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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57766 ***
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+ BIBLIOTHÈQUE
+ du
+ MOUVEMENT PROLÉTARIEN
+
+ XIII
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+ ÉMILE POUGET
+
+ Le Sabotage
+
+ [Marque d'imprimeur: M R]
+
+ PARIS
+ LIBRAIRIE DES SCIENCES POLITIQUES & SOCIALES
+ MARCEL RIVIÈRE ET Cie
+ _31, rue Jacob_
+
+
+
+
+BIBLIOTHÈQUE
+
+DU
+
+MOUVEMENT PROLÉTARIEN
+
+(Ancienne Bibliothèque du Mouvement Socialiste)
+
+Chaque volume, 0 fr. 60
+
+I. _Syndicalisme et Socialisme_, conférence internationale, par V.
+GRIFFUELHES, B. KRITCHEWSKY, A. LABRIOLA, Hubert LAGARDELLE et Robert
+MICHELS.
+
+II. _La Confédération Générale du Travail_, par E. POUGET.
+
+III. _La Décomposition du Marxisme_, par Georges SOREL, 2e édition,
+1910.
+
+IV. _L'Action syndicaliste_, par Victor GRIFFUELHES.
+
+V. _Le Parti socialiste et la Confédération du travail_, discussion par
+Jules GUESDE, Hubert LAGARDELLE et Edouard VAILLANT.
+
+VI. _Les nouveaux aspects du Socialisme_, par Ed. BERTH.
+
+VII. _Les Instituteurs et le Syndicalisme_, par M. T. LAURIN.
+
+VIII. _La Révolution dreyfusienne_, par G. SOREL.
+
+IX. _Les Bourses du Travail et la C. G. T._, par P. DELESALLE.
+
+X. _Voyage révolutionnaire_, Impressions d'un propagandiste, par V.
+GRIFFUELHES.
+
+XI. _Les Objectifs de nos luttes de classes_, par Victor GRIFFUELHES et
+Louis NIEL, préface de G. SOREL.
+
+XII. _Le Mouvement ouvrier en Italie_, par A. LANZILLO, traduit par S.
+PIRODDI.
+
+XIII. _Le Sabotage_, par Emile POUGET.
+
+
+Georges SOREL
+
+Réflexions sur la violence
+
+_Deuxième Édition_
+
+1 volume in-16 broché, 5 fr.
+
+Imprimerie Coopérative Ouvrière--Villeneuve-St-Georges (S.-et-O.)
+
+
+
+
+BIBLIOTHÈQUE
+
+DU
+
+MOUVEMENT PROLÉTARIEN
+
+
+Cette collection avait été commencée sous le titre de Bibliothèque du
+Mouvement Socialiste parce qu'on avait voulu en faire le complément de
+la revue du même nom.
+
+Cette revue n'étant plus publiée par notre maison, nous avons cru bon de
+donner un nouveau titre à la Bibliothèque pour bien marquer que nous
+entendons lui conserver l'orientation qu'elle a eue à son origine.
+
+La Bibliothèque du Mouvement Prolétarien paraît en volumes d'au moins 64
+pages, du prix de 0 fr. 60. Elle comprend des études descriptives,
+historiques, documentaires, théoriques, critiques et biographiques.
+
+Par son format commode et son prix minime, elle s'adresse surtout à ceux
+qui n'ont pas la possibilité d'aborder les études particulières sur le
+mouvement social.
+
+
+
+
+TABLE DES MATIÈRES
+
+
+CHAPITRE PREMIER.--Quelques jalons historiques. 3
+
+CHAPITRE II.--La «marchandise» travail 22
+
+CHAPITRE III.--Morale de Classe 27
+
+CHAPITRE IV.--Les procédés de Sabotage 32
+
+CHAPITRE V.--L'Obstructionnisme 55
+
+CONCLUSIONS 65
+
+
+
+
+CHAPITRE PREMIER
+
+Quelques jalons historiques
+
+
+Le mot «sabotage» n'était, il y a encore une quinzaine d'années, qu'un
+terme argotique, signifiant non l'acte de fabriquer des sabots, mais
+celui, imagé et expressif, de travail exécuté «comme à coups de sabots.»
+
+Depuis, il s'est métamorphosé en une formule de combat social et c'est
+au Congrès Confédéral de Toulouse, en 1897, qu'il a reçu le baptême
+syndical.
+
+Le nouveau venu ne fut pas, dès l'abord, accueilli par tous, dans les
+milieux ouvriers, avec un chaleureux enthousiasme. Certains le virent
+d'assez mauvais oeil, lui reprochant ses origines roturières,
+anarchiques et aussi son... immoralité.
+
+Malgré cette suspicion, qui ressemblait presqu'à de l'hostilité, le
+sabotage a fait son chemin... dans tous les mondes.
+
+Il a désormais les sympathies ouvrières. Et ce n'est pas tout. Il a
+conquis droit de cité au Larousse, et nul doute que l'Académie,--à moins
+qu'elle n'ait été _sabotée_ elle-même avant d'être parvenue à la lettre
+S de son dictionnaire,--ne se résolve à tirer au mot «sabotage» sa plus
+cérémonieuse révérence et à lui ouvrir les pages de son officiel
+recueil.
+
+On aurait cependant tort de croire que la classe ouvrière a attendu,
+pour pratiquer le sabotage, que ce mode de lutte ait reçu la
+consécration des Congrès corporatifs. Il en est de lui comme de toutes
+les formes de révolte, il est aussi vieux que l'exploitation humaine.
+
+Dès qu'un homme a eu la criminelle ingéniosité de tirer profit du
+travail de son semblable, de ce jour, l'exploité a, d'instinct, cherché
+à donner moins que n'exigeait son patron.
+
+Ce faisant, avec tout autant d'inconscience qu'en mettait M. Jourdain à
+faire de la prose, cet exploité a fait du sabotage, manifestant ainsi,
+sans le savoir, l'antagonisme irréductible qui dresse l'un contre
+l'autre, le capital et le travail.
+
+Cette conséquence inéluctable du conflit permanent qui divise la
+société, il y a trois quarts de siècle, le génial Balzac la mettait en
+lumière. Dans _La Maison Nucingen_, à propos des sanglantes émeutes de
+Lyon, en 1831, il nous a donné une nette et incisive définition du
+sabotage:
+
+ Voici,--explique Balzac.--On a beaucoup parlé des affaires de Lyon, de
+ la république canonnée dans les rues, personne n'a dit la vérité. La
+ république s'était emparée de l'émeute, comme un insurgé s'empare du
+ fusil. La vérité, je vous la donne pour drôle et profonde.
+
+ Le commerce de Lyon est un commerce sans âme, qui ne fait pas
+ fabriquer une aune de soie sans qu'elle soit commandée et que le
+ paiement soit sûr. Quand la commande s'arrête, l'ouvrier meurt de
+ faim, il gagne à peine de quoi vivre en travaillant, les forçats sont
+ plus heureux que lui.
+
+ Après la révolution de juillet, la misère est arrivée à ce point que
+ les CANUTS ont arboré le drapeau: _Du pain ou la mort!_ une de ces
+ proclamations que le gouvernement aurait dû étudier. Elle était
+ produite par la cherté de la vie à Lyon. Lyon veut bâtir des théâtres
+ et devenir une capitale, de là des octrois insensés. Les républicains
+ ont flairé cette révolte à propos du pain, et ils ont organisé les
+ CANUTS qui se sont battus en partie double. Lyon a eu ses trois jours,
+ mais tout est rentré dans l'ordre, et le canut dans son taudis.
+
+ Le canut, probe jusque là, rendant en étoffe la soie qu'on lui pesait
+ en bottes, a mis la probité à la porte en songeant que les négociants
+ le victimaient, et a mis de l'huile à ses doigts: il a rendu poids
+ pour poids, mais il a vendu la soie représentée par l'huile, et le
+ commerce des soieries a été infesté d'_étoffes graissées_, ce qui
+ aurait pu entraîner la perte de Lyon et celle d'une branche du
+ commerce français... Les troubles ont donc produit les «gros de
+ Naples» à quarante sous l'aune...
+
+Balzac a soin de souligner que le sabotage des canuts fut une
+représaille de victimes. En vendant la «gratte» que, dans le tissage ils
+avaient remplacée par l'huile, ils se vengeaient des fabricants
+féroces,... de ces fabricants qui avaient promis aux ouvriers de la
+Croix-Rousse de leur donner des baïonnettes à manger, au lieu de pain...
+et qui ne tinrent que trop promesse!
+
+Mais, peut-il se présenter un cas où le sabotage ne soit pas une
+représaille? Est-ce qu'en effet, à l'origine de tout acte de sabotage,
+par conséquent le précédant, ne se révèle pas l'acte d'exploitation?
+
+Or, celui-ci, dans quelques conditions particulières qu'il se manifeste,
+n'engendre-t-il pas,--et ne légitime-t-il pas aussi,--tous les gestes de
+révolte, quels qu'ils soient?
+
+Ceci nous ramène donc à notre affirmation première: le sabotage est
+aussi vieux que l'exploitation humaine!
+
+Il n'est d'ailleurs pas circonscrit aux frontières de chez nous. En
+effet, dans son actuelle formulation théorique, il est une importation
+anglaise.
+
+Le sabotage est connu et pratiqué outre Manche depuis longtemps, sous le
+nom de _Ca'Canny_ ou _Go Canny_, mot de patois écossais dont la
+traduction à peu près exacte qu'on en puisse donner est: «Ne vous foulez
+pas.»
+
+Un exemple de la puissance persuasive du _Go Canny_ nous est donné par
+le Musée Social[1]:
+
+ [1] Circulaire nº 9, 1896.
+
+ En 1889, une grève avait éclaté à Glasgow. Les dockers unionistes
+ avaient demandé une augmentation de salaire de 10 centimes par heure.
+ Les employeurs avaient refusé et fait venir à grands frais, pour les
+ remplacer, un nombre considérable de travailleurs agricoles. Les
+ dockers durent s'avouer vaincus, et ils consentirent à travailler aux
+ mêmes prix qu'auparavant, à condition qu'on renverrait les ouvriers
+ agricoles. Au moment où ils allaient reprendre le travail, leur
+ secrétaire général les rassembla et leur dit:
+
+ «Vous allez revenir travailler aujourd'hui aux anciens prix. Les
+ employeurs ont dit et répété qu'ils étaient enchantés des services des
+ ouvriers agricoles qui nous ont remplacés pendant quelques semaines.
+ Nous, nous les avons vus; nous avons vu qu'ils ne savaient même pas
+ marcher sur un navire, qu'ils laissaient choir la moitié des
+ marchandises qu'ils portaient, bref que deux d'entre eux ne
+ parvenaient pas à faire l'ouvrage d'un de nous. Cependant, les
+ employeurs se déclarent enchantés du travail de ces gens-là; il n'y a
+ donc qu'à leur en fournir du pareil et à pratiquer le _Ca' Canny_.
+ Travaillez comme travaillaient les ouvriers agricoles. Seulement, il
+ leur arrivait quelquefois de se laisser tomber à l'eau; il est inutile
+ que vous en fassiez autant.»
+
+ Cette consigne fut exécutée et pendant deux ou trois jours les dockers
+ appliquèrent la politique du _Ca' Canny_. Au bout de ce temps les
+ employeurs firent venir le secrétaire général et lui dirent de
+ demander aux hommes de travailler comme auparavant, moyennant quoi ils
+ accordaient les 10 centimes d'augmentation...
+
+Voilà pour la pratique. Voici maintenant pour la théorie. Elle est
+empruntée à un pamphlet anglais, publié vers 1895, pour la vulgarisation
+du _Go Canny_:
+
+ Si vous voulez acheter un chapeau dont le prix est de 5 francs, vous
+ devez payer 5 francs.
+
+ Si vous ne voulez payer que 4 francs, il faudra vous contenter d'un
+ chapeau d'une qualité inférieure.
+
+ Un chapeau est une marchandise.
+
+ Si vous voulez acheter une demi-douzaine de chemises à 2 fr. 50
+ chaque, vous devez payer 15 francs. Si vous ne voulez payer que 12 fr.
+ 50, vous n'aurez que cinq chemises.
+
+ Une chemise est une marchandise.
+
+ Les employeurs déclarent que le travail et l'adresse sont de simples
+ marchandises, comme les chapeaux et les chemises. «Très bien,
+ disons-nous, nous vous prenons au mot.»
+
+ Si le travail et l'adresse sont des marchandises, les possesseurs de
+ ces marchandises ont le droit de vendre leur travail et leur adresse
+ exactement comme le chapelier vend un chapeau ou le chemisier une
+ chemise.
+
+ Ils donnent valeur pour valeur. Pour un prix plus bas vous avez un
+ article inférieur ou de qualité moindre.
+
+ Payez au travailleur un bon salaire, et il vous fournira ce qu'il y a
+ de mieux comme travail et comme adresse.
+
+ Payez au travailleur un salaire insuffisant et vous n'aurez pas plus
+ le droit à exiger la meilleure qualité et la plus grande quantité de
+ travail que vous n'en avez eu à exiger un chapeau de 5 francs pour 2
+ fr. 50.
+
+Le _Go Canny_ consiste donc à mettre systématiquement en pratique la
+formule, «_à mauvaise paye, mauvais travail!_» Mais il ne se circonscrit
+pas à cela seul. De cette formule découlent, par voie de conséquence
+logique, une diversité de manifestations de la volonté ouvrière en
+conflit avec la rapacité patronale.
+
+Cette tactique, que nous venons de voir vulgarisée en Angleterre, dès
+1889, et préconisée et pratiquée dans les organisations syndicales, ne
+pouvait pas tarder à passer la Manche. En effet, quelques années après,
+elle s'infiltrait dans les milieux syndicaux français.
+
+C'est en 1895 que, pour la première fois, en France, nous trouvons trace
+d'une manifestation théorique et consciente du sabotage:
+
+Le Syndicat National des Chemins de fer menait alors campagne contre un
+projet de loi,--le projet Merlin-Trarieux--qui visait à interdire aux
+cheminots le droit au syndicat. La question de répondre au vote de cette
+loi par la grève générale se posa et, à ce propos, Guérard, secrétaire
+du syndicat, et à ce titre délégué au Congrès de l'Union fédérative du
+Centre (parti Allemaniste) prononça un discours catégorique et précis.
+Il affirma que les cheminots ne reculeraient devant aucun moyen pour
+défendre la liberté syndicale et qu'ils sauraient, au besoin, rendre la
+grève effective par des procédés à eux; il fit allusion à un moyen
+ingénieux et peu coûteux: «... avec deux sous d'une certaine manière,
+utilisée à bon escient, déclara-t-il, il nous est possible de mettre une
+locomotive dans l'impossibilité de fonctionner...»
+
+Cette nette et brutale affirmation, qui ouvrait des horizons imprévus,
+fit gros tapage et suscita une profonde émotion dans les milieux
+capitalistes et gouvernementaux qui, déjà, n'envisageaient pas sans
+angoisses la menace d'une grève des chemins de fer.
+
+Cependant, si par ce discours de Guérard, la question du sabotage était
+posée, il serait inexact d'en déduire qu'il n'a fait son apparition en
+France que le 23 juin 1895. C'est dès lors qu'il commence à se
+vulgariser dans les organisations syndicales, mais cela n'implique pas
+qu'il fut resté ignoré jusque là.
+
+Pour preuve qu'il était connu et pratiqué antérieurement, il nous
+suffira de rappeler, comme exemple typique, un «mastic» célèbre dans les
+fastes télégraphiques:
+
+ C'était vers 1881, les télégraphistes du Bureau central, mécontents du
+ tarif des heures supplémentaires de nuit, adressèrent une pétition au
+ ministre d'alors, M. Ad. Cochery. Ils réclamaient dix francs, au lieu
+ de cinq qu'ils touchaient, pour assurer le service du soir à sept
+ heures du matin. Ils attendirent plusieurs jours la réponse de
+ l'administration. Finalement, celle-ci n'arrivant pas, et, d'un autre
+ côté, les employés du Central ayant été avisés qu'il ne leur serait
+ même pas répondu, une agitation sourde commença à se manifester.
+
+ La grève étant impossible, on eut recours au «mastic». Un beau matin,
+ Paris s'éveilla dépourvu de communications télégraphiques (le
+ téléphone n'était pas encore installé).
+
+ Pendant quatre ou cinq jours il en fut ainsi. Le haut personnel de
+ l'administration, les ingénieurs avec de nombreuses équipes de
+ surveillants et d'ouvriers vinrent au bureau central, mirent à
+ découvert tous les câbles des lignes, les suivirent de l'entrée des
+ égoûts aux appareils. Ils ne purent rien découvrir.
+
+ Cinq jours après ce «mastic» mémorable dans les annales du Central, un
+ avis de l'administration prévenait le personnel que dorénavant le
+ service de nuit serait tarifé dix francs au lieu de cinq. On n'en
+ demandait pas plus. Le lendemain matin, toutes les lignes étaient
+ rétablies comme par enchantement.
+
+ Les auteurs du «mastic» ne furent jamais connus et si l'administration
+ en devina le motif, le moyen employé resta toujours ignoré[2].
+
+ [2] _Le Travailleur des P. T. T._, nº de septembre 1905.
+
+Désormais, à partir de 1895, le branle est donné.
+
+Le sabotage qui, jusqu'alors, n'avait été pratiqué qu'inconsciemment,
+instinctivement par les travailleurs, va--sous l'appellation populaire
+qui lui est restée,--recevoir sa consécration théorique et prendre rang
+parmi les moyens de lutte avérés, reconnus, approuvés et préconisés par
+les organisations syndicales.
+
+Le Congrès confédéral qui se tint à Toulouse, en 1897, venait de
+s'ouvrir.
+
+Le préfet de la Seine, M. de Selves, avait refusé aux délégués du
+syndicat des Travailleurs municipaux, les congés qu'ils demandaient pour
+participer à ce Congrès. L'Union des syndicats de la Seine protesta,
+qualifiant avec juste raison ce veto d'attentat contre la liberté
+syndicale.
+
+Cette interdiction fut évoquée à la première séance du Congrès et une
+proposition de blâme contre le préfet de la Seine fut déposée.
+
+L'un des délégués,--qui n'était autre que l'auteur de la présente
+étude,--fit observer combien peu M. de Selves se souciait de la
+flétrissure d'un congrès ouvrier.
+
+Et il ajouta:
+
+ «Mon avis est qu'au lieu de se borner à protester, mieux vaudrait
+ entrer dans l'action et qu'au lieu de subir les injonctions des
+ dirigeants, de baisser la tête quand ils dictent leurs fantaisies, il
+ serait plus efficace de répondre du tac au tac. Pourquoi ne pas
+ répliquer à une gifle par un coup de pied?...»
+
+J'expliquai que mes observations dérivaient d'une tactique de combat sur
+laquelle le Congrès serait appelé à se prononcer. Je rappelai, à ce
+propos, l'émotion et la peur dont le monde capitaliste avait tressailli
+lorsque le camarade Guérard avait déclaré que la minime somme de dix
+centimes... dépensée intelligemment,... suffirait à un ouvrier des
+chemins de fer pour mettre un train, attelé de puissantes machines à
+vapeur, dans l'imposibilité de démarrer.
+
+Puis, rappelant que cette tactique révolutionnaire à laquelle je faisais
+allusion serait discutée au cours du Congrès, je conclus en déposant la
+proposition ci-dessous:
+
+ Le Congrès, reconnaissant qu'il est superflu de blâmer le
+ gouvernement--qui est dans son rôle en serrant la bride aux
+ travailleurs--engage les travailleurs municipaux à faire pour cent
+ mille francs de dégâts dans les services de la Ville de Paris, pour
+ récompenser M. de Selves de son veto.
+
+C'était un pétard!... Et il ne fit pas long feu.
+
+Tout d'abord, la stupéfaction fut grande chez beaucoup de délégués qui,
+de prime abord, ne comprenaient pas le sens volontairement outrancier de
+la proposition.
+
+Il y eut des protestations et l'ordre du jour pur et simple enterra ma
+proposition.
+
+Qu'importait! Le but visé était atteint: l'attention du Congrès était en
+éveil, la discussion était ouverte, la réflexion aguichée.
+
+Aussi, quelques jours après, le rapport que la Commission du boycottage
+et du sabotage soumettait à l'assemblée syndicale était-il accueilli
+avec la plus grande et la plus chaleureuse sympathie.
+
+Dans ce rapport, après avoir défini, expliqué et préconisé le sabotage,
+la Commission ajoutait:
+
+ Jusqu'ici, les travailleurs se sont affirmés révolutionnaires; mais,
+ la plupart du temps, ils sont restés sur le terrain théorique: ils ont
+ travaillé à l'extension des idées d'émancipation, ont élaboré et tâché
+ d'esquisser un plan de société future d'où l'exploitation humaine sera
+ éliminée.
+
+ Seulement, pourquoi à côté de cette oeuvre éducatrice, dont la
+ nécessité n'est pas contestable, n'a-t-on rien tenté pour résister aux
+ empiétements capitalistes et, autant que faire se peut, rendre moins
+ dures aux travailleurs les exigences patronales?
+
+ Dans nos réunions on lève toujours les séances aux cris de: «Vive la
+ Révolution Sociale», et loin de se concréter en un acte quelconque,
+ ces clameurs s'envolent en bruit.
+
+ De même il est regrettable que les Congrès affirmant toujours leur
+ fermeté révolutionnaire, n'aient pas encore préconisé de résolutions
+ pratiques pour sortir du terrain des mots et entrer dans celui de
+ l'action.
+
+ En fait d'armes d'allures révolutionnaires on n'a jusqu'ici préconisé
+ que la grève et c'est d'elle dont on a usé et on use journellement.
+
+ Outre la grève, nous pensons qu'il y a d'autres moyens à employer qui
+ peuvent dans une certaine mesure, tenir les capitalistes en échec...
+
+L'un de ces moyens est le boycottage. Seulement, la Commission constate
+qu'il est inopérant contre l'industriel, le fabricant. Il faut donc
+autre chose.
+
+Cet autre chose: c'est le sabotage.
+
+Citons le rapport:
+
+ Cette tactique, comme le boycottage, nous vient d'Angleterre où elle a
+ rendu de grands services dans la lutte que les travailleurs
+ soutiennent contre les patrons. Elle est connue là-bas sous le nom de
+ _Go Canny_.
+
+ A ce propos, nous croyons utile de vous citer l'appel lancé
+ dernièrement par l'_Union Internationale des Chargeurs de navires_,
+ qui a son siège à Londres:
+
+ «Qu'est-ce que _Go Canny_?
+
+ «C'est un mot court et commode pour désigner une nouvelle tactique,
+ employée par les ouvriers au lieu de la grève.
+
+ «Si deux Écossais marchent ensemble et que l'un coure trop vite,
+ l'autre lui dit: «Marche doucement, à ton aise.»
+
+ «Si quelqu'un veut acheter un chapeau qui vaut cinq francs, il doit
+ payer cinq francs. Mais s'il ne veut en payer que quatre, eh bien! il
+ en aura un de qualité inférieure. Le chapeau est _une marchandise_.
+
+ «Si quelqu'un veut acheter six chemises de deux francs chacune, il
+ doit payer douze francs. S'il n'en paie que dix, il n'aura que cinq
+ chemises. La chemise est encore _une marchandise en vente sur le
+ marché_.
+
+ «Si une ménagère veut acheter une pièce de boeuf qui vaut trois
+ francs, il faut qu'elle les paye. Et si elle n'offre que deux francs,
+ alors on lui donne de la mauvaise viande. Le boeuf est encore _une
+ marchandise en vente sur le marché_.
+
+ «Eh bien, les patrons déclarent que le travail et l'adresse sont des
+ _marchandises en vente sur le marché_,--tout comme les chapeaux, les
+ chemises et le boeuf.
+
+ «--Parfait, répondons-nous, nous vous prenons au mot.
+
+ «Si ce sont des _marchandises_ nous les vendrons tout comme le
+ chapelier vend ses chapeaux et le boucher sa viande. Pour de mauvais
+ prix, ils donnent de la mauvaise marchandise. Nous en ferons autant.
+
+ «Les patrons n'ont pas le droit de compter sur notre charité. S'ils
+ refusent même de discuter nos demandes, eh bien, nous pouvons mettre
+ en pratique le _Go Canny_--la tactique de _travaillons à la douce_, en
+ attendant qu'on nous écoute.»
+
+ Voilà clairement défini le _Go Canny_, le _sabotage_: A MAUVAISE PAYE,
+ MAUVAIS TRAVAIL.
+
+ Cette ligne de conduite, employée par nos camarades anglais, nous la
+ croyons applicable en France, car notre situation sociale est
+ identique à celle de nos frères d'Angleterre.
+
+ * * * * *
+
+ Il nous reste à définir sous quelles formes doit se pratiquer le
+ sabotage.
+
+ Nous savons tous que l'exploiteur choisit habituellement pour
+ augmenter notre servitude le moment où il nous est le plus difficile
+ de résister à ses empiétements par la grève partielle, seul moyen
+ employé jusqu'à ce jour.
+
+ Pris dans l'engrenage, faute de pouvoir se mettre en grève, les
+ travailleurs frappés subissent les exigences nouvelles du capitaliste.
+
+ Avec le _sabotage_ il en est tout autrement: les travailleurs peuvent
+ résister; ils ne sont plus à la merci complète du capital; ils ne sont
+ plus la chair molle que le maître pétrit à sa guise: ils ont un moyen
+ d'affirmer leur virilité et de prouver à l'oppresseur qu'ils sont des
+ hommes.
+
+ D'ailleurs, le _sabotage_ n'est pas aussi nouveau qu'il le paraît:
+ depuis toujours les travailleurs l'ont pratiqué individuellement,
+ quoique sans méthode. D'instinct, ils ont toujours ralenti leur
+ production quand le patron a augmenté ses exigences; sans s'en rendre
+ clairement compte, ils ont appliqué la formule: A MAUVAISE PAYE,
+ MAUVAIS TRAVAIL.
+
+ Et l'on peut dire que dans certaines industries où le travail aux
+ pièces s'est substitué au travail à la journée, une des causes de
+ cette substitution a été le _sabotage_, qui consistait alors à fournir
+ par jour la moindre quantité de travail possible.
+
+ Si cette tactique a donné déjà des résultats, pratiquée sans esprit de
+ suite, que ne donnera-t-elle pas le jour où elle deviendra une menace
+ continuelle pour les capitalistes?
+
+ Et ne croyez pas, camarades, qu'en remplaçant le travail à la journée
+ par le travail aux pièces, les patrons se soient mis à l'abri du
+ sabotage: cette tactique n'est pas circonscrite au travail à la
+ journée.
+
+ Le sabotage peut et doit être pratiqué pour le travail aux pièces.
+ Mais ici, la ligne de conduite diffère: restreindre la production
+ serait pour le travailleur restreindre son salaire; il lui faut donc
+ appliquer le sabotage à la qualité au lieu de l'appliquer à la
+ quantité. Et alors, non seulement le travailleur ne donnera pas à
+ l'acheteur de sa force de travail plus que pour son argent, mais
+ encore, il l'atteindra dans sa clientèle qui lui permet indéfiniment
+ le renouvellement du capital, fondement de l'exploitation de la classe
+ ouvrière. Par ce moyen, l'exploiteur se trouvera forcé, soit de
+ capituler en accordant les revendications formulées, soit de remettre
+ l'outillage aux mains des seuls producteurs.
+
+ Deux cas se présentent couramment: le cas où le travail aux pièces se
+ fait chez soi, avec un matériel appartenant à l'ouvrier, et celui où
+ le travail est centralisé dans l'usine patronale dont celui-ci est le
+ propriétaire.
+
+ Dans ce second cas, au sabotage sur la marchandise vient s'ajouter le
+ sabotage sur l'outillage.
+
+ Et ici nous n'avons qu'à vous rappeler l'émotion produite dans le
+ monde bourgeois, il y a trois ans, quand on sut que les employés de
+ chemin de fer pouvaient, avec deux sous d'un certain ingrédient,
+ mettre une locomotive dans l'impossibilité de fonctionner.
+
+ Cette émotion nous est un avertissement de ce que pourraient les
+ travailleurs conscients et organisés.
+
+ Avec le _boycottage_ et son complément indispensable, le _sabotage_,
+ nous avons une arme de résistance efficace qui, en attendant le jour
+ où les travailleurs seront assez puissants pour s'émanciper
+ intégralement nous permettra de tenir tête à l'exploitation dont nous
+ sommes victimes.
+
+ Il faut que les capitalistes le sachent: le travailleur ne respectera
+ la machine que le jour où elle sera devenue pour lui une amie qui
+ abrège le travail, au lieu d'être comme aujourd'hui, l'ennemie, la
+ voleuse de pain, la tueuse de travailleurs.
+
+En conclusion de ce rapport, la Commission proposa au Congrès la
+résolution suivante:
+
+ _Chaque fois que s'élèvera un conflit entre patrons et ouvriers soit
+ que le conflit soit dû aux exigences patronales, soit qu'il soit dû à
+ l'initiative ouvrière, et au cas où la grève semblerait ne pouvoir
+ donner des résultats aux travailleurs visés: que ceux-ci appliquent le
+ _boycottage_ ou le _sabotage_--ou les deux simultanément--en
+ s'inspirant des données que nous venons d'exposer._
+
+La lecture de ce rapport fut accueillie par les applaudissements
+unanimes du Congrès. Ce fut plus que de l'approbation: ce fut de
+l'emballement.
+
+Tous les délégués étaient conquis, enthousiasmés. Pas une voix
+discordante ne s'éleva pour critiquer ou même présenter la moindre
+observation ou objection.
+
+Le délégué de la Fédération du Livre, Hamelin, ne fut pas des moins
+enthousiastes. Il approuva nettement la tactique préconisée et le
+déclara en termes précis, dont le compte rendu du Congrès ne donne que
+ce pâle écho:
+
+ Tous les moyens sont bons pour réussir, affirma-t-il. J'ajoute qu'il y
+ a une foule de moyens à employer pour arriver à la réussite; ils sont
+ faciles à appliquer pourvu qu'on le fasse adroitement. Je veux dire
+ par là qu'il y a des choses qu'on doit faire et qu'on ne doit pas
+ dire. Vous me comprenez.
+
+ Je sais bien que si je précisais, on pourrait me demander si j'ai le
+ droit de faire telle ou telle chose; mais, si l'on continuait à ne
+ faire que ce qu'il est permis de faire on n'aboutirait à rien.
+
+ Lorsqu'on entre dans la voie révolutionnaire, il faut le faire avec
+ courage, et quand la tête est passée, il faut que le corps y passe.
+
+De chaleureux applaudissements soulignèrent le discours du délégué de la
+Fédération du Livre et, après que divers orateurs eurent ajouté quelques
+mots approbatifs, sans qu'aucune parole contradictoire ait été
+prononcée, la motion suivante fut adoptée à l'unanimité:
+
+ _Le syndicat des Employés de commerce de Toulouse invite le Congrès à
+ voter par des acclamations les conclusions du rapport et à le mettre
+ en pratique à la première occasion qui se présentera._
+
+Le baptême du sabotage ne pouvait être plus laudatif. Et ce ne fut pas
+là un succès momentané,--un feu de paille, conséquence d'un emballement
+d'assemblée,--les sympathies unanimes qui venaient de l'accueillir ne se
+démentirent pas.
+
+Au Congrès confédéral suivant, qui se tint à Rennes en 1898, les
+approbations ne furent pas ménagées à la tactique nouvelle.
+
+Entre les orateurs qui, au cours de la discussion prirent la parole pour
+l'approuver, citons, entre autres, le citoyen Lauche,--aujourd'hui
+député de Paris: il dit combien le syndicat des Mécaniciens de la Seine,
+dont il était le délégué, avait été heureux des décisions prises au
+Congrès de Toulouse, relativement au boycottage et au sabotage.
+
+Le délégué de la Fédération des Cuisiniers se tailla un beau succès et
+dérida le Congrès, en narrant avec humour le drolatique cas de sabotage
+suivant: les cuisiniers d'un grand établissement parisien, ayant à se
+plaindre de leur patron, restèrent à leur poste toute la journée,
+fourneaux allumés; mais, au moment où les clients affluèrent dans les
+salles, il n'y avait dans les marmites que des briques «cuisant» à
+grande eau... en compagnie de la pendule du restaurant.
+
+Du rapport qui clôtura la discussion--et qui fut adopté à
+l'unanimité,--nous extrayons le passage suivant:
+
+ ... La Commission tient à indiquer que le sabotage n'est pas chose
+ neuve; les capitalistes le pratiquent, chaque fois qu'ils y trouvent
+ intérêt; les adjudicataires en ne remplissant pas les clauses de bonne
+ qualité de matériaux, etc., et ils ne le pratiquent pas que sur les
+ matériaux: que sont leurs diminutions de salaires, sinon un sabotage
+ sur le ventre des prolétaires?
+
+ Il faut d'ailleurs ajouter que, instinctivement, les travailleurs ont
+ répondu aux capitalistes en ralentissant la production, en sabotant
+ inconsciemment.
+
+ Mais, ce qui serait à souhaiter, c'est que les travailleurs se rendent
+ compte que le sabotage peut être pour eux une arme utile de
+ résistance, tant par sa pratique que par la crainte qu'il inspirera
+ aux employeurs, le jour où ils sauront qu'ils ont à redouter sa
+ pratique consciente. Et nous ajouterons que la menace du sabotage peut
+ souvent donner d'aussi utiles résultats que le sabotage lui-même.
+
+ Le Congrès ne peut pas entrer dans le détail de cette tactique; ces
+ choses-là ne relèvent que de l'initiative et du tempérament de chacun
+ et sont subordonnées à la diversité des industries. Nous ne pouvons
+ que poser la théorie et souhaiter que le sabotage entre dans l'arsenal
+ des armes de lutte des prolétaires contre les capitalistes, au même
+ titre que la grève et que, de plus en plus, l'orientation du mouvement
+ social ait pour tendance l'_action directe_ des individus et une plus
+ grande conscience de leur personnalité...
+
+Une troisième et dernière fois, le sabotage subit le feu d'un congrès:
+ce fut en 1900, au Congrès confédéral qui se tint à Paris.
+
+On vivait alors une période trouble. Sous l'influence de Millerand,
+ministre du commerce, se constatait une déviation qui avait sa cause
+dans les tentations du Pouvoir. Bien des militants se laissaient
+aguicher par les charmes corrupteurs du ministérialisme et certaines
+organisations syndicales étaient entraînées vers une politique de «paix
+sociale» qui, si elle eût prédominé, eût été funeste au mouvement
+corporatif. C'eût été pour lui, sinon la ruine et la mort, tout au moins
+l'enlizement et l'impuissance.
+
+L'antagonisme, qui s'accentua dans les années qui suivirent, entre les
+syndicalistes révolutionnaires et les réformistes, pointait. De cette
+lutte intestine la discussion, ainsi que le vote sur le sabotage furent
+une première et embryonnaire manifestation.
+
+La discussion fut courte; Après que quelques orateurs eurent parlé en
+faveur du sabotage une voix s'éleva pour le condamner: celle du
+président de séance.
+
+Il déclara que «s'il n'avait pas eu l'honneur de présider, il se serait
+réservé de combattre le sabotage proposé par le camarade Riom et par
+Beausoleil»; et il ajouta qu'il «le considérait comme plus nuisible
+qu'utile aux intérêts des travailleurs et comme répugnant à la dignité
+de beaucoup d'ouvriers.»
+
+Il suffira, pour apprécier à sa valeur cette condamnation du sabotage
+d'observer que, quelques semaines plus tard, il ne «répugna pas à la
+dignité» de ce moraliste impeccable et scrupuleux d'être nanti, grâce
+aux bons offices de Millerand, d'une sinécure de tout repos[3].
+
+ [3] Il s'agit de M. Treich, alors secrétaire de la Bourse du Travail
+ de Limoges et fougueux «guesdiste»... nommé peu après receveur de
+ l'enregistrement à Bordeaux.
+
+Le rapporteur de la Commission de laquelle ressortissait le sabotage,
+choisi pour son travail sur la «marque syndicale», était un adversaire
+du sabotage. Il l'exécuta donc en ces termes:
+
+ Il me reste à dire un mot au sujet du sabotage. Je le dirai d'une
+ façon franche et précise. J'admire ceux qui ont le courage de saboter
+ un exploiteur, je dois même ajouter que j'ai ri bien souvent aux
+ histoires que l'on nous a racontées au sujet du sabotage, mais, pour
+ ma part, je n'oserais faire ce que ces bons amis ont fait. Alors, ma
+ conclusion est que si je n'ai pas le courage de faire une action, ce
+ serait de la lâcheté de ma part d'inciter un autre à la faire.
+
+ Je vous avoue que, dans l'acte qui consiste à détériorer un outil ou
+ toute chose confiée à mes soins, ce n'est pas la crainte de Dieu qui
+ paralyse mon courage, mais la crainte du gendarme!
+
+ Je laisse à vos bons soins le sort du sabotage.
+
+Le Congrès n'épousa cependant pas les vues du rapporteur. Il fit bien un
+«sort» au sabotage, mais il fut autre que celui qui lui était conseillé.
+
+Un vote eut lieu, par bulletins, sur cette question
+spéciale--d'improbation ou d'approbation du sabotage--et il donna les
+résultats suivants:
+
+ Pour le sabotage 117
+ Contre 76
+ Bulletins blancs 2
+
+Ce vote précis clôtura la période de gestation, d'infiltration théorique
+du sabotage.
+
+Depuis lors, indiscutablement admis, reconnu et accepté, il n'a plus été
+évoqué aux Congrès corporatifs et il a pris rang définitivement au
+nombre des moyens de lutte préconisés et pratiqués dans le combat contre
+le capitalisme.
+
+Il est à remarquer que le vote ci-dessus, émis au Congrès de 1900, est
+déjà une indication du tassement qui va s'effectuer dans les
+organisations syndicales et qui va mettre les révolutionnaires à un
+pôle, les réformistes à l'autre. En effet, dans tous les Congrès
+confédéraux qui vont suivre, quand révolutionnaires et réformistes se
+trouveront aux prises, presque toujours la majorité révolutionnaire sera
+à peu près ce qu'elle a été dans le vote sur le sabotage,--soit dans la
+proportion des deux tiers, contre une minorité réformiste d'un tiers.
+
+
+
+
+CHAPITRE II
+
+La «marchandise» travail
+
+
+Dans l'exposé historique qui précède, nous venons de constater que le
+sabotage, sous l'expression anglaise de _Go Canny_, découle de la
+conception capitaliste que le travail humain est une marchandise.
+
+Cette thèse, les économistes bourgeois s'accordent à la soutenir. Ils
+sont unanimes à déclarer qu'il y a un marché du travail, comme il y a un
+marché du blé, de la viande, du poisson ou de la volaille.
+
+Ceci admis, il est donc logique que les capitalistes se comportent à
+l'égard de la «chair à travail» qu'ils trouvent sur le marché comme
+lorsqu'il s'agit pour eux d'acheter des marchandises ou des matières
+premières: c'est-à-dire qu'ils s'efforcent de l'obtenir au taux le plus
+réduit.
+
+C'est chose normale étant donné les prémisses. Nous sommes ici en plein
+jeu de la loi de l'offre et de la demande.
+
+Seulement, ce qui est moins compréhensible, c'est que, dans leur esprit,
+ces capitalistes entendent recevoir, non une quantité de travail en
+rapport avec le taux du salaire qu'ils payent, mais bien, indépendamment
+du niveau de ce salaire, le maximum de travail que puisse fournir
+l'ouvrier.
+
+En un mot, ils prétendent acheter non une quantité de travail,
+équivalente à la somme qu'ils déboursent, mais la force de travail
+intrinsèque de l'ouvrier: c'est, en effet, l'ouvrier tout entier--corps
+et sang, vigueur et intelligence--qu'ils exigent.
+
+Lorsqu'ils émettent cette prétention, les employeurs négligent de tenir
+compte que cette «force de travail» est partie intégrante d'un être
+pensant, capable de volonté, de résistance et de révolte.
+
+Certes, tout irait au mieux dans le monde capitaliste si les ouvriers
+étaient aussi inconscients que les machines de fer et d'acier dont ils
+sont les servants et si, comme elles, ils n'avaient en guise de coeur et
+de cerveau qu'une chaudière ou une dynamo.
+
+Seulement, il n'en est pas ainsi! Les travailleurs savent quelles
+conditions leur sont faites dans le milieu actuel et s'ils les
+subissent, ce n'est point de leur plein gré. Ils se savent possesseurs
+de la «force de travail» et s'ils acquiescent à ce que le patron qui les
+embauche en «consomme» une quantité donnée, ils s'efforcent que cette
+quantité soit en rapport plus ou moins direct avec le salaire qu'ils
+reçoivent. Même parmi les plus dénués de conscience, parmi ceux qui
+subissent le joug patronal, sans mettre en doute son bien fondé, jaillit
+intuitivement la notion de résistance aux prétentions capitalistes: ils
+tendent à ne pas se dépenser sans compter.
+
+Les employeurs n'ont pas été sans constater cette tendance qu'ont les
+ouvriers à économiser leur «force de travail». C'est pourquoi, certains
+d'entre eux ont habilement paré au préjudice qui en découle pour eux, en
+recourant à l'émulation pour faire oublier à leur personnel cette
+prudence restrictive.
+
+Ainsi, les entrepreneurs du bâtiment, surtout à Paris, ont vulgarisé une
+pratique, qui d'ailleurs tombe en désuétude depuis 1906,--c'est-à-dire
+depuis que les ouvriers de la corporation sont groupés en syndicats
+puissants.
+
+Cette pratique consiste à embaucher un «costaud» qui, sur le chantier,
+donne l'élan à ses camarades. Il «en met» plus que quiconque... et il
+faut le suivre, sinon les retardataires risquent d'être mal vus et
+d'être débauchés comme incapables.
+
+Une telle manière de procéder dénote bien que ces entrepreneurs
+raisonnent à l'égard des travailleurs comme lorsqu'ils traitent un
+marché pour l'acquisition d'une machine. De même qu'ils achètent
+celle-ci avec la fonction productive qui lui est incorporée[4], de même
+ils ne considèrent l'ouvrier que comme un instrument de production
+qu'ils prétendent acquérir en entier, pour un temps donné, tandis qu'en
+réalité, ils ne passent de contrat avec lui que pour la fonction de son
+organisme se traduisant en travail effectif.
+
+ [4] il y a cependant des cas où le vendeur d'une machine ne cède pas
+ intégralement à son acheteur la _fonction productrice_ de la dite
+ machine. En exemple, certaines machines à fabriquer les chaussures
+ qui sont munies d'un compteur enregistrant le nombre des chaussures
+ produites et qui sont vendues avec la stipulation que l'acheteur
+ paiera _indéfiniment_ une certaine redevance par paire de chaussures
+ produite.
+
+Cette discordance qui est la base des rapports entre patrons et ouvriers
+met en relief l'opposition fondamentale des intérêts en présence: la
+lutte de la classe qui détient les moyens de production contre la classe
+qui, dénuée de capital, n'a d'autre richesse que sa force de travail.
+
+Dès que, sur le terrain économique, employés et employeurs prennent
+contact, se révèle cet antagonisme irréductible qui les jette aux deux
+pôles opposés et qui, par conséquent, rend toujours instables et
+éphémères leurs accords.
+
+Entre les uns et les autres, en effet, il ne peut jamais se conclure un
+contrat au sens précis et équitable du terme. Un contrat implique
+l'égalité des contractants, leur pleine liberté d'action et, de plus,
+une de ses caractéristiques est de présenter pour tous ses signataires
+un intérêt réel et personnel, dans le présent aussi bien que dans
+l'avenir.
+
+Or, lorsqu'un ouvrier offre ses bras à un patron, les deux
+«contractants» sont loin d'être sur le pied d'égalité. L'ouvrier obsédé
+par l'urgence d'assurer son lendemain,--si même il n'est pas tenaillé
+par la faim,--n'a pas la sereine liberté d'action dont jouit son
+embaucheur. En outre, le bénéfice qu'il retire de son louage de travail
+n'est que momentané, car, s'il y trouve la vie immédiate, il n'est pas
+rare que le risque de la besogne à laquelle il est astreint ne mette sa
+santé, son avenir en péril.
+
+Donc, entre patrons et ouvriers il ne peut se conclure d'engagements qui
+méritent le qualificatif de contrats. Ce qu'on est convenu de désigner
+sous le nom de _contrat du travail_ n'a pas les caractères spécifiques
+et bilatéraux du contrat; c'est, au sens strict, un contrat unilatéral,
+favorable seulement à l'un des contractants,--un contrat léonin.
+
+Il découle de ces constatations que, sur le marché du travail, il n'y a,
+face à face, que des belligérants en permanent conflit; par conséquent,
+toutes les relations, tous les accords des uns et des autres ne peuvent
+être que précaires, car ils sont viciés à la base, ne reposant que sur
+le plus ou moins de force et de résistance des antagonistes.
+
+C'est pourquoi, entre patrons et ouvriers, ne se conclut jamais--et ne
+peut jamais se conclure,--une entente durable, un contrat au sens loyal
+du mot: il n'y a entre eux que des armistices qui, suspendant pour un
+temps les hostilités, apportent une trêve momentanée aux faits de
+guerre.
+
+Ce sont deux mondes qui s'entrechoquent avec violence: le monde du
+capital, le mondé du travail. Certes, il peut y avoir,--et il y a,--des
+infiltrations de l'un dans l'autre; grâce à une sorte de capillarité
+sociale, des transfuges passent du monde du travail dans celui du
+capital et, oubliant ou reniant leurs origines, prennent rang parmi les
+plus intraitables défenseurs de leur caste d'adoption. Mais, ces
+fluctuations dans les corps d'armée en lutte n'infirment pas
+l'antagonisme des deux classes.
+
+D'un côté comme de l'autre les intérêts en jeu sont diamétralement
+opposés et cette opposition se manifeste en tout ce qui constitue la
+trame de l'existence. Sous les déclamations démocratiques, sous le verbe
+menteur de l'égalité, le plus superficiel examen décèle les divergences
+profondes qui séparent bourgeois et prolétaires: les conditions
+sociales, les modes de vivre, les habitudes de penser, les aspirations,
+l'idéal... tout! tout diffère!
+
+
+
+
+CHAPITRE III
+
+Morale de classe
+
+
+Il est compréhensible que, de la différenciation radicale dont nous
+venons de constater la persistance entre la classe ouvrière et la classe
+bourgeoise découle une moralité distincte.
+
+Il serait, en effet, pour le moins étrange, qu'il n'y ait rien de commun
+entre un prolétaire et un capitaliste, sauf la morale.
+
+Quoi! Les faits et gestes d'un exploité devraient être appréciés et
+jugés avec le critérium de son ennemi de classe?
+
+Ce serait simplement absurde!
+
+La vérité, c'est que, de même qu'il y a deux classes dans la société, il
+y a aussi deux morales,--celle des capitalistes et celle des
+prolétaires.
+
+ La morale naturelle ou zoologique, écrit Max Nordau, déclarerait que
+ le repos est le mérite suprême, et ne donnerait à l'homme le travail
+ comme désirable et glorieux qu'autant que ce travail est indispensable
+ à son existence matérielle. Mais les exploiteurs n'y trouveraient pas
+ leur compte. Leur intérêt, en effet, réclame que la masse travaille
+ plus qu'il n'est nécessaire pour elle, et produise plus que son propre
+ usage ne l'exige. C'est qu'ils veulent précisément s'emparer du
+ surplus de la production; à cet effet, ils ont supprimé la morale
+ naturelle et en ont inventé une autre, qu'ils ont fait établir par
+ leurs philosophes, vanter par leurs prédicateurs, chanter par leurs
+ poètes: morale d'après laquelle l'oisiveté serait la source de tous
+ les vices, et le travail une vertu, la plus belle de toutes les
+ vertus...
+
+Il est inutile d'observer que cette morale est à l'usage exclusif des
+prolétaires, les riches qui la prônent n'ayant garde de s'y soumettre:
+l'oisiveté n'est vice que chez les pauvres.
+
+C'est au nom des prescriptions de cette morale spéciale que les ouvriers
+doivent trimer dur et sans trêve au profit de leurs patrons et que tout
+relâchement de leur part, dans l'effort de production, tout ce qui tend
+à réduire le bénéfice escompté par l'exploiteur, est qualifié d'action
+immorale.
+
+Par contre, c'est toujours en excipant de cette morale de classe que
+sont glorifiés le dévouement aux intérêts patronaux, l'assiduité aux
+besognes les plus fastidieuses et les moins rémunératrices, les
+scrupules niais qui créent «l'honnête ouvrier», en un mot toutes les
+chaînes idéologiques et sentimentales qui rivent le salarié au carcan du
+capital, mieux et plus sûrement que des maillons en fer forgé.
+
+Pour compléter l'oeuvre d'asservissement, il est fait appel à la vanité
+humaine: toutes les qualités du bon esclave sont exaltées, magnifiées et
+on a même imaginé de distribuer des récompenses,--la médaille du
+travail!--aux ouvriers-caniches qui se sont distingués par la souplesse
+de leur épine dorsale, leur esprit de résignation et leur fidélité au
+maître.
+
+De cette morale scélérate la classe ouvrière est donc saturée à
+profusion.
+
+Depuis sa naissance, jusqu'à la mort, le prolétaire en est englué: il
+suce cette morale avec le lait plus ou moins falsifié du biberon qui,
+pour lui, remplace trop souvent le sein maternel; plus tard, à la
+«laïque», on la lui inculque encore, en un dosage savant, et
+l'imprégnation se continue, par mille et mille procédés, jusqu'à ce que,
+couché dans la fosse commune, il dorme son éternel sommeil.
+
+L'intoxication résultant de cette morale est tellement profonde et
+tellement persistante que des hommes à l'esprit subtil, au raisonnement
+clair et aigu, en restent cependant contaminés. C'est le cas du citoyen
+Jaurès qui, pour condamner le sabotage, a excipé de cette éthique, créée
+à l'usage des capitalistes. Dans une discussion ouverte au Parlement sur
+le Syndicalisme, le 11 mai 1907, il déclarait:
+
+ Ah! s'il s'agit de la propagande systématique, méthodique du sabotage,
+ au risque d'être taxé par vous d'un optimisme où il entrerait quelque
+ complaisance pour nous-mêmes, je ne crains pas qu'elle aille bien
+ loin. Elle répugne à toute la nature à toutes les tendances de
+ l'ouvrier...
+
+Et il insistait fort:
+
+ Le sabotage, affirmait-il, répugne à la valeur technique de l'ouvrier.
+
+ La valeur technique de l'ouvrier, c'est sa vraie richesse; voilà
+ pourquoi le théoricien, le métaphysicien du syndicalisme, Sorel
+ déclare que, accordât-on au syndicalisme tous les moyens possibles, il
+ en est un qu'il doit s'interdire à lui-même: celui qui risquerait de
+ déprécier, d'humilier dans l'ouvrier cette valeur professionnelle, qui
+ n'est pas seulement sa richesse précaire d'aujourd'hui, mais qui est
+ son titre pour sa souveraineté dans le monde de demain...
+
+Les affirmations de Jaurès, même placées sous l'égide de Sorel, sont
+tout ce qu'on voudra,--voire de la métaphysique,--hormis la constatation
+d'une réalité économique.
+
+Où diantre a-t-il rencontré des ouvriers que «toute leur nature et
+toutes leurs tendances» portent à donner le plein de leur effort,
+physique et intellectuel à un patron, en dépit de conditions dérisoires,
+infimes ou odieuses que celui-ci leur impose?
+
+En quoi, d'autre part, la «valeur technique» de ces problématiques
+ouvriers serait-elle mise en péril, parce que, le jour où ils
+s'apercevront de l'exploitation éhontée dont ils sont victimes, ils
+tenteront de s'y soustraire et, tout d'abord, ne consentiront plus à
+soumettre leurs muscles et leurs cerveaux à une fatigue indéfinie, pour
+le seul profit du patron?
+
+Pourquoi ces ouvriers gaspilleraient-ils cette «valeur technique» qui
+constitue leur «vraie richesse»--au dire de Jaurès--et pourquoi en
+feraient-ils presque gratuitement cadeau au capitaliste?
+
+N'est-il pas plus logique qu'au lieu de se sacrifier, en agneaux bêlants
+sur l'autel du patronat, ils se défendent, luttent, et estimant au plus
+haut prix possible leur «valeur technique» ils ne cèdent tout ou partie
+de cette «vraie richesse» qu'aux conditions les meilleures, ou les moins
+mauvaises?
+
+A ces interrogations l'orateur socialiste n'apporte pas de réponse,
+n'ayant pas approfondi la question. Il s'est borné à des affirmations
+d'ordre sentimental, inspirées de la morale des exploiteurs et qui ne
+sont que le remâchage des arguties des économistes reprochant aux
+ouvriers français leurs exigences et leurs grèves, les accusant de
+mettre l'industrie nationale en péril.
+
+Le raisonnement du citoyen Jaurès est, en effet du même ordre, avec
+cette différence qu'au lieu de faire vibrer la corde patriotique, c'est
+le point d'honneur, la vanité, la gloriole du prolétaire qu'il a tâché
+d'exalter, de surexciter.
+
+Sa thèse aboutit à la négation formelle de la lutte de classe, car elle
+ne tient pas compte du permanent état de guerre entre le capital et le
+travail.
+
+Or, le simple bon sens suggère que le patron étant l'ennemi, pour
+l'ouvrier, il n'y a pas plus déloyauté de la part de celui-ci à dresser
+des embuscades contre son adversaire qu'à le combattre à visage
+découvert.
+
+Donc, aucun des arguments empruntés à la morale bourgeoise ne vaut pour
+apprécier le sabotage, non plus que toute autre tactique prolétarienne;
+de même, aucun de ces arguments ne vaut pour juger les faits, les
+gestes, les pensées ou les aspirations de la classe ouvrière.
+
+Si sur tous ces points on désire raisonner sainement, il ne faut pas se
+référer à la morale capitaliste, mais s'inspirer de la morale des
+producteurs qui s'élabore quotidiennement au sein des masses ouvrières
+et qui est appelée à régénérer les rapports sociaux, car c'est elle qui
+réglera ceux du monde de demain.
+
+
+
+
+CHAPITRE IV
+
+Les procédés de sabotage
+
+
+Sur le champ de bataille qu'est le marché du travail, où les
+belligérants s'entrechoquent, sans scrupules et sans égards, il s'en
+faut, nous l'avons constaté, qu'ils se présentent à armes égales.
+
+Le capitaliste oppose une cuirasse d'or aux coups de son adversaire qui,
+connaissant son infériorité défensive et offensive, tâche d'y suppléer
+en ayant recours aux ruses de guerre. L'ouvrier, impuissant pour
+atteindre son adversaire de front, cherche à le prendre de flanc, en
+l'attaquant dans ses oeuvres vives: le coffre-fort.
+
+Il en est alors des prolétaires comme d'un peuple qui, voulant résister
+à l'invasion étrangère et ne se sentant pas de force à affronter
+l'ennemi en bataille rangée se lance dans la guerre d'embuscades, de
+guérillas. Lutte déplaisante pour les grands corps d'armée, lutte
+tellement horripilante et meurtrière que, le plus souvent, les
+envahisseurs refusent de reconnaître aux francs-tireurs le caractère de
+belligérants.
+
+Cette exécration des guérillas pour les armées régulières n'a pas plus
+lieu de nous étonner que l'horreur inspirée par le sabotage aux
+capitalistes.
+
+C'est qu'en effet le sabotage est dans la guerre sociale ce que sont les
+guérillas dans les guerres nationales: il découle des mêmes sentiments,
+répond aux mêmes nécessités et a sur la mentalité ouvrière d'identiques
+conséquences.
+
+On sait combien les guérillas développent le courage individuel,
+l'audace et l'esprit de décision; autant peut s'en dire du sabotage: il
+tient en haleine les travailleurs, les empêche de s'enlizer dans une
+veulerie pernicieuse et comme il nécessite une action permanente et sans
+répit, il a l'heureux résultat de développer l'esprit d'initiative,
+d'habituer à agir soi-même, de surexciter la combativité.
+
+De ces qualités, l'ouvrier en a grandement besoin, car le patron agit à
+son égard avec aussi peu de scrupules qu'en ont les armées d'invasion
+opérant en pays conquis: il rapine le plus qu'il peut!
+
+Cette rapacité capitaliste, le milliardaire Rockefeller l'a blâmée...
+quitte, très sûrement, à la pratiquer sans vergogne.
+
+ Le tort de certains employeurs, a-t-il écrit, est de ne point payer la
+ somme exacte qu'ils devraient; alors le travailleur a une tendance à
+ restreindre son labeur.
+
+Cette tendance à la restriction du labeur que constate
+Rockefeller--restriction qu'il légitime et justifie par le blâme qu'il
+adresse aux patrons--est du sabotage sous la forme qui se présente
+spontanément à l'esprit de tout ouvrier: le _ralentissement du travail_.
+
+C'est, pourrait-on dire, la forme instinctive et primaire du sabotage.
+
+C'est à son application qu'à Beaford, dans l'Indiana, États-Unis
+(c'était en 1908), se décidaient une centaine d'ouvriers qui venaient
+d'être avisés qu'une réduction de salaire s'élevant à une douzaine de
+sous par heure leur était imposée. Sans mot dire, ils se rendirent à une
+usine voisine et firent rogner leurs pelles de deux pouces et demi.
+Après quoi, ils revinrent au chantier et répondirent au patron: «A
+petite paie, petite pelle!»
+
+Cette forme de sabotage n'est praticable que pour les ouvriers à la
+journée. Il est, en effet, bien évident que ceux qui travaillent aux
+pièces et qui ralentiraient leur production seraient les premières
+victimes de leur révolte passive puisqu'ils saboteraient leur propre
+salaire. Ils doivent donc recourir à d'autres moyens et leur
+préoccupation doit être de diminuer la qualité et non la quantité de
+leur produit.
+
+De ces moyens, le _Bulletin de la Bourse du Travail de Montpellier_
+donnait un aperçu, dans un article publié dans les premiers mois de
+1900, quelques semaines avant le Congrès confédéral qui se tint à Paris:
+
+ Si vous êtes mécanicien, disait cet article, il vous est très facile
+ avec deux sous d'une poudre quelconque, ou même seulement avec du
+ sable, d'enrayer votre machine, d'occasionner une perte de temps et
+ une réparation fort coûteuse à votre exploiteur. Si vous êtes
+ menuisier ou ébéniste, quoi de plus facile que de détériorer un meuble
+ sans que le patron s'en aperçoive et de lui faire perdre ainsi des
+ clients? Un tailleur peut aisément abîmer un habit ou une pièce
+ d'étoffe; un marchand de nouveautés, avec quelques taches adroitement
+ posées sur un tissu le fait vendre à vil prix; un garçon épicier, avec
+ un mauvais emballage, fait casser la marchandise; c'est la faute de
+ n'importe qui, et le patron perd le client. Le marchand de laines,
+ mercerie, etc., avec quelques gouttes d'un corrosif répandues sur une
+ marchandise qu'on emballe, mécontente le client; celui-ci renvoie le
+ colis et se fâche; on lui répond que c'est arrivé en route...
+ Résultat, perte souvent du client. Le travailleur à la terre donne de
+ temps en temps un coup de pioche maladroit,--c'est-à-dire adroit,--ou
+ sème de la mauvaise graine au milieu d'un champ, etc.
+
+Ainsi qu'il est indiqué ci-dessus, les procédés de sabotage sont
+variables à l'infini. Cependant, quels qu'ils soient, il est une qualité
+qu'exigent d'eux les militants ouvriers: c'est que leur mise en pratique
+n'ait pas une répercussion fâcheuse sur le consommateur.
+
+Le sabotage s'attaque au patron, soit par le ralentissement du travail,
+soit en rendant les produits fabriqués invendables, soit en immobilisant
+ou rendant inutilisable l'instrument de production, mais le consommateur
+ne doit pas souffrir de cette guerre faite à l'exploiteur.
+
+Un exemple de l'efficacité du sabotage est l'application méthodique
+qu'en ont fait les coiffeurs parisiens:
+
+Habitués à frictionner des têtes, ils se sont avisés d'étendre le
+système du schampoing aux devantures patronales. C'est au point que,
+pour les patrons coiffeurs, la crainte du _badigeonnage_ est devenue la
+plus convaincante des sanctions.
+
+C'est grâce au badigeonnage--pratiqué principalement de 1902 à mai
+1906,--que les ouvriers coiffeurs ont obtenu la fermeture des salons à
+des heures moins tardives et c'est aussi la crainte du badigeonnage qui
+leur a permis d'obtenir, très rapidement (avant le vote de la loi sur le
+repos hebdomadaire) la généralisation de la fermeture des boutiques, un
+jour par semaine.
+
+Voici en quoi consiste le badigeonnage: en un récipient quelconque, tel
+un oeuf préalablement vidé, le «badigeonneur» enferme un produit
+caustique; puis, à l'heure propice, il s'en va lancer contenant et
+contenu sur la devanture du patron réfractaire.
+
+Ce «schampoing» endolorit la peinture de la boutique et le patron
+profitant de la leçon reçue devient plus accommodant.
+
+Il y a environ 2.300 boutiques de coiffeurs à Paris, sur lesquelles,
+durant la campagne de badigeonnage, 2.000 au moins ont été badigeonnées
+une fois... sinon plusieurs. _L'Ouvrier coiffeur_, l'organe syndical de
+la Fédération des Coiffeurs a estimé approximativement à 200.000 francs
+les pertes financières occasionnées aux patrons par le procédé du
+badigeonnage.
+
+Les ouvriers coiffeurs sont enchantés de leur méthode et ils ne sont
+nullement disposés à l'abandonner. Elle a fait ses preuves, disent-ils,
+et ils lui attribuent une valeur moralisatrice qu'ils affirment
+supérieure à toute sanction légale.
+
+Le badigeonnage, comme tous les bons procédés de sabotage s'attaque donc
+à la caisse patronale et la tête des clients n'a rien à en redouter.
+
+ * * * * *
+
+Les militants ouvriers insistent fort sur ce caractère spécifique du
+sabotage qui est de frapper le patron et non le consommateur. Seulement,
+ils ont à vaincre le parti-pris de la presse capitaliste qui dénature
+leur thèse à plaisir en présentant le sabotage comme dangereux pour les
+consommateurs principalement.
+
+On n'a pas oublié l'émotion que soulevèrent, il y a quelques années, les
+racontars des quotidiens, à propos du pain au verre pilé. Les
+syndicalistes s'évertuaient à déclarer que mettre du verre pilé dans le
+pain serait un acte odieux, stupidement criminel et que les ouvriers
+boulangers n'avaient jamais eu semblable pensée. Or, malgré les
+dénégations et les démentis, le mensonge se répandait, se rééditait et,
+naturellement, indisposait contre les ouvriers boulangers nombre de gens
+pour qui ce qu'imprime leur journal est parole d'évangile.
+
+En fait, jusqu'ici, au cours des diverses grèves de boulangers, le
+sabotage constaté s'est borné à la détérioration des boutiques
+patronales, des pétrins ou des fours. Quant au pain, s'il en a été
+fabriqué d'immangeable,--pain brûlé ou pas cuit, sans sel, ou sans
+levain, etc., mais, insistons-y, jamais au verre pilé!--ce ne sont pas,
+et ce ne pouvaient pas être, les consommateurs qui en ont pâti, mais
+uniquement les patrons.
+
+Il faudrait, en effet, supposer les acheteurs pétris de bêtise... à en
+manger du foin!... pour accepter, au lieu de pain, un mélange indigeste
+ou nauséabond. Si le cas se fût présenté ils eussent évidemment rapporté
+ce mauvais pain à leur fournisseur et eussent exigé à la place un
+produit comestible.
+
+Il n'y a donc à retenir le pain au verre pilé que comme un argument
+capitaliste destiné à jeter le discrédit sur les revendications des
+ouvriers boulangers.
+
+Autant peut s'en dire du «canard» lancé en 1907 par un
+quotidien,--spécialiste en excitations contre le mouvement
+syndical,--qui raconta qu'un préparateur en pharmacie, féru du sabotage,
+venait de substituer de la strychnine et autres poisons violents à
+d'innocentes drogues prescrites pour la préparation de cachets.
+
+Contre cette histoire, qui n'était qu'un mensonge,--et aussi une
+insanité,--le syndicat des préparateurs en pharmacie protesta avec juste
+raison.
+
+En réalité, si un préparateur en pharmacie avait intention de sabotage,
+jamais il n'imaginerait d'empoisonner les malades... ce qui, après avoir
+conduit ceux-ci au tombeau, l'amènerait lui-même en cour d'assises et ne
+causerait aucun sérieux préjudice à son patron.
+
+Certes, le «potard» saboteur agirait autrement. Il se bornerait à
+gaspiller les produits pharmaceutiques, à en faire une généreuse
+distribution; il pourrait encore employer pour les ordonnances les
+produits purs,--mais très coûteux,--en place des produits frelatés qui
+s'emploient couramment.
+
+En ce dernier cas, il se dégagerait d'une complicité coupable... de sa
+participation au sabotage patronal,--criminel celui-là!--et qui consiste
+à délivrer des produits de basse qualité, d'action quasi nulle, au lieu
+des produits purs ordonnancés par le médecin.
+
+Il est inutile d'insister davantage pour démontrer que le sabotage
+pharmaceutique peut être profitable au malade, mais qu'il ne peut
+jamais,--au grand jamais!--lui être nuisible.
+
+C'est d'ailleurs par des résultats similaires, favorables au
+consommateur, que, dans bien des corporations,--entre autres celle de
+l'alimentation,--se manifeste le sabotage ouvrier.
+
+Et s'il y a un regret à formuler c'est que ce sabotage ne soit pas
+davantage entré dans les moeurs ouvrières. Il est triste, en effet, de
+constater que, trop souvent, des travailleurs s'associent aux plus
+abominables frelatages qu'il soit, au détriment de la santé publique; et
+cela, sans envisager la part de responsabilité qui leur incombe dans des
+agissements que le Code peut excuser, mais qui n'en sont pas moins des
+crimes.
+
+Un appel à la population parisienne--dont ci-dessous est reproduit
+l'essentiel,--lancé en 1908 par le syndicat des Cuisiniers, en dit plus
+long sur ce sujet que bien des commentaires:
+
+ Le 1er juin dernier, un chef cuisinier, arrivé du matin même dans un
+ restaurant populaire, constatait que la viande qui lui était confiée
+ s'était tellement avariée, que la servir eût été un danger pour les
+ consommateurs; il en fit part au patron qui exigea qu'elle soit quand
+ même servie; l'ouvrier, révolté de la besogne qu'on voulait de lui,
+ refusa de se faire complice de l'empoisonnement de la clientèle.
+
+ Le patron, furieux, de cette indiscrète loyauté, se vengea en le
+ congédiant et en le signalant au syndicat patronal des restaurants
+ populaires _La Parisienne_, afin de l'empêcher de se replacer.
+
+ Jusqu'ici, l'incident révèle seulement un acte individuel et ignoble
+ du patron et un acte de conscience d'un ouvrier; mais la suite de
+ l'affaire révèle, comme on va le voir, une solidarité patronale
+ tellement scandaleuse et dangereuse, que nous nous croyons obligés de
+ la dénoncer:
+
+ Quand l'ouvrier s'est représenté à l'office de placement du syndicat
+ patronal, le préposé à cet office lui déclara: qu'à lui, ouvrier, ça
+ ne le regardait pas si les denrées étaient ou non avariées, que ce
+ n'était pas lui qui était responsable; que du moment qu'on le payait
+ il n'avait qu'à obéir, que son acte était inadmissible et que
+ désormais il n'avait plus à compter sur leur service de placement pour
+ avoir du travail.
+
+ Crever de faim ou se faire au besoin complice d'empoisonnement, voilà
+ le dilemme posé aux ouvriers par ce syndicat patronal.
+
+ D'autre part, ce langage établit bien nettement que, loin de réprouver
+ la vente des denrées avariées, ce syndicat couvre et défend ces actes
+ et poursuit de sa haine les empêcheurs d'empoisonner tranquillement!
+
+Il n'est sûrement pas un spécimen unique dans Paris, ce restaurateur
+sans scrupules qui sert de la viande pourrie à sa clientèle. Cependant,
+rares sont les cuisiniers qui ont le courage de suivre l'exemple donné.
+
+C'est que, hélas, à avoir trop de conscience, ces travailleurs risquent
+de perdre leur gagne-pain,--voire d'être boycottés! Or, ce sont là des
+considérations qui font tourner bien des têtes, vaciller bien des
+volontés et mettent un frein à bien des révoltes.
+
+Et c'est pourquoi, trop peu nous sont dévoilés les mystères des
+gargottes,--populaires ou aristocratiques.
+
+Il serait pourtant utile au consommateur de savoir que les énormes
+quartiers de boeuf qui, aujourd'hui, s'étalent à la devanture du
+restaurant qu'il fréquente sont des viandes apétissantes qui, demain,
+seront trimballées et détaillées aux Halles... tandis qu'à la gargote en
+question se débiteront des viandes suspectes.
+
+Il lui serait également utile, au client, de savoir que le potage bisque
+d'écrevisses qu'il savoure est fait avec les carapaces de langoustes
+laissées hier,--par lui ou d'autres,--sur l'assiette; carapaces
+soigneusement raclées, pour en détacher le pulpe y adhérant encore et
+qui, broyé au mortier, est finement délayé par un coulis qu'on teinte en
+rose avec du carmin.
+
+De savoir aussi: qu'on «fait» les filets de barbue avec de la lotte ou
+du cabillaud; que les filets de chevreuil sont de la «tranche» de boeuf,
+pimentée grâce à une marinade endiablée; que pour enlever aux volailles
+la saveur «passée» et les «rajeunir» on promène dans l'intérieur un fer
+rouge.
+
+Et encore, que tout le matériel de restaurant: cuillers, verres,
+fourchettes, assiettes, etc., est essuyé avec les serviettes abandonnées
+par les clients après leur repas,--d'où contagion possible de
+tuberculose... sinon d'avarie!
+
+La liste serait longue,--et combien nauséeuse!--s'il fallait énumérer
+tous les «trucs» et les «fourbis» de commerçants rapaces et sans
+vergogne qui, embusqués au coin de leur boutique, ne se satisfont point
+de détrousser leurs pratiques, mais encore trop souvent, les
+empoisonnent par dessus le marché.
+
+D'ailleurs, il ne suffit pas de connaître les procédés; il faut savoir
+quelles sont les maisons «honorables» qui sont coutumières de ces
+criminelles manières de faire. C'est pourquoi nous devons souhaiter,
+dans l'intérêt de la santé publique, que les ouvriers de l'alimentation
+sabotent les réputations surfaites de leurs patrons et nous mettent en
+garde contre ces malfaiteurs.
+
+Observons, au surplus, qu'il est, pour les cuisiniers, une autre variété
+de sabotage: c'est de préparer les plats d'excellente façon, avec tous
+les assaisonnements nécessaires et en y apportant tous les soins requis
+par l'art culinaire; ou bien, dans les restaurants à la portion, d'avoir
+la main lourde et copieuse, au profit des clients.
+
+ * * * * *
+
+De tout ceci il résulte donc, que, pour les ouvriers de cuisine, le
+sabotage s'identifie avec l'intérêt des consommateurs, soit qu'ils
+s'avisent d'être de parfaits maîtres-queux, soit qu'ils nous initient
+aux arcanes peu ragoûtantes de leurs officines.
+
+Certains objecteront peut-être que, dans ce dernier cas, les cuisiniers
+font, non pas acte de sabotage, mais donnent un exemple d'intégrité et
+de loyauté professionnelle digne d'encouragement.
+
+Qu'ils prennent garde! Ils s'engagent sur une pente très savonnée, très
+glissante et ils risquent de rouler à l'abîme... c'est-à-dire à la
+condamnation formelle de la société actuelle.
+
+En effet, la falsification, la sophistication, la tromperie, le
+mensonge, le vol, l'escroquerie sont la trame de la société capitaliste;
+les supprimer équivaudrait à la tuer... Il ne faut pas s'illusionner: le
+jour où on tenterait d'introduire dans les rapports sociaux, à tous les
+degrés et dans tous les plans, une stricte loyauté, une scrupuleuse
+bonne foi, plus rien ne resterait debout, ni industrie, ni commerce, ni
+banque..., rien! rien!
+
+Or, il est évident que, pour mener à bien toutes les opérations louches
+auxquelles il se livre, le patron ne peut agir seul; il lui faut des
+aides, des complices... il les trouve dans ses ouvriers, ses employés.
+Il s'en suit logiquement qu'en associant ses employés à ses
+manoeuvres--mais non à ses bénéfices--le patron, dans n'importe quelle
+branche de l'activité, exige d'eux une soumission complète à ses
+intérêts et leur interdit d'apprécier et de juger les opérations et les
+agissements de sa maison; s'il en est qui ont un caractère frauduleux,
+voire criminel, cela ne les regarde point.
+
+«_Ils ne sont pas responsables... Du moment qu'on les paie, ils n'ont
+qu'à obéir..._», ainsi l'observait très bourgeoisement le préposé de la
+«Parisienne» dont il a été question plus haut.
+
+En vertu de tels sophismes, le travailleur doit faire litière de sa
+personnalité, étouffer ses sentiments et agir en inconscient; toute
+désobéissance aux ordres donnés, toute violation des secrets
+professionnels, toute divulgation des pratiques, pour le moins
+malhonnêtes, auxquelles il est astreint, constitue de sa part un acte de
+félonie à l'égard du patron.
+
+Donc, s'il se refuse à l'aveugle et passive soumission, s'il ose
+dénoncer les vilenies auxquelles on l'associe, il est considéré comme se
+rebellant contre son employeur, car il se livre envers lui à des actes
+de guerre,--il le sabote!
+
+Au surplus, cette manière de voir n'est pas particulière aux patrons,
+c'est aussi comme acte de guerre,--comme acte de sabotage,--que les
+syndicats ouvriers interprètent toute divulgation préjudiciables aux
+intérêts capitalistes.
+
+Cet ingénieux moyen de battre en brèche l'exploitation humaine a même
+reçu un nom spécial: c'est le sabotage par la méthode de la _bouche
+ouverte_.
+
+L'expression est on ne peut plus significative. Il est, en effet certain
+que bien des fortunes ne se sont édifiées que grâce au silence qu'ont
+gardé sur les pirateries patronales les exploités qui y ont collaboré.
+Sans le mutisme de ceux-ci, il eût été difficile, sinon impossible aux
+exploiteurs de mener à bien leurs affaires; si elles ont réussi, si la
+clientèle est tombée dans leurs panneaux, si leurs bénéfices ont fait
+boule de neige, c'est grâce au silence de leurs salariés.
+
+Eh bien! ces muets du sérail industriel et commercial sont las de rester
+bouche close. Ils veulent parler! Et ce qu'ils vont dire va être si
+grave que leurs révélations vont faire le vide autour de leur patron,
+que sa clientèle va se détourner de lui...
+
+Cette tactique de sabotage qui, sous ses formes anodines et vierges de
+violences, peut être aussi redoutable pour bien des capitalistes que la
+brutale mise à mal d'un précieux outillage est en passe de considérable
+vulgarisation.
+
+C'est à elle que recourent les travailleurs du bâtiment qui dévoilent, à
+l'architecte ou au propriétaire qui fait construire, les malfaçons de
+l'immeuble qu'ils viennent de terminer, ordonnées par l'entrepreneur et
+à son profit: murs manquant d'épaisseur, emploi de mauvais matériaux,
+couches de peinture escamotées, etc.
+
+_Bouche ouverte_, également, lorsque les ouvriers du métro dénoncent à
+grand fracas les criminels vices de construction des tunnels;
+
+_Bouche ouverte_, aussi, quand les garçons épiciers pour amener à
+composition les maisons réfractaires à leurs revendications ont avisé,
+par voie d'affiches, les ménagères des trucs et des filouteries du
+métier;
+
+_Bouche ouverte_, encore, les placards des préparateurs en pharmacie--en
+lutte pour la fermeture à 9 heures du soir--dénonçant le coupable
+sabotage des malades par des patrons insoucieux.
+
+Et c'est de même à la pratique de la _bouche ouverte_ qu'ont décidé de
+recourir les employés des maisons de banque et de Bourse. Dans une
+assemblée générale, tenue en juillet dernier, le syndicat de ces
+employés a adopté un ordre du jour menaçant les patrons, s'ils font la
+sourde oreille aux revendications présentées, de rompre le silence
+professionnel et de révéler au public tout ce qui se passe dans les
+cavernes de voleurs que sont les maisons de finance.
+
+Ici, une question se pose:
+
+Que vont dire de la _bouche ouverte_ les pointilleux et tatillons
+moralistes qui condamnent le sabotage au nom de la morale?
+
+Auxquels des deux, patrons ou employés, vont aller leurs anathèmes?
+
+Aux patrons, escrocs, spoliateurs, empoisonneurs, etc., qui entendent
+associer leurs employés à leur indignité, les rendre complices de leurs
+délits, de leurs crimes?
+
+Ou bien, aux employés qui, se refusant aux malhonnêtetés et aux
+scélératesses que l'exploiteur exige d'eux, libèrent leur conscience en
+mettant public ou consommateurs en garde?
+
+ * * * * *
+
+Nous venons d'examiner les procédés de sabotage mis en oeuvre par la
+classe ouvrière, sans suspension de travail, sans qu'il y ait abandon du
+chantier ou de l'atelier; mais le sabotage ne se limite pas à cette
+action restreinte; il peut devenir,--et il devient de plus en plus,--un
+aide puissant au cas de grève.
+
+Le milliardaire Carnegie, le roi du Fer, a écrit:
+
+ Attendre d'un homme qui défend son salaire pour les besoins de sa vie,
+ d'assister tranquillement à son remplacement par un autre homme, c'est
+ trop attendre.
+
+C'est ce que ne cessent de dire, de répéter, de clamer les
+syndicalistes. Mais, il n'y a pire sourds, on le sait, que ceux qui ne
+veulent pas entendre,--et les capitalistes sont du nombre!
+
+Cette pensée du milliardaire Carnegie, le citoyen Bousquet, secrétaire
+du Syndicat des Boulangers parisiens, l'a paraphrasée dans un article de
+la Voix du Peuple[5]:
+
+ [5] Dans le numéro du 21 mai 1905.
+
+ Nous pouvons constater, écrivait-il, que le simple fait de l'arrêt du
+ travail n'est pas suffisant pour l'aboutissant d'une grève. Il serait
+ nécessaire et même indispensable, pour le résultat du conflit, que
+ l'outillage,--c'est-à-dire les moyens de production de l'usine, du
+ tissage, de la mine, de la boulangerie, etc.,--soit réduit à la grève,
+ c'est-à-dire au _non fonctionnement_...
+
+ Les renégats vont travailler. Ils trouvent les machines, les outils,
+ les fours en bon état,--et ce, par la suprême faute des grévistes qui,
+ ayant laissé en _bonne santé_ ces moyens de production, ont laissé
+ derrière eux la cause de leur échec revendicatif...
+
+ Or, se mettre en grève et laisser en _état normal_ les machines et
+ outils, est du temps perdu pour une lutte efficace. En effet, le
+ patronat, disposant des renégats, de l'armée, de la police, fera
+ fonctionner les machines... et le but de la grève ne sera pas atteint.
+
+ Le premier devoir avant la grève est donc de réduire à l'impuissance
+ les instruments de travail. C'est l'A B C de la lutte ouvrière.
+
+ Alors, la partie devient égale entre le patron et l'ouvrier, car,
+ alors, la cessation du travail qui est _réelle_, produit le but
+ désiré, c'est-à-dire l'arrêt de la vie dans le clan bourgeois.
+
+ Désir de grève dans l'alimentation?... Quelques litres de pétrole ou
+ autre matière grasse et odorante répandue sur la sole du four... Et
+ renégats ou soldats peuvent venir faire du pain. Ce pain sera
+ immangeable, car les carreaux (pendant au moins trois mois) garderont
+ l'odeur de la matière et l'inculqueront au pain.
+
+ Résultat: four inutilisable et à démolir.
+
+ Désir de grève dans la métallurgie?... Du sable ou de l'émeri dans les
+ engrenages de ces machines qui, montres fabuleuses, marquent
+ l'exploitation du prolétariat; ce sable fera grincer ces machines,
+ encore plus fort que le patron et le contre-maître, et le colosse de
+ fer, le pondeur de travail, sera réduit à l'impuissance et les
+ renégats aussi...
+
+C'est la même thèse qu'a effleurée dans sa brochure _Le Syndicalisme
+dans les Chemins de fer_, le citoyen A. Renault, employé de
+l'Ouest-État, thèse qui lui a valu, en septembre dernier, d'être révoqué
+par le Conseil d'enquête, qui en la circonstance, a eu figure de conseil
+de guerre:
+
+ Pour être certain du succès, expliquait Renault, au cas où la majorité
+ des employés de chemins de fer ne cesserait pas le travail au début,
+ il est indispensable qu'une besogne dont il est inutile de donner ici
+ une définition, soit faite, au même instant, dans tous les centres
+ importants, au moment de la déclaration de grève.
+
+ Pour cela, il faudrait que des équipes de camarades résolus, décidés,
+ coûte que coûte, à empêcher la circulation des trains, soient dès
+ maintenant constitués dans tous les groupes et les points importants.
+ Il faudrait choisir des camarades parmi les professionnels, parmi ceux
+ qui, connaissant le mieux les rouages du service, sauraient trouver
+ les endroits sensibles, les points faibles, frapperaient à coup sûr
+ _sans faire de destruction imbécile_ et, par leur action efficace,
+ adroite, intelligente autant qu'énergique, rendraient, d'un seul coup,
+ inutilisable pour quelques jours le matériel indispensable au
+ fonctionnement du service et à la marche des trains.
+
+ Il faut penser sérieusement à cela. Il faut compter avec les jaunes,
+ les soldats...
+
+Cette tactique qui consiste à doubler la grève des bras de la grève des
+machines peut paraître s'inspirer de mobiles bas et mesquins. Il n'en
+est rien!
+
+Les travailleurs conscients se savent n'être qu'une minorité et ils
+redoutent que leurs camarades n'aient pas la ténacité et l'énergie de
+résister jusqu'au bout. Alors, pour entraver la désertion de la masse,
+ils lui rendent la retraite impossible: ils coupent les ponts derrière
+elle.
+
+Ce résultat, ils l'obtiennent en enlevant aux ouvriers, trop soumis aux
+puissances capitalistes, l'outil des mains et en paralysant la machine
+que fécondait leur effort. Par ces moyens, ils évitent la trahison des
+inconscients et les empêchent de pactiser avec l'ennemi en reprenant le
+travail mal à propos.
+
+Il y a une autre raison à cette tactique: ainsi que l'ont noté les
+citoyens Bousquet et Renault, les grévistes n'ont pas que les renégats à
+craindre; ils doivent aussi se méfier de l'armée.
+
+En effet, il devient de plus en plus d'usage capitaliste de substituer
+aux grévistes la main d'oeuvre militaire. Ainsi, dès qu'il est question
+d'une grève de boulangers, d'électriciens, de travailleurs des Chemins
+de fer, etc., le gouvernement songe de suite à énerver la grève et à la
+rendre inutile et sans objet en remplaçant les grévistes par des
+soldats.
+
+C'est au point que, pour supplanter les électriciens, par exemple, le
+gouvernement a dressé un corps de soldats du génie, auxquels on a appris
+le fonctionnement des machines génératrices d'électricité, ainsi que la
+manipulation des appareils et qui sont toujours prêts à accourir prendre
+la place des ouvriers de l'industrie électrique au premier symptôme de
+grève.
+
+Il est donc de lumineuse évidence que si les grévistes, qui connaissent
+les intentions gouvernementales, négligent,--avant de suspendre le
+travail,--de parer à cette intervention militaire, en la rendant
+impossible et inefficace, ils sont vaincus d'avance.
+
+Prévoyant le péril, les ouvriers qui vont engager la lutte seraient
+inexcusables de ne pas y obéir. Ils n'y manquent pas!
+
+Mais alors il arrive qu'on les accuse de vandalisme et qu'on blâme et
+flétrit leur irrespect de la machine.
+
+Ces critiques seraient fondées s'il y avait de la part des ouvriers
+volonté systématique de détérioration, sans préoccupation de but. Or, ce
+n'est pas le cas! Si les travailleurs s'attaquent aux machines c'est,
+non par plaisir ou dilettantisme, mais parce qu'une impérieuse nécessité
+les y oblige.
+
+Il ne faut pas oublier qu'une question de vie ou de mort se pose pour
+eux: s'ils n'immobilisent pas les machines ils vont à la défaite, à
+l'échec de leurs espérances; s'ils les sabotent, ils ont de grandes
+chances de succès, mais par contre, ils encourent la réprobation
+bourgeoise et sont accablés d'épithètes malsonnantes.
+
+Étant donné les intérêts en jeu, il est compréhensible qu'ils affrontent
+ces anathèmes d'un coeur léger et que la crainte d'être honnis par les
+capitalistes et leur valetaille ne les fasse pas renoncer aux chances de
+victoire que leur réserve une ingénieuse et audacieuse initiative.
+
+Ils sont dans une situation identique à celle d'une armée qui, acculée à
+la retraite, se résout à regret à la destruction des armements et des
+approvisionnements qui gêneraient sa marche et risqueraient de tomber au
+pouvoir de l'ennemi. En ce cas, cette destruction est légitime, tandis
+qu'en toute autre circonstance elle serait folie.
+
+En conséquence, il n'y a pas plus raison de blâmer les ouvriers qui,
+pour assurer leur triomphe recourent au sabotage, qu'il n'y a lieu de
+blâmer l'armée qui, pour se sauver elle-même, sacrifie ses
+_impedimenta_.
+
+Nous pouvons donc conclure qu'il en est du sabotage, ainsi que de toutes
+les tactiques et de toutes les armes: la justification de leur emploi
+découle des nécessités et du but poursuivi.
+
+C'est à cette préoccupation des nécessités inéluctables et du but à
+atteindre qu'obéissaient, il y a quelques années, les employés des
+tramways de Lyon qui, pour rendre impossible la circulation des «cars»,
+avec des renégats pour wattmen, coulaient du ciment dans les aiguilles
+des rails.
+
+Autant peut s'en dire également du personnel du chemin de fer du Médoc
+qui se mit en grève en juillet 1908: avant de suspendre le travail il
+avait eu soin de couper la ligne télégraphique reliant les gares et,
+lorsque la Compagnie voulut organiser un service de fortune il fut
+constaté que les organes de prise d'eau des locomotives avaient été
+dévissés et cachés.
+
+Un original procédé est le suivant, qui fut appliqué à Philadelphie dans
+une grande maison de fourrures, une de ces dernières années: avant de
+quitter le travail les ouvriers coupeurs furent invités par le Syndicat
+à modifier la grandeur de leurs «patrons» régulièrement d'un pouce en
+plus ou en moins. Chaque ouvrier suivit le conseil, rognant ou
+augmentant ses «patrons» à sa guise... Après quoi, le travail ayant
+cessé des «jambes noires» furent embauchés sans que les grévistes en
+soient émus. Ces jaunes se mirent au travail et ce fut un beau gâchis!
+Les coupeurs coupèrent... et rien ne s'accordait! Tant et si bien
+qu'après avoir perdu beaucoup de dollars, le patron fut dans
+l'obligation de réembaucher les grévistes... Chacun reprit son poste et
+chacun redressa ses «patrons» en plus ou en moins.
+
+On n'a pas oublié la formidable désorganisation qu'apporta au printemps
+de 1909 la grève des Postes et Télégraphes. Cette grève étonna bien des
+aveugles volontaires, auxquels échappent les symptômes sociaux les plus
+accentués; ceux-là eussent manifesté moins de stupéfaction s'ils avaient
+su que le _Cri Postal_, l'organe corporatif des sous-agents des P. T.
+T., déclarait, dès le mois d'avril 1907:
+
+ Vous nous parlez coups de trique, nous répondrons coups de matraque...
+ Ce que vous ne pourrez jamais empêcher, c'est qu'un jour, les
+ correspondances et les télégrammes pour Lille aillent faire un tour à
+ Perpignan. Ce que vous ne pourrez jamais empêcher, c'est que les
+ communications téléphoniques soient subitement embrouillées et les
+ appareils télégraphiques subitement détraqués. Ce que vous ne pourrez
+ jamais empêcher, c'est que dix mille employés restent à leur poste,
+ mais les bras croisés. Ce que vous ne pourrez jamais empêcher c'est
+ que dix mille employés vous remettent le même jour, à la même heure,
+ leur demande de mise en disponibilité et cessent le travail
+ _légalement aussitôt_. Et ce que vous ne pourrez jamais faire, c'est
+ les remplacer par des soldats...
+
+Bien d'autres exemples seraient à citer. Mais, n'écrivant pas un traité
+de sabotage, il ne peut être question d'exposer ici les moyens, aussi
+complexes que variés, auxquels recourent et peuvent recourir les
+travailleurs. Les quelques-uns que nous venons de rappeler suffisent
+amplement pour faire saisir sur le vif les caractères du sabotage.
+
+ * * * * *
+
+Outre les procédés exposés ci-dessus il en est un autre,--qui s'est
+passablement répandu depuis l'échec de la deuxième grève des
+Postiers,--et qu'on pourrait qualifier de sabotage par représailles.
+
+A la suite de cette deuxième grève, des groupes de révolutionnaires,
+dont les recherches de la police et du parquet n'ont pas réussi à
+découvrir la filière, décidèrent de saboter les lignes télégraphiques et
+téléphoniques, pour protester contre le renvoi en masse de plusieurs
+centaines de grévistes. Ils annoncèrent leur intention de s'acharner à
+ces guérillas d'un nouveau genre tant que les postiers révoqués pour
+faits de grève, n'auraient pas été réintégrés.
+
+Une circulaire confidentielle envoyée aux adresses sûres que ces
+groupes,--ou ce groupe,--s'étaient procurées, précisait dans quelles
+conditions devait s'opérer cette campagne de sabotage des fils.
+
+ Les camarades qui t'envoient ce papier, disait cette circulaire, te
+ connaissent si tu ne les connais pas; excuse-les de ne pas signer.
+
+ Ils te connaissent pour un révolutionnaire sérieux.
+
+ Ils te demandent de couper les fils télégraphiques et téléphoniques
+ qui seront à ta portée dans la nuit de lundi à mardi 1er juin.
+
+ Les nuits suivantes tu continueras sans autre mot d'ordre, le plus
+ souvent que tu pourras.
+
+ Quand le Gouvernement en aura assez il réintégrera les 650 postiers
+ qu'il a révoqués.
+
+Dans une seconde partie, cette circulaire contenait un formulaire
+détaillé et technique qui exposait les différentes façons de couper les
+fils tout en évitant d'être électrocutés. Elle recommandait aussi, avec
+beaucoup d'insistance, de ne pas toucher aux fils des signaux ni aux
+fils télégraphiques des compagnies de chemins de fer et, pour rendre
+impossible toute erreur, il était insisté minutieusement sur les moyens
+de reconnaître les fils des compagnies de ceux des lignes de l'État.
+
+L'hécatombe des fils télégraphiques et téléphoniques fut considérable
+sur tous les points de la France et elle se continua sans répit jusqu'à
+la chute du ministère Clemenceau.
+
+A l'avènement du ministère Briand il y eut une sorte d'armistice, une
+suspension des hostilités contre les lignes télégraphiques, les nouveaux
+ministres ayant laissé entrevoir comme prochaine la réintégration des
+victimes de la grève.
+
+Depuis, en diverses circonstances, certains groupes, voulant protester
+contre l'arbitraire du pouvoir, ont pris l'initiative de s'adonner à
+cette guerre aux fils télégraphiques et téléphoniques. Voici, à titre
+documentaire, l'un des bilans d'un des groupes les plus actifs en ce
+genre d'opérations:
+
+ _Septième bilan du groupe révolutionnaire secret de la région de
+ Joinville et ses succursales:_
+
+ Fils télégraphiques et téléphoniques coupés pour protester contre
+ l'arrestation arbitraire du camarade Ingweiller, secrétaire de l'Union
+ syndicale des ouvriers sur métaux, les poursuites scandaleuses
+ engagées contre le comité de grève du Bi-Métal et les condamnations
+ prononcées le 25 juillet 1910.
+
+ Opérations faites par le comité révolutionnaire secret de la région de
+ Joinville et le comité de Seine-et-Oise du 8 au 28 juillet 1910:
+
+ Région de Montesson, le Vésinet, Pont du Pecq 78 lignes
+ 25 juillet.--Route de Melun à Montgeron 32 --
+ 25 juillet.--Route de Corbeil à Draveil. 24 --
+ 28 juillet.--Ligne du P.-L.-M. (Porte de Charenton) 87 --
+ Total 221 lignes
+ Report des 6 précédents bilans. 574 --
+ Total 795 lignes
+
+Jusqu'ici, nous n'avons envisagé le sabotage que comme un moyen de
+défense utilisé par le producteur contre le patron. Il peut, en outre,
+devenir un moyen de défense du public contre l'État ou les grandes
+compagnies.
+
+L'État--à tout seigneur tout honneur!--en a déjà pâti. On sait avec
+quelle désinvolture il exploite les services publics qu'il a englobés.
+On sait aussi que les voyageurs du réseau de l'Ouest sont, entre tous,
+les plus mal lotis. Aussi, à bien des reprises, un vent de colère a-t-il
+passé sur eux et il y a eu alors, en une crise de révolte, fusion des
+classes contre l'État maudit.
+
+Nous avons assisté à un rude sabotage de la gare St-Lazare... mais ce ne
+fut qu'un geste d'exaspération impulsif et momentané.
+
+Or, voici qu'un syndicat de «défense des intérêts des voyageurs» vient,
+à fin août dernier, de se constituer et, dès sa naissance, convaincu de
+l'inanité des moyens légaux, il a (dans une réunion tenue à Houilles)
+affirmé sa volonté de recourir, pour obtenir satisfaction, à tous les
+moyens possibles et imaginables et s'est déclaré partisan d'un sabotage
+intensif du matériel.
+
+C'est preuve que le sabotage fait son chemin!
+
+
+
+
+CHAPITRE V
+
+L'obstructionnisme
+
+
+L'_obstructionnisme_ est un procédé de sabotage à rebours qui consiste à
+appliquer avec un soin méticuleux les règlements, à faire la besogne
+dont chacun a charge avec une sage lenteur et un soin exagéré.
+
+Cette méthode est surtout usitée dans les pays germaniques et une des
+premières et importantes applications en a été faite en 1905, en Italie,
+par les travailleurs des chemins de fer.
+
+Il est inutile d'insister pour démontrer qu'en ce qui concerne
+spécialement l'exploitation des voies ferrées, les circulaires et les
+règlements chevauchent les uns sur les autres; il n'est pas difficile
+non plus de concevoir combien leur scrupuleuse et stricte application
+peut apporter de désarroi dans le service.
+
+Le gâchis et la désorganisation furent, en Italie, lors de l'Obstruction
+des _Ferrovieri_ fantastiques et formidables. En fait, la circulation
+des trains fut presque suspendue.
+
+L'évocation de ce que fut cette période de résistance passive fera
+saisir toute l'ingéniosité de cette tactique de lutte ouvrière. Les
+reporters qui vécurent l'_obstruction_ nous en donnèrent des récits qui
+ont une saveur que n'aurait pas un exposé théorique. Laissons-leur donc
+la parole:
+
+ Le règlement veut qu'on ouvre le guichet pour la distribution des
+ tickets trente minutes avant l'heure du départ du train et qu'on le
+ ferme cinq minutes avant.
+
+ On ouvre donc les guichets. La foule se presse et s'impatiente. Un
+ monsieur offre un billet de 10 francs pour payer un ticket de 4 fr.
+ 50. L'employé lui lit l'article qui impose aux voyageurs l'obligation
+ de se présenter avec leur argent, compté jusqu'aux centimes. Qu'il
+ aille donc faire de la monnaie. L'incident se répète pour huit
+ voyageurs sur dix. Contre tout usage, mais selon le règlement, on ne
+ rend pas de monnaie, fût-ce sur un franc. Après vingt-cinq minutes,
+ une trentaine de personnes à peine ont pris leurs billets. Les autres
+ arrivent essoufflées, avec leur monnaie. Mais le guichet est fermé,
+ parce que le délai réglementaire est écoulé.
+
+ Ne croyez pas, toutefois, que ceux qui ont pu prendre leurs billets ne
+ soient pas à plaindre. Ils ne sont qu'au début de leurs peines. Ils
+ sont dans le train, mais le train ne part pas. Il doit attendre que
+ d'autres trains arrivent, d'autres trains qui sont en panne à cinq
+ cents mètres de la gare. Car, d'après le règlement, on a accompli là
+ des manoeuvres qui ont déterminé un arrêt interminable. Des voyageurs,
+ impatientés, sont même descendus pour gagner à pied la gare; mais les
+ surveillants les ont arrêtés et leur ont dressé procès-verbal.
+
+ D'ailleurs, dans le train qui doit partir, il y a des tuyaux de
+ chauffage à surveiller, et une inspection minutieuse peut durer
+ jusqu'à deux heures. Enfin, le train s'ébranle. On pousse un soupir de
+ soulagement. On croit toucher au but. Illusion!
+
+ A la première gare, le chef de train examine toutes les voitures et
+ donne les ordres opportuns. On vérifie notamment si toutes les
+ portières sont bien fermées. On devrait s'arrêter une minute; c'est un
+ quart d'heure au moins qu'il faut compter...
+
+Ces incidents, qui se produisirent au premier jour, à Rome et un peu
+partout, ne donnent qu'une image, imparfaite encore, de la situation.
+Pour les manoeuvres dans les gares et pour la formation des trains de
+marchandises, les choses étaient bien plus compliquées.
+
+Et tout cela entremêlé d'incidents grotesques ou joyeux à faire pâmer
+d'aise les mânes de Sapeck.
+
+A Milan, un train s'était formé péniblement après une heure et demie de
+travail. Le surveillant passe et voit, tout au milieu, une de ces
+vieilles et horribles voitures que, par avarice, les Compagnies
+s'obstinent à faire circuler. «Voiture hors d'usage», prononce-t-il. Et
+tout de suite, il faut détacher la voiture et reformer le train.
+
+A Rome, un chauffeur doit reconduire sa machine au dépôt. Mais il
+s'aperçoit que, derrière le tender on n'a pas placé les trois lanternes
+réglementaires. Il refuse donc de bouger. On va chercher les lanternes;
+mais, au dépôt, on refuse de les livrer, car on réclame un mot écrit du
+chef de gare. Cet incident prend une demi-heure.
+
+Au guichet se présente un voyageur avec un billet à prix réduit. Au
+moment de timbrer, l'employé demande:
+
+--Vous êtes bien M. Untel, dont le nom figure sur le billet?
+
+--Certainement.
+
+--Vous avez des papiers constatant votre identité?
+
+--Non, pas sur moi.
+
+--Alors, soyez assez bon pour trouver deux témoins qui me garantissent
+votre identité...
+
+Toujours au guichet: un député se présente.
+
+--Ah! vous êtes l'honorable X...?
+
+--Parfaitement.
+
+--Votre médaille?
+
+--Voici.
+
+--Veuillez me donner votre signature.
+
+--Avec plaisir. Un encrier.
+
+--Je n'en ai malheureusement pas.
+
+--Alors, comment puis-je signer?
+
+Et l'employé, placide et imperturbable de répondre:
+
+--Je crois qu'au buffet...
+
+Le correspondant d'un grand journal parisien narra, à l'époque, son
+burlesque voyage au temps d'obstruction:
+
+ Je me fis conduire à la gare des Termini (à Rome), où j'arrivai juste
+ à l'heure du départ réglementaire du train de Civita-Vecchia, Gênes,
+ Turin et Modane.
+
+ Je me présentai au guichet qui était libre.
+
+ --Suis-je encore à temps pour le train de Gênes? demandai-je à
+ l'employé.
+
+ Celui-ci me regarde un moment d'un air étonné; puis, il me répond avec
+ flegme, en scandant les syllabes:
+
+ --Certainement, le train de Gênes n'est pas encore parti.
+
+ --Donnez-moi donc un billet d'aller et retour pour Civita-Vecchia,
+ dis-je en lui passant ma monnaie comptée par avance.
+
+ L'employé prend ma monnaie, observe minutieusement et une à une chaque
+ pièce, chaque sou; il les palpe, les fait sonner pour les vérifier, le
+ tout avec une lenteur telle que je lui dis, feignant l'impatience:
+
+ --Mais vous allez me faire manquer mon train!
+
+ --Bah! votre train ne part pas encore...
+
+ --Comment! comment! fis-je.
+
+ --Oui... On dit qu'il y a une petite chose de détraquée dans la
+ machine.
+
+ --Eh bien! on la changera!
+
+ --_Chi lo sa?..._
+
+ Je laisse cet homme impassible, et gagne le quai dont la physionomie
+ est anormale. Plus de ces allées et venues fébriles, de facteurs,
+ d'employés; ceux-ci sont répartis en petits groupes, parlant posément
+ entre eux, ce pendant que les voyageurs font les cent pas devant les
+ portières du train ouvertes. Partout règne le calme d'une petite gare
+ de province.
+
+ Je m'approche d'une voiture de première classe. Une dizaine de
+ manoeuvres astiquent les poignées de cuivre, nettoient les vitres,
+ ouvrent et ferment les portières pour s'assurer qu'elles jouent bien,
+ époussètent les coussins, éprouvent les robinets d'eau et les boutons
+ de lumière électrique. Une vraie rage de propreté, fait inouï dans les
+ chemins de fer italiens! Huit minutes ont passé et la voiture n'est
+ pas prête encore.
+
+ --_Dio mio!_ s'écrie soudain un des manoeuvres, voilà de la rouille
+ sur les poignées de cette portière!
+
+ Et il frotte la rouille avec une ardeur sans pareille.
+
+ --Est-ce que vous allez nettoyer ainsi toutes les voitures? lui
+ dis-je.
+
+ --Toutes! me répond cet homme consciencieux d'une voix grave. Et il y
+ en a quinze à nettoyer encore!
+
+ Cependant, la locomotive n'est pas encore là. Je m'enquiers. Un
+ employé complaisant m'assure que le mécanicien est entré au dépôt à
+ l'heure réglementaire, mais il lui a fallu beaucoup de temps pour
+ mettre sa machine en état, car il a voulu peser les sacs de charbon,
+ compter une à une les briques d'aggloméré, enfin, inquiet sur certains
+ appareils, il a dû prier son chef de service de venir discuter avec
+ lui,--conformément au règlement!
+
+ J'assiste au dialogue suivant entre un sous-chef de gare et le chef de
+ train:
+
+ «--Écoutez, dit le sous-chef de gare, vous savez bien que si vous
+ exigez que le train soit formé suivant les règlements, on ne partira
+ plus.
+
+ «--Pardon, chef, réplique l'autre avec calme. Il faut d'abord faire
+ respecter l'article 293 qui exige que les voitures à tampons fixes
+ alternent entre les voitures à tampons à ressort. Puis, il y a tout le
+ train à reformer, car aucun des tampons ne coïncide exactement avec
+ son contraire, comme il est prescrit à l'article 236, lettre A. Les
+ chaînes de sûreté manquent en partie à certaines voitures qu'il faudra
+ par conséquent réparer, comme l'exige l'article 326, lettre B. De
+ plus, la formation du train n'est pas faite comme il est prescrit,
+ parce que les voitures pour...
+
+ «--Vous avez parfaitement raison, s'écrie le sous-chef de gare. Mais
+ pour faire tout cela, il faut une journée!
+
+ «--Ce n'est que trop vrai, soupire le chef de train, goguenard. Mais,
+ que vous importe? Une fois en route, la responsabilité pèse toute sur
+ moi. J'insiste donc pour que le règlement soit respecté...»
+
+ Finalement un coup de sifflet annonce que la locomotive s'avance,
+ s'arrêtant longuement à chaque aiguillage pour une longue discussion
+ entre le mécanicien et l'aiguilleur. En arrivant sur la voie où notre
+ train l'attend, le mécanicien s'arrête encore une fois avec prudence:
+ avant d'aller plus loin et d'aborder la tête de son train, il veut
+ savoir si les freins des voitures sont en bon état, s'il n'y a pas de
+ lampistes ou d'autres agents sur les toits des wagons... Un accident
+ est si vite arrivé! Enfin, le mécanicien se déclare satisfait et il
+ amène sa locomotive à l'amarrage.
+
+ Nous allons partir?... Allons donc! Le manomètre de la machine doit
+ marquer 5 degrés et il en marque 4. D'habitude, on part quand même et
+ la pression monte en route. Mais le règlement exige les 5 degrés au
+ départ et notre mécanicien ne partirait pour rien au monde à 4,9
+ dixièmes ce soir.
+
+ Nous finissons par démarrer avec une heure et demie de retard. Nous
+ sortons de la gare avec une sage lenteur, sifflant à toutes les
+ aiguilles, longeant six trains en panne à deux kilomètres de Rome et
+ dont les voyageurs pestent à qui mieux mieux, et... nous voici sous la
+ coupe des contrôleurs qui passent leur temps à faire signer les
+ voyageurs munis de permis, de demi-permis et de billets circulaires.
+
+ Cependant, première station. Des voyageurs montent. Les employés
+ vérifient lentement la fermeture de toutes les portières, qu'ils
+ ouvrent et ferment. Dix minutes se perdent encore. Malgré tout, le
+ chef de gare siffle pour le départ.
+
+ --_Momento!_ lui crie le chef de train. _Momento!_
+
+ --Qu'y a-t-il? demande le chef de gare.
+
+ --Je vais fermer la vitre de ce compartiment, là-bas, comme le
+ prescrit l'article 676 du règlement.
+
+ Et il le fait comme il l'a dit!
+
+ On repart... A la gare suivante, nouvelle comédie.
+
+ Il y a là des colis à prendre, neuf malles et cinq valises que le chef
+ de train tient à vérifier avant de les admettre--comme il est prescrit
+ par l'article 739 du règlement.
+
+ Et nous sommes arrivés enfin à Civita-Vecchia, à minuit 40, avec près
+ de trois heures de retard, sur un parcours qui, d'ordinaire, se fait
+ en deux heures...
+
+Voilà ce qu'est l'_obstructionnisme_: respect et application, poussés
+jusqu'à l'absurde, des règlements; accomplissement de la besogne dévolue
+avec un soin excessif et une non moins excessive lenteur.
+
+Ceci exposé, il n'est pas inutile de connaître l'appréciation portée sur
+cette tactique de lutte par le Congrès International des Ouvriers du
+Transport, qui se tint à Milan, en juin 1906.
+
+Le rapporteur était un délégué autrichien, le citoyen Tomschick:
+
+ Il est très difficile de dire, déclara-t-il: le Congrès recommande aux
+ travailleurs des chemins de fer de se mettre en grève ou d'employer la
+ résistance passive. Par exemple, ce qui est bon et possible en
+ Autriche, peut être mauvais et impossible à exécuter dans les autres
+ pays...
+
+ Quant à la résistance passive: Elle est ancienne, elle a été appliquée
+ déjà en 1895. Les camarades italiens ont employé la résistance passive
+ bien maladroitement en l'étendant également aux trains de voyageurs.
+ Ils ont ainsi excité la population et c'était absolument inutile, car
+ la circulation des voyageurs n'est pas la partie la plus importante du
+ commerce, elle ne vient qu'en deuxième ligne. Pour les chemins de fer
+ c'est surtout la circulation des marchandises qui entre en
+ considération et il faut frapper les chemins de fer par son arrêt. Si
+ les camarades italiens avaient fait ceci, ils auraient sans doute
+ obtenu de grands avantages. Plus les marchandises s'accumulent, plus
+ l'entière circulation est arrêtée et la conséquence en est que les
+ voyageurs protestent parce qu'ils doivent rester en dehors et attendre
+ en vain leur transport. Dans ces cas les réclamations des voyageurs ne
+ s'adresseront pas aux travailleurs des chemins de fer, mais aux
+ administrations. En Italie on a pu constater le contraire: la
+ population était contre les travailleurs des chemins de fer.
+
+ Je vous dis que la résistance passive est bien plus difficile à
+ exécuter que la grève. Lors de la résistance passive les travailleurs
+ des chemins de fer sont toujours sous le fouet des supérieurs, à
+ chaque quart d'heure ils doivent se défendre contre toute sorte de
+ commandements et, à cause du refus de travail, ils peuvent être
+ congédiés à chaque moment.
+
+ Prenez tous les fonctionnaires: tout au plus dix sur cent savent les
+ instructions, car les employés ne sont pas instruits par leurs chefs.
+ Vous pouvez alors vous imaginer combien il est difficile d'éclairer et
+ d'informer les travailleurs des chemins de fer lors d'une résistance
+ passive.
+
+ Et puis il y a encore une circonstance importante qu'il ne faut pas
+ oublier: lors de la résistance passive on surcharge de travail les
+ hommes indifférents, ils doivent courir continuellement, ils ont peu
+ de repos et par la perte de la rémunération kilométrique ils ont en
+ même temps une diminution de leur gain. C'est pourquoi, nous y
+ insistons encore une fois, l'exécution de la résistance passive n'est
+ point une tâche facile...
+
+Le Congrès ne désapprouva d'ailleurs pas l'Obstruction: il ne se
+prononça pas entre les deux moyens,--la résistance passive et la
+grève,--laissant aux intéressés le soin d'user de l'une ou de l'autre,
+selon qu'ils le jugeraient préférable.
+
+Ces réserves du Congrès, au sujet de la résistance passive en étaient si
+peu une condamnation que, l'année suivante, en octobre 1907, les
+cheminots autrichiens avaient recours à ce moyen de lutte: l'obstruction
+se continua durant une quinzaine de jours et les compagnies furent
+obligées de capituler.
+
+Depuis, en maintes circonstances, l'obstructionnisme a été pratiqué dans
+les pays autrichiens: entre autres corporations qui y ont eu recours,
+citons celles des employés des postes et des typographes.
+
+Ajoutons, avant de conclure, que ce procédé de lutte a acquis droit de
+cité en Allemagne: à l'approche du jour de l'an 1908 les employés des
+grandes maisons d'édition de Liepzig ont usé de ce sabotage à rebours
+qu'est l'Obstructionnisme. Un journal corporatif exposa les faits comme
+suit:
+
+ Ces employés qui, malgré la cherté des vivres, devaient travailler à
+ des conditions excessivement précaires, avaient soumis un projet de
+ tarif aux patrons demandant un minimum de salaire de 110 marks par
+ mois. Les patrons comptant sur le manque d'union des employés (il
+ existe 5 syndicats différents, dont 1 socialiste), auraient bien voulu
+ traîner les pourparlers en longueur pour arriver à la morte-saison et
+ ainsi pouvoir faire fi des revendications ouvrières. Mais ils avaient
+ compté sans la vigilance du Syndicat socialiste qui convoqua tous les
+ employés à une réunion, où il fut décidé d'adopter le sabotage pour
+ forcer les patrons à donner une solution. Le lendemain, les employés
+ entrèrent dans la résistance passive, c'est-à-dire qu'ils
+ travaillèrent consciencieusement, _sans trop se presser_, recomptèrent
+ plusieurs fois les factures avant de les expédier, mettant le plus
+ grand soin aux emballages, etc., et le résultat fut que quantité de
+ ballots de livres ne purent être expédiés. Les patrons, voyant les
+ choses tourner de cette façon, accordèrent dès le lendemain
+ l'augmentation demandée.
+
+Il nous reste à observer que si l'Obstructionnisme a fait ses preuves en
+Allemagne, il n'a pas encore,--sauf erreur,--été pratiqué en France.
+Cependant, il n'est pas improbable qu'il s'y acclimate... il n'est
+besoin pour cela que de l'occasion, de circonstances propices.
+
+
+
+
+Conclusions
+
+
+Ainsi que nous venons de le constater par l'examen des modalités du
+sabotage ouvrier, sous quelque forme et à quelque moment qu'il se
+manifeste, sa caractéristique est,--toujours et toujours!--de viser le
+patronat à la caisse.
+
+Contre ce sabotage, qui ne s'attaque qu'aux moyens d'exploitation, aux
+choses inertes et sans vie, la bourgeoisie n'a pas assez de
+malédictions.
+
+Par contre, les détracteurs du sabotage ouvrier ne s'indignent pas d'un
+autre sabotage,--véritablement criminel, monstrueux et abominable on ne
+peut plus, celui-là,--qui est l'essence même de la société capitaliste;
+
+Ils ne s'émeuvent pas de ce sabotage qui, non content de détrousser ses
+victimes, leur arrache la santé, s'attaque aux sources même de la vie...
+à tout!
+
+Il y a à cette impassibilité une raison majeure: c'est que, de ce
+sabotage-là, ils sont les bénéficiaires!
+
+Saboteurs, les commerçants qui, en tripatouillant le lait, aliment des
+tout petits, fauchent en herbe les générations qui poussent;
+
+Saboteurs, les fariniers et les boulangers qui additionnent les farines
+de talc ou autres produits nocifs, adultérant ainsi le pain, nourriture
+de première nécessité;
+
+Saboteurs, les fabricants de chocolats à l'huile de palme ou de coco; de
+grains de café à l'amidon, à la chicorée et aux glands; de poivre à la
+coque d'amandes ou aux grignons d'olives; de confitures à la glucose; de
+gâteaux à la vaseline; de miel à l'amidon et à la pulpe de châtaignes;
+de vinaigre à l'acide sulfurique; de fromages à la craie ou à la fécule;
+de bière aux feuilles de buis, etc., etc.
+
+Saboteurs, les trafiquants, ô combien patriotes!--plus et mieux que
+Bazaine,--qui, en 1870-71, contribuèrent au sabotage de leur patrie en
+livrant aux soldats des godillots aux semelles de carton et des
+cartouches à la poudre de charbon; saboteurs, également, leurs rejetons
+qui, entrés dans la carrière paternelle avec au coeur le traditionnel
+bonnet à poil, construisent les chaudières explosives des grands
+cuirassés, les coques fêlées des sous-marins, fournissent l'armée de
+«singe» pourri, de viandes avariées ou tuberculeuses, de pain au talc ou
+aux féveroles, etc.[6]
+
+ [6] Autre et récent exemple de sabotage capitaliste:
+
+ Lors du Circuit de l'Est, il fut fait grand tapage, sous prétexte de
+ sabotage d'aéroplanes. Il est superflu de décharger les
+ révolutionnaires d'un tel crime. Ils ont en trop haute estime cette
+ invention merveilleuse pour avoir songé à saboter un aéroplane...
+ fût-il piloté par un officier.
+
+ Après enquête, il a été reconnu que le seul et unique saboteur des
+ aéroplanes était un _honnête commerçant_... et patriote, comment
+ donc!
+
+ On avait commandé à ce mercanti de l'huile de ricin de première
+ qualité (utilisée pour le graissage des moteurs) et il livra, en
+ remplacement, du sulforicinate d'ammoniaque, produit inférieur et
+ nocif qu'il vendit au taux de l'huile de ricin.
+
+ Sous l'action de la chaleur développée par la rotation excessivement
+ rapide du moteur, le sulforicinate d'ammoniaque se dissocia et il se
+ forma de l'acide sulfurique dont l'action corrosive fut désastreuse
+ pour les organes métalliques qu'au lieu de graisser il détériora et
+ immobilisa.
+
+ Ce sabotage capitaliste eût pu causer la mort des aviateurs
+ Legagneux et le lieutenant Aquaviva...
+
+Saboteurs, les entrepreneurs de bâtisses, les constructeurs de voies
+ferrées, les fabricants de meubles, les marchands d'engrais chimiques,
+les industriels de tous poils et de toutes les catégories...
+
+Tous saboteurs! tous, sans exceptions!... car, tous, en effet, truquent,
+bouzillent, falsifient, le plus qu'ils peuvent.
+
+Le sabotage est partout et en tout: dans l'industrie, dans le commerce,
+dans l'agriculture... partout! partout!
+
+Or, ce sabotage capitaliste qui imprègne la société actuelle, qui
+constitue l'élément dans lequel elle baigne,--comme nous baignons dans
+l'oxygène de l'air,--ce sabotage qui ne disparaîtra qu'avec elle, est
+bien autrement condamnable que le sabotage ouvrier.
+
+Celui-ci,--il faut y insister!--ne s'en prend qu'au capital, au
+coffre-fort, tandis que l'autre s'attaque à la vie humaine, ruine la
+santé, peuple les hôpitaux et les cimetières.
+
+Des blessures que fait le sabotage ouvrier ne gicle que l'or; de celles
+produites par le sabotage capitaliste, au contraire, le sang coule à
+flots.
+
+Le sabotage ouvrier s'inspire de principes généreux et altruistes: il
+est un moyen de défense et de protection contre les exactions
+patronales; il est l'arme du déshérité qui bataille pour son existence
+et celle de sa famille; il vise à améliorer les conditions sociales des
+foules ouvrières et à les libérer de l'exploitation qui les étreint et
+les écrase... Il est un ferment de vie rayonnante et meilleure.
+
+Le sabotage capitaliste, lui, n'est qu'un moyen d'exploitation
+intensifiée; il ne condense que les appétits effrénés et jamais repus;
+il est l'expression d'une répugnante rapacité, d'une insatiable soif de
+richesses qui ne recule pas devant le crime pour se satisfaire... Loin
+d'engendrer la vie, il ne sème autour de lui que ruines, deuil et mort.
+
+
+IMP. COOPÉRATIVE OUVRIÈRE, VILLENEUVE-St-GEORGES
+
+
+
+
+SCIENCES SOCIALES
+
+_EXTRAIT DU CATALOGUE_
+
+de la Librairie Marcel RIVIÈRE et Cie
+
+COLLECTION
+
+"Les Documents du Socialisme"
+
+PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
+
+Albert THOMAS, Député de la Seine
+
+Chaque volume in-18 de 72 ou 80 pages: 0 fr. 75
+
+Cette bibliothèque fournira aux militants des études précises, simples,
+mais nourries de faits sur les différents mouvements économiques et
+sociaux (coopération, socialisme, mutualité, municipalisme), sur
+l'histoire du socialisme, sur le développement capitaliste. Des
+traductions, des rééditions de textes fameux et difficiles à trouver,
+des publications statistiques alterneront avec les études originales.
+Rapidement les «Documents du socialisme» formeront une collection
+indispensable à tout socialiste, à tout homme de science.
+
+_VOLUMES PARUS:_
+
+I. L'Unité coopérative, par Eugène FOURNIÈRE, 1910.
+
+II. La Civilisation socialiste, par Ch. ANDLER, 1910.
+
+III. Le Socialisme et la concentration industrielle, par Hubert BOURGIN.
+
+_À PARAÎTRE:_
+
+Le monopole des assurances, par Et. BUISSON.
+
+L'Internationale, par Georges BOURGIN.
+
+
+BIBLIOTHÈQUE
+
+DU
+
+MOUVEMENT PROLÉTARIEN
+
+Chaque volume in-16, de 64 pages au moins: 0 fr. 60
+
+Par son format commode et son prix minime, cette collection s'adresse à
+ceux qui, dans tous les milieux, sont attentifs au mouvement social de
+leur temps et, spécialement, à cette partie du public qui n'a pas la
+possibilité d'aborder les gros travaux et de rechercher les articles
+spéciaux publiés sur ces questions.
+
+Elle comprend des études descriptives, historiques, documentaires,
+théoriques, critiques, biographiques, etc.
+
+_VOLUMES PARUS:_
+
+I. Syndicalisme et Socialisme, conférence internationale, par V.
+GRIFFUELHES, B. KRITCHEWSKY. A. LABRIOLA, HUBERT LAGARDELLE et ROBERT
+MICHELS.
+
+II. La Confédération Générale du Travail, 2e édition, 1910, par E.
+POUGET.
+
+III. La Décomposition du Marxisme, 2e édition, 1910, par Georges SOREL.
+
+IV. L'Action syndicaliste, par VICTOR GRIFFUELHES.
+
+V. Le Parti socialiste et la Confédération du travail, discussion par
+JULES GUESDE, HUBERT LAGARDELLE et EDOUARD VAILLANT.
+
+VI. Les nouveaux aspects du Socialisme, par ED. BERTH.
+
+VII. Les Instituteurs et le Syndicalisme, par M. T. LAURIN.
+
+VIII. La Révolution dreyfusienne, par G. SOREL.
+
+IX. Les Bourses du Travail, par P. DELESALLE.
+
+X. Voyage révolutionnaire, par V. GRIFFUELHES.
+
+XI. Les Objectifs de nos luttes de classes, par V. GRIFFUELHES et LOUIS
+NIEL, préface de GEORGES SOREL.
+
+XII. Le Mouvement ouvrier en Italie, par LANZILLO.
+
+XIII. Le Sabotage, par Em. POUGET.
+
+
+COLLECTION
+
+"Systèmes et Faits sociaux"
+
+La Philosophie sociale de Renouvier, par ROGER PICARD, 1 vol. in-8 de
+344 pages, br. 7 fr. 50
+
+La Richesse de la France. Fortune et revenus privés, par H. DE LAVERGNE
+et PAUL HENRY, 1 vol. in-8 de 216 pages, br. 6 fr.
+
+Race et Milieu social. Essais d'Anthroposociologie, par VACHER DE
+LAPOUGE, 1910, 1 vol. in-8 de 393 pages, br. 8 fr.
+
+La Protection de la Maternité, par J. MORNET, 1910, 1 vol. in-8, br. 6
+fr.
+
+Le Programme socialiste, par KAUTSKY. Traduction RÉMY, 1910, 1 vol.
+in-8, br. 6 fr.
+
+Le Chômage: causes, conséquences, remèdes, par H. DE LAVERGNE et P.
+HENRY, 1910, 1 vol. in-8, br. 8 fr.
+
+Les Cahiers de 1789 et les classes ouvrières, par ROGER PICARD, 1 vol.
+in-8, 1910. 6 fr.
+
+Le travail à domicile: ses misères, ses remèdes, par G. MÉNY, 1 vol.
+in-8, 1910. 8 fr.
+
+La fin de l'esclavage dans l'antiquité, par CICCOTTI, traduit par G.
+PLATON, 1910, 1 vol. in-8, br. 10 fr.
+
+Introduction à la Sociologie, par G. DE GREEF, prof. à l'Université
+nouvelle de Bruxelles, 2e édit., 1911, 2 vol. in-8. 12 fr.
+
+
+COLLECTION
+
+"Études sur le Devenir social"
+
+I. Les illusions du progrès, par GEORGES SOREL, 2e édition augmentée, 1
+vol. in-16. 3 fr. 50
+
+II. Dialogues socialistes, par ED. BERTH, 1 vol. in-16. 3 fr. 50
+
+III. Karl Marx: l'économiste, le socialiste, par A. LABRIOLA, traduit
+par BERTH. Préface de GEORGES SOREL, 1 vol. in-16. 4 fr.
+
+IV. Réflexions sur la violence, par GEORGES SOREL, 2e édition, 1910, 1
+vol. in-16. 5 fr.
+
+V. Le Mythe vertuiste et la Littérature immorale, par VILFREDO PARETO,
+prof. d'économie politique, 1 vol. in-16. 3 fr.
+
+VI. L'Interprétation économique de l'Histoire, par E. SELIGMAN, traduit
+par H.-E. BARRAULT. Préface de GEORGES SOREL, 1 vol. in-16. 3 fr.
+
+
+BIBLIOTHÈQUE
+
+DES
+
+Sciences économiques et sociales
+
+La journée de huit heures, par MARCEL LECOQ, _docteur en droit ès
+sciences économiques_, 1 vol. in-16, de 224 pages. 2 fr.
+
+L'Avenir économique du Japon, par ACHILLE VIALATTE, _professeur à
+l'Ecole des Sciences politiques_, 1 vol. in-16. 2 fr.
+
+Cours d'économie politique, professé au Collège libre des Sciences
+Sociales, par PAUL GHIO.--Tome I. _Les Origines_, 1 vol. in-16. 2 fr.
+
+Le Commerce international, par G. LECARPENTIER, _Avocat à la Cour
+d'appel, diplômé de l'Ecole des Sciences politiques_, 1 vol. in-16. 2
+fr.
+
+Les Employés et leurs Corporations. Étude sur leur fonction économique
+et sociale, par E. DELIVET, _lauréat de la Société d'Économie politique
+de Paris_, 1 vol. in-16. 2 fr.
+
+Le Compagnonnage, son histoire, ses mystères, par J. CONNAY, Préface de
+L. et M. BONNEFF, 1 vol. in-16. 2 fr.
+
+Coopération et Socialisme en Angleterre, par BARRAULT et M. ALFASSA.
+Préface de CH. GIDE, 1 vol. in-16. 2 fr.
+
+Commerce maritime et Marine marchande, par G. LECARPENTIER, 1 vol.
+in-16. 2 fr.
+
+La formation du prix des denrées, par A. DULAC (ouvrage couronné par la
+Société des agriculteurs de France), 1 vol. in-16. 2 fr.
+
+La Démocratie sociale devant les idées actuelles, par ET. ANTONELLI,
+_professeur au Collège libre des Sciences sociales_. Préface de PAUL
+BONCOUR, 1 vol. in-16. 2 fr.
+
+
+Ouvrages divers
+
+Allard.--_Esclaves, Serfs et Mainmortables_, n. éd. 4 fr.
+
+Bernstein (Ed.).--_La Grève et le lock-out en Allemagne. Leurs forces,
+leur droit, leurs résultats_. Conférence à l'Université nouv. de
+Bruxelles, 1908, gr. in-8. 2 fr. 50
+
+Bernstein, Hueber, Keir Hardie, G.-S. Middleton, A. Octors, M. Olsen, A.
+Quist, F. Thies, E. Vandervelde.--_Syndicats et Parti; les expériences
+étrangères_, br., in-8. 0 fr. 30
+
+Beuchat et Hollebecque.--_Les religions_. Étude historique et
+sociologique du phénomène religieux, 1 vol. in-16, illust. 2 fr. 50
+
+Colin (P.).--_Aperçus sur le vagabondage, effets, causes, remèdes_,
+1907, 1 vol. in-16, br. 1 fr. 50
+
+_1er Congrès de l'Enseignement des Sciences sociales_. Compte rendu des
+séances et texte des mémoires de Gide, Waxweiler, G. Renard, Niceforo,
+F. Simiand, Hauser, Deherme, 1901, 1 vol. in-8. 5 fr.
+
+_Ve Congrès national des Syndicats et Groupes corporatifs ouvriers de
+France_, tenu à Marseille, du 19 au 22 octobre 1892. Compte rendu, 1
+vol. in-8. 1 fr. 50
+
+Delmer.--_Enquête anglaise sur la journée de huit heures_, 1907, in-8,
+br. 2 fr.
+
+Draghiscesco (D.), membre de la Société de Sociologie.--_Le Problème du
+Déterminisme social_, 1903, in-8, br. 2 fr. 50
+
+Fesch (P.).--_L'année sociale économique_, 1907, 1 vol. in-8, broché. 7
+fr. 50
+
+--_L'année sociale économique_, 1908, 1 vol. in-8, br. 7 fr. 50
+
+Fournier de Flaix (E.).--_La Statistique des religions_, 1890, in-8 de
+54 p. 1 fr. 50
+
+Fromont.--_Une expérience industrielle de réduction de la journée de
+travail_, 1 vol. in-16, cart. toile. 3 fr.
+
+Gailhard-Bancel, député.--_Les retraites ouvrières, l'Assistance aux
+vieillards et aux infirmes_. Introduction et notes de M. J. Dusart,
+préface du comte de Mun, député, 1906, 1 vol. in-12, broché. 3 fr.
+
+Goineau (A.).--_Les retraites ouvrières et paysannes. Loi du 5 avril
+1910 annotée et commentée avec le calcul des pensions auxquelles les
+intéressés auront droit_, 1 vol. in-16, 1910. 1 fr.
+
+Goulut.--_Le Socialisme au pouvoir_, 1910, 1 vol. in-16. 3 fr. 50
+
+Heberlin-Darcy.--_Esquisse d'une société collectiviste_. Étude
+sociologique, préface d'Anatole France, 1908, br. in-8. 0 fr. 50
+
+Kurnatowski (G.).--_Esquisse d'évolution solidariste_, 1 vol. in-8, br.
+2 fr. 50
+
+Lagardelle.--_La Grève générale et le Socialisme_, enquête
+internationale, opinions et documents, 1905, 1 vol. in-18 de 424 p. 3
+fr. 50
+
+Niel (L.), ex-secrétaire de la C. G. T.--_Deux Principes de vie
+sociale_. La lutte pour la vie. L'entente pour la vie. 1909, 1 vol.
+in-12, br. 0 fr. 75
+
+Poidvin (A.).--_Guide pratique en matière d'accidents du travail_ à
+l'usage des patrons, employés et ouvriers, 1 vol. in-16, br., de 216 p.
+2 fr.
+
+Saint-Cyr (Ch. de).--_La Haute-Italie politique et sociale_, 1908, 1
+vol. in-12 3 fr.
+
+Saint-Georges d'Armstrong (Baron Th. de).--_Concorde internationale_,
+avec commentaires et détails. Lettres écrites aux puissances et voeux
+déposés au Congrès permanent de l'Humanité dans les années 1900 à 1906,
+1907, 1 vol. gr. in-8. 4 fr.
+
+Séverac (G.).--_Guide pratique des Syndicats professionnels_, 1908, 1
+vol. in-12, br. 2 fr.
+
+Sorel (G.).--_Introduction à l'Économie moderne_, 1 volume in-16 5 fr.
+
+--_Le système historique de Renan_, in-8. 12 fr.
+
+--_La ruine du monde antique_, in-16. 3 fr. 50
+
+Valmor (G.).--_La loi du nombre_, notre principe de gouvernement, 1908,
+1 vol. in-16. 1 fr. 50
+
+--_Les problèmes de la colonisation_. 3 fr. 50
+
+Vandervelde (E.).--_Le sort des campagnes s'améliore-t-il? Un village
+brabançon en 1833. Ce qu'il est devenu_. 1 vol. gr. in-8, broché. 2 fr.
+
+--_Essais sur la question agraire en Belgique_, 1903, 1 vol. in-12 de
+210 p. 2 fr. 50
+
+Vitali.--_La question des retraites ouvrières devant le Parlement
+français_, 1906, 1 vol. in-8, br., 298 p. 5 fr.
+
+Waxweiller (E.).--_Esquisse d'une Sociologie_. 1 vol. in-4 carré, cart.
+toile. 12 fr.
+
+--_L'Évolution de l'idée d'association des salaires aux profits_, 1909,
+brochure gr. in-8. 1 fr.
+
+Weber (A.).--_A travers la Mutualité_. Étude critique sur les Sociétés
+de secours mutuels, 1908, 1 vol. in-8. 5 fr.
+
+
+Publication des Lois ouvrières
+
+Accidents du Travail.--Loi du 9 avril 1898, modifiée par les lois du 22
+mars 1902 et du 31 mars 1905. Loi du 30 juin 1899, accidents agricoles.
+Loi du 16 avril 1906, exploitations commerciales. Décrets
+d'administration publique. 1 brochure in-8 de 40 pages. 0 fr. 50
+
+Accidents du Travail.--Arrêté du 30 septembre 1905, fixant le tarif des
+frais médicaux et pharmaceutiques en matières d'accidents du travail. 1
+brochure in-8. 0 fr. 75
+
+Assistance aux Vieillards.--Instruction du 16 avril 1906 suivie de la
+loi du 14 juillet 1905. Décret du 14 avril 1906 et annexes. 1 brochure
+in-8. 1 fr. 75
+
+Bien de famille insaisissable.--Loi du 12 juillet 1909. Décret du 26
+mars 1910 et circulaire, annotés et commentés par PRANARD et MANGOT,
+avec formules, 1 vol. in-16. 1 fr. 50
+
+Bureaux de placement.--Loi du 14 mars 1904 relative au placement des
+ouvriers et employés des deux sexes et de toutes professions. 1 brochure
+in-8. 0 fr. 50
+
+Caisses d'épargne.--Histoire et Législation, par CHEVAUCHEZ, rédacteur
+au Sous-Secrétariat des Postes. In-8 br. 1 fr. 50
+
+Caisses de secours contre le chômage.--Décret du 9 septembre 1905,
+précédé d'un rapport du Ministre du Commerce et du Ministre des
+Finances. 1 brochure in-8. 0 fr. 50
+
+Conseils de prud'hommes.--Loi du 27 mars 1907, complétée des textes et
+articles des codes mis en vigueur par la présente loi. 1 brochure in-8
+de 32 pages. 0 fr. 50
+
+Contrat d'association.--Loi du 1er juillet 1901, modifiée par celles des
+4 décembre 1902 et 17 juillet 1903, suivie des décrets des 16 août 1901,
+28 novembre 1902, 14 février 1905, et circulaire ministérielle. 1
+brochure in-8 de 46 pages. 0 fr. 50
+
+Distributions d'énergie électrique.--Loi du 15 juin 1906, suivie de
+celle du 25 juin 1895, brochure in-8. 0 fr. 50
+
+Habitations à bon marché et petite propriété.--Loi du 12 avril 1906 et
+du 10 avril 1908. 1 brochure in-8. 0 fr. 50
+
+Hygiène du Travail.--Lois des 12 juin 1893 et 11 juillet 1903 et décrets
+des 29 novembre 1904 et 6 août 1905, suivis des Décrets sur l'emploi de
+la céruse, couchage du personnel, ateliers de blanchissage. 1 brochure
+in-8 de 30 pages. 0 fr. 50
+
+Justice de paix.--Lois des 12 et 13 juillet 1905. 1 brochure in-8. 0 fr.
+50
+
+Législation électorale.--Lois et décrets concernant les élections des
+conseillers municipaux, conseillers généraux, députés, sénateurs, suivis
+des lois constitutionnelles, petit volume in-8, broché. 1 fr. 50
+
+Liberté de Réunion.--Loi du 30 juin 1881, modifiée par celle du 28 mars
+1907 et annotée des textes des 16-24 août 1790, 19-22 juillet 1791, 18
+juillet 1837, 28 juillet 1848, 9 décembre 1905, art. 25-26. Décret du 16
+mars 1906, art. 49. 1 brochure in-8. 0 fr. 50
+
+Organisation municipale.--Loi du 5 avril 1884 modifiée par celles des 4
+et 25 février 1901, 7 avril 1902, 8 janvier 1905, 9 décembre 1905 et
+complétée par la loi du 22 mars 1890 sur les Syndicats des communes. 1
+brochure in-8 de 48 p. 0 fr. 50
+
+Recrutement de l'armée.--Loi du 21 mars 1905, réduisant à deux ans la
+durée du service militaire. 1 brochure in-8 de 68 pages. 0 fr. 50
+
+Repos hebdomadaire.--Loi du 13 juillet 1906 et Décrets d'administration
+publique du 24 août 1906, 13 juillet 1907, 14 août 1907. 1 brochure
+in-8. 0 fr. 50
+
+Retraites ouvrières et paysannes.--Loi du 5 avril 1910, 1 brochure in-8.
+0 fr. 50
+
+Sociétés d'assurances sur la vie.--Loi du 17 mars 1905, décrets des 30
+janvier, 12 mai, 9, 22, 25 juin 1906, notice relative à l'enregistrement
+et arrêtés de juillet 1907 et modèles d'états à produire. 1 vol. in-8 de
+104 pages. 2 fr.
+
+Sociétés civiles et commerciales.--Loi du 24 juillet 1867, modifiée et
+complétée par celles des 1er août 1893 et 16 novembre 1903, suivie des
+lois des 29 juin 1872, 1er décembre 1875, et décrets des 9 décembre 1872
+et 10 août 1896 sur le timbre des sociétés. 1 brochure in-8 de 36 pages.
+0 fr. 50
+
+Sociétés de secours mutuels.--Loi du 1er avril 1898, modifiée et
+complétée par celles des 31 mars 1903 et 2 juillet 1904, suivie du
+décret du 25 mars 1901. 1 brochure in-8. 0 fr. 50
+
+Syndicats professionnels.--Loi du 21 mars 1884, circulaire ministérielle
+du 25 août 1884. 1 brochure in-8. 0 fr. 50
+
+ * * * * *
+
+Indépendamment des Lois mentionnées ci-dessus et éditées par nos soins,
+la librairie peut fournir par fascicules séparés du _Bulletin des Lois_
+toutes celles promulguées depuis 1794.
+
+
+Imp. coop. ouvr. Villeneuve-St-Georges.
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Le Sabotage, by Émile Pouget
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57766 ***
diff --git a/57766-8.txt b/57766-8.txt
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--- a/57766-8.txt
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@@ -1,3126 +0,0 @@
-The Project Gutenberg EBook of Le Sabotage, by Émile Pouget
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-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
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-have to check the laws of the country where you are located before using
-this ebook.
-
-
-
-Title: Le Sabotage
-
-Author: Émile Pouget
-
-Release Date: August 25, 2018 [EBook #57766]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE SABOTAGE ***
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-Produced by Laurent Vogel (This file was produced from
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-nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
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-
- BIBLIOTHÈQUE
- du
- MOUVEMENT PROLÉTARIEN
-
- XIII
-
- ÉMILE POUGET
-
- Le Sabotage
-
- [Marque d'imprimeur: M R]
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- MARCEL RIVIÈRE ET Cie
- _31, rue Jacob_
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-BIBLIOTHÈQUE
-
-DU
-
-MOUVEMENT PROLÉTARIEN
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-(Ancienne Bibliothèque du Mouvement Socialiste)
-
-Chaque volume, 0 fr. 60
-
-I. _Syndicalisme et Socialisme_, conférence internationale, par V.
-GRIFFUELHES, B. KRITCHEWSKY, A. LABRIOLA, Hubert LAGARDELLE et Robert
-MICHELS.
-
-II. _La Confédération Générale du Travail_, par E. POUGET.
-
-III. _La Décomposition du Marxisme_, par Georges SOREL, 2e édition,
-1910.
-
-IV. _L'Action syndicaliste_, par Victor GRIFFUELHES.
-
-V. _Le Parti socialiste et la Confédération du travail_, discussion par
-Jules GUESDE, Hubert LAGARDELLE et Edouard VAILLANT.
-
-VI. _Les nouveaux aspects du Socialisme_, par Ed. BERTH.
-
-VII. _Les Instituteurs et le Syndicalisme_, par M. T. LAURIN.
-
-VIII. _La Révolution dreyfusienne_, par G. SOREL.
-
-IX. _Les Bourses du Travail et la C. G. T._, par P. DELESALLE.
-
-X. _Voyage révolutionnaire_, Impressions d'un propagandiste, par V.
-GRIFFUELHES.
-
-XI. _Les Objectifs de nos luttes de classes_, par Victor GRIFFUELHES et
-Louis NIEL, préface de G. SOREL.
-
-XII. _Le Mouvement ouvrier en Italie_, par A. LANZILLO, traduit par S.
-PIRODDI.
-
-XIII. _Le Sabotage_, par Emile POUGET.
-
-
-Georges SOREL
-
-Réflexions sur la violence
-
-_Deuxième Édition_
-
-1 volume in-16 broché, 5 fr.
-
-Imprimerie Coopérative Ouvrière--Villeneuve-St-Georges (S.-et-O.)
-
-
-
-
-BIBLIOTHÈQUE
-
-DU
-
-MOUVEMENT PROLÉTARIEN
-
-
-Cette collection avait été commencée sous le titre de Bibliothèque du
-Mouvement Socialiste parce qu'on avait voulu en faire le complément de
-la revue du même nom.
-
-Cette revue n'étant plus publiée par notre maison, nous avons cru bon de
-donner un nouveau titre à la Bibliothèque pour bien marquer que nous
-entendons lui conserver l'orientation qu'elle a eue à son origine.
-
-La Bibliothèque du Mouvement Prolétarien paraît en volumes d'au moins 64
-pages, du prix de 0 fr. 60. Elle comprend des études descriptives,
-historiques, documentaires, théoriques, critiques et biographiques.
-
-Par son format commode et son prix minime, elle s'adresse surtout à ceux
-qui n'ont pas la possibilité d'aborder les études particulières sur le
-mouvement social.
-
-
-
-
-TABLE DES MATIÈRES
-
-
-CHAPITRE PREMIER.--Quelques jalons historiques. 3
-
-CHAPITRE II.--La «marchandise» travail 22
-
-CHAPITRE III.--Morale de Classe 27
-
-CHAPITRE IV.--Les procédés de Sabotage 32
-
-CHAPITRE V.--L'Obstructionnisme 55
-
-CONCLUSIONS 65
-
-
-
-
-CHAPITRE PREMIER
-
-Quelques jalons historiques
-
-
-Le mot «sabotage» n'était, il y a encore une quinzaine d'années, qu'un
-terme argotique, signifiant non l'acte de fabriquer des sabots, mais
-celui, imagé et expressif, de travail exécuté «comme à coups de sabots.»
-
-Depuis, il s'est métamorphosé en une formule de combat social et c'est
-au Congrès Confédéral de Toulouse, en 1897, qu'il a reçu le baptême
-syndical.
-
-Le nouveau venu ne fut pas, dès l'abord, accueilli par tous, dans les
-milieux ouvriers, avec un chaleureux enthousiasme. Certains le virent
-d'assez mauvais oeil, lui reprochant ses origines roturières,
-anarchiques et aussi son... immoralité.
-
-Malgré cette suspicion, qui ressemblait presqu'à de l'hostilité, le
-sabotage a fait son chemin... dans tous les mondes.
-
-Il a désormais les sympathies ouvrières. Et ce n'est pas tout. Il a
-conquis droit de cité au Larousse, et nul doute que l'Académie,--à moins
-qu'elle n'ait été _sabotée_ elle-même avant d'être parvenue à la lettre
-S de son dictionnaire,--ne se résolve à tirer au mot «sabotage» sa plus
-cérémonieuse révérence et à lui ouvrir les pages de son officiel
-recueil.
-
-On aurait cependant tort de croire que la classe ouvrière a attendu,
-pour pratiquer le sabotage, que ce mode de lutte ait reçu la
-consécration des Congrès corporatifs. Il en est de lui comme de toutes
-les formes de révolte, il est aussi vieux que l'exploitation humaine.
-
-Dès qu'un homme a eu la criminelle ingéniosité de tirer profit du
-travail de son semblable, de ce jour, l'exploité a, d'instinct, cherché
-à donner moins que n'exigeait son patron.
-
-Ce faisant, avec tout autant d'inconscience qu'en mettait M. Jourdain à
-faire de la prose, cet exploité a fait du sabotage, manifestant ainsi,
-sans le savoir, l'antagonisme irréductible qui dresse l'un contre
-l'autre, le capital et le travail.
-
-Cette conséquence inéluctable du conflit permanent qui divise la
-société, il y a trois quarts de siècle, le génial Balzac la mettait en
-lumière. Dans _La Maison Nucingen_, à propos des sanglantes émeutes de
-Lyon, en 1831, il nous a donné une nette et incisive définition du
-sabotage:
-
- Voici,--explique Balzac.--On a beaucoup parlé des affaires de Lyon, de
- la république canonnée dans les rues, personne n'a dit la vérité. La
- république s'était emparée de l'émeute, comme un insurgé s'empare du
- fusil. La vérité, je vous la donne pour drôle et profonde.
-
- Le commerce de Lyon est un commerce sans âme, qui ne fait pas
- fabriquer une aune de soie sans qu'elle soit commandée et que le
- paiement soit sûr. Quand la commande s'arrête, l'ouvrier meurt de
- faim, il gagne à peine de quoi vivre en travaillant, les forçats sont
- plus heureux que lui.
-
- Après la révolution de juillet, la misère est arrivée à ce point que
- les CANUTS ont arboré le drapeau: _Du pain ou la mort!_ une de ces
- proclamations que le gouvernement aurait dû étudier. Elle était
- produite par la cherté de la vie à Lyon. Lyon veut bâtir des théâtres
- et devenir une capitale, de là des octrois insensés. Les républicains
- ont flairé cette révolte à propos du pain, et ils ont organisé les
- CANUTS qui se sont battus en partie double. Lyon a eu ses trois jours,
- mais tout est rentré dans l'ordre, et le canut dans son taudis.
-
- Le canut, probe jusque là, rendant en étoffe la soie qu'on lui pesait
- en bottes, a mis la probité à la porte en songeant que les négociants
- le victimaient, et a mis de l'huile à ses doigts: il a rendu poids
- pour poids, mais il a vendu la soie représentée par l'huile, et le
- commerce des soieries a été infesté d'_étoffes graissées_, ce qui
- aurait pu entraîner la perte de Lyon et celle d'une branche du
- commerce français... Les troubles ont donc produit les «gros de
- Naples» à quarante sous l'aune...
-
-Balzac a soin de souligner que le sabotage des canuts fut une
-représaille de victimes. En vendant la «gratte» que, dans le tissage ils
-avaient remplacée par l'huile, ils se vengeaient des fabricants
-féroces,... de ces fabricants qui avaient promis aux ouvriers de la
-Croix-Rousse de leur donner des baïonnettes à manger, au lieu de pain...
-et qui ne tinrent que trop promesse!
-
-Mais, peut-il se présenter un cas où le sabotage ne soit pas une
-représaille? Est-ce qu'en effet, à l'origine de tout acte de sabotage,
-par conséquent le précédant, ne se révèle pas l'acte d'exploitation?
-
-Or, celui-ci, dans quelques conditions particulières qu'il se manifeste,
-n'engendre-t-il pas,--et ne légitime-t-il pas aussi,--tous les gestes de
-révolte, quels qu'ils soient?
-
-Ceci nous ramène donc à notre affirmation première: le sabotage est
-aussi vieux que l'exploitation humaine!
-
-Il n'est d'ailleurs pas circonscrit aux frontières de chez nous. En
-effet, dans son actuelle formulation théorique, il est une importation
-anglaise.
-
-Le sabotage est connu et pratiqué outre Manche depuis longtemps, sous le
-nom de _Ca'Canny_ ou _Go Canny_, mot de patois écossais dont la
-traduction à peu près exacte qu'on en puisse donner est: «Ne vous foulez
-pas.»
-
-Un exemple de la puissance persuasive du _Go Canny_ nous est donné par
-le Musée Social[1]:
-
- [1] Circulaire nº 9, 1896.
-
- En 1889, une grève avait éclaté à Glasgow. Les dockers unionistes
- avaient demandé une augmentation de salaire de 10 centimes par heure.
- Les employeurs avaient refusé et fait venir à grands frais, pour les
- remplacer, un nombre considérable de travailleurs agricoles. Les
- dockers durent s'avouer vaincus, et ils consentirent à travailler aux
- mêmes prix qu'auparavant, à condition qu'on renverrait les ouvriers
- agricoles. Au moment où ils allaient reprendre le travail, leur
- secrétaire général les rassembla et leur dit:
-
- «Vous allez revenir travailler aujourd'hui aux anciens prix. Les
- employeurs ont dit et répété qu'ils étaient enchantés des services des
- ouvriers agricoles qui nous ont remplacés pendant quelques semaines.
- Nous, nous les avons vus; nous avons vu qu'ils ne savaient même pas
- marcher sur un navire, qu'ils laissaient choir la moitié des
- marchandises qu'ils portaient, bref que deux d'entre eux ne
- parvenaient pas à faire l'ouvrage d'un de nous. Cependant, les
- employeurs se déclarent enchantés du travail de ces gens-là; il n'y a
- donc qu'à leur en fournir du pareil et à pratiquer le _Ca' Canny_.
- Travaillez comme travaillaient les ouvriers agricoles. Seulement, il
- leur arrivait quelquefois de se laisser tomber à l'eau; il est inutile
- que vous en fassiez autant.»
-
- Cette consigne fut exécutée et pendant deux ou trois jours les dockers
- appliquèrent la politique du _Ca' Canny_. Au bout de ce temps les
- employeurs firent venir le secrétaire général et lui dirent de
- demander aux hommes de travailler comme auparavant, moyennant quoi ils
- accordaient les 10 centimes d'augmentation...
-
-Voilà pour la pratique. Voici maintenant pour la théorie. Elle est
-empruntée à un pamphlet anglais, publié vers 1895, pour la vulgarisation
-du _Go Canny_:
-
- Si vous voulez acheter un chapeau dont le prix est de 5 francs, vous
- devez payer 5 francs.
-
- Si vous ne voulez payer que 4 francs, il faudra vous contenter d'un
- chapeau d'une qualité inférieure.
-
- Un chapeau est une marchandise.
-
- Si vous voulez acheter une demi-douzaine de chemises à 2 fr. 50
- chaque, vous devez payer 15 francs. Si vous ne voulez payer que 12 fr.
- 50, vous n'aurez que cinq chemises.
-
- Une chemise est une marchandise.
-
- Les employeurs déclarent que le travail et l'adresse sont de simples
- marchandises, comme les chapeaux et les chemises. «Très bien,
- disons-nous, nous vous prenons au mot.»
-
- Si le travail et l'adresse sont des marchandises, les possesseurs de
- ces marchandises ont le droit de vendre leur travail et leur adresse
- exactement comme le chapelier vend un chapeau ou le chemisier une
- chemise.
-
- Ils donnent valeur pour valeur. Pour un prix plus bas vous avez un
- article inférieur ou de qualité moindre.
-
- Payez au travailleur un bon salaire, et il vous fournira ce qu'il y a
- de mieux comme travail et comme adresse.
-
- Payez au travailleur un salaire insuffisant et vous n'aurez pas plus
- le droit à exiger la meilleure qualité et la plus grande quantité de
- travail que vous n'en avez eu à exiger un chapeau de 5 francs pour 2
- fr. 50.
-
-Le _Go Canny_ consiste donc à mettre systématiquement en pratique la
-formule, «_à mauvaise paye, mauvais travail!_» Mais il ne se circonscrit
-pas à cela seul. De cette formule découlent, par voie de conséquence
-logique, une diversité de manifestations de la volonté ouvrière en
-conflit avec la rapacité patronale.
-
-Cette tactique, que nous venons de voir vulgarisée en Angleterre, dès
-1889, et préconisée et pratiquée dans les organisations syndicales, ne
-pouvait pas tarder à passer la Manche. En effet, quelques années après,
-elle s'infiltrait dans les milieux syndicaux français.
-
-C'est en 1895 que, pour la première fois, en France, nous trouvons trace
-d'une manifestation théorique et consciente du sabotage:
-
-Le Syndicat National des Chemins de fer menait alors campagne contre un
-projet de loi,--le projet Merlin-Trarieux--qui visait à interdire aux
-cheminots le droit au syndicat. La question de répondre au vote de cette
-loi par la grève générale se posa et, à ce propos, Guérard, secrétaire
-du syndicat, et à ce titre délégué au Congrès de l'Union fédérative du
-Centre (parti Allemaniste) prononça un discours catégorique et précis.
-Il affirma que les cheminots ne reculeraient devant aucun moyen pour
-défendre la liberté syndicale et qu'ils sauraient, au besoin, rendre la
-grève effective par des procédés à eux; il fit allusion à un moyen
-ingénieux et peu coûteux: «... avec deux sous d'une certaine manière,
-utilisée à bon escient, déclara-t-il, il nous est possible de mettre une
-locomotive dans l'impossibilité de fonctionner...»
-
-Cette nette et brutale affirmation, qui ouvrait des horizons imprévus,
-fit gros tapage et suscita une profonde émotion dans les milieux
-capitalistes et gouvernementaux qui, déjà, n'envisageaient pas sans
-angoisses la menace d'une grève des chemins de fer.
-
-Cependant, si par ce discours de Guérard, la question du sabotage était
-posée, il serait inexact d'en déduire qu'il n'a fait son apparition en
-France que le 23 juin 1895. C'est dès lors qu'il commence à se
-vulgariser dans les organisations syndicales, mais cela n'implique pas
-qu'il fut resté ignoré jusque là.
-
-Pour preuve qu'il était connu et pratiqué antérieurement, il nous
-suffira de rappeler, comme exemple typique, un «mastic» célèbre dans les
-fastes télégraphiques:
-
- C'était vers 1881, les télégraphistes du Bureau central, mécontents du
- tarif des heures supplémentaires de nuit, adressèrent une pétition au
- ministre d'alors, M. Ad. Cochery. Ils réclamaient dix francs, au lieu
- de cinq qu'ils touchaient, pour assurer le service du soir à sept
- heures du matin. Ils attendirent plusieurs jours la réponse de
- l'administration. Finalement, celle-ci n'arrivant pas, et, d'un autre
- côté, les employés du Central ayant été avisés qu'il ne leur serait
- même pas répondu, une agitation sourde commença à se manifester.
-
- La grève étant impossible, on eut recours au «mastic». Un beau matin,
- Paris s'éveilla dépourvu de communications télégraphiques (le
- téléphone n'était pas encore installé).
-
- Pendant quatre ou cinq jours il en fut ainsi. Le haut personnel de
- l'administration, les ingénieurs avec de nombreuses équipes de
- surveillants et d'ouvriers vinrent au bureau central, mirent à
- découvert tous les câbles des lignes, les suivirent de l'entrée des
- égoûts aux appareils. Ils ne purent rien découvrir.
-
- Cinq jours après ce «mastic» mémorable dans les annales du Central, un
- avis de l'administration prévenait le personnel que dorénavant le
- service de nuit serait tarifé dix francs au lieu de cinq. On n'en
- demandait pas plus. Le lendemain matin, toutes les lignes étaient
- rétablies comme par enchantement.
-
- Les auteurs du «mastic» ne furent jamais connus et si l'administration
- en devina le motif, le moyen employé resta toujours ignoré[2].
-
- [2] _Le Travailleur des P. T. T._, nº de septembre 1905.
-
-Désormais, à partir de 1895, le branle est donné.
-
-Le sabotage qui, jusqu'alors, n'avait été pratiqué qu'inconsciemment,
-instinctivement par les travailleurs, va--sous l'appellation populaire
-qui lui est restée,--recevoir sa consécration théorique et prendre rang
-parmi les moyens de lutte avérés, reconnus, approuvés et préconisés par
-les organisations syndicales.
-
-Le Congrès confédéral qui se tint à Toulouse, en 1897, venait de
-s'ouvrir.
-
-Le préfet de la Seine, M. de Selves, avait refusé aux délégués du
-syndicat des Travailleurs municipaux, les congés qu'ils demandaient pour
-participer à ce Congrès. L'Union des syndicats de la Seine protesta,
-qualifiant avec juste raison ce veto d'attentat contre la liberté
-syndicale.
-
-Cette interdiction fut évoquée à la première séance du Congrès et une
-proposition de blâme contre le préfet de la Seine fut déposée.
-
-L'un des délégués,--qui n'était autre que l'auteur de la présente
-étude,--fit observer combien peu M. de Selves se souciait de la
-flétrissure d'un congrès ouvrier.
-
-Et il ajouta:
-
- «Mon avis est qu'au lieu de se borner à protester, mieux vaudrait
- entrer dans l'action et qu'au lieu de subir les injonctions des
- dirigeants, de baisser la tête quand ils dictent leurs fantaisies, il
- serait plus efficace de répondre du tac au tac. Pourquoi ne pas
- répliquer à une gifle par un coup de pied?...»
-
-J'expliquai que mes observations dérivaient d'une tactique de combat sur
-laquelle le Congrès serait appelé à se prononcer. Je rappelai, à ce
-propos, l'émotion et la peur dont le monde capitaliste avait tressailli
-lorsque le camarade Guérard avait déclaré que la minime somme de dix
-centimes... dépensée intelligemment,... suffirait à un ouvrier des
-chemins de fer pour mettre un train, attelé de puissantes machines à
-vapeur, dans l'imposibilité de démarrer.
-
-Puis, rappelant que cette tactique révolutionnaire à laquelle je faisais
-allusion serait discutée au cours du Congrès, je conclus en déposant la
-proposition ci-dessous:
-
- Le Congrès, reconnaissant qu'il est superflu de blâmer le
- gouvernement--qui est dans son rôle en serrant la bride aux
- travailleurs--engage les travailleurs municipaux à faire pour cent
- mille francs de dégâts dans les services de la Ville de Paris, pour
- récompenser M. de Selves de son veto.
-
-C'était un pétard!... Et il ne fit pas long feu.
-
-Tout d'abord, la stupéfaction fut grande chez beaucoup de délégués qui,
-de prime abord, ne comprenaient pas le sens volontairement outrancier de
-la proposition.
-
-Il y eut des protestations et l'ordre du jour pur et simple enterra ma
-proposition.
-
-Qu'importait! Le but visé était atteint: l'attention du Congrès était en
-éveil, la discussion était ouverte, la réflexion aguichée.
-
-Aussi, quelques jours après, le rapport que la Commission du boycottage
-et du sabotage soumettait à l'assemblée syndicale était-il accueilli
-avec la plus grande et la plus chaleureuse sympathie.
-
-Dans ce rapport, après avoir défini, expliqué et préconisé le sabotage,
-la Commission ajoutait:
-
- Jusqu'ici, les travailleurs se sont affirmés révolutionnaires; mais,
- la plupart du temps, ils sont restés sur le terrain théorique: ils ont
- travaillé à l'extension des idées d'émancipation, ont élaboré et tâché
- d'esquisser un plan de société future d'où l'exploitation humaine sera
- éliminée.
-
- Seulement, pourquoi à côté de cette oeuvre éducatrice, dont la
- nécessité n'est pas contestable, n'a-t-on rien tenté pour résister aux
- empiétements capitalistes et, autant que faire se peut, rendre moins
- dures aux travailleurs les exigences patronales?
-
- Dans nos réunions on lève toujours les séances aux cris de: «Vive la
- Révolution Sociale», et loin de se concréter en un acte quelconque,
- ces clameurs s'envolent en bruit.
-
- De même il est regrettable que les Congrès affirmant toujours leur
- fermeté révolutionnaire, n'aient pas encore préconisé de résolutions
- pratiques pour sortir du terrain des mots et entrer dans celui de
- l'action.
-
- En fait d'armes d'allures révolutionnaires on n'a jusqu'ici préconisé
- que la grève et c'est d'elle dont on a usé et on use journellement.
-
- Outre la grève, nous pensons qu'il y a d'autres moyens à employer qui
- peuvent dans une certaine mesure, tenir les capitalistes en échec...
-
-L'un de ces moyens est le boycottage. Seulement, la Commission constate
-qu'il est inopérant contre l'industriel, le fabricant. Il faut donc
-autre chose.
-
-Cet autre chose: c'est le sabotage.
-
-Citons le rapport:
-
- Cette tactique, comme le boycottage, nous vient d'Angleterre où elle a
- rendu de grands services dans la lutte que les travailleurs
- soutiennent contre les patrons. Elle est connue là-bas sous le nom de
- _Go Canny_.
-
- A ce propos, nous croyons utile de vous citer l'appel lancé
- dernièrement par l'_Union Internationale des Chargeurs de navires_,
- qui a son siège à Londres:
-
- «Qu'est-ce que _Go Canny_?
-
- «C'est un mot court et commode pour désigner une nouvelle tactique,
- employée par les ouvriers au lieu de la grève.
-
- «Si deux Écossais marchent ensemble et que l'un coure trop vite,
- l'autre lui dit: «Marche doucement, à ton aise.»
-
- «Si quelqu'un veut acheter un chapeau qui vaut cinq francs, il doit
- payer cinq francs. Mais s'il ne veut en payer que quatre, eh bien! il
- en aura un de qualité inférieure. Le chapeau est _une marchandise_.
-
- «Si quelqu'un veut acheter six chemises de deux francs chacune, il
- doit payer douze francs. S'il n'en paie que dix, il n'aura que cinq
- chemises. La chemise est encore _une marchandise en vente sur le
- marché_.
-
- «Si une ménagère veut acheter une pièce de boeuf qui vaut trois
- francs, il faut qu'elle les paye. Et si elle n'offre que deux francs,
- alors on lui donne de la mauvaise viande. Le boeuf est encore _une
- marchandise en vente sur le marché_.
-
- «Eh bien, les patrons déclarent que le travail et l'adresse sont des
- _marchandises en vente sur le marché_,--tout comme les chapeaux, les
- chemises et le boeuf.
-
- «--Parfait, répondons-nous, nous vous prenons au mot.
-
- «Si ce sont des _marchandises_ nous les vendrons tout comme le
- chapelier vend ses chapeaux et le boucher sa viande. Pour de mauvais
- prix, ils donnent de la mauvaise marchandise. Nous en ferons autant.
-
- «Les patrons n'ont pas le droit de compter sur notre charité. S'ils
- refusent même de discuter nos demandes, eh bien, nous pouvons mettre
- en pratique le _Go Canny_--la tactique de _travaillons à la douce_, en
- attendant qu'on nous écoute.»
-
- Voilà clairement défini le _Go Canny_, le _sabotage_: A MAUVAISE PAYE,
- MAUVAIS TRAVAIL.
-
- Cette ligne de conduite, employée par nos camarades anglais, nous la
- croyons applicable en France, car notre situation sociale est
- identique à celle de nos frères d'Angleterre.
-
- * * * * *
-
- Il nous reste à définir sous quelles formes doit se pratiquer le
- sabotage.
-
- Nous savons tous que l'exploiteur choisit habituellement pour
- augmenter notre servitude le moment où il nous est le plus difficile
- de résister à ses empiétements par la grève partielle, seul moyen
- employé jusqu'à ce jour.
-
- Pris dans l'engrenage, faute de pouvoir se mettre en grève, les
- travailleurs frappés subissent les exigences nouvelles du capitaliste.
-
- Avec le _sabotage_ il en est tout autrement: les travailleurs peuvent
- résister; ils ne sont plus à la merci complète du capital; ils ne sont
- plus la chair molle que le maître pétrit à sa guise: ils ont un moyen
- d'affirmer leur virilité et de prouver à l'oppresseur qu'ils sont des
- hommes.
-
- D'ailleurs, le _sabotage_ n'est pas aussi nouveau qu'il le paraît:
- depuis toujours les travailleurs l'ont pratiqué individuellement,
- quoique sans méthode. D'instinct, ils ont toujours ralenti leur
- production quand le patron a augmenté ses exigences; sans s'en rendre
- clairement compte, ils ont appliqué la formule: A MAUVAISE PAYE,
- MAUVAIS TRAVAIL.
-
- Et l'on peut dire que dans certaines industries où le travail aux
- pièces s'est substitué au travail à la journée, une des causes de
- cette substitution a été le _sabotage_, qui consistait alors à fournir
- par jour la moindre quantité de travail possible.
-
- Si cette tactique a donné déjà des résultats, pratiquée sans esprit de
- suite, que ne donnera-t-elle pas le jour où elle deviendra une menace
- continuelle pour les capitalistes?
-
- Et ne croyez pas, camarades, qu'en remplaçant le travail à la journée
- par le travail aux pièces, les patrons se soient mis à l'abri du
- sabotage: cette tactique n'est pas circonscrite au travail à la
- journée.
-
- Le sabotage peut et doit être pratiqué pour le travail aux pièces.
- Mais ici, la ligne de conduite diffère: restreindre la production
- serait pour le travailleur restreindre son salaire; il lui faut donc
- appliquer le sabotage à la qualité au lieu de l'appliquer à la
- quantité. Et alors, non seulement le travailleur ne donnera pas à
- l'acheteur de sa force de travail plus que pour son argent, mais
- encore, il l'atteindra dans sa clientèle qui lui permet indéfiniment
- le renouvellement du capital, fondement de l'exploitation de la classe
- ouvrière. Par ce moyen, l'exploiteur se trouvera forcé, soit de
- capituler en accordant les revendications formulées, soit de remettre
- l'outillage aux mains des seuls producteurs.
-
- Deux cas se présentent couramment: le cas où le travail aux pièces se
- fait chez soi, avec un matériel appartenant à l'ouvrier, et celui où
- le travail est centralisé dans l'usine patronale dont celui-ci est le
- propriétaire.
-
- Dans ce second cas, au sabotage sur la marchandise vient s'ajouter le
- sabotage sur l'outillage.
-
- Et ici nous n'avons qu'à vous rappeler l'émotion produite dans le
- monde bourgeois, il y a trois ans, quand on sut que les employés de
- chemin de fer pouvaient, avec deux sous d'un certain ingrédient,
- mettre une locomotive dans l'impossibilité de fonctionner.
-
- Cette émotion nous est un avertissement de ce que pourraient les
- travailleurs conscients et organisés.
-
- Avec le _boycottage_ et son complément indispensable, le _sabotage_,
- nous avons une arme de résistance efficace qui, en attendant le jour
- où les travailleurs seront assez puissants pour s'émanciper
- intégralement nous permettra de tenir tête à l'exploitation dont nous
- sommes victimes.
-
- Il faut que les capitalistes le sachent: le travailleur ne respectera
- la machine que le jour où elle sera devenue pour lui une amie qui
- abrège le travail, au lieu d'être comme aujourd'hui, l'ennemie, la
- voleuse de pain, la tueuse de travailleurs.
-
-En conclusion de ce rapport, la Commission proposa au Congrès la
-résolution suivante:
-
- _Chaque fois que s'élèvera un conflit entre patrons et ouvriers soit
- que le conflit soit dû aux exigences patronales, soit qu'il soit dû à
- l'initiative ouvrière, et au cas où la grève semblerait ne pouvoir
- donner des résultats aux travailleurs visés: que ceux-ci appliquent le
- _boycottage_ ou le _sabotage_--ou les deux simultanément--en
- s'inspirant des données que nous venons d'exposer._
-
-La lecture de ce rapport fut accueillie par les applaudissements
-unanimes du Congrès. Ce fut plus que de l'approbation: ce fut de
-l'emballement.
-
-Tous les délégués étaient conquis, enthousiasmés. Pas une voix
-discordante ne s'éleva pour critiquer ou même présenter la moindre
-observation ou objection.
-
-Le délégué de la Fédération du Livre, Hamelin, ne fut pas des moins
-enthousiastes. Il approuva nettement la tactique préconisée et le
-déclara en termes précis, dont le compte rendu du Congrès ne donne que
-ce pâle écho:
-
- Tous les moyens sont bons pour réussir, affirma-t-il. J'ajoute qu'il y
- a une foule de moyens à employer pour arriver à la réussite; ils sont
- faciles à appliquer pourvu qu'on le fasse adroitement. Je veux dire
- par là qu'il y a des choses qu'on doit faire et qu'on ne doit pas
- dire. Vous me comprenez.
-
- Je sais bien que si je précisais, on pourrait me demander si j'ai le
- droit de faire telle ou telle chose; mais, si l'on continuait à ne
- faire que ce qu'il est permis de faire on n'aboutirait à rien.
-
- Lorsqu'on entre dans la voie révolutionnaire, il faut le faire avec
- courage, et quand la tête est passée, il faut que le corps y passe.
-
-De chaleureux applaudissements soulignèrent le discours du délégué de la
-Fédération du Livre et, après que divers orateurs eurent ajouté quelques
-mots approbatifs, sans qu'aucune parole contradictoire ait été
-prononcée, la motion suivante fut adoptée à l'unanimité:
-
- _Le syndicat des Employés de commerce de Toulouse invite le Congrès à
- voter par des acclamations les conclusions du rapport et à le mettre
- en pratique à la première occasion qui se présentera._
-
-Le baptême du sabotage ne pouvait être plus laudatif. Et ce ne fut pas
-là un succès momentané,--un feu de paille, conséquence d'un emballement
-d'assemblée,--les sympathies unanimes qui venaient de l'accueillir ne se
-démentirent pas.
-
-Au Congrès confédéral suivant, qui se tint à Rennes en 1898, les
-approbations ne furent pas ménagées à la tactique nouvelle.
-
-Entre les orateurs qui, au cours de la discussion prirent la parole pour
-l'approuver, citons, entre autres, le citoyen Lauche,--aujourd'hui
-député de Paris: il dit combien le syndicat des Mécaniciens de la Seine,
-dont il était le délégué, avait été heureux des décisions prises au
-Congrès de Toulouse, relativement au boycottage et au sabotage.
-
-Le délégué de la Fédération des Cuisiniers se tailla un beau succès et
-dérida le Congrès, en narrant avec humour le drolatique cas de sabotage
-suivant: les cuisiniers d'un grand établissement parisien, ayant à se
-plaindre de leur patron, restèrent à leur poste toute la journée,
-fourneaux allumés; mais, au moment où les clients affluèrent dans les
-salles, il n'y avait dans les marmites que des briques «cuisant» à
-grande eau... en compagnie de la pendule du restaurant.
-
-Du rapport qui clôtura la discussion--et qui fut adopté à
-l'unanimité,--nous extrayons le passage suivant:
-
- ... La Commission tient à indiquer que le sabotage n'est pas chose
- neuve; les capitalistes le pratiquent, chaque fois qu'ils y trouvent
- intérêt; les adjudicataires en ne remplissant pas les clauses de bonne
- qualité de matériaux, etc., et ils ne le pratiquent pas que sur les
- matériaux: que sont leurs diminutions de salaires, sinon un sabotage
- sur le ventre des prolétaires?
-
- Il faut d'ailleurs ajouter que, instinctivement, les travailleurs ont
- répondu aux capitalistes en ralentissant la production, en sabotant
- inconsciemment.
-
- Mais, ce qui serait à souhaiter, c'est que les travailleurs se rendent
- compte que le sabotage peut être pour eux une arme utile de
- résistance, tant par sa pratique que par la crainte qu'il inspirera
- aux employeurs, le jour où ils sauront qu'ils ont à redouter sa
- pratique consciente. Et nous ajouterons que la menace du sabotage peut
- souvent donner d'aussi utiles résultats que le sabotage lui-même.
-
- Le Congrès ne peut pas entrer dans le détail de cette tactique; ces
- choses-là ne relèvent que de l'initiative et du tempérament de chacun
- et sont subordonnées à la diversité des industries. Nous ne pouvons
- que poser la théorie et souhaiter que le sabotage entre dans l'arsenal
- des armes de lutte des prolétaires contre les capitalistes, au même
- titre que la grève et que, de plus en plus, l'orientation du mouvement
- social ait pour tendance l'_action directe_ des individus et une plus
- grande conscience de leur personnalité...
-
-Une troisième et dernière fois, le sabotage subit le feu d'un congrès:
-ce fut en 1900, au Congrès confédéral qui se tint à Paris.
-
-On vivait alors une période trouble. Sous l'influence de Millerand,
-ministre du commerce, se constatait une déviation qui avait sa cause
-dans les tentations du Pouvoir. Bien des militants se laissaient
-aguicher par les charmes corrupteurs du ministérialisme et certaines
-organisations syndicales étaient entraînées vers une politique de «paix
-sociale» qui, si elle eût prédominé, eût été funeste au mouvement
-corporatif. C'eût été pour lui, sinon la ruine et la mort, tout au moins
-l'enlizement et l'impuissance.
-
-L'antagonisme, qui s'accentua dans les années qui suivirent, entre les
-syndicalistes révolutionnaires et les réformistes, pointait. De cette
-lutte intestine la discussion, ainsi que le vote sur le sabotage furent
-une première et embryonnaire manifestation.
-
-La discussion fut courte; Après que quelques orateurs eurent parlé en
-faveur du sabotage une voix s'éleva pour le condamner: celle du
-président de séance.
-
-Il déclara que «s'il n'avait pas eu l'honneur de présider, il se serait
-réservé de combattre le sabotage proposé par le camarade Riom et par
-Beausoleil»; et il ajouta qu'il «le considérait comme plus nuisible
-qu'utile aux intérêts des travailleurs et comme répugnant à la dignité
-de beaucoup d'ouvriers.»
-
-Il suffira, pour apprécier à sa valeur cette condamnation du sabotage
-d'observer que, quelques semaines plus tard, il ne «répugna pas à la
-dignité» de ce moraliste impeccable et scrupuleux d'être nanti, grâce
-aux bons offices de Millerand, d'une sinécure de tout repos[3].
-
- [3] Il s'agit de M. Treich, alors secrétaire de la Bourse du Travail
- de Limoges et fougueux «guesdiste»... nommé peu après receveur de
- l'enregistrement à Bordeaux.
-
-Le rapporteur de la Commission de laquelle ressortissait le sabotage,
-choisi pour son travail sur la «marque syndicale», était un adversaire
-du sabotage. Il l'exécuta donc en ces termes:
-
- Il me reste à dire un mot au sujet du sabotage. Je le dirai d'une
- façon franche et précise. J'admire ceux qui ont le courage de saboter
- un exploiteur, je dois même ajouter que j'ai ri bien souvent aux
- histoires que l'on nous a racontées au sujet du sabotage, mais, pour
- ma part, je n'oserais faire ce que ces bons amis ont fait. Alors, ma
- conclusion est que si je n'ai pas le courage de faire une action, ce
- serait de la lâcheté de ma part d'inciter un autre à la faire.
-
- Je vous avoue que, dans l'acte qui consiste à détériorer un outil ou
- toute chose confiée à mes soins, ce n'est pas la crainte de Dieu qui
- paralyse mon courage, mais la crainte du gendarme!
-
- Je laisse à vos bons soins le sort du sabotage.
-
-Le Congrès n'épousa cependant pas les vues du rapporteur. Il fit bien un
-«sort» au sabotage, mais il fut autre que celui qui lui était conseillé.
-
-Un vote eut lieu, par bulletins, sur cette question
-spéciale--d'improbation ou d'approbation du sabotage--et il donna les
-résultats suivants:
-
- Pour le sabotage 117
- Contre 76
- Bulletins blancs 2
-
-Ce vote précis clôtura la période de gestation, d'infiltration théorique
-du sabotage.
-
-Depuis lors, indiscutablement admis, reconnu et accepté, il n'a plus été
-évoqué aux Congrès corporatifs et il a pris rang définitivement au
-nombre des moyens de lutte préconisés et pratiqués dans le combat contre
-le capitalisme.
-
-Il est à remarquer que le vote ci-dessus, émis au Congrès de 1900, est
-déjà une indication du tassement qui va s'effectuer dans les
-organisations syndicales et qui va mettre les révolutionnaires à un
-pôle, les réformistes à l'autre. En effet, dans tous les Congrès
-confédéraux qui vont suivre, quand révolutionnaires et réformistes se
-trouveront aux prises, presque toujours la majorité révolutionnaire sera
-à peu près ce qu'elle a été dans le vote sur le sabotage,--soit dans la
-proportion des deux tiers, contre une minorité réformiste d'un tiers.
-
-
-
-
-CHAPITRE II
-
-La «marchandise» travail
-
-
-Dans l'exposé historique qui précède, nous venons de constater que le
-sabotage, sous l'expression anglaise de _Go Canny_, découle de la
-conception capitaliste que le travail humain est une marchandise.
-
-Cette thèse, les économistes bourgeois s'accordent à la soutenir. Ils
-sont unanimes à déclarer qu'il y a un marché du travail, comme il y a un
-marché du blé, de la viande, du poisson ou de la volaille.
-
-Ceci admis, il est donc logique que les capitalistes se comportent à
-l'égard de la «chair à travail» qu'ils trouvent sur le marché comme
-lorsqu'il s'agit pour eux d'acheter des marchandises ou des matières
-premières: c'est-à-dire qu'ils s'efforcent de l'obtenir au taux le plus
-réduit.
-
-C'est chose normale étant donné les prémisses. Nous sommes ici en plein
-jeu de la loi de l'offre et de la demande.
-
-Seulement, ce qui est moins compréhensible, c'est que, dans leur esprit,
-ces capitalistes entendent recevoir, non une quantité de travail en
-rapport avec le taux du salaire qu'ils payent, mais bien, indépendamment
-du niveau de ce salaire, le maximum de travail que puisse fournir
-l'ouvrier.
-
-En un mot, ils prétendent acheter non une quantité de travail,
-équivalente à la somme qu'ils déboursent, mais la force de travail
-intrinsèque de l'ouvrier: c'est, en effet, l'ouvrier tout entier--corps
-et sang, vigueur et intelligence--qu'ils exigent.
-
-Lorsqu'ils émettent cette prétention, les employeurs négligent de tenir
-compte que cette «force de travail» est partie intégrante d'un être
-pensant, capable de volonté, de résistance et de révolte.
-
-Certes, tout irait au mieux dans le monde capitaliste si les ouvriers
-étaient aussi inconscients que les machines de fer et d'acier dont ils
-sont les servants et si, comme elles, ils n'avaient en guise de coeur et
-de cerveau qu'une chaudière ou une dynamo.
-
-Seulement, il n'en est pas ainsi! Les travailleurs savent quelles
-conditions leur sont faites dans le milieu actuel et s'ils les
-subissent, ce n'est point de leur plein gré. Ils se savent possesseurs
-de la «force de travail» et s'ils acquiescent à ce que le patron qui les
-embauche en «consomme» une quantité donnée, ils s'efforcent que cette
-quantité soit en rapport plus ou moins direct avec le salaire qu'ils
-reçoivent. Même parmi les plus dénués de conscience, parmi ceux qui
-subissent le joug patronal, sans mettre en doute son bien fondé, jaillit
-intuitivement la notion de résistance aux prétentions capitalistes: ils
-tendent à ne pas se dépenser sans compter.
-
-Les employeurs n'ont pas été sans constater cette tendance qu'ont les
-ouvriers à économiser leur «force de travail». C'est pourquoi, certains
-d'entre eux ont habilement paré au préjudice qui en découle pour eux, en
-recourant à l'émulation pour faire oublier à leur personnel cette
-prudence restrictive.
-
-Ainsi, les entrepreneurs du bâtiment, surtout à Paris, ont vulgarisé une
-pratique, qui d'ailleurs tombe en désuétude depuis 1906,--c'est-à-dire
-depuis que les ouvriers de la corporation sont groupés en syndicats
-puissants.
-
-Cette pratique consiste à embaucher un «costaud» qui, sur le chantier,
-donne l'élan à ses camarades. Il «en met» plus que quiconque... et il
-faut le suivre, sinon les retardataires risquent d'être mal vus et
-d'être débauchés comme incapables.
-
-Une telle manière de procéder dénote bien que ces entrepreneurs
-raisonnent à l'égard des travailleurs comme lorsqu'ils traitent un
-marché pour l'acquisition d'une machine. De même qu'ils achètent
-celle-ci avec la fonction productive qui lui est incorporée[4], de même
-ils ne considèrent l'ouvrier que comme un instrument de production
-qu'ils prétendent acquérir en entier, pour un temps donné, tandis qu'en
-réalité, ils ne passent de contrat avec lui que pour la fonction de son
-organisme se traduisant en travail effectif.
-
- [4] il y a cependant des cas où le vendeur d'une machine ne cède pas
- intégralement à son acheteur la _fonction productrice_ de la dite
- machine. En exemple, certaines machines à fabriquer les chaussures
- qui sont munies d'un compteur enregistrant le nombre des chaussures
- produites et qui sont vendues avec la stipulation que l'acheteur
- paiera _indéfiniment_ une certaine redevance par paire de chaussures
- produite.
-
-Cette discordance qui est la base des rapports entre patrons et ouvriers
-met en relief l'opposition fondamentale des intérêts en présence: la
-lutte de la classe qui détient les moyens de production contre la classe
-qui, dénuée de capital, n'a d'autre richesse que sa force de travail.
-
-Dès que, sur le terrain économique, employés et employeurs prennent
-contact, se révèle cet antagonisme irréductible qui les jette aux deux
-pôles opposés et qui, par conséquent, rend toujours instables et
-éphémères leurs accords.
-
-Entre les uns et les autres, en effet, il ne peut jamais se conclure un
-contrat au sens précis et équitable du terme. Un contrat implique
-l'égalité des contractants, leur pleine liberté d'action et, de plus,
-une de ses caractéristiques est de présenter pour tous ses signataires
-un intérêt réel et personnel, dans le présent aussi bien que dans
-l'avenir.
-
-Or, lorsqu'un ouvrier offre ses bras à un patron, les deux
-«contractants» sont loin d'être sur le pied d'égalité. L'ouvrier obsédé
-par l'urgence d'assurer son lendemain,--si même il n'est pas tenaillé
-par la faim,--n'a pas la sereine liberté d'action dont jouit son
-embaucheur. En outre, le bénéfice qu'il retire de son louage de travail
-n'est que momentané, car, s'il y trouve la vie immédiate, il n'est pas
-rare que le risque de la besogne à laquelle il est astreint ne mette sa
-santé, son avenir en péril.
-
-Donc, entre patrons et ouvriers il ne peut se conclure d'engagements qui
-méritent le qualificatif de contrats. Ce qu'on est convenu de désigner
-sous le nom de _contrat du travail_ n'a pas les caractères spécifiques
-et bilatéraux du contrat; c'est, au sens strict, un contrat unilatéral,
-favorable seulement à l'un des contractants,--un contrat léonin.
-
-Il découle de ces constatations que, sur le marché du travail, il n'y a,
-face à face, que des belligérants en permanent conflit; par conséquent,
-toutes les relations, tous les accords des uns et des autres ne peuvent
-être que précaires, car ils sont viciés à la base, ne reposant que sur
-le plus ou moins de force et de résistance des antagonistes.
-
-C'est pourquoi, entre patrons et ouvriers, ne se conclut jamais--et ne
-peut jamais se conclure,--une entente durable, un contrat au sens loyal
-du mot: il n'y a entre eux que des armistices qui, suspendant pour un
-temps les hostilités, apportent une trêve momentanée aux faits de
-guerre.
-
-Ce sont deux mondes qui s'entrechoquent avec violence: le monde du
-capital, le mondé du travail. Certes, il peut y avoir,--et il y a,--des
-infiltrations de l'un dans l'autre; grâce à une sorte de capillarité
-sociale, des transfuges passent du monde du travail dans celui du
-capital et, oubliant ou reniant leurs origines, prennent rang parmi les
-plus intraitables défenseurs de leur caste d'adoption. Mais, ces
-fluctuations dans les corps d'armée en lutte n'infirment pas
-l'antagonisme des deux classes.
-
-D'un côté comme de l'autre les intérêts en jeu sont diamétralement
-opposés et cette opposition se manifeste en tout ce qui constitue la
-trame de l'existence. Sous les déclamations démocratiques, sous le verbe
-menteur de l'égalité, le plus superficiel examen décèle les divergences
-profondes qui séparent bourgeois et prolétaires: les conditions
-sociales, les modes de vivre, les habitudes de penser, les aspirations,
-l'idéal... tout! tout diffère!
-
-
-
-
-CHAPITRE III
-
-Morale de classe
-
-
-Il est compréhensible que, de la différenciation radicale dont nous
-venons de constater la persistance entre la classe ouvrière et la classe
-bourgeoise découle une moralité distincte.
-
-Il serait, en effet, pour le moins étrange, qu'il n'y ait rien de commun
-entre un prolétaire et un capitaliste, sauf la morale.
-
-Quoi! Les faits et gestes d'un exploité devraient être appréciés et
-jugés avec le critérium de son ennemi de classe?
-
-Ce serait simplement absurde!
-
-La vérité, c'est que, de même qu'il y a deux classes dans la société, il
-y a aussi deux morales,--celle des capitalistes et celle des
-prolétaires.
-
- La morale naturelle ou zoologique, écrit Max Nordau, déclarerait que
- le repos est le mérite suprême, et ne donnerait à l'homme le travail
- comme désirable et glorieux qu'autant que ce travail est indispensable
- à son existence matérielle. Mais les exploiteurs n'y trouveraient pas
- leur compte. Leur intérêt, en effet, réclame que la masse travaille
- plus qu'il n'est nécessaire pour elle, et produise plus que son propre
- usage ne l'exige. C'est qu'ils veulent précisément s'emparer du
- surplus de la production; à cet effet, ils ont supprimé la morale
- naturelle et en ont inventé une autre, qu'ils ont fait établir par
- leurs philosophes, vanter par leurs prédicateurs, chanter par leurs
- poètes: morale d'après laquelle l'oisiveté serait la source de tous
- les vices, et le travail une vertu, la plus belle de toutes les
- vertus...
-
-Il est inutile d'observer que cette morale est à l'usage exclusif des
-prolétaires, les riches qui la prônent n'ayant garde de s'y soumettre:
-l'oisiveté n'est vice que chez les pauvres.
-
-C'est au nom des prescriptions de cette morale spéciale que les ouvriers
-doivent trimer dur et sans trêve au profit de leurs patrons et que tout
-relâchement de leur part, dans l'effort de production, tout ce qui tend
-à réduire le bénéfice escompté par l'exploiteur, est qualifié d'action
-immorale.
-
-Par contre, c'est toujours en excipant de cette morale de classe que
-sont glorifiés le dévouement aux intérêts patronaux, l'assiduité aux
-besognes les plus fastidieuses et les moins rémunératrices, les
-scrupules niais qui créent «l'honnête ouvrier», en un mot toutes les
-chaînes idéologiques et sentimentales qui rivent le salarié au carcan du
-capital, mieux et plus sûrement que des maillons en fer forgé.
-
-Pour compléter l'oeuvre d'asservissement, il est fait appel à la vanité
-humaine: toutes les qualités du bon esclave sont exaltées, magnifiées et
-on a même imaginé de distribuer des récompenses,--la médaille du
-travail!--aux ouvriers-caniches qui se sont distingués par la souplesse
-de leur épine dorsale, leur esprit de résignation et leur fidélité au
-maître.
-
-De cette morale scélérate la classe ouvrière est donc saturée à
-profusion.
-
-Depuis sa naissance, jusqu'à la mort, le prolétaire en est englué: il
-suce cette morale avec le lait plus ou moins falsifié du biberon qui,
-pour lui, remplace trop souvent le sein maternel; plus tard, à la
-«laïque», on la lui inculque encore, en un dosage savant, et
-l'imprégnation se continue, par mille et mille procédés, jusqu'à ce que,
-couché dans la fosse commune, il dorme son éternel sommeil.
-
-L'intoxication résultant de cette morale est tellement profonde et
-tellement persistante que des hommes à l'esprit subtil, au raisonnement
-clair et aigu, en restent cependant contaminés. C'est le cas du citoyen
-Jaurès qui, pour condamner le sabotage, a excipé de cette éthique, créée
-à l'usage des capitalistes. Dans une discussion ouverte au Parlement sur
-le Syndicalisme, le 11 mai 1907, il déclarait:
-
- Ah! s'il s'agit de la propagande systématique, méthodique du sabotage,
- au risque d'être taxé par vous d'un optimisme où il entrerait quelque
- complaisance pour nous-mêmes, je ne crains pas qu'elle aille bien
- loin. Elle répugne à toute la nature à toutes les tendances de
- l'ouvrier...
-
-Et il insistait fort:
-
- Le sabotage, affirmait-il, répugne à la valeur technique de l'ouvrier.
-
- La valeur technique de l'ouvrier, c'est sa vraie richesse; voilà
- pourquoi le théoricien, le métaphysicien du syndicalisme, Sorel
- déclare que, accordât-on au syndicalisme tous les moyens possibles, il
- en est un qu'il doit s'interdire à lui-même: celui qui risquerait de
- déprécier, d'humilier dans l'ouvrier cette valeur professionnelle, qui
- n'est pas seulement sa richesse précaire d'aujourd'hui, mais qui est
- son titre pour sa souveraineté dans le monde de demain...
-
-Les affirmations de Jaurès, même placées sous l'égide de Sorel, sont
-tout ce qu'on voudra,--voire de la métaphysique,--hormis la constatation
-d'une réalité économique.
-
-Où diantre a-t-il rencontré des ouvriers que «toute leur nature et
-toutes leurs tendances» portent à donner le plein de leur effort,
-physique et intellectuel à un patron, en dépit de conditions dérisoires,
-infimes ou odieuses que celui-ci leur impose?
-
-En quoi, d'autre part, la «valeur technique» de ces problématiques
-ouvriers serait-elle mise en péril, parce que, le jour où ils
-s'apercevront de l'exploitation éhontée dont ils sont victimes, ils
-tenteront de s'y soustraire et, tout d'abord, ne consentiront plus à
-soumettre leurs muscles et leurs cerveaux à une fatigue indéfinie, pour
-le seul profit du patron?
-
-Pourquoi ces ouvriers gaspilleraient-ils cette «valeur technique» qui
-constitue leur «vraie richesse»--au dire de Jaurès--et pourquoi en
-feraient-ils presque gratuitement cadeau au capitaliste?
-
-N'est-il pas plus logique qu'au lieu de se sacrifier, en agneaux bêlants
-sur l'autel du patronat, ils se défendent, luttent, et estimant au plus
-haut prix possible leur «valeur technique» ils ne cèdent tout ou partie
-de cette «vraie richesse» qu'aux conditions les meilleures, ou les moins
-mauvaises?
-
-A ces interrogations l'orateur socialiste n'apporte pas de réponse,
-n'ayant pas approfondi la question. Il s'est borné à des affirmations
-d'ordre sentimental, inspirées de la morale des exploiteurs et qui ne
-sont que le remâchage des arguties des économistes reprochant aux
-ouvriers français leurs exigences et leurs grèves, les accusant de
-mettre l'industrie nationale en péril.
-
-Le raisonnement du citoyen Jaurès est, en effet du même ordre, avec
-cette différence qu'au lieu de faire vibrer la corde patriotique, c'est
-le point d'honneur, la vanité, la gloriole du prolétaire qu'il a tâché
-d'exalter, de surexciter.
-
-Sa thèse aboutit à la négation formelle de la lutte de classe, car elle
-ne tient pas compte du permanent état de guerre entre le capital et le
-travail.
-
-Or, le simple bon sens suggère que le patron étant l'ennemi, pour
-l'ouvrier, il n'y a pas plus déloyauté de la part de celui-ci à dresser
-des embuscades contre son adversaire qu'à le combattre à visage
-découvert.
-
-Donc, aucun des arguments empruntés à la morale bourgeoise ne vaut pour
-apprécier le sabotage, non plus que toute autre tactique prolétarienne;
-de même, aucun de ces arguments ne vaut pour juger les faits, les
-gestes, les pensées ou les aspirations de la classe ouvrière.
-
-Si sur tous ces points on désire raisonner sainement, il ne faut pas se
-référer à la morale capitaliste, mais s'inspirer de la morale des
-producteurs qui s'élabore quotidiennement au sein des masses ouvrières
-et qui est appelée à régénérer les rapports sociaux, car c'est elle qui
-réglera ceux du monde de demain.
-
-
-
-
-CHAPITRE IV
-
-Les procédés de sabotage
-
-
-Sur le champ de bataille qu'est le marché du travail, où les
-belligérants s'entrechoquent, sans scrupules et sans égards, il s'en
-faut, nous l'avons constaté, qu'ils se présentent à armes égales.
-
-Le capitaliste oppose une cuirasse d'or aux coups de son adversaire qui,
-connaissant son infériorité défensive et offensive, tâche d'y suppléer
-en ayant recours aux ruses de guerre. L'ouvrier, impuissant pour
-atteindre son adversaire de front, cherche à le prendre de flanc, en
-l'attaquant dans ses oeuvres vives: le coffre-fort.
-
-Il en est alors des prolétaires comme d'un peuple qui, voulant résister
-à l'invasion étrangère et ne se sentant pas de force à affronter
-l'ennemi en bataille rangée se lance dans la guerre d'embuscades, de
-guérillas. Lutte déplaisante pour les grands corps d'armée, lutte
-tellement horripilante et meurtrière que, le plus souvent, les
-envahisseurs refusent de reconnaître aux francs-tireurs le caractère de
-belligérants.
-
-Cette exécration des guérillas pour les armées régulières n'a pas plus
-lieu de nous étonner que l'horreur inspirée par le sabotage aux
-capitalistes.
-
-C'est qu'en effet le sabotage est dans la guerre sociale ce que sont les
-guérillas dans les guerres nationales: il découle des mêmes sentiments,
-répond aux mêmes nécessités et a sur la mentalité ouvrière d'identiques
-conséquences.
-
-On sait combien les guérillas développent le courage individuel,
-l'audace et l'esprit de décision; autant peut s'en dire du sabotage: il
-tient en haleine les travailleurs, les empêche de s'enlizer dans une
-veulerie pernicieuse et comme il nécessite une action permanente et sans
-répit, il a l'heureux résultat de développer l'esprit d'initiative,
-d'habituer à agir soi-même, de surexciter la combativité.
-
-De ces qualités, l'ouvrier en a grandement besoin, car le patron agit à
-son égard avec aussi peu de scrupules qu'en ont les armées d'invasion
-opérant en pays conquis: il rapine le plus qu'il peut!
-
-Cette rapacité capitaliste, le milliardaire Rockefeller l'a blâmée...
-quitte, très sûrement, à la pratiquer sans vergogne.
-
- Le tort de certains employeurs, a-t-il écrit, est de ne point payer la
- somme exacte qu'ils devraient; alors le travailleur a une tendance à
- restreindre son labeur.
-
-Cette tendance à la restriction du labeur que constate
-Rockefeller--restriction qu'il légitime et justifie par le blâme qu'il
-adresse aux patrons--est du sabotage sous la forme qui se présente
-spontanément à l'esprit de tout ouvrier: le _ralentissement du travail_.
-
-C'est, pourrait-on dire, la forme instinctive et primaire du sabotage.
-
-C'est à son application qu'à Beaford, dans l'Indiana, États-Unis
-(c'était en 1908), se décidaient une centaine d'ouvriers qui venaient
-d'être avisés qu'une réduction de salaire s'élevant à une douzaine de
-sous par heure leur était imposée. Sans mot dire, ils se rendirent à une
-usine voisine et firent rogner leurs pelles de deux pouces et demi.
-Après quoi, ils revinrent au chantier et répondirent au patron: «A
-petite paie, petite pelle!»
-
-Cette forme de sabotage n'est praticable que pour les ouvriers à la
-journée. Il est, en effet, bien évident que ceux qui travaillent aux
-pièces et qui ralentiraient leur production seraient les premières
-victimes de leur révolte passive puisqu'ils saboteraient leur propre
-salaire. Ils doivent donc recourir à d'autres moyens et leur
-préoccupation doit être de diminuer la qualité et non la quantité de
-leur produit.
-
-De ces moyens, le _Bulletin de la Bourse du Travail de Montpellier_
-donnait un aperçu, dans un article publié dans les premiers mois de
-1900, quelques semaines avant le Congrès confédéral qui se tint à Paris:
-
- Si vous êtes mécanicien, disait cet article, il vous est très facile
- avec deux sous d'une poudre quelconque, ou même seulement avec du
- sable, d'enrayer votre machine, d'occasionner une perte de temps et
- une réparation fort coûteuse à votre exploiteur. Si vous êtes
- menuisier ou ébéniste, quoi de plus facile que de détériorer un meuble
- sans que le patron s'en aperçoive et de lui faire perdre ainsi des
- clients? Un tailleur peut aisément abîmer un habit ou une pièce
- d'étoffe; un marchand de nouveautés, avec quelques taches adroitement
- posées sur un tissu le fait vendre à vil prix; un garçon épicier, avec
- un mauvais emballage, fait casser la marchandise; c'est la faute de
- n'importe qui, et le patron perd le client. Le marchand de laines,
- mercerie, etc., avec quelques gouttes d'un corrosif répandues sur une
- marchandise qu'on emballe, mécontente le client; celui-ci renvoie le
- colis et se fâche; on lui répond que c'est arrivé en route...
- Résultat, perte souvent du client. Le travailleur à la terre donne de
- temps en temps un coup de pioche maladroit,--c'est-à-dire adroit,--ou
- sème de la mauvaise graine au milieu d'un champ, etc.
-
-Ainsi qu'il est indiqué ci-dessus, les procédés de sabotage sont
-variables à l'infini. Cependant, quels qu'ils soient, il est une qualité
-qu'exigent d'eux les militants ouvriers: c'est que leur mise en pratique
-n'ait pas une répercussion fâcheuse sur le consommateur.
-
-Le sabotage s'attaque au patron, soit par le ralentissement du travail,
-soit en rendant les produits fabriqués invendables, soit en immobilisant
-ou rendant inutilisable l'instrument de production, mais le consommateur
-ne doit pas souffrir de cette guerre faite à l'exploiteur.
-
-Un exemple de l'efficacité du sabotage est l'application méthodique
-qu'en ont fait les coiffeurs parisiens:
-
-Habitués à frictionner des têtes, ils se sont avisés d'étendre le
-système du schampoing aux devantures patronales. C'est au point que,
-pour les patrons coiffeurs, la crainte du _badigeonnage_ est devenue la
-plus convaincante des sanctions.
-
-C'est grâce au badigeonnage--pratiqué principalement de 1902 à mai
-1906,--que les ouvriers coiffeurs ont obtenu la fermeture des salons à
-des heures moins tardives et c'est aussi la crainte du badigeonnage qui
-leur a permis d'obtenir, très rapidement (avant le vote de la loi sur le
-repos hebdomadaire) la généralisation de la fermeture des boutiques, un
-jour par semaine.
-
-Voici en quoi consiste le badigeonnage: en un récipient quelconque, tel
-un oeuf préalablement vidé, le «badigeonneur» enferme un produit
-caustique; puis, à l'heure propice, il s'en va lancer contenant et
-contenu sur la devanture du patron réfractaire.
-
-Ce «schampoing» endolorit la peinture de la boutique et le patron
-profitant de la leçon reçue devient plus accommodant.
-
-Il y a environ 2.300 boutiques de coiffeurs à Paris, sur lesquelles,
-durant la campagne de badigeonnage, 2.000 au moins ont été badigeonnées
-une fois... sinon plusieurs. _L'Ouvrier coiffeur_, l'organe syndical de
-la Fédération des Coiffeurs a estimé approximativement à 200.000 francs
-les pertes financières occasionnées aux patrons par le procédé du
-badigeonnage.
-
-Les ouvriers coiffeurs sont enchantés de leur méthode et ils ne sont
-nullement disposés à l'abandonner. Elle a fait ses preuves, disent-ils,
-et ils lui attribuent une valeur moralisatrice qu'ils affirment
-supérieure à toute sanction légale.
-
-Le badigeonnage, comme tous les bons procédés de sabotage s'attaque donc
-à la caisse patronale et la tête des clients n'a rien à en redouter.
-
- * * * * *
-
-Les militants ouvriers insistent fort sur ce caractère spécifique du
-sabotage qui est de frapper le patron et non le consommateur. Seulement,
-ils ont à vaincre le parti-pris de la presse capitaliste qui dénature
-leur thèse à plaisir en présentant le sabotage comme dangereux pour les
-consommateurs principalement.
-
-On n'a pas oublié l'émotion que soulevèrent, il y a quelques années, les
-racontars des quotidiens, à propos du pain au verre pilé. Les
-syndicalistes s'évertuaient à déclarer que mettre du verre pilé dans le
-pain serait un acte odieux, stupidement criminel et que les ouvriers
-boulangers n'avaient jamais eu semblable pensée. Or, malgré les
-dénégations et les démentis, le mensonge se répandait, se rééditait et,
-naturellement, indisposait contre les ouvriers boulangers nombre de gens
-pour qui ce qu'imprime leur journal est parole d'évangile.
-
-En fait, jusqu'ici, au cours des diverses grèves de boulangers, le
-sabotage constaté s'est borné à la détérioration des boutiques
-patronales, des pétrins ou des fours. Quant au pain, s'il en a été
-fabriqué d'immangeable,--pain brûlé ou pas cuit, sans sel, ou sans
-levain, etc., mais, insistons-y, jamais au verre pilé!--ce ne sont pas,
-et ce ne pouvaient pas être, les consommateurs qui en ont pâti, mais
-uniquement les patrons.
-
-Il faudrait, en effet, supposer les acheteurs pétris de bêtise... à en
-manger du foin!... pour accepter, au lieu de pain, un mélange indigeste
-ou nauséabond. Si le cas se fût présenté ils eussent évidemment rapporté
-ce mauvais pain à leur fournisseur et eussent exigé à la place un
-produit comestible.
-
-Il n'y a donc à retenir le pain au verre pilé que comme un argument
-capitaliste destiné à jeter le discrédit sur les revendications des
-ouvriers boulangers.
-
-Autant peut s'en dire du «canard» lancé en 1907 par un
-quotidien,--spécialiste en excitations contre le mouvement
-syndical,--qui raconta qu'un préparateur en pharmacie, féru du sabotage,
-venait de substituer de la strychnine et autres poisons violents à
-d'innocentes drogues prescrites pour la préparation de cachets.
-
-Contre cette histoire, qui n'était qu'un mensonge,--et aussi une
-insanité,--le syndicat des préparateurs en pharmacie protesta avec juste
-raison.
-
-En réalité, si un préparateur en pharmacie avait intention de sabotage,
-jamais il n'imaginerait d'empoisonner les malades... ce qui, après avoir
-conduit ceux-ci au tombeau, l'amènerait lui-même en cour d'assises et ne
-causerait aucun sérieux préjudice à son patron.
-
-Certes, le «potard» saboteur agirait autrement. Il se bornerait à
-gaspiller les produits pharmaceutiques, à en faire une généreuse
-distribution; il pourrait encore employer pour les ordonnances les
-produits purs,--mais très coûteux,--en place des produits frelatés qui
-s'emploient couramment.
-
-En ce dernier cas, il se dégagerait d'une complicité coupable... de sa
-participation au sabotage patronal,--criminel celui-là!--et qui consiste
-à délivrer des produits de basse qualité, d'action quasi nulle, au lieu
-des produits purs ordonnancés par le médecin.
-
-Il est inutile d'insister davantage pour démontrer que le sabotage
-pharmaceutique peut être profitable au malade, mais qu'il ne peut
-jamais,--au grand jamais!--lui être nuisible.
-
-C'est d'ailleurs par des résultats similaires, favorables au
-consommateur, que, dans bien des corporations,--entre autres celle de
-l'alimentation,--se manifeste le sabotage ouvrier.
-
-Et s'il y a un regret à formuler c'est que ce sabotage ne soit pas
-davantage entré dans les moeurs ouvrières. Il est triste, en effet, de
-constater que, trop souvent, des travailleurs s'associent aux plus
-abominables frelatages qu'il soit, au détriment de la santé publique; et
-cela, sans envisager la part de responsabilité qui leur incombe dans des
-agissements que le Code peut excuser, mais qui n'en sont pas moins des
-crimes.
-
-Un appel à la population parisienne--dont ci-dessous est reproduit
-l'essentiel,--lancé en 1908 par le syndicat des Cuisiniers, en dit plus
-long sur ce sujet que bien des commentaires:
-
- Le 1er juin dernier, un chef cuisinier, arrivé du matin même dans un
- restaurant populaire, constatait que la viande qui lui était confiée
- s'était tellement avariée, que la servir eût été un danger pour les
- consommateurs; il en fit part au patron qui exigea qu'elle soit quand
- même servie; l'ouvrier, révolté de la besogne qu'on voulait de lui,
- refusa de se faire complice de l'empoisonnement de la clientèle.
-
- Le patron, furieux, de cette indiscrète loyauté, se vengea en le
- congédiant et en le signalant au syndicat patronal des restaurants
- populaires _La Parisienne_, afin de l'empêcher de se replacer.
-
- Jusqu'ici, l'incident révèle seulement un acte individuel et ignoble
- du patron et un acte de conscience d'un ouvrier; mais la suite de
- l'affaire révèle, comme on va le voir, une solidarité patronale
- tellement scandaleuse et dangereuse, que nous nous croyons obligés de
- la dénoncer:
-
- Quand l'ouvrier s'est représenté à l'office de placement du syndicat
- patronal, le préposé à cet office lui déclara: qu'à lui, ouvrier, ça
- ne le regardait pas si les denrées étaient ou non avariées, que ce
- n'était pas lui qui était responsable; que du moment qu'on le payait
- il n'avait qu'à obéir, que son acte était inadmissible et que
- désormais il n'avait plus à compter sur leur service de placement pour
- avoir du travail.
-
- Crever de faim ou se faire au besoin complice d'empoisonnement, voilà
- le dilemme posé aux ouvriers par ce syndicat patronal.
-
- D'autre part, ce langage établit bien nettement que, loin de réprouver
- la vente des denrées avariées, ce syndicat couvre et défend ces actes
- et poursuit de sa haine les empêcheurs d'empoisonner tranquillement!
-
-Il n'est sûrement pas un spécimen unique dans Paris, ce restaurateur
-sans scrupules qui sert de la viande pourrie à sa clientèle. Cependant,
-rares sont les cuisiniers qui ont le courage de suivre l'exemple donné.
-
-C'est que, hélas, à avoir trop de conscience, ces travailleurs risquent
-de perdre leur gagne-pain,--voire d'être boycottés! Or, ce sont là des
-considérations qui font tourner bien des têtes, vaciller bien des
-volontés et mettent un frein à bien des révoltes.
-
-Et c'est pourquoi, trop peu nous sont dévoilés les mystères des
-gargottes,--populaires ou aristocratiques.
-
-Il serait pourtant utile au consommateur de savoir que les énormes
-quartiers de boeuf qui, aujourd'hui, s'étalent à la devanture du
-restaurant qu'il fréquente sont des viandes apétissantes qui, demain,
-seront trimballées et détaillées aux Halles... tandis qu'à la gargote en
-question se débiteront des viandes suspectes.
-
-Il lui serait également utile, au client, de savoir que le potage bisque
-d'écrevisses qu'il savoure est fait avec les carapaces de langoustes
-laissées hier,--par lui ou d'autres,--sur l'assiette; carapaces
-soigneusement raclées, pour en détacher le pulpe y adhérant encore et
-qui, broyé au mortier, est finement délayé par un coulis qu'on teinte en
-rose avec du carmin.
-
-De savoir aussi: qu'on «fait» les filets de barbue avec de la lotte ou
-du cabillaud; que les filets de chevreuil sont de la «tranche» de boeuf,
-pimentée grâce à une marinade endiablée; que pour enlever aux volailles
-la saveur «passée» et les «rajeunir» on promène dans l'intérieur un fer
-rouge.
-
-Et encore, que tout le matériel de restaurant: cuillers, verres,
-fourchettes, assiettes, etc., est essuyé avec les serviettes abandonnées
-par les clients après leur repas,--d'où contagion possible de
-tuberculose... sinon d'avarie!
-
-La liste serait longue,--et combien nauséeuse!--s'il fallait énumérer
-tous les «trucs» et les «fourbis» de commerçants rapaces et sans
-vergogne qui, embusqués au coin de leur boutique, ne se satisfont point
-de détrousser leurs pratiques, mais encore trop souvent, les
-empoisonnent par dessus le marché.
-
-D'ailleurs, il ne suffit pas de connaître les procédés; il faut savoir
-quelles sont les maisons «honorables» qui sont coutumières de ces
-criminelles manières de faire. C'est pourquoi nous devons souhaiter,
-dans l'intérêt de la santé publique, que les ouvriers de l'alimentation
-sabotent les réputations surfaites de leurs patrons et nous mettent en
-garde contre ces malfaiteurs.
-
-Observons, au surplus, qu'il est, pour les cuisiniers, une autre variété
-de sabotage: c'est de préparer les plats d'excellente façon, avec tous
-les assaisonnements nécessaires et en y apportant tous les soins requis
-par l'art culinaire; ou bien, dans les restaurants à la portion, d'avoir
-la main lourde et copieuse, au profit des clients.
-
- * * * * *
-
-De tout ceci il résulte donc, que, pour les ouvriers de cuisine, le
-sabotage s'identifie avec l'intérêt des consommateurs, soit qu'ils
-s'avisent d'être de parfaits maîtres-queux, soit qu'ils nous initient
-aux arcanes peu ragoûtantes de leurs officines.
-
-Certains objecteront peut-être que, dans ce dernier cas, les cuisiniers
-font, non pas acte de sabotage, mais donnent un exemple d'intégrité et
-de loyauté professionnelle digne d'encouragement.
-
-Qu'ils prennent garde! Ils s'engagent sur une pente très savonnée, très
-glissante et ils risquent de rouler à l'abîme... c'est-à-dire à la
-condamnation formelle de la société actuelle.
-
-En effet, la falsification, la sophistication, la tromperie, le
-mensonge, le vol, l'escroquerie sont la trame de la société capitaliste;
-les supprimer équivaudrait à la tuer... Il ne faut pas s'illusionner: le
-jour où on tenterait d'introduire dans les rapports sociaux, à tous les
-degrés et dans tous les plans, une stricte loyauté, une scrupuleuse
-bonne foi, plus rien ne resterait debout, ni industrie, ni commerce, ni
-banque..., rien! rien!
-
-Or, il est évident que, pour mener à bien toutes les opérations louches
-auxquelles il se livre, le patron ne peut agir seul; il lui faut des
-aides, des complices... il les trouve dans ses ouvriers, ses employés.
-Il s'en suit logiquement qu'en associant ses employés à ses
-manoeuvres--mais non à ses bénéfices--le patron, dans n'importe quelle
-branche de l'activité, exige d'eux une soumission complète à ses
-intérêts et leur interdit d'apprécier et de juger les opérations et les
-agissements de sa maison; s'il en est qui ont un caractère frauduleux,
-voire criminel, cela ne les regarde point.
-
-«_Ils ne sont pas responsables... Du moment qu'on les paie, ils n'ont
-qu'à obéir..._», ainsi l'observait très bourgeoisement le préposé de la
-«Parisienne» dont il a été question plus haut.
-
-En vertu de tels sophismes, le travailleur doit faire litière de sa
-personnalité, étouffer ses sentiments et agir en inconscient; toute
-désobéissance aux ordres donnés, toute violation des secrets
-professionnels, toute divulgation des pratiques, pour le moins
-malhonnêtes, auxquelles il est astreint, constitue de sa part un acte de
-félonie à l'égard du patron.
-
-Donc, s'il se refuse à l'aveugle et passive soumission, s'il ose
-dénoncer les vilenies auxquelles on l'associe, il est considéré comme se
-rebellant contre son employeur, car il se livre envers lui à des actes
-de guerre,--il le sabote!
-
-Au surplus, cette manière de voir n'est pas particulière aux patrons,
-c'est aussi comme acte de guerre,--comme acte de sabotage,--que les
-syndicats ouvriers interprètent toute divulgation préjudiciables aux
-intérêts capitalistes.
-
-Cet ingénieux moyen de battre en brèche l'exploitation humaine a même
-reçu un nom spécial: c'est le sabotage par la méthode de la _bouche
-ouverte_.
-
-L'expression est on ne peut plus significative. Il est, en effet certain
-que bien des fortunes ne se sont édifiées que grâce au silence qu'ont
-gardé sur les pirateries patronales les exploités qui y ont collaboré.
-Sans le mutisme de ceux-ci, il eût été difficile, sinon impossible aux
-exploiteurs de mener à bien leurs affaires; si elles ont réussi, si la
-clientèle est tombée dans leurs panneaux, si leurs bénéfices ont fait
-boule de neige, c'est grâce au silence de leurs salariés.
-
-Eh bien! ces muets du sérail industriel et commercial sont las de rester
-bouche close. Ils veulent parler! Et ce qu'ils vont dire va être si
-grave que leurs révélations vont faire le vide autour de leur patron,
-que sa clientèle va se détourner de lui...
-
-Cette tactique de sabotage qui, sous ses formes anodines et vierges de
-violences, peut être aussi redoutable pour bien des capitalistes que la
-brutale mise à mal d'un précieux outillage est en passe de considérable
-vulgarisation.
-
-C'est à elle que recourent les travailleurs du bâtiment qui dévoilent, à
-l'architecte ou au propriétaire qui fait construire, les malfaçons de
-l'immeuble qu'ils viennent de terminer, ordonnées par l'entrepreneur et
-à son profit: murs manquant d'épaisseur, emploi de mauvais matériaux,
-couches de peinture escamotées, etc.
-
-_Bouche ouverte_, également, lorsque les ouvriers du métro dénoncent à
-grand fracas les criminels vices de construction des tunnels;
-
-_Bouche ouverte_, aussi, quand les garçons épiciers pour amener à
-composition les maisons réfractaires à leurs revendications ont avisé,
-par voie d'affiches, les ménagères des trucs et des filouteries du
-métier;
-
-_Bouche ouverte_, encore, les placards des préparateurs en pharmacie--en
-lutte pour la fermeture à 9 heures du soir--dénonçant le coupable
-sabotage des malades par des patrons insoucieux.
-
-Et c'est de même à la pratique de la _bouche ouverte_ qu'ont décidé de
-recourir les employés des maisons de banque et de Bourse. Dans une
-assemblée générale, tenue en juillet dernier, le syndicat de ces
-employés a adopté un ordre du jour menaçant les patrons, s'ils font la
-sourde oreille aux revendications présentées, de rompre le silence
-professionnel et de révéler au public tout ce qui se passe dans les
-cavernes de voleurs que sont les maisons de finance.
-
-Ici, une question se pose:
-
-Que vont dire de la _bouche ouverte_ les pointilleux et tatillons
-moralistes qui condamnent le sabotage au nom de la morale?
-
-Auxquels des deux, patrons ou employés, vont aller leurs anathèmes?
-
-Aux patrons, escrocs, spoliateurs, empoisonneurs, etc., qui entendent
-associer leurs employés à leur indignité, les rendre complices de leurs
-délits, de leurs crimes?
-
-Ou bien, aux employés qui, se refusant aux malhonnêtetés et aux
-scélératesses que l'exploiteur exige d'eux, libèrent leur conscience en
-mettant public ou consommateurs en garde?
-
- * * * * *
-
-Nous venons d'examiner les procédés de sabotage mis en oeuvre par la
-classe ouvrière, sans suspension de travail, sans qu'il y ait abandon du
-chantier ou de l'atelier; mais le sabotage ne se limite pas à cette
-action restreinte; il peut devenir,--et il devient de plus en plus,--un
-aide puissant au cas de grève.
-
-Le milliardaire Carnegie, le roi du Fer, a écrit:
-
- Attendre d'un homme qui défend son salaire pour les besoins de sa vie,
- d'assister tranquillement à son remplacement par un autre homme, c'est
- trop attendre.
-
-C'est ce que ne cessent de dire, de répéter, de clamer les
-syndicalistes. Mais, il n'y a pire sourds, on le sait, que ceux qui ne
-veulent pas entendre,--et les capitalistes sont du nombre!
-
-Cette pensée du milliardaire Carnegie, le citoyen Bousquet, secrétaire
-du Syndicat des Boulangers parisiens, l'a paraphrasée dans un article de
-la Voix du Peuple[5]:
-
- [5] Dans le numéro du 21 mai 1905.
-
- Nous pouvons constater, écrivait-il, que le simple fait de l'arrêt du
- travail n'est pas suffisant pour l'aboutissant d'une grève. Il serait
- nécessaire et même indispensable, pour le résultat du conflit, que
- l'outillage,--c'est-à-dire les moyens de production de l'usine, du
- tissage, de la mine, de la boulangerie, etc.,--soit réduit à la grève,
- c'est-à-dire au _non fonctionnement_...
-
- Les renégats vont travailler. Ils trouvent les machines, les outils,
- les fours en bon état,--et ce, par la suprême faute des grévistes qui,
- ayant laissé en _bonne santé_ ces moyens de production, ont laissé
- derrière eux la cause de leur échec revendicatif...
-
- Or, se mettre en grève et laisser en _état normal_ les machines et
- outils, est du temps perdu pour une lutte efficace. En effet, le
- patronat, disposant des renégats, de l'armée, de la police, fera
- fonctionner les machines... et le but de la grève ne sera pas atteint.
-
- Le premier devoir avant la grève est donc de réduire à l'impuissance
- les instruments de travail. C'est l'A B C de la lutte ouvrière.
-
- Alors, la partie devient égale entre le patron et l'ouvrier, car,
- alors, la cessation du travail qui est _réelle_, produit le but
- désiré, c'est-à-dire l'arrêt de la vie dans le clan bourgeois.
-
- Désir de grève dans l'alimentation?... Quelques litres de pétrole ou
- autre matière grasse et odorante répandue sur la sole du four... Et
- renégats ou soldats peuvent venir faire du pain. Ce pain sera
- immangeable, car les carreaux (pendant au moins trois mois) garderont
- l'odeur de la matière et l'inculqueront au pain.
-
- Résultat: four inutilisable et à démolir.
-
- Désir de grève dans la métallurgie?... Du sable ou de l'émeri dans les
- engrenages de ces machines qui, montres fabuleuses, marquent
- l'exploitation du prolétariat; ce sable fera grincer ces machines,
- encore plus fort que le patron et le contre-maître, et le colosse de
- fer, le pondeur de travail, sera réduit à l'impuissance et les
- renégats aussi...
-
-C'est la même thèse qu'a effleurée dans sa brochure _Le Syndicalisme
-dans les Chemins de fer_, le citoyen A. Renault, employé de
-l'Ouest-État, thèse qui lui a valu, en septembre dernier, d'être révoqué
-par le Conseil d'enquête, qui en la circonstance, a eu figure de conseil
-de guerre:
-
- Pour être certain du succès, expliquait Renault, au cas où la majorité
- des employés de chemins de fer ne cesserait pas le travail au début,
- il est indispensable qu'une besogne dont il est inutile de donner ici
- une définition, soit faite, au même instant, dans tous les centres
- importants, au moment de la déclaration de grève.
-
- Pour cela, il faudrait que des équipes de camarades résolus, décidés,
- coûte que coûte, à empêcher la circulation des trains, soient dès
- maintenant constitués dans tous les groupes et les points importants.
- Il faudrait choisir des camarades parmi les professionnels, parmi ceux
- qui, connaissant le mieux les rouages du service, sauraient trouver
- les endroits sensibles, les points faibles, frapperaient à coup sûr
- _sans faire de destruction imbécile_ et, par leur action efficace,
- adroite, intelligente autant qu'énergique, rendraient, d'un seul coup,
- inutilisable pour quelques jours le matériel indispensable au
- fonctionnement du service et à la marche des trains.
-
- Il faut penser sérieusement à cela. Il faut compter avec les jaunes,
- les soldats...
-
-Cette tactique qui consiste à doubler la grève des bras de la grève des
-machines peut paraître s'inspirer de mobiles bas et mesquins. Il n'en
-est rien!
-
-Les travailleurs conscients se savent n'être qu'une minorité et ils
-redoutent que leurs camarades n'aient pas la ténacité et l'énergie de
-résister jusqu'au bout. Alors, pour entraver la désertion de la masse,
-ils lui rendent la retraite impossible: ils coupent les ponts derrière
-elle.
-
-Ce résultat, ils l'obtiennent en enlevant aux ouvriers, trop soumis aux
-puissances capitalistes, l'outil des mains et en paralysant la machine
-que fécondait leur effort. Par ces moyens, ils évitent la trahison des
-inconscients et les empêchent de pactiser avec l'ennemi en reprenant le
-travail mal à propos.
-
-Il y a une autre raison à cette tactique: ainsi que l'ont noté les
-citoyens Bousquet et Renault, les grévistes n'ont pas que les renégats à
-craindre; ils doivent aussi se méfier de l'armée.
-
-En effet, il devient de plus en plus d'usage capitaliste de substituer
-aux grévistes la main d'oeuvre militaire. Ainsi, dès qu'il est question
-d'une grève de boulangers, d'électriciens, de travailleurs des Chemins
-de fer, etc., le gouvernement songe de suite à énerver la grève et à la
-rendre inutile et sans objet en remplaçant les grévistes par des
-soldats.
-
-C'est au point que, pour supplanter les électriciens, par exemple, le
-gouvernement a dressé un corps de soldats du génie, auxquels on a appris
-le fonctionnement des machines génératrices d'électricité, ainsi que la
-manipulation des appareils et qui sont toujours prêts à accourir prendre
-la place des ouvriers de l'industrie électrique au premier symptôme de
-grève.
-
-Il est donc de lumineuse évidence que si les grévistes, qui connaissent
-les intentions gouvernementales, négligent,--avant de suspendre le
-travail,--de parer à cette intervention militaire, en la rendant
-impossible et inefficace, ils sont vaincus d'avance.
-
-Prévoyant le péril, les ouvriers qui vont engager la lutte seraient
-inexcusables de ne pas y obéir. Ils n'y manquent pas!
-
-Mais alors il arrive qu'on les accuse de vandalisme et qu'on blâme et
-flétrit leur irrespect de la machine.
-
-Ces critiques seraient fondées s'il y avait de la part des ouvriers
-volonté systématique de détérioration, sans préoccupation de but. Or, ce
-n'est pas le cas! Si les travailleurs s'attaquent aux machines c'est,
-non par plaisir ou dilettantisme, mais parce qu'une impérieuse nécessité
-les y oblige.
-
-Il ne faut pas oublier qu'une question de vie ou de mort se pose pour
-eux: s'ils n'immobilisent pas les machines ils vont à la défaite, à
-l'échec de leurs espérances; s'ils les sabotent, ils ont de grandes
-chances de succès, mais par contre, ils encourent la réprobation
-bourgeoise et sont accablés d'épithètes malsonnantes.
-
-Étant donné les intérêts en jeu, il est compréhensible qu'ils affrontent
-ces anathèmes d'un coeur léger et que la crainte d'être honnis par les
-capitalistes et leur valetaille ne les fasse pas renoncer aux chances de
-victoire que leur réserve une ingénieuse et audacieuse initiative.
-
-Ils sont dans une situation identique à celle d'une armée qui, acculée à
-la retraite, se résout à regret à la destruction des armements et des
-approvisionnements qui gêneraient sa marche et risqueraient de tomber au
-pouvoir de l'ennemi. En ce cas, cette destruction est légitime, tandis
-qu'en toute autre circonstance elle serait folie.
-
-En conséquence, il n'y a pas plus raison de blâmer les ouvriers qui,
-pour assurer leur triomphe recourent au sabotage, qu'il n'y a lieu de
-blâmer l'armée qui, pour se sauver elle-même, sacrifie ses
-_impedimenta_.
-
-Nous pouvons donc conclure qu'il en est du sabotage, ainsi que de toutes
-les tactiques et de toutes les armes: la justification de leur emploi
-découle des nécessités et du but poursuivi.
-
-C'est à cette préoccupation des nécessités inéluctables et du but à
-atteindre qu'obéissaient, il y a quelques années, les employés des
-tramways de Lyon qui, pour rendre impossible la circulation des «cars»,
-avec des renégats pour wattmen, coulaient du ciment dans les aiguilles
-des rails.
-
-Autant peut s'en dire également du personnel du chemin de fer du Médoc
-qui se mit en grève en juillet 1908: avant de suspendre le travail il
-avait eu soin de couper la ligne télégraphique reliant les gares et,
-lorsque la Compagnie voulut organiser un service de fortune il fut
-constaté que les organes de prise d'eau des locomotives avaient été
-dévissés et cachés.
-
-Un original procédé est le suivant, qui fut appliqué à Philadelphie dans
-une grande maison de fourrures, une de ces dernières années: avant de
-quitter le travail les ouvriers coupeurs furent invités par le Syndicat
-à modifier la grandeur de leurs «patrons» régulièrement d'un pouce en
-plus ou en moins. Chaque ouvrier suivit le conseil, rognant ou
-augmentant ses «patrons» à sa guise... Après quoi, le travail ayant
-cessé des «jambes noires» furent embauchés sans que les grévistes en
-soient émus. Ces jaunes se mirent au travail et ce fut un beau gâchis!
-Les coupeurs coupèrent... et rien ne s'accordait! Tant et si bien
-qu'après avoir perdu beaucoup de dollars, le patron fut dans
-l'obligation de réembaucher les grévistes... Chacun reprit son poste et
-chacun redressa ses «patrons» en plus ou en moins.
-
-On n'a pas oublié la formidable désorganisation qu'apporta au printemps
-de 1909 la grève des Postes et Télégraphes. Cette grève étonna bien des
-aveugles volontaires, auxquels échappent les symptômes sociaux les plus
-accentués; ceux-là eussent manifesté moins de stupéfaction s'ils avaient
-su que le _Cri Postal_, l'organe corporatif des sous-agents des P. T.
-T., déclarait, dès le mois d'avril 1907:
-
- Vous nous parlez coups de trique, nous répondrons coups de matraque...
- Ce que vous ne pourrez jamais empêcher, c'est qu'un jour, les
- correspondances et les télégrammes pour Lille aillent faire un tour à
- Perpignan. Ce que vous ne pourrez jamais empêcher, c'est que les
- communications téléphoniques soient subitement embrouillées et les
- appareils télégraphiques subitement détraqués. Ce que vous ne pourrez
- jamais empêcher, c'est que dix mille employés restent à leur poste,
- mais les bras croisés. Ce que vous ne pourrez jamais empêcher c'est
- que dix mille employés vous remettent le même jour, à la même heure,
- leur demande de mise en disponibilité et cessent le travail
- _légalement aussitôt_. Et ce que vous ne pourrez jamais faire, c'est
- les remplacer par des soldats...
-
-Bien d'autres exemples seraient à citer. Mais, n'écrivant pas un traité
-de sabotage, il ne peut être question d'exposer ici les moyens, aussi
-complexes que variés, auxquels recourent et peuvent recourir les
-travailleurs. Les quelques-uns que nous venons de rappeler suffisent
-amplement pour faire saisir sur le vif les caractères du sabotage.
-
- * * * * *
-
-Outre les procédés exposés ci-dessus il en est un autre,--qui s'est
-passablement répandu depuis l'échec de la deuxième grève des
-Postiers,--et qu'on pourrait qualifier de sabotage par représailles.
-
-A la suite de cette deuxième grève, des groupes de révolutionnaires,
-dont les recherches de la police et du parquet n'ont pas réussi à
-découvrir la filière, décidèrent de saboter les lignes télégraphiques et
-téléphoniques, pour protester contre le renvoi en masse de plusieurs
-centaines de grévistes. Ils annoncèrent leur intention de s'acharner à
-ces guérillas d'un nouveau genre tant que les postiers révoqués pour
-faits de grève, n'auraient pas été réintégrés.
-
-Une circulaire confidentielle envoyée aux adresses sûres que ces
-groupes,--ou ce groupe,--s'étaient procurées, précisait dans quelles
-conditions devait s'opérer cette campagne de sabotage des fils.
-
- Les camarades qui t'envoient ce papier, disait cette circulaire, te
- connaissent si tu ne les connais pas; excuse-les de ne pas signer.
-
- Ils te connaissent pour un révolutionnaire sérieux.
-
- Ils te demandent de couper les fils télégraphiques et téléphoniques
- qui seront à ta portée dans la nuit de lundi à mardi 1er juin.
-
- Les nuits suivantes tu continueras sans autre mot d'ordre, le plus
- souvent que tu pourras.
-
- Quand le Gouvernement en aura assez il réintégrera les 650 postiers
- qu'il a révoqués.
-
-Dans une seconde partie, cette circulaire contenait un formulaire
-détaillé et technique qui exposait les différentes façons de couper les
-fils tout en évitant d'être électrocutés. Elle recommandait aussi, avec
-beaucoup d'insistance, de ne pas toucher aux fils des signaux ni aux
-fils télégraphiques des compagnies de chemins de fer et, pour rendre
-impossible toute erreur, il était insisté minutieusement sur les moyens
-de reconnaître les fils des compagnies de ceux des lignes de l'État.
-
-L'hécatombe des fils télégraphiques et téléphoniques fut considérable
-sur tous les points de la France et elle se continua sans répit jusqu'à
-la chute du ministère Clemenceau.
-
-A l'avènement du ministère Briand il y eut une sorte d'armistice, une
-suspension des hostilités contre les lignes télégraphiques, les nouveaux
-ministres ayant laissé entrevoir comme prochaine la réintégration des
-victimes de la grève.
-
-Depuis, en diverses circonstances, certains groupes, voulant protester
-contre l'arbitraire du pouvoir, ont pris l'initiative de s'adonner à
-cette guerre aux fils télégraphiques et téléphoniques. Voici, à titre
-documentaire, l'un des bilans d'un des groupes les plus actifs en ce
-genre d'opérations:
-
- _Septième bilan du groupe révolutionnaire secret de la région de
- Joinville et ses succursales:_
-
- Fils télégraphiques et téléphoniques coupés pour protester contre
- l'arrestation arbitraire du camarade Ingweiller, secrétaire de l'Union
- syndicale des ouvriers sur métaux, les poursuites scandaleuses
- engagées contre le comité de grève du Bi-Métal et les condamnations
- prononcées le 25 juillet 1910.
-
- Opérations faites par le comité révolutionnaire secret de la région de
- Joinville et le comité de Seine-et-Oise du 8 au 28 juillet 1910:
-
- Région de Montesson, le Vésinet, Pont du Pecq 78 lignes
- 25 juillet.--Route de Melun à Montgeron 32 --
- 25 juillet.--Route de Corbeil à Draveil. 24 --
- 28 juillet.--Ligne du P.-L.-M. (Porte de Charenton) 87 --
- Total 221 lignes
- Report des 6 précédents bilans. 574 --
- Total 795 lignes
-
-Jusqu'ici, nous n'avons envisagé le sabotage que comme un moyen de
-défense utilisé par le producteur contre le patron. Il peut, en outre,
-devenir un moyen de défense du public contre l'État ou les grandes
-compagnies.
-
-L'État--à tout seigneur tout honneur!--en a déjà pâti. On sait avec
-quelle désinvolture il exploite les services publics qu'il a englobés.
-On sait aussi que les voyageurs du réseau de l'Ouest sont, entre tous,
-les plus mal lotis. Aussi, à bien des reprises, un vent de colère a-t-il
-passé sur eux et il y a eu alors, en une crise de révolte, fusion des
-classes contre l'État maudit.
-
-Nous avons assisté à un rude sabotage de la gare St-Lazare... mais ce ne
-fut qu'un geste d'exaspération impulsif et momentané.
-
-Or, voici qu'un syndicat de «défense des intérêts des voyageurs» vient,
-à fin août dernier, de se constituer et, dès sa naissance, convaincu de
-l'inanité des moyens légaux, il a (dans une réunion tenue à Houilles)
-affirmé sa volonté de recourir, pour obtenir satisfaction, à tous les
-moyens possibles et imaginables et s'est déclaré partisan d'un sabotage
-intensif du matériel.
-
-C'est preuve que le sabotage fait son chemin!
-
-
-
-
-CHAPITRE V
-
-L'obstructionnisme
-
-
-L'_obstructionnisme_ est un procédé de sabotage à rebours qui consiste à
-appliquer avec un soin méticuleux les règlements, à faire la besogne
-dont chacun a charge avec une sage lenteur et un soin exagéré.
-
-Cette méthode est surtout usitée dans les pays germaniques et une des
-premières et importantes applications en a été faite en 1905, en Italie,
-par les travailleurs des chemins de fer.
-
-Il est inutile d'insister pour démontrer qu'en ce qui concerne
-spécialement l'exploitation des voies ferrées, les circulaires et les
-règlements chevauchent les uns sur les autres; il n'est pas difficile
-non plus de concevoir combien leur scrupuleuse et stricte application
-peut apporter de désarroi dans le service.
-
-Le gâchis et la désorganisation furent, en Italie, lors de l'Obstruction
-des _Ferrovieri_ fantastiques et formidables. En fait, la circulation
-des trains fut presque suspendue.
-
-L'évocation de ce que fut cette période de résistance passive fera
-saisir toute l'ingéniosité de cette tactique de lutte ouvrière. Les
-reporters qui vécurent l'_obstruction_ nous en donnèrent des récits qui
-ont une saveur que n'aurait pas un exposé théorique. Laissons-leur donc
-la parole:
-
- Le règlement veut qu'on ouvre le guichet pour la distribution des
- tickets trente minutes avant l'heure du départ du train et qu'on le
- ferme cinq minutes avant.
-
- On ouvre donc les guichets. La foule se presse et s'impatiente. Un
- monsieur offre un billet de 10 francs pour payer un ticket de 4 fr.
- 50. L'employé lui lit l'article qui impose aux voyageurs l'obligation
- de se présenter avec leur argent, compté jusqu'aux centimes. Qu'il
- aille donc faire de la monnaie. L'incident se répète pour huit
- voyageurs sur dix. Contre tout usage, mais selon le règlement, on ne
- rend pas de monnaie, fût-ce sur un franc. Après vingt-cinq minutes,
- une trentaine de personnes à peine ont pris leurs billets. Les autres
- arrivent essoufflées, avec leur monnaie. Mais le guichet est fermé,
- parce que le délai réglementaire est écoulé.
-
- Ne croyez pas, toutefois, que ceux qui ont pu prendre leurs billets ne
- soient pas à plaindre. Ils ne sont qu'au début de leurs peines. Ils
- sont dans le train, mais le train ne part pas. Il doit attendre que
- d'autres trains arrivent, d'autres trains qui sont en panne à cinq
- cents mètres de la gare. Car, d'après le règlement, on a accompli là
- des manoeuvres qui ont déterminé un arrêt interminable. Des voyageurs,
- impatientés, sont même descendus pour gagner à pied la gare; mais les
- surveillants les ont arrêtés et leur ont dressé procès-verbal.
-
- D'ailleurs, dans le train qui doit partir, il y a des tuyaux de
- chauffage à surveiller, et une inspection minutieuse peut durer
- jusqu'à deux heures. Enfin, le train s'ébranle. On pousse un soupir de
- soulagement. On croit toucher au but. Illusion!
-
- A la première gare, le chef de train examine toutes les voitures et
- donne les ordres opportuns. On vérifie notamment si toutes les
- portières sont bien fermées. On devrait s'arrêter une minute; c'est un
- quart d'heure au moins qu'il faut compter...
-
-Ces incidents, qui se produisirent au premier jour, à Rome et un peu
-partout, ne donnent qu'une image, imparfaite encore, de la situation.
-Pour les manoeuvres dans les gares et pour la formation des trains de
-marchandises, les choses étaient bien plus compliquées.
-
-Et tout cela entremêlé d'incidents grotesques ou joyeux à faire pâmer
-d'aise les mânes de Sapeck.
-
-A Milan, un train s'était formé péniblement après une heure et demie de
-travail. Le surveillant passe et voit, tout au milieu, une de ces
-vieilles et horribles voitures que, par avarice, les Compagnies
-s'obstinent à faire circuler. «Voiture hors d'usage», prononce-t-il. Et
-tout de suite, il faut détacher la voiture et reformer le train.
-
-A Rome, un chauffeur doit reconduire sa machine au dépôt. Mais il
-s'aperçoit que, derrière le tender on n'a pas placé les trois lanternes
-réglementaires. Il refuse donc de bouger. On va chercher les lanternes;
-mais, au dépôt, on refuse de les livrer, car on réclame un mot écrit du
-chef de gare. Cet incident prend une demi-heure.
-
-Au guichet se présente un voyageur avec un billet à prix réduit. Au
-moment de timbrer, l'employé demande:
-
---Vous êtes bien M. Untel, dont le nom figure sur le billet?
-
---Certainement.
-
---Vous avez des papiers constatant votre identité?
-
---Non, pas sur moi.
-
---Alors, soyez assez bon pour trouver deux témoins qui me garantissent
-votre identité...
-
-Toujours au guichet: un député se présente.
-
---Ah! vous êtes l'honorable X...?
-
---Parfaitement.
-
---Votre médaille?
-
---Voici.
-
---Veuillez me donner votre signature.
-
---Avec plaisir. Un encrier.
-
---Je n'en ai malheureusement pas.
-
---Alors, comment puis-je signer?
-
-Et l'employé, placide et imperturbable de répondre:
-
---Je crois qu'au buffet...
-
-Le correspondant d'un grand journal parisien narra, à l'époque, son
-burlesque voyage au temps d'obstruction:
-
- Je me fis conduire à la gare des Termini (à Rome), où j'arrivai juste
- à l'heure du départ réglementaire du train de Civita-Vecchia, Gênes,
- Turin et Modane.
-
- Je me présentai au guichet qui était libre.
-
- --Suis-je encore à temps pour le train de Gênes? demandai-je à
- l'employé.
-
- Celui-ci me regarde un moment d'un air étonné; puis, il me répond avec
- flegme, en scandant les syllabes:
-
- --Certainement, le train de Gênes n'est pas encore parti.
-
- --Donnez-moi donc un billet d'aller et retour pour Civita-Vecchia,
- dis-je en lui passant ma monnaie comptée par avance.
-
- L'employé prend ma monnaie, observe minutieusement et une à une chaque
- pièce, chaque sou; il les palpe, les fait sonner pour les vérifier, le
- tout avec une lenteur telle que je lui dis, feignant l'impatience:
-
- --Mais vous allez me faire manquer mon train!
-
- --Bah! votre train ne part pas encore...
-
- --Comment! comment! fis-je.
-
- --Oui... On dit qu'il y a une petite chose de détraquée dans la
- machine.
-
- --Eh bien! on la changera!
-
- --_Chi lo sa?..._
-
- Je laisse cet homme impassible, et gagne le quai dont la physionomie
- est anormale. Plus de ces allées et venues fébriles, de facteurs,
- d'employés; ceux-ci sont répartis en petits groupes, parlant posément
- entre eux, ce pendant que les voyageurs font les cent pas devant les
- portières du train ouvertes. Partout règne le calme d'une petite gare
- de province.
-
- Je m'approche d'une voiture de première classe. Une dizaine de
- manoeuvres astiquent les poignées de cuivre, nettoient les vitres,
- ouvrent et ferment les portières pour s'assurer qu'elles jouent bien,
- époussètent les coussins, éprouvent les robinets d'eau et les boutons
- de lumière électrique. Une vraie rage de propreté, fait inouï dans les
- chemins de fer italiens! Huit minutes ont passé et la voiture n'est
- pas prête encore.
-
- --_Dio mio!_ s'écrie soudain un des manoeuvres, voilà de la rouille
- sur les poignées de cette portière!
-
- Et il frotte la rouille avec une ardeur sans pareille.
-
- --Est-ce que vous allez nettoyer ainsi toutes les voitures? lui
- dis-je.
-
- --Toutes! me répond cet homme consciencieux d'une voix grave. Et il y
- en a quinze à nettoyer encore!
-
- Cependant, la locomotive n'est pas encore là. Je m'enquiers. Un
- employé complaisant m'assure que le mécanicien est entré au dépôt à
- l'heure réglementaire, mais il lui a fallu beaucoup de temps pour
- mettre sa machine en état, car il a voulu peser les sacs de charbon,
- compter une à une les briques d'aggloméré, enfin, inquiet sur certains
- appareils, il a dû prier son chef de service de venir discuter avec
- lui,--conformément au règlement!
-
- J'assiste au dialogue suivant entre un sous-chef de gare et le chef de
- train:
-
- «--Écoutez, dit le sous-chef de gare, vous savez bien que si vous
- exigez que le train soit formé suivant les règlements, on ne partira
- plus.
-
- «--Pardon, chef, réplique l'autre avec calme. Il faut d'abord faire
- respecter l'article 293 qui exige que les voitures à tampons fixes
- alternent entre les voitures à tampons à ressort. Puis, il y a tout le
- train à reformer, car aucun des tampons ne coïncide exactement avec
- son contraire, comme il est prescrit à l'article 236, lettre A. Les
- chaînes de sûreté manquent en partie à certaines voitures qu'il faudra
- par conséquent réparer, comme l'exige l'article 326, lettre B. De
- plus, la formation du train n'est pas faite comme il est prescrit,
- parce que les voitures pour...
-
- «--Vous avez parfaitement raison, s'écrie le sous-chef de gare. Mais
- pour faire tout cela, il faut une journée!
-
- «--Ce n'est que trop vrai, soupire le chef de train, goguenard. Mais,
- que vous importe? Une fois en route, la responsabilité pèse toute sur
- moi. J'insiste donc pour que le règlement soit respecté...»
-
- Finalement un coup de sifflet annonce que la locomotive s'avance,
- s'arrêtant longuement à chaque aiguillage pour une longue discussion
- entre le mécanicien et l'aiguilleur. En arrivant sur la voie où notre
- train l'attend, le mécanicien s'arrête encore une fois avec prudence:
- avant d'aller plus loin et d'aborder la tête de son train, il veut
- savoir si les freins des voitures sont en bon état, s'il n'y a pas de
- lampistes ou d'autres agents sur les toits des wagons... Un accident
- est si vite arrivé! Enfin, le mécanicien se déclare satisfait et il
- amène sa locomotive à l'amarrage.
-
- Nous allons partir?... Allons donc! Le manomètre de la machine doit
- marquer 5 degrés et il en marque 4. D'habitude, on part quand même et
- la pression monte en route. Mais le règlement exige les 5 degrés au
- départ et notre mécanicien ne partirait pour rien au monde à 4,9
- dixièmes ce soir.
-
- Nous finissons par démarrer avec une heure et demie de retard. Nous
- sortons de la gare avec une sage lenteur, sifflant à toutes les
- aiguilles, longeant six trains en panne à deux kilomètres de Rome et
- dont les voyageurs pestent à qui mieux mieux, et... nous voici sous la
- coupe des contrôleurs qui passent leur temps à faire signer les
- voyageurs munis de permis, de demi-permis et de billets circulaires.
-
- Cependant, première station. Des voyageurs montent. Les employés
- vérifient lentement la fermeture de toutes les portières, qu'ils
- ouvrent et ferment. Dix minutes se perdent encore. Malgré tout, le
- chef de gare siffle pour le départ.
-
- --_Momento!_ lui crie le chef de train. _Momento!_
-
- --Qu'y a-t-il? demande le chef de gare.
-
- --Je vais fermer la vitre de ce compartiment, là-bas, comme le
- prescrit l'article 676 du règlement.
-
- Et il le fait comme il l'a dit!
-
- On repart... A la gare suivante, nouvelle comédie.
-
- Il y a là des colis à prendre, neuf malles et cinq valises que le chef
- de train tient à vérifier avant de les admettre--comme il est prescrit
- par l'article 739 du règlement.
-
- Et nous sommes arrivés enfin à Civita-Vecchia, à minuit 40, avec près
- de trois heures de retard, sur un parcours qui, d'ordinaire, se fait
- en deux heures...
-
-Voilà ce qu'est l'_obstructionnisme_: respect et application, poussés
-jusqu'à l'absurde, des règlements; accomplissement de la besogne dévolue
-avec un soin excessif et une non moins excessive lenteur.
-
-Ceci exposé, il n'est pas inutile de connaître l'appréciation portée sur
-cette tactique de lutte par le Congrès International des Ouvriers du
-Transport, qui se tint à Milan, en juin 1906.
-
-Le rapporteur était un délégué autrichien, le citoyen Tomschick:
-
- Il est très difficile de dire, déclara-t-il: le Congrès recommande aux
- travailleurs des chemins de fer de se mettre en grève ou d'employer la
- résistance passive. Par exemple, ce qui est bon et possible en
- Autriche, peut être mauvais et impossible à exécuter dans les autres
- pays...
-
- Quant à la résistance passive: Elle est ancienne, elle a été appliquée
- déjà en 1895. Les camarades italiens ont employé la résistance passive
- bien maladroitement en l'étendant également aux trains de voyageurs.
- Ils ont ainsi excité la population et c'était absolument inutile, car
- la circulation des voyageurs n'est pas la partie la plus importante du
- commerce, elle ne vient qu'en deuxième ligne. Pour les chemins de fer
- c'est surtout la circulation des marchandises qui entre en
- considération et il faut frapper les chemins de fer par son arrêt. Si
- les camarades italiens avaient fait ceci, ils auraient sans doute
- obtenu de grands avantages. Plus les marchandises s'accumulent, plus
- l'entière circulation est arrêtée et la conséquence en est que les
- voyageurs protestent parce qu'ils doivent rester en dehors et attendre
- en vain leur transport. Dans ces cas les réclamations des voyageurs ne
- s'adresseront pas aux travailleurs des chemins de fer, mais aux
- administrations. En Italie on a pu constater le contraire: la
- population était contre les travailleurs des chemins de fer.
-
- Je vous dis que la résistance passive est bien plus difficile à
- exécuter que la grève. Lors de la résistance passive les travailleurs
- des chemins de fer sont toujours sous le fouet des supérieurs, à
- chaque quart d'heure ils doivent se défendre contre toute sorte de
- commandements et, à cause du refus de travail, ils peuvent être
- congédiés à chaque moment.
-
- Prenez tous les fonctionnaires: tout au plus dix sur cent savent les
- instructions, car les employés ne sont pas instruits par leurs chefs.
- Vous pouvez alors vous imaginer combien il est difficile d'éclairer et
- d'informer les travailleurs des chemins de fer lors d'une résistance
- passive.
-
- Et puis il y a encore une circonstance importante qu'il ne faut pas
- oublier: lors de la résistance passive on surcharge de travail les
- hommes indifférents, ils doivent courir continuellement, ils ont peu
- de repos et par la perte de la rémunération kilométrique ils ont en
- même temps une diminution de leur gain. C'est pourquoi, nous y
- insistons encore une fois, l'exécution de la résistance passive n'est
- point une tâche facile...
-
-Le Congrès ne désapprouva d'ailleurs pas l'Obstruction: il ne se
-prononça pas entre les deux moyens,--la résistance passive et la
-grève,--laissant aux intéressés le soin d'user de l'une ou de l'autre,
-selon qu'ils le jugeraient préférable.
-
-Ces réserves du Congrès, au sujet de la résistance passive en étaient si
-peu une condamnation que, l'année suivante, en octobre 1907, les
-cheminots autrichiens avaient recours à ce moyen de lutte: l'obstruction
-se continua durant une quinzaine de jours et les compagnies furent
-obligées de capituler.
-
-Depuis, en maintes circonstances, l'obstructionnisme a été pratiqué dans
-les pays autrichiens: entre autres corporations qui y ont eu recours,
-citons celles des employés des postes et des typographes.
-
-Ajoutons, avant de conclure, que ce procédé de lutte a acquis droit de
-cité en Allemagne: à l'approche du jour de l'an 1908 les employés des
-grandes maisons d'édition de Liepzig ont usé de ce sabotage à rebours
-qu'est l'Obstructionnisme. Un journal corporatif exposa les faits comme
-suit:
-
- Ces employés qui, malgré la cherté des vivres, devaient travailler à
- des conditions excessivement précaires, avaient soumis un projet de
- tarif aux patrons demandant un minimum de salaire de 110 marks par
- mois. Les patrons comptant sur le manque d'union des employés (il
- existe 5 syndicats différents, dont 1 socialiste), auraient bien voulu
- traîner les pourparlers en longueur pour arriver à la morte-saison et
- ainsi pouvoir faire fi des revendications ouvrières. Mais ils avaient
- compté sans la vigilance du Syndicat socialiste qui convoqua tous les
- employés à une réunion, où il fut décidé d'adopter le sabotage pour
- forcer les patrons à donner une solution. Le lendemain, les employés
- entrèrent dans la résistance passive, c'est-à-dire qu'ils
- travaillèrent consciencieusement, _sans trop se presser_, recomptèrent
- plusieurs fois les factures avant de les expédier, mettant le plus
- grand soin aux emballages, etc., et le résultat fut que quantité de
- ballots de livres ne purent être expédiés. Les patrons, voyant les
- choses tourner de cette façon, accordèrent dès le lendemain
- l'augmentation demandée.
-
-Il nous reste à observer que si l'Obstructionnisme a fait ses preuves en
-Allemagne, il n'a pas encore,--sauf erreur,--été pratiqué en France.
-Cependant, il n'est pas improbable qu'il s'y acclimate... il n'est
-besoin pour cela que de l'occasion, de circonstances propices.
-
-
-
-
-Conclusions
-
-
-Ainsi que nous venons de le constater par l'examen des modalités du
-sabotage ouvrier, sous quelque forme et à quelque moment qu'il se
-manifeste, sa caractéristique est,--toujours et toujours!--de viser le
-patronat à la caisse.
-
-Contre ce sabotage, qui ne s'attaque qu'aux moyens d'exploitation, aux
-choses inertes et sans vie, la bourgeoisie n'a pas assez de
-malédictions.
-
-Par contre, les détracteurs du sabotage ouvrier ne s'indignent pas d'un
-autre sabotage,--véritablement criminel, monstrueux et abominable on ne
-peut plus, celui-là,--qui est l'essence même de la société capitaliste;
-
-Ils ne s'émeuvent pas de ce sabotage qui, non content de détrousser ses
-victimes, leur arrache la santé, s'attaque aux sources même de la vie...
-à tout!
-
-Il y a à cette impassibilité une raison majeure: c'est que, de ce
-sabotage-là, ils sont les bénéficiaires!
-
-Saboteurs, les commerçants qui, en tripatouillant le lait, aliment des
-tout petits, fauchent en herbe les générations qui poussent;
-
-Saboteurs, les fariniers et les boulangers qui additionnent les farines
-de talc ou autres produits nocifs, adultérant ainsi le pain, nourriture
-de première nécessité;
-
-Saboteurs, les fabricants de chocolats à l'huile de palme ou de coco; de
-grains de café à l'amidon, à la chicorée et aux glands; de poivre à la
-coque d'amandes ou aux grignons d'olives; de confitures à la glucose; de
-gâteaux à la vaseline; de miel à l'amidon et à la pulpe de châtaignes;
-de vinaigre à l'acide sulfurique; de fromages à la craie ou à la fécule;
-de bière aux feuilles de buis, etc., etc.
-
-Saboteurs, les trafiquants, ô combien patriotes!--plus et mieux que
-Bazaine,--qui, en 1870-71, contribuèrent au sabotage de leur patrie en
-livrant aux soldats des godillots aux semelles de carton et des
-cartouches à la poudre de charbon; saboteurs, également, leurs rejetons
-qui, entrés dans la carrière paternelle avec au coeur le traditionnel
-bonnet à poil, construisent les chaudières explosives des grands
-cuirassés, les coques fêlées des sous-marins, fournissent l'armée de
-«singe» pourri, de viandes avariées ou tuberculeuses, de pain au talc ou
-aux féveroles, etc.[6]
-
- [6] Autre et récent exemple de sabotage capitaliste:
-
- Lors du Circuit de l'Est, il fut fait grand tapage, sous prétexte de
- sabotage d'aéroplanes. Il est superflu de décharger les
- révolutionnaires d'un tel crime. Ils ont en trop haute estime cette
- invention merveilleuse pour avoir songé à saboter un aéroplane...
- fût-il piloté par un officier.
-
- Après enquête, il a été reconnu que le seul et unique saboteur des
- aéroplanes était un _honnête commerçant_... et patriote, comment
- donc!
-
- On avait commandé à ce mercanti de l'huile de ricin de première
- qualité (utilisée pour le graissage des moteurs) et il livra, en
- remplacement, du sulforicinate d'ammoniaque, produit inférieur et
- nocif qu'il vendit au taux de l'huile de ricin.
-
- Sous l'action de la chaleur développée par la rotation excessivement
- rapide du moteur, le sulforicinate d'ammoniaque se dissocia et il se
- forma de l'acide sulfurique dont l'action corrosive fut désastreuse
- pour les organes métalliques qu'au lieu de graisser il détériora et
- immobilisa.
-
- Ce sabotage capitaliste eût pu causer la mort des aviateurs
- Legagneux et le lieutenant Aquaviva...
-
-Saboteurs, les entrepreneurs de bâtisses, les constructeurs de voies
-ferrées, les fabricants de meubles, les marchands d'engrais chimiques,
-les industriels de tous poils et de toutes les catégories...
-
-Tous saboteurs! tous, sans exceptions!... car, tous, en effet, truquent,
-bouzillent, falsifient, le plus qu'ils peuvent.
-
-Le sabotage est partout et en tout: dans l'industrie, dans le commerce,
-dans l'agriculture... partout! partout!
-
-Or, ce sabotage capitaliste qui imprègne la société actuelle, qui
-constitue l'élément dans lequel elle baigne,--comme nous baignons dans
-l'oxygène de l'air,--ce sabotage qui ne disparaîtra qu'avec elle, est
-bien autrement condamnable que le sabotage ouvrier.
-
-Celui-ci,--il faut y insister!--ne s'en prend qu'au capital, au
-coffre-fort, tandis que l'autre s'attaque à la vie humaine, ruine la
-santé, peuple les hôpitaux et les cimetières.
-
-Des blessures que fait le sabotage ouvrier ne gicle que l'or; de celles
-produites par le sabotage capitaliste, au contraire, le sang coule à
-flots.
-
-Le sabotage ouvrier s'inspire de principes généreux et altruistes: il
-est un moyen de défense et de protection contre les exactions
-patronales; il est l'arme du déshérité qui bataille pour son existence
-et celle de sa famille; il vise à améliorer les conditions sociales des
-foules ouvrières et à les libérer de l'exploitation qui les étreint et
-les écrase... Il est un ferment de vie rayonnante et meilleure.
-
-Le sabotage capitaliste, lui, n'est qu'un moyen d'exploitation
-intensifiée; il ne condense que les appétits effrénés et jamais repus;
-il est l'expression d'une répugnante rapacité, d'une insatiable soif de
-richesses qui ne recule pas devant le crime pour se satisfaire... Loin
-d'engendrer la vie, il ne sème autour de lui que ruines, deuil et mort.
-
-
-IMP. COOPÉRATIVE OUVRIÈRE, VILLENEUVE-St-GEORGES
-
-
-
-
-SCIENCES SOCIALES
-
-_EXTRAIT DU CATALOGUE_
-
-de la Librairie Marcel RIVIÈRE et Cie
-
-COLLECTION
-
-"Les Documents du Socialisme"
-
-PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
-
-Albert THOMAS, Député de la Seine
-
-Chaque volume in-18 de 72 ou 80 pages: 0 fr. 75
-
-Cette bibliothèque fournira aux militants des études précises, simples,
-mais nourries de faits sur les différents mouvements économiques et
-sociaux (coopération, socialisme, mutualité, municipalisme), sur
-l'histoire du socialisme, sur le développement capitaliste. Des
-traductions, des rééditions de textes fameux et difficiles à trouver,
-des publications statistiques alterneront avec les études originales.
-Rapidement les «Documents du socialisme» formeront une collection
-indispensable à tout socialiste, à tout homme de science.
-
-_VOLUMES PARUS:_
-
-I. L'Unité coopérative, par Eugène FOURNIÈRE, 1910.
-
-II. La Civilisation socialiste, par Ch. ANDLER, 1910.
-
-III. Le Socialisme et la concentration industrielle, par Hubert BOURGIN.
-
-_À PARAÎTRE:_
-
-Le monopole des assurances, par Et. BUISSON.
-
-L'Internationale, par Georges BOURGIN.
-
-
-BIBLIOTHÈQUE
-
-DU
-
-MOUVEMENT PROLÉTARIEN
-
-Chaque volume in-16, de 64 pages au moins: 0 fr. 60
-
-Par son format commode et son prix minime, cette collection s'adresse à
-ceux qui, dans tous les milieux, sont attentifs au mouvement social de
-leur temps et, spécialement, à cette partie du public qui n'a pas la
-possibilité d'aborder les gros travaux et de rechercher les articles
-spéciaux publiés sur ces questions.
-
-Elle comprend des études descriptives, historiques, documentaires,
-théoriques, critiques, biographiques, etc.
-
-_VOLUMES PARUS:_
-
-I. Syndicalisme et Socialisme, conférence internationale, par V.
-GRIFFUELHES, B. KRITCHEWSKY. A. LABRIOLA, HUBERT LAGARDELLE et ROBERT
-MICHELS.
-
-II. La Confédération Générale du Travail, 2e édition, 1910, par E.
-POUGET.
-
-III. La Décomposition du Marxisme, 2e édition, 1910, par Georges SOREL.
-
-IV. L'Action syndicaliste, par VICTOR GRIFFUELHES.
-
-V. Le Parti socialiste et la Confédération du travail, discussion par
-JULES GUESDE, HUBERT LAGARDELLE et EDOUARD VAILLANT.
-
-VI. Les nouveaux aspects du Socialisme, par ED. BERTH.
-
-VII. Les Instituteurs et le Syndicalisme, par M. T. LAURIN.
-
-VIII. La Révolution dreyfusienne, par G. SOREL.
-
-IX. Les Bourses du Travail, par P. DELESALLE.
-
-X. Voyage révolutionnaire, par V. GRIFFUELHES.
-
-XI. Les Objectifs de nos luttes de classes, par V. GRIFFUELHES et LOUIS
-NIEL, préface de GEORGES SOREL.
-
-XII. Le Mouvement ouvrier en Italie, par LANZILLO.
-
-XIII. Le Sabotage, par Em. POUGET.
-
-
-COLLECTION
-
-"Systèmes et Faits sociaux"
-
-La Philosophie sociale de Renouvier, par ROGER PICARD, 1 vol. in-8 de
-344 pages, br. 7 fr. 50
-
-La Richesse de la France. Fortune et revenus privés, par H. DE LAVERGNE
-et PAUL HENRY, 1 vol. in-8 de 216 pages, br. 6 fr.
-
-Race et Milieu social. Essais d'Anthroposociologie, par VACHER DE
-LAPOUGE, 1910, 1 vol. in-8 de 393 pages, br. 8 fr.
-
-La Protection de la Maternité, par J. MORNET, 1910, 1 vol. in-8, br. 6
-fr.
-
-Le Programme socialiste, par KAUTSKY. Traduction RÉMY, 1910, 1 vol.
-in-8, br. 6 fr.
-
-Le Chômage: causes, conséquences, remèdes, par H. DE LAVERGNE et P.
-HENRY, 1910, 1 vol. in-8, br. 8 fr.
-
-Les Cahiers de 1789 et les classes ouvrières, par ROGER PICARD, 1 vol.
-in-8, 1910. 6 fr.
-
-Le travail à domicile: ses misères, ses remèdes, par G. MÉNY, 1 vol.
-in-8, 1910. 8 fr.
-
-La fin de l'esclavage dans l'antiquité, par CICCOTTI, traduit par G.
-PLATON, 1910, 1 vol. in-8, br. 10 fr.
-
-Introduction à la Sociologie, par G. DE GREEF, prof. à l'Université
-nouvelle de Bruxelles, 2e édit., 1911, 2 vol. in-8. 12 fr.
-
-
-COLLECTION
-
-"Études sur le Devenir social"
-
-I. Les illusions du progrès, par GEORGES SOREL, 2e édition augmentée, 1
-vol. in-16. 3 fr. 50
-
-II. Dialogues socialistes, par ED. BERTH, 1 vol. in-16. 3 fr. 50
-
-III. Karl Marx: l'économiste, le socialiste, par A. LABRIOLA, traduit
-par BERTH. Préface de GEORGES SOREL, 1 vol. in-16. 4 fr.
-
-IV. Réflexions sur la violence, par GEORGES SOREL, 2e édition, 1910, 1
-vol. in-16. 5 fr.
-
-V. Le Mythe vertuiste et la Littérature immorale, par VILFREDO PARETO,
-prof. d'économie politique, 1 vol. in-16. 3 fr.
-
-VI. L'Interprétation économique de l'Histoire, par E. SELIGMAN, traduit
-par H.-E. BARRAULT. Préface de GEORGES SOREL, 1 vol. in-16. 3 fr.
-
-
-BIBLIOTHÈQUE
-
-DES
-
-Sciences économiques et sociales
-
-La journée de huit heures, par MARCEL LECOQ, _docteur en droit ès
-sciences économiques_, 1 vol. in-16, de 224 pages. 2 fr.
-
-L'Avenir économique du Japon, par ACHILLE VIALATTE, _professeur à
-l'Ecole des Sciences politiques_, 1 vol. in-16. 2 fr.
-
-Cours d'économie politique, professé au Collège libre des Sciences
-Sociales, par PAUL GHIO.--Tome I. _Les Origines_, 1 vol. in-16. 2 fr.
-
-Le Commerce international, par G. LECARPENTIER, _Avocat à la Cour
-d'appel, diplômé de l'Ecole des Sciences politiques_, 1 vol. in-16. 2
-fr.
-
-Les Employés et leurs Corporations. Étude sur leur fonction économique
-et sociale, par E. DELIVET, _lauréat de la Société d'Économie politique
-de Paris_, 1 vol. in-16. 2 fr.
-
-Le Compagnonnage, son histoire, ses mystères, par J. CONNAY, Préface de
-L. et M. BONNEFF, 1 vol. in-16. 2 fr.
-
-Coopération et Socialisme en Angleterre, par BARRAULT et M. ALFASSA.
-Préface de CH. GIDE, 1 vol. in-16. 2 fr.
-
-Commerce maritime et Marine marchande, par G. LECARPENTIER, 1 vol.
-in-16. 2 fr.
-
-La formation du prix des denrées, par A. DULAC (ouvrage couronné par la
-Société des agriculteurs de France), 1 vol. in-16. 2 fr.
-
-La Démocratie sociale devant les idées actuelles, par ET. ANTONELLI,
-_professeur au Collège libre des Sciences sociales_. Préface de PAUL
-BONCOUR, 1 vol. in-16. 2 fr.
-
-
-Ouvrages divers
-
-Allard.--_Esclaves, Serfs et Mainmortables_, n. éd. 4 fr.
-
-Bernstein (Ed.).--_La Grève et le lock-out en Allemagne. Leurs forces,
-leur droit, leurs résultats_. Conférence à l'Université nouv. de
-Bruxelles, 1908, gr. in-8. 2 fr. 50
-
-Bernstein, Hueber, Keir Hardie, G.-S. Middleton, A. Octors, M. Olsen, A.
-Quist, F. Thies, E. Vandervelde.--_Syndicats et Parti; les expériences
-étrangères_, br., in-8. 0 fr. 30
-
-Beuchat et Hollebecque.--_Les religions_. Étude historique et
-sociologique du phénomène religieux, 1 vol. in-16, illust. 2 fr. 50
-
-Colin (P.).--_Aperçus sur le vagabondage, effets, causes, remèdes_,
-1907, 1 vol. in-16, br. 1 fr. 50
-
-_1er Congrès de l'Enseignement des Sciences sociales_. Compte rendu des
-séances et texte des mémoires de Gide, Waxweiler, G. Renard, Niceforo,
-F. Simiand, Hauser, Deherme, 1901, 1 vol. in-8. 5 fr.
-
-_Ve Congrès national des Syndicats et Groupes corporatifs ouvriers de
-France_, tenu à Marseille, du 19 au 22 octobre 1892. Compte rendu, 1
-vol. in-8. 1 fr. 50
-
-Delmer.--_Enquête anglaise sur la journée de huit heures_, 1907, in-8,
-br. 2 fr.
-
-Draghiscesco (D.), membre de la Société de Sociologie.--_Le Problème du
-Déterminisme social_, 1903, in-8, br. 2 fr. 50
-
-Fesch (P.).--_L'année sociale économique_, 1907, 1 vol. in-8, broché. 7
-fr. 50
-
---_L'année sociale économique_, 1908, 1 vol. in-8, br. 7 fr. 50
-
-Fournier de Flaix (E.).--_La Statistique des religions_, 1890, in-8 de
-54 p. 1 fr. 50
-
-Fromont.--_Une expérience industrielle de réduction de la journée de
-travail_, 1 vol. in-16, cart. toile. 3 fr.
-
-Gailhard-Bancel, député.--_Les retraites ouvrières, l'Assistance aux
-vieillards et aux infirmes_. Introduction et notes de M. J. Dusart,
-préface du comte de Mun, député, 1906, 1 vol. in-12, broché. 3 fr.
-
-Goineau (A.).--_Les retraites ouvrières et paysannes. Loi du 5 avril
-1910 annotée et commentée avec le calcul des pensions auxquelles les
-intéressés auront droit_, 1 vol. in-16, 1910. 1 fr.
-
-Goulut.--_Le Socialisme au pouvoir_, 1910, 1 vol. in-16. 3 fr. 50
-
-Heberlin-Darcy.--_Esquisse d'une société collectiviste_. Étude
-sociologique, préface d'Anatole France, 1908, br. in-8. 0 fr. 50
-
-Kurnatowski (G.).--_Esquisse d'évolution solidariste_, 1 vol. in-8, br.
-2 fr. 50
-
-Lagardelle.--_La Grève générale et le Socialisme_, enquête
-internationale, opinions et documents, 1905, 1 vol. in-18 de 424 p. 3
-fr. 50
-
-Niel (L.), ex-secrétaire de la C. G. T.--_Deux Principes de vie
-sociale_. La lutte pour la vie. L'entente pour la vie. 1909, 1 vol.
-in-12, br. 0 fr. 75
-
-Poidvin (A.).--_Guide pratique en matière d'accidents du travail_ à
-l'usage des patrons, employés et ouvriers, 1 vol. in-16, br., de 216 p.
-2 fr.
-
-Saint-Cyr (Ch. de).--_La Haute-Italie politique et sociale_, 1908, 1
-vol. in-12 3 fr.
-
-Saint-Georges d'Armstrong (Baron Th. de).--_Concorde internationale_,
-avec commentaires et détails. Lettres écrites aux puissances et voeux
-déposés au Congrès permanent de l'Humanité dans les années 1900 à 1906,
-1907, 1 vol. gr. in-8. 4 fr.
-
-Séverac (G.).--_Guide pratique des Syndicats professionnels_, 1908, 1
-vol. in-12, br. 2 fr.
-
-Sorel (G.).--_Introduction à l'Économie moderne_, 1 volume in-16 5 fr.
-
---_Le système historique de Renan_, in-8. 12 fr.
-
---_La ruine du monde antique_, in-16. 3 fr. 50
-
-Valmor (G.).--_La loi du nombre_, notre principe de gouvernement, 1908,
-1 vol. in-16. 1 fr. 50
-
---_Les problèmes de la colonisation_. 3 fr. 50
-
-Vandervelde (E.).--_Le sort des campagnes s'améliore-t-il? Un village
-brabançon en 1833. Ce qu'il est devenu_. 1 vol. gr. in-8, broché. 2 fr.
-
---_Essais sur la question agraire en Belgique_, 1903, 1 vol. in-12 de
-210 p. 2 fr. 50
-
-Vitali.--_La question des retraites ouvrières devant le Parlement
-français_, 1906, 1 vol. in-8, br., 298 p. 5 fr.
-
-Waxweiller (E.).--_Esquisse d'une Sociologie_. 1 vol. in-4 carré, cart.
-toile. 12 fr.
-
---_L'Évolution de l'idée d'association des salaires aux profits_, 1909,
-brochure gr. in-8. 1 fr.
-
-Weber (A.).--_A travers la Mutualité_. Étude critique sur les Sociétés
-de secours mutuels, 1908, 1 vol. in-8. 5 fr.
-
-
-Publication des Lois ouvrières
-
-Accidents du Travail.--Loi du 9 avril 1898, modifiée par les lois du 22
-mars 1902 et du 31 mars 1905. Loi du 30 juin 1899, accidents agricoles.
-Loi du 16 avril 1906, exploitations commerciales. Décrets
-d'administration publique. 1 brochure in-8 de 40 pages. 0 fr. 50
-
-Accidents du Travail.--Arrêté du 30 septembre 1905, fixant le tarif des
-frais médicaux et pharmaceutiques en matières d'accidents du travail. 1
-brochure in-8. 0 fr. 75
-
-Assistance aux Vieillards.--Instruction du 16 avril 1906 suivie de la
-loi du 14 juillet 1905. Décret du 14 avril 1906 et annexes. 1 brochure
-in-8. 1 fr. 75
-
-Bien de famille insaisissable.--Loi du 12 juillet 1909. Décret du 26
-mars 1910 et circulaire, annotés et commentés par PRANARD et MANGOT,
-avec formules, 1 vol. in-16. 1 fr. 50
-
-Bureaux de placement.--Loi du 14 mars 1904 relative au placement des
-ouvriers et employés des deux sexes et de toutes professions. 1 brochure
-in-8. 0 fr. 50
-
-Caisses d'épargne.--Histoire et Législation, par CHEVAUCHEZ, rédacteur
-au Sous-Secrétariat des Postes. In-8 br. 1 fr. 50
-
-Caisses de secours contre le chômage.--Décret du 9 septembre 1905,
-précédé d'un rapport du Ministre du Commerce et du Ministre des
-Finances. 1 brochure in-8. 0 fr. 50
-
-Conseils de prud'hommes.--Loi du 27 mars 1907, complétée des textes et
-articles des codes mis en vigueur par la présente loi. 1 brochure in-8
-de 32 pages. 0 fr. 50
-
-Contrat d'association.--Loi du 1er juillet 1901, modifiée par celles des
-4 décembre 1902 et 17 juillet 1903, suivie des décrets des 16 août 1901,
-28 novembre 1902, 14 février 1905, et circulaire ministérielle. 1
-brochure in-8 de 46 pages. 0 fr. 50
-
-Distributions d'énergie électrique.--Loi du 15 juin 1906, suivie de
-celle du 25 juin 1895, brochure in-8. 0 fr. 50
-
-Habitations à bon marché et petite propriété.--Loi du 12 avril 1906 et
-du 10 avril 1908. 1 brochure in-8. 0 fr. 50
-
-Hygiène du Travail.--Lois des 12 juin 1893 et 11 juillet 1903 et décrets
-des 29 novembre 1904 et 6 août 1905, suivis des Décrets sur l'emploi de
-la céruse, couchage du personnel, ateliers de blanchissage. 1 brochure
-in-8 de 30 pages. 0 fr. 50
-
-Justice de paix.--Lois des 12 et 13 juillet 1905. 1 brochure in-8. 0 fr.
-50
-
-Législation électorale.--Lois et décrets concernant les élections des
-conseillers municipaux, conseillers généraux, députés, sénateurs, suivis
-des lois constitutionnelles, petit volume in-8, broché. 1 fr. 50
-
-Liberté de Réunion.--Loi du 30 juin 1881, modifiée par celle du 28 mars
-1907 et annotée des textes des 16-24 août 1790, 19-22 juillet 1791, 18
-juillet 1837, 28 juillet 1848, 9 décembre 1905, art. 25-26. Décret du 16
-mars 1906, art. 49. 1 brochure in-8. 0 fr. 50
-
-Organisation municipale.--Loi du 5 avril 1884 modifiée par celles des 4
-et 25 février 1901, 7 avril 1902, 8 janvier 1905, 9 décembre 1905 et
-complétée par la loi du 22 mars 1890 sur les Syndicats des communes. 1
-brochure in-8 de 48 p. 0 fr. 50
-
-Recrutement de l'armée.--Loi du 21 mars 1905, réduisant à deux ans la
-durée du service militaire. 1 brochure in-8 de 68 pages. 0 fr. 50
-
-Repos hebdomadaire.--Loi du 13 juillet 1906 et Décrets d'administration
-publique du 24 août 1906, 13 juillet 1907, 14 août 1907. 1 brochure
-in-8. 0 fr. 50
-
-Retraites ouvrières et paysannes.--Loi du 5 avril 1910, 1 brochure in-8.
-0 fr. 50
-
-Sociétés d'assurances sur la vie.--Loi du 17 mars 1905, décrets des 30
-janvier, 12 mai, 9, 22, 25 juin 1906, notice relative à l'enregistrement
-et arrêtés de juillet 1907 et modèles d'états à produire. 1 vol. in-8 de
-104 pages. 2 fr.
-
-Sociétés civiles et commerciales.--Loi du 24 juillet 1867, modifiée et
-complétée par celles des 1er août 1893 et 16 novembre 1903, suivie des
-lois des 29 juin 1872, 1er décembre 1875, et décrets des 9 décembre 1872
-et 10 août 1896 sur le timbre des sociétés. 1 brochure in-8 de 36 pages.
-0 fr. 50
-
-Sociétés de secours mutuels.--Loi du 1er avril 1898, modifiée et
-complétée par celles des 31 mars 1903 et 2 juillet 1904, suivie du
-décret du 25 mars 1901. 1 brochure in-8. 0 fr. 50
-
-Syndicats professionnels.--Loi du 21 mars 1884, circulaire ministérielle
-du 25 août 1884. 1 brochure in-8. 0 fr. 50
-
- * * * * *
-
-Indépendamment des Lois mentionnées ci-dessus et éditées par nos soins,
-la librairie peut fournir par fascicules séparés du _Bulletin des Lois_
-toutes celles promulguées depuis 1794.
-
-
-Imp. coop. ouvr. Villeneuve-St-Georges.
-
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Le Sabotage, by Émile Pouget
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE SABOTAGE ***
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-even without complying with the full terms of this agreement. See
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-Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this
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-of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual
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- This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
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-Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply
-either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or
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-License terms from this work, or any files containing a part of this
-work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
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-1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
-electronic work, or any part of this electronic work, without
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-1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
-compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
-any word processing or hypertext form. However, if you provide access
-to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format
-other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official
-version posted on the official Project Gutenberg-tm web site
-(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense
-to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means
-of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain
-Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the
-full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1.
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-1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
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-1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
-access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works
-provided that
-
-* You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
- the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
- you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
- to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has
- agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
- within 60 days following each date on which you prepare (or are
- legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
- payments should be clearly marked as such and sent to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
- Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg
- Literary Archive Foundation."
-
-* You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
- you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
- does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
- License. You must require such a user to return or destroy all
- copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
- all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm
- works.
-
-* You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
- any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
- electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
- receipt of the work.
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-* You comply with all other terms of this agreement for free
- distribution of Project Gutenberg-tm works.
-
-1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
-Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than
-are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
-from both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and The
-Project Gutenberg Trademark LLC, the owner of the Project Gutenberg-tm
-trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below.
-
-1.F.
-
-1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
-effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
-works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
-Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm
-electronic works, and the medium on which they may be stored, may
-contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
-or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
-intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
-other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
-cannot be read by your equipment.
-
-1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
-of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
-Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
-Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
-liability to you for damages, costs and expenses, including legal
-fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
-LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
-PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
-TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
-LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
-INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
-DAMAGE.
-
-1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
-defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
-receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
-written explanation to the person you received the work from. If you
-received the work on a physical medium, you must return the medium
-with your written explanation. The person or entity that provided you
-with the defective work may elect to provide a replacement copy in
-lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
-or entity providing it to you may choose to give you a second
-opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
-the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
-without further opportunities to fix the problem.
-
-1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
-in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO
-OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
-LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
-
-1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
-warranties or the exclusion or limitation of certain types of
-damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
-violates the law of the state applicable to this agreement, the
-agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
-limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
-unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
-remaining provisions.
-
-1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
-trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
-providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in
-accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
-production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm
-electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
-including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
-the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
-or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or
-additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any
-Defect you cause.
-
-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
-
-Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
-
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
-goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
-www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state's laws.
-
-The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the
-mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its
-volunteers and employees are scattered throughout numerous
-locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt
-Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
-date contact information can be found at the Foundation's web site and
-official page at www.gutenberg.org/contact
-
-For additional contact information:
-
- Dr. Gregory B. Newby
- Chief Executive and Director
- gbnewby@pglaf.org
-
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
-spread public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular
-state visit www.gutenberg.org/donate
-
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-
-Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-
-Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works.
-
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-
-Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-
-Most people start at our Web site which has the main PG search
-facility: www.gutenberg.org
-
-This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
-subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
-
diff --git a/57766-h/57766-h.htm b/57766-h/57766-h.htm
index c3be63f..ed309c6 100644
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<body>
-<pre>
-
-The Project Gutenberg EBook of Le Sabotage, by Émile Pouget
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll
-have to check the laws of the country where you are located before using
-this ebook.
-
-
-
-Title: Le Sabotage
-
-Author: Émile Pouget
-
-Release Date: August 25, 2018 [EBook #57766]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE SABOTAGE ***
-
-
-
-
-Produced by Laurent Vogel (This file was produced from
-images generously made available by the Bibliothèque
-nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
-
-
-
-
-
-
-</pre>
+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57766 ***</div>
<p class="c"><b class="large">BIBLIOTHÈQUE</b><br/>
du<br/>
@@ -2851,378 +2813,7 @@ Lois</i> toutes celles promulguées depuis 1794.</p>
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Le Sabotage, by Émile Pouget
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE SABOTAGE ***
-
-***** This file should be named 57766-h.htm or 57766-h.zip *****
-This and all associated files of various formats will be found in:
- http://www.gutenberg.org/5/7/7/6/57766/
-
-Produced by Laurent Vogel (This file was produced from
-images generously made available by the Bibliothèque
-nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
-
-
-Updated editions will replace the previous one--the old editions will
-be renamed.
-
-Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
-law means that no one owns a United States copyright in these works,
-so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United
-States without permission and without paying copyright
-royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part
-of this license, apply to copying and distributing Project
-Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm
-concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,
-and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive
-specific permission. If you do not charge anything for copies of this
-eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook
-for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports,
-performances and research. They may be modified and printed and given
-away--you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks
-not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the
-trademark license, especially commercial redistribution.
-
-START: FULL LICENSE
-
-THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
-PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK
-
-To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
-distribution of electronic works, by using or distributing this work
-(or any other work associated in any way with the phrase "Project
-Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full
-Project Gutenberg-tm License available with this file or online at
-www.gutenberg.org/license.
-
-Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project
-Gutenberg-tm electronic works
-
-1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
-electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
-and accept all the terms of this license and intellectual property
-(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
-the terms of this agreement, you must cease using and return or
-destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your
-possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a
-Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound
-by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the
-person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph
-1.E.8.
-
-1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
-used on or associated in any way with an electronic work by people who
-agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
-things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
-even without complying with the full terms of this agreement. See
-paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
-Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this
-agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm
-electronic works. See paragraph 1.E below.
-
-1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the
-Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
-of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual
-works in the collection are in the public domain in the United
-States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
-United States and you are located in the United States, we do not
-claim a right to prevent you from copying, distributing, performing,
-displaying or creating derivative works based on the work as long as
-all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope
-that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting
-free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm
-works in compliance with the terms of this agreement for keeping the
-Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily
-comply with the terms of this agreement by keeping this work in the
-same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when
-you share it without charge with others.
-
-1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
-what you can do with this work. Copyright laws in most countries are
-in a constant state of change. If you are outside the United States,
-check the laws of your country in addition to the terms of this
-agreement before downloading, copying, displaying, performing,
-distributing or creating derivative works based on this work or any
-other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no
-representations concerning the copyright status of any work in any
-country outside the United States.
-
-1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:
-
-1.E.1. The following sentence, with active links to, or other
-immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear
-prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work
-on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the
-phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed,
-performed, viewed, copied or distributed:
-
- This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
- most other parts of the world at no cost and with almost no
- restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it
- under the terms of the Project Gutenberg License included with this
- eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the
- United States, you'll have to check the laws of the country where you
- are located before using this ebook.
-
-1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is
-derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not
-contain a notice indicating that it is posted with permission of the
-copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in
-the United States without paying any fees or charges. If you are
-redistributing or providing access to a work with the phrase "Project
-Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply
-either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or
-obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm
-trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9.
-
-1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
-with the permission of the copyright holder, your use and distribution
-must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any
-additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
-will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works
-posted with the permission of the copyright holder found at the
-beginning of this work.
-
-1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
-License terms from this work, or any files containing a part of this
-work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
-
-1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
-electronic work, or any part of this electronic work, without
-prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
-active links or immediate access to the full terms of the Project
-Gutenberg-tm License.
-
-1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
-compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
-any word processing or hypertext form. However, if you provide access
-to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format
-other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official
-version posted on the official Project Gutenberg-tm web site
-(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense
-to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means
-of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain
-Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the
-full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1.
-
-1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
-performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
-unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
-
-1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
-access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works
-provided that
-
-* You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
- the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
- you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
- to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has
- agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
- within 60 days following each date on which you prepare (or are
- legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
- payments should be clearly marked as such and sent to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
- Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg
- Literary Archive Foundation."
-
-* You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
- you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
- does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
- License. You must require such a user to return or destroy all
- copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
- all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm
- works.
-
-* You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
- any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
- electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
- receipt of the work.
-
-* You comply with all other terms of this agreement for free
- distribution of Project Gutenberg-tm works.
-
-1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
-Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than
-are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
-from both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and The
-Project Gutenberg Trademark LLC, the owner of the Project Gutenberg-tm
-trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below.
-
-1.F.
-
-1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
-effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
-works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
-Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm
-electronic works, and the medium on which they may be stored, may
-contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
-or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
-intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
-other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
-cannot be read by your equipment.
-
-1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
-of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
-Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
-Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
-liability to you for damages, costs and expenses, including legal
-fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
-LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
-PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
-TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
-LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
-INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
-DAMAGE.
-
-1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
-defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
-receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
-written explanation to the person you received the work from. If you
-received the work on a physical medium, you must return the medium
-with your written explanation. The person or entity that provided you
-with the defective work may elect to provide a replacement copy in
-lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
-or entity providing it to you may choose to give you a second
-opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
-the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
-without further opportunities to fix the problem.
-
-1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
-in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO
-OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
-LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
-
-1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
-warranties or the exclusion or limitation of certain types of
-damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
-violates the law of the state applicable to this agreement, the
-agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
-limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
-unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
-remaining provisions.
-
-1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
-trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
-providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in
-accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
-production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm
-electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
-including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
-the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
-or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or
-additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any
-Defect you cause.
-
-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
-
-Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
-
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
-goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
-www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state's laws.
-
-The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the
-mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its
-volunteers and employees are scattered throughout numerous
-locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt
-Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
-date contact information can be found at the Foundation's web site and
-official page at www.gutenberg.org/contact
-
-For additional contact information:
-
- Dr. Gregory B. Newby
- Chief Executive and Director
- gbnewby@pglaf.org
-
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
-spread public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular
-state visit www.gutenberg.org/donate
-
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-
-Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-
-Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works.
-
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-
-Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-
-Most people start at our Web site which has the main PG search
-facility: www.gutenberg.org
-
-This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
-subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
-
-
-
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