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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-15 05:27:17 -0700
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+Project Gutenberg's L'Avare, by Jean-Baptiste Poquelin [AKA Molière]
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'Avare
+
+Author: Jean-Baptiste Poquelin [AKA Molière]
+
+Posting Date: June 6, 2012 [EBook #6318]
+Release Date: August, 2004
+First Posted: November 25, 2002
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'AVARE ***
+
+
+
+
+Produced by Laurent Le Guillou
+
+
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+
+
+
+
+
+
+
+Source:
+
+Jean-Baptiste Poquelin (1620-1673), alias Molière,
+"Oeuvres de Molière, avec des notes de tous les commentateurs",
+Tome Second,
+Paris, Librarie de Firmin-Didot et Cie,
+Imprimeurs de l'Institut, rue Jacob, 56,
+1890.
+
+Pages 148-229.
+
+[Spelling of the 1890 edition. Footnotes have been retained because
+they provide the meanings of old French words or expressions.
+Footnote are indicated by numbers in brackets, and are grouped
+at the end of the Etext. Text encoding is iso-8859-1.]
+
+
+
+
+
+L'AVARE
+
+
+
+
+Comédie (1667)
+
+
+
+PERSONNAGES ACTEURS
+
+Harpagon, père de Cléante et d'Élise,
+et amoureux de Mariane. Molière.
+Cléante, fils d'Harpagon, amant de Mariane. La Grange.
+Élise, fille d'Harpagon, amante de Valère. Mlle Molière.
+Valère, fils d'Anselme et amant d'Élise. Du Croisy.
+Mariane, amante de Cléante et aimée d'Harpagon. Mlle De Brie.
+Anselme, père de Valère et de Mariane.
+Frosine, femme d'intrigue. Magd. Béjart.
+Maître Simon, courtier.
+Maître Jacques, cuisinier et cocher d'Harpagon. Hubert.
+La Flèche, valet de Cléante. Béjart cadet.
+Dame Claude, servante d'Harpagon.
+Brindavoine,
+La Merluche, laquais d'Harpagon.
+Un commissaire et son clerc.
+
+
+
+La scène est à Paris, dans la maison d'Harpagon.
+
+
+ACTE PREMIER.
+-------------
+
+
+Scène première. - Valère, Élise.
+
+
+
+- Valère -
+
+Hé quoi ! charmante Élise, vous devenez mélancolique, après les
+obligeantes assurances que vous avez eu la bonté de me donner de votre
+foi ? Je vous vois soupirer, hélas ! au milieu de ma joie ! Est-ce du
+regret, dites-moi, de m'avoir fait heureux ? et vous repentez-vous de
+cet engagement où mes feux ont pu vous contraindre ?
+
+
+- Élise -
+
+Non, Valère, je ne puis pas me repentir de tout ce que je fais pour
+vous. Je m'y sens entraîner par une trop douce puissance, et je n'ai
+pas même la force de souhaiter que les choses ne fussent pas. Mais, a
+vous dire vrai, le succès me donne de l'inquiétude ; et je crains fort
+de vous aimer un peu plus que je ne devrais.
+
+
+- Valère -
+
+Eh ! que pouvez-vous craindre, Élise, dans les bontés que vous avez
+pour moi ?
+
+
+- Élise -
+
+Hélas ! cent choses à la fois : l'emportement d'un père, les reproches
+d'une famille, les censures du monde ; mais plus que tout, Valère, le
+changement de votre coeur, et cette froideur criminelle dont ceux de
+votre sexe payent le plus souvent les témoignages trop ardents d'un
+innocent amour.
+
+
+- Valère -
+
+Ah ! ne me faites pas ce tort, de juger de moi par les autres !
+Soupçonnez-moi de tout, Élise, plutôt que de manquer à ce que je vous
+dois. Je vous aime trop pour cela ; et mon amour pour vous durera
+autant que ma vie.
+
+
+- Élise -
+
+Ah ! Valère, chacun tient les mêmes discours ! Tous les hommes sont
+semblables par les paroles ; et ce n'est que les actions qui les
+découvrent différents.
+
+
+- Valère -
+
+Puisque les seules actions font connaître ce que nous sommes, attendez
+donc, au moins, à juger de mon coeur par elles, et ne me cherchez point
+des crimes dans les injustes craintes d'une fâcheuse prévoyance. Ne
+m'assassinez point, je vous prie, par les sensibles coups d'un soupçon
+outrageux ; et donnez-moi le temps de vous convaincre, par mille et
+mille preuves, de l'honnêteté de mes feux.
+
+
+- Élise -
+
+Hélas ! qu'avec facilité on se laisse persuader par les personnes que
+l'on aime ! Oui, Valère, je tiens votre coeur incapable de m'abuser.
+Je crois que vous m'aimez d'un véritable amour, et que vous me serez
+fidèle : je n'en veux point du tout douter, et je retranche mon
+chagrin aux appréhensions du blâme qu'on pourra me donner.
+
+
+- Valère -
+
+Mais pourquoi cette inquiétude ?
+
+
+- Élise -
+
+Je n'aurais rien à craindre si tout le monde vous voyait des yeux dont
+je vous vois ; et je trouve en votre personne de quoi avoir raison aux
+choses que je fais pour vous. Mon coeur, pour sa défense, a tout votre
+mérite, appuyé du secours d'une reconnaissance où le ciel m'engage
+envers vous. Je me représente à toute heure ce péril étonnant qui
+commença de nous offrir aux regards l'un de l'autre ; cette générosité
+surprenante qui vous fit risquer votre vie, pour dérober la mienne à la
+fureur des ondes ; ces soins pleins de tendresse que vous me fîtes
+éclater après m'avoir tirée de l'eau, et les hommages assidus de cet
+ardent amour que ni le temps ni les difficultés n'ont rebuté, et qui,
+vous faisant négliger et parents et patrie, arrête vos pas en ces
+lieux, y tient en ma faveur votre fortune déguisée, et vous a réduit,
+pour me voir, à vous revêtir de l'emploi de domestique de mon père.
+Tout cela fait chez moi, sans doute, un merveilleux effet ; et c'en est
+assez, à mes yeux, pour me justifier l'engagement où j'ai pu consentir ;
+mais ce n'est pas assez peut-être pour le justifier aux autres, et je
+ne suis pas sûre qu'on entre dans mes sentiments.
+
+
+- Valère -
+
+De tout ce que vous avez dit, ce n'est que par mon seul amour que je
+prétends auprès de vous mériter quelque chose ; et quant aux
+scrupules que vous avez, votre père lui-même ne prend que trop de soin
+de vous justifier à tout le monde, et l'excès de son avarice, et la
+manière austère dont il vit avec ses enfants, pourraient autoriser des
+choses plus étranges. Pardonnez-moi, charmante Élise, si j'en parle
+ainsi devant vous. Vous savez que, sur ce chapitre, on n'en peut pas
+dire de bien. Mais enfin, si je puis, comme je l'espère, retrouver mes
+parents, nous n'aurons pas beaucoup de peine à nous les rendre
+favorables. J'en attends des nouvelles avec impatience, et j'en irai
+chercher moi-même, si elles tardent à venir.
+
+
+- Élise -
+
+Ah! Valère, ne bougez d'ici, je vous prie, et songez seulement à vous
+bien mettre dans l'esprit de mon père.
+
+
+- Valère -
+
+Vous voyez comme je m'y prends, et les adroites complaisances qu'il
+m'a fallu mettre en usage pour m'introduire à son service ; sous quel
+masque de sympathie et de rapports de sentiments je me déguise pour
+lui plaire, et quel personnage je joue tous les jours avec lui, afin
+d'acquérir sa tendresse. J'y fais des progrès admirables ; et j'éprouve
+que, pour gagner les hommes, il n'est point de meilleure voie que de se
+parer à leurs yeux de leurs inclinations, que de donner dans leurs
+maximes, encenser leurs défauts, et applaudir à ce qu'ils font. On n'a
+que faire d'avoir peur de trop charger la complaisance ; et la manière
+dont on les joue a beau être visible, les plus fins toujours sont de
+grandes dupes du côté de la flatterie, et il n'y a rien de si
+impertinent et de si ridicule qu'on ne fasse avaler, lorsqu'on
+l'assaisonne en louanges. La sincérité souffre un peu au métier que je
+fais ; mais, quand on a besoin des hommes, il faut bien s'ajuster à
+eux, et puisqu'on ne saurait les gagner que par là, ce n'est pas la
+faute de ceux qui flattent, mais de ceux qui veulent être flattés.
+
+
+- Élise -
+
+Mais que ne tâchez-vous aussi de gagner l'appui de mon frère, en cas
+que la servante s'avisât de révéler notre secret ?
+
+
+- Valère -
+
+On ne peut pas ménager l'un et l'autre ; et l'esprit du père et celui
+du fils sont des choses si opposées, qu'il est difficile d'accommoder
+ces deux confidences ensemble. Mais vous, de votre part, agissez
+auprès de votre frère, et servez-vous de l'amitié qui est entre vous
+deux pour le jeter dans nos intérêts. Il vient. Je me retire. Prenez
+ce temps pour lui parler, et ne lui découvrez de notre affaire que ce
+que vous jugerez à propos.
+
+
+- Élise -
+
+Je ne sais si j'aurai la force de lui faire cette confidence.
+
+
+-----------
+
+Scène II. - Cléante, Élise.
+
+
+
+- Cléante -
+
+Je suis bien aise de vous trouver seule, ma soeur ; et je brûlais de
+vous parler, pour m'ouvrir à vous d'un secret.
+
+
+- Élise -
+
+Me voilà prête à vous ouïr, mon frère. Qu'avez-vous à me dire ?
+
+
+- Cléante -
+
+Bien des choses, ma soeur, enveloppées dans un mot. J'aime.
+
+
+- Élise -
+
+Vous aimez ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, j'aime. Mais, avant que d'aller plus loin, je sais que je dépends
+d'un père, et que le nom de fils me soumet à ses volontés ; que nous
+ne devons point engager notre foi sans le consentement de ceux dont
+nous tenons le jour ; que le ciel les a faits les maîtres de nos
+voeux, et qu'il nous est enjoint de n'en disposer que par leur
+conduite ; que, n'étant prévenus d'aucune folle ardeur, ils sont en
+état de se tromper bien moins que nous et de voir beaucoup mieux ce
+qui nous est propre ; qu'il en faut plutôt croire les lumières de leur
+prudence que l'aveuglement de notre passion ; et que l'emportement de
+la jeunesse nous entraîne le plus souvent dans des précipices
+fâcheux. Je vous dis tout cela, ma soeur, afin que vous ne vous
+donniez pas la peine de me le dire ? car enfin mon amour ne veut rien
+écouter, et je vous prie de ne me point faire de remontrances.
+
+
+- Élise -
+
+Vous êtes-vous engagé, mon frère, avec celle que vous aimez ?
+
+
+- Cléante -
+
+Non ; mais j'y suis résolu, et je vous conjure encore une fois de ne
+me point apporter de raisons pour m'en dissuader.
+
+
+- Élise -
+
+Suis-je, mon frère, une si étrange personne ?
+
+
+- Cléante -
+
+Non, ma soeur ; mais vous n'aimez pas ; vous ignorez la douce violence
+qu'un tendre amour fait sur nos coeurs, et j'appréhende votre sagesse.
+
+
+- Élise -
+
+Hélas ! mon frère, ne parlons point de ma sagesse : il n'est personne
+qui n'en manque, du moins une fois en sa vie ; et, si je vous ouvre mon
+coeur, peut-être serai-je à vos yeux bien moins sage que vous.
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! plût au ciel que votre âme, comme la mienne... !
+
+
+- Élise -
+
+Finissons auparavant votre affaire, et me dites qui est celle que vous
+aimez.
+
+
+- Cléante -
+
+Une jeune personne qui loge depuis peu en ces quartiers, et qui semble
+être faite pour donner de l'amour à tous ceux qui la voient. La
+nature, ma soeur, n'a rien formé de plus aimable ; et je me sentis
+transporté dès le moment que je la vis. Elle se nomme Mariane, et vit
+sous la conduite d'une bonne femme de mère qui est presque toujours
+malade, et pour qui cette aimable fille a des sentiments d'amitié qui
+ne sont pas imaginables. Elle la sert, la plaint et la console, avec
+une tendresse qui vous toucherait l'âme. Elle se prend d'un air le
+plus charmant du monde aux choses qu'elle fait ; et l'on voit briller
+mille grâces en toutes ses actions, une douceur pleine d'attraits,
+une bonté toute engageante, une honnêteté adorable, une... Ah ! ma
+soeur, je voudrais que vous l'eussiez vue !
+
+
+- Élise -
+
+J'en vois beaucoup, mon frère, dans les choses que vous me dites ; et,
+pour comprendre ce qu'elle est, il me suffit que vous l'aimez.
+
+
+- Cléante -
+
+J'ai découvert sous main qu'elles ne sont pas fort accommodées (1), et
+que leur discrète conduite a de la peine à étendre à tous leurs
+besoins le bien qu'elles peuvent avoir. Figurez-vous, ma soeur, quelle
+joie ce peut être que de relever la fortune d'une personne que l'on
+aime ; que de donner adroitement quelques petits secours aux modestes
+nécessités d'une vertueuse famille ; et concevez quel déplaisir ce
+m'est de voir que, par l'avarice d'un père, je sois dans l'impuissance
+de goûter cette joie, et de faire éclater à cette belle aucun
+témoignage de mon amour.
+
+
+- Élise -
+
+Oui, je conçois assez, mon frère, quel doit être votre chagrin.
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! ma soeur, il est plus grand qu'on ne peut croire. Car, enfin,
+peut-on rien voir de plus cruel que cette rigoureuse épargne qu'on
+exerce sur nous, que cette sécheresse étrange où l'on nous fait
+languir ? Hé ! que nous servira d'avoir du bien, s'il ne nous vient que
+dans le temps que nous ne serons plus dans le bel âge d'en jouir, et
+si, pour m'entretenir même, il faut que maintenant je m'engage de tous
+côtés ; si je suis réduit avec vous à chercher tous les jours le
+secours des marchands, pour avoir moyen de porter des habits
+raisonnables ? Enfin, j'ai voulu vous parler pour m'aider à sonder mon
+père sur les sentiments où je suis ; et, si je l'y trouve contraire,
+j'ai résolu d'aller en d'autres lieux, avec cette aimable personne,
+jouir de la fortune que le ciel voudra nous offrir. Je fais chercher
+partout, pour ce dessein, de l'argent à emprunter ; et, si vos affaires,
+ma soeur, sont semblables aux miennes, et qu'il faille que notre père
+s'oppose à nos désirs, nous le quitterons là tous deux, et nous
+affranchirons de cette tyrannie où nous tient depuis si longtemps son
+avarice insupportable.
+
+
+- Élise -
+
+Il est bien vrai que tous les jours il nous donne de plus en plus
+sujet de regretter la mort de notre mère, et que...
+
+
+- Cléante -
+
+J'entends sa voix. Eloignons-nous un peu pour achever notre confidence ;
+et nous joindrons après nos forces pour venir attaquer la dureté de
+son humeur.
+
+
+-----------
+
+Scène III. - Harpagon, La Flèche.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Hors d'ici tout à l'heure, et qu'on ne réplique pas. Allons, que
+l'on détale de chez moi, maître juré filou, vrai gibier de potence !
+
+
+- La Flèche -
+
+ (à part.)
+
+Je n'ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard, et je
+pense, sauf correction, qu'il a le diable au corps.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu murmures entre tes dents ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Pourquoi me chassez-vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est bien à toi, pendard, à me demander des raisons ! Sors vite, que
+je ne t'assomme.
+
+
+- La Flèche -
+
+Qu'est-ce que je vous ai fait ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu m'as fait que je veux que tu sortes.
+
+
+- La Flèche -
+
+Mon maître, votre fils, m'a donné ordre de l'attendre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Va-t'en l'attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison,
+planté tout droit comme un piquet à observer ce qui se passe, et faire
+ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant moi un
+espion de mes affaires, un traître dont les yeux maudits assiègent
+toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et furettent de tous
+côtés pour voir s'il n'y a rien à voler.
+
+
+- La Flèche -
+
+Comment diantre voulez-vous qu'on fasse pour vous voler ? Êtes-vous
+un homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites
+sentinelle jour et nuit ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me
+plaît. Ne voilà pas de mes mouchards (2), qui prennent garde à ce qu'on
+fait ?
+
+ (Bas, à part.)
+
+Je tremble qu'il n'ait soupçonné quelque chose de mon argent.
+
+ (Haut.)
+
+Ne serais-tu point homme à aller faire courir le bruit que j'ai chez
+moi de l'argent caché ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Vous avez de l'argent caché ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, coquin, je ne dis pas cela.
+
+ (Bas.)
+
+J'enrage !
+
+ (Haut.)
+
+Je demande si, malicieusement, tu n'irais point faire courir le bruit
+que j'en ai.
+
+
+- La Flèche -
+
+Hé ! que nous importe que vous en ayez, ou que vous n'en ayez pas, si
+c'est pour nous la même chose ?
+
+
+- Harpagon -
+
+ (levant la main pour donner un soufflet à la Flèche.)
+
+Tu fais le raisonneur ! Je te baillerai de ce raisonnement-ci par les
+oreilles. Sors d'ici, encore une fois.
+
+
+- La Flèche -
+
+Eh bien, je sors.
+
+
+- Harpagon -
+
+Attends : ne m'emportes-tu rien ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Que vous emporterais-je ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Tiens, viens çà, que je voie. Montre-moi tes mains.
+
+
+- La Flèche -
+
+Les voilà.
+
+
+- Harpagon -
+
+Les autres.
+
+
+- La Flèche -
+
+Les autres ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- La Flèche -
+
+Les voilà.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (montrant les hauts-de-chausses de la Flèche.)
+
+N'as-tu rien mis ici dedans ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Voyez vous-même.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (tâtant le bas des hauts-de-chausses de la Flèche.)
+
+Ces grands hauts-de-chausses sont propres à devenir les recéleurs des
+choses qu'on dérobe ; et je voudrais qu'on en eût fait pendre
+quelqu'un.
+
+
+- La Flèche -
+
+ (à part.)
+
+Ah ! qu'un homme comme cela mériterait bien ce qu'il craint ! Et que
+j'aurais de joie à la voler !
+
+
+- Harpagon -
+
+Euh ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'est-ce que tu parles de voler ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Je vous dis que vous fouillez bien partout, pour voir si je vous ai volé.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est ce que je veux faire.
+
+ (Harpagon fouille dans les poches de La Flèche.)
+
+
+- La Flèche -
+
+ (à part.)
+
+La peste soit de l'avarice et des avaricieux !
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ? que dis-tu ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ce que je dis ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui. Qu'est-ce que tu dis d'avarice et d'avaricieux ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Je dis que la peste soit de l'avarice et des avaricieux !
+
+
+- Harpagon -
+
+De qui veux-tu parler ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Des avaricieux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et qui sont-ils, ces avaricieux ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Des vilains et des ladres.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais qui est-ce que tu entends par là ?
+
+
+- La Flèche -
+
+De quoi vous mettez-vous en peine ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me mets en peine de ce qu'il faut.
+
+
+- La Flèche -
+
+Est-ce que vous croyez que je veux parler de vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Je crois ce que je crois ; mais je veux que tu me dises à qui tu
+parles quand tu dis cela.
+
+
+- La Flèche -
+
+Je parle... je parle à mon bonnet.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, je pourrais bien parler à ta barrette (3).
+
+
+- La Flèche -
+
+M'empêcherez-vous de maudire les avaricieux ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Non ; mais je t'empêcherai de jaser et d'être insolent. Tais-toi.
+
+
+- La Flèche -
+
+Je ne nomme personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te rosserai si tu parles.
+
+
+- La Flèche -
+
+Qui se sent morveux, qu'il se mouche.
+
+
+- Harpagon -
+
+Te tairas-tu ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Oui, malgré moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! Ah !
+
+
+- La Flèche -
+
+ (montrant à Harpagon une poches de son justaucorps.)
+
+Tenez, voilà encore une poche : êtes-vous satisfait ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Allons, rends-le-moi sans te fouiller.
+
+
+- La Flèche -
+
+Quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce que tu m'as pris.
+
+
+- La Flèche -
+
+Je ne vous ai rien pris du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Assurément ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Assurément.
+
+
+- Harpagon -
+
+Adieu. Va-t-en à tous les diables !
+
+
+- La Flèche -
+
+Me voilà fort bien congédié.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te le mets sur ta conscience, au moins.
+
+
+-----------
+
+Scène IV. - Harpagon.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà un pendard de valet qui m'incommode fort ; et je ne me plais
+point à voir ce chien de boiteux-là. Certes, ce n'est pas une petite
+peine que de garder chez soi une grande somme d'argent ; et
+bienheureux qui a tout son fait bien placé, et ne conserve seulement
+que ce qu'il faut pour sa dépense ! On n'est pas peu embarrassé à
+inventer, dans toute une maison, une cache fidèle ; car pour moi, les
+coffres-forts me sont suspects, et je ne veux jamais m'y fier. Je les
+tiens justement une franche amorce à voleurs, et c'est toujours la
+première chose que l'on va attaquer.
+
+
+-----------
+
+Scène V. - Harpagon ; Élise et Cléante, parlant ensemble, et restant
+ dans le fond du théâtre.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (se croyant seul.)
+
+Cependant, je ne sais si j'aurai bien fait d'avoir enterré, dans mon
+jardin, dix mille écus qu'on me rendit hier. Dix mille écus en or, chez
+soi, est une somme assez...
+
+ (À part, apercevant Élise et Cléante.)
+
+O ciel ! je me serai trahi moi-même ! la chaleur m'aura emporté, et je
+crois que j'ai parlé haut, en raisonnant tout seul.
+
+ (À Cléante et Élise.)
+
+Qu'est-ce ?
+
+
+- Cléante -
+
+Rien, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Y a-t-il longtemps que vous êtes là ?
+
+
+- Élise -
+
+Nous ne venons que d'arriver.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous avez entendu...
+
+
+- Cléante -
+
+Quoi, mon père ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Là...
+
+
+- Élise -
+
+Quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce que je viens de dire.
+
+
+- Cléante -
+
+Non.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si fait, si fait.
+
+
+- Élise -
+
+Pardonnez-moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vois bien que vous en avez ouï quelques mots. C'est que je
+m'entretenais en moi-même de la peine qu'il y a aujourd'hui à trouver
+de l'argent, et je disais qu'il est bien heureux qui peut avoir dix
+mille écus chez soi.
+
+
+- Cléante -
+
+Nous feignions à vous aborder, de peur de vous interrompre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je suis bien aise de vous dire cela, afin que vous n'alliez pas
+prendre les choses de travers, et vous imaginer que je dise que c'est
+moi qui ai dix mille écus.
+
+
+- Cléante -
+
+Nous n'entrons point dans vos affaires.
+
+
+- Harpagon -
+
+Plût à Dieu que je les eusse, dix mille écus !
+
+
+- Cléante -
+
+Je ne crois pas...
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce serait une bonne affaire pour moi.
+
+
+- Élise -
+
+Ces sont des choses...
+
+
+- Harpagon -
+
+J'en aurais bon besoin.
+
+
+- Cléante -
+
+Je pense que...
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela m'accommoderait fort.
+
+
+- Élise -
+
+Vous êtes...
+
+
+- Harpagon -
+
+Et je ne me plaindrais pas, comme je le fais, que le temps est
+misérable.
+
+
+- Cléante -
+
+Mon Dieu ! mon père, vous n'avez pas lieu de vous plaindre et l'on
+sait que vous avez assez de bien.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, j'ai assez de bien ! Ceux qui le disent en ont menti. Il n'y
+a rien de plus faux ; et ce sont des coquins qui font courir tous ces
+bruits-là.
+
+
+- Élise -
+
+Ne vous mettez point en colère.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela est étrange que mes propres enfants me trahissent et deviennent
+mes ennemis.
+
+
+- Cléante -
+
+Est-ce être votre ennemi que de dire que vous avez du bien ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui. De pareils discours, et les dépenses que vous faites, seront
+cause qu'un de ces jours on me viendra chez moi couper la gorge, dans
+la pensée que je suis tout cousu de pistoles.
+
+
+- Cléante -
+
+Quelle grande dépense est-ce que je fais ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Quelle ? Est-il rien de plus scandaleux que ce somptueux équipage que
+vous promenez par la ville ? Je querellais hier votre soeur ; mais
+c'est encore pis. Voilà qui crie vengeance au ciel ; et, à vous
+prendre depuis les pieds jusqu'à la tête, il y aurait là de quoi faire
+une bonne constitution. Je vous l'ai dit vingt fois, mon fils, toutes
+vos manières me déplaisent fort ; vous donnez furieusement dans le
+marquis ; et, pour aller ainsi vêtu, il faut bien que vous me dérobiez.
+
+
+- Cléante -
+
+Hé ! comment vous dérober ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Que sais-je ? Où pouvez-vous donc prendre de quoi entretenir l'état
+que vous portez ?
+
+
+- Cléante -
+
+Moi, mon père ? C'est que je joue ; et, comme je suis fort heureux, je
+mets sur moi tout l'argent que je gagne.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est fort mal fait. Si vous êtes heureux au jeu, vous en devriez
+profiter, et mettre à honnête intérêt l'argent que vous gagnez, afin
+de le trouver un jour. Je voudrais bien savoir, sans parler du reste,
+à quoi servent tous ces rubans dont vous voilà lardé depuis les pieds
+jusqu'à la tête, et si une demi-douzaine d'aiguillettes ne suffit pas
+pour attacher un haut-de-chausses. Il est bien nécessaire d'employer
+de l'argent à des perruques, lorsque l'on peut porter des cheveux de
+son cru, qui ne coûtent rien ! Je vais gager qu'en perruques et rubans
+il y a du moins vingt pistoles ; et vingt pistoles rapportent par
+année dix-huit livres six sols huit deniers, à ne les placer qu'au
+denier douze (4).
+
+
+- Cléante -
+
+Vous avez raison.
+
+
+- Harpagon -
+
+Laissons cela, et parlons d'autre affaire. Euh ?
+
+ (Apercevant Cléante et Élise qui se font des signes.)
+
+Hé !
+
+ (Bas, à part.)
+
+Je crois qu'ils se font signe l'un à l'autre de me voler ma bourse.
+
+ (Haut.)
+
+Que veulent dire ces gestes-là ?
+
+
+- Élise -
+
+Nous marchandons, mon frère et moi, à qui parlera le premier, et nous
+avons tous deux quelque chose à vous dire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, j'ai quelque chose aussi à vous dire à tous deux.
+
+
+- Cléante -
+
+C'est de mariage, mon père, que nous désirons vous parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et c'est de mariage aussi que je veux vous entretenir.
+
+
+- Élise -
+
+Ah ! mon père !
+
+
+- Harpagon -
+
+Pourquoi ce cri ? Est-ce le mot, ma fille, ou la chose, qui vous fait
+peur ?
+
+
+- Cléante -
+
+Le mariage peut nous faire peur à tous deux, de la façon que vous
+pouvez l'entendre ; et nous craignons que nos sentiments ne soient pas
+d'accord avec votre choix.
+
+
+- Harpagon -
+
+Un peu de patience ; ne vous alarmez point. Je sais ce qu'il faut à
+tous deux, et vous n'aurez, ni l'un ni l'autre, aucun lieu de vous
+plaindre de tout ce que je prétends faire ; et, pour commencer par un
+bout,
+
+ (À Cléante.)
+
+avez-vous vu, dites-moi, une jeune personne appelée Mariane, qui
+ne loge pas loin d'ici ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, mon père.
+
+
+- Harpagon-
+
+Et vous ?
+
+
+- Élise -
+
+J'en ai ouï parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, mon fils, trouvez-vous cette fille ?
+
+
+- Cléante -
+
+Une fort charmante personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sa physionomie ?
+
+
+- Cléante -
+
+Tout honnête et pleine d'esprit.
+
+
+- Harpagon -
+
+Son air et sa manière ?
+
+
+- Cléante -
+
+Admirables, sans doute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ne croyez-vous pas qu'une fille comme cela mériterait assez que l'on
+songeât à elle ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que ce serait un parti souhaitable ?
+
+
+- Cléante -
+
+Très souhaitable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'elle a toute la mine de faire un bon ménage ?
+
+
+- Cléante -
+
+Sans doute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et qu'un mari aurait satisfaction avec elle ?
+
+
+- Cléante -
+
+Assurément.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il y a une petite difficulté : c'est que j'ai peur qu'il n'y ait pas,
+avec elle, tout le bien qu'on pourrait prétendre.
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! mon père, le bien n'est pas considérable, lorsqu'il est question
+d'épouser une honnête personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Pardonnez-moi, pardonnez-moi. Mais ce qu'il y a à dire, c'est que, si
+l'on n'y trouve pas tout le bien qu'on souhaite, on peut tâcher de
+regagner cela sur autre chose.
+
+
+- Cléante -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- Harpagon -
+
+Enfin je suis bien aise de vous voir dans mes sentiments ; car son
+maintien honnête et sa douceur m'ont gagné l'âme, et je suis résolu de
+l'épouser, pourvu que j'y trouve quelque bien.
+
+
+- Cléante -
+
+Euh ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Cléante -
+
+Vous êtes résolu, dites-vous... ?
+
+
+- Harpagon -
+
+D'épouser Mariane.
+
+
+- Cléante -
+
+Qui ? Vous, vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, moi, moi, moi. Que veut dire cela ?
+
+
+- Cléante -
+
+Il m'a pris tout à coup un éblouissement, et je me retire d'ici.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela ne sera rien. Allez vite boire dans la cuisine un grand verre
+d'eau claire.
+
+
+-----------
+
+Scène VI. - Harpagon, Élise.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà de mes damoiseaux flouets (5), qui n'ont non plus de vigueur que
+des poules. C'est là, ma fille, ce que j'ai résolu pour moi. Quant à
+ton frère, je lui destine une certaine veuve dont, ce matin, on m'est
+venu parler ; et, pour toi, je te donne au seigneur Anselme.
+
+
+- Élise -
+
+Au seigneur Anselme ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, Un homme mûr, prudent et sage, qui n'a pas plus de cinquante ans,
+et dont on vante les grands biens.
+
+
+- Élise -
+
+ (faisant une révérence.)
+
+Je ne veux point me marier, mon père, s'il vous plaît.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (contrefaisant Élise.)
+
+Et moi, ma petite fille, ma mie, je veux que vous vous mariiez, s'il
+vous plaît.
+
+
+- Élise -
+
+ (faisant encore la révérence.)
+
+Je vous demande pardon, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (contrefaisant Élise.)
+
+Je vous demande pardon, ma fille.
+
+
+- Élise -
+
+Je suis très humble servante au seigneur Anselme ; mais,
+
+ (Faisant encore la révérence.)
+
+avec votre permission, je ne l'épouserai point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je suis votre très humble valet ; mais,
+
+ (Contrefaisant Élise.)
+
+avec votre permission, vous l'épouserez dès ce soir.
+
+
+- Élise -
+
+Dès ce soir ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Dès ce soir.
+
+
+- Élise -
+
+ (faisant encore la révérence.)
+
+Cela ne sera pas, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (contrefaisant encore Élise.)
+
+Cela sera, ma fille.
+
+
+- Élise -
+
+Non.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si.
+
+
+- Élise -
+
+Non, vous dis-je.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si, vous dis-je.
+
+
+- Élise -
+
+C'est une chose où vous ne me réduirez point.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une chose où je te réduirai.
+
+
+- Élise -
+
+Je me tuerai plutôt que d'épouser un tel mari.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu ne te tueras point, et tu l'épouseras. Mais voyez quelle audace !
+A-t-on jamais vu une fille parler de la sorte à son père ?
+
+
+- Élise -
+
+Mais a-t-on jamais vu un père marier sa fille de la sorte ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est un parti où il n'y a rien à redire ! et je gage que tout le monde
+approuvera mon choix.
+
+
+- Élise -
+
+Et moi, je gage qu'il ne saurait être approuvé d'aucune personne
+raisonnable.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (apercevant Valère de loin.)
+
+Voilà Valère. Veux-tu qu'entre nous deux nous le fassions juge de
+cette affaire ?
+
+
+- Élise -
+
+J'y consens.
+
+
+- Harpagon -
+
+Te rendras-tu à son jugement ?
+
+
+- Élise -
+
+Oui. J'en passerai par ce qu'il dira.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà qui est fait.
+
+
+-----------
+
+Scène VII. - Valère, Harpagon, Élise.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Ici, Valère. Nous t'avons élu pour nous dire qui a raison de ma fille
+ou de moi.
+
+
+- Valère -
+
+C'est vous, monsieur, sans contredit.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sais-tu bien de quoi nous parlons ?
+
+
+- Valère -
+
+Non ; mais vous ne sauriez avoir tort, et vous êtes toute raison.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je veux ce soir lui donner pour époux un homme aussi riche que sage ;
+et la coquine me dit au nez qu'elle se moque de le prendre. Que
+dis-tu de cela ?
+
+
+- Valère -
+
+Ce que j'en dis ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Valère -
+
+Hé ! hé !
+
+
+- Harpagon -
+
+Quoi !
+
+
+- Valère -
+
+Je dis que, dans le fond, je suis de votre sentiment ; et vous ne
+pouvez pas que vous n'ayez raison (6). mais aussi n'a-t-elle pas tort
+tout à fait, et...
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ? Le seigneur Anselme est un parti considérable ; c'est un
+gentilhomme qui est noble, doux, posé, sage et fort accommodé, et
+auquel il ne reste aucun enfant de son premier mariage. Saurait-elle
+mieux rencontrer ?
+
+
+- Valère -
+
+Cela est vrai. Mais elle pourrait vous dire que c'est un peu
+précipiter les choses, et qu'il faudrait au moins quelque temps pour
+voir si son inclination pourra s'accommoder avec...
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une occasion qu'il faut prendre vite aux cheveux. Je trouve ici
+un avantage qu'ailleurs je ne trouverais pas ; et il s'engage à la
+prendre sans dot.
+
+
+- Valère -
+
+Sans dot ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Valère -
+
+Ah ! je ne dis plus rien. Voyez-vous ? voilà une raison tout à fait
+convaincante ; il se faut rendre à cela.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est pour moi une épargne considérable.
+
+
+- Valère -
+
+Assurément ; cela ne reçoit point de contradiction. Il est vrai que
+votre fille vous peut représenter que le mariage est une plus grande
+affaire qu'on ne peut croire ; qu'il y va d'être heureux ou malheureux
+toute sa vie ; et qu'un engagement qui doit durer jusqu'à la mort ne se
+doit jamais faire qu'avec de grandes précautions.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sans dot !
+
+
+- Valère -
+
+Vous avez raison ! voilà qui décide tout ; cela s'entend. Il y a des
+gens qui pourraient vous dire qu'en de telles occasions l'inclination
+d'une fille est une chose, sans doute, où l'on doit avoir de l'égard ;
+et que cette grande inégalité d'âge, d'humeur et de sentiments, rend
+un mariage sujet à des accidents fâcheux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sans dot !
+
+
+- Valère -
+
+Ah ! il n'y a pas de réplique à cela ; on le sait bien ! Qui diantre
+peut aller là contre ? Ce n'est pas qu'il n'y ait quantité de pères
+qui aimeraient mieux ménager la satisfaction de leurs filles que
+l'argent qu'ils pourraient donner ; qui ne les voudraient point
+sacrifier à l'intérêt, et chercheraient, plus que toute autre chose, à
+mettre dans un mariage cette douce conformité qui sans cesse y
+maintient l'honneur, la tranquillité et la joie ; et que...
+
+
+- Harpagon -
+
+Sans dot !
+
+
+- Valère -
+
+Il est vrai ; cela ferme la bouche à tout. Sans dot ! Le moyen de
+résister à une raison comme celle-là !
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part, regardant du côté le jardin.)
+
+Ouais ! Il me semble que j'entends un chien qui aboie. N'est-ce point
+qu'on en voudrait à mon argent ?
+
+ (A Valère.)
+
+Ne bougez, je reviens tout à l'heure.
+
+
+-----------
+
+Scène VIII. - Élise, Valère.
+
+
+
+- Élise -
+
+Vous moquez-vous, Valère, de lui parler comme vous faites ?
+
+
+- Valère -
+
+C'est pour ne point l'aigrir, et pour en venir mieux à bout. Heurter
+de front ses sentiments est le moyen de tout gâter ; et il y a de
+certains esprits qu'il ne faut prendre qu'en biaisant ; des
+tempéraments ennemis de toute résistance ; des naturels rétifs, que la
+vérité fait cabrer, qui toujours se raidissent contre le droit chemin
+de la raison, et qu'on ne mène qu'en tournant où l'on veut les
+conduire. Faites semblant de consentir à ce qu'il veut, vous en
+viendrez mieux à vos fins, et...
+
+
+- Élise -
+
+Mais ce mariage, Valère !
+
+
+- Valère -
+
+On cherchera des biais pour le rompre.
+
+
+- Élise -
+
+Mais quelle invention trouver, s'il se doit conclure ce soir ?
+
+
+- Valère -
+
+Il faut demander un délai, et feindre quelque maladie.
+
+
+- Élise -
+
+Mais on découvrira la feinte, si l'on appelle des médecins.
+
+
+- Valère -
+
+Vous moquez-vous ? Y connaissent-ils quelque chose ? Allez, allez,
+vous pourrez avec eux avoir quel mal il vous plaira, ils vous
+trouveront des raisons pour vous dire d'où cela vient.
+
+
+-----------
+
+Scène IX. - Harpagon, Valère, Élise.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part, dans le fond du théâtre.)
+
+Ce n'est rien, Dieu merci.
+
+
+- Valère -
+
+ (sans voir Harpagon.)
+
+Enfin notre dernier recours, c'est que la fuite nous peut mettre à
+couvert de tout ; et, si votre amour, belle Élise, est capable d'une
+fermeté...
+
+ (Apercevant Harpagon.)
+
+Oui, il faut qu'une fille obéisse à son père. Il ne faut point qu'elle
+regarde comme un mari est fait ; et lorsque la grande raison de "sans
+dot" s'y rencontre, elle doit être prête à prendre tout ce qu'on lui
+donne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Bon : voilà bien parlé, cela !
+
+
+- Valère -
+
+Monsieur, je vous demande pardon si je m'emporte un peu, et prends la
+hardiesse de lui parler comme je fais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ! j'en suis ravi, et je veux que tu prennes sur elle un
+pouvoir absolu.
+
+ (A Élise.)
+
+Oui, tu as beau fuir, je lui donne l'autorité que le ciel me donne sur
+toi, et j'entends que tu fasses tout ce qu'il te dira.
+
+
+- Valère -
+
+ (A Élise.)
+
+Après cela, résistez à mes remontrances.
+
+
+-----------
+
+Scène X. - Harpagon, Valère.
+
+
+
+- Valère -
+
+Monsieur, je vais la suivre, pour continuer les leçons que je lui
+faisais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, tu m'obligeras. Certes...
+
+
+- Valère -
+
+Il est bon de lui tenir un peu la bride haute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela est vrai. Il faut...
+
+
+- Valère -
+
+Ne vous mettez pas en peine, je crois que j'en viendrai à bout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Fais, fais. Je m'en vais faire un petit tour en ville, et reviens tout
+à l'heure.
+
+
+- Valère -
+
+ (adressant la parole à Élise, en s'en allant du côté
+ par où elle est sortie.)
+
+Oui, l'argent est plus précieux que toutes les choses du monde, et
+vous devez rendre grâce au ciel de l'honnête homme de père qu'il vous
+a donné. Il sait ce que c'est que de vivre. Lorsqu'on s'offre de
+prendre une fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout
+est renfermé là-dedans ; et "sans dot" tient lieu de beauté, de
+jeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse, et de probité.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! le brave garçon ! Voilà parlé comme un oracle. Heureux qui peut
+avoir un domestique de la sorte !
+
+
+
+ACTE SECOND.
+------------
+
+
+
+Scène première. - Cléante, La Flèche.
+
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! traître que tu es ! où t'es-tu donc allé fourrer ? Ne t'avais-je
+pas donné ordre... ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Oui, Monsieur ; et je m'étais rendu ici pour vous attendre de pied
+ferme : mais monsieur votre père, le plus malgracieux des hommes, m'a
+chassé dehors malgré moi, et j'ai couru le risque d'être battu.
+
+
+- Cléante -
+
+Comment va notre affaire ? Les choses pressent plus que jamais ; et,
+depuis que je t'ai vu, j'ai découvert que mon père est mon rival.
+
+
+- La Flèche -
+
+Votre père amoureux ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui ; et j'ai eu toutes les peines du monde à lui cacher le trouble où
+cette nouvelle m'a mis.
+
+
+- La Flèche -
+
+Lui, se mêler d'aimer ! De quoi diable s'avise-t-il ? Se moque-t-il du
+monde ? Et l'amour a-t-il été fait pour des gens bâtis comme lui ?
+
+
+- Cléante -
+
+Il a fallu, pour mes péchés, que cette passion lui soit venue en tête.
+
+
+- La Flèche -
+
+Mais par quelle raison lui faire un mystère de votre amour ?
+
+
+- Cléante -
+
+Pour lui donner moins de soupçon, et me conserver, au besoin, des
+ouvertures plus aisées pour détourner ce mariage. Quelle réponse
+t'a-t-on faite ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ma foi, Monsieur, ceux qui empruntent sont bien malheureux ; et il faut
+essuyer d'étranges choses, lorsqu'on en est réduit à passer, comme
+vous, par les mains des fesse-matthieux (7).
+
+
+- Cléante -
+
+L'affaire ne se fera point ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Pardonnez-moi. Notre maître Simon, le courtier qu'on nous a donné,
+homme agissant et plein de zèle, dit qu'il a fait rage pour vous, et
+il assure que votre seule physionomie lui a gagné le coeur.
+
+
+- Cléante -
+
+J'aurai les quinze mille francs que je demande ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Oui ; mais à quelques petites conditions qu'il faudra que vous
+acceptiez, si vous avez dessein que les choses se fassent.
+
+
+- Cléante -
+
+T'a-t-il fait parler à celui qui doit prêter l'argent ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ah ! vraiment, cela ne va pas de la sorte. Il apporte encore plus de
+soin à se cacher que vous ; et ce sont des mystères bien plus grands
+que vous ne pensez. On ne veut point du tout dire son nom ; et l'on
+doit aujourd'hui l'aboucher avec vous dans une maison empruntée, pour
+être instruit par votre bouche de votre bien et de votre famille ; et
+je ne doute point que le seul nom de votre père ne rende les choses
+faciles.
+
+
+- Cléante -
+
+Et principalement notre mère étant morte, dont on ne peut m'ôter le
+bien.
+
+
+- La Flèche -
+
+Voici quelques articles qu'il a dictés lui-même à notre entremetteur,
+pour vous être montrés avant que de rien faire :
+
+ "Supposé que le prêteur voie toutes ses sûretés, et que
+ l'emprunteur soit majeur et d'une famille où le bien soit
+ ample, solide, assuré, clair, et net de tout embarras, on
+ fera une bonne et exacte obligation par-devant un notaire,
+ le plus honnête homme qu'il se pourra, et qui, pour cet
+ effet sera choisi par le prêteur, auquel il importe le
+ plus que l'acte soit dûment dressé."
+
+
+- Cléante -
+
+Il n'y a rien à dire à cela.
+
+
+- La Flèche -
+
+ "Le prêteur, pour ne charger Sa conscience d'aucun scrupule,
+ prétend ne donner son argent qu'au denier dix-huit. (8)"
+
+
+- Cléante -
+
+Au denier dix-huit ? Parbleu, voilà qui est honnête ! Il n'y a pas
+lieu de se plaindre.
+
+
+- La Flèche -
+
+Cela est vrai.
+
+ "Mais, comme ledit prêteur n'a pas chez lui la somme dont il
+ est question, et que, pour faire plaisir à l'emprunteur il
+ est contraint lui-même de l'emprunter d'un autre sur le pied
+ du denier cinq (9), il conviendra que ledit premier emprunteur
+ paye cet intérêt, sans préjudice du reste, attendu que ce
+ n'est que pour l'obliger que ledit prêteur s'engage à cet
+ emprunt."
+
+
+- Cléante -
+
+Comment diable ! Quel Juif, quel Arabe est-ce là ? C'est plus qu'au
+denier quatre (10).
+
+
+- La Flèche -
+
+Il est vrai ; c'est ce que j'ai dit. Vous avez à voir là-dessus.
+
+
+- Cléante -
+
+Que veux-tu que je voie ? J'ai besoin d'argent, et il faut bien que je
+consente à tout.
+
+
+- La Flèche -
+
+C'est la réponse que j'ai faite.
+
+
+- Cléante -
+
+Il y a encore quelque chose ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ce n'est plus qu'un petit article.
+
+ "Des quinze mille francs qu'on demande, le prêteur ne
+ pourra compter en argent que douze mille livres ; et,
+ pour les mille écus restants, il faudra que l'emprunteur
+ prenne les hardes, nippes, bijoux, dont s'ensuit le
+ mémoire, et que ledit prêteur a mis, de bonne foi, au
+ plus modique prix qu'il lui a été possible."
+
+
+- Cléante -
+
+Que veut dire cela ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ecoutez le mémoire :
+
+ "Premièrement, un lit de quatre pieds à bandes de point
+ de Hongrie, appliquées fort proprement sur un drap de
+ couleur d'olive, avec six chaises et la courte-pointe
+ de même : le tout bien conditionné, et doublé d'un petit
+ taffetas changeant rouge et bleu.
+ Plus, un pavillon à queue, d'une bonne serge d'Aumale
+ rose sèche, avec le mollet et les franges de soie."
+
+
+- Cléante -
+
+Que veut-il que je fasse de cela ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Attendez.
+
+ "Plus une tenture de tapisserie des Amours de Gombaud
+ et de Macée.
+ Plus, une grande table de bois de noyer, à douze colonnes
+ ou piliers tournés, qui se tire par les deux bouts, et
+ garnie par le dessous de ses six escabelles."
+
+
+- Cléante -
+
+Qu'ai-je affaire, morbleu... ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Donnez-vous patience.
+
+ "Plus trois gros mousquets tout garnis de nacre de perle,
+ avec les trois fourchettes assortissantes (11).
+ Plus un fourneau de brique, avec deux cornues et trois
+ récipients, fort utiles à ceux qui sont curieux de
+ distiller."
+
+
+- Cléante -
+
+J'enrage !
+
+
+- La Flèche -
+
+Doucement.
+
+ "Plus, un luth de Bologne, garni de toutes ses cordes,
+ ou peu s'en faut.
+ Plus, un trou-madame et un damier, avec un jeu de l'oie,
+ renouvelé des Grecs, fort propres à passer le temps
+ lorsque l'on n'a que faire.
+ Plus, une peau d'un lézard de trois pieds et demi, remplie
+ de foin ; curiosité agréable pour pendre au plancher d'une
+ chambre.
+ Le tout, ci-dessus mentionné, valant loyalement plus de
+ quatre mille cinq cents livres, et rabaissé à la valeur
+ de mille écus par la discrétion du prêteur."
+
+
+- Cléante -
+
+Que la peste l'étouffe avec sa discrétion, le traître, le bourreau
+qu'il est ! A-t-on jamais parlé d'une usure semblable, et n'est-il
+pas content du furieux intérêt qu'il exige, sans vouloir encore
+m'obliger à prendre pour trois mille livres les vieux rogatons qu'il
+ramasse ? Je n'aurai pas deux cents écus de tout cela ; et cependant
+il faut bien me résoudre à consentir à ce qu'il veut : car il est en
+état de me faire tout accepter, et il me tient, le scélérat, le
+poignard sur la gorge.
+
+
+- La Flèche -
+
+Je vous vois, Monsieur, ne vous en déplaise, dans le grand chemin
+justement que tenait Panurge pour se ruiner, prenant argent d'avance,
+achetant cher, vendant à bon marché et mangeant son blé en herbe.
+
+
+- Cléante -
+
+Que veux-tu que j'y fasse ? Voilà où les jeunes gens sont réduits par
+la maudite avarice des pères ; et on s'étonne, après cela, que les
+fils souhaitent qu'ils meurent !
+
+
+- La Flèche -
+
+Il faut convenir que le vôtre animerait contre sa vilenie le plus posé
+homme du monde. Je n'ai pas, Dieu merci, les inclinations fort
+patibulaires ; et, parmi mes confrères que je vois se mêler de
+beaucoup de petits commerces, je sais tirer adroitement mon épingle du
+jeu, et me démêler prudemment de toutes les galanteries qui sentent
+tant soit peu l'échelle ; mais, à vous dire vrai, il me donnerait, par
+ses procédés, des tentations de le voler ; et je croirais, en le
+volant, faire une action méritoire.
+
+
+- Cléante -
+
+Donne-moi un peu ce mémoire, que je le voie encore.
+
+
+-----------
+
+Scène II. - Harpagon, Maître Simon ; Cléante et La Flèche dans le fond
+ du théâtre.
+
+
+
+- Maître Simon -
+
+Oui, Monsieur, c'est un jeune homme qui a besoin d'argent ; ses
+affaires le pressent d'en trouver, et il en passera par tout ce que
+vous en prescrirez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais croyez-vous, maître Simon, qu'il n'y ait rien à péricliter ? et
+savez-vous le nom, les biens et la famille de celui pour qui vous
+parlez ?
+
+
+- Maître Simon -
+
+Non. Je ne puis pas bien vous en instruire à fond ; et ce n'est que par
+aventure que l'on m'a adressé à lui ; mais vous serez de toutes choses
+éclairci par lui-même, et son homme m'a assuré que vous serez content
+quand vous le connaîtrez. Tout ce que je saurais vous dire, c'est que
+sa famille est fort riche, qu'il n'a plus de mère déjà, et qu'il
+s'obligera, si vous voulez, que son père mourra avant qu'il soit huit
+mois.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est quelque chose que cela. La charité, maître Simon, nous oblige à
+faire plaisir aux personnes, lorsque nous le pouvons.
+
+
+- Maître Simon -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- La Flèche -
+
+ (bas, à Cléante, reconnaissant maître Simon.)
+
+Que veut dire ceci ? Notre maître Simon qui parle à votre père !
+
+
+- Cléante -
+
+ (bas, à La Flèche.)
+
+Lui aurait-on appris qui je suis ? et serais-tu pour nous trahir ?
+
+
+- Maître Simon -
+
+ (à Cléante et à La Flèche.)
+
+Ah ! ah ! vous êtes bien pressés ! Qui vous a dit que c'était céans ?
+
+ (À Harpagon.)
+
+Ce n'est pas moi, Monsieur, au moins, qui leur ai découvert votre nom
+et votre logis ; mais, à mon avis, il n'y a pas grand mal à cela : ce
+sont des personnes discrètes, et vous pouvez ici vous expliquer
+ensemble.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Maître Simon -
+
+ (montrant Cléante.)
+
+Monsieur est la personne qui veut vous emprunter les quinze mille
+livres dont je vous ai parlé.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, pendard ! c'est toi qui t'abandonnes à ces coupables
+extrémités !
+
+
+- Cléante -
+
+Comment ! mon père, c'est vous qui vous portez à ces honteuses actions !
+
+ (Maître Simon s'enfuit, et La Flèche va se cacher.)
+
+
+-----------
+
+Scène III. - Harpagon, Cléante.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est toi qui te veux ruiner par des emprunts si condamnables !
+
+
+- Cléante -
+
+C'est vous qui cherchez à vous enrichir par des usures si criminelles !
+
+
+- Harpagon -
+
+Oses-tu bien, après cela, paraître devant moi ?
+
+
+- Cléante -
+
+Osez-vous bien, après cela, vous présenter aux yeux du monde ?
+
+
+- Harpagon -
+
+N'as-tu point de honte, dis-moi, d'en venir à ces débauches-là, de te
+précipiter dans des dépenses effroyables, et de faire une honteuse
+dissipation du bien que tes parents t'ont amassé avec tant de sueurs ?
+
+
+- Cléante -
+
+Ne rougissez-vous point de déshonorer votre condition par les
+commerces que vous faites ; de sacrifier gloire et réputation au désir
+insatiable d'entasser écu sur écu, et de renchérir, en fait
+d'intérêts, sur les plus infâmes subtilités qu'aient jamais inventées
+les plus célèbres usuriers ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Ôte-toi de mes yeux, coquin ! ôte-toi de mes yeux !
+
+
+- Cléante -
+
+Qui est plus criminel, à votre avis, ou celui qui achète un argent
+dont il a besoin, ou bien celui qui vole un argent dont il n'a que
+faire ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Retire-toi, te dis-je, et ne m'échauffe pas les oreilles.
+
+ (Seul.)
+
+Je ne suis pas fâché de cette aventure ; et ce m'est un avis de tenir
+l'oeil plus que jamais sur toutes ses actions.
+
+
+-----------
+
+Scène IV. - Frosine, Harpagon.
+
+
+
+- Frosine -
+
+Monsieur...
+
+
+- Harpagon -
+
+Attendez un moment ; Je vais revenir vous parler.
+
+ (A part.)
+
+Il est à propos que je fasse un petit tour à mon argent.
+
+
+-----------
+
+Scène V. - La Flèche, Frosine.
+
+
+
+- La Flèche -
+
+ (sans voir Frosine.)
+
+L'aventure est tout à fait drôle ! Il faut bien qu'il ait quelque part
+un ample magasin de hardes, car nous n'avons rien reconnu au mémoire
+que nous avons.
+
+
+- Frosine -
+
+Hé ! c'est toi, mon pauvre la Flèche ! D'où vient cette rencontre ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ah ! ah ! c'est toi, Frosine ! Que viens-tu faire ici ?
+
+
+- Frosine -
+
+Ce que je fais partout ailleurs : m'entremettre d'affaires, me rendre
+serviable aux gens, et profiter, du mieux qu'il m'est possible, des
+petits talents que je puis avoir. Tu sais que dans ce monde, il faut
+vivre d'adresse, et qu'aux personnes comme moi le ciel n'a donné
+d'autres rentes que l'intrigue et que l'industrie.
+
+
+- La Flèche -
+
+As-tu quelque négoce avec le patron du logis ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui, je traite pour lui quelque petite affaire dont j'espère
+récompense.
+
+
+- La Flèche -
+
+De lui ? Ah ! ma foi, tu seras bien fine si tu en tires quelque chose,
+et je te donne avis que l'argent céans est fort cher.
+
+
+- Frosine -
+
+Il y a de certains services qui touchent merveilleusement.
+
+
+- La Flèche -
+
+Je suis votre valet ; et tu ne connais pas encore le seigneur
+Harpagon. Le seigneur Harpagon est de tous les humains l'humain le
+moins humain, le mortel de tous les mortels le plus dur et le plus
+serré. Il n'est point de service qui pousse sa reconnaissance jusqu'à
+lui faire ouvrir les mains. De la louange, de l'estime, de la
+bienveillance en paroles, et de l'amitié, tant qu'il vous plaira ;
+mais de l'argent, point d'affaires. Il n'est rien de plus sec et de
+plus aride que ses bonnes grâces et ses caresses ; et "donner" est un
+mot pour qui il a tant d'aversion, qu'il ne dit jamais, "Je vous
+donne", mais "Je vous prête le bonjour".
+
+
+- Frosine -
+
+Mon Dieu ! je sais l'art de traire les hommes ; j'ai le secret de
+m'ouvrir leur tendresse, de chatouiller leurs coeurs, de trouver les
+endroits par où ils sont sensibles.
+
+
+- La Flèche -
+
+Bagatelles ici. Je te défie d'attendrir du côté de l'argent l'homme
+dont il est question. Il est Turc là-dessus, mais d'une turquerie à
+désespérer tout le monde ; et l'on pourrait crever, qu'il n'en
+branlerait pas. En un mot, il aime l'argent plus que réputation,
+qu'honneur, et que vertu ; et la vue d'un demandeur lui donne des
+convulsions : c'est le frapper par son endroit mortel, c'est lui
+percer le coeur, c'est lui arracher les entrailles ; et si... Mais il
+revient : je me retire.
+
+
+-----------
+
+Scène VI. - Harpagon, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas.)
+
+Tout va comme il faut.
+
+ (Haut.)
+
+Hé bien ! qu'est-ce, Frosine ?
+
+
+- Frosine -
+
+Ah ! mon Dieu, que vous vous portez bien, et que vous avez là un
+vrai visage de santé !
+
+
+- Harpagon -
+
+Qui ? moi ?
+
+
+- Frosine -
+
+Jamais je ne vous vis un teint si frais et si gaillard.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tout de bon ?
+
+
+- Frosine -
+
+Comment ! vous n'avez de votre vie été si jeune que vous êtes ; et je
+vois des gens de vingt-cinq ans qui sont plus vieux que vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cependant, Frosine, j'en ai soixante bien comptés.
+
+
+- Frosine -
+
+Eh bien, qu'est-ce que cela, soixante ans ? Voilà bien de quoi ! C'est
+la fleur de l'âge, cela, et vous entrez maintenant dans la belle
+saison de l'homme.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il est vrai ; mais vingt années de moins, pourtant, ne me feraient
+point de mal, que je crois.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous moquez-vous ? Vous n'avez pas besoin de cela, et vous êtes d'une
+pâte à vivre jusques à cent ans.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu le crois ?
+
+
+- Frosine -
+
+Assurément. Vous en avez toutes les marques. Tenez-vous un peu. Oh !
+que voilà bien là, entre vos deux yeux, un signe de longue vie !
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu te connais à cela ?
+
+
+- Frosine -
+
+Sans doute. Montrez-moi votre main. Mon Dieu, quelle ligne de vie !
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Frosine -
+
+Ne voyez-vous pas jusqu'où va cette ligne-là ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Eh bien ! qu'est-ce que cela veut dire ?
+
+
+- Frosine -
+
+Par ma foi, je disais cent ans ; mais vous passerez les six-vingts.
+
+
+- Harpagon -
+
+Est-il possible ?
+
+
+- Frosine -
+
+II faudra vous assommer, vous dis-je ; et vous mettrez en terre et vos
+enfants, et les enfants de vos enfants.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tant mieux ! Comment va notre affaire ?
+
+
+- Frosine -
+
+Faut-il le demander ? et me voit-on mêler de rien dont je ne vienne à
+bout ? J'ai, surtout pour les mariages, un talent merveilleux. Il
+n'est point de partis au monde que je ne trouve en peu de temps le
+moyen d'accoupler ; et je crois, si je me l'étais mis en tête, que je
+marierais le Grand Turc avec la République de Venise. Il n'y avait
+pas, sans doute, de si grandes difficultés à cette affaire-ci. Comme
+j'ai commerce chez elles, je les ai à fond l'une et l'autre
+entretenues de vous ; et j'ai dit à la mère le dessein que vous aviez
+conçu pour Mariane, à la voir passer dans la rue et prendre l'air à sa
+fenêtre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qui a fait réponse...
+
+
+- Frosine -
+
+Elle a reçu la proposition avec joie ; et quand je lui ai témoigné que
+vous souhaitiez fort que sa fille assistât ce soir au contrat de
+mariage qui se doit faire de la vôtre, elle y a consenti sans peine,
+et me l'a confiée pour cela.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est que je suis obligé, Frosine, de donner à souper au seigneur
+Anselme ; et je serai bien aise qu'elle soit du régal.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous avez raison. Elle doit, après dîner, rendre visite à votre fille,
+d'où elle fait son compte d'aller faire un tour à la foire, pour venir
+ensuite au souper.
+
+
+- Harpagon -
+
+Eh bien, elles iront ensemble dans mon carrosse, que je leur prêterai.
+
+
+- Frosine -
+
+Voilà justement son affaire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais, Frosine, as-tu entretenu la mère touchant le bien qu'elle peut
+donner à sa fille ? Lui as-tu dit qu'il fallait qu'elle s'aidât un
+peu, qu'elle fît quelque effort, qu'elle se saignât pour une occasion
+comme celle-ci ? Car encore n'épouse-t-on point une fille sans qu'elle
+apporte quelque chose.
+
+
+- Frosine -
+
+Comment ! C'est une fille qui vous apportera douze mille livres de
+rente.
+
+
+- Harpagon -
+
+Douze mille livres de rente ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui. Premièrement, elle est nourrie et élevée dans une grande épargne
+de bouche. C'est une fille accoutumée à vivre de salade, de lait, de
+fromage et de pommes, et à laquelle, par conséquent, il ne faudra ni
+table bien servie, ni consommés exquis, ni orges mondés perpétuels, ni
+les autres délicatesses qu'il faudrait pour une autre femme ; et cela
+ne va pas à si peu de chose, qu'il ne monte bien, tous les ans, à
+trois mille francs pour le moins. Outre cela, elle n'est curieuse que
+d'une propreté fort simple, et n'aime point les superbes habits, ni
+les riches bijoux, ni les meubles somptueux, où donnent ses pareilles
+avec tant de chaleur ; et cet article-là vaut plus de quatre mille
+livres par an. De plus, elle a une aversion horrible pour le jeu, ce
+qui n'est pas commun aux femmes d'aujourd'hui ; et j'en sais une de
+nos quartiers qui a perdu, à trente et quarante, vingt mille francs
+cette année. Mais n'en prenons rien que le quart. Cinq mille francs au
+jeu par an, et quatre mille francs en habits et bijoux, cela fait neuf
+mille livres, et mille écus que nous mettons pour la nourriture: ne
+voilà-t-il pas par année vos douze mille francs bien comptés ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui ; cela n'est pas mal ; mais ce compte-là n'est rien de réel.
+
+
+- Frosine -
+
+Pardonnez-moi. N'est-ce pas quelque chose de réel que de vous apporter
+en mariage une grande sobriété, l'héritage d'un grand amour de
+simplicité de parure, et l'acquisition d'un grand fonds de haine pour
+le jeu ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une raillerie que de vouloir me constituer sa dot de toutes les
+dépenses qu'elle ne fera point. Je n'irai point donner quittance de ce
+que je ne reçois pas ; et il faut bien que je touche quelque chose.
+
+
+- Frosine -
+
+Mon Dieu ! vous toucherez assez ; et elles m'ont parlé d'un certain
+pays où elles ont du bien, dont vous serez le maître.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il faudra voir cela. Mais Frosine, il y a encore une chose qui
+m'inquiète. La fille est jeune, comme tu vois, et les jeunes gens,
+d'ordinaire, n'aiment que leurs semblables, ne cherchent que leur
+compagnie : j'ai peur qu'un homme de mon âge ne soit pas de son goût,
+et que cela ne vienne à produire chez moi certains petits désordres
+qui ne m'accommoderaient pas.
+
+
+- Frosine -
+
+Ah ! que vous la connaissez mal ! C'est encore une particularité que
+j'avais à vous dire. Elle a une aversion épouvantable pour tous les
+jeunes gens, et n'a de l'amour que pour les vieillards.
+
+
+- Harpagon -
+
+Elle ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui, elle. Je voudrais que vous l'eussiez entendue parler là-dessus.
+Elle ne peut souffrir du tout la vue d'un jeune homme ; mais elle
+n'est point plus ravie, dit-elle, que lorsqu'elle peut voir un beau
+vieillard avec une barbe majestueuse. Les plus vieux sont pour elle
+les plus charmants ; et je vous avertis de n'aller pas vous faire plus
+jeune que vous êtes. Elle veut tout au moins qu'on soit sexagénaire ;
+et il n'y a pas quatre mois encore qu'étant prête d'être mariée, elle
+rompit tout net le mariage, sur ce que son amant fit voir qu'il
+n'avait que cinquante-six ans, et qu'il ne prit point de lunettes pour
+signer le contrat.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sur cela seulement ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui. Elle dit que ce n'est pas contentement pour elle que
+cinquante-six ans ; et surtout elle est pour les nez qui portent des
+lunettes.
+
+
+- Harpagon -
+
+Certes, tu me dis là une chose toute nouvelle.
+
+
+- Frosine -
+
+Cela va plus loin qu'on ne vous peut dire. On lui voit dans sa chambre
+quelques tableaux et quelques estampes ; mais que pensez-vous que ce
+soit ? Des Adonis, des Céphales, des Pâris, et des Apollons ? Non : de
+beaux portraits de Saturne, du roi Priam, du vieux Nestor, et du bon
+père Anchise, sur les épaules de son fils.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela est admirable. Voilà ce que je n'aurais jamais pensé, et je suis
+bien aise d'apprendre qu'elle est de cette humeur. En effet, si
+j'avais été femme, je n'aurais point aimé les jeunes hommes.
+
+
+- Frosine -
+
+Je le crois bien. Voilà de belles drogues que des jeunes gens, pour
+les aimer ! Ce sont de beaux morveux, de beaux godelureaux, pour
+donner envie de leur peau ! et je voudrais bien savoir quel ragoût il
+y a à eux !
+
+
+- Harpagon -
+
+Pour moi, je n'y en comprends point, et je ne sais pas comment il y a
+des femmes qui les aiment tant.
+
+
+- Frosine -
+
+Il faut être folle fieffée. Trouver la jeunesse aimable, est-ce avoir
+le sens commun ? Sont-ce des hommes que de jeunes blondins, et peut-on
+s'attacher à ces animaux-là ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est ce que je dis tous les jours : avec leur ton de poule laitée, et
+leurs trois petits brins de barbe relevés en barbe de chat, leurs
+perruques d'étoupes, leurs hauts-de-chausses tombants et leurs
+estomacs débraillés !
+
+
+- Frosine -
+
+Hé ! cela est bien bâti, auprès d'une personne comme vous ! Voilà un
+homme, cela ; il y a là de quoi satisfaire à la vue, et c'est ainsi
+qu'il faut être fait et vêtu pour donner de l'amour.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu me trouves bien ?
+
+
+- Frosine -
+
+Comment ! vous êtes à ravir, et votre figure est à peindre.
+Tournez-vous un peu, s'il vous plaît. Il ne se peut pas mieux. Que je
+vous voie marcher. Voilà un corps taillé, libre, et dégagé comme il
+faut, et qui ne marque aucune incommodité.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je n'en ai pas de grandes, Dieu merci. Il n'y a que ma fluxion qui me
+prend de temps en temps.
+
+
+- Frosine -
+
+Cela n'est rien. Votre fluxion ne vous sied point mal, et vous avez
+grâce à tousser.
+
+
+- Harpagon -
+
+Dis-moi un peu : Mariane ne m'a-t-elle point encore vu ? N'a-t-elle
+point pris garde à moi en passant ?
+
+
+- Frosine -
+
+Non ; mais nous nous sommes fort entretenues de vous. Je lui ai fait
+un portrait de votre personne, et je n'ai pas manqué de lui vanter
+votre mérite et l'avantage que ce lui serait d'avoir un mari comme
+vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu as bien fait, et je t'en remercie.
+
+
+- Frosine -
+
+J'aurais, monsieur, une petite prière à vous faire. J'ai un procès
+que je suis sûr le point de perdre, faute d'un peu d'argent ;
+
+ (Harpagon prend un air sérieux.)
+
+et vous pourriez facilement me procurer le gain de ce procès si vous
+aviez quelque bonté pour moi. Vous ne sauriez croire le plaisir
+qu'elle aura de vous voir.
+
+ (Harpagon reprend un air gai.)
+
+Ah ! que vous lui plairez, et que votre fraise à l'antique fera sur
+son esprit un effet admirable ! Mais surtout elle sera charmée de
+votre haut-de-chausses attaché au pourpoint avec des aiguillettes.
+C'est pour la rendre folle de vous ; et un amant aiguilleté sera pour
+elle un ragoût merveilleux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Certes, tu me ravis de me dire cela.
+
+
+- Frosine -
+
+En vérité, Monsieur, ce procès m'est d'une conséquence tout a fait
+grande.
+
+ (Harpagon reprend son air sérieux.)
+
+Je suis ruinée si je le perds, et quelque petite assistance me
+rétablirait mes affaires... Je voudrais que vous eussiez vu le
+ravissement où elle était à m'entendre parler de vous.
+
+ (Harpagon reprend son air gai.)
+
+La joie éclatait dans ses yeux au récit de vos qualités, et je l'ai
+mise enfin dans une impatience extrême de voir ce mariage entièrement
+conclu.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu m'as fait grand plaisir, Frosine ; et je t'en ai, je te l'avoue,
+toutes les obligations du monde.
+
+
+- Frosine -
+
+Je vous prie, Monsieur, de me donner le petit secours que je vous
+demande.
+
+ (Harpagon reprend encore un air sérieux.)
+
+Cela me remettra sur pied, et je vous en serai éternellement obligée.
+
+
+- Harpagon -
+
+Adieu, je vais achever mes dépêches.
+
+
+- Frosine -
+
+Je vous assure, Monsieur, que vous ne sauriez jamais me soulager dans
+un plus grand besoin.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je mettrai ordre que mon carrosse soit tout prêt pour vous mener à la
+foire.
+
+
+- Frosine -
+
+Je ne vous importunerais pas si je ne m'y voyais forcée par la
+nécessité.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et j'aurai soin qu'on soupe de bonne heure, pour ne vous point faire
+malades.
+
+
+- Frosine -
+
+Ne me refusez pas la grâce dont je vous sollicite. Vous ne sauriez
+croire, Monsieur, le plaisir que...
+
+
+- Harpagon -
+
+Je m'en vais. Voilà qu'on m'appelle. Jusqu'à tantôt.
+
+
+- Frosine -
+
+ (seule.)
+
+Que la fièvre te serre, chien de vilain, à tous les diables ! Le ladre
+a été ferme à toutes mes attaques ; mais il ne me faut pas pourtant
+quitter la négociation ; et j'ai l'autre côté, en tout cas, d'où je
+suis assurée de tirer bonne récompense.
+
+
+
+ACTE TROISIÈME.
+---------------
+
+
+
+Scène première. - Harpagon, Cléante, Élise, Valère, Dame Claude,
+ tenant un balai ; Maître Jacques, La Merluche,
+ Brindavoine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Allons, venez çà tous, que je vous distribue mes ordres pour tantôt et
+règle à chacun son emploi. Approchez, dame Claude ; commençons par
+vous. Bon, vous voilà les armes à la main. Je vous commets au soin de
+nettoyer partout ; et surtout prenez garde de ne point frotter les
+meubles trop fort, de peur de les user. Outre cela, je vous constitue,
+pendant le souper, au gouvernement des bouteilles ; et, s'il s'en
+écarte quelqu'une, et qu'il se casse quelque chose, je m'en prendrai à
+vous et le rabattrai sur vos gages.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+Châtiment politique.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Dame Claude.)
+
+Allez.
+
+
+-----------
+
+Scène II. - Harpagon, Cléante, Élise, Valère, Maître Jacques,
+ Brindavoine, La Merluche.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous, Brindavoine, et vous, la Merluche, je vous établis dans la
+charge de rincer les verres et de donner à boire, mais seulement
+lorsque l'on aura soif, et non pas selon la coutume de certains
+impertinents de laquais, qui viennent provoquer les gens, et les faire
+aviser de boire lorsqu'on n'y songe pas. Attendez qu'on vous en
+demande plus d'une fois, et vous ressouvenez de porter toujours
+beaucoup d'eau.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+Oui. Le vin pur monte à la tête.
+
+
+- La Merluche -
+
+Quitterons-nous nos souquenilles, monsieur ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, quand vous verrez venir les personnes ; et gardez bien de gâter vos
+habits.
+
+
+- Brindavoine -
+
+Vous savez bien, Monsieur, qu'un des devants de mon pourpoint est
+couvert d'une grande tache de l'huile de la lampe.
+
+
+- La Merluche -
+
+Et, moi, Monsieur, que j'ai mon haut-de-chausses tout troué
+par-derrière, et qu'on me voit, révérence parler...
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à la Merluche.)
+
+Paix ! Rangez cela adroitement du côté de la muraille, et présentez
+toujours le devant au monde.
+
+ (A Brindavoine, en lui montrant comment il doit mettre
+ son chapeau au-devant de son pourpoint, pour cacher
+ la tache d'huile.)
+
+Et vous, tenez toujours votre chapeau ainsi, lorsque vous
+servirez.
+
+
+-----------
+
+Scène III. - Harpagon, Cléante, Élise, Valère, Maître Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Pour vous, ma fille, vous aurez l'oeil sur ce que l'on desservira, et
+prendrez garde qu'il ne s'en fasse aucun dégât : cela sied bien aux
+filles. Mais cependant préparez-vous à bien recevoir ma maîtresse, qui
+vous doit venir visiter et vous mener avec elle à la foire.
+Entendez-vous ce que je vous dis ?
+
+
+- Élise -
+
+Oui, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, nigaude.
+
+
+-----------
+
+Scène IV. - Harpagon, Cléante, Valère, Maître Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Et vous, mon fils le damoiseau, à qui j'ai la bonté de pardonner
+l'histoire de tantôt, ne vous allez pas aviser non plus de lui faire
+mauvais visage.
+
+
+- Cléante -
+
+Moi, mon père ? mauvais visage ! Et par quelle raison ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Mon Dieu, nous savons le train des enfants dont les pères se
+remarient, et de quel oeil ils ont coutume de regarder ce qu'on
+appelle belle-mère ; mais si vous souhaitez que je perde le souvenir de
+votre dernière fredaine, je vous recommande surtout de régaler d'un
+bon visage cette personne-là, et de lui faire enfin tout le meilleur
+accueil qu'il vous sera possible.
+
+
+- Cléante -
+
+A vous dire le vrai, mon père, je ne puis pas vous promettre d'être
+bien aise qu'elle devienne ma belle-mère : je mentirais si je vous le
+disais ; mais pour ce qui est de la bien recevoir et de lui faire bon
+visage, je vous promets de vous obéir ponctuellement sur ce chapitre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Prenez-y garde au moins.
+
+
+- Cléante -
+
+Vous verrez que vous n'aurez pas sujet de vous en plaindre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous ferez sagement.
+
+
+-----------
+
+Scène V. - Harpagon, Valère, Maître Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Valère, aide-moi à ceci. Oh çà, maître Jacques, approchez-vous ; je
+vous ai gardé pour le dernier.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Est-ce à votre cocher, Monsieur, ou bien à votre cuisinier, que vous
+voulez parler ? car je suis l'un et l'autre.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est à tous les deux.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Mais à qui des deux le premier ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Au cuisinier.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Attendez donc, s'il vous plaît.
+
+ (Maître Jacques ôte sa casaque de cocher, et paraît vêtu en cuisinier.)
+
+
+- Harpagon -
+
+Quelle diantre de cérémonie est-ce là ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vous n'avez qu'à parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me suis engagé, maître Jacques, à donner ce soir à souper.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+Grande merveille !
+
+
+- Harpagon -
+
+Dis-moi un peu : nous feras-tu bonne chère ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Oui, Si vous me donnez bien de l'argent.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que diable, toujours de l'argent ! Il semble qu'ils n'aient autre
+chose à dire : De l'argent, de l'argent, de l'argent ! Ah ! ils n'ont
+que ce mot à la bouche, de l'argent ! toujours parler d'argent ! Voilà
+leur épée de chevet (12), de l'argent !
+
+
+- Valère -
+
+Je n'ai jamais vu de réponse plus impertinente que celle-là. Voilà
+une belle merveille que de faire bonne chère avec bien de l'argent !
+C'est une chose la plus aisée du monde, et il n'y a si pauvre esprit
+qui n'en fît bien autant ; mais, pour agir en habile homme, il faut
+parler de faire bonne chère avec peu d'argent.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Bonne chère avec peu d'argent !
+
+
+- Valère -
+
+Oui.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Valère.)
+
+Par ma foi, Monsieur l'intendant, vous nous obligerez de nous faire
+voir ce secret, et de prendre mon office de cuisinier ; aussi bien
+vous mêlez-vous céans d'être le factotum.
+
+
+- Harpagon -
+
+Taisez-vous. Qu'est-ce qu'il nous faudra ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Voilà monsieur votre intendant qui vous fera bonne chère pour peu
+d'argent.
+
+
+- Harpagon -
+
+Haye ! Je veux que tu me répondes.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Combien serez-vous de gens à table ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Nous serons huit ou dix ; mais il ne faut prendre que huit :
+quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix.
+
+
+- Valère -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Eh bien ! il faudra quatre grands potages et cinq assiettes...
+Potages... Entrées.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que diable ! voilà pour traiter toute une ville entière.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Rôt...
+
+
+- Harpagon -
+
+ (mettant la main sur la bouche de maître Jacques.)
+
+Ah ! traître, tu manges tout mon bien.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Entremets...
+
+
+- Harpagon -
+
+ (mettant encore la main sur la bouche de maître Jacques.)
+
+Encore ?
+
+
+- Valère -
+
+ (à maître Jacques.)
+
+Est-ce que vous avez envie de faire crever tout le monde ? et Monsieur
+a-t-il invité des gens pour les assassiner à force de mangeaille ?
+Allez-vous-en lire un peu les préceptes de la santé, et demander aux
+médecins s'il y a rien de plus préjudiciable à l'homme que de manger
+avec excès.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il a raison.
+
+
+- Valère -
+
+Apprenez, maître Jacques, vous et vos pareils, que c'est un
+coupe-gorge qu'une table remplie de trop de viandes ; que pour se
+bien montrer ami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalité
+règne dans les repas qu'on donne ; et que, suivant le dire d'un ancien,
+"il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger" (13).
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! que cela est bien dit ! Approche, que je t'embrasse pour ce
+mot. Voilà la plus belle sentence que j'aie entendue de ma vie : "Il
+faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi..." Non, ce n'est
+pas cela. Comment est-ce que tu dis ?
+
+
+- Valère -
+
+Qu'"il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger."
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à maître Jacques.)
+
+Oui. Entends-tu ?
+
+ (À Valère.)
+
+Qui est le grand homme qui a dit cela ?
+
+
+- Valère -
+
+Je ne me souviens pas maintenant de son nom.
+
+
+- Harpagon -
+
+Souviens-toi de m'écrire ces mots : je les veux faire graver en
+lettres d'or sur la cheminée de ma salle.
+
+
+- Valère -
+
+Je n'y manquerai pas. Et, pour votre souper, vous n'avez qu'à me
+laisser faire : je réglerai tout cela comme il faut.
+
+
+- Harpagon -
+
+Fais donc.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Tant mieux ! j'en aurai moins de peine.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Valère.)
+
+Il faudra de ces choses dont on ne mange guère, et qui rassasient
+d'abord : quelque bon haricot bien gras, avec quelque pâté en pot bien
+garni de marrons.
+
+
+- Valère -
+
+Reposez-vous sur moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Maintenant, maître Jacques, il faut nettoyer mon carrosse.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Attendez. Ceci s'adresse au cocher.
+
+ (Il remet sa casaque.)
+
+Vous dites...
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'il faut nettoyer mon carrosse, et tenir mes chevaux tout prêts pour
+conduire à la foire...
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vos chevaux, Monsieur ? Ma foi ! ils ne sont point du tout en état de
+marcher. Je ne vous dirai point qu'ils sont sur la litière : les
+pauvres bêtes n'en ont point, et ce serait fort mal parler ; mais vous
+leur faites observer des jeûnes si austères, que ce ne sont plus rien
+que des idées ou des fantômes, des façons de chevaux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Les voilà bien malades ! ils ne font rien.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Et, pour ne faire rien, Monsieur, est-ce qu'il ne faut rien manger ?
+Il leur vaudrait bien mieux, les pauvres animaux, de travailler
+beaucoup, de manger de même. Cela me fend le coeur de les voir ainsi
+exténués ; car, enfin, j'ai une tendresse pour mes chevaux, qu'il me
+semble que c'est moi-même, quand je les vois pâtir. Je m'ôte tous les
+jours pour eux les choses de la bouche, et c'est être, Monsieur, d'un
+naturel trop dur, que de n'avoir nulle pitié de son prochain.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le travail ne sera pas grand d'aller jusqu'à la foire.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Non, je n'ai pas le courage de les mener ; et je ferais conscience de
+leur donner des coups de fouet, en l'état où ils sont. Comment
+voudriez-vous qu'ils traînassent un carrosse, qu'ils ne peuvent pas se
+traîner eux-mêmes.
+
+
+- Valère -
+
+Monsieur, j'obligerai le voisin le Picard à se charger de les conduire :
+aussi bien nous fera-t-il ici besoin pour apprêter le souper.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Soit. J'aime mieux encore qu'ils meurent sous la main d'un autre que
+sous la mienne.
+
+
+- Valère -
+
+Maître Jacques fait bien le raisonnable !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Monsieur l'intendant fait bien le nécessaire !
+
+
+- Harpagon -
+
+Paix !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Monsieur, je ne saurais souffrir les flatteurs ; et je vois que ce
+qu'il en fait, que ses contrôles perpétuels sur le pain et le vin, le
+bois, le sel et la chandelle, ne sont rien que pour vous gratter et
+vous faire sa cour. J'enrage de cela, et je suis fâché tous les jours
+d'entendre ce qu'on dit de vous : car, enfin, je me sens pour vous de
+la tendresse, en dépit que j'en aie ; et, après mes chevaux, vous êtes
+la personne que j'aime le plus.
+
+
+- Harpagon -
+
+Pourrais-je savoir de vous, maître Jacques, ce que l'on dit de moi ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Oui, monsieur, si j'étais assuré que cela ne vous fâchât point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, en aucune façon.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Pardonnez-moi ; je sais fort bien que je vous mettrais en colère.
+
+
+- Harpagon -
+
+Point du tout ; au contraire, c'est me faire plaisir, et je suis bien
+aise d'apprendre comme on parle de moi.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Monsieur, puisque vous le voulez, je vous dirai franchement qu'on se
+moque partout de vous, qu'on nous jette de tous côtés cent brocards à
+votre sujet, et que l'on n'est point plus ravi que de vous tenir au
+cul et aux chausses, et de faire sans cesse des contes de votre
+lésine. L'un dit que vous faites imprimer des almanachs particuliers,
+où vous faites doubler les quatre-temps et les vigiles, afin de
+profiter des jeûnes où vous obligez votre monde ; l'autre, que vous
+avez toujours une querelle toute prête à faire à vos valets dans le
+temps des étrennes ou de leur sortie d'avec vous, pour vous trouver
+une raison de ne leur donner rien. Celui-là conte qu'une fois vous
+fîtes assigner le chat d'un de vos voisins, pour vous avoir mangé un
+reste d'un gigot de mouton ; celui-ci, que l'on vous surprit, une
+nuit, en venant dérober vous-même l'avoine de vos chevaux ; et que
+votre cocher, qui était celui d'avant moi, vous donna, dans
+l'obscurité, je ne sais combien de coups de bâton, dont vous ne
+voulûtes rien dire. Enfin, voulez-vous que je vous dise ? On ne
+saurait aller nulle part où l'on ne vous entende accommoder de toutes
+pièces. Vous êtes la fable et la risée de tout le monde ; et jamais on
+ne parle de vous que sous les noms d'avare, de ladre, de vilain et de
+fesse-mathieu.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (en battant maître Jacques.)
+
+Vous êtes un sot, un maraud, un coquin, et un impudent.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Eh bien, ne l'avais-je pas deviné ? Vous ne m'avez pas voulu croire.
+Je vous l'avais bien dit que je vous fâcherais de vous dire la vérité.
+
+
+- Harpagon -
+
+Apprenez à parler.
+
+
+-----------
+
+Scène VI. - Valère, Maître Jacques.
+
+
+
+- Valère -
+
+ (riant.)
+
+À ce que je puis voir, maître Jacques, on paie mal votre franchise.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Morbleu ! Monsieur le nouveau venu, qui faites l'homme d'importance,
+ce n'est pas votre affaire. Riez de vos coups de bâton quand on vous
+on donnera, et ne venez point rire des miens.
+
+
+- Valère -
+
+Ah ! Monsieur maître Jacques, ne vous fâchez pas, je vous prie.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+II file doux. Je veux faire le brave, et, s'il est assez sot pour me
+craindre, le frotter quelque peu.
+
+ (Haut.)
+
+Savez-vous bien, Monsieur le rieur, que je ne ris pas, moi, et que si
+vous m'échauffez la tête, je vous ferai rire d'une autre sorte ?
+
+ (Maître Jacques pousse Valère jusqu'au bout du théâtre
+ en le menaçant.)
+
+
+- Valère -
+
+Hé ! doucement.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Comment, doucement ? Il ne me plaît pas, moi.
+
+
+- Valère -
+
+De grâce !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vous êtes un impertinent.
+
+
+- Valère -
+
+Monsieur maître Jacques !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+II n'y a point de monsieur maître Jacques pour un double (14). Si je
+prends un bâton, je vous rosserai d'importance.
+
+
+- Valère -
+
+Comment ! un bâton ?
+
+ (Valère le fait reculer autant qu'il l'a fait.)
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Hé ! je ne parle pas de cela.
+
+
+- Valère -
+
+Savez-vous bien, Monsieur le fat, que je suis homme à vous rosser
+vous-même ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je n'en doute pas.
+
+
+- Valère -
+
+Que vous n'êtes, pour tout potage, qu'un faquin de cuisinier ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je le sais bien.
+
+
+- Valère -
+
+Et que vous ne me connaissez pas encore ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Pardonnez-moi.
+
+
+- Valère -
+
+Vous me rosserez, dites-vous ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je le disais en raillant.
+
+
+- Valère -
+
+Et moi, je ne prends point de goût à votre raillerie.
+
+ (Donnant des coups de bâton à maître Jacques.)
+
+Apprenez que vous êtes un mauvais railleur.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (seul.)
+
+Peste soit la sincérité ! c'est un mauvais métier : désormais j'y
+renonce, et je ne veux plus dire vrai. Passe encore pour mon maître,
+il a quelque droit de me battre ; mais, pour ce monsieur l'intendant,
+je m'en vengerai si je le puis.
+
+
+-----------
+
+Scène VII. - Mariane, Frosine, Maître Jacques.
+
+
+
+- Frosine -
+
+Savez-vous, maître Jacques, si votre maître est au logis ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Oui, vraiment il y est : je ne le sais que trop.
+
+
+- Frosine -
+
+Dites-lui, je vous prie, que nous sommes ici.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Ah ! nous voilà pas mal !
+
+
+-----------
+
+Scène VIII. - Mariane, Frosine.
+
+
+
+- Mariane -
+
+Ah ! que je suis, Frosine, dans un étrange état ! et, s'il faut dire
+ce que je sens, que j'appréhende cette vue !
+
+
+- Frosine -
+
+Mais pourquoi, et quelle est votre inquiétude ?
+
+
+- Mariane -
+
+Hélas ! me le demandez-vous ? et ne vous figurez-vous point les
+alarmes d'une personne toute prête à voir le supplice où l'on veut
+l'attacher ?
+
+
+- Frosine -
+
+Je vois bien que, pour mourir agréablement, Harpagon n'est pas le
+supplice que vous voudriez embrasser ; et je connais, à votre mine,
+que le jeune blondin dont vous m'avez parlé vous revient un peu dans
+l'esprit.
+
+
+- Mariane -
+
+Oui. C'est une chose, Frosine, dont je ne veux pas me défendre ; et
+les visites respectueuses qu'il a rendues chez nous ont fait, je vous
+l'avoue, quelque effet dans mon âme.
+
+
+- Frosine -
+
+Mais avez-vous su quel il est ?
+
+
+- Mariane -
+
+Non, je ne sais point quel il est. Mais je sais qu'il est fait d'un
+air à se faire aimer ; que, si l'on pouvait mettre les choses à mon
+choix, je le prendrais plutôt qu'un autre, et qu'il ne contribue pas
+peu à me faire trouver un tourment effroyable dans l'époux qu'on veut
+me donner.
+
+
+- Frosine -
+
+Mon Dieu, tous ces blondins sont agréables, et débitent fort bien leur
+fait ; mais la plupart sont gueux comme des rats : il vaut mieux, pour
+vous, de prendre un vieux mari qui vous donne beaucoup de bien. Je
+vous avoue que les sens ne trouvent pas si bien leur compte du côté
+que je dis, et qu'il y a quelques petits dégoûts à essuyer avec un tel
+époux ; mais cela n'est pas pour durer ; et sa mort, croyez-moi, vous
+mettra bientôt en état d'en prendre un plus aimable, qui réparera
+toutes choses.
+
+
+- Mariane -
+
+Mon Dieu ! Frosine, c'est une étrange affaire, lorsque pour être
+heureuse, il faut souhaiter ou attendre le trépas de quelqu'un ; et la
+mort ne suit pas tous les projets que nous faisons.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous moquez-vous ? Vous ne l'épousez qu'aux conditions de vous laisser
+veuve bientôt ; et ce doit être là un des articles du contrat. Il
+serait bien impertinent de ne pas mourir dans trois mois ! Le voici
+en propre personne.
+
+
+- Mariane -
+
+Ah ! Frosine, quelle figure !
+
+
+-----------
+
+Scène IX. - Harpagon, Mariane, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Mariane.)
+
+Ne vous offensez pas, ma belle, si je viens à vous avec des
+lunettes. Je sais que vos appas frappent assez les yeux, sont assez
+visibles d'eux-mêmes, et qu'il n'est pas besoin de lunettes pour les
+apercevoir ; mais enfin, c'est avec des lunettes qu'on observe les
+astres, et je maintiens et garantis que vous êtes un astre, mais un
+astre, le plus bel astre qui soit dans le pays des astres. Frosine,
+elle ne répond mot et ne témoigne, ce me semble, aucune joie de me
+voir.
+
+
+- Frosine -
+
+C'est qu'elle est encore toute surprise ; et, puis les filles
+ont toujours honte à témoigner d'abord ce qu'elles ont dans l'âme.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Frosine.)
+
+Tu as raison.
+
+ (A Mariane.)
+
+Voilà, belle mignonne, ma fille qui vient vous saluer.
+
+
+-----------
+
+Scène X. - Harpagon, Élise, Mariane, Frosine.
+
+
+
+- Mariane -
+
+Je m'acquitte bien tard, Madame, d'une telle visite.
+
+
+- Élise -
+
+Vous avez fait, Madame, ce que je devais faire, et c'était à moi de
+vous prévenir.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous voyez qu'elle est grande ; mais mauvaise herbe croît toujours.
+
+
+- Mariane -
+
+ (bas, à Frosine.)
+
+Oh ! l'homme déplaisant !
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à Frosine.)
+
+Que dit la belle ?
+
+
+- Frosine -
+
+Qu'elle vous trouve admirable.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est trop d'honneur que vous me faites, adorable mignonne.
+
+
+- Mariane -
+
+ (à part.)
+
+Quel animal !
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous suis trop obligé de ces sentiments.
+
+
+- Mariane -
+
+ (à part.)
+
+Je n'y puis plus tenir.
+
+
+-----------
+
+Scène XI. - Harpagon, Mariane, Élise, Cléante, Valère, Frosine,
+ Brindavoine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Voici mon fils aussi qui vous vient faire la révérence.
+
+
+- Mariane -
+
+ (bas, à Frosine.)
+
+Ah ! Frosine, quelle rencontre ! C'est justement celui dont je t'ai
+parlé.
+
+
+- Frosine -
+
+ (à Mariane.)
+
+L'aventure est merveilleuse.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vois que vous vous étonnez de me voir de si grands enfants ; mais
+je serai bientôt défait et de l'un et de l'autre.
+
+
+- Cléante -
+
+ (à Mariane.)
+
+Madame, à vous dire le vrai, c'est ici une aventure où, sans doute, je
+ne m'attendais pas ; et mon père ne m'a pas peu surpris lorsqu'il m'a
+dit tantôt le dessein qu'il avait formé.
+
+
+- Mariane -
+
+Je puis dire la même chose. C'est une rencontre imprévue, qui m'a
+surprise autant que vous ; et je n'étais point préparée à une pareille
+aventure.
+
+
+- Cléante -
+
+Il est vrai que mon père, Madame, ne peut pas faire un plus beau
+choix, et que ce m'est une sensible joie que l'honneur de vous voir ;
+mais, avec tout cela, je ne vous assurerai point que je me réjouis du
+dessein où vous pourriez être de devenir ma belle-mère. Le compliment,
+je vous l'avoue, est trop difficile pour moi, et c'est un titre, s'il
+vous plaît, que je ne vous souhaite point. Ce discours paraîtra brutal
+aux yeux de quelques-uns ; mais je suis assuré que vous serez personne
+à le prendre comme il faudra ; que c'est un mariage, Madame, où vous
+vous imaginez bien que je dois avoir de la répugnance ; que vous
+n'ignorez pas, sachant ce que je suis, comme il choque mes intérêts,
+et que vous voulez bien enfin que je vous dise, avec la permission de
+mon père, que, si les choses dépendaient de moi, cet hymen ne se
+ferait point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà un compliment bien impertinent ! Quelle belle confession à lui
+faire !
+
+
+- Mariane -
+
+Et moi, pour vous répondre, j'ai à vous dire que les choses sont fort
+égales ; et que si vous auriez de la répugnance à me voir votre
+belle-mère, je n'en aurais pas moins, sans doute, à vous voir mon
+beau-fils. Ne croyez pas, je vous prie, que ce soit moi qui cherche à
+vous donner cette inquiétude. Je serais fort fâchée de vous causer du
+déplaisir ; et si je ne m'y vois forcée par une puissance absolue, je
+vous donne ma parole que je ne consentirai point au mariage qui vous
+chagrine.
+
+
+- Harpagon -
+
+Elle a raison. A sot compliment, il faut une réponse de même. Je vous
+demande pardon, ma belle, de l'impertinence de mon fils : c'est un
+jeune sot qui ne sait pas encore la conséquence des paroles qu'il dit.
+
+
+- Mariane -
+
+Je vous promets que ce qu'il m'a dit ne m'a point du tout offensée ;
+au contraire, il m'a fait plaisir de m'expliquer ainsi ses véritables
+sentiments. J'aime de lui un aveu de la sorte ; et s'il avait parlé
+d'autre façon, je l'en estimerais bien moins.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est beaucoup de bonté à vous de vouloir ainsi excuser ses fautes.
+Le temps le rendra plus sage, et vous verrez qu'il changera de
+sentiments.
+
+
+- Cléante -
+
+Non, mon père, je ne suis pas capable d'en changer, et je prie
+instamment Madame de le croire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais voyez quelle extravagance ! il continue encore plus fort.
+
+
+- Cléante -
+
+Voulez-vous que je trahisse mon coeur ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Encore ! Avez-vous envie de changer de discours ?
+
+
+- Cléante -
+
+Eh bien, puisque vous voulez que je parle d'autre façon, souffrez,
+Madame, que je me mette ici à la place de mon père, et que je vous
+avoue que je n'ai rien vu dans le monde de si charmant que vous ; que
+je ne conçois rien d'égal au bonheur de vous plaire, et que le titre
+de votre époux est une gloire, une félicité que je préférerais aux
+destinées des plus grands princes de la terre. Oui, Madame, le bonheur
+de vous posséder est, à mes regards, la plus belle de toutes les
+fortunes ; c'est où j'attache toute mon ambition. Il n'y a rien que je
+ne sois capable de faire pour une conquête si précieuse ; et les
+obstacles les plus puissants...
+
+
+- Harpagon -
+
+Doucement, mon fils, s'il vous plaît.
+
+
+- Cléante -
+
+C'est un compliment que je fais pour vous à Madame.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mon Dieu, j'ai une langue pour m'expliquer moi-même, et je n'ai pas
+besoin d'un interprète comme vous. Allons, donnez des sièges.
+
+
+- Frosine -
+
+Non ; il vaut mieux que de ce pas nous allions à la foire, afin d'en
+revenir plus tôt et d'avoir tout le temps ensuite de nous entretenir.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Brindavoine.)
+
+Qu'on mette donc les chevaux au carrosse.
+
+
+-----------
+
+Scène XII. - Harpagon, Mariane, Élise, Cléante, Valère, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Mariane.)
+
+Je vous prie de m'excuser, ma belle, si je n'ai pas songé a vous
+donner un peu de collation avant que de partir.
+
+
+- Cléante -
+
+J'y ai pourvu, mon père, et j'ai fait apporter ici quelques bassins
+d'oranges de la Chine, de citrons doux, et de confitures, que j'ai
+envoyé quérir de votre part.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à Valère.)
+
+Valère !
+
+
+- Valère -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Il a perdu le sens.
+
+
+- Cléante -
+
+Est-ce que vous trouvez, mon père, que ce ne soit pas assez ? Madame
+aura la bonté d'excuser cela, s'il vous plaît.
+
+
+- Mariane -
+
+C'est une chose qui n'était pas nécessaire.
+
+
+- Cléante -
+
+Avez-vous jamais vu, madame, un diamant plus vif que celui que vous
+voyez que mon père a au doigt ?
+
+
+- Mariane -
+
+Il est vrai qu'il brille beaucoup.
+
+
+- Cléante -
+
+ (ôtant du doigt de son père le diamant, et le donnant à Mariane)
+
+Il faut que vous le voyiez de près.
+
+
+- Mariane -
+
+Il est fort beau, sans doute, et jette quantité de feux.
+
+
+- Cléante -
+
+ (se mettant au-devant de Mariane, qui veut rendre le diamant.)
+
+Nenni. Madame, il est en de trop belles mains. C'est un présent que
+mon père vous fait.
+
+
+- Harpagon -
+
+Moi !
+
+
+- Cléante -
+
+N'est-il pas vrai, mon père, que vous voulez que Madame le garde pour
+l'amour de vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à son fils.)
+
+Comment ?
+
+
+- Cléante -
+
+ (à Mariane.)
+
+Belle demande ! Il me fait signe de vous le faire accepter.
+
+
+- Mariane -
+
+Je ne veux point...
+
+
+- Cléante -
+
+ (à Mariane.)
+
+Vous moquez-vous ? Il n'a garde de le reprendre.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+J'enrage !
+
+
+- Mariane -
+
+Ce serait...
+
+
+- Cléante -
+
+ (empêchant toujours Mariane de rendre la bague.)
+
+Non, vous dis-je, c'est l'offenser.
+
+
+- Mariane -
+
+De grâce...
+
+
+- Cléante -
+
+Point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Peste soit...
+
+
+- Cléante -
+
+Le voilà qui se scandalise de votre refus.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à son fils.)
+
+Ah ! traître !
+
+
+- Cléante -
+
+ (à Mariane.)
+
+Vous voyez qu'il se désespère.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à son fils, en le menaçant.)
+
+Bourreau que tu es !
+
+
+- Cléante -
+
+Mon père, ce n'est pas ma faute. Je fais ce que je puis pour l'obliger
+à la garder ; mais elle est obstinée.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à son fils en le menaçant.)
+
+Pendard !
+
+
+- Cléante -
+
+Vous êtes cause, Madame, que mon père me querelle.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à son fils, avec les mêmes gestes.)
+
+Le coquin !
+
+
+- Cléante -
+
+Vous le ferez tomber malade. De grâce, Madame, ne résistez point
+davantage.
+
+
+- Frosine -
+
+ (à Mariane.)
+
+Mon Dieu ! que de façons ! Gardez la bague, puisque monsieur le veut.
+
+
+- Mariane -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Pour ne vous point mettre en colère, je la garde maintenant, et je
+prendrai un autre temps pour vous la rendre.
+
+
+-----------
+
+Scène XIII. - Harpagon, Mariane, Élise, Cléante, Valère, Frosine,
+ Brindavoine.
+
+
+
+- Brindavoine -
+
+Monsieur, il y a là un homme qui veut vous parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Dis-lui que je suis empêché, et qu'il revienne une autre fois.
+
+
+- Brindavoine -
+
+Il dit qu'il vous apporte de l'argent.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous demande pardon. Je reviens tout à l'heure.
+
+
+-----------
+
+Scène XIV. - Harpagon, Mariane, Élise, Cléante, Valère, Frosine,
+ La Merluche.
+
+
+
+- La Merluche -
+
+ (courant et faisant tomber Harpagon.)
+
+Monsieur...
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! je suis mort.
+
+
+- Cléante -
+
+Qu'est-ce, mon père ? Vous êtes-vous fait mal ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Le traître assurément a reçu de l'argent de mes débiteurs pour me
+faire rompre le cou.
+
+
+- Valère -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Cela ne sera rien.
+
+
+- La Merluche -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Monsieur, je vous demande pardon ; je croyais bien faire d'accourir
+vite.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que viens-tu faire ici, bourreau ?
+
+
+- La Merluche -
+
+Vous dire que vos deux chevaux sont déferrés.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'on les mène promptement chez le maréchal.
+
+
+- Cléante -
+
+En attendant qu'ils soient ferrés, je vais faire pour vous, mon père,
+les honneurs de votre logis, et conduire madame dans le jardin où je
+ferai porter la collation.
+
+
+-----------
+
+Scène XV. - Harpagon, Valère.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Valère, aie un peu l'oeil à tout cela, et prends soin, je te prie, de
+m'en sauver le plus que tu pourras, pour le renvoyer au marchand.
+
+
+- Valère -
+
+C'est assez.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (seul.)
+
+Ô fils impertinent ! as-tu envie de me ruiner ?
+
+
+
+ACTE QUATRIÈME.
+---------------
+
+
+
+Scène première. - Cléante, Mariane, Élise, Frosine.
+
+
+
+- Cléante -
+
+Rentrons ici ; nous serons beaucoup mieux. Il n'y a plus autour de
+nous personne de suspect, et nous pouvons parler librement.
+
+
+- Élise -
+
+Oui, Madame, mon frère m'a fait confidence de la passion qu'il a pour
+vous. Je sais les chagrins et les déplaisirs que sont capables de
+causer de pareilles traverses ; et c'est, je vous assure, avec une
+tendresse extrême, que je m'intéresse à votre aventure.
+
+
+- Mariane -
+
+C'est une douce consolation que de voir dans ses intérêts une personne
+comme vous ; et je vous conjure, Madame, de me garder toujours cette
+généreuse amitié, si capable de m'adoucir les cruautés de la fortune.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous êtes, par ma foi, de malheureuses gens l'un et l'autre, de ne
+m'avoir point, avant tout ceci, avertie de votre affaire. Je vous
+aurais, sans doute, détourné cette inquiétude, et n'aurais point amené
+les choses où l'on voit qu'elles sont.
+
+
+- Cléante -
+
+Que veux-tu ? c'est ma mauvaise destinée qui l'a voulu ainsi. Mais,
+belle Mariane, quelles résolutions sont les vôtres ?
+
+
+- Mariane -
+
+Hélas ! suis-je en pouvoir de faire des résolutions ? et, dans
+la dépendance où je me vois, puis-je former que des souhaits ?
+
+
+- Cléante -
+
+Point d'autre appui pour moi dans votre coeur que de simples souhaits ?
+Point de pitié officieuse ? Point de secourable bonté ? Point
+d'affection agissante ?
+
+
+- Mariane -
+
+Que saurais-je vous dire ? Mettez-vous en ma place, et voyez ce que je
+puis faire. Avisez, ordonnez vous-même : je m'en remets à vous, et je
+vous crois trop raisonnable pour vouloir exiger de moi que ce qui peut
+m'être permis par l'honneur et la bienséance.
+
+
+- Cléante -
+
+Hélas ! où me réduisez-vous que de me renvoyer à ce que voudront me
+permettre les fâcheux sentiments d'un rigoureux honneur et d'une
+scrupuleuse bienséance ?
+
+
+- Mariane -
+
+Mais que voulez-vous que je fasse ? Quand je pourrais passer sur
+quantité d'égards où notre sexe est obligé, j'ai de la considération
+pour ma mère. Elle m'a toujours élevée avec une tendresse extrême, et
+je ne saurais me résoudre à lui donner du déplaisir. Faites, agissez
+auprès d'elle ; employez tous vos soins à gagner son esprit. Vous
+pouvez faire et dire tout ce que vous voudrez ; je vous en donne la
+licence ; et, s'il ne tient qu'à me déclarer en votre faveur, je veux
+bien consentir à lui faire un aveu, moi-même, de tout ce que je sens
+pour vous.
+
+
+- Cléante -
+
+Frosine, ma pauvre Frosine, voudrais-tu nous servir ?
+
+
+- Frosine -
+
+Par ma foi, faut-il le demander ? Je le voudrais de tout mon coeur.
+Vous savez que, de mon naturel, je suis assez humaine. Le ciel ne m'a
+point fait l'âme de bronze, et je n'ai que trop de tendresse à rendre
+de petits services, quand je vois des gens qui s'entr'aiment en tout
+bien et en tout honneur. Que pourrions-nous faire à ceci ?
+
+
+- Cléante -
+
+Songe un peu, je te prie.
+
+
+- Mariane -
+
+Ouvre-nous des lumières.
+
+
+- Élise -
+
+Trouve quelque invention pour rompre ce que tu as fait.
+
+
+- Frosine -
+
+Ceci est assez difficile.
+
+ (À Mariane.)
+
+Pour votre mère, elle n'est pas tout à fait déraisonnable, et peut-être
+pourrait-on la gagner et la résoudre à transporter au fils le don
+qu'elle veut faire au père.
+
+ (À Cléante.)
+
+Mais le mal que j'y trouve, c'est que votre père est votre père.
+
+
+- Cléante -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- Frosine -
+
+Je veux dire qu'il conservera du dépit si l'on montre qu'on le refuse,
+et qu'il ne sera point d'humeur ensuite à donner son consentement à
+votre mariage. Il faudrait, pour bien faire, que le refus vînt de
+lui-même, et tâcher, par quelque moyen, de le dégoûter de votre personne.
+
+
+- Cléante -
+
+Tu as raison.
+
+
+- Frosine -
+
+Oui, j'ai raison, je le sais bien. C'est là ce qu'il faudrait ; mais
+le diantre (15) est d'en pouvoir trouver les moyens. Attendez : si
+nous avions quelque femme un peu sur l'âge qui fût de mon talent, et
+jouât assez bien pour contrefaire une dame de qualité, par le moyen
+d'un train fait à la hâte, et d'un bizarre nom de marquise ou de
+vicomtesse que nous supposerions de la Basse-Bretagne, j'aurais assez
+d'adresse pour faire accroire à votre père que ce serait une personne
+riche, outre ses maisons, de cent mille écus en argent comptant ;
+qu'elle serait éperdument amoureuse de lui et souhaiterait de se voir
+sa femme, jusqu'à lui donner tout son bien par contrat de mariage ; et
+je ne doute point qu'il ne prêtât l'oreille à la proposition. Car
+enfin il vous aime fort, je le sais, mais il aime un peu plus l'argent ;
+et quand, ébloui de ce leurre, il aurait une fois consenti à ce qui
+vous touche, il importerait peu ensuite qu'il se désabusât, en venant
+à vouloir voir clair aux effets de notre marquise.
+
+
+- Cléante -
+
+Tout cela est fort bien pensé.
+
+
+- Frosine -
+
+Laissez-moi faire. Je viens de me ressouvenir d'une de mes amies qui
+sera notre fait.
+
+
+- Cléante -
+
+Sois assurée, Frosine, de ma reconnaissance, si tu viens à bout de la
+chose. Mais, charmante Mariane, commençons, je vous prie, par gagner
+votre mère ; c'est toujours beaucoup faire que de rompre ce mariage.
+Faites-y de votre part, je vous en conjure, tous les efforts qu'il
+vous sera possible. Servez-vous de tout le pouvoir que vous donne sur
+elle cette amitié qu'elle a pour vous. Déployez sans réserve les
+grâces éloquentes, les charmes tout-puissants que le ciel a placés
+dans vos yeux et dans votre bouche ; et n'oubliez rien, s'il vous
+plaît, de ces tendres paroles, de ces douces prières et de ces
+caresses touchantes à qui je suis persuadé qu'on ne saurait rien
+refuser.
+
+
+- Mariane -
+
+J'y ferai tout ce que je puis, et n'oublierai aucune chose.
+
+
+-----------
+
+Scène II. - Harpagon, Cléante, Mariane, Élise, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part, sans être aperçu.)
+
+Ouais ! mon fils baise la main de sa prétendue belle-mère ; et sa
+prétendue belle-mère ne s'en défend pas fort ! Y aurait-il quelque
+mystère là-dessous ?
+
+
+- Élise -
+
+Voilà mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le carrosse est tout prêt ; vous pouvez partir quand il vous plaira.
+
+
+- Cléante -
+
+Puisque vous n'y allez pas, mon père, je m'en vais les conduire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non : demeurez. Elles iront bien toutes seules, et j'ai besoin de vous.
+
+
+-----------
+
+Scène III. - Harpagon, Cléante.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Oh çà, intérêt de belle-mère à part, que te semble, à toi, de cette
+personne ?
+
+
+- Cléante -
+
+Ce qui m'en semble ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui de son air, de sa taille, de sa beauté, de son esprit.
+
+
+- Cléante -
+
+Là, là !
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais encore ?
+
+
+- Cléante -
+
+A vous en parler franchement, je ne l'ai pas trouvée ici ce que je
+l'avais crue. Son air est de franche coquette, sa taille est assez
+gauche, sa beauté très médiocre, et son esprit des plus communs. Ne
+croyez pas que ce soit, mon père, pour vous en dégoûter ; car,
+belle-mère pour belle-mère, j'aime autant celle-là qu'une autre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu lui disais tantôt pourtant...
+
+
+- Cléante -
+
+Je lui ai dit quelques douceurs en votre nom, mais c'était pour vous
+plaire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si bien donc que tu n'aurais pas d'inclination pour elle ?
+
+
+- Cléante -
+
+Moi ? point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+J'en suis fâché, car cela rompt une pensée qui m'était venue dans
+l'esprit. J'ai fait, en la voyant ici, réflexion sur mon âge ; et j'ai
+songé qu'on pourra trouver à redire de me voir marier à une si jeune
+personne. Cette considération m'en faisait quitter le dessein ; et
+comme je l'ai fait demander, et que je suis pour elle engagé de parole,
+je te l'aurais donnée, sans l'aversion que tu témoignes.
+
+
+- Cléante -
+
+A moi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+A toi.
+
+
+- Cléante -
+
+En mariage ?
+
+
+- Harpagon -
+
+En mariage.
+
+
+- Cléante -
+
+Ecoutez. Il est vrai qu'elle n'est pas fort à mon goût ; mais, pour
+vous faire plaisir, mon père, je me résoudrai à l'épouser, si vous
+voulez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Moi, je suis plus raisonnable que tu ne penses. Je ne veux point
+forcer ton inclination.
+
+
+- Cléante -
+
+Pardonnez-moi ; je me ferai cet effort pour l'amour de vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, non. Un mariage ne saurait être heureux où l'inclination n'est
+pas.
+
+
+- Cléante -
+
+C'est une chose, mon père, qui peut-être viendra ensuite ; et l'on dit
+que l'amour est souvent un fruit du mariage.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non. Du côté de l'homme, on ne doit point risquer l'affaire ; et ce sont
+des suites fâcheuses, où je n'ai garde de me commettre. Si tu avais
+senti quelque inclination pour elle, à la bonne heure ; je te l'aurais
+fait épouser au lieu de moi ; mais, cela n'étant pas, je suivrai mon
+premier dessein, et je l'épouserai moi-même.
+
+
+- Cléante -
+
+Eh bien ! mon père, puisque les choses sont ainsi, il faut vous
+découvrir mon coeur ; il faut vous révéler notre secret. La vérité est
+que je l'aime depuis un jour que je la vis dans une promenade ; que mon
+dessein était tantôt de vous la demander pour femme ; et que rien ne
+m'a retenu que la déclaration de vos sentiments, et la crainte de vous
+déplaire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui avez-vous rendu visite ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Beaucoup de fois ?
+
+
+- Cléante -
+
+Assez pour le temps qu'il y a.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous a-t-on bien reçu ?
+
+
+- Cléante -
+
+Fort bien, mais sans savoir qui j'étais ; et c'est ce qui a fait tantôt
+la surprise de Mariane.
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui avez-vous déclaré votre passion et le dessein où vous étiez de
+l'épouser ?
+
+
+- Cléante -
+
+Sans doute, et même j'en avais fait à sa mère quelque peu d'ouverture.
+
+
+- Harpagon -
+
+A-t-elle écouté, pour sa fille, votre proposition ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, fort civilement.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et la fille correspond-elle fort à votre amour ?
+
+
+- Cléante -
+
+Si j'en dois croire les apparences, je me persuade, mon père, qu'elle
+a quelque bonté pour moi.
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à part.)
+
+Je suis bien aise d'avoir appris un tel secret ; et voilà justement ce
+que je demandais.
+
+ (Haut.)
+
+Or sus, mon fils, savez-vous ce qu'il y a ? C'est qu'il faut songer,
+s'il vous plaît, à vous défaire de votre amour, à cesser toutes vos
+poursuites auprès d'une personne que je prétends pour moi, et à vous
+marier dans peu avec celle qu'on vous destine.
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, mon père ; c'est ainsi que vous me jouez ! Eh bien ! puisque les
+choses en sont venues là, je vous déclare, moi, que je ne quitterai
+point la passion que j'ai pour Mariane ; qu'il n'y a point d'extrémité
+où je ne m'abandonne pour vous disputer sa conquête, et que si vous
+avez pour vous le consentement d'une mère, j'aurai d'autres secours,
+peut-être, qui combattront pour moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, pendard ! tu as l'audace d'aller sur mes brisées !
+
+
+- Cléante -
+
+C'est vous qui allez sur les miennes, et je suis le premier en date.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ne suis-je pas ton père ? et ne me dois-tu pas respect ?
+
+
+- Cléante -
+
+Ce ne sont point ici des choses où les enfants soient obligés de
+déférer aux pères, et l'amour ne connaît personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te ferai bien me connaître avec de bons coups de bâton.
+
+
+- Cléante -
+
+Toutes vos menaces ne feront rien.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu renonceras à Mariane.
+
+
+- Cléante -
+
+Point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Donnez-moi un bâton tout à l'heure.
+
+
+-----------
+
+Scène IV. - Harpagon, Cléante, Maître Jacques.
+
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Hé ! hé ! hé ! Messieurs, qu'est-ce ci ? à quoi songez-vous ?
+
+
+- Cléante -
+
+Je me moque de cela.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Cléante.)
+
+Ah ! Monsieur, doucement.
+
+
+- Harpagon -
+
+Me parler avec cette impudence !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Harpagon.)
+
+
+Ah ! monsieur, de grâce !
+
+
+- Cléante -
+
+Je n'en démordrai point.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Cléante.)
+
+Hé quoi ! à votre père ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Laisse-moi faire.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Hé quoi ! à votre fils ? Encore passe pour moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te veux faire toi-même, maître Jacques, juge de cette affaire, pour
+montrer comme j'ai raison.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+J'y consens.
+
+ (A Cléante.)
+
+Eloignez-vous un peu.
+
+
+- Harpagon -
+
+J'aime une fille que je veux épouser ; et le pendard a l'insolence de
+l'aimer avec moi, et d'y prétendre malgré mes ordres.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Ah ! il a tort.
+
+
+- Harpagon -
+
+N'est-ce pas une chose épouvantable, qu'un fils qui veut entrer en
+concurrence avec son père ? et ne doit-il pas, par respect, s'abstenir
+de toucher à mes inclinations ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vous avez raison. Laissez-moi lui parler, et demeurez là.
+
+
+- Cléante -
+
+ (à maître Jacques, qui s'approche de lui.)
+
+Eh bien, oui, puisqu'il veut te choisir pour juge, je n'y recule point ;
+il ne m'importe qui ce soit ; et je veux bien aussi me rapporter à toi,
+maître Jacques, de notre différend.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+C'est beaucoup d'honneur que vous me faites.
+
+
+- Cléante -
+
+Je suis épris d'une jeune personne qui répond à mes voeux et reçoit
+tendrement les offres de ma foi, et mon père s'avise de venir troubler
+notre amour, par la demande qu'il en fait faire.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Il a tort assurément.
+
+
+- Cléante -
+
+N'a-t-il point de honte, à son âge, de songer à se marier ? Lui
+sied-il bien d'être encore amoureux ? et ne devrait-il pas laisser
+cette occupation aux jeunes gens ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vous avez raison, il se moque. Laissez-moi lui dire deux mots.
+
+ (À Harpagon.)
+
+Eh bien ! votre fils n'est pas si étrange que vous le dites, et il se
+met à la raison. Il dit qu'il sait le respect qu'il vous doit ; qu'il
+ne s'est emporté que dans la première chaleur, et qu'il ne fera point
+refus de se soumettre à ce qu'il vous plaira, pourvu que vous vouliez
+le traiter mieux que vous ne faites, et lui donner quelque personne en
+mariage, dont il ait lieu d'être content.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! dis-lui, maître Jacques, que moyennant cela, il pourra espérer
+toutes choses de moi, et que, hors Mariane, je lui laisse la liberté
+de choisir celle qu'il voudra.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Laissez-moi faire.
+
+ (À Cléante.)
+
+Eh bien ! votre père n'est pas si déraisonnable que vous le faites, et
+il m'a témoigné que ce sont vos emportements qui l'ont mis en colère ;
+qu'il n'en veut seulement qu'à votre manière d'agir, et qu'il sera
+fort disposé à vous accorder ce que vous souhaitez, pourvu que vous
+vouliez vous y prendre par la douceur, et lui rendre les déférences,
+les respects et les soumissions qu'un fils doit à son père.
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! maître Jacques, tu lui peux assurer que, s'il m'accorde Mariane,
+il me verra toujours le plus soumis de tous les hommes, et que jamais
+je ne ferai aucune chose que par ses volontés.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Cela est fait. Il consent ce que vous dites.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà qui va le mieux du monde.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Cléante.)
+
+Tout est conclu ; il est content de vos promesses.
+
+
+- Cléante -
+
+Le ciel en soit loué !
+
+- Maître Jacques -
+
+Messieurs, vous n'avez qu'à parler ensemble ; vous voilà d'accord
+maintenant ; et vous alliez vous quereller, faute de vous entendre.
+
+
+- Cléante -
+
+Mon pauvre maître Jacques, je te serai obligé toute ma vie.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Il n'y a pas de quoi, monsieur.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu m'as fait plaisir, maître Jacques ; et cela mérite une
+récompense.
+
+ (Harpagon fouille dans sa poche ; maître Jacques tend la main ;
+ mais Harpagon ne tire que son mouchoir, en disant :)
+
+Va, je m'en souviendrai, je t'assure.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je vous baise les mains.
+
+
+-----------
+
+Scène V. - Harpagon, Cléante.
+
+
+
+- Cléante -
+
+Je vous demande pardon, mon père, de l'emportement que j'ai fait
+paraître.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela n'est rien.
+
+
+- Cléante -
+
+Je vous assure que j'en ai tous les regrets du monde.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, j'ai toutes les joies du monde de te voir raisonnable.
+
+
+- Cléante -
+
+Quelle bonté à vous d'oublier si vite ma faute !
+
+
+- Harpagon -
+
+On oublie aisément les fautes des enfants lorsqu'ils rentrent dans
+leur devoir.
+
+
+- Cléante -
+
+Quoi ! ne garder aucun ressentiment de toutes mes extravagances ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une chose où tu m'obliges, par la soumission et le respect où tu
+te ranges.
+
+
+- Cléante -
+
+Je vous promets, mon père, que jusques au tombeau je conserverai dans
+mon coeur le souvenir de vos bontés.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, je te promets qu'il n'y aura aucune chose que tu n'obtiennes
+de moi.
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! mon père, je ne vous demande plus rien ; et c'est m'avoir assez
+donné que de me donner Mariane.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Cléante -
+
+Je dis, mon père, que je suis trop content de vous, et que je trouve
+toutes choses dans la bonté que vous ayez de m'accorder Mariane.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qui est-ce qui parle de t'accorder Mariane ?
+
+
+- Cléante -
+
+Vous, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Moi ?
+
+
+- Cléante -
+
+Sans doute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ! c'est toi qui as promis d'y renoncer.
+
+
+- Cléante -
+
+Moi, y renoncer ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Cléante -
+
+Point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu ne t'es pas départi d'y prétendre ?
+
+
+- Cléante -
+
+Au contraire, j'y suis porté plus que jamais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Quoi, pendard ! derechef ?
+
+
+- Cléante -
+
+Rien ne peut me changer.
+
+
+- Harpagon -
+
+Laisse-moi faire, traître.
+
+
+- Cléante -
+
+Faites tout ce qu'il vous plaira.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te défends de me jamais voir.
+
+
+- Cléante -
+
+A la bonne heure.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je t'abandonne.
+
+
+- Cléante -
+
+Abandonnez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te renonce pour mon fils.
+
+
+- Cléante -
+
+Soit.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te déshérite.
+
+
+- Cléante -
+
+Tout ce que vous voudrez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et je te donne ma malédiction.
+
+
+- Cléante -
+
+Je n'ai que faire de vos dons.
+
+
+-----------
+
+Scène VI. - Cléante, La Flèche.
+
+
+
+- La Flèche -
+
+ (sortant du jardin avec une cassette.)
+
+Ah ! Monsieur, que je vous trouve à propos ! Suivez-moi vite.
+
+
+- Cléante -
+
+Qu'y a-t-il ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Suivez-moi, vous dis-je ; nous sommes bien.
+
+
+- Cléante -
+
+Comment ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Voici votre affaire.
+
+
+- Cléante -
+
+Quoi ?
+
+
+- La Flèche -
+
+J'ai guigné ceci tout le jour.
+
+
+- Cléante -
+
+Qu'est-ce que c'est ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Le trésor de votre père, que j'ai attrapé.
+
+
+- Cléante -
+
+Comment as-tu fait ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Vous saurez tout. Sauvons-nous ; je l'entends crier.
+
+
+-----------
+
+Scène VII. - Harpagon.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (criant au voleur dès le jardin, et venant sans chapeau.)
+
+Au voleur ! au voleur ! à l'assassin ! au meurtrier ! Justice, juste
+ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné ; on m'a coupé la gorge : on
+m'a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu'est-il devenu ? Où
+est-il ? Où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ?
+Où ne pas courir ? N'est-il point là ? n'est-il point ici ? Qui
+est-ce ? Arrête.
+
+ (À lui-même, se prenant par le bras.)
+
+Rends-moi mon argent, coquin... Ah ! c'est moi ! Mon esprit est
+troublé, et j'ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais.
+Hélas ! mon pauvre argent ! mon pauvre argent ! mon cher ami !
+on m'a privé de toi ; et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon
+support, ma consolation, ma joie : tout est fini pour moi, et
+je n'ai plus que faire au monde. Sans toi, il m'est impossible
+de vivre. C'en est fait ; je n'en puis plus ; je me meurs ; je
+suis mort ; je suis enterré. N'y a-t-il personne qui veuille me
+ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui
+l'a pris. Euh ! que dites-vous ? Ce n'est personne. Il faut, qui
+que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on ait
+épié l'heure ; et l'on a choisi justement le temps que je parlais
+à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice,
+et faire donner la question à toute ma maison ; à servantes, à
+valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés !
+Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons,
+et tout me semble mon voleur. Hé ! de quoi est-ce qu'on parle là ?
+de celui qui m'a dérobé ? Quel bruit fait-on là-haut ? Est-ce mon
+voleur qui y est ? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon
+voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il point caché là
+parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous
+verrez qu'ils ont part, sans doute, au vol que l'on m'a fait.
+Allons, vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges,
+des gênes, des potences, et des bourreaux ! Je veux faire pendre
+tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai
+moi-même après.
+
+
+
+ACTE CINQUIÈME.
+---------------
+
+
+
+Scène première. - Harpagon, un commissaire.
+
+
+
+- Le commissaire -
+
+Laissez-moi faire, je sais mon métier, Dieu merci. Ce n'est pas
+d'aujourd'hui que je me mêle de découvrir des vols, et je voudrais
+avoir autant de sacs de mille francs que j'ai fait pendre de
+personnes.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tous les magistrats sont intéressés à prendre cette affaire en main ;
+et, si l'on ne me fait retrouver mon argent, je demanderai justice de
+la justice.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Il faut faire toutes les poursuites requises. Vous dites qu'il y avait
+dans cette cassette ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Dix mille écus bien comptés.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Dix mille écus !
+
+
+- Harpagon -
+
+Dix mille écus.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Le vol est considérable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'y a point de supplice assez grand pour l'énormité de ce crime ;
+et, s'il demeure impuni, les choses les plus sacrées ne sont plus en
+sûreté.
+
+
+- Le commissaire -
+
+En quelles espèces était cette somme ?
+
+
+- Harpagon -
+
+En bons louis d'or et pistoles bien trébuchantes.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Qui soupçonnez-vous de ce vol ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Tout le monde, et je veux que vous arrêtiez prisonniers la ville et
+les faubourgs.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Il faut, si vous m'en croyez, n'effaroucher personne et tâcher
+doucement d'attraper quelques preuves afin de procéder après, par la
+rigueur, au recouvrement des deniers qui vous ont été pris.
+
+
+-----------
+
+Scène II. - Harpagon, un commissaire, Maître Jacques.
+
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (dans le fond du théâtre, en se retournant du côté par lequel
+ il est entré.)
+
+Je m'en vais revenir. Qu'on me l'égorge tout à l'heure ; qu'on me lui
+fasse griller les pieds, qu'on me le mette dans l'eau bouillante, et
+qu'on me le pende au plancher.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à maître Jacques.)
+
+Qui ? celui qui m'a dérobé ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je parle d'un cochon de lait que votre intendant me vient d'envoyer,
+et je veux vous l'accommoder à ma fantaisie.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'est pas question de cela ; et voilà Monsieur à qui il faut parler
+d'autre chose.
+
+
+- Le commissaire -
+
+ (à maître Jacques.)
+
+Ne vous épouvantez point. Je suis homme à ne vous point scandaliser (16),
+et les choses iront dans la douceur.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Monsieur est de votre souper ?
+
+
+- Le commissaire -
+
+Il faut ici, mon cher ami, ne rien cacher à votre maître.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Ma foi, Monsieur, je montrerai tout ce que je sais faire, et je vous
+traiterai du mieux qu'il me sera possible.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce n'est pas là l'affaire.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Si je ne vous fais pas aussi bonne chère que je voudrais, c'est la
+faute de monsieur notre intendant, qui m'a rogné les ailes avec les
+ciseaux de son économie.
+
+
+- Harpagon -
+
+Traître ! il s'agit d'autre chose que de souper ; et je veux que tu me
+dises des nouvelles de l'argent qu'on m'a pris.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+On vous a pris de l'argent ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, coquin ; et je m'en vais te faire pendre, si tu ne me le rends.
+
+
+- Le commissaire -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Mon Dieu ! ne le maltraitez point. Je vois à sa mine qu'il est honnête
+homme, et que, sans se faire mettre en prison, il vous découvrira ce
+que vous voulez savoir. Oui, mon ami, si vous nous confessez la chose,
+il ne vous sera fait aucun mal et vous serez récompensé comme il faut
+par votre maître. On lui a pris aujourd'hui son argent, et il n'est pas
+que vous ne sachiez quelques nouvelles de cette affaire.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (bas, à part.)
+
+Voici justement ce qu'il me faut pour me venger de notre intendant.
+Depuis qu'il est entré céans il est le favori, on n'écoute que ses
+conseils, et j'ai aussi sur le coeur les coups de bâton de tantôt.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'as-tu à ruminer ?
+
+
+- Le commissaire -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Laissez-le faire. Il se prépare à vous contenter ; et je vous ai bien
+dit qu'il était honnête homme.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Monsieur, si vous voulez que je vous dise les choses, je crois que
+c'est monsieur votre cher intendant qui a fait le coup.
+
+
+- Harpagon -
+
+Valère !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Oui.
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui ! qui me paraît si fidèle ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Lui-même. Je crois que c'est lui qui vous a dérobé.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et sur quoi le crois-tu ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Sur quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je le crois... sur ce que je le crois.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Mais il est nécessaire de dire les indices que vous avez.
+
+
+- Harpagon -
+
+L'as-tu vu rôder autour du lieu où j'avais mis mon argent ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Oui, vraiment. Où était-il votre argent ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Dans le jardin.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Justement ; je l'ai vu rôder dans le jardin. Et dans quoi est-ce que
+cet argent était ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Dans une cassette.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Voilà l'affaire. Je lui ai vu une cassette.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et cette cassette, comme est-elle faite ? Je verrai bien si c'est la
+mienne.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Comment elle est faite ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Elle est faite... elle est faite comme une cassette.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Cela s'entend. Mais dépeignez-la un peu, pour voir.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+C'est une grande cassette.
+
+
+- Harpagon -
+
+Celle qu'on m'a volée est petite.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Hé ! oui, elle est petite, si on le veut prendre par là ; mais je
+l'appelle grande pour ce qu'elle contient.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Et de quelle couleur est-elle ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+De quelle couleur ?
+
+
+- Le commissaire -
+
+Oui.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Elle est de couleur... là, d'une certaine couleur... Ne sauriez-vous
+m'aider à dire ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Euh !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+N'est-elle pas rouge ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, grise.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Hé ! oui, gris-rouge ; c'est ce que je voulais dire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'y a point de doute ; c'est elle assurément. Ecrivez, Monsieur,
+écrivez sa déposition. Ciel ! à qui désormais se fier ! Il ne faut
+plus jurer de rien ; et je crois, après cela, que je suis homme à me
+voler moi-même.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Monsieur, le voici qui revient. Ne lui allez pas dire, au moins, que
+c'est moi qui vous ai découvert cela.
+
+
+-----------
+
+Scène III. - Harpagon, un commissaire, Valère, Maître Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Approche, viens confesser l'action la plus noire, l'attentat le plus
+horrible qui jamais ait été commis.
+
+
+- Valère -
+
+Que voulez-vous, monsieur ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, traître, tu ne rougis pas de ton crime ?
+
+
+- Valère -
+
+De quel crime voulez-vous donc parler ?
+
+
+- Harpagon -
+
+De quel crime je veux parler, infâme ? comme si tu ne savais pas ce
+que je veux dire ! C'est en vain que tu prétendrais de le déguiser :
+l'affaire est découverte, et l'on vient de m'apprendre tout. Comment
+abuser ainsi de ma bonté, et s'introduire exprès chez moi pour me
+trahir, pour me jouer un tour de cette nature ?
+
+
+- Valère -
+
+Monsieur, puisqu'on vous a découvert tout, je ne veux point chercher
+de détours et vous nier la chose.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+Oh ! oh ! Aurais-je deviné sans y penser ?
+
+
+- Valère -
+
+C'était mon dessein de vous en parler, et je voulais attendre, pour
+cela, des conjonctures favorables ; mais puisqu'il est ainsi, je vous
+conjure de ne vous point fâcher, et de vouloir entendre mes raisons.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et quelles belles raisons peux-tu me donner, voleur infâme ?
+
+
+- Valère -
+
+Ah ! Monsieur, je n'ai pas mérité ces noms. Il est vrai que j'ai
+commis une offense envers vous ; mais, après tout, ma faute est
+pardonnable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ! pardonnable ? Un guet-apens, un assassinat de la sorte ?
+
+
+- Valère -
+
+De grâce, ne vous mettez point en colère. Quand vous m'aurez ouï, vous
+verrez que le mal n'est pas si grand que vous le faites.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le mal n'est pas si grand que je le fais ! Quoi ! mon sang, mes
+entrailles, pendard !
+
+
+- Valère -
+
+Votre sang, Monsieur, n'est pas tombé dans de mauvaises mains. Je suis
+d'une condition à ne lui point faire de tort ; et il n'y a rien, en
+tout ceci, que je ne puisse bien réparer.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est bien mon intention, et que tu me restitues ce que tu m'as ravi.
+
+
+- Valère -
+
+Votre honneur, Monsieur, sera pleinement satisfait.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'est pas question d'honneur là-dedans. Mais, dis-moi, qui t'a
+porté à cette action ?
+
+
+- Valère -
+
+Hélas ! me le demandez-vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, vraiment, je te le demande.
+
+
+- Valère -
+
+Un dieu qui porte les excuses de tout ce qu'il fait faire, l'Amour.
+
+
+- Harpagon -
+
+L'Amour ?
+
+
+- Valère -
+
+Oui.
+
+
+- Harpagon -
+
+Bel amour, bel amour, ma foi ! l'amour de mes louis d'or !
+
+
+- Valère -
+
+Non, Monsieur, ce ne sont point vos richesses qui m'ont tenté, ce
+n'est pas cela qui m'a ébloui ; et je proteste de ne prétendre rien à
+tous vos biens, pourvu que vous me laissiez celui que j'ai.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non ferai, de par tous les diables ! je ne te le laisserai pas. Mais
+voyez quelle insolence, de vouloir retenir le vol qu'il m'a fait !
+
+
+- Valère -
+
+Appelez-vous cela un vol ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Si je l'appelle un vol ? un trésor comme celui-là !
+
+
+- Valère -
+
+C'est un trésor, il est vrai, et le plus précieux que vous ayez, sans
+doute ; mais ce ne sera pas le perdre que de me le laisser. Je vous
+le demande à genoux, ce trésor plein de charmes ; et, pour bien faire,
+il faut que vous me l'accordiez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je n'en ferai rien. Qu'est-ce à dire cela ?
+
+
+- Valère -
+
+Nous nous sommes promis une foi mutuelle, et avons fait serment de ne
+nous point abandonner.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le serment est admirable, et la promesse plaisante.
+
+
+- Valère -
+
+Oui, nous nous sommes engagés d'être l'un à l'autre à jamais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous en empêcherai bien, je vous assure.
+
+
+- Valère -
+
+Rien que la mort ne nous peut séparer.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est être bien endiablé après mon argent !
+
+
+- Valère -
+
+Je vous ai déjà dit, Monsieur, que ce n'était point l'intérêt qui
+m'avait poussé à faire ce que j'ai fait. Mon coeur n'a point agi par
+les ressorts que vous pensez, et un motif plus noble m'a inspiré cette
+résolution.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous verrez que c'est par charité chrétienne qu'il veut avoir mon bien !
+Mais j'y donnerai bon ordre, et la justice, pendard effronté, me va
+faire raison de tout.
+
+
+- Valère -
+
+Vous en userez comme vous voudrez, et me voilà prêt à souffrir toutes
+les violences qu'il vous plaira ; mais je vous prie de croire au moins
+que, s'il y a du mal, ce n'est que moi qu'il en faut accuser, et que
+votre fille, en tout ceci, n'est aucunement coupable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je le crois bien, vraiment ! Il serait fort étrange que ma fille eût
+trempé dans ce crime. Mais je veux ravoir mon affaire, et que tu me
+confesses en quel endroit tu me l'as enlevée.
+
+
+- Valère -
+
+Moi ? Je ne l'ai point enlevée ; et elle est encore chez vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Ô ma chère cassette !
+
+ (Haut.)
+
+Elle n'est point sortie de ma maison ?
+
+
+- Valère -
+
+Non, Monsieur.
+
+
+- Harpagon -
+
+Hé ! dis-moi donc un peu : tu n'y as point touché ?
+
+
+- Valère -
+
+Moi, y toucher ! Ah ! vous lui faites tort, aussi bien qu'à moi ; et
+c'est d'une ardeur toute pure et respectueuse que j'ai brûlé pour
+elle.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Brûlé pour ma cassette !
+
+
+- Valère -
+
+J'aimerais mieux mourir que de lui avoir fait paraître aucune pensée
+offensante : elle est trop sage et trop honnête pour cela.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Ma cassette trop honnête !
+
+
+- Valère -
+
+Tous mes désirs se sont bornés à jouir de sa vue ; et rien de criminel
+n'a profané la passion que ses beaux yeux m'ont inspirée.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Les beaux yeux de ma cassette ! Il parle d'elle comme un amant d'une
+maîtresse.
+
+
+- Valère -
+
+Dame Claude, Monsieur, sait la vérité de cette aventure ; et elle vous
+peut rendre témoignage...
+
+
+- Harpagon -
+
+Quoi ! ma servante est complice de l'affaire ?
+
+
+- Valère -
+
+Oui, Monsieur : elle a été témoin de notre engagement ; et c'est après
+avoir connu l'honnêteté de ma flamme, qu'elle m'a aidé à persuader
+votre fille de me donner sa foi, et recevoir la mienne.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Hé ! Est-ce que la peur de la justice le fait extravaguer ?
+
+ (A Valère.)
+
+Que nous brouilles-tu ici de ma fille ?
+
+
+- Valère -
+
+Je dis, Monsieur, que j'ai eu toutes les peines du monde à faire
+consentir sa pudeur à ce que voulait mon amour.
+
+
+- Harpagon -
+
+La pudeur de qui ?
+
+
+- Valère -
+
+De votre fille ; et c'est seulement depuis hier qu'elle a pu se
+résoudre à nous signer mutuellement une promesse de mariage.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ma fille t'a signé une promesse de mariage ?
+
+
+- Valère -
+
+Oui, Monsieur, comme de ma part, je lui en ai signé une.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ô ciel ! autre disgrâce !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (au commissaire.)
+
+Ecrivez, Monsieur, écrivez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Rengrègement de mal ! surcroît de désespoir !
+
+ (au commissaire.)
+
+Allons, Monsieur, faites le dû de votre charge, et dressez-lui-moi son
+procès comme larron et comme suborneur.
+
+
+- Valère -
+
+Ce sont des noms qui ne me sont point dus ; et quand on saura
+qui je suis...
+
+
+-----------
+
+Scène IV. - Harpagon, Élise, Mariane, Valère, Frosine, Maître Jacques,
+ un commissaire.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! fille scélérate ! fille indigne d'un père comme moi ! c'est ainsi
+que tu pratiques les leçons que je t'ai données ? Tu te laisses
+prendre d'amour pour un voleur infâme, et tu lui engages ta foi sans
+mon consentement ! Mais vous serez trompés l'un et l'autre.
+
+ (A Élise.)
+
+Quatre bonnes murailles me répondront de ta conduite ;
+
+ (à Valère)
+
+et une bonne potence, pendard effronté, me fera raison de ton audace.
+
+
+- Valère -
+
+Ce ne sera point votre passion qui jugera l'affaire ; et l'on
+m'écoutera, au moins, avant que de me condamner.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me suis abusé de dire une potence ; et tu seras roué tout vif.
+
+
+- Élise -
+
+ (aux genoux d'Harpagon.)
+
+Ah ! mon père, prenez des sentiments un peu plus humains, je vous
+prie, et n'allez point pousser les choses dans les dernières violences
+du pouvoir paternel. Ne vous laissez point entraîner aux premiers
+mouvements de votre passion, et donnez-vous le temps de considérer ce
+que vous voulez faire. Prenez la peine de mieux voir celui dont vous
+vous offensez (17) ; il est tout autre que vos yeux ne le jugent, et vous
+trouverez moins étrange que je me sois donnée à lui, lorsque vous
+saurez que, sans lui, vous ne m'auriez plus il y a longtemps. Oui, mon
+père, c'est celui qui me sauva de ce grand péril que vous savez que je
+courus dans l'eau, et à qui vous devez la vie de cette même fille
+dont...
+
+
+- Harpagon -
+
+Tout cela n'est rien ; et il valait bien mieux pour moi qu'il te
+laissât noyer que de faire ce qu'il a fait.
+
+
+- Élise -
+
+Mon père, je vous conjure par l'amour paternel, de me...
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, non ; je ne veux rien entendre, et il faut que la justice fasse
+son devoir.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+Tu me payeras mes coups de bâton !
+
+
+- Frosine -
+
+ (à part.)
+
+Voici un étrange embarras !
+
+
+-----------
+
+Scène V. - Anselme, Harpagon, Élise, Mariane, Frosine, Valère,
+ un commissaire, Maître Jacques.
+
+
+
+- Anselme -
+
+Qu'est-ce, seigneur Harpagon ? je vous vois tout ému.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! seigneur Anselme, vous me voyez le plus infortuné de tous les
+hommes ; et voici bien du trouble et du désordre au contrat que vous
+venez faire ! On m'assassine dans le bien, on m'assassine dans
+l'honneur ; et voilà un traître, un scélérat qui a violé tous les
+droits les plus saints, qui s'est coulé chez moi sous le titre de
+domestique, pour me dérober mon argent et pour me suborner ma fille.
+
+
+- Valère -
+
+Qui songe à votre argent, dont vous me faites un galimatias ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, ils se sont donné l'un à l'autre une promesse de mariage. Cet
+affront vous regarde, seigneur Anselme ; et c'est vous qui devez vous
+rendre partie contre lui, et faire toutes les poursuites de la justice
+à vos dépends, pour vous venger de son insolence.
+
+
+- Anselme -
+
+Ce n'est pas mon dessein de me faire épouser par force, et de rien
+prétendre à un coeur qui se serait donné ; mais, pour vos intérêts, je
+suis prêt à les embrasser ainsi que les miens propres.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà monsieur qui est un honnête commissaire, qui n'oubliera rien,
+à ce qu'il m'a dit, de la fonction de son office.
+
+ (Au commissaire, montrant Valère.)
+
+Chargez-le comme il faut, Monsieur, et rendez les choses bien
+criminelles.
+
+
+- Valère -
+
+Je ne vois pas quel crime on me peut faire de la passion que j'ai pour
+votre fille, et le supplice où vous croyez que je puisse être condamné
+pour notre engagement, lorsqu'on saura ce que je suis...
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me moque de tous ces contes ; et le monde aujourd'hui n'est plein
+que de ces larrons de noblesse, que de ces imposteurs qui tirent
+avantage de leur obscurité et s'habillent insolemment du premier nom
+illustre qu'ils s'avisent de prendre.
+
+
+- Valère -
+
+Sachez que j'ai le coeur trop bon pour me parer de quelque chose qui
+ne soit point à moi, et que tout Naples peut rendre témoignage de ma
+naissance.
+
+
+- Anselme -
+
+Tout beau ! Prenez garde à ce que vous allez dire. Vous risquez ici
+plus que vous ne pensez, et vous parlez devant un homme à qui tout
+Naples est connu et qui peut aisément voir clair dans l'histoire que
+vous ferez.
+
+
+- Valère -
+
+ (mettant fièrement son chapeau.)
+
+Je ne suis point homme à rien craindre, et si Naples vous est connu,
+vous savez qui était don Thomas d'Alburci.
+
+
+- Anselme -
+
+Sans doute, je le sais ; et peu de gens l'ont connu mieux que moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je ne me soucie ni de dom Thomas ni dom Martin.
+
+ (Harpagon voyant deux chandelles allumées en souffle une.)
+
+- Anselme -
+
+De grâce, laissez-le parler ; nous verrons ce qu'il en veut dire.
+
+
+- Valère -
+
+Je veux dire que c'est lui qui m'a donné jour.
+
+
+- Anselme -
+
+Lui ?
+
+
+- Valère -
+
+Oui.
+
+
+- Anselme -
+
+Allez. Vous vous moquez. Cherchez quelque autre histoire qui vous
+puisse mieux réussir, et ne prétendez pas vous sauver sous cette
+imposture.
+
+
+- Valère -
+
+Songez à mieux parler. Ce n'est point une imposture, et je n'avance
+rien qu'il ne me soit aisé de justifier.
+
+
+- Anselme -
+
+Quoi ! vous osez vous dire fils de don Thomas d'Alburci ?
+
+
+- Valère -
+
+Oui, je l'ose ; et je suis prêt de soutenir cette vérité contre qui que
+ce soit.
+
+
+- Anselme -
+
+L'audace est merveilleuse ! Apprenez, pour vous confondre, qu'il y a
+seize ans, pour le moins, que l'homme dont vous nous parlez périt sur
+mer avec ses enfants et sa femme, en voulant dérober leur vie aux
+cruelles persécutions qui ont accompagné les désordres de Naples, et
+qui en firent exiler plusieurs nobles familles.
+
+
+- Valère -
+
+Oui ; mais apprenez, pour vous confondre, vous, que son fils, âgé de
+sept ans, avec un domestique, fut sauvé de ce naufrage par un vaisseau
+espagnol ; et que ce fils sauvé est celui qui vous parle. Apprenez que
+le capitaine de ce vaisseau, touché de ma fortune, prit amitié pour
+moi ; qu'il me fit élever comme son propre fils, et que les armes
+furent mon emploi dès que je m'en trouvai capable ; que j'ai su depuis
+peu que mon père n'était point mort, comme je l'avais toujours cru ;
+que, passant ici pour l'aller chercher, une aventure, par le ciel
+concertée, me fit voir la charmante Élise ; que cette vue me rendit
+esclave de ses beautés, et que la violence de mon amour et les
+sévérités de son père me firent prendre la résolution de m'introduire
+dans son logis, et d'envoyer un autre à la quête de mes parents.
+
+
+- Anselme -
+
+Mais quels témoignages encore, autres que vos paroles, nous peuvent
+assurer que ce ne soit point une fable que vous ayez bâtie sur une
+vérité ?
+
+
+- Valère -
+
+Le capitaine espagnol, un cachet de rubis qui était à mon père ; un
+bracelet d'agate que ma mère m'avait mis au bras ; le vieux Pedro, ce
+domestique qui se sauva avec moi du naufrage.
+
+
+- Mariane -
+
+Hélas ! à vos paroles, je puis ici répondre, moi, que vous n'imposez
+point ; et tout ce que vous dites me fait connaître clairement que
+vous êtes mon frère.
+
+
+- Valère -
+
+Vous, ma soeur ?
+
+
+- Mariane -
+
+Oui, mon coeur s'est ému dès le moment que vous avez ouvert la bouche ;
+et notre mère, que vous allez ravir, m'a mille fois entretenue des
+disgrâces de notre famille. Le ciel ne nous fit point aussi périr dans
+ce triste naufrage ; mais il ne nous sauva la vie que par la perte de
+notre liberté, et ce furent des corsaires qui nous recueillirent, ma
+mère et moi, sur un débris de notre vaisseau. Après dix ans
+d'esclavage, une heureuse fortune nous rendit notre liberté ; et nous
+retournâmes dans Naples, où nous trouvâmes tout notre bien vendu, sans
+y pouvoir trouver des nouvelles de notre père. Nous passâmes à Gênes,
+où ma mère alla ramasser quelques malheureux restes d'une succession
+qu'on avait déchirée ; et de là, fuyant la barbare injustice de ses
+parents, elle vint en ces lieux, où elle n'a presque vécu que d'une
+vie languissante.
+
+
+- Anselme -
+
+Ô ciel ! quels sont les traits de ta puissance ! et que tu fais bien
+voir qu'il n'appartient qu'à toi de faire des miracles !
+Embrassez-moi, mes enfants, et mêlez tous deux vos transports à ceux
+de votre père.
+
+
+- Valère -
+
+Vous êtes notre père ?
+
+
+- Mariane -
+
+C'est vous que ma mère a tant pleuré ?
+
+
+- Anselme -
+
+Oui, ma fille ; oui, mon fils ; je suis dom Thomas d'Alburci que le
+ciel garantit des ondes avec tout l'argent qu'il portait, et qui, vous
+ayant tous crus morts durant plus de seize ans, se préparait, après de
+longs voyages, à chercher, dans l'hymen d'une douce et sage personne, la
+consolation de quelque nouvelle famille. Le peu de sûreté que j'ai vu
+pour ma vie à retourner à Naples m'a fait y renoncer pour toujours ;
+et ayant su trouver moyen d'y faire vendre ce que j'avais, je me suis
+habitué ici, où, sous le nom d'Anselme, j'ai voulu m'éloigner les
+chagrins de cet autre nom qui m'a causé tant de traverses.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Anselme.)
+
+C'est là votre fils ?
+
+
+- Anselme -
+
+Oui.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous prends à partie pour me payer dix mille écus qu'il m'a volés.
+
+
+- Anselme -
+
+Lui, vous avoir volé ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui-même.
+
+
+- Valère -
+
+Qui vous dit cela ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Maître Jacques.
+
+
+- Valère -
+
+ (à maître Jacques.)
+
+C'est toi qui le dis ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vous voyez que je ne dis rien.
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui. Voilà monsieur le commissaire qui a reçu sa déposition.
+
+
+- Valère -
+
+Pouvez-vous me croire capable d'une action si lâche ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Capable ou non capable, je veux ravoir mon argent.
+
+
+-----------
+
+Scène VI. - Harpagon, Anselme, Élise, Mariane, Cléante, Valère,
+ Frosine, un commissaire, Maître Jacques, La Flèche.
+
+
+
+- Cléante -
+
+Ne vous tourmentez point, mon père, et n'accusez personne. J'ai
+découvert des nouvelles de votre affaire, et je viens ici pour vous
+dire que, si vous voulez vous résoudre à me laisser épouser Mariane,
+votre argent vous sera rendu.
+
+
+- Harpagon -
+
+Où est-il ?
+
+
+- Cléante -
+
+Ne vous mettez point en peine. Il est en lieu dont je réponds, et tout
+ne dépend que de moi. C'est à vous de me dire à quoi vous vous
+déterminez ; et vous pouvez choisir, ou de me donner Mariane, ou de
+perdre votre cassette.
+
+
+- Harpagon -
+
+N'en a-t-on rien ôté ?
+
+
+- Cléante -
+
+Rien du tout. Voyez si c'est votre dessein de souscrire à ce mariage,
+et de joindre votre consentement à celui de sa mère, qui lui laisse la
+liberté de faire un choix entre nous deux.
+
+
+- Mariane -
+
+ (à Cléante.)
+
+Mais vous ne savez pas que ce n'est pas assez que ce consentement et
+que le ciel,
+
+ (montrant Valère.)
+
+avec un frère que vous voyez, vient de me rendre un père
+
+ (montrant Anselme.)
+
+dont vous avez à m'obtenir.
+
+
+- Anselme -
+
+Le ciel, mes enfants, ne me redonne point à vous pour être contraire à
+vos voeux. Seigneur Harpagon, vous jugez bien que le choix d'une jeune
+personne tombera sur le fils plutôt que sur le père : allons, ne vous
+faites point dire ce qu'il n'est pas nécessaire d'entendre ; et consentez,
+ainsi que moi, à ce double hyménée.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il faut, pour me donner conseil, que je voie ma cassette.
+
+
+- Cléante -
+
+Vous la verrez saine et entière.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je n'ai point d'argent à donner en mariage à mes enfants.
+
+
+- Anselme -
+
+Eh bien ! j'en ai pour eux ; que cela ne vous inquiète point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous obligerez-vous à faire tous les frais de ces deux mariages ?
+
+
+- Anselme -
+
+Oui, je m'y oblige. Etes-vous satisfait ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, pourvu que pour les noces, vous me fassiez faire un habit.
+
+
+- Anselme -
+
+D'accord. Allons jouir de l'allégresse que cet heureux jour nous
+présente.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Holà ! messieurs, holà ! Tout doucement, s'il vous plaît. Qui me
+payera mes écritures ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Nous n'avons que faire de vos écritures.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Oui ! Mais je ne prétends pas, moi, les avoir faites pour rien.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (montrant maître Jacques.)
+
+Pour votre payement, voilà un homme que je vous donne à pendre.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Hélas ! comment faut-il donc faire ? On me donne des coups de bâton
+pour dire vrai, et on me veut pendre pour mentir !
+
+
+- Anselme -
+
+Seigneur Harpagon, il faut lui pardonner cette imposture.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous payerez donc le commissaire ?
+
+
+- Anselme -
+
+Soit. Allons vite faire part de notre joie à votre mère.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, voir ma chère cassette.
+
+
+-------------------------------------------------------------------------
+
+Notes [from 1890 edition]
+
+-----------
+
+(1) C'est-à-dire, elles ne sont pas fort "accommodées des biens
+de la fortune". Cette expression est encore d'usage aujourd'hui, et
+l'Académie cite cet exemple : Je l'ai vu pauvre, "mais il s'est bien
+accommodé."
+
+-----------
+
+(2) On trouve pour la première fois le mot "moucher" pour "épier",
+dans la légende de Faifeu, imprimée en 1532. Le mot "mouchard" n'est
+donc pas ancien dans notre langue.
+
+-----------
+
+(3) On dit proverbialement "parler à la barette de quelqu'un", pour
+lui parler sans ménagement, porter la main sur lui, le frapper à la
+tête.
+
+-----------
+
+(4) Un denier d'intérêt pour douze prêtés, c'est-à-dire un peu plus
+de huit pour cent.
+
+-----------
+
+(5) "Fluet". On disait autrefois "flouet" et "flou", dont "flouet"
+est le diminutif.
+
+-----------
+
+(6) Ce tour de phrase est latin. Boileau a dit dans la "Satire sur
+les Femmes" :
+
+ Je ne puis cette fois que je ne les excuse.
+
+Ni Boileau ni Molière n'ont pu faire adopter ce latinisme.
+
+-----------
+
+(7) Avant sa conversion, saint Mathieu était receveur des tributs, et
+la malignité lui attribuait des prêts usuraires. De là l'ancienne
+expression proverbiale, "fester saint Matthieu", pour prêter à usure,
+et, par corruption, "fesse-Matthieu".
+
+-----------
+
+(8) C'est-à-dire un denier d'intérêt pour dix-huit prêtés, ce qui
+équivaut à un peu plus de cinq et demi pour cent.
+
+-----------
+
+(9) A vingt pour cent.
+
+-----------
+
+(10) A vingt-cinq pour cent.
+
+-----------
+
+(11) Les soldats portaient autrefois un bâton terminé d'un bout par
+une pointe qu'ils enfonçaient en terre, et de l'autre, par un fer
+fourchu sur lequel ils appuyaient leur mousquet, pour tirer plus
+juste. C'est ce qu'on appelait "la fourchette d'un mousquet".
+
+-----------
+
+(12) Expression proverbiale : "L'épée de chevet", l'épée qui ne nous
+quitte jamais. Au figuré, "l'expression qu'on a sans cesse à la bouche".
+
+-----------
+
+(13) C'était une formule ancienne de santé et d'économie qu'on trouve
+quelquefois chez les Latins, énoncée par les seules lettres initiales
+de chaque mot E.V.V.N.V.V.E. : "ede ut vivas, ne vivas ut edas.",
+"Mange pour vivre, et ne vis pas pour manger."
+
+-----------
+
+(14) Expression proverbiale : "Il n'y a pas même pour un double",
+c'est-à-dire "il n'y en a point". Le double était une petite pièce
+de monnaie qui valait deux deniers.
+
+-----------
+
+(15) Suivant Ménage, cette expression a été imaginée pour éviter de
+se servir du mot "diable". Molière n'est pas le seul qui ait employé
+ce mot dans ce sens : longtemps avant lui, Rabelais avait dit :
+"Créature du grand vilain diantre d'enfer" (liv. III, ch. III).
+
+-----------
+
+(16) Du temps de Molière, le mot "scandaliser" se prenait quelquefois
+dans le sens de "décrier", "diffamer". (Voyez le dictionnaire de
+l'Académie, édition de 1694).
+
+-----------
+
+(17) "Offenser" est la traduction littéraire d'"offendere", mot dont
+le sens est beaucoup moins restreint en latin qu'en français. Il
+signifie ici, "celui dont vous avez à vous plaindre". L'exemple de
+Molière n'a pu le faire adopter avec cette acception.
+
+-----------
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's L'Avare, by Jean-Baptiste Poquelin [AKA Molière]
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'AVARE ***
+
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER
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+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
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+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
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+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation information page at www.gutenberg.org
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at 809
+North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email
+contact links and up to date contact information can be found at the
+Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit www.gutenberg.org/donate
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For forty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
+metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be
+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
+
+Procedures for determining public domain status are described in
+the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org.
+
+No investigation has been made concerning possible copyrights in
+jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize
+this eBook outside of the United States should confirm copyright
+status under the laws that apply to them.
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
+eBook #6318 (https://www.gutenberg.org/ebooks/6318)
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+++ b/old/7avar10.txt
@@ -0,0 +1,7149 @@
+The Project Gutenberg EBook of L'Avare, by Jean-Baptiste Poquelin
+[AKA Moliere]
+(#9 in our series by Jean-Baptiste Poquelin [AKA Moliere])
+
+Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the
+copyright laws for your country before downloading or redistributing
+this or any other Project Gutenberg eBook.
+
+This header should be the first thing seen when viewing this Project
+Gutenberg file. Please do not remove it. Do not change or edit the
+header without written permission.
+
+Please read the "legal small print," and other information about the
+eBook and Project Gutenberg at the bottom of this file. Included is
+important information about your specific rights and restrictions in
+how the file may be used. You can also find out about how to make a
+donation to Project Gutenberg, and how to get involved.
+
+
+**Welcome To The World of Free Plain Vanilla Electronic Texts**
+
+**eBooks Readable By Both Humans and By Computers, Since 1971**
+
+*****These eBooks Were Prepared By Thousands of Volunteers!*****
+
+
+Title: L'Avare
+
+Author: Jean-Baptiste Poquelin [AKA Moliere]
+
+Release Date: August, 2004 [EBook #6318]
+[Yes, we are more than one year ahead of schedule]
+[This file was first posted on November 25, 2002]
+
+Edition: 10
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ASCII
+
+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, L'AVARE ***
+
+
+
+
+Produced by Laurent Le Guillou <leguillou.laurent@free.fr>
+
+
+
+
+
+
+
+
+Title: L'Avare
+
+Language: French
+
+Encoding: ISO-8859-1
+
+
+
+Source:
+
+Jean-Baptiste Poquelin (1620-1673), alias Moliere,
+"Oeuvres de Moliere, avec des notes de tous les commentateurs",
+Tome Second,
+Paris, Librarie de Firmin-Didot et Cie,
+Imprimeurs de l'Institut, rue Jacob, 56,
+1890.
+
+Pages 148-229.
+
+[Spelling of the 1890 edition. Footnotes have been retained because
+they provide the meanings of old French words or expressions.
+Footnote are indicated by numbers in brackets, and are grouped
+at the end of the Etext. Text encoding is iso-8859-1.]
+
+
+
+
+
+L'AVARE
+
+
+
+
+Comedie (1667)
+
+
+
+PERSONNAGES ACTEURS
+
+Harpagon, pere de Cleante et d'Elise,
+et amoureux de Mariane. Moliere.
+Cleante, fils d'Harpagon, amant de Mariane. La Grange.
+Elise, fille d'Harpagon, amante de Valere. Mlle Moliere.
+Valere, fils d'Anselme et amant d'Elise. Du Croisy.
+Mariane, amante de Cleante et aimee d'Harpagon. Mlle De Brie.
+Anselme, pere de Valere et de Mariane.
+Frosine, femme d'intrigue. Magd. Bejart.
+Maitre Simon, courtier.
+Maitre Jacques, cuisinier et cocher d'Harpagon. Hubert.
+La Fleche, valet de Cleante. Bejart cadet.
+Dame Claude, servante d'Harpagon.
+Brindavoine,
+La Merluche, laquais d'Harpagon.
+Un commissaire et son clerc.
+
+
+
+La scene est a Paris, dans la maison d'Harpagon.
+
+
+ACTE PREMIER.
+-------------
+
+
+Scene premiere. - Valere, Elise.
+
+
+
+- Valere -
+
+He quoi ! charmante Elise, vous devenez melancolique, apres les
+obligeantes assurances que vous avez eu la bonte de me donner de votre
+foi ? Je vous vois soupirer, helas ! au milieu de ma joie ! Est-ce du
+regret, dites-moi, de m'avoir fait heureux ? et vous repentez-vous de
+cet engagement ou mes feux ont pu vous contraindre ?
+
+
+- Elise -
+
+Non, Valere, je ne puis pas me repentir de tout ce que je fais pour
+vous. Je m'y sens entrainer par une trop douce puissance, et je n'ai
+pas meme la force de souhaiter que les choses ne fussent pas. Mais, a
+vous dire vrai, le succes me donne de l'inquietude ; et je crains fort
+de vous aimer un peu plus que je ne devrais.
+
+
+- Valere -
+
+Eh ! que pouvez-vous craindre, Elise, dans les bontes que vous avez
+pour moi ?
+
+
+- Elise -
+
+Helas ! cent choses a la fois : l'emportement d'un pere, les reproches
+d'une famille, les censures du monde ; mais plus que tout, Valere, le
+changement de votre coeur, et cette froideur criminelle dont ceux de
+votre sexe payent le plus souvent les temoignages trop ardents d'un
+innocent amour.
+
+
+- Valere -
+
+Ah ! ne me faites pas ce tort, de juger de moi par les autres !
+Soupconnez-moi de tout, Elise, plutot que de manquer a ce que je vous
+dois. Je vous aime trop pour cela ; et mon amour pour vous durera
+autant que ma vie.
+
+
+- Elise -
+
+Ah ! Valere, chacun tient les memes discours ! Tous les hommes sont
+semblables par les paroles ; et ce n'est que les actions qui les
+decouvrent differents.
+
+
+- Valere -
+
+Puisque les seules actions font connaitre ce que nous sommes, attendez
+donc, au moins, a juger de mon coeur par elles, et ne me cherchez point
+des crimes dans les injustes craintes d'une facheuse prevoyance. Ne
+m'assassinez point, je vous prie, par les sensibles coups d'un soupcon
+outrageux ; et donnez-moi le temps de vous convaincre, par mille et
+mille preuves, de l'honnetete de mes feux.
+
+
+- Elise -
+
+Helas ! qu'avec facilite on se laisse persuader par les personnes que
+l'on aime ! Oui, Valere, je tiens votre coeur incapable de m'abuser.
+Je crois que vous m'aimez d'un veritable amour, et que vous me serez
+fidele : je n'en veux point du tout douter, et je retranche mon
+chagrin aux apprehensions du blame qu'on pourra me donner.
+
+
+- Valere -
+
+Mais pourquoi cette inquietude ?
+
+
+- Elise -
+
+Je n'aurais rien a craindre si tout le monde vous voyait des yeux dont
+je vous vois ; et je trouve en votre personne de quoi avoir raison aux
+choses que je fais pour vous. Mon coeur, pour sa defense, a tout votre
+merite, appuye du secours d'une reconnaissance ou le ciel m'engage
+envers vous. Je me represente a toute heure ce peril etonnant qui
+commenca de nous offrir aux regards l'un de l'autre ; cette generosite
+surprenante qui vous fit risquer votre vie, pour derober la mienne a la
+fureur des ondes ; ces soins pleins de tendresse que vous me fites
+eclater apres m'avoir tiree de l'eau, et les hommages assidus de cet
+ardent amour que ni le temps ni les difficultes n'ont rebute, et qui,
+vous faisant negliger et parents et patrie, arrete vos pas en ces
+lieux, y tient en ma faveur votre fortune deguisee, et vous a reduit,
+pour me voir, a vous revetir de l'emploi de domestique de mon pere.
+Tout cela fait chez moi, sans doute, un merveilleux effet ; et c'en est
+assez, a mes yeux, pour me justifier l'engagement ou j'ai pu consentir ;
+mais ce n'est pas assez peut-etre pour le justifier aux autres, et je
+ne suis pas sure qu'on entre dans mes sentiments.
+
+
+- Valere -
+
+De tout ce que vous avez dit, ce n'est que par mon seul amour que je
+pretends aupres de vous meriter quelque chose ; et quant aux
+scrupules que vous avez, votre pere lui-meme ne prend que trop de soin
+de vous justifier a tout le monde, et l'exces de son avarice, et la
+maniere austere dont il vit avec ses enfants, pourraient autoriser des
+choses plus etranges. Pardonnez-moi, charmante Elise, si j'en parle
+ainsi devant vous. Vous savez que, sur ce chapitre, on n'en peut pas
+dire de bien. Mais enfin, si je puis, comme je l'espere, retrouver mes
+parents, nous n'aurons pas beaucoup de peine a nous les rendre
+favorables. J'en attends des nouvelles avec impatience, et j'en irai
+chercher moi-meme, si elles tardent a venir.
+
+
+- Elise -
+
+Ah! Valere, ne bougez d'ici, je vous prie, et songez seulement a vous
+bien mettre dans l'esprit de mon pere.
+
+
+- Valere -
+
+Vous voyez comme je m'y prends, et les adroites complaisances qu'il
+m'a fallu mettre en usage pour m'introduire a son service ; sous quel
+masque de sympathie et de rapports de sentiments je me deguise pour
+lui plaire, et quel personnage je joue tous les jours avec lui, afin
+d'acquerir sa tendresse. J'y fais des progres admirables ; et j'eprouve
+que, pour gagner les hommes, il n'est point de meilleure voie que de se
+parer a leurs yeux de leurs inclinations, que de donner dans leurs
+maximes, encenser leurs defauts, et applaudir a ce qu'ils font. On n'a
+que faire d'avoir peur de trop charger la complaisance ; et la maniere
+dont on les joue a beau etre visible, les plus fins toujours sont de
+grandes dupes du cote de la flatterie, et il n'y a rien de si
+impertinent et de si ridicule qu'on ne fasse avaler, lorsqu'on
+l'assaisonne en louanges. La sincerite souffre un peu au metier que je
+fais ; mais, quand on a besoin des hommes, il faut bien s'ajuster a
+eux, et puisqu'on ne saurait les gagner que par la, ce n'est pas la
+faute de ceux qui flattent, mais de ceux qui veulent etre flattes.
+
+
+- Elise -
+
+Mais que ne tachez-vous aussi de gagner l'appui de mon frere, en cas
+que la servante s'avisat de reveler notre secret ?
+
+
+- Valere -
+
+On ne peut pas menager l'un et l'autre ; et l'esprit du pere et celui
+du fils sont des choses si opposees, qu'il est difficile d'accommoder
+ces deux confidences ensemble. Mais vous, de votre part, agissez
+aupres de votre frere, et servez-vous de l'amitie qui est entre vous
+deux pour le jeter dans nos interets. Il vient. Je me retire. Prenez
+ce temps pour lui parler, et ne lui decouvrez de notre affaire que ce
+que vous jugerez a propos.
+
+
+- Elise -
+
+Je ne sais si j'aurai la force de lui faire cette confidence.
+
+
+-----------
+
+Scene II. - Cleante, Elise.
+
+
+
+- Cleante -
+
+Je suis bien aise de vous trouver seule, ma soeur ; et je brulais de
+vous parler, pour m'ouvrir a vous d'un secret.
+
+
+- Elise -
+
+Me voila prete a vous ouir, mon frere. Qu'avez-vous a me dire ?
+
+
+- Cleante -
+
+Bien des choses, ma soeur, enveloppees dans un mot. J'aime.
+
+
+- Elise -
+
+Vous aimez ?
+
+
+- Cleante -
+
+Oui, j'aime. Mais, avant que d'aller plus loin, je sais que je depends
+d'un pere, et que le nom de fils me soumet a ses volontes ; que nous
+ne devons point engager notre foi sans le consentement de ceux dont
+nous tenons le jour ; que le ciel les a faits les maitres de nos
+voeux, et qu'il nous est enjoint de n'en disposer que par leur
+conduite ; que, n'etant prevenus d'aucune folle ardeur, ils sont en
+etat de se tromper bien moins que nous et de voir beaucoup mieux ce
+qui nous est propre ; qu'il en faut plutot croire les lumieres de leur
+prudence que l'aveuglement de notre passion ; et que l'emportement de
+la jeunesse nous entraine le plus souvent dans des precipices
+facheux. Je vous dis tout cela, ma soeur, afin que vous ne vous
+donniez pas la peine de me le dire ? car enfin mon amour ne veut rien
+ecouter, et je vous prie de ne me point faire de remontrances.
+
+
+- Elise -
+
+Vous etes-vous engage, mon frere, avec celle que vous aimez ?
+
+
+- Cleante -
+
+Non ; mais j'y suis resolu, et je vous conjure encore une fois de ne
+me point apporter de raisons pour m'en dissuader.
+
+
+- Elise -
+
+Suis-je, mon frere, une si etrange personne ?
+
+
+- Cleante -
+
+Non, ma soeur ; mais vous n'aimez pas ; vous ignorez la douce violence
+qu'un tendre amour fait sur nos coeurs, et j'apprehende votre sagesse.
+
+
+- Elise -
+
+Helas ! mon frere, ne parlons point de ma sagesse : il n'est personne
+qui n'en manque, du moins une fois en sa vie ; et, si je vous ouvre mon
+coeur, peut-etre serai-je a vos yeux bien moins sage que vous.
+
+
+- Cleante -
+
+Ah ! plut au ciel que votre ame, comme la mienne... !
+
+
+- Elise -
+
+Finissons auparavant votre affaire, et me dites qui est celle que vous
+aimez.
+
+
+- Cleante -
+
+Une jeune personne qui loge depuis peu en ces quartiers, et qui semble
+etre faite pour donner de l'amour a tous ceux qui la voient. La
+nature, ma soeur, n'a rien forme de plus aimable ; et je me sentis
+transporte des le moment que je la vis. Elle se nomme Mariane, et vit
+sous la conduite d'une bonne femme de mere qui est presque toujours
+malade, et pour qui cette aimable fille a des sentiments d'amitie qui
+ne sont pas imaginables. Elle la sert, la plaint et la console, avec
+une tendresse qui vous toucherait l'ame. Elle se prend d'un air le
+plus charmant du monde aux choses qu'elle fait ; et l'on voit briller
+mille graces en toutes ses actions, une douceur pleine d'attraits,
+une bonte toute engageante, une honnetete adorable, une... Ah ! ma
+soeur, je voudrais que vous l'eussiez vue !
+
+
+- Elise -
+
+J'en vois beaucoup, mon frere, dans les choses que vous me dites ; et,
+pour comprendre ce qu'elle est, il me suffit que vous l'aimez.
+
+
+- Cleante -
+
+J'ai decouvert sous main qu'elles ne sont pas fort accommodees (1), et
+que leur discrete conduite a de la peine a etendre a tous leurs
+besoins le bien qu'elles peuvent avoir. Figurez-vous, ma soeur, quelle
+joie ce peut etre que de relever la fortune d'une personne que l'on
+aime ; que de donner adroitement quelques petits secours aux modestes
+necessites d'une vertueuse famille ; et concevez quel deplaisir ce
+m'est de voir que, par l'avarice d'un pere, je sois dans l'impuissance
+de gouter cette joie, et de faire eclater a cette belle aucun
+temoignage de mon amour.
+
+
+- Elise -
+
+Oui, je concois assez, mon frere, quel doit etre votre chagrin.
+
+
+- Cleante -
+
+Ah ! ma soeur, il est plus grand qu'on ne peut croire. Car, enfin,
+peut-on rien voir de plus cruel que cette rigoureuse epargne qu'on
+exerce sur nous, que cette secheresse etrange ou l'on nous fait
+languir ? He ! que nous servira d'avoir du bien, s'il ne nous vient que
+dans le temps que nous ne serons plus dans le bel age d'en jouir, et
+si, pour m'entretenir meme, il faut que maintenant je m'engage de tous
+cotes ; si je suis reduit avec vous a chercher tous les jours le
+secours des marchands, pour avoir moyen de porter des habits
+raisonnables ? Enfin, j'ai voulu vous parler pour m'aider a sonder mon
+pere sur les sentiments ou je suis ; et, si je l'y trouve contraire,
+j'ai resolu d'aller en d'autres lieux, avec cette aimable personne,
+jouir de la fortune que le ciel voudra nous offrir. Je fais chercher
+partout, pour ce dessein, de l'argent a emprunter ; et, si vos affaires,
+ma soeur, sont semblables aux miennes, et qu'il faille que notre pere
+s'oppose a nos desirs, nous le quitterons la tous deux, et nous
+affranchirons de cette tyrannie ou nous tient depuis si longtemps son
+avarice insupportable.
+
+
+- Elise -
+
+Il est bien vrai que tous les jours il nous donne de plus en plus
+sujet de regretter la mort de notre mere, et que...
+
+
+- Cleante -
+
+J'entends sa voix. Eloignons-nous un peu pour achever notre confidence ;
+et nous joindrons apres nos forces pour venir attaquer la durete de
+son humeur.
+
+
+-----------
+
+Scene III. - Harpagon, La Fleche.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Hors d'ici tout a l'heure, et qu'on ne replique pas. Allons, que
+l'on detale de chez moi, maitre jure filou, vrai gibier de potence !
+
+
+- La Fleche -
+
+ (a part.)
+
+Je n'ai jamais rien vu de si mechant que ce maudit vieillard, et je
+pense, sauf correction, qu'il a le diable au corps.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu murmures entre tes dents ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Pourquoi me chassez-vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est bien a toi, pendard, a me demander des raisons ! Sors vite, que
+je ne t'assomme.
+
+
+- La Fleche -
+
+Qu'est-ce que je vous ai fait ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu m'as fait que je veux que tu sortes.
+
+
+- La Fleche -
+
+Mon maitre, votre fils, m'a donne ordre de l'attendre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Va-t'en l'attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison,
+plante tout droit comme un piquet a observer ce qui se passe, et faire
+ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant moi un
+espion de mes affaires, un traitre dont les yeux maudits assiegent
+toutes mes actions, devorent ce que je possede, et furettent de tous
+cotes pour voir s'il n'y a rien a voler.
+
+
+- La Fleche -
+
+Comment diantre voulez-vous qu'on fasse pour vous voler ? Etes-vous
+un homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites
+sentinelle jour et nuit ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me
+plait. Ne voila pas de mes mouchards (2), qui prennent garde a ce qu'on
+fait ?
+
+ (Bas, a part.)
+
+Je tremble qu'il n'ait soupconne quelque chose de mon argent.
+
+ (Haut.)
+
+Ne serais-tu point homme a aller faire courir le bruit que j'ai chez
+moi de l'argent cache ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Vous avez de l'argent cache ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, coquin, je ne dis pas cela.
+
+ (Bas.)
+
+J'enrage !
+
+ (Haut.)
+
+Je demande si, malicieusement, tu n'irais point faire courir le bruit
+que j'en ai.
+
+
+- La Fleche -
+
+He ! que nous importe que vous en ayez, ou que vous n'en ayez pas, si
+c'est pour nous la meme chose ?
+
+
+- Harpagon -
+
+ (levant la main pour donner un soufflet a la Fleche.)
+
+Tu fais le raisonneur ! Je te baillerai de ce raisonnement-ci par les
+oreilles. Sors d'ici, encore une fois.
+
+
+- La Fleche -
+
+Eh bien, je sors.
+
+
+- Harpagon -
+
+Attends : ne m'emportes-tu rien ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Que vous emporterais-je ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Tiens, viens ca, que je voie. Montre-moi tes mains.
+
+
+- La Fleche -
+
+Les voila.
+
+
+- Harpagon -
+
+Les autres.
+
+
+- La Fleche -
+
+Les autres ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- La Fleche -
+
+Les voila.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (montrant les hauts-de-chausses de la Fleche.)
+
+N'as-tu rien mis ici dedans ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Voyez vous-meme.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (tatant le bas des hauts-de-chausses de la Fleche.)
+
+Ces grands hauts-de-chausses sont propres a devenir les receleurs des
+choses qu'on derobe ; et je voudrais qu'on en eut fait pendre
+quelqu'un.
+
+
+- La Fleche -
+
+ (a part.)
+
+Ah ! qu'un homme comme cela meriterait bien ce qu'il craint ! Et que
+j'aurais de joie a la voler !
+
+
+- Harpagon -
+
+Euh ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'est-ce que tu parles de voler ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Je vous dis que vous fouillez bien partout, pour voir si je vous ai vole.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est ce que je veux faire.
+
+ (Harpagon fouille dans les poches de La Fleche.)
+
+
+- La Fleche -
+
+ (a part.)
+
+La peste soit de l'avarice et des avaricieux !
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ? que dis-tu ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Ce que je dis ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui. Qu'est-ce que tu dis d'avarice et d'avaricieux ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Je dis que la peste soit de l'avarice et des avaricieux !
+
+
+- Harpagon -
+
+De qui veux-tu parler ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Des avaricieux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et qui sont-ils, ces avaricieux ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Des vilains et des ladres.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais qui est-ce que tu entends par la ?
+
+
+- La Fleche -
+
+De quoi vous mettez-vous en peine ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me mets en peine de ce qu'il faut.
+
+
+- La Fleche -
+
+Est-ce que vous croyez que je veux parler de vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Je crois ce que je crois ; mais je veux que tu me dises a qui tu
+parles quand tu dis cela.
+
+
+- La Fleche -
+
+Je parle... je parle a mon bonnet.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, je pourrais bien parler a ta barrette (3).
+
+
+- La Fleche -
+
+M'empecherez-vous de maudire les avaricieux ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Non ; mais je t'empecherai de jaser et d'etre insolent. Tais-toi.
+
+
+- La Fleche -
+
+Je ne nomme personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te rosserai si tu parles.
+
+
+- La Fleche -
+
+Qui se sent morveux, qu'il se mouche.
+
+
+- Harpagon -
+
+Te tairas-tu ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Oui, malgre moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! Ah !
+
+
+- La Fleche -
+
+ (montrant a Harpagon une poches de son justaucorps.)
+
+Tenez, voila encore une poche : etes-vous satisfait ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Allons, rends-le-moi sans te fouiller.
+
+
+- La Fleche -
+
+Quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce que tu m'as pris.
+
+
+- La Fleche -
+
+Je ne vous ai rien pris du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Assurement ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Assurement.
+
+
+- Harpagon -
+
+Adieu. Va-t-en a tous les diables !
+
+
+- La Fleche -
+
+Me voila fort bien congedie.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te le mets sur ta conscience, au moins.
+
+
+-----------
+
+Scene IV. - Harpagon.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Voila un pendard de valet qui m'incommode fort ; et je ne me plais
+point a voir ce chien de boiteux-la. Certes, ce n'est pas une petite
+peine que de garder chez soi une grande somme d'argent ; et
+bienheureux qui a tout son fait bien place, et ne conserve seulement
+que ce qu'il faut pour sa depense ! On n'est pas peu embarrasse a
+inventer, dans toute une maison, une cache fidele ; car pour moi, les
+coffres-forts me sont suspects, et je ne veux jamais m'y fier. Je les
+tiens justement une franche amorce a voleurs, et c'est toujours la
+premiere chose que l'on va attaquer.
+
+
+-----------
+
+Scene V. - Harpagon ; Elise et Cleante, parlant ensemble, et restant
+ dans le fond du theatre.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (se croyant seul.)
+
+Cependant, je ne sais si j'aurai bien fait d'avoir enterre, dans mon
+jardin, dix mille ecus qu'on me rendit hier. Dix mille ecus en or, chez
+soi, est une somme assez...
+
+ (A part, apercevant Elise et Cleante.)
+
+O ciel ! je me serai trahi moi-meme ! la chaleur m'aura emporte, et je
+crois que j'ai parle haut, en raisonnant tout seul.
+
+ (A Cleante et Elise.)
+
+Qu'est-ce ?
+
+
+- Cleante -
+
+Rien, mon pere.
+
+
+- Harpagon -
+
+Y a-t-il longtemps que vous etes la ?
+
+
+- Elise -
+
+Nous ne venons que d'arriver.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous avez entendu...
+
+
+- Cleante -
+
+Quoi, mon pere ?
+
+
+- Harpagon -
+
+La...
+
+
+- Elise -
+
+Quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce que je viens de dire.
+
+
+- Cleante -
+
+Non.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si fait, si fait.
+
+
+- Elise -
+
+Pardonnez-moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vois bien que vous en avez oui quelques mots. C'est que je
+m'entretenais en moi-meme de la peine qu'il y a aujourd'hui a trouver
+de l'argent, et je disais qu'il est bien heureux qui peut avoir dix
+mille ecus chez soi.
+
+
+- Cleante -
+
+Nous feignions a vous aborder, de peur de vous interrompre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je suis bien aise de vous dire cela, afin que vous n'alliez pas
+prendre les choses de travers, et vous imaginer que je dise que c'est
+moi qui ai dix mille ecus.
+
+
+- Cleante -
+
+Nous n'entrons point dans vos affaires.
+
+
+- Harpagon -
+
+Plut a Dieu que je les eusse, dix mille ecus !
+
+
+- Cleante -
+
+Je ne crois pas...
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce serait une bonne affaire pour moi.
+
+
+- Elise -
+
+Ces sont des choses...
+
+
+- Harpagon -
+
+J'en aurais bon besoin.
+
+
+- Cleante -
+
+Je pense que...
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela m'accommoderait fort.
+
+
+- Elise -
+
+Vous etes...
+
+
+- Harpagon -
+
+Et je ne me plaindrais pas, comme je le fais, que le temps est
+miserable.
+
+
+- Cleante -
+
+Mon Dieu ! mon pere, vous n'avez pas lieu de vous plaindre et l'on
+sait que vous avez assez de bien.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, j'ai assez de bien ! Ceux qui le disent en ont menti. Il n'y
+a rien de plus faux ; et ce sont des coquins qui font courir tous ces
+bruits-la.
+
+
+- Elise -
+
+Ne vous mettez point en colere.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela est etrange que mes propres enfants me trahissent et deviennent
+mes ennemis.
+
+
+- Cleante -
+
+Est-ce etre votre ennemi que de dire que vous avez du bien ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui. De pareils discours, et les depenses que vous faites, seront
+cause qu'un de ces jours on me viendra chez moi couper la gorge, dans
+la pensee que je suis tout cousu de pistoles.
+
+
+- Cleante -
+
+Quelle grande depense est-ce que je fais ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Quelle ? Est-il rien de plus scandaleux que ce somptueux equipage que
+vous promenez par la ville ? Je querellais hier votre soeur ; mais
+c'est encore pis. Voila qui crie vengeance au ciel ; et, a vous
+prendre depuis les pieds jusqu'a la tete, il y aurait la de quoi faire
+une bonne constitution. Je vous l'ai dit vingt fois, mon fils, toutes
+vos manieres me deplaisent fort ; vous donnez furieusement dans le
+marquis ; et, pour aller ainsi vetu, il faut bien que vous me derobiez.
+
+
+- Cleante -
+
+He ! comment vous derober ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Que sais-je ? Ou pouvez-vous donc prendre de quoi entretenir l'etat
+que vous portez ?
+
+
+- Cleante -
+
+Moi, mon pere ? C'est que je joue ; et, comme je suis fort heureux, je
+mets sur moi tout l'argent que je gagne.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est fort mal fait. Si vous etes heureux au jeu, vous en devriez
+profiter, et mettre a honnete interet l'argent que vous gagnez, afin
+de le trouver un jour. Je voudrais bien savoir, sans parler du reste,
+a quoi servent tous ces rubans dont vous voila larde depuis les pieds
+jusqu'a la tete, et si une demi-douzaine d'aiguillettes ne suffit pas
+pour attacher un haut-de-chausses. Il est bien necessaire d'employer
+de l'argent a des perruques, lorsque l'on peut porter des cheveux de
+son cru, qui ne coutent rien ! Je vais gager qu'en perruques et rubans
+il y a du moins vingt pistoles ; et vingt pistoles rapportent par
+annee dix-huit livres six sols huit deniers, a ne les placer qu'au
+denier douze (4).
+
+
+- Cleante -
+
+Vous avez raison.
+
+
+- Harpagon -
+
+Laissons cela, et parlons d'autre affaire. Euh ?
+
+ (Apercevant Cleante et Elise qui se font des signes.)
+
+He !
+
+ (Bas, a part.)
+
+Je crois qu'ils se font signe l'un a l'autre de me voler ma bourse.
+
+ (Haut.)
+
+Que veulent dire ces gestes-la ?
+
+
+- Elise -
+
+Nous marchandons, mon frere et moi, a qui parlera le premier, et nous
+avons tous deux quelque chose a vous dire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, j'ai quelque chose aussi a vous dire a tous deux.
+
+
+- Cleante -
+
+C'est de mariage, mon pere, que nous desirons vous parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et c'est de mariage aussi que je veux vous entretenir.
+
+
+- Elise -
+
+Ah ! mon pere !
+
+
+- Harpagon -
+
+Pourquoi ce cri ? Est-ce le mot, ma fille, ou la chose, qui vous fait
+peur ?
+
+
+- Cleante -
+
+Le mariage peut nous faire peur a tous deux, de la facon que vous
+pouvez l'entendre ; et nous craignons que nos sentiments ne soient pas
+d'accord avec votre choix.
+
+
+- Harpagon -
+
+Un peu de patience ; ne vous alarmez point. Je sais ce qu'il faut a
+tous deux, et vous n'aurez, ni l'un ni l'autre, aucun lieu de vous
+plaindre de tout ce que je pretends faire ; et, pour commencer par un
+bout,
+
+ (A Cleante.)
+
+avez-vous vu, dites-moi, une jeune personne appelee Mariane, qui
+ne loge pas loin d'ici ?
+
+
+- Cleante -
+
+Oui, mon pere.
+
+
+- Harpagon-
+
+Et vous ?
+
+
+- Elise -
+
+J'en ai oui parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, mon fils, trouvez-vous cette fille ?
+
+
+- Cleante -
+
+Une fort charmante personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sa physionomie ?
+
+
+- Cleante -
+
+Tout honnete et pleine d'esprit.
+
+
+- Harpagon -
+
+Son air et sa maniere ?
+
+
+- Cleante -
+
+Admirables, sans doute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ne croyez-vous pas qu'une fille comme cela meriterait assez que l'on
+songeat a elle ?
+
+
+- Cleante -
+
+Oui, mon pere.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que ce serait un parti souhaitable ?
+
+
+- Cleante -
+
+Tres souhaitable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'elle a toute la mine de faire un bon menage ?
+
+
+- Cleante -
+
+Sans doute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et qu'un mari aurait satisfaction avec elle ?
+
+
+- Cleante -
+
+Assurement.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il y a une petite difficulte : c'est que j'ai peur qu'il n'y ait pas,
+avec elle, tout le bien qu'on pourrait pretendre.
+
+
+- Cleante -
+
+Ah ! mon pere, le bien n'est pas considerable, lorsqu'il est question
+d'epouser une honnete personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Pardonnez-moi, pardonnez-moi. Mais ce qu'il y a a dire, c'est que, si
+l'on n'y trouve pas tout le bien qu'on souhaite, on peut tacher de
+regagner cela sur autre chose.
+
+
+- Cleante -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- Harpagon -
+
+Enfin je suis bien aise de vous voir dans mes sentiments ; car son
+maintien honnete et sa douceur m'ont gagne l'ame, et je suis resolu de
+l'epouser, pourvu que j'y trouve quelque bien.
+
+
+- Cleante -
+
+Euh ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Cleante -
+
+Vous etes resolu, dites-vous... ?
+
+
+- Harpagon -
+
+D'epouser Mariane.
+
+
+- Cleante -
+
+Qui ? Vous, vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, moi, moi, moi. Que veut dire cela ?
+
+
+- Cleante -
+
+Il m'a pris tout a coup un eblouissement, et je me retire d'ici.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela ne sera rien. Allez vite boire dans la cuisine un grand verre
+d'eau claire.
+
+
+-----------
+
+Scene VI. - Harpagon, Elise.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Voila de mes damoiseaux flouets (5), qui n'ont non plus de vigueur que
+des poules. C'est la, ma fille, ce que j'ai resolu pour moi. Quant a
+ton frere, je lui destine une certaine veuve dont, ce matin, on m'est
+venu parler ; et, pour toi, je te donne au seigneur Anselme.
+
+
+- Elise -
+
+Au seigneur Anselme ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, Un homme mur, prudent et sage, qui n'a pas plus de cinquante ans,
+et dont on vante les grands biens.
+
+
+- Elise -
+
+ (faisant une reverence.)
+
+Je ne veux point me marier, mon pere, s'il vous plait.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (contrefaisant Elise.)
+
+Et moi, ma petite fille, ma mie, je veux que vous vous mariiez, s'il
+vous plait.
+
+
+- Elise -
+
+ (faisant encore la reverence.)
+
+Je vous demande pardon, mon pere.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (contrefaisant Elise.)
+
+Je vous demande pardon, ma fille.
+
+
+- Elise -
+
+Je suis tres humble servante au seigneur Anselme ; mais,
+
+ (Faisant encore la reverence.)
+
+avec votre permission, je ne l'epouserai point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je suis votre tres humble valet ; mais,
+
+ (Contrefaisant Elise.)
+
+avec votre permission, vous l'epouserez des ce soir.
+
+
+- Elise -
+
+Des ce soir ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Des ce soir.
+
+
+- Elise -
+
+ (faisant encore la reverence.)
+
+Cela ne sera pas, mon pere.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (contrefaisant encore Elise.)
+
+Cela sera, ma fille.
+
+
+- Elise -
+
+Non.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si.
+
+
+- Elise -
+
+Non, vous dis-je.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si, vous dis-je.
+
+
+- Elise -
+
+C'est une chose ou vous ne me reduirez point.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une chose ou je te reduirai.
+
+
+- Elise -
+
+Je me tuerai plutot que d'epouser un tel mari.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu ne te tueras point, et tu l'epouseras. Mais voyez quelle audace !
+A-t-on jamais vu une fille parler de la sorte a son pere ?
+
+
+- Elise -
+
+Mais a-t-on jamais vu un pere marier sa fille de la sorte ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est un parti ou il n'y a rien a redire ! et je gage que tout le monde
+approuvera mon choix.
+
+
+- Elise -
+
+Et moi, je gage qu'il ne saurait etre approuve d'aucune personne
+raisonnable.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (apercevant Valere de loin.)
+
+Voila Valere. Veux-tu qu'entre nous deux nous le fassions juge de
+cette affaire ?
+
+
+- Elise -
+
+J'y consens.
+
+
+- Harpagon -
+
+Te rendras-tu a son jugement ?
+
+
+- Elise -
+
+Oui. J'en passerai par ce qu'il dira.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voila qui est fait.
+
+
+-----------
+
+Scene VII. - Valere, Harpagon, Elise.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Ici, Valere. Nous t'avons elu pour nous dire qui a raison de ma fille
+ou de moi.
+
+
+- Valere -
+
+C'est vous, monsieur, sans contredit.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sais-tu bien de quoi nous parlons ?
+
+
+- Valere -
+
+Non ; mais vous ne sauriez avoir tort, et vous etes toute raison.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je veux ce soir lui donner pour epoux un homme aussi riche que sage ;
+et la coquine me dit au nez qu'elle se moque de le prendre. Que
+dis-tu de cela ?
+
+
+- Valere -
+
+Ce que j'en dis ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Valere -
+
+He ! he !
+
+
+- Harpagon -
+
+Quoi !
+
+
+- Valere -
+
+Je dis que, dans le fond, je suis de votre sentiment ; et vous ne
+pouvez pas que vous n'ayez raison (6). mais aussi n'a-t-elle pas tort
+tout a fait, et...
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ? Le seigneur Anselme est un parti considerable ; c'est un
+gentilhomme qui est noble, doux, pose, sage et fort accommode, et
+auquel il ne reste aucun enfant de son premier mariage. Saurait-elle
+mieux rencontrer ?
+
+
+- Valere -
+
+Cela est vrai. Mais elle pourrait vous dire que c'est un peu
+precipiter les choses, et qu'il faudrait au moins quelque temps pour
+voir si son inclination pourra s'accommoder avec...
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une occasion qu'il faut prendre vite aux cheveux. Je trouve ici
+un avantage qu'ailleurs je ne trouverais pas ; et il s'engage a la
+prendre sans dot.
+
+
+- Valere -
+
+Sans dot ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Valere -
+
+Ah ! je ne dis plus rien. Voyez-vous ? voila une raison tout a fait
+convaincante ; il se faut rendre a cela.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est pour moi une epargne considerable.
+
+
+- Valere -
+
+Assurement ; cela ne recoit point de contradiction. Il est vrai que
+votre fille vous peut representer que le mariage est une plus grande
+affaire qu'on ne peut croire ; qu'il y va d'etre heureux ou malheureux
+toute sa vie ; et qu'un engagement qui doit durer jusqu'a la mort ne se
+doit jamais faire qu'avec de grandes precautions.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sans dot !
+
+
+- Valere -
+
+Vous avez raison ! voila qui decide tout ; cela s'entend. Il y a des
+gens qui pourraient vous dire qu'en de telles occasions l'inclination
+d'une fille est une chose, sans doute, ou l'on doit avoir de l'egard ;
+et que cette grande inegalite d'age, d'humeur et de sentiments, rend
+un mariage sujet a des accidents facheux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sans dot !
+
+
+- Valere -
+
+Ah ! il n'y a pas de replique a cela ; on le sait bien ! Qui diantre
+peut aller la contre ? Ce n'est pas qu'il n'y ait quantite de peres
+qui aimeraient mieux menager la satisfaction de leurs filles que
+l'argent qu'ils pourraient donner ; qui ne les voudraient point
+sacrifier a l'interet, et chercheraient, plus que toute autre chose, a
+mettre dans un mariage cette douce conformite qui sans cesse y
+maintient l'honneur, la tranquillite et la joie ; et que...
+
+
+- Harpagon -
+
+Sans dot !
+
+
+- Valere -
+
+Il est vrai ; cela ferme la bouche a tout. Sans dot ! Le moyen de
+resister a une raison comme celle-la !
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a part, regardant du cote le jardin.)
+
+Ouais ! Il me semble que j'entends un chien qui aboie. N'est-ce point
+qu'on en voudrait a mon argent ?
+
+ (A Valere.)
+
+Ne bougez, je reviens tout a l'heure.
+
+
+-----------
+
+Scene VIII. - Elise, Valere.
+
+
+
+- Elise -
+
+Vous moquez-vous, Valere, de lui parler comme vous faites ?
+
+
+- Valere -
+
+C'est pour ne point l'aigrir, et pour en venir mieux a bout. Heurter
+de front ses sentiments est le moyen de tout gater ; et il y a de
+certains esprits qu'il ne faut prendre qu'en biaisant ; des
+temperaments ennemis de toute resistance ; des naturels retifs, que la
+verite fait cabrer, qui toujours se raidissent contre le droit chemin
+de la raison, et qu'on ne mene qu'en tournant ou l'on veut les
+conduire. Faites semblant de consentir a ce qu'il veut, vous en
+viendrez mieux a vos fins, et...
+
+
+- Elise -
+
+Mais ce mariage, Valere !
+
+
+- Valere -
+
+On cherchera des biais pour le rompre.
+
+
+- Elise -
+
+Mais quelle invention trouver, s'il se doit conclure ce soir ?
+
+
+- Valere -
+
+Il faut demander un delai, et feindre quelque maladie.
+
+
+- Elise -
+
+Mais on decouvrira la feinte, si l'on appelle des medecins.
+
+
+- Valere -
+
+Vous moquez-vous ? Y connaissent-ils quelque chose ? Allez, allez,
+vous pourrez avec eux avoir quel mal il vous plaira, ils vous
+trouveront des raisons pour vous dire d'ou cela vient.
+
+
+-----------
+
+Scene IX. - Harpagon, Valere, Elise.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a part, dans le fond du theatre.)
+
+Ce n'est rien, Dieu merci.
+
+
+- Valere -
+
+ (sans voir Harpagon.)
+
+Enfin notre dernier recours, c'est que la fuite nous peut mettre a
+couvert de tout ; et, si votre amour, belle Elise, est capable d'une
+fermete...
+
+ (Apercevant Harpagon.)
+
+Oui, il faut qu'une fille obeisse a son pere. Il ne faut point qu'elle
+regarde comme un mari est fait ; et lorsque la grande raison de "sans
+dot" s'y rencontre, elle doit etre prete a prendre tout ce qu'on lui
+donne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Bon : voila bien parle, cela !
+
+
+- Valere -
+
+Monsieur, je vous demande pardon si je m'emporte un peu, et prends la
+hardiesse de lui parler comme je fais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ! j'en suis ravi, et je veux que tu prennes sur elle un
+pouvoir absolu.
+
+ (A Elise.)
+
+Oui, tu as beau fuir, je lui donne l'autorite que le ciel me donne sur
+toi, et j'entends que tu fasses tout ce qu'il te dira.
+
+
+- Valere -
+
+ (A Elise.)
+
+Apres cela, resistez a mes remontrances.
+
+
+-----------
+
+Scene X. - Harpagon, Valere.
+
+
+
+- Valere -
+
+Monsieur, je vais la suivre, pour continuer les lecons que je lui
+faisais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, tu m'obligeras. Certes...
+
+
+- Valere -
+
+Il est bon de lui tenir un peu la bride haute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela est vrai. Il faut...
+
+
+- Valere -
+
+Ne vous mettez pas en peine, je crois que j'en viendrai a bout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Fais, fais. Je m'en vais faire un petit tour en ville, et reviens tout
+a l'heure.
+
+
+- Valere -
+
+ (adressant la parole a Elise, en s'en allant du cote
+ par ou elle est sortie.)
+
+Oui, l'argent est plus precieux que toutes les choses du monde, et
+vous devez rendre grace au ciel de l'honnete homme de pere qu'il vous
+a donne. Il sait ce que c'est que de vivre. Lorsqu'on s'offre de
+prendre une fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout
+est renferme la-dedans ; et "sans dot" tient lieu de beaute, de
+jeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse, et de probite.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! le brave garcon ! Voila parle comme un oracle. Heureux qui peut
+avoir un domestique de la sorte !
+
+
+
+ACTE SECOND.
+------------
+
+
+
+Scene premiere. - Cleante, La Fleche.
+
+
+
+- Cleante -
+
+Ah ! traitre que tu es ! ou t'es-tu donc alle fourrer ? Ne t'avais-je
+pas donne ordre... ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Oui, Monsieur ; et je m'etais rendu ici pour vous attendre de pied
+ferme : mais monsieur votre pere, le plus malgracieux des hommes, m'a
+chasse dehors malgre moi, et j'ai couru le risque d'etre battu.
+
+
+- Cleante -
+
+Comment va notre affaire ? Les choses pressent plus que jamais ; et,
+depuis que je t'ai vu, j'ai decouvert que mon pere est mon rival.
+
+
+- La Fleche -
+
+Votre pere amoureux ?
+
+
+- Cleante -
+
+Oui ; et j'ai eu toutes les peines du monde a lui cacher le trouble ou
+cette nouvelle m'a mis.
+
+
+- La Fleche -
+
+Lui, se meler d'aimer ! De quoi diable s'avise-t-il ? Se moque-t-il du
+monde ? Et l'amour a-t-il ete fait pour des gens batis comme lui ?
+
+
+- Cleante -
+
+Il a fallu, pour mes peches, que cette passion lui soit venue en tete.
+
+
+- La Fleche -
+
+Mais par quelle raison lui faire un mystere de votre amour ?
+
+
+- Cleante -
+
+Pour lui donner moins de soupcon, et me conserver, au besoin, des
+ouvertures plus aisees pour detourner ce mariage. Quelle reponse
+t'a-t-on faite ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Ma foi, Monsieur, ceux qui empruntent sont bien malheureux ; et il faut
+essuyer d'etranges choses, lorsqu'on en est reduit a passer, comme
+vous, par les mains des fesse-matthieux (7).
+
+
+- Cleante -
+
+L'affaire ne se fera point ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Pardonnez-moi. Notre maitre Simon, le courtier qu'on nous a donne,
+homme agissant et plein de zele, dit qu'il a fait rage pour vous, et
+il assure que votre seule physionomie lui a gagne le coeur.
+
+
+- Cleante -
+
+J'aurai les quinze mille francs que je demande ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Oui ; mais a quelques petites conditions qu'il faudra que vous
+acceptiez, si vous avez dessein que les choses se fassent.
+
+
+- Cleante -
+
+T'a-t-il fait parler a celui qui doit preter l'argent ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Ah ! vraiment, cela ne va pas de la sorte. Il apporte encore plus de
+soin a se cacher que vous ; et ce sont des mysteres bien plus grands
+que vous ne pensez. On ne veut point du tout dire son nom ; et l'on
+doit aujourd'hui l'aboucher avec vous dans une maison empruntee, pour
+etre instruit par votre bouche de votre bien et de votre famille ; et
+je ne doute point que le seul nom de votre pere ne rende les choses
+faciles.
+
+
+- Cleante -
+
+Et principalement notre mere etant morte, dont on ne peut m'oter le
+bien.
+
+
+- La Fleche -
+
+Voici quelques articles qu'il a dictes lui-meme a notre entremetteur,
+pour vous etre montres avant que de rien faire :
+
+ "Suppose que le preteur voie toutes ses suretes, et que
+ l'emprunteur soit majeur et d'une famille ou le bien soit
+ ample, solide, assure, clair, et net de tout embarras, on
+ fera une bonne et exacte obligation par-devant un notaire,
+ le plus honnete homme qu'il se pourra, et qui, pour cet
+ effet sera choisi par le preteur, auquel il importe le
+ plus que l'acte soit dument dresse."
+
+
+- Cleante -
+
+Il n'y a rien a dire a cela.
+
+
+- La Fleche -
+
+ "Le preteur, pour ne charger Sa conscience d'aucun scrupule,
+ pretend ne donner son argent qu'au denier dix-huit. (8)"
+
+
+- Cleante -
+
+Au denier dix-huit ? Parbleu, voila qui est honnete ! Il n'y a pas
+lieu de se plaindre.
+
+
+- La Fleche -
+
+Cela est vrai.
+
+ "Mais, comme ledit preteur n'a pas chez lui la somme dont il
+ est question, et que, pour faire plaisir a l'emprunteur il
+ est contraint lui-meme de l'emprunter d'un autre sur le pied
+ du denier cinq (9), il conviendra que ledit premier emprunteur
+ paye cet interet, sans prejudice du reste, attendu que ce
+ n'est que pour l'obliger que ledit preteur s'engage a cet
+ emprunt."
+
+
+- Cleante -
+
+Comment diable ! Quel Juif, quel Arabe est-ce la ? C'est plus qu'au
+denier quatre (10).
+
+
+- La Fleche -
+
+Il est vrai ; c'est ce que j'ai dit. Vous avez a voir la-dessus.
+
+
+- Cleante -
+
+Que veux-tu que je voie ? J'ai besoin d'argent, et il faut bien que je
+consente a tout.
+
+
+- La Fleche -
+
+C'est la reponse que j'ai faite.
+
+
+- Cleante -
+
+Il y a encore quelque chose ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Ce n'est plus qu'un petit article.
+
+ "Des quinze mille francs qu'on demande, le preteur ne
+ pourra compter en argent que douze mille livres ; et,
+ pour les mille ecus restants, il faudra que l'emprunteur
+ prenne les hardes, nippes, bijoux, dont s'ensuit le
+ memoire, et que ledit preteur a mis, de bonne foi, au
+ plus modique prix qu'il lui a ete possible."
+
+
+- Cleante -
+
+Que veut dire cela ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Ecoutez le memoire :
+
+ "Premierement, un lit de quatre pieds a bandes de point
+ de Hongrie, appliquees fort proprement sur un drap de
+ couleur d'olive, avec six chaises et la courte-pointe
+ de meme : le tout bien conditionne, et double d'un petit
+ taffetas changeant rouge et bleu.
+ Plus, un pavillon a queue, d'une bonne serge d'Aumale
+ rose seche, avec le mollet et les franges de soie."
+
+
+- Cleante -
+
+Que veut-il que je fasse de cela ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Attendez.
+
+ "Plus une tenture de tapisserie des Amours de Gombaud
+ et de Macee.
+ Plus, une grande table de bois de noyer, a douze colonnes
+ ou piliers tournes, qui se tire par les deux bouts, et
+ garnie par le dessous de ses six escabelles."
+
+
+- Cleante -
+
+Qu'ai-je affaire, morbleu... ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Donnez-vous patience.
+
+ "Plus trois gros mousquets tout garnis de nacre de perle,
+ avec les trois fourchettes assortissantes (11).
+ Plus un fourneau de brique, avec deux cornues et trois
+ recipients, fort utiles a ceux qui sont curieux de
+ distiller."
+
+
+- Cleante -
+
+J'enrage !
+
+
+- La Fleche -
+
+Doucement.
+
+ "Plus, un luth de Bologne, garni de toutes ses cordes,
+ ou peu s'en faut.
+ Plus, un trou-madame et un damier, avec un jeu de l'oie,
+ renouvele des Grecs, fort propres a passer le temps
+ lorsque l'on n'a que faire.
+ Plus, une peau d'un lezard de trois pieds et demi, remplie
+ de foin ; curiosite agreable pour pendre au plancher d'une
+ chambre.
+ Le tout, ci-dessus mentionne, valant loyalement plus de
+ quatre mille cinq cents livres, et rabaisse a la valeur
+ de mille ecus par la discretion du preteur."
+
+
+- Cleante -
+
+Que la peste l'etouffe avec sa discretion, le traitre, le bourreau
+qu'il est ! A-t-on jamais parle d'une usure semblable, et n'est-il
+pas content du furieux interet qu'il exige, sans vouloir encore
+m'obliger a prendre pour trois mille livres les vieux rogatons qu'il
+ramasse ? Je n'aurai pas deux cents ecus de tout cela ; et cependant
+il faut bien me resoudre a consentir a ce qu'il veut : car il est en
+etat de me faire tout accepter, et il me tient, le scelerat, le
+poignard sur la gorge.
+
+
+- La Fleche -
+
+Je vous vois, Monsieur, ne vous en deplaise, dans le grand chemin
+justement que tenait Panurge pour se ruiner, prenant argent d'avance,
+achetant cher, vendant a bon marche et mangeant son ble en herbe.
+
+
+- Cleante -
+
+Que veux-tu que j'y fasse ? Voila ou les jeunes gens sont reduits par
+la maudite avarice des peres ; et on s'etonne, apres cela, que les
+fils souhaitent qu'ils meurent !
+
+
+- La Fleche -
+
+Il faut convenir que le votre animerait contre sa vilenie le plus pose
+homme du monde. Je n'ai pas, Dieu merci, les inclinations fort
+patibulaires ; et, parmi mes confreres que je vois se meler de
+beaucoup de petits commerces, je sais tirer adroitement mon epingle du
+jeu, et me demeler prudemment de toutes les galanteries qui sentent
+tant soit peu l'echelle ; mais, a vous dire vrai, il me donnerait, par
+ses procedes, des tentations de le voler ; et je croirais, en le
+volant, faire une action meritoire.
+
+
+- Cleante -
+
+Donne-moi un peu ce memoire, que je le voie encore.
+
+
+-----------
+
+Scene II. - Harpagon, Maitre Simon ; Cleante et La Fleche dans le fond
+ du theatre.
+
+
+
+- Maitre Simon -
+
+Oui, Monsieur, c'est un jeune homme qui a besoin d'argent ; ses
+affaires le pressent d'en trouver, et il en passera par tout ce que
+vous en prescrirez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais croyez-vous, maitre Simon, qu'il n'y ait rien a pericliter ? et
+savez-vous le nom, les biens et la famille de celui pour qui vous
+parlez ?
+
+
+- Maitre Simon -
+
+Non. Je ne puis pas bien vous en instruire a fond ; et ce n'est que par
+aventure que l'on m'a adresse a lui ; mais vous serez de toutes choses
+eclairci par lui-meme, et son homme m'a assure que vous serez content
+quand vous le connaitrez. Tout ce que je saurais vous dire, c'est que
+sa famille est fort riche, qu'il n'a plus de mere deja, et qu'il
+s'obligera, si vous voulez, que son pere mourra avant qu'il soit huit
+mois.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est quelque chose que cela. La charite, maitre Simon, nous oblige a
+faire plaisir aux personnes, lorsque nous le pouvons.
+
+
+- Maitre Simon -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- La Fleche -
+
+ (bas, a Cleante, reconnaissant maitre Simon.)
+
+Que veut dire ceci ? Notre maitre Simon qui parle a votre pere !
+
+
+- Cleante -
+
+ (bas, a La Fleche.)
+
+Lui aurait-on appris qui je suis ? et serais-tu pour nous trahir ?
+
+
+- Maitre Simon -
+
+ (a Cleante et a La Fleche.)
+
+Ah ! ah ! vous etes bien presses ! Qui vous a dit que c'etait ceans ?
+
+ (A Harpagon.)
+
+Ce n'est pas moi, Monsieur, au moins, qui leur ai decouvert votre nom
+et votre logis ; mais, a mon avis, il n'y a pas grand mal a cela : ce
+sont des personnes discretes, et vous pouvez ici vous expliquer
+ensemble.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Maitre Simon -
+
+ (montrant Cleante.)
+
+Monsieur est la personne qui veut vous emprunter les quinze mille
+livres dont je vous ai parle.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, pendard ! c'est toi qui t'abandonnes a ces coupables
+extremites !
+
+
+- Cleante -
+
+Comment ! mon pere, c'est vous qui vous portez a ces honteuses actions !
+
+ (Maitre Simon s'enfuit, et La Fleche va se cacher.)
+
+
+-----------
+
+Scene III. - Harpagon, Cleante.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est toi qui te veux ruiner par des emprunts si condamnables !
+
+
+- Cleante -
+
+C'est vous qui cherchez a vous enrichir par des usures si criminelles !
+
+
+- Harpagon -
+
+Oses-tu bien, apres cela, paraitre devant moi ?
+
+
+- Cleante -
+
+Osez-vous bien, apres cela, vous presenter aux yeux du monde ?
+
+
+- Harpagon -
+
+N'as-tu point de honte, dis-moi, d'en venir a ces debauches-la, de te
+precipiter dans des depenses effroyables, et de faire une honteuse
+dissipation du bien que tes parents t'ont amasse avec tant de sueurs ?
+
+
+- Cleante -
+
+Ne rougissez-vous point de deshonorer votre condition par les
+commerces que vous faites ; de sacrifier gloire et reputation au desir
+insatiable d'entasser ecu sur ecu, et de rencherir, en fait
+d'interets, sur les plus infames subtilites qu'aient jamais inventees
+les plus celebres usuriers ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Ote-toi de mes yeux, coquin ! ote-toi de mes yeux !
+
+
+- Cleante -
+
+Qui est plus criminel, a votre avis, ou celui qui achete un argent
+dont il a besoin, ou bien celui qui vole un argent dont il n'a que
+faire ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Retire-toi, te dis-je, et ne m'echauffe pas les oreilles.
+
+ (Seul.)
+
+Je ne suis pas fache de cette aventure ; et ce m'est un avis de tenir
+l'oeil plus que jamais sur toutes ses actions.
+
+
+-----------
+
+Scene IV. - Frosine, Harpagon.
+
+
+
+- Frosine -
+
+Monsieur...
+
+
+- Harpagon -
+
+Attendez un moment ; Je vais revenir vous parler.
+
+ (A part.)
+
+Il est a propos que je fasse un petit tour a mon argent.
+
+
+-----------
+
+Scene V. - La Fleche, Frosine.
+
+
+
+- La Fleche -
+
+ (sans voir Frosine.)
+
+L'aventure est tout a fait drole ! Il faut bien qu'il ait quelque part
+un ample magasin de hardes, car nous n'avons rien reconnu au memoire
+que nous avons.
+
+
+- Frosine -
+
+He ! c'est toi, mon pauvre la Fleche ! D'ou vient cette rencontre ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Ah ! ah ! c'est toi, Frosine ! Que viens-tu faire ici ?
+
+
+- Frosine -
+
+Ce que je fais partout ailleurs : m'entremettre d'affaires, me rendre
+serviable aux gens, et profiter, du mieux qu'il m'est possible, des
+petits talents que je puis avoir. Tu sais que dans ce monde, il faut
+vivre d'adresse, et qu'aux personnes comme moi le ciel n'a donne
+d'autres rentes que l'intrigue et que l'industrie.
+
+
+- La Fleche -
+
+As-tu quelque negoce avec le patron du logis ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui, je traite pour lui quelque petite affaire dont j'espere
+recompense.
+
+
+- La Fleche -
+
+De lui ? Ah ! ma foi, tu seras bien fine si tu en tires quelque chose,
+et je te donne avis que l'argent ceans est fort cher.
+
+
+- Frosine -
+
+Il y a de certains services qui touchent merveilleusement.
+
+
+- La Fleche -
+
+Je suis votre valet ; et tu ne connais pas encore le seigneur
+Harpagon. Le seigneur Harpagon est de tous les humains l'humain le
+moins humain, le mortel de tous les mortels le plus dur et le plus
+serre. Il n'est point de service qui pousse sa reconnaissance jusqu'a
+lui faire ouvrir les mains. De la louange, de l'estime, de la
+bienveillance en paroles, et de l'amitie, tant qu'il vous plaira ;
+mais de l'argent, point d'affaires. Il n'est rien de plus sec et de
+plus aride que ses bonnes graces et ses caresses ; et "donner" est un
+mot pour qui il a tant d'aversion, qu'il ne dit jamais, "Je vous
+donne", mais "Je vous prete le bonjour".
+
+
+- Frosine -
+
+Mon Dieu ! je sais l'art de traire les hommes ; j'ai le secret de
+m'ouvrir leur tendresse, de chatouiller leurs coeurs, de trouver les
+endroits par ou ils sont sensibles.
+
+
+- La Fleche -
+
+Bagatelles ici. Je te defie d'attendrir du cote de l'argent l'homme
+dont il est question. Il est Turc la-dessus, mais d'une turquerie a
+desesperer tout le monde ; et l'on pourrait crever, qu'il n'en
+branlerait pas. En un mot, il aime l'argent plus que reputation,
+qu'honneur, et que vertu ; et la vue d'un demandeur lui donne des
+convulsions : c'est le frapper par son endroit mortel, c'est lui
+percer le coeur, c'est lui arracher les entrailles ; et si... Mais il
+revient : je me retire.
+
+
+-----------
+
+Scene VI. - Harpagon, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas.)
+
+Tout va comme il faut.
+
+ (Haut.)
+
+He bien ! qu'est-ce, Frosine ?
+
+
+- Frosine -
+
+Ah ! mon Dieu, que vous vous portez bien, et que vous avez la un
+vrai visage de sante !
+
+
+- Harpagon -
+
+Qui ? moi ?
+
+
+- Frosine -
+
+Jamais je ne vous vis un teint si frais et si gaillard.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tout de bon ?
+
+
+- Frosine -
+
+Comment ! vous n'avez de votre vie ete si jeune que vous etes ; et je
+vois des gens de vingt-cinq ans qui sont plus vieux que vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cependant, Frosine, j'en ai soixante bien comptes.
+
+
+- Frosine -
+
+Eh bien, qu'est-ce que cela, soixante ans ? Voila bien de quoi ! C'est
+la fleur de l'age, cela, et vous entrez maintenant dans la belle
+saison de l'homme.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il est vrai ; mais vingt annees de moins, pourtant, ne me feraient
+point de mal, que je crois.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous moquez-vous ? Vous n'avez pas besoin de cela, et vous etes d'une
+pate a vivre jusques a cent ans.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu le crois ?
+
+
+- Frosine -
+
+Assurement. Vous en avez toutes les marques. Tenez-vous un peu. Oh !
+que voila bien la, entre vos deux yeux, un signe de longue vie !
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu te connais a cela ?
+
+
+- Frosine -
+
+Sans doute. Montrez-moi votre main. Mon Dieu, quelle ligne de vie !
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Frosine -
+
+Ne voyez-vous pas jusqu'ou va cette ligne-la ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Eh bien ! qu'est-ce que cela veut dire ?
+
+
+- Frosine -
+
+Par ma foi, je disais cent ans ; mais vous passerez les six-vingts.
+
+
+- Harpagon -
+
+Est-il possible ?
+
+
+- Frosine -
+
+II faudra vous assommer, vous dis-je ; et vous mettrez en terre et vos
+enfants, et les enfants de vos enfants.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tant mieux ! Comment va notre affaire ?
+
+
+- Frosine -
+
+Faut-il le demander ? et me voit-on meler de rien dont je ne vienne a
+bout ? J'ai, surtout pour les mariages, un talent merveilleux. Il
+n'est point de partis au monde que je ne trouve en peu de temps le
+moyen d'accoupler ; et je crois, si je me l'etais mis en tete, que je
+marierais le Grand Turc avec la Republique de Venise. Il n'y avait
+pas, sans doute, de si grandes difficultes a cette affaire-ci. Comme
+j'ai commerce chez elles, je les ai a fond l'une et l'autre
+entretenues de vous ; et j'ai dit a la mere le dessein que vous aviez
+concu pour Mariane, a la voir passer dans la rue et prendre l'air a sa
+fenetre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qui a fait reponse...
+
+
+- Frosine -
+
+Elle a recu la proposition avec joie ; et quand je lui ai temoigne que
+vous souhaitiez fort que sa fille assistat ce soir au contrat de
+mariage qui se doit faire de la votre, elle y a consenti sans peine,
+et me l'a confiee pour cela.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est que je suis oblige, Frosine, de donner a souper au seigneur
+Anselme ; et je serai bien aise qu'elle soit du regal.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous avez raison. Elle doit, apres diner, rendre visite a votre fille,
+d'ou elle fait son compte d'aller faire un tour a la foire, pour venir
+ensuite au souper.
+
+
+- Harpagon -
+
+Eh bien, elles iront ensemble dans mon carrosse, que je leur preterai.
+
+
+- Frosine -
+
+Voila justement son affaire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais, Frosine, as-tu entretenu la mere touchant le bien qu'elle peut
+donner a sa fille ? Lui as-tu dit qu'il fallait qu'elle s'aidat un
+peu, qu'elle fit quelque effort, qu'elle se saignat pour une occasion
+comme celle-ci ? Car encore n'epouse-t-on point une fille sans qu'elle
+apporte quelque chose.
+
+
+- Frosine -
+
+Comment ! C'est une fille qui vous apportera douze mille livres de
+rente.
+
+
+- Harpagon -
+
+Douze mille livres de rente ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui. Premierement, elle est nourrie et elevee dans une grande epargne
+de bouche. C'est une fille accoutumee a vivre de salade, de lait, de
+fromage et de pommes, et a laquelle, par consequent, il ne faudra ni
+table bien servie, ni consommes exquis, ni orges mondes perpetuels, ni
+les autres delicatesses qu'il faudrait pour une autre femme ; et cela
+ne va pas a si peu de chose, qu'il ne monte bien, tous les ans, a
+trois mille francs pour le moins. Outre cela, elle n'est curieuse que
+d'une proprete fort simple, et n'aime point les superbes habits, ni
+les riches bijoux, ni les meubles somptueux, ou donnent ses pareilles
+avec tant de chaleur ; et cet article-la vaut plus de quatre mille
+livres par an. De plus, elle a une aversion horrible pour le jeu, ce
+qui n'est pas commun aux femmes d'aujourd'hui ; et j'en sais une de
+nos quartiers qui a perdu, a trente et quarante, vingt mille francs
+cette annee. Mais n'en prenons rien que le quart. Cinq mille francs au
+jeu par an, et quatre mille francs en habits et bijoux, cela fait neuf
+mille livres, et mille ecus que nous mettons pour la nourriture: ne
+voila-t-il pas par annee vos douze mille francs bien comptes ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui ; cela n'est pas mal ; mais ce compte-la n'est rien de reel.
+
+
+- Frosine -
+
+Pardonnez-moi. N'est-ce pas quelque chose de reel que de vous apporter
+en mariage une grande sobriete, l'heritage d'un grand amour de
+simplicite de parure, et l'acquisition d'un grand fonds de haine pour
+le jeu ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une raillerie que de vouloir me constituer sa dot de toutes les
+depenses qu'elle ne fera point. Je n'irai point donner quittance de ce
+que je ne recois pas ; et il faut bien que je touche quelque chose.
+
+
+- Frosine -
+
+Mon Dieu ! vous toucherez assez ; et elles m'ont parle d'un certain
+pays ou elles ont du bien, dont vous serez le maitre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il faudra voir cela. Mais Frosine, il y a encore une chose qui
+m'inquiete. La fille est jeune, comme tu vois, et les jeunes gens,
+d'ordinaire, n'aiment que leurs semblables, ne cherchent que leur
+compagnie : j'ai peur qu'un homme de mon age ne soit pas de son gout,
+et que cela ne vienne a produire chez moi certains petits desordres
+qui ne m'accommoderaient pas.
+
+
+- Frosine -
+
+Ah ! que vous la connaissez mal ! C'est encore une particularite que
+j'avais a vous dire. Elle a une aversion epouvantable pour tous les
+jeunes gens, et n'a de l'amour que pour les vieillards.
+
+
+- Harpagon -
+
+Elle ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui, elle. Je voudrais que vous l'eussiez entendue parler la-dessus.
+Elle ne peut souffrir du tout la vue d'un jeune homme ; mais elle
+n'est point plus ravie, dit-elle, que lorsqu'elle peut voir un beau
+vieillard avec une barbe majestueuse. Les plus vieux sont pour elle
+les plus charmants ; et je vous avertis de n'aller pas vous faire plus
+jeune que vous etes. Elle veut tout au moins qu'on soit sexagenaire ;
+et il n'y a pas quatre mois encore qu'etant prete d'etre mariee, elle
+rompit tout net le mariage, sur ce que son amant fit voir qu'il
+n'avait que cinquante-six ans, et qu'il ne prit point de lunettes pour
+signer le contrat.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sur cela seulement ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui. Elle dit que ce n'est pas contentement pour elle que
+cinquante-six ans ; et surtout elle est pour les nez qui portent des
+lunettes.
+
+
+- Harpagon -
+
+Certes, tu me dis la une chose toute nouvelle.
+
+
+- Frosine -
+
+Cela va plus loin qu'on ne vous peut dire. On lui voit dans sa chambre
+quelques tableaux et quelques estampes ; mais que pensez-vous que ce
+soit ? Des Adonis, des Cephales, des Paris, et des Apollons ? Non : de
+beaux portraits de Saturne, du roi Priam, du vieux Nestor, et du bon
+pere Anchise, sur les epaules de son fils.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela est admirable. Voila ce que je n'aurais jamais pense, et je suis
+bien aise d'apprendre qu'elle est de cette humeur. En effet, si
+j'avais ete femme, je n'aurais point aime les jeunes hommes.
+
+
+- Frosine -
+
+Je le crois bien. Voila de belles drogues que des jeunes gens, pour
+les aimer ! Ce sont de beaux morveux, de beaux godelureaux, pour
+donner envie de leur peau ! et je voudrais bien savoir quel ragout il
+y a a eux !
+
+
+- Harpagon -
+
+Pour moi, je n'y en comprends point, et je ne sais pas comment il y a
+des femmes qui les aiment tant.
+
+
+- Frosine -
+
+Il faut etre folle fieffee. Trouver la jeunesse aimable, est-ce avoir
+le sens commun ? Sont-ce des hommes que de jeunes blondins, et peut-on
+s'attacher a ces animaux-la ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est ce que je dis tous les jours : avec leur ton de poule laitee, et
+leurs trois petits brins de barbe releves en barbe de chat, leurs
+perruques d'etoupes, leurs hauts-de-chausses tombants et leurs
+estomacs debrailles !
+
+
+- Frosine -
+
+He ! cela est bien bati, aupres d'une personne comme vous ! Voila un
+homme, cela ; il y a la de quoi satisfaire a la vue, et c'est ainsi
+qu'il faut etre fait et vetu pour donner de l'amour.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu me trouves bien ?
+
+
+- Frosine -
+
+Comment ! vous etes a ravir, et votre figure est a peindre.
+Tournez-vous un peu, s'il vous plait. Il ne se peut pas mieux. Que je
+vous voie marcher. Voila un corps taille, libre, et degage comme il
+faut, et qui ne marque aucune incommodite.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je n'en ai pas de grandes, Dieu merci. Il n'y a que ma fluxion qui me
+prend de temps en temps.
+
+
+- Frosine -
+
+Cela n'est rien. Votre fluxion ne vous sied point mal, et vous avez
+grace a tousser.
+
+
+- Harpagon -
+
+Dis-moi un peu : Mariane ne m'a-t-elle point encore vu ? N'a-t-elle
+point pris garde a moi en passant ?
+
+
+- Frosine -
+
+Non ; mais nous nous sommes fort entretenues de vous. Je lui ai fait
+un portrait de votre personne, et je n'ai pas manque de lui vanter
+votre merite et l'avantage que ce lui serait d'avoir un mari comme
+vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu as bien fait, et je t'en remercie.
+
+
+- Frosine -
+
+J'aurais, monsieur, une petite priere a vous faire. J'ai un proces
+que je suis sur le point de perdre, faute d'un peu d'argent ;
+
+ (Harpagon prend un air serieux.)
+
+et vous pourriez facilement me procurer le gain de ce proces si vous
+aviez quelque bonte pour moi. Vous ne sauriez croire le plaisir
+qu'elle aura de vous voir.
+
+ (Harpagon reprend un air gai.)
+
+Ah ! que vous lui plairez, et que votre fraise a l'antique fera sur
+son esprit un effet admirable ! Mais surtout elle sera charmee de
+votre haut-de-chausses attache au pourpoint avec des aiguillettes.
+C'est pour la rendre folle de vous ; et un amant aiguillete sera pour
+elle un ragout merveilleux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Certes, tu me ravis de me dire cela.
+
+
+- Frosine -
+
+En verite, Monsieur, ce proces m'est d'une consequence tout a fait
+grande.
+
+ (Harpagon reprend son air serieux.)
+
+Je suis ruinee si je le perds, et quelque petite assistance me
+retablirait mes affaires... Je voudrais que vous eussiez vu le
+ravissement ou elle etait a m'entendre parler de vous.
+
+ (Harpagon reprend son air gai.)
+
+La joie eclatait dans ses yeux au recit de vos qualites, et je l'ai
+mise enfin dans une impatience extreme de voir ce mariage entierement
+conclu.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu m'as fait grand plaisir, Frosine ; et je t'en ai, je te l'avoue,
+toutes les obligations du monde.
+
+
+- Frosine -
+
+Je vous prie, Monsieur, de me donner le petit secours que je vous
+demande.
+
+ (Harpagon reprend encore un air serieux.)
+
+Cela me remettra sur pied, et je vous en serai eternellement obligee.
+
+
+- Harpagon -
+
+Adieu, je vais achever mes depeches.
+
+
+- Frosine -
+
+Je vous assure, Monsieur, que vous ne sauriez jamais me soulager dans
+un plus grand besoin.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je mettrai ordre que mon carrosse soit tout pret pour vous mener a la
+foire.
+
+
+- Frosine -
+
+Je ne vous importunerais pas si je ne m'y voyais forcee par la
+necessite.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et j'aurai soin qu'on soupe de bonne heure, pour ne vous point faire
+malades.
+
+
+- Frosine -
+
+Ne me refusez pas la grace dont je vous sollicite. Vous ne sauriez
+croire, Monsieur, le plaisir que...
+
+
+- Harpagon -
+
+Je m'en vais. Voila qu'on m'appelle. Jusqu'a tantot.
+
+
+- Frosine -
+
+ (seule.)
+
+Que la fievre te serre, chien de vilain, a tous les diables ! Le ladre
+a ete ferme a toutes mes attaques ; mais il ne me faut pas pourtant
+quitter la negociation ; et j'ai l'autre cote, en tout cas, d'ou je
+suis assuree de tirer bonne recompense.
+
+
+
+ACTE TROISIEME.
+---------------
+
+
+
+Scene premiere. - Harpagon, Cleante, Elise, Valere, Dame Claude,
+ tenant un balai ; Maitre Jacques, La Merluche,
+ Brindavoine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Allons, venez ca tous, que je vous distribue mes ordres pour tantot et
+regle a chacun son emploi. Approchez, dame Claude ; commencons par
+vous. Bon, vous voila les armes a la main. Je vous commets au soin de
+nettoyer partout ; et surtout prenez garde de ne point frotter les
+meubles trop fort, de peur de les user. Outre cela, je vous constitue,
+pendant le souper, au gouvernement des bouteilles ; et, s'il s'en
+ecarte quelqu'une, et qu'il se casse quelque chose, je m'en prendrai a
+vous et le rabattrai sur vos gages.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (a part.)
+
+Chatiment politique.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a Dame Claude.)
+
+Allez.
+
+
+-----------
+
+Scene II. - Harpagon, Cleante, Elise, Valere, Maitre Jacques,
+ Brindavoine, La Merluche.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous, Brindavoine, et vous, la Merluche, je vous etablis dans la
+charge de rincer les verres et de donner a boire, mais seulement
+lorsque l'on aura soif, et non pas selon la coutume de certains
+impertinents de laquais, qui viennent provoquer les gens, et les faire
+aviser de boire lorsqu'on n'y songe pas. Attendez qu'on vous en
+demande plus d'une fois, et vous ressouvenez de porter toujours
+beaucoup d'eau.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (a part.)
+
+Oui. Le vin pur monte a la tete.
+
+
+- La Merluche -
+
+Quitterons-nous nos souquenilles, monsieur ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, quand vous verrez venir les personnes ; et gardez bien de gater vos
+habits.
+
+
+- Brindavoine -
+
+Vous savez bien, Monsieur, qu'un des devants de mon pourpoint est
+couvert d'une grande tache de l'huile de la lampe.
+
+
+- La Merluche -
+
+Et, moi, Monsieur, que j'ai mon haut-de-chausses tout troue
+par-derriere, et qu'on me voit, reverence parler...
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a la Merluche.)
+
+Paix ! Rangez cela adroitement du cote de la muraille, et presentez
+toujours le devant au monde.
+
+ (A Brindavoine, en lui montrant comment il doit mettre
+ son chapeau au-devant de son pourpoint, pour cacher
+ la tache d'huile.)
+
+Et vous, tenez toujours votre chapeau ainsi, lorsque vous
+servirez.
+
+
+-----------
+
+Scene III. - Harpagon, Cleante, Elise, Valere, Maitre Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Pour vous, ma fille, vous aurez l'oeil sur ce que l'on desservira, et
+prendrez garde qu'il ne s'en fasse aucun degat : cela sied bien aux
+filles. Mais cependant preparez-vous a bien recevoir ma maitresse, qui
+vous doit venir visiter et vous mener avec elle a la foire.
+Entendez-vous ce que je vous dis ?
+
+
+- Elise -
+
+Oui, mon pere.
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, nigaude.
+
+
+-----------
+
+Scene IV. - Harpagon, Cleante, Valere, Maitre Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Et vous, mon fils le damoiseau, a qui j'ai la bonte de pardonner
+l'histoire de tantot, ne vous allez pas aviser non plus de lui faire
+mauvais visage.
+
+
+- Cleante -
+
+Moi, mon pere ? mauvais visage ! Et par quelle raison ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Mon Dieu, nous savons le train des enfants dont les peres se
+remarient, et de quel oeil ils ont coutume de regarder ce qu'on
+appelle belle-mere ; mais si vous souhaitez que je perde le souvenir de
+votre derniere fredaine, je vous recommande surtout de regaler d'un
+bon visage cette personne-la, et de lui faire enfin tout le meilleur
+accueil qu'il vous sera possible.
+
+
+- Cleante -
+
+A vous dire le vrai, mon pere, je ne puis pas vous promettre d'etre
+bien aise qu'elle devienne ma belle-mere : je mentirais si je vous le
+disais ; mais pour ce qui est de la bien recevoir et de lui faire bon
+visage, je vous promets de vous obeir ponctuellement sur ce chapitre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Prenez-y garde au moins.
+
+
+- Cleante -
+
+Vous verrez que vous n'aurez pas sujet de vous en plaindre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous ferez sagement.
+
+
+-----------
+
+Scene V. - Harpagon, Valere, Maitre Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Valere, aide-moi a ceci. Oh ca, maitre Jacques, approchez-vous ; je
+vous ai garde pour le dernier.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Est-ce a votre cocher, Monsieur, ou bien a votre cuisinier, que vous
+voulez parler ? car je suis l'un et l'autre.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est a tous les deux.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Mais a qui des deux le premier ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Au cuisinier.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Attendez donc, s'il vous plait.
+
+ (Maitre Jacques ote sa casaque de cocher, et parait vetu en cuisinier.)
+
+
+- Harpagon -
+
+Quelle diantre de ceremonie est-ce la ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Vous n'avez qu'a parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me suis engage, maitre Jacques, a donner ce soir a souper.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (a part.)
+
+Grande merveille !
+
+
+- Harpagon -
+
+Dis-moi un peu : nous feras-tu bonne chere ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Oui, Si vous me donnez bien de l'argent.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que diable, toujours de l'argent ! Il semble qu'ils n'aient autre
+chose a dire : De l'argent, de l'argent, de l'argent ! Ah ! ils n'ont
+que ce mot a la bouche, de l'argent ! toujours parler d'argent ! Voila
+leur epee de chevet (12), de l'argent !
+
+
+- Valere -
+
+Je n'ai jamais vu de reponse plus impertinente que celle-la. Voila
+une belle merveille que de faire bonne chere avec bien de l'argent !
+C'est une chose la plus aisee du monde, et il n'y a si pauvre esprit
+qui n'en fit bien autant ; mais, pour agir en habile homme, il faut
+parler de faire bonne chere avec peu d'argent.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Bonne chere avec peu d'argent !
+
+
+- Valere -
+
+Oui.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (a Valere.)
+
+Par ma foi, Monsieur l'intendant, vous nous obligerez de nous faire
+voir ce secret, et de prendre mon office de cuisinier ; aussi bien
+vous melez-vous ceans d'etre le factotum.
+
+
+- Harpagon -
+
+Taisez-vous. Qu'est-ce qu'il nous faudra ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Voila monsieur votre intendant qui vous fera bonne chere pour peu
+d'argent.
+
+
+- Harpagon -
+
+Haye ! Je veux que tu me repondes.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Combien serez-vous de gens a table ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Nous serons huit ou dix ; mais il ne faut prendre que huit :
+quand il y a a manger pour huit, il y en a bien pour dix.
+
+
+- Valere -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Eh bien ! il faudra quatre grands potages et cinq assiettes...
+Potages... Entrees.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que diable ! voila pour traiter toute une ville entiere.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Rot...
+
+
+- Harpagon -
+
+ (mettant la main sur la bouche de maitre Jacques.)
+
+Ah ! traitre, tu manges tout mon bien.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Entremets...
+
+
+- Harpagon -
+
+ (mettant encore la main sur la bouche de maitre Jacques.)
+
+Encore ?
+
+
+- Valere -
+
+ (a maitre Jacques.)
+
+Est-ce que vous avez envie de faire crever tout le monde ? et Monsieur
+a-t-il invite des gens pour les assassiner a force de mangeaille ?
+Allez-vous-en lire un peu les preceptes de la sante, et demander aux
+medecins s'il y a rien de plus prejudiciable a l'homme que de manger
+avec exces.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il a raison.
+
+
+- Valere -
+
+Apprenez, maitre Jacques, vous et vos pareils, que c'est un
+coupe-gorge qu'une table remplie de trop de viandes ; que pour se
+bien montrer ami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalite
+regne dans les repas qu'on donne ; et que, suivant le dire d'un ancien,
+"il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger" (13).
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! que cela est bien dit ! Approche, que je t'embrasse pour ce
+mot. Voila la plus belle sentence que j'aie entendue de ma vie : "Il
+faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi..." Non, ce n'est
+pas cela. Comment est-ce que tu dis ?
+
+
+- Valere -
+
+Qu'"il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger."
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a maitre Jacques.)
+
+Oui. Entends-tu ?
+
+ (A Valere.)
+
+Qui est le grand homme qui a dit cela ?
+
+
+- Valere -
+
+Je ne me souviens pas maintenant de son nom.
+
+
+- Harpagon -
+
+Souviens-toi de m'ecrire ces mots : je les veux faire graver en
+lettres d'or sur la cheminee de ma salle.
+
+
+- Valere -
+
+Je n'y manquerai pas. Et, pour votre souper, vous n'avez qu'a me
+laisser faire : je reglerai tout cela comme il faut.
+
+
+- Harpagon -
+
+Fais donc.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Tant mieux ! j'en aurai moins de peine.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a Valere.)
+
+Il faudra de ces choses dont on ne mange guere, et qui rassasient
+d'abord : quelque bon haricot bien gras, avec quelque pate en pot bien
+garni de marrons.
+
+
+- Valere -
+
+Reposez-vous sur moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Maintenant, maitre Jacques, il faut nettoyer mon carrosse.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Attendez. Ceci s'adresse au cocher.
+
+ (Il remet sa casaque.)
+
+Vous dites...
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'il faut nettoyer mon carrosse, et tenir mes chevaux tout prets pour
+conduire a la foire...
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Vos chevaux, Monsieur ? Ma foi ! ils ne sont point du tout en etat de
+marcher. Je ne vous dirai point qu'ils sont sur la litiere : les
+pauvres betes n'en ont point, et ce serait fort mal parler ; mais vous
+leur faites observer des jeunes si austeres, que ce ne sont plus rien
+que des idees ou des fantomes, des facons de chevaux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Les voila bien malades ! ils ne font rien.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Et, pour ne faire rien, Monsieur, est-ce qu'il ne faut rien manger ?
+Il leur vaudrait bien mieux, les pauvres animaux, de travailler
+beaucoup, de manger de meme. Cela me fend le coeur de les voir ainsi
+extenues ; car, enfin, j'ai une tendresse pour mes chevaux, qu'il me
+semble que c'est moi-meme, quand je les vois patir. Je m'ote tous les
+jours pour eux les choses de la bouche, et c'est etre, Monsieur, d'un
+naturel trop dur, que de n'avoir nulle pitie de son prochain.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le travail ne sera pas grand d'aller jusqu'a la foire.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Non, je n'ai pas le courage de les mener ; et je ferais conscience de
+leur donner des coups de fouet, en l'etat ou ils sont. Comment
+voudriez-vous qu'ils trainassent un carrosse, qu'ils ne peuvent pas se
+trainer eux-memes.
+
+
+- Valere -
+
+Monsieur, j'obligerai le voisin le Picard a se charger de les conduire :
+aussi bien nous fera-t-il ici besoin pour appreter le souper.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Soit. J'aime mieux encore qu'ils meurent sous la main d'un autre que
+sous la mienne.
+
+
+- Valere -
+
+Maitre Jacques fait bien le raisonnable !
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Monsieur l'intendant fait bien le necessaire !
+
+
+- Harpagon -
+
+Paix !
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Monsieur, je ne saurais souffrir les flatteurs ; et je vois que ce
+qu'il en fait, que ses controles perpetuels sur le pain et le vin, le
+bois, le sel et la chandelle, ne sont rien que pour vous gratter et
+vous faire sa cour. J'enrage de cela, et je suis fache tous les jours
+d'entendre ce qu'on dit de vous : car, enfin, je me sens pour vous de
+la tendresse, en depit que j'en aie ; et, apres mes chevaux, vous etes
+la personne que j'aime le plus.
+
+
+- Harpagon -
+
+Pourrais-je savoir de vous, maitre Jacques, ce que l'on dit de moi ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Oui, monsieur, si j'etais assure que cela ne vous fachat point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, en aucune facon.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Pardonnez-moi ; je sais fort bien que je vous mettrais en colere.
+
+
+- Harpagon -
+
+Point du tout ; au contraire, c'est me faire plaisir, et je suis bien
+aise d'apprendre comme on parle de moi.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Monsieur, puisque vous le voulez, je vous dirai franchement qu'on se
+moque partout de vous, qu'on nous jette de tous cotes cent brocards a
+votre sujet, et que l'on n'est point plus ravi que de vous tenir au
+cul et aux chausses, et de faire sans cesse des contes de votre
+lesine. L'un dit que vous faites imprimer des almanachs particuliers,
+ou vous faites doubler les quatre-temps et les vigiles, afin de
+profiter des jeunes ou vous obligez votre monde ; l'autre, que vous
+avez toujours une querelle toute prete a faire a vos valets dans le
+temps des etrennes ou de leur sortie d'avec vous, pour vous trouver
+une raison de ne leur donner rien. Celui-la conte qu'une fois vous
+fites assigner le chat d'un de vos voisins, pour vous avoir mange un
+reste d'un gigot de mouton ; celui-ci, que l'on vous surprit, une
+nuit, en venant derober vous-meme l'avoine de vos chevaux ; et que
+votre cocher, qui etait celui d'avant moi, vous donna, dans
+l'obscurite, je ne sais combien de coups de baton, dont vous ne
+voulutes rien dire. Enfin, voulez-vous que je vous dise ? On ne
+saurait aller nulle part ou l'on ne vous entende accommoder de toutes
+pieces. Vous etes la fable et la risee de tout le monde ; et jamais on
+ne parle de vous que sous les noms d'avare, de ladre, de vilain et de
+fesse-mathieu.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (en battant maitre Jacques.)
+
+Vous etes un sot, un maraud, un coquin, et un impudent.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Eh bien, ne l'avais-je pas devine ? Vous ne m'avez pas voulu croire.
+Je vous l'avais bien dit que je vous facherais de vous dire la verite.
+
+
+- Harpagon -
+
+Apprenez a parler.
+
+
+-----------
+
+Scene VI. - Valere, Maitre Jacques.
+
+
+
+- Valere -
+
+ (riant.)
+
+A ce que je puis voir, maitre Jacques, on paie mal votre franchise.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Morbleu ! Monsieur le nouveau venu, qui faites l'homme d'importance,
+ce n'est pas votre affaire. Riez de vos coups de baton quand on vous
+on donnera, et ne venez point rire des miens.
+
+
+- Valere -
+
+Ah ! Monsieur maitre Jacques, ne vous fachez pas, je vous prie.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (a part.)
+
+II file doux. Je veux faire le brave, et, s'il est assez sot pour me
+craindre, le frotter quelque peu.
+
+ (Haut.)
+
+Savez-vous bien, Monsieur le rieur, que je ne ris pas, moi, et que si
+vous m'echauffez la tete, je vous ferai rire d'une autre sorte ?
+
+ (Maitre Jacques pousse Valere jusqu'au bout du theatre
+ en le menacant.)
+
+
+- Valere -
+
+He ! doucement.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Comment, doucement ? Il ne me plait pas, moi.
+
+
+- Valere -
+
+De grace !
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Vous etes un impertinent.
+
+
+- Valere -
+
+Monsieur maitre Jacques !
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+II n'y a point de monsieur maitre Jacques pour un double (14). Si je
+prends un baton, je vous rosserai d'importance.
+
+
+- Valere -
+
+Comment ! un baton ?
+
+ (Valere le fait reculer autant qu'il l'a fait.)
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+He ! je ne parle pas de cela.
+
+
+- Valere -
+
+Savez-vous bien, Monsieur le fat, que je suis homme a vous rosser
+vous-meme ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Je n'en doute pas.
+
+
+- Valere -
+
+Que vous n'etes, pour tout potage, qu'un faquin de cuisinier ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Je le sais bien.
+
+
+- Valere -
+
+Et que vous ne me connaissez pas encore ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Pardonnez-moi.
+
+
+- Valere -
+
+Vous me rosserez, dites-vous ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Je le disais en raillant.
+
+
+- Valere -
+
+Et moi, je ne prends point de gout a votre raillerie.
+
+ (Donnant des coups de baton a maitre Jacques.)
+
+Apprenez que vous etes un mauvais railleur.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (seul.)
+
+Peste soit la sincerite ! c'est un mauvais metier : desormais j'y
+renonce, et je ne veux plus dire vrai. Passe encore pour mon maitre,
+il a quelque droit de me battre ; mais, pour ce monsieur l'intendant,
+je m'en vengerai si je le puis.
+
+
+-----------
+
+Scene VII. - Mariane, Frosine, Maitre Jacques.
+
+
+
+- Frosine -
+
+Savez-vous, maitre Jacques, si votre maitre est au logis ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Oui, vraiment il y est : je ne le sais que trop.
+
+
+- Frosine -
+
+Dites-lui, je vous prie, que nous sommes ici.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Ah ! nous voila pas mal !
+
+
+-----------
+
+Scene VIII. - Mariane, Frosine.
+
+
+
+- Mariane -
+
+Ah ! que je suis, Frosine, dans un etrange etat ! et, s'il faut dire
+ce que je sens, que j'apprehende cette vue !
+
+
+- Frosine -
+
+Mais pourquoi, et quelle est votre inquietude ?
+
+
+- Mariane -
+
+Helas ! me le demandez-vous ? et ne vous figurez-vous point les
+alarmes d'une personne toute prete a voir le supplice ou l'on veut
+l'attacher ?
+
+
+- Frosine -
+
+Je vois bien que, pour mourir agreablement, Harpagon n'est pas le
+supplice que vous voudriez embrasser ; et je connais, a votre mine,
+que le jeune blondin dont vous m'avez parle vous revient un peu dans
+l'esprit.
+
+
+- Mariane -
+
+Oui. C'est une chose, Frosine, dont je ne veux pas me defendre ; et
+les visites respectueuses qu'il a rendues chez nous ont fait, je vous
+l'avoue, quelque effet dans mon ame.
+
+
+- Frosine -
+
+Mais avez-vous su quel il est ?
+
+
+- Mariane -
+
+Non, je ne sais point quel il est. Mais je sais qu'il est fait d'un
+air a se faire aimer ; que, si l'on pouvait mettre les choses a mon
+choix, je le prendrais plutot qu'un autre, et qu'il ne contribue pas
+peu a me faire trouver un tourment effroyable dans l'epoux qu'on veut
+me donner.
+
+
+- Frosine -
+
+Mon Dieu, tous ces blondins sont agreables, et debitent fort bien leur
+fait ; mais la plupart sont gueux comme des rats : il vaut mieux, pour
+vous, de prendre un vieux mari qui vous donne beaucoup de bien. Je
+vous avoue que les sens ne trouvent pas si bien leur compte du cote
+que je dis, et qu'il y a quelques petits degouts a essuyer avec un tel
+epoux ; mais cela n'est pas pour durer ; et sa mort, croyez-moi, vous
+mettra bientot en etat d'en prendre un plus aimable, qui reparera
+toutes choses.
+
+
+- Mariane -
+
+Mon Dieu ! Frosine, c'est une etrange affaire, lorsque pour etre
+heureuse, il faut souhaiter ou attendre le trepas de quelqu'un ; et la
+mort ne suit pas tous les projets que nous faisons.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous moquez-vous ? Vous ne l'epousez qu'aux conditions de vous laisser
+veuve bientot ; et ce doit etre la un des articles du contrat. Il
+serait bien impertinent de ne pas mourir dans trois mois ! Le voici
+en propre personne.
+
+
+- Mariane -
+
+Ah ! Frosine, quelle figure !
+
+
+-----------
+
+Scene IX. - Harpagon, Mariane, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a Mariane.)
+
+Ne vous offensez pas, ma belle, si je viens a vous avec des
+lunettes. Je sais que vos appas frappent assez les yeux, sont assez
+visibles d'eux-memes, et qu'il n'est pas besoin de lunettes pour les
+apercevoir ; mais enfin, c'est avec des lunettes qu'on observe les
+astres, et je maintiens et garantis que vous etes un astre, mais un
+astre, le plus bel astre qui soit dans le pays des astres. Frosine,
+elle ne repond mot et ne temoigne, ce me semble, aucune joie de me
+voir.
+
+
+- Frosine -
+
+C'est qu'elle est encore toute surprise ; et, puis les filles
+ont toujours honte a temoigner d'abord ce qu'elles ont dans l'ame.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a Frosine.)
+
+Tu as raison.
+
+ (A Mariane.)
+
+Voila, belle mignonne, ma fille qui vient vous saluer.
+
+
+-----------
+
+Scene X. - Harpagon, Elise, Mariane, Frosine.
+
+
+
+- Mariane -
+
+Je m'acquitte bien tard, Madame, d'une telle visite.
+
+
+- Elise -
+
+Vous avez fait, Madame, ce que je devais faire, et c'etait a moi de
+vous prevenir.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous voyez qu'elle est grande ; mais mauvaise herbe croit toujours.
+
+
+- Mariane -
+
+ (bas, a Frosine.)
+
+Oh ! l'homme deplaisant !
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, a Frosine.)
+
+Que dit la belle ?
+
+
+- Frosine -
+
+Qu'elle vous trouve admirable.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est trop d'honneur que vous me faites, adorable mignonne.
+
+
+- Mariane -
+
+ (a part.)
+
+Quel animal !
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous suis trop oblige de ces sentiments.
+
+
+- Mariane -
+
+ (a part.)
+
+Je n'y puis plus tenir.
+
+
+-----------
+
+Scene XI. - Harpagon, Mariane, Elise, Cleante, Valere, Frosine,
+ Brindavoine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Voici mon fils aussi qui vous vient faire la reverence.
+
+
+- Mariane -
+
+ (bas, a Frosine.)
+
+Ah ! Frosine, quelle rencontre ! C'est justement celui dont je t'ai
+parle.
+
+
+- Frosine -
+
+ (a Mariane.)
+
+L'aventure est merveilleuse.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vois que vous vous etonnez de me voir de si grands enfants ; mais
+je serai bientot defait et de l'un et de l'autre.
+
+
+- Cleante -
+
+ (a Mariane.)
+
+Madame, a vous dire le vrai, c'est ici une aventure ou, sans doute, je
+ne m'attendais pas ; et mon pere ne m'a pas peu surpris lorsqu'il m'a
+dit tantot le dessein qu'il avait forme.
+
+
+- Mariane -
+
+Je puis dire la meme chose. C'est une rencontre imprevue, qui m'a
+surprise autant que vous ; et je n'etais point preparee a une pareille
+aventure.
+
+
+- Cleante -
+
+Il est vrai que mon pere, Madame, ne peut pas faire un plus beau
+choix, et que ce m'est une sensible joie que l'honneur de vous voir ;
+mais, avec tout cela, je ne vous assurerai point que je me rejouis du
+dessein ou vous pourriez etre de devenir ma belle-mere. Le compliment,
+je vous l'avoue, est trop difficile pour moi, et c'est un titre, s'il
+vous plait, que je ne vous souhaite point. Ce discours paraitra brutal
+aux yeux de quelques-uns ; mais je suis assure que vous serez personne
+a le prendre comme il faudra ; que c'est un mariage, Madame, ou vous
+vous imaginez bien que je dois avoir de la repugnance ; que vous
+n'ignorez pas, sachant ce que je suis, comme il choque mes interets,
+et que vous voulez bien enfin que je vous dise, avec la permission de
+mon pere, que, si les choses dependaient de moi, cet hymen ne se
+ferait point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voila un compliment bien impertinent ! Quelle belle confession a lui
+faire !
+
+
+- Mariane -
+
+Et moi, pour vous repondre, j'ai a vous dire que les choses sont fort
+egales ; et que si vous auriez de la repugnance a me voir votre
+belle-mere, je n'en aurais pas moins, sans doute, a vous voir mon
+beau-fils. Ne croyez pas, je vous prie, que ce soit moi qui cherche a
+vous donner cette inquietude. Je serais fort fachee de vous causer du
+deplaisir ; et si je ne m'y vois forcee par une puissance absolue, je
+vous donne ma parole que je ne consentirai point au mariage qui vous
+chagrine.
+
+
+- Harpagon -
+
+Elle a raison. A sot compliment, il faut une reponse de meme. Je vous
+demande pardon, ma belle, de l'impertinence de mon fils : c'est un
+jeune sot qui ne sait pas encore la consequence des paroles qu'il dit.
+
+
+- Mariane -
+
+Je vous promets que ce qu'il m'a dit ne m'a point du tout offensee ;
+au contraire, il m'a fait plaisir de m'expliquer ainsi ses veritables
+sentiments. J'aime de lui un aveu de la sorte ; et s'il avait parle
+d'autre facon, je l'en estimerais bien moins.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est beaucoup de bonte a vous de vouloir ainsi excuser ses fautes.
+Le temps le rendra plus sage, et vous verrez qu'il changera de
+sentiments.
+
+
+- Cleante -
+
+Non, mon pere, je ne suis pas capable d'en changer, et je prie
+instamment Madame de le croire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais voyez quelle extravagance ! il continue encore plus fort.
+
+
+- Cleante -
+
+Voulez-vous que je trahisse mon coeur ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Encore ! Avez-vous envie de changer de discours ?
+
+
+- Cleante -
+
+Eh bien, puisque vous voulez que je parle d'autre facon, souffrez,
+Madame, que je me mette ici a la place de mon pere, et que je vous
+avoue que je n'ai rien vu dans le monde de si charmant que vous ; que
+je ne concois rien d'egal au bonheur de vous plaire, et que le titre
+de votre epoux est une gloire, une felicite que je prefererais aux
+destinees des plus grands princes de la terre. Oui, Madame, le bonheur
+de vous posseder est, a mes regards, la plus belle de toutes les
+fortunes ; c'est ou j'attache toute mon ambition. Il n'y a rien que je
+ne sois capable de faire pour une conquete si precieuse ; et les
+obstacles les plus puissants...
+
+
+- Harpagon -
+
+Doucement, mon fils, s'il vous plait.
+
+
+- Cleante -
+
+C'est un compliment que je fais pour vous a Madame.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mon Dieu, j'ai une langue pour m'expliquer moi-meme, et je n'ai pas
+besoin d'un interprete comme vous. Allons, donnez des sieges.
+
+
+- Frosine -
+
+Non ; il vaut mieux que de ce pas nous allions a la foire, afin d'en
+revenir plus tot et d'avoir tout le temps ensuite de nous entretenir.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a Brindavoine.)
+
+Qu'on mette donc les chevaux au carrosse.
+
+
+-----------
+
+Scene XII. - Harpagon, Mariane, Elise, Cleante, Valere, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a Mariane.)
+
+Je vous prie de m'excuser, ma belle, si je n'ai pas songe a vous
+donner un peu de collation avant que de partir.
+
+
+- Cleante -
+
+J'y ai pourvu, mon pere, et j'ai fait apporter ici quelques bassins
+d'oranges de la Chine, de citrons doux, et de confitures, que j'ai
+envoye querir de votre part.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, a Valere.)
+
+Valere !
+
+
+- Valere -
+
+ (a Harpagon.)
+
+Il a perdu le sens.
+
+
+- Cleante -
+
+Est-ce que vous trouvez, mon pere, que ce ne soit pas assez ? Madame
+aura la bonte d'excuser cela, s'il vous plait.
+
+
+- Mariane -
+
+C'est une chose qui n'etait pas necessaire.
+
+
+- Cleante -
+
+Avez-vous jamais vu, madame, un diamant plus vif que celui que vous
+voyez que mon pere a au doigt ?
+
+
+- Mariane -
+
+Il est vrai qu'il brille beaucoup.
+
+
+- Cleante -
+
+ (otant du doigt de son pere le diamant, et le donnant a Mariane)
+
+Il faut que vous le voyiez de pres.
+
+
+- Mariane -
+
+Il est fort beau, sans doute, et jette quantite de feux.
+
+
+- Cleante -
+
+ (se mettant au-devant de Mariane, qui veut rendre le diamant.)
+
+Nenni. Madame, il est en de trop belles mains. C'est un present que
+mon pere vous fait.
+
+
+- Harpagon -
+
+Moi !
+
+
+- Cleante -
+
+N'est-il pas vrai, mon pere, que vous voulez que Madame le garde pour
+l'amour de vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, a son fils.)
+
+Comment ?
+
+
+- Cleante -
+
+ (a Mariane.)
+
+Belle demande ! Il me fait signe de vous le faire accepter.
+
+
+- Mariane -
+
+Je ne veux point...
+
+
+- Cleante -
+
+ (a Mariane.)
+
+Vous moquez-vous ? Il n'a garde de le reprendre.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a part.)
+
+J'enrage !
+
+
+- Mariane -
+
+Ce serait...
+
+
+- Cleante -
+
+ (empechant toujours Mariane de rendre la bague.)
+
+Non, vous dis-je, c'est l'offenser.
+
+
+- Mariane -
+
+De grace...
+
+
+- Cleante -
+
+Point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a part.)
+
+Peste soit...
+
+
+- Cleante -
+
+Le voila qui se scandalise de votre refus.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, a son fils.)
+
+Ah ! traitre !
+
+
+- Cleante -
+
+ (a Mariane.)
+
+Vous voyez qu'il se desespere.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, a son fils, en le menacant.)
+
+Bourreau que tu es !
+
+
+- Cleante -
+
+Mon pere, ce n'est pas ma faute. Je fais ce que je puis pour l'obliger
+a la garder ; mais elle est obstinee.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, a son fils en le menacant.)
+
+Pendard !
+
+
+- Cleante -
+
+Vous etes cause, Madame, que mon pere me querelle.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, a son fils, avec les memes gestes.)
+
+Le coquin !
+
+
+- Cleante -
+
+Vous le ferez tomber malade. De grace, Madame, ne resistez point
+davantage.
+
+
+- Frosine -
+
+ (a Mariane.)
+
+Mon Dieu ! que de facons ! Gardez la bague, puisque monsieur le veut.
+
+
+- Mariane -
+
+ (a Harpagon.)
+
+Pour ne vous point mettre en colere, je la garde maintenant, et je
+prendrai un autre temps pour vous la rendre.
+
+
+-----------
+
+Scene XIII. - Harpagon, Mariane, Elise, Cleante, Valere, Frosine,
+ Brindavoine.
+
+
+
+- Brindavoine -
+
+Monsieur, il y a la un homme qui veut vous parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Dis-lui que je suis empeche, et qu'il revienne une autre fois.
+
+
+- Brindavoine -
+
+Il dit qu'il vous apporte de l'argent.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous demande pardon. Je reviens tout a l'heure.
+
+
+-----------
+
+Scene XIV. - Harpagon, Mariane, Elise, Cleante, Valere, Frosine,
+ La Merluche.
+
+
+
+- La Merluche -
+
+ (courant et faisant tomber Harpagon.)
+
+Monsieur...
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! je suis mort.
+
+
+- Cleante -
+
+Qu'est-ce, mon pere ? Vous etes-vous fait mal ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Le traitre assurement a recu de l'argent de mes debiteurs pour me
+faire rompre le cou.
+
+
+- Valere -
+
+ (a Harpagon.)
+
+Cela ne sera rien.
+
+
+- La Merluche -
+
+ (a Harpagon.)
+
+Monsieur, je vous demande pardon ; je croyais bien faire d'accourir
+vite.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que viens-tu faire ici, bourreau ?
+
+
+- La Merluche -
+
+Vous dire que vos deux chevaux sont deferres.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'on les mene promptement chez le marechal.
+
+
+- Cleante -
+
+En attendant qu'ils soient ferres, je vais faire pour vous, mon pere,
+les honneurs de votre logis, et conduire madame dans le jardin ou je
+ferai porter la collation.
+
+
+-----------
+
+Scene XV. - Harpagon, Valere.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Valere, aie un peu l'oeil a tout cela, et prends soin, je te prie, de
+m'en sauver le plus que tu pourras, pour le renvoyer au marchand.
+
+
+- Valere -
+
+C'est assez.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (seul.)
+
+O fils impertinent ! as-tu envie de me ruiner ?
+
+
+
+ACTE QUATRIEME.
+---------------
+
+
+
+Scene premiere. - Cleante, Mariane, Elise, Frosine.
+
+
+
+- Cleante -
+
+Rentrons ici ; nous serons beaucoup mieux. Il n'y a plus autour de
+nous personne de suspect, et nous pouvons parler librement.
+
+
+- Elise -
+
+Oui, Madame, mon frere m'a fait confidence de la passion qu'il a pour
+vous. Je sais les chagrins et les deplaisirs que sont capables de
+causer de pareilles traverses ; et c'est, je vous assure, avec une
+tendresse extreme, que je m'interesse a votre aventure.
+
+
+- Mariane -
+
+C'est une douce consolation que de voir dans ses interets une personne
+comme vous ; et je vous conjure, Madame, de me garder toujours cette
+genereuse amitie, si capable de m'adoucir les cruautes de la fortune.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous etes, par ma foi, de malheureuses gens l'un et l'autre, de ne
+m'avoir point, avant tout ceci, avertie de votre affaire. Je vous
+aurais, sans doute, detourne cette inquietude, et n'aurais point amene
+les choses ou l'on voit qu'elles sont.
+
+
+- Cleante -
+
+Que veux-tu ? c'est ma mauvaise destinee qui l'a voulu ainsi. Mais,
+belle Mariane, quelles resolutions sont les votres ?
+
+
+- Mariane -
+
+Helas ! suis-je en pouvoir de faire des resolutions ? et, dans
+la dependance ou je me vois, puis-je former que des souhaits ?
+
+
+- Cleante -
+
+Point d'autre appui pour moi dans votre coeur que de simples souhaits ?
+Point de pitie officieuse ? Point de secourable bonte ? Point
+d'affection agissante ?
+
+
+- Mariane -
+
+Que saurais-je vous dire ? Mettez-vous en ma place, et voyez ce que je
+puis faire. Avisez, ordonnez vous-meme : je m'en remets a vous, et je
+vous crois trop raisonnable pour vouloir exiger de moi que ce qui peut
+m'etre permis par l'honneur et la bienseance.
+
+
+- Cleante -
+
+Helas ! ou me reduisez-vous que de me renvoyer a ce que voudront me
+permettre les facheux sentiments d'un rigoureux honneur et d'une
+scrupuleuse bienseance ?
+
+
+- Mariane -
+
+Mais que voulez-vous que je fasse ? Quand je pourrais passer sur
+quantite d'egards ou notre sexe est oblige, j'ai de la consideration
+pour ma mere. Elle m'a toujours elevee avec une tendresse extreme, et
+je ne saurais me resoudre a lui donner du deplaisir. Faites, agissez
+aupres d'elle ; employez tous vos soins a gagner son esprit. Vous
+pouvez faire et dire tout ce que vous voudrez ; je vous en donne la
+licence ; et, s'il ne tient qu'a me declarer en votre faveur, je veux
+bien consentir a lui faire un aveu, moi-meme, de tout ce que je sens
+pour vous.
+
+
+- Cleante -
+
+Frosine, ma pauvre Frosine, voudrais-tu nous servir ?
+
+
+- Frosine -
+
+Par ma foi, faut-il le demander ? Je le voudrais de tout mon coeur.
+Vous savez que, de mon naturel, je suis assez humaine. Le ciel ne m'a
+point fait l'ame de bronze, et je n'ai que trop de tendresse a rendre
+de petits services, quand je vois des gens qui s'entr'aiment en tout
+bien et en tout honneur. Que pourrions-nous faire a ceci ?
+
+
+- Cleante -
+
+Songe un peu, je te prie.
+
+
+- Mariane -
+
+Ouvre-nous des lumieres.
+
+
+- Elise -
+
+Trouve quelque invention pour rompre ce que tu as fait.
+
+
+- Frosine -
+
+Ceci est assez difficile.
+
+ (A Mariane.)
+
+Pour votre mere, elle n'est pas tout a fait deraisonnable, et peut-etre
+pourrait-on la gagner et la resoudre a transporter au fils le don
+qu'elle veut faire au pere.
+
+ (A Cleante.)
+
+Mais le mal que j'y trouve, c'est que votre pere est votre pere.
+
+
+- Cleante -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- Frosine -
+
+Je veux dire qu'il conservera du depit si l'on montre qu'on le refuse,
+et qu'il ne sera point d'humeur ensuite a donner son consentement a
+votre mariage. Il faudrait, pour bien faire, que le refus vint de
+lui-meme, et tacher, par quelque moyen, de le degouter de votre personne.
+
+
+- Cleante -
+
+Tu as raison.
+
+
+- Frosine -
+
+Oui, j'ai raison, je le sais bien. C'est la ce qu'il faudrait ; mais
+le diantre (15) est d'en pouvoir trouver les moyens. Attendez : si
+nous avions quelque femme un peu sur l'age qui fut de mon talent, et
+jouat assez bien pour contrefaire une dame de qualite, par le moyen
+d'un train fait a la hate, et d'un bizarre nom de marquise ou de
+vicomtesse que nous supposerions de la Basse-Bretagne, j'aurais assez
+d'adresse pour faire accroire a votre pere que ce serait une personne
+riche, outre ses maisons, de cent mille ecus en argent comptant ;
+qu'elle serait eperdument amoureuse de lui et souhaiterait de se voir
+sa femme, jusqu'a lui donner tout son bien par contrat de mariage ; et
+je ne doute point qu'il ne pretat l'oreille a la proposition. Car
+enfin il vous aime fort, je le sais, mais il aime un peu plus l'argent ;
+et quand, ebloui de ce leurre, il aurait une fois consenti a ce qui
+vous touche, il importerait peu ensuite qu'il se desabusat, en venant
+a vouloir voir clair aux effets de notre marquise.
+
+
+- Cleante -
+
+Tout cela est fort bien pense.
+
+
+- Frosine -
+
+Laissez-moi faire. Je viens de me ressouvenir d'une de mes amies qui
+sera notre fait.
+
+
+- Cleante -
+
+Sois assuree, Frosine, de ma reconnaissance, si tu viens a bout de la
+chose. Mais, charmante Mariane, commencons, je vous prie, par gagner
+votre mere ; c'est toujours beaucoup faire que de rompre ce mariage.
+Faites-y de votre part, je vous en conjure, tous les efforts qu'il
+vous sera possible. Servez-vous de tout le pouvoir que vous donne sur
+elle cette amitie qu'elle a pour vous. Deployez sans reserve les
+graces eloquentes, les charmes tout-puissants que le ciel a places
+dans vos yeux et dans votre bouche ; et n'oubliez rien, s'il vous
+plait, de ces tendres paroles, de ces douces prieres et de ces
+caresses touchantes a qui je suis persuade qu'on ne saurait rien
+refuser.
+
+
+- Mariane -
+
+J'y ferai tout ce que je puis, et n'oublierai aucune chose.
+
+
+-----------
+
+Scene II. - Harpagon, Cleante, Mariane, Elise, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a part, sans etre apercu.)
+
+Ouais ! mon fils baise la main de sa pretendue belle-mere ; et sa
+pretendue belle-mere ne s'en defend pas fort ! Y aurait-il quelque
+mystere la-dessous ?
+
+
+- Elise -
+
+Voila mon pere.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le carrosse est tout pret ; vous pouvez partir quand il vous plaira.
+
+
+- Cleante -
+
+Puisque vous n'y allez pas, mon pere, je m'en vais les conduire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non : demeurez. Elles iront bien toutes seules, et j'ai besoin de vous.
+
+
+-----------
+
+Scene III. - Harpagon, Cleante.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Oh ca, interet de belle-mere a part, que te semble, a toi, de cette
+personne ?
+
+
+- Cleante -
+
+Ce qui m'en semble ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui de son air, de sa taille, de sa beaute, de son esprit.
+
+
+- Cleante -
+
+La, la !
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais encore ?
+
+
+- Cleante -
+
+A vous en parler franchement, je ne l'ai pas trouvee ici ce que je
+l'avais crue. Son air est de franche coquette, sa taille est assez
+gauche, sa beaute tres mediocre, et son esprit des plus communs. Ne
+croyez pas que ce soit, mon pere, pour vous en degouter ; car,
+belle-mere pour belle-mere, j'aime autant celle-la qu'une autre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu lui disais tantot pourtant...
+
+
+- Cleante -
+
+Je lui ai dit quelques douceurs en votre nom, mais c'etait pour vous
+plaire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si bien donc que tu n'aurais pas d'inclination pour elle ?
+
+
+- Cleante -
+
+Moi ? point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+J'en suis fache, car cela rompt une pensee qui m'etait venue dans
+l'esprit. J'ai fait, en la voyant ici, reflexion sur mon age ; et j'ai
+songe qu'on pourra trouver a redire de me voir marier a une si jeune
+personne. Cette consideration m'en faisait quitter le dessein ; et
+comme je l'ai fait demander, et que je suis pour elle engage de parole,
+je te l'aurais donnee, sans l'aversion que tu temoignes.
+
+
+- Cleante -
+
+A moi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+A toi.
+
+
+- Cleante -
+
+En mariage ?
+
+
+- Harpagon -
+
+En mariage.
+
+
+- Cleante -
+
+Ecoutez. Il est vrai qu'elle n'est pas fort a mon gout ; mais, pour
+vous faire plaisir, mon pere, je me resoudrai a l'epouser, si vous
+voulez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Moi, je suis plus raisonnable que tu ne penses. Je ne veux point
+forcer ton inclination.
+
+
+- Cleante -
+
+Pardonnez-moi ; je me ferai cet effort pour l'amour de vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, non. Un mariage ne saurait etre heureux ou l'inclination n'est
+pas.
+
+
+- Cleante -
+
+C'est une chose, mon pere, qui peut-etre viendra ensuite ; et l'on dit
+que l'amour est souvent un fruit du mariage.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non. Du cote de l'homme, on ne doit point risquer l'affaire ; et ce sont
+des suites facheuses, ou je n'ai garde de me commettre. Si tu avais
+senti quelque inclination pour elle, a la bonne heure ; je te l'aurais
+fait epouser au lieu de moi ; mais, cela n'etant pas, je suivrai mon
+premier dessein, et je l'epouserai moi-meme.
+
+
+- Cleante -
+
+Eh bien ! mon pere, puisque les choses sont ainsi, il faut vous
+decouvrir mon coeur ; il faut vous reveler notre secret. La verite est
+que je l'aime depuis un jour que je la vis dans une promenade ; que mon
+dessein etait tantot de vous la demander pour femme ; et que rien ne
+m'a retenu que la declaration de vos sentiments, et la crainte de vous
+deplaire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui avez-vous rendu visite ?
+
+
+- Cleante -
+
+Oui, mon pere.
+
+
+- Harpagon -
+
+Beaucoup de fois ?
+
+
+- Cleante -
+
+Assez pour le temps qu'il y a.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous a-t-on bien recu ?
+
+
+- Cleante -
+
+Fort bien, mais sans savoir qui j'etais ; et c'est ce qui a fait tantot
+la surprise de Mariane.
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui avez-vous declare votre passion et le dessein ou vous etiez de
+l'epouser ?
+
+
+- Cleante -
+
+Sans doute, et meme j'en avais fait a sa mere quelque peu d'ouverture.
+
+
+- Harpagon -
+
+A-t-elle ecoute, pour sa fille, votre proposition ?
+
+
+- Cleante -
+
+Oui, fort civilement.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et la fille correspond-elle fort a votre amour ?
+
+
+- Cleante -
+
+Si j'en dois croire les apparences, je me persuade, mon pere, qu'elle
+a quelque bonte pour moi.
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, a part.)
+
+Je suis bien aise d'avoir appris un tel secret ; et voila justement ce
+que je demandais.
+
+ (Haut.)
+
+Or sus, mon fils, savez-vous ce qu'il y a ? C'est qu'il faut songer,
+s'il vous plait, a vous defaire de votre amour, a cesser toutes vos
+poursuites aupres d'une personne que je pretends pour moi, et a vous
+marier dans peu avec celle qu'on vous destine.
+
+
+- Cleante -
+
+Oui, mon pere ; c'est ainsi que vous me jouez ! Eh bien ! puisque les
+choses en sont venues la, je vous declare, moi, que je ne quitterai
+point la passion que j'ai pour Mariane ; qu'il n'y a point d'extremite
+ou je ne m'abandonne pour vous disputer sa conquete, et que si vous
+avez pour vous le consentement d'une mere, j'aurai d'autres secours,
+peut-etre, qui combattront pour moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, pendard ! tu as l'audace d'aller sur mes brisees !
+
+
+- Cleante -
+
+C'est vous qui allez sur les miennes, et je suis le premier en date.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ne suis-je pas ton pere ? et ne me dois-tu pas respect ?
+
+
+- Cleante -
+
+Ce ne sont point ici des choses ou les enfants soient obliges de
+deferer aux peres, et l'amour ne connait personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te ferai bien me connaitre avec de bons coups de baton.
+
+
+- Cleante -
+
+Toutes vos menaces ne feront rien.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu renonceras a Mariane.
+
+
+- Cleante -
+
+Point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Donnez-moi un baton tout a l'heure.
+
+
+-----------
+
+Scene IV. - Harpagon, Cleante, Maitre Jacques.
+
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+He ! he ! he ! Messieurs, qu'est-ce ci ? a quoi songez-vous ?
+
+
+- Cleante -
+
+Je me moque de cela.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (a Cleante.)
+
+Ah ! Monsieur, doucement.
+
+
+- Harpagon -
+
+Me parler avec cette impudence !
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (a Harpagon.)
+
+
+Ah ! monsieur, de grace !
+
+
+- Cleante -
+
+Je n'en demordrai point.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (a Cleante.)
+
+He quoi ! a votre pere ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Laisse-moi faire.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (a Harpagon.)
+
+He quoi ! a votre fils ? Encore passe pour moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te veux faire toi-meme, maitre Jacques, juge de cette affaire, pour
+montrer comme j'ai raison.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+J'y consens.
+
+ (A Cleante.)
+
+Eloignez-vous un peu.
+
+
+- Harpagon -
+
+J'aime une fille que je veux epouser ; et le pendard a l'insolence de
+l'aimer avec moi, et d'y pretendre malgre mes ordres.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Ah ! il a tort.
+
+
+- Harpagon -
+
+N'est-ce pas une chose epouvantable, qu'un fils qui veut entrer en
+concurrence avec son pere ? et ne doit-il pas, par respect, s'abstenir
+de toucher a mes inclinations ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Vous avez raison. Laissez-moi lui parler, et demeurez la.
+
+
+- Cleante -
+
+ (a maitre Jacques, qui s'approche de lui.)
+
+Eh bien, oui, puisqu'il veut te choisir pour juge, je n'y recule point ;
+il ne m'importe qui ce soit ; et je veux bien aussi me rapporter a toi,
+maitre Jacques, de notre differend.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+C'est beaucoup d'honneur que vous me faites.
+
+
+- Cleante -
+
+Je suis epris d'une jeune personne qui repond a mes voeux et recoit
+tendrement les offres de ma foi, et mon pere s'avise de venir troubler
+notre amour, par la demande qu'il en fait faire.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Il a tort assurement.
+
+
+- Cleante -
+
+N'a-t-il point de honte, a son age, de songer a se marier ? Lui
+sied-il bien d'etre encore amoureux ? et ne devrait-il pas laisser
+cette occupation aux jeunes gens ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Vous avez raison, il se moque. Laissez-moi lui dire deux mots.
+
+ (A Harpagon.)
+
+Eh bien ! votre fils n'est pas si etrange que vous le dites, et il se
+met a la raison. Il dit qu'il sait le respect qu'il vous doit ; qu'il
+ne s'est emporte que dans la premiere chaleur, et qu'il ne fera point
+refus de se soumettre a ce qu'il vous plaira, pourvu que vous vouliez
+le traiter mieux que vous ne faites, et lui donner quelque personne en
+mariage, dont il ait lieu d'etre content.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! dis-lui, maitre Jacques, que moyennant cela, il pourra esperer
+toutes choses de moi, et que, hors Mariane, je lui laisse la liberte
+de choisir celle qu'il voudra.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Laissez-moi faire.
+
+ (A Cleante.)
+
+Eh bien ! votre pere n'est pas si deraisonnable que vous le faites, et
+il m'a temoigne que ce sont vos emportements qui l'ont mis en colere ;
+qu'il n'en veut seulement qu'a votre maniere d'agir, et qu'il sera
+fort dispose a vous accorder ce que vous souhaitez, pourvu que vous
+vouliez vous y prendre par la douceur, et lui rendre les deferences,
+les respects et les soumissions qu'un fils doit a son pere.
+
+
+- Cleante -
+
+Ah ! maitre Jacques, tu lui peux assurer que, s'il m'accorde Mariane,
+il me verra toujours le plus soumis de tous les hommes, et que jamais
+je ne ferai aucune chose que par ses volontes.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (a Harpagon.)
+
+Cela est fait. Il consent ce que vous dites.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voila qui va le mieux du monde.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (a Cleante.)
+
+Tout est conclu ; il est content de vos promesses.
+
+
+- Cleante -
+
+Le ciel en soit loue !
+
+- Maitre Jacques -
+
+Messieurs, vous n'avez qu'a parler ensemble ; vous voila d'accord
+maintenant ; et vous alliez vous quereller, faute de vous entendre.
+
+
+- Cleante -
+
+Mon pauvre maitre Jacques, je te serai oblige toute ma vie.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Il n'y a pas de quoi, monsieur.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu m'as fait plaisir, maitre Jacques ; et cela merite une
+recompense.
+
+ (Harpagon fouille dans sa poche ; maitre Jacques tend la main ;
+ mais Harpagon ne tire que son mouchoir, en disant :)
+
+Va, je m'en souviendrai, je t'assure.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Je vous baise les mains.
+
+
+-----------
+
+Scene V. - Harpagon, Cleante.
+
+
+
+- Cleante -
+
+Je vous demande pardon, mon pere, de l'emportement que j'ai fait
+paraitre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela n'est rien.
+
+
+- Cleante -
+
+Je vous assure que j'en ai tous les regrets du monde.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, j'ai toutes les joies du monde de te voir raisonnable.
+
+
+- Cleante -
+
+Quelle bonte a vous d'oublier si vite ma faute !
+
+
+- Harpagon -
+
+On oublie aisement les fautes des enfants lorsqu'ils rentrent dans
+leur devoir.
+
+
+- Cleante -
+
+Quoi ! ne garder aucun ressentiment de toutes mes extravagances ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une chose ou tu m'obliges, par la soumission et le respect ou tu
+te ranges.
+
+
+- Cleante -
+
+Je vous promets, mon pere, que jusques au tombeau je conserverai dans
+mon coeur le souvenir de vos bontes.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, je te promets qu'il n'y aura aucune chose que tu n'obtiennes
+de moi.
+
+
+- Cleante -
+
+Ah ! mon pere, je ne vous demande plus rien ; et c'est m'avoir assez
+donne que de me donner Mariane.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Cleante -
+
+Je dis, mon pere, que je suis trop content de vous, et que je trouve
+toutes choses dans la bonte que vous ayez de m'accorder Mariane.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qui est-ce qui parle de t'accorder Mariane ?
+
+
+- Cleante -
+
+Vous, mon pere.
+
+
+- Harpagon -
+
+Moi ?
+
+
+- Cleante -
+
+Sans doute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ! c'est toi qui as promis d'y renoncer.
+
+
+- Cleante -
+
+Moi, y renoncer ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Cleante -
+
+Point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu ne t'es pas departi d'y pretendre ?
+
+
+- Cleante -
+
+Au contraire, j'y suis porte plus que jamais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Quoi, pendard ! derechef ?
+
+
+- Cleante -
+
+Rien ne peut me changer.
+
+
+- Harpagon -
+
+Laisse-moi faire, traitre.
+
+
+- Cleante -
+
+Faites tout ce qu'il vous plaira.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te defends de me jamais voir.
+
+
+- Cleante -
+
+A la bonne heure.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je t'abandonne.
+
+
+- Cleante -
+
+Abandonnez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te renonce pour mon fils.
+
+
+- Cleante -
+
+Soit.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te desherite.
+
+
+- Cleante -
+
+Tout ce que vous voudrez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et je te donne ma malediction.
+
+
+- Cleante -
+
+Je n'ai que faire de vos dons.
+
+
+-----------
+
+Scene VI. - Cleante, La Fleche.
+
+
+
+- La Fleche -
+
+ (sortant du jardin avec une cassette.)
+
+Ah ! Monsieur, que je vous trouve a propos ! Suivez-moi vite.
+
+
+- Cleante -
+
+Qu'y a-t-il ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Suivez-moi, vous dis-je ; nous sommes bien.
+
+
+- Cleante -
+
+Comment ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Voici votre affaire.
+
+
+- Cleante -
+
+Quoi ?
+
+
+- La Fleche -
+
+J'ai guigne ceci tout le jour.
+
+
+- Cleante -
+
+Qu'est-ce que c'est ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Le tresor de votre pere, que j'ai attrape.
+
+
+- Cleante -
+
+Comment as-tu fait ?
+
+
+- La Fleche -
+
+Vous saurez tout. Sauvons-nous ; je l'entends crier.
+
+
+-----------
+
+Scene VII. - Harpagon.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (criant au voleur des le jardin, et venant sans chapeau.)
+
+Au voleur ! au voleur ! a l'assassin ! au meurtrier ! Justice, juste
+ciel ! Je suis perdu, je suis assassine ; on m'a coupe la gorge : on
+m'a derobe mon argent. Qui peut-ce etre ? Qu'est-il devenu ? Ou
+est-il ? Ou se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Ou courir ?
+Ou ne pas courir ? N'est-il point la ? n'est-il point ici ? Qui
+est-ce ? Arrete.
+
+ (A lui-meme, se prenant par le bras.)
+
+Rends-moi mon argent, coquin... Ah ! c'est moi ! Mon esprit est
+trouble, et j'ignore ou je suis, qui je suis, et ce que je fais.
+Helas ! mon pauvre argent ! mon pauvre argent ! mon cher ami !
+on m'a prive de toi ; et puisque tu m'es enleve, j'ai perdu mon
+support, ma consolation, ma joie : tout est fini pour moi, et
+je n'ai plus que faire au monde. Sans toi, il m'est impossible
+de vivre. C'en est fait ; je n'en puis plus ; je me meurs ; je
+suis mort ; je suis enterre. N'y a-t-il personne qui veuille me
+ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui
+l'a pris. Euh ! que dites-vous ? Ce n'est personne. Il faut, qui
+que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on ait
+epie l'heure ; et l'on a choisi justement le temps que je parlais
+a mon traitre de fils. Sortons. Je veux aller querir la justice,
+et faire donner la question a toute ma maison ; a servantes, a
+valets, a fils, a fille, et a moi aussi. Que de gens assembles !
+Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupcons,
+et tout me semble mon voleur. He ! de quoi est-ce qu'on parle la ?
+de celui qui m'a derobe ? Quel bruit fait-on la-haut ? Est-ce mon
+voleur qui y est ? De grace, si l'on sait des nouvelles de mon
+voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il point cache la
+parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent a rire. Vous
+verrez qu'ils ont part, sans doute, au vol que l'on m'a fait.
+Allons, vite, des commissaires, des archers, des prevots, des juges,
+des genes, des potences, et des bourreaux ! Je veux faire pendre
+tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai
+moi-meme apres.
+
+
+
+ACTE CINQUIEME.
+---------------
+
+
+
+Scene premiere. - Harpagon, un commissaire.
+
+
+
+- Le commissaire -
+
+Laissez-moi faire, je sais mon metier, Dieu merci. Ce n'est pas
+d'aujourd'hui que je me mele de decouvrir des vols, et je voudrais
+avoir autant de sacs de mille francs que j'ai fait pendre de
+personnes.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tous les magistrats sont interesses a prendre cette affaire en main ;
+et, si l'on ne me fait retrouver mon argent, je demanderai justice de
+la justice.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Il faut faire toutes les poursuites requises. Vous dites qu'il y avait
+dans cette cassette ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Dix mille ecus bien comptes.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Dix mille ecus !
+
+
+- Harpagon -
+
+Dix mille ecus.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Le vol est considerable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'y a point de supplice assez grand pour l'enormite de ce crime ;
+et, s'il demeure impuni, les choses les plus sacrees ne sont plus en
+surete.
+
+
+- Le commissaire -
+
+En quelles especes etait cette somme ?
+
+
+- Harpagon -
+
+En bons louis d'or et pistoles bien trebuchantes.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Qui soupconnez-vous de ce vol ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Tout le monde, et je veux que vous arretiez prisonniers la ville et
+les faubourgs.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Il faut, si vous m'en croyez, n'effaroucher personne et tacher
+doucement d'attraper quelques preuves afin de proceder apres, par la
+rigueur, au recouvrement des deniers qui vous ont ete pris.
+
+
+-----------
+
+Scene II. - Harpagon, un commissaire, Maitre Jacques.
+
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (dans le fond du theatre, en se retournant du cote par lequel
+ il est entre.)
+
+Je m'en vais revenir. Qu'on me l'egorge tout a l'heure ; qu'on me lui
+fasse griller les pieds, qu'on me le mette dans l'eau bouillante, et
+qu'on me le pende au plancher.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a maitre Jacques.)
+
+Qui ? celui qui m'a derobe ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Je parle d'un cochon de lait que votre intendant me vient d'envoyer,
+et je veux vous l'accommoder a ma fantaisie.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'est pas question de cela ; et voila Monsieur a qui il faut parler
+d'autre chose.
+
+
+- Le commissaire -
+
+ (a maitre Jacques.)
+
+Ne vous epouvantez point. Je suis homme a ne vous point scandaliser (16),
+et les choses iront dans la douceur.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Monsieur est de votre souper ?
+
+
+- Le commissaire -
+
+Il faut ici, mon cher ami, ne rien cacher a votre maitre.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Ma foi, Monsieur, je montrerai tout ce que je sais faire, et je vous
+traiterai du mieux qu'il me sera possible.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce n'est pas la l'affaire.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Si je ne vous fais pas aussi bonne chere que je voudrais, c'est la
+faute de monsieur notre intendant, qui m'a rogne les ailes avec les
+ciseaux de son economie.
+
+
+- Harpagon -
+
+Traitre ! il s'agit d'autre chose que de souper ; et je veux que tu me
+dises des nouvelles de l'argent qu'on m'a pris.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+On vous a pris de l'argent ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, coquin ; et je m'en vais te faire pendre, si tu ne me le rends.
+
+
+- Le commissaire -
+
+ (a Harpagon.)
+
+Mon Dieu ! ne le maltraitez point. Je vois a sa mine qu'il est honnete
+homme, et que, sans se faire mettre en prison, il vous decouvrira ce
+que vous voulez savoir. Oui, mon ami, si vous nous confessez la chose,
+il ne vous sera fait aucun mal et vous serez recompense comme il faut
+par votre maitre. On lui a pris aujourd'hui son argent, et il n'est pas
+que vous ne sachiez quelques nouvelles de cette affaire.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (bas, a part.)
+
+Voici justement ce qu'il me faut pour me venger de notre intendant.
+Depuis qu'il est entre ceans il est le favori, on n'ecoute que ses
+conseils, et j'ai aussi sur le coeur les coups de baton de tantot.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'as-tu a ruminer ?
+
+
+- Le commissaire -
+
+ (a Harpagon.)
+
+Laissez-le faire. Il se prepare a vous contenter ; et je vous ai bien
+dit qu'il etait honnete homme.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Monsieur, si vous voulez que je vous dise les choses, je crois que
+c'est monsieur votre cher intendant qui a fait le coup.
+
+
+- Harpagon -
+
+Valere !
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Oui.
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui ! qui me parait si fidele ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Lui-meme. Je crois que c'est lui qui vous a derobe.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et sur quoi le crois-tu ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Sur quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Je le crois... sur ce que je le crois.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Mais il est necessaire de dire les indices que vous avez.
+
+
+- Harpagon -
+
+L'as-tu vu roder autour du lieu ou j'avais mis mon argent ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Oui, vraiment. Ou etait-il votre argent ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Dans le jardin.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Justement ; je l'ai vu roder dans le jardin. Et dans quoi est-ce que
+cet argent etait ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Dans une cassette.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Voila l'affaire. Je lui ai vu une cassette.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et cette cassette, comme est-elle faite ? Je verrai bien si c'est la
+mienne.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Comment elle est faite ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Elle est faite... elle est faite comme une cassette.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Cela s'entend. Mais depeignez-la un peu, pour voir.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+C'est une grande cassette.
+
+
+- Harpagon -
+
+Celle qu'on m'a volee est petite.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+He ! oui, elle est petite, si on le veut prendre par la ; mais je
+l'appelle grande pour ce qu'elle contient.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Et de quelle couleur est-elle ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+De quelle couleur ?
+
+
+- Le commissaire -
+
+Oui.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Elle est de couleur... la, d'une certaine couleur... Ne sauriez-vous
+m'aider a dire ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Euh !
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+N'est-elle pas rouge ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, grise.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+He ! oui, gris-rouge ; c'est ce que je voulais dire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'y a point de doute ; c'est elle assurement. Ecrivez, Monsieur,
+ecrivez sa deposition. Ciel ! a qui desormais se fier ! Il ne faut
+plus jurer de rien ; et je crois, apres cela, que je suis homme a me
+voler moi-meme.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (a Harpagon.)
+
+Monsieur, le voici qui revient. Ne lui allez pas dire, au moins, que
+c'est moi qui vous ai decouvert cela.
+
+
+-----------
+
+Scene III. - Harpagon, un commissaire, Valere, Maitre Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Approche, viens confesser l'action la plus noire, l'attentat le plus
+horrible qui jamais ait ete commis.
+
+
+- Valere -
+
+Que voulez-vous, monsieur ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, traitre, tu ne rougis pas de ton crime ?
+
+
+- Valere -
+
+De quel crime voulez-vous donc parler ?
+
+
+- Harpagon -
+
+De quel crime je veux parler, infame ? comme si tu ne savais pas ce
+que je veux dire ! C'est en vain que tu pretendrais de le deguiser :
+l'affaire est decouverte, et l'on vient de m'apprendre tout. Comment
+abuser ainsi de ma bonte, et s'introduire expres chez moi pour me
+trahir, pour me jouer un tour de cette nature ?
+
+
+- Valere -
+
+Monsieur, puisqu'on vous a decouvert tout, je ne veux point chercher
+de detours et vous nier la chose.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (a part.)
+
+Oh ! oh ! Aurais-je devine sans y penser ?
+
+
+- Valere -
+
+C'etait mon dessein de vous en parler, et je voulais attendre, pour
+cela, des conjonctures favorables ; mais puisqu'il est ainsi, je vous
+conjure de ne vous point facher, et de vouloir entendre mes raisons.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et quelles belles raisons peux-tu me donner, voleur infame ?
+
+
+- Valere -
+
+Ah ! Monsieur, je n'ai pas merite ces noms. Il est vrai que j'ai
+commis une offense envers vous ; mais, apres tout, ma faute est
+pardonnable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ! pardonnable ? Un guet-apens, un assassinat de la sorte ?
+
+
+- Valere -
+
+De grace, ne vous mettez point en colere. Quand vous m'aurez oui, vous
+verrez que le mal n'est pas si grand que vous le faites.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le mal n'est pas si grand que je le fais ! Quoi ! mon sang, mes
+entrailles, pendard !
+
+
+- Valere -
+
+Votre sang, Monsieur, n'est pas tombe dans de mauvaises mains. Je suis
+d'une condition a ne lui point faire de tort ; et il n'y a rien, en
+tout ceci, que je ne puisse bien reparer.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est bien mon intention, et que tu me restitues ce que tu m'as ravi.
+
+
+- Valere -
+
+Votre honneur, Monsieur, sera pleinement satisfait.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'est pas question d'honneur la-dedans. Mais, dis-moi, qui t'a
+porte a cette action ?
+
+
+- Valere -
+
+Helas ! me le demandez-vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, vraiment, je te le demande.
+
+
+- Valere -
+
+Un dieu qui porte les excuses de tout ce qu'il fait faire, l'Amour.
+
+
+- Harpagon -
+
+L'Amour ?
+
+
+- Valere -
+
+Oui.
+
+
+- Harpagon -
+
+Bel amour, bel amour, ma foi ! l'amour de mes louis d'or !
+
+
+- Valere -
+
+Non, Monsieur, ce ne sont point vos richesses qui m'ont tente, ce
+n'est pas cela qui m'a ebloui ; et je proteste de ne pretendre rien a
+tous vos biens, pourvu que vous me laissiez celui que j'ai.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non ferai, de par tous les diables ! je ne te le laisserai pas. Mais
+voyez quelle insolence, de vouloir retenir le vol qu'il m'a fait !
+
+
+- Valere -
+
+Appelez-vous cela un vol ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Si je l'appelle un vol ? un tresor comme celui-la !
+
+
+- Valere -
+
+C'est un tresor, il est vrai, et le plus precieux que vous ayez, sans
+doute ; mais ce ne sera pas le perdre que de me le laisser. Je vous
+le demande a genoux, ce tresor plein de charmes ; et, pour bien faire,
+il faut que vous me l'accordiez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je n'en ferai rien. Qu'est-ce a dire cela ?
+
+
+- Valere -
+
+Nous nous sommes promis une foi mutuelle, et avons fait serment de ne
+nous point abandonner.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le serment est admirable, et la promesse plaisante.
+
+
+- Valere -
+
+Oui, nous nous sommes engages d'etre l'un a l'autre a jamais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous en empecherai bien, je vous assure.
+
+
+- Valere -
+
+Rien que la mort ne nous peut separer.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est etre bien endiable apres mon argent !
+
+
+- Valere -
+
+Je vous ai deja dit, Monsieur, que ce n'etait point l'interet qui
+m'avait pousse a faire ce que j'ai fait. Mon coeur n'a point agi par
+les ressorts que vous pensez, et un motif plus noble m'a inspire cette
+resolution.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous verrez que c'est par charite chretienne qu'il veut avoir mon bien !
+Mais j'y donnerai bon ordre, et la justice, pendard effronte, me va
+faire raison de tout.
+
+
+- Valere -
+
+Vous en userez comme vous voudrez, et me voila pret a souffrir toutes
+les violences qu'il vous plaira ; mais je vous prie de croire au moins
+que, s'il y a du mal, ce n'est que moi qu'il en faut accuser, et que
+votre fille, en tout ceci, n'est aucunement coupable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je le crois bien, vraiment ! Il serait fort etrange que ma fille eut
+trempe dans ce crime. Mais je veux ravoir mon affaire, et que tu me
+confesses en quel endroit tu me l'as enlevee.
+
+
+- Valere -
+
+Moi ? Je ne l'ai point enlevee ; et elle est encore chez vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a part.)
+
+O ma chere cassette !
+
+ (Haut.)
+
+Elle n'est point sortie de ma maison ?
+
+
+- Valere -
+
+Non, Monsieur.
+
+
+- Harpagon -
+
+He ! dis-moi donc un peu : tu n'y as point touche ?
+
+
+- Valere -
+
+Moi, y toucher ! Ah ! vous lui faites tort, aussi bien qu'a moi ; et
+c'est d'une ardeur toute pure et respectueuse que j'ai brule pour
+elle.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a part.)
+
+Brule pour ma cassette !
+
+
+- Valere -
+
+J'aimerais mieux mourir que de lui avoir fait paraitre aucune pensee
+offensante : elle est trop sage et trop honnete pour cela.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a part.)
+
+Ma cassette trop honnete !
+
+
+- Valere -
+
+Tous mes desirs se sont bornes a jouir de sa vue ; et rien de criminel
+n'a profane la passion que ses beaux yeux m'ont inspiree.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a part.)
+
+Les beaux yeux de ma cassette ! Il parle d'elle comme un amant d'une
+maitresse.
+
+
+- Valere -
+
+Dame Claude, Monsieur, sait la verite de cette aventure ; et elle vous
+peut rendre temoignage...
+
+
+- Harpagon -
+
+Quoi ! ma servante est complice de l'affaire ?
+
+
+- Valere -
+
+Oui, Monsieur : elle a ete temoin de notre engagement ; et c'est apres
+avoir connu l'honnetete de ma flamme, qu'elle m'a aide a persuader
+votre fille de me donner sa foi, et recevoir la mienne.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a part.)
+
+He ! Est-ce que la peur de la justice le fait extravaguer ?
+
+ (A Valere.)
+
+Que nous brouilles-tu ici de ma fille ?
+
+
+- Valere -
+
+Je dis, Monsieur, que j'ai eu toutes les peines du monde a faire
+consentir sa pudeur a ce que voulait mon amour.
+
+
+- Harpagon -
+
+La pudeur de qui ?
+
+
+- Valere -
+
+De votre fille ; et c'est seulement depuis hier qu'elle a pu se
+resoudre a nous signer mutuellement une promesse de mariage.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ma fille t'a signe une promesse de mariage ?
+
+
+- Valere -
+
+Oui, Monsieur, comme de ma part, je lui en ai signe une.
+
+
+- Harpagon -
+
+O ciel ! autre disgrace !
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (au commissaire.)
+
+Ecrivez, Monsieur, ecrivez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Rengregement de mal ! surcroit de desespoir !
+
+ (au commissaire.)
+
+Allons, Monsieur, faites le du de votre charge, et dressez-lui-moi son
+proces comme larron et comme suborneur.
+
+
+- Valere -
+
+Ce sont des noms qui ne me sont point dus ; et quand on saura
+qui je suis...
+
+
+-----------
+
+Scene IV. - Harpagon, Elise, Mariane, Valere, Frosine, Maitre Jacques,
+ un commissaire.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! fille scelerate ! fille indigne d'un pere comme moi ! c'est ainsi
+que tu pratiques les lecons que je t'ai donnees ? Tu te laisses
+prendre d'amour pour un voleur infame, et tu lui engages ta foi sans
+mon consentement ! Mais vous serez trompes l'un et l'autre.
+
+ (A Elise.)
+
+Quatre bonnes murailles me repondront de ta conduite ;
+
+ (a Valere)
+
+et une bonne potence, pendard effronte, me fera raison de ton audace.
+
+
+- Valere -
+
+Ce ne sera point votre passion qui jugera l'affaire ; et l'on
+m'ecoutera, au moins, avant que de me condamner.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me suis abuse de dire une potence ; et tu seras roue tout vif.
+
+
+- Elise -
+
+ (aux genoux d'Harpagon.)
+
+Ah ! mon pere, prenez des sentiments un peu plus humains, je vous
+prie, et n'allez point pousser les choses dans les dernieres violences
+du pouvoir paternel. Ne vous laissez point entrainer aux premiers
+mouvements de votre passion, et donnez-vous le temps de considerer ce
+que vous voulez faire. Prenez la peine de mieux voir celui dont vous
+vous offensez (17) ; il est tout autre que vos yeux ne le jugent, et vous
+trouverez moins etrange que je me sois donnee a lui, lorsque vous
+saurez que, sans lui, vous ne m'auriez plus il y a longtemps. Oui, mon
+pere, c'est celui qui me sauva de ce grand peril que vous savez que je
+courus dans l'eau, et a qui vous devez la vie de cette meme fille
+dont...
+
+
+- Harpagon -
+
+Tout cela n'est rien ; et il valait bien mieux pour moi qu'il te
+laissat noyer que de faire ce qu'il a fait.
+
+
+- Elise -
+
+Mon pere, je vous conjure par l'amour paternel, de me...
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, non ; je ne veux rien entendre, et il faut que la justice fasse
+son devoir.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+ (a part.)
+
+Tu me payeras mes coups de baton !
+
+
+- Frosine -
+
+ (a part.)
+
+Voici un etrange embarras !
+
+
+-----------
+
+Scene V. - Anselme, Harpagon, Elise, Mariane, Frosine, Valere,
+ un commissaire, Maitre Jacques.
+
+
+
+- Anselme -
+
+Qu'est-ce, seigneur Harpagon ? je vous vois tout emu.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! seigneur Anselme, vous me voyez le plus infortune de tous les
+hommes ; et voici bien du trouble et du desordre au contrat que vous
+venez faire ! On m'assassine dans le bien, on m'assassine dans
+l'honneur ; et voila un traitre, un scelerat qui a viole tous les
+droits les plus saints, qui s'est coule chez moi sous le titre de
+domestique, pour me derober mon argent et pour me suborner ma fille.
+
+
+- Valere -
+
+Qui songe a votre argent, dont vous me faites un galimatias ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, ils se sont donne l'un a l'autre une promesse de mariage. Cet
+affront vous regarde, seigneur Anselme ; et c'est vous qui devez vous
+rendre partie contre lui, et faire toutes les poursuites de la justice
+a vos depends, pour vous venger de son insolence.
+
+
+- Anselme -
+
+Ce n'est pas mon dessein de me faire epouser par force, et de rien
+pretendre a un coeur qui se serait donne ; mais, pour vos interets, je
+suis pret a les embrasser ainsi que les miens propres.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voila monsieur qui est un honnete commissaire, qui n'oubliera rien,
+a ce qu'il m'a dit, de la fonction de son office.
+
+ (Au commissaire, montrant Valere.)
+
+Chargez-le comme il faut, Monsieur, et rendez les choses bien
+criminelles.
+
+
+- Valere -
+
+Je ne vois pas quel crime on me peut faire de la passion que j'ai pour
+votre fille, et le supplice ou vous croyez que je puisse etre condamne
+pour notre engagement, lorsqu'on saura ce que je suis...
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me moque de tous ces contes ; et le monde aujourd'hui n'est plein
+que de ces larrons de noblesse, que de ces imposteurs qui tirent
+avantage de leur obscurite et s'habillent insolemment du premier nom
+illustre qu'ils s'avisent de prendre.
+
+
+- Valere -
+
+Sachez que j'ai le coeur trop bon pour me parer de quelque chose qui
+ne soit point a moi, et que tout Naples peut rendre temoignage de ma
+naissance.
+
+
+- Anselme -
+
+Tout beau ! Prenez garde a ce que vous allez dire. Vous risquez ici
+plus que vous ne pensez, et vous parlez devant un homme a qui tout
+Naples est connu et qui peut aisement voir clair dans l'histoire que
+vous ferez.
+
+
+- Valere -
+
+ (mettant fierement son chapeau.)
+
+Je ne suis point homme a rien craindre, et si Naples vous est connu,
+vous savez qui etait don Thomas d'Alburci.
+
+
+- Anselme -
+
+Sans doute, je le sais ; et peu de gens l'ont connu mieux que moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je ne me soucie ni de dom Thomas ni dom Martin.
+
+ (Harpagon voyant deux chandelles allumees en souffle une.)
+
+- Anselme -
+
+De grace, laissez-le parler ; nous verrons ce qu'il en veut dire.
+
+
+- Valere -
+
+Je veux dire que c'est lui qui m'a donne jour.
+
+
+- Anselme -
+
+Lui ?
+
+
+- Valere -
+
+Oui.
+
+
+- Anselme -
+
+Allez. Vous vous moquez. Cherchez quelque autre histoire qui vous
+puisse mieux reussir, et ne pretendez pas vous sauver sous cette
+imposture.
+
+
+- Valere -
+
+Songez a mieux parler. Ce n'est point une imposture, et je n'avance
+rien qu'il ne me soit aise de justifier.
+
+
+- Anselme -
+
+Quoi ! vous osez vous dire fils de don Thomas d'Alburci ?
+
+
+- Valere -
+
+Oui, je l'ose ; et je suis pret de soutenir cette verite contre qui que
+ce soit.
+
+
+- Anselme -
+
+L'audace est merveilleuse ! Apprenez, pour vous confondre, qu'il y a
+seize ans, pour le moins, que l'homme dont vous nous parlez perit sur
+mer avec ses enfants et sa femme, en voulant derober leur vie aux
+cruelles persecutions qui ont accompagne les desordres de Naples, et
+qui en firent exiler plusieurs nobles familles.
+
+
+- Valere -
+
+Oui ; mais apprenez, pour vous confondre, vous, que son fils, age de
+sept ans, avec un domestique, fut sauve de ce naufrage par un vaisseau
+espagnol ; et que ce fils sauve est celui qui vous parle. Apprenez que
+le capitaine de ce vaisseau, touche de ma fortune, prit amitie pour
+moi ; qu'il me fit elever comme son propre fils, et que les armes
+furent mon emploi des que je m'en trouvai capable ; que j'ai su depuis
+peu que mon pere n'etait point mort, comme je l'avais toujours cru ;
+que, passant ici pour l'aller chercher, une aventure, par le ciel
+concertee, me fit voir la charmante Elise ; que cette vue me rendit
+esclave de ses beautes, et que la violence de mon amour et les
+severites de son pere me firent prendre la resolution de m'introduire
+dans son logis, et d'envoyer un autre a la quete de mes parents.
+
+
+- Anselme -
+
+Mais quels temoignages encore, autres que vos paroles, nous peuvent
+assurer que ce ne soit point une fable que vous ayez batie sur une
+verite ?
+
+
+- Valere -
+
+Le capitaine espagnol, un cachet de rubis qui etait a mon pere ; un
+bracelet d'agate que ma mere m'avait mis au bras ; le vieux Pedro, ce
+domestique qui se sauva avec moi du naufrage.
+
+
+- Mariane -
+
+Helas ! a vos paroles, je puis ici repondre, moi, que vous n'imposez
+point ; et tout ce que vous dites me fait connaitre clairement que
+vous etes mon frere.
+
+
+- Valere -
+
+Vous, ma soeur ?
+
+
+- Mariane -
+
+Oui, mon coeur s'est emu des le moment que vous avez ouvert la bouche ;
+et notre mere, que vous allez ravir, m'a mille fois entretenue des
+disgraces de notre famille. Le ciel ne nous fit point aussi perir dans
+ce triste naufrage ; mais il ne nous sauva la vie que par la perte de
+notre liberte, et ce furent des corsaires qui nous recueillirent, ma
+mere et moi, sur un debris de notre vaisseau. Apres dix ans
+d'esclavage, une heureuse fortune nous rendit notre liberte ; et nous
+retournames dans Naples, ou nous trouvames tout notre bien vendu, sans
+y pouvoir trouver des nouvelles de notre pere. Nous passames a Genes,
+ou ma mere alla ramasser quelques malheureux restes d'une succession
+qu'on avait dechiree ; et de la, fuyant la barbare injustice de ses
+parents, elle vint en ces lieux, ou elle n'a presque vecu que d'une
+vie languissante.
+
+
+- Anselme -
+
+O ciel ! quels sont les traits de ta puissance ! et que tu fais bien
+voir qu'il n'appartient qu'a toi de faire des miracles !
+Embrassez-moi, mes enfants, et melez tous deux vos transports a ceux
+de votre pere.
+
+
+- Valere -
+
+Vous etes notre pere ?
+
+
+- Mariane -
+
+C'est vous que ma mere a tant pleure ?
+
+
+- Anselme -
+
+Oui, ma fille ; oui, mon fils ; je suis dom Thomas d'Alburci que le
+ciel garantit des ondes avec tout l'argent qu'il portait, et qui, vous
+ayant tous crus morts durant plus de seize ans, se preparait, apres de
+longs voyages, a chercher, dans l'hymen d'une douce et sage personne, la
+consolation de quelque nouvelle famille. Le peu de surete que j'ai vu
+pour ma vie a retourner a Naples m'a fait y renoncer pour toujours ;
+et ayant su trouver moyen d'y faire vendre ce que j'avais, je me suis
+habitue ici, ou, sous le nom d'Anselme, j'ai voulu m'eloigner les
+chagrins de cet autre nom qui m'a cause tant de traverses.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (a Anselme.)
+
+C'est la votre fils ?
+
+
+- Anselme -
+
+Oui.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous prends a partie pour me payer dix mille ecus qu'il m'a voles.
+
+
+- Anselme -
+
+Lui, vous avoir vole ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui-meme.
+
+
+- Valere -
+
+Qui vous dit cela ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Maitre Jacques.
+
+
+- Valere -
+
+ (a maitre Jacques.)
+
+C'est toi qui le dis ?
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Vous voyez que je ne dis rien.
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui. Voila monsieur le commissaire qui a recu sa deposition.
+
+
+- Valere -
+
+Pouvez-vous me croire capable d'une action si lache ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Capable ou non capable, je veux ravoir mon argent.
+
+
+-----------
+
+Scene VI. - Harpagon, Anselme, Elise, Mariane, Cleante, Valere,
+ Frosine, un commissaire, Maitre Jacques, La Fleche.
+
+
+
+- Cleante -
+
+Ne vous tourmentez point, mon pere, et n'accusez personne. J'ai
+decouvert des nouvelles de votre affaire, et je viens ici pour vous
+dire que, si vous voulez vous resoudre a me laisser epouser Mariane,
+votre argent vous sera rendu.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ou est-il ?
+
+
+- Cleante -
+
+Ne vous mettez point en peine. Il est en lieu dont je reponds, et tout
+ne depend que de moi. C'est a vous de me dire a quoi vous vous
+determinez ; et vous pouvez choisir, ou de me donner Mariane, ou de
+perdre votre cassette.
+
+
+- Harpagon -
+
+N'en a-t-on rien ote ?
+
+
+- Cleante -
+
+Rien du tout. Voyez si c'est votre dessein de souscrire a ce mariage,
+et de joindre votre consentement a celui de sa mere, qui lui laisse la
+liberte de faire un choix entre nous deux.
+
+
+- Mariane -
+
+ (a Cleante.)
+
+Mais vous ne savez pas que ce n'est pas assez que ce consentement et
+que le ciel,
+
+ (montrant Valere.)
+
+avec un frere que vous voyez, vient de me rendre un pere
+
+ (montrant Anselme.)
+
+dont vous avez a m'obtenir.
+
+
+- Anselme -
+
+Le ciel, mes enfants, ne me redonne point a vous pour etre contraire a
+vos voeux. Seigneur Harpagon, vous jugez bien que le choix d'une jeune
+personne tombera sur le fils plutot que sur le pere : allons, ne vous
+faites point dire ce qu'il n'est pas necessaire d'entendre ; et consentez,
+ainsi que moi, a ce double hymenee.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il faut, pour me donner conseil, que je voie ma cassette.
+
+
+- Cleante -
+
+Vous la verrez saine et entiere.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je n'ai point d'argent a donner en mariage a mes enfants.
+
+
+- Anselme -
+
+Eh bien ! j'en ai pour eux ; que cela ne vous inquiete point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous obligerez-vous a faire tous les frais de ces deux mariages ?
+
+
+- Anselme -
+
+Oui, je m'y oblige. Etes-vous satisfait ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, pourvu que pour les noces, vous me fassiez faire un habit.
+
+
+- Anselme -
+
+D'accord. Allons jouir de l'allegresse que cet heureux jour nous
+presente.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Hola ! messieurs, hola ! Tout doucement, s'il vous plait. Qui me
+payera mes ecritures ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Nous n'avons que faire de vos ecritures.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Oui ! Mais je ne pretends pas, moi, les avoir faites pour rien.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (montrant maitre Jacques.)
+
+Pour votre payement, voila un homme que je vous donne a pendre.
+
+
+- Maitre Jacques -
+
+Helas ! comment faut-il donc faire ? On me donne des coups de baton
+pour dire vrai, et on me veut pendre pour mentir !
+
+
+- Anselme -
+
+Seigneur Harpagon, il faut lui pardonner cette imposture.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous payerez donc le commissaire ?
+
+
+- Anselme -
+
+Soit. Allons vite faire part de notre joie a votre mere.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, voir ma chere cassette.
+
+
+-------------------------------------------------------------------------
+
+Notes [from 1890 edition]
+
+-----------
+(1) C'est-a-dire, elles ne sont pas fort "accommodees des biens
+de la fortune". Cette expression est encore d'usage aujourd'hui, et
+l'Academie cite cet exemple : Je l'ai vu pauvre, "mais il s'est bien
+accommode."
+-----------
+(2) On trouve pour la premiere fois le mot "moucher" pour "epier",
+dans la legende de Faifeu, imprimee en 1532. Le mot "mouchard" n'est
+donc pas ancien dans notre langue.
+-----------
+(3) On dit proverbialement "parler a la barette de quelqu'un", pour
+lui parler sans menagement, porter la main sur lui, le frapper a la
+tete.
+-----------
+(4) Un denier d'interet pour douze pretes, c'est-a-dire un peu plus
+de huit pour cent.
+-----------
+(5) "Fluet". On disait autrefois "flouet" et "flou", dont "flouet"
+est le diminutif.
+-----------
+(6) Ce tour de phrase est latin. Boileau a dit dans la "Satire sur
+les Femmes" :
+
+ Je ne puis cette fois que je ne les excuse.
+
+Ni Boileau ni Moliere n'ont pu faire adopter ce latinisme.
+-----------
+(7) Avant sa conversion, saint Mathieu etait receveur des tributs, et
+la malignite lui attribuait des prets usuraires. De la l'ancienne
+expression proverbiale, "fester saint Matthieu", pour preter a usure,
+et, par corruption, "fesse-Matthieu".
+-----------
+(8) C'est-a-dire un denier d'interet pour dix-huit pretes, ce qui
+equivaut a un peu plus de cinq et demi pour cent.
+-----------
+(9) A vingt pour cent.
+-----------
+(10) A vingt-cinq pour cent.
+-----------
+(11) Les soldats portaient autrefois un baton termine d'un bout par
+une pointe qu'ils enfoncaient en terre, et de l'autre, par un fer
+fourchu sur lequel ils appuyaient leur mousquet, pour tirer plus
+juste. C'est ce qu'on appelait "la fourchette d'un mousquet".
+-----------
+(12) Expression proverbiale : "L'epee de chevet", l'epee qui ne nous
+quitte jamais. Au figure, "l'expression qu'on a sans cesse a la bouche".
+-----------
+(13) C'etait une formule ancienne de sante et d'economie qu'on trouve
+quelquefois chez les Latins, enoncee par les seules lettres initiales
+de chaque mot E.V.V.N.V.V.E. : "ede ut vivas, ne vivas ut edas.",
+"Mange pour vivre, et ne vis pas pour manger."
+-----------
+(14) Expression proverbiale : "Il n'y a pas meme pour un double",
+c'est-a-dire "il n'y en a point". Le double etait une petite piece
+de monnaie qui valait deux deniers.
+-----------
+(15) Suivant Menage, cette expression a ete imaginee pour eviter de
+se servir du mot "diable". Moliere n'est pas le seul qui ait employe
+ce mot dans ce sens : longtemps avant lui, Rabelais avait dit :
+"Creature du grand vilain diantre d'enfer" (liv. III, ch. III).
+-----------
+(16) Du temps de Moliere, le mot "scandaliser" se prenait quelquefois
+dans le sens de "decrier", "diffamer". (Voyez le dictionnaire de
+l'Academie, edition de 1694).
+-----------
+(17) "Offenser" est la traduction litteraire d'"offendere", mot dont
+le sens est beaucoup moins restreint en latin qu'en francais. Il
+signifie ici, "celui dont vous avez a vous plaindre". L'exemple de
+Moliere n'a pu le faire adopter avec cette acception.
+-----------
+
+
+
+
+
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, L'AVARE ***
+
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+Gutenberg, including how to donate, how to help produce our new
+eBooks, and how to subscribe to our email newsletter (free!).
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+also a good way to get them instantly upon announcement, as the
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+We produce about two million dollars for each hour we work. The
+time it takes us, a rather conservative estimate, is fifty hours
+to get any eBook selected, entered, proofread, edited, copyright
+searched and analyzed, the copyright letters written, etc. Our
+projected audience is one hundred million readers. If the value
+per text is nominally estimated at one dollar then we produce $2
+million dollars per hour in 2002 as we release over 100 new text
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+If they reach just 1-2% of the world's population then the total
+will reach over half a trillion eBooks given away by year's end.
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+The Goal of Project Gutenberg is to Give Away 1 Trillion eBooks!
+This is ten thousand titles each to one hundred million readers,
+which is only about 4% of the present number of computer users.
+
+Here is the briefest record of our progress (* means estimated):
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+eBooks Year Month
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+
diff --git a/old/7avar10.zip b/old/7avar10.zip
new file mode 100644
index 0000000..5a3c0f8
--- /dev/null
+++ b/old/7avar10.zip
Binary files differ
diff --git a/old/8avar10.txt b/old/8avar10.txt
new file mode 100644
index 0000000..a34fd11
--- /dev/null
+++ b/old/8avar10.txt
@@ -0,0 +1,7149 @@
+The Project Gutenberg EBook of L'Avare, by Jean-Baptiste Poquelin
+[AKA Molière]
+(#9 in our series by Jean-Baptiste Poquelin [AKA Molière])
+
+Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the
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+**Welcome To The World of Free Plain Vanilla Electronic Texts**
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+*****These eBooks Were Prepared By Thousands of Volunteers!*****
+
+
+Title: L'Avare
+
+Author: Jean-Baptiste Poquelin [AKA Molière]
+
+Release Date: August, 2004 [EBook #6318]
+[Yes, we are more than one year ahead of schedule]
+[This file was first posted on November 25, 2002]
+
+Edition: 10
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, L'AVARE ***
+
+
+
+
+Produced by Laurent Le Guillou <leguillou.laurent@free.fr>
+
+
+
+
+
+
+
+
+Title: L'Avare
+
+Language: French
+
+Encoding: ISO-8859-1
+
+
+
+Source:
+
+Jean-Baptiste Poquelin (1620-1673), alias Molière,
+"Oeuvres de Molière, avec des notes de tous les commentateurs",
+Tome Second,
+Paris, Librarie de Firmin-Didot et Cie,
+Imprimeurs de l'Institut, rue Jacob, 56,
+1890.
+
+Pages 148-229.
+
+[Spelling of the 1890 edition. Footnotes have been retained because
+they provide the meanings of old French words or expressions.
+Footnote are indicated by numbers in brackets, and are grouped
+at the end of the Etext. Text encoding is iso-8859-1.]
+
+
+
+
+
+L'AVARE
+
+
+
+
+Comédie (1667)
+
+
+
+PERSONNAGES ACTEURS
+
+Harpagon, père de Cléante et d'Élise,
+et amoureux de Mariane. Molière.
+Cléante, fils d'Harpagon, amant de Mariane. La Grange.
+Élise, fille d'Harpagon, amante de Valère. Mlle Molière.
+Valère, fils d'Anselme et amant d'Élise. Du Croisy.
+Mariane, amante de Cléante et aimée d'Harpagon. Mlle De Brie.
+Anselme, père de Valère et de Mariane.
+Frosine, femme d'intrigue. Magd. Béjart.
+Maître Simon, courtier.
+Maître Jacques, cuisinier et cocher d'Harpagon. Hubert.
+La Flèche, valet de Cléante. Béjart cadet.
+Dame Claude, servante d'Harpagon.
+Brindavoine,
+La Merluche, laquais d'Harpagon.
+Un commissaire et son clerc.
+
+
+
+La scène est à Paris, dans la maison d'Harpagon.
+
+
+ACTE PREMIER.
+-------------
+
+
+Scène première. - Valère, Élise.
+
+
+
+- Valère -
+
+Hé quoi ! charmante Élise, vous devenez mélancolique, après les
+obligeantes assurances que vous avez eu la bonté de me donner de votre
+foi ? Je vous vois soupirer, hélas ! au milieu de ma joie ! Est-ce du
+regret, dites-moi, de m'avoir fait heureux ? et vous repentez-vous de
+cet engagement où mes feux ont pu vous contraindre ?
+
+
+- Élise -
+
+Non, Valère, je ne puis pas me repentir de tout ce que je fais pour
+vous. Je m'y sens entraîner par une trop douce puissance, et je n'ai
+pas même la force de souhaiter que les choses ne fussent pas. Mais, a
+vous dire vrai, le succès me donne de l'inquiétude ; et je crains fort
+de vous aimer un peu plus que je ne devrais.
+
+
+- Valère -
+
+Eh ! que pouvez-vous craindre, Élise, dans les bontés que vous avez
+pour moi ?
+
+
+- Élise -
+
+Hélas ! cent choses à la fois : l'emportement d'un père, les reproches
+d'une famille, les censures du monde ; mais plus que tout, Valère, le
+changement de votre coeur, et cette froideur criminelle dont ceux de
+votre sexe payent le plus souvent les témoignages trop ardents d'un
+innocent amour.
+
+
+- Valère -
+
+Ah ! ne me faites pas ce tort, de juger de moi par les autres !
+Soupçonnez-moi de tout, Élise, plutôt que de manquer à ce que je vous
+dois. Je vous aime trop pour cela ; et mon amour pour vous durera
+autant que ma vie.
+
+
+- Élise -
+
+Ah ! Valère, chacun tient les mêmes discours ! Tous les hommes sont
+semblables par les paroles ; et ce n'est que les actions qui les
+découvrent différents.
+
+
+- Valère -
+
+Puisque les seules actions font connaître ce que nous sommes, attendez
+donc, au moins, à juger de mon coeur par elles, et ne me cherchez point
+des crimes dans les injustes craintes d'une fâcheuse prévoyance. Ne
+m'assassinez point, je vous prie, par les sensibles coups d'un soupçon
+outrageux ; et donnez-moi le temps de vous convaincre, par mille et
+mille preuves, de l'honnêteté de mes feux.
+
+
+- Élise -
+
+Hélas ! qu'avec facilité on se laisse persuader par les personnes que
+l'on aime ! Oui, Valère, je tiens votre coeur incapable de m'abuser.
+Je crois que vous m'aimez d'un véritable amour, et que vous me serez
+fidèle : je n'en veux point du tout douter, et je retranche mon
+chagrin aux appréhensions du blâme qu'on pourra me donner.
+
+
+- Valère -
+
+Mais pourquoi cette inquiétude ?
+
+
+- Élise -
+
+Je n'aurais rien à craindre si tout le monde vous voyait des yeux dont
+je vous vois ; et je trouve en votre personne de quoi avoir raison aux
+choses que je fais pour vous. Mon coeur, pour sa défense, a tout votre
+mérite, appuyé du secours d'une reconnaissance où le ciel m'engage
+envers vous. Je me représente à toute heure ce péril étonnant qui
+commença de nous offrir aux regards l'un de l'autre ; cette générosité
+surprenante qui vous fit risquer votre vie, pour dérober la mienne à la
+fureur des ondes ; ces soins pleins de tendresse que vous me fîtes
+éclater après m'avoir tirée de l'eau, et les hommages assidus de cet
+ardent amour que ni le temps ni les difficultés n'ont rebuté, et qui,
+vous faisant négliger et parents et patrie, arrête vos pas en ces
+lieux, y tient en ma faveur votre fortune déguisée, et vous a réduit,
+pour me voir, à vous revêtir de l'emploi de domestique de mon père.
+Tout cela fait chez moi, sans doute, un merveilleux effet ; et c'en est
+assez, à mes yeux, pour me justifier l'engagement où j'ai pu consentir ;
+mais ce n'est pas assez peut-être pour le justifier aux autres, et je
+ne suis pas sûre qu'on entre dans mes sentiments.
+
+
+- Valère -
+
+De tout ce que vous avez dit, ce n'est que par mon seul amour que je
+prétends auprès de vous mériter quelque chose ; et quant aux
+scrupules que vous avez, votre père lui-même ne prend que trop de soin
+de vous justifier à tout le monde, et l'excès de son avarice, et la
+manière austère dont il vit avec ses enfants, pourraient autoriser des
+choses plus étranges. Pardonnez-moi, charmante Élise, si j'en parle
+ainsi devant vous. Vous savez que, sur ce chapitre, on n'en peut pas
+dire de bien. Mais enfin, si je puis, comme je l'espère, retrouver mes
+parents, nous n'aurons pas beaucoup de peine à nous les rendre
+favorables. J'en attends des nouvelles avec impatience, et j'en irai
+chercher moi-même, si elles tardent à venir.
+
+
+- Élise -
+
+Ah! Valère, ne bougez d'ici, je vous prie, et songez seulement à vous
+bien mettre dans l'esprit de mon père.
+
+
+- Valère -
+
+Vous voyez comme je m'y prends, et les adroites complaisances qu'il
+m'a fallu mettre en usage pour m'introduire à son service ; sous quel
+masque de sympathie et de rapports de sentiments je me déguise pour
+lui plaire, et quel personnage je joue tous les jours avec lui, afin
+d'acquérir sa tendresse. J'y fais des progrès admirables ; et j'éprouve
+que, pour gagner les hommes, il n'est point de meilleure voie que de se
+parer à leurs yeux de leurs inclinations, que de donner dans leurs
+maximes, encenser leurs défauts, et applaudir à ce qu'ils font. On n'a
+que faire d'avoir peur de trop charger la complaisance ; et la manière
+dont on les joue a beau être visible, les plus fins toujours sont de
+grandes dupes du côté de la flatterie, et il n'y a rien de si
+impertinent et de si ridicule qu'on ne fasse avaler, lorsqu'on
+l'assaisonne en louanges. La sincérité souffre un peu au métier que je
+fais ; mais, quand on a besoin des hommes, il faut bien s'ajuster à
+eux, et puisqu'on ne saurait les gagner que par là, ce n'est pas la
+faute de ceux qui flattent, mais de ceux qui veulent être flattés.
+
+
+- Élise -
+
+Mais que ne tâchez-vous aussi de gagner l'appui de mon frère, en cas
+que la servante s'avisât de révéler notre secret ?
+
+
+- Valère -
+
+On ne peut pas ménager l'un et l'autre ; et l'esprit du père et celui
+du fils sont des choses si opposées, qu'il est difficile d'accommoder
+ces deux confidences ensemble. Mais vous, de votre part, agissez
+auprès de votre frère, et servez-vous de l'amitié qui est entre vous
+deux pour le jeter dans nos intérêts. Il vient. Je me retire. Prenez
+ce temps pour lui parler, et ne lui découvrez de notre affaire que ce
+que vous jugerez à propos.
+
+
+- Élise -
+
+Je ne sais si j'aurai la force de lui faire cette confidence.
+
+
+-----------
+
+Scène II. - Cléante, Élise.
+
+
+
+- Cléante -
+
+Je suis bien aise de vous trouver seule, ma soeur ; et je brûlais de
+vous parler, pour m'ouvrir à vous d'un secret.
+
+
+- Élise -
+
+Me voilà prête à vous ouïr, mon frère. Qu'avez-vous à me dire ?
+
+
+- Cléante -
+
+Bien des choses, ma soeur, enveloppées dans un mot. J'aime.
+
+
+- Élise -
+
+Vous aimez ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, j'aime. Mais, avant que d'aller plus loin, je sais que je dépends
+d'un père, et que le nom de fils me soumet à ses volontés ; que nous
+ne devons point engager notre foi sans le consentement de ceux dont
+nous tenons le jour ; que le ciel les a faits les maîtres de nos
+voeux, et qu'il nous est enjoint de n'en disposer que par leur
+conduite ; que, n'étant prévenus d'aucune folle ardeur, ils sont en
+état de se tromper bien moins que nous et de voir beaucoup mieux ce
+qui nous est propre ; qu'il en faut plutôt croire les lumières de leur
+prudence que l'aveuglement de notre passion ; et que l'emportement de
+la jeunesse nous entraîne le plus souvent dans des précipices
+fâcheux. Je vous dis tout cela, ma soeur, afin que vous ne vous
+donniez pas la peine de me le dire ? car enfin mon amour ne veut rien
+écouter, et je vous prie de ne me point faire de remontrances.
+
+
+- Élise -
+
+Vous êtes-vous engagé, mon frère, avec celle que vous aimez ?
+
+
+- Cléante -
+
+Non ; mais j'y suis résolu, et je vous conjure encore une fois de ne
+me point apporter de raisons pour m'en dissuader.
+
+
+- Élise -
+
+Suis-je, mon frère, une si étrange personne ?
+
+
+- Cléante -
+
+Non, ma soeur ; mais vous n'aimez pas ; vous ignorez la douce violence
+qu'un tendre amour fait sur nos coeurs, et j'appréhende votre sagesse.
+
+
+- Élise -
+
+Hélas ! mon frère, ne parlons point de ma sagesse : il n'est personne
+qui n'en manque, du moins une fois en sa vie ; et, si je vous ouvre mon
+coeur, peut-être serai-je à vos yeux bien moins sage que vous.
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! plût au ciel que votre âme, comme la mienne... !
+
+
+- Élise -
+
+Finissons auparavant votre affaire, et me dites qui est celle que vous
+aimez.
+
+
+- Cléante -
+
+Une jeune personne qui loge depuis peu en ces quartiers, et qui semble
+être faite pour donner de l'amour à tous ceux qui la voient. La
+nature, ma soeur, n'a rien formé de plus aimable ; et je me sentis
+transporté dès le moment que je la vis. Elle se nomme Mariane, et vit
+sous la conduite d'une bonne femme de mère qui est presque toujours
+malade, et pour qui cette aimable fille a des sentiments d'amitié qui
+ne sont pas imaginables. Elle la sert, la plaint et la console, avec
+une tendresse qui vous toucherait l'âme. Elle se prend d'un air le
+plus charmant du monde aux choses qu'elle fait ; et l'on voit briller
+mille grâces en toutes ses actions, une douceur pleine d'attraits,
+une bonté toute engageante, une honnêteté adorable, une... Ah ! ma
+soeur, je voudrais que vous l'eussiez vue !
+
+
+- Élise -
+
+J'en vois beaucoup, mon frère, dans les choses que vous me dites ; et,
+pour comprendre ce qu'elle est, il me suffit que vous l'aimez.
+
+
+- Cléante -
+
+J'ai découvert sous main qu'elles ne sont pas fort accommodées (1), et
+que leur discrète conduite a de la peine à étendre à tous leurs
+besoins le bien qu'elles peuvent avoir. Figurez-vous, ma soeur, quelle
+joie ce peut être que de relever la fortune d'une personne que l'on
+aime ; que de donner adroitement quelques petits secours aux modestes
+nécessités d'une vertueuse famille ; et concevez quel déplaisir ce
+m'est de voir que, par l'avarice d'un père, je sois dans l'impuissance
+de goûter cette joie, et de faire éclater à cette belle aucun
+témoignage de mon amour.
+
+
+- Élise -
+
+Oui, je conçois assez, mon frère, quel doit être votre chagrin.
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! ma soeur, il est plus grand qu'on ne peut croire. Car, enfin,
+peut-on rien voir de plus cruel que cette rigoureuse épargne qu'on
+exerce sur nous, que cette sécheresse étrange où l'on nous fait
+languir ? Hé ! que nous servira d'avoir du bien, s'il ne nous vient que
+dans le temps que nous ne serons plus dans le bel âge d'en jouir, et
+si, pour m'entretenir même, il faut que maintenant je m'engage de tous
+côtés ; si je suis réduit avec vous à chercher tous les jours le
+secours des marchands, pour avoir moyen de porter des habits
+raisonnables ? Enfin, j'ai voulu vous parler pour m'aider à sonder mon
+père sur les sentiments où je suis ; et, si je l'y trouve contraire,
+j'ai résolu d'aller en d'autres lieux, avec cette aimable personne,
+jouir de la fortune que le ciel voudra nous offrir. Je fais chercher
+partout, pour ce dessein, de l'argent à emprunter ; et, si vos affaires,
+ma soeur, sont semblables aux miennes, et qu'il faille que notre père
+s'oppose à nos désirs, nous le quitterons là tous deux, et nous
+affranchirons de cette tyrannie où nous tient depuis si longtemps son
+avarice insupportable.
+
+
+- Élise -
+
+Il est bien vrai que tous les jours il nous donne de plus en plus
+sujet de regretter la mort de notre mère, et que...
+
+
+- Cléante -
+
+J'entends sa voix. Eloignons-nous un peu pour achever notre confidence ;
+et nous joindrons après nos forces pour venir attaquer la dureté de
+son humeur.
+
+
+-----------
+
+Scène III. - Harpagon, La Flèche.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Hors d'ici tout à l'heure, et qu'on ne réplique pas. Allons, que
+l'on détale de chez moi, maître juré filou, vrai gibier de potence !
+
+
+- La Flèche -
+
+ (à part.)
+
+Je n'ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard, et je
+pense, sauf correction, qu'il a le diable au corps.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu murmures entre tes dents ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Pourquoi me chassez-vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est bien à toi, pendard, à me demander des raisons ! Sors vite, que
+je ne t'assomme.
+
+
+- La Flèche -
+
+Qu'est-ce que je vous ai fait ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu m'as fait que je veux que tu sortes.
+
+
+- La Flèche -
+
+Mon maître, votre fils, m'a donné ordre de l'attendre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Va-t'en l'attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison,
+planté tout droit comme un piquet à observer ce qui se passe, et faire
+ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant moi un
+espion de mes affaires, un traître dont les yeux maudits assiègent
+toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et furettent de tous
+côtés pour voir s'il n'y a rien à voler.
+
+
+- La Flèche -
+
+Comment diantre voulez-vous qu'on fasse pour vous voler ? Êtes-vous
+un homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites
+sentinelle jour et nuit ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me
+plaît. Ne voilà pas de mes mouchards (2), qui prennent garde à ce qu'on
+fait ?
+
+ (Bas, à part.)
+
+Je tremble qu'il n'ait soupçonné quelque chose de mon argent.
+
+ (Haut.)
+
+Ne serais-tu point homme à aller faire courir le bruit que j'ai chez
+moi de l'argent caché ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Vous avez de l'argent caché ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, coquin, je ne dis pas cela.
+
+ (Bas.)
+
+J'enrage !
+
+ (Haut.)
+
+Je demande si, malicieusement, tu n'irais point faire courir le bruit
+que j'en ai.
+
+
+- La Flèche -
+
+Hé ! que nous importe que vous en ayez, ou que vous n'en ayez pas, si
+c'est pour nous la même chose ?
+
+
+- Harpagon -
+
+ (levant la main pour donner un soufflet à la Flèche.)
+
+Tu fais le raisonneur ! Je te baillerai de ce raisonnement-ci par les
+oreilles. Sors d'ici, encore une fois.
+
+
+- La Flèche -
+
+Eh bien, je sors.
+
+
+- Harpagon -
+
+Attends : ne m'emportes-tu rien ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Que vous emporterais-je ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Tiens, viens çà, que je voie. Montre-moi tes mains.
+
+
+- La Flèche -
+
+Les voilà.
+
+
+- Harpagon -
+
+Les autres.
+
+
+- La Flèche -
+
+Les autres ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- La Flèche -
+
+Les voilà.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (montrant les hauts-de-chausses de la Flèche.)
+
+N'as-tu rien mis ici dedans ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Voyez vous-même.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (tâtant le bas des hauts-de-chausses de la Flèche.)
+
+Ces grands hauts-de-chausses sont propres à devenir les recéleurs des
+choses qu'on dérobe ; et je voudrais qu'on en eût fait pendre
+quelqu'un.
+
+
+- La Flèche -
+
+ (à part.)
+
+Ah ! qu'un homme comme cela mériterait bien ce qu'il craint ! Et que
+j'aurais de joie à la voler !
+
+
+- Harpagon -
+
+Euh ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'est-ce que tu parles de voler ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Je vous dis que vous fouillez bien partout, pour voir si je vous ai volé.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est ce que je veux faire.
+
+ (Harpagon fouille dans les poches de La Flèche.)
+
+
+- La Flèche -
+
+ (à part.)
+
+La peste soit de l'avarice et des avaricieux !
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ? que dis-tu ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ce que je dis ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui. Qu'est-ce que tu dis d'avarice et d'avaricieux ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Je dis que la peste soit de l'avarice et des avaricieux !
+
+
+- Harpagon -
+
+De qui veux-tu parler ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Des avaricieux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et qui sont-ils, ces avaricieux ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Des vilains et des ladres.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais qui est-ce que tu entends par là ?
+
+
+- La Flèche -
+
+De quoi vous mettez-vous en peine ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me mets en peine de ce qu'il faut.
+
+
+- La Flèche -
+
+Est-ce que vous croyez que je veux parler de vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Je crois ce que je crois ; mais je veux que tu me dises à qui tu
+parles quand tu dis cela.
+
+
+- La Flèche -
+
+Je parle... je parle à mon bonnet.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, je pourrais bien parler à ta barrette (3).
+
+
+- La Flèche -
+
+M'empêcherez-vous de maudire les avaricieux ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Non ; mais je t'empêcherai de jaser et d'être insolent. Tais-toi.
+
+
+- La Flèche -
+
+Je ne nomme personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te rosserai si tu parles.
+
+
+- La Flèche -
+
+Qui se sent morveux, qu'il se mouche.
+
+
+- Harpagon -
+
+Te tairas-tu ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Oui, malgré moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! Ah !
+
+
+- La Flèche -
+
+ (montrant à Harpagon une poches de son justaucorps.)
+
+Tenez, voilà encore une poche : êtes-vous satisfait ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Allons, rends-le-moi sans te fouiller.
+
+
+- La Flèche -
+
+Quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce que tu m'as pris.
+
+
+- La Flèche -
+
+Je ne vous ai rien pris du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Assurément ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Assurément.
+
+
+- Harpagon -
+
+Adieu. Va-t-en à tous les diables !
+
+
+- La Flèche -
+
+Me voilà fort bien congédié.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te le mets sur ta conscience, au moins.
+
+
+-----------
+
+Scène IV. - Harpagon.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà un pendard de valet qui m'incommode fort ; et je ne me plais
+point à voir ce chien de boiteux-là. Certes, ce n'est pas une petite
+peine que de garder chez soi une grande somme d'argent ; et
+bienheureux qui a tout son fait bien placé, et ne conserve seulement
+que ce qu'il faut pour sa dépense ! On n'est pas peu embarrassé à
+inventer, dans toute une maison, une cache fidèle ; car pour moi, les
+coffres-forts me sont suspects, et je ne veux jamais m'y fier. Je les
+tiens justement une franche amorce à voleurs, et c'est toujours la
+première chose que l'on va attaquer.
+
+
+-----------
+
+Scène V. - Harpagon ; Élise et Cléante, parlant ensemble, et restant
+ dans le fond du théâtre.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (se croyant seul.)
+
+Cependant, je ne sais si j'aurai bien fait d'avoir enterré, dans mon
+jardin, dix mille écus qu'on me rendit hier. Dix mille écus en or, chez
+soi, est une somme assez...
+
+ (À part, apercevant Élise et Cléante.)
+
+O ciel ! je me serai trahi moi-même ! la chaleur m'aura emporté, et je
+crois que j'ai parlé haut, en raisonnant tout seul.
+
+ (À Cléante et Élise.)
+
+Qu'est-ce ?
+
+
+- Cléante -
+
+Rien, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Y a-t-il longtemps que vous êtes là ?
+
+
+- Élise -
+
+Nous ne venons que d'arriver.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous avez entendu...
+
+
+- Cléante -
+
+Quoi, mon père ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Là...
+
+
+- Élise -
+
+Quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce que je viens de dire.
+
+
+- Cléante -
+
+Non.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si fait, si fait.
+
+
+- Élise -
+
+Pardonnez-moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vois bien que vous en avez ouï quelques mots. C'est que je
+m'entretenais en moi-même de la peine qu'il y a aujourd'hui à trouver
+de l'argent, et je disais qu'il est bien heureux qui peut avoir dix
+mille écus chez soi.
+
+
+- Cléante -
+
+Nous feignions à vous aborder, de peur de vous interrompre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je suis bien aise de vous dire cela, afin que vous n'alliez pas
+prendre les choses de travers, et vous imaginer que je dise que c'est
+moi qui ai dix mille écus.
+
+
+- Cléante -
+
+Nous n'entrons point dans vos affaires.
+
+
+- Harpagon -
+
+Plût à Dieu que je les eusse, dix mille écus !
+
+
+- Cléante -
+
+Je ne crois pas...
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce serait une bonne affaire pour moi.
+
+
+- Élise -
+
+Ces sont des choses...
+
+
+- Harpagon -
+
+J'en aurais bon besoin.
+
+
+- Cléante -
+
+Je pense que...
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela m'accommoderait fort.
+
+
+- Élise -
+
+Vous êtes...
+
+
+- Harpagon -
+
+Et je ne me plaindrais pas, comme je le fais, que le temps est
+misérable.
+
+
+- Cléante -
+
+Mon Dieu ! mon père, vous n'avez pas lieu de vous plaindre et l'on
+sait que vous avez assez de bien.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, j'ai assez de bien ! Ceux qui le disent en ont menti. Il n'y
+a rien de plus faux ; et ce sont des coquins qui font courir tous ces
+bruits-là.
+
+
+- Élise -
+
+Ne vous mettez point en colère.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela est étrange que mes propres enfants me trahissent et deviennent
+mes ennemis.
+
+
+- Cléante -
+
+Est-ce être votre ennemi que de dire que vous avez du bien ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui. De pareils discours, et les dépenses que vous faites, seront
+cause qu'un de ces jours on me viendra chez moi couper la gorge, dans
+la pensée que je suis tout cousu de pistoles.
+
+
+- Cléante -
+
+Quelle grande dépense est-ce que je fais ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Quelle ? Est-il rien de plus scandaleux que ce somptueux équipage que
+vous promenez par la ville ? Je querellais hier votre soeur ; mais
+c'est encore pis. Voilà qui crie vengeance au ciel ; et, à vous
+prendre depuis les pieds jusqu'à la tête, il y aurait là de quoi faire
+une bonne constitution. Je vous l'ai dit vingt fois, mon fils, toutes
+vos manières me déplaisent fort ; vous donnez furieusement dans le
+marquis ; et, pour aller ainsi vêtu, il faut bien que vous me dérobiez.
+
+
+- Cléante -
+
+Hé ! comment vous dérober ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Que sais-je ? Où pouvez-vous donc prendre de quoi entretenir l'état
+que vous portez ?
+
+
+- Cléante -
+
+Moi, mon père ? C'est que je joue ; et, comme je suis fort heureux, je
+mets sur moi tout l'argent que je gagne.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est fort mal fait. Si vous êtes heureux au jeu, vous en devriez
+profiter, et mettre à honnête intérêt l'argent que vous gagnez, afin
+de le trouver un jour. Je voudrais bien savoir, sans parler du reste,
+à quoi servent tous ces rubans dont vous voilà lardé depuis les pieds
+jusqu'à la tête, et si une demi-douzaine d'aiguillettes ne suffit pas
+pour attacher un haut-de-chausses. Il est bien nécessaire d'employer
+de l'argent à des perruques, lorsque l'on peut porter des cheveux de
+son cru, qui ne coûtent rien ! Je vais gager qu'en perruques et rubans
+il y a du moins vingt pistoles ; et vingt pistoles rapportent par
+année dix-huit livres six sols huit deniers, à ne les placer qu'au
+denier douze (4).
+
+
+- Cléante -
+
+Vous avez raison.
+
+
+- Harpagon -
+
+Laissons cela, et parlons d'autre affaire. Euh ?
+
+ (Apercevant Cléante et Élise qui se font des signes.)
+
+Hé !
+
+ (Bas, à part.)
+
+Je crois qu'ils se font signe l'un à l'autre de me voler ma bourse.
+
+ (Haut.)
+
+Que veulent dire ces gestes-là ?
+
+
+- Élise -
+
+Nous marchandons, mon frère et moi, à qui parlera le premier, et nous
+avons tous deux quelque chose à vous dire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, j'ai quelque chose aussi à vous dire à tous deux.
+
+
+- Cléante -
+
+C'est de mariage, mon père, que nous désirons vous parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et c'est de mariage aussi que je veux vous entretenir.
+
+
+- Élise -
+
+Ah ! mon père !
+
+
+- Harpagon -
+
+Pourquoi ce cri ? Est-ce le mot, ma fille, ou la chose, qui vous fait
+peur ?
+
+
+- Cléante -
+
+Le mariage peut nous faire peur à tous deux, de la façon que vous
+pouvez l'entendre ; et nous craignons que nos sentiments ne soient pas
+d'accord avec votre choix.
+
+
+- Harpagon -
+
+Un peu de patience ; ne vous alarmez point. Je sais ce qu'il faut à
+tous deux, et vous n'aurez, ni l'un ni l'autre, aucun lieu de vous
+plaindre de tout ce que je prétends faire ; et, pour commencer par un
+bout,
+
+ (À Cléante.)
+
+avez-vous vu, dites-moi, une jeune personne appelée Mariane, qui
+ne loge pas loin d'ici ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, mon père.
+
+
+- Harpagon-
+
+Et vous ?
+
+
+- Élise -
+
+J'en ai ouï parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, mon fils, trouvez-vous cette fille ?
+
+
+- Cléante -
+
+Une fort charmante personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sa physionomie ?
+
+
+- Cléante -
+
+Tout honnête et pleine d'esprit.
+
+
+- Harpagon -
+
+Son air et sa manière ?
+
+
+- Cléante -
+
+Admirables, sans doute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ne croyez-vous pas qu'une fille comme cela mériterait assez que l'on
+songeât à elle ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que ce serait un parti souhaitable ?
+
+
+- Cléante -
+
+Très souhaitable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'elle a toute la mine de faire un bon ménage ?
+
+
+- Cléante -
+
+Sans doute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et qu'un mari aurait satisfaction avec elle ?
+
+
+- Cléante -
+
+Assurément.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il y a une petite difficulté : c'est que j'ai peur qu'il n'y ait pas,
+avec elle, tout le bien qu'on pourrait prétendre.
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! mon père, le bien n'est pas considérable, lorsqu'il est question
+d'épouser une honnête personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Pardonnez-moi, pardonnez-moi. Mais ce qu'il y a à dire, c'est que, si
+l'on n'y trouve pas tout le bien qu'on souhaite, on peut tâcher de
+regagner cela sur autre chose.
+
+
+- Cléante -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- Harpagon -
+
+Enfin je suis bien aise de vous voir dans mes sentiments ; car son
+maintien honnête et sa douceur m'ont gagné l'âme, et je suis résolu de
+l'épouser, pourvu que j'y trouve quelque bien.
+
+
+- Cléante -
+
+Euh ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Cléante -
+
+Vous êtes résolu, dites-vous... ?
+
+
+- Harpagon -
+
+D'épouser Mariane.
+
+
+- Cléante -
+
+Qui ? Vous, vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, moi, moi, moi. Que veut dire cela ?
+
+
+- Cléante -
+
+Il m'a pris tout à coup un éblouissement, et je me retire d'ici.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela ne sera rien. Allez vite boire dans la cuisine un grand verre
+d'eau claire.
+
+
+-----------
+
+Scène VI. - Harpagon, Élise.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà de mes damoiseaux flouets (5), qui n'ont non plus de vigueur que
+des poules. C'est là, ma fille, ce que j'ai résolu pour moi. Quant à
+ton frère, je lui destine une certaine veuve dont, ce matin, on m'est
+venu parler ; et, pour toi, je te donne au seigneur Anselme.
+
+
+- Élise -
+
+Au seigneur Anselme ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, Un homme mûr, prudent et sage, qui n'a pas plus de cinquante ans,
+et dont on vante les grands biens.
+
+
+- Élise -
+
+ (faisant une révérence.)
+
+Je ne veux point me marier, mon père, s'il vous plaît.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (contrefaisant Élise.)
+
+Et moi, ma petite fille, ma mie, je veux que vous vous mariiez, s'il
+vous plaît.
+
+
+- Élise -
+
+ (faisant encore la révérence.)
+
+Je vous demande pardon, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (contrefaisant Élise.)
+
+Je vous demande pardon, ma fille.
+
+
+- Élise -
+
+Je suis très humble servante au seigneur Anselme ; mais,
+
+ (Faisant encore la révérence.)
+
+avec votre permission, je ne l'épouserai point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je suis votre très humble valet ; mais,
+
+ (Contrefaisant Élise.)
+
+avec votre permission, vous l'épouserez dès ce soir.
+
+
+- Élise -
+
+Dès ce soir ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Dès ce soir.
+
+
+- Élise -
+
+ (faisant encore la révérence.)
+
+Cela ne sera pas, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (contrefaisant encore Élise.)
+
+Cela sera, ma fille.
+
+
+- Élise -
+
+Non.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si.
+
+
+- Élise -
+
+Non, vous dis-je.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si, vous dis-je.
+
+
+- Élise -
+
+C'est une chose où vous ne me réduirez point.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une chose où je te réduirai.
+
+
+- Élise -
+
+Je me tuerai plutôt que d'épouser un tel mari.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu ne te tueras point, et tu l'épouseras. Mais voyez quelle audace !
+A-t-on jamais vu une fille parler de la sorte à son père ?
+
+
+- Élise -
+
+Mais a-t-on jamais vu un père marier sa fille de la sorte ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est un parti où il n'y a rien à redire ! et je gage que tout le monde
+approuvera mon choix.
+
+
+- Élise -
+
+Et moi, je gage qu'il ne saurait être approuvé d'aucune personne
+raisonnable.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (apercevant Valère de loin.)
+
+Voilà Valère. Veux-tu qu'entre nous deux nous le fassions juge de
+cette affaire ?
+
+
+- Élise -
+
+J'y consens.
+
+
+- Harpagon -
+
+Te rendras-tu à son jugement ?
+
+
+- Élise -
+
+Oui. J'en passerai par ce qu'il dira.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà qui est fait.
+
+
+-----------
+
+Scène VII. - Valère, Harpagon, Élise.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Ici, Valère. Nous t'avons élu pour nous dire qui a raison de ma fille
+ou de moi.
+
+
+- Valère -
+
+C'est vous, monsieur, sans contredit.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sais-tu bien de quoi nous parlons ?
+
+
+- Valère -
+
+Non ; mais vous ne sauriez avoir tort, et vous êtes toute raison.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je veux ce soir lui donner pour époux un homme aussi riche que sage ;
+et la coquine me dit au nez qu'elle se moque de le prendre. Que
+dis-tu de cela ?
+
+
+- Valère -
+
+Ce que j'en dis ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Valère -
+
+Hé ! hé !
+
+
+- Harpagon -
+
+Quoi !
+
+
+- Valère -
+
+Je dis que, dans le fond, je suis de votre sentiment ; et vous ne
+pouvez pas que vous n'ayez raison (6). mais aussi n'a-t-elle pas tort
+tout à fait, et...
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ? Le seigneur Anselme est un parti considérable ; c'est un
+gentilhomme qui est noble, doux, posé, sage et fort accommodé, et
+auquel il ne reste aucun enfant de son premier mariage. Saurait-elle
+mieux rencontrer ?
+
+
+- Valère -
+
+Cela est vrai. Mais elle pourrait vous dire que c'est un peu
+précipiter les choses, et qu'il faudrait au moins quelque temps pour
+voir si son inclination pourra s'accommoder avec...
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une occasion qu'il faut prendre vite aux cheveux. Je trouve ici
+un avantage qu'ailleurs je ne trouverais pas ; et il s'engage à la
+prendre sans dot.
+
+
+- Valère -
+
+Sans dot ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Valère -
+
+Ah ! je ne dis plus rien. Voyez-vous ? voilà une raison tout à fait
+convaincante ; il se faut rendre à cela.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est pour moi une épargne considérable.
+
+
+- Valère -
+
+Assurément ; cela ne reçoit point de contradiction. Il est vrai que
+votre fille vous peut représenter que le mariage est une plus grande
+affaire qu'on ne peut croire ; qu'il y va d'être heureux ou malheureux
+toute sa vie ; et qu'un engagement qui doit durer jusqu'à la mort ne se
+doit jamais faire qu'avec de grandes précautions.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sans dot !
+
+
+- Valère -
+
+Vous avez raison ! voilà qui décide tout ; cela s'entend. Il y a des
+gens qui pourraient vous dire qu'en de telles occasions l'inclination
+d'une fille est une chose, sans doute, où l'on doit avoir de l'égard ;
+et que cette grande inégalité d'âge, d'humeur et de sentiments, rend
+un mariage sujet à des accidents fâcheux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sans dot !
+
+
+- Valère -
+
+Ah ! il n'y a pas de réplique à cela ; on le sait bien ! Qui diantre
+peut aller là contre ? Ce n'est pas qu'il n'y ait quantité de pères
+qui aimeraient mieux ménager la satisfaction de leurs filles que
+l'argent qu'ils pourraient donner ; qui ne les voudraient point
+sacrifier à l'intérêt, et chercheraient, plus que toute autre chose, à
+mettre dans un mariage cette douce conformité qui sans cesse y
+maintient l'honneur, la tranquillité et la joie ; et que...
+
+
+- Harpagon -
+
+Sans dot !
+
+
+- Valère -
+
+Il est vrai ; cela ferme la bouche à tout. Sans dot ! Le moyen de
+résister à une raison comme celle-là !
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part, regardant du côté le jardin.)
+
+Ouais ! Il me semble que j'entends un chien qui aboie. N'est-ce point
+qu'on en voudrait à mon argent ?
+
+ (A Valère.)
+
+Ne bougez, je reviens tout à l'heure.
+
+
+-----------
+
+Scène VIII. - Élise, Valère.
+
+
+
+- Élise -
+
+Vous moquez-vous, Valère, de lui parler comme vous faites ?
+
+
+- Valère -
+
+C'est pour ne point l'aigrir, et pour en venir mieux à bout. Heurter
+de front ses sentiments est le moyen de tout gâter ; et il y a de
+certains esprits qu'il ne faut prendre qu'en biaisant ; des
+tempéraments ennemis de toute résistance ; des naturels rétifs, que la
+vérité fait cabrer, qui toujours se raidissent contre le droit chemin
+de la raison, et qu'on ne mène qu'en tournant où l'on veut les
+conduire. Faites semblant de consentir à ce qu'il veut, vous en
+viendrez mieux à vos fins, et...
+
+
+- Élise -
+
+Mais ce mariage, Valère !
+
+
+- Valère -
+
+On cherchera des biais pour le rompre.
+
+
+- Élise -
+
+Mais quelle invention trouver, s'il se doit conclure ce soir ?
+
+
+- Valère -
+
+Il faut demander un délai, et feindre quelque maladie.
+
+
+- Élise -
+
+Mais on découvrira la feinte, si l'on appelle des médecins.
+
+
+- Valère -
+
+Vous moquez-vous ? Y connaissent-ils quelque chose ? Allez, allez,
+vous pourrez avec eux avoir quel mal il vous plaira, ils vous
+trouveront des raisons pour vous dire d'où cela vient.
+
+
+-----------
+
+Scène IX. - Harpagon, Valère, Élise.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part, dans le fond du théâtre.)
+
+Ce n'est rien, Dieu merci.
+
+
+- Valère -
+
+ (sans voir Harpagon.)
+
+Enfin notre dernier recours, c'est que la fuite nous peut mettre à
+couvert de tout ; et, si votre amour, belle Élise, est capable d'une
+fermeté...
+
+ (Apercevant Harpagon.)
+
+Oui, il faut qu'une fille obéisse à son père. Il ne faut point qu'elle
+regarde comme un mari est fait ; et lorsque la grande raison de "sans
+dot" s'y rencontre, elle doit être prête à prendre tout ce qu'on lui
+donne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Bon : voilà bien parlé, cela !
+
+
+- Valère -
+
+Monsieur, je vous demande pardon si je m'emporte un peu, et prends la
+hardiesse de lui parler comme je fais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ! j'en suis ravi, et je veux que tu prennes sur elle un
+pouvoir absolu.
+
+ (A Élise.)
+
+Oui, tu as beau fuir, je lui donne l'autorité que le ciel me donne sur
+toi, et j'entends que tu fasses tout ce qu'il te dira.
+
+
+- Valère -
+
+ (A Élise.)
+
+Après cela, résistez à mes remontrances.
+
+
+-----------
+
+Scène X. - Harpagon, Valère.
+
+
+
+- Valère -
+
+Monsieur, je vais la suivre, pour continuer les leçons que je lui
+faisais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, tu m'obligeras. Certes...
+
+
+- Valère -
+
+Il est bon de lui tenir un peu la bride haute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela est vrai. Il faut...
+
+
+- Valère -
+
+Ne vous mettez pas en peine, je crois que j'en viendrai à bout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Fais, fais. Je m'en vais faire un petit tour en ville, et reviens tout
+à l'heure.
+
+
+- Valère -
+
+ (adressant la parole à Élise, en s'en allant du côté
+ par où elle est sortie.)
+
+Oui, l'argent est plus précieux que toutes les choses du monde, et
+vous devez rendre grâce au ciel de l'honnête homme de père qu'il vous
+a donné. Il sait ce que c'est que de vivre. Lorsqu'on s'offre de
+prendre une fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout
+est renfermé là-dedans ; et "sans dot" tient lieu de beauté, de
+jeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse, et de probité.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! le brave garçon ! Voilà parlé comme un oracle. Heureux qui peut
+avoir un domestique de la sorte !
+
+
+
+ACTE SECOND.
+------------
+
+
+
+Scène première. - Cléante, La Flèche.
+
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! traître que tu es ! où t'es-tu donc allé fourrer ? Ne t'avais-je
+pas donné ordre... ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Oui, Monsieur ; et je m'étais rendu ici pour vous attendre de pied
+ferme : mais monsieur votre père, le plus malgracieux des hommes, m'a
+chassé dehors malgré moi, et j'ai couru le risque d'être battu.
+
+
+- Cléante -
+
+Comment va notre affaire ? Les choses pressent plus que jamais ; et,
+depuis que je t'ai vu, j'ai découvert que mon père est mon rival.
+
+
+- La Flèche -
+
+Votre père amoureux ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui ; et j'ai eu toutes les peines du monde à lui cacher le trouble où
+cette nouvelle m'a mis.
+
+
+- La Flèche -
+
+Lui, se mêler d'aimer ! De quoi diable s'avise-t-il ? Se moque-t-il du
+monde ? Et l'amour a-t-il été fait pour des gens bâtis comme lui ?
+
+
+- Cléante -
+
+Il a fallu, pour mes péchés, que cette passion lui soit venue en tête.
+
+
+- La Flèche -
+
+Mais par quelle raison lui faire un mystère de votre amour ?
+
+
+- Cléante -
+
+Pour lui donner moins de soupçon, et me conserver, au besoin, des
+ouvertures plus aisées pour détourner ce mariage. Quelle réponse
+t'a-t-on faite ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ma foi, Monsieur, ceux qui empruntent sont bien malheureux ; et il faut
+essuyer d'étranges choses, lorsqu'on en est réduit à passer, comme
+vous, par les mains des fesse-matthieux (7).
+
+
+- Cléante -
+
+L'affaire ne se fera point ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Pardonnez-moi. Notre maître Simon, le courtier qu'on nous a donné,
+homme agissant et plein de zèle, dit qu'il a fait rage pour vous, et
+il assure que votre seule physionomie lui a gagné le coeur.
+
+
+- Cléante -
+
+J'aurai les quinze mille francs que je demande ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Oui ; mais à quelques petites conditions qu'il faudra que vous
+acceptiez, si vous avez dessein que les choses se fassent.
+
+
+- Cléante -
+
+T'a-t-il fait parler à celui qui doit prêter l'argent ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ah ! vraiment, cela ne va pas de la sorte. Il apporte encore plus de
+soin à se cacher que vous ; et ce sont des mystères bien plus grands
+que vous ne pensez. On ne veut point du tout dire son nom ; et l'on
+doit aujourd'hui l'aboucher avec vous dans une maison empruntée, pour
+être instruit par votre bouche de votre bien et de votre famille ; et
+je ne doute point que le seul nom de votre père ne rende les choses
+faciles.
+
+
+- Cléante -
+
+Et principalement notre mère étant morte, dont on ne peut m'ôter le
+bien.
+
+
+- La Flèche -
+
+Voici quelques articles qu'il a dictés lui-même à notre entremetteur,
+pour vous être montrés avant que de rien faire :
+
+ "Supposé que le prêteur voie toutes ses sûretés, et que
+ l'emprunteur soit majeur et d'une famille où le bien soit
+ ample, solide, assuré, clair, et net de tout embarras, on
+ fera une bonne et exacte obligation par-devant un notaire,
+ le plus honnête homme qu'il se pourra, et qui, pour cet
+ effet sera choisi par le prêteur, auquel il importe le
+ plus que l'acte soit dûment dressé."
+
+
+- Cléante -
+
+Il n'y a rien à dire à cela.
+
+
+- La Flèche -
+
+ "Le prêteur, pour ne charger Sa conscience d'aucun scrupule,
+ prétend ne donner son argent qu'au denier dix-huit. (8)"
+
+
+- Cléante -
+
+Au denier dix-huit ? Parbleu, voilà qui est honnête ! Il n'y a pas
+lieu de se plaindre.
+
+
+- La Flèche -
+
+Cela est vrai.
+
+ "Mais, comme ledit prêteur n'a pas chez lui la somme dont il
+ est question, et que, pour faire plaisir à l'emprunteur il
+ est contraint lui-même de l'emprunter d'un autre sur le pied
+ du denier cinq (9), il conviendra que ledit premier emprunteur
+ paye cet intérêt, sans préjudice du reste, attendu que ce
+ n'est que pour l'obliger que ledit prêteur s'engage à cet
+ emprunt."
+
+
+- Cléante -
+
+Comment diable ! Quel Juif, quel Arabe est-ce là ? C'est plus qu'au
+denier quatre (10).
+
+
+- La Flèche -
+
+Il est vrai ; c'est ce que j'ai dit. Vous avez à voir là-dessus.
+
+
+- Cléante -
+
+Que veux-tu que je voie ? J'ai besoin d'argent, et il faut bien que je
+consente à tout.
+
+
+- La Flèche -
+
+C'est la réponse que j'ai faite.
+
+
+- Cléante -
+
+Il y a encore quelque chose ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ce n'est plus qu'un petit article.
+
+ "Des quinze mille francs qu'on demande, le prêteur ne
+ pourra compter en argent que douze mille livres ; et,
+ pour les mille écus restants, il faudra que l'emprunteur
+ prenne les hardes, nippes, bijoux, dont s'ensuit le
+ mémoire, et que ledit prêteur a mis, de bonne foi, au
+ plus modique prix qu'il lui a été possible."
+
+
+- Cléante -
+
+Que veut dire cela ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ecoutez le mémoire :
+
+ "Premièrement, un lit de quatre pieds à bandes de point
+ de Hongrie, appliquées fort proprement sur un drap de
+ couleur d'olive, avec six chaises et la courte-pointe
+ de même : le tout bien conditionné, et doublé d'un petit
+ taffetas changeant rouge et bleu.
+ Plus, un pavillon à queue, d'une bonne serge d'Aumale
+ rose sèche, avec le mollet et les franges de soie."
+
+
+- Cléante -
+
+Que veut-il que je fasse de cela ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Attendez.
+
+ "Plus une tenture de tapisserie des Amours de Gombaud
+ et de Macée.
+ Plus, une grande table de bois de noyer, à douze colonnes
+ ou piliers tournés, qui se tire par les deux bouts, et
+ garnie par le dessous de ses six escabelles."
+
+
+- Cléante -
+
+Qu'ai-je affaire, morbleu... ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Donnez-vous patience.
+
+ "Plus trois gros mousquets tout garnis de nacre de perle,
+ avec les trois fourchettes assortissantes (11).
+ Plus un fourneau de brique, avec deux cornues et trois
+ récipients, fort utiles à ceux qui sont curieux de
+ distiller."
+
+
+- Cléante -
+
+J'enrage !
+
+
+- La Flèche -
+
+Doucement.
+
+ "Plus, un luth de Bologne, garni de toutes ses cordes,
+ ou peu s'en faut.
+ Plus, un trou-madame et un damier, avec un jeu de l'oie,
+ renouvelé des Grecs, fort propres à passer le temps
+ lorsque l'on n'a que faire.
+ Plus, une peau d'un lézard de trois pieds et demi, remplie
+ de foin ; curiosité agréable pour pendre au plancher d'une
+ chambre.
+ Le tout, ci-dessus mentionné, valant loyalement plus de
+ quatre mille cinq cents livres, et rabaissé à la valeur
+ de mille écus par la discrétion du prêteur."
+
+
+- Cléante -
+
+Que la peste l'étouffe avec sa discrétion, le traître, le bourreau
+qu'il est ! A-t-on jamais parlé d'une usure semblable, et n'est-il
+pas content du furieux intérêt qu'il exige, sans vouloir encore
+m'obliger à prendre pour trois mille livres les vieux rogatons qu'il
+ramasse ? Je n'aurai pas deux cents écus de tout cela ; et cependant
+il faut bien me résoudre à consentir à ce qu'il veut : car il est en
+état de me faire tout accepter, et il me tient, le scélérat, le
+poignard sur la gorge.
+
+
+- La Flèche -
+
+Je vous vois, Monsieur, ne vous en déplaise, dans le grand chemin
+justement que tenait Panurge pour se ruiner, prenant argent d'avance,
+achetant cher, vendant à bon marché et mangeant son blé en herbe.
+
+
+- Cléante -
+
+Que veux-tu que j'y fasse ? Voilà où les jeunes gens sont réduits par
+la maudite avarice des pères ; et on s'étonne, après cela, que les
+fils souhaitent qu'ils meurent !
+
+
+- La Flèche -
+
+Il faut convenir que le vôtre animerait contre sa vilenie le plus posé
+homme du monde. Je n'ai pas, Dieu merci, les inclinations fort
+patibulaires ; et, parmi mes confrères que je vois se mêler de
+beaucoup de petits commerces, je sais tirer adroitement mon épingle du
+jeu, et me démêler prudemment de toutes les galanteries qui sentent
+tant soit peu l'échelle ; mais, à vous dire vrai, il me donnerait, par
+ses procédés, des tentations de le voler ; et je croirais, en le
+volant, faire une action méritoire.
+
+
+- Cléante -
+
+Donne-moi un peu ce mémoire, que je le voie encore.
+
+
+-----------
+
+Scène II. - Harpagon, Maître Simon ; Cléante et La Flèche dans le fond
+ du théâtre.
+
+
+
+- Maître Simon -
+
+Oui, Monsieur, c'est un jeune homme qui a besoin d'argent ; ses
+affaires le pressent d'en trouver, et il en passera par tout ce que
+vous en prescrirez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais croyez-vous, maître Simon, qu'il n'y ait rien à péricliter ? et
+savez-vous le nom, les biens et la famille de celui pour qui vous
+parlez ?
+
+
+- Maître Simon -
+
+Non. Je ne puis pas bien vous en instruire à fond ; et ce n'est que par
+aventure que l'on m'a adressé à lui ; mais vous serez de toutes choses
+éclairci par lui-même, et son homme m'a assuré que vous serez content
+quand vous le connaîtrez. Tout ce que je saurais vous dire, c'est que
+sa famille est fort riche, qu'il n'a plus de mère déjà, et qu'il
+s'obligera, si vous voulez, que son père mourra avant qu'il soit huit
+mois.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est quelque chose que cela. La charité, maître Simon, nous oblige à
+faire plaisir aux personnes, lorsque nous le pouvons.
+
+
+- Maître Simon -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- La Flèche -
+
+ (bas, à Cléante, reconnaissant maître Simon.)
+
+Que veut dire ceci ? Notre maître Simon qui parle à votre père !
+
+
+- Cléante -
+
+ (bas, à La Flèche.)
+
+Lui aurait-on appris qui je suis ? et serais-tu pour nous trahir ?
+
+
+- Maître Simon -
+
+ (à Cléante et à La Flèche.)
+
+Ah ! ah ! vous êtes bien pressés ! Qui vous a dit que c'était céans ?
+
+ (À Harpagon.)
+
+Ce n'est pas moi, Monsieur, au moins, qui leur ai découvert votre nom
+et votre logis ; mais, à mon avis, il n'y a pas grand mal à cela : ce
+sont des personnes discrètes, et vous pouvez ici vous expliquer
+ensemble.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Maître Simon -
+
+ (montrant Cléante.)
+
+Monsieur est la personne qui veut vous emprunter les quinze mille
+livres dont je vous ai parlé.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, pendard ! c'est toi qui t'abandonnes à ces coupables
+extrémités !
+
+
+- Cléante -
+
+Comment ! mon père, c'est vous qui vous portez à ces honteuses actions !
+
+ (Maître Simon s'enfuit, et La Flèche va se cacher.)
+
+
+-----------
+
+Scène III. - Harpagon, Cléante.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est toi qui te veux ruiner par des emprunts si condamnables !
+
+
+- Cléante -
+
+C'est vous qui cherchez à vous enrichir par des usures si criminelles !
+
+
+- Harpagon -
+
+Oses-tu bien, après cela, paraître devant moi ?
+
+
+- Cléante -
+
+Osez-vous bien, après cela, vous présenter aux yeux du monde ?
+
+
+- Harpagon -
+
+N'as-tu point de honte, dis-moi, d'en venir à ces débauches-là, de te
+précipiter dans des dépenses effroyables, et de faire une honteuse
+dissipation du bien que tes parents t'ont amassé avec tant de sueurs ?
+
+
+- Cléante -
+
+Ne rougissez-vous point de déshonorer votre condition par les
+commerces que vous faites ; de sacrifier gloire et réputation au désir
+insatiable d'entasser écu sur écu, et de renchérir, en fait
+d'intérêts, sur les plus infâmes subtilités qu'aient jamais inventées
+les plus célèbres usuriers ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Ôte-toi de mes yeux, coquin ! ôte-toi de mes yeux !
+
+
+- Cléante -
+
+Qui est plus criminel, à votre avis, ou celui qui achète un argent
+dont il a besoin, ou bien celui qui vole un argent dont il n'a que
+faire ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Retire-toi, te dis-je, et ne m'échauffe pas les oreilles.
+
+ (Seul.)
+
+Je ne suis pas fâché de cette aventure ; et ce m'est un avis de tenir
+l'oeil plus que jamais sur toutes ses actions.
+
+
+-----------
+
+Scène IV. - Frosine, Harpagon.
+
+
+
+- Frosine -
+
+Monsieur...
+
+
+- Harpagon -
+
+Attendez un moment ; Je vais revenir vous parler.
+
+ (A part.)
+
+Il est à propos que je fasse un petit tour à mon argent.
+
+
+-----------
+
+Scène V. - La Flèche, Frosine.
+
+
+
+- La Flèche -
+
+ (sans voir Frosine.)
+
+L'aventure est tout à fait drôle ! Il faut bien qu'il ait quelque part
+un ample magasin de hardes, car nous n'avons rien reconnu au mémoire
+que nous avons.
+
+
+- Frosine -
+
+Hé ! c'est toi, mon pauvre la Flèche ! D'où vient cette rencontre ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ah ! ah ! c'est toi, Frosine ! Que viens-tu faire ici ?
+
+
+- Frosine -
+
+Ce que je fais partout ailleurs : m'entremettre d'affaires, me rendre
+serviable aux gens, et profiter, du mieux qu'il m'est possible, des
+petits talents que je puis avoir. Tu sais que dans ce monde, il faut
+vivre d'adresse, et qu'aux personnes comme moi le ciel n'a donné
+d'autres rentes que l'intrigue et que l'industrie.
+
+
+- La Flèche -
+
+As-tu quelque négoce avec le patron du logis ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui, je traite pour lui quelque petite affaire dont j'espère
+récompense.
+
+
+- La Flèche -
+
+De lui ? Ah ! ma foi, tu seras bien fine si tu en tires quelque chose,
+et je te donne avis que l'argent céans est fort cher.
+
+
+- Frosine -
+
+Il y a de certains services qui touchent merveilleusement.
+
+
+- La Flèche -
+
+Je suis votre valet ; et tu ne connais pas encore le seigneur
+Harpagon. Le seigneur Harpagon est de tous les humains l'humain le
+moins humain, le mortel de tous les mortels le plus dur et le plus
+serré. Il n'est point de service qui pousse sa reconnaissance jusqu'à
+lui faire ouvrir les mains. De la louange, de l'estime, de la
+bienveillance en paroles, et de l'amitié, tant qu'il vous plaira ;
+mais de l'argent, point d'affaires. Il n'est rien de plus sec et de
+plus aride que ses bonnes grâces et ses caresses ; et "donner" est un
+mot pour qui il a tant d'aversion, qu'il ne dit jamais, "Je vous
+donne", mais "Je vous prête le bonjour".
+
+
+- Frosine -
+
+Mon Dieu ! je sais l'art de traire les hommes ; j'ai le secret de
+m'ouvrir leur tendresse, de chatouiller leurs coeurs, de trouver les
+endroits par où ils sont sensibles.
+
+
+- La Flèche -
+
+Bagatelles ici. Je te défie d'attendrir du côté de l'argent l'homme
+dont il est question. Il est Turc là-dessus, mais d'une turquerie à
+désespérer tout le monde ; et l'on pourrait crever, qu'il n'en
+branlerait pas. En un mot, il aime l'argent plus que réputation,
+qu'honneur, et que vertu ; et la vue d'un demandeur lui donne des
+convulsions : c'est le frapper par son endroit mortel, c'est lui
+percer le coeur, c'est lui arracher les entrailles ; et si... Mais il
+revient : je me retire.
+
+
+-----------
+
+Scène VI. - Harpagon, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas.)
+
+Tout va comme il faut.
+
+ (Haut.)
+
+Hé bien ! qu'est-ce, Frosine ?
+
+
+- Frosine -
+
+Ah ! mon Dieu, que vous vous portez bien, et que vous avez là un
+vrai visage de santé !
+
+
+- Harpagon -
+
+Qui ? moi ?
+
+
+- Frosine -
+
+Jamais je ne vous vis un teint si frais et si gaillard.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tout de bon ?
+
+
+- Frosine -
+
+Comment ! vous n'avez de votre vie été si jeune que vous êtes ; et je
+vois des gens de vingt-cinq ans qui sont plus vieux que vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cependant, Frosine, j'en ai soixante bien comptés.
+
+
+- Frosine -
+
+Eh bien, qu'est-ce que cela, soixante ans ? Voilà bien de quoi ! C'est
+la fleur de l'âge, cela, et vous entrez maintenant dans la belle
+saison de l'homme.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il est vrai ; mais vingt années de moins, pourtant, ne me feraient
+point de mal, que je crois.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous moquez-vous ? Vous n'avez pas besoin de cela, et vous êtes d'une
+pâte à vivre jusques à cent ans.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu le crois ?
+
+
+- Frosine -
+
+Assurément. Vous en avez toutes les marques. Tenez-vous un peu. Oh !
+que voilà bien là, entre vos deux yeux, un signe de longue vie !
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu te connais à cela ?
+
+
+- Frosine -
+
+Sans doute. Montrez-moi votre main. Mon Dieu, quelle ligne de vie !
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Frosine -
+
+Ne voyez-vous pas jusqu'où va cette ligne-là ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Eh bien ! qu'est-ce que cela veut dire ?
+
+
+- Frosine -
+
+Par ma foi, je disais cent ans ; mais vous passerez les six-vingts.
+
+
+- Harpagon -
+
+Est-il possible ?
+
+
+- Frosine -
+
+II faudra vous assommer, vous dis-je ; et vous mettrez en terre et vos
+enfants, et les enfants de vos enfants.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tant mieux ! Comment va notre affaire ?
+
+
+- Frosine -
+
+Faut-il le demander ? et me voit-on mêler de rien dont je ne vienne à
+bout ? J'ai, surtout pour les mariages, un talent merveilleux. Il
+n'est point de partis au monde que je ne trouve en peu de temps le
+moyen d'accoupler ; et je crois, si je me l'étais mis en tête, que je
+marierais le Grand Turc avec la République de Venise. Il n'y avait
+pas, sans doute, de si grandes difficultés à cette affaire-ci. Comme
+j'ai commerce chez elles, je les ai à fond l'une et l'autre
+entretenues de vous ; et j'ai dit à la mère le dessein que vous aviez
+conçu pour Mariane, à la voir passer dans la rue et prendre l'air à sa
+fenêtre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qui a fait réponse...
+
+
+- Frosine -
+
+Elle a reçu la proposition avec joie ; et quand je lui ai témoigné que
+vous souhaitiez fort que sa fille assistât ce soir au contrat de
+mariage qui se doit faire de la vôtre, elle y a consenti sans peine,
+et me l'a confiée pour cela.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est que je suis obligé, Frosine, de donner à souper au seigneur
+Anselme ; et je serai bien aise qu'elle soit du régal.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous avez raison. Elle doit, après dîner, rendre visite à votre fille,
+d'où elle fait son compte d'aller faire un tour à la foire, pour venir
+ensuite au souper.
+
+
+- Harpagon -
+
+Eh bien, elles iront ensemble dans mon carrosse, que je leur prêterai.
+
+
+- Frosine -
+
+Voilà justement son affaire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais, Frosine, as-tu entretenu la mère touchant le bien qu'elle peut
+donner à sa fille ? Lui as-tu dit qu'il fallait qu'elle s'aidât un
+peu, qu'elle fît quelque effort, qu'elle se saignât pour une occasion
+comme celle-ci ? Car encore n'épouse-t-on point une fille sans qu'elle
+apporte quelque chose.
+
+
+- Frosine -
+
+Comment ! C'est une fille qui vous apportera douze mille livres de
+rente.
+
+
+- Harpagon -
+
+Douze mille livres de rente ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui. Premièrement, elle est nourrie et élevée dans une grande épargne
+de bouche. C'est une fille accoutumée à vivre de salade, de lait, de
+fromage et de pommes, et à laquelle, par conséquent, il ne faudra ni
+table bien servie, ni consommés exquis, ni orges mondés perpétuels, ni
+les autres délicatesses qu'il faudrait pour une autre femme ; et cela
+ne va pas à si peu de chose, qu'il ne monte bien, tous les ans, à
+trois mille francs pour le moins. Outre cela, elle n'est curieuse que
+d'une propreté fort simple, et n'aime point les superbes habits, ni
+les riches bijoux, ni les meubles somptueux, où donnent ses pareilles
+avec tant de chaleur ; et cet article-là vaut plus de quatre mille
+livres par an. De plus, elle a une aversion horrible pour le jeu, ce
+qui n'est pas commun aux femmes d'aujourd'hui ; et j'en sais une de
+nos quartiers qui a perdu, à trente et quarante, vingt mille francs
+cette année. Mais n'en prenons rien que le quart. Cinq mille francs au
+jeu par an, et quatre mille francs en habits et bijoux, cela fait neuf
+mille livres, et mille écus que nous mettons pour la nourriture: ne
+voilà-t-il pas par année vos douze mille francs bien comptés ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui ; cela n'est pas mal ; mais ce compte-là n'est rien de réel.
+
+
+- Frosine -
+
+Pardonnez-moi. N'est-ce pas quelque chose de réel que de vous apporter
+en mariage une grande sobriété, l'héritage d'un grand amour de
+simplicité de parure, et l'acquisition d'un grand fonds de haine pour
+le jeu ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une raillerie que de vouloir me constituer sa dot de toutes les
+dépenses qu'elle ne fera point. Je n'irai point donner quittance de ce
+que je ne reçois pas ; et il faut bien que je touche quelque chose.
+
+
+- Frosine -
+
+Mon Dieu ! vous toucherez assez ; et elles m'ont parlé d'un certain
+pays où elles ont du bien, dont vous serez le maître.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il faudra voir cela. Mais Frosine, il y a encore une chose qui
+m'inquiète. La fille est jeune, comme tu vois, et les jeunes gens,
+d'ordinaire, n'aiment que leurs semblables, ne cherchent que leur
+compagnie : j'ai peur qu'un homme de mon âge ne soit pas de son goût,
+et que cela ne vienne à produire chez moi certains petits désordres
+qui ne m'accommoderaient pas.
+
+
+- Frosine -
+
+Ah ! que vous la connaissez mal ! C'est encore une particularité que
+j'avais à vous dire. Elle a une aversion épouvantable pour tous les
+jeunes gens, et n'a de l'amour que pour les vieillards.
+
+
+- Harpagon -
+
+Elle ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui, elle. Je voudrais que vous l'eussiez entendue parler là-dessus.
+Elle ne peut souffrir du tout la vue d'un jeune homme ; mais elle
+n'est point plus ravie, dit-elle, que lorsqu'elle peut voir un beau
+vieillard avec une barbe majestueuse. Les plus vieux sont pour elle
+les plus charmants ; et je vous avertis de n'aller pas vous faire plus
+jeune que vous êtes. Elle veut tout au moins qu'on soit sexagénaire ;
+et il n'y a pas quatre mois encore qu'étant prête d'être mariée, elle
+rompit tout net le mariage, sur ce que son amant fit voir qu'il
+n'avait que cinquante-six ans, et qu'il ne prit point de lunettes pour
+signer le contrat.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sur cela seulement ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui. Elle dit que ce n'est pas contentement pour elle que
+cinquante-six ans ; et surtout elle est pour les nez qui portent des
+lunettes.
+
+
+- Harpagon -
+
+Certes, tu me dis là une chose toute nouvelle.
+
+
+- Frosine -
+
+Cela va plus loin qu'on ne vous peut dire. On lui voit dans sa chambre
+quelques tableaux et quelques estampes ; mais que pensez-vous que ce
+soit ? Des Adonis, des Céphales, des Pâris, et des Apollons ? Non : de
+beaux portraits de Saturne, du roi Priam, du vieux Nestor, et du bon
+père Anchise, sur les épaules de son fils.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela est admirable. Voilà ce que je n'aurais jamais pensé, et je suis
+bien aise d'apprendre qu'elle est de cette humeur. En effet, si
+j'avais été femme, je n'aurais point aimé les jeunes hommes.
+
+
+- Frosine -
+
+Je le crois bien. Voilà de belles drogues que des jeunes gens, pour
+les aimer ! Ce sont de beaux morveux, de beaux godelureaux, pour
+donner envie de leur peau ! et je voudrais bien savoir quel ragoût il
+y a à eux !
+
+
+- Harpagon -
+
+Pour moi, je n'y en comprends point, et je ne sais pas comment il y a
+des femmes qui les aiment tant.
+
+
+- Frosine -
+
+Il faut être folle fieffée. Trouver la jeunesse aimable, est-ce avoir
+le sens commun ? Sont-ce des hommes que de jeunes blondins, et peut-on
+s'attacher à ces animaux-là ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est ce que je dis tous les jours : avec leur ton de poule laitée, et
+leurs trois petits brins de barbe relevés en barbe de chat, leurs
+perruques d'étoupes, leurs hauts-de-chausses tombants et leurs
+estomacs débraillés !
+
+
+- Frosine -
+
+Hé ! cela est bien bâti, auprès d'une personne comme vous ! Voilà un
+homme, cela ; il y a là de quoi satisfaire à la vue, et c'est ainsi
+qu'il faut être fait et vêtu pour donner de l'amour.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu me trouves bien ?
+
+
+- Frosine -
+
+Comment ! vous êtes à ravir, et votre figure est à peindre.
+Tournez-vous un peu, s'il vous plaît. Il ne se peut pas mieux. Que je
+vous voie marcher. Voilà un corps taillé, libre, et dégagé comme il
+faut, et qui ne marque aucune incommodité.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je n'en ai pas de grandes, Dieu merci. Il n'y a que ma fluxion qui me
+prend de temps en temps.
+
+
+- Frosine -
+
+Cela n'est rien. Votre fluxion ne vous sied point mal, et vous avez
+grâce à tousser.
+
+
+- Harpagon -
+
+Dis-moi un peu : Mariane ne m'a-t-elle point encore vu ? N'a-t-elle
+point pris garde à moi en passant ?
+
+
+- Frosine -
+
+Non ; mais nous nous sommes fort entretenues de vous. Je lui ai fait
+un portrait de votre personne, et je n'ai pas manqué de lui vanter
+votre mérite et l'avantage que ce lui serait d'avoir un mari comme
+vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu as bien fait, et je t'en remercie.
+
+
+- Frosine -
+
+J'aurais, monsieur, une petite prière à vous faire. J'ai un procès
+que je suis sûr le point de perdre, faute d'un peu d'argent ;
+
+ (Harpagon prend un air sérieux.)
+
+et vous pourriez facilement me procurer le gain de ce procès si vous
+aviez quelque bonté pour moi. Vous ne sauriez croire le plaisir
+qu'elle aura de vous voir.
+
+ (Harpagon reprend un air gai.)
+
+Ah ! que vous lui plairez, et que votre fraise à l'antique fera sur
+son esprit un effet admirable ! Mais surtout elle sera charmée de
+votre haut-de-chausses attaché au pourpoint avec des aiguillettes.
+C'est pour la rendre folle de vous ; et un amant aiguilleté sera pour
+elle un ragoût merveilleux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Certes, tu me ravis de me dire cela.
+
+
+- Frosine -
+
+En vérité, Monsieur, ce procès m'est d'une conséquence tout a fait
+grande.
+
+ (Harpagon reprend son air sérieux.)
+
+Je suis ruinée si je le perds, et quelque petite assistance me
+rétablirait mes affaires... Je voudrais que vous eussiez vu le
+ravissement où elle était à m'entendre parler de vous.
+
+ (Harpagon reprend son air gai.)
+
+La joie éclatait dans ses yeux au récit de vos qualités, et je l'ai
+mise enfin dans une impatience extrême de voir ce mariage entièrement
+conclu.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu m'as fait grand plaisir, Frosine ; et je t'en ai, je te l'avoue,
+toutes les obligations du monde.
+
+
+- Frosine -
+
+Je vous prie, Monsieur, de me donner le petit secours que je vous
+demande.
+
+ (Harpagon reprend encore un air sérieux.)
+
+Cela me remettra sur pied, et je vous en serai éternellement obligée.
+
+
+- Harpagon -
+
+Adieu, je vais achever mes dépêches.
+
+
+- Frosine -
+
+Je vous assure, Monsieur, que vous ne sauriez jamais me soulager dans
+un plus grand besoin.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je mettrai ordre que mon carrosse soit tout prêt pour vous mener à la
+foire.
+
+
+- Frosine -
+
+Je ne vous importunerais pas si je ne m'y voyais forcée par la
+nécessité.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et j'aurai soin qu'on soupe de bonne heure, pour ne vous point faire
+malades.
+
+
+- Frosine -
+
+Ne me refusez pas la grâce dont je vous sollicite. Vous ne sauriez
+croire, Monsieur, le plaisir que...
+
+
+- Harpagon -
+
+Je m'en vais. Voilà qu'on m'appelle. Jusqu'à tantôt.
+
+
+- Frosine -
+
+ (seule.)
+
+Que la fièvre te serre, chien de vilain, à tous les diables ! Le ladre
+a été ferme à toutes mes attaques ; mais il ne me faut pas pourtant
+quitter la négociation ; et j'ai l'autre côté, en tout cas, d'où je
+suis assurée de tirer bonne récompense.
+
+
+
+ACTE TROISIÈME.
+---------------
+
+
+
+Scène première. - Harpagon, Cléante, Élise, Valère, Dame Claude,
+ tenant un balai ; Maître Jacques, La Merluche,
+ Brindavoine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Allons, venez çà tous, que je vous distribue mes ordres pour tantôt et
+règle à chacun son emploi. Approchez, dame Claude ; commençons par
+vous. Bon, vous voilà les armes à la main. Je vous commets au soin de
+nettoyer partout ; et surtout prenez garde de ne point frotter les
+meubles trop fort, de peur de les user. Outre cela, je vous constitue,
+pendant le souper, au gouvernement des bouteilles ; et, s'il s'en
+écarte quelqu'une, et qu'il se casse quelque chose, je m'en prendrai à
+vous et le rabattrai sur vos gages.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+Châtiment politique.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Dame Claude.)
+
+Allez.
+
+
+-----------
+
+Scène II. - Harpagon, Cléante, Élise, Valère, Maître Jacques,
+ Brindavoine, La Merluche.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous, Brindavoine, et vous, la Merluche, je vous établis dans la
+charge de rincer les verres et de donner à boire, mais seulement
+lorsque l'on aura soif, et non pas selon la coutume de certains
+impertinents de laquais, qui viennent provoquer les gens, et les faire
+aviser de boire lorsqu'on n'y songe pas. Attendez qu'on vous en
+demande plus d'une fois, et vous ressouvenez de porter toujours
+beaucoup d'eau.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+Oui. Le vin pur monte à la tête.
+
+
+- La Merluche -
+
+Quitterons-nous nos souquenilles, monsieur ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, quand vous verrez venir les personnes ; et gardez bien de gâter vos
+habits.
+
+
+- Brindavoine -
+
+Vous savez bien, Monsieur, qu'un des devants de mon pourpoint est
+couvert d'une grande tache de l'huile de la lampe.
+
+
+- La Merluche -
+
+Et, moi, Monsieur, que j'ai mon haut-de-chausses tout troué
+par-derrière, et qu'on me voit, révérence parler...
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à la Merluche.)
+
+Paix ! Rangez cela adroitement du côté de la muraille, et présentez
+toujours le devant au monde.
+
+ (A Brindavoine, en lui montrant comment il doit mettre
+ son chapeau au-devant de son pourpoint, pour cacher
+ la tache d'huile.)
+
+Et vous, tenez toujours votre chapeau ainsi, lorsque vous
+servirez.
+
+
+-----------
+
+Scène III. - Harpagon, Cléante, Élise, Valère, Maître Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Pour vous, ma fille, vous aurez l'oeil sur ce que l'on desservira, et
+prendrez garde qu'il ne s'en fasse aucun dégât : cela sied bien aux
+filles. Mais cependant préparez-vous à bien recevoir ma maîtresse, qui
+vous doit venir visiter et vous mener avec elle à la foire.
+Entendez-vous ce que je vous dis ?
+
+
+- Élise -
+
+Oui, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, nigaude.
+
+
+-----------
+
+Scène IV. - Harpagon, Cléante, Valère, Maître Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Et vous, mon fils le damoiseau, à qui j'ai la bonté de pardonner
+l'histoire de tantôt, ne vous allez pas aviser non plus de lui faire
+mauvais visage.
+
+
+- Cléante -
+
+Moi, mon père ? mauvais visage ! Et par quelle raison ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Mon Dieu, nous savons le train des enfants dont les pères se
+remarient, et de quel oeil ils ont coutume de regarder ce qu'on
+appelle belle-mère ; mais si vous souhaitez que je perde le souvenir de
+votre dernière fredaine, je vous recommande surtout de régaler d'un
+bon visage cette personne-là, et de lui faire enfin tout le meilleur
+accueil qu'il vous sera possible.
+
+
+- Cléante -
+
+A vous dire le vrai, mon père, je ne puis pas vous promettre d'être
+bien aise qu'elle devienne ma belle-mère : je mentirais si je vous le
+disais ; mais pour ce qui est de la bien recevoir et de lui faire bon
+visage, je vous promets de vous obéir ponctuellement sur ce chapitre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Prenez-y garde au moins.
+
+
+- Cléante -
+
+Vous verrez que vous n'aurez pas sujet de vous en plaindre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous ferez sagement.
+
+
+-----------
+
+Scène V. - Harpagon, Valère, Maître Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Valère, aide-moi à ceci. Oh çà, maître Jacques, approchez-vous ; je
+vous ai gardé pour le dernier.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Est-ce à votre cocher, Monsieur, ou bien à votre cuisinier, que vous
+voulez parler ? car je suis l'un et l'autre.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est à tous les deux.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Mais à qui des deux le premier ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Au cuisinier.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Attendez donc, s'il vous plaît.
+
+ (Maître Jacques ôte sa casaque de cocher, et paraît vêtu en cuisinier.)
+
+
+- Harpagon -
+
+Quelle diantre de cérémonie est-ce là ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vous n'avez qu'à parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me suis engagé, maître Jacques, à donner ce soir à souper.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+Grande merveille !
+
+
+- Harpagon -
+
+Dis-moi un peu : nous feras-tu bonne chère ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Oui, Si vous me donnez bien de l'argent.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que diable, toujours de l'argent ! Il semble qu'ils n'aient autre
+chose à dire : De l'argent, de l'argent, de l'argent ! Ah ! ils n'ont
+que ce mot à la bouche, de l'argent ! toujours parler d'argent ! Voilà
+leur épée de chevet (12), de l'argent !
+
+
+- Valère -
+
+Je n'ai jamais vu de réponse plus impertinente que celle-là. Voilà
+une belle merveille que de faire bonne chère avec bien de l'argent !
+C'est une chose la plus aisée du monde, et il n'y a si pauvre esprit
+qui n'en fît bien autant ; mais, pour agir en habile homme, il faut
+parler de faire bonne chère avec peu d'argent.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Bonne chère avec peu d'argent !
+
+
+- Valère -
+
+Oui.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Valère.)
+
+Par ma foi, Monsieur l'intendant, vous nous obligerez de nous faire
+voir ce secret, et de prendre mon office de cuisinier ; aussi bien
+vous mêlez-vous céans d'être le factotum.
+
+
+- Harpagon -
+
+Taisez-vous. Qu'est-ce qu'il nous faudra ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Voilà monsieur votre intendant qui vous fera bonne chère pour peu
+d'argent.
+
+
+- Harpagon -
+
+Haye ! Je veux que tu me répondes.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Combien serez-vous de gens à table ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Nous serons huit ou dix ; mais il ne faut prendre que huit :
+quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix.
+
+
+- Valère -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Eh bien ! il faudra quatre grands potages et cinq assiettes...
+Potages... Entrées.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que diable ! voilà pour traiter toute une ville entière.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Rôt...
+
+
+- Harpagon -
+
+ (mettant la main sur la bouche de maître Jacques.)
+
+Ah ! traître, tu manges tout mon bien.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Entremets...
+
+
+- Harpagon -
+
+ (mettant encore la main sur la bouche de maître Jacques.)
+
+Encore ?
+
+
+- Valère -
+
+ (à maître Jacques.)
+
+Est-ce que vous avez envie de faire crever tout le monde ? et Monsieur
+a-t-il invité des gens pour les assassiner à force de mangeaille ?
+Allez-vous-en lire un peu les préceptes de la santé, et demander aux
+médecins s'il y a rien de plus préjudiciable à l'homme que de manger
+avec excès.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il a raison.
+
+
+- Valère -
+
+Apprenez, maître Jacques, vous et vos pareils, que c'est un
+coupe-gorge qu'une table remplie de trop de viandes ; que pour se
+bien montrer ami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalité
+règne dans les repas qu'on donne ; et que, suivant le dire d'un ancien,
+"il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger" (13).
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! que cela est bien dit ! Approche, que je t'embrasse pour ce
+mot. Voilà la plus belle sentence que j'aie entendue de ma vie : "Il
+faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi..." Non, ce n'est
+pas cela. Comment est-ce que tu dis ?
+
+
+- Valère -
+
+Qu'"il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger."
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à maître Jacques.)
+
+Oui. Entends-tu ?
+
+ (À Valère.)
+
+Qui est le grand homme qui a dit cela ?
+
+
+- Valère -
+
+Je ne me souviens pas maintenant de son nom.
+
+
+- Harpagon -
+
+Souviens-toi de m'écrire ces mots : je les veux faire graver en
+lettres d'or sur la cheminée de ma salle.
+
+
+- Valère -
+
+Je n'y manquerai pas. Et, pour votre souper, vous n'avez qu'à me
+laisser faire : je réglerai tout cela comme il faut.
+
+
+- Harpagon -
+
+Fais donc.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Tant mieux ! j'en aurai moins de peine.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Valère.)
+
+Il faudra de ces choses dont on ne mange guère, et qui rassasient
+d'abord : quelque bon haricot bien gras, avec quelque pâté en pot bien
+garni de marrons.
+
+
+- Valère -
+
+Reposez-vous sur moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Maintenant, maître Jacques, il faut nettoyer mon carrosse.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Attendez. Ceci s'adresse au cocher.
+
+ (Il remet sa casaque.)
+
+Vous dites...
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'il faut nettoyer mon carrosse, et tenir mes chevaux tout prêts pour
+conduire à la foire...
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vos chevaux, Monsieur ? Ma foi ! ils ne sont point du tout en état de
+marcher. Je ne vous dirai point qu'ils sont sur la litière : les
+pauvres bêtes n'en ont point, et ce serait fort mal parler ; mais vous
+leur faites observer des jeûnes si austères, que ce ne sont plus rien
+que des idées ou des fantômes, des façons de chevaux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Les voilà bien malades ! ils ne font rien.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Et, pour ne faire rien, Monsieur, est-ce qu'il ne faut rien manger ?
+Il leur vaudrait bien mieux, les pauvres animaux, de travailler
+beaucoup, de manger de même. Cela me fend le coeur de les voir ainsi
+exténués ; car, enfin, j'ai une tendresse pour mes chevaux, qu'il me
+semble que c'est moi-même, quand je les vois pâtir. Je m'ôte tous les
+jours pour eux les choses de la bouche, et c'est être, Monsieur, d'un
+naturel trop dur, que de n'avoir nulle pitié de son prochain.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le travail ne sera pas grand d'aller jusqu'à la foire.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Non, je n'ai pas le courage de les mener ; et je ferais conscience de
+leur donner des coups de fouet, en l'état où ils sont. Comment
+voudriez-vous qu'ils traînassent un carrosse, qu'ils ne peuvent pas se
+traîner eux-mêmes.
+
+
+- Valère -
+
+Monsieur, j'obligerai le voisin le Picard à se charger de les conduire :
+aussi bien nous fera-t-il ici besoin pour apprêter le souper.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Soit. J'aime mieux encore qu'ils meurent sous la main d'un autre que
+sous la mienne.
+
+
+- Valère -
+
+Maître Jacques fait bien le raisonnable !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Monsieur l'intendant fait bien le nécessaire !
+
+
+- Harpagon -
+
+Paix !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Monsieur, je ne saurais souffrir les flatteurs ; et je vois que ce
+qu'il en fait, que ses contrôles perpétuels sur le pain et le vin, le
+bois, le sel et la chandelle, ne sont rien que pour vous gratter et
+vous faire sa cour. J'enrage de cela, et je suis fâché tous les jours
+d'entendre ce qu'on dit de vous : car, enfin, je me sens pour vous de
+la tendresse, en dépit que j'en aie ; et, après mes chevaux, vous êtes
+la personne que j'aime le plus.
+
+
+- Harpagon -
+
+Pourrais-je savoir de vous, maître Jacques, ce que l'on dit de moi ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Oui, monsieur, si j'étais assuré que cela ne vous fâchât point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, en aucune façon.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Pardonnez-moi ; je sais fort bien que je vous mettrais en colère.
+
+
+- Harpagon -
+
+Point du tout ; au contraire, c'est me faire plaisir, et je suis bien
+aise d'apprendre comme on parle de moi.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Monsieur, puisque vous le voulez, je vous dirai franchement qu'on se
+moque partout de vous, qu'on nous jette de tous côtés cent brocards à
+votre sujet, et que l'on n'est point plus ravi que de vous tenir au
+cul et aux chausses, et de faire sans cesse des contes de votre
+lésine. L'un dit que vous faites imprimer des almanachs particuliers,
+où vous faites doubler les quatre-temps et les vigiles, afin de
+profiter des jeûnes où vous obligez votre monde ; l'autre, que vous
+avez toujours une querelle toute prête à faire à vos valets dans le
+temps des étrennes ou de leur sortie d'avec vous, pour vous trouver
+une raison de ne leur donner rien. Celui-là conte qu'une fois vous
+fîtes assigner le chat d'un de vos voisins, pour vous avoir mangé un
+reste d'un gigot de mouton ; celui-ci, que l'on vous surprit, une
+nuit, en venant dérober vous-même l'avoine de vos chevaux ; et que
+votre cocher, qui était celui d'avant moi, vous donna, dans
+l'obscurité, je ne sais combien de coups de bâton, dont vous ne
+voulûtes rien dire. Enfin, voulez-vous que je vous dise ? On ne
+saurait aller nulle part où l'on ne vous entende accommoder de toutes
+pièces. Vous êtes la fable et la risée de tout le monde ; et jamais on
+ne parle de vous que sous les noms d'avare, de ladre, de vilain et de
+fesse-mathieu.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (en battant maître Jacques.)
+
+Vous êtes un sot, un maraud, un coquin, et un impudent.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Eh bien, ne l'avais-je pas deviné ? Vous ne m'avez pas voulu croire.
+Je vous l'avais bien dit que je vous fâcherais de vous dire la vérité.
+
+
+- Harpagon -
+
+Apprenez à parler.
+
+
+-----------
+
+Scène VI. - Valère, Maître Jacques.
+
+
+
+- Valère -
+
+ (riant.)
+
+À ce que je puis voir, maître Jacques, on paie mal votre franchise.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Morbleu ! Monsieur le nouveau venu, qui faites l'homme d'importance,
+ce n'est pas votre affaire. Riez de vos coups de bâton quand on vous
+on donnera, et ne venez point rire des miens.
+
+
+- Valère -
+
+Ah ! Monsieur maître Jacques, ne vous fâchez pas, je vous prie.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+II file doux. Je veux faire le brave, et, s'il est assez sot pour me
+craindre, le frotter quelque peu.
+
+ (Haut.)
+
+Savez-vous bien, Monsieur le rieur, que je ne ris pas, moi, et que si
+vous m'échauffez la tête, je vous ferai rire d'une autre sorte ?
+
+ (Maître Jacques pousse Valère jusqu'au bout du théâtre
+ en le menaçant.)
+
+
+- Valère -
+
+Hé ! doucement.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Comment, doucement ? Il ne me plaît pas, moi.
+
+
+- Valère -
+
+De grâce !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vous êtes un impertinent.
+
+
+- Valère -
+
+Monsieur maître Jacques !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+II n'y a point de monsieur maître Jacques pour un double (14). Si je
+prends un bâton, je vous rosserai d'importance.
+
+
+- Valère -
+
+Comment ! un bâton ?
+
+ (Valère le fait reculer autant qu'il l'a fait.)
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Hé ! je ne parle pas de cela.
+
+
+- Valère -
+
+Savez-vous bien, Monsieur le fat, que je suis homme à vous rosser
+vous-même ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je n'en doute pas.
+
+
+- Valère -
+
+Que vous n'êtes, pour tout potage, qu'un faquin de cuisinier ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je le sais bien.
+
+
+- Valère -
+
+Et que vous ne me connaissez pas encore ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Pardonnez-moi.
+
+
+- Valère -
+
+Vous me rosserez, dites-vous ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je le disais en raillant.
+
+
+- Valère -
+
+Et moi, je ne prends point de goût à votre raillerie.
+
+ (Donnant des coups de bâton à maître Jacques.)
+
+Apprenez que vous êtes un mauvais railleur.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (seul.)
+
+Peste soit la sincérité ! c'est un mauvais métier : désormais j'y
+renonce, et je ne veux plus dire vrai. Passe encore pour mon maître,
+il a quelque droit de me battre ; mais, pour ce monsieur l'intendant,
+je m'en vengerai si je le puis.
+
+
+-----------
+
+Scène VII. - Mariane, Frosine, Maître Jacques.
+
+
+
+- Frosine -
+
+Savez-vous, maître Jacques, si votre maître est au logis ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Oui, vraiment il y est : je ne le sais que trop.
+
+
+- Frosine -
+
+Dites-lui, je vous prie, que nous sommes ici.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Ah ! nous voilà pas mal !
+
+
+-----------
+
+Scène VIII. - Mariane, Frosine.
+
+
+
+- Mariane -
+
+Ah ! que je suis, Frosine, dans un étrange état ! et, s'il faut dire
+ce que je sens, que j'appréhende cette vue !
+
+
+- Frosine -
+
+Mais pourquoi, et quelle est votre inquiétude ?
+
+
+- Mariane -
+
+Hélas ! me le demandez-vous ? et ne vous figurez-vous point les
+alarmes d'une personne toute prête à voir le supplice où l'on veut
+l'attacher ?
+
+
+- Frosine -
+
+Je vois bien que, pour mourir agréablement, Harpagon n'est pas le
+supplice que vous voudriez embrasser ; et je connais, à votre mine,
+que le jeune blondin dont vous m'avez parlé vous revient un peu dans
+l'esprit.
+
+
+- Mariane -
+
+Oui. C'est une chose, Frosine, dont je ne veux pas me défendre ; et
+les visites respectueuses qu'il a rendues chez nous ont fait, je vous
+l'avoue, quelque effet dans mon âme.
+
+
+- Frosine -
+
+Mais avez-vous su quel il est ?
+
+
+- Mariane -
+
+Non, je ne sais point quel il est. Mais je sais qu'il est fait d'un
+air à se faire aimer ; que, si l'on pouvait mettre les choses à mon
+choix, je le prendrais plutôt qu'un autre, et qu'il ne contribue pas
+peu à me faire trouver un tourment effroyable dans l'époux qu'on veut
+me donner.
+
+
+- Frosine -
+
+Mon Dieu, tous ces blondins sont agréables, et débitent fort bien leur
+fait ; mais la plupart sont gueux comme des rats : il vaut mieux, pour
+vous, de prendre un vieux mari qui vous donne beaucoup de bien. Je
+vous avoue que les sens ne trouvent pas si bien leur compte du côté
+que je dis, et qu'il y a quelques petits dégoûts à essuyer avec un tel
+époux ; mais cela n'est pas pour durer ; et sa mort, croyez-moi, vous
+mettra bientôt en état d'en prendre un plus aimable, qui réparera
+toutes choses.
+
+
+- Mariane -
+
+Mon Dieu ! Frosine, c'est une étrange affaire, lorsque pour être
+heureuse, il faut souhaiter ou attendre le trépas de quelqu'un ; et la
+mort ne suit pas tous les projets que nous faisons.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous moquez-vous ? Vous ne l'épousez qu'aux conditions de vous laisser
+veuve bientôt ; et ce doit être là un des articles du contrat. Il
+serait bien impertinent de ne pas mourir dans trois mois ! Le voici
+en propre personne.
+
+
+- Mariane -
+
+Ah ! Frosine, quelle figure !
+
+
+-----------
+
+Scène IX. - Harpagon, Mariane, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Mariane.)
+
+Ne vous offensez pas, ma belle, si je viens à vous avec des
+lunettes. Je sais que vos appas frappent assez les yeux, sont assez
+visibles d'eux-mêmes, et qu'il n'est pas besoin de lunettes pour les
+apercevoir ; mais enfin, c'est avec des lunettes qu'on observe les
+astres, et je maintiens et garantis que vous êtes un astre, mais un
+astre, le plus bel astre qui soit dans le pays des astres. Frosine,
+elle ne répond mot et ne témoigne, ce me semble, aucune joie de me
+voir.
+
+
+- Frosine -
+
+C'est qu'elle est encore toute surprise ; et, puis les filles
+ont toujours honte à témoigner d'abord ce qu'elles ont dans l'âme.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Frosine.)
+
+Tu as raison.
+
+ (A Mariane.)
+
+Voilà, belle mignonne, ma fille qui vient vous saluer.
+
+
+-----------
+
+Scène X. - Harpagon, Élise, Mariane, Frosine.
+
+
+
+- Mariane -
+
+Je m'acquitte bien tard, Madame, d'une telle visite.
+
+
+- Élise -
+
+Vous avez fait, Madame, ce que je devais faire, et c'était à moi de
+vous prévenir.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous voyez qu'elle est grande ; mais mauvaise herbe croît toujours.
+
+
+- Mariane -
+
+ (bas, à Frosine.)
+
+Oh ! l'homme déplaisant !
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à Frosine.)
+
+Que dit la belle ?
+
+
+- Frosine -
+
+Qu'elle vous trouve admirable.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est trop d'honneur que vous me faites, adorable mignonne.
+
+
+- Mariane -
+
+ (à part.)
+
+Quel animal !
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous suis trop obligé de ces sentiments.
+
+
+- Mariane -
+
+ (à part.)
+
+Je n'y puis plus tenir.
+
+
+-----------
+
+Scène XI. - Harpagon, Mariane, Élise, Cléante, Valère, Frosine,
+ Brindavoine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Voici mon fils aussi qui vous vient faire la révérence.
+
+
+- Mariane -
+
+ (bas, à Frosine.)
+
+Ah ! Frosine, quelle rencontre ! C'est justement celui dont je t'ai
+parlé.
+
+
+- Frosine -
+
+ (à Mariane.)
+
+L'aventure est merveilleuse.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vois que vous vous étonnez de me voir de si grands enfants ; mais
+je serai bientôt défait et de l'un et de l'autre.
+
+
+- Cléante -
+
+ (à Mariane.)
+
+Madame, à vous dire le vrai, c'est ici une aventure où, sans doute, je
+ne m'attendais pas ; et mon père ne m'a pas peu surpris lorsqu'il m'a
+dit tantôt le dessein qu'il avait formé.
+
+
+- Mariane -
+
+Je puis dire la même chose. C'est une rencontre imprévue, qui m'a
+surprise autant que vous ; et je n'étais point préparée à une pareille
+aventure.
+
+
+- Cléante -
+
+Il est vrai que mon père, Madame, ne peut pas faire un plus beau
+choix, et que ce m'est une sensible joie que l'honneur de vous voir ;
+mais, avec tout cela, je ne vous assurerai point que je me réjouis du
+dessein où vous pourriez être de devenir ma belle-mère. Le compliment,
+je vous l'avoue, est trop difficile pour moi, et c'est un titre, s'il
+vous plaît, que je ne vous souhaite point. Ce discours paraîtra brutal
+aux yeux de quelques-uns ; mais je suis assuré que vous serez personne
+à le prendre comme il faudra ; que c'est un mariage, Madame, où vous
+vous imaginez bien que je dois avoir de la répugnance ; que vous
+n'ignorez pas, sachant ce que je suis, comme il choque mes intérêts,
+et que vous voulez bien enfin que je vous dise, avec la permission de
+mon père, que, si les choses dépendaient de moi, cet hymen ne se
+ferait point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà un compliment bien impertinent ! Quelle belle confession à lui
+faire !
+
+
+- Mariane -
+
+Et moi, pour vous répondre, j'ai à vous dire que les choses sont fort
+égales ; et que si vous auriez de la répugnance à me voir votre
+belle-mère, je n'en aurais pas moins, sans doute, à vous voir mon
+beau-fils. Ne croyez pas, je vous prie, que ce soit moi qui cherche à
+vous donner cette inquiétude. Je serais fort fâchée de vous causer du
+déplaisir ; et si je ne m'y vois forcée par une puissance absolue, je
+vous donne ma parole que je ne consentirai point au mariage qui vous
+chagrine.
+
+
+- Harpagon -
+
+Elle a raison. A sot compliment, il faut une réponse de même. Je vous
+demande pardon, ma belle, de l'impertinence de mon fils : c'est un
+jeune sot qui ne sait pas encore la conséquence des paroles qu'il dit.
+
+
+- Mariane -
+
+Je vous promets que ce qu'il m'a dit ne m'a point du tout offensée ;
+au contraire, il m'a fait plaisir de m'expliquer ainsi ses véritables
+sentiments. J'aime de lui un aveu de la sorte ; et s'il avait parlé
+d'autre façon, je l'en estimerais bien moins.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est beaucoup de bonté à vous de vouloir ainsi excuser ses fautes.
+Le temps le rendra plus sage, et vous verrez qu'il changera de
+sentiments.
+
+
+- Cléante -
+
+Non, mon père, je ne suis pas capable d'en changer, et je prie
+instamment Madame de le croire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais voyez quelle extravagance ! il continue encore plus fort.
+
+
+- Cléante -
+
+Voulez-vous que je trahisse mon coeur ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Encore ! Avez-vous envie de changer de discours ?
+
+
+- Cléante -
+
+Eh bien, puisque vous voulez que je parle d'autre façon, souffrez,
+Madame, que je me mette ici à la place de mon père, et que je vous
+avoue que je n'ai rien vu dans le monde de si charmant que vous ; que
+je ne conçois rien d'égal au bonheur de vous plaire, et que le titre
+de votre époux est une gloire, une félicité que je préférerais aux
+destinées des plus grands princes de la terre. Oui, Madame, le bonheur
+de vous posséder est, à mes regards, la plus belle de toutes les
+fortunes ; c'est où j'attache toute mon ambition. Il n'y a rien que je
+ne sois capable de faire pour une conquête si précieuse ; et les
+obstacles les plus puissants...
+
+
+- Harpagon -
+
+Doucement, mon fils, s'il vous plaît.
+
+
+- Cléante -
+
+C'est un compliment que je fais pour vous à Madame.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mon Dieu, j'ai une langue pour m'expliquer moi-même, et je n'ai pas
+besoin d'un interprète comme vous. Allons, donnez des sièges.
+
+
+- Frosine -
+
+Non ; il vaut mieux que de ce pas nous allions à la foire, afin d'en
+revenir plus tôt et d'avoir tout le temps ensuite de nous entretenir.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Brindavoine.)
+
+Qu'on mette donc les chevaux au carrosse.
+
+
+-----------
+
+Scène XII. - Harpagon, Mariane, Élise, Cléante, Valère, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Mariane.)
+
+Je vous prie de m'excuser, ma belle, si je n'ai pas songé a vous
+donner un peu de collation avant que de partir.
+
+
+- Cléante -
+
+J'y ai pourvu, mon père, et j'ai fait apporter ici quelques bassins
+d'oranges de la Chine, de citrons doux, et de confitures, que j'ai
+envoyé quérir de votre part.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à Valère.)
+
+Valère !
+
+
+- Valère -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Il a perdu le sens.
+
+
+- Cléante -
+
+Est-ce que vous trouvez, mon père, que ce ne soit pas assez ? Madame
+aura la bonté d'excuser cela, s'il vous plaît.
+
+
+- Mariane -
+
+C'est une chose qui n'était pas nécessaire.
+
+
+- Cléante -
+
+Avez-vous jamais vu, madame, un diamant plus vif que celui que vous
+voyez que mon père a au doigt ?
+
+
+- Mariane -
+
+Il est vrai qu'il brille beaucoup.
+
+
+- Cléante -
+
+ (ôtant du doigt de son père le diamant, et le donnant à Mariane)
+
+Il faut que vous le voyiez de près.
+
+
+- Mariane -
+
+Il est fort beau, sans doute, et jette quantité de feux.
+
+
+- Cléante -
+
+ (se mettant au-devant de Mariane, qui veut rendre le diamant.)
+
+Nenni. Madame, il est en de trop belles mains. C'est un présent que
+mon père vous fait.
+
+
+- Harpagon -
+
+Moi !
+
+
+- Cléante -
+
+N'est-il pas vrai, mon père, que vous voulez que Madame le garde pour
+l'amour de vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à son fils.)
+
+Comment ?
+
+
+- Cléante -
+
+ (à Mariane.)
+
+Belle demande ! Il me fait signe de vous le faire accepter.
+
+
+- Mariane -
+
+Je ne veux point...
+
+
+- Cléante -
+
+ (à Mariane.)
+
+Vous moquez-vous ? Il n'a garde de le reprendre.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+J'enrage !
+
+
+- Mariane -
+
+Ce serait...
+
+
+- Cléante -
+
+ (empêchant toujours Mariane de rendre la bague.)
+
+Non, vous dis-je, c'est l'offenser.
+
+
+- Mariane -
+
+De grâce...
+
+
+- Cléante -
+
+Point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Peste soit...
+
+
+- Cléante -
+
+Le voilà qui se scandalise de votre refus.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à son fils.)
+
+Ah ! traître !
+
+
+- Cléante -
+
+ (à Mariane.)
+
+Vous voyez qu'il se désespère.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à son fils, en le menaçant.)
+
+Bourreau que tu es !
+
+
+- Cléante -
+
+Mon père, ce n'est pas ma faute. Je fais ce que je puis pour l'obliger
+à la garder ; mais elle est obstinée.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à son fils en le menaçant.)
+
+Pendard !
+
+
+- Cléante -
+
+Vous êtes cause, Madame, que mon père me querelle.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à son fils, avec les mêmes gestes.)
+
+Le coquin !
+
+
+- Cléante -
+
+Vous le ferez tomber malade. De grâce, Madame, ne résistez point
+davantage.
+
+
+- Frosine -
+
+ (à Mariane.)
+
+Mon Dieu ! que de façons ! Gardez la bague, puisque monsieur le veut.
+
+
+- Mariane -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Pour ne vous point mettre en colère, je la garde maintenant, et je
+prendrai un autre temps pour vous la rendre.
+
+
+-----------
+
+Scène XIII. - Harpagon, Mariane, Élise, Cléante, Valère, Frosine,
+ Brindavoine.
+
+
+
+- Brindavoine -
+
+Monsieur, il y a là un homme qui veut vous parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Dis-lui que je suis empêché, et qu'il revienne une autre fois.
+
+
+- Brindavoine -
+
+Il dit qu'il vous apporte de l'argent.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous demande pardon. Je reviens tout à l'heure.
+
+
+-----------
+
+Scène XIV. - Harpagon, Mariane, Élise, Cléante, Valère, Frosine,
+ La Merluche.
+
+
+
+- La Merluche -
+
+ (courant et faisant tomber Harpagon.)
+
+Monsieur...
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! je suis mort.
+
+
+- Cléante -
+
+Qu'est-ce, mon père ? Vous êtes-vous fait mal ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Le traître assurément a reçu de l'argent de mes débiteurs pour me
+faire rompre le cou.
+
+
+- Valère -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Cela ne sera rien.
+
+
+- La Merluche -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Monsieur, je vous demande pardon ; je croyais bien faire d'accourir
+vite.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que viens-tu faire ici, bourreau ?
+
+
+- La Merluche -
+
+Vous dire que vos deux chevaux sont déferrés.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'on les mène promptement chez le maréchal.
+
+
+- Cléante -
+
+En attendant qu'ils soient ferrés, je vais faire pour vous, mon père,
+les honneurs de votre logis, et conduire madame dans le jardin où je
+ferai porter la collation.
+
+
+-----------
+
+Scène XV. - Harpagon, Valère.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Valère, aie un peu l'oeil à tout cela, et prends soin, je te prie, de
+m'en sauver le plus que tu pourras, pour le renvoyer au marchand.
+
+
+- Valère -
+
+C'est assez.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (seul.)
+
+Ô fils impertinent ! as-tu envie de me ruiner ?
+
+
+
+ACTE QUATRIÈME.
+---------------
+
+
+
+Scène première. - Cléante, Mariane, Élise, Frosine.
+
+
+
+- Cléante -
+
+Rentrons ici ; nous serons beaucoup mieux. Il n'y a plus autour de
+nous personne de suspect, et nous pouvons parler librement.
+
+
+- Élise -
+
+Oui, Madame, mon frère m'a fait confidence de la passion qu'il a pour
+vous. Je sais les chagrins et les déplaisirs que sont capables de
+causer de pareilles traverses ; et c'est, je vous assure, avec une
+tendresse extrême, que je m'intéresse à votre aventure.
+
+
+- Mariane -
+
+C'est une douce consolation que de voir dans ses intérêts une personne
+comme vous ; et je vous conjure, Madame, de me garder toujours cette
+généreuse amitié, si capable de m'adoucir les cruautés de la fortune.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous êtes, par ma foi, de malheureuses gens l'un et l'autre, de ne
+m'avoir point, avant tout ceci, avertie de votre affaire. Je vous
+aurais, sans doute, détourné cette inquiétude, et n'aurais point amené
+les choses où l'on voit qu'elles sont.
+
+
+- Cléante -
+
+Que veux-tu ? c'est ma mauvaise destinée qui l'a voulu ainsi. Mais,
+belle Mariane, quelles résolutions sont les vôtres ?
+
+
+- Mariane -
+
+Hélas ! suis-je en pouvoir de faire des résolutions ? et, dans
+la dépendance où je me vois, puis-je former que des souhaits ?
+
+
+- Cléante -
+
+Point d'autre appui pour moi dans votre coeur que de simples souhaits ?
+Point de pitié officieuse ? Point de secourable bonté ? Point
+d'affection agissante ?
+
+
+- Mariane -
+
+Que saurais-je vous dire ? Mettez-vous en ma place, et voyez ce que je
+puis faire. Avisez, ordonnez vous-même : je m'en remets à vous, et je
+vous crois trop raisonnable pour vouloir exiger de moi que ce qui peut
+m'être permis par l'honneur et la bienséance.
+
+
+- Cléante -
+
+Hélas ! où me réduisez-vous que de me renvoyer à ce que voudront me
+permettre les fâcheux sentiments d'un rigoureux honneur et d'une
+scrupuleuse bienséance ?
+
+
+- Mariane -
+
+Mais que voulez-vous que je fasse ? Quand je pourrais passer sur
+quantité d'égards où notre sexe est obligé, j'ai de la considération
+pour ma mère. Elle m'a toujours élevée avec une tendresse extrême, et
+je ne saurais me résoudre à lui donner du déplaisir. Faites, agissez
+auprès d'elle ; employez tous vos soins à gagner son esprit. Vous
+pouvez faire et dire tout ce que vous voudrez ; je vous en donne la
+licence ; et, s'il ne tient qu'à me déclarer en votre faveur, je veux
+bien consentir à lui faire un aveu, moi-même, de tout ce que je sens
+pour vous.
+
+
+- Cléante -
+
+Frosine, ma pauvre Frosine, voudrais-tu nous servir ?
+
+
+- Frosine -
+
+Par ma foi, faut-il le demander ? Je le voudrais de tout mon coeur.
+Vous savez que, de mon naturel, je suis assez humaine. Le ciel ne m'a
+point fait l'âme de bronze, et je n'ai que trop de tendresse à rendre
+de petits services, quand je vois des gens qui s'entr'aiment en tout
+bien et en tout honneur. Que pourrions-nous faire à ceci ?
+
+
+- Cléante -
+
+Songe un peu, je te prie.
+
+
+- Mariane -
+
+Ouvre-nous des lumières.
+
+
+- Élise -
+
+Trouve quelque invention pour rompre ce que tu as fait.
+
+
+- Frosine -
+
+Ceci est assez difficile.
+
+ (À Mariane.)
+
+Pour votre mère, elle n'est pas tout à fait déraisonnable, et peut-être
+pourrait-on la gagner et la résoudre à transporter au fils le don
+qu'elle veut faire au père.
+
+ (À Cléante.)
+
+Mais le mal que j'y trouve, c'est que votre père est votre père.
+
+
+- Cléante -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- Frosine -
+
+Je veux dire qu'il conservera du dépit si l'on montre qu'on le refuse,
+et qu'il ne sera point d'humeur ensuite à donner son consentement à
+votre mariage. Il faudrait, pour bien faire, que le refus vînt de
+lui-même, et tâcher, par quelque moyen, de le dégoûter de votre personne.
+
+
+- Cléante -
+
+Tu as raison.
+
+
+- Frosine -
+
+Oui, j'ai raison, je le sais bien. C'est là ce qu'il faudrait ; mais
+le diantre (15) est d'en pouvoir trouver les moyens. Attendez : si
+nous avions quelque femme un peu sur l'âge qui fût de mon talent, et
+jouât assez bien pour contrefaire une dame de qualité, par le moyen
+d'un train fait à la hâte, et d'un bizarre nom de marquise ou de
+vicomtesse que nous supposerions de la Basse-Bretagne, j'aurais assez
+d'adresse pour faire accroire à votre père que ce serait une personne
+riche, outre ses maisons, de cent mille écus en argent comptant ;
+qu'elle serait éperdument amoureuse de lui et souhaiterait de se voir
+sa femme, jusqu'à lui donner tout son bien par contrat de mariage ; et
+je ne doute point qu'il ne prêtât l'oreille à la proposition. Car
+enfin il vous aime fort, je le sais, mais il aime un peu plus l'argent ;
+et quand, ébloui de ce leurre, il aurait une fois consenti à ce qui
+vous touche, il importerait peu ensuite qu'il se désabusât, en venant
+à vouloir voir clair aux effets de notre marquise.
+
+
+- Cléante -
+
+Tout cela est fort bien pensé.
+
+
+- Frosine -
+
+Laissez-moi faire. Je viens de me ressouvenir d'une de mes amies qui
+sera notre fait.
+
+
+- Cléante -
+
+Sois assurée, Frosine, de ma reconnaissance, si tu viens à bout de la
+chose. Mais, charmante Mariane, commençons, je vous prie, par gagner
+votre mère ; c'est toujours beaucoup faire que de rompre ce mariage.
+Faites-y de votre part, je vous en conjure, tous les efforts qu'il
+vous sera possible. Servez-vous de tout le pouvoir que vous donne sur
+elle cette amitié qu'elle a pour vous. Déployez sans réserve les
+grâces éloquentes, les charmes tout-puissants que le ciel a placés
+dans vos yeux et dans votre bouche ; et n'oubliez rien, s'il vous
+plaît, de ces tendres paroles, de ces douces prières et de ces
+caresses touchantes à qui je suis persuadé qu'on ne saurait rien
+refuser.
+
+
+- Mariane -
+
+J'y ferai tout ce que je puis, et n'oublierai aucune chose.
+
+
+-----------
+
+Scène II. - Harpagon, Cléante, Mariane, Élise, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part, sans être aperçu.)
+
+Ouais ! mon fils baise la main de sa prétendue belle-mère ; et sa
+prétendue belle-mère ne s'en défend pas fort ! Y aurait-il quelque
+mystère là-dessous ?
+
+
+- Élise -
+
+Voilà mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le carrosse est tout prêt ; vous pouvez partir quand il vous plaira.
+
+
+- Cléante -
+
+Puisque vous n'y allez pas, mon père, je m'en vais les conduire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non : demeurez. Elles iront bien toutes seules, et j'ai besoin de vous.
+
+
+-----------
+
+Scène III. - Harpagon, Cléante.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Oh çà, intérêt de belle-mère à part, que te semble, à toi, de cette
+personne ?
+
+
+- Cléante -
+
+Ce qui m'en semble ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui de son air, de sa taille, de sa beauté, de son esprit.
+
+
+- Cléante -
+
+Là, là !
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais encore ?
+
+
+- Cléante -
+
+A vous en parler franchement, je ne l'ai pas trouvée ici ce que je
+l'avais crue. Son air est de franche coquette, sa taille est assez
+gauche, sa beauté très médiocre, et son esprit des plus communs. Ne
+croyez pas que ce soit, mon père, pour vous en dégoûter ; car,
+belle-mère pour belle-mère, j'aime autant celle-là qu'une autre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu lui disais tantôt pourtant...
+
+
+- Cléante -
+
+Je lui ai dit quelques douceurs en votre nom, mais c'était pour vous
+plaire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si bien donc que tu n'aurais pas d'inclination pour elle ?
+
+
+- Cléante -
+
+Moi ? point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+J'en suis fâché, car cela rompt une pensée qui m'était venue dans
+l'esprit. J'ai fait, en la voyant ici, réflexion sur mon âge ; et j'ai
+songé qu'on pourra trouver à redire de me voir marier à une si jeune
+personne. Cette considération m'en faisait quitter le dessein ; et
+comme je l'ai fait demander, et que je suis pour elle engagé de parole,
+je te l'aurais donnée, sans l'aversion que tu témoignes.
+
+
+- Cléante -
+
+A moi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+A toi.
+
+
+- Cléante -
+
+En mariage ?
+
+
+- Harpagon -
+
+En mariage.
+
+
+- Cléante -
+
+Ecoutez. Il est vrai qu'elle n'est pas fort à mon goût ; mais, pour
+vous faire plaisir, mon père, je me résoudrai à l'épouser, si vous
+voulez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Moi, je suis plus raisonnable que tu ne penses. Je ne veux point
+forcer ton inclination.
+
+
+- Cléante -
+
+Pardonnez-moi ; je me ferai cet effort pour l'amour de vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, non. Un mariage ne saurait être heureux où l'inclination n'est
+pas.
+
+
+- Cléante -
+
+C'est une chose, mon père, qui peut-être viendra ensuite ; et l'on dit
+que l'amour est souvent un fruit du mariage.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non. Du côté de l'homme, on ne doit point risquer l'affaire ; et ce sont
+des suites fâcheuses, où je n'ai garde de me commettre. Si tu avais
+senti quelque inclination pour elle, à la bonne heure ; je te l'aurais
+fait épouser au lieu de moi ; mais, cela n'étant pas, je suivrai mon
+premier dessein, et je l'épouserai moi-même.
+
+
+- Cléante -
+
+Eh bien ! mon père, puisque les choses sont ainsi, il faut vous
+découvrir mon coeur ; il faut vous révéler notre secret. La vérité est
+que je l'aime depuis un jour que je la vis dans une promenade ; que mon
+dessein était tantôt de vous la demander pour femme ; et que rien ne
+m'a retenu que la déclaration de vos sentiments, et la crainte de vous
+déplaire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui avez-vous rendu visite ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Beaucoup de fois ?
+
+
+- Cléante -
+
+Assez pour le temps qu'il y a.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous a-t-on bien reçu ?
+
+
+- Cléante -
+
+Fort bien, mais sans savoir qui j'étais ; et c'est ce qui a fait tantôt
+la surprise de Mariane.
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui avez-vous déclaré votre passion et le dessein où vous étiez de
+l'épouser ?
+
+
+- Cléante -
+
+Sans doute, et même j'en avais fait à sa mère quelque peu d'ouverture.
+
+
+- Harpagon -
+
+A-t-elle écouté, pour sa fille, votre proposition ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, fort civilement.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et la fille correspond-elle fort à votre amour ?
+
+
+- Cléante -
+
+Si j'en dois croire les apparences, je me persuade, mon père, qu'elle
+a quelque bonté pour moi.
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à part.)
+
+Je suis bien aise d'avoir appris un tel secret ; et voilà justement ce
+que je demandais.
+
+ (Haut.)
+
+Or sus, mon fils, savez-vous ce qu'il y a ? C'est qu'il faut songer,
+s'il vous plaît, à vous défaire de votre amour, à cesser toutes vos
+poursuites auprès d'une personne que je prétends pour moi, et à vous
+marier dans peu avec celle qu'on vous destine.
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, mon père ; c'est ainsi que vous me jouez ! Eh bien ! puisque les
+choses en sont venues là, je vous déclare, moi, que je ne quitterai
+point la passion que j'ai pour Mariane ; qu'il n'y a point d'extrémité
+où je ne m'abandonne pour vous disputer sa conquête, et que si vous
+avez pour vous le consentement d'une mère, j'aurai d'autres secours,
+peut-être, qui combattront pour moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, pendard ! tu as l'audace d'aller sur mes brisées !
+
+
+- Cléante -
+
+C'est vous qui allez sur les miennes, et je suis le premier en date.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ne suis-je pas ton père ? et ne me dois-tu pas respect ?
+
+
+- Cléante -
+
+Ce ne sont point ici des choses où les enfants soient obligés de
+déférer aux pères, et l'amour ne connaît personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te ferai bien me connaître avec de bons coups de bâton.
+
+
+- Cléante -
+
+Toutes vos menaces ne feront rien.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu renonceras à Mariane.
+
+
+- Cléante -
+
+Point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Donnez-moi un bâton tout à l'heure.
+
+
+-----------
+
+Scène IV. - Harpagon, Cléante, Maître Jacques.
+
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Hé ! hé ! hé ! Messieurs, qu'est-ce ci ? à quoi songez-vous ?
+
+
+- Cléante -
+
+Je me moque de cela.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Cléante.)
+
+Ah ! Monsieur, doucement.
+
+
+- Harpagon -
+
+Me parler avec cette impudence !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Harpagon.)
+
+
+Ah ! monsieur, de grâce !
+
+
+- Cléante -
+
+Je n'en démordrai point.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Cléante.)
+
+Hé quoi ! à votre père ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Laisse-moi faire.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Hé quoi ! à votre fils ? Encore passe pour moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te veux faire toi-même, maître Jacques, juge de cette affaire, pour
+montrer comme j'ai raison.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+J'y consens.
+
+ (A Cléante.)
+
+Eloignez-vous un peu.
+
+
+- Harpagon -
+
+J'aime une fille que je veux épouser ; et le pendard a l'insolence de
+l'aimer avec moi, et d'y prétendre malgré mes ordres.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Ah ! il a tort.
+
+
+- Harpagon -
+
+N'est-ce pas une chose épouvantable, qu'un fils qui veut entrer en
+concurrence avec son père ? et ne doit-il pas, par respect, s'abstenir
+de toucher à mes inclinations ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vous avez raison. Laissez-moi lui parler, et demeurez là.
+
+
+- Cléante -
+
+ (à maître Jacques, qui s'approche de lui.)
+
+Eh bien, oui, puisqu'il veut te choisir pour juge, je n'y recule point ;
+il ne m'importe qui ce soit ; et je veux bien aussi me rapporter à toi,
+maître Jacques, de notre différend.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+C'est beaucoup d'honneur que vous me faites.
+
+
+- Cléante -
+
+Je suis épris d'une jeune personne qui répond à mes voeux et reçoit
+tendrement les offres de ma foi, et mon père s'avise de venir troubler
+notre amour, par la demande qu'il en fait faire.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Il a tort assurément.
+
+
+- Cléante -
+
+N'a-t-il point de honte, à son âge, de songer à se marier ? Lui
+sied-il bien d'être encore amoureux ? et ne devrait-il pas laisser
+cette occupation aux jeunes gens ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vous avez raison, il se moque. Laissez-moi lui dire deux mots.
+
+ (À Harpagon.)
+
+Eh bien ! votre fils n'est pas si étrange que vous le dites, et il se
+met à la raison. Il dit qu'il sait le respect qu'il vous doit ; qu'il
+ne s'est emporté que dans la première chaleur, et qu'il ne fera point
+refus de se soumettre à ce qu'il vous plaira, pourvu que vous vouliez
+le traiter mieux que vous ne faites, et lui donner quelque personne en
+mariage, dont il ait lieu d'être content.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! dis-lui, maître Jacques, que moyennant cela, il pourra espérer
+toutes choses de moi, et que, hors Mariane, je lui laisse la liberté
+de choisir celle qu'il voudra.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Laissez-moi faire.
+
+ (À Cléante.)
+
+Eh bien ! votre père n'est pas si déraisonnable que vous le faites, et
+il m'a témoigné que ce sont vos emportements qui l'ont mis en colère ;
+qu'il n'en veut seulement qu'à votre manière d'agir, et qu'il sera
+fort disposé à vous accorder ce que vous souhaitez, pourvu que vous
+vouliez vous y prendre par la douceur, et lui rendre les déférences,
+les respects et les soumissions qu'un fils doit à son père.
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! maître Jacques, tu lui peux assurer que, s'il m'accorde Mariane,
+il me verra toujours le plus soumis de tous les hommes, et que jamais
+je ne ferai aucune chose que par ses volontés.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Cela est fait. Il consent ce que vous dites.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà qui va le mieux du monde.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Cléante.)
+
+Tout est conclu ; il est content de vos promesses.
+
+
+- Cléante -
+
+Le ciel en soit loué !
+
+- Maître Jacques -
+
+Messieurs, vous n'avez qu'à parler ensemble ; vous voilà d'accord
+maintenant ; et vous alliez vous quereller, faute de vous entendre.
+
+
+- Cléante -
+
+Mon pauvre maître Jacques, je te serai obligé toute ma vie.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Il n'y a pas de quoi, monsieur.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu m'as fait plaisir, maître Jacques ; et cela mérite une
+récompense.
+
+ (Harpagon fouille dans sa poche ; maître Jacques tend la main ;
+ mais Harpagon ne tire que son mouchoir, en disant :)
+
+Va, je m'en souviendrai, je t'assure.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je vous baise les mains.
+
+
+-----------
+
+Scène V. - Harpagon, Cléante.
+
+
+
+- Cléante -
+
+Je vous demande pardon, mon père, de l'emportement que j'ai fait
+paraître.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela n'est rien.
+
+
+- Cléante -
+
+Je vous assure que j'en ai tous les regrets du monde.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, j'ai toutes les joies du monde de te voir raisonnable.
+
+
+- Cléante -
+
+Quelle bonté à vous d'oublier si vite ma faute !
+
+
+- Harpagon -
+
+On oublie aisément les fautes des enfants lorsqu'ils rentrent dans
+leur devoir.
+
+
+- Cléante -
+
+Quoi ! ne garder aucun ressentiment de toutes mes extravagances ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une chose où tu m'obliges, par la soumission et le respect où tu
+te ranges.
+
+
+- Cléante -
+
+Je vous promets, mon père, que jusques au tombeau je conserverai dans
+mon coeur le souvenir de vos bontés.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, je te promets qu'il n'y aura aucune chose que tu n'obtiennes
+de moi.
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! mon père, je ne vous demande plus rien ; et c'est m'avoir assez
+donné que de me donner Mariane.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Cléante -
+
+Je dis, mon père, que je suis trop content de vous, et que je trouve
+toutes choses dans la bonté que vous ayez de m'accorder Mariane.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qui est-ce qui parle de t'accorder Mariane ?
+
+
+- Cléante -
+
+Vous, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Moi ?
+
+
+- Cléante -
+
+Sans doute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ! c'est toi qui as promis d'y renoncer.
+
+
+- Cléante -
+
+Moi, y renoncer ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Cléante -
+
+Point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu ne t'es pas départi d'y prétendre ?
+
+
+- Cléante -
+
+Au contraire, j'y suis porté plus que jamais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Quoi, pendard ! derechef ?
+
+
+- Cléante -
+
+Rien ne peut me changer.
+
+
+- Harpagon -
+
+Laisse-moi faire, traître.
+
+
+- Cléante -
+
+Faites tout ce qu'il vous plaira.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te défends de me jamais voir.
+
+
+- Cléante -
+
+A la bonne heure.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je t'abandonne.
+
+
+- Cléante -
+
+Abandonnez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te renonce pour mon fils.
+
+
+- Cléante -
+
+Soit.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te déshérite.
+
+
+- Cléante -
+
+Tout ce que vous voudrez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et je te donne ma malédiction.
+
+
+- Cléante -
+
+Je n'ai que faire de vos dons.
+
+
+-----------
+
+Scène VI. - Cléante, La Flèche.
+
+
+
+- La Flèche -
+
+ (sortant du jardin avec une cassette.)
+
+Ah ! Monsieur, que je vous trouve à propos ! Suivez-moi vite.
+
+
+- Cléante -
+
+Qu'y a-t-il ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Suivez-moi, vous dis-je ; nous sommes bien.
+
+
+- Cléante -
+
+Comment ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Voici votre affaire.
+
+
+- Cléante -
+
+Quoi ?
+
+
+- La Flèche -
+
+J'ai guigné ceci tout le jour.
+
+
+- Cléante -
+
+Qu'est-ce que c'est ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Le trésor de votre père, que j'ai attrapé.
+
+
+- Cléante -
+
+Comment as-tu fait ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Vous saurez tout. Sauvons-nous ; je l'entends crier.
+
+
+-----------
+
+Scène VII. - Harpagon.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (criant au voleur dès le jardin, et venant sans chapeau.)
+
+Au voleur ! au voleur ! à l'assassin ! au meurtrier ! Justice, juste
+ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné ; on m'a coupé la gorge : on
+m'a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu'est-il devenu ? Où
+est-il ? Où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ?
+Où ne pas courir ? N'est-il point là ? n'est-il point ici ? Qui
+est-ce ? Arrête.
+
+ (À lui-même, se prenant par le bras.)
+
+Rends-moi mon argent, coquin... Ah ! c'est moi ! Mon esprit est
+troublé, et j'ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais.
+Hélas ! mon pauvre argent ! mon pauvre argent ! mon cher ami !
+on m'a privé de toi ; et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon
+support, ma consolation, ma joie : tout est fini pour moi, et
+je n'ai plus que faire au monde. Sans toi, il m'est impossible
+de vivre. C'en est fait ; je n'en puis plus ; je me meurs ; je
+suis mort ; je suis enterré. N'y a-t-il personne qui veuille me
+ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui
+l'a pris. Euh ! que dites-vous ? Ce n'est personne. Il faut, qui
+que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on ait
+épié l'heure ; et l'on a choisi justement le temps que je parlais
+à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice,
+et faire donner la question à toute ma maison ; à servantes, à
+valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés !
+Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons,
+et tout me semble mon voleur. Hé ! de quoi est-ce qu'on parle là ?
+de celui qui m'a dérobé ? Quel bruit fait-on là-haut ? Est-ce mon
+voleur qui y est ? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon
+voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il point caché là
+parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous
+verrez qu'ils ont part, sans doute, au vol que l'on m'a fait.
+Allons, vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges,
+des gênes, des potences, et des bourreaux ! Je veux faire pendre
+tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai
+moi-même après.
+
+
+
+ACTE CINQUIÈME.
+---------------
+
+
+
+Scène première. - Harpagon, un commissaire.
+
+
+
+- Le commissaire -
+
+Laissez-moi faire, je sais mon métier, Dieu merci. Ce n'est pas
+d'aujourd'hui que je me mêle de découvrir des vols, et je voudrais
+avoir autant de sacs de mille francs que j'ai fait pendre de
+personnes.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tous les magistrats sont intéressés à prendre cette affaire en main ;
+et, si l'on ne me fait retrouver mon argent, je demanderai justice de
+la justice.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Il faut faire toutes les poursuites requises. Vous dites qu'il y avait
+dans cette cassette ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Dix mille écus bien comptés.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Dix mille écus !
+
+
+- Harpagon -
+
+Dix mille écus.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Le vol est considérable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'y a point de supplice assez grand pour l'énormité de ce crime ;
+et, s'il demeure impuni, les choses les plus sacrées ne sont plus en
+sûreté.
+
+
+- Le commissaire -
+
+En quelles espèces était cette somme ?
+
+
+- Harpagon -
+
+En bons louis d'or et pistoles bien trébuchantes.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Qui soupçonnez-vous de ce vol ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Tout le monde, et je veux que vous arrêtiez prisonniers la ville et
+les faubourgs.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Il faut, si vous m'en croyez, n'effaroucher personne et tâcher
+doucement d'attraper quelques preuves afin de procéder après, par la
+rigueur, au recouvrement des deniers qui vous ont été pris.
+
+
+-----------
+
+Scène II. - Harpagon, un commissaire, Maître Jacques.
+
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (dans le fond du théâtre, en se retournant du côté par lequel
+ il est entré.)
+
+Je m'en vais revenir. Qu'on me l'égorge tout à l'heure ; qu'on me lui
+fasse griller les pieds, qu'on me le mette dans l'eau bouillante, et
+qu'on me le pende au plancher.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à maître Jacques.)
+
+Qui ? celui qui m'a dérobé ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je parle d'un cochon de lait que votre intendant me vient d'envoyer,
+et je veux vous l'accommoder à ma fantaisie.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'est pas question de cela ; et voilà Monsieur à qui il faut parler
+d'autre chose.
+
+
+- Le commissaire -
+
+ (à maître Jacques.)
+
+Ne vous épouvantez point. Je suis homme à ne vous point scandaliser (16),
+et les choses iront dans la douceur.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Monsieur est de votre souper ?
+
+
+- Le commissaire -
+
+Il faut ici, mon cher ami, ne rien cacher à votre maître.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Ma foi, Monsieur, je montrerai tout ce que je sais faire, et je vous
+traiterai du mieux qu'il me sera possible.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce n'est pas là l'affaire.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Si je ne vous fais pas aussi bonne chère que je voudrais, c'est la
+faute de monsieur notre intendant, qui m'a rogné les ailes avec les
+ciseaux de son économie.
+
+
+- Harpagon -
+
+Traître ! il s'agit d'autre chose que de souper ; et je veux que tu me
+dises des nouvelles de l'argent qu'on m'a pris.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+On vous a pris de l'argent ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, coquin ; et je m'en vais te faire pendre, si tu ne me le rends.
+
+
+- Le commissaire -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Mon Dieu ! ne le maltraitez point. Je vois à sa mine qu'il est honnête
+homme, et que, sans se faire mettre en prison, il vous découvrira ce
+que vous voulez savoir. Oui, mon ami, si vous nous confessez la chose,
+il ne vous sera fait aucun mal et vous serez récompensé comme il faut
+par votre maître. On lui a pris aujourd'hui son argent, et il n'est pas
+que vous ne sachiez quelques nouvelles de cette affaire.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (bas, à part.)
+
+Voici justement ce qu'il me faut pour me venger de notre intendant.
+Depuis qu'il est entré céans il est le favori, on n'écoute que ses
+conseils, et j'ai aussi sur le coeur les coups de bâton de tantôt.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'as-tu à ruminer ?
+
+
+- Le commissaire -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Laissez-le faire. Il se prépare à vous contenter ; et je vous ai bien
+dit qu'il était honnête homme.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Monsieur, si vous voulez que je vous dise les choses, je crois que
+c'est monsieur votre cher intendant qui a fait le coup.
+
+
+- Harpagon -
+
+Valère !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Oui.
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui ! qui me paraît si fidèle ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Lui-même. Je crois que c'est lui qui vous a dérobé.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et sur quoi le crois-tu ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Sur quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je le crois... sur ce que je le crois.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Mais il est nécessaire de dire les indices que vous avez.
+
+
+- Harpagon -
+
+L'as-tu vu rôder autour du lieu où j'avais mis mon argent ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Oui, vraiment. Où était-il votre argent ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Dans le jardin.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Justement ; je l'ai vu rôder dans le jardin. Et dans quoi est-ce que
+cet argent était ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Dans une cassette.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Voilà l'affaire. Je lui ai vu une cassette.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et cette cassette, comme est-elle faite ? Je verrai bien si c'est la
+mienne.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Comment elle est faite ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Elle est faite... elle est faite comme une cassette.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Cela s'entend. Mais dépeignez-la un peu, pour voir.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+C'est une grande cassette.
+
+
+- Harpagon -
+
+Celle qu'on m'a volée est petite.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Hé ! oui, elle est petite, si on le veut prendre par là ; mais je
+l'appelle grande pour ce qu'elle contient.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Et de quelle couleur est-elle ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+De quelle couleur ?
+
+
+- Le commissaire -
+
+Oui.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Elle est de couleur... là, d'une certaine couleur... Ne sauriez-vous
+m'aider à dire ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Euh !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+N'est-elle pas rouge ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, grise.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Hé ! oui, gris-rouge ; c'est ce que je voulais dire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'y a point de doute ; c'est elle assurément. Ecrivez, Monsieur,
+écrivez sa déposition. Ciel ! à qui désormais se fier ! Il ne faut
+plus jurer de rien ; et je crois, après cela, que je suis homme à me
+voler moi-même.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Monsieur, le voici qui revient. Ne lui allez pas dire, au moins, que
+c'est moi qui vous ai découvert cela.
+
+
+-----------
+
+Scène III. - Harpagon, un commissaire, Valère, Maître Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Approche, viens confesser l'action la plus noire, l'attentat le plus
+horrible qui jamais ait été commis.
+
+
+- Valère -
+
+Que voulez-vous, monsieur ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, traître, tu ne rougis pas de ton crime ?
+
+
+- Valère -
+
+De quel crime voulez-vous donc parler ?
+
+
+- Harpagon -
+
+De quel crime je veux parler, infâme ? comme si tu ne savais pas ce
+que je veux dire ! C'est en vain que tu prétendrais de le déguiser :
+l'affaire est découverte, et l'on vient de m'apprendre tout. Comment
+abuser ainsi de ma bonté, et s'introduire exprès chez moi pour me
+trahir, pour me jouer un tour de cette nature ?
+
+
+- Valère -
+
+Monsieur, puisqu'on vous a découvert tout, je ne veux point chercher
+de détours et vous nier la chose.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+Oh ! oh ! Aurais-je deviné sans y penser ?
+
+
+- Valère -
+
+C'était mon dessein de vous en parler, et je voulais attendre, pour
+cela, des conjonctures favorables ; mais puisqu'il est ainsi, je vous
+conjure de ne vous point fâcher, et de vouloir entendre mes raisons.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et quelles belles raisons peux-tu me donner, voleur infâme ?
+
+
+- Valère -
+
+Ah ! Monsieur, je n'ai pas mérité ces noms. Il est vrai que j'ai
+commis une offense envers vous ; mais, après tout, ma faute est
+pardonnable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ! pardonnable ? Un guet-apens, un assassinat de la sorte ?
+
+
+- Valère -
+
+De grâce, ne vous mettez point en colère. Quand vous m'aurez ouï, vous
+verrez que le mal n'est pas si grand que vous le faites.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le mal n'est pas si grand que je le fais ! Quoi ! mon sang, mes
+entrailles, pendard !
+
+
+- Valère -
+
+Votre sang, Monsieur, n'est pas tombé dans de mauvaises mains. Je suis
+d'une condition à ne lui point faire de tort ; et il n'y a rien, en
+tout ceci, que je ne puisse bien réparer.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est bien mon intention, et que tu me restitues ce que tu m'as ravi.
+
+
+- Valère -
+
+Votre honneur, Monsieur, sera pleinement satisfait.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'est pas question d'honneur là-dedans. Mais, dis-moi, qui t'a
+porté à cette action ?
+
+
+- Valère -
+
+Hélas ! me le demandez-vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, vraiment, je te le demande.
+
+
+- Valère -
+
+Un dieu qui porte les excuses de tout ce qu'il fait faire, l'Amour.
+
+
+- Harpagon -
+
+L'Amour ?
+
+
+- Valère -
+
+Oui.
+
+
+- Harpagon -
+
+Bel amour, bel amour, ma foi ! l'amour de mes louis d'or !
+
+
+- Valère -
+
+Non, Monsieur, ce ne sont point vos richesses qui m'ont tenté, ce
+n'est pas cela qui m'a ébloui ; et je proteste de ne prétendre rien à
+tous vos biens, pourvu que vous me laissiez celui que j'ai.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non ferai, de par tous les diables ! je ne te le laisserai pas. Mais
+voyez quelle insolence, de vouloir retenir le vol qu'il m'a fait !
+
+
+- Valère -
+
+Appelez-vous cela un vol ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Si je l'appelle un vol ? un trésor comme celui-là !
+
+
+- Valère -
+
+C'est un trésor, il est vrai, et le plus précieux que vous ayez, sans
+doute ; mais ce ne sera pas le perdre que de me le laisser. Je vous
+le demande à genoux, ce trésor plein de charmes ; et, pour bien faire,
+il faut que vous me l'accordiez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je n'en ferai rien. Qu'est-ce à dire cela ?
+
+
+- Valère -
+
+Nous nous sommes promis une foi mutuelle, et avons fait serment de ne
+nous point abandonner.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le serment est admirable, et la promesse plaisante.
+
+
+- Valère -
+
+Oui, nous nous sommes engagés d'être l'un à l'autre à jamais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous en empêcherai bien, je vous assure.
+
+
+- Valère -
+
+Rien que la mort ne nous peut séparer.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est être bien endiablé après mon argent !
+
+
+- Valère -
+
+Je vous ai déjà dit, Monsieur, que ce n'était point l'intérêt qui
+m'avait poussé à faire ce que j'ai fait. Mon coeur n'a point agi par
+les ressorts que vous pensez, et un motif plus noble m'a inspiré cette
+résolution.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous verrez que c'est par charité chrétienne qu'il veut avoir mon bien !
+Mais j'y donnerai bon ordre, et la justice, pendard effronté, me va
+faire raison de tout.
+
+
+- Valère -
+
+Vous en userez comme vous voudrez, et me voilà prêt à souffrir toutes
+les violences qu'il vous plaira ; mais je vous prie de croire au moins
+que, s'il y a du mal, ce n'est que moi qu'il en faut accuser, et que
+votre fille, en tout ceci, n'est aucunement coupable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je le crois bien, vraiment ! Il serait fort étrange que ma fille eût
+trempé dans ce crime. Mais je veux ravoir mon affaire, et que tu me
+confesses en quel endroit tu me l'as enlevée.
+
+
+- Valère -
+
+Moi ? Je ne l'ai point enlevée ; et elle est encore chez vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Ô ma chère cassette !
+
+ (Haut.)
+
+Elle n'est point sortie de ma maison ?
+
+
+- Valère -
+
+Non, Monsieur.
+
+
+- Harpagon -
+
+Hé ! dis-moi donc un peu : tu n'y as point touché ?
+
+
+- Valère -
+
+Moi, y toucher ! Ah ! vous lui faites tort, aussi bien qu'à moi ; et
+c'est d'une ardeur toute pure et respectueuse que j'ai brûlé pour
+elle.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Brûlé pour ma cassette !
+
+
+- Valère -
+
+J'aimerais mieux mourir que de lui avoir fait paraître aucune pensée
+offensante : elle est trop sage et trop honnête pour cela.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Ma cassette trop honnête !
+
+
+- Valère -
+
+Tous mes désirs se sont bornés à jouir de sa vue ; et rien de criminel
+n'a profané la passion que ses beaux yeux m'ont inspirée.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Les beaux yeux de ma cassette ! Il parle d'elle comme un amant d'une
+maîtresse.
+
+
+- Valère -
+
+Dame Claude, Monsieur, sait la vérité de cette aventure ; et elle vous
+peut rendre témoignage...
+
+
+- Harpagon -
+
+Quoi ! ma servante est complice de l'affaire ?
+
+
+- Valère -
+
+Oui, Monsieur : elle a été témoin de notre engagement ; et c'est après
+avoir connu l'honnêteté de ma flamme, qu'elle m'a aidé à persuader
+votre fille de me donner sa foi, et recevoir la mienne.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Hé ! Est-ce que la peur de la justice le fait extravaguer ?
+
+ (A Valère.)
+
+Que nous brouilles-tu ici de ma fille ?
+
+
+- Valère -
+
+Je dis, Monsieur, que j'ai eu toutes les peines du monde à faire
+consentir sa pudeur à ce que voulait mon amour.
+
+
+- Harpagon -
+
+La pudeur de qui ?
+
+
+- Valère -
+
+De votre fille ; et c'est seulement depuis hier qu'elle a pu se
+résoudre à nous signer mutuellement une promesse de mariage.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ma fille t'a signé une promesse de mariage ?
+
+
+- Valère -
+
+Oui, Monsieur, comme de ma part, je lui en ai signé une.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ô ciel ! autre disgrâce !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (au commissaire.)
+
+Ecrivez, Monsieur, écrivez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Rengrègement de mal ! surcroît de désespoir !
+
+ (au commissaire.)
+
+Allons, Monsieur, faites le dû de votre charge, et dressez-lui-moi son
+procès comme larron et comme suborneur.
+
+
+- Valère -
+
+Ce sont des noms qui ne me sont point dus ; et quand on saura
+qui je suis...
+
+
+-----------
+
+Scène IV. - Harpagon, Élise, Mariane, Valère, Frosine, Maître Jacques,
+ un commissaire.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! fille scélérate ! fille indigne d'un père comme moi ! c'est ainsi
+que tu pratiques les leçons que je t'ai données ? Tu te laisses
+prendre d'amour pour un voleur infâme, et tu lui engages ta foi sans
+mon consentement ! Mais vous serez trompés l'un et l'autre.
+
+ (A Élise.)
+
+Quatre bonnes murailles me répondront de ta conduite ;
+
+ (à Valère)
+
+et une bonne potence, pendard effronté, me fera raison de ton audace.
+
+
+- Valère -
+
+Ce ne sera point votre passion qui jugera l'affaire ; et l'on
+m'écoutera, au moins, avant que de me condamner.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me suis abusé de dire une potence ; et tu seras roué tout vif.
+
+
+- Élise -
+
+ (aux genoux d'Harpagon.)
+
+Ah ! mon père, prenez des sentiments un peu plus humains, je vous
+prie, et n'allez point pousser les choses dans les dernières violences
+du pouvoir paternel. Ne vous laissez point entraîner aux premiers
+mouvements de votre passion, et donnez-vous le temps de considérer ce
+que vous voulez faire. Prenez la peine de mieux voir celui dont vous
+vous offensez (17) ; il est tout autre que vos yeux ne le jugent, et vous
+trouverez moins étrange que je me sois donnée à lui, lorsque vous
+saurez que, sans lui, vous ne m'auriez plus il y a longtemps. Oui, mon
+père, c'est celui qui me sauva de ce grand péril que vous savez que je
+courus dans l'eau, et à qui vous devez la vie de cette même fille
+dont...
+
+
+- Harpagon -
+
+Tout cela n'est rien ; et il valait bien mieux pour moi qu'il te
+laissât noyer que de faire ce qu'il a fait.
+
+
+- Élise -
+
+Mon père, je vous conjure par l'amour paternel, de me...
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, non ; je ne veux rien entendre, et il faut que la justice fasse
+son devoir.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+Tu me payeras mes coups de bâton !
+
+
+- Frosine -
+
+ (à part.)
+
+Voici un étrange embarras !
+
+
+-----------
+
+Scène V. - Anselme, Harpagon, Élise, Mariane, Frosine, Valère,
+ un commissaire, Maître Jacques.
+
+
+
+- Anselme -
+
+Qu'est-ce, seigneur Harpagon ? je vous vois tout ému.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! seigneur Anselme, vous me voyez le plus infortuné de tous les
+hommes ; et voici bien du trouble et du désordre au contrat que vous
+venez faire ! On m'assassine dans le bien, on m'assassine dans
+l'honneur ; et voilà un traître, un scélérat qui a violé tous les
+droits les plus saints, qui s'est coulé chez moi sous le titre de
+domestique, pour me dérober mon argent et pour me suborner ma fille.
+
+
+- Valère -
+
+Qui songe à votre argent, dont vous me faites un galimatias ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, ils se sont donné l'un à l'autre une promesse de mariage. Cet
+affront vous regarde, seigneur Anselme ; et c'est vous qui devez vous
+rendre partie contre lui, et faire toutes les poursuites de la justice
+à vos dépends, pour vous venger de son insolence.
+
+
+- Anselme -
+
+Ce n'est pas mon dessein de me faire épouser par force, et de rien
+prétendre à un coeur qui se serait donné ; mais, pour vos intérêts, je
+suis prêt à les embrasser ainsi que les miens propres.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà monsieur qui est un honnête commissaire, qui n'oubliera rien,
+à ce qu'il m'a dit, de la fonction de son office.
+
+ (Au commissaire, montrant Valère.)
+
+Chargez-le comme il faut, Monsieur, et rendez les choses bien
+criminelles.
+
+
+- Valère -
+
+Je ne vois pas quel crime on me peut faire de la passion que j'ai pour
+votre fille, et le supplice où vous croyez que je puisse être condamné
+pour notre engagement, lorsqu'on saura ce que je suis...
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me moque de tous ces contes ; et le monde aujourd'hui n'est plein
+que de ces larrons de noblesse, que de ces imposteurs qui tirent
+avantage de leur obscurité et s'habillent insolemment du premier nom
+illustre qu'ils s'avisent de prendre.
+
+
+- Valère -
+
+Sachez que j'ai le coeur trop bon pour me parer de quelque chose qui
+ne soit point à moi, et que tout Naples peut rendre témoignage de ma
+naissance.
+
+
+- Anselme -
+
+Tout beau ! Prenez garde à ce que vous allez dire. Vous risquez ici
+plus que vous ne pensez, et vous parlez devant un homme à qui tout
+Naples est connu et qui peut aisément voir clair dans l'histoire que
+vous ferez.
+
+
+- Valère -
+
+ (mettant fièrement son chapeau.)
+
+Je ne suis point homme à rien craindre, et si Naples vous est connu,
+vous savez qui était don Thomas d'Alburci.
+
+
+- Anselme -
+
+Sans doute, je le sais ; et peu de gens l'ont connu mieux que moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je ne me soucie ni de dom Thomas ni dom Martin.
+
+ (Harpagon voyant deux chandelles allumées en souffle une.)
+
+- Anselme -
+
+De grâce, laissez-le parler ; nous verrons ce qu'il en veut dire.
+
+
+- Valère -
+
+Je veux dire que c'est lui qui m'a donné jour.
+
+
+- Anselme -
+
+Lui ?
+
+
+- Valère -
+
+Oui.
+
+
+- Anselme -
+
+Allez. Vous vous moquez. Cherchez quelque autre histoire qui vous
+puisse mieux réussir, et ne prétendez pas vous sauver sous cette
+imposture.
+
+
+- Valère -
+
+Songez à mieux parler. Ce n'est point une imposture, et je n'avance
+rien qu'il ne me soit aisé de justifier.
+
+
+- Anselme -
+
+Quoi ! vous osez vous dire fils de don Thomas d'Alburci ?
+
+
+- Valère -
+
+Oui, je l'ose ; et je suis prêt de soutenir cette vérité contre qui que
+ce soit.
+
+
+- Anselme -
+
+L'audace est merveilleuse ! Apprenez, pour vous confondre, qu'il y a
+seize ans, pour le moins, que l'homme dont vous nous parlez périt sur
+mer avec ses enfants et sa femme, en voulant dérober leur vie aux
+cruelles persécutions qui ont accompagné les désordres de Naples, et
+qui en firent exiler plusieurs nobles familles.
+
+
+- Valère -
+
+Oui ; mais apprenez, pour vous confondre, vous, que son fils, âgé de
+sept ans, avec un domestique, fut sauvé de ce naufrage par un vaisseau
+espagnol ; et que ce fils sauvé est celui qui vous parle. Apprenez que
+le capitaine de ce vaisseau, touché de ma fortune, prit amitié pour
+moi ; qu'il me fit élever comme son propre fils, et que les armes
+furent mon emploi dès que je m'en trouvai capable ; que j'ai su depuis
+peu que mon père n'était point mort, comme je l'avais toujours cru ;
+que, passant ici pour l'aller chercher, une aventure, par le ciel
+concertée, me fit voir la charmante Élise ; que cette vue me rendit
+esclave de ses beautés, et que la violence de mon amour et les
+sévérités de son père me firent prendre la résolution de m'introduire
+dans son logis, et d'envoyer un autre à la quête de mes parents.
+
+
+- Anselme -
+
+Mais quels témoignages encore, autres que vos paroles, nous peuvent
+assurer que ce ne soit point une fable que vous ayez bâtie sur une
+vérité ?
+
+
+- Valère -
+
+Le capitaine espagnol, un cachet de rubis qui était à mon père ; un
+bracelet d'agate que ma mère m'avait mis au bras ; le vieux Pedro, ce
+domestique qui se sauva avec moi du naufrage.
+
+
+- Mariane -
+
+Hélas ! à vos paroles, je puis ici répondre, moi, que vous n'imposez
+point ; et tout ce que vous dites me fait connaître clairement que
+vous êtes mon frère.
+
+
+- Valère -
+
+Vous, ma soeur ?
+
+
+- Mariane -
+
+Oui, mon coeur s'est ému dès le moment que vous avez ouvert la bouche ;
+et notre mère, que vous allez ravir, m'a mille fois entretenue des
+disgrâces de notre famille. Le ciel ne nous fit point aussi périr dans
+ce triste naufrage ; mais il ne nous sauva la vie que par la perte de
+notre liberté, et ce furent des corsaires qui nous recueillirent, ma
+mère et moi, sur un débris de notre vaisseau. Après dix ans
+d'esclavage, une heureuse fortune nous rendit notre liberté ; et nous
+retournâmes dans Naples, où nous trouvâmes tout notre bien vendu, sans
+y pouvoir trouver des nouvelles de notre père. Nous passâmes à Gênes,
+où ma mère alla ramasser quelques malheureux restes d'une succession
+qu'on avait déchirée ; et de là, fuyant la barbare injustice de ses
+parents, elle vint en ces lieux, où elle n'a presque vécu que d'une
+vie languissante.
+
+
+- Anselme -
+
+Ô ciel ! quels sont les traits de ta puissance ! et que tu fais bien
+voir qu'il n'appartient qu'à toi de faire des miracles !
+Embrassez-moi, mes enfants, et mêlez tous deux vos transports à ceux
+de votre père.
+
+
+- Valère -
+
+Vous êtes notre père ?
+
+
+- Mariane -
+
+C'est vous que ma mère a tant pleuré ?
+
+
+- Anselme -
+
+Oui, ma fille ; oui, mon fils ; je suis dom Thomas d'Alburci que le
+ciel garantit des ondes avec tout l'argent qu'il portait, et qui, vous
+ayant tous crus morts durant plus de seize ans, se préparait, après de
+longs voyages, à chercher, dans l'hymen d'une douce et sage personne, la
+consolation de quelque nouvelle famille. Le peu de sûreté que j'ai vu
+pour ma vie à retourner à Naples m'a fait y renoncer pour toujours ;
+et ayant su trouver moyen d'y faire vendre ce que j'avais, je me suis
+habitué ici, où, sous le nom d'Anselme, j'ai voulu m'éloigner les
+chagrins de cet autre nom qui m'a causé tant de traverses.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Anselme.)
+
+C'est là votre fils ?
+
+
+- Anselme -
+
+Oui.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous prends à partie pour me payer dix mille écus qu'il m'a volés.
+
+
+- Anselme -
+
+Lui, vous avoir volé ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui-même.
+
+
+- Valère -
+
+Qui vous dit cela ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Maître Jacques.
+
+
+- Valère -
+
+ (à maître Jacques.)
+
+C'est toi qui le dis ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vous voyez que je ne dis rien.
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui. Voilà monsieur le commissaire qui a reçu sa déposition.
+
+
+- Valère -
+
+Pouvez-vous me croire capable d'une action si lâche ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Capable ou non capable, je veux ravoir mon argent.
+
+
+-----------
+
+Scène VI. - Harpagon, Anselme, Élise, Mariane, Cléante, Valère,
+ Frosine, un commissaire, Maître Jacques, La Flèche.
+
+
+
+- Cléante -
+
+Ne vous tourmentez point, mon père, et n'accusez personne. J'ai
+découvert des nouvelles de votre affaire, et je viens ici pour vous
+dire que, si vous voulez vous résoudre à me laisser épouser Mariane,
+votre argent vous sera rendu.
+
+
+- Harpagon -
+
+Où est-il ?
+
+
+- Cléante -
+
+Ne vous mettez point en peine. Il est en lieu dont je réponds, et tout
+ne dépend que de moi. C'est à vous de me dire à quoi vous vous
+déterminez ; et vous pouvez choisir, ou de me donner Mariane, ou de
+perdre votre cassette.
+
+
+- Harpagon -
+
+N'en a-t-on rien ôté ?
+
+
+- Cléante -
+
+Rien du tout. Voyez si c'est votre dessein de souscrire à ce mariage,
+et de joindre votre consentement à celui de sa mère, qui lui laisse la
+liberté de faire un choix entre nous deux.
+
+
+- Mariane -
+
+ (à Cléante.)
+
+Mais vous ne savez pas que ce n'est pas assez que ce consentement et
+que le ciel,
+
+ (montrant Valère.)
+
+avec un frère que vous voyez, vient de me rendre un père
+
+ (montrant Anselme.)
+
+dont vous avez à m'obtenir.
+
+
+- Anselme -
+
+Le ciel, mes enfants, ne me redonne point à vous pour être contraire à
+vos voeux. Seigneur Harpagon, vous jugez bien que le choix d'une jeune
+personne tombera sur le fils plutôt que sur le père : allons, ne vous
+faites point dire ce qu'il n'est pas nécessaire d'entendre ; et consentez,
+ainsi que moi, à ce double hyménée.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il faut, pour me donner conseil, que je voie ma cassette.
+
+
+- Cléante -
+
+Vous la verrez saine et entière.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je n'ai point d'argent à donner en mariage à mes enfants.
+
+
+- Anselme -
+
+Eh bien ! j'en ai pour eux ; que cela ne vous inquiète point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous obligerez-vous à faire tous les frais de ces deux mariages ?
+
+
+- Anselme -
+
+Oui, je m'y oblige. Etes-vous satisfait ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, pourvu que pour les noces, vous me fassiez faire un habit.
+
+
+- Anselme -
+
+D'accord. Allons jouir de l'allégresse que cet heureux jour nous
+présente.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Holà ! messieurs, holà ! Tout doucement, s'il vous plaît. Qui me
+payera mes écritures ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Nous n'avons que faire de vos écritures.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Oui ! Mais je ne prétends pas, moi, les avoir faites pour rien.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (montrant maître Jacques.)
+
+Pour votre payement, voilà un homme que je vous donne à pendre.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Hélas ! comment faut-il donc faire ? On me donne des coups de bâton
+pour dire vrai, et on me veut pendre pour mentir !
+
+
+- Anselme -
+
+Seigneur Harpagon, il faut lui pardonner cette imposture.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous payerez donc le commissaire ?
+
+
+- Anselme -
+
+Soit. Allons vite faire part de notre joie à votre mère.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, voir ma chère cassette.
+
+
+-------------------------------------------------------------------------
+
+Notes [from 1890 edition]
+
+-----------
+(1) C'est-à-dire, elles ne sont pas fort "accommodées des biens
+de la fortune". Cette expression est encore d'usage aujourd'hui, et
+l'Académie cite cet exemple : Je l'ai vu pauvre, "mais il s'est bien
+accommodé."
+-----------
+(2) On trouve pour la première fois le mot "moucher" pour "épier",
+dans la légende de Faifeu, imprimée en 1532. Le mot "mouchard" n'est
+donc pas ancien dans notre langue.
+-----------
+(3) On dit proverbialement "parler à la barette de quelqu'un", pour
+lui parler sans ménagement, porter la main sur lui, le frapper à la
+tête.
+-----------
+(4) Un denier d'intérêt pour douze prêtés, c'est-à-dire un peu plus
+de huit pour cent.
+-----------
+(5) "Fluet". On disait autrefois "flouet" et "flou", dont "flouet"
+est le diminutif.
+-----------
+(6) Ce tour de phrase est latin. Boileau a dit dans la "Satire sur
+les Femmes" :
+
+ Je ne puis cette fois que je ne les excuse.
+
+Ni Boileau ni Molière n'ont pu faire adopter ce latinisme.
+-----------
+(7) Avant sa conversion, saint Mathieu était receveur des tributs, et
+la malignité lui attribuait des prêts usuraires. De là l'ancienne
+expression proverbiale, "fester saint Matthieu", pour prêter à usure,
+et, par corruption, "fesse-Matthieu".
+-----------
+(8) C'est-à-dire un denier d'intérêt pour dix-huit prêtés, ce qui
+équivaut à un peu plus de cinq et demi pour cent.
+-----------
+(9) A vingt pour cent.
+-----------
+(10) A vingt-cinq pour cent.
+-----------
+(11) Les soldats portaient autrefois un bâton terminé d'un bout par
+une pointe qu'ils enfonçaient en terre, et de l'autre, par un fer
+fourchu sur lequel ils appuyaient leur mousquet, pour tirer plus
+juste. C'est ce qu'on appelait "la fourchette d'un mousquet".
+-----------
+(12) Expression proverbiale : "L'épée de chevet", l'épée qui ne nous
+quitte jamais. Au figuré, "l'expression qu'on a sans cesse à la bouche".
+-----------
+(13) C'était une formule ancienne de santé et d'économie qu'on trouve
+quelquefois chez les Latins, énoncée par les seules lettres initiales
+de chaque mot E.V.V.N.V.V.E. : "ede ut vivas, ne vivas ut edas.",
+"Mange pour vivre, et ne vis pas pour manger."
+-----------
+(14) Expression proverbiale : "Il n'y a pas même pour un double",
+c'est-à-dire "il n'y en a point". Le double était une petite pièce
+de monnaie qui valait deux deniers.
+-----------
+(15) Suivant Ménage, cette expression a été imaginée pour éviter de
+se servir du mot "diable". Molière n'est pas le seul qui ait employé
+ce mot dans ce sens : longtemps avant lui, Rabelais avait dit :
+"Créature du grand vilain diantre d'enfer" (liv. III, ch. III).
+-----------
+(16) Du temps de Molière, le mot "scandaliser" se prenait quelquefois
+dans le sens de "décrier", "diffamer". (Voyez le dictionnaire de
+l'Académie, édition de 1694).
+-----------
+(17) "Offenser" est la traduction littéraire d'"offendere", mot dont
+le sens est beaucoup moins restreint en latin qu'en français. Il
+signifie ici, "celui dont vous avez à vous plaindre". L'exemple de
+Molière n'a pu le faire adopter avec cette acception.
+-----------
+
+
+
+
+
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, L'AVARE ***
+
+This file should be named 8avar10.txt or 8avar10.zip
+Corrected EDITIONS of our eBooks get a new NUMBER, 8avar11.txt
+VERSIONS based on separate sources get new LETTER, 8avar10a.txt
+
+Project Gutenberg eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the US
+unless a copyright notice is included. Thus, we usually do not
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+We are now trying to release all our eBooks one year in advance
+of the official release dates, leaving time for better editing.
+Please be encouraged to tell us about any error or corrections,
+even years after the official publication date.
+
+Please note neither this listing nor its contents are final til
+midnight of the last day of the month of any such announcement.
+The official release date of all Project Gutenberg eBooks is at
+Midnight, Central Time, of the last day of the stated month. A
+preliminary version may often be posted for suggestion, comment
+and editing by those who wish to do so.
+
+Most people start at our Web sites at:
+http://gutenberg.net or
+http://promo.net/pg
+
+These Web sites include award-winning information about Project
+Gutenberg, including how to donate, how to help produce our new
+eBooks, and how to subscribe to our email newsletter (free!).
+
+
+Those of you who want to download any eBook before announcement
+can get to them as follows, and just download by date. This is
+also a good way to get them instantly upon announcement, as the
+indexes our cataloguers produce obviously take a while after an
+announcement goes out in the Project Gutenberg Newsletter.
+
+http://www.ibiblio.org/gutenberg/etext04 or
+ftp://ftp.ibiblio.org/pub/docs/books/gutenberg/etext04
+
+Or /etext03, 02, 01, 00, 99, 98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90
+
+Just search by the first five letters of the filename you want,
+as it appears in our Newsletters.
+
+
+Information about Project Gutenberg (one page)
+
+We produce about two million dollars for each hour we work. The
+time it takes us, a rather conservative estimate, is fifty hours
+to get any eBook selected, entered, proofread, edited, copyright
+searched and analyzed, the copyright letters written, etc. Our
+projected audience is one hundred million readers. If the value
+per text is nominally estimated at one dollar then we produce $2
+million dollars per hour in 2002 as we release over 100 new text
+files per month: 1240 more eBooks in 2001 for a total of 4000+
+We are already on our way to trying for 2000 more eBooks in 2002
+If they reach just 1-2% of the world's population then the total
+will reach over half a trillion eBooks given away by year's end.
+
+The Goal of Project Gutenberg is to Give Away 1 Trillion eBooks!
+This is ten thousand titles each to one hundred million readers,
+which is only about 4% of the present number of computer users.
+
+Here is the briefest record of our progress (* means estimated):
+
+eBooks Year Month
+
+ 1 1971 July
+ 10 1991 January
+ 100 1994 January
+ 1000 1997 August
+ 1500 1998 October
+ 2000 1999 December
+ 2500 2000 December
+ 3000 2001 November
+ 4000 2001 October/November
+ 6000 2002 December*
+ 9000 2003 November*
+10000 2004 January*
+
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+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation has been created
+to secure a future for Project Gutenberg into the next millennium.
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+We need your donations more than ever!
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+As of February, 2002, contributions are being solicited from people
+and organizations in: Alabama, Alaska, Arkansas, Connecticut,
+Delaware, District of Columbia, Florida, Georgia, Hawaii, Illinois,
+Indiana, Iowa, Kansas, Kentucky, Louisiana, Maine, Massachusetts,
+Michigan, Mississippi, Missouri, Montana, Nebraska, Nevada, New
+Hampshire, New Jersey, New Mexico, New York, North Carolina, Ohio,
+Oklahoma, Oregon, Pennsylvania, Rhode Island, South Carolina, South
+Dakota, Tennessee, Texas, Utah, Vermont, Virginia, Washington, West
+Virginia, Wisconsin, and Wyoming.
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+We have filed in all 50 states now, but these are the only ones
+that have responded.
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+will be made and fund raising will begin in the additional states.
+Please feel free to ask to check the status of your state.
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+We are constantly working on finishing the paperwork to legally
+request donations in all 50 states. If your state is not listed and
+you would like to know if we have added it since the list you have,
+just ask.
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+not yet registered, we know of no prohibition against accepting
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+donate.
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+(Three Pages)
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+WHAT IF YOU *WANT* TO SEND MONEY EVEN IF YOU DON'T HAVE TO?
+Project Gutenberg is dedicated to increasing the number of
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+in machine readable form.
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+The Project gratefully accepts contributions of money, time,
+public domain materials, or royalty free copyright licenses.
+Money should be paid to the:
+"Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
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+If you are interested in contributing scanning equipment or
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+hart@pobox.com
+
+[Portions of this eBook's header and trailer may be reprinted only
+when distributed free of all fees. Copyright (C) 2001, 2002 by
+Michael S. Hart. Project Gutenberg is a TradeMark and may not be
+used in any sales of Project Gutenberg eBooks or other materials be
+they hardware or software or any other related product without
+express permission.]
+
+*END THE SMALL PRINT! FOR PUBLIC DOMAIN EBOOKS*Ver.02/11/02*END*
+
diff --git a/old/8avar10.zip b/old/8avar10.zip
new file mode 100644
index 0000000..25bc54f
--- /dev/null
+++ b/old/8avar10.zip
Binary files differ
diff --git a/old/8avar10u.txt b/old/8avar10u.txt
new file mode 100644
index 0000000..ee5b45a
--- /dev/null
+++ b/old/8avar10u.txt
@@ -0,0 +1,7149 @@
+The Project Gutenberg EBook of L'Avare, by Jean-Baptiste Poquelin
+[AKA Molière]
+(#9 in our series by Jean-Baptiste Poquelin [AKA Molière])
+
+Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the
+copyright laws for your country before downloading or redistributing
+this or any other Project Gutenberg eBook.
+
+This header should be the first thing seen when viewing this Project
+Gutenberg file. Please do not remove it. Do not change or edit the
+header without written permission.
+
+Please read the "legal small print," and other information about the
+eBook and Project Gutenberg at the bottom of this file. Included is
+important information about your specific rights and restrictions in
+how the file may be used. You can also find out about how to make a
+donation to Project Gutenberg, and how to get involved.
+
+
+**Welcome To The World of Free Plain Vanilla Electronic Texts**
+
+**eBooks Readable By Both Humans and By Computers, Since 1971**
+
+*****These eBooks Were Prepared By Thousands of Volunteers!*****
+
+
+Title: L'Avare
+
+Author: Jean-Baptiste Poquelin [AKA Molière]
+
+Release Date: August, 2004 [EBook #6318]
+[Yes, we are more than one year ahead of schedule]
+[This file was first posted on November 25, 2002]
+
+Edition: 10
+
+Language: French
+
+Character set encoding: UTF-8
+
+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, L'AVARE ***
+
+
+
+
+Produced by Laurent Le Guillou <leguillou.laurent@free.fr>
+
+
+
+
+
+
+
+
+Title: L'Avare
+
+Language: French
+
+Encoding: UTF-8
+
+
+
+Source:
+
+Jean-Baptiste Poquelin (1620-1673), alias Molière,
+"Oeuvres de Molière, avec des notes de tous les commentateurs",
+Tome Second,
+Paris, Librarie de Firmin-Didot et Cie,
+Imprimeurs de l'Institut, rue Jacob, 56,
+1890.
+
+Pages 148-229.
+
+[Spelling of the 1890 edition. Footnotes have been retained because
+they provide the meanings of old French words or expressions.
+Footnote are indicated by numbers in brackets, and are grouped
+at the end of the Etext. Text encoding is iso-8859-1.]
+
+
+
+
+
+L'AVARE
+
+
+
+
+Comédie (1667)
+
+
+
+PERSONNAGES ACTEURS
+
+Harpagon, père de Cléante et d'Élise,
+et amoureux de Mariane. Molière.
+Cléante, fils d'Harpagon, amant de Mariane. La Grange.
+Élise, fille d'Harpagon, amante de Valère. Mlle Molière.
+Valère, fils d'Anselme et amant d'Élise. Du Croisy.
+Mariane, amante de Cléante et aimée d'Harpagon. Mlle De Brie.
+Anselme, père de Valère et de Mariane.
+Frosine, femme d'intrigue. Magd. Béjart.
+Maître Simon, courtier.
+Maître Jacques, cuisinier et cocher d'Harpagon. Hubert.
+La Flèche, valet de Cléante. Béjart cadet.
+Dame Claude, servante d'Harpagon.
+Brindavoine,
+La Merluche, laquais d'Harpagon.
+Un commissaire et son clerc.
+
+
+
+La scène est à Paris, dans la maison d'Harpagon.
+
+
+ACTE PREMIER.
+-------------
+
+
+Scène première. - Valère, Élise.
+
+
+
+- Valère -
+
+Hé quoi ! charmante Élise, vous devenez mélancolique, après les
+obligeantes assurances que vous avez eu la bonté de me donner de votre
+foi ? Je vous vois soupirer, hélas ! au milieu de ma joie ! Est-ce du
+regret, dites-moi, de m'avoir fait heureux ? et vous repentez-vous de
+cet engagement où mes feux ont pu vous contraindre ?
+
+
+- Élise -
+
+Non, Valère, je ne puis pas me repentir de tout ce que je fais pour
+vous. Je m'y sens entraîner par une trop douce puissance, et je n'ai
+pas même la force de souhaiter que les choses ne fussent pas. Mais, a
+vous dire vrai, le succès me donne de l'inquiétude ; et je crains fort
+de vous aimer un peu plus que je ne devrais.
+
+
+- Valère -
+
+Eh ! que pouvez-vous craindre, Élise, dans les bontés que vous avez
+pour moi ?
+
+
+- Élise -
+
+Hélas ! cent choses à la fois : l'emportement d'un père, les reproches
+d'une famille, les censures du monde ; mais plus que tout, Valère, le
+changement de votre coeur, et cette froideur criminelle dont ceux de
+votre sexe payent le plus souvent les témoignages trop ardents d'un
+innocent amour.
+
+
+- Valère -
+
+Ah ! ne me faites pas ce tort, de juger de moi par les autres !
+Soupçonnez-moi de tout, Élise, plutôt que de manquer à ce que je vous
+dois. Je vous aime trop pour cela ; et mon amour pour vous durera
+autant que ma vie.
+
+
+- Élise -
+
+Ah ! Valère, chacun tient les mêmes discours ! Tous les hommes sont
+semblables par les paroles ; et ce n'est que les actions qui les
+découvrent différents.
+
+
+- Valère -
+
+Puisque les seules actions font connaître ce que nous sommes, attendez
+donc, au moins, à juger de mon coeur par elles, et ne me cherchez point
+des crimes dans les injustes craintes d'une fâcheuse prévoyance. Ne
+m'assassinez point, je vous prie, par les sensibles coups d'un soupçon
+outrageux ; et donnez-moi le temps de vous convaincre, par mille et
+mille preuves, de l'honnêteté de mes feux.
+
+
+- Élise -
+
+Hélas ! qu'avec facilité on se laisse persuader par les personnes que
+l'on aime ! Oui, Valère, je tiens votre coeur incapable de m'abuser.
+Je crois que vous m'aimez d'un véritable amour, et que vous me serez
+fidèle : je n'en veux point du tout douter, et je retranche mon
+chagrin aux appréhensions du blâme qu'on pourra me donner.
+
+
+- Valère -
+
+Mais pourquoi cette inquiétude ?
+
+
+- Élise -
+
+Je n'aurais rien à craindre si tout le monde vous voyait des yeux dont
+je vous vois ; et je trouve en votre personne de quoi avoir raison aux
+choses que je fais pour vous. Mon coeur, pour sa défense, a tout votre
+mérite, appuyé du secours d'une reconnaissance où le ciel m'engage
+envers vous. Je me représente à toute heure ce péril étonnant qui
+commença de nous offrir aux regards l'un de l'autre ; cette générosité
+surprenante qui vous fit risquer votre vie, pour dérober la mienne à la
+fureur des ondes ; ces soins pleins de tendresse que vous me fîtes
+éclater après m'avoir tirée de l'eau, et les hommages assidus de cet
+ardent amour que ni le temps ni les difficultés n'ont rebuté, et qui,
+vous faisant négliger et parents et patrie, arrête vos pas en ces
+lieux, y tient en ma faveur votre fortune déguisée, et vous a réduit,
+pour me voir, à vous revêtir de l'emploi de domestique de mon père.
+Tout cela fait chez moi, sans doute, un merveilleux effet ; et c'en est
+assez, à mes yeux, pour me justifier l'engagement où j'ai pu consentir ;
+mais ce n'est pas assez peut-être pour le justifier aux autres, et je
+ne suis pas sûre qu'on entre dans mes sentiments.
+
+
+- Valère -
+
+De tout ce que vous avez dit, ce n'est que par mon seul amour que je
+prétends auprès de vous mériter quelque chose ; et quant aux
+scrupules que vous avez, votre père lui-même ne prend que trop de soin
+de vous justifier à tout le monde, et l'excès de son avarice, et la
+manière austère dont il vit avec ses enfants, pourraient autoriser des
+choses plus étranges. Pardonnez-moi, charmante Élise, si j'en parle
+ainsi devant vous. Vous savez que, sur ce chapitre, on n'en peut pas
+dire de bien. Mais enfin, si je puis, comme je l'espère, retrouver mes
+parents, nous n'aurons pas beaucoup de peine à nous les rendre
+favorables. J'en attends des nouvelles avec impatience, et j'en irai
+chercher moi-même, si elles tardent à venir.
+
+
+- Élise -
+
+Ah! Valère, ne bougez d'ici, je vous prie, et songez seulement à vous
+bien mettre dans l'esprit de mon père.
+
+
+- Valère -
+
+Vous voyez comme je m'y prends, et les adroites complaisances qu'il
+m'a fallu mettre en usage pour m'introduire à son service ; sous quel
+masque de sympathie et de rapports de sentiments je me déguise pour
+lui plaire, et quel personnage je joue tous les jours avec lui, afin
+d'acquérir sa tendresse. J'y fais des progrès admirables ; et j'éprouve
+que, pour gagner les hommes, il n'est point de meilleure voie que de se
+parer à leurs yeux de leurs inclinations, que de donner dans leurs
+maximes, encenser leurs défauts, et applaudir à ce qu'ils font. On n'a
+que faire d'avoir peur de trop charger la complaisance ; et la manière
+dont on les joue a beau être visible, les plus fins toujours sont de
+grandes dupes du côté de la flatterie, et il n'y a rien de si
+impertinent et de si ridicule qu'on ne fasse avaler, lorsqu'on
+l'assaisonne en louanges. La sincérité souffre un peu au métier que je
+fais ; mais, quand on a besoin des hommes, il faut bien s'ajuster à
+eux, et puisqu'on ne saurait les gagner que par là, ce n'est pas la
+faute de ceux qui flattent, mais de ceux qui veulent être flattés.
+
+
+- Élise -
+
+Mais que ne tâchez-vous aussi de gagner l'appui de mon frère, en cas
+que la servante s'avisât de révéler notre secret ?
+
+
+- Valère -
+
+On ne peut pas ménager l'un et l'autre ; et l'esprit du père et celui
+du fils sont des choses si opposées, qu'il est difficile d'accommoder
+ces deux confidences ensemble. Mais vous, de votre part, agissez
+auprès de votre frère, et servez-vous de l'amitié qui est entre vous
+deux pour le jeter dans nos intérêts. Il vient. Je me retire. Prenez
+ce temps pour lui parler, et ne lui découvrez de notre affaire que ce
+que vous jugerez à propos.
+
+
+- Élise -
+
+Je ne sais si j'aurai la force de lui faire cette confidence.
+
+
+-----------
+
+Scène II. - Cléante, Élise.
+
+
+
+- Cléante -
+
+Je suis bien aise de vous trouver seule, ma soeur ; et je brûlais de
+vous parler, pour m'ouvrir à vous d'un secret.
+
+
+- Élise -
+
+Me voilà prête à vous ouïr, mon frère. Qu'avez-vous à me dire ?
+
+
+- Cléante -
+
+Bien des choses, ma soeur, enveloppées dans un mot. J'aime.
+
+
+- Élise -
+
+Vous aimez ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, j'aime. Mais, avant que d'aller plus loin, je sais que je dépends
+d'un père, et que le nom de fils me soumet à ses volontés ; que nous
+ne devons point engager notre foi sans le consentement de ceux dont
+nous tenons le jour ; que le ciel les a faits les maîtres de nos
+voeux, et qu'il nous est enjoint de n'en disposer que par leur
+conduite ; que, n'étant prévenus d'aucune folle ardeur, ils sont en
+état de se tromper bien moins que nous et de voir beaucoup mieux ce
+qui nous est propre ; qu'il en faut plutôt croire les lumières de leur
+prudence que l'aveuglement de notre passion ; et que l'emportement de
+la jeunesse nous entraîne le plus souvent dans des précipices
+fâcheux. Je vous dis tout cela, ma soeur, afin que vous ne vous
+donniez pas la peine de me le dire ? car enfin mon amour ne veut rien
+écouter, et je vous prie de ne me point faire de remontrances.
+
+
+- Élise -
+
+Vous êtes-vous engagé, mon frère, avec celle que vous aimez ?
+
+
+- Cléante -
+
+Non ; mais j'y suis résolu, et je vous conjure encore une fois de ne
+me point apporter de raisons pour m'en dissuader.
+
+
+- Élise -
+
+Suis-je, mon frère, une si étrange personne ?
+
+
+- Cléante -
+
+Non, ma soeur ; mais vous n'aimez pas ; vous ignorez la douce violence
+qu'un tendre amour fait sur nos coeurs, et j'appréhende votre sagesse.
+
+
+- Élise -
+
+Hélas ! mon frère, ne parlons point de ma sagesse : il n'est personne
+qui n'en manque, du moins une fois en sa vie ; et, si je vous ouvre mon
+coeur, peut-être serai-je à vos yeux bien moins sage que vous.
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! plût au ciel que votre âme, comme la mienne... !
+
+
+- Élise -
+
+Finissons auparavant votre affaire, et me dites qui est celle que vous
+aimez.
+
+
+- Cléante -
+
+Une jeune personne qui loge depuis peu en ces quartiers, et qui semble
+être faite pour donner de l'amour à tous ceux qui la voient. La
+nature, ma soeur, n'a rien formé de plus aimable ; et je me sentis
+transporté dès le moment que je la vis. Elle se nomme Mariane, et vit
+sous la conduite d'une bonne femme de mère qui est presque toujours
+malade, et pour qui cette aimable fille a des sentiments d'amitié qui
+ne sont pas imaginables. Elle la sert, la plaint et la console, avec
+une tendresse qui vous toucherait l'âme. Elle se prend d'un air le
+plus charmant du monde aux choses qu'elle fait ; et l'on voit briller
+mille grâces en toutes ses actions, une douceur pleine d'attraits,
+une bonté toute engageante, une honnêteté adorable, une... Ah ! ma
+soeur, je voudrais que vous l'eussiez vue !
+
+
+- Élise -
+
+J'en vois beaucoup, mon frère, dans les choses que vous me dites ; et,
+pour comprendre ce qu'elle est, il me suffit que vous l'aimez.
+
+
+- Cléante -
+
+J'ai découvert sous main qu'elles ne sont pas fort accommodées (1), et
+que leur discrète conduite a de la peine à étendre à tous leurs
+besoins le bien qu'elles peuvent avoir. Figurez-vous, ma soeur, quelle
+joie ce peut être que de relever la fortune d'une personne que l'on
+aime ; que de donner adroitement quelques petits secours aux modestes
+nécessités d'une vertueuse famille ; et concevez quel déplaisir ce
+m'est de voir que, par l'avarice d'un père, je sois dans l'impuissance
+de goûter cette joie, et de faire éclater à cette belle aucun
+témoignage de mon amour.
+
+
+- Élise -
+
+Oui, je conçois assez, mon frère, quel doit être votre chagrin.
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! ma soeur, il est plus grand qu'on ne peut croire. Car, enfin,
+peut-on rien voir de plus cruel que cette rigoureuse épargne qu'on
+exerce sur nous, que cette sécheresse étrange où l'on nous fait
+languir ? Hé ! que nous servira d'avoir du bien, s'il ne nous vient que
+dans le temps que nous ne serons plus dans le bel âge d'en jouir, et
+si, pour m'entretenir même, il faut que maintenant je m'engage de tous
+côtés ; si je suis réduit avec vous à chercher tous les jours le
+secours des marchands, pour avoir moyen de porter des habits
+raisonnables ? Enfin, j'ai voulu vous parler pour m'aider à sonder mon
+père sur les sentiments où je suis ; et, si je l'y trouve contraire,
+j'ai résolu d'aller en d'autres lieux, avec cette aimable personne,
+jouir de la fortune que le ciel voudra nous offrir. Je fais chercher
+partout, pour ce dessein, de l'argent à emprunter ; et, si vos affaires,
+ma soeur, sont semblables aux miennes, et qu'il faille que notre père
+s'oppose à nos désirs, nous le quitterons là tous deux, et nous
+affranchirons de cette tyrannie où nous tient depuis si longtemps son
+avarice insupportable.
+
+
+- Élise -
+
+Il est bien vrai que tous les jours il nous donne de plus en plus
+sujet de regretter la mort de notre mère, et que...
+
+
+- Cléante -
+
+J'entends sa voix. Eloignons-nous un peu pour achever notre confidence ;
+et nous joindrons après nos forces pour venir attaquer la dureté de
+son humeur.
+
+
+-----------
+
+Scène III. - Harpagon, La Flèche.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Hors d'ici tout à l'heure, et qu'on ne réplique pas. Allons, que
+l'on détale de chez moi, maître juré filou, vrai gibier de potence !
+
+
+- La Flèche -
+
+ (à part.)
+
+Je n'ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard, et je
+pense, sauf correction, qu'il a le diable au corps.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu murmures entre tes dents ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Pourquoi me chassez-vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est bien à toi, pendard, à me demander des raisons ! Sors vite, que
+je ne t'assomme.
+
+
+- La Flèche -
+
+Qu'est-ce que je vous ai fait ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu m'as fait que je veux que tu sortes.
+
+
+- La Flèche -
+
+Mon maître, votre fils, m'a donné ordre de l'attendre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Va-t'en l'attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison,
+planté tout droit comme un piquet à observer ce qui se passe, et faire
+ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant moi un
+espion de mes affaires, un traître dont les yeux maudits assiègent
+toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et furettent de tous
+côtés pour voir s'il n'y a rien à voler.
+
+
+- La Flèche -
+
+Comment diantre voulez-vous qu'on fasse pour vous voler ? Êtes-vous
+un homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites
+sentinelle jour et nuit ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me
+plaît. Ne voilà pas de mes mouchards (2), qui prennent garde à ce qu'on
+fait ?
+
+ (Bas, à part.)
+
+Je tremble qu'il n'ait soupçonné quelque chose de mon argent.
+
+ (Haut.)
+
+Ne serais-tu point homme à aller faire courir le bruit que j'ai chez
+moi de l'argent caché ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Vous avez de l'argent caché ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, coquin, je ne dis pas cela.
+
+ (Bas.)
+
+J'enrage !
+
+ (Haut.)
+
+Je demande si, malicieusement, tu n'irais point faire courir le bruit
+que j'en ai.
+
+
+- La Flèche -
+
+Hé ! que nous importe que vous en ayez, ou que vous n'en ayez pas, si
+c'est pour nous la même chose ?
+
+
+- Harpagon -
+
+ (levant la main pour donner un soufflet à la Flèche.)
+
+Tu fais le raisonneur ! Je te baillerai de ce raisonnement-ci par les
+oreilles. Sors d'ici, encore une fois.
+
+
+- La Flèche -
+
+Eh bien, je sors.
+
+
+- Harpagon -
+
+Attends : ne m'emportes-tu rien ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Que vous emporterais-je ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Tiens, viens çà, que je voie. Montre-moi tes mains.
+
+
+- La Flèche -
+
+Les voilà.
+
+
+- Harpagon -
+
+Les autres.
+
+
+- La Flèche -
+
+Les autres ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- La Flèche -
+
+Les voilà.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (montrant les hauts-de-chausses de la Flèche.)
+
+N'as-tu rien mis ici dedans ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Voyez vous-même.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (tâtant le bas des hauts-de-chausses de la Flèche.)
+
+Ces grands hauts-de-chausses sont propres à devenir les recéleurs des
+choses qu'on dérobe ; et je voudrais qu'on en eût fait pendre
+quelqu'un.
+
+
+- La Flèche -
+
+ (à part.)
+
+Ah ! qu'un homme comme cela mériterait bien ce qu'il craint ! Et que
+j'aurais de joie à la voler !
+
+
+- Harpagon -
+
+Euh ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'est-ce que tu parles de voler ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Je vous dis que vous fouillez bien partout, pour voir si je vous ai volé.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est ce que je veux faire.
+
+ (Harpagon fouille dans les poches de La Flèche.)
+
+
+- La Flèche -
+
+ (à part.)
+
+La peste soit de l'avarice et des avaricieux !
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ? que dis-tu ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ce que je dis ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui. Qu'est-ce que tu dis d'avarice et d'avaricieux ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Je dis que la peste soit de l'avarice et des avaricieux !
+
+
+- Harpagon -
+
+De qui veux-tu parler ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Des avaricieux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et qui sont-ils, ces avaricieux ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Des vilains et des ladres.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais qui est-ce que tu entends par là ?
+
+
+- La Flèche -
+
+De quoi vous mettez-vous en peine ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me mets en peine de ce qu'il faut.
+
+
+- La Flèche -
+
+Est-ce que vous croyez que je veux parler de vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Je crois ce que je crois ; mais je veux que tu me dises à qui tu
+parles quand tu dis cela.
+
+
+- La Flèche -
+
+Je parle... je parle à mon bonnet.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, je pourrais bien parler à ta barrette (3).
+
+
+- La Flèche -
+
+M'empêcherez-vous de maudire les avaricieux ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Non ; mais je t'empêcherai de jaser et d'être insolent. Tais-toi.
+
+
+- La Flèche -
+
+Je ne nomme personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te rosserai si tu parles.
+
+
+- La Flèche -
+
+Qui se sent morveux, qu'il se mouche.
+
+
+- Harpagon -
+
+Te tairas-tu ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Oui, malgré moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! Ah !
+
+
+- La Flèche -
+
+ (montrant à Harpagon une poches de son justaucorps.)
+
+Tenez, voilà encore une poche : êtes-vous satisfait ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Allons, rends-le-moi sans te fouiller.
+
+
+- La Flèche -
+
+Quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce que tu m'as pris.
+
+
+- La Flèche -
+
+Je ne vous ai rien pris du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Assurément ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Assurément.
+
+
+- Harpagon -
+
+Adieu. Va-t-en à tous les diables !
+
+
+- La Flèche -
+
+Me voilà fort bien congédié.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te le mets sur ta conscience, au moins.
+
+
+-----------
+
+Scène IV. - Harpagon.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà un pendard de valet qui m'incommode fort ; et je ne me plais
+point à voir ce chien de boiteux-là. Certes, ce n'est pas une petite
+peine que de garder chez soi une grande somme d'argent ; et
+bienheureux qui a tout son fait bien placé, et ne conserve seulement
+que ce qu'il faut pour sa dépense ! On n'est pas peu embarrassé à
+inventer, dans toute une maison, une cache fidèle ; car pour moi, les
+coffres-forts me sont suspects, et je ne veux jamais m'y fier. Je les
+tiens justement une franche amorce à voleurs, et c'est toujours la
+première chose que l'on va attaquer.
+
+
+-----------
+
+Scène V. - Harpagon ; Élise et Cléante, parlant ensemble, et restant
+ dans le fond du théâtre.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (se croyant seul.)
+
+Cependant, je ne sais si j'aurai bien fait d'avoir enterré, dans mon
+jardin, dix mille écus qu'on me rendit hier. Dix mille écus en or, chez
+soi, est une somme assez...
+
+ (À part, apercevant Élise et Cléante.)
+
+O ciel ! je me serai trahi moi-même ! la chaleur m'aura emporté, et je
+crois que j'ai parlé haut, en raisonnant tout seul.
+
+ (À Cléante et Élise.)
+
+Qu'est-ce ?
+
+
+- Cléante -
+
+Rien, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Y a-t-il longtemps que vous êtes là ?
+
+
+- Élise -
+
+Nous ne venons que d'arriver.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous avez entendu...
+
+
+- Cléante -
+
+Quoi, mon père ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Là...
+
+
+- Élise -
+
+Quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce que je viens de dire.
+
+
+- Cléante -
+
+Non.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si fait, si fait.
+
+
+- Élise -
+
+Pardonnez-moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vois bien que vous en avez ouï quelques mots. C'est que je
+m'entretenais en moi-même de la peine qu'il y a aujourd'hui à trouver
+de l'argent, et je disais qu'il est bien heureux qui peut avoir dix
+mille écus chez soi.
+
+
+- Cléante -
+
+Nous feignions à vous aborder, de peur de vous interrompre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je suis bien aise de vous dire cela, afin que vous n'alliez pas
+prendre les choses de travers, et vous imaginer que je dise que c'est
+moi qui ai dix mille écus.
+
+
+- Cléante -
+
+Nous n'entrons point dans vos affaires.
+
+
+- Harpagon -
+
+Plût à Dieu que je les eusse, dix mille écus !
+
+
+- Cléante -
+
+Je ne crois pas...
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce serait une bonne affaire pour moi.
+
+
+- Élise -
+
+Ces sont des choses...
+
+
+- Harpagon -
+
+J'en aurais bon besoin.
+
+
+- Cléante -
+
+Je pense que...
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela m'accommoderait fort.
+
+
+- Élise -
+
+Vous êtes...
+
+
+- Harpagon -
+
+Et je ne me plaindrais pas, comme je le fais, que le temps est
+misérable.
+
+
+- Cléante -
+
+Mon Dieu ! mon père, vous n'avez pas lieu de vous plaindre et l'on
+sait que vous avez assez de bien.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, j'ai assez de bien ! Ceux qui le disent en ont menti. Il n'y
+a rien de plus faux ; et ce sont des coquins qui font courir tous ces
+bruits-là.
+
+
+- Élise -
+
+Ne vous mettez point en colère.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela est étrange que mes propres enfants me trahissent et deviennent
+mes ennemis.
+
+
+- Cléante -
+
+Est-ce être votre ennemi que de dire que vous avez du bien ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui. De pareils discours, et les dépenses que vous faites, seront
+cause qu'un de ces jours on me viendra chez moi couper la gorge, dans
+la pensée que je suis tout cousu de pistoles.
+
+
+- Cléante -
+
+Quelle grande dépense est-ce que je fais ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Quelle ? Est-il rien de plus scandaleux que ce somptueux équipage que
+vous promenez par la ville ? Je querellais hier votre soeur ; mais
+c'est encore pis. Voilà qui crie vengeance au ciel ; et, à vous
+prendre depuis les pieds jusqu'à la tête, il y aurait là de quoi faire
+une bonne constitution. Je vous l'ai dit vingt fois, mon fils, toutes
+vos manières me déplaisent fort ; vous donnez furieusement dans le
+marquis ; et, pour aller ainsi vêtu, il faut bien que vous me dérobiez.
+
+
+- Cléante -
+
+Hé ! comment vous dérober ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Que sais-je ? Où pouvez-vous donc prendre de quoi entretenir l'état
+que vous portez ?
+
+
+- Cléante -
+
+Moi, mon père ? C'est que je joue ; et, comme je suis fort heureux, je
+mets sur moi tout l'argent que je gagne.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est fort mal fait. Si vous êtes heureux au jeu, vous en devriez
+profiter, et mettre à honnête intérêt l'argent que vous gagnez, afin
+de le trouver un jour. Je voudrais bien savoir, sans parler du reste,
+à quoi servent tous ces rubans dont vous voilà lardé depuis les pieds
+jusqu'à la tête, et si une demi-douzaine d'aiguillettes ne suffit pas
+pour attacher un haut-de-chausses. Il est bien nécessaire d'employer
+de l'argent à des perruques, lorsque l'on peut porter des cheveux de
+son cru, qui ne coûtent rien ! Je vais gager qu'en perruques et rubans
+il y a du moins vingt pistoles ; et vingt pistoles rapportent par
+année dix-huit livres six sols huit deniers, à ne les placer qu'au
+denier douze (4).
+
+
+- Cléante -
+
+Vous avez raison.
+
+
+- Harpagon -
+
+Laissons cela, et parlons d'autre affaire. Euh ?
+
+ (Apercevant Cléante et Élise qui se font des signes.)
+
+Hé !
+
+ (Bas, à part.)
+
+Je crois qu'ils se font signe l'un à l'autre de me voler ma bourse.
+
+ (Haut.)
+
+Que veulent dire ces gestes-là ?
+
+
+- Élise -
+
+Nous marchandons, mon frère et moi, à qui parlera le premier, et nous
+avons tous deux quelque chose à vous dire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, j'ai quelque chose aussi à vous dire à tous deux.
+
+
+- Cléante -
+
+C'est de mariage, mon père, que nous désirons vous parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et c'est de mariage aussi que je veux vous entretenir.
+
+
+- Élise -
+
+Ah ! mon père !
+
+
+- Harpagon -
+
+Pourquoi ce cri ? Est-ce le mot, ma fille, ou la chose, qui vous fait
+peur ?
+
+
+- Cléante -
+
+Le mariage peut nous faire peur à tous deux, de la façon que vous
+pouvez l'entendre ; et nous craignons que nos sentiments ne soient pas
+d'accord avec votre choix.
+
+
+- Harpagon -
+
+Un peu de patience ; ne vous alarmez point. Je sais ce qu'il faut à
+tous deux, et vous n'aurez, ni l'un ni l'autre, aucun lieu de vous
+plaindre de tout ce que je prétends faire ; et, pour commencer par un
+bout,
+
+ (À Cléante.)
+
+avez-vous vu, dites-moi, une jeune personne appelée Mariane, qui
+ne loge pas loin d'ici ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, mon père.
+
+
+- Harpagon-
+
+Et vous ?
+
+
+- Élise -
+
+J'en ai ouï parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, mon fils, trouvez-vous cette fille ?
+
+
+- Cléante -
+
+Une fort charmante personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sa physionomie ?
+
+
+- Cléante -
+
+Tout honnête et pleine d'esprit.
+
+
+- Harpagon -
+
+Son air et sa manière ?
+
+
+- Cléante -
+
+Admirables, sans doute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ne croyez-vous pas qu'une fille comme cela mériterait assez que l'on
+songeât à elle ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que ce serait un parti souhaitable ?
+
+
+- Cléante -
+
+Très souhaitable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'elle a toute la mine de faire un bon ménage ?
+
+
+- Cléante -
+
+Sans doute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et qu'un mari aurait satisfaction avec elle ?
+
+
+- Cléante -
+
+Assurément.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il y a une petite difficulté : c'est que j'ai peur qu'il n'y ait pas,
+avec elle, tout le bien qu'on pourrait prétendre.
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! mon père, le bien n'est pas considérable, lorsqu'il est question
+d'épouser une honnête personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Pardonnez-moi, pardonnez-moi. Mais ce qu'il y a à dire, c'est que, si
+l'on n'y trouve pas tout le bien qu'on souhaite, on peut tâcher de
+regagner cela sur autre chose.
+
+
+- Cléante -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- Harpagon -
+
+Enfin je suis bien aise de vous voir dans mes sentiments ; car son
+maintien honnête et sa douceur m'ont gagné l'âme, et je suis résolu de
+l'épouser, pourvu que j'y trouve quelque bien.
+
+
+- Cléante -
+
+Euh ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Cléante -
+
+Vous êtes résolu, dites-vous... ?
+
+
+- Harpagon -
+
+D'épouser Mariane.
+
+
+- Cléante -
+
+Qui ? Vous, vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, moi, moi, moi. Que veut dire cela ?
+
+
+- Cléante -
+
+Il m'a pris tout à coup un éblouissement, et je me retire d'ici.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela ne sera rien. Allez vite boire dans la cuisine un grand verre
+d'eau claire.
+
+
+-----------
+
+Scène VI. - Harpagon, Élise.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà de mes damoiseaux flouets (5), qui n'ont non plus de vigueur que
+des poules. C'est là, ma fille, ce que j'ai résolu pour moi. Quant à
+ton frère, je lui destine une certaine veuve dont, ce matin, on m'est
+venu parler ; et, pour toi, je te donne au seigneur Anselme.
+
+
+- Élise -
+
+Au seigneur Anselme ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, Un homme mûr, prudent et sage, qui n'a pas plus de cinquante ans,
+et dont on vante les grands biens.
+
+
+- Élise -
+
+ (faisant une révérence.)
+
+Je ne veux point me marier, mon père, s'il vous plaît.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (contrefaisant Élise.)
+
+Et moi, ma petite fille, ma mie, je veux que vous vous mariiez, s'il
+vous plaît.
+
+
+- Élise -
+
+ (faisant encore la révérence.)
+
+Je vous demande pardon, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (contrefaisant Élise.)
+
+Je vous demande pardon, ma fille.
+
+
+- Élise -
+
+Je suis très humble servante au seigneur Anselme ; mais,
+
+ (Faisant encore la révérence.)
+
+avec votre permission, je ne l'épouserai point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je suis votre très humble valet ; mais,
+
+ (Contrefaisant Élise.)
+
+avec votre permission, vous l'épouserez dès ce soir.
+
+
+- Élise -
+
+Dès ce soir ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Dès ce soir.
+
+
+- Élise -
+
+ (faisant encore la révérence.)
+
+Cela ne sera pas, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (contrefaisant encore Élise.)
+
+Cela sera, ma fille.
+
+
+- Élise -
+
+Non.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si.
+
+
+- Élise -
+
+Non, vous dis-je.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si, vous dis-je.
+
+
+- Élise -
+
+C'est une chose où vous ne me réduirez point.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une chose où je te réduirai.
+
+
+- Élise -
+
+Je me tuerai plutôt que d'épouser un tel mari.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu ne te tueras point, et tu l'épouseras. Mais voyez quelle audace !
+A-t-on jamais vu une fille parler de la sorte à son père ?
+
+
+- Élise -
+
+Mais a-t-on jamais vu un père marier sa fille de la sorte ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est un parti où il n'y a rien à redire ! et je gage que tout le monde
+approuvera mon choix.
+
+
+- Élise -
+
+Et moi, je gage qu'il ne saurait être approuvé d'aucune personne
+raisonnable.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (apercevant Valère de loin.)
+
+Voilà Valère. Veux-tu qu'entre nous deux nous le fassions juge de
+cette affaire ?
+
+
+- Élise -
+
+J'y consens.
+
+
+- Harpagon -
+
+Te rendras-tu à son jugement ?
+
+
+- Élise -
+
+Oui. J'en passerai par ce qu'il dira.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà qui est fait.
+
+
+-----------
+
+Scène VII. - Valère, Harpagon, Élise.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Ici, Valère. Nous t'avons élu pour nous dire qui a raison de ma fille
+ou de moi.
+
+
+- Valère -
+
+C'est vous, monsieur, sans contredit.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sais-tu bien de quoi nous parlons ?
+
+
+- Valère -
+
+Non ; mais vous ne sauriez avoir tort, et vous êtes toute raison.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je veux ce soir lui donner pour époux un homme aussi riche que sage ;
+et la coquine me dit au nez qu'elle se moque de le prendre. Que
+dis-tu de cela ?
+
+
+- Valère -
+
+Ce que j'en dis ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Valère -
+
+Hé ! hé !
+
+
+- Harpagon -
+
+Quoi !
+
+
+- Valère -
+
+Je dis que, dans le fond, je suis de votre sentiment ; et vous ne
+pouvez pas que vous n'ayez raison (6). mais aussi n'a-t-elle pas tort
+tout à fait, et...
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ? Le seigneur Anselme est un parti considérable ; c'est un
+gentilhomme qui est noble, doux, posé, sage et fort accommodé, et
+auquel il ne reste aucun enfant de son premier mariage. Saurait-elle
+mieux rencontrer ?
+
+
+- Valère -
+
+Cela est vrai. Mais elle pourrait vous dire que c'est un peu
+précipiter les choses, et qu'il faudrait au moins quelque temps pour
+voir si son inclination pourra s'accommoder avec...
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une occasion qu'il faut prendre vite aux cheveux. Je trouve ici
+un avantage qu'ailleurs je ne trouverais pas ; et il s'engage à la
+prendre sans dot.
+
+
+- Valère -
+
+Sans dot ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Valère -
+
+Ah ! je ne dis plus rien. Voyez-vous ? voilà une raison tout à fait
+convaincante ; il se faut rendre à cela.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est pour moi une épargne considérable.
+
+
+- Valère -
+
+Assurément ; cela ne reçoit point de contradiction. Il est vrai que
+votre fille vous peut représenter que le mariage est une plus grande
+affaire qu'on ne peut croire ; qu'il y va d'être heureux ou malheureux
+toute sa vie ; et qu'un engagement qui doit durer jusqu'à la mort ne se
+doit jamais faire qu'avec de grandes précautions.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sans dot !
+
+
+- Valère -
+
+Vous avez raison ! voilà qui décide tout ; cela s'entend. Il y a des
+gens qui pourraient vous dire qu'en de telles occasions l'inclination
+d'une fille est une chose, sans doute, où l'on doit avoir de l'égard ;
+et que cette grande inégalité d'âge, d'humeur et de sentiments, rend
+un mariage sujet à des accidents fâcheux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sans dot !
+
+
+- Valère -
+
+Ah ! il n'y a pas de réplique à cela ; on le sait bien ! Qui diantre
+peut aller là contre ? Ce n'est pas qu'il n'y ait quantité de pères
+qui aimeraient mieux ménager la satisfaction de leurs filles que
+l'argent qu'ils pourraient donner ; qui ne les voudraient point
+sacrifier à l'intérêt, et chercheraient, plus que toute autre chose, à
+mettre dans un mariage cette douce conformité qui sans cesse y
+maintient l'honneur, la tranquillité et la joie ; et que...
+
+
+- Harpagon -
+
+Sans dot !
+
+
+- Valère -
+
+Il est vrai ; cela ferme la bouche à tout. Sans dot ! Le moyen de
+résister à une raison comme celle-là !
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part, regardant du côté le jardin.)
+
+Ouais ! Il me semble que j'entends un chien qui aboie. N'est-ce point
+qu'on en voudrait à mon argent ?
+
+ (A Valère.)
+
+Ne bougez, je reviens tout à l'heure.
+
+
+-----------
+
+Scène VIII. - Élise, Valère.
+
+
+
+- Élise -
+
+Vous moquez-vous, Valère, de lui parler comme vous faites ?
+
+
+- Valère -
+
+C'est pour ne point l'aigrir, et pour en venir mieux à bout. Heurter
+de front ses sentiments est le moyen de tout gâter ; et il y a de
+certains esprits qu'il ne faut prendre qu'en biaisant ; des
+tempéraments ennemis de toute résistance ; des naturels rétifs, que la
+vérité fait cabrer, qui toujours se raidissent contre le droit chemin
+de la raison, et qu'on ne mène qu'en tournant où l'on veut les
+conduire. Faites semblant de consentir à ce qu'il veut, vous en
+viendrez mieux à vos fins, et...
+
+
+- Élise -
+
+Mais ce mariage, Valère !
+
+
+- Valère -
+
+On cherchera des biais pour le rompre.
+
+
+- Élise -
+
+Mais quelle invention trouver, s'il se doit conclure ce soir ?
+
+
+- Valère -
+
+Il faut demander un délai, et feindre quelque maladie.
+
+
+- Élise -
+
+Mais on découvrira la feinte, si l'on appelle des médecins.
+
+
+- Valère -
+
+Vous moquez-vous ? Y connaissent-ils quelque chose ? Allez, allez,
+vous pourrez avec eux avoir quel mal il vous plaira, ils vous
+trouveront des raisons pour vous dire d'où cela vient.
+
+
+-----------
+
+Scène IX. - Harpagon, Valère, Élise.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part, dans le fond du théâtre.)
+
+Ce n'est rien, Dieu merci.
+
+
+- Valère -
+
+ (sans voir Harpagon.)
+
+Enfin notre dernier recours, c'est que la fuite nous peut mettre à
+couvert de tout ; et, si votre amour, belle Élise, est capable d'une
+fermeté...
+
+ (Apercevant Harpagon.)
+
+Oui, il faut qu'une fille obéisse à son père. Il ne faut point qu'elle
+regarde comme un mari est fait ; et lorsque la grande raison de "sans
+dot" s'y rencontre, elle doit être prête à prendre tout ce qu'on lui
+donne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Bon : voilà bien parlé, cela !
+
+
+- Valère -
+
+Monsieur, je vous demande pardon si je m'emporte un peu, et prends la
+hardiesse de lui parler comme je fais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ! j'en suis ravi, et je veux que tu prennes sur elle un
+pouvoir absolu.
+
+ (A Élise.)
+
+Oui, tu as beau fuir, je lui donne l'autorité que le ciel me donne sur
+toi, et j'entends que tu fasses tout ce qu'il te dira.
+
+
+- Valère -
+
+ (A Élise.)
+
+Après cela, résistez à mes remontrances.
+
+
+-----------
+
+Scène X. - Harpagon, Valère.
+
+
+
+- Valère -
+
+Monsieur, je vais la suivre, pour continuer les leçons que je lui
+faisais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, tu m'obligeras. Certes...
+
+
+- Valère -
+
+Il est bon de lui tenir un peu la bride haute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela est vrai. Il faut...
+
+
+- Valère -
+
+Ne vous mettez pas en peine, je crois que j'en viendrai à bout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Fais, fais. Je m'en vais faire un petit tour en ville, et reviens tout
+à l'heure.
+
+
+- Valère -
+
+ (adressant la parole à Élise, en s'en allant du côté
+ par où elle est sortie.)
+
+Oui, l'argent est plus précieux que toutes les choses du monde, et
+vous devez rendre grâce au ciel de l'honnête homme de père qu'il vous
+a donné. Il sait ce que c'est que de vivre. Lorsqu'on s'offre de
+prendre une fille sans dot, on ne doit point regarder plus avant. Tout
+est renfermé là-dedans ; et "sans dot" tient lieu de beauté, de
+jeunesse, de naissance, d'honneur, de sagesse, et de probité.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! le brave garçon ! Voilà parlé comme un oracle. Heureux qui peut
+avoir un domestique de la sorte !
+
+
+
+ACTE SECOND.
+------------
+
+
+
+Scène première. - Cléante, La Flèche.
+
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! traître que tu es ! où t'es-tu donc allé fourrer ? Ne t'avais-je
+pas donné ordre... ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Oui, Monsieur ; et je m'étais rendu ici pour vous attendre de pied
+ferme : mais monsieur votre père, le plus malgracieux des hommes, m'a
+chassé dehors malgré moi, et j'ai couru le risque d'être battu.
+
+
+- Cléante -
+
+Comment va notre affaire ? Les choses pressent plus que jamais ; et,
+depuis que je t'ai vu, j'ai découvert que mon père est mon rival.
+
+
+- La Flèche -
+
+Votre père amoureux ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui ; et j'ai eu toutes les peines du monde à lui cacher le trouble où
+cette nouvelle m'a mis.
+
+
+- La Flèche -
+
+Lui, se mêler d'aimer ! De quoi diable s'avise-t-il ? Se moque-t-il du
+monde ? Et l'amour a-t-il été fait pour des gens bâtis comme lui ?
+
+
+- Cléante -
+
+Il a fallu, pour mes péchés, que cette passion lui soit venue en tête.
+
+
+- La Flèche -
+
+Mais par quelle raison lui faire un mystère de votre amour ?
+
+
+- Cléante -
+
+Pour lui donner moins de soupçon, et me conserver, au besoin, des
+ouvertures plus aisées pour détourner ce mariage. Quelle réponse
+t'a-t-on faite ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ma foi, Monsieur, ceux qui empruntent sont bien malheureux ; et il faut
+essuyer d'étranges choses, lorsqu'on en est réduit à passer, comme
+vous, par les mains des fesse-matthieux (7).
+
+
+- Cléante -
+
+L'affaire ne se fera point ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Pardonnez-moi. Notre maître Simon, le courtier qu'on nous a donné,
+homme agissant et plein de zèle, dit qu'il a fait rage pour vous, et
+il assure que votre seule physionomie lui a gagné le coeur.
+
+
+- Cléante -
+
+J'aurai les quinze mille francs que je demande ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Oui ; mais à quelques petites conditions qu'il faudra que vous
+acceptiez, si vous avez dessein que les choses se fassent.
+
+
+- Cléante -
+
+T'a-t-il fait parler à celui qui doit prêter l'argent ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ah ! vraiment, cela ne va pas de la sorte. Il apporte encore plus de
+soin à se cacher que vous ; et ce sont des mystères bien plus grands
+que vous ne pensez. On ne veut point du tout dire son nom ; et l'on
+doit aujourd'hui l'aboucher avec vous dans une maison empruntée, pour
+être instruit par votre bouche de votre bien et de votre famille ; et
+je ne doute point que le seul nom de votre père ne rende les choses
+faciles.
+
+
+- Cléante -
+
+Et principalement notre mère étant morte, dont on ne peut m'ôter le
+bien.
+
+
+- La Flèche -
+
+Voici quelques articles qu'il a dictés lui-même à notre entremetteur,
+pour vous être montrés avant que de rien faire :
+
+ "Supposé que le prêteur voie toutes ses sûretés, et que
+ l'emprunteur soit majeur et d'une famille où le bien soit
+ ample, solide, assuré, clair, et net de tout embarras, on
+ fera une bonne et exacte obligation par-devant un notaire,
+ le plus honnête homme qu'il se pourra, et qui, pour cet
+ effet sera choisi par le prêteur, auquel il importe le
+ plus que l'acte soit dûment dressé."
+
+
+- Cléante -
+
+Il n'y a rien à dire à cela.
+
+
+- La Flèche -
+
+ "Le prêteur, pour ne charger Sa conscience d'aucun scrupule,
+ prétend ne donner son argent qu'au denier dix-huit. (8)"
+
+
+- Cléante -
+
+Au denier dix-huit ? Parbleu, voilà qui est honnête ! Il n'y a pas
+lieu de se plaindre.
+
+
+- La Flèche -
+
+Cela est vrai.
+
+ "Mais, comme ledit prêteur n'a pas chez lui la somme dont il
+ est question, et que, pour faire plaisir à l'emprunteur il
+ est contraint lui-même de l'emprunter d'un autre sur le pied
+ du denier cinq (9), il conviendra que ledit premier emprunteur
+ paye cet intérêt, sans préjudice du reste, attendu que ce
+ n'est que pour l'obliger que ledit prêteur s'engage à cet
+ emprunt."
+
+
+- Cléante -
+
+Comment diable ! Quel Juif, quel Arabe est-ce là ? C'est plus qu'au
+denier quatre (10).
+
+
+- La Flèche -
+
+Il est vrai ; c'est ce que j'ai dit. Vous avez à voir là-dessus.
+
+
+- Cléante -
+
+Que veux-tu que je voie ? J'ai besoin d'argent, et il faut bien que je
+consente à tout.
+
+
+- La Flèche -
+
+C'est la réponse que j'ai faite.
+
+
+- Cléante -
+
+Il y a encore quelque chose ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ce n'est plus qu'un petit article.
+
+ "Des quinze mille francs qu'on demande, le prêteur ne
+ pourra compter en argent que douze mille livres ; et,
+ pour les mille écus restants, il faudra que l'emprunteur
+ prenne les hardes, nippes, bijoux, dont s'ensuit le
+ mémoire, et que ledit prêteur a mis, de bonne foi, au
+ plus modique prix qu'il lui a été possible."
+
+
+- Cléante -
+
+Que veut dire cela ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ecoutez le mémoire :
+
+ "Premièrement, un lit de quatre pieds à bandes de point
+ de Hongrie, appliquées fort proprement sur un drap de
+ couleur d'olive, avec six chaises et la courte-pointe
+ de même : le tout bien conditionné, et doublé d'un petit
+ taffetas changeant rouge et bleu.
+ Plus, un pavillon à queue, d'une bonne serge d'Aumale
+ rose sèche, avec le mollet et les franges de soie."
+
+
+- Cléante -
+
+Que veut-il que je fasse de cela ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Attendez.
+
+ "Plus une tenture de tapisserie des Amours de Gombaud
+ et de Macée.
+ Plus, une grande table de bois de noyer, à douze colonnes
+ ou piliers tournés, qui se tire par les deux bouts, et
+ garnie par le dessous de ses six escabelles."
+
+
+- Cléante -
+
+Qu'ai-je affaire, morbleu... ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Donnez-vous patience.
+
+ "Plus trois gros mousquets tout garnis de nacre de perle,
+ avec les trois fourchettes assortissantes (11).
+ Plus un fourneau de brique, avec deux cornues et trois
+ récipients, fort utiles à ceux qui sont curieux de
+ distiller."
+
+
+- Cléante -
+
+J'enrage !
+
+
+- La Flèche -
+
+Doucement.
+
+ "Plus, un luth de Bologne, garni de toutes ses cordes,
+ ou peu s'en faut.
+ Plus, un trou-madame et un damier, avec un jeu de l'oie,
+ renouvelé des Grecs, fort propres à passer le temps
+ lorsque l'on n'a que faire.
+ Plus, une peau d'un lézard de trois pieds et demi, remplie
+ de foin ; curiosité agréable pour pendre au plancher d'une
+ chambre.
+ Le tout, ci-dessus mentionné, valant loyalement plus de
+ quatre mille cinq cents livres, et rabaissé à la valeur
+ de mille écus par la discrétion du prêteur."
+
+
+- Cléante -
+
+Que la peste l'étouffe avec sa discrétion, le traître, le bourreau
+qu'il est ! A-t-on jamais parlé d'une usure semblable, et n'est-il
+pas content du furieux intérêt qu'il exige, sans vouloir encore
+m'obliger à prendre pour trois mille livres les vieux rogatons qu'il
+ramasse ? Je n'aurai pas deux cents écus de tout cela ; et cependant
+il faut bien me résoudre à consentir à ce qu'il veut : car il est en
+état de me faire tout accepter, et il me tient, le scélérat, le
+poignard sur la gorge.
+
+
+- La Flèche -
+
+Je vous vois, Monsieur, ne vous en déplaise, dans le grand chemin
+justement que tenait Panurge pour se ruiner, prenant argent d'avance,
+achetant cher, vendant à bon marché et mangeant son blé en herbe.
+
+
+- Cléante -
+
+Que veux-tu que j'y fasse ? Voilà où les jeunes gens sont réduits par
+la maudite avarice des pères ; et on s'étonne, après cela, que les
+fils souhaitent qu'ils meurent !
+
+
+- La Flèche -
+
+Il faut convenir que le vôtre animerait contre sa vilenie le plus posé
+homme du monde. Je n'ai pas, Dieu merci, les inclinations fort
+patibulaires ; et, parmi mes confrères que je vois se mêler de
+beaucoup de petits commerces, je sais tirer adroitement mon épingle du
+jeu, et me démêler prudemment de toutes les galanteries qui sentent
+tant soit peu l'échelle ; mais, à vous dire vrai, il me donnerait, par
+ses procédés, des tentations de le voler ; et je croirais, en le
+volant, faire une action méritoire.
+
+
+- Cléante -
+
+Donne-moi un peu ce mémoire, que je le voie encore.
+
+
+-----------
+
+Scène II. - Harpagon, Maître Simon ; Cléante et La Flèche dans le fond
+ du théâtre.
+
+
+
+- Maître Simon -
+
+Oui, Monsieur, c'est un jeune homme qui a besoin d'argent ; ses
+affaires le pressent d'en trouver, et il en passera par tout ce que
+vous en prescrirez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais croyez-vous, maître Simon, qu'il n'y ait rien à péricliter ? et
+savez-vous le nom, les biens et la famille de celui pour qui vous
+parlez ?
+
+
+- Maître Simon -
+
+Non. Je ne puis pas bien vous en instruire à fond ; et ce n'est que par
+aventure que l'on m'a adressé à lui ; mais vous serez de toutes choses
+éclairci par lui-même, et son homme m'a assuré que vous serez content
+quand vous le connaîtrez. Tout ce que je saurais vous dire, c'est que
+sa famille est fort riche, qu'il n'a plus de mère déjà, et qu'il
+s'obligera, si vous voulez, que son père mourra avant qu'il soit huit
+mois.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est quelque chose que cela. La charité, maître Simon, nous oblige à
+faire plaisir aux personnes, lorsque nous le pouvons.
+
+
+- Maître Simon -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- La Flèche -
+
+ (bas, à Cléante, reconnaissant maître Simon.)
+
+Que veut dire ceci ? Notre maître Simon qui parle à votre père !
+
+
+- Cléante -
+
+ (bas, à La Flèche.)
+
+Lui aurait-on appris qui je suis ? et serais-tu pour nous trahir ?
+
+
+- Maître Simon -
+
+ (à Cléante et à La Flèche.)
+
+Ah ! ah ! vous êtes bien pressés ! Qui vous a dit que c'était céans ?
+
+ (À Harpagon.)
+
+Ce n'est pas moi, Monsieur, au moins, qui leur ai découvert votre nom
+et votre logis ; mais, à mon avis, il n'y a pas grand mal à cela : ce
+sont des personnes discrètes, et vous pouvez ici vous expliquer
+ensemble.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Maître Simon -
+
+ (montrant Cléante.)
+
+Monsieur est la personne qui veut vous emprunter les quinze mille
+livres dont je vous ai parlé.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, pendard ! c'est toi qui t'abandonnes à ces coupables
+extrémités !
+
+
+- Cléante -
+
+Comment ! mon père, c'est vous qui vous portez à ces honteuses actions !
+
+ (Maître Simon s'enfuit, et La Flèche va se cacher.)
+
+
+-----------
+
+Scène III. - Harpagon, Cléante.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est toi qui te veux ruiner par des emprunts si condamnables !
+
+
+- Cléante -
+
+C'est vous qui cherchez à vous enrichir par des usures si criminelles !
+
+
+- Harpagon -
+
+Oses-tu bien, après cela, paraître devant moi ?
+
+
+- Cléante -
+
+Osez-vous bien, après cela, vous présenter aux yeux du monde ?
+
+
+- Harpagon -
+
+N'as-tu point de honte, dis-moi, d'en venir à ces débauches-là, de te
+précipiter dans des dépenses effroyables, et de faire une honteuse
+dissipation du bien que tes parents t'ont amassé avec tant de sueurs ?
+
+
+- Cléante -
+
+Ne rougissez-vous point de déshonorer votre condition par les
+commerces que vous faites ; de sacrifier gloire et réputation au désir
+insatiable d'entasser écu sur écu, et de renchérir, en fait
+d'intérêts, sur les plus infâmes subtilités qu'aient jamais inventées
+les plus célèbres usuriers ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Ôte-toi de mes yeux, coquin ! ôte-toi de mes yeux !
+
+
+- Cléante -
+
+Qui est plus criminel, à votre avis, ou celui qui achète un argent
+dont il a besoin, ou bien celui qui vole un argent dont il n'a que
+faire ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Retire-toi, te dis-je, et ne m'échauffe pas les oreilles.
+
+ (Seul.)
+
+Je ne suis pas fâché de cette aventure ; et ce m'est un avis de tenir
+l'oeil plus que jamais sur toutes ses actions.
+
+
+-----------
+
+Scène IV. - Frosine, Harpagon.
+
+
+
+- Frosine -
+
+Monsieur...
+
+
+- Harpagon -
+
+Attendez un moment ; Je vais revenir vous parler.
+
+ (A part.)
+
+Il est à propos que je fasse un petit tour à mon argent.
+
+
+-----------
+
+Scène V. - La Flèche, Frosine.
+
+
+
+- La Flèche -
+
+ (sans voir Frosine.)
+
+L'aventure est tout à fait drôle ! Il faut bien qu'il ait quelque part
+un ample magasin de hardes, car nous n'avons rien reconnu au mémoire
+que nous avons.
+
+
+- Frosine -
+
+Hé ! c'est toi, mon pauvre la Flèche ! D'où vient cette rencontre ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Ah ! ah ! c'est toi, Frosine ! Que viens-tu faire ici ?
+
+
+- Frosine -
+
+Ce que je fais partout ailleurs : m'entremettre d'affaires, me rendre
+serviable aux gens, et profiter, du mieux qu'il m'est possible, des
+petits talents que je puis avoir. Tu sais que dans ce monde, il faut
+vivre d'adresse, et qu'aux personnes comme moi le ciel n'a donné
+d'autres rentes que l'intrigue et que l'industrie.
+
+
+- La Flèche -
+
+As-tu quelque négoce avec le patron du logis ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui, je traite pour lui quelque petite affaire dont j'espère
+récompense.
+
+
+- La Flèche -
+
+De lui ? Ah ! ma foi, tu seras bien fine si tu en tires quelque chose,
+et je te donne avis que l'argent céans est fort cher.
+
+
+- Frosine -
+
+Il y a de certains services qui touchent merveilleusement.
+
+
+- La Flèche -
+
+Je suis votre valet ; et tu ne connais pas encore le seigneur
+Harpagon. Le seigneur Harpagon est de tous les humains l'humain le
+moins humain, le mortel de tous les mortels le plus dur et le plus
+serré. Il n'est point de service qui pousse sa reconnaissance jusqu'à
+lui faire ouvrir les mains. De la louange, de l'estime, de la
+bienveillance en paroles, et de l'amitié, tant qu'il vous plaira ;
+mais de l'argent, point d'affaires. Il n'est rien de plus sec et de
+plus aride que ses bonnes grâces et ses caresses ; et "donner" est un
+mot pour qui il a tant d'aversion, qu'il ne dit jamais, "Je vous
+donne", mais "Je vous prête le bonjour".
+
+
+- Frosine -
+
+Mon Dieu ! je sais l'art de traire les hommes ; j'ai le secret de
+m'ouvrir leur tendresse, de chatouiller leurs coeurs, de trouver les
+endroits par où ils sont sensibles.
+
+
+- La Flèche -
+
+Bagatelles ici. Je te défie d'attendrir du côté de l'argent l'homme
+dont il est question. Il est Turc là-dessus, mais d'une turquerie à
+désespérer tout le monde ; et l'on pourrait crever, qu'il n'en
+branlerait pas. En un mot, il aime l'argent plus que réputation,
+qu'honneur, et que vertu ; et la vue d'un demandeur lui donne des
+convulsions : c'est le frapper par son endroit mortel, c'est lui
+percer le coeur, c'est lui arracher les entrailles ; et si... Mais il
+revient : je me retire.
+
+
+-----------
+
+Scène VI. - Harpagon, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas.)
+
+Tout va comme il faut.
+
+ (Haut.)
+
+Hé bien ! qu'est-ce, Frosine ?
+
+
+- Frosine -
+
+Ah ! mon Dieu, que vous vous portez bien, et que vous avez là un
+vrai visage de santé !
+
+
+- Harpagon -
+
+Qui ? moi ?
+
+
+- Frosine -
+
+Jamais je ne vous vis un teint si frais et si gaillard.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tout de bon ?
+
+
+- Frosine -
+
+Comment ! vous n'avez de votre vie été si jeune que vous êtes ; et je
+vois des gens de vingt-cinq ans qui sont plus vieux que vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cependant, Frosine, j'en ai soixante bien comptés.
+
+
+- Frosine -
+
+Eh bien, qu'est-ce que cela, soixante ans ? Voilà bien de quoi ! C'est
+la fleur de l'âge, cela, et vous entrez maintenant dans la belle
+saison de l'homme.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il est vrai ; mais vingt années de moins, pourtant, ne me feraient
+point de mal, que je crois.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous moquez-vous ? Vous n'avez pas besoin de cela, et vous êtes d'une
+pâte à vivre jusques à cent ans.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu le crois ?
+
+
+- Frosine -
+
+Assurément. Vous en avez toutes les marques. Tenez-vous un peu. Oh !
+que voilà bien là, entre vos deux yeux, un signe de longue vie !
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu te connais à cela ?
+
+
+- Frosine -
+
+Sans doute. Montrez-moi votre main. Mon Dieu, quelle ligne de vie !
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Frosine -
+
+Ne voyez-vous pas jusqu'où va cette ligne-là ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Eh bien ! qu'est-ce que cela veut dire ?
+
+
+- Frosine -
+
+Par ma foi, je disais cent ans ; mais vous passerez les six-vingts.
+
+
+- Harpagon -
+
+Est-il possible ?
+
+
+- Frosine -
+
+II faudra vous assommer, vous dis-je ; et vous mettrez en terre et vos
+enfants, et les enfants de vos enfants.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tant mieux ! Comment va notre affaire ?
+
+
+- Frosine -
+
+Faut-il le demander ? et me voit-on mêler de rien dont je ne vienne à
+bout ? J'ai, surtout pour les mariages, un talent merveilleux. Il
+n'est point de partis au monde que je ne trouve en peu de temps le
+moyen d'accoupler ; et je crois, si je me l'étais mis en tête, que je
+marierais le Grand Turc avec la République de Venise. Il n'y avait
+pas, sans doute, de si grandes difficultés à cette affaire-ci. Comme
+j'ai commerce chez elles, je les ai à fond l'une et l'autre
+entretenues de vous ; et j'ai dit à la mère le dessein que vous aviez
+conçu pour Mariane, à la voir passer dans la rue et prendre l'air à sa
+fenêtre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qui a fait réponse...
+
+
+- Frosine -
+
+Elle a reçu la proposition avec joie ; et quand je lui ai témoigné que
+vous souhaitiez fort que sa fille assistât ce soir au contrat de
+mariage qui se doit faire de la vôtre, elle y a consenti sans peine,
+et me l'a confiée pour cela.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est que je suis obligé, Frosine, de donner à souper au seigneur
+Anselme ; et je serai bien aise qu'elle soit du régal.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous avez raison. Elle doit, après dîner, rendre visite à votre fille,
+d'où elle fait son compte d'aller faire un tour à la foire, pour venir
+ensuite au souper.
+
+
+- Harpagon -
+
+Eh bien, elles iront ensemble dans mon carrosse, que je leur prêterai.
+
+
+- Frosine -
+
+Voilà justement son affaire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais, Frosine, as-tu entretenu la mère touchant le bien qu'elle peut
+donner à sa fille ? Lui as-tu dit qu'il fallait qu'elle s'aidât un
+peu, qu'elle fît quelque effort, qu'elle se saignât pour une occasion
+comme celle-ci ? Car encore n'épouse-t-on point une fille sans qu'elle
+apporte quelque chose.
+
+
+- Frosine -
+
+Comment ! C'est une fille qui vous apportera douze mille livres de
+rente.
+
+
+- Harpagon -
+
+Douze mille livres de rente ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui. Premièrement, elle est nourrie et élevée dans une grande épargne
+de bouche. C'est une fille accoutumée à vivre de salade, de lait, de
+fromage et de pommes, et à laquelle, par conséquent, il ne faudra ni
+table bien servie, ni consommés exquis, ni orges mondés perpétuels, ni
+les autres délicatesses qu'il faudrait pour une autre femme ; et cela
+ne va pas à si peu de chose, qu'il ne monte bien, tous les ans, à
+trois mille francs pour le moins. Outre cela, elle n'est curieuse que
+d'une propreté fort simple, et n'aime point les superbes habits, ni
+les riches bijoux, ni les meubles somptueux, où donnent ses pareilles
+avec tant de chaleur ; et cet article-là vaut plus de quatre mille
+livres par an. De plus, elle a une aversion horrible pour le jeu, ce
+qui n'est pas commun aux femmes d'aujourd'hui ; et j'en sais une de
+nos quartiers qui a perdu, à trente et quarante, vingt mille francs
+cette année. Mais n'en prenons rien que le quart. Cinq mille francs au
+jeu par an, et quatre mille francs en habits et bijoux, cela fait neuf
+mille livres, et mille écus que nous mettons pour la nourriture: ne
+voilà-t-il pas par année vos douze mille francs bien comptés ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui ; cela n'est pas mal ; mais ce compte-là n'est rien de réel.
+
+
+- Frosine -
+
+Pardonnez-moi. N'est-ce pas quelque chose de réel que de vous apporter
+en mariage une grande sobriété, l'héritage d'un grand amour de
+simplicité de parure, et l'acquisition d'un grand fonds de haine pour
+le jeu ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une raillerie que de vouloir me constituer sa dot de toutes les
+dépenses qu'elle ne fera point. Je n'irai point donner quittance de ce
+que je ne reçois pas ; et il faut bien que je touche quelque chose.
+
+
+- Frosine -
+
+Mon Dieu ! vous toucherez assez ; et elles m'ont parlé d'un certain
+pays où elles ont du bien, dont vous serez le maître.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il faudra voir cela. Mais Frosine, il y a encore une chose qui
+m'inquiète. La fille est jeune, comme tu vois, et les jeunes gens,
+d'ordinaire, n'aiment que leurs semblables, ne cherchent que leur
+compagnie : j'ai peur qu'un homme de mon âge ne soit pas de son goût,
+et que cela ne vienne à produire chez moi certains petits désordres
+qui ne m'accommoderaient pas.
+
+
+- Frosine -
+
+Ah ! que vous la connaissez mal ! C'est encore une particularité que
+j'avais à vous dire. Elle a une aversion épouvantable pour tous les
+jeunes gens, et n'a de l'amour que pour les vieillards.
+
+
+- Harpagon -
+
+Elle ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui, elle. Je voudrais que vous l'eussiez entendue parler là-dessus.
+Elle ne peut souffrir du tout la vue d'un jeune homme ; mais elle
+n'est point plus ravie, dit-elle, que lorsqu'elle peut voir un beau
+vieillard avec une barbe majestueuse. Les plus vieux sont pour elle
+les plus charmants ; et je vous avertis de n'aller pas vous faire plus
+jeune que vous êtes. Elle veut tout au moins qu'on soit sexagénaire ;
+et il n'y a pas quatre mois encore qu'étant prête d'être mariée, elle
+rompit tout net le mariage, sur ce que son amant fit voir qu'il
+n'avait que cinquante-six ans, et qu'il ne prit point de lunettes pour
+signer le contrat.
+
+
+- Harpagon -
+
+Sur cela seulement ?
+
+
+- Frosine -
+
+Oui. Elle dit que ce n'est pas contentement pour elle que
+cinquante-six ans ; et surtout elle est pour les nez qui portent des
+lunettes.
+
+
+- Harpagon -
+
+Certes, tu me dis là une chose toute nouvelle.
+
+
+- Frosine -
+
+Cela va plus loin qu'on ne vous peut dire. On lui voit dans sa chambre
+quelques tableaux et quelques estampes ; mais que pensez-vous que ce
+soit ? Des Adonis, des Céphales, des Pâris, et des Apollons ? Non : de
+beaux portraits de Saturne, du roi Priam, du vieux Nestor, et du bon
+père Anchise, sur les épaules de son fils.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela est admirable. Voilà ce que je n'aurais jamais pensé, et je suis
+bien aise d'apprendre qu'elle est de cette humeur. En effet, si
+j'avais été femme, je n'aurais point aimé les jeunes hommes.
+
+
+- Frosine -
+
+Je le crois bien. Voilà de belles drogues que des jeunes gens, pour
+les aimer ! Ce sont de beaux morveux, de beaux godelureaux, pour
+donner envie de leur peau ! et je voudrais bien savoir quel ragoût il
+y a à eux !
+
+
+- Harpagon -
+
+Pour moi, je n'y en comprends point, et je ne sais pas comment il y a
+des femmes qui les aiment tant.
+
+
+- Frosine -
+
+Il faut être folle fieffée. Trouver la jeunesse aimable, est-ce avoir
+le sens commun ? Sont-ce des hommes que de jeunes blondins, et peut-on
+s'attacher à ces animaux-là ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est ce que je dis tous les jours : avec leur ton de poule laitée, et
+leurs trois petits brins de barbe relevés en barbe de chat, leurs
+perruques d'étoupes, leurs hauts-de-chausses tombants et leurs
+estomacs débraillés !
+
+
+- Frosine -
+
+Hé ! cela est bien bâti, auprès d'une personne comme vous ! Voilà un
+homme, cela ; il y a là de quoi satisfaire à la vue, et c'est ainsi
+qu'il faut être fait et vêtu pour donner de l'amour.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu me trouves bien ?
+
+
+- Frosine -
+
+Comment ! vous êtes à ravir, et votre figure est à peindre.
+Tournez-vous un peu, s'il vous plaît. Il ne se peut pas mieux. Que je
+vous voie marcher. Voilà un corps taillé, libre, et dégagé comme il
+faut, et qui ne marque aucune incommodité.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je n'en ai pas de grandes, Dieu merci. Il n'y a que ma fluxion qui me
+prend de temps en temps.
+
+
+- Frosine -
+
+Cela n'est rien. Votre fluxion ne vous sied point mal, et vous avez
+grâce à tousser.
+
+
+- Harpagon -
+
+Dis-moi un peu : Mariane ne m'a-t-elle point encore vu ? N'a-t-elle
+point pris garde à moi en passant ?
+
+
+- Frosine -
+
+Non ; mais nous nous sommes fort entretenues de vous. Je lui ai fait
+un portrait de votre personne, et je n'ai pas manqué de lui vanter
+votre mérite et l'avantage que ce lui serait d'avoir un mari comme
+vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu as bien fait, et je t'en remercie.
+
+
+- Frosine -
+
+J'aurais, monsieur, une petite prière à vous faire. J'ai un procès
+que je suis sûr le point de perdre, faute d'un peu d'argent ;
+
+ (Harpagon prend un air sérieux.)
+
+et vous pourriez facilement me procurer le gain de ce procès si vous
+aviez quelque bonté pour moi. Vous ne sauriez croire le plaisir
+qu'elle aura de vous voir.
+
+ (Harpagon reprend un air gai.)
+
+Ah ! que vous lui plairez, et que votre fraise à l'antique fera sur
+son esprit un effet admirable ! Mais surtout elle sera charmée de
+votre haut-de-chausses attaché au pourpoint avec des aiguillettes.
+C'est pour la rendre folle de vous ; et un amant aiguilleté sera pour
+elle un ragoût merveilleux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Certes, tu me ravis de me dire cela.
+
+
+- Frosine -
+
+En vérité, Monsieur, ce procès m'est d'une conséquence tout a fait
+grande.
+
+ (Harpagon reprend son air sérieux.)
+
+Je suis ruinée si je le perds, et quelque petite assistance me
+rétablirait mes affaires... Je voudrais que vous eussiez vu le
+ravissement où elle était à m'entendre parler de vous.
+
+ (Harpagon reprend son air gai.)
+
+La joie éclatait dans ses yeux au récit de vos qualités, et je l'ai
+mise enfin dans une impatience extrême de voir ce mariage entièrement
+conclu.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu m'as fait grand plaisir, Frosine ; et je t'en ai, je te l'avoue,
+toutes les obligations du monde.
+
+
+- Frosine -
+
+Je vous prie, Monsieur, de me donner le petit secours que je vous
+demande.
+
+ (Harpagon reprend encore un air sérieux.)
+
+Cela me remettra sur pied, et je vous en serai éternellement obligée.
+
+
+- Harpagon -
+
+Adieu, je vais achever mes dépêches.
+
+
+- Frosine -
+
+Je vous assure, Monsieur, que vous ne sauriez jamais me soulager dans
+un plus grand besoin.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je mettrai ordre que mon carrosse soit tout prêt pour vous mener à la
+foire.
+
+
+- Frosine -
+
+Je ne vous importunerais pas si je ne m'y voyais forcée par la
+nécessité.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et j'aurai soin qu'on soupe de bonne heure, pour ne vous point faire
+malades.
+
+
+- Frosine -
+
+Ne me refusez pas la grâce dont je vous sollicite. Vous ne sauriez
+croire, Monsieur, le plaisir que...
+
+
+- Harpagon -
+
+Je m'en vais. Voilà qu'on m'appelle. Jusqu'à tantôt.
+
+
+- Frosine -
+
+ (seule.)
+
+Que la fièvre te serre, chien de vilain, à tous les diables ! Le ladre
+a été ferme à toutes mes attaques ; mais il ne me faut pas pourtant
+quitter la négociation ; et j'ai l'autre côté, en tout cas, d'où je
+suis assurée de tirer bonne récompense.
+
+
+
+ACTE TROISIÈME.
+---------------
+
+
+
+Scène première. - Harpagon, Cléante, Élise, Valère, Dame Claude,
+ tenant un balai ; Maître Jacques, La Merluche,
+ Brindavoine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Allons, venez çà tous, que je vous distribue mes ordres pour tantôt et
+règle à chacun son emploi. Approchez, dame Claude ; commençons par
+vous. Bon, vous voilà les armes à la main. Je vous commets au soin de
+nettoyer partout ; et surtout prenez garde de ne point frotter les
+meubles trop fort, de peur de les user. Outre cela, je vous constitue,
+pendant le souper, au gouvernement des bouteilles ; et, s'il s'en
+écarte quelqu'une, et qu'il se casse quelque chose, je m'en prendrai à
+vous et le rabattrai sur vos gages.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+Châtiment politique.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Dame Claude.)
+
+Allez.
+
+
+-----------
+
+Scène II. - Harpagon, Cléante, Élise, Valère, Maître Jacques,
+ Brindavoine, La Merluche.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous, Brindavoine, et vous, la Merluche, je vous établis dans la
+charge de rincer les verres et de donner à boire, mais seulement
+lorsque l'on aura soif, et non pas selon la coutume de certains
+impertinents de laquais, qui viennent provoquer les gens, et les faire
+aviser de boire lorsqu'on n'y songe pas. Attendez qu'on vous en
+demande plus d'une fois, et vous ressouvenez de porter toujours
+beaucoup d'eau.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+Oui. Le vin pur monte à la tête.
+
+
+- La Merluche -
+
+Quitterons-nous nos souquenilles, monsieur ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, quand vous verrez venir les personnes ; et gardez bien de gâter vos
+habits.
+
+
+- Brindavoine -
+
+Vous savez bien, Monsieur, qu'un des devants de mon pourpoint est
+couvert d'une grande tache de l'huile de la lampe.
+
+
+- La Merluche -
+
+Et, moi, Monsieur, que j'ai mon haut-de-chausses tout troué
+par-derrière, et qu'on me voit, révérence parler...
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à la Merluche.)
+
+Paix ! Rangez cela adroitement du côté de la muraille, et présentez
+toujours le devant au monde.
+
+ (A Brindavoine, en lui montrant comment il doit mettre
+ son chapeau au-devant de son pourpoint, pour cacher
+ la tache d'huile.)
+
+Et vous, tenez toujours votre chapeau ainsi, lorsque vous
+servirez.
+
+
+-----------
+
+Scène III. - Harpagon, Cléante, Élise, Valère, Maître Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Pour vous, ma fille, vous aurez l'oeil sur ce que l'on desservira, et
+prendrez garde qu'il ne s'en fasse aucun dégât : cela sied bien aux
+filles. Mais cependant préparez-vous à bien recevoir ma maîtresse, qui
+vous doit venir visiter et vous mener avec elle à la foire.
+Entendez-vous ce que je vous dis ?
+
+
+- Élise -
+
+Oui, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, nigaude.
+
+
+-----------
+
+Scène IV. - Harpagon, Cléante, Valère, Maître Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Et vous, mon fils le damoiseau, à qui j'ai la bonté de pardonner
+l'histoire de tantôt, ne vous allez pas aviser non plus de lui faire
+mauvais visage.
+
+
+- Cléante -
+
+Moi, mon père ? mauvais visage ! Et par quelle raison ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Mon Dieu, nous savons le train des enfants dont les pères se
+remarient, et de quel oeil ils ont coutume de regarder ce qu'on
+appelle belle-mère ; mais si vous souhaitez que je perde le souvenir de
+votre dernière fredaine, je vous recommande surtout de régaler d'un
+bon visage cette personne-là, et de lui faire enfin tout le meilleur
+accueil qu'il vous sera possible.
+
+
+- Cléante -
+
+A vous dire le vrai, mon père, je ne puis pas vous promettre d'être
+bien aise qu'elle devienne ma belle-mère : je mentirais si je vous le
+disais ; mais pour ce qui est de la bien recevoir et de lui faire bon
+visage, je vous promets de vous obéir ponctuellement sur ce chapitre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Prenez-y garde au moins.
+
+
+- Cléante -
+
+Vous verrez que vous n'aurez pas sujet de vous en plaindre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous ferez sagement.
+
+
+-----------
+
+Scène V. - Harpagon, Valère, Maître Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Valère, aide-moi à ceci. Oh çà, maître Jacques, approchez-vous ; je
+vous ai gardé pour le dernier.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Est-ce à votre cocher, Monsieur, ou bien à votre cuisinier, que vous
+voulez parler ? car je suis l'un et l'autre.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est à tous les deux.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Mais à qui des deux le premier ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Au cuisinier.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Attendez donc, s'il vous plaît.
+
+ (Maître Jacques ôte sa casaque de cocher, et paraît vêtu en cuisinier.)
+
+
+- Harpagon -
+
+Quelle diantre de cérémonie est-ce là ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vous n'avez qu'à parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me suis engagé, maître Jacques, à donner ce soir à souper.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+Grande merveille !
+
+
+- Harpagon -
+
+Dis-moi un peu : nous feras-tu bonne chère ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Oui, Si vous me donnez bien de l'argent.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que diable, toujours de l'argent ! Il semble qu'ils n'aient autre
+chose à dire : De l'argent, de l'argent, de l'argent ! Ah ! ils n'ont
+que ce mot à la bouche, de l'argent ! toujours parler d'argent ! Voilà
+leur épée de chevet (12), de l'argent !
+
+
+- Valère -
+
+Je n'ai jamais vu de réponse plus impertinente que celle-là. Voilà
+une belle merveille que de faire bonne chère avec bien de l'argent !
+C'est une chose la plus aisée du monde, et il n'y a si pauvre esprit
+qui n'en fît bien autant ; mais, pour agir en habile homme, il faut
+parler de faire bonne chère avec peu d'argent.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Bonne chère avec peu d'argent !
+
+
+- Valère -
+
+Oui.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Valère.)
+
+Par ma foi, Monsieur l'intendant, vous nous obligerez de nous faire
+voir ce secret, et de prendre mon office de cuisinier ; aussi bien
+vous mêlez-vous céans d'être le factotum.
+
+
+- Harpagon -
+
+Taisez-vous. Qu'est-ce qu'il nous faudra ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Voilà monsieur votre intendant qui vous fera bonne chère pour peu
+d'argent.
+
+
+- Harpagon -
+
+Haye ! Je veux que tu me répondes.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Combien serez-vous de gens à table ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Nous serons huit ou dix ; mais il ne faut prendre que huit :
+quand il y a à manger pour huit, il y en a bien pour dix.
+
+
+- Valère -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Eh bien ! il faudra quatre grands potages et cinq assiettes...
+Potages... Entrées.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que diable ! voilà pour traiter toute une ville entière.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Rôt...
+
+
+- Harpagon -
+
+ (mettant la main sur la bouche de maître Jacques.)
+
+Ah ! traître, tu manges tout mon bien.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Entremets...
+
+
+- Harpagon -
+
+ (mettant encore la main sur la bouche de maître Jacques.)
+
+Encore ?
+
+
+- Valère -
+
+ (à maître Jacques.)
+
+Est-ce que vous avez envie de faire crever tout le monde ? et Monsieur
+a-t-il invité des gens pour les assassiner à force de mangeaille ?
+Allez-vous-en lire un peu les préceptes de la santé, et demander aux
+médecins s'il y a rien de plus préjudiciable à l'homme que de manger
+avec excès.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il a raison.
+
+
+- Valère -
+
+Apprenez, maître Jacques, vous et vos pareils, que c'est un
+coupe-gorge qu'une table remplie de trop de viandes ; que pour se
+bien montrer ami de ceux que l'on invite, il faut que la frugalité
+règne dans les repas qu'on donne ; et que, suivant le dire d'un ancien,
+"il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger" (13).
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! que cela est bien dit ! Approche, que je t'embrasse pour ce
+mot. Voilà la plus belle sentence que j'aie entendue de ma vie : "Il
+faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi..." Non, ce n'est
+pas cela. Comment est-ce que tu dis ?
+
+
+- Valère -
+
+Qu'"il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger."
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à maître Jacques.)
+
+Oui. Entends-tu ?
+
+ (À Valère.)
+
+Qui est le grand homme qui a dit cela ?
+
+
+- Valère -
+
+Je ne me souviens pas maintenant de son nom.
+
+
+- Harpagon -
+
+Souviens-toi de m'écrire ces mots : je les veux faire graver en
+lettres d'or sur la cheminée de ma salle.
+
+
+- Valère -
+
+Je n'y manquerai pas. Et, pour votre souper, vous n'avez qu'à me
+laisser faire : je réglerai tout cela comme il faut.
+
+
+- Harpagon -
+
+Fais donc.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Tant mieux ! j'en aurai moins de peine.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Valère.)
+
+Il faudra de ces choses dont on ne mange guère, et qui rassasient
+d'abord : quelque bon haricot bien gras, avec quelque pâté en pot bien
+garni de marrons.
+
+
+- Valère -
+
+Reposez-vous sur moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Maintenant, maître Jacques, il faut nettoyer mon carrosse.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Attendez. Ceci s'adresse au cocher.
+
+ (Il remet sa casaque.)
+
+Vous dites...
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'il faut nettoyer mon carrosse, et tenir mes chevaux tout prêts pour
+conduire à la foire...
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vos chevaux, Monsieur ? Ma foi ! ils ne sont point du tout en état de
+marcher. Je ne vous dirai point qu'ils sont sur la litière : les
+pauvres bêtes n'en ont point, et ce serait fort mal parler ; mais vous
+leur faites observer des jeûnes si austères, que ce ne sont plus rien
+que des idées ou des fantômes, des façons de chevaux.
+
+
+- Harpagon -
+
+Les voilà bien malades ! ils ne font rien.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Et, pour ne faire rien, Monsieur, est-ce qu'il ne faut rien manger ?
+Il leur vaudrait bien mieux, les pauvres animaux, de travailler
+beaucoup, de manger de même. Cela me fend le coeur de les voir ainsi
+exténués ; car, enfin, j'ai une tendresse pour mes chevaux, qu'il me
+semble que c'est moi-même, quand je les vois pâtir. Je m'ôte tous les
+jours pour eux les choses de la bouche, et c'est être, Monsieur, d'un
+naturel trop dur, que de n'avoir nulle pitié de son prochain.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le travail ne sera pas grand d'aller jusqu'à la foire.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Non, je n'ai pas le courage de les mener ; et je ferais conscience de
+leur donner des coups de fouet, en l'état où ils sont. Comment
+voudriez-vous qu'ils traînassent un carrosse, qu'ils ne peuvent pas se
+traîner eux-mêmes.
+
+
+- Valère -
+
+Monsieur, j'obligerai le voisin le Picard à se charger de les conduire :
+aussi bien nous fera-t-il ici besoin pour apprêter le souper.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Soit. J'aime mieux encore qu'ils meurent sous la main d'un autre que
+sous la mienne.
+
+
+- Valère -
+
+Maître Jacques fait bien le raisonnable !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Monsieur l'intendant fait bien le nécessaire !
+
+
+- Harpagon -
+
+Paix !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Monsieur, je ne saurais souffrir les flatteurs ; et je vois que ce
+qu'il en fait, que ses contrôles perpétuels sur le pain et le vin, le
+bois, le sel et la chandelle, ne sont rien que pour vous gratter et
+vous faire sa cour. J'enrage de cela, et je suis fâché tous les jours
+d'entendre ce qu'on dit de vous : car, enfin, je me sens pour vous de
+la tendresse, en dépit que j'en aie ; et, après mes chevaux, vous êtes
+la personne que j'aime le plus.
+
+
+- Harpagon -
+
+Pourrais-je savoir de vous, maître Jacques, ce que l'on dit de moi ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Oui, monsieur, si j'étais assuré que cela ne vous fâchât point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, en aucune façon.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Pardonnez-moi ; je sais fort bien que je vous mettrais en colère.
+
+
+- Harpagon -
+
+Point du tout ; au contraire, c'est me faire plaisir, et je suis bien
+aise d'apprendre comme on parle de moi.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Monsieur, puisque vous le voulez, je vous dirai franchement qu'on se
+moque partout de vous, qu'on nous jette de tous côtés cent brocards à
+votre sujet, et que l'on n'est point plus ravi que de vous tenir au
+cul et aux chausses, et de faire sans cesse des contes de votre
+lésine. L'un dit que vous faites imprimer des almanachs particuliers,
+où vous faites doubler les quatre-temps et les vigiles, afin de
+profiter des jeûnes où vous obligez votre monde ; l'autre, que vous
+avez toujours une querelle toute prête à faire à vos valets dans le
+temps des étrennes ou de leur sortie d'avec vous, pour vous trouver
+une raison de ne leur donner rien. Celui-là conte qu'une fois vous
+fîtes assigner le chat d'un de vos voisins, pour vous avoir mangé un
+reste d'un gigot de mouton ; celui-ci, que l'on vous surprit, une
+nuit, en venant dérober vous-même l'avoine de vos chevaux ; et que
+votre cocher, qui était celui d'avant moi, vous donna, dans
+l'obscurité, je ne sais combien de coups de bâton, dont vous ne
+voulûtes rien dire. Enfin, voulez-vous que je vous dise ? On ne
+saurait aller nulle part où l'on ne vous entende accommoder de toutes
+pièces. Vous êtes la fable et la risée de tout le monde ; et jamais on
+ne parle de vous que sous les noms d'avare, de ladre, de vilain et de
+fesse-mathieu.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (en battant maître Jacques.)
+
+Vous êtes un sot, un maraud, un coquin, et un impudent.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Eh bien, ne l'avais-je pas deviné ? Vous ne m'avez pas voulu croire.
+Je vous l'avais bien dit que je vous fâcherais de vous dire la vérité.
+
+
+- Harpagon -
+
+Apprenez à parler.
+
+
+-----------
+
+Scène VI. - Valère, Maître Jacques.
+
+
+
+- Valère -
+
+ (riant.)
+
+À ce que je puis voir, maître Jacques, on paie mal votre franchise.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Morbleu ! Monsieur le nouveau venu, qui faites l'homme d'importance,
+ce n'est pas votre affaire. Riez de vos coups de bâton quand on vous
+on donnera, et ne venez point rire des miens.
+
+
+- Valère -
+
+Ah ! Monsieur maître Jacques, ne vous fâchez pas, je vous prie.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+II file doux. Je veux faire le brave, et, s'il est assez sot pour me
+craindre, le frotter quelque peu.
+
+ (Haut.)
+
+Savez-vous bien, Monsieur le rieur, que je ne ris pas, moi, et que si
+vous m'échauffez la tête, je vous ferai rire d'une autre sorte ?
+
+ (Maître Jacques pousse Valère jusqu'au bout du théâtre
+ en le menaçant.)
+
+
+- Valère -
+
+Hé ! doucement.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Comment, doucement ? Il ne me plaît pas, moi.
+
+
+- Valère -
+
+De grâce !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vous êtes un impertinent.
+
+
+- Valère -
+
+Monsieur maître Jacques !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+II n'y a point de monsieur maître Jacques pour un double (14). Si je
+prends un bâton, je vous rosserai d'importance.
+
+
+- Valère -
+
+Comment ! un bâton ?
+
+ (Valère le fait reculer autant qu'il l'a fait.)
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Hé ! je ne parle pas de cela.
+
+
+- Valère -
+
+Savez-vous bien, Monsieur le fat, que je suis homme à vous rosser
+vous-même ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je n'en doute pas.
+
+
+- Valère -
+
+Que vous n'êtes, pour tout potage, qu'un faquin de cuisinier ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je le sais bien.
+
+
+- Valère -
+
+Et que vous ne me connaissez pas encore ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Pardonnez-moi.
+
+
+- Valère -
+
+Vous me rosserez, dites-vous ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je le disais en raillant.
+
+
+- Valère -
+
+Et moi, je ne prends point de goût à votre raillerie.
+
+ (Donnant des coups de bâton à maître Jacques.)
+
+Apprenez que vous êtes un mauvais railleur.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (seul.)
+
+Peste soit la sincérité ! c'est un mauvais métier : désormais j'y
+renonce, et je ne veux plus dire vrai. Passe encore pour mon maître,
+il a quelque droit de me battre ; mais, pour ce monsieur l'intendant,
+je m'en vengerai si je le puis.
+
+
+-----------
+
+Scène VII. - Mariane, Frosine, Maître Jacques.
+
+
+
+- Frosine -
+
+Savez-vous, maître Jacques, si votre maître est au logis ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Oui, vraiment il y est : je ne le sais que trop.
+
+
+- Frosine -
+
+Dites-lui, je vous prie, que nous sommes ici.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Ah ! nous voilà pas mal !
+
+
+-----------
+
+Scène VIII. - Mariane, Frosine.
+
+
+
+- Mariane -
+
+Ah ! que je suis, Frosine, dans un étrange état ! et, s'il faut dire
+ce que je sens, que j'appréhende cette vue !
+
+
+- Frosine -
+
+Mais pourquoi, et quelle est votre inquiétude ?
+
+
+- Mariane -
+
+Hélas ! me le demandez-vous ? et ne vous figurez-vous point les
+alarmes d'une personne toute prête à voir le supplice où l'on veut
+l'attacher ?
+
+
+- Frosine -
+
+Je vois bien que, pour mourir agréablement, Harpagon n'est pas le
+supplice que vous voudriez embrasser ; et je connais, à votre mine,
+que le jeune blondin dont vous m'avez parlé vous revient un peu dans
+l'esprit.
+
+
+- Mariane -
+
+Oui. C'est une chose, Frosine, dont je ne veux pas me défendre ; et
+les visites respectueuses qu'il a rendues chez nous ont fait, je vous
+l'avoue, quelque effet dans mon âme.
+
+
+- Frosine -
+
+Mais avez-vous su quel il est ?
+
+
+- Mariane -
+
+Non, je ne sais point quel il est. Mais je sais qu'il est fait d'un
+air à se faire aimer ; que, si l'on pouvait mettre les choses à mon
+choix, je le prendrais plutôt qu'un autre, et qu'il ne contribue pas
+peu à me faire trouver un tourment effroyable dans l'époux qu'on veut
+me donner.
+
+
+- Frosine -
+
+Mon Dieu, tous ces blondins sont agréables, et débitent fort bien leur
+fait ; mais la plupart sont gueux comme des rats : il vaut mieux, pour
+vous, de prendre un vieux mari qui vous donne beaucoup de bien. Je
+vous avoue que les sens ne trouvent pas si bien leur compte du côté
+que je dis, et qu'il y a quelques petits dégoûts à essuyer avec un tel
+époux ; mais cela n'est pas pour durer ; et sa mort, croyez-moi, vous
+mettra bientôt en état d'en prendre un plus aimable, qui réparera
+toutes choses.
+
+
+- Mariane -
+
+Mon Dieu ! Frosine, c'est une étrange affaire, lorsque pour être
+heureuse, il faut souhaiter ou attendre le trépas de quelqu'un ; et la
+mort ne suit pas tous les projets que nous faisons.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous moquez-vous ? Vous ne l'épousez qu'aux conditions de vous laisser
+veuve bientôt ; et ce doit être là un des articles du contrat. Il
+serait bien impertinent de ne pas mourir dans trois mois ! Le voici
+en propre personne.
+
+
+- Mariane -
+
+Ah ! Frosine, quelle figure !
+
+
+-----------
+
+Scène IX. - Harpagon, Mariane, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Mariane.)
+
+Ne vous offensez pas, ma belle, si je viens à vous avec des
+lunettes. Je sais que vos appas frappent assez les yeux, sont assez
+visibles d'eux-mêmes, et qu'il n'est pas besoin de lunettes pour les
+apercevoir ; mais enfin, c'est avec des lunettes qu'on observe les
+astres, et je maintiens et garantis que vous êtes un astre, mais un
+astre, le plus bel astre qui soit dans le pays des astres. Frosine,
+elle ne répond mot et ne témoigne, ce me semble, aucune joie de me
+voir.
+
+
+- Frosine -
+
+C'est qu'elle est encore toute surprise ; et, puis les filles
+ont toujours honte à témoigner d'abord ce qu'elles ont dans l'âme.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Frosine.)
+
+Tu as raison.
+
+ (A Mariane.)
+
+Voilà, belle mignonne, ma fille qui vient vous saluer.
+
+
+-----------
+
+Scène X. - Harpagon, Élise, Mariane, Frosine.
+
+
+
+- Mariane -
+
+Je m'acquitte bien tard, Madame, d'une telle visite.
+
+
+- Élise -
+
+Vous avez fait, Madame, ce que je devais faire, et c'était à moi de
+vous prévenir.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous voyez qu'elle est grande ; mais mauvaise herbe croît toujours.
+
+
+- Mariane -
+
+ (bas, à Frosine.)
+
+Oh ! l'homme déplaisant !
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à Frosine.)
+
+Que dit la belle ?
+
+
+- Frosine -
+
+Qu'elle vous trouve admirable.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est trop d'honneur que vous me faites, adorable mignonne.
+
+
+- Mariane -
+
+ (à part.)
+
+Quel animal !
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous suis trop obligé de ces sentiments.
+
+
+- Mariane -
+
+ (à part.)
+
+Je n'y puis plus tenir.
+
+
+-----------
+
+Scène XI. - Harpagon, Mariane, Élise, Cléante, Valère, Frosine,
+ Brindavoine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Voici mon fils aussi qui vous vient faire la révérence.
+
+
+- Mariane -
+
+ (bas, à Frosine.)
+
+Ah ! Frosine, quelle rencontre ! C'est justement celui dont je t'ai
+parlé.
+
+
+- Frosine -
+
+ (à Mariane.)
+
+L'aventure est merveilleuse.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vois que vous vous étonnez de me voir de si grands enfants ; mais
+je serai bientôt défait et de l'un et de l'autre.
+
+
+- Cléante -
+
+ (à Mariane.)
+
+Madame, à vous dire le vrai, c'est ici une aventure où, sans doute, je
+ne m'attendais pas ; et mon père ne m'a pas peu surpris lorsqu'il m'a
+dit tantôt le dessein qu'il avait formé.
+
+
+- Mariane -
+
+Je puis dire la même chose. C'est une rencontre imprévue, qui m'a
+surprise autant que vous ; et je n'étais point préparée à une pareille
+aventure.
+
+
+- Cléante -
+
+Il est vrai que mon père, Madame, ne peut pas faire un plus beau
+choix, et que ce m'est une sensible joie que l'honneur de vous voir ;
+mais, avec tout cela, je ne vous assurerai point que je me réjouis du
+dessein où vous pourriez être de devenir ma belle-mère. Le compliment,
+je vous l'avoue, est trop difficile pour moi, et c'est un titre, s'il
+vous plaît, que je ne vous souhaite point. Ce discours paraîtra brutal
+aux yeux de quelques-uns ; mais je suis assuré que vous serez personne
+à le prendre comme il faudra ; que c'est un mariage, Madame, où vous
+vous imaginez bien que je dois avoir de la répugnance ; que vous
+n'ignorez pas, sachant ce que je suis, comme il choque mes intérêts,
+et que vous voulez bien enfin que je vous dise, avec la permission de
+mon père, que, si les choses dépendaient de moi, cet hymen ne se
+ferait point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà un compliment bien impertinent ! Quelle belle confession à lui
+faire !
+
+
+- Mariane -
+
+Et moi, pour vous répondre, j'ai à vous dire que les choses sont fort
+égales ; et que si vous auriez de la répugnance à me voir votre
+belle-mère, je n'en aurais pas moins, sans doute, à vous voir mon
+beau-fils. Ne croyez pas, je vous prie, que ce soit moi qui cherche à
+vous donner cette inquiétude. Je serais fort fâchée de vous causer du
+déplaisir ; et si je ne m'y vois forcée par une puissance absolue, je
+vous donne ma parole que je ne consentirai point au mariage qui vous
+chagrine.
+
+
+- Harpagon -
+
+Elle a raison. A sot compliment, il faut une réponse de même. Je vous
+demande pardon, ma belle, de l'impertinence de mon fils : c'est un
+jeune sot qui ne sait pas encore la conséquence des paroles qu'il dit.
+
+
+- Mariane -
+
+Je vous promets que ce qu'il m'a dit ne m'a point du tout offensée ;
+au contraire, il m'a fait plaisir de m'expliquer ainsi ses véritables
+sentiments. J'aime de lui un aveu de la sorte ; et s'il avait parlé
+d'autre façon, je l'en estimerais bien moins.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est beaucoup de bonté à vous de vouloir ainsi excuser ses fautes.
+Le temps le rendra plus sage, et vous verrez qu'il changera de
+sentiments.
+
+
+- Cléante -
+
+Non, mon père, je ne suis pas capable d'en changer, et je prie
+instamment Madame de le croire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais voyez quelle extravagance ! il continue encore plus fort.
+
+
+- Cléante -
+
+Voulez-vous que je trahisse mon coeur ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Encore ! Avez-vous envie de changer de discours ?
+
+
+- Cléante -
+
+Eh bien, puisque vous voulez que je parle d'autre façon, souffrez,
+Madame, que je me mette ici à la place de mon père, et que je vous
+avoue que je n'ai rien vu dans le monde de si charmant que vous ; que
+je ne conçois rien d'égal au bonheur de vous plaire, et que le titre
+de votre époux est une gloire, une félicité que je préférerais aux
+destinées des plus grands princes de la terre. Oui, Madame, le bonheur
+de vous posséder est, à mes regards, la plus belle de toutes les
+fortunes ; c'est où j'attache toute mon ambition. Il n'y a rien que je
+ne sois capable de faire pour une conquête si précieuse ; et les
+obstacles les plus puissants...
+
+
+- Harpagon -
+
+Doucement, mon fils, s'il vous plaît.
+
+
+- Cléante -
+
+C'est un compliment que je fais pour vous à Madame.
+
+
+- Harpagon -
+
+Mon Dieu, j'ai une langue pour m'expliquer moi-même, et je n'ai pas
+besoin d'un interprète comme vous. Allons, donnez des sièges.
+
+
+- Frosine -
+
+Non ; il vaut mieux que de ce pas nous allions à la foire, afin d'en
+revenir plus tôt et d'avoir tout le temps ensuite de nous entretenir.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Brindavoine.)
+
+Qu'on mette donc les chevaux au carrosse.
+
+
+-----------
+
+Scène XII. - Harpagon, Mariane, Élise, Cléante, Valère, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Mariane.)
+
+Je vous prie de m'excuser, ma belle, si je n'ai pas songé a vous
+donner un peu de collation avant que de partir.
+
+
+- Cléante -
+
+J'y ai pourvu, mon père, et j'ai fait apporter ici quelques bassins
+d'oranges de la Chine, de citrons doux, et de confitures, que j'ai
+envoyé quérir de votre part.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à Valère.)
+
+Valère !
+
+
+- Valère -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Il a perdu le sens.
+
+
+- Cléante -
+
+Est-ce que vous trouvez, mon père, que ce ne soit pas assez ? Madame
+aura la bonté d'excuser cela, s'il vous plaît.
+
+
+- Mariane -
+
+C'est une chose qui n'était pas nécessaire.
+
+
+- Cléante -
+
+Avez-vous jamais vu, madame, un diamant plus vif que celui que vous
+voyez que mon père a au doigt ?
+
+
+- Mariane -
+
+Il est vrai qu'il brille beaucoup.
+
+
+- Cléante -
+
+ (ôtant du doigt de son père le diamant, et le donnant à Mariane)
+
+Il faut que vous le voyiez de près.
+
+
+- Mariane -
+
+Il est fort beau, sans doute, et jette quantité de feux.
+
+
+- Cléante -
+
+ (se mettant au-devant de Mariane, qui veut rendre le diamant.)
+
+Nenni. Madame, il est en de trop belles mains. C'est un présent que
+mon père vous fait.
+
+
+- Harpagon -
+
+Moi !
+
+
+- Cléante -
+
+N'est-il pas vrai, mon père, que vous voulez que Madame le garde pour
+l'amour de vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à son fils.)
+
+Comment ?
+
+
+- Cléante -
+
+ (à Mariane.)
+
+Belle demande ! Il me fait signe de vous le faire accepter.
+
+
+- Mariane -
+
+Je ne veux point...
+
+
+- Cléante -
+
+ (à Mariane.)
+
+Vous moquez-vous ? Il n'a garde de le reprendre.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+J'enrage !
+
+
+- Mariane -
+
+Ce serait...
+
+
+- Cléante -
+
+ (empêchant toujours Mariane de rendre la bague.)
+
+Non, vous dis-je, c'est l'offenser.
+
+
+- Mariane -
+
+De grâce...
+
+
+- Cléante -
+
+Point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Peste soit...
+
+
+- Cléante -
+
+Le voilà qui se scandalise de votre refus.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à son fils.)
+
+Ah ! traître !
+
+
+- Cléante -
+
+ (à Mariane.)
+
+Vous voyez qu'il se désespère.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à son fils, en le menaçant.)
+
+Bourreau que tu es !
+
+
+- Cléante -
+
+Mon père, ce n'est pas ma faute. Je fais ce que je puis pour l'obliger
+à la garder ; mais elle est obstinée.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à son fils en le menaçant.)
+
+Pendard !
+
+
+- Cléante -
+
+Vous êtes cause, Madame, que mon père me querelle.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à son fils, avec les mêmes gestes.)
+
+Le coquin !
+
+
+- Cléante -
+
+Vous le ferez tomber malade. De grâce, Madame, ne résistez point
+davantage.
+
+
+- Frosine -
+
+ (à Mariane.)
+
+Mon Dieu ! que de façons ! Gardez la bague, puisque monsieur le veut.
+
+
+- Mariane -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Pour ne vous point mettre en colère, je la garde maintenant, et je
+prendrai un autre temps pour vous la rendre.
+
+
+-----------
+
+Scène XIII. - Harpagon, Mariane, Élise, Cléante, Valère, Frosine,
+ Brindavoine.
+
+
+
+- Brindavoine -
+
+Monsieur, il y a là un homme qui veut vous parler.
+
+
+- Harpagon -
+
+Dis-lui que je suis empêché, et qu'il revienne une autre fois.
+
+
+- Brindavoine -
+
+Il dit qu'il vous apporte de l'argent.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous demande pardon. Je reviens tout à l'heure.
+
+
+-----------
+
+Scène XIV. - Harpagon, Mariane, Élise, Cléante, Valère, Frosine,
+ La Merluche.
+
+
+
+- La Merluche -
+
+ (courant et faisant tomber Harpagon.)
+
+Monsieur...
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! je suis mort.
+
+
+- Cléante -
+
+Qu'est-ce, mon père ? Vous êtes-vous fait mal ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Le traître assurément a reçu de l'argent de mes débiteurs pour me
+faire rompre le cou.
+
+
+- Valère -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Cela ne sera rien.
+
+
+- La Merluche -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Monsieur, je vous demande pardon ; je croyais bien faire d'accourir
+vite.
+
+
+- Harpagon -
+
+Que viens-tu faire ici, bourreau ?
+
+
+- La Merluche -
+
+Vous dire que vos deux chevaux sont déferrés.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'on les mène promptement chez le maréchal.
+
+
+- Cléante -
+
+En attendant qu'ils soient ferrés, je vais faire pour vous, mon père,
+les honneurs de votre logis, et conduire madame dans le jardin où je
+ferai porter la collation.
+
+
+-----------
+
+Scène XV. - Harpagon, Valère.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Valère, aie un peu l'oeil à tout cela, et prends soin, je te prie, de
+m'en sauver le plus que tu pourras, pour le renvoyer au marchand.
+
+
+- Valère -
+
+C'est assez.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (seul.)
+
+Ô fils impertinent ! as-tu envie de me ruiner ?
+
+
+
+ACTE QUATRIÈME.
+---------------
+
+
+
+Scène première. - Cléante, Mariane, Élise, Frosine.
+
+
+
+- Cléante -
+
+Rentrons ici ; nous serons beaucoup mieux. Il n'y a plus autour de
+nous personne de suspect, et nous pouvons parler librement.
+
+
+- Élise -
+
+Oui, Madame, mon frère m'a fait confidence de la passion qu'il a pour
+vous. Je sais les chagrins et les déplaisirs que sont capables de
+causer de pareilles traverses ; et c'est, je vous assure, avec une
+tendresse extrême, que je m'intéresse à votre aventure.
+
+
+- Mariane -
+
+C'est une douce consolation que de voir dans ses intérêts une personne
+comme vous ; et je vous conjure, Madame, de me garder toujours cette
+généreuse amitié, si capable de m'adoucir les cruautés de la fortune.
+
+
+- Frosine -
+
+Vous êtes, par ma foi, de malheureuses gens l'un et l'autre, de ne
+m'avoir point, avant tout ceci, avertie de votre affaire. Je vous
+aurais, sans doute, détourné cette inquiétude, et n'aurais point amené
+les choses où l'on voit qu'elles sont.
+
+
+- Cléante -
+
+Que veux-tu ? c'est ma mauvaise destinée qui l'a voulu ainsi. Mais,
+belle Mariane, quelles résolutions sont les vôtres ?
+
+
+- Mariane -
+
+Hélas ! suis-je en pouvoir de faire des résolutions ? et, dans
+la dépendance où je me vois, puis-je former que des souhaits ?
+
+
+- Cléante -
+
+Point d'autre appui pour moi dans votre coeur que de simples souhaits ?
+Point de pitié officieuse ? Point de secourable bonté ? Point
+d'affection agissante ?
+
+
+- Mariane -
+
+Que saurais-je vous dire ? Mettez-vous en ma place, et voyez ce que je
+puis faire. Avisez, ordonnez vous-même : je m'en remets à vous, et je
+vous crois trop raisonnable pour vouloir exiger de moi que ce qui peut
+m'être permis par l'honneur et la bienséance.
+
+
+- Cléante -
+
+Hélas ! où me réduisez-vous que de me renvoyer à ce que voudront me
+permettre les fâcheux sentiments d'un rigoureux honneur et d'une
+scrupuleuse bienséance ?
+
+
+- Mariane -
+
+Mais que voulez-vous que je fasse ? Quand je pourrais passer sur
+quantité d'égards où notre sexe est obligé, j'ai de la considération
+pour ma mère. Elle m'a toujours élevée avec une tendresse extrême, et
+je ne saurais me résoudre à lui donner du déplaisir. Faites, agissez
+auprès d'elle ; employez tous vos soins à gagner son esprit. Vous
+pouvez faire et dire tout ce que vous voudrez ; je vous en donne la
+licence ; et, s'il ne tient qu'à me déclarer en votre faveur, je veux
+bien consentir à lui faire un aveu, moi-même, de tout ce que je sens
+pour vous.
+
+
+- Cléante -
+
+Frosine, ma pauvre Frosine, voudrais-tu nous servir ?
+
+
+- Frosine -
+
+Par ma foi, faut-il le demander ? Je le voudrais de tout mon coeur.
+Vous savez que, de mon naturel, je suis assez humaine. Le ciel ne m'a
+point fait l'âme de bronze, et je n'ai que trop de tendresse à rendre
+de petits services, quand je vois des gens qui s'entr'aiment en tout
+bien et en tout honneur. Que pourrions-nous faire à ceci ?
+
+
+- Cléante -
+
+Songe un peu, je te prie.
+
+
+- Mariane -
+
+Ouvre-nous des lumières.
+
+
+- Élise -
+
+Trouve quelque invention pour rompre ce que tu as fait.
+
+
+- Frosine -
+
+Ceci est assez difficile.
+
+ (À Mariane.)
+
+Pour votre mère, elle n'est pas tout à fait déraisonnable, et peut-être
+pourrait-on la gagner et la résoudre à transporter au fils le don
+qu'elle veut faire au père.
+
+ (À Cléante.)
+
+Mais le mal que j'y trouve, c'est que votre père est votre père.
+
+
+- Cléante -
+
+Cela s'entend.
+
+
+- Frosine -
+
+Je veux dire qu'il conservera du dépit si l'on montre qu'on le refuse,
+et qu'il ne sera point d'humeur ensuite à donner son consentement à
+votre mariage. Il faudrait, pour bien faire, que le refus vînt de
+lui-même, et tâcher, par quelque moyen, de le dégoûter de votre personne.
+
+
+- Cléante -
+
+Tu as raison.
+
+
+- Frosine -
+
+Oui, j'ai raison, je le sais bien. C'est là ce qu'il faudrait ; mais
+le diantre (15) est d'en pouvoir trouver les moyens. Attendez : si
+nous avions quelque femme un peu sur l'âge qui fût de mon talent, et
+jouât assez bien pour contrefaire une dame de qualité, par le moyen
+d'un train fait à la hâte, et d'un bizarre nom de marquise ou de
+vicomtesse que nous supposerions de la Basse-Bretagne, j'aurais assez
+d'adresse pour faire accroire à votre père que ce serait une personne
+riche, outre ses maisons, de cent mille écus en argent comptant ;
+qu'elle serait éperdument amoureuse de lui et souhaiterait de se voir
+sa femme, jusqu'à lui donner tout son bien par contrat de mariage ; et
+je ne doute point qu'il ne prêtât l'oreille à la proposition. Car
+enfin il vous aime fort, je le sais, mais il aime un peu plus l'argent ;
+et quand, ébloui de ce leurre, il aurait une fois consenti à ce qui
+vous touche, il importerait peu ensuite qu'il se désabusât, en venant
+à vouloir voir clair aux effets de notre marquise.
+
+
+- Cléante -
+
+Tout cela est fort bien pensé.
+
+
+- Frosine -
+
+Laissez-moi faire. Je viens de me ressouvenir d'une de mes amies qui
+sera notre fait.
+
+
+- Cléante -
+
+Sois assurée, Frosine, de ma reconnaissance, si tu viens à bout de la
+chose. Mais, charmante Mariane, commençons, je vous prie, par gagner
+votre mère ; c'est toujours beaucoup faire que de rompre ce mariage.
+Faites-y de votre part, je vous en conjure, tous les efforts qu'il
+vous sera possible. Servez-vous de tout le pouvoir que vous donne sur
+elle cette amitié qu'elle a pour vous. Déployez sans réserve les
+grâces éloquentes, les charmes tout-puissants que le ciel a placés
+dans vos yeux et dans votre bouche ; et n'oubliez rien, s'il vous
+plaît, de ces tendres paroles, de ces douces prières et de ces
+caresses touchantes à qui je suis persuadé qu'on ne saurait rien
+refuser.
+
+
+- Mariane -
+
+J'y ferai tout ce que je puis, et n'oublierai aucune chose.
+
+
+-----------
+
+Scène II. - Harpagon, Cléante, Mariane, Élise, Frosine.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part, sans être aperçu.)
+
+Ouais ! mon fils baise la main de sa prétendue belle-mère ; et sa
+prétendue belle-mère ne s'en défend pas fort ! Y aurait-il quelque
+mystère là-dessous ?
+
+
+- Élise -
+
+Voilà mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le carrosse est tout prêt ; vous pouvez partir quand il vous plaira.
+
+
+- Cléante -
+
+Puisque vous n'y allez pas, mon père, je m'en vais les conduire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non : demeurez. Elles iront bien toutes seules, et j'ai besoin de vous.
+
+
+-----------
+
+Scène III. - Harpagon, Cléante.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Oh çà, intérêt de belle-mère à part, que te semble, à toi, de cette
+personne ?
+
+
+- Cléante -
+
+Ce qui m'en semble ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui de son air, de sa taille, de sa beauté, de son esprit.
+
+
+- Cléante -
+
+Là, là !
+
+
+- Harpagon -
+
+Mais encore ?
+
+
+- Cléante -
+
+A vous en parler franchement, je ne l'ai pas trouvée ici ce que je
+l'avais crue. Son air est de franche coquette, sa taille est assez
+gauche, sa beauté très médiocre, et son esprit des plus communs. Ne
+croyez pas que ce soit, mon père, pour vous en dégoûter ; car,
+belle-mère pour belle-mère, j'aime autant celle-là qu'une autre.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu lui disais tantôt pourtant...
+
+
+- Cléante -
+
+Je lui ai dit quelques douceurs en votre nom, mais c'était pour vous
+plaire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Si bien donc que tu n'aurais pas d'inclination pour elle ?
+
+
+- Cléante -
+
+Moi ? point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+J'en suis fâché, car cela rompt une pensée qui m'était venue dans
+l'esprit. J'ai fait, en la voyant ici, réflexion sur mon âge ; et j'ai
+songé qu'on pourra trouver à redire de me voir marier à une si jeune
+personne. Cette considération m'en faisait quitter le dessein ; et
+comme je l'ai fait demander, et que je suis pour elle engagé de parole,
+je te l'aurais donnée, sans l'aversion que tu témoignes.
+
+
+- Cléante -
+
+A moi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+A toi.
+
+
+- Cléante -
+
+En mariage ?
+
+
+- Harpagon -
+
+En mariage.
+
+
+- Cléante -
+
+Ecoutez. Il est vrai qu'elle n'est pas fort à mon goût ; mais, pour
+vous faire plaisir, mon père, je me résoudrai à l'épouser, si vous
+voulez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Moi, je suis plus raisonnable que tu ne penses. Je ne veux point
+forcer ton inclination.
+
+
+- Cléante -
+
+Pardonnez-moi ; je me ferai cet effort pour l'amour de vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, non. Un mariage ne saurait être heureux où l'inclination n'est
+pas.
+
+
+- Cléante -
+
+C'est une chose, mon père, qui peut-être viendra ensuite ; et l'on dit
+que l'amour est souvent un fruit du mariage.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non. Du côté de l'homme, on ne doit point risquer l'affaire ; et ce sont
+des suites fâcheuses, où je n'ai garde de me commettre. Si tu avais
+senti quelque inclination pour elle, à la bonne heure ; je te l'aurais
+fait épouser au lieu de moi ; mais, cela n'étant pas, je suivrai mon
+premier dessein, et je l'épouserai moi-même.
+
+
+- Cléante -
+
+Eh bien ! mon père, puisque les choses sont ainsi, il faut vous
+découvrir mon coeur ; il faut vous révéler notre secret. La vérité est
+que je l'aime depuis un jour que je la vis dans une promenade ; que mon
+dessein était tantôt de vous la demander pour femme ; et que rien ne
+m'a retenu que la déclaration de vos sentiments, et la crainte de vous
+déplaire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui avez-vous rendu visite ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Beaucoup de fois ?
+
+
+- Cléante -
+
+Assez pour le temps qu'il y a.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous a-t-on bien reçu ?
+
+
+- Cléante -
+
+Fort bien, mais sans savoir qui j'étais ; et c'est ce qui a fait tantôt
+la surprise de Mariane.
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui avez-vous déclaré votre passion et le dessein où vous étiez de
+l'épouser ?
+
+
+- Cléante -
+
+Sans doute, et même j'en avais fait à sa mère quelque peu d'ouverture.
+
+
+- Harpagon -
+
+A-t-elle écouté, pour sa fille, votre proposition ?
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, fort civilement.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et la fille correspond-elle fort à votre amour ?
+
+
+- Cléante -
+
+Si j'en dois croire les apparences, je me persuade, mon père, qu'elle
+a quelque bonté pour moi.
+
+- Harpagon -
+
+ (bas, à part.)
+
+Je suis bien aise d'avoir appris un tel secret ; et voilà justement ce
+que je demandais.
+
+ (Haut.)
+
+Or sus, mon fils, savez-vous ce qu'il y a ? C'est qu'il faut songer,
+s'il vous plaît, à vous défaire de votre amour, à cesser toutes vos
+poursuites auprès d'une personne que je prétends pour moi, et à vous
+marier dans peu avec celle qu'on vous destine.
+
+
+- Cléante -
+
+Oui, mon père ; c'est ainsi que vous me jouez ! Eh bien ! puisque les
+choses en sont venues là, je vous déclare, moi, que je ne quitterai
+point la passion que j'ai pour Mariane ; qu'il n'y a point d'extrémité
+où je ne m'abandonne pour vous disputer sa conquête, et que si vous
+avez pour vous le consentement d'une mère, j'aurai d'autres secours,
+peut-être, qui combattront pour moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, pendard ! tu as l'audace d'aller sur mes brisées !
+
+
+- Cléante -
+
+C'est vous qui allez sur les miennes, et je suis le premier en date.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ne suis-je pas ton père ? et ne me dois-tu pas respect ?
+
+
+- Cléante -
+
+Ce ne sont point ici des choses où les enfants soient obligés de
+déférer aux pères, et l'amour ne connaît personne.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te ferai bien me connaître avec de bons coups de bâton.
+
+
+- Cléante -
+
+Toutes vos menaces ne feront rien.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu renonceras à Mariane.
+
+
+- Cléante -
+
+Point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Donnez-moi un bâton tout à l'heure.
+
+
+-----------
+
+Scène IV. - Harpagon, Cléante, Maître Jacques.
+
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Hé ! hé ! hé ! Messieurs, qu'est-ce ci ? à quoi songez-vous ?
+
+
+- Cléante -
+
+Je me moque de cela.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Cléante.)
+
+Ah ! Monsieur, doucement.
+
+
+- Harpagon -
+
+Me parler avec cette impudence !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Harpagon.)
+
+
+Ah ! monsieur, de grâce !
+
+
+- Cléante -
+
+Je n'en démordrai point.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Cléante.)
+
+Hé quoi ! à votre père ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Laisse-moi faire.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Hé quoi ! à votre fils ? Encore passe pour moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te veux faire toi-même, maître Jacques, juge de cette affaire, pour
+montrer comme j'ai raison.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+J'y consens.
+
+ (A Cléante.)
+
+Eloignez-vous un peu.
+
+
+- Harpagon -
+
+J'aime une fille que je veux épouser ; et le pendard a l'insolence de
+l'aimer avec moi, et d'y prétendre malgré mes ordres.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Ah ! il a tort.
+
+
+- Harpagon -
+
+N'est-ce pas une chose épouvantable, qu'un fils qui veut entrer en
+concurrence avec son père ? et ne doit-il pas, par respect, s'abstenir
+de toucher à mes inclinations ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vous avez raison. Laissez-moi lui parler, et demeurez là.
+
+
+- Cléante -
+
+ (à maître Jacques, qui s'approche de lui.)
+
+Eh bien, oui, puisqu'il veut te choisir pour juge, je n'y recule point ;
+il ne m'importe qui ce soit ; et je veux bien aussi me rapporter à toi,
+maître Jacques, de notre différend.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+C'est beaucoup d'honneur que vous me faites.
+
+
+- Cléante -
+
+Je suis épris d'une jeune personne qui répond à mes voeux et reçoit
+tendrement les offres de ma foi, et mon père s'avise de venir troubler
+notre amour, par la demande qu'il en fait faire.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Il a tort assurément.
+
+
+- Cléante -
+
+N'a-t-il point de honte, à son âge, de songer à se marier ? Lui
+sied-il bien d'être encore amoureux ? et ne devrait-il pas laisser
+cette occupation aux jeunes gens ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vous avez raison, il se moque. Laissez-moi lui dire deux mots.
+
+ (À Harpagon.)
+
+Eh bien ! votre fils n'est pas si étrange que vous le dites, et il se
+met à la raison. Il dit qu'il sait le respect qu'il vous doit ; qu'il
+ne s'est emporté que dans la première chaleur, et qu'il ne fera point
+refus de se soumettre à ce qu'il vous plaira, pourvu que vous vouliez
+le traiter mieux que vous ne faites, et lui donner quelque personne en
+mariage, dont il ait lieu d'être content.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! dis-lui, maître Jacques, que moyennant cela, il pourra espérer
+toutes choses de moi, et que, hors Mariane, je lui laisse la liberté
+de choisir celle qu'il voudra.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Laissez-moi faire.
+
+ (À Cléante.)
+
+Eh bien ! votre père n'est pas si déraisonnable que vous le faites, et
+il m'a témoigné que ce sont vos emportements qui l'ont mis en colère ;
+qu'il n'en veut seulement qu'à votre manière d'agir, et qu'il sera
+fort disposé à vous accorder ce que vous souhaitez, pourvu que vous
+vouliez vous y prendre par la douceur, et lui rendre les déférences,
+les respects et les soumissions qu'un fils doit à son père.
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! maître Jacques, tu lui peux assurer que, s'il m'accorde Mariane,
+il me verra toujours le plus soumis de tous les hommes, et que jamais
+je ne ferai aucune chose que par ses volontés.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Cela est fait. Il consent ce que vous dites.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà qui va le mieux du monde.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Cléante.)
+
+Tout est conclu ; il est content de vos promesses.
+
+
+- Cléante -
+
+Le ciel en soit loué !
+
+- Maître Jacques -
+
+Messieurs, vous n'avez qu'à parler ensemble ; vous voilà d'accord
+maintenant ; et vous alliez vous quereller, faute de vous entendre.
+
+
+- Cléante -
+
+Mon pauvre maître Jacques, je te serai obligé toute ma vie.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Il n'y a pas de quoi, monsieur.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu m'as fait plaisir, maître Jacques ; et cela mérite une
+récompense.
+
+ (Harpagon fouille dans sa poche ; maître Jacques tend la main ;
+ mais Harpagon ne tire que son mouchoir, en disant :)
+
+Va, je m'en souviendrai, je t'assure.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je vous baise les mains.
+
+
+-----------
+
+Scène V. - Harpagon, Cléante.
+
+
+
+- Cléante -
+
+Je vous demande pardon, mon père, de l'emportement que j'ai fait
+paraître.
+
+
+- Harpagon -
+
+Cela n'est rien.
+
+
+- Cléante -
+
+Je vous assure que j'en ai tous les regrets du monde.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, j'ai toutes les joies du monde de te voir raisonnable.
+
+
+- Cléante -
+
+Quelle bonté à vous d'oublier si vite ma faute !
+
+
+- Harpagon -
+
+On oublie aisément les fautes des enfants lorsqu'ils rentrent dans
+leur devoir.
+
+
+- Cléante -
+
+Quoi ! ne garder aucun ressentiment de toutes mes extravagances ?
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est une chose où tu m'obliges, par la soumission et le respect où tu
+te ranges.
+
+
+- Cléante -
+
+Je vous promets, mon père, que jusques au tombeau je conserverai dans
+mon coeur le souvenir de vos bontés.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, je te promets qu'il n'y aura aucune chose que tu n'obtiennes
+de moi.
+
+
+- Cléante -
+
+Ah ! mon père, je ne vous demande plus rien ; et c'est m'avoir assez
+donné que de me donner Mariane.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ?
+
+
+- Cléante -
+
+Je dis, mon père, que je suis trop content de vous, et que je trouve
+toutes choses dans la bonté que vous ayez de m'accorder Mariane.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qui est-ce qui parle de t'accorder Mariane ?
+
+
+- Cléante -
+
+Vous, mon père.
+
+
+- Harpagon -
+
+Moi ?
+
+
+- Cléante -
+
+Sans doute.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ! c'est toi qui as promis d'y renoncer.
+
+
+- Cléante -
+
+Moi, y renoncer ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Cléante -
+
+Point du tout.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tu ne t'es pas départi d'y prétendre ?
+
+
+- Cléante -
+
+Au contraire, j'y suis porté plus que jamais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Quoi, pendard ! derechef ?
+
+
+- Cléante -
+
+Rien ne peut me changer.
+
+
+- Harpagon -
+
+Laisse-moi faire, traître.
+
+
+- Cléante -
+
+Faites tout ce qu'il vous plaira.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te défends de me jamais voir.
+
+
+- Cléante -
+
+A la bonne heure.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je t'abandonne.
+
+
+- Cléante -
+
+Abandonnez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te renonce pour mon fils.
+
+
+- Cléante -
+
+Soit.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je te déshérite.
+
+
+- Cléante -
+
+Tout ce que vous voudrez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et je te donne ma malédiction.
+
+
+- Cléante -
+
+Je n'ai que faire de vos dons.
+
+
+-----------
+
+Scène VI. - Cléante, La Flèche.
+
+
+
+- La Flèche -
+
+ (sortant du jardin avec une cassette.)
+
+Ah ! Monsieur, que je vous trouve à propos ! Suivez-moi vite.
+
+
+- Cléante -
+
+Qu'y a-t-il ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Suivez-moi, vous dis-je ; nous sommes bien.
+
+
+- Cléante -
+
+Comment ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Voici votre affaire.
+
+
+- Cléante -
+
+Quoi ?
+
+
+- La Flèche -
+
+J'ai guigné ceci tout le jour.
+
+
+- Cléante -
+
+Qu'est-ce que c'est ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Le trésor de votre père, que j'ai attrapé.
+
+
+- Cléante -
+
+Comment as-tu fait ?
+
+
+- La Flèche -
+
+Vous saurez tout. Sauvons-nous ; je l'entends crier.
+
+
+-----------
+
+Scène VII. - Harpagon.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+ (criant au voleur dès le jardin, et venant sans chapeau.)
+
+Au voleur ! au voleur ! à l'assassin ! au meurtrier ! Justice, juste
+ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné ; on m'a coupé la gorge : on
+m'a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu'est-il devenu ? Où
+est-il ? Où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ?
+Où ne pas courir ? N'est-il point là ? n'est-il point ici ? Qui
+est-ce ? Arrête.
+
+ (À lui-même, se prenant par le bras.)
+
+Rends-moi mon argent, coquin... Ah ! c'est moi ! Mon esprit est
+troublé, et j'ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais.
+Hélas ! mon pauvre argent ! mon pauvre argent ! mon cher ami !
+on m'a privé de toi ; et puisque tu m'es enlevé, j'ai perdu mon
+support, ma consolation, ma joie : tout est fini pour moi, et
+je n'ai plus que faire au monde. Sans toi, il m'est impossible
+de vivre. C'en est fait ; je n'en puis plus ; je me meurs ; je
+suis mort ; je suis enterré. N'y a-t-il personne qui veuille me
+ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui
+l'a pris. Euh ! que dites-vous ? Ce n'est personne. Il faut, qui
+que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on ait
+épié l'heure ; et l'on a choisi justement le temps que je parlais
+à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice,
+et faire donner la question à toute ma maison ; à servantes, à
+valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés !
+Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons,
+et tout me semble mon voleur. Hé ! de quoi est-ce qu'on parle là ?
+de celui qui m'a dérobé ? Quel bruit fait-on là-haut ? Est-ce mon
+voleur qui y est ? De grâce, si l'on sait des nouvelles de mon
+voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il point caché là
+parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous
+verrez qu'ils ont part, sans doute, au vol que l'on m'a fait.
+Allons, vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges,
+des gênes, des potences, et des bourreaux ! Je veux faire pendre
+tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai
+moi-même après.
+
+
+
+ACTE CINQUIÈME.
+---------------
+
+
+
+Scène première. - Harpagon, un commissaire.
+
+
+
+- Le commissaire -
+
+Laissez-moi faire, je sais mon métier, Dieu merci. Ce n'est pas
+d'aujourd'hui que je me mêle de découvrir des vols, et je voudrais
+avoir autant de sacs de mille francs que j'ai fait pendre de
+personnes.
+
+
+- Harpagon -
+
+Tous les magistrats sont intéressés à prendre cette affaire en main ;
+et, si l'on ne me fait retrouver mon argent, je demanderai justice de
+la justice.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Il faut faire toutes les poursuites requises. Vous dites qu'il y avait
+dans cette cassette ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Dix mille écus bien comptés.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Dix mille écus !
+
+
+- Harpagon -
+
+Dix mille écus.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Le vol est considérable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'y a point de supplice assez grand pour l'énormité de ce crime ;
+et, s'il demeure impuni, les choses les plus sacrées ne sont plus en
+sûreté.
+
+
+- Le commissaire -
+
+En quelles espèces était cette somme ?
+
+
+- Harpagon -
+
+En bons louis d'or et pistoles bien trébuchantes.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Qui soupçonnez-vous de ce vol ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Tout le monde, et je veux que vous arrêtiez prisonniers la ville et
+les faubourgs.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Il faut, si vous m'en croyez, n'effaroucher personne et tâcher
+doucement d'attraper quelques preuves afin de procéder après, par la
+rigueur, au recouvrement des deniers qui vous ont été pris.
+
+
+-----------
+
+Scène II. - Harpagon, un commissaire, Maître Jacques.
+
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (dans le fond du théâtre, en se retournant du côté par lequel
+ il est entré.)
+
+Je m'en vais revenir. Qu'on me l'égorge tout à l'heure ; qu'on me lui
+fasse griller les pieds, qu'on me le mette dans l'eau bouillante, et
+qu'on me le pende au plancher.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à maître Jacques.)
+
+Qui ? celui qui m'a dérobé ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je parle d'un cochon de lait que votre intendant me vient d'envoyer,
+et je veux vous l'accommoder à ma fantaisie.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'est pas question de cela ; et voilà Monsieur à qui il faut parler
+d'autre chose.
+
+
+- Le commissaire -
+
+ (à maître Jacques.)
+
+Ne vous épouvantez point. Je suis homme à ne vous point scandaliser (16),
+et les choses iront dans la douceur.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Monsieur est de votre souper ?
+
+
+- Le commissaire -
+
+Il faut ici, mon cher ami, ne rien cacher à votre maître.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Ma foi, Monsieur, je montrerai tout ce que je sais faire, et je vous
+traiterai du mieux qu'il me sera possible.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ce n'est pas là l'affaire.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Si je ne vous fais pas aussi bonne chère que je voudrais, c'est la
+faute de monsieur notre intendant, qui m'a rogné les ailes avec les
+ciseaux de son économie.
+
+
+- Harpagon -
+
+Traître ! il s'agit d'autre chose que de souper ; et je veux que tu me
+dises des nouvelles de l'argent qu'on m'a pris.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+On vous a pris de l'argent ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, coquin ; et je m'en vais te faire pendre, si tu ne me le rends.
+
+
+- Le commissaire -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Mon Dieu ! ne le maltraitez point. Je vois à sa mine qu'il est honnête
+homme, et que, sans se faire mettre en prison, il vous découvrira ce
+que vous voulez savoir. Oui, mon ami, si vous nous confessez la chose,
+il ne vous sera fait aucun mal et vous serez récompensé comme il faut
+par votre maître. On lui a pris aujourd'hui son argent, et il n'est pas
+que vous ne sachiez quelques nouvelles de cette affaire.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (bas, à part.)
+
+Voici justement ce qu'il me faut pour me venger de notre intendant.
+Depuis qu'il est entré céans il est le favori, on n'écoute que ses
+conseils, et j'ai aussi sur le coeur les coups de bâton de tantôt.
+
+
+- Harpagon -
+
+Qu'as-tu à ruminer ?
+
+
+- Le commissaire -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Laissez-le faire. Il se prépare à vous contenter ; et je vous ai bien
+dit qu'il était honnête homme.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Monsieur, si vous voulez que je vous dise les choses, je crois que
+c'est monsieur votre cher intendant qui a fait le coup.
+
+
+- Harpagon -
+
+Valère !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Oui.
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui ! qui me paraît si fidèle ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Lui-même. Je crois que c'est lui qui vous a dérobé.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et sur quoi le crois-tu ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Sur quoi ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Je le crois... sur ce que je le crois.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Mais il est nécessaire de dire les indices que vous avez.
+
+
+- Harpagon -
+
+L'as-tu vu rôder autour du lieu où j'avais mis mon argent ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Oui, vraiment. Où était-il votre argent ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Dans le jardin.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Justement ; je l'ai vu rôder dans le jardin. Et dans quoi est-ce que
+cet argent était ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Dans une cassette.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Voilà l'affaire. Je lui ai vu une cassette.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et cette cassette, comme est-elle faite ? Je verrai bien si c'est la
+mienne.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Comment elle est faite ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Elle est faite... elle est faite comme une cassette.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Cela s'entend. Mais dépeignez-la un peu, pour voir.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+C'est une grande cassette.
+
+
+- Harpagon -
+
+Celle qu'on m'a volée est petite.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Hé ! oui, elle est petite, si on le veut prendre par là ; mais je
+l'appelle grande pour ce qu'elle contient.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Et de quelle couleur est-elle ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+De quelle couleur ?
+
+
+- Le commissaire -
+
+Oui.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Elle est de couleur... là, d'une certaine couleur... Ne sauriez-vous
+m'aider à dire ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Euh !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+N'est-elle pas rouge ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, grise.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Hé ! oui, gris-rouge ; c'est ce que je voulais dire.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'y a point de doute ; c'est elle assurément. Ecrivez, Monsieur,
+écrivez sa déposition. Ciel ! à qui désormais se fier ! Il ne faut
+plus jurer de rien ; et je crois, après cela, que je suis homme à me
+voler moi-même.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à Harpagon.)
+
+Monsieur, le voici qui revient. Ne lui allez pas dire, au moins, que
+c'est moi qui vous ai découvert cela.
+
+
+-----------
+
+Scène III. - Harpagon, un commissaire, Valère, Maître Jacques.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Approche, viens confesser l'action la plus noire, l'attentat le plus
+horrible qui jamais ait été commis.
+
+
+- Valère -
+
+Que voulez-vous, monsieur ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment, traître, tu ne rougis pas de ton crime ?
+
+
+- Valère -
+
+De quel crime voulez-vous donc parler ?
+
+
+- Harpagon -
+
+De quel crime je veux parler, infâme ? comme si tu ne savais pas ce
+que je veux dire ! C'est en vain que tu prétendrais de le déguiser :
+l'affaire est découverte, et l'on vient de m'apprendre tout. Comment
+abuser ainsi de ma bonté, et s'introduire exprès chez moi pour me
+trahir, pour me jouer un tour de cette nature ?
+
+
+- Valère -
+
+Monsieur, puisqu'on vous a découvert tout, je ne veux point chercher
+de détours et vous nier la chose.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+Oh ! oh ! Aurais-je deviné sans y penser ?
+
+
+- Valère -
+
+C'était mon dessein de vous en parler, et je voulais attendre, pour
+cela, des conjonctures favorables ; mais puisqu'il est ainsi, je vous
+conjure de ne vous point fâcher, et de vouloir entendre mes raisons.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et quelles belles raisons peux-tu me donner, voleur infâme ?
+
+
+- Valère -
+
+Ah ! Monsieur, je n'ai pas mérité ces noms. Il est vrai que j'ai
+commis une offense envers vous ; mais, après tout, ma faute est
+pardonnable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Comment ! pardonnable ? Un guet-apens, un assassinat de la sorte ?
+
+
+- Valère -
+
+De grâce, ne vous mettez point en colère. Quand vous m'aurez ouï, vous
+verrez que le mal n'est pas si grand que vous le faites.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le mal n'est pas si grand que je le fais ! Quoi ! mon sang, mes
+entrailles, pendard !
+
+
+- Valère -
+
+Votre sang, Monsieur, n'est pas tombé dans de mauvaises mains. Je suis
+d'une condition à ne lui point faire de tort ; et il n'y a rien, en
+tout ceci, que je ne puisse bien réparer.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est bien mon intention, et que tu me restitues ce que tu m'as ravi.
+
+
+- Valère -
+
+Votre honneur, Monsieur, sera pleinement satisfait.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il n'est pas question d'honneur là-dedans. Mais, dis-moi, qui t'a
+porté à cette action ?
+
+
+- Valère -
+
+Hélas ! me le demandez-vous ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, vraiment, je te le demande.
+
+
+- Valère -
+
+Un dieu qui porte les excuses de tout ce qu'il fait faire, l'Amour.
+
+
+- Harpagon -
+
+L'Amour ?
+
+
+- Valère -
+
+Oui.
+
+
+- Harpagon -
+
+Bel amour, bel amour, ma foi ! l'amour de mes louis d'or !
+
+
+- Valère -
+
+Non, Monsieur, ce ne sont point vos richesses qui m'ont tenté, ce
+n'est pas cela qui m'a ébloui ; et je proteste de ne prétendre rien à
+tous vos biens, pourvu que vous me laissiez celui que j'ai.
+
+
+- Harpagon -
+
+Non ferai, de par tous les diables ! je ne te le laisserai pas. Mais
+voyez quelle insolence, de vouloir retenir le vol qu'il m'a fait !
+
+
+- Valère -
+
+Appelez-vous cela un vol ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Si je l'appelle un vol ? un trésor comme celui-là !
+
+
+- Valère -
+
+C'est un trésor, il est vrai, et le plus précieux que vous ayez, sans
+doute ; mais ce ne sera pas le perdre que de me le laisser. Je vous
+le demande à genoux, ce trésor plein de charmes ; et, pour bien faire,
+il faut que vous me l'accordiez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je n'en ferai rien. Qu'est-ce à dire cela ?
+
+
+- Valère -
+
+Nous nous sommes promis une foi mutuelle, et avons fait serment de ne
+nous point abandonner.
+
+
+- Harpagon -
+
+Le serment est admirable, et la promesse plaisante.
+
+
+- Valère -
+
+Oui, nous nous sommes engagés d'être l'un à l'autre à jamais.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous en empêcherai bien, je vous assure.
+
+
+- Valère -
+
+Rien que la mort ne nous peut séparer.
+
+
+- Harpagon -
+
+C'est être bien endiablé après mon argent !
+
+
+- Valère -
+
+Je vous ai déjà dit, Monsieur, que ce n'était point l'intérêt qui
+m'avait poussé à faire ce que j'ai fait. Mon coeur n'a point agi par
+les ressorts que vous pensez, et un motif plus noble m'a inspiré cette
+résolution.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous verrez que c'est par charité chrétienne qu'il veut avoir mon bien !
+Mais j'y donnerai bon ordre, et la justice, pendard effronté, me va
+faire raison de tout.
+
+
+- Valère -
+
+Vous en userez comme vous voudrez, et me voilà prêt à souffrir toutes
+les violences qu'il vous plaira ; mais je vous prie de croire au moins
+que, s'il y a du mal, ce n'est que moi qu'il en faut accuser, et que
+votre fille, en tout ceci, n'est aucunement coupable.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je le crois bien, vraiment ! Il serait fort étrange que ma fille eût
+trempé dans ce crime. Mais je veux ravoir mon affaire, et que tu me
+confesses en quel endroit tu me l'as enlevée.
+
+
+- Valère -
+
+Moi ? Je ne l'ai point enlevée ; et elle est encore chez vous.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Ô ma chère cassette !
+
+ (Haut.)
+
+Elle n'est point sortie de ma maison ?
+
+
+- Valère -
+
+Non, Monsieur.
+
+
+- Harpagon -
+
+Hé ! dis-moi donc un peu : tu n'y as point touché ?
+
+
+- Valère -
+
+Moi, y toucher ! Ah ! vous lui faites tort, aussi bien qu'à moi ; et
+c'est d'une ardeur toute pure et respectueuse que j'ai brûlé pour
+elle.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Brûlé pour ma cassette !
+
+
+- Valère -
+
+J'aimerais mieux mourir que de lui avoir fait paraître aucune pensée
+offensante : elle est trop sage et trop honnête pour cela.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Ma cassette trop honnête !
+
+
+- Valère -
+
+Tous mes désirs se sont bornés à jouir de sa vue ; et rien de criminel
+n'a profané la passion que ses beaux yeux m'ont inspirée.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Les beaux yeux de ma cassette ! Il parle d'elle comme un amant d'une
+maîtresse.
+
+
+- Valère -
+
+Dame Claude, Monsieur, sait la vérité de cette aventure ; et elle vous
+peut rendre témoignage...
+
+
+- Harpagon -
+
+Quoi ! ma servante est complice de l'affaire ?
+
+
+- Valère -
+
+Oui, Monsieur : elle a été témoin de notre engagement ; et c'est après
+avoir connu l'honnêteté de ma flamme, qu'elle m'a aidé à persuader
+votre fille de me donner sa foi, et recevoir la mienne.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à part.)
+
+Hé ! Est-ce que la peur de la justice le fait extravaguer ?
+
+ (A Valère.)
+
+Que nous brouilles-tu ici de ma fille ?
+
+
+- Valère -
+
+Je dis, Monsieur, que j'ai eu toutes les peines du monde à faire
+consentir sa pudeur à ce que voulait mon amour.
+
+
+- Harpagon -
+
+La pudeur de qui ?
+
+
+- Valère -
+
+De votre fille ; et c'est seulement depuis hier qu'elle a pu se
+résoudre à nous signer mutuellement une promesse de mariage.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ma fille t'a signé une promesse de mariage ?
+
+
+- Valère -
+
+Oui, Monsieur, comme de ma part, je lui en ai signé une.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ô ciel ! autre disgrâce !
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (au commissaire.)
+
+Ecrivez, Monsieur, écrivez.
+
+
+- Harpagon -
+
+Rengrègement de mal ! surcroît de désespoir !
+
+ (au commissaire.)
+
+Allons, Monsieur, faites le dû de votre charge, et dressez-lui-moi son
+procès comme larron et comme suborneur.
+
+
+- Valère -
+
+Ce sont des noms qui ne me sont point dus ; et quand on saura
+qui je suis...
+
+
+-----------
+
+Scène IV. - Harpagon, Élise, Mariane, Valère, Frosine, Maître Jacques,
+ un commissaire.
+
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! fille scélérate ! fille indigne d'un père comme moi ! c'est ainsi
+que tu pratiques les leçons que je t'ai données ? Tu te laisses
+prendre d'amour pour un voleur infâme, et tu lui engages ta foi sans
+mon consentement ! Mais vous serez trompés l'un et l'autre.
+
+ (A Élise.)
+
+Quatre bonnes murailles me répondront de ta conduite ;
+
+ (à Valère)
+
+et une bonne potence, pendard effronté, me fera raison de ton audace.
+
+
+- Valère -
+
+Ce ne sera point votre passion qui jugera l'affaire ; et l'on
+m'écoutera, au moins, avant que de me condamner.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me suis abusé de dire une potence ; et tu seras roué tout vif.
+
+
+- Élise -
+
+ (aux genoux d'Harpagon.)
+
+Ah ! mon père, prenez des sentiments un peu plus humains, je vous
+prie, et n'allez point pousser les choses dans les dernières violences
+du pouvoir paternel. Ne vous laissez point entraîner aux premiers
+mouvements de votre passion, et donnez-vous le temps de considérer ce
+que vous voulez faire. Prenez la peine de mieux voir celui dont vous
+vous offensez (17) ; il est tout autre que vos yeux ne le jugent, et vous
+trouverez moins étrange que je me sois donnée à lui, lorsque vous
+saurez que, sans lui, vous ne m'auriez plus il y a longtemps. Oui, mon
+père, c'est celui qui me sauva de ce grand péril que vous savez que je
+courus dans l'eau, et à qui vous devez la vie de cette même fille
+dont...
+
+
+- Harpagon -
+
+Tout cela n'est rien ; et il valait bien mieux pour moi qu'il te
+laissât noyer que de faire ce qu'il a fait.
+
+
+- Élise -
+
+Mon père, je vous conjure par l'amour paternel, de me...
+
+
+- Harpagon -
+
+Non, non ; je ne veux rien entendre, et il faut que la justice fasse
+son devoir.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+ (à part.)
+
+Tu me payeras mes coups de bâton !
+
+
+- Frosine -
+
+ (à part.)
+
+Voici un étrange embarras !
+
+
+-----------
+
+Scène V. - Anselme, Harpagon, Élise, Mariane, Frosine, Valère,
+ un commissaire, Maître Jacques.
+
+
+
+- Anselme -
+
+Qu'est-ce, seigneur Harpagon ? je vous vois tout ému.
+
+
+- Harpagon -
+
+Ah ! seigneur Anselme, vous me voyez le plus infortuné de tous les
+hommes ; et voici bien du trouble et du désordre au contrat que vous
+venez faire ! On m'assassine dans le bien, on m'assassine dans
+l'honneur ; et voilà un traître, un scélérat qui a violé tous les
+droits les plus saints, qui s'est coulé chez moi sous le titre de
+domestique, pour me dérober mon argent et pour me suborner ma fille.
+
+
+- Valère -
+
+Qui songe à votre argent, dont vous me faites un galimatias ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, ils se sont donné l'un à l'autre une promesse de mariage. Cet
+affront vous regarde, seigneur Anselme ; et c'est vous qui devez vous
+rendre partie contre lui, et faire toutes les poursuites de la justice
+à vos dépends, pour vous venger de son insolence.
+
+
+- Anselme -
+
+Ce n'est pas mon dessein de me faire épouser par force, et de rien
+prétendre à un coeur qui se serait donné ; mais, pour vos intérêts, je
+suis prêt à les embrasser ainsi que les miens propres.
+
+
+- Harpagon -
+
+Voilà monsieur qui est un honnête commissaire, qui n'oubliera rien,
+à ce qu'il m'a dit, de la fonction de son office.
+
+ (Au commissaire, montrant Valère.)
+
+Chargez-le comme il faut, Monsieur, et rendez les choses bien
+criminelles.
+
+
+- Valère -
+
+Je ne vois pas quel crime on me peut faire de la passion que j'ai pour
+votre fille, et le supplice où vous croyez que je puisse être condamné
+pour notre engagement, lorsqu'on saura ce que je suis...
+
+
+- Harpagon -
+
+Je me moque de tous ces contes ; et le monde aujourd'hui n'est plein
+que de ces larrons de noblesse, que de ces imposteurs qui tirent
+avantage de leur obscurité et s'habillent insolemment du premier nom
+illustre qu'ils s'avisent de prendre.
+
+
+- Valère -
+
+Sachez que j'ai le coeur trop bon pour me parer de quelque chose qui
+ne soit point à moi, et que tout Naples peut rendre témoignage de ma
+naissance.
+
+
+- Anselme -
+
+Tout beau ! Prenez garde à ce que vous allez dire. Vous risquez ici
+plus que vous ne pensez, et vous parlez devant un homme à qui tout
+Naples est connu et qui peut aisément voir clair dans l'histoire que
+vous ferez.
+
+
+- Valère -
+
+ (mettant fièrement son chapeau.)
+
+Je ne suis point homme à rien craindre, et si Naples vous est connu,
+vous savez qui était don Thomas d'Alburci.
+
+
+- Anselme -
+
+Sans doute, je le sais ; et peu de gens l'ont connu mieux que moi.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je ne me soucie ni de dom Thomas ni dom Martin.
+
+ (Harpagon voyant deux chandelles allumées en souffle une.)
+
+- Anselme -
+
+De grâce, laissez-le parler ; nous verrons ce qu'il en veut dire.
+
+
+- Valère -
+
+Je veux dire que c'est lui qui m'a donné jour.
+
+
+- Anselme -
+
+Lui ?
+
+
+- Valère -
+
+Oui.
+
+
+- Anselme -
+
+Allez. Vous vous moquez. Cherchez quelque autre histoire qui vous
+puisse mieux réussir, et ne prétendez pas vous sauver sous cette
+imposture.
+
+
+- Valère -
+
+Songez à mieux parler. Ce n'est point une imposture, et je n'avance
+rien qu'il ne me soit aisé de justifier.
+
+
+- Anselme -
+
+Quoi ! vous osez vous dire fils de don Thomas d'Alburci ?
+
+
+- Valère -
+
+Oui, je l'ose ; et je suis prêt de soutenir cette vérité contre qui que
+ce soit.
+
+
+- Anselme -
+
+L'audace est merveilleuse ! Apprenez, pour vous confondre, qu'il y a
+seize ans, pour le moins, que l'homme dont vous nous parlez périt sur
+mer avec ses enfants et sa femme, en voulant dérober leur vie aux
+cruelles persécutions qui ont accompagné les désordres de Naples, et
+qui en firent exiler plusieurs nobles familles.
+
+
+- Valère -
+
+Oui ; mais apprenez, pour vous confondre, vous, que son fils, âgé de
+sept ans, avec un domestique, fut sauvé de ce naufrage par un vaisseau
+espagnol ; et que ce fils sauvé est celui qui vous parle. Apprenez que
+le capitaine de ce vaisseau, touché de ma fortune, prit amitié pour
+moi ; qu'il me fit élever comme son propre fils, et que les armes
+furent mon emploi dès que je m'en trouvai capable ; que j'ai su depuis
+peu que mon père n'était point mort, comme je l'avais toujours cru ;
+que, passant ici pour l'aller chercher, une aventure, par le ciel
+concertée, me fit voir la charmante Élise ; que cette vue me rendit
+esclave de ses beautés, et que la violence de mon amour et les
+sévérités de son père me firent prendre la résolution de m'introduire
+dans son logis, et d'envoyer un autre à la quête de mes parents.
+
+
+- Anselme -
+
+Mais quels témoignages encore, autres que vos paroles, nous peuvent
+assurer que ce ne soit point une fable que vous ayez bâtie sur une
+vérité ?
+
+
+- Valère -
+
+Le capitaine espagnol, un cachet de rubis qui était à mon père ; un
+bracelet d'agate que ma mère m'avait mis au bras ; le vieux Pedro, ce
+domestique qui se sauva avec moi du naufrage.
+
+
+- Mariane -
+
+Hélas ! à vos paroles, je puis ici répondre, moi, que vous n'imposez
+point ; et tout ce que vous dites me fait connaître clairement que
+vous êtes mon frère.
+
+
+- Valère -
+
+Vous, ma soeur ?
+
+
+- Mariane -
+
+Oui, mon coeur s'est ému dès le moment que vous avez ouvert la bouche ;
+et notre mère, que vous allez ravir, m'a mille fois entretenue des
+disgrâces de notre famille. Le ciel ne nous fit point aussi périr dans
+ce triste naufrage ; mais il ne nous sauva la vie que par la perte de
+notre liberté, et ce furent des corsaires qui nous recueillirent, ma
+mère et moi, sur un débris de notre vaisseau. Après dix ans
+d'esclavage, une heureuse fortune nous rendit notre liberté ; et nous
+retournâmes dans Naples, où nous trouvâmes tout notre bien vendu, sans
+y pouvoir trouver des nouvelles de notre père. Nous passâmes à Gênes,
+où ma mère alla ramasser quelques malheureux restes d'une succession
+qu'on avait déchirée ; et de là, fuyant la barbare injustice de ses
+parents, elle vint en ces lieux, où elle n'a presque vécu que d'une
+vie languissante.
+
+
+- Anselme -
+
+Ô ciel ! quels sont les traits de ta puissance ! et que tu fais bien
+voir qu'il n'appartient qu'à toi de faire des miracles !
+Embrassez-moi, mes enfants, et mêlez tous deux vos transports à ceux
+de votre père.
+
+
+- Valère -
+
+Vous êtes notre père ?
+
+
+- Mariane -
+
+C'est vous que ma mère a tant pleuré ?
+
+
+- Anselme -
+
+Oui, ma fille ; oui, mon fils ; je suis dom Thomas d'Alburci que le
+ciel garantit des ondes avec tout l'argent qu'il portait, et qui, vous
+ayant tous crus morts durant plus de seize ans, se préparait, après de
+longs voyages, à chercher, dans l'hymen d'une douce et sage personne, la
+consolation de quelque nouvelle famille. Le peu de sûreté que j'ai vu
+pour ma vie à retourner à Naples m'a fait y renoncer pour toujours ;
+et ayant su trouver moyen d'y faire vendre ce que j'avais, je me suis
+habitué ici, où, sous le nom d'Anselme, j'ai voulu m'éloigner les
+chagrins de cet autre nom qui m'a causé tant de traverses.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (à Anselme.)
+
+C'est là votre fils ?
+
+
+- Anselme -
+
+Oui.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je vous prends à partie pour me payer dix mille écus qu'il m'a volés.
+
+
+- Anselme -
+
+Lui, vous avoir volé ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Lui-même.
+
+
+- Valère -
+
+Qui vous dit cela ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Maître Jacques.
+
+
+- Valère -
+
+ (à maître Jacques.)
+
+C'est toi qui le dis ?
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Vous voyez que je ne dis rien.
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui. Voilà monsieur le commissaire qui a reçu sa déposition.
+
+
+- Valère -
+
+Pouvez-vous me croire capable d'une action si lâche ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Capable ou non capable, je veux ravoir mon argent.
+
+
+-----------
+
+Scène VI. - Harpagon, Anselme, Élise, Mariane, Cléante, Valère,
+ Frosine, un commissaire, Maître Jacques, La Flèche.
+
+
+
+- Cléante -
+
+Ne vous tourmentez point, mon père, et n'accusez personne. J'ai
+découvert des nouvelles de votre affaire, et je viens ici pour vous
+dire que, si vous voulez vous résoudre à me laisser épouser Mariane,
+votre argent vous sera rendu.
+
+
+- Harpagon -
+
+Où est-il ?
+
+
+- Cléante -
+
+Ne vous mettez point en peine. Il est en lieu dont je réponds, et tout
+ne dépend que de moi. C'est à vous de me dire à quoi vous vous
+déterminez ; et vous pouvez choisir, ou de me donner Mariane, ou de
+perdre votre cassette.
+
+
+- Harpagon -
+
+N'en a-t-on rien ôté ?
+
+
+- Cléante -
+
+Rien du tout. Voyez si c'est votre dessein de souscrire à ce mariage,
+et de joindre votre consentement à celui de sa mère, qui lui laisse la
+liberté de faire un choix entre nous deux.
+
+
+- Mariane -
+
+ (à Cléante.)
+
+Mais vous ne savez pas que ce n'est pas assez que ce consentement et
+que le ciel,
+
+ (montrant Valère.)
+
+avec un frère que vous voyez, vient de me rendre un père
+
+ (montrant Anselme.)
+
+dont vous avez à m'obtenir.
+
+
+- Anselme -
+
+Le ciel, mes enfants, ne me redonne point à vous pour être contraire à
+vos voeux. Seigneur Harpagon, vous jugez bien que le choix d'une jeune
+personne tombera sur le fils plutôt que sur le père : allons, ne vous
+faites point dire ce qu'il n'est pas nécessaire d'entendre ; et consentez,
+ainsi que moi, à ce double hyménée.
+
+
+- Harpagon -
+
+Il faut, pour me donner conseil, que je voie ma cassette.
+
+
+- Cléante -
+
+Vous la verrez saine et entière.
+
+
+- Harpagon -
+
+Je n'ai point d'argent à donner en mariage à mes enfants.
+
+
+- Anselme -
+
+Eh bien ! j'en ai pour eux ; que cela ne vous inquiète point.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous obligerez-vous à faire tous les frais de ces deux mariages ?
+
+
+- Anselme -
+
+Oui, je m'y oblige. Etes-vous satisfait ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Oui, pourvu que pour les noces, vous me fassiez faire un habit.
+
+
+- Anselme -
+
+D'accord. Allons jouir de l'allégresse que cet heureux jour nous
+présente.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Holà ! messieurs, holà ! Tout doucement, s'il vous plaît. Qui me
+payera mes écritures ?
+
+
+- Harpagon -
+
+Nous n'avons que faire de vos écritures.
+
+
+- Le commissaire -
+
+Oui ! Mais je ne prétends pas, moi, les avoir faites pour rien.
+
+
+- Harpagon -
+
+ (montrant maître Jacques.)
+
+Pour votre payement, voilà un homme que je vous donne à pendre.
+
+
+- Maître Jacques -
+
+Hélas ! comment faut-il donc faire ? On me donne des coups de bâton
+pour dire vrai, et on me veut pendre pour mentir !
+
+
+- Anselme -
+
+Seigneur Harpagon, il faut lui pardonner cette imposture.
+
+
+- Harpagon -
+
+Vous payerez donc le commissaire ?
+
+
+- Anselme -
+
+Soit. Allons vite faire part de notre joie à votre mère.
+
+
+- Harpagon -
+
+Et moi, voir ma chère cassette.
+
+
+-------------------------------------------------------------------------
+
+Notes [from 1890 edition]
+
+-----------
+(1) C'est-à-dire, elles ne sont pas fort "accommodées des biens
+de la fortune". Cette expression est encore d'usage aujourd'hui, et
+l'Académie cite cet exemple : Je l'ai vu pauvre, "mais il s'est bien
+accommodé."
+-----------
+(2) On trouve pour la première fois le mot "moucher" pour "épier",
+dans la légende de Faifeu, imprimée en 1532. Le mot "mouchard" n'est
+donc pas ancien dans notre langue.
+-----------
+(3) On dit proverbialement "parler à la barette de quelqu'un", pour
+lui parler sans ménagement, porter la main sur lui, le frapper à la
+tête.
+-----------
+(4) Un denier d'intérêt pour douze prêtés, c'est-à-dire un peu plus
+de huit pour cent.
+-----------
+(5) "Fluet". On disait autrefois "flouet" et "flou", dont "flouet"
+est le diminutif.
+-----------
+(6) Ce tour de phrase est latin. Boileau a dit dans la "Satire sur
+les Femmes" :
+
+ Je ne puis cette fois que je ne les excuse.
+
+Ni Boileau ni Molière n'ont pu faire adopter ce latinisme.
+-----------
+(7) Avant sa conversion, saint Mathieu était receveur des tributs, et
+la malignité lui attribuait des prêts usuraires. De là l'ancienne
+expression proverbiale, "fester saint Matthieu", pour prêter à usure,
+et, par corruption, "fesse-Matthieu".
+-----------
+(8) C'est-à-dire un denier d'intérêt pour dix-huit prêtés, ce qui
+équivaut à un peu plus de cinq et demi pour cent.
+-----------
+(9) A vingt pour cent.
+-----------
+(10) A vingt-cinq pour cent.
+-----------
+(11) Les soldats portaient autrefois un bâton terminé d'un bout par
+une pointe qu'ils enfonçaient en terre, et de l'autre, par un fer
+fourchu sur lequel ils appuyaient leur mousquet, pour tirer plus
+juste. C'est ce qu'on appelait "la fourchette d'un mousquet".
+-----------
+(12) Expression proverbiale : "L'épée de chevet", l'épée qui ne nous
+quitte jamais. Au figuré, "l'expression qu'on a sans cesse à la bouche".
+-----------
+(13) C'était une formule ancienne de santé et d'économie qu'on trouve
+quelquefois chez les Latins, énoncée par les seules lettres initiales
+de chaque mot E.V.V.N.V.V.E. : "ede ut vivas, ne vivas ut edas.",
+"Mange pour vivre, et ne vis pas pour manger."
+-----------
+(14) Expression proverbiale : "Il n'y a pas même pour un double",
+c'est-à-dire "il n'y en a point". Le double était une petite pièce
+de monnaie qui valait deux deniers.
+-----------
+(15) Suivant Ménage, cette expression a été imaginée pour éviter de
+se servir du mot "diable". Molière n'est pas le seul qui ait employé
+ce mot dans ce sens : longtemps avant lui, Rabelais avait dit :
+"Créature du grand vilain diantre d'enfer" (liv. III, ch. III).
+-----------
+(16) Du temps de Molière, le mot "scandaliser" se prenait quelquefois
+dans le sens de "décrier", "diffamer". (Voyez le dictionnaire de
+l'Académie, édition de 1694).
+-----------
+(17) "Offenser" est la traduction littéraire d'"offendere", mot dont
+le sens est beaucoup moins restreint en latin qu'en français. Il
+signifie ici, "celui dont vous avez à vous plaindre". L'exemple de
+Molière n'a pu le faire adopter avec cette acception.
+-----------
+
+
+
+
+
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, L'AVARE ***
+
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+Project Gutenberg eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the US
+unless a copyright notice is included. Thus, we usually do not
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+We are now trying to release all our eBooks one year in advance
+of the official release dates, leaving time for better editing.
+Please be encouraged to tell us about any error or corrections,
+even years after the official publication date.
+
+Please note neither this listing nor its contents are final til
+midnight of the last day of the month of any such announcement.
+The official release date of all Project Gutenberg eBooks is at
+Midnight, Central Time, of the last day of the stated month. A
+preliminary version may often be posted for suggestion, comment
+and editing by those who wish to do so.
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+Most people start at our Web sites at:
+http://gutenberg.net or
+http://promo.net/pg
+
+These Web sites include award-winning information about Project
+Gutenberg, including how to donate, how to help produce our new
+eBooks, and how to subscribe to our email newsletter (free!).
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+
+Those of you who want to download any eBook before announcement
+can get to them as follows, and just download by date. This is
+also a good way to get them instantly upon announcement, as the
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+as it appears in our Newsletters.
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+We produce about two million dollars for each hour we work. The
+time it takes us, a rather conservative estimate, is fifty hours
+to get any eBook selected, entered, proofread, edited, copyright
+searched and analyzed, the copyright letters written, etc. Our
+projected audience is one hundred million readers. If the value
+per text is nominally estimated at one dollar then we produce $2
+million dollars per hour in 2002 as we release over 100 new text
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+We are already on our way to trying for 2000 more eBooks in 2002
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+will reach over half a trillion eBooks given away by year's end.
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+The Goal of Project Gutenberg is to Give Away 1 Trillion eBooks!
+This is ten thousand titles each to one hundred million readers,
+which is only about 4% of the present number of computer users.
+
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+ 4000 2001 October/November
+ 6000 2002 December*
+ 9000 2003 November*
+10000 2004 January*
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