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| author | nfenwick <nfenwick@pglaf.org> | 2025-02-08 09:07:43 -0800 |
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POUGET. + +III. _La Décomposition du Marxisme_, par Georges SOREL, 2e édition, +1910. + +IV. _L'Action syndicaliste_, par Victor GRIFFUELHES. + +V. _Le Parti socialiste et la Confédération du travail_, discussion par +Jules GUESDE, Hubert LAGARDELLE et Edouard VAILLANT. + +VI. _Les nouveaux aspects du Socialisme_, par Ed. BERTH. + +VII. _Les Instituteurs et le Syndicalisme_, par M. T. LAURIN. + +VIII. _La Révolution dreyfusienne_, par G. SOREL. + +IX. _Les Bourses du Travail et la C. G. T._, par P. DELESALLE. + +X. _Voyage révolutionnaire_, Impressions d'un propagandiste, par V. +GRIFFUELHES. + +XI. _Les Objectifs de nos luttes de classes_, par Victor GRIFFUELHES et +Louis NIEL, préface de G. SOREL. + +XII. _Le Mouvement ouvrier en Italie_, par A. LANZILLO, traduit par S. +PIRODDI. + +XIII. _Le Sabotage_, par Emile POUGET. + + +Georges SOREL + +Réflexions sur la violence + +_Deuxième Édition_ + +1 volume in-16 broché, 5 fr. + +Imprimerie Coopérative Ouvrière--Villeneuve-St-Georges (S.-et-O.) + + + + +BIBLIOTHÈQUE + +DU + +MOUVEMENT PROLÉTARIEN + + +Cette collection avait été commencée sous le titre de Bibliothèque du +Mouvement Socialiste parce qu'on avait voulu en faire le complément de +la revue du même nom. + +Cette revue n'étant plus publiée par notre maison, nous avons cru bon de +donner un nouveau titre à la Bibliothèque pour bien marquer que nous +entendons lui conserver l'orientation qu'elle a eue à son origine. + +La Bibliothèque du Mouvement Prolétarien paraît en volumes d'au moins 64 +pages, du prix de 0 fr. 60. Elle comprend des études descriptives, +historiques, documentaires, théoriques, critiques et biographiques. + +Par son format commode et son prix minime, elle s'adresse surtout à ceux +qui n'ont pas la possibilité d'aborder les études particulières sur le +mouvement social. + + + + +TABLE DES MATIÈRES + + +CHAPITRE PREMIER.--Quelques jalons historiques. 3 + +CHAPITRE II.--La «marchandise» travail 22 + +CHAPITRE III.--Morale de Classe 27 + +CHAPITRE IV.--Les procédés de Sabotage 32 + +CHAPITRE V.--L'Obstructionnisme 55 + +CONCLUSIONS 65 + + + + +CHAPITRE PREMIER + +Quelques jalons historiques + + +Le mot «sabotage» n'était, il y a encore une quinzaine d'années, qu'un +terme argotique, signifiant non l'acte de fabriquer des sabots, mais +celui, imagé et expressif, de travail exécuté «comme à coups de sabots.» + +Depuis, il s'est métamorphosé en une formule de combat social et c'est +au Congrès Confédéral de Toulouse, en 1897, qu'il a reçu le baptême +syndical. + +Le nouveau venu ne fut pas, dès l'abord, accueilli par tous, dans les +milieux ouvriers, avec un chaleureux enthousiasme. Certains le virent +d'assez mauvais oeil, lui reprochant ses origines roturières, +anarchiques et aussi son... immoralité. + +Malgré cette suspicion, qui ressemblait presqu'à de l'hostilité, le +sabotage a fait son chemin... dans tous les mondes. + +Il a désormais les sympathies ouvrières. Et ce n'est pas tout. Il a +conquis droit de cité au Larousse, et nul doute que l'Académie,--à moins +qu'elle n'ait été _sabotée_ elle-même avant d'être parvenue à la lettre +S de son dictionnaire,--ne se résolve à tirer au mot «sabotage» sa plus +cérémonieuse révérence et à lui ouvrir les pages de son officiel +recueil. + +On aurait cependant tort de croire que la classe ouvrière a attendu, +pour pratiquer le sabotage, que ce mode de lutte ait reçu la +consécration des Congrès corporatifs. Il en est de lui comme de toutes +les formes de révolte, il est aussi vieux que l'exploitation humaine. + +Dès qu'un homme a eu la criminelle ingéniosité de tirer profit du +travail de son semblable, de ce jour, l'exploité a, d'instinct, cherché +à donner moins que n'exigeait son patron. + +Ce faisant, avec tout autant d'inconscience qu'en mettait M. Jourdain à +faire de la prose, cet exploité a fait du sabotage, manifestant ainsi, +sans le savoir, l'antagonisme irréductible qui dresse l'un contre +l'autre, le capital et le travail. + +Cette conséquence inéluctable du conflit permanent qui divise la +société, il y a trois quarts de siècle, le génial Balzac la mettait en +lumière. Dans _La Maison Nucingen_, à propos des sanglantes émeutes de +Lyon, en 1831, il nous a donné une nette et incisive définition du +sabotage: + + Voici,--explique Balzac.--On a beaucoup parlé des affaires de Lyon, de + la république canonnée dans les rues, personne n'a dit la vérité. La + république s'était emparée de l'émeute, comme un insurgé s'empare du + fusil. La vérité, je vous la donne pour drôle et profonde. + + Le commerce de Lyon est un commerce sans âme, qui ne fait pas + fabriquer une aune de soie sans qu'elle soit commandée et que le + paiement soit sûr. Quand la commande s'arrête, l'ouvrier meurt de + faim, il gagne à peine de quoi vivre en travaillant, les forçats sont + plus heureux que lui. + + Après la révolution de juillet, la misère est arrivée à ce point que + les CANUTS ont arboré le drapeau: _Du pain ou la mort!_ une de ces + proclamations que le gouvernement aurait dû étudier. Elle était + produite par la cherté de la vie à Lyon. Lyon veut bâtir des théâtres + et devenir une capitale, de là des octrois insensés. Les républicains + ont flairé cette révolte à propos du pain, et ils ont organisé les + CANUTS qui se sont battus en partie double. Lyon a eu ses trois jours, + mais tout est rentré dans l'ordre, et le canut dans son taudis. + + Le canut, probe jusque là , rendant en étoffe la soie qu'on lui pesait + en bottes, a mis la probité à la porte en songeant que les négociants + le victimaient, et a mis de l'huile à ses doigts: il a rendu poids + pour poids, mais il a vendu la soie représentée par l'huile, et le + commerce des soieries a été infesté d'_étoffes graissées_, ce qui + aurait pu entraîner la perte de Lyon et celle d'une branche du + commerce français... Les troubles ont donc produit les «gros de + Naples» à quarante sous l'aune... + +Balzac a soin de souligner que le sabotage des canuts fut une +représaille de victimes. En vendant la «gratte» que, dans le tissage ils +avaient remplacée par l'huile, ils se vengeaient des fabricants +féroces,... de ces fabricants qui avaient promis aux ouvriers de la +Croix-Rousse de leur donner des baïonnettes à manger, au lieu de pain... +et qui ne tinrent que trop promesse! + +Mais, peut-il se présenter un cas où le sabotage ne soit pas une +représaille? Est-ce qu'en effet, à l'origine de tout acte de sabotage, +par conséquent le précédant, ne se révèle pas l'acte d'exploitation? + +Or, celui-ci, dans quelques conditions particulières qu'il se manifeste, +n'engendre-t-il pas,--et ne légitime-t-il pas aussi,--tous les gestes de +révolte, quels qu'ils soient? + +Ceci nous ramène donc à notre affirmation première: le sabotage est +aussi vieux que l'exploitation humaine! + +Il n'est d'ailleurs pas circonscrit aux frontières de chez nous. En +effet, dans son actuelle formulation théorique, il est une importation +anglaise. + +Le sabotage est connu et pratiqué outre Manche depuis longtemps, sous le +nom de _Ca'Canny_ ou _Go Canny_, mot de patois écossais dont la +traduction à peu près exacte qu'on en puisse donner est: «Ne vous foulez +pas.» + +Un exemple de la puissance persuasive du _Go Canny_ nous est donné par +le Musée Social[1]: + + [1] Circulaire nº 9, 1896. + + En 1889, une grève avait éclaté à Glasgow. Les dockers unionistes + avaient demandé une augmentation de salaire de 10 centimes par heure. + Les employeurs avaient refusé et fait venir à grands frais, pour les + remplacer, un nombre considérable de travailleurs agricoles. Les + dockers durent s'avouer vaincus, et ils consentirent à travailler aux + mêmes prix qu'auparavant, à condition qu'on renverrait les ouvriers + agricoles. Au moment où ils allaient reprendre le travail, leur + secrétaire général les rassembla et leur dit: + + «Vous allez revenir travailler aujourd'hui aux anciens prix. Les + employeurs ont dit et répété qu'ils étaient enchantés des services des + ouvriers agricoles qui nous ont remplacés pendant quelques semaines. + Nous, nous les avons vus; nous avons vu qu'ils ne savaient même pas + marcher sur un navire, qu'ils laissaient choir la moitié des + marchandises qu'ils portaient, bref que deux d'entre eux ne + parvenaient pas à faire l'ouvrage d'un de nous. Cependant, les + employeurs se déclarent enchantés du travail de ces gens-là ; il n'y a + donc qu'à leur en fournir du pareil et à pratiquer le _Ca' Canny_. + Travaillez comme travaillaient les ouvriers agricoles. Seulement, il + leur arrivait quelquefois de se laisser tomber à l'eau; il est inutile + que vous en fassiez autant.» + + Cette consigne fut exécutée et pendant deux ou trois jours les dockers + appliquèrent la politique du _Ca' Canny_. Au bout de ce temps les + employeurs firent venir le secrétaire général et lui dirent de + demander aux hommes de travailler comme auparavant, moyennant quoi ils + accordaient les 10 centimes d'augmentation... + +Voilà pour la pratique. Voici maintenant pour la théorie. Elle est +empruntée à un pamphlet anglais, publié vers 1895, pour la vulgarisation +du _Go Canny_: + + Si vous voulez acheter un chapeau dont le prix est de 5 francs, vous + devez payer 5 francs. + + Si vous ne voulez payer que 4 francs, il faudra vous contenter d'un + chapeau d'une qualité inférieure. + + Un chapeau est une marchandise. + + Si vous voulez acheter une demi-douzaine de chemises à 2 fr. 50 + chaque, vous devez payer 15 francs. Si vous ne voulez payer que 12 fr. + 50, vous n'aurez que cinq chemises. + + Une chemise est une marchandise. + + Les employeurs déclarent que le travail et l'adresse sont de simples + marchandises, comme les chapeaux et les chemises. «Très bien, + disons-nous, nous vous prenons au mot.» + + Si le travail et l'adresse sont des marchandises, les possesseurs de + ces marchandises ont le droit de vendre leur travail et leur adresse + exactement comme le chapelier vend un chapeau ou le chemisier une + chemise. + + Ils donnent valeur pour valeur. Pour un prix plus bas vous avez un + article inférieur ou de qualité moindre. + + Payez au travailleur un bon salaire, et il vous fournira ce qu'il y a + de mieux comme travail et comme adresse. + + Payez au travailleur un salaire insuffisant et vous n'aurez pas plus + le droit à exiger la meilleure qualité et la plus grande quantité de + travail que vous n'en avez eu à exiger un chapeau de 5 francs pour 2 + fr. 50. + +Le _Go Canny_ consiste donc à mettre systématiquement en pratique la +formule, «_à mauvaise paye, mauvais travail!_» Mais il ne se circonscrit +pas à cela seul. De cette formule découlent, par voie de conséquence +logique, une diversité de manifestations de la volonté ouvrière en +conflit avec la rapacité patronale. + +Cette tactique, que nous venons de voir vulgarisée en Angleterre, dès +1889, et préconisée et pratiquée dans les organisations syndicales, ne +pouvait pas tarder à passer la Manche. En effet, quelques années après, +elle s'infiltrait dans les milieux syndicaux français. + +C'est en 1895 que, pour la première fois, en France, nous trouvons trace +d'une manifestation théorique et consciente du sabotage: + +Le Syndicat National des Chemins de fer menait alors campagne contre un +projet de loi,--le projet Merlin-Trarieux--qui visait à interdire aux +cheminots le droit au syndicat. La question de répondre au vote de cette +loi par la grève générale se posa et, à ce propos, Guérard, secrétaire +du syndicat, et à ce titre délégué au Congrès de l'Union fédérative du +Centre (parti Allemaniste) prononça un discours catégorique et précis. +Il affirma que les cheminots ne reculeraient devant aucun moyen pour +défendre la liberté syndicale et qu'ils sauraient, au besoin, rendre la +grève effective par des procédés à eux; il fit allusion à un moyen +ingénieux et peu coûteux: «... avec deux sous d'une certaine manière, +utilisée à bon escient, déclara-t-il, il nous est possible de mettre une +locomotive dans l'impossibilité de fonctionner...» + +Cette nette et brutale affirmation, qui ouvrait des horizons imprévus, +fit gros tapage et suscita une profonde émotion dans les milieux +capitalistes et gouvernementaux qui, déjà , n'envisageaient pas sans +angoisses la menace d'une grève des chemins de fer. + +Cependant, si par ce discours de Guérard, la question du sabotage était +posée, il serait inexact d'en déduire qu'il n'a fait son apparition en +France que le 23 juin 1895. C'est dès lors qu'il commence à se +vulgariser dans les organisations syndicales, mais cela n'implique pas +qu'il fut resté ignoré jusque là . + +Pour preuve qu'il était connu et pratiqué antérieurement, il nous +suffira de rappeler, comme exemple typique, un «mastic» célèbre dans les +fastes télégraphiques: + + C'était vers 1881, les télégraphistes du Bureau central, mécontents du + tarif des heures supplémentaires de nuit, adressèrent une pétition au + ministre d'alors, M. Ad. Cochery. Ils réclamaient dix francs, au lieu + de cinq qu'ils touchaient, pour assurer le service du soir à sept + heures du matin. Ils attendirent plusieurs jours la réponse de + l'administration. Finalement, celle-ci n'arrivant pas, et, d'un autre + côté, les employés du Central ayant été avisés qu'il ne leur serait + même pas répondu, une agitation sourde commença à se manifester. + + La grève étant impossible, on eut recours au «mastic». Un beau matin, + Paris s'éveilla dépourvu de communications télégraphiques (le + téléphone n'était pas encore installé). + + Pendant quatre ou cinq jours il en fut ainsi. Le haut personnel de + l'administration, les ingénieurs avec de nombreuses équipes de + surveillants et d'ouvriers vinrent au bureau central, mirent à + découvert tous les câbles des lignes, les suivirent de l'entrée des + égoûts aux appareils. Ils ne purent rien découvrir. + + Cinq jours après ce «mastic» mémorable dans les annales du Central, un + avis de l'administration prévenait le personnel que dorénavant le + service de nuit serait tarifé dix francs au lieu de cinq. On n'en + demandait pas plus. Le lendemain matin, toutes les lignes étaient + rétablies comme par enchantement. + + Les auteurs du «mastic» ne furent jamais connus et si l'administration + en devina le motif, le moyen employé resta toujours ignoré[2]. + + [2] _Le Travailleur des P. T. T._, nº de septembre 1905. + +Désormais, à partir de 1895, le branle est donné. + +Le sabotage qui, jusqu'alors, n'avait été pratiqué qu'inconsciemment, +instinctivement par les travailleurs, va--sous l'appellation populaire +qui lui est restée,--recevoir sa consécration théorique et prendre rang +parmi les moyens de lutte avérés, reconnus, approuvés et préconisés par +les organisations syndicales. + +Le Congrès confédéral qui se tint à Toulouse, en 1897, venait de +s'ouvrir. + +Le préfet de la Seine, M. de Selves, avait refusé aux délégués du +syndicat des Travailleurs municipaux, les congés qu'ils demandaient pour +participer à ce Congrès. L'Union des syndicats de la Seine protesta, +qualifiant avec juste raison ce veto d'attentat contre la liberté +syndicale. + +Cette interdiction fut évoquée à la première séance du Congrès et une +proposition de blâme contre le préfet de la Seine fut déposée. + +L'un des délégués,--qui n'était autre que l'auteur de la présente +étude,--fit observer combien peu M. de Selves se souciait de la +flétrissure d'un congrès ouvrier. + +Et il ajouta: + + «Mon avis est qu'au lieu de se borner à protester, mieux vaudrait + entrer dans l'action et qu'au lieu de subir les injonctions des + dirigeants, de baisser la tête quand ils dictent leurs fantaisies, il + serait plus efficace de répondre du tac au tac. Pourquoi ne pas + répliquer à une gifle par un coup de pied?...» + +J'expliquai que mes observations dérivaient d'une tactique de combat sur +laquelle le Congrès serait appelé à se prononcer. Je rappelai, à ce +propos, l'émotion et la peur dont le monde capitaliste avait tressailli +lorsque le camarade Guérard avait déclaré que la minime somme de dix +centimes... dépensée intelligemment,... suffirait à un ouvrier des +chemins de fer pour mettre un train, attelé de puissantes machines à +vapeur, dans l'imposibilité de démarrer. + +Puis, rappelant que cette tactique révolutionnaire à laquelle je faisais +allusion serait discutée au cours du Congrès, je conclus en déposant la +proposition ci-dessous: + + Le Congrès, reconnaissant qu'il est superflu de blâmer le + gouvernement--qui est dans son rôle en serrant la bride aux + travailleurs--engage les travailleurs municipaux à faire pour cent + mille francs de dégâts dans les services de la Ville de Paris, pour + récompenser M. de Selves de son veto. + +C'était un pétard!... Et il ne fit pas long feu. + +Tout d'abord, la stupéfaction fut grande chez beaucoup de délégués qui, +de prime abord, ne comprenaient pas le sens volontairement outrancier de +la proposition. + +Il y eut des protestations et l'ordre du jour pur et simple enterra ma +proposition. + +Qu'importait! Le but visé était atteint: l'attention du Congrès était en +éveil, la discussion était ouverte, la réflexion aguichée. + +Aussi, quelques jours après, le rapport que la Commission du boycottage +et du sabotage soumettait à l'assemblée syndicale était-il accueilli +avec la plus grande et la plus chaleureuse sympathie. + +Dans ce rapport, après avoir défini, expliqué et préconisé le sabotage, +la Commission ajoutait: + + Jusqu'ici, les travailleurs se sont affirmés révolutionnaires; mais, + la plupart du temps, ils sont restés sur le terrain théorique: ils ont + travaillé à l'extension des idées d'émancipation, ont élaboré et tâché + d'esquisser un plan de société future d'où l'exploitation humaine sera + éliminée. + + Seulement, pourquoi à côté de cette oeuvre éducatrice, dont la + nécessité n'est pas contestable, n'a-t-on rien tenté pour résister aux + empiétements capitalistes et, autant que faire se peut, rendre moins + dures aux travailleurs les exigences patronales? + + Dans nos réunions on lève toujours les séances aux cris de: «Vive la + Révolution Sociale», et loin de se concréter en un acte quelconque, + ces clameurs s'envolent en bruit. + + De même il est regrettable que les Congrès affirmant toujours leur + fermeté révolutionnaire, n'aient pas encore préconisé de résolutions + pratiques pour sortir du terrain des mots et entrer dans celui de + l'action. + + En fait d'armes d'allures révolutionnaires on n'a jusqu'ici préconisé + que la grève et c'est d'elle dont on a usé et on use journellement. + + Outre la grève, nous pensons qu'il y a d'autres moyens à employer qui + peuvent dans une certaine mesure, tenir les capitalistes en échec... + +L'un de ces moyens est le boycottage. Seulement, la Commission constate +qu'il est inopérant contre l'industriel, le fabricant. Il faut donc +autre chose. + +Cet autre chose: c'est le sabotage. + +Citons le rapport: + + Cette tactique, comme le boycottage, nous vient d'Angleterre où elle a + rendu de grands services dans la lutte que les travailleurs + soutiennent contre les patrons. Elle est connue là -bas sous le nom de + _Go Canny_. + + A ce propos, nous croyons utile de vous citer l'appel lancé + dernièrement par l'_Union Internationale des Chargeurs de navires_, + qui a son siège à Londres: + + «Qu'est-ce que _Go Canny_? + + «C'est un mot court et commode pour désigner une nouvelle tactique, + employée par les ouvriers au lieu de la grève. + + «Si deux Écossais marchent ensemble et que l'un coure trop vite, + l'autre lui dit: «Marche doucement, à ton aise.» + + «Si quelqu'un veut acheter un chapeau qui vaut cinq francs, il doit + payer cinq francs. Mais s'il ne veut en payer que quatre, eh bien! il + en aura un de qualité inférieure. Le chapeau est _une marchandise_. + + «Si quelqu'un veut acheter six chemises de deux francs chacune, il + doit payer douze francs. S'il n'en paie que dix, il n'aura que cinq + chemises. La chemise est encore _une marchandise en vente sur le + marché_. + + «Si une ménagère veut acheter une pièce de boeuf qui vaut trois + francs, il faut qu'elle les paye. Et si elle n'offre que deux francs, + alors on lui donne de la mauvaise viande. Le boeuf est encore _une + marchandise en vente sur le marché_. + + «Eh bien, les patrons déclarent que le travail et l'adresse sont des + _marchandises en vente sur le marché_,--tout comme les chapeaux, les + chemises et le boeuf. + + «--Parfait, répondons-nous, nous vous prenons au mot. + + «Si ce sont des _marchandises_ nous les vendrons tout comme le + chapelier vend ses chapeaux et le boucher sa viande. Pour de mauvais + prix, ils donnent de la mauvaise marchandise. Nous en ferons autant. + + «Les patrons n'ont pas le droit de compter sur notre charité. S'ils + refusent même de discuter nos demandes, eh bien, nous pouvons mettre + en pratique le _Go Canny_--la tactique de _travaillons à la douce_, en + attendant qu'on nous écoute.» + + Voilà clairement défini le _Go Canny_, le _sabotage_: A MAUVAISE PAYE, + MAUVAIS TRAVAIL. + + Cette ligne de conduite, employée par nos camarades anglais, nous la + croyons applicable en France, car notre situation sociale est + identique à celle de nos frères d'Angleterre. + + * * * * * + + Il nous reste à définir sous quelles formes doit se pratiquer le + sabotage. + + Nous savons tous que l'exploiteur choisit habituellement pour + augmenter notre servitude le moment où il nous est le plus difficile + de résister à ses empiétements par la grève partielle, seul moyen + employé jusqu'à ce jour. + + Pris dans l'engrenage, faute de pouvoir se mettre en grève, les + travailleurs frappés subissent les exigences nouvelles du capitaliste. + + Avec le _sabotage_ il en est tout autrement: les travailleurs peuvent + résister; ils ne sont plus à la merci complète du capital; ils ne sont + plus la chair molle que le maître pétrit à sa guise: ils ont un moyen + d'affirmer leur virilité et de prouver à l'oppresseur qu'ils sont des + hommes. + + D'ailleurs, le _sabotage_ n'est pas aussi nouveau qu'il le paraît: + depuis toujours les travailleurs l'ont pratiqué individuellement, + quoique sans méthode. D'instinct, ils ont toujours ralenti leur + production quand le patron a augmenté ses exigences; sans s'en rendre + clairement compte, ils ont appliqué la formule: A MAUVAISE PAYE, + MAUVAIS TRAVAIL. + + Et l'on peut dire que dans certaines industries où le travail aux + pièces s'est substitué au travail à la journée, une des causes de + cette substitution a été le _sabotage_, qui consistait alors à fournir + par jour la moindre quantité de travail possible. + + Si cette tactique a donné déjà des résultats, pratiquée sans esprit de + suite, que ne donnera-t-elle pas le jour où elle deviendra une menace + continuelle pour les capitalistes? + + Et ne croyez pas, camarades, qu'en remplaçant le travail à la journée + par le travail aux pièces, les patrons se soient mis à l'abri du + sabotage: cette tactique n'est pas circonscrite au travail à la + journée. + + Le sabotage peut et doit être pratiqué pour le travail aux pièces. + Mais ici, la ligne de conduite diffère: restreindre la production + serait pour le travailleur restreindre son salaire; il lui faut donc + appliquer le sabotage à la qualité au lieu de l'appliquer à la + quantité. Et alors, non seulement le travailleur ne donnera pas à + l'acheteur de sa force de travail plus que pour son argent, mais + encore, il l'atteindra dans sa clientèle qui lui permet indéfiniment + le renouvellement du capital, fondement de l'exploitation de la classe + ouvrière. Par ce moyen, l'exploiteur se trouvera forcé, soit de + capituler en accordant les revendications formulées, soit de remettre + l'outillage aux mains des seuls producteurs. + + Deux cas se présentent couramment: le cas où le travail aux pièces se + fait chez soi, avec un matériel appartenant à l'ouvrier, et celui où + le travail est centralisé dans l'usine patronale dont celui-ci est le + propriétaire. + + Dans ce second cas, au sabotage sur la marchandise vient s'ajouter le + sabotage sur l'outillage. + + Et ici nous n'avons qu'à vous rappeler l'émotion produite dans le + monde bourgeois, il y a trois ans, quand on sut que les employés de + chemin de fer pouvaient, avec deux sous d'un certain ingrédient, + mettre une locomotive dans l'impossibilité de fonctionner. + + Cette émotion nous est un avertissement de ce que pourraient les + travailleurs conscients et organisés. + + Avec le _boycottage_ et son complément indispensable, le _sabotage_, + nous avons une arme de résistance efficace qui, en attendant le jour + où les travailleurs seront assez puissants pour s'émanciper + intégralement nous permettra de tenir tête à l'exploitation dont nous + sommes victimes. + + Il faut que les capitalistes le sachent: le travailleur ne respectera + la machine que le jour où elle sera devenue pour lui une amie qui + abrège le travail, au lieu d'être comme aujourd'hui, l'ennemie, la + voleuse de pain, la tueuse de travailleurs. + +En conclusion de ce rapport, la Commission proposa au Congrès la +résolution suivante: + + _Chaque fois que s'élèvera un conflit entre patrons et ouvriers soit + que le conflit soit dû aux exigences patronales, soit qu'il soit dû à + l'initiative ouvrière, et au cas où la grève semblerait ne pouvoir + donner des résultats aux travailleurs visés: que ceux-ci appliquent le + _boycottage_ ou le _sabotage_--ou les deux simultanément--en + s'inspirant des données que nous venons d'exposer._ + +La lecture de ce rapport fut accueillie par les applaudissements +unanimes du Congrès. Ce fut plus que de l'approbation: ce fut de +l'emballement. + +Tous les délégués étaient conquis, enthousiasmés. Pas une voix +discordante ne s'éleva pour critiquer ou même présenter la moindre +observation ou objection. + +Le délégué de la Fédération du Livre, Hamelin, ne fut pas des moins +enthousiastes. Il approuva nettement la tactique préconisée et le +déclara en termes précis, dont le compte rendu du Congrès ne donne que +ce pâle écho: + + Tous les moyens sont bons pour réussir, affirma-t-il. J'ajoute qu'il y + a une foule de moyens à employer pour arriver à la réussite; ils sont + faciles à appliquer pourvu qu'on le fasse adroitement. Je veux dire + par là qu'il y a des choses qu'on doit faire et qu'on ne doit pas + dire. Vous me comprenez. + + Je sais bien que si je précisais, on pourrait me demander si j'ai le + droit de faire telle ou telle chose; mais, si l'on continuait à ne + faire que ce qu'il est permis de faire on n'aboutirait à rien. + + Lorsqu'on entre dans la voie révolutionnaire, il faut le faire avec + courage, et quand la tête est passée, il faut que le corps y passe. + +De chaleureux applaudissements soulignèrent le discours du délégué de la +Fédération du Livre et, après que divers orateurs eurent ajouté quelques +mots approbatifs, sans qu'aucune parole contradictoire ait été +prononcée, la motion suivante fut adoptée à l'unanimité: + + _Le syndicat des Employés de commerce de Toulouse invite le Congrès à + voter par des acclamations les conclusions du rapport et à le mettre + en pratique à la première occasion qui se présentera._ + +Le baptême du sabotage ne pouvait être plus laudatif. Et ce ne fut pas +là un succès momentané,--un feu de paille, conséquence d'un emballement +d'assemblée,--les sympathies unanimes qui venaient de l'accueillir ne se +démentirent pas. + +Au Congrès confédéral suivant, qui se tint à Rennes en 1898, les +approbations ne furent pas ménagées à la tactique nouvelle. + +Entre les orateurs qui, au cours de la discussion prirent la parole pour +l'approuver, citons, entre autres, le citoyen Lauche,--aujourd'hui +député de Paris: il dit combien le syndicat des Mécaniciens de la Seine, +dont il était le délégué, avait été heureux des décisions prises au +Congrès de Toulouse, relativement au boycottage et au sabotage. + +Le délégué de la Fédération des Cuisiniers se tailla un beau succès et +dérida le Congrès, en narrant avec humour le drolatique cas de sabotage +suivant: les cuisiniers d'un grand établissement parisien, ayant à se +plaindre de leur patron, restèrent à leur poste toute la journée, +fourneaux allumés; mais, au moment où les clients affluèrent dans les +salles, il n'y avait dans les marmites que des briques «cuisant» à +grande eau... en compagnie de la pendule du restaurant. + +Du rapport qui clôtura la discussion--et qui fut adopté à +l'unanimité,--nous extrayons le passage suivant: + + ... La Commission tient à indiquer que le sabotage n'est pas chose + neuve; les capitalistes le pratiquent, chaque fois qu'ils y trouvent + intérêt; les adjudicataires en ne remplissant pas les clauses de bonne + qualité de matériaux, etc., et ils ne le pratiquent pas que sur les + matériaux: que sont leurs diminutions de salaires, sinon un sabotage + sur le ventre des prolétaires? + + Il faut d'ailleurs ajouter que, instinctivement, les travailleurs ont + répondu aux capitalistes en ralentissant la production, en sabotant + inconsciemment. + + Mais, ce qui serait à souhaiter, c'est que les travailleurs se rendent + compte que le sabotage peut être pour eux une arme utile de + résistance, tant par sa pratique que par la crainte qu'il inspirera + aux employeurs, le jour où ils sauront qu'ils ont à redouter sa + pratique consciente. Et nous ajouterons que la menace du sabotage peut + souvent donner d'aussi utiles résultats que le sabotage lui-même. + + Le Congrès ne peut pas entrer dans le détail de cette tactique; ces + choses-là ne relèvent que de l'initiative et du tempérament de chacun + et sont subordonnées à la diversité des industries. Nous ne pouvons + que poser la théorie et souhaiter que le sabotage entre dans l'arsenal + des armes de lutte des prolétaires contre les capitalistes, au même + titre que la grève et que, de plus en plus, l'orientation du mouvement + social ait pour tendance l'_action directe_ des individus et une plus + grande conscience de leur personnalité... + +Une troisième et dernière fois, le sabotage subit le feu d'un congrès: +ce fut en 1900, au Congrès confédéral qui se tint à Paris. + +On vivait alors une période trouble. Sous l'influence de Millerand, +ministre du commerce, se constatait une déviation qui avait sa cause +dans les tentations du Pouvoir. Bien des militants se laissaient +aguicher par les charmes corrupteurs du ministérialisme et certaines +organisations syndicales étaient entraînées vers une politique de «paix +sociale» qui, si elle eût prédominé, eût été funeste au mouvement +corporatif. C'eût été pour lui, sinon la ruine et la mort, tout au moins +l'enlizement et l'impuissance. + +L'antagonisme, qui s'accentua dans les années qui suivirent, entre les +syndicalistes révolutionnaires et les réformistes, pointait. De cette +lutte intestine la discussion, ainsi que le vote sur le sabotage furent +une première et embryonnaire manifestation. + +La discussion fut courte; Après que quelques orateurs eurent parlé en +faveur du sabotage une voix s'éleva pour le condamner: celle du +président de séance. + +Il déclara que «s'il n'avait pas eu l'honneur de présider, il se serait +réservé de combattre le sabotage proposé par le camarade Riom et par +Beausoleil»; et il ajouta qu'il «le considérait comme plus nuisible +qu'utile aux intérêts des travailleurs et comme répugnant à la dignité +de beaucoup d'ouvriers.» + +Il suffira, pour apprécier à sa valeur cette condamnation du sabotage +d'observer que, quelques semaines plus tard, il ne «répugna pas à la +dignité» de ce moraliste impeccable et scrupuleux d'être nanti, grâce +aux bons offices de Millerand, d'une sinécure de tout repos[3]. + + [3] Il s'agit de M. Treich, alors secrétaire de la Bourse du Travail + de Limoges et fougueux «guesdiste»... nommé peu après receveur de + l'enregistrement à Bordeaux. + +Le rapporteur de la Commission de laquelle ressortissait le sabotage, +choisi pour son travail sur la «marque syndicale», était un adversaire +du sabotage. Il l'exécuta donc en ces termes: + + Il me reste à dire un mot au sujet du sabotage. Je le dirai d'une + façon franche et précise. J'admire ceux qui ont le courage de saboter + un exploiteur, je dois même ajouter que j'ai ri bien souvent aux + histoires que l'on nous a racontées au sujet du sabotage, mais, pour + ma part, je n'oserais faire ce que ces bons amis ont fait. Alors, ma + conclusion est que si je n'ai pas le courage de faire une action, ce + serait de la lâcheté de ma part d'inciter un autre à la faire. + + Je vous avoue que, dans l'acte qui consiste à détériorer un outil ou + toute chose confiée à mes soins, ce n'est pas la crainte de Dieu qui + paralyse mon courage, mais la crainte du gendarme! + + Je laisse à vos bons soins le sort du sabotage. + +Le Congrès n'épousa cependant pas les vues du rapporteur. Il fit bien un +«sort» au sabotage, mais il fut autre que celui qui lui était conseillé. + +Un vote eut lieu, par bulletins, sur cette question +spéciale--d'improbation ou d'approbation du sabotage--et il donna les +résultats suivants: + + Pour le sabotage 117 + Contre 76 + Bulletins blancs 2 + +Ce vote précis clôtura la période de gestation, d'infiltration théorique +du sabotage. + +Depuis lors, indiscutablement admis, reconnu et accepté, il n'a plus été +évoqué aux Congrès corporatifs et il a pris rang définitivement au +nombre des moyens de lutte préconisés et pratiqués dans le combat contre +le capitalisme. + +Il est à remarquer que le vote ci-dessus, émis au Congrès de 1900, est +déjà une indication du tassement qui va s'effectuer dans les +organisations syndicales et qui va mettre les révolutionnaires à un +pôle, les réformistes à l'autre. En effet, dans tous les Congrès +confédéraux qui vont suivre, quand révolutionnaires et réformistes se +trouveront aux prises, presque toujours la majorité révolutionnaire sera +à peu près ce qu'elle a été dans le vote sur le sabotage,--soit dans la +proportion des deux tiers, contre une minorité réformiste d'un tiers. + + + + +CHAPITRE II + +La «marchandise» travail + + +Dans l'exposé historique qui précède, nous venons de constater que le +sabotage, sous l'expression anglaise de _Go Canny_, découle de la +conception capitaliste que le travail humain est une marchandise. + +Cette thèse, les économistes bourgeois s'accordent à la soutenir. Ils +sont unanimes à déclarer qu'il y a un marché du travail, comme il y a un +marché du blé, de la viande, du poisson ou de la volaille. + +Ceci admis, il est donc logique que les capitalistes se comportent à +l'égard de la «chair à travail» qu'ils trouvent sur le marché comme +lorsqu'il s'agit pour eux d'acheter des marchandises ou des matières +premières: c'est-à -dire qu'ils s'efforcent de l'obtenir au taux le plus +réduit. + +C'est chose normale étant donné les prémisses. Nous sommes ici en plein +jeu de la loi de l'offre et de la demande. + +Seulement, ce qui est moins compréhensible, c'est que, dans leur esprit, +ces capitalistes entendent recevoir, non une quantité de travail en +rapport avec le taux du salaire qu'ils payent, mais bien, indépendamment +du niveau de ce salaire, le maximum de travail que puisse fournir +l'ouvrier. + +En un mot, ils prétendent acheter non une quantité de travail, +équivalente à la somme qu'ils déboursent, mais la force de travail +intrinsèque de l'ouvrier: c'est, en effet, l'ouvrier tout entier--corps +et sang, vigueur et intelligence--qu'ils exigent. + +Lorsqu'ils émettent cette prétention, les employeurs négligent de tenir +compte que cette «force de travail» est partie intégrante d'un être +pensant, capable de volonté, de résistance et de révolte. + +Certes, tout irait au mieux dans le monde capitaliste si les ouvriers +étaient aussi inconscients que les machines de fer et d'acier dont ils +sont les servants et si, comme elles, ils n'avaient en guise de coeur et +de cerveau qu'une chaudière ou une dynamo. + +Seulement, il n'en est pas ainsi! Les travailleurs savent quelles +conditions leur sont faites dans le milieu actuel et s'ils les +subissent, ce n'est point de leur plein gré. Ils se savent possesseurs +de la «force de travail» et s'ils acquiescent à ce que le patron qui les +embauche en «consomme» une quantité donnée, ils s'efforcent que cette +quantité soit en rapport plus ou moins direct avec le salaire qu'ils +reçoivent. Même parmi les plus dénués de conscience, parmi ceux qui +subissent le joug patronal, sans mettre en doute son bien fondé, jaillit +intuitivement la notion de résistance aux prétentions capitalistes: ils +tendent à ne pas se dépenser sans compter. + +Les employeurs n'ont pas été sans constater cette tendance qu'ont les +ouvriers à économiser leur «force de travail». C'est pourquoi, certains +d'entre eux ont habilement paré au préjudice qui en découle pour eux, en +recourant à l'émulation pour faire oublier à leur personnel cette +prudence restrictive. + +Ainsi, les entrepreneurs du bâtiment, surtout à Paris, ont vulgarisé une +pratique, qui d'ailleurs tombe en désuétude depuis 1906,--c'est-à -dire +depuis que les ouvriers de la corporation sont groupés en syndicats +puissants. + +Cette pratique consiste à embaucher un «costaud» qui, sur le chantier, +donne l'élan à ses camarades. Il «en met» plus que quiconque... et il +faut le suivre, sinon les retardataires risquent d'être mal vus et +d'être débauchés comme incapables. + +Une telle manière de procéder dénote bien que ces entrepreneurs +raisonnent à l'égard des travailleurs comme lorsqu'ils traitent un +marché pour l'acquisition d'une machine. De même qu'ils achètent +celle-ci avec la fonction productive qui lui est incorporée[4], de même +ils ne considèrent l'ouvrier que comme un instrument de production +qu'ils prétendent acquérir en entier, pour un temps donné, tandis qu'en +réalité, ils ne passent de contrat avec lui que pour la fonction de son +organisme se traduisant en travail effectif. + + [4] il y a cependant des cas où le vendeur d'une machine ne cède pas + intégralement à son acheteur la _fonction productrice_ de la dite + machine. En exemple, certaines machines à fabriquer les chaussures + qui sont munies d'un compteur enregistrant le nombre des chaussures + produites et qui sont vendues avec la stipulation que l'acheteur + paiera _indéfiniment_ une certaine redevance par paire de chaussures + produite. + +Cette discordance qui est la base des rapports entre patrons et ouvriers +met en relief l'opposition fondamentale des intérêts en présence: la +lutte de la classe qui détient les moyens de production contre la classe +qui, dénuée de capital, n'a d'autre richesse que sa force de travail. + +Dès que, sur le terrain économique, employés et employeurs prennent +contact, se révèle cet antagonisme irréductible qui les jette aux deux +pôles opposés et qui, par conséquent, rend toujours instables et +éphémères leurs accords. + +Entre les uns et les autres, en effet, il ne peut jamais se conclure un +contrat au sens précis et équitable du terme. Un contrat implique +l'égalité des contractants, leur pleine liberté d'action et, de plus, +une de ses caractéristiques est de présenter pour tous ses signataires +un intérêt réel et personnel, dans le présent aussi bien que dans +l'avenir. + +Or, lorsqu'un ouvrier offre ses bras à un patron, les deux +«contractants» sont loin d'être sur le pied d'égalité. L'ouvrier obsédé +par l'urgence d'assurer son lendemain,--si même il n'est pas tenaillé +par la faim,--n'a pas la sereine liberté d'action dont jouit son +embaucheur. En outre, le bénéfice qu'il retire de son louage de travail +n'est que momentané, car, s'il y trouve la vie immédiate, il n'est pas +rare que le risque de la besogne à laquelle il est astreint ne mette sa +santé, son avenir en péril. + +Donc, entre patrons et ouvriers il ne peut se conclure d'engagements qui +méritent le qualificatif de contrats. Ce qu'on est convenu de désigner +sous le nom de _contrat du travail_ n'a pas les caractères spécifiques +et bilatéraux du contrat; c'est, au sens strict, un contrat unilatéral, +favorable seulement à l'un des contractants,--un contrat léonin. + +Il découle de ces constatations que, sur le marché du travail, il n'y a, +face à face, que des belligérants en permanent conflit; par conséquent, +toutes les relations, tous les accords des uns et des autres ne peuvent +être que précaires, car ils sont viciés à la base, ne reposant que sur +le plus ou moins de force et de résistance des antagonistes. + +C'est pourquoi, entre patrons et ouvriers, ne se conclut jamais--et ne +peut jamais se conclure,--une entente durable, un contrat au sens loyal +du mot: il n'y a entre eux que des armistices qui, suspendant pour un +temps les hostilités, apportent une trêve momentanée aux faits de +guerre. + +Ce sont deux mondes qui s'entrechoquent avec violence: le monde du +capital, le mondé du travail. Certes, il peut y avoir,--et il y a,--des +infiltrations de l'un dans l'autre; grâce à une sorte de capillarité +sociale, des transfuges passent du monde du travail dans celui du +capital et, oubliant ou reniant leurs origines, prennent rang parmi les +plus intraitables défenseurs de leur caste d'adoption. Mais, ces +fluctuations dans les corps d'armée en lutte n'infirment pas +l'antagonisme des deux classes. + +D'un côté comme de l'autre les intérêts en jeu sont diamétralement +opposés et cette opposition se manifeste en tout ce qui constitue la +trame de l'existence. Sous les déclamations démocratiques, sous le verbe +menteur de l'égalité, le plus superficiel examen décèle les divergences +profondes qui séparent bourgeois et prolétaires: les conditions +sociales, les modes de vivre, les habitudes de penser, les aspirations, +l'idéal... tout! tout diffère! + + + + +CHAPITRE III + +Morale de classe + + +Il est compréhensible que, de la différenciation radicale dont nous +venons de constater la persistance entre la classe ouvrière et la classe +bourgeoise découle une moralité distincte. + +Il serait, en effet, pour le moins étrange, qu'il n'y ait rien de commun +entre un prolétaire et un capitaliste, sauf la morale. + +Quoi! Les faits et gestes d'un exploité devraient être appréciés et +jugés avec le critérium de son ennemi de classe? + +Ce serait simplement absurde! + +La vérité, c'est que, de même qu'il y a deux classes dans la société, il +y a aussi deux morales,--celle des capitalistes et celle des +prolétaires. + + La morale naturelle ou zoologique, écrit Max Nordau, déclarerait que + le repos est le mérite suprême, et ne donnerait à l'homme le travail + comme désirable et glorieux qu'autant que ce travail est indispensable + à son existence matérielle. Mais les exploiteurs n'y trouveraient pas + leur compte. Leur intérêt, en effet, réclame que la masse travaille + plus qu'il n'est nécessaire pour elle, et produise plus que son propre + usage ne l'exige. C'est qu'ils veulent précisément s'emparer du + surplus de la production; à cet effet, ils ont supprimé la morale + naturelle et en ont inventé une autre, qu'ils ont fait établir par + leurs philosophes, vanter par leurs prédicateurs, chanter par leurs + poètes: morale d'après laquelle l'oisiveté serait la source de tous + les vices, et le travail une vertu, la plus belle de toutes les + vertus... + +Il est inutile d'observer que cette morale est à l'usage exclusif des +prolétaires, les riches qui la prônent n'ayant garde de s'y soumettre: +l'oisiveté n'est vice que chez les pauvres. + +C'est au nom des prescriptions de cette morale spéciale que les ouvriers +doivent trimer dur et sans trêve au profit de leurs patrons et que tout +relâchement de leur part, dans l'effort de production, tout ce qui tend +à réduire le bénéfice escompté par l'exploiteur, est qualifié d'action +immorale. + +Par contre, c'est toujours en excipant de cette morale de classe que +sont glorifiés le dévouement aux intérêts patronaux, l'assiduité aux +besognes les plus fastidieuses et les moins rémunératrices, les +scrupules niais qui créent «l'honnête ouvrier», en un mot toutes les +chaînes idéologiques et sentimentales qui rivent le salarié au carcan du +capital, mieux et plus sûrement que des maillons en fer forgé. + +Pour compléter l'oeuvre d'asservissement, il est fait appel à la vanité +humaine: toutes les qualités du bon esclave sont exaltées, magnifiées et +on a même imaginé de distribuer des récompenses,--la médaille du +travail!--aux ouvriers-caniches qui se sont distingués par la souplesse +de leur épine dorsale, leur esprit de résignation et leur fidélité au +maître. + +De cette morale scélérate la classe ouvrière est donc saturée à +profusion. + +Depuis sa naissance, jusqu'à la mort, le prolétaire en est englué: il +suce cette morale avec le lait plus ou moins falsifié du biberon qui, +pour lui, remplace trop souvent le sein maternel; plus tard, à la +«laïque», on la lui inculque encore, en un dosage savant, et +l'imprégnation se continue, par mille et mille procédés, jusqu'à ce que, +couché dans la fosse commune, il dorme son éternel sommeil. + +L'intoxication résultant de cette morale est tellement profonde et +tellement persistante que des hommes à l'esprit subtil, au raisonnement +clair et aigu, en restent cependant contaminés. C'est le cas du citoyen +Jaurès qui, pour condamner le sabotage, a excipé de cette éthique, créée +à l'usage des capitalistes. Dans une discussion ouverte au Parlement sur +le Syndicalisme, le 11 mai 1907, il déclarait: + + Ah! s'il s'agit de la propagande systématique, méthodique du sabotage, + au risque d'être taxé par vous d'un optimisme où il entrerait quelque + complaisance pour nous-mêmes, je ne crains pas qu'elle aille bien + loin. Elle répugne à toute la nature à toutes les tendances de + l'ouvrier... + +Et il insistait fort: + + Le sabotage, affirmait-il, répugne à la valeur technique de l'ouvrier. + + La valeur technique de l'ouvrier, c'est sa vraie richesse; voilà + pourquoi le théoricien, le métaphysicien du syndicalisme, Sorel + déclare que, accordât-on au syndicalisme tous les moyens possibles, il + en est un qu'il doit s'interdire à lui-même: celui qui risquerait de + déprécier, d'humilier dans l'ouvrier cette valeur professionnelle, qui + n'est pas seulement sa richesse précaire d'aujourd'hui, mais qui est + son titre pour sa souveraineté dans le monde de demain... + +Les affirmations de Jaurès, même placées sous l'égide de Sorel, sont +tout ce qu'on voudra,--voire de la métaphysique,--hormis la constatation +d'une réalité économique. + +Où diantre a-t-il rencontré des ouvriers que «toute leur nature et +toutes leurs tendances» portent à donner le plein de leur effort, +physique et intellectuel à un patron, en dépit de conditions dérisoires, +infimes ou odieuses que celui-ci leur impose? + +En quoi, d'autre part, la «valeur technique» de ces problématiques +ouvriers serait-elle mise en péril, parce que, le jour où ils +s'apercevront de l'exploitation éhontée dont ils sont victimes, ils +tenteront de s'y soustraire et, tout d'abord, ne consentiront plus à +soumettre leurs muscles et leurs cerveaux à une fatigue indéfinie, pour +le seul profit du patron? + +Pourquoi ces ouvriers gaspilleraient-ils cette «valeur technique» qui +constitue leur «vraie richesse»--au dire de Jaurès--et pourquoi en +feraient-ils presque gratuitement cadeau au capitaliste? + +N'est-il pas plus logique qu'au lieu de se sacrifier, en agneaux bêlants +sur l'autel du patronat, ils se défendent, luttent, et estimant au plus +haut prix possible leur «valeur technique» ils ne cèdent tout ou partie +de cette «vraie richesse» qu'aux conditions les meilleures, ou les moins +mauvaises? + +A ces interrogations l'orateur socialiste n'apporte pas de réponse, +n'ayant pas approfondi la question. Il s'est borné à des affirmations +d'ordre sentimental, inspirées de la morale des exploiteurs et qui ne +sont que le remâchage des arguties des économistes reprochant aux +ouvriers français leurs exigences et leurs grèves, les accusant de +mettre l'industrie nationale en péril. + +Le raisonnement du citoyen Jaurès est, en effet du même ordre, avec +cette différence qu'au lieu de faire vibrer la corde patriotique, c'est +le point d'honneur, la vanité, la gloriole du prolétaire qu'il a tâché +d'exalter, de surexciter. + +Sa thèse aboutit à la négation formelle de la lutte de classe, car elle +ne tient pas compte du permanent état de guerre entre le capital et le +travail. + +Or, le simple bon sens suggère que le patron étant l'ennemi, pour +l'ouvrier, il n'y a pas plus déloyauté de la part de celui-ci à dresser +des embuscades contre son adversaire qu'à le combattre à visage +découvert. + +Donc, aucun des arguments empruntés à la morale bourgeoise ne vaut pour +apprécier le sabotage, non plus que toute autre tactique prolétarienne; +de même, aucun de ces arguments ne vaut pour juger les faits, les +gestes, les pensées ou les aspirations de la classe ouvrière. + +Si sur tous ces points on désire raisonner sainement, il ne faut pas se +référer à la morale capitaliste, mais s'inspirer de la morale des +producteurs qui s'élabore quotidiennement au sein des masses ouvrières +et qui est appelée à régénérer les rapports sociaux, car c'est elle qui +réglera ceux du monde de demain. + + + + +CHAPITRE IV + +Les procédés de sabotage + + +Sur le champ de bataille qu'est le marché du travail, où les +belligérants s'entrechoquent, sans scrupules et sans égards, il s'en +faut, nous l'avons constaté, qu'ils se présentent à armes égales. + +Le capitaliste oppose une cuirasse d'or aux coups de son adversaire qui, +connaissant son infériorité défensive et offensive, tâche d'y suppléer +en ayant recours aux ruses de guerre. L'ouvrier, impuissant pour +atteindre son adversaire de front, cherche à le prendre de flanc, en +l'attaquant dans ses oeuvres vives: le coffre-fort. + +Il en est alors des prolétaires comme d'un peuple qui, voulant résister +à l'invasion étrangère et ne se sentant pas de force à affronter +l'ennemi en bataille rangée se lance dans la guerre d'embuscades, de +guérillas. Lutte déplaisante pour les grands corps d'armée, lutte +tellement horripilante et meurtrière que, le plus souvent, les +envahisseurs refusent de reconnaître aux francs-tireurs le caractère de +belligérants. + +Cette exécration des guérillas pour les armées régulières n'a pas plus +lieu de nous étonner que l'horreur inspirée par le sabotage aux +capitalistes. + +C'est qu'en effet le sabotage est dans la guerre sociale ce que sont les +guérillas dans les guerres nationales: il découle des mêmes sentiments, +répond aux mêmes nécessités et a sur la mentalité ouvrière d'identiques +conséquences. + +On sait combien les guérillas développent le courage individuel, +l'audace et l'esprit de décision; autant peut s'en dire du sabotage: il +tient en haleine les travailleurs, les empêche de s'enlizer dans une +veulerie pernicieuse et comme il nécessite une action permanente et sans +répit, il a l'heureux résultat de développer l'esprit d'initiative, +d'habituer à agir soi-même, de surexciter la combativité. + +De ces qualités, l'ouvrier en a grandement besoin, car le patron agit à +son égard avec aussi peu de scrupules qu'en ont les armées d'invasion +opérant en pays conquis: il rapine le plus qu'il peut! + +Cette rapacité capitaliste, le milliardaire Rockefeller l'a blâmée... +quitte, très sûrement, à la pratiquer sans vergogne. + + Le tort de certains employeurs, a-t-il écrit, est de ne point payer la + somme exacte qu'ils devraient; alors le travailleur a une tendance à + restreindre son labeur. + +Cette tendance à la restriction du labeur que constate +Rockefeller--restriction qu'il légitime et justifie par le blâme qu'il +adresse aux patrons--est du sabotage sous la forme qui se présente +spontanément à l'esprit de tout ouvrier: le _ralentissement du travail_. + +C'est, pourrait-on dire, la forme instinctive et primaire du sabotage. + +C'est à son application qu'à Beaford, dans l'Indiana, États-Unis +(c'était en 1908), se décidaient une centaine d'ouvriers qui venaient +d'être avisés qu'une réduction de salaire s'élevant à une douzaine de +sous par heure leur était imposée. Sans mot dire, ils se rendirent à une +usine voisine et firent rogner leurs pelles de deux pouces et demi. +Après quoi, ils revinrent au chantier et répondirent au patron: «A +petite paie, petite pelle!» + +Cette forme de sabotage n'est praticable que pour les ouvriers à la +journée. Il est, en effet, bien évident que ceux qui travaillent aux +pièces et qui ralentiraient leur production seraient les premières +victimes de leur révolte passive puisqu'ils saboteraient leur propre +salaire. Ils doivent donc recourir à d'autres moyens et leur +préoccupation doit être de diminuer la qualité et non la quantité de +leur produit. + +De ces moyens, le _Bulletin de la Bourse du Travail de Montpellier_ +donnait un aperçu, dans un article publié dans les premiers mois de +1900, quelques semaines avant le Congrès confédéral qui se tint à Paris: + + Si vous êtes mécanicien, disait cet article, il vous est très facile + avec deux sous d'une poudre quelconque, ou même seulement avec du + sable, d'enrayer votre machine, d'occasionner une perte de temps et + une réparation fort coûteuse à votre exploiteur. Si vous êtes + menuisier ou ébéniste, quoi de plus facile que de détériorer un meuble + sans que le patron s'en aperçoive et de lui faire perdre ainsi des + clients? Un tailleur peut aisément abîmer un habit ou une pièce + d'étoffe; un marchand de nouveautés, avec quelques taches adroitement + posées sur un tissu le fait vendre à vil prix; un garçon épicier, avec + un mauvais emballage, fait casser la marchandise; c'est la faute de + n'importe qui, et le patron perd le client. Le marchand de laines, + mercerie, etc., avec quelques gouttes d'un corrosif répandues sur une + marchandise qu'on emballe, mécontente le client; celui-ci renvoie le + colis et se fâche; on lui répond que c'est arrivé en route... + Résultat, perte souvent du client. Le travailleur à la terre donne de + temps en temps un coup de pioche maladroit,--c'est-à -dire adroit,--ou + sème de la mauvaise graine au milieu d'un champ, etc. + +Ainsi qu'il est indiqué ci-dessus, les procédés de sabotage sont +variables à l'infini. Cependant, quels qu'ils soient, il est une qualité +qu'exigent d'eux les militants ouvriers: c'est que leur mise en pratique +n'ait pas une répercussion fâcheuse sur le consommateur. + +Le sabotage s'attaque au patron, soit par le ralentissement du travail, +soit en rendant les produits fabriqués invendables, soit en immobilisant +ou rendant inutilisable l'instrument de production, mais le consommateur +ne doit pas souffrir de cette guerre faite à l'exploiteur. + +Un exemple de l'efficacité du sabotage est l'application méthodique +qu'en ont fait les coiffeurs parisiens: + +Habitués à frictionner des têtes, ils se sont avisés d'étendre le +système du schampoing aux devantures patronales. C'est au point que, +pour les patrons coiffeurs, la crainte du _badigeonnage_ est devenue la +plus convaincante des sanctions. + +C'est grâce au badigeonnage--pratiqué principalement de 1902 à mai +1906,--que les ouvriers coiffeurs ont obtenu la fermeture des salons à +des heures moins tardives et c'est aussi la crainte du badigeonnage qui +leur a permis d'obtenir, très rapidement (avant le vote de la loi sur le +repos hebdomadaire) la généralisation de la fermeture des boutiques, un +jour par semaine. + +Voici en quoi consiste le badigeonnage: en un récipient quelconque, tel +un oeuf préalablement vidé, le «badigeonneur» enferme un produit +caustique; puis, à l'heure propice, il s'en va lancer contenant et +contenu sur la devanture du patron réfractaire. + +Ce «schampoing» endolorit la peinture de la boutique et le patron +profitant de la leçon reçue devient plus accommodant. + +Il y a environ 2.300 boutiques de coiffeurs à Paris, sur lesquelles, +durant la campagne de badigeonnage, 2.000 au moins ont été badigeonnées +une fois... sinon plusieurs. _L'Ouvrier coiffeur_, l'organe syndical de +la Fédération des Coiffeurs a estimé approximativement à 200.000 francs +les pertes financières occasionnées aux patrons par le procédé du +badigeonnage. + +Les ouvriers coiffeurs sont enchantés de leur méthode et ils ne sont +nullement disposés à l'abandonner. Elle a fait ses preuves, disent-ils, +et ils lui attribuent une valeur moralisatrice qu'ils affirment +supérieure à toute sanction légale. + +Le badigeonnage, comme tous les bons procédés de sabotage s'attaque donc +à la caisse patronale et la tête des clients n'a rien à en redouter. + + * * * * * + +Les militants ouvriers insistent fort sur ce caractère spécifique du +sabotage qui est de frapper le patron et non le consommateur. Seulement, +ils ont à vaincre le parti-pris de la presse capitaliste qui dénature +leur thèse à plaisir en présentant le sabotage comme dangereux pour les +consommateurs principalement. + +On n'a pas oublié l'émotion que soulevèrent, il y a quelques années, les +racontars des quotidiens, à propos du pain au verre pilé. Les +syndicalistes s'évertuaient à déclarer que mettre du verre pilé dans le +pain serait un acte odieux, stupidement criminel et que les ouvriers +boulangers n'avaient jamais eu semblable pensée. Or, malgré les +dénégations et les démentis, le mensonge se répandait, se rééditait et, +naturellement, indisposait contre les ouvriers boulangers nombre de gens +pour qui ce qu'imprime leur journal est parole d'évangile. + +En fait, jusqu'ici, au cours des diverses grèves de boulangers, le +sabotage constaté s'est borné à la détérioration des boutiques +patronales, des pétrins ou des fours. Quant au pain, s'il en a été +fabriqué d'immangeable,--pain brûlé ou pas cuit, sans sel, ou sans +levain, etc., mais, insistons-y, jamais au verre pilé!--ce ne sont pas, +et ce ne pouvaient pas être, les consommateurs qui en ont pâti, mais +uniquement les patrons. + +Il faudrait, en effet, supposer les acheteurs pétris de bêtise... à en +manger du foin!... pour accepter, au lieu de pain, un mélange indigeste +ou nauséabond. Si le cas se fût présenté ils eussent évidemment rapporté +ce mauvais pain à leur fournisseur et eussent exigé à la place un +produit comestible. + +Il n'y a donc à retenir le pain au verre pilé que comme un argument +capitaliste destiné à jeter le discrédit sur les revendications des +ouvriers boulangers. + +Autant peut s'en dire du «canard» lancé en 1907 par un +quotidien,--spécialiste en excitations contre le mouvement +syndical,--qui raconta qu'un préparateur en pharmacie, féru du sabotage, +venait de substituer de la strychnine et autres poisons violents à +d'innocentes drogues prescrites pour la préparation de cachets. + +Contre cette histoire, qui n'était qu'un mensonge,--et aussi une +insanité,--le syndicat des préparateurs en pharmacie protesta avec juste +raison. + +En réalité, si un préparateur en pharmacie avait intention de sabotage, +jamais il n'imaginerait d'empoisonner les malades... ce qui, après avoir +conduit ceux-ci au tombeau, l'amènerait lui-même en cour d'assises et ne +causerait aucun sérieux préjudice à son patron. + +Certes, le «potard» saboteur agirait autrement. Il se bornerait à +gaspiller les produits pharmaceutiques, à en faire une généreuse +distribution; il pourrait encore employer pour les ordonnances les +produits purs,--mais très coûteux,--en place des produits frelatés qui +s'emploient couramment. + +En ce dernier cas, il se dégagerait d'une complicité coupable... de sa +participation au sabotage patronal,--criminel celui-là !--et qui consiste +à délivrer des produits de basse qualité, d'action quasi nulle, au lieu +des produits purs ordonnancés par le médecin. + +Il est inutile d'insister davantage pour démontrer que le sabotage +pharmaceutique peut être profitable au malade, mais qu'il ne peut +jamais,--au grand jamais!--lui être nuisible. + +C'est d'ailleurs par des résultats similaires, favorables au +consommateur, que, dans bien des corporations,--entre autres celle de +l'alimentation,--se manifeste le sabotage ouvrier. + +Et s'il y a un regret à formuler c'est que ce sabotage ne soit pas +davantage entré dans les moeurs ouvrières. Il est triste, en effet, de +constater que, trop souvent, des travailleurs s'associent aux plus +abominables frelatages qu'il soit, au détriment de la santé publique; et +cela, sans envisager la part de responsabilité qui leur incombe dans des +agissements que le Code peut excuser, mais qui n'en sont pas moins des +crimes. + +Un appel à la population parisienne--dont ci-dessous est reproduit +l'essentiel,--lancé en 1908 par le syndicat des Cuisiniers, en dit plus +long sur ce sujet que bien des commentaires: + + Le 1er juin dernier, un chef cuisinier, arrivé du matin même dans un + restaurant populaire, constatait que la viande qui lui était confiée + s'était tellement avariée, que la servir eût été un danger pour les + consommateurs; il en fit part au patron qui exigea qu'elle soit quand + même servie; l'ouvrier, révolté de la besogne qu'on voulait de lui, + refusa de se faire complice de l'empoisonnement de la clientèle. + + Le patron, furieux, de cette indiscrète loyauté, se vengea en le + congédiant et en le signalant au syndicat patronal des restaurants + populaires _La Parisienne_, afin de l'empêcher de se replacer. + + Jusqu'ici, l'incident révèle seulement un acte individuel et ignoble + du patron et un acte de conscience d'un ouvrier; mais la suite de + l'affaire révèle, comme on va le voir, une solidarité patronale + tellement scandaleuse et dangereuse, que nous nous croyons obligés de + la dénoncer: + + Quand l'ouvrier s'est représenté à l'office de placement du syndicat + patronal, le préposé à cet office lui déclara: qu'à lui, ouvrier, ça + ne le regardait pas si les denrées étaient ou non avariées, que ce + n'était pas lui qui était responsable; que du moment qu'on le payait + il n'avait qu'à obéir, que son acte était inadmissible et que + désormais il n'avait plus à compter sur leur service de placement pour + avoir du travail. + + Crever de faim ou se faire au besoin complice d'empoisonnement, voilà + le dilemme posé aux ouvriers par ce syndicat patronal. + + D'autre part, ce langage établit bien nettement que, loin de réprouver + la vente des denrées avariées, ce syndicat couvre et défend ces actes + et poursuit de sa haine les empêcheurs d'empoisonner tranquillement! + +Il n'est sûrement pas un spécimen unique dans Paris, ce restaurateur +sans scrupules qui sert de la viande pourrie à sa clientèle. Cependant, +rares sont les cuisiniers qui ont le courage de suivre l'exemple donné. + +C'est que, hélas, à avoir trop de conscience, ces travailleurs risquent +de perdre leur gagne-pain,--voire d'être boycottés! Or, ce sont là des +considérations qui font tourner bien des têtes, vaciller bien des +volontés et mettent un frein à bien des révoltes. + +Et c'est pourquoi, trop peu nous sont dévoilés les mystères des +gargottes,--populaires ou aristocratiques. + +Il serait pourtant utile au consommateur de savoir que les énormes +quartiers de boeuf qui, aujourd'hui, s'étalent à la devanture du +restaurant qu'il fréquente sont des viandes apétissantes qui, demain, +seront trimballées et détaillées aux Halles... tandis qu'à la gargote en +question se débiteront des viandes suspectes. + +Il lui serait également utile, au client, de savoir que le potage bisque +d'écrevisses qu'il savoure est fait avec les carapaces de langoustes +laissées hier,--par lui ou d'autres,--sur l'assiette; carapaces +soigneusement raclées, pour en détacher le pulpe y adhérant encore et +qui, broyé au mortier, est finement délayé par un coulis qu'on teinte en +rose avec du carmin. + +De savoir aussi: qu'on «fait» les filets de barbue avec de la lotte ou +du cabillaud; que les filets de chevreuil sont de la «tranche» de boeuf, +pimentée grâce à une marinade endiablée; que pour enlever aux volailles +la saveur «passée» et les «rajeunir» on promène dans l'intérieur un fer +rouge. + +Et encore, que tout le matériel de restaurant: cuillers, verres, +fourchettes, assiettes, etc., est essuyé avec les serviettes abandonnées +par les clients après leur repas,--d'où contagion possible de +tuberculose... sinon d'avarie! + +La liste serait longue,--et combien nauséeuse!--s'il fallait énumérer +tous les «trucs» et les «fourbis» de commerçants rapaces et sans +vergogne qui, embusqués au coin de leur boutique, ne se satisfont point +de détrousser leurs pratiques, mais encore trop souvent, les +empoisonnent par dessus le marché. + +D'ailleurs, il ne suffit pas de connaître les procédés; il faut savoir +quelles sont les maisons «honorables» qui sont coutumières de ces +criminelles manières de faire. C'est pourquoi nous devons souhaiter, +dans l'intérêt de la santé publique, que les ouvriers de l'alimentation +sabotent les réputations surfaites de leurs patrons et nous mettent en +garde contre ces malfaiteurs. + +Observons, au surplus, qu'il est, pour les cuisiniers, une autre variété +de sabotage: c'est de préparer les plats d'excellente façon, avec tous +les assaisonnements nécessaires et en y apportant tous les soins requis +par l'art culinaire; ou bien, dans les restaurants à la portion, d'avoir +la main lourde et copieuse, au profit des clients. + + * * * * * + +De tout ceci il résulte donc, que, pour les ouvriers de cuisine, le +sabotage s'identifie avec l'intérêt des consommateurs, soit qu'ils +s'avisent d'être de parfaits maîtres-queux, soit qu'ils nous initient +aux arcanes peu ragoûtantes de leurs officines. + +Certains objecteront peut-être que, dans ce dernier cas, les cuisiniers +font, non pas acte de sabotage, mais donnent un exemple d'intégrité et +de loyauté professionnelle digne d'encouragement. + +Qu'ils prennent garde! Ils s'engagent sur une pente très savonnée, très +glissante et ils risquent de rouler à l'abîme... c'est-à -dire à la +condamnation formelle de la société actuelle. + +En effet, la falsification, la sophistication, la tromperie, le +mensonge, le vol, l'escroquerie sont la trame de la société capitaliste; +les supprimer équivaudrait à la tuer... Il ne faut pas s'illusionner: le +jour où on tenterait d'introduire dans les rapports sociaux, à tous les +degrés et dans tous les plans, une stricte loyauté, une scrupuleuse +bonne foi, plus rien ne resterait debout, ni industrie, ni commerce, ni +banque..., rien! rien! + +Or, il est évident que, pour mener à bien toutes les opérations louches +auxquelles il se livre, le patron ne peut agir seul; il lui faut des +aides, des complices... il les trouve dans ses ouvriers, ses employés. +Il s'en suit logiquement qu'en associant ses employés à ses +manoeuvres--mais non à ses bénéfices--le patron, dans n'importe quelle +branche de l'activité, exige d'eux une soumission complète à ses +intérêts et leur interdit d'apprécier et de juger les opérations et les +agissements de sa maison; s'il en est qui ont un caractère frauduleux, +voire criminel, cela ne les regarde point. + +«_Ils ne sont pas responsables... Du moment qu'on les paie, ils n'ont +qu'à obéir..._», ainsi l'observait très bourgeoisement le préposé de la +«Parisienne» dont il a été question plus haut. + +En vertu de tels sophismes, le travailleur doit faire litière de sa +personnalité, étouffer ses sentiments et agir en inconscient; toute +désobéissance aux ordres donnés, toute violation des secrets +professionnels, toute divulgation des pratiques, pour le moins +malhonnêtes, auxquelles il est astreint, constitue de sa part un acte de +félonie à l'égard du patron. + +Donc, s'il se refuse à l'aveugle et passive soumission, s'il ose +dénoncer les vilenies auxquelles on l'associe, il est considéré comme se +rebellant contre son employeur, car il se livre envers lui à des actes +de guerre,--il le sabote! + +Au surplus, cette manière de voir n'est pas particulière aux patrons, +c'est aussi comme acte de guerre,--comme acte de sabotage,--que les +syndicats ouvriers interprètent toute divulgation préjudiciables aux +intérêts capitalistes. + +Cet ingénieux moyen de battre en brèche l'exploitation humaine a même +reçu un nom spécial: c'est le sabotage par la méthode de la _bouche +ouverte_. + +L'expression est on ne peut plus significative. Il est, en effet certain +que bien des fortunes ne se sont édifiées que grâce au silence qu'ont +gardé sur les pirateries patronales les exploités qui y ont collaboré. +Sans le mutisme de ceux-ci, il eût été difficile, sinon impossible aux +exploiteurs de mener à bien leurs affaires; si elles ont réussi, si la +clientèle est tombée dans leurs panneaux, si leurs bénéfices ont fait +boule de neige, c'est grâce au silence de leurs salariés. + +Eh bien! ces muets du sérail industriel et commercial sont las de rester +bouche close. Ils veulent parler! Et ce qu'ils vont dire va être si +grave que leurs révélations vont faire le vide autour de leur patron, +que sa clientèle va se détourner de lui... + +Cette tactique de sabotage qui, sous ses formes anodines et vierges de +violences, peut être aussi redoutable pour bien des capitalistes que la +brutale mise à mal d'un précieux outillage est en passe de considérable +vulgarisation. + +C'est à elle que recourent les travailleurs du bâtiment qui dévoilent, à +l'architecte ou au propriétaire qui fait construire, les malfaçons de +l'immeuble qu'ils viennent de terminer, ordonnées par l'entrepreneur et +à son profit: murs manquant d'épaisseur, emploi de mauvais matériaux, +couches de peinture escamotées, etc. + +_Bouche ouverte_, également, lorsque les ouvriers du métro dénoncent à +grand fracas les criminels vices de construction des tunnels; + +_Bouche ouverte_, aussi, quand les garçons épiciers pour amener à +composition les maisons réfractaires à leurs revendications ont avisé, +par voie d'affiches, les ménagères des trucs et des filouteries du +métier; + +_Bouche ouverte_, encore, les placards des préparateurs en pharmacie--en +lutte pour la fermeture à 9 heures du soir--dénonçant le coupable +sabotage des malades par des patrons insoucieux. + +Et c'est de même à la pratique de la _bouche ouverte_ qu'ont décidé de +recourir les employés des maisons de banque et de Bourse. Dans une +assemblée générale, tenue en juillet dernier, le syndicat de ces +employés a adopté un ordre du jour menaçant les patrons, s'ils font la +sourde oreille aux revendications présentées, de rompre le silence +professionnel et de révéler au public tout ce qui se passe dans les +cavernes de voleurs que sont les maisons de finance. + +Ici, une question se pose: + +Que vont dire de la _bouche ouverte_ les pointilleux et tatillons +moralistes qui condamnent le sabotage au nom de la morale? + +Auxquels des deux, patrons ou employés, vont aller leurs anathèmes? + +Aux patrons, escrocs, spoliateurs, empoisonneurs, etc., qui entendent +associer leurs employés à leur indignité, les rendre complices de leurs +délits, de leurs crimes? + +Ou bien, aux employés qui, se refusant aux malhonnêtetés et aux +scélératesses que l'exploiteur exige d'eux, libèrent leur conscience en +mettant public ou consommateurs en garde? + + * * * * * + +Nous venons d'examiner les procédés de sabotage mis en oeuvre par la +classe ouvrière, sans suspension de travail, sans qu'il y ait abandon du +chantier ou de l'atelier; mais le sabotage ne se limite pas à cette +action restreinte; il peut devenir,--et il devient de plus en plus,--un +aide puissant au cas de grève. + +Le milliardaire Carnegie, le roi du Fer, a écrit: + + Attendre d'un homme qui défend son salaire pour les besoins de sa vie, + d'assister tranquillement à son remplacement par un autre homme, c'est + trop attendre. + +C'est ce que ne cessent de dire, de répéter, de clamer les +syndicalistes. Mais, il n'y a pire sourds, on le sait, que ceux qui ne +veulent pas entendre,--et les capitalistes sont du nombre! + +Cette pensée du milliardaire Carnegie, le citoyen Bousquet, secrétaire +du Syndicat des Boulangers parisiens, l'a paraphrasée dans un article de +la Voix du Peuple[5]: + + [5] Dans le numéro du 21 mai 1905. + + Nous pouvons constater, écrivait-il, que le simple fait de l'arrêt du + travail n'est pas suffisant pour l'aboutissant d'une grève. Il serait + nécessaire et même indispensable, pour le résultat du conflit, que + l'outillage,--c'est-à -dire les moyens de production de l'usine, du + tissage, de la mine, de la boulangerie, etc.,--soit réduit à la grève, + c'est-à -dire au _non fonctionnement_... + + Les renégats vont travailler. Ils trouvent les machines, les outils, + les fours en bon état,--et ce, par la suprême faute des grévistes qui, + ayant laissé en _bonne santé_ ces moyens de production, ont laissé + derrière eux la cause de leur échec revendicatif... + + Or, se mettre en grève et laisser en _état normal_ les machines et + outils, est du temps perdu pour une lutte efficace. En effet, le + patronat, disposant des renégats, de l'armée, de la police, fera + fonctionner les machines... et le but de la grève ne sera pas atteint. + + Le premier devoir avant la grève est donc de réduire à l'impuissance + les instruments de travail. C'est l'A B C de la lutte ouvrière. + + Alors, la partie devient égale entre le patron et l'ouvrier, car, + alors, la cessation du travail qui est _réelle_, produit le but + désiré, c'est-à -dire l'arrêt de la vie dans le clan bourgeois. + + Désir de grève dans l'alimentation?... Quelques litres de pétrole ou + autre matière grasse et odorante répandue sur la sole du four... Et + renégats ou soldats peuvent venir faire du pain. Ce pain sera + immangeable, car les carreaux (pendant au moins trois mois) garderont + l'odeur de la matière et l'inculqueront au pain. + + Résultat: four inutilisable et à démolir. + + Désir de grève dans la métallurgie?... Du sable ou de l'émeri dans les + engrenages de ces machines qui, montres fabuleuses, marquent + l'exploitation du prolétariat; ce sable fera grincer ces machines, + encore plus fort que le patron et le contre-maître, et le colosse de + fer, le pondeur de travail, sera réduit à l'impuissance et les + renégats aussi... + +C'est la même thèse qu'a effleurée dans sa brochure _Le Syndicalisme +dans les Chemins de fer_, le citoyen A. Renault, employé de +l'Ouest-État, thèse qui lui a valu, en septembre dernier, d'être révoqué +par le Conseil d'enquête, qui en la circonstance, a eu figure de conseil +de guerre: + + Pour être certain du succès, expliquait Renault, au cas où la majorité + des employés de chemins de fer ne cesserait pas le travail au début, + il est indispensable qu'une besogne dont il est inutile de donner ici + une définition, soit faite, au même instant, dans tous les centres + importants, au moment de la déclaration de grève. + + Pour cela, il faudrait que des équipes de camarades résolus, décidés, + coûte que coûte, à empêcher la circulation des trains, soient dès + maintenant constitués dans tous les groupes et les points importants. + Il faudrait choisir des camarades parmi les professionnels, parmi ceux + qui, connaissant le mieux les rouages du service, sauraient trouver + les endroits sensibles, les points faibles, frapperaient à coup sûr + _sans faire de destruction imbécile_ et, par leur action efficace, + adroite, intelligente autant qu'énergique, rendraient, d'un seul coup, + inutilisable pour quelques jours le matériel indispensable au + fonctionnement du service et à la marche des trains. + + Il faut penser sérieusement à cela. Il faut compter avec les jaunes, + les soldats... + +Cette tactique qui consiste à doubler la grève des bras de la grève des +machines peut paraître s'inspirer de mobiles bas et mesquins. Il n'en +est rien! + +Les travailleurs conscients se savent n'être qu'une minorité et ils +redoutent que leurs camarades n'aient pas la ténacité et l'énergie de +résister jusqu'au bout. Alors, pour entraver la désertion de la masse, +ils lui rendent la retraite impossible: ils coupent les ponts derrière +elle. + +Ce résultat, ils l'obtiennent en enlevant aux ouvriers, trop soumis aux +puissances capitalistes, l'outil des mains et en paralysant la machine +que fécondait leur effort. Par ces moyens, ils évitent la trahison des +inconscients et les empêchent de pactiser avec l'ennemi en reprenant le +travail mal à propos. + +Il y a une autre raison à cette tactique: ainsi que l'ont noté les +citoyens Bousquet et Renault, les grévistes n'ont pas que les renégats à +craindre; ils doivent aussi se méfier de l'armée. + +En effet, il devient de plus en plus d'usage capitaliste de substituer +aux grévistes la main d'oeuvre militaire. Ainsi, dès qu'il est question +d'une grève de boulangers, d'électriciens, de travailleurs des Chemins +de fer, etc., le gouvernement songe de suite à énerver la grève et à la +rendre inutile et sans objet en remplaçant les grévistes par des +soldats. + +C'est au point que, pour supplanter les électriciens, par exemple, le +gouvernement a dressé un corps de soldats du génie, auxquels on a appris +le fonctionnement des machines génératrices d'électricité, ainsi que la +manipulation des appareils et qui sont toujours prêts à accourir prendre +la place des ouvriers de l'industrie électrique au premier symptôme de +grève. + +Il est donc de lumineuse évidence que si les grévistes, qui connaissent +les intentions gouvernementales, négligent,--avant de suspendre le +travail,--de parer à cette intervention militaire, en la rendant +impossible et inefficace, ils sont vaincus d'avance. + +Prévoyant le péril, les ouvriers qui vont engager la lutte seraient +inexcusables de ne pas y obéir. Ils n'y manquent pas! + +Mais alors il arrive qu'on les accuse de vandalisme et qu'on blâme et +flétrit leur irrespect de la machine. + +Ces critiques seraient fondées s'il y avait de la part des ouvriers +volonté systématique de détérioration, sans préoccupation de but. Or, ce +n'est pas le cas! Si les travailleurs s'attaquent aux machines c'est, +non par plaisir ou dilettantisme, mais parce qu'une impérieuse nécessité +les y oblige. + +Il ne faut pas oublier qu'une question de vie ou de mort se pose pour +eux: s'ils n'immobilisent pas les machines ils vont à la défaite, à +l'échec de leurs espérances; s'ils les sabotent, ils ont de grandes +chances de succès, mais par contre, ils encourent la réprobation +bourgeoise et sont accablés d'épithètes malsonnantes. + +Étant donné les intérêts en jeu, il est compréhensible qu'ils affrontent +ces anathèmes d'un coeur léger et que la crainte d'être honnis par les +capitalistes et leur valetaille ne les fasse pas renoncer aux chances de +victoire que leur réserve une ingénieuse et audacieuse initiative. + +Ils sont dans une situation identique à celle d'une armée qui, acculée à +la retraite, se résout à regret à la destruction des armements et des +approvisionnements qui gêneraient sa marche et risqueraient de tomber au +pouvoir de l'ennemi. En ce cas, cette destruction est légitime, tandis +qu'en toute autre circonstance elle serait folie. + +En conséquence, il n'y a pas plus raison de blâmer les ouvriers qui, +pour assurer leur triomphe recourent au sabotage, qu'il n'y a lieu de +blâmer l'armée qui, pour se sauver elle-même, sacrifie ses +_impedimenta_. + +Nous pouvons donc conclure qu'il en est du sabotage, ainsi que de toutes +les tactiques et de toutes les armes: la justification de leur emploi +découle des nécessités et du but poursuivi. + +C'est à cette préoccupation des nécessités inéluctables et du but à +atteindre qu'obéissaient, il y a quelques années, les employés des +tramways de Lyon qui, pour rendre impossible la circulation des «cars», +avec des renégats pour wattmen, coulaient du ciment dans les aiguilles +des rails. + +Autant peut s'en dire également du personnel du chemin de fer du Médoc +qui se mit en grève en juillet 1908: avant de suspendre le travail il +avait eu soin de couper la ligne télégraphique reliant les gares et, +lorsque la Compagnie voulut organiser un service de fortune il fut +constaté que les organes de prise d'eau des locomotives avaient été +dévissés et cachés. + +Un original procédé est le suivant, qui fut appliqué à Philadelphie dans +une grande maison de fourrures, une de ces dernières années: avant de +quitter le travail les ouvriers coupeurs furent invités par le Syndicat +à modifier la grandeur de leurs «patrons» régulièrement d'un pouce en +plus ou en moins. Chaque ouvrier suivit le conseil, rognant ou +augmentant ses «patrons» à sa guise... Après quoi, le travail ayant +cessé des «jambes noires» furent embauchés sans que les grévistes en +soient émus. Ces jaunes se mirent au travail et ce fut un beau gâchis! +Les coupeurs coupèrent... et rien ne s'accordait! Tant et si bien +qu'après avoir perdu beaucoup de dollars, le patron fut dans +l'obligation de réembaucher les grévistes... Chacun reprit son poste et +chacun redressa ses «patrons» en plus ou en moins. + +On n'a pas oublié la formidable désorganisation qu'apporta au printemps +de 1909 la grève des Postes et Télégraphes. Cette grève étonna bien des +aveugles volontaires, auxquels échappent les symptômes sociaux les plus +accentués; ceux-là eussent manifesté moins de stupéfaction s'ils avaient +su que le _Cri Postal_, l'organe corporatif des sous-agents des P. T. +T., déclarait, dès le mois d'avril 1907: + + Vous nous parlez coups de trique, nous répondrons coups de matraque... + Ce que vous ne pourrez jamais empêcher, c'est qu'un jour, les + correspondances et les télégrammes pour Lille aillent faire un tour à + Perpignan. Ce que vous ne pourrez jamais empêcher, c'est que les + communications téléphoniques soient subitement embrouillées et les + appareils télégraphiques subitement détraqués. Ce que vous ne pourrez + jamais empêcher, c'est que dix mille employés restent à leur poste, + mais les bras croisés. Ce que vous ne pourrez jamais empêcher c'est + que dix mille employés vous remettent le même jour, à la même heure, + leur demande de mise en disponibilité et cessent le travail + _légalement aussitôt_. Et ce que vous ne pourrez jamais faire, c'est + les remplacer par des soldats... + +Bien d'autres exemples seraient à citer. Mais, n'écrivant pas un traité +de sabotage, il ne peut être question d'exposer ici les moyens, aussi +complexes que variés, auxquels recourent et peuvent recourir les +travailleurs. Les quelques-uns que nous venons de rappeler suffisent +amplement pour faire saisir sur le vif les caractères du sabotage. + + * * * * * + +Outre les procédés exposés ci-dessus il en est un autre,--qui s'est +passablement répandu depuis l'échec de la deuxième grève des +Postiers,--et qu'on pourrait qualifier de sabotage par représailles. + +A la suite de cette deuxième grève, des groupes de révolutionnaires, +dont les recherches de la police et du parquet n'ont pas réussi à +découvrir la filière, décidèrent de saboter les lignes télégraphiques et +téléphoniques, pour protester contre le renvoi en masse de plusieurs +centaines de grévistes. Ils annoncèrent leur intention de s'acharner à +ces guérillas d'un nouveau genre tant que les postiers révoqués pour +faits de grève, n'auraient pas été réintégrés. + +Une circulaire confidentielle envoyée aux adresses sûres que ces +groupes,--ou ce groupe,--s'étaient procurées, précisait dans quelles +conditions devait s'opérer cette campagne de sabotage des fils. + + Les camarades qui t'envoient ce papier, disait cette circulaire, te + connaissent si tu ne les connais pas; excuse-les de ne pas signer. + + Ils te connaissent pour un révolutionnaire sérieux. + + Ils te demandent de couper les fils télégraphiques et téléphoniques + qui seront à ta portée dans la nuit de lundi à mardi 1er juin. + + Les nuits suivantes tu continueras sans autre mot d'ordre, le plus + souvent que tu pourras. + + Quand le Gouvernement en aura assez il réintégrera les 650 postiers + qu'il a révoqués. + +Dans une seconde partie, cette circulaire contenait un formulaire +détaillé et technique qui exposait les différentes façons de couper les +fils tout en évitant d'être électrocutés. Elle recommandait aussi, avec +beaucoup d'insistance, de ne pas toucher aux fils des signaux ni aux +fils télégraphiques des compagnies de chemins de fer et, pour rendre +impossible toute erreur, il était insisté minutieusement sur les moyens +de reconnaître les fils des compagnies de ceux des lignes de l'État. + +L'hécatombe des fils télégraphiques et téléphoniques fut considérable +sur tous les points de la France et elle se continua sans répit jusqu'à +la chute du ministère Clemenceau. + +A l'avènement du ministère Briand il y eut une sorte d'armistice, une +suspension des hostilités contre les lignes télégraphiques, les nouveaux +ministres ayant laissé entrevoir comme prochaine la réintégration des +victimes de la grève. + +Depuis, en diverses circonstances, certains groupes, voulant protester +contre l'arbitraire du pouvoir, ont pris l'initiative de s'adonner à +cette guerre aux fils télégraphiques et téléphoniques. Voici, à titre +documentaire, l'un des bilans d'un des groupes les plus actifs en ce +genre d'opérations: + + _Septième bilan du groupe révolutionnaire secret de la région de + Joinville et ses succursales:_ + + Fils télégraphiques et téléphoniques coupés pour protester contre + l'arrestation arbitraire du camarade Ingweiller, secrétaire de l'Union + syndicale des ouvriers sur métaux, les poursuites scandaleuses + engagées contre le comité de grève du Bi-Métal et les condamnations + prononcées le 25 juillet 1910. + + Opérations faites par le comité révolutionnaire secret de la région de + Joinville et le comité de Seine-et-Oise du 8 au 28 juillet 1910: + + Région de Montesson, le Vésinet, Pont du Pecq 78 lignes + 25 juillet.--Route de Melun à Montgeron 32 -- + 25 juillet.--Route de Corbeil à Draveil. 24 -- + 28 juillet.--Ligne du P.-L.-M. (Porte de Charenton) 87 -- + Total 221 lignes + Report des 6 précédents bilans. 574 -- + Total 795 lignes + +Jusqu'ici, nous n'avons envisagé le sabotage que comme un moyen de +défense utilisé par le producteur contre le patron. Il peut, en outre, +devenir un moyen de défense du public contre l'État ou les grandes +compagnies. + +L'État--à tout seigneur tout honneur!--en a déjà pâti. On sait avec +quelle désinvolture il exploite les services publics qu'il a englobés. +On sait aussi que les voyageurs du réseau de l'Ouest sont, entre tous, +les plus mal lotis. Aussi, à bien des reprises, un vent de colère a-t-il +passé sur eux et il y a eu alors, en une crise de révolte, fusion des +classes contre l'État maudit. + +Nous avons assisté à un rude sabotage de la gare St-Lazare... mais ce ne +fut qu'un geste d'exaspération impulsif et momentané. + +Or, voici qu'un syndicat de «défense des intérêts des voyageurs» vient, +à fin août dernier, de se constituer et, dès sa naissance, convaincu de +l'inanité des moyens légaux, il a (dans une réunion tenue à Houilles) +affirmé sa volonté de recourir, pour obtenir satisfaction, à tous les +moyens possibles et imaginables et s'est déclaré partisan d'un sabotage +intensif du matériel. + +C'est preuve que le sabotage fait son chemin! + + + + +CHAPITRE V + +L'obstructionnisme + + +L'_obstructionnisme_ est un procédé de sabotage à rebours qui consiste à +appliquer avec un soin méticuleux les règlements, à faire la besogne +dont chacun a charge avec une sage lenteur et un soin exagéré. + +Cette méthode est surtout usitée dans les pays germaniques et une des +premières et importantes applications en a été faite en 1905, en Italie, +par les travailleurs des chemins de fer. + +Il est inutile d'insister pour démontrer qu'en ce qui concerne +spécialement l'exploitation des voies ferrées, les circulaires et les +règlements chevauchent les uns sur les autres; il n'est pas difficile +non plus de concevoir combien leur scrupuleuse et stricte application +peut apporter de désarroi dans le service. + +Le gâchis et la désorganisation furent, en Italie, lors de l'Obstruction +des _Ferrovieri_ fantastiques et formidables. En fait, la circulation +des trains fut presque suspendue. + +L'évocation de ce que fut cette période de résistance passive fera +saisir toute l'ingéniosité de cette tactique de lutte ouvrière. Les +reporters qui vécurent l'_obstruction_ nous en donnèrent des récits qui +ont une saveur que n'aurait pas un exposé théorique. Laissons-leur donc +la parole: + + Le règlement veut qu'on ouvre le guichet pour la distribution des + tickets trente minutes avant l'heure du départ du train et qu'on le + ferme cinq minutes avant. + + On ouvre donc les guichets. La foule se presse et s'impatiente. Un + monsieur offre un billet de 10 francs pour payer un ticket de 4 fr. + 50. L'employé lui lit l'article qui impose aux voyageurs l'obligation + de se présenter avec leur argent, compté jusqu'aux centimes. Qu'il + aille donc faire de la monnaie. L'incident se répète pour huit + voyageurs sur dix. Contre tout usage, mais selon le règlement, on ne + rend pas de monnaie, fût-ce sur un franc. Après vingt-cinq minutes, + une trentaine de personnes à peine ont pris leurs billets. Les autres + arrivent essoufflées, avec leur monnaie. Mais le guichet est fermé, + parce que le délai réglementaire est écoulé. + + Ne croyez pas, toutefois, que ceux qui ont pu prendre leurs billets ne + soient pas à plaindre. Ils ne sont qu'au début de leurs peines. Ils + sont dans le train, mais le train ne part pas. Il doit attendre que + d'autres trains arrivent, d'autres trains qui sont en panne à cinq + cents mètres de la gare. Car, d'après le règlement, on a accompli là + des manoeuvres qui ont déterminé un arrêt interminable. Des voyageurs, + impatientés, sont même descendus pour gagner à pied la gare; mais les + surveillants les ont arrêtés et leur ont dressé procès-verbal. + + D'ailleurs, dans le train qui doit partir, il y a des tuyaux de + chauffage à surveiller, et une inspection minutieuse peut durer + jusqu'à deux heures. Enfin, le train s'ébranle. On pousse un soupir de + soulagement. On croit toucher au but. Illusion! + + A la première gare, le chef de train examine toutes les voitures et + donne les ordres opportuns. On vérifie notamment si toutes les + portières sont bien fermées. On devrait s'arrêter une minute; c'est un + quart d'heure au moins qu'il faut compter... + +Ces incidents, qui se produisirent au premier jour, à Rome et un peu +partout, ne donnent qu'une image, imparfaite encore, de la situation. +Pour les manoeuvres dans les gares et pour la formation des trains de +marchandises, les choses étaient bien plus compliquées. + +Et tout cela entremêlé d'incidents grotesques ou joyeux à faire pâmer +d'aise les mânes de Sapeck. + +A Milan, un train s'était formé péniblement après une heure et demie de +travail. Le surveillant passe et voit, tout au milieu, une de ces +vieilles et horribles voitures que, par avarice, les Compagnies +s'obstinent à faire circuler. «Voiture hors d'usage», prononce-t-il. Et +tout de suite, il faut détacher la voiture et reformer le train. + +A Rome, un chauffeur doit reconduire sa machine au dépôt. Mais il +s'aperçoit que, derrière le tender on n'a pas placé les trois lanternes +réglementaires. Il refuse donc de bouger. On va chercher les lanternes; +mais, au dépôt, on refuse de les livrer, car on réclame un mot écrit du +chef de gare. Cet incident prend une demi-heure. + +Au guichet se présente un voyageur avec un billet à prix réduit. Au +moment de timbrer, l'employé demande: + +--Vous êtes bien M. Untel, dont le nom figure sur le billet? + +--Certainement. + +--Vous avez des papiers constatant votre identité? + +--Non, pas sur moi. + +--Alors, soyez assez bon pour trouver deux témoins qui me garantissent +votre identité... + +Toujours au guichet: un député se présente. + +--Ah! vous êtes l'honorable X...? + +--Parfaitement. + +--Votre médaille? + +--Voici. + +--Veuillez me donner votre signature. + +--Avec plaisir. Un encrier. + +--Je n'en ai malheureusement pas. + +--Alors, comment puis-je signer? + +Et l'employé, placide et imperturbable de répondre: + +--Je crois qu'au buffet... + +Le correspondant d'un grand journal parisien narra, à l'époque, son +burlesque voyage au temps d'obstruction: + + Je me fis conduire à la gare des Termini (à Rome), où j'arrivai juste + à l'heure du départ réglementaire du train de Civita-Vecchia, Gênes, + Turin et Modane. + + Je me présentai au guichet qui était libre. + + --Suis-je encore à temps pour le train de Gênes? demandai-je à + l'employé. + + Celui-ci me regarde un moment d'un air étonné; puis, il me répond avec + flegme, en scandant les syllabes: + + --Certainement, le train de Gênes n'est pas encore parti. + + --Donnez-moi donc un billet d'aller et retour pour Civita-Vecchia, + dis-je en lui passant ma monnaie comptée par avance. + + L'employé prend ma monnaie, observe minutieusement et une à une chaque + pièce, chaque sou; il les palpe, les fait sonner pour les vérifier, le + tout avec une lenteur telle que je lui dis, feignant l'impatience: + + --Mais vous allez me faire manquer mon train! + + --Bah! votre train ne part pas encore... + + --Comment! comment! fis-je. + + --Oui... On dit qu'il y a une petite chose de détraquée dans la + machine. + + --Eh bien! on la changera! + + --_Chi lo sa?..._ + + Je laisse cet homme impassible, et gagne le quai dont la physionomie + est anormale. Plus de ces allées et venues fébriles, de facteurs, + d'employés; ceux-ci sont répartis en petits groupes, parlant posément + entre eux, ce pendant que les voyageurs font les cent pas devant les + portières du train ouvertes. Partout règne le calme d'une petite gare + de province. + + Je m'approche d'une voiture de première classe. Une dizaine de + manoeuvres astiquent les poignées de cuivre, nettoient les vitres, + ouvrent et ferment les portières pour s'assurer qu'elles jouent bien, + époussètent les coussins, éprouvent les robinets d'eau et les boutons + de lumière électrique. Une vraie rage de propreté, fait inouï dans les + chemins de fer italiens! Huit minutes ont passé et la voiture n'est + pas prête encore. + + --_Dio mio!_ s'écrie soudain un des manoeuvres, voilà de la rouille + sur les poignées de cette portière! + + Et il frotte la rouille avec une ardeur sans pareille. + + --Est-ce que vous allez nettoyer ainsi toutes les voitures? lui + dis-je. + + --Toutes! me répond cet homme consciencieux d'une voix grave. Et il y + en a quinze à nettoyer encore! + + Cependant, la locomotive n'est pas encore là . Je m'enquiers. Un + employé complaisant m'assure que le mécanicien est entré au dépôt à + l'heure réglementaire, mais il lui a fallu beaucoup de temps pour + mettre sa machine en état, car il a voulu peser les sacs de charbon, + compter une à une les briques d'aggloméré, enfin, inquiet sur certains + appareils, il a dû prier son chef de service de venir discuter avec + lui,--conformément au règlement! + + J'assiste au dialogue suivant entre un sous-chef de gare et le chef de + train: + + «--Écoutez, dit le sous-chef de gare, vous savez bien que si vous + exigez que le train soit formé suivant les règlements, on ne partira + plus. + + «--Pardon, chef, réplique l'autre avec calme. Il faut d'abord faire + respecter l'article 293 qui exige que les voitures à tampons fixes + alternent entre les voitures à tampons à ressort. Puis, il y a tout le + train à reformer, car aucun des tampons ne coïncide exactement avec + son contraire, comme il est prescrit à l'article 236, lettre A. Les + chaînes de sûreté manquent en partie à certaines voitures qu'il faudra + par conséquent réparer, comme l'exige l'article 326, lettre B. De + plus, la formation du train n'est pas faite comme il est prescrit, + parce que les voitures pour... + + «--Vous avez parfaitement raison, s'écrie le sous-chef de gare. Mais + pour faire tout cela, il faut une journée! + + «--Ce n'est que trop vrai, soupire le chef de train, goguenard. Mais, + que vous importe? Une fois en route, la responsabilité pèse toute sur + moi. J'insiste donc pour que le règlement soit respecté...» + + Finalement un coup de sifflet annonce que la locomotive s'avance, + s'arrêtant longuement à chaque aiguillage pour une longue discussion + entre le mécanicien et l'aiguilleur. En arrivant sur la voie où notre + train l'attend, le mécanicien s'arrête encore une fois avec prudence: + avant d'aller plus loin et d'aborder la tête de son train, il veut + savoir si les freins des voitures sont en bon état, s'il n'y a pas de + lampistes ou d'autres agents sur les toits des wagons... Un accident + est si vite arrivé! Enfin, le mécanicien se déclare satisfait et il + amène sa locomotive à l'amarrage. + + Nous allons partir?... Allons donc! Le manomètre de la machine doit + marquer 5 degrés et il en marque 4. D'habitude, on part quand même et + la pression monte en route. Mais le règlement exige les 5 degrés au + départ et notre mécanicien ne partirait pour rien au monde à 4,9 + dixièmes ce soir. + + Nous finissons par démarrer avec une heure et demie de retard. Nous + sortons de la gare avec une sage lenteur, sifflant à toutes les + aiguilles, longeant six trains en panne à deux kilomètres de Rome et + dont les voyageurs pestent à qui mieux mieux, et... nous voici sous la + coupe des contrôleurs qui passent leur temps à faire signer les + voyageurs munis de permis, de demi-permis et de billets circulaires. + + Cependant, première station. Des voyageurs montent. Les employés + vérifient lentement la fermeture de toutes les portières, qu'ils + ouvrent et ferment. Dix minutes se perdent encore. Malgré tout, le + chef de gare siffle pour le départ. + + --_Momento!_ lui crie le chef de train. _Momento!_ + + --Qu'y a-t-il? demande le chef de gare. + + --Je vais fermer la vitre de ce compartiment, là -bas, comme le + prescrit l'article 676 du règlement. + + Et il le fait comme il l'a dit! + + On repart... A la gare suivante, nouvelle comédie. + + Il y a là des colis à prendre, neuf malles et cinq valises que le chef + de train tient à vérifier avant de les admettre--comme il est prescrit + par l'article 739 du règlement. + + Et nous sommes arrivés enfin à Civita-Vecchia, à minuit 40, avec près + de trois heures de retard, sur un parcours qui, d'ordinaire, se fait + en deux heures... + +Voilà ce qu'est l'_obstructionnisme_: respect et application, poussés +jusqu'à l'absurde, des règlements; accomplissement de la besogne dévolue +avec un soin excessif et une non moins excessive lenteur. + +Ceci exposé, il n'est pas inutile de connaître l'appréciation portée sur +cette tactique de lutte par le Congrès International des Ouvriers du +Transport, qui se tint à Milan, en juin 1906. + +Le rapporteur était un délégué autrichien, le citoyen Tomschick: + + Il est très difficile de dire, déclara-t-il: le Congrès recommande aux + travailleurs des chemins de fer de se mettre en grève ou d'employer la + résistance passive. Par exemple, ce qui est bon et possible en + Autriche, peut être mauvais et impossible à exécuter dans les autres + pays... + + Quant à la résistance passive: Elle est ancienne, elle a été appliquée + déjà en 1895. Les camarades italiens ont employé la résistance passive + bien maladroitement en l'étendant également aux trains de voyageurs. + Ils ont ainsi excité la population et c'était absolument inutile, car + la circulation des voyageurs n'est pas la partie la plus importante du + commerce, elle ne vient qu'en deuxième ligne. Pour les chemins de fer + c'est surtout la circulation des marchandises qui entre en + considération et il faut frapper les chemins de fer par son arrêt. Si + les camarades italiens avaient fait ceci, ils auraient sans doute + obtenu de grands avantages. Plus les marchandises s'accumulent, plus + l'entière circulation est arrêtée et la conséquence en est que les + voyageurs protestent parce qu'ils doivent rester en dehors et attendre + en vain leur transport. Dans ces cas les réclamations des voyageurs ne + s'adresseront pas aux travailleurs des chemins de fer, mais aux + administrations. En Italie on a pu constater le contraire: la + population était contre les travailleurs des chemins de fer. + + Je vous dis que la résistance passive est bien plus difficile à + exécuter que la grève. Lors de la résistance passive les travailleurs + des chemins de fer sont toujours sous le fouet des supérieurs, à + chaque quart d'heure ils doivent se défendre contre toute sorte de + commandements et, à cause du refus de travail, ils peuvent être + congédiés à chaque moment. + + Prenez tous les fonctionnaires: tout au plus dix sur cent savent les + instructions, car les employés ne sont pas instruits par leurs chefs. + Vous pouvez alors vous imaginer combien il est difficile d'éclairer et + d'informer les travailleurs des chemins de fer lors d'une résistance + passive. + + Et puis il y a encore une circonstance importante qu'il ne faut pas + oublier: lors de la résistance passive on surcharge de travail les + hommes indifférents, ils doivent courir continuellement, ils ont peu + de repos et par la perte de la rémunération kilométrique ils ont en + même temps une diminution de leur gain. C'est pourquoi, nous y + insistons encore une fois, l'exécution de la résistance passive n'est + point une tâche facile... + +Le Congrès ne désapprouva d'ailleurs pas l'Obstruction: il ne se +prononça pas entre les deux moyens,--la résistance passive et la +grève,--laissant aux intéressés le soin d'user de l'une ou de l'autre, +selon qu'ils le jugeraient préférable. + +Ces réserves du Congrès, au sujet de la résistance passive en étaient si +peu une condamnation que, l'année suivante, en octobre 1907, les +cheminots autrichiens avaient recours à ce moyen de lutte: l'obstruction +se continua durant une quinzaine de jours et les compagnies furent +obligées de capituler. + +Depuis, en maintes circonstances, l'obstructionnisme a été pratiqué dans +les pays autrichiens: entre autres corporations qui y ont eu recours, +citons celles des employés des postes et des typographes. + +Ajoutons, avant de conclure, que ce procédé de lutte a acquis droit de +cité en Allemagne: à l'approche du jour de l'an 1908 les employés des +grandes maisons d'édition de Liepzig ont usé de ce sabotage à rebours +qu'est l'Obstructionnisme. Un journal corporatif exposa les faits comme +suit: + + Ces employés qui, malgré la cherté des vivres, devaient travailler à + des conditions excessivement précaires, avaient soumis un projet de + tarif aux patrons demandant un minimum de salaire de 110 marks par + mois. Les patrons comptant sur le manque d'union des employés (il + existe 5 syndicats différents, dont 1 socialiste), auraient bien voulu + traîner les pourparlers en longueur pour arriver à la morte-saison et + ainsi pouvoir faire fi des revendications ouvrières. Mais ils avaient + compté sans la vigilance du Syndicat socialiste qui convoqua tous les + employés à une réunion, où il fut décidé d'adopter le sabotage pour + forcer les patrons à donner une solution. Le lendemain, les employés + entrèrent dans la résistance passive, c'est-à -dire qu'ils + travaillèrent consciencieusement, _sans trop se presser_, recomptèrent + plusieurs fois les factures avant de les expédier, mettant le plus + grand soin aux emballages, etc., et le résultat fut que quantité de + ballots de livres ne purent être expédiés. Les patrons, voyant les + choses tourner de cette façon, accordèrent dès le lendemain + l'augmentation demandée. + +Il nous reste à observer que si l'Obstructionnisme a fait ses preuves en +Allemagne, il n'a pas encore,--sauf erreur,--été pratiqué en France. +Cependant, il n'est pas improbable qu'il s'y acclimate... il n'est +besoin pour cela que de l'occasion, de circonstances propices. + + + + +Conclusions + + +Ainsi que nous venons de le constater par l'examen des modalités du +sabotage ouvrier, sous quelque forme et à quelque moment qu'il se +manifeste, sa caractéristique est,--toujours et toujours!--de viser le +patronat à la caisse. + +Contre ce sabotage, qui ne s'attaque qu'aux moyens d'exploitation, aux +choses inertes et sans vie, la bourgeoisie n'a pas assez de +malédictions. + +Par contre, les détracteurs du sabotage ouvrier ne s'indignent pas d'un +autre sabotage,--véritablement criminel, monstrueux et abominable on ne +peut plus, celui-là ,--qui est l'essence même de la société capitaliste; + +Ils ne s'émeuvent pas de ce sabotage qui, non content de détrousser ses +victimes, leur arrache la santé, s'attaque aux sources même de la vie... +à tout! + +Il y a à cette impassibilité une raison majeure: c'est que, de ce +sabotage-là , ils sont les bénéficiaires! + +Saboteurs, les commerçants qui, en tripatouillant le lait, aliment des +tout petits, fauchent en herbe les générations qui poussent; + +Saboteurs, les fariniers et les boulangers qui additionnent les farines +de talc ou autres produits nocifs, adultérant ainsi le pain, nourriture +de première nécessité; + +Saboteurs, les fabricants de chocolats à l'huile de palme ou de coco; de +grains de café à l'amidon, à la chicorée et aux glands; de poivre à la +coque d'amandes ou aux grignons d'olives; de confitures à la glucose; de +gâteaux à la vaseline; de miel à l'amidon et à la pulpe de châtaignes; +de vinaigre à l'acide sulfurique; de fromages à la craie ou à la fécule; +de bière aux feuilles de buis, etc., etc. + +Saboteurs, les trafiquants, ô combien patriotes!--plus et mieux que +Bazaine,--qui, en 1870-71, contribuèrent au sabotage de leur patrie en +livrant aux soldats des godillots aux semelles de carton et des +cartouches à la poudre de charbon; saboteurs, également, leurs rejetons +qui, entrés dans la carrière paternelle avec au coeur le traditionnel +bonnet à poil, construisent les chaudières explosives des grands +cuirassés, les coques fêlées des sous-marins, fournissent l'armée de +«singe» pourri, de viandes avariées ou tuberculeuses, de pain au talc ou +aux féveroles, etc.[6] + + [6] Autre et récent exemple de sabotage capitaliste: + + Lors du Circuit de l'Est, il fut fait grand tapage, sous prétexte de + sabotage d'aéroplanes. Il est superflu de décharger les + révolutionnaires d'un tel crime. Ils ont en trop haute estime cette + invention merveilleuse pour avoir songé à saboter un aéroplane... + fût-il piloté par un officier. + + Après enquête, il a été reconnu que le seul et unique saboteur des + aéroplanes était un _honnête commerçant_... et patriote, comment + donc! + + On avait commandé à ce mercanti de l'huile de ricin de première + qualité (utilisée pour le graissage des moteurs) et il livra, en + remplacement, du sulforicinate d'ammoniaque, produit inférieur et + nocif qu'il vendit au taux de l'huile de ricin. + + Sous l'action de la chaleur développée par la rotation excessivement + rapide du moteur, le sulforicinate d'ammoniaque se dissocia et il se + forma de l'acide sulfurique dont l'action corrosive fut désastreuse + pour les organes métalliques qu'au lieu de graisser il détériora et + immobilisa. + + Ce sabotage capitaliste eût pu causer la mort des aviateurs + Legagneux et le lieutenant Aquaviva... + +Saboteurs, les entrepreneurs de bâtisses, les constructeurs de voies +ferrées, les fabricants de meubles, les marchands d'engrais chimiques, +les industriels de tous poils et de toutes les catégories... + +Tous saboteurs! tous, sans exceptions!... car, tous, en effet, truquent, +bouzillent, falsifient, le plus qu'ils peuvent. + +Le sabotage est partout et en tout: dans l'industrie, dans le commerce, +dans l'agriculture... partout! partout! + +Or, ce sabotage capitaliste qui imprègne la société actuelle, qui +constitue l'élément dans lequel elle baigne,--comme nous baignons dans +l'oxygène de l'air,--ce sabotage qui ne disparaîtra qu'avec elle, est +bien autrement condamnable que le sabotage ouvrier. + +Celui-ci,--il faut y insister!--ne s'en prend qu'au capital, au +coffre-fort, tandis que l'autre s'attaque à la vie humaine, ruine la +santé, peuple les hôpitaux et les cimetières. + +Des blessures que fait le sabotage ouvrier ne gicle que l'or; de celles +produites par le sabotage capitaliste, au contraire, le sang coule à +flots. + +Le sabotage ouvrier s'inspire de principes généreux et altruistes: il +est un moyen de défense et de protection contre les exactions +patronales; il est l'arme du déshérité qui bataille pour son existence +et celle de sa famille; il vise à améliorer les conditions sociales des +foules ouvrières et à les libérer de l'exploitation qui les étreint et +les écrase... Il est un ferment de vie rayonnante et meilleure. + +Le sabotage capitaliste, lui, n'est qu'un moyen d'exploitation +intensifiée; il ne condense que les appétits effrénés et jamais repus; +il est l'expression d'une répugnante rapacité, d'une insatiable soif de +richesses qui ne recule pas devant le crime pour se satisfaire... Loin +d'engendrer la vie, il ne sème autour de lui que ruines, deuil et mort. + + +IMP. COOPÉRATIVE OUVRIÈRE, VILLENEUVE-St-GEORGES + + + + +SCIENCES SOCIALES + +_EXTRAIT DU CATALOGUE_ + +de la Librairie Marcel RIVIÈRE et Cie + +COLLECTION + +"Les Documents du Socialisme" + +PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE + +Albert THOMAS, Député de la Seine + +Chaque volume in-18 de 72 ou 80 pages: 0 fr. 75 + +Cette bibliothèque fournira aux militants des études précises, simples, +mais nourries de faits sur les différents mouvements économiques et +sociaux (coopération, socialisme, mutualité, municipalisme), sur +l'histoire du socialisme, sur le développement capitaliste. Des +traductions, des rééditions de textes fameux et difficiles à trouver, +des publications statistiques alterneront avec les études originales. +Rapidement les «Documents du socialisme» formeront une collection +indispensable à tout socialiste, à tout homme de science. + +_VOLUMES PARUS:_ + +I. L'Unité coopérative, par Eugène FOURNIÈRE, 1910. + +II. La Civilisation socialiste, par Ch. ANDLER, 1910. + +III. Le Socialisme et la concentration industrielle, par Hubert BOURGIN. + +_À PARAÃŽTRE:_ + +Le monopole des assurances, par Et. BUISSON. + +L'Internationale, par Georges BOURGIN. + + +BIBLIOTHÈQUE + +DU + +MOUVEMENT PROLÉTARIEN + +Chaque volume in-16, de 64 pages au moins: 0 fr. 60 + +Par son format commode et son prix minime, cette collection s'adresse à +ceux qui, dans tous les milieux, sont attentifs au mouvement social de +leur temps et, spécialement, à cette partie du public qui n'a pas la +possibilité d'aborder les gros travaux et de rechercher les articles +spéciaux publiés sur ces questions. + +Elle comprend des études descriptives, historiques, documentaires, +théoriques, critiques, biographiques, etc. + +_VOLUMES PARUS:_ + +I. Syndicalisme et Socialisme, conférence internationale, par V. +GRIFFUELHES, B. KRITCHEWSKY. A. LABRIOLA, HUBERT LAGARDELLE et ROBERT +MICHELS. + +II. La Confédération Générale du Travail, 2e édition, 1910, par E. +POUGET. + +III. La Décomposition du Marxisme, 2e édition, 1910, par Georges SOREL. + +IV. L'Action syndicaliste, par VICTOR GRIFFUELHES. + +V. Le Parti socialiste et la Confédération du travail, discussion par +JULES GUESDE, HUBERT LAGARDELLE et EDOUARD VAILLANT. + +VI. Les nouveaux aspects du Socialisme, par ED. BERTH. + +VII. Les Instituteurs et le Syndicalisme, par M. T. LAURIN. + +VIII. La Révolution dreyfusienne, par G. SOREL. + +IX. Les Bourses du Travail, par P. DELESALLE. + +X. Voyage révolutionnaire, par V. GRIFFUELHES. + +XI. Les Objectifs de nos luttes de classes, par V. GRIFFUELHES et LOUIS +NIEL, préface de GEORGES SOREL. + +XII. Le Mouvement ouvrier en Italie, par LANZILLO. + +XIII. Le Sabotage, par Em. POUGET. + + +COLLECTION + +"Systèmes et Faits sociaux" + +La Philosophie sociale de Renouvier, par ROGER PICARD, 1 vol. in-8 de +344 pages, br. 7 fr. 50 + +La Richesse de la France. Fortune et revenus privés, par H. DE LAVERGNE +et PAUL HENRY, 1 vol. in-8 de 216 pages, br. 6 fr. + +Race et Milieu social. Essais d'Anthroposociologie, par VACHER DE +LAPOUGE, 1910, 1 vol. in-8 de 393 pages, br. 8 fr. + +La Protection de la Maternité, par J. MORNET, 1910, 1 vol. in-8, br. 6 +fr. + +Le Programme socialiste, par KAUTSKY. Traduction RÉMY, 1910, 1 vol. +in-8, br. 6 fr. + +Le Chômage: causes, conséquences, remèdes, par H. DE LAVERGNE et P. +HENRY, 1910, 1 vol. in-8, br. 8 fr. + +Les Cahiers de 1789 et les classes ouvrières, par ROGER PICARD, 1 vol. +in-8, 1910. 6 fr. + +Le travail à domicile: ses misères, ses remèdes, par G. MÉNY, 1 vol. +in-8, 1910. 8 fr. + +La fin de l'esclavage dans l'antiquité, par CICCOTTI, traduit par G. +PLATON, 1910, 1 vol. in-8, br. 10 fr. + +Introduction à la Sociologie, par G. DE GREEF, prof. à l'Université +nouvelle de Bruxelles, 2e édit., 1911, 2 vol. in-8. 12 fr. + + +COLLECTION + +"Études sur le Devenir social" + +I. Les illusions du progrès, par GEORGES SOREL, 2e édition augmentée, 1 +vol. in-16. 3 fr. 50 + +II. Dialogues socialistes, par ED. BERTH, 1 vol. in-16. 3 fr. 50 + +III. Karl Marx: l'économiste, le socialiste, par A. LABRIOLA, traduit +par BERTH. Préface de GEORGES SOREL, 1 vol. in-16. 4 fr. + +IV. Réflexions sur la violence, par GEORGES SOREL, 2e édition, 1910, 1 +vol. in-16. 5 fr. + +V. Le Mythe vertuiste et la Littérature immorale, par VILFREDO PARETO, +prof. d'économie politique, 1 vol. in-16. 3 fr. + +VI. L'Interprétation économique de l'Histoire, par E. SELIGMAN, traduit +par H.-E. BARRAULT. Préface de GEORGES SOREL, 1 vol. in-16. 3 fr. + + +BIBLIOTHÈQUE + +DES + +Sciences économiques et sociales + +La journée de huit heures, par MARCEL LECOQ, _docteur en droit ès +sciences économiques_, 1 vol. in-16, de 224 pages. 2 fr. + +L'Avenir économique du Japon, par ACHILLE VIALATTE, _professeur à +l'Ecole des Sciences politiques_, 1 vol. in-16. 2 fr. + +Cours d'économie politique, professé au Collège libre des Sciences +Sociales, par PAUL GHIO.--Tome I. _Les Origines_, 1 vol. in-16. 2 fr. + +Le Commerce international, par G. LECARPENTIER, _Avocat à la Cour +d'appel, diplômé de l'Ecole des Sciences politiques_, 1 vol. in-16. 2 +fr. + +Les Employés et leurs Corporations. Étude sur leur fonction économique +et sociale, par E. DELIVET, _lauréat de la Société d'Économie politique +de Paris_, 1 vol. in-16. 2 fr. + +Le Compagnonnage, son histoire, ses mystères, par J. CONNAY, Préface de +L. et M. BONNEFF, 1 vol. in-16. 2 fr. + +Coopération et Socialisme en Angleterre, par BARRAULT et M. ALFASSA. +Préface de CH. GIDE, 1 vol. in-16. 2 fr. + +Commerce maritime et Marine marchande, par G. LECARPENTIER, 1 vol. +in-16. 2 fr. + +La formation du prix des denrées, par A. DULAC (ouvrage couronné par la +Société des agriculteurs de France), 1 vol. in-16. 2 fr. + +La Démocratie sociale devant les idées actuelles, par ET. ANTONELLI, +_professeur au Collège libre des Sciences sociales_. Préface de PAUL +BONCOUR, 1 vol. in-16. 2 fr. + + +Ouvrages divers + +Allard.--_Esclaves, Serfs et Mainmortables_, n. éd. 4 fr. + +Bernstein (Ed.).--_La Grève et le lock-out en Allemagne. Leurs forces, +leur droit, leurs résultats_. Conférence à l'Université nouv. de +Bruxelles, 1908, gr. in-8. 2 fr. 50 + +Bernstein, Hueber, Keir Hardie, G.-S. Middleton, A. Octors, M. Olsen, A. +Quist, F. Thies, E. Vandervelde.--_Syndicats et Parti; les expériences +étrangères_, br., in-8. 0 fr. 30 + +Beuchat et Hollebecque.--_Les religions_. Étude historique et +sociologique du phénomène religieux, 1 vol. in-16, illust. 2 fr. 50 + +Colin (P.).--_Aperçus sur le vagabondage, effets, causes, remèdes_, +1907, 1 vol. in-16, br. 1 fr. 50 + +_1er Congrès de l'Enseignement des Sciences sociales_. Compte rendu des +séances et texte des mémoires de Gide, Waxweiler, G. Renard, Niceforo, +F. Simiand, Hauser, Deherme, 1901, 1 vol. in-8. 5 fr. + +_Ve Congrès national des Syndicats et Groupes corporatifs ouvriers de +France_, tenu à Marseille, du 19 au 22 octobre 1892. Compte rendu, 1 +vol. in-8. 1 fr. 50 + +Delmer.--_Enquête anglaise sur la journée de huit heures_, 1907, in-8, +br. 2 fr. + +Draghiscesco (D.), membre de la Société de Sociologie.--_Le Problème du +Déterminisme social_, 1903, in-8, br. 2 fr. 50 + +Fesch (P.).--_L'année sociale économique_, 1907, 1 vol. in-8, broché. 7 +fr. 50 + +--_L'année sociale économique_, 1908, 1 vol. in-8, br. 7 fr. 50 + +Fournier de Flaix (E.).--_La Statistique des religions_, 1890, in-8 de +54 p. 1 fr. 50 + +Fromont.--_Une expérience industrielle de réduction de la journée de +travail_, 1 vol. in-16, cart. toile. 3 fr. + +Gailhard-Bancel, député.--_Les retraites ouvrières, l'Assistance aux +vieillards et aux infirmes_. Introduction et notes de M. J. Dusart, +préface du comte de Mun, député, 1906, 1 vol. in-12, broché. 3 fr. + +Goineau (A.).--_Les retraites ouvrières et paysannes. Loi du 5 avril +1910 annotée et commentée avec le calcul des pensions auxquelles les +intéressés auront droit_, 1 vol. in-16, 1910. 1 fr. + +Goulut.--_Le Socialisme au pouvoir_, 1910, 1 vol. in-16. 3 fr. 50 + +Heberlin-Darcy.--_Esquisse d'une société collectiviste_. Étude +sociologique, préface d'Anatole France, 1908, br. in-8. 0 fr. 50 + +Kurnatowski (G.).--_Esquisse d'évolution solidariste_, 1 vol. in-8, br. +2 fr. 50 + +Lagardelle.--_La Grève générale et le Socialisme_, enquête +internationale, opinions et documents, 1905, 1 vol. in-18 de 424 p. 3 +fr. 50 + +Niel (L.), ex-secrétaire de la C. G. T.--_Deux Principes de vie +sociale_. La lutte pour la vie. L'entente pour la vie. 1909, 1 vol. +in-12, br. 0 fr. 75 + +Poidvin (A.).--_Guide pratique en matière d'accidents du travail_ à +l'usage des patrons, employés et ouvriers, 1 vol. in-16, br., de 216 p. +2 fr. + +Saint-Cyr (Ch. de).--_La Haute-Italie politique et sociale_, 1908, 1 +vol. in-12 3 fr. + +Saint-Georges d'Armstrong (Baron Th. de).--_Concorde internationale_, +avec commentaires et détails. Lettres écrites aux puissances et voeux +déposés au Congrès permanent de l'Humanité dans les années 1900 à 1906, +1907, 1 vol. gr. in-8. 4 fr. + +Séverac (G.).--_Guide pratique des Syndicats professionnels_, 1908, 1 +vol. in-12, br. 2 fr. + +Sorel (G.).--_Introduction à l'Économie moderne_, 1 volume in-16 5 fr. + +--_Le système historique de Renan_, in-8. 12 fr. + +--_La ruine du monde antique_, in-16. 3 fr. 50 + +Valmor (G.).--_La loi du nombre_, notre principe de gouvernement, 1908, +1 vol. in-16. 1 fr. 50 + +--_Les problèmes de la colonisation_. 3 fr. 50 + +Vandervelde (E.).--_Le sort des campagnes s'améliore-t-il? Un village +brabançon en 1833. Ce qu'il est devenu_. 1 vol. gr. in-8, broché. 2 fr. + +--_Essais sur la question agraire en Belgique_, 1903, 1 vol. in-12 de +210 p. 2 fr. 50 + +Vitali.--_La question des retraites ouvrières devant le Parlement +français_, 1906, 1 vol. in-8, br., 298 p. 5 fr. + +Waxweiller (E.).--_Esquisse d'une Sociologie_. 1 vol. in-4 carré, cart. +toile. 12 fr. + +--_L'Évolution de l'idée d'association des salaires aux profits_, 1909, +brochure gr. in-8. 1 fr. + +Weber (A.).--_A travers la Mutualité_. Étude critique sur les Sociétés +de secours mutuels, 1908, 1 vol. in-8. 5 fr. + + +Publication des Lois ouvrières + +Accidents du Travail.--Loi du 9 avril 1898, modifiée par les lois du 22 +mars 1902 et du 31 mars 1905. Loi du 30 juin 1899, accidents agricoles. +Loi du 16 avril 1906, exploitations commerciales. Décrets +d'administration publique. 1 brochure in-8 de 40 pages. 0 fr. 50 + +Accidents du Travail.--Arrêté du 30 septembre 1905, fixant le tarif des +frais médicaux et pharmaceutiques en matières d'accidents du travail. 1 +brochure in-8. 0 fr. 75 + +Assistance aux Vieillards.--Instruction du 16 avril 1906 suivie de la +loi du 14 juillet 1905. Décret du 14 avril 1906 et annexes. 1 brochure +in-8. 1 fr. 75 + +Bien de famille insaisissable.--Loi du 12 juillet 1909. Décret du 26 +mars 1910 et circulaire, annotés et commentés par PRANARD et MANGOT, +avec formules, 1 vol. in-16. 1 fr. 50 + +Bureaux de placement.--Loi du 14 mars 1904 relative au placement des +ouvriers et employés des deux sexes et de toutes professions. 1 brochure +in-8. 0 fr. 50 + +Caisses d'épargne.--Histoire et Législation, par CHEVAUCHEZ, rédacteur +au Sous-Secrétariat des Postes. In-8 br. 1 fr. 50 + +Caisses de secours contre le chômage.--Décret du 9 septembre 1905, +précédé d'un rapport du Ministre du Commerce et du Ministre des +Finances. 1 brochure in-8. 0 fr. 50 + +Conseils de prud'hommes.--Loi du 27 mars 1907, complétée des textes et +articles des codes mis en vigueur par la présente loi. 1 brochure in-8 +de 32 pages. 0 fr. 50 + +Contrat d'association.--Loi du 1er juillet 1901, modifiée par celles des +4 décembre 1902 et 17 juillet 1903, suivie des décrets des 16 août 1901, +28 novembre 1902, 14 février 1905, et circulaire ministérielle. 1 +brochure in-8 de 46 pages. 0 fr. 50 + +Distributions d'énergie électrique.--Loi du 15 juin 1906, suivie de +celle du 25 juin 1895, brochure in-8. 0 fr. 50 + +Habitations à bon marché et petite propriété.--Loi du 12 avril 1906 et +du 10 avril 1908. 1 brochure in-8. 0 fr. 50 + +Hygiène du Travail.--Lois des 12 juin 1893 et 11 juillet 1903 et décrets +des 29 novembre 1904 et 6 août 1905, suivis des Décrets sur l'emploi de +la céruse, couchage du personnel, ateliers de blanchissage. 1 brochure +in-8 de 30 pages. 0 fr. 50 + +Justice de paix.--Lois des 12 et 13 juillet 1905. 1 brochure in-8. 0 fr. +50 + +Législation électorale.--Lois et décrets concernant les élections des +conseillers municipaux, conseillers généraux, députés, sénateurs, suivis +des lois constitutionnelles, petit volume in-8, broché. 1 fr. 50 + +Liberté de Réunion.--Loi du 30 juin 1881, modifiée par celle du 28 mars +1907 et annotée des textes des 16-24 août 1790, 19-22 juillet 1791, 18 +juillet 1837, 28 juillet 1848, 9 décembre 1905, art. 25-26. Décret du 16 +mars 1906, art. 49. 1 brochure in-8. 0 fr. 50 + +Organisation municipale.--Loi du 5 avril 1884 modifiée par celles des 4 +et 25 février 1901, 7 avril 1902, 8 janvier 1905, 9 décembre 1905 et +complétée par la loi du 22 mars 1890 sur les Syndicats des communes. 1 +brochure in-8 de 48 p. 0 fr. 50 + +Recrutement de l'armée.--Loi du 21 mars 1905, réduisant à deux ans la +durée du service militaire. 1 brochure in-8 de 68 pages. 0 fr. 50 + +Repos hebdomadaire.--Loi du 13 juillet 1906 et Décrets d'administration +publique du 24 août 1906, 13 juillet 1907, 14 août 1907. 1 brochure +in-8. 0 fr. 50 + +Retraites ouvrières et paysannes.--Loi du 5 avril 1910, 1 brochure in-8. +0 fr. 50 + +Sociétés d'assurances sur la vie.--Loi du 17 mars 1905, décrets des 30 +janvier, 12 mai, 9, 22, 25 juin 1906, notice relative à l'enregistrement +et arrêtés de juillet 1907 et modèles d'états à produire. 1 vol. in-8 de +104 pages. 2 fr. + +Sociétés civiles et commerciales.--Loi du 24 juillet 1867, modifiée et +complétée par celles des 1er août 1893 et 16 novembre 1903, suivie des +lois des 29 juin 1872, 1er décembre 1875, et décrets des 9 décembre 1872 +et 10 août 1896 sur le timbre des sociétés. 1 brochure in-8 de 36 pages. +0 fr. 50 + +Sociétés de secours mutuels.--Loi du 1er avril 1898, modifiée et +complétée par celles des 31 mars 1903 et 2 juillet 1904, suivie du +décret du 25 mars 1901. 1 brochure in-8. 0 fr. 50 + +Syndicats professionnels.--Loi du 21 mars 1884, circulaire ministérielle +du 25 août 1884. 1 brochure in-8. 0 fr. 50 + + * * * * * + +Indépendamment des Lois mentionnées ci-dessus et éditées par nos soins, +la librairie peut fournir par fascicules séparés du _Bulletin des Lois_ +toutes celles promulguées depuis 1794. + + +Imp. coop. ouvr. Villeneuve-St-Georges. + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Le Sabotage, by Émile Pouget + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57766 *** diff --git a/57766-8.txt b/57766-8.txt deleted file mode 100644 index 5a2a4fc..0000000 --- a/57766-8.txt +++ /dev/null @@ -1,3126 +0,0 @@ -The Project Gutenberg EBook of Le Sabotage, by Émile Pouget - -This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and -most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions -whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms -of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll -have to check the laws of the country where you are located before using -this ebook. - - - -Title: Le Sabotage - -Author: Émile Pouget - -Release Date: August 25, 2018 [EBook #57766] - -Language: French - -Character set encoding: ISO-8859-1 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE SABOTAGE *** - - - - -Produced by Laurent Vogel (This file was produced from -images generously made available by the Bibliothèque -nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - - - - - - - - - - BIBLIOTHÈQUE - du - MOUVEMENT PROLÉTARIEN - - XIII - - ÉMILE POUGET - - Le Sabotage - - [Marque d'imprimeur: M R] - - PARIS - LIBRAIRIE DES SCIENCES POLITIQUES & SOCIALES - MARCEL RIVIÈRE ET Cie - _31, rue Jacob_ - - - - -BIBLIOTHÈQUE - -DU - -MOUVEMENT PROLÉTARIEN - -(Ancienne Bibliothèque du Mouvement Socialiste) - -Chaque volume, 0 fr. 60 - -I. _Syndicalisme et Socialisme_, conférence internationale, par V. -GRIFFUELHES, B. KRITCHEWSKY, A. LABRIOLA, Hubert LAGARDELLE et Robert -MICHELS. - -II. _La Confédération Générale du Travail_, par E. POUGET. - -III. _La Décomposition du Marxisme_, par Georges SOREL, 2e édition, -1910. - -IV. _L'Action syndicaliste_, par Victor GRIFFUELHES. - -V. _Le Parti socialiste et la Confédération du travail_, discussion par -Jules GUESDE, Hubert LAGARDELLE et Edouard VAILLANT. - -VI. _Les nouveaux aspects du Socialisme_, par Ed. BERTH. - -VII. _Les Instituteurs et le Syndicalisme_, par M. T. LAURIN. - -VIII. _La Révolution dreyfusienne_, par G. SOREL. - -IX. _Les Bourses du Travail et la C. G. T._, par P. DELESALLE. - -X. _Voyage révolutionnaire_, Impressions d'un propagandiste, par V. -GRIFFUELHES. - -XI. _Les Objectifs de nos luttes de classes_, par Victor GRIFFUELHES et -Louis NIEL, préface de G. SOREL. - -XII. _Le Mouvement ouvrier en Italie_, par A. LANZILLO, traduit par S. -PIRODDI. - -XIII. _Le Sabotage_, par Emile POUGET. - - -Georges SOREL - -Réflexions sur la violence - -_Deuxième Édition_ - -1 volume in-16 broché, 5 fr. - -Imprimerie Coopérative Ouvrière--Villeneuve-St-Georges (S.-et-O.) - - - - -BIBLIOTHÈQUE - -DU - -MOUVEMENT PROLÉTARIEN - - -Cette collection avait été commencée sous le titre de Bibliothèque du -Mouvement Socialiste parce qu'on avait voulu en faire le complément de -la revue du même nom. - -Cette revue n'étant plus publiée par notre maison, nous avons cru bon de -donner un nouveau titre à la Bibliothèque pour bien marquer que nous -entendons lui conserver l'orientation qu'elle a eue à son origine. - -La Bibliothèque du Mouvement Prolétarien paraît en volumes d'au moins 64 -pages, du prix de 0 fr. 60. Elle comprend des études descriptives, -historiques, documentaires, théoriques, critiques et biographiques. - -Par son format commode et son prix minime, elle s'adresse surtout à ceux -qui n'ont pas la possibilité d'aborder les études particulières sur le -mouvement social. - - - - -TABLE DES MATIÈRES - - -CHAPITRE PREMIER.--Quelques jalons historiques. 3 - -CHAPITRE II.--La «marchandise» travail 22 - -CHAPITRE III.--Morale de Classe 27 - -CHAPITRE IV.--Les procédés de Sabotage 32 - -CHAPITRE V.--L'Obstructionnisme 55 - -CONCLUSIONS 65 - - - - -CHAPITRE PREMIER - -Quelques jalons historiques - - -Le mot «sabotage» n'était, il y a encore une quinzaine d'années, qu'un -terme argotique, signifiant non l'acte de fabriquer des sabots, mais -celui, imagé et expressif, de travail exécuté «comme à coups de sabots.» - -Depuis, il s'est métamorphosé en une formule de combat social et c'est -au Congrès Confédéral de Toulouse, en 1897, qu'il a reçu le baptême -syndical. - -Le nouveau venu ne fut pas, dès l'abord, accueilli par tous, dans les -milieux ouvriers, avec un chaleureux enthousiasme. Certains le virent -d'assez mauvais oeil, lui reprochant ses origines roturières, -anarchiques et aussi son... immoralité. - -Malgré cette suspicion, qui ressemblait presqu'à de l'hostilité, le -sabotage a fait son chemin... dans tous les mondes. - -Il a désormais les sympathies ouvrières. Et ce n'est pas tout. Il a -conquis droit de cité au Larousse, et nul doute que l'Académie,--à moins -qu'elle n'ait été _sabotée_ elle-même avant d'être parvenue à la lettre -S de son dictionnaire,--ne se résolve à tirer au mot «sabotage» sa plus -cérémonieuse révérence et à lui ouvrir les pages de son officiel -recueil. - -On aurait cependant tort de croire que la classe ouvrière a attendu, -pour pratiquer le sabotage, que ce mode de lutte ait reçu la -consécration des Congrès corporatifs. Il en est de lui comme de toutes -les formes de révolte, il est aussi vieux que l'exploitation humaine. - -Dès qu'un homme a eu la criminelle ingéniosité de tirer profit du -travail de son semblable, de ce jour, l'exploité a, d'instinct, cherché -à donner moins que n'exigeait son patron. - -Ce faisant, avec tout autant d'inconscience qu'en mettait M. Jourdain à -faire de la prose, cet exploité a fait du sabotage, manifestant ainsi, -sans le savoir, l'antagonisme irréductible qui dresse l'un contre -l'autre, le capital et le travail. - -Cette conséquence inéluctable du conflit permanent qui divise la -société, il y a trois quarts de siècle, le génial Balzac la mettait en -lumière. Dans _La Maison Nucingen_, à propos des sanglantes émeutes de -Lyon, en 1831, il nous a donné une nette et incisive définition du -sabotage: - - Voici,--explique Balzac.--On a beaucoup parlé des affaires de Lyon, de - la république canonnée dans les rues, personne n'a dit la vérité. La - république s'était emparée de l'émeute, comme un insurgé s'empare du - fusil. La vérité, je vous la donne pour drôle et profonde. - - Le commerce de Lyon est un commerce sans âme, qui ne fait pas - fabriquer une aune de soie sans qu'elle soit commandée et que le - paiement soit sûr. Quand la commande s'arrête, l'ouvrier meurt de - faim, il gagne à peine de quoi vivre en travaillant, les forçats sont - plus heureux que lui. - - Après la révolution de juillet, la misère est arrivée à ce point que - les CANUTS ont arboré le drapeau: _Du pain ou la mort!_ une de ces - proclamations que le gouvernement aurait dû étudier. Elle était - produite par la cherté de la vie à Lyon. Lyon veut bâtir des théâtres - et devenir une capitale, de là des octrois insensés. Les républicains - ont flairé cette révolte à propos du pain, et ils ont organisé les - CANUTS qui se sont battus en partie double. Lyon a eu ses trois jours, - mais tout est rentré dans l'ordre, et le canut dans son taudis. - - Le canut, probe jusque là, rendant en étoffe la soie qu'on lui pesait - en bottes, a mis la probité à la porte en songeant que les négociants - le victimaient, et a mis de l'huile à ses doigts: il a rendu poids - pour poids, mais il a vendu la soie représentée par l'huile, et le - commerce des soieries a été infesté d'_étoffes graissées_, ce qui - aurait pu entraîner la perte de Lyon et celle d'une branche du - commerce français... Les troubles ont donc produit les «gros de - Naples» à quarante sous l'aune... - -Balzac a soin de souligner que le sabotage des canuts fut une -représaille de victimes. En vendant la «gratte» que, dans le tissage ils -avaient remplacée par l'huile, ils se vengeaient des fabricants -féroces,... de ces fabricants qui avaient promis aux ouvriers de la -Croix-Rousse de leur donner des baïonnettes à manger, au lieu de pain... -et qui ne tinrent que trop promesse! - -Mais, peut-il se présenter un cas où le sabotage ne soit pas une -représaille? Est-ce qu'en effet, à l'origine de tout acte de sabotage, -par conséquent le précédant, ne se révèle pas l'acte d'exploitation? - -Or, celui-ci, dans quelques conditions particulières qu'il se manifeste, -n'engendre-t-il pas,--et ne légitime-t-il pas aussi,--tous les gestes de -révolte, quels qu'ils soient? - -Ceci nous ramène donc à notre affirmation première: le sabotage est -aussi vieux que l'exploitation humaine! - -Il n'est d'ailleurs pas circonscrit aux frontières de chez nous. En -effet, dans son actuelle formulation théorique, il est une importation -anglaise. - -Le sabotage est connu et pratiqué outre Manche depuis longtemps, sous le -nom de _Ca'Canny_ ou _Go Canny_, mot de patois écossais dont la -traduction à peu près exacte qu'on en puisse donner est: «Ne vous foulez -pas.» - -Un exemple de la puissance persuasive du _Go Canny_ nous est donné par -le Musée Social[1]: - - [1] Circulaire nº 9, 1896. - - En 1889, une grève avait éclaté à Glasgow. Les dockers unionistes - avaient demandé une augmentation de salaire de 10 centimes par heure. - Les employeurs avaient refusé et fait venir à grands frais, pour les - remplacer, un nombre considérable de travailleurs agricoles. Les - dockers durent s'avouer vaincus, et ils consentirent à travailler aux - mêmes prix qu'auparavant, à condition qu'on renverrait les ouvriers - agricoles. Au moment où ils allaient reprendre le travail, leur - secrétaire général les rassembla et leur dit: - - «Vous allez revenir travailler aujourd'hui aux anciens prix. Les - employeurs ont dit et répété qu'ils étaient enchantés des services des - ouvriers agricoles qui nous ont remplacés pendant quelques semaines. - Nous, nous les avons vus; nous avons vu qu'ils ne savaient même pas - marcher sur un navire, qu'ils laissaient choir la moitié des - marchandises qu'ils portaient, bref que deux d'entre eux ne - parvenaient pas à faire l'ouvrage d'un de nous. Cependant, les - employeurs se déclarent enchantés du travail de ces gens-là; il n'y a - donc qu'à leur en fournir du pareil et à pratiquer le _Ca' Canny_. - Travaillez comme travaillaient les ouvriers agricoles. Seulement, il - leur arrivait quelquefois de se laisser tomber à l'eau; il est inutile - que vous en fassiez autant.» - - Cette consigne fut exécutée et pendant deux ou trois jours les dockers - appliquèrent la politique du _Ca' Canny_. Au bout de ce temps les - employeurs firent venir le secrétaire général et lui dirent de - demander aux hommes de travailler comme auparavant, moyennant quoi ils - accordaient les 10 centimes d'augmentation... - -Voilà pour la pratique. Voici maintenant pour la théorie. Elle est -empruntée à un pamphlet anglais, publié vers 1895, pour la vulgarisation -du _Go Canny_: - - Si vous voulez acheter un chapeau dont le prix est de 5 francs, vous - devez payer 5 francs. - - Si vous ne voulez payer que 4 francs, il faudra vous contenter d'un - chapeau d'une qualité inférieure. - - Un chapeau est une marchandise. - - Si vous voulez acheter une demi-douzaine de chemises à 2 fr. 50 - chaque, vous devez payer 15 francs. Si vous ne voulez payer que 12 fr. - 50, vous n'aurez que cinq chemises. - - Une chemise est une marchandise. - - Les employeurs déclarent que le travail et l'adresse sont de simples - marchandises, comme les chapeaux et les chemises. «Très bien, - disons-nous, nous vous prenons au mot.» - - Si le travail et l'adresse sont des marchandises, les possesseurs de - ces marchandises ont le droit de vendre leur travail et leur adresse - exactement comme le chapelier vend un chapeau ou le chemisier une - chemise. - - Ils donnent valeur pour valeur. Pour un prix plus bas vous avez un - article inférieur ou de qualité moindre. - - Payez au travailleur un bon salaire, et il vous fournira ce qu'il y a - de mieux comme travail et comme adresse. - - Payez au travailleur un salaire insuffisant et vous n'aurez pas plus - le droit à exiger la meilleure qualité et la plus grande quantité de - travail que vous n'en avez eu à exiger un chapeau de 5 francs pour 2 - fr. 50. - -Le _Go Canny_ consiste donc à mettre systématiquement en pratique la -formule, «_à mauvaise paye, mauvais travail!_» Mais il ne se circonscrit -pas à cela seul. De cette formule découlent, par voie de conséquence -logique, une diversité de manifestations de la volonté ouvrière en -conflit avec la rapacité patronale. - -Cette tactique, que nous venons de voir vulgarisée en Angleterre, dès -1889, et préconisée et pratiquée dans les organisations syndicales, ne -pouvait pas tarder à passer la Manche. En effet, quelques années après, -elle s'infiltrait dans les milieux syndicaux français. - -C'est en 1895 que, pour la première fois, en France, nous trouvons trace -d'une manifestation théorique et consciente du sabotage: - -Le Syndicat National des Chemins de fer menait alors campagne contre un -projet de loi,--le projet Merlin-Trarieux--qui visait à interdire aux -cheminots le droit au syndicat. La question de répondre au vote de cette -loi par la grève générale se posa et, à ce propos, Guérard, secrétaire -du syndicat, et à ce titre délégué au Congrès de l'Union fédérative du -Centre (parti Allemaniste) prononça un discours catégorique et précis. -Il affirma que les cheminots ne reculeraient devant aucun moyen pour -défendre la liberté syndicale et qu'ils sauraient, au besoin, rendre la -grève effective par des procédés à eux; il fit allusion à un moyen -ingénieux et peu coûteux: «... avec deux sous d'une certaine manière, -utilisée à bon escient, déclara-t-il, il nous est possible de mettre une -locomotive dans l'impossibilité de fonctionner...» - -Cette nette et brutale affirmation, qui ouvrait des horizons imprévus, -fit gros tapage et suscita une profonde émotion dans les milieux -capitalistes et gouvernementaux qui, déjà, n'envisageaient pas sans -angoisses la menace d'une grève des chemins de fer. - -Cependant, si par ce discours de Guérard, la question du sabotage était -posée, il serait inexact d'en déduire qu'il n'a fait son apparition en -France que le 23 juin 1895. C'est dès lors qu'il commence à se -vulgariser dans les organisations syndicales, mais cela n'implique pas -qu'il fut resté ignoré jusque là. - -Pour preuve qu'il était connu et pratiqué antérieurement, il nous -suffira de rappeler, comme exemple typique, un «mastic» célèbre dans les -fastes télégraphiques: - - C'était vers 1881, les télégraphistes du Bureau central, mécontents du - tarif des heures supplémentaires de nuit, adressèrent une pétition au - ministre d'alors, M. Ad. Cochery. Ils réclamaient dix francs, au lieu - de cinq qu'ils touchaient, pour assurer le service du soir à sept - heures du matin. Ils attendirent plusieurs jours la réponse de - l'administration. Finalement, celle-ci n'arrivant pas, et, d'un autre - côté, les employés du Central ayant été avisés qu'il ne leur serait - même pas répondu, une agitation sourde commença à se manifester. - - La grève étant impossible, on eut recours au «mastic». Un beau matin, - Paris s'éveilla dépourvu de communications télégraphiques (le - téléphone n'était pas encore installé). - - Pendant quatre ou cinq jours il en fut ainsi. Le haut personnel de - l'administration, les ingénieurs avec de nombreuses équipes de - surveillants et d'ouvriers vinrent au bureau central, mirent à - découvert tous les câbles des lignes, les suivirent de l'entrée des - égoûts aux appareils. Ils ne purent rien découvrir. - - Cinq jours après ce «mastic» mémorable dans les annales du Central, un - avis de l'administration prévenait le personnel que dorénavant le - service de nuit serait tarifé dix francs au lieu de cinq. On n'en - demandait pas plus. Le lendemain matin, toutes les lignes étaient - rétablies comme par enchantement. - - Les auteurs du «mastic» ne furent jamais connus et si l'administration - en devina le motif, le moyen employé resta toujours ignoré[2]. - - [2] _Le Travailleur des P. T. T._, nº de septembre 1905. - -Désormais, à partir de 1895, le branle est donné. - -Le sabotage qui, jusqu'alors, n'avait été pratiqué qu'inconsciemment, -instinctivement par les travailleurs, va--sous l'appellation populaire -qui lui est restée,--recevoir sa consécration théorique et prendre rang -parmi les moyens de lutte avérés, reconnus, approuvés et préconisés par -les organisations syndicales. - -Le Congrès confédéral qui se tint à Toulouse, en 1897, venait de -s'ouvrir. - -Le préfet de la Seine, M. de Selves, avait refusé aux délégués du -syndicat des Travailleurs municipaux, les congés qu'ils demandaient pour -participer à ce Congrès. L'Union des syndicats de la Seine protesta, -qualifiant avec juste raison ce veto d'attentat contre la liberté -syndicale. - -Cette interdiction fut évoquée à la première séance du Congrès et une -proposition de blâme contre le préfet de la Seine fut déposée. - -L'un des délégués,--qui n'était autre que l'auteur de la présente -étude,--fit observer combien peu M. de Selves se souciait de la -flétrissure d'un congrès ouvrier. - -Et il ajouta: - - «Mon avis est qu'au lieu de se borner à protester, mieux vaudrait - entrer dans l'action et qu'au lieu de subir les injonctions des - dirigeants, de baisser la tête quand ils dictent leurs fantaisies, il - serait plus efficace de répondre du tac au tac. Pourquoi ne pas - répliquer à une gifle par un coup de pied?...» - -J'expliquai que mes observations dérivaient d'une tactique de combat sur -laquelle le Congrès serait appelé à se prononcer. Je rappelai, à ce -propos, l'émotion et la peur dont le monde capitaliste avait tressailli -lorsque le camarade Guérard avait déclaré que la minime somme de dix -centimes... dépensée intelligemment,... suffirait à un ouvrier des -chemins de fer pour mettre un train, attelé de puissantes machines à -vapeur, dans l'imposibilité de démarrer. - -Puis, rappelant que cette tactique révolutionnaire à laquelle je faisais -allusion serait discutée au cours du Congrès, je conclus en déposant la -proposition ci-dessous: - - Le Congrès, reconnaissant qu'il est superflu de blâmer le - gouvernement--qui est dans son rôle en serrant la bride aux - travailleurs--engage les travailleurs municipaux à faire pour cent - mille francs de dégâts dans les services de la Ville de Paris, pour - récompenser M. de Selves de son veto. - -C'était un pétard!... Et il ne fit pas long feu. - -Tout d'abord, la stupéfaction fut grande chez beaucoup de délégués qui, -de prime abord, ne comprenaient pas le sens volontairement outrancier de -la proposition. - -Il y eut des protestations et l'ordre du jour pur et simple enterra ma -proposition. - -Qu'importait! Le but visé était atteint: l'attention du Congrès était en -éveil, la discussion était ouverte, la réflexion aguichée. - -Aussi, quelques jours après, le rapport que la Commission du boycottage -et du sabotage soumettait à l'assemblée syndicale était-il accueilli -avec la plus grande et la plus chaleureuse sympathie. - -Dans ce rapport, après avoir défini, expliqué et préconisé le sabotage, -la Commission ajoutait: - - Jusqu'ici, les travailleurs se sont affirmés révolutionnaires; mais, - la plupart du temps, ils sont restés sur le terrain théorique: ils ont - travaillé à l'extension des idées d'émancipation, ont élaboré et tâché - d'esquisser un plan de société future d'où l'exploitation humaine sera - éliminée. - - Seulement, pourquoi à côté de cette oeuvre éducatrice, dont la - nécessité n'est pas contestable, n'a-t-on rien tenté pour résister aux - empiétements capitalistes et, autant que faire se peut, rendre moins - dures aux travailleurs les exigences patronales? - - Dans nos réunions on lève toujours les séances aux cris de: «Vive la - Révolution Sociale», et loin de se concréter en un acte quelconque, - ces clameurs s'envolent en bruit. - - De même il est regrettable que les Congrès affirmant toujours leur - fermeté révolutionnaire, n'aient pas encore préconisé de résolutions - pratiques pour sortir du terrain des mots et entrer dans celui de - l'action. - - En fait d'armes d'allures révolutionnaires on n'a jusqu'ici préconisé - que la grève et c'est d'elle dont on a usé et on use journellement. - - Outre la grève, nous pensons qu'il y a d'autres moyens à employer qui - peuvent dans une certaine mesure, tenir les capitalistes en échec... - -L'un de ces moyens est le boycottage. Seulement, la Commission constate -qu'il est inopérant contre l'industriel, le fabricant. Il faut donc -autre chose. - -Cet autre chose: c'est le sabotage. - -Citons le rapport: - - Cette tactique, comme le boycottage, nous vient d'Angleterre où elle a - rendu de grands services dans la lutte que les travailleurs - soutiennent contre les patrons. Elle est connue là-bas sous le nom de - _Go Canny_. - - A ce propos, nous croyons utile de vous citer l'appel lancé - dernièrement par l'_Union Internationale des Chargeurs de navires_, - qui a son siège à Londres: - - «Qu'est-ce que _Go Canny_? - - «C'est un mot court et commode pour désigner une nouvelle tactique, - employée par les ouvriers au lieu de la grève. - - «Si deux Écossais marchent ensemble et que l'un coure trop vite, - l'autre lui dit: «Marche doucement, à ton aise.» - - «Si quelqu'un veut acheter un chapeau qui vaut cinq francs, il doit - payer cinq francs. Mais s'il ne veut en payer que quatre, eh bien! il - en aura un de qualité inférieure. Le chapeau est _une marchandise_. - - «Si quelqu'un veut acheter six chemises de deux francs chacune, il - doit payer douze francs. S'il n'en paie que dix, il n'aura que cinq - chemises. La chemise est encore _une marchandise en vente sur le - marché_. - - «Si une ménagère veut acheter une pièce de boeuf qui vaut trois - francs, il faut qu'elle les paye. Et si elle n'offre que deux francs, - alors on lui donne de la mauvaise viande. Le boeuf est encore _une - marchandise en vente sur le marché_. - - «Eh bien, les patrons déclarent que le travail et l'adresse sont des - _marchandises en vente sur le marché_,--tout comme les chapeaux, les - chemises et le boeuf. - - «--Parfait, répondons-nous, nous vous prenons au mot. - - «Si ce sont des _marchandises_ nous les vendrons tout comme le - chapelier vend ses chapeaux et le boucher sa viande. Pour de mauvais - prix, ils donnent de la mauvaise marchandise. Nous en ferons autant. - - «Les patrons n'ont pas le droit de compter sur notre charité. S'ils - refusent même de discuter nos demandes, eh bien, nous pouvons mettre - en pratique le _Go Canny_--la tactique de _travaillons à la douce_, en - attendant qu'on nous écoute.» - - Voilà clairement défini le _Go Canny_, le _sabotage_: A MAUVAISE PAYE, - MAUVAIS TRAVAIL. - - Cette ligne de conduite, employée par nos camarades anglais, nous la - croyons applicable en France, car notre situation sociale est - identique à celle de nos frères d'Angleterre. - - * * * * * - - Il nous reste à définir sous quelles formes doit se pratiquer le - sabotage. - - Nous savons tous que l'exploiteur choisit habituellement pour - augmenter notre servitude le moment où il nous est le plus difficile - de résister à ses empiétements par la grève partielle, seul moyen - employé jusqu'à ce jour. - - Pris dans l'engrenage, faute de pouvoir se mettre en grève, les - travailleurs frappés subissent les exigences nouvelles du capitaliste. - - Avec le _sabotage_ il en est tout autrement: les travailleurs peuvent - résister; ils ne sont plus à la merci complète du capital; ils ne sont - plus la chair molle que le maître pétrit à sa guise: ils ont un moyen - d'affirmer leur virilité et de prouver à l'oppresseur qu'ils sont des - hommes. - - D'ailleurs, le _sabotage_ n'est pas aussi nouveau qu'il le paraît: - depuis toujours les travailleurs l'ont pratiqué individuellement, - quoique sans méthode. D'instinct, ils ont toujours ralenti leur - production quand le patron a augmenté ses exigences; sans s'en rendre - clairement compte, ils ont appliqué la formule: A MAUVAISE PAYE, - MAUVAIS TRAVAIL. - - Et l'on peut dire que dans certaines industries où le travail aux - pièces s'est substitué au travail à la journée, une des causes de - cette substitution a été le _sabotage_, qui consistait alors à fournir - par jour la moindre quantité de travail possible. - - Si cette tactique a donné déjà des résultats, pratiquée sans esprit de - suite, que ne donnera-t-elle pas le jour où elle deviendra une menace - continuelle pour les capitalistes? - - Et ne croyez pas, camarades, qu'en remplaçant le travail à la journée - par le travail aux pièces, les patrons se soient mis à l'abri du - sabotage: cette tactique n'est pas circonscrite au travail à la - journée. - - Le sabotage peut et doit être pratiqué pour le travail aux pièces. - Mais ici, la ligne de conduite diffère: restreindre la production - serait pour le travailleur restreindre son salaire; il lui faut donc - appliquer le sabotage à la qualité au lieu de l'appliquer à la - quantité. Et alors, non seulement le travailleur ne donnera pas à - l'acheteur de sa force de travail plus que pour son argent, mais - encore, il l'atteindra dans sa clientèle qui lui permet indéfiniment - le renouvellement du capital, fondement de l'exploitation de la classe - ouvrière. Par ce moyen, l'exploiteur se trouvera forcé, soit de - capituler en accordant les revendications formulées, soit de remettre - l'outillage aux mains des seuls producteurs. - - Deux cas se présentent couramment: le cas où le travail aux pièces se - fait chez soi, avec un matériel appartenant à l'ouvrier, et celui où - le travail est centralisé dans l'usine patronale dont celui-ci est le - propriétaire. - - Dans ce second cas, au sabotage sur la marchandise vient s'ajouter le - sabotage sur l'outillage. - - Et ici nous n'avons qu'à vous rappeler l'émotion produite dans le - monde bourgeois, il y a trois ans, quand on sut que les employés de - chemin de fer pouvaient, avec deux sous d'un certain ingrédient, - mettre une locomotive dans l'impossibilité de fonctionner. - - Cette émotion nous est un avertissement de ce que pourraient les - travailleurs conscients et organisés. - - Avec le _boycottage_ et son complément indispensable, le _sabotage_, - nous avons une arme de résistance efficace qui, en attendant le jour - où les travailleurs seront assez puissants pour s'émanciper - intégralement nous permettra de tenir tête à l'exploitation dont nous - sommes victimes. - - Il faut que les capitalistes le sachent: le travailleur ne respectera - la machine que le jour où elle sera devenue pour lui une amie qui - abrège le travail, au lieu d'être comme aujourd'hui, l'ennemie, la - voleuse de pain, la tueuse de travailleurs. - -En conclusion de ce rapport, la Commission proposa au Congrès la -résolution suivante: - - _Chaque fois que s'élèvera un conflit entre patrons et ouvriers soit - que le conflit soit dû aux exigences patronales, soit qu'il soit dû à - l'initiative ouvrière, et au cas où la grève semblerait ne pouvoir - donner des résultats aux travailleurs visés: que ceux-ci appliquent le - _boycottage_ ou le _sabotage_--ou les deux simultanément--en - s'inspirant des données que nous venons d'exposer._ - -La lecture de ce rapport fut accueillie par les applaudissements -unanimes du Congrès. Ce fut plus que de l'approbation: ce fut de -l'emballement. - -Tous les délégués étaient conquis, enthousiasmés. Pas une voix -discordante ne s'éleva pour critiquer ou même présenter la moindre -observation ou objection. - -Le délégué de la Fédération du Livre, Hamelin, ne fut pas des moins -enthousiastes. Il approuva nettement la tactique préconisée et le -déclara en termes précis, dont le compte rendu du Congrès ne donne que -ce pâle écho: - - Tous les moyens sont bons pour réussir, affirma-t-il. J'ajoute qu'il y - a une foule de moyens à employer pour arriver à la réussite; ils sont - faciles à appliquer pourvu qu'on le fasse adroitement. Je veux dire - par là qu'il y a des choses qu'on doit faire et qu'on ne doit pas - dire. Vous me comprenez. - - Je sais bien que si je précisais, on pourrait me demander si j'ai le - droit de faire telle ou telle chose; mais, si l'on continuait à ne - faire que ce qu'il est permis de faire on n'aboutirait à rien. - - Lorsqu'on entre dans la voie révolutionnaire, il faut le faire avec - courage, et quand la tête est passée, il faut que le corps y passe. - -De chaleureux applaudissements soulignèrent le discours du délégué de la -Fédération du Livre et, après que divers orateurs eurent ajouté quelques -mots approbatifs, sans qu'aucune parole contradictoire ait été -prononcée, la motion suivante fut adoptée à l'unanimité: - - _Le syndicat des Employés de commerce de Toulouse invite le Congrès à - voter par des acclamations les conclusions du rapport et à le mettre - en pratique à la première occasion qui se présentera._ - -Le baptême du sabotage ne pouvait être plus laudatif. Et ce ne fut pas -là un succès momentané,--un feu de paille, conséquence d'un emballement -d'assemblée,--les sympathies unanimes qui venaient de l'accueillir ne se -démentirent pas. - -Au Congrès confédéral suivant, qui se tint à Rennes en 1898, les -approbations ne furent pas ménagées à la tactique nouvelle. - -Entre les orateurs qui, au cours de la discussion prirent la parole pour -l'approuver, citons, entre autres, le citoyen Lauche,--aujourd'hui -député de Paris: il dit combien le syndicat des Mécaniciens de la Seine, -dont il était le délégué, avait été heureux des décisions prises au -Congrès de Toulouse, relativement au boycottage et au sabotage. - -Le délégué de la Fédération des Cuisiniers se tailla un beau succès et -dérida le Congrès, en narrant avec humour le drolatique cas de sabotage -suivant: les cuisiniers d'un grand établissement parisien, ayant à se -plaindre de leur patron, restèrent à leur poste toute la journée, -fourneaux allumés; mais, au moment où les clients affluèrent dans les -salles, il n'y avait dans les marmites que des briques «cuisant» à -grande eau... en compagnie de la pendule du restaurant. - -Du rapport qui clôtura la discussion--et qui fut adopté à -l'unanimité,--nous extrayons le passage suivant: - - ... La Commission tient à indiquer que le sabotage n'est pas chose - neuve; les capitalistes le pratiquent, chaque fois qu'ils y trouvent - intérêt; les adjudicataires en ne remplissant pas les clauses de bonne - qualité de matériaux, etc., et ils ne le pratiquent pas que sur les - matériaux: que sont leurs diminutions de salaires, sinon un sabotage - sur le ventre des prolétaires? - - Il faut d'ailleurs ajouter que, instinctivement, les travailleurs ont - répondu aux capitalistes en ralentissant la production, en sabotant - inconsciemment. - - Mais, ce qui serait à souhaiter, c'est que les travailleurs se rendent - compte que le sabotage peut être pour eux une arme utile de - résistance, tant par sa pratique que par la crainte qu'il inspirera - aux employeurs, le jour où ils sauront qu'ils ont à redouter sa - pratique consciente. Et nous ajouterons que la menace du sabotage peut - souvent donner d'aussi utiles résultats que le sabotage lui-même. - - Le Congrès ne peut pas entrer dans le détail de cette tactique; ces - choses-là ne relèvent que de l'initiative et du tempérament de chacun - et sont subordonnées à la diversité des industries. Nous ne pouvons - que poser la théorie et souhaiter que le sabotage entre dans l'arsenal - des armes de lutte des prolétaires contre les capitalistes, au même - titre que la grève et que, de plus en plus, l'orientation du mouvement - social ait pour tendance l'_action directe_ des individus et une plus - grande conscience de leur personnalité... - -Une troisième et dernière fois, le sabotage subit le feu d'un congrès: -ce fut en 1900, au Congrès confédéral qui se tint à Paris. - -On vivait alors une période trouble. Sous l'influence de Millerand, -ministre du commerce, se constatait une déviation qui avait sa cause -dans les tentations du Pouvoir. Bien des militants se laissaient -aguicher par les charmes corrupteurs du ministérialisme et certaines -organisations syndicales étaient entraînées vers une politique de «paix -sociale» qui, si elle eût prédominé, eût été funeste au mouvement -corporatif. C'eût été pour lui, sinon la ruine et la mort, tout au moins -l'enlizement et l'impuissance. - -L'antagonisme, qui s'accentua dans les années qui suivirent, entre les -syndicalistes révolutionnaires et les réformistes, pointait. De cette -lutte intestine la discussion, ainsi que le vote sur le sabotage furent -une première et embryonnaire manifestation. - -La discussion fut courte; Après que quelques orateurs eurent parlé en -faveur du sabotage une voix s'éleva pour le condamner: celle du -président de séance. - -Il déclara que «s'il n'avait pas eu l'honneur de présider, il se serait -réservé de combattre le sabotage proposé par le camarade Riom et par -Beausoleil»; et il ajouta qu'il «le considérait comme plus nuisible -qu'utile aux intérêts des travailleurs et comme répugnant à la dignité -de beaucoup d'ouvriers.» - -Il suffira, pour apprécier à sa valeur cette condamnation du sabotage -d'observer que, quelques semaines plus tard, il ne «répugna pas à la -dignité» de ce moraliste impeccable et scrupuleux d'être nanti, grâce -aux bons offices de Millerand, d'une sinécure de tout repos[3]. - - [3] Il s'agit de M. Treich, alors secrétaire de la Bourse du Travail - de Limoges et fougueux «guesdiste»... nommé peu après receveur de - l'enregistrement à Bordeaux. - -Le rapporteur de la Commission de laquelle ressortissait le sabotage, -choisi pour son travail sur la «marque syndicale», était un adversaire -du sabotage. Il l'exécuta donc en ces termes: - - Il me reste à dire un mot au sujet du sabotage. Je le dirai d'une - façon franche et précise. J'admire ceux qui ont le courage de saboter - un exploiteur, je dois même ajouter que j'ai ri bien souvent aux - histoires que l'on nous a racontées au sujet du sabotage, mais, pour - ma part, je n'oserais faire ce que ces bons amis ont fait. Alors, ma - conclusion est que si je n'ai pas le courage de faire une action, ce - serait de la lâcheté de ma part d'inciter un autre à la faire. - - Je vous avoue que, dans l'acte qui consiste à détériorer un outil ou - toute chose confiée à mes soins, ce n'est pas la crainte de Dieu qui - paralyse mon courage, mais la crainte du gendarme! - - Je laisse à vos bons soins le sort du sabotage. - -Le Congrès n'épousa cependant pas les vues du rapporteur. Il fit bien un -«sort» au sabotage, mais il fut autre que celui qui lui était conseillé. - -Un vote eut lieu, par bulletins, sur cette question -spéciale--d'improbation ou d'approbation du sabotage--et il donna les -résultats suivants: - - Pour le sabotage 117 - Contre 76 - Bulletins blancs 2 - -Ce vote précis clôtura la période de gestation, d'infiltration théorique -du sabotage. - -Depuis lors, indiscutablement admis, reconnu et accepté, il n'a plus été -évoqué aux Congrès corporatifs et il a pris rang définitivement au -nombre des moyens de lutte préconisés et pratiqués dans le combat contre -le capitalisme. - -Il est à remarquer que le vote ci-dessus, émis au Congrès de 1900, est -déjà une indication du tassement qui va s'effectuer dans les -organisations syndicales et qui va mettre les révolutionnaires à un -pôle, les réformistes à l'autre. En effet, dans tous les Congrès -confédéraux qui vont suivre, quand révolutionnaires et réformistes se -trouveront aux prises, presque toujours la majorité révolutionnaire sera -à peu près ce qu'elle a été dans le vote sur le sabotage,--soit dans la -proportion des deux tiers, contre une minorité réformiste d'un tiers. - - - - -CHAPITRE II - -La «marchandise» travail - - -Dans l'exposé historique qui précède, nous venons de constater que le -sabotage, sous l'expression anglaise de _Go Canny_, découle de la -conception capitaliste que le travail humain est une marchandise. - -Cette thèse, les économistes bourgeois s'accordent à la soutenir. Ils -sont unanimes à déclarer qu'il y a un marché du travail, comme il y a un -marché du blé, de la viande, du poisson ou de la volaille. - -Ceci admis, il est donc logique que les capitalistes se comportent à -l'égard de la «chair à travail» qu'ils trouvent sur le marché comme -lorsqu'il s'agit pour eux d'acheter des marchandises ou des matières -premières: c'est-à-dire qu'ils s'efforcent de l'obtenir au taux le plus -réduit. - -C'est chose normale étant donné les prémisses. Nous sommes ici en plein -jeu de la loi de l'offre et de la demande. - -Seulement, ce qui est moins compréhensible, c'est que, dans leur esprit, -ces capitalistes entendent recevoir, non une quantité de travail en -rapport avec le taux du salaire qu'ils payent, mais bien, indépendamment -du niveau de ce salaire, le maximum de travail que puisse fournir -l'ouvrier. - -En un mot, ils prétendent acheter non une quantité de travail, -équivalente à la somme qu'ils déboursent, mais la force de travail -intrinsèque de l'ouvrier: c'est, en effet, l'ouvrier tout entier--corps -et sang, vigueur et intelligence--qu'ils exigent. - -Lorsqu'ils émettent cette prétention, les employeurs négligent de tenir -compte que cette «force de travail» est partie intégrante d'un être -pensant, capable de volonté, de résistance et de révolte. - -Certes, tout irait au mieux dans le monde capitaliste si les ouvriers -étaient aussi inconscients que les machines de fer et d'acier dont ils -sont les servants et si, comme elles, ils n'avaient en guise de coeur et -de cerveau qu'une chaudière ou une dynamo. - -Seulement, il n'en est pas ainsi! Les travailleurs savent quelles -conditions leur sont faites dans le milieu actuel et s'ils les -subissent, ce n'est point de leur plein gré. Ils se savent possesseurs -de la «force de travail» et s'ils acquiescent à ce que le patron qui les -embauche en «consomme» une quantité donnée, ils s'efforcent que cette -quantité soit en rapport plus ou moins direct avec le salaire qu'ils -reçoivent. Même parmi les plus dénués de conscience, parmi ceux qui -subissent le joug patronal, sans mettre en doute son bien fondé, jaillit -intuitivement la notion de résistance aux prétentions capitalistes: ils -tendent à ne pas se dépenser sans compter. - -Les employeurs n'ont pas été sans constater cette tendance qu'ont les -ouvriers à économiser leur «force de travail». C'est pourquoi, certains -d'entre eux ont habilement paré au préjudice qui en découle pour eux, en -recourant à l'émulation pour faire oublier à leur personnel cette -prudence restrictive. - -Ainsi, les entrepreneurs du bâtiment, surtout à Paris, ont vulgarisé une -pratique, qui d'ailleurs tombe en désuétude depuis 1906,--c'est-à-dire -depuis que les ouvriers de la corporation sont groupés en syndicats -puissants. - -Cette pratique consiste à embaucher un «costaud» qui, sur le chantier, -donne l'élan à ses camarades. Il «en met» plus que quiconque... et il -faut le suivre, sinon les retardataires risquent d'être mal vus et -d'être débauchés comme incapables. - -Une telle manière de procéder dénote bien que ces entrepreneurs -raisonnent à l'égard des travailleurs comme lorsqu'ils traitent un -marché pour l'acquisition d'une machine. De même qu'ils achètent -celle-ci avec la fonction productive qui lui est incorporée[4], de même -ils ne considèrent l'ouvrier que comme un instrument de production -qu'ils prétendent acquérir en entier, pour un temps donné, tandis qu'en -réalité, ils ne passent de contrat avec lui que pour la fonction de son -organisme se traduisant en travail effectif. - - [4] il y a cependant des cas où le vendeur d'une machine ne cède pas - intégralement à son acheteur la _fonction productrice_ de la dite - machine. En exemple, certaines machines à fabriquer les chaussures - qui sont munies d'un compteur enregistrant le nombre des chaussures - produites et qui sont vendues avec la stipulation que l'acheteur - paiera _indéfiniment_ une certaine redevance par paire de chaussures - produite. - -Cette discordance qui est la base des rapports entre patrons et ouvriers -met en relief l'opposition fondamentale des intérêts en présence: la -lutte de la classe qui détient les moyens de production contre la classe -qui, dénuée de capital, n'a d'autre richesse que sa force de travail. - -Dès que, sur le terrain économique, employés et employeurs prennent -contact, se révèle cet antagonisme irréductible qui les jette aux deux -pôles opposés et qui, par conséquent, rend toujours instables et -éphémères leurs accords. - -Entre les uns et les autres, en effet, il ne peut jamais se conclure un -contrat au sens précis et équitable du terme. Un contrat implique -l'égalité des contractants, leur pleine liberté d'action et, de plus, -une de ses caractéristiques est de présenter pour tous ses signataires -un intérêt réel et personnel, dans le présent aussi bien que dans -l'avenir. - -Or, lorsqu'un ouvrier offre ses bras à un patron, les deux -«contractants» sont loin d'être sur le pied d'égalité. L'ouvrier obsédé -par l'urgence d'assurer son lendemain,--si même il n'est pas tenaillé -par la faim,--n'a pas la sereine liberté d'action dont jouit son -embaucheur. En outre, le bénéfice qu'il retire de son louage de travail -n'est que momentané, car, s'il y trouve la vie immédiate, il n'est pas -rare que le risque de la besogne à laquelle il est astreint ne mette sa -santé, son avenir en péril. - -Donc, entre patrons et ouvriers il ne peut se conclure d'engagements qui -méritent le qualificatif de contrats. Ce qu'on est convenu de désigner -sous le nom de _contrat du travail_ n'a pas les caractères spécifiques -et bilatéraux du contrat; c'est, au sens strict, un contrat unilatéral, -favorable seulement à l'un des contractants,--un contrat léonin. - -Il découle de ces constatations que, sur le marché du travail, il n'y a, -face à face, que des belligérants en permanent conflit; par conséquent, -toutes les relations, tous les accords des uns et des autres ne peuvent -être que précaires, car ils sont viciés à la base, ne reposant que sur -le plus ou moins de force et de résistance des antagonistes. - -C'est pourquoi, entre patrons et ouvriers, ne se conclut jamais--et ne -peut jamais se conclure,--une entente durable, un contrat au sens loyal -du mot: il n'y a entre eux que des armistices qui, suspendant pour un -temps les hostilités, apportent une trêve momentanée aux faits de -guerre. - -Ce sont deux mondes qui s'entrechoquent avec violence: le monde du -capital, le mondé du travail. Certes, il peut y avoir,--et il y a,--des -infiltrations de l'un dans l'autre; grâce à une sorte de capillarité -sociale, des transfuges passent du monde du travail dans celui du -capital et, oubliant ou reniant leurs origines, prennent rang parmi les -plus intraitables défenseurs de leur caste d'adoption. Mais, ces -fluctuations dans les corps d'armée en lutte n'infirment pas -l'antagonisme des deux classes. - -D'un côté comme de l'autre les intérêts en jeu sont diamétralement -opposés et cette opposition se manifeste en tout ce qui constitue la -trame de l'existence. Sous les déclamations démocratiques, sous le verbe -menteur de l'égalité, le plus superficiel examen décèle les divergences -profondes qui séparent bourgeois et prolétaires: les conditions -sociales, les modes de vivre, les habitudes de penser, les aspirations, -l'idéal... tout! tout diffère! - - - - -CHAPITRE III - -Morale de classe - - -Il est compréhensible que, de la différenciation radicale dont nous -venons de constater la persistance entre la classe ouvrière et la classe -bourgeoise découle une moralité distincte. - -Il serait, en effet, pour le moins étrange, qu'il n'y ait rien de commun -entre un prolétaire et un capitaliste, sauf la morale. - -Quoi! Les faits et gestes d'un exploité devraient être appréciés et -jugés avec le critérium de son ennemi de classe? - -Ce serait simplement absurde! - -La vérité, c'est que, de même qu'il y a deux classes dans la société, il -y a aussi deux morales,--celle des capitalistes et celle des -prolétaires. - - La morale naturelle ou zoologique, écrit Max Nordau, déclarerait que - le repos est le mérite suprême, et ne donnerait à l'homme le travail - comme désirable et glorieux qu'autant que ce travail est indispensable - à son existence matérielle. Mais les exploiteurs n'y trouveraient pas - leur compte. Leur intérêt, en effet, réclame que la masse travaille - plus qu'il n'est nécessaire pour elle, et produise plus que son propre - usage ne l'exige. C'est qu'ils veulent précisément s'emparer du - surplus de la production; à cet effet, ils ont supprimé la morale - naturelle et en ont inventé une autre, qu'ils ont fait établir par - leurs philosophes, vanter par leurs prédicateurs, chanter par leurs - poètes: morale d'après laquelle l'oisiveté serait la source de tous - les vices, et le travail une vertu, la plus belle de toutes les - vertus... - -Il est inutile d'observer que cette morale est à l'usage exclusif des -prolétaires, les riches qui la prônent n'ayant garde de s'y soumettre: -l'oisiveté n'est vice que chez les pauvres. - -C'est au nom des prescriptions de cette morale spéciale que les ouvriers -doivent trimer dur et sans trêve au profit de leurs patrons et que tout -relâchement de leur part, dans l'effort de production, tout ce qui tend -à réduire le bénéfice escompté par l'exploiteur, est qualifié d'action -immorale. - -Par contre, c'est toujours en excipant de cette morale de classe que -sont glorifiés le dévouement aux intérêts patronaux, l'assiduité aux -besognes les plus fastidieuses et les moins rémunératrices, les -scrupules niais qui créent «l'honnête ouvrier», en un mot toutes les -chaînes idéologiques et sentimentales qui rivent le salarié au carcan du -capital, mieux et plus sûrement que des maillons en fer forgé. - -Pour compléter l'oeuvre d'asservissement, il est fait appel à la vanité -humaine: toutes les qualités du bon esclave sont exaltées, magnifiées et -on a même imaginé de distribuer des récompenses,--la médaille du -travail!--aux ouvriers-caniches qui se sont distingués par la souplesse -de leur épine dorsale, leur esprit de résignation et leur fidélité au -maître. - -De cette morale scélérate la classe ouvrière est donc saturée à -profusion. - -Depuis sa naissance, jusqu'à la mort, le prolétaire en est englué: il -suce cette morale avec le lait plus ou moins falsifié du biberon qui, -pour lui, remplace trop souvent le sein maternel; plus tard, à la -«laïque», on la lui inculque encore, en un dosage savant, et -l'imprégnation se continue, par mille et mille procédés, jusqu'à ce que, -couché dans la fosse commune, il dorme son éternel sommeil. - -L'intoxication résultant de cette morale est tellement profonde et -tellement persistante que des hommes à l'esprit subtil, au raisonnement -clair et aigu, en restent cependant contaminés. C'est le cas du citoyen -Jaurès qui, pour condamner le sabotage, a excipé de cette éthique, créée -à l'usage des capitalistes. Dans une discussion ouverte au Parlement sur -le Syndicalisme, le 11 mai 1907, il déclarait: - - Ah! s'il s'agit de la propagande systématique, méthodique du sabotage, - au risque d'être taxé par vous d'un optimisme où il entrerait quelque - complaisance pour nous-mêmes, je ne crains pas qu'elle aille bien - loin. Elle répugne à toute la nature à toutes les tendances de - l'ouvrier... - -Et il insistait fort: - - Le sabotage, affirmait-il, répugne à la valeur technique de l'ouvrier. - - La valeur technique de l'ouvrier, c'est sa vraie richesse; voilà - pourquoi le théoricien, le métaphysicien du syndicalisme, Sorel - déclare que, accordât-on au syndicalisme tous les moyens possibles, il - en est un qu'il doit s'interdire à lui-même: celui qui risquerait de - déprécier, d'humilier dans l'ouvrier cette valeur professionnelle, qui - n'est pas seulement sa richesse précaire d'aujourd'hui, mais qui est - son titre pour sa souveraineté dans le monde de demain... - -Les affirmations de Jaurès, même placées sous l'égide de Sorel, sont -tout ce qu'on voudra,--voire de la métaphysique,--hormis la constatation -d'une réalité économique. - -Où diantre a-t-il rencontré des ouvriers que «toute leur nature et -toutes leurs tendances» portent à donner le plein de leur effort, -physique et intellectuel à un patron, en dépit de conditions dérisoires, -infimes ou odieuses que celui-ci leur impose? - -En quoi, d'autre part, la «valeur technique» de ces problématiques -ouvriers serait-elle mise en péril, parce que, le jour où ils -s'apercevront de l'exploitation éhontée dont ils sont victimes, ils -tenteront de s'y soustraire et, tout d'abord, ne consentiront plus à -soumettre leurs muscles et leurs cerveaux à une fatigue indéfinie, pour -le seul profit du patron? - -Pourquoi ces ouvriers gaspilleraient-ils cette «valeur technique» qui -constitue leur «vraie richesse»--au dire de Jaurès--et pourquoi en -feraient-ils presque gratuitement cadeau au capitaliste? - -N'est-il pas plus logique qu'au lieu de se sacrifier, en agneaux bêlants -sur l'autel du patronat, ils se défendent, luttent, et estimant au plus -haut prix possible leur «valeur technique» ils ne cèdent tout ou partie -de cette «vraie richesse» qu'aux conditions les meilleures, ou les moins -mauvaises? - -A ces interrogations l'orateur socialiste n'apporte pas de réponse, -n'ayant pas approfondi la question. Il s'est borné à des affirmations -d'ordre sentimental, inspirées de la morale des exploiteurs et qui ne -sont que le remâchage des arguties des économistes reprochant aux -ouvriers français leurs exigences et leurs grèves, les accusant de -mettre l'industrie nationale en péril. - -Le raisonnement du citoyen Jaurès est, en effet du même ordre, avec -cette différence qu'au lieu de faire vibrer la corde patriotique, c'est -le point d'honneur, la vanité, la gloriole du prolétaire qu'il a tâché -d'exalter, de surexciter. - -Sa thèse aboutit à la négation formelle de la lutte de classe, car elle -ne tient pas compte du permanent état de guerre entre le capital et le -travail. - -Or, le simple bon sens suggère que le patron étant l'ennemi, pour -l'ouvrier, il n'y a pas plus déloyauté de la part de celui-ci à dresser -des embuscades contre son adversaire qu'à le combattre à visage -découvert. - -Donc, aucun des arguments empruntés à la morale bourgeoise ne vaut pour -apprécier le sabotage, non plus que toute autre tactique prolétarienne; -de même, aucun de ces arguments ne vaut pour juger les faits, les -gestes, les pensées ou les aspirations de la classe ouvrière. - -Si sur tous ces points on désire raisonner sainement, il ne faut pas se -référer à la morale capitaliste, mais s'inspirer de la morale des -producteurs qui s'élabore quotidiennement au sein des masses ouvrières -et qui est appelée à régénérer les rapports sociaux, car c'est elle qui -réglera ceux du monde de demain. - - - - -CHAPITRE IV - -Les procédés de sabotage - - -Sur le champ de bataille qu'est le marché du travail, où les -belligérants s'entrechoquent, sans scrupules et sans égards, il s'en -faut, nous l'avons constaté, qu'ils se présentent à armes égales. - -Le capitaliste oppose une cuirasse d'or aux coups de son adversaire qui, -connaissant son infériorité défensive et offensive, tâche d'y suppléer -en ayant recours aux ruses de guerre. L'ouvrier, impuissant pour -atteindre son adversaire de front, cherche à le prendre de flanc, en -l'attaquant dans ses oeuvres vives: le coffre-fort. - -Il en est alors des prolétaires comme d'un peuple qui, voulant résister -à l'invasion étrangère et ne se sentant pas de force à affronter -l'ennemi en bataille rangée se lance dans la guerre d'embuscades, de -guérillas. Lutte déplaisante pour les grands corps d'armée, lutte -tellement horripilante et meurtrière que, le plus souvent, les -envahisseurs refusent de reconnaître aux francs-tireurs le caractère de -belligérants. - -Cette exécration des guérillas pour les armées régulières n'a pas plus -lieu de nous étonner que l'horreur inspirée par le sabotage aux -capitalistes. - -C'est qu'en effet le sabotage est dans la guerre sociale ce que sont les -guérillas dans les guerres nationales: il découle des mêmes sentiments, -répond aux mêmes nécessités et a sur la mentalité ouvrière d'identiques -conséquences. - -On sait combien les guérillas développent le courage individuel, -l'audace et l'esprit de décision; autant peut s'en dire du sabotage: il -tient en haleine les travailleurs, les empêche de s'enlizer dans une -veulerie pernicieuse et comme il nécessite une action permanente et sans -répit, il a l'heureux résultat de développer l'esprit d'initiative, -d'habituer à agir soi-même, de surexciter la combativité. - -De ces qualités, l'ouvrier en a grandement besoin, car le patron agit à -son égard avec aussi peu de scrupules qu'en ont les armées d'invasion -opérant en pays conquis: il rapine le plus qu'il peut! - -Cette rapacité capitaliste, le milliardaire Rockefeller l'a blâmée... -quitte, très sûrement, à la pratiquer sans vergogne. - - Le tort de certains employeurs, a-t-il écrit, est de ne point payer la - somme exacte qu'ils devraient; alors le travailleur a une tendance à - restreindre son labeur. - -Cette tendance à la restriction du labeur que constate -Rockefeller--restriction qu'il légitime et justifie par le blâme qu'il -adresse aux patrons--est du sabotage sous la forme qui se présente -spontanément à l'esprit de tout ouvrier: le _ralentissement du travail_. - -C'est, pourrait-on dire, la forme instinctive et primaire du sabotage. - -C'est à son application qu'à Beaford, dans l'Indiana, États-Unis -(c'était en 1908), se décidaient une centaine d'ouvriers qui venaient -d'être avisés qu'une réduction de salaire s'élevant à une douzaine de -sous par heure leur était imposée. Sans mot dire, ils se rendirent à une -usine voisine et firent rogner leurs pelles de deux pouces et demi. -Après quoi, ils revinrent au chantier et répondirent au patron: «A -petite paie, petite pelle!» - -Cette forme de sabotage n'est praticable que pour les ouvriers à la -journée. Il est, en effet, bien évident que ceux qui travaillent aux -pièces et qui ralentiraient leur production seraient les premières -victimes de leur révolte passive puisqu'ils saboteraient leur propre -salaire. Ils doivent donc recourir à d'autres moyens et leur -préoccupation doit être de diminuer la qualité et non la quantité de -leur produit. - -De ces moyens, le _Bulletin de la Bourse du Travail de Montpellier_ -donnait un aperçu, dans un article publié dans les premiers mois de -1900, quelques semaines avant le Congrès confédéral qui se tint à Paris: - - Si vous êtes mécanicien, disait cet article, il vous est très facile - avec deux sous d'une poudre quelconque, ou même seulement avec du - sable, d'enrayer votre machine, d'occasionner une perte de temps et - une réparation fort coûteuse à votre exploiteur. Si vous êtes - menuisier ou ébéniste, quoi de plus facile que de détériorer un meuble - sans que le patron s'en aperçoive et de lui faire perdre ainsi des - clients? Un tailleur peut aisément abîmer un habit ou une pièce - d'étoffe; un marchand de nouveautés, avec quelques taches adroitement - posées sur un tissu le fait vendre à vil prix; un garçon épicier, avec - un mauvais emballage, fait casser la marchandise; c'est la faute de - n'importe qui, et le patron perd le client. Le marchand de laines, - mercerie, etc., avec quelques gouttes d'un corrosif répandues sur une - marchandise qu'on emballe, mécontente le client; celui-ci renvoie le - colis et se fâche; on lui répond que c'est arrivé en route... - Résultat, perte souvent du client. Le travailleur à la terre donne de - temps en temps un coup de pioche maladroit,--c'est-à-dire adroit,--ou - sème de la mauvaise graine au milieu d'un champ, etc. - -Ainsi qu'il est indiqué ci-dessus, les procédés de sabotage sont -variables à l'infini. Cependant, quels qu'ils soient, il est une qualité -qu'exigent d'eux les militants ouvriers: c'est que leur mise en pratique -n'ait pas une répercussion fâcheuse sur le consommateur. - -Le sabotage s'attaque au patron, soit par le ralentissement du travail, -soit en rendant les produits fabriqués invendables, soit en immobilisant -ou rendant inutilisable l'instrument de production, mais le consommateur -ne doit pas souffrir de cette guerre faite à l'exploiteur. - -Un exemple de l'efficacité du sabotage est l'application méthodique -qu'en ont fait les coiffeurs parisiens: - -Habitués à frictionner des têtes, ils se sont avisés d'étendre le -système du schampoing aux devantures patronales. C'est au point que, -pour les patrons coiffeurs, la crainte du _badigeonnage_ est devenue la -plus convaincante des sanctions. - -C'est grâce au badigeonnage--pratiqué principalement de 1902 à mai -1906,--que les ouvriers coiffeurs ont obtenu la fermeture des salons à -des heures moins tardives et c'est aussi la crainte du badigeonnage qui -leur a permis d'obtenir, très rapidement (avant le vote de la loi sur le -repos hebdomadaire) la généralisation de la fermeture des boutiques, un -jour par semaine. - -Voici en quoi consiste le badigeonnage: en un récipient quelconque, tel -un oeuf préalablement vidé, le «badigeonneur» enferme un produit -caustique; puis, à l'heure propice, il s'en va lancer contenant et -contenu sur la devanture du patron réfractaire. - -Ce «schampoing» endolorit la peinture de la boutique et le patron -profitant de la leçon reçue devient plus accommodant. - -Il y a environ 2.300 boutiques de coiffeurs à Paris, sur lesquelles, -durant la campagne de badigeonnage, 2.000 au moins ont été badigeonnées -une fois... sinon plusieurs. _L'Ouvrier coiffeur_, l'organe syndical de -la Fédération des Coiffeurs a estimé approximativement à 200.000 francs -les pertes financières occasionnées aux patrons par le procédé du -badigeonnage. - -Les ouvriers coiffeurs sont enchantés de leur méthode et ils ne sont -nullement disposés à l'abandonner. Elle a fait ses preuves, disent-ils, -et ils lui attribuent une valeur moralisatrice qu'ils affirment -supérieure à toute sanction légale. - -Le badigeonnage, comme tous les bons procédés de sabotage s'attaque donc -à la caisse patronale et la tête des clients n'a rien à en redouter. - - * * * * * - -Les militants ouvriers insistent fort sur ce caractère spécifique du -sabotage qui est de frapper le patron et non le consommateur. Seulement, -ils ont à vaincre le parti-pris de la presse capitaliste qui dénature -leur thèse à plaisir en présentant le sabotage comme dangereux pour les -consommateurs principalement. - -On n'a pas oublié l'émotion que soulevèrent, il y a quelques années, les -racontars des quotidiens, à propos du pain au verre pilé. Les -syndicalistes s'évertuaient à déclarer que mettre du verre pilé dans le -pain serait un acte odieux, stupidement criminel et que les ouvriers -boulangers n'avaient jamais eu semblable pensée. Or, malgré les -dénégations et les démentis, le mensonge se répandait, se rééditait et, -naturellement, indisposait contre les ouvriers boulangers nombre de gens -pour qui ce qu'imprime leur journal est parole d'évangile. - -En fait, jusqu'ici, au cours des diverses grèves de boulangers, le -sabotage constaté s'est borné à la détérioration des boutiques -patronales, des pétrins ou des fours. Quant au pain, s'il en a été -fabriqué d'immangeable,--pain brûlé ou pas cuit, sans sel, ou sans -levain, etc., mais, insistons-y, jamais au verre pilé!--ce ne sont pas, -et ce ne pouvaient pas être, les consommateurs qui en ont pâti, mais -uniquement les patrons. - -Il faudrait, en effet, supposer les acheteurs pétris de bêtise... à en -manger du foin!... pour accepter, au lieu de pain, un mélange indigeste -ou nauséabond. Si le cas se fût présenté ils eussent évidemment rapporté -ce mauvais pain à leur fournisseur et eussent exigé à la place un -produit comestible. - -Il n'y a donc à retenir le pain au verre pilé que comme un argument -capitaliste destiné à jeter le discrédit sur les revendications des -ouvriers boulangers. - -Autant peut s'en dire du «canard» lancé en 1907 par un -quotidien,--spécialiste en excitations contre le mouvement -syndical,--qui raconta qu'un préparateur en pharmacie, féru du sabotage, -venait de substituer de la strychnine et autres poisons violents à -d'innocentes drogues prescrites pour la préparation de cachets. - -Contre cette histoire, qui n'était qu'un mensonge,--et aussi une -insanité,--le syndicat des préparateurs en pharmacie protesta avec juste -raison. - -En réalité, si un préparateur en pharmacie avait intention de sabotage, -jamais il n'imaginerait d'empoisonner les malades... ce qui, après avoir -conduit ceux-ci au tombeau, l'amènerait lui-même en cour d'assises et ne -causerait aucun sérieux préjudice à son patron. - -Certes, le «potard» saboteur agirait autrement. Il se bornerait à -gaspiller les produits pharmaceutiques, à en faire une généreuse -distribution; il pourrait encore employer pour les ordonnances les -produits purs,--mais très coûteux,--en place des produits frelatés qui -s'emploient couramment. - -En ce dernier cas, il se dégagerait d'une complicité coupable... de sa -participation au sabotage patronal,--criminel celui-là!--et qui consiste -à délivrer des produits de basse qualité, d'action quasi nulle, au lieu -des produits purs ordonnancés par le médecin. - -Il est inutile d'insister davantage pour démontrer que le sabotage -pharmaceutique peut être profitable au malade, mais qu'il ne peut -jamais,--au grand jamais!--lui être nuisible. - -C'est d'ailleurs par des résultats similaires, favorables au -consommateur, que, dans bien des corporations,--entre autres celle de -l'alimentation,--se manifeste le sabotage ouvrier. - -Et s'il y a un regret à formuler c'est que ce sabotage ne soit pas -davantage entré dans les moeurs ouvrières. Il est triste, en effet, de -constater que, trop souvent, des travailleurs s'associent aux plus -abominables frelatages qu'il soit, au détriment de la santé publique; et -cela, sans envisager la part de responsabilité qui leur incombe dans des -agissements que le Code peut excuser, mais qui n'en sont pas moins des -crimes. - -Un appel à la population parisienne--dont ci-dessous est reproduit -l'essentiel,--lancé en 1908 par le syndicat des Cuisiniers, en dit plus -long sur ce sujet que bien des commentaires: - - Le 1er juin dernier, un chef cuisinier, arrivé du matin même dans un - restaurant populaire, constatait que la viande qui lui était confiée - s'était tellement avariée, que la servir eût été un danger pour les - consommateurs; il en fit part au patron qui exigea qu'elle soit quand - même servie; l'ouvrier, révolté de la besogne qu'on voulait de lui, - refusa de se faire complice de l'empoisonnement de la clientèle. - - Le patron, furieux, de cette indiscrète loyauté, se vengea en le - congédiant et en le signalant au syndicat patronal des restaurants - populaires _La Parisienne_, afin de l'empêcher de se replacer. - - Jusqu'ici, l'incident révèle seulement un acte individuel et ignoble - du patron et un acte de conscience d'un ouvrier; mais la suite de - l'affaire révèle, comme on va le voir, une solidarité patronale - tellement scandaleuse et dangereuse, que nous nous croyons obligés de - la dénoncer: - - Quand l'ouvrier s'est représenté à l'office de placement du syndicat - patronal, le préposé à cet office lui déclara: qu'à lui, ouvrier, ça - ne le regardait pas si les denrées étaient ou non avariées, que ce - n'était pas lui qui était responsable; que du moment qu'on le payait - il n'avait qu'à obéir, que son acte était inadmissible et que - désormais il n'avait plus à compter sur leur service de placement pour - avoir du travail. - - Crever de faim ou se faire au besoin complice d'empoisonnement, voilà - le dilemme posé aux ouvriers par ce syndicat patronal. - - D'autre part, ce langage établit bien nettement que, loin de réprouver - la vente des denrées avariées, ce syndicat couvre et défend ces actes - et poursuit de sa haine les empêcheurs d'empoisonner tranquillement! - -Il n'est sûrement pas un spécimen unique dans Paris, ce restaurateur -sans scrupules qui sert de la viande pourrie à sa clientèle. Cependant, -rares sont les cuisiniers qui ont le courage de suivre l'exemple donné. - -C'est que, hélas, à avoir trop de conscience, ces travailleurs risquent -de perdre leur gagne-pain,--voire d'être boycottés! Or, ce sont là des -considérations qui font tourner bien des têtes, vaciller bien des -volontés et mettent un frein à bien des révoltes. - -Et c'est pourquoi, trop peu nous sont dévoilés les mystères des -gargottes,--populaires ou aristocratiques. - -Il serait pourtant utile au consommateur de savoir que les énormes -quartiers de boeuf qui, aujourd'hui, s'étalent à la devanture du -restaurant qu'il fréquente sont des viandes apétissantes qui, demain, -seront trimballées et détaillées aux Halles... tandis qu'à la gargote en -question se débiteront des viandes suspectes. - -Il lui serait également utile, au client, de savoir que le potage bisque -d'écrevisses qu'il savoure est fait avec les carapaces de langoustes -laissées hier,--par lui ou d'autres,--sur l'assiette; carapaces -soigneusement raclées, pour en détacher le pulpe y adhérant encore et -qui, broyé au mortier, est finement délayé par un coulis qu'on teinte en -rose avec du carmin. - -De savoir aussi: qu'on «fait» les filets de barbue avec de la lotte ou -du cabillaud; que les filets de chevreuil sont de la «tranche» de boeuf, -pimentée grâce à une marinade endiablée; que pour enlever aux volailles -la saveur «passée» et les «rajeunir» on promène dans l'intérieur un fer -rouge. - -Et encore, que tout le matériel de restaurant: cuillers, verres, -fourchettes, assiettes, etc., est essuyé avec les serviettes abandonnées -par les clients après leur repas,--d'où contagion possible de -tuberculose... sinon d'avarie! - -La liste serait longue,--et combien nauséeuse!--s'il fallait énumérer -tous les «trucs» et les «fourbis» de commerçants rapaces et sans -vergogne qui, embusqués au coin de leur boutique, ne se satisfont point -de détrousser leurs pratiques, mais encore trop souvent, les -empoisonnent par dessus le marché. - -D'ailleurs, il ne suffit pas de connaître les procédés; il faut savoir -quelles sont les maisons «honorables» qui sont coutumières de ces -criminelles manières de faire. C'est pourquoi nous devons souhaiter, -dans l'intérêt de la santé publique, que les ouvriers de l'alimentation -sabotent les réputations surfaites de leurs patrons et nous mettent en -garde contre ces malfaiteurs. - -Observons, au surplus, qu'il est, pour les cuisiniers, une autre variété -de sabotage: c'est de préparer les plats d'excellente façon, avec tous -les assaisonnements nécessaires et en y apportant tous les soins requis -par l'art culinaire; ou bien, dans les restaurants à la portion, d'avoir -la main lourde et copieuse, au profit des clients. - - * * * * * - -De tout ceci il résulte donc, que, pour les ouvriers de cuisine, le -sabotage s'identifie avec l'intérêt des consommateurs, soit qu'ils -s'avisent d'être de parfaits maîtres-queux, soit qu'ils nous initient -aux arcanes peu ragoûtantes de leurs officines. - -Certains objecteront peut-être que, dans ce dernier cas, les cuisiniers -font, non pas acte de sabotage, mais donnent un exemple d'intégrité et -de loyauté professionnelle digne d'encouragement. - -Qu'ils prennent garde! Ils s'engagent sur une pente très savonnée, très -glissante et ils risquent de rouler à l'abîme... c'est-à-dire à la -condamnation formelle de la société actuelle. - -En effet, la falsification, la sophistication, la tromperie, le -mensonge, le vol, l'escroquerie sont la trame de la société capitaliste; -les supprimer équivaudrait à la tuer... Il ne faut pas s'illusionner: le -jour où on tenterait d'introduire dans les rapports sociaux, à tous les -degrés et dans tous les plans, une stricte loyauté, une scrupuleuse -bonne foi, plus rien ne resterait debout, ni industrie, ni commerce, ni -banque..., rien! rien! - -Or, il est évident que, pour mener à bien toutes les opérations louches -auxquelles il se livre, le patron ne peut agir seul; il lui faut des -aides, des complices... il les trouve dans ses ouvriers, ses employés. -Il s'en suit logiquement qu'en associant ses employés à ses -manoeuvres--mais non à ses bénéfices--le patron, dans n'importe quelle -branche de l'activité, exige d'eux une soumission complète à ses -intérêts et leur interdit d'apprécier et de juger les opérations et les -agissements de sa maison; s'il en est qui ont un caractère frauduleux, -voire criminel, cela ne les regarde point. - -«_Ils ne sont pas responsables... Du moment qu'on les paie, ils n'ont -qu'à obéir..._», ainsi l'observait très bourgeoisement le préposé de la -«Parisienne» dont il a été question plus haut. - -En vertu de tels sophismes, le travailleur doit faire litière de sa -personnalité, étouffer ses sentiments et agir en inconscient; toute -désobéissance aux ordres donnés, toute violation des secrets -professionnels, toute divulgation des pratiques, pour le moins -malhonnêtes, auxquelles il est astreint, constitue de sa part un acte de -félonie à l'égard du patron. - -Donc, s'il se refuse à l'aveugle et passive soumission, s'il ose -dénoncer les vilenies auxquelles on l'associe, il est considéré comme se -rebellant contre son employeur, car il se livre envers lui à des actes -de guerre,--il le sabote! - -Au surplus, cette manière de voir n'est pas particulière aux patrons, -c'est aussi comme acte de guerre,--comme acte de sabotage,--que les -syndicats ouvriers interprètent toute divulgation préjudiciables aux -intérêts capitalistes. - -Cet ingénieux moyen de battre en brèche l'exploitation humaine a même -reçu un nom spécial: c'est le sabotage par la méthode de la _bouche -ouverte_. - -L'expression est on ne peut plus significative. Il est, en effet certain -que bien des fortunes ne se sont édifiées que grâce au silence qu'ont -gardé sur les pirateries patronales les exploités qui y ont collaboré. -Sans le mutisme de ceux-ci, il eût été difficile, sinon impossible aux -exploiteurs de mener à bien leurs affaires; si elles ont réussi, si la -clientèle est tombée dans leurs panneaux, si leurs bénéfices ont fait -boule de neige, c'est grâce au silence de leurs salariés. - -Eh bien! ces muets du sérail industriel et commercial sont las de rester -bouche close. Ils veulent parler! Et ce qu'ils vont dire va être si -grave que leurs révélations vont faire le vide autour de leur patron, -que sa clientèle va se détourner de lui... - -Cette tactique de sabotage qui, sous ses formes anodines et vierges de -violences, peut être aussi redoutable pour bien des capitalistes que la -brutale mise à mal d'un précieux outillage est en passe de considérable -vulgarisation. - -C'est à elle que recourent les travailleurs du bâtiment qui dévoilent, à -l'architecte ou au propriétaire qui fait construire, les malfaçons de -l'immeuble qu'ils viennent de terminer, ordonnées par l'entrepreneur et -à son profit: murs manquant d'épaisseur, emploi de mauvais matériaux, -couches de peinture escamotées, etc. - -_Bouche ouverte_, également, lorsque les ouvriers du métro dénoncent à -grand fracas les criminels vices de construction des tunnels; - -_Bouche ouverte_, aussi, quand les garçons épiciers pour amener à -composition les maisons réfractaires à leurs revendications ont avisé, -par voie d'affiches, les ménagères des trucs et des filouteries du -métier; - -_Bouche ouverte_, encore, les placards des préparateurs en pharmacie--en -lutte pour la fermeture à 9 heures du soir--dénonçant le coupable -sabotage des malades par des patrons insoucieux. - -Et c'est de même à la pratique de la _bouche ouverte_ qu'ont décidé de -recourir les employés des maisons de banque et de Bourse. Dans une -assemblée générale, tenue en juillet dernier, le syndicat de ces -employés a adopté un ordre du jour menaçant les patrons, s'ils font la -sourde oreille aux revendications présentées, de rompre le silence -professionnel et de révéler au public tout ce qui se passe dans les -cavernes de voleurs que sont les maisons de finance. - -Ici, une question se pose: - -Que vont dire de la _bouche ouverte_ les pointilleux et tatillons -moralistes qui condamnent le sabotage au nom de la morale? - -Auxquels des deux, patrons ou employés, vont aller leurs anathèmes? - -Aux patrons, escrocs, spoliateurs, empoisonneurs, etc., qui entendent -associer leurs employés à leur indignité, les rendre complices de leurs -délits, de leurs crimes? - -Ou bien, aux employés qui, se refusant aux malhonnêtetés et aux -scélératesses que l'exploiteur exige d'eux, libèrent leur conscience en -mettant public ou consommateurs en garde? - - * * * * * - -Nous venons d'examiner les procédés de sabotage mis en oeuvre par la -classe ouvrière, sans suspension de travail, sans qu'il y ait abandon du -chantier ou de l'atelier; mais le sabotage ne se limite pas à cette -action restreinte; il peut devenir,--et il devient de plus en plus,--un -aide puissant au cas de grève. - -Le milliardaire Carnegie, le roi du Fer, a écrit: - - Attendre d'un homme qui défend son salaire pour les besoins de sa vie, - d'assister tranquillement à son remplacement par un autre homme, c'est - trop attendre. - -C'est ce que ne cessent de dire, de répéter, de clamer les -syndicalistes. Mais, il n'y a pire sourds, on le sait, que ceux qui ne -veulent pas entendre,--et les capitalistes sont du nombre! - -Cette pensée du milliardaire Carnegie, le citoyen Bousquet, secrétaire -du Syndicat des Boulangers parisiens, l'a paraphrasée dans un article de -la Voix du Peuple[5]: - - [5] Dans le numéro du 21 mai 1905. - - Nous pouvons constater, écrivait-il, que le simple fait de l'arrêt du - travail n'est pas suffisant pour l'aboutissant d'une grève. Il serait - nécessaire et même indispensable, pour le résultat du conflit, que - l'outillage,--c'est-à-dire les moyens de production de l'usine, du - tissage, de la mine, de la boulangerie, etc.,--soit réduit à la grève, - c'est-à-dire au _non fonctionnement_... - - Les renégats vont travailler. Ils trouvent les machines, les outils, - les fours en bon état,--et ce, par la suprême faute des grévistes qui, - ayant laissé en _bonne santé_ ces moyens de production, ont laissé - derrière eux la cause de leur échec revendicatif... - - Or, se mettre en grève et laisser en _état normal_ les machines et - outils, est du temps perdu pour une lutte efficace. En effet, le - patronat, disposant des renégats, de l'armée, de la police, fera - fonctionner les machines... et le but de la grève ne sera pas atteint. - - Le premier devoir avant la grève est donc de réduire à l'impuissance - les instruments de travail. C'est l'A B C de la lutte ouvrière. - - Alors, la partie devient égale entre le patron et l'ouvrier, car, - alors, la cessation du travail qui est _réelle_, produit le but - désiré, c'est-à-dire l'arrêt de la vie dans le clan bourgeois. - - Désir de grève dans l'alimentation?... Quelques litres de pétrole ou - autre matière grasse et odorante répandue sur la sole du four... Et - renégats ou soldats peuvent venir faire du pain. Ce pain sera - immangeable, car les carreaux (pendant au moins trois mois) garderont - l'odeur de la matière et l'inculqueront au pain. - - Résultat: four inutilisable et à démolir. - - Désir de grève dans la métallurgie?... Du sable ou de l'émeri dans les - engrenages de ces machines qui, montres fabuleuses, marquent - l'exploitation du prolétariat; ce sable fera grincer ces machines, - encore plus fort que le patron et le contre-maître, et le colosse de - fer, le pondeur de travail, sera réduit à l'impuissance et les - renégats aussi... - -C'est la même thèse qu'a effleurée dans sa brochure _Le Syndicalisme -dans les Chemins de fer_, le citoyen A. Renault, employé de -l'Ouest-État, thèse qui lui a valu, en septembre dernier, d'être révoqué -par le Conseil d'enquête, qui en la circonstance, a eu figure de conseil -de guerre: - - Pour être certain du succès, expliquait Renault, au cas où la majorité - des employés de chemins de fer ne cesserait pas le travail au début, - il est indispensable qu'une besogne dont il est inutile de donner ici - une définition, soit faite, au même instant, dans tous les centres - importants, au moment de la déclaration de grève. - - Pour cela, il faudrait que des équipes de camarades résolus, décidés, - coûte que coûte, à empêcher la circulation des trains, soient dès - maintenant constitués dans tous les groupes et les points importants. - Il faudrait choisir des camarades parmi les professionnels, parmi ceux - qui, connaissant le mieux les rouages du service, sauraient trouver - les endroits sensibles, les points faibles, frapperaient à coup sûr - _sans faire de destruction imbécile_ et, par leur action efficace, - adroite, intelligente autant qu'énergique, rendraient, d'un seul coup, - inutilisable pour quelques jours le matériel indispensable au - fonctionnement du service et à la marche des trains. - - Il faut penser sérieusement à cela. Il faut compter avec les jaunes, - les soldats... - -Cette tactique qui consiste à doubler la grève des bras de la grève des -machines peut paraître s'inspirer de mobiles bas et mesquins. Il n'en -est rien! - -Les travailleurs conscients se savent n'être qu'une minorité et ils -redoutent que leurs camarades n'aient pas la ténacité et l'énergie de -résister jusqu'au bout. Alors, pour entraver la désertion de la masse, -ils lui rendent la retraite impossible: ils coupent les ponts derrière -elle. - -Ce résultat, ils l'obtiennent en enlevant aux ouvriers, trop soumis aux -puissances capitalistes, l'outil des mains et en paralysant la machine -que fécondait leur effort. Par ces moyens, ils évitent la trahison des -inconscients et les empêchent de pactiser avec l'ennemi en reprenant le -travail mal à propos. - -Il y a une autre raison à cette tactique: ainsi que l'ont noté les -citoyens Bousquet et Renault, les grévistes n'ont pas que les renégats à -craindre; ils doivent aussi se méfier de l'armée. - -En effet, il devient de plus en plus d'usage capitaliste de substituer -aux grévistes la main d'oeuvre militaire. Ainsi, dès qu'il est question -d'une grève de boulangers, d'électriciens, de travailleurs des Chemins -de fer, etc., le gouvernement songe de suite à énerver la grève et à la -rendre inutile et sans objet en remplaçant les grévistes par des -soldats. - -C'est au point que, pour supplanter les électriciens, par exemple, le -gouvernement a dressé un corps de soldats du génie, auxquels on a appris -le fonctionnement des machines génératrices d'électricité, ainsi que la -manipulation des appareils et qui sont toujours prêts à accourir prendre -la place des ouvriers de l'industrie électrique au premier symptôme de -grève. - -Il est donc de lumineuse évidence que si les grévistes, qui connaissent -les intentions gouvernementales, négligent,--avant de suspendre le -travail,--de parer à cette intervention militaire, en la rendant -impossible et inefficace, ils sont vaincus d'avance. - -Prévoyant le péril, les ouvriers qui vont engager la lutte seraient -inexcusables de ne pas y obéir. Ils n'y manquent pas! - -Mais alors il arrive qu'on les accuse de vandalisme et qu'on blâme et -flétrit leur irrespect de la machine. - -Ces critiques seraient fondées s'il y avait de la part des ouvriers -volonté systématique de détérioration, sans préoccupation de but. Or, ce -n'est pas le cas! Si les travailleurs s'attaquent aux machines c'est, -non par plaisir ou dilettantisme, mais parce qu'une impérieuse nécessité -les y oblige. - -Il ne faut pas oublier qu'une question de vie ou de mort se pose pour -eux: s'ils n'immobilisent pas les machines ils vont à la défaite, à -l'échec de leurs espérances; s'ils les sabotent, ils ont de grandes -chances de succès, mais par contre, ils encourent la réprobation -bourgeoise et sont accablés d'épithètes malsonnantes. - -Étant donné les intérêts en jeu, il est compréhensible qu'ils affrontent -ces anathèmes d'un coeur léger et que la crainte d'être honnis par les -capitalistes et leur valetaille ne les fasse pas renoncer aux chances de -victoire que leur réserve une ingénieuse et audacieuse initiative. - -Ils sont dans une situation identique à celle d'une armée qui, acculée à -la retraite, se résout à regret à la destruction des armements et des -approvisionnements qui gêneraient sa marche et risqueraient de tomber au -pouvoir de l'ennemi. En ce cas, cette destruction est légitime, tandis -qu'en toute autre circonstance elle serait folie. - -En conséquence, il n'y a pas plus raison de blâmer les ouvriers qui, -pour assurer leur triomphe recourent au sabotage, qu'il n'y a lieu de -blâmer l'armée qui, pour se sauver elle-même, sacrifie ses -_impedimenta_. - -Nous pouvons donc conclure qu'il en est du sabotage, ainsi que de toutes -les tactiques et de toutes les armes: la justification de leur emploi -découle des nécessités et du but poursuivi. - -C'est à cette préoccupation des nécessités inéluctables et du but à -atteindre qu'obéissaient, il y a quelques années, les employés des -tramways de Lyon qui, pour rendre impossible la circulation des «cars», -avec des renégats pour wattmen, coulaient du ciment dans les aiguilles -des rails. - -Autant peut s'en dire également du personnel du chemin de fer du Médoc -qui se mit en grève en juillet 1908: avant de suspendre le travail il -avait eu soin de couper la ligne télégraphique reliant les gares et, -lorsque la Compagnie voulut organiser un service de fortune il fut -constaté que les organes de prise d'eau des locomotives avaient été -dévissés et cachés. - -Un original procédé est le suivant, qui fut appliqué à Philadelphie dans -une grande maison de fourrures, une de ces dernières années: avant de -quitter le travail les ouvriers coupeurs furent invités par le Syndicat -à modifier la grandeur de leurs «patrons» régulièrement d'un pouce en -plus ou en moins. Chaque ouvrier suivit le conseil, rognant ou -augmentant ses «patrons» à sa guise... Après quoi, le travail ayant -cessé des «jambes noires» furent embauchés sans que les grévistes en -soient émus. Ces jaunes se mirent au travail et ce fut un beau gâchis! -Les coupeurs coupèrent... et rien ne s'accordait! Tant et si bien -qu'après avoir perdu beaucoup de dollars, le patron fut dans -l'obligation de réembaucher les grévistes... Chacun reprit son poste et -chacun redressa ses «patrons» en plus ou en moins. - -On n'a pas oublié la formidable désorganisation qu'apporta au printemps -de 1909 la grève des Postes et Télégraphes. Cette grève étonna bien des -aveugles volontaires, auxquels échappent les symptômes sociaux les plus -accentués; ceux-là eussent manifesté moins de stupéfaction s'ils avaient -su que le _Cri Postal_, l'organe corporatif des sous-agents des P. T. -T., déclarait, dès le mois d'avril 1907: - - Vous nous parlez coups de trique, nous répondrons coups de matraque... - Ce que vous ne pourrez jamais empêcher, c'est qu'un jour, les - correspondances et les télégrammes pour Lille aillent faire un tour à - Perpignan. Ce que vous ne pourrez jamais empêcher, c'est que les - communications téléphoniques soient subitement embrouillées et les - appareils télégraphiques subitement détraqués. Ce que vous ne pourrez - jamais empêcher, c'est que dix mille employés restent à leur poste, - mais les bras croisés. Ce que vous ne pourrez jamais empêcher c'est - que dix mille employés vous remettent le même jour, à la même heure, - leur demande de mise en disponibilité et cessent le travail - _légalement aussitôt_. Et ce que vous ne pourrez jamais faire, c'est - les remplacer par des soldats... - -Bien d'autres exemples seraient à citer. Mais, n'écrivant pas un traité -de sabotage, il ne peut être question d'exposer ici les moyens, aussi -complexes que variés, auxquels recourent et peuvent recourir les -travailleurs. Les quelques-uns que nous venons de rappeler suffisent -amplement pour faire saisir sur le vif les caractères du sabotage. - - * * * * * - -Outre les procédés exposés ci-dessus il en est un autre,--qui s'est -passablement répandu depuis l'échec de la deuxième grève des -Postiers,--et qu'on pourrait qualifier de sabotage par représailles. - -A la suite de cette deuxième grève, des groupes de révolutionnaires, -dont les recherches de la police et du parquet n'ont pas réussi à -découvrir la filière, décidèrent de saboter les lignes télégraphiques et -téléphoniques, pour protester contre le renvoi en masse de plusieurs -centaines de grévistes. Ils annoncèrent leur intention de s'acharner à -ces guérillas d'un nouveau genre tant que les postiers révoqués pour -faits de grève, n'auraient pas été réintégrés. - -Une circulaire confidentielle envoyée aux adresses sûres que ces -groupes,--ou ce groupe,--s'étaient procurées, précisait dans quelles -conditions devait s'opérer cette campagne de sabotage des fils. - - Les camarades qui t'envoient ce papier, disait cette circulaire, te - connaissent si tu ne les connais pas; excuse-les de ne pas signer. - - Ils te connaissent pour un révolutionnaire sérieux. - - Ils te demandent de couper les fils télégraphiques et téléphoniques - qui seront à ta portée dans la nuit de lundi à mardi 1er juin. - - Les nuits suivantes tu continueras sans autre mot d'ordre, le plus - souvent que tu pourras. - - Quand le Gouvernement en aura assez il réintégrera les 650 postiers - qu'il a révoqués. - -Dans une seconde partie, cette circulaire contenait un formulaire -détaillé et technique qui exposait les différentes façons de couper les -fils tout en évitant d'être électrocutés. Elle recommandait aussi, avec -beaucoup d'insistance, de ne pas toucher aux fils des signaux ni aux -fils télégraphiques des compagnies de chemins de fer et, pour rendre -impossible toute erreur, il était insisté minutieusement sur les moyens -de reconnaître les fils des compagnies de ceux des lignes de l'État. - -L'hécatombe des fils télégraphiques et téléphoniques fut considérable -sur tous les points de la France et elle se continua sans répit jusqu'à -la chute du ministère Clemenceau. - -A l'avènement du ministère Briand il y eut une sorte d'armistice, une -suspension des hostilités contre les lignes télégraphiques, les nouveaux -ministres ayant laissé entrevoir comme prochaine la réintégration des -victimes de la grève. - -Depuis, en diverses circonstances, certains groupes, voulant protester -contre l'arbitraire du pouvoir, ont pris l'initiative de s'adonner à -cette guerre aux fils télégraphiques et téléphoniques. Voici, à titre -documentaire, l'un des bilans d'un des groupes les plus actifs en ce -genre d'opérations: - - _Septième bilan du groupe révolutionnaire secret de la région de - Joinville et ses succursales:_ - - Fils télégraphiques et téléphoniques coupés pour protester contre - l'arrestation arbitraire du camarade Ingweiller, secrétaire de l'Union - syndicale des ouvriers sur métaux, les poursuites scandaleuses - engagées contre le comité de grève du Bi-Métal et les condamnations - prononcées le 25 juillet 1910. - - Opérations faites par le comité révolutionnaire secret de la région de - Joinville et le comité de Seine-et-Oise du 8 au 28 juillet 1910: - - Région de Montesson, le Vésinet, Pont du Pecq 78 lignes - 25 juillet.--Route de Melun à Montgeron 32 -- - 25 juillet.--Route de Corbeil à Draveil. 24 -- - 28 juillet.--Ligne du P.-L.-M. (Porte de Charenton) 87 -- - Total 221 lignes - Report des 6 précédents bilans. 574 -- - Total 795 lignes - -Jusqu'ici, nous n'avons envisagé le sabotage que comme un moyen de -défense utilisé par le producteur contre le patron. Il peut, en outre, -devenir un moyen de défense du public contre l'État ou les grandes -compagnies. - -L'État--à tout seigneur tout honneur!--en a déjà pâti. On sait avec -quelle désinvolture il exploite les services publics qu'il a englobés. -On sait aussi que les voyageurs du réseau de l'Ouest sont, entre tous, -les plus mal lotis. Aussi, à bien des reprises, un vent de colère a-t-il -passé sur eux et il y a eu alors, en une crise de révolte, fusion des -classes contre l'État maudit. - -Nous avons assisté à un rude sabotage de la gare St-Lazare... mais ce ne -fut qu'un geste d'exaspération impulsif et momentané. - -Or, voici qu'un syndicat de «défense des intérêts des voyageurs» vient, -à fin août dernier, de se constituer et, dès sa naissance, convaincu de -l'inanité des moyens légaux, il a (dans une réunion tenue à Houilles) -affirmé sa volonté de recourir, pour obtenir satisfaction, à tous les -moyens possibles et imaginables et s'est déclaré partisan d'un sabotage -intensif du matériel. - -C'est preuve que le sabotage fait son chemin! - - - - -CHAPITRE V - -L'obstructionnisme - - -L'_obstructionnisme_ est un procédé de sabotage à rebours qui consiste à -appliquer avec un soin méticuleux les règlements, à faire la besogne -dont chacun a charge avec une sage lenteur et un soin exagéré. - -Cette méthode est surtout usitée dans les pays germaniques et une des -premières et importantes applications en a été faite en 1905, en Italie, -par les travailleurs des chemins de fer. - -Il est inutile d'insister pour démontrer qu'en ce qui concerne -spécialement l'exploitation des voies ferrées, les circulaires et les -règlements chevauchent les uns sur les autres; il n'est pas difficile -non plus de concevoir combien leur scrupuleuse et stricte application -peut apporter de désarroi dans le service. - -Le gâchis et la désorganisation furent, en Italie, lors de l'Obstruction -des _Ferrovieri_ fantastiques et formidables. En fait, la circulation -des trains fut presque suspendue. - -L'évocation de ce que fut cette période de résistance passive fera -saisir toute l'ingéniosité de cette tactique de lutte ouvrière. Les -reporters qui vécurent l'_obstruction_ nous en donnèrent des récits qui -ont une saveur que n'aurait pas un exposé théorique. Laissons-leur donc -la parole: - - Le règlement veut qu'on ouvre le guichet pour la distribution des - tickets trente minutes avant l'heure du départ du train et qu'on le - ferme cinq minutes avant. - - On ouvre donc les guichets. La foule se presse et s'impatiente. Un - monsieur offre un billet de 10 francs pour payer un ticket de 4 fr. - 50. L'employé lui lit l'article qui impose aux voyageurs l'obligation - de se présenter avec leur argent, compté jusqu'aux centimes. Qu'il - aille donc faire de la monnaie. L'incident se répète pour huit - voyageurs sur dix. Contre tout usage, mais selon le règlement, on ne - rend pas de monnaie, fût-ce sur un franc. Après vingt-cinq minutes, - une trentaine de personnes à peine ont pris leurs billets. Les autres - arrivent essoufflées, avec leur monnaie. Mais le guichet est fermé, - parce que le délai réglementaire est écoulé. - - Ne croyez pas, toutefois, que ceux qui ont pu prendre leurs billets ne - soient pas à plaindre. Ils ne sont qu'au début de leurs peines. Ils - sont dans le train, mais le train ne part pas. Il doit attendre que - d'autres trains arrivent, d'autres trains qui sont en panne à cinq - cents mètres de la gare. Car, d'après le règlement, on a accompli là - des manoeuvres qui ont déterminé un arrêt interminable. Des voyageurs, - impatientés, sont même descendus pour gagner à pied la gare; mais les - surveillants les ont arrêtés et leur ont dressé procès-verbal. - - D'ailleurs, dans le train qui doit partir, il y a des tuyaux de - chauffage à surveiller, et une inspection minutieuse peut durer - jusqu'à deux heures. Enfin, le train s'ébranle. On pousse un soupir de - soulagement. On croit toucher au but. Illusion! - - A la première gare, le chef de train examine toutes les voitures et - donne les ordres opportuns. On vérifie notamment si toutes les - portières sont bien fermées. On devrait s'arrêter une minute; c'est un - quart d'heure au moins qu'il faut compter... - -Ces incidents, qui se produisirent au premier jour, à Rome et un peu -partout, ne donnent qu'une image, imparfaite encore, de la situation. -Pour les manoeuvres dans les gares et pour la formation des trains de -marchandises, les choses étaient bien plus compliquées. - -Et tout cela entremêlé d'incidents grotesques ou joyeux à faire pâmer -d'aise les mânes de Sapeck. - -A Milan, un train s'était formé péniblement après une heure et demie de -travail. Le surveillant passe et voit, tout au milieu, une de ces -vieilles et horribles voitures que, par avarice, les Compagnies -s'obstinent à faire circuler. «Voiture hors d'usage», prononce-t-il. Et -tout de suite, il faut détacher la voiture et reformer le train. - -A Rome, un chauffeur doit reconduire sa machine au dépôt. Mais il -s'aperçoit que, derrière le tender on n'a pas placé les trois lanternes -réglementaires. Il refuse donc de bouger. On va chercher les lanternes; -mais, au dépôt, on refuse de les livrer, car on réclame un mot écrit du -chef de gare. Cet incident prend une demi-heure. - -Au guichet se présente un voyageur avec un billet à prix réduit. Au -moment de timbrer, l'employé demande: - ---Vous êtes bien M. Untel, dont le nom figure sur le billet? - ---Certainement. - ---Vous avez des papiers constatant votre identité? - ---Non, pas sur moi. - ---Alors, soyez assez bon pour trouver deux témoins qui me garantissent -votre identité... - -Toujours au guichet: un député se présente. - ---Ah! vous êtes l'honorable X...? - ---Parfaitement. - ---Votre médaille? - ---Voici. - ---Veuillez me donner votre signature. - ---Avec plaisir. Un encrier. - ---Je n'en ai malheureusement pas. - ---Alors, comment puis-je signer? - -Et l'employé, placide et imperturbable de répondre: - ---Je crois qu'au buffet... - -Le correspondant d'un grand journal parisien narra, à l'époque, son -burlesque voyage au temps d'obstruction: - - Je me fis conduire à la gare des Termini (à Rome), où j'arrivai juste - à l'heure du départ réglementaire du train de Civita-Vecchia, Gênes, - Turin et Modane. - - Je me présentai au guichet qui était libre. - - --Suis-je encore à temps pour le train de Gênes? demandai-je à - l'employé. - - Celui-ci me regarde un moment d'un air étonné; puis, il me répond avec - flegme, en scandant les syllabes: - - --Certainement, le train de Gênes n'est pas encore parti. - - --Donnez-moi donc un billet d'aller et retour pour Civita-Vecchia, - dis-je en lui passant ma monnaie comptée par avance. - - L'employé prend ma monnaie, observe minutieusement et une à une chaque - pièce, chaque sou; il les palpe, les fait sonner pour les vérifier, le - tout avec une lenteur telle que je lui dis, feignant l'impatience: - - --Mais vous allez me faire manquer mon train! - - --Bah! votre train ne part pas encore... - - --Comment! comment! fis-je. - - --Oui... On dit qu'il y a une petite chose de détraquée dans la - machine. - - --Eh bien! on la changera! - - --_Chi lo sa?..._ - - Je laisse cet homme impassible, et gagne le quai dont la physionomie - est anormale. Plus de ces allées et venues fébriles, de facteurs, - d'employés; ceux-ci sont répartis en petits groupes, parlant posément - entre eux, ce pendant que les voyageurs font les cent pas devant les - portières du train ouvertes. Partout règne le calme d'une petite gare - de province. - - Je m'approche d'une voiture de première classe. Une dizaine de - manoeuvres astiquent les poignées de cuivre, nettoient les vitres, - ouvrent et ferment les portières pour s'assurer qu'elles jouent bien, - époussètent les coussins, éprouvent les robinets d'eau et les boutons - de lumière électrique. Une vraie rage de propreté, fait inouï dans les - chemins de fer italiens! Huit minutes ont passé et la voiture n'est - pas prête encore. - - --_Dio mio!_ s'écrie soudain un des manoeuvres, voilà de la rouille - sur les poignées de cette portière! - - Et il frotte la rouille avec une ardeur sans pareille. - - --Est-ce que vous allez nettoyer ainsi toutes les voitures? lui - dis-je. - - --Toutes! me répond cet homme consciencieux d'une voix grave. Et il y - en a quinze à nettoyer encore! - - Cependant, la locomotive n'est pas encore là. Je m'enquiers. Un - employé complaisant m'assure que le mécanicien est entré au dépôt à - l'heure réglementaire, mais il lui a fallu beaucoup de temps pour - mettre sa machine en état, car il a voulu peser les sacs de charbon, - compter une à une les briques d'aggloméré, enfin, inquiet sur certains - appareils, il a dû prier son chef de service de venir discuter avec - lui,--conformément au règlement! - - J'assiste au dialogue suivant entre un sous-chef de gare et le chef de - train: - - «--Écoutez, dit le sous-chef de gare, vous savez bien que si vous - exigez que le train soit formé suivant les règlements, on ne partira - plus. - - «--Pardon, chef, réplique l'autre avec calme. Il faut d'abord faire - respecter l'article 293 qui exige que les voitures à tampons fixes - alternent entre les voitures à tampons à ressort. Puis, il y a tout le - train à reformer, car aucun des tampons ne coïncide exactement avec - son contraire, comme il est prescrit à l'article 236, lettre A. Les - chaînes de sûreté manquent en partie à certaines voitures qu'il faudra - par conséquent réparer, comme l'exige l'article 326, lettre B. De - plus, la formation du train n'est pas faite comme il est prescrit, - parce que les voitures pour... - - «--Vous avez parfaitement raison, s'écrie le sous-chef de gare. Mais - pour faire tout cela, il faut une journée! - - «--Ce n'est que trop vrai, soupire le chef de train, goguenard. Mais, - que vous importe? Une fois en route, la responsabilité pèse toute sur - moi. J'insiste donc pour que le règlement soit respecté...» - - Finalement un coup de sifflet annonce que la locomotive s'avance, - s'arrêtant longuement à chaque aiguillage pour une longue discussion - entre le mécanicien et l'aiguilleur. En arrivant sur la voie où notre - train l'attend, le mécanicien s'arrête encore une fois avec prudence: - avant d'aller plus loin et d'aborder la tête de son train, il veut - savoir si les freins des voitures sont en bon état, s'il n'y a pas de - lampistes ou d'autres agents sur les toits des wagons... Un accident - est si vite arrivé! Enfin, le mécanicien se déclare satisfait et il - amène sa locomotive à l'amarrage. - - Nous allons partir?... Allons donc! Le manomètre de la machine doit - marquer 5 degrés et il en marque 4. D'habitude, on part quand même et - la pression monte en route. Mais le règlement exige les 5 degrés au - départ et notre mécanicien ne partirait pour rien au monde à 4,9 - dixièmes ce soir. - - Nous finissons par démarrer avec une heure et demie de retard. Nous - sortons de la gare avec une sage lenteur, sifflant à toutes les - aiguilles, longeant six trains en panne à deux kilomètres de Rome et - dont les voyageurs pestent à qui mieux mieux, et... nous voici sous la - coupe des contrôleurs qui passent leur temps à faire signer les - voyageurs munis de permis, de demi-permis et de billets circulaires. - - Cependant, première station. Des voyageurs montent. Les employés - vérifient lentement la fermeture de toutes les portières, qu'ils - ouvrent et ferment. Dix minutes se perdent encore. Malgré tout, le - chef de gare siffle pour le départ. - - --_Momento!_ lui crie le chef de train. _Momento!_ - - --Qu'y a-t-il? demande le chef de gare. - - --Je vais fermer la vitre de ce compartiment, là-bas, comme le - prescrit l'article 676 du règlement. - - Et il le fait comme il l'a dit! - - On repart... A la gare suivante, nouvelle comédie. - - Il y a là des colis à prendre, neuf malles et cinq valises que le chef - de train tient à vérifier avant de les admettre--comme il est prescrit - par l'article 739 du règlement. - - Et nous sommes arrivés enfin à Civita-Vecchia, à minuit 40, avec près - de trois heures de retard, sur un parcours qui, d'ordinaire, se fait - en deux heures... - -Voilà ce qu'est l'_obstructionnisme_: respect et application, poussés -jusqu'à l'absurde, des règlements; accomplissement de la besogne dévolue -avec un soin excessif et une non moins excessive lenteur. - -Ceci exposé, il n'est pas inutile de connaître l'appréciation portée sur -cette tactique de lutte par le Congrès International des Ouvriers du -Transport, qui se tint à Milan, en juin 1906. - -Le rapporteur était un délégué autrichien, le citoyen Tomschick: - - Il est très difficile de dire, déclara-t-il: le Congrès recommande aux - travailleurs des chemins de fer de se mettre en grève ou d'employer la - résistance passive. Par exemple, ce qui est bon et possible en - Autriche, peut être mauvais et impossible à exécuter dans les autres - pays... - - Quant à la résistance passive: Elle est ancienne, elle a été appliquée - déjà en 1895. Les camarades italiens ont employé la résistance passive - bien maladroitement en l'étendant également aux trains de voyageurs. - Ils ont ainsi excité la population et c'était absolument inutile, car - la circulation des voyageurs n'est pas la partie la plus importante du - commerce, elle ne vient qu'en deuxième ligne. Pour les chemins de fer - c'est surtout la circulation des marchandises qui entre en - considération et il faut frapper les chemins de fer par son arrêt. Si - les camarades italiens avaient fait ceci, ils auraient sans doute - obtenu de grands avantages. Plus les marchandises s'accumulent, plus - l'entière circulation est arrêtée et la conséquence en est que les - voyageurs protestent parce qu'ils doivent rester en dehors et attendre - en vain leur transport. Dans ces cas les réclamations des voyageurs ne - s'adresseront pas aux travailleurs des chemins de fer, mais aux - administrations. En Italie on a pu constater le contraire: la - population était contre les travailleurs des chemins de fer. - - Je vous dis que la résistance passive est bien plus difficile à - exécuter que la grève. Lors de la résistance passive les travailleurs - des chemins de fer sont toujours sous le fouet des supérieurs, à - chaque quart d'heure ils doivent se défendre contre toute sorte de - commandements et, à cause du refus de travail, ils peuvent être - congédiés à chaque moment. - - Prenez tous les fonctionnaires: tout au plus dix sur cent savent les - instructions, car les employés ne sont pas instruits par leurs chefs. - Vous pouvez alors vous imaginer combien il est difficile d'éclairer et - d'informer les travailleurs des chemins de fer lors d'une résistance - passive. - - Et puis il y a encore une circonstance importante qu'il ne faut pas - oublier: lors de la résistance passive on surcharge de travail les - hommes indifférents, ils doivent courir continuellement, ils ont peu - de repos et par la perte de la rémunération kilométrique ils ont en - même temps une diminution de leur gain. C'est pourquoi, nous y - insistons encore une fois, l'exécution de la résistance passive n'est - point une tâche facile... - -Le Congrès ne désapprouva d'ailleurs pas l'Obstruction: il ne se -prononça pas entre les deux moyens,--la résistance passive et la -grève,--laissant aux intéressés le soin d'user de l'une ou de l'autre, -selon qu'ils le jugeraient préférable. - -Ces réserves du Congrès, au sujet de la résistance passive en étaient si -peu une condamnation que, l'année suivante, en octobre 1907, les -cheminots autrichiens avaient recours à ce moyen de lutte: l'obstruction -se continua durant une quinzaine de jours et les compagnies furent -obligées de capituler. - -Depuis, en maintes circonstances, l'obstructionnisme a été pratiqué dans -les pays autrichiens: entre autres corporations qui y ont eu recours, -citons celles des employés des postes et des typographes. - -Ajoutons, avant de conclure, que ce procédé de lutte a acquis droit de -cité en Allemagne: à l'approche du jour de l'an 1908 les employés des -grandes maisons d'édition de Liepzig ont usé de ce sabotage à rebours -qu'est l'Obstructionnisme. Un journal corporatif exposa les faits comme -suit: - - Ces employés qui, malgré la cherté des vivres, devaient travailler à - des conditions excessivement précaires, avaient soumis un projet de - tarif aux patrons demandant un minimum de salaire de 110 marks par - mois. Les patrons comptant sur le manque d'union des employés (il - existe 5 syndicats différents, dont 1 socialiste), auraient bien voulu - traîner les pourparlers en longueur pour arriver à la morte-saison et - ainsi pouvoir faire fi des revendications ouvrières. Mais ils avaient - compté sans la vigilance du Syndicat socialiste qui convoqua tous les - employés à une réunion, où il fut décidé d'adopter le sabotage pour - forcer les patrons à donner une solution. Le lendemain, les employés - entrèrent dans la résistance passive, c'est-à-dire qu'ils - travaillèrent consciencieusement, _sans trop se presser_, recomptèrent - plusieurs fois les factures avant de les expédier, mettant le plus - grand soin aux emballages, etc., et le résultat fut que quantité de - ballots de livres ne purent être expédiés. Les patrons, voyant les - choses tourner de cette façon, accordèrent dès le lendemain - l'augmentation demandée. - -Il nous reste à observer que si l'Obstructionnisme a fait ses preuves en -Allemagne, il n'a pas encore,--sauf erreur,--été pratiqué en France. -Cependant, il n'est pas improbable qu'il s'y acclimate... il n'est -besoin pour cela que de l'occasion, de circonstances propices. - - - - -Conclusions - - -Ainsi que nous venons de le constater par l'examen des modalités du -sabotage ouvrier, sous quelque forme et à quelque moment qu'il se -manifeste, sa caractéristique est,--toujours et toujours!--de viser le -patronat à la caisse. - -Contre ce sabotage, qui ne s'attaque qu'aux moyens d'exploitation, aux -choses inertes et sans vie, la bourgeoisie n'a pas assez de -malédictions. - -Par contre, les détracteurs du sabotage ouvrier ne s'indignent pas d'un -autre sabotage,--véritablement criminel, monstrueux et abominable on ne -peut plus, celui-là,--qui est l'essence même de la société capitaliste; - -Ils ne s'émeuvent pas de ce sabotage qui, non content de détrousser ses -victimes, leur arrache la santé, s'attaque aux sources même de la vie... -à tout! - -Il y a à cette impassibilité une raison majeure: c'est que, de ce -sabotage-là, ils sont les bénéficiaires! - -Saboteurs, les commerçants qui, en tripatouillant le lait, aliment des -tout petits, fauchent en herbe les générations qui poussent; - -Saboteurs, les fariniers et les boulangers qui additionnent les farines -de talc ou autres produits nocifs, adultérant ainsi le pain, nourriture -de première nécessité; - -Saboteurs, les fabricants de chocolats à l'huile de palme ou de coco; de -grains de café à l'amidon, à la chicorée et aux glands; de poivre à la -coque d'amandes ou aux grignons d'olives; de confitures à la glucose; de -gâteaux à la vaseline; de miel à l'amidon et à la pulpe de châtaignes; -de vinaigre à l'acide sulfurique; de fromages à la craie ou à la fécule; -de bière aux feuilles de buis, etc., etc. - -Saboteurs, les trafiquants, ô combien patriotes!--plus et mieux que -Bazaine,--qui, en 1870-71, contribuèrent au sabotage de leur patrie en -livrant aux soldats des godillots aux semelles de carton et des -cartouches à la poudre de charbon; saboteurs, également, leurs rejetons -qui, entrés dans la carrière paternelle avec au coeur le traditionnel -bonnet à poil, construisent les chaudières explosives des grands -cuirassés, les coques fêlées des sous-marins, fournissent l'armée de -«singe» pourri, de viandes avariées ou tuberculeuses, de pain au talc ou -aux féveroles, etc.[6] - - [6] Autre et récent exemple de sabotage capitaliste: - - Lors du Circuit de l'Est, il fut fait grand tapage, sous prétexte de - sabotage d'aéroplanes. Il est superflu de décharger les - révolutionnaires d'un tel crime. Ils ont en trop haute estime cette - invention merveilleuse pour avoir songé à saboter un aéroplane... - fût-il piloté par un officier. - - Après enquête, il a été reconnu que le seul et unique saboteur des - aéroplanes était un _honnête commerçant_... et patriote, comment - donc! - - On avait commandé à ce mercanti de l'huile de ricin de première - qualité (utilisée pour le graissage des moteurs) et il livra, en - remplacement, du sulforicinate d'ammoniaque, produit inférieur et - nocif qu'il vendit au taux de l'huile de ricin. - - Sous l'action de la chaleur développée par la rotation excessivement - rapide du moteur, le sulforicinate d'ammoniaque se dissocia et il se - forma de l'acide sulfurique dont l'action corrosive fut désastreuse - pour les organes métalliques qu'au lieu de graisser il détériora et - immobilisa. - - Ce sabotage capitaliste eût pu causer la mort des aviateurs - Legagneux et le lieutenant Aquaviva... - -Saboteurs, les entrepreneurs de bâtisses, les constructeurs de voies -ferrées, les fabricants de meubles, les marchands d'engrais chimiques, -les industriels de tous poils et de toutes les catégories... - -Tous saboteurs! tous, sans exceptions!... car, tous, en effet, truquent, -bouzillent, falsifient, le plus qu'ils peuvent. - -Le sabotage est partout et en tout: dans l'industrie, dans le commerce, -dans l'agriculture... partout! partout! - -Or, ce sabotage capitaliste qui imprègne la société actuelle, qui -constitue l'élément dans lequel elle baigne,--comme nous baignons dans -l'oxygène de l'air,--ce sabotage qui ne disparaîtra qu'avec elle, est -bien autrement condamnable que le sabotage ouvrier. - -Celui-ci,--il faut y insister!--ne s'en prend qu'au capital, au -coffre-fort, tandis que l'autre s'attaque à la vie humaine, ruine la -santé, peuple les hôpitaux et les cimetières. - -Des blessures que fait le sabotage ouvrier ne gicle que l'or; de celles -produites par le sabotage capitaliste, au contraire, le sang coule à -flots. - -Le sabotage ouvrier s'inspire de principes généreux et altruistes: il -est un moyen de défense et de protection contre les exactions -patronales; il est l'arme du déshérité qui bataille pour son existence -et celle de sa famille; il vise à améliorer les conditions sociales des -foules ouvrières et à les libérer de l'exploitation qui les étreint et -les écrase... Il est un ferment de vie rayonnante et meilleure. - -Le sabotage capitaliste, lui, n'est qu'un moyen d'exploitation -intensifiée; il ne condense que les appétits effrénés et jamais repus; -il est l'expression d'une répugnante rapacité, d'une insatiable soif de -richesses qui ne recule pas devant le crime pour se satisfaire... Loin -d'engendrer la vie, il ne sème autour de lui que ruines, deuil et mort. - - -IMP. COOPÉRATIVE OUVRIÈRE, VILLENEUVE-St-GEORGES - - - - -SCIENCES SOCIALES - -_EXTRAIT DU CATALOGUE_ - -de la Librairie Marcel RIVIÈRE et Cie - -COLLECTION - -"Les Documents du Socialisme" - -PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE - -Albert THOMAS, Député de la Seine - -Chaque volume in-18 de 72 ou 80 pages: 0 fr. 75 - -Cette bibliothèque fournira aux militants des études précises, simples, -mais nourries de faits sur les différents mouvements économiques et -sociaux (coopération, socialisme, mutualité, municipalisme), sur -l'histoire du socialisme, sur le développement capitaliste. Des -traductions, des rééditions de textes fameux et difficiles à trouver, -des publications statistiques alterneront avec les études originales. -Rapidement les «Documents du socialisme» formeront une collection -indispensable à tout socialiste, à tout homme de science. - -_VOLUMES PARUS:_ - -I. L'Unité coopérative, par Eugène FOURNIÈRE, 1910. - -II. La Civilisation socialiste, par Ch. ANDLER, 1910. - -III. Le Socialisme et la concentration industrielle, par Hubert BOURGIN. - -_À PARAÎTRE:_ - -Le monopole des assurances, par Et. BUISSON. - -L'Internationale, par Georges BOURGIN. - - -BIBLIOTHÈQUE - -DU - -MOUVEMENT PROLÉTARIEN - -Chaque volume in-16, de 64 pages au moins: 0 fr. 60 - -Par son format commode et son prix minime, cette collection s'adresse à -ceux qui, dans tous les milieux, sont attentifs au mouvement social de -leur temps et, spécialement, à cette partie du public qui n'a pas la -possibilité d'aborder les gros travaux et de rechercher les articles -spéciaux publiés sur ces questions. - -Elle comprend des études descriptives, historiques, documentaires, -théoriques, critiques, biographiques, etc. - -_VOLUMES PARUS:_ - -I. Syndicalisme et Socialisme, conférence internationale, par V. -GRIFFUELHES, B. KRITCHEWSKY. A. LABRIOLA, HUBERT LAGARDELLE et ROBERT -MICHELS. - -II. La Confédération Générale du Travail, 2e édition, 1910, par E. -POUGET. - -III. La Décomposition du Marxisme, 2e édition, 1910, par Georges SOREL. - -IV. L'Action syndicaliste, par VICTOR GRIFFUELHES. - -V. Le Parti socialiste et la Confédération du travail, discussion par -JULES GUESDE, HUBERT LAGARDELLE et EDOUARD VAILLANT. - -VI. Les nouveaux aspects du Socialisme, par ED. BERTH. - -VII. Les Instituteurs et le Syndicalisme, par M. T. LAURIN. - -VIII. La Révolution dreyfusienne, par G. SOREL. - -IX. Les Bourses du Travail, par P. DELESALLE. - -X. Voyage révolutionnaire, par V. GRIFFUELHES. - -XI. Les Objectifs de nos luttes de classes, par V. GRIFFUELHES et LOUIS -NIEL, préface de GEORGES SOREL. - -XII. Le Mouvement ouvrier en Italie, par LANZILLO. - -XIII. Le Sabotage, par Em. POUGET. - - -COLLECTION - -"Systèmes et Faits sociaux" - -La Philosophie sociale de Renouvier, par ROGER PICARD, 1 vol. in-8 de -344 pages, br. 7 fr. 50 - -La Richesse de la France. Fortune et revenus privés, par H. DE LAVERGNE -et PAUL HENRY, 1 vol. in-8 de 216 pages, br. 6 fr. - -Race et Milieu social. Essais d'Anthroposociologie, par VACHER DE -LAPOUGE, 1910, 1 vol. in-8 de 393 pages, br. 8 fr. - -La Protection de la Maternité, par J. MORNET, 1910, 1 vol. in-8, br. 6 -fr. - -Le Programme socialiste, par KAUTSKY. Traduction RÉMY, 1910, 1 vol. -in-8, br. 6 fr. - -Le Chômage: causes, conséquences, remèdes, par H. DE LAVERGNE et P. -HENRY, 1910, 1 vol. in-8, br. 8 fr. - -Les Cahiers de 1789 et les classes ouvrières, par ROGER PICARD, 1 vol. -in-8, 1910. 6 fr. - -Le travail à domicile: ses misères, ses remèdes, par G. MÉNY, 1 vol. -in-8, 1910. 8 fr. - -La fin de l'esclavage dans l'antiquité, par CICCOTTI, traduit par G. -PLATON, 1910, 1 vol. in-8, br. 10 fr. - -Introduction à la Sociologie, par G. DE GREEF, prof. à l'Université -nouvelle de Bruxelles, 2e édit., 1911, 2 vol. in-8. 12 fr. - - -COLLECTION - -"Études sur le Devenir social" - -I. Les illusions du progrès, par GEORGES SOREL, 2e édition augmentée, 1 -vol. in-16. 3 fr. 50 - -II. Dialogues socialistes, par ED. BERTH, 1 vol. in-16. 3 fr. 50 - -III. Karl Marx: l'économiste, le socialiste, par A. LABRIOLA, traduit -par BERTH. Préface de GEORGES SOREL, 1 vol. in-16. 4 fr. - -IV. Réflexions sur la violence, par GEORGES SOREL, 2e édition, 1910, 1 -vol. in-16. 5 fr. - -V. Le Mythe vertuiste et la Littérature immorale, par VILFREDO PARETO, -prof. d'économie politique, 1 vol. in-16. 3 fr. - -VI. L'Interprétation économique de l'Histoire, par E. SELIGMAN, traduit -par H.-E. BARRAULT. Préface de GEORGES SOREL, 1 vol. in-16. 3 fr. - - -BIBLIOTHÈQUE - -DES - -Sciences économiques et sociales - -La journée de huit heures, par MARCEL LECOQ, _docteur en droit ès -sciences économiques_, 1 vol. in-16, de 224 pages. 2 fr. - -L'Avenir économique du Japon, par ACHILLE VIALATTE, _professeur à -l'Ecole des Sciences politiques_, 1 vol. in-16. 2 fr. - -Cours d'économie politique, professé au Collège libre des Sciences -Sociales, par PAUL GHIO.--Tome I. _Les Origines_, 1 vol. in-16. 2 fr. - -Le Commerce international, par G. LECARPENTIER, _Avocat à la Cour -d'appel, diplômé de l'Ecole des Sciences politiques_, 1 vol. in-16. 2 -fr. - -Les Employés et leurs Corporations. Étude sur leur fonction économique -et sociale, par E. DELIVET, _lauréat de la Société d'Économie politique -de Paris_, 1 vol. in-16. 2 fr. - -Le Compagnonnage, son histoire, ses mystères, par J. CONNAY, Préface de -L. et M. BONNEFF, 1 vol. in-16. 2 fr. - -Coopération et Socialisme en Angleterre, par BARRAULT et M. ALFASSA. -Préface de CH. GIDE, 1 vol. in-16. 2 fr. - -Commerce maritime et Marine marchande, par G. LECARPENTIER, 1 vol. -in-16. 2 fr. - -La formation du prix des denrées, par A. DULAC (ouvrage couronné par la -Société des agriculteurs de France), 1 vol. in-16. 2 fr. - -La Démocratie sociale devant les idées actuelles, par ET. ANTONELLI, -_professeur au Collège libre des Sciences sociales_. Préface de PAUL -BONCOUR, 1 vol. in-16. 2 fr. - - -Ouvrages divers - -Allard.--_Esclaves, Serfs et Mainmortables_, n. éd. 4 fr. - -Bernstein (Ed.).--_La Grève et le lock-out en Allemagne. Leurs forces, -leur droit, leurs résultats_. Conférence à l'Université nouv. de -Bruxelles, 1908, gr. in-8. 2 fr. 50 - -Bernstein, Hueber, Keir Hardie, G.-S. Middleton, A. Octors, M. Olsen, A. -Quist, F. Thies, E. Vandervelde.--_Syndicats et Parti; les expériences -étrangères_, br., in-8. 0 fr. 30 - -Beuchat et Hollebecque.--_Les religions_. Étude historique et -sociologique du phénomène religieux, 1 vol. in-16, illust. 2 fr. 50 - -Colin (P.).--_Aperçus sur le vagabondage, effets, causes, remèdes_, -1907, 1 vol. in-16, br. 1 fr. 50 - -_1er Congrès de l'Enseignement des Sciences sociales_. Compte rendu des -séances et texte des mémoires de Gide, Waxweiler, G. Renard, Niceforo, -F. Simiand, Hauser, Deherme, 1901, 1 vol. in-8. 5 fr. - -_Ve Congrès national des Syndicats et Groupes corporatifs ouvriers de -France_, tenu à Marseille, du 19 au 22 octobre 1892. Compte rendu, 1 -vol. in-8. 1 fr. 50 - -Delmer.--_Enquête anglaise sur la journée de huit heures_, 1907, in-8, -br. 2 fr. - -Draghiscesco (D.), membre de la Société de Sociologie.--_Le Problème du -Déterminisme social_, 1903, in-8, br. 2 fr. 50 - -Fesch (P.).--_L'année sociale économique_, 1907, 1 vol. in-8, broché. 7 -fr. 50 - ---_L'année sociale économique_, 1908, 1 vol. in-8, br. 7 fr. 50 - -Fournier de Flaix (E.).--_La Statistique des religions_, 1890, in-8 de -54 p. 1 fr. 50 - -Fromont.--_Une expérience industrielle de réduction de la journée de -travail_, 1 vol. in-16, cart. toile. 3 fr. - -Gailhard-Bancel, député.--_Les retraites ouvrières, l'Assistance aux -vieillards et aux infirmes_. Introduction et notes de M. J. Dusart, -préface du comte de Mun, député, 1906, 1 vol. in-12, broché. 3 fr. - -Goineau (A.).--_Les retraites ouvrières et paysannes. Loi du 5 avril -1910 annotée et commentée avec le calcul des pensions auxquelles les -intéressés auront droit_, 1 vol. in-16, 1910. 1 fr. - -Goulut.--_Le Socialisme au pouvoir_, 1910, 1 vol. in-16. 3 fr. 50 - -Heberlin-Darcy.--_Esquisse d'une société collectiviste_. Étude -sociologique, préface d'Anatole France, 1908, br. in-8. 0 fr. 50 - -Kurnatowski (G.).--_Esquisse d'évolution solidariste_, 1 vol. in-8, br. -2 fr. 50 - -Lagardelle.--_La Grève générale et le Socialisme_, enquête -internationale, opinions et documents, 1905, 1 vol. in-18 de 424 p. 3 -fr. 50 - -Niel (L.), ex-secrétaire de la C. G. T.--_Deux Principes de vie -sociale_. La lutte pour la vie. L'entente pour la vie. 1909, 1 vol. -in-12, br. 0 fr. 75 - -Poidvin (A.).--_Guide pratique en matière d'accidents du travail_ à -l'usage des patrons, employés et ouvriers, 1 vol. in-16, br., de 216 p. -2 fr. - -Saint-Cyr (Ch. de).--_La Haute-Italie politique et sociale_, 1908, 1 -vol. in-12 3 fr. - -Saint-Georges d'Armstrong (Baron Th. de).--_Concorde internationale_, -avec commentaires et détails. Lettres écrites aux puissances et voeux -déposés au Congrès permanent de l'Humanité dans les années 1900 à 1906, -1907, 1 vol. gr. in-8. 4 fr. - -Séverac (G.).--_Guide pratique des Syndicats professionnels_, 1908, 1 -vol. in-12, br. 2 fr. - -Sorel (G.).--_Introduction à l'Économie moderne_, 1 volume in-16 5 fr. - ---_Le système historique de Renan_, in-8. 12 fr. - ---_La ruine du monde antique_, in-16. 3 fr. 50 - -Valmor (G.).--_La loi du nombre_, notre principe de gouvernement, 1908, -1 vol. in-16. 1 fr. 50 - ---_Les problèmes de la colonisation_. 3 fr. 50 - -Vandervelde (E.).--_Le sort des campagnes s'améliore-t-il? Un village -brabançon en 1833. Ce qu'il est devenu_. 1 vol. gr. in-8, broché. 2 fr. - ---_Essais sur la question agraire en Belgique_, 1903, 1 vol. in-12 de -210 p. 2 fr. 50 - -Vitali.--_La question des retraites ouvrières devant le Parlement -français_, 1906, 1 vol. in-8, br., 298 p. 5 fr. - -Waxweiller (E.).--_Esquisse d'une Sociologie_. 1 vol. in-4 carré, cart. -toile. 12 fr. - ---_L'Évolution de l'idée d'association des salaires aux profits_, 1909, -brochure gr. in-8. 1 fr. - -Weber (A.).--_A travers la Mutualité_. Étude critique sur les Sociétés -de secours mutuels, 1908, 1 vol. in-8. 5 fr. - - -Publication des Lois ouvrières - -Accidents du Travail.--Loi du 9 avril 1898, modifiée par les lois du 22 -mars 1902 et du 31 mars 1905. Loi du 30 juin 1899, accidents agricoles. -Loi du 16 avril 1906, exploitations commerciales. Décrets -d'administration publique. 1 brochure in-8 de 40 pages. 0 fr. 50 - -Accidents du Travail.--Arrêté du 30 septembre 1905, fixant le tarif des -frais médicaux et pharmaceutiques en matières d'accidents du travail. 1 -brochure in-8. 0 fr. 75 - -Assistance aux Vieillards.--Instruction du 16 avril 1906 suivie de la -loi du 14 juillet 1905. Décret du 14 avril 1906 et annexes. 1 brochure -in-8. 1 fr. 75 - -Bien de famille insaisissable.--Loi du 12 juillet 1909. Décret du 26 -mars 1910 et circulaire, annotés et commentés par PRANARD et MANGOT, -avec formules, 1 vol. in-16. 1 fr. 50 - -Bureaux de placement.--Loi du 14 mars 1904 relative au placement des -ouvriers et employés des deux sexes et de toutes professions. 1 brochure -in-8. 0 fr. 50 - -Caisses d'épargne.--Histoire et Législation, par CHEVAUCHEZ, rédacteur -au Sous-Secrétariat des Postes. In-8 br. 1 fr. 50 - -Caisses de secours contre le chômage.--Décret du 9 septembre 1905, -précédé d'un rapport du Ministre du Commerce et du Ministre des -Finances. 1 brochure in-8. 0 fr. 50 - -Conseils de prud'hommes.--Loi du 27 mars 1907, complétée des textes et -articles des codes mis en vigueur par la présente loi. 1 brochure in-8 -de 32 pages. 0 fr. 50 - -Contrat d'association.--Loi du 1er juillet 1901, modifiée par celles des -4 décembre 1902 et 17 juillet 1903, suivie des décrets des 16 août 1901, -28 novembre 1902, 14 février 1905, et circulaire ministérielle. 1 -brochure in-8 de 46 pages. 0 fr. 50 - -Distributions d'énergie électrique.--Loi du 15 juin 1906, suivie de -celle du 25 juin 1895, brochure in-8. 0 fr. 50 - -Habitations à bon marché et petite propriété.--Loi du 12 avril 1906 et -du 10 avril 1908. 1 brochure in-8. 0 fr. 50 - -Hygiène du Travail.--Lois des 12 juin 1893 et 11 juillet 1903 et décrets -des 29 novembre 1904 et 6 août 1905, suivis des Décrets sur l'emploi de -la céruse, couchage du personnel, ateliers de blanchissage. 1 brochure -in-8 de 30 pages. 0 fr. 50 - -Justice de paix.--Lois des 12 et 13 juillet 1905. 1 brochure in-8. 0 fr. -50 - -Législation électorale.--Lois et décrets concernant les élections des -conseillers municipaux, conseillers généraux, députés, sénateurs, suivis -des lois constitutionnelles, petit volume in-8, broché. 1 fr. 50 - -Liberté de Réunion.--Loi du 30 juin 1881, modifiée par celle du 28 mars -1907 et annotée des textes des 16-24 août 1790, 19-22 juillet 1791, 18 -juillet 1837, 28 juillet 1848, 9 décembre 1905, art. 25-26. Décret du 16 -mars 1906, art. 49. 1 brochure in-8. 0 fr. 50 - -Organisation municipale.--Loi du 5 avril 1884 modifiée par celles des 4 -et 25 février 1901, 7 avril 1902, 8 janvier 1905, 9 décembre 1905 et -complétée par la loi du 22 mars 1890 sur les Syndicats des communes. 1 -brochure in-8 de 48 p. 0 fr. 50 - -Recrutement de l'armée.--Loi du 21 mars 1905, réduisant à deux ans la -durée du service militaire. 1 brochure in-8 de 68 pages. 0 fr. 50 - -Repos hebdomadaire.--Loi du 13 juillet 1906 et Décrets d'administration -publique du 24 août 1906, 13 juillet 1907, 14 août 1907. 1 brochure -in-8. 0 fr. 50 - -Retraites ouvrières et paysannes.--Loi du 5 avril 1910, 1 brochure in-8. -0 fr. 50 - -Sociétés d'assurances sur la vie.--Loi du 17 mars 1905, décrets des 30 -janvier, 12 mai, 9, 22, 25 juin 1906, notice relative à l'enregistrement -et arrêtés de juillet 1907 et modèles d'états à produire. 1 vol. in-8 de -104 pages. 2 fr. - -Sociétés civiles et commerciales.--Loi du 24 juillet 1867, modifiée et -complétée par celles des 1er août 1893 et 16 novembre 1903, suivie des -lois des 29 juin 1872, 1er décembre 1875, et décrets des 9 décembre 1872 -et 10 août 1896 sur le timbre des sociétés. 1 brochure in-8 de 36 pages. -0 fr. 50 - -Sociétés de secours mutuels.--Loi du 1er avril 1898, modifiée et -complétée par celles des 31 mars 1903 et 2 juillet 1904, suivie du -décret du 25 mars 1901. 1 brochure in-8. 0 fr. 50 - -Syndicats professionnels.--Loi du 21 mars 1884, circulaire ministérielle -du 25 août 1884. 1 brochure in-8. 0 fr. 50 - - * * * * * - -Indépendamment des Lois mentionnées ci-dessus et éditées par nos soins, -la librairie peut fournir par fascicules séparés du _Bulletin des Lois_ -toutes celles promulguées depuis 1794. - - -Imp. coop. ouvr. Villeneuve-St-Georges. - - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Le Sabotage, by Émile Pouget - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE SABOTAGE *** - -***** This file should be named 57766-8.txt or 57766-8.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/7/7/6/57766/ - -Produced by Laurent Vogel (This file was produced from -images generously made available by the Bibliothèque -nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm -concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, -and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive -specific permission. If you do not charge anything for copies of this -eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook -for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, -performances and research. They may be modified and printed and given -away--you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks -not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the -trademark license, especially commercial redistribution. - -START: FULL LICENSE - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg-tm License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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There are a lot of things you can do with Project -Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this -agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm -electronic works. See paragraph 1.E below. - -1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the -Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection -of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual -works in the collection are in the public domain in the United -States. If an individual work is unprotected by copyright law in the -United States and you are located in the United States, we do not -claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, -displaying or creating derivative works based on the work as long as -all references to Project Gutenberg are removed. 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Information about the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by -U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the -mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its -volunteers and employees are scattered throughout numerous -locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt -Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to -date contact information can be found at the Foundation's web site and -official page at www.gutenberg.org/contact - -For additional contact information: - - Dr. Gregory B. Newby - Chief Executive and Director - gbnewby@pglaf.org - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide -spread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. 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You may copy it, give it away or re-use it under the terms -of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll -have to check the laws of the country where you are located before using -this ebook. - - - -Title: Le Sabotage - -Author: Émile Pouget - -Release Date: August 25, 2018 [EBook #57766] - -Language: French - -Character set encoding: ISO-8859-1 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE SABOTAGE *** - - - - -Produced by Laurent Vogel (This file was produced from -images generously made available by the Bibliothèque -nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - - - - - - -</pre> +<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57766 ***</div> <p class="c"><b class="large">BIBLIOTHÈQUE</b><br/> du<br/> @@ -2851,378 +2813,7 @@ Lois</i> toutes celles promulguées depuis 1794.</p> -<pre> - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Le Sabotage, by Émile Pouget - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE SABOTAGE *** - -***** This file should be named 57766-h.htm or 57766-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/7/7/6/57766/ - -Produced by Laurent Vogel (This file was produced from -images generously made available by the Bibliothèque -nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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Redistribution is subject to the -trademark license, especially commercial redistribution. - -START: FULL LICENSE - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg-tm License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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