Miss Doris Gunnell, maître de -conférences à l'université de Leeds, et sont comme les preuves de son -très utile ouvrage <i>Stendhal et l'Angleterre.</i></p> - -<p>Ils forment la matière de quatre volumes de manuscrits in-folios, et -feront l'objet d'une publication à laquelle Miss Doris Gunnell et M. -Émile Henriot ont accepté de donner leurs soins, en se chargeant de -mettre en ordre et de présenter au public ces documents inédits.</p> - -<p>Les volumes publiés du vivant de Stendhal paraîtront dans l'ordre de -leur première date de publication: <i>Vies de Haydn, Mozart et Métastase; -Histoire de la peinture en Italie; Rome, Naples, Florence</i>, etc., etc.</p> - -<p>La correspondance sera réservée pour les derniers volumes: chaque jour -elle s'augmente, et notre édition aidant, nos appels étant entendus, il -ne restera plus bientôt, nous l'espérons, aucun trésor caché et nous -pourrons enfin donner une édition complète des Lettres de Beyle.</p> - -<p>Je souhaite aussi que, certaines riches archives privées m'étant -ouvertes, j'y puisse relever des annotations mises par l'auteur de la -<i>Chartreuse</i> en marge de ses lectures. A en juger par celles qui ont -été publiées déjà, la moindre de ses remarques a de<span class="pagenum"><a name="Page_xiv" id="Page_xiv">[p. xiv]</a></span> l'intérêt—et -elles en présentent toutes pour l'histoire de la formation -intellectuelle de Stendhal.</p> - -<p>Le tout dernier volume sera consacré à une table générale des noms -propres de personnes et de lieux, réels ou fictifs, figurant dans -l'œuvre entière.</p> - -<p>Entre temps aura paru une bibliographie de Stendhal, due à M. Cordier, -le savant membre de l'Institut. C'est le complément indispensable de -toute édition. M. Cordier a fait ses preuves d'érudition stendhalienne. -En nous apportant tout de suite le résultat de son expérience et de -ses recherches, en éclairant l'œuvre parfois cachée et mystérieuse de -Stendhal, en mettant de l'ordre et de la clarté dans les travaux des -Stendhaliens, depuis qu'il y en a et qui écrivent, il aura rendu un -inappréciable service tant à nous-mêmes qu'à nos lecteurs. Une notice -iconographique par M. Octave Uzanne, avec l'indication des gravures, -dessins, tableaux, est également dans notre programme.</p> - -<p>Chacun de nos volumes sera présenté à l'aide de substantielles préfaces -par l'élite des écrivains contemporains que notre œuvre intéresse et -qui l'encouragent: Charles Maurras (<i>Rome, Naples, Florence</i>); Rémy de -Gourmont (<i>De l'Amour</i>); G. d'Annunzio (<i>Promenades dans Rome</i>); Henry -Roujon (<i>Mélanges d'Art</i>), etc., pour n'en citer que quelques-uns et -suivant l'ordre de publication.<span class="pagenum"><a name="Page_xv" id="Page_xv">[p. xv]</a></span> MM. Anatole France et Maurice Barrès -nous ont promis leur précieux concours pour l'<i>Abbesse de Castro</i> -et la <i>Chartreuse de Parme.</i> Notons ici que cette édition de la -<i>Chartreuse</i> sera rendue nouvelle par les appendices où seront relevés, -d'après l'exemplaire si précieux de l'érudit grenoblois M. Chaper, les -corrections et additions qu'y fit Stendhal après le fameux article de -Balzac, quand il cherchait «le caractère de perfection, le cachet -d'irréprochable beauté» que lui conseillait le directeur de la <i>Revue -Parisienne.</i></p> - -<p>Le soin de mettre au point l'édition de <i>Brulard</i>, du <i>Journal</i>, de -<i>Lucien Leuwen</i>, de <i>Napoléon</i> et en général de toutes les œuvres, -inédites ou non, complètes ou ébauchées, que renferment les manuscrits -de la Bibliothèque de Grenoble, est échu à M. Henry Debraye. Ancien -élève de l'École des chartes, archiviste de la ville de Grenoble, M. -Debraye s'est voué entièrement à l'édification de ce monument des -<i>Œuvres complètes.</i> L'écriture hiéroglyphique de Stendhal n'a plus -guère de secret pour lui: telle page de <i>Brulard</i> ou du <i>Journal</i> -demeurée jusqu'à présent mystérieuse, il l'a déchiffrée avec une -patience et une sagacité admirables, se défiant des interprétations -de bon sens dont il faut souvent se garder en paléographie. Que l'on -compare plutôt son édition et les précédentes! D'une page de <i>Brulard</i>, -écrite en hâte et sans chandelle, deux mots ont pourtant échappé au<span class="pagenum"><a name="Page_xvi" id="Page_xvi">[p. xvi]</a></span> -déchiffrement de M. Debraye—la page entière échappait d'ailleurs le -lendemain à Stendhal lui-même—nous avons décidé de la reproduire en -fac-simile: bien que l'image soit légèrement réduite par les exigences -de notre format, on pourra s'amuser à en tenter la lecture. Et on -applaudira vite à la science du parfait paléographe qu'est Henry -Debraye.</p> - -<p>Il m'est impossible de nommer à cette place toutes les personnes qui -m'ont encouragé dans mon entreprise. Je tiens pourtant à remercier -M. Élie-Joseph Bois, rédacteur au <i>Temps</i>, qui, le premier, a -annoncé l'édition des <i>Œuvres complètes</i>; M. Henri Welschinger, qui -a réalisé ce miracle de réconcilier Stendhal et l'Institut en lisant -à l'Académie des Sciences morales des inédits ensuite insérés dans -les Procès-verbaux officiels: M. Georges Cain, dont les <i>Souvenirs -stendhaliens</i> (<i>Figaro</i> du 29 septembre 1912) me sont particulièrement -chers; M. A. Paupe, dont le concours incessant m'est toujours précieux -et dont l'ouvrage sous presse, <i>Vie littéraire de Stendhal, Documents -inédits</i>, appendice aux <i>Œuvres complètes</i>, sera bien souvent cité dans -nos études préliminaires. M. Georges Grappe s'est employé amicalement -pour <i>Brulard</i> comme si cette œuvre était sienne. J'ai profité des -conseils de M. Mario Roques que mon projet a toujours intéressé. -Je dois aussi une reconnaissance toute particulière à M. Maignien, -conservateur de la Bibliothèque<span class="pagenum"><a name="Page_xvii" id="Page_xvii">[p. xvii]</a></span> de Grenoble, à ses bibliothécaires et -à ses commis. M. Paillart, l'obligeant maître-imprimeur, a surveillé -personnellement, dans ses ateliers d'Abbeville, la confection de cette -édition, à qui M. Longuet, par d'admirables phototypies et M. Lafuma, -par un impérissable papier pur chiffon, assurent, je puis le dire, -l'immortalité.</p> - -<p class="smcap" style="margin-left: 65%;">Edouard Champion.</p> - -<p>16 Février 1913.</p> - -<hr class="r5" /> -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_1" id="Note_1_1"></a><a href="#NoteRef_1_1"><span class="label">[1]</span></a> <i>Casimir Stryienski</i> et Stendhal, Revue Bleue, 21 -septembre 1912.</p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_xviii" id="Page_xviii">[p. xviii]</a><br /><a name="Page_xix" id="Page_xix">[p. xix]</a></span></p></div> - - - - -<h4><a name="INTRODUCTION" id="INTRODUCTION">INTRODUCTION</a></h4> - - -<h4>LE MANUSCRIT DE LA VIE DE HENRI BRULARD</h4> - - -<p>Une lettre de Henri Beyle annonçait, le 11 novembre 1832, au libraire -parisien Levavasseur: «J'écris maintenant un livre qui peut-être est -une grande sottise; c'est <i>Mes Confessions</i>, au style près, comme -Jean-Jacques Rousseau, avec plus de franchise.» Suivait un plan -sommaire du nouvel ouvrage: «J'ai commencé par la campagne de Russie -en 1812... A côté de la campagne de Russie et de la cour de l'Empereur, -il y a les amours de l'auteur; c'est un beau contraste.»</p> - -<p>Stendhal faisait-il allusion à une première rédaction de son -autobiographie, qu'il intitula plus tard<span class="pagenum"><a name="Page_xx" id="Page_xx">[p. xx]</a></span> la <i>Vie de Henri -Brulard</i>?—C'est possible, mais peu probable, nous le verrons tout à -l'heure; en tout cas, rien n'est resté de ce premier essai. Aurait-il -été détruit par son auteur? Ce serait bien extraordinaire, car Beyle -fut toujours très soucieux de conserver la moindre page de ses écrits.</p> - -<p>Dès 1832, cependant, Stendhal se préoccupait de raconter les -différentes péripéties de son existence. Il écrivait, de -Cività-Vecchia, le 12 juin, à son ami Di Fiore: «Quand je suis exilé -ici, j'écris l'histoire de mon dernier voyage à Paris, de juin 1821 à -novembre 1830. Je m'amuse à décrire toutes les faiblesses de l'animal; -je ne l'épargne nullement...» Mais cette histoire porte le titre de -<i>Souvenirs d'Egotisme</i>, elle n'a rien de commun avec la <i>Vie de Henri -Brulard.</i></p> - -<p>En 1833, nouvelle tentative: le 15 février, Beyle commence les -<i>Mémoires de Henri B.</i>, mais écrit à peine les quelques pages du -premier chapitre du livre I, que nous donnons en annexe de la présente -édition.</p> - -<p>Enfin, il se décida en 1835: le 23 novembre, il commençait son -autobiographie, qu'il appela <i>Vie de Henri Brulard</i>, et dont il écrivit -sans désemparer près de neuf cents pages.</p> - -<p>Son idée de 1832 le hantait encore: Stendhal débute ainsi: «Je me -trouvais ce matin, 16 octobre 1832...,» et affirme, quelques pages -plus loin: «Je ne continue que le 23 novembre 1835.» Fantaisie<span class="pagenum"><a name="Page_xxi" id="Page_xxi">[p. xxi]</a></span> -d'écrivain, car le premier feuillet porte bien la date du 23 novembre -1835, et celle du 16 octobre 1831 (sic), mise en surcharge, a été -ajoutée postérieurement, lorsque Beyle a revu sa première rédaction: -les mots: 16 octobre 1831, et les corrections, sont de la même encre.</p> - -<p>Le manuscrit, tel que le possède la Bibliothèque municipale de -Grenoble, est formé de trois gros volumes, cotés R 299, du format 300 -sur 210 millimètres, que Beyle lui-même fit relier, et, en outre, de -deux cahiers, l'un compris dans le carton côté R 300, l'autre relié -avec le tome XII de la collection en vingt-huit volumes, cotée R 5.896. -Les trois volumes reliés contiennent respectivement les feuillets 2<a name="NoteRef_1_2" id="NoteRef_1_2"></a><a href="#Note_1_2" class="fnanchor">[1]</a> -à 248, 249 à 500, et 501 à 796; la fin de l'ouvrage (fol. 797 à 808) -est dans le tome XII de la collection R 5.896; enfin, le cahier R 300 -comprend (dans cet ordre) les chapitres XV, XIII et V de la présente -édition. Le papier est rugueux, de couleur verdâtre, sauf à partir du -feuillet 708, dans un angle duquel Stendhal a noté: «Nouveau papier, -acheté à Cività-Vecchia.»</p> - -<p>Stendhal n'a pas économisé son papier: il a couvert seulement le recto -des feuillets, son écriture est large, les lignes sont très espacées. -Mais il corrigeait souvent, ajoutait à son texte, l'accompagnait -de réflexions; aussi, en beaucoup d'endroits, les<span class="pagenum"><a name="Page_xxii" id="Page_xxii">[p. xxii]</a></span> marges, les -interlignes, le verso des pages ont été abondamment surchargés.</p> - -<p>Enfin, le texte lui-même ou bien le verso des feuillets est illustré de -nombreux plans, dessinés à la diable, sans recherche des proportions ni -de l'échelle, et cependant, en général, exacts dans l'ensemble. On se -rappelle, en voyant ces croquis de mathématicien, que Beyle a préparé -l'École polytechnique; ils dénotent un très grand souci de précision -et permettent au lecteur de comprendre sans peine le texte<a name="NoteRef_2_3" id="NoteRef_2_3"></a><a href="#Note_2_3" class="fnanchor">[2]</a>. Ils -localisent, bien souvent, la situation exacte d'un évènement, et -surtout d'une maison, d'un magasin. En plusieurs endroits, la légende -qui accompagne le plan de Grenoble en 1793, annexé à la présente -édition, a été précisée, après vérification, au moyen des dessins du -manuscrit.</p> - - -<p>La <i>Vie de Henri Brulard</i> se présente comme très homogène de pensée -et de composition; elle a été écrite, presque sans interruption, -entre le 23 novembre 1835 et le 17 mars 1836, tantôt à Rome, tantôt -à Cività-Vecchia. Stendhal occupait tous ses moments de loisir à sa -nouvelle œuvre, et en rédigeait en moyenne dix pages par jour, ou -plutôt, comme il le dit lui-même dans l'une des<span class="pagenum"><a name="Page_xxiii" id="Page_xxiii">[p. xxiii]</a></span> notes marginales de -son manuscrit, «ordinairement dix-huit ou vingt pages par jour et, les -jours de courrier, quatre ou cinq, ou pas du tout». Au reste, «aucun -travail les jours de voyage et le soir d'arrivée».</p> - -<p>Le résultat de ce travail est du plus haut intérêt pour le biographe -et le critique, non seulement à cause du texte lui-même, mais aussi -à cause des notes et des observations que Stendhal a semées dans les -marges et au verso des feuillets. Manuscrit vivant entre tous, où -l'auteur se raconte avec toute la sincérité dont il est susceptible, -où parfois il se juge lui-même, où très souvent il met le lecteur au -courant des plus petits faits de sa vie journalière; aussi, l'ouvrage -est à la fois la synthèse de l'enfance et de la jeunesse de Beyle, et -le tableau de son existence en Italie, ou plus exactement à Rome, à la -fin de 1835 et au commencement de 1836.</p> - -<p>Cette autobiographie est certainement, de tous ses livres, celui que -Stendhal a composé avec le plus de plaisir. Il dit, le premier jour: « -J'ai fait allumer du feu et j'écris ceci, sans mentir, j'espère, sans -me faire illusion, avec plaisir, comme une lettre à un ami.» Et il -ajoute encore, le 6 avril 1836, après avoir rédigé la dernière page<a name="NoteRef_3_4" id="NoteRef_3_4"></a><a href="#Note_3_4" class="fnanchor">[3]</a>: -«Écrire ce qui suit était une consolation.»</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_xxiv" id="Page_xxiv">[p. xxiv]</a></span></p> - -<p>C'est même plus que du plaisir, c'est de la passion: à mesure que les -souvenirs reviennent en foule, l'écriture se précipite, de mauvaise -devient parfois énigmatique, surtout lorsque Beyle, emporté par son -sujet, laisse tomber le jour et trace dans l'obscurité des signes -presque indéchiffrables.</p> - -<p>Il est facile de constater, d'ailleurs, que la passion l'entraîne. -Au début, Stendhal est résolu à produire une œuvre bien écrite et -bien composée. Puis, le chaos de ses souvenirs l'embarrasse, le flot -des pensées fait bouillonner tumultueusement le style, qui se charge -d'incidentes, de parenthèses, de réflexions qui n'ont rien de commun -avec le sujet, si bien que cet aveu échappe à l'auteur: «En relisant, -il faudra effacer, ou mettre à une autre place, la moitié de ce -manuscrit.»</p> - - -<p>La <i>Vie de Henri Brulard</i>, en effet, telle que nous la possédons, n'est -qu'une ébauche, et une ébauche inachevée. On dirait d'un livre écrit -en voyage; et, de fait, c'est un peu cela: Beyle résidait le moins -possible au siège de son consulat, et passait le plus clair de son -temps à Rome; son manuscrit fit donc plusieurs fois le trajet de Rome -à Cività-Vecchia. Et puis, le nerveux écrivain accuse d'autres causes: -les devoirs de sa charge de consul, qu'il appelle dédaigneusement -le «métier», ensuite le froid de l'hiver, et surtout l'ennui qui -l'accable au milieu des «sauvages» d'Italie. Lui-même explique<span class="pagenum"><a name="Page_xxv" id="Page_xxv">[p. xxv]</a></span> -cet état d'esprit dans une longue note ajoutée à l'un des cahiers du -manuscrit<a name="NoteRef_4_5" id="NoteRef_4_5"></a><a href="#Note_4_5" class="fnanchor">[4]</a>:</p> - -<p>«Pourquoi Rome m'est pesante.</p> - -<p>«C'est que je n'ai pas une société, le soir, pour me distraire de mes -idées du matin. Quand je faisais un ouvrage à Paris, je travaillais -jusqu'à étourdissement et impossibilité de marcher. Six heures sonnant, -il fallait pourtant aller dîner... J'allais dans un salon; là, à moins -qu'il ne fût bien piètre, j'étais absolument distrait de mon travail du -matin, au point d'en avoir oublié même le sujet en rentrant chez moi, à -une heure.</p> - -<p>«Voilà ce qui me manque à Rome: la société est si languissante!...</p> - -<p>«Tout cela ne peut me distraire de mes idées du matin, de façon que, -quand je reprends mon travail, le lendemain, au lieu d'être frais et -délassé, je suis abîmé, éreinté, et, après quatre ou cinq jours de -cette vie, je me dégoûte de mon travail, j'en ai réellement usé les -idées en y pensant trop continuement. Je fais un voyage de quinze jours -à Cività-Vecchia ou à Ravenne (1835, octobre); cet intervalle est trop -long, j'ai <i>oublié</i> mon travail. Voilà pourquoi le <i>Chasseur vert</i><a name="NoteRef_5_6" id="NoteRef_5_6"></a><a href="#Note_5_6" class="fnanchor">[5]</a> -languit, voilà ce qui, avec le manque total de bonne musique, me -déplaît dans Rome.»</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_xxvi" id="Page_xxvi">[p. xxvi]</a></span></p> - -<p>Stendhal réduisit cet inconvénient au minimum en ne se séparant de -son manuscrit dans aucun de ses déplacements. Commencée à Rome le 23 -novembre 1835, la <i>Vie de Henri Brulard</i> est continuée à Cività-Vecchia -du 5 au 10 décembre; à Rome de nouveau du 13 décembre 1835 au 7 -février 1836; à Cività-Vecchia du 24 février au 17 mars, avec quelques -corrections, faites à Rome les 22 et 23 mars. Enfin Stendhal en -reste là: le 26 mars 1836, dit-il, «annonce du congé pour Lutèce; -l'imagination vole ailleurs, ce travail en est interrompu». Et il -ajoute avec mélancolie: «L'ennui engourdit l'esprit, trop éprouvé de -1832 à 1836, Rome. Ce travail, interrompu sans cesse par le métier, se -ressent sans doute de cet engourdissement<a name="NoteRef_6_7" id="NoteRef_6_7"></a><a href="#Note_6_7" class="fnanchor">[6]</a>.»</p> - -<p>Stendhal cependant comptait faire de ses confessions un véritable -livre, il écrivait pour la postérité. Les nombreux testaments, ou -fragments de testaments, qu'il sème au hasard des feuillets, en sont la -preuve. Je ne veux citer que les plus caractéristiques.</p> - -<p>L'un est du 24 novembre 1835:</p> - -<blockquote> - -<p>«Testament.</p> - -<p>«Je lègue et donne ce manuscrit: <i>Vie de Henri Brulard</i>, -etc., et tous ceux relatifs à l'histoire de ma vie, à M. -Abraham Constantin, chevalier de la<span class="pagenum"><a name="Page_xxvii" id="Page_xxvii">[p. xxvii]</a></span> Légion d'honneur, et, -s'il ne l'imprime pas, à M. Alphonse Levavasseur, libraire, -place Vendôme, et, s'il meurt avant moi, je le lègue -successivement à MM. Ladvocat, Fournier, Amyot, Treutel et -Wurtz, Didot, sous la condition: 1° qu'avant d'imprimer ce -manuscrit, ils changeront tous les noms de femme: là où j'ai -mis Pauline Sirot, ils mettront Adèle Bonnet, et il suffit -de prendre les noms de la prochaine liste<a name="NoteRef_7_8" id="NoteRef_7_8"></a><a href="#Note_7_8" class="fnanchor">[7]</a>, de changer -absolument tous les noms de femmes et de ne changer aucun -nom d'homme.—Seconde condition: envoyer des exemplaires -aux bibliothèques d'Édimbourg, Philadelphie, New-York, -Mexico, Madrid et Brunswick. Changer tous les noms de femme, -condition <i>sine qua non.</i></p> - -<p class="smcap" style="margin-left: 65%;">H. Beyle<a name="NoteRef_8_9" id="NoteRef_8_9"></a><a href="#Note_8_9" class="fnanchor">[8]</a>.»</p></blockquote> - -<p>Le deuxième testament a été écrit moins d'un mois après:</p> - -<blockquote> - -<p>«Je lègue et donne le présent volume à M. le chevalier -Abraham Constantin (de Genève), peintre sur porcelaine. -Si M. Constantin ne l'a pas fait<span class="pagenum"><a name="Page_xxviii" id="Page_xxviii">[p. xxviii]</a></span> imprimer dans les mille -jours qui suivront celui de mon décès, je lègue et donne ce -volume successivement à MM. Alphonse Levavasseur, libraire, -n° 7, place Vendôme. Philarète Chasles, homme de lettres, -Henri Fournier, libraire, rue de Seine, Paulin, libraire, -Delaunay, libraire, et si aucun de ces Messieurs ne trouve -son intérêt à faire imprimer dans les cinq ans qui suivront -mon décès, je laisse ce volume au plus âgé des libraires -habitant dans Londres et dont le nom commencera par un C.</p> - -<p class="smcap" style="margin-left: 65%;">H. Beyle.<a name="NoteRef_9_10" id="NoteRef_9_10"></a><a href="#Note_9_10" class="fnanchor">[9]</a>»</p></blockquote> - -<p>Désireux de laisser un livre digne de lui, Stendhal avait eu souci -de la composition. Il eut certainement l'intention de reprendre sa -première rédaction pour donner à l'ouvrage plus de cohésion, plus -d'harmonie, pour rétablir enfin la chronologie un peu confuse des -chapitres consacrés à son enfance et à sa première jeunesse.</p> - -<p>Il voulait consacrer au moins deux volumes à son autobiographie; la -page 249 porte cette note: «Laisser le n° 249 à cette page et aller -ainsi jusqu'à 1.000.» Et je trouve sur la feuille contenant la table -du troisième tome cette mention: «Chapitre 42<span class="pagenum"><a name="Page_xxix" id="Page_xxix">[p. xxix]</a></span> [XLVII de la présente -édition] commencera le quatrième volume.» Or, de ce quatrième volume, -Stendhal a écrit à peine un chapitre.</p> - -<p>Il s'était également proposé d'établir un texte définitif, puisqu'il -note à la page 783 de son manuscrit: «A placer ailleurs en -recopiant<a name="NoteRef_10_11" id="NoteRef_10_11"></a><a href="#Note_10_11" class="fnanchor">[10]</a>.»</p> - -<p>Malheureusement, le ministre des Affaires étrangères accorda un congé -au consul de France à Cività-Vecchia; et, laissant là souvenirs et -réflexions, Beyle partit pour Paris. Son congé se prolongea pendant -trois ans. Au retour, la <i>Vie de Henri Brulard</i> était oubliée, elle ne -fut jamais achevée, ni corrigée.</p> - -<p>Stendhal avait, avant d'écrire, dressé un plan général de son -autobiographie. Le voici, tel qu'il nous est parvenu:</p> - -<blockquote> - -<p class="smcap" style="text-align: center;">«Division.</p> - -<p>Pour la clarté, diviser cet ouvrage ainsi:</p> - -<p class="smcap" style="text-align: center;">Livre premier.</p> - -<p>«De sa naissance à la mort de madame Henriette Gagnon.</p> - -<p class="smcap" style="text-align: center;">Livre second.</p> - -<p>«Tyrannie Raillane (ainsi nommée non pour sa forme, mais -pour ses effets pernicieux).</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_xxx" id="Page_xxx">[p. xxx]</a></span></p> - -<p class="smcap" style="text-align: center;">Livre 3.</p> - -<p>«Le maître Durand.</p> - -<p class="smcap" style="text-align: center;">Livre 4.</p> - -<p>«L'École centrale, les mathématiques jusqu'au départ pour -Paris, en novembre 1799.</p> - -<p>«Diviser en chapitres de vingt pages.</p> - -<p>«Plan: établir les époques, couvrir la toile, puis, en -relisant, ajouter les souvenirs, par exemple: -1° l'abbé Chélan;—2° <i>je me révolte</i> (l'ouvrier chapelier, -journée des Tuiles<a name="NoteRef_11_12" id="NoteRef_11_12"></a><a href="#Note_11_12" class="fnanchor">[11]</a>).» -</p></blockquote> - -<p>De ce plan si soigneusement établi, ne prévoyant cependant que la -première partie de l'ouvrage, Stendhal n'a pu respecter le cadre. Ses -souvenirs étaient, chronologiquement, trop confus, et le nombre des -épisodes trop inégal pour chacun des quatre livres projetés: les faits -du temps de la «tyrannie Raillane» et ceux du «maître Durand», -par exemple, ont une importance bien différente. Aussi, en cours de -rédaction, Stendhal ébauche-t-il un nouveau plan, le livre II devant -commencer à son premier séjour à Paris. Division sans doute aussi -précaire que la première, puisque l'auteur ne prévoit pas un livre III -lorsqu'il raconte son départ de Paris et son voyage jusqu'à Milan, à la -suite de l'armée de réserve.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_xxxi" id="Page_xxxi">[p. xxxi]</a></span></p> - -<p>Cette difficulté de proportionner à peu près également plusieurs -livres, Stendhal la retrouve lorsqu'il s'agit de partager l'ouvrage -en chapitres. Nous l'avons vu tout à l'heure indiquer une division « -en chapitres de vingt pages». Dans le fait, cette méthode est <i>à peu -près</i> respectée, mais elle a été appliquée <i>a posteriori.</i> La <i>Vie de -Henri Brulard</i> a été écrite sans souci de chapitres divers, à part -quelques périodes bien déterminées, qui exigeaient une coupure nette ou -racontaient une anecdote spéciale: le chapitre III, où commencent les -souvenirs de Beyle, le chapitre X, qui narre le début du préceptorat -Durand, le chapitre XI, Amar et Merlinot, le chapitre XII, épisode -du billet Gardon, le chapitre XIII, premier voyage aux Échelles, le -chapitre XIV, mort du pauvre Lambert, le chapitre XXXI, commencement -de la passion pour les mathématiques, le chapitre XXXVI, Paris. -Plus on va, moins la division est précise. Stendhal, emporté par la -passion, jette ses souvenirs, pêle-mêle, sur le papier, au fur et à -mesure qu'ils lui viennent à l'esprit; puis, en revoyant une première -fois son ébauche, il intercale, de vingt en vingt pages environ, un -feuillet <i>bis</i>; ce feuillet indique la séparation du chapitre, dont il -reproduit généralement la première page, ou seulement les premières -lignes; enfin, ce premier travail une fois terminé, les chapitres sont -numérotés.</p> - -<p>Travail factice, on le voit, et que Stendhal considérait<span class="pagenum"><a name="Page_xxxii" id="Page_xxxii">[p. xxxii]</a></span> lui-même -comme provisoire, puisqu'il écrit à la fin de la table qui termine -le premier volume: «Je laisse les chapitres XIII et XIV pour les -augmentations à faire à ces premiers temps. J'ai quarante pages écrites -à insérer<a name="NoteRef_12_13" id="NoteRef_12_13"></a><a href="#Note_12_13" class="fnanchor">[12]</a>.»</p> - -<p>Stendhal doit cette incertitude dans la division et dans la mise en -place de certains de ses chapitres à l'inexactitude de sa chronologie. -Il connaît mal les dates auxquelles tels ou tels événements se sont -passés. Il en convient à plusieurs reprises dans son texte: «Il -faudrait, dit-il par exemple dans une note, acheter un plan de Grenoble -et le coller ici. Faire prendre les extraits mortuaires de mes parents, -ce qui me donnerait des dates, et l'extrait de naissance de <i>my dearest -mother</i> et de mon bon grand-père<a name="NoteRef_13_14" id="NoteRef_13_14"></a><a href="#Note_13_14" class="fnanchor">[13]</a>.»</p> - -<p>Nous retrouvons pareille incertitude dans la division matérielle des -chapitres. J'en veux seulement pour preuve les chapitres XV et XVIII de -la présente édition.</p> - -<p>Stendhal avait d'abord songé à incorporer le chapitre XV au chapitre -XVII: il a d'abord occupé les feuillets 256 à 268, et le feuillet 255 -fait précisément partie du chapitre XVII<a name="NoteRef_14_15" id="NoteRef_14_15"></a><a href="#Note_14_15" class="fnanchor">[14]</a>. Ce feuillet, au<span class="pagenum"><a name="Page_xxxiii" id="Page_xxxiii">[p. xxxiii]</a></span> reste, -se termine par ces mots, qui ont été rayés: «Ma pauvre mère dessinait -fort...», et d'autre part l'ancien feuillet 256 continuait ainsi: « -... bien, disait-on dans la famille.» Puis, Stendhal s'est ravisé, il -a songé à placer le chapitre XV après le chapitre XVI: la dernière page -de celui-ci est la deux cent quarante-huitième du manuscrit, et notre -chapitre XV porte une nouvelle numérotation 249 à 260. Enfin, l'auteur -s'est rendu compte que ce passage ne pouvait convenir ni à l'une, ni à -l'autre place, et il a pris le parti de le placer ailleurs, «<i>after -the death of poor Lambert</i>», après le récit de la mort du domestique -Lambert, et d'en faire un chapitre spécial.</p> - -<p>Même difficulté pour le chapitre de «la première communion», le -dix-huitième de la présente édition. Stendhal l'avait d'abord incorporé -au chapitre X, «le maître Durand»: les deux passages, en effet, -portent la même date, 10 décembre 1835, et l'un devait suivre l'autre, -puisque les deux premiers feuillets du chapitre XVIII ont été chiffrés -168 et 169; puis un regret est venu, Beyle a continué son chapitre sans -numéroter les pages et, incertain de la place définitive, il a inscrit -dans son manuscrit deux mentions contradictoires; en tête du chapitre, -on lit: «A placer après <i>Amar et Merlinot</i>», et d'autre part, à -la fin du chapitre XVII, après le feuillet 259, une note indique: « -<i>First</i> communion, à 260.» C'est la place que j'ai choisie, et c'est -bien<span class="pagenum"><a name="Page_xxxiv" id="Page_xxxiv">[p. xxxiv]</a></span> celle que lui attribuait Stendhal, puisqu'il a laissé sans les -numéroter les feuillets 260 à 273, entre lesquels il a fait relier -et le récit de sa première communion et ce hors-d'œuvre intitulé: « -Encyclopédie du XIX<sup>e</sup> siècle», que j'ai rejeté parmi les -annexes<a name="NoteRef_15_16" id="NoteRef_15_16"></a><a href="#Note_15_16" class="fnanchor">[15]</a>.</p> - -<hr class="tb" /> - -<p>La <i>Vie de Henri Brulard</i>, telle qu'elle nous est parvenue, est donc -une ébauche, un amoncellement de matériaux ramassés en vue de la -construction d'une œuvre plus parfaite. Stendhal n'a exécuté qu'une -partie du plan qu'il s'était tracé: il a «établi les époques», il a « -couvert la toile», niais il n'a pu «en relisant ajouter les souvenirs -», ou, plus exactement, <i>tous</i> les souvenirs. La valeur littéraire de -l'ouvrage y perd peut-être, mais de quels avantages cette perte légère -est-elle compensée! Nous y trouvons d'abord un Stendhal sincère, ou, -plus exactement, aussi sincère qu'il peut l'être, car il dit lui-même: -«Je n'ai pas grande confiance, au fond, dans tous les jugements dont -j'ai rempli les 536 pages précédentes. Il n'y a de sûrement vrai que -les sensations; seulement, pour parvenir à la vérité, il faut mettre -quatre dièses à mes impressions. Je les rends avec la froideur et les -sens<span class="pagenum"><a name="Page_xxxv" id="Page_xxxv">[p. xxxv]</a></span> amortis par l'expérience d'un homme de quarante ans<a name="NoteRef_16_17" id="NoteRef_16_17"></a><a href="#Note_16_17" class="fnanchor">[16]</a>.»</p> - -<p>C'est Beyle jugé par Beyle, seulement à trente-cinq ou quarante-cinq -ans de distance! Mais on y trouve aussi le Beyle de cinquante-deux ans, -et celui-là tout entier. Le texte foisonne de jugements contemporains; -de plus, de précieuses notes illustrent le manuscrit, soit dans les -marges, soit en haut des feuillets, soit au verso. Au fur et à mesure -qu'il écrit, Stendhal explique sa pensée, la justifie, et raconte ses -impressions ou ses actions du jour.</p> - -<p>C'est ainsi qu'il s'excuse d'écrire ses Mémoires: «Droit que j'ai -d'écrire ces Mémoires: quel être n'aime pas qu'on se souvienne de -lui<a name="NoteRef_17_18" id="NoteRef_17_18"></a><a href="#Note_17_18" class="fnanchor">[17]</a>?» Il s'excuse en même temps d'avoir dit souvent du mal de -ses parents: «Qui pense à eux aujourd'hui que moi, et avec quelle -tendresse, à ma mère, morte depuis quarante-six ans? Je puis donc -parler librement de leurs défauts. La même justification pour -M<sup>me</sup> la baronne de Barckoff, M<sup>me</sup> Alexandrine -Petit, M<sup>me</sup> la baronne Dembowski<a name="NoteRef_18_19" id="NoteRef_18_19"></a><a href="#Note_18_19" class="fnanchor">[18]</a> (que de temps que je -n'ai pas écrit ce nom!), Virginie, deux Victorines, Angela, Mélanie, -Alexandrine, Métilde, Clémentine, Julia, Alberthe de Rubempré, adorée -pendant un mois seulement.»</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_xxxvi" id="Page_xxxvi">[p. xxxvi]</a></span></p> - -<p>Il découvre un peu sa méthode d'investigation psychologique: «Je -rumine sans cesse sur ce qui m'intéresse, à force de le regarder dans -des <i>positions d'âmes</i> différentes, je finis par y voir du nouveau, -et je le fais changer d'aspect<a name="NoteRef_19_20" id="NoteRef_19_20"></a><a href="#Note_19_20" class="fnanchor">[19]</a>.» Plus loin, c'est un peu de sa -méthode de composition qui transparaît: «Style, ordre des idées. -Préparer l'attention par quelques mots en passant: 1° sur Lambert;—2° -sur mon oncle, dans les premiers chapitres<a name="NoteRef_20_21" id="NoteRef_20_21"></a><a href="#Note_20_21" class="fnanchor">[20]</a>». Et ailleurs: « -Idée: aller passer trois jours à Grenoble, et ne voir Crozet <i>que le -troisième jour.</i> Aller seul, incognito, à Claix, à la Bastille, à La -Tronche<a name="NoteRef_21_22" id="NoteRef_21_22"></a><a href="#Note_21_22" class="fnanchor">[21]</a>.»</p> - -<p>Son style aussi le préoccupe; il écrit, au hasard d'une marge: « -Style: pas de style soutenu<a name="NoteRef_22_23" id="NoteRef_22_23"></a><a href="#Note_22_23" class="fnanchor">[22]</a>.» Cependant, il châtie sa langue, -de nombreuses ratures en témoignent. Et, une fois, il écrit deux -phrases de même sens, et note en face: «Style: choisir des deux -rédactions<a name="NoteRef_23_24" id="NoteRef_23_24"></a><a href="#Note_23_24" class="fnanchor">[23]</a>.» Il va jusqu'à juger ses effets: «Style. Ces mots, -<i>pour un instant</i>, sont un repos pour l'esprit; je les eusse effacés -en 1830. mais, en 1835, je regrette de ne pas en trouver de semblables -dans le <i>Rouge</i><a name="NoteRef_24_25" id="NoteRef_24_25"></a><a href="#Note_24_25" class="fnanchor">[24]</a>.» Son ironie s'exerce même à ses propres dépens: -racontant la journée<span class="pagenum"><a name="Page_xxxvii" id="Page_xxxvii">[p. xxxvii]</a></span> des Tuiles, qui marque le prélude de la -Révolution à Grenoble, la mort de l'ouvrier chapelier et l'agitation -de cette ridicule bonne femme qui se «révolte», il ajoute après -coup cette phrase: «Le soir même, mon grand-père me conta la mort de -Pyrrhus; «et il remarque en note: «Cette queue savante fait-elle -bien<a name="NoteRef_25_26" id="NoteRef_25_26"></a><a href="#Note_25_26" class="fnanchor">[25]</a>?» Il connaît si bien son caractère qu'il écrit en marge du -chapitre VII: «Idée. Peut-être, en ne corrigeant pas ce premier jet, -parviendrai-je à ne pas mentir par vanité<a name="NoteRef_26_27" id="NoteRef_26_27"></a><a href="#Note_26_27" class="fnanchor">[26]</a>.»</p> - -<p>Le sort de son livre le préoccupe. Il pense à intéresser le public: « -Non laisser cela tel quel. Dorer l'histoire Kably, peut-être ennuyeuse -pour les Pasquier de cinquante ans. Ces gens sont cependant l'élite -des lecteurs<a name="NoteRef_27_28" id="NoteRef_27_28"></a><a href="#Note_27_28" class="fnanchor">[27]</a>.» Mais il se décourage parfois, il doute du succès, -et s'écrie mélancoliquement: «Qui diable pourrait s'intéresser aux -simples mouvements d'un cœur, décrits sans rhétorique<a name="NoteRef_28_29" id="NoteRef_28_29"></a><a href="#Note_28_29" class="fnanchor">[28]</a>?» Ou encore: -«J'ai été fort ennemi du mensonge en écrivant, mais n'ai-je point -communiqué au lecteur bénévole l'ennui qui me faisait m'endormir -au milieu du travail, au lieu des battements de cœur du n° 71, -Richelieu<a name="NoteRef_29_30" id="NoteRef_29_30"></a><a href="#Note_29_30" class="fnanchor">[29]</a>?»</p> - -<p>Stendhal serait bien rassuré, s'il revenait parmi<span class="pagenum"><a name="Page_xxxviii" id="Page_xxxviii">[p. xxxviii]</a></span> nous, en voyant avec -quelle passion son récit autobiographique a été étudié et commenté, et -quel cas ses fidèles font de ses confessions!</p> - -<hr /> - -<p>Le manuscrit de la <i>Vie de Henri Brulard</i> a un autre intérêt encore: il -contient de minutieux détails sur la vie au jour le jour d'Henri Beyle. -Un petit nombre de privilégiés ont eu le bonheur de voir de leurs yeux -le précieux manuscrit, c'est pourquoi nous avons tenu à reproduire -aussi minutieusement que possible, dans les notes placées à la fin de -l'ouvrage, la plupart des observations, réflexions et «idées» de -Stendhal.</p> - -<p>L'auteur nous raconte les plus petits détails de son existence, tant -à Rome qu'à Cività-Vecchia. Nous savons qu'il quitta la ville des -papes le 3 ou le 4 décembre 1835 pour rejoindre son poste, qu'il fit -un nouveau séjour à Rome entre le 11 ou le 12 décembre 1835 et le -24 février 1836, et qu'il y revint encore, après un court séjour à -Cività-Vecchia, le 19 mars suivant.</p> - -<p>Nous savons aussi que le mois de décembre fut froid, à Rome, en 1835. -Le 17, le pauvre Stendhal avoue: «Je souffre du froid, collé contre ma -cheminée. La jambe gauche est gelée.» Le lendemain, encore, «froid de -chien, avec nuages et soleil», et trois jours après, le 21, «pluie -infâme» et «continue». Le 27, la chaleur n'est pas revenue, Stendhal -a «froid aux jambes, surtout aux mollets, un peu<span class="pagenum"><a name="Page_xxxix" id="Page_xxxix">[p. xxxix]</a></span> de colique, envie de -dormir. Le froid et le café du 24 décembre m'a donné sur les nerfs. Il -faudrait un bain, mais comment, avec ce froid?» Le 4 janvier 1836, il -est auprès de son feu, «se brûlant les jambes et mourant de froid au -dos». La santé, au reste, n'est pas très bonne: «A trois heures, idée -de goutte à la main droite, dessus; douleur dans un muscle de l'épaule -droite.» Puis, c'est de nouveau la pluie au commencement de février; -le 4, Beyle va voir le Tibre qui «monte au tiers de l'inscription sous -le pont Saint-Ange».</p> - -<p>La température de Cività-Vecchia est plus clémente, car, le 6 décembre -1835, on peut s'habiller «la fenêtre ouverte, à neuf heures et demie; -impossible à Rome, plus froide l'hiver».</p> - -<p>Mais qu'on s'ennuie dans ce triste port de mer! Tout excède Stendhal: -les habitants de Cività-Vecchia, qui ne peuvent soutenir la moindre -conversation spirituelle, le chancelier du consulat, Lysimaque -Tavernier, sa charge elle-même, qu'il appelle avec dédain le «métier -», le «gagne-pain». Aussi, notre consul passe-t-il le plus clair -de son temps à Rome; là, du moins, les distractions ne manquent pas. -Beyle assiste, le 2 décembre, à une messe de Bellini chantée à San -Lorenzo-in-Damaso, admire le pape officiant à Saint-Pierre le jour de -Noël, entend une messe grecque le 6 janvier et écoute, le 31 mars, les -«vieux couplets barbares en latin rimé» du <i>Stabat Mater</i>, qui, du<span class="pagenum"><a name="Page_xl" id="Page_xl">[p. xl]</a></span> -moins, ne sont pas infestés d'«esprit à la Marmontel».</p> - -<p>Le «métier» l'occupe toujours, mais peu, et il se console en lisant -les œuvres du président de Brosses, le <i>Chatterton</i> d'Alfred de Vigny, -le <i>Scarabée d'Or</i> d'Edgar Poë, en écrivant à ses amis Di Fiore, de -Mareste, Romain Colomb. Il visite musées et expositions de peinture, -et se promène dans les jardins de la villa Aldobrandini ou à San -Pietro-in-Montorio, où l'idée de raconter sa vie lui vint, en 1832. -Il dîne en ville, va au bal et y ébauche même une intrigue avec la -<i>comtesse Sandre</i>, du 8 au 17 février. Quoique la musique romaine soit -mauvaise, le concert l'attire, et le 19 décembre il écoute jouer la -<i>Filarmonia.</i></p> - -<p>Il se garderait de négliger le spectacle, qui l'a toujours passionné, -et fréquente assidûment le théâtre <i>della Valle.</i> Il y entend, -notamment, une «comédie de Scribe, par Bettini»; il y passe la soirée -du 31 décembre 1835 et termine l'année, de onze heures trois quarts à -minuit, chez M. Linpra, en devisant devant le feu avec son jeune ami -Don Philippe Caetani.</p> - -<p>Cependant, nous l'avons déjà vu, Rome l'ennuie, il aspire à quitter -l'Italie, et reçoit avec joie la lettre ministérielle qui lui accorde -un congé. Des projets de voyage l'occupent: il ira en bateau à vapeur -jusqu'à Marseille et y prendra la malle-poste, fût-ce celle de Toulouse -ou de Bordeaux, afin d'éviter<span class="pagenum"><a name="Page_xli" id="Page_xli">[p. xli]</a></span> la route de Paris par Valence, Lyon, -Semur et Auxerre, villes trop connues, dont le souvenir le remplit de -dégoût.</p> - -<hr /> - -<p>Le manuscrit de la <i>Vie de Henri Brulard</i> nous raconte tout cela, et -beaucoup d'autres menus détails encore. Il vit, et de la vie la plus -intense, il nous dit fidèlement les petites joies, les petits soucis -du grand écrivain, il est le témoin le plus sûr d'une tranche de sa -vie pendant quatre mois. Le lecteur ne me reprochera pas, je l'espère, -d'avoir présenté les à-côtés du livre avant de lui en donner le texte -enfin complet et, je veux croire, définitif.</p> - -<p>Je dois cependant dire encore quelques mots de ce manuscrit, si -précieux dans l'histoire de la pensée et de la méthode stendhaliennes. -Tout y est particulier, personnel, original: l'écriture, la -ponctuation, l'orthographe, la forme même des noms.</p> - -<p>L'écriture, d'abord. Tout le monde connaît cette graphie fantaisiste, -inquiète, élégante parfois mais plus souvent presque illisible, «en -pieds de mouche», comme l'avoue Stendhal lui-même. On en trouvera -des spécimens caractéristiques au cours de ces deux volumes. Il faut -un œil exercé pour lire intégralement le manuscrit de la <i>Vie de -Henri Brulard</i>, encore certains mois échappent-ils même à ceux qui -fréquentent le plus assidûment les papiers stendhaliens.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_xlii" id="Page_xlii">[p. xlii]</a></span></p> - -<p>Beyle mettait d'ailleurs, à écrire mal, une sorte de coquetterie. Il -considérait ses grimoires comme une bastille difficilement vulnérable, -accessible aux seuls initiés. Il dit quelque part à ce sujet: «La -vergogne de voir un indiscret lire dans mon âme en lisant mes papiers -m'empêche, depuis l'âge de raison, ou plutôt pour moi de passion, -d'écrire ce que je sens<a name="NoteRef_30_31" id="NoteRef_30_31"></a><a href="#Note_30_31" class="fnanchor">[30]</a>.» Il faut croire qu'il jugea son écriture -suffisamment indéchiffrable en rédigeant la <i>Vie de Henri Brulard</i>, -car une des notes marginales porte: «Ma mauvaise écriture arrête -les indiscrets.» Paroles qu'on jugerait naïves chez un autre que -lui—car, après tout, le meilleur moyen de n'être jamais lu est de ne -pas écrire!—mais qui n'étonnent pas de la part de cet esprit souvent -mystificateur et toujours en contradiction avec lui-même.</p> - -<p>La vérité est plus simple, et Beyle n'est pas poussé à mal écrire par -le désir de n'être pas lu. Son écriture a toujours été déplorable; -celle de la jeunesse est déjà très défectueuse, et Stendhal va même -jusqu'à dire que son griffonnage de 1800, du temps qu'il était commis -auxiliaire au ministère de la Guerre, était «bien pire» que celui de -1836<a name="NoteRef_31_32" id="NoteRef_31_32"></a><a href="#Note_31_32" class="fnanchor">[31]</a>. Affirmation d'ailleurs inexacte: l'écriture de 1800 est, du -moins en général, assez lisible.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_xliii" id="Page_xliii">[p. xliii]</a></span></p> - -<p>En fait, Beyle a toujours écrit fort vite<a name="NoteRef_32_33" id="NoteRef_32_33"></a><a href="#Note_32_33" class="fnanchor">[32]</a>. Son esprit vif et mobile -obligeait sa main à suivre le cours rapide de ses idées. Et, constatant -le résultat de cette méthode: «Voilà, s'écrie-t-il, comment j'écris -quand la pensée me talonne. Si j'écris bien, je la perds<a name="NoteRef_33_34" id="NoteRef_33_34"></a><a href="#Note_33_34" class="fnanchor">[33]</a>.» Il -répond en ces termes aux reproches de Romain Colomb: «Comment veut-on -que j'écrive bien, forcé d'écrire aussi vite pour ne pas perdre mes -idées<a name="NoteRef_34_35" id="NoteRef_34_35"></a><a href="#Note_34_35" class="fnanchor">[34]</a>?»</p> - -<p>Et puis, Stendhal écrit sa <i>Vie de Henri Brulard</i> en hiver: il fait -froid, et le soir tombe vite. Il confesse, le 1<sup>er</sup> janvier -1836, en écrivant la vingt-sixième page de la journée: «Toutes les -plumes vont mal, il fait un froid de chien; au lieu de chercher à bien -former mes lettres et de m'impatienter, <i>io tiro avanti.</i>» La passion -d'écrire domine son impatience. Emporté par son sujet, il est parfois -étreint par l'émotion, il laisse tomber le jour sans s'en apercevoir, -et note alors en marge: «Écrit à la nuit tombante», ou: «Écrit de -nuit», ou encore: «Écrit absolument de nuit.» Il est à remarquer que -les passages les plus particulièrement difficiles à déchiffrer sont -précisément ceux qu'il a écrits<span class="pagenum"><a name="Page_xliv" id="Page_xliv">[p. xliv]</a></span> avec le plus de passion: le récit de -la mort de sa mère, le premier séjour aux Échelles, le souvenir de -l'arrivée à Milan, et certains passages où il cherche à s'analyser plus -profondément.</p> - -<p>Une autre particularité complique les difficultés de lecture: c'est -ce que j'appellerai le <i>jargon</i> de Stendhal. Certains mots paraissent -illisibles d'abord, incompréhensibles ensuite; or, ce sont tout -simplement des anagrammes; l'auteur s'est contenté d'en intervertir les -syllabes ou les lettres.</p> - -<p>Le plus connu de ces anagrammes est le mot <i>jésuite</i>, que Stendhal -écrit le plus souvent <i>tejé</i>, ou encore <i>tejésui, tejessui.</i> Cette -méthode est, la plupart du temps, appliquée à des mots d'ordre -religieux ou politique; Beyle, avec sa prudence habituelle et sa -crainte maladive de la police, jargonne alors à plaisir: le jésuitisme -devient <i>tistmejésui</i>, la religion s'écrit <i>gionreli</i>, ou <i>gionré</i>, -ou abréviativement, <i>gion</i>; le prêtre est un <i>reprêt</i>, les prêtres, -des <i>trespré</i>, le vicaire, un <i>cairevi</i>; un dévot est un <i>votdé</i>, -une absurde dévotion, <i>surdeab tiondévo</i>; les pairs sont <i>sairp</i> ou -<i>sraip</i>; des opinions républicaines deviennent <i>kainesrépubli</i>, et le -congé qu'a demandé le consul de France s'appelle un <i>gékon.</i> Les noms -propres sont aussi déformés, puisque Rome est mué en <i>Omar</i> ou <i>Mero</i>, -M. Daru en M. <i>Ruda</i>, et le ministre Molé en <i>Lémo.</i> D'autres fois, -Stendhal se contente d'écrire la première lettre du mot: au lecteur de -deviner le reste. Enfin,<span class="pagenum"><a name="Page_xlv" id="Page_xlv">[p. xlv]</a></span> la langue anglaise vient à son secours: Dieu -est traduit <i>God</i>, et un roi s'appelle un <i>king.</i></p> - -<p>Ces continuelles transpositions rendent souvent la lecture du texte -assez pénible, aussi ai-je rétabli les formes régulières, et indiqué en -note la forme originale. Mais j'ai conservé les mots en anglais et en -italien, dont Stendhal aimait à charger son style.</p> - -<p>Mon respect du texte n'est pas allé non plus jusqu'à reproduire -l'orthographe parfois fantaisiste de l'auteur; outre qu'il emploie -des formes orthographiques maintenant désuètes, il tombe parfois -dans l'irrégularité absolue. Il s'en excuse à plusieurs reprises, et -remarque, par exemple: «Voilà l'orthographe de la passion: <i>orreur!</i> -» Ou bien: «Voilà déjà que j'oublie l'orthographe, comme il m'arrive -dans les grands transports de passion!»</p> - -<p>Ce tempérament passionné rend aussi la ponctuation des plus -irrégulières. Stendhal eut rarement le souci de la virgule, du -point et virgule, voire même du point. Il laissait à ses éditeurs -le soin de mettre au net sa rédaction. Je n'ai cru devoir respecter -scrupuleusement que ses coupures d'alinéas. J'estime que l'alinéa est -plus qu'une élégance typographique, il marque les étapes de la pensée -d'un écrivain.</p> - -<hr /> - -<p>J'aurai donné une idée complète du manuscrit de la <i>Vie de Henri -Brulard</i> en décrivant encore deux de ses particularités.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_xlvi" id="Page_xlvi">[p. xlvi]</a></span></p> - -<p>Il forme, je l'ai déjà dit, trois gros volumes in-quarto, plus -deux cahiers. C'est beaucoup pour 878 pages, même écrites au recto -seulement, et pourvues parfois de <i>bis</i>, de <i>ter</i> et même de <i>quater.</i> -Mais Beyle a laissé de nombreuses pages blanches à la fin, souvent même -au milieu des chapitres. Dans quel but? Cela est difficile à démêler. -Mieux vaut ne rien dire que d'échafauder de hasardeuses hypothèses.</p> - -<p>Enfin, le manuscrit est accompagné d'une vingtaine de gravures -au trait; la plupart ont été insérées dans le premier volume, -quelques-unes ornent le second, et le troisième en est complètement -dépourvu. Ces gravures reproduisent des tableaux de vieux maîtres -italiens aimés de Beyle: Pérugin, Mantegna, Titien, et surtout Raphaël -et le Dominiquin. Certaines proviennent d'une revue d'art alors en -faveur: <i>L'Ape Italiana.</i> Deux d'entre elles portent des notes au -crayon, hâtivement griffonnées par Stendhal. Au bas de la Vocation -des saints Pierre et André, l'auteur a écrit: «A Saint-André <i>della -Valle</i>, admirable Dominiquin»; et, sous la Sainte Famille d'Annibal -Carrache, il note: «Physionomie commune: les grands peintres ne -vivaient qu'avec des ouvriers, Annibal Carrache par exemple (la Reine -de Saba, aux Loges de Raphaël, canaille).»</p> - -<p>Outre ces gravures, Stendhal a joint au premier volume un petit -portrait à l'aquarelle, peu poussé,<span class="pagenum"><a name="Page_xlvii" id="Page_xlvii">[p. xlvii]</a></span> mais de facture large et agréable. -Il note de sa main que ce portrait est celui de Don Philippe Caetani. -Deux ébauches au crayon accompagnent le portrait; des légendes de -Stendhal annoncent le «baron Aulajani» et la «main de la comtesse -Sandre». Une note de Casimir Stryienski attribue le portrait de Don -Philippe—dubitativement d'ailleurs et sans aucune preuve—à Abraham -Constantin, peintre sur porcelaine et miniaturiste, fort lié avec -Beyle, et qui effectivement séjournait à Rome en 1835.</p> - -<hr /> - -<p>Telle est cette masse touffue et cependant si vivante qui constitue le -manuscrit de la <i>Vie de Henri Brulard.</i></p> - -<p>Avec une piété fidèle, j'ai reproduit ce manuscrit dans son -intégralité. En supprimant certaines parties, en en abrégeant d'autres, -on risque de diminuer l'œuvre et d'égarer soit les biographes, soit -les critiques. Sur la foi de l'édition de Casimir Stryienski M. Arthur -Chuquet, l'auteur de <i>Stendhal-Beyle</i>, s'étonne (page 5) que Stendhal -ait à peine mentionné ses camarades d'enfance, et n'ait pas dit un mot -de Crozet. Étonnement injustifié, surtout en ce qui concerne Crozet.</p> - -<p>A dire vrai, les éditions de Casimir Stryienski, aussi bien celle de -1890 que celle de 1912, ont laissé beaucoup d'inédit dans le texte de -la <i>Vie de Henri Brulard</i>, surtout dans la période de la formation<span class="pagenum"><a name="Page_xlviii" id="Page_xlviii">[p. xlviii]</a></span> -intellectuelle du jeune Beyle. Elles sont souvent inexactes dans -la lecture et ont même, une fois, ajouté au texte de Stendhal une -réflexion de Romain Colomb.</p> - -<p>Loin de moi la pensée d'en faire un grief à Casimir Stryienski. Son -mérite est assez grand, et il a rendu trop de services aux fidèles de -Stendhal, pour qu'on ne puisse lui pardonner des péchés, en somme, -véniels.</p> - -<p>Et, grâce à lui, cette <i>Vie de Henri Brulard</i> est bien autre chose -qu'une banale réédition<a name="NoteRef_35_36" id="NoteRef_35_36"></a><a href="#Note_35_36" class="fnanchor">[35]</a>.</p> - -<p class="smcap" style="margin-left: 65%;">Henry Debraye.</p> - -<hr class="r5" /> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_2" id="Note_1_2"></a><a href="#NoteRef_1_2"><span class="label">[1]</span></a> Par une erreur inconcevable, le premier feuillet a été -relié avec le manuscrit R 5.886. tome XII, fol. 3.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_3" id="Note_2_3"></a><a href="#NoteRef_2_3"><span class="label">[2]</span></a> Nous ne pouvons, malheureusement, reproduire tous ces -dessins. Mais on les trouvera décrits aussi minutieusement que possible -dans les notes et, d'autre part, résumés en grand nombre, dans deux -planches de la présente édition: <i>Grenoble en 1793</i> et <i>Plan de -l'appartement du docteur Gagnon.</i></p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_4" id="Note_3_4"></a><a href="#NoteRef_3_4"><span class="label">[3]</span></a> Feuillet de garde, en tête du tome III du manuscrit.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_5" id="Note_4_5"></a><a href="#NoteRef_4_5"><span class="label">[4]</span></a> R .900, fol. 09 v° vl 70 v°.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_6" id="Note_5_6"></a><a href="#NoteRef_5_6"><span class="label">[5]</span></a> Le <i>Chasseur vert</i> devint <i>Lucien Leuwen</i>, publié pour la -première fois, en 1894, par M. Jean de Mitty.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_7" id="Note_6_7"></a><a href="#NoteRef_6_7"><span class="label">[6]</span></a> Tome III du manuscrit, dernier feuillet.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_8" id="Note_7_8"></a><a href="#NoteRef_7_8"><span class="label">[7]</span></a> La clef annoncée par Stendhal n'existe pas. Il n'y a plus -lieu, d'ailleurs, de respecter exactement celte volonté du testateur: -les noms cités par lui sont devenus historiques pour la plupart.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_9" id="Note_8_9"></a><a href="#NoteRef_8_9"><span class="label">[8]</span></a> Manuscrit R 5.896, vol. XII, fol. 3 v°.—Stendhal ajoute -à côté: «<i>Vie de Henri Brulard</i>. Conditions: 1° N'imprimer qu'après -mon décès; 2° Changer absolument tous les noms de femmes; 3° Ne changer -aucun nom d'homme. Cività-Vecchia, le 30 novembre 1835. H. Beyle.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_10" id="Note_9_10"></a><a href="#NoteRef_9_10"><span class="label">[9]</span></a> Tome 1<sup>er</sup> du manuscrit, feuillet de garde.—Les -autres testaments ou fragments de testaments se trouvent aux feuillets -7 <i>bis</i>, 59 v°, 511 v°, 554 v° et 572 v°. Le lecteur les trouvera -dans les notes de la présente édition correspondant à ces passages du -manuscrit.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_11" id="Note_10_11"></a><a href="#NoteRef_10_11"><span class="label">[10]</span></a> Voir chapitre XLII.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_12" id="Note_11_12"></a><a href="#NoteRef_11_12"><span class="label">[11]</span></a> Ce plan se trouve dans R 5.896, tome XII, fol. 2.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_13" id="Note_12_13"></a><a href="#NoteRef_12_13"><span class="label">[12]</span></a> Ces quarante pages se trouvent clans le cahier R 300. -Elles constituent les chapitres XIII et XV de la présente édition.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_14" id="Note_13_14"></a><a href="#NoteRef_13_14"><span class="label">[13]</span></a> Cette note est placée à la fin du cahier R 300, fol. 68 -v°.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_15" id="Note_14_15"></a><a href="#NoteRef_14_15"><span class="label">[14]</span></a> Le fol. 255 se termine par cette phrase: «Pendant plus -d'un mois, je fus fier de cette vengeance; j'aime cela dans un enfant. -» (Tome I, p. 200 de la présente édition.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_16" id="Note_15_16"></a><a href="#NoteRef_15_16"><span class="label">[15]</span></a> Cf. la note placée en tête du chapitre XVIII, tome II, p. -249.—L'«Encyclopédie du XIX<sup>e</sup> siècle» est la deuxième des -annexes, tome II, p. 311.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_17" id="Note_16_17"></a><a href="#NoteRef_16_17"><span class="label">[16]</span></a> Chapitre XXXIV, tome II, p. 57-58.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_18" id="Note_17_18"></a><a href="#NoteRef_17_18"><span class="label">[17]</span></a> Cette note est placée à la fin du cahier R 300, fol. 08 -v°.—La note citée un peu plus loin est écrite sur ce même feuillet.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_19" id="Note_18_19"></a><a href="#NoteRef_18_19"><span class="label">[18]</span></a> La seconde est Alexandrine, la troisième Métilde, que -Stendhal cite plus loin dans la même phrase.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_19_20" id="Note_19_20"></a><a href="#NoteRef_19_20"><span class="label">[19]</span></a> Chapitre XXXI.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_20_21" id="Note_20_21"></a><a href="#NoteRef_20_21"><span class="label">[20]</span></a> Chapitre V.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_21_22" id="Note_21_22"></a><a href="#NoteRef_21_22"><span class="label">[21]</span></a> Chapitre XIV.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_22_23" id="Note_22_23"></a><a href="#NoteRef_22_23"><span class="label">[22]</span></a> Chapitre XXV.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_23_24" id="Note_23_24"></a><a href="#NoteRef_23_24"><span class="label">[23]</span></a> Chapitre XXX. La rédaction écartée a été rayée au crayon -par Stendhal.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_24_25" id="Note_24_25"></a><a href="#NoteRef_24_25"><span class="label">[24]</span></a> Chapitre XV. Stendhal vient d'écrire: «J'emprunterai -pour un instant la langue de Cabanis.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_25_26" id="Note_25_26"></a><a href="#NoteRef_25_26"><span class="label">[25]</span></a> Chapitre V.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_26_27" id="Note_26_27"></a><a href="#NoteRef_26_27"><span class="label">[26]</span></a> Chapitre VII.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_27_28" id="Note_27_28"></a><a href="#NoteRef_27_28"><span class="label">[27]</span></a> Chapitre XXV.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_28_29" id="Note_28_29"></a><a href="#NoteRef_28_29"><span class="label">[28]</span></a> Chapitre XXXIV.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_29_30" id="Note_29_30"></a><a href="#NoteRef_29_30"><span class="label">[29]</span></a> Écrit le 6 avril 1830, avant de partir en congé, sur un -feuillet de garde du volume III.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_30_31" id="Note_30_31"></a><a href="#NoteRef_30_31"><span class="label">[30]</span></a> Lettre à Romain Colomb, du 4 novembre 1834.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_31_32" id="Note_31_32"></a><a href="#NoteRef_31_32"><span class="label">[31]</span></a> Chapitre XLI.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_32_33" id="Note_32_33"></a><a href="#NoteRef_32_33"><span class="label">[32]</span></a> J'ai écrit horriblement vite douze ou quinze volumes -in-octavo, que M. de Stendhal a imprimés. (Lettre à Romain Colomb citée -ci-dessus.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_33_34" id="Note_33_34"></a><a href="#NoteRef_33_34"><span class="label">[33]</span></a> Chapitre XXX.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_34_35" id="Note_34_35"></a><a href="#NoteRef_34_35"><span class="label">[34]</span></a> Chapitre XX.—Stendhal écrit encore, un peu plus loin: « -Justification de ma mauvaise écriture: les idées me salopent et s'en -vont si je ne les saisis pas. Souvent, mouvement nerveux de la main.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_35_36" id="Note_35_36"></a><a href="#NoteRef_35_36"><span class="label">[35]</span></a> J'ai l'agréable devoir de remercier, à cette place, tous -ceux qui ont bien voulu m'assister de leur expérience. J'adresse en -particulier l'expression de ma gratitude à M. Georges Cain, Stendhalien -passionné et Parisien érudit, ainsi qu'à mes aimables concitoyens -Grenoblois, M. Edmond Maignien, bibliothécaire municipal, le dévoué -et compétent gardien des manuscrits de Stendhal; M. Samuel Chabert, -professeur à la Faculté des Lettres, dont la notice sur la Maison -natale d'Henri Beyle complète le présent ouvrage, et M. Émile Robert, -architecte municipal, un de ceux qui connaissent le mieux l'ancien -Grenoble.</p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_1" id="Page_1">[p. 1]</a></span></p></div> - - - - -<h4><a name="CHAPITRE_I1" id="CHAPITRE_I1">CHAPITRE I</a><a name="NoteRef_1_37" id="NoteRef_1_37"></a><a href="#Note_1_37" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Je me trouvais ce matin, 16 octobre 1832, à San Pietro in Montorio, -sur le mont Janicule, à Rome. Il faisait un soleil magnifique; un -léger vent de sirocco à peine sensible faisait flotter quelques petits -nuages blancs au-dessus du mont Albano; une chaleur délicieuse régnait -dans l'air, j'étais heureux de vivre. Je distinguais parfaitement -Frascati et Castel-Gandolfo, qui sont à quatre lieues d'ici, la villa -Aldobrandini où est cette sublime fresque de Judith du Dominiquin. Je -vois parfaitement le mur blanc qui marque les réparations faites en -dernier lieu par le prince F. Borghèse, celui-là même que je vis à -Wagram colonel du régiment de cuirassiers, le jour où M. de M..., mon -ami,<span class="pagenum"><a name="Page_2" id="Page_2">[p. 2]</a></span> eut la jambe emportée. Bien plus loin, j'aperçois la roche de -Palestrina et la maison blanche de Castel San Pietro, qui fut autrefois -sa forteresse. Au-dessous du mur contre lequel je m'appuie, sont les -grands orangers du verger des Capucins, puis le Tibre et le prieuré de -Malte, et un peu après, sur la droite, le tombeau de Cecilia Metella, -Saint-Paul et la pyramide de Cestius. En face de moi, je vois<a name="NoteRef_2_38" id="NoteRef_2_38"></a><a href="#Note_2_38" class="fnanchor">[2]</a> -Sainte-Marie-Majeure et les longues lignes du palais de Monte-Cavallo. -Toute la Rome ancienne et moderne, depuis l'ancienne voie Appienne -avec les ruines de ses tombeaux et de ses aqueducs jusqu'au magnifique -jardin du Pincio, bâtis par les Français, se déploie à la vue.</p> - -<p>Ce lieu est unique au monde, me disais-je en rêvant; et la Rome -ancienne, malgré moi, l'emportait sur la moderne, tous les souvenirs -de Tite-Live me revenaient en foule. Sur le mont Albano, à gauche du -couvent, j'apercevais les Prés d'Annibal.</p> - -<hr /> - -<p>Quelle vue magnifique! C'est donc ici que la <i>Transfiguration</i> de -Raphaël a été admirée pendant deux siècles et demi. Quelle différence -avec la triste galerie de marbre gris où elle est enterrée aujourd'hui -au fond du Vatican! Ainsi, pendant deux cent cinquante ans ce -chef-d'œuvre a été ici, deux cent cinquante ans!... Ah! dans trois -mois j'aurai cinquante ans, est-il bien possible! 1783, 93, 1803,<span class="pagenum"><a name="Page_3" id="Page_3">[p. 3]</a></span> je -suis tout le compte sur mes doigts... et 1833, cinquante. Est-il bien -possible! Cinquante! Je vais avoir la cinquantaine: et je chantais -l'air de Grétry:</p> - -<p> -Quand on a la cinquantaine.<br /> -</p> - -<p>Cette découverte imprévue ne m'irrita point, je venais de songer à -Annibal et aux Romains. De plus grands que moi sont bien morts!... -Après tout, me dis-je, je n'ai pas mal occupé ma vie, <i>occupé!</i> Ah! -c'est-à-dire que le hasard ne m'a pas donné trop de malheurs, car en -vérité ai-je dirigé le moins du monde ma vie?</p> - -<p>Aller devenir amoureux de M<sup>lle</sup> de Grisheim! Que pouvais-je -espérer d'une demoiselle noble, fille d'un général en faveur deux mois -auparavant, avant la bataille de Iéna! Brichaud avait bien raison quand -il me disait, avec sa méchanceté habituelle: «Quand on aime une femme, -on se dit: Qu'en veux-je faire?»</p> - -<hr /> - -<p>Je me suis assis sur les marches de San Pietro et là j'ai rêvé une -heure ou deux à cette idée: je vais avoir cinquante ans, il serait bien -temps de me connaître. Qu'ai-je été, que suis-je, en vérité je serais -bien embarrassé de le dire.</p> - -<p>Je passe pour un homme de beaucoup d'esprit et fort insensible, -roué même, et je vois que j'ai été<span class="pagenum"><a name="Page_4" id="Page_4">[p. 4]</a></span> constamment occupé par des -amours malheureuses. J'ai aimé éperdument M<sup>lle</sup> Kably, -M<sup>lle</sup> de Grisheim, M<sup>me</sup> de Diphortz, Métilde, et -je ne les ai point eues, et plusieurs de ces amours ont duré trois ou -quatre ans. Métilde a occupé absolument ma vie de 1818 à 1824. Et je -ne suis pas encore guéri, ai-je ajouté, après avoir rêvé à elle seule -pendant un gros quart d'heure peut-être. M'aimait-elle<a name="NoteRef_3_39" id="NoteRef_3_39"></a><a href="#Note_3_39" class="fnanchor">[3]</a>?</p> - -<p>J'étais attendri, en prière, en extase. Et Menti<a name="NoteRef_4_40" id="NoteRef_4_40"></a><a href="#Note_4_40" class="fnanchor">[4]</a>, dans quel -chagrin ne m'a-t-elle pas plongé quand elle m'a quitté? Là, j'ai eu -un frisson en pensant au 15 septembre 1826, à San Remo, à mon retour -d'Angleterre. Quelle année ai-je passée du 15 septembre 1826 au 15 -septembre 1827! Le jour de ce redoutable anniversaire, j'étais à l'île -d'Ischia. Et je remarquai un mieux sensible; au lieu de songer à mon -malheur directement, comme quelques mois auparavant, je ne songeais -plus qu'au <i>souvenir</i> de l'état malheureux où j'étais plongé en octobre -1826 par exemple. Cette observation me consola beaucoup.</p> - -<p>Qu'ai-je donc été? Je ne le saurai. A quel ami, quelque éclairé qu'il -soit, puis-je le demander? M. di Fiore lui-même ne pourrait me donner -d'avis. A quel ami ai-je jamais dit un mot de mes chagrins d'amour?</p> - -<p>Et ce qu'il y a de singulier et de bien malheureux, me disais-je ce -matin, c'est que mes <i>victoires</i><span class="pagenum"><a name="Page_5" id="Page_5">[p. 5]</a></span> (comme je les appelais alors, la tête -remplie de choses militaires) ne m'ont pas fait un plaisir qui fût la -moitié seulement du profond malheur que me causaient mes défaites.</p> - -<p>La victoire étonnante de Menti ne m'a pas fait un plaisir comparable à -la centième partie de la peine qu'elle m'a faite en me quittant pour M. -de Bospier.</p> - -<p>Avais-je donc un caractère triste?</p> - -<p>... Et là, comme je ne savais que dire, je me suis mis sans y songer -à admirer de nouveau l'aspect sublime des ruines de Rome et de sa -grandeur moderne: le Colysée vis-à-vis de moi et sous mes pieds, le -Palais Farnèse, avec sa belle galerie de choses modernes ouverte en -arceaux, le palais Corsini sous mes pieds.</p> - -<p>Ai-je été un homme d'esprit? Ai-je eu du talent pour quelque chose? M. -Daru<a name="NoteRef_5_41" id="NoteRef_5_41"></a><a href="#Note_5_41" class="fnanchor">[5]</a> disait que j'étais ignorant comme une carpe; oui, mais c'est -Besançon qui m'a rapporté cela et la gaieté de mon caractère rendait -fort jalouse la morosité de cet ancien secrétaire-général de Besançon -<a name="NoteRef_6_42" id="NoteRef_6_42"></a><a href="#Note_6_42" class="fnanchor">[6]</a>. Mais ai-je eu le caractère gai?</p> - -<hr /> - -<p>Enfin, je ne suis descendu du Janicule que lorsque la légère brume du -soir est venue m'avertir que bientôt je serais saisi par le froid subit -et fort désagréable et malsain qui en ce pays suit immédiatement le<span class="pagenum"><a name="Page_6" id="Page_6">[p. 6]</a></span> -coucher du soleil. Je me suis hâté de rentrer au Palazzo Conti (Piazza -Minerva), j'étais harassé. J'étais en pantalon de...<a name="NoteRef_7_43" id="NoteRef_7_43"></a><a href="#Note_7_43" class="fnanchor">[7]</a> blanc -anglais, j'ai écrit sur la ceinture, en dedans: 16 octobre 1832, je -vais avoir la cinquantaine, ainsi abrégé pour n'être pas compris: <i>J. -vaisa voir la</i> 5<a name="NoteRef_8_44" id="NoteRef_8_44"></a><a href="#Note_8_44" class="fnanchor">[8]</a>.</p> - -<hr /> - -<p>Le soir, en rentrant assez ennuyé de la soirée de l'ambassadeur, je me -suis dit: Je devrais écrire ma vie, je saurais peut-être enfin, quand -cela sera fini, dans deux ou trois ans, ce que j'ai été, gai ou triste, -homme d'esprit ou sot, homme de courage ou peureux, et enfin au total -heureux ou malheureux, je pourrai faire lire ce manuscrit à di Fiore.</p> - -<p>Cette idée me sourit.—Oui, mais cette effroyable quantité de <i>Je</i> -et de <i>Moi!</i> Il y a de quoi donner de l'humeur au lecteur le plus -bénévole. <i>Je</i> et <i>moi</i>, ce serait, au talent près<a name="NoteRef_9_45" id="NoteRef_9_45"></a><a href="#Note_9_45" class="fnanchor">[9]</a>, comme M. de -Chateaubriand, ce roi des <i>égotistes.</i></p> - -<p> -De <i>je</i> mis avec <i>moi</i> tu fais la récidive...<br /> -</p> - -<p>Je me dis ce vers à chaque fois que je lis une de ses pages. On -pourrait écrire, il est vrai, en se servant de la troisième personne, -<i>il</i> fit, <i>il</i> dit; oui, mais comment rendre compte des mouvements -intérieurs de l'âme? C'est là-dessus surtout que j'aimerais à consulter -di Fiore.</p> - -<p>Je ne continue que le 23 novembre 1835. La<span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">[p. 7]</a></span> même idée d'écrire <i>my -life</i> m'est venue dernièrement pendant mon voyage de Ravenne; à vrai -dire, je l'ai eue bien des fois depuis 1832, mais toujours j'ai été -découragé par cette effroyable difficulté des <i>Je</i> et des <i>Moi</i>, qui -fera prendre l'auteur en grippe; je ne me sens pas le talent pour la -tourner. A vrai dire, je ne suis rien moins que sûr d'avoir quelque -talent pour me faire lire. Je trouve quelquefois beaucoup de plaisir à -écrire, voilà tout<a name="NoteRef_10_46" id="NoteRef_10_46"></a><a href="#Note_10_46" class="fnanchor">[10]</a>.</p> - -<p>S'il y a un autre monde, je ne manquerai pas d'aller voir Montesquieu; -s'il me dit: «Mon pauvre ami, vous n'avez pas eu de talent du tout,» -j'en serai fâché, mais nullement surpris. Je sens cela souvent, quel -œil peut se voir soi-même? Il n'y a pas trois ans que j'ai trouvé ce -<i>pourquoi.</i></p> - -<p>Je vois clairement que beaucoup d'écrivains qui jouissent d'une -grande renommée sont détestables. Ce qui serait un blasphème à dire -aujourd'hui de M. de Chateaubriand (sorte de Balzac) sera un <i>truism</i> -en 1880. Je n'ai jamais varié sur ce Balzac: en paraissant, vers 1803, -le <i>Génie</i> de Chateaubriand m'a semblé ridicule<a name="NoteRef_11_47" id="NoteRef_11_47"></a><a href="#Note_11_47" class="fnanchor">[11]</a>. Mais sentir les -défauts d'un autre, est-ce avoir du talent? Je vois les plus mauvais -peintres voir très bien les défauts les uns des autres: M. Ingres a -toute raison contre M. Gros, et M. Gros contre M. Ingres (je choisis -ceux dont on parlera peut-être encore en 1835).</p> - -<p>Voici le raisonnement qui m'a rassuré à l'égard de ces Mémoires. -Supposons que je continue ce<span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">[p. 8]</a></span> manuscrit et qu'une fois écrit je ne -le brûle pas; je le léguerai non à un ami qui pourrait devenir dévot -<a name="NoteRef_12_48" id="NoteRef_12_48"></a><a href="#Note_12_48" class="fnanchor">[12]</a> ou vendu à un parti, comme ce jeune serin de Thomas Moore, je le -léguerai à un libraire, par exemple à M. Levavasseur (place Vendôme, -Paris).</p> - -<p>Voilà donc un libraire qui, après moi, reçoit un gros volume relié de -cette détestable écriture. Il en fera copier quelque peu, et lira; -si la chose lui semble ennuyeuse, si personne ne parle plus de M. de -Stendhal, il laissera là le fatras, qui sera peut-être retrouvé deux -cents ans plus tard, comme les mémoires de Benvenuto Cellini.</p> - -<p>S'il imprime, et que la chose semble ennuyeuse, on en parlera au bout -de trente ans comme aujourd'hui l'on parle du poème de la <i>Navigation</i> -de cet espion d'Esménard, dont il était si souvent question aux -déjeuners de M. Daru en 1802. Et encore cet espion était, ce me -semble, censeur ou directeur de tous les journaux qui le <i>poffaient</i> -(de <i>to puff</i>) à outrance toutes les semaines. C'était le Salvandy de -ce temps-là, encore plus impudent, s'il se peut, mais avec bien plus -d'idées.</p> - -<hr /> - -<p>Mes Confessions n'existeront donc plus trente ans après avoir été -imprimées, si les <i>Je</i> et les <i>Moi</i> assomment trop les lecteurs; et -toutefois j'aurai eu le plaisir de les écrire, et de faire à fond mon -examen de conscience. De plus, s'il y a succès, je cours la<span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">[p. 9]</a></span> chance -d'être lu en 1900 par les âmes que j'aime, les madame Roland, les -Mélanie Guilbert, les...<a name="NoteRef_13_49" id="NoteRef_13_49"></a><a href="#Note_13_49" class="fnanchor">[13]</a></p> - -<p>Par exemple, aujourd'hui 24 novembre 1835, j'arrive de la chapelle -Sixtine, où je n'ai eu aucun plaisir, quoique muni d'une bonne lunette -pour voir la voûte et le Jugement dernier de Michel-Ange; mais un excès -de café commis avant-hier chez les Caetani par la faute d'une machine -que Michel-Ange<a name="NoteRef_14_50" id="NoteRef_14_50"></a><a href="#Note_14_50" class="fnanchor">[14]</a> a rapportée de Londres, m'avait jeté dans la -névralgie. Une machine trop parfaite. Ce café trop excellent, lettre de -change tirée sur le bonheur à venir au profit du moment présent, m'a -rendu mon ancienne névralgie, et j'ai été à la chapelle Sixtine comme -un mouton, <i>id est</i> sans plaisir, jamais l'imagination n'a pu prendre -son vol. J'ai admiré la draperie de brocart d'or, peinte à fresque à -côté du trône, c'est-à-dire du grand fauteuil de bois de noyer du Pape. -Cette, draperie, qui porte le nom de Sixte IV, Pape (<i>Sixtus IIII, -Papa</i>), on peut la toucher de la main, elle est à deux pieds de l'œil -où elle fait illusion après trois cent cinquante quatre ans.</p> - -<p>N'étant bon à rien, pas même à écrire des lettres officielles pour -mon métier, j'ai fait allumer du feu, et j'écris ceci, sans mentir -j'espère, sans me faire illusion, avec plaisir, comme une lettre à un -ami. Quelles seront les idées de cet ami en 1880? Combien différentes -des nôtres! Aujourd'hui c'est une énorme imprudence, une énormité pour -les trois<span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">[p. 10]</a></span> quarts de mes connaissances, que ces deux idées: le <i>plus -fripon des Kings</i> et <i>Tartare hypocrite</i><a name="NoteRef_15_51" id="NoteRef_15_51"></a><a href="#Note_15_51" class="fnanchor">[15]</a> appliquées à deux -noms que je n'ose écrire; en 1880, ces jugements seront des <i>truisms</i> -que même les Kératry de l'époque n'oseront plus répéter. Ceci est -du nouveau pour moi; parler à des gens dont on ignore absolument la -tournure d'esprit, le genre d'éducation, les préjugés, la religion -<a name="NoteRef_16_52" id="NoteRef_16_52"></a><a href="#Note_16_52" class="fnanchor">[16]</a>! Quel encouragement à être <i>vrai</i>, et simplement <i>vrai</i>, il -n'y a que cela qui tienne. Benvenuto a été <i>vrai</i>, et on le suit -avec plaisir, comme s'il était écrit d'hier, tandis qu'on saute -les feuillets de ce jésuite<a name="NoteRef_17_53" id="NoteRef_17_53"></a><a href="#Note_17_53" class="fnanchor">[17]</a> de Marmontel qui pourtant prend -toutes les précautions possibles pour ne pas déplaire, en véritable -Académicien. J'ai refusé d'acheter ses mémoires à Livourne, à vingt -sous le volume, moi qui adore ce genre d'écrits.</p> - -<p>Mais combien ne faut-il pas de précautions pour ne pas mentir!</p> - -<p>Par exemple, au commencement du premier chapitre, il y a une chose qui -peut sembler une hâblerie: non, mon lecteur, je n'étais point soldat à -Wagram en 1809.</p> - -<p>Il faut que vous sachiez que, quarante-cinq ans avant vous, il était -de mode d'avoir été soldat sous Napoléon. C'est, doue aujourd'hui, -1835, un mensonge tout à fait digne d'être écrit que de faire entendre -indirectement, et sans mensonge absolu (<i>jesuitico</i><a name="NoteRef_18_54" id="NoteRef_18_54"></a><a href="#Note_18_54" class="fnanchor">[18]</a> <i>more</i>), -qu'on a été soldat à Wagram.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">[p. 11]</a></span></p> - -<p>Le fait est que j'ai été maréchal des logis et sous-lieutenant au -sixième dragons à l'arrivée de ce régiment en Italie, mai 1800, je -crois, et que je donnai ma démission à l'époque de la petite paix de -1803. J'étais ennuyé à l'excès de mes camarades, et ne trouvais rien -de si doux que de vivre à Paris, <i>en philosophe</i>, c'était le mot dont -je me servais alors avec moi-même, au moyen de cent cinquante francs -par mois que mon père me donnait. Je supposais qu'après lui j'aurais le -double ou deux fois le double; avec l'ardeur de savoir qui me brûlait -alors, c'était beaucoup trop.</p> - -<p>Je ne suis pas devenu colonel, comme je l'aurais été avec la puissante -protection de M. le comte Daru, mon cousin, mais j'ai été, je crois, -bien plus heureux. Je ne songeai bientôt plus à étudier M. de Turenne -et à l'imiter, cette idée avait été mon but fixe pendant les trois ans -que je fus dragon. Quelquefois elle était combattue par cette autre: -faire des comédies comme Molière et vivre avec une actrice. J'avais -déjà alors un dégoût mortel pour les femmes honnêtes et l'hypocrisie -qui leur est indispensable. Ma paresse énorme l'emporta; une fois à -Paris, je passais des six mois entiers sans faire de visites à ma -famille (MM. Daru, M<sup>me</sup> Le Brun, M. et M<sup>me</sup> de -Baure), je me disais toujours <i>demain</i>; je passai deux ans ainsi, -dans un cinquième étage de la rue d'Angiviller, avec une belle vue -sur la colonnade du Louvre, et lisant La Bruyère,<span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">[p. 12]</a></span> Montaigne et J.-J. -Rousseau, dont bientôt l'emphase m'offensa. Là se forma mon caractère. -Je lisais beaucoup aussi les tragédies d'Alfieri, m'efforçant d'y -trouver du plaisir, je vénérais Cabanis, Tracy et J.-B. Say, je lisais -souvent Cabanis, dont le style vague me désolait. Je vivais solitaire -et fou comme un Espagnol, à mille lieues de la vie réelle. Le bon père -Jeki, Irlandais, me donnait des leçons d'anglais, mais je ne faisais -aucun progrès, j'étais fou d'Hamlet.</p> - -<p>Mais je me laisse emporter, je m'égare, je serai inintelligible si je -ne suis pas l'ordre des temps, et d'ailleurs les circonstances ne me -reviendront pas si bien.</p> - -<p>Donc, à Wagram, en 1809, je n'étais pas militaire, mais au contraire -adjoint aux commissaires des Guerres, place où mon cousin, M. Daru, -m'avait mis pour <i>me retirer du vice</i>, suivant le style de ma famille. -Car ma solitude de la rue d'Angiviller avait fini par vivre une année -à Marseille avec une actrice charmante<a name="NoteRef_19_55" id="NoteRef_19_55"></a><a href="#Note_19_55" class="fnanchor">[19]</a> qui avait les sentiments -les plus élevés et à laquelle je n'ai jamais donné un sou.</p> - -<p>D'abord, par la grandissime raison que mon père me donnait toujours -cent cinquante francs par mois sur lesquels il fallait vivre, et cette -pension était fort mal payée à Marseille, en 1805.</p> - -<p>Mais je m'égare encore. En octobre 1806, après <i>Iéna</i>, je fus adjoint -aux commissaires des Guerres, place honnie par les soldats; en 1810, -le 3 août,<span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">[p. 13]</a></span> auditeur au Conseil d'Etat, inspecteur général du mobilier -de la Couronne quelques jours après. Je fus en faveur, non auprès du -maître, Napoléon ne parlait pas à des fous de mon espèce, mais fort -bien vu du meilleur des hommes, M. le duc de Frioul (Duroc). Mais je -m'égare.</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">[p. 14]</a><br /><a name="Page_15" id="Page_15">[p. 15]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_37" id="Note_1_37"></a><a href="#NoteRef_1_37"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre I</i> comprend les feuillets 1 à 20.—Écrit les -23 et 24 novembre 1835.—Le fol. 1 ne fait pas partie du ms. R 299 de -la Bibl. mun. de Grenoble. Il a été relié avec le vol. R 5896. Le fol. -1 du ms. R 299 porte: «Moi, Henri Brulard, j'écrivais ce qui suit, à -Rome, de 1832 à 1836.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_38" id="Note_2_38"></a><a href="#NoteRef_2_38"><span class="label">[2]</span></a> <i>En face de moi, je vois ...</i>—Variante: «<i>J'aperçois.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_39" id="Note_3_39"></a><a href="#NoteRef_3_39"><span class="label">[3]</span></a> <i>M'aimait-elle</i>?—Nous n'adoptons pas la leçon proposée -par M. Bédier à M. Paul Arbelet et adoptée par Stryienski dans sa -2<sup>e</sup> édition de la <i>Vie de Henri Brulard.</i> Le manuscrit -porte en effet nettement un point entre les mots: <i>peut-être</i> et -<i>m'aimait-elle.</i> (Cf. Casimir Stryienski et Paul Arbelet, <i>Soirées du -Stendhal-Club</i>, 2<sup>e</sup> série, p. 81 note.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_40" id="Note_4_40"></a><a href="#NoteRef_4_40"><span class="label">[4]</span></a> <i>Et Menti ...</i>—Clémentine, que Stendhal appelle plus -souvent Menta (Sur M<sup>me</sup> Clémentine C...), voir A. Chuquet, -<i>Stendhal-Beyle</i>, p. 180-183.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_41" id="Note_5_41"></a><a href="#NoteRef_5_41"><span class="label">[5]</span></a> <i>M. Daru....</i>—Ms.: «<i>Ruda.</i>»—Sur les habitudes -anagrammatiques de Stendhal, voir l'Introduction.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_42" id="Note_6_42"></a><a href="#NoteRef_6_42"><span class="label">[6]</span></a> <i> ...cet ancien secrétaire-général de Besançon.</i>—Stendhal -surnomme souvent Besançon son ami de Mareste, qui fut -secrétaire-général de la préfecture du Doubs.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_43" id="Note_7_43"></a><a href="#NoteRef_7_43"><span class="label">[7]</span></a> <i>J'étais en pantalon de ...</i>—Le nom est laissé en blanc -dans le manuscrit.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_44" id="Note_8_44"></a><a href="#NoteRef_8_44"><span class="label">[8]</span></a> <i>J. vaisa voir la 5.</i>—Entre cet alinéa et le suivant, -Stendhal a laissé un assez grand espace dans lequel il a écrit le mot: -«<i>Chap.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_45" id="Note_9_45"></a><a href="#NoteRef_9_45"><span class="label">[9]</span></a> ... <i>au talent près ...</i>—Variante: «<i>Moins le talent.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_46" id="Note_10_46"></a><a href="#NoteRef_10_46"><span class="label">[10]</span></a> <i>Je trouve quelquefois beaucoup de plaisir à écrire, -voilà tout.</i>—Un feuillet intercalaire est ainsi conçu: «Au lieu de -tant de bavardages, peut-être que ceci suffit: -</p> -<p> -Brulard (Marie-Henry), né à Grenoble en 1786 (<i>sic</i>), d'une famille -de bonne bourgeoisie qui prétendait à la noblesse, il n'y eut pas de -plus fiers aristocrates qu'on pût voir dès 1752. Il fut témoin de bonne -heure de la méchanceté et de l'hypocrisie de certaines gens, de là sa -haine d'instinct pour la gion. Son enfance fut heureuse jusqu'à la mort -de sa mère, qu'il perdit à sept ans, ensuite les prêtres en firent un -enfer. Pour en sortir, il étudia les mathématiques avec passion et en -1797 ou 98 remporta le premier prix, tandis que cinq élèves reçus le -mois après à l'École polytechnique n'avaient que le second. Il arriva -à Paris le lendemain du 18 brumaire (9 novembre 1799), mais se garda -bien de se présenter à l'examen pour l'École polytechnique. Il partit -avec l'armée de réserve en amateur et passa le Saint-Bernard deux -jours après le Premier Consul. A son arrivée à Milan, M. Daru, son -cousin, alors inspecteur aux revues de l'armée, le fit entrer comme -maréchal des logis, et bientôt sous-lieutenant, dans le 6<sup>e</sup> -de Dragons, dont M. Le Baron, son ami, était colonel. Dans son régiment -B., qui avait 150 francs de pension par mois et qui se disait riche, -il avait 17 ans, fut envié et pas trop bien reçu; il eut cependant -un beau certificat du Conseil d'administration. Un an après, il fut -aide-de-camp du brave lieutenant-général Michaud, fit la campagne du -Mincio contre le général Bellegarde, jugea la sottise du général Brune -et fit des garnisons charmantes à Brescia et Bergame. Obligé de quitter -le général Michaud, car il fallait être au moins lieutenant pour -remplir les fonctions d'aide-de-camp, il rejoignit le 6<sup>e</sup> de -Dragons à Alba et Savigliano, fièrement, fit une maladie mortelle à -Saluces ... -</p> -<p> -Ennuyé de ses camarades, culottes de peau, B. vint à Grenoble, devint -amoureux de M<sup>lle</sup> Victorine M.; et, profitant de la petite -paix, donna sa démission et alla à Paris, où il passa dix ans dans -la solitude, croyant ne faire que s'amuser en lisant les <i>Lettres -Persanes</i>, Montaigne, Cabanis, Tracy, et dans le fait finissant son -éducation.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_47" id="Note_11_47"></a><a href="#NoteRef_11_47"><span class="label">[11]</span></a> ... <i>le</i> Génie <i>de Cha</i>[teaubriand]: m'a semblé -ridicule.—Le <i>Génie du Christianisme</i> parut en 1802.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_48" id="Note_12_48"></a><a href="#NoteRef_12_48"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>qui pourrait devenir dévot ...</i>—Ms.: «<i>Votdé.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_49" id="Note_13_49"></a><a href="#NoteRef_13_49"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>les madame Roland, les Mélanie Guilbert, les -...</i>—La phrase est inachevée.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_50" id="Note_14_50"></a><a href="#NoteRef_14_50"><span class="label">[14]</span></a> ... <i>une machine que Michel-Ange ...</i>—Le prince -Michel-Ange Caetani, frère de Don Philippe, ami de Stendhal.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_51" id="Note_15_51"></a><a href="#NoteRef_15_51"><span class="label">[15]</span></a> ... <i>le plus fripon des Kings et Tartare hypocrite -...</i>—Le premier est Louis-Philippe, le second le tsar de Russie, -Alexandre I<sup>er</sup>.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_52" id="Note_16_52"></a><a href="#NoteRef_16_52"><span class="label">[16]</span></a> ... <i>les préjugés, la religion!</i>—Ms.: «<i>Gionreli.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_53" id="Note_17_53"></a><a href="#NoteRef_17_53"><span class="label">[17]</span></a> ... <i>tandis qu'on saute les feuillets de ce jésuite -...</i>—Ms.: «<i>Tejessui.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_54" id="Note_18_54"></a><a href="#NoteRef_18_54"><span class="label">[18]</span></a> ... <i>(jesuitico more) ...</i>—Ms.: «<i>Ticojesui.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_19_55" id="Note_19_55"></a><a href="#NoteRef_19_55"><span class="label">[19]</span></a> ... <i>vivre une année à Marseille avec une actrice -charmante ...</i>—Mélanie Guilbert, que Stendhal appelle ailleurs -Louason.</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_II1" id="CHAPITRE_II1"></a>CHAPITRE II<a name="NoteRef_1_56" id="NoteRef_1_56"></a><a href="#Note_1_56" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Je tombai avec Napoléon en avril 1814. Je vins en Italie vivre comme -clans la rue d'Angiviller<a name="NoteRef_2_57" id="NoteRef_2_57"></a><a href="#Note_2_57" class="fnanchor">[2]</a>. En 1821, je quittai Milan, le désespoir -dans l'âme à cause de Métilde, et songeant beaucoup à me brûler la -cervelle. D'abord tout m'ennuya à Paris; plus tard, j'écrivis pour -me distraire; Métilde mourut, donc inutile de retourner à Milan. -J'étais devenu parfaitement heureux; c'est trop dire, mais enfin fort -passablement heureux, en 1830, quand j'écrivais <i>le Rouge et le Noir.</i></p> - -<p>Je fus ravi par les journées de juillet, je vis les balles sous les -colonnes du Théâtre-Français, fort peu de danger de ma part; je -n'oublierai jamais ce beau soleil, et la première vue du drapeau -tricolore,<span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">[p. 16]</a></span> le 29 ou le 30<a name="NoteRef_3_58" id="NoteRef_3_58"></a><a href="#Note_3_58" class="fnanchor">[3]</a>, vers huit heures, après avoir couché -chez le commandeur Pinto, dont la nièce avait peur. Le 25 septembre, -je fus nommé consul à Trieste par M. Molé<a name="NoteRef_4_59" id="NoteRef_4_59"></a><a href="#Note_4_59" class="fnanchor">[4]</a>, que je n'avais jamais -vu. De Trieste, je suis venu en 1831 à Cività-Vecchia et Rome<a name="NoteRef_5_60" id="NoteRef_5_60"></a><a href="#Note_5_60" class="fnanchor">[5]</a>, -où je suis encore et où je m'ennuie, faute de pouvoir faire échange -d'idées. J'ai besoin de temps en temps de converser le soir avec des -gens d'esprit, faute de quoi je me sens comme asphyxié.</p> - -<p>Ainsi, voici les grandes divisions de mon conte: né en 1783, dragon en -1800, étudiant de 1803 à 1806<a name="NoteRef_6_61" id="NoteRef_6_61"></a><a href="#Note_6_61" class="fnanchor">[6]</a>. En 1806, adjoint aux commissaires -des Guerres, intendant à Brunswick. En 1809, relevant les blessés à -Essling ou à Wagram, remplissant des missions le long du Danube, sur -ses rives couvertes de neige, à Linz et Passau, amoureux de madame la -comtesse Petit, pour la revoir demandant à aller en Espagne. Le 3 août -1810 nommé par elle, à peu près, auditeur au Conseil d'Etat. Cette vie -de haute faveur et de dépenses me conduit à Moscou, me fait intendant à -Sagan, en Silésie, et enfin tomber en avril 1814<a name="NoteRef_7_62" id="NoteRef_7_62"></a><a href="#Note_7_62" class="fnanchor">[7]</a>. Qui le croirait! -quant à moi personnellement, la chute me fit plaisir.</p> - -<p>Après la chute, étudiant, écrivain, fou d'amour, faisant imprimer<a name="NoteRef_8_63" id="NoteRef_8_63"></a><a href="#Note_8_63" class="fnanchor">[8]</a> -l'<i>Histoire de la Peinture en Italie en 1817</i>; mon père, devenu ultra, -se ruine et meurt en 1819, je crois; je reviens à Paris en juin 1821. -Je suis au désespoir à cause de Métilde, elle meurt, je l'aimais mieux -morte qu'infidèle,<span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">[p. 17]</a></span> j'écris, je me console, je suis heureux. En 1830, -au mois de septembre, je rentre dans la carrière administrative où je -suis encore, regrettant la vie d'écrivain au troisième étage de l'hôtel -de Valois, rue de Richelieu, n° 71.</p> - -<p>J'ai été homme d'esprit depuis l'hiver 1826, auparavant je me taisais -par paresse. Je passe, je crois, pour l'homme le plus gai et le plus -insensible, il est vrai que je n'ai jamais dit un seul mot des femmes -que j'aimais. J'ai éprouvé absolument à cet égard tous les symptômes du -tempérament mélancolique décrit par Cabanis. J'ai eu très peu de succès.</p> - -<p>Mais, l'autre jour, rêvant à la vie dans le chemin solitaire au-dessus -du lac d'Albano, je trouvai que ma vie pouvait se résumer par les noms -que voici, et dont j'écrivais les initiales sur la poussière, comme -Zadig, avec ma canne, assis sur le petit banc derrière les stations -du Calvaire des <i>Minori Menzati</i> bâti par le frère d'Urbain VIII, -Barberini, auprès de ces deux beaux arbres enfermés par un petit mur -rond<a name="NoteRef_9_64" id="NoteRef_9_64"></a><a href="#Note_9_64" class="fnanchor">[9]</a>:</p> - -<p>Virginie (Kably), Angela (Pietragrua), Adèle (Rebuffel), Mélanie -(Guilbert), Mina (de Grisheim), Alexandrine (Petit), Angelina que je -n'ai jamais aimée (Bereyter), Angela (Pietragrua), Métilde (Dembowski), -Clémentine, Giulia. Et enfin, pendant un mois au plus, M<sup>me</sup> -Azur dont j'ai oublié le nom de baptême<a name="NoteRef_10_65" id="NoteRef_10_65"></a><a href="#Note_10_65" class="fnanchor">[10]</a>, et, imprudemment, hier, -Amalia (B.).</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">[p. 18]</a></span></p> - -<p>La plupart de ces êtres charmants ne m'ont point honoré de leurs -bontés; mais elles ont à la lettre occupé toute ma vie. A elles ont -succédé mes ouvrages. Réellement je n'ai jamais été ambitieux, mais en -1811 je me croyais ambitieux.</p> - -<p>L'état habituel de ma vie a été celui d'amant malheureux, aimant la -musique et la peinture, c'est-à-dire jouir des produits de ces arts -et non les pratiquer gauchement. J'ai recherché avec une sensibilité -exquise la vue des beaux paysages; c'est pour cela uniquement que j'ai -voyagé. Les paysages étaient comme un <i>archet</i> qui jouait sur mon -âme, et des aspects que personne ne citait, la ligne de rochers en -approchant d'Arbois, je crois, en venant de Dole par la grande route, -sont pour moi une image sensible et évidente de l'âme de Métilde. Je -vois que la Rêverie a été ce que j'ai préféré à tout, même à passer -pour homme d'esprit. Je ne me suis donné cette peine, je n'ai pris -cet état d'improviser en dialogue, au profit de la société où je me -trouvais, qu'en 1826, à cause du désespoir où je passai les premiers -mois de cette année fatale.</p> - -<p>Dernièrement, j'ai appris, en le lisant dans un livre (les lettres -de Victor Jacquemont, l'Indien) que quelqu'un avait pu me trouver -brillant. Il y a quelques années, j'avais vu la même chose à peu près -dans un livre, alors à la mode, de lady Morgan. J'avais oublié cette -belle qualité qui m'a fait tant d'ennemis. (Ce n'était peut-être que -l'apparence de<span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">[p. 19]</a></span> la qualité, et les ennemis sont des êtres trop communs -pour juger du brillant; par exemple, comment un comte d'Argout peut-il -juger du <i>brillant?</i> Un homme dont le bonheur est de lire deux ou trois -volumes de romans in-12, pour femme de chambre, par jour! Comment M. de -Lamartine jugerait-il de l'esprit? D'abord il n'en a pas et, en second -lieu, il dévore aussi deux volumes par jour des plus plats ouvrages. Vu -à Florence en 1824 ou 1826.)</p> - -<p>Le grand <i>drawback</i> (inconvénient) d'avoir de l'esprit, c'est qu'il -faut avoir l'œil fixé sur les demi-sots qui vous entourent, <i>et se -pénétrer de leurs plates sensations.</i> J'ai le défaut de m'attacher au -moins impuissant d'imagination et de devenir inintelligible pour les -autres qui, peut-être, n'en sont que plus contents.</p> - -<p>Depuis que je suis à Rome, je n'ai pas d'esprit une fois la semaine -et encore pendant cinq minutes, j'aime mieux rêver. Ces gens-ci ne -comprennent pas assez les finesses de la langue française pour sentir -les finesses de mes observations: il leur faut du gros esprit de -commis-voyageur, comme Mélodrame qui les enchante (exemple: Michel-Ange -Caetani) et est leur véritable pain quotidien. La vue d'un pareil -succès me glace, je ne daigne plus parler aux gens qui ont applaudi -Mélodrame. Je vois tout le néant de la vanité.</p> - -<p>Il y a deux mois donc, en septembre 1835, rêvant à écrire ces mémoires, -sur la rive du lac d'Albano<span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">[p. 20]</a></span> (à deux cents pieds du niveau du lac), -j'écrivais sur la poussière, comme Zadig, ces initiales:</p> - -<p style="margin-left: 10%;"> -V. A<sup>a</sup>. A<sup>d</sup>. M. M<sup>i</sup>. A<sup>l</sup>. A<sup>ine</sup>. A<sup>pg</sup>. M<sup>de</sup>. C. G. A<sup>r</sup>.<br /> - -<span style="margin-left: 1.5em;">1 2 3 4 5 6</span><br /> -</p> - -<p>(M<sup>me</sup> Azur, dont j'ai oublié le nom de baptême).</p> - -<p>Je rêvais profondément à ces noms et aux étonnantes bêtises et sottises -qu'ils m'ont fait faire (je dis étonnantes pour moi, non pour le -lecteur, et d'ailleurs je ne m'en repens pas).</p> - -<p>Dans le fait je n ai eu que six femmes que j'ai aimées.</p> - -<p style="margin-left: 10%;"> -La plus grande passion est à débattre entre<br /> -Mélanie, Alexandrine, Métilde et Clémentine.<br /> - -<span style="margin-left: 1.5em;">2 4</span><br /> -</p> - -<p>Clémentine est celle qui m'a causé la plus grande douleur en me -quittant. Mais cette douleur est-elle comparable à celle occasionnée -par Métilde, qui ne voulait pas me dire qu'elle m'aimait?</p> - -<p>Avec toutes celles-là et avec plusieurs autres, j'ai toujours été un -enfant; aussi ai-je eu très peu de succès. Mais, en revanche, elles -m'ont occupé beaucoup et passionnément, et laissé des souvenirs qui -me charment, quelques-uns après vingt-quatre ans, comme le souvenir -de la Madone del Monte, à Varèse, en 1811. Je n'ai point été galant, -pas assez, je n'étais occupé que de la femme que j'aimais, et quand je -n'aimais pas, je rêvais au spectacle des choses humaines, ou je lisais -avec délices Montesquieu ou Walter Scott. <i>Par ainsi</i>, comme disent -les enfants,<span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">[p. 21]</a></span> je suis si loin d'être blasé sur leurs ruses et petites -grâces qu'à mon âge, cinquante-deux[ans]<a name="NoteRef_11_66" id="NoteRef_11_66"></a><a href="#Note_11_66" class="fnanchor">[11]</a>, et en écrivant ceci, -je suis encore tout charmé d'une longue <i>chiacchierata</i> qu'Amalia a eue -hier avec moi au Th[éâtre] Valle.</p> - -<p>Pour les considérer le plus philosophiquement possible et tâcher ainsi -de les dépouiller de l'auréole qui me fait <i>aller les yeux</i>, qui -m'éblouit et m'ôte la faculté de voir distinctement, <i>j'ordonnerai</i> ces -dames (langage mathématique) selon leurs diverses qualités. Je dirai -donc, pour commencer par leur passion habituelle: la vanité, que deux -d'entre elles étaient comtesses et une, baronne.</p> - -<p>La plus riche fut Alexandrine Petit, son mari et elle surtout -dépensaient bien 80.000 francs par an. La plus pauvre fut Mina de -Grisheim, fille cadette d'un général sans nulle fortune et favori d'un -prince tombé, dont les app[ointement]s faisaient vivre la famille, ou -M<sup>lle</sup> Bereyter, actrice de l'Opera-Buffa.</p> - -<p>Je cherche à distraire le charme, le <i>dazzling</i> des événements, en les -considérant ainsi militairement. C'est ma seule ressource pour arriver -au vrai dans un sujet sur lequel je ne puis converser avec personne. -Par pudeur de tempérament mélancolique (Cabanis), j'ai toujours été, -à cet égard, d'une discrétion incroyable, folle. Quant à l'esprit, -Clémentine l'a emporté sur toutes les autres. Métilde l'a emporté par -les sentiments nobles, espagnols;<span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">[p. 22]</a></span> Giulia, ce me semble, par la force -du caractère, tandis que, au premier moment, elle semblait la plus -faible: Angela P. a été catin sublime à italienne, à la Lucrèce Borgia, -et M<sup>me</sup> Azur, catin non sublime, à la Du Barry.</p> - -<p>L'argent ne m'a jamais fait la guerre que deux fois, à la fin de 1805 -et en 1806 jusqu'en août, que mon père ne m'envoyait plus d'argent, et -sans <i>m'en prévenir</i>, là était le mal; [il] fut une fois cinq mois sans -payer ma pension de cent cinquante francs. Alors nos grandes misères -avec le vicomte<a name="NoteRef_12_67" id="NoteRef_12_67"></a><a href="#Note_12_67" class="fnanchor">[12]</a>, lui recevait exactement sa pension, mais la -jouait régulièrement toute, le jour qu'il la recevait.</p> - -<p>En 1829 et 30, j'ai été embarrassé plutôt par manque de soin et -insouciance que par l'absence véritablement de moyen, puisque de 1821 -à 1830 j'ai fait trois ou quatre voyages en Italie, en Angleterre, à -Barcelone, et qu'à la fin de cette période je ne devais que quatre -cents francs.</p> - -<p>Mon plus grand manque d'argent m'a conduit à la démarche désagréable -d'emprunter cent francs ou, quelquefois, deux cents à M. Beau. Je -rendais après un mois ou deux; et enfin, en septembre 1830, je devais -quatre cents francs à mon tailleur Michel. Ceux qui connaissent la vie -des jeunes gens de mon époque trouveront cela bien modéré. De 1800 -à 1830, je n'avais jamais dû un sou à mon tailleur Léger, ni à son -successeur Michel (22, rue Vivienne).</p> - -<p>Mes amis d'alors, 1830, MM. de Mareste, Colomb,<span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">[p. 23]</a></span> étaient des amis d'une -singulière espèce, ils auraient fait sans doute des démarches actives -pour me tirer d'un grand danger, mais lorsque je sortais avec un habit -neuf ils auraient donné vingt francs, le premier surtout, pour qu'on me -jetât un verre d'eau sale, (Excepté le vicomte de Barral et Bigillion -(de Saint-Ismier), je n'ai guère eu, en toute ma vie, que des amis de -cette espèce.)</p> - -<p>C'étaient de braves gens fort prudents qui avaient réuni 12 ou 15.000 -[francs] d'appointements ou de rente par un travail ou une adresse -assidue, et qui ne pouvaient souffrir de me voir allègre, insouciant, -heureux avec un cahier de papier blanc et une plume, et vivant avec non -plus de 4 ou 5.000 francs. Ils m'auraient aimé cent fois mieux s'ils -m'eussent vu attristé et malheureux de n'avoir que la moitié ou le -tiers de leur revenu, moi qui jadis les avais peut-être un peu choqués -quand j'avais un cocher, deux chevaux, une calèche et un cabriolet, car -jusqu'à cette hauteur s'était élevé mon luxe, du temps de l'Empereur. -Alors j'étais ou me croyais ambitieux; ce qui me gênait dans cette -supposition<a name="NoteRef_13_68" id="NoteRef_13_68"></a><a href="#Note_13_68" class="fnanchor">[13]</a>, c'est que je ne savais quoi désirer. J'avais honte -d'être amoureux de la comtesse Al. Petit, j'avais comme maîtresse -entretenue M<sup>lle</sup> A. Bereyter, actrice de l'Opera-Buffa, -je déjeunais au café Hardy, j'étais d'une activité incroyable. Je -revenais de Saint-Cloud à Paris exprès pour assister à un acte du -<i>Matrimonio segreto</i> à l'Odéon (Madame Barilli,<span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">[p. 24]</a></span> Barilli, Tachinardi. -M<sup>me</sup> Festa, M<sup>lle</sup> Bereyter). Mon cabriolet -attendait à la porte du café Hardy, voilà ce que mon beau-frère<a name="NoteRef_14_69" id="NoteRef_14_69"></a><a href="#Note_14_69" class="fnanchor">[14]</a> -ne m'a jamais pardonné.</p> - -<p>Tout cela pouvait passer pour de la fatuité et pourtant n'en était pas. -Je cherchais à jouir et à agir, mais je ne cherchais nullement à faire -paraître plus de jouissances ou d'action qu'il n'y en avait réellement. -M. Prunelle, médecin, homme d'esprit, dont la raison me plaisait fort, -horriblement laid et depuis célèbre comme député vendu et maire de Lyon -vers 1833, qui était de ma connaissance en ce temps-là, dit de moi: -<i>C'était un fier fat.</i> Ce jugement retentit parmi mes connaissances. -Peut-être au reste avaient-ils raison.</p> - -<p>Mon excellent et vrai bourgeois de beau-frère, M. Périer-Lagrange -(ancien négociant qui se ruinait, sans le savoir, en faisant de -l'agriculture près de La Tour-du-Pin), déjeunant avec moi au café Hardy -et me voyant commander ferme aux garçons, car avec tous mes devoirs à -remplir j'étais souvent pressé, fut ravi parce que ces garçons firent -entre eux quelque plaisanterie qui impliquait que j'étais un fat, ce -qui ne me fâcha nullement. J'ai toujours et comme par instinct (si bien -vérifié depuis par les Chambres), profondément méprisé les bourgeois.</p> - -<p>Toutefois, j'entrevoyais aussi que parmi les bourgeois seulement se -trouvaient les hommes énergiques tels que mon cousin Rebuffel<a name="NoteRef_15_70" id="NoteRef_15_70"></a><a href="#Note_15_70" class="fnanchor">[15]</a> -(négociant rue<span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">[p. 25]</a></span> Saint-Denis), le Père Ducros, bibliothécaire de la -ville de Grenoble, l'incomparable Gros (de la rue Saint-Laurent), -géomètre de la haute volée et mon maître, à l'insu de mes parents -mâles, car il était jacobin et toute ma famille bigotement ultra. Ces -trois hommes ont possédé toute mon estime et tout mon cœur, autant que -le respect et la différence d'âge pouvaient admettre ces communications -qui font qu'on aime. Même, je fus avec eux comme je fus plus tard avec -les êtres que j'ai trop aimés, muet, immobile, stupide, peu aimable -et quelquefois offensant à force de dévouement et d'absence <i>du moi.</i> -Mon amour-propre, mon intérêt, mon moi avaient disparu en présence de -la personne aimée, j'étais transformé en elle. Qu'était-ce quand cette -personne était une coquine comme madame Piétragrua? Mais j'anticipe -toujours. Aurai-je le courage d'écrire ces Confessions d'une façon -intelligible? Il faut narrer, et j'écris des <i>considérations</i> sur des -événements bien petits mais qui, précisément à cause de leur taille -microscopique, ont besoin d'être contés très distinctement. Quelle -patience il vous faudra, ô mon lecteur!</p> - -<p>Donc, suivant moi, l'<i>énergie</i> ne se trouvait, même à mes yeux (en -1811), que dans la classe qui est en lutte avec les vrais besoins.</p> - -<p>Mes amis nobles. MM. Raymond de Bérenger (tué à Lutzen), de -Saint-Ferréol, de Sinard (dévot mort jeune), Gabriel Du B.......... -(sorte de filou<span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">[p. 26]</a></span> ou d'emprunteur peu délicat, aujourd'hui pair de -France et ultra par l'âme), MM. de Monval, m'avaient paru comme ayant -toujours quelque chose de singulier, un respect effroyable pour les -<i>convenances</i> (par exemple, Sinard). Ils cherchaient toujours à être de -<i>bon ton</i> ou <i>comme il faut</i>, ainsi qu'on disait à Grenoble en 1793. -Mais cette idée-là, j'étais loin de l'avoir clairement. Il n'y a pas un -an que mon idée sur la noblesse est enfin arrivée à être complète. Par -instinct, ma vie morale s'est passée à considérer attentivement cinq ou -six idées principales, et à tâcher de voir la vérité sur elles.</p> - -<p>Raymond de Bérenger était excellent et un véritable exemple de -la maxime: <i>noblesse oblige</i>, tandis que Monval (mort colonel et -généralement méprisé vers 1829, à Grenoble) était l'idéal d'un député -du centre. Tout cela se voyait déjà fort bien quand ces Messieurs -avaient quinze ans, vers 1798.</p> - -<p>Je ne vois la vérité nettement sur la plupart de ces choses qu'en -les écrivant, en 1835, tant elles ont été enveloppées jusqu'ici -de l'auréole de la jeunesse, provenant de l'extrême vivacité des -sensations.</p> - -<p>A force d'employer des méthodes philosophiques, par exemple à force de -classer mes amis de jeunesse par genres, comme M. Adrien de Jussieu -fait pour ses plantes (en botanique), je cherche à atteindre cette -vérité qui me fuit. Je m'aperçois que ce que je prenais pour de hautes -montagnes, en 1800,<span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">[p. 27]</a></span> n'étaient la plupart que des <i>taupinières</i>; mais -c'est une découverte que je n'ai faite que bien tard.</p> - -<p>Je vois que j'étais comme un cheval ombrageux, et c'est à un mot que -me dit M. de Tracy (l'illustre comte Destutt de Tracy, pair de France, -membre de l'Académie française et, bien mieux, auteur de la loi du 3 -prairial<a name="NoteRef_16_71" id="NoteRef_16_71"></a><a href="#Note_16_71" class="fnanchor">[16]</a> sur les Écoles centrales), c'est à un mot que me dit M. -de Tracy que je dois cette découverte.</p> - -<p>Il me faut un exemple. Pour un rien, par exemple une porte à demi -ouverte, la nuit, je me figurais deux hommes armés m'attendant pour -m'empêcher d'arriver à une fenêtre donnant sur une galerie où je voyais -ma maîtresse. C'était une illusion, qu'un homme sage comme Abraham -Constantin<a name="NoteRef_17_72" id="NoteRef_17_72"></a><a href="#Note_17_72" class="fnanchor">[17]</a>, mon ami, n'aurait point eue. Mais au bout de peu de -secondes (quatre ou cinq tout au plus) le sacrifice de ma vie était -fait et parfait, et je me précipitais comme un héros au devant des deux -ennemis, qui se changeaient en une porte à demi fermée.</p> - -<p>Il n'y a pas deux mois qu'une chose de ce genre, au moral toutefois, -m'est encore arrivée. Le sacrifice était fait et tout le courage -nécessaire était présent, quand après vingt heures je me suis aperçu, -en relisant une lettre mal lue (de M. Herrard), que c'était une -illusion. Je lis toujours fort vite ce qui me fait de la peine.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">[p. 28]</a></span></p> - -<p>Donc, en classant ma vie comme une collection de plantes, je trouvai:</p> - - -<blockquote> - -<p>Enfance, première éducation, de 1786 à 1800 <span class="rline">15 ans.</span></p> - -<p>Service militaire, de 1800 à 1803 <span class="rline"> 3 —</span></p> - -<p>Seconde éducation, amours ridicules avec M<sup>lle</sup> -Adèle Clozel et avec sa mère, qui se donna l'amoureux de sa -fille. Vie rue d'Angiviller. Enfin beau séjour à Marseille -avec Mélanie, de 1803 à 1805 <span class="rline"> 2 —</span></p> - -<p>Retour à Paris, fin de l'éducation <span class="rline"> 1 —</span></p> - -<p>Service sous Napoléon, de 1806 à la fin de 1815 (d'octobre -1806 à l'abdication en 1814) <span class="rline"> 7 1/2</span></p> - -<p>Mon adhésion, dans le même numéro du <i>Moniteur</i> on se trouva -l'abdication de Napoléon. Voyages, grandes et terribles -amours, consolations en écrivant des livres, de 1814 à 1830 -<span class="rline">15 1/2</span></p> - -<p>Second service, allant du 15 septembre 1830 au présent quart -d'heure <span class="rline"> 5 —</span></p></blockquote> - -<p>J'ai débuté dans le monde par le salon de M<sup>me</sup> de Vaulserre, -dévote à la figure singulière, sans menton, fille de M. le baron des -Adrets et amie de ma mère. C'était probablement vers 1794. J'avais -un tempérament de feu et la timidité décrite par Cabanis. Je fus -excessivement touché de la beauté du bras de M<sup>lle</sup> Bonne de -Saint-Vallier, je pense, je vois la figure et les beaux bras, mais le -nom est incertain, peut-être était-ce M<sup>lle</sup> de Lavalette.<span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">[p. 29]</a></span> -M. de Saint-Ferréol, dont depuis je n'ai jamais ouï parler, était mon -ennemi et mon rival, M. de Sinard, ami commun, nous calmait. Tout cela -se passait dans un magnifique rez-de-chaussée donnant sur le jardin de -l'hôtel des Adrets, maintenant détruit et changé en maison bourgeoise, -rue Neuve, à Grenoble. A la même époque commença mon admiration -passionnée pour le Père Ducros (moine cordelier sécularisé, homme du -premier mérite, du moins il me semble). J'avais pour ami intime mon -grand-père, M. Henri Gagnon, docteur en médecine.</p> - -<p>Après tant de considérations générales, je vais naître.</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">[p. 30]</a><br /><a name="Page_31" id="Page_31">[p. 31]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_56" id="Note_1_56"></a><a href="#NoteRef_1_56"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre II</i> comprend les feuillets 20 à 42. Non daté.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_57" id="Note_2_57"></a><a href="#NoteRef_2_57"><span class="label">[2]</span></a> <i>Je vins en Italie vivre comme dans la rue -d'Angiviller.</i>—L'auteur était en 1819 à Grenoble, lors de l'élection -de l'abbé Grégoire à la Chambre des Députés. (Note au crayon de H. -Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_58" id="Note_3_58"></a><a href="#NoteRef_3_58"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>le</i> 29 <i>ou le</i> 30 ...—C'est le 28. (Note au crayon de R. -Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_59" id="Note_4_59"></a><a href="#NoteRef_4_59"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>M. Molé ...</i>—Ms.: «<i>Lémo.</i>»—Molé fut ministre des Affaires -étrangères entre le 11 août et le 2 novembre 1830.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_60" id="Note_5_60"></a><a href="#NoteRef_5_60"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>Cività-Vecchia et Rome ...</i>—Ms.: «<i>Omar.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_61" id="Note_6_61"></a><a href="#NoteRef_6_61"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>étudiant de</i> 1803 à 1806.—Négociant à Marseille, 1805. -(Note au crayon de R. Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_62" id="Note_7_62"></a><a href="#NoteRef_7_62"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>tomber en avril</i> 1814.—En avril 1814. (Note au crayon de R. -Colomb.)—Le manuscrit porte: 1815.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_63" id="Note_8_63"></a><a href="#NoteRef_8_63"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>faisant imprimer ...</i>—Les lettres sur Mozart, Haydn, etc. -(Note au crayon de R. Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_64" id="Note_9_64"></a><a href="#NoteRef_9_64"><span class="label">[9]</span></a> ... <i>enfermés par un petit mur rond.</i>—En face, au verso du fol. -22, est une esquisse de cette scène: le «couvent», près duquel passe la -«route tendant à Albano»; à droite, un arbre entouré d'un mur bas; à -droite encore, au bord du «lac d'Albano», Stendhal assis. Devant lui, -en capitales, les mots suivants: «ZADIG. ASTARTÉ.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_65" id="Note_10_65"></a><a href="#NoteRef_10_65"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>dont j'ai oublié le nom de baptême.</i>—M<sup>me</sup> Azur -est M<sup>me</sup> Alberthe de Rubempré.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_66" id="Note_11_66"></a><a href="#NoteRef_11_66"><span class="label">[11]</span></a> ... à <i>mon âge, cinquante-deux ans ...</i>—Les chiffres ont été -intervertis par Stendhal. Il explique le 52 en mettant en surcharge: -(7<sup>2</sup> + 3).</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_67" id="Note_12_67"></a><a href="#NoteRef_12_67"><span class="label">[12]</span></a> <i>Alors nos grandes misères avec le vicomte ...</i>—Le vicomte de -Barral.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_68" id="Note_13_68"></a><a href="#NoteRef_13_68"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>ce qui me gênait dans cette supposition ...</i>—Variante: -«<i>Idée.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_69" id="Note_14_69"></a><a href="#NoteRef_14_69"><span class="label">[14]</span></a> ... <i>mon beau-frère ...</i>—Pauline, sœur de Beyle, avait épousé -François-Daniel Périer-Lagrange.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_70" id="Note_15_70"></a><a href="#NoteRef_15_70"><span class="label">[15]</span></a> ... <i>mon cousin Rebuffel ...</i>—Jean-Baptiste Rebuffet. Stendhal -orthographie continuellement <i>Rebuffel.</i> Nous avons respecté cette -orthographe.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_71" id="Note_16_71"></a><a href="#NoteRef_16_71"><span class="label">[16]</span></a> ... <i>loi du</i> 3 <i>prairial ...</i>—La loi instituant les Écoles -centrales est du 3 brumaire an IV.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_72" id="Note_17_72"></a><a href="#NoteRef_17_72"><span class="label">[17]</span></a> ... <i>Abraham Constantin ...</i>—Peintre sur porcelaine, originaire -de Genève.</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_III1" id="CHAPITRE_III1"></a>CHAPITRE III<a name="NoteRef_1_73" id="NoteRef_1_73"></a><a href="#Note_1_73" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Mon premier souvenir est d'avoir mordu à la joue ou au front madame -Pison-Dugalland, ma cousine, femme de l'homme d'esprit député à -l'Assemblée constituante. Je la vois encore, une femme de vingt-cinq -ans qui avait de l'embonpoint et beaucoup de rouge. Ce fut apparemment -ce rouge qui me piqua. Assise au milieu du pré qu'on appelait le glacis -de la porte de Bonne, sa joue se trouvait précisément à ma hauteur.</p> - -<p>«Embrasse-moi, Henri», me disait-elle. Je ne voulus pas, elle se -fâcha, je mordis ferme. Je vois la scène, mais sans doute parce que -sur-le-champ on m'en fit un crime et que sans cesse on m'en parlait.</p> - -<p>Ce glacis de la porte de Bonne était couvert de<span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">[p. 32]</a></span> marguerites. C'est une -jolie petite fleur dont je faisais un bouquet. Ce pré de 1786 se trouve -sans doute aujourd'hui au milieu de la ville, au sud de l'église du -collège<a name="NoteRef_2_74" id="NoteRef_2_74"></a><a href="#Note_2_74" class="fnanchor">[2]</a>.</p> - -<p>Ma tante Séraphie<a name="NoteRef_3_75" id="NoteRef_3_75"></a><a href="#Note_3_75" class="fnanchor">[3]</a> déclara que j'étais un monstre et que j'avais -un caractère atroce. Cette tante Séraphie avait toute l'aigreur d'une -fille dévote qui n'a pas pu se marier. Que lui était-il arrivé? Je ne -l'ai jamais su, nous ne savons jamais la chronique scandaleuse de nos -parents, et j'ai quitté la ville pour toujours à seize ans, après trois -ans de la passion la plus vive, qui m'avait relégué dans une solitude -complète.</p> - -<p>Le second trait de caractère fut bien autrement noir.</p> - -<p>J'avais fait une collection de joncs, toujours sur le glacis de la -porte de Bonne (Bonne de Lesdiguières. Demander le nom botanique du -jonc, herbe de forme cylindrique comme une plume de poulet et d'un pied -de long).</p> - -<p>On m'avait ramené à la maison, dont une fenêtre au premier étage -donnait sur la Grande-rue, à l'angle de la place Grenette. Je faisais -un jardin en coupant ces joncs en morceaux<a name="NoteRef_4_76" id="NoteRef_4_76"></a><a href="#Note_4_76" class="fnanchor">[4]</a> de deux pouces de long -que je plaçais dans l'intervalle entre le balcon et le <i>jet d'eau</i> -de la croisée. Le couteau de cuisine dont je me servais m'échappa et -tomba dans la rue, c'est-à-dire d'une douzaine de pieds, près d'une -madame Chenavaz. C'était la plus méchante femme<span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">[p. 33]</a></span> de toute la ville -(mère de Candide Chenavaz qui, dans sa jeunesse, adorait la <i>Clarisse -Harlowe</i> de Richardson, depuis l'un des trois cents de M. de Villèle -et récompensé par la place de premier président de la cour royale de -Grenoble; mort à Lyon non reçu).</p> - -<p>Ma tante Séraphie dit que j'avais voulu tuer madame Chenavaz; je -fus déclaré pourvu d'un caractère atroce, grondé par mon excellent -grand-père, M. Gagnon, qui avait peur de sa fille Séraphie, la dévote -la plus en crédit dans la ville, grondé même par ce caractère élevé -et espagnol, mon excellente grand'tante, M<sup>lle</sup> Elisabeth -Gagnon<a name="NoteRef_5_77" id="NoteRef_5_77"></a><a href="#Note_5_77" class="fnanchor">[5]</a>.</p> - -<p>Je me révoltai, je pouvais avoir quatre ans<a name="NoteRef_6_78" id="NoteRef_6_78"></a><a href="#Note_6_78" class="fnanchor">[6]</a>. De cette époque -date mon horreur pour la religion<a name="NoteRef_7_79" id="NoteRef_7_79"></a><a href="#Note_7_79" class="fnanchor">[7]</a>, horreur que ma raison a pu à -grand'peine réduire à de justes dimensions, et cela tout nouvellement, -il n'y a pas six ans. Presque en même temps prit sa première naissance -mon amour filial instinctif, forcené dans ces temps-là, pour la... -<a name="NoteRef_8_80" id="NoteRef_8_80"></a><a href="#Note_8_80" class="fnanchor">[8]</a>.</p> - -<p>Je n'avais pas plus de cinq ans<a name="NoteRef_9_81" id="NoteRef_9_81"></a><a href="#Note_9_81" class="fnanchor">[9]</a>.</p> - -<p>Cette tante Séraphie a été mon mauvais génie pendant toute mon enfance; -elle était abhorrée, mais avait beaucoup de crédit dans la famille. Je -suppose que dans la suite mon père fut amoureux d'elle, du moins il y -avait de longues promenades aux <i>Granges</i>, dans un marais sous les murs -de la ville, où j'étais le seul <i>tiers incommode</i>, et où je m'ennuyais -fort. Je me cachais au moment de partir<span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">[p. 34]</a></span> pour ces promenades. Là fit -naufrage la très petite amitié que j'avais pour mon père.</p> - -<p>Dans le fait, j'ai été exclusivement élevé par mon excellent -grand-père, M. Henri Gagnon. Cet homme rare avait fait un pèlerinage -à Ferney pour voir Voltaire et en avait été reçu avec distinction. -Il avait un petit buste de Voltaire, gros comme le poing, monté sur -un pied de bois d'ébène de six pouces de haut. (C'était un singulier -goût, mais les beaux-arts n'étaient le fort ni de Voltaire, ni de mon -excellent grand-père.)</p> - -<p>Ce buste était placé devant le bureau où il écrivait; son cabinet était -au fond d'un très vaste appartement donnant sur une terrasse élégante -ornée de fleurs<a name="NoteRef_10_82" id="NoteRef_10_82"></a><a href="#Note_10_82" class="fnanchor">[10]</a>. C'était pour moi une rare faveur d'y être admis, -et une plus rare de voir et de toucher le buste de Voltaire.</p> - -<p>Et avec tout cela, du plus loin que je me souvienne, les écrits de -Voltaire m'ont toujours souverainement déplu, ils me semblaient un -enfantillage. Je puis dire que rien de ce grand homme ne m'a jamais -plu. Je ne pouvais voir alors qu'il était le législateur et l'apôtre de -la France, son Martin Luther.</p> - -<p>M. Henri Gagnon portait une perruque poudrée, ronde, à trois rangs de -boucles, parce qu'il était docteur en médecine, et docteur à la mode -parmi les dames, accusé même d'avoir été l'amant de plusieurs, entre -autres madame Teisseire, l'une des<span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">[p. 35]</a></span> plus jolies de la ville, que je -ne me souviens pas d'avoir jamais vue, car alors on était brouillé, -mais on me l'a fait comprendre plus tard d'une singulière façon. Mon -excellent grand-père, à cause de sa perruque, m'a toujours semblé -avoir quatre-vingts ans. Il avait des vapeurs (comme moi misérable), -des rhumatismes, marchait avec peine, mais par principe ne montait -jamais en voiture et ne mettait jamais son chapeau: un petit chapeau -triangulaire à mettre sous le bras<a name="NoteRef_11_83" id="NoteRef_11_83"></a><a href="#Note_11_83" class="fnanchor">[11]</a> et qui faisait ma joie quand -je pouvais l'accrocher pour le mettre sur ma tête, ce qui était -considéré par toute la famille comme un manque de respect; et enfin, -par respect, je cessai de m'occuper du chapeau triangulaire et de la -petite canne à pomme en racine de buis bordée d'écaille. Mon grand-père -adorait la correspondance apocryphe d'Hippocrate, qu'il lisait en latin -(quoiqu'il sût un peu de grec), et l'Horace de l'édition de <i>Johannes</i> -Bond, imprimée en caractères horriblement menus. Il me communiqua ces -deux passions et en réalité presque tous ses goûts, mais pas comme il -l'aurait voulu, ainsi que je l'expliquerai plus tard.</p> - -<p>Si jamais je retourne à Grenoble, il faut que je fasse rechercher les -extraits de naissance et de décès de cet excellent homme, qui m'adorait -et n'aimait point son fils, M. Romain Gagnon, père de M. Oronce Gagnon, -chef d'escadrons de dragons qui a tué son homme en duel il y a trois -ans, ce dont<span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">[p. 36]</a></span> je lui sais gré, probablement il n'est pas un niais. Il y -a trente-trois ans que je ne l'ai vu, il peut en avoir trente-cinq.</p> - -<p>J'ai perdu mon grand-père pendant que j'étais en Allemagne, est-ce en -1807 ou en 1813, je n'ai pas de souvenir net. Je me souviens que je -fis un voyage à Grenoble pour le revoir encore; je le trouvai fort -attristé. Cet homme si aimable, qui était le centre des <i>veillées</i> où -il allait, ne parlait presque plus. Il me dit: «<i>C'est une visite -d'adieu</i>», et puis parla d'autres choses; il avait en horreur -l'attendrissement de famille niais.</p> - -<p>Un souvenir me revient, vers 1807 je me fis peindre, pour engager -M<sup>me</sup> Alex. Petit à se faire peindre aussi, et comme le nombre -des séances était une objection, je la conduisis chez un peintre -vis-à-vis la Fontaine du Diorama qui peignait à l'huile, en une séance, -pour cent-vingt francs<a name="NoteRef_12_84" id="NoteRef_12_84"></a><a href="#Note_12_84" class="fnanchor">[12]</a>. Mon bon grand-père vit ce portrait, -que j'avais envoyé à ma sœur, je crois, pour m'en défaire, il avait -déjà perdu beaucoup de ses idées; il dit en voyant ce portrait: « -<i>Celui-là est le véritable</i>», et puis retomba dans l'affaissement et -la tristesse. Il mourut bientôt après, ce me semble, à l'âge de 82 ans, -je crois.</p> - -<p>Si cette date est exacte, il devait avoir 61 ans en 1789 et être né -vers 1728. Il racontait quelquefois la bataille de l'<i>Assiette</i>, assaut -dans les Alpes, tenté en vain par le chevalier de Belle-Isle en 1742, -je crois<a name="NoteRef_13_85" id="NoteRef_13_85"></a><a href="#Note_13_85" class="fnanchor">[13]</a>. Son père, homme ferme, plein d'énergie et<span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">[p. 37]</a></span> d'honneur, -l'avait envoyé là comme chirurgien d'armée, pour lui former le -caractère. Mon grand-père commençait ses études en médecine et pouvait -avoir dix-huit ou vingt ans, ce qui indique encore 1724 comme époque de -sa naissance.</p> - -<p>Il possédait une vieille maison située dans la plus belle position de -la ville, sur la place Grenette, au coin de la Grande-rue, en plein -midi et ayant devant elle la plus belle place de la ville, les deux -cafés rivaux et le centre de la bonne compagnie. Là, dans un premier -étage fort bas, mais d'une gaieté admirable, habita mon grand-père -jusqu'en 1789.</p> - -<p>Il faut qu'il fût riche alors, car il acheta une superbe maison -située derrière la sienne et qui appartenait aux dames de Marnais. Il -occupa le second étage de sa maison, place Grenette, et tout l'étage -correspondant de la maison de Marnais, et se fit le plus beau logement -de la ville. Il y avait un escalier magnifique pour le temps et un -salon qui pouvait avoir trente-cinq pieds sur vingt-huit.</p> - -<p>On fit des réparations aux deux chambres de cet appartement qui -donnaient sur la place Grenette, et entre autres une <i>gippe</i><a name="NoteRef_14_86" id="NoteRef_14_86"></a><a href="#Note_14_86" class="fnanchor">[14]</a> -(cloison formée par du plâtre et des briques placées de champ l'une sur -l'autre) pour séparer la chambre de la terrible tante Séraphie, fille -de M. Gagnon, de celle de ma grand'-tante Elisabeth, sa sœur. On posa -des <i>happes</i> en fer dans cette gippe et sur le plâtre de chacune de -ces happes j'écrivis: <i>Henri Beyle</i>, 1789. Je vois<span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">[p. 38]</a></span> encore ces belles -inscriptions qui émerveillaient mon grand-père.</p> - -<p>«Puisque tu écris si bien, me dit-il, tu es digne de commencer le -latin.»</p> - -<p>Ce mot m'inspirait une sorte de terreur, et un pédant affreux par la -forme, M. Joubert, grand, pâle, maigre, en couteau, s'appuyant sur une -<i>épine</i>, vint me montrer, m'enseigner <i>mura</i>, la mûre. Nous allâmes -acheter un rudiment chez M. Giroud, libraire, au fond d'une cour -donnant sur la place aux Herbes. Je ne soupçonnais<a name="NoteRef_15_87" id="NoteRef_15_87"></a><a href="#Note_15_87" class="fnanchor">[15]</a> guère alors -quel instrument de dommage on m'achetait là.</p> - -<p>Ici commencent mes malheurs.</p> - -<p>Mais je diffère depuis longtemps un récit nécessaire, un des deux ou -trois peut-être<a name="NoteRef_16_88" id="NoteRef_16_88"></a><a href="#Note_16_88" class="fnanchor">[16]</a> qui me feront jeter ces mémoires au feu.</p> - -<p>Ma mère, madame Henriette Gagnon, était une femme charmante et j'étais -amoureux de ma mère.</p> - -<p>Je me hâte d'ajouter que je la perdis quand j'avais sept ans.</p> - -<p>En l'aimant à six ans peut-être (1789), j'avais absolument le même -caractère que, en 1828, en aimant à la fureur Alberthe de Rubempré. -Ma manière d'aller à la chasse du bonheur n'avait au fond nullement -changé, il n'y a que cette seule exception: j'étais, pour ce qui -constitue le physique de l'amour, comme César serait, s'il revenait au -monde, pour l'usage du canon et des petites armes.<span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">[p. 39]</a></span> Je l'eusse bien -vite appris et cela n'eût rien changé au fond de ma tactique.</p> - -<p>Je voulais couvrir ma mère de baisers et qu'il n'y eût pas de -vêtements. Elle m'aimait à la passion et m'embrassait souvent, je lui -rendais ses baisers avec un tel feu qu'elle était souvent obligée -de s'en aller. J'abhorrais mon père quand il venait interrompre nos -baisers. Je voulais toujours les lui donner à la gorge. Qu'on daigne se -rappeler que je la perdis, par une couche, quand à peine j'avais sept -ans.</p> - -<p>Elle avait de l'embonpoint, une fraîcheur parfaite, elle était fort -jolie, et je crois que seulement elle n'était pas assez grande. Elle -avait une noblesse et une sérénité parfaite dans les traits; brune, -vive, avec une vraie cour et souvent elle manqua de commander à ses -trois servantes et enfin<a name="NoteRef_17_89" id="NoteRef_17_89"></a><a href="#Note_17_89" class="fnanchor">[17]</a> lisait souvent dans l'original la -<i>Divine Comédie</i> de Dante, dont j'ai trouvé bien plus tard cinq à six -livres d'éditions différentes dans son appartement resté fermé depuis -sa mort.</p> - -<p>Elle périt à la fleur de la jeunesse et de la beauté, en 1790, elle -pouvait avoir vingt-huit ou trente ans.</p> - -<p>Là commence ma vie morale.</p> - -<p>Ma tante Séraphie osa me reprocher de ne pas pleurer assez. Qu'on juge -de ma douleur et de ce que je sentis! Mais il me semblait que je la -reverrais le lendemain: je ne comprenais pas la mort.</p> - -<p>Ainsi, il y a quarante-cinq ans que j'ai perdu ce que j'aimais le plus -au monde<a name="NoteRef_18_90" id="NoteRef_18_90"></a><a href="#Note_18_90" class="fnanchor">[18]</a>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_40" id="Page_40">[p. 40]</a></span></p> - -<p>Elle ne peut pas s'offenser de la liberté que je prends avec elle en -révélant que je l'aimais; si je la retrouve jamais, je le lui dirais -encore. D'ailleurs, elle n'a participé en rien à cet amour. Elle -n'en agit pas à la Vénitienne, comme madame Benzoni avec l'auteur de -<i>Nella.</i> Quant à moi, j'étais aussi criminel que possible, j'aimais ses -charmes avec fureur.</p> - -<p>Un soir, comme par quelque hasard on m'avait mis coucher dans sa -chambre par terre, sur un matelas, cette femme vive et légère comme une -biche sauta par-dessus mon matelas pour atteindre plus vite à son lit -<a name="NoteRef_19_91" id="NoteRef_19_91"></a><a href="#Note_19_91" class="fnanchor">[19]</a>.</p> - -<hr /> - -<p>Sa chambre est restée fermée dix ans après sa mort<a name="NoteRef_20_92" id="NoteRef_20_92"></a><a href="#Note_20_92" class="fnanchor">[20]</a>. Mon père -me permit avec difficulté d'y placer un tableau de toile cirée et d'y -étudier les mathématiques en 1798, mais aucun domestique n'y entrait, -il eût été sévèrement grondé, moi seul j'en avais la clef. Ce sentiment -de mon père lui fait beaucoup d'honneur à mes yeux, maintenant que j'y -réfléchis.</p> - - -<p>Elle mourut donc dans sa chambre, rue des Vieux-Jésuites, la cinquième -ou sixième maison à gauche en venant de la Grande-rue<a name="NoteRef_21_93" id="NoteRef_21_93"></a><a href="#Note_21_93" class="fnanchor">[21]</a>, vis-à-vis -la maison de M. Teisseire. Là j'étais né, cette maison appartenait à -mon père qui la vendit lorsqu'il se mit à bâtir sa rue nouvelle et à -faire des folies. Cette rue, qui l'a ruiné, fut nommée rue <i>Dauphin</i> -(mon père<span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">[p. 41]</a></span> était extrêmement ultra, partisan des pr[êtres] et des -nobles) et s'appelle, je crois, maintenant rue Lafayette.</p> - -<p>Je passais ma vie chez mon grand-père, dont la maison était à peine à -cent pas de la nôtre<a name="NoteRef_22_94" id="NoteRef_22_94"></a><a href="#Note_22_94" class="fnanchor">[22]</a>.</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">[p. 42]</a><br /><a name="Page_43" id="Page_43">[p. 43]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_73" id="Note_1_73"></a><a href="#NoteRef_1_73"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre III</i> comprend les feuillets 43 à 59.—Écrit à Rome, -les 27 et 30 novembre 1835.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_74" id="Note_2_74"></a><a href="#NoteRef_2_74"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>au sud de l'église du collège.</i>—La porte de Bonne, en -effet, a été démolie en 1832, lors de l'agrandissement de la partie -sud-est de l'enceinte de Grenoble par le général Haxo, de 1832 à 1836.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_75" id="Note_3_75"></a><a href="#NoteRef_3_75"><span class="label">[3]</span></a> <i>Ma tante Séraphie ...</i>—Sœur cadette de la mère de Beyle. Sur -les membres de la famille Gagnon, voir plus loin, chapitre VII, et -l'Annexe IV.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_76" id="Note_4_76"></a><a href="#NoteRef_4_76"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>coupant ces joncs en morceaux ...</i>—Variante: «<i>Bouts.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_77" id="Note_5_77"></a><a href="#NoteRef_5_77"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>M<sup>lle</sup> Elisabeth Gagnon.—</i>Elisabeth Gagnon, sœur -d'Henri Gagnon, grand-père maternel de Beyle.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_78" id="Note_6_78"></a><a href="#NoteRef_6_78"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>je pouvais avoir quatre ans.</i>—On lit, à ce sujet, sur un -feuillet intercalé en face du fol. 8: «M. Gagnon achète la maison -voisine de madame de Marnais, on change d'appartement, j'écris partout -sur le plâtre des happes: «Henri Beyle, 1789.» Je vois encore cette -belle inscription qui émerveillait mon bon grand-père.</p> - -<p>«Donc, mon attentat à la vie de madame Chenavaz est antérieur à 1789.»]</p> -</div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_79" id="Note_7_79"></a><a href="#NoteRef_7_79"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>mon horreur pour la religion ...</i>—Ms.: «<i>Gion.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_80" id="Note_8_80"></a><a href="#NoteRef_8_80"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>forcené dans ces temps-là, pour la ...</i>—Mot illisible.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_81" id="Note_9_81"></a><a href="#NoteRef_9_81"><span class="label">[9]</span></a> <i>Je n'avais pas plus de cinq ans.</i>—Variante: «<i>Je pouvais avoir -quatre ou cinq ans.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_82" id="Note_10_82"></a><a href="#NoteRef_10_82"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>une terrasse élégante ornée de fleurs.</i>—Il s'agit du -cabinet d'été d'Henri Gagnon. Voir notre plan de l'appartement Gagnon.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_83" id="Note_11_83"></a><a href="#NoteRef_11_83"><span class="label">[11]</span></a> ... <i>un petit chapeau triangulaire à mettre sous le bras -...</i>—Dans la marge, Stendhal a fait un dessin grossier représentant le -chapeau de son grand-père.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_84" id="Note_12_84"></a><a href="#NoteRef_12_84"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>pour cent-vingt francs ...</i>—Ce portrait est de Boilly. Il -fait partie actuellement de la collection Lesbros.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_85" id="Note_13_85"></a><a href="#NoteRef_13_85"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>la bataille de l'Assiettex ...en</i> 1742, <i>je crois.</i>—Cette -bataille eut lieu pendant la guerre de la Succession d'Autriche. Le 19 -juillet 1747, le chevalier de Belle-Isle, frère du maréchal, voulant -envahir le Piémont, fut repoussé au col de l'Assiette, entre Exiles et -Fénestrelles.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_86" id="Note_14_86"></a><a href="#NoteRef_14_86"><span class="label">[14]</span></a> ... <i>entre autres une</i> gippe ...—Terme local, encore en usage à -Grenoble.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_87" id="Note_15_87"></a><a href="#NoteRef_15_87"><span class="label">[15]</span></a> <i>Je ne soupçonnais</i> ...—Variante: «<i>Savais.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_88" id="Note_16_88"></a><a href="#NoteRef_16_88"><span class="label">[16]</span></a> ... <i>un des deux ou trois peut-être ...</i>—Stendhal a d'abord -écrit: «<i>un de ceux p</i>», puis il continue: «<i>des deux ou trois -peut-être</i>». Il semble que, dans ces conditions, la leçon «<i>un de ceux -p</i>» doive être supprimée, quoique n'ayant pas été rayée par l'auteur.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_89" id="Note_17_89"></a><a href="#NoteRef_17_89"><span class="label">[17]</span></a> ... <i>et enfin lisait ...</i>—La lecture de cette ligne et de la -précédente est très incertaine. Cette partie du texte est fort mal -écrite. Stendhal s'en excuse dans la marge en disant: «<i>Écrit de nuit à -la hâte.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_90" id="Note_18_90"></a><a href="#NoteRef_18_90"><span class="label">[18]</span></a> ... <i>ce que j'aimais le plus au monde.</i>—Entre cet alinéa et -le suivant, Stendhal a laissé un large espace où il a écrit le mot: -«<i>Chapitre.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_19_91" id="Note_19_91"></a><a href="#NoteRef_19_91"><span class="label">[19]</span></a> ... <i>pour atteindre plus vite à son lit.</i>—Entre cet alinéa et -le suivant, nouvel espace assez large, marqué d'une +.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_20_92" id="Note_20_92"></a><a href="#NoteRef_20_92"><span class="label">[20]</span></a> <i>Sa chambre est restée fermée dix ans après sa mort.</i>—En marge -de cet alinéa, Stendhal a fait un croquis représentant la chambre de sa -mère, avec une notice explicative.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_21_93" id="Note_21_93"></a><a href="#NoteRef_21_93"><span class="label">[21]</span></a> ... <i>en venant de la Grands-rue ...</i>—Aujourd'hui rue -Jean-Jacques-Rousseau, n° 14.—Voir l'Appendice II, <i>la Maison natale -de Stendhal</i>, par M. Samuel Chabert.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_22_94" id="Note_22_94"></a><a href="#NoteRef_22_94"><span class="label">[22]</span></a> ... <i>à peine à cent pas de la nôtre.</i>—Dans la marge, Stendhal -a dessiné un croquis donnant la situation respective de la maison de -son père, de celle de son grand-père, et de la maison de Marnais. -Un autre dessin plus grand est ajouté au manuscrit. Il représente -la «<i>partie de la ville de Grenoble en</i> 1793» comprise entre la rue -Lafayette, la rue Saint-Jacques, la place Grenette (où sont figurés -l'«arbre de la Liberté», l' «arbre de la Fraternité» et la «pompe -ancienne»), la Grande-rue et la rue des Vieux-Jésuites (aujourd'hui -rue Jean-Jacques-Rousseau).—La maison occupée par Henri Gagnon porte -actuellement le n° 20 de la Grande-rue et le n° 2 de la place Grenette. -</p> -<p> -Au verso, nouveau testament, ainsi conçu: -</p> -<blockquote> -<p> -«<i>Testament.</i> -</p> -<p> -Je lègue et donne la <i>Vie de Henri Brulard</i>, écrite par -lui-même, à M. Alphonse Levavasseur, place Vendôme, et après -lui à MM. Philarète Chasles, Henri Foumier, Amyot, sous la -condition de changer tous les noms de femme et aucun nom -d'homme. -</p> -<p> -Cività-Vecchia, le 1er décembre 1835. -</p> -<p class="smcaps" style="margin-left: 65%;"> -H. BEYLE.»</p></blockquote> -</div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_IV1" id="CHAPITRE_IV1">CHAPITRE IV</a><a name="NoteRef_1_95" id="NoteRef_1_95"></a><a href="#Note_1_95" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>J'écrirais un volume sur les circonstances de la mort d'une personne si -chère<a name="NoteRef_2_96" id="NoteRef_2_96"></a><a href="#Note_2_96" class="fnanchor">[2]</a>.</p> - -<p>C'est-à-dire: j'ignore absolument les détails, elle était morte en -couches, apparemment par la maladresse d'un chirurgien nommé <i>Hérault</i>, -sot choisi apparemment par pique contre un autre accoucheur, homme -d'esprit et de talent, c'est ainsi à peu près que mourut M<sup>me</sup> -Petit en 1814. Je ne puis décrire au long que mes sentiments, qui -probablement sembleraient exagérés ou incroyables au spectateur -accoutumé à la nature fausse des romans (je ne parle pas de Fielding) -ou à la nature étiolée des romans construits avec des cœurs de Paris.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">[p. 44]</a></span></p> - -<p>J'apprends au lecteur que le Dauphiné a une manière de sentir à soi, -vive, opiniâtre, raisonneuse, que je n'ai rencontrée en aucun pays. -Pour des yeux clairvoyants, à tous les trois degrés de latitude la -musique, les paysages et les romans devraient changer. Par exemple, -à Valence, sur le Rhône, la nature provençale finit, la nature -bourguignonne commence à Valence et fait place, entre Dijon et Troyes, -à la nature parisienne, polie, spirituelle, sans profondeur, en un mot -songeant beaucoup aux autres.</p> - -<p>La nature dauphinoise a une ténacité, une profondeur, un esprit, une -finesse que l'on chercherait en vain dans la civilisation provençale -ou dans la bourguignonne, ses voisines. Là où le Provençal s'exhale en -injures atroces, le Dauphinois réfléchit et s'entretient avec son cœur.</p> - -<p>Tout le monde sait que le Dauphiné a été un Etat séparé de la France -et à-demi italien par sa politique jusqu'à l'an 1349<a name="NoteRef_3_97" id="NoteRef_3_97"></a><a href="#Note_3_97" class="fnanchor">[3]</a>. Ensuite -Louis XI, dauphin, brouillé avec son père, administra le pays pendant -seize<a name="NoteRef_4_98" id="NoteRef_4_98"></a><a href="#Note_4_98" class="fnanchor">[4]</a> ans, et je croirais assez que c'est ce génie profond et -profondément timide et ennemi des premiers mouvements qui a donné -son empreinte au caractère dauphinois. De mon temps encore, dans la -croyance de mon grand-père et de ma tante Elisabeth, véritable type des -sentiments énergiques et généreux de la famille, Paris n'était point un -modèle, c'était une ville éloignée et ennemie dont il fallait redouter -l'influence.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">[p. 45]</a></span></p> - -<p>Maintenant que j'ai fait la cour aux lecteurs peu sensibles par cette -digression, je raconterai que, la veille de la mort de ma mère, on nous -mena promener, ma sœur Pauline et moi, rue Montorge: nous revînmes -le long des maisons à gauche de cette rue (au Nord). On nous avait -établis chez mon grand-père, dans la maison sur la place Grenette. -Je couchais sur le plancher, sur un matelas, entre le fenêtre et la -cheminée, lorsque sur les deux heures du matin toute la famille rentra -en poussant des sanglots.</p> - -<p>«Mais comment les médecins n'ont pas trouvé de remèdes?» disais-je à -la vieille Marion (vraie servante de Molière, amie de ses maîtres mais -leur disant bien son mot, qui avait vu ma mère fort jeune, qui l'avait -vu marier dix ans auparavant, en 1780) et qui m'aimait beaucoup.</p> - -<p>Marie Thomasset, de Vinay, vrai type de caractère dauphinois, appelée -du diminutif <i>Marion</i>, passa la nuit assise à côté de mon matelas, -pleurant à chaudes larmes et chargée apparemment de me contenir. -J'étais beaucoup plus étonné que désespéré, je ne comprenais pas la -mort, j'y croyais peu.</p> - -<p>«Quoi, disais-je à Marion, je ne la reverrai jamais?</p> - -<p>—Comment veux-tu la revoir, si on l'emportera (<i>sic</i>) au cimetière?</p> - -<p>—Et où est-il, le cimetière?</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">[p. 46]</a></span></p> - -<p>—Rue des Mûriers, c'est celui de la paroisse Notre-Dame.»</p> - -<p>Tout le dialogue de cette nuit m'est encore présent, et il ne tiendrait -qu'à moi de le transcrire ici. Là véritablement a commencé ma vie -morale, je devais avoir six ans et demi. Au reste, ces dates sont -faciles à vérifier par les actes de l'état-civil.</p> - -<p>Je m'endormis; le lendemain, à mon réveil, Marion me dit:</p> - -<p>«Il faut aller embrasser ton père.</p> - -<p>—Comment, ma petite maman est morte! mais comment est-ce que je ne la -reverrai plus?</p> - -<p>—Veux-tu bien te taire, ton père t'entend, il est là, dans le lit de -la grand'tante.»</p> - -<p>J'allai avec répugnance dans la ruelle de ce lit qui était obscure -parce que les rideaux étaient fermés. J'avais de l'éloignement pour mon -père et de la répugnance à l'embrasser.</p> - -<p>Un instant après arriva l'abbé Rey, un homme fort grand, très froid, -marqué<a name="NoteRef_5_99" id="NoteRef_5_99"></a><a href="#Note_5_99" class="fnanchor">[5]</a> de petite vérole, l'air sans esprit et bon, parlant du nez, -qui bientôt après fut grand vicaire. C'était un ami de la famille.</p> - -<p>Le croira-t-on? à cause de son état de prêtre j'avais de l'antipathie -pour lui.</p> - -<p>M. l'abbé Rey se plaça près de la fenêtre, mon père se leva, passa sa -robe de chambre, sortit de l'alcôve fermée par des rideaux de serge -verte (il y avait d'autres beaux rideaux de taffetas rose, brodés de -blanc, qui le jour cachaient les autres).</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">[p. 47]</a></span></p> - -<p>L'abbé Rey embrassa mon père en silence, je trouvai mon père bien laid, -il avait les yeux gonflés, et les larmes le gagnaient à tous moments. -J'étais resté dans l'alcôve obscure et je voyais fort bien.</p> - -<p>«Mon ami, ceci vient de Dieu», dit enfin l'abbé; et ce mot, dit par -un homme que je haïssais à un autre que je n'aimais guère, me fit -réfléchir profondément.</p> - -<p>On me croira insensible, je n'étais encore qu'étonné de la mort de ma -mère. Je ne comprenais pas ce mot. Oserai-je écrire ce que Marion m'a -souvent répété depuis en forme de reproche? Je me mis à dire du mal de -<i>God.</i></p> - -<p>Au reste, supposons que je mente sur ces <i>pointes</i> d'esprit qui -percent le sol, certainement je ne mens pas sur tout le reste. Si je -suis tenté de mentir, ce sera plus tard, quand il s'agira de très -grandes fautes, bien postérieures. Je n'ai aucune foi dans l'esprit -des enfants annonçant un homme supérieur. Dans un genre moins sujet à -illusions, car enfin les monuments restent, tous les mauvais peintres -que j'ai connus ont fait des choses étonnantes vers huit ou dix ans et -<i>annonçant le génie.</i><a name="NoteRef_6_100" id="NoteRef_6_100"></a><a href="#Note_6_100" class="fnanchor">[6]</a></p> - -<p>Hélas! rien n'annonce le génie, peut-être l'opiniâtreté serait un signe -<a name="NoteRef_7_101" id="NoteRef_7_101"></a><a href="#Note_7_101" class="fnanchor">[7]</a>.</p> - - -<p>Le lendemain, il fut question de l'enterrement; mon père, dont la -figure était réellement absolument changée, me revêtit d'une sorte de -manteau<span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">[p. 48]</a></span> en laine noire<a name="NoteRef_8_102" id="NoteRef_8_102"></a><a href="#Note_8_102" class="fnanchor">[8]</a> qu'il me lia an cou. La scène se passa -dans le cabinet de mon père, rue des Vieux-Jésuites: mon père était -noir et tout le cabinet tapissé d'in-folio funèbres, horribles à voir. -La seule <i>Encyclopédie</i> de d'Alembert et Diderot, brochée en bleu, -faisait exception à la laideur générale.</p> - -<p>Ce .... de droit avait<a name="NoteRef_9_103" id="NoteRef_9_103"></a><a href="#Note_9_103" class="fnanchor">[9]</a> appartenu à M. de Brenier, mari de -M<sup>lle</sup> de Vaulserre et comte de...<a name="NoteRef_10_104" id="NoteRef_10_104"></a><a href="#Note_10_104" class="fnanchor">[10]</a> M<sup>lle</sup> de -Vaulserre donna ce titre à son mari; dès lors on avait changé de nom. -Vaulserre étant plus noble et plus beau que de Brenier. Depuis, elle -s'était faite chanoinesse<a name="NoteRef_11_105" id="NoteRef_11_105"></a><a href="#Note_11_105" class="fnanchor">[11]</a>.</p> - -<p>Tous les parents et amis se réunirent dans le cabinet de mon père<a name="NoteRef_12_106" id="NoteRef_12_106"></a><a href="#Note_12_106" class="fnanchor">[12]</a>.</p> - -<p>Revêtu de ma mante noire, j'étais entre les genoux de mon père[en] 1 -<a name="NoteRef_13_107" id="NoteRef_13_107"></a><a href="#Note_13_107" class="fnanchor">[13]</a>. M. Picot, le père, notre cousin, homme sérieux, mais du sérieux -d'un homme de cour, et fort respecté dans la famille comme esprit de -conduite (il était maigre, cinquante-cinq ans et la tournure la plus -distinguée), entra et se plaça en 3.</p> -<hr class="r5" /> -<div class="figcenter" style="width: 500px;"> -<a id="stend003"></a> -<img src="images/stend003.jpg" width="500" alt="" /> -<p class="caption">UNE PAGE MAL ÉCRITE DU MANUSCRIT DE LA VIE DE HENRI BRULARD -(Bibl. mun. de Grenoble: ms R <i>299, t. 1, fol. 69</i>)</p></div> -<hr class="r5" /> -<p>Au lieu de pleurer et d'être triste, il se mit à faire la conversation -comme à l'ordinaire et à parler de la Cour. (Peut-être était-ce la Cour -du Parlement, c'est fort probable.) Je crus qu'il parlait des Cours -étrangères et je fus profondément choqué de son insensibilité.</p> - -<p>Un instant après entra mon oncle, le frère de ma mère, jeune homme on -ne peut pas mieux fait et on<span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">[p. 49]</a></span> ne peut pas plus agréable et vêtu avec -la dernière élégance. C'était l'homme à bonnes fortunes de la ville, -lui aussi se mit à faire la conversation comme à l'ordinaire avec M. -Picot; il se plaça en 4. Je fus violemment indigné et je me souvins que -mon père l'appelait un homme léger. Cependant je remarquai qu'il avait -les yeux fort rouges, et il avait la plus jolie figure, cela me calma -un peu.</p> - -<p>Il était coiffé avec la dernière élégance et une poudre qui embaumait; -cette coiffure consistait en une bourse carrée de taffetas noir et deux -grandes oreilles de chien (tel fut leur nom six ans plus tard), comme -en porte encore aujourd'hui M. le prince de Talleyrand.</p> - -<p>Il se fit un grand bruit, c'était la bière de ma pauvre mère que l'on -prenait au salon pour l'emporter.</p> - -<p>«Ah! çà, je ne sais pas l'ordre de ces cérémonies», dit d'un air -indifférent<a name="NoteRef_14_108" id="NoteRef_14_108"></a><a href="#Note_14_108" class="fnanchor">[14]</a> M. Picot en se levant, ce qui me choqua fort; ce fut -là ma dernière sensation <i>sociale.</i> En entrant au salon et voyant la -bière couverte du drap noir où <i>était ma mère</i>, je fus saisi du plus -violent désespoir, je comprenais enfin ce que c'était que la mort.</p> - -<p>Ma tante Séraphie m'avait déjà accusé d'être insensible.</p> - -<p>J'épargnerai au lecteur le récit de toutes les phases de mon désespoir -à l'église paroissiale de Saint-Hugues. J'étouffais, on fut obligé, je -crois, de<span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">[p. 50]</a></span> m'emmener parce que ma douleur faisait trop de bruit. Je -n'ai jamais pu regarder de sang-froid cette église de Saint-Hugues et -la cathédrale qui est attenante<a name="NoteRef_15_109" id="NoteRef_15_109"></a><a href="#Note_15_109" class="fnanchor">[15]</a>. Le son seul des cloches de la -cathédrale, même en 1828, quand je suis allé revoir Grenoble, m'a donné -une tristesse morne, sèche, sans attendrissement, de cette tristesse -voisine de la colère.</p> - -<hr /> - -<p>En arrivant au cimetière, qui était dans un bastion près de la rue -des Mûriers<a name="NoteRef_16_110" id="NoteRef_16_110"></a><a href="#Note_16_110" class="fnanchor">[16]</a> (aujourd'hui, du moins en 1828, occupé par un grand -bâtiment, magasin du génie), je fis des folies que Marion m'a racontées -depuis. Il paraît que je ne voulais pas qu'on jetât de la terre sur la -bière de ma mère, prétendant qu'on lui ferait mal. Mais</p> - -<p> -Sur les noires couleurs d'un si triste tableau<br /> -Il faut passer l'éponge ou tirer le rideau.<br /> -</p> - -<p>Par suite du jeu compliqué des caractères de ma famille, il se trouva -qu'avec ma mère finit toute la joie de mon enfance.</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">[p. 51]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_95" id="Note_1_95"></a><a href="#NoteRef_1_95"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre IV</i> comprend les feuillets 60 à 74.—Écrit les -1<sup>er</sup> et 2 décembre 1835.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_96" id="Note_2_96"></a><a href="#NoteRef_2_96"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>les circonstances de la mort d'une personne si chère.</i>—En -surcharge: «<i>Je remplirais des volumes si j'entreprenais de décrire -tous les souvenirs enchanteurs des choses que j'ai vues ou avec -ma mère, ou de son temps.</i>» Ni le premier texte, ni celui-ci, -ne conviennent absolument. Nous conservons la première leçon de -Stendhal, qui n'a pas été rayée par lui, et qui correspond mieux au -contexte.—Henriette Gagnon, mère de Stendhal, mourut le 23 novembre -1790.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_97" id="Note_3_97"></a><a href="#NoteRef_3_97"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>jusqu'à l'an</i> 1349.—Une partie de la date est en blanc.—Le -Dauphiné fut cédé au roi de France Philippe VI par le dauphin Humbert -II.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_98" id="Note_4_98"></a><a href="#NoteRef_4_98"><span class="label">[4]</span></a> <i> ...pendant seize ans ...</i>—Egalement en blanc.—Louis XI -gouverna le Dauphiné depuis 1440 jusqu'à sa retraite auprès de Philippe -le Bon, duc de Bourgogne, en août 1456.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_99" id="Note_5_99"></a><a href="#NoteRef_5_99"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>marqué de petite vérole ...</i>—Variante: «<i>Creusé.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_100" id="Note_6_100"></a><a href="#NoteRef_6_100"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>et</i> annonçant le génie.—Dans la marge du fol. 68, on lit: -«Écrit de nuit, le 1<sup>er</sup> déc. 35.» De fait, l'écriture de ce -passage est particulièrement mauvaise.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_101" id="Note_7_101"></a><a href="#NoteRef_7_101"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>peut-être l'opiniâtreté serait un signe.</i>—Variante: -«<i>Peut-être l'opiniâtreté est-elle un signe.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_102" id="Note_8_102"></a><a href="#NoteRef_8_102"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>en laine noire ...</i>—Variante: «<i>Noir.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_103" id="Note_9_103"></a><a href="#NoteRef_9_103"><span class="label">[9]</span></a>—<i>Ce ... de droit avait ...</i>—Un mot illisible. La lecture des -autres mots est incertaine.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_104" id="Note_10_104"></a><a href="#NoteRef_10_104"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>M<sup>lle</sup> de Vaulserre et comte de ...</i>—Mot -illisible. Ce titre de comte nous est totalement inconnu dans l'une -comme dans l'autre des familles de Brenier et de Vaulserre.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_105" id="Note_11_105"></a><a href="#NoteRef_11_105"><span class="label">[11]</span></a> <i>Depuis elle s'était faite -chanoinesse.</i>—Angélique-Françoise-Marie-Louise-Elisabeth-Gabrielle de -Vaulserre, née le 4 mars 1754, épousa, le 10 juillet 1780, Jean-Antoine -de Brenier. Elle mourut le 11 février 1812.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_106" id="Note_12_106"></a><a href="#NoteRef_12_106"><span class="label">[12]</span></a> <i>Tous les parents et amis se réunirent dans le cabinet de mon -père.</i>—En haut du fol. 70 on lit la date: «2 décembre 1835.»</p> - -<p>Presque toute la page est occupée par un plan intitulé: «<i>Corps de -logis où je fus placé avec mon précepteur, M. l'abbé Raillane.</i>» -Stendhal y indique, dans le cabinet de son père, la place de celui-ci, -«dans un fauteuil» (1), et celles de M. Picot (3) et de Romain Gagnon -(4).]</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_107" id="Note_13_107"></a><a href="#NoteRef_13_107"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>j'étais entre les genoux de mon père en</i> 1.—Les numéros -correspondent au plan ci-dessus: M. Beyle et Henri sont placés près de -la cheminée, MM. Picot et Romain Gagnon contre le mur opposé.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_108" id="Note_14_108"></a><a href="#NoteRef_14_108"><span class="label">[14]</span></a> ... <i>dit d'un air indifférent M. Picot ...</i>—Les mots: «<i>d'un -air indifférent</i>» sont en interligne, entre les mots «<i>cérémonies, dit -M.</i>» et: a <i>choqua fort; ce fut.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_109" id="Note_15_109"></a><a href="#NoteRef_15_109"><span class="label">[15]</span></a> ... <i>la cathédrale qui est attenante.</i>—En marge est un plan -grossier de l'église Saint-Hugues et de la cathédrale. Le même plan, -plus précis, se trouve reproduit en face du fol. 73 (verso du fol. 72).</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_110" id="Note_16_110"></a><a href="#NoteRef_16_110"><span class="label">[16]</span></a> ... <i>cimetière, qui était dans un bastion près de la rue des -Mûriers ...</i>—Voir l'emplacement du cimetière sur notre plan de -Grenoble en 1793.—Le cimetière de la rue des Mûriers a été désaffecté -en l'an VIII.</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_V1" id="CHAPITRE_V1"></a>CHAPITRE V<a name="NoteRef_1_111" id="NoteRef_1_111"></a><a href="#Note_1_111" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<h4>PETITS SOUVENIRS DE MA PREMIÈRE ENFANCE</h4> - - -<p>A l'époque où nous<a name="NoteRef_2_112" id="NoteRef_2_112"></a><a href="#Note_2_112" class="fnanchor">[2]</a> occupions le premier étage sur la place -Grenette, avant 1790 ou plus exactement jusqu'au milieu de 1789, mon -oncle, jeune avocat, avait un joli petit appartement au second, au coin -de la place Grenette et de la Grande-rue<a name="NoteRef_3_113" id="NoteRef_3_113"></a><a href="#Note_3_113" class="fnanchor">[3]</a>. Il riait avec moi, et me -permettait de le voir dépouiller ses beaux habits et prendre sa robe -de chambre, le soir, à neuf heures, avant souper. C'était un moment -délicieux pour moi, et je redescendais tout joyeux au premier étage en -portant devant lui le flambeau d'argent. Mon aristocrate famille se -serait crue déshonorée si le flambeau n'avait pas été d'argent. Il est -vrai qu'il ne portait pas la noble bougie, l'usage était alors de se -servir de chandelle.<span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">[p. 52]</a></span> Mais cette chandelle, on la faisait venir avec -grand soin et en caisse des environs de Briançon; on voulait qu'elle -fût faite avec du suif de chèvre, on écrivait pour cela en temps utile -à un ami qu'on avait dans ces montagnes. Je me vois encore assistant -au déballement de la chandelle et mangeant du lait avec du pain dans -l'écuelle d'argent; le frottement de la cuiller contre le fond de -l'écuelle mouillé de lait me frappait comme singulier. C'étaient -presque des relations d'<i>hôte</i> à <i>hôte</i>, comme on les voit dans Homère, -que celles qu'on avait avec cet ami de Briançon, suite naturelle de la -défiance et de la barbarie générales<a name="NoteRef_4_114" id="NoteRef_4_114"></a><a href="#Note_4_114" class="fnanchor">[4]</a>.</p> - -<p>Mon oncle, jeune, brillant, léger, passait pour l'homme le plus aimable -de la ville, au point que, bien des années après, madame Delaunay, -voulant justifier sa vertu, laquelle pourtant avait fait tant de -faux-pas: «Pourtant, disait-elle, je n'ai jamais cédé à M. Gagnon -fils.»</p> - -<p>Mon oncle, dis-je, se moquait fort de la gravité de son père, lequel, -le rencontrant dans le monde avec de riches habits qu'il n'avait pas -payés, était fort étonné. «Je m'éclipsais au plus vite», ajoutait mon -oncle qui me racontait ce cas.</p> - -<p>Un soir, malgré tout le monde (mais quels étaient donc les opposants -avant 1790?), il me mena au spectacle. On jouait <i>Le Cid.</i></p> - -<p>«Mais cet enfant est fou», dit mon excellent grand-père à mon -retour, son amour pour les lettres<span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">[p. 53]</a></span> l'avait empêché de s'opposer bien -sérieusement à ma course<a name="NoteRef_5_115" id="NoteRef_5_115"></a><a href="#Note_5_115" class="fnanchor">[5]</a> au spectacle. Je vis donc jouer <i>Le Cid</i>, -mais, ce me semble, en habits de satin bleu de ciel avec des souliers -de satin blanc.</p> - -<p>En disant les Stances, ou ailleurs, en maniant une épée avec trop de -feu, le Cid se blessa à l'œil droit.</p> - -<p>«Un peu plus, dit-on autour de moi, il se crevait l'œil.» J'étais aux -premières loges, la seconde à droite<a name="NoteRef_6_116" id="NoteRef_6_116"></a><a href="#Note_6_116" class="fnanchor">[6]</a>.</p> - -<p>Une autre fois, mon oncle eut la complaisance de me mener à <i>la -Caravane du Caire.</i> (Je le gênais dans ses évolutions autour, auprès -des dames. Je m'en apercevais fort bien<a name="NoteRef_7_117" id="NoteRef_7_117"></a><a href="#Note_7_117" class="fnanchor">[7]</a>.) Les chameaux me firent -absolument perdre la tête, L'<i>Infante de Zamora</i>, où un poltron, ou -bien un cuisinier, chantait une ariette, portant un casque avec un -rat pour cimier, me charma jusqu'au délire. C'était pour moi le vrai -comique.</p> - -<hr /> - -<p>Je me disais, fort obscurément sans doute, et pas aussi nettement que -je l'écris ici: «Tous les moments de la vie de mon oncle sont aussi -délicieux que ceux dont je partage le plaisir au spectacle. La plus -belle chose du monde est donc d'être un homme aimable, comme mon oncle. -» Il n'entrait pas dans ma tête de cinq ans que mon oncle ne fût pas -aussi heureux que moi en voyant défiler les chameaux de <i>la Caravane.</i></p> - -<p>Mais j'allai trop loin: au lieu d'être galant, je<span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">[p. 54]</a></span> devins passionné -auprès des femmes que j'aimais, presque indifférent et surtout sans -vanité pour les autres, de là le manque de succès et le <i>fiasco.</i> -Peut-être aucun homme de la Cour de l'Empereur n'a eu moins de femmes -que moi, que l'on croyait l'amant de la femme du premier ministre.</p> - -<p>Le spectacle, le son d'une belle cloche grave (comme à l'église -de...<a name="NoteRef_8_118" id="NoteRef_8_118"></a><a href="#Note_8_118" class="fnanchor">[8]</a>, au-dessus de Rolle, en mai 1800, allant au Saint-Bernard) -sont et furent toujours d'un effet profond sur mon cœur. La messe même, -à laquelle je croyais si peu, m'inspirait de la gravité. Bien jeune -encore, et certainement avant dix ans et le billet de l'abbé Gardon, je -croyais que <i>God</i> méprisait ces jongleurs. (Après quarante-deux ans de -réflexions, j'en suis encore la mystification, trop utile à ceux qui la -pratiquent pour ne pas trouver toujours des continuateurs. Histoire de -la médaille, que raconta avant-hier Umbert Guitri, décembre 1835.)</p> - -<p>J'ai le souvenir le plus net et le plus clair de la perruque ronde et -poudrée de mon grand-père, elle avait trois rangs de boucles. Il ne -portait jamais de chapeau.</p> - -<p>Ce costume avait contribué, ce me semble, à le faire connaître et -respecter du peuple, duquel il ne prenait jamais d'argent pour ses -soins comme médecin.</p> - -<p>Il était le médecin et l'ami de la plupart des maisons nobles. M. de -Chaléon, dont je me rappelle<span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">[p. 55]</a></span> encore le son des <i>clercs</i><a name="NoteRef_9_119" id="NoteRef_9_119"></a><a href="#Note_9_119" class="fnanchor">[9]</a> sonnés à -Saint-Louis lors de sa mort; M. de Lacoste, qui eut une apoplexie dans -les Terres-Froides, à La Frette; M. de Langon, d'une haute noblesse, -disaient les sots; M. de Ravix, qui avait la gale et jetait son -manteau à terre sur le plancher, dans la chambre de mon grand-père, -qui me gronda avec une mesure parfaite parce que, après avoir parlé de -cette circonstance, j'articulai le nom de<a name="NoteRef_10_120" id="NoteRef_10_120"></a><a href="#Note_10_120" class="fnanchor">[10]</a> M. de Ravix; M. et -M<sup>me</sup> des Adrets, M<sup>me</sup> de Vaulserre, leur fille, -dans le salon de laquelle je <i>vis le monde</i> pour la première fois. Sa -sœur, M<sup>me</sup> de M......., me semblait bien jolie et passait -pour fort galante<a name="NoteRef_11_121" id="NoteRef_11_121"></a><a href="#Note_11_121" class="fnanchor">[11]</a>.</p> - -<p>Il était et avait été depuis vingt-cinq ans, à l'époque où je l'ai -connu, le promoteur de toutes les entreprises utiles et que, vu -l'époque d'enfance politique de ces temps reculés (1760), on pourrait -appeler libérales. On lui doit la Bibliothèque<a name="NoteRef_12_122" id="NoteRef_12_122"></a><a href="#Note_12_122" class="fnanchor">[12]</a>. Ce ne fut pas -une petite affaire. Il fallut d'abord l'acheter, puis la placer, puis -doter le bibliothécaire.</p> - -<p>Il protégeait, d'abord contre leurs parents, puis plus efficacement, -tous les jeunes gens qui montraient l'amour de l'étude. Il citait aux -parents récalcitrants l'exemple de Vaucanson.</p> - -<p>Quand mon grand-père revint de Montpellier à Grenoble (docteur en -médecine), il avait une fort belle chevelure, mais l'opinion publique -de 1760 lui déclara impérieusement que s'il ne prenait pas<span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">[p. 56]</a></span> perruque -personne n'aurait confiance en lui. Une vieille cousine Didier, qui -le fit héritier avec ma tante Elisabeth et mourut vers 1788, avait -été de cet avis. Cette bonne cousine me faisait manger du pain jaune -(avec du safran) quand j'allais la voir le jour de Saint-Laurent. Elle -demeurait dans la rue auprès de l'église de Saint-Laurent. Dans la même -rue mon ancienne bonne Françoise, que toujours j'adorai, avait une -boutique d'épicerie, elle avait quitté ma mère pour se marier. Elle fut -remplacée par la belle Geneviève, sa sœur, auprès de laquelle mon père, -dit-on, était galant.</p> - -<p>La chambre de mon grand-père, au premier étage sur la Grenette, était -peinte en gros vert et mon père me disait dès ce temps-là:</p> - -<p>«Le grand-papa, qui a tant d'esprit, n'a pas de bon goût pour les -arts.»</p> - -<p>Le caractère timide des Français fait qu'ils emploient rarement les -couleurs franches: vert, rouge, bleu, jaune vif; ils préfèrent les -nuances indécises. A cela près, je ne vois pas ce qu'il y avait à -blâmer dans le choix de mon grand-père. Sa chambre était en plein midi, -il lisait énormément, il voulait ménager ses yeux, desquels il se -plaignait quelquefois.</p> - -<p>Mais le lecteur, s'il s'en trouve jamais pour ces fadaises<a name="NoteRef_13_123" id="NoteRef_13_123"></a><a href="#Note_13_123" class="fnanchor">[13]</a>, verra -sans peine que tous mes <i>pourquoi</i>, toutes mes explications, peuvent -être très fautives. Je n'ai que des images fort nettes, toutes mes -explications<span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">[p. 57]</a></span> me viennent en écrivant ceci, quarante-cinq ans après les -événements<a name="NoteRef_14_124" id="NoteRef_14_124"></a><a href="#Note_14_124" class="fnanchor">[14]</a>.</p> - -<hr /> - -<p>Mon excellent grand-père, qui dans le fait fut mon véritable père -et mon ami intime jusqu'à mon parti pris, vers 1796, de me tirer -de Grenoble par les mathématiques, racontait souvent une chose -merveilleuse.</p> - -<p>Ma mère m'ayant fait porter dans sa chambre (verte), le jour où j'avais -un an, 23 janvier 1784<a name="NoteRef_15_125" id="NoteRef_15_125"></a><a href="#Note_15_125" class="fnanchor">[15]</a>, me tenait debout près de la fenêtre; mon -grand-père, placé vers le lit, m'appelait, je me déterminai à marcher -et arrivai jusqu'à lui.</p> - -<p>Alors je parlais un peu et pour saluer je disais <i>hateus.</i> Mon oncle -plaisantait sa sœur Henriette (ma mère) sur ma laideur. Il paraît que -j'avais une tête énorme, sans cheveux, et que je ressemblais au Père -Brulard<a name="NoteRef_16_126" id="NoteRef_16_126"></a><a href="#Note_16_126" class="fnanchor">[16]</a>, un moine adroit, bon vivant et à grande influence sur -son couvent, mon oncle ou grand-oncle, mort avant moi.</p> - -<p>J'étais fort entreprenant, de là deux accidents racontés avec terreur -et regret par mon grand-père: vers le rocher de la Porte-de-France je -piquai avec un morceau de fagot appointé, taillé en pointe avec un -couteau, un mulet qui eut l'impudence de me camper ses deux fers dans -la poitrine, il me renversa. «Un peu plus, il était mort», disait mon -grand-père<a name="NoteRef_17_127" id="NoteRef_17_127"></a><a href="#Note_17_127" class="fnanchor">[17]</a>.</p> - -<p>Je me figure l'événement, mais probablement ce<span class="pagenum"><a name="Page_58" id="Page_58">[p. 58]</a></span> n'est pas un souvenir -direct, ce n'est que le souvenir de l'image que je me formai de la -chose, fort anciennement et à l'époque des premiers récits qu'on m'en -fit.</p> - -<p>Le second événement tragique fut qu'entre ma mère et mon grand-père je -me cassai deux dents de devant en tombant sur le coin d'une chaise. Mon -bon grand-père ne revenait pas de son étonnement: «Entre sa mère et -moi!» répétait-il, comme pour déplorer la force de la fatalité.</p> - -<p>Le grand trait, à mes yeux, de l'appartement au premier étage, c'est -que j'entendais le bruissement de la barre de fer à l'aide de laquelle -on pompait, ce gémissement prolongé et point aigre me plaisait fort.</p> - -<hr /> - -<p>Le bon sens dauphinois se révolta à peu près contre la Cour. Je me -souviens fort bien du départ de mon grand-père pour les Etats de -Romans, il était alors patriote fort considéré, mais des plus modérés; -on peut se figurer Fontenelle tribun du peuple.</p> - -<p>Le jour du départ, il faisait un froid à pierre fendre (ce fut (à -vérifier) le grand hiver de 1789 à 1790<a name="NoteRef_18_128" id="NoteRef_18_128"></a><a href="#Note_18_128" class="fnanchor">[18]</a>, il y avait un pied de -neige sur la place Grenette).</p> - -<p>Dans la cheminée de la chambre de mon grand-père, il y avait un feu -énorme. La chambre était remplie d'amis qui venaient voir monter en -voiture.<span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">[p. 59]</a></span> Le plus célèbre avocat consultant de la ville, l'oracle -en matière de droit, belle place dans une ville de Parlement, M. -Barthélemy d'Orbane, ami intime de la famille, était en O et moi en H -<a name="NoteRef_19_129" id="NoteRef_19_129"></a><a href="#Note_19_129" class="fnanchor">[19]</a>, devant le feu pétillant. J'étais le héros du moment, car je -suis convaincu que mon grand-père ne regrettait que moi à Grenoble et -n'aimait que moi.</p> - -<p>Dans cette position, M. Barthélemy d'Orbane m'apprit à faire des -grimaces. Je le vois encore et moi aussi. C'est un art dans lequel -je fis les plus rapides progrès, je riais moi-même des mines que je -faisais pour faire rire les autres. Ce fut en vain qu'on s'opposa -bientôt au goût croissant des grimaces, il dure encore, je ris souvent -des mines que je fais quand je suis seul.</p> - -<p>Dans la rue un fat passe avec une mine affectée (M. Lysimaque<a name="NoteRef_20_130" id="NoteRef_20_130"></a><a href="#Note_20_130" class="fnanchor">[20]</a>, -par exemple, ou M. le comte ..., amant de M<sup>me</sup> Del Monte), -j'imite sa mine et je ris. Mon instinct est plutôt d'imiter les -mouvements ou plutôt les positions affectées de la figure (face) que -ceux du corps. Au Conseil d'Etat, j'imitais sans le vouloir et d'une -façon fort dangereuse l'air d'importance du fameux comte Regnault de -Saint-Jean-d'Angely, placé à trois pas de moi, particulièrement quand, -pour mieux écouter le colérique abbé Louis, placé de l'autre côté de la -salle vis-à-vis de lui, il abaissait les cols démesurément longs de sa -chemise<a name="NoteRef_21_131" id="NoteRef_21_131"></a><a href="#Note_21_131" class="fnanchor">[21]</a>. Cet instinct ou cet art que je dois à M. d'Orbane m'a -fait beaucoup d'ennemis. Actuellement,<span class="pagenum"><a name="Page_60" id="Page_60">[p. 60]</a></span> le sage di Fiore me reproche -l'ironie cachée, ou plutôt mal cachée, et apparente malgré moi dans le -coin droit de la bouche.</p> - -<hr /> - -<p>A Romans, il ne manqua que cinq voix à mon grand-père pour être -député. «J'y serais mort», répétait-il souvent en se félicitant -d'avoir refusé les voix de plusieurs bourgeois de campagne qui avaient -confiance en lui et venaient le consulter le matin chez lui. Sa -prudence à la Fontenelle l'empêchait d'avoir une ambition sérieuse, -il aimait beaucoup cependant à faire un discours devant une assemblée -choisie, par exemple à la Bibliothèque<a name="NoteRef_22_132" id="NoteRef_22_132"></a><a href="#Note_22_132" class="fnanchor">[22]</a>. Je m'y vois encore, -l'écoutant dans la première salle remplie de monde, et immense à mes -yeux. Mais pourquoi ce monde? à quelle occasion? C'est ce que l'image -ne me dit pas. Elle n'est qu'image.</p> - -<p>Mon grand-père nous racontait souvent qu'à Romans son encre, placée -sur la cheminée bien chauffée, gelait au bout de sa plume. Il ne fut -pas nommé, mais fit nommer un député ou deux dont j'ai oublié les -noms, mais lui n'oubliait pas le service qu'il leur avait rendu et les -suivait des yeux dans l'assemblée, où il blâmait leur énergie.</p> - -<p>J'aimais beaucoup M. d'Orbane ainsi que le gros chanoine son frère, -j'allais les voir place des Tilleuls ou sous la voûte qui de la place -Notre-Dame conduisait à celle des Tilleuls, à deux pas de Notre-Dame, -où le chanoine chantait. Mon père ou mon<span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">[p. 61]</a></span> grand-père envoyait à -l'avocat célèbre des dindons gras à l'occasion de Noël<a name="NoteRef_23_133" id="NoteRef_23_133"></a><a href="#Note_23_133" class="fnanchor">[23]</a>.</p> - -<p>J'aimais aussi beaucoup le Père Ducros, cordelier défroqué (du couvent -situé entre le Jardin-de-Ville et l'hôtel de Franquières lequel, à mon -souvenir, me semble style de la Renaissance).</p> - -<p>J'aimais encore l'aimable abbé Chélan, curé de Risset près Claix, -petit homme maigre, tout nerfs, tout feu, pétillant d'esprit, déjà -d'un certain âge, qui me paraissait vieux, mais n'avait peut-être -que quarante ou quarante-cinq ans et dont les discussions à table -m'amusaient infiniment. Il ne manquait pas de venir dîner chez mon -grand-père quand il venait à Grenoble, et le dîner était bien plus gai -qu'à l'ordinaire.</p> - -<p>Un jour, à souper, il parlait depuis trois-quarts d'heure en tenant à -la main une cuillerée de fraises<a name="NoteRef_24_134" id="NoteRef_24_134"></a><a href="#Note_24_134" class="fnanchor">[24]</a>. Enfin il porta la cuiller à la -bouche.</p> - -<p>«L'abbé, vous ne direz pas votre messe demain, dit mon grand-père.</p> - -<p>—Pardonnez-moi, je la dirai demain, mais non pas aujourd'hui, car -il est minuit passé.» Ce dialogue fit ma joie pendant un mois, cela -me paraissait pétillant d'esprit. Tel est l'esprit pour un peuple ou -pour un homme jeune, l'émotion est en eux;—voir les réponses d'esprit -admirées par Boccace ou Vasari.</p> - -<p>Mon grand-père, en ces temps heureux, prenait la religion fort -gaiement, et ces Messieurs étaient<span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">[p. 62]</a></span> de son avis; il ne devint triste -et un peu religieux qu'après la mort de ma mère (en 1790), et encore, -je pense, par l'espoir incertain de la retrouver—revoir—dans l'autre -monde, comme M. de Broglie<a name="NoteRef_25_135" id="NoteRef_25_135"></a><a href="#Note_25_135" class="fnanchor">[25]</a> qui dit en parlant de son aimable -fille, morte à treize ans:</p> - -<p>«Il me semble que ma fille est en Amérique.»</p> - -<hr /> - -<p>Je crois que M. l'abbé Chélan dînait à la maison<a name="NoteRef_26_136" id="NoteRef_26_136"></a><a href="#Note_26_136" class="fnanchor">[26]</a> lors de la -<i>journée des tuiles.</i> Ce jour-là, je vis couler le premier sang répandu -par la Révolution française. C'était un malheureux ouvrier chapelier -(S), blessé à mort par un coup de baïonnette (S') au bas du dos.</p> - -<p>On quitta [la] table au milieu du dîner (T). J'étais en H et le curé -Chélan en C.</p> - -<p>Je chercherai la date dans quelque chronologie. L'image est on ne peut -plus nette chez moi, il y a peut-être de cela quarante-trois ans<a name="NoteRef_27_137" id="NoteRef_27_137"></a><a href="#Note_27_137" class="fnanchor">[27]</a>.</p> - -<p>Un M. de Clermont-Tonnerre, commandant en Dauphiné et qui occupait -l'hôtel du Gouvernement, maison isolée donnant sur le rempart (avec -une vue superbe sur les coteaux d'Eybens, une vue tranquille et -belle, digne de Claude Lorrain) et une entrée par une belle cour rue -Neuve, près de la rue des Mûriers, voulut, ce me semble, dissiper un -rassemblement; il avait deux régiments, contre lesquels le peuple se -défendit avec les tuiles qu'il<span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">[p. 63]</a></span> jetait du liant des maisons, de là le -nom: <i>Journée des tuiles</i><a name="NoteRef_28_138" id="NoteRef_28_138"></a><a href="#Note_28_138" class="fnanchor">[28]</a>.</p> - -<p>Un des sous-officiers de ces régiments était Bernadotte, actuel roi -de Suède, une âme aussi noble que celle de Murat, roi de Naples, mais -bien autrement adroit. Lefèvre, perruquier et ami de mon père, nous a -souvent raconté qu'il avait sauvé la vie au général Bernadotte (comme -il disait en 1804), vivement pressé au fond d'une allée. Lefèvre était -un bel homme fort brave, et le maréchal Bernadotte lui avait envoyé un -cadeau.</p> - -<p>Mais tout ceci est de l'histoire, à la vérité racontée par des témoins -oculaires, mais que je n'ai pas vue. Je ne veux dire à l'avenir, en -Russie et ailleurs, que ce que <i>j'ai vu.</i></p> - -<p>Mes parents ayant quitté le dîner avant la fin et moi étant seul à la -fenêtre de la salle-à-manger, ou plutôt à la fenêtre d'une chambre -donnant sur la Grande-rue, je vis une vieille femme qui, tenant à -la main ses vieux souliers, criait de toutes ses forces: «Je me -<i>révorte</i>! Je me <i>révorte</i>!»</p> - -<p>Elle allait de la place Grenette à la Grande-rue. Je la vis en R -<a name="NoteRef_29_139" id="NoteRef_29_139"></a><a href="#Note_29_139" class="fnanchor">[29]</a>. Le ridicule de cette révolte me frappa beaucoup. Une vieille -femme contre un régiment me frappa beaucoup. Le soir même, mon -grand-père me raconta la mort de Pyrrhus.</p> - -<p>Je pensais encore à la vieille femme quand je fus distrait<a name="NoteRef_30_140" id="NoteRef_30_140"></a><a href="#Note_30_140" class="fnanchor">[30]</a> par -un spectacle tragique en O. Un ouvrier chapelier, blessé dans le dos -d'un coup de<span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">[p. 64]</a></span> baïonnette, à ce qu'on dit, marchait avec beaucoup de -peine, soutenu par deux hommes sur les épaules desquels il avait les -bras passés. Il était sans habit, sa chemise et son pantalon de nankin -ou blanc étaient remplis de sang, je le vois encore, la blessure d'où -le sang sortait abondamment était au bas du dos, à peu près vis-à-vis -le nombril.</p> - -<p>On le faisait marcher avec peine pour gagner sa chambre, située au -sixième étage de la maison Périer<a name="NoteRef_31_141" id="NoteRef_31_141"></a><a href="#Note_31_141" class="fnanchor">[31]</a>, et en y arrivant il mourut.</p> - -<p>Mes parents me grondaient et m'éloignaient de la fenêtre de la chambre -de mon grand-père pour que je ne visse pas ce spectacle d'horreur, mais -j'y revenais toujours. Cette fenêtre appartenait à un premier étage -fort bas.</p> - -<p>Je revis ce malheureux à tous les étages de l'escalier de la maison -Périer, escalier éclairé par de grandes fenêtres donnant sur la place.</p> - -<p>Ce souvenir, comme il est naturel, est le plus net qui me soit resté de -ces temps-là.</p> - -<p>Au contraire, je retrouve à grand'peine quelques vestiges du souvenir -d'un feu de joie au Fontanil (route de Grenoble à Voreppe) où l'on -venait de brûler <i>Lamoignon.</i> Je regrettai beaucoup la vue d'une grande -figure de paille habillée, le fait est que mes parents, <i>pensant bien</i> -et fort contrariés de tout ce qui s'écartait de <i>l'ordre</i> (l'ordre -règne dans Varsovie, dit M. le général Sébastiani vers 1632), ne -voulaient pas que je fusse frappé de ces preuves<span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">[p. 65]</a></span> de la colère ou de la -force du peuple. Moi, déjà à cet âge, j'étais de l'opinion contraire; -on peut-être mon opinion à l'âge de huit ans est-elle cachée par celle, -bien décidée, que j'eus à dix ans.</p> - -<p>Une fois, MM. Barthélemy d'Orbane, le chanoine Barthélemy, M. l'abbé -Rey, M. Bouvier, tout le monde, parlait chez mon grand-père de la -prochaine arrivée de M. le maréchal de Vaux.</p> - -<p>«Il vient faire ici une entrée de ballet», dit mon grand-père; ce -mot que je ne compris pas me donna beaucoup à penser. Que pouvait-il y -avoir de commun, me disais-je, entre un vieux maréchal et un balai?</p> - -<p>Il mourut<a name="NoteRef_32_142" id="NoteRef_32_142"></a><a href="#Note_32_142" class="fnanchor">[32]</a>, le son majestueux des cloches m'émut profondément. -On me mena voir la chapelle ardente (ce me semble, dans l'hôtel du -Commandement, vers la rue des Mûriers, souvenir presque effacé); le -spectacle de cette tombe noire et éclairée en plein jour par une -quantité de cierges, les fenêtres étant fermées, me frappa. C'était -l'idée de la mort paraissant pour la première fois. J'étais mené par -Lambert, domestique (valet de chambre) de mon grand-père et mon intime -ami. C'était un jeune et bel homme très dégourdi.</p> - -<p>Un de ses amis à lui vint lui dire: «La fille du Maréchal n'est qu'une -avare, ce qu'elle donne de drap noir aux tambours pour couvrir leur -caisse ne suffit pas pour faire une culotte. Les tambours se plaignent -beaucoup, l'usage est de donner ce qu'il<span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">[p. 66]</a></span> faut pour faire une culotte. -» De retour à la maison, je trouvai que mes parents parlaient aussi de -l'avarice de cette fille du maréchal.</p> - -<p>Le lendemain fut un jour de bataille pour moi. J'obtins avec grande -difficulté, ce me semble, que Lambert me mènerait voir passer le -convoi. Il y avait une foule énorme. Je me vois au point H<a name="NoteRef_33_143" id="NoteRef_33_143"></a><a href="#Note_33_143" class="fnanchor">[33]</a>, -entre la grande route et l'eau, près le four à chaux, à deux cents pas -en-deçà et à l'orient de la Porte-de-France.</p> - -<p>Le son des tambours voilés par le petit coupon de drap noir non -suffisant pour faire une culotte m'émut beaucoup. Mais voici bien une -autre affaire: je me trouvais au point H, à l'extrême gauche d'un -bataillon du régiment d'Austrasie, je crois, habit blanc et parements -noirs, L est Lambert me donnant la main à moi, H. J'étais à six pouces -du dernier soldat du régiment, S.</p> - -<p>Il me dit tout-à-coup:</p> - -<p>«Eloignez-vous un peu, afin qu'en <i>tirant</i> je ne vous fasse pas mal.»</p> - -<p>On allait donc tirer! et tant de soldats! ils portaient l'arme -renversée.</p> - -<p>Je mourais de peur; je lorgnais de loin la voiture noire qui s'avançait -lentement par le pont de pierre<a name="NoteRef_34_144" id="NoteRef_34_144"></a><a href="#Note_34_144" class="fnanchor">[34]</a>, tirée par six ou huit chevaux. -J'attendais en frémissant la décharge. Enfin, l'officier fit un cri, -immédiatement suivi de la décharge de feu. Je fus soulagé d'un grand -poids. A ce moment, la foule se<span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">[p. 67]</a></span> précipitait vers la voiture drapée que -je vis avec beaucoup de plaisir, il me semble qu'il y avait des cierges.</p> - -<p>On fit une seconde, peut-être une troisième décharge, hors de la -Porte-de-France, mais j'étais aguerri<a name="NoteRef_35_145" id="NoteRef_35_145"></a><a href="#Note_35_145" class="fnanchor">[35]</a>.</p> - -<hr /> - -<p>Il me semble que je me souviens aussi un peu du départ pour Vizille -(Etats de la province, tenus au château de Vizille, bâti par le -connétable de Lesdiguières). Mon grand-père adorait les antiquités -et me fit concevoir une idée sublime de ce château par la façon dont -il en parlait. J'étais sur le point de concevoir de la vénération -pour la noblesse, mais bientôt MM. de Saint-Ferréol et de Sinard, mes -camarades, me guérirent.</p> - -<p>On portait des matelas attachés derrière les chaises de poste (à deux -roues).</p> - -<p><i>Le jeune Mounier</i>, comme disait mon grand-père, vint à la maison. -C'est par l'effet d'une séparation violente que sa fille et moi n'avons -pas conçu par la suite une passion violente l'un pour l'autre, dernière -heure que je passai sous une porte cochère, rue Montmartre, vers le -boulevard, pendant une averse, en 1803 ou 1804, lorsque M. Mounier alla -remplir les fonctions de préfet à Rennes<a name="NoteRef_36_146" id="NoteRef_36_146"></a><a href="#Note_36_146" class="fnanchor">[36]</a>. (Mes lettres à son fils -Edouard, lettre de Victorine, à moi adressée. Le bon est qu'Edouard -croit, ce me semble, que je suis allé à Rennes.)</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">[p. 68]</a></span></p> - -<p>Le petit portrait raide et mal peint que l'on voit dans une chambre -attenant à la bibliothèque publique de Grenoble, et qui représente M. -Mounier en habit de préfet, si je ne me trompe, est ressemblant<a name="NoteRef_37_147" id="NoteRef_37_147"></a><a href="#Note_37_147" class="fnanchor">[37]</a>. -Figure de fermeté, mais tête étroite. Son fils, que j'ai beaucoup -connu en 1803 et en Russie en 1812 (Viasma sur Tripes)<a name="NoteRef_38_148" id="NoteRef_38_148"></a><a href="#Note_38_148" class="fnanchor">[38]</a>, est -un plat, adroit et fin matois, vrai type de Dauphinois ainsi que le -ministre Casimir Périer, mais ce dernier a trouvé plus Dauphinois que -lui. Edouard Mounier en a l'accent traînant, quoique élevé à Weimar, -il est pair de France et baron, et juge bravement à la Cour de Paris -(1835, décembre). Le lecteur me croira-t-il si j'ose ajouter que je ne -voudrais pas être à la place de MM. Félix Faure et Mounier, pairs de -France et jadis de mes amis?</p> - -<hr /> - -<p>Mon grand-père, ami tendre et zélé de tous les jeunes gens qui aimaient -à travailler, prêtait des livres à M. Mounier, et le soutenait contre -le blâme de son père. Quelquefois, en passant dans la Grande-rue, il -entrait dans la boutique de celui-ci et lui parlait de son fils. Le -vieux marchand de drap, qui avait beaucoup d'enfants et ne songeait -qu'à l'utile, voyait avec un chagrin mortel ce fils perdre son temps à -lire.</p> - -<p>Le fort de M. Mounier fils était le caractère, mais les lumières ne -répondaient pas à la fermeté. Mon grand-père nous racontait en riant, -quelques années<span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">[p. 69]</a></span> après, que madame Borel, qui devait être la belle-mère -de M. Mounier, étant venue acheter du drap, M. Mounier, commis de son -père, déploya la pièce, fit manier le drap, et ajouta:</p> - -<p>«Ce drap se vend vingt-sept livres l'aune.</p> - -<p>—Hé bien! monsieur, je vous en donnerai vingt-cinq», dit madame Borel.</p> - -<p>Sur quoi M. Mounier replia la pièce de drap, et la reporta<a name="NoteRef_39_149" id="NoteRef_39_149"></a><a href="#Note_39_149" class="fnanchor">[39]</a> -froidement dans sa case.</p> - -<p>«Mais, monsieur! monsieur! dit M<sup>me</sup> Borel étonnée, j'irai -bien jusqu'à vingt-cinq livres dix sous.</p> - -<p>—Madame, un honnête homme n'a que son mot.»</p> - -<p>La bourgeoise fut fort scandalisée.</p> - -<p>Ce même amour du travail chez les jeunes gens, qui rendrait mon -grand-père si coupable aujourd'hui, lui faisait protéger le jeune -Barnave<a name="NoteRef_40_150" id="NoteRef_40_150"></a><a href="#Note_40_150" class="fnanchor">[40]</a>.</p> - -<p>Barnave était notre voisin de campagne, lui à Saint-Robert, nous à -Saint-Vincent (route de Grenoble à Voreppe et Lyon). Séraphie le -détestait et bientôt après applaudit à sa mort et au peu de bien qui -restait à ses sœurs, dont l'une s'appelait, ce me semble, madame -Saint-Germain. A chaque fois que nous passions à Saint-Robert: «Ah! -voilà la maison de Barnave», disait Séraphie, et elle le traitait -en dévote piquée. Mon grand-père, très bien venu des nobles, était -l'oracle de la bourgeoisie, et je pense que la mère de l'immortel -Barnave, qui le voyait<span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">[p. 70]</a></span> avec peine négliger les procès pour Mably et -Montesquieu, était calmée par mon grand-père. Dans ces temps-là, notre -compatriote Mably passait pour quelque chose, et deux ans après on -donna son nom à la rue des Clercs<a name="NoteRef_41_151" id="NoteRef_41_151"></a><a href="#Note_41_151" class="fnanchor">[41]</a>.</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">[p. 71]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_111" id="Note_1_111"></a><a href="#NoteRef_1_111"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre V</i> ne fait pas partie des trois volumes de la -bibliothèque municipale de Grenoble cotés R 299. Il forme les feuillets -39 à 68 (numérotés en outre par Stendhal de 1 à 29) d'un cahier côté -R 300, n° 1. Stendhal a écrit dans la marge du fol. 39: «A dicter et -mettre à sa place page 75. Relier ce manuscrit à la fin du second.» -Il indique encore, en marge du fol. 40: «<i>Petits souvenirs.</i> A placer -à son rang vers 1791. Copier à gauche à son rang.» Enfin, un feuillet -intercalaire porte: «Petits souvenirs, à placer <i>after the recit of my -mother death</i>: Barthélémy d'Orbane. Départ pour Romans, grande neige. -Départ pour Vizille. Haine de Séraphie pour les demoiselles Barnave. -Décrire la <i>campagne</i> (maison de campagne) ... (un mot illisible) nous -passons à Saint-Robert.» -</p> -<p> -D'autre part, Stendhal a écrit au verso du fol. 74 (ms. R 299, t. I): -«A mon égard la plus noire méchanceté succède à la bonté et à la gaieté. -</p> -<p> -CHAPITRE 4 <i>bis</i>: SOMMAIRE -</p> -<p> -Voici les souvenirs qui après 23 X 2 ans me restent des jours heureux -passés du temps de ma mère: Salons. Soupers. Le Père Chérubin Beyle. -L'abbé Chélan. <i>Je me révorte!</i> Départ pour Romans. Barthélémy -d'Orbane. M. Barthélemy m'apprend les grimaces.» -</p> -<p> -—En haut du fol. 39 (ms. R 300), on lit la date suivante: «17-22 -décembre 1835, Omar.» On lit également au verso du fol. 38: «18 déc. -1835, de 2 à 4 h. 1/2, 14 pages. Je suis si absorbé par les souvenirs -qui se dévoilent à mes yeux que je puis à peine former mes lettres.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_112" id="Note_2_112"></a><a href="#NoteRef_2_112"><span class="label">[2]</span></a> <i>A l'époque où nous occupions le premier étage ...</i>—Variante: -«<i>Quand nous occupions ...</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_113" id="Note_3_113"></a><a href="#NoteRef_3_113"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>au coin de la place Grenette et de la Grande-rue.</i>—17 déc. -1835. Je souffre du froid, collé contre la cheminée. La cuisse gauche -est gelée. (Note de Stendhal.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_114" id="Note_4_114"></a><a href="#NoteRef_4_114"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>suite naturelle de la défiance et de la barbarie -générales.</i>—Style. Ordre des idées. Préparer l'attention par quelques -mots en parlant: 1° de Lambert;—2° sur mon oncle, dans les premiers -chapitres. 17 déc. 35. (Note de Stendhal.)—Autre note de Stendhal: -«Style. Rapport des mots aux idées: directeur à l'Académie, artiste, -Saint-Marc-Girardin, chevalier <i>of Konig von Janfoutre, Débats.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_115" id="Note_5_115"></a><a href="#NoteRef_5_115"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>de s'opposer bien sérieusement à ma course au -spectacle.</i>—Il y a un blanc dans le manuscrit entre «<i>course</i>» et «au -<i>spectacle</i>».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_116" id="Note_6_116"></a><a href="#NoteRef_6_116"><span class="label">[6]</span></a> <i>J'étais aux premières loges, la seconde à droite.</i>—Ici Stendhal -a dessiné un plan de la salle du Théâtre, avec cette légende: «Infâme -salle de spectacle de Grenoble, laquelle m'inspirait la vénération -la plus tendre. J'en aimais même la mauvaise odeur. Vers 1794, 95 et -96, cet amour alla jusqu'à la fureur, du temps de M<sup>lle</sup> -Kably.»—En face, plan de la partie de la ville où est situé le -théâtre, jusqu'à «la Bastille, fortifiée de 1826 à 1836 par le général -Haxo (infatigable hâbleur)».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_117" id="Note_7_117"></a><a href="#NoteRef_7_117"><span class="label">[7]</span></a> <i>Je m'en apercevais fort bien.</i>—Variante: «<i>De quoi je -m'apercevais.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_118" id="Note_8_118"></a><a href="#NoteRef_8_118"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>comme à l'église de ...</i>—Le nom a été laissé en blanc.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_119" id="Note_9_119"></a><a href="#NoteRef_9_119"><span class="label">[9]</span></a> ... <i>je me rappelle encore le son des</i> clercs ...—Ce mot -est surmonté d'une croix. Ce signe revient plusieurs fois dans le -manuscrit, à des passages incomplets ou obscurs. Il indique sans doute -les endroits que Stendhal se proposait de corriger ultérieurement.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_120" id="Note_10_120"></a><a href="#NoteRef_10_120"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>j'articulai le nom de M. de Ravix ...</i>—Variante: «<i>Je -nommai.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_121" id="Note_11_121"></a><a href="#NoteRef_11_121"><span class="label">[11]</span></a> ... <i>M<sup>me</sup> de M......, me semblait bien jolie et -passait pour fort galante.</i>—Tout cet alinéa est une addition, qui -paraît avoir été écrite le lendemain, d'après la comparaison des -écritures.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_122" id="Note_12_122"></a><a href="#NoteRef_12_122"><span class="label">[12]</span></a> <i>On lui doit la Bibliothèque.</i>—Le nom de M. Henri Gagnon figure -en effet parmi ceux des fondateurs de la bibliothèque municipale.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_123" id="Note_13_123"></a><a href="#NoteRef_13_123"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>s'il s'en trouve jamais pour ces fadaises ...</i>—Variantes: -«<i>Fariboles, puérilités.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_124" id="Note_14_124"></a><a href="#NoteRef_14_124"><span class="label">[14]</span></a> ... <i>en écrivant ceci quarante-cinq ans après les -événements.</i>—Suit un plan de l'appartement de M. Gagnon ayant vue -sur la Grande-rue et la place Grenette. Stendhal n'y indique pas les -chambres d'Elisabeth et de Séraphie Gagnon. Il dit à ce sujet: «Je ne -vois pas où logeaient ma tante Séraphie et ma grand'tante Elisabeth. -J'ai un souvenir vague d'une chambre entre la salle-à-manger et la -Grande-rue.»—En face, plan du quartier Saint-Laurent entre le pont de -pierre (aujourd'hui pont de l'Hôpital) et les premières maisons de La -Tronche. La Tronche était l'«église de M. Dumolard, mon confesseur, -curé de La Tronche et grand tejé». Dans l'enceinte de Grenoble, non -loin de la Citadelle, Stendhal indique l'emplacement de la a maison -d'éducation de M<sup>lle</sup> de La Sagne, ma sœur, son amie -M<sup>lle</sup> Sophie Gauthier». C'est l'ancien couvent des Ursulines, -rue Sainte-Ursule, aujourd'hui occupé par les bureaux de la direction -du Génie.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_125" id="Note_15_125"></a><a href="#NoteRef_15_125"><span class="label">[15]</span></a> ... <i>le jour où j'avais un an</i>, 23 <i>janvier</i>1784 ...—Stendhal -indique 1783 (1786—3). Cette erreur est volontaire, car elle est -reproduite dans un plan de l'appartement de M. Gagnon, dessina au verso -du fol. 8, et portant: «Détail, 23 janvier 1788—5.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_126" id="Note_16_126"></a><a href="#NoteRef_16_126"><span class="label">[16]</span></a> ... <i>je ressemblais au Père Brulard ...</i>—Chérubin Beyle, né le -17 septembre 1709, religieux du couvent de Saint-François de Grenoble, -fils de Joseph Beyle et oncle de Joseph-Chérubin Beyle, père de -Stendhal. (Sur la famille paternelle de Stendhal, voir Ed. Maignien, -<i>La famille de Beyle-Stendhal</i>, Grenoble, 1889, broch. in-8.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_127" id="Note_17_127"></a><a href="#NoteRef_17_127"><span class="label">[17]</span></a> <i>«Un peu plus il était mort», disait mon grand-père.</i>—En face, -se trouve un croquis représentant une «<i>coupe de la Porte-de-France</i>», -avec le «lieu de la ruade du mulet».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_128" id="Note_18_128"></a><a href="#NoteRef_18_128"><span class="label">[18]</span></a> ... <i>le grand hiver de</i> 1789 <i>à</i> 1790 ...—En surcharge, au -crayon, de la main de R. Colomb: «1788 à 1789». La session des Etats de -Romans à laquelle Stendhal fait allusion a duré du 2 novembre 1788 au -16 janvier 1789.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_19_129" id="Note_19_129"></a><a href="#NoteRef_19_129"><span class="label">[19]</span></a> ... <i>M. Barthélémy d'Orbane, ami intime de la famille, était en -O et moi en H ...</i>—En face, est un plan d'une partie de l'appartement -de M. Gagnon. Au coin à droite de la cheminée est Barthélémy d'Orbane -et près de lui, devant le feu, le jeune Henri.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_20_130" id="Note_20_130"></a><a href="#NoteRef_20_130"><span class="label">[20]</span></a> ... <i>M. Lysimaque ...</i>—Lysimaque Tavernier, chancelier du -consulat de France à Cività-Vecchia.—Sur ce personnage, voir C. -Stryienski, <i>Soirées du Stendhal-Club</i> (1899), p. 236-242, et A. -Chuquet, <i>Stendhal-Beyle</i> (1904), p. 532-533.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_21_131" id="Note_21_131"></a><a href="#NoteRef_21_131"><span class="label">[21]</span></a> ... <i>il abaissait les cols démesurément longs de sa -chemise.</i>—Dans la marge est un croquis donnant les places respectives -de «l'Empereur», du «colérique abbé Louis (alors non voleur et fort -estimé)», du «terrible comte Regnault», et des auditeurs au Conseil -d'Etat, parmi lesquels Henri Beyle.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_22_132" id="Note_22_132"></a><a href="#NoteRef_22_132"><span class="label">[22]</span></a> ... <i>devant une assemblée choisie, par exemple à la -Bibliothèque.</i>—La bibliothèque municipale était alors située dans le -passage dit aujourd'hui du Lycée, près de l'École centrale, plus tard -lycée de garçons (voir notre plan de Grenoble en 1793).</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_23_133" id="Note_23_133"></a><a href="#NoteRef_23_133"><span class="label">[23]</span></a> ... <i>A l'occasion de Noël.</i>—Variante: «<i>Pour Noël.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_24_134" id="Note_24_134"></a><a href="#NoteRef_24_134"><span class="label">[24]</span></a> ... <i>tenant à la main une cuillerée de fraises.</i>—Dans -l'interligne est cette addition, marquée de deux croix: «Comme il -allait manger des fraises.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_25_135" id="Note_25_135"></a><a href="#NoteRef_25_135"><span class="label">[25]</span></a> ... <i>M. de Broglie.</i>—Ms.: «<i>Gliebro.</i>» Sur les habitudes -anagrammatiques de Stendhal, voir notre Introduction.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_26_136" id="Note_26_136"></a><a href="#NoteRef_26_136"><span class="label">[26]</span></a> ... <i>M. l'abbé Chélan dînait à la maison ...</i>—Suit un plan -d'une partie de l'appartement «au 1<sup>er</sup> étage», avec la table -dans la salle-à-manger, la cuisine et une chambre à coucher. On y voit -également, sur la place Grenette, l'emplacement où fut tué l'ouvrier -chapelier (au pied des degrés qui conduisent aujourd'hui au n° 4 de la -place Grenette).</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_27_137" id="Note_27_137"></a><a href="#NoteRef_27_137"><span class="label">[27]</span></a> ... <i>il y a peut-être de cela quarante-trois ans.</i>—La journée -des Tuiles eut lieu le 7 juin 1788. (Voir à ce sujet A. Prudhomme, -<i>Histoire de Grenoble</i>, p. 587-590.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_28_138" id="Note_28_138"></a><a href="#NoteRef_28_138"><span class="label">[28]</span></a> <i>Journée des tuiles.</i>—J'ai laissé à Grenoble une vue de cette -révolte-émeute à l'aquarelle, par M. Le Roy. (Note de Stendhal.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_29_139" id="Note_29_139"></a><a href="#NoteRef_29_139"><span class="label">[29]</span></a> <i>Je la vis en R.</i>—Plan indiquant la place de la vieille femme -en R (Grande-rue) et «venant en R'» (place Grenette), et la situation -en O (angle Nord de la place Grenette) de l'ouvrier blessé.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_30_140" id="Note_30_140"></a><a href="#NoteRef_30_140"><span class="label">[30]</span></a> ... <i>quand je fus distrait ...</i>—Variante: «<i>Mais bientôt après -je fus distrait ...</i>»—En face, au verso du fol. 19, on lit: «Cette -queue savante fait-elle bien? 22 décembre.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_31_141" id="Note_31_141"></a><a href="#NoteRef_31_141"><span class="label">[31]</span></a> ... <i>la maison Périer.</i>—Maison Périer-Lagrange, aujourd'hui -place Grenette, n° 4. (Voir notre plan de Grenoble en 1793.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_32_142" id="Note_32_142"></a><a href="#NoteRef_32_142"><span class="label">[32]</span></a> <i>Il mourut ...</i>—Noël de Jourda, comte de Vaux, maréchal de -France et lieutenant général du roi en Dauphiné, mourut à Grenoble le -14 septembre 1788.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_33_143" id="Note_33_143"></a><a href="#NoteRef_33_143"><span class="label">[33]</span></a> <i>Je me vois au point H ...</i>—Deux croquis expliquent la position -des personnages; l'un est en coupe, l'autre en plan. Un autre dessin -(en coupe) se trouve également au verso du fol. 10. Sur le bord de la -route, du côté de l'Isère, est en H le «point d'où j'ai vu passer la -voiture noire portant les restes du maréchal de Vaux, et, ce qui est -bien pis, point d'où j'ai entendu la décharge à deux pieds de moi».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_34_144" id="Note_34_144"></a><a href="#NoteRef_34_144"><span class="label">[34]</span></a> ... <i>le pont de pierre ...</i>—Aujourd'hui, pont de l'Hôpital.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_35_145" id="Note_35_145"></a><a href="#NoteRef_35_145"><span class="label">[35]</span></a> ... <i>mais j'étais aguerri.</i>—Ici, nouveau plan indiquant la -place de Stendhal, en H, à la première et aux seconde et troisième -décharges.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_36_146" id="Note_36_146"></a><a href="#NoteRef_36_146"><span class="label">[36]</span></a> ... <i>M. Mounier alla remplir les fonctions de préfet à -Rennes.</i>—Mounier fut nommé préfet de l'Ille-et-Vilaine le 13 avril -1802 par Bonaparte, premier consul.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_37_147" id="Note_37_147"></a><a href="#NoteRef_37_147"><span class="label">[37]</span></a> ... <i>M. Mounier en habit de préfet ... est ressemblant.</i>—Un -portrait de Mounier existe en effet dans la galerie dauphinoise de la -Bibliothèque municipale.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_38_148" id="Note_38_148"></a><a href="#NoteRef_38_148"><span class="label">[38]</span></a> (<i>Viazma sur Tripes ...</i>)—Viazma, chef-lieu de district du -gouvernement de Smolensk, est situé sur deux rivières: la Viazma et la -Bebréïa.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_39_149" id="Note_39_149"></a><a href="#NoteRef_39_149"><span class="label">[39]</span></a> ... <i>et la reporta froidement dans sa case.</i>—Variante: -«<i>Remit.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_40_150" id="Note_40_150"></a><a href="#NoteRef_40_150"><span class="label">[40]</span></a> ... <i>lui faisait protéger le jeune Barnave.</i>—23 déc. 35. -Fatigué du travail <i>after</i> 3 heures. (Note de Stendhal.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_41_151" id="Note_41_151"></a><a href="#NoteRef_41_151"><span class="label">[41]</span></a> ... <i>la rue des Clercs.</i>—Le feuillet se termine par un plan -indiquant la «grand'route» de Grenoble à Lyon, avec Saint-Robert et la -maison de Barnave, le Fontanil et Saint-Vincent, avec la «chaumière -pittoresque de mon grand-père», dit Stendhal. -</p> -<p> -Au verso de ce feuillet, on lit: «A placer: Secret de la fortune de -MM. Rothschild, vu par Dominique le 23 décembre 1835. Ils vendent ce -dont tout le monde a envie, <i>des rentes</i>, et de plus s'en sont faits -fabricants (<i>id est</i> en prenant les emprunts).» -</p> -<p> -Au-dessous: «Il faudrait acheter un plan de Grenoble et le coller -ici. Faire prendre les extraits mortuaires de mes parents, ce qui -me donnerait des dates, et l'extrait de naissance de <i>my dearest -mother</i> et de mon bon grand-père. Décembre 1835.—Qui pense à eux -aujourd'hui que moi, et avec quelle tendresse, à ma mère, morte depuis -quarante-six ans? Je puis donc parler librement de leurs défauts. La -même justification pour madame la baronne de Barckoff, M<sup>me</sup> -Alex. Petit, M<sup>me</sup> la baronne Dembowski (que de temps que -je n'ai pas écrit ce nom!), Virginie, 2 Victorines, Angela, Mélanie, -Alexandrine, Méthilde, Clémentine, Julia, Alberthe de Rubempré (adorée -pendant un mois seulement). -</p> -<p> -V. 2 V. A. M. A. M. C. I. A. -</p> -<p> -Un homme plus positif dirait: -</p> -<p> -A. M. C. I. A.» -</p> -<p> -On lit encore: «Droit que j'ai d'écrire ces mémoires: quel être n'aime -pas qu'on se souvienne de lui?» -</p> -<p> -—Deux feuillets supplémentaires, numérotés 69 et 70 du cahier, -portent: (Fol. 69 recto) «20 décembre 1835. Faits à placer en leur -lieu, mis ci-derrière pour ne pas les oublier: nomination d'inspecteur -du mobilier, derrière la page 254 de la présente numération.—A sept -ans commencé le latin, donc en 1790.» -</p> -<p> -(Fol. 69 verso): «Faits placés ici pour ne pas les oublier, à mettre en -leur lieu: Pourquoi Omar m'est pesante. -</p> -<p> -C'est que je n'ai pas une société le soir pour me distraire de mes -idées du matin. Quand je faisais un ouvrage à Paris, je travaillais -jusqu'à étourdissements et impossibilité de marcher. Six heures -sonnant, il fallait pourtant aller dîner, sous peine de déranger les -garçons du restaurateur, pour un dîner de 3 fr. 50, ce qui m'arrivait -souvent, et j'en rougissais. J'allais dans un salon; là, à moins qu'il -ne fût bien piètre, j'étais absolument distrait de mon travail du -matin, au point d'en avoir oublié même le sujet en rentrant chez moi à -une heure.» -</p> -<p> -(Fol 70 verso): «20 décembre 1835. Fatigue du matin. -</p> -<p> -Voilà ce qui me manque à Omar: la société est si languissante -(<i>M<sup>me</sup> Sandre, the mother of Marieta</i>), la comtesse Rave ..., -la princesse de Da ... ne valent pas la peine de monter en voiture. -</p> -<p> -Tout cela ne peut me distraire des idées du matin, de façon que quand -je reprends mon travail le lendemain, au lieu d'être frais et soulagé -je suis absolument éreinté. -</p> -<p> -Et après quatre ou cinq jours de cette vie, je me dégoûte de -mon travail, j'en ai réellement tué les idées en y pensant trop -continuement. Je fais un voyage de quinze jours à Cività-Vecchia et à -Ravenne (1835, octobre). Cet intervalle est trop long, j'ai <i>oublié</i> -mon travail. Voilà pourquoi le <i>Chasseur vert</i> languit, voilà ce qui, -avec le manque total de bonne musique, me déplaît dans Omar.»</p></div> - -<hr class="chap" /> - - -<h4><a name="CHAPITRE_VI1" id="CHAPITRE_VI1">CHAPITRE VI</a><a name="NoteRef_1_152" id="NoteRef_1_152"></a><a href="#Note_1_152" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Après la mort de ma mère, mon grand-père fut au désespoir. Je vois, -mais aujourd'hui seulement, que c'était un homme qui devait avoir un -caractère dans le genre de celui de Fontenelle, modeste, prudent, -discret, extrêmement aimable et amusant avant la mort de sa fille -chérie. Depuis, il se renfermait souvent dans un silence discret. Il -n'aimait au monde que cette fille et moi<a name="NoteRef_2_153" id="NoteRef_2_153"></a><a href="#Note_2_153" class="fnanchor">[2]</a>.</p> - -<p>Son autre fille, Séraphie, l'ennuyait et le vexait; il aimait la paix -par-dessus tout, et elle ne vivait que de scènes. Mon bon grand-père, -pensant à son autorité de père, se faisait de vifs reproches de ne pas -montrer les dents (<i>c'est une expression du pays</i>; je les conserve, -sauf à les traduire plus tard en<span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">[p. 72]</a></span> français de Paris, je les conserve en -ce moment pour mieux me rappeler les détails qui m'arrivent en foule). -M. Gagnon estimait et craignait sa sœur, qui lui avait préféré dans la -jeunesse un frère mort à Paris, chose que le frère survivant ne lui -avait jamais pardonné, mais avec son caractère à la Fontenelle, aimable -et pacifique, il n'y paraissait nullement; j'ai deviné cela plus tard.</p> - -<p>M. Gagnon avait une sorte d'aversion pour son fils, Romain Gagnon, mon -oncle, jeune homme brillant et parfaitement aimable.</p> - -<p>C'est la possession de cette qualité qui brouillait, ce me semble, -le père et le fils; ils étaient tous deux, mais dans des genres -différents, les hommes les plus aimables de la ville. Mon grand-père -était plein de mesure dans les plaisanteries et son esprit fin et froid -pouvait passer inaperçu. Il était d'ailleurs un prodige de science -pour ce temps-là (où florissait la plus drôle d'ignorance). Les sots -ou les envieux (MM. Champel, Tournus (le cocu), Tourte) lui faisaient -sans cesse, pour se venger, des compliments sur sa mémoire. Il savait, -croyait et citait les auteurs approuvés sur toutes sortes de sujets.</p> - -<p>«Mou fils n'a rien lu», disait-il quelquefois avec humeur. Rien -n'était plus vrai, mais il était impossible de s'ennuyer dans une -société où était M. Gagnon le fils. Son père lui avait donné un -charmant appartement dans sa maison et l'avait fait avocat. Dans une -ville de parlement, tout le monde aimait<span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">[p. 73]</a></span> la chicane, et vivait de -la chicane, et faisait de l'esprit sur la chicane. Je sais encore un -nombre de plaisanteries sur le <i>pétitoire</i> et le <i>possessoire.</i></p> - -<p>Mon grand-père donnait le logement et la table à son fils, plus une -pension de cent francs par mois, somme énorme à Grenoble en 1789, pour -ses menus plaisirs, et mon oncle achetait des habits brodés de mille -écus et entretenait des actrices.</p> - -<p>Je n'ai fait qu'entrevoir ces choses, que je pénétrais par les -demi-mots de mon grand-père. Je suppose que mon oncle recevait des -cadeaux de ses maîtresses riches, et avec cet argent s'habillait -magnifiquement et entretenait les maîtresses pauvres. Il faut savoir -que, dans notre pays et alors, il n'y avait rien de mal à recevoir de -l'argent de M<sup>me</sup> Dulauron, ou de M<sup>me</sup> de Marcieu, -ou de M<sup>me</sup> de Sassenage, pourvu qu'on le dépensât <i>hic et -nunc</i> et qu'on ne thésaurisât pas. <i>Hic et nunc</i> est une façon de -parler que Grenoble devait à son parlement.</p> - -<p>Il est arrivé plusieurs fois que mon grand-père, arrivant chez M. de -Quinsonnas ou dans un autre cercle, apercevait un jeune homme richement -vêtu et que tout le inonde écoutait, c'était son fils.</p> - -<p>«Mon père ne me connaissait pas ces habits, me disait mon oncle, je -m'éclipsais au plus vite et rentrais pour reprendre le modeste frac. -Quand mon père me disait: Mais faites-moi un peu le plaisir de me -dire où vous prenez les frais de cette toilette.<span class="pagenum"><a name="Page_74" id="Page_74">[p. 74]</a></span>—Je joue et j'ai -du bonheur, répondais-je.—Mais alors, pourquoi ne pas payer vos -dettes?—Et madame Une telle qui voulait me voir avec le bel habit -qu'elle m'avait acheté! continuait mon oncle. Je m'en tirais par -quelque calembredaine.»</p> - -<p>Je ne sais si mon lecteur de 1880 connaît un roman fort célèbre -encore aujourd'hui: les <i>Liaisons dangereuses</i> avaient été composées -à Grenoble par M. Choderlos de Laclos, officier d'artillerie, et -peignaient les mœurs de Grenoble.</p> - -<p>J'ai encore connu M<sup>me</sup> de Merteuil, c'était M<sup>me</sup> -de Montmort, qui me donnait des noix confites, boiteuse qui avait la -maison Drevon au Chevallon, près l'église de Saint-Vincent, entre -le Fontanil et Voreppe, mais plus près du Fontanil. La largeur du -chemin séparait le domaine de M<sup>me</sup> de Montmort (ou loué par -M<sup>me</sup> de Montmort) et celui de M. Henri Gagnon. La jeune -personne riche qui est obligée de se mettre au couvent a dû être une -demoiselle de Blacons, de Voreppe.</p> - -<p>Cette famille est exemplaire par la tristesse, la dévotion, la -régularité et l'ultracisme, ou du moins était exemplaire vers 1814, -quand l'Empereur m'envoya commissaire dans la 7<sup>me</sup> division -militaire avec le vieux sénateur comte de Saint-Vallier, un des roués -de l'époque de mon oncle et qui me parla beaucoup de lui comme ayant -fait faire d'insignes folies à mesdames N. et N., j'ai oublié les noms. -Alors j'étais brûlé du feu sacré et ne songeais<span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">[p. 75]</a></span> qu'aux moyens de -repousser les Autrichiens, ou du moins de les empêcher d'entrer aussi -vite.</p> - -<p>J'ai donc vu cette fin des mœurs de M<sup>me</sup> de Merteuil, comme -un enfant de neuf ou dix ans dévoré par un tempérament de feu peut voir -ces choses, dont tout le monde évite de lui dire le fin mot.</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">[p. 76]</a><br /><a name="Page_77" id="Page_77">[p. 77]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_152" id="Note_1_152"></a><a href="#NoteRef_1_152"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre VI</i> est le chapitre IV <i>bis</i> du manuscrit (R 299, -fol. 75 à 81).—Écrit à Rome, le 2 décembre 1835.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_153" id="Note_2_153"></a><a href="#NoteRef_2_153"><span class="label">[2]</span></a> <i>Il n'aimait au monde que cette fille et moi.</i>—<i>Et moi</i> a été -ajouté au crayon par Stendhal.</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_VII1" id="CHAPITRE_VII1"></a>CHAPITRE VII<a name="NoteRef_1_154" id="NoteRef_1_154"></a><a href="#Note_1_154" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>La famille était clone composée, à l'époque de la mort de ma mère, -vers 1790, de MM. Gagnon père, 60 ans; Romain Gagnon, son fils, 25; -Séraphie, sa fille, 24; Elisabeth, sa sœur, 64; Chérubin Beyle, son -gendre, 43; Henri, son fils, 7; Pauline, sa fille, 4; Zénaïde, sa -fille, 2.</p> - -<p>Voilà les personnages du triste drame de ma jeunesse, qui ne me -rappelle presque que souffrances et profondes contrariétés morales. -Mais voyons un peu le caractère de ces personnages.</p> - -<p>Mon grand-père, Henri Gagnon (60 ans); sa fille Séraphie, ce diable -femelle dont je n'ai jamais su l'âge, elle pouvait avoir 22 ou 24 ans; -sa sœur Elisabeth Gagnon (64 ans), grande femme maigre,<span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">[p. 78]</a></span> sèche, avec -une belle figure italienne, caractère parfaitement noble, mais noble -avec les raffinements et les scrupules de conscience espagnols. Elle a -à cet égard formé mon cœur et c'est à ma tante Elisabeth que je dois -les abominables duperies de noblesse à l'espagnole dans lesquelles je -suis tombé pendant les premiers trente ans de ma vie. Je suppose que ma -tante Elisabeth, riche (pour Grenoble), était restée fille à la suite -d'une passion malheureuse. J'ai appris<a name="NoteRef_2_155" id="NoteRef_2_155"></a><a href="#Note_2_155" class="fnanchor">[2]</a> quelque chose comme cela de -la bouche de ma tante Séraphie dans ma première jeunesse.</p> - -<p>La famille était enfin composée de mon père.</p> - -<p>Joseph-Chérubin Beyle, avocat au Parlement du pays, ultra et chevalier -de la Légion d'honneur, adjoint au maire de Grenoble, mort en 1819, à -72 ans, dit-on, ce qui le suppose né en 1747. Il avait donc, en 1790, -quarante-trois ans<a name="NoteRef_3_156" id="NoteRef_3_156"></a><a href="#Note_3_156" class="fnanchor">[3]</a>.</p> - -<p>C'était un homme extrêmement peu aimable, réfléchissant toujours à des -acquisitions et à des ventes de domaines, excessivement fin, accoutumé -à vendre aux paysans et à acheter d'eux, archi-Dauphinois. Il n'y -avait rien de moins espagnol et de moins follement noble que cette -âme-là, aussi était-il antipathique à ma tante Elisabeth. Il était de -plus excessivement ridé et laid, et déconcerté et silencieux avec les -femmes, qui pourtant lui étaient nécessaires.</p> - -<p>Cette dernière qualité lui avait donné l'intelligence de la -<i>Nouvelle-Héloïse</i> et des autres ouvrages<span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">[p. 79]</a></span> de Rousseau, dont il ne -parlait qu'avec adoration, tout en le maudissant comme impie, car -la mort de ma mère le jeta dans la plus haute et la plus absurde -dévotion<a name="NoteRef_4_157" id="NoteRef_4_157"></a><a href="#Note_4_157" class="fnanchor">[4]</a>. Il s'imposa l'obligation de dire tous les offices d'un -prêtre, il fut même question pendant trois ou quatre ans de son entrée -dans les ordres, et probablement il fut retenu par le désir de me -laisser sa place d'avocat; il allait être <i>consistorial</i>: c'était une -distinction noble parmi les avocats, dont il parlait comme un jeune -lieutenant de grenadiers parle de la croix. Il ne m'aimait pas comme -individu, mais comme fils devant continuer sa famille.</p> - -<p>Il aurait été bien difficile qu'il m'aimât: 1° il voyait clairement -que je ne l'aimais point, jamais je ne lui parlais sans nécessité, -car il était étranger à toutes ces belles idées littéraires et -philosophiques qui faisaient la base de mes questions à mon grand-père -et des excellentes réponses de ce vieillard aimable. Je le voyais fort -peu. Ma passion pour quitter Grenoble, c'est-à-dire lui, et ma passion -pour les mathématiques,—seul moyen que j'avais de quitter cette ville -que j'abhorrais et que je hais encore, car c'est là que j'ai appris -à connaître les hommes,—ma passion mathématique me jeta dans une -profonde solitude de 1797 à 1799. Je puis dire avoir travaillé pendant -ces deux années et même pendant une partie de 1790 comme Michel-Ange -travailla à la Sixtine.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">[p. 80]</a></span></p> - -<p>Depuis mon départ, à la fin d'octobre 1799,—je me souviens de la date -parce que le 18 brumaire, 9 novembre, je me trouvais à Nemours,—je -n'ai été pour mon père qu'un demandeur d'argent, la froideur a sans -cesse augmenté, il ne pouvait pas dire un mot qui ne me déplût. Mon -horreur était de vendre un champ à un paysan en finassant pendant huit -jours, à l'effet de gagner 300 francs; c'était là sa passion.</p> - -<p>Rien de plus naturel. Son père, qui portait, je crois, le grand nom -de <i>Pierre</i> Beyle, mourut de la goutte, à Claix, à l'improviste, à -63 ans. Mon père à 18 ans (c'était donc vers 1765) se trouva avec un -domaine à Claix rendant 800 ou 1.800 francs, c'est l'un des deux, une -charge de procureur et dix sœurs à établir, une mère, riche héritière, -c'est-à-dire ayant peut-être 60.000 francs et en sa qualité d'héritière -ayant le diable au corps. Elle m'a encore longtemps souffleté dans mon -enfance quand je tirais la queue à son chien Azor (chien de Bologne à -longues soies blanches). L'argent fut donc, et avec raison, la grande -pensée de mon père, et moi je n'y ai jamais songé qu'avec dégoût. Cette -idée me représente des peines cruelles, car en avoir ne me fait aucun -plaisir, en manquer est un vilain malheur.</p> - -<p>Jamais peut-être le hasard n'a rassemblé deux êtres plus foncièrement -antipathiques que mon père et moi.</p> - -<p>De là l'absence de tout plaisir dans mon enfance, de 1790 à 1799. Cette -saison, que tout le monde<a name="NoteRef_5_158" id="NoteRef_5_158"></a><a href="#Note_5_158" class="fnanchor">[5]</a><span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">[p. 81]</a></span> dit être celle des vrais plaisirs de la -vie, grâce à mon père n'a été pour moi qu'une suite de douleurs amères -et de dégoûts. Deux diables étaient déchaînés contre ma pauvre enfance, -ma tante Séraphie et mon père, qui dès 1791 devint son esclave.</p> - -<p>Le lecteur peut se rassurer sur le récit de mes malheurs, d'abord il -peut sauter quelques pages, parti que je le supplie de prendre, car -j'écris à l'aveugle, peut-être des choses fort ennuyeuses même pour -1835, que sera-ce en 1880?</p> - -<p>En second lieu, je n'ai presque aucun souvenir de la triste époque -1790-1795, pendant laquelle j'ai été un pauvre petit bambin persécuté, -toujours grondé à tout propos, et protégé seulement par un sage à la -Fontenelle qui ne voulait pas livrer bataille pour moi, et d'autant -qu'en ces batailles son autorité supérieure à tout lui commandait -d'élever davantage la voix, or c'est ce qu'il avait le plus en horreur; -et ma tante Séraphie qui, je ne sais pourquoi, m'avait pris en guignon, -le savait bien aussi.</p> - -<p>Quinze ou vingt jours après la mort de ma mère, mon père et moi nous -retournâmes coucher dans la triste maison, moi dans un petit lit -vernissé fait en cage, placé dans l'alcôve de mon père. Il renvoya -ses domestiques et mangea chez mon grand-père, qui jamais ne voulut -entendre parler de pension. Je crois que c'est par intérêt<a name="NoteRef_6_159" id="NoteRef_6_159"></a><a href="#Note_6_159" class="fnanchor">[6]</a> pour -moi que mon grand-père se donna ainsi la société habituelle d'un homme -qui lui était antipathique.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">[p. 82]</a></span></p> - -<p>Ils n'étaient réunis que par le sentiment d'une profonde douleur. -A l'occasion de la mort de ma mère, ma famille rompit toutes ses -relations de société, et, pour comble d'ennui pour moi, elle a depuis -constamment vécu isolée.</p> - -<p>M. Joubert, mon pédant montagnard (on appelle cela à Grenoble <i>Bet</i>, -ce qui veut dire un homme grossier né dans les montagnes de Gap), M. -Joubert qui me montrait le latin, Dieu sait avec quelle sottise, en -me faisant réciter les règles du rudiment, chose qui rebutait mon -intelligence, et l'on m'en accordait beaucoup, mourut. J'allais prendre -ses leçons sur la petite place Notre-Dame<a name="NoteRef_7_160" id="NoteRef_7_160"></a><a href="#Note_7_160" class="fnanchor">[7]</a>, je puis dire n'y avoir -jamais passé sans me rappeler ma mère et la parfaite gaieté de la vie -que j'avais menée de son temps. Actuellement, même mon bon grand-père -en m'embrassant me causait du dégoût.</p> - -<p>Le pédant Joubert à figure terrible me laissa en legs le second volume -d'une traduction française de Quinte-Curce, ce plat Romain qui a écrit -la vie d'Alexandre.</p> - -<p>Cet affreux pédant, homme de cinq pieds six pouces, horriblement maigre -et portant une redingote noire, sale et déchirée, n'était cependant pas -mauvais au fond.</p> - -<p>Mais son successeur, M. l'abbé Raillane, fut dans toute l'étendue du -mot un noir coquin. Je ne prétends pas qu'il ait commis des crimes, -mais il est difficile d'avoir une âme plus sèche, plus ennemie<span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">[p. 83]</a></span> de -tout ce qui est honnête, plus parfaitement dégagée de tout sentiment -d'humanité. Il était prêtre, natif d'un village de Provence; il était -petit, maigre, très pincé, le teint vert, l'œil faux avec les sourcils -abominables.</p> - -<p>Il venait de finir l'éducation de Casimir et Augustin Périer et de -leurs quatre ou six frères<a name="NoteRef_8_161" id="NoteRef_8_161"></a><a href="#Note_8_161" class="fnanchor">[8]</a>.</p> - -<p>Casimir a été un ministre très célèbre et selon moi dupe de -Louis-Philippe<a name="NoteRef_9_162" id="NoteRef_9_162"></a><a href="#Note_9_162" class="fnanchor">[9]</a>. Augustin, le plus emphatique des hommes, est mort -pair de France<a name="NoteRef_10_163" id="NoteRef_10_163"></a><a href="#Note_10_163" class="fnanchor">[10]</a>. Scipion était mort un peu fou vers 1806<a name="NoteRef_11_164" id="NoteRef_11_164"></a><a href="#Note_11_164" class="fnanchor">[11]</a>. -Camille a été un plat préfet<a name="NoteRef_12_165" id="NoteRef_12_165"></a><a href="#Note_12_165" class="fnanchor">[12]</a> et vient d'épouser en secondes noces -une femme fort riche<a name="NoteRef_13_166" id="NoteRef_13_166"></a><a href="#Note_13_166" class="fnanchor">[13]</a>, il est un peu fou comme tous ses frères. -Joseph, mari d'une jolie femme extrêmement affectueuse et qui a eu des -amours célèbres, a peut-être été le plus sage de tous<a name="NoteRef_14_167" id="NoteRef_14_167"></a><a href="#Note_14_167" class="fnanchor">[14]</a>. Un autre, -Amédée<a name="NoteRef_15_168" id="NoteRef_15_168"></a><a href="#Note_15_168" class="fnanchor">[15]</a>, je crois, a peut-être volé au jeu vers 1815, aima mieux -passer cinq ans à Sainte-Pélagie que payer.</p> - -<p>Tous ces frères étaient fous au mois de mai, eh bien! je crois qu'ils -devaient départir cet avantage à notre commun précepteur, M. l'abbé -Raillane.</p> - -<p>Cet homme, par adresse, ou par instinct de prêtre<a name="NoteRef_16_169" id="NoteRef_16_169"></a><a href="#Note_16_169" class="fnanchor">[16]</a>, était ennemi -juré de la logique et de tout raisonnement droit.</p> - -<p>Mon père le prit apparemment par vanité. M. Périer <i>milord</i><a name="NoteRef_17_170" id="NoteRef_17_170"></a><a href="#Note_17_170" class="fnanchor">[17]</a>, le -père du ministre Casimir, passait pour l'homme le plus riche du pays. -Dans le fait, il avait dix ou onze enfants et a laissé trois<span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">[p. 84]</a></span> cent -cinquante mille francs à chacun<a name="NoteRef_18_171" id="NoteRef_18_171"></a><a href="#Note_18_171" class="fnanchor">[18]</a>. Quel honneur pour un avocat au -parlement de prendre pour son fils le précepteur sortant de chez M. -Périer!</p> - -<p>Peut-être M. Raillane fut-il renvoyé pour quelque méfait; ce qui me -donne ce soupçon aujourd'hui, c'est qu'il y avait encore dans la maison -Périer trois enfants fort jeunes, Camille de mon âge, Joseph et Amédée, -je crois, beaucoup plus jeunes.</p> - -<p>J'ignore absolument les arrangements financiers que mon père fit avec -l'abbé Raillane. Toute attention donnée aux choses d'argent était -réputée vile et basse au suprême degré dans ma famille. Il y était en -quelque sorte contre la pudeur de parler d'argent, l'argent était comme -une triste nécessité de la vie et indispensable malheureusement, comme -les lieux d'aisance, mais dont il ne fallait jamais parler. On parlait -toutefois et par exception des sommes rondes que coûtait un immeuble, -le mot immeuble était prononcé avec respect.</p> - -<p>M. Bellier a payé son domaine de Voreppe 20.000 écus. Pariset coûte -plus de 12.000 écus (de trois livres) à notre cousin Colomb.</p> - -<p>Cette répugnance, si contraire aux usages de Paris, de parler d'argent -venait, de je ne sais où et s est complètement impatronisée dans mon -caractère. La vue d'une grosse somme d'or ne réveille d'autre idée en -moi que l'ennui de la garantir des voleurs, ce sentiment a souvent été -pris pour de l'affectation, et je n'en parle plus.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">[p. 85]</a></span></p> - -<p>Tout l'honneur, tous les sentiments élevée et fiers de la famille nous -venaient de ma tante Elisabeth; ces sentiments régnaient en despotes -dans la maison, et toutefois elle en parlait fort rarement, peut-être -une fois en deux ans; en général, ils étaient amenés par un éloge -de son père. Cette femme, d'une rare élévation de caractère, était -adorée, par moi, et pouvait avoir alors soixante-cinq ans, toujours -mise avec beaucoup de propreté et employant à sa toilette fort modeste -des étoiles chères. On conçoit bien que ce n'est qu'aujourd'hui et -en y pensant que je découvre ces choses. Par exemple, je ne sais la -physionomie d'aucun de mes parents et cependant, j'ai présents leurs -traits jusque dans le plus petit détail. Si je me figure un lieu la -physionomie de mon excellent grand-père, c'est à cause de la visite que -je lui fis quand j'étais déjà auditeur ou adjoint aux commissaires des -guerres; j'ai perdu absolument l'époque de cette visite. J'ai été homme -fort tard pour le caractère, c'est ainsi que j'explique aujourd'hui -ce manque de mémoire pour les physionomies. Jusqu'à vingt-cinq ans, -que dis-je, souvent encore il faut que je me tienne à deux mains pour -n'être pas tout à la sensation produite par les objets et pouvoir les -juger raisonnablement, avec mon expérience. Mais que diable est-ce que -cela fait au lecteur? Que lui fait tout cet ouvrage? Et cependant, si -je n'approfondis pas ce caractère de Henri, si difficile à connaître -pour moi, je ne me conduis pas<span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">[p. 86]</a></span> en honnête auteur cherchant à dire sur -son sujet tout ce qu'il peut savoir. Je prie mon éditeur, si jamais -j'en ai un, de couper ferme ces longueurs.</p> - -<p>Un jour, ma tante Elisabeth Gagnon s'attendrit sur le souvenir de son -frère, mort jeune à Paris; nous étions seuls, une après-dînée, dans sa -chambre sur la Grenette. Evidemment cette âme élevée répondait à ses -pensées, et comme elle m'aimait m'adressait la parole pour la forme.</p> - -<p>«... Quel caractère! (Ce qui voulait dire: quelle force de volonté.) -Quelle activité! Ah! quelle différence!» (Cela voulait dire: quelle -différence avec celui-ci, mon grand-père, Henri Gagnon.) Et aussitôt, -se reprenant et songeant devant qui elle parlait, elle ajouta: « -<i>Jamais je n en ai tant dit.</i>»</p> - -<p>Moi: «Et à quel âge est-il mort?»</p> - -<p>M<sup>lle</sup> Elisabeth: «A vingt-trois ans.»</p> - -<p>Le dialogue dura longtemps; elle vint à parler de son père. Parmi cent -détails, de moi oubliés, elle dit:</p> - -<p>«A telle époque, <i>il pleurait de rage en apprenant que l'ennemi s -approchait de Toulon.</i>»</p> - -<p>(Mais quand l'ennemi s'est-il approché de Toulon? Vers 1736, peut-être, -dans la guerre marquée par la bataille de l'<i>Assiette</i>, dont je viens -de voir en 34 une gravure intéressante par la <i>vérité.</i>)</p> - -<p>11 aurait voulu que la milice marchât. Or, rien au monde n'était plus -opposé aux sentiments de mon grand-père Gagnon, véritable Fontenelle, -l'homme<span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">[p. 87]</a></span> le plus spirituel et le moins patriote que j'aie jamais connu. -Le patriotisme aurait distrait bassement mon grand-père de ses idées -élégantes et littéraires. Mon père aurait calculé sur-le-champ ce qu'il -pouvait lui rapporter. Mon oncle Romain aurait dit d'un air alarmé: -«Diable! cela peut me faire courir quelque danger.» Le cœur de ma -vieille tante et le mien auraient palpité<a name="NoteRef_19_172" id="NoteRef_19_172"></a><a href="#Note_19_172" class="fnanchor">[19]</a> d'intérêt.</p> - -<p>Peut-être j'avance un peu les choses à mon égard et j'attribue à sept -ou huit ans les sentiments que j'eus à neuf ou dix. Il est impossible -pour moi de distinguer sur les même choses les sentiments de deux -époques antiques.</p> - -<p>Ce dont je suis sûr, c'est que le portrait sérieux et rébarbatif de -mon arrière-grand-père<a name="NoteRef_20_173" id="NoteRef_20_173"></a><a href="#Note_20_173" class="fnanchor">[20]</a> dans son cadre doré à grandes rosaces -d'un demi-pied de large, qui me faisait presque peur, me devint cher et -sacré dès que j'eus appris les sentiments courageux et généreux que lui -avaient inspiré les ennemis s'approchant de Toulon.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">[p. 88]</a></span></p> -<hr class="r5" /> -<div class="figcenter" style="width: 500px;"> -<a id="stend002"></a> -<img src="images/stend002.jpg" width="500" alt="" /> -<p class="caption">PORTRAIT DE HENRI GAGNON. MÉDECIN (Bibl. mun. de -Grenoble. collection de portraits Dauphinois)</p> -</div> -<hr class="r5" /> - - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">[p. 89]</a></span></p> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_154" id="Note_1_154"></a><a href="#NoteRef_1_154"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre VII</i> est le chapitre V du manuscrit (fol. 81 à -99).—Écrit à Rome, le 2 décembre, et à Cività-Vecchia, le 5 décembre -1835.—On lit au verso du fol. 92: «Idée: Peut-être en ne corrigeant -pas ce premier jet parviendrai-je à ne pas mentir par vanité. Omar, 3 -décembre 1835.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_155" id="Note_2_155"></a><a href="#NoteRef_2_155"><span class="label">[2]</span></a> <i>J'ai appris ...</i>—Variante: «<i>Su.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_156" id="Note_3_156"></a><a href="#NoteRef_3_156"><span class="label">[3]</span></a> <i>Il avait donc, en </i>1790, <i>quarante-trois ans.</i>—Chérubin-Joseph -Beyle était né le 29 mars 1747. Il épousa le 20 février 1781 -Caroline-Adélaïde-Henriette Gagnon et mourut le 20 juin 1819.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_157" id="Note_4_157"></a><a href="#NoteRef_4_157"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>la plus absurde dévotion.</i>—Ms.: «<i>Surdeab tiondévo.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_158" id="Note_5_158"></a><a href="#NoteRef_5_158"><span class="label">[5]</span></a> <i>Cette saison, que tout le monde ...</i>—Variante: «<i>Cet âge, que -l'avis de tout le monde ...</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_159" id="Note_6_159"></a><a href="#NoteRef_6_159"><span class="label">[6]</span></a> <i>Je crois que c'est par intérêt pour moi ...</i>—Variante: -«<i>Amitié.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_160" id="Note_7_160"></a><a href="#NoteRef_7_160"><span class="label">[7]</span></a> <i>J'allais prendre ses leçons sur la petite place Notre-Dame -...</i>—A cette époque, la «voie centrale» (rue Président-Carnot) et -l'avenue Maréchal-Randon n'étaient pas encore ouvertes. Voir notre plan -de Grenoble en 1793.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_161" id="Note_8_161"></a><a href="#NoteRef_8_161"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>Casimir et Augustin Périer et de leurs quatre ou six -frères.</i>—Casimir et Augustin Périer étaient fils de Claude Périer. -Claude Périer eut neuf fils et trois filles: Jacques-Prosper (mort -enfant), Elisabeth-Joséphine, Euphrosine-Marine (morte enfant), -Augustin-Charles, Alexandre-Jacques, Antoine-Scipion, Casimir-Pierre, -Adélaïde-Hélène, surnommée Marine, Camille-Joseph, Alphonse, -Amédée-Auguste et André-Jean-Joseph.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_162" id="Note_9_162"></a><a href="#NoteRef_9_162"><span class="label">[9]</span></a> <i>Casimir a été un ministre très célèbre ...</i>—Casimir-Pierre -Périer, le ministre, était né à Grenoble le 11 octobre 1777; il mourut -à Paris le 16 mai 1832.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_163" id="Note_10_163"></a><a href="#NoteRef_10_163"><span class="label">[10]</span></a> <i>Augustin ... est mort pair de France.</i>—Augustin-Charles Périer -était né à Grenoble le 22 mai 1773. Pair de France à la mort de son -frère Casimir (16 mai 1832), il mourut à Frémigny (Seine-et-Oise), le 2 -décembre 1833.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_164" id="Note_11_164"></a><a href="#NoteRef_11_164"><span class="label">[11]</span></a> <i>Scipion était mort ... vers</i> 1806.—Scipion Périer est mort à -Paris en 1821. (Note au crayon de R. Colomb.)—Il était né le 14 juin -1776.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_165" id="Note_12_165"></a><a href="#NoteRef_12_165"><span class="label">[12]</span></a> <i>Camille a été un plat préfet ...</i>—Camille-Joseph Périer, né -a Grenoble le 15 août 1781. Préfet de la Corrèze depuis le 12 février -1810 jusqu'en 1815, et de la Meuse depuis le 10 février 1819 jusqu'en -1822. Plus tard député et pair de France, il est mort le 14 septembre -1844.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_166" id="Note_13_166"></a><a href="#NoteRef_13_166"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>et vient d'épouser en secondes noces une femme fort riche -...</i>—Erreur, M<sup>lle</sup> de Sahune n'a pas eu un sou de dot. (Note -au crayon de R. Colomb.)—Camille Périer épousa en premières noces -Adèle Lecoulteux de Canteleux, et en secondes noces Amélie Pourcet -de Sahune, cousine de Louise-Henriette de Berckeim, femme d'Augustin -Périer.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_167" id="Note_14_167"></a><a href="#NoteRef_14_167"><span class="label">[14]</span></a> <i>Joseph, mari dune jolie femme ...</i>—André-Joseph-Jean Périer, -né à Grenoble le 27 novembre 1786, dirigea la banque Périer frères, -à Paris. A l'époque où Stendhal écrivait la <i>Vie de Henri Brulard</i>, -il était député de la Marne (Epernay) depuis le 15 novembre 1832. Il -épousa M<sup>lle</sup> Marie-Aglaé du Clavel de Kergonan et mourut à -Paris le 18 décembre 1868.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_168" id="Note_15_168"></a><a href="#NoteRef_15_168"><span class="label">[15]</span></a> ... <i>Amédée ... a peut-être volé au jeu vers</i> 1815 -...—Amédée-Auguste Périer, né à Grenoble le 14 mars 1785, est mort à -Paris en 1851.—L'histoire racontée par Stendhal nous est absolument -inconnue et nous semble un produit de l'esprit caustique de notre -auteur.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_169" id="Note_16_169"></a><a href="#NoteRef_16_169"><span class="label">[16]</span></a> ... <i>par instinct de prêtre ...</i>—Ms.: «<i>Reprêt.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_170" id="Note_17_170"></a><a href="#NoteRef_17_170"><span class="label">[17]</span></a> <i>M. Périer milord ...</i>—Sur ce surnom de <i>milord</i> donné à Claude -Périer, voir t. II, p. 149.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_171" id="Note_18_171"></a><a href="#NoteRef_18_171"><span class="label">[18]</span></a> ... <i>a laissé trois cent cinquante mille francs à chacun.</i>—-M. -Périer a laissé dix enfants et 500.000 francs à chacun. (Note au crayon -de R. Colomb.)—En réalité, Claude Périer eut douze enfants, dont deux -moururent jeunes.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_19_172" id="Note_19_172"></a><a href="#NoteRef_19_172"><span class="label">[19]</span></a> ... <i>auraient palpité ...</i>—Variante: «<i>Palpitaient.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_20_173" id="Note_20_173"></a><a href="#NoteRef_20_173"><span class="label">[20]</span></a> ... <i>le portrait sérieux et rébarbatif de mon arrière-grand-père -...</i>—Le manuscrit porte: «<i>Mon grand-père.</i>»</p></div> - -<hr class="chap" /> - - -<h4><a name="CHAPITRE_VIII1" id="CHAPITRE_VIII1"></a>CHAPITRE VIII<a name="NoteRef_1_174" id="NoteRef_1_174"></a><a href="#Note_1_174" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>A cette occasion, ma tante Elisabeth me raconta que mon -arrière-grand-père était né à Avignon, ville de Provence, pays <i>où -venaient les oranges</i>, me dit-elle avec l'accent du regret, et -beaucoup plus rapprochée de Toulon que Grenoble. Il faut savoir que la -grande magnificence de la ville c'étaient soixante ou quatre-vingts -orangers en caisse, provenant peut-être du connétable de Lesdiguières, -le dernier grand personnage produit par le Dauphiné, lesquels, à -l'approche de l'été, étaient places en grande pompe dans les environs -de la magnifique allée des Marronniers, plantée aussi, je crois, par -Lesdiguières<a name="NoteRef_2_175" id="NoteRef_2_175"></a><a href="#Note_2_175" class="fnanchor">[2]</a>. «Il y a donc un pays où les orangers viennent en -pleine terre?» dis-je à ma tante. Je comprends aujourd'hui<span class="pagenum"><a name="Page_90" id="Page_90">[p. 90]</a></span> que, sans -le savoir, je lui rappelais l'objet éternel de ses regrets.</p> - -<p>Elle me raconta que nous étions originaires d'un pays encore plus beau -que la Provence (nous, c'est-à-dire les Gagnon), que le grand-père de -son grand-père, à la suite d'une circonstance bien funeste, était venu -se cacher à Avignon à la suite<a name="NoteRef_3_176" id="NoteRef_3_176"></a><a href="#Note_3_176" class="fnanchor">[3]</a> d'un pape; que là il avait été -obligé de changer un peu son nom et de se cacher, qu'alors il avait -vécu du métier de chirurgien.</p> - -<p>Avec ce que je sais de l'Italie d'aujourd'hui, je traduirais ainsi: -qu'un M. Guadagni ou Guadanianno, ayant commis quelque petit assassinat -en Italie, était venu à Avignon vers 1650, à la suite de quelque légat. -Ce qui me frappa beaucoup alors, c'est que nous étions venus (car je -me regardais comme Gagnon et je ne pensais jamais aux Beyle qu'avec -une répugnance qui dure encore en 1835), que nous étions venus d'un -pays où les orangers croissent en pleine terre. Quel pays de délices, -pensais-je!</p> - -<p>Ce qui me confirmerait dans cette idée d'origine italienne, c'est que -la langue de ce pays était en grand honneur dans la famille, chose -bien singulière dans une famille bourgeoise de 1780. Mon grand-père -savait et honorait l'italien, ma pauvre mère lisait le Dante, chose -fort difficile, même de nos jours; M. Artaud, qui a passé vingt ans en -Italie et qui vient d'imprimer une traduction de<span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">[p. 91]</a></span> Dante, ne met pas -moins de deux contre-sens et d'une absurdité par page. De tous les -Français de ma connaissance, deux seuls: M. Fauriel, qui m'a donné les -histoires d'amour arabes, et M. Delécluze, des <i>Débats</i>, comprennent -Dante, et cependant tous les écrivailleurs de Paris gâtent sans cesse -ce grand nom en le citant et prétendant l'expliquer. Rien ne m'indigne -davantage.</p> - -<p>Mon respect pour le Dante est ancien, il date des exemplaires que je -trouvai dans le rayon de la bibliothèque paternelle occupé par les -livres de ma pauvre mère et qui faisaient ma seule consolation pendant -la <i>tyrannie Raillane.</i></p> - -<p>Mon horreur pour le métier de cet homme et pour ce qu'il enseignait par -métier arriva à un point qui frise la manie.</p> - -<p>Croirait-on que, hier encore, 4 décembre 1835, venant de R[ome] à -C[ivit]à-V[ecchia], j'ai eu l'occasion de rendre, sans me gêner, un -fort grand service à une jeune femme que je ne soupçonne pas fort -cruelle. En route, elle a découvert mon nom malgré moi, elle était -porteur d'une lettre de recommandation pour mon secrétaire. Elle a des -yeux fort beaux et ces yeux m'ont regardé sans cruauté pendant les huit -dernières lieues du voyage. Elle m'a prié de lui chercher un logement -peu cher; enfin il ne tenait probablement qu'à moi d'en être bien -traité; mais, comme j'écris ceci depuis huit jours, le fatal souvenir -de M. l'abbé Raillane était réveillé. Le nez<span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">[p. 92]</a></span> aquilin, mais un peu -trop petit, de celte jolie Lyonnaise, Mme ...<a name="NoteRef_4_177" id="NoteRef_4_177"></a><a href="#Note_4_177" class="fnanchor">[4]</a>, m'a rappelé celui -de l'abbé, dès lors il m'a été impossible même de la regarder, et j'ai -fait semblant de dormir en voiture. Même, après l'avoir fait embarquer -par grâce et moyennant huit écus au lieu de vingt-cinq, j'hésitais à -aller voir le nouveau lazaret pour n'être pas obligé de la voir et de -recevoir ses remerciements.</p> - -<p>Comme il n'y a aucune consolation, rien que de laid et de sale, dans -les souvenirs de l'abbé Raillane, depuis vingt ans au moins je détourne -les yeux avec horreur du souvenir de cette terrible époque. Cet homme -aurait dû faire de moi un coquin, c'était, je le vois maintenant, un -parfait jésuite<a name="NoteRef_5_178" id="NoteRef_5_178"></a><a href="#Note_5_178" class="fnanchor">[5]</a>, il me prenait à part dans nos promenades le long -de l'Isère, de la porte de la Graille<a name="NoteRef_6_179" id="NoteRef_6_179"></a><a href="#Note_6_179" class="fnanchor">[6]</a> à l'embouchure du Drac, ou -simplement à un petit bois au-delà du travers de l'île A<a name="NoteRef_7_180" id="NoteRef_7_180"></a><a href="#Note_7_180" class="fnanchor">[7]</a> pour -m'expliquer que j'étais imprudent en paroles: «Mais, Monsieur, lui -disais-je en d'autres termes, c'est vrai, c'est ce que je sens.</p> - -<p>—N'importe, mon petit ami, il ne faut pas le dire, cela ne convient -pas.» Si ces maximes eussent pris, je serais riche aujourd'hui, car -trois ou quatre fois la fortune a frappé à ma porte. (J'ai refusé en -mai 1814 la direction générale des subsistances (blé) de Paris, sous -les ordres de M. le comte Beugnot, dont la femme avait pour moi la plus -vive amitié; après son amant, M. Pépin de Bellile, mon ami intime, -j'étais peut-être ce qu'elle aimait le<span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">[p. 93]</a></span> mieux.) Je serais donc riche, -mais je serais un coquin, je n'aurais pas les charmantes visions du -beau, qui souvent remplissent ma tête à mon âge de <i>fifty two.</i></p> - -<p>Le lecteur croit peut-être que je cherche à éloigner cette coupe fatale -d'avoir à parler de l'abbé Raillane.</p> - -<p>Il avait un frère, tailleur au bout de la Grande-rue, près la place -Claveyson, qui était l'ignoble en personne. Une seule disgrâce manquait -à ce jésuite<a name="NoteRef_8_181" id="NoteRef_8_181"></a><a href="#Note_8_181" class="fnanchor">[8]</a>, il n'était pas sale, mais au contraire fort soigné -et fort propre. Il avait le goût des serins des Canaries, il les -faisait nicher et les tenait fort proprement, mais à côté de mon lit. -Je ne conçois pas comment mon père souillait une chose aussi peu saine.</p> - -<p>Mon grand-père n'était jamais remonté dans la maison<a name="NoteRef_9_182" id="NoteRef_9_182"></a><a href="#Note_9_182" class="fnanchor">[9]</a> après la mort -de sa fille, il ne l'eût pas souffert, lui: mon père, Chérubin Beyle, -comme je l'ai dit, m'aimait comme le soutien de son nom, mais nullement -comme fils.</p> - -<p>La cage des serins, en fils de fer attachés à des montants en bois, -eux-mêmes attachés au mur par des happes à plâtre, pouvait avoir neuf -pieds de long, six de haut et quatre de profondeur. Dans cet espace -voltigeaient tristement, loin du soleil, une trentaine de pauvres -serins de toute couleur. Quand ils nichaient, l'abbé les nourrissait -avec des jaunes d'œuf, et de tout ce qu'il faisait cela seul -m'intéressait. Mais ces diables d'oiseaux me réveillaient<span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">[p. 94]</a></span> au point du -jour, bientôt après j'entendais la pelle de l'abbé qui arrangeait son -feu avec un soin que j'ai reconnu plus tard appartenir aux jésuites -<a name="NoteRef_10_183" id="NoteRef_10_183"></a><a href="#Note_10_183" class="fnanchor">[10]</a>. Mais cette volière produisait beaucoup d'odeur, et à deux pieds -de mon lit et dans une chambre humide, obscure, où le soleil ne donnait -jamais. Nous n'avions pas de fenêtre sur le jardin Lamouroux, seulement -un <i>jour de souffrance</i> (les villes de parlement sont remplies de mots -de droit) qui donnait une brillante lumière à l'escalier L<a name="NoteRef_11_184" id="NoteRef_11_184"></a><a href="#Note_11_184" class="fnanchor">[11]</a>, -ombragé par un beau tilleul, quoique l'escalier fût au moins à quarante -pieds de terre. Ce tilleul devait être fort grand.</p> - -<p>L'abbé se mettait en colère calme, sombre et méchante d'un diplomate -flegmatique, quand je mangeais le pain sec de mon goûter près de ses -orangers. Ces orangers étaient une véritable manie, bien plus incommode -encore que celle des oiseaux. Ils avaient les uns trois pouces et les -autres un pied de haut, ils étaient placés sur la fenêtre O, à laquelle -le soleil atteignait un peu pendant deux mois d'été. Le fatal abbé -prétendait que les miettes qui tombaient de notre pain bis attiraient -les mouches, lesquelles mangeaient ses orangers. Cet abbé aurait donné -des leçons de petitesse aux bourgeois les plus bourgeois, les plus -<i>patets</i> de la ville. (Patet, prononcez: <i>Patais</i>, extrême attention -donnée aux plus petits intérêts.)</p> - -<p>Mes compagnons, MM. Chazel et Reytiers<a name="NoteRef_12_185" id="NoteRef_12_185"></a><a href="#Note_12_185" class="fnanchor">[12]</a>, étaient bien moins -malheureux que moi. Chazel<span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">[p. 95]</a></span> était un bon garçon déjà grand, dont le -père, méridional je crois, Ce qui veut dire homme franc, brusque, -grossier, et commis-commissionnaire de MM. Périer, ne tenait pas -beaucoup au latin. Il venait <i>seul</i> (sans domestique) vers les dix -heures, faisait mal son <i>devoir</i> latin et filait à midi et demi, -souvent il ne venait pas le soir.</p> - -<p>Reytiers, extrêmement joli garçon, blond et timide comme une -demoiselle, n'osait pas regarder en face le terrible abbé Raillane. -Il était fils unique d'un père le plus timide des hommes et le plus -religieux. Il arrivait dès huit heures, sous la garde sévère d'un -domestique qui venait le reprendre comme midi sonnait à Saint-André -(église à la mode de la ville, dont nous entendions fort bien les -cloches). Dès deux heures, le domestique ramenait Reytiers avec son -goûter dans un panier. En été, vers cinq heures M. Raillane nous menait -promener, en hiver rarement, et alors c'était vers les trois heures. -Chazel, qui était un <i>grand</i>, s'ennuyait de la promenade et nous -quittait bien vite.</p> - -<p>Nous ambitionnions beaucoup aller du côté de l'île de l'Isère: d'abord -la montagne, vue de là, a un aspect délicieux, et l'un des défauts -littéraires de mon père et de M. Raillane était d'exagérer sans cesse -les beautés de la nature (que ces belles âmes devaient bien peu sentir; -ils ne pensaient qu'à gagner de l'argent). A force de nous parler -de la beauté du rocher de la Buisserate<a name="NoteRef_13_186" id="NoteRef_13_186"></a><a href="#Note_13_186" class="fnanchor">[13]</a>, M. l'abbé Raillane<span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">[p. 96]</a></span> -nous avait fait lever la tête. Mais c'était un bien autre objet qui -nous faisait aimer le rivage près l'île. Là nous voyions, nous autres -pauvres prisonniers, des jeunes gens qui <i>jouissaient de la liberté</i>, -allaient et venaient <i>seuls</i> et après se baignaient dans l'Isère et un -ruisseau affluent nommé la Biole<a name="NoteRef_14_187" id="NoteRef_14_187"></a><a href="#Note_14_187" class="fnanchor">[14]</a>. Excès de bonheur dont nous -n'apercevions pas même la possibilité dans le lointain le plus éloigné.</p> - -<p>M. Raillane, comme un vrai journal ministériel de nos jours, ne savait -nous parler que des dangers de la liberté. Il ne voyait jamais un -enfant se baignant sans nous prédire qu'il finirait par se noyer, -nous rendant ainsi le service de faire de nous des lâches, et il a -parfaitement réussi à mon égard. Jamais je n'ai pu apprendre à nager. -Quand je fus libre, deux ans après, vers 1795, je pense, et encore en -trompant mes parents et faisant chaque jour un nouveau mensonge, je -songeais déjà à quitter Grenoble, à quelque prix que ce fût, j'étais -amoureux de M<sup>lle</sup> Kably, et la nage n'était plus un objet -assez intéressant pour moi pour l'apprendre. Toutes les fois que je me -mettais à l'eau, Roland (Alphonse) ou quelque autre <i>fort</i> me faisait -boire.</p> - -<hr /> - -<p>Je n'ai point de dates pendant l'affreuse tyrannie Raillane; je -devins sombre et haïssant tout le monde. Mon grand malheur était -de ne pouvoir jouer avec d'autres enfants; mon père, probablement<span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">[p. 97]</a></span> -très fier d'avoir un précepteur pour son fils, ne craignait rien à -l'égal de me voir <i>aller avec des enfants du commun</i>, telle était la -locution des aristocrates de ce temps-là. Une seule chose pourrait -me fournir une date: M<sup>lle</sup> Marine Périer<a name="NoteRef_15_188" id="NoteRef_15_188"></a><a href="#Note_15_188" class="fnanchor">[15]</a> (sœur du -ministre Casimir Périer) vint voir M. Raillane, qui peut-être était -son confesseur, peu de temps avant son mariage avec ce fou de Camille -Teisseire, patriote enragé qui plus tard a brûlé ses exemplaires de -Voltaire et de Rousseau, qui, en 1811, lui étant sous-préfet par la -grâce de M. Crétet, son cousin, fut si stupéfait de la faveur dont -il me vit jouir dans le salon<a name="NoteRef_16_189" id="NoteRef_16_189"></a><a href="#Note_16_189" class="fnanchor">[16]</a> de madame la comtesse Daru (au -rez-de-chaussée sur le jardin de l'hôtel de Biron, je crois, hôtel de -la Liste civile, dernière maison à gauche de la rue Saint-Dominique, -au coin du boulevard des Invalides). Je vois encore sa mine envieuse -et la gaucherie de sa politesse à mon égard. Camille Teisseire s'était -enrichi, ou plutôt son père s'était enrichi en fabriquant du <i>ratafia -de cerises</i>, ce dont il avait une grande honte.</p> - -<p>En faisant rechercher dans les actes de l'état-civil de Grenoble -(que Louis XVIII appelait Grelibre) l'acte de mariage de M. Camille -Teisseire (rue des Vieux-Jésuites ou place Grenette, car sa vaste -maison avait deux entrées) avec M<sup>lle</sup> Marine Périer, j'aurais -la date de la tyrannie Raillane.</p> - -<p>J'étais sombre, sournois, mécontent, je traduisais Virgile, l'abbé -m'exagérait les beautés de ce poète<span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">[p. 98]</a></span> et j'accueillais ses louanges -comme les pauvres Polonais d'aujourd'hui doivent accueillir les -louanges de la bonhomie russe dans leurs gazettes vendues; je haïssais -l'abbé, je haïssais mon père, source des pouvoirs de l'abbé, je -haïssais encore plus la religion<a name="NoteRef_17_190" id="NoteRef_17_190"></a><a href="#Note_17_190" class="fnanchor">[17]</a> au nom de laquelle il me -tyrannisait. Je prouvais à mon compagnon de chaîne, le timide Reytiers, -que toutes les choses qu'on nous apprenait étaient des contes. Où -avais-je pris ces idées? Je l'ignore. Nous avions une grande bible à -estampes reliée en vert, avec des estampes gravées sur bois et insérées -dans le texte, rien n'est mieux pour les enfants. Je me souviens que je -cherchais sans cesse des ridicules à cette pauvre bible. Reytiers, plus -timide, plus croyant, adoré par son père et par sa mère, qui mettait -un pied de rouge et avait été une beauté, admettait mes doutes par -complaisance pour moi.</p> - -<p>Nous traduisions donc Virgile à grand'peine, lorsque je découvris dans -la bibliothèque de mon père une traduction de Virgile en quatre volumes -in-8° fort bien reliés, par ce coquin d'abbé Desfontaines, je crois. Je -trouvai le volume correspondant aux Géorgiques et au second livre que -nous écorchions (réellement nous ne savions pas du tout le latin). Je -cachai ce bienheureux volume aux lieux d'aisance, dans une armoire où -l'on déposait les plumes des chapons consommés à la maison; et là, deux -ou trois fois pendant notre pénible <i>version</i>,<span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">[p. 99]</a></span> nous allions consulter -celle de Desfontaines. Il me semble que l'abbé s'en aperçut par la -débonnaireté de Reytiers, ce fut une scène abominable. Je devenais de -plus en plus sombre, méchant, malheureux. J'exécrais tout le monde, et -ma tante Séraphie superlativement.</p> - -<p>Un an après la mort de ma mère, vers 1791 ou 92, il me semble -aujourd'hui que mon père en devint amoureux, de là d'interminables -promenades aux <i>Granges</i><a name="NoteRef_18_191" id="NoteRef_18_191"></a><a href="#Note_18_191" class="fnanchor">[18]</a>, où l'on méprenait en tiers en prenant -la précaution de me faire marcher à quarante pas en avant dès que -nous avions passé la porte de Bonne. Cette tante Séraphie m'avait -pris en grippe, je ne sais pourquoi, et me faisait sans cesse gronder -par mon père. Je les exécrais et il devait y paraître puisque, même -aujourd'hui, quand j'ai de l'éloignement pour quelqu'un, les personnes -présentes s'en aperçoivent sur-le-champ. Je détestais ma sœur cadette, -Zénaïde (aujourd'hui M<sup>me</sup> Alexandre Mallein<a name="NoteRef_19_192" id="NoteRef_19_192"></a><a href="#Note_19_192" class="fnanchor">[19]</a>), parce -qu'elle était chérie par mon père, qui chaque soir l'endormait sur -ses genoux, et hautement protégée par M<sup>lle</sup> Séraphie. Je -couvrais les plâtres de la maison (et particulièrement des gippes) -de caricatures<a name="NoteRef_20_193" id="NoteRef_20_193"></a><a href="#Note_20_193" class="fnanchor">[20]</a> contre Zénaïde <i>rapporteuse.</i> Ma sœur Pauline -(aujourd'hui M<sup>me</sup> veuve Périer-Lagrange) et moi accusions -Zénaïde de jouer auprès de nous le rôle d'espion, et je crois bien -qu'il en était quelque chose. Je dînais toujours chez mon grand-père, -mais nous avions fini de dîner<span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">[p. 100]</a></span> comme une heure et quart sonnait à -Saint-André, et à deux heures il fallait quitter le beau soleil de la -place Grenette pour les chambres humides et froides que l'abbé Raillane -occupait sur la cour de la maison paternelle, rue des Vieux-Jésuites. -Rien n'était plus pénible pour moi; comme j'étais sombre et sournois, -je faisais des projets de m'enfuir, mais où prendre de l'argent?</p> - -<p>Un jour, mon grand-père dit à l'abbé Raillane:</p> - -<p>«Mais, monsieur, pourquoi enseigner à cet enfant le système céleste de -Ptolémée, que vous savez être faux?</p> - -<p>—Mais il explique tout, et d'ailleurs est approuvé par l'Eglise.»</p> - -<p>Mon grand-père ne put digérer cette réponse et souvent la répétait, -mais en riant; il ne s'indignait jamais contre ce qui dépendait des -autres, or mon éducation dépendait de mon père, et moins M. Gagnon -avait d'estime pour son savoir, plus il respectait ses droits de père.</p> - -<p>Mais cette réponse de l'abbé, souvent répétée par mon grand-père, -que j'adorais, acheva de faire de moi un impie forcené et d'ailleurs -l'être le plus sombre. Mon grand-père savait l'astronomie, quoiqu'il -ne comprit rien au calcul; nous passions les soirées d'été sur la -magnifique terrasse de son appartement, là il me montrait la grande et -la petite Ourse et me parlait poétiquement des bergers de la Chaldée et -d'Abraham. Je pris ainsi de la considération<span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">[p. 101]</a></span> pour Abraham, et je dis -à Reytiers: Ce n'est pas un coquin comme ces autres personnages de la -Bible.</p> - -<p>Mon grand-père avait à lui, ou emprunté à la bibliothèque publique, -dont il avait été le promoteur, un exemplaire in-4° du voyage de -<i>Bruce en Nubie et Abyssinie.</i> Ce voyage avait des gravures, de là son -influence immense sur mon éducation.</p> - -<p>J'exécrais tout ce que m'enseignaient mon père et l'abbé Raillane. Or, -mon père me faisait réciter par cœur la géographie de <i>Lacroix</i>, l'abbé -avait continué; je la savais bien, par force, mais je l'exécrais.</p> - -<p>Bruce, descendant des rois d'Ecosse, me disait mon excellent -grand-père, me donna un goût vif pour toutes les sciences dont il -parlait. De là mon amour pour les mathématiques et enfin cette idée, -j'ose dire de génie: <i>Les mathématiques peuvent me faire sortir de -Grenoble.</i></p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">[p. 102]</a><br /><a name="Page_103" id="Page_103">[p. 103]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_174" id="Note_1_174"></a><a href="#NoteRef_1_174"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre VIII</i> est le chapitre VI du manuscrit (fol. 99 à -121).—Écrit à Cività-Vecchia, les 5 et 6 décembre 1835.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_175" id="Note_2_175"></a><a href="#NoteRef_2_175"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>la magnifique allée des Marronniers, plantée ... par -Lesdiguières.</i>—Il s'agit de la promenade de la Terrasse du -Jardin-de-Ville. Les orangers de la Ville de Grenoble proviennent en -effet de Lesdiguières. Lors de la vente de l'hôtel de Lesdiguières -aux Consuls de Grenoble pour en faire un Hôtel-de-Ville, il y eut -une longue discussion au sujet de la cession de l'orangerie et des -orangers. Ceux-ci furent définitivement compris dans le contrat de -vente du 5 août 1719 (Arch. mun. de Grenoble, DD 101).—Il importe -toutefois de noter que la terrasse et l'orangerie ne furent pas -l'œuvre de Lesdiguières lui-même. Elles datent en effet de 1675 -environ.—Les orangers sont encore aujourd'hui,—mais non plus «en -grande pompe»,—placés dans le Jardin-de-Ville et sur la place Grenette.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_176" id="Note_3_176"></a><a href="#NoteRef_3_176"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>était venu se cacher à Avignon à la suite ...</i>—Après ces -mots il y a dans le manuscrit un blanc d'une demi-ligne.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_177" id="Note_4_177"></a><a href="#NoteRef_4_177"><span class="label">[4]</span></a>—<i>cette jolie Lyonnaise, M<sup>me</sup> ...</i>—Le nom a été laissé -en blanc par Stendhal.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_178" id="Note_5_178"></a><a href="#NoteRef_5_178"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>un parfait jésuite ...</i>—Ms.: «<i>Tejé.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_179" id="Note_6_179"></a><a href="#NoteRef_6_179"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>la porte de la Graille ...</i>—Cette porte se trouvait -sur l'actuel quai Créqui. Elle a été démolie en 1884, lors de -l'agrandissement de l'enceinte. (Voir notre plan de Grenoble en 1793.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_180" id="Note_7_180"></a><a href="#NoteRef_7_180"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>au-delà du travers de l'île A ...</i>—Ici un plan -explicatif.—L'île a disparu aujourd'hui; elle s'appelait l'île Sirand.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_181" id="Note_8_181"></a><a href="#NoteRef_8_181"><span class="label">[8]</span></a> <i>Une seule disgrâce manquait à ce jésuite ...</i>—Ms.: «<i>Tejé.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_182" id="Note_9_182"></a><a href="#NoteRef_9_182"><span class="label">[9]</span></a> <i>Mon grand-père n'était jamais remonté dans la maison ...</i>—Suit -un plan d'une partie de la «maison paternelle», rue des Vieux-Jésuites.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_183" id="Note_10_183"></a><a href="#NoteRef_10_183"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>que j'ai reconnu plus tard appartenir aux jésuites.</i>—Ms.: -«<i>Tejés.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_184" id="Note_11_184"></a><a href="#NoteRef_11_184"><span class="label">[11]</span></a> ... <i>qui donnait une brillante lumière à l'escalier L -...</i>—Ainsi désigné par Stendhal dans son plan de la maison paternelle: -«Escalier rejoignant celui de la maison.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_185" id="Note_12_185"></a><a href="#NoteRef_12_185"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>Reytiers ...</i>—Teisseire. (Note de Stendhal.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_186" id="Note_13_186"></a><a href="#NoteRef_13_186"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>la beauté du rocher de la Buisserate ...</i>—La montagne du -Néron, appelée aussi, improprement, le Casque de Néron, qui se termine -au-dessus de la Buisserate (hameau de Saint-Martin-le-Vinoux) par un -rocher à pic de 300 mètres environ.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_187" id="Note_14_187"></a><a href="#NoteRef_14_187"><span class="label">[14]</span></a> ... un <i>ruisseau affluent nommé la Biole.</i>—Mot patois -signifiant petit ruisseau. Il s'agit sans doute d'un petit cours d'eau, -dénommé aujourd'hui canal de la Scierie, et qui du temps de Stendhal -servait au colmatage des terrains voisins.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_188" id="Note_15_188"></a><a href="#NoteRef_15_188"><span class="label">[15]</span></a> <i>M<sup>lle</sup>Marine Périer ...</i>—Adélaïde-Hélène, dite -Marine Périer, a épousé Camille-Hyacinthe Teisseire le 13 thermidor an -II (31 juillet 1794).</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_189" id="Note_16_189"></a><a href="#NoteRef_16_189"><span class="label">[16]</span></a> ... <i>la faveur dont il me vit jouir dans le salon ...</i> -—Variante: «<i>Où il me vit établi dans ...</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_190" id="Note_17_190"></a><a href="#NoteRef_17_190"><span class="label">[17]</span></a> ... <i>je haïssais encore plus la religion ...</i>—Ms.: «<i>Gion.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_191" id="Note_18_191"></a><a href="#NoteRef_18_191"><span class="label">[18]</span></a> ... <i>d'interminables promenades aux</i> Granges ...—Ce quartier -suburbain, alors peuplé en grande partie de peigneurs de chanvre, est -aujourd'hui à l'intérieur de la ville. Il est situé aux alentours de -l'église Saint-Joseph. (Voir notre plan de Grenoble en 1793.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_19_192" id="Note_19_192"></a><a href="#NoteRef_19_192"><span class="label">[19]</span></a> ... <i>M<sup>me</sup> Alexandre Mallein -...</i>—Marie-Zénaïde-Caroline Beyle, née le 10 octobre 1788, épousa le -30 mai 1815 Alexandre-Charles Mallein, contrôleur des Contributions -directes.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_20_193" id="Note_20_193"></a><a href="#NoteRef_20_193"><span class="label">[20]</span></a> <i>Je couvrais les plâtres de la maison de caricatures ...</i>—Je -me rappelle d'une fort plaisante. Zénaïde était représentée -dévidant du fil placé sur un tour; elle y était dessinée en pied, -assez grotesquement, avec cette devise au bas: «<i>Zénaïde, jalousie -rapportante, Caroline Beyle.</i>» (Note au crayon de R. Colomb.)</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_IX1" id="CHAPITRE_IX1"></a>CHAPITRE IX<a name="NoteRef_1_194" id="NoteRef_1_194"></a><a href="#Note_1_194" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Malgré toute sa finesse dauphinoise, mon père, Chérubin Beyle, était -un homme passionné. A sa passion pour Bourdaloue et Massillon avait -succédé la passion de l'agriculture, qui, dans la suite, fut renversée -par l'amour de la truelle (ou de la bâtisse), qu'il avait toujours -eu, et enfin par l'ultracisme et la passion d'administrer la Ville de -Grenoble au profit des Bourbons<a name="NoteRef_2_195" id="NoteRef_2_195"></a><a href="#Note_2_195" class="fnanchor">[2]</a>. Mon père rêvait nuit et jour -à ce qui était l'objet de sa passion, il avait beaucoup de finesse, -une grande expérience des finasseries des autres Dauphinois, et je -concilierais assez volontiers de tout cela qu'il avait du talent. Mais -je n'ai pas plus d'idée de cela que de sa physionomie.</p> - -<p>Mon père se mit à aller deux fois la semaine à<span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">[p. 104]</a></span> Claix; c'est un domaine -(terme du pays qui veut dire une petite terre) de cent cinquante -arpents, je crois, situé au midi de la ville, sur le penchant de -la montagne, au-delà du Drac<a name="NoteRef_3_196" id="NoteRef_3_196"></a><a href="#Note_3_196" class="fnanchor">[3]</a>. Tout le terrain de Claix et de -Furonières est sec, calcaire, rempli de pierres. Un curé libertin -inventa, vers 1750, de cultiver le <i>marais</i> au couchant du pont de -Claix; ce marais a fait la fortune du pays.</p> - -<hr /> - -<p>La maison de mon père était à deux lieues de Grenoble, j'ai fait -ce trajet, à pied, mille fois peut-être. C'est sans doute à cet -exercice que mon père a dû une santé parfaite qui l'a conduit jusqu'à -soixante-douze ans, je pense. Un bourgeois, à Grenoble, n'est considéré -qu'autant qu'il a un domaine. Lefèvre, le perruquier de mon père, avait -un domaine à Corenc et manquait souvent sa pratique <i>parce qu'il était -allé</i> à Corenc, excuse toujours bien reçue. Quelquefois nous abrégions -en passant le Drac au bac de Seyssins, au point A.</p> - -<p>Mon père était si rempli de sa passion nouvelle qu'il m'en parlait sans -cesse. <i>Il fit venir</i> (terme du pays, apparemment), il fit venir de -Paris, ou de Lyon, la Bibliothèque agronomique ou économique, laquelle -avait des estampes; je feuilletais beaucoup ce livre, ce qui me valut -d'aller souvent à Claix (c'est-à-dire à notre maison de Furonières) -les jeudis, jours de congé. Je promenais avec mon père dans les champs -et j'écoutais de mauvaise grâce l'exposé<span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">[p. 105]</a></span> de ses projets, toutefois -le plaisir d'avoir quelqu'un pour écouter ces romans qu'il appelait -des calculs fit que plusieurs fois je ne revenais à la ville que le -vendredi; quelquefois nous partions dès le mercredi soir.</p> - -<p>Claix me déplaisait parce que j'y étais toujours assiégé de projets -d'agriculture; mais bientôt je découvris<a name="NoteRef_4_197" id="NoteRef_4_197"></a><a href="#Note_4_197" class="fnanchor">[4]</a> une grande compensation. -Je trouvai moyen de voler des volumes de Voltaire<a name="NoteRef_5_198" id="NoteRef_5_198"></a><a href="#Note_5_198" class="fnanchor">[5]</a> dans l'édition -des quarante volumes <i>encadrés</i> que mon père avait à Claix (son -domaine) et qui était parfaitement reliée, en veau imitant le marbre. -Il y avait quarante volumes, je pense, fort serrés, j'en prenais deux -et écartais un peu tous les autres, il n'y paraissait pas. D'ailleurs, -ce livre dangereux avait été placé au rayon le plus élevé de la -bibliothèque, en bois de cerisier et glaces, laquelle était souvent -fermée à clef.</p> - -<p>Par la grâce de Dieu, même à cet âge les gravures me semblaient -ridicules, et quelles gravures! Celles de la <i>Pucelle.</i></p> - -<p>Ce miracle me faisait presque croire que Dieu m'avait destiné à avoir -bon goût et à écrire un jour l'<i>Histoire de la Peinture en Italie.</i></p> - -<p>Vous passions toujours les féries<a name="NoteRef_6_199" id="NoteRef_6_199"></a><a href="#Note_6_199" class="fnanchor">[6]</a> à Claix, c'est-à-dire les mois -de septembre et d'août. Mes maîtres se plaignaient que j'oubliais tout -mon latin pendant ce temps de plaisir. Rien ne m'était si odieux<a name="NoteRef_7_200" id="NoteRef_7_200"></a><a href="#Note_7_200" class="fnanchor">[7]</a> -que quand mon père appelait nos courses à Claix <i>nos<span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">[p. 106]</a></span> plaisirs.</i> -J'étais comme un galérien que l'on forcerait à appeler <i>ses plaisirs</i> -un système de chaînes un peu moins pesantes que les autres.</p> - -<p>J'étais outré et, je pense, fort méchant et fort injuste envers mon -père et l'abbé Raillane. J'avoue, mais c'est avec un grand effort de -raison, même en 1835, que je ne puis juger ces deux hommes. Ils ont -empoisonné mon enfance dans toute l'énergie du mot empoisonnement. Ils -avaient des visages sévères et m'ont constamment empêché d'échanger -un mot avec un enfant de mon âge. Ce n'est qu'à l'époque des Écoles -centrales (admirable ouvrage de M. de Tracy) que j'ai débuté dans -la société des enfants de mon âge, mais non pas avec la gaieté et -l'insouciance de l'enfance; j'y suis arrivé sournois, méchant, rempli -d'idées de vengeance pour le moindre coup de poing, qui me faisait -l'effet d'un soufflet entre hommes, en un mot tout, excepté traître.</p> - -<p>Le grand mal de la tyrannie Raillane, c'est que je sentais mes maux. -Je voyais sans cesse passer sur la Grenette des enfants de mon âge -qui allaient <i>ensemble</i> se promener et courir, or c'est ce qu'on ne -m'a pas permis une seule fois. Quand je laissais entrevoir le chagrin -qui me dévorait, on me disait: «Tu monteras en voiture», et madame -Périer-Lagrange (mère de mon beau-frère), figure des plus tristes, me -prenait dans sa voiture quand elle allait faire une promenade de santé; -elle me grondait<span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">[p. 107]</a></span> au moins autant que l'abbé Raillane, elle était -sèche et dévote et avait, comme l'abbé, une de ces figures inflexibles -qui ne rient jamais. Quel équivalent pour une promenade avec de -petits polissons de mon âge! Qui le croirait, je n'ai jamais joué aux -<i>gobilles</i> (billes) et je n'ai eu de toupie qu'à l'intercession de mon -grand-père, auquel, pour ce sujet, sa fille Séraphie fit <i>une scène.</i></p> - -<p>J'étais donc fort sournois, fort méchant, lorsque dans la belle -bibliothèque de Claix je fis la découverte d'un Don Quichotte français. -Ce livre avait des estampes, mais il avait l'air vieux, et j'abhorrais -tout ce qui était vieux, car mes parents m'empêchaient de voir les -jeunes et ils me semblaient extrêmement vieux. Mais enfin, je sus -comprendre les estampes, qui me semblaient plaisantes: Sancho Pança -monté sur son bon biquet est soutenu par quatre piquets, Ginès de -Panamone a enlevé l'âne<a name="NoteRef_8_201" id="NoteRef_8_201"></a><a href="#Note_8_201" class="fnanchor">[8]</a>.</p> - -<p>Don Quichotte me fit mourir de rire. Qu'on daigne réfléchir que depuis -la mort de ma pauvre mère je n'avais pas ri, j'étais victime de -l'éducation aristocratique et religieuse la plus suivie. Mes tyrans -ne s'étaient pas démentis un moment. On refusait toute invitation. Je -surprenais souvent des discussions dans lesquelles mon grand-père était -d'avis qu'on me permît d'accepter. Ma tante Séraphie faisait opposition -en termes injurieux pour moi, mon père, qui lui était soumis, faisait à -mon grand-père<span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">[p. 108]</a></span> des réponses jésuitiques, que je savais bien n'engager -à rien. Ma tante Elisabeth haussait les épaules. Quand un projet de -promenade avait résisté à une telle discussion, mon père faisait -intervenir l'abbé Raillane pour un devoir dont je ne m'étais pas -acquitté la veille et qu'il fallait faire précisément au moment de la -promenade.</p> - -<hr /> - -<p>Qu'on juge de l'effet de Don Quichotte au milieu d'une si horrible -tristesse! La découverte de ce livre, lu sous le second tilleul de -l'allée du côté du parterre, dont le terrain s'enfonçait d'un pied, et -là je m'asseyais, est peut-être la plus grande époque de ma vie.</p> - -<p>Qui le croira? Mon père, me voyant pouffer de rire, venait me -gronder, me menaçait de me retirer le livre, ce qu'il fit plusieurs -fois, et m'emmenait dans ses champs pour m'expliquer ses projets de -<i>réparations</i> (bonifications, amendements).</p> - -<p>Troublé, même dans la lecture de Don Quichotte, je me cachai dans les -charmilles, petite salle de verdure à l'extrémité orientale du clos -(petit parc), enceinte de murs<a name="NoteRef_9_202" id="NoteRef_9_202"></a><a href="#Note_9_202" class="fnanchor">[9]</a>.</p> - -<p>Je trouvai un Molière avec estampes, les estampes me semblaient -ridicules et je ne compris que l'<i>Avare.</i> Je trouvai les comédies de -Destouches, et l une des plus ridicules m'attendrit jusqu'aux larmes. -Il y avait une histoire d'amour mêlé de générosité, c'était là mon -faible. C'est en vain que je cherche<span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">[p. 109]</a></span> dans ma mémoire le titre de -cette comédie, inconnue même parmi les comédies inconnues de ce plat -diplomate. <i>Le Tambour nocturne</i>, où se trouve une idée copiée de -l'anglais, m'amusa beaucoup.</p> - -<p>Je trouve comme fait établi dans ma tête que, dès l'âge de sept ans, -j'avais résolu de faire des comédies, comme Molière. Il n'y a pas dix -ans que je me souvenais encore du <i>comment</i> de cette résolution.</p> - -<p>Mon grand-père fut charmé de mon enthousiasme pour Don Quichotte que je -lui racontai, car je lui disais tout à peu près, cet excellent homme de -65 ans était, dans le fait, mon seul camarade.</p> - -<p>Il me prêta, mais à l'insu de sa fille Séraphie, le <i>Roland furieux</i>, -traduit ou plutôt, je crois, imité de l'Arioste par M. de Tressan (dont -le fils, aujourd'hui maréchal de camp, et en 1820, ultra assez plat, -mais, en 1788, jeune homme charmant, avait tant contribué à me faire -apprendre à lire en me promettant un petit livre plein d'images qu'il -ne m'a jamais donné, manque de parole qui me choqua beaucoup).</p> - -<p>L'Arioste forma mon caractère, je devins amoureux fou de Bradamante, -que je me figurais une grosse fille de vingt-quatre ans avec des appas -de la plus éclatante blancheur.</p> - -<p>J'avais en horreur tous les détails bourgeois et bas qui ont servi à -Molière pour faire connaître sa pensée. Ces détails me rappelaient trop -ma malheureuse vie. Il n'y a pas trois jours (décembre 1835)<span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">[p. 110]</a></span> que deux -bourgeois de ma connaissance, allant donner entre eux une scène comique -de petite dissimulation et de demi-dispute, j'ai fait dix pas pour ne -pas entendre. J'ai horreur de ces choses-là, ce qui m'a empêché de -prendre de l'expérience. Ce n'est pas <i>un petit malheur.</i></p> - -<p>Tout ce qui est bas et plat dans le genre bourgeois me rappelle -Grenoble, tout ce qui me rappelle Grenoble me fait horreur: non, -<i>horreur</i> est trop noble, mal au cœur.</p> - -<p>Grenoble est pour moi comme le souvenir d'une abominable indigestion; -il n'y a pas de danger, mais un effroyable dégoût. Tout ce qui est bas -et plat sans compensation, tout ce qui est ennemi du moindre mouvement -généreux, tout ce qui se réjouit du malheur de qui aime la patrie ou -est généreux, voilà Grenoble pour moi.</p> - -<p>Rien ne m'a étonné dans mes voyages comme d'entendre dire par des -officiers de ma connaissance que Grenoble était une ville charmante, -pétillante d'esprit et où <i>les jolies femmes ne s'oubliaient pas.</i> -La première fois que j'entendis ce propos, ce fut à table, chez le -général Moncey (aujourd'hui maréchal, duc de Conegliano), en 1802, -à Milan ou à Crémone; je fus si étonné que je demandai des détails -d'un côté de la table à l'autre: alors sous-lieutenant <i>riche</i>, 150 -francs par mois, je ne doutais de rien. Mon exécration pour l'état de -mal au cœur et d'indigestion continue, auquel je venais seulement<span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">[p. 111]</a></span> -d'échapper, était au comble. L'officier d'état-major soutint fort -bien son dire, il avait passé quinze ou dix-huit mois à Grenoble, il -soutenait que c'était la ville la plus agréable de la province, il -me cita mesdames Menand-Dulauron, Piat-Desvials, Tournus, Duchamps -de Montmort, les demoiselles Rivière (filles de l'aubergiste, rue -Montorge), les demoiselles Bailly, marchandes de modes, amies de mon -oncle, messieurs Drevon, Drevon l'aîné et Drevon la Pareille, M. Dolle -de la Porte-de-France<a name="NoteRef_10_203" id="NoteRef_10_203"></a><a href="#Note_10_203" class="fnanchor">[10]</a>, et, pour la société aristocrate (mot de -1800, remplacé par <i>ultra</i>, puis par légitimiste), M. le chevalier de -Marcieu, M. de Bailly.</p> - -<p>Hélas! à peine avais-je entendu prononcer ces noms aimables! Mes -parents ne les rappelaient que pour déplorer leur folie, car ils -blâmaient tout, ils avaient la <i>jaunisse</i>, il faut le répéter pour -expliquer mon malheur d'une façon raisonnable. A la mort de ma mère, -mes parents désespérés avaient rompu toute relation avec le monde; ma -mère était l'âme et la gaieté de la famille, mon père, sombre, timide, -rancunier, peu aimable, avait le caractère de Genève (on y calcule et -jamais on n'y rit) et n'avait, ce me semble, jamais eu de relations -qu'à cause de ma mère. Mon grand-père, homme aimable, homme du monde, -l'homme de la ville dont la conversation était le plus recherchée par -tous, depuis l'artisan jusqu'au grand seigneur, depuis M<sup>me</sup> -Barthélemy, cordonnière, femme d'esprit, jusqu'à M. le baron des -Adrets,<span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">[p. 112]</a></span> chez qui il continua à dîner une fois par mois, percé jusqu'au -fond du cœur par la mort du seul être qu'il aimât et se voyant arrivé à -soixante ans, avait rompu avec le monde par dégoût de la vie. Ma seule -tante Elisabeth, indépendante et même riche (de la richesse de Grenoble -en 1789), avait conservé des maisons où elle allait faire sa partie -le soir (l'avant-souper, de 7 heures à 9). Elle sortait ainsi deux ou -trois fois la semaine et quelquefois, quoique remplie de respect pour -les droits paternels, par pitié pour moi, quand mon père était à Claix, -elle prétendait avoir besoin de moi et m'emmenait, comme son chevalier, -chez M<i>lle</i> Simon, dans la maison neuve des Jacobins, laquelle mettait -un pied de rouge. Ma bonne tante me fit même assister à un grand -souper donné par M<i>lle</i> Simon. Je me souviens encore de l'éclat des -lumières et de la magnificence du service; il y eut au milieu de la -table un surtout avec des statues d'argent. Le lendemain, ma tante -Séraphie me dénonça à mon père et il y eut une scène. Ces disputes, -fort polies dans la forme mais où l'on se disait de ces mots piquants -qu'on n'oublie pas, faisaient le seul amusement de cette famille morose -où mon mauvais sort m'avait jeté. Combien j'enviais le neveu de madame -Barthélemy, notre cordonnière!</p> - -<p>Je souffrais, mais je ne voyais point les causes de tout cela, -j'attribuais tout à la méchanceté de mon père et de Séraphie. Il -fallait, pour être juste, voir<span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">[p. 113]</a></span> des bourgeois bouffis d'orgueil et -qui veulent donner à leur <i>unique fils</i>, comme ils m'appelaient, -une éducation aristocratique. Ces idées étaient bien au-dessus de -mon âge, et d'ailleurs qui me les aurait données? Je n'avais pour -amis que Marion, la cuisinière, et Lambert, le valet de chambre de -mon grand-père, et sans cesse, m'entendant rire à la cuisine avec -eux, Séraphie me rappelait. Dans leur humeur noire, j'étais leur -unique occupation, ils décoraient cette vexation du nom d'éducation -et probablement étaient de bonne foi. Par ce contact continuel, mon -grand-père me communiqua sa vénération pour les lettres. Horace et -Hippocrate étaient bien d'autres hommes, à mes yeux, que Romulus, -Alexandre et Numa. M. de Voltaire était bien un autre homme que cet -imbécile de Louis XVI, dont il se moquait, ou ce roué de Louis XV, dont -il réprouvait les mœurs sales; il nommait avec dégoût <i>la</i> du Barry, -et l'absence du mot <i>madame</i>, au milieu de nos habitudes polies, me -frappa beaucoup, j'avais horreur de ces êtres. On disait toujours: M. -de Voltaire, et mon grand-père ne prononçait ce nom qu'avec un sourire -mélangé de respect et d'affection.</p> - -<p>Bientôt arriva la politique. Ma famille était des plus aristocrates de -la ville, ce qui fit que sur-le-champ je me sentis républicain enragé. -Je voyais passer les beaux régiments de dragons allant en Italie, -toujours quelqu'un était logé à la maison, je les dévorais des yeux; -or, mes parents les exécraient.<span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">[p. 114]</a></span> Bientôt, les prêtres se cachèrent, il -y eut toujours à la maison un prêtre ou deux de caché. La gloutonnerie -d'un des premiers qui vinrent, un gros homme avec des yeux hors de la -tête lorsqu'il mangeait du petit salé, me frappa<a name="NoteRef_11_204" id="NoteRef_11_204"></a><a href="#Note_11_204" class="fnanchor">[11]</a> de dégoût. -(Nous avions d'excellent <i>petit salé</i> que j'allais chercher à la cave -avec le domestique Lambert, il était conservé dans une pierre creusée -en bassin.) On mangeait, à la maison, avec une rare propreté et des -soins recherchés. On me recommandait, par exemple, de ne faire aucun -bruit avec la bouche. La plupart de ces prêtres, gens du commun, -produisaient ce bruit de la langue contre le palais, ils rompaient le -pain d'une manière sale, il n'en fallait pas tant pour que ces gens-là, -dont la place était à ma gauche, me fissent horreur<a name="NoteRef_12_205" id="NoteRef_12_205"></a><a href="#Note_12_205" class="fnanchor">[12]</a>.</p> - -<p>On guillotina un de nos cousins à Lyon (M. Senterre), et le sombre de -la famille et son état de haine et de mécontentement de toutes choses -redoubla.</p> - -<p>Autrefois, quand j'entendais parler des joies naïves de l'enfance, -des étourderies de cet âge, du bonheur de la première jeunesse, le -seul véritable de la vie, mon cœur se serrait. Je n'ai rien connu de -tout cela; et bien plus, cet âge a été pour moi une époque continue de -malheur, et de haine, et de désirs de vengeance toujours impuissants. -Tout mon malheur peut se résumer en deux mots: jamais on ne m'a permis -de parler à un enfant de mon âge. Et<span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">[p. 115]</a></span> mes parents, s'ennuyant beaucoup -par suite de leur séparation de toute société, m'honoraient d'une -attention continue. Pour ces deux causes, à cette époque de la vie, si -gaie pour les autres enfants, j'étais méchant, sombre, déraisonnable, -<i>esclave</i> en un mot, dans le pire sens du mot, et peu à peu je pris les -sentiments de cet état. Le peu de bonheur que je pouvais arracher était -préservé par le mensonge. Sous un autre rapport, j'étais absolument -comme les peuples actuels de l'Europe, mes tyrans me parlaient toujours -avec les douces paroles de la plus tendre sollicitude, et leur plus -ferme alliée ôtait la religion<a name="NoteRef_13_206" id="NoteRef_13_206"></a><a href="#Note_13_206" class="fnanchor">[13]</a>. J'avais à subir des homélies -continuelles sur l'amour paternel et les devoirs des enfants. Un jour, -ennuyé des paroles de mon père, je lui dis: «Si tu m'aimes tant, -donne-moi cinq sous par jour et laisse-moi vivre comme je voudrai. -D'ailleurs, sois bien sûr d'une chose, c'est que dès que j'aurai l'âge -je m'engagerai.»</p> - -<p>Mon père marcha sur moi comme pour m'anéantir, il était hors de lui. « -<i>Tu n'es qu'un vilain impie</i>», me dit-il. Ne dirait-on pas l'empereur -Nicolas et la municipalité de Varsovie, dont on parle tant le jour où -j'écris (7 décembre 1835, Cività-Vecchia), tant il est vrai que toutes -les tyrannies se ressemblent.</p> - -<p>Par un grand hasard, il me semble que je ne suis pas resté méchant, -mais seulement dégoûté pour le reste de ma vie des bourgeois, des -jésuites<a name="NoteRef_14_207" id="NoteRef_14_207"></a><a href="#Note_14_207" class="fnanchor">[14]</a> et des hypocrites de toutes les espèces. Je fus -peut-être<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">[p. 116]</a></span> guéri de la méchanceté par mes succès de 1797, 98 et 99 et -la conscience de mes forces. Outre mes autres belles qualités, j'avais -un orgueil insupportable<a name="NoteRef_15_208" id="NoteRef_15_208"></a><a href="#Note_15_208" class="fnanchor">[15]</a>.</p> - -<p>A vrai dire, en y pensant bien, je ne me suis pas guéri de mon horreur -peu raisonnable pour Grenoble; dans le vrai sens du mot, je l'ai -<i>oubliée.</i> Les magnifiques souvenirs de l'Italie, de Milan, ont tout -effacé.</p> - -<p>Il ne m'est resté qu'un notable manque dans ma connaissance des hommes -et des choses. Tous les détails qui forment la vie de Chrysale dans -l'<i>École des Femmes</i>:</p> - -<p> -Et hors un gros Plutarque à mettre mes rabats<a name="NoteRef_16_209" id="NoteRef_16_209"></a><a href="#Note_16_209" class="fnanchor">[16]</a>,<br /> -</p> - -<p>me font horreur... Si l'on veut me permettre une image <i>aussi -dégoûtante que ma sensation</i>, c'est comme l'odeur des huîtres pour un -homme qui a eu une effroyable indigestion d'huîtres.</p> - -<p>Tous les faits qui forment la vie de Chrysale sont remplacés chez moi -par du romanesque. Je crois que celle tache dans mon télescope a été -utile pour mes personnages de roman, il y a une sorte de bassesse -bourgeoise qu'ils ne peuvent avoir, et pour l'auteur ce serait -parler le <i>chinois</i>, qu'il ne sait pas. Ce mot: bassesse bourgeoise, -n'exprime qu'une nuance, cela sera peut-être bien obscur en 1880. -Grâce aux journaux, le bourgeois provincial devient rare, il n'y a -plus de <i>mœurs d'état</i>: un jeune homme élégant<span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">[p. 117]</a></span> de Paris, avec lequel -je me rencontrais en compagnie fort gaie, était fort bien mis, sans -affectation, et dépensait 8 ou 10.000 francs. In jour je demandai:</p> - -<p>«Que fait-il?</p> - -<p>—C'est un avoué (procureur) fort occupé», me dit-on.</p> - -<p>Je citerai donc, comme exemple de la bassesse bourgeoise, le style de -mon excellent ami M. Fauriel (de l'Institut), dans son excellente <i>Vie -de Dante</i>, imprimée en 1834 dans la <i>Revue de Paris.</i> Mais, hélas! -où seront ces choses en 1880? Quelque homme d'esprit écrivant bien -se sera emparé des profondes recherches de l'excellent Fauriel, et -les travaux de ce bon bourgeois si consciencieux seront complètement -oubliés. Il a été le plus bel homme de Paris. Madame Condorcet (Sophie -Grouchy), grande connaisseuse, se l'adjugea, le bourgeois Fauriel eut -la niaiserie de l'aimer, et en mourant, vers 1820, je crois, elle lui a -laissé 1.200 francs de rente, comme à un laquais. Il a été profondément -humilié. Je lui dis, quand il me donna dix pages pour l'<i>Amour</i>, -aventures arabes: «Quand on a affaire à une princesse ou à une femme -trop riche, il faut la battre, ou l'amour s'éteint.» Ce propos lui fit -horreur, et il le dit sans doute à la petite mademoiselle Clarke, qui -est faite comme un point d'interrogation, comme Pope. Ce qui fit que, -peu après, elle me fit faire une réprimande par un nigaud de ses amis -(M. Augustin Thierry, membre de l'Institut), et je la plantai là. Il -y avait<span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">[p. 118]</a></span> une jolie femme dans cette société, madame Belloc, mais elle -faisait l'amour avec un autre point d'interrogation, noir et crochu, -mademoiselle de M....; et, en vérité, j'approuve ces pauvres femmes.</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">[p. 119]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_194" id="Note_1_194"></a><a href="#NoteRef_1_194"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre IX</i> est le chapitre VII du manuscrit (fol. 122 à -144).—Écrit à Cività-Vecchia, les 6 et 7 décembre 1835.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_195" id="Note_2_195"></a><a href="#NoteRef_2_195"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>la passion d'administrer la Ville de Grenoble au profit des -Bourbons ...</i>—Chérubin Beyle, le père de Stendhal, nommé adjoint au -maire de Grenoble le 29 septembre 1803, était encore en fonctions lors -de l'avènement de Louis XVIII. Il fut remplacé en 1816 par le marquis -de Pina, qui devint la même année maire de la ville.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_196" id="Note_3_196"></a><a href="#NoteRef_3_196"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>sur le penchant de la montagne, au-delà du Drac.</i>—Suit un -plan des environs au midi de Grenoble. En «A, pont en fil de fer établi -vers 1826;—B, pont de Claix, fort remarquable, à plein cintre;—C, -citadelle;—G, place Grenette;—D, rocher de Comboire, à pic sur le -Drac, lequel est fort rapide, rocher et bois remplis de renards;—R, -maison de campagne qui joua le plus grand rôle dans mon enfance, que -j'ai revue en 1828, vendue à un général».—Le pont suspendu sur le -Drac, dit <i>pont de Sussenage</i>, remplaça en 1826 le <i>bac de Seyasins</i>, -dont Stendhal parle un peu plus loin.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_197" id="Note_4_197"></a><a href="#NoteRef_4_197"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>mais bientôt je découvris ...</i>—Variante; «<i>Trouvai.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_198" id="Note_5_198"></a><a href="#NoteRef_5_198"><span class="label">[5]</span></a> <i>Je trouvai moyen de voler des volumes de Voltaire ...</i>—En -surcharge: «Bientôt après, je volai des volumes.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_199" id="Note_6_199"></a><a href="#NoteRef_6_199"><span class="label">[6]</span></a> <i>Nous passions toujours les</i> fériés <i>à Claix ...</i>—C'est-à-dire -vacances. Nom latin francisé.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_200" id="Note_7_200"></a><a href="#NoteRef_7_200"><span class="label">[7]</span></a> <i>Rien ne m'était si odieux ...</i>—Le reste de la ligne a été -laissé en blanc et marqué d'une +.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_201" id="Note_8_201"></a><a href="#NoteRef_8_201"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>Ginès de Panamone a enlevé l'âne.</i>—Suit un grossier croquis -de Sancho Pança sur son âne.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_202" id="Note_9_202"></a><a href="#NoteRef_9_202"><span class="label">[9]</span></a> ... <i>petite salle de verdure ... enceinte de murs.</i>—Suit un plan -de la propriété de Claix, avec la mention: «Ce clos a six journaux de -600 toises.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_203" id="Note_10_203"></a><a href="#NoteRef_10_203"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>M. Dolle de la Porte-de-France ...</i>—Jean-Baptiste Dolle -le jeune, qui avait construit à grands frais, au-dessus du rocher -de la Porte-de-France, un beau jardin d'agrément. (Voir J. Vellein, -<i>L'habitation de plaisance d'un grenoblois au XVIII<sup>e</sup> siècle. -Les Jardins Dolle.</i> Grenoble, 1896, br. in-8°.) Ces jardins sont -aujourd'hui la propriété de la Ville de Grenoble; ils sont loués au -Syndicat d'initiative de Grenoble, qui en a fait à nouveau une belle -promenade publique.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_204" id="Note_11_204"></a><a href="#NoteRef_11_204"><span class="label">[11]</span></a> ... <i>me frappa ...</i>—Ce mot est marqué d'une croix. Il était -certainement destiné à être corrigé.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_205" id="Note_12_205"></a><a href="#NoteRef_12_205"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>me fissent horreur.</i>—Ms.: «<i>Fît</i>».—Le bas du fol. -138 est occupé par deux plans: 1° «Voici le plan de la table chez -mon grand-père, où j'ai mangé de 7 ans à 16 et demi»;—2° «Voici -la salle-à-manger.» Celle-ci possède de nombreux dégagements: «D, -porte sur le petit escalier tournant»; «R, porte de la cuisine»; «E, -grand passage conduisant dans l'autre maison sur la place Grenette»; -«N, entrée de la chambre de Lambert»; «T, grande porte sur le grand -escalier», «très beau»; «K, porte de la chambre de mon grand-père.» -(Voir notre plan de l'appartement Gagnon.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_206" id="Note_13_206"></a><a href="#NoteRef_13_206"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>leur plus ferme alliée était la religion.</i>—Ms.: «<i>Gion.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_207" id="Note_14_207"></a><a href="#NoteRef_14_207"><span class="label">[14]</span></a> ... <i>des jésuites...</i>—Ms.: «<i>Tejé.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_208" id="Note_15_208"></a><a href="#NoteRef_15_208"><span class="label">[15]</span></a> ... <i>j'avais un orgueil insupportable.</i>—Le fol. 141 commence de -la manière suivante: «Quand j'arrivai à l'École centrale (en l'an V, je -crois), dès l'année suivante je remportai des premiers prix, peut-être -y a-t-il mémoire de cela dans les papiers du <i>Département</i> (depuis, -préfecture). Quand j'arrivai à l'École centrale, j'y apportai tous ces -vices abominables, dont je fus guéri à coups de poing.» Stendhal a -ajouté dans la marge: «Renvoyé à l'article: École centrale.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_209" id="Note_16_209"></a><a href="#NoteRef_16_209"><span class="label">[16]</span></a> <i>Et hors un gros Plutarque à mettre mes rabats.</i>—Stendhal a -voulu dire: «<i>les Femmes Savantes</i>» (Acte II, scène VII).</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_X1" id="CHAPITRE_X1"></a>CHAPITRE X<a name="NoteRef_1_210" id="NoteRef_1_210"></a><a href="#Note_1_210" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<h4>LE MAITRE DURAND</h4> - - -<p>Je ne trouve aucune mémoire de la manière dont je fus délivré de la -tyrannie Raillane. Ce coquin-là aurait dû faire de moi un excellent -jésuite<a name="NoteRef_2_211" id="NoteRef_2_211"></a><a href="#Note_2_211" class="fnanchor">[2]</a>, digne de succéder à mon père, ou un soldat crapuleux, -coureur de filles et de cabarets. Le tempérament eût, comme chez -Fielding, absolument voilé l'<i>ignoble.</i> Je serais donc l'une ou l'autre -de ces deux aimables choses, sans mon excellent grand-père qui, à -son insu, me communiqua son culte pour Horace, Sophocle, Euripide et -la littérature élégante. Par bonheur, il méprisait tous les galants -écrivains ses contemporains, je ne fus point empoisonné par les -Marmontel, Dorat et autres canailles. Je ne sais pourquoi il faisait à -tous moments des protestations de<span class="pagenum"><a name="Page_120" id="Page_120">[p. 120]</a></span> respect en faveur des prêtres, qui -dans le fait lui faisaient horreur comme quelque chose de sale. Les -voyant impatronisés dans son salon par sa fille Séraphie et mon père, -son gendre, il était parfaitement poli à leur égard comme avec tout -le monde. Pour parler de quelque chose, il parlait littérature et, -par exemple, des auteurs sacrés, quoiqu'il ne les aimât guère. Mais -cet homme si poli avait toutes les peines du monde à dissimuler<a name="NoteRef_3_212" id="NoteRef_3_212"></a><a href="#Note_3_212" class="fnanchor">[3]</a> -le profond dégoût que lui donnait leur ignorance. «Quoi, même l'abbé -Fleury, leur historien, ils l'ignorent!» Je surpris un jour ce propos, -qui redoubla ma confiance en lui.</p> - -<p>Je découvris bientôt après qu'il se confessait fort rarement. Il était -extrêmement poli envers la religion<a name="NoteRef_4_213" id="NoteRef_4_213"></a><a href="#Note_4_213" class="fnanchor">[4]</a> plutôt que croyant. Il eut -été dévot s'il avait pu croire de retrouver dans le ciel sa fille -Henriette (M. le duc de Bro[glie] dit: «Il me semble que ma fille est -en Amérique»), mais il n'était que triste et silencieux. Dès qu'il -arrivait quelqu'un, par politesse il parlait et racontait des anecdotes.</p> - -<p>Peut-être M. Raillane fut-il obligé de se cacher pour refus de serment -à la Constitution civile du clergé. Quoi qu'il en soit, son éloignement -fut pour moi le plus grand événement possible, et je n'en ai pas de -souvenir.</p> - -<p>Ceci constitue un défaut de ma tête, dont je découvre plusieurs -exemples, depuis trois ans que m'est venue, sur l'esplanade de <i>San -Pietro in Montorio</i><span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">[p. 121]</a></span> (Janicule), l'idée lumineuse que j'allais avoir -cinquante<a name="NoteRef_5_214" id="NoteRef_5_214"></a><a href="#Note_5_214" class="fnanchor">[5]</a> ans et qu'il était temps de songer au départ, et -auparavant de se donner le plaisir de regarder un instant en arrière. -Je n'ai aucune mémoire des époques ou des moments où j'ai senti trop -vivement. Une de mes raisons pour me croire brave, c'est que je me -souviens avec une clarté parfaite des moindres circonstances des duels -où je me suis trouvé engagé. A l'armée, quand il pleuvait, et que je -marchais dans la boue, cette bravoure était suffisante tout juste; mais -quand je n'avais pas été mouillé durant la nuit précédente, et que mon -cheval ne glissait pas sous moi, la témérité la plus périlleuse était -pour moi, à la lettre, un vrai plaisir. Mes camarades raisonnables -devenaient sérieux et pâles, ou bien tout rouges, Mathis devenait plus -gai, et Forisse plus raisonnable. C'est comme actuellement, je ne pense -jamais à la possibilité <i>of wanting of a thousand francs</i>, ce qui me -semble pourtant l'idée dominante, la grande pensée de mes amis de mon -âge, qui ont une aisance dont je suis bien loin (par exemple, MM. -Besan<a name="NoteRef_6_215" id="NoteRef_6_215"></a><a href="#Note_6_215" class="fnanchor">[6]</a>, Kolon<a name="NoteRef_7_216" id="NoteRef_7_216"></a><a href="#Note_7_216" class="fnanchor">[7]</a>, etc.); mais je m'égare. La grande difficulté -d'écrire ces mémoires, c'est de n'avoir et de n'écrire juste que -les souvenirs relatifs à l'époque que je tiens par les cheveux; par -exemple, il s'agit maintenant des temps, évidemment moins malheureux, -que j'ai passés sous le maître Durand.</p> - -<p>C'était un bonhomme de quarante-cinq ans peut-être,<span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">[p. 122]</a></span> gros et rond de -toutes les manières, qui avait un grand fils de dix-huit ans fort -aimable, que j'admirais de loin et qui plus tard fut, je pense, -amoureux de ma sœur. Il n'y avait rien de moins jésuite<a name="NoteRef_8_217" id="NoteRef_8_217"></a><a href="#Note_8_217" class="fnanchor">[8]</a> et de -moins sournois que ce pauvre M. Durand; de plus il était poli, vêtu -avec une stricte économie, mais jamais salement. A la vérité, il ne -savait pas un mot de latin, mais ni moi non plus, et cela n'était pas -fait pour nous brouiller.</p> - -<p>Je savais par cœur le <i>Selectæ e profanis</i>, et surtout l'histoire -d'Androclès et de son lion, je savais de même l'Ancien Testament et -peut-être un peu de Virgile et de Cornélius Nepos. Mais si l'on m'eût -donné, écrite en latin, la permission d'un congé de huit jours, je n'y -eusse rien compris. Le malheureux latin fait par des modernes, le <i>De -Viris illustribus</i>, où l'on parlait de Romulus, que j'aimais fort, -était inintelligible pour moi. Hé bien! M. Durand était de même, il -savait par cœur les auteurs qu'il expliquait depuis vingt ans, mais mon -grand-père ayant essayé une ou deux fois de le consulter sur quelque -difficulté de son Horace non expliqué par Jean Bond (ce mot faisait mon -bonheur; au milieu de tant d'ennuis, quel plaisir de pouvoir rire de -<i>Jambon</i>!), M. Durand ne comprenait pas même ce qui faisait l'objet de -la discussion.</p> - -<p>Ainsi la méthode était pitoyable et, si je le voulais, j'enseignerais -le latin en dix-huit mois à un enfant d'une intelligence ordinaire. -Mais n'était-ce<span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">[p. 123]</a></span> rien que d'être accoutumé à manger de la vache -enragée, deux heures le matin et trois heures le soir? C'est une -grande question. (Vers 1819, j'ai enseigné l'anglais en vingt-six -jours à M. Antonio Clerichetti, de Milan, qui souffrait sous un père -avare. Le trentième jour, il <i>vendit</i> à un libraire sa traduction des -interrogatoires de la princesse de Galles (Caroline de Brunswick), -insigne catin que son mari, roi et prodiguant les millions, n'a pas pu -convaincre de l'avoir fait ce que sont 95 maris sur 100.)</p> - -<p>Donc, je n'ai aucune souvenance de l'événement qui me sépara de M. -Raillane.</p> - -<p>Après la douleur de tous les moments, fruit de la tyrannie de ce -jésuite<a name="NoteRef_9_218" id="NoteRef_9_218"></a><a href="#Note_9_218" class="fnanchor">[9]</a> méchant, je me vois tout-à-coup établi chez mon excellent -grand-père, couché dans un petit cabinet en trapèze à côté de sa -chambre, et recevant des leçons de latin du bonhomme Durand qui venait, -ce me semble, deux fois par jour, de dix à onze heures et de deux à -trois. Mes parents tenaient toujours fermement au principe de ne pas -me laisser avoir communication <i>avec des enfants du commun.</i> Mais -les leçons de M. Durand avaient lieu en présence de mon excellent -grand-père, en hiver dans sa chambre, au point M, en été dans le -grand salon du côté de la terrasse, en M', quelquefois en M" dans une -antichambre où l'on ne passait presque jamais<a name="NoteRef_10_219" id="NoteRef_10_219"></a><a href="#Note_10_219" class="fnanchor">[10]</a>.</p> - -<p>Les souvenirs de la tyrannie Raillane m'ont fait<span class="pagenum"><a name="Page_124" id="Page_124">[p. 124]</a></span> horreur jusqu'en -1814; vers cette époque je les ai oubliés, les événements de la -Restauration absorbaient mon horreur et mon dégoût. C'est ce dernier -sentiment tout seul que m'inspirent les souvenirs du maître Durand -<i>à la maison</i>, car j'ai aussi suivi son cours à l'École centrale, -mais alors j'étais heureux, du moins comparativement, je commençais à -être sensible au beau paysage formé par la vue des collines d'Eybens -et d'Echirolles et par le beau pré anglais de <i>la porte de Bonne</i>, -sur lesquels dominait la fenêtre de l'École, heureusement située au -troisième étage du collège<a name="NoteRef_11_220" id="NoteRef_11_220"></a><a href="#Note_11_220" class="fnanchor">[11]</a>; on réparait le reste<a name="NoteRef_12_221" id="NoteRef_12_221"></a><a href="#Note_12_221" class="fnanchor">[12]</a>.</p> - -<p>Il paraît qu'en hiver M. Durand venait me donner leçon de sept heures -du soir à huit. Du moins, je me vois sur une petite table éclairée -par une chandelle, M. Durand presque en rang d'oignons<a name="NoteRef_13_222" id="NoteRef_13_222"></a><a href="#Note_13_222" class="fnanchor">[13]</a> avec -la famille, devant le feu de mon grand-père, et par un demi à droite -faisant face à la petite table où moi, H, étais placé<a name="NoteRef_14_223" id="NoteRef_14_223"></a><a href="#Note_14_223" class="fnanchor">[14]</a>.</p> - -<p>C'est là que M. Durand commença à m'expliquer les Métamorphoses -d'Ovide. Je le vois encore, ainsi que la couleur jaune ou racine de -buis de la couverture du livre. Il me semble qu'à cause du sujet trop -gai il y eut une discussion entre Séraphie, qui avait le diable au -corps plus que jamais, et son père. Par amour de la belle littérature, -il tint ferme et au lieu des horreurs sombres de l'Ancien Testament -<a name="NoteRef_15_224" id="NoteRef_15_224"></a><a href="#Note_15_224" class="fnanchor">[15]</a>, j'eus les amours de Pyrame et de Thisbé, et surtout Daphné -changée en laurier. Rien ne m'amusa autant<span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">[p. 125]</a></span> que ce conte. Pour la -première fois de ma vie, je compris qu'il pouvait être agréable de -savoir le latin, qui faisait mon supplice depuis tant d'années.</p> - -<p>Mais ici la chronologie de cette importante histoire demande: «Depuis -combien d'années?»</p> - -<p>En vérité, je n'en sais rien, j'avais commencé le latin à sept<a name="NoteRef_16_225" id="NoteRef_16_225"></a><a href="#Note_16_225" class="fnanchor">[16]</a> -ans, en 1790. Je suppose que l'an VII de la République correspond à -1799 à cause du rébus:</p> - -<p style="margin-left: 30%;"> -Lancette<br /> -Laitue<br /> -Rat<a name="NoteRef_17_226" id="NoteRef_17_226"></a><a href="#Note_17_226" class="fnanchor">[17]</a><br /> -</p> - -<p>affiché au Luxembourg à propos du Directoire.</p> - -<p>Il me semble qu'en l'an V j'étais à l'École centrale.</p> - -<p>J'y étais depuis un an, car nous occupions la grande salle des -mathématiques, au premier, quand arriva l'assassinat de Roberjot -à Rastadt<a name="NoteRef_18_227" id="NoteRef_18_227"></a><a href="#Note_18_227" class="fnanchor">[18]</a>. C'était peut-être en 1794 que j'expliquais les -Métamorphoses d'Ovide. Mon grand-père me permettait quelquefois de lire -la traduction de M. Dubois-Fontanelle, je crois, qui plus tard fut mon -professeur.</p> - -<p>Il me semble que la mort de Louis XVI, 21 janvier 1795, eut lieu -pendant la tyrannie Raillane. Chose plaisante et que la postérité aura -peine à croire, ma famille bourgeoise mais qui se croyait sur le bord -de la noblesse, mon père surtout qui se<span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">[p. 126]</a></span> croyait noble ruiné, lisait -tous les journaux, suivait le procès du roi comme elle eut pu suivre -celui d'un ami intime ou d'un parent.</p> - -<p>Arriva la nouvelle de la condamnation; ma famille fut au désespoir -absolument. «Mais jamais ils n'oseront faire exécuter cet arrêt infâme -», disait-elle. «Pourquoi pas, pensais-je, s'il a trahi?»</p> - -<p>J'étais dans le cabinet de mon père, rue des Veux-Jésuites, vers -les sept heures du soir, nuit serrée, lisant à la lueur de ma lampe -et séparé de mon père par une fort grande table<a name="NoteRef_19_228" id="NoteRef_19_228"></a><a href="#Note_19_228" class="fnanchor">[19]</a>. Je faisais -semblant de travailler, mais je lisais les <i>Mémoires d'un homme de -qualité</i> de l'abbé Prévost, dont j'avais découvert un exemplaire tout -gâté par le temps. La maison fut ébranlée par la voiture du courrier -qui arrivait de Lyon et de Paris.</p> - -<p>«Il faut que j'aille voir ce que ces monstres auront fait», dit mon -père en se levant.</p> - -<p>«J'espère que le traître aura été exécuté», pensai-je. Puis je -réfléchis à l'extrême différence de mes sentiments et de ceux de mon -père. J'aimais tendrement nos régiments, que je voyais passer sur la -place Grenette de la fenêtre de mon grand-père, je me figurais que le -roi cherchait à les faire battre par les Autrichiens. (On voit que, -quoique à peine Agé de dix<a name="NoteRef_20_229" id="NoteRef_20_229"></a><a href="#Note_20_229" class="fnanchor">[20]</a> ans, je n'étais pas fort loin du -vrai.) Mais j'avouerai qu'il m'eût suffi de l'intérêt que prenaient -au sort de Louis XVI M. le grand vicaire Rey et les autres prêtres, -amis de la famille, pour me<span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">[p. 127]</a></span> faire désirer sa mort. Je regardais -alors, en vertu d'un couplet de chanson que je chantais quand je ne -craignais pas d'être entendu par mon père ou ma tante Séraphie, qu'il -était de <i>devoir étroit</i> de mourir pour la patrie quand il le fallait. -Qu'était-ce que la vie d'un traître qui par une lettre secrète pouvait -faire égorger un de ces beaux régiments que je voyais passer sur la -place Grenette? Je jugeais la cause entre ma famille et moi, lorsque -mon père rentra. Je le vois encore, en redingote de molleton blanc -qu'il n'avait pas ôtée pour aller à deux pas de la porte.</p> - -<p>«C'en est fait, dit-il avec un gros soupir, ils l'ont assassiné.»</p> - -<p>Je fus saisi d'un des plus vifs mouvements de joie que j'aie éprouvés -en ma vie. Le lecteur pensera peut-être que je suis cruel, mais tel -j'étais à dix ans, tel je suis à cinquante-deux<a name="NoteRef_21_230" id="NoteRef_21_230"></a><a href="#Note_21_230" class="fnanchor">[21]</a>.</p> - -<p>Lorsqu'en décembre 1830 l'on n'a pas puni de mort cet insolent maraud -de Peyronnet et les autres signataires des Ordonnances, j'ai dit des -bourgeois de Paris: ils prennent l'étiolement de leur âme pour de la -civilisation et de la générosité. Comment, après une telle faiblesse, -oser condamner à mort un simple assassin?</p> - -<p>Il me semble que ce qui se passe en 1835 a justifié ma prévision de -1830.</p> - -<p>Je fus si transporté de ce grand acte de justice nationale que je ne -pus pas continuer la lecture de<span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">[p. 128]</a></span> mon roman, certainement l'un des -plus touchants qui existent. Je le cachai, je mis devant moi le livre -sérieux, probablement Rollin, que mon père me faisait lire, et je -fermai les yeux pour pouvoir goûter en paix ce grand événement. C'est -exactement ce que je ferais encore aujourd'hui, en ajoutant qu'à moins -d'un devoir impérieux rien ne pourrait me déterminer à voir le traître -que l'intérêt de la patrie envoie au supplice. Je pourrais remplir dix -pages des détails de cette soirée, mais si les lecteurs de 1880 sont -aussi étiolés que la bonne compagnie de 1835, la scène comme le héros -leur inspireront un sentiment d'éloignement profond et allant presque -jusqu'à ce que les âmes de papier mâché appellent de l'horreur. Quant -à moi, j'aurais beaucoup plus de pitié d'un assassin condamné à mort -sans preuves tout-à-fait suffisantes que d'un <i>King</i> qui se trouverait -dans le même cas. La <i>death of a King</i> coupable est toujours utile <i>in -terrorem</i> pour empêcher les étranges abus dans lesquels la <i>dernière -folie</i> produite par le pouvoir absolu jette ces gens-là. (Voyez l'amour -de Louis XV pour les fosses récemment recouvertes dans les cimetières -de campagne qu'il apercevait de sa voiture en promenant dans les -environs de Versailles. Voyez la folie actuelle de la petite reine Dona -Maria de Poctugal.)</p> -<hr class="r5" /> -<div class="figcenter" style="width: 500px;"> -<a id="stend005"></a> -<img src="images/stend005.jpg" width="500" alt="" /> -<p class="caption">LA MAISON NATALE DR STENDHAL 14 rue J. J. Rousseau, à -Grenoble</p></div> -<hr class="r5" /> -<p>La page que je viens d'écrire scandaliserait fort même mes amis de -1835. Je fus honni par le cœur chez M<sup>me</sup> Bernonde, en -1829, pour avoir <i>wished the<span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">[p. 129]</a></span> death of the Duke of Bordeaux</i>. M. -Mignet même (aujourd'hui conseiller d'Etat) eut horreur de moi, et -la maîtresse de la maison, que j'aimais (<i>did like</i>) parce qu'elle -ressemblait à Cervantès, ne me l'a jamais pardonné, elle disait que -j'étais souverainement immoral et fut scandalisée, en 1833, aux bains -d'Aix, parce que madame la comtesse C...al<a name="NoteRef_22_231" id="NoteRef_22_231"></a><a href="#Note_22_231" class="fnanchor">[22]</a> prenait ma défense. -Je puis dire que l'approbation des êtres que je regarde comme faibles -m'est absolument indifférente. Ils me semblent fous, je vois clairement -qu'ils ne comprennent pas le problème.</p> - -<p>Enfin, supposons que je sois cruel, hé bien, oui, je le suis, on en -verra bien d'autres de moi si je continue à écrire.</p> - -<p>Je conclus de ce souvenir, si présent à mes yeux, qu'en 1793, il y a -quarante-deux ans, j'allais à la chasse du bonheur précisément comme -aujourd'hui, en d'autres termes plus communs, mon caractère était -absolument le même qu'aujourd'hui. Tous les ménagements, quand il -s'agit de la <i>patrie</i>, me semblent encore <i>puérils.</i></p> - -<p>Je dirais <i>criminels</i>, sans mon mépris sans bornes pour les êtres -faibles. (Exemple: M. Félix Faure, pair de France, Premier Président, -parlant à son fils, à Saint-Ismier, été 1828, de la mort de Louis -XVI: «<i>Il a été mis à mort par des méchants.</i>» C'est le même homme -qui condamne aujourd'hui, à la Chambre des Pairs, les jeunes et -respectables fous qu'on appelle les conspirateurs d'avril. Moi, je -les<span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">[p. 130]</a></span> condamnerais à un an de séjour à <i>Cincinnati</i> (Amérique), pendant -laquelle année je leur donnerais deux cents francs par mois.) Je n'ai -un souvenir aussi distinct que de ma première communion, que mon père -me fit faire à Claix, en présence du dévot charpentier Charbonot, de -Cossey<a name="NoteRef_23_232" id="NoteRef_23_232"></a><a href="#Note_23_232" class="fnanchor">[23]</a>, vers 1795.</p> - -<p>Comme, en 1793, le courrier mettait cinq grandes journées et peut-être -six, de Paris à Grenoble, la scène du cabinet de mon père est peut-être -du 28 ou 29 janvier, à sept heures du soir. A souper, ma tante Séraphie -me fit une scène sur mon âme <i>atroce</i>, etc. Je regardais mon père, il -n'ouvrait pas la bouche, apparemment de peur de se porter et de me -porter aux dernières extrémités. Quelque cruel et atroce que je sois, -du moins je ne passais pas pour lâche dans la famille. Mon père était -trop Dauphinois et trop fin pour ne pas avoir pénétré, même dans son -cabinet (à sept heures), la sensation d'un enfant de dix<a name="NoteRef_24_233" id="NoteRef_24_233"></a><a href="#Note_24_233" class="fnanchor">[24]</a> ans.</p> - -<hr /> - -<p>A douze ans, un prodige de science pour mon âge, je questionnais sans -cesse mon excellent grand-père, dont le bonheur était de me répondre. -J'étais le seul être à qui il voulût parler de ma mère. Personne dans -la famille n'osait lui parler de cet être chéri. A douze ans donc, -j'étais un prodige de science et, à vingt, un prodige d'ignorance.</p> - -<p>De 1796 à 1799, je n'ai fait attention qu'à ce qui pouvait me donner -les moyens de quitter Grenoble,<span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">[p. 131]</a></span> c'est-à-dire aux mathématiques. Je -calculais avec anxiété les moyens de pouvoir consacrer au travail une -demi-heure de plus par jour. De plus j'aimais, et j'aime encore, les -mathématiques pour elles-mêmes, comme n'admettant pas l'<i>hypocrisie</i> et -le <i>vague</i>, mes deux bêtes d'aversion.</p> - -<p>Dans cet état de l'âme, que me faisait une réponse sensée et développée -de mon excellent grand-père renfermant une notice sur Sanchonioton, une -appréciation des travaux de Court de Gebelin<a name="NoteRef_25_234" id="NoteRef_25_234"></a><a href="#Note_25_234" class="fnanchor">[25]</a>, dont mon père, je -ne sais comment, avait une belle édition in-4° (peut-être qu'il n'y en -a pas d'in-12), avec une belle gravure représentant les organes de la -voix chez l'homme?</p> - -<p>A dix ans, je fis en grande cachette une comédie en prose, ou plutôt -un premier acte. Je travaillais peu parce que j'attendais le moment -du génie, c'est-à-dire cet état d'exaltation qui alors me prenait -peut-être deux fois par mois. Ce travail était un grand secret, mes -compositions m'ont toujours inspiré la même pudeur que mes amours. Rien -ne m'eût été plus pénible que d'en entendre parler. J'ai encore éprouvé -vivement ce sentiment en 1830, quand M. Victor de Tracy m'a parlé de -<i>Le Rouge et le Noir</i> (roman en deux volumes).</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">[p. 132]</a><br /><a name="Page_133" id="Page_133">[p. 133]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_210" id="Note_1_210"></a><a href="#NoteRef_1_210"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre X</i> est le chapitre VIII du manuscrit (fol. 146 <i>ter</i> -à 169; les feuillets 145, 146, 146 <i>bis</i> et 153 sont numérotés, mais -laissés en blanc).—Écrit les 9 et 10 décembre 1835.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_211" id="Note_2_211"></a><a href="#NoteRef_2_211"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>faire de moi un excellent jésuite ...</i>—Ms.: «<i>Tejé.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_212" id="Note_3_212"></a><a href="#NoteRef_3_212"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>toutes les peines du monde à dissimuler ...</i>—Variante: -«<i>Cacher.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_213" id="Note_4_213"></a><a href="#NoteRef_4_213"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>extrêmement poli envers la religion ...</i>—Ms.: «<i>Gionré.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_214" id="Note_5_214"></a><a href="#NoteRef_5_214"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>j'allais avoir cinquante ans ...</i>—Ms.: «25 x 2.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_215" id="Note_6_215"></a><a href="#NoteRef_6_215"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>Besan ...</i>—Besançon, c'est-à-dire le baron de Mareste.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_216" id="Note_7_216"></a><a href="#NoteRef_7_216"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>Kolon ...</i>—Romain Colomb.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_217" id="Note_8_217"></a><a href="#NoteRef_8_217"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>rien de moins jésuite ...</i>—Ms.: «<i>Tejé.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_218" id="Note_9_218"></a><a href="#NoteRef_9_218"><span class="label">[9]</span></a> ... <i>la tyrannie de ce jésuite ...</i>—Ms.: «<i>Tejé.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_219" id="Note_10_219"></a><a href="#NoteRef_10_219"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>dans une antichambre où l'on ne passait presque -jamais.</i>—En face, plan explicatif. Le point M est en face de la -cheminée de la chambre de Henri Gagnon, laquelle était meublée du -«magnifique lit de damas rouge de mon grand-père», de «son armoire,» -d'une «magnifique commode en marqueterie, surmontée d'une pendule: -Mars offrant son bras à la France; la France avait un manteau garni de -fleurs de lis, ce qui plus tard donna de grandes inquiétudes». Cette -chambre était éclairée, sur la grande cour, par une «unique fenêtre -en magnifiques verres de Bohême. L'un d'eux, en haut, à gauche, étant -fendu, resta ainsi dix ans». Le point M' est près d'une des fenêtres -du «grand salon à l'italienne»; le point M" est devant la fenêtre de -l'antichambre du salon. (Voir notre plan de l'appartement Gagnon.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_220" id="Note_11_220"></a><a href="#NoteRef_11_220"><span class="label">[11]</span></a> ... <i>située au troisième étage du collège ...</i>—La fortification -passait alors derrière le collège, ou École centrale (aujourd'hui lycée -de filles), lequel se trouvait non loin de la porte de Bonne. (Voir -notre plan de Grenoble en 1793.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_221" id="Note_12_221"></a><a href="#NoteRef_12_221"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>on réparait le reste.</i>—Le fol. 153, numéroté par Stendhal, -est resté en blanc.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_222" id="Note_13_222"></a><a href="#NoteRef_13_222"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>presque en rang d'oignons ...</i>—Le seigneur d'Oignon. (Note -de Stendhal.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_223" id="Note_14_223"></a><a href="#NoteRef_14_223"><span class="label">[14]</span></a> ... <i>la petite table où moi, H, étais placé.</i>—Suit un plan de -la position des personnages dans la chambre de Henri Gagnon, voisine -de la salle-à-manger. Ils sont en demi-cercle autour de la cheminée, -la table d'Henri est juste en face de cette cheminée, et placée -obliquement.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_224" id="Note_15_224"></a><a href="#NoteRef_15_224"><span class="label">[15]</span></a>. ... <i>l'Ancien Testament ...</i>—Ms.: «<i>Ment-testa</i>», selon la -méthode anagrammatique chère à Stendhal.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_225" id="Note_16_225"></a><a href="#NoteRef_16_225"><span class="label">[16]</span></a> ... <i>j'avais commencé le latin à sept ans ...</i>—Ms.: «17—10.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_226" id="Note_17_226"></a><a href="#NoteRef_17_226"><span class="label">[17]</span></a> <i>Lancette Laitue Rat.</i>—«L'an VII les tuera». Après le mot -«rat», Stendhal a fait un croquis très grossier représentant cet animal.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_227" id="Note_18_227"></a><a href="#NoteRef_18_227"><span class="label">[18]</span></a> ... <i>l'assassinat de Roberjot à Rastadt.</i>—28 avril 1799.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_19_228" id="Note_19_228"></a><a href="#NoteRef_19_228"><span class="label">[19]</span></a> ... <i>séparé de mon père par une fort grande table.</i>—Suit un -plan indiquant les places respectives de Beyle et de son père. Celui-ci -tournait le dos à son fils et était assis à son bureau, dans un angle -de la pièce: «Mon père, placé à son bureau C et écrivant.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_20_229" id="Note_20_229"></a><a href="#NoteRef_20_229"><span class="label">[20]</span></a> ... <i>quoique à peine âgé de dix ans ...</i>—Ms.: «2 x 5.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_21_230" id="Note_21_230"></a><a href="#NoteRef_21_230"><span class="label">[21]</span></a> ... <i>tel j'tais à dix ans, tel je suis à cinquante-deux.</i>—Ms.: -«5 X 2» et «10 X 5 + 2».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_22_231" id="Note_22_231"></a><a href="#NoteRef_22_231"><span class="label">[22]</span></a> ... <i>madame la comtesse C...al....</i>—Le reste du nom est en -blanc.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_23_232" id="Note_23_232"></a><a href="#NoteRef_23_232"><span class="label">[23]</span></a> ... <i>Cossey ...</i>—Hameau de Claix.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_24_233" id="Note_24_233"></a><a href="#NoteRef_24_233"><span class="label">[24]</span></a> ... <i>la sensation d'un enfant de dix ans.</i>—Ms.: «2 X 5.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_25_234" id="Note_25_234"></a><a href="#NoteRef_25_234"><span class="label">[25]</span></a> ... <i>une appréciation des travaux de Court de Gebelin -...</i>—<i>L'Histoire naturelle de la parole</i>, de Court de Gebelin, parut en -1776, en un volume in-8°, accompagné de deux gravures.</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_XI1" id="CHAPITRE_XI1"></a>CHAPITRE XI<a name="NoteRef_1_235" id="NoteRef_1_235"></a><a href="#Note_1_235" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<h4>AMAR ET MERLINOT</h4> - - -<p>Ce sont deux représentants du peuple qui un beau jour arrivèrent à -Grenoble<a name="NoteRef_2_236" id="NoteRef_2_236"></a><a href="#Note_2_236" class="fnanchor">[2]</a> et quelque temps après publièrent une liste de 152 -notoirement suspects (de ne pas aimer la République, c'est-à-dire -le gouvernement de la patrie) et de 350 simplement suspects. Les -<i>notoirement</i> devaient être placés en état d'arrestation; quant aux -<i>simplement</i>, ils ne devaient être que simplement surveillés.</p> - -<p>J'ai vu tout cela d'en bas, comme un enfant, peut-être qu'en faisant -des recherches dans le journal du Département, s'il en existait un à -cette époque, ou dans les archives, on trouverait tout le contraire -quant aux époques, mais pour l'effet sur moi et la famille il est -certain. Quoiqu'il en soit,<span class="pagenum"><a name="Page_134" id="Page_134">[p. 134]</a></span> mon père était notoirement suspect et M. -Henri Gagnon simplement suspect<a name="NoteRef_3_237" id="NoteRef_3_237"></a><a href="#Note_3_237" class="fnanchor">[3]</a>.</p> - -<p>La publication de ces deux listes fut un coup de foudre pour la -famille. Je me hâte de dire que mon père n'a été délivré que le 6 -thermidor (ah! voici une date. Délivré le 6 thermidor, trois jours -avant la mort de Robespierre) et placé sur la liste pendant vingt-deux -mois.</p> - -<p>Ce grand événement remonterait donc au 26 avril 1793<a name="NoteRef_4_238" id="NoteRef_4_238"></a><a href="#Note_4_238" class="fnanchor">[4]</a>. Enfin je -trouve dans ma mémoire que mon père fut vingt-deux mois sur la liste et -n'a passé en prison que trente-deux jours ou quarante-deux jours<a name="NoteRef_5_239" id="NoteRef_5_239"></a><a href="#Note_5_239" class="fnanchor">[5]</a>.</p> - -<p>Ma tante Séraphie montra dans cette occasion beaucoup de courage et -d'activité. Elle allait voir les <i>membres du Département</i>, c'est-à-dire -de l'administration départementale, elle allait voir les représentants -du peuple, et obtenait toujours des sursis de quinze jours ou -vingt-deux jours, de cinquante jours quelquefois.</p> - -<p>Mon père attribue l'apparition de son nom sur la fatale liste à une -ancienne rivalité d'Amar avec lui, lequel était aussi avocat, ce me -semble<a name="NoteRef_6_240" id="NoteRef_6_240"></a><a href="#Note_6_240" class="fnanchor">[6]</a>.</p> - -<p>Deux ou trois mois après cette vexation, de laquelle on parlait sans -cesse le soir en famille, il m'échappa une naïveté qui confirma mon -caractère <i>atroce</i><a name="NoteRef_7_241" id="NoteRef_7_241"></a><a href="#Note_7_241" class="fnanchor">[7]</a>. On exprimait en termes polis toute l'horreur -qu'inspirait le nom d'Amar.</p> - -<p>«Mais, dis-je, à mon père, Amar t'a placé sur la<span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">[p. 135]</a></span> liste comme -notoirement <i>suspect</i> de ne pas aimer la République, il me semble qu'il -est <i>certain</i> que tu ne l'aimes pas.»</p> - -<p>A ce mot, toute la famille rougit de colère, on fut sur le point -de m'envoyer en prison dans ma chambre; et pendant le souper, pour -lequel bientôt on vint avertir, personne ne m'adressa la parole. Je -réfléchissais profondément. «Rien n'est plus vrai que ce que j'ai dit, -mon père se fait gloire d'exécrer <i>le nouvel ordre des choses</i> (terme à -la mode alors parmi les aristocrates); quel droit ont-ils de se fâcher?»</p> - -<p>Cette forme de raisonnement: <i>Quel droit a-t-il?</i> fut habituelle chez -moi depuis les premiers actes arbitraires qui suivirent la mort de ma -mère, aigrirent mon caractère et m'ont fait ce que je suis.</p> - -<p>Le lecteur remarquera sans doute que cette forme conduisait rapidement -à la plus haute indignation.</p> - -<hr /> - -<p>Mon père, Chérubin Beyle, vint s'établir dans la chambre O, appelée -chambre de mon oncle<a name="NoteRef_8_242" id="NoteRef_8_242"></a><a href="#Note_8_242" class="fnanchor">[8]</a>. (Mon aimable oncle Romain Gagnon s'était -marié aux Échelles, en Savoie, et quand il venait à Grenoble, tous -les deux ou trois mois, à l'effet de revoir ses anciennes amies, -il habitait cette chambre meublée avec magnificence en damas -rouge—magnificence de Grenoble vers 1793.)</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">[p. 136]</a></span></p> - -<p>On remarquera encore la sagesse de l'esprit dauphinois. Mon père -appelait se cacher traverser la rue et venir coucher chez son -beau-père, où l'on savait qu'il dînait et soupait depuis deux ou trois -ans. La Terreur fut donc très douce et j'ajouterai hardiment fort -raisonnable, à Grenoble. Malgré vingt-deux ans de progrès, la Terreur -de 1815, ou réaction du parti de mon père, me semble avoir été plus -cruelle. Mais l'extrême dégoût que 1815 m'a inspiré m'a fait oublier -les faits, et peut-être un historien impartial serait-il d'un autre -avis. Je supplie le lecteur, si jamais j'en trouve, de se souvenir que -je n'ai de prétention à la véracité qu'en ce qui touche mes sentiments; -quant aux faits, j'ai toujours eu peu de mémoire. Ce qui fait, par -parenthèse, que le célèbre Georges Cuvier me battait toujours dans les -discussions qu'il daignait quelquefois avoir avec moi dans son salon, -les samedis, de 1827 à 1830.</p> - -<p>Mon père, pour se soustraire à la persécution horrible, vint s'établir -dans la chambre de mon oncle, O. C'était l'hiver, car il me disait: « -<i>Ceci est une glacière.</i>»</p> - -<p>Je couchais à côté de son lit dans un joli lit fait en cage d'oiseau et -duquel il était impossible de tomber. Mais cela ne dura pas. Bientôt je -me vis dans le trapèze à côté de la chambre, de mon grand-père<a name="NoteRef_9_243" id="NoteRef_9_243"></a><a href="#Note_9_243" class="fnanchor">[9]</a>.</p> - -<p>Il me semble maintenant que ce fut seulement à<span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">[p. 137]</a></span> l'époque Amar et -Merlinot que je vins habiter le trapèze, j'y étais fort gêné par -l'odeur de la cuisine de M. Reyboz ou Reybaud, épicier, provençal, dont -l'accent me faisait rire. Je l'entendis souvent grommeler contre sa -fille, horriblement laide, sans quoi je n'eusse pas manqué d'en faire -la dame de mes pensées. C'était là ma folie et elle a duré longtemps, -mais j'eus toujours l'habitude d'une discrétion parfaite que j'ai -retrouvée dans le tempérament mélancolique de Cabanis.</p> - -<hr /> - -<p>Je fus bien étonné, en voyant mon père de plus près dans la chambre -de mon oncle, de trouver qu'il ne lisait plus Bourdaloue, Massillon -ou sa Bible de Sacy en vingt-deux volumes. La mort de Louis XVI -l'avait jeté, ainsi que beaucoup d'autres, dans l'<i>Histoire de Charles -I<sup>er</sup></i> de Hume; comme il ne ne savait pas l'anglais, il lisait -la traduction, unique alors, d'un M. Belot, ou président Belot. Bientôt -mon père, variable et absolu dans ses goûts, fut tout politique. Je -ne voyais dans mon enfance que le ridicule du changement, aujourd'hui -je vois le pourquoi. Peut-être que l'abandon de toute autre idée avec -lequel mon père suivait ses passions (ou ses goûts) en faisait un homme -un peu au-dessus du vulgaire.</p> - -<p>Le voilà donc tout Hume et Smolett et voulant me faire goûter ces -livres comme, deux ans plus tôt, il avait voulu me faire adorer -Bourdaloue. On juge<span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">[p. 138]</a></span> de la façon dont fut accueillie celte proposition -de l'ami intime de mon ennemie Séraphie.</p> - -<hr /> - -<p>La haine de cette aigre dévote redoubla quand elle me vit établi chez -son père sur le pied de favori. Nous avions des scènes horribles -ensemble, car je lui tenais tête fort bien, je raisonnais et c'est ce -qui la mettait en fureur.</p> - -<p>Mesdames Romagnier et Colomb, de moi tendrement aimées, mes cousines, -femmes alors de trente-six ou quarante ans, et la seconde mère de M. -Romain Colomb, mon meilleur ami (qui par sa lettre du . . décembre -1835, reçue hier, me fait une scène à l'occasion de la Préface de -de Brosses, mais n'importe), venaient faire la partie de ma tante -Elisabeth. Ces dames étaient étonnées des scènes que j'avais avec -Séraphie, lesquelles allaient souvent jusqu'à interrompre le boston, et -je croyais voir évidemment qu'elles me donnaient raison contre cette -folle.</p> - -<p>En pensant sérieusement à ces scènes depuis leur époque, 1793, ce me -semble, je les expliquerais ainsi: Séraphie, assez jolie, faisait -l'amour<a name="NoteRef_10_244" id="NoteRef_10_244"></a><a href="#Note_10_244" class="fnanchor">[10]</a> avec mon père et haïssait passionnément en moi l'être -qui mettait un obstacle moral ou légal à leur mariage. Reste à savoir -si en 1793 l'autorité ecclésiastique eût permis un mariage entre -beau-frère et belle-sœur. Je pense que oui, Séraphie était du premier -sanhédrin dévot de la ville avec une M<sup>me</sup> Vignon, son amie -intime.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">[p. 139]</a></span></p> - -<p>Pendant ces scènes violentes, qui se renouvelaient une ou deux fois par -semaine, mon grand-père ne disait rien, j'ai déjà averti qu'il avait -un caractère à la Fontenelle, mais au fond je devinais qu'il était -pour moi. Raisonnablement, que pouvait-il y avoir de commun entre une -demoiselle de vingt-six ou trente ans et un enfant de dix ou douze ans?</p> - -<p>Les domestiques, savoir: Marion, Lambert d'abord et puis l'homme qui -lui succéda, étaient de mon parti. Ma sœur Pauline, jolie jeune fille -qui avait trois ou quatre ans de moins que moi, était de mon parti. Ma -seconde sœur, Zénaïde (aujourd'hui madame Alexandre Mallein), était du -parti de Séraphie et était accusée par Pauline et moi d'être son espion -auprès de nous.</p> - -<p>Je fis une caricature dessinée à la mine de plomb sur le plâtre du -grand passage de la salle à manger aux chambres de la Grenette, dans -l'ancienne maison de mon grand-père. Zénaïde était représentée dans un -prétendu portrait qui avait deux pieds de haut, au-dessous j'écrivis:</p> - -<p> -Caroline-Zénaïde B..., rapporteuse.<br /> -</p> - -<p>Cette bagatelle fut l'occasion d'une scène abominable et dont je vois -encore les détails. Séraphie était furieuse, la partie fut interrompue. -Il me semble que Séraphie prit à partie mesdames Romagnier et Colomb. -Il était déjà huit heures. Ces dames, justement offensées des -incartades de cette folle et voyant<span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">[p. 140]</a></span> que ni son père (M. Henri Gagnon) -ni sa tante (ma grand'tante Elisabeth) ne pouvaient ou n'osaient lui -imposer silence, prirent le parti de s'en aller. Ce départ fut le -signal d'un redoublement dans la tempête. Il y eut quelque mot sévère -de mon grand-père ou de ma tante; pour repousser Séraphie voulant -s'élancer sur moi, je pris une chaise de paille que je tins entre nous, -et je m'en fus à la cuisine, où j'étais bien sûr que la bonne Marion, -qui m'adorait et détestait Séraphie, me protégerait.</p> - -<hr /> - -<p>A côté des images les plus claires, je trouve des <i>manques</i> dans ce -souvenir, c'est comme une fresque dont de grands morceaux seraient -tombés. Je vois Séraphie se retirant de la cuisine et moi faisant la -conduite à l'ennemi le long du passage. La scène avait eu lieu dans la -chambre de ma tante Elisabeth.</p> - -<p>Je me vois et je vois Séraphie au point S<a name="NoteRef_11_245" id="NoteRef_11_245"></a><a href="#Note_11_245" class="fnanchor">[11]</a>. Comme j'aimais -beaucoup la cuisine, occupée par mes amis Lambert et Marion et la -servante de mon père, qui avaient le grand avantage de n'être pas mes -supérieurs, là seulement je trouvais la douce égalité et la liberté. Je -profitai de la scène pour ne pas paraître jusqu'au souper. Il me semble -que je pleurai de rage pour les injures atroces (impie, scélérat, etc.) -que Séraphie m'avait lancées, mais j'avais une honte amère de mes -larmes.</p> - -<p>Je m'interroge depuis une heure pour savoir si<span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">[p. 141]</a></span> cette scène est bien -vraie, réelle, ainsi que vingt autres qui, évoquées des ombres, -reparaissent un peu, après des années d'oubli; mais oui, cela est bien -réel, quoique jamais dans une autre famille je n'aie rien observé de -semblable. Il est vrai que j'ai vu peu d'intérieurs bourgeois, le -dégoût m'en éloignait et la peur que je faisais par mon rang ou mon -esprit (je demande pardon de cette vanité) empêchaient peut-être que de -telles scènes eussent lieu en ma présence. Enfin, je ne puis douter de -la réalité de celle de la caricature de Zénaïde et de plusieurs autres. -Je triomphais surtout quand mon père était à Claix, c'était un ennemi -de moins, et le seul réellement puissant.</p> - -<p>«<i>Indigne enfant, je te mangerais!</i>» me dit un jour mon père en -s'avançant sur moi furieux; mais il ne m'a jamais frappé, ou tout au -plus deux ou trois fois. Ces mots: <i>indigne enfant</i>, etc., me furent -adressés un jour que j'avais battu Pauline qui pleurait et faisait -retentir la maison.</p> - -<p>Aux yeux de mon père j'avais un caractère atroce, c'était une vérité -établie par Séraphie et sur des faits: l'assassinat de M<sup>me</sup> -Chenavaz, mon coup de dent au front de M<sup>me</sup> Pison-Dugalland, -mon mot sur Amar. Bientôt arriva la fameuse lettre anonyme signée -Gardon. Mais il faut des explications pour comprendre ce grand crime. -Réellement ce fut un méchant tour, j'en ai eu honte pendant quelques -années, quand je songeais encore à mon<span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">[p. 142]</a></span> enfance avant ma passion pour -Mélanie, passion qui finit en 1805, quand j'eus vingt-deux<a name="NoteRef_12_246" id="NoteRef_12_246"></a><a href="#Note_12_246" class="fnanchor">[12]</a> ans. -Aujourd'hui que l'action d'écrire ma vie m'en fait apparaître de grands -lambeaux, je trouve fort bien la tentative Gardon.</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">[p. 143]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_235" id="Note_1_235"></a><a href="#NoteRef_1_235"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XI</i> est le chapitre IX du ms. de Stendhal (fol. -172 à 187).—Les fol. 170 et 171 ont été numérotés par Stendhal, mais -laissés en blanc.—En haut du fol. 172, on lit: «10 déc. 1835.» Et plus -bas: «Chronologie: peut-être M. Durand ne vint-il dans la maison Gagnon -qu'après Amar et Merlinot.» En face: «Voir la date dans les <i>Fastes</i> de -Marrast.»—Ce chapitre a été écrit en partie à Cività-Vecchia, le 10 -décembre 1835 (fol. 172 et 173), et en partie à Rome, le 13 décembre.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_236" id="Note_2_236"></a><a href="#NoteRef_2_236"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>deux représentants ... arrivèrent à Grenoble ...</i>—Amar et -Merlinot arrivèrent à Grenoble le 21 avril 1793.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_237" id="Note_3_237"></a><a href="#NoteRef_3_237"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>mon père était notoirement suspect et M. Henri Gagnon -simplement suspect.</i>—Cependant ni l'un ni l'autre n'ont été ni obligés -de se cacher, ni emprisonnés. (Note au crayon de R. Colomb.)—Les -listes ont été publiées le 26 avril 1793 avec un arrêté d'Amar et de -Merlinot. Parmi les «personnes notoirement suspectes» figurait «Beyle, -homme de loi, rue des Vieux-Jésuites»; mais le nom du docteur Gagnon -n'est pas inscrit sur la liste des personnes «simplement suspectes». Le -6 thermidor correspondant au 24 juillet 1794, c'est donc pendant quinze -mois seulement que Chérubin Beyle fut considéré comme notoirement -suspect.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_238" id="Note_4_238"></a><a href="#NoteRef_4_238"><span class="label">[4]</span></a> <i>Ce grand événement remonterait donc au</i> 26 <i>avril</i>1793.—La date -est en blanc dans le manuscrit.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_239" id="Note_5_239"></a><a href="#NoteRef_5_239"><span class="label">[5]</span></a>. ... <i>n'a passé en prison que trente-deux jours ou quarante-deux -jours.</i>—Comme le dit plus haut R. Colomb, Chérubin Beyle ne fut jamais -emprisonné.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_240" id="Note_6_240"></a><a href="#NoteRef_6_240"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>Amar ... avocat, ce me semble.</i>—Amar (né à Grenoble le -11 mai 1755) était au moment de la Révolution trésorier de France au -bureau des Finances de Grenoble et avocat au Parlement de cette ville.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_241" id="Note_7_241"></a><a href="#NoteRef_7_241"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>qui confirma mon caractère</i> atroce.—On lit en tête du fol. -175: «13 décembre 1835. Omar. Repris le travail <i>of Life.</i>» Et au verso -du fol. 174: «Écrit de la page 93 à celle-ci à Cività-Vecchia du 3 au -13 décembre 1835.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_242" id="Note_8_242"></a><a href="#NoteRef_8_242"><span class="label">[8]</span></a> <i>Mon père ... vint s'établir dans la chambre O ...</i>—Au bas du -fol. 176 est un plan de la partie de l'appartement Gagnon voisine -de la maison Périer-Lagrange. On y voit, en O, la «chambre de mon -oncle» occupée par «mon père, Chérubin Beyle, lisant Hume». Cette -chambre s'ouvrait sur la «terrasse avec vue admirable» donnant sur le -«jardin Périer» et, par delà celui-ci, sur le «jardin public nommé -Jardin-de-Ville». Elle était voisine d'une «grande salle» où était un -autel. (Voir notre plan de l'appartement Gagnon.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_243" id="Note_9_243"></a><a href="#NoteRef_9_243"><span class="label">[9]</span></a> <i>Bientôt je me vis dans le trapèze à côté de la chambre de mon -grand-père.</i>—Suit un plan de la chambre de M. Gagnon et de la chambre -en trapèze. Cette forme était nécessitée par l'escalier voisin. Le -«trapèze» donnait sur une «petite cour. Odeur de cuisine de M. Rayboz».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_244" id="Note_10_244"></a><a href="#NoteRef_10_244"><span class="label">[10]</span></a> <i>Séraphie, assez jolie, faisait l'amour ...</i>—Italianisme à -ôter. (Note de Stendhal.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_245" id="Note_11_245"></a><a href="#NoteRef_11_245"><span class="label">[11]</span></a> <i>Je me vois et je vois Séraphie au point S.</i>—Suit un plan des -lieux de la scène: «La ligne pointillé marque la ligne de bataille», à -travers la chambre d'Elisabeth Gagnon, le passage, la salle-à-manger et -la cuisine. Le point S est situé dans le passage.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_246" id="Note_12_246"></a><a href="#NoteRef_12_246"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>quand j'eus vingt-deux ans.</i>—Ms.: «11 x 2.»</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_XII1" id="CHAPITRE_XII1"></a>CHAPITRE XII<a name="NoteRef_1_247" id="NoteRef_1_247"></a><a href="#Note_1_247" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<h4>BILLET GARDON</h4> - - -<p>On avait formé les bataillons d'Espérance, ou l'armée d'Espérance -(chose singulière, que je ne me rappelle pas même avec certitude le nom -d'une chose qui a tant agité mon enfance). Je brûlais d'être de ces -bataillons que je voyais défiler. Je vois aujourd'hui que c'était une -excellente institution, la seule qui puisse déraciner le jésuitisme -<a name="NoteRef_2_248" id="NoteRef_2_248"></a><a href="#Note_2_248" class="fnanchor">[2]</a> en France. Au lieu de jouer à la chapelle, l'imagination des -enfants pense à la guerre et s'accoutume au danger. D'ailleurs, quand -la patrie les appelle à vingt ans, ils savent <i>l'exercice</i>, et au -lieu de frémir devant <i>l'inconnu</i>, ils se rappellent les jeux de leur -enfance.</p> - -<hr /> - -<p>La Terreur était si peu la Terreur à Grenoble que les aristocrates -n'envoyaient pas leurs enfants.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">[p. 144]</a></span></p> - -<p>Un certain abbé Gardon, qui avait jeté le froc aux orties, dirigeait -l'armée de l'Espérance. Je fis un faux, je pris un morceau de papier -plus large que haut, de la forme d'une lettre de change (je le vois -encore) et, en contrefaisant mon écriture, j'invitai le citoyen Gagnon -à envoyer son petit-fils, Henri Beyle, à Saint-André, pour qu'il pût -être incorporé dans le bataillon de l'Espérance. Cela finissait par:</p> - -<p>«Salut et fraternité,</p> - -<p>Gardon.»</p> - -<p>La seule idée d'aller à Saint-André était pour moi le bonheur suprême. -Mes parents firent preuve de bien peu de lumières, ils se laissèrent -prendre à cette lettre d'un enfant, qui devait contenir cent fautes -contre la vraisemblance. Ils eurent besoin des conseils d'un petit -bossu nommé <i>Tourte</i>, véritable <i>toad-eater</i><a name="NoteRef_3_249" id="NoteRef_3_249"></a><a href="#Note_3_249" class="fnanchor">[3]</a>, mangeur de -crapauds, qui s'était faufilé à la maison par cet infâme métier. Mais -comprendra-t-on cela en 1880?</p> - -<p>M. Tourte<a name="NoteRef_4_250" id="NoteRef_4_250"></a><a href="#Note_4_250" class="fnanchor">[4]</a>, horriblement bossu et commis expéditionnaire à -l'administration du Département, s'était faufilé à la maison comme -être subalterne, ne s'offensant de rien, bon flatteur de tous. J'avais -déposé mon papier dans l'entredeux des portes formant antichambre sur -l'escalier tournant, au point A<a name="NoteRef_5_251" id="NoteRef_5_251"></a><a href="#Note_5_251" class="fnanchor">[5]</a>.</p> - -<p>Mes parents, fort alarmés, appelèrent au conseil le petit Tourte -qui, en sa capacité de scribe officiel,<span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">[p. 145]</a></span> connaissait apparemment la -signature de M. Gardon. Il demanda de mon écriture, compara avec sa -sagacité de commis expéditionnaire, et mon pauvre petit artifice pour -sortir de cage fut découvert. Pendant qu'on délibérait sur mon sort, on -m'avait relégué dans le cabinet d'histoire naturelle de mon grand-père, -formant vestibule sur notre magnifique terrasse<a name="NoteRef_6_252" id="NoteRef_6_252"></a><a href="#Note_6_252" class="fnanchor">[6]</a>. Là je m'amusais -à faire <i>sauter en l'air</i> (locution du pays) une boule de terre glaise -rouge que je venais de pétrir. J'étais dans la position morale d'un -jeune déserteur qu'on va fusiller. L'action de faire <i>un faux</i> me -<i>chicanait</i> un peu.</p> - -<p>Il y avait dans ce vestibule de la terrasse une magnifique carte du -Dauphiné<a name="NoteRef_7_253" id="NoteRef_7_253"></a><a href="#Note_7_253" class="fnanchor">[7]</a> de quatre pieds de large, accrochée au mur. Ma boule de -terre glaise, en descendant du plafond fort élevé, toucha la précieuse -carte, fort admirée par mon grand-père, et, comme elle était fort -humide, y traça une longue <i>raie</i> rouge.</p> - -<p>«Ah! pour le coup, je suis flambé, pensai-je. Ceci est bien une autre -affaire; j'offense mon seul protecteur.» J'étais en même temps fort -affligé d'avoir fait une chose désagréable à mon grand-père.</p> - -<p>En ce moment on m'appela pour comparaître devant mes juges, Séraphie en -tête, et à côté d'elle le hideux bossu Tourte. Je m'étais proposé de -répondre en Romain, c'est-à-dire que je désirais servir la patrie, que -c'était mon devoir aussi bien que mon plaisir, etc. Mais la conscience -de ma faute envers<span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">[p. 146]</a></span> mon excellent grand-père (la tache à la carte), -que je voyais pâle à cause de la peur que lui avait fait le billet -signé <i>Gardon</i>, m'attendrit, et je crois que je fus pitoyable. J'ai -toujours eu le défaut de me laisser attendrir comme un niais par la -moindre parole de soumission des gens contre lesquels j'étais le plus -en colère, <i>et tentatum contemni.</i> En vain plus tard écrivis-je partout -cette réflexion de Tite-Live, je n'ai jamais été sûr de garder ma -colère.</p> - -<p>Je perdis malheureusement par ma faiblesse de cœur (non de caractère) -ma position superbe. J'avais le projet de menacer d'aller moi-même -déclarer à l'abbé Gardon ma résolution de servir la patrie. Je fis -cette déclaration, mais d'une voix faible et timide. Mon idée fit peur -et on vit que je manquais d'énergie. Mon grand-père même me condamna, -la sentence fut que pendant trois jours je ne dînerais pas à table. A -peine condamné, ma tendresse se dissipa et je redevins un héros.</p> - -<p>«J'aime bien mieux, leur dis-je, dîner seul qu'avec des tyrans qui me -grondent sans cesse.»</p> - -<p>Le petit Tourte voulut faire son métier:</p> - -<p>«Mais, monsieur Henri, il me semble...</p> - -<p>—Vous devriez avoir honte et vous taire, lui dis-je en l'interrompant. -Est-ce que vous êtes mon parent pour parler ainsi?» etc.</p> - -<p>—Mais, monsieur, dit-il, devenu tout rouge derrière les lunettes dont -son nez était armé, comme ami de la famille...</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">[p. 147]</a></span></p> - -<p>—Je ne me laisserai jamais gronder par un homme tel que vous.»</p> - -<p>Cette allusion à sa bosse énorme supprima son éloquence.</p> - -<p>En sortant de la chambre de mon grand-père, où la scène s'était passée, -pour aller faire du latin tout seul dans le grand salon, j'étais d'une -humeur noire. Je sentais confusément que j'étais un être faible; plus -je réfléchissais, plus je m'en voulais.</p> - -<p>Le fils d'un notoirement suspect, toujours hors de prison au moyen -de <i>sursis</i> successifs, venant demander à l'abbé Gardon de servir -la patrie, que pouvaient répondre mes parents, avec leur messe de -quatre-vingts personnes tous les dimanches?</p> - -<p>Aussi, dès le lendemain on me fit la cour. Mais cette affaire, que -Séraphie ne manqua pas de me reprocher dès la première scène qu'elle -me fit, éleva comme un mur entre mes parents et moi. Je le dis avec -peine, je commençai à moins aimer mon grand-père, et aussitôt je vis -clairement son défaut: Il a peur de sa fille, il a peur de Séraphie! Ma -seule tante Elisabeth m'était restée fidèle. Aussi mon affection pour -elle redoubla-t-elle<a name="NoteRef_8_254" id="NoteRef_8_254"></a><a href="#Note_8_254" class="fnanchor">[8]</a>.</p> - -<p>Elle combattait, je m'en souviens, ma haine pour mon père, et me gronda -vertement parce qu'une fois, en lui parlant de lui, je l'appelai <i>cet -homme.</i></p> - -<p>Sur quoi je ferai deux observations<a name="NoteRef_9_255" id="NoteRef_9_255"></a><a href="#Note_9_255" class="fnanchor">[9]</a>:</p> - -<p>1° Cette haine de mon père pour moi et de moi<span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">[p. 148]</a></span> pour lui était chose -tellement convenue dans ma tête, que ma mémoire n'a pas daigné garder -<a name="NoteRef_10_256" id="NoteRef_10_256"></a><a href="#Note_10_256" class="fnanchor">[10]</a> souvenir du rôle qu'il a dû jouer dans la terrible affaire du -billet Gardon.</p> - -<p>2° Ma tante Elisabeth avait l'âme espagnole. Son caractère était la -quintessence de l'honneur. Elle me communiqua pleinement cette façon -de sentir et de là ma suite ridicule de sottises par délicatesse et -grandeur d'âme. Cette sottise n'a un peu cessé en moi qu'en 1810, à -Paris, quand j'étais amoureux de M<sup>me</sup> Petit. Mais encore -aujourd'hui l'excellent Fiore (condamné à mort à Naples en 1800) me dit:</p> - -<p>«Vous tendez vos filets trop haut.» (Thucydide.)</p> - -<p>Ma tante Elisabeth disait encore communément, quand elle admirait -excessivement quelque chose:</p> - -<p>«Cela est beau comme le Cid.»</p> - -<p>Elle sentait, éprouvait<a name="NoteRef_11_257" id="NoteRef_11_257"></a><a href="#Note_11_257" class="fnanchor">[11]</a>, mais n'exprimait jamais, un assez -grand mépris pour le <i>Fontenellisme</i> de son frère (Henri Gagnon, mon -grand-père). Elle adorait ma mère, mais elle ne s'attendrissait pas -en en parlant, comme mon grand-père. Je n'ai jamais vu pleurer, je -crois, ma tante Elisabeth. Elle m'eût pardonné tout au monde plutôt que -d'appeler mon père <i>cet homme.</i></p> - -<p>«Mais comment veux-tu que je puisse l'aimer? lui disais-je. Excepté me -peigner quand j'avais la rache<a name="NoteRef_12_258" id="NoteRef_12_258"></a><a href="#Note_12_258" class="fnanchor">[12]</a>, qu'a-t-il jamais fait pour moi?</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">[p. 149]</a></span></p> - -<p>—Il a la bonté de te mener promener.</p> - -<p>—J'aime bien mieux rester à la maison, je déteste la promenade aux -<i>Granges.</i>»</p> - -<p>(Vers l'église de Saint-Joseph et au sud-est de cette église, que l'on -comprend maintenant dans la place de Grenoble que le général Haxo -fortifie<a name="NoteRef_13_259" id="NoteRef_13_259"></a><a href="#Note_13_259" class="fnanchor">[13]</a>, mais, en 1794, les environs de Saint-Joseph étaient -occupés par des tasses à chanvre et d'infâmes <i>routoirs</i> (trous à demi -pleins d'eau pour faire rouir le chanvre), où je distinguais les œufs -gluants de grenouilles qui me faisaient horreur: <i>horreur</i> est le mot -propre, je frisonne en y pensant.)</p> - -<p>En me parlant de ma mère, un jour, il échappa à ma tante de dire -qu'elle n'avait point eu d'inclination pour mon père. Ce mot fut pour -moi d'une portée immense. J'étais encore, au fond de l'âme, jaloux de -mon père.</p> - -<p>J'allai raconter ce mot à Marion, qui me combla d'aise en me disant -qu'à l'époque du mariage de ma mère, vers 1780, elle avait dit un jour -à mon père qui lui faisait la cour: «<i>Laissez-moi, vilain laid.</i>»</p> - -<p>Je ne vis point alors l'ignoble et l'improbabilité d'un tel mot, -je n'en vis que le sens, qui me charmait. Les tyrans sont souvent -maladroits, c'est peut-être la chose qui m'a fait rire le plus en ma -vie.</p> - -<p>Nous avions un cousin Senterre<a name="NoteRef_14_260" id="NoteRef_14_260"></a><a href="#Note_14_260" class="fnanchor">[14]</a>, homme trop galant, trop gai -et, comme tel, assez haï de mon grand-père, beaucoup plus prudent et -peut-être<span class="pagenum"><a name="Page_150" id="Page_150">[p. 150]</a></span> pas tout-à-fait exempt d'envie pour ce pauvre Senterre, -maintenant sur l'âge et assez pauvre. Mon grand-père prétendait ne -faire que le mépriser à cause de ses mauvaises mœurs passées. Ce pauvre -Senterre était fort grand, creusé (marqué) de petite vérole, les yeux -bordés de rouge et assez faibles, il portait des lunettes et un chapeau -rabattu à grands bords.</p> - -<p>Tous les deux jours, ce me semble, enfin quand le courrier arrivait -de Paris, il venait apporter à mon grand-père cinq ou six journaux -adressés à d'autres personnes et que nous lisions avant ces autres -personnes.</p> - -<p>M. Senterre venait le matin, vers les onze heures, on lui donnait à -déjeuner un demi-verre de vin et du pain, et la haine de mon grand-père -alla plusieurs fois jusqu'à rappeler en ma présence la fable de la -Cigale et de la Fourmi, ce qui voulait dire que le pauvre Senterre -venait à la maison attiré par le doigt de vin et le <i>crochon</i> de pain -<a name="NoteRef_15_261" id="NoteRef_15_261"></a><a href="#Note_15_261" class="fnanchor">[15]</a>.</p> - -<p>La bassesse de ce reproche révoltait ma tante Elisabeth, et moi -peut-être encore plus. Mais l'essentiel de la sottise des tyrans, c'est -que mon grand-père mettait ses lunettes et lisait haut à la famille -tous les journaux. Je n'en perdais pas une syllabe.</p> - -<p>Et dans mon cœur je faisais des commentaires absolument contraires à -ceux que j'entendais faire.</p> - -<p>Séraphie était une bigote enragée, mon père,<span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">[p. 151]</a></span> souvent absent de ces -lectures, aristocrate excessif, mon grand-père, aristocrate, mais -beaucoup plus modéré; il haïssait les Jacobins surtout comme gens mal -vêtus et de mauvais ton.</p> - -<p>«<i>Quel nom: Pichegru!</i>» disait-il. C'était là sa grande objection -contre ce fameux traître qui alors conquérait la Hollande. Ma tante -Elisabeth n'avait horreur que des condamnations à mort.</p> - -<p>Les titres de ces journaux, que je buvais, étaient: <i>Le Journal des -hommes libres, Perlet</i>, dont je vois encore le titre, dont le dernier -mot était formé par une griffe imitant la signature de ce Perlet -<a name="NoteRef_16_262" id="NoteRef_16_262"></a><a href="#Note_16_262" class="fnanchor">[16]</a>; <i>le Journal des Débats; le Journal des défenseurs de la -Patrie.</i> Plus tard, ce me semble, ce journal, qui partait par courrier -extraordinaire, rejoignait la malle, partie vingt-quatre heures avant -lui.</p> - -<hr /> - -<p>Je fonde mon idée que M. Senterre ne venait pas tous les jours sur le -nombre de journaux qu'il y avait à lire. Mais peut-être, au lieu de -plusieurs numéros du même journal, y avait-il seulement un grand nombre -de journaux.</p> - -<p>Quelquefois, quand mon grand-père était enrhumé, j'étais chargé de la -lecture. Quelle maladresse chez mes tyrans! C'est comme <i>the Papes</i> -fondant une bibliothèque au lieu de brûler tous les livres comme Omar -(dont on conteste cette belle action).</p> - -<p>Pendant toutes ces lectures qui duraient, ce me<span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">[p. 152]</a></span> semble, encore un an -après la mort de Robespierre et qui prenaient bien deux heures chaque -matin, je ne me souviens pas d'avoir été une seule fois de l'avis que -j'entendais exprimer par mes parents. Par prudence, je me gardais bien -de parler, et si quelquefois je voulais parler, au lieu de me réfuter -on m'imposait silence. Je vois maintenant que cette lecture était un -remède à l'effroyable ennui dans lequel ma famille s'était plongée -trois ans auparavant, à la mort de ma mère, en rompant absolument avec -le monde.</p> - -<hr /> - -<p>Le petit Tourte prenait mon excellent grand-père pour confident de ses -amours avec une de nos parentes que nous méprisions comme pauvre et -faisant tort à notre noblesse. Il était jaune, hideux, l'air malade. -Il se mit à montrer à écrire à ma sœur Pauline, et il me semble que -l'animal en devint amoureux. Il amena à la maison l'abbé Tourte, son -frère, qui avait la figure abîmée d'<i>humeurs froides.</i> Mon grand-père -ayant dit qu'il était <i>dégoûté</i> quand il invitait cet abbé à dîner, ce -sentiment devint excessif chez moi.</p> - -<p>M. Durand continuait à venir une ou deux fois le jour à la maison, mais -il me semble que c'était deux fois, voici pourquoi: j'étais arrivé -à cette époque incroyable de sottise où l'on fait faire des vers à -l'écolier latin (on veut essayer s'il a le génie poétique), et de cette -époque date mon horreur pour les<span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">[p. 153]</a></span> vers. Même dans Racine, qui me semble -fort éloquent, je trouve force chevilles.</p> - -<hr /> - -<p>Pour développer chez moi le génie poétique, M. Durand apporta un grand -in-12 dont la reliure noire était horriblement grasse et sale.</p> - -<p>La saleté m'eût fait prendre en horreur l'Arioste de M. de Tressan, -que j'adorais, qu'on juge du volume noir de M. Durand, assez mal mis -lui-même. Ce volume contenait le poème d'un jésuite sur une mouche -qui se noie dans une jatte de lait. Tout l'esprit était fondé sur -l'antithèse produite par la blancheur du lait et la noirceur du corps -de la mouche, la douceur qu'elle cherchait dans le lait et l'amertume -de la mort.</p> - -<p>On me dictait ces vers en supprimant les épithètes, par exemple:</p> - -<p> -Musca (<i>épit.</i>) duxerit annos (<i>ép.</i>) multos (<i>synonime</i>).<br /> -</p> - -<p>J'ouvrais le <i>Gradus ad Parnassum</i>; je lisais toutes les épithètes de -la mouche: <i>volucris, avis, nigra</i>, et je choisissais, pour faire la -mesure de mes hexamètres et de mes pentamètres, <i>nigra</i>, par exemple, -pour <i>musca, felices</i> pour <i>annos.</i><a name="NoteRef_17_263" id="NoteRef_17_263"></a><a href="#Note_17_263" class="fnanchor">[17]</a></p> - -<p>La saleté du livre et la platitude des idées me donnèrent un tel dégoût -que régulièrement tous les jours, vers les deux heures, c'était mon -grand-père qui faisait mes vers en ayant l'air de m'aider.</p> - -<p>M. Durand revenait à sept heures du soir et me<span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">[p. 154]</a></span> faisait remarquer et -admirer la différence qu'il y avait entre mes vers et ceux du Père -jésuite.</p> - -<p>Il faut absolument <i>l'émulation</i> pour faire avaler de telles inepties. -Mon grand-père me racontait ses exploits au collège, et je soupirais -après le collège, là du moins j'aurais pu échanger des paroles avec des -enfants de mon âge.</p> - -<p>Bientôt je devais avoir cette joie: on forma une École centrale, mon -grand-père fut du jury organisateur, il fit nommer professeur M. -Durand.</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">[p. 155]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_247" id="Note_1_247"></a><a href="#NoteRef_1_247"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XII</i> est le chapitre X du manuscrit de Stendhal -(fol. 188 à 210).—Écrit à Rome, le 14 décembre 1835.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_248" id="Note_2_248"></a><a href="#NoteRef_2_248"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>qui puisse déraciner le jésuitisme ...</i>-Ms.: «<i>Tisjésui.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_249" id="Note_3_249"></a><a href="#NoteRef_3_249"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>toad-eater ...</i>—Expression anglaise signifiant -littéralement: mangeur de crapauds, et, au figuré: flagorneur, -flatteur, parasite.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_250" id="Note_4_250"></a><a href="#NoteRef_4_250"><span class="label">[4]</span></a> <i>M. Tourte ...</i>—Donnait des leçons d'écriture à Pauline; je le -vois encore, taillant des plumes, d'un air important, avec des lunettes -dont les verres avaient l'épaisseur d'un fond de gobelet. (Note au -crayon de R. Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_251" id="Note_5_251"></a><a href="#NoteRef_5_251"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>l'entredeux des portes formant antichambre ... au point -A.</i>—Suit un plan de cette partie de l'appartement; dans l'antichambre, -en A, entre les deux fenêtres donnant sur la première cour, est la -place où le jeune Beyle avait placé le billet Gardon.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_252" id="Note_6_252"></a><a href="#NoteRef_6_252"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>formant vestibule sur notre magnifique terrasse.</i>—En -face, est un plan de cette partie de l'appartement Gagnon. Au fond du -grand salon à l'Italienne, en «A, autel où je servais la messe tous -les dimanches»; dans la pièce voisine, donnant accès sur la terrasse, -était pendue la «carte du Dauphiné dressée par M. de Bourcet, père -du Tartufe et grand-père de mon ami à Brunswick, le général Bourcet, -aide-de-camp du maréchal Oudinot, maintenant cocu et, je crois, fou». -Dans le cabinet de M. Gagnon, également voisin du grand salon, se -trouvait, dans un angle, un «tas de romans et autres mauvais livres -ayant appartenu à mon oncle et sentant l'ambre ou le musc d'une lieue». -Enfin, depuis «la terrasse, mur sarrazin large de quinze pieds et haut -de quarante», Stendhal indique une vue «magnifique vers les montagnes -en S (montagne de Seyssins et Sassenage), B (Bastille, que le général -Haxo fortifie en 1835) et R (tour de Rabot)».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_253" id="Note_7_253"></a><a href="#NoteRef_7_253"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>une magnifique carte du Dauphiné ...</i>—La carte du Dauphiné -par Bourcet est en effet très belle. Elle est composée de dix feuilles -in-folio, portant ce titre: <i>Carte géométrique du haut Dauphiné et de -la frontière ultérieure, levée par ordre du Roi, sous la direction de -M. de Bourcet, maréchal de camp, par MM. les ingénieurs géographes de -Sa Majesté, pendant les années</i> 1749 <i>jusqu'en</i> 1754. <i>Dressé par le -sieur Villaret, capitaine ingénieur géographe du Roi.</i>—Sur la famille -de Bourcet, voir: Edmond Maignien, <i>L'ingénieur militaire Bourcet et sa -famille.</i> Grenoble, 1890, in-8°.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_254" id="Note_8_254"></a><a href="#NoteRef_8_254"><span class="label">[8]</span></a> <i>Aussi mon affection pour elle redoubla-t-elle.</i>—On lit au verso -du fol. 197: «Écrit de 188 à 197 en une heure, grand froid et beau -soleil, le 14 décembre 1835.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_255" id="Note_9_255"></a><a href="#NoteRef_9_255"><span class="label">[9]</span></a> <i>Sur quoi je ferai deux observations.</i>—«Je sens bien que tout -ceci est trop long, mais je m'amuse à voir reparaître ces temps -primitifs, quoique malheureux, et je prie M. Levavasseur d'abréger -ferme, s'il imprime. H. BEYLE.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_256" id="Note_10_256"></a><a href="#NoteRef_10_256"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>ma mémoire n'a pas daigné garder ...</i>-Variante: «<i>N'a pas -gardé.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_257" id="Note_11_257"></a><a href="#NoteRef_11_257"><span class="label">[11]</span></a> <i>Elle sentait, éprouvait ...</i>—Une partie de la ligne a été -laissée en blanc.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_258" id="Note_12_258"></a><a href="#NoteRef_12_258"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>quand j'avais la roche ...</i>—Affection du cuir chevelu chez -les enfants, que le patois dauphinois étend, mais à tort, à la croûte -de lait.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_259" id="Note_13_259"></a><a href="#NoteRef_13_259"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>la place de Grenoble que le général Haxo fortifie -...</i>—L'agrandissement de l'enceinte par le général Haxo fut effectué -entre 1832 et 1836.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_260" id="Note_14_260"></a><a href="#NoteRef_14_260"><span class="label">[14]</span></a> ... <i>cousin Senterre ...</i>—Il était contrôleur de la poste à -Grenoble; en sa qualité de mon grand-oncle, il m'administrait force -taloches; et lorsque je pleurais trop <i>haut</i>, il me faisait avaler -des verres de kirsch, pour obtenir du silence et son pardon. (Note au -crayon de R. Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_261" id="Note_15_261"></a><a href="#NoteRef_15_261"><span class="label">[15]</span></a> ... <i>le</i> crochon <i>de pain.</i>—Terme dauphinois signifiant un -morceau de pain, avec de la croûte.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_262" id="Note_16_262"></a><a href="#NoteRef_16_262"><span class="label">[16]</span></a> ... <i>la signature de ce Perlet ...</i>—A la suite du nom, Stendhal -a tracé une imitation de la signature de Perlet.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_263" id="Note_17_263"></a><a href="#NoteRef_17_263"><span class="label">[17]</span></a> ... felices <i>pour</i> annos.—On lit au verso du fol. 209: «Le -14 décembre 1835, écrit 24 pages et fini la Vie de Costard, fou -intéressant ...»</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_XIII1" id="CHAPITRE_XIII1"></a>CHAPITRE XIII<a name="NoteRef_1_264" id="NoteRef_1_264"></a><a href="#Note_1_264" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<h4>PREMIER VOYAGE AUX ÉCHELLES</h4> - - -<p>Il faut parler de mon oncle, cet homme aimable qui portait la joie dans -la famille quand des <i>Échelles</i> (Savoie), où il était marié, il venait -à Grenoble.</p> - -<p>En écrivant ma vie en 1835, j'y fais bien des découvertes; ces -découvertes sont de deux espèces: d'abord, 1° ce sont de grands -morceaux de fresques sur un mur, qui depuis longtemps oubliés -apparaissent tout-à-coup, et à côté de ces morceaux bien conservés -sont, comme je l'ai dit plusieurs fois, de grands espaces où l'on ne -voit que les briques du mur. L'éparvérage, le crépi sur lequel la -fresque était peinte est tombé<a name="NoteRef_2_265" id="NoteRef_2_265"></a><a href="#Note_2_265" class="fnanchor">[2]</a>, et la fresque est à jamais perdue. -A côté des morceaux de fresque conservés il n'y a pas de date, il faut -que j'aille à la chasse des<span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">[p. 156]</a></span> dates actuellement, en 1835. Heureusement, -peu importe un anachronisme, une confusion d'une ou de deux années. A -partir de mon arrivée à Paris en 1799, comme ma vie est mêlée avec les -événements de la gazette, toutes les dates sont sûres.</p> - -<p>2° en 1835, je découvre la physionomie et le pourquoi des événements. -Mon oncle (Romain Gagnon) ne venait probablement à Grenoble, vers 1795 -ou 96, que pour voir ses anciennes maîtresses et pour se délasser des -Échelles où il régnait, car les Échelles sont un bourg, composé alors -de manants enrichis par la contrebande et l'agriculture, et dont le -seul plaisir était la chasse. Les <i>élégances</i> de la vie, les jolies -femmes gaies, frivoles et bien parées, mon oncle ne pouvait les trouver -qu'à Grenoble.</p> - -<hr /> - -<p>Je fis un voyage aux Échelles, ce fut comme un séjour dans le ciel, -tout y fut ravissant pour moi. Le bruit du <i>Guiers</i>, torrent qui -passait à deux cents pas devant les fenêtres de mon oncle, devint un -son sacré pour moi, et qui sur-le-champ me transportait dans le ciel.</p> - -<p>Ici déjà les phrases me manquent, il faudra que je travaille et -transcrive les morceaux, comme il m'arrivera plus tard pour mon séjour -à Milan; où trouver des mots pour peindre le bonheur parfait goûté avec -délices et sans satiété par une aine sensible jusqu'à l'anéantissement -et la folie?</p> - -<p>Je ne sais si je ne renoncerai pas à ce travail. Je<span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">[p. 157]</a></span> ne pourrais, ce -me semble, peindre ce bonheur ravissant, pur, frais, divin, que par -l'énumération des maux et de l'ennui dont il était l'absence complète. -Or, ce doit être une triste façon de peindre<a name="NoteRef_3_266" id="NoteRef_3_266"></a><a href="#Note_3_266" class="fnanchor">[3]</a> le bonheur.</p> - -<p>Une course de sept heures dans un cabriolet léger par Voreppe, la -Placette et Saint-Laurent-du-Pont me conduisit au Guiers, qui alors -séparait la France de la Savoie<a name="NoteRef_4_267" id="NoteRef_4_267"></a><a href="#Note_4_267" class="fnanchor">[4]</a>. Donc, alors la Savoie n'était -point conquise par le général Montesquiou, dont je vois encore le -plumet; elle fut occupée vers 1792, je crois. Mon divin séjour aux -Échelles est donc de 1790 ou 91. J'avais sept ou huit ans.</p> - -<p>Ce fut un bonheur subit, complet, parfait, amené et maintenu par -un changement de décoration. Un voyage amusant de sept heures fait -disparaître à jamais Séraphie, mon père, le rudiment, le maître de -latin, la triste maison Gagnon de Grenoble, la bien autrement triste -maison de la rue des Vieux-Jésuites.</p> - -<p>Séraphie, le cher père<a name="NoteRef_5_268" id="NoteRef_5_268"></a><a href="#Note_5_268" class="fnanchor">[5]</a>, tout ce qui était si terrible et si -puissant à Grenoble me manque aux Échelles. Ma tante Camille Poucet, -mariée à mon oncle Gagnon, grande et belle personne, était la bonté et -la gaieté même. Un an ou deux avant ce voyage, près du pont de Claix, -du côté de Claix, au point A<a name="NoteRef_6_269" id="NoteRef_6_269"></a><a href="#Note_6_269" class="fnanchor">[6]</a>, j'avais entrevu un instant sa peau -blanche à deux doigts au-dessus des genoux, connue elle descendait de -notre charrette couverte. Elle était pour moi,<span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">[p. 158]</a></span> quand je pensais à -elle, un objet du plus ardent désir. Elle vit encore, je ne l'ai pas -vue depuis trente ou trente-trois ans, elle a toujours été parfaitement -bonne. Etant jeune, elle avait une sensibilité vraie. Elle ressemble -beaucoup à ces charmantes femmes de Chambéry (où elle allait souvent, -à cinq lieues de chez elle) si bien peintes par J.-J. Rousseau -(Confessions)<a name="NoteRef_7_270" id="NoteRef_7_270"></a><a href="#Note_7_270" class="fnanchor">[7]</a>; elle avait une sœur de la beauté la plus fine, du -teint le plus pur, avec laquelle il me semble que mon oncle faisait -un peu l'amour. Je ne voudrais pas jurer qu'il n'honorât aussi de ses -attentions la <i>Fanchon</i>, la femme de chambre factotum, la meilleure et -la plus gaie des filles, quoique point jolie.</p> - -<p>Tout fut sensations exquises et poignantes de bonheur dans ce voyage, -sur lequel je pourrais écrire, vingt pages de superlatifs.</p> - -<p>La difficulté, le regret profond de mal peindre et de gâter ainsi un -souvenir céleste, où le sujet surpasse trop le disant, me donne une -véritable peine au lieu du plaisir d'écrire. Je pourrai bien ne pas -décrire du tout par la suite le passage du Mont-Saint-Bernard avec -l'armée de réserve (16 au 18 mai 1800) et le séjour à Milan dans la -Casa Castelbarco ou dans la Casa Bovara.</p> - -<p>Enfin, pour ne pas laisser en blanc le voyage des Échelles, je noterai -quelques souvenirs qui doivent donner une idée aussi inexacte que -possible des objets qui les causèrent. J'avais huit ans lorsque j'eus -cette vision du ciel.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">[p. 159]</a></span></p> - -<p>Une idée me vient, peut-être que tout le malheur de mon affreuse vie -de Grenoble, de 1790 à 1799, a été un bonheur, puisqu'il a amené le -bonheur, que pour moi rien ne peut surpasser, du séjour aux Échelles et -du séjour à Milan du temps de Marengo.</p> - -<p>Arrivé aux Échelles, je fus l'ami de tout le monde, tout le monde me -souriait comme à un enfant rempli d'esprit. Mon grand-père, homme du -monde, m'avait dit: «Tu es laid, mais personne ne te reprochera jamais -ta laideur.»</p> - -<p>J'ai appris, il y a une dizaine d'années, qu'une des femmes qui m'a le -mieux ou du moins le plus longtemps aimé, Victorine Bigillion, parlait -de moi dans les mêmes termes après vingt-cinq ans d'absence.</p> - -<p>Aux Échelles, je fis mon amie intime de <i>la Fauchon</i>, comme on -l'appelait. J'étais en respect devant la beauté de ma <i>tatan</i> Camille -et n'osais guère lui parler, je la dévorais des yeux. On me conduisit -chez MM. Bonne ou de Bonne, car ils prétendaient fort à la noblesse, je -ne sais même s'ils ne se disaient pas parents de Lesdiguières.</p> - -<p>J'ai, quelques années après, retrouvé trait pour trait le portrait -de ces bonnes gens dans les <i>Confessions</i> de Rousseau, à l'article -Chambéry.</p> - -<p>Bonne l'aîné, qui cultivait le domaine de Berlandet, à dix minutes des -Échelles, où il donna une fête charmante avec des gâteaux et du lait, -où je<span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">[p. 160]</a></span> fus monté sur un âne mené par Grubillon fils, était le meilleur -des hommes; son frère M. Biaise, le notaire, en était le plus nigaud. -On se moquait toute la journée de M. Blaise, qui riait avec les autres. -Leur frère, Bonne-Savardin, négociant à Marseille, était fort élégant: -mais le courtisan de la famille, le roué que tous regardaient avec -respect, était au service du roi à Turin, et je ne fis que l'entrevoir.</p> - -<p>Je ne me souviens de lui que par un portrait que M<sup>me</sup> Camille -Gagnon a maintenant dans sa chambre à Grenoble (la chambre de feu mon -grand-père; le portrait, garni d'une croix rouge, dont toute la famille -est fière, est placé entre la cheminée et le petit cabinet<a name="NoteRef_8_271" id="NoteRef_8_271"></a><a href="#Note_8_271" class="fnanchor">[8]</a>).</p> - -<p>Il y avait aux Échelles une grande et belle fille, Lyonnaise réfugiée. -(Donc la Terreur avait<a name="NoteRef_9_272" id="NoteRef_9_272"></a><a href="#Note_9_272" class="fnanchor">[9]</a> commencé à Lyon, ceci pourrait me donner -une date certaine. Ce délicieux voyage eut lieu avant la conquête de la -Savoie par le général Montesquiou, comme on disait alors, et après que -les royalistes se sauvaient de Lyon.)</p> - -<p>M<sup>lle</sup> Cochet était sous la tutelle de sa mère, mais -accompagnée par son amant, un beau jeune homme, M...<a name="NoteRef_10_273" id="NoteRef_10_273"></a><a href="#Note_10_273" class="fnanchor">[10]</a>, brun et -qui avait l'air assez triste. Il me semble qu'ils venaient seulement -d'arriver de Lyon. Depuis, M<sup>lle</sup> Cochet a épousé un bel -imbécile de mes cousins (M. Doyat, de La Terrasse, et a eu un fils à -l'École polytechnique. Il me semble qu'elle a été un peu la maîtresse -de mon père). Elle était<span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">[p. 161]</a></span> grande, bonne, assez jolie et, quand je la -connus aux Échelles, fort gaie. Elle fut charmante à la partie de -Berlandet. Mais M<sup>lle</sup> Poncet, sœur de Camille (aujourd'hui -madame veuve Blanchet), avait une beauté plus fine; elle parlait fort -peu.</p> - -<p>La mère de ma tante Camille et de MM<sup>lle</sup> ...<a name="NoteRef_11_274" id="NoteRef_11_274"></a><a href="#Note_11_274" class="fnanchor">[11]</a>, madame -Poncet, sœur des Bonne et de madame Giraud, et belle-mère de mon oncle, -était la meilleure des femmes. Sa maison, où je logeais, était le -quartier général de la gaieté<a name="NoteRef_12_275" id="NoteRef_12_275"></a><a href="#Note_12_275" class="fnanchor">[12]</a>.</p> - -<p>Cette maison délicieuse avait une galerie de bois, et un jardin du côté -du torrent le Guiers. Le jardin était traversé obliquement par la digue -du Guiers<a name="NoteRef_13_276" id="NoteRef_13_276"></a><a href="#Note_13_276" class="fnanchor">[13]</a>.</p> - -<hr /> - -<p>À une seconde partie à Berlandet je me révoltai par jalousie, une -demoiselle que j'aimais avait bien traité un rival de vingt ou -vingt-cinq ans. Mais quel était l'objet de mes amours? Peut-être cela -me reviendra-t-il comme beaucoup de choses me reviennent en écrivant. -Voici le lieu de la scène<a name="NoteRef_14_277" id="NoteRef_14_277"></a><a href="#Note_14_277" class="fnanchor">[14]</a>, que je vois aussi nettement que si je -l'eusse quitté il y a huit jours, mais sans physionomie.</p> - -<p>Après ma révolte par jalousie, du point A je jetai des pierres à ces -dames. Le grand Corbeau (officier en semestre) me prit et me mit sur un -pommier ou mûrier en M, au point O, entre deux branches dont je n'osais -pas descendre. Je sautai, je me lis mal, je m'enfuis vers Z.</p> - -<p>Je m'étais un peu foulé le pied et je fuyais en<span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">[p. 162]</a></span> boitant; l'excellent -Corbeau me poursuivit, me prit et me porta sur ses épaules jusqu'aux -Échelles.</p> - -<p>Il jouait un peu le rôle de <i>patito</i>, me disant qu'il avait été -amoureux de M<sup>lle</sup> Camille Poncet, ma tante, qui lui avait -préféré le brillant Romain Gagnon, jeune avocat de Grenoble revenant -d'émigration à Turin<a name="NoteRef_15_278" id="NoteRef_15_278"></a><a href="#Note_15_278" class="fnanchor">[15]</a>.</p> - -<p>J'entrevis à ce voyage M<sup>lle</sup> Thérésine Maistre, sœur de M. -le comte de Maistre, surnommé Bance, et c'est Bance, auteur du <i>Voyage -autour de ma Chambre</i>, dont j'ai vu la montée à Rome vers 1832; il -n'est plus qu'un ultra fort poli, dominé par une femme russe, et -s'occupant encore de peinture. Le génie et la gaieté ont disparu, il -n'est resté que la bonté.</p> - -<p>Que dirai-je d'un voyage à la Grotte<a name="NoteRef_16_279" id="NoteRef_16_279"></a><a href="#Note_16_279" class="fnanchor">[16]</a>? J'entends encore les -gouttes silencieuses tomber du haut des grands rochers sur la route. On -fit quelques pas dans la grotte avec ces dames: M<sup>lle</sup> Poncet -eut peur, M<sup>lle</sup> Cochet montra plus de courage. Au retour, -nous passâmes par le pont Jean-Lioud (Dieu sait quel est son vrai nom).</p> - -<p>Que dirai-je d'une chasse dans le bois de Berland, rive gauche du -Guiers, près le pont Jean-Lioud? Je glissais souvent sous les immenses -hêtres. M..., l'amant de M<sup>lle</sup> Cochet, chassait avec ... (les -noms et les images sont échappés). Mon oncle donna à mon père un chien -énorme, nommé Berland, de couleur noirâtre. Au bout d'un an ou deux, ce -souvenir<span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">[p. 163]</a></span> d'un pays délicieux pour moi mourut de maladie, je le vois -encore.</p> - -<p>Sous les bois de Berland je plaçai les scènes de l'Arioste.</p> - -<p>Les forets de Berland et les précipices en forme de falaises qui les -bornent du côté de la route de Saint-Laurent-du-Pont devinrent pour moi -un type cher et sacré. C'est là que j'ai placé tous les enchantements -d'Ismène de la Jérusalem délivrée. A mon retour à Grenoble, mon -grand-père me laissa lire la traduction de la <i>Jérusalem</i> par Mirabaud, -malgré toutes les observations et réclamations de Séraphie.</p> - -<p>Mon père, le moins élégant, le plus finasseur, le plus politique, -disons tout en un mot, le plus Dauphinois des hommes, ne pouvait pas -n'être pas jaloux de l'amabilité, de la gaieté, de l'élégance physique -et morale de mon oncle.</p> - -<p>Il l'accusait de <i>broder</i> (mentir); voulant être aimable comme mon -oncle à ce voyage aux Échelles, je voulus broder pour l'imiter.</p> - -<p>J'inventai je ne sais quelle histoire de mon rudiment. (C'est un volume -caché par moi sous mon lit pour que le maître de latin (était-ce M. -Joubert ou M. Durand?) ne me marquât pas (avec l'ongle) les leçons à -apprendre aux Échelles.)</p> - -<p>Mon oncle découvrit sans peine le mensonge d'un enfant de huit ou neuf -ans; je n'eus pas la prudence d'esprit de lui dire: «Je cherchais à -être aimable comme toi!» Comme je l'aimais, je m'attendris,<span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">[p. 164]</a></span> et la -leçon me fit une impression profonde.</p> - -<p>En me <i>grondant</i> (reprenant) avec cette raison et cette justice, on -eût tout fait de moi. Je frémis en y pensant: si Séraphie eût eu la -politesse et l'esprit de son frère, elle eût fait de moi un jésuite -<a name="NoteRef_17_280" id="NoteRef_17_280"></a><a href="#Note_17_280" class="fnanchor">[17]</a>.</p> - -<p>(Je suis tout <i>confit de mépris</i> aujourd'hui. Que de bassesse et de -lâcheté il y a dans les généraux de l'Empire! Voilà le vrai défaut du -genre de génie de Napoléon: porter aux premières dignités un homme -parce qu'il est brave et a le talent de conduire une attaque. Quel -abîme de bassesse et de lâcheté morales que les Pairs<a name="NoteRef_18_281" id="NoteRef_18_281"></a><a href="#Note_18_281" class="fnanchor">[18]</a> qui -viennent de condamner le sous-officier Samto à une prison perpétuelle, -sous le soleil de Pondichéry, pour une faute méritant à peine six mois -de prison! Et six pauvres jeunes gens ont déjà subi vingt mois (18 -décembre 1835)!</p> - -<p>Dès que j'aurai reçu mon <i>Histoire de la Révolution</i> de M. Thiers, il -faut que j'écrive dans le blanc du volume de 1793 les noms de tous les -généraux Pairs<a name="NoteRef_19_282" id="NoteRef_19_282"></a><a href="#Note_19_282" class="fnanchor">[19]</a> qui viennent de condamner M. Thomas, afin de -les mépriser suffisamment tout en lisant les belles actions qui les -firent connaître vers 1793. La plupart de ces infâmes ont maintenant -soixante-cinq à soixante-dix ans. Mon plat ami Félix Faure a la -bassesse infâme sans les belles actions. Et M. d'Houdetot<a name="NoteRef_20_283" id="NoteRef_20_283"></a><a href="#Note_20_283" class="fnanchor">[20]</a>! Et -Dijon! Je dirai comme Julien: Canaille! Canaille! Canaille!)</p> - -<p>Excusez cette longue parenthèse, ô lecteur<span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">[p. 165]</a></span> de 1880! Tout ce dont -je parle sera oublié à cette époque. La généreuse indignation qui -fait palpiter mon cœur m'empêche d'écrire davantage sans ridicule. -Si en 1880 on a un gouvernement passable, les cascades, les rapides, -les anxiétés par lesquelles la Fr[ance] aura passé pour y arriver -seront oubliées, l'histoire n'écrira qu'un seul mot à celui du nom de -Louis-Philippe: <i>le plus fripon des Kings.</i></p> - - -<p>M. de Corbeau, devenu mon ami depuis qu'il m'avait rapporté sur son dos -de Berlandet aux Échelles, me menait à la pêche de la truite à la ligne -dans le Guiers. Il pêchait entre les portes de Chailles, au bas des -précipices du défilé de Chailles, et le pont des Échelles, quelquefois -vers le pont Jean-Lioud. Sa ligne avait quinze ou vingt pieds. Vers -Chailles, en relevant vivement l'hameçon, sa ligne de crin blanc passa -sur un arbre, et la truite de trois-quarts de livre<a name="NoteRef_21_284" id="NoteRef_21_284"></a><a href="#Note_21_284" class="fnanchor">[21]</a> nous apparut -pendant à vingt pieds de terre au haut de l'arbre, qui était sans -feuilles. Quelle joie pour moi<a name="NoteRef_22_285" id="NoteRef_22_285"></a><a href="#Note_22_285" class="fnanchor">[22]</a>!</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_166" id="Page_166">[p. 166]</a><br /><a name="Page_167" id="Page_167">[p. 167]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_264" id="Note_1_264"></a><a href="#NoteRef_1_264"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XIII</i> se trouve dans un cahier séparé, côté B 300 -(Bibl. mun. de Grenoble), en même temps que les chapitres V et XV. Il -va du feuillet 15 au feuillet 38, et porte une foliotation spéciale, -de 1 à 24. En tête, Stendhal indique: «Dicter ceci et le faire écrire -sur le papier blanc à la fin du 1er volume. Relier ce chapitre à la -fin du second volume. 18 décembre.» Il ajoute: «Placer ce morceau vers -1792 à son rang, vers 1791.» Un feuillet intercalaire porte encore: -«A placer à son époque, avant la conquête de la Savoie par le général -Montesquiou, avant 1792. A faire copier sur le papier blanc. Placer -a la fin du 1er volume.»—Le chapitre XIII a été écrit n Rome le 18 -décembre 1835, par un «froid de chien».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_265" id="Note_2_265"></a><a href="#NoteRef_2_265"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>le crépi sur lequel la fresque était peinte est tombé -...</i>—On lit en tête du fol. 2: «18 décembre 1835. Omar. Froid de -chien, avec nuages au ciel.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_266" id="Note_3_266"></a><a href="#NoteRef_3_266"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>triste façon de peindre le bonheur.</i>—Variante: «<i>Rendre.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_267" id="Note_4_267"></a><a href="#NoteRef_4_267"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>qui alors séparait la France de la Savoie.</i>—On lit en tête -du fol. 5: «18 déc. Froid de loup près du feu.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_268" id="Note_5_268"></a><a href="#NoteRef_5_268"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>le cher père ...</i>—Lecture incertaine.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_269" id="Note_6_269"></a><a href="#NoteRef_6_269"><span class="label">[6]</span></a> <i> ...du côté de Claix, au point A ...</i>—En face, dans la marge, -est un dessin représentant une coupe du pont de Claix. Le point A est -sur la route, au sud du pont, sur la rive gauche du Drac.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_270" id="Note_7_270"></a><a href="#NoteRef_7_270"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>J.-J. Rousseau (Confessions) ...</i>—On lit en tête du fol. 7: -«18 décembre 1835. Froid à deux pieds de mon feu. Omar.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_271" id="Note_8_271"></a><a href="#NoteRef_8_271"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>entre la cheminée et le petit cabinet.</i>—En face, est un -plan de la chambre, avec la place du portrait, près de la cheminée.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_272" id="Note_9_272"></a><a href="#NoteRef_9_272"><span class="label">[9]</span></a> <i>Donc la Terreur avait commencé ...</i>—Variante: «<i>Etait -commencée.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_273" id="Note_10_273"></a><a href="#NoteRef_10_273"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>un beau jeune homme, M ...</i>—Le nom est en blanc.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_274" id="Note_11_274"></a><a href="#NoteRef_11_274"><span class="label">[11]</span></a> <i>La mère de ma tante Camille et de Mlle ...</i>—Le nom est en -blanc. Il s'agit sans doute de Marie Poncet, sœur de madame Romain -Gagnon.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_275" id="Note_12_275"></a><a href="#NoteRef_12_275"><span class="label">[12]</span></a> <i>Sa maison, où je logeais ...</i>—Plan des Échelles et de ses -environs, avec la maison Poncet (M). «Aux points AA étaient les poteaux -avec les armes de Savoie du cité de la rive droite.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_276" id="Note_13_276"></a><a href="#NoteRef_13_276"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>par la digue du Guiers.</i>—Ici, un plan de la maison Poncet, -avec le jardin traversé par la digue du Guiers.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_277" id="Note_14_277"></a><a href="#NoteRef_14_277"><span class="label">[14]</span></a> <i>Voici le lieu de la scène ...</i>—Suit un plan grossier de la -scène: derrière une haie se trouve Beyle jetant des pierres aux dames, -assises sur une «pente rapide en gazon». C'est une «pente de huit ou -dix pieds où toutes ces dames étaient assises, On riait, on buvait du -ratafia de Teisseire (Grenoble), les verres manquant, dans des dessus -de tabatière d'écaillé». Plus haut est l'arbre M dans la fourche duquel -fut placé Beyle, en O; tout près est un ruisseau, le long duquel il -s'enfuit.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_278" id="Note_15_278"></a><a href="#NoteRef_15_278"><span class="label">[15]</span></a> ... <i>revenant d'émigration à Turin.</i>—En tête du fol. 17 on lit: -«18 décembre 1835. Froid; jambe gauche gelée.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_279" id="Note_16_279"></a><a href="#NoteRef_16_279"><span class="label">[16]</span></a> <i>Que dirai-je d'un voyage à la Grotte?</i>—Au verso du fol. 17 est -un plan des environs des Échelles. La grotte y est figurée, avec son -entrée sur la «route de Chambéry», non loin des «roches énormes coupées -par Philibert-Emmanuel» et de la «coupure dans le roc par Napoléon». -Y sont figurés l' «ancienne route» des Échelles, la «nouvelle route -que je n'ai jamais vue, faite vers 1810», et le sentier conduisant, au -«pont Jean-Lioud, à 100 pieds ou 80 au-dessus du torrent».—Au verso du -fol. 18 est encore un plan du défilé de Chailles; Stendhal y a indiqué -la situation de «Corbaron, domaine de M. de Corbeau». Dessous est un -«détail des Portes de Chailles»: «là sont quatre diocèses».</p> - -<p>Le pont Jean-Lioud, que Stendhal orthographie Janliou, est jeté -sur le Guiers-Mort, lequel avait son cours entièrement en France. -C'est le Guiers-Vif qui servait de frontière entre la France et la -Savoie.—Actuellement, le pont Jean-Lioud est une passerelle en bois, -utilisée par le charmant chemin qui va d'Entre-deux-Guiers à Villette, -près Saint-Laurent-du-Pont.]</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_280" id="Note_17_280"></a><a href="#NoteRef_17_280"><span class="label">[17]</span></a> ... <i>elle eût fait de moi un jésuite.</i>—Ms.: «<i>Tejé.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_281" id="Note_18_281"></a><a href="#NoteRef_18_281"><span class="label">[18]</span></a> <i> ...les Pairs ...</i>—Ms.: «<i>Sraip.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_19_282" id="Note_19_282"></a><a href="#NoteRef_19_282"><span class="label">[19]</span></a> ... <i>tous les généraux Pairs ...</i>—Ms.: «<i>Sairp.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_20_283" id="Note_20_283"></a><a href="#NoteRef_20_283"><span class="label">[20]</span></a> ... <i>M. d'Houdetot ...</i>—Ms.: «<i>Detothou.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_21_284" id="Note_21_284"></a><a href="#NoteRef_21_284"><span class="label">[21]</span></a> ... <i>la truite de trois-quarts de livre ...</i>—Suit une -parenthèse comprenant trois ou quatre mots illisibles.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_22_285" id="Note_22_285"></a><a href="#NoteRef_22_285"><span class="label">[22]</span></a> <i>Quelle joie pour moi!</i>—Le chapitre est inachevé. On lit à la -fin: «A 4 h. 50 m., manque de jour; je m'arrête.»</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_XIV1" id="CHAPITRE_XIV1"></a>CHAPITRE XIV<a name="NoteRef_1_286" id="NoteRef_1_286"></a><a href="#Note_1_286" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<h4>MORT DU PAUVRE LAMBERT</h4> - - -<p>Je place ici, pour ne pas le perdre, un dessin<a name="NoteRef_2_287" id="NoteRef_2_287"></a><a href="#Note_2_287" class="fnanchor">[2]</a> dont j'ai orné -ce matin une lettre que j'écris à mon ami R. Colomb, qui à son âge, -en homme prudent, a été mordu du chien de la Métromanie, ce qui l'a -porté à me faire des reproches parce que j'ai écrit une préface pour la -nouvelle édition de de Brosses; or, lui aussi avait fait une préface. -Cette carte est faite pour répondre à Colomb, qui dit que je vais le -mépriser.</p> - -<p>J'ajoute: s'il y a un autre monde, j'irai vénérer Montesquieu, il me -dira peut-être: «Mon pauvre ami, vous n'avez eu aucun talent dans -l'autre inonde.» J'en serai fâché, mais point surpris: l'œil ne se -voit pas lui-même.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_168" id="Page_168">[p. 168]</a></span></p> - -<p>Mais ma lettre à Colomb ne fera que blanchir tous les gens à argent; -quand ils sont arrivés au bien-être, ils se mettent à haïr les gens qui -ont été lus du public. Les commis des Affaires étrangères seraient bien -aises de me donner quelque petit déboire dans mon métier. Cette maladie -est plus maligne quand l'homme à argent, arrivé à cinquante ans, prend -la manie de se faire écrivain. C'est comme les généraux de l'Empire -qui, voyant, vers 1820, que la Restauration ne voulait pas d'eux, se -mirent à aimer <i>passionnément</i>, c'est-à-dire comme un <i>pis aller</i>, la -musique.</p> - -<hr /> - -<p>Revenons à 1794 ou 95. Je proteste de nouveau que je ne prétends pas -peindre les choses en elles-mêmes, mais seulement leur effet sur moi. -Comment ne serais-je pas persuadé de cette vérité par cette simple -observation: je ne me souviens pas de la physionomie de mes parents, -par exemple de mon excellent grand-père, que j'ai regardé si souvent et -avec toute l'affection dont un enfant ambitieux est capable.</p> - -<p>Comme, d'après le système barbare adopté par mon père et Séraphie, -je n'avais point d'ami ou de camarade de mon âge, ma <i>sociabilité</i> -(inclination à parler librement de tout) s'était divisée en deux -branches.</p> - -<p>Mon grand-père était mon camarade sérieux et respectable.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">[p. 169]</a></span></p> - -<p>Mon ami, auquel je disais tout, était un garçon fort intelligent, nommé -Lambert, valet de chambre de mon grand-père. Mes confidences ennuyaient -souvent Lambert et, quand je le serrais de trop près, il me donnait une -petite calotte bien sèche et proportionnée à mon âge. Je ne l'en aimais -que mieux. Son principal emploi, qui lui déplaisait fort, était d'aller -chercher des pêches à Saint-Vincent (près le Fontanil), domaine de mon -grand-père. Il y avait près de cette chaumière, que j'adorais, des -espaliers fort bien exposés qui produisaient des pêches magnifiques. -Il y avait des treilles qui produisaient d'excellent <i>lardan</i> (sorte -de chasselas, celui de Fontainebleau n'en est que la copie). Tout cela -arrivait à Grenoble dans deux paniers placés à l'extrémité d'un bâton -plat, et ce bâton se balançait sur l'épaule de Lambert, qui devait -faire ainsi<a name="NoteRef_3_288" id="NoteRef_3_288"></a><a href="#Note_3_288" class="fnanchor">[3]</a> les quatre milles qui séparent Saint-Vincent de -Grenoble.</p> - -<p>Lambert avait de l'ambition, il était mécontent de son sort; pour -l'améliorer, il entreprit d'élever des vers à soie, à l'exemple de ma -tante Séraphie, qui s'abîmait la poitrine en <i>faisant</i> des vers à soie -à Saint-Vincent. (Pendant ce temps je respirais, la maison de Grenoble, -dirigée par mon grand-père et la sage Elisabeth, devenait agréable -pour moi. Je me hasardais quelquefois à sortir sans l'indispensable -compagnie de Lambert.)</p> - -<p>Ce meilleur ami que j'eusse avait acheté un mûrier<span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">[p. 170]</a></span> (près de -Saint-Joseph), il élevait ses vers à soie dans la chambre de quelque -maîtresse.</p> - -<p>En <i>ramassant</i> (cueillant) lui-même les feuilles de ce mûrier, il -tomba, on nous le rapporta sur une échelle. Mon grand-père le soigna -comme un fils. Mais il y avait commotion au cerveau, la lumière ne -faisait plus d'impression sur ses pupilles, il mourut au bout de trois -jours. Il poussait dans le délire, qui ne le quitta jamais, des cris -lamentables qui me perçaient le cœur.</p> - -<p>Je connus la douleur pour la première fois de ma vie. Je pensai à la -mort.</p> - -<p>L'arrachement produit par la perte de ma mère avait été de la folie où -il entrait, à ce qui me semble, beaucoup d'amour. La douleur de la mort -de Lambert fut de la douleur comme je l'ai éprouvée tout le reste de -ma vie, une douleur réfléchie, sèche, sans larmes, sans consolation. -J'étais navré et sur le point de tomber (ce qui fut vertement blâmé par -Séraphie) en entrant dix fois le jour dans la chambre de mon ami dont -je regardais la belle figure, il était mourant et expirant.</p> - -<p>Je n'oublierai jamais ses beaux sourcils noirs et cet air de force et -de santé que son délire ne faisait qu'augmenter. Je le voyais saigner, -après chaque saignée je voyais tenter l'expérience de la lumière devant -les yeux (sensation qui me fut rappelée le soir de la bataille de -Landshut, je crois, 1809).</p> - -<p>J'ai vu une fois, en Italie, une figure de saint Jean<span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">[p. 171]</a></span> regardant -crucifier son ami et son Dieu qui, tout-à-coup, me saisit par le -souvenir de ce que j'avais éprouvé, vingt-cinq ans auparavant, à la -mort du <i>pauvre Lambert</i>, c'est le nom qu'il prit dans la famille après -sa mort. Je pourrais remplir encore cinq ou six pages de souvenirs -clairs qui me restent de cette grande douleur. On le cloua dans sa -bière, on l'emporta...</p> - -<p> -Sunt lacrimae rerum.<br /> -</p> - -<p>Le même côté de mon cœur est ému par certains accompagnements de Mozart -dans <i>Don Juan.</i></p> - -<hr /> - -<p>La chambre du pauvre Lambert était située sur le grand escalier, à côté -de l'armoire aux liqueurs<a name="NoteRef_4_289" id="NoteRef_4_289"></a><a href="#Note_4_289" class="fnanchor">[4]</a>.</p> - -<p>Huit jours après sa mort, Séraphie se mit fort justement en colère -parce qu'on lui servit je ne sais quel potage (à Grenoble: <i>soupe</i>) -dans une petite écuelle de faïence ébréchée, que je vois encore -(quarante ans après l'événement), et qui avait servi à recevoir le sang -de Lambert pendant une des saignées. Je fondis en larmes tout-à-coup, -au point d'avoir des sanglots qui m'étouffaient. Je n'avais jamais pu -pleurer à la mort de ma mère. Je ne commençai à pouvoir pleurer que -plus d'un an après, seul, pendant la nuit, dans mon lit. Séraphie, en -me voyant pleurer Lambert, me fit une scène. Je m'en allai à la cuisine -en répétant à demi-voix et comme pour me venger: infâme! infâme!</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_172" id="Page_172">[p. 172]</a></span></p> - -<p>Mes plus doux épanchements avec mon ami avaient lieu pendant qu'il -travaillait à scier le bois au bûcher<a name="NoteRef_5_290" id="NoteRef_5_290"></a><a href="#Note_5_290" class="fnanchor">[5]</a>, séparé de la cour, en C, -par une cloison à jours, formée de montants de noyer façonnés au tour, -comme une balustrade de jardin<a name="NoteRef_6_291" id="NoteRef_6_291"></a><a href="#Note_6_291" class="fnanchor">[6]</a>.</p> - -<p>Après sa mort, je me plaçais dans la galerie, au second étage de -laquelle j'apercevais parfaitement les montants de la balustrade, qui -me semblaient superbes pour faire des toupies. Quel âge pouvais-je -avoir alors? Cette idée de toupie indique du moins l'âge de ma raison. -Je pense à une chose, je puis faire rechercher l'extrait mortuaire du -pauvre Lambert, mais <i>Lambert</i> était-il un nom de baptême ou de maison? -Il me semble que son frère, qui tenait un petit café de mauvais ton, -rue de Bonne, près de la caserne, s'appelait aussi Lambert. Mais quelle -différence, grand Dieu! Je trouvais alors qu'il n'y avait rien de si -commun que ce frère, chez lequel Lambert me conduisait quelquefois. -Car, il faut l'avouer, malgré mes opinions parfaitement et foncièrement -républicaines<a name="NoteRef_7_292" id="NoteRef_7_292"></a><a href="#Note_7_292" class="fnanchor">[7]</a> mes parents m'avaient parfaitement communiqué -leurs goûts aristocratiques et réservés. Ce défaut m'est resté et par -exemple m'a empêché, il n'y a pas dix jours, de cueillir une bonne -fortune. J'abhorre la canaille (pour avoir des communications avec), -en même temps que sous le nom de <i>peuple</i> je désire passionnément son -bonheur, et que je crois qu'on ne peut le procurer qu'en lui faisant -des questions sur un objet important, c'est-à-dire<span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">[p. 173]</a></span> en l'appelant à se -nommer des députés.</p> - -<p>Mes amis, ou plutôt prétendus amis, partent de là pour mettre en doute -mon sincère libéralisme. J'ai horreur de ce qui est sale, or le peuple -est toujours sale à mes yeux. Il n'y a qu'une exception pour Rome, -mais là la saleté est cachée par la férocité. (Par exemple, l'unique -saleté du petit abbé sarde Crobras; mais mon respect sans bornes pour -son énergie. Son procès de cinq ans avec ses chefs. <i>Ubi missa, ibi -menia.</i> Peu d'hommes sont de cette force. Les princes Caetani savent -parfaitement ces histoires de M. Crobras, de Sartène, je crois, en -Sardaigne<a name="NoteRef_8_293" id="NoteRef_8_293"></a><a href="#Note_8_293" class="fnanchor">[8]</a>.)</p> - -<p>Les .....<a name="NoteRef_9_294" id="NoteRef_9_294"></a><a href="#Note_9_294" class="fnanchor">[9]</a> que je me donnais au point H sont incroyables. C'était au -point de me faire éclater une veine. Je viens de me faire mal en les -<i>mimiquant</i> au moins quarante ans après. Qui se souvient de Lambert -aujourd'hui, autre que le cœur de son ami!</p> - -<p>J'irai plus loin, qui se souvient d'Alexandrine, morte en janvier 1815, -il y a vingt ans?</p> - -<p>Qui se souvient de Métilde, morte eu 1825? Ne sont-elles pas à moi, -moi qui les aime mieux que tout le reste du monde? Moi qui pense -passionnément à elles dix fois la semaine, et souvent deux heures de -suite<a name="NoteRef_10_295" id="NoteRef_10_295"></a><a href="#Note_10_295" class="fnanchor">[10]</a>?</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">[p. 174]</a><br /><a name="Page_175" id="Page_175">[p. 175]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_286" id="Note_1_286"></a><a href="#NoteRef_1_286"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XIV</i> est le chapitre XI du manuscrit (Bibl. de -Grenoble, R 299, fol. 211 à 225).—Écrit à Rome, le 15 décembre 1835.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_287" id="Note_2_287"></a><a href="#NoteRef_2_287"><span class="label">[2]</span></a> <i>Je place ici ... un dessin ...</i>—Ce dessin représente un -carrefour où aboutissent quatre voies. Au centre, au point A, -est le <i>moment de la naissance</i>; à droite, horizontalement, la -<i>route de la fortune par le commerce ou les places</i>; au milieu et -perpendiculairement, la <i>route de la considération: Félix Faure est -fait pair de France</i>; à gauche et obliquement, la <i>route de l'art de se -faire lire</i>; à gauche, horizontalement, la <i>route de la folie.</i></p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_288" id="Note_3_288"></a><a href="#NoteRef_3_288"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>Lambert, qui devait faire ainsi ...</i>—Variante: «<i>Qui -faisait ainsi.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_289" id="Note_4_289"></a><a href="#NoteRef_4_289"><span class="label">[4]</span></a> <i>La chambre du pauvre Lambert était située ...</i>—En face, est un -plan d'une partie de l'appartement. On y voit la chambre de Lambert, -voisine de la salle-à-manger, où se trouvait, dans un angle, l'armoire -aux liqueurs. Cette chambre avait une «fenêtre éclairant mal, donnant -sur l'escalier, mais fort grande et fort belle»; elle contenait une -«grande armoire de noyer pour le linge de la famille. Le linge était -regardé avec une sorte de respect». (Voir notre plan de l'appartement -Gagnon.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_290" id="Note_5_290"></a><a href="#NoteRef_5_290"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>scier le bois au bûchier ...</i>—Plan du bûcher indiquant sa -position au sud de la grande cour, près du grand escalier.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_291" id="Note_6_291"></a><a href="#NoteRef_6_291"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>séparé de la cour ...</i>—Plan de la cour, avec le bûcher et -la galerie. Stendhal y a joint des dessins représentant un chevalet -avec une bûche, la scie de Lambert et les balustres du bûcher.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_292" id="Note_7_292"></a><a href="#NoteRef_7_292"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>mes opinions parfaitement et foncièrement républicaines -...</i>—Ms.: «<i>Kainesrépubli.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_293" id="Note_8_293"></a><a href="#NoteRef_8_293"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>M. Crobras, de Sartène, je crois, en Sardaigne.</i>—Erreur: -Sartène est en Corse.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_294" id="Note_9_294"></a><a href="#NoteRef_9_294"><span class="label">[9]</span></a> <i>Les ... que je me donnais ...</i>—Deux mots illisibles. Stendhal -doit faire allusion ici à quelque grimace d'enfant. Dans un croquis -du fol. 221 il indique le point H dans la galerie du second étage, -qui longeait la grande cour de la maison Gagnon: «H, moi. De là, je -contemplais les barreaux de bois du bûcher et je me donnais des (<i>les -mêmes mots, toujours illisibles</i>) en portant le sang à la tête et -ouvrant la bouche.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_295" id="Note_10_295"></a><a href="#NoteRef_10_295"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>souvent deux heures de suite?</i>—On lit au verso du fol. -225: «Idée: Aller passer trois jours à Grenoble, et ne voir Crozet que -le troisième jour. Aller seul incognito à Claix, à la Bastille, à La -Tronche.»</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_XV1" id="CHAPITRE_XV1"></a>CHAPITRE XV<a name="NoteRef_1_296" id="NoteRef_1_296"></a><a href="#Note_1_296" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Ma mère avait eu un rare talent pour le dessin, disait-on souvent -dans la famille. «Hélas! que ne faisait-elle pas bien?» ajoutait-on -avec un profond soupir. Après quoi, silence triste et long. Le fait -est qu'avant la Révolution, qui changea tout dans ces provinces -reculées, on enseignait le dessin à Grenoble aussi ridiculement que le -latin. Dessiner, c'était faire avec de la sanguine des hachures bien -parallèles et imitant la gravure; on donnait peu d'attention au contour.</p> - -<p>Je trouvais souvent de grandes têtes à la sanguine dessinées par ma -mère.</p> - -<p>Mon grand-père allégua cet exemple, ce précédent tout-puissant, et -malgré Séraphie j'allai apprendre à dessiner chez M. Le Roy. Ce fut -un grand point<span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">[p. 176]</a></span> de gagné; comme M. <i>Le Roy</i> demeurait dans la maison -Teisseire, avant le grand portail des Jacobins<a name="NoteRef_2_297" id="NoteRef_2_297"></a><a href="#Note_2_297" class="fnanchor">[2]</a>, peu à peu on me -laissa aller seul chez lui et surtout revenir.</p> - -<p>Cela était immense pour moi. Mes tyrans, je les appelais ainsi en -voyant courir les autres enfants, souffraient que j'allasse seul de -P en R<a name="NoteRef_3_298" id="NoteRef_3_298"></a><a href="#Note_3_298" class="fnanchor">[3]</a>. Je compris qu'en allant fort vite, car on comptait les -minutes, et la fenêtre de Séraphie donnait précisément sur la place -Grenette, je pourrais faire un tour sur la place de la Halle, à -laquelle on arrivait par le portail L. Je n'étais exposé que pendant -le trajet de R en L. L'horloge de Saint-André, qui réglait la ville, -sonnait les quarts, je devais sortir à trois heures et demie ou quatre -heures (je ne me souviens pas bien lequel) de chez M. Le Roy et cinq -minutes après être rentré. M. Le Roy, ou plutôt madame Le Roy, une -diablesse de trente-cinq ans, fort piquante et avec des yeux charmants, -était spécialement chargée sous menace, je pense, de perdre un élève -payant bien, de ne me laisser sortir<a name="NoteRef_4_299" id="NoteRef_4_299"></a><a href="#Note_4_299" class="fnanchor">[4]</a> qu'à trois heures et quart. -Quelquefois, en montant, je m'arrêtais des quarts d'heure entiers, -regardant par la fenêtre de l'escalier, en F, sans autre plaisir que -de me sentir libre; dans ces rares moments, au lieu d'être employée -à calculer les démarches de mes tyrans, mon imagination se mettait à -jouir de tout.</p> - -<p>Ma grande affaire fut bientôt de deviner si Séraphie serait à la maison -à trois heures et demie, heure<span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">[p. 177]</a></span> de ma rentrée. Ma bonne amie Marion -(Marie Thomasset, de Vinay), servante de Molière et qui détestait -Séraphie, m'aidait beaucoup. Un jour que Marion m'avait dit que -Séraphie sortait après le café, vers trois heures, pour aller chez -sa bonne amie madame Vignon, <i>la boime</i><a name="NoteRef_5_300" id="NoteRef_5_300"></a><a href="#Note_5_300" class="fnanchor">[5]</a>, je me hasardai à aller -au Jardin-de-Ville (rempli de petits polissons gamins). Pour cela, -je traversai la place Grenette en passant derrière la baraque des -châtaignes et la pompe, et en me glissant par la voûte du jardin.</p> - -<p>Je fus aperçu, quelque ami ou protégé de Séraphie me trahit, scène -le soir devant les grands-parents. Je mentis, comme de juste, sur la -demande de Séraphie:</p> - -<p>«As-tu été au Jardin-de-Ville?»</p> - -<p>Là-dessus, mon grand-père me gronda doucement et poliment, mais -ferme, pour le mensonge. Je sentais vivement ce que je ne savais -exprimer. Mentir n'est-il pas la seule ressource des esclaves? Un vieux -domestique, successeur du pauvre Lambert, sorte de La Rancune, fidèle -exécuteur des ordres des parents et qui disait avec morosité en parlant -de soi: «Je suis assassineur (<i>sic</i>) de pots-de-chambre», fut chargé -de me conduire chez M. Le Roy. J'étais libre les jours où il allait à -Saint-Vincent chercher des fruits.</p> - -<p>Cette lueur de liberté me rendit furieux. «Que me feront-ils après -tout, me dis-je, où est l'enfant de mon âge qui ne va pas seul?»</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">[p. 178]</a></span></p> - -<p>Plusieurs fois j'allai au Jardin-de-Ville; si l'on s'en apercevait -on me grondait, mais je ne répondais pas. On menaça de supprimer le -maître de dessin, mais je continuai mes courses. Alléché par un peu de -liberté, j'étais devenu féroce. Mon père commençait à prendre sa grande -passion pour l'agriculture et il allait souvent à Claix<a name="NoteRef_6_301" id="NoteRef_6_301"></a><a href="#Note_6_301" class="fnanchor">[6]</a>. Je crus -m'apercevoir qu'en son absence je commençais à faire peur à Séraphie. -Ma tante Elisabeth, par fierté espagnole, n'ayant pas d'autorité -légitime, restait neutre; mon grand-père, d'après son caractère à la -Fontenelle, abhorrait les cris; Marion et ma sœur Pauline étaient -hautement pour moi. Séraphie passait pour folle aux yeux de bien des -gens, et par exemple aux yeux de nos cousines, mesdames Colomb et -Romagnier, femmes excellentes. (J'ai pu les apprécier après que j'ai -eu l'âge de raison et quelque expérience de la vie.) Dans ces temps-là -un mot de M<sup>me</sup> Colomb me faisait rentrer en moi-même, ce -qui me fait supposer qu'avec de la douceur on eût tout fait de moi, -probablement un <i>plat</i> Dauphinois bien <i>retors.</i> Je me mis à résister à -Séraphie, j'avais à mon tour des accès de colère abominables.</p> - -<p>«Tu n'iras plus chez M. Le Roy», disait-elle.</p> - -<p>Il me semble, en y pensant bien, qu'il y eut une victoire de Séraphie, -et par conséquent, interruption dans les leçons de dessin.</p> - -<p>La Terreur était si douce à Grenoble que mon père, de temps à autre, -allait habiter sa maison, rue des<span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">[p. 179]</a></span> Vieux-Jésuites. Là, je vois M. Le -Roy me donnant leçon sur le grand bureau<a name="NoteRef_7_302" id="NoteRef_7_302"></a><a href="#Note_7_302" class="fnanchor">[7]</a> noir du cabinet de mon -père<a name="NoteRef_8_303" id="NoteRef_8_303"></a><a href="#Note_8_303" class="fnanchor">[8]</a>, et me disant à la fin de la leçon:</p> - -<p>«Monsieur, dites à votre <i>cher</i> père que je ne puis plus venir pour -trente-cinq (ou quarante-cinq) francs par mois.»</p> - -<p>Il s'agissait d'assignats qui <i>dégringolaient</i> ferme (terme du pays). -Mais quelle date donner à cette image fort nette qui m'est revenue -tout-à-coup? Peut-être était-ce beaucoup plus tard, à l'époque où je -peignais à la gouache.</p> - -<p>Les dessins de M. Le Roy étaient ce qui m'importait le moins. Ce maître -me faisait faire<a name="NoteRef_9_304" id="NoteRef_9_304"></a><a href="#Note_9_304" class="fnanchor">[9]</a> des yeux de profil et de face, et des oreilles à -la sanguine d'après d'autres dessins gravés à la manière du crayon.</p> - -<p>M. Le Roy était un <i>Parisien</i> fort poli, sec et faible, vieilli par -le libertinage le plus excessif (telle est mon impression, mais -comment pouvais-je justifier ces mots: le plus excessif?), du reste -poli, civilisé comme on l'est à Paris, ce qui me faisait l'effet de: -excessivement poli, à moi accoutumé à l'air froid, mécontent, nullement -civilisé qui fait la physionomie ordinaire de ces Dauphinois si fins. -(Voir le caractère de Sorel père, dans le <i>Rouge</i>, mais où diable sera -le <i>Rouge</i> en 1880?—Il aura passé les sombres bords.)</p> - -<p>Un soir, à la nuit tombante, il faisait froid, j'eus l'audace de -m'échapper, apparemment en allant<span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">[p. 180]</a></span> rejoindre ma tante Elisabeth chez -madame Colomb; j'osai entrer à la Société des Jacobins, qui tenait -ses séances dans l'église de Saint-André. J'étais rempli des héros de -l'histoire romaine, je me voyais un jour un Camille ou un Cincinnatus, -ou tous les deux à la fois<a name="NoteRef_10_305" id="NoteRef_10_305"></a><a href="#Note_10_305" class="fnanchor">[10]</a>. Dieu sait à quelle peine je -m'expose, me disais-je, si quelque espion de Séraphie (c'est mon idée -d'alors) m'aperçoit ici? Le président était en P, des femmes mal mises -en F, moi en H<a name="NoteRef_11_306" id="NoteRef_11_306"></a><a href="#Note_11_306" class="fnanchor">[11]</a>.</p> - -<p>On demandait la parole et on parlait avec assez de désordre. Mon -grand-père se moquait habituellement, et <i>gaiement</i>, de leurs façons -de parler. Il me sembla sur-le-champ que mon grand-père avait raison, -l'impression fut peu favorable, je trouvai horriblement vulgaires ces -gens que j'aurais voulu aimer<a name="NoteRef_12_307" id="NoteRef_12_307"></a><a href="#Note_12_307" class="fnanchor">[12]</a>. Cette église étroite et haute -était fort mal éclairée, j'y trouvai beaucoup de femmes de la dernière -classe. En un mot, je fus alors comme aujourd'hui, j'aime le peuple, je -déteste les oppresseurs, mais ce serait pour moi un supplice de tous -les instants de vivre avec le peuple.</p> - -<p>J'emprunterai pour un instant<a name="NoteRef_13_308" id="NoteRef_13_308"></a><a href="#Note_13_308" class="fnanchor">[13]</a> la langue de Cabanis. J'ai la peau -beaucoup trop fine, une peau de femme (plus tard j'avais toujours des -ampoules après avoir tenu mon sabre pendant une heure), je m'écorche -les doigts, que j'ai fort bien, pour un rien, en un mot la superficie -de mon corps est de femme. De là peut-être une horreur incommensurable -pour ce qui a l'air <i>sale</i>, ou <i>humide</i>, ou <i>noirâtre.</i><span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">[p. 181]</a></span> Beaucoup de -ces choses se trouvaient aux Jacobins de Saint-André.</p> - -<p>En rentrant, une heure après, chez madame Colomb, ma tante au caractère -espagnol me regarda d'un air fort sérieux. Nous sortîmes: quand nous -fûmes seuls dans la rue, elle me dit:</p> - -<p>«Si tu t'échappes ainsi, ton père s'en apercevra...</p> - -<p>—Jamais de la vie, si Séraphie ne me dénonce pas.</p> - -<p>—Laisse-moi parler... Et je ne me soucie pas d'avoir à parler de toi -avec ton père. Je ne te mènerai plus chez M<sup>me</sup> Colomb.»</p> - -<p>Ces paroles, dites avec beaucoup de simplicité, me touchèrent; la -laideur des Jacobins m'avait frappé, je fus pensif le lendemain et -les jours suivants: mon idole était ébranlée. Si mon grand-père -avait deviné ma sensation, et je lui aurais tout dit s'il m'en eût -parlé au moment où nous arrosions les fleurs sur la terrasse, il -pouvait ridiculiser à jamais les Jacobins et me ramener au giron de -l'<i>Aristocratie</i> (ainsi nommée alors, aujourd'hui parti légitimiste -ou conservateur). Au lieu de diviniser les Jacobins, mon imagination -eut été employée à se figurer et à exagérer la saleté de leur salle de -Saint-André.</p> - -<p>Cette saleté laissée à elle-même fut bientôt effacée par quelque récit -de bataille gagnée qui faisait gémir ma famille.</p> - -<p>Vers cette époque, les arts s'emparaient de mon<span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">[p. 182]</a></span> imagination, par la -voie des sens, dirait un prédicateur. Il y avait dans l'atelier de M. -Le Roy un grand et beau paysage: une montagne rapide très voisine de -l'œil, garnie de grands arbres; au pied de cette montagne un ruisseau -peu profond, mais large, limpide, coulait de gauche à droite au pied -des derniers arbres. Là, trois femmes presque nues (ou sans presque) -se baignaient gaiement. C'était presque le seul point clair dans cette -toile de trois pieds et demi sur deux et demi.</p> - -<p>Ce paysage, d'une verdure charmante, trouvant une imagination préparée -par <i>Félicia</i>, devint pour moi l'idéal du bonheur. C'était un mélange -de sentiments tendres et de douce volupté. Se baigner ainsi avec des -femmes si aimables<a name="NoteRef_14_309" id="NoteRef_14_309"></a><a href="#Note_14_309" class="fnanchor">[14]</a>!</p> - -<p>L'eau était d'une limpidité qui faisait un beau contraste avec les -puants ruisseaux des <i>Granges</i>, remplis de grenouilles et recouverts -d'une pourriture verte. Je prenais la plante verte qui croît sur ces -sales ruisseaux pour une corruption. Si mon grand-père m'eût dit: « -C'est une plante, le moisi même qui gâte le pain est une plante», mon -horreur eût rapidement cessé. Je ne l'ai surmontée tout-à-fait qu'après -que M. Adrien de Jussieu, dans notre voyage à Naples (1832), (cet homme -si naturel, si sage, si raisonnable, si digne d'être aimé), m'eut parlé -au long de ces petites plantes, toujours un peu signes de pourriture à -mes yeux, quoique je susse vaguement que c'étaient des plantes.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">[p. 183]</a></span></p> - -<p>Je n'ai qu'un moyen d'empêcher mon imagination de me jouer des tours, -c'est de marcher droit à l'objet. Je vis bien cela en marchant sur les -deux pièces de canon (dont il est parlé dans le certificat du général -Michaud)<a name="NoteRef_15_310" id="NoteRef_15_310"></a><a href="#Note_15_310" class="fnanchor">[15]</a>.</p> - -<p>Plus tard, je veux dire vers 1805, à Marseille, j'eus le plaisir -délicieux de voir ma maîtresse, supérieurement bien faite, se baigner -dans l'Huveaune couronnée de grands arbres (dans la bastide de madame -Roy).</p> - -<p>Je me rappelai vivement le paysage de M. Le Roy, qui pendant quatre ou -cinq ans avait été pour moi l'idéal du bonheur voluptueux. J'aurais pu -m'écrier, comme je ne sais quel niais d'un des romans de 1832: <i>Voilà -mon idéal!</i></p> - -<p>Tout cela, comme on sent, est fort indépendant du mérite du paysage, -qui était probablement un plat d'épinards, sans perspective aérienne.</p> - -<p>Plus tard, le <i>Traité nul</i>, opéra de Gaveau, fut pour moi le -commencement de la passion qui s'est arrêtée au <i>Matrimonio segreto</i>, -rencontré à Ivrée (fin de mai 1800), et à <i>Don Juan.</i></p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">[p. 184]</a><br /><a name="Page_185" id="Page_185">[p. 185]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_296" id="Note_1_296"></a><a href="#NoteRef_1_296"><span class="label">[1]</span></a> <i>Chapitre XV.</i>—Comme les chapitres V et XIII, le présent -chapitre se trouve dans un cahier séparé côté R 300 à la bibliothèque -municipale de Grenoble, fol. I à 14. Stendhal a indiqué en tête de ce -chapitre, qu'il intitule «chapitre 13»: «A placer <i>after the death of -poor Lambert.»</i>—Écrit à Rome, le 17 décembre 1835; corrigé, à partir -du fol. 11, le 25 décembre.—On lit en tête du fol. I: «17 déc. 35. -Grand froid à la jambe gauche gelée.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_297" id="Note_2_297"></a><a href="#NoteRef_2_297"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>M.</i> Le Roy <i>demeurait dans la maison Teisseire, avant le -grand portail des Jacobins ...</i>—Aujourd'hui, place Grenette, no 5, -à l'angle de la rue de la République (autrefois rue de la Halle). -La voûte qui séparait la rue de la Halle de la place Grenette a été -démolie en 1908.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_298" id="Note_3_298"></a><a href="#NoteRef_3_298"><span class="label">[3]</span></a> <i>Mes tyrans ... souffraient que j'allasse seul de P en R ...</i>—Au -verso du fol. 2 est un plan des environs de la place Grenette. On y -voit les «portes de la maison de M. Gagnon (il me semble jurer quand je -dis: M. Gagnon).»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_299" id="Note_4_299"></a><a href="#NoteRef_4_299"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>de ne me laisser sortir ...</i>—Variante: «<i>De ne me lâcher.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_300" id="Note_5_300"></a><a href="#NoteRef_5_300"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>la boime ...</i>—Terme dauphinois, que Stendhal définit ainsi: -«<i>Boime</i> à Grenoble veut dire hypocrite, doucereuse, jésuite-femelle.» -(Voir plus loin, chapitre XVII.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_301" id="Note_6_301"></a><a href="#NoteRef_6_301"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>il allait souvent à Claix.</i>—En face, au verso du fol. 5, -est une carte grossière de la campagne située au midi de Grenoble, -avec les chemins suivis pour aller à Claix et au hameau de Furonières, -où se trouvait la propriété des Beyle. Stendhal ajoute en note: «Pour -aller à Claix, c'est-à-dire à Furonières, nous prenions le chemin -Meney par O F, le Cours (appelé le <i>Course</i>)[cours de Saint-André], -le pont de Claix et les chemins R et R', quelquefois le chemin E du -Moulin-de-Canel et le bac de Seyssins. Mon ami Crozet y a fait un pont -en fil de fer vers 1826.»—Louis Crozet fut inspecteur divisionnaire -des Ponts et Chaussées; il exerça les fonctions de maire de Grenoble -entre 1853 et 1858.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_302" id="Note_7_302"></a><a href="#NoteRef_7_302"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>sur le grand bureau ...</i>—Variante: «<i>Table.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_303" id="Note_8_303"></a><a href="#NoteRef_8_303"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>cabinet de mon père ...</i>—Un plan des situations respectives -des personnages accompagne le récit.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_304" id="Note_9_304"></a><a href="#NoteRef_9_304"><span class="label">[9]</span></a> <i>Ce maître me faisait faire ...</i>—Variante: «<i>M. Le Roy me -faisait faire ...</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_305" id="Note_10_305"></a><a href="#NoteRef_10_305"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>tous les deux à la fois.</i>—Variante: «<i>En même temps.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_306" id="Note_11_306"></a><a href="#NoteRef_11_306"><span class="label">[11]</span></a> ... <i>des femmes mal mises en F, moi en H.</i>—En face du fol. -8 (verso du fol. 7) est un plan de l'église Saint-André et de ses -abords, et notamment, dans la Grande-rue, la «maison où habitaient -M<sup>mes</sup> Colomb et Romagnier.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_307" id="Note_12_307"></a><a href="#NoteRef_12_307"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>ces gens que j'aurais voulu aimer.</i>—On lit en haut du fol. -9: «17 décembre 1835.—Je souffre du froid devant mon feu, à deux pieds -et demi du foyer, grand froid <i>for</i> Omar.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_308" id="Note_13_308"></a><a href="#NoteRef_13_308"><span class="label">[13]</span></a> <i>J'emprunterai pour un instant la langue de Cabanis.</i>—On lit -fol. 8 V°: «Style. Ces mots: <i>pour un instant</i>, je les eusse effacés en -1830, mais en 35 je regrette de ne pas en trouver de semblables dans le -<i>Rouge.</i> 25 décembre 1835.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_309" id="Note_14_309"></a><a href="#NoteRef_14_309"><span class="label">[14]</span></a> <i>Se baigner ainsi avec des femmes si aimables!</i>—On trouve en -tête du fol. 13 un dessin schématique du «Paysage de M. Le Roy», et au -verso du fol. 12 un plan de l'atelier.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_310" id="Note_15_310"></a><a href="#NoteRef_15_310"><span class="label">[15]</span></a> <i> ...(dont il est parle dans le certificat du général -Michaud).</i>—«M. Colomb doit avoir ce certificat,» (Note de Stendhal.) -«Oui,» a ajouté au crayon R. Colomb.</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_XVI1" id="CHAPITRE_XVI1"></a>CHAPITRE XVI<a name="NoteRef_1_311" id="NoteRef_1_311"></a><a href="#Note_1_311" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Je travaillais sur une petite table au point P<a name="NoteRef_2_312" id="NoteRef_2_312"></a><a href="#Note_2_312" class="fnanchor">[2]</a>, près de la seconde -fenêtre du grand salon à l'italienne, je traduisais avec plaisir -Virgile ou les Métamorphoses d'Ovide, quand un sombre murmure d'un -peuple immense, rassemblé sur la place Grenette, m'apprit qu'on venait -de guillotiner deux prêtres<a name="NoteRef_3_313" id="NoteRef_3_313"></a><a href="#Note_3_313" class="fnanchor">[3]</a>.</p> - -<p>C'est le seul sang que la Terreur de 93 ait fait couler à Grenoble.</p> - -<p>Voici un de mes grands torts: mon lecteur de 1880, éloigné de la fureur -et du sérieux des partis, me prendra en grippe quand je lui avouerai -que cette mort, qui glaçait d'horreur mon grand-père, qui rendait -Séraphie furibonde, qui redoublait le<span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">[p. 186]</a></span> silence hautain et espagnol de -ma tante Elisabeth, me fit <i>pleasure.</i> Voilà le grand mot écrit.</p> - -<p>Il y a plus, il y a bien pis, j'aime encore <i>in</i> 1835 <i>the man of</i> 1794.</p> - -<p>(Voici encore un moyen d'accrocher une date véritable. Le registre du -tribunal criminel, actuellement Cour royale, place Saint-André, doit -donner la date de la mort de MM. Revenas et Guillabert<a name="NoteRef_4_314" id="NoteRef_4_314"></a><a href="#Note_4_314" class="fnanchor">[4]</a>.)</p> - -<p>Mon confesseur, M. Dumolard, du Bourg-d'Oisans<a name="NoteRef_5_315" id="NoteRef_5_315"></a><a href="#Note_5_315" class="fnanchor">[5]</a>, (prêtre borgne et -assez bonhomme en apparence, depuis 1815 jésuite furieux<a name="NoteRef_6_316" id="NoteRef_6_316"></a><a href="#Note_6_316" class="fnanchor">[6]</a>), me -montra, avec des gestes qui me semblèrent ridicules, des prières ou des -vers latins écrits par MM. Revenas et Guillabert, qu'il voulait à toute -force me faire considérer comme généraux de brigade.</p> - -<p>Je lui répondis fièrement:</p> - -<p>«Mon bon papa (grand-père) m'a dit qu'il y a vingt ans on pendit à la -même place deux ministres protestants.</p> - -<p>—Ah! c'est bien différent!</p> - -<p>—Le Parlement condamna les deux premiers pour leur religion, le -tribunal civil criminel vient de condamner ceux-ci pour avoir trahi la -patrie.»</p> - -<p>Si ce ne sont les mots, c'est du moins le sens.</p> - -<p>Mais je ne savais pas encore que discuter avec les tyrans est -dangereux, on devait lire dans mes yeux mon peu de sympathie pour deux -traîtres à la patrie. (Il n'y avait pas en 1795 et il n'y a pas à mes<span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">[p. 187]</a></span> -yeux, en 1835, de crime seulement <i>comparable.</i>)</p> - -<p>On me fit une querelle abominable, mon père se mit contre moi dans une -des plus grandes colères dont j'aie souvenance. Séraphie triomphait. Ma -tante Elisabeth me fit la morale en particulier. Mais je crois, Dieu me -pardonne, que je la convainquis que c'était la peine du talion.</p> - -<p>Heureusement pour moi, mon grand-père ne se joignit pas à mes ennemis, -en particulier il fut tout-à-fait d'avis que la mort des deux ministres -protestants était aussi condamnable.</p> - -<p>«C'est petit: sous le <i>tyran</i> Louis XV la patrie n'était pas en -danger.»</p> - -<p>Je ne dis pas tyran, mais ma physionomie devait le dire.</p> - -<p>Si mon grand-père, qui déjà avait été contre moi dans la bataille abbé -Gardon, se fût montré de même dans cette affaire, c'en était fait -<a name="NoteRef_7_317" id="NoteRef_7_317"></a><a href="#Note_7_317" class="fnanchor">[7]</a>, je ne l'aimais plus. Nos conversations sur la belle littérature, -Horace, M. de Voltaire, le chapitre XV de Bélisaire, les beaux endroits -de Télémaque, Séthos, qui ont formé mon esprit, eussent cessé et -j'eusse été bien plus malheureux dans tout le temps qui s'écoula de -la mort des deux malheureux prêtres à ma passion exclusive pour les -mathématiques: printemps ou été 1797.</p> - -<p>Tous les après-midi d'hiver se passaient, les jambes au soleil, dans -la chambre de ma tante Elisabeth, qui donnait sur la Grenette au point -A<a name="NoteRef_8_318" id="NoteRef_8_318"></a><a href="#Note_8_318" class="fnanchor">[8]</a>. Par-dessus<span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">[p. 188]</a></span> l'église de Saint-Louis ou à côté, pour mieux dire, -on voyait le trapèze T de la montagne du Villard-de-Lans<a name="NoteRef_9_319" id="NoteRef_9_319"></a><a href="#Note_9_319" class="fnanchor">[9]</a>. Là -était mon imagination, dirigée<a name="NoteRef_10_320" id="NoteRef_10_320"></a><a href="#Note_10_320" class="fnanchor">[10]</a> par l'Arioste de M. de Tressan, -elle ne voyait, rêvait qu'un pré au milieu de hautes montagnes. Mon -griffonnage d'alors ressemblait beaucoup à l'écriture ci-jointe de mon -illustre compatriote<a name="NoteRef_11_321" id="NoteRef_11_321"></a><a href="#Note_11_321" class="fnanchor">[11]</a>.</p> - -<p>Mon grand-père avait coutume de dire en prenant son excellent café, sur -les deux heures après-midi, les jambes au soleil: «Dès le 15 février, -<i>dans ce climat</i>, il fait <i>bon</i> au soleil.»</p> - -<p>Il aimait beaucoup les idées géologiques et aurait été un partisan -ou un adversaire des soulèvements de M. Elie de Beaumont, qui -m'enchantent. Mon grand-père me parlait <i>avec passion</i>, c'est là -l'essentiel, des idées géologiques d'un M. Guettard<a name="NoteRef_12_322" id="NoteRef_12_322"></a><a href="#Note_12_322" class="fnanchor">[12]</a>, qu'il avait -connu, <i>ce me semble.</i></p> - -<p>Je remarquai avec ma sœur Pauline, qui était de mon parti, que la -conversation dans le plus beau moment de la journée, en prenant le -café, consistait toujours en gémissements. On gémissait de tout.</p> - -<p>Je ne puis pas donner la réalité des faits, je n'en puis présenter que -<i>l'ombre.</i></p> - -<p>Nous passions les soirées d'été, de sept à neuf et demie (à neuf -heures, le sein ou saint<a name="NoteRef_13_323" id="NoteRef_13_323"></a><a href="#Note_13_323" class="fnanchor">[13]</a> sonnait à Saint-André, les beaux sons -de cette cloche me donnaient une vive émotion). Mon père, peu sensible -à la beauté des étoiles (je parlais sans cesse constellations avec mon -grand-père), disait qu'il<span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">[p. 189]</a></span> s'enrhumait et allait faire la conversation -dans la chambre attenante avec Séraphie.</p> - -<p>Cette terrasse, formée par l'épaisseur d'un mur nommé Sarrasin<a name="NoteRef_14_324" id="NoteRef_14_324"></a><a href="#Note_14_324" class="fnanchor">[14]</a>, -mur qui avait quinze ou dix-huit pieds, avait une vue magnifique sur -la montagne de Sassenage; là, le soleil se couchait en hiver; sur -le rocher<a name="NoteRef_15_325" id="NoteRef_15_325"></a><a href="#Note_15_325" class="fnanchor">[15]</a> de Voreppe, coucher d'été, et au nord-ouest de la -Bastille, donc la montagne (maintenant transformée par le général Haxo) -s'élevait au-dessus de toutes les maisons et sur la tour de Rabot, qui -fut, ce me semble, l'ancienne entrée de la ville avant qu'on eût coupé -le rocher de la Porte-de-France<a name="NoteRef_16_326" id="NoteRef_16_326"></a><a href="#Note_16_326" class="fnanchor">[16]</a>.</p> - -<hr /> - -<p>Mon grand-père fit beaucoup de dépenses pour cette terrasse. Le -menuisier Poncet vint s'établir pendant un an dans le cabinet -d'histoire naturelle, dont il fit les armoires en bois blanc; il fit -ensuite des caisses de dix-huit pouces de large et deux pieds de haut, -en châtaignier, remplies de bonne terre, de vigne et de fleurs. Deux -ceps montaient du jardin de M. Périer-Lagrange, bon imbécile, notre -voisin.</p> - -<p>Mon grand-père avait fait établir des portiques en liteaux de -châtaignier. Ce fut un grand travail dont fut chargé un menuisier nommé -Poncet, bon ivrogne de trente ans assez gai. Il devint mon ami, car -enfin avec lui je trouvais la douce égalité.</p> - -<p>Mon grand-père arrosait ses fleurs tous les jours,<span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">[p. 190]</a></span> plutôt deux fois -qu'une; Séraphie ne venait jamais sur cette terrasse, c'était un moment -de répit. J'aidais toujours mon grand-père à arroser les fleurs, et il -me parlait de Linné et de Pline, non pas par devoir, mais avec plaisir.</p> - -<p>Voilà la grande et extrême obligation que j'ai à cet excellent homme. -Par surcroît de bonheur, il se moquait fort des pédants (les Lerminier, -les Salvandy, les...<a name="NoteRef_17_327" id="NoteRef_17_327"></a><a href="#Note_17_327" class="fnanchor">[17]</a> d'aujourd'hui), il avait un esprit dans -le genre de M. Letronne, qui vient de détrôner Memnon<a name="NoteRef_18_328" id="NoteRef_18_328"></a><a href="#Note_18_328" class="fnanchor">[18]</a> (ni plus -ni moins que la statue de Memnon). Mon grand-père me parlait avec le -même intérêt de l'Egypte, il me fit voir la momie achetée, par son -influence, pour la bibliothèque publique; là, l'excellent Père Ducros -(le premier homme supérieur auquel j'ai parlé dans ma vie) eut mille -complaisances pour moi. Mon grand-père, fort blâmé par Séraphie appuyée -du silence de mon père, me fit lire <i>Séthos</i> (lourd roman de l'abbé -Terrasson), alors divin pour moi. Un roman est comme un archet, la -caisse du violon qui <i>rend les sons</i>, c'est l'âme du lecteur. Mon âme -alors était folle, et je vais dire pourquoi. Pendant que mon grand-père -lisait, assis dans un fauteuil en D<a name="NoteRef_19_329" id="NoteRef_19_329"></a><a href="#Note_19_329" class="fnanchor">[19]</a>, vis-à-vis le petit buste -de Voltaire en V, je regardais sa bibliothèque placée en B, j'ouvrais -les volumes in-4° de Pline, traduction avec texte en regard. Là je -cherchais surtout l'histoire naturelle de <i>la femme.</i></p> - -<p>L'odeur excellente, c'était de l'ambre ou du musc<span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">[p. 191]</a></span> (qui me font malade -depuis seize ans, c'est peut-être la même odeur ambre et musc), enfin -je fus attiré vers un tas de livres brochés jetés confusément en L. -C'étaient de mauvais romans non reliés que mon oncle avait laissés -à Grenoble lors de son départ pour s'établir aux Échelles (Savoie, -près le Pont-de-Beauvoisin). Cette découverte fut décisive pour mon -caractère. J'ouvris quelques-uns de ces livres, c'étaient de plats -romans de 1780, mais pour moi c'était l'essence de la volupté.</p> - -<p>Mon grand-père me défendit d'y toucher, mais j'épiais le moment où -il était le plus occupé dans son fauteuil à lire les livres nouveaux -dont, je ne sais comment, il avait toujours grande abondance, et je -volais un volume des romans de mon oncle. Mon grand-père s'aperçut -sans doute de mes larcins, car je me vois établi dans le cabinet -d'histoire naturelle, épiant que quelque malade vînt le demander. Dans -ces circonstances, mon grand-père gémissait de se voir enlevé à ses -chères études et allait recevoir le malade dans sa chambre ou dans -l'antichambre du grand appartement. Crac! je passais dans le cabinet -d'études, en L, et je volais un volume.</p> - -<p>Je ne saurais exprimer la passion avec laquelle je lisais ces livres. -Au bout d'un mois ou deux, je trouvai <i>Félicia ou mes fredaines.</i> Je -devins fou absolument, la possession d'une maîtresse réelle, alors -l'objet de tous mes vœux, ne m'eût pas plongé dans un tel torrent de -volupté.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">[p. 192]</a></span></p> - -<p>Dès ce moment, ma vocation fut décidée: vivre à Paris en faisant des -comédies, comme Molière.</p> - -<p>Ce fut là mon idée fixe, que je cachai sous une dissimulation profonde, -la tyrannie de Séraphie m'avait donné les habitudes d'un esclave.</p> - -<p>Je n'ai jamais pu parler de ce que j'adorais, un tel discours m'eût -semblé un blasphème.</p> - -<p>Je sens cela aussi vivement en 1835 que je le sentais en 1794.</p> - -<p>Ces livres de mon oncle portaient l'adresse de M. Falcon<a name="NoteRef_20_330" id="NoteRef_20_330"></a><a href="#Note_20_330" class="fnanchor">[20]</a>, qui -tenait alors l'unique cabinet littéraire; c'était un chaud patriote, -profondément méprisé par mon grand-père et parfaitement haï par -Séraphie et mon père.</p> - -<p>Je me mis par conséquent à l'aimer, c'est peut-être le Grenoblois que -j'ai le plus estimé. Il y avait dans cet ancien laquais de madame de -Brizon (ou d'une autre dame de la rue Neuve, chez laquelle<a name="NoteRef_21_331" id="NoteRef_21_331"></a><a href="#Note_21_331" class="fnanchor">[21]</a> mon -grand-père avait été servi à table par lui), il y avait dans ce laquais -une âme vingt fois plus noble que celle de mon grand-père, de mon -oncle, je ne parlerai pas de mon père et du jésuite Séraphie. Peut-être -ma seule tante Elisabeth lui était-elle comparable. Pauvre, gagnant -peu et dédaignant de gagner de l'argent, Falcon plaçait un drapeau -tricolore en dehors de sa boutique à chaque victoire des armées et les -jours de fête de la République.</p> - -<p>Il a adoré cette République du temps de Napoléon comme sous les -Bourbons, et est mort à quatre-vingt-deux<span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">[p. 193]</a></span> ans, vers 1820, toujours -pauvre, mais honnête jusqu'à la plus extrême délicatesse.</p> - -<p>En passant, je lorgnais la boutique de Falcon, qui avait un grand -toupet à l'œil au royal, parfaitement poudré, et arborait un bel habit -rouge à grands boutons d'acier, la mode d'alors, les jours heureux -pour sa chère République. C'est le plus bel échantillon<a name="NoteRef_22_332" id="NoteRef_22_332"></a><a href="#Note_22_332" class="fnanchor">[22]</a> du -caractère dauphinois. Sa boutique était vers la place Saint-André, je -me rappelle son déménagement. Falcon vint occuper la boutique A<a name="NoteRef_23_333" id="NoteRef_23_333"></a><a href="#Note_23_333" class="fnanchor">[23]</a>, -dans l'ancien Palais des Dauphins, où siégeait le Parlement et ensuite -la Cour royale. Je passais exprès sous le passage B pour le voir. Il -avait une fille fort laide, le sujet ordinaire des plaisanteries de ma -tante Séraphie, qui l'accusait de faire l'amour avec les patriotes qui -venaient lire les journaux dans le cabinet littéraire de son père.</p> - -<p>Plus tard, Falcon s'établit en A'. Alors j'avais la hardiesse d'aller -lire chez lui. Je ne sais pas si, dans le temps où je volais les livres -de mon oncle, j'eus la hardiesse de m'abonner chez lui; il me semble -que, d'une façon quelconque, j'avais de ses livres.</p> - -<p>Mes rêveries furent dirigées puissamment par <i>la Vie et les aventures -de Mme de <sup>* * *</sup></i><a name="NoteRef_24_334" id="NoteRef_24_334"></a><a href="#Note_24_334" class="fnanchor">[24]</a>, roman extrêmement touchant, -peut-être fort ridicule, car l'héroïne était prise par les sauvages. -Je prêtai, ce me semble, ce roman à mon ami Romain Colomb, qui encore -aujourd'hui en a gardé le souvenir.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">[p. 194]</a></span></p> - -<p>Bientôt je me procurai la <i>Nouvelle-Héloïse</i>, je crois que je la pris -au rayon le plus élevé de la bibliothèque de mon père, à Claix.</p> - -<p>Je la lus couché sur mon lit dans mon <i>trapèze</i><a name="NoteRef_25_335" id="NoteRef_25_335"></a><a href="#Note_25_335" class="fnanchor">[25]</a> à Grenoble, -après avoir eu soin de m'enfermer à clef, et dans des transports de -bonheur et de volupté impossibles à décrire. Aujourd'hui, cet ouvrage -me semble pédantesque et, même en 1819, dans les transports de l'amour -le plus fou, je ne pus pas en lire vingt pages de suite. Dès lors, -voler des livres devint ma grande affaire.</p> - -<p>J'avais un coin à côté du bureau de mon père; rue des Vieux-Jésuites, -où je déposais, à demi cachés par leur humble position, les livres qui -me plaisaient; c'étaient des exemplaires du Dante avec des gravures sur -bois bizarres, des traductions de Lucien par Perrot d'Ablancourt (les -belles infidèles), la correspondance de milord <i>All-eye</i> avec milord -<i>All-ear</i>, du marquis d'Argens, et enfin les <i>Mémoires d'un homme de -qualité retiré du monde.</i></p> - -<p>Je trouvai moyen de me faire ouvrir le cabinet de mon père, qui -était désert depuis la fatale tyrannie Amar et Merlinot, et je -passai une revue exacte de tous les livres. Il avait une superbe -collection d'Elzévirs, mais malheureusement je ne comprenais rien au -latin, quoique sachant par cœur le <i>Selectae e profanis.</i> Je trouvai -quelques livres in-12 au-dessus de la petite porte communiquant au -salon, et j'essayai de lire quelques articles de l'Encyclopédie.<span class="pagenum"><a name="Page_195" id="Page_195">[p. 195]</a></span> -Mais qu'était-ce que tout cela à côté de <i>Félicia</i> et de la -<i>Nouvelle-Héloïse?</i></p> - -<hr /> - -<p>Ma confiance littéraire en mon grand-père était extrême, je comptais -bien qu'il ne me trahirait pas envers Séraphie et mon père. Sans avouer -que j'avais lu la <i>Nouvelle-Héloïse</i>, j'osai lui en parler avec éloge. -Sa conversion au jésuitisme<a name="NoteRef_26_336" id="NoteRef_26_336"></a><a href="#Note_26_336" class="fnanchor">[26]</a> ne devait pas être ancienne, au -lieu de m'interroger avec sévérité il me raconta que M. le baron des -Adrets (le seul des amis chez qui il eût continué à dîner deux ou trois -fois par mois, depuis la mort de ma mère), dans le temps que parut la -<i>Nouvelle-Héloïse</i> (n'est-ce pas 1770<a name="NoteRef_27_337" id="NoteRef_27_337"></a><a href="#Note_27_337" class="fnanchor">[27]</a>?), se fît attendre un jour -à dîner chez lui; Mme des Adrets le fit avertir une seconde fois, enfin -cet homme si froid arriva tout en larmes.</p> - -<p>«Qu'avez-vous donc, mon ami? lui dit Mme des Adrets, tout alarmée.</p> - -<p>—Ah! Madame, Julie est morte! » Et il ne mangea presque pas.</p> - -<p>Je dévorais les annonces de livres à vendre qui arrivaient avec les -journaux. Mes parents recevaient alors, ce me semble, un journal en -société avec quelqu'un.</p> - -<p>J'allai m'imaginer que Florian devait être un livre sublime, -apparemment d'après les titres: <i>Gonsalve de Cordoue, Estelle</i>, etc.</p> - -<p>Je mis un petit écu (3 francs) dans une lettre et j'écrivis à un -libraire de Paris de m'envoyer un<span class="pagenum"><a name="Page_196" id="Page_196">[p. 196]</a></span> certain ouvrage de Florian. C'était -hardi, qu'eût dit Séraphie à l'arrivée du paquet?</p> - -<p>Mais enfin il n'arriva jamais, et avec un louis que mon grand-père -m'avait donné le jour de l'an j'achetai un Florian. Ce fut des œuvres -de ce grand homme que je tirai ma première comédie<a name="NoteRef_28_338" id="NoteRef_28_338"></a><a href="#Note_28_338" class="fnanchor">[28]</a>.</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">[p. 197]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_311" id="Note_1_311"></a><a href="#NoteRef_1_311"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XVI</i> est le chapitre XII du manuscrit (R 299, fol. -226 à 248).—Écrit à Rome, les 15 et 16 décembre 1835.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_312" id="Note_2_312"></a><a href="#NoteRef_2_312"><span class="label">[2]</span></a> <i>Je travaillais sur uns petite table au point P ...</i>—Un fol. -226 <i>bis</i> est rempli par un plan d'une partie de l'appartement Gagnon, -avec le «grand salon à l'Italienne». (Voir notre plan de l'appartement -Gagnon.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_313" id="Note_3_313"></a><a href="#NoteRef_3_313"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>m'apprit qu'on venait de guillotiner deux -prêtres.</i>—Variante: «<i>Deux généraux de brigade.</i>» Voir l'explication -de ce terme donnée plus loin par l'abbé Dumolard au jeune Henri.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_314" id="Note_4_314"></a><a href="#NoteRef_4_314"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>date de la mort de MM. Revenus et Guillabert</i>—Les abbés -Revenas et Guillabert furent guillotinés le 26 juin 1794. (Voir A. -Prudhomme, <i>Histoire de Grenoble</i>, p. 645.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_315" id="Note_5_315"></a><a href="#NoteRef_5_315"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>M. Dumolard, du Bourg-d'Oisans ...</i>—L'abbé Dumolard était -curé de La Tronche, près Grenoble.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_316" id="Note_6_316"></a><a href="#NoteRef_6_316"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>depuis</i> 1815, <i>jésuite furieux ...</i>—Ms:«<i>Tejé.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_317" id="Note_7_317"></a><a href="#NoteRef_7_317"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>c'en était fait ...</i>—Ici une croix et un blanc d'une -demi-ligne.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_318" id="Note_8_318"></a><a href="#NoteRef_8_318"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>qui donnait sur la Grenette au point A.</i>—Plan de la place -Grenette, avec en A la chambre d'Elisabeth Gagnon, à l'extrémité Nord -de l'appartement (voir notre plan). En B, à l'angle de la place et -de la Grande-rue, «salle-à-manger du premier étage, occupé par mon -grand-père avant notre passage à la maison de Marnais».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_319" id="Note_9_319"></a><a href="#NoteRef_9_319"><span class="label">[9]</span></a> ... <i>le trapèze T de la montagne du Villard-de-Lans.</i>—Croquis -indiquant le trapèze formé, en haut par la crête de la montagne, et -sur les trois autres cités par l'église Saint-Louis et les toits des -maisons. La crête de la montagne, ainsi limitée, correspond à l'arête -des montagnes de Lans, entre le Moucherotte et le col de l'Arc.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_320" id="Note_10_320"></a><a href="#NoteRef_10_320"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>mon imagination, dirigée ...</i>—Variante: «<i>Formée.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_321" id="Note_11_321"></a><a href="#NoteRef_11_321"><span class="label">[11]</span></a> ... <i>l'écriture ci-jointe de mon illustre compatriote.</i>—Avec -le manuscrit est relié (après les fol. 99 et 231) un fac-similé -lithographique de l'écriture de Barnave. Ce fac-similé porte les -légendes suivantes: «Extrait d'un album de Barnave ... L'original de -cet écrit, tracé par Barnave en 1792, nous a été communiqué par MM<sup>mes</sup> -ses sœurs.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_322" id="Note_12_322"></a><a href="#NoteRef_12_322"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>M. Guettard.—</i>Guettard (1715-1786), minéralogiste -grenoblois, a laissé un ouvrage intitulé: <i>Mémoires sur la minéralogie -du Dauphiné</i> (Paris, 1779, deux vol. in-4°).</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_323" id="Note_13_323"></a><a href="#NoteRef_13_323"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>le sein ou saint ...</i>—Le <i>sing</i> (de <i>signum</i>, signal) -annonçait aux habitants de Grenoble la fermeture des portes de la -ville; cette coutume fut conservée jusqu'en 1877, quoique depuis 1864 -on ne fermât plus les portes de l'enceinte.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_324" id="Note_14_324"></a><a href="#NoteRef_14_324"><span class="label">[14]</span></a> <i>Cette terrasse, formée par l'épaisseur d'un mur nommé Sarrasin -...</i>—Ce mur, qui porte encore aujourd'hui le nom de <i>mur sarrasin</i>, -est en réalité le mur de l'ancienne enceinte romaine de Grenoble. Il -n'en reste plus qu'un vestige: la terrasse dont parle Stendhal, et qui -se prolonge à travers toute la maison presque jusqu'à la Grande-rue. -(Voir notre plan de l'appartement Gagnon.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_325" id="Note_15_325"></a><a href="#NoteRef_15_325"><span class="label">[15]</span></a> ... <i>sur le rocher de Voreppe ...</i>—Stendhal a oublié un mot; -nous le rétablissons d'après le sens du contexte.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_326" id="Note_16_326"></a><a href="#NoteRef_16_326"><span class="label">[16]</span></a> ... <i>l'ancienne entrée de la ville avant qu'on eût coupé le -rocher de la Porte-de-France.</i>—La route qui passe au pied du rocher de -Rabot date de la construction de la Porte-de-France par Lesdiguières en -1620. Avant cette date, on arrivait en effet à Grenoble par la tour de -Rabot et la rue ou «montée» de Chalemont, et la «montée» du Rabot. -</p> -<p> -En face du fol. 234, Stendhal a figuré la terrasse, avec l'emplacement -du «cabinet en losanges de châtaignier avec forme d'architecture de -mauvais goût, à la Bernin». Y est également figuré le cabinet d'été -de M. Gagnon; dans le cabinet voisin, «où s'établit Poncet», est -indiqué le «banc de menuisier à côté duquel je passais ma vie». Dans le -lointain est figurée la silhouette de la «montagne de Sassenage», avec -la position du soleil à son coucher en juin et en décembre.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_327" id="Note_17_327"></a><a href="#NoteRef_17_327"><span class="label">[17]</span></a> <i> ...(les Lerminier, les Salvandy, les ...</i>—Le nom est en blanc -dans le manuscrit.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_328" id="Note_18_328"></a><a href="#NoteRef_18_328"><span class="label">[18]</span></a> ... <i>dans le genre de M. Letronne, qui vient de détrôner Memnon -...</i>—Jean-Antoine Letronne, célèbre archéologue français (1787-1848), -était en 1835 directeur de la Bibliothèque royale. Il avait publié en -1833 un mémoire sur <i>la Statue vocale de Memnon.</i></p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_19_329" id="Note_19_329"></a><a href="#NoteRef_19_329"><span class="label">[19]</span></a> <i>Pendant que mon grand-père lisait, assis dans un fauteuil en D -...</i>—Plan du cabinet de M. Gagnon. Le fauteuil du grand-père de Beyle -était placé devant la cheminée, où se trouvait le buste de Voltaire; -derrière lui était la bibliothèque et dans un coin, en L, le tas des -livres brochés laissés par Romain Gagnon.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_20_330" id="Note_20_330"></a><a href="#NoteRef_20_330"><span class="label">[20]</span></a> <i>Ces livres de mon oncle portaient l'adresse de M. Falcon -...</i>—Le libraire Falcon (1753-1830) prit une part très active au -mouvement révolutionnaire. Il fut secrétaire, puis président (22 -juillet-18 août 1794) de la Société populaire, qui se réunissait -dans l'église Saint-André. La boutique de Falcon servait de lieu de -réunion aux patriotes exaltés, si bien que le 24 thermidor an III -(11 août 1795) le Conseil général de la commune de Grenoble prit une -délibération pour interdire à «ceux qui ont participé aux horreurs -commises sous la tyrannie de se rendre dans la boutique de Falcon et -le café Dumas et dans tout autre lieu public, à peine de huit jours de -détention et même de plus grande peine, s'il y échoit ...» Il était en -outre enjoint à Falcon «de tenir sa boutique fermée à six heures du -soir ..., sous les mêmes peines». (Archives municipales de Grenoble, LL -8, page 227.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_21_331" id="Note_21_331"></a><a href="#NoteRef_21_331"><span class="label">[21]</span></a> ... <i>une autre dame de la rue Neuve, chez laquelle ...</i>—Ms.: -«<i>Lequel.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_22_332" id="Note_22_332"></a><a href="#NoteRef_22_332"><span class="label">[22]</span></a> <i>C'est le plus bel échantillon ...</i>—Variante: «<i>Exemple.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_23_333" id="Note_23_333"></a><a href="#NoteRef_23_333"><span class="label">[23]</span></a> <i>Falcon vint occuper la boutique A ...</i>—Plan de la place -Saint-André, avec la situation, en A, de la première boutique de -Falcon, à l'angle du passage du Palais, B, «avec têtes en relief, comme -à Florence» (ces têtes sont actuellement au Musée de Grenoble, mais -des copies ornent encore, à leur ancienne place, l'entrée du Palais de -Justice). En A', près de la «salle de spectacle», est l'emplacement de -la seconde boutique de Falcon.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_24_334" id="Note_24_334"></a><a href="#NoteRef_24_334"><span class="label">[24]</span></a> ... <i>la Vie et les aventures de Mme de<sup>***</sup> ...</i>—Voici -le titre: <i>Vie, faiblesses et repentir d'une femme.</i> J'en ai un -exemplaire, mis en très mauvais état par l'humidité. (Note au crayon de -Romain Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_25_335" id="Note_25_335"></a><a href="#NoteRef_25_335"><span class="label">[25]</span></a> <i>Je la lus couché sur mon lit dans mon trapèze ...</i>—Voir notre -plan de l'appartement de Henri Gagnon.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_26_336" id="Note_26_336"></a><a href="#NoteRef_26_336"><span class="label">[26]</span></a> <i>Sa conversion au jésuitisme ...</i>—Ms.: «<i>Tismejésui.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_27_337" id="Note_27_337"></a><a href="#NoteRef_27_337"><span class="label">[27]</span></a> ... <i>dans le temps que parut la</i> Nouvelle Héloïse (<i>n'est-ce -pas</i> 1770?) ...—La <i>Nouvelle-Héloïse</i> parut en 1761.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_28_338" id="Note_28_338"></a><a href="#NoteRef_28_338"><span class="label">[28]</span></a> —On lit sur l'avant-dernier feuillet du premier volume: «27 -décembre 1835. Lacenaire aussi écrit ses Mémoires. On en dit brûlé un -volume dans l'incendie de la rue du Pont-de-Fer.» Le dernier feuillet -contient une table. Elle se termine ainsi: «Je laisse les chapitre XIII -et XIV pour les augmentations à faire à ces premiers temps. J'ai 40 -pages écrites à insérer. Le volume 2 commence par le chapitre XV.—Book -commencé <i>the twenty third of november</i> 35, il y a 31 <i>days.</i>»</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_XVII1" id="CHAPITRE_XVII1"></a>CHAPITRE XVII<a name="NoteRef_1_339" id="NoteRef_1_339"></a><a href="#Note_1_339" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Séraphie avait fait son amie intime d'une certaine madame Vignon, la -première <i>boime</i> de la ville<a name="NoteRef_2_340" id="NoteRef_2_340"></a><a href="#Note_2_340" class="fnanchor">[2]</a>. (<i>Boime</i>, à Grenoble, veut dire -hypocrite doucereuse, jésuite femelle.) M<sup>me</sup> Vignon demeurait -au troisième étage, place Saint-André, et était femme d'un procureur, -je crois, mais respectée comme une mère de l'Eglise, plaçant les -prêtres et en ayant toujours chez elle de passage. Ce qui me touchait, -c'est qu'elle avait une fille de quinze ans qui ressemblait assez à un -lapin blanc, dont elle avait les yeux gros et rouges. J'essayai, mais -en vain, d'en devenir amoureux pendant un voyage d'une semaine ou deux -que nous finies à Claix. Là, mon père ne se<span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">[p. 198]</a></span> cachait nullement et a -toujours habité sa maison, la plus belle du canton.</p> - -<p>A ce voyage il y avait Séraphie, M<sup>me</sup> et M<sup>lle</sup> -Vignon, ma sœur Pauline, moi, et peut-être un M. Blanc, de Seyssins, -personnage ridicule qui admirait beaucoup les jambes nues de Séraphie. -Elle sortait jambes nues, sans bas, le malin, dans le <i>clos.</i></p> - -<p>J'étais tellement emporté par le diable<a name="NoteRef_3_341" id="NoteRef_3_341"></a><a href="#Note_3_341" class="fnanchor">[3]</a> que les jambes de ma plus -cruelle ennemie me firent impression. Volontiers j'eusse été amoureux -de Séraphie. Je me figurais un plaisir délicieux à serrer<a name="NoteRef_4_342" id="NoteRef_4_342"></a><a href="#Note_4_342" class="fnanchor">[4]</a> dans -mes bras cette ennemie acharnée.</p> - -<p>Malgré sa qualité de demoiselle à marier, elle fit ouvrir une grande -porte condamnée qui, de sa chambre, donnait sur l'escalier de la place -Grenette, et à la suite d'une scène abominable, dans laquelle je -vois encore sa figure, fit faire une clef. Apparemment, son père lui -refusait celle de cette porte<a name="NoteRef_5_343" id="NoteRef_5_343"></a><a href="#Note_5_343" class="fnanchor">[5]</a>.</p> - -<p>Elle introduisait ses amies par cette porte, en entre autres cette -M<sup>me</sup> Vignon, Tartufe femelle, qui avait des oraisons -particulières pour les saints, et que mon bon grand-père eut eu en -horreur si son caractère à la Fontenelle lui eût permis: 1° de sentir -l'horreur;—2° de l'exprimer.</p> - -<p>Mon grand-père employait son grand juron contre cette madame Vignon: Le -Diable te crache au cul!</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">[p. 199]</a></span></p> - -<p>Mon père se cachait toujours à Grenoble, c'est-à-dire qu'il habitait -<a name="NoteRef_6_344" id="NoteRef_6_344"></a><a href="#Note_6_344" class="fnanchor">[6]</a> chez mon grand-père et ne sortait pas de jour. La passion -politique ne dura que dix-huit mois. Je me vois allant de sa part -chez Allier, libraire, place Saint-André, avec cinquante francs en -assignats, pour acheter la Chimie de Fourcroy, qui le conduisit à la -passion pour l'agriculture. Je conçois bien la naissance de ce goût: il -ne pouvait promener qu'à Claix.</p> - -<p>Mais tout cela ne fut-il pas causé par ses amours avec Séraphie, si -amour y a? Je ne puis voir la physionomie des choses, je n'ai que -ma mémoire d'enfant. Je vois des images, je me souviens des effets -sur mon cœur, mais pour les causes et la physionomie, néant. C'est -toujours comme les fresques du [Campo-Santo]<a name="NoteRef_7_345" id="NoteRef_7_345"></a><a href="#Note_7_345" class="fnanchor">[7]</a> de Pise, où l'on -aperçoit fort bien un bras, et le morceau d'à côté, qui représentait la -tête, est tombé. Je vois une suite d'images <i>fort nettes</i>, mais sans -physionomie autre que celle qu'elles eurent à mon égard. Bien plus, -je ne vois cette physionomie que par le souvenir de l'effet qu'elle -produisit sur moi<a name="NoteRef_8_346" id="NoteRef_8_346"></a><a href="#Note_8_346" class="fnanchor">[8]</a>.</p> - -<hr /> - -<p>Mon père éprouva bientôt une sensation digne du cœur d'un tyran. -J'avais une grive privée qui se tenait ordinairement sous les chaises -de la salle-à-manger. Elle avait perdu un pied à la bataille et -marchait en sautant. Elle se défendait contre les chats, chiens, et -tout le monde la protégeait, ce qui<span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">[p. 200]</a></span> était fort obligeant pour moi, -car elle remplissait le plancher de taches blanches peu propres. Je -nourrissais cette grive d'une façon peu propre, avec les <i>chaplepans</i> -<a name="NoteRef_9_347" id="NoteRef_9_347"></a><a href="#Note_9_347" class="fnanchor">[9]</a> noyés dans la <i>benne</i> de la cuisine (cafards noyés dans le seau -de l'eau sale de la cuisine).</p> - -<p>Sévèrement séparé de tout être de mon âge, ne vivant qu'avec des vieux, -cet enfantillage avait du charme pour moi.</p> - -<hr /> - -<p>Tout-à-coup, la grive disparut, personne ne voulut me dire comment: -quelqu'un, par inadvertance, l'avait écrasée en ouvrant une porte. Je -crus que mon père l'avait tuée par méchanceté; il le sut, cette idée -lui fit peine, un jour il m'en parla en termes fort indirects et fort -délicats.</p> - -<p>Je fus sublime, je rougis jusqu'au blanc des yeux, mais je n'ouvris pas -la bouche. Il me pressa de répondre, même silence; mais les yeux, que -j'avais fort expressifs à cet âge, devaient parler.</p> - -<p>Me voilà vengé, tyran, de l'air doux et paternel avec lequel tu m'as -forcé tant de fois d'aller à cette détestable promenade des <i>Granges</i>, -au milieu des champs arrosés avec les <i>voitures de minuit</i> (poudrette -de la ville).</p> - -<p>Pendant plus d'un mois je fus fier de cette vengeance; j'aime cela dans -un enfant<a name="NoteRef_10_348" id="NoteRef_10_348"></a><a href="#Note_10_348" class="fnanchor">[10]</a>.</p> - -<p>La passion de mon père pour son domaine de Claix et pour l'agriculture -devenait extrême. Il<span class="pagenum"><a name="Page_201" id="Page_201">[p. 201]</a></span> faisait faire de grandes <i>réparations</i>, -amendements, par exemple <i>miner</i> le terrain, le défoncer à deux pieds -et demi de profondeur et emporter dans un coin du champ toutes les -pierres plus grosses qu'un œuf. Jean Vial, notre ancien jardinier, -Charrière, Mayousse, le vieux ...<a name="NoteRef_11_349" id="NoteRef_11_349"></a><a href="#Note_11_349" class="fnanchor">[11]</a>, ancien soldat, exécutaient -ces travaux par <i>prix faits</i>, par exemple vingt écus (soixante francs) -pour miner une tière, espace de terre compris entre deux rangées de -hautaies ou bien d'érables porteurs de vignes.</p> - -<p>Mon père planta les grandes Barres, ensuite la Jomate, où il arracha la -vigne basse. Il obtint par échange de l'hôpital (qui l'avait eue, ce me -semble, par le testament d'un M. Gutin, marchand de draps) la vigne du -Molard (entre le verger et notre Molard à nous), il l'arracha, la mina -en enterrant le <i>Murger</i> (tas de pierres de sept à dix pieds de haut), -et enfin la planta.</p> - -<p>Il m'entretenait longuement de tous ces projets, il était devenu un -vrai <i>propriétaire du Midi.</i></p> - -<p>C'est un genre de folie qui se rencontre souvent au midi de Lyon et -de Tours; cette manie consiste à acheter des champs qui rendent un ou -deux pour cent, à retirer, pour cela faire, de l'argent prêté au cinq -ou six, et quelquefois à emprunter au cinq pour <i>s'arrondir</i>, c'est -le mot, en achetant des champs qui rapportent le deux. Un ministre de -l'Intérieur qui se douterait de son métier entreprendrait une mission -contre cette manie qui détruit l'aisance et<span class="pagenum"><a name="Page_202" id="Page_202">[p. 202]</a></span> toute la partie du bonheur -qui tient à l'argent, dans les vingt départements au midi de Tours et -de Lyon.</p> - -<p>Mon père fut un exemple mémorable de cette manie, qui a sa source à la -fois dans l'avarice, l'orgueil et la manie nobiliaire<a name="NoteRef_12_350" id="NoteRef_12_350"></a><a href="#Note_12_350" class="fnanchor">[12]</a>.</p> -<hr class="r5" /> -<div class="figcenter" style="width: 500px;"> -<a id="stend004"></a> -<img src="images/stend004.jpg" width="500" alt="" /> -<p class="caption">DEUX CHAPITRES SUR LA MÊME PAGE-DÉBUT DES CHAP. XVIII ET -XIX (<i>Bibl. mun. de Grenoble: ms R 299. t. II, fol. 260<sup>bis</sup></i>)</p></div> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_203" id="Page_203">[p. 203]</a></span></p> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_339" id="Note_1_339"></a><a href="#NoteRef_1_339"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XVII</i> est le chapitre XV de Stendhal (fol. 249 à -258).—Écrit à Rome, les 16, 17 et 25 décembre 1835.—Avec ce chapitre -commence le second volume du manuscrit.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_340" id="Note_2_340"></a><a href="#NoteRef_2_340"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>la première</i> boime <i>de la ville.</i>—On lit en tête du fol. -249 <i>bis</i>: «16 déc. 1835.—Envoyé la fin du chapitre XII.—Laisser le -n° 249 à cette page et aller jusqu'à 1.000.—Faire suivre aussi les -numéros des chapitres.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_341" id="Note_3_341"></a><a href="#NoteRef_3_341"><span class="label">[3]</span></a> <i>J'étais tellement emporté par le diable ...</i>—Variante: «<i>Par -l'âge.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_342" id="Note_4_342"></a><a href="#NoteRef_4_342"><span class="label">[4]</span></a> <i>Je me figurais un plaisir délicieux à serrer ...</i>—Variante: -«<i>Tenir.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_343" id="Note_5_343"></a><a href="#NoteRef_5_343"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>son père lui refusait celle de cette porte.</i>—En face, au -verso du fol. 250, plan d'une partie de l'appartement Gagnon, avec la -«chambre de Séraphie» et la porte sur l'escalier de la place Grenette. -A côté, dans la «chambre de ma tante Elisabeth», «la famille au -soleil». A l'angle de la Grande-rue et de la place Grenette, en «O, -logement de mon oncle, au second étage, avant son mariage». Sur ce -plan sont également indiquées les rues voisines: rue des Clercs, «ici -logeaient Mably et Condillac»; rue du Département (aujourd'hui rue -Diodore-Rahoult), au point «G', là je m'élevai à 7 avec M<sup>r</sup> -Galice»; place Saint-André, où sont indiquées les maisons de -M<sup>me</sup> Vignon et de Falcon. (Voir nos plans de l'appartement -Gagnon et de Grenoble en 1793.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_344" id="Note_6_344"></a><a href="#NoteRef_6_344"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>il habitait ...</i>—Variante: «<i>Logeait.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_345" id="Note_7_345"></a><a href="#NoteRef_7_345"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>les fresques du Campo-Santo ...</i>—Le nom a été laissé en -blanc dans le manuscrit.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_346" id="Note_8_346"></a><a href="#NoteRef_8_346"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>l'effet quelle produisit sur moi.</i>—On lit dans la marge: -«Mettre un mot des promenades forcées aux Granges.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_347" id="Note_9_347"></a><a href="#NoteRef_9_347"><span class="label">[9]</span></a> ... <i>avec les</i> chaplepans ...—Ce mot signifie, en patois du -Dauphiné, gâcheur de pain (de <i>chapla</i>, briser en petits morceaux, et -<i>pan</i>, pain).</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_348" id="Note_10_348"></a><a href="#NoteRef_10_348"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>j'aime cela dans un enfant.</i>—On lit au verso du fol. 254: -«20 décembre 1835, faits à placer en leur temps, mis ici pour ne pas -l'oublier: inspecteur du mobilier de la Couronne, comment, 1811.—Après -l'objection de l'Empereur, je devins inspecteur du mobilier au moyen de -mon acte de naissance, 2° du certificat Michaud, 3° de l'addition de -nom. La faute est de ne pas avoir mis: Brulard de la Jomate (la Jomate -étant à <i>nous.</i>) M. de Bor (Baure) était un magistrat parfaitement -sage et poli de la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle; il aimait ce qui -était honnête et droit, et n'aurait commis une mauvaise action qu'à la -dernière nécessité et à son corps défendant. Du reste, de l'esprit, -disert, bien disant, possédant une grande connaissance des auteurs, ami -particulier de M. le colonel de Beaussac et de M. de Villaret, évêque -(de l' (<i>un mot illisible</i>)), grand, maigre, digne, avec de petits yeux -malins et un nez infini; il me fut un excellent et très digne archer. -Il souffrait pour de l'argent ce que je n'aurais souffert pour rien, -d'être vilipendé par M. le comte Daru, dont il était le secrétaire -général. Ce fut lui qui, pour obliger M. Petit (car moi, avec mon -étourderie et mes idées de haute et franche vertu, je devais le choquer -vingt fois par jour), moyenne toute ma nomination après l'objection de -l'Empereur. Mourut à Amsterdam le ... septembre ou novembre 1811.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_349" id="Note_11_349"></a><a href="#NoteRef_11_349"><span class="label">[11]</span></a> ... <i>Charrière, Mayousse, le vieux ...</i>—Le nom est en blanc -dans le manuscrit.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_350" id="Note_12_350"></a><a href="#NoteRef_12_350"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>cette manie, qui a sa source à la fois dans l'avarice, -l'orgueil et la manie nobiliaire.</i>—Variante: «<i>Cette manie, qui tient -à la fois à l'avarice, à l'argent et à la manie nobiliaire.</i>»</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_XVIII1" id="CHAPITRE_XVIII1"></a>CHAPITRE XVIII<a name="NoteRef_1_351" id="NoteRef_1_351"></a><a href="#Note_1_351" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<h4>LA PREMIÈRE COMMUNION</h4> - - -<p>Cette manie, qui a fini par ruiner radicalement mon père et par me -réduire, pour tout potage, à mon tiers de la dot de ma mère, me procura -beaucoup de bien-être vers 1794<a name="NoteRef_2_352" id="NoteRef_2_352"></a><a href="#Note_2_352" class="fnanchor">[2]</a>.</p> - -<p>Mais avant d'aller plus loin, il faut dépêcher l'histoire de ma -première communion antérieure, ce me semble, au 21 juillet 1794<a name="NoteRef_3_353" id="NoteRef_3_353"></a><a href="#Note_3_353" class="fnanchor">[3]</a>.</p> - -<p>Ce fut un pr[être]<a name="NoteRef_4_354" id="NoteRef_4_354"></a><a href="#Note_4_354" class="fnanchor">[4]</a> infiniment moins coquin que l'abbé Raillane, -il faut l'avouer, qui fut chargé de cette grande opération de ma -première communion, à laquelle mon père, fort dévot dans ce temps-là, -attachait la plus grande importance. Le jésuitisme de l'abbé Raillane -faisait peur même à mon<span class="pagenum"><a name="Page_204" id="Page_204">[p. 204]</a></span> père; c'est ainsi que M. Coissi a fait peur, -ici même, au jésuite<a name="NoteRef_5_355" id="NoteRef_5_355"></a><a href="#Note_5_355" class="fnanchor">[5]</a>.</p> - -<p>Ce bon prêtre, si bonhomme en apparence, s'appelait Dumolard et était -un paysan rempli de simplesse et né dans les environs de la Matheysine -ou de La Mure, près le Bourg d'Oisans. Depuis, il est devenu un grand -jésuite<a name="NoteRef_6_356" id="NoteRef_6_356"></a><a href="#Note_6_356" class="fnanchor">[6]</a> et a obtenu la charmante cure de La Tronche, à dix -minutes de Grenoble. (C'est comme la sous-préfecture de Sceaux pour -un sous-préfet, âme damnée des ministres ou qui épouse une de leurs -bâtardes.)</p> - -<p>Dans ce temps-là, M. Dumolard était tellement bonhomme que je pus lui -prêter une petite édition italienne de l'Arioste en quatre volumes -in-18. Peut-être pourtant ne la lui ai-je prêtée qu'en 1803.</p> - -<p>La figure de M. Dumolard n'était pas mal, à cela près d'un œil qui -était toujours fermé; il était borgne, puisqu'il faut le dire, mais -ses traits étaient bien et exprimaient non seulement la bonhomie, -mais, ce qui est bien plus ridicule, une franchise gaie et parfaite. -Réellement il n'était pas coquin en ce temps-là, et pour ainsi dire, en -y réfléchissant, ma pénétration de douze ans, exercée par une solitude -complète, fut complètement trompée, car depuis il a été un des plus -profonds jésuites<a name="NoteRef_7_357" id="NoteRef_7_357"></a><a href="#Note_7_357" class="fnanchor">[7]</a> de la ville, et d'ailleurs son excellentissime -cure, à portée des dévotes de la ville, <i>jure pour lui</i> et contre ma -niaiserie de douze ans.</p> - -<p>M. le Premier Président de Barrai, l'homme le plus<span class="pagenum"><a name="Page_205" id="Page_205">[p. 205]</a></span> indulgent et le -mieux élevé, me dit vers 1816, je crois, en me promenant dans son -magnifique jardin de La Tronche, qui touchait la cure:</p> - -<p>«Ce Dumolard est un des plus fieffés co[quins] de la troupe.</p> - -<p>—Et M. Raillane? lui dis-je.</p> - -<p>—Oh! le Raillane les passe tous. Comment M. votre père avait-il pu -choisir un tel homme?</p> - -<p>—Ma foi, je l'ignore, je fus victime et non pas complice.»</p> - -<p>Depuis deux ou trois ans, M. Dumolard disait la messe souvent chez -nous, dans le salon à l'italienne de mon grand-père. La Terreur, -qui jamais ne fut Terreur en Dauphiné, ne s'aperçut jamais que -quatre-vingts ou cent dévotes sortaient de chez mon grand-père tous les -dimanches, à midi. J'ai oublié de dire que tout petit on me faisait -servir ces messes<a name="NoteRef_8_358" id="NoteRef_8_358"></a><a href="#Note_8_358" class="fnanchor">[8]</a>, et je ne m'en acquittais que trop bien. J'avais -un air très décent et très sérieux. Toute ma vie les cérémonies -religieuses m'ont extrêmement ému. J'avais longtemps servi la messe de -ce coquin d'abbé Raillane, qui allait la dire à la Propagation, au bout -de la rue Saint-Jacques, à gauche; c'était un couvent et nous disions -notre messe dans la tribune.</p> - -<p>Nous étions tellement enfants, Reytiers et moi, qu'un grand événement, -un jour, fut que Reytiers, apparemment par timidité, fit pipi pendant -la messe, que je servais, sur un prie-Dieu de sapin. Le<span class="pagenum"><a name="Page_206" id="Page_206">[p. 206]</a></span> pauvre diable -cherchait à absorber<a name="NoteRef_9_359" id="NoteRef_9_359"></a><a href="#Note_9_359" class="fnanchor">[9]</a> l'humidité produite à sa grande honte en -frottant son genou contre la planche horizontale du prie-Dieu. Ce fut -une grande scène. Nous entrions souvent chez les nonnes; l'une d'elles, -grande et bien faite, me plaisait beaucoup, on s'en aperçut sans doute, -car en ce genre j'ai toujours été un grand maladroit, et je ne la vis -plus. Une de mes remarques fut que madame l'abbesse avait une quantité -de points noirs au bout du nez; je trouvais cela horrible.</p> - -<p>Le Gouvernement était tombé dans l'abominable sottise de persécuter les -prêtres. Le bon sens de Grenoble et sa méfiance de Paris nous sauvèrent -de ce que cette sottise avait de trop âpre.</p> - -<p>Les prêtres se disaient bien persécutés, mais soixante dévotes -venaient, à onze heures du matin, entendre leur messe dans le salon de -mon grand-père. La police ne pouvait même faire semblant de l'ignorer. -La sortie de notre messe faisait foule dans la Grande-rue<a name="NoteRef_10_360" id="NoteRef_10_360"></a><a href="#Note_10_360" class="fnanchor">[10]</a>.</p> - -<hr class="chap" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_207" id="Page_207">[p. 207]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_351" id="Note_1_351"></a><a href="#NoteRef_1_351"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XVIII</i> est le chapitre XVI de Stendhal (fol. 260 -à 266; le fol. 259 est blanc).—La leçon que je donne de ce chapitre -ne suit pas d'une manière absolue l'ordre du manuscrit. Le premier -alinéa est suivi de cette observation de Stendhal: «Ici, ma première -communion.» Conformément à cette indication, j'ai inséré à cette place -le récit de la première communion, lequel, dans le manuscrit, se trouve -relié immédiatement avant, sans pagination. Le folio 260 <i>bis</i> a été -écrit le 25 décembre 1835, alors que «<i>la première communion</i>» est du -10 décembre. Ce dernier texte commence ainsi: «Ce qui me console un -peu de l'impertinence d'écrire tant de <i>je</i> et de <i>moi</i>, c'est que je -suppose que beaucoup de gens fort ordinaires de ce XIX<sup>e</sup> -siècle font comme moi. On sera donc inondé de Mémoires vers 1880 et -avec mes <i>je</i> et mes <i>moi</i>, je ne serai que comme tout le monde. M. de -Talleyrand, M. Molé, écrivent leurs Mémoires, M. Delécluze aussi.» J'ai -cru devoir alléger le récit de cet alinéa. -</p> -<p> -En tête du récit de sa première communion, Stendhal avait écrit: -«A placer après Amar et Merlinot. 10 décembre 1835, corrigé le 3 -janvier 1836.» Je n'ai pas suivi cette indication, qui déjà n'a pu -être respectée exactement dans l'édition Stryienski, et je me suis -conformé à la note de Stendhal indiquée ci-dessus, opinion justifiée -encore par ce fait que le fragment: «La première communion», est relié -immédiatement avant le fol. 260, c'est-à-dire à peu près à sa place -logique.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_352" id="Note_2_352"></a><a href="#NoteRef_2_352"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>me procura beaucoup de bien-être vers</i> 1794.—Le fol. 260 -<i>bis</i> est daté: «25 décembre 1835.» Il comprend le début du chapitre -XVIII et celui du chapitre suivant, que Stendhal a marqué dans la -marge par cette note: «Chapitre commençant à: «Mon père fut rayé.» Le -lecteur pourra se rendre compte de la méthode que j'ai adoptée dans -rétablissement du texte du commencement des chapitres XVIII et XIX, en -se reportant à la planche reproduisant le fol. 260 <i>bis.</i></p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_353" id="Note_3_353"></a><a href="#NoteRef_3_353"><span class="label">[3]</span></a> <i>Mais avant d'aller plus loin ...</i>—Ainsi que le lecteur -peut s'en rendre compte sur l'illustration, cet alinéa ne fait pas -immédiatement suite au précédent sur le manuscrit. Je l'ai cependant -placé ici, à cause du contexte, et parce qu'il fait une transition -voulue par Stendhal lui-même.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_354" id="Note_4_354"></a><a href="#NoteRef_4_354"><span class="label">[4]</span></a> <i>Ce fut un prêtre ...</i>—Le feuillet 261 et tous ceux qui -constituent désormais notre chapitre XVIII n'ont pas été numérotés par -Stendhal. Notre foliotation (261 à 266) est factice. Cette numérotation -ne nuit pas à la foliotation indiquée par Stendhal lui-même, car -l'auteur a laissé en blanc les feuillets compris entre les chiffres 261 -et 273. C'est ainsi que nous verrons le chapitre XIX commencer au fol. -260 <i>bis</i> pour continuer au fol. 274.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_355" id="Note_5_355"></a><a href="#NoteRef_5_355"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>a fait peur, ici même, au jésuite.</i>—Ms.: «<i>Tejê.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_356" id="Note_6_356"></a><a href="#NoteRef_6_356"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>devenu un grand jésuite ...</i>—Ms.: «<i>Tejê.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_357" id="Note_7_357"></a><a href="#NoteRef_7_357"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>un des plus profonds jésuites ...</i>—Ms.: «<i>Tejê.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_358" id="Note_8_358"></a><a href="#NoteRef_8_358"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>on me faisait servir ces messes ...</i>—A cette époque, je -servais une et quelquefois deux messes par jour, ce qui probablement -m'a empêché de me rappeler que l'auteur faisait la même besogne. (Note -au crayon de R. Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_359" id="Note_9_359"></a><a href="#NoteRef_9_359"><span class="label">[9]</span></a> <i>Le pauvre diable cherchait à absorber ...</i>—Variantes: -«<i>Consommer, essuyer.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_360" id="Note_10_360"></a><a href="#NoteRef_10_360"><span class="label">[10]</span></a> <i>La sortie de notre messe faisait foule dans la -Grande-rue.</i>—Suit un plan du quartier où était située la maison -Gagnon. On voit, sur la Grande-rue, en «A', porte par laquelle -sortaient les soixante ou quatre-vingts dévotes, vers les onze heures -et demie». -</p> -<p> -A la suite de ce chapitre est un fragment intitulé: «Encyclopédie du -XIX<sup>e</sup> siècle.» Stendhal l'a accompagné de cette note: «A -placer après ma <i>first</i> communion.» Ce fragment n'ayant rien de commun -avec le récit, nous l'avons rejeté en annexe.</p></div> - -<hr class="chap" /> - - -<h4><a name="CHAPITRE_XIX1" id="CHAPITRE_XIX1"></a>CHAPITRE XIX<a name="NoteRef_1_361" id="NoteRef_1_361"></a><a href="#Note_1_361" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Mon père fut rayé de la liste des suspects (ce qui, pendant vingt-et-un -mois, avait été l'objet unique de notre ambition) le 21 juillet 1794, à -l'aide des beaux yeux de ma jolie cousine Joséphine Martin.</p> - -<p>Il fit alors de longs séjours à Claix (c'est-à-dire à Furonières -<a name="NoteRef_2_362" id="NoteRef_2_362"></a><a href="#Note_2_362" class="fnanchor">[2]</a>). Mon indépendance prit naissance comme la liberté dans les -villes d'Italie vers le VIII<sup>e</sup> siècle<a name="NoteRef_3_363" id="NoteRef_3_363"></a><a href="#Note_3_363" class="fnanchor">[3]</a>, par la faiblesse -de mes tyrans.</p> - -<p>Pendant les absences de mon père, j'inventai d'aller travailler rue des -Vieux-Jésuites dans le salon de notre appartement, où, depuis quatre -ans, personne n'avait mis les pieds<a name="NoteRef_4_364" id="NoteRef_4_364"></a><a href="#Note_4_364" class="fnanchor">[4]</a>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_208" id="Page_208">[p. 208]</a></span></p> - -<p>Cette idée, fille du besoin du moment, comme toutes les inventions de -la mécanique, avait d'immenses avantages. D'abord, j'allais seul rue -des Vieux-Jésuites, à deux cents pas de la maison Gagnon; secondo, j'y -étais à l'abri des incursions de Séraphie qui, chez mon grand-père, -venait, quand elle avait le diable au corps plus qu'à l'ordinaire, -visiter mes livres et fourrager mes papiers.</p> - -<p>Tranquille dans le salon silencieux où était le beau meuble brodé par -ma pauvre mère, je commençai à travailler avec plaisir. J'écrivis ma -comédie appelée, je crois, <i>M. Piklar.</i></p> - -<p>Pour écrire, j'attendais toujours le moment du génie.</p> - -<p>Je n'ai été corrigé de cette manie que bien tard. Si je l'eusse chassée -plus tôt, j'aurais fini ma comédie de Letellier et Saint-Bernard, que -j'ai portée à Moscou et, qui plus est, rapportée (et qui est dans mes -papiers, à Paris). Cette sottise a nui beaucoup à la quantité de mes -travaux. Encore en 1806, j'attendais le moment du génie pour écrire. -Pendant tout le cours de ma vie, je n'ai jamais parlé de la chose -pour laquelle j'étais passionné, la moindre objection m'eût percé le -cœur. Mais je n'ai jamais parlé littérature. Mon ami, alors intime, M. -Adolphe de Mareste (né à Grenoble vers 1782), m'écrivit à Milan pour me -donner son avis sur la <i>Vie de Haydn, Mozart et Métastase.</i> Il ne se -doutait nullement que j'eu fusse <i>the author</i>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_209" id="Page_209">[p. 209]</a></span></p> - -<p>Si j'eusse parlé, vers 1795, de mon projet d'écrire, quelque homme -sensé m'eût dit: «Ecrivez tous les jours pendant deux heures, génie ou -non.» Ce mot m'eût fait employer dix ans de ma vie dépensés niaisement -à attendre le <i>génie.</i></p> - -<p>Mon imagination avait été employée à prévoir le mal que me faisaient -mes tyrans et à les maudire; dès que je fus libre, en H<a name="NoteRef_5_365" id="NoteRef_5_365"></a><a href="#Note_5_365" class="fnanchor">[5]</a>, dans le -salon de ma mère, j'eus le loisir d'avoir du goût pour quelque chose. -Ma passion fut: les médailles moulées en plâtre sur des moules ou -creux de soufre. J'avais eu auparavant une petite passion: l'amour des -épinaux<a name="NoteRef_6_366" id="NoteRef_6_366"></a><a href="#Note_6_366" class="fnanchor">[6]</a>, bâtons noueux pris dans les haies d'aubépine, je crois; -la chasse.</p> - -<p>Mon père et Séraphie avaient comprimé les deux. Celle pour les épinaux -disparut sous les plaisanteries de mon oncle; celle pour la chasse, -appuyée sur les rêveries de volupté nourries par le paysage de M. -Le Roy et sur les images vives que mon imagination avait fabriquées -en lisant l'Arioste, devint une fureur, me fit adorer <i>la Maison -rustique</i>, Buffon, me fit écrire sur les animaux, et enfin n'a péri que -par la satiété. A Brunswick, en 1808, je fus un des chefs de chasses où -l'on tuait cinquante ou soixante lièvres avec des battues faites par -des paysans. J'eus horreur de tuer une biche, cette horreur a augmenté. -Rien ne me semble plus plat aujourd'hui que de changer un oiseau -charmant en quatre onces de chair morte.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_210" id="Page_210">[p. 210]</a></span></p> - -<p>Si mon père, par peur bourgeoise, m'eût permis d'aller à la chasse, -j'eusse été plus leste, ce qui m'eût servi pour la guerre. Je n'y ai -été leste qu'à force de <i>force.</i></p> - -<p>Je reparlerai de la chasse, revenons aux médailles<a name="NoteRef_7_367" id="NoteRef_7_367"></a><a href="#Note_7_367" class="fnanchor">[7]</a>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_211" id="Page_211">[p. 211]</a></span></p> - -<hr class="r5" /> -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_361" id="Note_1_361"></a><a href="#NoteRef_1_361"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XIX</i> est le chapitre XVI du manuscrit (fol. 260 -<i>bis</i> et 274 à 279; les fol. 261 à 273 sont blancs).—Écrit à Rome, -les 25 et 26 décembre 1835.—Au sujet de l'établissement du texte du -début de ce chapitre, voir les notes du début du chapitre XVIII, et la -reproduction du fol. 260 <i>bis.</i></p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_362" id="Note_2_362"></a><a href="#NoteRef_2_362"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>Furonières ...</i>—Hameau de la commune de Claix.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_363" id="Note_3_363"></a><a href="#NoteRef_3_363"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>les villes d'Italie vers le</i> VIII<sup>e</sup> <i>siècle -...</i>—A vérifier sur la dissertation 55 de Muratori, lue il y a quinze -jours et déjà oubliée quant à la date. (Note de Stendhal.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_364" id="Note_4_364"></a><a href="#NoteRef_4_364"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>où, depuis quatre ans, personne n'avait mis les pieds</i>—En -face, au verso du fol. 273, plan du quartier des maisons Gagnon -et Beyle. On y voit, à l'angle de la Grande-rue et de la rue du -Département, l'emplacement du «café tenu par M. Genou, père de M. de -Genoude, de la <i>Gazette de France</i>». (Voir notre plan de Grenoble -en 1793.) A ce sujet, on lit cette note au crayon de R. Colomb: «Le -café Genou était sur la place Saint-André, dans la maison qu'habitait -M<sup>me</sup> Vignon, je crois; celui de la Grande-rue était tenu par -Charréa.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_365" id="Note_5_365"></a><a href="#NoteRef_5_365"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>dès que je fus libre, en H ...</i>—En face, au verso du fol. -274, plan de l'appartement Beyle, rue des Vieux-Jésuites. On voit dans -le salon, près de la fenêtre, en «H, table de travail» de Beyle.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_366" id="Note_6_366"></a><a href="#NoteRef_6_366"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>l'amour des épinaux ...</i>—La lecture du dernier mot est -incertaine.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_367" id="Note_7_367"></a><a href="#NoteRef_7_367"><span class="label">[7]</span></a> <i>Je reparlerai de la chasse, revenons aux médailles.</i>—On lit au -verso du fol. 279, avec la date du 26 décembre: «A placer: «Caractère -<i>of my father</i> Chérubin Beyle.—Il n'était point avare, mais bien -passionné. Rien ne lui coûtait pour satisfaire la passion dominante: -ainsi pour faire <i>miner</i> une <i>tière</i>, il ne m'envoyait pas à Paris les -150 francs par mois, sans lesquels je ne pouvais vivre.</p></div> - -<p>Il eut la passion pour l'agriculture et pour Claix, puis un an ou -deux de passion pour bâtir (la maison de la rue de Bonne, dont j'eus -la sottise de faire le plan avec Mante). Il empruntait à huit ou dix -pour cent à l'effet de terminer une maison qui un jour lui rendrait le -six. Ennuyé de la maison, il se livra à la passion d'administrer pour -les Bourbons, au point incroyable de passer dix-sept mois sans aller -à Claix, à deux lieues de la ville. Il s'est ruiné de 1814 à 1819, je -crois, époque de sa mort. Il aimait les femmes avec excès, mais timide -comme un enfant de douze ans; M<sup>me</sup> Abraham Mallein, née -Pascal, se moquait ferme de lui à cet égard.»]</p> - - - -<hr class="chap" /> -<h4><a name="CHAPITRE_XX1" id="CHAPITRE_XX1"></a>CHAPITRE XX<a name="NoteRef_1_368" id="NoteRef_1_368"></a><a href="#Note_1_368" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Après quatre ou cinq ans du plus profond et du plus plat malheur, je -respirai seulement alors, quand je me vis seul et fermé à clef dans -l'appartement de la rue des Vieux-Jésuites, jusque-là abhorré par moi. -Pendant ces quatre ou cinq ans, mon cœur fut rempli du sentiment de la -haine impuissante. Sans mon goût pour la volupté, je serais peut-être -devenu, par une telle éducation, dont ceux qui la donnaient ne se -doutaient pas, un <i>scélérat noir</i> ou un coquin gracieux et insinuant, -un vrai jésuite<a name="NoteRef_2_369" id="NoteRef_2_369"></a><a href="#Note_2_369" class="fnanchor">[2]</a>, et je serais sans doute fort riche. La lecture -de la <i>Nouvelle-Héloïse</i> et les scrupules de Saint-Preux me formèrent -profondément honnête homme; je pouvais encore, après cette lecture -faite avec larmes et<span class="pagenum"><a name="Page_212" id="Page_212">[p. 212]</a></span> dans des transports d'amour pour la vertu, faire -des coquineries, mais je me serais senti coquin. Ainsi, c'est un livre -lu en grande cachette et malgré mes parents qui m'a fait honnête homme.</p> - -<p>L'histoire romaine du cotonneux Rollin, malgré ses plates réflexions, -m'avait meublé la tête de faits d'une solide vertu (basée sur -l'<i>utilité</i> et non sur le vaniteux honneur des monarchies; Saint-Simon -est une belle pièce justificative pour la manière de Montesquieu, -l'<i>honneur</i> bas des monarchies; il n'est pas mal d'avoir vu cela en -1734 dans l'état d'enfance où, à cette époque, était encore la raison -des Français).</p> - -<p>Avec les faits appris dans Rollin, confirmés, expliqués, illustrés par -la conversation continue de mon excellent grand-père et les théories -de Saint-Preux, rien n'était égal à la répugnance et au mépris profond -que j'avais pour les...<a name="NoteRef_3_370" id="NoteRef_3_370"></a><a href="#Note_3_370" class="fnanchor">[3]</a> expliqués par des prêtres que je voyais -chaque jour s'affliger des <i>victoires de la patrie</i> et désirer que les -troupes françaises fussent battues.</p> - -<hr /> - -<p>La conversation de mon excellent grand-père, auquel je dois tout, sa -vénération pour les bienfaiteurs de l'humanité, si contraire aux idées -du ch[ristian]isme, m'empêcha sans doute d'être pris comme une mouche -dans les toiles d'araignée par mon respect pour les cérémonies. (Je -vois aujourd'hui que c'était la première forme de mon amour<span class="pagenum"><a name="Page_213" id="Page_213">[p. 213]</a></span> pour -la musique, 1, la peinture, 2, et l'art de Vigano, 3.) Je croirais -volontiers que mon grand-père était un nouveau converti vers 1793. -Peut-être s'était-il fait dévot<a name="NoteRef_4_371" id="NoteRef_4_371"></a><a href="#Note_4_371" class="fnanchor">[4]</a> à la mort de ma mère (1790), -peut-être la nécessité d'avoir l'appui du clergé dans son métier de -médecin lui avait-elle imposé un léger vernis d'hypocrisie en même -temps que la perruque à trois rangs de boucles. Je croirais plutôt -ce dernier, car je le trouvai ami, et de longue date, de M. l'abbé -Sadin, curé de Saint-Louis (sa paroisse), de M. le chanoine Rey et de -M<sup>lle</sup> Rey, sa sœur, chez lequel nous allions souvent (ma -tante Elisabeth y faisait sa partie), petite rue derrière Saint-André, -plus tard rue du Département<a name="NoteRef_5_372" id="NoteRef_5_372"></a><a href="#Note_5_372" class="fnanchor">[5]</a>, même l'aimable et trop aimable abbé -Hélie, curé de Saint-Hugues, qui m'avait baptisé et me l'a rappelé -depuis au café de la Régence, à Paris, où je déjeûnais vers 1803 -pendant mon éducation véritable, rue d'Angiviller.</p> - -<p>Il faut remarquer qu'en 1790 les prêtres ne prenaient pas les -conséquences de la théorie et étaient bien loin d'être intolérants et -absurdes<a name="NoteRef_6_373" id="NoteRef_6_373"></a><a href="#Note_6_373" class="fnanchor">[6]</a> comme nous les voyons en 1835. On souffrait fort bien -que mon grand-père travaillât en présence de<a name="NoteRef_7_374" id="NoteRef_7_374"></a><a href="#Note_7_374" class="fnanchor">[7]</a> son petit buste de -Voltaire et que sa conversation, excepté sur un seul sujet, fût ce -qu'elle eût été dans le salon de Voltaire, et les trois jours qu'il -avait passés dans ce salon étaient cités<a name="NoteRef_8_375" id="NoteRef_8_375"></a><a href="#Note_8_375" class="fnanchor">[8]</a> par lui comme les plus -beaux de sa vie, quand l'occasion s'en présentait.<span class="pagenum"><a name="Page_214" id="Page_214">[p. 214]</a></span> Il ne s'interdisait -nullement l'anecdote critique ou scandaleuse sur les prêtres, et -pendant sa longue carrière d'observations cet esprit sage et froid en -avait recueilli des centaines. Jamais il n'exagérait, jamais il ne -mentait, ce qui me permet, ce me semble, d'avancer aujourd'hui que -quant à l'esprit ce n'était pas un bourgeois; mais il était apte<a name="NoteRef_9_376" id="NoteRef_9_376"></a><a href="#Note_9_376" class="fnanchor">[9]</a> -à concevoir des haines éternelles à l'occasion de torts très minimes -<a name="NoteRef_10_377" id="NoteRef_10_377"></a><a href="#Note_10_377" class="fnanchor">[10]</a>, et je ne crois pas laver son âme du reproche de bourgeoisie.</p> - -<p>Je retrouve le type bourgeois, même à Rome, chez M. ... et sa famille, -... M. Bois, le beau-frère, enrichi ...<a name="NoteRef_11_378" id="NoteRef_11_378"></a><a href="#Note_11_378" class="fnanchor">[11]</a>.</p> - -<p>Mon grand-père avait une vénération et un amour pour les grands hommes -qui choquèrent bien M. le curé actuel de Saint-Louis et M. le grand -vicaire<a name="NoteRef_12_379" id="NoteRef_12_379"></a><a href="#Note_12_379" class="fnanchor">[12]</a> actuel de l'évêque de Grenoble, lequel se fait un point -d'honneur de ne pas rendre sa visite au préfet, en sa qualité de -<i>prince</i> de Grenoble<a name="NoteRef_13_380" id="NoteRef_13_380"></a><a href="#Note_13_380" class="fnanchor">[13]</a>, je crois (raconté par M. Rubichon et avec -approbation, Cività-Vecchia, juin 1835).</p> - -<p>Le Père Ducros, ce cordelier que je suppose homme de génie, avait perdu -sa santé en empaillant des oiseaux avec des poisons. Il souffrait -beaucoup des entrailles et mon oncle m'apprit par ses plaisanteries -qu'il avait un ...<a name="NoteRef_14_381" id="NoteRef_14_381"></a><a href="#Note_14_381" class="fnanchor">[14]</a>. Je ne compris guère cette maladie, qui -me semblait toute naturelle. Le Père Ducros aimait beaucoup mon -grand-père, son médecin, et auquel il devait en partie sa<span class="pagenum"><a name="Page_215" id="Page_215">[p. 215]</a></span> place de -bibliothécaire; mais il ne pouvait s'empêcher de <i>méprisoter</i> un peu -la faiblesse de son caractère, il ne pouvait tolérer les incartades de -Séraphie, qui allaient souvent jusqu'à interrompre la conversation, -troubler la société, et forcer les amis à se retirer<a name="NoteRef_15_382" id="NoteRef_15_382"></a><a href="#Note_15_382" class="fnanchor">[15]</a>.</p> - -<p>Les caractères à la Fontenelle sont fort sensibles à cette nuance -de mépris non exprimé, mon grand-père combattait donc souvent mon -enthousiasme pour le Père Ducros. Quelquefois, quand le Père Ducros -arrivait à la maison avec quelque chose d'intéressant à dire, on -m'envoyait à la cuisine; je n'étais nullement piqué, mais fâché de -ne pas savoir la chose curieuse. Ce philosophe fut sensible à mes -empressements et au goût vif que je montrais pour lui, et qui faisait -que je ne quittais jamais la chambre quand il y était.</p> - -<p>Il faisait cadeau à ses amis et amies de cadres dorés de deux pieds -et demi sur trois, garnis d'une grande vitre, derrière laquelle il -disposait six ou huit douzaines de médailles en plâtre de dix-huit -lignes de diamètre. C'étaient tous les empereurs romains et les -impératrices, un autre cadre présentait tous les grands hommes de -France, de Clément Marot à Voltaire, Diderot et d'Alembert. Que dirait -le M. Rey d'aujourd'hui à une telle vue?</p> - -<hr /> - -<p>Ces médailles étaient environnées, avec beaucoup de grâce, de petits -cartons dorés sur tranche,<span class="pagenum"><a name="Page_216" id="Page_216">[p. 216]</a></span> et des volutes exécutées en même matière -remplissaient les intervalles entre les médailles. Les ornements de ce -genre étaient fort rares alors et je puis avouer que l'opposition de -la couleur blanc mat des médailles et des ombres légères, fines, bien -dessinées, qui marquaient les traits des personnages, avec la tranche -dorée des cartons et leur couleur jaune d'or, faisaient un effet très -élégant.</p> - -<p>Les bourgeois de Vienne, Romans, La Tour du Pin, Voiron, etc., qui -venaient dîner chez mon grand-père ne se lassaient pas d'admirer ces -cadres. Moi, de mon côté, monté sur une chaise, je ne me lassais pas -d'étudier les traits de ces <i>hommes illustres</i> dont j'aurais voulu -imiter la vie et lire les œuvres.</p> - -<p>Le Père Ducros écrivait dans le haut de la partie la plus élevée de ces -cartons<a name="NoteRef_16_383" id="NoteRef_16_383"></a><a href="#Note_16_383" class="fnanchor">[16]</a>:</p> - -<p class="center"> -HOMMES ILLUSTRES DE FRANCE<br /> - -ou<br /> - -EMPEREURS ET IMPÉRATRICES.<br /> -</p> - -<p>À Voiron, par exemple, chez mon cousin Allard du Plantier<a name="NoteRef_17_384" id="NoteRef_17_384"></a><a href="#Note_17_384" class="fnanchor">[17]</a> -(descendant de l'historien et antiquaire Allard), ces cadres étaient -admirés comme des médailles antiques; je ne sais pas même si le cousin, -qui n'était pas fort, ne les prenait pas pour des médailles antiques. -(C'était un fils étiolé par un père homme d'esprit, comme Monseigneur -par Louis XIV.)</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_217" id="Page_217">[p. 217]</a></span></p> - -<p>Un jour, le Père Ducros me dit:</p> - -<p>«Veux-tu que je t'apprenne à faire des médailles?»</p> - -<p>Ce fut pour moi les cieux ouverts.</p> - -<p>J'allai dans son appartement, vraiment délicieux pour un homme qui aime -à penser, tel que je voudrais bien en avoir un pareil pour y finir mes -jours.</p> - -<p>Quatre petites chambres de dix pieds de haut, exposées au midi et au -couchant, avec très jolie vue sur Saint-Joseph, les coteaux d'Eybens, -le pont de Claix et les montagnes à l'infini vers Gap.</p> - -<p>Ces chambres étaient remplies de bas-reliefs et de médailles moulées -sur l'antique ou sur du moderne passable.</p> - -<p>Les médailles étaient, la plupart, en soufre rouge (rougi par un -mélange de cinabre), ce qui est beau et sérieux; enfin, il n'y avait -pas un pied carré de la surface de cet appartement qui ne donnât une -idée. Il y avait aussi des tableaux. «Mais je ne suis pas assez riche, -disait le Père Ducros, pour acheter ceux qui me plairaient.» Le -principal tableau représentait une neige, ce n'était pas absolument mal.</p> - -<p>Mon grand-père m'avait mené plusieurs fois dans cet appartement -charmant. Dès que j'étais seul avec mon grand-père, hors de la maison, -loin de la portée de mon père et de Séraphie, j'étais d'une gaieté -parfaite. Je marchais fort lentement, car mon bon grand-père avait -des rhumatismes, que je suppose goutteux (car moi, son véritable -petit-fils<span class="pagenum"><a name="Page_218" id="Page_218">[p. 218]</a></span> et qui ai le même corps, j'ai eu la goutte en mai 1835 à -Cività-Vecchia).</p> - -<p>Le Père Ducros, qui avait de l'aisance, car il a fait son héritier M. -Navizet, de Saint-Laurent, ancien entrepreneur de chamoiserie, était -fort bien servi par un grand et gros valet, bonhomme qui était garçon -de bibliothèque, et une excellente servante. Je donnais l'étrenne à -tout cela, par avis de ma tante Elisabeth.</p> - -<p>J'étais neuf autant que possible par le miracle de cette abominable -éducation solitaire et de toute une famille s'acharnant sur un pauvre -enfant pour l'endoctriner, dont le système avait été fort bien suivi -parce que la douleur de la famille mettait ce système dans ses goûts.</p> - -<p>Cette inexpérience des choses les plus simples me fit faire bien des -gaucheries chez M. Daru le père, de novembre 1799 à mai 1800.</p> - -<p>Revenons aux médailles. Le Père Ducros s'était procuré, je ne sais -comment, une quantité de médailles en plâtre. Il les imbibait d'huile -et sur cette huile coulait du soufre mêlé avec de l'ardoise bien sèche -et pulvérisée.</p> - -<p>Quand ce moule ôtait bien froid<a name="NoteRef_18_385" id="NoteRef_18_385"></a><a href="#Note_18_385" class="fnanchor">[18]</a>, il y mettait un peu d'huile, -l'entourait d'un papier huilé, haut, de A en B, de trois lignes, le -moule au fond.</p> - -<p>Sur le moule il versait du plâtre liquide fait à l'instant, et -sur-le-champ du plâtre moins fin et plus fort, de façon à donner quatre -lignes d'épaisseur<span class="pagenum"><a name="Page_219" id="Page_219">[p. 219]</a></span> à la médaille en plâtre. Voilà ce que je ne parvins -jamais à bien faire. Je ne gâchais pas mon plâtre assez vite, ou plutôt -je le laissais s'éventer. C'est en vain que Saint-...<a name="NoteRef_19_386" id="NoteRef_19_386"></a><a href="#Note_19_386" class="fnanchor">[19]</a>, le vieux -domestique, m'apportait du plâtre en poudre. Je retrouvais mon plâtre -en gelée, cinq ou six heures après l'avoir placé sur le moule en soufre.</p> - -<p>Mais ces moules-là étant les plus difficiles, je les fis sur-le-champ, -et fort bien, seulement trop épais. Je n'épargnais pas la matière.</p> - -<p>J'établis mon atelier de plâtrerie dans le cabinet de toilette de ma -pauvre mère, pénétrais dans cette chambre où personne n'entrait depuis -cinq ans qu'avec un sentiment religieux; j'évitais de regarder vers le -lit. Je n'aurais jamais ri dans cette chambre, tapissée de papier de -Lyon imitant bien le damas rouge.</p> - -<p>Quoique je ne parvinsse jamais à faire un cadre de médailler comme le -Père Ducros, je me préparais éternellement à ce grand renom en faisant -une quantité de moules en soufre (en B, dans la cuisine)<a name="NoteRef_20_387" id="NoteRef_20_387"></a><a href="#Note_20_387" class="fnanchor">[20]</a>.</p> - -<p>J'achetai une grande armoire renfermant douze ou quinze tiroirs de -trois pouces de haut, où j'emmagasinais mes richesses.</p> - -<p>Je laissai tout cela à Grenoble en 1799. Dès 1796 je n'en faisais plus -de cas; on aura fait des allumettes de ces précieux moules (ou creux) -en soufre de couleur d'ardoise.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_220" id="Page_220">[p. 220]</a></span></p> - -<p>Je lus le dictionnaire des médailles de l'Encyclopédie méthodique -<a name="NoteRef_21_388" id="NoteRef_21_388"></a><a href="#Note_21_388" class="fnanchor">[21]</a>.</p> - -<p>Un maître adroit qui eût su profiter de ce goût m'eût fait étudier avec -passion toute l'histoire ancienne; il fallait me faire lire Suétone, -puis Denis d'Halicarnasse, à mesure que ma jeune tête eût pu recevoir -les idées sérieuses.</p> - -<p>Mais le goût régnant alors à Grenoble portait à lire et à citer les -épîtres d'un M. de Bonnard, c'est, je pense, du petit Dorât (comme on -dit: du petit Mâcon). Mon grand-père nommait avec respect la <i>Grandeur -des Romains</i> de Montesquieu, mais je n'y comprenais rien; chose peu -difficile à croire, j'ignorais les événements sur lesquels Montesquieu -a dressé ses magnifiques considérations.</p> - -<p>Il fallait au moins me faire lire Tite-Live. Au lieu de cela, on -me faisait lire et admirer les hymnes de Santeuil: «<i>Ecce sede -louantes... </i>» On peut se figurer la façon dont j'accueillais cette -religion<a name="NoteRef_22_389" id="NoteRef_22_389"></a><a href="#Note_22_389" class="fnanchor">[22]</a> de mes tyrans.</p> - -<p>Les prêtres qui dînaient à la maison cherchaient à reconnaître -l'hospitalité de mes parents en me faisant du pathos sur la Bible de -Royaumont, dont le ton patelin et mielleux m'inspirait le plus profond -dégoût. J'aimais cent fois mieux le Nouveau Testament eu latin, que -j'avais appris par cœur tout entier dans un exemplaire in-18. Mes -parents, comme les rois d'aujourd'hui, voulaient que la religion me -maintint en soumission<a name="NoteRef_23_390" id="NoteRef_23_390"></a><a href="#Note_23_390" class="fnanchor">[23]</a>, et moi je ne respirais que révolte.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_221" id="Page_221">[p. 221]</a></span></p> - -<p>Je voyais défiler la légion Allobroge (celle, je crois, qui fut -commandée par M. Caffe, mort aux Invalides, à 85 ans, en novembre ou -décembre 1835), ma grande pensée était à l'armée. Ne ferais-je pas bien -de m'engager?</p> - -<p>Je sortais souvent seul, j'allais au Jardin<a name="NoteRef_24_391" id="NoteRef_24_391"></a><a href="#Note_24_391" class="fnanchor">[24]</a>, mais je trouvais -les autres enfants trop familiers, de loin je brûlais de jouer avec -eux, de près je les trouvais grossiers.</p> - -<p>Je commençais même, je crois, à aller au spectacle, que je quittais -<a name="NoteRef_25_392" id="NoteRef_25_392"></a><a href="#Note_25_392" class="fnanchor">[25]</a> au moment le plus intéressant, à neuf heures en été, quand -j'entendais sonner le sing (ou saint)<a name="NoteRef_26_393" id="NoteRef_26_393"></a><a href="#Note_26_393" class="fnanchor">[26]</a>.</p> - -<p>Tout ce qui était tyrannie me révoltait, et je n'aimais pas le pouvoir. -Je <i>faisais mes devoirs</i> (thèmes, traductions, vers sur la mouche noyée -dans une jatte de lait<a name="NoteRef_27_394" id="NoteRef_27_394"></a><a href="#Note_27_394" class="fnanchor">[27]</a>) sur une jolie petite table de noyer, -dans l'antichambre du grand salon à l'italienne, excepté le dimanche -pour notre messe; la porte sur le grand escalier était toujours fermée. -Je m'avisai d écrire sur le bois de cette table les noms de tous les -assassins de princes, par exemple: Poltrot, duc de Guise, en 1562. Mon -grand-père, en m'aidant à faire mes vers, ou plutôt en les faisant -lui-même, vit cette liste; son âme assez tranquille, ennemie de toute -violence, en fut navrée, d en conclut presque que Séraphie avait raison -quand elle me représentait comme pourvu d'une âme atroce. Peut-être -avais-je été conduit à faire ma<span class="pagenum"><a name="Page_222" id="Page_222">[p. 222]</a></span> liste d'assassins par l'action de -Charlotte Corday—11 ou 12 juillet 1793—dont j'étais fou. J'étais -dans ce temps-là grand enthousiaste de Caton d'Utique, les réflexions -doucereuses et chrétiennes du <i>bon Rollin</i>, comme l'appelait mon -grand-père, me semblaient le comble de la niaiserie.</p> - -<p>Et en même temps j'étais si enfant qu'ayant trouvé dans l'<i>Histoire -ancienne</i> de Rollin, je crois, un personnage qui s'appelait -Aristocrate, je fus émerveillé de cette circonstance et fis partager -mon enthousiasme à ma sœur Pauline, qui était libérale et de mon parti -contre Zénaïde-Caroline, attachée au parti de Séraphie et appelée -espionne par nous.</p> - -<hr /> - -<p>Avant ou après, j'avais eu un goût violent pour l'optique, qui me -porta à lire l'<i>Optique</i> de Smith à la bibliothèque publique. Je -faisais des lunettes pour voir le voisin en ayant l'air de regarder -devant moi<a name="NoteRef_28_395" id="NoteRef_28_395"></a><a href="#Note_28_395" class="fnanchor">[28]</a>. On pouvait encore, avec un peu d'adresse, par ce -moyen-là, facilement me lancer dans la science de l'optique et me faire -<i>emporter</i> un bon morceau de mathématiques. De là à l'astronomie, il n -y avait qu'un pas.</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_223" id="Page_223">[p. 223]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_368" id="Note_1_368"></a><a href="#NoteRef_1_368"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XX</i> est le chapitre XVII du manuscrit (fol. 280 à -298).—Écrit à Rome, les 26, 27 et 29 décembre 1835.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_369" id="Note_2_369"></a><a href="#NoteRef_2_369"><span class="label">[2]</span></a> ... un <i>vrai jésuite ...</i>—Ms.: «<i>Tejê.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_370" id="Note_3_370"></a><a href="#NoteRef_3_370"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>j'avaie pour les ...</i>—Suivent quelques mots anglais -illisibles.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_371" id="Note_4_371"></a><a href="#NoteRef_4_371"><span class="label">[4]</span></a> <i>Peut-être s'était-il fait dévot ...</i>—Ms.: «<i>Votdé.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_372" id="Note_5_372"></a><a href="#NoteRef_5_372"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>plue tard rue du Département ...</i>—Plus tard encore, rue -Saint-André, aujourd'hui rue Diodore-Rahoult.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_373" id="Note_6_373"></a><a href="#NoteRef_6_373"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>intolérants et absurdes ...</i>—Ms.: «<i>Surdesab.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_374" id="Note_7_374"></a><a href="#NoteRef_7_374"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>que mon grand-père travaillât en présence de ...</i>—Variante: -«<i>Devant.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_375" id="Note_8_375"></a><a href="#NoteRef_8_375"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>dans ce salon étaient cités par lui ...</i>—Variante: -«<i>Rappelés.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_376" id="Note_9_376"></a><a href="#NoteRef_9_376"><span class="label">[9]</span></a> ... <i>mais il était apte ...</i>—Variante: «<i>Facile.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_377" id="Note_10_377"></a><a href="#NoteRef_10_377"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>à l'occasion de torts très minimes ...</i>—Variante: «<i>Pour -des torts très petits.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_378" id="Note_11_378"></a><a href="#NoteRef_11_378"><span class="label">[11]</span></a> ... <i>chez M ... et sa famille, ... M. Bois, le beau-frère, -enrichi ...</i>—Trois mots illisibles.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_379" id="Note_12_379"></a><a href="#NoteRef_12_379"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>M. le grand vicaire ...</i>—Ms.: «<i>Cairevi.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_380" id="Note_13_380"></a><a href="#NoteRef_13_380"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>en sa qualité de </i>prince<i> de Grenoble ...</i>—L'évêque de -Grenoble avait le titre d'évêque-prince.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_381" id="Note_14_381"></a><a href="#NoteRef_14_381"><span class="label">[14]</span></a> ... <i>mon oncle m'apprit par ses plaisanteries qu'il avait un</i> -...—Un mot illisible.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_382" id="Note_15_382"></a><a href="#NoteRef_15_382"><span class="label">[15]</span></a> ... <i>forcer les amis à se retirer.</i>—En face, au verso du fol. -285, on lit: «Réponse à un reproche: comment veut-on que j'écrive bien, -forcé d'écrire aussi vite pour ne pas perdre mes idées? 27 décembre -1835. Réponse à MM. Colomb, etc.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_383" id="Note_16_383"></a><a href="#NoteRef_16_383"><span class="label">[16]</span></a> <i>Le Père Ducros écrivait dans le haut de la partie la plue -élevée de ces cartons.</i>—Au verso du fol. 287, Stendhal a dessiné le -modèle de l'un de ces cadres, avec la légende suivante: «Cadre de -médailles en plâtre blanc par le Père Ducros, bibliothécaire de la -Ville de Grenoble (vers 1790), mort vers 1806 ou 1818.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_384" id="Note_17_384"></a><a href="#NoteRef_17_384"><span class="label">[17]</span></a> ... <i>mon cousin Allard du Plantier ...</i>—Allard du Plantier -(1721-1801), avocat au Parlement de Grenoble, fut élu en 1788 député -du Tiers-Etat du Dauphiné aux États-Généraux. Il se retira à Voiron en -1790.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_385" id="Note_18_385"></a><a href="#NoteRef_18_385"><span class="label">[18]</span></a> <i>Quand ce moule était bien froid ...</i>—Dessin du moule. Le -papier huilé est plus haut (de A en B) que l'épaisseur du moule, de -manière à pouvoir recevoir le plâtre coulé.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_19_386" id="Note_19_386"></a><a href="#NoteRef_19_386"><span class="label">[19]</span></a> <i>C'est en vain que Saint-...</i>—Le reste du nom est en blanc.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_20_387" id="Note_20_387"></a><a href="#NoteRef_20_387"><span class="label">[20]</span></a> <i>( ...en B, dans la cuisine).</i>—Au verso du fol. 291 est un plan -d'une partie de l'appartement Beyle. Dans la «chambre de ma mère», en -«A, atelier de mon plâtre»; dans la cuisine, en «B, fourneau où je -faisais mes soufres». On lit au-dessous: «Maison paternelle, vendue en -1804. En 1816, nous logions au coin de la rue de Bonne et de la place -Grenette, où je fis l'amour à Sophie Vernier et à M<sup>lle</sup> -Elise, en 1814 et 1816, mais pas assez, je me serais moins ennuyé. -De là j'entendis guillotiner David, qui fait la gloire de M. le duc -Decazes.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_21_388" id="Note_21_388"></a><a href="#NoteRef_21_388"><span class="label">[21]</span></a> ...<i>l'Encyclopédie méthodique.</i>—On lit au verso du fol. 293: -«27 décembre 1835. Fatigué après 13 pages. Froid aux jambes, surtout au -mollet; un peu de colique; envie de dormir. Le froid et le café du 24 -décembre m'ont donné sur les nerfs. Il faudrait un bain, mais comment, -avec ce froid? Comment supporterai-je le froid de Paris?»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_22_389" id="Note_22_389"></a><a href="#NoteRef_22_389"><span class="label">[22]</span></a> ... <i>j'accueillais cette religion ...</i>—Ms.: «<i>Gionreli.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_23_390" id="Note_23_390"></a><a href="#NoteRef_23_390"><span class="label">[23]</span></a> ... <i>me maintînt en soumission ...</i>—Variante: «<i>Abjection.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_24_391" id="Note_24_391"></a><a href="#NoteRef_24_391"><span class="label">[24]</span></a> ... <i>j'allais au Jardin ...</i>—Il s'agit du Jardin-de-Ville.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_25_392" id="Note_25_392"></a><a href="#NoteRef_25_392"><span class="label">[25]</span></a> ... <i>à aller au spectacle que je quittais ...</i>—Variante: «<i>Dont -je sortais.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_26_393" id="Note_26_393"></a><a href="#NoteRef_26_393"><span class="label">[26]</span></a> ... <i>quand j'entendais sonner le sing (ou saint).</i>—Sur le -<i>sing</i>. voyez plus haut, notes du chapitre XVI, p. 244.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_27_394" id="Note_27_394"></a><a href="#NoteRef_27_394"><span class="label">[27]</span></a> ... <i>vers sur la mouche noyée dans une jatte de lait -...</i>—Allusion à la pièce de vers latin déjà citée plus haut, chapitre -XII.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_28_395" id="Note_28_395"></a><a href="#NoteRef_28_395"><span class="label">[28]</span></a> <i>Je faisais des lunettes pour voir le voisin en ayant l'air -de regarder devant moi.</i>—Suit un grossier croquis représentant une -lunette munie d'un miroir incliné.</p></div> - -<hr class="chap" /> - - -<h4><a name="CHAPITRE_XXI1" id="CHAPITRE_XXI1"></a>CHAPITRE XXI<a name="NoteRef_1_396" id="NoteRef_1_396"></a><a href="#Note_1_396" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Quand je demandais de l'argent à mon père par justice, par exemple -parce qu'il me l'avait promis, il murmurait, se fâchait, et au lieu de -six francs promis m'en donnait trois. Cela m'outrait; comment? n'être -pas fidèle à sa promesse?</p> - -<p>Les sentiments espagnols communiqués par ma tante Elisabeth me -mettaient dans les nues, je ne songeais qu'à l'honneur, qu'à -l'héroïsme. Je n'avais pas la moindre adresse, pas le plus petit art de -me retourner, pas la moindre hypocrisie doucereuse (ou jésuite<a name="NoteRef_2_397" id="NoteRef_2_397"></a><a href="#Note_2_397" class="fnanchor">[2]</a>).</p> - -<p>Ce défaut a résisté à l'expérience, au raisonnement, au remords d'une -infinité de duperies où, par <i>espagnolisme</i>, j'étais tombé.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_224" id="Page_224">[p. 224]</a></span></p> - -<p>J'ai encore ce manque d'adresse: tous les jours, par espagnolisme, je -suis trompé d'un paul ou deux en achetant la moindre chose. Le remords -que j'en ai, une heure après, a fini par me donner l'habitude de peu -acheter. Je me laisse manquer une année de suite d'un petit meuble -qui me coûtera douze francs par la certitude d'être trompé, ce qui me -donnera de l'humeur, et cette humeur est supérieure au plaisir d'avoir -le petit meuble.</p> - -<p>J'écris ceci debout, sur un bureau à la Tronchin fait par un menuisier -qui n'avait jamais vu telle chose, il y a un an que je m'en prive -par l'ennui d'être trompé. Enfin, j'ai pris la précaution de n'aller -pas parler au menuisier en revenant du café, à onze heures du matin, -alors mon caractère est dans sa fougue (exactement comme en 1803 quand -je prenais du café <i>enflammé</i> rue Saint-Honoré, au coin de la rue de -Grenelle ou d'Orléans), mais dans les moments de fatigue, et mon bureau -à la Tronchin ne m'a coûté que quatre écus et demi (ou 4 X 5,45 = 24 -fr. 52<a name="NoteRef_3_398" id="NoteRef_3_398"></a><a href="#Note_3_398" class="fnanchor">[3]</a>).</p> - -<p>Ce caractère faisait que mes conférences d'argent, chose si épineuse -entre un père de cinquante-et-un<a name="NoteRef_4_399" id="NoteRef_4_399"></a><a href="#Note_4_399" class="fnanchor">[4]</a> ans et un fils de quinze, -finissaient ordinairement de ma part par un accès de mépris profond et -d'indignation concentrée.</p> - -<p>Quelquefois, non par adresse mais par pur hasard, je parlais avec -éloquence à mon père de la chose que je voulais acheter, sans m'en -douter je <i>l'enfiévrais</i><span class="pagenum"><a name="Page_225" id="Page_225">[p. 225]</a></span> (je lui donnais un peu de ma passion), et -alors sans difficulté, même avec plaisir, il me donnait tout ce qu'il -me fallait. Un jour de foire place Grenette, pendant qu'il se cachait, -je lui parlai de mon désir d'avoir de ces caractères mobiles percés -dans une feuille de laiton grande comme une carte à jouer<a name="NoteRef_5_400" id="NoteRef_5_400"></a><a href="#Note_5_400" class="fnanchor">[5]</a>; il me -donna six ou sept assignats de quinze sous, au retour j'avais tout -dépensé.</p> - -<p>«Tu dépenses toujours tout l'argent que je te donne.»</p> - -<p>Comme il avait mis à me donner ces assignats de quinze sous ce que -dans un caractère aussi disgracieux on pouvait appeler de la grâce, je -trouvai son reproche fort juste. Si mes parents avaient su me mener, -ils auraient fait de moi un niais comme j'en vois tant en province. -L'indignation que j'ai ressentie dès mon enfance et au plus haut point, -à cause de mes sentiments espagnols, m'a créé, en dépit d'eux, le -caractère que j'ai. Mais quel est ce caractère? Je serais bien en peine -de le dire. Peut-être verrai-je la vérité à soixante-cinq ans, si j'y -arrive<a name="NoteRef_6_401" id="NoteRef_6_401"></a><a href="#Note_6_401" class="fnanchor">[6]</a>.</p> - -<p>Un pauvre qui m'adresse la parole en <i>style tragique</i>, comme à Rome, ou -en <i>style de comédie</i>, comme en France, m'indigne: 1° je déteste être -troublé dans ma rêverie;—2° je ne crois pas un mot de ce qu'il me dit.</p> - -<p>Hier, en passant dans la rue, une femme du peuple de quarante ans, -mais assez bien, disait à un homme<span class="pagenum"><a name="Page_226" id="Page_226">[p. 226]</a></span> qui marchait avec elle: <i>Bisogna -camprar</i> (il faut vivre toutefois). Ce mot, exempt de comédie, m'a -touché jusqu'aux larmes. Je ne donne jamais aux pauvres qui me -demandent, je pense que ce n'est pas par avarice. Le gros garde de -santé (le 11 décembre) à Cività-Vecchia, me parlant d'un pauvre -Portugais au lazaret qui ne demande que six ...<a name="NoteRef_7_402" id="NoteRef_7_402"></a><a href="#Note_7_402" class="fnanchor">[7]</a> par jour, -sur-le-champ je lui ai donné six ou huit pauls en monnaie. Comme il les -refusait, de peur de se compromettre avec son chef (un paysan grossier, -venant de Finevista, nommé Manelli), j'ai pensé qu'il serait plus digne -d'un consul de donner un écu, ce que j'ai fait; ainsi, six pauls par -véritable humanité, et quatre à cause de la broderie de l'habit.</p> - -<p>A propos de colloque financier d'un père avec son fils: le marquis -Torrigiani, de Florence (gros joueur dans sa jeunesse et fort accusé -de gagner comme il ne faut pas), voyant que ses trois fils perdaient -quelquefois dix ou quinze louis au jeu, pour leur éviter l'ennui de -lui en demander, a remis trois mille francs à un vieux portier fidèle, -avec, ordre de remettre cet argent à ses fils quand ils auraient perdu, -et de lui en demander d'autre quand les trois mille francs seraient -dépensés.</p> - -<p>Cela est fort bien en soi, et d'ailleurs le procédé a touché les fils, -qui se sont modérés. Ce marquis, officier de la Légion d'honneur, est -père de madame Pozzi, dont les beaux yeux m'avaient inspiré une si vive -admiration en 1817. L'anecdote sur le jeu<span class="pagenum"><a name="Page_227" id="Page_227">[p. 227]</a></span> de son père m'aurait fait -une peine horrible en 1817 à cause de ce maudit espagnolisme de mon -caractère, dont je me plaignais naguère. Cet espagnolisme m'empêche -d'avoir le <i>génie comique</i>:</p> - -<p>1° je détourne mes regards et ma mémoire de tout ce qui est bas;</p> - -<p>2° je sympathise, comme à dix ans lorsque je lisais l'Arioste, avec -tout ce qui est contes d'amour, de forêts (les bois et leur vaste -silence), de générosité.</p> - -<p>Le conte espagnol le plus commun, s'il y a de la générosité, me fait -venir les larmes aux yeux, tandis que je détourne les yeux du caractère -de Chrysale de Molière, et encore plus du fond méchant de Zadig, -Candide, le pauvre Diable et autres ouvrages de Voltaire, dont je -n'adore vraiment que:</p> - -<p> -Vous êtes, lui dit-il, l'existence et l'essence,<br /> -Simple avec attribut et de pure substance.<br /> -</p> - -<p>Barral (le comte Paul de Barral, né à Grenoble vers 1785) m'a -communiqué bien jeune son goût pour ces vers, que son père, le Premier -Président, lui avait appris.</p> - -<p>Cet espagnolisme, communiqué par ma tante Elisabeth, me fait passer, -même à mon âge, pour un enfant privé d'expérience, pour un fou <i>de plus -en plus incapable d'aucune affaire sérieuse</i>, ainsi que dit mon cousin -Colomb (dont ce sont les propres termes), vrai bourgeois.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_228" id="Page_228">[p. 228]</a></span></p> - -<p>La conversation du vrai bourgeois sur les <i>hommes et la vie</i>, qui n'est -qu'une collection de ces détails laids, me jette dans un <i>spleen</i> -profond quand je suis forcé par quelque convenance de l'entendre un peu -longtemps.</p> - -<p>Voilà le secret de mon horreur pour Grenoble vers 1816, qu'alors je ne -pouvais m'expliquer.</p> - -<p>Je ne puis pas encore m'expliquer aujourd'hui, à cinquante-deux<a name="NoteRef_8_403" id="NoteRef_8_403"></a><a href="#Note_8_403" class="fnanchor">[8]</a> -ans, la disposition au malheur que me donne le dimanche. Cela est -au point que je suis gai et content—au bout de deux cents pas dans -la rue, je m'aperçois que les boutiques sont fermées: <i>Ah! c'est -dimanche</i>, me dis-je.</p> - -<p>A l'instant, toute disposition intérieure au bonheur s'envole.</p> - -<p>Est-ce envie pour l'air content des ouvriers et bourgeois endimanchés?</p> - -<p>J'ai beau me dire: Mais je perds ainsi cinquante-deux dimanches par an -et peut-être dix fêtes; la chose est plus forte que moi, je n'ai de -ressource qu'un travail obstiné.</p> - -<p>Ce défaut—mon horreur pour Chrysale—m'a peut-être maintenu jeune. Ce -serait donc un heureux malheur, comme celui d'avoir eu peu de femmes -(des femmes comme Bianca Milai, que je manquai à Paris, un malin, vers -1829, uniquement, pour ne m'être aperçu de l'heure du berger—elle -avait une robe de velours noir ce jour-là, vers la rue du Helder ou du -Mont-Blanc).</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_229" id="Page_229">[p. 229]</a></span></p> - -<p>Comme je n'ai presque pas eu de ces femmes-là (vraies bourgeoises), -je ne suis pas blasé le moins du monde à cinquante ans<a name="NoteRef_9_404" id="NoteRef_9_404"></a><a href="#Note_9_404" class="fnanchor">[9]</a>. Je veux -dire blasé au moral, car le physique, comme de raison, est émoussé -considérablement, au point de passer très bien quinze jours ou trois -semaines sans femme; ce carême-là ne me gêne que la première semaine.</p> - -<p>La plupart de mes folies apparentes, surtout la bêtise de ne pas avoir -saisi au passage l'occasion. <i>qui est chauve</i>, comme dit Don Japhet -d'Arménie, toutes mes duperies en achetant, etc., etc., viennent de -<i>l'espagnolisme</i> communiqué par ma tante Elisabeth, pour laquelle j'eus -toujours le plus profond respect, un respect si profond qu'il empêchait -mon amitié d'être tendre, et, ce me semble, de la lecture de l'Arioste -faite si jeune et avec tant de plaisir. (Aujourd'hui, les héros de -l'Arioste me semblent des palefreniers dont la force fait l'unique -mérite, ce qui me met en dispute avec les gens d'esprit qui préfèrent -hautement l'Arioste au Tasse, tandis qu'à mes yeux, quand par bonheur -le Tasse oublie d'imiter Virgile ou Homère, il est le plus touchant des -poètes.)</p> - -<hr /> - -<p>En moins d'une heure, je viens d'écrire ces douze pages, et en -m'arrêtant de temps en temps pour tâcher de ne pas écrire des choses -peu nettes, que je serais obligé d'effacer.</p> - -<p>Comment aurais-je pu écrire bien <i>physiquement</i>,<span class="pagenum"><a name="Page_230" id="Page_230">[p. 230]</a></span> M. Colomb?—Mon ami -Colomb, qui m'accable de ce reproche dans sa lettre d'hier et dans les -précédentes, braverait les supplices pour sa parole, et pour moi. (Il -est né à Lyon vers 1785, son père, ancien négociant fort loyal, se -retira à Grenoble vers 1788. M. Romain Colomb a 20 ou 25.000 francs de -revenu et trois filles, rue Godot-de-Mauroy, Paris<a name="NoteRef_10_405" id="NoteRef_10_405"></a><a href="#Note_10_405" class="fnanchor">[10]</a>.)</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_231" id="Page_231">[p. 231]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_396" id="Note_1_396"></a><a href="#NoteRef_1_396"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XXI</i> est le chapitre XVIII du manuscrit (fol. 299 à -311).—Écrit à Rome, le 30 décembre 1835.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_397" id="Note_2_397"></a><a href="#NoteRef_2_397"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>hypocrisie doucereuse (ou jésuite).</i>—Ms.: «<i>Tejé.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_398" id="Note_3_398"></a><a href="#NoteRef_3_398"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>mon bureau à la Tronchin ne m'a coûté que quatre écus et -demi</i> (<i>ou</i> 4 X 5.45 = 24 <i>fr.</i> 52).—Nous reproduisons sans le modifier, -le calcul de Stendhal.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_399" id="Note_4_399"></a><a href="#NoteRef_4_399"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>un père de cinquante-et-un ans ...</i>—<i>Cinquante-et-un</i> est -en blanc dans le manuscrit.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_400" id="Note_5_400"></a><a href="#NoteRef_5_400"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>ces caractères mobiles percés dans une feuille de laiton -grande comme une carte à jouer ...</i>—Suit une figure représentant un B -en laiton.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_401" id="Note_6_401"></a><a href="#NoteRef_6_401"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>verrai-je la vérité à soixante-cinq ans, si j'y arrive.</i>—On -lit en face, au verso du fol. 302: «A placer. Touchant mon caractère. -On me dira: Mais êtes-vous un prince ou un Émile pour que quelque -Jean-Jacques Rousseau se donne la peine d'étudier et de guider votre -caractère? Je répondrai: Toute ma famille se mêlait de mon éducation. -Après la haute imprudence d'avoir tout quitté à la mort de ma mère, -j'étais pour eux le seul remède à l'ennui, et ils me donnaient tout -l'ennui que je leur ôtais. Ne jamais parler à aucun autre enfant de mon -âge!</p> - -<p>—Écriture: les idées me galopent, si je ne les note pas vite, je les -perds. Comment écrirais-je vite (<i>sic</i>)? Voila, M. Colomb, comment -je prends l'habitude de mal écrire. Omar, <i>thirthent december</i> 1835, -revenant de San Gregorio et du Foro boario.»]</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_402" id="Note_7_402"></a><a href="#NoteRef_7_402"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>qui ne demande que six ...</i>—Un mot illisible.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_403" id="Note_8_403"></a><a href="#NoteRef_8_403"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>à cinquante-deux ans ...</i>—Ms.: «26 X 2.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_404" id="Note_9_404"></a><a href="#NoteRef_9_404"><span class="label">[9]</span></a> ... <i>à cinquante ans.</i>—Ms.: «25 X 2.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_405" id="Note_10_405"></a><a href="#NoteRef_10_405"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>rue Godot-de-Mauroy, Paris.</i>—Justification de ma mauvaise -écriture: les idées me galopent et s'en vont si je ne les saisis pas. -Souvent, mouvement nerveux de la main. (Note de Stendhal.) -</p> -<p> -Au verso du fol. 311 est ce <i>testament</i> de Stendhal: «J'exige (<i>sine -qua non conditio</i>) que tous les noms de femme soient changés avant -l'impression. Je compte que cette précaution et la distance des temps -empêcheront tout scandale. Cività-Vecchia, le 31 décembre 1835. H. -BEYLE.»</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_XXII1" id="CHAPITRE_XXII1"></a>CHAPITRE XXII<a name="NoteRef_1_406" id="NoteRef_1_406"></a><a href="#Note_1_406" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Le siège de Lyon agitait<a name="NoteRef_2_407" id="NoteRef_2_407"></a><a href="#Note_2_407" class="fnanchor">[2]</a> tout le Midi: j'étais pour Kellermann et -les républicains, mes parents pour les émigrés et Précy (sans Monsieur, -comme ils disaient).</p> - -<p>Le cousin Senterre, de la poste, dont le cousin ou neveu<a name="NoteRef_3_408" id="NoteRef_3_408"></a><a href="#Note_3_408" class="fnanchor">[3]</a> se -battait dans Lyon<a name="NoteRef_4_409" id="NoteRef_4_409"></a><a href="#Note_4_409" class="fnanchor">[4]</a>, venait à la maison deux fois par jour; comme -c'était l'été, nous prenions le café au lait du matin dans le cabinet -d'histoire naturelle sur la terrasse.</p> - -<p>C'est au point H<a name="NoteRef_5_410" id="NoteRef_5_410"></a><a href="#Note_5_410" class="fnanchor">[5]</a> que j'ai peut-être éprouvé les plus vifs -transports d'amour de la patrie et de haine pour les <i>aristocrates</i> -(légitimistes de 1835) et les prêtres<a name="NoteRef_6_411" id="NoteRef_6_411"></a><a href="#Note_6_411" class="fnanchor">[6]</a>, ses ennemis.</p> - -<p>M. Senterre, employé à la poste aux lettres<a name="NoteRef_7_412" id="NoteRef_7_412"></a><a href="#Note_7_412" class="fnanchor">[7]</a>, nous<span class="pagenum"><a name="Page_232" id="Page_232">[p. 232]</a></span> apportait -constamment six ou sept journaux dérobés aux abonnés, qui ne les -recevaient que deux heures plus tard à cause de notre curiosité. Il -avait son doigt de vin et son pain et écoutait les journaux. Souvent, -il avait des nouvelles de Lyon.</p> - -<p>Je venais le soir, seul, sur la terrasse, pour tâcher d'entendre le -canon de Lyon. Je vois dans la <i>Table chronologique</i>, le seul livre que -j'aie à Rome<a name="NoteRef_8_413" id="NoteRef_8_413"></a><a href="#Note_8_413" class="fnanchor">[8]</a>, que Lyon fut pris le 9 octobre 1793. Ce fut donc -pendant l'été de 1793, à dix<a name="NoteRef_9_414" id="NoteRef_9_414"></a><a href="#Note_9_414" class="fnanchor">[9]</a> ans, que je venais écouter le canon -de Lyon; je ne l'entendis jamais. Je regardais avec envie la montagne -de Méaudre (prononcez Mioudre)<a name="NoteRef_10_415" id="NoteRef_10_415"></a><a href="#Note_10_415" class="fnanchor">[10]</a>, de laquelle on l'entendait. -Notre brave cousin Romagnier (cousin pour avoir épousé une demoiselle -Blanchet, parente de la femme de mon grand-père), je crois, était de -Méaudre<a name="NoteRef_11_416" id="NoteRef_11_416"></a><a href="#Note_11_416" class="fnanchor">[11]</a>, où il allait tous les deux mois voir son père. Au -retour, il faisait palpiter mon cœur en me disant: «Nous entendons -fort bien le canon de Lyon, surtout le soir, au coucher du soleil, et -quand le vent est au nord-ouest (nordoua).»</p> - -<p>Je contemplais avec le plus vif désir d'y aller le point B, mais -c'était un désir qu'il fallait bien se garder d'énoncer.</p> - -<p>J'aurais peut-être dû placer ce détail bien plus haut, mais je répète -que pour mon enfance je n'ai que des images fort nettes, sans <i>date</i> -comme sans <i>physionomie.</i></p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_233" id="Page_233">[p. 233]</a></span></p> - -<p>Je les écris un peu comme cela me vient.</p> - -<p>Je n'ai aucun livre et je ne veux lire aucun livre, je m'aide à peine -de la stupide <i>Chronologie</i> qui porte le nom de cet homme fin et sec, -M. Loïs Weymar. Je ferai de même pour la campagne de Marengo (1800), -pour celle de 1809, pour la campagne de Moscou, pour celle de 1813, -où je fus intendant à Sagan (Silésie, sur la Bober); je ne prétends -nullement écrire une histoire, mais tout simplement noter mes souvenirs -afin de deviner quel homme j'ai été: bête ou spirituel, peureux ou -courageux, etc., etc. C'est la réponse au grand mot:</p> - -<p> -Γνωτι σεαυτον<br /> -</p> - -<p>Durant cet été de 1793, le siège de Toulon m'agitait beaucoup; il va -sans dire que mes parents approuvaient les traîtres qui le rendirent, -cependant ma tante Elisabeth, avec sa fierté castillane, me dit ... -<a name="NoteRef_12_417" id="NoteRef_12_417"></a><a href="#Note_12_417" class="fnanchor">[12]</a>.</p> - -<hr /> - -<p>Je vis partir le général Carteau ou Cartaud, qui parada sur la place -Grenette. Je vois encore son nom sur les fourgons<a name="NoteRef_13_418" id="NoteRef_13_418"></a><a href="#Note_13_418" class="fnanchor">[13]</a> défilant -lentement et à grand bruit par la rue Montorge pour aller à Toulon.</p> - -<hr /> - -<p>Un grand événement se préparait pour moi, j'y fus fort sensible dans -le moment, mais il était trop tard, tout lien d'amitié était à jamais -rompu entre mon père et moi, et mon horreur pour les détails<span class="pagenum"><a name="Page_234" id="Page_234">[p. 234]</a></span> bourgeois -et pour Grenoble était désormais invincible.</p> - -<p>Ma tante Séraphie était malade depuis longtemps. Enfin, on parla -de danger; ce fut la bonne Marion (Marie Thomasset), mon amie, -qui prononça ce grand mot. Le danger devint pressant, les prêtres -affluèrent.</p> - -<p>Un soir d'hiver, ce me semble, j'étais dans la cuisine, vers les sept -heures du soir<a name="NoteRef_14_419" id="NoteRef_14_419"></a><a href="#Note_14_419" class="fnanchor">[14]</a>, au point H, vis-à-vis l'armoire de Marion. -Quelqu'un vint dire: «Elle est passée.» Je me jetai à genoux au point -H pour remercier Dieu de cette grande délivrance.</p> - -<p>Si les Parisiens sont aussi niais en 1880 qu'en 1835, cette façon de -prendre la mort de la sœur de ma mère me fera passer pour barbare, -cruel, atroce.</p> - -<p>Quoi qu'il en soit, telle est la vérité. Après la première semaine de -messes des morts et de prières, tout le monde se trouva grandement -soulagé<a name="NoteRef_15_420" id="NoteRef_15_420"></a><a href="#Note_15_420" class="fnanchor">[15]</a> dans la maison. Je crois que mon père même fut bien aise -d'être délivré de cette maîtresse diabolique, si toutefois elle a été -sa maîtresse, ou de cette amie intime diabolique.</p> - -<p>Une de ses dernières actions avait été, un soir que je lisais sur la -commode de ma tante Elisabeth<a name="NoteRef_16_421" id="NoteRef_16_421"></a><a href="#Note_16_421" class="fnanchor">[16]</a>, au point H, la <i>Henriade</i> ou -<i>Bélisaire</i>, que mon grand-père venait de me prêter, de s'écrier: « -Comment peut-on donner de tels livres à cet enfant! Qui lui a donné ce -livre?»</p> - -<p>Mon excellent grand-père, sur ma demande<span class="pagenum"><a name="Page_235" id="Page_235">[p. 235]</a></span> importune, venait d'avoir la -complaisance, malgré le froid, d'aller avec moi jusque dans son cabinet -de travail, touchant la terrasse, à l'autre bout de la maison, pour me -donner ce livre dont j'avais soif ce soir-là.</p> - -<p>Toute la famille était en rang d'oignons devant le feu, au point D -<a name="NoteRef_17_422" id="NoteRef_17_422"></a><a href="#Note_17_422" class="fnanchor">[17]</a>. On répétait souvent, à Grenoble, ce mot: rang d'oignons<a name="NoteRef_18_423" id="NoteRef_18_423"></a><a href="#Note_18_423" class="fnanchor">[18]</a>. -Mon grand-père, au reproche insolent de sa fille, ne répondit, en -haussant les épaules, que: «Elle est malade.»</p> - -<p>J'ignore absolument la date de cette mort; je pourrai la faire prendre -sur les registres de l'état-civil à Grenoble<a name="NoteRef_19_424" id="NoteRef_19_424"></a><a href="#Note_19_424" class="fnanchor">[19]</a>.</p> - -<hr /> - -<p>Il me semble que bientôt après j'allai à l'École centrale, chose que -Séraphie n'eût jamais souffert. Je crois que ce fut vers 1797 et que je -ne fus que trois ans à l'École centrale.</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_236" id="Page_236">[p. 236]</a><br /><a name="Page_237" id="Page_237">[p. 237]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_406" id="Note_1_406"></a><a href="#NoteRef_1_406"><span class="label">[1]</span></a> <i>Chapitre XXII.</i>—Ce chapitre, non numéroté par Stendhal, va du -fol. 311 <i>ter</i> au fol. 315 <i>bis.</i>—Le chapitre commence ainsi: «Le -fameux siège de Lyon (dont plus tard j'ai tant connu le chef, M. de -Précy, à Brunswick, 1806-1809, mon premier modèle d'homme de bonne -compagnie, après M. de Tressan, dans ma première enfance).» -</p> -<p> -—Le fol. 311 <i>bis</i> porte simplement ces deux mentions: «Tome second», -et: «Siège de Lyon, été de 1793.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_407" id="Note_2_407"></a><a href="#NoteRef_2_407"><span class="label">[2]</span></a> <i>Le siège de Lyon agitait ...</i>—Variante: «<i>Agita.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_408" id="Note_3_408"></a><a href="#NoteRef_3_408"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>dont le cousin ou neveu ...</i>—Les deux mots: <i>cousin ou</i>, -ont été rayés au crayon par R. Colomb.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_409" id="Note_4_409"></a><a href="#NoteRef_4_409"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>se battait dans Lyon ...</i>—Il ne se battait pas; sa -condamnation à mort fut motivée sur une lettre écrite à une dame de -ses amies et interceptée par Dubois de Crancé. (Note au crayon de R. -Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_410" id="Note_5_410"></a><a href="#NoteRef_5_410"><span class="label">[5]</span></a> <i>C'est au point H que j'ai peut-être éprouvé ...</i>—En face, -au verso du fol. 311 <i>ter</i>, se trouve un plan de la scène: dans le -«cabinet d'histoire naturelle», garni sur ses deux plus grands murs -d' «armoires fermées contenant minéraux, coquillages», est la «table -de déjeuner avec café au lait excellent et fort bons petits pains -très cuits, <i>griches</i> perfectionnées»; autour de la table, en «S, M. -Senterre avec son chapeau à larges bords, à cause de ses yeux faibles -et bordés de rouge»; en «H, moi, dévorant ses nouvelles». La terrasse -est voisine; au bout se trouve en «J, mon jardin particulier, à côté de -la pierre à eau».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_411" id="Note_6_411"></a><a href="#NoteRef_6_411"><span class="label">[6]</span></a> <i> ... et les prêtres ...</i>—Ms.: «<i>Tresp.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_412" id="Note_7_412"></a><a href="#NoteRef_7_412"><span class="label">[7]</span></a> <i>M. Senterre, employé à la poste aux lettres ...</i>—Stendhal a -déjà parlé de son cousin Senterre et de la scène des journaux. Voir -plus haut, chapitre XII.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_413" id="Note_8_413"></a><a href="#NoteRef_8_413"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>le seul livre que j'ai à Rome ...</i>—Ms.: «<i>Mero.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_414" id="Note_9_414"></a><a href="#NoteRef_9_414"><span class="label">[9]</span></a> ... <i>à dix ans ...</i>—Ms.: «<i>Ten.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_415" id="Note_10_415"></a><a href="#NoteRef_10_415"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>la montagne de Méandre (prononcez Mioudre)...</i>—En face, au -verso du fol 312, est un dessin représentant la silhouette des plateaux -de Saint-Nizier (A) et de Sornin (B) jusqu'à la vallée de l'Isère (V). -«Méaudre ou Mioudre en M, dans la vallée entre les deux montagnes A -et B»; «V, vallée de Voreppe, adorée par moi comme étant le chemin de -Paris».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_416" id="Note_11_416"></a><a href="#NoteRef_11_416"><span class="label">[11]</span></a> ... <i>Méaudre ...</i>—Ms.: «<i>Mioudre.</i>»—Méaudre est un village de -784 habitants situé à 1.012 m. d'altitude, dans la vallée de la Bourne.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_417" id="Note_12_417"></a><a href="#NoteRef_12_417"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>ma tante Elisabeth, avec sa fierté castillane, me dit -...</i>—Le reste de la page a été laissé en blanc par Stendhal. -Cet alinéa et le suivant, accompagnés d'un grand blanc, étaient -certainement destinés à être développés.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_418" id="Note_13_418"></a><a href="#NoteRef_13_418"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>sur les fourgons ...</i>—Variante: «<i>Ses fourgons.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_419" id="Note_14_419"></a><a href="#NoteRef_14_419"><span class="label">[14]</span></a> ... <i>j'étais dans la cuisine vers les sept heures du soir -...</i>—Suit un plan de la cuisine. Sur la «grande table» de milieu, en -«O, boîte à poudre qui éclata». En H, le jeune Henri devant l'armoire. -(Voir notre plan de l'appartement Gagnon.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_420" id="Note_15_420"></a><a href="#NoteRef_15_420"><span class="label">[15]</span></a> ... <i>se trouva grandement soulagé ...</i>—Variante: «<i>Délivré.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_421" id="Note_16_421"></a><a href="#NoteRef_16_421"><span class="label">[16]</span></a> ... <i>un soir que je lisais sur la commode de ma tante Elisabeth -...</i>—En face, au verso du fol. 313 <i>quater</i>, est un plan de la partie -de l'appartement Gagnon occupé par les chambres d'Elisabeth et Séraphie -Gagnon. Dans la chambre d'Elisabeth, en «H, moi lisant la <i>Henriade</i> -ou <i>Bélisaire</i>, dont mon grand-père admirait beaucoup le quinzième -chapitre ou le commencement: <i>Justinien vieillissait ...</i> Quel tableau -de la vieillesse de Louis XV, disait-il!»—Dans un angle de la place -Grenette est figuré l'«escalier et perron de la maison Périer-Lagrange. -François, le fils aîné, bon et bête, grand homme de cheval, épousa ma -sœur Pauline pendant les campagnes d'Allemagne».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_422" id="Note_17_422"></a><a href="#NoteRef_17_422"><span class="label">[17]</span></a> <i>Toute la famille était en rang d'oignons devant le jeu au point -D.</i>—Plan de la chambre d'Elisabeth Gagnon en haut du fol. 314; autour -de la cheminée, en D, la famille en <i>rang d'oignons</i>; en face de la -cheminée, le jeune Beyle lisant sur la commode.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_423" id="Note_18_423"></a><a href="#NoteRef_18_423"><span class="label">[18]</span></a> ... <i>rang d'oignons.</i>—On lit en haut du fol. 315 <i>bis</i>: «30 -décembre 1835. Omar.»—Le fol. 315 porte simplement: «Chapitre XIX.» -Ce chapitre commence au milieu de la page 315 <i>bis</i>, suivant une -indication de Stendhal lui-même.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_19_424" id="Note_19_424"></a><a href="#NoteRef_19_424"><span class="label">[19]</span></a> ... <i>sur les registres de l'état civil à Grenoble.</i>—Séraphie -Gagnon est morte le 9 janvier 1797, à dix heures du soir.</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_XXIII1" id="CHAPITRE_XXIII1"></a>CHAPITRE XXIII<a name="NoteRef_1_425" id="NoteRef_1_425"></a><a href="#Note_1_425" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<h4>ÉCOLE CENTRALE</h4> - - -<p>Bien des années après, vers 1817, j'appris de M. de Tracy que c'était -lui, en grande partie, qui avait fait la loi excellente des Écoles -centrales<a name="NoteRef_2_426" id="NoteRef_2_426"></a><a href="#Note_2_426" class="fnanchor">[2]</a>.</p> - -<p>Mon grand-père fut le très digne chef du jury chargé de présenter à -l'administration départementale les noms des professeurs et d'organiser -l'école. Mon grand-père adorait les lettres et l'instruction, et, -depuis quarante ans, était à la tête de tout ce qui s'était fait de -littéraire et de libéral à Grenoble.</p> - -<p>Séraphie l'avait vertement blâmé d'avoir accepté ces fonctions de -membre du jury d'organisation, mais le fondateur de la bibliothèque -publique devait à sa considération dans le monde d'être le chef de -l'École centrale<a name="NoteRef_3_427" id="NoteRef_3_427"></a><a href="#Note_3_427" class="fnanchor">[3]</a>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_238" id="Page_238">[p. 238]</a></span></p> - -<p>Mon maître Durand, qui venait à la maison me donner des leçons, fut -professeur de latin; comment ne pas aller à son cours à l'École -centrale? Si Séraphie eût vécu, elle eût trouvé une raison, mais, -dans l'état des choses, mon père se borna à dire des mots profonds et -sérieux sur le danger des mauvaises connaissances pour les mœurs. Je ne -me sentais pas de joie; il y eut une séance d'ouverture de l'École dans -les salles de la bibliothèque, où mon grand-père fit un discours.</p> - -<p>C'est peut-être là cette assemblée si nombreuse dans la première salle -SS<a name="NoteRef_4_428" id="NoteRef_4_428"></a><a href="#Note_4_428" class="fnanchor">[4]</a>, dont je trouve l'image dans ma tête.</p> - -<p>Les professeurs étaient MM. Durand, pour la langue latine; Gattel, -grammaire générale et même logique, ce me semble; Dubois-Fontanelle, -auteur de la tragédie d'<i>Ericie</i><a name="NoteRef_5_429" id="NoteRef_5_429"></a><a href="#Note_5_429" class="fnanchor">[5]</a> <i>ou la Vestale</i> et rédacteur -pendant vingt-deux ans de la Gazette des Deux-Ponts<a name="NoteRef_6_430" id="NoteRef_6_430"></a><a href="#Note_6_430" class="fnanchor">[6]</a>, -belles-lettres; Trousset, jeune médecin, la chimie; Jay, grand hâbleur -de cinq pieds dix pouces, sans l'ombre de talent, mais bon pour -enfiévrer (monter la tête des enfants), le dessin,—il eut bientôt -trois cents élèves; Chalvet (Pierre, Vincent), jeune pauvre libertin, -véritable auteur sans aucun talent, l'histoire—et chargé de recevoir -l'argent des inscriptions qu'il mangea en partie avec trois sœurs, -fort catins de leur métier, qui lui donnèrent une nouvelle v..., de -laquelle il mourut bientôt après; enfin Dupuy, le bourgeois le plus<span class="pagenum"><a name="Page_239" id="Page_239">[p. 239]</a></span> -emphatique et le plus paternel que j'aie jamais vu, professeur de -mathématiques—sans l'ombre de talent. C'était à peine un arpenteur, -on le nomma dans une ville qui avait un Gros! Mais mon grand-père ne -savait pas un mot de mathématiques et les haïssait, et d'ailleurs -l'emphase du père Dupuy (comme nous l'appelions; lui nous disait: -mes enfants) était bien faite pour lui conquérir l'estime générale à -Grenoble. Cet homme si vide disait cependant une grande parole: «<i>Mon -enfant, étudie la Logique de Condillac, c'est la base de tout.</i>»</p> - -<p>On ne dirait pas mieux aujourd'hui, en remplaçant toutefois le nom de -Condillac par celui de Tracy.</p> - -<p>Le bon, c'est que je crois que M. Dupuy ne comprenait pas le premier -mot de cette logique de Condillac, qu'il nous conseillait; c'était un -fort mince volume petit in-12. Mais j'anticipe, c'est mon défaut, il -faudra peut-être en relisant effacer toutes ces phrases qui offensent -l'ordre chronologique.</p> - -<p>Le seul homme parfaitement à sa place était M. l'abbé Gattel, abbé -coquet, propret, toujours dans la société des femmes, véritable abbé -du XVII<sup>e</sup> siècle; mais il était fort sérieux en faisant son -cours et savait, je crois, tout ce qu'on savait alors des habitudes -principales des mouvements d'instinct et en second lieu de facilité et -d'analogie que les peuples ont suivie en formant les langues.</p> - -<p>M. Gattel avait fait un fort bon dictionnaire où<span class="pagenum"><a name="Page_240" id="Page_240">[p. 240]</a></span> il avait osé noter -la prononciation, et dont je me suis toujours servi. Enfin, c'était -un homme qui savait travailler cinq à six heures tous les jours, ce -qui est rare en province, où l'on ne sait que <i>baguenauder</i> toute la -journée.</p> - -<p>Les niais de Paris blâment cette peinture de la prononciation saine, -naturelle. C'est par lâcheté et par ignorance. Ils ont peur d'être -ridicules en notant la prononciation d'<i>Anvers</i> (ville), de <i>cours</i>, de -<i>vers.</i> Ils ne savent pas qu'à Grenoble, par exemple, on dit: J'ai été -au <i>Cour-ce</i>, ou: j'ai lu des <i>ver-ce</i> sur <i>Anver-se</i> et <i>Calai-se.</i> -Si l'on parle ainsi à Grenoble, ville d'esprit et tenant encore un peu -aux pays du Nord, qui pour la langue ont évincé le Midi, que sera-ce -à Toulouse, Béziers, Pézenas, Digne? Pays où l'on devrait afficher la -prononciation française à la porte des églises.</p> - -<p>Un ministre de l'Intérieur qui voudrait faire son métier, au lieu -d'intriguer auprès du roi et dans les Chambres, comme M. Guizot<a name="NoteRef_7_431" id="NoteRef_7_431"></a><a href="#Note_7_431" class="fnanchor">[7]</a>, -devrait demander un crédit de deux millions par an pour amener<a name="NoteRef_8_432" id="NoteRef_8_432"></a><a href="#Note_8_432" class="fnanchor">[8]</a> au -niveau d'instruction des autres Français les peuples qui habitent dans -le fatal triangle qui s'étend entre Bordeaux, Bayonne et Valence. On -croit aux sorciers, on ne sait pas lire et on ne parle pas français -en ces pays. Ils peuvent produire par hasard un homme supérieur -comme Lannes, Soult, mais le général ...<a name="NoteRef_9_433" id="NoteRef_9_433"></a><a href="#Note_9_433" class="fnanchor">[9]</a> y est d'une ignorance -incroyable. Je pense qu'à cause du climat et de l'amour et de<span class="pagenum"><a name="Page_241" id="Page_241">[p. 241]</a></span> -l'énergie qu'il donne à la machine, ce triangle devrait produire les -premiers hommes de France. La Corse me conduit à cette idée.</p> - -<p>Avec ses 180.000 habitants, cette île a donné huit ou dix hommes de -mérite à la Révolution et le département du Nord, avec ses 900.000 -habitants, à peine un. Encore j'ignore le nom de cet <i>un.</i> Il va sans -dire que les prêtres<a name="NoteRef_10_434" id="NoteRef_10_434"></a><a href="#Note_10_434" class="fnanchor">[10]</a> sont tout-puissants dans ce fatal triangle. -La civilisation est de Lille à Rennes et cesse vers Orléans et Tours. -Au sud de Grenoble est sa brillante limite<a name="NoteRef_11_435" id="NoteRef_11_435"></a><a href="#Note_11_435" class="fnanchor">[11]</a>.</p> - -<hr /> - -<p>Nommer les professeurs à l'École centrale<a name="NoteRef_12_436" id="NoteRef_12_436"></a><a href="#Note_12_436" class="fnanchor">[12]</a> coûtait peu et était -bientôt fait, mais il y avait de grandes réparations à faire aux -bâtiments. Malgré la guerre, tout se faisait dans ces temps d'énergie. -Mon grand-père demandait sans cesse des fonds à l'administration -départementale.</p> - -<p>Les cours s'ouvrirent au printemps, je crois, dans des salles -provisoires.</p> - -<p>Celle de M. Durand avait une vue délicieuse et enfin, après un mois, -j'y fus sensible. C'était un beau jour d'été et une brise douce agitait -les foins des glacis de la porte de Bonne, sous nos yeux<a name="NoteRef_13_437" id="NoteRef_13_437"></a><a href="#Note_13_437" class="fnanchor">[13]</a>, à -soixante ou quatre-vingts pieds plus bas.</p> - -<p>Mes parents me vantaient sans cesse, et à leur manière, la beauté des -champs, de la verdure, des fleurs, etc., des renoncules, etc.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_242" id="Page_242">[p. 242]</a></span></p> - -<p>Ces plates phrases m'ont donné, pour les fleurs et les plates-bandes, -un dégoût qui dure encore.</p> - -<p>Par bonheur, la vue magnifique que je trouvai <i>tout seul</i> à une fenêtre -du collège, voisine de la salle du latin, où j'allais rêver tout seul, -surmonta le profond dégoût causé par les phrases de mon père et des -prêtres, ses amis.</p> - -<p>C'est ainsi que, tant d'années après, les phrases nombreuses et -prétentieuses de MM. Chateaubriand et de Salvandy m'ont fait écrire <i>le -Rouge et le Noir</i> d'un style trop haché. Grande sottise, car dans vingt -ans, qui songera aux fatras hypocrites de ces Messieurs? Et moi, je -mets un billet à une loterie, dont le gros lot se réduit à ceci: être -lu en 1935.</p> - -<p>C'est la même disposition d'âme qui me faisait fermer les yeux aux -paysages des extases de ma tante Séraphie. J'étais en 1794 comme -le peuple de Milan<a name="NoteRef_14_438" id="NoteRef_14_438"></a><a href="#Note_14_438" class="fnanchor">[14]</a> est en 1835: les autorités allemandes et -abhorrées veulent lui faire goûter Schiller, dont la belle âme, si -différente de celle du plat Goethe, serait bien choquée de voir de tels -apôtres à sa gloire.</p> - -<hr /> - -<p>Ce fut une chose bien étrange pour moi que de débuter, au printemps de -1791 ou 95, à onze ou douze ans, dans une école où j'avais dix ou douze -camarades.</p> - -<p>Je trouvai la réalité bien au-dessous des folles images de mon -imagination. Ces camarades n'étaient<span class="pagenum"><a name="Page_243" id="Page_243">[p. 243]</a></span> pas assez gais, pas assez fous, -et ils avaient des façons bien ignobles.</p> - -<p>Il me semble que M. Durand, tout enflé de se voir professeur d'une -École centrale, mais toujours bonhomme, me mit à traduire Salluste, <i>De -Bello Jugurtino.</i> La liberté produisit ses premiers fruits, je revins -au bon sens en perdant ma colère et goûtai fort Salluste.</p> - -<p>Tout le collège était rempli d'ouvriers, beaucoup de chambres de notre -troisième étage étaient ouvertes, j'allais y rêver seul.</p> - -<p>Tout m'étonnait dans cette liberté tant souhaitée, et à laquelle -j'arrivais enfin. Les charmes que j'y trouvais n'étaient pas ceux que -j'avais rêvés, ces compagnons si gais, si aimables, si nobles, que -je m'étais figurés, je ne les trouvais pas, mais à leur place, des -polissons très égoïstes.</p> - -<p>Ce désappointement, je l'ai eu à peu près dans tout le courant de ma -vie. Les seuls bonheurs d'ambition en ont été exempts, lorsque, en -1810<a name="NoteRef_15_439" id="NoteRef_15_439"></a><a href="#Note_15_439" class="fnanchor">[15]</a>, je fus auditeur et, quinze jours après, inspecteur du -mobilier. Je fus ivre de contentement, pendant trois mois, de n'être -plus commissaire des Guerres et exposé à l'envie et aux mauvais -traitements de ces héros si grossiers qui étaient les manœuvres -de l'Empereur à Iéna et à Wagram. La postérité ne saura jamais la -grossièreté et la bêtise de ces gens-là, hors de leur champ de -bataille. Et même sur ce champ de bataille, quelle prudence! C'étaient -des<span class="pagenum"><a name="Page_244" id="Page_244">[p. 244]</a></span> gens comme l'amiral Nelson, le héros de Naples (voir Caletta et -ce que m'a conté M. Di Fiore), comme Nelson, songeant toujours à ce -que chaque blessure leur rapporterait en dotations et en croix. Quels -animaux ignobles, comparés à la haute vertu du général Michaud, du -colonel Mathis! Non, la postérité ne saura jamais quels plats jésuites -ont été ces héros des bulletins de Napoléon, et comme je riais en -recevant le <i>Moniteur</i>, à Vienne, Dresde, Berlin, Moscou, que personne -presque ne recevait à l'armée afin qu'on ne pût pas se moquer des -messages. Les Bulletins étaient des machines de guerre, des <i>travaux de -campagne</i>, et non des pièces historiques.</p> - -<p>Heureusement pour la pauvre vérité, l'extrême lâcheté de ces héros, -devenus pairs de France et juges en 1835, mettra la postérité au fait -de leur héroïsme en 1809. Je ne fais exception que pour l'aimable -Lasalle et pour Exelmans, qui depuis... Mais alors il n'était pas allé -rendre visite au maréchal Bournon, ministre de la Guerre. Moncey aussi -n'aurait pas fait certaines bassesses, mais Suchet...<a name="NoteRef_16_440" id="NoteRef_16_440"></a><a href="#Note_16_440" class="fnanchor">[16]</a> J'oubliais -le grand Gouvion-Saint-Cyr avant que l'âge l'eût rendu à-demi imbécile, -et celte imbécillité remonte à 1814. Il n'eut plus, après cette époque, -que le talent d'écrire. Et dans l'ordre civil, sous Napoléon, quels -plats bougres<a name="NoteRef_17_441" id="NoteRef_17_441"></a><a href="#Note_17_441" class="fnanchor">[17]</a> que M. de B...., venant persécuter M. Daru à -Saint-Cloud, au mois de novembre, dès sept heures du matin, que le<span class="pagenum"><a name="Page_245" id="Page_245">[p. 245]</a></span> -comte d'Argout, bas flatteur du général Sébastiani<a name="NoteRef_18_442" id="NoteRef_18_442"></a><a href="#Note_18_442" class="fnanchor">[18]</a>!</p> - - -<p>Mais, bon Dieu, où en suis-je? A l'école de latin, dans les bâtiments -du collège.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_246" id="Page_246">[p. 246]</a><br /><a name="Page_247" id="Page_247">[p. 247]</a></span></p> - -<hr class="r5" /> -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_425" id="Note_1_425"></a><a href="#NoteRef_1_425"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XXIII</i> est le chapitre XIX du manuscrit (fol. 315 -<i>bis</i> à 331 <i>bis</i>).—Écrit à Rome, les 30 et 31 décembre 1835, et -1<sup>er</sup> janvier 1836.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_426" id="Note_2_426"></a><a href="#NoteRef_2_426"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>la loi excellente des Écoles centrales.</i>—Stendhal avait -d'abord écrit: «La loi excellente des Écoles centrales avait été faite, -ce me semble, par un comité dont M. de Tracy était le chef avec 6.000 -francs d'appointements, lui qui avait commencé avec 200.000 livres -de rente; mais ceci arrivera plus tard.»—Sur l'enseignement donné -dans les Écoles centrales en général et dans celle de Grenoble, en -particulier, ainsi que sur les camarades et amis d'Henri Beyle, voir -l'ouvrage de M. A. Chuquet, <i>Stendhal-Beyle</i> (1904).</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_427" id="Note_3_427"></a><a href="#NoteRef_3_427"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>d'être le chef de l'École centrale.—</i>Peut-être aussi -la crainte des patriotes entra-t-elle pour quelque chose dans -l'acceptation de cette fonction. (Note au crayon de R. Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_428" id="Note_4_428"></a><a href="#NoteRef_4_428"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>dans la première salle SS ...</i>—Plan de cette salle, à -l'entrée de laquelle se trouvait le «bureau du bibliothécaire, le -R. P. Ducros».—Au verso du fol. 314, Stendhal a figuré un plan du -collège (aujourd'hui le Lycée de filles), alors situé entre la «rue -Neuve, le faubourg Saint-Germain de Grenoble», et les «remparts de -la ville en 1795». On y voit au rez-de-chaussée la «première salle -des mathématiques» et la «salle de la chimie, professée par M. le Dr -Trousset»; au premier étage, la «seconde salle où j'ai remporté le -premier prix, sur sept ou huit élèves admis un mois après à l'École -polytechnique»; enfin la «salle de latin, au second ou troisième, -vue délicieuse» sur les «montagnes d'Echirolles» et sur des sommets -recouverts par des «neiges éternelles ou de huit mois de l'année au -moins».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_429" id="Note_5_429"></a><a href="#NoteRef_5_429"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>la tragédie d'</i>Ericie ...—Ms.: «<i>Aricie.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_430" id="Note_6_430"></a><a href="#NoteRef_6_430"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>la Gazette des Deux-Ponts ...</i>—La <i>Gazette universelle -de politique et de littérature des Deux-Ponts</i>, fondée en 1770. -Dubois-Fontanelle n'y collabora que jusqu'au 1<sup>er</sup> juin 1776.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_431" id="Note_7_431"></a><a href="#NoteRef_7_431"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>M. Guizot ...</i>—Ms.: «<i>Zotgui.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_432" id="Note_8_432"></a><a href="#NoteRef_8_432"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>pour amener ...</i>—Variante: «<i>Porter.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_433" id="Note_9_433"></a><a href="#NoteRef_9_433"><span class="label">[9]</span></a> ... <i>mais le général ...</i>—Le mot est en blanc dans le manuscrit.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_434" id="Note_10_434"></a><a href="#NoteRef_10_434"><span class="label">[10]</span></a> <i>Il va sans dire que les prêtres ...</i>—Ms.: «<i>Tresp.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_435" id="Note_11_435"></a><a href="#NoteRef_11_435"><span class="label">[11]</span></a> <i>Au sud de Grenoble est sa brillante limite.</i>—On lit en tête du -fol. 324: «31 décembre 1835. Omar.»—Ce feuillet n'a qu'une seule ligne -écrite; le reste est blanc.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_436" id="Note_12_436"></a><a href="#NoteRef_12_436"><span class="label">[12]</span></a> <i>Nommer les professeurs à l'École centrale ...</i>—On lit en haut -du fol. 325: «31 décembre 1835. Omar. Commencé ce livre, dont voici la -trois cent vingt-cinquième page, et cent, me ferait quatre cents le -... 1835.»—Le verso du même feuillet porte: «Rapidité: le 3 décembre -1835, j'en étais à 93, le 31 décembre à 325. 232 en 28 jours. Sur quoi -il y a eu voyage à Cività-Vecchia. Aucun travail les jours de voyage et -le soir d'arrivée ici, soit un ou deux sans écrire. Donc, en 23 jours, -232, ou dix pages par jour, ordinairement dix-huit ou vingt pages par -jour, et les jours de courrier quatre ou cinq ou pas du tout. Comment -pourrais-je écrire bien physiquement? D'ailleurs, ma mauvaise écriture -arrête les indiscrets. 1<sup>er</sup> janvier 1836.»</p> - -<p>—En interligne (aux mots: les professeurs de l'École centrale), -Stendhal a écrit: «MM. Gattel, Dubois-Fontanelle, Trousset, Villars -(paysan des Hautes-Alpes), Jay, Durand, Dupuy, Chabert, les voilà à peu -près par ordre d'utilité pour les enfants; les trois premiers avaient -du mérite.»—En face (fol. 324 verso) est encore un plan du «Collège ou -École centrale».]</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_437" id="Note_13_437"></a><a href="#NoteRef_13_437"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>sous nos yeux ...</i>—Variante: «<i>Vis-à-vis de nous.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_438" id="Note_14_438"></a><a href="#NoteRef_14_438"><span class="label">[14]</span></a> ... <i>le peuple de Milan ...</i>—Ms.: «<i>Lanmi.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_439" id="Note_15_439"></a><a href="#NoteRef_15_439"><span class="label">[15]</span></a> ... <i>lorsque, en</i> 1810 ...—Ms.: «1811.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_440" id="Note_16_440"></a><a href="#NoteRef_16_440"><span class="label">[16]</span></a> ... <i>mais Suchet ...</i>—Suit un blanc d'un quart de ligne.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_441" id="Note_17_441"></a><a href="#NoteRef_17_441"><span class="label">[17]</span></a> ... <i>quels plats bougres ...</i>—Ms.: «<i>Ougresb.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_442" id="Note_18_442"></a><a href="#NoteRef_18_442"><span class="label">[18]</span></a> ... <i>général Sébastiani!</i>—Ms.: «<i>Bastiani-sebas.</i>»</p></div> - - -<hr class="chap" /> -<h4><a name="CHAPITRE_XXIV1" id="CHAPITRE_XXIV1"></a>CHAPITRE XXIV<a name="NoteRef_1_443" id="NoteRef_1_443"></a><a href="#Note_1_443" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Je ne réussissais guère avec mes camarades; je vois aujourd'hui que -j'avais alors un mélange fort ridicule de hauteur et de besoin de -m'amuser. Je répondis à leur égoïsme le plus âpre par mes idées de -noblesse espagnole. J'étais navré quand, dans leurs jeux, ils me -laissaient de côté; pour comble de misère, je ne savais point ces jeux, -j'y portais une noblesse d'âme, une délicatesse qui devaient leur -sembler de la folie absolue. La finesse et la promptitude de l'égoïsme, -un égoïsme, je crois, hors de mesure, sont les seules choses qui aient -du succès parmi les enfants.</p> - -<p>Pour achever mon peu de succès, j'étais timide envers le professeur, -un mot de reproche contenu et<span class="pagenum"><a name="Page_248" id="Page_248">[p. 248]</a></span> dit par hasard par ce petit bourgeois -pédant avec un accent juste, me faisait venir les larmes aux yeux. -Ces larmes étaient de la lâcheté aux yeux de MM. Gauthier frères, -Saint-Ferréol, je crois, Robert (directeur actuel du théâtre Italien, à -Paris), et surtout Odru. Ce dernier était un paysan très fort et encore -plus grossier, qui avait un pied de plus qu'aucun de nous et que nous -appelions Goliath; il en avait la grâce, mais nous donnait de fières -taloches quand sa grosse intelligence s'apercevait enfin que nous nous -moquions de lui.</p> - -<p>Son père, riche paysan de Lumbin ou d'un autre village dans la -vallée<a name="NoteRef_2_444" id="NoteRef_2_444"></a><a href="#Note_2_444" class="fnanchor">[2]</a>. (On appelle ainsi par excellence l'admirable vallée de -l'Isère, de Grenoble à Montmélian. Réellement, la vallée s'étend -jusqu'à la <i>dent</i> de Moirans, de cette sorte<a name="NoteRef_3_445" id="NoteRef_3_445"></a><a href="#Note_3_445" class="fnanchor">[3]</a>.)</p> - -<hr /> - -<p>Mon grand-père avait profité du départ de Séraphie pour me faire suivre -les cours de mathématiques, de chimie et de dessin.</p> - -<p>M. Dupuy, ce bourgeois si emphatique et si plaisant, était, en -importance citoyenne, une sorte de rival subalterne de M. le docteur -Gagnon. Il était à plat ventre devant la noblesse, mais cet avantage -qu'il avait sur M. Gagnon était compensé par l'absence totale -d'amabilité et d'idées littéraires, qui alors formaient comme le pain -quotidien de la conversation. M. Dupuy, jaloux de voir M. Gagnon -membre du jury d'organisation et son supérieur,<span class="pagenum"><a name="Page_249" id="Page_249">[p. 249]</a></span> n'accueillit point la -recommandation de ce rival heureux en ma faveur, et je n'ai gagné ma -place dans la salle de mathématiques qu'à force de mérite, et en voyant -ce mérite, pendant trois ans de suite, mis continuellement en question. -M. Dupuy, qui parlait sans cesse et (jamais trop) de Condillac et de -sa Logique, n'avait pas l'ombre de logique dans la tête. Il parlait -noblement et avec grâce, et il avait une figure imposante et des -manières fort polies.</p> - -<p>Il eut une idée bien belle en 1794, ce fut de diviser les cent élèves -qui remplissaient la salle au rez-de-chaussée, à la première leçon de -mathématiques, en brigades de six ou de sept ayant chacune un chef.</p> - -<p>Le mien était un <i>grand</i>, c'est-à-dire un jeune homme au-delà de la -puberté et ayant un pied de plus que nous. Il nous crachait dessus, -en plaçant adroitement un doigt devant sa bouche. Au régiment, un tel -caractère s'appelle <i>arsouille.</i> Nous nous plaignions de cet arsouille, -nommé, je crois, Raimonet, à M. Dupuy, qui fut admirable de noblesse -en le cassant. M. Dupuy avait l'habitude de donner leçon aux jeunes -officiers d'artillerie de Valence et était fort sensible à l'honneur -(au coup d'épée).</p> - -<p>Nous suivions le plat cours de Bezout, mais M. Dupuy eut le bon esprit -de nous parler de Clairaut et de la nouvelle édition que M. Biot (ce -charlatan travailleur) venait d'en donner.</p> - -<p>Clairaut était fait pour ouvrir l'esprit, que<span class="pagenum"><a name="Page_250" id="Page_250">[p. 250]</a></span> Bezout tendait à laisser -à jamais bouché. Chaque proposition, dans Bezout, a l'air d'un grand -secret appris d'une bonne femme voisine.</p> - -<hr /> - -<p>Dans la salle de dessin, je trouvai que M. Jay et M. Couturier (au -nez cassé), son adjoint, me faisaient une terrible injustice. Mais M. -Jay, à défaut de tout autre mérite, avait celui de l'emphase, laquelle -emphase, au lieu de nous faire rire, nous enflammait. M. Jay obtenait -un beau succès, fort important pour l'École centrale, calomniée par les -prêtres. Il avait deux ou trois cents élèves.</p> - -<p>Tout cela était distribué par bancs de sept ou huit<a name="NoteRef_4_446" id="NoteRef_4_446"></a><a href="#Note_4_446" class="fnanchor">[4]</a>, et chaque -jour il fallait faire construire de nouveaux bancs. Et quels modèles! -de mauvaises académies dessinées par MM. Pajou et Jay lui-même; les -jambes, les bras, tout était en à peu près, bien patauds, bien lourds, -bien laids. C'était le dessin de M. Moreau jeune, ou de ce M. Cachoud -qui parle si drôlement de Michel-Ange et du Dominiquin dans ses trois -petits volumes sur l'Italie.</p> - -<p>Les grandes têtes étaient dessinées à la sanguine ou gravées à la -manière du crayon. Il faut avouer que la totale ignorance du dessin -y paraissait moins que dans les <i>académies</i> (figures nues). Le grand -mérite de ces têtes, qui avaient dix-huit pouces de haut, était que les -hachures fussent bien parallèles; quant à imiter la nature, il n'en -était pas question.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_251" id="Page_251">[p. 251]</a></span></p> - -<p>Un nommé Moulezin, bête et important à manger du foin et aujourd'hui -riche et important bourgeois de Grenoble, et sans doute l'un des plus -rudes ennemis du sens commun, s'immortalisa bientôt par le parallélisme -parfait de ses hachures à la sanguine. Il faisait des académies et -avait été élève de M. Villonne (de Lyon); moi, élève de M. Le Roy, que -la maladie et le bon goût parisien avaient empêché de son vivant d'être -aussi charlatan que M. Villonne à Lyon, dessinateur pour étoffes, je ne -pus obtenir que les grandes têtes, ce qui me choqua fort, mais eut le -grand avantage d'être une leçon de modestie.</p> - -<hr /> - -<p>J'en avais grand besoin, puisqu'il faut parler net. Mes parents, dont -j'étais l'ouvrage, s'applaudissaient de mes talents devant moi, et je -me croyais le jeune homme le plus distingué de Grenoble.</p> - -<p>Mon infériorité dans les jeux avec mes camarades de latin commença à -m'ouvrir les yeux. Le banc des grandes têtes, vers H<a name="NoteRef_5_447" id="NoteRef_5_447"></a><a href="#Note_5_447" class="fnanchor">[5]</a>, où l'on me -plaça, tout près des deux fils d'un cordonnier, à figures ridicules -(quelle inconvenance pour le petit-fils de M. Gagnon!), m'inspira la -volonté de crever ou d'avancer<a name="NoteRef_6_448" id="NoteRef_6_448"></a><a href="#Note_6_448" class="fnanchor">[6]</a>.</p> - -<p>Voici l'histoire de mon talent pour le dessin: ma famille, toujours -judicieuse, avait décidé, après un an ou dix-huit mois de leçons chez -cet homme si poli, M. Le Roy, que je dessinais fort bien.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_252" id="Page_252">[p. 252]</a></span></p> - -<p>Le fait est que je ne me doutais pas seulement que le dessin est une -invention de la nature. Je dessinais avec un crayon noir et blanc une -tête en demi-relief. (J'ai vu à Rome, au Braccio nuovo, que c'est la -tête de Musa, médecin d'Auguste.) Mon dessin était propre, froid, sans -aucun mérite, comme le dessin d'un jeune pensionnaire.</p> - -<p>Mes parents, qui avec toutes leurs phrases sur les beautés de la -campagne et les beaux paysages, n'avaient aucun sentiment des arts, pas -une gravure passable à la maison, me déclarèrent très fort en dessin. -M. Le Roy vivait encore et peignait<a name="NoteRef_7_449" id="NoteRef_7_449"></a><a href="#Note_7_449" class="fnanchor">[7]</a> des paysages à la gouache -(couleur épaisse), moins mal que le reste.</p> - -<p>J'obtins de laisser là le crayon et de peindre à la gouache.</p> - -<p>M. Le Roy avait fait une vue du pont de la Vence, entre la Buisserate -et Saint-Robert, prise du point A<a name="NoteRef_8_450" id="NoteRef_8_450"></a><a href="#Note_8_450" class="fnanchor">[8]</a>.</p> - -<p>Je passais ce pont plusieurs fois l'an pour aller à Saint-Vincent, je -trouvais que le dessin, surtout la montagne en M, ressemblait fort, -je fus illusionné. Donc, d'abord, et avant tout, il faut qu'un dessin -ressemble à la nature!</p> - -<p>Il n'était plus question de hachures bien parallèles. Après cette belle -découverte, je fis de rapides progrès.</p> - -<p>Le pauvre M. Le Roy vint à mourir, je le regrettai. Cependant, j'étais -encore esclave alors, et<span class="pagenum"><a name="Page_253" id="Page_253">[p. 253]</a></span> tous les jeunes gens allaient chez M. -Villonne, dessinateur pour étoffes chassé de <i>Commune-Affranchie</i> par -la guerre et les échafauds. Commune-Affranchie était le nouveau nom -donné à Lyon depuis sa prise.</p> - -<p>Je communiquai à mon père (mais par hasard et sans avoir l'esprit d'y -songer) mon goût pour la gouache, et j'achetai de M<sup>me</sup> Le -Roy, au triple de leur valeur, beaucoup de gouaches de son mari.</p> - -<p>Je convoitais fort deux volumes des <i>Contes</i> de La Fontaine, avec -gravures fort délicatement faites, mais fort claires.</p> - -<p>«Ce sont des horreurs, me dit M<sup>me</sup> Le Roy avec ses beaux -yeux de soubrette bien hypocrites; mais ce sont des chefs-d'œuvre.»</p> - -<p>Je vis que je ne pouvais escamoter le prix des <i>Contes</i> de La Fontaine -sur celui des gouaches. L'École centrale s'ouvrit, je ne songeai plus -à la gouache, mais ma découverte me resta<a name="NoteRef_9_451" id="NoteRef_9_451"></a><a href="#Note_9_451" class="fnanchor">[9]</a>: il fallait imiter -la nature, et cela empêcha peut-être que mes grandes têtes, copiées -d'après ces plats dessins, fussent aussi exécrables qu'elles auraient -dû l'être. Je me souviens du <i>Soldat indigné</i>, dans Héliodore chassé, -de Raphaël; je ne vois jamais l'original (au Vatican) sans me souvenir -de ma copie; le mécanisme du crayon, tout-à-fait arbitraire, même faux, -brillait surtout dans le dragon qui surmonte le casque.</p> - -<p>Quand nous avions fait un ouvrage passable,<span class="pagenum"><a name="Page_254" id="Page_254">[p. 254]</a></span> M. Jay s'asseyait à la -place de l'élève, corrigeait un peu la tête et raisonnait avec emphase, -mais enfin en raisonnant, et enfin signait la tête par derrière, -apparemment <i>ne varietur</i>, pour qu'elle pût, au milieu ou à la fin -de l'année, être présentée au concours. Il nous enflammait, mais -n'avait pas la plus petite notion du <i>beau.</i> Il n'avait fait en sa vie -qu'un tableau indigne, une Liberté copiée d'après sa femme, courte, -ramassée, sans forme. Pour l'alléger, il avait occupé le premier plan -par un tombeau derrière lequel la Liberté paraissait cachée jusqu'aux -genoux<a name="NoteRef_10_452" id="NoteRef_10_452"></a><a href="#Note_10_452" class="fnanchor">[10]</a>.</p> - - -<hr /> - -<p>La fin de l'année arriva, il y eut des examens en présence du jury, et, -je crois, d'un membre du Département.</p> - -<p>Je n'obtins qu'un misérable <i>accessit</i>, et encore pour faire plaisir, -je pense, à M. Gagnon, chef du jury, et à M. Dausse, autre membre du -jury, fort ami de M. Gagnon.</p> - -<p>Mon grand-père en fut humilié, et il me le dit avec une politesse -et une mesure parfaites. Son mot si simple fit sur moi tout l'effet -possible. Il ajouta en riant: «Tu ne savais que nous montrer ton gros -derrière!»</p> - -<p>Cette position peu aimable avait été remarquée au tableau de la salle -de mathématiques.</p> - -<p>C'était une ardoise de six pieds sur quatre, soutenue,<span class="pagenum"><a name="Page_255" id="Page_255">[p. 255]</a></span> à cinq pieds de -haut, par un châssis fort solide; on y montait par trois degrés.</p> - -<p>M. Dupuy faisait démontrer une proposition, par exemple le carré de -l'hypoténuse ou ce problème: un ouvrage coûte sept livres, quatre sous, -trois deniers la toise; l'ouvrier en a fait deux toises, cinq pieds, -trois pouces. Combien lui revient-il?</p> - -<p>Dans le courant de l'année, M. Dupuy avait toujours appelé au tableau -M. de Monval, qui était noble, M. de Pina, noble et ultra. M. Anglès, -M. de Renneville, noble, et jamais moi, ou une seule fois<a name="NoteRef_11_453" id="NoteRef_11_453"></a><a href="#Note_11_453" class="fnanchor">[11]</a>.</p> - -<p>Le cadet Monval, buse à figure de buse, mais bon mathématicien (terme -de l'école), a été massacré par les brigands en Calabre, vers 1806, je -crois. L'aîné, étant avec Paul-Louis Courier dans sa prise...<a name="NoteRef_12_454" id="NoteRef_12_454"></a><a href="#Note_12_454" class="fnanchor">[12]</a>, -devint un sale vieux ultra. Il fut colonel, ruina d'une vilaine façon -une grande dame de Naples; à Grenoble, voulut souffler le froid et le -chaud vers 1830, fut découvert et généralement méprisé. Il est mort de -ce mépris général, et richement mérité, fort loué par les dévots (voir -la <i>Gazette</i> de 1832 ou 1833). C'était un joli homme, coquin à tout -faire.</p> - -<p>M. de P..., maire à Grenoble de 1825 à 1830. Ultra à tout faire et -oubliant la probité en faveur de ses neuf ou dix enfants, il a réuni 60 -ou 70.000 francs de rente. Fanatique sombre et, je pense, coquin à tout -faire, vrai jésuite<a name="NoteRef_13_455" id="NoteRef_13_455"></a><a href="#Note_13_455" class="fnanchor">[13]</a>.</p> - -<p>Anglès, depuis préfet de police, travailleur infatigable,<span class="pagenum"><a name="Page_256" id="Page_256">[p. 256]</a></span> aimant -l'ordre, mais en politique coquin à tout faire, mais, selon moi, -infiniment moins coquin que les deux précédents, lesquels, dans le -genre coquin, tiennent la première place dans mon esprit.</p> - -<p>La jolie M<sup>me</sup> la comtesse Anglès était amie de M<sup>me</sup> -la comtesse Daru<a name="NoteRef_14_456" id="NoteRef_14_456"></a><a href="#Note_14_456" class="fnanchor">[14]</a>, dans le salon de laquelle je la vis. Le joli -comte de Meffrey (de Grenoble, comme M. Anglès) était son amant. La -pauvre femme s'ennuyait beaucoup, ce me semble, malgré les grandes -places du mari.</p> - -<p>Ce mari, fils d'un avare célèbre, et avare lui-même, était -l'animal le plus triste et avait l'esprit le plus pauvre, le plus -anti-mathématique. D'ailleurs, lâche jusqu'au scandale; je conterai -plus tard l'histoire de son soufflet et de sa queue. Vers 1826 ou 29, -il perdit la préfecture de police et alla bâtir un beau château dans -les montagnes, près de Roanne, et y mourut fort brusquement bientôt -après, jeune encore. C'était un triste animal, il avait tout le mauvais -du caractère dauphinois, bas, fin, cauteleux, attentif aux moindres -détails.</p> - -<p>M. de Renneville, cousin des Monval, était beau et bête à manger du -foin. Son père était l'homme le plus sale et le plus fier de Grenoble. -Je n'ai plus entendu parler de lui depuis l'école.</p> - -<p>M. de Sinard, bon écolier, réduit à la mendicité par l'émigration, -protégé et soutenu par M. de Vaulserre, fut mon ami.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_257" id="Page_257">[p. 257]</a></span></p> - -<p>Monté au tableau, on écrivait en O<a name="NoteRef_15_457" id="NoteRef_15_457"></a><a href="#Note_15_457" class="fnanchor">[15]</a>. La tête du démontrant -était bien à huit pieds de haut. Moi, placé en évidence une fois -par mois, nullement soutenu par M. Dupuy, qui parlait à Monval ou à -M. de Pina pendant que je démontrais, j'étais pénétré de timidité -et je bredouillais. Quand je montai au tableau à mon tour, devant -le jury, ma timidité redoubla, je m'embrouillai en regardant ces -Messieurs, et surtout le terrible M. Dausse, assis à côté et à droite -du tableau. J'eus la présence d'esprit de ne plus les regarder, -de ne plus faire attention qu'à mon opération, et je m'en tirai -correctement, mais en les ennuyant. Quelle différence avec ce qui se -passa en août 1799! Je puis dire que c'est à force de mérite que j'ai -percé <i>aux mathématiques</i> et au dessin, comme nous disions à l'École -centrale<a name="NoteRef_16_458" id="NoteRef_16_458"></a><a href="#Note_16_458" class="fnanchor">[16]</a>.</p> - -<p>J'étais gros et peu grand, j'avais une redingote gris clair, de là le -reproche.</p> - -<p>«Pourquoi donc n'as-tu pas eu de prix? me disait mon grand-père.</p> - -<p>—Je n'ai pas eu le temps.»</p> - -<p>Les cours n'avaient, je crois, duré, cette première année, que quatre -ou cinq mois.</p> - -<hr /> - -<p>J'allai à Claix, toujours fou de la chasse; mais en courant les champs, -malgré mon père, je réfléchissais profondément à ce mot: «Pourquoi -n'as-tu pas eu de prix?»</p> - -<p>Je ne puis me rappeler si je suis allé pendant</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_258" id="Page_258">[p. 258]</a></span></p> - -<p>quatre ans ou seulement pendant trois à l'École centrale. Je suis sûr -de la date de sortie, examen de la fin de 1799, les Russes attendus à -Grenoble.</p> - -<p>Les aristocrates et mes parents, je crois, disaient:</p> - -<p> -<i>O Rus, quando ego le adspiciam!</i><br /> -</p> - -<p>Pour moi, je tremblais pour l'examen qui devait me faire sortir de -Grenoble! Si j'y reviens jamais, quelques recherches dans les archives -de l'Administration départementale, à la Préfecture, m'apprendront si -l'École centrale a été ouverte en 1796 ou seulement en 1797<a name="NoteRef_17_459" id="NoteRef_17_459"></a><a href="#Note_17_459" class="fnanchor">[17]</a>.</p> - -<p>On comptait alors par les années de la République, c'était l'an V ou -l'an VI. Ce n'est que longtemps après, quand l'Empereur l'a bêtement -voulu, que j'ai appris à connaître 1796, 1797. Je voyais les choses de -près, alors<a name="NoteRef_18_460" id="NoteRef_18_460"></a><a href="#Note_18_460" class="fnanchor">[18]</a>.</p> - -<p>L'Empereur commença alors à élever le trône des Bourbons, et fut -secondé par la lâcheté sans bornes de M. de Laplace. Chose singulière, -les poètes ont du cœur, les savants proprement dits sont serviles et -lâches. Quelle n'a pas été la servilité et la bassesse vers le pouvoir -de M. Cuvier! Elle faisait horreur même au sage Sutton Sharpe. Au -Conseil d'Etat, M. le baron Cuvier était toujours de l'avis le plus -lâche.</p> - -<p>Lors de la création de l'ordre de la Réunion, j'étais dans le plus -intime de la Cour; il vint <i>pleurer</i>, c'est le mot, pour l'avoir. Je -rapporterai en son temps<span class="pagenum"><a name="Page_259" id="Page_259">[p. 259]</a></span> la réponse de l'Empereur. Arrivés par la -lâcheté: Bacon, Laplace, Cuvier. M. Lagrange fut moins plat, ce me -semble.</p> - -<p>Sûrs de leur gloire par leurs écrits, ces Messieurs espèrent que le -savant couvrira l'homme d'Etat: en affaires d'argent, comme on le sait, -ils courent à l'utile. Le célèbre Legendre, géomètre de premier ordre, -recevant la croix de la Légion d'honneur, l'attacha à son habit, se -regarda à son miroir, et sauta de joie.</p> - -<p>L'appartement était bas, sa tête heurta le plafond, il tomba, à moitié -assommé. Digne mort c'eût été pour ce successeur d'Archimède!</p> - -<p>Que de bassesses n'ont-ils pas faites à l'Académie des Sciences, de -1825 à 1830 et depuis, pour s'escamoter des croix! Cela est incroyable, -j'en ai su le détail par MM. de Jussieu, Edwards, Milne-Edwards, et par -le salon de M. le baron Gérard. J'ai oublié tant de saletés.</p> - -<p>Un Maupeou<a name="NoteRef_19_461" id="NoteRef_19_461"></a><a href="#Note_19_461" class="fnanchor">[19]</a> est moins bas en ce qu'il dit ouvertement: «Je ferai -tout ce qu'il faut pour avancer<a name="NoteRef_20_462" id="NoteRef_20_462"></a><a href="#Note_20_462" class="fnanchor">[20]</a>.»</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_260" id="Page_260">[p. 260]</a><br /><a name="Page_261" id="Page_261">[p. 261]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_443" id="Note_1_443"></a><a href="#NoteRef_1_443"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XXIV</i> est le chapitre XX du manuscrit (fol. 331 -<i>bis</i> à 355).—Écrit à Rome, le 1<sup>er</sup> janvier 1836. Stendhal -note au fol. 335: «Froid en écrivant.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_444" id="Note_2_444"></a><a href="#NoteRef_2_444"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>un autre village dans la vallée.</i>—Du Versoud. (Note au -crayon de R. Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_445" id="Note_3_445"></a><a href="#NoteRef_3_445"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>la vallée s'étend jusqu'à la</i> dent <i>de Moirans, de cette -sorte.</i>—Suit une carte-esquisse, d'ailleurs inexacte. Stendhal appelle -<i>Dent de Moirans</i> le <i>Bec de l'Echaillon,</i> situé sur la rive droite de -l'Isère, au-dessus de Veurey. Entre Moirans et Voreppe, il signale des -«campagnes comparables à celle de Lombardie et de Marmande, les plus -belles du monde».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_446" id="Note_4_446"></a><a href="#NoteRef_4_446"><span class="label">[4]</span></a> <i>Tout cela était distribuée par bancs de sept ou huit ...</i>—Suit -un plan de la classe de dessin; entre les deux rangées, «le grand Jay -arpentant sa salle avec l'air de gémir et en tenant la tête renversée». -La place du jeune Beyle était en H, dans les bancs placés du côté de la -rue Neuve.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_447" id="Note_5_447"></a><a href="#NoteRef_5_447"><span class="label">[5]</span></a> <i>Le banc des grandes têtes, vers H ...</i>—Cette référence se -rapporte au plan décrit ci-dessus.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_448" id="Note_6_448"></a><a href="#NoteRef_6_448"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>la volonté de crever ou d'avancer.</i>—Rapidité, raison de -la mauvaise écriture. 1<sup>er</sup> janvier 1836. Il n'est que deux -heures, j'ai déjà écrit seize pages, il fait froid, la plume va mal; au -lieu de me mettre en colère, je vais en avant, écrivant comme je puis. -(Note de Stendhal.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_449" id="Note_7_449"></a><a href="#NoteRef_7_449"><span class="label">[7]</span></a> <i>M. Le Roy vivait encore et peignait ...</i>—Variante: «<i>Faisait.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_450" id="Note_8_450"></a><a href="#NoteRef_8_450"><span class="label">[8]</span></a> <i>M. Le Roy avait fait une vue du pont de la Vence, ... prise du -point A ...</i>—Suit un croquis schématique du point de vue. Le point A -est au bas du pont, sur le bord du torrent, et l'arche du pont encadre -la montagne M.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_451" id="Note_9_451"></a><a href="#NoteRef_9_451"><span class="label">[9]</span></a> ... <i>mais ma découverte me resta ...</i>—Stendhal a, par -inadvertance, oublié un mot en passant d'un feuillet à un autre.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_452" id="Note_10_452"></a><a href="#NoteRef_10_452"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>la Liberté paraissait cachée jusqu'aux genoux.</i>—-Le fol. -345 est aux trois-quarts blanc.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_453" id="Note_11_453"></a><a href="#NoteRef_11_453"><span class="label">[11]</span></a> ... <i> et jamais moi, ou une seule fois.</i>—En face, au verso -du fol. 346, est un plan de la partie du collège contenant la «salle -de dessin» et la «salle des mathématiques». Dans celle-ci, près du -tableau, en «D, M. Dupuy, homme de cinq pieds huit pouces, avec sa -grande canne, dans son immense fauteuil». Parmi les élèves, en «H, moi, -mourant d'envie d'être appelé pour monter au tableau, et me cachant -pour n'être pas appelé, mourant de peur et de timidité».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_454" id="Note_12_454"></a><a href="#NoteRef_12_454"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>avec Paul-Louis Courier dans sa prise ...</i>—Un mot -illisible. La lecture du mot <i>prise</i> n'est pas certaine.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_455" id="Note_13_455"></a><a href="#NoteRef_13_455"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>vrai jésuite.</i>—Ms.: «<i>Tejé.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_456" id="Note_14_456"></a><a href="#NoteRef_14_456"><span class="label">[14]</span></a> ... <i>M<sup>me</sup> la comtesse Daru ...</i>—Ms.: «<i>Ruda.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_457" id="Note_15_457"></a><a href="#NoteRef_15_457"><span class="label">[15]</span></a> <i>Monté au tableau, on écrivait en O.</i>—Croquis représentant un -élève au tableau.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_458" id="Note_16_458"></a><a href="#NoteRef_16_458"><span class="label">[16]</span></a> ... <i>comme nous disions à l'École centrale.</i>—Suit une phrase -que Stendhal n'a pas effacée, mais que nous supprimons cependant, -car il l'a accompagnée de cette mention: <i>répétition.</i> «Pour ne pas -m'embrouiller dans une longue opération d'arithmétique, je me mis à ne -regarder que le tableau.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_459" id="Note_17_459"></a><a href="#NoteRef_17_459"><span class="label">[17]</span></a> ... <i>si l'École centrale a été ouverte en</i> 1796 ou <i>seulement -en</i> 1797.—L'École centrale de Grenoble, créée par le décret de la -Convention du 7 ventôse an III, fut inaugurée le 11 frimaire an V -(1<sup>er</sup> décembre 1796). Des prix furent décernés aux élèves -le 30 fructidor an V (16 septembre 1797), le 10 germinal an VI (30 -mars 1798), jour de la fête de la Jeunesse, le 30 fructidor an VI (16 -septembre 1798) et le 17 brumaire an VII (7 novembre 1798).</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_460" id="Note_18_460"></a><a href="#NoteRef_18_460"><span class="label">[18]</span></a> <i>Je voyais les choses de près, alors.</i>—Écriture. Le -1<sup>er</sup> janvier 1836, 26 pages. Toutes les plumes vont mal, il -fait un froid de chien; au lieu de chercher à bien former mes lettres -et de m'impatienter, <i>io tiro avanti.</i> M. Colomb me reproche dans -chaque lettre d'écrire mal. (Note de Stendhal.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_19_461" id="Note_19_461"></a><a href="#NoteRef_19_461"><span class="label">[19]</span></a> <i>Un Maupeou ...</i>—Ms.: «<i>Maudpw.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_20_462" id="Note_20_462"></a><a href="#NoteRef_20_462"><span class="label">[20]</span></a>—On lit à la fin du chapitre: «Le 1<sup>er</sup> janvier 1836, -29 pages. Je cesse, faute de lumière au ciel, à quatre heures trois -quarts.»</p></div> - - - -<hr class="chap" /> -<h4><a name="CHAPITRE_XXV1" id="CHAPITRE_XXV1"></a>CHAPITRE XXV<a name="NoteRef_1_463" id="NoteRef_1_463"></a><a href="#Note_1_463" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Mon âme délivrée de la tyrannie commençait à prendre quelque ressort. -Peu à peu je n'étais plus continuellement obsédé de ce sentiment si -énervant: la haine impuissante.</p> - -<p>Ma bonne tante Elisabeth était ma providence. Elle allait presque -tous les soirs faire sa partie chez mesdames Colomb ou Romagnier. -Ces excellentes sœurs n'avaient de bourgeois que quelques manies de -prudence et quelques habitudes. Elles avaient de belles âmes, chose si -rare en province, et étaient tendrement attachées à ma tante Elisabeth.</p> - -<p>Je ne dis pas assez de bien de ces bonnes cousines; elles avaient l'âme -grande, généreuse; elles en avaient donné des preuves singulières dans -les grandes occasions de leur vie.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_262" id="Page_262">[p. 262]</a></span></p> - -<p>Mon père, de plus en plus absorbé par sa passion pour l'agriculture -et pour Claix, y passait trois ou quatre jours par semaine. La maison -de M. Gagnon, où il dînait et soupait tous les jours depuis la mort -de ma mère, ne lui était plus aussi agréable à beaucoup près. Il ne -parlait à cœur ouvert qu'à Séraphie. Les sentiments espagnols de ma -tante Elisabeth le tenaient en respect, il y avait toujours très peu -de conversation entre eux. La petite finesse dauphinoise de tous -les instants et la timidité désagréable de l'un s'alliait mal à la -sincérité noble et à la simplicité de l'autre. Mademoiselle Gagnon -n'avait aucun goût<a name="NoteRef_2_464" id="NoteRef_2_464"></a><a href="#Note_2_464" class="fnanchor">[2]</a> pour mon père qui, d'un autre côté, n'était -pas de force à soutenir la conversation avec M. le docteur Gagnon; il -était respectueux et poli, M. Gagnon était très poli, et voilà tout. -Mon père ne sacrifiait donc rien en allant passer trois ou quatre jours -par semaine à Claix. Il me dit deux ou trois fois, quand il me forçait -à l'accompagner à Claix, qu'il était triste, à son âge, de ne pas avoir -un chez-soi.</p> - -<p>Rentrant le soir pour souper avec ma tante Elisabeth, mon grand-père -et mes deux sœurs, je n'avais pas à craindre un interrogatoire bien -sévère. En général, je disais en riant que j'étais allé chercher ma -tante chez mesdames Romagnier et Colomb; souvent, en effet, de chez -ces dames je l'accompagnais jusqu'à la porte de l'appartement et -je redescendais en courant pour aller passer une demi-heure<span class="pagenum"><a name="Page_263" id="Page_263">[p. 263]</a></span> à la -promenade du Jardin-de-Ville qui, le soir, en été, au clair de lune, -sous de superbes marronniers de quatre-vingts pieds de haut, servait de -rendez-vous à tout ce qui était jeune et brillant dans la ville.</p> - -<p>Peu à peu je m'enhardis, j'allai plus souvent au spectacle, toujours au -parterre debout.</p> - -<p>Je sentais un tendre intérêt à regarder une jeune actrice, nommée -M<sup>lle</sup> Kably. Bientôt j'en fus éperdument amoureux; je ne lui -ai jamais parlé.</p> - -<p>C'était une jeune femme mince, assez grande, avec un nez aquilin, -jolie, svelte, bien faite. Elle avait encore la maigreur de la première -jeunesse, mais un visage sérieux et souvent mélancolique.</p> - -<p>Tout fut nouveau pour moi dans l'étrange folie qui, tout-à-coup, se -trouva maîtresse de toutes mes pensées. Tout autre intérêt s'évanouit -pour moi. A peine je reconnus le sentiment dont la peinture m'avait -charmé dans la <i>Nouvelle Héloïse</i>, encore moins était-ce la volupté de -<i>Félicia.</i> Je devins tout-à-coup indifférent et juste pour tout ce qui -m'environnait, ce fut<a name="NoteRef_3_465" id="NoteRef_3_465"></a><a href="#Note_3_465" class="fnanchor">[3]</a> l'époque de la mort de ma haine pour feu ma -tante Séraphie.</p> - -<p>M<sup>lle</sup> Kably jouait dans la comédie les rôles de jeunes -premières, elle chantait aussi dans l'opéra-comique.</p> - -<p>On sent bien que la vraie comédie n'était pas à mon usage. Mon -grand-père m'étourdissait sans cesse du grand mot: <i>la connaissance -du cœur<span class="pagenum"><a name="Page_264" id="Page_264">[p. 264]</a></span> humain.</i> Mais que pouvais-je savoir sur ce <i>cœur humain?</i> -Quelques <i>prédictions</i> tout au plus, accrochées dans les livres, dans -<i>Don Quichotte</i> particulièrement, le seul presque qui ne m'inspirât -pas de la méfiance; tous les autres avaient été conseillés par mes -tyrans, car mon grand-père (nouveau converti, je pense) s'abstenait de -plaisanter sur les livres que mon père et Séraphie me faisaient lire -<a name="NoteRef_4_466" id="NoteRef_4_466"></a><a href="#Note_4_466" class="fnanchor">[4]</a>.</p> - -<p>Il me fallait donc la comédie romanesque, c'est-à-dire le drame peu -noir, présentant des malheurs d'amour et non d'argent (le drame noir -et triste s'appuyant sur le manque d'argent m'a toujours fait horreur -comme bourgeois et trop vrai).</p> - -<p>M<sup>lle</sup> Kably brillait dans <i>Claudine</i>, de Florian.</p> - -<p>Une jeune Savoyarde, qui a eu un petit enfant, au Montanvert, d'un -jeune voyageur élégant, s'habille en homme et, suivie de son petit -marmot, fait le métier de décrotteur sur une place de Turin. Elle -retrouve son amant qu'elle aime toujours, elle devient son domestique, -mais cet amant va se marier.</p> - -<p>L'auteur qui jouait l'amant, nommé Poussi, ce me semble,—ce nom me -revient huit à coup après tant d'années,—disait avec un naturel -parfait: «Claude! Claude!» dans un certain moment où il grondait son -domestique qui lui disait du mal de sa future. Ce ton de voix retentit -encore dans mon âme, je vois l'acteur.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_265" id="Page_265">[p. 265]</a></span></p> - -<p>Pendant plusieurs mois, cet ouvrage, souvent redemandé par le public, -me donna les plaisirs les plus vifs, et je dirais les plus vifs que -m'aient donnés les ouvrages d'art, si, depuis longtemps, mon plaisir -n'avait été l'admiration tendre, la plus dévouée et la plus folle.</p> - -<p>Je n'osais pas prononcer le nom de M<sup>lle</sup> Kably; si quelqu'un -la nommait devant moi, je sentais un mouvement singulier près du cœur, -j'étais sur le point de tomber. Il y avait comme une tempête dans mon -sang.</p> - -<p>Si quelqu'un disait <i>la</i> Kably, au lieu de: Mademoiselle Kably, -j'éprouvais un sentiment de haine et d'horreur<a name="NoteRef_5_467" id="NoteRef_5_467"></a><a href="#Note_5_467" class="fnanchor">[5]</a>, que j'étais à -peine maître de contenir.</p> - -<p>Elle chantait de sa pauvre petite voix faible dans <i>Le Traité nul</i>, -opéra de Gaveau (pauvre d'esprit, mort fou quelques années plus tard).</p> - -<p>Là commença mon amour pour la musique, qui a peut-être été ma -passion la plus forte et la plus coûteuse; elle dure encore à -cinquante-deux<a name="NoteRef_6_468" id="NoteRef_6_468"></a><a href="#Note_6_468" class="fnanchor">[6]</a> ans, et plus vive que jamais. Je ne sais combien -de lieues je ne ferais pas à pied, ou à combien de jours de prison -je ne me soumettrais pas pour entendre <i>Don Juan</i> ou le <i>Matrimonio -Segreto</i>, et je ne sais pour quelle autre chose je ferais cet effort. -Mais, pour mon malheur, j'exècre la musique <i>médiocre</i> (à mes yeux elle -est un pamphlet satyrique contre la bonne, par exemple le <i>Furioso</i> de -Donizetti, hier soir, Rome, <i>Valle</i><a name="NoteRef_7_469" id="NoteRef_7_469"></a><a href="#Note_7_469" class="fnanchor">[7]</a>. Les Italiens, bien différents -de moi, ne peuvent<span class="pagenum"><a name="Page_266" id="Page_266">[p. 266]</a></span> souffrir une musique dès qu'elle a plus de cinq ou -six ans. L'un d'eux disait devant moi, chez madame ...<a name="NoteRef_8_470" id="NoteRef_8_470"></a><a href="#Note_8_470" class="fnanchor">[8]</a>: «Une -musique qui a plus d'un an peut-elle être belle?»)</p> - -<p>Quelle parenthèse, grand Dieu<a name="NoteRef_9_471" id="NoteRef_9_471"></a><a href="#Note_9_471" class="fnanchor">[9]</a>! En relisant, il faudra effacer, ou -mettre à une autre place, la moitié de ce manuscrit<a name="NoteRef_10_472" id="NoteRef_10_472"></a><a href="#Note_10_472" class="fnanchor">[10]</a>.</p> - -<hr /> - -<p>J'appris par cœur, et avec quels transports! ce filet de vinaigre -continu et saccadé qu'on appelait <i>Le Traité nul.</i></p> - -<p>Un acteur passable, qui jouait gaiement le rôle du valet (je vois -aujourd'hui qu'il avait la véritable insouciance d'un pauvre diable qui -n'a que de tristes pensées à la maison, et qui se livre à son rôle avec -bonheur), me donna les premières idées du <i>comique</i>, surtout au moment -où il arrange la contre-danse qui finit par: Mathurine nous écoutait...</p> - -<p>Un paysage de la forme et de la grandeur d'une lettre de change, où il -y avait beaucoup de gomme-gutte fortifiée par du bistre, surtout sur -le premier plan à gauche, que j'avais acheté chez M. Le Roy, et que je -copiais alors avec délices, me semblait absolument la même chose que -le jeu de cet acteur comique, qui me faisait rire de bon cœur quand -M<sup>elle</sup> Kably n'était pas en scène; s'il lui adressait la -parole, j'étais attendri, enchanté. De là vient, peut-être qu'encore -aujourd'hui la même sensation m'est souvent donnée par un tableau ou -par un<span class="pagenum"><a name="Page_267" id="Page_267">[p. 267]</a></span> morceau de musique. Que de fois j'ai trouvé cette identité dans -le musée Brera, à Milan (1814-1812)!</p> - -<p>Cela est d'un vrai et d'une force que j'ai peine à exprimer, et que -d'ailleurs on croirait difficilement.</p> - -<p>Le mariage, l'union intime de ces deux beaux-arts, a été à jamais -cimenté, quand j'avais douze ou treize ans, par quatre ou cinq mois du -bonheur le plus vif et de la sensation de volupté la plus forte, et -allant presque jusqu'à la douleur, que j'aie jamais éprouvée.</p> - -<p>Actuellement, je vois (mais je vois de Rome, à cinquante-deux<a name="NoteRef_11_473" id="NoteRef_11_473"></a><a href="#Note_11_473" class="fnanchor">[11]</a> -ans) que j'avais le goût de la musique avant ce <i>Traité nul</i> si -sautillant, si filet de vinaigre, si français, mais que je sais encore -par cœur. Voici mes souvenirs: 1° le son des cloches de Saint-André, -surtout sonnées pour les élections, une année que mon cousin Abraham -Mallein (père de mon beau-frère Alexandre) était président ou -simplement électeur;—2° le bruit de la pompe de la place Grenette, -quand les servantes, le soir, pompaient avec la grande barre de -fer;—3° enfin, mais le moins de tous, le bruit d'une flûte que quelque -commis marchand jouait, au quatrième étage, sur la place Grenette.</p> - -<p>Ces choses m'avaient déjà donné des plaisirs qui, à mon insu, étaient -des plaisirs musicaux.</p> - -<hr /> - -<p>Mademoiselle Kably jouait aussi dans l'<i>Epreuve villageoise</i> de Grétry, -infiniment moins mauvaise<span class="pagenum"><a name="Page_268" id="Page_268">[p. 268]</a></span> que le <i>Traité nul.</i> Une situation tragique -me fit frémir dans <i>Raoul, sire de Créqui</i>; en un mot, tous les mauvais -petits opéras de 1794 furent portés au sublime pour moi, par la -présence de M<sup>elle</sup> Kably; rien ne pouvait être commun ou plat -dès qu'elle paraissait.</p> - -<p>J'eus, un jour, l'extrême courage de demander à quelqu'un où logeait -M<sup>elle</sup> Kably. C'est probablement l'action la plus brave de ma -vie.</p> - -<p>«Rue des Clercs», me répondit-on.</p> - -<p>J'avais eu le courage, bien auparavant, de demander si elle avait -un amant. A quoi l'interrogé me répondit par quelque dicton<a name="NoteRef_12_474" id="NoteRef_12_474"></a><a href="#Note_12_474" class="fnanchor">[12]</a> -grossier; il ne savait rien sur son genre de vie.</p> - -<p>Je passais par la rue des Clercs à mes jours de grand courage: le cœur -me battait, je serais peut-être tombé si je l'eusse rencontrée; j'étais -bien délivré quand, arrivé au bas de la rue des Clercs, j'étais sûr de -ne pas la rencontrer.</p> - -<p>Un matin, me promenant seul au bout de l'allée des grands marronniers, -au Jardin-de-Ville, et pensant à elle, comme toujours, je l'aperçus -à l'autre bout du jardin, contre le mur de l'Intendance, qui venait -vers la terrasse. Je faillis me trouver mal<a name="NoteRef_13_475" id="NoteRef_13_475"></a><a href="#Note_13_475" class="fnanchor">[13]</a> et enfin <i>je pris la -fuite</i>, comme si le diable m'emportait, le long de la grille, par la -ligne F; elle était, je crois, en K'<a name="NoteRef_14_476" id="NoteRef_14_476"></a><a href="#Note_14_476" class="fnanchor">[14]</a>. J'eus le bonheur de n'en -être pas aperçu. Notez qu'elle ne me connaissait d'aucune façon. Voilà -un des traits les plus marqués de mon<span class="pagenum"><a name="Page_269" id="Page_269">[p. 269]</a></span> caractère, tel j'ai toujours été -(même avant-hier). Le bonheur de la voir de près, à cinq ou six pas de -distance, était trop grand, il me brûlait, et je fuyais cette brûlure, -peine fort réelle.</p> - -<p>Cette singularité me porterait assez à croire que, pour l'amour, j'ai -le tempérament mélancolique de Cabanis.</p> - -<p>En effet, l'amour a toujours été pour moi la plus grande des affaires, -ou plutôt la seule. Jamais je n'ai eu peur de rien que de voir la -femme que j'aime regarder un rival avec intimité. J'ai très peu -de colère contre le rival: il fait son affaire, pensé-je, mais ma -douleur est sans bornes et poignante; c'est au point que j'ai besoin -de m'abandonner sur un banc de pierre, à la porte de la maison. -J'admire tout dans le rival préféré (le chef d'escadrons Gibory et -M<sup>me</sup> Martin, palazzo Aguissola, Milan).</p> - -<p>Aucun autre chagrin ne produit chez moi la millième partie de cet effet.</p> - -<p>Auprès de l'Empereur, j'étais attentif, zélé, ne pensant nullement à -ma cravate, à la grande différence des autres. (Exemple: un soir, à 7 -heures, à ...<a name="NoteRef_15_477" id="NoteRef_15_477"></a><a href="#Note_15_477" class="fnanchor">[15]</a>, en Lusace, campagne de 1813, le lendemain de la -mort du duc de Frioul.)</p> - -<p>Je ne suis ni timide, ni mélancolique en écrivant et m'exposant au -risque d'être sifflé; je me sens plein de courage et de fierté quand -j'écris une phrase qui serait repoussée par l'un de ces deux géants (de -1835): MM. de Chateaubriand ou Villemain.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_270" id="Page_270">[p. 270]</a></span></p> - -<p>Sans cloute, en 1880, il y aura quelque charlatan adroit, mesuré, à la -mode, comme ces Messieurs aujourd'hui. Mais si on lit ceci on me croira -envieux, ceci me désole; ce plat vice bourgeois est, ce me semble, le -plus étranger à mon caractère.</p> - -<p>Réellement, je ne suis que mortellement jaloux des gens qui font la -cour à une femme que j'aime; bien plus, je le suis même de ceux qui lui -ont fait la cour, dix ans avant moi. (Par exemple, le premier amant de -Babet, à Vienne, en 1809.</p> - -<p>«Tu le recevais dans ta chambre!</p> - -<p>—Tout était chambre pour nous, nous étions seuls dans le château, et -il avait les clefs.»</p> - -<p>Je sens encore le mal que me firent ces paroles, c'était pourtant en -1809, il y a vingt-sept ans; je vois cette naïveté parfaite de la jolie -Babet; elle me regardait.)</p> - -<hr /> - -<p>Je trouve<a name="NoteRef_16_478" id="NoteRef_16_478"></a><a href="#Note_16_478" class="fnanchor">[16]</a> sans doute beaucoup de plaisir à écrire depuis une -heure, et à chercher à peindre <i>bien juste</i> mes sensations du temps -de M<sup>elle</sup> Kably<a name="NoteRef_17_479" id="NoteRef_17_479"></a><a href="#Note_17_479" class="fnanchor">[17]</a>, mais qui diable aura le courage de -lire cet amas excessif de <i>je</i> et de <i>moi?</i> Cela me paraît <i>puant</i> à -moi-même. C'est là le défaut de ce genre d'écrit et, d'ailleurs, je ne -puis relever la fadeur par aucune sauce de charlatanisme. Oserais-je -ajouter: <i>comme les confessions de Rousseau?</i> Non, malgré l'énorme -absurdité de l'objection, l'on va encore me croire envieux ou plutôt -cherchant à établir une comparaison.<span class="pagenum"><a name="Page_271" id="Page_271">[p. 271]</a></span> effroyable par l'absurde, avec le -chef-d'œuvre de ce grand écrivain.</p> - -<p>Je proteste de nouveau et une fois pour toutes que je méprise -souverainement et sincèrement M. Pariset, M. de Salvandy, M. Saint-Marc -Girardin et les autres hâbleurs, pédants gagés et jésuites<a name="NoteRef_18_480" id="NoteRef_18_480"></a><a href="#Note_18_480" class="fnanchor">[18]</a> du -Journal des Débats, mais pour cela je ne m'en crois pas plus près -des grands écrivains. Je ne me crois d'autre garant de mérite que de -peindre <i>ressemblante</i> la nature, qui m'apparaît si clairement en de -certains moments.</p> - -<p>Secondement, je suis sûr de ma parfaite bonne foi, de mon adoration -pour le vrai: troisièmement, et du plaisir que j'ai à écrire, plaisir -qui allait jusqu'à la folie en 1817, à Milan, chez M. Peroult, corsia -del Giardino<a name="NoteRef_19_481" id="NoteRef_19_481"></a><a href="#Note_19_481" class="fnanchor">[19]</a>.</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_272" id="Page_272">[p. 272]</a><br /><a name="Page_273" id="Page_273">[p. 273]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_463" id="Note_1_463"></a><a href="#NoteRef_1_463"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XXV</i> est le chapitre XXI du manuscrit (fol. 356 à -370; le bas du fol. 370 et le fol. 371, d'abord écrits par Stendhal, -ont été barrés avec cette mention: «<i>Longueur</i>»).—Écrit à Rome, les 2 -et 3 janvier 1836.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_464" id="Note_2_464"></a><a href="#NoteRef_2_464"><span class="label">[2]</span></a> <i>Mademoiselle Gagnon n'avait aucun goût ...</i>—Variante: «<i>Pas de -goût.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_465" id="Note_3_465"></a><a href="#NoteRef_3_465"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>ce fut l'époque ...</i>—Mot oublié inconsciemment par -Stendhal, en passant d'un feuillet à un autre.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_466" id="Note_4_466"></a><a href="#NoteRef_4_466"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>que mon père et Séraphie me faisaient lire.</i>—Style. Pas de -style soutenu. (Note de Stendhal.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_467" id="Note_5_467"></a><a href="#NoteRef_5_467"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>un sentiment de haine et d'horreur ...</i>—Stendhal -orthographie: «<i>Orreur.</i>» Et il ajoute en note: «Voilà l'orthographe de -la passion: orreur».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_468" id="Note_6_468"></a><a href="#NoteRef_6_468"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>elle dure encore à cinquante-deux ans ...</i>—Ms.: «26 X 2.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_469" id="Note_7_469"></a><a href="#NoteRef_7_469"><span class="label">[7]</span></a> ...<i>hier soir, Rome, Valle.</i>—Au théâtre della Valle, à Rome. -(Note au crayon de R. Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_470" id="Note_8_470"></a><a href="#NoteRef_8_470"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>chez madame</i> ...—Nom en blanc.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_471" id="Note_9_471"></a><a href="#NoteRef_9_471"><span class="label">[9]</span></a> <i>Quelle parenthèse, grand Dieu !</i>—On lit en tête du fol. 363: -«1836, corrigé 4 janvier 1836, auprès de mon feu, me brûlant les jambes -et mourant de froid au dos.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_472" id="Note_10_472"></a><a href="#NoteRef_10_472"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>la moitié de ce manuscrit.</i>—Stendhal a écrit à ce sujet, -au verso du fol. 362, la note suivante: «Non laisser cela tel quel. -Dorer l'histoire Kably, peut-être ennuyeuse pour les Pasquier de 51 -ans. Ces gens sont cependant l'élite des lecteurs.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_473" id="Note_11_473"></a><a href="#NoteRef_11_473"><span class="label">[11]</span></a> ... <i>(mais je vois de Rome, à cinquante-deux ans) ...</i>—Ms.: «26 -X 2.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_474" id="Note_12_474"></a><a href="#NoteRef_12_474"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>par quelque dicton ...</i>—Variante: «<i>Lieu commun.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_475" id="Note_13_475"></a><a href="#NoteRef_13_475"><span class="label">[13]</span></a> <i>Je faillis me trouver mal ...</i>—Variante: «<i>Tomber.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_476" id="Note_14_476"></a><a href="#NoteRef_14_476"><span class="label">[14]</span></a> ...<i>elle était, je croie, en K'</i>—Suit un plan de la scène. En -outre, au verso du fol. 366, plan du Jardin-de-Ville et de ses abords. -Stendhal se trouvait sur la terrasse. Il note à ce sujet: «J'ai laissé -à Grenoble un petit tableau à l'huile de M. Le Roy, qui rend fort bien -cette promenade-ci.» M<sup>lle</sup> Kably se trouvait dans l'allée -qui longeait la rue du Quai (aujourd'hui rue Hector-Berlioz). A cette -époque, un mur séparait le jardin de la rue: «Mur en 1794, bêtement -remplacé par une belle grille vers 1814.»</p> - -<p>—Ce mur est appelé par Stendhal «mur de l'Intendance», parce que le -rez-de-chaussée de l'Hôtel-de-Ville fut occupé, jusqu'à la Révolution, -par les bureaux de l'intendant de la province.]</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_477" id="Note_15_477"></a><a href="#NoteRef_15_477"><span class="label">[15]</span></a> ... <i>un soir, à</i> 7 <i>heures, à ... en Lusace ...</i>—Le nom est en -blanc.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_478" id="Note_16_478"></a><a href="#NoteRef_16_478"><span class="label">[16]</span></a> <i>Je trouve ...</i>—Variante: «<i>J'ai.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_479" id="Note_17_479"></a><a href="#NoteRef_17_479"><span class="label">[17]</span></a> ... <i>mes sensations du temps de M<sup>lle</sup> Kably -...</i>—Variante: «<i>Mes sensations d'alors.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_480" id="Note_18_480"></a><a href="#NoteRef_18_480"><span class="label">[18]</span></a> ... <i>pédants gagés et jésuites ...</i>—Ms.: «<i>Tejê.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_19_481" id="Note_19_481"></a><a href="#NoteRef_19_481"><span class="label">[19]</span></a> ... <i>chez M. Peroult, corsia del Giardino.</i>-Peut-être tout le -feuillet 370 est-il mal placé, mais la fadeur de l'amour Kably doit -être relevée par une pensée plus substantielle. (Note de Stendhal.)</p></div> - - - -<hr class="chap" /> -<h4><a name="CHAPITRE_XXVI1" id="CHAPITRE_XXVI1"></a>CHAPITRE XXVI<a name="NoteRef_1_482" id="NoteRef_1_482"></a><a href="#Note_1_482" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Mais revenons à M<sup>lle</sup> Kably. Que j'étais loin de l'envie, et -de songer à craindre l'<i>imputation d'envie</i>, et de songer aux autres de -quelque façon que ce fût dans ce temps-là! La vie commençait pour moi.</p> - -<p>Il n'y avait qu'un être au monde: M<sup>lle</sup> Kably; qu'un -événement: devait-elle jouer ce soir-là, ou le lendemain?</p> - -<p>Quel désappointement quand elle ne jouait pas, et qu'on donnait quelque -tragédie!</p> - -<p>Quel transport de joie pure, tendre, triomphante, quand je lisais son -nom sur l'affiche! Je la vois encore, cette affiche, sa forme, son -papier, ses caractères.</p> - -<p>J'allais successivement lire ce nom chéri à trois ou<span class="pagenum"><a name="Page_274" id="Page_274">[p. 274]</a></span> quatre des -endroits auxquels on affichait: à la porte des Jacobins<a name="NoteRef_2_483" id="NoteRef_2_483"></a><a href="#Note_2_483" class="fnanchor">[2]</a>, à la -voûte du Jardin<a name="NoteRef_3_484" id="NoteRef_3_484"></a><a href="#Note_3_484" class="fnanchor">[3]</a>, à l'angle<a name="NoteRef_4_485" id="NoteRef_4_485"></a><a href="#Note_4_485" class="fnanchor">[4]</a> de la maison de mon grand-père. -Je ne lisais pas seulement son nom, je me donnais le plaisir de relire -toute l'affiche. Les caractères un peu usés du mauvais imprimeur qui -fabriquait cette affiche devinrent chers et sacrés pour moi, et, durant -de longues années, je les ai aimés, mieux que de plus beaux<a name="NoteRef_5_486" id="NoteRef_5_486"></a><a href="#Note_5_486" class="fnanchor">[5]</a>.</p> - -<p>Même, je me rappelle ceci: en arrivant à Paris, en novembre 1799, la -beauté des caractères me choqua; ce n'étaient plus ceux qui avaient -imprimé le nom de Kably<a name="NoteRef_6_487" id="NoteRef_6_487"></a><a href="#Note_6_487" class="fnanchor">[6]</a>.</p> - -<p>Elle partit, je ne puis dire l'époque. Pendant longtemps je ne pus plus -aller au spectacle. J'obtins d'apprendre la musique, ce ne fut pas sans -peine: la religion de mon père était choquée d'un art si profane, et -mon grand-père n'avait pas le plus petit goût pour cet art.</p> - -<p>Je pris un maître de violon, nommé Mention, l'homme le plus plaisant: -c'était là l'ancienne gaieté française mêlée de bravoure et d'amour. -Il était fort pauvre, mais il avait le cœur d'artiste; un jour que je -jouais plus mal qu'à l'ordinaire, il ferma le cahier, disant: «Je ne -donne plus leçon.»</p> - -<p>J'allai chez un maître de clarinette, nommé Hoffmann (rue de Bonne), -bon allemand; je jouais un peu moins mal. Je ne sais comment je quittai -ce maître pour passer chez M. Holleville, rue Saint-Louis,<span class="pagenum"><a name="Page_275" id="Page_275">[p. 275]</a></span> vis-à-vis -M<sup>me</sup> Barthélemy, notre cordonnière. Violon fort passable, il -était sourd, mais distinguait la moindre fausse note. Je me rencontrais -là avec M. Félix Faure (aujourd'hui pair de France, Premier Président, -jugeur d'août 1835). Je ne sais comment je quittai Holleville.</p> - -<p>Enfin, j'allai prendre leçon de musique vocale, à l'insu de mes -parents, à six heures du matin, place Saint-Louis, chez un fort bon -chanteur.</p> - -<p>Mais rien n'y faisait: j'avais horreur tout le premier des sons que -je produisais. J'achetais des airs italiens, un, entre autres, où je -lisais <i>Amore</i>, ou je ne sais quoi, <i>nello cimento</i>: je comprenais: -<i>dans le ciment, dans le mortier.</i> J'adorais ces airs italiens auxquels -je ne comprenais rien. J'avais commencé trop tard. Si quelque chose eût -été capable de me dégoûter de la musique, c'eût été les sons exécrables -qu'il faut produire pour l'apprendre. Le seul <i>piano</i> eût pu me faire -tourner la difficulté, mais j'étais né dans une famille essentiellement -inharmonique.</p> - -<p>Quand, dans la suite, j'ai écrit sur la musique, mes amis m'ont fait -une objection principale de cette ignorance. Mais je dois dire sans -affectation aucune qu'au même moment je sentais dans le morceau qu'on -exécutait des nuances qu'ils n'apercevaient pas. Il en est de même pour -les nuances des physionomies dans les copies du même tableau. Je vois -ces choses aussi clairement <i>qu'à travers un<span class="pagenum"><a name="Page_276" id="Page_276">[p. 276]</a></span> cristal.</i> Mais, grand -Dieu! on va me croire un sot!</p> - -<p>Quand je revins à la vie après quelques mois de l'absence de -M<sup>lle</sup> Kably, je me trouvai un autre homme.<a name="NoteRef_7_488" id="NoteRef_7_488"></a><a href="#Note_7_488" class="fnanchor">[7]</a></p> - -<p>Je ne haïssais plus Séraphie, je l'oubliais; quant à mon père, je ne -désirais qu'une chose: ne pas me trouver auprès de lui. J'observai, -avec remords, que je n'avais pas pour lui une <i>goutte</i> de tendresse ni -d'affection.</p> - -<p>Je suis donc un monstre, me disais-je. Et pendant de longues années je -n'ai pas trouvé de réponse à cette objection. On parlait sans cesse et -<i>à la nausée</i> de tendresse dans ma famille. Ces braves gens appelaient -<i>tendresse</i> la vexation continue dont ils m'honoraient depuis cinq ou -six ans. Je commençai à entrevoir qu'ils s'ennuyaient mortellement et -qu'ayant trop de vanité pour reprendre avec le monde, qu'ils avaient -imprudemment quitté à l'époque d'une perte cruelle, j'étais leur[8] -ressource contre l'ennui.</p> - -<p>Mais rien ne pouvait plus m'émouvoir après ce que je venais de sentir. -J'étudiai ferme le latin et le dessin, et j'eus un premier prix, je ne -sais dans lequel de ces deux cours, et un second. Je traduisis avec -plaisir la <i>Vie d'Agricola</i> de Tacite, ce fut presque la première fois -que le latin me causa quelque plaisir. Ce plaisir était gâté amèrement -par les taloches que me donnait le grand Odru, gros<span class="pagenum"><a name="Page_277" id="Page_277">[p. 277]</a></span> et ignare paysan -de Lumbin, qui étudiait avec nous et ne comprenait rien à rien. Je me -battais ferme avec Giroud, qui avait un habit rouge. J'étais encore un -enfant pour une grande moitié de mon existence.</p> - -<p>Et toutefois, la tempête morale à laquelle j'avais été en proie durant -plusieurs mois m'avait mûri, je commençai à me dire sérieusement:</p> - -<p>«Il faut prendre un parti et me tirer de ce bourbier.»</p> - -<p>Je n'avais qu'un moyen au monde: les mathématiques. Mais on me les -expliquait si bêtement que je ne faisais aucun progrès; il est vrai que -mes camarades en faisaient encore moins, s'il est possible. Ce grand M. -Dupuy nous expliquait les propositions comme une suite de recettes pour -faire du vinaigre<a name="NoteRef_8_489" id="NoteRef_8_489"></a><a href="#Note_8_489" class="fnanchor">[8]</a>.</p> - -<p>Cependant, Bezout était ma seule ressource pour sortir de Grenoble. -Mais Bezout était si bête! C'était une tête comme celle de M. Dupuy, -notre emphatique professeur.</p> - -<p>Mon grand-père connaissait un bourgeois à tête étroite, nommé Chabert, -lequel <i>montrait les mathématiques en chambre.</i> Voilà le mot du pays -et qui va parfaitement à l'homme. J'obtins avec assez de peine d'aller -dans cette chambre de M. Chabert; on avait peur d'offenser M. Dupuy, et -d'ailleurs il fallait payer douze francs par mois, ce me semble.</p> - -<p>Je répondis que la plupart des élèves du cours de mathématiques, à -l'École centrale, allaient chez<span class="pagenum"><a name="Page_278" id="Page_278">[p. 278]</a></span> M. Chabert, et que si je n'y allais -pas je resterais le dernier à l'École centrale. J'allai donc chez M. -Chabert. M. Chabert était un bourgeois assez bien mis, mais qui avait -toujours l'air endimanché et dans les transes de gâter son habit et -son gilet et sa jolie culotte de Casimir <i>merde d'oie</i>; il avait aussi -une assez jolie figure bourgeoise. Il logeait rue Neuve<a name="NoteRef_9_490" id="NoteRef_9_490"></a><a href="#Note_9_490" class="fnanchor">[9]</a>, près la -rue Saint-Jacques et presque en face de Bourbon, marchand de fer, dont -le nom me frappait, car ce n'était qu'avec les signes du plus profond -respect et du plus véritable dévouement que mes bourgeois de parents -prononçaient ce nom. On eût dit que la vie de la France y eût été -attachée.</p> - -<p>Mais je retrouvai chez M. Chabert ce manque de faveur qui m'assommait -à l'École centrale et ne me faisait jamais appeler au tableau. Dans -une petite pièce et au milieu de sept à huit élèves réunis autour d'un -tableau de toile cirée, rien n'était plus disgracieux que de demander -à monter au tableau, c'est-à-dire à aller expliquer pour la cinquième -ou sixième fois une proposition que quatre ou cinq élèves avaient déjà -expliquée. C'est cependant ce que j'étais obligé de faire quelquefois -chez M. Chabert, sans quoi je n'eusse jamais <i>démontré.</i> M. Chabert me -croyait un <i>minus habens</i> et est resté dans cette abominable opinion. -Rien n'était drôle, dans la suite, comme de l'entendre parler de mes -succès en mathématiques.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_279" id="Page_279">[p. 279]</a></span></p> - -<p>Mais dans ces commencements ce fut un étrange manque de soin et, pour -mieux dire, d'esprit, de la part de mes parents, de ne pas demander -si j'étais en état de <i>démontrer</i>, et combien de fois par semaine -je montais au tableau; ils ne descendaient pas dans ces détails. M. -Chabert, qui faisait profession d'un grand respect pour M. Dupuy, -n'appelait guère au tableau que ceux qui y parvenaient<a name="NoteRef_10_491" id="NoteRef_10_491"></a><a href="#Note_10_491" class="fnanchor">[10]</a> à l'École -centrale. Il y avait un certain M. de Renneville, que M. Dupuy appelait -au tableau comme noble et comme cousin des Monval; c'était une sorte -d'imbécile presque muet et les yeux très ouverts; j'étais choqué à -déborder quand je voyais M. Dupuy et M. Chabert le préférer à moi.</p> - -<p>J'excuse M. Chabert, je devais être le petit garçon le plus -présomptueux et le plus méprisant. Mon grand-père et ma famille me -proclamaient une merveille: n'y avait-il pas cinq ans qu'ils me -donnaient tous leurs soins?</p> - -<p>M. Chabert était, dans le fait, moins ignare que M. Dupuy. Je trouvai -chez lui Euler et ses problèmes sur le nombre d'œufs qu'une paysanne -apportait au marché, lorsqu'un méchant lui en vole un cinquième, puis -elle laisse toute la moitié du reste, etc., etc.</p> - -<p>Cela m'ouvrit l'esprit, j'entrevis ce que c'était que se servir de -l'instrument nommé algèbre. Du diable si personne me l'avait jamais -dit, sans cesse M. Dupuy faisait des phrases emphatiques sur ce<span class="pagenum"><a name="Page_280" id="Page_280">[p. 280]</a></span> sujet, -mais jamais ce mot simple: c'est une <i>division du travail</i> qui produit -des prodiges, comme toutes les divisions du travail, et permet à -l'esprit de réunir toutes ses forces sur un seul côté des objets, sur -une seule de leurs qualités.</p> - -<p>Quelle différence pour nous si M. Dupuy nous eût dit: Ce fromage est -mou, ou il est dur; il est blanc, il est bleu; il est vieux, il est -jeune; il est à moi, il est à toi; il est léger, ou il est lourd. De -tant de qualités ne considérons absolument que le poids. Quel que soit -ce poids, appelons-le A. Maintenant, sans plus penser absolument au -fromage, appliquons à A tout ce que nous savons des quantités.</p> - -<p>Cette chose si simple, personne ne nous la disait dans cette province -reculée; depuis cette époque, l'École polytechnique et les idées de -Lagrange auront reflété vers la province.</p> - -<p>Le chef-d'œuvre de l'éducation de ce temps-là était un petit coquin -vêtu de vert, doux, hypocrite, gentil, qui n'avait pas trois pieds de -haut et apprenait par cœur les <i>propositions</i> que l'on démontrait, -mais sans s'inquiéter s'il les comprenait le moins du monde<a name="NoteRef_11_492" id="NoteRef_11_492"></a><a href="#Note_11_492" class="fnanchor">[11]</a>. Ce -favori de M. Chabert non moins que de M. Dupuy s'appelait, si je ne me -trompe, Paul-Émile Teisseire. L'examinateur pour l'École polytechnique, -frère du grand géomètre, qui a écrit cette fameuse sottise (au -commencement de la <i>Statique</i>), ne s'aperçut pas que tout le mérite de -Paul-Émile était une mémoire étonnante.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_281" id="Page_281">[p. 281]</a></span></p> - -<p>Il arriva à l'École; son hypocrisie complète, sa mémoire et sa jolie -figure de fille n'y eurent pas le même succès qu'à Grenoble; il en -sortit bien officier, mais bientôt fut touché de la grâce et se fit -prêtre. Malheureusement, il mourut de la poitrine: j'aurais suivi de -l'œil sa fortune avec plaisir. J'avais quitté Grenoble avec une envie -démesurée de pouvoir un jour, à mon aise, lui donner une énorme volée -de calottes.</p> - -<p>Il me semble que je lui avais déjà donné un à-compte chez M. Chabert, -où il me primait avec raison par sa mémoire imperturbable.</p> - -<p>Pour lui, il ne se fâchait jamais de rien et passait avec un sang-froid -parfait sous les volées de: <i>petit hypocrite</i>, qui lui arrivaient de -toutes parts, et qui redoublèrent un jour que nous le vîmes couronné de -roses et faisant le rôle d'ange dans une procession.</p> - -<p>C'est à peu près le seul caractère que j'aie remarqué à l'École -centrale. Il faisait un beau contraste avec le sombre Benoît, que je -rencontrai au cours de belles-lettres de M. Dubois-Fontanelle et qui -faisait consister la sublime science dans l'amour socratique, que le -docteur Clapier, le fou, lui avait enseigné.</p> - -<p>Il y a peut-être dix ans que je n'ai pensé à M. Chabert; peu à peu -je me rappelle qu'il était effectivement beaucoup moins borné que M. -Dupuy, quoiqu'il eût un parler plus traînard encore et une apparence -bien plus piètre et bourgeoise.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_282" id="Page_282">[p. 282]</a></span></p> - -<p>Il estimait Clairaut et c'était une chose immense que de nous mettre -en contact avec cet homme de génie, et nous sortions un peu du plat -Bezout. Il avait Bruce, l'abbé Marie, et de temps à autre nous faisait -étudier un théorème dans ces auteurs. Il avait même en manuscrit -quelques petites choses de Lagrange, de ces choses bonnes pour notre -petite portée.</p> - -<p>Il me semble que nous travaillions avec une plume sur un cahier de -papier et à un tableau de toile cirée<a name="NoteRef_12_493" id="NoteRef_12_493"></a><a href="#Note_12_493" class="fnanchor">[12]</a>.</p> - -<p>Ma disgrâce s'étendait à tout, peut-être venait-elle de quelque -gaucherie de mes parents, qui avaient oublié d'envoyer un dindon, -à Noël, à M. Chabert ou à ses sœurs, car il en avait et de fort -jolies, et sans ma timidité je leur eusse bien fait la cour. Elles -avaient beaucoup de considération pour le petit-fils de M. Gagnon, et -d'ailleurs venaient à la messe à la maison, le dimanche.</p> - -<p>Nous allions lever des plans au graphomètre et à la planchette; un jour -nous levâmes un champ à côté du chemin des Boiteuses<a name="NoteRef_13_494" id="NoteRef_13_494"></a><a href="#Note_13_494" class="fnanchor">[13]</a>. Il s'agit -du champ B C D E. M. Chabert fit tirer les lignes à tous les autres sur -la planchette, enfin mon tour vint, mais le dernier ou l'avant-dernier, -avant un enfant. J'étais humilié et fâché; j'appuyai trop la plume.</p> - -<p>«Mais c'était une ligne que je vous avais dit de tirer, dit M. Chabert -avec son accent traînard, et c'est une barre que vous avez faite là.»</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_283" id="Page_283">[p. 283]</a></span></p> - -<p>Il avait raison. Je pense que cet état de défaveur marquée chez MM. -Dupuy et Chabert, et d'indifférence marquée chez M. Jay, à l'école -de dessin, m'empêcha d'être un sot. J'y avais de merveilleuses -dispositions, mes parents, dont la morosité bigote déclamait sans -cesse contre l'éducation publique, s'étaient convaincus sans beaucoup -de peine qu'avec cinq ans de soins, hélas! trop assidus, ils avaient -produit un chef-d'œuvre, et ce chef-d'œuvre, c'était moi.</p> - -<p>Un jour, je me disais, mais, à la vérité, c'était avant l'École -centrale: Ne serais-je point le fils d'un grand prince, et tout ce que -j'entends dire de la Révolution, et le peu que j'en vois, une fable -destinée à faire mon éducation, comme dans <i>Émile?</i></p> - -<p>Car mon grand-père, homme d'aimable conversation, en dépit de ses -résolutions pieuses, avait nommé <i>Émile</i> devant moi, parlé de la -<i>Profession</i><a name="NoteRef_14_495" id="NoteRef_14_495"></a><a href="#Note_14_495" class="fnanchor">[14]</a> <i>de foi du vicaire savoyard</i>, etc., etc. J'avais -volé ce livre à Claix, mais je n'y avais rien compris, pas même les -absurdités de la première page, et après un quart d'heure l'avais -laissé. Il faut rendre justice au goût de mon père, il était -enthousiaste de Rousseau et il en parlait quelquefois, pour laquelle -chose et pour son imprudence devant un enfant il était bien grondé de -ma tante Séraphie.</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_284" id="Page_284">[p. 284]</a><br /><a name="Page_285" id="Page_285">[p. 285]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_482" id="Note_1_482"></a><a href="#NoteRef_1_482"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XXVI</i> est le chapitre XXII du manuscrit (fol. 372 à -386).—Écrit a Rome, les 3, 4 et 6 janvier 1836.—En face du feuillet -commençant le chapitre, on lit: «Treize pages en une heure et demie. -Froid du diable. 3 janvier 1836.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_483" id="Note_2_483"></a><a href="#NoteRef_2_483"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>à la porte des Jacobins ...</i>—La porte des Jacobins -était située place Grenette, à remplacement de l'actuelle rue de la -République.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_484" id="Note_3_484"></a><a href="#NoteRef_3_484"><span class="label">[3]</span></a> ... à <i>la voûte du Jardin ...</i>—Le Jardin-de-Ville.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_485" id="Note_4_485"></a><a href="#NoteRef_4_485"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>à l'angle de la maison ...</i>—Stendhal orthographie: -«<i>Engle.</i>» Et il ajoute: «Engle, orthographe de la passion, peinture -des sons, et rien autre.»</p> - -<p>—Au verso du fol. 372 est un plan de la place Grenette et de ses -environs, avec les emplacements où étaient collées les affiches -théâtrales.]</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_486" id="Note_5_486"></a><a href="#NoteRef_5_486"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>mieux que de plus beaux.</i>—-On lit en haut du fol. 373: «4 -janvier 1836. A trois heures, idée de goutte à la main droite, dessus, -douleur dans un muscle de l'épaule droite.» Aussi Stendhal n'a-t-il -écrit ce jour-là qu'une page et un tiers environ.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_487" id="Note_6_487"></a><a href="#NoteRef_6_487"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>le nom de Kably.</i>—Les deux tiers du fol. 373 ont été -laissés en blanc.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_488" id="Note_7_488"></a><a href="#NoteRef_7_488"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>j'étais leur ressource ...</i>—Un blanc d'un tiers de ligne.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_489" id="Note_8_489"></a><a href="#NoteRef_8_489"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>recettes pour faire du vinaigre.</i>—Le fol. 379, qui se -termine ici, est aux trois-quarts blanc. On lit en tête du fol. 380, -qui suit: «6 janvier 1836. Les Rois. Le froid est revenu et me donne -sur les nerfs. Envie de dormir.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_490" id="Note_9_490"></a><a href="#NoteRef_9_490"><span class="label">[9]</span></a> <i>Il logeait rue Neuve ...</i>—Aujourd'hui rue du Lycée. Un plan -du carrefour des rues Neuve, Saint-Jacques et de Bonne est dessiné au -verso du fol. 380. On y voit l'appartement de M. Chabert, figuré au -troisième étage de l'immeuble portant actuellement le n° 15 de la rue -du Lycée. A l'angle de la rue de Bonne et de la place Grenette, «ici -fut dix ans plus tard la maison bâtie sur mes plans et qui a ruiné mon -père».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_491" id="Note_10_491"></a><a href="#NoteRef_10_491"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>ceux qui y parvenaient ...</i>—Variante: «<i>Montaient.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_492" id="Note_11_492"></a><a href="#NoteRef_11_492"><span class="label">[11]</span></a> ... <i>s'il les comprenait le moins du monde.</i>—La première moitié -du fol. 383 a été laissée en blanc.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_493" id="Note_12_493"></a><a href="#NoteRef_12_493"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>sur un cahier de papier et à un tableau de toile -cirée.</i>—Suit un plan de la salle d'études.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_494" id="Note_13_494"></a><a href="#NoteRef_13_494"><span class="label">[13]</span></a> ... un <i>jour noue levâmes un champ à côté du chemin des -Boiteuses.</i>—Suit un plan explicatif.—Le chemin des Boiteuses allait -depuis la porte de Bonne jusqu'au cours de Saint-André. Il est remplacé -aujourd'hui par les rues Lakanal et de Turenne. Stendhal y figure, -non loin de la porte de Bonne, en «T, maison de ce fou de Camille -Teisseire, jacobin qui, en 1811, veut brûler Rousseau et Voltaire»; -plus loin, en «A, hôtel de la Bonne Femme; elle est représentée sans -tête, cela me frappait beaucoup». Cet établissement, dit de la Femme -sans Tête, a subsiste longtemps rue Lakanal; il a disparu il y a une -huitaine d'années, en 1905.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_495" id="Note_14_495"></a><a href="#NoteRef_14_495"><span class="label">[14]</span></a> ... <i>parlé de la</i> Profession de foi du vicaire savoyard -...—Ms.: «<i>Confession.</i>»</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_XXVII1" id="CHAPITRE_XXVII1"></a>CHAPITRE XXVII<a name="NoteRef_1_496" id="NoteRef_1_496"></a><a href="#Note_1_496" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>J'avais, et j'ai encore, les goûts les plus aristocrates; je ferais -tout pour le bonheur du peuple, mais j'aimerais mieux, je crois, passer -quinze jours de chaque mois en prison que de vivre avec les habitants -des boutiques.</p> - -<p>Vers ce temps-là, je me liai, je ne sais comment, avec François -Bigillion<a name="NoteRef_2_497" id="NoteRef_2_497"></a><a href="#Note_2_497" class="fnanchor">[2]</a> (qui depuis s'est tué, je crois, par ennui de sa femme).</p> - -<p>C'était un homme simple, naturel, de bonne foi, qui ne cherchait jamais -à faire entendre par une réponse ambitieuse qu'il connaissait le monde, -les femmes, etc. C'était là notre grande ambition et notre principale -fatuité au collège. Chacun de ces marmots voulait persuader à l'autre -qu'il avait eu<span class="pagenum"><a name="Page_286" id="Page_286">[p. 286]</a></span> des femmes et connaissait le monde; rien de pareil -chez le bon Bigillion. Nous faisions de longues promenades ensemble, -surtout vers la tour de Rabot et la Bastille. La vue magnifique dont on -jouit de là, surtout vers Eybens, derrière lequel apparaissent les plus -hautes Alpes, élevait notre âme. Rabot et la Bastille sont le premier -une vieille tour, la seconde une maisonnette, situées à deux hauteurs -bien différentes<a name="NoteRef_3_498" id="NoteRef_3_498"></a><a href="#Note_3_498" class="fnanchor">[3]</a>, sur la montagne qui enferme l'enceinte de la -ville, fort ridicule en 1795, mais que l'on rend bonne en 1836<a name="NoteRef_4_499" id="NoteRef_4_499"></a><a href="#Note_4_499" class="fnanchor">[4]</a>.</p> - -<p>Dans ces promenades nous nous faisions part, avec toute franchise, de -ce qui nous semblait de cette foret terrible, sombre et délicieuse, -dans laquelle nous étions sur le point d'entrer. On voit qu'il s'agit -de la société et du monde.</p> - -<p>Bigillion avait de grands avantages sur moi:</p> - -<p>1° Il avait vécu libre depuis son enfance, fils d'un père qui ne -l'aimait point trop, et savait s'amuser autrement qu'en faisant de son -fils sa poupée.</p> - -<p>2° Ce père, bourgeois de campagne fort aisé, habitait Saint-Ismier, -village situé à une porte de Grenoble, vers l'Est, dans une position -fort agréable dans la vallée de l'Isère. Ce bon campagnard, amateur -du vin, de la bonne chère et des Fauchons paysannes, avait loué un -petit appartement à Grenoble pour ses deux fils qui y faisaient leur -éducation. L'aîné se nommait Bigillion, suivant l'usage de notre -province, le cadet Rémy, humoriste,<span class="pagenum"><a name="Page_287" id="Page_287">[p. 287]</a></span> homme singulier, vrai Dauphinois, -mais généreux, un peu jaloux, même alors, de l'amitié que Bigillion et -moi avions l'un pour l'autre.</p> - -<p>Fondée sur la plus parfaite bonne foi, cette amitié fut intime au bout -de quinze jours. Il avait pour oncle un moine savant et, ce me semble, -très peu moine, le bon Père Morlon, bénédictin peut-être, qui, dans mon -enfance, avait bien voulu, par amitié pour mon grand-père, me confesser -une ou deux fois. J'avais été bien surpris de son ton de douceur et de -politesse, bien différent de l'âpre pédantisme des cuistres morfondus, -auxquels mon père me livrait le plus souvent, tels que M. l'abbé -Rambault.</p> - -<p>Ce bon Père Morlon a eu une grande influence sur mon esprit; il -avait Shakespeare traduit par Letourneur, et son neveu Bigillion -emprunta pour moi, successivement, tous les volumes de cet ouvrage -considérable<a name="NoteRef_5_500" id="NoteRef_5_500"></a><a href="#Note_5_500" class="fnanchor">[5]</a> pour un enfant, dix-huit ou vingt volumes.</p> - -<p>Je crus renaître en le lisant. D'abord, il avait l'immense avantage -de n'avoir pas été loué et prêché par mes parents, comme Racine. Il -suffisait qu'ils louassent une chose <i>de plaisir</i> pour me la faire -prendre en horreur.</p> - -<p>Pour que rien ne manquât au pouvoir de Shakespeare sur mon cœur, je -crois même que mon père m'en dit du mal.</p> - -<p>Je me méfiais de ma famille sur toutes choses<a name="NoteRef_6_501" id="NoteRef_6_501"></a><a href="#Note_6_501" class="fnanchor">[6]</a>;<span class="pagenum"><a name="Page_288" id="Page_288">[p. 288]</a></span> mais en fait de -beaux-arts ses louanges suffisaient pour me donner un dégoût mortel -pour les plus belles choses. Mon cœur, bien plus avancé que l'esprit -<a name="NoteRef_7_502" id="NoteRef_7_502"></a><a href="#Note_7_502" class="fnanchor">[7]</a>, sentait vivement qu'elle les louait comme les <i>kings</i> louent -aujourd'hui la religion<a name="NoteRef_8_503" id="NoteRef_8_503"></a><a href="#Note_8_503" class="fnanchor">[8]</a>, c'est-à-dire <i>avec une seconde foi</i>. Je -sentais bien confusément, mais bien vivement et avec un feu que <i>je -n'ai plus</i>, que tout beau moral, c'est-à-dire d'intérêt dans l'artiste, -tue tout ouvrage d'art. J'ai lu continuellement Shakespeare de 1796 -à 1799. Racine, sans cesse loué par mes parents, me faisait l'effet -d'un plat hypocrite. Mon grand-père m'avait conté l'anecdote de sa -mort pour n'avoir plus été regardé par Louis XIV. D'ailleurs, les vers -m'ennuyaient comme allongeant la phrase et lui faisant perdre de sa -netteté. J'abhorrais <i>coursier</i> au lieu de cheval. J'appelais cela de -l'hypocrisie.</p> - -<p>Comment, vivant solitaire dans le sein d'une famille parlant fort bien, -aurais-je pu sentir le langage plus ou moins noble? Où aurais-je pris -le langage non élégant?</p> - -<p>Corneille me déplaisait moins. Les auteurs qui me plaisaient alors à -la folie furent Cervantès, Don Quichotte, et l'Arioste (tous les trois -traduits), dans des traductions. Immédiatement après venait Rousseau, -qui avait le double défaut (<i>drawback</i>) de louer les prêtres et d'être -loué par mon père. Je lisais avec délices les <i>Contes</i> de La Fontaine -et <i>Félicia.</i> Mais ce n'étaient pas des <i>plaisirs littéraires</i>. -Ce<span class="pagenum"><a name="Page_289" id="Page_289">[p. 289]</a></span> sont de ces livres qu'on ne lit que d'une main, comme disait -M<sup>me</sup> * * *<a name="NoteRef_9_504" id="NoteRef_9_504"></a><a href="#Note_9_504" class="fnanchor">[9]</a>.</p> - -<p>Quand, en 1824, au moment de tomber amoureux de Clémentine, je -m'efforçais de ne pas laisser absorber mon âme par la contemplation de -ses grâces (je me souviens d'un grand combat, un soir, au concert de M. -du Bignon, où j'étais à côté du célèbre général Foy; Clémentine, ultra, -n'allait pas dans cette maison), quand, dis-je, j'écrivis <i>Racine -et Shakespeare</i>, on m'accusa de jouer la comédie et de renier mes -premières sensations d'enfance, on voit combien était vrai, ce que je -me gardai de dire (comme incroyable), que mon premier amour avait été -pour Shakespeare, et entre autres pour <i>Hamlet</i> et <i>Roméo et Juliette.</i></p> - -<hr /> - -<p>Les Bigillion habitaient rue Chenoise (je ne suis pas sûr du nom -<a name="NoteRef_10_505" id="NoteRef_10_505"></a><a href="#Note_10_505" class="fnanchor">[10]</a>), cette rue qui débouchait entre la voûte de Notre-Dame et une -petite rivière sur laquelle était bâti le couvent des Augustins. Là -était un fameux bouquiniste que je visitais souvent. Au-delà était -l'oratoire où mon père avait été en prison<a name="NoteRef_11_506" id="NoteRef_11_506"></a><a href="#Note_11_506" class="fnanchor">[11]</a> quelques jours avec -M. Colomb<a name="NoteRef_12_507" id="NoteRef_12_507"></a><a href="#Note_12_507" class="fnanchor">[12]</a>, père de Romain Colomb, le plus ancien de mes amis (en -1836)<a name="NoteRef_13_508" id="NoteRef_13_508"></a><a href="#Note_13_508" class="fnanchor">[13]</a>.</p> - -<p>Dans cet appartement, situé au troisième étage, vivait avec les -Bigillion leur sœur, M<sup>lle</sup> Victorine Bigillion, fort simple, -fort jolie, mais nullement d'une beauté grecque; au contraire, c'était -une<span class="pagenum"><a name="Page_290" id="Page_290">[p. 290]</a></span> figure profondément allobroge<a name="NoteRef_14_509" id="NoteRef_14_509"></a><a href="#Note_14_509" class="fnanchor">[14]</a>. Il me semble qu'on appelle -cela aujourd'hui la race Galle. (Voir le D<sup>r</sup> Edwards et M. -Antoine de Jussieu; c'est du moins ce dernier qui m'a fait croire à -cette classification.)</p> - -<hr /> - -<p>Mademoiselle Victorine avait de l'esprit et réfléchissait beaucoup; -elle était la fraîcheur même. Sa figure était parfaitement d'accord -avec les fenêtres à croisillons de l'appartement qu'elle occupait avec -ses deux frères, sombre quoique au midi et au troisième étage; mais -la maison vis-à-vis était énorme. Cet accord parfait me frappait, ou -plutôt j'en sentais l'effet, mais je n'y comprenais rien.</p> - -<p>Là, souvent j'assistais au souper des deux frères et de la sœur. -Une servante de leur pays, simple comme eux, le leur préparait, ils -mangeaient du pain bis, ce qui me semblait incompréhensible, à moi qui -n'avais jamais mangé que du pain blanc.</p> - -<p>Là était tout mon avantage à leur égard; à leurs yeux, j'étais d'une -classe supérieure: le petit-fils<a name="NoteRef_15_510" id="NoteRef_15_510"></a><a href="#Note_15_510" class="fnanchor">[15]</a> de M. Gagnon, membre du jury de -l'École centrale, était <i>noble</i> et eux, bourgeois tendant au paysan. Ce -n'est pas qu'il y eut chez eux regret ni sotte admiration; par exemple, -ils aimaient mieux le pain bis que le pain blanc, et il ne dépendait -que d'eux de faire bluter leur farine pour avoir du pain blanc<a name="NoteRef_16_511" id="NoteRef_16_511"></a><a href="#Note_16_511" class="fnanchor">[16]</a>.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_291" id="Page_291">[p. 291]</a></span></p> - -<p>Nous vivions là en toute innocence, autour de cette table de noyer -couverte d'une nappe de toile écrue, Bigillion, le frère aîné, 14 ou 15 -ans, Rémy 12, M<sup>lle</sup> Victorine 13, moi 13, la servante 17.</p> - -<p>Nous formions une société bien jeune<a name="NoteRef_17_512" id="NoteRef_17_512"></a><a href="#Note_17_512" class="fnanchor">[17]</a>, comme on voit, et aucun -grand parent pour nous gêner. Quand M. Bigillion, le père, venait à la -ville pour un jour ou deux, nous n'osions pas désirer son absence, mais -il nous gênait.</p> - -<p>Peut-être bien avions-nous tous un an de plus, mais c'est tout au plus, -mes deux dernières années 1799 et 1798 furent entièrement absorbées par -les mathématiques et Paris au bout; c'était donc 1797 ou plutôt 1796, -or en 1796 j'avais treize ans<a name="NoteRef_18_513" id="NoteRef_18_513"></a><a href="#Note_18_513" class="fnanchor">[18]</a>.</p> - -<p>Nous vivions alors comme de jeunes lapins jouant dans un bois tout en -broutant le serpolet. M<sup>lle</sup> Victorine était la ménagère; elle -avait des grappes de raisin séché dans une feuille de vigne serrée -par un fil, qu'elle me donnait et que j'aimais presque autant que sa -charmante figure. Quelquefois, je lui demandais une seconde grappe, et -souvent elle me refusait, disant: «Nous n'en avons plus que huit, et -il faut finir la semaine.»</p> - -<p>Chaque semaine, une ou deux fois, les provisions venaient de -Saint-Ismier. C'est l'usage à Grenoble. La passion de chaque bourgeois -est son <i>domaine</i>, et il préfère une salade qui vient de son domaine -à Montbonnot, Saint-Ismier, Corenc, Voreppe, Saint-Vincent ou Claix, -Echirolles, Eybens, Domène, etc.,<span class="pagenum"><a name="Page_292" id="Page_292">[p. 292]</a></span> et qui lui revient<a name="NoteRef_19_514" id="NoteRef_19_514"></a><a href="#Note_19_514" class="fnanchor">[19]</a> à quatre -sous, à la même salade achetée deux sous à la place aux Herbes. Ce -bourgeois avait 10.000 francs placés au 5% chez les Périer (père et -cousin de Casimir, ministre en 1832), il les place en un domaine qui -lui rend le 2 ou le 2 1/2, et il est ravi. Je pense qu'il est payé -en vanité et par le plaisir de dire d'un air important: <i>Il faut que -j'aille à Montbonnot</i>, ou: <i>Je viens de Montbonnot.</i></p> - -<p>Je n'avais pas d'amour pour Victorine, mon cœur était encore tout -meurtri du départ de M<sup>lle</sup> Kably et mon amitié pour Bigillion -était si intime qu'il me semble que, d'une façon abrégée, de peur du -rire, j'avais osé lui confier ma folie.</p> - -<p>Il ne s'en était point effarouché, c'était l'être le meilleur et le -plus simple, qualités précieuses qui allaient<a name="NoteRef_20_515" id="NoteRef_20_515"></a><a href="#Note_20_515" class="fnanchor">[20]</a> réunies avec le -bon sens le plus fin, bon sens caractéristique de cette famille et qui -était fortifié chez lui par la conversation de Rémy, son frère et son -ami intime, peu sensible, mais d'un bon sens bien autrement inexorable. -Rémy passait souvent des après-midi entières sans desserrer les dents.</p> - -<p>Dans ce troisième étage passèrent les moments les plus heureux de -ma vie. Peu après, les Bigillion quittèrent cette maison pour aller -habiter à la Montée du Pont-de-Bois; ou plutôt c'est tout le contraire, -du Pont-de-Bois ils vinrent dans la rue Chenoise, ce me semble, -certainement celle à laquelle<span class="pagenum"><a name="Page_293" id="Page_293">[p. 293]</a></span> aboutit la rue du Pont-Saint-Jaime. Je -suis sûr de ces trois fenêtres à croisillons, en B<a name="NoteRef_21_516" id="NoteRef_21_516"></a><a href="#Note_21_516" class="fnanchor">[21]</a>, et de leur -position à l'égard de la rue du Pont-Saint-Jaime. Plus que jamais je -fais des découvertes en écrivant ceci (à Rome, en janvier 1836). J'ai -oublié aux trois-quarts ces choses, auxquelles je n'ai pas pensé six -fois par an depuis vingt ans.</p> - -<p>J'étais fort timide envers Victorine, dont j'admirais la gorge -naissante, mais je lui faisais confidence de tout, par exemple les -persécutions de Séraphie, dont j'échappais à peine, et je me souviens -qu'elle refusait de me croire, ce qui me faisait une peine mortelle. -Elle me faisait entendre que j'avais un mauvais caractère.</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_294" id="Page_294">[p. 294]</a><br /><a name="Page_295" id="Page_295">[p. 295]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_496" id="Note_1_496"></a><a href="#NoteRef_1_496"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XXVII</i> est le chapitre XXIII du manuscrit (fol. 387 -à 398).—Écrit à Rome, les 6 et 10 janvier 1836.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_497" id="Note_2_497"></a><a href="#NoteRef_2_497"><span class="label">[2]</span></a> <i>Vers ce temps-là, je me liai ... avec François Bigillion -...</i>—C'est par l'intermédiaire de Romain Colomb, qui s'était lié avec -les deux frères, pour les avoir rencontrés dans la maison Faure, lors -de leur arrivée à Grenoble. (Note au crayon de R. Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_498" id="Note_3_498"></a><a href="#NoteRef_3_498"><span class="label">[3]</span></a> <i>Rabot et la Bastille sont ... situes à des hauteurs bien -différentes ...</i>—Le fort Rabot est à l'altitude de 270 mètres environ, -et la plateforme de la Bastille à 470 mètres.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_499" id="Note_4_499"></a><a href="#NoteRef_4_499"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>mais que l'on rend bonne en</i> 1836.—On lit en tête du fol. -389: «10 janvier 1836. Le métier m'a occupé depuis huit jours. Froid du -diable, 6 degrés le lundi.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_500" id="Note_5_500"></a><a href="#NoteRef_5_500"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>cet ouvrage considérable ...</i>—Variante: «<i>Grand.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_501" id="Note_6_501"></a><a href="#NoteRef_6_501"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>sur toutes choses ...</i>—Variante: «<i>Sur tous les objets.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_502" id="Note_7_502"></a><a href="#NoteRef_7_502"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>bien plus avancé que l'esprit ...</i>—Variante: «<i>Ma tête.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_503" id="Note_8_503"></a><a href="#NoteRef_8_503"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>louent aujourd'hui la religion ...</i>—Ms.: «<i>Gionreli.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_504" id="Note_9_504"></a><a href="#NoteRef_9_504"><span class="label">[9]</span></a> ... <i>comme disait</i> M<sup>me ***</sup>.—Duclos.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_505" id="Note_10_505"></a><a href="#NoteRef_10_505"><span class="label">[10]</span></a> <i>Les Bigillion habitaient rue Chenoise (je ne suis pas sûr du -nom) ...</i>—Il s'agit, en effet, de la rue Chenoise.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_506" id="Note_11_506"></a><a href="#NoteRef_11_506"><span class="label">[11]</span></a> ... <i>l'oratoire où mon père avait été en prison ...</i>—Erreur; -son père a pu se cacher, mais n'a jamais été en prison, surtout à -l'Oratoire, où il n'y avait que des femmes et trois enfants: les deux -Monval et moi. Le guichetier, dur et renfrogné, s'appelait Pilon. (Note -au crayon de R. Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_507" id="Note_12_507"></a><a href="#NoteRef_12_507"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>avec M. Colomb ...</i>—M. Colomb père a fait toute sa prison -à la Conciergerie, place Saint-André; j'ai couché quelquefois avec lui, -dans cette prison. (Note au crayon de R. Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_508" id="Note_13_508"></a><a href="#NoteRef_13_508"><span class="label">[13]</span></a> ... <i>Romain Colomb, le plus ancien de mes amis.</i>—Stendhal écrit -ensuite: «Voici cette rue, dont le nom est à peu près effacé, mais non -l'aspect.» Et il dessine au-dessous un plan de la partie de la ville où -se trouvait la rue Chenoise.—-La maison où logeaient les Bigillion se -trouvait entre la Montée du Pont de Bois (aujourd'hui rue de Lionne) et -la rue du Pont-Saint-Jaime.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_509" id="Note_14_509"></a><a href="#NoteRef_14_509"><span class="label">[14]</span></a> ... <i>c'était une figure profondément allobroge.</i>—Elle était -plutôt laide que jolie, mais piquante et bonne fille; Victorine jouait -avec nous, sans se douter que nous appartenions à des sexes différents. -(Note au crayon de R. Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_510" id="Note_15_510"></a><a href="#NoteRef_15_510"><span class="label">[15]</span></a> ... <i>le petit-fils de M. Gagnon ...</i>—Ms.: «<i>Le fils.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_511" id="Note_16_511"></a><a href="#NoteRef_16_511"><span class="label">[16]</span></a> ... <i>faire bluter leur farine pour avoir du pain blanc.</i>—En -face, au verso du fol. 393, est un plan des environs de la maison -où logeaient les Bigillion, ainsi qu'un croquis représentant le -Pont-de-Bois, situé au bout de la Montée du Pont-de-Bois. Stendhal -note à ce sujet: «J'ai laissé à Grenoble une vue du pont de Bois, -achetée par moi à la veuve de M. Le Roy. Elle est à l'huile et -<i>sbiadita,</i> doucereuse, à la Dorat, à la Florian, mais enfin c'est -ressemblant <i>quant aux lignes</i>; les couleurs seules sont <i>adoucies</i> et -<i>florianisées</i>».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_512" id="Note_17_512"></a><a href="#NoteRef_17_512"><span class="label">[17]</span></a> <i>Nous formions une société bien jeune ...</i>—Variante: «<i>C'était -un ménage bien jeune.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_513" id="Note_18_513"></a><a href="#NoteRef_18_513"><span class="label">[18]</span></a> ... <i>en</i> 1796 <i>j'avais treize ans.</i>—Ms.: «10 + 3.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_19_514" id="Note_19_514"></a><a href="#NoteRef_19_514"><span class="label">[19]</span></a> ... <i>qui lui revient à quatre sous ...</i>—Variante: «<i>Qui lui -coûte.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_20_515" id="Note_20_515"></a><a href="#NoteRef_20_515"><span class="label">[20]</span></a> ... <i>qualités précieuses qui allaient ...</i>—Un blanc d'une -demi-ligne.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_21_516" id="Note_21_516"></a><a href="#NoteRef_21_516"><span class="label">[21]</span></a> <i>Je suis sûr de ces trois fenêtres à croisillons, en B -...</i>—Cette référence se rapporte au plan cité plus haut.</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_XXVIII1" id="CHAPITRE_XXVIII1"></a>CHAPITRE XXVIII<a name="NoteRef_1_517" id="NoteRef_1_517"></a><a href="#Note_1_517" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Le sévère Rémy aurait vu de fort mauvais œil que je fisse la cour à sa -sœur, Bigillion me le fit entendre et ce fut le seul point sur lequel -il n'y eut pas franchise parfaite entre nous. Souvent, vers la tombée -de la nuit, après la promenade, comme je faisais mine de monter chez -Victorine, je recevais un adieu hâtif qui me contrariait fort. J'avais -besoin d'amitié et de parler avec franchise, le cœur ulcéré par tant de -méchancetés, dont, à tort ou à raison, je croyais fermement avoir été -l'objet.</p> - -<p>J'avouerai pourtant que cette conversation toute simple, je préférais -de beaucoup l'avoir avec Victorine qu'avec ses frères. Je vois -aujourd'hui mon sentiment d'alors, il me semblait incroyable de voir<span class="pagenum"><a name="Page_296" id="Page_296">[p. 296]</a></span> -de si près cet animal terrible, une femme, et encore avec des cheveux -superbes, un bras divinement fait quoique un peu maigre, et enfin -une gorge charmante, souvent un peu découverte à cause de l'extrême -chaleur. Il est vrai qu'assis contre la table de noyer, à deux pieds -de M<sup>lle</sup> Bigillion, l'angle de la table entre nous, je ne -parlais aux frères que pour être bien sage. Mais pour cela je n'avais -aucune envie d'être amoureux, j'étais <i>scolato</i> (brûlé, échaudé), comme -on dit en italien, je venais d'éprouver que l'amour était une chose -sérieuse et terrible. Je ne me disais pas, mais je sentais fort bien -qu'au total mon amour pour M<sup>lle</sup> Kably m'avait probablement -causé plus de peines que de plaisirs.</p> - -<p>Pendant ce sentiment pour Victorine, tellement innocent en paroles -et même en idées, j'oubliais de haïr et surtout de croire qu'on me -haïssait.</p> - -<p>Il me semble qu'après un certain temps la jalousie fraternelle de Rémy -se calma; ou bien il alla passer quelques mois à Saint-Ismier. Il vit -peut-être que réellement je n'aimais pas, ou eut quelque affaire à lui; -nous étions tous des politiques de treize ou quatorze ans. Mais dès cet -âge on est très fin en Dauphiné, nous n'avons ni l'insouciance ni le... -<a name="NoteRef_2_518" id="NoteRef_2_518"></a><a href="#Note_2_518" class="fnanchor">[2]</a> du gamin de Paris, et de bonne heure les passions s'emparent de -nous. Passions pour des bagatelles, mais enfin le fait est que nous -désirons passionnément.</p> - -<p>Enfin, j'allais bien cinq fois la semaine, à partir<span class="pagenum"><a name="Page_297" id="Page_297">[p. 297]</a></span> de la tombée de -la nuit ou <i>sing</i><a name="NoteRef_3_519" id="NoteRef_3_519"></a><a href="#Note_3_519" class="fnanchor">[3]</a> (cloche de neuf heures, sonnée à Saint-André), -passer la soirée chez M<sup>lle</sup> Bigillion.</p> - -<p>Sans parler nullement de l'amitié qui régnait entre nous, j'eus -l'imprudence de nommer cette famille, un jour, en soupant avec mes -parents. Je fus sévèrement puni de ma légèreté. Je vis mépriser, avec -la pantomime la plus expressive, la famille et le père de Victorine.</p> - -<p>«N'y a-t-il pas une fille? Ce sera quelque demoiselle de campagne.»</p> - -<p>Je ne me rappelle que faiblement les termes d'affreux mépris et la -mine de froid dédain qui les accompagnait. Je n'ai mémoire que pour -l'impression brûlante que fit sur moi ce mépris.</p> - -<p>Ce devait être absolument l'air de mépris froid et moqueur que M. le -baron des Adrets employait sans doute en parlant de ma mère ou de ma -tante.</p> - -<p>Ma famille, malgré l'état de médecin et d'avocat, se croyait être sur -le bord de la noblesse, les prétentions de mon père n'allaient même -à rien moins que celles de gentilhomme déchu. Tout le mépris qu'on -exprima, ce soir-là, pendant tout le souper, était fondé sur l'état -de bourgeois de campagne de M. Bigillion, père de mes amis, et sur -ce que son frère cadet, homme très fin, était directeur de la prison -départementale, place Saint-André, une sorte de geôlier bourgeois.</p> - -<p>Cette famille avait reçu saint Bruno à la Grande-Chartreuse<span class="pagenum"><a name="Page_298" id="Page_298">[p. 298]</a></span> -en....<a name="NoteRef_4_520" id="NoteRef_4_520"></a><a href="#Note_4_520" class="fnanchor">[4]</a>. Rien n'était mieux prouvé, cela était autrement -respectable que la famille B[ey]le, juge du village de Sassenage -sous les seigneurs du moyen-âge. Mais le bon Bigillion père, homme -de plaisir, fort aisé dans son village, ne dînait point chez M. de -Marcieu ou chez M<sup>me</sup> de Sassenage et saluait le premier mon -grand-père du plus loin qu'il l'apercevait, et, de plus, parlait de M. -Gagnon avec la plus haute considération.</p> - -<p>Cette sortie de hauteur amusait une famille qui, par habitude, mourait -d'ennui, et dans tout le souper j'avais perdu l'appétit en entendant -traiter ainsi mes amis. On me demanda ce que j'avais. Je répondis que -j'avais <i>goûté</i> fort tard. Le mensonge est la seule ressource de la -faiblesse. Je mourais de colère contre moi-même: quoi! j'avais été -assez sot pour parler à mes parents de ce qui m'intéressait?</p> - -<p>Ce mépris me jeta dans un trouble profond; j'en vois le pourquoi en -ce moment, c'était Victorine. Ce n'était donc pas avec cet animal -terrible, si redouté, mais si exclusivement adoré, une femme comme -il faut et jolie, que j'avais le bonheur de faire, chaque soir, la -conversation presque intime?</p> - -<p>Au bout de quatre ou cinq jours de peine cruelle, Victorine l'emporta, -je la déclarai plus aimable et plus du monde que ma famille triste, -<i>ratatinée</i> (ce fut mon mot), sauvage, ne donnant jamais à souper, -n'allant jamais dans un salon où il y eût dix personnes,<span class="pagenum"><a name="Page_299" id="Page_299">[p. 299]</a></span> tandis -que M<sup>lle</sup> Bigillion assistait souvent chez M. Faure, à -Saint-Ismier, et chez les parents de sa mère, à Chapareillan, à des -dîners de vingt-cinq personnes. Elle était même plus noble, à cause de -la réception de saint Bruno, en 1080<a name="NoteRef_5_521" id="NoteRef_5_521"></a><a href="#Note_5_521" class="fnanchor">[5]</a>.</p> - -<p>Bien des années après, j'ai vu le mécanisme de ce qui se passa -alors dans mon cœur et, faute d'un meilleur mot, je l'ai appelé -<i>cristallisation</i> (mot qui a si fort choqué ce grand littérateur, -ministre de l'Intérieur en 1833, M. le comte d'Argout, scène plaisante -racontée par Clara Gazul<a name="NoteRef_6_522" id="NoteRef_6_522"></a><a href="#Note_6_522" class="fnanchor">[6]</a>).</p> - -<p>Cette absolution du mépris dura bien cinq ou six jours, pendant -lesquels je ne songeais à autre chose. Cette insulte si glorieusement -mince mit <i>un fait nouveau</i> entre M<sup>lle</sup> Kably et mon état -actuel. Sans que mon innocence s'en doutât, c'était un grand point: -entre le chagrin et nous il faut mettre des faits nouveaux, fût-ce de -se casser le bras.</p> - -<p>Je venais d'acheter un Bezout d'une bonne édition, et de le faire -relier avec soin (peut-être existe-t-il encore à Grenoble, chez M. -Alexandre Mallein, directeur des Contributions); j'y traçai une -couronne de feuillage, et au milieu un V majuscule<a name="NoteRef_7_523" id="NoteRef_7_523"></a><a href="#Note_7_523" class="fnanchor">[7]</a>. Tous les -jours je regardais ce monument.</p> - -<p>Après la mort de Séraphie j'aurais pu, par besoin d'aimer, me -réconcilier avec ma famille; ce trait de hauteur mit Victorine<a name="NoteRef_8_524" id="NoteRef_8_524"></a><a href="#Note_8_524" class="fnanchor">[8]</a> -entre eux et moi; j'aurais pardonné l'imputation d'un crime à la -famille Bigillion, mais le mépris! Et mon grand-père était<span class="pagenum"><a name="Page_300" id="Page_300">[p. 300]</a></span> celui qui -l'avait exprimé avec le plus de grâce, et par conséquent d'effet!</p> - -<hr /> - -<p>Je me gardai bien de parler à mes parents d'autres amis que je fis à -cette époque: MM. Galle, La Bayette...<a name="NoteRef_9_525" id="NoteRef_9_525"></a><a href="#Note_9_525" class="fnanchor">[9]</a></p> - -<p>Galle était fils d'une veuve qui l'aimait uniquement et le respectait, -par probité, comme le maître de la fortune; le père devait être quelque -vieil officier. Ce spectacle, si singulier pour moi, m'attachait et -m'attendrissait. Ah! si ma pauvre mère eût vécu, me disais-je. Si, du -moins, j'avais eu des parents dans le genre de madame Galle, comme je -les eusse aimés! M<sup>me</sup> Galle me respectait beaucoup, comme -le petit-fils de M. Gagnon, le bienfaiteur des pauvres, auxquels il -donnait des soins gratuits, et même deux livres de bœuf pour faire du -bouillon. Mon père était inconnu.</p> - -<p>Galle était pâle, maigre, <i>crinche</i>, marqué de petite vérole, -d'ailleurs d'un caractère très froid, très modéré, très prudent. Il -sentait qu'il était maître absolu de la petite fortune et qu'il ne -fallait pas la perdre. Il était simple, honnête, et nullement hâbleur -ni menteur. Il me semble qu'il quitta Grenoble et l'École centrale -avant moi pour aller à Toulon et entrer dans la marine.</p> - -<hr /> - -<p>C'était aussi à la marine que se destinait l'aimable La Bavette, neveu -ou parent de l'amiral<span class="pagenum"><a name="Page_301" id="Page_301">[p. 301]</a></span> (c'est-à-dire contre-amiral ou vice-amiral) -Morard de Galles.</p> - -<p>Il était aussi aimable et aussi noble que Galle était estimable. Je me -souviens encore des charmantes après-midi que nous passions, devisant -ensemble à la fenêtre de sa petite chambre. Elle était au troisième -étage d'une maison donnant sur la nouvelle place du Département<a name="NoteRef_10_526" id="NoteRef_10_526"></a><a href="#Note_10_526" class="fnanchor">[10]</a>. -Là, je partageais son <i>goûter</i>: des pommes et du pain bis. J'étais -affamé de toute conversation sincère et sans hypocrisie. A ces deux -mérites, communs à tous mes amis, La Bavette joignait une grande -noblesse de sentiments et de manières<a name="NoteRef_11_527" id="NoteRef_11_527"></a><a href="#Note_11_527" class="fnanchor">[11]</a> et une tendresse d'âme non -susceptible de passion profonde, comme Bigillion, mais plus élégante -dans l'expression.</p> - -<p>Il me semble qu'il me donna de bons conseils dans le temps de mon amour -pour M<sup>lle</sup> Kably, dont j'osai lui parler, tant il était -sincère et bon. Nous mettions ensemble toute notre petite expérience -des femmes, ou plutôt toute notre petite science puisée dans les romans -lus par nous. Nous devions être drôles à entendre.</p> - -<p>Bientôt après le départ de ma tante Séraphie, j'avais lu et adoré les -<i>Mémoires secrets</i> de Duclos<a name="NoteRef_12_528" id="NoteRef_12_528"></a><a href="#Note_12_528" class="fnanchor">[12]</a>, que lisait mon grand-père.</p> - -<hr /> - -<p>Ce fut, ce me semble, à la salle de mathématiques que je fis la -connaissance de Galle et de La Bayette; ce fut certainement là que je -pris de l'amitié pour<span class="pagenum"><a name="Page_302" id="Page_302">[p. 302]</a></span> Louis de Barral (maintenant le plus ancien et -le meilleur de mes amis; c'est l'être au monde qui m'aime le plus, il -n'est aussi, ce me semble, aucun sacrifice que je ne fisse pour lui).</p> - -<p>Il était alors fort petit, fort maigre, fort <i>crinche</i>, il passait pour -porter à l'excès une mauvaise habitude que nous avions tous, et le fait -est qu'il en avait la mine. Mais la sienne était singulièrement relevée -par un superbe uniforme de lieutenant du génie, on appelait cela être -adjoint du génie; c'eût été un bon moyen d'attacher à la Révolution les -familles riches, ou du moins de mitiger leur haine.</p> - -<p>Anglès aussi, depuis comte Anglès et préfet de police, enrichi par -les Bourbons, était adjoint du génie, ainsi qu'un être subalterne par -essence, orné de cheveux rouges et qui s'appelait Giroud, différent -du Giroud à l'habit rouge avec lequel je me battais assez souvent. Je -plaisantais ferme le Giroud garni d'une épaulette d'or et qui était -beaucoup plus <i>grand</i> que moi, c'est-à-dire qui était un homme de -dix-huit ans tandis que j'étais encore un bambin de treize ou quatorze. -Cette différence de deux ou trois ans est immense au collège, c'est à -peu près celle du noble au roturier en Piémont.</p> - -<hr /> - -<p>Ce qui fit ma conquête net dans Barral, la première fois que nous -parlâmes ensemble (il avait alors, ce me semble, pour surveillant -Pierre-Vincent Chalvet, professeur d'histoire et fort malade de la<span class="pagenum"><a name="Page_303" id="Page_303">[p. 303]</a></span> -sœur aînée de la petite vérole), ce qui donc fit ma conquête dans -Barral, ce fut: 1° la beauté de son habit, dont le bleu me parut -enchanteur;—2° sa façon de dire ces vers de Voltaire, dont je me -souviens encore:</p> - -<p> -Vous êtes, lui dit-il, l'existence et l'essence,<br /> -Simple...<a name="NoteRef_13_529" id="NoteRef_13_529"></a><a href="#Note_13_529" class="fnanchor">[13]</a><br /> -</p> - -<p>Sa mère, fort grande dame, <i>c'était une Grolée</i><a name="NoteRef_14_530" id="NoteRef_14_530"></a><a href="#Note_14_530" class="fnanchor">[14]</a>, disait mon -grand-père avec respect, fut la dernière de son ordre à en porter le -costume; je la vois encore près de la statue d'Hercule, au Jardin -<a name="NoteRef_15_531" id="NoteRef_15_531"></a><a href="#Note_15_531" class="fnanchor">[15]</a>, avec une robe à ramages, c'est-à-dire de satin blanc ornée de -fleurs, ladite robe retroussée dans les poches comme ma grand-mère -(Jeanne Dupéron, veuve Beyle<a name="NoteRef_16_532" id="NoteRef_16_532"></a><a href="#Note_16_532" class="fnanchor">[16]</a>), avec un énorme chignon poudré et -peut-être un petit chien sur le bras. Les petits polissons la suivaient -à distance avec admiration, et quant à moi j'étais mené, ou porté, par -le fidèle Lambert: je pouvais avoir trois ou quatre ans lors de cette -vision. Cette grande dame avait les mœurs de la Chine, M. le marquis de -Barrai, sou mari et Président, ou même Premier Président au Parlement, -ne voulut point émigrer, ce pourquoi il était honni de ma famille comme -s'il eût reçu vingt soufflets.</p> - -<p>Le sage M. Destutt de Tracy eût la même idée à Paris et fut obligé -de prendre des plans, comme M. de Barral, qui, avant la Révolution, -s'appelait M. de Montferrat, c'est-à-dire M. le marquis de<span class="pagenum"><a name="Page_304" id="Page_304">[p. 304]</a></span> Montferrat -(prononcez: Monferâ, <i>a</i> très long); M. de Tracy fut réduit à vivre -avec les appointements de la place de commis de l'Instruction publique, -je crois; M. de Barral avait conservé 20 ou 25.000 francs de rente, -dont en 1793 il donnait la moitié ou les deux-tiers non à la patrie, -mais à la peur de la guillotine. Peut-être avait-il été retenu en -France par son amour pour M<sup>me</sup> Brémont, que depuis il -épousa. J'ai rencontré M. Brémont fils à l'armée, où il était chef de -bataillon, je crois, puis sous-inspecteur des Revues, et toujours homme -de plaisir.</p> - -<p>Je ne dis pas que son beau-père, M. le Premier Président de -Barral (car Napoléon le fit Premier Président en créant les Cours -impériales<a name="NoteRef_17_533" id="NoteRef_17_533"></a><a href="#Note_17_533" class="fnanchor">[17]</a>) fût un génie, mais à mes yeux il était tellement -le contraire de mon père et avait tant d'horreur de la pédanterie -et de froisser l'amour-propre de son fils qu'en sortant de la -maison pour aller à la promenade dans les <i>délaissés du Drac</i>,</p> - -<p> -si le père disait: <span class="rline2">Bonjour,</span><br /> -le fils répondait <span class="rline2">Toujours,</span><br /> -le père <span class="rline2">Oie,</span><br /> -fils <span class="rline2">Lamproie,</span><br /> -</p> - -<p>et la promenade se passait ainsi à dire des rimes, et à tâcher de -s'embarrasser.</p> - -<p>Ce père apprenait à son fils les <i>Satires</i> de Voltaire (la seule chose -parfaite, selon moi, qu'ait faite ce grand réformateur).</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_305" id="Page_305">[p. 305]</a></span></p> - -<p>Ce fut alors que j'entrevis le vrai <i>bon ton</i>, et il fit sur-le-champ -ma conquête.</p> - -<p>Je comparais sans cesse ce père faisant des rimes et plein d'attentions -délicates pour l'amour-propre de ses enfants avec le noir pédantisme du -mien. J'avais le respect le plus profond pour la science de M. Gagnon, -je l'aimais sincèrement, je n'allais pas jusqu'à me dire:</p> - -<p>«Ne pourrait-on pas réunir<a name="NoteRef_18_534" id="NoteRef_18_534"></a><a href="#Note_18_534" class="fnanchor">[18]</a> la science sans bornes de mon -grand-père et l'amabilité si gaie et si gentille de M. de Barral?»</p> - -<p>Mais mon cœur, pour ainsi dire, <i>pressentait</i> cette idée, qui devait -par la suite devenir fondamentale pour moi.</p> - -<p>J'avais déjà vu le bon ton, mais à demi défiguré, masqué par la -dévotion dans les soirées pieuses où M<sup>me</sup> de Vaulserre -réunissait, au rez-de-chaussée de l'hôtel des Adrets, M. du Bouchage -(pair de France, ruiné), M. de Saint-Vallier (le grand Saint-Vallier), -Scipion, son frère. M. de Pina (ex-maire de Grenoble, jésuite<a name="NoteRef_19_535" id="NoteRef_19_535"></a><a href="#Note_19_535" class="fnanchor">[19]</a> -profond, 80.000 francs de rente et dix-sept enfants), MM. de Sinard, de -Saint-Ferréol, moi, M<sup>lle</sup> Bonne de Saint-Vallier (dont les -beaux bras blancs et charmants, à la Vénitienne, me touchaient si fort).</p> - -<p>Le curé Chélan, M. Barthélemy d'Orbane étaient aussi des modèles. Le -Père Ducros avait le ton du génie. (Le mot <i>génie</i> était alors, pour -moi, comme le mot Dieu pour les bigots.)</p> - -<hr class="r5" /> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_306" id="Page_306">[p. 306]</a><br /><a name="Page_307" id="Page_307">[p. 307]</a></span></p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_517" id="Note_1_517"></a><a href="#NoteRef_1_517"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XXVIII</i> est le chapitre XXIII du manuscrit. Stendhal -a mis par erreur le chiffre XXIII, au lieu de XXIV, et cette erreur -se perpétue jusqu'à la fin de l'ouvrage.—Comprend les fol. 399 à -416.—Écrit à Rome, les 10, 11 et 12 janvier 1836.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_518" id="Note_2_518"></a><a href="#NoteRef_2_518"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>ni l'insouciance ni le ... du gamin de Paris ...</i>—Le mot est -en blanc dans le manuscrit.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_519" id="Note_3_519"></a><a href="#NoteRef_3_519"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>à partir de la tombée de la nuit ou</i> sing ...—Ms.: -«<i>Saint.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_520" id="Note_4_520"></a><a href="#NoteRef_4_520"><span class="label">[4]</span></a> <i>Cette famille avait reçu saint Bruno à la Grande-Chartreuse en -...</i>—La date est en blanc.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_521" id="Note_5_521"></a><a href="#NoteRef_5_521"><span class="label">[5]</span></a> ... à <i>cause de la réception de Saint-Bruno, en 1080.</i>—Date: -Saint Bruno, mort en 1101 en Calabre. (Note de Stendhal.)—Cette -date est exacte, mais c'est en 1084 seulement que saint Bruno vint à -Grenoble et fonda la Grande-Chartreuse, dont l'église fut consacrée en -1085.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_522" id="Note_6_522"></a><a href="#NoteRef_6_522"><span class="label">[6]</span></a> ... <i>scène plaisante racontée par Clara Gazul.</i>—Le <i>Théâtre -de Clara Gazul</i>, de Mérimée, a paru en 1825.—Mérimée est appelé, la -plupart du temps, <i>Clara</i> par Stendhal.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_523" id="Note_7_523"></a><a href="#NoteRef_7_523"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>j'y traçai une couronne de feuillage, et au milieu un V -majuscule.</i>—Suit un croquis de cette lettre ornée.—En face, au -verso du fol. 403, Stendhal écrit: «Mettre ceci ici, coupé trop -net, le placer en son temps, à 1806 ou 10. A l'un de mes voyages -(retours) à Grenoble, vers 1806, une personne bien informée me dit que -M<sup>lle</sup> Victorine était amoureuse. J'enviai fort la personne. -Je supposais que c'était Félix Faure. Plus tard, une autre personne me -dit: «M<sup>lle</sup> Victorine, me parlant de la personne qu'elle a -aimé si longtemps, m'a dit: Il n'est peut-être pas beau, mais jamais on -ne lui reproche sa laideur ... C'est l'homme qui a eu le plus d'esprit -et d'amabilité parmi les jeunes gens de mon temps. En un mot, ajouta -cette personne, c'est vous.»—10 janvier 1836.—Lu de Brosses.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_524" id="Note_8_524"></a><a href="#NoteRef_8_524"><span class="label">[8]</span></a> ... <i>ce trait de hauteur mit Victorine ...</i>—Ms.: -«<i>Virginie.</i>»—Ce mot est surmonté d'une croix.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_525" id="Note_9_525"></a><a href="#NoteRef_9_525"><span class="label">[9]</span></a> <i>MM. Galle, La Bayette ...</i>—Une ligne est restée en blanc après -ces deux noms.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_526" id="Note_10_526"></a><a href="#NoteRef_10_526"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>la nouvelle place du Département.</i>—Près du -Jardin-de-Ville. Aujourd'hui place de Gordes. Cette place a été créée -en 1791.—Au verso du fol. 406 est un plan de la place et de ses -alentours.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_527" id="Note_11_527"></a><a href="#NoteRef_11_527"><span class="label">[11]</span></a> ... <i>La Bayette joignait une grande noblesse de sentiments et -de manières ...</i>—Nous faisions dans sa chambre des pique-niques, à -cinq ou six sous par tête, pour manger ensemble du <i>Mont-d'Or</i>, avec -des griches, le tout arrosé d'un petit vin blanc qui nous semblait -délicieux. La Bayette avait un charmant caractère: il était aimant et -avait beaucoup d'expansion. (Note au crayon de R. Colomb.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_528" id="Note_12_528"></a><a href="#NoteRef_12_528"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>les</i> Mémoires secrets <i>de Duclos ...</i>—Les <i>Mémoires -secrets sur les règnes de Louis XIV et de Louis XV</i> furent publiés en -1791, dix-neuf ans après la mort de Duclos.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_529" id="Note_13_529"></a><a href="#NoteRef_13_529"><span class="label">[13]</span></a> <i>Vous êtes, lui dit-il, l'existence et l'essence, Simple -...</i>—On lit en tête du fol. 411: «12 janvier 1836. Omar. Sirocco après -trente ou quarante jours de froid infâme ...»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_530" id="Note_14_530"></a><a href="#NoteRef_14_530"><span class="label">[14]</span></a> <i>Sa mère, fort grande dame</i>, c'était une Grolée ...—La famille -de Grolée était l'une des familles les plus anciennes et les plus -estimées du Dauphiné.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_15_531" id="Note_15_531"></a><a href="#NoteRef_15_531"><span class="label">[15]</span></a> ... <i>près de la statue d'Hercule, au Jardin ...</i>—Au -Jardin-de-Ville. Au milieu du jardin se trouve une statue du connétable -de Lesdiguières sous les traits d'Hercule, attribuée à Jacob Richier. -Cette statue, primitivement érigée dans l'île de l'étang du château de -Lesdiguières, à Vizille, a été acquise par la Ville de Grenoble en 1740.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_16_532" id="Note_16_532"></a><a href="#NoteRef_16_532"><span class="label">[16]</span></a> ... <i>Jeanne Dupéron, veuve Beyle ...</i>—Jeanne Dupéron, fille -de Pierre, banquier à Grenoble, et de Dominique Bérard, épousa le -14 septembre 1734 Pierre Beyle, procureur au Parlement. (Voir Ed. -Maignien, <i>La famille de Beyle-Stendhal, notes généalogiques.</i> -Grenoble, 1889.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_17_533" id="Note_17_533"></a><a href="#NoteRef_17_533"><span class="label">[17]</span></a> ... <i>les Cours impériales ...</i>—Ms.: «<i>Royales.</i>»—M. de Barral -fut Premier Président depuis 1804 jusqu'en décembre 1815.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_18_534" id="Note_18_534"></a><a href="#NoteRef_18_534"><span class="label">[18]</span></a> <i>Ne pourrait-on pas réunir ...</i>—Variante: «<i>Avoir.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_19_535" id="Note_19_535"></a><a href="#NoteRef_19_535"><span class="label">[19]</span></a> ... <i>ex-maire de Grenoble, jésuite ...</i>—Ms.: -«<i>Tejé.</i>»—Jean-François-Calixte, marquis de Pina, remplaça comme -adjoint au maire de Grenoble, en 1816, Joseph-Chérubin Beyle. Il fut -nommé maire la même année, resta en fonctions jusqu'au 13 octobre -1818. Puis il fut encore maire de Grenoble entre le 26 août 1824 et la -révolution de 1830.</p></div> - - -<hr class="chap" /> - -<h4><a name="CHAPITRE_XXIX1" id="CHAPITRE_XXIX1"></a>CHAPITRE XXIX<a name="NoteRef_1_536" id="NoteRef_1_536"></a><a href="#Note_1_536" class="fnanchor">[1]</a></h4> - - -<p>Je ne voyais pas M. de Barral aussi en beau alors, il était la bête -noire de mes parents pour avoir émigré.</p> - -<p>La nécessité me rendant hypocrite (défaut dont je me suis trop corrigé -et dont l'absence m'a tant nui, à Rome<a name="NoteRef_2_537" id="NoteRef_2_537"></a><a href="#Note_2_537" class="fnanchor">[2]</a>, par exemple), je citais -à ma famille les noms de MM. de La Bayette et de Barrai, mes nouveaux -amis.</p> - -<p>«La Bayette! bonne famille, dit mon grand-père; son père était -capitaine de vaisseau, son oncle, M. de ...<a name="NoteRef_3_538" id="NoteRef_3_538"></a><a href="#Note_3_538" class="fnanchor">[3]</a>, Président au -Parlement. Pour Montferrat, c'est un plat.»</p> - -<p>Il faut avouer qu'un matin, à deux heures du matin, des municipaux, et -M. de Barral avec eux,<span class="pagenum"><a name="Page_308" id="Page_308">[p. 308]</a></span> étaient venus pour arrêter M. d'Anthon<a name="NoteRef_4_539" id="NoteRef_4_539"></a><a href="#Note_4_539" class="fnanchor">[4]</a>, -ancien conseiller au Parlement, qui habitait le premier étage, et dont -l'occupation constante était de se promener dans sa grande salle en se -rongeant les ongles. Le pauvre diable perdait la vue et de plus était -notoirement suspect, comme mon père. Il était dévot jusqu'au fanatisme, -mais à cela près point méchant. On trouvait indigne dans M. de Barral -d'être venu arrêter un des conseillers jadis ses camarades quand il -était Président au Parlement<a name="NoteRef_5_540" id="NoteRef_5_540"></a><a href="#Note_5_540" class="fnanchor">[5]</a>.</p> - -<hr /> - -<p>Il faut convenir<a name="NoteRef_6_541" id="NoteRef_6_541"></a><a href="#Note_6_541" class="fnanchor">[6]</a> que c'était un plaisant animal qu'un bourgeois -de France vers 1794, quand j'ai pu commencer à le comprendre, se -plaignant amèrement de la hauteur des nobles et entre eux n'estimant -un homme absolument qu'à cause de sa naissance. La vertu, la bonté, la -générosité n'y faisaient rien; même, plus un homme était distingué, -plus fortement ils lui reprochaient le manque de naissance, et quelle -naissance!</p> - -<p>Vers 1803, quand mon oncle Romain Gagnon vint à Paris et logea chez -moi, rue de Nemours, je ne le présentai pas chez M<sup>me</sup> de -Neuilly; il y avait une raison pour cela: cette dame n'existait pas. -Choquée de cette absence de présentation, ma bonne tante Elisabeth dit:</p> - -<p>«Il faut qu'il y ait quelque chose d'extraordinaire, autrement Henri -aurait mené son oncle chez<span class="pagenum"><a name="Page_309" id="Page_309">[p. 309]</a></span> cette dame; on est bien aise de montrer -<i>qu'on n'est pas né sous un chou.</i>»</p> - -<p>C'est moi, s'il vous plaît, qui ne suis pas né sous un chou.</p> - -<p>Et quand notre cousin Clet, horriblement laid, figure d'apothicaire et, -de plus, apothicaire effectif, pharmacien militaire, fut sur le point -de se marier en Italie, ma tante Elisabeth répondait au reproche de -tournure abominable:</p> - -<p>«Il faut convenir que c'est un vrai <i>Margageat</i>, disait quelqu'un.</p> - -<p>—A la bonne heure, mais il y a la naissance! Cousin du premier médecin -de Grenoble, n'est-ce rien?»</p> - -<p>Le caractère de cette excellente<a name="NoteRef_7_542" id="NoteRef_7_542"></a><a href="#Note_7_542" class="fnanchor">[7]</a> fille était un exemple bien -frappant de la maxime: <i>Noblesse oblige.</i> Je ne connais rien de -généreux, de noble, de difficile qui fût au-dessus d'elle et de son -désintéressement<a name="NoteRef_8_543" id="NoteRef_8_543"></a><a href="#Note_8_543" class="fnanchor">[8]</a>. C'est à elle en partie que je dois de bien -parler; s'il m'échappait un mot bas, elle disait: «Ah! Henri!» Et -sa figure exprimait un froid dédain dont le souvenir me <i>hantait</i> (me -poursuivait longtemps).</p> - -<p>J'ai connu des familles où l'on parlait aussi bien, mais pas une où -l'on parlât mieux que dans la mienne. Ce n'est point à dire qu'on n'y -fît pas communément les huit ou dix fautes dauphinoises.</p> - -<p>Mais, si je me servais d'un mot peu précis ou prétentieux, à -l'instant<a name="NoteRef_9_544" id="NoteRef_9_544"></a><a href="#Note_9_544" class="fnanchor">[9]</a> une plaisanterie m'arrivait,<span class="pagenum"><a name="Page_310" id="Page_310">[p. 310]</a></span> et avec d'autant plus de -bonheur, de la part de mon grand-père, que c'étaient à peu près les -seules que la piété morose de ma tante Séraphie permît au pauvre homme. -Il fallait, pour éviter le regard railleur de cet homme d'esprit, -employer la tournure la plus simple et le mot propre, et toutefois il -ne fallait pas s'aviser de se servir d'un mot bas.</p> - -<p>J'ai vu les enfants, dans les familles riches de Paris, employer -toujours la tournure la plus ambitieuse pour arriver au style noble, -et les parents applaudir à cet essai d'emphase. Les jeunes Parisiens -diraient volontiers <i>coursier</i> au lieu de <i>cheval</i>; de là, leur -admiration pour MM. de Salvandy, Chateaubriand, etc.</p> - -<p>Il y avait d'ailleurs, en ce temps-là, une profondeur et une vérité de -sentiment dans le jeune Dauphinois de quatorze ans que je n'ai jamais -aperçues chez le jeune Parisien. En revanche, nous disions: J'étais au -<i>Cour-se</i>, où M. <i>Passe-kin</i> (Pasquin) m'a lu une pièce de ver-<i>se</i>, -sur le voyage d'Anver-<i>se</i> à Calai-<i>ce</i>.</p> - -<p>Ce n'est qu'en arrivant à Paris, en 1799, que je me suis douté qu'il -y avait une autre prononciation. Dans la suite, j'ai pris des leçons -du célèbre La Rive et de Dugazon pour chasser les derniers restes du -parler <i>traînard</i> de mon pays. Il ne me reste plus que deux ou trois -mots (côte, <i>kote</i>, au lieu de <i>kaute</i>, petite élévation; le bon abbé -Gattel a donc eu toute raison de noter la prononciation dans son -bon dictionnaire, chose blâmée dernièrement par un<span class="pagenum"><a name="Page_311" id="Page_311">[p. 311]</a></span> nigaud d'<i>homme -de lettres</i> de Paris), et l'accent ferme et passionné du Midi qui, -décelant la <i>force du sentiment</i>, la vigueur avec laquelle on aime ou -on hait, est, sur-le-champ, singulier et partant <i>voisin du ridicule</i>, -à Paris.</p> - -<p>C'est donc en disant chose au lieu de chause, cote au lieu de caute, -Calai-ce au lieu de Kalai (Calais), que je faisais la conversation avec -mes amis Bigillion, La Bavette, Galle, Barral.</p> - -<p>Ce dernier venait, ce me semble, de La Tronche chaque matin passer la -journée chez Pierre-Vincent Chalvet, professeur d'histoire, logé au -collège sous la voûte<a name="NoteRef_10_545" id="NoteRef_10_545"></a><a href="#Note_10_545" class="fnanchor">[10]</a>; vers B, il y avait une assez jolie allée -de tilleuls, allée fort étroite, mais les tilleuls étaient vieux et -touffus, quoique taillés, la vue était délicieuse; là je me promenais -avec Barral, qui venait du point C, très voisin; M. Chalvet, occupé de -ses catins, de sa v... et des livres qu'il fabriquait, et de plus le -plus insouciant des hommes, le laissait volontiers s'échapper.</p> - -<p>Je crois que c'est en nous promenant au point P<a name="NoteRef_11_546" id="NoteRef_11_546"></a><a href="#Note_11_546" class="fnanchor">[11]</a> que nous -rencontrâmes Michoud, figure de bœuf, mais homme excellent (qui n'a -eu que le tort de mourir ministériel pourri, et conseiller à la Cour -royale, vers 1827). Je croirais assez que cet excellent homme croyait -que la probité n'est d'obligation qu'entre particuliers et qu'il est -toujours permis de trahir ses devoirs de citoyen pour arracher quelque -argent au Gouvernement. Je fais une énorme différence<span class="pagenum"><a name="Page_312" id="Page_312">[p. 312]</a></span> entre lui et son -camarade Félix Faure; celui-ci est né avec l'âme basse, aussi est-il -pair de France et Premier Président de la Cour royale de Grenoble.</p> - -<p>Mais quels qu'aient été les motifs du pauvre Michoud pour vendre la -patrie aux désirs du Procureur général, vers 1795, c'était le meilleur, -le plus naturel, le plus fin, mais le plus simple de cœur des camarades.</p> - -<p>Je crois qu'il avait appris à lire avec Barral chez M<sup>lle</sup> -Chavand, ils parlaient souvent de leurs aventures dans cette petite -classe. (Déjà les rivalités, les amitiés, les haines du monde!) Comme -je les enviais! Je crois même que je mentis une fois ou deux en -laissant entendre à d'autres de mes compagnons que moi aussi j'avais -appris à lire chez M<sup>lle</sup> Chavand.</p> - -<p>Michoud m'a aimé jusqu'à sa mort, et il n'aimait pas un ingrat; j'avais -la plus haute estime pour son bon sens et sa bonté. Une autre fois, -nous nous donnâmes des coups de poing, et comme il était deux fois plus -gros que moi, il me rossa.</p> - -<p>Je me reprochai mon incartade, non pas à cause des coups reçus, mais -comme ayant méconnu son extrême bonté. J'étais malin et je disais des -bons mots qui m'ont valu force coups de poing, et ce même caractère m'a -valu, en Italie et en Allemagne, à l'armée, quelque chose de mieux et, -à Paris, des critiques acharnées dans la petite littérature.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_313" id="Page_313">[p. 313]</a></span></p> - -<p>Quand un mot me vient, je vois sa gentillesse et non sa méchanceté. -Je suis toujours surpris de sa portée comme méchanceté, par exemple: -C'est Ampère ou A. de Jussieu qui m'ont fait voir la portée du mot à ce -faquin de vicomte de La Passe (Cività-Vecchia, septembre 1831 ou 1832): -«Oserais-je vous demander votre nom?» que le La Passe ne pardonnera -jamais.</p> - -<p>Maintenant, par prudence, je ne dis plus ces mots, et, l'un de ces -jours, Don Philippe Caetani me rendait cette justice que j'étais -l'un des hommes les moins méchants qu'il eût jamais vus, quoique ma -réputation fût homme d'infiniment d'esprit, mais bien méchant et -encore plus immoral (immoral, parce que j'ai écrit sur les femmes dans -l'<i>Amour</i> et parce que, malgré moi, je me moque des hypocrites, corps -respectable à Paris, qui le croirait? plus encore qu'à Rome<a name="NoteRef_12_547" id="NoteRef_12_547"></a><a href="#Note_12_547" class="fnanchor">[12]</a>).</p> - -<p>Dernièrement, M<sup>me</sup> Toldi, de <i>Valle</i>, dit, comme je sortais -de chez elle, au prince Caetani:</p> - -<p>«Mais c'est M. de S[tendhal], cet homme de tant d'esprit, <i>si -immoral.</i>»</p> - -<p>Une actrice qui a un bambin<a name="NoteRef_13_548" id="NoteRef_13_548"></a><a href="#Note_13_548" class="fnanchor">[13]</a> du prince Léopold de Syracuse de -Naples! Le bon Don Filippo me justifia fort sérieusement du reproche -d'immoralité.</p> - -<p>Même en racontant qu'un cabriolet jaune vient de passer dans la rue, -j'ai le malheur d'offenser mortellement les hypocrites, et même les -<i>niais.</i></p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_314" id="Page_314">[p. 314]</a></span></p> - -<p>Mais au fond, cher lecteur, je ne sais pas ce que je suis: bon, -méchant, spirituel, sot. Ce que je sais parfaitement, ce sont les -choses qui me font peine ou plaisir, que je désire ou que je hais.</p> - -<p>Un salon de provinciaux enrichis, et qui étalent du luxe, est ma -bête noire, par exemple. Ensuite, vient un salon de marquis et de -grands-cordons de la Légion d'honneur, qui étalent de la morale.</p> - -<p>Un salon de huit ou dix personnes dont toutes les femmes ont eu des -amants, où la conversation est gaie, anecdotique, et où l'on prend -du punch léger à minuit et demi, est l'endroit du monde où je me -trouve le mieux; là, dans mon centre, j'aime infiniment mieux entendre -parler un autre que de parler moi-même. Volontiers je tombe dans le -silence du <i>bonheur</i> et, si je parle, ce n'est que pour <i>payer mon -billet d'entrée</i>, mot employé dans ce sens, que j'ai introduit dans la -société de Paris; il est comme <i>fioriture</i> (importé par moi) et que je -rencontre sans cesse; je rencontre plus rarement, il faut en convenir, -cristallisation<a name="NoteRef_14_549" id="NoteRef_14_549"></a><a href="#Note_14_549" class="fnanchor">[14]</a> (voir l'<i>Amour</i>). Mais je n'y tiens pas le moins -du monde: si l'on trouve un meilleur mot, plus apparenté, dans la -langue, pour la même idée, je serai le premier à y applaudir et à m'en -servir.</p> - -<p><span class="pagenum"><a name="Page_315" id="Page_315">[p. 315]</a></span></p> - -<hr class="r5" /> -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_1_536" id="Note_1_536"></a><a href="#NoteRef_1_536"><span class="label">[1]</span></a> Le <i>chapitre XXIX</i> est le chapitre XXIV du manuscrit (fol. 416 à -431).—Écrit à Rome, les 12 et 13 janvier 1836.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_2_537" id="Note_2_537"></a><a href="#NoteRef_2_537"><span class="label">[2]</span></a> ... <i>dont l'absence m'a tant nui, à Rome ...</i>—Ms.: «<i>Omar.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_3_538" id="Note_3_538"></a><a href="#NoteRef_3_538"><span class="label">[3]</span></a> ... <i>son oncle, M. de ...</i>—Le nom a été laissé en blanc.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_4_539" id="Note_4_539"></a><a href="#NoteRef_4_539"><span class="label">[4]</span></a> ... <i>M. d'Anthon ...</i>—Jean-Jacques-Gabriel de Vidaud d'Anthon de -La Tour, né le 28 mars 1745, avait été nommé conseiller au Parlement -par lettres patentes du 2 juillet 1766.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_5_540" id="Note_5_540"></a><a href="#NoteRef_5_540"><span class="label">[5]</span></a> ... <i>quand il était Président au Parlement.</i>—Le reste du -feuillet est blanc, ainsi que tout le fol. 419.</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_6_541" id="Note_6_541"></a><a href="#NoteRef_6_541"><span class="label">[6]</span></a> <i>Il faut convenir ...</i>—On lit en tête du fol. 419 <i>bis</i>: «12 -janvier 36. Omar.—13 janvier, sans feu après ce froid si long de 3 à 7 -degrés.»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_7_542" id="Note_7_542"></a><a href="#NoteRef_7_542"><span class="label">[7]</span></a> ... <i>cette excellente fille...</i>—Variante: «<i>Noble.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_8_543" id="Note_8_543"></a><a href="#NoteRef_8_543"><span class="label">[8]</span></a> <i>Je ne connais rien de généreux, de noble, de difficile, -qui fût au-dessus d'elle et de son désintéressement.</i>—Variante: -«<i>Aucun sacrifice n'eût été au-dessus de sa générosité et de son -désintéressement.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_9_544" id="Note_9_544"></a><a href="#NoteRef_9_544"><span class="label">[9]</span></a> ... <i>un mot peu précis ou prétentieux, à l'instant -...</i>—Variante: «<i>Un mot peu précis ou prétendant à l'effet, -sur-le-champ.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_10_545" id="Note_10_545"></a><a href="#NoteRef_10_545"><span class="label">[10]</span></a> ... <i>au collège sous la voûte ...</i>—Aujourd'hui passage du -Lycée, allant de la rue du Lycée à la place Jean-Achard, celle-ci -occupée à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle par les remparts de la -ville. Stendhal donne un croquis des lieux. B est l'allée de tilleuls, -sur les remparts. (Voir notre plan de Grenoble en 1793.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_11_546" id="Note_11_546"></a><a href="#NoteRef_11_546"><span class="label">[11]</span></a> <i>Je crois que c'est en nous promenant au point P ...</i>—En face, -au verso du fol. 425, est un plan des lieux. A l'extrémité de la rue -des Mûriers, qui longeait le rempart et le derrière de l'École centrale -est, en «P, commencement de la promenade de vieux tilleuls écourtés -(<i>maimed</i>) par la taille;» entre la rue des Mûriers et la promenade, -en «L, jardin en contrebas de M. de Plainville, commandant ou adjudant -de la place, père de Plainville, l'ami de Barral». (Voir notre plan de -Grenoble en 1793.)</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_12_547" id="Note_12_547"></a><a href="#NoteRef_12_547"><span class="label">[12]</span></a> ... <i>plus encore qu'à Borne.</i>—Ms.: «<i>Omar.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_13_548" id="Note_13_548"></a><a href="#NoteRef_13_548"><span class="label">[13]</span></a> <i>Une actrice qui a un bambin ...</i>—Variante: «<i>Bâtard.</i>»</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Note_14_549" id="Note_14_549"></a><a href="#NoteRef_14_549"><span class="label">[14]</span></a> ... <i>il faut en convenir,</i> cristallisation ...—Sorte de folie -qui fait voir toutes les perfections et tout <i>tourner à perfection</i> -dans l'objet qui fait effet sur la matrice. <i>Il est pauvre</i>, ah! que je -l'en aime mieux! <i>Il est riche</i>, ah! que je l'en aime mieux! (Note de -Stendhal.)</p></div> - - -<hr class="r5" /> - -<h5>NOTES FEUILLETS DE GARDE</h5> - - -<p>Le premier volume du manuscrit (côté R 299) de la <i>Vie de Henri -Brulard</i> commence par un testament:</p> - -<p>«Je lègue et donne le présent volume à M. le chevalier Abraham -Constantin (de Genève), peintre sur porcelaine. Si M. Constantin ne -l'a pas fait imprimer dans les mille jours qui suivront celui de mon -décès, je lègue et donne ce volume, successivement, à MM. Alphonse -Levavasseur, libraire, n° 16, place Vendôme, Philarète Chasles, homme -de lettres, Henry Fournier, libraire, rue de Seine, Paulin, libraire, -Delaunay, libraire; et si aucun de ces Messieurs ne trouve son intérêt -à faire imprimer dans les cinq ans qui suivront mon décès, je laisse ce -volume au plus âgé des libraires habitant dans Londres et dont le nom -commence par un C.</p> - -<p>Cività-Vecchia, le 24 décembre 1835.»</p> - - -<p>On lit encore, sur un feuillet intercalé en face du fol. 8, le fragment -suivant: «... de n'imprimer, si cela en vaut la peine, que quinze mois -après mon décès. Rome, le 29 novembre 1835. <span class="smcap">H. Beyle</span>.»</p> - -<p>—Sur un autre feuillet, on lit:</p> - -<p class="center">«PETITS FAITS A PLACER</p> - -<p>1. Mauvaise odeur de gens qui assistaient aux vêpres, à la Charité (M. -Beyle, supérieur).</p> - -<p>2. L'abbé Rey me fait entrer dans le chœur, à Saint-André. -D'ordinaire, je me tenais tout près de la grande grille du chœur. -Sermons.</p> - -<p>Tout cela, avant la clôture des églises; mais à quelle époque -furent-elles fermées à Grenoble?</p> - -<p>3. Enterrement, ou plutôt obsèques, à Notre-Dame, de l'évêque intrus, -appelé l'abbé Pouchot avec dédain par ma famille.»</p> - -<p>Stendhal a pris soin de répéter le titre de son auto-biographie en -tête de chacun des volumes de son manuscrit. Il y ajoute diverses -indications destinées à dérouter les investigations possibles de la -police, dont il avait une crainte maladive. Voici les diverses mentions -placées sur les feuillets de garde des trois volumes:</p> - -<p class="center">TOME I<sup>er</sup></p> - -<p>Vie de Henri Brulard.</p> - -<p>A Messieurs de la Police. Ceci est un roman imité du <i>Vicaire de -Wakefield.</i> Le héros, Henri Brulard, écrit sa vie, à cinquante-deux -ans, après la mort de sa femme, la célèbre Charlotte Corday.</p> - -<p class="center">TOME II</p> - -<p>Vie de Henri Brulard, écrite par lui-même. Roman imité du <i>Vicaire de -Wakefield</i>, surtout pour la pureté des sentiments.</p> - -<p>A Messieurs de la Police. Rien de politique. Le héros de ce roman finit -par se faire prêtre, comme Jocelyn.</p> - -<p class="center">TOME III</p> - -<p>Vie de Henri Brulard, écrite par lui-même. Roman à détails, imité du -<i>Vicaire de Wakefield.</i></p> - -<p>A Messieurs de la Police. Rien de politique dans ce roman. Le plan est -un exalté dans tous les genres qui, dégoûté et éclairé peu à peu, finit -par se consacrer au culte des hôtels (<i>sic</i>).</p> - -<hr class="full" /> -<p> -TABLE DES GRAVURES DU TOME PREMIER<br /> -<br /> -<a href="#stend001">Portrait de Stendhal</a><br /> -<a href="#stend003">Reproduction du f° 69 du manuscrit</a><br /> -<a href="#stend002">Portrait d'Henri Gagnon</a><br /> -<a href="#stend005">La maison natale de Stendhal</a><br /> -<a href="#stend004">Reproduction du f° 260 bis du manuscrit</a><br /> -</p> - -<hr class="chap" /> -<p> -<span style="font-size: 0.8em; font-weight: bold;">TABLE DU TOME PREMIER</span><br /> -<br /> -NOTE DE L'ÉDITEUR<br /> -<br /> -INTRODUCTION.—Le manuscrit de la Vie de Henri Brulard, par Henry Debraye<br /> -<a href="#CHAPITRE_I1">CHAPITRE Ier</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_II1">CHAPITRE II</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_III1">CHAPITRE III</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_IV1">CHAPITRE IV</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_V1">CHAPITRE V.</a>—Petits souvenirs de ma première enfance<br /> -<a href="#CHAPITRE_VI1">CHAPITRE VI</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_VII1">CHAPITRE VII</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_VIII1">CHAPITRE VIII</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_IX1">CHAPITRE IX</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_X1">CHAPITRE X.</a>—Le maître Durant<br /> -<a href="#CHAPITRE_XI1">CHAPITRE XI.</a>—Amar et JHerlinot<br /> -<a href="#CHAPITRE_XII1">CHAPITRE XII.</a>—Billet Cardon<br /> -<a href="#CHAPITRE_XIII1">CHAPITRE XIII.</a>—Premier voyage aux Échelles<br /> -<a href="#CHAPITRE_XIV1">CHAPITRE XIV.</a>—Mort du pauvre Lambert<br /> -<a href="#CHAPITRE_XV1">CHAPITRE XV</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XVI1">CHAPITRE XVI</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XVII1">CHAPITRE XVII</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XVIII1">CHAPITRE XVIII.</a>—La première communion<br /> -<a href="#CHAPITRE_XIX1">CHAPITRE XIX</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XX1">CHAPITRE XX</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XXI1">CHAPITRE XXI</a><br /> -</p> - -<hr class="chap" /> -<p style="font-size: 0.8em; font-weight: bold;">TABLE ALPHABÉTIQUE</p> - - -<p>La table alphabétique que nous donnons ici est très succincte -et indique simplement les noms de personnes, sans aucun détail -biographique. Une table alphabétique plus détaillée formera le -dernier volume des <i>Œuvres complètes de Stendhal.</i></p> - - -<p> -A<br /> -<br /> -Adrets (le baron des), I, <a href="#Page_28">28</a>, <a href="#Page_55">55</a>, <a href="#Page_111">111</a>, <a href="#Page_195">195</a>, <a href="#Page_297">297</a>; II, 45.<br /> -Adrets (M<sup>me</sup> des), femme du précédent, I, <a href="#Page_55">55</a>.<br /> -Alembert (d'), I, <a href="#Page_48">48</a>, <a href="#Page_215">215</a>; II, 60, 61.<br /> -Alexandre, I, <a href="#Page_113">113</a>.<br /> -Alexandrine. Voyez: Petit (la comtesse Alexandrine).<br /> -Alfieri, I, <a href="#Page_12">12</a>; II, 65.<br /> -Allard (Guy), généalogiste grenoblois, I, <a href="#Page_216">216</a>.<br /> -Allard du Plantier, cousin de Stendhal, I, <a href="#Page_216">216</a>.<br /> -Allier, libraire à Grenoble, I, <a href="#Page_199">199</a>.<br /> -Amalia, I, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_21">21</a>.<br /> -Amar, représentant du peuple, I, <a href="#Page_133">133</a>, <a href="#Page_134">134</a>, <a href="#Page_137">137</a>, <a href="#Page_141">141</a>.<br /> -Ampère, I, <a href="#Page_313">313</a>.<br /> -Ancelot (M<sup>me</sup>), II, 152.<br /> -Angela. Voyez: Pietragrua (Angela).<br /> -Anglès (le comte), camarade de Stendhal, plus<br /> -tard préfet de police, I, <a href="#Page_255">255</a>, <a href="#Page_256">256</a>, <a href="#Page_302">302</a>; II, 64.<br /> -Anglès (M<sup>me</sup>), femme du précédent, I, <a href="#Page_256">256</a>.<br /> -Anthon (d'), conseiller au parlement de Grenoble, I, <a href="#Page_308">308</a>.<br /> -Arago, II, 152.<br /> -Argens (le marquis d'), I, <a href="#Page_194">194</a>.<br /> -Argout (le comte d'), I, <a href="#Page_19">19</a>, <a href="#Page_245">245</a>, <a href="#Page_299">299</a>; II, 147.<br /> -Aribert, camarade de Stendhal, II, 35.<br /> -Arioste (l'), I, <a href="#Page_109">109</a>, <a href="#Page_153">153</a>, <a href="#Page_163">163</a>, <a href="#Page_188">188</a>, <a href="#Page_209">209</a>, <a href="#Page_229">229</a>, <a href="#Page_288">288</a>;<br /> -<span style="margin-left: 1em;">II, 19, 122, 133, 134, 135, 158, 177.</span><br /> -Aristote, II, 136.<br /> -Arlincourt (d'), II, 4.<br /> -Artaud, traducteur de Dante, I, <a href="#Page_90">90</a>.<br /> -Aubernon, II, 161.<br /> -Aubernon (M<sup>me</sup>), femme du précédent, II, 161.<br /> -Augué des Portes (M<sup>me</sup> et M<sup>lles</sup>), sœur et nièces de<br /> -<span style="margin-left: 1em;">M<sup>me</sup> Cardon, II</span><br /> -Azur (M<sup>me</sup>). Voyez: Rubempré (Alberthe de).<br /> -<br /> -<br /> -B<br /> -<br /> -Babet, maîtresse de Stendhal, I, <a href="#Page_270">270</a>; II, 31.<br /> -Bacon, I, <a href="#Page_259">259</a>; II, 95.<br /> -Bailly (M<sup>lles</sup>), marchandes de modes à Grenoble, I, <a href="#Page_111">111</a>.<br /> -Bailly (M<sup>me</sup> de), I, <a href="#Page_111">111</a>; II, 150.<br /> -Balzac (Guez de), I, <a href="#Page_7">7</a>.<br /> -Barberen (M<sup>lle</sup>), associée et maîtresse de Rebuffet, II, 79.<br /> -Barberini, I, <a href="#Page_17">17</a>.<br /> -Barbier, fermier des Beyle à Claix, II, 41, 44.<br /> -Barilli, acteur de l'Odéon de Paris, I, <a href="#Page_24">24</a>.<br /> -Barilli (M<sup>me</sup>), actrice de l'Odéon de Paris, femme<br /> -du précédent, I, <a href="#Page_23">23</a>; II, 104.<br /> -Barnave, I, <a href="#Page_69">69</a>.<br /> -Barral-Montferrat (le marquis de), président au parlement<br /> -de Grenoble, puis Premier Président de la cour d'appel de<br /> -Grenoble, I, <a href="#Page_303">303</a>, <a href="#Page_304">304</a>, <a href="#Page_305">305</a>, <a href="#Page_307">307</a>, <a href="#Page_308">308</a>.<br /> -Barral (le comte Paul de), fils du précédent, I, <a href="#Page_227">227</a>; II, 4.<br /> -Barral (le vicomte Louis de), fils et frère des précédents,<br /> -ami de Stendhal, I, <a href="#Page_22">22</a>, <a href="#Page_23">23</a>, <a href="#Page_302">302</a>, <a href="#Page_303">303</a>, <a href="#Page_307">307</a>, <a href="#Page_311">311</a>, <a href="#Page_312">312</a>; II, 11, 45.<br /> -Bartelon, II, 126.<br /> -Barthélemy (M<sup>me</sup>), cordonnière à Grenoble, I, <a href="#Page_111">111</a>, <a href="#Page_112">112</a>, <a href="#Page_275">275</a>.<br /> -Barthélemy d'Orbane, avocat consistorial au parlement<br /> -de Grenoble, I, <a href="#Page_59">59</a>, <a href="#Page_60">60</a>, <a href="#Page_65">65</a>, <a href="#Page_305">305</a>.<br /> -Barthélemy (le chanoine), frère du précédent, I, <a href="#Page_65">65</a>.<br /> -Barthomeuf, commis au ministère de la Guerre,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">II, 142, 143, 158, 159, 164.</span><br /> -Bassano (le duc de), II, 8.<br /> -Basset (Jean-Louis), baron de Richebourg, camarade<br /> -de Stendhal, II, 10, 11.<br /> -Basville, intendant du Languedoc, II, 78.<br /> -Baure (M. de), gendre de Noël Daru, I, <a href="#Page_11">11</a>; II, 142, 143.<br /> -Baure (M<sup>me</sup> de), femme du précédent. Voyez: Daru (Sophie).<br /> -Bayle (Pierre), II, 17.<br /> -Beau, I, <a href="#Page_22">22</a>.<br /> -Beauharnais (Hortense de), II, 160.<br /> -Beaumont (Elie de), I, <a href="#Page_188">188</a>.<br /> -Beauvilliers (le duc de), II, 151.<br /> -Beethoven, II, 15.<br /> -Bellier, I, <a href="#Page_84">84</a>.<br /> -Bellile (Pépin de). Voyez: Pépin de Bellile.<br /> -Belloc (M<sup>me</sup>), I, <a href="#Page_118">118</a>.<br /> -Belot (le président), traducteur de Hume, I, <a href="#Page_137">137</a>.<br /> -Benoît, camarade de Stendhal à l'École centrale, I, <a href="#Page_281">281</a>; II, 17.<br /> -Benvenuto Cellini, I, <a href="#Page_8">8</a>, <a href="#Page_10">10</a>.<br /> -Benzoni (M<sup>me</sup>), I, <a href="#Page_40">40</a>.<br /> -Béranger, II, 125, 152, 161.<br /> -Bérenger (Raymond de), camarade de Stendhal, I, <a href="#Page_25">25</a>, <a href="#Page_26">26</a>.<br /> -Bereyter (Angelina), actrice, maîtresse de Stendhal, I, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_21">21</a>, <a href="#Page_24">24</a>.<br /> -Bernadotte, roi de Suède, I, <a href="#Page_63">63</a>.<br /> -Bernard, II, 33.<br /> -Bernonde (M<sup>me</sup>), I, <a href="#Page_128">128</a>.<br /> -Berry (la duchesse de), II, 33, 151.<br /> -Berthier, prince de Neuchâtel, II, 154.<br /> -Bertrand (M<sup>me</sup> la comtesse), II, 161.<br /> -Berwick, graveur, II, 123.<br /> -Besançon. Voyez: Mareste (le baron de).<br /> -Beugnot (le comte), I, <a href="#Page_92">92</a>.<br /> -Beugnot (la comtesse), femme du précédent, II, 123.<br /> -Beyle (Pierre), grand-père de Stendhal, I, <a href="#Page_80">80</a>.<br /> -Beyle (le capitaine), grand-oncle de Stendhal, II, 177.<br /> -Beyle (Joseph-Chérubin), père de Stendhal, I, <a href="#Page_16">16</a>, <a href="#Page_77">77</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Page_78">78</a>-<a href="#Page_81">81</a>, <a href="#Page_93">93</a>, <a href="#Page_103">103</a>, <a href="#Page_134">134</a>, <a href="#Page_135">135</a>, <a href="#Page_147">147</a>, <a href="#Page_163">163</a>, <a href="#Page_168">168</a>, <a href="#Page_178">178</a>, <a href="#Page_187">187</a>,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Page_198">198</a>-<a href="#Page_202">202</a>, <a href="#Page_209">209</a>, <a href="#Page_223">223</a>, <a href="#Page_234">234</a>, <a href="#Page_262">262</a>; II, 16, 41, 56, 73, 85,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"> 108, 176.</span><br /> -Beyle (Pauline), sœur de Stendhal, depuis M<sup>me</sup> Périer-Lagrange,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_45">45</a>, <a href="#Page_77">77</a>, <a href="#Page_99">99</a>, <a href="#Page_139">139</a>, <a href="#Page_141">141</a>, <a href="#Page_178">178</a>, <a href="#Page_198">198</a>, <a href="#Page_222">222</a>; II, 50.</span><br /> -Beyle (Zénaïde-Caroline), sœur de Stendhal, depuis Mallein,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_77">77</a>, <a href="#Page_99">99</a>, <a href="#Page_139">139</a>, <a href="#Page_141">141</a>, <a href="#Page_222">222</a>.</span><br /> -Bezout, auteur d'un manuel de mathématiques, I, <a href="#Page_249">249</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Page_250">250</a>, <a href="#Page_277">277</a>, <a href="#Page_282">282</a>, <a href="#Page_299">299</a>; II, 55, 66.</span><br /> -Bigillion, I, <a href="#Page_297">297</a>, <a href="#Page_298">298</a>.<br /> -Bigillion (François), fils du précédent, ami de Stendhal,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_23">23</a>, <a href="#Page_285">285</a>-<a href="#Page_287">287</a>, <a href="#Page_291">291</a>, <a href="#Page_295">295</a>; II, 34, 45, 71, 72, 92, 147.</span><br /> -Bigillion (Rémy), frère du précédent, I, <a href="#Page_286">286</a>, <a href="#Page_291">291</a>, <a href="#Page_292">292</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Page_295">295</a>, <a href="#Page_296">296</a>, <a href="#Page_301">301</a>, <a href="#Page_311">311</a>; II, 92.</span><br /> -Bigillion (Victorine), fille et sœur des précédents,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_159">159</a>, <a href="#Page_289">289</a>-<a href="#Page_293">293</a>, <a href="#Page_295">295</a>-<a href="#Page_296">299</a>; II, 34, 45, 53, 74, 91, 92, 93.</span><br /> -Bignon (du). Voyez: Du Bignon.<br /> -Biot, I, <a href="#Page_249">249</a>.<br /> -Blacons (M<sup>lle</sup> de), I, <a href="#Page_74">74</a>.<br /> -Blanc, I, <a href="#Page_198">198</a>.<br /> -Blanchet (M<sup>lle</sup>), puis M<sup>me</sup> Romagnier.<br /> -Voyez: Romagnier (M<sup>me</sup>), cousine de Stendhal.<br /> -Blancmesnil (de), II, 105.<br /> -Boccace, I, <a href="#Page_61">61</a>.<br /> -Bois, I, <a href="#Page_214">214</a>.<br /> -Boissat (Jules-César), II, 7.<br /> -Bonaparte. Voyez: Napoléon.<br /> -Bond (Jean), traducteur d'Horace, I, <a href="#Page_35">35</a>, <a href="#Page_122">122</a>.<br /> -Bonnard (de), I, <a href="#Page_220">220</a>.<br /> -Bonne (MM.), oncles de M<sup>me</sup> Romain Gagnon, I, <a href="#Page_159">159</a>-<a href="#Page_160">160</a>, <a href="#Page_161">161</a>.<br /> -Bonne (Mlle), depuis M<sup>me</sup> Poncet, mère de M<sup>me</sup> Romain Gagnon, I, <a href="#Page_161">161</a>.<br /> -Bonoldi, chanteur italien, II, 103.<br /> -Borel (M<sup>me</sup>), belle-mère de Mounier, I, <a href="#Page_69">69</a>.<br /> -Borel (M<sup>lle</sup>), fille de la précédente,<br /> -depuis M<sup>me</sup> Létourneau, II, 34.<br /> -Borghèse (prince F.), I, <a href="#Page_1">1</a>.<br /> -Bossuet, II, 121, 152.<br /> -Bouchage (du). Voyez: Du Bouchage.<br /> -Boufflers (le maréchal de), II, 137.<br /> -Bourdaloue, I, <a href="#Page_103">103</a>, <a href="#Page_137">137</a>.<br /> -Bourgogne (la duchesse de), II, 81.<br /> -Bourmont (le maréchal de), II, 191.<br /> -Bournon (le maréchal), I, <a href="#Page_244">244</a>.<br /> -Bouvier, I, <a href="#Page_65">65</a>.<br /> -Brémont (M<sup>me</sup>), depuis M<sup>me</sup> de Barral-Montferrat, I, <a href="#Page_304">304</a>.<br /> -Brémont, fils de la précédente, I, <a href="#Page_304">304</a>.<br /> -Brenier (de), I, <a href="#Page_48">48</a>.<br /> -Brenier (M<sup>me</sup> de), femme du précédent. Voyez: Vaulserre (M<sup>lle</sup> de).<br /> -Brichaud, I, <a href="#Page_3">3</a>.<br /> -Brizon (M<sup>me</sup> de), I, <a href="#Page_192">192</a>.<br /> -Broglie (le duc de), I, <a href="#Page_62">62</a>, <a href="#Page_120">120</a>.<br /> -Brossard (le général de), II, 81.<br /> -Brossard (M<sup>me</sup> de), femme du précédent. Voyez: Le Brun (M<sup>lle</sup> Pulchérie).<br /> -Brosses (le président de), I, <a href="#Page_138">138</a>, <a href="#Page_167">167</a>; II, 21, 135.<br /> -Bruce, I, <a href="#Page_101">101</a>, <a href="#Page_282">282</a>.<br /> -Brun (Joseph), paysan de Claix, II, 41.<br /> -Bruno (saint), fondateur de la Grande-Chartreuse, I, <a href="#Page_297">297</a>, <a href="#Page_299">299</a>.<br /> -Buffon, I, <a href="#Page_209">209</a>; II, 45.<br /> -Burelviller (le capitaine), II, 169, 171, 172, 173, 174,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">176, 182, 183, 184, 193, 198.</span><br /> -<br /> -<br /> -C<br /> -<br /> -Cabanis, I, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_28">28</a>, <a href="#Page_137">137</a>, <a href="#Page_180">180</a>, <a href="#Page_269">269</a>.<br /> -Cachoud, peintre et graveur, I, <a href="#Page_250">250</a>.<br /> -Caetani (les princes), amis de Stendhal, I, <a href="#Page_9">9</a>.<br /> -Caetani (Michel-Ange), I, <a href="#Page_9">9</a>, <a href="#Page_19">19</a>.<br /> -Caetani (don Philippe), frère du précédent, I, <a href="#Page_313">313</a>.<br /> -Caetani (don Rugiero), II, 65.<br /> -Caffe, I, <a href="#Page_221">221</a>.<br /> -Cailhava, II, 94, 95.<br /> -Calderon, II, 175.<br /> -Caletta, I, <a href="#Page_244">244</a>.<br /> -Cambon (M<sup>me</sup>), fille aînée de Noël Daru, II, 80, 108,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">115, 116, 120, 121, 126.</span><br /> -Cambon (M<sup>lle</sup>), fille de la précédente, II, 166.<br /> -Campan (M<sup>me</sup>), II, 160, 163.<br /> -Cardan, mathématicien italien, II, 67.<br /> -Cardon (M<sup>me</sup>), II, 119, 121, 122, 141, 158, 160, 162, 163.<br /> -Cardon (Edmond), fils de la précédente, ami de Stendhal,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">II, 32, 119, 122, 141, 147, 158, 159, 164.</span><br /> -Cardon de Montigny, fils du précédent, II, 119.<br /> -Carnot, II, 119, 166.<br /> -Cartaud (le général), I, <a href="#Page_233">233</a>.<br /> -Castellane (M<sup>me</sup> Boni de), II, 152.<br /> -Caton d'Utique, I, <a href="#Page_222">222</a>.<br /> -Cauchain (le comte de), II, 188.<br /> -Cauchain (le général de), oncle du précédent, II, 188.<br /> -Caudey (M<sup>lles</sup>), marchandes de modes à Grenoble, II, 48, 49.<br /> -Caudey, leur frère, II, 49.<br /> -Cavé, II, 25.<br /> -Caylus (M<sup>me</sup> de), II, 151.<br /> -Cervantes, I, <a href="#Page_107">107</a>, <a href="#Page_129">129</a>, <a href="#Page_288">288</a>; II, 19, 90, 133.<br /> -Chaalons, II, 19.<br /> -Chabert, professeur de Stendhal, I, <a href="#Page_277">277</a>, <a href="#Page_278">278</a>-<a href="#Page_280">280</a>, <a href="#Page_281">281</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Page_282">282</a>, 283; II, 54, 55, 56, 58, 59, 60, 62, 64, 67.</span><br /> -Chaléon (M. de), I, <a href="#Page_54">54</a>.<br /> -Chalvet, professeur à l'École centrale de Grenoble, I, <a href="#Page_238">238</a>, <a href="#Page_302">302</a>, <a href="#Page_311">311</a>.<br /> -Champel, I, <a href="#Page_72">72</a>.<br /> -Charbonot, charpentier à Claix, I, <a href="#Page_130">130</a>.<br /> -Charost (le duc de), II, 151.<br /> -Charrière (Sébastien), I, <a href="#Page_201">201</a>; II, 41.<br /> -Chateaubriand, I, <a href="#Page_6">6</a>, <a href="#Page_7">7</a>, <a href="#Page_242">242</a>, <a href="#Page_269">269</a>, <a href="#Page_310">310</a>.<br /> -Chatel, II, 33.<br /> -Chavand (M<sup>lle</sup>), maîtresse d'écriture à Grenoble, I, <a href="#Page_312">312</a>.<br /> -Chazel, camarade de Stendhal, I, <a href="#Page_94">94</a>, <a href="#Page_95">95</a>.<br /> -Chélan (l'abbé), curé de Risset, I, <a href="#Page_61">61</a>, <a href="#Page_62">62</a>, <a href="#Page_305">305</a>.<br /> -Cheminade, camarade de Stendhal, II, <a href="#Page_65">65</a>, <a href="#Page_68">68</a>, <a href="#Page_88">88</a>.<br /> -Chenavaz (M<sup>me</sup>), I, <a href="#Page_32">32</a>, <a href="#Page_33">33</a>, <a href="#Page_141">141</a>.<br /> -Chenavaz (Candide), fils de la précédente, I, <a href="#Page_33">33</a>.<br /> -Chevreuse (le duc de), II, 151.<br /> -Chieze, II, 127.<br /> -Choderlos de Laclos. Voyez: Laclos (Choderlos de).<br /> -Cimarosa, II, 99, 101, 192, 193.<br /> -Clairaut, auteur d'un manuel de mathématiques, I, <a href="#Page_249">249</a>, <a href="#Page_282">282</a>.<br /> -Clapier (le docteur), I, <a href="#Page_281">281</a>; II, 17.<br /> -Clara, Clara Gazul. Voyez: Mérimée (Prosper).<br /> -Clarke (M<sup>lle</sup>), I, <a href="#Page_117">117</a>.<br /> -Clémentine. Voyez: Menti.<br /> -Clermont-Tonnerre (de), gouverneur du Dauphiné, I, <a href="#Page_62">62</a>.<br /> -Clerichetti (Antonio), I, <a href="#Page_123">123</a>.<br /> -Clet, cousin de Stendhal, I, <a href="#Page_309">309</a>.<br /> -Cochet (M<sup>lle</sup>), I, <a href="#Page_160">160</a>, <a href="#Page_162">162</a>.<br /> -Coissi, I, <a href="#Page_204">204</a>.<br /> -Collé, II, 152.<br /> -Colomb, cousin de Stendhal, I, <a href="#Page_289">289</a>.<br /> -Colomb (M<sup>me</sup>) femme du précédent, I, <a href="#Page_138">138</a>, <a href="#Page_139">139</a>, <a href="#Page_178">178</a>,<br /> -<a href="#Page_181">181</a>, <a href="#Page_261">261</a>, <a href="#Page_262">262</a>.<br /> -Colomb (Romain), fils des précédents, ami de Stendhal,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_22">22</a>, <a href="#Page_84">84</a>, <a href="#Page_121">121</a>, <a href="#Page_167">167</a>, <a href="#Page_168">168</a>, <a href="#Page_193">193</a>, <a href="#Page_227">227</a>, <a href="#Page_230">230</a>, <a href="#Page_289">289</a>;</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;">II, 21, 45, 46, 48, 50, 135.</span><br /> -Condillac, I, <a href="#Page_239">239</a>, <a href="#Page_249">249</a>.<br /> -Condorcet, II, 114.<br /> -Condorcet (M<sup>me</sup>), femme du précédent. Voyez: Grouchy (Sophie).<br /> -Constantin (Abraham), peintre, I, <a href="#Page_27">27</a>; II, 102.<br /> -Corbeau (de), I, <a href="#Page_161">161</a>, <a href="#Page_162">162</a>, <a href="#Page_165">165</a>.<br /> -Corday (Charlotte), I, <a href="#Page_222">222</a>.<br /> -Corneille, II, 8, 19, 26, 133, 136, 152.<br /> -Cornélius Nepos, I, <a href="#Page_122">122</a>.<br /> -Corner (André), II, 32.<br /> -Corrège, II, 25.<br /> -Courchamp, II, 4.<br /> -Courier (Paul-Louis), I, <a href="#Page_255">255</a>.<br /> -Court ds Gebelin, I, <a href="#Page_131">131</a>.<br /> -Couturier, I, <a href="#Page_250">250</a>.<br /> -Crobras (l'abbé), I, <a href="#Page_173">173</a>.<br /> -Crozet (Louis), ami de Stendhal, II, 5-11, 29, 147, 148.<br /> -Cuvier (Georges, baron), I, <a href="#Page_136">136</a>, <a href="#Page_258">258</a>, <a href="#Page_259">259</a>.<br /> -<br /> -<br /> -D<br /> -<br /> -Damoreau (M<sup>me</sup>), II, 105.<br /> -Dante, I, <a href="#Page_39">39</a>, <a href="#Page_90">90</a>, <a href="#Page_91">91</a>, <a href="#Page_194">194</a>; II, 86, 167.<br /> -Daru (Noël), I, <a href="#Page_5">5</a>, <a href="#Page_8">8</a>, <a href="#Page_11">11</a>, <a href="#Page_218">218</a>; II, 19, 78, 79, 81,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">91, 93, 94, 107, 110, 111, 112, 113, 114, 120, 122,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"> 123, 124, 127, 128, 134, 135, 139, 160, 161.</span><br /> -Daru (M<sup>me</sup>), femme du précédent, II, 80, 108, 162.<br /> -Daru (le comte Pierre), fils des précédents, I, 11, 12, 244;<br /> -<span style="margin-left: 1em;">II, 14, 80, 108, 121, 122, 124, 125, 128, 132,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;">133, 137, 139, 140, 141, 142, 143, 144, 145, 146,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;">157, 158, 159, 160, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 182.</span><br /> -Daru (M<sup>me</sup> la comtesse), femme du précédent, I, <a href="#Page_97">97</a>, <a href="#Page_256">256</a>.<br /> -Daru (Martial), frère du comte Pierre Daru, II, 19,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">80, 108, 118, 121, 140, 141, 163, 164, 166, 197, 198, 199.</span><br /> -Daru (M<sup>lle</sup> Sophie), depuis M<sup>me</sup> de Baure, I, <a href="#Page_11">11</a>; II, 80, 108.<br /> -<span class="pagenum"><a name="Page_409" id="Page_409">[p. 409]</a></span>Daru (M<sup>lles</sup>). Voyez: Cambon (M<sup>me</sup>); Le Brun (M<sup>me</sup>).<br /> -Dausse, I, <a href="#Page_254">254</a>, <a href="#Page_257">257</a>; II, 70, 71.<br /> -Debelleyme, préfet de police, II, 7.<br /> -Delavigne (Casimir), II, 153.<br /> -Delécluze, I, <a href="#Page_91">91</a>; II, 120.<br /> -Delille, II, 20, 88, 133.<br /> -Del Monte (M<sup>me</sup>), I, <a href="#Page_59">59</a>.<br /> -Dembowski (Mathilde), appelée Métilde par Stendhal,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_4">4</a>, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_18">18</a>, <a href="#Page_20">20</a>, <a href="#Page_173">173</a>; II, 138.</span><br /> -Denis d'Halicarnasse, I, <a href="#Page_220">220</a>.<br /> -Des Adrets (le baron). Voyez: Adrets (le baron des).<br /> -Desfontaines (l'abbé), traducteur de Virgile, I, <a href="#Page_98">98</a>.<br /> -Destouches, I, <a href="#Page_108">108</a>.<br /> -Destutt de Tracy. Voyez: Tracy (Destutt de).<br /> -Diane (M<sup>lle</sup>), II, 189.<br /> -Diday (Maurice), camarade de Stendhal, II, 29, 30, 31, 34, 35.<br /> -Diderot, I, <a href="#Page_48">48</a>, <a href="#Page_215">215</a>; II, 60.<br /> -Didier (M<sup>me</sup>), cousine de Stendhal, I, <a href="#Page_56">56</a>.<br /> -Di Fiore, ami de Stendhal, I, <a href="#Page_4">4</a>, <a href="#Page_6">6</a>, <a href="#Page_60">60</a>, <a href="#Page_148">148</a>, <a href="#Page_244">244</a>; II, 33, 89.<br /> -Dijon, I, <a href="#Page_164">164</a>.<br /> -Diphortz (M<sup>me</sup> de), I, <a href="#Page_4">4</a>.<br /> -Dittmer, II, 25.<br /> -Dolle le Jeune, I, <a href="#Page_111">111</a>.<br /> -Domeniconi, acteur italien, II, 70.<br /> -Dominiquin (le), I, <a href="#Page_1">1</a>, <a href="#Page_250">250</a>.<br /> -Donizetti, I, <a href="#Page_265">265</a>.<br /> -Dorat, I, <a href="#Page_119">119</a>, <a href="#Page_220">220</a>.<br /> -Doyat, I, <a href="#Page_160">160</a>.<br /> -Drevon, I, <a href="#Page_111">111</a>; II, 110.<br /> -Drier, cousin de Stendhal, II, 17.<br /> -Du Barry (M<sup>me</sup>), I, <a href="#Page_113">113</a>; II, 2.<br /> -Du Bignon, I, <a href="#Page_289">289</a>.<br /> -Dubois-Fontanelle, professeur à l'École centrale<br /> -de Grenoble, I, <a href="#Page_125">125</a>, <a href="#Page_238">238</a>; II, 13-17, 19, 23, 24, 25.<br /> -Dubos (l'abbé), II, 28.<br /> -Du Bouchage, I, <a href="#Page_305">305</a>.<br /> -Duchesne, II, 154.<br /> -Duchesnois (M<sup>lle</sup>), actrice de la Comédie française, II, 10.<br /> -Duclos, I, <a href="#Page_301">301</a>; II, 5, 63, 74, 109, 152.<br /> -Ducros (le Père), bibliothécaire de la ville de Grenoble,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_25">25</a>, <a href="#Page_29">29</a>, <a href="#Page_61">61</a>, <a href="#Page_190">190</a>, <a href="#Page_214">214</a>-<a href="#Page_219">219</a>, <a href="#Page_305">305</a>; II, 17.</span><br /> -Dufay. Voyez: Grand-Dufay.<br /> -Dufour (le colonel), II, 185.<br /> -Dugazon, actrice, I, <a href="#Page_310">310</a>.<br /> -Dulauron (M<sup>me</sup>). Voyez: Menand-Dulauron (Mme).<br /> -Dumolard (l'abbé), curé de La Tronche, I, <a href="#Page_204">204</a>-<a href="#Page_205">205</a>.<br /> -Dupéron (Jeanne), grand'mère paternelle de Stendhal, I, <a href="#Page_303">303</a>.<br /> -Dupin aîné, II, 152.<br /> -Dupuy, professeur à l'École centrale de Grenoble,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_238">238</a>-<a href="#Page_239">239</a>, <a href="#Page_248">248</a>-<a href="#Page_250">250</a>, <a href="#Page_255">255</a>, <a href="#Page_257">257</a>, <a href="#Page_277">277</a>, <a href="#Page_279">279</a>, <a href="#Page_280">280</a>, <a href="#Page_281">281</a>, <a href="#Page_283">283</a>;</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;">II, 35, 36, 37, 54, 55, 57, 58, 59, 60, 64, 70, 71, 72, 73.</span><br /> -Durand, précepteur de Stendhal, professeur à l'École centrale<br /> -de Grenoble, I, <a href="#Page_119">119</a>, <a href="#Page_121">121</a>-<a href="#Page_125">125</a>, <a href="#Page_152">152</a>-<a href="#Page_154">154</a>, <a href="#Page_163">163</a>, <a href="#Page_238">238</a>, <a href="#Page_241">241</a>, <a href="#Page_243">243</a>;<br /> -<span style="margin-left: 1em;">II, 5, 67.</span><br /> -Duroc, duc de Frioul, I, <a href="#Page_13">13</a>; II, 34.<br /> -Duvergier de Hauranne, II, <a href="#Page_25">25</a>.<br /> -<br /> -<br /> -E<br /> -<br /> -Edwards (le docteur), I, <a href="#Page_259">259</a>, <a href="#Page_290">290</a>; II, 7.<br /> -Esménard, I, <a href="#Page_8">8</a>.<br /> -Euler, I, <a href="#Page_279">279</a>; II, 57.<br /> -Euripide, I, <a href="#Page_119">119</a>.<br /> -Exelmans (le maréchal), I, <a href="#Page_244">244</a>.<br /> -<br /> -<br /> -F<br /> -<br /> -Fabien, maître d'armes à , II, 148, 153, 164.<br /> -Falcon, libraire à Grenoble, I, <a href="#Page_192">192</a>-<a href="#Page_193">193</a>.<br /> -Fanchon, servante de Romain Gagnon aux Échelles, I, <a href="#Page_158">158</a>.<br /> -Faure (Félix), pair de France, ami de Stendhal,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_68">68</a>, <a href="#Page_129">129</a>, <a href="#Page_164">164</a>, <a href="#Page_275">275</a>, <a href="#Page_312">312</a>; II, 7, 68, 91, 92, 93, 146,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;">147, 148, 154, 164.</span><br /> -Faure (Frédéric), frère du précédent, II, 91, 92.<br /> -Faure (Michel), frère des précédents, II, 91, 92.<br /> -Faure, père des précédents, I, <a href="#Page_299">299</a>.<br /> -Fauriel, I, <a href="#Page_91">91</a>, <a href="#Page_117">117</a>; II, 114.<br /> -Fauriel (M<sup>me</sup>), femme du précédent. Voyez: Grouchy (Sophie).<br /> -Festa (M<sup>me</sup>), actrice italienne, I, <a href="#Page_24">24</a>; II, 104.<br /> -Feydeau, II, 104.<br /> -Fielding, I, <a href="#Page_119">119</a>.<br /> -Fieschi, II, 125, 153.<br /> -Fiore (di). Voyez: Di Fiore.<br /> -Fioravanti, II, 101.<br /> -Fitz-James (le duc de), II, 152.<br /> -Fleury (l'abbé), I, <a href="#Page_120">120</a>.<br /> -Florian, I, <a href="#Page_195">195</a>-<a href="#Page_196">196</a>, <a href="#Page_264">264</a>; II, 20.<br /> -Foix (le duc de), II, 151.<br /> -Fontanelle. Voyez: Dubois-Fontanelle.<br /> -Fontenelle, I, <a href="#Page_58">58</a>, <a href="#Page_60">60</a>, <a href="#Page_71">71</a>, <a href="#Page_86">86</a>.<br /> -Forisse, I, <a href="#Page_120">120</a>.<br /> -Fourcroy, I, <a href="#Page_199">199</a>.<br /> -Foy (le général), I, <a href="#Page_289">289</a>; II, 6.<br /> -Français de Nantes, II, 14.<br /> -Françoise, servante des Beyle, I, <a href="#Page_56">56</a>.<br /> -Frioul (duc de). Voyez: Duroc, duc de Frioul.<br /> -<br /> -<br /> -G<br /> -<br /> -Gagnon (Elisabeth), grand'tante de Stendhal, I, <a href="#Page_33">33</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_37">37</a>, <a href="#Page_44">44</a>, <a href="#Page_77">77</a>, <a href="#Page_78">78</a>, <a href="#Page_85">85</a>-<a href="#Page_87">87</a>, <a href="#Page_89">89</a>, <a href="#Page_108">108</a>, <a href="#Page_112">112</a>, <a href="#Page_138">138</a>, <a href="#Page_140">140</a>, <a href="#Page_147">147</a>,</span><br /> -<span class="pagenum"><a name="Page_411" id="Page_411">[p. 411]</a></span><span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_148">148</a>, <a href="#Page_150">150</a>, <a href="#Page_151">151</a>, <a href="#Page_169">169</a>, <a href="#Page_178">178</a>, <a href="#Page_180">180</a>, <a href="#Page_181">181</a>, <a href="#Page_186">186</a>, <a href="#Page_187">187</a>, <a href="#Page_192">192</a>,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_213">213</a>, <a href="#Page_218">218</a>, <a href="#Page_223">223</a>, <a href="#Page_227">227</a>, <a href="#Page_233">233</a>, <a href="#Page_234">234</a>, <a href="#Page_261">261</a>, <a href="#Page_262">262</a>, <a href="#Page_308">308</a>, <a href="#Page_309">309</a>;</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;">II, 30, 41, 50, 64, 65, 73, 100.</span><br /> -Gagnon (le docteur Henri), grand-père de Stendhal,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_29">29</a>, <a href="#Page_33">33</a>, <a href="#Page_34">34</a>-<a href="#Page_38">38</a>, <a href="#Page_54">54</a>-<a href="#Page_62">62</a>, <a href="#Page_72">72</a>, <a href="#Page_74">74</a>, <a href="#Page_77">77</a>, <a href="#Page_86">86</a>, <a href="#Page_100">100</a>, <a href="#Page_134">134</a>,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_140">140</a>, <a href="#Page_144">144</a>, <a href="#Page_148">148</a>, <a href="#Page_168">168</a>, <a href="#Page_177">177</a>, <a href="#Page_187">187</a>, <a href="#Page_191">191</a>, <a href="#Page_198">198</a>, <a href="#Page_213">213</a>, <a href="#Page_217">217</a>,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_237">237</a>, <a href="#Page_241">241</a>, <a href="#Page_248">248</a>, <a href="#Page_254">254</a>, <a href="#Page_262">262</a>, <a href="#Page_298">298</a>, <a href="#Page_305">305</a>; II, 13, 49, 54,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"> 90, 100, 131, 137, 150.</span><br /> -Gagnon (Henriette), mère de Stendhal, I, <a href="#Page_38">38</a>-<a href="#Page_40">40</a>, <a href="#Page_57">57</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_120">120</a>; II, 99.</span><br /> -Gagnon (Séraphie), tante de Stendhal, I, <a href="#Page_32">32</a>, <a href="#Page_33">33</a>, <a href="#Page_37">37</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_39">39</a>, <a href="#Page_49">49</a>, <a href="#Page_71">71</a>, <a href="#Page_77">77</a>, <a href="#Page_78">78</a>, <a href="#Page_81">81</a>, <a href="#Page_99">99</a>, <a href="#Page_107">107</a>, <a href="#Page_112">112</a>, <a href="#Page_120">120</a>, <a href="#Page_124">124</a>, <a href="#Page_127">127</a>,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_130">130</a>, <a href="#Page_134">134</a>, <a href="#Page_138">138</a>, <a href="#Page_139">139</a>, <a href="#Page_140">140</a>, <a href="#Page_141">141</a>, <a href="#Page_145">145</a>, <a href="#Page_147">147</a>, <a href="#Page_148">148</a>, <a href="#Page_150">150</a>,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_157">157</a>, <a href="#Page_164">164</a>, <a href="#Page_168">168</a>, <a href="#Page_170">170</a>, <a href="#Page_171">171</a>, <a href="#Page_175">175</a>, <a href="#Page_176">176</a>, <a href="#Page_177">177</a>, <a href="#Page_178">178</a>, <a href="#Page_180">180</a>,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_185">185</a>, <a href="#Page_187">187</a>, <a href="#Page_190">190</a>, <a href="#Page_192">192</a>, <a href="#Page_195">195</a>, <a href="#Page_197">197</a>, <a href="#Page_198">198</a>, <a href="#Page_208">208</a>, <a href="#Page_209">209</a>, <a href="#Page_215">215</a>,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_222">222</a>, <a href="#Page_234">234</a>, <a href="#Page_235">235</a>, <a href="#Page_237">237</a>, <a href="#Page_238">238</a>, <a href="#Page_242">242</a>, <a href="#Page_248">248</a>, <a href="#Page_262">262</a>, <a href="#Page_264">264</a>, <a href="#Page_276">276</a>,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_299">299</a>, <a href="#Page_301">301</a>, <a href="#Page_310">310</a>; II, 1, 56, 64, 65, 73, 85, 90, 109, 168,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"> 176.</span><br /> -Gagnon (Romain), oncle de Stendhal, I, <a href="#Page_35">35</a>, <a href="#Page_48">48</a>-<a href="#Page_49">49</a>, <a href="#Page_51">51</a>-<a href="#Page_52">52</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_72">72</a>-<a href="#Page_73">73</a>, <a href="#Page_77">77</a>, <a href="#Page_87">87</a>, <a href="#Page_135">135</a>, <a href="#Page_155">155</a>-<a href="#Page_156">156</a>, <a href="#Page_162">162</a>, <a href="#Page_163">163</a>, <a href="#Page_191">191</a>,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_308">308</a>; II, 100, 110, 126.</span><br /> -Gagnon (Oronce), fils du précédent, I, <a href="#Page_35">35</a>.<br /> -Galle, camarade de Stendhal, I, <a href="#Page_300">300</a>, <a href="#Page_301">301</a>, <a href="#Page_311">311</a>; II, 45.<br /> -Galle (M<sup>me</sup>), mère du précédent, I, <a href="#Page_300">300</a>.<br /> -Gardon (l'abbé), I, <a href="#Page_54">54</a>, <a href="#Page_141">141</a>, <a href="#Page_143">143</a>-<a href="#Page_147">147</a>.<br /> -Gattel (l'abbé), professeur à l'École centrale de Grenoble,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_238">238</a>, <a href="#Page_239">239</a>, <a href="#Page_310">310</a>.</span><br /> -Gauthier (les frères), camarades de Stendhal, I, <a href="#Page_248">248</a>; II, 18, 29.<br /> -Gaveau, I, <a href="#Page_183">183</a>, <a href="#Page_265">265</a>.<br /> -Geneviève, servante des Beyle, I, <a href="#Page_56">56</a>.<br /> -Genoude, ou de Genoude, II, 86.<br /> -Geoffrin (M<sup>me</sup>), II, 150.<br /> -Gérard (le baron), I, <a href="#Page_259">259</a>.<br /> -Gibbon, II, 15.<br /> -Gibory, chef d'escadron, I, <a href="#Page_269">269</a>.<br /> -Giraud (M<sup>me</sup>), tante de M<sup>me</sup> Romain Gagnon, I, <a href="#Page_161">161</a>.<br /> -Giroud, libraire à Grenoble, I, <a href="#Page_38">38</a>.<br /> -Giroud, camarades de Stendhal, I, <a href="#Page_277">277</a>, <a href="#Page_302">302</a>.<br /> -Giulia, Giul, I, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_22">22</a>; II, 191.<br /> -Goethe, I, <a href="#Page_242">242</a>.<br /> -Gorse ou Gosse, II, 116.<br /> -Gouvion-Saint-Cyr (le maréchal), I, <a href="#Page_244">244</a>.<br /> -Gozlan, II, 152.<br /> -Grand-Dufay, camarade de Stendhal, II, 1-3, 25, 28, 164.<br /> -Graves (la marquise de). Voyez: Le Brun (Mme).<br /> -Grétry, I, <a href="#Page_3">3</a>, <a href="#Page_267">267</a> ; II, 97.<br /> -<span class="pagenum"><a name="Page_412" id="Page_412">[p. 412]</a></span>Grisheim (M<sup>lle</sup> Mina de), I, <a href="#Page_3">3</a>, <a href="#Page_4">4</a>, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_21">21</a>.<br /> -Gros, géomètre grenoblois, professeur de Stendhal,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_25">25</a>; II, 65-68, 71.</span><br /> -Gros, peintre, I, <a href="#Page_7">7</a>.<br /> -Grouchy (Sophie), depuis M<sup>me</sup> de Condorcet, puis M<sup>me</sup> Fauriel,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_117">117</a>; II, 114.</span><br /> -Grubillon fils, I, <a href="#Page_160">160</a>.<br /> -Guettard, minéralogiste grenoblois, I, <a href="#Page_188">188</a>.<br /> -Guilbert (Mélanie), actrice, maîtresse de Stendhal, I, <a href="#Page_9">9</a>, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_20">20</a>, <a href="#Page_28">28</a>, <a href="#Page_142">142</a>.<br /> -Guillabert (l'abbé), I, <a href="#Page_186">186</a>.<br /> -Guise (le duc de), I, <a href="#Page_221">221</a>.<br /> -Guitri (Umbert), I, <a href="#Page_54">54</a>.<br /> -Guizot, I, <a href="#Page_240">240</a>.<br /> -Gutin, marchand de draps dauphinois, I, <a href="#Page_201">201</a>.<br /> -Guyardet, II, 194.<br /> -<br /> -<br /> -H<br /> -<br /> -Hampden, II, 6.<br /> -Harcourt (le duc d'), II, 151.<br /> -Haxo (le général), I, <a href="#Page_149">149</a>, <a href="#Page_189">189</a>.<br /> -Hélie (l'abbé), curé de Saint-Hugues de Grenoble, I, <a href="#Page_213">213</a>.<br /> -Hélie (Ennemond), camarade de Stendhal, II, 27, 28.<br /> -Helvétius, II, 8, 9, 86, 89, 159, 190.<br /> -Herrard, I, <a href="#Page_27">27</a>.<br /> -Hippocrate, I, <a href="#Page_113">113</a>.<br /> -Hoffmann, professeur de clarinette à Grenoble, I, <a href="#Page_274">274</a>.<br /> -Holleville, professeur de violon à Grenoble, I, <a href="#Page_274">274</a>, <a href="#Page_275">275</a>.<br /> -Homère, I, <a href="#Page_229">229</a>.<br /> -Horace, I, <a href="#Page_113">113</a>, <a href="#Page_119">119</a>, <a href="#Page_122">122</a>, <a href="#Page_187">187</a>; II, 125.<br /> -Houdetot (d'), I, <a href="#Page_164">164</a>.<br /> -Hugo (Victor), II, 4.<br /> -Hume, I, <a href="#Page_137">137</a>.<br /> -Humières (le duc d'), II, 151.<br /> -<br /> -<br /> -I<br /> -<br /> -Ingres, I, <a href="#Page_7">7</a>.<br /> -<br /> -<br /> -J<br /> -<br /> -Jacquemont (Victor), I, <a href="#Page_18">18</a>.<br /> -<br /> -Jay, peintre, professeur à l'École centrale de Grenoble,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_238">238</a>, <a href="#Page_250">250</a>, <a href="#Page_254">254</a>, <a href="#Page_283">283</a>; II, 26-29, 35, 46.</span><br /> -Jeki (le Père), I, <a href="#Page_12">12</a>.<br /> -Joinville (le baron), II, 143, 194.<br /> -JOMARD, II, 52.<br /> -Joubert, précepteur de Stendhal, I, <a href="#Page_38">38</a>, <a href="#Page_82">82</a>, <a href="#Page_163">163</a>.<br /> -Jussieu (Adrien de), I, <a href="#Page_26">26</a>, <a href="#Page_182">182</a>, <a href="#Page_259">259</a>, <a href="#Page_313">313</a>.<br /> -Jussieu (Antoine de), I, <a href="#Page_290">290</a>.<br /> -<br /> -<br /> -K<br /> -<br /> -Kably (Virginie), actrice, I, <a href="#Page_4">4</a>, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_95">95</a>, <a href="#Page_263">263</a>-<a href="#Page_271">271</a>, <a href="#Page_273">273</a>-<a href="#Page_274">274</a>,<br /> -<span class="pagenum"><a name="Page_413" id="Page_413">[p. 413]</a></span> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_276">276</a>, <a href="#Page_292">292</a>, <a href="#Page_296">296</a>, <a href="#Page_299">299</a>, <a href="#Page_301">301</a>; II, 53, 74, 194.</span><br /> -Kellermann, I, <a href="#Page_231">231</a>.<br /> -Kératry (de), I, <a href="#Page_10">10</a>.<br /> -Kersanné, II, 147.<br /> -Koreff, II, 5, 152.<br /> -<br /> -<br /> -L<br /> -<br /> -La Bayette (de), camarad de Stendhal, I, <a href="#Page_300">300</a>, <a href="#Page_301">301</a>, <a href="#Page_307">307</a>, <a href="#Page_311">311</a>; II, 45.<br /> -La Bruyère, I, <a href="#Page_11">11</a>; II, 150, 151, 152.<br /> -Laclos (Choderlos de), I, <a href="#Page_74">74</a>.<br /> -Lacoste (de), I, <a href="#Page_55">55</a>.<br /> -Lacroix, géographe, I, <a href="#Page_101">101</a>.<br /> -La Feuillade (le duc de), II, 151.<br /> -La Fontaine, I, <a href="#Page_288">288</a>; II, 8, 99, 253.<br /> -Lagarde, II, 5.<br /> -Lagrange, II, 9, 57, 259.<br /> -Laharpe, II, 13,14.<br /> -Laisné (le vicomte), II, 8.<br /> -Lamartine, I, <a href="#Page_19">19</a>; II, 90.<br /> -Lambert, valet de chambre d'Henri Gagnon,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_66">66</a>, <a href="#Page_113">113</a>, <a href="#Page_114">114</a>, <a href="#Page_139">139</a>, <a href="#Page_140">140</a>, <a href="#Page_167">167</a>-<a href="#Page_173">173</a>,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_177">177</a>, <a href="#Page_303">303</a>; II, 32.</span><br /> -Lamoignon, I, <a href="#Page_64">64</a>.<br /> -Lannes (le maréchal), I, <a href="#Page_240">240</a>.<br /> -La Passe (le vicomte de), I,313.<br /> -La Peyrouse (de), II, 43.<br /> -Laplace (de), I, <a href="#Page_258">258</a>, <a href="#Page_259">259</a>; II, 9.<br /> -La Rive, acteur, I, <a href="#Page_310">310</a>.<br /> -La Rochefoucauld (le duc de), II, 151.<br /> -La Rocheguyon (le duc de), II, 151.<br /> -Lasalle (le général), I, <a href="#Page_244">244</a>.<br /> -La Valette (de), II, 42.<br /> -La Valette (M<sup>me</sup>), II, 165.<br /> -La Valette (M<sup>lle</sup> de), I, <a href="#Page_28">28</a>.<br /> -La Vallière (M<sup>lle</sup> de), II, 136.<br /> -Le Brun (M<sup>me</sup>), fille de Noël Daru, depuis marquise de Graves,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_11">11</a>; II, 80, 81, 108, 111, 117.</span><br /> -Le Brun (M<sup>lle</sup> Pulchérie), fille de la précédente, depuis<br /> -marquise de Brossard, II, 81, 108.<br /> -Lefèvre, perruquier à Grenoble, I, <a href="#Page_62">62</a>, <a href="#Page_104">104</a>.<br /> -Legendre, I, <a href="#Page_259">259</a>.<br /> -Léger, tailleur à Paris, I, <a href="#Page_22">22</a>.<br /> -Léopold de Syracuse, prince de Naples, I, <a href="#Page_313">313</a>.<br /> -Lerminier, I, <a href="#Page_190">190</a>.<br /> -Le Roy, professeur de peinture de Stendhal à Grenoble,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_175">175</a>, <a href="#Page_176">176</a>, <a href="#Page_177">177</a>, <a href="#Page_178">178</a>, <a href="#Page_179">179</a>, <a href="#Page_182">182</a>, <a href="#Page_183">183</a>, <a href="#Page_209">209</a>,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_250">250</a>, <a href="#Page_251">251</a>, <a href="#Page_266">266</a>; II, 45.</span><br /> -Le Roy (M<sup>me</sup>), femme du précédent, I, <a href="#Page_176">176</a>, <a href="#Page_253">253</a>.<br /> -Lesdiguières (le connétable de), I, <a href="#Page_67">67</a>, <a href="#Page_89">89</a>.<br /> -Lesdiguières (le duc de), II, 151.<br /> -Létourneau, II, 34.<br /> -Létourneau (M<sup>me</sup>), femme du précédent. Voyez: Borel (M<sup>lle</sup>).<br /> -<span class="pagenum"><a name="Page_414" id="Page_414">[p. 414]</a></span>Létourneau (M<sup>lle</sup>), depuis M<sup>me</sup> Maurice Diday, II, 34, 35.<br /> -Letourneur, traducteur de Shakespeare, I, <a href="#Page_287">287</a>; II, 9, 133.<br /> -Letronne, I, <a href="#Page_190">190</a>.<br /> -Linné, I, <a href="#Page_190">190</a>.<br /> -Lorrain (Claude), I, <a href="#Page_62">62</a>.<br /> -Louis le Gros, II, 81.<br /> -Louis XI, I, <a href="#Page_44">44</a>.<br /> -Louis XIV, I, <a href="#Page_216">216</a>, <a href="#Page_288">288</a>; II, 74, 81, 125, 136.<br /> -Louis XV, I, <a href="#Page_113">113</a>, <a href="#Page_128">128</a>, <a href="#Page_187">187</a>; II, 74.<br /> -Louis XVI, 1, <a href="#Page_113">113</a>, <a href="#Page_125">125</a>, <a href="#Page_126">126</a>, <a href="#Page_129">129</a>; II, 163.<br /> -Louis XVIII, II, 64.<br /> -Louis-Philippe Ier, I, <a href="#Page_165">165</a>.<br /> -Luther (Martin), I, <a href="#Page_34">34</a>.<br /> -<br /> -<br /> -M<br /> -<br /> -Mably, I, <a href="#Page_70">70</a>.<br /> -Machiavel, II, 8.<br /> -Mâcon, II, 194.<br /> -Maintenon (M<sup>me</sup> de), II, 151.<br /> -Maistre (M<sup>lle</sup> Thérésine de), I, <a href="#Page_162">162</a>.<br /> -Maistre (le comte Xavier de), frère de la précédente, I, <a href="#Page_162">162</a>.<br /> -Mallein (Abraham), beau-père de Zénaïde Beyle, I, <a href="#Page_267">267</a>.<br /> -Mallein (Alexandre), fils du précédent, beau-frère de Stendhal, I, <a href="#Page_299">299</a>.<br /> -Manelli, paysan italien, I, <a href="#Page_226">226</a>.<br /> -Mante, ami de Stendhal, II, 35, 36, 45, 46, 47, 50, 164.<br /> -Marcieu (de), I, <a href="#Page_298">298</a>.<br /> -Marcieu (le chevalier de), I, <a href="#Page_111">111</a>.<br /> -Marcieu (M<sup>me</sup> de), I, <a href="#Page_73">73</a>.<br /> -Mareste (le baron Adolphe de), surnommé par Stendhal Besançon,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_5">5</a>, <a href="#Page_22">22</a>, <a href="#Page_121">121</a>, <a href="#Page_208">208</a>; II, 33, 147.</span><br /> -Maria (dona), reine de Portugal, I, <a href="#Page_128">128</a>.<br /> -Marie (l'abbé), mathématicien, I, <a href="#Page_282">282</a>; II, 55.<br /> -Marie-Antoinette, II, 119, 121, 163.<br /> -Marion, servante des Gagnon. Voyez: Thomasset (Marie).<br /> -Marmont (le maréchal), duc de Raguse, II, 175.<br /> -Marmontel, I, <a href="#Page_10">10</a>, <a href="#Page_119">119</a>; II, 14, 152.<br /> -Marnais (M<sup>mes</sup> de), I, <a href="#Page_37">37</a>.<br /> -Marot (Clément), I, <a href="#Page_215">215</a>.<br /> -Marquis, camarade de Stendhal, II, 17.<br /> -Martin, II, 52.<br /> -Martin (Joséphine), cousine de Stendhal, I, <a href="#Page_207">207</a>.<br /> -Martin (M<sup>me</sup>), I, <a href="#Page_269">269</a>.<br /> -Masséna (le maréchal), II, 134.<br /> -Massillon, I, <a href="#Page_103">103</a>, <a href="#Page_137">137</a>.<br /> -Mathis (le colonel), I, <a href="#Page_121">121</a>, <a href="#Page_244">244</a>.<br /> -Maupeou (de), I, <a href="#Page_259">259</a>.<br /> -Maximilien-Joseph, roi de Bavière, II, 14.<br /> -Mayousse, paysan de Claix, I, <a href="#Page_201">201</a>.<br /> -<span class="pagenum"><a name="Page_415" id="Page_415">[p. 415]</a></span>Mazoyer, commis au ministère de la Guerre, II, 129, 132, 133, 138.<br /> -Meffrey (le comte de), I, <a href="#Page_256">256</a>; II, 33.<br /> -Menand-Dulauron (M<sup>me</sup>), I, <a href="#Page_73">73</a>, <a href="#Page_111">111</a>.<br /> -Mengs, II, 181.<br /> -Menti, Menta (Clémentine), I, <a href="#Page_4">4</a>, <a href="#Page_5">5</a>, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_20">20</a>, <a href="#Page_21">21</a>, <a href="#Page_289">289</a>.<br /> -Mention, professeur de violon à Grenoble, I, <a href="#Page_274">274</a>; II, 97.<br /> -Mérimée (Prosper), appelé par Stendhal Clara ou Clara Gazul,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_299">299</a>; II, 152.</span><br /> -Mérimée (M<sup>me</sup>), femme du précédent, II, 162.<br /> -Merlinot, représentant du peuple, I, <a href="#Page_133">133</a>, <a href="#Page_137">137</a>.<br /> -Merteuil (M<sup>me</sup> de). Voyez: Montmort (M<sup>me</sup> de).<br /> -Métilde. Voyez: Dembowski (Mathilde).<br /> -Meyerbeer, II, 102.<br /> -Michaud (le général), I, <a href="#Page_183">183</a>, <a href="#Page_244">244</a>.<br /> -Michel-Ange, I, <a href="#Page_9">9</a>, <a href="#Page_79">79</a>, <a href="#Page_250">250</a>.<br /> -Michel, tailleur à Paris, I, <a href="#Page_22">22</a>.<br /> -Michoud, camarade de Stendhal, I, <a href="#Page_311">311</a>, <a href="#Page_312">312</a>; II, 45.<br /> -Mignet, I, <a href="#Page_129">129</a>; II, 161.<br /> -Milai (Bianca), I, <a href="#Page_228">228</a>.<br /> -Mirabaud, traducteur de l'Arioste, I, <a href="#Page_163">163</a>.<br /> -Milne-Edwards, I, <a href="#Page_259">259</a>.<br /> -Ming, II, 52.<br /> -Mirepoix (M<sup>me</sup> de), II, 150.<br /> -Molé, ministre des Affaires étrangères en 1830, I, <a href="#Page_16">16</a>; II, 152.<br /> -Molière, I, <a href="#Page_11">11</a>, <a href="#Page_108">108</a>, <a href="#Page_109">109</a>, <a href="#Page_192">192</a>, <a href="#Page_227">227</a>; II, 19, 112, 148, 175, 178.<br /> -Moncey (le maréchal), duc de Conegliano, I, <a href="#Page_110">110</a>, <a href="#Page_244">244</a>.<br /> -Moncrif, II, 105.<br /> -Monge, II, 9.<br /> -Monge (Louis), frère du précédent, II, 61, 69.<br /> -Montaigne, I, <a href="#Page_12">12</a>.<br /> -Montesquieu, I, <a href="#Page_7">7</a>, <a href="#Page_20">20</a>, <a href="#Page_70">70</a>, <a href="#Page_167">167</a>, <a href="#Page_212">212</a>, <a href="#Page_220">220</a>; II, 9, 150.<br /> -Montesquiou (le général), I, <a href="#Page_157">157</a>, <a href="#Page_160">160</a>.<br /> -Montfort (le duc de), II, 151.<br /> -Montmort (M<sup>me</sup> Duchamps de), I, <a href="#Page_74">74</a>, <a href="#Page_75">75</a>, <a href="#Page_111">111</a>: II, 110.<br /> -Monval (les frères de), camarades de Stendhal,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_26">26</a>, <a href="#Page_255">255</a>, <a href="#Page_257">257</a>, <a href="#Page_279">279</a>; II, 28, 35, 50, 86, 87.</span><br /> -Moore (Thomas), I, <a href="#Page_8">8</a>.<br /> -Morard de Galles (l'amiral), I, <a href="#Page_301">301</a>.<br /> -Moreau le Jeune, I, <a href="#Page_250">250</a>.<br /> -Morey, II, 147.<br /> -Morgan (lady), I, <a href="#Page_18">18</a>.<br /> -Morlon (le Père), I, <a href="#Page_287">287</a>.<br /> -Moulezin, camarade de Stendhal, I, <a href="#Page_251">251</a>; II. 28.<br /> -Mounier, marchand de drap à Grenoble, I, <a href="#Page_68">68</a>, <a href="#Page_69">69</a>.<br /> -Mounier, fils du précédent, conventionnel, préfet de Rennes, I, <a href="#Page_67">67</a>, <a href="#Page_68">68</a>.<br /> -Mounier (Edouard), fils du précédent, I, <a href="#Page_67">67</a>, <a href="#Page_68">68</a>; II, 62.<br /> -<span class="pagenum"><a name="Page_416" id="Page_416">[p. 416]</a></span>Mounier (Victorine), sœur du précédent, I, <a href="#Page_67">67</a>; II, 34.<br /> -Mozart, <a href="#Page_1">1</a>, <a href="#Page_171">171</a>; II, 100, 101, 102.<br /> -Muller, graveur, II, 181,<br /> -Munichhausen (le grand chambellan de), II, 154.<br /> -Murat, roi de Naples, I, <a href="#Page_63">63</a>.<br /> -<br /> -<br /> -N<br /> -<br /> -Napoléon Ier, I, <a href="#Page_10">10</a>, <a href="#Page_13">13</a>, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_28">28</a>, <a href="#Page_164">164</a>, <a href="#Page_243">243</a>, <a href="#Page_244">244</a>, <a href="#Page_258">258</a>, <a href="#Page_269">269</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_304">304</a>; II, 61, 69, 74, 125, 139, 144, 145, 153, 161,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;">166, 190, 191.</span><br /> -Navizet, entrepreneur de chamoiserie à Grenoble, I, <a href="#Page_218">218</a>.<br /> -Naytall (le chevalier), II, 1.<br /> -Nelson (l'amiral), I, <a href="#Page_244">244</a>.<br /> -Ney (le maréchal), II, 160.<br /> -Nicolas (l'empereur), I, <a href="#Page_115">115</a>.<br /> -Nivernais (le duc de), II, 152.<br /> -Nodier (Charles), II, 99, 152.<br /> -Numa Pompilius, I, <a href="#Page_113">113</a>.<br /> -<br /> -<br /> -O<br /> -<br /> -Odru, camarade de Stendhal, I, <a href="#Page_248">248</a>, <a href="#Page_276">276</a>; II, 28-32.<br /> -Olivier (le général), II, 140.<br /> -Orbane (Barthélemy d'). Voyez: Barthélemy d'Orbane.<br /> -Ornisse (? la comtesse), II, 111.<br /> -Ossian, II, 25.<br /> -Ovide, I, <a href="#Page_124">124</a>, <a href="#Page_185">185</a>; II, 15.<br /> -<br /> -P<br /> -<br /> -Paisiello, II, 97, 101.<br /> -Pajou, I, <a href="#Page_250">250</a>.<br /> -Panseron, II, 105.<br /> -Pariset, I, <a href="#Page_271">271</a>; II, 5.<br /> -Parny, II, 14.<br /> -Pascal (César), II, 153, 154.<br /> -Passe (le vicomte de la). Voyez: La Passe (le vicomte de).<br /> -Pasta (M<sup>me</sup>), actrice, II, 24, 67.<br /> -Pastoret (de), II, 153.<br /> -Penet, camarade de Stendhal, II, 18.<br /> -Pépin de Bellile, I, <a href="#Page_92">92</a>.<br /> -Périer (Claude), dit milord, I, <a href="#Page_83">83</a>, <a href="#Page_292">292</a>; II, 150, 154.<br /> -Périer (Amédée), fils du précédent, I, <a href="#Page_83">83</a>.<br /> -Périer (Augustin), frère du précédent, I, <a href="#Page_83">83</a>.<br /> -Périer (Camille), frère des précédents, I, <a href="#Page_83">83</a>.<br /> -Périer (Joseph), frère des précédents, I, <a href="#Page_83">83</a>.<br /> -Périer (Casimir), ministre, frère des précédents, I, <a href="#Page_68">68</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_83">83</a>, <a href="#Page_292">292</a>; II, 149, 153, 154, 155.</span><br /> -Périer (Scipion), frère des précédents, I, <a href="#Page_83">83</a>; II, 155.<br /> -Périer (Elisabeth-Joséphine), depuis M<sup>me</sup> Savoye de<br /> -Rollin, sœur des précédents, II, 149.<br /> -Périer (M<sup>lle</sup> Marine), depuis M<sup>me</sup> Teisseire, sœur des<br /> -<span class="pagenum"><a name="Page_417" id="Page_417">[p. 417]</a></span>précédents, I, <a href="#Page_97">97</a>.<br /> -Périer-Lagrange, voisin des Gagnon, I, <a href="#Page_189">189</a>.<br /> -Périer-Lagrange (M<sup>me</sup>) femme du précédent, I, <a href="#Page_106">106</a>.<br /> -Périer-Lagrange, fils des précédents, beau-frère de Stendhal, I, <a href="#Page_24">24</a>.<br /> -Perlet, publiciste à Paris, I, <a href="#Page_151">151</a>.<br /> -Perrot d'Ablancourt, I, <a href="#Page_194">194</a>.<br /> -Peroult, I, <a href="#Page_271">271</a>.<br /> -Petiet (M<sup>me</sup>), II, 165.<br /> -Petiet (le baron Auguste), fils de la précédente, II, 126.<br /> -Petiet (M<sup>me</sup>), femme du précédent. Voyez: Rebuffet (Adèle).<br /> -Petit (la comtesse Alexandrine), I, <a href="#Page_16">16</a>, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_20">20</a>, <a href="#Page_21">21</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_23">23</a>, <a href="#Page_36">36</a>, <a href="#Page_43">43</a>, <a href="#Page_148">148</a>, <a href="#Page_173">173</a>; II, 138.</span><br /> -Philippe-Auguste, II, 74.<br /> -Piat-Desvials (M<sup>me</sup>), I, <a href="#Page_111">111</a>.<br /> -Picard, II, 145.<br /> -Pichegru (le général), I, <a href="#Page_151">151</a>.<br /> -Pichot (Amédée), II, 4.<br /> -Picot le père, I, <a href="#Page_48">48</a>.<br /> -Pietragrua (Angela), maîtresse de Stendhal, I, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_22">22</a>; II, 200.<br /> -Pina (de), camarade de Stendhal, maire de Grenoble, I, <a href="#Page_255">255</a>, <a href="#Page_257">257</a>, <a href="#Page_305">305</a>.<br /> -Pinto (le commandeur), I, <a href="#Page_16">16</a>.<br /> -Pipelet (Constance), depuis princesse de Salm-Dyck, II, 122-123, 157.<br /> -Pison-Dugalland (M<sup>me</sup>), cousine de Stendhal, I, <a href="#Page_31">31</a>, <a href="#Page_141">141</a>.<br /> -Plana, ami de Stendhal, II, 11.<br /> -Plana, pharmacien à Grenoble, II, 52.<br /> -Pline, I, <a href="#Page_190">190</a>.<br /> -Poitou (le baron), II, 135.<br /> -Poltrot de Méré, I, <a href="#Page_221">221</a>.<br /> -Poncet (M<sup>me</sup>), mère de M<sup>me</sup> Romain Gagnon. Voyez: Bonne (Mlle).<br /> -Poncet (Camille), femme de Romain Gagnon, I, <a href="#Page_157">157</a>, <a href="#Page_160">160</a>, <a href="#Page_162">162</a>.<br /> -Poncet (M<sup>lle</sup>), sœur de Mme Romain Gagnon, I, <a href="#Page_161">161</a>, <a href="#Page_162">162</a>.<br /> -Poncet, menuisier à Grenoble, I, <a href="#Page_189">189</a>.<br /> -Pope, I, <a href="#Page_117">117</a>.<br /> -Portal (le docteur), II, 93, 118.<br /> -Poulet, gargotier à Grenoble, II, 49.<br /> -Poussi, I, <a href="#Page_264">264</a>.<br /> -Pozzi (M<sup>me</sup>), I, <a href="#Page_226">226</a>.<br /> -Précy, I, <a href="#Page_231">231</a>.<br /> -Prévost (l'abbé), I, <a href="#Page_126">126</a>.<br /> -Prié, camarade de Stendhal, II, 48.<br /> -Prunelle, médecin, maire de Lyon, I, <a href="#Page_24">24</a>; II, 7.<br /> -Ptolémée, I, <a href="#Page_100">100</a>.<br /> -Pyrrhus, I, <a href="#Page_63">63</a>.<br /> -<br /> -<br /> -Q<br /> -<br /> -Quinsonnas (de), I, <a href="#Page_73">73</a>.<br /> -Quinsonnas (M<sup>me</sup> de), femme du précédent, II, 150.<br /> -<span class="pagenum"><a name="Page_418" id="Page_418">[p. 418]</a></span> -Quinte-Curce, I, <a href="#Page_82">82</a>.<br /> -<br /> -R<br /> -<br /> -Racine, I, <a href="#Page_153">153</a>, <a href="#Page_287">287</a>, <a href="#Page_288">288</a>; II, 20, 129, 133, 136, 137, 138, 152.<br /> -Raillane (l'abbé), précepteur de Stendhal, I, <a href="#Page_82">82</a>-<a href="#Page_82">84</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_91">91</a>, <a href="#Page_92">92</a>, <a href="#Page_93">93</a>-<a href="#Page_101">101</a>, <a href="#Page_108">108</a>, <a href="#Page_120">120</a>, <a href="#Page_123">123</a>, <a href="#Page_203">203</a>, <a href="#Page_205">205</a>; II, 149.</span><br /> -Raimonet, I, <a href="#Page_249">249</a>.<br /> -Raindre, II, 31, 154.<br /> -Rambault (l'abbé), I, <a href="#Page_287">287</a>.<br /> -Raphaël, I, <a href="#Page_2">2</a>, <a href="#Page_253">253</a>.<br /> -Raymond, II, 4.<br /> -Ravix (M. de), I, <a href="#Page_55">55</a>.<br /> -Rebuffet ou Rebuffel (Jean-Baptiste), neveu de Noël Daru,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_24">24</a>; II, 79, 126, 127, 155, 163.</span><br /> -Rebuffet (M<sup>me</sup>), femme du précédent, II, 126, 127, 162, 166.<br /> -Rebuffet (M<sup>lle</sup> Adèle), fille des précédents, depuis<br /> -M<sup>me</sup> Auguste Petiet, I, <a href="#Page_17">17</a>; II, 79, 126, 166.<br /> -Regnault de Saint-Jean-d'Angély (le comte), I, <a href="#Page_59">59</a>.<br /> -Renauldon, maire de Grenoble, gendre de Dubois-Fontanelle, II, 14.<br /> -Renauldon (Ch.), fils du précédent, II, 25.<br /> -Renault, peintre, directeur d'une académie à Paris, II, 123.<br /> -Renneville (de), I, <a href="#Page_256">256</a>.<br /> -Renneville (de), fils du précédent, camarade de Stendhal, I, <a href="#Page_255">255</a>, <a href="#Page_256">256</a>, <a href="#Page_279">279</a>.<br /> -Renouvier, prévôt d'armes à Paris, II, 153.<br /> -Revenas (l'abbé), I, <a href="#Page_186">186</a>.<br /> -Rey, I, <a href="#Page_215">215</a>.<br /> -Rey (l'abbé), grand-vicaire de Grenoble, I, <a href="#Page_46">46</a>, <a href="#Page_47">47</a>, <a href="#Page_60">60</a>.<br /> -Rey (le chanoine), I, <a href="#Page_213">213</a>.<br /> -Rey (M<sup>lle</sup>), sœur du précédent, I, <a href="#Page_213">213</a>.<br /> -Rey, notaire, oncle de Stendhal, II, 37.<br /> -Rey (M<sup>me</sup>), femme du précédent, II, 37.<br /> -Rey (Edouard), fils des précédents, II, 37-38.<br /> -Reybaud ou Reyboz, épicier à Grenoble, I, <a href="#Page_137">137</a>.<br /> -Reytiers, camarade de Stendhal, I, <a href="#Page_94">94</a>, <a href="#Page_95">95</a>, <a href="#Page_98">98</a>, <a href="#Page_101">101</a>, <a href="#Page_205">205</a>-<a href="#Page_206">206</a>.<br /> -Richardson, I, <a href="#Page_33">33</a>.<br /> -Richebourg (le baron de). Voyez: Basset (Jean-Louis).<br /> -Richelieu (le duc de), II, 151.<br /> -Rietti (M<sup>lle</sup>), II, 189.<br /> -Rivaut (le général), II, 154.<br /> -Rivière (M<sup>lles</sup>), I, <a href="#Page_111">111</a>.<br /> -Roberjot, I, <a href="#Page_125">125</a>.<br /> -Robert, I, <a href="#Page_248">248</a>.<br /> -Robespierre, I, <a href="#Page_152">152</a>.<br /> -Roederer, II, 8, 14.<br /> -Roland (Alphonse), I, <a href="#Page_96">96</a>.<br /> -Roland (M<sup>me</sup>), I, <a href="#Page_9">9</a>; II, 40.<br /> -Rollin, I, <a href="#Page_212">212</a>, <a href="#Page_222">222</a>; II, 31.<br /> -Romagnier (M.), cousin de Stendhal, I, <a href="#Page_232">232</a>.<br /> -<span class="pagenum"><a name="Page_419" id="Page_419">[p. 419]</a></span>Romagnier (M<sup>me</sup>), femme du précédent, I, <a href="#Page_138">138</a>, <a href="#Page_139">139</a>, <a href="#Page_178">178</a>, <a href="#Page_261">261</a>, <a href="#Page_262">262</a>.<br /> -Romulus, I, <a href="#Page_113">113</a>.<br /> -Rosset, appelé aussi Sorel par Stendhal, II, 73, 74, 77, 91.<br /> -Rosset (M<sup>me</sup>), femme du précédent, II, 163.<br /> -Rossini, II, 4, 98, 102, 203.<br /> -Rouget de Lisle, II, 100.<br /> -Rousseau (Jean-Jacques), I, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_79">79</a>, <a href="#Page_97">97</a>, <a href="#Page_158">158</a>, <a href="#Page_159">159</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_283">283</a>, <a href="#Page_288">288</a>; II, 16, 18, 19, 39, 127, 167, 171, 176,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;">179, 183, 193.</span><br /> -Roy (M<sup>me</sup>), I, <a href="#Page_183">183</a>.<br /> -Royaumont, I, <a href="#Page_220">220</a>.<br /> -Royer (Louis), II, 30.<br /> -Royer gros-bec, II, 33.<br /> -Rubempré (Alberthe de), maîtresse de Stendhal, I, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_20">20</a>, <a href="#Page_22">22</a>, <a href="#Page_38">38</a>.<br /> -Rubichon, I, <a href="#Page_214">214</a>.<br /> -<br /> -<br /> -S<br /> -<br /> -Sacy (Silvestre de), I, <a href="#Page_137">137</a>.<br /> -Sadin (l'abbé), curé de Saint-Louis de Grenoble, I, <a href="#Page_213">213</a>.<br /> -Saint-Ferréol (de), camarade de Stendhal, I, <a href="#Page_25">25</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_29">29</a>, <a href="#Page_67">67</a>, <a href="#Page_248">248</a>, <a href="#Page_305">305</a>; II, 35.</span><br /> -Saint-Germain (M<sup>me</sup>), sœur de Barnave, I, <a href="#Page_69">69</a>.<br /> -Saint-Marc Girardin, I, <a href="#Page_271">271</a>.<br /> -Saint-Priest (de), intendant du Languedoc, II, 78.<br /> -Saint-Simon, I, <a href="#Page_212">212</a>; II, 53, 63, 110, 125, 151, 164.<br /> -Saint-Vallier (de), I, <a href="#Page_305">305</a>.<br /> -Saint-Vallier (le sénateur, comte de), I, <a href="#Page_74">74</a>.<br /> -Saint-Vallier (M<sup>lle</sup> Bonne de), I, <a href="#Page_28">28</a>, <a href="#Page_305">305</a>.<br /> -Sainte-Aulaire, II, 152.<br /> -Salluste, I, <a href="#Page_243">243</a>.<br /> -Salm-Dyck (prince de), II, 123.<br /> -Salm-Dyck (princesse de), femme du précédent.<br /> -Voyez: Pipelet (Constance).<br /> -Salvandy (de), I, <a href="#Page_8">8</a>, <a href="#Page_190">190</a>, <a href="#Page_242">242</a>, <a href="#Page_310">310</a>.<br /> -Sandre (la comtesse), II, 1.<br /> -Santeuil, I, <a href="#Page_220">220</a>.<br /> -Sassenage (M<sup>me</sup> de), I, <a href="#Page_73">73</a>, <a href="#Page_298">298</a>; II, 150.<br /> -Savoye de Rollin (le baron), II, 149.<br /> -Savoye de Rollin (M<sup>me</sup>), femme du précédent.<br /> -Voyez: Périer (Elisabeth-Joséphine).<br /> -Say (Jean-Baptiste), I, <a href="#Page_12">12</a>; II, 9.<br /> -Schiller, I, <a href="#Page_242">242</a>.<br /> -Scott (Walter), I, <a href="#Page_20">20</a>; II, 39, 134.<br /> -Sébastiani (le général), I, <a href="#Page_64">64</a>, <a href="#Page_245">245</a>.<br /> -Senterre, cousin de Stendhal, I, <a href="#Page_114">114</a>, <a href="#Page_149">149</a>-<a href="#Page_152">152</a>, <a href="#Page_231">231</a>.<br /> -Shakespeare, I, <a href="#Page_287">287</a>, <a href="#Page_288">288</a>, <a href="#Page_289">289</a>; II, 8, 9, 19, 23, 24,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">53, 111, 133, 134, 138, 190.</span><br /> -Sharpe (Sutton). Voyez: Sutton Sharpe.<br /> -Sieyès (l'abbé), II, 21.<br /> -Simon (M<sup>lle</sup>), I, <a href="#Page_112">112</a>.<br /> -<span class="pagenum"><a name="Page_420" id="Page_420">[p. 420]</a></span> -Sinard (de), camarade de<br /> -Stendhal, I, <a href="#Page_25">25</a>, <a href="#Page_26">26</a>, <a href="#Page_29">29</a>, <a href="#Page_67">67</a>, <a href="#Page_256">256</a>, <a href="#Page_305">305</a>; II, 35, 36. 87.<br /> -Sixte IV, pape, I, <a href="#Page_9">9</a>.<br /> -Smith (Adam), II, 9.<br /> -Smith, physicien, I, <a href="#Page_222">222</a>.<br /> -Smolett, I, <a href="#Page_137">137</a>.<br /> -Sophocle, I, <a href="#Page_119">119</a>; II, 25.<br /> -Sorel (M. et M<sup>me</sup>). Voyez: Rosset.<br /> -Soulié, II, 4.<br /> -Soult (le maréchal), I, <a href="#Page_240">240</a>.<br /> -Suchet (le maréchal), I, <a href="#Page_244">244</a>.<br /> -Suétone, I, <a href="#Page_220">220</a>.<br /> -Sutton Sharpe, ami de Stendhal, I, <a href="#Page_258">258</a>.<br /> -<br /> -<br /> -T<br /> -<br /> -Tachinardi, I, <a href="#Page_24">24</a>.<br /> -Tacite, I, <a href="#Page_276">276</a>.<br /> -Talaru (M<sup>me</sup> de), II, 152.<br /> -Talleyrand (le prince de), I, <a href="#Page_49">49</a>.<br /> -Tasse (le), I, <a href="#Page_229">229</a>; II, 88, 89, 90.<br /> -Tavernier (Lysimaque), chancelier du consulat de<br /> -<span style="margin-left: 1em;">France à Cività-Vecchia, I, <a href="#Page_59">59</a>.</span><br /> -Teisseire, I, <a href="#Page_40">40</a>.<br /> -Teisseire (Camille), I, <a href="#Page_97">97</a>.<br /> -Teisseire (M<sup>me</sup> Camille), femme du précédent.<br /> -<span style="margin-left: 1em;">Voyez: Périer (Marine).</span><br /> -Teisseire (M<sup>me</sup>), I, <a href="#Page_34">34</a>.<br /> -Teisseire (Paul-Emile), camarade de Stendhal,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_280">280</a>-<a href="#Page_82">281</a>; II, 17, 18, 58.</span><br /> -Ternaux, II, 21.<br /> -Terrasson (l'abbé), I, <a href="#Page_190">190</a>.<br /> -Thénard, II, 9.<br /> -Thierry (Augustin), I, <a href="#Page_117">117</a>.<br /> -Thiers, I, <a href="#Page_164">164</a>; II, 152,161.<br /> -Thomas, I, 164.<br /> -Thomasset (Marie), dite Marion, servante des Gagnon,<br /> -<span style="margin-left: 1em;">I, <a href="#Page_45">45</a>, <a href="#Page_46">46</a>, <a href="#Page_50">50</a>, <a href="#Page_113">113</a>, <a href="#Page_139">139</a>, <a href="#Page_140">140</a>, <a href="#Page_149">149</a>, <a href="#Page_177">177</a>, <a href="#Page_178">178</a>, <a href="#Page_234">234</a>; II, 63, 65.</span><br /> -Thucydide, I, <a href="#Page_148">148</a>; II, 33.<br /> -Tiarini, II, 35.<br /> -Tite-Live, I, <a href="#Page_2">2</a>, <a href="#Page_146">146</a>, <a href="#Page_220">220</a>.<br /> -Toldi (M<sup>me</sup>), actrice, I, <a href="#Page_313">313</a>.<br /> -Torrigiani (le marquis), I, <a href="#Page_226">226</a>.<br /> -Tortelebeau, II, 18, 57.<br /> -Tournus, I, <a href="#Page_72">72</a>, <a href="#Page_111">111</a>.<br /> -Tourte, maître d'écriture de Pauline Beyle, I, <a href="#Page_72">72</a>, <a href="#Page_144">144</a>-<a href="#Page_145">145</a>, <a href="#Page_146">146</a>-<a href="#Page_147">147</a>, <a href="#Page_152">152</a>.<br /> -Tourte (l'abbé), frère du précédent, I, <a href="#Page_152">152</a>.<br /> -Tracy (Destutt de), I, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_27">27</a>, <a href="#Page_106">106</a>, <a href="#Page_131">131</a>, <a href="#Page_237">237</a>, <a href="#Page_239">239</a>, <a href="#Page_303">303</a>, <a href="#Page_304">304</a>;<br /> -<span style="margin-left: 1em;">II, 2, 8, 18, 24, 60, 67, 170.</span><br /> -Treillard, camarade de Stendhal, II, 46, 47, 50, 51.<br /> -Tressan (de), traducteur de l'Arioste, I, <a href="#Page_109">109</a>, <a href="#Page_153">153</a>, <a href="#Page_188">188</a>; II, 133.<br /> -Trousset, professeur à l'École centrale de Grenoble, I, <a href="#Page_238">238</a>.<br /> -Turenne (de), I, <a href="#Page_11">11</a>.<br /> -Turquin, II, 153.<br /> -<br /> -<br /> -U<br /> -<br /> -Urbain VIII, pape, I, 17.<br /> -<span class="pagenum"><a name="Page_421" id="Page_421">[p. 421]</a></span><br /> -<br /> -V<br /> -<br /> -Vasari, I, <a href="#Page_61">61</a>.<br /> -Vaucanson, I, <a href="#Page_55">55</a>.<br /> -Vaudreuil (de), II, 152.<br /> -Vaulserre (de), I, <a href="#Page_256">256</a>.<br /> -Vaulserre (M<sup>me</sup> de), femme du précédent, I, <a href="#Page_28">28</a>, <a href="#Page_55">55</a>, <a href="#Page_305">305</a>.<br /> -Vaulserre (M<sup>lle</sup> de), depuis M<sup>me</sup> de Brenier, I, <a href="#Page_48">48</a>.<br /> -Vaux (le maréchal de), I, <a href="#Page_65">65</a>-<a href="#Page_67">67</a>.<br /> -Vial (Jean), jardinier des Beyle à Claix, I, <a href="#Page_201">201</a>.<br /> -Vigano, I, <a href="#Page_213">213</a>.<br /> -Vignon (M<sup>me</sup>), amie de Séraphie Gagnon, I, <a href="#Page_138">138</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"> <a href="#Page_177">177</a>, <a href="#Page_197">197</a>, <a href="#Page_198">198</a>; II, 56.</span><br /> -Vignon (M<sup>lle</sup>), fille de la précédente, I, <a href="#Page_198">198</a>.<br /> -Villars (le duc de), II, 151.<br /> -Villèle (de), I, <a href="#Page_33">33</a>.<br /> -Villemain, I, <a href="#Page_269">269</a>; II, 20, 152, 153, 203.<br /> -Villonne, professeur de dessin à Grenoble, I, <a href="#Page_250">250</a>, <a href="#Page_253">253</a>.<br /> -Virgile, I, <a href="#Page_97">97</a>, <a href="#Page_98">98</a>, <a href="#Page_122">122</a>, <a href="#Page_229">229</a>; II, 132.<br /> -Voltaire, I, <a href="#Page_34">34</a>, <a href="#Page_97">97</a>, <a href="#Page_105">105</a>, <a href="#Page_113">113</a>, <a href="#Page_187">187</a>, <a href="#Page_190">190</a>, <a href="#Page_213">213</a>, <a href="#Page_215">215</a>,<br /> -<span style="margin-left: 1em;"><a href="#Page_227">227</a>, <a href="#Page_304">304</a>; II, 15, 16, 19, 23, 26, 33, 122, 133, 134,</span><br /> -<span style="margin-left: 1em;">137, 151, 152.</span><br /> -<br /> -<br /> -W<br /> -<br /> -Weymar (Loïs), I, <a href="#Page_233">233</a>; II, 20.<br /> -</p> - - - - - - - -<pre> - - - - - -End of Project Gutenberg's Vie de Henri Brulard, tome 1 (of 2), by Stendhal - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK VIE DE HENRI BRULARD, TOME 1 *** - -***** This file should be named 53749-h.htm or 53749-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/3/7/4/53749/ - -Produced by Laura Natal Rodriguez and Marc D'Hooghe at -Free Literature (back online soon in an extended version, -also linking to free sources for education worldwide ... -MOOC's, educational materials,...) Images generously made -available by Gallica (Bibliothèque nationale de France.) - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm -concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, -and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive -specific permission. If you do not charge anything for copies of this -eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook -for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, -performances and research. They may be modified and printed and given -away--you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks -not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the -trademark license, especially commercial redistribution. - -START: FULL LICENSE - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg-tm License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all -the terms of this agreement, you must cease using and return or -destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your -possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a -Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound -by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the -person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph -1.E.8. - -1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be -used on or associated in any way with an electronic work by people who -agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few -things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works -even without complying with the full terms of this agreement. See -paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project -Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this -agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm -electronic works. See paragraph 1.E below. - -1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the -Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection -of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual -works in the collection are in the public domain in the United -States. 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