diff options
| author | nfenwick <nfenwick@pglaf.org> | 2025-02-08 09:06:33 -0800 |
|---|---|---|
| committer | nfenwick <nfenwick@pglaf.org> | 2025-02-08 09:06:33 -0800 |
| commit | 65c3be006edffca43460bda0418611e3ad4a9773 (patch) | |
| tree | 5c07eddd94c3a988e4f84212260c1de76c19b6ac | |
| parent | d30e7cc51783fbdc5c31c65108e8dead30950b7a (diff) | |
| -rw-r--r-- | 57762-0.txt | 6443 | ||||
| -rw-r--r-- | 57762-8.txt | 6826 | ||||
| -rw-r--r-- | 57762-h/57762-h.htm | 410 |
3 files changed, 6445 insertions, 7234 deletions
diff --git a/57762-0.txt b/57762-0.txt new file mode 100644 index 0000000..a09354e --- /dev/null +++ b/57762-0.txt @@ -0,0 +1,6443 @@ +*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57762 *** + + + + + + + + + + +EDMOND ROSTAND + +LES + +MUSARDISES + +ÉDITION NOUVELLE + +1887-1893 + +PARIS + +LIBRAIRIE CHARPENTIER ET FASQUELLE + +EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR + +11, RUE DE GRENELLE, 11 + +1911 + +Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour +tous les pays. + +Copyright by E. FASQUELLE, 1911. + + + + +OUVRAGES DU MÊME AUTEUR + + + Les Musardises, _Édition nouvelle_, 1887-1893, poésies 3 50 + + Les Romanesques, comédie en 3 actes, en vers, 43e mille 3 50 + + La Princesse Lointaine, pièce en 4 actes, en vers, 44e mille 2 » + + La Samaritaine, évangile en 3 tableaux, en vers, 42e mille 3 50 + + Cyrano de Bergerac, comédie héroïque en 5 actes, en vers, + 376e mille 3 50 + + Pour la Grèce, poésie. Épuisé. + + L'Aiglon, drame en 6 actes, en vers, 271e mille 3 50 + + Un Soir à Hernani, poésie 1 » + + Discours de réception à l'Académie Française 1 » + + Chantecler, pièce en 4 actes, en vers, 150e mille 3 50 + + + + +IL A ÉTÉ TIRÉ + +_Cent exemplaires numérotés sur papier du Japon_ + + + + +AU LECTEUR + + +MUSARDISE. _s. f._ Action de celui qui musarde. + +MUSARDER, _v. n._ Perdre son temps à des riens. + +C'est là ce que tu trouveras dans le dictionnaire, Ami Lecteur. Et +là -dessus tu n'auras pas grande estime pour un volume de vers qui +s'appelle «les Musardises», c'est-à -dire les bagatelles, les +enfantillages, les riens. + +Mais pour peu que tu sois un lettré ayant connaissance des mots de ta +langue et de leur sens exact, ce titre ne sera pas pour te déplaire. +Même il t'apparaîtra comme seyant bien à un recueil de poétiques essais. + +Tu sauras que «musardise»--«musardie», comme on disait au vieux +temps,--signifie rêvasserie douce, chère flânerie, paresseuse +délectation à contempler un objet ou une idée: car l'esprit musarde +autant que les yeux, si ce n'est plus. + +Tu sauras que, suivant certaines étymologies, «musarder» veut dire avoir +le museau en l'air: ce qui est bien le fait du poète; lequel, comme on +sait, regarde tellement là -haut que souvent il trébuche et se jette dans +des trous. + +Tu sauras qu'au temps jadis les «musards» étaient de certains bateleurs +et jongleurs, provençaux d'origine, qui s'en allaient de par le monde en +récitant des vers. + +Tu ne pourras être étonné que, sous un titre qui ne semble convenir qu'à +de très légères poésies, je me sois permis quelquefois des tristesses ou +des mélancolies, puisqu'en langue wallonne «muzer» a pour sens: être +triste. + +Enfin, tu comprendras tout à fait le choix que j'ai fait de ce mot, te +souvenant que le savant Huet, évêque d'Avranches, le faisait venir du +latin _Musa_,--qui, comme on le sait, signifie: la Muse. + +E. R. + + + + +I + +LA CHAMBRE D'ÉTUDIANT + + +DÉDICACE + + Je vous aime et veux qu'on le sache, + O raillés, ô déshérités, + Vous qu'insulte le public lâche, + Vous qu'on appelle des ratés! + + Donc, à cette heure où je me lance + En pleine mêlée, où je vais + Cogner, rompre plus d'une lance, + Recevoir plus d'un coup mauvais, + + Où l'ardent désir me dévore + D'attaquer de front mes rivaux, + Sans savoir seulement encore + Ce que je suis, ce que je vaux, + + Si je suis seulement de taille + A me mêler aux combattants; + --Dans ce matin de la bataille + Où vont se ruer mes vingt ans, + + Je pense à vous, ô pauvres hères! + A vous dont peut-être, ce soir, + Je partagerai les misères, + Parmi lesquels j'irai m'asseoir; + + Et très longuement j'envisage, + Pour bien voir si j'ai le coeur fort, + Pour m'assurer de mon courage, + La tristesse de votre sort. + + Si j'étais, par le ridicule + Qu'on vous jette, mis en émoi, + Il est toujours temps qu'on recule: + Mieux me vaudrait rentrer chez moi. + + Mais non pas! car je veux la lutte. + Et votre fortune n'a rien + Qui me répugne ou me rebute. + Même je la préfère bien + + A celles, qu'on dit plus heureuses, + De ceux qu'on nommait «philistins»; + Je préfère les viandes creuses + De vos songes à leurs festins! + + Si je tombe comme vous autres, + S'il me faut vider les arçons, + Eh bien, quoi! je serai des vôtres, + N'est-il pas vrai, les bons garçons? + + A vous donc qu'on raille et qu'on hue + Et qu'on accable de mépris, + O foule innombrable, cohue + Des déclassés, des incompris! + + A vous que hanta la chimère + Du définitif, du parfait, + Et qui, pour vouloir trop bien faire, + Finalement n'avez rien fait; + + A vous qui portiez dans vos têtes + De trop beaux idéals rêvés, + A vous tous, à vous grands poètes + Aux poèmes inachevés; + + A vous dont les fainéantises + Sont pleines de si fiers projets, + Et que poursuivent les hantises + De trop magnifiques sujets; + + A vous dont la pensée énorme, + Trop large, ne pouvait entrer + Sans la briser dans une forme, + Dans un moule sans l'éventrer; + + A vous, peintres, que désespère + La toujours fuyante couleur, + Qui devant un jeu de lumière + Jetez vos pinceaux de douleur; + + Musiciens, pâles d'entendre + En vous des accords merveilleux, + Et qui, de ne pouvoir les rendre, + Avez des larmes dans les yeux; + + A vous qui, ne pouvant traduire + Les finesses que vous sentez, + Préférez ne jamais produire, + O délicats, exquis ratés! + + A vous, paresseux égoïstes, + Qui gardez vos oeuvres en vous; + A vous les vrais, les grands artistes, + A vous les emballés, les fous, + + Qui, sans entendre les sarcasmes, + Triomphez dans de pauvres soirs; + A vous dont les enthousiasmes + Gesticulent sur des trottoirs, + + Personnages funambulesques, + Laids, chevelus et grimaçants, + Pauvres dons Quichottes grotesques, + Et d'autant plus attendrissants, + + Dont la Muse est la Dulcinée, + --O chevaliers errants de l'art, + A qui la gloire destinée + Manqua peut-être par hasard! + + Étant votre ami, votre frère, + Un rêveur, un hurluberlu + Qui connaîtra votre misère + Peut-être demain,--j'ai voulu + + Vous dédier par ce poème + Les premiers vers que j'ai tentés, + Enfants perdus de la bohème, + O mes bons amis les Ratés! + +Février 1889. + + +II + +LA CHAMBRE + + Au son d'un vieux Pleyel qu'un voisin pauvre oblige + A moudre des galops, + Chaque jour je m'éveille en murmurant: «Où suis-je?» + Comme dans les mélos. + + Je sors de la féerie en mon rêve apparue, + Je sors d'une forêt... + Et j'habite un hôtel situé dans la rue + De Bourgogne, il paraît! + + C'est une rue étroite, avec peu de silence + Et beaucoup de maisons, + Dont les cris les plus gais sont: «La belle Valence!» + Et: «Les quatre saisons!» + + L'acajou de ma chambre est, ce matin, d'un style + Si Louis-Philippart, + Que de cette atmosphère ingénument hostile + Toute espérance part! + + Quelles traces, fauteuils, sur votre velours chauve + Laissèrent d'humbles dos! + O fentes du plafond! ô papier de l'alcôve! + O couleur des rideaux! + + C'est aujourd'hui jeudi. C'est le jour où Marseille + Tient ses marchés de fleurs. + C'est là que je serais, dans la tiédeur vermeille, + Au milieu des flâneurs, + + Si je n'avais voulu, pour être ce poète + Que nul ne demandait, + Risquer d'être à Paris un Daniel Eyssette + Sans Alphonse Daudet; + + Si je n'avais rêvé le vieux rêve inutile, + A tant d'autres pareil, + De me faire une place au soleil d'une ville + Qui n'a pas de soleil! + + Je n'ai pas de soleil, et j'ai toujours décembre, + Et pas encor d'amour: + Toute mon existence est comme cette chambre + Qui donne sur la cour! + + L'ami qui vient me voir, joyeux quand il arrive, + Est triste en s'en allant; + Et la foi chaque jour me semble être moins vive + Qu'il eut dans mon talent. + + Sauf qu'il y a toujours sur ma table une rose, + Dans l'âtre une souris + Qui s'occupe toujours à ronger quelque chose, + Je suis seul à Paris. + + Mais, furtif rongement, mystérieux cinname, + L'animal et la fleur + Mettent autour de moi, l'une l'odeur d'une âme, + L'autre le bruit d'un coeur. + + Je n'ose plus penser que jamais à ma tempe + Verdisse aucun laurier, + Et crois me satisfaire en trouvant sous ma lampe + Un bonheur d'ouvrier. + + Mais je vois sur la table une grande corolle, + Dans l'âtre un petit oeil; + L'un me dit: «Patience!»--et j'entends sa parole; + L'autre me dit: «Orgueil!» + + Ce sont les deux conseils dont j'ai besoin pour vivre, + L'un gris, l'autre vermeil: + Mais le second conseil est moins facile à suivre + Que le premier conseil. + + Pourtant, le bruit qui ronge et le parfum qui rêve + Me rendent quelque espoir, + Et je me sens moins seul dans l'ombre, et je me lève, + Et je ris dans le soir, + + Sûr de pouvoir toujours, malgré l'heure grisâtre, + Rire comme je ris, + Tant qu'il me restera, sur ma table et dans l'âtre, + Ma rose et ma souris. + +Paris, 1890. + + +III + +A MA LAMPE + + O vieille lampe, ô vieille amie, à ta lumière + Que de bouquins je lus, que de vers j'écrivis! + Sous ton humble abat-jour que de fois tu me vis + Veiller, quand le sommeil rougissait ma paupière! + + Lampe ventrue et basse, en cuivre bosselé, + Comme on en voit encor sur les vieilles crédences, + Tu reçus bien souvent de graves confidences: + De mes espoirs les plus secrets je t'ai parlé. + + Lampe, pendant longtemps tu fus ma seule amie; + Et, lorsque j'habitais tout là -haut, sous le toit, + Seuls m'étaient doux les soirs passés autour de toi... + Et les fiacres roulaient dans la rue endormie. + + Que de fois, accoudé sur ma table en bois blanc, + J'ai, de ta poudre d'or, construit des existences, + Et que de fois rimé, pour qui tu sais, des stances, + Penchant mon front pâli dans ton cercle tremblant! + + Et quand le petit jour rosé venait à naître, + Quand, le ciel d'un bleu vert déjà se nuançant, + L'aurore grelottait sur Paris, le passant + Te voyait clignoter encore à ma fenêtre. + + L'âge te faisait bien radoter quelquefois. + Ton mécanisme était d'une étrange faiblesse. + Il fallait te monter, te remonter sans cesse, + Et retourner ta clef sans cesse entre ses doigts. + + Mais vous baissiez, méchante! et sans que je comprisse + Pourquoi. Vous paraissiez vouloir vous amuser. + La mèche s'obstinait à se carboniser. + Et j'enrageais, croyant que c'était un caprice. + + Bien souvent j'ai maudit votre détraquement, + Et votre humeur, alors, me semblait une énigme. + Vous faisiez tout d'un coup un bruit de borborygme, + Puis vous vous éteigniez sans raison, brusquement. + + Voilà qu'au lendemain il me fallait remettre + La tâche... Et vous couvrant d'injure et de mépris, + J'allais dormir!--Pardon! maintenant j'ai compris: + Vous vous intéressiez à votre pauvre maître. + + Ne voulant pas le voir si longtemps se pencher + Pour écrire ou pour lire, un doigt contre la tempe, + Vous cessiez de brûler... Et c'était, bonne lampe, + Votre manière à vous de m'envoyer coucher. + + +IV + +A LA MÊME + +EN LA COIFFANT DE SON ABAT-JOUR + + Car, sans lui, tu n'es rien, puisque, sans lui, tu laisses + Divaguer ta clarté: + Elle est ton âme souple aux trop blondes mollesses; + Il est ta volonté. + + Et je te coiffe donc de l'abat-jour sévère. + Il n'a pas de feston; + Mais on voit s'élargir en cône de lumière + Son cône de carton. + + C'est lui qui, sur la table, avec ta clarté d'ambre, + Forme un cercle dans quoi + Tous les rêves flottant aux ombres de la chambre + Sont convoqués par moi. + + Autour de la paroi transparente du cône, + Plus d'un monstre hagard + Vient tourner, attiré par le beau piège jaune, + Le flaire, et puis repart. + + Mais, franchissant le cercle où l'on voit luire, au centre, + Le cuivre de ton pied, + Plus d'un autre, saisi dans le moment qu'il entre, + Tombe sur le papier. + + C'est là qu'ils tomberont, autour du pied de cuivre, + Tous ces rêves, en rond! + Et c'est, quand on voudra les obliger à vivre, + Là qu'ils résisteront! + + Car c'est sous l'abat-jour que se dore et se crée, + Tremble et se circonscrit, + Le champ mystérieux d'une lutte sacrée + Sans armes et sans cri. + + Allons, lampe, venez! que d'un sage couvercle + On rabatte vos feux; + Et que sur cette table apparaisse le cercle + Humblement merveilleux! + + Le cercle se dessine. Attendons que tout dorme; + Puis, forçons, quand tout dort, + La pensée à venir se battre avec la forme + Dans cette arène d'or. + + C'est pour cela qu'on vit, pour amener, de l'ombre + Dans ce rond de lueur, + Des rêves... deux ou trois... on ne sait pas le nombre... + C'est pour cela qu'on meurt. + + Les couronnes ne sont, que semble, sur les tempes, + Un dieu brusque apporter, + Que ce qui, du halo quotidien des lampes, + A fini par rester. + +1890. + + +V + +LE DIVAN + + Quand on est couché sur le divan bas + Devant la fenêtre, + C'est délicieux, car on ne sait pas + Où l'on peut bien être. + + Mollement couché, des coussins au dos, + On goûte une joie: + On ne voit plus rien, entre les rideaux, + Que le ciel de soie! + + Ni sordides murs, ni toits, ni sommet + D'arbre de décembre! + Mais on revoit tout sitôt qu'on se met + Debout dans la chambre! + + Dès qu'on est debout, on revoit la cour + De zinc et d'asphalte, + Tout ce qui, soudain, quand le rêve court, + Vient lui dire: «Halte!» + + L'envers des maisons, luxe à prix réduit, + Gaz et tuyautages, + Et l'affreux vitrail qui se reproduit + A tous les étages! + + Dès qu'on est debout, on voit brusquement + Tout ça reparaître. + On s'étend: plus rien que du firmament + Dans une fenêtre! + + C'est pourquoi, souvent, quand je me sens las + De vulgaire vie, + Durant tout un jour, sur le divan bas, + Je rêve et j'oublie. + + Et j'aime rester immobile sur + Le vieux divan rouge, + Sachant qu'on détruit le carré d'azur + Aussitôt qu'on bouge. + + Et je n'aperçois que du bleu, du bleu, + Du bleu dans la baie; + Le soleil y vient, une heure, au milieu, + Faire sa flambée; + + Puis, le carré bleu pâlit vers le soir, + Prend un vert turquoise; + Puis il s'assombrit, devient presque noir: + C'est comme une ardoise. + + Et de signes clairs partout la criblant, + L'invisible craie + Vient couvrir alors d'algèbre tremblant + L'ardoise sacrée! + + Oh! ne pas bouger! ne pas faire un pas + Vers cette fenêtre! + Croire que la cour affreuse n'est pas + Et ne peut pas être! + + Oh! dire au tableau: «Je ne te permets + Que ce qui s'étoile!» + Se placer toujours pour ne voir jamais + Le bas de la toile! + + Ce serait trop beau!--Ne pas lire tout, + Choisir dans le livre!-- + Mais on ne peut pas! Sans être debout, + On ne peut pas vivre! + + Ce qu'il faut pouvoir, ce qu'il faut savoir, + C'est garder son rêve; + C'est se faire un ciel qu'on puisse encor voir + Lorsque l'on se lève; + + C'est avoir des yeux qui, voyant le laid, + Voient le beau quand même; + C'est savoir rester, parmi ce qu'on hait, + Avec ce qu'on aime! + + Ce qu'il faut, c'est voir, au-dessus d'un toit, + D'une cheminée, + Au-dessus de moi, au-dessus de toi, + D'une humble journée, + + D'un coin de Paris,--c'est cela qu'il faut, + Car c'est difficile!-- + Un ciel aussi pur, un ciel aussi haut + Qu'un ciel de Sicile! + + +VI + +LA FENÊTRE + +OU + +LE BAL DES ATOMES + + Un rayon d'or qui se faufile + Aux interstices des volets + Fait danser une longue file + De petits atomes follets. + + C'est une poussière vivante + Qui monte, monte incessamment, + Puis redescend, toujours mouvante, + Dans un éternel tournoiement. + + Elle tourbillonne et s'envole + Comme un peuple de moucherons; + Au soleil elle farandole + Et fait des fugues et des ronds; + + Et tels d'imperceptibles gnomes, + De microscopiques lutins, + Ils valsent, les petits atomes, + Dans les rayons d'or des matins! + + Sans cesse, dans cette traînée + De clair soleil éblouissant, + Leur troupe folle est entraînée, + Elle remonte et redescend. + + Ils dansent, dans l'or de la bande + Qui tombe, oblique, des volets, + Une furtive sarabande + Et de silencieux ballets. + + Qu'ont-ils donc à danser si vite + Sur ce pont d'Avignon vermeil? + Sentent-ils qu'il faut qu'on profite + D'un bal que donne le soleil? + + D'où vient-elle cette poussière? + Ces atomes n'existent-ils + Que dans les filets de lumière + Qu'ils peuplent de leurs grains subtils? + + Non. Leur montante farandole, + Que l'on distingue seulement + Dans la clarté qui les isole, + Fait partout son fourmillement; + + Et tout autour de nous, dans l'ombre, + Ces riens, sans que nous le croyions, + Voltigent en aussi grand nombre + Que là , dans l'or de ces rayons. + + Ils vont, viennent. Mais d'habitude + On ne peut les apercevoir. + L'air s'emplit de leur multitude: + On les respire sans les voir. + + Leur existence qu'on ignore + Ne se révèle brusquement + Que lorsqu'un rai de soleil dore + Leur humble poussière, en passant! + + Et je pense à ces pauvres diables + Qui s'agitent autour de vous, + A tous ces rêveurs misérables, + A tous ces admirables fous! + + Ils sont là , dans l'ombre, qui riment, + Qui peinent sur leurs oeuvres,--mais + C'est pour eux seulement qu'ils triment... + Et vous ne les voyez jamais! + + Vous ne savez pas l'existence + De tous ces humbles faiseurs d'art + A qui manque la circonstance; + Mais lorsque, par un pur hasard, + + La lueur de gloire est tombée + Sur un petit groupe d'entre eux, + Vous les admirez bouche bée + Ceux-là qui furent plus heureux! + + Car ils sont comme la poussière + Des petits atomes danseurs + Qu'on ne voit que dans la lumière, + Les poètes et les penseurs! + + Le rayon faufilé dans l'ombre, + Dans lequel, seul, on peut les voir, + Est trop étroit pour leur grand nombre, + Et beaucoup restent dans le noir. + + Dans cette clarté d'auréole + Tous voudraient bien un peu venir. + Hélas! et leur désir s'affole + De n'y pouvoir pas tous tenir; + + Ils y voudraient vite leur place, + Car bientôt ils seront défunts... + Mais la gloire, la gloire passe, + Et n'en dore que quelques-uns! + +1888. + + +VII + +CHARIVARI A LA LUNE + + O Lune, tu souris. Je crois bien que les doutes + Où tu nous vois toujours errant + T'ont donné ce sourire. En vain tu le veloutes. + Ce sourire est exaspérant. + + Je sens que les tourments d'une race inquiète + Te servent de distraction. + Ça t'amuse de voir hésiter un poète + Entre le rêve et l'action. + + Je sens que voir entrer nos pas dans une voie + Pour en ressortir aussitôt + Est la chose qui fait s'écarquiller ta joie, + Silencieusement, là -haut. + + Tu souris, car tu vois la scène et la coulisse; + Et quand ta douceur fait semblant + De vouloir consoler, ce n'est qu'une malice + Cousue avec un rayon blanc. + + Oui, quand, les soirs d'été, nous cueillons un peu l'heure, + Heureux au clair de lune, enfin! + Tu n'apportes jamais qu'une paix qui nous leurre + Dans tes corbeilles d'argent fin. + + Face de Pierrot grave ou de gai Monsignore, + Pourquoi sourire? Est-ce que c'est + Parce que tu connais ce que la Terre ignore? + Sais-tu? Ne sais-tu pas? Qui sait? + + Souris-tu pour cacher des fiertés socratiques, + Ou des doutes à la Pyrrhon? + Quel genre d'ironie est-ce que tu pratiques, + Profil mince ou visage rond? + + Sont-ce jeux de docteur qui sourit en Sorbonne + De ce qu'il sait qu'il ne sait rien? + Parfois n'a-t-elle pas, ta nonchalance bonne, + Quelque chose de renanien? + + Quand tu fais de la grâce exacte ou fantômale + Au-dessus de notre bateau, + Ton sourire vient-il de l'École Normale, + Ou d'une fête de Watteau? + + Si tu le sais, pourquoi ne pas faire connaître + Le mot qui tire d'embarras? + Mais puisque je te tiens, ce soir, dans ma fenêtre, + Je jure que tu parleras! + + Tu souriais tantôt quand la nuit trop superbe + M'a fait pleurer. Tu as souri? + Eh bien! je vais, frappant sur les cuivres du verbe, + Te donner un charivari! + + Je ferai tant de bruit avec les métaphores, + Je t'assourdirai tellement + D'interpellations rapides et sonores, + Que, lasse au fond du firmament, + + Pour obtenir la paix, pour m'entendre me taire, + Tu répondras et tu diras + Si tu n'as promené là -haut que le mystère + D'un domino de Mardi-Gras! + + Et j'aurai, pour user ce flegme ostentatoire + Avec lequel tu te défends, + Cette ténacité dans l'interrogatoire + Qu'ont les juges et les enfants; + + Et sans me laisser prendre à la froideur commode + De tes impassibilités, + Je lèverai sans fin le marteau de mon ode, + Et, frappant à coup répétés, + + Frappant, comme ces clous à crochet qu'on enfonce, + Le point d'interrogation, + Tant que je n'aurai pas obtenu la réponse, + Je poserai la question. + + * * * * * + + Pour voguer sur ton eau + Quel monarque fantasque + T'a fait creuser là -haut + Dans du porphyre, Vasque? + + Au bout de quel fétu + De souffleur noctambule + T'arc-en-cielises-tu + Dans l'air bleuâtre, Bulle? + + Exigeant d'un mortel + Une adresse impossible, + Pour quel Guillaume Tell + Sors-tu de l'ombre, Cible? + + Au-dessus des coteaux + Qui sont barbus d'éteule, + Quels sont les bleus couteaux + Que tu repasses, Meule? + + Quand, partant pour ailleurs, + Au voyage on se risque, + Quel est, des aiguilleurs, + Celui qui t'ouvre, Disque? + + Quel est, dans ta blancheur + De banquise immobile, + L'invisible pêcheur + Qui peut t'aborder, Ile? + + Lorsque glisse en rêvant + Ta forme d'or qui s'arque + De l'arrière à l'avant, + Quelle est ta voile, Barque? + + Quand mincit au lointain + Ton bombement de toile + Lumineux et latin, + Quelle est ta barque, Voile? + + Sur l'espalier du soir + Quel jardinier t'empêche + De mûrir pour pouvoir + Te garder blanche, Pêche? + + Sur les lignes de l'air, + Portée où l'ombre flotte, + Quel est-il, le Wagner + Qui put t'inscrire, Note? + + Es-tu la drachme, ou l'as, + Et, ton effigie, est-ce + Celle d'une Pallas + Ou d'un Auguste, Pièce? + + Lorsqu'on voit s'assembler + Les nuages en groupe, + Qui te fait circuler + De l'un à l'autre, Coupe? + + Pour que sorte un jardin + De la brume qui rampe, + Quel sublime Aladin + Frotte ton cuivre, Lampe? + + L'été comme l'hiver, + Quand ton cadran se montre, + Quel est le Gulliver + Qui te remonte, Montre? + + Quel est l'officiant + Qui, pâle, t'a sortie + D'un ciboire effrayant, + Et qui t'élève, Hostie? + + Quelle vague, quel flot + Dont la crête scintille + Put monter assez haut + Pour te laisser, Coquille? + + Quel vieux séditieux + Dont le cerveau retarde, + Blanche, au feutre des dieux, + Vint t'arborer, Cocarde? + + Quel montreur, affublant + L'ombre d'un drap tragique, + Te projette, Rond blanc + De lanterne magique? + + Loupe au cristal puissant, + Quel savant gigantesque + Par toi nous grossissant + Arrive à nous voir presque? + + Fer à cheval d'acier, + Quel maréchal t'embrase + Pour marescalcier + Bucéphale ou Pégase? + + Pour que nous n'en ayons + Jamais le goût aux lèvres, + Qui met sur des clayons + Ce fromage de chèvres? + + Quel est le noir jaloux + Qui, sultan jusqu'aux moelles, + T'a placé, Piège à loups, + Dans son sérail d'étoiles? + + Quand tu scintilles, nu, + Au crépuscule fourbe, + De quel crime inconnu + Reviens-tu, poignard courbe? + + Hamac, quel négligent, + T'accrochant à deux astres, + Dort dans ton arc d'argent, + Bercé sur nos désastres? + + Pour que passe un rayon, + Quel brave machiniste + Ouvre ce trappillon + Sur notre monde triste? + + Au fond du ciel léger + Pétase de lumière, + Quel est le Grand Berger + Qui te porte en arrière? + + Toi qui mets sur l'azur + Ta nacre de Byzance, + Es-tu d'un Être obscur + Le jeton de présence? + + En encre de clarté, + D'une plume de cygne, + Quel dieu te fait, Pâté, + Sur le ciel, quand il signe? + + Alourdis-tu--terreur + Qui surplombe ou qui tombe!-- + Globe, un poing d'empereur? + Ou d'anarchiste, Bombe? + + Buire, quel Cellini + Galbe ton métal rose? + Quel est, Point sur un I, + Le Musset qui te pose? + + Te maniant encor, + Là -haut, mieux que personne, + Quel est, Faucille d'or, + Le Hugo qui moissonne? + + Quel clown, frappant du pied, + Va bondir de la Ville, + Cerceau, dans ton papier, + Pour imiter Banville? + + A quel char de sommeil + Dors-tu, Roue enrayée? + Cymbale de vermeil, + Qui t'a dépareillée? + + Quelle fut--le sait-on? + O Tête d'Holopherne, + Ta Judith? Quel est ton + Diogène, Lanterne? + + Ex-voto, pour quel voeu + Pends-tu sur la nuit noire? + Quel Roland du Mont Bleu + T'embouche, Cor d'ivoire? + + Quel émir, Bouclier, + Te suspend à sa selle? + A quoi va se lier, + Cerf-Volant, ta ficelle? + + Quels sont tes poids, Plateau + De balance romaine? + En mangeant ce gâteau + Quel enfant se promène? + + Quel chiffre est ciselé + Sur cette tabatière? + Quel chat noir a filé + Par ton trou blanc, Chatière? + + Quel garde assermenté + T'a sur sa blouse, Plaque? + Quelle Tasse de thé + Sert-on sur du vieux laque? + + Grand Bouton de Cristal, + Quel mandarin te porte? + Poignée en clair métal, + Ouvres-tu quelque porte? + + Fermoir étincelant, + Fermes-tu quelque tome? + Hublot, tu luis au flanc + De quel Vaisseau Fantôme? + + Quel Coq, _escam quærens_, + Perle, du bec te pousse? + Palette, quel Rubens + Passe dans toi le pouce? + + De cette Opale, au loin, + Quel turban s'agrémente? + Qui te grignote un coin, + O Pastille de menthe? + + Qui va, dans les «ha! ha!» + Te décrocher, Timbale? + Quelle Nausicaa + Te perd dans le ciel, Balle? + + Dans quel moule arrondi + Est-ce que l'on t'arrange, + Tarte? De quel midi + Peux-tu bien être, Orange? + + De quel verre, Sorbet? + De quelle jatte, Crème? + O, de quel alphabet? + Zéro, de quel problème? + + De quel pré, Champignon? + Visière, de quel Casque? + Pont, de quel Avignon? + Tambourin, de quel Basque? + + Qui donc, Veilleuse, dort? + Quel est ton hiver, Neige? + Cirque, ton picador? + Ton écuyer, Manège? + + Quel Hercule a jeté + Ce Peloton de laine? + Fleur, quel est ton été? + Ton Sèvres, Porcelaine? + + Faïence, ton Nevers? + Prunelle, ton Cyclope? + Médaille, ton revers? + Cachet, ton enveloppe? + + Ton portrait, Médaillon? + Diamant, ton satrape? + Grelot, ton postillon? + Grain de raisin, ta grappe? + + Ton Versaille, OEil-de-Boeuf? + OEil de tigre, ta jongle? + Ton bilboquet, Boule? OEuf, + Ton nid? Arc, ta flèche? Ongle, + + Ton doigt? Lotus, ton lac? + Ton lait, Bol? Ton puits, Cruche? + Fruit, ta branche? Or, ton sac? + Pain, ton blé? Miel, ta ruche? + + * * * * * + + Je m'arrête, essoufflé... Mais je sens qu'elle va + Parler! que cette voix va tinter, qu'on rêva + D'argent! que cette voix d'argent va me répondre! + Que la Lune a senti sa patience fondre, + Et qu'elle va répondre!... Et j'attends, haletant, + Qu'elle tinte le mot de l'énigme; et, tintant + Comme un timbre, en effet, tinterait dans la nue, + La Lune me répond froidement: + + «Continue!» + + +VIII + +LE VIEUX PION + + ... Le voyans au dehors, et l'estimans par l'extérieure apparence, + n'en eûssiez donné un coupeau d'oignon, tant laid il était de corps et + ridicule en son maintien... Mais ouvrant cette boîte eûssiez au dedans + trouvé une céleste et impréciable drogue... + + RABELAIS. + + Vieux pion qu'on raillait, ô si doux philosophe + Aux coudes rapiécés, pauvre être marmiteux + Dont l'étroit paletot, d'une luisante étoffe, + Disait un long passé d'hivers calamiteux, + + Je te revois. Ton crâne avait une houppette, + Une seule, au milieu, de poils,--et tu louchais. + Et longuement, avec un fracas de trompette, + Dans un mouchoir à grands carreaux tu te mouchais. + + Je te revois, dans le préau, sous les arcades, + Grave, déambuler, et j'ai la vision + De ton accoutrement pendant ces promenades + Où tu marchais au flanc de ma division; + + De ta longue, oh! si longue et noire redingote, + Dans laquelle plus d'un avait déjà sué; + De ton chapeau gibus bon pour mettre à la hotte, + Si fantastiquement bleuâtre et bossué! + + Ton haleine odorait le vin et la bouffarde, + Et, quand tu paraissais à l'étude du soir, + Souvent ton nez flambait dans ta face blafarde, + Et c'est en titubant que tu venais t'asseoir. + + Pochard mélancolique au crâne vénérable, + Parfois tu t'éveillais, quand tu cuvais ton vin, + Et, frappant un grand coup de règle sur la table, + Tu glapissais: «Messieurs, silence!...» Mais en vain. + + Ou plutôt, tu dormais, sans souci des boulettes + Qu'on mâchait longuement pour t'envoyer au nez. + Et ton étude alors marchait sur des roulettes... + Plus de punitions ni de pensums donnés! + + On t'avait surnommé Pif-Luisant. Les élèves + Charbonnaient ton profil grotesque sur le mur. + Mais tu marchais toujours égaré dans tes rêves. + Tu ne souffrais de rien. Tu vivais dans l'azur. + + Car tu faisais des vers. Tu rimais un poème! + A nul autre que moi tu ne l'as avoué. + --Comment donc avais-tu, lamentable bohème, + Au fond de ce collège, en province, échoué? + + Pif-Luisant, je t'aimais. Quelquefois je suis triste + En repensant à toi. Qu'es-tu donc devenu? + C'est toi qui m'as prédit que je serais artiste, + Et c'est toi le premier rimeur que j'ai connu. + + Un jour, ayant trouvé des vers dans mon pupitre, + Tu fus pris d'une joie attendrie, et je vis + Comme un rayonnement sur ta face de pitre, + Et tu me contemplais avec des yeux ravis! + + Dès ce jour, tu m'aimas. Et tandis que les autres + Jouaient en criaillant aux barres, nous causions. + Les conversations exquises que les nôtres! + Parfois tu m'expliquais un peu mes versions. + + Je crois que si j'ai fait vraiment ma rhétorique, + C'est sous les marronniers, en t'écoutant parler. + Tu commentais, dans ton langage poétique, + Homère,--et je voyais la grande mer s'enfler, + + Les galères en ligne avec leurs belles proues, + Et les cnémides d'or des Grecs étincelants, + Et je voyais passer, le rose sur les joues, + La merveille de grâce, Hélène, à pas très lents! + + Quelquefois tu prenais Virgile, ou bien Tibulle: + J'entendais, sous les verts feuillages, les pipeaux, + Les clochettes dont la chanson tintinnabule + Dans les lointains du soir, quand rentrent les troupeaux. + + Et puis, c'était Ovide et ses métamorphoses, + Cycnus qui, duveté de neige, est fait oiseau, + Daphné qui fuit, montrant ses talons nus et roses, + Syringe qui se change en flexible roseau, + + En roseau chuchoteur et qui devient lui-même + Une flûte à six trous entre les doigts de Pan, + Io, génisse blanche et que Jupiter aime, + Les yeux d'Argus semés sur les plumes du paon! + + Merci, vieux, qui, plus jeune encor, malgré ton asthme, + Que le gandin pédant dont nous suivions les cours, + Fus l'éveilleur de mon premier enthousiasme, + Me refaisant la classe, en plein air, dans les cours! + + Merci, toi qui me mis de beaux rêves en tête, + Toi dont la main furtive, au dortoir, me glissait + Les livres défendus de plus d'un grand poète, + O toi qui m'as fait lire en cachette Musset! + + Souvent, le professeur, corrigeant ma copie, + Dans un discours français trouvait, en suffoquant, + Quelque insulte à Boileau qui lui semblait impie, + Quelque néologisme horriblement choquant; + + Il pâlissait de mon audace épouvantable, + Comme s'il s'attendait à voir crouler le toit... + Mais il ne s'est jamais douté que le coupable, + Mon affreux corrupteur, Pif-Luisant, c'était toi! + + Oui, si je fus poussé vers quelque plus moderne + Irrégularité, celui qui me poussa + Fut ce pion crasseux qu'on traitait de baderne. + Diogène poussif et Silène poussah! + + O bohème déchu dont le sort fut si rude, + Es-tu du grand sommeil sous la terre endormi, + Ou bien fais-tu toujours, là -bas, ta triste étude, + Et liras-tu ces vers de ton petit ami? + + Grand poète incompris, ivrogne de génie, + Toi qui me prédisais un si bel avenir, + Tu fus mon maître vrai. Loin que je te renie, + Aujourd'hui j'ai voulu chanter ton souvenir. + + Et si la mort t'a pris, ce qui vaut mieux peut-être, + Car tu ne souffres plus ni faim, ni froid cuisant, + Dors tranquille, mon vieux, repose-toi, pauvre être, + Toi que j'ai tant aimé... doux pochard... Pif-Luisant! + +1889. + + +IX + +LES SONGE-CREUX + + Nous sommes de bien douces gens + Qui ne faisons mal à personne, + Contents de peu, point exigeants, + Heureux d'une rime qui sonne, + Heureux d'un beau vers entendu, + D'une ballade commencée, + D'une chimère caressée, + D'un penser finement rendu. + De bon sens peut-être indigents, + Détestant tout ce qui raisonne, + Nous sommes de bien douces gens + Qui ne faisons mal à personne! + + Qu'on laisse aux pauvres songe-creux, + Aux rimeurs, aux penseurs étiques, + Les choses qui les font heureux, + Leurs rêves et leurs esthétiques! + Laissez-nous poursuivre à l'écart + Notre amoureuse musardise; + Pour tout ce qui n'est pas de l'art + Nous sommes pleins de balourdise; + Nous sommes inintelligents + Hors de nos vers... + Qu'on nous pardonne, + Nous sommes de bien douces gens + Qui ne faisons mal à personne! + + Sans savoir compter jusqu'à trois + Nous nous en allons dans la vie; + Nous sommes des esprits étroits + Qui n'avons qu'une seule envie. + Et nous fuyons dans nos jardins + Les contacts blessants du vulgaire, + Lui rendant dédains pour dédains... + Mais ne lui cherchant pas la guerre! + Aussi, daignez être indulgents + Au songe-creux qui déraisonne... + Nous sommes de bien douces gens + Qui ne faisons mal à personne! + +Février 1888. + + +X + +LA FORÊT + + La Nature, par qui souvent nous sommes tristes, + Nous tous qui l'adorons, les rêveurs, les artistes, + --Tandis que jour et nuit nous nous évertuons + A vouloir l'exprimer, et que nous nous tuons + Au labeur de fixer son image impossible, + Nous regarde souffrir et demeure impassible. + + Donc, j'étais amoureux de la grande forêt. + Son sauvage parfum fort et doux m'enivrait; + Il me fallait ses chants d'oiseaux et ses murmures; + Et, la nuit, je rêvais d'elle, de ses ramures, + Des bouquets nuptiaux que font ses aubépins, + De ses fourrés touffus et peuplés de lapins + Dont on voit brusquement fuir les petits derrières, + Des morceaux de ciel bleu plafonnant ses clairières... + Je l'aimais. Cet amour m'avait pris tout entier + Le jour que j'avais fait un pas dans le sentier + Qui la traverse toute en partant de l'orée. + Je l'avais aussitôt follement adorée. + On y voyait fleurir de grandes, grandes fleurs! + On y sentait un tas de si bonnes odeurs! + Et, le soir, quand chantaient les brises étouffées, + Des endroits noirs semblaient habités par les fées! + On avait peur. Enfin ma tête s'égarait... + Et j'étais amoureux de la grande forêt! + Mais amoureux vraiment, amoureux de ses sources, + De ses ruisseaux croisant dans l'ombre mille courses, + De ses mousses, de ses insectes voltigeant, + De ses feuillages verts, bleu foncé, gris d'argent, + Des enchevêtrements épineux de ses haies, + De ses mûrons, de ses framboises, de ses baies, + De sa mystérieuse et solennelle paix; + Puis aussi de ses coins dans les taillis épais, + De ses coins retirés qui semblent des alcôves + Avec des lits fleuris de petites fleurs mauves! + + Et j'aimais les sentiers même où l'on a des peurs + Quand les bras sarmenteux des arbustes grimpeurs + Viennent en s'étirant vous accrocher la manche, + Où l'on se croit suivi soudain quand une branche + Vous fait, malicieuse, un brusque frôlement, + Et vient vous chatouiller dans le cou, drôlement! + + J'aimais cette forêt. + + Bien souvent le poète + S'éprend ainsi, se met une folie en tête + Dont il souffre beaucoup, mais qui dure fort peu + Lorsqu'il la satisfait pleinement, lorsqu'il peut + Posséder cette idée ou cet objet qu'il aime, + Et lui faire un enfant, c'est-à -dire un poème. + C'est ainsi que j'aimais. Je mourais du désir + De prendre la forêt dans mes vers, de saisir + Son charme, son parfum, son silence, et de rendre + L'émoi dont m'emplissaient un feuillage vert tendre, + Une source, un recoin moussu, quelque oiselet + Qui le long du sentier, par terre, sautelait, + Un rayon qui glissait dans le feuillage sombre, + Et la fraîcheur exquise, et le murmure, et l'ombre... + Je mourais du désir d'exprimer tout cela! + + C'est pourquoi je me dis: «Je serai toujours là + Dans la forêt, notant le moindre frisson d'aile. + Je viendrai chaque jour me remplir les yeux d'elle, + Tâcher de lui voler de sa beauté, m'asseoir + Sur le même arbre mort, s'il le faut, chaque soir, + Tant que je n'aurai pas bien traduit son mystère + Et cette forte odeur de feuillage et de terre + Qu'elle sent. Je veux bien me priver de sommeil: + Mais je la surprendrai, la gueuse, à son réveil, + Pour bien voir quelles sont à l'aurore ses teintes, + De quel vert plus brillant ses feuilles sont repeintes, + Et comment la rosée à leur bout vient perler, + Et comment tous les plus vieux arbres font trembler, + Dans l'azur matinal, des cimes toutes roses!» + + Oui, mon rêve, c'était de traduire ces choses, + Mais malgré mes efforts je ne le pus jamais! + Je ne possédai pas la forêt que j'aimais! + Et mon amour devint alors de la souffrance. + Je fus pris tout d'un coup d'une désespérance + Affreuse. Et comme, un jour, pour la dernière fois, + Assis dans la fraîcheur exquise d'un sous-bois, + Je voulais découvrir les mots exacts pour dire + L'églantier qui fleurit, la brise qui soupire, + Le mystère si calme et frais du clair-obscur, + Les petits airs penchés des clochettes d'azur + Qui se livrent, sans doute, à quelque babillage, + Et les sourires bleus du ciel dans le feuillage, + Le soleil qui parfois en rais semble pleuvoir, + Je me mis à pleurer de ne pas le pouvoir! + J'étais vaincu, brisé! Soudain, tout mon courage + S'en allait! Je pleurais d'impuissance et de rage! + Je pleurais, suffoqué de douleur, étouffant + D'un de ces gros chagrins de poète et d'enfant! + Et les branches étaient doucement frémissantes, + Et jamais les oiseaux cheminant dans les sentes + N'avaient été plus gais, les merles plus siffleurs. + Au-dessus de mon front passaient des vols ronfleurs + D'abeilles, de frelons... J'étais couché dans l'herbe: + Et je la sentais douce, odorante. Et, superbe, + Sans savoir que pour elle un homme sanglotait, + La forêt verdoyait, fleurissait et chantait! + + La Nature est toujours la grande indifférente; + De tous les maux humains elle reste ignorante. + Souvent les malheureux l'ont maudite, en voyant + Qu'elle les regardait en ne s'apitoyant + Jamais, et que devant leurs souffrances cruelles + Ses fleurs gardaient leur joie et fleurissaient plus belles, + Et qu'elle n'était rien qu'un merveilleux décor! + Mais, pour nous qui l'aimons, c'est bien plus dur encor, + Pour nous, ses amoureux, les peintres, les poètes, + Puisque enfin nos douleurs par elle nous sont faites! + C'est de son seul amour que l'artiste est martyr. + Ne peut-elle donc pas à ses maux compatir, + La toujours insensible et sereine Nature, + Ou paraître savoir tout au moins sa torture? + + Mais non!--Et si jadis, forêt, grande forêt, + Si, dans son désespoir, celui qui t'adorait + Était allé se pendre, un soir, à quelque branche, + Cela n'aurait pas fait faner une pervenche, + S'attrister un iris, pleurer un chèvrefeuil! + Tes roses d'églantiers n'auraient pas pris le deuil + De leur pauvre amoureux, en fermant leurs pétales! + Calmes auraient souri tes hautes digitales! + Tes oiseaux n'auraient pas éloigné leurs ébats + Et n'auraient pas jasé ni chansonné plus bas + En voyant balancer ma longue forme brune! + Et quand un ironique et blanc rayon de lune + M'aurait comme vêtu du linceul des défunts, + Ta brise aux chauds soupirs, ta brise aux doux parfums + N'aurait pas tu son bruit de harpe qu'on accorde, + Et des liserons bleus auraient fleuri ma corde! + +Bellevue, 1888. + + +XI + +OÙ L'ON RETROUVE PIF-LUISANT + + Il bouquinait un vieux Hugo de chez Hetzel + Au seuil d'une taverne. Étant de cette race + Qui déjeune d'un bock et dîne d'un bretzel, + Il m'apparut bien maigre à cette humble terrasse. + + Alors, je l'emmenai dans le soir. Il parlait. + Le profond Luxembourg nous ouvrit ses quinconces. + Je crois l'entendre encor dans le soir violet + Maudire l'esthétisme et les Muses absconses. + + Je crois le voir encor s'arrêter.--«_Mille dious!_» + Dit-il au promeneur surpris qu'on l'interpelle, + «Notre premier devoir est de chanter pour tous! + Foin d'un art compliqué pour petite chapelle! + + «Quand l'importance du cheveu que vous sciez + En huit, mes bons seigneurs, n'est pas très bien saisie, + Pourquoi vous figurer que des initiés + Peuvent seuls s'ingérer d'aimer la Poésie? + + «Certe, il faut fuir les lourds et stupides moqueurs, + Mais craindre, quand on veut écarter le vulgaire, + D'y confondre certains qui n'en sont pas, les coeurs + Qui sentent grandement, s'ils ne comprennent guère. + + «Aimez ces dédaignés et ces silencieux + Qui, les vers déclamés, n'en disent rien de juste, + Mais à qui l'on surprend des larmes dans les yeux, + Tant ils ont bien senti passer le vol auguste! + + «Aimez ces ignorants de vos jeux, de leur prix, + Et leur simplicité quelquefois justicière; + Et songez qu'après tout ce qu'ils n'ont pas compris + Ce n'était, bien souvent, que tours de gibecière, + + «Ah! ne préférez pas ces soi-disant experts + Qui pèsent au carat les beautés précieuses + A ces âmes qui pour répercuter les vers + Ont la sonorité des âmes spacieuses!» + + +XII + +OÙ L'ON PERD PIF-LUISANT + + J'allais souvent le voir tandis qu'il se mourait. + + C'était à mi-chemin du ciel qu'il demeurait, + Dessous les toits, et dans une affreuse mansarde + Aux murs blanchis, au noir plafond qui se lézarde. + J'allais souvent le voir, et nous causions longtemps, + Et ses doigts amaigris étaient plus tremblotants + Chaque jour, et sa lèvre était plus violette. + + * * * * * + + Il me disait: + + «Surtout, ne sois jamais poète. + Les vers, mon pauvre ami, c'est ce qui m'a perdu. + Tu le vois, je suis vieux, exténué, rendu + Avant l'âge, car j'ai voulu faire ce rêve. + La lutte m'a brisé. Non, la vie est trop brève: + Pourquoi passer son temps à batailler, pourquoi + Ne pas vivre en son coin, sage, et se tenant coi? + Le bonheur régulier, crois-moi, la vie intime, + Le foyer, une femme et des enfants, l'estime + De son quartier. Surtout, ne fais jamais de vers! + N'en fais jamais! Si c'est un innocent travers, + S'il te plaît, comme on dit, de courtiser la Muse, + Quelquefois, au dessert, en bourgeois qui s'amuse, + Tu le peux, et c'est sans danger. + + «Mais si, le soir, + Quand la lune sourit, tu rêves de t'asseoir + Sur le vieux banc de pierre au fond du parc, d'entendre + La chanson de la brise, et si tu vas t'étendre + Par les matins d'été, dans l'herbe, sur le dos, + En regardant le ciel avec des yeux mi-clos, + Si le rythme t'émeut, si ton être tressaille + Quand s'envole une strophe, et si ton coeur défaille + Quand un ami te lit des vers à haute voix, + Si le désir te prend, devant ce que tu vois, + De l'exprimer avec une forme parfaite, + Si tu sens vaguement s'agiter un poète + En toi, n'hésite pas! étouffe dans ton coeur + Ce serpent! Il y va, crois-moi, de ton bonheur... + Et le bonheur vaut seul vraiment qu'on s'en occupe. + Le métier de poète est un métier de dupe. + Ah! mon expérience est amère! Longtemps, + J'ai subi les dédains, les affronts irritants + Des sots; j'ai combattu pour l'art, plein d'énergie! + Je marchais, ébloui toujours par la magie + De mon rêve, mes yeux de fou perdus au ciel! + Je ne souffrais de rien. J'étais même sans fiel + Pour ceux qui me raillaient. J'étais le doux bohème + Inoffensif; j'allais, en penaillons, tout blême, + Et nourri seulement des viandes de l'esprit; + Sans me mettre en souci du vulgaire qui rit, + J'allais, gonflant toujours quelque nouvelle bulle! + J'étais l'extravagant heureux qui noctambule, + Qui trouve, pour dormir, un banc délicieux, + Pour qui tous les plafonds sont trop bas, sauf les cieux. + J'étais le vagabond poète qui balade, + Cherchant des jours entiers un refrain de ballade, + Et qui va devant lui, sans souci des hivers, + Heureux de se chanter à lui-même ses vers! + Je me disais: Mon temps n'est pas venu, mon heure + Sonnera. Mais j'ai vu que l'espoir était leurre. + J'ai vieilli, je me suis lassé d'être incompris. + C'est absurde, mais c'est ainsi: le beau mépris + Que nous avons d'abord pour le goût du vulgaire + Tombe avec l'âge. Eh quoi! toujours faire la guerre? + On veut avoir son tour de gloire. On n'en peut plus + Des veilles sans profit, des travaux superflus. + J'ai fait de l'art. Cet autre fait du vaudeville: + Et c'est à lui que va la multitude vile. + C'est lui que l'on acclame. Et moi je meurs de faim! + Eh bien! je me révolte et je crie, à la fin! + Mon coeur veut déverser son trop-plein d'amertume. + Nous autres, je sais bien, notre gloire est posthume + Quelquefois. Il paraît que, quand nous sommes morts, + La Gloire, cette femme, a souvent des remords + De ne pas nous avoir aimés. On nous découvre. + Nos vers sont exaltés; nos tableaux vont au Louvre... + Mais que nous font de verts lauriers sur nos tombeaux? + C'est vivant que j'aurais voulu quelques lambeaux + De cette pourpre; et, mort, je n'en fais nul usage! + Vois-tu, le désespoir vous étreint avec l'âge + D'être plus inconnu qu'un faiseur de couplet; + Et l'on mendie: «Un peu de gloire, s'il vous plaît! + Daignez avant ma mort m'avancer quelque chose, + Quelques rayons sur ma future apothéose! + Si l'on doit m'admirer plus tard, il vaut autant + Commencer tout de suite, et je mourrai content. + J'ai trop voulu sortir de l'ornière banale, + Dites-vous: quand l'idée est trop originale + On la repousse?... Eh bien! si c'est là le récif + Où j'échouai, je veux bien faire du poncif. + Du poncif, s'il le faut! Mais avant que j'expire, + C'est mon rêve, je veux que le bourgeois m'admire!» + + «Oui, vieillis, les plus fiers lutteurs, les plus fougueux + Parlent ainsi, lassés d'être incompris et gueux! + + * * * * * + + «Car c'est une tristesse noire + De vieillir toujours méconnu. + Alors, n'ayant pas eu la gloire + Dans cette vie, on n'a rien eu. + + «Comme on a passé sa jeunesse + A chasser la chimère, on n'a + Rien récolté pour sa vieillesse, + Et quand l'heure affreuse sonna, + + «L'heure de la tristesse, l'heure + Des ressouvenirs étouffants, + On se vit pauvre, sans demeure, + Et vieux grand-père sans enfants. + + «Trimer, c'est bon quand on est jeune. + Mais on change en se faisant vieux. + On ne supporte plus le jeûne, + On songe qu'on serait bien mieux + + «Dans un intérieur confortable + Que sous un plafond d'où ça pleut; + On songe que se mettre à table + Doit être un plaisir, quand on peut! + + «On songe qu'une chambre chaude + Doit être agréable, le soir, + Avec une femme qui rôde + Autour de vous, blonde, en peignoir; + + «Qu'il est doux, lorsque le vent souffle, + D'être, béat, au coin du feu; + Tout en rôtissant sa pantoufle, + De somnoler un petit peu; + + «Qu'il est doux de prendre ses aises, + De mettre aux chenets son talon, + D'avoir, au lieu de quatre chaises, + De bons fauteuils dans son salon! + + «Ah! que de choses on regrette + Lorsqu'on eut des rêves trop grands! + Musicien, peintre, poète, + Ce sont de fichus métiers. Prends + + «Quelque bon métier qui rapporte; + Mets sur ton oreille un crayon + Ou des panonceaux sur ta porte, + Et ne cherche pas le rayon! + + «Ne fais jamais d'art! Ne t'ingère + Jamais de penser du nouveau! + Fume un gros cigare. Digère. + Et crains les rhumes de cerveau! + + «Bois frais. Tiens-toi dans l'allégresse. + Pas de vers, je te le défends. + Vis comme un coq en pâte. Engraisse. + Fais des ribambelles d'enfants! + + «Du reste, je te dis ces choses, + Mon pauvre ami, mais je sais bien + Que les conseils des vieux moroses + Ne serviront jamais de rien, + + «Et que, si le diable t'y pousse, + Tu seras poète, gamin! + --Mais j'ai parlé trop, et je tousse... + Embrasse-moi vite. A demain!» + + * * * * * + + Le lendemain, j'appris la mort du pauvre hère. + Je l'accompagnai seul jusqu'à son cimetière, + Puis, ayant vu glisser le cercueil dans le trou, + Je marchai devant moi, longtemps, sans savoir où. + Et je songeais: «Jamais je ne serai poète! + Car je n'ai pas le coeur assez brave, et ma tête + S'égarerait à tant souffrir. Je ne veux pas + Traîner cette existence affreuse, à chaque pas + Me blesser aux cailloux aiguisés de la route. + L'Art, oh! l'Art m'attirait et me grisait, sans doute! + Mais je veux travailler à faire mon bonheur. + Cet homme avait raison. Il m'a donné la peur + Du calvaire qu'il faut gravir pour être artiste. + Je veux vivre impassible et vieillir égoïste!» + Je m'aperçus alors que j'étais dans les champs, + Que les arbres, bouquets de parfums et de chants, + S'éveillaient au soleil, et que les verts cytises + Invitaient sous leur ombre à des fainéantises; + Que le ciel, d'un bleu pâle, avait l'air d'un satin + De Chine; que c'était l'adorable matin, + L'heure où la cime des ormeaux tremble et rougeoie. + Dans ces odeurs, dans ces fraîcheurs, dans cette joie, + J'oubliai tous les maux que l'autre avait soufferts... + + --Et je rentrai chez moi pour écrire ces vers. + +1887. + + +XIII + +SOUVENIRS DE VACANCES + + +I + +LE TAMBOURINEUR + + A l'heure où l'invisible orchestre des cigales + N'exerce pas encor ses petites cymbales, + Quand l'horizon est rose et vert, de bon matin, + Par les sentiers pierreux de la blanche colline, + En jouant un vieil air lentement s'achemine + Le tambourineur, beau comme un pâtre latin. + + Sous les pins parasols d'où pleuvent les aiguilles + Qui rendent les sentiers glissants, il fait des trilles + Sur le fin gaboulet, comme un merle siffleur. + Sa longue caisse aux flots de rubans verts ballante, + Il s'en va pour donner une aubade galante + A la belle qui l'a choisi pour cajoleur. + + Il souffle dans son fifre un air très gai de danse, + Pendant qu'il frappe avec la baguette, en cadence, + La peau du tambourin qui ronfle sourdement. + Le petit galoubet d'ivoire rossignole, + Et le tambourin suit l'alerte farandole + D'un monotone, un peu triste, accompagnement. + + Tambourineur d'Amour, comme je te ressemble! + Je vais jouant du triste et du gai tout ensemble: + Le tambourin sonore et grave, c'est mon coeur, + Rien plus lourd à porter, va, que ta caisse lourde! + Mais, toujours, cependant qu'il fait sa plainte sourde, + Sifflote mon esprit, ce galoubet moqueur! + +1888. + + +II + +L'ÉTANG + + L'étang, dont le soleil chauffe la somnolence, + Est fleuri ce matin de beaux nénuphars blancs. + Les uns, sortis de l'eau, semblent offrir, tremblants, + Leur assiette de Chine où de l'or se balance. + + D'autres n'ont pu fleurir, mais purent émerger, + Et, pointe autour de quoi l'onde en cercles se plisse, + Leur gros bouton bronzé qui commence à nager + Est une cassolette avant d'être un calice. + + D'autres, encor plus loin du moment de surgir, + Promesse de boutons par l'eau glauque couverte, + Se bercent d'un remous sous l'ample feuille verte + Qu'on voit, comme un plateau de laque, s'élargir. + + Ainsi sont mes pensers dans leur floraison lente. + Il en est d'achevés que leur tige me tend, + Complètement éclos, comme, sur cet étang, + Les nénuphars berçant leur soucoupe indolente. + + D'autres n'ont encor pu qu'atteindre le niveau... + Et ce sont eux surtout que, poète, on caresse, + Qu'on laisse à fleur d'esprit flotter avec paresse, + Comme les nénuphars qui pointent à fleur d'eau. + + Mais je sens la poussée en moi, vivace et sourde, + D'autres pensers germés mystérieusement, + Qui montent en secret vers leur achèvement, + Comme les nénuphars qui dorment sous l'eau lourde. + + +III + +LES PAPILLONS + + En Mai, quand les brises roucoulent, + Quand fleurissent toutes les fleurs, + Les papillons sont grands buveurs: + Les petits papillons se soûlent. + + Souvent, au crépuscule gris, + A l'heure où le couchant se clore, + On en voit balocher encore: + C'est tout simplement qu'ils sont gris. + + Le regard les suit et s'étonne + De les voir, dans le jour tombant, + S'en aller d'un vol titubant, + D'un vol qui zigzague et festonne. + + Les pauvrets se sont attardés + A boire dans toutes les roses; + Pour chasser les ennuis moroses + Ils se sont un peu pochardés. + + Au sortir de leur chrysalide + Faisant dehors leurs premiers pas, + Pour les parfums n'avaient-ils pas + Encor la tête assez solide? + + Avaient-ils des chagrins d'amour, + Ces papillons? Voulaient-ils boire + Pour se consoler d'un déboire? + Mon Dieu, ça se voit chaque jour! + + Ou par des amis en goguette + Se laissèrent-ils emmener + De fleur en fleur biberonner, + Comme de guinguette en guinguette? + + Eux, les élégants papillons, + Si corrects près des marguerites, + Ils sont, en regagnant leurs gîtes, + Dépoudrés de leurs vermillons! + + Et gris à rouler sous les roses, + Lorsqu'il leur faut rentrer chez eux, + Ils s'en reviennent deux par deux... + Et voilà qu'ils disent des choses!... + + Ils se détaillent leurs amours, + Se vantent de leurs prétentaines, + Mettent de travers leurs antennes, + S'attendrissent, font des discours; + + Eux, les doux frôleurs de corolles, + Les petits Platons de l'air pur, + Amis des lys et de l'azur, + Ils racontent des gaudrioles! + + Quand les nectars et les rayons + Ont troublé leur âme sensible, + Il n'y a rien de plus terrible + Que l'ivresse des papillons! + + Dons Juans récitant leurs listes, + Ils révèlent soudain aux fleurs + Quelles âmes d'écornifleurs + Ils cachaient, ces idéalistes! + + Battant des ailes de pastel, + Chacun, avant la nuit, aspire + Un dernier lys avec sa spire, + Ainsi que l'on hume un cocktail! + + Les roses ayant une essence + Qui grise mieux que le trois-six, + Ce qu'au buisson dit le _Tircis_ + Est de la plus rare indécence. + + Les _Machaons_ sont déchaînés. + Et les hautaines _Atalantes_ + Ne fuient qu'avec des ailes lentes + Qui semblent leur dire: «Venez!» + + Le _Mars_, gai comme un soir de solde, + Dit au _Tabac d'Espagne_: «Ohé!» + Le _Daphnis_ change de Chloé. + Le _Tristan_ se trompe d'Ysolde. + + A demain matin les pardons! + Il faudra qu'on s'y reconnaisse. + Mais, ce soir, plus d'une _Vanesse_ + Pour les phlox trahit les chardons. + + Un obscur papillon d'avoine + Tutoie un lilas de jardin. + Le papillon du chou, soudain, + Appelle: «Mon chou!» la pivoine. + + Le désordre règne. Il n'y a + Plus de lois ni de protocoles. + L'_Argus_ parle argot. «Tu me colles!» + Dit l'_Argynne_ au pétunia. + + Le _Demi-Deuil_ n'est plus sévère. + Et: «Ma primevère n'est pas + Grande», dit le _Sylvain_ tout bas, + «Mais je bois dans ma primevère!» + + +IV + +DÉJEUNER DE SOLEIL + + Le soleil hume la rosée + Qui s'évapore lentement. + Vers lui, dans le matin charmant, + Elle monte, vaporisée, + + L'aurore fait le firmament + D'une teinte exquise et rosée. + Le soleil hume la rosée + Qui s'évapore lentement. + + Sur chaque brin d'herbe est posée + Une goutte arc-en-cielisée + De plus de feux qu'un diamant... + Et, comme il en est très gourmand, + Le soleil hume la rosée. + + +V + +LES COCHONS ROSES + + Le jour s'annonce à l'Orient + De pourpre se coloriant; + Le doigt du matin souriant + Ouvre les roses; + Et sous la garde d'un gamin + Qui tient une gaule à la main, + On voit passer sur le chemin + Les cochons roses, + + Le rose rare au ton charmant + Qu'à l'horizon, en ce moment, + Là -bas, au fond du firmament, + On voit s'étendre, + Ne réjouit pas tant les yeux, + N'est pas si frais et si joyeux + Que celui des cochons soyeux + D'un rose tendre. + + Le zéphyr, ce doux maraudeur, + Porte plus d'un parfum rôdeur, + Et, dans la matinale odeur + Des églantines, + Les petits cochons transportés + Ont d'exquises vivacités + Et d'insouciantes gaîtés + Presque enfantines. + + Heureux, poussant de petits cris, + Ils vont par les sentiers fleuris, + Et ce sont des jeux et des ris + Remplis de grâces; + Ils vont, et tous ces corps charnus + Sont si roses qu'ils semblent nus, + Comme ceux d'amours ingénus + Aux formes grasses. + + Des points noirs dans ce rose clair + Semblant des truffes dans leur chair + Leur donnent vaguement un air + De galantine, + Et leur petit trottinement + A cette graisse, incessamment, + Communique un tremblotement + De gélatine. + + Le long du ruisseau floflottant + Ils suivent, tout en ronflotant, + La blouse au large dos flottant + De toile bleue; + Ils trottent, les petits cochons, + Les gorets gras et folichons + Remuant les tire-bouchons + Que fait leur queue. + + Et quand les champs sans papillons + Exhaleront de leurs sillons + Les plaintes douces des grillons + Toujours pareilles, + Les cochons, rentrant au bercail, + Défileront sous le portail, + Agitant le double éventail + De leurs oreilles. + + Puis, quand, là -bas, à l'Occident, + Croulera le soleil ardent, + A l'heure où le soir descendant + Touche les roses, + Paisiblement couchés en rond, + Près de l'auge peinte en marron, + Bien repus, ils s'endormiront, + Les cochons roses. + + +VI + +LE PETIT CHAT + + C'est un petit chat noir, effronté comme un page. + Je le laisse jouer sur ma table, souvent. + Quelquefois il s'assied sans faire de tapage; + On dirait un joli presse-papier vivant. + + Rien de lui, pas un poil de sa toison ne bouge. + Longtemps il reste là , noir sur un feuillet blanc, + A ces matous, tirant leur langue de drap rouge, + Qu'on fait pour essuyer les plumes, ressemblant. + + Quand il s'amuse, il est extrêmement comique. + Pataud et gracieux, tel un ourson drôlet. + Souvent je m'accroupis pour suivre sa mimique + Quand on met devant lui la soucoupe de lait. + + Tout d'abord, de son nez délicat il le flaire, + Le frôle; puis, à coups de langue très petits, + Il le lampe; et dès lors il est à son affaire; + Et l'on entend, pendant qu'il boit, un clapotis. + + Il boit, bougeant la queue, et sans faire une pause, + Et ne relève enfin son joli museau plat + Que lorsqu'il a passé sa langue rêche et rose + Partout, bien proprement débarbouillé le plat. + + Alors, il se pourlèche un moment les moustaches, + Avec l'air étonné d'avoir déjà fini; + Et, comme il s'aperçoit qu'il s'est fait quelques taches, + Il relustre avec soin son pelage terni. + + Ses yeux jaunes et bleus sont comme deux agates; + Il les ferme à demi, parfois, en reniflant, + Se renverse, ayant pris son museau dans ses pattes, + Avec des airs de tigre étendu sur le flanc. + + Mais le voilà qui sort de cette nonchalance, + Et, faisant le gros dos, il a l'air d'un manchon; + Alors, pour l'intriguer un peu, je lui balance, + Au bout d'une ficelle invisible, un bouchon. + + Il fuit en galopant et la mine effrayée, + Puis revient au bouchon, le regarde, et d'abord + Tient suspendue en l'air sa patte repliée, + Puis l'abat, et saisit le bouchon, et le mord. + + Je tire la ficelle, alors, sans qu'il le voie; + Et le bouchon s'éloigne, et le chat noir le suit, + Faisant des ronds avec sa patte qu'il envoie, + Puis saute de côté, puis revient, puis refuit. + + Mais dès que je lui dis: «Il faut que je travaille; + Venez vous asseoir là , sans faire le méchant!» + Il s'assied... Et j'entends, pendant que j'écrivaille, + Le petit bruit mouillé qu'il fait en se léchant. + + +VII + +BALLADE DU PETIT BÉBÉ + + Il fait un gazouillis suave, + Un chantonnement continu, + Sans souci du ton, de l'octave. + Son crâne au seul frison ténu + Est si blond qu'il paraît chenu. + Par une prudente planchette + Dans son haut fauteuil retenu, + Le petit bébé fait risette. + + Et puis il désigne, très brave, + Le gros chat, de son doigt menu. + Et puis, quand sa bonne le lave + Et poudre tout son corps charnu, + De vive force maintenu + Jambes en l'air, sans chemisette, + En montrant son derrière nu + Le petit bébé fait risette. + + Après quoi, longuement, il bave. + Et comme un objet inconnu + Il contemple, rêveur et grave, + Son pied dans ses deux mains tenu. + Et, pris du désir saugrenu + De sucer son bout de chaussette + Auquel il n'est pas parvenu, + Le petit bébé fait risette. + +ENVOI + + Épousez-vous, couple ingénu, + Comme Marius et Cosette. + Tout rit lorsque, nouveau venu, + Le petit bébé fait risette. + + +VIII + +CRÉPUSCULE + + Au bord de l'horizon les collines boisées + Ondulent, en prenant des teintes ardoisées, + Cependant qu'un dernier reflet, comme un mica + Piqué sur les coteaux, scintille dans leur brume, + Et que, timidement, une étoile s'allume + Dans l'azur pâle et délicat. + + Les arbres, sur le ciel, de leurs grêles membrures, + Font un dessin pareil à celui des nervures + D'une feuille. A présent, les étoiles sont deux, + Et luisent à travers la vapeur violette + Comme des yeux de femme à travers la voilette... + Les arbres ont un air frileux. + + Tous les contours ont des finesses d'aquarelle. + Les fonds sont des lavis très clairs. Un clocher frêle + S'effile exquisement sur le lointain bleuté. + Les étoiles sont trois. La campagne repose, + Et dans le ciel vert d'eau monte une lune rose + Comme un cuivre désargenté. + + De larges bandes d'or l'horizon se chamarre. + Mais le dernier reflet s'est éteint sur la mare. + On croit voir des cyprès dans les hauts peupliers. + Le jour traîne un moment encor son agonie. + Les crapauds font un chant d'une plainte infinie... + Les étoiles sont des milliers. + + +IX + +ON SOUFFLE + + On souffle, et vous vous envolez, + Duvet des chandelles de neige! + Le souffle qui vous désagrège + Met à nu des coeurs désolés! + + Par un jeu bête et sacrilège + Pauvres coeurs désauréolés! + On souffle, et vous vous envolez, + Duvet des chandelles de neige! + + Rayons blancs dont sont étoilés + Nos coeurs naïfs (au mien que n'ai-je + Votre poids encor, qui l'allège!) + Ainsi, vous nous êtes volés: + On souffle, et vous vous envolez! + + +XIV + +LA PREMIÈRE + + Or, c'est Dieu qui fit la première, + Qui façonna son corps si cher + Lui-même, dans de la lumière, + Et pétrit son exquise chair. + + Il mit sur sa peau de l'aurore + Et du soir d'été dans ses yeux, + Puis il tissa pour elle encore + Le soleil en rayons soyeux. + + De ses adroites mains divines + Le bon Dieu sculptait, il dorait. + Et déjà le souffle odorait + Entre les lèvres purpurines. + + Déjà l'oeil charmant s'entr'ouvrait + Comme s'entr'ouvre une pervenche; + Et du talon fin à la hanche + La ligne onduleuse courait. + + Pâle aux musiques de l'orchestre + Qu'apportaient les vents attiédis, + Émerveillant le paradis + Qui n'était alors que terrestre, + + Ève s'épanouit, semblant + Sous les branches, nue et pudique, + Un tel chef-d'oeuvre doux et blanc + Que le lys murmura: «J'abdique!» + + Dieu, riant dans sa barbe, dit: + «Tu feras le bonheur de l'homme.» + Or, c'est elle qui le perdit + En lui faisant croquer la pomme. + + A qui serait-il donc prudent + D'offrir le coeur et la chaumière? + La première perdit Adam: + Et c'est Dieu qui fit la première! + + +XV + + Oh! les yeux, les beaux yeux des femmes! + Que de choses nous y voyons! + C'est de la lumière des âmes + Que nous croyons faits leurs rayons. + + Nous croyons lire en leurs prunelles + Des perversités, des candeurs; + Et nous mettons du rêve en elles, + Nous fiant à leurs profondeurs; + + Mais le trouble des yeux, leur vague, + Et leurs calmes de soirs d'été, + Leurs bleus changeants comme la vague, + Leur douce et vivante clarté, + + La lumière exquise filtrée + Entre les cils frangés,--tout ça + N'est rien qu'un peu d'humeur vitrée + Qu'un peu de soleil nuança. + + Les yeux sont des petites flaques + Reflétant du ciel sans savoir; + Pas plus que s'ils étaient opaques + Les pensers ne peuvent s'y voir; + + Et, tout simplement, quand se lève + Leur regard profond et câlin, + S'ils nous paraissent pleins de rêve, + C'est qu'ils ont un beau cristallin. + + +XVI + +LES TZIGANES + + Un ordre fut donné par le chef à mi-voix, + Et des bruits d'instruments dans l'ombre s'entendirent. + Le silence se fit. Et, sur leurs clés de bois, + Harmonieusement les cordes se tendirent. + + Ce ne furent d'abord, sous les arbres touffus, + Que des fragments épars d'harmonie essayée, + --Par de vagues accords, des préludes confus, + L'âme des violons voulant être éveillée. + + Incertains un moment gémirent les altos, + Puis de leur gravité sonore ils s'assurèrent, + Et les Tziganes noirs, drapés dans leurs manteaux, + Brusquement, pour jouer, en cercle se levèrent. + + Alors le chef, les yeux perdus, improvisant, + Attaqua la mesure avec un geste large, + Et, du son merveilleux lui-même se grisant, + Il partit, endiablé, comme dans une charge. + + L'orchestre répandit un long bruit de sanglots; + Et du même côté, tous, la tête penchée, + Ils envoyaient l'archet, pâles, les yeux mi-clos, + Ivres de l'harmonie en ondes épanchée. + + Ils jouaient, balançant lentement leurs grands corps, + Et toujours un sourire énigmatique aux lèvres. + Et par moments c'étaient d'étranges désaccords, + Ou, sous les doigts pinceurs, des pizzicati mièvres. + + Agacés quelquefois par les archets frôleurs, + Les instruments avaient des plaintes fantastiques, + Comme le vent nocturne ou les dogues hurleurs + Montant lugubrement leurs gammes chromatiques. + + Tantôt sous un baiser de lune on croyait voir + Quelque apparition vague en une clairière, + Tantôt des cavaliers passer sous un ciel noir + Quand le rythme prenait une fureur guerrière. + + Et c'étaient, tout d'un coup, d'immenses désespoirs, + Plaintes de trahison, mortes chères pleurées; + Et puis, des souvenirs attendris de beaux soirs... + Et les cordes n'étaient plus qu'à peine effleurées. + + Le violon du chef chantait éperdument. + Quel étrange génie avait donc ce grand diable? + Il passa tout d'un coup du sauvage au charmant: + Et ce fut une valse, alors, inoubliable! + + Son archet, appuyé dans toute sa longueur, + Faisait monter un son d'une pureté grave, + Qui vous envahissait de trouble et de langueur, + Et qui se prolongeait, agonisant, suave! + + Vous roulant, vous berçant, avec quelles lenteurs + Ondulait et mourait la vague mélodique! + Et plus que la nuit chaude, et plus que les senteurs, + Elle prenait les sens, cette rare musique! + + J'écoutais, subissant comme un charme pervers. + Parfois, il me semblait que ces archets magiques + Jouaient, ayant quitté leurs cordes, sur mes nerfs... + Et c'étaient de beaux cris d'amour, longs et tragiques! + + Car d'abord le chef seul avait improvisé. + Chaque musicien suivait, comme un élève, + Accompagnant le chant... Mais voilà que, grisé, + Chacun était parti maintenant dans son rêve! + + Dans son rêve, les yeux fermés, chacun marchait. + Ce n'étaient plus du tout de simples airs de danses, + Car le coeur de chacun saignait sous son archet, + Et tous ces violons chantaient des confidences! + + +XVII + +BALLADE DE LA NOUVELLE ANNÉE + + O bon jour de l'an de demain matin, + Pour chacun de nous qui vivons sans trêve + Apporte la fleur, l'objet, le pantin + Qui fait oublier l'existence brève: + Ève pour Adam, la pomme pour Ève, + La noix de coco pour le sapajou, + La rime au rimeur dont le vers s'achève... + Il faut à chacun donner son joujou. + + Donne un papillon aux touffes de thym + Et des goélands au cap de la Hève; + Le touriste anglais au Napolitain; + Au duc de Nemours Madame de Clève; + Au vieillard un songe, au jeune homme un rêve; + Donne un livre au sage, un tambour au fou, + Un élève au maître, un maître à l'élève... + Il faut à chacun donner son joujou. + + Dans l'obscur gâteau qu'on nomme scrutin + Fais l'ambitieux découvrir la fève; + Donne un beau suiveur au petit trottin; + A ce vieux monsieur dont l'espoir endève + Donne l'habit vert orné de son glaive; + La carte au joueur et l'or au grigou; + A moi, jeune auteur, le rideau qu'on lève... + Il faut à chacun donner son joujou. + +ENVOI + + A celle qu'un jour je vis sur la grève + Et dont le regard est mieux qu'andalou, + Donne un coeur d'enfant pour qu'elle le crève. + Il faut à chacun donner son joujou. + + +XVIII + +DEUX MAGASINS + +I + +JOUJOUX + + A l'heure où s'ouvrent les écoles, + Oubliant les pensums, les colles + Et les leçons, + En riant, en jetant des billes, + On voit se bousculer les filles + Et les garçons! + + Poussant des cris épouvantables, + Ils courent avec leurs cartables + Mis en sautoir, + Leurs manches noires de lustrine, + Se grouper à chaque vitrine + Sur le trottoir. + + Avant de gagner leurs demeures, + Ils regardent pendant des heures + Les beaux joujoux. + C'est leur plaisir, à ces mioches + Qui n'ont pas au fond de leurs poches + Des petits sous. + + Ils regardent, les pauvres gosses, + Le Polichinelle à deux bosses + Qui coûte cher, + Les poupons en chaussons de laine, + Les bébés dont la porcelaine + Paraît en chair. + + Ils comptent les ballons, les balles, + Par un clown jouant des cymbales + Très étonnés; + Et ce sont des heures d'extase + Devant cette vitre où s'écrase + Leur petit nez. + + Que c'est beau! leurs sourcils s'écartent! + Ce sont de vrais fusils, qui partent! + De vrais fourneaux! + De vrais outils de jardinage! + Et les voitures d'arrosage + Ont des tonneaux! + + Sous des arbres dont les verdures + Sont faites avec des frisures + De copeaux verts, + Ils voient, bêtes et gens en marche, + Tout ce qui s'échappe de l'Arche + Aux toits ouverts! + + Ils regardent d'un regard tendre + Les filles de Noé leur tendre + Des petits bras; + (Comme, au commencement du monde, + On avait une tête ronde, + Des chapeaux plats!) + + L'Auvergnat sortant de sa boîte, + Les soldats de plomb dans l'ouate + S'emmitouflant, + La chèvre avec ses trois noeuds roses, + Ils regardent toutes ces choses + En reniflant. + + Une dame dans la boutique + Fait marcher un ours mécanique + Sur le parquet. + Comme il marche!--Une demoiselle + Entoure avec de la ficelle + Un grand paquet! + + Un Monsieur achète un théâtre + Où l'on peut, en or sur du plâtre, + Lire: OPÉRA. + Le Monsieur sort. La porte sonne. + Oh! les beaux joujoux que personne + Ne leur paiera! + + Les fillettes aux mains crispées + Regardent surtout les poupées + Dans leur carton. + Hein, Sophie? hein, Claire? hein, Louise? + En ont-elles de la chemise + Et du feston! + + Sont-elles riches, les mâtines! + On leur enlève leurs bottines + Pour les coucher! + Et celle en bleu, près de la Cible! + Il ne sera jamais possible + De la toucher! + + Et celle avec sa robe Empire + Qui fait que tout leur coeur soupire: + «Oh! je la veux!» + Et cette autre avec sa dînette! + (Leur grande soeur la midinette + A ces cheveux!) + + Elles restent là , bouche ronde! + Le ménage de cette blonde + Aux yeux trop grands + Dont l'écriteau dit qu'«elle nage» + Est mieux monté que le ménage + De leurs parents! + + Et les garçons, qu'est-ce qu'ils disent + Devant les sabres qui reluisent + Comme d'acier? + Se peut-il qu'un enfant reçoive + De quoi tout d'un coup être zouave + Ou cuirassier? + + Oh! les chevaux que l'on harnache! + (Ils sont en vrai poil, qui s'arrache, + Que l'on te dit!) + Et le poussah sur une sphère, + Qui titube comme leur père + Le samedi! + + Hein, Gaston? hein, Marcel? hein, Charle? + Quand viendra le jour dont on parle + A la maison, + Dont on parle en fumant des pipes, + Le jour où tous les pauvres types + Auront raison, + + Pourra-t-on en être à tout âge? + Lorsque viendra le grand partage + Des partageux, + Les mômes, moucherons, moustiques, + Entreront-ils dans les boutiques + Prendre les jeux? + + Il faut, si c'est de la justice, + Que tout, la petite bâtisse + En blocs de bois, + Le clown au pantalon trop large, + Le Grand Tir, le canon qu'on charge + Avec des pois, + + Il faut que l'avaleur de boules, + Il faut que tout, les coqs, les poules, + Soit partagé! + Le singe montrant ses gencives, + Et les couleurs «inoffensives» + S. G. D. G.; + + Tout: l'Anglais fumant son cigare, + Le chemin de fer avec gare, + Tunnels et ponts... + On prendra tous les jeux de quilles! + On mettra dans les bras des filles + Tous les poupons! + + Le pain, ça manque. Oui, mais ça manque + Aussi, ce clown, ce saltimbanque, + Tous ces chiens fous, + Ce Polichinelle à deux bosses!... + Droit au pain, soit! Et, pour les gosses, + Droit aux joujoux! + + Ainsi, sous la blouse ou le châle, + Pense, plus grand et déjà pâle, + Chaque moutard. + Ils restent dans le vent qui siffle. + Ce soir, tous vont, risquant la gifle, + Être en retard. + + Ils en ont oublié qu'il gèle. + Ils ne battent plus la semelle; + Mais, quelquefois, + Leur souffle ayant terni la glace, + Pour mieux voir ils essuient la place + Avec leurs doigts! + + +II + +FLEURS + + Nous sommes les fleurs des fleuristes, + Nous sommes les fleurs des marchands, + Les petites fleurs qui sont tristes + De ne pas fleurir dans les champs; + + Nous sommes les fleurs printanières + Qui n'ont jamais vu le printemps, + Et dont on fait des boutonnières + Pour des revers trop miroitants; + + Nous sommes cette rose noire + Et ce bleuet gros comme un chou + Pour qui les smokings, sous leur moire, + Ont un oblique caoutchouc! + + Nous sommes ces lilas superbes + Qui dans les boutiques, l'hiver, + Montent en monstrueuses gerbes + Coûtant monstrueusement cher! + + Nous sommes, parmi le vertige + Des jours de l'an nauséabonds, + Les pauvres fleurs que l'on oblige + A faire un métier de bonbons! + + Nous sommes les fleurs qu'on envoie + Dès qu'on a publié les bans, + Pour que la famille les voie + Dans des paniers à grands rubans; + + Nous sommes les fleurs où voltige + La libellule de carton; + Nous tremblons trop sur notre tige, + Car notre tige est en laiton! + + Nous sommes les fleurs qui sur elles + N'ont qu'un papillon de papier + Offrant sur deux plateaux, ses ailes, + L'adresse, en or, du boutiquier. + + Pour nous la rosée est un mythe, + Malgré d'adroits contrefacteurs + Dont la ruse, sur nous, l'imite + Avec des vaporisateurs. + + Nous sommes les fleurs sans abeilles + Qui trouvent les trois jours bien longs + Où l'on fait vivre leurs corbeilles + Sur les pianos des salons! + + Nous voyons sur nous, parasites + Qui blessent nos feuillages verts, + Pousser des cartes de visites + Où parfois on écrit des vers! + + C'est nous qu'un pâle accessoiriste, + Après les six rappels du «trois», + Monte en hâte à la grande artiste + Par des escaliers trop étroits. + + Nous sommes ces iris de nacre + Que les fleuristes de Paris + Savent envoyer dans un fiacre + Pendant l'absence des maris! + + Nous sommes ces héliotropes, + Ces glaïeuls forcés de fleurir + Qui portent dans des enveloppes + Le nom qu'on sait avant d'ouvrir! + + C'est nous la flore citadine + Qui, sous les capillaires fous, + Ne se penche, pendant qu'on dîne, + Qu'aux berges d'argent des surtouts! + + C'est nous la flore dont l'arome + Toujours au pays flottera + Qui va de la Place Vendôme + A la Place de l'Opéra. + + Les noms de cette étrange flore + Sont du botaniste inconnus: + Comment porter les noms encore + Des fleurs que nous ne sommes plus? + + Nous sommes désormais--Nature, + Ne ris pas de ces noms de fleurs!-- + Le réséda-de-la-ceinture, + L'oeillet-des-costumes-tailleurs! + + Et, fleurs que loin de nos collines + Dans la fourrure on exila, + Le mimosa-des-zibelines + Et la parme-du-chinchilla! + + Nous sommes ces frivoles touffes + Qui connaissent pour seuls étés + La température des Bouffes + Et celle des Variétés. + + Nous sommes, parmi les éloges + Aux blondes nuques adressés, + Les fleurs chaudes qui, dans les loges, + Frayent avec les fruits glacés. + + Nous sommes le lys qui se fane + Au vent des restaurants du soir; + La rose qu'on jette au tzigane + Qui sur l'épaule a son mouchoir; + + Le muguet qui sait chaque phrase + Qu'on dit à la fin des soupers, + Et la jacinthe qu'on écrase + Dans les coins sombres des coupés! + + Nous sommes, quand le coeur s'effraye, + Ces violettes d'un instant + Qu'on respire en prêtant l'oreille + Et qu'on mordille en hésitant. + + Nous sommes ces oeillets de Londre + Et ces jonquilles de Menton + Dans lesquels, avant de répondre, + On enfonce un joli menton. + + Nous enguirlandons l'aventure, + Et, quand le bonheur est défunt, + Nous assurons à la rupture + De l'élégance et du parfum. + + Nous sommes les fleurs nécessaires + Aux intrigues de la Cité. + Nous n'avons connu, dans les serres, + Qu'un soleil d'électricité. + + Dans les serres nous sommes nées; + Des saisons nous ne vîmes rien. + Quelles étaient nos destinées, + Cependant, nous le savons bien! + + Nous sentons en nous, ô mystère! + Parler la sève d'autres fleurs + Qui poussèrent, libres, de terre, + Et nos souvenirs sont les leurs! + + Nous sentons, dans ces mornes fêtes + Où passent d'inutiles fronts, + Vaguement, que nous sommes faites + Pour être ailleurs,--et nous souffrons. + + Nous aimerions, fières, ravies, + Vraiment fraîches, pures toujours, + Nous mélanger à d'autres vies, + Favoriser d'autres amours! + + Pourquoi donc, fleurs dont nous naquîmes, + Dans vos graines aviez-vous mis + L'amour des vallons et des cimes, + Puisqu'il ne nous est pas permis? + + Puisqu'il nous faut vivre à distance + De ces choses, pourquoi faut-il + Que nous soupçonnions l'existence + D'une Nature et d'un Avril? + + --Et nous sommes, dans les boutiques, + Sur du gazon artificiel, + Les petites fleurs nostalgiques. + D'air pur, de lumière et de ciel. + +Janvier 1890. + + +XIX + +L'ALBUM DE PHOTOGRAPHIES + + Cet album sur quoi tu te penches, + Je n'en peux voir sans un frisson + Les épais feuillets blancs qui sont + Pareils à des façades blanches! + + Je vois, dans le carton glacé, + S'ouvrir, à chacune des pages + Qui sont à deux ou trois étages, + Six fenêtres sur le passé. + + On est là , la mine ravie! + Et peut-être restera-t-on + A ces fenêtres de carton + Plus qu'aux fenêtres de la vie. + + Jusques à quand souriront-ils + A ces fenêtres découpées + De maisonnettes de poupées, + Nos vieux trois-quarts, nos vieux profils? + + Sous leurs fermoirs et sous leurs moires, + Les vieux albums de vieux portraits + Laisseront s'effacer nos traits + Plus lentement que les mémoires. + + On sera morts depuis longtemps + Qu'aux visiteurs priés d'attendre + Ces portraits feront encor prendre + Patience quelques instants. + + On sera ces oncles, ces tantes, + Ces bonshommes gras ou fluets, + Ces haut-de-forme désuets, + Et ces robes trop importantes! + + Ces enfants dans des fauteuils, nus; + Ces lycéens--depuis grands-pères!-- + Ces magistrats, ces militaires, + Tous ces morts, tous ces inconnus! + + Cessez, fenêtres minuscules, + De nous offrir aux yeux moqueurs + Lorsqu'il n'y aura plus des coeurs + Pour accepter nos ridicules! + + Ah! nos portraits qui s'en iront + Dans les albums inévitables + Déposés sur les coins des tables + Où, doucement, ils jauniront! + + Morts, faudra-t-il que l'on remeure + D'abord dans les coeurs, puis encor + Sur ces cartons à biseau d'or + Où sinistrement on demeure? + + Jetez ces rois et ces valets + Dont s'éternise l'agonie! + Puisque la partie est finie, + Jetez les cartes! Jetez-les! + + +XX + +AU CIEL + + «Hé, là -bas!» s'écria saint Pierre, + «Qui frappe à l'huis du Paradis? + --Oh! c'est l'âme d'un pauvre hère, + Mon bon Monsieur!» que je lui dis. + + --«Vous croyez qu'on entre peut-être + Ici comme dans un moulin? + --Vous êtes si bon, mon doux maître...» + Repris-je en faisant le câlin. + + --«Taisez-vous! On ne peut me plaire + Par des douceurs ni des cadeaux; + C'était bon avec leur Cerbère + Qu'on prenait avec des gâteaux! + + «Je suis un portier sans faiblesse. + Répondez: sur terre, là -bas, + Alliez-vous entendre la messe? + --Pas souvent», lui dis-je tout bas. + + --«On sait ce que cela veut dire, + Pas souvent! Mais notre bon Dieu + Est partout. Cela peut suffire + De l'adorer hors du saint lieu. + + «Lui faisiez-vous votre prière + En vous couchant?--En me couchant? + Je ne me souviens pas, saint Pierre. + Mais peut-être bien qu'en cherchant... + + --«Hum!... enfin!... Et la bonne chère? + --Je l'aimais assez...--Et le vin? + --La bouteille aussi m'était chère. + --Bûtes-vous trop?--Cela m'advint. + + --«Mais vous viviez comme un infâme! + Et la vertu?...--Dame! j'aimais + Toujours une petite femme! + --Était-ce la même?--Jamais! + + «Que la dernière était jolie! + On s'en allait, sur les gazons, + Par les dimanches de folie, + On s'en allait...--C'est bien! Gazons! + + «Et vous avez encor l'audace + De me dire ça sous le nez? + Pour vous nous n'avons pas de place: + Allez-vous-en chez les damnés! + + «Oh! là -bas on vous fera fête, + Monsieur le... Tiens, au fait, qu'avez- + Vous été sur terre?--Poète. + Je faisais des vers, vous savez. + + --«Hein? Poète?...» Alors, m'ouvrant vite: + «Pourquoi,» fit-il d'un ton plus doux, + «Ne l'avoir pas dit tout de suite? + Entrez donc! Vous êtes chez vous.» + + +XXI + +BALLADE DES VERS QU'ON NE FINIT JAMAIS + + Mes vers pour qui je sens la plus grande tendresse + Sont tous les non-finis qui vont par un, par deux; + Ces vers dont on remet l'achèvement sans cesse, + Qu'on retrouve en fouillant dans les papiers poudreux. + Quand on est un poète, on est un paresseux; + On n'est point patient comme un graveur sur cuivre: + Souvent, quand la beauté d'un sujet vous enivre, + On se met au travail; mais le feu tombe, mais + Les vers vont faiblissant si l'on veut les poursuivre. + Les meilleurs sont les vers qu'on ne finit jamais. + + L'idée est délicate, et la forme la blesse + Des poèmes trop faits. Elle préfère ceux + Qui ne l'ajustent pas avec trop d'étroitesse: + Elle court moins danger de s'abîmer en eux. + Quand on veut achever, cela devient chanceux; + La mort du sens exquis bien souvent doit s'ensuivre; + Il fond comme fondrait une étoile de givre + Qu'on voudrait prendre, ou bien la neige des sommets! + Dans des vers terminés le rêve peut-il vivre? + Les meilleurs sont les vers qu'on ne finit jamais. + + C'est vous, vers commencés, et puis que l'on délaisse, + Rondels abandonnés, refrains harmonieux + Auxquels on n'a pas fait de chansons, par mollesse, + Sonnets dont on n'a fait qu'un tercet merveilleux, + C'est vous que le poète aime toujours le mieux. + Et tel alexandrin qu'un second n'a pu suivre + Dit un charme, un parfum léger dont on fut ivre, + Mieux qu'un poème long. Ce sont les plus mauvais, + Les vers que, du tiroir, pour la foule, on délivre... + Les meilleurs sont les vers qu'on ne finit jamais. + +ENVOI + + Lecteur, je suis navré. Ces vers que je te livre + --Dont, peut-être, on vendra le papier à la livre,-- + Ne sont pas, il s'en faut, hélas! ceux que j'aimais. + Car les meilleurs, comment les mettre dans un livre? + Les meilleurs sont les vers qu'on ne finit jamais. + + +XXII + +SUR UN EXEMPLAIRE DE LA PREMIÈRE ÉDITION DE CE LIVRE + + ... Le savant Huet, évêque d'Avranches, faisait venir _musard_ du + latin _musa_. + + (PRÉFACE.) + + Ainsi j'ai musardé, musardisé, musé, + Sans croire qu'aux lauriers pour moi fussent des branches, + Et sans être aussi sûr que Monseigneur d'Avranches + Qu'un mot comme _musard_ vînt de _Musa, Musæ_. + + Ainsi j'ai soupiré, flûte, cornemusé, + Sans savoir que parfois sur des jeux tu te penches, + O Muse! et que tu prends tout d'un coup des revanches + Lorsqu'on pense avec toi ne s'être qu'amusé. + + Je jouais, pour user ma jeunesse trop neuve, + En attendant le jour prédit par Sainte-Beuve + Où survit au musard un homme avantageux. + + Je jouais... puis: «Vivons!» dis-je, en fermant ce livre. + Mais la Muse habitait dans le nom de mes jeux; + Et sans elle à présent je ne saurais plus vivre. + + + + +II + +INCERTITUDES + + +I + +CHANSON DANS LE SOIR + + Il fit halte, ébloui, humant + Cette soirée et son haleine, + Au sommet de l'escarpement + D'où l'on découvre infiniment + La plaine. + + Un doux crépuscule du mois + Des doux crépuscules--septembre-- + Bleuissait vaguement les bois, + Sous un ciel de rose, à la fois, + Et d'ambre + + La lune, basse, et n'ayant point + Son teint coutumier de béguine, + Montrait un rougeâtre embonpoint, + Telle une orange mûre à point, + Sanguine; + + Et, sous cet astre de Japon, + Le val fuyait en molles lignes, + Avec le canal clair, le pont, + L'étang ridé comme un crépon, + Les vignes. + + Il admirait, lorsque, soudain, + Un chant monta de ce théâtre, + De ce cirque, de ce jardin, + Exhalé du dernier gradin + Bleuâtre, + + Et cet air où le soir mêla + Son murmure de vaste conque, + Cet air divinement vola... + C'était, d'ailleurs, un _lon lon la_ + Quelconque. + + Mais, dans le lointain de pastel, + Ce chant naïf, lent comme un psalme, + Était irrésistible,--et tel + Que cet instant fut immortel + De calme. + + Il se fit un tel unisson + De ce chant et du paysage, + Que le poète eut un frisson. + Et nous vîmes des pleurs sur son + Visage. + + Puis, de ce ton triste et coquet, + Ému, mais où du railleur passe, + De ce ton qui laisse inquiet, + Qui est son défaut, et qui est + Sa grâce, + + Cependant que toujours, parmi + Le doux bruit du soir qui soupire, + Montait sur le val endormi + La chanson charmante, il se mit + A dire: + + «O chanson qui monte, vieil air, + Filet lointain d'une voix pure, + Selon la brise vague ou clair, + O dentelle de son dans l'air, + Guipure! + + «O chanson qui monte dans l'or, + Du ciel, sur la lande embrumée, + Qui flotte au-dessus du décor, + Ruban de son, et moins encor... + Fumée! + + «Oh! qui donc, de cette façon + Mélancolieuse et touchante, + Quel rustique et jeune garçon, + Quel bouvier, quel pâtre, ô chanson, + Te chante? + + «Quel simple, ignorant de ce qu'il, + Oh! de tout ce qu'il ressuscite + De tendre, en moi, de puéril, + Ajoute ce charme subtil + Au site? + + «Charme dont, languissant musard, + Je suis ému jusqu'à la larme, + Parce que, inattendu, sans art, + Il éclôt d'un simple hasard, + Ce charme! + + «Voilà ! le fredon d'un vilain, + L'odeur d'un pré, la saison, l'heure, + Un peu de bleu crépusculin, + Voilà ! ce n'est pas plus malin... + On pleure! + + «Eh quoi! pleurer comme d'amour + Pour un _lon lon la_ monotone, + Pour le dernier soupir du jour, + Pour le vent dans les arbres, pour + L'automne? + + «De quoi donc souffrent-ils, mes nerfs? + De quoi donc, mon âme, es-tu veuve, + Pour que, parmi ces champs déserts, + Un air tel que tous les vieux airs + M'émeuve? + + «Est-ce là mon état normal? + De quel ciel suis-je nostalgique? + De quel pays ai-je le mal?... + Tais-toi, chant qui me rends ce val + Magique! + + «Ah! de mes larmes il appert + Que dans un désordre je sombre! + Quoi! pleurer parce que Vesper + S'allume, et qu'une voix se perd + Dans l'ombre? + + «Savourer le charme anxieux + Du moment et de l'atmosphère? + Jouir de l'ouïe et des yeux? + --Hélas! il y a pourtant mieux + A faire! + + «Il y a pourtant plus d'un but + Digne d'un homme jeune et libre! + O chanson dans le lointain... chut! + Ne serai-je jamais qu'un luth + Qui vibre? + + «Je m'en blâme... et toujours, si on + Chante un chant dans un lointain rose, + Je retourne avec passion + A cette délectation + Morose! + + «La tristesse est un aconit + Doux et vénéneux, que j'aspire! + Et mon vivre est selon le rit + De ton Jacques d'_As you like it_, + Shakspeare! + + «Mon coeur m'échappe, se mêlant + A toute fin de jour jolie; + Et sitôt qu'un air doux et lent + Monte, j'en suce la mélan- + Colie! + + «Oui, tout le triste qui coula + D'un chant, à l'heure violette, + Est sucé par moi... lon, lon, la... + Comme l'oeuf est sucé par la + Belette!» + +Coteau d'Andilly, 1893. + + +II + +EXERCICES + + Secouons la léthargie + Où tout est trop oublié, + Et traitons notre énergie + Comme un muscle atrophié. + + Veuillons pour vouloir. La chose + Importe peu! Mais veuillons! + Veuillons cueillir une rose + Sur un gouffre, et la cueillons; + + Veuillons franchir un obstacle. + Devenir tireur adroit, + Organiser un spectacle, + Faire respecter un droit. + + Parler la langue des Kurdes, + Écrire le nubien; + Veuillons des choses absurdes + Pour apprendre à vouloir bien! + + Quittons l'âme inoccupée + Que nul désir n'effleurait: + On apprend la lourde épée + Avec le léger fleuret. + + Ces petits sports volontaires + Ne seront pas superflus. + Ainsi qu'on fait des haltères, + Veuillons peu d'abord, puis plus. + + Ramassons, aux plages molles, + Des cailloux, et lançons-les! + On devient des discoboles + En maniant des galets. + + Lorsque nous nous fatiguâmes + A vouloir, soyons contents; + Car lorsqu'on a fait ses gammes + On n'a pas perdu son temps. + + Telle ambition profonde, + Jouant un jeu qu'on moquait, + Guettait la boule du monde + Dans celle d'un bilboquet. + + +III + +LES BARQUES ATTACHÉES + + Dansez, les petites barques! + Dansez, les petits bateaux + Sur lesquels on voit des marques + De gros couteaux! + + Dansez, les petites barges + Sur lesquelles sont écrits + Des noms cordiaux et larges + Comme des cris! + + Dansez, le _Requin_, de Nantes, + Le _Marsouin_, de Paimpol, + Que des cordes frissonnantes + Tiennent au sol! + + Dansez ces danses, penchées + Par l'effort sur un lien, + Que les barques attachées + Dansent si bien! + + Quand on tient par une amarre + Que l'on ne peut pas casser + Au port plat comme une mare, + Il faut danser! + + L'air a tant de transparence + Qu'on peut, au lointain de l'eau + Où vient se jeter la Rance, + Voir Saint-Malo! + + Dansez!--En cognant vos quilles, + Faites onduler vos rangs! + Les paniers sont pleins d'équilles + Et de harengs; + + Les goélands font des rondes + Sur les quais par l'eau vernis; + Les rouleaux de cordes blondes + Semblent des nids; + + Et sur la pierre brûlante + Quelques mousses ingénus + Dorment en montrant la plante + De leurs pieds nus! + + Dansez en roulant des hanches + Le long des pierres du bord, + Les petites barques blanches + Qu'on laisse au port! + + Dansez, les peintes en rouge, + Dansez, les peintes en bleu, + Sur votre reflet qui bouge + Toujours un peu! + + Dansez, les neuves, parées, + Et les très vieilles, qui n'ont, + Pour éblouir les marées, + Plus que leur nom! + + Que chacune dans la Rance + Mire le beau nom qu'elle a! + Et dansez, _Bonne Espérance_, + _Maris Stella_! + + Dansez, la _Belle Jeannette_, + Dansez, les _Trois Bonnes Gens_, + Le _Vieux Gabier_, la _Mouette_, + Les _Deux Sergents_! + + Trompez, la _Nouvelle-Zemble_, + Votre impatience par + Un balancement qui semble + Presque un départ! + + Là -bas, en blancheurs confuses, + Ces champignons des remous + Qu'on appelle des méduses + Naviguent, mous! + + Dansez en rêvant aux vagues! + Ah! sur l'eau, d'un coup profond, + Quels colliers et quelles bagues + Les rames font! + + Dans l'odeur d'algue et d'éponge + Du petit port trop serein, + Barques, bercez-vous d'un songe + Glauque et marin! + + Acceptez ces ondes plates! + Le long de vos ventres ronds + Repliez, comme des pattes, + Vos avirons! + + Faites comme les poètes: + Dans le banal clapotis + Trouvez les flots des tempêtes + En plus petits! + + Sur l'eau verte où des bicoques + Mirent leurs toits renversés, + Vous poussant un peu des coques, + Barques, dansez, + + En rêvant aux villes claires + Des pays orientaux + Qui, de près, sont des misères! + En rêvant aux + + Archipels blonds et fertiles + Qui, si vous en approchez, + Vous paraîtront moins des îles + Que des rochers! + + Sachez la vertu d'un câble, + Et que tout l'or du lointain + Est dans ce chanvre implacable + Qui vous retient! + + On fait dans le creux d'une anse + Les voyages les plus beaux + Pendant qu'on tire en silence + Sur ses anneaux! + + Alors, pourquoi le voyage? + Mon Dieu, si c'est pour laisser + Un sillage,--tout sillage + Doit s'effacer! + + C'est pourquoi, dansez sur place! + On voit au loin Saint-Malo... + Le soir vient... la brise est lasse... + Dansez sur l'eau! + +Bords de la Rance, 1892. + + +IV + +MATIN + + Il fait un temps si beau que l'on n'ose pas vivre. + On est comme l'enfant qu'intimide et qu'enivre + Le cadeau trop vermeil qu'il n'ose pas toucher. + On est comme devant une fleur de pêcher + Qu'on craint, en la cueillant, de connaître fragile. + Il fait un temps si beau qu'on dirait que Virgile + A voulu, ce matin, nous parler de plus près. + Un paysage entier fuit entre deux cyprès. + C'est l'heure la plus douce encor que l'on ait eue. + On descend vers le lac, et, comme la statue + Qu'éveillait peu à peu Monsieur de Condillac, + On n'est plus qu'un parfum de rose près du lac. + On ne sait pas pourquoi, ce matin, les buées + Se sont, aux flancs des monts, si bien distribuées. + C'est trop. L'on est honteux de ce matin si pur. + On devrait être heureux, baigné de tant d'azur + Qu'il semble qu'on respire au bout d'une presqu'île, + Mais, quand l'air est trop doux, le coeur n'est pas tranquille. + Il fait un temps si beau que, gauche et stupéfait, + On n'ose se servir de ce beau temps qu'il fait. + On voudrait décliner humblement l'atmosphère. + Il fait un temps si beau que, tout ce qu'on peut faire, + C'est de vivre. Et l'on vit. Mais non sans un remords. + Car ce temps est si beau qu'il fait penser aux morts. + + +V + +SILENCE + + Le silence est la chose exquise. Du silence + Dans de l'ombre, c'est la douceur par excellence! + Se taire dans une ombre où l'on ferme les yeux, + C'est le plus grand plaisir, c'est le plus anxieux, + Le chant le plus parfait, la plus haute prière... + Et l'on voit des ronds d'or naître sous sa paupière. + Oh! écouter, la nuit, entendre, nuitamment, + «Le bruit des ailes du silence!...» (_Saint-Amant._) + + O silence introublé des nuits! Fenêtre ouverte! + Ombre muette et bleue! O raison qui déserte! + Illusions qui se retrouvent au complet! + Chevauchement de la Chimère qui vous plaît! + Ou, mieux encor, chagrins bien savourés! retraites + D'angoisse, qui ne sont d'aucun rire distraites! + Souvenirs d'autant plus chéris dans le secret + Qu'on sent que pour personne ils n'auraient d'intérêt! + Descentes en soi-même! O prospecteur de l'âme, + Silence! pour qui seul le pur filon s'enflamme! + ... Plus de voix résonnant, raisonnant (mot haï + Par un _é_, moins encor pourtant que par _a, i_!) + ... Silence, ami profond qu'on écoute se taire, + Quand, dans le soir qui vient, on est assis par terre + Et qu'on est éclairé seulement par le feu! + Confident qui, toujours, lorsqu'il reçoit l'aveu, + Prend la voix de la conscience pour répondre! + Glaçon mystérieux qu'on sent sur l'âme fondre + Comme celui qu'au front porte un fiévreux brûlant! + Silence où l'on se met comme dans un lit blanc! + Oh! glisser, dans un grand silence, au fond des chambres, + Ses pensers, comme on glisse en un grand lit ses membres. + Et puis les étirer longtemps, loin des propos, + Et chercher les coins frais du silence!... + + Repos. + Arrêt des boniments. Trêve des éloquences. + Évasion d'entre les paroles. Vacances + Délassement délicieux. Cerveau guéri + De tous les coups dont il était endolori + Par tout le bruit que font tous les gens qu'on rencontre + Et qui ne cessent pas de parler pour et contre + La chose indifférente ou l'individu vain. + Suprême réconfort. Bain d'eau fraîche... le bain + Où les rêves lassés laissent tremper leurs ailes! + (Mais, quand ces ailes-là rebattront, auront-elles + Jamais l'incomparable et divin battement + Des plumages muets qu'écoutait Saint-Amant?) + + O silence! + + Et surtout, ne plus jamais entendre + Ceux qui disent, venant par le bouton vous prendre: + «Expliquons-nous!». + + Grands dieux! ne nous expliquons plus! + On ne s'entend que grâce à des malentendus. + +1890. + + +VI + +BILLET DE REMERCIEMENT + + Mon cher Mécène, quelques lignes + M'avisent que votre intendant + Vient de m'expédier deux cygnes + Pour embellir mon humble étang. + + Priant les dieux qu'il ne s'égare + Sur leurs plumages éclatants + Aucun des charbons de la gare, + Je les attends! je les attends! + + Après avoir brossé sa veste + Et mis dans ses poches du pain, + Le vieux jardinier, d'un pas leste, + Est allé les chercher au train. + + Moi, des blancheurs plein la cervelle, + Fou de ce lumineux cadeau, + Je cours annoncer la nouvelle + Aux berges de ma pièce d'eau. + + Je suis un peu honteux, à cause + Que je n'ai pas pour eux, hélas! + L'ombre auguste d'un laurier-rose, + L'eau divine d'un Eurotas! + + Mais s'il vit, ce couple de cygnes, + Dans mon pauvre lac reflété, + Je croirai qu'en mes vers indignes + Pourra vivre un jour la beauté. + + +VII + + N'obligez pas le poème + Qui, mystérieusement, + Voudrait s'ouvrir de lui-même, + A devancer le moment. + + Les bouquetières brutales, + Quand la fleur tarde à fleurir, + Lui soufflent dans les pétales + Pour la forcer à s'ouvrir; + + Alors, sur sa tige verte, + La rose s'ouvre à regret: + Il est vrai qu'elle est ouverte, + Mais son parfum n'est pas prêt. + + Et la fleur compare, triste + Dans la corbeille d'osier, + Ce procédé de fleuriste + Au procédé du rosier. + + +VIII + +LE SOUVENIR VAGUE OU LES PARENTHÈSES + + Nous étions, ce soir-là , sous un chêne superbe + (Un chêne qui n'était peut-être qu'un tilleul), + Et j'avais, pour me mettre à vos genoux dans l'herbe, + Laissé mon rocking-chair se balancer tout seul. + + Blonde comme on ne l'est que dans les magazines, + Vous imprimiez au vôtre un rythme de canot; + Un bouvreuil sifflotait dans les branches voisines + (Un bouvreuil qui n'était peut-être qu'un linot). + + D'un orchestre lointain arrivait un andante + (Andante qui n'était peut-être qu'un flon-flon), + Et le grand geste vert d'une branche pendante + Semblait, dans l'air du soir, jouer du violon. + + Tout le ciel n'était plus qu'une large chamarre, + Et l'on voyait, au loin, dans l'or clair d'un étang + (D'un étang qui n'était peut-être qu'une mare), + Des reflets d'arbres bleus descendre en tremblotant. + + Et tandis qu'un espoir ouvrait en moi des ailes + (Un espoir qui n'était peut-être qu'un désir), + Votre balancement m'éventait de dentelles + Que mes doigts au passage essayaient de saisir. + + Sur le nombre des plis de vos volants de gazes + Je faisais des calculs infinitésimaux, + Et languissants, distraits, nous échangions des phrases + (Des phrases qui n'étaient peut-être que des mots). + + Votre chapeau de paille agitait sa guirlande, + Et votre col, d'un point de Gênes merveilleux + (De Gênes qui n'était peut-être que d'Irlande), + Se soulevait parfois jusqu'à voiler vos yeux. + + Noir comme un gros pâté sur la marge d'un texte + Tomba sur votre robe un insecte, et la peur + (Une peur qui n'était peut-être qu'un prétexte) + Vous serra contre moi.--Cher insecte grimpeur! + + Un grêle rameau sec levait sur le ciel pâle, + Ainsi que pour me mettre en garde, un doigt crochu. + Le soir vint. Vous croisiez sur votre gorge un châle + (Un châle qui n'était peut-être qu'un fichu). + + L'ombre nous fit glisser aux pires confidences; + Et dans votre grand oeil plus tendre et plus hagard + J'apercevais une âme aux profondes nuances, + (Une âme qui n'était peut-être qu'un regard). + + +IX + + Oui, sans doute, et tant pis pour ceux que l'aveu choque + Une âme mélangée, obscure, et de l'époque; + Du grave et du frivole, et des hauts et des bas; + De grandes lâchetés après de grands combats... + Mais, du moins, nulle hypocrisie, une profonde + Franchise, un coeur pressé de se montrer au monde, + Qui, simplement, toujours, à tous, se dévoila, + Disant: «Voici le bien, et, le mal, le voilà ; + Voilà ce que je suis, ni plus, ni moins»; la crainte + Toujours d'être prisé plus qu'on ne vaut, et mainte + Fois, pour qu'un sentiment ne devienne trop grand, + Le soin de l'amoindrir, vite, en se dénigrant; + Pour l'injuste louange autant de gêne à l'âme + Que peu d'étonnement pour un injuste blâme; + Le mépris d'une estime usurpée et du vol + D'une admiration; l'orgueil peut-être fol + De vouloir être aimé tel quel, avec ses tares; + Et tandis qu'ils s'en vont chantant sur leurs guitares, + Tous, toutes les vertus dont le ciel les orna, + La fierté satisfaite et rogue, d'un qui n'a + Jamais voulu tromper, jamais été de force + A remettre au bois mort un peu de verte écorce; + Qui, jamais ne mentant et ne bonimentant, + N'a voulu de soi-même être le charlatan + Et proposer un coeur où la faiblesse abonde + Comme le plus naïf et le plus pur du monde; + Et qui, fardé, cherchant un traître demi-jour, + Jamais n'a raccroché l'amitié ni l'amour; + Qui ne veut pas du tout, par surprise, qu'on l'aime, + Et qui, s'il est aimé rarement, l'est lui-même, + Lui-même pour lui-même, avec son peu de bon, + Son beaucoup de mauvais, lui tout entier, et non + Je ne sais quel monsieur de haute fantaisie + Fabriqué sans défauts par son hypocrisie. + + Et tandis que je rêve ainsi, tout exalté + De découvrir en moi cette ultime fierté + Qui loin de toute feinte abaissante me pousse, + Une petite voix insidieuse et douce + Vient murmurer tout près de moi: «Turlututu! + Cette franchise, est-ce vraiment de la vertu? + Cet effroi du mensonge à soutenir, qui gêne, + Ce superbe refus de se donner la peine + De jouer, pour les gens, tout un long rôle appris, + De se contraindre en quoi que ce soit, ce mépris + De toute hypocrisie,--entre nous, ne serait-ce + Pas simplement l'effet d'une extrême paresse?» + + +X + +NOS RIRES + + Malgré l'amour, la vie et l'heure et les périls, + Nous rions quelquefois des rires puérils, + Des rires dont le son doit étonner nos âmes; + Pour rien, pour un détail dont nous nous avisâmes, + Des rires fous qui sont des fous rires vraiment. + Et nous pour qui l'amour est un déchirement, + La vie un songe en pleurs, l'heure une fuite pâle, + Et pour qui les périls ouvrent un long dédale, + Malgré l'amour, la vie, et l'heure et les périls, + Nos rires sont parfois de si brusques avrils, + Nos rires font sous bois des musiques si franches, + Si fraîches, qu'entendus de loin, entre les branches, + Par le passant qui rêve et ralentit le pas, + Ils doivent lui donner--hélas! il ne sait pas!-- + L'illusion que là le bonheur simple habite, + Que la tendresse est calme, et la maison petite, + Et qu'on ignore encor tous les mauvais frissons. + Mais nous, nous cependant, lorsque ainsi nous laissons, + Gourmandes de gaîtés après de trop longs jeûnes, + Rire un peu, malgré nous, nos lèvres... qui sont jeunes, + Toujours nous évitons avec les plus grands soins + De laisser se croiser nos yeux... qui le sont moins, + Et, riant, nous n'osons nous regarder en face, + De peur qu'en un sanglot le rire ne se casse. + + +XI + +LES DEUX CAVALIERS + + Parce que j'ai voulu tourner beaucoup de clefs, + Parce que j'ai voulu pousser beaucoup de portes, + J'ai vu pendre à des clous mes rêves étranglés, + J'ai vu du sang caillé dans des cheveux bouclés, + J'ai vu d'affreux yeux blancs,--j'ai vu les Femmes Mortes! + + Et depuis que je vis ces mortes, et depuis + Que, pâles, je les vis dans leurs robes à queue, + Le vieux Seigneur des Spleens, le Sire des Ennuis + Plonge en mon coeur un couteau long comme mes nuits, + A la manière du sinistre Barbe-Bleue. + + En vain, pour surveiller les chemins d'alentour, + --Hélas, quelle arrivée attendre, ou quel retour?-- + J'ai fait monter mon Ame au sommet de la tour. + Je sens entrer en moi, lentement, cette lame + Que la cruelle main excelle à retenir. + Et je crie: «Ame, ma soeur Ame, + Ne vois-tu rien venir?» + + Et l'Ame me répond: «Je ne vois rien que l'herbe, + L'herbe vulgaire, et courte, et vile, qui verdoie. + --Quoi! rien de clair, de grand, de chantant, de superbe? + --Rien que la platitude immense, qui poudroie! + --Quoi! vers ta blanche tour, en hâte, ne s'éploie, + Par le ciel de soie, + Aucun oiseau bleu? + --Non! sur le sol boueux, aussi loin que je voie, + Il ne vient qu'une oie + Claudicante un peu.» + + --«Je sens qu'on m'entre cette lame! + Ne vois tu rien venir, soeur Ame?» + + Elle répond: + «Je ne vois rien + Passer le pont!» + + Elle répond: + «Je ne vois rien, + Sur l'or céleste, + Que le moulin + Du discours vain + Dont le seul geste + Répond au mien.» + + «Ne vois-tu rien venir?--Non rien, + Sur la grand'route, que le chien, + Je ne vois rien, sur la grand'route, + Que le chien poussiéreux du Doute, + Que le caniche fantômal + Que Faust écoute, + Que l'éternel et le banal + Barbet du mal.» + + Et je crie: «Ame, ma soeur Ame, + Ne vois-tu rien venir?--Non, rien, + Sinon, toujours, le même infâme + Troupeau de jours pareils, qui vient!» + + --«Ma soeur Ame, regarde bien! + Ne vois-tu rien venir?--Non, rien! + Sur la plaine où, du regard, j'erre, + Rien que la stupide bergère; + Aucune princesse étrangère; + Ni messager, ni messagère; + Et si, quelquefois, mensongère, + Une blancheur va s'élevant, + C'est un nuage de poussière + Qui ne précède que du vent!» + + --«Je sens qu'on m'entre cette lame! + Ne vois-tu rien venir, soeur Ame? + Ma soeur Ame, regarde bien!» + Et ma soeur Ame ne voit rien! + + Mais, un jour, il faudra que ma soeur Ame voie + Arriver du lointain, sur l'herbe qui verdoie, + Les deux cavaliers, + Qui, plus vite au signal du mouchoir qui s'agite, + Fendent l'air en piquant des deux, et qui, plus vite, + Sautent les halliers. + + Alors, nous n'aurons plus, mon Ame, qu'à nous taire! + Et, laissant leurs chevaux dans la cour solitaire, + Alors le noir dragon et le blanc mousquetaire + Monteront par l'étroit escalier, monteront + Si vite par l'étroit petit escalier rond, + Qu'étant aux pieds du monstre, encore, les mains jointes, + Je lui verrai soudain jaillir du sein deux pointes, + Car, entrés par derrière en ouvrant les rideaux, + Tous deux l'auront ensemble estoqué dans le dos! + + Qui sera le dragon et qui le mousquetaire? + Seront-ils des soldats du ciel ou de la terre, + Les deux bons assassins qui, brusques, entreront + Dans la chambre où l'Ennui me tue, et le tueront? + Mon Ame, ces soldats, mes frères et les vôtres, + Seront-ils le Malheur et l'Amour... ou deux autres? + Deux autres?... Mais lesquels?... Lorsqu'on entend un pas, + Ce sont toujours ceux-là qui viennent, n'est-ce pas? + Sous quel nom viennent-ils? Sous quel masque? On l'ignore... + Mais je suis sûr qu'un jour, dans l'escalier sonore, + Signal de mon salut, ma soeur, nous entendrons + Le tintement précipité des éperons. + + +XII + +L'HEURE CHARMANTE + + Le repas s'achevait en musique, aux bougies. + Le vieux parc n'était plus le parc aux élégies, + Mais s'éclairait de ces lanternes du Japon + Qui, sous le fil de fer léger qui leur sert d'anse, + Au moindre éveil de brise entrent toutes en danse, + En étirant leurs corps annelés, de crépon. + + Des reflets s'en allaient sous l'eau du lac moirée + Croiser leurs vrilles d'or. Ce fut une soirée + Unique. Le feuillage était notre plafond; + Des étoiles luisaient dans tous les interstices; + Les décors naturels se mêlaient aux factices; + L'amour était frivole, ému, libre, profond. + + Le réel avait tu sa rumeur importune. + Les ombrelles des pins se veloutaient de lune. + Un désordre joyeux régnait dans le couvert. + Les candélabres hauts de vieille argenterie + Portaient, à chaque branche, une flamme fleurie + D'un lilliputien abat-jour, mauve ou vert. + + Ce fut une soirée unique de magie + Et dont nous garderons toujours la nostalgie: + Les coeurs étaient de choix, les esprits aristos; + Les silences disaient des passages de rêves; + Puis les mots repartaient, ennoblis par ces trêves, + Et les âmes vibraient ainsi que les cristaux. + + Le vin était d'Asti; le luxe, véritable; + Des violettes en tous sens jonchaient la table; + Les unes se mouraient: elles étaient des bois; + D'autres duraient encore: elles étaient de Parme; + D'un verre qu'on eût dit soufflé dans une larme, + Des roses s'effeuillaient d'un seul coup, quelquefois. + + Le moindre pli, le moindre noeud, la moindre ganse, + Résumait en soi seul des siècles d'élégance; + Le moindre mot de ces charmants civilisés, + Des siècles de finesse; et, dans les accessoires + Les plus inattendus, des siècles de victoires + Sur la lourde matière étaient totalisés. + + On disputait de poésie et de musique; + Un doux bavard faisait de la métaphysique; + Les fraises, cependant, d'un tas pyramidal + S'écroulaient et roulaient sous les doigts des gourmandes; + Les rieuses offraient moitié de leurs amandes; + On entendait quelqu'un qui parlait de Stendhal. + + Et les glaces fondaient, minuscules banquises, + En délivrant des fleurs qui dedans étaient prises. + On se sentait parfois dans une extase, et puis + On ne savait plus trop d'où venait cette extase, + Si c'était du joli mystère d'une phrase, + Ou de la nouveauté d'un couteau pour les fruits. + + Ce fut l'heure où, parmi les coupes de Venise, + Dans un accoudement satisfait, s'éternise + L'égrènement rêveur des grappes de muscats; + Alors les beaux distraits qu'être une énigme flatte + Sourirent d'un sourire un peu haut sur cravate + Et tinrent des propos obscurs et délicats. + + L'amour était ému, libre, profond, frivole; + Ceux-ci, faux puérils, jouaient à pigeon-vole; + Ceux-là disaient des vers. Et quand les premiers feux + Palpitèrent, des cigarettes allumées, + Aux cheveux plus légers que de blondes fumées + La fumée emmêla de bleuâtres cheveux. + + Le paradoxe était aux lèvres des plus sages; + Les fracs étaient fleuris d'oeillets pris aux corsages; + Et, comme on entendait de lointains violons, + Les femmes ne faisaient que des réponses vagues, + Et, machinalement, changeaient de doigts leurs bagues, + Avec des rires brefs et des regards très longs. + + L'orchestre avait bien soin de n'être pas tzigane; + Sa valse eût fait valser Urgèle avec Morgane; + Puis, elle se taisait, pour reprendre soudain. + Ce fut une soirée unique de magie. + Contre tous les parfums d'un boudoir-tabagie + Luttaient tous les parfums d'un nocturne jardin. + + Oh! les rires troublés! oh! les beaux bruits de jupes! + Les plaintes, à mi-voix, ironiques, des dupes! + Les mots précis partant des coins esthétisants, + Les mots vagues des coins philosophants, les drôles + Des coins moqueurs... et les blancs haussements d'épaules + Aux madrigaux musqués des dolents bien-disants! + + Puis, les frissons frileux dans les robes ouvertes, + Et, le soir fraîchissant, les fichus et les berthes + Jetés vite aux cous nus par les prestes galants; + Les fuites s'estompant, doubles, sous les grands arbres; + Les gestes bleus parmi les gestes blancs des marbres; + Les barques, sur le lac, commençant des tours lents; + + Les barques promenant des chants et des lumières... + Énervements heureux et fébrilités chères! + Celui-ci qui, burlesque, éveillant des frons-frons, + Tente un refrain narquois sur une mandoline, + Cet autre proposant d'aller sur la colline... + Et la noble pâleur de tous ces jeunes fronts! + + Ce fut une soirée unique de magie. + Le vent malin souffla la dernière bougie + Devant que se fondît notre ultime sorbet. + Parfois, faisant pousser des cris aux robes blanches, + On voyait, incendie indiscret sous les branches, + Une lanterne japonaise qui flambait. + + Et nous nous augmentions l'exquis de cette fête + De la sentir frivole, imprudente, inquiète; + Et, délicats devins d'un brutal avenir, + Assurés de bientôt périr,--et quels artistes!-- + Tous, nous la savourions, charmés, finement tristes, + Comme on fait ce qui doit et ce qui va finir! + + Et ces chants, ces propos, ces clartés et ces femmes, + Et la communion légère de ces âmes, + Et ces plaisirs polis et doux d'honnêtes gens, + --Honnêtes, mais pervers un peu,--ces nonchalances, + Ces voix discrètes, ces musiques, ces silences, + Cette complicité parfaite d'indulgents, + + La fraîcheur, sous les doigts, de ces perles, ces grâces, + Cette confusion d'esprits de toutes races, + Ces minutes, ce parc où l'on était si bien, + Joignaient le charme encore, à tant de charmes rares, + De tout ce que déjà menacent les barbares, + De tout ce dont bientôt il ne restera rien! + +1892. + + +XIII + +LE CAUCHEMAR + + Nous étions prisonniers entre les quatre murs + D'une bibliothèque aux fenêtres grillées + Et d'où nous entendions sonner, rythmés et durs, + Des coups toujours suivis d'un long bruit de feuillées. + + On abattait les bois autour de la prison; + Et, sans cesse, parmi la pénombre des branches, + Infligeant aux forêts de grands trous d'horizon, + La hache bleue avait des promptitudes blanches. + + L'aubier meurtri rendait un déchirant parfum; + Et les hauts bûcherons triomphaient de leur force + Qui savent, en deux coups, faire, sur un tronc brun, + La blessure gommeuse aux deux lèvres d'écorce. + + Et, sans cesse, à travers les barreaux, nous voyions + Un arbre ouvrir les bras dans l'or de la fenêtre, + Tournoyer comme pour s'accrocher aux rayons, + Et tomber. L'if tombait. L'orme tombait. Le hêtre + + Tombait. Des voix criaient: «Abattez le noyer! + Coupez le cèdre auguste où passe le vent libre! + Car il nous faut du bois, du bois pour le broyer, + Du bois pour qu'on le râpe et pour qu'on le défibre!» + + Ces cris se distinguaient dans l'innombrable cri: + «Pour chaque arbre abattu j'offre un billet de banque! + Abattez les forêts--car tout le monde écrit, + Le papier va manquer! Le papier manque! Il manque, + + «Car le nombre croissant des écrivains profonds, + Puissants, probes, nouveaux, sincères, purs, utiles, + Devient supérieur au nombre des chiffons + Que trouvent les crochets dans l'ordure des villes! + + «Puisque le haillon manque aux boîtes du préfet, + Abattez, bûcherons, tous les arbres en hâte! + Et qu'on mette leur bois en pâte, puisqu'on fait + Du bon papier avec le bois qu'on met en pâte!» + + Et pour mieux faire à l'arbre une entaille en biseau, + Les bûcherons crachaient dans leurs mains des salives; + Et quand l'arbre tombait, parfois un nid d'oiseau + Éparpillait au loin cinq petites olives. + + Et tandis que des chars emportaient ces piliers + Dont la longueur traînante aux chemins se profane, + On entendait crier des ordres singuliers: + «Mêlez le carbonate avec la colophane! + + «Au travail! L'atmosphère est à deux cents degrés! + Cylindrez! Calandrez! Couchez! Mettez en colle! + Pour défibrer le bois nos meules sont en grès! + Vite! Le monde écrit comme une immense école! + + «Quand passent deux passants, soyez sûr que dans l'un + Un Montaigne est éclos, ou va, dans l'autre, éclore. + C'est pourquoi, préparez la fécule et l'alun! + Neutralisez avec des sulfites le chlore!» + + Et d'autres voix criaient: «Le papier manque! Il faut + Que, craquant à la place où la hache l'échancre, + Le cèdre se décide à tomber de son haut + Afin que nous puissions utiliser notre encre! + + «La page de ce soir, sur quoi l'écrirons-nous?» + Et, la hache à leurs troncs faisant une jointure, + Les cèdres fléchissaient comme de grands genoux. + --Et la journée avait sa page d'écriture. + + Et les rois, les ténors, les banquiers, les tailleurs, + Tous griffonnaient leur page,--et même les poètes! + Comme s'il se pouvait que des strophes ailleurs + Que sur l'onde et le sable aient jamais été faites! + + «Fabriquer du papier, c'est là l'essentiel! + Puisqu'il est des auteurs de quoi couvrir la terre, + Il nous faut du papier de quoi vêtir le ciel!» + C'est ainsi que criaient des voix. Et le mystère, + + La fraîcheur, le parfum, l'ombre, l'asile, l'eau, + S'en allaient avec l'arbre. Et l'on criait: «Il semble + Que l'on puisse employer le tremble et le bouleau!» + Et le bouleau tombait, abattu sur le tremble! + + «Les sapins sont très bons!» Cylindre et laminoir + Avalaient les sapins qu'ils rendaient dans des cuves; + Les sapins sortaient blancs qui venaient d'entrer noirs; + Et le grand vent des monts ne portait plus d'effluves! + + «Les peupliers sont excellents!» Les peupliers + Tombaient en frissonnant de leurs longues échines, + Et puis, broyés, blanchis, lissés, coupés, pliés, + S'envolaient en journaux des ardentes machines! + + «A cause de ses fleurs gardez l'acacia!» + Ont, dans l'acacia, gémi les tourterelles. + Mais les femmes voulant écrire, on le scia, + Et l'arbre en fleurs devint trois cahiers blancs pour elles! + + Et les femmes faisaient leur livre. Et les enfants + Faisaient leur petit livre. Et c'est pourquoi, par troupes, + On voyait s'échapper des biches et des faons + Du bois où sombrement l'on pratiquait des coupes. + + Et tandis que les bois allaient se dépeuplant, + Sans cesse on entendait mille plumes hâtives + Grincer au premier plan, tandis qu'au second plan + Continuellement ronflaient les rotatives. + + Eux-mêmes--car ceci se passait en des temps + Où tout ce qui venait du livre était la gloire!-- + Afin qu'on parlât d'eux, les arbres palpitants + Désiraient la cognée et voulaient la doloire! + + Les beaux arbres disaient--car ces temps furent tels--: + «Il est beau d'être beau, mais il faut qu'on le sache! + Émigrons dans les vers afin d'être immortels! + Oui, tomber dans Ronsard vaut bien un coup de hache!» + + Et comme la nature et ses vertes beautés + Rendaient tous les humains impatients d'écrire, + Les arbres s'écroulaient afin d'être chantés, + Les bois disparaissaient pour qu'on pût les décrire! + + Et, bois inspirateurs, bois pleins de souffles, bois + Dont Jeanne d'Arc disait, en parlant à ses juges: + «Si j'étais dans les bois j'entendrais bien mes voix!» + Ainsi vous périssiez, solitudes, refuges! + + Nous, pourtant, nous lisions, penchés sur des bureaux; + Et quand d'un livre ouvert nous levions le visage, + Nous n'apercevions plus à travers les barreaux + Que deux ou trois forêts au fond du paysage! + + Et plus on écrivait, et plus on imprimait, + Plus les quatre parois s'épaississant de livres, + Automatiquement sur nous se refermait + La chambre où des mots creux nous tenaient lieu de vivres. + + Mais, sans même observer qu'elle se resserrât, + Tout joyeux d'habiter la ratière livresque, + Chacun de nous passait, selon ses goûts de rat, + Du lard scientifique au sucre romanesque. + + Et toujours, lentement, sûrement, par milliers, + Les volumes venaient s'ajouter aux volumes, + Toujours, tous les brochés à tous les reliés, + Tous ceux que nous lirons à tous ceux que nous lûmes! + + Et n'ayant que leurs noms, jamais, de différents, + Histoires sur romans, et romans sur poèmes, + Ils triplaient, quadruplaient et quintuplaient leurs rangs, + Faisant toujours semblant de n'être pas les mêmes! + + Et plus s'élargissaient les horizons dehors, + Plus la prison, dedans, se rétrécissait, comme + Si, frappant tous ces coups, donnant tous ces efforts, + L'homme ne travaillait que pour étouffer l'homme! + + Et mangeant peu à peu l'espace tout entier + Dans lequel la lecture épuisait nos fantômes, + Les murs ne nous laissaient maintenant qu'un sentier + Où nous courions encore en compulsant des tomes! + + Il n'y avait plus rien dehors qu'un pays plat. + Rien ne méritait plus, dans l'aride nature, + Ni qu'on le respirât, ni qu'on le contemplât: + Tout était devenu de la littérature! + + A peine restait-il des bois vendus sur pied + Ces brindilles qu'au soir, fagotier, tu recueilles: + Tous les arbres étaient devenus du papier; + On trouvait des feuillets quand on cherchait des feuilles! + + Les papetiers vendaient les bois aux imprimeurs. + Sitôt qu'un petit homme avait offert un chèque, + Une forêt tombait en murmurant: «Je meurs!» + Et les murs avançaient dans la bibliothèque! + + Mais voici que, surpris par le progrès des murs, + Nous vîmes tout d'un coup qu'entre ces murs, nos têtes + Allaient, en s'écrasant comme des fruits trop mûrs, + Rendre leur pauvre jus de mots et d'épithètes! + + Nous connûmes trop tard les immenses regrets. + Le livre même en eut pour ce qu'on assassine. + «_Dieux! que ne suis-je assise à l'ombre des forêts!_» + Soupira vainement la Phèdre de Racine. + + On entendit gémir le grand vers de Hugo: + «_Les pourpres du couchant sont dans les branches d'arbre!_» + Les branches n'étaient plus, ô pourpres, qu'un fagot, + Et vous faisiez mentir l'alexandrin de marbre! + + Alors, près de mourir, lorsque le dernier bois + Jeta la dernière ombre au bord d'une prairie, + Nous comprîmes soudain, pour la première fois, + Que nous avions vécu dans une librairie; + + Que les arbres d'avril et que les fleurs de mai + Avaient en vain passé devant nos âmes closes; + Car nous n'avions rien vu, rien connu, rien aimé, + Que l'image du monde et le portrait des choses! + + Nous criâmes d'horreur; et pâles, voulant fuir, + Nous visitions les murs, nous cherchions les fenêtres, + De ces mains qui n'avaient caressé que du cuir, + De ces yeux qui n'avaient adoré que des lettres! + + Nous comprîmes, pendant qu'entraient dans notre chair + Le maroquin rugueux ou le vélin jaunâtre, + Et la douceur de vivre et la beauté de l'air + Que chantait au lointain l'ignorance d'un pâtre! + + Nous criâmes d'amour, quand craquèrent nos os, + Vers le soleil couchant dont s'allongeaient les cuivres, + Et, les livres des murs s'étant touchés du dos, + Nous fûmes écrasés entre des dos de livres! + +1891. + + + + +III + +LA MAISON DES PYRÉNÉES + + +I + +LA MAISON + + O toiture, tu te dessines! + Asile vert, je te revois! + Quatre colonnes de glycines + Supportent deux balcons de bois. + + Le store met une paupière + Au regard d'un miroir sans tain; + Et le bon jardinier Jean-Pierre + Flûte un petit rire enfantin. + + L'étroit pont de schiste se marbre + Des ombres de la frondaison. + Le piano chante dans l'arbre, + Tant l'arbre est près de la maison. + + La clôture est une volière + Où les oiseaux chantent en choeur + Qu'il faut bien agiter le lierre + Puisqu'il a la forme d'un coeur. + + Toute cette maison chantante + Qui se mire dans un ruisseau + Sent le coutil, comme une tente, + Et sent l'iris, comme un berceau! + + Décoré d'une antique huche + Et de trois chaises, l'escalier + Sent la cire, comme une ruche, + Et la pomme, comme un cellier. + + Au salon tendu de cretonne, + Un doux lustre vénitien, + Quand nos rires montent, s'étonne + De se sentir moins ancien; + + Les portes que le vernis dore + Semblent, pour rendre ce salon + Plus délicatement sonore, + Faites en bois de violon. + + A voix haute on lit en famille + Tout ce qu'apporte le facteur, + Et la sonnette de la grille + Est la sonnette du bonheur! + + Je revois tout cela!--L'abeille + Bourdonnait, et j'avais dix ans. + Ah! je crois que je me réveille + Dans ma chambre aux parquets luisants! + + Les hauts volets de cette chambre + Étant de ce bois odorant, + De ce beau sapin couleur d'ambre + Que le soleil rend transparent, + + Je pouvais, les fenêtres closes, + Dire que le ciel était bleu + Lorsque les volets étaient roses + Comme des doigts devant le feu! + + Pour voir les pics couverts de neige + En faisant le grand tour du val, + Le vieil écuyer du manège + Venait me chercher à cheval. + + Je rentrais... Abeille, je t'aime, + Qui, comme un miel sur du pain sec, + Mettais sur le grec de mon thème + Un murmure beaucoup plus grec! + + Minutes que rendaient célestes + La mélodie et le travail! + Tous nos orgueils étaient modestes + Comme des bijoux de corail. + + Le soleil baignait Sauvegarde. + Monsieur l'Inspecteur des forêts + Envoyait souvent, par un garde, + Des fougères que j'adorais! + + Et cette maison de campagne + Sentait, lorsque tombait le jour, + La mousse, comme la montagne, + Le mystère, comme l'amour! + + Un grand chapeau garni de tulle + Pendait aux cornes d'un isard. + Mon père traduisait Catulle, + Et ma soeur déchiffrait Mozart. + + +II + +LES PYRÉNÉES + + Pourquoi suis-je, ô mes Pyrénées, + Attiré sans cesse vers vous, + Et, riantes ou ravinées, + Qu'avez-vous pour moi de si doux? + + Lorsque j'arrive de Provence + A travers des champs de maïs, + D'où vient que je sens à l'avance + Votre odeur de gouffre et de lys? + + D'où vient qu'à vingt ans comme à douze + Je suis debout dans le wagon, + Dès qu'on a dépassé Toulouse, + Pour vous chercher à l'horizon? + + Et sitôt qu'au béret d'un pâtre + Je connais que vous approchez, + Quel est ce courant d'air bleuâtre + Qui m'aspire entre vos rochers? + + D'où vient que, lorsque à votre charme + Je veux résister, c'est vraiment + Comme si par le fer d'une arme + Je rendais plus fort un aimant? + + D'où vient que pour moi, sur la terre, + Il n'est d'Alpes ni d'Apennins + M'attirant avec ce mystère + Qu'ont les grands pouvoirs féminins? + + D'où vient qu'en Tyrol et qu'en Suisse, + Où je suis allé par hasard, + Il n'est pas un chamois qui puisse + Me sembler beau comme un isard? + + Où donc est-elle cette force + A quoi je sens que j'obéis? + Dans quelle fleur? Sous quelle écorce? + D'où vient que j'aime ce pays? + + J'aurais pu le trouver superbe + Sans le trouver aussi charmant: + Quelle est, entre ses herbes, l'herbe + D'où naquit cet enchantement? + + Lézard vivant ou feuille morte, + Un talisman se glissa-t-il + Dans l'humble butin qu'on rapporte + D'une course au bord d'un péril? + + Qui de vous est une amulette, + Caillou blanc où luit un mica, + Pierre à l'odeur de violette, + Bouquet au parfum d'arnica? + + Quels cristaux, quelles marcassites, + Grands monts où je me trouve heureux, + Font-ils que, né loin de vos sites, + Je me sens adopté par eux? + + Effleurai-je une mandragore + Dans les racines d'un sapin + Quand je me rendais à Bigorre + En passant par le col d'Aspin? + + Je n'ai pas l'âme montagnarde: + D'où vient que vous me retenez, + Pâle ciel que le mont regarde + Avec de grands lacs étonnés? + + Est-il une Circé des neiges + Versant son philtre au ruisseau clair? + Où donc êtes-vous, sortilèges? + Dans l'eau, dans la terre ou dans l'air? + + Je cherche... D'où m'êtes-vous nées, + Tendresses pour ce haut jardin? + --Mais dans le soir des Pyrénées, + Ma mémoire s'ouvre soudain. + + Dans le soir une phrase vole, + Par mon père dite jadis: + «Ta grand'mère était espagnole.» + Ma grand'mère était de Cadix! + + Ah! je comprends, montagne verte, + Pourquoi, souvent, dans vos sentiers, + J'ai marché d'un pas plus alerte + En rencontrant des muletiers! + + Au tournant poudreux d'une route, + Je comprends, quand je vous entends, + Pourquoi, toujours, je vous écoute, + Grelots sonores, si longtemps! + + Voilà pourquoi, sous les étoiles, + Je vous guettais au coin des ponts, + Attelages couverts de toiles, + De sparterie et de pompons! + + Pourquoi j'aimais voir les saccades + Que l'âne imprime aux cacolets + Lancer dans l'argent des cascades, + Des grains de raisins violets! + + Tout s'explique,--et, bal du dimanche, + Pourquoi, toujours, mon coeur battit + Lorsque l'espadrille était blanche + Et que le pied était petit! + + Je n'étais pas traître ou fantasque + Quand j'aimais, dans les bruits du bal, + Presque autant le tambour de basque + Que le tambourin provençal. + + Ce n'est pas l'odeur forestière + Que je demande au sapin bleu, + C'est le parfum de la frontière + D'un pays dont je suis un peu. + + Car l'Espagne qui me possède + Et qui fait que je vais, là -haut, + --Laissant en bas la brise tiède,-- + A la rencontre du vent chaud, + + Ce n'est pas cette espagnolade + Qui pendant un instant vous a + Lorsqu'on mord dans une grenade + Ou qu'on respire un mimosa; + + Ni la jeune espagnolerie + Qui vous prend quand on lit Musset + Et qu'une basquine fleurie + Passe dans votre rêve... c'est + + Une Espagne en mon coeur vivante + Au point que, lorsqu'il bat le soir, + C'est elle, à grands coups, qui s'évente + De son petit éventail noir! + + Donc, à ma lyre--est-ce une tare? + Mais avec fierté je le dis!-- + J'ai quelques cordes de guitare: + Ma grand'mère était de Cadix! + + Et, ma race, tu m'accompagnes + Lorsque ici je cherche, en rôdant + Sur la lisière des Espagnes, + Un pittoresque plus ardent. + + Si j'aime un nerveux paysage, + C'est que je promène sur lui + Les yeux qu'avait dans son visage + Celle à qui je pense aujourd'hui. + + Quelques piments dans un platane, + Un foulard jaune, un grand manteau, + Éveillent la voix gaditane + Dont parle en moi le contralto. + + Et c'est pourquoi, souvent, je semble, + Bien qu'immobile, voyager: + Un doux fil qu'on tire et qui tremble + Me relie à quelque oranger! + + C'est la raison, blondes cigales, + De mon goût pour les grillons bruns, + Et de ces humeurs inégales + Que me reprochent quelques-uns! + + Mes autres aïeux voient sans haine + Cette étrangère qu'il y a + Dans la famille phocéenne + Que je tiens de Massilia; + + Mais elle! sa race est jalouse, + Et, quand mon âme a des sursauts, + Je crois bien que cette Andalouse + Me dispute à ces Provençaux! + + Ah! quand je sens mon énergie + Se briser en moi d'un coup sec, + Je suis pris d'une nostalgie + Qui ne vient pas d'un marin grec! + + L'ancêtre que je commémore + Lorsque ainsi je deviens rêveur, + C'est peut-être, ô Cadix! un More + Dont la romance est dans mon coeur. + + Et ce qui vers vous, Pyrénées, + Sans cesse me ramènera, + C'est que vous êtes dessinées + Avec des fiertés de sierra! + + C'est que le vent chaud vient vous battre, + Ce vent énervant et subtil + Qui fait rire comme Henri Quatre + Et pleurer comme Boabdil! + + C'est que votre terre, voisine + D'un sol où j'ai quelque cousin, + Reste encore si sarrasine + Qu'un blé s'y nomme sarrasin; + + C'est que toujours votre nature + Garde en son frémissant décor + Une arabe désinvolture, + --Et l'écho sublime d'un cor! + + Je comprends de quel atavisme + M'est venu ce besoin moral + De sentir un fond d'héroïsme + Au tableau le plus pastoral. + + Mon goût même devient logique: + Voilà pourquoi, vent africain, + Il me faut une Géorgique + Retouchée un peu par Lucain! + + Et, Galice, Aragon, si proches + De ces cimes qu'on voit blanchir, + Pourquoi, toujours, devant ces roches + J'aime vivre--sans les franchir! + + Votre Espagne, pour mon Espagne + Qui n'est qu'une goutte de sang, + Si je passais cette montagne, + Aurait un parfum trop puissant! + + Mais ce que la France y mélange + Rend ici le parfum léger, + Et tout m'est doucement étrange + Sans que rien me soit étranger. + + Superbe, et bien assez vermeille + Devant l'Espagne qui l'est trop, + La montagne est comme Corneille + Adaptant Guilhem de Castro! + + Elle mêle une noble mousse + Aux rocs qu'un tonnerre ouvragea: + C'est de l'Espagne encore douce + Et de la France âpre déjà . + + Ceux que le béret auréole + S'ajoutent, d'un air que je sais, + Ce rien de bravade espagnole + Qui rendit toujours plus français! + + Les fouets claquent en mousquetade, + Les mots chantent sous le balcon, + Et déjà la rodomontade + Roule de l'_r_ dans le gascon. + + Folie où la raison chuchote, + La bravoure du béarnais + Porte Sancho sous Don Quichotte + Comme un gilet sous un harnais. + + La sombre cape où l'on s'engonce + Ne se voit pas encor souvent; + Mais l'oeil sous le sourcil s'enfonce, + Et la fenêtre sous l'auvent. + + Lorsque tourbillonnent ces rondes + Que l'on noue autour des pressoirs, + Quelques femmes sont encor blondes, + Tous les raisins ne sont pas noirs! + + Au seuil des blanches maisonnettes + Danse un couple auquel je ne vois + Pas encore des castagnettes... + Déjà des claquements de doigts! + + La danseuse, brusque et gentille, + Est encor française... Elle l'est... + Mais on dirait que la mantille + Commence dans le capulet! + + Au fond des églises agrestes, + Riantes comme leurs curés, + Les ferveurs sont encor modestes, + Les autels déjà trop dorés! + + D'une tendresse encor française, + La foi qui dans ces roches vit + Aurait peur de sainte Thérèse, + Et Bernadette lui suffit! + + Devant ces crêtes mitoyennes + Voilà pourquoi je suis si bien: + Toute la France de mes veines + Dans ce clair pays me retient; + + Car, parmi tout mon sang, vous n'êtes, + O goutte de sang espagnol, + Que comme entre mille alouettes + Un furtif petit rossignol! + + Et si j'aime, depuis l'enfance, + Sous ce ciel venir, et rester, + C'est qu'ici, sans quitter ma France, + J'entends mon Espagne chanter! + + +III + +L'EAU + + Luchon, ville des eaux courantes, + Où mon enfance avait son toit, + L'amour des choses transparentes + Me vient évidemment de toi! + + Ton nom seul, plein de bulles blanches, + Fait pour moi des ruisseaux couler + Sous des passerelles de planches + Que mon pied soudain sent trembler! + + Où voit-on les bergeronnettes, + Qui s'y connaissent en ruisseaux, + Longer plus d'eaux vives et nettes + Sous de plus verdoyants arceaux? + + Où la neige daignerait-elle + Descendre ainsi du pic sacré + Pour former une cascatelle + Dès qu'un passant est altéré? + + Où voit-on s'offrir une vasque + A chaque tournant de chemin + Pour qu'on puisse tenir Vénasque + Dans le creux glacé de sa main? + + Ce Vénasque au chapeau de brume + Ne cesse pas de faire au val + Des générosités d'écume + Et des largesses de cristal! + + Prodigue sûr de ses ressources + Et que la pelouse bénit, + Le mont jette l'argent des sources + Par les fenêtres de granit! + + Il veut, formidable Mécène + Qui sait que l'eau fait toujours bien, + Subvenir à la mise en scène + De ce décor virgilien. + + Dans l'herbe, au fond du précipice, + Caressant ou rongeant le bord, + Partout l'eau sourd, l'eau court, l'eau glisse, + L'eau fuit, l'eau bout, l'eau rit, l'eau dort! + + L'eau brille dans ta robe grise + Comme des glaives et des socs, + Montagne auguste dont Moïse + Semble avoir frappé tous les rocs! + + Quand l'eau semble absente, un bruit tendre + Nous avise qu'elle est tout près, + Et quand on ne peut pas l'entendre, + On la sent dans l'odeur des prés. + + O sentiers! ô ruisseaux sans nombre + L'un à l'autre se mélangeant! + Les sentiers sont des ruisseaux d'ombre, + Les ruisseaux des sentiers d'argent! + + A travers d'obliques ondées, + L'Aurore, dans un bleu frisson, + Voit les collines accoudées + Comme des nymphes qu'elles sont! + + Sur leurs épaules incarnates + Des torrents glissent, éperdus! + Et ces éblouissantes nattes + Sont faites de ruisseaux tordus! + + De l'eau partout! Quand la rivière + Déborde,--histoire de pouvoir + Laisser autour de la chaumière + Des petits morceaux de miroir,-- + + Les champs ont du ciel dans leurs barbes + Comme un vieil homme a des yeux bleus! + Et vous savez, chevaux de Tarbes + Qui broutez les prés onduleux, + + Combien de ces flaques dormantes + Il faut savoir franchir d'un bond + Lorsqu'on galope sur les menthes, + Dont l'écrasement sent si bon! + + Quelle terre ne serait sèche + Auprès de cette terre? Ah! si + L'on vivait d'amour et d'eau fraîche, + Ce ne pourrait être qu'ici! + + Et des fontaines! des fontaines! + Y en a-t-il!... Il y en a + Pour toutes les Samaritaines + Et pour toutes les Rébecca! + + Partout de l'eau! Toujours des gouttes + Aux sandales des vagabonds! + Tant d'eau partout que, pour les routes, + Il faut, partout, des ponts, des ponts! + + Voûtés comme de bons esclaves, + Les ponts, joyeux de leurs fardeaux, + Pour leur faire passer les gaves + Prennent les routes sur leurs dos! + + Et les routes d'or, qui s'amusent + De voir les ponts plonger aux flots + Leurs grands pieds de pierre qui s'usent, + Ont de longs rires de grelots! + + A l'heure où sortent les bréviaires, + Le crépuscule rend divins + Ces paysages de rivières, + D'arches, de pics et de ravins. + + Et toute cette eau, source ou gave, + Sur le roc ou sous les cressons, + Voix joyeuse ou silence grave, + Nous instruit en fraîches leçons. + + Ah! quelle leçon vaudrait-elle + Cette claire leçon d'amour + Que donne la neige éternelle + En pensant aux ruisseaux d'un jour? + + Où s'apprend la persévérance? + C'est au catéchisme de l'Eau + Qui, sous des airs d'indifférence, + Songe toujours à son niveau. + + Contre la force ou le sarcasme, + L'Eau, noble et fine, nous apprend, + En bouillonnant, l'enthousiasme, + Et la patience, en filtrant! + + Ses conseils n'ont rien de scolaire, + Car elle enseigne, en ses ruisseaux, + L'utilité de la colère, + Des belles chutes, et des sauts! + + Elle murmure avec tendresse + --Car elle veut que nous rêvions-- + Que bien souvent une paresse + Peut laisser des alluvions! + + On sait tout lorsque l'on assiste + Aux cours délicieux de l'Eau: + Sous la fougère et sous le ciste + Elle explique, en passant, le Beau, + + Prodiguant l'exemple qui frappe, + Elle prouve aussi bien qu'il est + Dans l'abondance d'une nappe + Que dans la grâce d'un filet. + + La dignité, cet esclavage, + Ne rend jamais son flot boudeur; + On ne connaît pas le rivage + Où l'attachera sa grandeur! + + Son orgueil n'a pas la folie + De se priver des jeux charmants. + Ah! comme elle aime qu'on oublie + Qu'elle est un des quatre éléments! + + Quand de sa crue on s'inquiète, + Elle se pique de vermeil, + Ne dédaignant pas la paillette + Qu'elle sait être du soleil. + + C'est par l'Eau que les blanches cimes + Se racontent aux peupliers: + Car les glaciers les plus sublimes + Parlent en ruisseaux familiers. + + Eh quoi! l'Eau? la soeur de la Terre? + L'Eau qui féconde? la grande Eau? + L'Eau qui lave et qui désaltère + Daigne jouer sous ce rideau? + + Elle joue avec l'écrevisse, + Avec le saule... Et, tout d'un coup, + Elle va se mettre en service, + Elle qui peut inonder tout! + + Elle coulait, large et futile, + Sous les terrasses du château, + Et puis un besoin d'être utile + L'a prise brusquement, cette eau! + + Lâchant la pompe fluviale, + Elle file, d'un air malin, + Dans la rigole triviale + Que lui propose le moulin! + + Elle s'échappe des palettes, + Et, bravement, voulant avoir + De grosses bulles violettes, + Elle va mousser au lavoir; + + Elle entre, avec un bruit de foudre, + Dans une scierie aux longs toits, + Pour y mêler sa blanche poudre + A la poudre blonde du bois; + + Et quand on a dépecé l'arbre, + Elle va, toujours s'échappant, + S'embaucher pour scier du marbre + Chez un marbrier de Campan! + + Elle a ses gaîtés les meilleures + Dans le travail et dans le bruit... + L'Eau divine a fait ses huit heures + Quand commence à tomber la nuit! + + Le clair de lune y met sa traîne... + Le bétail y met ses naseaux... + Soyez, belle Eau Pyrénéenne, + Bénie entre toutes les eaux! + + --Source calme ou torrent bravache, + L'Eau qui descend de la hauteur + Apprend tout ce qu'il faut qu'on sache + Pour être poète ou lutteur! + + L'Eau ne cesse pas, gave ou source, + D'apprendre à l'homme, à chaque instant, + Qu'on emporte--en prenant sa course, + Et qu'on reflète--en s'arrêtant; + + Mais que, malgré le flot qui rage, + L'arbre emporté d'un brusque effort, + O lutteur, devient un barrage + Lorsque le torrent n'est pas fort; + + Et que, malgré l'azur, poète, + Quand le ruisseau n'est pas profond, + A travers le ciel qu'il reflète + On peut voir la terre du fond! + +1893. + + +IV + +LA BRANCHE + + Cette branche pendante et gracile de saule, + Qui vibre parce que l'eau vibrante la frôle, + Ayant voulu sans doute écouter de plus près + Ce que dit le ruisseau dans son tumulte frais, + Se pencha, d'une souple inflexion de tige, + Un peu d'abord, puis trop,--maladresse ou vertige! + Et l'eau, par une feuille, en courant, la retint: + Si bien qu'elle, à présent, dont c'était le destin + De vivre, avec toujours le même geste calme, + Dans l'azur, d'une vie indolente de palme, + Elle doit s'agiter sans cesse, trembloter. + Sangloter quand il plaît à l'eau de sangloter. + Se secouer gaîment si l'eau devient rieuse, + Et s'épuiser en longs émois, la curieuse, + Qu'estiment bien punie alors ses vertes soeurs, + Mais qui n'a nul regret des tranquilles douceurs, + Mais qui secrètement les raille et les méprise, + Mais qui se sent, malgré le courant qui la brise, + Et l'affole, et malgré l'implacable ruisseau + Qui ne lui fait jamais grâce d'un seul sursaut, + Heureuse d'être celle avec qui communique + Le flot, et de savoir ce qu'il dit, elle unique! + + +V + +LA FONTAINE DE CARAOUET + + La Fontaine de Caraouet + Est la plus charmante de toutes. + Elle chante comme un roue, + La Fontaine de Caraouet! + Elle est si fraîche qu'Arouet + Perdrait, en y buvant, ses doutes. + La Fontaine de Caraouet + Est la plus charmante de toutes. + + O Fontaine de Caraouet, + Tu chantes sous de vertes voûtes! + Qui boit ton eau fait un souhait, + O Fontaine de Caraouet! + Quand celle qu'on aime vous hait, + En chantant tu vous désenvoûtes, + O Fontaine de Caraouet + Qui chantes sous de vertes voûtes! + + O Fontaine de Caraouet, + De quelle ombre tu te veloutes! + C'est là que mon sort se jouait, + O Fontaine de Caraouet, + Là qu'un silence m'avouait + Ce qu'entend le coeur aux écoutes... + O Fontaine de Caraouet, + De quelle ombre tu te veloutes! + + O Fontaine de Caraouet, + Est-ce que toujours tu glougloutes? + Les guides claquent-ils du fouet, + O Fontaine de Caraouet? + La villa blanche qu'on louait + Est-elle encor près des trois routes? + O Fontaine de Caraouet, + Est-ce que toujours tu glougloutes? + + La Fontaine de Caraouet + Est au fond des heures dissoutes. + Ne me demandez plus où est + La Fontaine de Caraouet! + D'un bonheur on est le jouet, + Et puis, au jour, jour, tu t'ajoutes... + La Fontaine de Caraouet + Est au fond des heures dissoutes! + + Les Fontaines de Caraouet + Nous laissent sur le coeur des gouttes. + Ces gouttes tremblent pour dire: «Et + La Fontaine de Caraouet?» + Même si l'on se secouait + Elles ne tomberaient pas toutes. + Les Fontaines de Caraouet + Nous laissent sur le coeur des gouttes! + + +VI + +LA GLYCINE + + A mon balcon cette glycine + Tord ses bras fleuris dans le soir, + Avec le tendre désespoir + D'une princesse de Racine. + + Elle en a la fière langueur + Et la mortelle nonchalance; + Et lorsqu'un souffle la balance, + Et que le jour traîne en longueur, + + Et tarde à partir, et recule + Le déchirement tant qu'il peut, + Elle exhale une âme d'adieu, + Bérénice du crépuscule! + + Le livre glisse de mes mains. + Le petit drame se termine. + «Cruel!» dit au jour la glycine. + Les cieux blessés ont des carmins. + + Par la haute porte-fenêtre, + Mystérieusement, alors, + Une des branches du dehors, + Comme un geste vivant, pénètre. + + Du frémissant encadrement + Ce bras jeune et souple s'échappe; + Et je sens sur mon front la grappe + Qu'il laisse pendre tendrement! + + Tout s'embaume. Et je remercie. + Et, pour lui dire mon amour, + Je donne à la fleur, tour à tour, + Le nom d'Esther et d'Aricie. + + Et je compare, les yeux sur + Mon livre tombé sans secousse, + L'odeur plus forte d'être douce + Au vers plus ardent d'être pur! + + Un divin poison m'assassine! + Et je doute, en le chérissant, + Si de ma glycine il descend + Ou s'il monte de mon Racine! + + +VII + +LE CARILLON DE SAINT-MAMET + + Le Carillon de Saint-Mamet + Tinte quand d'or le ciel se teinte; + Comme si le soir s'exprimait, + Le Carillon de Saint-Mamet + Mystérieusement se met + A tinter dans l'air calme... Il tinte, + Le Carillon de Saint-Mamet, + Tinte, quand d'or le ciel se teinte! + + Qui plaint-il, qu'est-ce qu'il promet, + Ce chant de promesse et de plainte? + Plaint-il les gens de Saint-Mamet + Ou bien nous?... Est-ce qu'il promet + Le pardon du mal qu'on commet + Dans l'âpre course où l'on s'éreinte? + Qui plaint-il? Qu'est-ce qu'il promet, + Ce chant de promesse et de plainte? + + Mon coeur, croyant qu'on lui parlait, + Frissonnait à ce chant qui tinte, + Quand j'étais un enfantelet! + Mon coeur croyait qu'on lui parlait... + Ah! je voudrais encor qu'il ait + Cette délicieuse crainte! + Mon coeur, croyant qu'on lui parlait, + Frissonnait à ce chant qui tinte! + + L'odeur des herbes qu'on brûlait + Disait bientôt l'automne atteinte. + Une chauve-souris volait. + L'odeur des herbes qu'on brûlait + Venait jusqu'à notre chalet, + Et nous avions la gorge étreinte. + L'odeur des herbes qu'on brûlait + Disait bientôt l'automne atteinte. + + Levant les yeux de son ourlet, + La servante disait: «Il tinte!» + Et regardait vers le volet, + Levant les yeux de son ourlet! + Ce tintement la consolait + D'être à d'humbles choses astreinte. + Levant les yeux de son ourlet, + La servante disait: «Il tinte!» + + La femme qui nous vend du lait + Se signait mainte fois et mainte; + Vite mettant son capulet, + La femme qui nous vend du lait + Vers la petite église allait; + Et, des morts traversant l'enceinte, + La femme qui nous vend du lait + Se signait mainte fois et mainte! + + Le Carillon de Saint-Mamet + Ne tintait pas mieux qu'il ne tinte; + Mais, alors, comme il nous charmait, + Le Carillon de Saint-Mamet! + La mère de ma mère aimait + L'écouter, la bougie éteinte... + Le Carillon de Saint-Mamet + Ne tintait pas mieux qu'il ne tinte. + + Mais notre vie, alors, coulait + Plus profonde d'être restreinte! + Comme un ruisseau sur le galet, + Ah! notre vie, alors, coulait! + Nous n'avions qu'un petit valet, + Mais qui chantait une complainte... + Et notre vie, alors, coulait + Plus profonde d'être restreinte! + + Le volubilis violet + Se mêlait à la coloquinte; + L'humble barrière où s'enroulait + Le volubilis violet + N'était pas encor ce qu'elle est: + Une belle grille bien peinte! + Le volubilis violet + Se mêlait à la coloquinte! + + Toute aube sent le serpolet. + J'ignorais le mal et la feinte. + J'avais une âme d'oiselet. + Toute aube sent le serpolet. + Ah! si j'avais su qu'il fallait + Devenir Alceste ou Philinte! + Toute aube sent le serpolet. + J'ignorais le mal et la feinte. + + Le Carillon tintait, fluet! + Au salon de perse déteinte + Ma soeur jouait un menuet. + Mais, quand tintait le son fluet, + Le menuet diminuait + Pour écouter le son qui tinte... + Le son, alors, entrait, fluet, + Au salon de perse déteinte. + + Dieu! pourrait-on, si l'on voulait, + Te ravoir, simplicité sainte? + Reboire au premier gobelet? + Le pourrait-on, si l'on voulait? + C'est pourtant d'un oignon bien laid + Qu'on revoit fleurir la jacinthe! + Dieu! pourrait-on, si l'on voulait, + Te ravoir, simplicité sainte? + + Une étoile se rallumait + Sur le val, obscur labyrinthe. + Au-dessus de chaque sommet + Une étoile se rallumait + Quand la cloche de Saint-Mamet + Tintait!... Oh! si, lorsqu'elle tinte, + Une étoile se rallumait + Sur la vie, obscur labyrinthe! + + O Carillon de Saint-Mamet, + Tinte, quand d'or le soir se teinte! + Dans l'air bleu qui nous le transmet, + O Carillon de Saint-Mamet, + Tinte ce tintement qui met + Plus de calme en notre âme!... Tinte, + O Carillon de Saint-Mamet, + Tinte, quand d'or le soir se teinte! + + +VIII + +PRIÈRE D'UN MATIN BLEU + + Tout est bleu d'éther. + L'abeille du lys + Dit: «_Pater noster + Qui es in coelis..._» + + Le moineau des toits, + Le lézard du mur + Disent à la fois: + «_Sanctificetur..._» + + «_Nomen..._», dit le jonc. + «_Tuum..._», dit l'étang. + Et le doux et long + Delphinium blanc + + Répète: «_Tuum..._» + Sur autant de tons + Qu'un delphinium + A de clochetons! + + Que dit l'eau du puits? + «_Adveniat..._» L'air? + «_Regnum tuum..._» Puis + Tout devient plus clair! + + Bien qu'entre les pins + Glisse un canon mat, + Là -bas les lapins + Ont gémi: «_Fiat!..._» + + Ayant accepté + Qu'un plomb la tuât, + La caille a chanté: + «_Voluntas tua!..._» + + Un pigeon luisant + Quitte le bouleau + Et monte, en disant: + «_Sicut in coelo!..._» + + La bêche, à ce vol + Dont elle vibra, + Droite dans le sol + Gronde: «_Et in terra!_» + + Et: «_Panem nostrum..._», + Dit le sol vermeil. + «_Quotidianum..._», + Répond le soleil! + + Le ciel est si bleu + Que tout, ce matin, + Pense qu'il ne peut + Prier qu'en latin! + + C'est le réséda + D'aube irradié + Qui murmure: «_Da + Nobis hodie..._» + + «_Dimitte nobis + Debita nostra..._». + Bourdonne l'iris + Où l'abeille entra. + + Le fenouil léger + Qu'on appelle aneth + Dans le potager + A dit: «_Sicut et..._» + + «_Nos dimittimus..._», + Disent à mi-voix, + «_Debitoribus..._», + Les fourmis du bois. + + Dans ses petits pots + Le myosotis + S'éveille à propos + Pour dire: «_Nostris..._» + + Blanc d'avoir traîné, + Le pur Lohengrin, + Le cygne dit: _«Ne + Nos inducas in..._» + + Un corbeau plus vieux + Que Mathusalem + Croasse un pieux: + «_Tentationem._» + + «_Sed libera nos..._», + Bêlent en marchant + Les doux mérinos + Qui broutent le champ. + + Ayant le premier + Fait le mal subtil, + Que dit le pommier? + «_A malo!_» dit-il. + + Il dit: «_A malo..._» + Et le cyclamen + Incliné sur l'eau + Lui répond: «Amen!» + +1891. + + +IX + +OMBRES ET FUMÉES + + J'aime les ombres, les fumées, + Ces fugacités et ces riens, + Ces formes vaguement formées, + Ces tremblements aériens. + + Je t'aime, toi qui ne te poses + Jamais, Fumée, ô soeur du Vent, + Et je vous aime, Ombre des choses, + Plus que les choses bien souvent! + + Je vous aime, parce que, vaines, + Vous me convenez, à moi, vain, + Et parce que, les incertaines, + Vous me charmez, moi, l'incertain! + + Oui, j'aime toutes les fumées, + Celles qui traînent sur les champs, + Celles qui sortent des ramées, + Celles aux panaches penchants, + + Les larges dont les hanches rondes + Se roulent dans l'azur profond, + Celles qui sont des boucles blondes + Qui de plus en plus se défont, + + Ou des vrilles que l'air allonge, + Fins copeaux roulants et fuyards + De quelque menuisier de songe + Qui raboterait des brouillards; + + J'aime celles qui sont, il semble, + --Leurs flocons ensemble étant pris + Et montant ainsi pris ensemble,-- + Des grappes de gros raisins gris; + + Celles dont le duvet tressaille + Sur les chaumes, piquant au bout + De ces obscurs chapeaux de paille + Des aigrettes de marabout; + + Celles qui, tôt disséminées, + Par petits bonds légers s'en vont + Du chalumeau des cheminées, + Comme des bulles de savon; + + Les droites et les zigzagantes, + Et celles qui font sur les cieux + Des fioritures élégantes, + Des paraphes prétentieux; + + J'aime celles dont les spirales + Semblent monter d'un encensoir; + J'aime les roses, matinales, + J'aime les bleuâtres, du soir; + + Et celles que j'aime entre toutes, + Sont les pâles, les faibles, les + Pas encor tout à fait dissoutes, + Mais presque, aux lointains violets; + + Celles aux graciles volutes + Qui, dans les vallons assombris, + Dénoncent à peine les huttes + Et les éphémères abris; + + Celles qu'un jeu de brise courbe, + Courbe et redresse tour à tour, + Sur les moribonds feux de tourbe + Abandonnés par le pastour, + + Et dont les timides guirlandes + S'effacent à nos yeux ravis, + Et défaillent au loin des landes + Sur un horizon de lavis... + + * * * * * + + Et j'aime aussi toutes les ombres, + Et tous leurs caprices chinois, + Géantes, naines, pâles, sombres, + Selon l'heure et selon le mois; + + Les belles ombres magistrales + Qui rampent solennellement; + Les ombres caricaturales + A l'hoffmannesque mouvement; + + Les ombres surtout, je l'avoue, + Qui par des pinceaux très subtils + Semblent faites: sur une joue, + Cette fameuse ombre des cils; + + Cette ombre que, minutieuse, + Sur le bas du roc cinabrin + Ou sur le pied roux de l'yeuse, + Projette l'herbe, brin par brin; + + Sur le ruisseau, l'ombre d'un saule + Superposée à son reflet; + Au fond du ruisseau, l'ombre drôle + D'un têtard vif sur le galet; + + Une ombre de fils d'araignée + Dans laquelle un insecte mort, + Balançant sa panse saignée, + Met une petite ombre encor; + + Votre ombre au rideau de l'auberge, + Moustaches du chat accroupi; + L'ombre d'un cheveu de la Vierge; + L'ombre d'une barbe d'épi; + + Et dans le lys, cadran solaire + A qui Mab dit: «Quelle heure est-il?» + En bâillant sous un capillaire, + L'ombre tournante du pistil! + + Mais les ombres que je préfère, + Sont celles, naturellement, + Qu'un fugitif objet vient faire, + Les chères ombres d'un moment. + + Et c'est l'ombre de ce qui vole + Qui me séduit le plus, étant + La plus vaine et la plus frivole, + Par son symbole inquiétant. + + J'aime les ombres minuscules + Qui dansent sous les papillons, + Qui dansent sous les libellules, + Sur l'eau, les herbes, les sillons; + + J'aime l'ombre que l'alouette + Laisse par terre en s'élevant, + Et la rapide silhouette, + Sur les toits, de l'engoulevent; + + L'ombre d'un bond de sauterelle, + L'ombre, sous un zéphyr souffleur, + De la plume abandonnant l'aile, + Du pétale quittant la fleur; + + Toute ombre vite évanouie, + Toute ombre qu'on perd brusquement: + Sur les lèvres de mon amie + L'ombre d'un attendrissement, + + Dans toutes les ombres des branches + Toutes les ombres d'oiselets, + Celles, sur les poussières blanches, + De votre vol, duvets follets, + + Et, sur la frissonnante page + Où j'écris ces vers, au jardin, + L'ombre que jette le passage + De quelque moucheron soudain! + + Oui, lorsque à mon accoutumée + Je laisse aller jouer mes yeux, + C'est avec l'ombre et la fumée + Qu'ils s'amusent toujours le mieux; + + Et parmi les ombres sans nombre + Au jeu desquelles je me plus, + La plus philosophique, l'ombre + La plus ombre, et, partant, la plus + + Vraiment de mes regards aimée, + Ce fut,--ô deux riens s'assemblant!-- + Ce fut l'ombre d'une fumée + Bleuissante sur un mur blanc! + +1893. + + +X + +LA FLEUR + + J'étais là , bien couché dans ce bon tas de foin, + Dans ce bon tas profond de foin, qui, de très loin, + S'était promis à moi par son parfum qui rôde; + J'étais là , caressé d'une chatouille chaude, + Presque disparaissant dans la ronde rousseur, + Le corps enveloppé d'une vaste douceur, + La tête, cependant, commodément plus haute, + Riant d'aise, alangui, remerciant mon hôte, + Lequel m'insinuait des brins astucieux; + J'étais là bien couché, mon chapeau sur les yeux, + Bercé d'un tintement de cloches éloignées, + Ramenant quelquefois des touffes par poignées + Pour hâter mon complet ensevelissement, + Humant la forte odeur avec enivrement, + Et, béat, le coeur gai, le corps las, l'esprit veule, + Sentant crouler sur moi l'affectueuse meule! + J'étais là , somnolent, monologuant, et puis + Attentif aux milliers de craquants petits bruits + Secs et fins qu'on entend dans le foin qu'on écoute; + Je disais, mi-parlant, mi-chantonnant: «Le doute + Étant un oreiller, selon Montaigne, mol, + Doit être un oreiller de foin... de foin... Bien fol + Qui de courir les prés a conservé l'envie! + Pour moi, je vois ici l'emblème de ma vie. + Après avoir longtemps dans tous les sens erré, + J'ai, de mes verts espoirs, fait un grand tas doré, + Un tas de foin... de foin... sur lequel, à ma guise, + J'écoute, d'une oreille artiste et qui s'aiguise, + Des bruits ténus que nul ne percevrait que moi; + Sur lequel--d'autant plus méritoire, ma foi, + Que moi-même, et tout seul, j'ai dû faucher mon herbe,-- + Je goûte le repos confortable et superbe.» + Je me félicitais ainsi, quand, tout d'un coup, + Je me sentis piqué vivement dans le cou. + Et, furtive d'abord, insaisissable, obscure, + Elle devint bientôt si forte, la piqûre, + Que dans mon oreiller j'en cherchai la raison: + Et je vis qu'une fleur prise en la fauchaison, + Moins souple que le foin, m'avait, morte revêche, + Enfoncé dans la chair sa tige dure et sèche. + + +XI + +L'IF + + Le sol était jonché d'une automne craquante; + Et je faisais, au fond des bois où je fréquente, + Mon petit tour contemplatif. + Les buissons roux étaient comme un cercle de faunes. + Soudain, il me sembla, parmi les arbres jaunes, + Que je voyais jaunir un if. + + «Eh quoi! vous, l'arbre vert, toujours vert», m'étonnai-je + «Vous dont le vert profond reste noir sous la neige. + Vous, l'If, de ce jaune honteux?» + Mais, semblant désigner d'un mouvement de branche + Les arbres dont sur lui tout l'octobre se penche, + L'If me répondit: «Ce sont eux... + + «Eux qui, supportant mal mes insolences vertes, + Des feuilles qu'ils perdaient ont mes branches couvertes. + Ces feuilles, innombrablement, + Se sont, comme des mains rageuses et crispées, + A tous mes verts piquants si jaunes agrippées, + Qu'on me croira jaune, un moment!» + + «--Quoi! d'autres t'ont jeté ces feuilles que tu portes?» + Il reprit: «L'arbre mort jette des feuilles mortes! + Homme, ceci vous étonna? + Agit-on dans vos bois autrement qu'en les nôtres? + On prend toujours sur soi ce que l'on jette aux autres. + On ne prête que ce qu'on a. + + «Il faut à son prochain que l'on prête, sans cesse, + Flétri, sa flétrissure, et, sec, sa sécheresse, + Et, mort, qu'on lui prête sa mort. + Quand nous différons d'eux, les arbres et les hommes + Veulent, de ce qu'ils sont couvrant ce que nous sommes, + Nous étouffer comme un remord! + + «Sachez-le, puisqu'il faut qu'un arbre vous éduque: + La feuille persistante à la feuille caduque + Ne devrait pas se laisser voir. + N'est-il pas naturel que, voyant ma verdure, + Ces arbres aient trouvé, pour cacher que je dure, + De se laisser sur moi pleuvoir? + + «Ah! quand ils souffrent trop, les tilleuls et les chênes, + De ne laisser tomber sur les mousses prochaines + Que tous ces tristes haillons bruns, + Que ces maigres chiffons dont l'horreur tourne et vole, + Ils peuvent bien, mon Dieu! si cela les console, + M'en attribuer quelques-uns! + + «Le vent n'aura besoin que d'une chiquenaude + Pour faire s'écrouler tout ce qui s'échafaude + Fallacieusement sur moi. + Je serai nettoyé par quelques brises fraîches. + Car ces feuilles ne sont que de pauvres, de sèches... + Que dis-tu? Calme ton émoi! + + «Voilà bien les grands mots des hommes: calomnies? + Feuilles mortes, tout simplement! feuilles jaunies! + En suis-je moins vert là -dessous? + L'indulgence est facile aux arbres qui demeurent, + Et nous pouvons laisser à des arbres qui meurent + Le plaisir de mourir sur nous!» + + +XII + +LA BROUETTE + + Tel un prince héritier qui se déguise et rôde, + Afin de découvrir l'injustice et la fraude, + A travers les états du roi son père, tel + Jésus reprend parfois son jeune front mortel, + Quitte en secret le firmament du Dieu son père, + Et, blond, s'en vient un peu voyager sur la terre, + --Télémaque divin que, comme un vieux Mentor, + Le bon saint Pierre, ôtant son auréole d'or + Pour n'être pas trahi par ses feux, accompagne. + + Un jour, ayant battu longuement la campagne, + Le Seigneur et le Saint--on était en hiver,-- + Firent halte en un bois dont le feuillage vert + N'était plus sur le sol que de l'humus rougeâtre. + Saint Pierre eût bien voulu s'asseoir au coin d'un âtre + Et chauffer ses vieux doigts, mais la seule maison + Qui levât son chapeau de chaume à l'horizon + Ne penchait pas au vent la plume de fumée + Qui fait rêver bon gîte et soupe parfumée. + Donc, ce bois valait mieux, d'autant que le soleil + Y donnait, un soleil timidement vermeil, + Un soleil pas bien chaud, c'est vrai, mais, tout de même, + Point trop à dédaigner en ce matin si blême. + Et Pierre, tout fourbu d'aller par les chemins, + S'étant assis, tendait vers ce soleil ses mains + Et les dégourdissait dans sa lumière rose, + Cependant que Jésus rêvait à quelque chose, + Debout, et ne sentant ni fatigue ni froid. + + Pierre cria soudain: «Maître! Fils de mon Roi! + Regardez, regardez par ici cette femme! + N'est-elle pas stupide ou folle? Sur mon âme, + Elle veut ramasser du soleil. Voyez-la!» + + Jésus leva les yeux. Une vieille était là , + De ces vieilles des champs, au dur profil de chouette; + Et cette vieille, avec une énorme brouette, + Se tenait au milieu du sentier, à l'endroit + Qu'éclairait un rayon de soleil tombant droit; + Et sitôt qu'il venait dorer son véhicule, + Cette femme tentait la chose ridicule + D'emporter le rayon, et poussait aux brancards + Bien vite; mais toujours, au moindre des écarts + Qu'elle faisait du point frappé par la lumière, + Le soleil s'échappait de la brouette; et Pierre + Se divertissait fort à regarder ce jeu: + La capture, d'abord, du beau rayon de feu + Entre les ais boueux et gris qu'il illumine, + Puis sa fuite rapide, et la piteuse mine + De la vieille pauvresse, interdite un moment, + Mais qui recommençait bientôt, patiemment, + Sans comprendre pourquoi, dès qu'elle entrait dans l'ombre, + Elle ne poussait plus qu'une brouette sombre! + «Est-elle simple! Dieu! voyez ce qu'elle fait! + Bon! elle recommence!» + Et Pierre s'esclaffait. + + Mais voici que Jésus, dont l'intérêt s'éveille, + S'approche, et doucement interroge la vieille: + «Femme, que fais-tu là ? N'as-tu plus ta raison? + Il règne un froid terrible en cette âpre saison, + Et je ne comprends pas, ô femme, que tu veuilles. + Au lieu de ramasser du bois sec et des feuilles, + Ramasser ce rayon à peine réchauffant! + + --C'est pour le rapporter à mon petit enfant, + Dit la femme, en levant le front. Je suis l'aïeule + D'un pauvre enfant malade à qui je reste seule, + Car cet hiver le père et la mère sont morts. + Pour travailler, mes bras ne sont plus assez forts. + Je ne peux que glaner, et ce travail-là chôme. + Et l'enfant va mourir sous notre triste chaume, + Sans même avoir connu ces douceurs, ces bonbons, + Qui font sourire encor les petits moribonds. + Ne pouvoir pas gâter alors qu'on est grand'mère, + C'est dur! Que lui donner? Je ne savais que faire; + Mais voici qu'il me dit, ce matin, au réveil: + «Je serais bien content si j'avais du soleil!» + Car le soleil jamais n'entre dans ma chaumière, + Et mon petit garçon est privé de lumière. + Alors, voyant qu'ici du soleil avait lui, + Je viens en ramasser un bon morceau pour lui.» + Et la vieille reprit avec foi sa besogne. + + Quand il se sent ému, saint Pierre se renfrogne. + Il dit: «Elle est stupide! elle ne voit donc pas + Que son soleil s'en va dès qu'elle fait un pas! + Cette vieille cervelle est dure comme pierre + Et ne comprend plus rien!» + + Mais Jésus dit à Pierre, + Pensif, ayant rêvé sur cette femme un peu: + «On ne sait pas ce que l'amour des simples peut!» + Et, n'ayant pas compris toute cette parole, + Saint Pierre répétait: «Mais cette femme est folle! + Elle est folle, Seigneur!...» Soudain, il s'arrêta, + Presque aussi confondu que quand le coq chanta: + Car la vieille marchait maintenant sous les branches, + Et les rayons restaient entre les quatre planches, + Et les rayons, dans l'ombre, étincelaient encor. + Et, paraissant pousser devant elle un tas d'or, + Sans s'étonner, la vieille, impassible et muette, + Emportait le soleil dans son humble brouette. + +1892. + + +XIII + +L'AMOUREUX DE MARGARIDON + + «Vierge au regard loyal, fleur de notre campagne, + Si je puis être aimé de vous, Margaridon, + Demain même, je veux, pour vous en faire don, + Acheter un foulard au colporteur d'Espagne. + + «Si nous nous accordons sans trop tarder, je crois + Que je ne saurai pas vous refuser la montre + Qu'un bijoutier gascon dans sa boîte nous montre + Au milieu de coeurs d'or, de bagues et de croix! + + «Si nous nous marions aux premières pervenches, + J'irai jusqu'à donner du ruban de velours + Pour que le capulet même de tous les jours + Soit aussi bien bordé que celui des dimanches. + + «Sans être un grand Crésus, j'ai mon petit avoir. + J'ai des boeufs. J'ai le champ que m'a laissé mon père. + Un potager. Enfin, la maison est prospère, + Et vous aurez du linge à porter au lavoir. + + «Et si vous ne voulez que goûter le jeune âge, + Vous vivrez sans rien faire, aussi blanche de peau + Que les dames d'Albi qui portent un chapeau, + Car la mère est vaillante et fait tout le ménage. + + «La chambre est belle. Elle a trois mètres de hauteur. + Moi-même j'ai taillé la poutre et les lambourdes. + J'ai pendu deux portraits sous la Vierge de Lourdes: + L'un, c'est Monsieur Hugo; l'autre, Monsieur Pasteur. + + «De l'huile de mon bras la commode est luisante. + Le lit est grand, profond: c'était le lit des vieux. + La mère l'a cédé pour que nous soyons mieux. + Tout ça sera bien beau quand vous serez présente! + + «Les rideaux ont été passés à l'amidon; + Et j'ai fait faire un cadre avec les coquillages + Que l'oncle a rapporté de ses lointains voyages, + Pour le petit miroir de ma Margaridon. + + «J'ai, pour vos pots de fleurs, élargi d'une planche + La fenêtre où bientôt vous viendrez vous asseoir... + Et lorsque je suis seul, je regarde, le soir, + La place où vous mettrez votre main sur ma manche.» + +1889. + + +XIV + +LES BOEUFS + + C'est l'heure où la nuit pose, en montant vers les cieux, + Son pied sur chaque mont comme sur une marche; + Et, déchirant le soir du cri de ses essieux, + Un char de foin a l'air d'une meule qui marche. + + Deux boeufs trament ce char, et, de leur front têtu, + Ils poussent en avant, les cornes abaissées; + Chacun d'un tablier de toile est revêtu, + Qu'on voit en bas frangé de ficelles tressées. + + Cette frange descend sur leurs genoux noirauds + Pour éloigner, pendant les chaudes matinées + Où des bourdonnements s'échappent des sureaux, + Le harcèlement bleu des mouches obstinées. + + Ils avancent, coiffés de peaux d'agneaux, les boeufs, + Flanquant des coups de queue à leur croupe écailleuse, + Et sans paraître voir le tournant trop bourbeux, + Ni qu'après le tournant la côte est rocailleuse. + + Lorsque le char s'enfonce et qu'il faut l'arracher, + Dans le marbre gluant des naseaux noirs et roses, + Ils soufflent un instant, puis, sans daigner broncher, + Ils partent à nouveau, les paupières mi-closes. + + Et tandis qu'ils sont là peinant, poussant plus fort, + Les boeufs mystérieux, énormes et timides, + Comme s'ils demeuraient étrangers à l'effort, + Gardent, sous leurs cils durs, toujours, leurs yeux humides. + + Un attendrissement semble être en eux monté + Que ne peut plus troubler la présente détresse; + Et, les voyant souffrir avec cette bonté, + J'ai compris quelle était leur profonde sagesse. + + Ils ne s'étonnent plus, les paisibles boeufs roux, + Car ils ont longuement réfléchi sur les choses; + Et ce sont devenus des philosophes doux, + Patients rumineurs des effets et des causes. + + Ils ne s'étonnent plus, ils ne s'indignent plus, + Sachant qu'on perd son temps en révoltes superbes, + Quand la route implacable ouvre ses deux talus, + Et qu'il vaut mieux songer en remâchant des herbes! + + Ils savent qu'à leur sort ils ne changeraient rien, + Mais que chaque moment des plus ingrates vies + Peut posséder le rêve, insaisissable bien, + Secrète liberté des races asservies! + + Qu'importent l'aiguillon cruel, le taon haineux, + L'accouplement au joug, les cornes qu'on attache! + Ils ne souffrent de rien, ne vivant plus qu'en eux, + Et machinalement accomplissant leur tâche. + + Qu'importe la charrue et d'avoir entendu + Le cri que le bouvier pousse à la capvirade!... + Chacun, posant sans bruit son large pied fendu, + Rêve, et sent près de lui rêver son camarade. + + Ils vont, sans s'occuper des coups ni des faux pas, + Trouvant que pour rêver, déjà , la vie est brève. + Et que, si grands qu'ils soient, des maux ne valent pas + De détourner le sage, un moment, de son rêve! + + C'est pourquoi, quand, la ronce accrochant les moyeux, + L'ornière sous la roue hostilement se creuse, + Au plus fort de la lutte ils gardent dans leurs yeux + Cette belle douceur de la pensée heureuse. + +1889. + + +XV + +LES GENETS + + Sur ces balais--stupidement--dressés du sol + S'est abattu tout un doux vol. + + Pour se poser--sur ces balais,--dans la campagne, + Des papillons viennent d'Espagne. + + Des papillons--qui sont des fleurs,--des fleurs qui sont + Des papillons! Essaim? Buisson? + + Sont-ils des fleurs?--Sentez leur souffle!--Ou bien sont-elles + Des papillons? Voyez leurs ailes! + + Papillons-fleurs;--ces papillons--se sont, légers, + Sur chaque brindille étagés! + + Les gros en bas,--et, tout en haut--de chaque tige, + Le plus petit de tous voltige! + + Et tout ce vol--de papillons--tout palpitants + S'installe là pour quelque temps. + + Et maintenant,--les vieux balais--ont une housse, + Et répandent une odeur douce: + + Ça sent si bon--que c'est toujours--comme si on + Attendait la procession! + + Et cette odeur--s'en va troubler--toute la lande, + Car le vent fait la propagande. + + Balais! balais!--qui vous eût dit,--balais piteux, + Que vous seriez si capiteux? + + Et tout d'un coup--(mais quel besoin--des fleurs ont-elles + Étant des fleurs, d'avoir des ailes?) + + L'essaim doré,--qui se souvient--d'être espagnol, + Prend au vent d'Espagne son vol! + + Que reste-t-il--de l'or vivant,--des ailes douces? + Quelques noires petites gousses! + + Vous n'avez plus--qu'à frissonner,--genêts frileux, + En nous offrant, des balais bleus, + + Des balais bleus--pour balayer--devant nos portes + L'amas prochain des feuilles mortes! + + Balais! balais!--pauvres genêts,--vous êtes laids! + Vous n'êtes plus que des balais! + + Et vainement--vous murmurez,--ne pouvant croire + A la fuite de tant de gloire: + + «Qu'est-ce que c'est--que ces fleurs-là --qui fuient aux vents + Il faut consulter les Savants!» + + «Que voulez-vous!»--vous répondront--leurs voix cassées, + «C'est des papilionacées! + + «Il faut avoir,--quand on a peur--de ces douleurs, + Des fleurs qui ne soient que des fleurs! + + «Mais quand on veut--des fleurs en or--ayant des ailes, + On sait à quoi s'attendre d'elles!» + + +XVI + + Derniers petits chants et derniers ébats + Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. + + On entend encor fuser quelques trilles. + La couleur du ciel commence à muer. + Des coups d'ailes font encor remuer + La vigne des murs, le lierre des grilles. + + Derniers petits chants et derniers ébats + Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. + + Les échanges vifs que faisaient les branches + D'oiselets lancés comme des volants + Deviennent plus mous, deviennent plus lents. + La lune, au ciel clair, met ses cornes blanches. + + Derniers petits chants et derniers ébats + Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. + + Le doux crépuscule a jeté sa cendre; + Les lointains sont bleus et vont se noyant; + Et la feuille d'or, tout en tournoyant, + Du grand peuplier se met à descendre. + + Derniers petits chants et derniers ébats + Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. + + Une cloche tinte, une chèvre bêle. + Une fille passe, et chante, et suit l'eau. + Le chant que l'on chante à cette heure est beau; + La fille qui passe à cette heure est belle. + + Derniers petits chants et derniers ébats + Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. + + Les pas des marcheurs attardés se pressent. + Un rameau, quitté par son chanteur fol, + Est encor tremblant de l'élan du vol. + Où vont ces oiseaux qui tous disparaissent? + + Derniers petits chants et derniers ébats + Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. + + La clarté s'esquive, et déjà l'on doute + Si l'objet qu'on voit est loin ou tout près. + S'en revenant seul, lentement, des prés, + Un poney velu traverse la route. + + Derniers petits chants et derniers ébats + Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. + + Un alignement de petites meules + Donne aux champs l'aspect de camps endormis. + L'heure est aux amants, et non aux amis. + Les coeurs vont par deux, les âmes vont seules. + + Derniers petits chants et derniers ébats + Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. + + La vie est soudain comme une inconnue + Qui fixe sur vous de trop larges yeux. + Il semble que tout soit insidieux. + On s'entend parler d'une voix émue. + + Derniers petits chants et derniers ébats + Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. + + On s'entend parler d'une voix de songe + Dont on ignorait la sonorité. + C'est l'heure charmante où la vérité + A tout à fait l'air d'être du mensonge. + + Derniers petits chants et derniers ébats + Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. + + Et si maintenant la rainette chante + Aux bords ébréchés des petits bassins, + C'est que, sur ton coeur ayant des desseins, + Cette heure a besoin d'être trop touchante... + + Derniers petits chants et derniers ébats + Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. + +1891. + + +XVII + +L'OURS + + Martin, ours. Une bête énorme. Un plantigrade + Que l'on n'aimerait pas avoir pour camarade. + Touffu, férocement espiègle, et reniflant. + Un ours qui jetterait un homme sur le flanc + D'un seul revers de patte, et, de deux coups de griffes, + Mettrait toutes ses chairs palpitantes en chiffes; + Un ours dont un géant ne viendrait pas à bout, + Et qui, s'il se montrait soudainement debout, + Ferait, comme devant la nuit le crépuscule, + S'évanouir Samson et se dissoudre Hercule: + Car Hercule, l'athlète aux puissantes sueurs, + Et Samson, le plus grand parmi les grands tueurs, + Ne seraient, dans les bras de la bête assaillie, + Malgré leur corps trapu, leurs muscles en saillie, + Leurs intrépides reins, leur imployable dos, + Qu'un giclement de sang et qu'un craquement d'os. + + Et cet ours, au regard terriblement oblique, + Danse la mazurka sur la place publique. + + L'homme qui tout petit à sa mère le prit, + Son montreur, l'apostrophe en faisant de l'esprit, + Dit qu'on peut l'approcher, le toucher, sans qu'il morde, + Et roule du tambour, et tire sur la corde + Qui s'attache à l'anneau de la narine en sang, + Et lui chante un refrain monotone et dansant; + Et docile, et craignant de perdre la cadence, + Le formidable ours brun de la montagne danse... + Soulevant le gros rire épais des hommes saouls, + Il danse, sous la pluie insultante des sous. + + Une bosse de chair et de fourrure sale + Lui ballotte au sommet de l'épine dorsale; + Et de peur de déplaire à cet homme, cet ours + Fait, devant l'honorable assistance, des tours. + L'homme n'a qu'à parler, et l'ours obéit vite. + L'ours ne se fait jamais prier. L'homme l'invite, + Sitôt que la mazurke est dansée, à polker: + Et l'ours polke; à valser: l'ours valse; à mieux marquer + La mesure: l'ours marque avec sa patte, et volte, + Gracieux comme un ours qui fait le désinvolte; + A s'asseoir: l'ours se met, grave, sur son séant; + A manier un peu sa trique de géant: + L'ours a l'air, s'escrimant dans le vide qu'il rosse, + Sa trique entre les bras, d'un gros guignol féroce; + A montrer «comment l'ours marche en montagne»: l'ours + Marche, allongeant des pas silencieux et lourds; + A faire le bourgeois riche qui se promène: + Et l'ours, caricature horriblement humaine, + Se lève sur ses pieds; puis, plein de dignité, + Déposant sur sa tête énorme, de côté, + Un tout petit chapeau de paille ridicule, + L'ours vient faire un salut au public--qui recule! + Et puis, l'ours roule et tangue et feint d'être un peu gris; + Et puis, l'ours fait le mort, et les coups et les cris + Et les piétinements le laissent immobile... + Et puis, l'homme à chacun va tendre sa sébile, + Grommelle en la sentant légère dans sa main, + Relève l'ours encor couché sur le chemin + En donnant à l'anneau deux coups de corde brusques, + Lance à la bête un coup de pied, reprend ses frusques, + Ramasse son gourdin, rajuste son tambour, + Et part, suivi d'enfants. + + Ainsi de bourg en bourg, + Ainsi de ville en ville. + + Et je n'ai pas, en somme, + Compris pourquoi cet ours ne mangeait pas cet homme. + +Saint-Béat, 189... + + +XVIII + +TOUT D'UN COUP + + Les clartés qui, là -bas, piquant les ombres bleues, + Révèlent qu'un menu village, à bien des lieues, + Doit au flanc rond de quelque colline s'asseoir, + Les clartés, tout d'un coup, que nous voyons, ce soir, + Du haut d'un col, avant de descendre les rampes, + Luire,--et qui sont, là -bas, les chandelles, les lampes, + Les feux d'une gaîté, d'un travail, d'un souci,-- + Ces clartés, tout d'un coup, nous rappellent que si + L'on rêve au bord des ciels, on vit au ras des terres; + Que si l'on rêve un peu sur les monts solitaires, + On vit, dans les vallons, on vit, on vit beaucoup; + De sorte que nos coeurs, oubliant, tout d'un coup, + Que les feux du méchant, ses lampes, ses chandelles, + Ne font pas, au lointain, des lumières moins belles + Que les lampes, les feux, les chandelles du bon, + Et que l'affreux signal qu'allume un vagabond + Et la douce fenêtre au seul rideau de serge + Qu'éclaire saintement le coucher d'une vierge + Sont deux étoiles d'or identiques,--nos coeurs, + Pour lesquels, tout d'un coup, ces petites lueurs + Ne sont plus, dans la nuit, que d'autres existences, + Nos coeurs qui, tout d'un coup, sentent qu'à ces distances + Vous ne différez guère, ô pires, des meilleurs, + Aiment également tous ces lointains veilleurs! + + +XIX + +LE MENDIANT FLEURI + + Il n'est pas du pays. D'où peut-il être?... d'où? + On ne sait pas. C'est un mystérieux bonhomme. + Sur le bord du chemin parfois il fait un somme. + Il porte un vieux chapeau qui paraît être--comme + Ceux que portent les champignons--en amadou. + Eut-il un nom? Lequel? On l'ignore. On le nomme + Le Mendiant Fleuri. C'est tout. + + Il a cette folie, il a cette jolie + Folie: il se fleurit. Il se déguise en Mai. + Son chapeau d'amadou porte un phlox pour plumet. + Dès qu'il découvre un trou dans sa veste, il y met + Du lilas, un pavot. Si c'est une folie, + Cet affreux vagabond des routes se permet + La même que vous, Ophélie! + + Cet homme a des crocus aux plis de ses lambeaux + Comme les champs en ont aux creux de leurs ornières. + A ses poches il a des touffes printanières + Comme les bois en ont aux seuils de leurs tanières. + Au lieu des vieux boutons de corne, il a, plus beaux, + Des boutons d'or. Au lieu des pailles coutumières, + Il a du thym dans ses sabots. + + Il reprise sa cape en ajonc qui s'accroche, + Reborde un vieux revers avec des serpolets, + Pique de la tremblette aux fentes des ourlets, + Enrichit de bleuets roses et violets + Sa pauvre barbe dont le chanvre s'effiloche; + Puis, fume, luxueux, parmi tous ces bleuets, + Une pipe d'aristoloche! + + Qu'il est beau quand il va de maison en maison, + Chamarré d'herbe-aux-gueux, d'airelle et de spargoutte! + La flore du moment sur lui frissonne toute. + Qu'il est beau quand il passe, en fleurs, et qu'il s'ajoute, + Comme un calendrier vivant, à l'horizon! + De sorte qu'il suffit de le voir sur la route + Pour savoir quelle est la saison! + + Il réussit parfois des toilettes charmantes. + Je lui connus un col d'aspérule, un camail + De scabieuse ayant un chardon pour fermail. + Qu'il est beau quand il va de portail en portail, + Et que, chargé de coquelourdes et de menthes, + On le voit, rouge et vert comme un saint de vitrail, + Passer dans les herbes fumantes! + + * * * * * + + O bizarre bonhomme, ô vagabond falot, + Misère dont toujours embaumait le passage, + Vieillesse où le muguet attachait un grelot, + O Mendiant Fleuri, gueux parfumé, fou, sage! + + Brave pauvre, qui, loin d'être un pauvre honteux, + Marques la déchirure avec une jonquille, + On t'est reconnaissant, presque, d'être boiteux, + Tant la guirlande est belle autour de ta béquille! + + Cynique éblouissant, héroïque et finaud, + Je ne saurais assez préférer, quand j'y pense, + Tes courageuses fleurs au facile tonneau, + Diogène charmant de nos routes de France! + + Inconscient donneur d'une grande leçon, + Merci, fou gracieux, poète et philosophe, + D'oser, sous le soleil, enseigner la façon + D'accommoder de fleurs les restes de l'étoffe! + + Il nous apprend, ton humble et rustique talent, + Ce qu'on peut faire avec quelques fleurs, quelques-unes! + Alors, pourquoi traîner sa vie en étalant + Des misères, des trous, des tares, des lacunes? + + Pourquoi ne pas avoir un iris au chapeau + Qu'on tend vers le passant--ou qu'on tend vers la gloire? + Ah! Mendiant Fleuri, quand rentre le troupeau, + Ils font bien, les bergers, de te verser à boire! + + Que ton moyen me plaît! Tous mes accrocs d'hier + Vont aujourd'hui, du moins, servir à quelque chose. + Si tu fais le faraud, moi je ferai le fier. + Ton gilet a son lys? Mon coeur aura sa rose! + + J'ai compris qu'il ne faut, qu'on ne peut, qu'on ne doit + Présenter au prochain nulle image cruelle, + Puisqu'on n'a qu'à rouvrir sa blessure du doigt + Pour y mettre la fleur qui va la rendre belle! + + Bonhomme, j'ai compris qu'il faut être coquet + De sa blessure, au lieu que d'en être malade, + Et que, même, parfois, pour y mettre un bouquet, + Il convient d'élargir la simple estafilade. + + On n'a plus peur de rien lorsqu'on prend ce parti. + Et l'on acquiert bientôt la grâce, et la manière + D'être reconnaissant au buisson qui, gentil, + Pour la fleur qu'il vous tend vous fait la boutonnière! + + Dès qu'on est décousu par un poignard nouveau, + Il faut en profiter pour se fleurir encore. + Plus on est malheureux, plus on doit être beau! + Faisons tous nos malheurs en corolles éclore! + + Servons-nous du malheur.--Un jour, un jardinier + M'a dit cette parole ingénue et profonde: + «Si Job avait planté des fleurs sur son fumier, + Il aurait eu les fleurs les plus belles du monde!» + +1891. + + +XX + +LE CONTREBANDIER + + Ayant longtemps suivi le sentier de montagne, + Distrait, j'avais gagné la frontière d'Espagne, + Et j'avais pris, au bout du pont, + La place où bien souvent, près du troupeau qui broute, + J'écoute ce que dit le douanier, et j'écoute + Ce que le muletier répond. + + Toujours la même scène ingénument éclate: + Le petit gabelou galonné d'écarlate, + Avec un sourire entendu, + Écoute le récit que l'autre lui rabâche, + Puis va vers la charrette, et, sous un cuir de bâche. + Trouve le flacon défendu. + + Ce jour-là , c'était l'heure où s'enflamment les vitres. + Le grillon, dont l'amour fait chanter les élytres, + Avec le grillon alternait + Comme un berger d'églogue avec un autre alterne. + Déjà le voiturier allumait sa lanterne. + Tout le soir sentait le genêt. + + Parfois, de ces garçons passaient qui, sans rien dire, + Glabres, la cigarette au coin de leur sourire, + Vont à pas souples et prudents; + De ces filles riaient, si brunes, sous les branches, + Que, dans l'ombre, on ne peut voir que deux choses blanches: + Leurs espadrilles et leurs dents. + + Et j'aperçus venir un vieillard maigre et brusque, + Un de ces paysans dont le regard s'embusque + Sous un béret qui se rabat. + Feignant de ramasser des pompons de platane, + Il trottinait, courbé, derrière un petit âne + Qui portait un sac sur son bât. + + L'âne disparaissait sous le grand sac champêtre. + --Au moment où le vieux allait passer peut-être, + Inoffensif et toussotant, + Le douanier n'ayant eu vers lui qu'un regard vague, + L'âne fit un écart. Et soudain une dague + Tomba sur le sol en tintant. + + Une très vieille dague espagnole.--Et puis, comme + L'âne faisait, malgré les efforts du pauvre homme, + Des bonds de poulain andalou, + On vit un ancien casque en forme d'astrolabe + Et deux longs éperons de style presque arabe + Tomber aux pieds du gabelou. + + Et comme l'âne, ému par ces nouveaux vacarmes, + Ruait,--chaque ruade éparpilla des armes! + Et, tout le sac s'ouvrant dans l'air, + Ce fut, pendant qu'au bruit accouraient des marmailles, + Un envol de rivets, de tassettes, de mailles, + Un feu d'artifice de fer! + + Quoi! c'étaient, dans ce sac, sous une avoine fourbe, + Des armes que cachait ce vieillard qui se courbe + Et craintivement s'amoindrit? + Prépare-t-on la guerre au fond de la vallée? + Ou bien veut-on passer une armure volée + A l'Armeria de Madrid? + + Quelle armure est-ce là qui tombe et se bosselle? + La courroie a souvent fait place à la ficelle, + Les boucles n'ont plus d'ardillons. + Quelle est cette rapière?... Oh! comme elle est usée! + La coquille brimballe autour de la fusée! + La garde est veuve de quillons! + + Une jambe de fer dont le genou se rouille + En rencontrant le roc un instant s'agenouille; + Et, de ce fantastique sac, + On croit voir, sur le sol rose de crépuscule, + Tomber un chevalier qui se désarticule + Avec un bruit de bric-à -brac! + + La rondache, roulant comme un cerceau superbe, + S'échappe. Un gantelet crispe ses doigts sur l'herbe + Où le rejoint un vieux houseau. + L'âne bondit toujours. Et cependant, à terre, + Une cuirasse a l'air d'un grand coléoptère + Vidé par le bec d'un oiseau. + + Enfin, de ce ballot que chaque bond déballe + Jaillit un cuivre étrange, une vieille cymbale, + Une sorte d'astre échancré, + On ne sait quel plateau de balance fantasque, + Luisant, plat comme un plat, martelé comme un casque, + Fourbi comme un vase sacré! + + Et quand tout eut roulé devant lui, de l'air digne + Qu'on prend quand on observe à regret la consigne, + Le douanier recula d'un pas. + Puis--que pouvaient avoir de terrible ces armes + Qu'un vieillard ramassait en les couvrant de larmes?-- + Puis il dit: «Ça ne passe pas!» + + Chacun aida le vieux. Une fille d'auberge + Ramassa la rondache, un enfant la flamberge; + Et, lorsque tout fut ramassé, + Le vieux, s'étant laissé sur les bras tout remettre, + Car l'âne en bondissant avait fui loin du maître, + S'éloigna, pesant et cassé. + + Et le douanier s'en fut boire avec une fille + L'anisette espagnole où trempe une brindille + Qu'entoure du sucre candi. + Moi, je suivis le vieux.--Il allait, le dos triste. + Bientôt, il se crut seul sous le ciel d'améthyste. + --Et je vis qu'il avait grandi. + + Oui, l'homme, maintenant, haussant sa silhouette, + Droit,--comme s'il savait aussi bien qu'un poète + Que, lorsqu'on se retrouve seul, + Il n'est pas de fierté que l'on ne récupère, + --N'avait plus l'air d'un paysan et d'un grand-père, + Mais d'un seigneur et d'un aïeul. + + Le vent du sud soufflait sa brûlante caresse. + Et je suivais ce vieux en murmurant: «Serait-ce?...» + Et, tout d'un coup, je dis: + «Mais c'est!...» Et me mis à courir à travers la campagne, + Pâle de voir que, plus il entrait en Espagne, + Plus le vieil homme grandissait. + + Il jeta son béret, hocha sa tête grise; + Puis, comme s'il avait entendu dans la brise + Le nom que je n'avais pas dit, + Il posa sur le sol ses armes en silence, + Se coiffa fièrement du plateau de balance, + Et, se retournant, m'attendit. + + Nous étions seuls, tous deux, au milieu d'une lande. + Basse sur l'horizon, la lune était si grande + Que tout prenait un air sorcier. + Et le vieux, dépouillant sa cape paysanne, + M'apparut, sec, vêtu d'une stricte basane, + Et jambé comme un échassier. + + Alors, je reconnus sa pauvre soubreveste, + La beauté de son front, la largeur de son geste, + Et la jeunesse de ses yeux. + Et je crus que j'allais trouver des mots sans nombre: + Mais, tremblant, je ne pus que m'incliner dans l'ombre + En disant le nom de ce vieux! + + A son nom, il grandit encor, mit sur sa lèvre + Un long doigt sarmenteux qui grelottait de fièvre, + Sourit un peu de mon émoi, + Puis, avec le plus noble et touchant savoir-vivre, + Il ôta gravement sa cymbale de cuivre, + Et me dit: «Eh bien! oui, c'est moi.» + + Je vis sa tête, avec l'auréole immortelle + Que lui font, en tournant sans cesse derrière elle, + Les ailes des moulins à vent! + Mais: «Seigneur bachelier...», prononça-t-il, tandis que, + Très digne, il remettait sur sa tête le disque, + Pardonnez à votre Servant + + «Si la profession qu'il exerce l'oblige + A demeurer coiffé d'un armet. Armet, dis-je, + Car je doute qu'un bachelier + --Le fût-il de Paris, qui vaut bien Salamanque!-- + Prenne un armet auquel la mentonnière manque + Pour l'obscur bassin d'un barbier!» + + Il se tut un instant. Puis, parlant par saccades, + En ce langage où la sierra mit ses cascades + Et l'Alhambra ses rossignols: + «Seigneur!...» et je renonce à traduire le flegme, + La morgue qui redonde, et le ton d'apophtegme, + Et les jeux de mots espagnols; + + «Seigneur! mon oeil vous scrute au moment qu'il vous toise: + Vous n'êtes pas bien grand, mais votre âme courtoise + Est de celles que nous aimons. + Eh bien?... prétendra-t-on encor que j'exagère + Quand je dis que je suis Chevalier Errant?--J'erre + Depuis soixante ans dans ces monts. + + «Je les ai parcourus de la Rhune à Vénasque, + Des pays catalans jusqu'à ce pays basque + Dont les pommiers sont pleins de gui. + Là , j'ai des Douze Pairs vu les douze ombres tristes, + Et j'ai causé, du temps des batailles carlistes, + Avec Zumalacarrégui. + + «Fredonnant le vieil air des Rois de Pampelune, + Buvant le lait de chèvre et le rayon de lune + Au creux de l'âme et de la main, + Dormant contre la meule où l'on plante une perche, + J'erre, j'erre, Seigneur, dans ces monts où je cherche + Un passage, un col, un chemin! + + «Je voudrais les franchir. Car la brise m'apporte + Je ne sais quelle odeur de conscience morte + Que n'aimerait pas Amadis. + Moi qui ne vieillis pas, je sens vieillir l'Europe. + Je devine combien s'épaissit et sirope + Le sang latin, si clair jadis! + + «Oui, ce morne géant qu'il faut tuer, ce terne + Caraculiambro de l'époque moderne, + L'Égoïsme, père d'Ennui, + Fait régner sur le monde une nuit si grognonne + Que les coiffes de la duègne Quintagnone + Sont moins noires que cette nuit! + + «Je veux franchir ces monts. Je veux, puisqu'il m'oublie, + Aller remettre un peu le siècle à la folie! + Il a besoin de me revoir + Et de reboire une eau qu'il n'a plus guère bue. + Ma lance doit piquer l'humanité fourbue + Pour la pousser à l'abreuvoir! + + «Et quant aux vils ruisseaux où l'on se désaltère, + Je dois, dans leur eau grise où roule tant de terre + Qu'ils ne sont jamais lumineux, + Je dois, dans leur eau fade où s'affaiblit la race, + Aller jeter un clou de ma vieille cuirasse + Pour les rendre ferrugineux! + + «En vérité, Seigneur bachelier de mon âme, + Je ne suis pas content d'une Europe qui blâme + Les héroïsmes superflus. + Il est temps que j'y entre, et c'est à quoi je pense. + Mais on n'y peut entrer qu'en passant par la France, + Et la France ne m'aime plus! + + «Je ne dis pas cela parce qu'elle me raille. + Jadis, elle raillait tendrement ma ferraille. + Elle s'en méfie aujourd'hui. + Des gens, pour nous brouiller, veulent lui faire croire + Qu'un redresseur de torts n'est qu'un chercheur de gloire + Dont le geste au gouffre conduit. + + «Ah! je voudrais sortir d'Espagne, où je me ronge, + Pour m'en aller rapprendre au vieux monde le songe, + L'oubli de soi, l'amour féal, + Et la façon dont on se fait des Dulcinées! + Mais, hélas! il y a toujours des Pyrénées + Pour les colporteurs d'idéal! + + «Dès qu'elle me verrait j'aurais la France entière. + Et comme on le sait bien, on veille à la frontière; + Et toujours, quand je veux sortir, + Quand, déguisé, baissant le front, je me dépêche, + La grande armure me trahit, que rien n'empêche + De briller ou de retentir! + + «C'est en vain qu'enlevant ma chère carapace + Je la mets dans un sac, parfois, pour qu'elle passe, + Ou sous des branches de genêt: + De maudits enchanteurs habitant des guérites + Savent percer de l'oeil les formes hypocrites, + Et toujours on la reconnaît! + + «Je sais, vous me direz qu'on croit que je trafique. + Que j'exporte une armure ancienne et magnifique + Sans la déclarer!... C'est ainsi + Que toujours, quand le Sort injuste me querelle, + On veut me l'expliquer de façon naturelle. + Mais je ne suis pas fou. Merci! + + «Que n'ai-je, pour franchir la douane et sa baraque, + Le zèbre sur lequel chevauchait Muzaraque! + J'aurais vite joué le tour. + Mais je n'ai qu'un ânon. Car Votre Grâce ignore...» + Il s'arrêta. Sa voix soudain fut moins sonore. + «... Que Rossinante est mort, un jour! + + «Un jour, on me l'a pris. On m'a fait cette peine. + Et savez-vous la fin que réservait leur haine + A la monture d'un héros? + Elle qu'à voir la mort j'avais habituée, + Elle est morte _les yeux bandés!_--On l'a tuée + Dans une course de taureaux!» + + Une larme coula sur la Triste Figure. + «Voilà pourquoi, Seigneur bachelier, j'inaugure + Une chevalerie à pied, + Mais qui rendrait jaloux Palmerin d'Angleterre; + Et Roland reviendrait qu'il mettrait pied à terre, + Vive Dieu! pour me copier! + + «Jusqu'à ce que je puisse à travers ces montagnes + Passer pour aller faire en France des campagnes, + Je jure de ne plus m'asseoir. + Je n'ai plus d'autre but, d'ailleurs. Car Votre Grâce + Ne sait pas...» Et sa Voix soudain devint plus basse. + «... Que Dulcinée est morte, un soir. + + «Depuis qu'en son cercueil j'ai disposé sa robe, + Mon existence à moi ne vaut plus une arrobe + De raisin sec de Malaga! + Mais il faut qu'un talon écraseur de couleuvre + Sonne aux chemins du monde. Il faut accomplir l'oeuvre + Pour laquelle on vous délégua. + + «Je dois rapprendre aux gens des choses en grand nombre! + Car vous ne savez pas...» Sa voix devint plus sombre. + «... Que Sancho vit encore. Il vit! + Celui-là ne meurt pas. Et même il monte en grade. + J'eus tort d'aimer jadis comme un bon camarade + Le gros homme qui me servit! + + «On l'a laissé passer, lui qui n'avait pas d'armes! + Tandis que contre moi la peur met ses gendarmes + Qu'elle voudrait qu'on centuplât! + Et partout, à présent, le Pança sur le monde + A si soigneusement roulé sa panse ronde + Qu'à présent, partout, tout est plat! + + «Sancho règne! Il raconte en farce mon histoire. + On l'acclame quand il crache dans l'écritoire + De Gid-Hamed-Ben-Engeli. + Sur ses genoux cagneux la Beauté se dégrafe. + Il promulgue sa loi, qui n'a qu'un paragraphe: + «L'enthousiasme est aboli!» + + «On ne reconnaît plus le drôle. Il a du linge. + Les ciseaux ont passé dans sa barbe de singe. + Il se lave. On le décrassa. + Il soupe avec des rois chez les femmes superbes. + Il fait des mots au lieu de dire des proverbes. + Mais c'est toujours Sancho Pança! + + «Il amuse les gens assez vils pour permettre + Qu'il trahisse à la fois le grand Manchois son maître, + Et son père le grand Manchot! + Mais il tremble toujours, pendant qu'il les fait rire, + De me voir sur le seuil paraître pour lui dire: + «Taisez-vous. Vous êtes Sancho!» + + «Il le sait bien, qu'il l'est! C'est ce qui l'importune. + Car on profite mal d'une bonne fortune + Quand on s'en étonne tout bas. + Il sait bien quelles sont les choses éternelles, + Et qu'on peut s'amuser à démoder les ailes: + Les pattes ne voleront pas! + + «Mais, hélas! triste et long j'erre sur la colline! + Triste comme une nuit sans bruit de mandoline + Et long comme un jour sans combat! + Je ne peux pas aller interrompre son règne! + Et sans cesse je sens, à mon vieux coeur qui saigne, + Que quelque rêve au loin s'abat! + + «Je ne pourrais passer qu'en laissant mon armure! + Mais ce serait faiblir, admettre une entamure. + Mon armure est comme mon nom. + Et j'en irais là -bas prendre une autre, peut-être? + Non, car je rougirais de ne plus reconnaître + La forme de mon ombre! Non, + + «Car à sa silhouette on doit rester fidèle! + La mienne me convient si c'est à cause d'elle + Qu'à la sottise je déplus! + Qui me dessinerait un bon harnois de guerre? + Je n'ai pas confiance au goût de l'antiquaire, + Et Gustave Doré n'est plus! + + «Ah! pour porter là -bas tout l'attirail en fraude, + Il me faudrait un page, un complice qui rôde, + Par les rocs, le long des ruisseaux... + Veux-tu faire avec moi, fils, de la contrebande? + Puisque pour la passer mon armure est trop grande, + Nous la passerons par morceaux! + + «En un pareil combat la ruse est exemplaire! + Il ne laisserait pas, Seigneur, de me déplaire + Que Votre Grâce me blâmât + D'oser requérir d'elle une souplesse adroite, + Car tout le monde sait que j'ai l'âme aussi droite + Qu'un fuseau de Guadarrama! + + «Ce n'est qu'un rôle obscur qu'ici je vous propose. + Mais, Seigneur, vous aurez à quelque grande cause + Peut-être un service rendu + Quand, passé par tronçons que nul n'aura vu luire, + On verra tout d'un coup, là -bas, se reconstruire + Un paladin inattendu! + + «Si vous faites cela pour la moustache blanche + Du Très Ingénieux Hidalgo de la Manche, + Si vous me consacrez un peu + De cette jeune ardeur que le ciel vous octroie, + Je jure, bachelier, qu'avec bien plus de joie + Vous regarderez le ciel bleu! + + «Allons, donne ta main! A moi tu t'affilies! + Quoi? Tu ne sais, dis-tu, que chanter des folies + Et cueillir les fleurs du buisson? + Chante, et cueille des fleurs d'un air de nonchalance! + On peut dans un bouquet passer un fer de lance, + Un signal dans une chanson! + + «Voici l'heure! La nuit paillette sa basquine! + Mes armes, qu'un reflet d'étoiles damasquine, + Sont là , d'argent, d'or et d'airain! + A quoi fais-tu passer aujourd'hui la frontière? + Veux-tu le soleret? Veux-tu la cubitière? + Ou bien veux-tu le gorgerin?» + + Il ouvrait ses longs bras à l'immense envergure! + J'hésitais... Mais je vis sur la Triste Figure + Une telle déception Que: + «Perle de l'honneur! Miroir de la bravoure!» + M'écriai-je, en prenant un air d'Estramadoure, + «A votre disposition!» + + --«Choisis donc!...» Un rayon toucha comme un doigt pâle + Le plateau de balance--ou la vieille cymbale-- + Ou l'espèce d'astre échancré, + La chose qui luisait sur le crâne fantasque, + L'objet plat comme un plat, martelé comme un casque, + Fourbi comme un vase sacré! + + Et je dis: «Par le cor de Roland! par la griffe + De Pantafilando! par le bonnet d'Alquife + Et par l'âme de Galaor! + Je choisis--car la seule illusion m'enivre, + Et l'objet qui de tous était le plus en cuivre + Pour moi sera le plus en or!-- + + «Je choisis, Chevalier, ce qui, de ton armure, + A soulevé le plus de rire et de murmure! + C'est ton armet. Donne-le-moi! + Puisque tu l'as couvert d'un ridicule immense, + Il convient que ce soit par lui que je commence! + Je n'ai pas peur. Et j'ai la foi. + + «Je jure que ceci n'est pas un plat à barbe! + Donne!» Et le long des rocs tout fleuris de joubarbe + Dont parfois j'arrachais un brin, + Le soir même, furtif, et de ma veste brune + L'empêchant d'accrocher quelque rayon de lune, + J'emportais l'armet de Mambrin! + + Et depuis lors, dans l'ombre où passe un vent morisque, + Intéressé par l'oeuvre, égayé par le risque, + Je suis toujours sur le sentier; + Je cueille des bouquets, je marche, je m'arrête, + Et je chante... Et je dis que je suis un poète; + Mais je suis un contrebandier. + +Frontière d'Espagne, 189... + + + + +TABLE + + + AU LECTEUR VII + + I + LA CHAMBRE D'ÉTUDIANT + + I. DÉDICACE 3 + II. LA CHAMBRE 9 + III. A MA LAMPE 13 + IV. A LA MÊME, EN LA COIFFANT DE SON ABAT-JOUR 16 + V. LE DIVAN 19 + VI. LA FENÊTRE, OU LE BAL DES ATOMES 23 + VII. CHARIVARI A LA LUNE 28 + VIII. LE VIEUX PION 43 + IX. LES SONGE-CREUX 49 + X. LA FORÊT 51 + XI. OÙ L'ON RETROUVE PIF-LUISANT 58 + XII. OÙ L'ON PERD PIF-LUISANT 60 + XIII. SOUVENIRS DE VACANCES: 69 + I. Le Tambourineur 69 + II. L'Étang 71 + III. Les Papillons 72 + IV. Déjeuner de Soleil 77 + V. Les cochons roses 78 + VI. Le petit chat 81 + VII. Ballade du petit bébé 84 + VIII. Crépuscule 85 + IX. On souffle 87 + XIV. LA PREMIÈRE 88 + XV. Oh! les yeux 90 + XVI. LES TZIGANES 92 + XVII. BALLADE DE LA NOUVELLE ANNÉE 96 + XVIII. DEUX MAGASINS: 98 + I. Joujoux 98 + II. Fleurs 105 + XIX. L'ALBUM DE PHOTOGRAPHIES 113 + XX. AU CIEL 116 + XXI. BALLADE DES VERS QU'ON NE FINIT JAMAIS 119 + XXII. SUR UN EXEMPLAIRE DE LA PREMIÈRE ÉDITION DE CE LIVRE 122 + + II + INCERTITUDES + + I. CHANSON DANS LE SOIR 127 + II. EXERCICES 134 + III. LES BARQUES ATTACHÉES 137 + IV. MATIN 143 + V. SILENCE 145 + VI. BILLET DE REMERCIEMENT 148 + VII. N'obligez pas le poème 150 + VIII. LE SOUVENIR VAGUE, OU LES PARENTHÈSES 152 + IX. Oui, sans doute 155 + X. NOS RIRES 158 + XI. LES DEUX CAVALIERS 160 + XII. L'HEURE CHARMANTE 165 + XIII. LE CAUCHEMAR 171 + + III + LA MAISON DES PYRÉNÉES + + I. LA MAISON 183 + II. LES PYRÉNÉES 187 + III. L'EAU 200 + IV. LA BRANCHE 210 + V. LA FONTAINE DE CARAOUET 212 + VI. LA GLYCINE 215 + VII. LE CARILLON DE SAINT-MAMET 218 + VIII. PRIÈRE D'UN MATIN BLEU 224 + IX. OMBRES ET FUMÉES 229 + X. LA FLEUR 237 + XI. L'IF 239 + XII. LA BROUETTE 242 + XIII. L'AMOUREUX DE MARGARIDON 247 + XIV. LES BOEUFS 260 + XV. LES GENÊTS 254 + XVI. Derniers petits Chants 258 + XVII. L'OURS 262 + XVIII. TOUT D'UN COUP 266 + XIX. LE MENDIANT FLEURI 268 + XX. LE CONTREBANDIER 274 + + + IMPRIMÉ PAR PHILIPPE RENOUARD + 19, rue des Saints-Pères + PARIS + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Les Musardises, by Edmond Rostand + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57762 *** diff --git a/57762-8.txt b/57762-8.txt deleted file mode 100644 index 63e1cf7..0000000 --- a/57762-8.txt +++ /dev/null @@ -1,6826 +0,0 @@ -The Project Gutenberg EBook of Les Musardises, by Edmond Rostand - -This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with -almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - - -Title: Les Musardises - -Author: Edmond Rostand - -Release Date: September 4, 2018 [EBook #57762] - -Language: French - -Character set encoding: ISO-8859-1 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES MUSARDISES *** - - - - -Produced by Laurent Vogel (This file was produced from -images generously made available by the Bibliothèque -nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - - - - - - - -EDMOND ROSTAND - -LES - -MUSARDISES - -ÉDITION NOUVELLE - -1887-1893 - -PARIS - -LIBRAIRIE CHARPENTIER ET FASQUELLE - -EUGÈNE FASQUELLE, ÉDITEUR - -11, RUE DE GRENELLE, 11 - -1911 - -Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour -tous les pays. - -Copyright by E. FASQUELLE, 1911. - - - - -OUVRAGES DU MÊME AUTEUR - - - Les Musardises, _Édition nouvelle_, 1887-1893, poésies 3 50 - - Les Romanesques, comédie en 3 actes, en vers, 43e mille 3 50 - - La Princesse Lointaine, pièce en 4 actes, en vers, 44e mille 2 » - - La Samaritaine, évangile en 3 tableaux, en vers, 42e mille 3 50 - - Cyrano de Bergerac, comédie héroïque en 5 actes, en vers, - 376e mille 3 50 - - Pour la Grèce, poésie. Épuisé. - - L'Aiglon, drame en 6 actes, en vers, 271e mille 3 50 - - Un Soir à Hernani, poésie 1 » - - Discours de réception à l'Académie Française 1 » - - Chantecler, pièce en 4 actes, en vers, 150e mille 3 50 - - - - -IL A ÉTÉ TIRÉ - -_Cent exemplaires numérotés sur papier du Japon_ - - - - -AU LECTEUR - - -MUSARDISE. _s. f._ Action de celui qui musarde. - -MUSARDER, _v. n._ Perdre son temps à des riens. - -C'est là ce que tu trouveras dans le dictionnaire, Ami Lecteur. Et -là-dessus tu n'auras pas grande estime pour un volume de vers qui -s'appelle «les Musardises», c'est-à-dire les bagatelles, les -enfantillages, les riens. - -Mais pour peu que tu sois un lettré ayant connaissance des mots de ta -langue et de leur sens exact, ce titre ne sera pas pour te déplaire. -Même il t'apparaîtra comme seyant bien à un recueil de poétiques essais. - -Tu sauras que «musardise»--«musardie», comme on disait au vieux -temps,--signifie rêvasserie douce, chère flânerie, paresseuse -délectation à contempler un objet ou une idée: car l'esprit musarde -autant que les yeux, si ce n'est plus. - -Tu sauras que, suivant certaines étymologies, «musarder» veut dire avoir -le museau en l'air: ce qui est bien le fait du poète; lequel, comme on -sait, regarde tellement là-haut que souvent il trébuche et se jette dans -des trous. - -Tu sauras qu'au temps jadis les «musards» étaient de certains bateleurs -et jongleurs, provençaux d'origine, qui s'en allaient de par le monde en -récitant des vers. - -Tu ne pourras être étonné que, sous un titre qui ne semble convenir qu'à -de très légères poésies, je me sois permis quelquefois des tristesses ou -des mélancolies, puisqu'en langue wallonne «muzer» a pour sens: être -triste. - -Enfin, tu comprendras tout à fait le choix que j'ai fait de ce mot, te -souvenant que le savant Huet, évêque d'Avranches, le faisait venir du -latin _Musa_,--qui, comme on le sait, signifie: la Muse. - -E. R. - - - - -I - -LA CHAMBRE D'ÉTUDIANT - - -DÉDICACE - - Je vous aime et veux qu'on le sache, - O raillés, ô déshérités, - Vous qu'insulte le public lâche, - Vous qu'on appelle des ratés! - - Donc, à cette heure où je me lance - En pleine mêlée, où je vais - Cogner, rompre plus d'une lance, - Recevoir plus d'un coup mauvais, - - Où l'ardent désir me dévore - D'attaquer de front mes rivaux, - Sans savoir seulement encore - Ce que je suis, ce que je vaux, - - Si je suis seulement de taille - A me mêler aux combattants; - --Dans ce matin de la bataille - Où vont se ruer mes vingt ans, - - Je pense à vous, ô pauvres hères! - A vous dont peut-être, ce soir, - Je partagerai les misères, - Parmi lesquels j'irai m'asseoir; - - Et très longuement j'envisage, - Pour bien voir si j'ai le coeur fort, - Pour m'assurer de mon courage, - La tristesse de votre sort. - - Si j'étais, par le ridicule - Qu'on vous jette, mis en émoi, - Il est toujours temps qu'on recule: - Mieux me vaudrait rentrer chez moi. - - Mais non pas! car je veux la lutte. - Et votre fortune n'a rien - Qui me répugne ou me rebute. - Même je la préfère bien - - A celles, qu'on dit plus heureuses, - De ceux qu'on nommait «philistins»; - Je préfère les viandes creuses - De vos songes à leurs festins! - - Si je tombe comme vous autres, - S'il me faut vider les arçons, - Eh bien, quoi! je serai des vôtres, - N'est-il pas vrai, les bons garçons? - - A vous donc qu'on raille et qu'on hue - Et qu'on accable de mépris, - O foule innombrable, cohue - Des déclassés, des incompris! - - A vous que hanta la chimère - Du définitif, du parfait, - Et qui, pour vouloir trop bien faire, - Finalement n'avez rien fait; - - A vous qui portiez dans vos têtes - De trop beaux idéals rêvés, - A vous tous, à vous grands poètes - Aux poèmes inachevés; - - A vous dont les fainéantises - Sont pleines de si fiers projets, - Et que poursuivent les hantises - De trop magnifiques sujets; - - A vous dont la pensée énorme, - Trop large, ne pouvait entrer - Sans la briser dans une forme, - Dans un moule sans l'éventrer; - - A vous, peintres, que désespère - La toujours fuyante couleur, - Qui devant un jeu de lumière - Jetez vos pinceaux de douleur; - - Musiciens, pâles d'entendre - En vous des accords merveilleux, - Et qui, de ne pouvoir les rendre, - Avez des larmes dans les yeux; - - A vous qui, ne pouvant traduire - Les finesses que vous sentez, - Préférez ne jamais produire, - O délicats, exquis ratés! - - A vous, paresseux égoïstes, - Qui gardez vos oeuvres en vous; - A vous les vrais, les grands artistes, - A vous les emballés, les fous, - - Qui, sans entendre les sarcasmes, - Triomphez dans de pauvres soirs; - A vous dont les enthousiasmes - Gesticulent sur des trottoirs, - - Personnages funambulesques, - Laids, chevelus et grimaçants, - Pauvres dons Quichottes grotesques, - Et d'autant plus attendrissants, - - Dont la Muse est la Dulcinée, - --O chevaliers errants de l'art, - A qui la gloire destinée - Manqua peut-être par hasard! - - Étant votre ami, votre frère, - Un rêveur, un hurluberlu - Qui connaîtra votre misère - Peut-être demain,--j'ai voulu - - Vous dédier par ce poème - Les premiers vers que j'ai tentés, - Enfants perdus de la bohème, - O mes bons amis les Ratés! - -Février 1889. - - -II - -LA CHAMBRE - - Au son d'un vieux Pleyel qu'un voisin pauvre oblige - A moudre des galops, - Chaque jour je m'éveille en murmurant: «Où suis-je?» - Comme dans les mélos. - - Je sors de la féerie en mon rêve apparue, - Je sors d'une forêt... - Et j'habite un hôtel situé dans la rue - De Bourgogne, il paraît! - - C'est une rue étroite, avec peu de silence - Et beaucoup de maisons, - Dont les cris les plus gais sont: «La belle Valence!» - Et: «Les quatre saisons!» - - L'acajou de ma chambre est, ce matin, d'un style - Si Louis-Philippart, - Que de cette atmosphère ingénument hostile - Toute espérance part! - - Quelles traces, fauteuils, sur votre velours chauve - Laissèrent d'humbles dos! - O fentes du plafond! ô papier de l'alcôve! - O couleur des rideaux! - - C'est aujourd'hui jeudi. C'est le jour où Marseille - Tient ses marchés de fleurs. - C'est là que je serais, dans la tiédeur vermeille, - Au milieu des flâneurs, - - Si je n'avais voulu, pour être ce poète - Que nul ne demandait, - Risquer d'être à Paris un Daniel Eyssette - Sans Alphonse Daudet; - - Si je n'avais rêvé le vieux rêve inutile, - A tant d'autres pareil, - De me faire une place au soleil d'une ville - Qui n'a pas de soleil! - - Je n'ai pas de soleil, et j'ai toujours décembre, - Et pas encor d'amour: - Toute mon existence est comme cette chambre - Qui donne sur la cour! - - L'ami qui vient me voir, joyeux quand il arrive, - Est triste en s'en allant; - Et la foi chaque jour me semble être moins vive - Qu'il eut dans mon talent. - - Sauf qu'il y a toujours sur ma table une rose, - Dans l'âtre une souris - Qui s'occupe toujours à ronger quelque chose, - Je suis seul à Paris. - - Mais, furtif rongement, mystérieux cinname, - L'animal et la fleur - Mettent autour de moi, l'une l'odeur d'une âme, - L'autre le bruit d'un coeur. - - Je n'ose plus penser que jamais à ma tempe - Verdisse aucun laurier, - Et crois me satisfaire en trouvant sous ma lampe - Un bonheur d'ouvrier. - - Mais je vois sur la table une grande corolle, - Dans l'âtre un petit oeil; - L'un me dit: «Patience!»--et j'entends sa parole; - L'autre me dit: «Orgueil!» - - Ce sont les deux conseils dont j'ai besoin pour vivre, - L'un gris, l'autre vermeil: - Mais le second conseil est moins facile à suivre - Que le premier conseil. - - Pourtant, le bruit qui ronge et le parfum qui rêve - Me rendent quelque espoir, - Et je me sens moins seul dans l'ombre, et je me lève, - Et je ris dans le soir, - - Sûr de pouvoir toujours, malgré l'heure grisâtre, - Rire comme je ris, - Tant qu'il me restera, sur ma table et dans l'âtre, - Ma rose et ma souris. - -Paris, 1890. - - -III - -A MA LAMPE - - O vieille lampe, ô vieille amie, à ta lumière - Que de bouquins je lus, que de vers j'écrivis! - Sous ton humble abat-jour que de fois tu me vis - Veiller, quand le sommeil rougissait ma paupière! - - Lampe ventrue et basse, en cuivre bosselé, - Comme on en voit encor sur les vieilles crédences, - Tu reçus bien souvent de graves confidences: - De mes espoirs les plus secrets je t'ai parlé. - - Lampe, pendant longtemps tu fus ma seule amie; - Et, lorsque j'habitais tout là-haut, sous le toit, - Seuls m'étaient doux les soirs passés autour de toi... - Et les fiacres roulaient dans la rue endormie. - - Que de fois, accoudé sur ma table en bois blanc, - J'ai, de ta poudre d'or, construit des existences, - Et que de fois rimé, pour qui tu sais, des stances, - Penchant mon front pâli dans ton cercle tremblant! - - Et quand le petit jour rosé venait à naître, - Quand, le ciel d'un bleu vert déjà se nuançant, - L'aurore grelottait sur Paris, le passant - Te voyait clignoter encore à ma fenêtre. - - L'âge te faisait bien radoter quelquefois. - Ton mécanisme était d'une étrange faiblesse. - Il fallait te monter, te remonter sans cesse, - Et retourner ta clef sans cesse entre ses doigts. - - Mais vous baissiez, méchante! et sans que je comprisse - Pourquoi. Vous paraissiez vouloir vous amuser. - La mèche s'obstinait à se carboniser. - Et j'enrageais, croyant que c'était un caprice. - - Bien souvent j'ai maudit votre détraquement, - Et votre humeur, alors, me semblait une énigme. - Vous faisiez tout d'un coup un bruit de borborygme, - Puis vous vous éteigniez sans raison, brusquement. - - Voilà qu'au lendemain il me fallait remettre - La tâche... Et vous couvrant d'injure et de mépris, - J'allais dormir!--Pardon! maintenant j'ai compris: - Vous vous intéressiez à votre pauvre maître. - - Ne voulant pas le voir si longtemps se pencher - Pour écrire ou pour lire, un doigt contre la tempe, - Vous cessiez de brûler... Et c'était, bonne lampe, - Votre manière à vous de m'envoyer coucher. - - -IV - -A LA MÊME - -EN LA COIFFANT DE SON ABAT-JOUR - - Car, sans lui, tu n'es rien, puisque, sans lui, tu laisses - Divaguer ta clarté: - Elle est ton âme souple aux trop blondes mollesses; - Il est ta volonté. - - Et je te coiffe donc de l'abat-jour sévère. - Il n'a pas de feston; - Mais on voit s'élargir en cône de lumière - Son cône de carton. - - C'est lui qui, sur la table, avec ta clarté d'ambre, - Forme un cercle dans quoi - Tous les rêves flottant aux ombres de la chambre - Sont convoqués par moi. - - Autour de la paroi transparente du cône, - Plus d'un monstre hagard - Vient tourner, attiré par le beau piège jaune, - Le flaire, et puis repart. - - Mais, franchissant le cercle où l'on voit luire, au centre, - Le cuivre de ton pied, - Plus d'un autre, saisi dans le moment qu'il entre, - Tombe sur le papier. - - C'est là qu'ils tomberont, autour du pied de cuivre, - Tous ces rêves, en rond! - Et c'est, quand on voudra les obliger à vivre, - Là qu'ils résisteront! - - Car c'est sous l'abat-jour que se dore et se crée, - Tremble et se circonscrit, - Le champ mystérieux d'une lutte sacrée - Sans armes et sans cri. - - Allons, lampe, venez! que d'un sage couvercle - On rabatte vos feux; - Et que sur cette table apparaisse le cercle - Humblement merveilleux! - - Le cercle se dessine. Attendons que tout dorme; - Puis, forçons, quand tout dort, - La pensée à venir se battre avec la forme - Dans cette arène d'or. - - C'est pour cela qu'on vit, pour amener, de l'ombre - Dans ce rond de lueur, - Des rêves... deux ou trois... on ne sait pas le nombre... - C'est pour cela qu'on meurt. - - Les couronnes ne sont, que semble, sur les tempes, - Un dieu brusque apporter, - Que ce qui, du halo quotidien des lampes, - A fini par rester. - -1890. - - -V - -LE DIVAN - - Quand on est couché sur le divan bas - Devant la fenêtre, - C'est délicieux, car on ne sait pas - Où l'on peut bien être. - - Mollement couché, des coussins au dos, - On goûte une joie: - On ne voit plus rien, entre les rideaux, - Que le ciel de soie! - - Ni sordides murs, ni toits, ni sommet - D'arbre de décembre! - Mais on revoit tout sitôt qu'on se met - Debout dans la chambre! - - Dès qu'on est debout, on revoit la cour - De zinc et d'asphalte, - Tout ce qui, soudain, quand le rêve court, - Vient lui dire: «Halte!» - - L'envers des maisons, luxe à prix réduit, - Gaz et tuyautages, - Et l'affreux vitrail qui se reproduit - A tous les étages! - - Dès qu'on est debout, on voit brusquement - Tout ça reparaître. - On s'étend: plus rien que du firmament - Dans une fenêtre! - - C'est pourquoi, souvent, quand je me sens las - De vulgaire vie, - Durant tout un jour, sur le divan bas, - Je rêve et j'oublie. - - Et j'aime rester immobile sur - Le vieux divan rouge, - Sachant qu'on détruit le carré d'azur - Aussitôt qu'on bouge. - - Et je n'aperçois que du bleu, du bleu, - Du bleu dans la baie; - Le soleil y vient, une heure, au milieu, - Faire sa flambée; - - Puis, le carré bleu pâlit vers le soir, - Prend un vert turquoise; - Puis il s'assombrit, devient presque noir: - C'est comme une ardoise. - - Et de signes clairs partout la criblant, - L'invisible craie - Vient couvrir alors d'algèbre tremblant - L'ardoise sacrée! - - Oh! ne pas bouger! ne pas faire un pas - Vers cette fenêtre! - Croire que la cour affreuse n'est pas - Et ne peut pas être! - - Oh! dire au tableau: «Je ne te permets - Que ce qui s'étoile!» - Se placer toujours pour ne voir jamais - Le bas de la toile! - - Ce serait trop beau!--Ne pas lire tout, - Choisir dans le livre!-- - Mais on ne peut pas! Sans être debout, - On ne peut pas vivre! - - Ce qu'il faut pouvoir, ce qu'il faut savoir, - C'est garder son rêve; - C'est se faire un ciel qu'on puisse encor voir - Lorsque l'on se lève; - - C'est avoir des yeux qui, voyant le laid, - Voient le beau quand même; - C'est savoir rester, parmi ce qu'on hait, - Avec ce qu'on aime! - - Ce qu'il faut, c'est voir, au-dessus d'un toit, - D'une cheminée, - Au-dessus de moi, au-dessus de toi, - D'une humble journée, - - D'un coin de Paris,--c'est cela qu'il faut, - Car c'est difficile!-- - Un ciel aussi pur, un ciel aussi haut - Qu'un ciel de Sicile! - - -VI - -LA FENÊTRE - -OU - -LE BAL DES ATOMES - - Un rayon d'or qui se faufile - Aux interstices des volets - Fait danser une longue file - De petits atomes follets. - - C'est une poussière vivante - Qui monte, monte incessamment, - Puis redescend, toujours mouvante, - Dans un éternel tournoiement. - - Elle tourbillonne et s'envole - Comme un peuple de moucherons; - Au soleil elle farandole - Et fait des fugues et des ronds; - - Et tels d'imperceptibles gnomes, - De microscopiques lutins, - Ils valsent, les petits atomes, - Dans les rayons d'or des matins! - - Sans cesse, dans cette traînée - De clair soleil éblouissant, - Leur troupe folle est entraînée, - Elle remonte et redescend. - - Ils dansent, dans l'or de la bande - Qui tombe, oblique, des volets, - Une furtive sarabande - Et de silencieux ballets. - - Qu'ont-ils donc à danser si vite - Sur ce pont d'Avignon vermeil? - Sentent-ils qu'il faut qu'on profite - D'un bal que donne le soleil? - - D'où vient-elle cette poussière? - Ces atomes n'existent-ils - Que dans les filets de lumière - Qu'ils peuplent de leurs grains subtils? - - Non. Leur montante farandole, - Que l'on distingue seulement - Dans la clarté qui les isole, - Fait partout son fourmillement; - - Et tout autour de nous, dans l'ombre, - Ces riens, sans que nous le croyions, - Voltigent en aussi grand nombre - Que là, dans l'or de ces rayons. - - Ils vont, viennent. Mais d'habitude - On ne peut les apercevoir. - L'air s'emplit de leur multitude: - On les respire sans les voir. - - Leur existence qu'on ignore - Ne se révèle brusquement - Que lorsqu'un rai de soleil dore - Leur humble poussière, en passant! - - Et je pense à ces pauvres diables - Qui s'agitent autour de vous, - A tous ces rêveurs misérables, - A tous ces admirables fous! - - Ils sont là, dans l'ombre, qui riment, - Qui peinent sur leurs oeuvres,--mais - C'est pour eux seulement qu'ils triment... - Et vous ne les voyez jamais! - - Vous ne savez pas l'existence - De tous ces humbles faiseurs d'art - A qui manque la circonstance; - Mais lorsque, par un pur hasard, - - La lueur de gloire est tombée - Sur un petit groupe d'entre eux, - Vous les admirez bouche bée - Ceux-là qui furent plus heureux! - - Car ils sont comme la poussière - Des petits atomes danseurs - Qu'on ne voit que dans la lumière, - Les poètes et les penseurs! - - Le rayon faufilé dans l'ombre, - Dans lequel, seul, on peut les voir, - Est trop étroit pour leur grand nombre, - Et beaucoup restent dans le noir. - - Dans cette clarté d'auréole - Tous voudraient bien un peu venir. - Hélas! et leur désir s'affole - De n'y pouvoir pas tous tenir; - - Ils y voudraient vite leur place, - Car bientôt ils seront défunts... - Mais la gloire, la gloire passe, - Et n'en dore que quelques-uns! - -1888. - - -VII - -CHARIVARI A LA LUNE - - O Lune, tu souris. Je crois bien que les doutes - Où tu nous vois toujours errant - T'ont donné ce sourire. En vain tu le veloutes. - Ce sourire est exaspérant. - - Je sens que les tourments d'une race inquiète - Te servent de distraction. - Ça t'amuse de voir hésiter un poète - Entre le rêve et l'action. - - Je sens que voir entrer nos pas dans une voie - Pour en ressortir aussitôt - Est la chose qui fait s'écarquiller ta joie, - Silencieusement, là-haut. - - Tu souris, car tu vois la scène et la coulisse; - Et quand ta douceur fait semblant - De vouloir consoler, ce n'est qu'une malice - Cousue avec un rayon blanc. - - Oui, quand, les soirs d'été, nous cueillons un peu l'heure, - Heureux au clair de lune, enfin! - Tu n'apportes jamais qu'une paix qui nous leurre - Dans tes corbeilles d'argent fin. - - Face de Pierrot grave ou de gai Monsignore, - Pourquoi sourire? Est-ce que c'est - Parce que tu connais ce que la Terre ignore? - Sais-tu? Ne sais-tu pas? Qui sait? - - Souris-tu pour cacher des fiertés socratiques, - Ou des doutes à la Pyrrhon? - Quel genre d'ironie est-ce que tu pratiques, - Profil mince ou visage rond? - - Sont-ce jeux de docteur qui sourit en Sorbonne - De ce qu'il sait qu'il ne sait rien? - Parfois n'a-t-elle pas, ta nonchalance bonne, - Quelque chose de renanien? - - Quand tu fais de la grâce exacte ou fantômale - Au-dessus de notre bateau, - Ton sourire vient-il de l'École Normale, - Ou d'une fête de Watteau? - - Si tu le sais, pourquoi ne pas faire connaître - Le mot qui tire d'embarras? - Mais puisque je te tiens, ce soir, dans ma fenêtre, - Je jure que tu parleras! - - Tu souriais tantôt quand la nuit trop superbe - M'a fait pleurer. Tu as souri? - Eh bien! je vais, frappant sur les cuivres du verbe, - Te donner un charivari! - - Je ferai tant de bruit avec les métaphores, - Je t'assourdirai tellement - D'interpellations rapides et sonores, - Que, lasse au fond du firmament, - - Pour obtenir la paix, pour m'entendre me taire, - Tu répondras et tu diras - Si tu n'as promené là-haut que le mystère - D'un domino de Mardi-Gras! - - Et j'aurai, pour user ce flegme ostentatoire - Avec lequel tu te défends, - Cette ténacité dans l'interrogatoire - Qu'ont les juges et les enfants; - - Et sans me laisser prendre à la froideur commode - De tes impassibilités, - Je lèverai sans fin le marteau de mon ode, - Et, frappant à coup répétés, - - Frappant, comme ces clous à crochet qu'on enfonce, - Le point d'interrogation, - Tant que je n'aurai pas obtenu la réponse, - Je poserai la question. - - * * * * * - - Pour voguer sur ton eau - Quel monarque fantasque - T'a fait creuser là-haut - Dans du porphyre, Vasque? - - Au bout de quel fétu - De souffleur noctambule - T'arc-en-cielises-tu - Dans l'air bleuâtre, Bulle? - - Exigeant d'un mortel - Une adresse impossible, - Pour quel Guillaume Tell - Sors-tu de l'ombre, Cible? - - Au-dessus des coteaux - Qui sont barbus d'éteule, - Quels sont les bleus couteaux - Que tu repasses, Meule? - - Quand, partant pour ailleurs, - Au voyage on se risque, - Quel est, des aiguilleurs, - Celui qui t'ouvre, Disque? - - Quel est, dans ta blancheur - De banquise immobile, - L'invisible pêcheur - Qui peut t'aborder, Ile? - - Lorsque glisse en rêvant - Ta forme d'or qui s'arque - De l'arrière à l'avant, - Quelle est ta voile, Barque? - - Quand mincit au lointain - Ton bombement de toile - Lumineux et latin, - Quelle est ta barque, Voile? - - Sur l'espalier du soir - Quel jardinier t'empêche - De mûrir pour pouvoir - Te garder blanche, Pêche? - - Sur les lignes de l'air, - Portée où l'ombre flotte, - Quel est-il, le Wagner - Qui put t'inscrire, Note? - - Es-tu la drachme, ou l'as, - Et, ton effigie, est-ce - Celle d'une Pallas - Ou d'un Auguste, Pièce? - - Lorsqu'on voit s'assembler - Les nuages en groupe, - Qui te fait circuler - De l'un à l'autre, Coupe? - - Pour que sorte un jardin - De la brume qui rampe, - Quel sublime Aladin - Frotte ton cuivre, Lampe? - - L'été comme l'hiver, - Quand ton cadran se montre, - Quel est le Gulliver - Qui te remonte, Montre? - - Quel est l'officiant - Qui, pâle, t'a sortie - D'un ciboire effrayant, - Et qui t'élève, Hostie? - - Quelle vague, quel flot - Dont la crête scintille - Put monter assez haut - Pour te laisser, Coquille? - - Quel vieux séditieux - Dont le cerveau retarde, - Blanche, au feutre des dieux, - Vint t'arborer, Cocarde? - - Quel montreur, affublant - L'ombre d'un drap tragique, - Te projette, Rond blanc - De lanterne magique? - - Loupe au cristal puissant, - Quel savant gigantesque - Par toi nous grossissant - Arrive à nous voir presque? - - Fer à cheval d'acier, - Quel maréchal t'embrase - Pour marescalcier - Bucéphale ou Pégase? - - Pour que nous n'en ayons - Jamais le goût aux lèvres, - Qui met sur des clayons - Ce fromage de chèvres? - - Quel est le noir jaloux - Qui, sultan jusqu'aux moelles, - T'a placé, Piège à loups, - Dans son sérail d'étoiles? - - Quand tu scintilles, nu, - Au crépuscule fourbe, - De quel crime inconnu - Reviens-tu, poignard courbe? - - Hamac, quel négligent, - T'accrochant à deux astres, - Dort dans ton arc d'argent, - Bercé sur nos désastres? - - Pour que passe un rayon, - Quel brave machiniste - Ouvre ce trappillon - Sur notre monde triste? - - Au fond du ciel léger - Pétase de lumière, - Quel est le Grand Berger - Qui te porte en arrière? - - Toi qui mets sur l'azur - Ta nacre de Byzance, - Es-tu d'un Être obscur - Le jeton de présence? - - En encre de clarté, - D'une plume de cygne, - Quel dieu te fait, Pâté, - Sur le ciel, quand il signe? - - Alourdis-tu--terreur - Qui surplombe ou qui tombe!-- - Globe, un poing d'empereur? - Ou d'anarchiste, Bombe? - - Buire, quel Cellini - Galbe ton métal rose? - Quel est, Point sur un I, - Le Musset qui te pose? - - Te maniant encor, - Là-haut, mieux que personne, - Quel est, Faucille d'or, - Le Hugo qui moissonne? - - Quel clown, frappant du pied, - Va bondir de la Ville, - Cerceau, dans ton papier, - Pour imiter Banville? - - A quel char de sommeil - Dors-tu, Roue enrayée? - Cymbale de vermeil, - Qui t'a dépareillée? - - Quelle fut--le sait-on? - O Tête d'Holopherne, - Ta Judith? Quel est ton - Diogène, Lanterne? - - Ex-voto, pour quel voeu - Pends-tu sur la nuit noire? - Quel Roland du Mont Bleu - T'embouche, Cor d'ivoire? - - Quel émir, Bouclier, - Te suspend à sa selle? - A quoi va se lier, - Cerf-Volant, ta ficelle? - - Quels sont tes poids, Plateau - De balance romaine? - En mangeant ce gâteau - Quel enfant se promène? - - Quel chiffre est ciselé - Sur cette tabatière? - Quel chat noir a filé - Par ton trou blanc, Chatière? - - Quel garde assermenté - T'a sur sa blouse, Plaque? - Quelle Tasse de thé - Sert-on sur du vieux laque? - - Grand Bouton de Cristal, - Quel mandarin te porte? - Poignée en clair métal, - Ouvres-tu quelque porte? - - Fermoir étincelant, - Fermes-tu quelque tome? - Hublot, tu luis au flanc - De quel Vaisseau Fantôme? - - Quel Coq, _escam quærens_, - Perle, du bec te pousse? - Palette, quel Rubens - Passe dans toi le pouce? - - De cette Opale, au loin, - Quel turban s'agrémente? - Qui te grignote un coin, - O Pastille de menthe? - - Qui va, dans les «ha! ha!» - Te décrocher, Timbale? - Quelle Nausicaa - Te perd dans le ciel, Balle? - - Dans quel moule arrondi - Est-ce que l'on t'arrange, - Tarte? De quel midi - Peux-tu bien être, Orange? - - De quel verre, Sorbet? - De quelle jatte, Crème? - O, de quel alphabet? - Zéro, de quel problème? - - De quel pré, Champignon? - Visière, de quel Casque? - Pont, de quel Avignon? - Tambourin, de quel Basque? - - Qui donc, Veilleuse, dort? - Quel est ton hiver, Neige? - Cirque, ton picador? - Ton écuyer, Manège? - - Quel Hercule a jeté - Ce Peloton de laine? - Fleur, quel est ton été? - Ton Sèvres, Porcelaine? - - Faïence, ton Nevers? - Prunelle, ton Cyclope? - Médaille, ton revers? - Cachet, ton enveloppe? - - Ton portrait, Médaillon? - Diamant, ton satrape? - Grelot, ton postillon? - Grain de raisin, ta grappe? - - Ton Versaille, OEil-de-Boeuf? - OEil de tigre, ta jongle? - Ton bilboquet, Boule? OEuf, - Ton nid? Arc, ta flèche? Ongle, - - Ton doigt? Lotus, ton lac? - Ton lait, Bol? Ton puits, Cruche? - Fruit, ta branche? Or, ton sac? - Pain, ton blé? Miel, ta ruche? - - * * * * * - - Je m'arrête, essoufflé... Mais je sens qu'elle va - Parler! que cette voix va tinter, qu'on rêva - D'argent! que cette voix d'argent va me répondre! - Que la Lune a senti sa patience fondre, - Et qu'elle va répondre!... Et j'attends, haletant, - Qu'elle tinte le mot de l'énigme; et, tintant - Comme un timbre, en effet, tinterait dans la nue, - La Lune me répond froidement: - - «Continue!» - - -VIII - -LE VIEUX PION - - ... Le voyans au dehors, et l'estimans par l'extérieure apparence, - n'en eûssiez donné un coupeau d'oignon, tant laid il était de corps et - ridicule en son maintien... Mais ouvrant cette boîte eûssiez au dedans - trouvé une céleste et impréciable drogue... - - RABELAIS. - - Vieux pion qu'on raillait, ô si doux philosophe - Aux coudes rapiécés, pauvre être marmiteux - Dont l'étroit paletot, d'une luisante étoffe, - Disait un long passé d'hivers calamiteux, - - Je te revois. Ton crâne avait une houppette, - Une seule, au milieu, de poils,--et tu louchais. - Et longuement, avec un fracas de trompette, - Dans un mouchoir à grands carreaux tu te mouchais. - - Je te revois, dans le préau, sous les arcades, - Grave, déambuler, et j'ai la vision - De ton accoutrement pendant ces promenades - Où tu marchais au flanc de ma division; - - De ta longue, oh! si longue et noire redingote, - Dans laquelle plus d'un avait déjà sué; - De ton chapeau gibus bon pour mettre à la hotte, - Si fantastiquement bleuâtre et bossué! - - Ton haleine odorait le vin et la bouffarde, - Et, quand tu paraissais à l'étude du soir, - Souvent ton nez flambait dans ta face blafarde, - Et c'est en titubant que tu venais t'asseoir. - - Pochard mélancolique au crâne vénérable, - Parfois tu t'éveillais, quand tu cuvais ton vin, - Et, frappant un grand coup de règle sur la table, - Tu glapissais: «Messieurs, silence!...» Mais en vain. - - Ou plutôt, tu dormais, sans souci des boulettes - Qu'on mâchait longuement pour t'envoyer au nez. - Et ton étude alors marchait sur des roulettes... - Plus de punitions ni de pensums donnés! - - On t'avait surnommé Pif-Luisant. Les élèves - Charbonnaient ton profil grotesque sur le mur. - Mais tu marchais toujours égaré dans tes rêves. - Tu ne souffrais de rien. Tu vivais dans l'azur. - - Car tu faisais des vers. Tu rimais un poème! - A nul autre que moi tu ne l'as avoué. - --Comment donc avais-tu, lamentable bohème, - Au fond de ce collège, en province, échoué? - - Pif-Luisant, je t'aimais. Quelquefois je suis triste - En repensant à toi. Qu'es-tu donc devenu? - C'est toi qui m'as prédit que je serais artiste, - Et c'est toi le premier rimeur que j'ai connu. - - Un jour, ayant trouvé des vers dans mon pupitre, - Tu fus pris d'une joie attendrie, et je vis - Comme un rayonnement sur ta face de pitre, - Et tu me contemplais avec des yeux ravis! - - Dès ce jour, tu m'aimas. Et tandis que les autres - Jouaient en criaillant aux barres, nous causions. - Les conversations exquises que les nôtres! - Parfois tu m'expliquais un peu mes versions. - - Je crois que si j'ai fait vraiment ma rhétorique, - C'est sous les marronniers, en t'écoutant parler. - Tu commentais, dans ton langage poétique, - Homère,--et je voyais la grande mer s'enfler, - - Les galères en ligne avec leurs belles proues, - Et les cnémides d'or des Grecs étincelants, - Et je voyais passer, le rose sur les joues, - La merveille de grâce, Hélène, à pas très lents! - - Quelquefois tu prenais Virgile, ou bien Tibulle: - J'entendais, sous les verts feuillages, les pipeaux, - Les clochettes dont la chanson tintinnabule - Dans les lointains du soir, quand rentrent les troupeaux. - - Et puis, c'était Ovide et ses métamorphoses, - Cycnus qui, duveté de neige, est fait oiseau, - Daphné qui fuit, montrant ses talons nus et roses, - Syringe qui se change en flexible roseau, - - En roseau chuchoteur et qui devient lui-même - Une flûte à six trous entre les doigts de Pan, - Io, génisse blanche et que Jupiter aime, - Les yeux d'Argus semés sur les plumes du paon! - - Merci, vieux, qui, plus jeune encor, malgré ton asthme, - Que le gandin pédant dont nous suivions les cours, - Fus l'éveilleur de mon premier enthousiasme, - Me refaisant la classe, en plein air, dans les cours! - - Merci, toi qui me mis de beaux rêves en tête, - Toi dont la main furtive, au dortoir, me glissait - Les livres défendus de plus d'un grand poète, - O toi qui m'as fait lire en cachette Musset! - - Souvent, le professeur, corrigeant ma copie, - Dans un discours français trouvait, en suffoquant, - Quelque insulte à Boileau qui lui semblait impie, - Quelque néologisme horriblement choquant; - - Il pâlissait de mon audace épouvantable, - Comme s'il s'attendait à voir crouler le toit... - Mais il ne s'est jamais douté que le coupable, - Mon affreux corrupteur, Pif-Luisant, c'était toi! - - Oui, si je fus poussé vers quelque plus moderne - Irrégularité, celui qui me poussa - Fut ce pion crasseux qu'on traitait de baderne. - Diogène poussif et Silène poussah! - - O bohème déchu dont le sort fut si rude, - Es-tu du grand sommeil sous la terre endormi, - Ou bien fais-tu toujours, là-bas, ta triste étude, - Et liras-tu ces vers de ton petit ami? - - Grand poète incompris, ivrogne de génie, - Toi qui me prédisais un si bel avenir, - Tu fus mon maître vrai. Loin que je te renie, - Aujourd'hui j'ai voulu chanter ton souvenir. - - Et si la mort t'a pris, ce qui vaut mieux peut-être, - Car tu ne souffres plus ni faim, ni froid cuisant, - Dors tranquille, mon vieux, repose-toi, pauvre être, - Toi que j'ai tant aimé... doux pochard... Pif-Luisant! - -1889. - - -IX - -LES SONGE-CREUX - - Nous sommes de bien douces gens - Qui ne faisons mal à personne, - Contents de peu, point exigeants, - Heureux d'une rime qui sonne, - Heureux d'un beau vers entendu, - D'une ballade commencée, - D'une chimère caressée, - D'un penser finement rendu. - De bon sens peut-être indigents, - Détestant tout ce qui raisonne, - Nous sommes de bien douces gens - Qui ne faisons mal à personne! - - Qu'on laisse aux pauvres songe-creux, - Aux rimeurs, aux penseurs étiques, - Les choses qui les font heureux, - Leurs rêves et leurs esthétiques! - Laissez-nous poursuivre à l'écart - Notre amoureuse musardise; - Pour tout ce qui n'est pas de l'art - Nous sommes pleins de balourdise; - Nous sommes inintelligents - Hors de nos vers... - Qu'on nous pardonne, - Nous sommes de bien douces gens - Qui ne faisons mal à personne! - - Sans savoir compter jusqu'à trois - Nous nous en allons dans la vie; - Nous sommes des esprits étroits - Qui n'avons qu'une seule envie. - Et nous fuyons dans nos jardins - Les contacts blessants du vulgaire, - Lui rendant dédains pour dédains... - Mais ne lui cherchant pas la guerre! - Aussi, daignez être indulgents - Au songe-creux qui déraisonne... - Nous sommes de bien douces gens - Qui ne faisons mal à personne! - -Février 1888. - - -X - -LA FORÊT - - La Nature, par qui souvent nous sommes tristes, - Nous tous qui l'adorons, les rêveurs, les artistes, - --Tandis que jour et nuit nous nous évertuons - A vouloir l'exprimer, et que nous nous tuons - Au labeur de fixer son image impossible, - Nous regarde souffrir et demeure impassible. - - Donc, j'étais amoureux de la grande forêt. - Son sauvage parfum fort et doux m'enivrait; - Il me fallait ses chants d'oiseaux et ses murmures; - Et, la nuit, je rêvais d'elle, de ses ramures, - Des bouquets nuptiaux que font ses aubépins, - De ses fourrés touffus et peuplés de lapins - Dont on voit brusquement fuir les petits derrières, - Des morceaux de ciel bleu plafonnant ses clairières... - Je l'aimais. Cet amour m'avait pris tout entier - Le jour que j'avais fait un pas dans le sentier - Qui la traverse toute en partant de l'orée. - Je l'avais aussitôt follement adorée. - On y voyait fleurir de grandes, grandes fleurs! - On y sentait un tas de si bonnes odeurs! - Et, le soir, quand chantaient les brises étouffées, - Des endroits noirs semblaient habités par les fées! - On avait peur. Enfin ma tête s'égarait... - Et j'étais amoureux de la grande forêt! - Mais amoureux vraiment, amoureux de ses sources, - De ses ruisseaux croisant dans l'ombre mille courses, - De ses mousses, de ses insectes voltigeant, - De ses feuillages verts, bleu foncé, gris d'argent, - Des enchevêtrements épineux de ses haies, - De ses mûrons, de ses framboises, de ses baies, - De sa mystérieuse et solennelle paix; - Puis aussi de ses coins dans les taillis épais, - De ses coins retirés qui semblent des alcôves - Avec des lits fleuris de petites fleurs mauves! - - Et j'aimais les sentiers même où l'on a des peurs - Quand les bras sarmenteux des arbustes grimpeurs - Viennent en s'étirant vous accrocher la manche, - Où l'on se croit suivi soudain quand une branche - Vous fait, malicieuse, un brusque frôlement, - Et vient vous chatouiller dans le cou, drôlement! - - J'aimais cette forêt. - - Bien souvent le poète - S'éprend ainsi, se met une folie en tête - Dont il souffre beaucoup, mais qui dure fort peu - Lorsqu'il la satisfait pleinement, lorsqu'il peut - Posséder cette idée ou cet objet qu'il aime, - Et lui faire un enfant, c'est-à-dire un poème. - C'est ainsi que j'aimais. Je mourais du désir - De prendre la forêt dans mes vers, de saisir - Son charme, son parfum, son silence, et de rendre - L'émoi dont m'emplissaient un feuillage vert tendre, - Une source, un recoin moussu, quelque oiselet - Qui le long du sentier, par terre, sautelait, - Un rayon qui glissait dans le feuillage sombre, - Et la fraîcheur exquise, et le murmure, et l'ombre... - Je mourais du désir d'exprimer tout cela! - - C'est pourquoi je me dis: «Je serai toujours là - Dans la forêt, notant le moindre frisson d'aile. - Je viendrai chaque jour me remplir les yeux d'elle, - Tâcher de lui voler de sa beauté, m'asseoir - Sur le même arbre mort, s'il le faut, chaque soir, - Tant que je n'aurai pas bien traduit son mystère - Et cette forte odeur de feuillage et de terre - Qu'elle sent. Je veux bien me priver de sommeil: - Mais je la surprendrai, la gueuse, à son réveil, - Pour bien voir quelles sont à l'aurore ses teintes, - De quel vert plus brillant ses feuilles sont repeintes, - Et comment la rosée à leur bout vient perler, - Et comment tous les plus vieux arbres font trembler, - Dans l'azur matinal, des cimes toutes roses!» - - Oui, mon rêve, c'était de traduire ces choses, - Mais malgré mes efforts je ne le pus jamais! - Je ne possédai pas la forêt que j'aimais! - Et mon amour devint alors de la souffrance. - Je fus pris tout d'un coup d'une désespérance - Affreuse. Et comme, un jour, pour la dernière fois, - Assis dans la fraîcheur exquise d'un sous-bois, - Je voulais découvrir les mots exacts pour dire - L'églantier qui fleurit, la brise qui soupire, - Le mystère si calme et frais du clair-obscur, - Les petits airs penchés des clochettes d'azur - Qui se livrent, sans doute, à quelque babillage, - Et les sourires bleus du ciel dans le feuillage, - Le soleil qui parfois en rais semble pleuvoir, - Je me mis à pleurer de ne pas le pouvoir! - J'étais vaincu, brisé! Soudain, tout mon courage - S'en allait! Je pleurais d'impuissance et de rage! - Je pleurais, suffoqué de douleur, étouffant - D'un de ces gros chagrins de poète et d'enfant! - Et les branches étaient doucement frémissantes, - Et jamais les oiseaux cheminant dans les sentes - N'avaient été plus gais, les merles plus siffleurs. - Au-dessus de mon front passaient des vols ronfleurs - D'abeilles, de frelons... J'étais couché dans l'herbe: - Et je la sentais douce, odorante. Et, superbe, - Sans savoir que pour elle un homme sanglotait, - La forêt verdoyait, fleurissait et chantait! - - La Nature est toujours la grande indifférente; - De tous les maux humains elle reste ignorante. - Souvent les malheureux l'ont maudite, en voyant - Qu'elle les regardait en ne s'apitoyant - Jamais, et que devant leurs souffrances cruelles - Ses fleurs gardaient leur joie et fleurissaient plus belles, - Et qu'elle n'était rien qu'un merveilleux décor! - Mais, pour nous qui l'aimons, c'est bien plus dur encor, - Pour nous, ses amoureux, les peintres, les poètes, - Puisque enfin nos douleurs par elle nous sont faites! - C'est de son seul amour que l'artiste est martyr. - Ne peut-elle donc pas à ses maux compatir, - La toujours insensible et sereine Nature, - Ou paraître savoir tout au moins sa torture? - - Mais non!--Et si jadis, forêt, grande forêt, - Si, dans son désespoir, celui qui t'adorait - Était allé se pendre, un soir, à quelque branche, - Cela n'aurait pas fait faner une pervenche, - S'attrister un iris, pleurer un chèvrefeuil! - Tes roses d'églantiers n'auraient pas pris le deuil - De leur pauvre amoureux, en fermant leurs pétales! - Calmes auraient souri tes hautes digitales! - Tes oiseaux n'auraient pas éloigné leurs ébats - Et n'auraient pas jasé ni chansonné plus bas - En voyant balancer ma longue forme brune! - Et quand un ironique et blanc rayon de lune - M'aurait comme vêtu du linceul des défunts, - Ta brise aux chauds soupirs, ta brise aux doux parfums - N'aurait pas tu son bruit de harpe qu'on accorde, - Et des liserons bleus auraient fleuri ma corde! - -Bellevue, 1888. - - -XI - -OÙ L'ON RETROUVE PIF-LUISANT - - Il bouquinait un vieux Hugo de chez Hetzel - Au seuil d'une taverne. Étant de cette race - Qui déjeune d'un bock et dîne d'un bretzel, - Il m'apparut bien maigre à cette humble terrasse. - - Alors, je l'emmenai dans le soir. Il parlait. - Le profond Luxembourg nous ouvrit ses quinconces. - Je crois l'entendre encor dans le soir violet - Maudire l'esthétisme et les Muses absconses. - - Je crois le voir encor s'arrêter.--«_Mille dious!_» - Dit-il au promeneur surpris qu'on l'interpelle, - «Notre premier devoir est de chanter pour tous! - Foin d'un art compliqué pour petite chapelle! - - «Quand l'importance du cheveu que vous sciez - En huit, mes bons seigneurs, n'est pas très bien saisie, - Pourquoi vous figurer que des initiés - Peuvent seuls s'ingérer d'aimer la Poésie? - - «Certe, il faut fuir les lourds et stupides moqueurs, - Mais craindre, quand on veut écarter le vulgaire, - D'y confondre certains qui n'en sont pas, les coeurs - Qui sentent grandement, s'ils ne comprennent guère. - - «Aimez ces dédaignés et ces silencieux - Qui, les vers déclamés, n'en disent rien de juste, - Mais à qui l'on surprend des larmes dans les yeux, - Tant ils ont bien senti passer le vol auguste! - - «Aimez ces ignorants de vos jeux, de leur prix, - Et leur simplicité quelquefois justicière; - Et songez qu'après tout ce qu'ils n'ont pas compris - Ce n'était, bien souvent, que tours de gibecière, - - «Ah! ne préférez pas ces soi-disant experts - Qui pèsent au carat les beautés précieuses - A ces âmes qui pour répercuter les vers - Ont la sonorité des âmes spacieuses!» - - -XII - -OÙ L'ON PERD PIF-LUISANT - - J'allais souvent le voir tandis qu'il se mourait. - - C'était à mi-chemin du ciel qu'il demeurait, - Dessous les toits, et dans une affreuse mansarde - Aux murs blanchis, au noir plafond qui se lézarde. - J'allais souvent le voir, et nous causions longtemps, - Et ses doigts amaigris étaient plus tremblotants - Chaque jour, et sa lèvre était plus violette. - - * * * * * - - Il me disait: - - «Surtout, ne sois jamais poète. - Les vers, mon pauvre ami, c'est ce qui m'a perdu. - Tu le vois, je suis vieux, exténué, rendu - Avant l'âge, car j'ai voulu faire ce rêve. - La lutte m'a brisé. Non, la vie est trop brève: - Pourquoi passer son temps à batailler, pourquoi - Ne pas vivre en son coin, sage, et se tenant coi? - Le bonheur régulier, crois-moi, la vie intime, - Le foyer, une femme et des enfants, l'estime - De son quartier. Surtout, ne fais jamais de vers! - N'en fais jamais! Si c'est un innocent travers, - S'il te plaît, comme on dit, de courtiser la Muse, - Quelquefois, au dessert, en bourgeois qui s'amuse, - Tu le peux, et c'est sans danger. - - «Mais si, le soir, - Quand la lune sourit, tu rêves de t'asseoir - Sur le vieux banc de pierre au fond du parc, d'entendre - La chanson de la brise, et si tu vas t'étendre - Par les matins d'été, dans l'herbe, sur le dos, - En regardant le ciel avec des yeux mi-clos, - Si le rythme t'émeut, si ton être tressaille - Quand s'envole une strophe, et si ton coeur défaille - Quand un ami te lit des vers à haute voix, - Si le désir te prend, devant ce que tu vois, - De l'exprimer avec une forme parfaite, - Si tu sens vaguement s'agiter un poète - En toi, n'hésite pas! étouffe dans ton coeur - Ce serpent! Il y va, crois-moi, de ton bonheur... - Et le bonheur vaut seul vraiment qu'on s'en occupe. - Le métier de poète est un métier de dupe. - Ah! mon expérience est amère! Longtemps, - J'ai subi les dédains, les affronts irritants - Des sots; j'ai combattu pour l'art, plein d'énergie! - Je marchais, ébloui toujours par la magie - De mon rêve, mes yeux de fou perdus au ciel! - Je ne souffrais de rien. J'étais même sans fiel - Pour ceux qui me raillaient. J'étais le doux bohème - Inoffensif; j'allais, en penaillons, tout blême, - Et nourri seulement des viandes de l'esprit; - Sans me mettre en souci du vulgaire qui rit, - J'allais, gonflant toujours quelque nouvelle bulle! - J'étais l'extravagant heureux qui noctambule, - Qui trouve, pour dormir, un banc délicieux, - Pour qui tous les plafonds sont trop bas, sauf les cieux. - J'étais le vagabond poète qui balade, - Cherchant des jours entiers un refrain de ballade, - Et qui va devant lui, sans souci des hivers, - Heureux de se chanter à lui-même ses vers! - Je me disais: Mon temps n'est pas venu, mon heure - Sonnera. Mais j'ai vu que l'espoir était leurre. - J'ai vieilli, je me suis lassé d'être incompris. - C'est absurde, mais c'est ainsi: le beau mépris - Que nous avons d'abord pour le goût du vulgaire - Tombe avec l'âge. Eh quoi! toujours faire la guerre? - On veut avoir son tour de gloire. On n'en peut plus - Des veilles sans profit, des travaux superflus. - J'ai fait de l'art. Cet autre fait du vaudeville: - Et c'est à lui que va la multitude vile. - C'est lui que l'on acclame. Et moi je meurs de faim! - Eh bien! je me révolte et je crie, à la fin! - Mon coeur veut déverser son trop-plein d'amertume. - Nous autres, je sais bien, notre gloire est posthume - Quelquefois. Il paraît que, quand nous sommes morts, - La Gloire, cette femme, a souvent des remords - De ne pas nous avoir aimés. On nous découvre. - Nos vers sont exaltés; nos tableaux vont au Louvre... - Mais que nous font de verts lauriers sur nos tombeaux? - C'est vivant que j'aurais voulu quelques lambeaux - De cette pourpre; et, mort, je n'en fais nul usage! - Vois-tu, le désespoir vous étreint avec l'âge - D'être plus inconnu qu'un faiseur de couplet; - Et l'on mendie: «Un peu de gloire, s'il vous plaît! - Daignez avant ma mort m'avancer quelque chose, - Quelques rayons sur ma future apothéose! - Si l'on doit m'admirer plus tard, il vaut autant - Commencer tout de suite, et je mourrai content. - J'ai trop voulu sortir de l'ornière banale, - Dites-vous: quand l'idée est trop originale - On la repousse?... Eh bien! si c'est là le récif - Où j'échouai, je veux bien faire du poncif. - Du poncif, s'il le faut! Mais avant que j'expire, - C'est mon rêve, je veux que le bourgeois m'admire!» - - «Oui, vieillis, les plus fiers lutteurs, les plus fougueux - Parlent ainsi, lassés d'être incompris et gueux! - - * * * * * - - «Car c'est une tristesse noire - De vieillir toujours méconnu. - Alors, n'ayant pas eu la gloire - Dans cette vie, on n'a rien eu. - - «Comme on a passé sa jeunesse - A chasser la chimère, on n'a - Rien récolté pour sa vieillesse, - Et quand l'heure affreuse sonna, - - «L'heure de la tristesse, l'heure - Des ressouvenirs étouffants, - On se vit pauvre, sans demeure, - Et vieux grand-père sans enfants. - - «Trimer, c'est bon quand on est jeune. - Mais on change en se faisant vieux. - On ne supporte plus le jeûne, - On songe qu'on serait bien mieux - - «Dans un intérieur confortable - Que sous un plafond d'où ça pleut; - On songe que se mettre à table - Doit être un plaisir, quand on peut! - - «On songe qu'une chambre chaude - Doit être agréable, le soir, - Avec une femme qui rôde - Autour de vous, blonde, en peignoir; - - «Qu'il est doux, lorsque le vent souffle, - D'être, béat, au coin du feu; - Tout en rôtissant sa pantoufle, - De somnoler un petit peu; - - «Qu'il est doux de prendre ses aises, - De mettre aux chenets son talon, - D'avoir, au lieu de quatre chaises, - De bons fauteuils dans son salon! - - «Ah! que de choses on regrette - Lorsqu'on eut des rêves trop grands! - Musicien, peintre, poète, - Ce sont de fichus métiers. Prends - - «Quelque bon métier qui rapporte; - Mets sur ton oreille un crayon - Ou des panonceaux sur ta porte, - Et ne cherche pas le rayon! - - «Ne fais jamais d'art! Ne t'ingère - Jamais de penser du nouveau! - Fume un gros cigare. Digère. - Et crains les rhumes de cerveau! - - «Bois frais. Tiens-toi dans l'allégresse. - Pas de vers, je te le défends. - Vis comme un coq en pâte. Engraisse. - Fais des ribambelles d'enfants! - - «Du reste, je te dis ces choses, - Mon pauvre ami, mais je sais bien - Que les conseils des vieux moroses - Ne serviront jamais de rien, - - «Et que, si le diable t'y pousse, - Tu seras poète, gamin! - --Mais j'ai parlé trop, et je tousse... - Embrasse-moi vite. A demain!» - - * * * * * - - Le lendemain, j'appris la mort du pauvre hère. - Je l'accompagnai seul jusqu'à son cimetière, - Puis, ayant vu glisser le cercueil dans le trou, - Je marchai devant moi, longtemps, sans savoir où. - Et je songeais: «Jamais je ne serai poète! - Car je n'ai pas le coeur assez brave, et ma tête - S'égarerait à tant souffrir. Je ne veux pas - Traîner cette existence affreuse, à chaque pas - Me blesser aux cailloux aiguisés de la route. - L'Art, oh! l'Art m'attirait et me grisait, sans doute! - Mais je veux travailler à faire mon bonheur. - Cet homme avait raison. Il m'a donné la peur - Du calvaire qu'il faut gravir pour être artiste. - Je veux vivre impassible et vieillir égoïste!» - Je m'aperçus alors que j'étais dans les champs, - Que les arbres, bouquets de parfums et de chants, - S'éveillaient au soleil, et que les verts cytises - Invitaient sous leur ombre à des fainéantises; - Que le ciel, d'un bleu pâle, avait l'air d'un satin - De Chine; que c'était l'adorable matin, - L'heure où la cime des ormeaux tremble et rougeoie. - Dans ces odeurs, dans ces fraîcheurs, dans cette joie, - J'oubliai tous les maux que l'autre avait soufferts... - - --Et je rentrai chez moi pour écrire ces vers. - -1887. - - -XIII - -SOUVENIRS DE VACANCES - - -I - -LE TAMBOURINEUR - - A l'heure où l'invisible orchestre des cigales - N'exerce pas encor ses petites cymbales, - Quand l'horizon est rose et vert, de bon matin, - Par les sentiers pierreux de la blanche colline, - En jouant un vieil air lentement s'achemine - Le tambourineur, beau comme un pâtre latin. - - Sous les pins parasols d'où pleuvent les aiguilles - Qui rendent les sentiers glissants, il fait des trilles - Sur le fin gaboulet, comme un merle siffleur. - Sa longue caisse aux flots de rubans verts ballante, - Il s'en va pour donner une aubade galante - A la belle qui l'a choisi pour cajoleur. - - Il souffle dans son fifre un air très gai de danse, - Pendant qu'il frappe avec la baguette, en cadence, - La peau du tambourin qui ronfle sourdement. - Le petit galoubet d'ivoire rossignole, - Et le tambourin suit l'alerte farandole - D'un monotone, un peu triste, accompagnement. - - Tambourineur d'Amour, comme je te ressemble! - Je vais jouant du triste et du gai tout ensemble: - Le tambourin sonore et grave, c'est mon coeur, - Rien plus lourd à porter, va, que ta caisse lourde! - Mais, toujours, cependant qu'il fait sa plainte sourde, - Sifflote mon esprit, ce galoubet moqueur! - -1888. - - -II - -L'ÉTANG - - L'étang, dont le soleil chauffe la somnolence, - Est fleuri ce matin de beaux nénuphars blancs. - Les uns, sortis de l'eau, semblent offrir, tremblants, - Leur assiette de Chine où de l'or se balance. - - D'autres n'ont pu fleurir, mais purent émerger, - Et, pointe autour de quoi l'onde en cercles se plisse, - Leur gros bouton bronzé qui commence à nager - Est une cassolette avant d'être un calice. - - D'autres, encor plus loin du moment de surgir, - Promesse de boutons par l'eau glauque couverte, - Se bercent d'un remous sous l'ample feuille verte - Qu'on voit, comme un plateau de laque, s'élargir. - - Ainsi sont mes pensers dans leur floraison lente. - Il en est d'achevés que leur tige me tend, - Complètement éclos, comme, sur cet étang, - Les nénuphars berçant leur soucoupe indolente. - - D'autres n'ont encor pu qu'atteindre le niveau... - Et ce sont eux surtout que, poète, on caresse, - Qu'on laisse à fleur d'esprit flotter avec paresse, - Comme les nénuphars qui pointent à fleur d'eau. - - Mais je sens la poussée en moi, vivace et sourde, - D'autres pensers germés mystérieusement, - Qui montent en secret vers leur achèvement, - Comme les nénuphars qui dorment sous l'eau lourde. - - -III - -LES PAPILLONS - - En Mai, quand les brises roucoulent, - Quand fleurissent toutes les fleurs, - Les papillons sont grands buveurs: - Les petits papillons se soûlent. - - Souvent, au crépuscule gris, - A l'heure où le couchant se clore, - On en voit balocher encore: - C'est tout simplement qu'ils sont gris. - - Le regard les suit et s'étonne - De les voir, dans le jour tombant, - S'en aller d'un vol titubant, - D'un vol qui zigzague et festonne. - - Les pauvrets se sont attardés - A boire dans toutes les roses; - Pour chasser les ennuis moroses - Ils se sont un peu pochardés. - - Au sortir de leur chrysalide - Faisant dehors leurs premiers pas, - Pour les parfums n'avaient-ils pas - Encor la tête assez solide? - - Avaient-ils des chagrins d'amour, - Ces papillons? Voulaient-ils boire - Pour se consoler d'un déboire? - Mon Dieu, ça se voit chaque jour! - - Ou par des amis en goguette - Se laissèrent-ils emmener - De fleur en fleur biberonner, - Comme de guinguette en guinguette? - - Eux, les élégants papillons, - Si corrects près des marguerites, - Ils sont, en regagnant leurs gîtes, - Dépoudrés de leurs vermillons! - - Et gris à rouler sous les roses, - Lorsqu'il leur faut rentrer chez eux, - Ils s'en reviennent deux par deux... - Et voilà qu'ils disent des choses!... - - Ils se détaillent leurs amours, - Se vantent de leurs prétentaines, - Mettent de travers leurs antennes, - S'attendrissent, font des discours; - - Eux, les doux frôleurs de corolles, - Les petits Platons de l'air pur, - Amis des lys et de l'azur, - Ils racontent des gaudrioles! - - Quand les nectars et les rayons - Ont troublé leur âme sensible, - Il n'y a rien de plus terrible - Que l'ivresse des papillons! - - Dons Juans récitant leurs listes, - Ils révèlent soudain aux fleurs - Quelles âmes d'écornifleurs - Ils cachaient, ces idéalistes! - - Battant des ailes de pastel, - Chacun, avant la nuit, aspire - Un dernier lys avec sa spire, - Ainsi que l'on hume un cocktail! - - Les roses ayant une essence - Qui grise mieux que le trois-six, - Ce qu'au buisson dit le _Tircis_ - Est de la plus rare indécence. - - Les _Machaons_ sont déchaînés. - Et les hautaines _Atalantes_ - Ne fuient qu'avec des ailes lentes - Qui semblent leur dire: «Venez!» - - Le _Mars_, gai comme un soir de solde, - Dit au _Tabac d'Espagne_: «Ohé!» - Le _Daphnis_ change de Chloé. - Le _Tristan_ se trompe d'Ysolde. - - A demain matin les pardons! - Il faudra qu'on s'y reconnaisse. - Mais, ce soir, plus d'une _Vanesse_ - Pour les phlox trahit les chardons. - - Un obscur papillon d'avoine - Tutoie un lilas de jardin. - Le papillon du chou, soudain, - Appelle: «Mon chou!» la pivoine. - - Le désordre règne. Il n'y a - Plus de lois ni de protocoles. - L'_Argus_ parle argot. «Tu me colles!» - Dit l'_Argynne_ au pétunia. - - Le _Demi-Deuil_ n'est plus sévère. - Et: «Ma primevère n'est pas - Grande», dit le _Sylvain_ tout bas, - «Mais je bois dans ma primevère!» - - -IV - -DÉJEUNER DE SOLEIL - - Le soleil hume la rosée - Qui s'évapore lentement. - Vers lui, dans le matin charmant, - Elle monte, vaporisée, - - L'aurore fait le firmament - D'une teinte exquise et rosée. - Le soleil hume la rosée - Qui s'évapore lentement. - - Sur chaque brin d'herbe est posée - Une goutte arc-en-cielisée - De plus de feux qu'un diamant... - Et, comme il en est très gourmand, - Le soleil hume la rosée. - - -V - -LES COCHONS ROSES - - Le jour s'annonce à l'Orient - De pourpre se coloriant; - Le doigt du matin souriant - Ouvre les roses; - Et sous la garde d'un gamin - Qui tient une gaule à la main, - On voit passer sur le chemin - Les cochons roses, - - Le rose rare au ton charmant - Qu'à l'horizon, en ce moment, - Là-bas, au fond du firmament, - On voit s'étendre, - Ne réjouit pas tant les yeux, - N'est pas si frais et si joyeux - Que celui des cochons soyeux - D'un rose tendre. - - Le zéphyr, ce doux maraudeur, - Porte plus d'un parfum rôdeur, - Et, dans la matinale odeur - Des églantines, - Les petits cochons transportés - Ont d'exquises vivacités - Et d'insouciantes gaîtés - Presque enfantines. - - Heureux, poussant de petits cris, - Ils vont par les sentiers fleuris, - Et ce sont des jeux et des ris - Remplis de grâces; - Ils vont, et tous ces corps charnus - Sont si roses qu'ils semblent nus, - Comme ceux d'amours ingénus - Aux formes grasses. - - Des points noirs dans ce rose clair - Semblant des truffes dans leur chair - Leur donnent vaguement un air - De galantine, - Et leur petit trottinement - A cette graisse, incessamment, - Communique un tremblotement - De gélatine. - - Le long du ruisseau floflottant - Ils suivent, tout en ronflotant, - La blouse au large dos flottant - De toile bleue; - Ils trottent, les petits cochons, - Les gorets gras et folichons - Remuant les tire-bouchons - Que fait leur queue. - - Et quand les champs sans papillons - Exhaleront de leurs sillons - Les plaintes douces des grillons - Toujours pareilles, - Les cochons, rentrant au bercail, - Défileront sous le portail, - Agitant le double éventail - De leurs oreilles. - - Puis, quand, là-bas, à l'Occident, - Croulera le soleil ardent, - A l'heure où le soir descendant - Touche les roses, - Paisiblement couchés en rond, - Près de l'auge peinte en marron, - Bien repus, ils s'endormiront, - Les cochons roses. - - -VI - -LE PETIT CHAT - - C'est un petit chat noir, effronté comme un page. - Je le laisse jouer sur ma table, souvent. - Quelquefois il s'assied sans faire de tapage; - On dirait un joli presse-papier vivant. - - Rien de lui, pas un poil de sa toison ne bouge. - Longtemps il reste là, noir sur un feuillet blanc, - A ces matous, tirant leur langue de drap rouge, - Qu'on fait pour essuyer les plumes, ressemblant. - - Quand il s'amuse, il est extrêmement comique. - Pataud et gracieux, tel un ourson drôlet. - Souvent je m'accroupis pour suivre sa mimique - Quand on met devant lui la soucoupe de lait. - - Tout d'abord, de son nez délicat il le flaire, - Le frôle; puis, à coups de langue très petits, - Il le lampe; et dès lors il est à son affaire; - Et l'on entend, pendant qu'il boit, un clapotis. - - Il boit, bougeant la queue, et sans faire une pause, - Et ne relève enfin son joli museau plat - Que lorsqu'il a passé sa langue rêche et rose - Partout, bien proprement débarbouillé le plat. - - Alors, il se pourlèche un moment les moustaches, - Avec l'air étonné d'avoir déjà fini; - Et, comme il s'aperçoit qu'il s'est fait quelques taches, - Il relustre avec soin son pelage terni. - - Ses yeux jaunes et bleus sont comme deux agates; - Il les ferme à demi, parfois, en reniflant, - Se renverse, ayant pris son museau dans ses pattes, - Avec des airs de tigre étendu sur le flanc. - - Mais le voilà qui sort de cette nonchalance, - Et, faisant le gros dos, il a l'air d'un manchon; - Alors, pour l'intriguer un peu, je lui balance, - Au bout d'une ficelle invisible, un bouchon. - - Il fuit en galopant et la mine effrayée, - Puis revient au bouchon, le regarde, et d'abord - Tient suspendue en l'air sa patte repliée, - Puis l'abat, et saisit le bouchon, et le mord. - - Je tire la ficelle, alors, sans qu'il le voie; - Et le bouchon s'éloigne, et le chat noir le suit, - Faisant des ronds avec sa patte qu'il envoie, - Puis saute de côté, puis revient, puis refuit. - - Mais dès que je lui dis: «Il faut que je travaille; - Venez vous asseoir là, sans faire le méchant!» - Il s'assied... Et j'entends, pendant que j'écrivaille, - Le petit bruit mouillé qu'il fait en se léchant. - - -VII - -BALLADE DU PETIT BÉBÉ - - Il fait un gazouillis suave, - Un chantonnement continu, - Sans souci du ton, de l'octave. - Son crâne au seul frison ténu - Est si blond qu'il paraît chenu. - Par une prudente planchette - Dans son haut fauteuil retenu, - Le petit bébé fait risette. - - Et puis il désigne, très brave, - Le gros chat, de son doigt menu. - Et puis, quand sa bonne le lave - Et poudre tout son corps charnu, - De vive force maintenu - Jambes en l'air, sans chemisette, - En montrant son derrière nu - Le petit bébé fait risette. - - Après quoi, longuement, il bave. - Et comme un objet inconnu - Il contemple, rêveur et grave, - Son pied dans ses deux mains tenu. - Et, pris du désir saugrenu - De sucer son bout de chaussette - Auquel il n'est pas parvenu, - Le petit bébé fait risette. - -ENVOI - - Épousez-vous, couple ingénu, - Comme Marius et Cosette. - Tout rit lorsque, nouveau venu, - Le petit bébé fait risette. - - -VIII - -CRÉPUSCULE - - Au bord de l'horizon les collines boisées - Ondulent, en prenant des teintes ardoisées, - Cependant qu'un dernier reflet, comme un mica - Piqué sur les coteaux, scintille dans leur brume, - Et que, timidement, une étoile s'allume - Dans l'azur pâle et délicat. - - Les arbres, sur le ciel, de leurs grêles membrures, - Font un dessin pareil à celui des nervures - D'une feuille. A présent, les étoiles sont deux, - Et luisent à travers la vapeur violette - Comme des yeux de femme à travers la voilette... - Les arbres ont un air frileux. - - Tous les contours ont des finesses d'aquarelle. - Les fonds sont des lavis très clairs. Un clocher frêle - S'effile exquisement sur le lointain bleuté. - Les étoiles sont trois. La campagne repose, - Et dans le ciel vert d'eau monte une lune rose - Comme un cuivre désargenté. - - De larges bandes d'or l'horizon se chamarre. - Mais le dernier reflet s'est éteint sur la mare. - On croit voir des cyprès dans les hauts peupliers. - Le jour traîne un moment encor son agonie. - Les crapauds font un chant d'une plainte infinie... - Les étoiles sont des milliers. - - -IX - -ON SOUFFLE - - On souffle, et vous vous envolez, - Duvet des chandelles de neige! - Le souffle qui vous désagrège - Met à nu des coeurs désolés! - - Par un jeu bête et sacrilège - Pauvres coeurs désauréolés! - On souffle, et vous vous envolez, - Duvet des chandelles de neige! - - Rayons blancs dont sont étoilés - Nos coeurs naïfs (au mien que n'ai-je - Votre poids encor, qui l'allège!) - Ainsi, vous nous êtes volés: - On souffle, et vous vous envolez! - - -XIV - -LA PREMIÈRE - - Or, c'est Dieu qui fit la première, - Qui façonna son corps si cher - Lui-même, dans de la lumière, - Et pétrit son exquise chair. - - Il mit sur sa peau de l'aurore - Et du soir d'été dans ses yeux, - Puis il tissa pour elle encore - Le soleil en rayons soyeux. - - De ses adroites mains divines - Le bon Dieu sculptait, il dorait. - Et déjà le souffle odorait - Entre les lèvres purpurines. - - Déjà l'oeil charmant s'entr'ouvrait - Comme s'entr'ouvre une pervenche; - Et du talon fin à la hanche - La ligne onduleuse courait. - - Pâle aux musiques de l'orchestre - Qu'apportaient les vents attiédis, - Émerveillant le paradis - Qui n'était alors que terrestre, - - Ève s'épanouit, semblant - Sous les branches, nue et pudique, - Un tel chef-d'oeuvre doux et blanc - Que le lys murmura: «J'abdique!» - - Dieu, riant dans sa barbe, dit: - «Tu feras le bonheur de l'homme.» - Or, c'est elle qui le perdit - En lui faisant croquer la pomme. - - A qui serait-il donc prudent - D'offrir le coeur et la chaumière? - La première perdit Adam: - Et c'est Dieu qui fit la première! - - -XV - - Oh! les yeux, les beaux yeux des femmes! - Que de choses nous y voyons! - C'est de la lumière des âmes - Que nous croyons faits leurs rayons. - - Nous croyons lire en leurs prunelles - Des perversités, des candeurs; - Et nous mettons du rêve en elles, - Nous fiant à leurs profondeurs; - - Mais le trouble des yeux, leur vague, - Et leurs calmes de soirs d'été, - Leurs bleus changeants comme la vague, - Leur douce et vivante clarté, - - La lumière exquise filtrée - Entre les cils frangés,--tout ça - N'est rien qu'un peu d'humeur vitrée - Qu'un peu de soleil nuança. - - Les yeux sont des petites flaques - Reflétant du ciel sans savoir; - Pas plus que s'ils étaient opaques - Les pensers ne peuvent s'y voir; - - Et, tout simplement, quand se lève - Leur regard profond et câlin, - S'ils nous paraissent pleins de rêve, - C'est qu'ils ont un beau cristallin. - - -XVI - -LES TZIGANES - - Un ordre fut donné par le chef à mi-voix, - Et des bruits d'instruments dans l'ombre s'entendirent. - Le silence se fit. Et, sur leurs clés de bois, - Harmonieusement les cordes se tendirent. - - Ce ne furent d'abord, sous les arbres touffus, - Que des fragments épars d'harmonie essayée, - --Par de vagues accords, des préludes confus, - L'âme des violons voulant être éveillée. - - Incertains un moment gémirent les altos, - Puis de leur gravité sonore ils s'assurèrent, - Et les Tziganes noirs, drapés dans leurs manteaux, - Brusquement, pour jouer, en cercle se levèrent. - - Alors le chef, les yeux perdus, improvisant, - Attaqua la mesure avec un geste large, - Et, du son merveilleux lui-même se grisant, - Il partit, endiablé, comme dans une charge. - - L'orchestre répandit un long bruit de sanglots; - Et du même côté, tous, la tête penchée, - Ils envoyaient l'archet, pâles, les yeux mi-clos, - Ivres de l'harmonie en ondes épanchée. - - Ils jouaient, balançant lentement leurs grands corps, - Et toujours un sourire énigmatique aux lèvres. - Et par moments c'étaient d'étranges désaccords, - Ou, sous les doigts pinceurs, des pizzicati mièvres. - - Agacés quelquefois par les archets frôleurs, - Les instruments avaient des plaintes fantastiques, - Comme le vent nocturne ou les dogues hurleurs - Montant lugubrement leurs gammes chromatiques. - - Tantôt sous un baiser de lune on croyait voir - Quelque apparition vague en une clairière, - Tantôt des cavaliers passer sous un ciel noir - Quand le rythme prenait une fureur guerrière. - - Et c'étaient, tout d'un coup, d'immenses désespoirs, - Plaintes de trahison, mortes chères pleurées; - Et puis, des souvenirs attendris de beaux soirs... - Et les cordes n'étaient plus qu'à peine effleurées. - - Le violon du chef chantait éperdument. - Quel étrange génie avait donc ce grand diable? - Il passa tout d'un coup du sauvage au charmant: - Et ce fut une valse, alors, inoubliable! - - Son archet, appuyé dans toute sa longueur, - Faisait monter un son d'une pureté grave, - Qui vous envahissait de trouble et de langueur, - Et qui se prolongeait, agonisant, suave! - - Vous roulant, vous berçant, avec quelles lenteurs - Ondulait et mourait la vague mélodique! - Et plus que la nuit chaude, et plus que les senteurs, - Elle prenait les sens, cette rare musique! - - J'écoutais, subissant comme un charme pervers. - Parfois, il me semblait que ces archets magiques - Jouaient, ayant quitté leurs cordes, sur mes nerfs... - Et c'étaient de beaux cris d'amour, longs et tragiques! - - Car d'abord le chef seul avait improvisé. - Chaque musicien suivait, comme un élève, - Accompagnant le chant... Mais voilà que, grisé, - Chacun était parti maintenant dans son rêve! - - Dans son rêve, les yeux fermés, chacun marchait. - Ce n'étaient plus du tout de simples airs de danses, - Car le coeur de chacun saignait sous son archet, - Et tous ces violons chantaient des confidences! - - -XVII - -BALLADE DE LA NOUVELLE ANNÉE - - O bon jour de l'an de demain matin, - Pour chacun de nous qui vivons sans trêve - Apporte la fleur, l'objet, le pantin - Qui fait oublier l'existence brève: - Ève pour Adam, la pomme pour Ève, - La noix de coco pour le sapajou, - La rime au rimeur dont le vers s'achève... - Il faut à chacun donner son joujou. - - Donne un papillon aux touffes de thym - Et des goélands au cap de la Hève; - Le touriste anglais au Napolitain; - Au duc de Nemours Madame de Clève; - Au vieillard un songe, au jeune homme un rêve; - Donne un livre au sage, un tambour au fou, - Un élève au maître, un maître à l'élève... - Il faut à chacun donner son joujou. - - Dans l'obscur gâteau qu'on nomme scrutin - Fais l'ambitieux découvrir la fève; - Donne un beau suiveur au petit trottin; - A ce vieux monsieur dont l'espoir endève - Donne l'habit vert orné de son glaive; - La carte au joueur et l'or au grigou; - A moi, jeune auteur, le rideau qu'on lève... - Il faut à chacun donner son joujou. - -ENVOI - - A celle qu'un jour je vis sur la grève - Et dont le regard est mieux qu'andalou, - Donne un coeur d'enfant pour qu'elle le crève. - Il faut à chacun donner son joujou. - - -XVIII - -DEUX MAGASINS - -I - -JOUJOUX - - A l'heure où s'ouvrent les écoles, - Oubliant les pensums, les colles - Et les leçons, - En riant, en jetant des billes, - On voit se bousculer les filles - Et les garçons! - - Poussant des cris épouvantables, - Ils courent avec leurs cartables - Mis en sautoir, - Leurs manches noires de lustrine, - Se grouper à chaque vitrine - Sur le trottoir. - - Avant de gagner leurs demeures, - Ils regardent pendant des heures - Les beaux joujoux. - C'est leur plaisir, à ces mioches - Qui n'ont pas au fond de leurs poches - Des petits sous. - - Ils regardent, les pauvres gosses, - Le Polichinelle à deux bosses - Qui coûte cher, - Les poupons en chaussons de laine, - Les bébés dont la porcelaine - Paraît en chair. - - Ils comptent les ballons, les balles, - Par un clown jouant des cymbales - Très étonnés; - Et ce sont des heures d'extase - Devant cette vitre où s'écrase - Leur petit nez. - - Que c'est beau! leurs sourcils s'écartent! - Ce sont de vrais fusils, qui partent! - De vrais fourneaux! - De vrais outils de jardinage! - Et les voitures d'arrosage - Ont des tonneaux! - - Sous des arbres dont les verdures - Sont faites avec des frisures - De copeaux verts, - Ils voient, bêtes et gens en marche, - Tout ce qui s'échappe de l'Arche - Aux toits ouverts! - - Ils regardent d'un regard tendre - Les filles de Noé leur tendre - Des petits bras; - (Comme, au commencement du monde, - On avait une tête ronde, - Des chapeaux plats!) - - L'Auvergnat sortant de sa boîte, - Les soldats de plomb dans l'ouate - S'emmitouflant, - La chèvre avec ses trois noeuds roses, - Ils regardent toutes ces choses - En reniflant. - - Une dame dans la boutique - Fait marcher un ours mécanique - Sur le parquet. - Comme il marche!--Une demoiselle - Entoure avec de la ficelle - Un grand paquet! - - Un Monsieur achète un théâtre - Où l'on peut, en or sur du plâtre, - Lire: OPÉRA. - Le Monsieur sort. La porte sonne. - Oh! les beaux joujoux que personne - Ne leur paiera! - - Les fillettes aux mains crispées - Regardent surtout les poupées - Dans leur carton. - Hein, Sophie? hein, Claire? hein, Louise? - En ont-elles de la chemise - Et du feston! - - Sont-elles riches, les mâtines! - On leur enlève leurs bottines - Pour les coucher! - Et celle en bleu, près de la Cible! - Il ne sera jamais possible - De la toucher! - - Et celle avec sa robe Empire - Qui fait que tout leur coeur soupire: - «Oh! je la veux!» - Et cette autre avec sa dînette! - (Leur grande soeur la midinette - A ces cheveux!) - - Elles restent là, bouche ronde! - Le ménage de cette blonde - Aux yeux trop grands - Dont l'écriteau dit qu'«elle nage» - Est mieux monté que le ménage - De leurs parents! - - Et les garçons, qu'est-ce qu'ils disent - Devant les sabres qui reluisent - Comme d'acier? - Se peut-il qu'un enfant reçoive - De quoi tout d'un coup être zouave - Ou cuirassier? - - Oh! les chevaux que l'on harnache! - (Ils sont en vrai poil, qui s'arrache, - Que l'on te dit!) - Et le poussah sur une sphère, - Qui titube comme leur père - Le samedi! - - Hein, Gaston? hein, Marcel? hein, Charle? - Quand viendra le jour dont on parle - A la maison, - Dont on parle en fumant des pipes, - Le jour où tous les pauvres types - Auront raison, - - Pourra-t-on en être à tout âge? - Lorsque viendra le grand partage - Des partageux, - Les mômes, moucherons, moustiques, - Entreront-ils dans les boutiques - Prendre les jeux? - - Il faut, si c'est de la justice, - Que tout, la petite bâtisse - En blocs de bois, - Le clown au pantalon trop large, - Le Grand Tir, le canon qu'on charge - Avec des pois, - - Il faut que l'avaleur de boules, - Il faut que tout, les coqs, les poules, - Soit partagé! - Le singe montrant ses gencives, - Et les couleurs «inoffensives» - S. G. D. G.; - - Tout: l'Anglais fumant son cigare, - Le chemin de fer avec gare, - Tunnels et ponts... - On prendra tous les jeux de quilles! - On mettra dans les bras des filles - Tous les poupons! - - Le pain, ça manque. Oui, mais ça manque - Aussi, ce clown, ce saltimbanque, - Tous ces chiens fous, - Ce Polichinelle à deux bosses!... - Droit au pain, soit! Et, pour les gosses, - Droit aux joujoux! - - Ainsi, sous la blouse ou le châle, - Pense, plus grand et déjà pâle, - Chaque moutard. - Ils restent dans le vent qui siffle. - Ce soir, tous vont, risquant la gifle, - Être en retard. - - Ils en ont oublié qu'il gèle. - Ils ne battent plus la semelle; - Mais, quelquefois, - Leur souffle ayant terni la glace, - Pour mieux voir ils essuient la place - Avec leurs doigts! - - -II - -FLEURS - - Nous sommes les fleurs des fleuristes, - Nous sommes les fleurs des marchands, - Les petites fleurs qui sont tristes - De ne pas fleurir dans les champs; - - Nous sommes les fleurs printanières - Qui n'ont jamais vu le printemps, - Et dont on fait des boutonnières - Pour des revers trop miroitants; - - Nous sommes cette rose noire - Et ce bleuet gros comme un chou - Pour qui les smokings, sous leur moire, - Ont un oblique caoutchouc! - - Nous sommes ces lilas superbes - Qui dans les boutiques, l'hiver, - Montent en monstrueuses gerbes - Coûtant monstrueusement cher! - - Nous sommes, parmi le vertige - Des jours de l'an nauséabonds, - Les pauvres fleurs que l'on oblige - A faire un métier de bonbons! - - Nous sommes les fleurs qu'on envoie - Dès qu'on a publié les bans, - Pour que la famille les voie - Dans des paniers à grands rubans; - - Nous sommes les fleurs où voltige - La libellule de carton; - Nous tremblons trop sur notre tige, - Car notre tige est en laiton! - - Nous sommes les fleurs qui sur elles - N'ont qu'un papillon de papier - Offrant sur deux plateaux, ses ailes, - L'adresse, en or, du boutiquier. - - Pour nous la rosée est un mythe, - Malgré d'adroits contrefacteurs - Dont la ruse, sur nous, l'imite - Avec des vaporisateurs. - - Nous sommes les fleurs sans abeilles - Qui trouvent les trois jours bien longs - Où l'on fait vivre leurs corbeilles - Sur les pianos des salons! - - Nous voyons sur nous, parasites - Qui blessent nos feuillages verts, - Pousser des cartes de visites - Où parfois on écrit des vers! - - C'est nous qu'un pâle accessoiriste, - Après les six rappels du «trois», - Monte en hâte à la grande artiste - Par des escaliers trop étroits. - - Nous sommes ces iris de nacre - Que les fleuristes de Paris - Savent envoyer dans un fiacre - Pendant l'absence des maris! - - Nous sommes ces héliotropes, - Ces glaïeuls forcés de fleurir - Qui portent dans des enveloppes - Le nom qu'on sait avant d'ouvrir! - - C'est nous la flore citadine - Qui, sous les capillaires fous, - Ne se penche, pendant qu'on dîne, - Qu'aux berges d'argent des surtouts! - - C'est nous la flore dont l'arome - Toujours au pays flottera - Qui va de la Place Vendôme - A la Place de l'Opéra. - - Les noms de cette étrange flore - Sont du botaniste inconnus: - Comment porter les noms encore - Des fleurs que nous ne sommes plus? - - Nous sommes désormais--Nature, - Ne ris pas de ces noms de fleurs!-- - Le réséda-de-la-ceinture, - L'oeillet-des-costumes-tailleurs! - - Et, fleurs que loin de nos collines - Dans la fourrure on exila, - Le mimosa-des-zibelines - Et la parme-du-chinchilla! - - Nous sommes ces frivoles touffes - Qui connaissent pour seuls étés - La température des Bouffes - Et celle des Variétés. - - Nous sommes, parmi les éloges - Aux blondes nuques adressés, - Les fleurs chaudes qui, dans les loges, - Frayent avec les fruits glacés. - - Nous sommes le lys qui se fane - Au vent des restaurants du soir; - La rose qu'on jette au tzigane - Qui sur l'épaule a son mouchoir; - - Le muguet qui sait chaque phrase - Qu'on dit à la fin des soupers, - Et la jacinthe qu'on écrase - Dans les coins sombres des coupés! - - Nous sommes, quand le coeur s'effraye, - Ces violettes d'un instant - Qu'on respire en prêtant l'oreille - Et qu'on mordille en hésitant. - - Nous sommes ces oeillets de Londre - Et ces jonquilles de Menton - Dans lesquels, avant de répondre, - On enfonce un joli menton. - - Nous enguirlandons l'aventure, - Et, quand le bonheur est défunt, - Nous assurons à la rupture - De l'élégance et du parfum. - - Nous sommes les fleurs nécessaires - Aux intrigues de la Cité. - Nous n'avons connu, dans les serres, - Qu'un soleil d'électricité. - - Dans les serres nous sommes nées; - Des saisons nous ne vîmes rien. - Quelles étaient nos destinées, - Cependant, nous le savons bien! - - Nous sentons en nous, ô mystère! - Parler la sève d'autres fleurs - Qui poussèrent, libres, de terre, - Et nos souvenirs sont les leurs! - - Nous sentons, dans ces mornes fêtes - Où passent d'inutiles fronts, - Vaguement, que nous sommes faites - Pour être ailleurs,--et nous souffrons. - - Nous aimerions, fières, ravies, - Vraiment fraîches, pures toujours, - Nous mélanger à d'autres vies, - Favoriser d'autres amours! - - Pourquoi donc, fleurs dont nous naquîmes, - Dans vos graines aviez-vous mis - L'amour des vallons et des cimes, - Puisqu'il ne nous est pas permis? - - Puisqu'il nous faut vivre à distance - De ces choses, pourquoi faut-il - Que nous soupçonnions l'existence - D'une Nature et d'un Avril? - - --Et nous sommes, dans les boutiques, - Sur du gazon artificiel, - Les petites fleurs nostalgiques. - D'air pur, de lumière et de ciel. - -Janvier 1890. - - -XIX - -L'ALBUM DE PHOTOGRAPHIES - - Cet album sur quoi tu te penches, - Je n'en peux voir sans un frisson - Les épais feuillets blancs qui sont - Pareils à des façades blanches! - - Je vois, dans le carton glacé, - S'ouvrir, à chacune des pages - Qui sont à deux ou trois étages, - Six fenêtres sur le passé. - - On est là, la mine ravie! - Et peut-être restera-t-on - A ces fenêtres de carton - Plus qu'aux fenêtres de la vie. - - Jusques à quand souriront-ils - A ces fenêtres découpées - De maisonnettes de poupées, - Nos vieux trois-quarts, nos vieux profils? - - Sous leurs fermoirs et sous leurs moires, - Les vieux albums de vieux portraits - Laisseront s'effacer nos traits - Plus lentement que les mémoires. - - On sera morts depuis longtemps - Qu'aux visiteurs priés d'attendre - Ces portraits feront encor prendre - Patience quelques instants. - - On sera ces oncles, ces tantes, - Ces bonshommes gras ou fluets, - Ces haut-de-forme désuets, - Et ces robes trop importantes! - - Ces enfants dans des fauteuils, nus; - Ces lycéens--depuis grands-pères!-- - Ces magistrats, ces militaires, - Tous ces morts, tous ces inconnus! - - Cessez, fenêtres minuscules, - De nous offrir aux yeux moqueurs - Lorsqu'il n'y aura plus des coeurs - Pour accepter nos ridicules! - - Ah! nos portraits qui s'en iront - Dans les albums inévitables - Déposés sur les coins des tables - Où, doucement, ils jauniront! - - Morts, faudra-t-il que l'on remeure - D'abord dans les coeurs, puis encor - Sur ces cartons à biseau d'or - Où sinistrement on demeure? - - Jetez ces rois et ces valets - Dont s'éternise l'agonie! - Puisque la partie est finie, - Jetez les cartes! Jetez-les! - - -XX - -AU CIEL - - «Hé, là-bas!» s'écria saint Pierre, - «Qui frappe à l'huis du Paradis? - --Oh! c'est l'âme d'un pauvre hère, - Mon bon Monsieur!» que je lui dis. - - --«Vous croyez qu'on entre peut-être - Ici comme dans un moulin? - --Vous êtes si bon, mon doux maître...» - Repris-je en faisant le câlin. - - --«Taisez-vous! On ne peut me plaire - Par des douceurs ni des cadeaux; - C'était bon avec leur Cerbère - Qu'on prenait avec des gâteaux! - - «Je suis un portier sans faiblesse. - Répondez: sur terre, là-bas, - Alliez-vous entendre la messe? - --Pas souvent», lui dis-je tout bas. - - --«On sait ce que cela veut dire, - Pas souvent! Mais notre bon Dieu - Est partout. Cela peut suffire - De l'adorer hors du saint lieu. - - «Lui faisiez-vous votre prière - En vous couchant?--En me couchant? - Je ne me souviens pas, saint Pierre. - Mais peut-être bien qu'en cherchant... - - --«Hum!... enfin!... Et la bonne chère? - --Je l'aimais assez...--Et le vin? - --La bouteille aussi m'était chère. - --Bûtes-vous trop?--Cela m'advint. - - --«Mais vous viviez comme un infâme! - Et la vertu?...--Dame! j'aimais - Toujours une petite femme! - --Était-ce la même?--Jamais! - - «Que la dernière était jolie! - On s'en allait, sur les gazons, - Par les dimanches de folie, - On s'en allait...--C'est bien! Gazons! - - «Et vous avez encor l'audace - De me dire ça sous le nez? - Pour vous nous n'avons pas de place: - Allez-vous-en chez les damnés! - - «Oh! là-bas on vous fera fête, - Monsieur le... Tiens, au fait, qu'avez- - Vous été sur terre?--Poète. - Je faisais des vers, vous savez. - - --«Hein? Poète?...» Alors, m'ouvrant vite: - «Pourquoi,» fit-il d'un ton plus doux, - «Ne l'avoir pas dit tout de suite? - Entrez donc! Vous êtes chez vous.» - - -XXI - -BALLADE DES VERS QU'ON NE FINIT JAMAIS - - Mes vers pour qui je sens la plus grande tendresse - Sont tous les non-finis qui vont par un, par deux; - Ces vers dont on remet l'achèvement sans cesse, - Qu'on retrouve en fouillant dans les papiers poudreux. - Quand on est un poète, on est un paresseux; - On n'est point patient comme un graveur sur cuivre: - Souvent, quand la beauté d'un sujet vous enivre, - On se met au travail; mais le feu tombe, mais - Les vers vont faiblissant si l'on veut les poursuivre. - Les meilleurs sont les vers qu'on ne finit jamais. - - L'idée est délicate, et la forme la blesse - Des poèmes trop faits. Elle préfère ceux - Qui ne l'ajustent pas avec trop d'étroitesse: - Elle court moins danger de s'abîmer en eux. - Quand on veut achever, cela devient chanceux; - La mort du sens exquis bien souvent doit s'ensuivre; - Il fond comme fondrait une étoile de givre - Qu'on voudrait prendre, ou bien la neige des sommets! - Dans des vers terminés le rêve peut-il vivre? - Les meilleurs sont les vers qu'on ne finit jamais. - - C'est vous, vers commencés, et puis que l'on délaisse, - Rondels abandonnés, refrains harmonieux - Auxquels on n'a pas fait de chansons, par mollesse, - Sonnets dont on n'a fait qu'un tercet merveilleux, - C'est vous que le poète aime toujours le mieux. - Et tel alexandrin qu'un second n'a pu suivre - Dit un charme, un parfum léger dont on fut ivre, - Mieux qu'un poème long. Ce sont les plus mauvais, - Les vers que, du tiroir, pour la foule, on délivre... - Les meilleurs sont les vers qu'on ne finit jamais. - -ENVOI - - Lecteur, je suis navré. Ces vers que je te livre - --Dont, peut-être, on vendra le papier à la livre,-- - Ne sont pas, il s'en faut, hélas! ceux que j'aimais. - Car les meilleurs, comment les mettre dans un livre? - Les meilleurs sont les vers qu'on ne finit jamais. - - -XXII - -SUR UN EXEMPLAIRE DE LA PREMIÈRE ÉDITION DE CE LIVRE - - ... Le savant Huet, évêque d'Avranches, faisait venir _musard_ du - latin _musa_. - - (PRÉFACE.) - - Ainsi j'ai musardé, musardisé, musé, - Sans croire qu'aux lauriers pour moi fussent des branches, - Et sans être aussi sûr que Monseigneur d'Avranches - Qu'un mot comme _musard_ vînt de _Musa, Musæ_. - - Ainsi j'ai soupiré, flûte, cornemusé, - Sans savoir que parfois sur des jeux tu te penches, - O Muse! et que tu prends tout d'un coup des revanches - Lorsqu'on pense avec toi ne s'être qu'amusé. - - Je jouais, pour user ma jeunesse trop neuve, - En attendant le jour prédit par Sainte-Beuve - Où survit au musard un homme avantageux. - - Je jouais... puis: «Vivons!» dis-je, en fermant ce livre. - Mais la Muse habitait dans le nom de mes jeux; - Et sans elle à présent je ne saurais plus vivre. - - - - -II - -INCERTITUDES - - -I - -CHANSON DANS LE SOIR - - Il fit halte, ébloui, humant - Cette soirée et son haleine, - Au sommet de l'escarpement - D'où l'on découvre infiniment - La plaine. - - Un doux crépuscule du mois - Des doux crépuscules--septembre-- - Bleuissait vaguement les bois, - Sous un ciel de rose, à la fois, - Et d'ambre - - La lune, basse, et n'ayant point - Son teint coutumier de béguine, - Montrait un rougeâtre embonpoint, - Telle une orange mûre à point, - Sanguine; - - Et, sous cet astre de Japon, - Le val fuyait en molles lignes, - Avec le canal clair, le pont, - L'étang ridé comme un crépon, - Les vignes. - - Il admirait, lorsque, soudain, - Un chant monta de ce théâtre, - De ce cirque, de ce jardin, - Exhalé du dernier gradin - Bleuâtre, - - Et cet air où le soir mêla - Son murmure de vaste conque, - Cet air divinement vola... - C'était, d'ailleurs, un _lon lon la_ - Quelconque. - - Mais, dans le lointain de pastel, - Ce chant naïf, lent comme un psalme, - Était irrésistible,--et tel - Que cet instant fut immortel - De calme. - - Il se fit un tel unisson - De ce chant et du paysage, - Que le poète eut un frisson. - Et nous vîmes des pleurs sur son - Visage. - - Puis, de ce ton triste et coquet, - Ému, mais où du railleur passe, - De ce ton qui laisse inquiet, - Qui est son défaut, et qui est - Sa grâce, - - Cependant que toujours, parmi - Le doux bruit du soir qui soupire, - Montait sur le val endormi - La chanson charmante, il se mit - A dire: - - «O chanson qui monte, vieil air, - Filet lointain d'une voix pure, - Selon la brise vague ou clair, - O dentelle de son dans l'air, - Guipure! - - «O chanson qui monte dans l'or, - Du ciel, sur la lande embrumée, - Qui flotte au-dessus du décor, - Ruban de son, et moins encor... - Fumée! - - «Oh! qui donc, de cette façon - Mélancolieuse et touchante, - Quel rustique et jeune garçon, - Quel bouvier, quel pâtre, ô chanson, - Te chante? - - «Quel simple, ignorant de ce qu'il, - Oh! de tout ce qu'il ressuscite - De tendre, en moi, de puéril, - Ajoute ce charme subtil - Au site? - - «Charme dont, languissant musard, - Je suis ému jusqu'à la larme, - Parce que, inattendu, sans art, - Il éclôt d'un simple hasard, - Ce charme! - - «Voilà! le fredon d'un vilain, - L'odeur d'un pré, la saison, l'heure, - Un peu de bleu crépusculin, - Voilà! ce n'est pas plus malin... - On pleure! - - «Eh quoi! pleurer comme d'amour - Pour un _lon lon la_ monotone, - Pour le dernier soupir du jour, - Pour le vent dans les arbres, pour - L'automne? - - «De quoi donc souffrent-ils, mes nerfs? - De quoi donc, mon âme, es-tu veuve, - Pour que, parmi ces champs déserts, - Un air tel que tous les vieux airs - M'émeuve? - - «Est-ce là mon état normal? - De quel ciel suis-je nostalgique? - De quel pays ai-je le mal?... - Tais-toi, chant qui me rends ce val - Magique! - - «Ah! de mes larmes il appert - Que dans un désordre je sombre! - Quoi! pleurer parce que Vesper - S'allume, et qu'une voix se perd - Dans l'ombre? - - «Savourer le charme anxieux - Du moment et de l'atmosphère? - Jouir de l'ouïe et des yeux? - --Hélas! il y a pourtant mieux - A faire! - - «Il y a pourtant plus d'un but - Digne d'un homme jeune et libre! - O chanson dans le lointain... chut! - Ne serai-je jamais qu'un luth - Qui vibre? - - «Je m'en blâme... et toujours, si on - Chante un chant dans un lointain rose, - Je retourne avec passion - A cette délectation - Morose! - - «La tristesse est un aconit - Doux et vénéneux, que j'aspire! - Et mon vivre est selon le rit - De ton Jacques d'_As you like it_, - Shakspeare! - - «Mon coeur m'échappe, se mêlant - A toute fin de jour jolie; - Et sitôt qu'un air doux et lent - Monte, j'en suce la mélan- - Colie! - - «Oui, tout le triste qui coula - D'un chant, à l'heure violette, - Est sucé par moi... lon, lon, la... - Comme l'oeuf est sucé par la - Belette!» - -Coteau d'Andilly, 1893. - - -II - -EXERCICES - - Secouons la léthargie - Où tout est trop oublié, - Et traitons notre énergie - Comme un muscle atrophié. - - Veuillons pour vouloir. La chose - Importe peu! Mais veuillons! - Veuillons cueillir une rose - Sur un gouffre, et la cueillons; - - Veuillons franchir un obstacle. - Devenir tireur adroit, - Organiser un spectacle, - Faire respecter un droit. - - Parler la langue des Kurdes, - Écrire le nubien; - Veuillons des choses absurdes - Pour apprendre à vouloir bien! - - Quittons l'âme inoccupée - Que nul désir n'effleurait: - On apprend la lourde épée - Avec le léger fleuret. - - Ces petits sports volontaires - Ne seront pas superflus. - Ainsi qu'on fait des haltères, - Veuillons peu d'abord, puis plus. - - Ramassons, aux plages molles, - Des cailloux, et lançons-les! - On devient des discoboles - En maniant des galets. - - Lorsque nous nous fatiguâmes - A vouloir, soyons contents; - Car lorsqu'on a fait ses gammes - On n'a pas perdu son temps. - - Telle ambition profonde, - Jouant un jeu qu'on moquait, - Guettait la boule du monde - Dans celle d'un bilboquet. - - -III - -LES BARQUES ATTACHÉES - - Dansez, les petites barques! - Dansez, les petits bateaux - Sur lesquels on voit des marques - De gros couteaux! - - Dansez, les petites barges - Sur lesquelles sont écrits - Des noms cordiaux et larges - Comme des cris! - - Dansez, le _Requin_, de Nantes, - Le _Marsouin_, de Paimpol, - Que des cordes frissonnantes - Tiennent au sol! - - Dansez ces danses, penchées - Par l'effort sur un lien, - Que les barques attachées - Dansent si bien! - - Quand on tient par une amarre - Que l'on ne peut pas casser - Au port plat comme une mare, - Il faut danser! - - L'air a tant de transparence - Qu'on peut, au lointain de l'eau - Où vient se jeter la Rance, - Voir Saint-Malo! - - Dansez!--En cognant vos quilles, - Faites onduler vos rangs! - Les paniers sont pleins d'équilles - Et de harengs; - - Les goélands font des rondes - Sur les quais par l'eau vernis; - Les rouleaux de cordes blondes - Semblent des nids; - - Et sur la pierre brûlante - Quelques mousses ingénus - Dorment en montrant la plante - De leurs pieds nus! - - Dansez en roulant des hanches - Le long des pierres du bord, - Les petites barques blanches - Qu'on laisse au port! - - Dansez, les peintes en rouge, - Dansez, les peintes en bleu, - Sur votre reflet qui bouge - Toujours un peu! - - Dansez, les neuves, parées, - Et les très vieilles, qui n'ont, - Pour éblouir les marées, - Plus que leur nom! - - Que chacune dans la Rance - Mire le beau nom qu'elle a! - Et dansez, _Bonne Espérance_, - _Maris Stella_! - - Dansez, la _Belle Jeannette_, - Dansez, les _Trois Bonnes Gens_, - Le _Vieux Gabier_, la _Mouette_, - Les _Deux Sergents_! - - Trompez, la _Nouvelle-Zemble_, - Votre impatience par - Un balancement qui semble - Presque un départ! - - Là-bas, en blancheurs confuses, - Ces champignons des remous - Qu'on appelle des méduses - Naviguent, mous! - - Dansez en rêvant aux vagues! - Ah! sur l'eau, d'un coup profond, - Quels colliers et quelles bagues - Les rames font! - - Dans l'odeur d'algue et d'éponge - Du petit port trop serein, - Barques, bercez-vous d'un songe - Glauque et marin! - - Acceptez ces ondes plates! - Le long de vos ventres ronds - Repliez, comme des pattes, - Vos avirons! - - Faites comme les poètes: - Dans le banal clapotis - Trouvez les flots des tempêtes - En plus petits! - - Sur l'eau verte où des bicoques - Mirent leurs toits renversés, - Vous poussant un peu des coques, - Barques, dansez, - - En rêvant aux villes claires - Des pays orientaux - Qui, de près, sont des misères! - En rêvant aux - - Archipels blonds et fertiles - Qui, si vous en approchez, - Vous paraîtront moins des îles - Que des rochers! - - Sachez la vertu d'un câble, - Et que tout l'or du lointain - Est dans ce chanvre implacable - Qui vous retient! - - On fait dans le creux d'une anse - Les voyages les plus beaux - Pendant qu'on tire en silence - Sur ses anneaux! - - Alors, pourquoi le voyage? - Mon Dieu, si c'est pour laisser - Un sillage,--tout sillage - Doit s'effacer! - - C'est pourquoi, dansez sur place! - On voit au loin Saint-Malo... - Le soir vient... la brise est lasse... - Dansez sur l'eau! - -Bords de la Rance, 1892. - - -IV - -MATIN - - Il fait un temps si beau que l'on n'ose pas vivre. - On est comme l'enfant qu'intimide et qu'enivre - Le cadeau trop vermeil qu'il n'ose pas toucher. - On est comme devant une fleur de pêcher - Qu'on craint, en la cueillant, de connaître fragile. - Il fait un temps si beau qu'on dirait que Virgile - A voulu, ce matin, nous parler de plus près. - Un paysage entier fuit entre deux cyprès. - C'est l'heure la plus douce encor que l'on ait eue. - On descend vers le lac, et, comme la statue - Qu'éveillait peu à peu Monsieur de Condillac, - On n'est plus qu'un parfum de rose près du lac. - On ne sait pas pourquoi, ce matin, les buées - Se sont, aux flancs des monts, si bien distribuées. - C'est trop. L'on est honteux de ce matin si pur. - On devrait être heureux, baigné de tant d'azur - Qu'il semble qu'on respire au bout d'une presqu'île, - Mais, quand l'air est trop doux, le coeur n'est pas tranquille. - Il fait un temps si beau que, gauche et stupéfait, - On n'ose se servir de ce beau temps qu'il fait. - On voudrait décliner humblement l'atmosphère. - Il fait un temps si beau que, tout ce qu'on peut faire, - C'est de vivre. Et l'on vit. Mais non sans un remords. - Car ce temps est si beau qu'il fait penser aux morts. - - -V - -SILENCE - - Le silence est la chose exquise. Du silence - Dans de l'ombre, c'est la douceur par excellence! - Se taire dans une ombre où l'on ferme les yeux, - C'est le plus grand plaisir, c'est le plus anxieux, - Le chant le plus parfait, la plus haute prière... - Et l'on voit des ronds d'or naître sous sa paupière. - Oh! écouter, la nuit, entendre, nuitamment, - «Le bruit des ailes du silence!...» (_Saint-Amant._) - - O silence introublé des nuits! Fenêtre ouverte! - Ombre muette et bleue! O raison qui déserte! - Illusions qui se retrouvent au complet! - Chevauchement de la Chimère qui vous plaît! - Ou, mieux encor, chagrins bien savourés! retraites - D'angoisse, qui ne sont d'aucun rire distraites! - Souvenirs d'autant plus chéris dans le secret - Qu'on sent que pour personne ils n'auraient d'intérêt! - Descentes en soi-même! O prospecteur de l'âme, - Silence! pour qui seul le pur filon s'enflamme! - ... Plus de voix résonnant, raisonnant (mot haï - Par un _é_, moins encor pourtant que par _a, i_!) - ... Silence, ami profond qu'on écoute se taire, - Quand, dans le soir qui vient, on est assis par terre - Et qu'on est éclairé seulement par le feu! - Confident qui, toujours, lorsqu'il reçoit l'aveu, - Prend la voix de la conscience pour répondre! - Glaçon mystérieux qu'on sent sur l'âme fondre - Comme celui qu'au front porte un fiévreux brûlant! - Silence où l'on se met comme dans un lit blanc! - Oh! glisser, dans un grand silence, au fond des chambres, - Ses pensers, comme on glisse en un grand lit ses membres. - Et puis les étirer longtemps, loin des propos, - Et chercher les coins frais du silence!... - - Repos. - Arrêt des boniments. Trêve des éloquences. - Évasion d'entre les paroles. Vacances - Délassement délicieux. Cerveau guéri - De tous les coups dont il était endolori - Par tout le bruit que font tous les gens qu'on rencontre - Et qui ne cessent pas de parler pour et contre - La chose indifférente ou l'individu vain. - Suprême réconfort. Bain d'eau fraîche... le bain - Où les rêves lassés laissent tremper leurs ailes! - (Mais, quand ces ailes-là rebattront, auront-elles - Jamais l'incomparable et divin battement - Des plumages muets qu'écoutait Saint-Amant?) - - O silence! - - Et surtout, ne plus jamais entendre - Ceux qui disent, venant par le bouton vous prendre: - «Expliquons-nous!». - - Grands dieux! ne nous expliquons plus! - On ne s'entend que grâce à des malentendus. - -1890. - - -VI - -BILLET DE REMERCIEMENT - - Mon cher Mécène, quelques lignes - M'avisent que votre intendant - Vient de m'expédier deux cygnes - Pour embellir mon humble étang. - - Priant les dieux qu'il ne s'égare - Sur leurs plumages éclatants - Aucun des charbons de la gare, - Je les attends! je les attends! - - Après avoir brossé sa veste - Et mis dans ses poches du pain, - Le vieux jardinier, d'un pas leste, - Est allé les chercher au train. - - Moi, des blancheurs plein la cervelle, - Fou de ce lumineux cadeau, - Je cours annoncer la nouvelle - Aux berges de ma pièce d'eau. - - Je suis un peu honteux, à cause - Que je n'ai pas pour eux, hélas! - L'ombre auguste d'un laurier-rose, - L'eau divine d'un Eurotas! - - Mais s'il vit, ce couple de cygnes, - Dans mon pauvre lac reflété, - Je croirai qu'en mes vers indignes - Pourra vivre un jour la beauté. - - -VII - - N'obligez pas le poème - Qui, mystérieusement, - Voudrait s'ouvrir de lui-même, - A devancer le moment. - - Les bouquetières brutales, - Quand la fleur tarde à fleurir, - Lui soufflent dans les pétales - Pour la forcer à s'ouvrir; - - Alors, sur sa tige verte, - La rose s'ouvre à regret: - Il est vrai qu'elle est ouverte, - Mais son parfum n'est pas prêt. - - Et la fleur compare, triste - Dans la corbeille d'osier, - Ce procédé de fleuriste - Au procédé du rosier. - - -VIII - -LE SOUVENIR VAGUE OU LES PARENTHÈSES - - Nous étions, ce soir-là, sous un chêne superbe - (Un chêne qui n'était peut-être qu'un tilleul), - Et j'avais, pour me mettre à vos genoux dans l'herbe, - Laissé mon rocking-chair se balancer tout seul. - - Blonde comme on ne l'est que dans les magazines, - Vous imprimiez au vôtre un rythme de canot; - Un bouvreuil sifflotait dans les branches voisines - (Un bouvreuil qui n'était peut-être qu'un linot). - - D'un orchestre lointain arrivait un andante - (Andante qui n'était peut-être qu'un flon-flon), - Et le grand geste vert d'une branche pendante - Semblait, dans l'air du soir, jouer du violon. - - Tout le ciel n'était plus qu'une large chamarre, - Et l'on voyait, au loin, dans l'or clair d'un étang - (D'un étang qui n'était peut-être qu'une mare), - Des reflets d'arbres bleus descendre en tremblotant. - - Et tandis qu'un espoir ouvrait en moi des ailes - (Un espoir qui n'était peut-être qu'un désir), - Votre balancement m'éventait de dentelles - Que mes doigts au passage essayaient de saisir. - - Sur le nombre des plis de vos volants de gazes - Je faisais des calculs infinitésimaux, - Et languissants, distraits, nous échangions des phrases - (Des phrases qui n'étaient peut-être que des mots). - - Votre chapeau de paille agitait sa guirlande, - Et votre col, d'un point de Gênes merveilleux - (De Gênes qui n'était peut-être que d'Irlande), - Se soulevait parfois jusqu'à voiler vos yeux. - - Noir comme un gros pâté sur la marge d'un texte - Tomba sur votre robe un insecte, et la peur - (Une peur qui n'était peut-être qu'un prétexte) - Vous serra contre moi.--Cher insecte grimpeur! - - Un grêle rameau sec levait sur le ciel pâle, - Ainsi que pour me mettre en garde, un doigt crochu. - Le soir vint. Vous croisiez sur votre gorge un châle - (Un châle qui n'était peut-être qu'un fichu). - - L'ombre nous fit glisser aux pires confidences; - Et dans votre grand oeil plus tendre et plus hagard - J'apercevais une âme aux profondes nuances, - (Une âme qui n'était peut-être qu'un regard). - - -IX - - Oui, sans doute, et tant pis pour ceux que l'aveu choque - Une âme mélangée, obscure, et de l'époque; - Du grave et du frivole, et des hauts et des bas; - De grandes lâchetés après de grands combats... - Mais, du moins, nulle hypocrisie, une profonde - Franchise, un coeur pressé de se montrer au monde, - Qui, simplement, toujours, à tous, se dévoila, - Disant: «Voici le bien, et, le mal, le voilà; - Voilà ce que je suis, ni plus, ni moins»; la crainte - Toujours d'être prisé plus qu'on ne vaut, et mainte - Fois, pour qu'un sentiment ne devienne trop grand, - Le soin de l'amoindrir, vite, en se dénigrant; - Pour l'injuste louange autant de gêne à l'âme - Que peu d'étonnement pour un injuste blâme; - Le mépris d'une estime usurpée et du vol - D'une admiration; l'orgueil peut-être fol - De vouloir être aimé tel quel, avec ses tares; - Et tandis qu'ils s'en vont chantant sur leurs guitares, - Tous, toutes les vertus dont le ciel les orna, - La fierté satisfaite et rogue, d'un qui n'a - Jamais voulu tromper, jamais été de force - A remettre au bois mort un peu de verte écorce; - Qui, jamais ne mentant et ne bonimentant, - N'a voulu de soi-même être le charlatan - Et proposer un coeur où la faiblesse abonde - Comme le plus naïf et le plus pur du monde; - Et qui, fardé, cherchant un traître demi-jour, - Jamais n'a raccroché l'amitié ni l'amour; - Qui ne veut pas du tout, par surprise, qu'on l'aime, - Et qui, s'il est aimé rarement, l'est lui-même, - Lui-même pour lui-même, avec son peu de bon, - Son beaucoup de mauvais, lui tout entier, et non - Je ne sais quel monsieur de haute fantaisie - Fabriqué sans défauts par son hypocrisie. - - Et tandis que je rêve ainsi, tout exalté - De découvrir en moi cette ultime fierté - Qui loin de toute feinte abaissante me pousse, - Une petite voix insidieuse et douce - Vient murmurer tout près de moi: «Turlututu! - Cette franchise, est-ce vraiment de la vertu? - Cet effroi du mensonge à soutenir, qui gêne, - Ce superbe refus de se donner la peine - De jouer, pour les gens, tout un long rôle appris, - De se contraindre en quoi que ce soit, ce mépris - De toute hypocrisie,--entre nous, ne serait-ce - Pas simplement l'effet d'une extrême paresse?» - - -X - -NOS RIRES - - Malgré l'amour, la vie et l'heure et les périls, - Nous rions quelquefois des rires puérils, - Des rires dont le son doit étonner nos âmes; - Pour rien, pour un détail dont nous nous avisâmes, - Des rires fous qui sont des fous rires vraiment. - Et nous pour qui l'amour est un déchirement, - La vie un songe en pleurs, l'heure une fuite pâle, - Et pour qui les périls ouvrent un long dédale, - Malgré l'amour, la vie, et l'heure et les périls, - Nos rires sont parfois de si brusques avrils, - Nos rires font sous bois des musiques si franches, - Si fraîches, qu'entendus de loin, entre les branches, - Par le passant qui rêve et ralentit le pas, - Ils doivent lui donner--hélas! il ne sait pas!-- - L'illusion que là le bonheur simple habite, - Que la tendresse est calme, et la maison petite, - Et qu'on ignore encor tous les mauvais frissons. - Mais nous, nous cependant, lorsque ainsi nous laissons, - Gourmandes de gaîtés après de trop longs jeûnes, - Rire un peu, malgré nous, nos lèvres... qui sont jeunes, - Toujours nous évitons avec les plus grands soins - De laisser se croiser nos yeux... qui le sont moins, - Et, riant, nous n'osons nous regarder en face, - De peur qu'en un sanglot le rire ne se casse. - - -XI - -LES DEUX CAVALIERS - - Parce que j'ai voulu tourner beaucoup de clefs, - Parce que j'ai voulu pousser beaucoup de portes, - J'ai vu pendre à des clous mes rêves étranglés, - J'ai vu du sang caillé dans des cheveux bouclés, - J'ai vu d'affreux yeux blancs,--j'ai vu les Femmes Mortes! - - Et depuis que je vis ces mortes, et depuis - Que, pâles, je les vis dans leurs robes à queue, - Le vieux Seigneur des Spleens, le Sire des Ennuis - Plonge en mon coeur un couteau long comme mes nuits, - A la manière du sinistre Barbe-Bleue. - - En vain, pour surveiller les chemins d'alentour, - --Hélas, quelle arrivée attendre, ou quel retour?-- - J'ai fait monter mon Ame au sommet de la tour. - Je sens entrer en moi, lentement, cette lame - Que la cruelle main excelle à retenir. - Et je crie: «Ame, ma soeur Ame, - Ne vois-tu rien venir?» - - Et l'Ame me répond: «Je ne vois rien que l'herbe, - L'herbe vulgaire, et courte, et vile, qui verdoie. - --Quoi! rien de clair, de grand, de chantant, de superbe? - --Rien que la platitude immense, qui poudroie! - --Quoi! vers ta blanche tour, en hâte, ne s'éploie, - Par le ciel de soie, - Aucun oiseau bleu? - --Non! sur le sol boueux, aussi loin que je voie, - Il ne vient qu'une oie - Claudicante un peu.» - - --«Je sens qu'on m'entre cette lame! - Ne vois tu rien venir, soeur Ame?» - - Elle répond: - «Je ne vois rien - Passer le pont!» - - Elle répond: - «Je ne vois rien, - Sur l'or céleste, - Que le moulin - Du discours vain - Dont le seul geste - Répond au mien.» - - «Ne vois-tu rien venir?--Non rien, - Sur la grand'route, que le chien, - Je ne vois rien, sur la grand'route, - Que le chien poussiéreux du Doute, - Que le caniche fantômal - Que Faust écoute, - Que l'éternel et le banal - Barbet du mal.» - - Et je crie: «Ame, ma soeur Ame, - Ne vois-tu rien venir?--Non, rien, - Sinon, toujours, le même infâme - Troupeau de jours pareils, qui vient!» - - --«Ma soeur Ame, regarde bien! - Ne vois-tu rien venir?--Non, rien! - Sur la plaine où, du regard, j'erre, - Rien que la stupide bergère; - Aucune princesse étrangère; - Ni messager, ni messagère; - Et si, quelquefois, mensongère, - Une blancheur va s'élevant, - C'est un nuage de poussière - Qui ne précède que du vent!» - - --«Je sens qu'on m'entre cette lame! - Ne vois-tu rien venir, soeur Ame? - Ma soeur Ame, regarde bien!» - Et ma soeur Ame ne voit rien! - - Mais, un jour, il faudra que ma soeur Ame voie - Arriver du lointain, sur l'herbe qui verdoie, - Les deux cavaliers, - Qui, plus vite au signal du mouchoir qui s'agite, - Fendent l'air en piquant des deux, et qui, plus vite, - Sautent les halliers. - - Alors, nous n'aurons plus, mon Ame, qu'à nous taire! - Et, laissant leurs chevaux dans la cour solitaire, - Alors le noir dragon et le blanc mousquetaire - Monteront par l'étroit escalier, monteront - Si vite par l'étroit petit escalier rond, - Qu'étant aux pieds du monstre, encore, les mains jointes, - Je lui verrai soudain jaillir du sein deux pointes, - Car, entrés par derrière en ouvrant les rideaux, - Tous deux l'auront ensemble estoqué dans le dos! - - Qui sera le dragon et qui le mousquetaire? - Seront-ils des soldats du ciel ou de la terre, - Les deux bons assassins qui, brusques, entreront - Dans la chambre où l'Ennui me tue, et le tueront? - Mon Ame, ces soldats, mes frères et les vôtres, - Seront-ils le Malheur et l'Amour... ou deux autres? - Deux autres?... Mais lesquels?... Lorsqu'on entend un pas, - Ce sont toujours ceux-là qui viennent, n'est-ce pas? - Sous quel nom viennent-ils? Sous quel masque? On l'ignore... - Mais je suis sûr qu'un jour, dans l'escalier sonore, - Signal de mon salut, ma soeur, nous entendrons - Le tintement précipité des éperons. - - -XII - -L'HEURE CHARMANTE - - Le repas s'achevait en musique, aux bougies. - Le vieux parc n'était plus le parc aux élégies, - Mais s'éclairait de ces lanternes du Japon - Qui, sous le fil de fer léger qui leur sert d'anse, - Au moindre éveil de brise entrent toutes en danse, - En étirant leurs corps annelés, de crépon. - - Des reflets s'en allaient sous l'eau du lac moirée - Croiser leurs vrilles d'or. Ce fut une soirée - Unique. Le feuillage était notre plafond; - Des étoiles luisaient dans tous les interstices; - Les décors naturels se mêlaient aux factices; - L'amour était frivole, ému, libre, profond. - - Le réel avait tu sa rumeur importune. - Les ombrelles des pins se veloutaient de lune. - Un désordre joyeux régnait dans le couvert. - Les candélabres hauts de vieille argenterie - Portaient, à chaque branche, une flamme fleurie - D'un lilliputien abat-jour, mauve ou vert. - - Ce fut une soirée unique de magie - Et dont nous garderons toujours la nostalgie: - Les coeurs étaient de choix, les esprits aristos; - Les silences disaient des passages de rêves; - Puis les mots repartaient, ennoblis par ces trêves, - Et les âmes vibraient ainsi que les cristaux. - - Le vin était d'Asti; le luxe, véritable; - Des violettes en tous sens jonchaient la table; - Les unes se mouraient: elles étaient des bois; - D'autres duraient encore: elles étaient de Parme; - D'un verre qu'on eût dit soufflé dans une larme, - Des roses s'effeuillaient d'un seul coup, quelquefois. - - Le moindre pli, le moindre noeud, la moindre ganse, - Résumait en soi seul des siècles d'élégance; - Le moindre mot de ces charmants civilisés, - Des siècles de finesse; et, dans les accessoires - Les plus inattendus, des siècles de victoires - Sur la lourde matière étaient totalisés. - - On disputait de poésie et de musique; - Un doux bavard faisait de la métaphysique; - Les fraises, cependant, d'un tas pyramidal - S'écroulaient et roulaient sous les doigts des gourmandes; - Les rieuses offraient moitié de leurs amandes; - On entendait quelqu'un qui parlait de Stendhal. - - Et les glaces fondaient, minuscules banquises, - En délivrant des fleurs qui dedans étaient prises. - On se sentait parfois dans une extase, et puis - On ne savait plus trop d'où venait cette extase, - Si c'était du joli mystère d'une phrase, - Ou de la nouveauté d'un couteau pour les fruits. - - Ce fut l'heure où, parmi les coupes de Venise, - Dans un accoudement satisfait, s'éternise - L'égrènement rêveur des grappes de muscats; - Alors les beaux distraits qu'être une énigme flatte - Sourirent d'un sourire un peu haut sur cravate - Et tinrent des propos obscurs et délicats. - - L'amour était ému, libre, profond, frivole; - Ceux-ci, faux puérils, jouaient à pigeon-vole; - Ceux-là disaient des vers. Et quand les premiers feux - Palpitèrent, des cigarettes allumées, - Aux cheveux plus légers que de blondes fumées - La fumée emmêla de bleuâtres cheveux. - - Le paradoxe était aux lèvres des plus sages; - Les fracs étaient fleuris d'oeillets pris aux corsages; - Et, comme on entendait de lointains violons, - Les femmes ne faisaient que des réponses vagues, - Et, machinalement, changeaient de doigts leurs bagues, - Avec des rires brefs et des regards très longs. - - L'orchestre avait bien soin de n'être pas tzigane; - Sa valse eût fait valser Urgèle avec Morgane; - Puis, elle se taisait, pour reprendre soudain. - Ce fut une soirée unique de magie. - Contre tous les parfums d'un boudoir-tabagie - Luttaient tous les parfums d'un nocturne jardin. - - Oh! les rires troublés! oh! les beaux bruits de jupes! - Les plaintes, à mi-voix, ironiques, des dupes! - Les mots précis partant des coins esthétisants, - Les mots vagues des coins philosophants, les drôles - Des coins moqueurs... et les blancs haussements d'épaules - Aux madrigaux musqués des dolents bien-disants! - - Puis, les frissons frileux dans les robes ouvertes, - Et, le soir fraîchissant, les fichus et les berthes - Jetés vite aux cous nus par les prestes galants; - Les fuites s'estompant, doubles, sous les grands arbres; - Les gestes bleus parmi les gestes blancs des marbres; - Les barques, sur le lac, commençant des tours lents; - - Les barques promenant des chants et des lumières... - Énervements heureux et fébrilités chères! - Celui-ci qui, burlesque, éveillant des frons-frons, - Tente un refrain narquois sur une mandoline, - Cet autre proposant d'aller sur la colline... - Et la noble pâleur de tous ces jeunes fronts! - - Ce fut une soirée unique de magie. - Le vent malin souffla la dernière bougie - Devant que se fondît notre ultime sorbet. - Parfois, faisant pousser des cris aux robes blanches, - On voyait, incendie indiscret sous les branches, - Une lanterne japonaise qui flambait. - - Et nous nous augmentions l'exquis de cette fête - De la sentir frivole, imprudente, inquiète; - Et, délicats devins d'un brutal avenir, - Assurés de bientôt périr,--et quels artistes!-- - Tous, nous la savourions, charmés, finement tristes, - Comme on fait ce qui doit et ce qui va finir! - - Et ces chants, ces propos, ces clartés et ces femmes, - Et la communion légère de ces âmes, - Et ces plaisirs polis et doux d'honnêtes gens, - --Honnêtes, mais pervers un peu,--ces nonchalances, - Ces voix discrètes, ces musiques, ces silences, - Cette complicité parfaite d'indulgents, - - La fraîcheur, sous les doigts, de ces perles, ces grâces, - Cette confusion d'esprits de toutes races, - Ces minutes, ce parc où l'on était si bien, - Joignaient le charme encore, à tant de charmes rares, - De tout ce que déjà menacent les barbares, - De tout ce dont bientôt il ne restera rien! - -1892. - - -XIII - -LE CAUCHEMAR - - Nous étions prisonniers entre les quatre murs - D'une bibliothèque aux fenêtres grillées - Et d'où nous entendions sonner, rythmés et durs, - Des coups toujours suivis d'un long bruit de feuillées. - - On abattait les bois autour de la prison; - Et, sans cesse, parmi la pénombre des branches, - Infligeant aux forêts de grands trous d'horizon, - La hache bleue avait des promptitudes blanches. - - L'aubier meurtri rendait un déchirant parfum; - Et les hauts bûcherons triomphaient de leur force - Qui savent, en deux coups, faire, sur un tronc brun, - La blessure gommeuse aux deux lèvres d'écorce. - - Et, sans cesse, à travers les barreaux, nous voyions - Un arbre ouvrir les bras dans l'or de la fenêtre, - Tournoyer comme pour s'accrocher aux rayons, - Et tomber. L'if tombait. L'orme tombait. Le hêtre - - Tombait. Des voix criaient: «Abattez le noyer! - Coupez le cèdre auguste où passe le vent libre! - Car il nous faut du bois, du bois pour le broyer, - Du bois pour qu'on le râpe et pour qu'on le défibre!» - - Ces cris se distinguaient dans l'innombrable cri: - «Pour chaque arbre abattu j'offre un billet de banque! - Abattez les forêts--car tout le monde écrit, - Le papier va manquer! Le papier manque! Il manque, - - «Car le nombre croissant des écrivains profonds, - Puissants, probes, nouveaux, sincères, purs, utiles, - Devient supérieur au nombre des chiffons - Que trouvent les crochets dans l'ordure des villes! - - «Puisque le haillon manque aux boîtes du préfet, - Abattez, bûcherons, tous les arbres en hâte! - Et qu'on mette leur bois en pâte, puisqu'on fait - Du bon papier avec le bois qu'on met en pâte!» - - Et pour mieux faire à l'arbre une entaille en biseau, - Les bûcherons crachaient dans leurs mains des salives; - Et quand l'arbre tombait, parfois un nid d'oiseau - Éparpillait au loin cinq petites olives. - - Et tandis que des chars emportaient ces piliers - Dont la longueur traînante aux chemins se profane, - On entendait crier des ordres singuliers: - «Mêlez le carbonate avec la colophane! - - «Au travail! L'atmosphère est à deux cents degrés! - Cylindrez! Calandrez! Couchez! Mettez en colle! - Pour défibrer le bois nos meules sont en grès! - Vite! Le monde écrit comme une immense école! - - «Quand passent deux passants, soyez sûr que dans l'un - Un Montaigne est éclos, ou va, dans l'autre, éclore. - C'est pourquoi, préparez la fécule et l'alun! - Neutralisez avec des sulfites le chlore!» - - Et d'autres voix criaient: «Le papier manque! Il faut - Que, craquant à la place où la hache l'échancre, - Le cèdre se décide à tomber de son haut - Afin que nous puissions utiliser notre encre! - - «La page de ce soir, sur quoi l'écrirons-nous?» - Et, la hache à leurs troncs faisant une jointure, - Les cèdres fléchissaient comme de grands genoux. - --Et la journée avait sa page d'écriture. - - Et les rois, les ténors, les banquiers, les tailleurs, - Tous griffonnaient leur page,--et même les poètes! - Comme s'il se pouvait que des strophes ailleurs - Que sur l'onde et le sable aient jamais été faites! - - «Fabriquer du papier, c'est là l'essentiel! - Puisqu'il est des auteurs de quoi couvrir la terre, - Il nous faut du papier de quoi vêtir le ciel!» - C'est ainsi que criaient des voix. Et le mystère, - - La fraîcheur, le parfum, l'ombre, l'asile, l'eau, - S'en allaient avec l'arbre. Et l'on criait: «Il semble - Que l'on puisse employer le tremble et le bouleau!» - Et le bouleau tombait, abattu sur le tremble! - - «Les sapins sont très bons!» Cylindre et laminoir - Avalaient les sapins qu'ils rendaient dans des cuves; - Les sapins sortaient blancs qui venaient d'entrer noirs; - Et le grand vent des monts ne portait plus d'effluves! - - «Les peupliers sont excellents!» Les peupliers - Tombaient en frissonnant de leurs longues échines, - Et puis, broyés, blanchis, lissés, coupés, pliés, - S'envolaient en journaux des ardentes machines! - - «A cause de ses fleurs gardez l'acacia!» - Ont, dans l'acacia, gémi les tourterelles. - Mais les femmes voulant écrire, on le scia, - Et l'arbre en fleurs devint trois cahiers blancs pour elles! - - Et les femmes faisaient leur livre. Et les enfants - Faisaient leur petit livre. Et c'est pourquoi, par troupes, - On voyait s'échapper des biches et des faons - Du bois où sombrement l'on pratiquait des coupes. - - Et tandis que les bois allaient se dépeuplant, - Sans cesse on entendait mille plumes hâtives - Grincer au premier plan, tandis qu'au second plan - Continuellement ronflaient les rotatives. - - Eux-mêmes--car ceci se passait en des temps - Où tout ce qui venait du livre était la gloire!-- - Afin qu'on parlât d'eux, les arbres palpitants - Désiraient la cognée et voulaient la doloire! - - Les beaux arbres disaient--car ces temps furent tels--: - «Il est beau d'être beau, mais il faut qu'on le sache! - Émigrons dans les vers afin d'être immortels! - Oui, tomber dans Ronsard vaut bien un coup de hache!» - - Et comme la nature et ses vertes beautés - Rendaient tous les humains impatients d'écrire, - Les arbres s'écroulaient afin d'être chantés, - Les bois disparaissaient pour qu'on pût les décrire! - - Et, bois inspirateurs, bois pleins de souffles, bois - Dont Jeanne d'Arc disait, en parlant à ses juges: - «Si j'étais dans les bois j'entendrais bien mes voix!» - Ainsi vous périssiez, solitudes, refuges! - - Nous, pourtant, nous lisions, penchés sur des bureaux; - Et quand d'un livre ouvert nous levions le visage, - Nous n'apercevions plus à travers les barreaux - Que deux ou trois forêts au fond du paysage! - - Et plus on écrivait, et plus on imprimait, - Plus les quatre parois s'épaississant de livres, - Automatiquement sur nous se refermait - La chambre où des mots creux nous tenaient lieu de vivres. - - Mais, sans même observer qu'elle se resserrât, - Tout joyeux d'habiter la ratière livresque, - Chacun de nous passait, selon ses goûts de rat, - Du lard scientifique au sucre romanesque. - - Et toujours, lentement, sûrement, par milliers, - Les volumes venaient s'ajouter aux volumes, - Toujours, tous les brochés à tous les reliés, - Tous ceux que nous lirons à tous ceux que nous lûmes! - - Et n'ayant que leurs noms, jamais, de différents, - Histoires sur romans, et romans sur poèmes, - Ils triplaient, quadruplaient et quintuplaient leurs rangs, - Faisant toujours semblant de n'être pas les mêmes! - - Et plus s'élargissaient les horizons dehors, - Plus la prison, dedans, se rétrécissait, comme - Si, frappant tous ces coups, donnant tous ces efforts, - L'homme ne travaillait que pour étouffer l'homme! - - Et mangeant peu à peu l'espace tout entier - Dans lequel la lecture épuisait nos fantômes, - Les murs ne nous laissaient maintenant qu'un sentier - Où nous courions encore en compulsant des tomes! - - Il n'y avait plus rien dehors qu'un pays plat. - Rien ne méritait plus, dans l'aride nature, - Ni qu'on le respirât, ni qu'on le contemplât: - Tout était devenu de la littérature! - - A peine restait-il des bois vendus sur pied - Ces brindilles qu'au soir, fagotier, tu recueilles: - Tous les arbres étaient devenus du papier; - On trouvait des feuillets quand on cherchait des feuilles! - - Les papetiers vendaient les bois aux imprimeurs. - Sitôt qu'un petit homme avait offert un chèque, - Une forêt tombait en murmurant: «Je meurs!» - Et les murs avançaient dans la bibliothèque! - - Mais voici que, surpris par le progrès des murs, - Nous vîmes tout d'un coup qu'entre ces murs, nos têtes - Allaient, en s'écrasant comme des fruits trop mûrs, - Rendre leur pauvre jus de mots et d'épithètes! - - Nous connûmes trop tard les immenses regrets. - Le livre même en eut pour ce qu'on assassine. - «_Dieux! que ne suis-je assise à l'ombre des forêts!_» - Soupira vainement la Phèdre de Racine. - - On entendit gémir le grand vers de Hugo: - «_Les pourpres du couchant sont dans les branches d'arbre!_» - Les branches n'étaient plus, ô pourpres, qu'un fagot, - Et vous faisiez mentir l'alexandrin de marbre! - - Alors, près de mourir, lorsque le dernier bois - Jeta la dernière ombre au bord d'une prairie, - Nous comprîmes soudain, pour la première fois, - Que nous avions vécu dans une librairie; - - Que les arbres d'avril et que les fleurs de mai - Avaient en vain passé devant nos âmes closes; - Car nous n'avions rien vu, rien connu, rien aimé, - Que l'image du monde et le portrait des choses! - - Nous criâmes d'horreur; et pâles, voulant fuir, - Nous visitions les murs, nous cherchions les fenêtres, - De ces mains qui n'avaient caressé que du cuir, - De ces yeux qui n'avaient adoré que des lettres! - - Nous comprîmes, pendant qu'entraient dans notre chair - Le maroquin rugueux ou le vélin jaunâtre, - Et la douceur de vivre et la beauté de l'air - Que chantait au lointain l'ignorance d'un pâtre! - - Nous criâmes d'amour, quand craquèrent nos os, - Vers le soleil couchant dont s'allongeaient les cuivres, - Et, les livres des murs s'étant touchés du dos, - Nous fûmes écrasés entre des dos de livres! - -1891. - - - - -III - -LA MAISON DES PYRÉNÉES - - -I - -LA MAISON - - O toiture, tu te dessines! - Asile vert, je te revois! - Quatre colonnes de glycines - Supportent deux balcons de bois. - - Le store met une paupière - Au regard d'un miroir sans tain; - Et le bon jardinier Jean-Pierre - Flûte un petit rire enfantin. - - L'étroit pont de schiste se marbre - Des ombres de la frondaison. - Le piano chante dans l'arbre, - Tant l'arbre est près de la maison. - - La clôture est une volière - Où les oiseaux chantent en choeur - Qu'il faut bien agiter le lierre - Puisqu'il a la forme d'un coeur. - - Toute cette maison chantante - Qui se mire dans un ruisseau - Sent le coutil, comme une tente, - Et sent l'iris, comme un berceau! - - Décoré d'une antique huche - Et de trois chaises, l'escalier - Sent la cire, comme une ruche, - Et la pomme, comme un cellier. - - Au salon tendu de cretonne, - Un doux lustre vénitien, - Quand nos rires montent, s'étonne - De se sentir moins ancien; - - Les portes que le vernis dore - Semblent, pour rendre ce salon - Plus délicatement sonore, - Faites en bois de violon. - - A voix haute on lit en famille - Tout ce qu'apporte le facteur, - Et la sonnette de la grille - Est la sonnette du bonheur! - - Je revois tout cela!--L'abeille - Bourdonnait, et j'avais dix ans. - Ah! je crois que je me réveille - Dans ma chambre aux parquets luisants! - - Les hauts volets de cette chambre - Étant de ce bois odorant, - De ce beau sapin couleur d'ambre - Que le soleil rend transparent, - - Je pouvais, les fenêtres closes, - Dire que le ciel était bleu - Lorsque les volets étaient roses - Comme des doigts devant le feu! - - Pour voir les pics couverts de neige - En faisant le grand tour du val, - Le vieil écuyer du manège - Venait me chercher à cheval. - - Je rentrais... Abeille, je t'aime, - Qui, comme un miel sur du pain sec, - Mettais sur le grec de mon thème - Un murmure beaucoup plus grec! - - Minutes que rendaient célestes - La mélodie et le travail! - Tous nos orgueils étaient modestes - Comme des bijoux de corail. - - Le soleil baignait Sauvegarde. - Monsieur l'Inspecteur des forêts - Envoyait souvent, par un garde, - Des fougères que j'adorais! - - Et cette maison de campagne - Sentait, lorsque tombait le jour, - La mousse, comme la montagne, - Le mystère, comme l'amour! - - Un grand chapeau garni de tulle - Pendait aux cornes d'un isard. - Mon père traduisait Catulle, - Et ma soeur déchiffrait Mozart. - - -II - -LES PYRÉNÉES - - Pourquoi suis-je, ô mes Pyrénées, - Attiré sans cesse vers vous, - Et, riantes ou ravinées, - Qu'avez-vous pour moi de si doux? - - Lorsque j'arrive de Provence - A travers des champs de maïs, - D'où vient que je sens à l'avance - Votre odeur de gouffre et de lys? - - D'où vient qu'à vingt ans comme à douze - Je suis debout dans le wagon, - Dès qu'on a dépassé Toulouse, - Pour vous chercher à l'horizon? - - Et sitôt qu'au béret d'un pâtre - Je connais que vous approchez, - Quel est ce courant d'air bleuâtre - Qui m'aspire entre vos rochers? - - D'où vient que, lorsque à votre charme - Je veux résister, c'est vraiment - Comme si par le fer d'une arme - Je rendais plus fort un aimant? - - D'où vient que pour moi, sur la terre, - Il n'est d'Alpes ni d'Apennins - M'attirant avec ce mystère - Qu'ont les grands pouvoirs féminins? - - D'où vient qu'en Tyrol et qu'en Suisse, - Où je suis allé par hasard, - Il n'est pas un chamois qui puisse - Me sembler beau comme un isard? - - Où donc est-elle cette force - A quoi je sens que j'obéis? - Dans quelle fleur? Sous quelle écorce? - D'où vient que j'aime ce pays? - - J'aurais pu le trouver superbe - Sans le trouver aussi charmant: - Quelle est, entre ses herbes, l'herbe - D'où naquit cet enchantement? - - Lézard vivant ou feuille morte, - Un talisman se glissa-t-il - Dans l'humble butin qu'on rapporte - D'une course au bord d'un péril? - - Qui de vous est une amulette, - Caillou blanc où luit un mica, - Pierre à l'odeur de violette, - Bouquet au parfum d'arnica? - - Quels cristaux, quelles marcassites, - Grands monts où je me trouve heureux, - Font-ils que, né loin de vos sites, - Je me sens adopté par eux? - - Effleurai-je une mandragore - Dans les racines d'un sapin - Quand je me rendais à Bigorre - En passant par le col d'Aspin? - - Je n'ai pas l'âme montagnarde: - D'où vient que vous me retenez, - Pâle ciel que le mont regarde - Avec de grands lacs étonnés? - - Est-il une Circé des neiges - Versant son philtre au ruisseau clair? - Où donc êtes-vous, sortilèges? - Dans l'eau, dans la terre ou dans l'air? - - Je cherche... D'où m'êtes-vous nées, - Tendresses pour ce haut jardin? - --Mais dans le soir des Pyrénées, - Ma mémoire s'ouvre soudain. - - Dans le soir une phrase vole, - Par mon père dite jadis: - «Ta grand'mère était espagnole.» - Ma grand'mère était de Cadix! - - Ah! je comprends, montagne verte, - Pourquoi, souvent, dans vos sentiers, - J'ai marché d'un pas plus alerte - En rencontrant des muletiers! - - Au tournant poudreux d'une route, - Je comprends, quand je vous entends, - Pourquoi, toujours, je vous écoute, - Grelots sonores, si longtemps! - - Voilà pourquoi, sous les étoiles, - Je vous guettais au coin des ponts, - Attelages couverts de toiles, - De sparterie et de pompons! - - Pourquoi j'aimais voir les saccades - Que l'âne imprime aux cacolets - Lancer dans l'argent des cascades, - Des grains de raisins violets! - - Tout s'explique,--et, bal du dimanche, - Pourquoi, toujours, mon coeur battit - Lorsque l'espadrille était blanche - Et que le pied était petit! - - Je n'étais pas traître ou fantasque - Quand j'aimais, dans les bruits du bal, - Presque autant le tambour de basque - Que le tambourin provençal. - - Ce n'est pas l'odeur forestière - Que je demande au sapin bleu, - C'est le parfum de la frontière - D'un pays dont je suis un peu. - - Car l'Espagne qui me possède - Et qui fait que je vais, là-haut, - --Laissant en bas la brise tiède,-- - A la rencontre du vent chaud, - - Ce n'est pas cette espagnolade - Qui pendant un instant vous a - Lorsqu'on mord dans une grenade - Ou qu'on respire un mimosa; - - Ni la jeune espagnolerie - Qui vous prend quand on lit Musset - Et qu'une basquine fleurie - Passe dans votre rêve... c'est - - Une Espagne en mon coeur vivante - Au point que, lorsqu'il bat le soir, - C'est elle, à grands coups, qui s'évente - De son petit éventail noir! - - Donc, à ma lyre--est-ce une tare? - Mais avec fierté je le dis!-- - J'ai quelques cordes de guitare: - Ma grand'mère était de Cadix! - - Et, ma race, tu m'accompagnes - Lorsque ici je cherche, en rôdant - Sur la lisière des Espagnes, - Un pittoresque plus ardent. - - Si j'aime un nerveux paysage, - C'est que je promène sur lui - Les yeux qu'avait dans son visage - Celle à qui je pense aujourd'hui. - - Quelques piments dans un platane, - Un foulard jaune, un grand manteau, - Éveillent la voix gaditane - Dont parle en moi le contralto. - - Et c'est pourquoi, souvent, je semble, - Bien qu'immobile, voyager: - Un doux fil qu'on tire et qui tremble - Me relie à quelque oranger! - - C'est la raison, blondes cigales, - De mon goût pour les grillons bruns, - Et de ces humeurs inégales - Que me reprochent quelques-uns! - - Mes autres aïeux voient sans haine - Cette étrangère qu'il y a - Dans la famille phocéenne - Que je tiens de Massilia; - - Mais elle! sa race est jalouse, - Et, quand mon âme a des sursauts, - Je crois bien que cette Andalouse - Me dispute à ces Provençaux! - - Ah! quand je sens mon énergie - Se briser en moi d'un coup sec, - Je suis pris d'une nostalgie - Qui ne vient pas d'un marin grec! - - L'ancêtre que je commémore - Lorsque ainsi je deviens rêveur, - C'est peut-être, ô Cadix! un More - Dont la romance est dans mon coeur. - - Et ce qui vers vous, Pyrénées, - Sans cesse me ramènera, - C'est que vous êtes dessinées - Avec des fiertés de sierra! - - C'est que le vent chaud vient vous battre, - Ce vent énervant et subtil - Qui fait rire comme Henri Quatre - Et pleurer comme Boabdil! - - C'est que votre terre, voisine - D'un sol où j'ai quelque cousin, - Reste encore si sarrasine - Qu'un blé s'y nomme sarrasin; - - C'est que toujours votre nature - Garde en son frémissant décor - Une arabe désinvolture, - --Et l'écho sublime d'un cor! - - Je comprends de quel atavisme - M'est venu ce besoin moral - De sentir un fond d'héroïsme - Au tableau le plus pastoral. - - Mon goût même devient logique: - Voilà pourquoi, vent africain, - Il me faut une Géorgique - Retouchée un peu par Lucain! - - Et, Galice, Aragon, si proches - De ces cimes qu'on voit blanchir, - Pourquoi, toujours, devant ces roches - J'aime vivre--sans les franchir! - - Votre Espagne, pour mon Espagne - Qui n'est qu'une goutte de sang, - Si je passais cette montagne, - Aurait un parfum trop puissant! - - Mais ce que la France y mélange - Rend ici le parfum léger, - Et tout m'est doucement étrange - Sans que rien me soit étranger. - - Superbe, et bien assez vermeille - Devant l'Espagne qui l'est trop, - La montagne est comme Corneille - Adaptant Guilhem de Castro! - - Elle mêle une noble mousse - Aux rocs qu'un tonnerre ouvragea: - C'est de l'Espagne encore douce - Et de la France âpre déjà. - - Ceux que le béret auréole - S'ajoutent, d'un air que je sais, - Ce rien de bravade espagnole - Qui rendit toujours plus français! - - Les fouets claquent en mousquetade, - Les mots chantent sous le balcon, - Et déjà la rodomontade - Roule de l'_r_ dans le gascon. - - Folie où la raison chuchote, - La bravoure du béarnais - Porte Sancho sous Don Quichotte - Comme un gilet sous un harnais. - - La sombre cape où l'on s'engonce - Ne se voit pas encor souvent; - Mais l'oeil sous le sourcil s'enfonce, - Et la fenêtre sous l'auvent. - - Lorsque tourbillonnent ces rondes - Que l'on noue autour des pressoirs, - Quelques femmes sont encor blondes, - Tous les raisins ne sont pas noirs! - - Au seuil des blanches maisonnettes - Danse un couple auquel je ne vois - Pas encore des castagnettes... - Déjà des claquements de doigts! - - La danseuse, brusque et gentille, - Est encor française... Elle l'est... - Mais on dirait que la mantille - Commence dans le capulet! - - Au fond des églises agrestes, - Riantes comme leurs curés, - Les ferveurs sont encor modestes, - Les autels déjà trop dorés! - - D'une tendresse encor française, - La foi qui dans ces roches vit - Aurait peur de sainte Thérèse, - Et Bernadette lui suffit! - - Devant ces crêtes mitoyennes - Voilà pourquoi je suis si bien: - Toute la France de mes veines - Dans ce clair pays me retient; - - Car, parmi tout mon sang, vous n'êtes, - O goutte de sang espagnol, - Que comme entre mille alouettes - Un furtif petit rossignol! - - Et si j'aime, depuis l'enfance, - Sous ce ciel venir, et rester, - C'est qu'ici, sans quitter ma France, - J'entends mon Espagne chanter! - - -III - -L'EAU - - Luchon, ville des eaux courantes, - Où mon enfance avait son toit, - L'amour des choses transparentes - Me vient évidemment de toi! - - Ton nom seul, plein de bulles blanches, - Fait pour moi des ruisseaux couler - Sous des passerelles de planches - Que mon pied soudain sent trembler! - - Où voit-on les bergeronnettes, - Qui s'y connaissent en ruisseaux, - Longer plus d'eaux vives et nettes - Sous de plus verdoyants arceaux? - - Où la neige daignerait-elle - Descendre ainsi du pic sacré - Pour former une cascatelle - Dès qu'un passant est altéré? - - Où voit-on s'offrir une vasque - A chaque tournant de chemin - Pour qu'on puisse tenir Vénasque - Dans le creux glacé de sa main? - - Ce Vénasque au chapeau de brume - Ne cesse pas de faire au val - Des générosités d'écume - Et des largesses de cristal! - - Prodigue sûr de ses ressources - Et que la pelouse bénit, - Le mont jette l'argent des sources - Par les fenêtres de granit! - - Il veut, formidable Mécène - Qui sait que l'eau fait toujours bien, - Subvenir à la mise en scène - De ce décor virgilien. - - Dans l'herbe, au fond du précipice, - Caressant ou rongeant le bord, - Partout l'eau sourd, l'eau court, l'eau glisse, - L'eau fuit, l'eau bout, l'eau rit, l'eau dort! - - L'eau brille dans ta robe grise - Comme des glaives et des socs, - Montagne auguste dont Moïse - Semble avoir frappé tous les rocs! - - Quand l'eau semble absente, un bruit tendre - Nous avise qu'elle est tout près, - Et quand on ne peut pas l'entendre, - On la sent dans l'odeur des prés. - - O sentiers! ô ruisseaux sans nombre - L'un à l'autre se mélangeant! - Les sentiers sont des ruisseaux d'ombre, - Les ruisseaux des sentiers d'argent! - - A travers d'obliques ondées, - L'Aurore, dans un bleu frisson, - Voit les collines accoudées - Comme des nymphes qu'elles sont! - - Sur leurs épaules incarnates - Des torrents glissent, éperdus! - Et ces éblouissantes nattes - Sont faites de ruisseaux tordus! - - De l'eau partout! Quand la rivière - Déborde,--histoire de pouvoir - Laisser autour de la chaumière - Des petits morceaux de miroir,-- - - Les champs ont du ciel dans leurs barbes - Comme un vieil homme a des yeux bleus! - Et vous savez, chevaux de Tarbes - Qui broutez les prés onduleux, - - Combien de ces flaques dormantes - Il faut savoir franchir d'un bond - Lorsqu'on galope sur les menthes, - Dont l'écrasement sent si bon! - - Quelle terre ne serait sèche - Auprès de cette terre? Ah! si - L'on vivait d'amour et d'eau fraîche, - Ce ne pourrait être qu'ici! - - Et des fontaines! des fontaines! - Y en a-t-il!... Il y en a - Pour toutes les Samaritaines - Et pour toutes les Rébecca! - - Partout de l'eau! Toujours des gouttes - Aux sandales des vagabonds! - Tant d'eau partout que, pour les routes, - Il faut, partout, des ponts, des ponts! - - Voûtés comme de bons esclaves, - Les ponts, joyeux de leurs fardeaux, - Pour leur faire passer les gaves - Prennent les routes sur leurs dos! - - Et les routes d'or, qui s'amusent - De voir les ponts plonger aux flots - Leurs grands pieds de pierre qui s'usent, - Ont de longs rires de grelots! - - A l'heure où sortent les bréviaires, - Le crépuscule rend divins - Ces paysages de rivières, - D'arches, de pics et de ravins. - - Et toute cette eau, source ou gave, - Sur le roc ou sous les cressons, - Voix joyeuse ou silence grave, - Nous instruit en fraîches leçons. - - Ah! quelle leçon vaudrait-elle - Cette claire leçon d'amour - Que donne la neige éternelle - En pensant aux ruisseaux d'un jour? - - Où s'apprend la persévérance? - C'est au catéchisme de l'Eau - Qui, sous des airs d'indifférence, - Songe toujours à son niveau. - - Contre la force ou le sarcasme, - L'Eau, noble et fine, nous apprend, - En bouillonnant, l'enthousiasme, - Et la patience, en filtrant! - - Ses conseils n'ont rien de scolaire, - Car elle enseigne, en ses ruisseaux, - L'utilité de la colère, - Des belles chutes, et des sauts! - - Elle murmure avec tendresse - --Car elle veut que nous rêvions-- - Que bien souvent une paresse - Peut laisser des alluvions! - - On sait tout lorsque l'on assiste - Aux cours délicieux de l'Eau: - Sous la fougère et sous le ciste - Elle explique, en passant, le Beau, - - Prodiguant l'exemple qui frappe, - Elle prouve aussi bien qu'il est - Dans l'abondance d'une nappe - Que dans la grâce d'un filet. - - La dignité, cet esclavage, - Ne rend jamais son flot boudeur; - On ne connaît pas le rivage - Où l'attachera sa grandeur! - - Son orgueil n'a pas la folie - De se priver des jeux charmants. - Ah! comme elle aime qu'on oublie - Qu'elle est un des quatre éléments! - - Quand de sa crue on s'inquiète, - Elle se pique de vermeil, - Ne dédaignant pas la paillette - Qu'elle sait être du soleil. - - C'est par l'Eau que les blanches cimes - Se racontent aux peupliers: - Car les glaciers les plus sublimes - Parlent en ruisseaux familiers. - - Eh quoi! l'Eau? la soeur de la Terre? - L'Eau qui féconde? la grande Eau? - L'Eau qui lave et qui désaltère - Daigne jouer sous ce rideau? - - Elle joue avec l'écrevisse, - Avec le saule... Et, tout d'un coup, - Elle va se mettre en service, - Elle qui peut inonder tout! - - Elle coulait, large et futile, - Sous les terrasses du château, - Et puis un besoin d'être utile - L'a prise brusquement, cette eau! - - Lâchant la pompe fluviale, - Elle file, d'un air malin, - Dans la rigole triviale - Que lui propose le moulin! - - Elle s'échappe des palettes, - Et, bravement, voulant avoir - De grosses bulles violettes, - Elle va mousser au lavoir; - - Elle entre, avec un bruit de foudre, - Dans une scierie aux longs toits, - Pour y mêler sa blanche poudre - A la poudre blonde du bois; - - Et quand on a dépecé l'arbre, - Elle va, toujours s'échappant, - S'embaucher pour scier du marbre - Chez un marbrier de Campan! - - Elle a ses gaîtés les meilleures - Dans le travail et dans le bruit... - L'Eau divine a fait ses huit heures - Quand commence à tomber la nuit! - - Le clair de lune y met sa traîne... - Le bétail y met ses naseaux... - Soyez, belle Eau Pyrénéenne, - Bénie entre toutes les eaux! - - --Source calme ou torrent bravache, - L'Eau qui descend de la hauteur - Apprend tout ce qu'il faut qu'on sache - Pour être poète ou lutteur! - - L'Eau ne cesse pas, gave ou source, - D'apprendre à l'homme, à chaque instant, - Qu'on emporte--en prenant sa course, - Et qu'on reflète--en s'arrêtant; - - Mais que, malgré le flot qui rage, - L'arbre emporté d'un brusque effort, - O lutteur, devient un barrage - Lorsque le torrent n'est pas fort; - - Et que, malgré l'azur, poète, - Quand le ruisseau n'est pas profond, - A travers le ciel qu'il reflète - On peut voir la terre du fond! - -1893. - - -IV - -LA BRANCHE - - Cette branche pendante et gracile de saule, - Qui vibre parce que l'eau vibrante la frôle, - Ayant voulu sans doute écouter de plus près - Ce que dit le ruisseau dans son tumulte frais, - Se pencha, d'une souple inflexion de tige, - Un peu d'abord, puis trop,--maladresse ou vertige! - Et l'eau, par une feuille, en courant, la retint: - Si bien qu'elle, à présent, dont c'était le destin - De vivre, avec toujours le même geste calme, - Dans l'azur, d'une vie indolente de palme, - Elle doit s'agiter sans cesse, trembloter. - Sangloter quand il plaît à l'eau de sangloter. - Se secouer gaîment si l'eau devient rieuse, - Et s'épuiser en longs émois, la curieuse, - Qu'estiment bien punie alors ses vertes soeurs, - Mais qui n'a nul regret des tranquilles douceurs, - Mais qui secrètement les raille et les méprise, - Mais qui se sent, malgré le courant qui la brise, - Et l'affole, et malgré l'implacable ruisseau - Qui ne lui fait jamais grâce d'un seul sursaut, - Heureuse d'être celle avec qui communique - Le flot, et de savoir ce qu'il dit, elle unique! - - -V - -LA FONTAINE DE CARAOUET - - La Fontaine de Caraouet - Est la plus charmante de toutes. - Elle chante comme un roue, - La Fontaine de Caraouet! - Elle est si fraîche qu'Arouet - Perdrait, en y buvant, ses doutes. - La Fontaine de Caraouet - Est la plus charmante de toutes. - - O Fontaine de Caraouet, - Tu chantes sous de vertes voûtes! - Qui boit ton eau fait un souhait, - O Fontaine de Caraouet! - Quand celle qu'on aime vous hait, - En chantant tu vous désenvoûtes, - O Fontaine de Caraouet - Qui chantes sous de vertes voûtes! - - O Fontaine de Caraouet, - De quelle ombre tu te veloutes! - C'est là que mon sort se jouait, - O Fontaine de Caraouet, - Là qu'un silence m'avouait - Ce qu'entend le coeur aux écoutes... - O Fontaine de Caraouet, - De quelle ombre tu te veloutes! - - O Fontaine de Caraouet, - Est-ce que toujours tu glougloutes? - Les guides claquent-ils du fouet, - O Fontaine de Caraouet? - La villa blanche qu'on louait - Est-elle encor près des trois routes? - O Fontaine de Caraouet, - Est-ce que toujours tu glougloutes? - - La Fontaine de Caraouet - Est au fond des heures dissoutes. - Ne me demandez plus où est - La Fontaine de Caraouet! - D'un bonheur on est le jouet, - Et puis, au jour, jour, tu t'ajoutes... - La Fontaine de Caraouet - Est au fond des heures dissoutes! - - Les Fontaines de Caraouet - Nous laissent sur le coeur des gouttes. - Ces gouttes tremblent pour dire: «Et - La Fontaine de Caraouet?» - Même si l'on se secouait - Elles ne tomberaient pas toutes. - Les Fontaines de Caraouet - Nous laissent sur le coeur des gouttes! - - -VI - -LA GLYCINE - - A mon balcon cette glycine - Tord ses bras fleuris dans le soir, - Avec le tendre désespoir - D'une princesse de Racine. - - Elle en a la fière langueur - Et la mortelle nonchalance; - Et lorsqu'un souffle la balance, - Et que le jour traîne en longueur, - - Et tarde à partir, et recule - Le déchirement tant qu'il peut, - Elle exhale une âme d'adieu, - Bérénice du crépuscule! - - Le livre glisse de mes mains. - Le petit drame se termine. - «Cruel!» dit au jour la glycine. - Les cieux blessés ont des carmins. - - Par la haute porte-fenêtre, - Mystérieusement, alors, - Une des branches du dehors, - Comme un geste vivant, pénètre. - - Du frémissant encadrement - Ce bras jeune et souple s'échappe; - Et je sens sur mon front la grappe - Qu'il laisse pendre tendrement! - - Tout s'embaume. Et je remercie. - Et, pour lui dire mon amour, - Je donne à la fleur, tour à tour, - Le nom d'Esther et d'Aricie. - - Et je compare, les yeux sur - Mon livre tombé sans secousse, - L'odeur plus forte d'être douce - Au vers plus ardent d'être pur! - - Un divin poison m'assassine! - Et je doute, en le chérissant, - Si de ma glycine il descend - Ou s'il monte de mon Racine! - - -VII - -LE CARILLON DE SAINT-MAMET - - Le Carillon de Saint-Mamet - Tinte quand d'or le ciel se teinte; - Comme si le soir s'exprimait, - Le Carillon de Saint-Mamet - Mystérieusement se met - A tinter dans l'air calme... Il tinte, - Le Carillon de Saint-Mamet, - Tinte, quand d'or le ciel se teinte! - - Qui plaint-il, qu'est-ce qu'il promet, - Ce chant de promesse et de plainte? - Plaint-il les gens de Saint-Mamet - Ou bien nous?... Est-ce qu'il promet - Le pardon du mal qu'on commet - Dans l'âpre course où l'on s'éreinte? - Qui plaint-il? Qu'est-ce qu'il promet, - Ce chant de promesse et de plainte? - - Mon coeur, croyant qu'on lui parlait, - Frissonnait à ce chant qui tinte, - Quand j'étais un enfantelet! - Mon coeur croyait qu'on lui parlait... - Ah! je voudrais encor qu'il ait - Cette délicieuse crainte! - Mon coeur, croyant qu'on lui parlait, - Frissonnait à ce chant qui tinte! - - L'odeur des herbes qu'on brûlait - Disait bientôt l'automne atteinte. - Une chauve-souris volait. - L'odeur des herbes qu'on brûlait - Venait jusqu'à notre chalet, - Et nous avions la gorge étreinte. - L'odeur des herbes qu'on brûlait - Disait bientôt l'automne atteinte. - - Levant les yeux de son ourlet, - La servante disait: «Il tinte!» - Et regardait vers le volet, - Levant les yeux de son ourlet! - Ce tintement la consolait - D'être à d'humbles choses astreinte. - Levant les yeux de son ourlet, - La servante disait: «Il tinte!» - - La femme qui nous vend du lait - Se signait mainte fois et mainte; - Vite mettant son capulet, - La femme qui nous vend du lait - Vers la petite église allait; - Et, des morts traversant l'enceinte, - La femme qui nous vend du lait - Se signait mainte fois et mainte! - - Le Carillon de Saint-Mamet - Ne tintait pas mieux qu'il ne tinte; - Mais, alors, comme il nous charmait, - Le Carillon de Saint-Mamet! - La mère de ma mère aimait - L'écouter, la bougie éteinte... - Le Carillon de Saint-Mamet - Ne tintait pas mieux qu'il ne tinte. - - Mais notre vie, alors, coulait - Plus profonde d'être restreinte! - Comme un ruisseau sur le galet, - Ah! notre vie, alors, coulait! - Nous n'avions qu'un petit valet, - Mais qui chantait une complainte... - Et notre vie, alors, coulait - Plus profonde d'être restreinte! - - Le volubilis violet - Se mêlait à la coloquinte; - L'humble barrière où s'enroulait - Le volubilis violet - N'était pas encor ce qu'elle est: - Une belle grille bien peinte! - Le volubilis violet - Se mêlait à la coloquinte! - - Toute aube sent le serpolet. - J'ignorais le mal et la feinte. - J'avais une âme d'oiselet. - Toute aube sent le serpolet. - Ah! si j'avais su qu'il fallait - Devenir Alceste ou Philinte! - Toute aube sent le serpolet. - J'ignorais le mal et la feinte. - - Le Carillon tintait, fluet! - Au salon de perse déteinte - Ma soeur jouait un menuet. - Mais, quand tintait le son fluet, - Le menuet diminuait - Pour écouter le son qui tinte... - Le son, alors, entrait, fluet, - Au salon de perse déteinte. - - Dieu! pourrait-on, si l'on voulait, - Te ravoir, simplicité sainte? - Reboire au premier gobelet? - Le pourrait-on, si l'on voulait? - C'est pourtant d'un oignon bien laid - Qu'on revoit fleurir la jacinthe! - Dieu! pourrait-on, si l'on voulait, - Te ravoir, simplicité sainte? - - Une étoile se rallumait - Sur le val, obscur labyrinthe. - Au-dessus de chaque sommet - Une étoile se rallumait - Quand la cloche de Saint-Mamet - Tintait!... Oh! si, lorsqu'elle tinte, - Une étoile se rallumait - Sur la vie, obscur labyrinthe! - - O Carillon de Saint-Mamet, - Tinte, quand d'or le soir se teinte! - Dans l'air bleu qui nous le transmet, - O Carillon de Saint-Mamet, - Tinte ce tintement qui met - Plus de calme en notre âme!... Tinte, - O Carillon de Saint-Mamet, - Tinte, quand d'or le soir se teinte! - - -VIII - -PRIÈRE D'UN MATIN BLEU - - Tout est bleu d'éther. - L'abeille du lys - Dit: «_Pater noster - Qui es in coelis..._» - - Le moineau des toits, - Le lézard du mur - Disent à la fois: - «_Sanctificetur..._» - - «_Nomen..._», dit le jonc. - «_Tuum..._», dit l'étang. - Et le doux et long - Delphinium blanc - - Répète: «_Tuum..._» - Sur autant de tons - Qu'un delphinium - A de clochetons! - - Que dit l'eau du puits? - «_Adveniat..._» L'air? - «_Regnum tuum..._» Puis - Tout devient plus clair! - - Bien qu'entre les pins - Glisse un canon mat, - Là-bas les lapins - Ont gémi: «_Fiat!..._» - - Ayant accepté - Qu'un plomb la tuât, - La caille a chanté: - «_Voluntas tua!..._» - - Un pigeon luisant - Quitte le bouleau - Et monte, en disant: - «_Sicut in coelo!..._» - - La bêche, à ce vol - Dont elle vibra, - Droite dans le sol - Gronde: «_Et in terra!_» - - Et: «_Panem nostrum..._», - Dit le sol vermeil. - «_Quotidianum..._», - Répond le soleil! - - Le ciel est si bleu - Que tout, ce matin, - Pense qu'il ne peut - Prier qu'en latin! - - C'est le réséda - D'aube irradié - Qui murmure: «_Da - Nobis hodie..._» - - «_Dimitte nobis - Debita nostra..._». - Bourdonne l'iris - Où l'abeille entra. - - Le fenouil léger - Qu'on appelle aneth - Dans le potager - A dit: «_Sicut et..._» - - «_Nos dimittimus..._», - Disent à mi-voix, - «_Debitoribus..._», - Les fourmis du bois. - - Dans ses petits pots - Le myosotis - S'éveille à propos - Pour dire: «_Nostris..._» - - Blanc d'avoir traîné, - Le pur Lohengrin, - Le cygne dit: _«Ne - Nos inducas in..._» - - Un corbeau plus vieux - Que Mathusalem - Croasse un pieux: - «_Tentationem._» - - «_Sed libera nos..._», - Bêlent en marchant - Les doux mérinos - Qui broutent le champ. - - Ayant le premier - Fait le mal subtil, - Que dit le pommier? - «_A malo!_» dit-il. - - Il dit: «_A malo..._» - Et le cyclamen - Incliné sur l'eau - Lui répond: «Amen!» - -1891. - - -IX - -OMBRES ET FUMÉES - - J'aime les ombres, les fumées, - Ces fugacités et ces riens, - Ces formes vaguement formées, - Ces tremblements aériens. - - Je t'aime, toi qui ne te poses - Jamais, Fumée, ô soeur du Vent, - Et je vous aime, Ombre des choses, - Plus que les choses bien souvent! - - Je vous aime, parce que, vaines, - Vous me convenez, à moi, vain, - Et parce que, les incertaines, - Vous me charmez, moi, l'incertain! - - Oui, j'aime toutes les fumées, - Celles qui traînent sur les champs, - Celles qui sortent des ramées, - Celles aux panaches penchants, - - Les larges dont les hanches rondes - Se roulent dans l'azur profond, - Celles qui sont des boucles blondes - Qui de plus en plus se défont, - - Ou des vrilles que l'air allonge, - Fins copeaux roulants et fuyards - De quelque menuisier de songe - Qui raboterait des brouillards; - - J'aime celles qui sont, il semble, - --Leurs flocons ensemble étant pris - Et montant ainsi pris ensemble,-- - Des grappes de gros raisins gris; - - Celles dont le duvet tressaille - Sur les chaumes, piquant au bout - De ces obscurs chapeaux de paille - Des aigrettes de marabout; - - Celles qui, tôt disséminées, - Par petits bonds légers s'en vont - Du chalumeau des cheminées, - Comme des bulles de savon; - - Les droites et les zigzagantes, - Et celles qui font sur les cieux - Des fioritures élégantes, - Des paraphes prétentieux; - - J'aime celles dont les spirales - Semblent monter d'un encensoir; - J'aime les roses, matinales, - J'aime les bleuâtres, du soir; - - Et celles que j'aime entre toutes, - Sont les pâles, les faibles, les - Pas encor tout à fait dissoutes, - Mais presque, aux lointains violets; - - Celles aux graciles volutes - Qui, dans les vallons assombris, - Dénoncent à peine les huttes - Et les éphémères abris; - - Celles qu'un jeu de brise courbe, - Courbe et redresse tour à tour, - Sur les moribonds feux de tourbe - Abandonnés par le pastour, - - Et dont les timides guirlandes - S'effacent à nos yeux ravis, - Et défaillent au loin des landes - Sur un horizon de lavis... - - * * * * * - - Et j'aime aussi toutes les ombres, - Et tous leurs caprices chinois, - Géantes, naines, pâles, sombres, - Selon l'heure et selon le mois; - - Les belles ombres magistrales - Qui rampent solennellement; - Les ombres caricaturales - A l'hoffmannesque mouvement; - - Les ombres surtout, je l'avoue, - Qui par des pinceaux très subtils - Semblent faites: sur une joue, - Cette fameuse ombre des cils; - - Cette ombre que, minutieuse, - Sur le bas du roc cinabrin - Ou sur le pied roux de l'yeuse, - Projette l'herbe, brin par brin; - - Sur le ruisseau, l'ombre d'un saule - Superposée à son reflet; - Au fond du ruisseau, l'ombre drôle - D'un têtard vif sur le galet; - - Une ombre de fils d'araignée - Dans laquelle un insecte mort, - Balançant sa panse saignée, - Met une petite ombre encor; - - Votre ombre au rideau de l'auberge, - Moustaches du chat accroupi; - L'ombre d'un cheveu de la Vierge; - L'ombre d'une barbe d'épi; - - Et dans le lys, cadran solaire - A qui Mab dit: «Quelle heure est-il?» - En bâillant sous un capillaire, - L'ombre tournante du pistil! - - Mais les ombres que je préfère, - Sont celles, naturellement, - Qu'un fugitif objet vient faire, - Les chères ombres d'un moment. - - Et c'est l'ombre de ce qui vole - Qui me séduit le plus, étant - La plus vaine et la plus frivole, - Par son symbole inquiétant. - - J'aime les ombres minuscules - Qui dansent sous les papillons, - Qui dansent sous les libellules, - Sur l'eau, les herbes, les sillons; - - J'aime l'ombre que l'alouette - Laisse par terre en s'élevant, - Et la rapide silhouette, - Sur les toits, de l'engoulevent; - - L'ombre d'un bond de sauterelle, - L'ombre, sous un zéphyr souffleur, - De la plume abandonnant l'aile, - Du pétale quittant la fleur; - - Toute ombre vite évanouie, - Toute ombre qu'on perd brusquement: - Sur les lèvres de mon amie - L'ombre d'un attendrissement, - - Dans toutes les ombres des branches - Toutes les ombres d'oiselets, - Celles, sur les poussières blanches, - De votre vol, duvets follets, - - Et, sur la frissonnante page - Où j'écris ces vers, au jardin, - L'ombre que jette le passage - De quelque moucheron soudain! - - Oui, lorsque à mon accoutumée - Je laisse aller jouer mes yeux, - C'est avec l'ombre et la fumée - Qu'ils s'amusent toujours le mieux; - - Et parmi les ombres sans nombre - Au jeu desquelles je me plus, - La plus philosophique, l'ombre - La plus ombre, et, partant, la plus - - Vraiment de mes regards aimée, - Ce fut,--ô deux riens s'assemblant!-- - Ce fut l'ombre d'une fumée - Bleuissante sur un mur blanc! - -1893. - - -X - -LA FLEUR - - J'étais là, bien couché dans ce bon tas de foin, - Dans ce bon tas profond de foin, qui, de très loin, - S'était promis à moi par son parfum qui rôde; - J'étais là, caressé d'une chatouille chaude, - Presque disparaissant dans la ronde rousseur, - Le corps enveloppé d'une vaste douceur, - La tête, cependant, commodément plus haute, - Riant d'aise, alangui, remerciant mon hôte, - Lequel m'insinuait des brins astucieux; - J'étais là bien couché, mon chapeau sur les yeux, - Bercé d'un tintement de cloches éloignées, - Ramenant quelquefois des touffes par poignées - Pour hâter mon complet ensevelissement, - Humant la forte odeur avec enivrement, - Et, béat, le coeur gai, le corps las, l'esprit veule, - Sentant crouler sur moi l'affectueuse meule! - J'étais là, somnolent, monologuant, et puis - Attentif aux milliers de craquants petits bruits - Secs et fins qu'on entend dans le foin qu'on écoute; - Je disais, mi-parlant, mi-chantonnant: «Le doute - Étant un oreiller, selon Montaigne, mol, - Doit être un oreiller de foin... de foin... Bien fol - Qui de courir les prés a conservé l'envie! - Pour moi, je vois ici l'emblème de ma vie. - Après avoir longtemps dans tous les sens erré, - J'ai, de mes verts espoirs, fait un grand tas doré, - Un tas de foin... de foin... sur lequel, à ma guise, - J'écoute, d'une oreille artiste et qui s'aiguise, - Des bruits ténus que nul ne percevrait que moi; - Sur lequel--d'autant plus méritoire, ma foi, - Que moi-même, et tout seul, j'ai dû faucher mon herbe,-- - Je goûte le repos confortable et superbe.» - Je me félicitais ainsi, quand, tout d'un coup, - Je me sentis piqué vivement dans le cou. - Et, furtive d'abord, insaisissable, obscure, - Elle devint bientôt si forte, la piqûre, - Que dans mon oreiller j'en cherchai la raison: - Et je vis qu'une fleur prise en la fauchaison, - Moins souple que le foin, m'avait, morte revêche, - Enfoncé dans la chair sa tige dure et sèche. - - -XI - -L'IF - - Le sol était jonché d'une automne craquante; - Et je faisais, au fond des bois où je fréquente, - Mon petit tour contemplatif. - Les buissons roux étaient comme un cercle de faunes. - Soudain, il me sembla, parmi les arbres jaunes, - Que je voyais jaunir un if. - - «Eh quoi! vous, l'arbre vert, toujours vert», m'étonnai-je - «Vous dont le vert profond reste noir sous la neige. - Vous, l'If, de ce jaune honteux?» - Mais, semblant désigner d'un mouvement de branche - Les arbres dont sur lui tout l'octobre se penche, - L'If me répondit: «Ce sont eux... - - «Eux qui, supportant mal mes insolences vertes, - Des feuilles qu'ils perdaient ont mes branches couvertes. - Ces feuilles, innombrablement, - Se sont, comme des mains rageuses et crispées, - A tous mes verts piquants si jaunes agrippées, - Qu'on me croira jaune, un moment!» - - «--Quoi! d'autres t'ont jeté ces feuilles que tu portes?» - Il reprit: «L'arbre mort jette des feuilles mortes! - Homme, ceci vous étonna? - Agit-on dans vos bois autrement qu'en les nôtres? - On prend toujours sur soi ce que l'on jette aux autres. - On ne prête que ce qu'on a. - - «Il faut à son prochain que l'on prête, sans cesse, - Flétri, sa flétrissure, et, sec, sa sécheresse, - Et, mort, qu'on lui prête sa mort. - Quand nous différons d'eux, les arbres et les hommes - Veulent, de ce qu'ils sont couvrant ce que nous sommes, - Nous étouffer comme un remord! - - «Sachez-le, puisqu'il faut qu'un arbre vous éduque: - La feuille persistante à la feuille caduque - Ne devrait pas se laisser voir. - N'est-il pas naturel que, voyant ma verdure, - Ces arbres aient trouvé, pour cacher que je dure, - De se laisser sur moi pleuvoir? - - «Ah! quand ils souffrent trop, les tilleuls et les chênes, - De ne laisser tomber sur les mousses prochaines - Que tous ces tristes haillons bruns, - Que ces maigres chiffons dont l'horreur tourne et vole, - Ils peuvent bien, mon Dieu! si cela les console, - M'en attribuer quelques-uns! - - «Le vent n'aura besoin que d'une chiquenaude - Pour faire s'écrouler tout ce qui s'échafaude - Fallacieusement sur moi. - Je serai nettoyé par quelques brises fraîches. - Car ces feuilles ne sont que de pauvres, de sèches... - Que dis-tu? Calme ton émoi! - - «Voilà bien les grands mots des hommes: calomnies? - Feuilles mortes, tout simplement! feuilles jaunies! - En suis-je moins vert là-dessous? - L'indulgence est facile aux arbres qui demeurent, - Et nous pouvons laisser à des arbres qui meurent - Le plaisir de mourir sur nous!» - - -XII - -LA BROUETTE - - Tel un prince héritier qui se déguise et rôde, - Afin de découvrir l'injustice et la fraude, - A travers les états du roi son père, tel - Jésus reprend parfois son jeune front mortel, - Quitte en secret le firmament du Dieu son père, - Et, blond, s'en vient un peu voyager sur la terre, - --Télémaque divin que, comme un vieux Mentor, - Le bon saint Pierre, ôtant son auréole d'or - Pour n'être pas trahi par ses feux, accompagne. - - Un jour, ayant battu longuement la campagne, - Le Seigneur et le Saint--on était en hiver,-- - Firent halte en un bois dont le feuillage vert - N'était plus sur le sol que de l'humus rougeâtre. - Saint Pierre eût bien voulu s'asseoir au coin d'un âtre - Et chauffer ses vieux doigts, mais la seule maison - Qui levât son chapeau de chaume à l'horizon - Ne penchait pas au vent la plume de fumée - Qui fait rêver bon gîte et soupe parfumée. - Donc, ce bois valait mieux, d'autant que le soleil - Y donnait, un soleil timidement vermeil, - Un soleil pas bien chaud, c'est vrai, mais, tout de même, - Point trop à dédaigner en ce matin si blême. - Et Pierre, tout fourbu d'aller par les chemins, - S'étant assis, tendait vers ce soleil ses mains - Et les dégourdissait dans sa lumière rose, - Cependant que Jésus rêvait à quelque chose, - Debout, et ne sentant ni fatigue ni froid. - - Pierre cria soudain: «Maître! Fils de mon Roi! - Regardez, regardez par ici cette femme! - N'est-elle pas stupide ou folle? Sur mon âme, - Elle veut ramasser du soleil. Voyez-la!» - - Jésus leva les yeux. Une vieille était là, - De ces vieilles des champs, au dur profil de chouette; - Et cette vieille, avec une énorme brouette, - Se tenait au milieu du sentier, à l'endroit - Qu'éclairait un rayon de soleil tombant droit; - Et sitôt qu'il venait dorer son véhicule, - Cette femme tentait la chose ridicule - D'emporter le rayon, et poussait aux brancards - Bien vite; mais toujours, au moindre des écarts - Qu'elle faisait du point frappé par la lumière, - Le soleil s'échappait de la brouette; et Pierre - Se divertissait fort à regarder ce jeu: - La capture, d'abord, du beau rayon de feu - Entre les ais boueux et gris qu'il illumine, - Puis sa fuite rapide, et la piteuse mine - De la vieille pauvresse, interdite un moment, - Mais qui recommençait bientôt, patiemment, - Sans comprendre pourquoi, dès qu'elle entrait dans l'ombre, - Elle ne poussait plus qu'une brouette sombre! - «Est-elle simple! Dieu! voyez ce qu'elle fait! - Bon! elle recommence!» - Et Pierre s'esclaffait. - - Mais voici que Jésus, dont l'intérêt s'éveille, - S'approche, et doucement interroge la vieille: - «Femme, que fais-tu là? N'as-tu plus ta raison? - Il règne un froid terrible en cette âpre saison, - Et je ne comprends pas, ô femme, que tu veuilles. - Au lieu de ramasser du bois sec et des feuilles, - Ramasser ce rayon à peine réchauffant! - - --C'est pour le rapporter à mon petit enfant, - Dit la femme, en levant le front. Je suis l'aïeule - D'un pauvre enfant malade à qui je reste seule, - Car cet hiver le père et la mère sont morts. - Pour travailler, mes bras ne sont plus assez forts. - Je ne peux que glaner, et ce travail-là chôme. - Et l'enfant va mourir sous notre triste chaume, - Sans même avoir connu ces douceurs, ces bonbons, - Qui font sourire encor les petits moribonds. - Ne pouvoir pas gâter alors qu'on est grand'mère, - C'est dur! Que lui donner? Je ne savais que faire; - Mais voici qu'il me dit, ce matin, au réveil: - «Je serais bien content si j'avais du soleil!» - Car le soleil jamais n'entre dans ma chaumière, - Et mon petit garçon est privé de lumière. - Alors, voyant qu'ici du soleil avait lui, - Je viens en ramasser un bon morceau pour lui.» - Et la vieille reprit avec foi sa besogne. - - Quand il se sent ému, saint Pierre se renfrogne. - Il dit: «Elle est stupide! elle ne voit donc pas - Que son soleil s'en va dès qu'elle fait un pas! - Cette vieille cervelle est dure comme pierre - Et ne comprend plus rien!» - - Mais Jésus dit à Pierre, - Pensif, ayant rêvé sur cette femme un peu: - «On ne sait pas ce que l'amour des simples peut!» - Et, n'ayant pas compris toute cette parole, - Saint Pierre répétait: «Mais cette femme est folle! - Elle est folle, Seigneur!...» Soudain, il s'arrêta, - Presque aussi confondu que quand le coq chanta: - Car la vieille marchait maintenant sous les branches, - Et les rayons restaient entre les quatre planches, - Et les rayons, dans l'ombre, étincelaient encor. - Et, paraissant pousser devant elle un tas d'or, - Sans s'étonner, la vieille, impassible et muette, - Emportait le soleil dans son humble brouette. - -1892. - - -XIII - -L'AMOUREUX DE MARGARIDON - - «Vierge au regard loyal, fleur de notre campagne, - Si je puis être aimé de vous, Margaridon, - Demain même, je veux, pour vous en faire don, - Acheter un foulard au colporteur d'Espagne. - - «Si nous nous accordons sans trop tarder, je crois - Que je ne saurai pas vous refuser la montre - Qu'un bijoutier gascon dans sa boîte nous montre - Au milieu de coeurs d'or, de bagues et de croix! - - «Si nous nous marions aux premières pervenches, - J'irai jusqu'à donner du ruban de velours - Pour que le capulet même de tous les jours - Soit aussi bien bordé que celui des dimanches. - - «Sans être un grand Crésus, j'ai mon petit avoir. - J'ai des boeufs. J'ai le champ que m'a laissé mon père. - Un potager. Enfin, la maison est prospère, - Et vous aurez du linge à porter au lavoir. - - «Et si vous ne voulez que goûter le jeune âge, - Vous vivrez sans rien faire, aussi blanche de peau - Que les dames d'Albi qui portent un chapeau, - Car la mère est vaillante et fait tout le ménage. - - «La chambre est belle. Elle a trois mètres de hauteur. - Moi-même j'ai taillé la poutre et les lambourdes. - J'ai pendu deux portraits sous la Vierge de Lourdes: - L'un, c'est Monsieur Hugo; l'autre, Monsieur Pasteur. - - «De l'huile de mon bras la commode est luisante. - Le lit est grand, profond: c'était le lit des vieux. - La mère l'a cédé pour que nous soyons mieux. - Tout ça sera bien beau quand vous serez présente! - - «Les rideaux ont été passés à l'amidon; - Et j'ai fait faire un cadre avec les coquillages - Que l'oncle a rapporté de ses lointains voyages, - Pour le petit miroir de ma Margaridon. - - «J'ai, pour vos pots de fleurs, élargi d'une planche - La fenêtre où bientôt vous viendrez vous asseoir... - Et lorsque je suis seul, je regarde, le soir, - La place où vous mettrez votre main sur ma manche.» - -1889. - - -XIV - -LES BOEUFS - - C'est l'heure où la nuit pose, en montant vers les cieux, - Son pied sur chaque mont comme sur une marche; - Et, déchirant le soir du cri de ses essieux, - Un char de foin a l'air d'une meule qui marche. - - Deux boeufs trament ce char, et, de leur front têtu, - Ils poussent en avant, les cornes abaissées; - Chacun d'un tablier de toile est revêtu, - Qu'on voit en bas frangé de ficelles tressées. - - Cette frange descend sur leurs genoux noirauds - Pour éloigner, pendant les chaudes matinées - Où des bourdonnements s'échappent des sureaux, - Le harcèlement bleu des mouches obstinées. - - Ils avancent, coiffés de peaux d'agneaux, les boeufs, - Flanquant des coups de queue à leur croupe écailleuse, - Et sans paraître voir le tournant trop bourbeux, - Ni qu'après le tournant la côte est rocailleuse. - - Lorsque le char s'enfonce et qu'il faut l'arracher, - Dans le marbre gluant des naseaux noirs et roses, - Ils soufflent un instant, puis, sans daigner broncher, - Ils partent à nouveau, les paupières mi-closes. - - Et tandis qu'ils sont là peinant, poussant plus fort, - Les boeufs mystérieux, énormes et timides, - Comme s'ils demeuraient étrangers à l'effort, - Gardent, sous leurs cils durs, toujours, leurs yeux humides. - - Un attendrissement semble être en eux monté - Que ne peut plus troubler la présente détresse; - Et, les voyant souffrir avec cette bonté, - J'ai compris quelle était leur profonde sagesse. - - Ils ne s'étonnent plus, les paisibles boeufs roux, - Car ils ont longuement réfléchi sur les choses; - Et ce sont devenus des philosophes doux, - Patients rumineurs des effets et des causes. - - Ils ne s'étonnent plus, ils ne s'indignent plus, - Sachant qu'on perd son temps en révoltes superbes, - Quand la route implacable ouvre ses deux talus, - Et qu'il vaut mieux songer en remâchant des herbes! - - Ils savent qu'à leur sort ils ne changeraient rien, - Mais que chaque moment des plus ingrates vies - Peut posséder le rêve, insaisissable bien, - Secrète liberté des races asservies! - - Qu'importent l'aiguillon cruel, le taon haineux, - L'accouplement au joug, les cornes qu'on attache! - Ils ne souffrent de rien, ne vivant plus qu'en eux, - Et machinalement accomplissant leur tâche. - - Qu'importe la charrue et d'avoir entendu - Le cri que le bouvier pousse à la capvirade!... - Chacun, posant sans bruit son large pied fendu, - Rêve, et sent près de lui rêver son camarade. - - Ils vont, sans s'occuper des coups ni des faux pas, - Trouvant que pour rêver, déjà, la vie est brève. - Et que, si grands qu'ils soient, des maux ne valent pas - De détourner le sage, un moment, de son rêve! - - C'est pourquoi, quand, la ronce accrochant les moyeux, - L'ornière sous la roue hostilement se creuse, - Au plus fort de la lutte ils gardent dans leurs yeux - Cette belle douceur de la pensée heureuse. - -1889. - - -XV - -LES GENETS - - Sur ces balais--stupidement--dressés du sol - S'est abattu tout un doux vol. - - Pour se poser--sur ces balais,--dans la campagne, - Des papillons viennent d'Espagne. - - Des papillons--qui sont des fleurs,--des fleurs qui sont - Des papillons! Essaim? Buisson? - - Sont-ils des fleurs?--Sentez leur souffle!--Ou bien sont-elles - Des papillons? Voyez leurs ailes! - - Papillons-fleurs;--ces papillons--se sont, légers, - Sur chaque brindille étagés! - - Les gros en bas,--et, tout en haut--de chaque tige, - Le plus petit de tous voltige! - - Et tout ce vol--de papillons--tout palpitants - S'installe là pour quelque temps. - - Et maintenant,--les vieux balais--ont une housse, - Et répandent une odeur douce: - - Ça sent si bon--que c'est toujours--comme si on - Attendait la procession! - - Et cette odeur--s'en va troubler--toute la lande, - Car le vent fait la propagande. - - Balais! balais!--qui vous eût dit,--balais piteux, - Que vous seriez si capiteux? - - Et tout d'un coup--(mais quel besoin--des fleurs ont-elles - Étant des fleurs, d'avoir des ailes?) - - L'essaim doré,--qui se souvient--d'être espagnol, - Prend au vent d'Espagne son vol! - - Que reste-t-il--de l'or vivant,--des ailes douces? - Quelques noires petites gousses! - - Vous n'avez plus--qu'à frissonner,--genêts frileux, - En nous offrant, des balais bleus, - - Des balais bleus--pour balayer--devant nos portes - L'amas prochain des feuilles mortes! - - Balais! balais!--pauvres genêts,--vous êtes laids! - Vous n'êtes plus que des balais! - - Et vainement--vous murmurez,--ne pouvant croire - A la fuite de tant de gloire: - - «Qu'est-ce que c'est--que ces fleurs-là--qui fuient aux vents - Il faut consulter les Savants!» - - «Que voulez-vous!»--vous répondront--leurs voix cassées, - «C'est des papilionacées! - - «Il faut avoir,--quand on a peur--de ces douleurs, - Des fleurs qui ne soient que des fleurs! - - «Mais quand on veut--des fleurs en or--ayant des ailes, - On sait à quoi s'attendre d'elles!» - - -XVI - - Derniers petits chants et derniers ébats - Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. - - On entend encor fuser quelques trilles. - La couleur du ciel commence à muer. - Des coups d'ailes font encor remuer - La vigne des murs, le lierre des grilles. - - Derniers petits chants et derniers ébats - Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. - - Les échanges vifs que faisaient les branches - D'oiselets lancés comme des volants - Deviennent plus mous, deviennent plus lents. - La lune, au ciel clair, met ses cornes blanches. - - Derniers petits chants et derniers ébats - Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. - - Le doux crépuscule a jeté sa cendre; - Les lointains sont bleus et vont se noyant; - Et la feuille d'or, tout en tournoyant, - Du grand peuplier se met à descendre. - - Derniers petits chants et derniers ébats - Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. - - Une cloche tinte, une chèvre bêle. - Une fille passe, et chante, et suit l'eau. - Le chant que l'on chante à cette heure est beau; - La fille qui passe à cette heure est belle. - - Derniers petits chants et derniers ébats - Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. - - Les pas des marcheurs attardés se pressent. - Un rameau, quitté par son chanteur fol, - Est encor tremblant de l'élan du vol. - Où vont ces oiseaux qui tous disparaissent? - - Derniers petits chants et derniers ébats - Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. - - La clarté s'esquive, et déjà l'on doute - Si l'objet qu'on voit est loin ou tout près. - S'en revenant seul, lentement, des prés, - Un poney velu traverse la route. - - Derniers petits chants et derniers ébats - Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. - - Un alignement de petites meules - Donne aux champs l'aspect de camps endormis. - L'heure est aux amants, et non aux amis. - Les coeurs vont par deux, les âmes vont seules. - - Derniers petits chants et derniers ébats - Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. - - La vie est soudain comme une inconnue - Qui fixe sur vous de trop larges yeux. - Il semble que tout soit insidieux. - On s'entend parler d'une voix émue. - - Derniers petits chants et derniers ébats - Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. - - On s'entend parler d'une voix de songe - Dont on ignorait la sonorité. - C'est l'heure charmante où la vérité - A tout à fait l'air d'être du mensonge. - - Derniers petits chants et derniers ébats - Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. - - Et si maintenant la rainette chante - Aux bords ébréchés des petits bassins, - C'est que, sur ton coeur ayant des desseins, - Cette heure a besoin d'être trop touchante... - - Derniers petits chants et derniers ébats - Des oiseaux, le soir, dans les arbres bas. - -1891. - - -XVII - -L'OURS - - Martin, ours. Une bête énorme. Un plantigrade - Que l'on n'aimerait pas avoir pour camarade. - Touffu, férocement espiègle, et reniflant. - Un ours qui jetterait un homme sur le flanc - D'un seul revers de patte, et, de deux coups de griffes, - Mettrait toutes ses chairs palpitantes en chiffes; - Un ours dont un géant ne viendrait pas à bout, - Et qui, s'il se montrait soudainement debout, - Ferait, comme devant la nuit le crépuscule, - S'évanouir Samson et se dissoudre Hercule: - Car Hercule, l'athlète aux puissantes sueurs, - Et Samson, le plus grand parmi les grands tueurs, - Ne seraient, dans les bras de la bête assaillie, - Malgré leur corps trapu, leurs muscles en saillie, - Leurs intrépides reins, leur imployable dos, - Qu'un giclement de sang et qu'un craquement d'os. - - Et cet ours, au regard terriblement oblique, - Danse la mazurka sur la place publique. - - L'homme qui tout petit à sa mère le prit, - Son montreur, l'apostrophe en faisant de l'esprit, - Dit qu'on peut l'approcher, le toucher, sans qu'il morde, - Et roule du tambour, et tire sur la corde - Qui s'attache à l'anneau de la narine en sang, - Et lui chante un refrain monotone et dansant; - Et docile, et craignant de perdre la cadence, - Le formidable ours brun de la montagne danse... - Soulevant le gros rire épais des hommes saouls, - Il danse, sous la pluie insultante des sous. - - Une bosse de chair et de fourrure sale - Lui ballotte au sommet de l'épine dorsale; - Et de peur de déplaire à cet homme, cet ours - Fait, devant l'honorable assistance, des tours. - L'homme n'a qu'à parler, et l'ours obéit vite. - L'ours ne se fait jamais prier. L'homme l'invite, - Sitôt que la mazurke est dansée, à polker: - Et l'ours polke; à valser: l'ours valse; à mieux marquer - La mesure: l'ours marque avec sa patte, et volte, - Gracieux comme un ours qui fait le désinvolte; - A s'asseoir: l'ours se met, grave, sur son séant; - A manier un peu sa trique de géant: - L'ours a l'air, s'escrimant dans le vide qu'il rosse, - Sa trique entre les bras, d'un gros guignol féroce; - A montrer «comment l'ours marche en montagne»: l'ours - Marche, allongeant des pas silencieux et lourds; - A faire le bourgeois riche qui se promène: - Et l'ours, caricature horriblement humaine, - Se lève sur ses pieds; puis, plein de dignité, - Déposant sur sa tête énorme, de côté, - Un tout petit chapeau de paille ridicule, - L'ours vient faire un salut au public--qui recule! - Et puis, l'ours roule et tangue et feint d'être un peu gris; - Et puis, l'ours fait le mort, et les coups et les cris - Et les piétinements le laissent immobile... - Et puis, l'homme à chacun va tendre sa sébile, - Grommelle en la sentant légère dans sa main, - Relève l'ours encor couché sur le chemin - En donnant à l'anneau deux coups de corde brusques, - Lance à la bête un coup de pied, reprend ses frusques, - Ramasse son gourdin, rajuste son tambour, - Et part, suivi d'enfants. - - Ainsi de bourg en bourg, - Ainsi de ville en ville. - - Et je n'ai pas, en somme, - Compris pourquoi cet ours ne mangeait pas cet homme. - -Saint-Béat, 189... - - -XVIII - -TOUT D'UN COUP - - Les clartés qui, là-bas, piquant les ombres bleues, - Révèlent qu'un menu village, à bien des lieues, - Doit au flanc rond de quelque colline s'asseoir, - Les clartés, tout d'un coup, que nous voyons, ce soir, - Du haut d'un col, avant de descendre les rampes, - Luire,--et qui sont, là-bas, les chandelles, les lampes, - Les feux d'une gaîté, d'un travail, d'un souci,-- - Ces clartés, tout d'un coup, nous rappellent que si - L'on rêve au bord des ciels, on vit au ras des terres; - Que si l'on rêve un peu sur les monts solitaires, - On vit, dans les vallons, on vit, on vit beaucoup; - De sorte que nos coeurs, oubliant, tout d'un coup, - Que les feux du méchant, ses lampes, ses chandelles, - Ne font pas, au lointain, des lumières moins belles - Que les lampes, les feux, les chandelles du bon, - Et que l'affreux signal qu'allume un vagabond - Et la douce fenêtre au seul rideau de serge - Qu'éclaire saintement le coucher d'une vierge - Sont deux étoiles d'or identiques,--nos coeurs, - Pour lesquels, tout d'un coup, ces petites lueurs - Ne sont plus, dans la nuit, que d'autres existences, - Nos coeurs qui, tout d'un coup, sentent qu'à ces distances - Vous ne différez guère, ô pires, des meilleurs, - Aiment également tous ces lointains veilleurs! - - -XIX - -LE MENDIANT FLEURI - - Il n'est pas du pays. D'où peut-il être?... d'où? - On ne sait pas. C'est un mystérieux bonhomme. - Sur le bord du chemin parfois il fait un somme. - Il porte un vieux chapeau qui paraît être--comme - Ceux que portent les champignons--en amadou. - Eut-il un nom? Lequel? On l'ignore. On le nomme - Le Mendiant Fleuri. C'est tout. - - Il a cette folie, il a cette jolie - Folie: il se fleurit. Il se déguise en Mai. - Son chapeau d'amadou porte un phlox pour plumet. - Dès qu'il découvre un trou dans sa veste, il y met - Du lilas, un pavot. Si c'est une folie, - Cet affreux vagabond des routes se permet - La même que vous, Ophélie! - - Cet homme a des crocus aux plis de ses lambeaux - Comme les champs en ont aux creux de leurs ornières. - A ses poches il a des touffes printanières - Comme les bois en ont aux seuils de leurs tanières. - Au lieu des vieux boutons de corne, il a, plus beaux, - Des boutons d'or. Au lieu des pailles coutumières, - Il a du thym dans ses sabots. - - Il reprise sa cape en ajonc qui s'accroche, - Reborde un vieux revers avec des serpolets, - Pique de la tremblette aux fentes des ourlets, - Enrichit de bleuets roses et violets - Sa pauvre barbe dont le chanvre s'effiloche; - Puis, fume, luxueux, parmi tous ces bleuets, - Une pipe d'aristoloche! - - Qu'il est beau quand il va de maison en maison, - Chamarré d'herbe-aux-gueux, d'airelle et de spargoutte! - La flore du moment sur lui frissonne toute. - Qu'il est beau quand il passe, en fleurs, et qu'il s'ajoute, - Comme un calendrier vivant, à l'horizon! - De sorte qu'il suffit de le voir sur la route - Pour savoir quelle est la saison! - - Il réussit parfois des toilettes charmantes. - Je lui connus un col d'aspérule, un camail - De scabieuse ayant un chardon pour fermail. - Qu'il est beau quand il va de portail en portail, - Et que, chargé de coquelourdes et de menthes, - On le voit, rouge et vert comme un saint de vitrail, - Passer dans les herbes fumantes! - - * * * * * - - O bizarre bonhomme, ô vagabond falot, - Misère dont toujours embaumait le passage, - Vieillesse où le muguet attachait un grelot, - O Mendiant Fleuri, gueux parfumé, fou, sage! - - Brave pauvre, qui, loin d'être un pauvre honteux, - Marques la déchirure avec une jonquille, - On t'est reconnaissant, presque, d'être boiteux, - Tant la guirlande est belle autour de ta béquille! - - Cynique éblouissant, héroïque et finaud, - Je ne saurais assez préférer, quand j'y pense, - Tes courageuses fleurs au facile tonneau, - Diogène charmant de nos routes de France! - - Inconscient donneur d'une grande leçon, - Merci, fou gracieux, poète et philosophe, - D'oser, sous le soleil, enseigner la façon - D'accommoder de fleurs les restes de l'étoffe! - - Il nous apprend, ton humble et rustique talent, - Ce qu'on peut faire avec quelques fleurs, quelques-unes! - Alors, pourquoi traîner sa vie en étalant - Des misères, des trous, des tares, des lacunes? - - Pourquoi ne pas avoir un iris au chapeau - Qu'on tend vers le passant--ou qu'on tend vers la gloire? - Ah! Mendiant Fleuri, quand rentre le troupeau, - Ils font bien, les bergers, de te verser à boire! - - Que ton moyen me plaît! Tous mes accrocs d'hier - Vont aujourd'hui, du moins, servir à quelque chose. - Si tu fais le faraud, moi je ferai le fier. - Ton gilet a son lys? Mon coeur aura sa rose! - - J'ai compris qu'il ne faut, qu'on ne peut, qu'on ne doit - Présenter au prochain nulle image cruelle, - Puisqu'on n'a qu'à rouvrir sa blessure du doigt - Pour y mettre la fleur qui va la rendre belle! - - Bonhomme, j'ai compris qu'il faut être coquet - De sa blessure, au lieu que d'en être malade, - Et que, même, parfois, pour y mettre un bouquet, - Il convient d'élargir la simple estafilade. - - On n'a plus peur de rien lorsqu'on prend ce parti. - Et l'on acquiert bientôt la grâce, et la manière - D'être reconnaissant au buisson qui, gentil, - Pour la fleur qu'il vous tend vous fait la boutonnière! - - Dès qu'on est décousu par un poignard nouveau, - Il faut en profiter pour se fleurir encore. - Plus on est malheureux, plus on doit être beau! - Faisons tous nos malheurs en corolles éclore! - - Servons-nous du malheur.--Un jour, un jardinier - M'a dit cette parole ingénue et profonde: - «Si Job avait planté des fleurs sur son fumier, - Il aurait eu les fleurs les plus belles du monde!» - -1891. - - -XX - -LE CONTREBANDIER - - Ayant longtemps suivi le sentier de montagne, - Distrait, j'avais gagné la frontière d'Espagne, - Et j'avais pris, au bout du pont, - La place où bien souvent, près du troupeau qui broute, - J'écoute ce que dit le douanier, et j'écoute - Ce que le muletier répond. - - Toujours la même scène ingénument éclate: - Le petit gabelou galonné d'écarlate, - Avec un sourire entendu, - Écoute le récit que l'autre lui rabâche, - Puis va vers la charrette, et, sous un cuir de bâche. - Trouve le flacon défendu. - - Ce jour-là, c'était l'heure où s'enflamment les vitres. - Le grillon, dont l'amour fait chanter les élytres, - Avec le grillon alternait - Comme un berger d'églogue avec un autre alterne. - Déjà le voiturier allumait sa lanterne. - Tout le soir sentait le genêt. - - Parfois, de ces garçons passaient qui, sans rien dire, - Glabres, la cigarette au coin de leur sourire, - Vont à pas souples et prudents; - De ces filles riaient, si brunes, sous les branches, - Que, dans l'ombre, on ne peut voir que deux choses blanches: - Leurs espadrilles et leurs dents. - - Et j'aperçus venir un vieillard maigre et brusque, - Un de ces paysans dont le regard s'embusque - Sous un béret qui se rabat. - Feignant de ramasser des pompons de platane, - Il trottinait, courbé, derrière un petit âne - Qui portait un sac sur son bât. - - L'âne disparaissait sous le grand sac champêtre. - --Au moment où le vieux allait passer peut-être, - Inoffensif et toussotant, - Le douanier n'ayant eu vers lui qu'un regard vague, - L'âne fit un écart. Et soudain une dague - Tomba sur le sol en tintant. - - Une très vieille dague espagnole.--Et puis, comme - L'âne faisait, malgré les efforts du pauvre homme, - Des bonds de poulain andalou, - On vit un ancien casque en forme d'astrolabe - Et deux longs éperons de style presque arabe - Tomber aux pieds du gabelou. - - Et comme l'âne, ému par ces nouveaux vacarmes, - Ruait,--chaque ruade éparpilla des armes! - Et, tout le sac s'ouvrant dans l'air, - Ce fut, pendant qu'au bruit accouraient des marmailles, - Un envol de rivets, de tassettes, de mailles, - Un feu d'artifice de fer! - - Quoi! c'étaient, dans ce sac, sous une avoine fourbe, - Des armes que cachait ce vieillard qui se courbe - Et craintivement s'amoindrit? - Prépare-t-on la guerre au fond de la vallée? - Ou bien veut-on passer une armure volée - A l'Armeria de Madrid? - - Quelle armure est-ce là qui tombe et se bosselle? - La courroie a souvent fait place à la ficelle, - Les boucles n'ont plus d'ardillons. - Quelle est cette rapière?... Oh! comme elle est usée! - La coquille brimballe autour de la fusée! - La garde est veuve de quillons! - - Une jambe de fer dont le genou se rouille - En rencontrant le roc un instant s'agenouille; - Et, de ce fantastique sac, - On croit voir, sur le sol rose de crépuscule, - Tomber un chevalier qui se désarticule - Avec un bruit de bric-à-brac! - - La rondache, roulant comme un cerceau superbe, - S'échappe. Un gantelet crispe ses doigts sur l'herbe - Où le rejoint un vieux houseau. - L'âne bondit toujours. Et cependant, à terre, - Une cuirasse a l'air d'un grand coléoptère - Vidé par le bec d'un oiseau. - - Enfin, de ce ballot que chaque bond déballe - Jaillit un cuivre étrange, une vieille cymbale, - Une sorte d'astre échancré, - On ne sait quel plateau de balance fantasque, - Luisant, plat comme un plat, martelé comme un casque, - Fourbi comme un vase sacré! - - Et quand tout eut roulé devant lui, de l'air digne - Qu'on prend quand on observe à regret la consigne, - Le douanier recula d'un pas. - Puis--que pouvaient avoir de terrible ces armes - Qu'un vieillard ramassait en les couvrant de larmes?-- - Puis il dit: «Ça ne passe pas!» - - Chacun aida le vieux. Une fille d'auberge - Ramassa la rondache, un enfant la flamberge; - Et, lorsque tout fut ramassé, - Le vieux, s'étant laissé sur les bras tout remettre, - Car l'âne en bondissant avait fui loin du maître, - S'éloigna, pesant et cassé. - - Et le douanier s'en fut boire avec une fille - L'anisette espagnole où trempe une brindille - Qu'entoure du sucre candi. - Moi, je suivis le vieux.--Il allait, le dos triste. - Bientôt, il se crut seul sous le ciel d'améthyste. - --Et je vis qu'il avait grandi. - - Oui, l'homme, maintenant, haussant sa silhouette, - Droit,--comme s'il savait aussi bien qu'un poète - Que, lorsqu'on se retrouve seul, - Il n'est pas de fierté que l'on ne récupère, - --N'avait plus l'air d'un paysan et d'un grand-père, - Mais d'un seigneur et d'un aïeul. - - Le vent du sud soufflait sa brûlante caresse. - Et je suivais ce vieux en murmurant: «Serait-ce?...» - Et, tout d'un coup, je dis: - «Mais c'est!...» Et me mis à courir à travers la campagne, - Pâle de voir que, plus il entrait en Espagne, - Plus le vieil homme grandissait. - - Il jeta son béret, hocha sa tête grise; - Puis, comme s'il avait entendu dans la brise - Le nom que je n'avais pas dit, - Il posa sur le sol ses armes en silence, - Se coiffa fièrement du plateau de balance, - Et, se retournant, m'attendit. - - Nous étions seuls, tous deux, au milieu d'une lande. - Basse sur l'horizon, la lune était si grande - Que tout prenait un air sorcier. - Et le vieux, dépouillant sa cape paysanne, - M'apparut, sec, vêtu d'une stricte basane, - Et jambé comme un échassier. - - Alors, je reconnus sa pauvre soubreveste, - La beauté de son front, la largeur de son geste, - Et la jeunesse de ses yeux. - Et je crus que j'allais trouver des mots sans nombre: - Mais, tremblant, je ne pus que m'incliner dans l'ombre - En disant le nom de ce vieux! - - A son nom, il grandit encor, mit sur sa lèvre - Un long doigt sarmenteux qui grelottait de fièvre, - Sourit un peu de mon émoi, - Puis, avec le plus noble et touchant savoir-vivre, - Il ôta gravement sa cymbale de cuivre, - Et me dit: «Eh bien! oui, c'est moi.» - - Je vis sa tête, avec l'auréole immortelle - Que lui font, en tournant sans cesse derrière elle, - Les ailes des moulins à vent! - Mais: «Seigneur bachelier...», prononça-t-il, tandis que, - Très digne, il remettait sur sa tête le disque, - Pardonnez à votre Servant - - «Si la profession qu'il exerce l'oblige - A demeurer coiffé d'un armet. Armet, dis-je, - Car je doute qu'un bachelier - --Le fût-il de Paris, qui vaut bien Salamanque!-- - Prenne un armet auquel la mentonnière manque - Pour l'obscur bassin d'un barbier!» - - Il se tut un instant. Puis, parlant par saccades, - En ce langage où la sierra mit ses cascades - Et l'Alhambra ses rossignols: - «Seigneur!...» et je renonce à traduire le flegme, - La morgue qui redonde, et le ton d'apophtegme, - Et les jeux de mots espagnols; - - «Seigneur! mon oeil vous scrute au moment qu'il vous toise: - Vous n'êtes pas bien grand, mais votre âme courtoise - Est de celles que nous aimons. - Eh bien?... prétendra-t-on encor que j'exagère - Quand je dis que je suis Chevalier Errant?--J'erre - Depuis soixante ans dans ces monts. - - «Je les ai parcourus de la Rhune à Vénasque, - Des pays catalans jusqu'à ce pays basque - Dont les pommiers sont pleins de gui. - Là, j'ai des Douze Pairs vu les douze ombres tristes, - Et j'ai causé, du temps des batailles carlistes, - Avec Zumalacarrégui. - - «Fredonnant le vieil air des Rois de Pampelune, - Buvant le lait de chèvre et le rayon de lune - Au creux de l'âme et de la main, - Dormant contre la meule où l'on plante une perche, - J'erre, j'erre, Seigneur, dans ces monts où je cherche - Un passage, un col, un chemin! - - «Je voudrais les franchir. Car la brise m'apporte - Je ne sais quelle odeur de conscience morte - Que n'aimerait pas Amadis. - Moi qui ne vieillis pas, je sens vieillir l'Europe. - Je devine combien s'épaissit et sirope - Le sang latin, si clair jadis! - - «Oui, ce morne géant qu'il faut tuer, ce terne - Caraculiambro de l'époque moderne, - L'Égoïsme, père d'Ennui, - Fait régner sur le monde une nuit si grognonne - Que les coiffes de la duègne Quintagnone - Sont moins noires que cette nuit! - - «Je veux franchir ces monts. Je veux, puisqu'il m'oublie, - Aller remettre un peu le siècle à la folie! - Il a besoin de me revoir - Et de reboire une eau qu'il n'a plus guère bue. - Ma lance doit piquer l'humanité fourbue - Pour la pousser à l'abreuvoir! - - «Et quant aux vils ruisseaux où l'on se désaltère, - Je dois, dans leur eau grise où roule tant de terre - Qu'ils ne sont jamais lumineux, - Je dois, dans leur eau fade où s'affaiblit la race, - Aller jeter un clou de ma vieille cuirasse - Pour les rendre ferrugineux! - - «En vérité, Seigneur bachelier de mon âme, - Je ne suis pas content d'une Europe qui blâme - Les héroïsmes superflus. - Il est temps que j'y entre, et c'est à quoi je pense. - Mais on n'y peut entrer qu'en passant par la France, - Et la France ne m'aime plus! - - «Je ne dis pas cela parce qu'elle me raille. - Jadis, elle raillait tendrement ma ferraille. - Elle s'en méfie aujourd'hui. - Des gens, pour nous brouiller, veulent lui faire croire - Qu'un redresseur de torts n'est qu'un chercheur de gloire - Dont le geste au gouffre conduit. - - «Ah! je voudrais sortir d'Espagne, où je me ronge, - Pour m'en aller rapprendre au vieux monde le songe, - L'oubli de soi, l'amour féal, - Et la façon dont on se fait des Dulcinées! - Mais, hélas! il y a toujours des Pyrénées - Pour les colporteurs d'idéal! - - «Dès qu'elle me verrait j'aurais la France entière. - Et comme on le sait bien, on veille à la frontière; - Et toujours, quand je veux sortir, - Quand, déguisé, baissant le front, je me dépêche, - La grande armure me trahit, que rien n'empêche - De briller ou de retentir! - - «C'est en vain qu'enlevant ma chère carapace - Je la mets dans un sac, parfois, pour qu'elle passe, - Ou sous des branches de genêt: - De maudits enchanteurs habitant des guérites - Savent percer de l'oeil les formes hypocrites, - Et toujours on la reconnaît! - - «Je sais, vous me direz qu'on croit que je trafique. - Que j'exporte une armure ancienne et magnifique - Sans la déclarer!... C'est ainsi - Que toujours, quand le Sort injuste me querelle, - On veut me l'expliquer de façon naturelle. - Mais je ne suis pas fou. Merci! - - «Que n'ai-je, pour franchir la douane et sa baraque, - Le zèbre sur lequel chevauchait Muzaraque! - J'aurais vite joué le tour. - Mais je n'ai qu'un ânon. Car Votre Grâce ignore...» - Il s'arrêta. Sa voix soudain fut moins sonore. - «... Que Rossinante est mort, un jour! - - «Un jour, on me l'a pris. On m'a fait cette peine. - Et savez-vous la fin que réservait leur haine - A la monture d'un héros? - Elle qu'à voir la mort j'avais habituée, - Elle est morte _les yeux bandés!_--On l'a tuée - Dans une course de taureaux!» - - Une larme coula sur la Triste Figure. - «Voilà pourquoi, Seigneur bachelier, j'inaugure - Une chevalerie à pied, - Mais qui rendrait jaloux Palmerin d'Angleterre; - Et Roland reviendrait qu'il mettrait pied à terre, - Vive Dieu! pour me copier! - - «Jusqu'à ce que je puisse à travers ces montagnes - Passer pour aller faire en France des campagnes, - Je jure de ne plus m'asseoir. - Je n'ai plus d'autre but, d'ailleurs. Car Votre Grâce - Ne sait pas...» Et sa Voix soudain devint plus basse. - «... Que Dulcinée est morte, un soir. - - «Depuis qu'en son cercueil j'ai disposé sa robe, - Mon existence à moi ne vaut plus une arrobe - De raisin sec de Malaga! - Mais il faut qu'un talon écraseur de couleuvre - Sonne aux chemins du monde. Il faut accomplir l'oeuvre - Pour laquelle on vous délégua. - - «Je dois rapprendre aux gens des choses en grand nombre! - Car vous ne savez pas...» Sa voix devint plus sombre. - «... Que Sancho vit encore. Il vit! - Celui-là ne meurt pas. Et même il monte en grade. - J'eus tort d'aimer jadis comme un bon camarade - Le gros homme qui me servit! - - «On l'a laissé passer, lui qui n'avait pas d'armes! - Tandis que contre moi la peur met ses gendarmes - Qu'elle voudrait qu'on centuplât! - Et partout, à présent, le Pança sur le monde - A si soigneusement roulé sa panse ronde - Qu'à présent, partout, tout est plat! - - «Sancho règne! Il raconte en farce mon histoire. - On l'acclame quand il crache dans l'écritoire - De Gid-Hamed-Ben-Engeli. - Sur ses genoux cagneux la Beauté se dégrafe. - Il promulgue sa loi, qui n'a qu'un paragraphe: - «L'enthousiasme est aboli!» - - «On ne reconnaît plus le drôle. Il a du linge. - Les ciseaux ont passé dans sa barbe de singe. - Il se lave. On le décrassa. - Il soupe avec des rois chez les femmes superbes. - Il fait des mots au lieu de dire des proverbes. - Mais c'est toujours Sancho Pança! - - «Il amuse les gens assez vils pour permettre - Qu'il trahisse à la fois le grand Manchois son maître, - Et son père le grand Manchot! - Mais il tremble toujours, pendant qu'il les fait rire, - De me voir sur le seuil paraître pour lui dire: - «Taisez-vous. Vous êtes Sancho!» - - «Il le sait bien, qu'il l'est! C'est ce qui l'importune. - Car on profite mal d'une bonne fortune - Quand on s'en étonne tout bas. - Il sait bien quelles sont les choses éternelles, - Et qu'on peut s'amuser à démoder les ailes: - Les pattes ne voleront pas! - - «Mais, hélas! triste et long j'erre sur la colline! - Triste comme une nuit sans bruit de mandoline - Et long comme un jour sans combat! - Je ne peux pas aller interrompre son règne! - Et sans cesse je sens, à mon vieux coeur qui saigne, - Que quelque rêve au loin s'abat! - - «Je ne pourrais passer qu'en laissant mon armure! - Mais ce serait faiblir, admettre une entamure. - Mon armure est comme mon nom. - Et j'en irais là-bas prendre une autre, peut-être? - Non, car je rougirais de ne plus reconnaître - La forme de mon ombre! Non, - - «Car à sa silhouette on doit rester fidèle! - La mienne me convient si c'est à cause d'elle - Qu'à la sottise je déplus! - Qui me dessinerait un bon harnois de guerre? - Je n'ai pas confiance au goût de l'antiquaire, - Et Gustave Doré n'est plus! - - «Ah! pour porter là-bas tout l'attirail en fraude, - Il me faudrait un page, un complice qui rôde, - Par les rocs, le long des ruisseaux... - Veux-tu faire avec moi, fils, de la contrebande? - Puisque pour la passer mon armure est trop grande, - Nous la passerons par morceaux! - - «En un pareil combat la ruse est exemplaire! - Il ne laisserait pas, Seigneur, de me déplaire - Que Votre Grâce me blâmât - D'oser requérir d'elle une souplesse adroite, - Car tout le monde sait que j'ai l'âme aussi droite - Qu'un fuseau de Guadarrama! - - «Ce n'est qu'un rôle obscur qu'ici je vous propose. - Mais, Seigneur, vous aurez à quelque grande cause - Peut-être un service rendu - Quand, passé par tronçons que nul n'aura vu luire, - On verra tout d'un coup, là-bas, se reconstruire - Un paladin inattendu! - - «Si vous faites cela pour la moustache blanche - Du Très Ingénieux Hidalgo de la Manche, - Si vous me consacrez un peu - De cette jeune ardeur que le ciel vous octroie, - Je jure, bachelier, qu'avec bien plus de joie - Vous regarderez le ciel bleu! - - «Allons, donne ta main! A moi tu t'affilies! - Quoi? Tu ne sais, dis-tu, que chanter des folies - Et cueillir les fleurs du buisson? - Chante, et cueille des fleurs d'un air de nonchalance! - On peut dans un bouquet passer un fer de lance, - Un signal dans une chanson! - - «Voici l'heure! La nuit paillette sa basquine! - Mes armes, qu'un reflet d'étoiles damasquine, - Sont là, d'argent, d'or et d'airain! - A quoi fais-tu passer aujourd'hui la frontière? - Veux-tu le soleret? Veux-tu la cubitière? - Ou bien veux-tu le gorgerin?» - - Il ouvrait ses longs bras à l'immense envergure! - J'hésitais... Mais je vis sur la Triste Figure - Une telle déception Que: - «Perle de l'honneur! Miroir de la bravoure!» - M'écriai-je, en prenant un air d'Estramadoure, - «A votre disposition!» - - --«Choisis donc!...» Un rayon toucha comme un doigt pâle - Le plateau de balance--ou la vieille cymbale-- - Ou l'espèce d'astre échancré, - La chose qui luisait sur le crâne fantasque, - L'objet plat comme un plat, martelé comme un casque, - Fourbi comme un vase sacré! - - Et je dis: «Par le cor de Roland! par la griffe - De Pantafilando! par le bonnet d'Alquife - Et par l'âme de Galaor! - Je choisis--car la seule illusion m'enivre, - Et l'objet qui de tous était le plus en cuivre - Pour moi sera le plus en or!-- - - «Je choisis, Chevalier, ce qui, de ton armure, - A soulevé le plus de rire et de murmure! - C'est ton armet. Donne-le-moi! - Puisque tu l'as couvert d'un ridicule immense, - Il convient que ce soit par lui que je commence! - Je n'ai pas peur. Et j'ai la foi. - - «Je jure que ceci n'est pas un plat à barbe! - Donne!» Et le long des rocs tout fleuris de joubarbe - Dont parfois j'arrachais un brin, - Le soir même, furtif, et de ma veste brune - L'empêchant d'accrocher quelque rayon de lune, - J'emportais l'armet de Mambrin! - - Et depuis lors, dans l'ombre où passe un vent morisque, - Intéressé par l'oeuvre, égayé par le risque, - Je suis toujours sur le sentier; - Je cueille des bouquets, je marche, je m'arrête, - Et je chante... Et je dis que je suis un poète; - Mais je suis un contrebandier. - -Frontière d'Espagne, 189... - - - - -TABLE - - - AU LECTEUR VII - - I - LA CHAMBRE D'ÉTUDIANT - - I. DÉDICACE 3 - II. LA CHAMBRE 9 - III. A MA LAMPE 13 - IV. A LA MÊME, EN LA COIFFANT DE SON ABAT-JOUR 16 - V. LE DIVAN 19 - VI. LA FENÊTRE, OU LE BAL DES ATOMES 23 - VII. CHARIVARI A LA LUNE 28 - VIII. LE VIEUX PION 43 - IX. LES SONGE-CREUX 49 - X. LA FORÊT 51 - XI. OÙ L'ON RETROUVE PIF-LUISANT 58 - XII. OÙ L'ON PERD PIF-LUISANT 60 - XIII. SOUVENIRS DE VACANCES: 69 - I. Le Tambourineur 69 - II. L'Étang 71 - III. Les Papillons 72 - IV. Déjeuner de Soleil 77 - V. Les cochons roses 78 - VI. Le petit chat 81 - VII. Ballade du petit bébé 84 - VIII. Crépuscule 85 - IX. On souffle 87 - XIV. LA PREMIÈRE 88 - XV. Oh! les yeux 90 - XVI. LES TZIGANES 92 - XVII. BALLADE DE LA NOUVELLE ANNÉE 96 - XVIII. DEUX MAGASINS: 98 - I. Joujoux 98 - II. Fleurs 105 - XIX. L'ALBUM DE PHOTOGRAPHIES 113 - XX. AU CIEL 116 - XXI. BALLADE DES VERS QU'ON NE FINIT JAMAIS 119 - XXII. SUR UN EXEMPLAIRE DE LA PREMIÈRE ÉDITION DE CE LIVRE 122 - - II - INCERTITUDES - - I. CHANSON DANS LE SOIR 127 - II. EXERCICES 134 - III. LES BARQUES ATTACHÉES 137 - IV. MATIN 143 - V. SILENCE 145 - VI. BILLET DE REMERCIEMENT 148 - VII. N'obligez pas le poème 150 - VIII. LE SOUVENIR VAGUE, OU LES PARENTHÈSES 152 - IX. Oui, sans doute 155 - X. NOS RIRES 158 - XI. LES DEUX CAVALIERS 160 - XII. L'HEURE CHARMANTE 165 - XIII. LE CAUCHEMAR 171 - - III - LA MAISON DES PYRÉNÉES - - I. LA MAISON 183 - II. LES PYRÉNÉES 187 - III. L'EAU 200 - IV. LA BRANCHE 210 - V. LA FONTAINE DE CARAOUET 212 - VI. LA GLYCINE 215 - VII. LE CARILLON DE SAINT-MAMET 218 - VIII. PRIÈRE D'UN MATIN BLEU 224 - IX. OMBRES ET FUMÉES 229 - X. LA FLEUR 237 - XI. L'IF 239 - XII. LA BROUETTE 242 - XIII. L'AMOUREUX DE MARGARIDON 247 - XIV. LES BOEUFS 260 - XV. LES GENÊTS 254 - XVI. Derniers petits Chants 258 - XVII. L'OURS 262 - XVIII. TOUT D'UN COUP 266 - XIX. LE MENDIANT FLEURI 268 - XX. LE CONTREBANDIER 274 - - - IMPRIMÉ PAR PHILIPPE RENOUARD - 19, rue des Saints-Pères - PARIS - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Les Musardises, by Edmond Rostand - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES MUSARDISES *** - -***** This file should be named 57762-8.txt or 57762-8.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/7/7/6/57762/ - -Produced by Laurent Vogel (This file was produced from -images generously made available by the Bibliothèque -nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. Special rules, -set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to -copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to -protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project -Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you -charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you -do not charge anything for copies of this eBook, complying with the -rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose -such as creation of derivative works, reports, performances and -research. They may be modified and printed and given away--you may do -practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is -subject to the trademark license, especially commercial -redistribution. - - - -*** START: FULL LICENSE *** - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project -Gutenberg-tm License (available with this file or online at -http://gutenberg.org/license). - - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm -electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all -the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy -all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. -If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project -Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the -terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or -entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. - -1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be -used on or associated in any way with an electronic work by people who -agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few -things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works -even without complying with the full terms of this agreement. See -paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project -Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement -and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic -works. See paragraph 1.E below. - -1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" -or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project -Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the -collection are in the public domain in the United States. If an -individual work is in the public domain in the United States and you are -located in the United States, we do not claim a right to prevent you from -copying, distributing, performing, displaying or creating derivative -works based on the work as long as all references to Project Gutenberg -are removed. Of course, we hope that you will support the Project -Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by -freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of -this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with -the work. You can easily comply with the terms of this agreement by -keeping this work in the same format with its attached full Project -Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. - -1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern -what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in -a constant state of change. If you are outside the United States, check -the laws of your country in addition to the terms of this agreement -before downloading, copying, displaying, performing, distributing or -creating derivative works based on this work or any other Project -Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning -the copyright status of any work in any country outside the United -States. - -1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: - -1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate -access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently -whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the -phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project -Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, -copied or distributed: - -This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with -almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - -1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived -from the public domain (does not contain a notice indicating that it is -posted with permission of the copyright holder), the work can be copied -and distributed to anyone in the United States without paying any fees -or charges. If you are redistributing or providing access to a work -with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the -work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 -through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the -Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or -1.E.9. - -1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted -with the permission of the copyright holder, your use and distribution -must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional -terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked -to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the -permission of the copyright holder found at the beginning of this work. - -1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm -License terms from this work, or any files containing a part of this -work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. - -1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this -electronic work, or any part of this electronic work, without -prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with -active links or immediate access to the full terms of the Project -Gutenberg-tm License. - -1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, -compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any -word processing or hypertext form. However, if you provide access to or -distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than -"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version -posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), -you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a -copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon -request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other -form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm -License as specified in paragraph 1.E.1. - -1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, -performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works -unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. - -1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing -access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided -that - -- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from - the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method - you already use to calculate your applicable taxes. The fee is - owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he - has agreed to donate royalties under this paragraph to the - Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments - must be paid within 60 days following each date on which you - prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax - returns. Royalty payments should be clearly marked as such and - sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the - address specified in Section 4, "Information about donations to - the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." - -- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies - you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he - does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm - License. You must require such a user to return or - destroy all copies of the works possessed in a physical medium - and discontinue all use of and all access to other copies of - Project Gutenberg-tm works. - -- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any - money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the - electronic work is discovered and reported to you within 90 days - of receipt of the work. - -- You comply with all other terms of this agreement for free - distribution of Project Gutenberg-tm works. - -1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm -electronic work or group of works on different terms than are set -forth in this agreement, you must obtain permission in writing from -both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael -Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the -Foundation as set forth in Section 3 below. - -1.F. - -1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable -effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread -public domain works in creating the Project Gutenberg-tm -collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic -works, and the medium on which they may be stored, may contain -"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or -corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual -property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a -computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by -your equipment. - -1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right -of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project -Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project -Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all -liability to you for damages, costs and expenses, including legal -fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT -LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE -PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE -TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE -LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR -INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH -DAMAGE. - -1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a -defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can -receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a -written explanation to the person you received the work from. If you -received the work on a physical medium, you must return the medium with -your written explanation. The person or entity that provided you with -the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a -refund. If you received the work electronically, the person or entity -providing it to you may choose to give you a second opportunity to -receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy -is also defective, you may demand a refund in writing without further -opportunities to fix the problem. - -1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth -in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER -WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO -WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. - -1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied -warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. -If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the -law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be -interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by -the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any -provision of this agreement shall not void the remaining provisions. - -1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the -trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone -providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance -with this agreement, and any volunteers associated with the production, -promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, -harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, -that arise directly or indirectly from any of the following which you do -or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm -work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any -Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. - - -Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm - -Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of -electronic works in formats readable by the widest variety of computers -including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists -because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from -people in all walks of life. - -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's -goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. -To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 -and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. - - -Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive -Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at -http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent -permitted by U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. -Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered -throughout numerous locations. Its business office is located at -809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email -business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact -information can be found at the Foundation's web site and official -page at http://pglaf.org - -For additional contact information: - Dr. Gregory B. Newby - Chief Executive and Director - gbnewby@pglaf.org - - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide -spread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. We do not solicit donations in locations -where we have not received written confirmation of compliance. To -SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any -particular state visit http://pglaf.org - -While we cannot and do not solicit contributions from states where we -have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition -against accepting unsolicited donations from donors in such states who -approach us with offers to donate. - -International donations are gratefully accepted, but we cannot make -any statements concerning tax treatment of donations received from -outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. - -Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation -methods and addresses. Donations are accepted in a number of other -ways including checks, online payments and credit card donations. -To donate, please visit: http://pglaf.org/donate - - -Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic -works. - -Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm -concept of a library of electronic works that could be freely shared -with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project -Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. - - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. -unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily -keep eBooks in compliance with any particular paper edition. - - -Most people start at our Web site which has the main PG search facility: - - http://www.gutenberg.org - -This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/57762-h/57762-h.htm b/57762-h/57762-h.htm index 5d182ab..d585eb0 100644 --- a/57762-h/57762-h.htm +++ b/57762-h/57762-h.htm @@ -54,41 +54,7 @@ td.num { text-align: right; vertical-align: bottom; } <body> -<pre> - -The Project Gutenberg EBook of Les Musardises, by Edmond Rostand - -This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with -almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - - -Title: Les Musardises - -Author: Edmond Rostand - -Release Date: September 4, 2018 [EBook #57762] - -Language: French - -Character set encoding: ISO-8859-1 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES MUSARDISES *** - - - - -Produced by Laurent Vogel (This file was produced from -images generously made available by the Bibliothèque -nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - - - - - - -</pre> +<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57762 ***</div> <p class="c">EDMOND ROSTAND</p> @@ -8850,379 +8816,7 @@ PARIS</div> -<pre> - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Les Musardises, by Edmond Rostand - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES MUSARDISES *** - -***** This file should be named 57762-h.htm or 57762-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/7/7/6/57762/ - -Produced by Laurent Vogel (This file was produced from -images generously made available by the Bibliothèque -nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. Special rules, -set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to -copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to -protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project -Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you -charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you -do not charge anything for copies of this eBook, complying with the -rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose -such as creation of derivative works, reports, performances and -research. They may be modified and printed and given away--you may do -practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is -subject to the trademark license, especially commercial -redistribution. - - - -*** START: FULL LICENSE *** - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project -Gutenberg-tm License (available with this file or online at -http://gutenberg.org/license). - - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm -electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all -the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy -all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. -If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project -Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the -terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or -entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. - -1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be -used on or associated in any way with an electronic work by people who -agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few -things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works -even without complying with the full terms of this agreement. See -paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project -Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement -and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic -works. See paragraph 1.E below. - -1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" -or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project -Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the -collection are in the public domain in the United States. If an -individual work is in the public domain in the United States and you are -located in the United States, we do not claim a right to prevent you from -copying, distributing, performing, displaying or creating derivative -works based on the work as long as all references to Project Gutenberg -are removed. Of course, we hope that you will support the Project -Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by -freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of -this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with -the work. You can easily comply with the terms of this agreement by -keeping this work in the same format with its attached full Project -Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. - -1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern -what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in -a constant state of change. If you are outside the United States, check -the laws of your country in addition to the terms of this agreement -before downloading, copying, displaying, performing, distributing or -creating derivative works based on this work or any other Project -Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning -the copyright status of any work in any country outside the United -States. - -1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: - -1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate -access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently -whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the -phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project -Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, -copied or distributed: - -This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with -almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - -1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived -from the public domain (does not contain a notice indicating that it is -posted with permission of the copyright holder), the work can be copied -and distributed to anyone in the United States without paying any fees -or charges. If you are redistributing or providing access to a work -with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the -work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 -through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the -Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or -1.E.9. - -1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted -with the permission of the copyright holder, your use and distribution -must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional -terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked -to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the -permission of the copyright holder found at the beginning of this work. - -1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm -License terms from this work, or any files containing a part of this -work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. - -1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this -electronic work, or any part of this electronic work, without -prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with -active links or immediate access to the full terms of the Project -Gutenberg-tm License. - -1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, -compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any -word processing or hypertext form. However, if you provide access to or -distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than -"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version -posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), -you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a -copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon -request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other -form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm -License as specified in paragraph 1.E.1. - -1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, -performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works -unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. - -1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing -access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided -that - -- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from - the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method - you already use to calculate your applicable taxes. The fee is - owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he - has agreed to donate royalties under this paragraph to the - Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments - must be paid within 60 days following each date on which you - prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax - returns. Royalty payments should be clearly marked as such and - sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the - address specified in Section 4, "Information about donations to - the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." - -- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies - you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he - does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm - License. You must require such a user to return or - destroy all copies of the works possessed in a physical medium - and discontinue all use of and all access to other copies of - Project Gutenberg-tm works. - -- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any - money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the - electronic work is discovered and reported to you within 90 days - of receipt of the work. - -- You comply with all other terms of this agreement for free - distribution of Project Gutenberg-tm works. - -1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm -electronic work or group of works on different terms than are set -forth in this agreement, you must obtain permission in writing from -both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael -Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the -Foundation as set forth in Section 3 below. - -1.F. - -1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable -effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread -public domain works in creating the Project Gutenberg-tm -collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic -works, and the medium on which they may be stored, may contain -"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or -corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual -property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a -computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by -your equipment. - -1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right -of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project -Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project -Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all -liability to you for damages, costs and expenses, including legal -fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT -LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE -PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE -TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE -LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR -INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH -DAMAGE. - -1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a -defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can -receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a -written explanation to the person you received the work from. If you -received the work on a physical medium, you must return the medium with -your written explanation. The person or entity that provided you with -the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a -refund. If you received the work electronically, the person or entity -providing it to you may choose to give you a second opportunity to -receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy -is also defective, you may demand a refund in writing without further -opportunities to fix the problem. - -1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth -in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER -WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO -WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. - -1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied -warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. -If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the -law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be -interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by -the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any -provision of this agreement shall not void the remaining provisions. - -1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the -trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone -providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance -with this agreement, and any volunteers associated with the production, -promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, -harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, -that arise directly or indirectly from any of the following which you do -or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm -work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any -Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. - - -Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm - -Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of -electronic works in formats readable by the widest variety of computers -including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists -because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from -people in all walks of life. - -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's -goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. -To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 -and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. - - -Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive -Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at -http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent -permitted by U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. -Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered -throughout numerous locations. Its business office is located at -809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email -business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact -information can be found at the Foundation's web site and official -page at http://pglaf.org - -For additional contact information: - Dr. Gregory B. Newby - Chief Executive and Director - gbnewby@pglaf.org - - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide -spread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. We do not solicit donations in locations -where we have not received written confirmation of compliance. To -SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any -particular state visit http://pglaf.org - -While we cannot and do not solicit contributions from states where we -have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition -against accepting unsolicited donations from donors in such states who -approach us with offers to donate. - -International donations are gratefully accepted, but we cannot make -any statements concerning tax treatment of donations received from -outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. - -Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation -methods and addresses. Donations are accepted in a number of other -ways including checks, online payments and credit card donations. -To donate, please visit: http://pglaf.org/donate - - -Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic -works. - -Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm -concept of a library of electronic works that could be freely shared -with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project -Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. - - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. -unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily -keep eBooks in compliance with any particular paper edition. - - -Most people start at our Web site which has the main PG search facility: - - http://www.gutenberg.org - -This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. - - -</pre> +<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57762 ***</div> </body> </html> |
