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-The Project Gutenberg eBook of Sous les eaux tumultueutes, by Dora
-Melegari
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
-will have to check the laws of the country where you are located before
-using this eBook.
-
-Title: Sous les eaux tumultueutes
-
-Author: Dora Melegari
-
-Release Date: June 14, 2022 [eBook #68312]
-
-Language: French
-
-Produced by: Laurent Vogel, Chuck Greif and the Online Distributed
- Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was
- produced from images generously made available by the
- Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))
-
-*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK SOUS LES EAUX
-TUMULTUEUTES ***
-
-
-
-
-
- SOUS LES EAUX TUMULTUEUSES
-
-
-
-
- DORA MELEGARI
-
- SOUS LES EAUX
- TUMULTUEUSES
-
- [Illustration: colophon]
-
- PARIS
- LIBRAIRIE FISCHBACHER
- 33, RUE DE SEINE, 33
-
- 1923
-
- Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays
- Copyright by Librairie Fischbacher 1923
-
-
-_Je dédie ce livre à ceux qui, comme moi, ont fermement espéré et
-espèrent encore qu’après la guerre et avec l’établissement de la paix,
-s’ouvrira pour l’homme une destinée meilleure que celle qu’il a connue
-jusqu’ici._
-
-
-
-
-PRÉFACE
-
- Je ne fais pas un livre, il se fait.
- Il mûrit et croît dans ma tête, comme un fruit.
- ALFRED DE VIGNY.
-
-
-Ces eaux qui, jadis, couvraient le monde sont aujourd’hui étrangement
-bourbeuses et agitées. La surface des choses apparaît partout
-inquiétante. Qu’y a-t-il sous cette surface? L’angoissante question se
-pose à tous les cœurs qui sentent et à tous les cerveaux qui
-réfléchissent!
-
-Du temps où le respect de soi-même, l’intérêt bien entendu et la savante
-hypocrisie imposaient aux hommes intelligents, ou du moins cultivés,
-une attitude correcte, les mots _sous la surface des choses_ avaient une
-signification bien différente de celle que je leur attribue aujourd’hui.
-
-Auparavant, ils auraient indiqué ce que les individus cachaient de
-médiocre, de brutal, et même de cruel sous des dehors corrects et
-conventionnels. Aujourd’hui que la plupart des êtres n’essayent même
-plus de masquer leurs légèretés, leurs petitesses et leurs convoitises,
-il n’y a guère, sous leurs actes et leurs allures, de motifs secrets à
-découvrir.
-
-Toutes les laideurs sont devenues apparentes et visibles. Nous vivons à
-une époque de terrible sincérité; on ne le relève pas suffisamment.
-
-Stendhal a dit quelque part que, pour les femmes, dire la vérité
-équivalait à enlever leur fichu; mais, aujourd’hui, elles ne portent
-plus de fichu, et les disgraciées elles-mêmes exposent avec courage les
-défectuosités physiques que jadis les filles d’Ève essayaient
-soigneusement de dissimuler aux regards. Quant aux hommes, combien
-d’entre eux ne tentent même plus de se défendre si l’on attaque leur
-caractère ou leur probité!
-
-Ceux qui en manquent n’en éprouvent plus de honte; ceux qui les
-possèdent, s’ils y mettent encore du prix dans le fond de leur âme, sont
-devenus indifférents à l’opinion publique. Ce mépris de l’opinion
-publique est un signe caractéristique de notre temps.
-
- * * * * *
-
-Ce qu’il faut discerner sous la surface des eaux tumultueuses, ce ne
-sont donc pas les laideurs secrètes, puisqu’avec tant de complaisances
-on les étale, mais bien plutôt les aspirations d’ardente générosité et
-de pure beauté qui se cachent parfois sous les apparences déconcertantes
-de la psyché moderne, tels des symptômes annonciateurs d’une aube
-nouvelle!
-
-Cependant, malgré ces fugitives lueurs, le désarroi des pauvres âmes est
-resté lamentable. Après l’ébranlement cérébral de la guerre et les
-déceptions de la paix, on a pu croire qu’elles étaient devenues muettes
-pour toujours! Ce phénomène d’anéantissement paraît d’autant plus
-redoutable qu’il est universel et se manifeste aussi bien chez les
-vainqueurs que chez les vaincus! Le monde est devenu semblable à une mer
-en tempête, sillonnée de barques sans pilotes, et la marée ne cesse de
-monter...
-
-Le spectacle, vraiment effarant, abat les plus fermes courages. Une
-mystérieuse intuition avertit cependant ceux qui ont l’habitude de
-regarder et d’observer que des feux s’allument encore sur les montagnes,
-et que de ce chaos effrayant, de ce déchaînement de convoitises
-violentes, naîtra un monde meilleur, précurseur du règne de l’esprit.
-Ces ouragans qui soufflent de toutes parts, c’est l’âme d’une humanité
-renouvelée qui s’élabore dans un douloureux enfantement.
-
- * * * * *
-
-Ce livre était destiné à paraître au commencement de l’an dernier: les
-espoirs qu’il contient et proclame auraient alors, peut-être, semblé
-chimériques aux esprits positifs. La plupart de ceux qui se complaisent
-dans la triste grisaille des instincts et des forces matérielles, ne
-voyaient en ce moment aucune lumière à l’horizon, et ne discernaient pas
-la bordure d’argent des nuages noirs.
-
-Les événements extraordinaires qui se sont vérifiés récemment dans l’un
-des pays de l’Europe, ont prouvé à ces intelligences trop unilatérales
-que le réveil de l’esprit n’était point un simple mirage, mais bien une
-réalité puissante. L’importance de la révolution politique qui vient de
-sauver un peuple, s’étend moralement bien au delà de la limite de ses
-frontières, car elle a proclamé une vérité universelle: _L’homme doit
-avoir pour mot d’ordre la défense de la patrie et de Dieu!_ C’est un
-règne nouveau qui apparaît à l’horizon du monde, celui de l’esprit! On
-entend l’air trembler au son des cloches invisibles qui en annoncent
-l’avènement.
-
- DORA MELEGARI.
-
-Paris, 1923.
-
-
-
-
-SOUS LES EAUX TUMULTUEUSES
-
-
-
-
-PREMIÈRE PARTIE
-
-Pendant que la nuit dure encore.
-
-
-
-
-CHAPITRE PREMIER
-
-ESPÉRANCES PRÉMATURÉES
-
- Hence the most vital movement mortal feel,
- _Is hope_; the balm and life blood of the soul.
- (RALPH-WALDO TRINE.)
-
-
-Je dédie ce livre à ceux qui ont besoin d’espérance, et ne peuvent se
-contenter du simple pain quotidien, qu’ils l’aient gagné par leur
-travail, ou leur péché, ou que, parasites, ils le doivent au travail ou
-au péché d’autrui.
-
-C’est dans ces âmes assoiffées que l’espérance doit refleurir. Quant aux
-autres, à celles qui se satisfont d’apparences et de fumée, elles
-appartiennent à la catégorie des âmes qui, selon certains pères de
-l’Église, seraient autorisées à refuser l’immortalité.
-
- * * * * *
-
-Rien n’est plus démoralisant que de cesser d’espérer et une partie du
-désarroi actuel provient des grandes espérances conçues durant la
-guerre[A] et qui ont été déçues ensuite. Ces espérances sont destinées
-cependant, j’en ai la conviction, à se réaliser plus tard, mais bien
-plus tard, à travers d’autres expériences, d’autres surprises, d’autres
-souffrances... L’erreur des esprits de bonne foi a été de croire que,
-dès le lendemain du formidable conflit, tout se remettrait en équilibre
-et que les grands principes, qui avaient armé les bras et enthousiasmé
-les cœurs, s’imposeraient à tous, vainqueurs et vaincus.
-
-On s’était imaginé que la sagesse de Salomon pénétrerait les cerveaux,
-et que la cité des mensonges s’écroulerait, ensevelissant dans sa chute
-les convoitises que l’orgueil des combats avait exacerbées.
-
-Peut-être bien y avait-il un manque de réflexion et un peu d’ingénuité
-dans les espérances qui avaient ainsi gonflé les cœurs. On se figurait
-que le palais de la vérité allait s’élever dans la cité de la justice.
-Le réveil fut amer, et alors, criant à l’utopie, chacun renia ses dieux.
-Pourtant, logiquement, ces espérances avaient été fondées. Jamais on
-n’avait assisté à une pareille trépidation d’âmes, à un semblable élan
-moral chez les peuples.
-
- * * * * *
-
-Comment advint-il que dans le cœur des hommes, au lieu de cette
-floraison magnifique, les plus basses passions se soient dressées, et
-que le mal se soit incarné? Je ne veux pas faire de politique ou de
-sociologie dans ces pages qui n’envisagent que la reconstitution de la
-mentalité générale; mais il est certain que l’Esprit n’a pas soufflé sur
-les arbitres des destinées du monde--comme en certains conclaves
-qu’enregistre l’histoire--et que, par son silence, il a permis à
-l’ignorance humaine de jeter entre les peuples des germes de discorde
-qui ont aiguisé les armes des haines futures.
-
-L’obscurcissement de la pensée a été la première inoculation fatale, et,
-à sa suite, la défiance a empoisonné le cœur des frères d’armes, et
-provoqué ces malentendus qui, aigrissant les amour-propres nationaux,
-ont empêché jusqu’ici les bienfaisantes conséquences de la paix de se
-faire sentir.
-
- * * * * *
-
-L’une des plaies de l’époque d’avant-guerre était le mensonge et le
-culte du faux sous toutes ses formes: fausses valeurs, fausses
-consciences, fausses pitiés... On se figurait que le triomphe du bon
-droit les ferait s’écrouler instantanément, comme les trompettes de
-Josué firent tomber les murs de Jéricho. Mais rien ne s’est effondré. La
-victoire a été, comme toutes les autres victoires de ce monde, un
-alambic où se sont élaborés les grands courages et les merveilleux
-héroïsmes, mais elle n’a pas transformé l’homme dans son essence. Il
-s’est, comme toujours, montré, après la paix, l’esclave de ses passions
-et de ses tendances particulières.
-
-La grande guerre des nations,--c’est un fait prouvé aujourd’hui,--n’a
-donc pas eu le résultat miraculeux qu’on en attendait. Un vent de
-violence a promptement dispersé les sentiments de solidarité et de
-reconnaissance qui avaient paru relier les peuples entre eux durant la
-période des dangers communs. Ces sentiments ont été remplacés d’un côté
-par le prestige de la force et de l’arrogance; de l’autre, par des
-nécessités économiques. Trop cyniquement étalées, elles furent cause de
-déboires amers, de désillusions cruelles qui desséchèrent et réduisirent
-en cendres les germes de la féconde récolte sur laquelle on comptait.
-
-Tout cela est si connu, qu’il n’est point utile de s’attarder sur le
-fait en lui-même, ni d’en rechercher les causes secrètes, ou d’en
-indiquer les résultats desséchants. Les conséquences en sont d’une trop
-pénétrante mélancolie pour ceux qui avaient espéré. Or, comme la
-constatation perpétuelle du mal est éminemment décourageante, on doit
-essayer au plus vite de dépasser cette période.
-
- * * * * *
-
-Il faudrait de l’aveuglement ou de la niaiserie pour nier la crise que
-l’humanité traverse, et ne pas la combattre équivaudrait à un maladroit
-aveu d’impuissance; mais la plus grande faute serait encore d’en avoir
-peur et de la croire durable.
-
-L’unique moyen efficace pour en arrêter le développement est de lever
-les yeux et de regarder au-dessus et au delà. Tout ce qui est précieux
-reste caché aujourd’hui au tréfond des cœurs, et l’apparence des choses
-est déconcertante. La vanité pousse partout des racines formidables:
-chaque soldat prétend être Maréchal et, s’il y a encore des maîtres, il
-n’y a plus de disciples, ni de serviteurs! Or, comme autour des grands
-palmiers solitaires il n’y a que des plaines sablonneuses, c’est vers un
-immense désert que la société semble marcher... Puisque toutes les
-forces vives des nations sont dressées, l’arme au poing, les unes contre
-les autres, elles ne peuvent se coaliser efficacement contre
-l’épouvantable danger qui les menace. Il en est ainsi dans toute
-l’Europe, il en est ainsi dans chaque pays séparément.
-
- * * * * *
-
-Chacun sait, chacun a constaté ce que je viens de dire. Parmi les gens
-qui ont une vision claire de la réalité, il y en a de faibles qui
-désespèrent stérilement, et de forts qui, pour précipiter l’évolution,
-ne croient qu’à l’existence des faits. Mais les faits semblent partout
-s’accumuler, irréconciliables les uns avec les autres. Pour créer des
-faits supérieurs comme valeur et comme puissance, pour ouvrir la route à
-de nouveaux courants, pour allumer des flammes capables de détruire les
-scories qui encombrent la route, il faut, avant tout, avoir confiance
-dans le pouvoir créateur de la pensée humaine.
-
-A tous les hommes d’intelligence et de bonne volonté une croisade
-s’impose pour laquelle la première arme de combat est l’attente sage,
-patiente, perspicace...
-
-
-
-
-CHAPITRE II
-
-L’ATTENTE
-
- C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière.
- (ED. ROSTAND.)
-
-
-Dans toutes les religions, l’attitude de l’attente est vivement
-recommandée; c’est, du reste, l’attitude perpétuelle de la vie humaine
-pour ceux surtout qui en admettent le renouvellement infini et qui
-croient à l’existence d’une force supérieure à laquelle l’homme peut
-avoir recours. Toute espérance formulée n’a-t-elle pas, d’ailleurs, pour
-conséquence logique l’attente de la réponse?
-
-Donc il faut attendre, qu’on le veuille ou non. L’important c’est de
-_savoir_ attendre! Chez quelques-uns c’est une disposition naturelle:
-chez d’autres une vertu acquise ou qu’il faut acquérir.
-
- * * * * *
-
-Les mots de Dieu à Adam: «Désormais tu gagneras ton pain à la sueur de
-ton front», s’appliquent à tous les services, à tous les genres de
-labeur et vont bien au delà de l’effort matériel des bras et des
-muscles. Ils comprennent chaque effort dont est capable l’âme humaine.
-Même quand l’homme produit des fruits remplis non de pulpe, mais de
-cendres, ces fruits sont dus au travail de sa personne ou de sa pensée.
-Les imaginations perverses se fatiguent à élaborer sans cesse des forces
-destructrices, et c’est aussi à la sueur de leur front qu’elles poussent
-le monde aux actes démoralisants.
-
-Dieu a appelé l’homme à collaborer avec lui en tout ce qui s’accomplit
-sur notre planète, même lorsqu’il s’agit de miracles comme la
-résurrection de Lazare. C’est là un fait fondamental que l’homme ne
-devrait jamais perdre de vue.
-
- * * * * *
-
-Dans la signification qu’il faut donner au mot _attendre_, toute idée de
-paresse doit, bien entendu, être exclue. L’homme qui sait _attendre_
-n’est pas un fainéant, car il est constamment en état de veille. Il ne
-s’agite pas, il ne se précipite pas, il ne s’irrite pas, mais son esprit
-est sans cesse tendu vers l’objet de son attente, et ce n’est pas là un
-mince labeur.
-
-L’attente doit être patiente, mais non résignée. Ces deux mots
-s’excluent: quand on se résigne, on n’attend plus! Il faut donc que
-l’attente soit vigilante et optimiste. «Le monde appartient aux
-optimistes, disait M. Guizot, les pessimistes n’ont jamais été que des
-spectateurs.»
-
-En ce moment, l’ordre donné par Dieu à Adam a cessé d’être obéi et
-compris dans sa signification précise, qui est l’obligation absolue du
-travail. Une vague de paresse a passé sur le monde, et, aujourd’hui,
-l’homme, symptôme effrayant, se refuse à travailler de ses mains: il
-refuse même de semer le blé et le riz dont il doit vivre! Quant à ceux
-qui ne labourent pas, qui ne produisent pas les matériaux nécessaires à
-la production, ils demeurent assoupis dans une apathie criminelle, une
-sorte d’engourdissement de la pensée. On dirait qu’ils attendent, dans
-une espèce de léthargique sommeil, l’égorgement final de leur classe.
-
-Pour la défendre, ils ne tentent même pas un effort. A les voir évoluer
-dans la vie avec des allures nonchalantes, il semble qu’il assistent à
-un jeu sur les résultats duquel ils n’ont pas engagé de pari!
-
-Les individus de cette catégorie n’attendent rien évidemment. Leurs yeux
-ne sont pas tournés comme ceux des Rois Mages vers l’étoile qui doit se
-lever à l’Orient. Ils subissent les événements, ils n’y concourent pas.
-Or, subir, c’est déjà un état inférieur.
-
- * * * * *
-
-L’attente féconde se manifeste extérieurement de deux façons: par le
-silence gros de pensées qui équivaut à des forces infinies d’action; et
-par la parole qui peut avoir sur les esprits et les cœurs une si
-puissante répercussion. Voyons comment l’homme se comporte vis-à-vis du
-silence et de la parole, comment il en use dans la vie publique et
-privée.
-
-
-
-
-CHAPITRE III
-
-LE SILENCE
-
- Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse
- (ALFRED DE VIGNY.)
-
-Le vers admirable d’Alfred de Vigny est la condamnation de l’abondance
-inutile des mots. Il faut avoir une grande foi dans le silence, non le
-silence qui naît d’un caractère morose, d’un orgueil démesuré, d’un
-manque de sincérité, d’imagination, d’expansion, d’une sorte de pauvreté
-d’esprit ou bien simplement d’une humeur sauvage, mais le silence
-intuitif ou voulu de ceux qui voient, sentent et savent.
-
-Cette force muette a toujours exercé un merveilleux pouvoir mais jamais
-elle n’a été plus nécessaire que dans ce moment suprême de l’histoire
-du monde, où l’on meurt de trop de paroles!
-
-Avec notre organisation politique et sociale, qui admet la libre
-discussion sur les points les plus graves et les plus délicats, il est
-difficile de mettre un frein aux langues qui parlent. Aujourd’hui qu’aux
-voix masculines, les voix féminines s’unissent, et que dans son for
-intérieur, chaque homme, même le plus médiocre, se croit un stratège et
-un chef politique, le bruit est devenu assourdissant, et le chaos croît
-chaque jour davantage.
-
-Dans ce réseau serré de mensonges, d’intérêts inavoués, d’astuce et de
-perfidie, il est naturel que l’esprit perde son équilibre, ne sache où
-se poser et soit emporté par le flux et le reflux de la pensée en
-désarroi.
-
- * * * * *
-
-La vérité qui devait, après la guerre, surgir victorieuse, tirée du
-sépulcre où la fausseté et la veulerie des hommes l’avaient reléguée,
-dans quel puits se cache-t-elle aujourd’hui? Nous la cherchons et ne la
-trouvons pas! Faut-il l’inscrire, comme sur les champs de bataille,
-parmi les «disparus» puisqu’à l’appel désespéré de ses fervents
-adorateurs, elle ne répond pas: «Présente!»
-
-Pour ceux qui avaient confiance, pour les optimistes qui avaient espéré
-sa résurrection prochaine, le désappointement est amer. Les autres, ceux
-qui, à coup de grosse caisse, avaient inscrit son nom en vedette sur
-leurs drapeaux, ne cachent plus aujourd’hui leur sourire dédaigneux pour
-les ingénus qui avaient cru de bonne foi à la mensongère devise.
-
-La Fontaine, dans une de ses Fables, nous montre le plus sincère et le
-plus modeste des animaux de la création condamné à payer pour tous...
-L’histoire, comme la Fable, se renouvelle continuellement.
-
-Mais il est dangereux d’insister sur les points noirs des événements
-contemporains: cela est contraire à cette vertu du silence que nous
-devons apprendre à pratiquer. Il est évident que les paroles inutilement
-prononcées pendant quatre années et demie de guerre et plus de trois ans
-de paix, ont nui à la restauration de la vérité dans le monde.
-
-Elle ressuscitera cependant. Plus on voudra l’étouffer, l’écraser, la
-railler, plus puissante elle s’affirmera un jour; mais pour arriver à ce
-jour il faudra souffrir encore. Essayons au moins d’en accélérer la
-venue et de ne pas retarder, par d’imprudentes paroles pessimistes, son
-avènement dans le monde. Évitons soigneusement ce qui est propre à semer
-la discorde, à aigrir les cœurs, à décourager les bonnes volontés.
-
- * * * * *
-
-Entendons-nous! Limiter nos paroles, et réfléchir à leurs conséquences
-ne signifie point s’isoler, cesser d’écouter, de veiller et d’être prêt
-à intervenir pour protester utilement. «On devrait bâillonner la
-presse», dira-t-on; mais la presse, qui ferait bien, certes, de se
-museler un peu elle-même, a une autre tâche à remplir que les individus!
-Elle doit informer largement le public des diverses tendances, des
-divers bruits, des diverses nouvelles qui courent. Ce devoir
-d’informateur n’incombe pas au simple citoyen: il a celui, au contraire,
-d’être prudent, vigilant, de ne pas exaspérer les âmes, de ne pas donner
-un poids exagéré aux rancœurs, aux malentendus, aux doutes...
-
-Dans les moments angoissants que traversent certains pays, il faudrait,
-je ne dis pas suspendre tout jugement, mais formuler ceux qu’on porte de
-façon à faire comprendre leurs torts aux coupables sans les accabler de
-reproches qui, par leur violence, ressemblent presque à des injures.
-
-Il est opportun aussi de ne pas exciter les victimes, afin qu’elles ne
-perdent pas leur sang-froid, cette suprême qualité des triomphateurs.
-L’habileté vraie consiste à observer toujours, à tout écouter et à se
-recueillir souvent. C’est là un programme auquel on peut joindre un
-conseil: «Élevez dans vos cœurs un temple au silence!»
-
- * * * * *
-
-Ce n’est pas seulement dans les heures suprêmes de la vie publique, mais
-encore dans toutes nos relations avec les faits et les individus, qu’il
-y a avantage à user de peu de paroles. Dans la vie domestique et
-familiale, le silence est certainement plus efficace que les reproches,
-il touche davantage, émeut plus, il donne aux mots, quand finalement
-ils sont prononcés, un prestige plus grand.
-
-Les maîtresses de maison les mieux obéies, les mères de famille les plus
-respectées, ont été presque toujours des silencieuses. En amour aussi,
-la femme qui parle peu et semble se réfugier dans sa vie intérieure, est
-celle qui sait retenir l’amour le plus longtemps. Il y a en elle une
-saveur de mystère qui fascine les âmes. A l’armée, à l’école, le
-prestige exercé sur les soldats et les enfants est, en général, réservé
-aux laconiques, des lèvres desquels ne sortent que des ordres précis,
-des enseignements nets et clairs.
-
- * * * * *
-
-Que de fois également, dans des circonstances délicates, une situation a
-été sauvée uniquement par le silence! Une seule parole aurait tout gâté
-et tout perdu. Le silence, semblable à un baume merveilleux, a cicatrisé
-la plaie et a empêché la tragédie d’éclater. Tous les êtres humains ne
-peuvent pas être des silencieux efficaces; il faut pour cela du tact, de
-l’intelligence, de la finesse! Ces privilégiés sont rares; mais tous
-peuvent mettre un frein à leur langue pour qu’elle ne devienne pas une
-source d’antagonismes et d’amers mécontentements. Cela n’est pas
-toujours facile, quand le cœur bat d’une indignation justifiée, mais
-c’est pourtant obligatoire.
-
-Nous ne devons pas oublier que toute parole acerbe est une joie pour
-l’ennemi qui, secrètement et incessamment, essaye de semer la haine dans
-les lignes des vainqueurs.
-
- * * * * *
-
-Comme le poète d’Eloa, rendons un culte au silence, mais n’oublions pas
-cependant qu’il en peut être une mauvaise espèce: celui-là est le fruit
-de l’orgueil et de l’obstination; il ferme ses oreilles à la vérité,
-s’entête dans les fausses appréciations, refuse d’écouter les conseils
-de l’expérience. Dans la politique, comme dans la vie familiale, ce
-mutisme est souvent cause de malheurs infinis et de périlleuses
-rancœurs.
-
-Nul homme, quelle que soit sa valeur intellectuelle, n’est autorisé à
-mépriser complètement l’échange des idées avec ses semblables.
-
-Il faut seulement être perspicace, savoir discerner les valeurs et ne
-pas donner sa confiance aux médiocres qui ne la méritent pas.
-
- * * * * *
-
-Si la parole trop prolixe présente des inconvénients, l’échange des mots
-est cependant nécessaire au bon mécanisme de la vie. Il n’y a rien de
-plus triste qu’une famille de silencieux moroses. Le mari, le fils
-rentrent au foyer, mais pas une phrase ne sort de leur bouche, ils ne
-racontent rien de ce qu’ils savent, de ce qu’ils ont vu!... Si on leur
-pose une question ils en semblent exaspérés et y répondent à peine.
-Combien de familles souffrent de ce système d’inique silence.
-
-Que demandent au fond ces mères, ces épouses, ces filles? Elles
-n’exigent pas de longs discours, mais seulement un sourire, un mot qui
-les mette _un peu_ au courant des choses; un simple regard affectueux
-suffit même souvent à les satisfaire, à dissiper l’oppression de ce
-mutisme offensant, à compenser la rareté des mots prononcés.
-
- * * * * *
-
-La cause de ce mal est unique: c’est l’égoïsme orgueilleux, joint à
-l’habitude de ne jamais réfléchir suffisamment aux conséquences des
-attitudes que l’on prend ou à la signification que les autres leur
-attribuent.
-
-L’heure est si grave aujourd’hui qu’une sévère discipline est devenue
-indispensable à tous; nous devons apprendre à contrôler notre langue, et
-ceux auxquels leur conscience impose un _mea culpa_ doivent être les
-premiers à réparer les ennuis, et parfois les malheurs que leur trop
-grande impulsivité a pu causer.
-
-Élevons donc un hymne à la noblesse du silence conscient, qui signifie
-sagesse, philosophie, tact, dignité, altruisme, et dénonçons le silence
-de l’orgueil, de l’égoïsme, de l’obstination, et ce désintéressement
-complet de la pensée d’autrui qui, non seulement pèse sur la vie
-familiale, mais peut aussi devenir dangereux dans la vie politique des
-peuples.
-
-
-
-
-CHAPITRE IV
-
-L’INSTRUMENT MAGIQUE
-
- Et que tes lèvres gardent la connaissance.
- (_Prov._ V-2.)
-
-
-Après avoir affirmé la beauté, le prestige, la dignité du silence, il
-faut parler un instant de l’instrument magique dont l’homme dispose et
-qui s’appelle la parole!
-
-Trois syllabes! Et dans ces trois syllabes, toutes les manifestations de
-l’âme universelle peuvent se condenser. Ces trois syllabes dispensent la
-guerre et la paix, la fortune la plus éclatante et la plus épouvantable
-misère, la félicité la plus complète et la plus atroce douleur.
-
-Elles édifient et détruisent, consolent et désespèrent, allument les
-incendies, propagent les haines, exaltent l’orgueil de l’homme et le
-réduisent en poussière; elles pénètrent son âme d’une infinie douceur et
-la déchirent d’angoisse. Elles séparent les amants les plus tendres,
-arment l’un contre l’autre les amis les plus sûrs, éloignent les fils
-des mères, et si, parfois, elles rapprochent l’homme de Dieu, souvent
-elles le poussent dans les bras toujours ouverts de Lucifer qui étend
-inlassablement sur le monde son ombre gigantesque.
-
-Et cet instrument magique et merveilleux, le plus extraordinaire des
-dons qui ont été faits à l’homme, celui-ci est maître de s’en servir au
-gré de sa fantaisie. On l’a laissé, au fond, très ignorant des forces
-terrifiantes qu’il pouvait mettre en jeu par le seul mouvement de ses
-lèvres. Comment serait-il conscient de ses responsabilités, puisqu’on
-les lui a à peine indiquées, et que ni les religions ni les philosophies
-n’en ont fait, comme elles l’auraient dû, l’objet d’un enseignement
-spécial et de capitale importance.
-
-Elles se sont bornées à des conseils d’ordre général. Quelques
-proverbes, appartenant pour la plupart à la littérature orientale,
-mettent bien l’homme en garde contre le danger des paroles
-surabondantes et irréfléchies, mais c’est comme en passant, sans y
-attacher d’importance, sans insister sur les terribles responsabilités
-qu’il peut encourir de ce chef.
-
- * * * * *
-
-Apprendre à l’homme, dès sa première enfance, à se méfier des mots
-devrait être, au contraire, le principal objet de toute intelligente
-préparation à la vie. Il faudrait enseigner à l’enfant que la parole
-doit être maniée avec mesure et prudence, comme s’il s’agissait d’une
-arme de précision. Elle tue, en effet, mieux que le browning le plus
-perfectionné.
-
-Il est vraiment inconcevable que les pédagogues, les philosophes, les
-grands prêtres de toutes les religions et les arbitres de la destinée
-humaine n’aient pas mieux compris l’incalculable portée de la parole, et
-tenté de la maîtriser pour la faire servir aux fins qu’ils
-poursuivaient. Or, cela n’a jamais été fait! Au XXᵉ siècle, la parole a
-pris des allures désordonnées contre lesquelles aucune sanction ne
-s’exerce plus. Auparavant, les citoyens des différentes nations ne
-pouvaient toucher à certains sujets politiques ou religieux sans
-encourir de graves remontrances, et même des pénalités. Mais il ne
-s’agissait que de quelques terrains prohibés, car, dans le domaine
-privé, l’homme a toujours été libre de déshonorer son prochain et de le
-tuer moralement autant de fois qu’il le pouvait dans une journée! Qui a
-jamais pensé à mettre un frein au débordement de la parole? Ce n’est
-certes pas l’autorité publique. Quant à l’opinion, elle est restée
-muette, et si quelques voix se sont élevées pour protester, vite on les
-a fait taire, au nom de la liberté!
-
-Dans la dernière guerre, il y eut de grands faits que les paroles ont
-dénaturé et obscurci, exaspérant les amour-propres, et préparant à
-l’Europe un long avenir de rancœurs, empêchant les conciliations de
-s’opérer et les malentendus de s’expliquer.
-
-La responsabilité de cette immense tuerie remonte certainement à la
-convoitise des Huns ressuscités, mais l’abus insensé des paroles a jeté
-sur les feux allumés des matières explosives, il a tué moralement autant
-de sentiments, d’illusions et d’espérances que les plus hideuses
-inventions modernes ont fait de victimes humaines. J’en appelle aux
-cœurs droits qui battent encore dans la poitrine de quelques-uns des
-êtres créés par Dieu à son image; il serait temps que les hommes se
-rendent compte enfin de quelle arme formidable ils disposent.
-
-Tant qu’ils ne l’auront pas appris, tant qu’on ne le leur aura pas
-enseigné dès leurs premiers balbutiements, ils ne pourront connaître, en
-aucune circonstance, la sécurité ou la joie sereine d’autrefois, alors
-que, dans sa vie plus recueillie, l’humanité discourait moins.
-
-Si celle-ci n’apprend pas à se taire, une insondable mélancolie
-continuera à répandre son ombre sur les paysages de la terre, et la
-beauté de la lumière ne se reflétera plus dans les yeux des hommes.
-Inquiets, sombres, despotiques, agités, ils erreront de par le monde,
-rêvant de destruction, de laideur, de menace et de violence.
-
- * * * * *
-
-On a si peu réfléchi jusqu’ici à la portée et à l’horrible danger des
-paroles, que l’on sera stupéfait de leur voir donner une pareille
-importance et les charger d’une semblable responsabilité. On dira: «La
-parole est un don naturel dont l’homme a le droit d’user comme de la
-faculté de voir et d’entendre.--Certes les tribuns la manient avec trop
-de violence, et la presse en abuse; quelques lois restrictives
-s’imposent, nous le reconnaissons.» Les plus raisonnables arrivent à
-nous faire cette concession.
-
-Hélas! le mal est trop grave et trop étendu pour que des articles de loi
-puissent avoir aujourd’hui une action efficace. C’est l’âme particulière
-des individus qu’il faut émouvoir et convaincre, rendre consciente de ce
-que les mots représentent comme puissance, du mal infini qu’ils peuvent
-faire, et du bien incommensurable dont ils pourraient être capables.
-
- * * * * *
-
-Comme on enseigne à un enfant à ne pas se jeter devant une automobile
-lancée à toute vitesse, à ne pas égratigner le visage de son prochain, à
-ne pas lui tirer la langue sans provocation, il faudrait lui enseigner à
-mesurer et à contrôler les mots qu’il prononce. Ah! les mots! En amour,
-chacun sait le trouble et l’angoisse qu’ils provoquent, les coups cruels
-qu’ils portent, les inguérissables blessures dont ils sont cause et les
-séparations qui en résultent. Ils rompent le charme qui avait lié les
-âmes les unes aux autres et les jettent sans scrupule dans la
-désespérante solitude.
-
-L’amitié, le plus sérieux et noble sentiment qui puisse lier le cœur des
-hommes, subit, elle aussi, l’atteinte des paroles. Et que de tragédies
-d’âmes, sur lesquelles on ne s’explique jamais, sont dues au maléfique
-pouvoir de phrases insouciantes prononcées et commentées.
-
- * * * * *
-
-La famille, elle non plus, n’échappe pas à ce fléau. Pour expliquer
-certains suicides, quand la cause passionnelle ou financière manque, on
-classe ceux-ci sous la dénomination vague de «chagrins domestiques».
-Cette phrase ouvre des perspectives abominablement tristes. C’est comme
-si on plongeait le regard dans un puits sombre au fond duquel on
-aperçoit une miroitante tache d’eau noire; et dans la plupart de ces
-cas, si quelques lueurs se font plus tard sur l’événement, c’est presque
-toujours à l’abus des paroles qu’il faut faire remonter la tragédie.
-
-Il en est de même en ce qui concerne les malheurs publics, et chacun
-peut en faire l’observation. Partout où une catastrophe quelconque se
-prépare, elle est provoquée, accompagnée, accrue et envenimée par
-l’abondance des mots, parlés ou écrits. Semblables à de sinistres
-gardiens et souteneurs, ils se campent, se groupent et se multiplient
-autour des lieux où s’élabore l’infortune.
-
-Quand l’homme sera devenu conscient de la puissance qu’il possède de
-creuser des tombes, ou de renouveler des vies, il hésitera peut-être à
-parler sans savoir ce qu’il dit, et beaucoup d’ombres se dissiperont sur
-la terre.
-
- * * * * *
-
-L’usage plus discret de la parole présentera encore un autre avantage;
-l’intelligence humaine y gagnera, car toutes les inepties qui courent le
-monde dans un galop furieux et désordonné, cesseront de retentir aux
-oreilles de ceux qui, comme Maeterlinck, donnent au bon sens, dans les
-facultés de l’esprit humain, une place distinguée.
-
-Qu’on ne se méprenne pas sur ma pensée! S’il y a quelque chose
-d’agréable dans l’existence c’est bien la conversation vive, alerte,
-gaie, même un peu frivole de gens qui se connaissent et se comprennent,
-et ces joyeuses causeries de famille où chacun dit tout haut ce qu’il
-pense et qui perdraient beaucoup à être précédées de trop de réflexion.
-
-En parlant d’inepties, je pensais à ces lourds et inutiles bavardages
-dont on a pris l’habitude, sur des choses qu’on ignore complètement. Les
-sujets les plus simples, l’élevage des volailles même, peuvent devenir
-attrayants quand on en parle avec compétence et humour. Mais durant les
-années de guerre, alors que l’angoisse faisait palpiter les cœurs, ce
-fut une rude épreuve d’entendre les stratèges de salon expliquer
-gravement comment il fallait disposer les troupes pour gagner les
-batailles.
-
- * * * * *
-
-Après avoir dénoncé les paroles criminelles qui engendrent la discorde,
-la haine et la violence, les paroles féroces ou simplement méchantes qui
-meurtrissent et désespèrent les cœurs, les paroles fausses qui sèment la
-défiance, les paroles équivoques qui troublent les consciences, les
-paroles lourdes et pesantes qui ouvrent la porte à ce vieux rôdeur,
-l’ennui, dont Satan a fait son bras droit, il reste à parler des
-paroles bienfaisantes, encourageantes, semeuses de vie et de force.
-Celles-là sont reconstructrices, et c’est dans une autre partie de ce
-livre qu’il faudra traiter de l’aide puissante qu’elles peuvent apporter
-à l’évolution de la destinée humaine.
-
-
-
-
-DEUXIÈME PARTIE
-
-Marchands et marchandes de fumée.
-
-
-
-
-CHAPITRE PREMIER
-
-CHASSONS LES VENDEURS DU TEMPLE
-
- Ils vendent des cendres pour du pain.
- Ils vendent du vin dilué.
- (***)
-
-
-L’épisode grandiose du Christ chassant les vendeurs du Temple est
-présent à la mémoire de tous, car il a frappé l’imagination des foules.
-Le geste de Jésus--divin par la sainte colère qui le provoque, et humain
-parce que c’est le Fils qui défend la maison de son Père contre les
-trafiquants qui osent la souiller de leurs ignobles marchés--ce geste
-fut un coup de théâtre inattendu, magnifique et terrifiant, qui dut
-satisfaire le besoin instinctif de justice que toute âme droite porte en
-soi. Les paroles méprisantes et sévères dont il fut accompagné, firent
-sans doute trembler les cœurs, mais nul ne protesta et toutes les têtes
-fléchirent.
-
-Ce besoin de justice qui tourmentait les contemporains du fils du
-charpentier de Nazareth a persisté à travers des siècles d’injustice,
-et, malgré les apparences contraires, il n’a jamais été plus grand
-qu’aujourd’hui. Nous ne nous rendons pas suffisamment compte à quel
-point il tourmente les âmes, et quelle est sa part de responsabilité
-dans les tempêtes qui, en ce moment, soufflent de partout autour de nos
-foyers.
-
-En y regardant de près, nous le retrouvons sous les violences
-révolutionnaires auxquelles il a servi de prétexte, et il se cache aussi
-sous l’amer découragement qui a réduit la classe bourgeoise à cette
-honteuse apathie qui l’a faite, en certain pays, tendre presque le cou à
-ses égorgeurs.
-
-C’est parce que son besoin de justice n’avait pas été satisfait, et
-qu’elle ne voyait de recours nulle part, que, blessée dans sa conscience
-intime, cette classe était tombée dans l’inertie, au lieu de se hausser
-à une belle résistance. Comme certains actes publics lui avaient fait
-perdre toute confiance dans la justice établie par les lois humaines,
-elle ne savait plus que gémir. «A quoi bon lutter?» soupirait-elle.
-
- * * * * *
-
-Pour satisfaire les consciences indignées et meurtries, il faudrait que
-le grand geste du Christ se renouvelât. Mais c’est à l’homme cette fois,
-qu’en incombera la charge. Les forces divines armeront son bras, mais le
-coup de verge doit être donné par lui. Comment s’y prendra-t-il? Dans
-tous les pays, la situation morale des vendeurs se relie au grave
-problème du travail et des échanges et fait partie de l’économie
-générale du monde. Pour résoudre équitablement ce problème, le concours
-des siècles sera nécessaire ou du moins il faudra de longues périodes de
-temps.
-
-Ce qu’il est urgent de faire tout de suite, c’est de débarrasser les
-portiques du temple de la cohorte des marchands et marchandes de fumée
-qui les encombrent et les obscurcissent. Aucune espérance d’un destin
-meilleur pour l’homme ne pourra se réaliser tant qu’ils y resteront
-installés, libres d’offrir et de vendre le _néant_, l’essence des fruits
-de la mer Morte, enfermée dans leurs bocaux, flacons et cassolettes et
-dont les lourdes vapeurs délétères empêchent l’air pur de circuler
-librement et rendent impossible tout développement de vie saine, de
-commerce honnête et d’initiative vigoureuse.
-
-Et jamais il n’y a eu autant de marchands de fumée qu’aujourd’hui, alors
-qu’aux hommes, se sont jointes les femmes et que dans chaque être une
-ambition est née. Chacun veut avoir boutique sur rue. Quand les
-marchandises réelles manquent, on en vend l’apparence. Ce commerce, qui
-n’est que fumée, est connu; tout le monde en a vaguement conscience;
-mais, par une basse connivence, personne ne dénonce le trafic. Les
-cartons vides continuent à porter l’étiquette des stocks absents. C’est
-surtout dans le domaine moral que la tromperie est facile comme nous le
-verrons plus tard. En attendant, regardons les enseignes des boutiques.
-Plusieurs ont des titres suggestifs, commençons par celui-ci:
-
-
-
-
-CHAPITRE II
-
-LES ESCAMOTEURS
-
- _Examinons si ce que tu promets_
- _est juste et possible, car la promesse_
- _est une dette._
- (CONFUCIUS.)
-
-
-C’est, bien entendu, au figuré que nous examinerons les livres de ce
-commerce spécial. Ce sont les secrets des prestidigitateurs d’ordre
-moral qu’il est intéressant de pénétrer. Leur bilan s’explique en peu de
-mots: tout individu qui ne se croit pas obligé d’apporter dans les actes
-moraux de sa vie une parfaite bonne foi n’est, au fond, qu’un vulgaire
-escamoteur. Celui-ci ne fait pas disparaître dans son gilet ou dans son
-chapeau, les objets les plus hétéroclites, tels qu’une poule blanche aux
-ailes déployées, des bouteilles de vin cachetées, des douzaines d’œufs
-frais pondus, un perroquet ou un singe! Ce ne seraient là que des jeux
-innocents. Ceux de l’escamoteur moral sont, au contraire, redoutables,
-et l’homme le plus avisé réussit avec peine à se défendre contre ses
-tours de passe-passe. Car ce malfaiteur sait en général revêtir des
-apparences d’honnêteté et de respectabilité, et cette façon de donner le
-change est un des traits caractéristiques de son trafic.
-
- * * * * *
-
-Les façons de procéder de nos escamoteurs varient. L’une des plus
-communes et des plus banales dans sa brutalité, est de nier sans
-vergogne, au mieux de leurs intérêts, les paroles qu’ils viennent de
-prononcer à l’instant même, et qui flottent encore sur leurs lèvres.
-Dans la discussion, ce système jette l’interlocuteur hors des gonds et
-provoque chez lui les pires sentiments d’indignation et de colère. «Tu
-viens de dire ceci et cela! J’ai des témoins...--Mais non, je n’ai rien
-dit de semblable!» Pareille impudence ne donne-t-elle pas envie
-d’écraser ceux qui en font preuve entre le pouce et l’index?
-
-Cette mauvaise foi dans les réponses envenime tous les rapports de
-famille et d’amitié. Elle tue l’amour!
-
-Dans les affaires publiques, dans les discussions de profession ou de
-carrière, les escamoteurs de la parole troublent les eaux et peuvent
-provoquer les plus graves conflits. Ils donnent assurément aux autres le
-droit d’exercer à leur égard de terribles représailles, mais ils les
-subissent rarement, tellement, semblable à une couche de cire épaisse,
-la lâcheté encrasse les âmes.
-
- * * * * *
-
-Les escamoteurs ont donc beau nuire et détruire, aucune pénalité ne les
-atteint jamais. Il n’y a pas de recours contre eux; leurs procédés sont
-pour ainsi dire impalpables. On ne peut les saisir sur le fait ni les
-convaincre, car ils manipulent le néant. Matériellement, ils vendent des
-marchandises frelatées; moralement, ils escamotent les situations, les
-obligations, les promesses faites, les engagements pris, les serments
-échangés. Avec un admirable sang-froid, ils opposent à tout reproche des
-fins de non-recevoir qui déconcertent les plus intelligents et les plus
-habiles. Si, devant leur évidente mauvaise foi dans les grandes comme
-dans les petites choses, quelqu’un s’émeut et, emporté par
-l’indignation, essaye de frapper leur conscience, ils échappent avec une
-dextérité surprenante à toute responsabilité.
-
-Par leur escamotage des faits, des choses et des paroles, ils ont ruiné
-les uns, perdu la réputation des autres, empêché la réussite d’un
-troisième, en s’attribuant, ou en attribuant à d’indignes protégés, les
-mérites qui auraient pu le mettre en valeur. Mais naturellement ils
-nient avoir eu une part quelconque à ces désastres. Leurs mains sont si
-habituées à brouiller les cartes qu’ils ne s’aperçoivent même plus de la
-besogne que leurs doigts accomplissent. A force de jouer toujours avec
-des dés pipés, quelques-uns trichent presque de bonne foi.
-
- * * * * *
-
-Ils volent tout ce qui leur tombe sous la main: les bons mots des uns,
-les pensées des autres. Dans l’ordre des sentiments, ils ont également
-sur la conscience plus d’un crime. Et le pire est qu’ils font école. On
-décore poliment du nom d’«habileté» et d’«adresse» leur façon
-d’escamoter les réalités, et de leur substituer le mensonge et le néant.
-Comme l’on va chez la tireuse de cartes, combien de gens vont demander
-conseil à ces vendeurs de fumée! Ils enseignent à brouiller les cartes
-dans la vie privée ou publique, ils finissent par tenir boutique ouverte
-de fraudes.
-
-Ce sont des gens, en général, de médiocre intelligence et de plus
-médiocre culture, et comme ils sont dépourvus de passion, ils mènent
-souvent une vie respectable. Quelques-uns sont des escamoteurs de
-naissance, et je ne sais quelle maladie ou quelle tare de leur esprit
-les rend incapables d’accepter la responsabilité de leurs actes et de
-leurs paroles. Ils sont les moins dangereux de leur classe; les pires
-sont au contraire les escamoteurs qui se sont engagés dans la triste
-phalange par opportunisme, par envie ou par un besoin âcre et violent de
-diminuer les mérites d’autrui, afin de donner plus de lustre aux leurs
-propres. Des plagiaires naissent des escamoteurs, et les uns et les
-autres se nourrissent de fumée!
-
- * * * * *
-
-Mais il est impossible de détruire la vérité. Pendant qu’on la nie,
-qu’on la déplace ou la transporte, elle est là, en face de nous, et nous
-regarde. On ne peut effacer cette image de la paroi, où elle se détache
-en lumière; mieux vaudrait tout de suite, devant elle, baisser
-honteusement la tête.
-
-Tous les hommes, même les plus loyaux, sont coupables d’avoir, par
-bienveillance, pitié, ou politesse, altéré le vrai. Quelques-uns ont
-fait pire; ils ont peut-être menti une fois par intérêt personnel, mais
-le souvenir de ce mensonge les brûle comme un fer rouge. L’un d’eux me
-disait un jour: «Je plains les escamoteurs; ne les jugeons pas trop
-sévèrement. Pensez, quelle torture ce doit être de vivre continuellement
-dans ce qui n’est pas vrai! C’est comme si l’on ne pouvait jamais poser
-le pied sur la terre ferme, si on la sentait perpétuellement vaciller
-sous ses pas.» J’étais moins indulgente et je refusais de m’apitoyer,
-peut-être parce que les escamoteurs et les brouilleurs de cartes
-m’avaient fait souffrir.
-
-Je leur reproche surtout de faire école, au lieu de se limiter à
-exécuter de la prestidigitation pour leur propre compte et, quand ils
-font les loups, de prendre une apparence d’agneaux. Quelques-uns
-exercent leur métier avec tant de dextérité et exécutent leurs tours
-avec une si merveilleuse adresse que les gens ingénus ou simplement peu
-perspicaces ne s’aperçoivent pas qu’ils ont affaire à des brouilleurs de
-cartes.
-
-Or, il est temps que les yeux s’ouvrent et que l’on dénonce à l’opinion
-publique ces trafiquants, car, parmi les marchands de fumée qui
-déshonorent le temple, les escamoteurs doivent être mis en première
-ligne; ils sont les plus nombreux et les plus insinuants. C’est sur
-leurs épaules que le premier coup de verge doit tomber.
-
- * * * * *
-
-L’heure a sonné de déblayer le terrain pour que les mains robustes et
-fermes puissent accomplir leur œuvre de reconstruction. Le monde a
-beaucoup souffert, en ces dernières années. Pour enfanter l’âme nouvelle
-de l’humanité, que de cœurs se rongent d’angoisse, que d’intelligences
-s’épuisent à donner tout ce qu’elles possèdent d’énergie vitale, que
-d’âmes de bonne volonté s’efforcent de saisir, dans le plus secret de
-leur être, la voix de leur subconscient pour qu’il les éclaire en vue du
-grand travail de la reconstitution humaine.
-
-Au lieu de les aider dans leur tâche, comment les hommes de
-conscience,--il y en a encore,--permettent-ils aux escamoteurs de
-prendre à ceux-ci les cartes des mains pour un jeu qui est celui de la
-destruction? L’atmosphère que ces misérables créent autour d’eux est si
-énervante, si lourde et si déprimante, qu’elle fait succomber les plus
-fermes courages.
-
-Dans les familles, par exemple, il suffit d’un seul escamoteur pour
-gâter toute possibilité de bonheur. Sa présence est l’invitation
-constante au découragement, à la défiance, à l’irritation intérieure, à
-l’amertume quotidienne. Soyons indulgents pour ces pécheurs, mais pas
-pour ce péché, qui est bien le plus laid et le plus vulgaire qui soit!
-Forçons les escamoteurs à fermer boutique et à ne plus déshonorer le
-portique du temple, en y projetant leur vilaine ombre.
-
-
-
-
-CHAPITRE III
-
-LES FAUX INTERPRÈTES
-
- L’Eternel hait le faux témoin qui dit des mensonges,
- Et celui qui excite des querelles entre frères.
- (_Proverbes_ VI-17.)
-
-
-Eux aussi sont des marchands de fumée et tiennent boutique à côté des
-escamoteurs et des brouilleurs de cartes. Sous le prétexte fallacieux de
-chercher la vérité, ils lui substituent le mensonge et le néant.
-
-Leurs magasins sont fort achalandés comme ceux de leurs confrères, mais
-on n’y trouve aucune marchandise de bon aloi, solide et intégrale!
-
-Ils ont un étalage de pure apparence; au lieu de réalités, ils offrent
-sans scrupules les créations de leur fantaisie. On les achète tout de
-même, tellement le faux et l’artificiel satisfont cette antipathie de la
-vérité dont tant de gens souffrent! Certains naissent avec l’esprit fait
-de telle sorte qu’ils éprouvent le besoin d’embrouiller les choses les
-plus claires et de voir des pièges derrière tout ce qui frappe leur
-regard ou leur ouïe.
-
-Si un homme se jette à la rivière pour sauver un enfant qui se noie,
-vite les faux interprètes cherchent à son acte généreux un motif secret
-et parfois honteux. Et quand on applaudit devant eux à cette action
-courageuse, ils ricanent ou prennent un air profond comme s’ils étaient
-au courant de mystérieuses menées que les autres ignorent, alors qu’au
-fond ils ne savent absolument rien de spécial! Mais ils sont gens
-d’imagination, et ceux qui manquent de cette faculté,--et combien de
-personnes ne possèdent même pas une étincelle de ce don divin!--les
-recherchent pour se renseigner, pour apprendre à leur école l’art de
-tout dénigrer et de trouver aux faits les plus simples une explication
-tortueuse. Cela devient vite un système que l’on applique ensuite à
-toutes les grandes et les petites choses de l’existence humaine, causant
-ainsi d’infinies souffrances.
-
-Sans l’intervention des faux interprètes, ces souffrances spéciales que
-nous allons examiner existeraient quand même, car nous sommes tous
-momentanément capables de nous tromper dans nos jugements, mais elles
-demeureraient exceptionnelles, tandis qu’avec les boutiques ouvertes des
-faux interprètes, il n’est guère de fait ou de sentiment qui soit
-accepté aujourd’hui avec simplicité et bonne foi.
-
-Pour les hommes sincères et généreux, le fait d’être méconnu représente
-une douleur intolérable qui obscurcit pour eux la beauté des jours
-clairs et qui les blesse dans leur intimité profonde.
-
-Aucun état social, pour merveilleusement organisé qu’il soit, ne
-protégera jamais l’homme contre les jugements de son frère ou de son
-voisin. Ce sont là des désagréments inévitables; mais en interdisant les
-pratiques auxquelles se livrent les faux interprètes, empêchant ceux-ci
-de faire métier de médisance, en frappant leur commerce de taxes morales
-considérables, on mettra peut-être un frein à la détestable propagande
-qu’ils font par leurs perfides et insinuantes manœuvres.
-
- * * * * *
-
-Mais il en est de ceci comme de toutes les autres épreuves auxquelles
-l’homme est soumis: c’est en lui-même qu’il doit trouver ses meilleures
-et plus efficaces armes de défense. Il faut qu’il s’efforce de diminuer
-sa sensibilité à l’égard des fausses interprétations. Quelques
-individualités ont déjà réussi à éliminer ou, du moins, à atténuer ce
-genre de souffrance. Quand on attribue à leurs actions des motifs
-sublimes, elles sourient, sachant que leurs mobiles ont été médiocres;
-elles sourient également lorsqu’elles entendent attribuer à leurs
-meilleures intentions des calculs mesquins et perfides.
-
-Ces personnes ont cessé de protester: elles acceptent, se résignent et
-finissent par devenir presque insensibles au fait d’être méconnues. Et
-comme elles croient à une justice immanente, elles éprouvent presque
-plus de honte à recevoir des éloges immérités qu’à être accusées des
-pires intentions.
-
-Ce sont là des natures fortes et fières, bien qu’un peu froides
-peut-être. D’autres, au contraire, continuent à se ronger le cœur quand
-elles ne se sentent pas comprises et que leurs actes et leurs motifs
-sont faussement interprétés. Leur sensibilité s’exaspère; elles
-protestent, se plaignent, se défendent, essayent de remettre les choses
-au point, sans y réussir: elles oublient que de telles plaies ne
-guérissent que d’elles-mêmes, et avec l’aide toute puissante du temps.
-
- * * * * *
-
-Certains esprits soutiennent qu’il est préférable de protester
-immédiatement contre les insinuations médisantes: ils ont pour théorie
-que les légendes une fois formées, il est excessivement difficile de les
-détruire; il faut donc, d’après eux, avoir toujours l’oreille tendue,
-et, au plus petit indice suspect, arborer son drapeau et mettre
-flamberge au vent. Cette méthode rend la vie très fatigante, et, la
-plupart du temps, ne sert à rien.
-
-Il faudrait pouvoir remonter à la source secrète d’où proviennent les
-fausses interprétations. Sans parler des professionnels qui les
-répandent et que nous avons dénoncés, elles prennent naissance dans tous
-les milieux, et, si l’on cherche bien, on voit qu’un sentiment de
-rancune, d’envie, ou d’ambition frustrée les inspire presque toujours.
-Elles naissent aussi d’un manque de clairvoyance et sont souvent filles
-de l’ignorance. Rien n’est plus rare, du reste, que la perspicacité,
-dans notre société moderne. C’est même là un point sur lequel je devrai
-revenir fréquemment dans cette étude, car il mérite d’attirer
-l’attention, étant donné le développement que le besoin d’analyse a pris
-dans tous les esprits modernes. Cette singulière lacune est-elle
-imputable à la vie tumultueuse du XXᵉ siècle, où le temps d’observer, de
-réfléchir et de raisonner manque absolument? Quelle qu’en soit
-l’origine, le fait existe et doit être étudié, car il désarme l’homme
-devant les événements et les péripéties de la vie.
-
-On peut remplacer la perspicacité par l’intuition, mais c’est un don
-rare et personnel et non une vraie science, mise à la portée de tous et
-qu’on puisse acquérir. Lorsqu’on possède ce don, on peut le développer
-par une constante communion avec les forces qui dirigent l’univers. Et
-nous voyons toujours le même mystérieux phénomène se répéter: c’est à
-celui qui a beaucoup reçu, qu’il est donné davantage. Cette promesse
-sent le privilège, et beaucoup d’esprits étroits se rebellent contre
-elle. Or, l’étroitesse de l’esprit est une forteresse inexpugnable, une
-montagne toute en saillie, une paroi unie et lisse qu’aucun pied, pour
-agile qu’il soit, ne parvient à gravir.
-
- * * * * *
-
-L’obstination des sots est irréductible et, contre les gens bornés, il
-n’y a pas de recours possible; c’est pour cela que, si souvent, on voit
-ces derniers occuper de hautes situations, à l’étonnement et à
-l’indignation générales. Il faut aborder ici un point délicat, car il
-soulève un grave problème: jusqu’à quel point les gens inintelligents,
-ou qui manquent de perspicacité peuvent-ils être tenus pour responsables
-du mal qu’ils font et des douleurs qu’ils causent? On peut affirmer, en
-tout cas, qu’il n’y a pas de «bonnes bêtes», comme on le prétend
-quelquefois, la bonté, sous toutes ses formes, étant toujours une preuve
-d’intelligence.
-
-Dans le cas spécial de la propagation des fausses interprétations, les
-sots tiennent le record, d’abord parce que, manquant de bon sens et
-ayant des capacités limitées, il leur arrive souvent de ne pas
-comprendre et de ne pas savoir discerner la réalité des sentiments et
-des intentions; ils se trompent, par conséquent, plus souvent que
-d’autres; et de plus, étant dépourvus d’idées personnelles, ils se
-laissent facilement égarer par les faux interprètes.
-
-On peut donc affirmer sans démenti possible, que les cerveaux étroits
-sont d’émérites faiseurs de peines. On me répondra qu’on ne devrait
-attacher aucune valeur à leurs fausses interprétations. C’est vrai, et,
-en effet, s’ils nous sont indifférents, nous parvenons aisément à ne pas
-sentir l’écharde qu’ils ont plantée dans notre chair. Nous haussons les
-épaules, et nous en remettons au temps et à la justice finale des
-choses. Mais lorsque des jugements hasardés, blessants et faux, sortent
-de bouches aimées,--car nous aimons les gens pour une foule de raisons
-complexes où l’intelligence n’entre souvent pour rien,--toute parole
-prend une valeur, tout jugement erroné blesse nos sentiments intimes, et
-est créateur de griefs. Nous ne pouvons hausser les épaules, ni répondre
-par un fier silence, ou un frivole «je m’en moque» à leurs paroles
-malencontreuses, puisque ces fausses interprétations, partant de lèvres
-chéries, mettent en péril nos pauvres bonheurs.
-
- * * * * *
-
-La famille, l’amour, l’amitié, au lieu d’être, comme on le voudrait, des
-forteresses inaccessibles sont, parfois, pour les fausses
-interprétations, d’admirables champs de culture où celles-ci fauchent
-tout ce qui, pour un cœur sensible, représente la douceur de vivre.
-
-On voit souvent dans les familles un méconnu, contre lequel les autres
-se liguent, et il arrive que ce méconnu est le plus intelligent, le plus
-généreux et le plus large d’esprit de tous. Une légende se forme autour
-du malheureux et, sortant du cercle familial, elle se répand même au
-dehors.
-
-De très hautes personnalités ont connu des mésaventures morales de ce
-genre. Un des grands hommes d’État de notre époque, le comte de Cavour,
-fait allusion dans son journal intime à une situation semblable. Dans sa
-jeunesse, ses parents le tenaient un peu à l’écart, et lorsqu’on
-discutait certaines questions de famille, on baissait la voix à son
-approche parce qu’on n’avait pas confiance dans son jugement!... Il en
-souffrit, tout en se sentant déjà, sans doute, supérieur à ceux qui le
-méconnaissaient.
-
-Oh! ces voix qui se baissent à notre approche, ou qui soudain se
-taisent, quel symptôme non équivoque de dénigrement elles sont pour
-nous! Nous en recevons un petit choc au cœur, et le sentiment de
-solidarité qui fait la chaleur et le parfum des rapports de famille, en
-est diminué; le fruit a désormais perdu son duvet et sa bonne saveur.
-
- * * * * *
-
-Parfois, c’est l’amitié qui nous réserve cette épreuve. Les amis qui
-devraient nous connaître le mieux, qui nous sont unis par des liens de
-choix, interprètent mal nos actions ou acceptent sans hésiter les
-intentions que nos adversaires nous attribuent. On n’a pas toujours
-d’ennemis au sens le plus grave du mot, mais chacun a des adversaires
-disposés à défigurer les motifs qui guident nos actes.
-
-Les amis qui se montrent prêts à accepter les fausses interprétations
-suggérées par nos adversaires, commettent déjà une déloyauté; mais quand
-c’est d’eux-mêmes et spontanément qu’ils nous méconnaissent, le mot
-trahison vient tout naturellement à nos lèvres. Pour nou, le paysage se
-décolore, la lumière s’éteint, la joie de l’amitié disparaît: nous les
-aimerons encore, peut-être, les amis infidèles, mais ce ne sera plus que
-d’une façon grise et banale.
-
-Une félure s’est produite au plus profond du cœur.
-
- * * * * *
-
-En amour, les blessures sont plus irrémédiables encore;--et, par amour,
-je n’entends pas seulement celui qui lie les hommes aux femmes, mais
-aussi ces affections de famille ou d’amitié, si étroites et profondes
-qu’elles ont toute l’ardeur de l’amour. En de pareils liens, la fausse
-interprétation fait l’effet d’un coup de couteau en plein cœur. Elle
-crée des griefs qui élèvent peu à peu, entre ceux qui s’aimaient, des
-barrières, qui ne semblent d’abord rien et dont les effets sont
-formidables. Le seul fait de voir leurs motifs méconnus par l’un de ces
-êtres chéris, suffit à ternir, chez les natures délicates, l’image de
-celui ou de celle qu’elles avaient, dans leur âme, placé sur un autel.
-
-Les époux, les amants croient avoir droit sous ce rapport à un
-traitement spécial, et ils sont singulièrement stricts sur ce point
-particulier. Trop indulgents aux mensonges, à la duplicité, à la ruse
-quand elles sont appliquées à autrui, ils ne consentent pas à les
-excuser vis-à-vis d’eux-mêmes. Que la coupable soit mère, sœur, épouse,
-fille, amante, amie, ils ne lui pardonnent jamais une fausse
-interprétation de leurs actes.
-
-Je connais le cas d’un fils qui, adorant sa mère, s’aperçut un jour
-qu’elle avait attribué des motifs erronés à quelques-uns de ses actes.
-Leur intimité se rompit, et il fallut des années pour la rétablir. Et ce
-triste phénomène s’est reproduit souvent dans d’autres relations. Que de
-bonheurs ont été détruits par de fausses interprétations non pardonnées
-et qui entraînaient à leur suite beaucoup de douleurs inutiles,
-puisqu’elles étaient basées sur de la fumée, c’est-à-dire sur
-l’inexistant.
-
-C’est là une source de souffrance dont l’humanité doit être délivrée. Le
-remède est dans l’homme lui-même. Quand il aura refait son éducation, il
-réussira à maîtriser cette sensibilité spéciale. C’est une science
-nouvelle qu’il doit apprendre et qui représentera une partie essentielle
-de sa reconstruction morale.
-
-Pour lui faciliter sa tâche, il faut que tous les hommes de bonne
-volonté dénoncent les faux interprètes partout où ils les découvrent,
-afin de ne plus permettre à leur ombre de s’étendre sous les portiques
-du temple, ni à leurs mains de lâcher l’essaim pestilentiel des insectes
-venimeux que leurs bocaux contiennent, et qui ont nom: défiances,
-doutes, soupçons, calomnies, brouillards, vapeurs, fumée, poussière et
-cendres!
-
-
-
-
-CHAPITRE IV
-
-LES FAUX JUGES
-
- L’Éternel a horreur des
- yeux hautains et des langues
- menteuses.
- (_Proverbes_ VI-9.)
-
-
-La boutique où siègent les faux juges a une apparence plus convenable et
-plus noble que celle des autres débitants de fumée. Les crieurs chargés
-d’attirer les chalands ont la voix moins aiguë, les gestes moins
-canailles que ceux des baraques voisines. Une sorte de solennité préside
-à l’arrangement de l’ensemble des choses. Les magistrats improvisés se
-font un visage grave, ils parlent avec une hypocrite mesure, pincent les
-lèvres, froncent les sourcils, comme si, avant d’émettre une sentence,
-ils en pesaient soigneusement la portée. Dans leur attitude, il y a
-quelque chose qui inspire confiance, non seulement aux ingénus et aux
-hommes inexpérimentés, mais même à ceux qui connaissent à fond la vie et
-n’ont pas l’habitude de s’en tenir aux apparences. Pénétrés d’une
-illusoire confiance, quelques-uns vont même, dans les cas délicats,
-prendre conseil des faux juges, ce qui augmente le prestige de ceux-ci
-auprès des faibles, des sots, des incertains.
-
-Le manque de clairvoyance ou de bon sens de gens réputés sages et forts,
-peut avoir des conséquences d’une incalculable importance. A leur suite,
-le public se rend chez les faux juges, les écoute et, ensuite,
-malicieusement ou maladroitement, répand leurs sentences dans le monde.
-En général, celles-ci défigurent la vérité; elles condamnent les actes
-droits et sincères, pour donner des éloges à ceux sur qui, au contraire,
-il faudrait passer condamnation pour leur égoïsme, leur vanité, leur
-bassesse. Il suffit d’être doué d’un peu de bon sens et de perspicacité
-pour faire à ce propos d’étranges réflexions.
-
-Mais ce n’est pas dans leur boutique que ces marchands de fausse justice
-accomplissent leur pire besogne. Ils ne demeurent pas longtemps à leur
-tribunal, car cela les ennuie de siéger avec apparat; ils préfèrent se
-répandre au dehors et rendre leurs sentences pédantes et bornées devant
-un auditoire plus varié. Les paroles prononcées à la face du monde
-volent, se dispersent et ont plus de chances de trouver un terrain où
-germer.
-
-J’ai connu quelques-uns de ces faux juges, tous Pharisiens de race,
-d’éducation et d’instinct. Je les ai vus ourdir des conspirations contre
-ceux de leurs prochains, dont la présence dans la vie les contrariait,
-les gênait... D’un air de suprême sagesse, ils commençaient par
-s’indigner à fond contre ces malheureux pour arriver ensuite, sans une
-preuve en main, à porter contre eux une sentence définitive. Souvent
-leur manœuvre était grotesque et nulle comme résultat positif, mais tout
-de même un peu de mal était fait!
-
-Si le nombre et la présomption de ces faux juges devaient s’accroître,
-le sentiment de la sécurité disparaîtrait des cœurs, et les courages
-vacilleraient, car il ne servirait plus à rien d’éviter avec soin toutes
-les causes de conflits avec la justice, puisque, hors des tribunaux et
-de tout l’appareil légal, des hommes et des femmes s’improvisent
-présidents d’appel ou d’assises et osent formuler des arrêts qui
-peuvent détruire ou flétrir les réputations.
-
-Les femmes, plus encore que les hommes, se complaisent dans cette
-besogne extra-légale. Ne pouvant rendre publiquement la justice, elles
-en adorent le simulacre, et il faut les entendre décider et trancher sur
-tout. L’ascension de la démocratie a prouvé qu’il y avait un despote en
-tout homme et en toute femme également. Celles-ci refusent de fatiguer
-leurs méninges, n’étudient pas, ne creusent pas les textes: cela
-riderait leur front et jaunirait leur teint... Elles ne se soucient pas
-de recueillir des preuves, elles ne tiennent compte ni des
-circonstances, ni des atavismes. Une impression fâcheuse, une rancune,
-un dépit, suffisent à les décider dans un sens ou dans l’autre. Le lit
-de justice où elles étalent leurs robes, n’est, pour elles, qu’un
-terrain de jeux, et elles n’éprouvent aucun besoin d’éclaircir leurs
-idées. Il ne s’agit que de fumée, dira-t-on; mais il y a des fumées
-lourdes de miasmes mortels.
-
- * * * * *
-
-Les faux juges des deux sexes, hors de leur boutique du temple,
-travaillent séparément. Ils se divisent la besogne: ce sont, en général,
-des gens prétentieux et bornés d’esprit, qui se prennent au sérieux et
-se croient eux-mêmes infiniment intelligents. Parfois, ces
-francs-tireurs éprouvent le désir de se réunir. Quel aréopage! Malheur
-aux Phrynés, même très vêtues, qui oseraient s’y présenter! Les
-sentences qu’on y rend sont de celles que le tribunal des Animaux, qui
-condamnèrent l’Ane dans la fable de La Fontaine, n’aurait pas
-désavouées!
-
-J’ai toujours estimé que la profession de juge était l’une des plus
-lourdes pour la conscience, et il m’a toujours paru inouï que, sans y
-être forcé par serment, quelqu’un veuille de son plein gré, assumer
-cette tâche, usurper cette place... Ces juges improvisés ne regardent
-donc jamais en eux-mêmes? C’est un phénomène assez curieux de l’âme
-humaine que cet auto-aveuglement. Plus on jette les yeux autour de soi,
-plus on se rend compte que le vrai est ce dont l’homme se soucie le
-moins! Ceux même qui auraient voulu décrocher les étoiles du ciel et
-arrêter sur les lèvres la vieille chanson qu’on chantait auprès des
-berceaux et des tombes, ne sont pas plus réalistes que les autres! Eux
-aussi sont des acheteurs et des vendeurs de fumée.
-
- * * * * *
-
-Pour en revenir aux faux juges, dont les sentences courent le monde,
-détruisent la confiance et empêchent le développement des meilleures
-initiatives, comment leur donner la chasse et les anéantir? Les
-mitrailleuses elles-mêmes seraient impuissantes, contre leurs décisions,
-car elles ne frappent pas dans le vide... Seul un geste divin pourrait
-les faire disparaître dans ces cavernes de sable mouvant et sans fond,
-où l’enlisement éternel attend tout ce qui, en ce monde, a été mensonge
-et fumée.
-
-
-
-
-CHAPITRE V
-
-LES BLUFFEURS
-
- Le mensonge est l’avilissement,
- en quelque sorte l’anéantissement
- de la dignité humaine.
- (KANT.)
-
-
-Il est impossible de quitter les marchands de fumée, sans dire un mot
-des bluffeurs, malgré la vulgarité rebutante du mot et de la chose.
-Aujourd’hui leur dégradant moyen d’action s’est tellement répandu que le
-nom «bluff» a été adopté dans toutes les langues et qu’il est compris et
-appliqué dans tous les pays. Fils du Nouveau Monde, il a acquis
-maintenant droit de cité partout. On se sert couramment du mot et de la
-chose. «Quel infect bluffeur», nous écrierons-nous, si celui auquel
-l’adjectif s’applique a lésé nos intérêts. Et d’autre part, nous rions
-en disant à un ami: «Avez-vous fini de bluffer?» Cette façon éclectique
-d’employer le vocable est symptômatique.
-
-Le bluff peut mener en cour d’assises, mais, quand il ne s’applique
-qu’aux petits intérêts de la vie, on en plaisante agréablement, ce qui
-est un tort, car le fond de la chose est le même. Le fait de
-reconnaître, dans une mesure quelconque, qu’on a le droit de «bluffer»
-est la condamnation de toute société bien organisée. Les escamoteurs,
-les brouilleurs de cartes, les faux interprètes et les faux juges
-empêchent la reconstruction morale du monde, mais le bluff permis,
-reconnu, protégé, jette un tel désarroi dans les consciences, que,
-l’admettre, équivaut à sonner le glas de la société humaine.
-
-Si le Fils de l’homme et de Dieu a chassé, il y a presque vingt siècles,
-les trafiquants du temple, qu’aurait-il dit de cette plaie du bluff qui,
-semblable à une lèpre hideuse s’étend aujourd’hui sur le monde? Pour la
-laver il n’y a que les étangs de feu dont le vieillard de Patmos parle
-dans l’Apocalypse.
-
-Né des plus basses passions et synonyme d’un esprit de tromperie froide
-et calculée, le bluff n’est pas simplement de la fumée, mais une vapeur
-délétère qui empoisonne toutes les sources de l’activité humaine. Que
-n’a-t-on pas dit des poisons des Borgia! Certes, leur emploi avait des
-inconvénients et ceux qui les ingurgitaient passaient un mauvais quart
-d’heure, mais à Sinigaglia même les victimes ne furent que trente ou
-quarante. Les grandes plaies sociales actuelles font un nombre bien plus
-considérable de victimes.
-
-
-
-
-CHAPITRE VI
-
-LANCEUSES DE BULLES DE SAVON
-
- Si le mirage de la _Fata Morgana_
- faisait naufrager les navigateurs,
- que d’espérances les bulles
- de savon ont créées et détruites
- dans le cœur des hommes!
- (***)
-
-
-Y a-t-il rien de plus charmant qu’une bulle de savon? Ces boules
-fluides, légères, irisées qui s’élancent joyeusement dans l’air ont un
-charme particulier; et, en y réfléchissant, on peut leur trouver une
-signification profonde.
-
-Aujourd’hui pourtant les enfants ne s’amusent plus guère à ce jeu. Mais
-il y a toujours des bulles d’air dont les gens font commerce! Quand les
-réalités manquent, il faut bien vendre quelque chose pour attirer
-l’attention. Ces boutiques-là devraient être impitoyablement fermées.
-J’en connais qui ont des vendeuses charmantes et même bien
-intentionnées. Je regrette de les citer dans les chapitres consacrés aux
-escamoteurs et aux bluffeurs, mais comment ne pas parler d’elles dans
-cette nomenclature des commerçants de fumée? Leur trafic est dangereux,
-non parce qu’il fait directement du mal, mais parce qu’il engendre le
-désappointement et détruit la confiance. Quand on a vu plusieurs bulles
-de savon se crever dans l’air, on est moins disposé à écouter la voix
-des propagandistes qui disent: «Marchez, suivez telle route--vous
-arriverez à tel but...» Leurs accents les plus persuasifs et les plus
-éloquents ont cessé d’éveiller l’espérance, d’exciter les bonnes
-volontés: «Poussière, sable, fumée!» murmure la voix de l’expérience.
-
-Il sera un peu triste de voir disparaître ces jolies bulles, faiseuses
-d’illusions; mais si l’on veut sérieusement reconstruire le monde,
-celles qui les vendent doivent, elles aussi, disparaître du portique du
-temple. Disons-leur cependant un adieu un peu attendri, car si elles ont
-parfois _bluffé_ pour des motifs personnels, elles l’ont fait, souvent,
-pour essayer d’alléger la souffrance humaine et pour stimuler la bonne
-volonté des hommes.
-
-
-
-
-TROISIÈME PARTIE
-
-Les Problèmes de l’heure.
-
-
-Ces problèmes sont nombreux et il en est qui correspondent à toutes les
-cordes puissantes qui font vibrer l’âme des hommes; leur liste pourrait
-représenter la lyre entière de l’existence humaine, mais aujourd’hui je
-me bornerai à aborder trois d’entre eux: _la Famille_, _l’Éducation_,
-_la Femme_, laissant de côté, pour l’instant, le plus important de tous:
-celui de la vie intérieure!
-
-
-
-
-CHAPITRE PREMIER
-
-UNE CONDAMNÉE A MORT QUI DÉFIE LA MORT
-
- La famille est la patrie du cœur.
- (JOSEPH MAZZINI.)
-
-
-Avant la guerre, pendant la guerre, et après la guerre, les prophètes
-ont entonné le _De Profundis_ de l’institution familiale. On avait
-inventé mieux que cela, et, désormais, chacun se considérant plus ou
-moins comme fils du hasard, voudrait vivre sa vie en pleine liberté,
-sans attaches gênantes, sans traditions encombrantes, sans obligations
-énervantes. La plante humaine devait pouvoir fleurir face au soleil,
-libérée de toute entrave! Quel besoin a-t-on encore d’une famille et
-d’un _home_, puisqu’il y a les hôtels, les restaurants, les cafés, les
-cercles, et mille lieux de divertissements où l’on peut passer la fin
-des après-midi et les soirées? Les femmes étant heureusement devenues
-moins dépendantes, peuvent vivre leur vie, et n’ont plus besoin de
-protecteur pour participer aux différentes manifestations de
-l’existence. Pourquoi donc les hommes, étant donné cet état de choses,
-devraient-ils continuer à assumer des charges qui ont cessé d’être
-obligatoires?
-
-«Et les enfants?» demandions-nous. A cette demande timide, on répondait:
-«L’État pourvoira à leur éducation.»
-
-J’ai toujours écouté développer ces théories sans m’émouvoir, parce que
-je n’ai jamais cru qu’on pût les mettre en pratique, et ce qui se passe
-aujourd’hui me donne raison. Si la disparition de la famille était si
-proche, on ne verrait pas le nombre des mariages augmenter dans toutes
-les classes. La facilité et le chiffre croissant des divorces, ne suffit
-pas à expliquer ce phénomène matrimonial.
-
-Le besoin de se créer une famille est devenu si prépondérant chez les
-hommes, depuis le formidable conflit auquel ils ont pris part, que
-plusieurs se permettent des mariages imprudents qu’ils n’auraient pas
-conclus auparavant. On voit des jeunes gens accepter, d’un commun
-accord, la perspective d’une existence modeste et laborieuse. L’homme a
-évidemment été travaillé dans les profondeurs de son être par la
-souffrance, les anxiétés, les angoisses de la guerre, et il a senti la
-tristesse de la solitude avec une acuité extraordinaire. C’est le besoin
-obscur de se rattacher à quelque chose de fixe, de stable, et lui
-appartenant en propre, qui est le principal motif de l’accroissement des
-mariages.
-
-Les déceptions, cependant, ont été grandes au retour de la terrible
-campagne; plusieurs s’étaient figuré que, rentrés au foyer, ils y
-occuperaient la place d’une sorte d’idole domestique, et que le culte de
-l’héroïsme fleurirait dans toutes les demeures. Hélas! la désillusion
-fut rapide. En outre, un changement étrange s’était accompli dans l’âme
-des épouses, des fiancées ou de celles qui pouvaient le devenir. Elles
-s’étaient émancipées, elles n’attendaient plus uniquement de l’époux le
-droit de vivre et d’affirmer leur personnalité.
-
-Ces surprises auraient dû logiquement mettre les hommes en garde contre
-le mariage. Or c’est l’illogisme qui a triomphé, et pourquoi a-t-il
-triomphé? Parce qu’il y a, dans la nature et dans l’individu, des forces
-plus puissantes que tous les raisonnements, les doctrines et les
-théories. Il suffira toujours d’un homme et d’une femme qui s’aiment
-près d’un berceau, pour reconstituer la famille, même si l’on était
-parvenu à la dissoudre légalement.
-
- * * * * *
-
-La famille possède, du reste, en elle-même d’autres sources de vie qui
-la feront éternellement subsister. Celle où s’alimente, en certains
-pays, l’attachement des fils pour leur mère est inépuisable. Je dis des
-fils spécialement, car, entre les filles et les mères, des éléments
-d’aigreur entrent parfois en jeu, qui dénaturent la douceur des liens
-naturels.
-
-La force de l’attachement des fils pour leur mère s’est révélée
-extraordinaire pendant la guerre. Mes observations se sont, d’une
-manière générale, limitées à l’Italie et à la France, et je pourrais
-écrire un livre sur ce que j’ai vu et entendu à ce sujet. En Italie, le
-fils du peuple, le paysan en particulier, est aveuglément attaché à sa
-mère; c’est son image qui lui apparaît à l’heure du danger et à l’heure
-de la mort! S’il se marie tant aujourd’hui, c’est surtout pour
-constituer une famille, poussé par le besoin inconscient de rendre
-possible à d’autres l’affection qui a fait le fond de sa propre vie.
-
-Une femme de cœur, dont la mission consistait à fournir aux familles les
-nouvelles des soldats qui se trouvaient au front, me disait pendant la
-guerre: «Rien qu’à la façon dont elles ouvrent la bouche, je reconnais
-les mères! Les épouses, les fiancées ont une autre façon de remuer les
-lèvres. Et quelle différence dans leur expression de visage, tandis
-qu’elles attendent le verdict qu’elles sont venues implorer.»
-
-Chez les races où le lien entre la mère et le fils est si
-extraordinairement fort, l’avenir de la famille est assuré, et les
-théories dont on mène tant de bruit ne l’entameront jamais. Toutes les
-mères, peut-être, ne méritent pas cet attachement profond; en ce cas il
-se déverse sur celle ou celui qui la remplace, sur le père, _il
-vecchio_, ou sur quelque autre membre de la famille dans les veines
-duquel les jeunes gens sentent courir le même sang. Cette question du
-sang et de la perpétuité de la race a une énorme importance chez les
-latins. Leur synthèse sentimentale embrasse avant tout les ascendants
-et les descendants.
-
-Les théories subversives sur la famille étaient entrées en circulation
-longtemps avant la guerre et avaient fait en somme si peu de chemin dans
-le monde, que le cri des soldats mourants, aux heures suprêmes où l’on
-ne ment pas, a été toujours le même: «Maman! Maman!»
-
- * * * * *
-
-Aujourd’hui, après la formidable épreuve, où tant de passions primitives
-se sont déchaînées, où la violence a cessé de répugner, où la férocité
-atavique s’est révélée puissante encore, où les instincts brutaux ont
-semblé reparaître à la surface, à quoi pensent ces soldats que la mort a
-épargnés? A se créer une famille!
-
-Il serait enfantin et un peu puéril de croire que tous ces jeunes maris
-sont conscients de l’acte qu’ils accomplissent. Un ensemble de
-circonstances complexes est à la base de ces nombreuses unions, mais on
-ne peut méconnaître qu’une force obscure, mystérieuse et puissante,
-pousse les hommes à les conclure: celle de la perpétuité de la race,
-c’est-à-dire de la continuation de la famille!
-
-Je dis «les hommes», car, apparemment, ce sont eux qui choisissent leur
-compagne et portent la parole pour la conclusion de l’alliance. Et
-d’autre part les femmes, pour décidées qu’elles soient, comme la Nora
-d’Ibsen, à vivre leur vie et à secouer toute dépendance, ont encore,
-pour peu qu’elles aient une ombre de bon sens, un intérêt vital à ce que
-l’institution familiale ne soit pas détruite. Celle-ci est un peu pour
-elles comme une assurance sur la vie.
-
-Donc, malgré ce qui se passe à la surface et fait lever à tant de gens
-les bras au ciel avec de grands gestes désespérés, une réalité s’impose:
-sous la surface, des forces travaillent qui assurent la perpétuité des
-traditions. D’ailleurs, la famille se rattache si étroitement à l’idée
-de patrie, qu’il serait difficile de maintenir le prestige de l’une sans
-l’existence de l’autre. Et toutes deux ont besoin, pour subsister, de
-l’idée religieuse de la sanction divine, qui leur confère le droit
-d’exiger des sacrifices... Maintenir l’intégrité de l’une, c’est assurer
-le respect de l’autre dans l’âme humaine. Les pays où tout semble avoir
-sombré dans le néant, sont ceux où la famille, la patrie et la religion
-ont été découronnées et brutalement dépouillées de leurs privilèges et
-de leurs droits. Cette vérité s’impose à tous les esprits et à toutes
-les consciences qu’une vague de démence n’a pas encore submergés.
-
-Pour peu que l’on regarde attentivement sous la surface des mots, et que
-l’on ne se contente pas de leur simple assemblage, on voit que
-l’institution de la famille représente non seulement l’avenir qu’il faut
-assurer, mais encore une arme de défense sociale dont il serait insensé
-de se priver.
-
-Pourquoi tant de ligues, de syndicats, et ce retour aux corporations du
-moyen âge? Simplement parce que l’homme moderne se sent désespérément
-seul. C’est là, je le crois, la vraie explication de ce mouvement
-général vers le groupement. Le sentiment des droits qu’on possède,
-artificiellement éveillé et surchauffé, y a eu bien moins de part que la
-sensation horrible de l’isolement. Chacun a regardé avec désarroi autour
-de soi. Alors les mains se sont jointes et, bientôt, on n’a plus vu que
-des assemblages. L’individu a disparu dans le groupement. Je n’ai pas
-l’intention de discuter dans ces pages l’histoire de cette évolution,
-ni le bien et le mal qu’elle a pu faire ou qu’elle fera; ce serait
-sortir de mon cadre. Je constate simplement un fait.
-
-En ce qui concerne sa profession ou son métier, l’homme, en effet, a
-cessé d’être seul, il n’est plus forcé de combattre isolément. Si, d’un
-côté, il aliène sa liberté de pensée et d’action, de l’autre il se sent
-soutenu par ses camarades dans toutes les questions de salaires,
-d’horaires, de droits... Mais en tant qu’être humain, il reste, au fond,
-plus seul qu’auparavant, parce que les luttes de classe ont avivé les
-haines latentes, et que l’on vit aujourd’hui dans une atmosphère
-d’hostilité générale qui rend l’existence insupportable.
-
-Si la famille lui manquait pour se retremper dans un milieu d’affection
-et de chaleur, que resterait-il à l’homme? Des camarades de combat et
-quelques vulgaires contacts passagers! Son sort deviendrait de plus en
-plus triste, et il finirait par regretter l’époque où il pouvait se
-considérer à bon droit comme une espèce de victime sociale, soit qu’il
-fût paysan, ouvrier, employé ou qu’il eût choisi une profession
-libérale.
-
- * * * * *
-
-La famille doit être avant tout, selon la tradition des siècles, le
-centre où le travailleur vient reprendre haleine un instant pour
-affronter ensuite d’autres besognes et d’autres luttes; en ce sens, elle
-représente déjà un grand bénéfice social. Mais à un autre point de vue
-elle mérite encore d’être prise en considération par les moralistes et
-les sociologues, car elle peut offrir la solution partielle de certaines
-questions redoutables qui se posent aujourd’hui à tous les esprits
-raisonnables et réfléchis.
-
-Il serait superflu d’insister à ce propos sur les désastreux effets de
-la vie chère et sur les difficultés des services publics et privés.
-Autrefois, pourvu qu’on y mît le prix, on trouvait tout sous la main, on
-était servi au doigt et à l’œil (je ne parle pas seulement des gens de
-maison, mais du service des magasins, des établissements privés et
-publics, des moyens de communication, etc.). Aujourd’hui, tout est
-singulièrement changé. L’homme qui se trouve seul devant les difficultés
-de la vie quotidienne passe parfois par des moments critiques et se
-trouve souvent fort embarrassé s’il doit faire face aux obligations
-quotidiennes de l’existence. Il ne suffit même pas toujours d’être deux
-pour résoudre ces difficultés, d’autant plus que les gens du dehors sont
-devenus forcément moins obligeants vis-à-vis de ceux qui les appellent à
-l’aide. Il serait injuste de leur en faire un grief: la journée est
-devenue si laborieuse pour chacun qu’on ne parvient pas toujours à en
-distraire une minute pour porter secours au prochain!
-
-A qui s’adresser dans les moments de désarroi et de détresse? A la
-famille! C’est encore le plus sûr secours; mais si vous en avez dénoué
-les liens, comme vous en avez soigneusement divisé les intérêts,
-répondra-t-elle comme autrefois à votre appel? Mettra-t-elle le même
-zèle à accourir au premier cri de détresse? Admettez que ses membres
-vivent aux deux extrémités d’une ville, avec la difficulté actuelle des
-communications et si l’habitude des échanges d’idées et de sentiments
-est perdue entre eux, comment feront-ils pour se joindre et se prêter un
-mutuel appui?
-
-Ces difficultés, ces besoins d’aide ne se font pas sentir peut-être dans
-les familles des grands privilégiés de la fortune, sauf dans les cas de
-maladie et de malheur. Mais les grands privilégiés ne représentent
-qu’une petite partie de la société humaine. C’est la majorité de la
-classe bourgeoise qui souffre des inconvénients de la vie moderne, sans
-parler de la classe populaire qui, malgré la croissante augmentation des
-salaires, connaît des embarras analogues.
-
- * * * * *
-
-Il est évidemment difficile de revenir à la vie patriarcale qui faisait
-vivre les jeunes ménages sous le toit des chefs de famille. Cependant,
-étant donnée la pénurie actuelle des logements, cela aurait bien des
-avantages, d’autant plus qu’un ménage de douze personnes étant
-relativement beaucoup moins coûteux qu’un ménage de deux, trois ou même
-quatre bouches, la crise économique en serait peut-être adoucie. Mais
-c’est à un autre point de vue, d’un intérêt supérieur, que la question
-demande à être étudiée, celui de l’entr’aide morale et sociale.
-
-La crise du service est, dans tous les pays, fort grave. Que dire de
-celle des gouvernantes et des simples bonnes? Lorsque la mère de
-famille, de condition modeste ou simplement aisée, quitte son logis,
-soit pour son travail, soit pour ses obligations sociales, soit pour les
-emplettes indispensables, dans quelles mains va-t-elle laisser désormais
-ses enfants? S’ils sont petits, le problème se pose très nettement et de
-façon simpliste: il faut ou les abandonner, ce qui est un danger, ou les
-remettre aux soins d’une femme de ménage quelconque, ce qui est un autre
-danger; à moins que la mère ne s’en fasse l’esclave et renonce à toutes
-sorties, à celles du soir surtout.
-
-Si les enfants sont grands, d’autres inconvénients surgissent qu’il est
-inutile d’énumérer. Quand fils et filles, en sortant de leurs cours,
-rentrent à la maison, doivent-ils trouver la maison vide? Le père est
-occupé à ses affaires, la mère à ses visites, et c’est elle qui,
-généralement rentre la dernière. La présence d’une grand’mère, d’une
-tante, d’une sœur, d’une parente, prête à les accueillir au foyer,
-réchaufferait de jeunes cœurs au moment de la vie où les contacts
-affectueux et intelligents sont le plus nécessaires.
-
-Avant la guerre, c’était le rôle des gouvernantes; mais aujourd’hui leur
-présence dans les familles représente un luxe, sans compter que les
-yeux se sont étrangement ouverts sur les inconvénients des influences
-étrangères et des anges-gardiens inconnus admis dans le cercle familial.
-
-Ces considérations qu’inspirent le bon sens, et l’intérêt pour les
-pauvres petites âmes solitaires qui trouvent, en rentrant de l’école, le
-foyer désert, finiront-elles par prévaloir sur le farouche besoin
-d’indépendance qui est devenu pour la jeunesse, un culte et un principe
-de conduite auquel elle croit de sa dignité de ne jamais renoncer? Les
-abus d’autorité, auxquels les parents se sont complus autrefois avec une
-imprudente exagération et un absurde manque de réflexion, ont suscité
-des rancœurs qu’ils expient aujourd’hui.
-
-Il est évident que, dans la reconstitution sociale de la famille qui
-finira peut-être par s’imposer, il faudra trouver le moyen de
-sauvegarder suffisamment l’indépendance réciproque des êtres destinés à
-habiter sous le même toit. Sans cette précaution, que de tempêtes ne
-verrait-on pas éclater dans des verres d’eau! Mais cependant, pour
-soustraire l’homme à l’horrible sentiment de solitude qui l’étreint
-quand il a quitté l’atelier et la compagnie de ses camarades, il n’y a
-encore que le retour aux vieilles traditions familiales.
-
-L’incertitude du lendemain, en cas d’accident ou de maladie, deviendrait
-moins angoissante pour lui. Quand on est plusieurs à la maison, on est
-mieux armé pour faire face au mauvais sort.
-
-Si l’on craint par trop le despotisme des ascendants, ce qui se
-comprend, comme je l’ai dit, parce que les abus de l’autorité paternelle
-ont eu parfois des effets désastreux, pourquoi les sœurs et les frères
-ne se grouperaient-ils pas contre l’isolement funeste? A ces
-considérations, une autre s’ajoute, celle du travail des femmes à
-l’atelier ou dans les bureaux. Le dilemme se présentera bientôt avec
-force. Il faudra que les femmes renoncent à travailler au dehors, ou
-qu’elles consentent à élargir le cercle de la famille. Il n’y a pas une
-troisième façon de résoudre le problème.
-
- * * * * *
-
-Dans cette question de la famille, il faut évidemment tenir compte de la
-race et des traditions. Chez les latins, la famille s’était étendue
-jusqu’à devenir _la gens_, sans rien perdre de sa signification
-première; cela avait donné une grande force à la famille romaine, dont
-l’institution a servi plus ou moins de modèle à celle des autres peuples
-et des autres pays.
-
-Ce qu’on a appelé la débâcle de la famille marque peut-être, au
-contraire, l’aurore de sa reconstitution. Les horribles conséquences de
-la guerre, le désarroi actuel des âmes, le bouleversement des esprits et
-l’angoisse des pauvres cœurs solitaires sont en train d’élaborer en
-secret, et sous la surface des eaux tumultueuses, un nouveau type de
-société humaine: dans celui-ci, la famille, renouvelée sur des bases
-d’où les abus d’autorité seraient rigoureusement bannis et où le respect
-absolu de la personnalité humaine serait reconnu, deviendra peut-être,
-plus que jadis encore, la pierre angulaire de l’édifice social.
-
- * * * * *
-
-Il faudra que les hommes se réservent désormais un rôle important dans
-cette famille reconstituée; au cours des dernières années, ils avaient
-trop abdiqué entre les mains des femmes tout ce qui concerne la
-direction morale de la famille et l’éducation des enfants. Une
-collaboration étroite entre les deux sexes me paraît indispensable pour
-la solution intelligente et pratique de ce problème, dont dépendent en
-grande partie les destinées du monde, la dignité de la femme et le
-bonheur des individus appelés à vivre dans une société renouvelée.
-
-Le sujet que je viens d’aborder ne pourrait être épuisé dans un volume.
-Je ne lui ai consacré que quelques pages, non certes pour diminuer la
-place à laquelle il a droit, puisque je vois dans la famille, outre son
-importance traditionnelle, une grande arme de défense sociale, mais
-parce que le moment actuel n’est pas celui des longues dissertations. Le
-temps presse, les solutions s’imposent et il faut se borner à indiquer
-les problèmes de l’heure à ceux qui détiennent entre leurs mains le
-pouvoir de faire les lois et de diriger l’opinion publique.
-
-C’est à eux de considérer la gravité de cette question, d’en déterminer
-l’importance et d’en proposer la solution.
-
-
-
-
-CHAPITRE II
-
-L’ÉDUCATION DES PEUPLES CIVILISÉS
-
- Quelle aimable chose pourrait
- être l’homme s’il était vraiment
- homme.
- (MÉNANDRE.)
-
-
-De tous côtés aujourd’hui, une même préoccupation a envahi les cerveaux
-et les consciences lucides: celle de l’éducation!
-
-Dans l’appréhension des désordres qui menacent le monde, une terrible
-question s’est posée à l’esprit de tous. L’école, avec son apathie, son
-manque d’air, de soleil, d’espace et de spiritualité, ne serait-elle pas
-la principale responsable de l’effrayante folie collective qui
-bouleverse en ce moment l’âme des peuples? La réponse n’a pas été
-rassurante, et pour peu qu’on prête l’oreille, l’on entend de toutes
-parts un cri d’angoisse qui traverse l’espace.
-
-La crise a éclaté dans tous les pays, et la nécessité de réformes
-scolaires s’impose partout, ce qui est une preuve évidente qu’aucun des
-systèmes suivis jusqu’ici n’a été jugé satisfaisant ni pour l’heure
-passée, ni pour l’heure présente!
-
-Avant la guerre, chez les nations où la plaie de l’analphabétisme
-s’étendait encore dans certaines provinces, on avait l’habitude de
-croire, au point de vue éducatif, à l’incontestable supériorité des
-méthodes anglo-saxonnes, et on avait raison en partie. Mais aujourd’hui
-la crise s’est généralisée, le mal va jusqu’à la racine, et l’on
-comprend clairement que les anciens systèmes, déjà insuffisants dans le
-passé, ne répondent plus nulle part aux besoins de l’heure présente.
-
- * * * * *
-
-Deux immenses armées couvrent l’étendue du monde civilisé: les maîtres
-et les écoliers! Elles ont chacune leurs droits et leurs besoins, qui,
-malheureusement, ne s’accordent pas toujours. Jusqu’ici les éducateurs
-élevaient seuls la voix, les élèves se taisaient et supportaient. Ces
-derniers étaient les plus injustement sacrifiés, car ils n’avaient pas
-demandé à naître, ni à quitter leurs jeux pour s’instruire, tandis que
-les maîtres embrassaient par un libre choix la carrière de
-l’enseignement.
-
-Les enfants avaient, il est vrai, des défenseurs naturels en la personne
-de leurs parents; mais ceux-ci ne protestaient pas contre les méthodes
-en vigueur, dans la crainte de retarder, par de trop justes
-réclamations, la future carrière de leurs enfants.
-
-Plus encore que par peur, c’était par légèreté que tant de pères et de
-mères restaient silencieux; ils ne pensaient pas à l’avenir moral, ni à
-la formation de la conscience ou au développement intérieur de la plante
-«homme». Ceux mêmes qui, sur d’autres points, défendaient avec
-acharnement les intérêts de leurs enfants, ne se préoccupaient que
-médiocrement (symptôme singulier d’amoralité et d’aveuglement) de leur
-croissance intérieure, c’est-à-dire de leur éducation.
-
-Parmi les maîtres éclairés qui se rendaient compte depuis longtemps du
-mal, sans pouvoir y porter remède, il y en avait de vaillants et
-d’énergiques. Malheureusement, le formalisme et le pédantisme avaient
-modelé si fortement une bonne partie du monde scolaire (sauf peut-être
-l’anglo-saxon), que les plus hardis novateurs hésitaient à abattre les
-portes de la prison où ils se sentaient enfermés; ils pensaient que la
-prison s’améliorerait, qu’on ouvrirait les portes et les fenêtres; mais
-elle était cachot, et cachot elle restait.
-
- * * * * *
-
-C’est le principe erroné de l’égalité--elle n’existe que dans le fait de
-la naissance et de la mort--qui, durant les trente dernières années, a
-empêché la pleine floraison de la pensée humaine et coupé les ailes à la
-liberté. Ce mirage trompeur, puisque la nature le contredit dans toutes
-ses manifestations, a obscurci les cerveaux en leur faisant admettre
-que, pour faire brèche dans la vie et y construire un nid, pour entrer
-dans la grande lice des combattants et y marquer sa place, il fallait
-savoir les mêmes choses, les apprendre de la même manière, courber la
-tête sous le même joug, comme les Romains du célèbre tableau de Gleyre.
-
- * * * * *
-
-Il suffit d’un peu de bon sens pour se rendre compte des difficultés qui
-auraient surgi si l’on avait brusquement détruit les anciens moules
-scolaires, et pour comprendre à quel saut dans le vide et dans
-l’ignorance, l’humanité aurait été exposée! Les hésitations des
-réformateurs étaient donc parfaitement légitimes. Rompre les rangs sans
-précaution aurait fait courir des risques immenses à la cause même pour
-laquelle ils avaient combattu si longtemps en silence. Le monde de
-l’avant-guerre était encore prisonnier des idées, des théories et des
-méthodes que le temps avait sanctionnées. Les novateurs et les esprits
-avancés, tout en déplorant cet esclavage, comprenaient que, pour obtenir
-quelques réformes utiles, il ne fallait pas déserter la maison, ni en
-démolir précipitamment les bases. Ils s’efforçaient donc de respecter
-les anciens moules, et c’est pour cela que ces combattants avaient
-presque tous le visage triste.
-
-A ces nobles et patients lutteurs et aux écoliers qui ont perdu l’amour
-de l’école, il faut redonner le courage et l’espérance: inspirer aux
-premiers la fierté de leur mission grandiose, et faire comprendre aux
-seconds vers quelles hauteurs peut les conduire le développement de leur
-personnalité morale.
-
- * * * * *
-
-En ce monde de transformations continuelles, dans lequel nous voyons
-chaque jour une forme dynamique nouvelle remplacer celle qui l’a
-précédée, les gouvernements devraient avoir le courage de renoncer, tous
-les premiers, à quelques-unes des vieilles formules qui alourdissent les
-programmes scolaires. Il y en a évidemment d’excellentes qu’on doit
-respecter, mais c’est de l’ensemble du système qu’il faut secouer le
-joug, pour faire passer un souffle d’air pur et libre dans les rangs
-serrés de l’école et défendre la haute culture contre les entraves de
-l’ignorance et du matérialisme qui, de tous côtés, lui dressent des
-embûches et essayent d’arrêter son essor.
-
-Chaque méthode a son heure favorable: l’exclusivisme de l’école d’État a
-pu être indispensable à certains moments de l’histoire, et il serait
-absurde de ne pas reconnaître les services qu’elle a rendus. Même si
-l’on adoptait le système d’une plus large liberté de l’enseignement, la
-surveillance et peut-être même l’ingérence de l’État demeureraient, en
-quelques cas, indispensables.
-
- * * * * *
-
-En Angleterre et en Amérique, la double fonction de l’État et de
-l’initiative privée se combinent avec des résultats favorables à la
-formation du caractère et au respect de la discipline dans la liberté.
-Les résultats n’ont pas été aussi brillants en ce qui concerne la haute
-culture; mais ce fait ne dépend en rien du système en lui-même, mais
-plutôt des tendances de l’esprit national chez les uns et du manque
-d’une tradition de culture chez les autres.
-
-Ce serait une expérience utile et intéressante que d’introduire la
-méthode de la double fonction dans des pays comme la France et l’Italie,
-où les écoles d’État ont été seules chargées jusqu’ici de résoudre
-l’angoissant problème de l’éducation.
-
-Ces deux pays latins ont, pour des raisons à peu près analogues, quoique
-à des périodes différentes, défendu jalousement les prérogatives de
-l’État au point de vue scolaire et, pour les maintenir, ils ont agité le
-même épouvantail: la crainte de l’influence cléricale, accusée de
-vouloir compromettre les conquêtes de la liberté. Mais de grandes
-évolutions se sont dernièrement accomplies et des périls bien plus
-graves se dressent, auxquels il faut faire face en s’élevant à des
-visions plus hautes et plus larges.
-
-Pour sauver l’âme de la jeunesse et, à travers celle-ci, la civilisation
-du monde, la pensée humaine doit faire un suprême effort; et maintenant
-que le canon a achevé son œuvre, celle des éducateurs doit commencer.
-
- * * * * *
-
-Il convient avant tout de faire une distinction essentielle entre
-l’éducation et l’instruction. Dans le langage courant, on confond
-volontiers les deux termes et c’est pourquoi nous avons vu si souvent
-des maîtres qui n’étaient en rien des éducateurs!
-
-Être un éducateur sous-entend une culture morale qu’aucun examen d’État
-ne peut conférer. On répondra que la pédagogie est enseignée dans toutes
-les écoles: mais, en général, ce qu’on entend par ce mot ne représente
-aucune pénétration d’âme entre l’élève et le professeur.
-
-Sauf en des cas assez rares, où l’intelligence vive et claire d’un
-maître le libérait des formules et l’élevait au-dessus des systèmes,
-l’enseignement d’État était aride, froid, souvent pédantesque, et ne
-tenait pas compte des consciences embryonnaires auxquelles il
-s’adressait. Les leçons étaient débitées avec indifférence et écoutées
-avec une insouciance analogue.
-
-L’ensemble des doctrines pédagogiques,--dont quelques-unes peuvent être
-excellentes en elles-mêmes--a été, du reste, presque toujours mal
-présenté et plus mal digéré encore, tandis qu’il devrait être, au
-contraire, le principal et le plus essentiel des enseignements. Il
-mériterait même une place à part dans la hiérarchie des études, parce
-que modeler des caractères est beaucoup plus profitable à la félicité
-humaine que de former des savants.
-
-Que ces paroles ne donnent lieu à aucun malentendu! La nécessité de la
-haute culture est d’une telle importance que si la liberté de
-l’enseignement, accompagnée d’un indispensable contrôle, paraît
-désirable aujourd’hui à tant d’esprits sagaces, c’est justement parce
-que, délivrant l’école des vaines formules, elle provoquera de fécondes
-émulations, contrebalançant ainsi l’inconvénient qu’il peut y avoir à
-confier l’école à des professeurs inamovibles, qui n’ont rien à craindre
-ni à espérer; cette liberté permettrait, dans tous les pays, la
-constitution de fortes équipes d’éducateurs moralement solides et
-capables d’exercer un prestige sur les esprits qu’ils sont appelés à
-modeler. Quand on considère l’immense responsabilité qu’ont encourue les
-maîtres en ne comprenant pas suffisamment leur mission, on tremble à la
-fois pour leur conscience et pour les victimes de leurs fausses
-théories.
-
- * * * * *
-
-L’anarchie générale de la pensée qui menace de nous ramener à la
-barbarie et le bouleversement mental qui en dérive, dépendent en grande
-partie de l’enseignement erroné et incomplet, au point de vue éducatif,
-qu’ont reçu les enfants. Les parents ont aussi, en ce sens, de graves
-fautes à se reprocher: les mères surtout, dans l’esprit desquelles la
-notion de la nécessité du plaisir pour leurs enfants a pris des
-proportions singulières; mais l’école est encore la plus coupable, car
-elle embrasse tout le développement des êtres humains. A côté
-d’instituteurs admirables, éclairés et patients, combien d’autres, avec
-leur mécontentement perpétuel, leurs doctrines subversives, leurs
-attitudes violentes et amères, ont semé dans les jeunes cœurs les germes
-d’une brutalité inféconde et dominatrice, devant lesquelles aujourd’hui
-le monde recule épouvanté.
-
- * * * * *
-
-La réforme s’affirme donc indispensable et urgente. Pour étudier à fond
-cette question, pour essayer du moins d’apporter quelque remède au mal,
-ou d’en arrêter l’essor et d’en empêcher le renouvellement, il faut
-obtenir le concours unanime de tous les bons esprits assoiffés de
-fraternité et de spiritualité, capables d’élucider, par leurs
-consciencieux et sages conseils, le problème ardu qui se pose
-aujourd’hui, menaçant, à tous les esprits de bonne foi, à toutes les
-consciences droites et à toutes les âmes de bonne volonté.
-
-
-_La Société des Nations_
-
-La question de l’éducation devrait préoccuper l’opinion publique et les
-chefs d’État beaucoup plus encore que celle de l’enseignement. La
-Société des Nations aurait là une tâche admirable à accomplir,
-supérieure à toutes celles qui remplissent déjà son programme. Elle
-devrait nommer une commission mondiale chargée d’étudier cette question
-d’une si vitale importance que l’on peut dire que l’avenir de l’humanité
-en dépend! Un drapeau devrait flotter par son ordre sur la place
-publique de toutes les communes du monde portant cette brève
-inscription: _L’éducation est obligatoire pour les citoyens des nations
-civilisées._
-
-L’instruction est chose fort diverse; elle reste un problème national
-parce que, en la répandant, il faut tenir compte de la différence des
-races, des besoins particuliers des peuples et de leurs traditions. Mais
-en ce qui concerne l’éducation, comme la même menace est suspendue, bien
-que d’une façon plus ou moins imminente, au-dessus de toutes les
-nations, celles-ci pourraient et devraient chercher ensemble les
-solutions et les appliquer solidairement.
-
-Le but de l’éducation devrait être de _former des hommes_. Les Saintes
-Écritures disent que, quand une femme a mis un enfant au monde, elle
-oublie ses souffrances dans l’orgueil d’avoir enfanté un homme... Devant
-la folie destructrice de certaines mentalités actuelles, combien de
-mères doivent, dans le secret de leur cœur endolori, déplorer d’avoir
-conçu des monstres: monstres de violence brutale, monstres de honteuse
-apathie!
-
- * * * * *
-
-Assainir les cerveaux déjà empoisonnés et empêcher le renouvellement de
-périlleuses intoxications, telle est la synthèse de la réforme éducative
-qui s’impose aujourd’hui.
-
-Le problème ne pourra être résolu que par un énorme effort international
-qui élève un temple idéal aux forces civilisatrices et condamne
-solennellement les principes contraires à la liberté et à une saine
-discipline morale.
-
-La défense de la civilisation doit devenir le premier devoir des
-citoyens du monde entier; celui des États, des corps constitués, des
-académies, des universités, des écoles et de tout enseignement
-familial... Pour rétablir l’équilibre de l’esprit humain, la coopération
-de toutes les nations civilisées est indispensable, et il faut que le
-sentiment de la désapprobation générale arrive à peser sur les
-consciences troubles comme un insupportable fardeau, qui dépouillera
-pour elles la vie de toute saveur.
-
-Cette désapprobation solennelle du tribunal suprême de l’opinion
-publique me paraît être l’unique effort que l’humanité puisse tenter,
-pour ramener les troupeaux égarés à une vue plus juste et plus vraie des
-choses humaines.
-
-Quant à la nécessité absolue d’imposer à l’école, à côté de
-l’instruction et bien au-dessus d’elle, une éducation saine et forte, la
-difficulté consistera dans la formation des éducateurs eux-mêmes.
-
- * * * * *
-
-Pour former un corps enseignant digne d’élever les générations futures,
-une première chose est nécessaire[B], qui est de relever, non seulement
-économiquement, mais encore socialement et moralement la classe des
-instituteurs. Celle-ci doit acquérir une importance majeure aux yeux de
-l’opinion publique, car elle est appelée à sauver le monde.
-
-Il faut que ceux mêmes qui n’ont pas besoin d’y chercher un gagne-pain
-considèrent comme un honneur d’y appartenir.
-
-J’ai cité à ce propos, dans _Chercheurs de Sources_, d’illustres
-exemples. _La Ligue des Nations, ou à son défaut une Commission
-permanente pour l’éducation, pourrait consacrer définitivement
-l’importance de la classe des éducateurs, et leur assurer une position
-morale si considérable qu’ils seraient forcés de s’en montrer dignes._
-
-Pour faire triompher des réformes, il est nécessaire de trouver, avant
-toutes choses, les personnalités capables de les imposer. C’est ainsi
-que l’on doit d’abord chercher des éducatrices. Mais où les trouver?
-C’est évidemment parmi les âmes anxieuses qui, ayant constaté depuis
-longtemps le mal, en souffrent et travaillent en silence à l’éliminer.
-
-On rencontre partout de ces âmes, aujourd’hui: mères angoissées se
-demandant quelle est leur part de responsabilité dans la tourmente qui
-menace d’engloutir la Société humaine, ou instituteurs éclairés qui
-voient se réaliser les craintes qui, depuis tant d’années, troublaient
-leur sommeil.
-
-Les esprits de ceux qui ont, ou ont eu charge d’âme, traversent, en ces
-jours de crises, des états de conscience douloureux, tandis qu’ils
-sentent leurs entrailles frémir... Ces meneurs d’hommes qui répandent
-dans le monde l’anarchie et le malheur sont leurs fils et leurs
-élèves!... Ces doctrines de violences où les ont-ils puisées? Qui a
-tenté de les mettre en garde contre les entraînements de la haine et de
-la brutalité? Quels sont les hommes courageux qui ont osé crier assez
-fort pour soulever l’opinion publique et l’émouvoir?
-
-Du reste, comme nous sommes tous solidaires les uns des autres, ceux qui
-n’ont ni vu, ni compris, ni deviné ce qui se préparait, ou qui, le
-discernant, n’ont pas mis obstacle à la marée montante, doivent se
-frapper la poitrine et ne pas se consoler trop vite, en croyant la
-victoire prochaine! Elle n’est pas assurée, hélas! Cette opinion
-publique, qui commence à comprendre la nécessité d’une réforme, doit
-rester en éveil, parler à voix haute, se prononcer nettement en faveur
-des réformateurs, les encourager, renverser les obstacles qui se
-dressent encore contre eux, proclamer leurs victoires quand ils les
-auront obtenues, et se déclarer favorable à la théorie qu’avant
-d’enseigner tant de choses superflues à des gens qui ne pourront en
-faire usage, l’important est de former des hommes capables de guider les
-peuples vers les fécondes initiatives, les réformes justes et la
-discipline dans la liberté.
-
- * * * * *
-
-La grande question du siècle sera celle de l’éducation. Elle primera
-même celle du travail, qui a pourtant une importance considérable, et
-les bons esprits de tempérament apostolique s’efforceront d’établir dans
-tous les pays, sous des formes diverses pour ce qui concerne
-l’instruction, mais identiques sur les points essentiels, des principes
-éducatifs tendant à la formation morale des individus et des caractères.
-
-Ces points essentiels sont la responsabilité encourue par l’école et par
-la famille dans l’anarchie de la pensée actuelle; la nécessité de la
-liberté pour stimuler l’émulation dans l’enseignement; l’éducation
-rendue obligatoire, et, enfin, l’intervention morale et puissante de
-tous ceux qui comprennent la nécessité du développement de la vie
-spirituelle et individuelle en chaque être humain.
-
-_Il faut espérer_, disait M. Guizot; _le monde appartient aux
-optimistes; les pessimistes n’ont jamais été que des spectateurs_.
-
-Or, le défaut des Latins est d’être des critiques sans pitié vis-à-vis
-d’eux-mêmes, des autocritiques, des hypercritiques et d’appartenir trop
-volontiers à la catégorie des spectateurs.
-
-Les tendances infécondes doivent désormais être fièrement combattues par
-l’opinion publique, si l’on veut gagner la suprême bataille morale que
-tous les peuples s’apprêtent à livrer. Il appartient à la Société des
-Nations[C] d’établir les bases de cette éducation et de l’imposer à tous
-les pays. Il faudra l’avoir reçue et acceptée pour être admis à
-participer à la discussion des graves questions qui intéressent
-l’humanité et qui concernent la dignité morale des peuples et des
-individus. Ceux qui refuseront de la recevoir seront considérés comme
-étant en dehors de la grande famille des nations civilisées.
-
-Pour la culture de cet immense vignoble, il faudra beaucoup d’ouvriers:
-nous devons tous essayer d’en susciter autour de nous et tenter
-d’enflammer les cœurs pour la victoire finale, qui ne pourra être
-obtenue que par la solution du problème éducatif.
-
-Si la Société des Nations réussit dans cette tâche, ce sera pour elle
-une grande gloire, et tous ceux qui ont combattu sa constitution
-devront, sur ce point du moins, s’incliner devant l’œuvre de suprême
-autorité morale qu’elle aura accomplie.
-
-
-
-
-CHAPITRE III
-
-ÉTEIGNEUSES DE PHARES
-
- A quoi bon vivre si les raisons
- de vivre manquent?
- (JUVÉNAL.)
-
-
-Parmi les problèmes de l’heure, en ce moment de désarroi général, où
-l’aube de la société nouvelle n’a pas encore commencé à rougir le ciel,
-celui de l’influence de la femme présente une extrême gravité, non
-seulement en lui-même, mais parce qu’il se rattache étroitement à ceux
-de la famille et de l’éducation.
-
-A toutes époques on a dit beaucoup de mal des femmes. Ceux qui les
-connaissaient trop, et ceux qui les connaissaient trop peu ont été
-également sévères dans leurs jugements sur elles. Les Anciens, certes,
-ne se sont pas montrés indulgents pour le sexe féminin: «Qu’y a-t-il de
-plus léger que la plume?» demandent-ils dans leurs satires; «La
-poussière!»--«Et de plus léger que la poussière?»--«Le vent!»--«Et de
-plus léger que le vent?»--«La femme!»--«Et de plus léger que la
-femme?»--«Rien!».
-
-Nous nous rappelons tous en quels termes les théologiens et les docteurs
-du moyen âge ont, à leur exemple, stigmatisé ce sexe contre lequel ils
-mettaient violemment l’humanité en garde. Au cours des siècles, l’idée
-chrétienne finit par dominer les préjugés théologiques, et la situation
-morale des filles d’Ève s’améliora. Les femmes de la Renaissance
-montèrent de plusieurs degrés dans l’estime intellectuelle des hommes et
-gagnèrent même celle des savants et des philosophes.
-
-Au XVIIᵉ siècle, en France surtout, la femme commença à exercer une
-influence directe sur les événements et les individus. Le XVIIIᵉ marque
-l’apogée de son règne mondain et intellectuel. Pour s’en convaincre, il
-suffit de contempler les portraits de l’époque, ces visages spirituels,
-fins, aiguisés, ces regards avertis qui semblent prendre un peu
-ironiquement la mesure des hommes, indiquent chez les femmes l’habitude
-de la domination par l’esprit, la frivolité, la coquetterie, et,
-parfois, la perversité.
-
-Au XIXᵉ siècle, un autre type de femme devait surgir, inégal dans son
-ensemble, car il n’y a aucun rapport entre la femme romantique de 1830,
-fière de cœur, noble d’attitude, exaltée, sensible, et la femme sociale
-des dernières années du siècle. Ce fut l’époque, peut-être, où elle a
-été le plus respectée par l’opinion publique moyenne et où elle s’est le
-mieux rapprochée, en certains cas et sous certains aspects, du type de
-la bourgeoise sage, de la mère sérieuse, de la citoyenne bienfaisante et
-éclairée, qui mérite parfois d’être comparée à la femme forte des
-Écritures, si respectée de tous _qu’elle attire l’honneur sur son mari_.
-
- * * * * *
-
-Quant à la femme du XXᵉ siècle, elle est tellement multiple dans ses
-manifestations, qu’il est extrêmement difficile de la définir. Pour
-essayer de donner un trait à peu près général de son caractère, il faut
-procéder par une négation: «La femme n’a jamais été mystique comme
-trait essentiel, elle l’est moins que jamais actuellement.» Un poète
-français, Alfred de Vigny, peut-être le plus noble et le plus fier de
-tous, l’a stigmatisée dans un vers cruel:
-
- Toujours ce compagnon dont le cœur n’est pas sûr,
- La femme, enfant malade...
-
-Ce premier vers suffit à jeter un doute terrible sur les sources de la
-vie morale dont la femme dispose, justement parce que le sens du
-mysticisme lui manque totalement.
-
- * * * * *
-
-Dans un article sensationnel: _Oxford, Woman and God_, une Revue
-américaine prétendait récemment que l’admission des femmes dans la
-vieille université en avait chassé Dieu!--Si les anciens bâtiments ont
-conservé extérieurement, dit-elle, leur aspect traditionnel de
-recueillement et de gravité, le souffle qui les animait n’est plus le
-même, et ni Newmann ni Pusey ne reconnaîtraient les vieilles cours et
-les longues galeries silencieuses où ils avaient promené leurs doutes,
-leurs mélancolies et les ardeurs inquiètes de leur foi.
-
-Les pierres sont restées les mêmes, mais l’esprit qui les imprégnait
-s’est transformé. C’est qu’Oxford était autrefois une cité de jeunes
-hommes où dominait la spéculation pure, tandis qu’elle est aujourd’hui
-envahie par l’esprit positiviste que la femme apporte partout où elle
-passe, et qui, à tous égards, assure l’équilibre, le bien-être et
-l’enjouement de la vie quotidienne. Il est donc naturel que la présence
-des femmes ait modifié les habitudes morales et mentales d’Oxford.
-
-Jadis, non seulement tous les élèves, mais presque tous les professeurs
-étaient célibataires; c’est ainsi que le caractère monastique de
-l’Université s’était conservé à travers les âges. L’invasion des jupons
-devait fatalement modifier l’esprit même d’Oxford. Non qu’un élément
-impur ait pénétré dans la forteresse de la _Mens umana_, à la suite de
-celles qui en suivent diligemment les cours, mais c’est que, d’instinct,
-l’esprit des femmes se tourne vers les choses visibles et qu’il est
-moins recueilli que celui des hommes, dont il n’a pas le tour
-spéculatif. Il faut louer d’autre part les nouvelles venues d’avoir
-contribué à imposer la tempérance dans un milieu où les libations
-étaient traditionnelles. Dans les habitudes journalières des étudiants,
-des modifications se sont évidemment introduites: le salon a peu à peu
-conquis le cloître, et la causerie a remplacé la méditation grave.
-
- * * * * *
-
-Ce qui se passe à Oxford ne représente, du reste, qu’un cas spécial, un
-groupement particulier de personnalités. Ce phénomène serait sans grande
-importance en soi, s’il n’offrait pas un élément de la réponse
-qu’attendent ceux qui s’intéressent à l’évolution de l’âme féminine et
-dont l’inquiétude peut se formuler en ces mots: «La femme serait-elle
-instinctivement rebelle à l’action de l’esprit, et son goût évident pour
-les réalités représenterait-il un insurmontable obstacle à son ascension
-vers l’absolu?»
-
-A cette inquiète question, la réponse n’est pas aisée. Il est évident
-que même les femmes supérieures possèdent rarement une intelligence
-spéculative et que les très remarquables mathématiciennes et astronomes
-dont le sexe féminin peut s’enorgueillir ont été des êtres d’exception.
-En général, les filles d’une mère trop curieuse aiment trop _les choses
-en elles-mêmes_, pour être méditatives et abstraites! On peut soutenir
-que les hommes tiennent plus encore que leurs compagnes aux réalités de
-l’existence et les poursuivent souvent avec une brutalité, une véhémence
-que celles-ci ignorent. Mais ceci n’est vrai que dans le domaine des
-actions physiques; dans celui de la vie en général, les hommes tiennent
-moins que les femmes aux détails des choses: leur esprit ne s’embarrasse
-guère des cas particuliers. Ainsi en va-t-il du luxe: la femme en chérit
-toutes les manifestations. S’il lui manque, elle s’arrête à de stériles
-regrets, bien plus que ses camarades de misère! On peut affirmer qu’elle
-est possédée par la réalité des faits, mais il faut se rappeler aussi
-que ses devoirs journaliers l’y obligent.
-
-De temps en temps, le niveau de la pensée féminine s’élève. Quelques
-femmes savent hausser le ton de leurs entretiens quand des hommes
-cultivés sont présents; mais que ces hommes s’éloignent, c’est avec un
-réel soulagement que la plupart retombent du général au particulier et
-rentrent dans l’ornière des faits et des choses. Dans la stricte
-intimité, elles abordent parfois entre elles la psychologie amoureuse
-et sentimentale, mais leur point de vue est toujours positif, et
-l’empirisme sert de base à leurs raisonnements! Les idées ne leur
-suffisent pas, elles éprouvent le besoin de les incarner dans des
-personnes.
-
- * * * * *
-
-Pour creuser en leurs intimes replis les tendances instinctives de
-l’esprit féminin et les causes complexes d’où celles-ci procèdent, il
-faudrait s’attarder en de longues analyses. Je me vois forcée, au
-contraire, pour justifier le titre de mon chapitre: _Éteigneuses de
-Phares_, de recourir à une brève synthèse qui de la femme antimystique,
-incapable de méditation et de recueillement va jusqu’à l’agressive
-décrocheuse d’étoiles, sceptique, sardonique, qui ricane au mot _idéal_,
-et dont la voix ne s’élève jamais, au croisement des routes pour crier:
-_sursum corda!_
-
- * * * * *
-
-En cette heure si déconcertante de l’histoire du monde où toutes les
-pensées mesquines et basses s’étalent avec impudeur, les femmes
-semblent mettre leur orgueil à dépasser les hommes. Elles se figurent
-grandir en n’espérant rien, en ne croyant à rien, en niant la
-possibilité de tout effort vers une vie plus intense, plus belle, plus
-spirituelle...
-
-A les entendre ainsi raisonner, à les voir jeter des cendres partout où
-un jet de flamme surgit encore, ceux qui avaient cru qu’une fois
-libérées par le travail et la connaissance, les femmes aideraient au
-salut du monde autrement que par des soins donnés aux blessés, aux
-malades, aux enfants, sentent leur gorge se serrer douloureusement.
-
-Quand un appel est fait à leur pitié et à leurs entrailles en faveur des
-faibles, des souffrants, des petits, un élan généreux les emporte
-encore, et elles accourent sans hésiter; mais en même temps elles
-étouffent par des regards, des gestes et des paroles cruelles, toutes
-les initiatives de l’esprit.
-
-Juvénal a dit quelque part: «A quoi bon vivre si les raisons de vivre
-manquent?» Sauver les corps et éteindre les flammes de l’âme évoque
-l’«_à quoi bon_» du poète latin.
-
-
-
-
-CHAPITRE IV
-
-CELLES QUI PORTENT ENCORE LE FLAMBEAU
-
- Tout ce qui a été créé se meut,
- L’étoile comme l’âme!
- (ABRAHAM BEN EZRA.)
-
-
-C’est toujours un flambeau allumé en main que je m’étais représenté la
-femme dans son _devenir_; c’est ainsi qu’en imagination je la voyais
-remplir la mission à laquelle je la croyais appelée. Mais jamais aucune
-vision intérieure ne me l’avait montrée, le verbe haut, jouant des
-coudes, le visage péremptoire et l’air important, renonçant, par son
-attitude même, à ses meilleures armes de combat.
-
-Certes, elle est apparemment l’une des triomphatrices de la guerre; elle
-a aujourd’hui ses entrées partout et ses droits sont admis sur
-plusieurs points. Pourquoi donc s’attendrir sur elle et la plaindre? Il
-me semble pourtant naturel de faire l’un et l’autre, car, bien que ses
-regards soient devenus étrangement glacés, on devine que les sources de
-la souffrance ne sont pas taries dans son cœur, et que, le long de la
-route sur laquelle ses pieds se sont si légèrement engagés, elle va
-rencontrer des difficultés nouvelles qu’elle n’est pas préparée à
-affronter, et qui, en certains cas, risquent de rendre son enfance
-aride, sa jeunesse solitaire et sa vieillesse désolée.
-
-Malgré ses allures de victorieuse, elle se rend compte, j’en suis sûre,
-qu’elle marche sur le bord d’un précipice, où le pied pourrait lui
-manquer tout à coup, sans qu’elle puisse s’accrocher à rien. Elle se
-trouve entre la paroi lisse de la haute montagne dont elle a voulu
-descendre, et les étangs fangeux des plaines humides où elle risque de
-s’embourber, tandis qu’à ses côtés, des forêts profondes, aux détours
-ignorés, s’étendent à perte de vue.
-
- * * * * *
-
-Les nobles pionnières de l’égalité des droits des femmes ont eu le tort
-d’habituer leur sexe à considérer l’homme comme un adversaire à
-combattre ou à exploiter. Il l’a été, en effet, dans quelques cas et sur
-quelques points; mais au demeurant, on est forcé de reconnaître que, de
-tout temps, il s’est montré en somme, pour sa compagne de route, un
-protecteur efficace, même quand il abusait de la faiblesse et de la
-complaisance de celle-ci! Ce sentiment de protection accordée et reçue
-nouait entre les deux sexes une sorte de chaîne spéciale, qui mettait de
-la douceur dans leurs relations mutuelles.
-
-Si, par suite de l’affirmation un peu tapageuse des droits féminins et
-de l’agacement que les hommes en ressentent, cette chaîne devait se
-rompre, je crois que la situation de la femme dans le monde se
-modifierait assez désagréablement pour elle, et qu’entre les deux
-parties qui jadis formaient un seul tout, l’heure du combat ne tarderait
-pas à sonner. L’homme, considérant désormais la femme comme une égale,
-continuerait-il d’épargner à sa compagne, devenue sa concurrente, ces
-accès de violence, dont il a coutume d’user pour résoudre les problèmes
-trop difficiles? Même dans l’ordre moral, la partie engagée serait
-inégale, et il est probable que, malgré son adresse, son astuce et les
-façons impérieuses dont elle a pris l’habitude, la femme serait vaincue
-et que l’avantage resterait au plus fort, à celui qui est
-traditionnellement le mieux armé. Et si le contraire arrivait, vers
-quelles aventures le monde ne marcherait-il pas?
-
- * * * * *
-
-Les femmes disent volontiers, inspirées par la fausse direction mentale
-qu’on leur a fait prendre: «Les hommes ne nous aiment que pour nos
-défauts!» Il y a du vrai dans cette boutade. Il n’en est pas moins
-positif que tout homme digne de ce nom, et quelles que soient les
-péripéties plus ou moins singulières de la vie qu’il mène, porte dans le
-tréfond de son cœur une image de femme: mère, épouse, amie, sœur, à
-laquelle il ne veut pas qu’on touche et qui ne ressemble en rien à la
-personnalité turbulente, importante et encombrante que la guerre nous a
-laissée en héritage.
-
-Il est impossible de prévoir dès aujourd’hui ce que l’avenir peut
-réserver de particulièrement heureux à la femme; mais en tout cas, ne
-vous semble-t-il pas, lecteurs et lectrices, qu’elle ferait bien de
-réfléchir avant d’effacer imprudemment, de sa propre main, l’image un
-peu chimérique, peut-être, que l’homme se faisait d’elle dans l’intimité
-de son cœur? Cette illusion où l’imagination masculine se complaisait
-avait pour effet d’embellir et de poétiser les rapports des deux sexes.
-
-Des femmes souriront en me lisant. Sur certains points, beaucoup d’entre
-elles sont très sûres d’elles-mêmes et semblent dire sans modestie, ni
-excessive pudeur: «Notre règne durera autant que la vie humaine!» Cela
-est évident, mais que de choses dans la nature, une fois dépouillées des
-rayons qui les éclairaient et qui rendaient brillantes leurs couleurs,
-perdent leur beauté, leur attrait! Une subite obscurité les voile, la
-vulgarité les imprègne. Ainsi en serait-il des rapports entre les deux
-sexes: la banalité en altérera la saveur et l’on entrera uniquement dans
-un ordre d’idées primitives qui matérialisent tout ce qu’elles
-effleurent. Les femmes intelligentes devraient du moins comprendre
-qu’elles ont tout intérêt à préserver les illusions que leur attitude un
-peu réservée provoquait chez leurs compagnons de misère. L’âme ayant
-toujours été attirée par le mystère, les femmes agiraient peut-être
-sagement en remettant une partie de leurs voiles. Surtout, elles
-devraient renoncer aux sourires ironiques, aux propos sardoniques, aux
-insinuations sarcastiques. Éteindre le feu que les âmes créatrices,
-douées d’inspirations soudaines, s’efforcent d’allumer un peu partout
-sur les cimes du vaste monde, est une œuvre d’une parfaite inélégance
-morale.
-
- * * * * *
-
-Mais, dira-t-on, si la nature d’Ève n’est pas spéculative, il serait
-injuste de l’en rendre responsable. C’est vrai, mais il ne s’agit pas
-ici de dissertations transcendantales, mais plutôt d’un grave problème
-qu’il faut envisager parce qu’il a une importance considérable à l’heure
-actuelle, tant au point de vue de la famille et de l’éducation qu’à
-celui de la vie sentimentale et sociale. Les femmes se trouvent en effet
-à un curieux tournant de route où leur destinée se joue. Il est donc
-charitable de leur crier: «Casse cou!», avant qu’elles ne signent de
-façon définitive l’acte du grand renoncement. Ce que sera leur rôle
-politique et social, l’expérience nous le dira. Mais au-dessus de ce
-rôle, encore problématique, elles ont une mission éternelle pour
-l’accomplissement de laquelle il serait désirable de voir leur prestige
-augmenter au lieu de décroître.
-
- * * * * *
-
-Les Èves modernes ont pris la puérile habitude de parler du lendemain,
-comme si ce lendemain devait être un jour de fête. Si, au lieu de
-regarder toujours en avant, elles tournaient parfois la tête en arrière,
-elles se rendraient compte, en étudiant les vicissitudes de l’histoire,
-que la violence n’a, au fond, jamais réussi à personne, puisque la vie
-est faite de concessions, de complications, de complexités...
-
-Jadis l’épouse, on le sait, était entièrement et sans préoccupations
-superflues, sacrifiée à la famille et à la race, son unique destinée
-étant de procréer des fils légitimes. En ce temps-là, on ne lui
-reconnaissait absolument aucune personnalité, et si on ne lui manquait
-pas de respect, c’est qu’elle symbolisait la sainteté de la famille et
-l’intégrité de la race. Pour cette raison, une surveillance étroite
-était exercée autour d’elle par des magistrats spéciaux chargés de
-scruter ses toilettes et ses attitudes. Quand son mari était absent,
-elle ne pouvait, bien entendu, recevoir aucun homme, et Aristophane
-raconte que le seul fait de se montrer à la fenêtre de sa maison
-constituait de sa part une infidélité aux dieux du foyer, et
-représentait, pour son mari, une cause de répudiation.
-
-La loi, ou plutôt le code de Manou, était péremptoire et semblait offrir
-la synthèse du mépris dans lequel la mentalité de la femme a été tenue
-pendant une longue période historique. Pendant son enfance, elle
-dépendait de son père, plus tard de son mari, et, devenue veuve, de ses
-fils; et si elle n’avait pas de fils, elle devait alors obéir aux
-parents mâles du défunt, parce qu’ _une femme ne doit jamais se
-gouverner elle même_!...
-
-Il est naturel qu’après cette évocation du passé, les pauvres esclaves
-de jadis soient fières du terrain qu’elles ont conquis! Mais à qui
-doivent-elles leur libération? Au christianisme, uniquement au
-christianisme, dont aujourd’hui beaucoup d’entre elles répudient les
-doctrines idéalistes qu’elles accusent d’entraver leur développement
-complet et d’assombrir leurs plaisirs!
-
-Quelle folie d’ingratitude brouille donc le cerveau de ces femmes pour
-qu’elles puissent ainsi renier et amoindrir les grandes figures
-féminines qui furent la gloire de leur sexe, et dont quelques-unes se
-rattachent uniquement au christianisme par la solennité de leur
-repentir!
-
- * * * * *
-
-Presque immédiatement après la résurrection du Fils du charpentier, on
-voit les femmes aller à Dieu. Ce sont les descendantes des Gracques et
-des Scipions qui suivent saint Jérôme dans le désert, abandonnant leurs
-privilèges. Ils étaient immenses cependant.
-
- Et qu’on l’honore ici en dame Romaine
- C’est-à-dire un peu plus qu’on n’honore la Reine
-
-disait Jules César, à son débarquement en Égypte, parlant de Cornélie,
-veuve de Pompée.
-
-Puis ce furent les grandes abbesses du moyen âge qui dirigeaient leur
-communauté comme un empire, et même, au besoin, levaient des hommes
-d’armes. Et les Saintes, qui se répandirent sur le monde comme une
-pléiade lumineuse! A côté de Catherine de Sienne, la plus grande, la
-plus rayonnante et la plus géniale personnalité féminine que la terre
-ait produite, combien d’autres femmes charmantes ont illuminé le monde
-par leur auréole de sainteté!
-
-Si celles-ci gravirent avec le christianisme les plus hauts degrés de
-l’échelle de Jacob, d’autres se firent païennes de mœurs, croyant ainsi
-se grandir, et suivant en cela une tendance que l’on retrouve à toutes
-les époques et sous toutes les latitudes. Nous ne suivrons pas la femme
-dans les différents avatars de son évolution, mais une constatation
-morale incontestable ressort de tant de manifestations diverses:
-l’arrogance, le manque de douceur, l’absence de tendresse n’ont jamais
-rehaussé le prestige de la femme, elles en ont au contraire toujours
-obscurci l’éclat.
-
- * * * * *
-
-Dans l’organisation actuelle de la société, il n’est plus possible,
-malgré les maladresses et certaines inaptitudes de la nature féminine,
-de traiter la femme en quantité négligeable; nous avons tous trop besoin
-d’elle dans la famille et à l’école. En lui indiquant les portes du
-temple de l’idéal, il faut en même temps la ramener au culte du bon
-sens, c’est-à-dire à l’habitude mentale de la logique. Or, celle-ci lui
-a été presque toujours si aridement enseignée qu’il y a peu de temps
-encore les femmes d’esprit haussaient les épaules quand on leur en
-parlait. En quoi elles avaient tort, car la logique est la source de cet
-équilibre souriant, de cette indulgence sereine qui font l’agrément de
-la vie, la sûreté des rapports et les foyers chauds et consolants...
-
- * * * * *
-
-On se tromperait en voulant classer le bon sens parmi les qualités
-secondaires. Un homme médiocre peut en posséder une parcelle; une sotte,
-jamais! Pour saisir quelles en sont l’importance et la portée, il faut
-de la part de la femme un effort d’intelligence. Toute son éducation est
-à refaire en ce sens, et la préparation à son futur rôle social
-d’éducatrice et de mère demandera un travail laborieux et lent; mais
-celui-ci lui semblera facile si elle comprend qu’au-dessus de ses
-devoirs de mère, d’éducatrice et de citoyenne, elle a reçu une mission
-d’un ordre général et supérieur: c’est celle de porter dans ses mains
-la lampe qui, semblable à l’étoile du matin, indique et éclaire les
-chemins qui conduisent aux sommets, derrière lesquels le soleil se
-couche et se lève jour après jour!
-
-
-
-
-QUATRIÈME PARTIE
-
-Sur la montagne quelques feux s’allument.
-
-
-Si l’on regarde autour de soi, on ne voit de flammes nulle part! Le ciel
-est couleur de grisaille et tous les flambeaux semblent éteints. Une
-atmosphère lourde, malsaine, tout imprégnée de pourriture, empêche les
-cierges de brûler. La violence des instincts ne s’est pas atténuée
-cependant, car on se tue un peu partout et il est rare qu’on entende des
-protestations indignées s’élever des cœurs, des consciences, des
-entrailles...
-
-«Il ne faut pas s’en faire», disaient les poilus dans les tranchées,
-pour garder leur beau courage et chasser les impressions déprimantes. En
-ce moment, après deux ans de paix, le mot court le monde plus qu’avant;
-mais on a dénaturé le sens qu’il avait primitivement. «Ne pas s’en
-faire» veut dire aujourd’hui se vautrer dans le plus plat égoïsme et
-s’interdire rigoureusement tout élan généreux ou simplement altruiste.
-
-Avant la guerre, un saint François d’Assise, un saint Vincent de Paul ne
-se rencontraient pas souvent dans la société contemporaine; mais si,
-dans une heure de petite ou de grande détresse, on élevait la voix ou
-l’on tendait la main, d’autres voix et d’autres mains répondaient à
-l’appel. Il n’en est plus ainsi aujourd’hui. Chacun s’est fait aveugle
-et sourd, et a enfermé soigneusement son cœur dans une forteresse
-inexpugnable.
-
-Une sorte de faux orgueil se mêle à cette attitude: on a presque honte,
-en 1923, de tout acte qui ne rapporte pas un profit matériel immédiat;
-et cela est vrai dans les ordres d’idées les plus divers. Ces offres de
-services, qui abondaient aimablement autrefois, entre gens de même
-culture et de même éducation, sont devenues rares et ont presque cessé.
-On se réserve, on se soustrait, on se cache dans sa coquille ou dans sa
-carapace.
-
-L’obligeance spontanée passera bientôt à l’état de légende, car pour
-obtenir aujourd’hui le plus léger service, il faut insister avec
-obstination. On se heurte sous ce rapport à une si formidable candeur
-d’égoïsme, qu’on en reste saisi et désorienté.
-
-Semblable à ces plantes parasitaires, qui étendant partout leurs racines
-au-dessus et au-dessous du sol, finissent par envahir des étendues
-immenses de terrain, le _personnalisme_ d’après guerre a pris de telles
-proportions dans les âmes, qu’au rebours du mot de Térence, tout ce qui
-est humain semble leur être devenu étranger!
-
- * * * * *
-
-Je ne parle point ici de cet égoïsme effronté et cynique qui a pris pour
-devise ces deux mots suprêmement antipathiques: «Donnant, donnant!» et
-qui, à l’heure actuelle, enlaidit et abaisse toutes les relations des
-hommes entre eux, pousse ceux-ci à la violence, à la dureté, à une
-avidité mesquine et abjecte--qu’ils ne se donnent même plus la peine de
-dissimuler.--Non, je fais allusion à quelque chose de plus grave, parce
-qu’il pénètre même les cœurs qu’on croyait généreux, les consciences
-qu’on estimait droites. Dans cette période d’abaissement de la pensée
-humaine, le désintéressement est presque considéré comme une preuve de
-faiblesse mentale. On peut observer à ce propos un singulier phénomène
-chez les natures originairement honnêtes: autrefois, les plus avides
-d’argent essayaient de couvrir leur rapacité naturelle du manteau du
-désintéressement; aujourd’hui, on rejette ce manteau comme une loque
-honteuse, il est même devenu distingué de sembler âpre au gain.
-
-Il y a toujours eu des avares, et, depuis Harpagon, leur race ne s’est
-pas éteinte, mais ils ne se vantaient pas de leur parcimonie, tandis
-qu’ils mettent maintenant de l’ostentation à savoir défendre leur
-moindre petit sou.
-
-Il y aurait, en ce genre, des exemples assez divertissants à citer.
-Jadis on se targuait volontiers d’un beau geste: on gonflait les
-services rendus, les sommes données... «J’ai fait ceci, j’ai donné cela,
-et puis cela encore!» Aujourd’hui, c’est tout le contraire! Les gens
-déclarent avec une satisfaction visible: «Oh! moi, je n’ai lâché que
-cela!» Et des chiffres dérisoires sortent des lèvres. S’agit-il de
-services, et non d’argent: «Me déranger, dit-on, et pourquoi? Chacun a
-ses propres affaires! Ah! je leur ai parlé de façon à leur enlever toute
-envie de revenir!»
-
-Si les femmes montrent souvent sans vergogne des jambes très
-contestables, elles ont la même impudeur pour les laideurs de leur
-caractère. Ces manifestations d’avidité se produisent, il faut l’avouer,
-à peu près également chez les deux sexes. Mais elles font un effet plus
-discordant encore chez celui qui avait eu jusqu’ici la prétention de
-faire du sentiment un monopole féminin.
-
- * * * * *
-
-Tout cela serait assez drôle, si ce n’était pas infiniment triste! En
-cette heure suprême de la vie sociale des peuples, alors que tant de
-souffrances se sont accumulées dans les cœurs, on ne peut voir les êtres
-humains mesurer si parcimonieusement leur sympathie et leurs services,
-sans se sentir le cœur serré d’une étreinte si douloureuse qu’elle
-semble presque en arrêter les battements.
-
-Les vers où Edmond Rostand raconte l’histoire des deux Rois Mages blonds
-qui avaient perdu l’étoile, et ne la retrouvaient plus, rendent aux
-âmes l’espérance et la foi. Pour retrouver l’astre disparu, ces savants
-de Chaldée:
-
- Tracèrent sur le sol des cercles au bâton,
- Ils firent des calculs, grattèrent leur menton,
- Mais l’étoile avait fui, comme fuit une idée!
- Et ces hommes, dont l’âme eut soif d’être guidée,
- Pleurèrent, en dressant leurs tentes de coton.
-
- Mais le pauvre roi noir, méprisé des deux autres,
- Se dit: «Pensons aux soifs qui ne sont pas les nôtres,
- Il faut donner quand même à boire aux animaux.»
-
- Et tandis qu’il tenait un seau d’eau par son anse,
- Dans l’humble rond de ciel où buvaient les chameaux,
- Il vit l’étoile d’or qui dansait en silence.
-
-Les vers du poète libèrent les cœurs de la pesanteur qui les oppressait;
-ils peuvent de nouveau respirer largement, puisque l’étoile brille
-toujours au ciel, visible aux yeux des humbles, des pitoyables et des
-simples, dans le cœur desquels la flamme ardente brûle encore!
-
- * * * * *
-
-Mais, demandera-t-on, quels sont les symptômes sur lesquels se base
-cette affirmation péremptoire? Ceux-ci sont assez difficiles à énumérer
-car ils ne se produisent pas à la surface, mais bien sous la profondeur
-des eaux, et les forces qui s’en dégagent sont encore mystérieuses et
-secrètes. Envisageons un instant l’âme humaine dans son ensemble, et
-voyons si, par quelque côté, elle n’a pas fait un pas en avant, après en
-avoir fait plusieurs en arrière! Commençons par examiner la conscience,
-qui est moralement la partie la plus noble de l’organisme humain,
-puisqu’en elle réside ce principe du libre arbitre qui confère à l’homme
-ses lettres de noblesse.
-
-
-
-
-CHAPITRE PREMIER
-
-LES CONSCIENCES QUI CRIENT
-
- Conscience does make cowards of us all.
- (SHAKESPEARE.)
-
-
-Nous assistons aujourd’hui à l’inévitable mouvement de réaction qui
-devait suivre les excès et les violences, les arrogantes prétentions et
-les ridicules doctrines de ceux qui,--pour apprêter le problématique
-banquet, où tous pourront assouvir leurs convoitises, satisfaire leurs
-appétits, s’enivrer de liqueurs brûlantes et se gorger de nourritures
-azotées,--n’avaient pas hésité à détruire le travail des siècles, pas
-plus qu’ils n’ont reculé devant le crime de jeter le monde dans
-l’horrible désert de l’anarchie.
-
-Il est curieux de constater comment, en cette heure de révolte certains
-droits, récemment et souvent injustement acquis, sont reconnus par ceux
-même qui sont prêts à réagir avec force contre la menaçante
-décomposition matérielle et morale du monde. C’est là un fait assez
-symptômatique pour qu’on le relève et que l’attention s’y arrête: l’idée
-de punir pour punir a cessé de dominer les cerveaux, l’instinct
-justicier ne s’affirme plus aussi implacable. On a même dépassé la
-mesure en sens contraire, comme le prouvent certaines amnisties et
-certaines sentences étranges des tribunaux militaires eux-mêmes, qui ont
-perdu de ce fait leur réputation d’inflexibilité et de rigide justice.
-
-En ce qui concerne les pouvoirs publics, ces indulgences peuvent être
-taxées de déplorables faiblesses. Elles sont l’effet de causes
-complexes, dont plusieurs dépendent des intérêts politiques et ne se
-rattachent qu’indirectement à mon sujet. Mais le phénomène réellement
-intéressant est celui qui a pour théâtre les consciences individuelles.
-Aujourd’hui on voit celles-ci reculer presque toutes devant un programme
-qui enlèverait à la classe ouvrière, même sous forme de justes
-représailles, les avantages matériels, qu’elle s’est assurés par la
-violence de ses procédés.
-
-La délicatesse des consciences au point de vue de l’équité économique
-est devenue singulière. Un de mes amis, très libéral d’idées quoique
-conservateur d’instinct, me disait l’année dernière, à propos du devoir
-qui incombait à la bourgeoisie de défendre ses droits, cette phrase
-étonnante: «Oui, certes, mais il faut qu’elle trouve un prétexte pour
-cette levée de boucliers; celui de sa défense personnelle ne suffirait
-pas à la justifier.»
-
-Sans discuter la question de savoir si le scrupule était exagéré, je
-cite la phrase simplement parce qu’elle représente bien l’état d’esprit
-incertain et timide qui caractérisait la mentalité générale en 1920-21.
-Elle révèle, en tout cas, un travail particulier de la conscience
-humaine en ce qui concerne le droit au bien-être, cette _poule au pot_,
-que le bon roi Henri IV souhaitait à son peuple!
-
-On peut y voir simplement la trace d’un faux humanitarisme tolstoïen
-qui, au lieu de ramener les brebis au bercail, les abandonne aux
-aventures et aux mésaventures du hasard, dieu frivole et cruel qui
-fourvoie ceux qui suivent sa direction. Mais il n’en est pas moins vrai
-qu’une singulière transformation s’est accomplie dans les consciences.
-Or, comme la conscience est la source où s’élaborent les sentiments,
-tous les signes de vie qu’elle donne prouvent à l’évidence que le cœur
-des hommes bat toujours et que leurs oreilles ne se satisfont pas
-uniquement du cliquetis de l’argent qui passe de main en main.
-
- * * * * *
-
-Dans un autre ordre d’idées encore, nous assistons aux mêmes
-manifestations d’indulgence. On est surpris de constater à quel point,
-en certains pays surtout, le droit à la jouissance pour tous est reconnu
-par les consciences des anciens prétendus privilégiés. La phrase du
-Christ aux Pharisiens, à propos de la pécheresse, qui, d’après la loi,
-méritait d’être lapidée: «Que celui qui est sans péché lui jette la
-première pierre», semble retentir tardivement dans l’âme humaine. C’est
-malheureusement sous une forme qui peut devenir dangereuse: on ne se
-borne point à ne pas lancer la première pierre, on a pour certaines
-formes de dégénérescence de bénévoles encouragements.
-
-Les ignorants essayent de rattacher la doctrine communiste à celle du
-Christ. Et lorsqu’ils entendent énoncer cette erreur profonde, certains
-esprits légers opinent du bonnet, comme s’ils ne percevaient pas
-l’immense distance qui sépare les deux doctrines; elles se trouvent
-même, on peut l’affirmer, aux deux pôles opposés! La seconde prêche le
-renoncement à toutes les catégories d’êtres humains, tandis que la
-première affirme le droit de tous aux richesses et aux jouissances, et a
-pour mot d’ordre: «_La convoitise satisfaite!_»
-
-Mais ce n’est point le moment d’aborder cette grave question.
-Bornons-nous à signaler que l’on voit aujourd’hui des familles entières
-se soumettre de leur plein gré à de pénibles inconvénients, pour ne pas
-gêner les plaisirs de leurs subalternes, et leur laisser de longues
-heures de liberté.
-
-«On est bien forcé de subir ce qu’on ne peut empêcher, répondra-t-on;
-et, ne vous y trompez pas, c’est la peur et non l’équité qui provoque
-ces indulgences!» Voilà encore un jugement précipité, faux et injuste.
-Car, en beaucoup de cas, c’est sincèrement que les classes supérieures
-sont arrivées à reconnaître le droit du peuple à une certaine somme de
-plaisir. Elles le font avec sympathie, et non plus avec le méprisant:
-_Panem et Circences_ des anciens Romains. Il vaudrait peut-être mieux
-que les privilégiés apprennent à se priver parfois pour leur propre
-compte, de certains plaisirs, au lieu d’en approuver l’abus pour eux et
-pour les autres.
-
-Le fait que les consciences, muettes jusqu’ici, se sont enfin éveillées
-sur ce point spécial de l’équité sociale, indique cependant une vitalité
-d’âme dont il faudrait hautement se réjouir, si ce respect exagéré des
-avidités et des jouissances matérielles ne prouvait pas l’importance
-extrême qu’a prise, dans la mentalité des hommes tout ce qui se rapporte
-à l’argent et aux appétits qu’il permet de satisfaire.
-
-C’est l’ombre du tableau, et elle s’étendra, dense et obscure, sur les
-âmes, tant que les yeux des hommes ne se seront pas ouverts à la grande
-et glorieuse réalité de la vie spirituelle que la plupart d’entre eux
-s’obstinent à ne pas voir, à ne pas chercher, à ne pas reconnaître...
-
-Mais comme cette forme un peu particulière d’équité qui a surgi dans
-certaines consciences représente, somme toute, un pas accompli sur la
-route qui monte, il est juste de la signaler à l’attention. Plus tard,
-lorsque les hommes auront appris à regarder sous la surface des eaux,
-ils pourront mieux enregistrer les vérités profondes que l’esprit des
-sources leur permettra d’apercevoir.
-
-
-
-
-CHAPITRE II
-
-LES PHYSIONOMIES RÉVÉLATRICES
-
- _De quels profonds sillons sont marqués ces visages_
- _Où l’ombre du passé lutte avec l’avenir_...
- (***)
-
-
-Je me suis absentée assez longtemps de ma résidence habituelle, et j’ai,
-d’autre part, revu ailleurs des visages qui, depuis quelques années,
-m’étaient devenus étrangers: peut-être est-ce pour cela qu’il me semble
-percevoir une étrange transformation dans la physionomie humaine. Je
-n’ai retrouvé, sauf dans le cas de quelques personnalités supérieures,
-aucun visage identique à ce qu’il était jadis. Ceci prouve également
-que, malgré l’odeur de mort répandue un peu partout, de fortes
-vibrations secouent encore le cœur et le cerveau des hommes. Si la
-stagnation intérieure était complète, les physionomies ne se seraient
-point ainsi modifiées et accentuées.
-
-Ce phénomène ne s’observe pas seulement chez ceux qui, comme les
-combattants, ont traversé d’inoubliables moments de détresse et des
-heures tragiques, ni chez les femmes dont les entrailles ont été
-déchirées par la mort d’un fils. Cette transformation des visages est
-beaucoup plus générale: on dirait qu’une vague puissante ou la main d’un
-rude sculpteur a passé sur les figures humaines, tantôt déformant leurs
-traits, et les harmonisant parfois dans une étrange expression
-d’intensité. Les physionomies incertaines, insipides et veules ont à peu
-près disparu. On en voit cependant encore de mornes et de bestiales
-qu’aucun idéal n’anime, qu’aucune passion n’émeut ni ne trouble,
-qu’aucune volonté de despotisme n’accentue: l’animalité seule règle
-leurs mouvements.
-
-Ces dernières appartiennent presque toujours à la catégorie des êtres
-dont un égoïsme outrancier étayé de sottise, a sucé les moelles. Ce sont
-des âmes déjà trépassées dans des corps en voie de devenir cadavres, car
-lorsque les sources véritables de la vie sont taries, celle-ci
-s’alimente si pauvrement qu’elle n’est plus au fond qu’une course à la
-mort!
-
- * * * * *
-
-Mais ces visages de moribonds, en marche vers le tombeau ne peuvent
-intéresser personne: il est inutile de s’arrêter à les contempler. Par
-contre, les physionomies presque trop expressives qu’on rencontre
-aujourd’hui offrent un curieux champ d’études et indiquent que la vie
-intérieure persiste chez quelques-uns, malgré les apparences d’une
-indifférence générale et absolue. Mais de quelle nature est cette vie
-intérieure? Nous essaierons d’en percer le mystère, mais je voudrais
-auparavant noter ici une observation que j’ai faite et que j’invite les
-autres à faire comme moi: les modifications de la physionomie sont
-beaucoup plus visibles chez les femmes, peut-être parce que leurs traits
-délicats se marquent plus facilement sous la secousse de l’émotion et
-l’étreinte des sentiments. Il y a évidemment aujourd’hui, chez presque
-toutes, quelque chose de plus accentué, de plus marqué en profondeur
-dans les traits du visage que ce qu’on y voyait autrefois! Les yeux
-sont devenus froids, étrangement froids! Quelques-uns semblent taillés
-dans des pierres dures: onyx, agathe, jaspe et lapis... Ce sont des yeux
-qui manquent de rayonnement et de chaleur. Chez la paysanne, l’ouvrière,
-la dactylographe, la femme du monde, la même expression implacable se
-rencontre. Je ne rétracte pas le mot implacable, car dans les prunelles
-féminines aucune miséricorde ne luit plus à l’heure actuelle. Une
-énergie d’un genre nouveau les anime, fille de passions récemment
-éveillées qui cependant se rattachent aux passions primitives de
-l’humanité, et ne semblent pas avant-courrières d’une conception
-nouvelle et plus noble de l’existence.
-
-Dans _les problèmes de l’heure_ j’ai traité des conditions spéciales où
-se trouve la femme en tant que femme, et mes conclusions à son sujet
-n’étaient pas optimistes ni colorées d’espérance prochaine. Mais en
-examinant avec plus d’attention les physionomies humaines je me suis
-rendu compte qu’il y avait encore, chez les femmes comme chez les hommes
-d’aujourd’hui, de l’étoffe pour tailler, assembler et coudre. Il faut
-que les ouvriers intelligents et habiles se mettent à l’œuvre, montrent
-la voie, préparent l’ouvrage et jettent dans les âmes des pensées
-d’avenir.
-
- * * * * *
-
-Certaines passions sont assez neuves chez la femme, tandis que l’homme
-les a presque toutes connues, vécues et taries; ces passions sont
-semblables à des sources vives, d’où des énergies inattendues pourraient
-surgir. L’instinct de despotisme, par exemple latent jusqu’ici chez les
-descendantes d’Ève, a pris désormais dans l’âme féminine un essor
-effrayant. Celles qui se sentent des âmes à la Sémiramis sont rares,
-mais tous les petits despotismes les attirent et les tentent. Le goût de
-la domination, le besoin de se donner de l’importance qui n’avaient pas
-franchi jusqu’ici les bornes de la vanité et de l’amour, se sont étendus
-à toutes les branches de l’activité sociale où les femmes prétendent à
-présent exercer leur empire. Cette modification de leur psyché
-développera peut-être dans ces mentalités un peu mièvres, un peu veules,
-un peu incertaines, des forces qu’on ne soupçonnait pas.
-
-Je crains pourtant qu’il ne s’agisse pas au début, de nouveautés
-sympathiques, car l’accentuation des physionomies que je viens de
-signaler ne semble pas avoir une base pure et noble. Mais étant donné
-l’état d’insipidité où semblaient tombées la plupart des âmes, tout
-symptôme qui révèle des énergies en formation doit être accueilli avec
-satisfaction.
-
-Ce sont là des forces en gestation. Dans quel sens se
-développeront-elles? Comment les sauver, en ce moment psychologique
-d’une si extrême importance, de la rencontre et de l’influence des
-mauvais bergers? Tel est le grave problème qui se pose devant les
-consciences vivantes, devant les esprits qui veillent.
-
-Ah! les mauvais bergers! On peut parler aussi aujourd’hui des mauvaises
-bergères. A quelque sexe qu’ils appartiennent les uns ou les autres, on
-ne redoute pas assez le rôle néfaste qu’ils jouent, on ne met pas
-suffisamment en garde contre eux les esprits inexpérimentés. Or, c’est
-l’une des pires sottises qu’on puisse commettre, car ces conducteurs de
-brebis sont mille fois plus dangereux que les loups dévorants, ces
-frères inférieurs, comme les appelle saint François d’Assise!
-
-Il n’est pas agréable, certes, d’être croqué par les dents des loups,
-mais il est cent fois pire encore de tomber sous la coupe d’un mauvais
-berger, car cette emprise peut avoir sur la destinée des autres hommes
-de pernicieuses répercussions.
-
-Quand ces déviateurs de la conscience humaine se dévoilent, on devrait
-les marquer moralement au fer rouge et faire pour eux ce qu’on fait en
-Italie pour les _jettatori_ que couronne une sinistre auréole de
-malheur, refuser même de prononcer leur nom!
-
-Mais notre esprit superficiel--cette tendance qu’Oscar Wilde qualifiait
-de crime,--nous rend incapables de jouer le rôle sacré de gardiens des
-âmes.
-
- * * * * *
-
-Le déplorable empire que les mauvais bergers ont acquis et conservent
-dans la société actuelle est dû en grande partie au fait que les hommes
-ne savent pas se servir contre eux des armes de défense dont la nature
-les a généreusement pourvus. L’une d’elles est assurément le regard,
-destiné à aiguiser la perspicacité de l’esprit et à indiquer au voyageur
-les embûches et les périls de la route. L’insouciance, avec laquelle
-nous nous en servons, la plupart du temps, sans prêter une attention
-suffisante aux embarras qui obstruent le chemin ou aux détours qui
-l’interrompent, est une preuve de sottise. Les éducateurs devraient
-désormais s’occuper à mieux développer chez les enfants cette faculté du
-discernement qui manque à tant d’hommes faits. Ils devraient, avant
-toutes choses, apprendre à leurs élèves qu’il faut donner une extrême
-importance à l’expression du regard de ceux qu’ils rencontrent, et user
-du leur avec clairvoyance et attention. L’œil humain est la clef de
-voûte des personnalités et elle les accompagnera sans doute dans
-l’au-delà, car, comme l’a dit le poète des _Deux Rencontres_:
-
- Les prunelles ont leur couchant,
- Mais il n’est pas vrai qu’elles meurent!
-
-
-
-
-CHAPITRE III
-
-LES YEUX QUI VOIENT
-
- Oh! qu’ils aient perdu le regard,
- Non, non, cela n’est pas possible;
- Ils se sont tournés quelque part
- Vers ce qu’on nomme l’invisible.
- SULLY PRUD’HOMME.
-
-
-Par le mot «voir», j’entends parler de la vision intérieure, la seule
-qui soit intéressante dans l’ordre moral et intellectuel. On peut
-percevoir merveilleusement les objets extérieurs et être privé
-complètement de cette vision spéciale, qu’un malheureux aveugle peut
-posséder parfois au suprême degré. C’est donc cette vision qu’il importe
-de chercher avant tout dans les prunelles dont nous rencontrons le
-regard.
-
-Il y a toutes espèces d’yeux dans le monde: de beaux et de doux, de
-sévères et de durs; il y en a de dominateurs, d’éblouissants, de
-provocants... D’autres nous prennent simplement. Ce sont les plus
-redoutables, ceux qui, d’un coup d’œil, changent parfois des destinées.
-
-Nous n’accordons pas assez d’importance aux yeux, nous ne les observons
-pas suffisamment, nous nous perdons inutilement dans d’autres détails du
-visage et de la personne. Eux seuls mériteraient cependant l’attention
-des psychologues et des curieux. Ils n’ont qu’une rivale: la bouche!
-Mais celle-ci n’est guère révélatrice qu’au point de vue des passions et
-des tendances instinctives: bonté, méchanceté, faiblesse, ou
-obstination. Elle ne représente pas un tempérament dans son ensemble,
-et, au point de vue intellectuel, elle reste muette.
-
-Sans la négliger, ce qui serait une erreur, ce sont les yeux que nous
-devons toujours considérer pour obtenir une vision à peu près exacte des
-âmes individuelles.
-
-Leurs variétés sont infinies et ils sont souvent déconcertants par leur
-sincérité même. Quelques-uns sont fuyants, et on les devine faux;
-d’autres ont appris l’art de se soustraire aux investigations, sans se
-détourner ouvertement; mais, en général, les prunelles de la plupart des
-hommes s’ouvrent candidement, et s’offrent sans défiance aux
-observations des regards curieux qui croisent les leurs. Les êtres qui
-ont clos le plus hermétiquement leur cœur, ne se sont pas avisés de
-prendre la même précaution pour ces fenêtres à travers lesquelles le
-regard d’autrui peut pénétrer jusqu’à l’intimité de l’âme, et en
-fouiller les replis.
-
-Puisque la candeur de l’homme le permet ou ne peut l’empêcher, cherchons
-donc, non pas dans ses paroles, parfois mensongères, ni dans ses actes,
-souvent transitoires, mais dans ses yeux qui n’ont encore appris à
-dissimuler qu’une petite partie de ses secrets, le mystère de son âme
-profonde.
-
- * * * * *
-
-Entendons-nous! Je n’ai pas l’intention de pousser aux curiosités
-psychologiques, ni d’engager mes lecteurs à cultiver l’art de couper un
-cheveu en quatre. Nous avons trop souffert pour nous complaire
-sérieusement à ces jeux qui affinent le goût sans éclairer
-l’intelligence. Je propose, au contraire, de renoncer aux puériles
-recherches dans le jardin secret des membres de notre entourage, et de
-nous attacher à une unique recherche. Ces yeux que nous interrogeons
-avidement, demandons-leur une seule chose: reflètent-ils une vision
-intérieure, une capacité d’inspiration subite, l’amour de l’idée au lieu
-de l’amour des choses?
-
-Hélas! que de fois n’y découvre-t-on que l’amour des choses, cette
-irrémédiable tare, cette constante ennemie de toute vraie liberté
-morale! Les femmes y sont plus attachées encore que les hommes. C’est
-pourquoi elles arrivent rarement au mysticisme et au grand vol des
-idées. «Laissez-les donc tranquilles, diront ceux qui préfèrent ne pas
-réfléchir, elles font ce qu’elles peuvent et il ne faut pas demander au
-pommier de porter des pêches!» J’use volontiers de cette métaphore, car
-il est injuste, je le reconnais, de ne pas tenir compte des possibilités
-pour établir ses jugements; mais admettre, pour soi et pour les autres,
-une semblable limitation, c’est renoncer à la grandeur de l’effort,
-c’est désobéir d’avance à ces inspirations subites de l’esprit qui,
-mieux qu’un coup de cloche retentissant, vous font sortir des rangs et
-gravir les cimes...
-
-Et cela est vrai pour les hommes comme pour les femmes. Si dans l’ordre
-intellectuel celles-ci n’ont pas le cerveau organisé pour la spéculation
-pure, on ne leur demandera pas de trouver la solution de problèmes
-mathématiques; mais dans l’ordre moral, leur organisation mentale ne les
-relègue pas fatalement, comme de pauvres Cendrillons, à la porte des
-palais et des temples. Lorsqu’elles ne peuvent en franchir le seuil,
-c’est la plupart du temps qu’elles ne le veulent pas! La répugnance à
-l’effort, l’horreur du recueillement, et le prestige des choses
-extérieures, tout puissant sur leur âme, ferment leurs yeux plus encore
-que ceux des hommes, aux visions intérieures.
-
-Il me semble du reste absurde d’établir, en parlant des problèmes de
-l’âme, des différences essentielles entre les deux sexes, puisqu’ils
-sont, dès leur naissance, des condamnés à mort auxquels l’immortalité
-est promise. L’important, à l’heure actuelle, est de savoir discerner
-dans les yeux des hommes et des femmes, le reflet de leurs visions
-intimes, puisque ces visions peuvent seules élaborer en eux les âmes de
-soldats, de défenseurs et d’apôtres qui seront nécessaires pour rétablir
-l’équilibre du monde et apaiser la conflagration terrible qui en ce
-moment déchire son cerveau et ses entrailles.
-
-
-
-
-CHAPITRE IV
-
-LES CERVEAUX QUI VEILLENT
-
- L’âme n’est pas un vase à remplir, mais un phare à allumer.
- PLUTARQUE.
-
-
-Il ne suffit pas de posséder le don de la vision intérieure, il faut que
-cette vision se réfléchisse dans le cerveau qui la reçoit, la creuse, la
-travaille et s’en sert ensuite comme d’un levier pour provoquer
-l’ascension des âmes.
-
-Il en fut sans doute ainsi pour les prophètes. Ils ont eu d’abord la
-vision des choses, que leur génie spécial, après l’avoir considérée et
-méditée, a ensuite présentée au monde. Ces personnalités puissantes
-vivaient dans l’attente, les yeux bien ouverts, tandis que leur esprit
-veillait.
-
-S’il nous arrive parfois, même aujourd’hui, de rencontrer des yeux qui
-semblent refléter une vision intérieure, le contact avec les cerveaux
-qui veillent est bien plus rare. Pour arriver à cet état de veille,
-l’intelligence ne suffit pas, car l’intelligence se laisse facilement
-distraire et recherche volontiers les frivolités qui l’amusent et la
-reposent. Il faut qu’elle se réfugie au contraire dans l’intimité du
-subconscient dont parle Leibnitz, qui vit en nous sa vie cachée et
-profonde. Il est la source de toute inspiration, qu’elle vienne du génie
-ou du cœur! Même si elle procède directement des forces divines, c’est à
-travers notre subconscient qu’elle se révèle à nous.
-
-Savoir et pouvoir veiller, signifie donc pour l’homme: être en contact
-intime et constant avec cette part secrète de lui-même qui échappe,
-semble-t-il, à l’action des nerfs et du sang, et rend parfois l’âme
-capable de ces intuitions mystérieuses qui se changeaient en lueurs
-irradiantes dans les cerveaux des prophètes, des précurseurs, et dans
-ceux des poètes qui furent, eux aussi, des voyants.
-
- * * * * *
-
-Mais ces grands initiés n’apparaissent que de loin en loin dans
-l’histoire du monde et restent des isolés. Or, pour redresser, émonder
-et cultiver tous les ceps de vigne, il faut aujourd’hui beaucoup
-d’ouvriers, il faut surtout que ces ouvriers soient aptes à recueillir
-les enseignements qu’une voix inspirée prononcera ou qu’un souffle
-mystérieux répandra subtilement dans les esprits, pour les transformer
-en gardiens vigilants de la conscience humaine. Il n’est pas besoin,
-pour accomplir cette tâche, d’être un génie ou un prédestiné, il suffit
-d’être un homme de bonne volonté, _aimant d’amour_ la vérité, et assez
-clairvoyant pour savoir discerner les faux dieux et renverser, sans
-vaine pitié, leurs autels.
-
-Mais, demandera-t-on, de tels hommes existent-ils à l’heure présente?
-Certes, ils sont rares, bien rares, et ils demeurent muets et timides,
-car la profondeur et la délicatesse de leur pensée les rendent suspects.
-On ne peut cependant nier leur existence. Ils surgissent ici ou là et
-leur présence éclaire d’une bordure lumineuse les épais nuages noirs qui
-ferment l’horizon.
-
-D’où viennent ces hommes, dont la conscience en travail commence à se
-faire entendre? Leurs origines sont multiples, mais la plupart d’entre
-eux appartiennent pourtant à deux catégories: d’abord à celle des
-clairvoyants, à l’intelligence desquels n’échappe aucun des
-épouvantables et dangereux symptômes de la crise que l’humanité
-traverse. Après avoir sondé jusqu’en ses profondeurs la décomposition de
-l’âme humaine, ils ont trouvé dans l’excès même de leur désolante vision
-d’avenir une raison d’espérer. Si la destruction du monde physique,
-disent-ils, a été annoncée, la destruction de l’âme n’a pas été prédite.
-Or, c’est vers cette destruction que nous semblons marcher. Ce serait un
-reniement de promesses et telle ne peut être la volonté divine. Donc,
-invisiblement encore, le remède se prépare, le salut approche, et il
-faut que les pensées et les yeux de ceux qui espèrent se tendent pour le
-voir venir.
-
-Les cerveaux qui veillent se recrutent encore dans une seconde catégorie
-d’hommes: ceux dans le cœur desquels l’amour de l’humanité est en train
-de renaître et qui, émus d’une immense pitié, tendent l’oreille au
-moindre son de cloche et cherchent éperdument autour d’eux le moindre
-reflet d’une lueur d’aube.
-
-J’ai dit: _ceux au cœur desquels l’amour de l’humanité renaît_, car cet
-amour a subi, lui aussi, une terrible crise depuis la conclusion de la
-paix. Quand le sang a cessé de couler sur les champs de bataille et que
-les jeunes corps des soldats n’ont plus été exposés aux balles et aux
-bombes ennemies, aux gaz asphyxiants, aux raids des avions, aux attaques
-des sous-marins, la grande compassion, qui remplissait les cœurs et les
-faisait vibrer d’une vie douloureuse et palpitante, s’est éteinte tout à
-coup comme une bougie sur laquelle on vient de souffler brutalement.
-
- * * * * *
-
-C’est que le règne des paroles pernicieuses et inutiles, avait succédé à
-celui des actes héroïques et que les compromis s’étaient substitués aux
-nobles endurances. La pitié ardente qui attendrissait les regards trop
-scrutateurs et empêchait les observations aiguës, avait, en
-disparaissant, rendu la liberté aux yeux et aux cerveaux.
-
-Les hommes recommencèrent alors à se juger entre eux, et beaucoup
-pensèrent que leurs concitoyens étaient au fond de pauvres hères, que
-leurs voisins, ou plutôt leurs compagnons de misère, ne présentaient pas
-des personnalités beaucoup plus intéressantes. Ce fut ainsi, que l’amour
-pour l’_humana gens_ commença de pâlir dans les cœurs. Cet état
-d’endurcissement n’a pas été suffisamment observé; d’aucuns même l’ont
-laissé passer inaperçu et ne s’aperçoivent pas qu’il dure encore.
-
-Individuellement cependant, quelques hommes ont surmonté la crise: De
-l’excès même de leur dégoût, quelque chose a remué dans leur cœur: avoir
-tant plaint l’homme, parce que sa chair était meurtrie et que son sang
-coulait, et rester insensible aux douleurs que lui prépare l’avenir
-obscur, glacial, terne et décoloré, qui semble logiquement l’attendre,
-quelle anomalie, quelle cruauté!
-
-C’est au plus fort de cette anormale indifférence que soudain, en
-quelques-uns, l’amour pour les hommes a refleuri. Ces êtres, ces
-générations qu’attendent de si déconcertantes perspectives, ce sont
-leurs frères, leurs fils, et une idée a commencé à germer dans les
-cerveaux de ceux qui ont l’habitude de veiller: «Nous ne pouvons pas
-laisser périr l’humanité. Le secours doit venir...»
-
-Hélas! on n’est plus au temps des croisades, alors qu’on pouvait
-enflammer les cœurs en prononçant le nom magique de Jérusalem! La ville
-sainte a été délivrée, et son nom n’exerce plus sur les âmes l’ancien
-effet prestigieux. Une anxieuse question se pose: «Si jamais le tombeau
-qu’elle renferme retombait aux mains de ses anciens détenteurs, les
-souverains de la terre accourraient-ils de tous les points du globe dans
-la vallée de Cédron pour délivrer le Saint-Sépulcre?»
-
-Il a fallu, après la dernière croisade, environ sept siècles et une
-nouvelle invasion de Barbares pour que l’Europe chrétienne, en
-repoussant les hordes qui menaçaient sa civilisation, se soit enfin
-décidée à chasser les Infidèles qui montaient la garde au tombeau de
-l’enfant qui naquit à Bethléem et mourut sur le Golgotha!
-
- * * * * *
-
-Les cerveaux qui s’éveillent, les consciences qui crient, les
-physionomies qui révèlent des forces nouvelles et les yeux qui reflètent
-des visions intérieures forment une petite avant-garde, dont la mission
-est d’enflammer d’un renouveau de confiance les cœurs oppressés et
-déprimés.
-
-L’origine de ce mouvement est double, comme nous l’avons indiqué déjà.
-Les uns y sont amenés par une foi tenace dans la paternité du Parfait
-qui ne peut abandonner ses créatures; les autres, par un réveil de
-fraternité devant les abominables perspectives d’avenir que prépare la
-vague de folie qui a passé sur le monde.
-
-Mais ces champions doivent croître en nombre et en force pour triompher
-du chaos universel et dominer l’étourdissante cacophonie qui a remplacé
-la puissante voix du canon. Le chant même des oiseaux ne résonne plus
-joyeux et triomphant comme jadis: d’aucuns vont jusqu’à prétendre que le
-rossignol, effrayé, désertant les bois et les jardins, ne fait plus
-entendre, sauf dans les vers des poètes, ses trilles délicieux.
-
-Se taire, espérer, attendre, veiller, écouter les voix profondes de la
-nature, regarder les étoiles derrière lesquelles se cachent les vérités
-éternelles, voilà ce que les hommes de bonne volonté peuvent faire pour
-provoquer et pour hâter la rentrée au port.
-
-Shakespeare a dit: _It is the mind that makes the body rich._ Si cette
-parole s’applique victorieusement à la matière, combien plus doit-elle
-être exacte en ce qui concerne les choses de l’esprit, car, comme l’a
-dit Plutarque, «l’âme n’est pas un vase à remplir, mais un feu à
-allumer». Or, le monde, en ce moment, a besoin de grands feux brûlant
-sur les montagnes, qui soient comme un appel lancé au loin. Les cerveaux
-qui veillent doivent être les premiers à signaler ces feux. En bas,
-leurs regards doivent fouiller partout car, selon la belle expression de
-Rostand: «Il y a de la boue qui veut redevenir de la terre.»
-
-
-
-
-CINQUIÈME PARTIE
-
-La rentrée au port.
-
-
-Des barques à la dérive, sans timon et sans pilote, sur une mer
-démontée, voilà l’image du monde actuel après trois ans de paix!
-
-Les embarcations qui sillonnent les eaux semblent devoir chavirer
-toutes, les unes après les autres, car l’équipage est incapable de
-trouver la direction d’un port où jeter l’ancre. Le naufrage paraît
-imminent aux passagers consternés et aux spectateurs qui, du rivage,
-observent les manœuvres des voiles et le mouvement des rameurs.
-
-Dans certains pays du globe, les mers et les fleuves semblent plus
-normaux d’aspect, mais il y a partout, sur les eaux et dans les airs,
-des soubresauts inquiétants, et les apparentes oasis sont trompeuses,
-semblables à ces prairies riantes et vertes qui cachent des marais
-profonds où le pied s’embourbe, s’enfonce et qui finissent par engloutir
-inexorablement hommes et bêtes.
-
- * * * * *
-
-Cependant, dans l’ordre des faits naturels, on voit même aujourd’hui les
-tempêtes finir par s’apaiser normalement, le ciel redevenir serein, et
-lorsqu’après une violente bourrasque, on assiste à la rentrée au port
-des grandes et des petites embarcations, une sensation exquise de
-bien-être envahit les hommes. Le calme subit du ciel, de l’air et des
-eaux produit également un effet magique sur les cœurs angoissés; il
-tranquillise leurs battements trop rapides et apaise leur excessive
-émotion.
-
-S’il en est ainsi pour les tempêtes qui agitent les flots et
-l’atmosphère, le même phénomène devrait logiquement se produire dans
-l’ordre des faits intellectuels et moraux. Les horribles tueries, que
-les regards humains ont été forcés de contempler, ont provoqué ce
-détraquement des cerveaux qui rend aujourd’hui les hommes apparemment
-incapables de bon sens, de clairvoyance et de tout pouvoir de résistance
-et de réaction. La phrase désastreuse de Tolstoï: «Il ne faut pas lutter
-contre le mal», a fait école hors de Russie et semble avoir envahi les
-âmes occidentales. Nous assistons avec épouvante à des phénomènes
-redoutables dont rien n’indique encore clairement la disparition
-prochaine.
-
- * * * * *
-
-Et pourtant...! Croire à la perpétuité de l’obscurcissement du cerveau
-humain, n’est pas seulement absurde et illogique; c’est encore la plus
-grande offense qui puisse être faite au Créateur des merveilles de la
-nature. Il devrait nous suffire de contempler une nuit étoilée, ou bien
-de regarder l’Aurore qui précède, matin, après matin, la naissance de
-l’astre du jour, pour comprendre que la lumière qui éclaire et réchauffe
-notre planète, ne désertera jamais l’univers, car elle est la condition
-même de son existence; à sa source s’alimente l’_Esprit_ qui règle et
-dirige le destin des hommes. Ceux-ci ont, par conséquent, le droit de
-croire au prochain retour de la lumière qui éclairait et réglait leur
-conduite morale.
-
- * * * * *
-
-Mais avant d’ouvrir trop largement son cœur à l’espérance, et dans
-l’attente du souffle puissant qui balaiera les nuages du ciel spirituel
-de l’humanité et établira les bases d’une société nouvelle, il est
-indispensable, comme nous l’avons dit, que l’homme ouvre ses yeux et
-aiguise son esprit pour mieux étudier les mentalités actuelles et pour
-rechercher s’il n’y a pas, entre elles et le bonheur dans l’ordre,
-d’infranchissables barrières ou quelque éclatante divergence de
-conception.
-
-
-
-
-CHAPITRE PREMIER
-
-LE MOT D’ORDRE: SERVIR!
-
- Servir... servir... servir!
- (Paroles de Kundri dans _Parsifal_
- de RICHARD WAGNER.)
-
-
-La vérité est qu’il y a en ce moment un terrible malentendu entre
-l’homme et sa destinée.
-
-Quel que soit son rang social ou sa condition intellectuelle, il refuse
-avec arrogance d’accomplir celle-ci, et les plus rebelles sont souvent
-les plus petits. Ils mettent à désobéir à l’ordre divin une âpreté
-extraordinaire et se sentiraient horriblement humiliés d’accepter le mot
-d’ordre que les descendants d’Adam portent tous sur leur front, tracé
-par la main suprême qui dirige les destinées humaines. Ce mot est celui
-de Parsifal: _Servir!_
-
- * * * * *
-
-Il est inutile de protester, de s’indigner, de se révolter... L’ordre
-est péremptoire; il faut courber la tête, y conformer sa vie, si l’on ne
-veut pas tomber dans le désespoir morne, lourd, glacial et sombre que
-l’homme a connu à la suite de la grande révolte morale de
-l’après-guerre, et qui a rempli sa bouche d’un goût de cendre.
-
-Imitons Dante, qui, après avoir entendu les paroles des sages,
-interrogeait avec anxiété les yeux de l’aigle pour savoir si Virgile,
-non baptisé, pourrait voir un jour les portes du paradis s’ouvrir devant
-lui et relisons les livres sacrés de toutes les religions et ceux où se
-déroule l’histoire des philosophies et des destinées humaines; nous nous
-rendrons compte que, sur ce point, il est oiseux de discuter et de
-s’insurger.
-
-Nous sommes des serviteurs, pas des esclaves, entendons-nous! La
-reconnaissance par Dieu du libre arbitre de l’homme l’a sauvé de
-l’esclavage, mais non du service. Ce service librement accepté a ouvert
-pour lui les portes de la joie terrestre, lui a conféré en même temps
-une grande dignité et a fait de lui une sorte de roi, puisque, servant
-son maître avec l’amour d’un fils, il s’élève de ce fait à un niveau qui
-lui fait immédiatement gravir plusieurs échelons dans la hiérarchie
-morale des êtres.
-
- * * * * *
-
-En cette heure de l’histoire du monde où chacun, avec une arrogance que
-double une épaisse sottise, se refuse au travail et à l’obéissance, il
-semblera sans doute à la plupart absurde, maladroit et inopportun
-d’avoir l’audace d’affirmer qu’en dehors du _service_, même le plus
-humble, il n’y a pas pour l’homme de bonheur possible, et que sa dignité
-et son amour-propre trouvent tous deux leur avantage à ce service
-librement et joyeusement consenti.
-
- * * * * *
-
-Les Anciens avaient coutume de dire que Jupiter aveuglait ceux qu’il
-voulait perdre. Ne dirait-on pas aujourd’hui qu’une main malfaisante se
-plaît à poser un bandeau sur les yeux des hommes pour les empêcher de
-discerner les vérités les plus évidentes et leur cacher les périls les
-plus menaçants? Mais Zeus est mort, et il est impossible d’attribuer au
-Père du Fils de l’Homme les actes que pouvait se permettre le maître des
-dieux, représentant de toutes les passions humaines.
-
-La responsabilité de son misérable état d’âme repose donc entièrement
-sur les épaules de l’homme d’aujourd’hui et sur celles des mauvais
-bergers qui l’ont nourri de paradoxes et de sophismes enveloppés de
-grands mots creux, dont le néant a été percé depuis longtemps, mais qui
-continuent cependant à égarer certaines âmes.
-
-Or, nul n’est plus difficile à guérir que le malade et le dément qui
-veulent l’être; l’intelligence et la volonté humaines n’y suffisent pas.
-Non que les raisonnements ne puissent avoir leur rôle dans le formidable
-combat engagé par les hommes révoltés contre l’ordre établi et le grand
-législateur de toutes choses. Il est même des cas où la répression
-violente est peut-être indispensable pour vaincre certaines formes de la
-rébellion. Mais puisque la tendance qui nous courbe aujourd’hui vers le
-limon de la terre, comme les bœufs vers l’abreuvoir, est plutôt un état
-d’esprit qu’un phénomène physique, c’est plutôt vers l’intervention des
-forces spirituelles que les espérances des hommes de bonne volonté
-doivent se tourner. Il faut qu’ils se penchent vers leur subconscient
-pour écouter sa voix profonde; il faut qu’en toutes choses ils invoquent
-l’appui de l’Esprit.
-
-
-
-
-CHAPITRE II
-
-QUEL SERA LE PILOTE?
-
- Quand Enée s’aperçut de la
- disparition de son pilote, il
- prit sa place.
- VIRGILE (_Enéide_).
-
-
-Quel sera le pilote? Telle est l’anxieuse interrogation qui se pose
-devant les âmes et les esprits des hommes.
-
-Pour ramener rapidement les cœurs rebelles à l’obéissance, il faudrait
-qu’une bouche divine, celle du «grand convive des Noces de Cana», comme
-l’appelle le poète Louis Bouilhet, répète à l’homme, d’une voix plus
-résonnante que l’airain, l’ordre suprême du Créateur: «Tu es né pour
-travailler et servir», et que la réponse de l’homme sorte frémissante
-de son cœur et de ses entrailles: «Je servirai».
-
-Ce serait là un double miracle; mais si nous pouvons, d’après les
-promesses divines faites aux violents sur le royaume des cieux, nous
-attendre au miracle, et si l’immense clameur des âmes angoissées
-parvient à l’imposer à Dieu, c’est toujours Lui qui choisit son heure,
-et notre attitude ne peut être que celle de l’attente confiante et
-patiente.
-
-Une voie cependant est toujours ouverte aux cœurs religieux, même si
-leur pensée est libre, c’est celle qui s’adresse directement à l’Esprit,
-à cet Esprit dont Joseph Mazzini, le nouvel Ézéchiel, comme l’appelait
-le grand poète Carducci, annonçait le règne dans la forme religieuse
-qu’il prévoyait pour l’avenir; et qui se dévoilera à l’homme à travers
-ce mystérieux subconscient qui règle les rapports de l’être humain avec
-les forces suprêmes. L’existence de ce merveilleux intermédiaire entre
-la conscience humaine et la divinité, n’a été comprise jusqu’ici que par
-un nombre restreint de cerveaux.
-
-Il est évident que l’action de l’Esprit est souvent lente, et il est
-rare qu’elle se manifeste d’une façon éclatante; elle marque cependant
-les âmes d’une ineffaçable empreinte, et le jour viendra, sans doute, où
-celles qui auront été ainsi désignées, se dresseront une à une, prêtes,
-dès le point du jour, comme les moissonneurs, à faucher le blé mûr, et,
-comme des soldats à l’appel du tocsin, à mettre leur fusil sur l’épaule
-et à descendre dans la plaine ou à gravir la montagne pour défendre
-l’idéal contre l’humiliante limitation de la pensée humaine au monde
-matériel et visible.
-
-Que les positivistes ne s’alarment pas de ce programme. Le monde des
-faits ne peut, lui aussi, qu’y gagner. Lorsque les ouvriers seront prêts
-et que le drapeau de la nouvelle Croisade sera déployé, tout ce qui
-appartient à l’ordre des phénomènes naturels et sociaux trouvera sa
-place, comme les morceaux épars et confus de ces jeux de patience qui,
-avant la guerre, ont eu leur jour de vogue dans le monde des désœuvrés.
-
-Mais le rétablissement des formes qui réglaient l’existence de
-l’avant-guerre, et la reprise normale de tous les services sociaux et de
-la vie économique des nations, ne pourront plus satisfaire entièrement
-l’homme, dont la perspicacité aiguisée a appris à discerner, sous les
-cicatrices fermées, la permanence du virus qui continue à ronger les
-tissus essentiels à la vie. Il avait fait de bien autres rêves!...
-
-«Une immense espérance a traversé la terre», disait Alfred de Musset, en
-parlant de l’apparition du Christ dans le monde. Ces mots célèbres du
-poète des _Nuits_ peuvent être rappelés à propos du frémissement qui a
-soulevé les âmes, lors de la grande levée de boucliers du droit contre
-la force, et qui les avait remplies d’une invincible certitude, non
-seulement de victoire, mais de rénovation.
-
-Ces champions de l’espérance, qui ne vivent pas machinalement au jour le
-jour en se contentant de la cendre des choses, devraient se rappeler que
-Varron, un païen, a dit: «Les dieux protègent ceux qui les invoquent»,
-et se souvenir aussi de l’abondance des promesses de l’Évangile sur
-l’efficacité de la prière des violents. Ils invoqueraient alors les
-forces suprêmes avec cette persistance et cette impétuosité qui irritent
-les hommes, mais que, paraît-il, la patience de Dieu accepte et
-supporte: «Un pilote! un pilote! devraient-ils s’écrier. Par pitié,
-Seigneur, donnez-nous un pilote qui nous conduise!»
-
- * * * * *
-
-Nous sommes tellement habitués à tout matérialiser et à tout voir sous
-forme d’images, qu’en entendant parler de pilote, nous regardons
-instinctivement autour de nous pour essayer d’apercevoir, dans le monde
-visible, la silhouette de l’être à figure d’homme capable de prendre en
-mains les destinées humaines et de les conduire au port. Quelques noms
-nous viennent à l’esprit, mais nos lèvres ne les prononcent pas, et nous
-nous contentons de pousser un soupir ou de faire un geste découragé.
-
-C’est qu’en effet, même parmi les meilleurs et les plus grands, aucun
-homme n’est tout à fait à la hauteur de ce rôle. C’est en vain que nous
-interrogeons l’horizon: Rien ne surgit. Les chemins poudroient, les
-champs verdoient, le soleil flamboie, mais le cavalier sauveur ne paraît
-pas encore et la nuit ne se dissipe point!
-
-Pour apercevoir une lueur, il faudrait monter plus haut, regarder au
-delà, élargir nos moyens d’action. Autrefois, l’histoire nous l’apprend,
-le travail d’une seule conscience suffisait parfois. Faut-il,
-peut-être, aujourd’hui que les plus délicates fonctions de l’âme
-s’accomplissent collectivement? Allumer des phares dans le cœur des
-hommes de bonne volonté pour faire de ceux-ci des conducteurs d’hommes
-et de barques, cela est du ressort de l’Esprit, suprême Pilote de
-l’humanité!
-
-Supplions-le de n’abandonner plus jamais, sur la mer démontée, nos
-embarcations fragiles, qui ne portent pas seulement cette fois la
-fortune d’Enée et des héros troyens, mais les destinées du monde entier.
-
-Les Anciens dressaient jadis, à la proue de leurs navires, une figure de
-femme, destinée à les protéger contre les vents contraires ou les flots
-en délire, et à leur assurer le triomphe des armes. La fulgurante image
-de la Victoire de Samothrace se dresse devant nos yeux. Le même usage
-s’est continué dans le monde chrétien; les petits voiliers et les
-barques de pêcheur ont longtemps arboré à leur proue une figure en bois
-représentant soit un ange aux ailes déployées, soit une sainte
-protectrice, et l’on trouve encore, dans les anciens châteaux et abbayes
-de France, quelques-unes de ces naïves et touchantes statuettes.
-
-Les symboles ne sont plus guère à la mode aujourd’hui, mais on peut
-penser cependant que si les hommes attachaient mentalement à leur barque
-personnelle un symbole moral, l’œuvre du pilote en serait facilitée. On
-vient fêter partout en Europe, le centenaire de Dante Alighieri. Quel
-choix de symboles merveilleux renferme la Divine Comédie! L’image de la
-dame de blancheur décrite au chapitre XII du _Purgatoire_, «dont le
-visage luit comme l’étoile du matin», serait une efficace protectrice
-pour les embarcations qui, ayant miraculeusement échappé à la tempête,
-rentrent au port avant d’affronter d’autres périlleux voyages.
-
-
-
-
-CHAPITRE III
-
-LA TRIOMPHATRICE DE DEMAIN
-
- A noi venia la creatura bella
- Bianco vestita e nelle faccia quale
- Par tremolante mattutina stella.
- DANTE, _Purgatorio_,
- Canto 12, Sta. 88.
-
-
-Si les hommes comprenaient et acceptaient, à tous les degrés de
-l’échelle sociale le mot d’ordre contre lequel a eu lieu la grande
-révolte qui s’est accentuée dès le début du XXᵉ siècle, une autre
-transformation s’accomplirait logiquement dans les cœurs, et une
-triomphatrice inattendue y remplacerait cette arrogance individualiste
-qui, de jour en jour, les exalte sottement et dessèche en eux la source
-des émotions nobles.
-
-Un orgueil absurde--qui ne s’en rend compte?--a envahi aujourd’hui tous
-les cerveaux. Il suffit d’un peu de bon sens et de clairvoyance pour le
-constater. Chacun a de soi-même une opinion si exagérée que celle-ci va
-souvent jusqu’au ridicule. On dirait que les prétentions croissent en
-proportion directe de la médiocrité des personnes et des conditions.
-C’est là un phénomène si singulier que cette outrecuidance serait d’un
-haut comique, si elle ne remuait pas dans notre âme de mélancoliques
-pensées sur notre situation réelle au point de vue terrestre. Que
-sommes-nous, en effet, sinon de pauvres condamnés à mort, isolés dans le
-vaste univers? Il n’y a vraiment pas là de quoi s’enorgueillir, même si
-l’on appartient à la catégorie restreinte des favorisés de la nature et
-du sort!
-
-Pour peu qu’on réfléchisse de bonne foi aux conditions de la vie humaine
-on est amené à se convaincre qu’il n’y a de dignité réelle et de
-sécurité morale pour l’homme que dans une conception modeste de sa
-propre individualité. Si les éducateurs avaient su élever et diriger la
-pensée de ce dernier, il le comprendrait dès l’enfance et essayerait de
-se débarrasser au plus vite de la lourde carapace de prétentions,
-d’exigences, de vanités, de griefs et de rancunes qu’il traîne après
-lui. Ce bagage, qui l’enfle démesurément, le rend semblable à une énorme
-cible où tous les coups portent: piqûres d’épingle, flèches envenimées,
-coups de canif, l’atteignent de tous les côtés, tandis qu’ils glissent
-sur l’homme réellement fier et assez adroit pour se rendre le plus petit
-possible, afin d’offrir une moindre prise aux attaques.
-
-Si la conscience du peu qu’il est en réalité ne suffit pas à enseigner à
-l’homme la modestie de l’attitude, le simple tact devrait lui apprendre
-quelle maladresse il commet, au point de vue de son intérêt personnel,
-en affichant des prétentions injustifiées et que l’opinion ne ratifie
-pas. J’ai connu un homme, dont je veux, comme exemple, rappeler ici le
-souvenir: il avait occupé de grandes positions, mais sa vie avait été
-très mouvementée, et l’on devinait que ses yeux avaient vu trop de
-choses! S’il parvint à esquiver la plupart des inconvénients qui
-auraient pu résulter pour lui de son passé, ce fut par la modestie
-constante et habile de son attitude. Il s’agissait évidemment, dans son
-cas, d’un triomphe du tact, de l’intuition, du sens de la mesure qui
-n’est possible qu’aux êtres très raffinés; pour que la modestie se
-généralise, elle doit devenir un sentiment du cœur, né dans la
-conscience, de façon à être à la portée de tous.
-
- * * * * *
-
-A l’heure actuelle parler d’humilité, c’est comme parler de service. La
-plupart des êtres repoussent cette vertu comme un hôte indésirable qu’il
-faut écarter soigneusement de sa vie; on croit y voir un élément de
-laideur, de pauvreté, de mesquinerie, de platitude, et chacun, avec un
-geste méprisant, gouailleur, ou tout au plus, dédaigneusement
-compatissant, lui ferme les portes de sa maison. Cette image décolorée
-et terne que nous nous faisons de l’humilité ne ressemble en rien à
-celle que nous présente le poète. Telle que son génie l’a conçue, c’est
-une créature d’une beauté parfaite, vêtue de blanc et sur le visage de
-laquelle semble trembler l’étoile du matin. Quel contraste avec la
-Cendrillon poussiéreuse que nous avons reléguée derrière le mur de nos
-maisons, en refusant de lui en laisser franchir le seuil!
-
-Après avoir ainsi dépeint l’humilité dans l’éclat d’un rayonnement
-incomparable, Dante lui donne la parole, et celle-ci ouvrant les bras
-et déployant les ailes, la prend tout à coup avec une autorité
-extraordinaire: «Venez, dit-elle, je suis près des degrés qui montent,
-mais désormais on les gravit facilement», ce qui signifie qu’après avoir
-ouvert notre cœur à l’humilité, les obstacles de la route disparaissent
-et que l’ascension devient aisée.
-
- * * * * *
-
-Sans l’humilité comme sœur et compagne de route, chaque caillou se
-change en pierre, chaque pierre en rocher; les pieds sont pris aux
-pièges du chemin et s’embarrassent de mille entraves. Sans elle comme
-point d’appui, on n’avance pas, on recule, et les plus nobles fiertés se
-changent en présomptueux orgueil, car elle seule affermit les cœurs et
-assure la dignité réelle des êtres.
-
-Certes, il y a entre les hommes,--il serait injuste de le
-nier--d’immenses différences de valeur intrinsèque. Les uns, par la
-hauteur de leur pensée, atteignent presque aux étoiles; d’autres roulent
-dans la fange et s’y complaisent. Mais ceux même qui ont gravi le Mont
-Sacré, se rappelant de l’ordre imparti par Celui qui naquit dans une
-étable: «Soyez parfaits comme votre père qui est aux cieux est parfait»,
-doivent comprendre qu’aucun orgueil personnel ne peut subsister dans
-l’âme humaine, tellement elle est éloignée de l’incommensurable modèle
-qui lui a été proposé.
-
- * * * * *
-
-Je n’ai pas l’intention de dépouiller l’homme de ses légitimes
-satisfactions d’amour-propre; tout ouvrier qui a le sentiment d’avoir
-bien accompli sa tâche journalière,--qu’il s’appelle Aristote ou qu’il
-réponde au nom d’un simple berger des Alpes,--a le droit d’être fier
-d’avoir fidèlement servi son maître. Cette fierté-là n’éloignera pas de
-lui la belle créature qui le reconnaîtra pour frère et couronnera son
-front d’une auréole de blancheur. La bonne volonté dans le travail est
-la sœur de l’humilité, de cette enchanteresse qui, par sa radieuse
-grâce, détient la clef des cœurs, car, sans nous en douter, ce que nous
-chérissons dans les êtres, c’est la parcelle d’humilité qu’ils
-possèdent!
-
-
-
-
-CHAPITRE IV
-
-AMES CRÉATRICES
-
-
-Elles n’ont jamais cessé d’exister tout à fait, ni pendant, ni après la
-guerre, et dans le sombre tableau qui s’étend sous nos yeux on voit ici
-et là surgir quelques taches claires, d’où sortent parfois de petites
-flammes légères. Ces âmes ne sont pas toutes des créatrices, mais elles
-sont les chevilles ouvrières de ce qui est resté debout après la
-tourmente ou de ce qui est en train de se reformer lentement. Grâce à
-leur concours, les œuvres sociales laïques ou religieuses ont, en
-partie, repris leur fonctionnement régulier. Le recrutement des
-travailleurs est, il est vrai, devenu moins abondant, car on sait que
-l’altruisme est un vêtement démodé, dont on a presque honte de se vêtir.
-Il faut tenir compte aussi du fait que le jugement des hommes s’étant
-singulièrement aiguisé, ils n’attachent plus une aussi grande importance
-à leurs efforts sociaux et philanthropiques, et n’éprouvent plus, par
-conséquent, à les accomplir cette satisfaction dont certains cœurs
-s’enivraient avec un pieux orgueil. C’est là une diminution d’attrait
-pour les esprits faibles, mais faut-il regretter de perdre ceux-ci comme
-frères d’armes?
-
- * * * * *
-
-Et ici une question très grave se pose: Quelle sera la situation des
-faibles dans le monde de l’avenir? Mais le moment d’envisager ce
-problème n’est pas venu encore. Ce qu’il est urgent de découvrir à
-l’heure actuelle, ce sont les représentants d’une autre catégorie
-d’êtres; de ceux qui cherchent, inventent, réalisent... Ils n’ont pas
-toujours une âme visible, mais disposent certainement d’un cerveau
-puissant et, tout en étant pour la plupart d’un positivisme absolu ils
-voient au delà des réalités, ce qui les rapproche des adorateurs de
-l’Esprit.
-
-L’effort qui s’accomplit en ce sens est immense dans la génération
-actuelle; et on la voit asservir à ses fins le fer et le feu. De tous
-ces flambeaux qu’elle allume, des forces accumulées sortiront qui
-transformeront et gouverneront le monde. Il est trop tôt pour qu’on
-puisse prévoir les résultats de cette fièvre de recherches, dont
-certaines expositions, certains congrès scientifiques réunis dans les
-grands centres d’Europe et d’Amérique, ne fournissent encore qu’une pâle
-synthèse. Depuis des siècles, tous les écoliers du monde ont appris
-l’histoire d’Icare et de Prométhée, et ont palpité d’admiration pour ces
-audacieux qui tentèrent de ravir le feu du ciel et s’exposèrent
-joyeusement, pour remporter un tel prix, à être précipités dans les
-abîmes infernaux.
-
-Aujourd’hui, ces audacieux sont devenus légion, et ce qui est digne de
-remarque, c’est qu’ils n’espèrent rien ravir! Ils se lancent éperdus
-dans l’espace, sans presque savoir pourquoi, poussés par l’irrésistible
-besoin de dépenser leur énergie, de faire ce qui n’avait pas été fait
-encore, et de se rapprocher du soleil! L’astre suprême, semblable à un
-formidable aimant, attire vers lui ces hommes... Ils seront anéantis par
-son brûlant voisinage, qu’importe! Ils auront dépassé les autres
-conquérants des airs sur la route du ciel et aperçu, comme Moïse, dans
-une fulgurante vision, la face de Dieu! Cette ivresse compense, à leurs
-yeux, bien des pertes, même celle de leur vie, de leur corps réduit en
-fragments informes et sanglants.
-
-Parmi les symptômes d’espérance que j’ai signalés, il serait injuste et
-illogique de ne pas tenir compte de ce grand mouvement de recherche et
-d’invention qui enfièvre la jeunesse moderne. Ces techniciens n’écrivent
-pas de vers, mais ils font, à leur façon, de la poésie vivante et
-hardie. Ils ne respectent guère, sans doute, les traditions
-métaphysiques, car plusieurs ont adopté le système de Descartes, et fait
-_table rase_ de ce qu’ils avaient jusqu’alors appris; ils veulent se
-rendre compte par eux-mêmes et librement, des points de vue qu’ils
-doivent accepter ou défendre, s’aiguillant souvent ainsi vers des vues
-nouvelles et inattendues.
-
-Ces jeunes gens ne sont pas prêts encore à être des pilotes, mais ils
-représentent des éléments de vie, desquels pourront surgir les âmes
-créatrices, capables d’inspirations subites et douées de cette
-sensualité d’esprit qui, par le fluide mystérieux et puissant qu’elle
-dégage, attire irrésistiblement les autres âmes.
-
- * * * * *
-
-Un pont suspendu, et que l’humanité attend, doit être lancé assez haut
-pour permettre aux habitants des deux rivages entre lesquels se partage
-notre civilisation, d’échanger des pensées et de suivre ensemble du
-regard la marche des étoiles. Ce pont sera l’œuvre des âmes créatrices.
-
-Qu’elles se hâtent donc de le construire, car entre ceux dont la
-mentalité a été nourrie d’Homère et de Virgile et les techniciens
-modernes, disciples passionnés de l’équation, il ne peut y avoir de
-barrières irréductibles, puisque certains éléments de leur vie cachée et
-profonde sont et resteront éternellement les mêmes.
-
-Les chercheurs et les inventeurs, par le fait même de leur vocation,
-sont presque toujours des silencieux qui n’ont pas l’habitude de jouer,
-en de frivoles entretiens, avec les mots inutiles, ni de brutaliser la
-parole humaine ou de la traîner dans des marécages boueux; ils lui ont
-ainsi conservé une sorte de virginité qui la rend plus efficace et plus
-convaincante lorsqu’ils l’emploient.
-
-Le monde aurait besoin, en ce moment, d’entendre quelques paroles fermes
-et ailées, et c’est peut-être de la bouche de l’un de ces jeunes gens
-qu’elles sortiront.
-
- * * * * *
-
-Après avoir déchaîné tant de tempêtes matérielles et morales,
-l’instrument magique, inspiré par les âmes créatrices, révélera au monde
-qu’il y a dans la vie des valeurs et des joies jusqu’ici insoupçonnées.
-
-Quelques êtres privilégiés ont les mains pleines de grâces. Pourquoi
-leurs lèvres--celles, par exemple, qui se refusant à violer la parole,
-l’ont toujours respectée--ne pourraient-elles répandre ces grâces?
-
- * * * * *
-
-Ne nous bornons pas à effleurer les surfaces. C’est dans les choses qui
-ne peuvent mourir qu’il faut avoir confiance, même si la nuit semble
-s’obscurcir et si les glas sonnent autour de nous.
-
-Dans le drame d’Ibsen: _Empereur et Galiléen_, une épouvante traverse
-tout à coup l’âme de l’Apostat. «Où est-il maintenant?» se demande-t-il
-avec une indicible terreur. «La mort sur le Golgotha, près de
-Jérusalem, n’aurait-elle été qu’un épisode, une chose faite en passant,
-dans une heure de loisir? Qui nous assure qu’Il ne continue pas son
-œuvre, et souffre, et meurt, et est vainqueur de nouveau, et toujours,
-de monde en monde?...»
-
-C’est là une terrible vision de continuité qui hante les nuits, et
-tenaille obscurément l’âme de celui qui a été vaincu dans sa tentative
-de rétablir le culte des dieux qu’il croyait lié à la grandeur de Rome;
-mais ce cauchemar se transforme en une vision consolante pour ceux dans
-le cœur desquels l’image de l’enfant de Bethléem, bien qu’oubliée et
-souvent reniée et trahie, a régné, ne fût-ce qu’un instant!
-
-
- Rome, 1920; Abbaye de Villeloin et Paris, 1921.
-
-
-
-
-TABLE DES MATIERES
-
-
- Pages.
-
-PRÉFACE VII
-
-
-PREMIÈRE PARTIE
-
-=Pendant que la nuit dure encore.=
-
-CHAPITRE PREMIER.--Espérances prématurées 1
-
--- II.--L’Attente 8
-
--- III.--Le Silence 12
-
--- IV.--L’Instrument magique 21
-
-
-DEUXIÈME PARTIE
-
-=Marchands et marchandes de fumée.=
-
-CHAPITRE PREMIER.--Chassons les vendeurs du
-Temple 31
-
--- II.--Les Escamoteurs 35
-
--- III.--Les Faux Interprètes 43
-
--- IV.--Les Faux Juges 56
-
--- V.--Les Bluffeurs 62
-
--- VI.--Lanceuses de bulles de savon 65
-
-
-TROISIÈME PARTIE
-
-=Les Problèmes de l’heure.=
-
-CHAPITRE PREMIER.--Une condamnée à mort qui
-défie la mort 68
-
--- II.--L’Éducation des peuples civilisés 85
-
--- III.--Éteigneuses de phares 104
-
--- IV.--Celles qui portent encore le flambeau 113
-
-
-QUATRIÈME PARTIE
-
-=Sur la montagne quelques feux s’allument.=
-
-CHAPITRE PREMIER.--Les Consciences qui crient 132
-
--- II.--Les Physionomies révélatrices 139
-
--- III.--Les Yeux qui voient 147
-
--- IV.--Les Cerveaux qui veillent 153
-
-
-CINQUIÈME PARTIE
-
-=La Rentrée au port.=
-
-CHAPITRE PREMIER.--Le Mot d’ordre: Servir 167
-
--- II.--Quel sera le pilote? 172
-
--- III.--La Triomphatrice de demain 179
-
--- IV.--Ames créatrices 186
-
-
-5343.--Tours, Imprimerie E. ARRAULT et Cⁱᵉ.
-
- * * * * *
-
-
- LIBRAIRIE FISCHBACHER, 33, rue de Seine, Paris.
-
-
-_En vente_:
-
-
-OUVRAGES DE DORA MELEGARI
-
-=Ames dormantes= (_Ouvrage couronné par l’Académie
- française_), 8ᵉ édition, in-12 =6= fr. =75=
-=Faiseurs de peines et faiseurs de joies.=, 12ᵉ édition, in-12 =6= fr. =75=
-=Chercheurs de sources=, 5ᵉ édition, in-12 =6= fr. =75=
-=Amis et ennemis=, 4ᵉ édition, in-12 =6= fr. =75=
-=La jeune Italie et la jeune Europe.= _Lettres inédites de
- Joseph Mazzini à Louis-Amédée Melegari_, in-12 =5= fr. =»=
-=Mes Filles=, _Roman_, in-12 (_épuisé_).
-
-
-OUVRAGES DE CHARLES WAGNER
-
-=Jeunesse=, 33ᵉ édition, in-12 =6= fr. =75=
-=Vaillance=, 24ᵉ édition, in-12 =6= fr. =75=
-=Justice.= _Huit discours_, 8ᵉ édition, in-12 =6= fr. =75=
-=Sois un homme!= _Simples causeries sur la conduite de la
- vie_, 4ᵉ édition, in-12 =3= fr. =50=
-=L’Ame des choses=, 3ᵉ édition, in-12 =6= fr. =75=
-=Le long du chemin=, 5ᵉ édition, in 12 =6= fr. =75=
-=La Vie simple=, 15ᵉ édition, in-12 =6= fr. =75=
-=Auprès du Foyer=, 8ᵉ édition, in-12 =6= fr. =75=
-=Vers le cœur de l’Amérique=, 3ᵉ édition, in-12 (_épuisé_) =6= fr. =75=
-=Pour les Petits et les Grands=, 4ᵉ édition, in-12 =6= fr. =75=
-=A travers les choses et les hommes=, 3ᵉ édition, in-12 =6= fr. =75=
-=Par le sourire=, in-12 =6= fr. =75=
-=Ce qu’il faudra toujours=, in-12 =6= fr. =75=
-
-
-OUVRAGES DE JEANNE DE VIETINGHOFF
-
-=La liberté intérieure=, 3ᵉ édition, in-12 =6= fr. =75=
-=Impressions d’âme=, 3ᵉ édition, in-16 =5= fr. =»=
-=L’Intelligence du Bien=, 5ᵉ édition, in-16 =6= fr. =»=
-=Au seuil d’un monde nouveau=, in-16 =6= fr. =75=
-
-
- 5343.--Tours, imprimerie E. ARRAULT et Cⁱᵉ.
-
-
-NOTES:
-
-[A] _Le Livre de l’Espérance_, par DORA MELEGARI, Payot-Paris, 1916.
-
-[B] Voir DORA MELEGARI, _Chercheurs de sources_, Paris, Fischbacher.
-
-[C] Une proposition en ce sens a été présentée en 1920-21, sous ma
-signature, au Bureau international du travail et à la Société des
-Nations qui en ont pris acte pour une discussion future.
-
-
-
-
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- The Project Gutenberg eBook of Sous les eaux tumultueuses,
-par Dora Melegari.
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-<div lang='en' xml:lang='en'>
-<p style='text-align:center; font-size:1.2em; font-weight:bold'>The Project Gutenberg eBook of <span lang='fr' xml:lang='fr'>Sous les eaux tumultueutes</span>, by Dora Melegari</p>
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
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-country where you are located before using this eBook.
-</div>
-</div>
-
-<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: <span lang='fr' xml:lang='fr'>Sous les eaux tumultueutes</span></p>
-<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Dora Melegari</p>
-<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Release Date: June 14, 2022 [eBook #68312]</p>
-<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Language: French</p>
- <p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em; text-align:left'>Produced by: Laurent Vogel, Chuck Greif and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))</p>
-<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>SOUS LES EAUX TUMULTUEUTES</span> ***</div>
-<hr class="full" />
-
-<p class="cb">SOUS LES EAUX TUMULTUEUSES</p>
-
-<p class="tbl">
-<a href="#TABLE_DES_MATIERES"><b>TABLE DES MATIERES</b></a><br />
-</p>
-
-<div class="c">
-<img src="images/cover.jpg" height="500" alt="" />
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page_i">{i}</a></span>&#160; </p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page_ii">{ii}</a></span>&#160; </p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page_iii">{iii}</a></span>&#160; </p>
-
-<div class="blk">
-
-<hr />
-
-<p class="c">DORA MELEGARI</p>
-
-<h1><span class="redd">SOUS LES EAUX<br />
-<span style="margin-left: 3em;">TUMULTUEUSES</span></span></h1>
-
-<p class="c">
-<img src="images/colophon.jpg"
-width="80"
-alt="" />
-<br />
-<br />
-PARIS<br />
-<span class="redd">LIBRAIRIE FISCHBACHER</span><br />
-33,<small> RUE DE SEINE, </small>33<br />
-<br />
-1923<br />
-<br />
-<small>Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous les pays<br />
-Copyright by Librairie Fischbacher 1923</small><br />
-</p>
-
-<hr />
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page_iv">{iv}</a></span>&#160; </p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page_v">{v}</a></span>&#160; </p>
-
-<p><i>Je dédie ce livre à ceux qui, comme moi, ont fermement espéré et
-espèrent encore qu’après la guerre et avec l’établissement de la paix,
-s’ouvrira pour l’homme une destinée meilleure que celle qu’il a connue
-jusqu’ici.</i></p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page_vi">{vi}</a></span>&#160; </p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="page_vii">{vii}</a></span>&#160; </p>
-
-<h3><a id="PREFACE"></a><span class="big">PRÉFACE</span></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Je ne fais pas un livre, il se fait.<br /></span>
-<span class="i0">Il mûrit et croît dans ma tête, comme un fruit.<br /></span>
-<span class="i10"><span class="smcap">Alfred de Vigny.</span><br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Ces eaux qui, jadis, couvraient le monde sont aujourd’hui étrangement
-bourbeuses et agitées. La surface des choses apparaît partout
-inquiétante. Qu’y a-t-il sous cette surface? L’angoissante question se
-pose à tous les cœurs qui sentent et à tous les cerveaux qui
-réfléchissent!</p>
-
-<p>Du temps où le respect de soi-même, l’intérêt bien entendu et la savante
-<span class="pagenum"><a id="page_viii">{viii}</a></span>hypocrisie imposaient aux hommes intelligents, ou du moins cultivés,
-une attitude correcte, les mots <i>sous la surface des choses</i> avaient une
-signification bien différente de celle que je leur attribue aujourd’hui.</p>
-
-<p>Auparavant, ils auraient indiqué ce que les individus cachaient de
-médiocre, de brutal, et même de cruel sous des dehors corrects et
-conventionnels. Aujourd’hui que la plupart des êtres n’essayent même
-plus de masquer leurs légèretés, leurs petitesses et leurs convoitises,
-il n’y a guère, sous leurs actes et leurs allures, de motifs secrets à
-découvrir.</p>
-
-<p>Toutes les laideurs sont devenues apparentes et visibles. Nous vivons à
-une époque de terrible sincérité; on ne le relève pas suffisamment.</p>
-
-<p>Stendhal a dit quelque part que, pour les femmes, dire la vérité
-équivalait à enlever leur fichu; mais, aujourd’hui, elles ne portent
-plus de fichu, et les disgraciées elles-mêmes exposent avec courage les
-<span class="pagenum"><a id="page_ix">{ix}</a></span>défectuosités physiques que jadis les filles d’Ève essayaient
-soigneusement de dissimuler aux regards. Quant aux hommes, combien
-d’entre eux ne tentent même plus de se défendre si l’on attaque leur
-caractère ou leur probité!</p>
-
-<p>Ceux qui en manquent n’en éprouvent plus de honte; ceux qui les
-possèdent, s’ils y mettent encore du prix dans le fond de leur âme, sont
-devenus indifférents à l’opinion publique. Ce mépris de l’opinion
-publique est un signe caractéristique de notre temps.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Ce qu’il faut discerner sous la surface des eaux tumultueuses, ce ne
-sont donc pas les laideurs secrètes, puisqu’avec tant de complaisances
-on les étale, mais bien plutôt les aspirations d’ardente générosité et
-de pure beauté qui se cachent parfois sous les apparences déconcertantes
-de la psyché moderne, tels des symptômes annonciateurs d’une aube
-<span class="pagenum"><a id="page_x">{x}</a></span>nouvelle!</p>
-
-<p>Cependant, malgré ces fugitives lueurs, le désarroi des pauvres âmes est
-resté lamentable. Après l’ébranlement cérébral de la guerre et les
-déceptions de la paix, on a pu croire qu’elles étaient devenues muettes
-pour toujours! Ce phénomène d’anéantissement paraît d’autant plus
-redoutable qu’il est universel et se manifeste aussi bien chez les
-vainqueurs que chez les vaincus! Le monde est devenu semblable à une mer
-en tempête, sillonnée de barques sans pilotes, et la marée ne cesse de
-monter...</p>
-
-<p>Le spectacle, vraiment effarant, abat les plus fermes courages. Une
-mystérieuse intuition avertit cependant ceux qui ont l’habitude de
-regarder et d’observer que des feux s’allument encore sur les montagnes,
-et que de ce chaos effrayant, de ce déchaînement de convoitises
-violentes, naîtra un monde meilleur, précurseur du règne de l’esprit.
-Ces ouragans qui soufflent de toutes parts, c’est l’âme d’une<span class="pagenum"><a id="page_xi">{xi}</a></span> humanité
-renouvelée qui s’élabore dans un douloureux enfantement.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Ce livre était destiné à paraître au commencement de l’an dernier: les
-espoirs qu’il contient et proclame auraient alors, peut-être, semblé
-chimériques aux esprits positifs. La plupart de ceux qui se complaisent
-dans la triste grisaille des instincts et des forces matérielles, ne
-voyaient en ce moment aucune lumière à l’horizon, et ne discernaient pas
-la bordure d’argent des nuages noirs.</p>
-
-<p>Les événements extraordinaires qui se sont vérifiés récemment dans l’un
-des pays de l’Europe, ont prouvé à ces intelligences trop unilatérales
-que le réveil de l’esprit n’était point un simple mirage, mais bien une
-réalité puissante. L’importance de la révolution politique qui vient de
-sauver un peuple, s’étend moralement bien au delà<span class="pagenum"><a id="page_xii">{xii}</a></span> de la limite de ses
-frontières, car elle a proclamé une vérité universelle: <i>L’homme doit
-avoir pour mot d’ordre la défense de la patrie et de Dieu!</i> C’est un
-règne nouveau qui apparaît à l’horizon du monde, celui de l’esprit! On
-entend l’air trembler au son des cloches invisibles qui en annoncent
-l’avènement.</p>
-
-<p class="rt">
-<span class="smcap">Dora Melegari.</span><br />
-</p>
-
-<p>Paris, 1923.<span class="pagenum"><a id="page_1">{1}</a></span></p>
-
-<hr />
-
-<h1>SOUS LES EAUX TUMULTUEUSES</h1>
-
-<hr />
-
-<h2><a id="PREMIERE_PARTIE"></a>PREMIÈRE PARTIE<br /><br />
-<b>Pendant que la nuit dure encore.</b></h2>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_PREMIER1"></a>CHAPITRE PREMIER<br /><br />
-<b>ESPÉRANCES PRÉMATURÉES</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Hence the most vital movement mortal feel,<br /></span>
-<span class="i0"><i>Is hope</i>; the balm and life blood of the soul.<br /></span>
-<span class="i8">(<span class="smcap">Ralph-Waldo Trine.</span>)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Je dédie ce livre à ceux qui ont besoin d’espérance, et ne peuvent se
-contenter du simple pain quotidien, qu’ils l’aient gagné par leur
-travail, ou leur péché, ou que, parasites, ils le doivent au travail ou
-au péché d’autrui.</p>
-
-<p>C’est dans ces âmes assoiffées que l’espérance doit refleurir. Quant aux
-autres, à celles qui se satisfont d’apparences et de fu<span class="pagenum"><a id="page_2">{2}</a></span>mée, elles
-appartiennent à la catégorie des âmes qui, selon certains pères de
-l’Église, seraient autorisées à refuser l’immortalité.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Rien n’est plus démoralisant que de cesser d’espérer et une partie du
-désarroi actuel provient des grandes espérances conçues durant la
-guerre<a id="FNanchor_A_1"></a><a href="#Footnote_A_1" class="fnanchor">[A]</a> et qui ont été déçues ensuite. Ces espérances sont destinées
-cependant, j’en ai la conviction, à se réaliser plus tard, mais bien
-plus tard, à travers d’autres expériences, d’autres surprises, d’autres
-souffrances... L’erreur des esprits de bonne foi a été de croire que,
-dès le lendemain du formidable conflit, tout se remettrait en équilibre
-et que les grands principes, qui avaient armé les bras et enthousiasmé
-les cœurs, s’imposeraient à tous, vainqueurs et vaincus.</p>
-
-<p>On s’était imaginé que la sagesse de Salomon pénétrerait les cerveaux,
-et que la cité des mensonges s’écroulerait, ensevelissant dans sa chute
-les convoitises que l’orgueil des combats avait exacerbées.<span class="pagenum"><a id="page_3">{3}</a></span></p>
-
-<p>Peut-être bien y avait-il un manque de réflexion et un peu d’ingénuité
-dans les espérances qui avaient ainsi gonflé les cœurs. On se figurait
-que le palais de la vérité allait s’élever dans la cité de la justice.
-Le réveil fut amer, et alors, criant à l’utopie, chacun renia ses dieux.
-Pourtant, logiquement, ces espérances avaient été fondées. Jamais on
-n’avait assisté à une pareille trépidation d’âmes, à un semblable élan
-moral chez les peuples.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Comment advint-il que dans le cœur des hommes, au lieu de cette
-floraison magnifique, les plus basses passions se soient dressées, et
-que le mal se soit incarné? Je ne veux pas faire de politique ou de
-sociologie dans ces pages qui n’envisagent que la reconstitution de la
-mentalité générale; mais il est certain que l’Esprit n’a pas soufflé sur
-les arbitres des destinées du monde&#8212;comme en certains conclaves
-qu’enregistre l’histoire&#8212;et que, par son silence, il a permis à
-l’ignorance humaine de jeter entre les peuples des germes de discorde
-qui ont aiguisé les armes des haines futures.<span class="pagenum"><a id="page_4">{4}</a></span></p>
-
-<p>L’obscurcissement de la pensée a été la première inoculation fatale, et,
-à sa suite, la défiance a empoisonné le cœur des frères d’armes, et
-provoqué ces malentendus qui, aigrissant les amour-propres nationaux,
-ont empêché jusqu’ici les bienfaisantes conséquences de la paix de se
-faire sentir.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>L’une des plaies de l’époque d’avant-guerre était le mensonge et le
-culte du faux sous toutes ses formes: fausses valeurs, fausses
-consciences, fausses pitiés... On se figurait que le triomphe du bon
-droit les ferait s’écrouler instantanément, comme les trompettes de
-Josué firent tomber les murs de Jéricho. Mais rien ne s’est effondré. La
-victoire a été, comme toutes les autres victoires de ce monde, un
-alambic où se sont élaborés les grands courages et les merveilleux
-héroïsmes, mais elle n’a pas transformé l’homme dans son essence. Il
-s’est, comme toujours, montré, après la paix, l’esclave de ses passions
-et de ses tendances particulières.</p>
-
-<p>La grande guerre des nations,&#8212;c’est un fait prouvé aujourd’hui,&#8212;n’a
-donc pas eu le<span class="pagenum"><a id="page_5">{5}</a></span> résultat miraculeux qu’on en attendait. Un vent de
-violence a promptement dispersé les sentiments de solidarité et de
-reconnaissance qui avaient paru relier les peuples entre eux durant la
-période des dangers communs. Ces sentiments ont été remplacés d’un côté
-par le prestige de la force et de l’arrogance; de l’autre, par des
-nécessités économiques. Trop cyniquement étalées, elles furent cause de
-déboires amers, de désillusions cruelles qui desséchèrent et réduisirent
-en cendres les germes de la féconde récolte sur laquelle on comptait.</p>
-
-<p>Tout cela est si connu, qu’il n’est point utile de s’attarder sur le
-fait en lui-même, ni d’en rechercher les causes secrètes, ou d’en
-indiquer les résultats desséchants. Les conséquences en sont d’une trop
-pénétrante mélancolie pour ceux qui avaient espéré. Or, comme la
-constatation perpétuelle du mal est éminemment décourageante, on doit
-essayer au plus vite de dépasser cette période.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Il faudrait de l’aveuglement ou de la niaiserie pour nier la crise que
-l’humanité traverse, et ne pas la combattre équivaudrait à<span class="pagenum"><a id="page_6">{6}</a></span> un maladroit
-aveu d’impuissance; mais la plus grande faute serait encore d’en avoir
-peur et de la croire durable.</p>
-
-<p>L’unique moyen efficace pour en arrêter le développement est de lever
-les yeux et de regarder au-dessus et au delà. Tout ce qui est précieux
-reste caché aujourd’hui au tréfond des cœurs, et l’apparence des choses
-est déconcertante. La vanité pousse partout des racines formidables:
-chaque soldat prétend être Maréchal et, s’il y a encore des maîtres, il
-n’y a plus de disciples, ni de serviteurs! Or, comme autour des grands
-palmiers solitaires il n’y a que des plaines sablonneuses, c’est vers un
-immense désert que la société semble marcher... Puisque toutes les
-forces vives des nations sont dressées, l’arme au poing, les unes contre
-les autres, elles ne peuvent se coaliser efficacement contre
-l’épouvantable danger qui les menace. Il en est ainsi dans toute
-l’Europe, il en est ainsi dans chaque pays séparément.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Chacun sait, chacun a constaté ce que je viens de dire. Parmi les gens
-qui ont une vi<span class="pagenum"><a id="page_7">{7}</a></span>sion claire de la réalité, il y en a de faibles qui
-désespèrent stérilement, et de forts qui, pour précipiter l’évolution,
-ne croient qu’à l’existence des faits. Mais les faits semblent partout
-s’accumuler, irréconciliables les uns avec les autres. Pour créer des
-faits supérieurs comme valeur et comme puissance, pour ouvrir la route à
-de nouveaux courants, pour allumer des flammes capables de détruire les
-scories qui encombrent la route, il faut, avant tout, avoir confiance
-dans le pouvoir créateur de la pensée humaine.</p>
-
-<p>A tous les hommes d’intelligence et de bonne volonté une croisade
-s’impose pour laquelle la première arme de combat est l’attente sage,
-patiente, perspicace...<span class="pagenum"><a id="page_8">{8}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_II-a"></a>CHAPITRE II<br /><br />
-<b>L’ATTENTE</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">C’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière.<br /></span>
-<span class="i5">(<span class="smcap">Ed. Rostand.</span>)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Dans toutes les religions, l’attitude de l’attente est vivement
-recommandée; c’est, du reste, l’attitude perpétuelle de la vie humaine
-pour ceux surtout qui en admettent le renouvellement infini et qui
-croient à l’existence d’une force supérieure à laquelle l’homme peut
-avoir recours. Toute espérance formulée n’a-t-elle pas, d’ailleurs, pour
-conséquence logique l’attente de la réponse?</p>
-
-<p>Donc il faut attendre, qu’on le veuille ou non. L’important c’est de
-<i>savoir</i> attendre! Chez quelques-uns c’est une disposition naturelle:<span class="pagenum"><a id="page_9">{9}</a></span>
-chez d’autres une vertu acquise ou qu’il faut acquérir.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Les mots de Dieu à Adam: «Désormais tu gagneras ton pain à la sueur de
-ton front», s’appliquent à tous les services, à tous les genres de
-labeur et vont bien au delà de l’effort matériel des bras et des
-muscles. Ils comprennent chaque effort dont est capable l’âme humaine.
-Même quand l’homme produit des fruits remplis non de pulpe, mais de
-cendres, ces fruits sont dus au travail de sa personne ou de sa pensée.
-Les imaginations perverses se fatiguent à élaborer sans cesse des forces
-destructrices, et c’est aussi à la sueur de leur front qu’elles poussent
-le monde aux actes démoralisants.</p>
-
-<p>Dieu a appelé l’homme à collaborer avec lui en tout ce qui s’accomplit
-sur notre planète, même lorsqu’il s’agit de miracles comme la
-résurrection de Lazare. C’est là un fait fondamental que l’homme ne
-devrait jamais perdre de vue.<span class="pagenum"><a id="page_10">{10}</a></span></p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Dans la signification qu’il faut donner au mot <i>attendre</i>, toute idée de
-paresse doit, bien entendu, être exclue. L’homme qui sait <i>attendre</i>
-n’est pas un fainéant, car il est constamment en état de veille. Il ne
-s’agite pas, il ne se précipite pas, il ne s’irrite pas, mais son esprit
-est sans cesse tendu vers l’objet de son attente, et ce n’est pas là un
-mince labeur.</p>
-
-<p>L’attente doit être patiente, mais non résignée. Ces deux mots
-s’excluent: quand on se résigne, on n’attend plus! Il faut donc que
-l’attente soit vigilante et optimiste. «Le monde appartient aux
-optimistes, disait M. Guizot, les pessimistes n’ont jamais été que des
-spectateurs.»</p>
-
-<p>En ce moment, l’ordre donné par Dieu à Adam a cessé d’être obéi et
-compris dans sa signification précise, qui est l’obligation absolue du
-travail. Une vague de paresse a passé sur le monde, et, aujourd’hui,
-l’homme, symptôme effrayant, se refuse à travailler de ses mains: il
-refuse même de semer le blé et le riz dont il doit vivre! Quant à ceux
-qui ne labourent pas, qui ne produisent pas les matériaux nécessaires à
-la production, ils de<span class="pagenum"><a id="page_11">{11}</a></span>meurent assoupis dans une apathie criminelle, une
-sorte d’engourdissement de la pensée. On dirait qu’ils attendent, dans
-une espèce de léthargique sommeil, l’égorgement final de leur classe.</p>
-
-<p>Pour la défendre, ils ne tentent même pas un effort. A les voir évoluer
-dans la vie avec des allures nonchalantes, il semble qu’il assistent à
-un jeu sur les résultats duquel ils n’ont pas engagé de pari!</p>
-
-<p>Les individus de cette catégorie n’attendent rien évidemment. Leurs yeux
-ne sont pas tournés comme ceux des Rois Mages vers l’étoile qui doit se
-lever à l’Orient. Ils subissent les événements, ils n’y concourent pas.
-Or, subir, c’est déjà un état inférieur.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>L’attente féconde se manifeste extérieurement de deux façons: par le
-silence gros de pensées qui équivaut à des forces infinies d’action; et
-par la parole qui peut avoir sur les esprits et les cœurs une si
-puissante répercussion. Voyons comment l’homme se comporte vis-à-vis du
-silence et de la parole, comment il en use dans la vie publique et
-privée.<span class="pagenum"><a id="page_12">{12}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_III-a"></a>CHAPITRE III<br /><br />
-<b>LE SILENCE</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse<br /></span>
-<span class="i10">(<span class="smcap">Alfred de Vigny</span>.)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Le vers admirable d’Alfred de Vigny est la condamnation de l’abondance
-inutile des mots. Il faut avoir une grande foi dans le silence, non le
-silence qui naît d’un caractère morose, d’un orgueil démesuré, d’un
-manque de sincérité, d’imagination, d’expansion, d’une sorte de pauvreté
-d’esprit ou bien simplement d’une humeur sauvage, mais le silence
-intuitif ou voulu de ceux qui voient, sentent et savent.</p>
-
-<p>Cette force muette a toujours exercé un merveilleux pouvoir mais jamais
-elle n’a été<span class="pagenum"><a id="page_13">{13}</a></span> plus nécessaire que dans ce moment suprême de l’histoire
-du monde, où l’on meurt de trop de paroles!</p>
-
-<p>Avec notre organisation politique et sociale, qui admet la libre
-discussion sur les points les plus graves et les plus délicats, il est
-difficile de mettre un frein aux langues qui parlent. Aujourd’hui qu’aux
-voix masculines, les voix féminines s’unissent, et que dans son for
-intérieur, chaque homme, même le plus médiocre, se croit un stratège et
-un chef politique, le bruit est devenu assourdissant, et le chaos croît
-chaque jour davantage.</p>
-
-<p>Dans ce réseau serré de mensonges, d’intérêts inavoués, d’astuce et de
-perfidie, il est naturel que l’esprit perde son équilibre, ne sache où
-se poser et soit emporté par le flux et le reflux de la pensée en
-désarroi.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>La vérité qui devait, après la guerre, surgir victorieuse, tirée du
-sépulcre où la fausseté et la veulerie des hommes l’avaient reléguée,
-dans quel puits se cache-t-elle aujourd’hui? Nous la cherchons et ne la
-trouvons pas!<span class="pagenum"><a id="page_14">{14}</a></span> Faut-il l’inscrire, comme sur les champs de bataille,
-parmi les «disparus» puisqu’à l’appel désespéré de ses fervents
-adorateurs, elle ne répond pas: «Présente!»</p>
-
-<p>Pour ceux qui avaient confiance, pour les optimistes qui avaient espéré
-sa résurrection prochaine, le désappointement est amer. Les autres, ceux
-qui, à coup de grosse caisse, avaient inscrit son nom en vedette sur
-leurs drapeaux, ne cachent plus aujourd’hui leur sourire dédaigneux pour
-les ingénus qui avaient cru de bonne foi à la mensongère devise.</p>
-
-<p>La Fontaine, dans une de ses Fables, nous montre le plus sincère et le
-plus modeste des animaux de la création condamné à payer pour tous...
-L’histoire, comme la Fable, se renouvelle continuellement.</p>
-
-<p>Mais il est dangereux d’insister sur les points noirs des événements
-contemporains: cela est contraire à cette vertu du silence que nous
-devons apprendre à pratiquer. Il est évident que les paroles inutilement
-prononcées pendant quatre années et demie de guerre et plus de trois ans
-de paix, ont nui à la restauration de la vérité dans le monde.</p>
-
-<p>Elle ressuscitera cependant. Plus on voudra<span class="pagenum"><a id="page_15">{15}</a></span> l’étouffer, l’écraser, la
-railler, plus puissante elle s’affirmera un jour; mais pour arriver à ce
-jour il faudra souffrir encore. Essayons au moins d’en accélérer la
-venue et de ne pas retarder, par d’imprudentes paroles pessimistes, son
-avènement dans le monde. Évitons soigneusement ce qui est propre à semer
-la discorde, à aigrir les cœurs, à décourager les bonnes volontés.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Entendons-nous! Limiter nos paroles, et réfléchir à leurs conséquences
-ne signifie point s’isoler, cesser d’écouter, de veiller et d’être prêt
-à intervenir pour protester utilement. «On devrait bâillonner la
-presse», dira-t-on; mais la presse, qui ferait bien, certes, de se
-museler un peu elle-même, a une autre tâche à remplir que les individus!
-Elle doit informer largement le public des diverses tendances, des
-divers bruits, des diverses nouvelles qui courent. Ce devoir
-d’informateur n’incombe pas au simple citoyen: il a celui, au contraire,
-d’être prudent, vigilant, de ne pas exaspérer les âmes, de ne pas donner
-un poids exagéré aux rancœurs, aux malentendus, aux doutes...<span class="pagenum"><a id="page_16">{16}</a></span></p>
-
-<p>Dans les moments angoissants que traversent certains pays, il faudrait,
-je ne dis pas suspendre tout jugement, mais formuler ceux qu’on porte de
-façon à faire comprendre leurs torts aux coupables sans les accabler de
-reproches qui, par leur violence, ressemblent presque à des injures.</p>
-
-<p>Il est opportun aussi de ne pas exciter les victimes, afin qu’elles ne
-perdent pas leur sang-froid, cette suprême qualité des triomphateurs.
-L’habileté vraie consiste à observer toujours, à tout écouter et à se
-recueillir souvent. C’est là un programme auquel on peut joindre un
-conseil: «Élevez dans vos cœurs un temple au silence!»</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Ce n’est pas seulement dans les heures suprêmes de la vie publique, mais
-encore dans toutes nos relations avec les faits et les individus, qu’il
-y a avantage à user de peu de paroles. Dans la vie domestique et
-familiale, le silence est certainement plus efficace que les reproches,
-il touche davantage, émeut plus, il donne aux mots, quand finale<span class="pagenum"><a id="page_17">{17}</a></span>ment
-ils sont prononcés, un prestige plus grand.</p>
-
-<p>Les maîtresses de maison les mieux obéies, les mères de famille les plus
-respectées, ont été presque toujours des silencieuses. En amour aussi,
-la femme qui parle peu et semble se réfugier dans sa vie intérieure, est
-celle qui sait retenir l’amour le plus longtemps. Il y a en elle une
-saveur de mystère qui fascine les âmes. A l’armée, à l’école, le
-prestige exercé sur les soldats et les enfants est, en général, réservé
-aux laconiques, des lèvres desquels ne sortent que des ordres précis,
-des enseignements nets et clairs.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Que de fois également, dans des circonstances délicates, une situation a
-été sauvée uniquement par le silence! Une seule parole aurait tout gâté
-et tout perdu. Le silence, semblable à un baume merveilleux, a cicatrisé
-la plaie et a empêché la tragédie d’éclater. Tous les êtres humains ne
-peuvent pas être des silencieux efficaces; il faut pour cela du tact, de
-l’intelligence, de la finesse! Ces privilégiés sont rares; mais tous
-peuvent mettre<span class="pagenum"><a id="page_18">{18}</a></span> un frein à leur langue pour qu’elle ne devienne pas une
-source d’antagonismes et d’amers mécontentements. Cela n’est pas
-toujours facile, quand le cœur bat d’une indignation justifiée, mais
-c’est pourtant obligatoire.</p>
-
-<p>Nous ne devons pas oublier que toute parole acerbe est une joie pour
-l’ennemi qui, secrètement et incessamment, essaye de semer la haine dans
-les lignes des vainqueurs.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Comme le poète d’Eloa, rendons un culte au silence, mais n’oublions pas
-cependant qu’il en peut être une mauvaise espèce: celui-là est le fruit
-de l’orgueil et de l’obstination; il ferme ses oreilles à la vérité,
-s’entête dans les fausses appréciations, refuse d’écouter les conseils
-de l’expérience. Dans la politique, comme dans la vie familiale, ce
-mutisme est souvent cause de malheurs infinis et de périlleuses
-rancœurs.</p>
-
-<p>Nul homme, quelle que soit sa valeur intellectuelle, n’est autorisé à
-mépriser complètement l’échange des idées avec ses semblables.</p>
-
-<p>Il faut seulement être perspicace, savoir<span class="pagenum"><a id="page_19">{19}</a></span> discerner les valeurs et ne
-pas donner sa confiance aux médiocres qui ne la méritent pas.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Si la parole trop prolixe présente des inconvénients, l’échange des mots
-est cependant nécessaire au bon mécanisme de la vie. Il n’y a rien de
-plus triste qu’une famille de silencieux moroses. Le mari, le fils
-rentrent au foyer, mais pas une phrase ne sort de leur bouche, ils ne
-racontent rien de ce qu’ils savent, de ce qu’ils ont vu!... Si on leur
-pose une question ils en semblent exaspérés et y répondent à peine.
-Combien de familles souffrent de ce système d’inique silence.</p>
-
-<p>Que demandent au fond ces mères, ces épouses, ces filles? Elles
-n’exigent pas de longs discours, mais seulement un sourire, un mot qui
-les mette <i>un peu</i> au courant des choses; un simple regard affectueux
-suffit même souvent à les satisfaire, à dissiper l’oppression de ce
-mutisme offensant, à compenser la rareté des mots prononcés.<span class="pagenum"><a id="page_20">{20}</a></span></p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>La cause de ce mal est unique: c’est l’égoïsme orgueilleux, joint à
-l’habitude de ne jamais réfléchir suffisamment aux conséquences des
-attitudes que l’on prend ou à la signification que les autres leur
-attribuent.</p>
-
-<p>L’heure est si grave aujourd’hui qu’une sévère discipline est devenue
-indispensable à tous; nous devons apprendre à contrôler notre langue, et
-ceux auxquels leur conscience impose un <i>mea culpa</i> doivent être les
-premiers à réparer les ennuis, et parfois les malheurs que leur trop
-grande impulsivité a pu causer.</p>
-
-<p>Élevons donc un hymne à la noblesse du silence conscient, qui signifie
-sagesse, philosophie, tact, dignité, altruisme, et dénonçons le silence
-de l’orgueil, de l’égoïsme, de l’obstination, et ce désintéressement
-complet de la pensée d’autrui qui, non seulement pèse sur la vie
-familiale, mais peut aussi devenir dangereux dans la vie politique des
-peuples.<span class="pagenum"><a id="page_21">{21}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_IV-a"></a>CHAPITRE IV<br /><br />
-<b>L’INSTRUMENT MAGIQUE</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Et que tes lèvres gardent la connaissance.<br /></span>
-<span class="i10">(<i>Prov.</i> V-2.)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Après avoir affirmé la beauté, le prestige, la dignité du silence, il
-faut parler un instant de l’instrument magique dont l’homme dispose et
-qui s’appelle la parole!</p>
-
-<p>Trois syllabes! Et dans ces trois syllabes, toutes les manifestations de
-l’âme universelle peuvent se condenser. Ces trois syllabes dispensent la
-guerre et la paix, la fortune la plus éclatante et la plus épouvantable
-misère, la félicité la plus complète et la plus atroce douleur.</p>
-
-<p>Elles édifient et détruisent, consolent et dé<span class="pagenum"><a id="page_22">{22}</a></span>sespèrent, allument les
-incendies, propagent les haines, exaltent l’orgueil de l’homme et le
-réduisent en poussière; elles pénètrent son âme d’une infinie douceur et
-la déchirent d’angoisse. Elles séparent les amants les plus tendres,
-arment l’un contre l’autre les amis les plus sûrs, éloignent les fils
-des mères, et si, parfois, elles rapprochent l’homme de Dieu, souvent
-elles le poussent dans les bras toujours ouverts de Lucifer qui étend
-inlassablement sur le monde son ombre gigantesque.</p>
-
-<p>Et cet instrument magique et merveilleux, le plus extraordinaire des
-dons qui ont été faits à l’homme, celui-ci est maître de s’en servir au
-gré de sa fantaisie. On l’a laissé, au fond, très ignorant des forces
-terrifiantes qu’il pouvait mettre en jeu par le seul mouvement de ses
-lèvres. Comment serait-il conscient de ses responsabilités, puisqu’on
-les lui a à peine indiquées, et que ni les religions ni les philosophies
-n’en ont fait, comme elles l’auraient dû, l’objet d’un enseignement
-spécial et de capitale importance.</p>
-
-<p>Elles se sont bornées à des conseils d’ordre général. Quelques
-proverbes, appartenant pour la plupart à la littérature orientale,
-mettent bien l’homme en garde contre le danger<span class="pagenum"><a id="page_23">{23}</a></span> des paroles
-surabondantes et irréfléchies, mais c’est comme en passant, sans y
-attacher d’importance, sans insister sur les terribles responsabilités
-qu’il peut encourir de ce chef.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Apprendre à l’homme, dès sa première enfance, à se méfier des mots
-devrait être, au contraire, le principal objet de toute intelligente
-préparation à la vie. Il faudrait enseigner à l’enfant que la parole
-doit être maniée avec mesure et prudence, comme s’il s’agissait d’une
-arme de précision. Elle tue, en effet, mieux que le browning le plus
-perfectionné.</p>
-
-<p>Il est vraiment inconcevable que les pédagogues, les philosophes, les
-grands prêtres de toutes les religions et les arbitres de la destinée
-humaine n’aient pas mieux compris l’incalculable portée de la parole, et
-tenté de la maîtriser pour la faire servir aux fins qu’ils
-poursuivaient. Or, cela n’a jamais été fait! Au <small>XX</small>ᵉ siècle, la parole a
-pris des allures désordonnées contre lesquelles aucune sanction ne
-s’exerce plus. Auparavant, les citoyens des différentes nations ne
-pouvaient toucher à certains sujets politiques ou religieux sans<span class="pagenum"><a id="page_24">{24}</a></span>
-encourir de graves remontrances, et même des pénalités. Mais il ne
-s’agissait que de quelques terrains prohibés, car, dans le domaine
-privé, l’homme a toujours été libre de déshonorer son prochain et de le
-tuer moralement autant de fois qu’il le pouvait dans une journée! Qui a
-jamais pensé à mettre un frein au débordement de la parole? Ce n’est
-certes pas l’autorité publique. Quant à l’opinion, elle est restée
-muette, et si quelques voix se sont élevées pour protester, vite on les
-a fait taire, au nom de la liberté!</p>
-
-<p>Dans la dernière guerre, il y eut de grands faits que les paroles ont
-dénaturé et obscurci, exaspérant les amour-propres, et préparant à
-l’Europe un long avenir de rancœurs, empêchant les conciliations de
-s’opérer et les malentendus de s’expliquer.</p>
-
-<p>La responsabilité de cette immense tuerie remonte certainement à la
-convoitise des Huns ressuscités, mais l’abus insensé des paroles a jeté
-sur les feux allumés des matières explosives, il a tué moralement autant
-de sentiments, d’illusions et d’espérances que les plus hideuses
-inventions modernes ont fait de victimes humaines. J’en appelle aux
-cœurs droits qui battent encore dans la poitrine de quelques-<span class="pagenum"><a id="page_25">{25}</a></span>uns des
-êtres créés par Dieu à son image; il serait temps que les hommes se
-rendent compte enfin de quelle arme formidable ils disposent.</p>
-
-<p>Tant qu’ils ne l’auront pas appris, tant qu’on ne le leur aura pas
-enseigné dès leurs premiers balbutiements, ils ne pourront connaître, en
-aucune circonstance, la sécurité ou la joie sereine d’autrefois, alors
-que, dans sa vie plus recueillie, l’humanité discourait moins.</p>
-
-<p>Si celle-ci n’apprend pas à se taire, une insondable mélancolie
-continuera à répandre son ombre sur les paysages de la terre, et la
-beauté de la lumière ne se reflétera plus dans les yeux des hommes.
-Inquiets, sombres, despotiques, agités, ils erreront de par le monde,
-rêvant de destruction, de laideur, de menace et de violence.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>On a si peu réfléchi jusqu’ici à la portée et à l’horrible danger des
-paroles, que l’on sera stupéfait de leur voir donner une pareille
-importance et les charger d’une semblable responsabilité. On dira: «La
-parole est un don naturel dont l’homme a le droit d’user<span class="pagenum"><a id="page_26">{26}</a></span> comme de la
-faculté de voir et d’entendre.&#8212;Certes les tribuns la manient avec trop
-de violence, et la presse en abuse; quelques lois restrictives
-s’imposent, nous le reconnaissons.» Les plus raisonnables arrivent à
-nous faire cette concession.</p>
-
-<p>Hélas! le mal est trop grave et trop étendu pour que des articles de loi
-puissent avoir aujourd’hui une action efficace. C’est l’âme particulière
-des individus qu’il faut émouvoir et convaincre, rendre consciente de ce
-que les mots représentent comme puissance, du mal infini qu’ils peuvent
-faire, et du bien incommensurable dont ils pourraient être capables.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Comme on enseigne à un enfant à ne pas se jeter devant une automobile
-lancée à toute vitesse, à ne pas égratigner le visage de son prochain, à
-ne pas lui tirer la langue sans provocation, il faudrait lui enseigner à
-mesurer et à contrôler les mots qu’il prononce. Ah! les mots! En amour,
-chacun sait le trouble et l’angoisse qu’ils provoquent, les coups cruels
-qu’ils portent, les inguérissables blessures dont ils sont cause et les
-séparations qui en ré<span class="pagenum"><a id="page_27">{27}</a></span>sultent. Ils rompent le charme qui avait lié les
-âmes les unes aux autres et les jettent sans scrupule dans la
-désespérante solitude.</p>
-
-<p>L’amitié, le plus sérieux et noble sentiment qui puisse lier le cœur des
-hommes, subit, elle aussi, l’atteinte des paroles. Et que de tragédies
-d’âmes, sur lesquelles on ne s’explique jamais, sont dues au maléfique
-pouvoir de phrases insouciantes prononcées et commentées.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>La famille, elle non plus, n’échappe pas à ce fléau. Pour expliquer
-certains suicides, quand la cause passionnelle ou financière manque, on
-classe ceux-ci sous la dénomination vague de «chagrins domestiques».
-Cette phrase ouvre des perspectives abominablement tristes. C’est comme
-si on plongeait le regard dans un puits sombre au fond duquel on
-aperçoit une miroitante tache d’eau noire; et dans la plupart de ces
-cas, si quelques lueurs se font plus tard sur l’événement, c’est presque
-toujours à l’abus des paroles qu’il faut faire remonter la tragédie.</p>
-
-<p>Il en est de même en ce qui concerne les malheurs publics, et chacun
-peut en faire l’ob<span class="pagenum"><a id="page_28">{28}</a></span>servation. Partout où une catastrophe quelconque se
-prépare, elle est provoquée, accompagnée, accrue et envenimée par
-l’abondance des mots, parlés ou écrits. Semblables à de sinistres
-gardiens et souteneurs, ils se campent, se groupent et se multiplient
-autour des lieux où s’élabore l’infortune.</p>
-
-<p>Quand l’homme sera devenu conscient de la puissance qu’il possède de
-creuser des tombes, ou de renouveler des vies, il hésitera peut-être à
-parler sans savoir ce qu’il dit, et beaucoup d’ombres se dissiperont sur
-la terre.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>L’usage plus discret de la parole présentera encore un autre avantage;
-l’intelligence humaine y gagnera, car toutes les inepties qui courent le
-monde dans un galop furieux et désordonné, cesseront de retentir aux
-oreilles de ceux qui, comme Maeterlinck, donnent au bon sens, dans les
-facultés de l’esprit humain, une place distinguée.</p>
-
-<p>Qu’on ne se méprenne pas sur ma pensée! S’il y a quelque chose
-d’agréable dans l’existence c’est bien la conversation vive, alerte,
-gaie, même un peu frivole de gens qui se con<span class="pagenum"><a id="page_29">{29}</a></span>naissent et se comprennent,
-et ces joyeuses causeries de famille où chacun dit tout haut ce qu’il
-pense et qui perdraient beaucoup à être précédées de trop de réflexion.</p>
-
-<p>En parlant d’inepties, je pensais à ces lourds et inutiles bavardages
-dont on a pris l’habitude, sur des choses qu’on ignore complètement. Les
-sujets les plus simples, l’élevage des volailles même, peuvent devenir
-attrayants quand on en parle avec compétence et humour. Mais durant les
-années de guerre, alors que l’angoisse faisait palpiter les cœurs, ce
-fut une rude épreuve d’entendre les stratèges de salon expliquer
-gravement comment il fallait disposer les troupes pour gagner les
-batailles.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Après avoir dénoncé les paroles criminelles qui engendrent la discorde,
-la haine et la violence, les paroles féroces ou simplement méchantes qui
-meurtrissent et désespèrent les cœurs, les paroles fausses qui sèment la
-défiance, les paroles équivoques qui troublent les consciences, les
-paroles lourdes et pesantes qui ouvrent la porte à ce vieux rôdeur,
-l’ennui, dont Satan a fait son bras droit, il reste à parler des<span class="pagenum"><a id="page_30">{30}</a></span>
-paroles bienfaisantes, encourageantes, semeuses de vie et de force.
-Celles-là sont reconstructrices, et c’est dans une autre partie de ce
-livre qu’il faudra traiter de l’aide puissante qu’elles peuvent apporter
-à l’évolution de la destinée humaine.<span class="pagenum"><a id="page_31">{31}</a></span></p>
-
-<h2><a id="DEUXIEME_PARTIE"></a>DEUXIÈME PARTIE<br /><br />
-<b>Marchands et marchandes de fumée.</b></h2>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_PREMIER2"></a>CHAPITRE PREMIER<br /><br />
-<b>CHASSONS LES VENDEURS DU TEMPLE</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Ils vendent des cendres pour du pain.<br /></span>
-<span class="i0">Ils vendent du vin dilué.<br /></span>
-<span class="i10">(***)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>L’épisode grandiose du Christ chassant les vendeurs du Temple est
-présent à la mémoire de tous, car il a frappé l’imagination des foules.
-Le geste de Jésus&#8212;divin par la sainte colère qui le provoque, et humain
-parce que c’est le Fils qui défend la maison de son Père contre les
-trafiquants qui osent la souiller de leurs ignobles marchés&#8212;ce geste
-fut un coup de théâtre inattendu, magnifique et terrifiant,<span class="pagenum"><a id="page_32">{32}</a></span> qui dut
-satisfaire le besoin instinctif de justice que toute âme droite porte en
-soi. Les paroles méprisantes et sévères dont il fut accompagné, firent
-sans doute trembler les cœurs, mais nul ne protesta et toutes les têtes
-fléchirent.</p>
-
-<p>Ce besoin de justice qui tourmentait les contemporains du fils du
-charpentier de Nazareth a persisté à travers des siècles d’injustice,
-et, malgré les apparences contraires, il n’a jamais été plus grand
-qu’aujourd’hui. Nous ne nous rendons pas suffisamment compte à quel
-point il tourmente les âmes, et quelle est sa part de responsabilité
-dans les tempêtes qui, en ce moment, soufflent de partout autour de nos
-foyers.</p>
-
-<p>En y regardant de près, nous le retrouvons sous les violences
-révolutionnaires auxquelles il a servi de prétexte, et il se cache aussi
-sous l’amer découragement qui a réduit la classe bourgeoise à cette
-honteuse apathie qui l’a faite, en certain pays, tendre presque le cou à
-ses égorgeurs.</p>
-
-<p>C’est parce que son besoin de justice n’avait pas été satisfait, et
-qu’elle ne voyait de recours nulle part, que, blessée dans sa conscience
-intime, cette classe était tombée dans l’inertie,<span class="pagenum"><a id="page_33">{33}</a></span> au lieu de se hausser
-à une belle résistance. Comme certains actes publics lui avaient fait
-perdre toute confiance dans la justice établie par les lois humaines,
-elle ne savait plus que gémir. «A quoi bon lutter?» soupirait-elle.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Pour satisfaire les consciences indignées et meurtries, il faudrait que
-le grand geste du Christ se renouvelât. Mais c’est à l’homme cette fois,
-qu’en incombera la charge. Les forces divines armeront son bras, mais le
-coup de verge doit être donné par lui. Comment s’y prendra-t-il? Dans
-tous les pays, la situation morale des vendeurs se relie au grave
-problème du travail et des échanges et fait partie de l’économie
-générale du monde. Pour résoudre équitablement ce problème, le concours
-des siècles sera nécessaire ou du moins il faudra de longues périodes de
-temps.</p>
-
-<p>Ce qu’il est urgent de faire tout de suite, c’est de débarrasser les
-portiques du temple de la cohorte des marchands et marchandes de fumée
-qui les encombrent et les obscurcissent. Aucune espérance d’un destin
-meilleur pour l’homme ne pourra se réaliser tant qu’ils<span class="pagenum"><a id="page_34">{34}</a></span> y resteront
-installés, libres d’offrir et de vendre le <i>néant</i>, l’essence des fruits
-de la mer Morte, enfermée dans leurs bocaux, flacons et cassolettes et
-dont les lourdes vapeurs délétères empêchent l’air pur de circuler
-librement et rendent impossible tout développement de vie saine, de
-commerce honnête et d’initiative vigoureuse.</p>
-
-<p>Et jamais il n’y a eu autant de marchands de fumée qu’aujourd’hui, alors
-qu’aux hommes, se sont jointes les femmes et que dans chaque être une
-ambition est née. Chacun veut avoir boutique sur rue. Quand les
-marchandises réelles manquent, on en vend l’apparence. Ce commerce, qui
-n’est que fumée, est connu; tout le monde en a vaguement conscience;
-mais, par une basse connivence, personne ne dénonce le trafic. Les
-cartons vides continuent à porter l’étiquette des stocks absents. C’est
-surtout dans le domaine moral que la tromperie est facile comme nous le
-verrons plus tard. En attendant, regardons les enseignes des boutiques.
-Plusieurs ont des titres suggestifs, commençons par celui-ci:<span class="pagenum"><a id="page_35">{35}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_II-b"></a>CHAPITRE II<br /><br />
-<b>LES ESCAMOTEURS</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0"><i>Examinons si ce que tu promets</i><br /></span>
-<span class="i0"><i>est juste et possible, car la promesse</i><br /></span>
-<span class="i0"><i>est une dette.</i><br /></span>
-<span class="i10">(<span class="smcap">Confucius.</span>)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>C’est, bien entendu, au figuré que nous examinerons les livres de ce
-commerce spécial. Ce sont les secrets des prestidigitateurs d’ordre
-moral qu’il est intéressant de pénétrer. Leur bilan s’explique en peu de
-mots: tout individu qui ne se croit pas obligé d’apporter dans les actes
-moraux de sa vie une parfaite bonne foi n’est, au fond, qu’un vulgaire
-escamoteur. Celui-ci ne fait pas disparaître dans son gilet ou dans son
-chapeau, les objets les plus hétéroclites, tels qu’une poule blanche aux
-ailes déployées, des bouteilles de vin cachetées, des<span class="pagenum"><a id="page_36">{36}</a></span> douzaines d’œufs
-frais pondus, un perroquet ou un singe! Ce ne seraient là que des jeux
-innocents. Ceux de l’escamoteur moral sont, au contraire, redoutables,
-et l’homme le plus avisé réussit avec peine à se défendre contre ses
-tours de passe-passe. Car ce malfaiteur sait en général revêtir des
-apparences d’honnêteté et de respectabilité, et cette façon de donner le
-change est un des traits caractéristiques de son trafic.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Les façons de procéder de nos escamoteurs varient. L’une des plus
-communes et des plus banales dans sa brutalité, est de nier sans
-vergogne, au mieux de leurs intérêts, les paroles qu’ils viennent de
-prononcer à l’instant même, et qui flottent encore sur leurs lèvres.
-Dans la discussion, ce système jette l’interlocuteur hors des gonds et
-provoque chez lui les pires sentiments d’indignation et de colère. «Tu
-viens de dire ceci et cela! J’ai des témoins...&#8212;Mais non, je n’ai rien
-dit de semblable!» Pareille impudence ne donne-t-elle pas envie
-d’écraser ceux qui en font preuve entre le pouce et l’index?<span class="pagenum"><a id="page_37">{37}</a></span></p>
-
-<p>Cette mauvaise foi dans les réponses envenime tous les rapports de
-famille et d’amitié. Elle tue l’amour!</p>
-
-<p>Dans les affaires publiques, dans les discussions de profession ou de
-carrière, les escamoteurs de la parole troublent les eaux et peuvent
-provoquer les plus graves conflits. Ils donnent assurément aux autres le
-droit d’exercer à leur égard de terribles représailles, mais ils les
-subissent rarement, tellement, semblable à une couche de cire épaisse,
-la lâcheté encrasse les âmes.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Les escamoteurs ont donc beau nuire et détruire, aucune pénalité ne les
-atteint jamais. Il n’y a pas de recours contre eux; leurs procédés sont
-pour ainsi dire impalpables. On ne peut les saisir sur le fait ni les
-convaincre, car ils manipulent le néant. Matériellement, ils vendent des
-marchandises frelatées; moralement, ils escamotent les situations, les
-obligations, les promesses faites, les engagements pris, les serments
-échangés. Avec un admirable sang-froid, ils opposent à tout reproche des
-fins de non-recevoir qui déconcertent les plus<span class="pagenum"><a id="page_38">{38}</a></span> intelligents et les plus
-habiles. Si, devant leur évidente mauvaise foi dans les grandes comme
-dans les petites choses, quelqu’un s’émeut et, emporté par
-l’indignation, essaye de frapper leur conscience, ils échappent avec une
-dextérité surprenante à toute responsabilité.</p>
-
-<p>Par leur escamotage des faits, des choses et des paroles, ils ont ruiné
-les uns, perdu la réputation des autres, empêché la réussite d’un
-troisième, en s’attribuant, ou en attribuant à d’indignes protégés, les
-mérites qui auraient pu le mettre en valeur. Mais naturellement ils
-nient avoir eu une part quelconque à ces désastres. Leurs mains sont si
-habituées à brouiller les cartes qu’ils ne s’aperçoivent même plus de la
-besogne que leurs doigts accomplissent. A force de jouer toujours avec
-des dés pipés, quelques-uns trichent presque de bonne foi.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Ils volent tout ce qui leur tombe sous la main: les bons mots des uns,
-les pensées des autres. Dans l’ordre des sentiments, ils ont également
-sur la conscience plus d’un crime.<span class="pagenum"><a id="page_39">{39}</a></span> Et le pire est qu’ils font école. On
-décore poliment du nom d’«habileté» et d’«adresse» leur façon
-d’escamoter les réalités, et de leur substituer le mensonge et le néant.
-Comme l’on va chez la tireuse de cartes, combien de gens vont demander
-conseil à ces vendeurs de fumée! Ils enseignent à brouiller les cartes
-dans la vie privée ou publique, ils finissent par tenir boutique ouverte
-de fraudes.</p>
-
-<p>Ce sont des gens, en général, de médiocre intelligence et de plus
-médiocre culture, et comme ils sont dépourvus de passion, ils mènent
-souvent une vie respectable. Quelques-uns sont des escamoteurs de
-naissance, et je ne sais quelle maladie ou quelle tare de leur esprit
-les rend incapables d’accepter la responsabilité de leurs actes et de
-leurs paroles. Ils sont les moins dangereux de leur classe; les pires
-sont au contraire les escamoteurs qui se sont engagés dans la triste
-phalange par opportunisme, par envie ou par un besoin âcre et violent de
-diminuer les mérites d’autrui, afin de donner plus de lustre aux leurs
-propres. Des plagiaires naissent des escamoteurs, et les uns et les
-autres se nourrissent de fumée!<span class="pagenum"><a id="page_40">{40}</a></span></p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Mais il est impossible de détruire la vérité. Pendant qu’on la nie,
-qu’on la déplace ou la transporte, elle est là, en face de nous, et nous
-regarde. On ne peut effacer cette image de la paroi, où elle se détache
-en lumière; mieux vaudrait tout de suite, devant elle, baisser
-honteusement la tête.</p>
-
-<p>Tous les hommes, même les plus loyaux, sont coupables d’avoir, par
-bienveillance, pitié, ou politesse, altéré le vrai. Quelques-uns ont
-fait pire; ils ont peut-être menti une fois par intérêt personnel, mais
-le souvenir de ce mensonge les brûle comme un fer rouge. L’un d’eux me
-disait un jour: «Je plains les escamoteurs; ne les jugeons pas trop
-sévèrement. Pensez, quelle torture ce doit être de vivre continuellement
-dans ce qui n’est pas vrai! C’est comme si l’on ne pouvait jamais poser
-le pied sur la terre ferme, si on la sentait perpétuellement vaciller
-sous ses pas.» J’étais moins indulgente et je refusais de m’apitoyer,
-peut-être parce que les escamoteurs et les brouilleurs de cartes
-m’avaient fait souffrir.<span class="pagenum"><a id="page_41">{41}</a></span></p>
-
-<p>Je leur reproche surtout de faire école, au lieu de se limiter à
-exécuter de la prestidigitation pour leur propre compte et, quand ils
-font les loups, de prendre une apparence d’agneaux. Quelques-uns
-exercent leur métier avec tant de dextérité et exécutent leurs tours
-avec une si merveilleuse adresse que les gens ingénus ou simplement peu
-perspicaces ne s’aperçoivent pas qu’ils ont affaire à des brouilleurs de
-cartes.</p>
-
-<p>Or, il est temps que les yeux s’ouvrent et que l’on dénonce à l’opinion
-publique ces trafiquants, car, parmi les marchands de fumée qui
-déshonorent le temple, les escamoteurs doivent être mis en première
-ligne; ils sont les plus nombreux et les plus insinuants. C’est sur
-leurs épaules que le premier coup de verge doit tomber.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>L’heure a sonné de déblayer le terrain pour que les mains robustes et
-fermes puissent accomplir leur œuvre de reconstruction. Le monde a
-beaucoup souffert, en ces dernières années. Pour enfanter l’âme nouvelle
-de l’humanité, que de cœurs se rongent d’angoisse,<span class="pagenum"><a id="page_42">{42}</a></span> que d’intelligences
-s’épuisent à donner tout ce qu’elles possèdent d’énergie vitale, que
-d’âmes de bonne volonté s’efforcent de saisir, dans le plus secret de
-leur être, la voix de leur subconscient pour qu’il les éclaire en vue du
-grand travail de la reconstitution humaine.</p>
-
-<p>Au lieu de les aider dans leur tâche, comment les hommes de
-conscience,&#8212;il y en a encore,&#8212;permettent-ils aux escamoteurs de
-prendre à ceux-ci les cartes des mains pour un jeu qui est celui de la
-destruction? L’atmosphère que ces misérables créent autour d’eux est si
-énervante, si lourde et si déprimante, qu’elle fait succomber les plus
-fermes courages.</p>
-
-<p>Dans les familles, par exemple, il suffit d’un seul escamoteur pour
-gâter toute possibilité de bonheur. Sa présence est l’invitation
-constante au découragement, à la défiance, à l’irritation intérieure, à
-l’amertume quotidienne. Soyons indulgents pour ces pécheurs, mais pas
-pour ce péché, qui est bien le plus laid et le plus vulgaire qui soit!
-Forçons les escamoteurs à fermer boutique et à ne plus déshonorer le
-portique du temple, en y projetant leur vilaine ombre.<span class="pagenum"><a id="page_43">{43}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_III-b"></a>CHAPITRE III<br /><br />
-<b>LES FAUX INTERPRÈTES</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">L’Eternel hait le faux témoin qui dit des mensonges,<br /></span>
-<span class="i0">Et celui qui excite des querelles entre frères.<br /></span>
-<span class="i10">(<i>Proverbes</i> VI-17.)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Eux aussi sont des marchands de fumée et tiennent boutique à côté des
-escamoteurs et des brouilleurs de cartes. Sous le prétexte fallacieux de
-chercher la vérité, ils lui substituent le mensonge et le néant.</p>
-
-<p>Leurs magasins sont fort achalandés comme ceux de leurs confrères, mais
-on n’y trouve aucune marchandise de bon aloi, solide et intégrale!</p>
-
-<p>Ils ont un étalage de pure apparence; au lieu de réalités, ils offrent
-sans scrupules les créations de leur fantaisie. On les achète tout de<span class="pagenum"><a id="page_44">{44}</a></span>
-même, tellement le faux et l’artificiel satisfont cette antipathie de la
-vérité dont tant de gens souffrent! Certains naissent avec l’esprit fait
-de telle sorte qu’ils éprouvent le besoin d’embrouiller les choses les
-plus claires et de voir des pièges derrière tout ce qui frappe leur
-regard ou leur ouïe.</p>
-
-<p>Si un homme se jette à la rivière pour sauver un enfant qui se noie,
-vite les faux interprètes cherchent à son acte généreux un motif secret
-et parfois honteux. Et quand on applaudit devant eux à cette action
-courageuse, ils ricanent ou prennent un air profond comme s’ils étaient
-au courant de mystérieuses menées que les autres ignorent, alors qu’au
-fond ils ne savent absolument rien de spécial! Mais ils sont gens
-d’imagination, et ceux qui manquent de cette faculté,&#8212;et combien de
-personnes ne possèdent même pas une étincelle de ce don divin!&#8212;les
-recherchent pour se renseigner, pour apprendre à leur école l’art de
-tout dénigrer et de trouver aux faits les plus simples une explication
-tortueuse. Cela devient vite un système que l’on applique ensuite à
-toutes les grandes et les petites choses de l’existence humaine, causant
-ainsi d’infinies souffrances.<span class="pagenum"><a id="page_45">{45}</a></span></p>
-
-<p>Sans l’intervention des faux interprètes, ces souffrances spéciales que
-nous allons examiner existeraient quand même, car nous sommes tous
-momentanément capables de nous tromper dans nos jugements, mais elles
-demeureraient exceptionnelles, tandis qu’avec les boutiques ouvertes des
-faux interprètes, il n’est guère de fait ou de sentiment qui soit
-accepté aujourd’hui avec simplicité et bonne foi.</p>
-
-<p>Pour les hommes sincères et généreux, le fait d’être méconnu représente
-une douleur intolérable qui obscurcit pour eux la beauté des jours
-clairs et qui les blesse dans leur intimité profonde.</p>
-
-<p>Aucun état social, pour merveilleusement organisé qu’il soit, ne
-protégera jamais l’homme contre les jugements de son frère ou de son
-voisin. Ce sont là des désagréments inévitables; mais en interdisant les
-pratiques auxquelles se livrent les faux interprètes, empêchant ceux-ci
-de faire métier de médisance, en frappant leur commerce de taxes morales
-considérables, on mettra peut-être un frein à la détestable propagande
-qu’ils font par leurs perfides et insinuantes manœuvres.<span class="pagenum"><a id="page_46">{46}</a></span></p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Mais il en est de ceci comme de toutes les autres épreuves auxquelles
-l’homme est soumis: c’est en lui-même qu’il doit trouver ses meilleures
-et plus efficaces armes de défense. Il faut qu’il s’efforce de diminuer
-sa sensibilité à l’égard des fausses interprétations. Quelques
-individualités ont déjà réussi à éliminer ou, du moins, à atténuer ce
-genre de souffrance. Quand on attribue à leurs actions des motifs
-sublimes, elles sourient, sachant que leurs mobiles ont été médiocres;
-elles sourient également lorsqu’elles entendent attribuer à leurs
-meilleures intentions des calculs mesquins et perfides.</p>
-
-<p>Ces personnes ont cessé de protester: elles acceptent, se résignent et
-finissent par devenir presque insensibles au fait d’être méconnues. Et
-comme elles croient à une justice immanente, elles éprouvent presque
-plus de honte à recevoir des éloges immérités qu’à être accusées des
-pires intentions.</p>
-
-<p>Ce sont là des natures fortes et fières, bien qu’un peu froides
-peut-être. D’autres, au contraire, continuent à se ronger le cœur<span class="pagenum"><a id="page_47">{47}</a></span> quand
-elles ne se sentent pas comprises et que leurs actes et leurs motifs
-sont faussement interprétés. Leur sensibilité s’exaspère; elles
-protestent, se plaignent, se défendent, essayent de remettre les choses
-au point, sans y réussir: elles oublient que de telles plaies ne
-guérissent que d’elles-mêmes, et avec l’aide toute puissante du temps.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Certains esprits soutiennent qu’il est préférable de protester
-immédiatement contre les insinuations médisantes: ils ont pour théorie
-que les légendes une fois formées, il est excessivement difficile de les
-détruire; il faut donc, d’après eux, avoir toujours l’oreille tendue,
-et, au plus petit indice suspect, arborer son drapeau et mettre
-flamberge au vent. Cette méthode rend la vie très fatigante, et, la
-plupart du temps, ne sert à rien.</p>
-
-<p>Il faudrait pouvoir remonter à la source secrète d’où proviennent les
-fausses interprétations. Sans parler des professionnels qui les
-répandent et que nous avons dénoncés, elles prennent naissance dans tous
-les milieux, et, si l’on cherche bien, on voit qu’un sentiment<span class="pagenum"><a id="page_48">{48}</a></span> de
-rancune, d’envie, ou d’ambition frustrée les inspire presque toujours.
-Elles naissent aussi d’un manque de clairvoyance et sont souvent filles
-de l’ignorance. Rien n’est plus rare, du reste, que la perspicacité,
-dans notre société moderne. C’est même là un point sur lequel je devrai
-revenir fréquemment dans cette étude, car il mérite d’attirer
-l’attention, étant donné le développement que le besoin d’analyse a pris
-dans tous les esprits modernes. Cette singulière lacune est-elle
-imputable à la vie tumultueuse du <small>XX</small>ᵉ siècle, où le temps d’observer, de
-réfléchir et de raisonner manque absolument? Quelle qu’en soit
-l’origine, le fait existe et doit être étudié, car il désarme l’homme
-devant les événements et les péripéties de la vie.</p>
-
-<p>On peut remplacer la perspicacité par l’intuition, mais c’est un don
-rare et personnel et non une vraie science, mise à la portée de tous et
-qu’on puisse acquérir. Lorsqu’on possède ce don, on peut le développer
-par une constante communion avec les forces qui dirigent l’univers. Et
-nous voyons toujours le même mystérieux phénomène se répéter: c’est à
-celui qui a beaucoup reçu, qu’il est donné davantage. Cette promesse
-sent le privi<span class="pagenum"><a id="page_49">{49}</a></span>lège, et beaucoup d’esprits étroits se rebellent contre
-elle. Or, l’étroitesse de l’esprit est une forteresse inexpugnable, une
-montagne toute en saillie, une paroi unie et lisse qu’aucun pied, pour
-agile qu’il soit, ne parvient à gravir.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>L’obstination des sots est irréductible et, contre les gens bornés, il
-n’y a pas de recours possible; c’est pour cela que, si souvent, on voit
-ces derniers occuper de hautes situations, à l’étonnement et à
-l’indignation générales. Il faut aborder ici un point délicat, car il
-soulève un grave problème: jusqu’à quel point les gens inintelligents,
-ou qui manquent de perspicacité peuvent-ils être tenus pour responsables
-du mal qu’ils font et des douleurs qu’ils causent? On peut affirmer, en
-tout cas, qu’il n’y a pas de «bonnes bêtes», comme on le prétend
-quelquefois, la bonté, sous toutes ses formes, étant toujours une preuve
-d’intelligence.</p>
-
-<p>Dans le cas spécial de la propagation des fausses interprétations, les
-sots tiennent le record, d’abord parce que, manquant de bon sens et
-ayant des capacités limitées, il leur ar<span class="pagenum"><a id="page_50">{50}</a></span>rive souvent de ne pas
-comprendre et de ne pas savoir discerner la réalité des sentiments et
-des intentions; ils se trompent, par conséquent, plus souvent que
-d’autres; et de plus, étant dépourvus d’idées personnelles, ils se
-laissent facilement égarer par les faux interprètes.</p>
-
-<p>On peut donc affirmer sans démenti possible, que les cerveaux étroits
-sont d’émérites faiseurs de peines. On me répondra qu’on ne devrait
-attacher aucune valeur à leurs fausses interprétations. C’est vrai, et,
-en effet, s’ils nous sont indifférents, nous parvenons aisément à ne pas
-sentir l’écharde qu’ils ont plantée dans notre chair. Nous haussons les
-épaules, et nous en remettons au temps et à la justice finale des
-choses. Mais lorsque des jugements hasardés, blessants et faux, sortent
-de bouches aimées,&#8212;car nous aimons les gens pour une foule de raisons
-complexes où l’intelligence n’entre souvent pour rien,&#8212;toute parole
-prend une valeur, tout jugement erroné blesse nos sentiments intimes, et
-est créateur de griefs. Nous ne pouvons hausser les épaules, ni répondre
-par un fier silence, ou un frivole «je m’en moque» à leurs paroles
-malencontreuses, puisque ces fausses inter<span class="pagenum"><a id="page_51">{51}</a></span>prétations, partant de lèvres
-chéries, mettent en péril nos pauvres bonheurs.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>La famille, l’amour, l’amitié, au lieu d’être, comme on le voudrait, des
-forteresses inaccessibles sont, parfois, pour les fausses
-interprétations, d’admirables champs de culture où celles-ci fauchent
-tout ce qui, pour un cœur sensible, représente la douceur de vivre.</p>
-
-<p>On voit souvent dans les familles un méconnu, contre lequel les autres
-se liguent, et il arrive que ce méconnu est le plus intelligent, le plus
-généreux et le plus large d’esprit de tous. Une légende se forme autour
-du malheureux et, sortant du cercle familial, elle se répand même au
-dehors.</p>
-
-<p>De très hautes personnalités ont connu des mésaventures morales de ce
-genre. Un des grands hommes d’État de notre époque, le comte de Cavour,
-fait allusion dans son journal intime à une situation semblable. Dans sa
-jeunesse, ses parents le tenaient un peu à l’écart, et lorsqu’on
-discutait certaines questions de famille, on baissait la voix à son
-approche parce qu’on n’avait pas confiance<span class="pagenum"><a id="page_52">{52}</a></span> dans son jugement!... Il en
-souffrit, tout en se sentant déjà, sans doute, supérieur à ceux qui le
-méconnaissaient.</p>
-
-<p>Oh! ces voix qui se baissent à notre approche, ou qui soudain se
-taisent, quel symptôme non équivoque de dénigrement elles sont pour
-nous! Nous en recevons un petit choc au cœur, et le sentiment de
-solidarité qui fait la chaleur et le parfum des rapports de famille, en
-est diminué; le fruit a désormais perdu son duvet et sa bonne saveur.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Parfois, c’est l’amitié qui nous réserve cette épreuve. Les amis qui
-devraient nous connaître le mieux, qui nous sont unis par des liens de
-choix, interprètent mal nos actions ou acceptent sans hésiter les
-intentions que nos adversaires nous attribuent. On n’a pas toujours
-d’ennemis au sens le plus grave du mot, mais chacun a des adversaires
-disposés à défigurer les motifs qui guident nos actes.</p>
-
-<p>Les amis qui se montrent prêts à accepter les fausses interprétations
-suggérées par nos adversaires, commettent déjà une déloyauté; mais quand
-c’est d’eux-mêmes et spontanément<span class="pagenum"><a id="page_53">{53}</a></span> qu’ils nous méconnaissent, le mot
-trahison vient tout naturellement à nos lèvres. Pour nou, le paysage se
-décolore, la lumière s’éteint, la joie de l’amitié disparaît: nous les
-aimerons encore, peut-être, les amis infidèles, mais ce ne sera plus que
-d’une façon grise et banale.</p>
-
-<p>Une félure s’est produite au plus profond du cœur.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>En amour, les blessures sont plus irrémédiables encore;&#8212;et, par amour,
-je n’entends pas seulement celui qui lie les hommes aux femmes, mais
-aussi ces affections de famille ou d’amitié, si étroites et profondes
-qu’elles ont toute l’ardeur de l’amour. En de pareils liens, la fausse
-interprétation fait l’effet d’un coup de couteau en plein cœur. Elle
-crée des griefs qui élèvent peu à peu, entre ceux qui s’aimaient, des
-barrières, qui ne semblent d’abord rien et dont les effets sont
-formidables. Le seul fait de voir leurs motifs méconnus par l’un de ces
-êtres chéris, suffit à ternir, chez les natures délicates, l’image de
-celui ou de celle qu’elles avaient, dans leur âme, placé sur un autel.</p>
-
-<p>Les époux, les amants croient avoir droit<span class="pagenum"><a id="page_54">{54}</a></span> sous ce rapport à un
-traitement spécial, et ils sont singulièrement stricts sur ce point
-particulier. Trop indulgents aux mensonges, à la duplicité, à la ruse
-quand elles sont appliquées à autrui, ils ne consentent pas à les
-excuser vis-à-vis d’eux-mêmes. Que la coupable soit mère, sœur, épouse,
-fille, amante, amie, ils ne lui pardonnent jamais une fausse
-interprétation de leurs actes.</p>
-
-<p>Je connais le cas d’un fils qui, adorant sa mère, s’aperçut un jour
-qu’elle avait attribué des motifs erronés à quelques-uns de ses actes.
-Leur intimité se rompit, et il fallut des années pour la rétablir. Et ce
-triste phénomène s’est reproduit souvent dans d’autres relations. Que de
-bonheurs ont été détruits par de fausses interprétations non pardonnées
-et qui entraînaient à leur suite beaucoup de douleurs inutiles,
-puisqu’elles étaient basées sur de la fumée, c’est-à-dire sur
-l’inexistant.</p>
-
-<p>C’est là une source de souffrance dont l’humanité doit être délivrée. Le
-remède est dans l’homme lui-même. Quand il aura refait son éducation, il
-réussira à maîtriser cette sensibilité spéciale. C’est une science
-nouvelle qu’il doit apprendre et qui représentera une partie essentielle
-de sa reconstruction morale.<span class="pagenum"><a id="page_55">{55}</a></span></p>
-
-<p>Pour lui faciliter sa tâche, il faut que tous les hommes de bonne
-volonté dénoncent les faux interprètes partout où ils les découvrent,
-afin de ne plus permettre à leur ombre de s’étendre sous les portiques
-du temple, ni à leurs mains de lâcher l’essaim pestilentiel des insectes
-venimeux que leurs bocaux contiennent, et qui ont nom: défiances,
-doutes, soupçons, calomnies, brouillards, vapeurs, fumée, poussière et
-cendres!<span class="pagenum"><a id="page_56">{56}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_IV-b"></a>CHAPITRE IV<br /><br />
-<b>LES FAUX JUGES</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">L’Éternel a horreur des<br /></span>
-<span class="i0">yeux hautains et des langues<br /></span>
-<span class="i0">menteuses.<br /></span>
-<span class="i10">(<i>Proverbes</i> VI-9.)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>La boutique où siègent les faux juges a une apparence plus convenable et
-plus noble que celle des autres débitants de fumée. Les crieurs chargés
-d’attirer les chalands ont la voix moins aiguë, les gestes moins
-canailles que ceux des baraques voisines. Une sorte de solennité préside
-à l’arrangement de l’ensemble des choses. Les magistrats improvisés se
-font un visage grave, ils parlent avec une hypocrite mesure, pincent les
-lèvres, froncent les sourcils, comme si, avant d’émettre une sentence,
-ils en pesaient soigneusement la portée.<span class="pagenum"><a id="page_57">{57}</a></span> Dans leur attitude, il y a
-quelque chose qui inspire confiance, non seulement aux ingénus et aux
-hommes inexpérimentés, mais même à ceux qui connaissent à fond la vie et
-n’ont pas l’habitude de s’en tenir aux apparences. Pénétrés d’une
-illusoire confiance, quelques-uns vont même, dans les cas délicats,
-prendre conseil des faux juges, ce qui augmente le prestige de ceux-ci
-auprès des faibles, des sots, des incertains.</p>
-
-<p>Le manque de clairvoyance ou de bon sens de gens réputés sages et forts,
-peut avoir des conséquences d’une incalculable importance. A leur suite,
-le public se rend chez les faux juges, les écoute et, ensuite,
-malicieusement ou maladroitement, répand leurs sentences dans le monde.
-En général, celles-ci défigurent la vérité; elles condamnent les actes
-droits et sincères, pour donner des éloges à ceux sur qui, au contraire,
-il faudrait passer condamnation pour leur égoïsme, leur vanité, leur
-bassesse. Il suffit d’être doué d’un peu de bon sens et de perspicacité
-pour faire à ce propos d’étranges réflexions.</p>
-
-<p>Mais ce n’est pas dans leur boutique que ces marchands de fausse justice
-accomplissent leur pire besogne. Ils ne demeurent pas long<span class="pagenum"><a id="page_58">{58}</a></span>temps à leur
-tribunal, car cela les ennuie de siéger avec apparat; ils préfèrent se
-répandre au dehors et rendre leurs sentences pédantes et bornées devant
-un auditoire plus varié. Les paroles prononcées à la face du monde
-volent, se dispersent et ont plus de chances de trouver un terrain où
-germer.</p>
-
-<p>J’ai connu quelques-uns de ces faux juges, tous Pharisiens de race,
-d’éducation et d’instinct. Je les ai vus ourdir des conspirations contre
-ceux de leurs prochains, dont la présence dans la vie les contrariait,
-les gênait... D’un air de suprême sagesse, ils commençaient par
-s’indigner à fond contre ces malheureux pour arriver ensuite, sans une
-preuve en main, à porter contre eux une sentence définitive. Souvent
-leur manœuvre était grotesque et nulle comme résultat positif, mais tout
-de même un peu de mal était fait!</p>
-
-<p>Si le nombre et la présomption de ces faux juges devaient s’accroître,
-le sentiment de la sécurité disparaîtrait des cœurs, et les courages
-vacilleraient, car il ne servirait plus à rien d’éviter avec soin toutes
-les causes de conflits avec la justice, puisque, hors des tribunaux et
-de tout l’appareil légal, des hommes et des femmes s’improvisent
-présidents<span class="pagenum"><a id="page_59">{59}</a></span> d’appel ou d’assises et osent formuler des arrêts qui
-peuvent détruire ou flétrir les réputations.</p>
-
-<p>Les femmes, plus encore que les hommes, se complaisent dans cette
-besogne extra-légale. Ne pouvant rendre publiquement la justice, elles
-en adorent le simulacre, et il faut les entendre décider et trancher sur
-tout. L’ascension de la démocratie a prouvé qu’il y avait un despote en
-tout homme et en toute femme également. Celles-ci refusent de fatiguer
-leurs méninges, n’étudient pas, ne creusent pas les textes: cela
-riderait leur front et jaunirait leur teint... Elles ne se soucient pas
-de recueillir des preuves, elles ne tiennent compte ni des
-circonstances, ni des atavismes. Une impression fâcheuse, une rancune,
-un dépit, suffisent à les décider dans un sens ou dans l’autre. Le lit
-de justice où elles étalent leurs robes, n’est, pour elles, qu’un
-terrain de jeux, et elles n’éprouvent aucun besoin d’éclaircir leurs
-idées. Il ne s’agit que de fumée, dira-t-on; mais il y a des fumées
-lourdes de miasmes mortels.<span class="pagenum"><a id="page_60">{60}</a></span></p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Les faux juges des deux sexes, hors de leur boutique du temple,
-travaillent séparément. Ils se divisent la besogne: ce sont, en général,
-des gens prétentieux et bornés d’esprit, qui se prennent au sérieux et
-se croient eux-mêmes infiniment intelligents. Parfois, ces
-francs-tireurs éprouvent le désir de se réunir. Quel aréopage! Malheur
-aux Phrynés, même très vêtues, qui oseraient s’y présenter! Les
-sentences qu’on y rend sont de celles que le tribunal des Animaux, qui
-condamnèrent l’Ane dans la fable de La Fontaine, n’aurait pas
-désavouées!</p>
-
-<p>J’ai toujours estimé que la profession de juge était l’une des plus
-lourdes pour la conscience, et il m’a toujours paru inouï que, sans y
-être forcé par serment, quelqu’un veuille de son plein gré, assumer
-cette tâche, usurper cette place... Ces juges improvisés ne regardent
-donc jamais en eux-mêmes? C’est un phénomène assez curieux de l’âme
-humaine que cet auto-aveuglement. Plus on jette les yeux autour de soi,
-plus on se rend compte que le vrai est ce dont l’homme se<span class="pagenum"><a id="page_61">{61}</a></span> soucie le
-moins! Ceux même qui auraient voulu décrocher les étoiles du ciel et
-arrêter sur les lèvres la vieille chanson qu’on chantait auprès des
-berceaux et des tombes, ne sont pas plus réalistes que les autres! Eux
-aussi sont des acheteurs et des vendeurs de fumée.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Pour en revenir aux faux juges, dont les sentences courent le monde,
-détruisent la confiance et empêchent le développement des meilleures
-initiatives, comment leur donner la chasse et les anéantir? Les
-mitrailleuses elles-mêmes seraient impuissantes, contre leurs décisions,
-car elles ne frappent pas dans le vide... Seul un geste divin pourrait
-les faire disparaître dans ces cavernes de sable mouvant et sans fond,
-où l’enlisement éternel attend tout ce qui, en ce monde, a été mensonge
-et fumée.<span class="pagenum"><a id="page_62">{62}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_V-b"></a>CHAPITRE V<br /><br />
-<b>LES BLUFFEURS</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Le mensonge est l’avilissement,<br /></span>
-<span class="i0">en quelque sorte l’anéantissement<br /></span>
-<span class="i0">de la dignité humaine.<br /></span>
-<span class="i10">(<span class="smcap">Kant.</span>)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Il est impossible de quitter les marchands de fumée, sans dire un mot
-des bluffeurs, malgré la vulgarité rebutante du mot et de la chose.
-Aujourd’hui leur dégradant moyen d’action s’est tellement répandu que le
-nom «bluff» a été adopté dans toutes les langues et qu’il est compris et
-appliqué dans tous les pays. Fils du Nouveau Monde, il a acquis
-maintenant droit de cité partout. On se sert couramment du mot et de la
-chose. «Quel infect bluffeur», nous écrierons-nous, si celui auquel
-l’adjectif s’applique a lésé nos<span class="pagenum"><a id="page_63">{63}</a></span> intérêts. Et d’autre part, nous rions
-en disant à un ami: «Avez-vous fini de bluffer?» Cette façon éclectique
-d’employer le vocable est symptômatique.</p>
-
-<p>Le bluff peut mener en cour d’assises, mais, quand il ne s’applique
-qu’aux petits intérêts de la vie, on en plaisante agréablement, ce qui
-est un tort, car le fond de la chose est le même. Le fait de
-reconnaître, dans une mesure quelconque, qu’on a le droit de «bluffer»
-est la condamnation de toute société bien organisée. Les escamoteurs,
-les brouilleurs de cartes, les faux interprètes et les faux juges
-empêchent la reconstruction morale du monde, mais le bluff permis,
-reconnu, protégé, jette un tel désarroi dans les consciences, que,
-l’admettre, équivaut à sonner le glas de la société humaine.</p>
-
-<p>Si le Fils de l’homme et de Dieu a chassé, il y a presque vingt siècles,
-les trafiquants du temple, qu’aurait-il dit de cette plaie du bluff qui,
-semblable à une lèpre hideuse s’étend aujourd’hui sur le monde? Pour la
-laver il n’y a que les étangs de feu dont le vieillard de Patmos parle
-dans l’Apocalypse.</p>
-
-<p>Né des plus basses passions et synonyme d’un esprit de tromperie froide
-et calculée, le<span class="pagenum"><a id="page_64">{64}</a></span> bluff n’est pas simplement de la fumée, mais une vapeur
-délétère qui empoisonne toutes les sources de l’activité humaine. Que
-n’a-t-on pas dit des poisons des Borgia! Certes, leur emploi avait des
-inconvénients et ceux qui les ingurgitaient passaient un mauvais quart
-d’heure, mais à Sinigaglia même les victimes ne furent que trente ou
-quarante. Les grandes plaies sociales actuelles font un nombre bien plus
-considérable de victimes.<span class="pagenum"><a id="page_65">{65}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_VI-b"></a>CHAPITRE VI<br /><br />
-<b>LANCEUSES DE BULLES DE SAVON</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Si le mirage de la <i>Fata Morgana</i><br /></span>
-<span class="i0">faisait naufrager les navigateurs,<br /></span>
-<span class="i0">que d’espérances les bulles<br /></span>
-<span class="i0">de savon ont créées et détruites<br /></span>
-<span class="i0">dans le cœur des hommes!<br /></span>
-<span class="i10">(***)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Y a-t-il rien de plus charmant qu’une bulle de savon? Ces boules
-fluides, légères, irisées qui s’élancent joyeusement dans l’air ont un
-charme particulier; et, en y réfléchissant, on peut leur trouver une
-signification profonde.</p>
-
-<p>Aujourd’hui pourtant les enfants ne s’amusent plus guère à ce jeu. Mais
-il y a toujours des bulles d’air dont les gens font commerce! Quand les
-réalités manquent, il faut bien vendre quelque chose pour attirer
-l’attention. Ces boutiques-là devraient être impitoyablement fermées.
-J’en connais qui ont des<span class="pagenum"><a id="page_66">{66}</a></span> vendeuses charmantes et même bien
-intentionnées. Je regrette de les citer dans les chapitres consacrés aux
-escamoteurs et aux bluffeurs, mais comment ne pas parler d’elles dans
-cette nomenclature des commerçants de fumée? Leur trafic est dangereux,
-non parce qu’il fait directement du mal, mais parce qu’il engendre le
-désappointement et détruit la confiance. Quand on a vu plusieurs bulles
-de savon se crever dans l’air, on est moins disposé à écouter la voix
-des propagandistes qui disent: «Marchez, suivez telle route&#8212;vous
-arriverez à tel but...» Leurs accents les plus persuasifs et les plus
-éloquents ont cessé d’éveiller l’espérance, d’exciter les bonnes
-volontés: «Poussière, sable, fumée!» murmure la voix de l’expérience.</p>
-
-<p>Il sera un peu triste de voir disparaître ces jolies bulles, faiseuses
-d’illusions; mais si l’on veut sérieusement reconstruire le monde,
-celles qui les vendent doivent, elles aussi, disparaître du portique du
-temple. Disons-leur cependant un adieu un peu attendri, car si elles ont
-parfois <i>bluffé</i> pour des motifs personnels, elles l’ont fait, souvent,
-pour essayer d’alléger la souffrance humaine et pour stimuler la bonne
-volonté des hommes.<span class="pagenum"><a id="page_67">{67}</a></span></p>
-
-<h2><a id="TROISIEME_PARTIE"></a>TROISIÈME PARTIE<br /><br />
-<b>Les Problèmes de l’heure.</b></h2>
-
-<p>Ces problèmes sont nombreux et il en est qui correspondent à toutes les
-cordes puissantes qui font vibrer l’âme des hommes; leur liste pourrait
-représenter la lyre entière de l’existence humaine, mais aujourd’hui je
-me bornerai à aborder trois d’entre eux: <i>la Famille</i>, <i>l’Éducation</i>,
-<i>la Femme</i>, laissant de côté, pour l’instant, le plus important de tous:
-celui de la vie intérieure!<span class="pagenum"><a id="page_68">{68}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_PREMIER3"></a>CHAPITRE PREMIER<br /><br />
-<b>UNE CONDAMNÉE A MORT QUI DÉFIE LA MORT</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">La famille est la patrie du cœur.<br /></span>
-<span class="i10">(<span class="smcap">Joseph Mazzini.</span>)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Avant la guerre, pendant la guerre, et après la guerre, les prophètes
-ont entonné le <i>De Profundis</i> de l’institution familiale. On avait
-inventé mieux que cela, et, désormais, chacun se considérant plus ou
-moins comme fils du hasard, voudrait vivre sa vie en pleine liberté,
-sans attaches gênantes, sans traditions encombrantes, sans obligations
-énervantes. La plante humaine devait pouvoir fleurir face au soleil,
-libérée de toute entrave! Quel besoin a-t-on encore d’une famille et
-d’un <i>home</i>, puisqu’il y a les hôtels, les restau<span class="pagenum"><a id="page_69">{69}</a></span>rants, les cafés, les
-cercles, et mille lieux de divertissements où l’on peut passer la fin
-des après-midi et les soirées? Les femmes étant heureusement devenues
-moins dépendantes, peuvent vivre leur vie, et n’ont plus besoin de
-protecteur pour participer aux différentes manifestations de
-l’existence. Pourquoi donc les hommes, étant donné cet état de choses,
-devraient-ils continuer à assumer des charges qui ont cessé d’être
-obligatoires?</p>
-
-<p>«Et les enfants?» demandions-nous. A cette demande timide, on répondait:
-«L’État pourvoira à leur éducation.»</p>
-
-<p>J’ai toujours écouté développer ces théories sans m’émouvoir, parce que
-je n’ai jamais cru qu’on pût les mettre en pratique, et ce qui se passe
-aujourd’hui me donne raison. Si la disparition de la famille était si
-proche, on ne verrait pas le nombre des mariages augmenter dans toutes
-les classes. La facilité et le chiffre croissant des divorces, ne suffit
-pas à expliquer ce phénomène matrimonial.</p>
-
-<p>Le besoin de se créer une famille est devenu si prépondérant chez les
-hommes, depuis le formidable conflit auquel ils ont pris part, que
-plusieurs se permettent des mariages im<span class="pagenum"><a id="page_70">{70}</a></span>prudents qu’ils n’auraient pas
-conclus auparavant. On voit des jeunes gens accepter, d’un commun
-accord, la perspective d’une existence modeste et laborieuse. L’homme a
-évidemment été travaillé dans les profondeurs de son être par la
-souffrance, les anxiétés, les angoisses de la guerre, et il a senti la
-tristesse de la solitude avec une acuité extraordinaire. C’est le besoin
-obscur de se rattacher à quelque chose de fixe, de stable, et lui
-appartenant en propre, qui est le principal motif de l’accroissement des
-mariages.</p>
-
-<p>Les déceptions, cependant, ont été grandes au retour de la terrible
-campagne; plusieurs s’étaient figuré que, rentrés au foyer, ils y
-occuperaient la place d’une sorte d’idole domestique, et que le culte de
-l’héroïsme fleurirait dans toutes les demeures. Hélas! la désillusion
-fut rapide. En outre, un changement étrange s’était accompli dans l’âme
-des épouses, des fiancées ou de celles qui pouvaient le devenir. Elles
-s’étaient émancipées, elles n’attendaient plus uniquement de l’époux le
-droit de vivre et d’affirmer leur personnalité.</p>
-
-<p>Ces surprises auraient dû logiquement mettre les hommes en garde contre
-le mariage. Or c’est l’illogisme qui a triomphé, et pour<span class="pagenum"><a id="page_71">{71}</a></span>quoi a-t-il
-triomphé? Parce qu’il y a, dans la nature et dans l’individu, des forces
-plus puissantes que tous les raisonnements, les doctrines et les
-théories. Il suffira toujours d’un homme et d’une femme qui s’aiment
-près d’un berceau, pour reconstituer la famille, même si l’on était
-parvenu à la dissoudre légalement.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>La famille possède, du reste, en elle-même d’autres sources de vie qui
-la feront éternellement subsister. Celle où s’alimente, en certains
-pays, l’attachement des fils pour leur mère est inépuisable. Je dis des
-fils spécialement, car, entre les filles et les mères, des éléments
-d’aigreur entrent parfois en jeu, qui dénaturent la douceur des liens
-naturels.</p>
-
-<p>La force de l’attachement des fils pour leur mère s’est révélée
-extraordinaire pendant la guerre. Mes observations se sont, d’une
-manière générale, limitées à l’Italie et à la France, et je pourrais
-écrire un livre sur ce que j’ai vu et entendu à ce sujet. En Italie, le
-fils du peuple, le paysan en particulier, est aveuglément attaché à sa
-mère; c’est son image qui lui apparaît à l’heure du danger et à l’heure
-de la<span class="pagenum"><a id="page_72">{72}</a></span> mort! S’il se marie tant aujourd’hui, c’est surtout pour
-constituer une famille, poussé par le besoin inconscient de rendre
-possible à d’autres l’affection qui a fait le fond de sa propre vie.</p>
-
-<p>Une femme de cœur, dont la mission consistait à fournir aux familles les
-nouvelles des soldats qui se trouvaient au front, me disait pendant la
-guerre: «Rien qu’à la façon dont elles ouvrent la bouche, je reconnais
-les mères! Les épouses, les fiancées ont une autre façon de remuer les
-lèvres. Et quelle différence dans leur expression de visage, tandis
-qu’elles attendent le verdict qu’elles sont venues implorer.»</p>
-
-<p>Chez les races où le lien entre la mère et le fils est si
-extraordinairement fort, l’avenir de la famille est assuré, et les
-théories dont on mène tant de bruit ne l’entameront jamais. Toutes les
-mères, peut-être, ne méritent pas cet attachement profond; en ce cas il
-se déverse sur celle ou celui qui la remplace, sur le père, <i>il
-vecchio</i>, ou sur quelque autre membre de la famille dans les veines
-duquel les jeunes gens sentent courir le même sang. Cette question du
-sang et de la perpétuité de la race a une énorme importance chez les
-latins. Leur<span class="pagenum"><a id="page_73">{73}</a></span> synthèse sentimentale embrasse avant tout les ascendants
-et les descendants.</p>
-
-<p>Les théories subversives sur la famille étaient entrées en circulation
-longtemps avant la guerre et avaient fait en somme si peu de chemin dans
-le monde, que le cri des soldats mourants, aux heures suprêmes où l’on
-ne ment pas, a été toujours le même: «Maman! Maman!»</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Aujourd’hui, après la formidable épreuve, où tant de passions primitives
-se sont déchaînées, où la violence a cessé de répugner, où la férocité
-atavique s’est révélée puissante encore, où les instincts brutaux ont
-semblé reparaître à la surface, à quoi pensent ces soldats que la mort a
-épargnés? A se créer une famille!</p>
-
-<p>Il serait enfantin et un peu puéril de croire que tous ces jeunes maris
-sont conscients de l’acte qu’ils accomplissent. Un ensemble de
-circonstances complexes est à la base de ces nombreuses unions, mais on
-ne peut méconnaître qu’une force obscure, mystérieuse et puissante,
-pousse les hommes à les conclure:<span class="pagenum"><a id="page_74">{74}</a></span> celle de la perpétuité de la race,
-c’est-à-dire de la continuation de la famille!</p>
-
-<p>Je dis «les hommes», car, apparemment, ce sont eux qui choisissent leur
-compagne et portent la parole pour la conclusion de l’alliance. Et
-d’autre part les femmes, pour décidées qu’elles soient, comme la Nora
-d’Ibsen, à vivre leur vie et à secouer toute dépendance, ont encore,
-pour peu qu’elles aient une ombre de bon sens, un intérêt vital à ce que
-l’institution familiale ne soit pas détruite. Celle-ci est un peu pour
-elles comme une assurance sur la vie.</p>
-
-<p>Donc, malgré ce qui se passe à la surface et fait lever à tant de gens
-les bras au ciel avec de grands gestes désespérés, une réalité s’impose:
-sous la surface, des forces travaillent qui assurent la perpétuité des
-traditions. D’ailleurs, la famille se rattache si étroitement à l’idée
-de patrie, qu’il serait difficile de maintenir le prestige de l’une sans
-l’existence de l’autre. Et toutes deux ont besoin, pour subsister, de
-l’idée religieuse de la sanction divine, qui leur confère le droit
-d’exiger des sacrifices... Maintenir l’intégrité de l’une, c’est assurer
-le respect de l’autre dans l’âme humaine. Les pays où tout semble<span class="pagenum"><a id="page_75">{75}</a></span> avoir
-sombré dans le néant, sont ceux où la famille, la patrie et la religion
-ont été découronnées et brutalement dépouillées de leurs privilèges et
-de leurs droits. Cette vérité s’impose à tous les esprits et à toutes
-les consciences qu’une vague de démence n’a pas encore submergés.</p>
-
-<p>Pour peu que l’on regarde attentivement sous la surface des mots, et que
-l’on ne se contente pas de leur simple assemblage, on voit que
-l’institution de la famille représente non seulement l’avenir qu’il faut
-assurer, mais encore une arme de défense sociale dont il serait insensé
-de se priver.</p>
-
-<p>Pourquoi tant de ligues, de syndicats, et ce retour aux corporations du
-moyen âge? Simplement parce que l’homme moderne se sent désespérément
-seul. C’est là, je le crois, la vraie explication de ce mouvement
-général vers le groupement. Le sentiment des droits qu’on possède,
-artificiellement éveillé et surchauffé, y a eu bien moins de part que la
-sensation horrible de l’isolement. Chacun a regardé avec désarroi autour
-de soi. Alors les mains se sont jointes et, bientôt, on n’a plus vu que
-des assemblages. L’individu a disparu dans le groupement. Je n’ai pas
-l’intention<span class="pagenum"><a id="page_76">{76}</a></span> de discuter dans ces pages l’histoire de cette évolution,
-ni le bien et le mal qu’elle a pu faire ou qu’elle fera; ce serait
-sortir de mon cadre. Je constate simplement un fait.</p>
-
-<p>En ce qui concerne sa profession ou son métier, l’homme, en effet, a
-cessé d’être seul, il n’est plus forcé de combattre isolément. Si, d’un
-côté, il aliène sa liberté de pensée et d’action, de l’autre il se sent
-soutenu par ses camarades dans toutes les questions de salaires,
-d’horaires, de droits... Mais en tant qu’être humain, il reste, au fond,
-plus seul qu’auparavant, parce que les luttes de classe ont avivé les
-haines latentes, et que l’on vit aujourd’hui dans une atmosphère
-d’hostilité générale qui rend l’existence insupportable.</p>
-
-<p>Si la famille lui manquait pour se retremper dans un milieu d’affection
-et de chaleur, que resterait-il à l’homme? Des camarades de combat et
-quelques vulgaires contacts passagers! Son sort deviendrait de plus en
-plus triste, et il finirait par regretter l’époque où il pouvait se
-considérer à bon droit comme une espèce de victime sociale, soit qu’il
-fût paysan, ouvrier, employé ou qu’il eût choisi une profession
-libérale<span class="pagenum"><a id="page_77">{77}</a></span>.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>La famille doit être avant tout, selon la tradition des siècles, le
-centre où le travailleur vient reprendre haleine un instant pour
-affronter ensuite d’autres besognes et d’autres luttes; en ce sens, elle
-représente déjà un grand bénéfice social. Mais à un autre point de vue
-elle mérite encore d’être prise en considération par les moralistes et
-les sociologues, car elle peut offrir la solution partielle de certaines
-questions redoutables qui se posent aujourd’hui à tous les esprits
-raisonnables et réfléchis.</p>
-
-<p>Il serait superflu d’insister à ce propos sur les désastreux effets de
-la vie chère et sur les difficultés des services publics et privés.
-Autrefois, pourvu qu’on y mît le prix, on trouvait tout sous la main, on
-était servi au doigt et à l’œil (je ne parle pas seulement des gens de
-maison, mais du service des magasins, des établissements privés et
-publics, des moyens de communication, etc.). Aujourd’hui, tout est
-singulièrement changé. L’homme qui se trouve seul devant les difficultés
-de la vie quotidienne passe parfois<span class="pagenum"><a id="page_78">{78}</a></span> par des moments critiques et se
-trouve souvent fort embarrassé s’il doit faire face aux obligations
-quotidiennes de l’existence. Il ne suffit même pas toujours d’être deux
-pour résoudre ces difficultés, d’autant plus que les gens du dehors sont
-devenus forcément moins obligeants vis-à-vis de ceux qui les appellent à
-l’aide. Il serait injuste de leur en faire un grief: la journée est
-devenue si laborieuse pour chacun qu’on ne parvient pas toujours à en
-distraire une minute pour porter secours au prochain!</p>
-
-<p>A qui s’adresser dans les moments de désarroi et de détresse? A la
-famille! C’est encore le plus sûr secours; mais si vous en avez dénoué
-les liens, comme vous en avez soigneusement divisé les intérêts,
-répondra-t-elle comme autrefois à votre appel? Mettra-t-elle le même
-zèle à accourir au premier cri de détresse? Admettez que ses membres
-vivent aux deux extrémités d’une ville, avec la difficulté actuelle des
-communications et si l’habitude des échanges d’idées et de sentiments
-est perdue entre eux, comment feront-ils pour se joindre et se prêter un
-mutuel appui?</p>
-
-<p>Ces difficultés, ces besoins d’aide ne se font pas sentir peut-être dans
-les familles des<span class="pagenum"><a id="page_79">{79}</a></span> grands privilégiés de la fortune, sauf dans les cas de
-maladie et de malheur. Mais les grands privilégiés ne représentent
-qu’une petite partie de la société humaine. C’est la majorité de la
-classe bourgeoise qui souffre des inconvénients de la vie moderne, sans
-parler de la classe populaire qui, malgré la croissante augmentation des
-salaires, connaît des embarras analogues.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Il est évidemment difficile de revenir à la vie patriarcale qui faisait
-vivre les jeunes ménages sous le toit des chefs de famille. Cependant,
-étant donnée la pénurie actuelle des logements, cela aurait bien des
-avantages, d’autant plus qu’un ménage de douze personnes étant
-relativement beaucoup moins coûteux qu’un ménage de deux, trois ou même
-quatre bouches, la crise économique en serait peut-être adoucie. Mais
-c’est à un autre point de vue, d’un intérêt supérieur, que la question
-demande à être étudiée, celui de l’entr’aide morale et sociale.</p>
-
-<p>La crise du service est, dans tous les pays, fort grave. Que dire de
-celle des gouvernantes<span class="pagenum"><a id="page_80">{80}</a></span> et des simples bonnes? Lorsque la mère de
-famille, de condition modeste ou simplement aisée, quitte son logis,
-soit pour son travail, soit pour ses obligations sociales, soit pour les
-emplettes indispensables, dans quelles mains va-t-elle laisser désormais
-ses enfants? S’ils sont petits, le problème se pose très nettement et de
-façon simpliste: il faut ou les abandonner, ce qui est un danger, ou les
-remettre aux soins d’une femme de ménage quelconque, ce qui est un autre
-danger; à moins que la mère ne s’en fasse l’esclave et renonce à toutes
-sorties, à celles du soir surtout.</p>
-
-<p>Si les enfants sont grands, d’autres inconvénients surgissent qu’il est
-inutile d’énumérer. Quand fils et filles, en sortant de leurs cours,
-rentrent à la maison, doivent-ils trouver la maison vide? Le père est
-occupé à ses affaires, la mère à ses visites, et c’est elle qui,
-généralement rentre la dernière. La présence d’une grand’mère, d’une
-tante, d’une sœur, d’une parente, prête à les accueillir au foyer,
-réchaufferait de jeunes cœurs au moment de la vie où les contacts
-affectueux et intelligents sont le plus nécessaires.</p>
-
-<p>Avant la guerre, c’était le rôle des gouvernantes; mais aujourd’hui leur
-présence dans<span class="pagenum"><a id="page_81">{81}</a></span> les familles représente un luxe, sans compter que les
-yeux se sont étrangement ouverts sur les inconvénients des influences
-étrangères et des anges-gardiens inconnus admis dans le cercle familial.</p>
-
-<p>Ces considérations qu’inspirent le bon sens, et l’intérêt pour les
-pauvres petites âmes solitaires qui trouvent, en rentrant de l’école, le
-foyer désert, finiront-elles par prévaloir sur le farouche besoin
-d’indépendance qui est devenu pour la jeunesse, un culte et un principe
-de conduite auquel elle croit de sa dignité de ne jamais renoncer? Les
-abus d’autorité, auxquels les parents se sont complus autrefois avec une
-imprudente exagération et un absurde manque de réflexion, ont suscité
-des rancœurs qu’ils expient aujourd’hui.</p>
-
-<p>Il est évident que, dans la reconstitution sociale de la famille qui
-finira peut-être par s’imposer, il faudra trouver le moyen de
-sauvegarder suffisamment l’indépendance réciproque des êtres destinés à
-habiter sous le même toit. Sans cette précaution, que de tempêtes ne
-verrait-on pas éclater dans des verres d’eau! Mais cependant, pour
-soustraire l’homme à l’horrible sentiment de solitude qui l’étreint
-quand il a quitté l’atelier et la com<span class="pagenum"><a id="page_82">{82}</a></span>pagnie de ses camarades, il n’y a
-encore que le retour aux vieilles traditions familiales.</p>
-
-<p>L’incertitude du lendemain, en cas d’accident ou de maladie, deviendrait
-moins angoissante pour lui. Quand on est plusieurs à la maison, on est
-mieux armé pour faire face au mauvais sort.</p>
-
-<p>Si l’on craint par trop le despotisme des ascendants, ce qui se
-comprend, comme je l’ai dit, parce que les abus de l’autorité paternelle
-ont eu parfois des effets désastreux, pourquoi les sœurs et les frères
-ne se grouperaient-ils pas contre l’isolement funeste? A ces
-considérations, une autre s’ajoute, celle du travail des femmes à
-l’atelier ou dans les bureaux. Le dilemme se présentera bientôt avec
-force. Il faudra que les femmes renoncent à travailler au dehors, ou
-qu’elles consentent à élargir le cercle de la famille. Il n’y a pas une
-troisième façon de résoudre le problème.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Dans cette question de la famille, il faut évidemment tenir compte de la
-race et des traditions. Chez les latins, la famille s’était étendue
-jusqu’à devenir <i>la gens</i>, sans rien perdre<span class="pagenum"><a id="page_83">{83}</a></span> de sa signification
-première; cela avait donné une grande force à la famille romaine, dont
-l’institution a servi plus ou moins de modèle à celle des autres peuples
-et des autres pays.</p>
-
-<p>Ce qu’on a appelé la débâcle de la famille marque peut-être, au
-contraire, l’aurore de sa reconstitution. Les horribles conséquences de
-la guerre, le désarroi actuel des âmes, le bouleversement des esprits et
-l’angoisse des pauvres cœurs solitaires sont en train d’élaborer en
-secret, et sous la surface des eaux tumultueuses, un nouveau type de
-société humaine: dans celui-ci, la famille, renouvelée sur des bases
-d’où les abus d’autorité seraient rigoureusement bannis et où le respect
-absolu de la personnalité humaine serait reconnu, deviendra peut-être,
-plus que jadis encore, la pierre angulaire de l’édifice social.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Il faudra que les hommes se réservent désormais un rôle important dans
-cette famille reconstituée; au cours des dernières années, ils avaient
-trop abdiqué entre les mains des femmes tout ce qui concerne la
-direction<span class="pagenum"><a id="page_84">{84}</a></span> morale de la famille et l’éducation des enfants. Une
-collaboration étroite entre les deux sexes me paraît indispensable pour
-la solution intelligente et pratique de ce problème, dont dépendent en
-grande partie les destinées du monde, la dignité de la femme et le
-bonheur des individus appelés à vivre dans une société renouvelée.</p>
-
-<p>Le sujet que je viens d’aborder ne pourrait être épuisé dans un volume.
-Je ne lui ai consacré que quelques pages, non certes pour diminuer la
-place à laquelle il a droit, puisque je vois dans la famille, outre son
-importance traditionnelle, une grande arme de défense sociale, mais
-parce que le moment actuel n’est pas celui des longues dissertations. Le
-temps presse, les solutions s’imposent et il faut se borner à indiquer
-les problèmes de l’heure à ceux qui détiennent entre leurs mains le
-pouvoir de faire les lois et de diriger l’opinion publique.</p>
-
-<p>C’est à eux de considérer la gravité de cette question, d’en déterminer
-l’importance et d’en proposer la solution.<span class="pagenum"><a id="page_85">{85}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_II-c"></a>CHAPITRE II<br /><br />
-<b>L’ÉDUCATION DES PEUPLES CIVILISÉS</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Quelle aimable chose pourrait<br /></span>
-<span class="i0">être l’homme s’il était vraiment<br /></span>
-<span class="i0">homme.<br /></span>
-<span class="i10">(<span class="smcap">Ménandre.</span>)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>De tous côtés aujourd’hui, une même préoccupation a envahi les cerveaux
-et les consciences lucides: celle de l’éducation!</p>
-
-<p>Dans l’appréhension des désordres qui menacent le monde, une terrible
-question s’est posée à l’esprit de tous. L’école, avec son apathie, son
-manque d’air, de soleil, d’espace et de spiritualité, ne serait-elle pas
-la principale responsable de l’effrayante folie collective qui
-bouleverse en ce moment l’âme des peuples? La réponse n’a pas été
-rassurante, et pour peu<span class="pagenum"><a id="page_86">{86}</a></span> qu’on prête l’oreille, l’on entend de toutes
-parts un cri d’angoisse qui traverse l’espace.</p>
-
-<p>La crise a éclaté dans tous les pays, et la nécessité de réformes
-scolaires s’impose partout, ce qui est une preuve évidente qu’aucun des
-systèmes suivis jusqu’ici n’a été jugé satisfaisant ni pour l’heure
-passée, ni pour l’heure présente!</p>
-
-<p>Avant la guerre, chez les nations où la plaie de l’analphabétisme
-s’étendait encore dans certaines provinces, on avait l’habitude de
-croire, au point de vue éducatif, à l’incontestable supériorité des
-méthodes anglo-saxonnes, et on avait raison en partie. Mais aujourd’hui
-la crise s’est généralisée, le mal va jusqu’à la racine, et l’on
-comprend clairement que les anciens systèmes, déjà insuffisants dans le
-passé, ne répondent plus nulle part aux besoins de l’heure présente.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Deux immenses armées couvrent l’étendue du monde civilisé: les maîtres
-et les écoliers! Elles ont chacune leurs droits et leurs besoins, qui,
-malheureusement, ne s’accordent pas toujours. Jusqu’ici les éducateurs
-élevaient seuls<span class="pagenum"><a id="page_87">{87}</a></span> la voix, les élèves se taisaient et supportaient. Ces
-derniers étaient les plus injustement sacrifiés, car ils n’avaient pas
-demandé à naître, ni à quitter leurs jeux pour s’instruire, tandis que
-les maîtres embrassaient par un libre choix la carrière de
-l’enseignement.</p>
-
-<p>Les enfants avaient, il est vrai, des défenseurs naturels en la personne
-de leurs parents; mais ceux-ci ne protestaient pas contre les méthodes
-en vigueur, dans la crainte de retarder, par de trop justes
-réclamations, la future carrière de leurs enfants.</p>
-
-<p>Plus encore que par peur, c’était par légèreté que tant de pères et de
-mères restaient silencieux; ils ne pensaient pas à l’avenir moral, ni à
-la formation de la conscience ou au développement intérieur de la plante
-«homme». Ceux mêmes qui, sur d’autres points, défendaient avec
-acharnement les intérêts de leurs enfants, ne se préoccupaient que
-médiocrement (symptôme singulier d’amoralité et d’aveuglement) de leur
-croissance intérieure, c’est-à-dire de leur éducation.</p>
-
-<p>Parmi les maîtres éclairés qui se rendaient compte depuis longtemps du
-mal, sans pouvoir y porter remède, il y en avait de vaillants et
-d’énergiques. Malheureusement, le formalisme<span class="pagenum"><a id="page_88">{88}</a></span> et le pédantisme avaient
-modelé si fortement une bonne partie du monde scolaire (sauf peut-être
-l’anglo-saxon), que les plus hardis novateurs hésitaient à abattre les
-portes de la prison où ils se sentaient enfermés; ils pensaient que la
-prison s’améliorerait, qu’on ouvrirait les portes et les fenêtres; mais
-elle était cachot, et cachot elle restait.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>C’est le principe erroné de l’égalité&#8212;elle n’existe que dans le fait de
-la naissance et de la mort&#8212;qui, durant les trente dernières années, a
-empêché la pleine floraison de la pensée humaine et coupé les ailes à la
-liberté. Ce mirage trompeur, puisque la nature le contredit dans toutes
-ses manifestations, a obscurci les cerveaux en leur faisant admettre
-que, pour faire brèche dans la vie et y construire un nid, pour entrer
-dans la grande lice des combattants et y marquer sa place, il fallait
-savoir les mêmes choses, les apprendre de la même manière, courber la
-tête sous le même joug, comme les Romains du célèbre tableau de Gleyre.<span class="pagenum"><a id="page_89">{89}</a></span></p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Il suffit d’un peu de bon sens pour se rendre compte des difficultés qui
-auraient surgi si l’on avait brusquement détruit les anciens moules
-scolaires, et pour comprendre à quel saut dans le vide et dans
-l’ignorance, l’humanité aurait été exposée! Les hésitations des
-réformateurs étaient donc parfaitement légitimes. Rompre les rangs sans
-précaution aurait fait courir des risques immenses à la cause même pour
-laquelle ils avaient combattu si longtemps en silence. Le monde de
-l’avant-guerre était encore prisonnier des idées, des théories et des
-méthodes que le temps avait sanctionnées. Les novateurs et les esprits
-avancés, tout en déplorant cet esclavage, comprenaient que, pour obtenir
-quelques réformes utiles, il ne fallait pas déserter la maison, ni en
-démolir précipitamment les bases. Ils s’efforçaient donc de respecter
-les anciens moules, et c’est pour cela que ces combattants avaient
-presque tous le visage triste.</p>
-
-<p>A ces nobles et patients lutteurs et aux écoliers qui ont perdu l’amour
-de l’école, il faut redonner le courage et l’espérance: inspirer<span class="pagenum"><a id="page_90">{90}</a></span> aux
-premiers la fierté de leur mission grandiose, et faire comprendre aux
-seconds vers quelles hauteurs peut les conduire le développement de leur
-personnalité morale.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>En ce monde de transformations continuelles, dans lequel nous voyons
-chaque jour une forme dynamique nouvelle remplacer celle qui l’a
-précédée, les gouvernements devraient avoir le courage de renoncer, tous
-les premiers, à quelques-unes des vieilles formules qui alourdissent les
-programmes scolaires. Il y en a évidemment d’excellentes qu’on doit
-respecter, mais c’est de l’ensemble du système qu’il faut secouer le
-joug, pour faire passer un souffle d’air pur et libre dans les rangs
-serrés de l’école et défendre la haute culture contre les entraves de
-l’ignorance et du matérialisme qui, de tous côtés, lui dressent des
-embûches et essayent d’arrêter son essor.</p>
-
-<p>Chaque méthode a son heure favorable: l’exclusivisme de l’école d’État a
-pu être indispensable à certains moments de l’histoire, et il serait
-absurde de ne pas reconnaître les services qu’elle a rendus. Même si
-l’on adop<span class="pagenum"><a id="page_91">{91}</a></span>tait le système d’une plus large liberté de l’enseignement, la
-surveillance et peut-être même l’ingérence de l’État demeureraient, en
-quelques cas, indispensables.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>En Angleterre et en Amérique, la double fonction de l’État et de
-l’initiative privée se combinent avec des résultats favorables à la
-formation du caractère et au respect de la discipline dans la liberté.
-Les résultats n’ont pas été aussi brillants en ce qui concerne la haute
-culture; mais ce fait ne dépend en rien du système en lui-même, mais
-plutôt des tendances de l’esprit national chez les uns et du manque
-d’une tradition de culture chez les autres.</p>
-
-<p>Ce serait une expérience utile et intéressante que d’introduire la
-méthode de la double fonction dans des pays comme la France et l’Italie,
-où les écoles d’État ont été seules chargées jusqu’ici de résoudre
-l’angoissant problème de l’éducation.</p>
-
-<p>Ces deux pays latins ont, pour des raisons à peu près analogues, quoique
-à des périodes différentes, défendu jalousement les préroga<span class="pagenum"><a id="page_92">{92}</a></span>tives de
-l’État au point de vue scolaire et, pour les maintenir, ils ont agité le
-même épouvantail: la crainte de l’influence cléricale, accusée de
-vouloir compromettre les conquêtes de la liberté. Mais de grandes
-évolutions se sont dernièrement accomplies et des périls bien plus
-graves se dressent, auxquels il faut faire face en s’élevant à des
-visions plus hautes et plus larges.</p>
-
-<p>Pour sauver l’âme de la jeunesse et, à travers celle-ci, la civilisation
-du monde, la pensée humaine doit faire un suprême effort; et maintenant
-que le canon a achevé son œuvre, celle des éducateurs doit commencer.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Il convient avant tout de faire une distinction essentielle entre
-l’éducation et l’instruction. Dans le langage courant, on confond
-volontiers les deux termes et c’est pourquoi nous avons vu si souvent
-des maîtres qui n’étaient en rien des éducateurs!</p>
-
-<p>Être un éducateur sous-entend une culture morale qu’aucun examen d’État
-ne peut conférer. On répondra que la pédagogie est enseignée dans toutes
-les écoles: mais, en général,<span class="pagenum"><a id="page_93">{93}</a></span> ce qu’on entend par ce mot ne représente
-aucune pénétration d’âme entre l’élève et le professeur.</p>
-
-<p>Sauf en des cas assez rares, où l’intelligence vive et claire d’un
-maître le libérait des formules et l’élevait au-dessus des systèmes,
-l’enseignement d’État était aride, froid, souvent pédantesque, et ne
-tenait pas compte des consciences embryonnaires auxquelles il
-s’adressait. Les leçons étaient débitées avec indifférence et écoutées
-avec une insouciance analogue.</p>
-
-<p>L’ensemble des doctrines pédagogiques,&#8212;dont quelques-unes peuvent être
-excellentes en elles-mêmes&#8212;a été, du reste, presque toujours mal
-présenté et plus mal digéré encore, tandis qu’il devrait être, au
-contraire, le principal et le plus essentiel des enseignements. Il
-mériterait même une place à part dans la hiérarchie des études, parce
-que modeler des caractères est beaucoup plus profitable à la félicité
-humaine que de former des savants.</p>
-
-<p>Que ces paroles ne donnent lieu à aucun malentendu! La nécessité de la
-haute culture est d’une telle importance que si la liberté de
-l’enseignement, accompagnée d’un indispen<span class="pagenum"><a id="page_94">{94}</a></span>sable contrôle, paraît
-désirable aujourd’hui à tant d’esprits sagaces, c’est justement parce
-que, délivrant l’école des vaines formules, elle provoquera de fécondes
-émulations, contrebalançant ainsi l’inconvénient qu’il peut y avoir à
-confier l’école à des professeurs inamovibles, qui n’ont rien à craindre
-ni à espérer; cette liberté permettrait, dans tous les pays, la
-constitution de fortes équipes d’éducateurs moralement solides et
-capables d’exercer un prestige sur les esprits qu’ils sont appelés à
-modeler. Quand on considère l’immense responsabilité qu’ont encourue les
-maîtres en ne comprenant pas suffisamment leur mission, on tremble à la
-fois pour leur conscience et pour les victimes de leurs fausses
-théories.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>L’anarchie générale de la pensée qui menace de nous ramener à la
-barbarie et le bouleversement mental qui en dérive, dépendent en grande
-partie de l’enseignement erroné et incomplet, au point de vue éducatif,
-qu’ont reçu les enfants. Les parents ont aussi, en ce sens, de graves
-fautes à se reprocher: les mères surtout, dans l’esprit desquelles la<span class="pagenum"><a id="page_95">{95}</a></span>
-notion de la nécessité du plaisir pour leurs enfants a pris des
-proportions singulières; mais l’école est encore la plus coupable, car
-elle embrasse tout le développement des êtres humains. A côté
-d’instituteurs admirables, éclairés et patients, combien d’autres, avec
-leur mécontentement perpétuel, leurs doctrines subversives, leurs
-attitudes violentes et amères, ont semé dans les jeunes cœurs les germes
-d’une brutalité inféconde et dominatrice, devant lesquelles aujourd’hui
-le monde recule épouvanté.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>La réforme s’affirme donc indispensable et urgente. Pour étudier à fond
-cette question, pour essayer du moins d’apporter quelque remède au mal,
-ou d’en arrêter l’essor et d’en empêcher le renouvellement, il faut
-obtenir le concours unanime de tous les bons esprits assoiffés de
-fraternité et de spiritualité, capables d’élucider, par leurs
-consciencieux et sages conseils, le problème ardu qui se pose
-aujourd’hui, menaçant, à tous les esprits de bonne foi, à toutes les
-consciences droites et à toutes les âmes de bonne volonté.<span class="pagenum"><a id="page_96">{96}</a></span></p>
-
-<p><i>La Société des Nations</i></p>
-
-<p>La question de l’éducation devrait préoccuper l’opinion publique et les
-chefs d’État beaucoup plus encore que celle de l’enseignement. La
-Société des Nations aurait là une tâche admirable à accomplir,
-supérieure à toutes celles qui remplissent déjà son programme. Elle
-devrait nommer une commission mondiale chargée d’étudier cette question
-d’une si vitale importance que l’on peut dire que l’avenir de l’humanité
-en dépend! Un drapeau devrait flotter par son ordre sur la place
-publique de toutes les communes du monde portant cette brève
-inscription: <i>L’éducation est obligatoire pour les citoyens des nations
-civilisées.</i></p>
-
-<p>L’instruction est chose fort diverse; elle reste un problème national
-parce que, en la répandant, il faut tenir compte de la différence des
-races, des besoins particuliers des peuples et de leurs traditions. Mais
-en ce qui concerne l’éducation, comme la même menace est suspendue, bien
-que d’une façon plus ou moins imminente, au-dessus de toutes les
-nations, celles-ci pourraient et devraient cher<span class="pagenum"><a id="page_97">{97}</a></span>cher ensemble les
-solutions et les appliquer solidairement.</p>
-
-<p>Le but de l’éducation devrait être de <i>former des hommes</i>. Les Saintes
-Écritures disent que, quand une femme a mis un enfant au monde, elle
-oublie ses souffrances dans l’orgueil d’avoir enfanté un homme... Devant
-la folie destructrice de certaines mentalités actuelles, combien de
-mères doivent, dans le secret de leur cœur endolori, déplorer d’avoir
-conçu des monstres: monstres de violence brutale, monstres de honteuse
-apathie!</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Assainir les cerveaux déjà empoisonnés et empêcher le renouvellement de
-périlleuses intoxications, telle est la synthèse de la réforme éducative
-qui s’impose aujourd’hui.</p>
-
-<p>Le problème ne pourra être résolu que par un énorme effort international
-qui élève un temple idéal aux forces civilisatrices et condamne
-solennellement les principes contraires à la liberté et à une saine
-discipline morale.</p>
-
-<p>La défense de la civilisation doit devenir le premier devoir des
-citoyens du monde entier; celui des États, des corps constitués, des
-aca<span class="pagenum"><a id="page_98">{98}</a></span>démies, des universités, des écoles et de tout enseignement
-familial... Pour rétablir l’équilibre de l’esprit humain, la coopération
-de toutes les nations civilisées est indispensable, et il faut que le
-sentiment de la désapprobation générale arrive à peser sur les
-consciences troubles comme un insupportable fardeau, qui dépouillera
-pour elles la vie de toute saveur.</p>
-
-<p>Cette désapprobation solennelle du tribunal suprême de l’opinion
-publique me paraît être l’unique effort que l’humanité puisse tenter,
-pour ramener les troupeaux égarés à une vue plus juste et plus vraie des
-choses humaines.</p>
-
-<p>Quant à la nécessité absolue d’imposer à l’école, à côté de
-l’instruction et bien au-dessus d’elle, une éducation saine et forte, la
-difficulté consistera dans la formation des éducateurs eux-mêmes.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Pour former un corps enseignant digne d’élever les générations futures,
-une première chose est nécessaire<a id="FNanchor_B_2"></a><a href="#Footnote_B_2" class="fnanchor">[B]</a>, qui est de<span class="pagenum"><a id="page_99">{99}</a></span> relever, non seulement
-économiquement, mais encore socialement et moralement la classe des
-instituteurs. Celle-ci doit acquérir une importance majeure aux yeux de
-l’opinion publique, car elle est appelée à sauver le monde.</p>
-
-<p>Il faut que ceux mêmes qui n’ont pas besoin d’y chercher un gagne-pain
-considèrent comme un honneur d’y appartenir.</p>
-
-<p>J’ai cité à ce propos, dans <i>Chercheurs de Sources</i>, d’illustres
-exemples. <i>La Ligue des Nations, ou à son défaut une Commission
-permanente pour l’éducation, pourrait consacrer définitivement
-l’importance de la classe des éducateurs, et leur assurer une position
-morale si considérable qu’ils seraient forcés de s’en montrer dignes.</i></p>
-
-<p>Pour faire triompher des réformes, il est nécessaire de trouver, avant
-toutes choses, les personnalités capables de les imposer. C’est ainsi
-que l’on doit d’abord chercher des éducatrices. Mais où les trouver?
-C’est évidemment parmi les âmes anxieuses qui, ayant constaté depuis
-longtemps le mal, en souffrent et travaillent en silence à l’éliminer.</p>
-
-<p>On rencontre partout de ces âmes, aujourd’hui: mères angoissées se
-demandant quelle est leur part de responsabilité dans la<span class="pagenum"><a id="page_100">{100}</a></span> tourmente qui
-menace d’engloutir la Société humaine, ou instituteurs éclairés qui
-voient se réaliser les craintes qui, depuis tant d’années, troublaient
-leur sommeil.</p>
-
-<p>Les esprits de ceux qui ont, ou ont eu charge d’âme, traversent, en ces
-jours de crises, des états de conscience douloureux, tandis qu’ils
-sentent leurs entrailles frémir... Ces meneurs d’hommes qui répandent
-dans le monde l’anarchie et le malheur sont leurs fils et leurs
-élèves!... Ces doctrines de violences où les ont-ils puisées? Qui a
-tenté de les mettre en garde contre les entraînements de la haine et de
-la brutalité? Quels sont les hommes courageux qui ont osé crier assez
-fort pour soulever l’opinion publique et l’émouvoir?</p>
-
-<p>Du reste, comme nous sommes tous solidaires les uns des autres, ceux qui
-n’ont ni vu, ni compris, ni deviné ce qui se préparait, ou qui, le
-discernant, n’ont pas mis obstacle à la marée montante, doivent se
-frapper la poitrine et ne pas se consoler trop vite, en croyant la
-victoire prochaine! Elle n’est pas assurée, hélas! Cette opinion
-publique, qui commence à comprendre la nécessité d’une réforme, doit
-rester en éveil, parler à voix haute, se prononcer nettement en faveur
-des<span class="pagenum"><a id="page_101">{101}</a></span> réformateurs, les encourager, renverser les obstacles qui se
-dressent encore contre eux, proclamer leurs victoires quand ils les
-auront obtenues, et se déclarer favorable à la théorie qu’avant
-d’enseigner tant de choses superflues à des gens qui ne pourront en
-faire usage, l’important est de former des hommes capables de guider les
-peuples vers les fécondes initiatives, les réformes justes et la
-discipline dans la liberté.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>La grande question du siècle sera celle de l’éducation. Elle primera
-même celle du travail, qui a pourtant une importance considérable, et
-les bons esprits de tempérament apostolique s’efforceront d’établir dans
-tous les pays, sous des formes diverses pour ce qui concerne
-l’instruction, mais identiques sur les points essentiels, des principes
-éducatifs tendant à la formation morale des individus et des caractères.</p>
-
-<p>Ces points essentiels sont la responsabilité encourue par l’école et par
-la famille dans l’anarchie de la pensée actuelle; la nécessité de la
-liberté pour stimuler l’émulation dans l’enseignement; l’éducation
-rendue obliga<span class="pagenum"><a id="page_102">{102}</a></span>toire, et, enfin, l’intervention morale et puissante de
-tous ceux qui comprennent la nécessité du développement de la vie
-spirituelle et individuelle en chaque être humain.</p>
-
-<p><i>Il faut espérer</i>, disait M. Guizot; <i>le monde appartient aux
-optimistes; les pessimistes n’ont jamais été que des spectateurs</i>.</p>
-
-<p>Or, le défaut des Latins est d’être des critiques sans pitié vis-à-vis
-d’eux-mêmes, des autocritiques, des hypercritiques et d’appartenir trop
-volontiers à la catégorie des spectateurs.</p>
-
-<p>Les tendances infécondes doivent désormais être fièrement combattues par
-l’opinion publique, si l’on veut gagner la suprême bataille morale que
-tous les peuples s’apprêtent à livrer. Il appartient à la Société des
-Nations<a id="FNanchor_C_3"></a><a href="#Footnote_C_3" class="fnanchor">[C]</a> d’établir les bases de cette éducation et de l’imposer à tous
-les pays. Il faudra l’avoir reçue et acceptée pour être admis à
-participer à la discussion des graves questions qui intéressent
-l’humanité et qui concernent la dignité morale des peuples et des
-individus. Ceux qui<span class="pagenum"><a id="page_103">{103}</a></span> refuseront de la recevoir seront considérés comme
-étant en dehors de la grande famille des nations civilisées.</p>
-
-<p>Pour la culture de cet immense vignoble, il faudra beaucoup d’ouvriers:
-nous devons tous essayer d’en susciter autour de nous et tenter
-d’enflammer les cœurs pour la victoire finale, qui ne pourra être
-obtenue que par la solution du problème éducatif.</p>
-
-<p>Si la Société des Nations réussit dans cette tâche, ce sera pour elle
-une grande gloire, et tous ceux qui ont combattu sa constitution
-devront, sur ce point du moins, s’incliner devant l’œuvre de suprême
-autorité morale qu’elle aura accomplie.<span class="pagenum"><a id="page_104">{104}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_III-c"></a>CHAPITRE III<br /><br />
-<b>ÉTEIGNEUSES DE PHARES</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">A quoi bon vivre si les raisons<br /></span>
-<span class="i0">de vivre manquent?<br /></span>
-<span class="i10">(<span class="smcap">Juvénal.</span>)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Parmi les problèmes de l’heure, en ce moment de désarroi général, où
-l’aube de la société nouvelle n’a pas encore commencé à rougir le ciel,
-celui de l’influence de la femme présente une extrême gravité, non
-seulement en lui-même, mais parce qu’il se rattache étroitement à ceux
-de la famille et de l’éducation.</p>
-
-<p>A toutes époques on a dit beaucoup de mal des femmes. Ceux qui les
-connaissaient trop, et ceux qui les connaissaient trop peu ont été
-également sévères dans leurs jugements sur elles. Les Anciens, certes,
-ne se sont pas mon<span class="pagenum"><a id="page_105">{105}</a></span>trés indulgents pour le sexe féminin: «Qu’y a-t-il de
-plus léger que la plume?» demandent-ils dans leurs satires; «La
-poussière!»&#8212;«Et de plus léger que la poussière?»&#8212;«Le vent!»&#8212;«Et de
-plus léger que le vent?»&#8212;«La femme!»&#8212;«Et de plus léger que la
-femme?»&#8212;«Rien!».</p>
-
-<p>Nous nous rappelons tous en quels termes les théologiens et les docteurs
-du moyen âge ont, à leur exemple, stigmatisé ce sexe contre lequel ils
-mettaient violemment l’humanité en garde. Au cours des siècles, l’idée
-chrétienne finit par dominer les préjugés théologiques, et la situation
-morale des filles d’Ève s’améliora. Les femmes de la Renaissance
-montèrent de plusieurs degrés dans l’estime intellectuelle des hommes et
-gagnèrent même celle des savants et des philosophes.</p>
-
-<p>Au <small>XVII</small>ᵉ siècle, en France surtout, la femme commença à exercer une
-influence directe sur les événements et les individus. Le <small>XVIII</small>ᵉ marque
-l’apogée de son règne mondain et intellectuel. Pour s’en convaincre, il
-suffit de contempler les portraits de l’époque, ces visages spirituels,
-fins, aiguisés, ces regards avertis qui semblent prendre un peu
-ironiquement la mesure des hommes, indi<span class="pagenum"><a id="page_106">{106}</a></span>quent chez les femmes l’habitude
-de la domination par l’esprit, la frivolité, la coquetterie, et,
-parfois, la perversité.</p>
-
-<p>Au <small>XIX</small>ᵉ siècle, un autre type de femme devait surgir, inégal dans son
-ensemble, car il n’y a aucun rapport entre la femme romantique de 1830,
-fière de cœur, noble d’attitude, exaltée, sensible, et la femme sociale
-des dernières années du siècle. Ce fut l’époque, peut-être, où elle a
-été le plus respectée par l’opinion publique moyenne et où elle s’est le
-mieux rapprochée, en certains cas et sous certains aspects, du type de
-la bourgeoise sage, de la mère sérieuse, de la citoyenne bienfaisante et
-éclairée, qui mérite parfois d’être comparée à la femme forte des
-Écritures, si respectée de tous <i>qu’elle attire l’honneur sur son mari</i>.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Quant à la femme du <small>XX</small>ᵉ siècle, elle est tellement multiple dans ses
-manifestations, qu’il est extrêmement difficile de la définir. Pour
-essayer de donner un trait à peu près général de son caractère, il faut
-procéder par une négation: «La femme n’a jamais été<span class="pagenum"><a id="page_107">{107}</a></span> mystique comme
-trait essentiel, elle l’est moins que jamais actuellement.» Un poète
-français, Alfred de Vigny, peut-être le plus noble et le plus fier de
-tous, l’a stigmatisée dans un vers cruel:</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Toujours ce compagnon dont le cœur n’est pas sûr,<br /></span>
-<span class="i0">La femme, enfant malade...<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Ce premier vers suffit à jeter un doute terrible sur les sources de la
-vie morale dont la femme dispose, justement parce que le sens du
-mysticisme lui manque totalement.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Dans un article sensationnel: <i>Oxford, Woman and God</i>, une Revue
-américaine prétendait récemment que l’admission des femmes dans la
-vieille université en avait chassé Dieu!&#8212;Si les anciens bâtiments ont
-conservé extérieurement, dit-elle, leur aspect traditionnel de
-recueillement et de gravité, le souffle qui les animait n’est plus le
-même, et ni Newmann ni Pusey ne reconnaîtraient les vieilles cours et
-les longues galeries silencieuses où ils avaient promené leurs doutes,<span class="pagenum"><a id="page_108">{108}</a></span>
-leurs mélancolies et les ardeurs inquiètes de leur foi.</p>
-
-<p>Les pierres sont restées les mêmes, mais l’esprit qui les imprégnait
-s’est transformé. C’est qu’Oxford était autrefois une cité de jeunes
-hommes où dominait la spéculation pure, tandis qu’elle est aujourd’hui
-envahie par l’esprit positiviste que la femme apporte partout où elle
-passe, et qui, à tous égards, assure l’équilibre, le bien-être et
-l’enjouement de la vie quotidienne. Il est donc naturel que la présence
-des femmes ait modifié les habitudes morales et mentales d’Oxford.</p>
-
-<p>Jadis, non seulement tous les élèves, mais presque tous les professeurs
-étaient célibataires; c’est ainsi que le caractère monastique de
-l’Université s’était conservé à travers les âges. L’invasion des jupons
-devait fatalement modifier l’esprit même d’Oxford. Non qu’un élément
-impur ait pénétré dans la forteresse de la <i>Mens umana</i>, à la suite de
-celles qui en suivent diligemment les cours, mais c’est que, d’instinct,
-l’esprit des femmes se tourne vers les choses visibles et qu’il est
-moins recueilli que celui des hommes, dont il n’a pas le tour
-spéculatif. Il faut louer d’autre part les nouvelles venues d’avoir
-contribué à<span class="pagenum"><a id="page_109">{109}</a></span> imposer la tempérance dans un milieu où les libations
-étaient traditionnelles. Dans les habitudes journalières des étudiants,
-des modifications se sont évidemment introduites: le salon a peu à peu
-conquis le cloître, et la causerie a remplacé la méditation grave.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Ce qui se passe à Oxford ne représente, du reste, qu’un cas spécial, un
-groupement particulier de personnalités. Ce phénomène serait sans grande
-importance en soi, s’il n’offrait pas un élément de la réponse
-qu’attendent ceux qui s’intéressent à l’évolution de l’âme féminine et
-dont l’inquiétude peut se formuler en ces mots: «La femme serait-elle
-instinctivement rebelle à l’action de l’esprit, et son goût évident pour
-les réalités représenterait-il un insurmontable obstacle à son ascension
-vers l’absolu?»</p>
-
-<p>A cette inquiète question, la réponse n’est pas aisée. Il est évident
-que même les femmes supérieures possèdent rarement une intelligence
-spéculative et que les très remarquables mathématiciennes et astronomes
-dont le sexe féminin peut s’enorgueillir ont été des<span class="pagenum"><a id="page_110">{110}</a></span> êtres d’exception.
-En général, les filles d’une mère trop curieuse aiment trop <i>les choses
-en elles-mêmes</i>, pour être méditatives et abstraites! On peut soutenir
-que les hommes tiennent plus encore que leurs compagnes aux réalités de
-l’existence et les poursuivent souvent avec une brutalité, une véhémence
-que celles-ci ignorent. Mais ceci n’est vrai que dans le domaine des
-actions physiques; dans celui de la vie en général, les hommes tiennent
-moins que les femmes aux détails des choses: leur esprit ne s’embarrasse
-guère des cas particuliers. Ainsi en va-t-il du luxe: la femme en chérit
-toutes les manifestations. S’il lui manque, elle s’arrête à de stériles
-regrets, bien plus que ses camarades de misère! On peut affirmer qu’elle
-est possédée par la réalité des faits, mais il faut se rappeler aussi
-que ses devoirs journaliers l’y obligent.</p>
-
-<p>De temps en temps, le niveau de la pensée féminine s’élève. Quelques
-femmes savent hausser le ton de leurs entretiens quand des hommes
-cultivés sont présents; mais que ces hommes s’éloignent, c’est avec un
-réel soulagement que la plupart retombent du général au particulier et
-rentrent dans l’ornière des faits et des choses. Dans la stricte
-intimité, elles<span class="pagenum"><a id="page_111">{111}</a></span> abordent parfois entre elles la psychologie amoureuse
-et sentimentale, mais leur point de vue est toujours positif, et
-l’empirisme sert de base à leurs raisonnements! Les idées ne leur
-suffisent pas, elles éprouvent le besoin de les incarner dans des
-personnes.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Pour creuser en leurs intimes replis les tendances instinctives de
-l’esprit féminin et les causes complexes d’où celles-ci procèdent, il
-faudrait s’attarder en de longues analyses. Je me vois forcée, au
-contraire, pour justifier le titre de mon chapitre: <i>Éteigneuses de
-Phares</i>, de recourir à une brève synthèse qui de la femme antimystique,
-incapable de méditation et de recueillement va jusqu’à l’agressive
-décrocheuse d’étoiles, sceptique, sardonique, qui ricane au mot <i>idéal</i>,
-et dont la voix ne s’élève jamais, au croisement des routes pour crier:
-<i>sursum corda!</i></p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>En cette heure si déconcertante de l’histoire du monde où toutes les
-pensées mesquines et<span class="pagenum"><a id="page_112">{112}</a></span> basses s’étalent avec impudeur, les femmes
-semblent mettre leur orgueil à dépasser les hommes. Elles se figurent
-grandir en n’espérant rien, en ne croyant à rien, en niant la
-possibilité de tout effort vers une vie plus intense, plus belle, plus
-spirituelle...</p>
-
-<p>A les entendre ainsi raisonner, à les voir jeter des cendres partout où
-un jet de flamme surgit encore, ceux qui avaient cru qu’une fois
-libérées par le travail et la connaissance, les femmes aideraient au
-salut du monde autrement que par des soins donnés aux blessés, aux
-malades, aux enfants, sentent leur gorge se serrer douloureusement.</p>
-
-<p>Quand un appel est fait à leur pitié et à leurs entrailles en faveur des
-faibles, des souffrants, des petits, un élan généreux les emporte
-encore, et elles accourent sans hésiter; mais en même temps elles
-étouffent par des regards, des gestes et des paroles cruelles, toutes
-les initiatives de l’esprit.</p>
-
-<p>Juvénal a dit quelque part: «A quoi bon vivre si les raisons de vivre
-manquent?» Sauver les corps et éteindre les flammes de l’âme évoque
-l’«<i>à quoi bon</i>» du poète latin.<span class="pagenum"><a id="page_113">{113}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_IV-c"></a>CHAPITRE IV<br /><br />
-<b>CELLES QUI PORTENT ENCORE LE FLAMBEAU</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Tout ce qui a été créé se meut,<br /></span>
-<span class="i0">L’étoile comme l’âme!<br /></span>
-<span class="i10">(<span class="smcap">Abraham ben Ezra.</span>)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>C’est toujours un flambeau allumé en main que je m’étais représenté la
-femme dans son <i>devenir</i>; c’est ainsi qu’en imagination je la voyais
-remplir la mission à laquelle je la croyais appelée. Mais jamais aucune
-vision intérieure ne me l’avait montrée, le verbe haut, jouant des
-coudes, le visage péremptoire et l’air important, renonçant, par son
-attitude même, à ses meilleures armes de combat.</p>
-
-<p>Certes, elle est apparemment l’une des triomphatrices de la guerre; elle
-a aujourd’hui ses entrées partout et ses droits sont<span class="pagenum"><a id="page_114">{114}</a></span> admis sur
-plusieurs points. Pourquoi donc s’attendrir sur elle et la plaindre? Il
-me semble pourtant naturel de faire l’un et l’autre, car, bien que ses
-regards soient devenus étrangement glacés, on devine que les sources de
-la souffrance ne sont pas taries dans son cœur, et que, le long de la
-route sur laquelle ses pieds se sont si légèrement engagés, elle va
-rencontrer des difficultés nouvelles qu’elle n’est pas préparée à
-affronter, et qui, en certains cas, risquent de rendre son enfance
-aride, sa jeunesse solitaire et sa vieillesse désolée.</p>
-
-<p>Malgré ses allures de victorieuse, elle se rend compte, j’en suis sûre,
-qu’elle marche sur le bord d’un précipice, où le pied pourrait lui
-manquer tout à coup, sans qu’elle puisse s’accrocher à rien. Elle se
-trouve entre la paroi lisse de la haute montagne dont elle a voulu
-descendre, et les étangs fangeux des plaines humides où elle risque de
-s’embourber, tandis qu’à ses côtés, des forêts profondes, aux détours
-ignorés, s’étendent à perte de vue.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Les nobles pionnières de l’égalité des droits des femmes ont eu le tort
-d’habituer leur sexe<span class="pagenum"><a id="page_115">{115}</a></span> à considérer l’homme comme un adversaire à
-combattre ou à exploiter. Il l’a été, en effet, dans quelques cas et sur
-quelques points; mais au demeurant, on est forcé de reconnaître que, de
-tout temps, il s’est montré en somme, pour sa compagne de route, un
-protecteur efficace, même quand il abusait de la faiblesse et de la
-complaisance de celle-ci! Ce sentiment de protection accordée et reçue
-nouait entre les deux sexes une sorte de chaîne spéciale, qui mettait de
-la douceur dans leurs relations mutuelles.</p>
-
-<p>Si, par suite de l’affirmation un peu tapageuse des droits féminins et
-de l’agacement que les hommes en ressentent, cette chaîne devait se
-rompre, je crois que la situation de la femme dans le monde se
-modifierait assez désagréablement pour elle, et qu’entre les deux
-parties qui jadis formaient un seul tout, l’heure du combat ne tarderait
-pas à sonner. L’homme, considérant désormais la femme comme une égale,
-continuerait-il d’épargner à sa compagne, devenue sa concurrente, ces
-accès de violence, dont il a coutume d’user pour résoudre les problèmes
-trop difficiles? Même dans l’ordre moral, la partie engagée serait
-inégale, et il est probable que, malgré<span class="pagenum"><a id="page_116">{116}</a></span> son adresse, son astuce et les
-façons impérieuses dont elle a pris l’habitude, la femme serait vaincue
-et que l’avantage resterait au plus fort, à celui qui est
-traditionnellement le mieux armé. Et si le contraire arrivait, vers
-quelles aventures le monde ne marcherait-il pas?</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Les femmes disent volontiers, inspirées par la fausse direction mentale
-qu’on leur a fait prendre: «Les hommes ne nous aiment que pour nos
-défauts!» Il y a du vrai dans cette boutade. Il n’en est pas moins
-positif que tout homme digne de ce nom, et quelles que soient les
-péripéties plus ou moins singulières de la vie qu’il mène, porte dans le
-tréfond de son cœur une image de femme: mère, épouse, amie, sœur, à
-laquelle il ne veut pas qu’on touche et qui ne ressemble en rien à la
-personnalité turbulente, importante et encombrante que la guerre nous a
-laissée en héritage.</p>
-
-<p>Il est impossible de prévoir dès aujourd’hui ce que l’avenir peut
-réserver de particulièrement heureux à la femme; mais en tout cas, ne
-vous semble-t-il pas, lecteurs et lectrices, qu’elle ferait bien de
-réfléchir avant<span class="pagenum"><a id="page_117">{117}</a></span> d’effacer imprudemment, de sa propre main, l’image un
-peu chimérique, peut-être, que l’homme se faisait d’elle dans l’intimité
-de son cœur? Cette illusion où l’imagination masculine se complaisait
-avait pour effet d’embellir et de poétiser les rapports des deux sexes.</p>
-
-<p>Des femmes souriront en me lisant. Sur certains points, beaucoup d’entre
-elles sont très sûres d’elles-mêmes et semblent dire sans modestie, ni
-excessive pudeur: «Notre règne durera autant que la vie humaine!» Cela
-est évident, mais que de choses dans la nature, une fois dépouillées des
-rayons qui les éclairaient et qui rendaient brillantes leurs couleurs,
-perdent leur beauté, leur attrait! Une subite obscurité les voile, la
-vulgarité les imprègne. Ainsi en serait-il des rapports entre les deux
-sexes: la banalité en altérera la saveur et l’on entrera uniquement dans
-un ordre d’idées primitives qui matérialisent tout ce qu’elles
-effleurent. Les femmes intelligentes devraient du moins comprendre
-qu’elles ont tout intérêt à préserver les illusions que leur attitude un
-peu réservée provoquait chez leurs compagnons de misère. L’âme ayant
-toujours été attirée par le mystère, les femmes agiraient<span class="pagenum"><a id="page_118">{118}</a></span> peut-être
-sagement en remettant une partie de leurs voiles. Surtout, elles
-devraient renoncer aux sourires ironiques, aux propos sardoniques, aux
-insinuations sarcastiques. Éteindre le feu que les âmes créatrices,
-douées d’inspirations soudaines, s’efforcent d’allumer un peu partout
-sur les cimes du vaste monde, est une œuvre d’une parfaite inélégance
-morale.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Mais, dira-t-on, si la nature d’Ève n’est pas spéculative, il serait
-injuste de l’en rendre responsable. C’est vrai, mais il ne s’agit pas
-ici de dissertations transcendantales, mais plutôt d’un grave problème
-qu’il faut envisager parce qu’il a une importance considérable à l’heure
-actuelle, tant au point de vue de la famille et de l’éducation qu’à
-celui de la vie sentimentale et sociale. Les femmes se trouvent en effet
-à un curieux tournant de route où leur destinée se joue. Il est donc
-charitable de leur crier: «Casse cou!», avant qu’elles ne signent de
-façon définitive l’acte du grand renoncement. Ce que sera leur rôle
-politique et social, l’expérience nous le dira. Mais au-dessus de ce
-rôle, encore problématique, elles ont une<span class="pagenum"><a id="page_119">{119}</a></span> mission éternelle pour
-l’accomplissement de laquelle il serait désirable de voir leur prestige
-augmenter au lieu de décroître.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Les Èves modernes ont pris la puérile habitude de parler du lendemain,
-comme si ce lendemain devait être un jour de fête. Si, au lieu de
-regarder toujours en avant, elles tournaient parfois la tête en arrière,
-elles se rendraient compte, en étudiant les vicissitudes de l’histoire,
-que la violence n’a, au fond, jamais réussi à personne, puisque la vie
-est faite de concessions, de complications, de complexités...</p>
-
-<p>Jadis l’épouse, on le sait, était entièrement et sans préoccupations
-superflues, sacrifiée à la famille et à la race, son unique destinée
-étant de procréer des fils légitimes. En ce temps-là, on ne lui
-reconnaissait absolument aucune personnalité, et si on ne lui manquait
-pas de respect, c’est qu’elle symbolisait la sainteté de la famille et
-l’intégrité de la race. Pour cette raison, une surveillance étroite
-était exercée autour d’elle par des magistrats spéciaux chargés de
-scruter ses toilettes et ses atti<span class="pagenum"><a id="page_120">{120}</a></span>tudes. Quand son mari était absent,
-elle ne pouvait, bien entendu, recevoir aucun homme, et Aristophane
-raconte que le seul fait de se montrer à la fenêtre de sa maison
-constituait de sa part une infidélité aux dieux du foyer, et
-représentait, pour son mari, une cause de répudiation.</p>
-
-<p>La loi, ou plutôt le code de Manou, était péremptoire et semblait offrir
-la synthèse du mépris dans lequel la mentalité de la femme a été tenue
-pendant une longue période historique. Pendant son enfance, elle
-dépendait de son père, plus tard de son mari, et, devenue veuve, de ses
-fils; et si elle n’avait pas de fils, elle devait alors obéir aux
-parents mâles du défunt, parce qu’ <i>une femme ne doit jamais se
-gouverner elle même</i>!...</p>
-
-<p>Il est naturel qu’après cette évocation du passé, les pauvres esclaves
-de jadis soient fières du terrain qu’elles ont conquis! Mais à qui
-doivent-elles leur libération? Au christianisme, uniquement au
-christianisme, dont aujourd’hui beaucoup d’entre elles répudient les
-doctrines idéalistes qu’elles accusent d’entraver leur développement
-complet et d’assombrir leurs plaisirs!</p>
-
-<p>Quelle folie d’ingratitude brouille donc le<span class="pagenum"><a id="page_121">{121}</a></span> cerveau de ces femmes pour
-qu’elles puissent ainsi renier et amoindrir les grandes figures
-féminines qui furent la gloire de leur sexe, et dont quelques-unes se
-rattachent uniquement au christianisme par la solennité de leur
-repentir!</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Presque immédiatement après la résurrection du Fils du charpentier, on
-voit les femmes aller à Dieu. Ce sont les descendantes des Gracques et
-des Scipions qui suivent saint Jérôme dans le désert, abandonnant leurs
-privilèges. Ils étaient immenses cependant.</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Et qu’on l’honore ici en dame Romaine<br /></span>
-<span class="i0">C’est-à-dire un peu plus qu’on n’honore la Reine<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p class="nind">disait Jules César, à son débarquement en Égypte, parlant de Cornélie,
-veuve de Pompée.</p>
-
-<p>Puis ce furent les grandes abbesses du moyen âge qui dirigeaient leur
-communauté comme un empire, et même, au besoin, levaient des hommes
-d’armes. Et les Saintes, qui se répandirent sur le monde comme une
-pléiade lumineuse! A côté de Catherine de<span class="pagenum"><a id="page_122">{122}</a></span> Sienne, la plus grande, la
-plus rayonnante et la plus géniale personnalité féminine que la terre
-ait produite, combien d’autres femmes charmantes ont illuminé le monde
-par leur auréole de sainteté!</p>
-
-<p>Si celles-ci gravirent avec le christianisme les plus hauts degrés de
-l’échelle de Jacob, d’autres se firent païennes de mœurs, croyant ainsi
-se grandir, et suivant en cela une tendance que l’on retrouve à toutes
-les époques et sous toutes les latitudes. Nous ne suivrons pas la femme
-dans les différents avatars de son évolution, mais une constatation
-morale incontestable ressort de tant de manifestations diverses:
-l’arrogance, le manque de douceur, l’absence de tendresse n’ont jamais
-rehaussé le prestige de la femme, elles en ont au contraire toujours
-obscurci l’éclat.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Dans l’organisation actuelle de la société, il n’est plus possible,
-malgré les maladresses et certaines inaptitudes de la nature féminine,
-de traiter la femme en quantité négligeable; nous avons tous trop besoin
-d’elle dans la famille et à l’école. En lui indiquant les portes<span class="pagenum"><a id="page_123">{123}</a></span> du
-temple de l’idéal, il faut en même temps la ramener au culte du bon
-sens, c’est-à-dire à l’habitude mentale de la logique. Or, celle-ci lui
-a été presque toujours si aridement enseignée qu’il y a peu de temps
-encore les femmes d’esprit haussaient les épaules quand on leur en
-parlait. En quoi elles avaient tort, car la logique est la source de cet
-équilibre souriant, de cette indulgence sereine qui font l’agrément de
-la vie, la sûreté des rapports et les foyers chauds et consolants...</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>On se tromperait en voulant classer le bon sens parmi les qualités
-secondaires. Un homme médiocre peut en posséder une parcelle; une sotte,
-jamais! Pour saisir quelles en sont l’importance et la portée, il faut
-de la part de la femme un effort d’intelligence. Toute son éducation est
-à refaire en ce sens, et la préparation à son futur rôle social
-d’éducatrice et de mère demandera un travail laborieux et lent; mais
-celui-ci lui semblera facile si elle comprend qu’au-dessus de ses
-devoirs de mère, d’éducatrice et de citoyenne, elle a reçu une mission
-d’un ordre général et supérieur:<span class="pagenum"><a id="page_124">{124}</a></span> c’est celle de porter dans ses mains
-la lampe qui, semblable à l’étoile du matin, indique et éclaire les
-chemins qui conduisent aux sommets, derrière lesquels le soleil se
-couche et se lève jour après jour!<span class="pagenum"><a id="page_125">{125}</a></span></p>
-
-<h2><a id="QUATRIEME_PARTIE"></a>QUATRIÈME PARTIE<br /><br />
-<b>Sur la montagne quelques feux s’allument.</b></h2>
-
-<p>Si l’on regarde autour de soi, on ne voit de flammes nulle part! Le ciel
-est couleur de grisaille et tous les flambeaux semblent éteints. Une
-atmosphère lourde, malsaine, tout imprégnée de pourriture, empêche les
-cierges de brûler. La violence des instincts ne s’est pas atténuée
-cependant, car on se tue un peu partout et il est rare qu’on entende des
-protestations indignées s’élever des cœurs, des consciences, des
-entrailles...</p>
-
-<p>«Il ne faut pas s’en faire», disaient les poilus dans les tranchées,
-pour garder leur beau courage et chasser les impressions déprimantes. En
-ce moment, après deux ans de<span class="pagenum"><a id="page_126">{126}</a></span> paix, le mot court le monde plus qu’avant;
-mais on a dénaturé le sens qu’il avait primitivement. «Ne pas s’en
-faire» veut dire aujourd’hui se vautrer dans le plus plat égoïsme et
-s’interdire rigoureusement tout élan généreux ou simplement altruiste.</p>
-
-<p>Avant la guerre, un saint François d’Assise, un saint Vincent de Paul ne
-se rencontraient pas souvent dans la société contemporaine; mais si,
-dans une heure de petite ou de grande détresse, on élevait la voix ou
-l’on tendait la main, d’autres voix et d’autres mains répondaient à
-l’appel. Il n’en est plus ainsi aujourd’hui. Chacun s’est fait aveugle
-et sourd, et a enfermé soigneusement son cœur dans une forteresse
-inexpugnable.</p>
-
-<p>Une sorte de faux orgueil se mêle à cette attitude: on a presque honte,
-en 1923, de tout acte qui ne rapporte pas un profit matériel immédiat;
-et cela est vrai dans les ordres d’idées les plus divers. Ces offres de
-services, qui abondaient aimablement autrefois, entre gens de même
-culture et de même éducation, sont devenues rares et ont presque cessé.
-On se réserve, on se soustrait, on se cache dans sa coquille ou dans sa
-carapace.</p>
-
-<p>L’obligeance spontanée passera bientôt à<span class="pagenum"><a id="page_127">{127}</a></span> l’état de légende, car pour
-obtenir aujourd’hui le plus léger service, il faut insister avec
-obstination. On se heurte sous ce rapport à une si formidable candeur
-d’égoïsme, qu’on en reste saisi et désorienté.</p>
-
-<p>Semblable à ces plantes parasitaires, qui étendant partout leurs racines
-au-dessus et au-dessous du sol, finissent par envahir des étendues
-immenses de terrain, le <i>personnalisme</i> d’après guerre a pris de telles
-proportions dans les âmes, qu’au rebours du mot de Térence, tout ce qui
-est humain semble leur être devenu étranger!</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Je ne parle point ici de cet égoïsme effronté et cynique qui a pris pour
-devise ces deux mots suprêmement antipathiques: «Donnant, donnant!» et
-qui, à l’heure actuelle, enlaidit et abaisse toutes les relations des
-hommes entre eux, pousse ceux-ci à la violence, à la dureté, à une
-avidité mesquine et abjecte&#8212;qu’ils ne se donnent même plus la peine de
-dissimuler.&#8212;Non, je fais allusion à quelque chose de plus grave, parce
-qu’il pénètre même les cœurs qu’on croyait<span class="pagenum"><a id="page_128">{128}</a></span> généreux, les consciences
-qu’on estimait droites. Dans cette période d’abaissement de la pensée
-humaine, le désintéressement est presque considéré comme une preuve de
-faiblesse mentale. On peut observer à ce propos un singulier phénomène
-chez les natures originairement honnêtes: autrefois, les plus avides
-d’argent essayaient de couvrir leur rapacité naturelle du manteau du
-désintéressement; aujourd’hui, on rejette ce manteau comme une loque
-honteuse, il est même devenu distingué de sembler âpre au gain.</p>
-
-<p>Il y a toujours eu des avares, et, depuis Harpagon, leur race ne s’est
-pas éteinte, mais ils ne se vantaient pas de leur parcimonie, tandis
-qu’ils mettent maintenant de l’ostentation à savoir défendre leur
-moindre petit sou.</p>
-
-<p>Il y aurait, en ce genre, des exemples assez divertissants à citer.
-Jadis on se targuait volontiers d’un beau geste: on gonflait les
-services rendus, les sommes données... «J’ai fait ceci, j’ai donné cela,
-et puis cela encore!» Aujourd’hui, c’est tout le contraire! Les gens
-déclarent avec une satisfaction visible: «Oh! moi, je n’ai lâché que
-cela!» Et des chiffres dérisoires sortent des lèvres. S’agit-il de
-ser<span class="pagenum"><a id="page_129">{129}</a></span>vices, et non d’argent: «Me déranger, dit-on, et pourquoi? Chacun a
-ses propres affaires! Ah! je leur ai parlé de façon à leur enlever toute
-envie de revenir!»</p>
-
-<p>Si les femmes montrent souvent sans vergogne des jambes très
-contestables, elles ont la même impudeur pour les laideurs de leur
-caractère. Ces manifestations d’avidité se produisent, il faut l’avouer,
-à peu près également chez les deux sexes. Mais elles font un effet plus
-discordant encore chez celui qui avait eu jusqu’ici la prétention de
-faire du sentiment un monopole féminin.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Tout cela serait assez drôle, si ce n’était pas infiniment triste! En
-cette heure suprême de la vie sociale des peuples, alors que tant de
-souffrances se sont accumulées dans les cœurs, on ne peut voir les êtres
-humains mesurer si parcimonieusement leur sympathie et leurs services,
-sans se sentir le cœur serré d’une étreinte si douloureuse qu’elle
-semble presque en arrêter les battements.</p>
-
-<p>Les vers où Edmond Rostand raconte l’histoire des deux Rois Mages blonds
-qui avaient<span class="pagenum"><a id="page_130">{130}</a></span> perdu l’étoile, et ne la retrouvaient plus, rendent aux
-âmes l’espérance et la foi. Pour retrouver l’astre disparu, ces savants
-de Chaldée:</p>
-
-<div class="poetry">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i6">Tracèrent sur le sol des cercles au bâton,<br /></span>
-<span class="i4">Ils firent des calculs, grattèrent leur menton,<br /></span>
-<span class="i4">Mais l’étoile avait fui, comme fuit une idée!<br /></span>
-<span class="i2">Et ces hommes, dont l’âme eut soif d’être guidée,<br /></span>
-<span class="i4">Pleurèrent, en dressant leurs tentes de coton.<br /></span>
-</div><div class="stanza">
-<span class="i2">Mais le pauvre roi noir, méprisé des deux autres,<br /></span>
-<span class="i0">Se dit: «Pensons aux soifs qui ne sont pas les nôtres,<br /></span>
-<span class="i0">Il faut donner quand même à boire aux animaux.»<br /></span>
-</div><div class="stanza">
-<span class="i2">Et tandis qu’il tenait un seau d’eau par son anse,<br /></span>
-<span class="i0">Dans l’humble rond de ciel où buvaient les chameaux,<br /></span>
-<span class="i6">Il vit l’étoile d’or qui dansait en silence.<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Les vers du poète libèrent les cœurs de la pesanteur qui les oppressait;
-ils peuvent de nouveau respirer largement, puisque l’étoile brille
-toujours au ciel, visible aux yeux des humbles, des pitoyables et des
-simples, dans le cœur desquels la flamme ardente brûle encore!</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Mais, demandera-t-on, quels sont les symptômes sur lesquels se base
-cette affirmation<span class="pagenum"><a id="page_131">{131}</a></span> péremptoire? Ceux-ci sont assez difficiles à énumérer
-car ils ne se produisent pas à la surface, mais bien sous la profondeur
-des eaux, et les forces qui s’en dégagent sont encore mystérieuses et
-secrètes. Envisageons un instant l’âme humaine dans son ensemble, et
-voyons si, par quelque côté, elle n’a pas fait un pas en avant, après en
-avoir fait plusieurs en arrière! Commençons par examiner la conscience,
-qui est moralement la partie la plus noble de l’organisme humain,
-puisqu’en elle réside ce principe du libre arbitre qui confère à l’homme
-ses lettres de noblesse.<span class="pagenum"><a id="page_132">{132}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_PREMIER4"></a>CHAPITRE PREMIER<br /><br />
-<b>LES CONSCIENCES QUI CRIENT</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Conscience does make cowards of us all.<br /></span>
-<span class="i10">(<span class="smcap">Shakespeare.</span>)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Nous assistons aujourd’hui à l’inévitable mouvement de réaction qui
-devait suivre les excès et les violences, les arrogantes prétentions et
-les ridicules doctrines de ceux qui,&#8212;pour apprêter le problématique
-banquet, où tous pourront assouvir leurs convoitises, satisfaire leurs
-appétits, s’enivrer de liqueurs brûlantes et se gorger de nourritures
-azotées,&#8212;n’avaient pas hésité à détruire le travail des siècles, pas
-plus qu’ils n’ont reculé devant le crime de jeter le monde dans
-l’horrible désert de l’anarchie.<span class="pagenum"><a id="page_133">{133}</a></span></p>
-
-<p>Il est curieux de constater comment, en cette heure de révolte certains
-droits, récemment et souvent injustement acquis, sont reconnus par ceux
-même qui sont prêts à réagir avec force contre la menaçante
-décomposition matérielle et morale du monde. C’est là un fait assez
-symptômatique pour qu’on le relève et que l’attention s’y arrête: l’idée
-de punir pour punir a cessé de dominer les cerveaux, l’instinct
-justicier ne s’affirme plus aussi implacable. On a même dépassé la
-mesure en sens contraire, comme le prouvent certaines amnisties et
-certaines sentences étranges des tribunaux militaires eux-mêmes, qui ont
-perdu de ce fait leur réputation d’inflexibilité et de rigide justice.</p>
-
-<p>En ce qui concerne les pouvoirs publics, ces indulgences peuvent être
-taxées de déplorables faiblesses. Elles sont l’effet de causes
-complexes, dont plusieurs dépendent des intérêts politiques et ne se
-rattachent qu’indirectement à mon sujet. Mais le phénomène réellement
-intéressant est celui qui a pour théâtre les consciences individuelles.
-Aujourd’hui on voit celles-ci reculer presque toutes devant un programme
-qui enlèverait à la classe ouvrière, même sous forme de justes<span class="pagenum"><a id="page_134">{134}</a></span>
-représailles, les avantages matériels, qu’elle s’est assurés par la
-violence de ses procédés.</p>
-
-<p>La délicatesse des consciences au point de vue de l’équité économique
-est devenue singulière. Un de mes amis, très libéral d’idées quoique
-conservateur d’instinct, me disait l’année dernière, à propos du devoir
-qui incombait à la bourgeoisie de défendre ses droits, cette phrase
-étonnante: «Oui, certes, mais il faut qu’elle trouve un prétexte pour
-cette levée de boucliers; celui de sa défense personnelle ne suffirait
-pas à la justifier.»</p>
-
-<p>Sans discuter la question de savoir si le scrupule était exagéré, je
-cite la phrase simplement parce qu’elle représente bien l’état d’esprit
-incertain et timide qui caractérisait la mentalité générale en 1920-21.
-Elle révèle, en tout cas, un travail particulier de la conscience
-humaine en ce qui concerne le droit au bien-être, cette <i>poule au pot</i>,
-que le bon roi Henri IV souhaitait à son peuple!</p>
-
-<p>On peut y voir simplement la trace d’un faux humanitarisme tolstoïen
-qui, au lieu de ramener les brebis au bercail, les abandonne aux
-aventures et aux mésaventures du hasard, dieu frivole et cruel qui
-fourvoie ceux qui suivent sa direction. Mais il n’en est pas moins<span class="pagenum"><a id="page_135">{135}</a></span> vrai
-qu’une singulière transformation s’est accomplie dans les consciences.
-Or, comme la conscience est la source où s’élaborent les sentiments,
-tous les signes de vie qu’elle donne prouvent à l’évidence que le cœur
-des hommes bat toujours et que leurs oreilles ne se satisfont pas
-uniquement du cliquetis de l’argent qui passe de main en main.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Dans un autre ordre d’idées encore, nous assistons aux mêmes
-manifestations d’indulgence. On est surpris de constater à quel point,
-en certains pays surtout, le droit à la jouissance pour tous est reconnu
-par les consciences des anciens prétendus privilégiés. La phrase du
-Christ aux Pharisiens, à propos de la pécheresse, qui, d’après la loi,
-méritait d’être lapidée: «Que celui qui est sans péché lui jette la
-première pierre», semble retentir tardivement dans l’âme humaine. C’est
-malheureusement sous une forme qui peut devenir dangereuse: on ne se
-borne point à ne pas lancer la première pierre, on a pour certaines
-formes de dégénérescence de bénévoles encouragements.<span class="pagenum"><a id="page_136">{136}</a></span></p>
-
-<p>Les ignorants essayent de rattacher la doctrine communiste à celle du
-Christ. Et lorsqu’ils entendent énoncer cette erreur profonde, certains
-esprits légers opinent du bonnet, comme s’ils ne percevaient pas
-l’immense distance qui sépare les deux doctrines; elles se trouvent
-même, on peut l’affirmer, aux deux pôles opposés! La seconde prêche le
-renoncement à toutes les catégories d’êtres humains, tandis que la
-première affirme le droit de tous aux richesses et aux jouissances, et a
-pour mot d’ordre: «<i>La convoitise satisfaite!</i>»</p>
-
-<p>Mais ce n’est point le moment d’aborder cette grave question.
-Bornons-nous à signaler que l’on voit aujourd’hui des familles entières
-se soumettre de leur plein gré à de pénibles inconvénients, pour ne pas
-gêner les plaisirs de leurs subalternes, et leur laisser de longues
-heures de liberté.</p>
-
-<p>«On est bien forcé de subir ce qu’on ne peut empêcher, répondra-t-on;
-et, ne vous y trompez pas, c’est la peur et non l’équité qui provoque
-ces indulgences!» Voilà encore un jugement précipité, faux et injuste.
-Car, en beaucoup de cas, c’est sincèrement que les classes supérieures
-sont arrivées à<span class="pagenum"><a id="page_137">{137}</a></span> reconnaître le droit du peuple à une certaine somme de
-plaisir. Elles le font avec sympathie, et non plus avec le méprisant:
-<i>Panem et Circences</i> des anciens Romains. Il vaudrait peut-être mieux
-que les privilégiés apprennent à se priver parfois pour leur propre
-compte, de certains plaisirs, au lieu d’en approuver l’abus pour eux et
-pour les autres.</p>
-
-<p>Le fait que les consciences, muettes jusqu’ici, se sont enfin éveillées
-sur ce point spécial de l’équité sociale, indique cependant une vitalité
-d’âme dont il faudrait hautement se réjouir, si ce respect exagéré des
-avidités et des jouissances matérielles ne prouvait pas l’importance
-extrême qu’a prise, dans la mentalité des hommes tout ce qui se rapporte
-à l’argent et aux appétits qu’il permet de satisfaire.</p>
-
-<p>C’est l’ombre du tableau, et elle s’étendra, dense et obscure, sur les
-âmes, tant que les yeux des hommes ne se seront pas ouverts à la grande
-et glorieuse réalité de la vie spirituelle que la plupart d’entre eux
-s’obstinent à ne pas voir, à ne pas chercher, à ne pas reconnaître...</p>
-
-<p>Mais comme cette forme un peu particulière d’équité qui a surgi dans
-certaines conscien<span class="pagenum"><a id="page_138">{138}</a></span>ces représente, somme toute, un pas accompli sur la
-route qui monte, il est juste de la signaler à l’attention. Plus tard,
-lorsque les hommes auront appris à regarder sous la surface des eaux,
-ils pourront mieux enregistrer les vérités profondes que l’esprit des
-sources leur permettra d’apercevoir.<span class="pagenum"><a id="page_139">{139}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_II-d"></a>CHAPITRE II<br /><br />
-<b>LES PHYSIONOMIES RÉVÉLATRICES</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0"><i>De quels profonds sillons sont marqués ces visages</i><br /></span>
-<span class="i0"><i>Où l’ombre du passé lutte avec l’avenir</i>...<br /></span>
-<span class="i10">(***)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Je me suis absentée assez longtemps de ma résidence habituelle, et j’ai,
-d’autre part, revu ailleurs des visages qui, depuis quelques années,
-m’étaient devenus étrangers: peut-être est-ce pour cela qu’il me semble
-percevoir une étrange transformation dans la physionomie humaine. Je
-n’ai retrouvé, sauf dans le cas de quelques personnalités supérieures,
-aucun visage identique à ce qu’il était jadis. Ceci prouve également
-que, malgré l’odeur de mort répandue un peu partout, de fortes
-vibrations secouent encore le cœur et le cerveau<span class="pagenum"><a id="page_140">{140}</a></span> des hommes. Si la
-stagnation intérieure était complète, les physionomies ne se seraient
-point ainsi modifiées et accentuées.</p>
-
-<p>Ce phénomène ne s’observe pas seulement chez ceux qui, comme les
-combattants, ont traversé d’inoubliables moments de détresse et des
-heures tragiques, ni chez les femmes dont les entrailles ont été
-déchirées par la mort d’un fils. Cette transformation des visages est
-beaucoup plus générale: on dirait qu’une vague puissante ou la main d’un
-rude sculpteur a passé sur les figures humaines, tantôt déformant leurs
-traits, et les harmonisant parfois dans une étrange expression
-d’intensité. Les physionomies incertaines, insipides et veules ont à peu
-près disparu. On en voit cependant encore de mornes et de bestiales
-qu’aucun idéal n’anime, qu’aucune passion n’émeut ni ne trouble,
-qu’aucune volonté de despotisme n’accentue: l’animalité seule règle
-leurs mouvements.</p>
-
-<p>Ces dernières appartiennent presque toujours à la catégorie des êtres
-dont un égoïsme outrancier étayé de sottise, a sucé les moelles. Ce sont
-des âmes déjà trépassées dans des corps en voie de devenir cadavres, car
-lorsque les sources véritables de la vie sont taries, celle<span class="pagenum"><a id="page_141">{141}</a></span>-ci
-s’alimente si pauvrement qu’elle n’est plus au fond qu’une course à la
-mort!</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Mais ces visages de moribonds, en marche vers le tombeau ne peuvent
-intéresser personne: il est inutile de s’arrêter à les contempler. Par
-contre, les physionomies presque trop expressives qu’on rencontre
-aujourd’hui offrent un curieux champ d’études et indiquent que la vie
-intérieure persiste chez quelques-uns, malgré les apparences d’une
-indifférence générale et absolue. Mais de quelle nature est cette vie
-intérieure? Nous essaierons d’en percer le mystère, mais je voudrais
-auparavant noter ici une observation que j’ai faite et que j’invite les
-autres à faire comme moi: les modifications de la physionomie sont
-beaucoup plus visibles chez les femmes, peut-être parce que leurs traits
-délicats se marquent plus facilement sous la secousse de l’émotion et
-l’étreinte des sentiments. Il y a évidemment aujourd’hui, chez presque
-toutes, quelque chose de plus accentué, de plus marqué en profondeur
-dans les traits du visage que<span class="pagenum"><a id="page_142">{142}</a></span> ce qu’on y voyait autrefois! Les yeux
-sont devenus froids, étrangement froids! Quelques-uns semblent taillés
-dans des pierres dures: onyx, agathe, jaspe et lapis... Ce sont des yeux
-qui manquent de rayonnement et de chaleur. Chez la paysanne, l’ouvrière,
-la dactylographe, la femme du monde, la même expression implacable se
-rencontre. Je ne rétracte pas le mot implacable, car dans les prunelles
-féminines aucune miséricorde ne luit plus à l’heure actuelle. Une
-énergie d’un genre nouveau les anime, fille de passions récemment
-éveillées qui cependant se rattachent aux passions primitives de
-l’humanité, et ne semblent pas avant-courrières d’une conception
-nouvelle et plus noble de l’existence.</p>
-
-<p>Dans <i>les problèmes de l’heure</i> j’ai traité des conditions spéciales où
-se trouve la femme en tant que femme, et mes conclusions à son sujet
-n’étaient pas optimistes ni colorées d’espérance prochaine. Mais en
-examinant avec plus d’attention les physionomies humaines je me suis
-rendu compte qu’il y avait encore, chez les femmes comme chez les hommes
-d’aujourd’hui, de l’étoffe pour tailler, assembler et coudre. Il faut
-que les ouvriers intelligents et habiles se mettent à l’œuvre, montrent<span class="pagenum"><a id="page_143">{143}</a></span>
-la voie, préparent l’ouvrage et jettent dans les âmes des pensées
-d’avenir.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Certaines passions sont assez neuves chez la femme, tandis que l’homme
-les a presque toutes connues, vécues et taries; ces passions sont
-semblables à des sources vives, d’où des énergies inattendues pourraient
-surgir. L’instinct de despotisme, par exemple latent jusqu’ici chez les
-descendantes d’Ève, a pris désormais dans l’âme féminine un essor
-effrayant. Celles qui se sentent des âmes à la Sémiramis sont rares,
-mais tous les petits despotismes les attirent et les tentent. Le goût de
-la domination, le besoin de se donner de l’importance qui n’avaient pas
-franchi jusqu’ici les bornes de la vanité et de l’amour, se sont étendus
-à toutes les branches de l’activité sociale où les femmes prétendent à
-présent exercer leur empire. Cette modification de leur psyché
-développera peut-être dans ces mentalités un peu mièvres, un peu veules,
-un peu incertaines, des forces qu’on ne soupçonnait pas.</p>
-
-<p>Je crains pourtant qu’il ne s’agisse pas au<span class="pagenum"><a id="page_144">{144}</a></span> début, de nouveautés
-sympathiques, car l’accentuation des physionomies que je viens de
-signaler ne semble pas avoir une base pure et noble. Mais étant donné
-l’état d’insipidité où semblaient tombées la plupart des âmes, tout
-symptôme qui révèle des énergies en formation doit être accueilli avec
-satisfaction.</p>
-
-<p>Ce sont là des forces en gestation. Dans quel sens se
-développeront-elles? Comment les sauver, en ce moment psychologique
-d’une si extrême importance, de la rencontre et de l’influence des
-mauvais bergers? Tel est le grave problème qui se pose devant les
-consciences vivantes, devant les esprits qui veillent.</p>
-
-<p>Ah! les mauvais bergers! On peut parler aussi aujourd’hui des mauvaises
-bergères. A quelque sexe qu’ils appartiennent les uns ou les autres, on
-ne redoute pas assez le rôle néfaste qu’ils jouent, on ne met pas
-suffisamment en garde contre eux les esprits inexpérimentés. Or, c’est
-l’une des pires sottises qu’on puisse commettre, car ces conducteurs de
-brebis sont mille fois plus dangereux que les loups dévorants, ces
-frères inférieurs, comme les appelle saint François d’Assise!</p>
-
-<p>Il n’est pas agréable, certes, d’être croqué par les dents des loups,
-mais il est cent fois<span class="pagenum"><a id="page_145">{145}</a></span> pire encore de tomber sous la coupe d’un mauvais
-berger, car cette emprise peut avoir sur la destinée des autres hommes
-de pernicieuses répercussions.</p>
-
-<p>Quand ces déviateurs de la conscience humaine se dévoilent, on devrait
-les marquer moralement au fer rouge et faire pour eux ce qu’on fait en
-Italie pour les <i>jettatori</i> que couronne une sinistre auréole de
-malheur, refuser même de prononcer leur nom!</p>
-
-<p>Mais notre esprit superficiel&#8212;cette tendance qu’Oscar Wilde qualifiait
-de crime,&#8212;nous rend incapables de jouer le rôle sacré de gardiens des
-âmes.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Le déplorable empire que les mauvais bergers ont acquis et conservent
-dans la société actuelle est dû en grande partie au fait que les hommes
-ne savent pas se servir contre eux des armes de défense dont la nature
-les a généreusement pourvus. L’une d’elles est assurément le regard,
-destiné à aiguiser la perspicacité de l’esprit et à indiquer au voyageur
-les embûches et les périls de la route. L’insouciance, avec laquelle
-nous nous en ser<span class="pagenum"><a id="page_146">{146}</a></span>vons, la plupart du temps, sans prêter une attention
-suffisante aux embarras qui obstruent le chemin ou aux détours qui
-l’interrompent, est une preuve de sottise. Les éducateurs devraient
-désormais s’occuper à mieux développer chez les enfants cette faculté du
-discernement qui manque à tant d’hommes faits. Ils devraient, avant
-toutes choses, apprendre à leurs élèves qu’il faut donner une extrême
-importance à l’expression du regard de ceux qu’ils rencontrent, et user
-du leur avec clairvoyance et attention. L’œil humain est la clef de
-voûte des personnalités et elle les accompagnera sans doute dans
-l’au-delà, car, comme l’a dit le poète des <i>Deux Rencontres</i>:</p>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Les prunelles ont leur couchant,<br /></span>
-<span class="i0">Mais il n’est pas vrai qu’elles meurent!<br /></span>
-<span class="pagenum"><a id="page_147">{147}</a></span></div></div>
-</div>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_III-d"></a>CHAPITRE III<br /><br />
-<b>LES YEUX QUI VOIENT</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Oh! qu’ils aient perdu le regard,<br /></span>
-<span class="i0">Non, non, cela n’est pas possible;<br /></span>
-<span class="i0">Ils se sont tournés quelque part<br /></span>
-<span class="i0">Vers ce qu’on nomme l’invisible.<br /></span>
-<span class="i8"><span class="smcap">Sully Prud’homme.</span><br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Par le mot «voir», j’entends parler de la vision intérieure, la seule
-qui soit intéressante dans l’ordre moral et intellectuel. On peut
-percevoir merveilleusement les objets extérieurs et être privé
-complètement de cette vision spéciale, qu’un malheureux aveugle peut
-posséder parfois au suprême degré. C’est donc cette vision qu’il importe
-de chercher avant tout dans les prunelles dont nous rencontrons le
-regard.</p>
-
-<p>Il y a toutes espèces d’yeux dans le monde:<span class="pagenum"><a id="page_148">{148}</a></span> de beaux et de doux, de
-sévères et de durs; il y en a de dominateurs, d’éblouissants, de
-provocants... D’autres nous prennent simplement. Ce sont les plus
-redoutables, ceux qui, d’un coup d’œil, changent parfois des destinées.</p>
-
-<p>Nous n’accordons pas assez d’importance aux yeux, nous ne les observons
-pas suffisamment, nous nous perdons inutilement dans d’autres détails du
-visage et de la personne. Eux seuls mériteraient cependant l’attention
-des psychologues et des curieux. Ils n’ont qu’une rivale: la bouche!
-Mais celle-ci n’est guère révélatrice qu’au point de vue des passions et
-des tendances instinctives: bonté, méchanceté, faiblesse, ou
-obstination. Elle ne représente pas un tempérament dans son ensemble,
-et, au point de vue intellectuel, elle reste muette.</p>
-
-<p>Sans la négliger, ce qui serait une erreur, ce sont les yeux que nous
-devons toujours considérer pour obtenir une vision à peu près exacte des
-âmes individuelles.</p>
-
-<p>Leurs variétés sont infinies et ils sont souvent déconcertants par leur
-sincérité même. Quelques-uns sont fuyants, et on les devine faux;
-d’autres ont appris l’art de se soustraire<span class="pagenum"><a id="page_149">{149}</a></span> aux investigations, sans se
-détourner ouvertement; mais, en général, les prunelles de la plupart des
-hommes s’ouvrent candidement, et s’offrent sans défiance aux
-observations des regards curieux qui croisent les leurs. Les êtres qui
-ont clos le plus hermétiquement leur cœur, ne se sont pas avisés de
-prendre la même précaution pour ces fenêtres à travers lesquelles le
-regard d’autrui peut pénétrer jusqu’à l’intimité de l’âme, et en
-fouiller les replis.</p>
-
-<p>Puisque la candeur de l’homme le permet ou ne peut l’empêcher, cherchons
-donc, non pas dans ses paroles, parfois mensongères, ni dans ses actes,
-souvent transitoires, mais dans ses yeux qui n’ont encore appris à
-dissimuler qu’une petite partie de ses secrets, le mystère de son âme
-profonde.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Entendons-nous! Je n’ai pas l’intention de pousser aux curiosités
-psychologiques, ni d’engager mes lecteurs à cultiver l’art de couper un
-cheveu en quatre. Nous avons trop souffert pour nous complaire
-sérieusement à<span class="pagenum"><a id="page_150">{150}</a></span> ces jeux qui affinent le goût sans éclairer
-l’intelligence. Je propose, au contraire, de renoncer aux puériles
-recherches dans le jardin secret des membres de notre entourage, et de
-nous attacher à une unique recherche. Ces yeux que nous interrogeons
-avidement, demandons-leur une seule chose: reflètent-ils une vision
-intérieure, une capacité d’inspiration subite, l’amour de l’idée au lieu
-de l’amour des choses?</p>
-
-<p>Hélas! que de fois n’y découvre-t-on que l’amour des choses, cette
-irrémédiable tare, cette constante ennemie de toute vraie liberté
-morale! Les femmes y sont plus attachées encore que les hommes. C’est
-pourquoi elles arrivent rarement au mysticisme et au grand vol des
-idées. «Laissez-les donc tranquilles, diront ceux qui préfèrent ne pas
-réfléchir, elles font ce qu’elles peuvent et il ne faut pas demander au
-pommier de porter des pêches!» J’use volontiers de cette métaphore, car
-il est injuste, je le reconnais, de ne pas tenir compte des possibilités
-pour établir ses jugements; mais admettre, pour soi et pour les autres,
-une semblable limitation, c’est renoncer à la grandeur de l’effort,
-c’est désobéir d’avance à ces inspirations subites de l’esprit qui,
-mieux<span class="pagenum"><a id="page_151">{151}</a></span> qu’un coup de cloche retentissant, vous font sortir des rangs et
-gravir les cimes...</p>
-
-<p>Et cela est vrai pour les hommes comme pour les femmes. Si dans l’ordre
-intellectuel celles-ci n’ont pas le cerveau organisé pour la spéculation
-pure, on ne leur demandera pas de trouver la solution de problèmes
-mathématiques; mais dans l’ordre moral, leur organisation mentale ne les
-relègue pas fatalement, comme de pauvres Cendrillons, à la porte des
-palais et des temples. Lorsqu’elles ne peuvent en franchir le seuil,
-c’est la plupart du temps qu’elles ne le veulent pas! La répugnance à
-l’effort, l’horreur du recueillement, et le prestige des choses
-extérieures, tout puissant sur leur âme, ferment leurs yeux plus encore
-que ceux des hommes, aux visions intérieures.</p>
-
-<p>Il me semble du reste absurde d’établir, en parlant des problèmes de
-l’âme, des différences essentielles entre les deux sexes, puisqu’ils
-sont, dès leur naissance, des condamnés à mort auxquels l’immortalité
-est promise. L’important, à l’heure actuelle, est de savoir discerner
-dans les yeux des hommes et des femmes, le reflet de leurs visions
-intimes, puisque ces visions peuvent seules<span class="pagenum"><a id="page_152">{152}</a></span> élaborer en eux les âmes de
-soldats, de défenseurs et d’apôtres qui seront nécessaires pour rétablir
-l’équilibre du monde et apaiser la conflagration terrible qui en ce
-moment déchire son cerveau et ses entrailles.<span class="pagenum"><a id="page_153">{153}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_IV-d"></a>CHAPITRE IV<br /><br />
-<b>LES CERVEAUX QUI VEILLENT</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">L’âme n’est pas un vase à remplir, mais un phare à allumer.<br /></span>
-<span class="i10"><span class="smcap">Plutarque.</span><br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Il ne suffit pas de posséder le don de la vision intérieure, il faut que
-cette vision se réfléchisse dans le cerveau qui la reçoit, la creuse, la
-travaille et s’en sert ensuite comme d’un levier pour provoquer
-l’ascension des âmes.</p>
-
-<p>Il en fut sans doute ainsi pour les prophètes. Ils ont eu d’abord la
-vision des choses, que leur génie spécial, après l’avoir considérée et
-méditée, a ensuite présentée au monde. Ces personnalités puissantes
-vivaient dans l’attente, les yeux bien ouverts, tandis que leur esprit
-veillait.<span class="pagenum"><a id="page_154">{154}</a></span></p>
-
-<p>S’il nous arrive parfois, même aujourd’hui, de rencontrer des yeux qui
-semblent refléter une vision intérieure, le contact avec les cerveaux
-qui veillent est bien plus rare. Pour arriver à cet état de veille,
-l’intelligence ne suffit pas, car l’intelligence se laisse facilement
-distraire et recherche volontiers les frivolités qui l’amusent et la
-reposent. Il faut qu’elle se réfugie au contraire dans l’intimité du
-subconscient dont parle Leibnitz, qui vit en nous sa vie cachée et
-profonde. Il est la source de toute inspiration, qu’elle vienne du génie
-ou du cœur! Même si elle procède directement des forces divines, c’est à
-travers notre subconscient qu’elle se révèle à nous.</p>
-
-<p>Savoir et pouvoir veiller, signifie donc pour l’homme: être en contact
-intime et constant avec cette part secrète de lui-même qui échappe,
-semble-t-il, à l’action des nerfs et du sang, et rend parfois l’âme
-capable de ces intuitions mystérieuses qui se changeaient en lueurs
-irradiantes dans les cerveaux des prophètes, des précurseurs, et dans
-ceux des poètes qui furent, eux aussi, des voyants.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Mais ces grands initiés n’apparaissent que<span class="pagenum"><a id="page_155">{155}</a></span> de loin en loin dans
-l’histoire du monde et restent des isolés. Or, pour redresser, émonder
-et cultiver tous les ceps de vigne, il faut aujourd’hui beaucoup
-d’ouvriers, il faut surtout que ces ouvriers soient aptes à recueillir
-les enseignements qu’une voix inspirée prononcera ou qu’un souffle
-mystérieux répandra subtilement dans les esprits, pour les transformer
-en gardiens vigilants de la conscience humaine. Il n’est pas besoin,
-pour accomplir cette tâche, d’être un génie ou un prédestiné, il suffit
-d’être un homme de bonne volonté, <i>aimant d’amour</i> la vérité, et assez
-clairvoyant pour savoir discerner les faux dieux et renverser, sans
-vaine pitié, leurs autels.</p>
-
-<p>Mais, demandera-t-on, de tels hommes existent-ils à l’heure présente?
-Certes, ils sont rares, bien rares, et ils demeurent muets et timides,
-car la profondeur et la délicatesse de leur pensée les rendent suspects.
-On ne peut cependant nier leur existence. Ils surgissent ici ou là et
-leur présence éclaire d’une bordure lumineuse les épais nuages noirs qui
-ferment l’horizon.</p>
-
-<p>D’où viennent ces hommes, dont la conscience en travail commence à se
-faire entendre? Leurs origines sont multiples,<span class="pagenum"><a id="page_156">{156}</a></span> mais la plupart d’entre
-eux appartiennent pourtant à deux catégories: d’abord à celle des
-clairvoyants, à l’intelligence desquels n’échappe aucun des
-épouvantables et dangereux symptômes de la crise que l’humanité
-traverse. Après avoir sondé jusqu’en ses profondeurs la décomposition de
-l’âme humaine, ils ont trouvé dans l’excès même de leur désolante vision
-d’avenir une raison d’espérer. Si la destruction du monde physique,
-disent-ils, a été annoncée, la destruction de l’âme n’a pas été prédite.
-Or, c’est vers cette destruction que nous semblons marcher. Ce serait un
-reniement de promesses et telle ne peut être la volonté divine. Donc,
-invisiblement encore, le remède se prépare, le salut approche, et il
-faut que les pensées et les yeux de ceux qui espèrent se tendent pour le
-voir venir.</p>
-
-<p>Les cerveaux qui veillent se recrutent encore dans une seconde catégorie
-d’hommes: ceux dans le cœur desquels l’amour de l’humanité est en train
-de renaître et qui, émus d’une immense pitié, tendent l’oreille au
-moindre son de cloche et cherchent éperdument autour d’eux le moindre
-reflet d’une lueur d’aube.<span class="pagenum"><a id="page_157">{157}</a></span></p>
-
-<p>J’ai dit: <i>ceux au cœur desquels l’amour de l’humanité renaît</i>, car cet
-amour a subi, lui aussi, une terrible crise depuis la conclusion de la
-paix. Quand le sang a cessé de couler sur les champs de bataille et que
-les jeunes corps des soldats n’ont plus été exposés aux balles et aux
-bombes ennemies, aux gaz asphyxiants, aux raids des avions, aux attaques
-des sous-marins, la grande compassion, qui remplissait les cœurs et les
-faisait vibrer d’une vie douloureuse et palpitante, s’est éteinte tout à
-coup comme une bougie sur laquelle on vient de souffler brutalement.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>C’est que le règne des paroles pernicieuses et inutiles, avait succédé à
-celui des actes héroïques et que les compromis s’étaient substitués aux
-nobles endurances. La pitié ardente qui attendrissait les regards trop
-scrutateurs et empêchait les observations aiguës, avait, en
-disparaissant, rendu la liberté aux yeux et aux cerveaux.</p>
-
-<p>Les hommes recommencèrent alors à se juger entre eux, et beaucoup
-pensèrent que leurs concitoyens étaient au fond de pauvres<span class="pagenum"><a id="page_158">{158}</a></span> hères, que
-leurs voisins, ou plutôt leurs compagnons de misère, ne présentaient pas
-des personnalités beaucoup plus intéressantes. Ce fut ainsi, que l’amour
-pour l’<i>humana gens</i> commença de pâlir dans les cœurs. Cet état
-d’endurcissement n’a pas été suffisamment observé; d’aucuns même l’ont
-laissé passer inaperçu et ne s’aperçoivent pas qu’il dure encore.</p>
-
-<p>Individuellement cependant, quelques hommes ont surmonté la crise: De
-l’excès même de leur dégoût, quelque chose a remué dans leur cœur: avoir
-tant plaint l’homme, parce que sa chair était meurtrie et que son sang
-coulait, et rester insensible aux douleurs que lui prépare l’avenir
-obscur, glacial, terne et décoloré, qui semble logiquement l’attendre,
-quelle anomalie, quelle cruauté!</p>
-
-<p>C’est au plus fort de cette anormale indifférence que soudain, en
-quelques-uns, l’amour pour les hommes a refleuri. Ces êtres, ces
-générations qu’attendent de si déconcertantes perspectives, ce sont
-leurs frères, leurs fils, et une idée a commencé à germer dans les
-cerveaux de ceux qui ont l’habitude de veiller: «Nous ne pouvons pas
-laisser périr l’humanité. Le secours doit venir...»<span class="pagenum"><a id="page_159">{159}</a></span></p>
-
-<p>Hélas! on n’est plus au temps des croisades, alors qu’on pouvait
-enflammer les cœurs en prononçant le nom magique de Jérusalem! La ville
-sainte a été délivrée, et son nom n’exerce plus sur les âmes l’ancien
-effet prestigieux. Une anxieuse question se pose: «Si jamais le tombeau
-qu’elle renferme retombait aux mains de ses anciens détenteurs, les
-souverains de la terre accourraient-ils de tous les points du globe dans
-la vallée de Cédron pour délivrer le Saint-Sépulcre?»</p>
-
-<p>Il a fallu, après la dernière croisade, environ sept siècles et une
-nouvelle invasion de Barbares pour que l’Europe chrétienne, en
-repoussant les hordes qui menaçaient sa civilisation, se soit enfin
-décidée à chasser les Infidèles qui montaient la garde au tombeau de
-l’enfant qui naquit à Bethléem et mourut sur le Golgotha!</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Les cerveaux qui s’éveillent, les consciences qui crient, les
-physionomies qui révèlent des forces nouvelles et les yeux qui reflètent
-des visions intérieures forment une petite avant-garde, dont la mission
-est d’enflammer d’un<span class="pagenum"><a id="page_160">{160}</a></span> renouveau de confiance les cœurs oppressés et
-déprimés.</p>
-
-<p>L’origine de ce mouvement est double, comme nous l’avons indiqué déjà.
-Les uns y sont amenés par une foi tenace dans la paternité du Parfait
-qui ne peut abandonner ses créatures; les autres, par un réveil de
-fraternité devant les abominables perspectives d’avenir que prépare la
-vague de folie qui a passé sur le monde.</p>
-
-<p>Mais ces champions doivent croître en nombre et en force pour triompher
-du chaos universel et dominer l’étourdissante cacophonie qui a remplacé
-la puissante voix du canon. Le chant même des oiseaux ne résonne plus
-joyeux et triomphant comme jadis: d’aucuns vont jusqu’à prétendre que le
-rossignol, effrayé, désertant les bois et les jardins, ne fait plus
-entendre, sauf dans les vers des poètes, ses trilles délicieux.</p>
-
-<p>Se taire, espérer, attendre, veiller, écouter les voix profondes de la
-nature, regarder les étoiles derrière lesquelles se cachent les vérités
-éternelles, voilà ce que les hommes de bonne volonté peuvent faire pour
-provoquer et pour hâter la rentrée au port.</p>
-
-<p>Shakespeare a dit: <i>It is the mind that<span class="pagenum"><a id="page_161">{161}</a></span> makes the body rich.</i> Si cette
-parole s’applique victorieusement à la matière, combien plus doit-elle
-être exacte en ce qui concerne les choses de l’esprit, car, comme l’a
-dit Plutarque, «l’âme n’est pas un vase à remplir, mais un feu à
-allumer». Or, le monde, en ce moment, a besoin de grands feux brûlant
-sur les montagnes, qui soient comme un appel lancé au loin. Les cerveaux
-qui veillent doivent être les premiers à signaler ces feux. En bas,
-leurs regards doivent fouiller partout car, selon la belle expression de
-Rostand: «Il y a de la boue qui veut redevenir de la terre.»<span class="pagenum"><a id="page_163">{163}</a></span><span class="pagenum"><a id="page_162">{162}</a></span></p>
-
-<h2><a id="CINQUIEME_PARTIE"></a>CINQUIÈME PARTIE<br /><br />
-<b>La rentrée au port.</b></h2>
-
-<p>Des barques à la dérive, sans timon et sans pilote, sur une mer
-démontée, voilà l’image du monde actuel après trois ans de paix!</p>
-
-<p>Les embarcations qui sillonnent les eaux semblent devoir chavirer
-toutes, les unes après les autres, car l’équipage est incapable de
-trouver la direction d’un port où jeter l’ancre. Le naufrage paraît
-imminent aux passagers consternés et aux spectateurs qui, du rivage,
-observent les manœuvres des voiles et le mouvement des rameurs.</p>
-
-<p>Dans certains pays du globe, les mers et les fleuves semblent plus
-normaux d’aspect, mais il y a partout, sur les eaux et dans les airs,
-des soubresauts inquiétants, et les ap<span class="pagenum"><a id="page_164">{164}</a></span>parentes oasis sont trompeuses,
-semblables à ces prairies riantes et vertes qui cachent des marais
-profonds où le pied s’embourbe, s’enfonce et qui finissent par engloutir
-inexorablement hommes et bêtes.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Cependant, dans l’ordre des faits naturels, on voit même aujourd’hui les
-tempêtes finir par s’apaiser normalement, le ciel redevenir serein, et
-lorsqu’après une violente bourrasque, on assiste à la rentrée au port
-des grandes et des petites embarcations, une sensation exquise de
-bien-être envahit les hommes. Le calme subit du ciel, de l’air et des
-eaux produit également un effet magique sur les cœurs angoissés; il
-tranquillise leurs battements trop rapides et apaise leur excessive
-émotion.</p>
-
-<p>S’il en est ainsi pour les tempêtes qui agitent les flots et
-l’atmosphère, le même phénomène devrait logiquement se produire dans
-l’ordre des faits intellectuels et moraux. Les horribles tueries, que
-les regards humains ont été forcés de contempler, ont provoqué ce
-détraquement des cerveaux qui rend aujour<span class="pagenum"><a id="page_165">{165}</a></span>d’hui les hommes apparemment
-incapables de bon sens, de clairvoyance et de tout pouvoir de résistance
-et de réaction. La phrase désastreuse de Tolstoï: «Il ne faut pas lutter
-contre le mal», a fait école hors de Russie et semble avoir envahi les
-âmes occidentales. Nous assistons avec épouvante à des phénomènes
-redoutables dont rien n’indique encore clairement la disparition
-prochaine.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Et pourtant...! Croire à la perpétuité de l’obscurcissement du cerveau
-humain, n’est pas seulement absurde et illogique; c’est encore la plus
-grande offense qui puisse être faite au Créateur des merveilles de la
-nature. Il devrait nous suffire de contempler une nuit étoilée, ou bien
-de regarder l’Aurore qui précède, matin, après matin, la naissance de
-l’astre du jour, pour comprendre que la lumière qui éclaire et réchauffe
-notre planète, ne désertera jamais l’univers, car elle est la condition
-même de son existence; à sa source s’alimente l’<i>Esprit</i> qui règle et
-dirige le destin des hommes. Ceux-ci ont, par conséquent, le droit de
-croire au prochain retour de la<span class="pagenum"><a id="page_166">{166}</a></span> lumière qui éclairait et réglait leur
-conduite morale.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Mais avant d’ouvrir trop largement son cœur à l’espérance, et dans
-l’attente du souffle puissant qui balaiera les nuages du ciel spirituel
-de l’humanité et établira les bases d’une société nouvelle, il est
-indispensable, comme nous l’avons dit, que l’homme ouvre ses yeux et
-aiguise son esprit pour mieux étudier les mentalités actuelles et pour
-rechercher s’il n’y a pas, entre elles et le bonheur dans l’ordre,
-d’infranchissables barrières ou quelque éclatante divergence de
-conception.<span class="pagenum"><a id="page_167">{167}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_PREMIER5"></a>CHAPITRE PREMIER<br /><br />
-<b>LE MOT D’ORDRE: SERVIR!</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Servir... servir... servir!<br /></span>
-<span class="i6">(Paroles de Kundri dans <i>Parsifal</i><br /></span>
-<span class="i6">de <span class="smcap">Richard Wagner</span>.)<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>La vérité est qu’il y a en ce moment un terrible malentendu entre
-l’homme et sa destinée.</p>
-
-<p>Quel que soit son rang social ou sa condition intellectuelle, il refuse
-avec arrogance d’accomplir celle-ci, et les plus rebelles sont souvent
-les plus petits. Ils mettent à désobéir à l’ordre divin une âpreté
-extraordinaire et se sentiraient horriblement humiliés d’accepter le mot
-d’ordre que les descendants d’Adam portent tous sur leur front, tracé
-par la main suprême qui dirige les destinées<span class="pagenum"><a id="page_168">{168}</a></span> humaines. Ce mot est celui
-de Parsifal: <i>Servir!</i></p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Il est inutile de protester, de s’indigner, de se révolter... L’ordre
-est péremptoire; il faut courber la tête, y conformer sa vie, si l’on ne
-veut pas tomber dans le désespoir morne, lourd, glacial et sombre que
-l’homme a connu à la suite de la grande révolte morale de
-l’après-guerre, et qui a rempli sa bouche d’un goût de cendre.</p>
-
-<p>Imitons Dante, qui, après avoir entendu les paroles des sages,
-interrogeait avec anxiété les yeux de l’aigle pour savoir si Virgile,
-non baptisé, pourrait voir un jour les portes du paradis s’ouvrir devant
-lui et relisons les livres sacrés de toutes les religions et ceux où se
-déroule l’histoire des philosophies et des destinées humaines; nous nous
-rendrons compte que, sur ce point, il est oiseux de discuter et de
-s’insurger.</p>
-
-<p>Nous sommes des serviteurs, pas des esclaves, entendons-nous! La
-reconnaissance par Dieu du libre arbitre de l’homme l’a sauvé de
-l’esclavage, mais non du service. Ce service librement accepté a ouvert
-pour<span class="pagenum"><a id="page_169">{169}</a></span> lui les portes de la joie terrestre, lui a conféré en même temps
-une grande dignité et a fait de lui une sorte de roi, puisque, servant
-son maître avec l’amour d’un fils, il s’élève de ce fait à un niveau qui
-lui fait immédiatement gravir plusieurs échelons dans la hiérarchie
-morale des êtres.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>En cette heure de l’histoire du monde où chacun, avec une arrogance que
-double une épaisse sottise, se refuse au travail et à l’obéissance, il
-semblera sans doute à la plupart absurde, maladroit et inopportun
-d’avoir l’audace d’affirmer qu’en dehors du <i>service</i>, même le plus
-humble, il n’y a pas pour l’homme de bonheur possible, et que sa dignité
-et son amour-propre trouvent tous deux leur avantage à ce service
-librement et joyeusement consenti.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Les Anciens avaient coutume de dire que Jupiter aveuglait ceux qu’il
-voulait perdre. Ne dirait-on pas aujourd’hui qu’une main malfaisante se
-plaît à poser un bandeau sur<span class="pagenum"><a id="page_170">{170}</a></span> les yeux des hommes pour les empêcher de
-discerner les vérités les plus évidentes et leur cacher les périls les
-plus menaçants? Mais Zeus est mort, et il est impossible d’attribuer au
-Père du Fils de l’Homme les actes que pouvait se permettre le maître des
-dieux, représentant de toutes les passions humaines.</p>
-
-<p>La responsabilité de son misérable état d’âme repose donc entièrement
-sur les épaules de l’homme d’aujourd’hui et sur celles des mauvais
-bergers qui l’ont nourri de paradoxes et de sophismes enveloppés de
-grands mots creux, dont le néant a été percé depuis longtemps, mais qui
-continuent cependant à égarer certaines âmes.</p>
-
-<p>Or, nul n’est plus difficile à guérir que le malade et le dément qui
-veulent l’être; l’intelligence et la volonté humaines n’y suffisent pas.
-Non que les raisonnements ne puissent avoir leur rôle dans le formidable
-combat engagé par les hommes révoltés contre l’ordre établi et le grand
-législateur de toutes choses. Il est même des cas où la répression
-violente est peut-être indispensable pour vaincre certaines formes de la
-rébellion. Mais puisque la tendance qui nous courbe aujourd’hui vers le
-limon de la terre, comme les bœufs vers<span class="pagenum"><a id="page_171">{171}</a></span> l’abreuvoir, est plutôt un état
-d’esprit qu’un phénomène physique, c’est plutôt vers l’intervention des
-forces spirituelles que les espérances des hommes de bonne volonté
-doivent se tourner. Il faut qu’ils se penchent vers leur subconscient
-pour écouter sa voix profonde; il faut qu’en toutes choses ils invoquent
-l’appui de l’Esprit.<span class="pagenum"><a id="page_172">{172}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_II-e"></a>CHAPITRE II<br /><br />
-<b>QUEL SERA LE PILOTE?</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">Quand Enée s’aperçut de la<br /></span>
-<span class="i0">disparition de son pilote, il<br /></span>
-<span class="i0">prit sa place.<br /></span>
-<span class="i10"><span class="smcap">Virgile</span> (<i>Enéide</i>).<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Quel sera le pilote? Telle est l’anxieuse interrogation qui se pose
-devant les âmes et les esprits des hommes.</p>
-
-<p>Pour ramener rapidement les cœurs rebelles à l’obéissance, il faudrait
-qu’une bouche divine, celle du «grand convive des Noces de Cana», comme
-l’appelle le poète Louis Bouilhet, répète à l’homme, d’une voix plus
-résonnante que l’airain, l’ordre suprême du Créateur: «Tu es né pour
-travailler et servir», et que la réponse de l’homme sorte<span class="pagenum"><a id="page_173">{173}</a></span> frémissante
-de son cœur et de ses entrailles: «Je servirai».</p>
-
-<p>Ce serait là un double miracle; mais si nous pouvons, d’après les
-promesses divines faites aux violents sur le royaume des cieux, nous
-attendre au miracle, et si l’immense clameur des âmes angoissées
-parvient à l’imposer à Dieu, c’est toujours Lui qui choisit son heure,
-et notre attitude ne peut être que celle de l’attente confiante et
-patiente.</p>
-
-<p>Une voie cependant est toujours ouverte aux cœurs religieux, même si
-leur pensée est libre, c’est celle qui s’adresse directement à l’Esprit,
-à cet Esprit dont Joseph Mazzini, le nouvel Ézéchiel, comme l’appelait
-le grand poète Carducci, annonçait le règne dans la forme religieuse
-qu’il prévoyait pour l’avenir; et qui se dévoilera à l’homme à travers
-ce mystérieux subconscient qui règle les rapports de l’être humain avec
-les forces suprêmes. L’existence de ce merveilleux intermédiaire entre
-la conscience humaine et la divinité, n’a été comprise jusqu’ici que par
-un nombre restreint de cerveaux.</p>
-
-<p>Il est évident que l’action de l’Esprit est souvent lente, et il est
-rare qu’elle se manifeste d’une façon éclatante; elle marque cepen<span class="pagenum"><a id="page_174">{174}</a></span>dant
-les âmes d’une ineffaçable empreinte, et le jour viendra, sans doute, où
-celles qui auront été ainsi désignées, se dresseront une à une, prêtes,
-dès le point du jour, comme les moissonneurs, à faucher le blé mûr, et,
-comme des soldats à l’appel du tocsin, à mettre leur fusil sur l’épaule
-et à descendre dans la plaine ou à gravir la montagne pour défendre
-l’idéal contre l’humiliante limitation de la pensée humaine au monde
-matériel et visible.</p>
-
-<p>Que les positivistes ne s’alarment pas de ce programme. Le monde des
-faits ne peut, lui aussi, qu’y gagner. Lorsque les ouvriers seront prêts
-et que le drapeau de la nouvelle Croisade sera déployé, tout ce qui
-appartient à l’ordre des phénomènes naturels et sociaux trouvera sa
-place, comme les morceaux épars et confus de ces jeux de patience qui,
-avant la guerre, ont eu leur jour de vogue dans le monde des désœuvrés.</p>
-
-<p>Mais le rétablissement des formes qui réglaient l’existence de
-l’avant-guerre, et la reprise normale de tous les services sociaux et de
-la vie économique des nations, ne pourront plus satisfaire entièrement
-l’homme, dont la perspicacité aiguisée a appris à discerner, sous les
-cicatrices fermées, la permanence du virus<span class="pagenum"><a id="page_175">{175}</a></span> qui continue à ronger les
-tissus essentiels à la vie. Il avait fait de bien autres rêves!...</p>
-
-<p>«Une immense espérance a traversé la terre», disait Alfred de Musset, en
-parlant de l’apparition du Christ dans le monde. Ces mots célèbres du
-poète des <i>Nuits</i> peuvent être rappelés à propos du frémissement qui a
-soulevé les âmes, lors de la grande levée de boucliers du droit contre
-la force, et qui les avait remplies d’une invincible certitude, non
-seulement de victoire, mais de rénovation.</p>
-
-<p>Ces champions de l’espérance, qui ne vivent pas machinalement au jour le
-jour en se contentant de la cendre des choses, devraient se rappeler que
-Varron, un païen, a dit: «Les dieux protègent ceux qui les invoquent»,
-et se souvenir aussi de l’abondance des promesses de l’Évangile sur
-l’efficacité de la prière des violents. Ils invoqueraient alors les
-forces suprêmes avec cette persistance et cette impétuosité qui irritent
-les hommes, mais que, paraît-il, la patience de Dieu accepte et
-supporte: «Un pilote! un pilote! devraient-ils s’écrier. Par pitié,
-Seigneur, donnez-nous un pilote qui nous conduise!»<span class="pagenum"><a id="page_176">{176}</a></span></p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Nous sommes tellement habitués à tout matérialiser et à tout voir sous
-forme d’images, qu’en entendant parler de pilote, nous regardons
-instinctivement autour de nous pour essayer d’apercevoir, dans le monde
-visible, la silhouette de l’être à figure d’homme capable de prendre en
-mains les destinées humaines et de les conduire au port. Quelques noms
-nous viennent à l’esprit, mais nos lèvres ne les prononcent pas, et nous
-nous contentons de pousser un soupir ou de faire un geste découragé.</p>
-
-<p>C’est qu’en effet, même parmi les meilleurs et les plus grands, aucun
-homme n’est tout à fait à la hauteur de ce rôle. C’est en vain que nous
-interrogeons l’horizon: Rien ne surgit. Les chemins poudroient, les
-champs verdoient, le soleil flamboie, mais le cavalier sauveur ne paraît
-pas encore et la nuit ne se dissipe point!</p>
-
-<p>Pour apercevoir une lueur, il faudrait monter plus haut, regarder au
-delà, élargir nos moyens d’action. Autrefois, l’histoire nous l’apprend,
-le travail d’une seule cons<span class="pagenum"><a id="page_177">{177}</a></span>cience suffisait parfois. Faut-il,
-peut-être, aujourd’hui que les plus délicates fonctions de l’âme
-s’accomplissent collectivement? Allumer des phares dans le cœur des
-hommes de bonne volonté pour faire de ceux-ci des conducteurs d’hommes
-et de barques, cela est du ressort de l’Esprit, suprême Pilote de
-l’humanité!</p>
-
-<p>Supplions-le de n’abandonner plus jamais, sur la mer démontée, nos
-embarcations fragiles, qui ne portent pas seulement cette fois la
-fortune d’Enée et des héros troyens, mais les destinées du monde entier.</p>
-
-<p>Les Anciens dressaient jadis, à la proue de leurs navires, une figure de
-femme, destinée à les protéger contre les vents contraires ou les flots
-en délire, et à leur assurer le triomphe des armes. La fulgurante image
-de la Victoire de Samothrace se dresse devant nos yeux. Le même usage
-s’est continué dans le monde chrétien; les petits voiliers et les
-barques de pêcheur ont longtemps arboré à leur proue une figure en bois
-représentant soit un ange aux ailes déployées, soit une sainte
-protectrice, et l’on trouve encore, dans les anciens châteaux et abbayes
-de France, quelques-unes de ces naïves et touchantes statuettes.<span class="pagenum"><a id="page_178">{178}</a></span></p>
-
-<p>Les symboles ne sont plus guère à la mode aujourd’hui, mais on peut
-penser cependant que si les hommes attachaient mentalement à leur barque
-personnelle un symbole moral, l’œuvre du pilote en serait facilitée. On
-vient fêter partout en Europe, le centenaire de Dante Alighieri. Quel
-choix de symboles merveilleux renferme la Divine Comédie! L’image de la
-dame de blancheur décrite au chapitre <small>XII</small> du <i>Purgatoire</i>, «dont le
-visage luit comme l’étoile du matin», serait une efficace protectrice
-pour les embarcations qui, ayant miraculeusement échappé à la tempête,
-rentrent au port avant d’affronter d’autres périlleux voyages.<span class="pagenum"><a id="page_179">{179}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_III-e"></a>CHAPITRE III<br /><br />
-<b>LA TRIOMPHATRICE DE DEMAIN</b></h3>
-
-<div class="poetry1">
-<div class="poem"><div class="stanza">
-<span class="i0">A noi venia la creatura bella<br /></span>
-<span class="i0">Bianco vestita e nelle faccia quale<br /></span>
-<span class="i0">Par tremolante mattutina stella.<br /></span>
-<span class="i10"><span class="smcap">Dante</span>, <i>Purgatorio</i>,<br /></span>
-<span class="i10">Canto 12, Sta. 88.<br /></span>
-</div></div>
-</div>
-
-<p>Si les hommes comprenaient et acceptaient, à tous les degrés de
-l’échelle sociale le mot d’ordre contre lequel a eu lieu la grande
-révolte qui s’est accentuée dès le début du <small>XX</small>ᵉ siècle, une autre
-transformation s’accomplirait logiquement dans les cœurs, et une
-triomphatrice inattendue y remplacerait cette arrogance individualiste
-qui, de jour en jour, les exalte sottement et dessèche en eux la source
-des émotions nobles.</p>
-
-<p>Un orgueil absurde&#8212;qui ne s’en rend<span class="pagenum"><a id="page_180">{180}</a></span> compte?&#8212;a envahi aujourd’hui tous
-les cerveaux. Il suffit d’un peu de bon sens et de clairvoyance pour le
-constater. Chacun a de soi-même une opinion si exagérée que celle-ci va
-souvent jusqu’au ridicule. On dirait que les prétentions croissent en
-proportion directe de la médiocrité des personnes et des conditions.
-C’est là un phénomène si singulier que cette outrecuidance serait d’un
-haut comique, si elle ne remuait pas dans notre âme de mélancoliques
-pensées sur notre situation réelle au point de vue terrestre. Que
-sommes-nous, en effet, sinon de pauvres condamnés à mort, isolés dans le
-vaste univers? Il n’y a vraiment pas là de quoi s’enorgueillir, même si
-l’on appartient à la catégorie restreinte des favorisés de la nature et
-du sort!</p>
-
-<p>Pour peu qu’on réfléchisse de bonne foi aux conditions de la vie humaine
-on est amené à se convaincre qu’il n’y a de dignité réelle et de
-sécurité morale pour l’homme que dans une conception modeste de sa
-propre individualité. Si les éducateurs avaient su élever et diriger la
-pensée de ce dernier, il le comprendrait dès l’enfance et essayerait de
-se débarrasser au plus vite de la lourde carapace de prétentions,
-d’exigences, de vanités, de griefs<span class="pagenum"><a id="page_181">{181}</a></span> et de rancunes qu’il traîne après
-lui. Ce bagage, qui l’enfle démesurément, le rend semblable à une énorme
-cible où tous les coups portent: piqûres d’épingle, flèches envenimées,
-coups de canif, l’atteignent de tous les côtés, tandis qu’ils glissent
-sur l’homme réellement fier et assez adroit pour se rendre le plus petit
-possible, afin d’offrir une moindre prise aux attaques.</p>
-
-<p>Si la conscience du peu qu’il est en réalité ne suffit pas à enseigner à
-l’homme la modestie de l’attitude, le simple tact devrait lui apprendre
-quelle maladresse il commet, au point de vue de son intérêt personnel,
-en affichant des prétentions injustifiées et que l’opinion ne ratifie
-pas. J’ai connu un homme, dont je veux, comme exemple, rappeler ici le
-souvenir: il avait occupé de grandes positions, mais sa vie avait été
-très mouvementée, et l’on devinait que ses yeux avaient vu trop de
-choses! S’il parvint à esquiver la plupart des inconvénients qui
-auraient pu résulter pour lui de son passé, ce fut par la modestie
-constante et habile de son attitude. Il s’agissait évidemment, dans son
-cas, d’un triomphe du tact, de l’intuition, du sens de la mesure qui
-n’est possible qu’aux êtres très<span class="pagenum"><a id="page_182">{182}</a></span> raffinés; pour que la modestie se
-généralise, elle doit devenir un sentiment du cœur, né dans la
-conscience, de façon à être à la portée de tous.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>A l’heure actuelle parler d’humilité, c’est comme parler de service. La
-plupart des êtres repoussent cette vertu comme un hôte indésirable qu’il
-faut écarter soigneusement de sa vie; on croit y voir un élément de
-laideur, de pauvreté, de mesquinerie, de platitude, et chacun, avec un
-geste méprisant, gouailleur, ou tout au plus, dédaigneusement
-compatissant, lui ferme les portes de sa maison. Cette image décolorée
-et terne que nous nous faisons de l’humilité ne ressemble en rien à
-celle que nous présente le poète. Telle que son génie l’a conçue, c’est
-une créature d’une beauté parfaite, vêtue de blanc et sur le visage de
-laquelle semble trembler l’étoile du matin. Quel contraste avec la
-Cendrillon poussiéreuse que nous avons reléguée derrière le mur de nos
-maisons, en refusant de lui en laisser franchir le seuil!</p>
-
-<p>Après avoir ainsi dépeint l’humilité dans l’éclat d’un rayonnement
-incomparable, Dante<span class="pagenum"><a id="page_183">{183}</a></span> lui donne la parole, et celle-ci ouvrant les bras
-et déployant les ailes, la prend tout à coup avec une autorité
-extraordinaire: «Venez, dit-elle, je suis près des degrés qui montent,
-mais désormais on les gravit facilement», ce qui signifie qu’après avoir
-ouvert notre cœur à l’humilité, les obstacles de la route disparaissent
-et que l’ascension devient aisée.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Sans l’humilité comme sœur et compagne de route, chaque caillou se
-change en pierre, chaque pierre en rocher; les pieds sont pris aux
-pièges du chemin et s’embarrassent de mille entraves. Sans elle comme
-point d’appui, on n’avance pas, on recule, et les plus nobles fiertés se
-changent en présomptueux orgueil, car elle seule affermit les cœurs et
-assure la dignité réelle des êtres.</p>
-
-<p>Certes, il y a entre les hommes,&#8212;il serait injuste de le
-nier&#8212;d’immenses différences de valeur intrinsèque. Les uns, par la
-hauteur de leur pensée, atteignent presque aux étoiles; d’autres roulent
-dans la fange et s’y complaisent. Mais ceux même qui ont gravi le Mont
-Sacré, se rappelant de l’ordre imparti par Celui<span class="pagenum"><a id="page_184">{184}</a></span> qui naquit dans une
-étable: «Soyez parfaits comme votre père qui est aux cieux est parfait»,
-doivent comprendre qu’aucun orgueil personnel ne peut subsister dans
-l’âme humaine, tellement elle est éloignée de l’incommensurable modèle
-qui lui a été proposé.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Je n’ai pas l’intention de dépouiller l’homme de ses légitimes
-satisfactions d’amour-propre; tout ouvrier qui a le sentiment d’avoir
-bien accompli sa tâche journalière,&#8212;qu’il s’appelle Aristote ou qu’il
-réponde au nom d’un simple berger des Alpes,&#8212;a le droit d’être fier
-d’avoir fidèlement servi son maître. Cette fierté-là n’éloignera pas de
-lui la belle créature qui le reconnaîtra pour frère et couronnera son
-front d’une auréole de blancheur. La bonne volonté dans le travail est
-la sœur de l’humilité, de cette enchanteresse qui, par sa radieuse
-grâce, détient la clef des cœurs, car, sans nous en douter, ce que nous
-chérissons dans les êtres, c’est la parcelle d’humilité qu’ils
-possèdent!<span class="pagenum"><a id="page_185">{185}</a></span></p>
-
-<h3><a id="CHAPITRE_IV-e"></a>CHAPITRE IV<br /><br />
-<b>AMES CRÉATRICES</b></h3>
-
-<p>Elles n’ont jamais cessé d’exister tout à fait, ni pendant, ni après la
-guerre, et dans le sombre tableau qui s’étend sous nos yeux on voit ici
-et là surgir quelques taches claires, d’où sortent parfois de petites
-flammes légères. Ces âmes ne sont pas toutes des créatrices, mais elles
-sont les chevilles ouvrières de ce qui est resté debout après la
-tourmente ou de ce qui est en train de se reformer lentement. Grâce à
-leur concours, les œuvres sociales laïques ou religieuses ont, en
-partie, repris leur fonctionnement régulier. Le recrutement des
-travailleurs est, il est vrai, devenu moins abondant, car on sait que
-l’altruisme est un vêtement démodé, dont on a presque honte de se vêtir.
-Il faut tenir compte aussi du<span class="pagenum"><a id="page_186">{186}</a></span> fait que le jugement des hommes s’étant
-singulièrement aiguisé, ils n’attachent plus une aussi grande importance
-à leurs efforts sociaux et philanthropiques, et n’éprouvent plus, par
-conséquent, à les accomplir cette satisfaction dont certains cœurs
-s’enivraient avec un pieux orgueil. C’est là une diminution d’attrait
-pour les esprits faibles, mais faut-il regretter de perdre ceux-ci comme
-frères d’armes?</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Et ici une question très grave se pose: Quelle sera la situation des
-faibles dans le monde de l’avenir? Mais le moment d’envisager ce
-problème n’est pas venu encore. Ce qu’il est urgent de découvrir à
-l’heure actuelle, ce sont les représentants d’une autre catégorie
-d’êtres; de ceux qui cherchent, inventent, réalisent... Ils n’ont pas
-toujours une âme visible, mais disposent certainement d’un cerveau
-puissant et, tout en étant pour la plupart d’un positivisme absolu ils
-voient au delà des réalités, ce qui les rapproche des adorateurs de
-l’Esprit.</p>
-
-<p>L’effort qui s’accomplit en ce sens est immense dans la génération
-actuelle; et on la<span class="pagenum"><a id="page_187">{187}</a></span> voit asservir à ses fins le fer et le feu. De tous
-ces flambeaux qu’elle allume, des forces accumulées sortiront qui
-transformeront et gouverneront le monde. Il est trop tôt pour qu’on
-puisse prévoir les résultats de cette fièvre de recherches, dont
-certaines expositions, certains congrès scientifiques réunis dans les
-grands centres d’Europe et d’Amérique, ne fournissent encore qu’une pâle
-synthèse. Depuis des siècles, tous les écoliers du monde ont appris
-l’histoire d’Icare et de Prométhée, et ont palpité d’admiration pour ces
-audacieux qui tentèrent de ravir le feu du ciel et s’exposèrent
-joyeusement, pour remporter un tel prix, à être précipités dans les
-abîmes infernaux.</p>
-
-<p>Aujourd’hui, ces audacieux sont devenus légion, et ce qui est digne de
-remarque, c’est qu’ils n’espèrent rien ravir! Ils se lancent éperdus
-dans l’espace, sans presque savoir pourquoi, poussés par l’irrésistible
-besoin de dépenser leur énergie, de faire ce qui n’avait pas été fait
-encore, et de se rapprocher du soleil! L’astre suprême, semblable à un
-formidable aimant, attire vers lui ces hommes... Ils seront anéantis par
-son brûlant voisinage, qu’importe! Ils auront dépassé les autres
-conquérants des airs sur la route du ciel et<span class="pagenum"><a id="page_188">{188}</a></span> aperçu, comme Moïse, dans
-une fulgurante vision, la face de Dieu! Cette ivresse compense, à leurs
-yeux, bien des pertes, même celle de leur vie, de leur corps réduit en
-fragments informes et sanglants.</p>
-
-<p>Parmi les symptômes d’espérance que j’ai signalés, il serait injuste et
-illogique de ne pas tenir compte de ce grand mouvement de recherche et
-d’invention qui enfièvre la jeunesse moderne. Ces techniciens n’écrivent
-pas de vers, mais ils font, à leur façon, de la poésie vivante et
-hardie. Ils ne respectent guère, sans doute, les traditions
-métaphysiques, car plusieurs ont adopté le système de Descartes, et fait
-<i>table rase</i> de ce qu’ils avaient jusqu’alors appris; ils veulent se
-rendre compte par eux-mêmes et librement, des points de vue qu’ils
-doivent accepter ou défendre, s’aiguillant souvent ainsi vers des vues
-nouvelles et inattendues.</p>
-
-<p>Ces jeunes gens ne sont pas prêts encore à être des pilotes, mais ils
-représentent des éléments de vie, desquels pourront surgir les âmes
-créatrices, capables d’inspirations subites et douées de cette
-sensualité d’esprit qui, par le fluide mystérieux et puissant qu’elle
-dégage, attire irrésistiblement les autres âmes.<span class="pagenum"><a id="page_189">{189}</a></span></p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Un pont suspendu, et que l’humanité attend, doit être lancé assez haut
-pour permettre aux habitants des deux rivages entre lesquels se partage
-notre civilisation, d’échanger des pensées et de suivre ensemble du
-regard la marche des étoiles. Ce pont sera l’œuvre des âmes créatrices.</p>
-
-<p>Qu’elles se hâtent donc de le construire, car entre ceux dont la
-mentalité a été nourrie d’Homère et de Virgile et les techniciens
-modernes, disciples passionnés de l’équation, il ne peut y avoir de
-barrières irréductibles, puisque certains éléments de leur vie cachée et
-profonde sont et resteront éternellement les mêmes.</p>
-
-<p>Les chercheurs et les inventeurs, par le fait même de leur vocation,
-sont presque toujours des silencieux qui n’ont pas l’habitude de jouer,
-en de frivoles entretiens, avec les mots inutiles, ni de brutaliser la
-parole humaine ou de la traîner dans des marécages boueux; ils lui ont
-ainsi conservé une sorte de virginité qui la rend plus efficace et plus
-convaincante lorsqu’ils l’emploient.<span class="pagenum"><a id="page_190">{190}</a></span></p>
-
-<p>Le monde aurait besoin, en ce moment, d’entendre quelques paroles fermes
-et ailées, et c’est peut-être de la bouche de l’un de ces jeunes gens
-qu’elles sortiront.</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Après avoir déchaîné tant de tempêtes matérielles et morales,
-l’instrument magique, inspiré par les âmes créatrices, révélera au monde
-qu’il y a dans la vie des valeurs et des joies jusqu’ici insoupçonnées.</p>
-
-<p>Quelques êtres privilégiés ont les mains pleines de grâces. Pourquoi
-leurs lèvres&#8212;celles, par exemple, qui se refusant à violer la parole,
-l’ont toujours respectée&#8212;ne pourraient-elles répandre ces grâces?</p>
-
-<p class="astt">*<br />* *</p>
-
-<p>Ne nous bornons pas à effleurer les surfaces. C’est dans les choses qui
-ne peuvent mourir qu’il faut avoir confiance, même si la nuit semble
-s’obscurcir et si les glas sonnent autour de nous.</p>
-
-<p>Dans le drame d’Ibsen: <i>Empereur et Galiléen</i>, une épouvante traverse
-tout à coup l’âme de l’Apostat. «Où est-il maintenant?» se demande-t-il
-avec une indicible terreur.<span class="pagenum"><a id="page_191">{191}</a></span> «La mort sur le Golgotha, près de
-Jérusalem, n’aurait-elle été qu’un épisode, une chose faite en passant,
-dans une heure de loisir? Qui nous assure qu’Il ne continue pas son
-œuvre, et souffre, et meurt, et est vainqueur de nouveau, et toujours,
-de monde en monde?...»</p>
-
-<p>C’est là une terrible vision de continuité qui hante les nuits, et
-tenaille obscurément l’âme de celui qui a été vaincu dans sa tentative
-de rétablir le culte des dieux qu’il croyait lié à la grandeur de Rome;
-mais ce cauchemar se transforme en une vision consolante pour ceux dans
-le cœur desquels l’image de l’enfant de Bethléem, bien qu’oubliée et
-souvent reniée et trahie, a régné, ne fût-ce qu’un instant!</p>
-
-<p class="rt">
-Rome, 1920; Abbaye de Villeloin et Paris, 1921.<br />
-<span class="pagenum"><a id="page_193">{193}</a></span><span class="pagenum"><a id="page_192">{192}</a></span></p>
-
-<h2><a id="TABLE_DES_MATIERES"></a>TABLE DES MATIERES</h2>
-
-<table>
-<tr><td colspan="4">&#160;</td><td class="rt"><small>Pages.</small></td></tr>
-<tr><td colspan="4"><span class="smcap">Préface</span></td><td class="rt"><a href="#page_vii"> <small>VII</small></a></td></tr>
-
-<tr><th colspan="5">PREMIÈRE PARTIE<br />
-
-<b>Pendant que la nuit dure encore.</b><br /></th></tr>
-
-<tr><td colspan="3"><span class="smcap"><a href="#CHAPITRE_PREMIER1">Chapitre premier.</a></span></td><td>&#8212;Espérances prématurées</td><td class="rtb"><a href="#page_1">1</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_II-a">II.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>L’Attente</td><td class="rtb"><a href="#page_8">8</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_III-a">III.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>Le Silence</td><td class="rtb"><a href="#page_12">12</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_IV-a">IV.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>L’Instrument magique</td><td class="rtb"><a href="#page_21">21</a></td></tr>
-
-<tr><th colspan="5">DEUXIÈME PARTIE<br />
-
-<b>Marchands et marchandes de fumée.</b><br /></th></tr>
-
-<tr><td colspan="3"><span class="smcap"><a href="#CHAPITRE_PREMIER2">Chapitre premier.</a></span></td><td>&#8212;Chassons les vendeurs du Temple</td><td class="rtb"><a href="#page_31">31</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_II-b">II.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>Les Escamoteurs</td><td class="rtb"><a href="#page_35">35</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_III-b">III.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>Les Faux Interprètes</td><td class="rtb"><a href="#page_43">43</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_IV-b">IV.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>Les Faux Juges</td><td class="rtb"><a href="#page_56">56</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_V-b">V.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>Les Bluffeurs</td><td class="rtb"><a href="#page_62">62</a>
-<span class="pagenum"><a id="page_194">{194}</a></span></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_VI-b">VI.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>Lanceuses de bulles de savon</td><td class="rtb"><a href="#page_65">65</a></td></tr>
-
-<tr><th colspan="5">TROISIÈME PARTIE<br />
-
-<b>Les Problèmes de l’heure.</b><br /></th></tr>
-
-<tr><td colspan="3"><span class="smcap"><a href="#CHAPITRE_PREMIER3">Chapitre premier.</a></span></td><td>&#8212;Une condamnée à mort qui<br />
-défie la mort</td><td class="rtb"><a href="#page_68">68</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_II-c">II.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>L’Éducation des peuples civilisés</td><td class="rtb"><a href="#page_85">85</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_III-c">III.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>Éteigneuses de phares</td><td class="rtb"><a href="#page_104">104</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_IV-c">IV.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>Celles qui portent encore le flambeau</td><td class="rtb"><a href="#page_113">113</a></td></tr>
-
-<tr><th colspan="5">QUATRIÈME PARTIE<br />
-
-<b>Sur la montagne quelques feux s’allument.</b><br /></th></tr>
-
-<tr><td colspan="3"><span class="smcap"><a href="#CHAPITRE_PREMIER4">Chapitre premier.</a></span></td><td>&#8212;Les Consciences qui crient</td><td class="rtb"><a href="#page_132">132</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_II-d">II.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>Les Physionomies révélatrices</td><td class="rtb"><a href="#page_139">139</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_III-d">III.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>Les Yeux qui voient</td><td class="rtb"><a href="#page_147">147</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_IV-d">IV.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>Les Cerveaux qui veillent</td><td class="rtb"><a href="#page_153">153</a></td></tr>
-
-<tr><th colspan="5">CINQUIÈME PARTIE<br />
-
-<b>La Rentrée au port.</b><br /></th></tr>
-
-<tr><td colspan="3"><span class="smcap"><a href="#CHAPITRE_PREMIER5">Chapitre premier.</a></span></td><td>&#8212;Le Mot d’ordre: Servir</td><td class="rtb"><a href="#page_167">167</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_II-e">II.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>Quel sera le pilote?</td><td class="rtb"><a href="#page_172">172</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_III-e">III.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>La Triomphatrice de demain</td><td class="rtb"><a href="#page_179">179</a></td></tr>
-
-<tr><td class="c">&#8212;</td><td class="c"><a href="#CHAPITRE_IV-e">IV.</a></td><td class="c">&#8212;</td><td>Ames créatrices</td><td class="rtb"><a href="#page_186">186</a></td></tr>
-</table>
-
-<p class="fint">5343.&#8212;Tours, Imprimerie <span class="smcap">E. Arrault</span> et Cⁱᵉ.</p>
-
-<hr />
-
-<p class="cb">LIBRAIRIE FISCHBACHER, 33, rue de Seine, Paris.</p>
-
-<p><i>En vente</i>:</p>
-
-<table>
-<tr><th colspan="4">OUVRAGES DE DORA MELEGARI</th></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Ames dormantes</b> (<i>Ouvrage couronné par l’Académie française</i>), 8ᵉ édition, in-12</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Faiseurs de peines et faiseurs de joies.</b>, 12ᵉ édition, in-12</td><td><b>6</b></td><td> fr.</td><td> <b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Chercheurs de sources</b>, 5ᵉ édition, in-12</td><td><b>6</b> </td><td>fr. </td><td><b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Amis et ennemis</b>, 4ᵉ édition, in-12</td><td><b>6</b></td><td> fr.</td><td> <b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>La jeune Italie et la jeune Europe.</b> <i>Lettres inédites de Joseph Mazzini à Louis-Amédée Melegari</i>, in-12</td><td><b>5</b></td><td>fr.</td><td><b>»</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd" colspan="4"><b>Mes Filles</b>,
-<i>Roman</i>, in-12 (<i>épuisé</i>).</td></tr>
-
-<tr><th colspan="4">OUVRAGES DE CHARLES WAGNER</th></tr>
-
-<tr><td class="pdd"><b>Jeunesse</b>, 33ᵉ édition, in-12</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Vaillance</b>, 24ᵉ édition, in-12</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Justice.</b> <i>Huit discours</i>, 8ᵉ édition, in-12</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Sois un homme!</b> <i>Simples causeries sur la conduite de la vie</i>, 4ᵉ édition, in-12</td><td><b>3</b></td><td>fr.</td><td><b>50</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>L’Ame des choses</b>, 3ᵉ édition, in-12</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Le long du chemin</b>, 5ᵉ édition, in 12</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>La Vie simple</b>, 15ᵉ édition, in-12</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Auprès du Foyer</b>, 8ᵉ édition, in-12</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Vers le cœur de l’Amérique</b>, 3ᵉ édition, in-12 (<i>épuisé</i>)</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Pour les Petits et les Grands</b>, 4ᵉ édition, in-12</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>A travers les choses et les hommes</b>, 3ᵉ édition, in-12</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Par le sourire</b>, in-12</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Ce qu’il faudra toujours</b>, in-12</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>75</b></td></tr>
-
-<tr><th colspan="4">OUVRAGES DE JEANNE DE VIETINGHOFF</th></tr>
-
-<tr><td class="pdd"><b>La liberté intérieure</b>, 3ᵉ édition, in-12</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>75</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Impressions d’âme</b>, 3ᵉ édition, in-16</td><td><b>5</b></td><td>fr.</td><td><b>»</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>L’Intelligence du Bien</b>, 5ᵉ édition, in-16</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>»</b></td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Au seuil d’un monde nouveau</b>, in-16</td><td><b>6</b></td><td>fr.</td><td><b>75</b></td></tr>
-</table>
-
-<p class="fint">5343.&#8212;Tours, imprimerie <span class="smcap">E. Arrault</span> et Cⁱᵉ.</p>
-
-<hr />
-
-<div class="footnotes"><p class="cb">NOTES:</p>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_A_1"></a><a href="#FNanchor_A_1"><span class="label">[A]</span></a> <i>Le Livre de l’Espérance</i>, par <span class="smcap">Dora Melegari</span>, Payot-Paris,
-1916.</p></div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_B_2"></a><a href="#FNanchor_B_2"><span class="label">[B]</span></a> Voir <span class="smcap">Dora Melegari</span>, <i>Chercheurs de sources</i>, Paris,
-Fischbacher.</p></div>
-
-<div class="footnote"><p><a id="Footnote_C_3"></a><a href="#FNanchor_C_3"><span class="label">[C]</span></a> Une proposition en ce sens a été présentée en 1920-21, sous
-ma signature, au Bureau international du travail et à la Société des
-Nations qui en ont pris acte pour une discussion future.</p></div>
-
-</div>
-<hr class="full" />
-<div lang='en' xml:lang='en'>
-<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>SOUS LES EAUX TUMULTUEUTES</span> ***</div>
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-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation&#8217;s EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state&#8217;s laws.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation&#8217;s business office is located at 809 North 1500 West,
-Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
-to date contact information can be found at the Foundation&#8217;s website
-and official page at www.gutenberg.org/contact
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; depends upon and cannot survive without widespread
-public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
-visit <a href="https://www.gutenberg.org/donate/">www.gutenberg.org/donate</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 5. General Information About Project Gutenberg&#8482; electronic works
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg&#8482; concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg&#8482; eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Most people start at our website which has the main PG search
-facility: <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This website includes information about Project Gutenberg&#8482;,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
-subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
-</div>
-
-</div>
-</div>
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