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If you are not located in the United States, you -will have to check the laws of the country where you are located before -using this eBook. - -Title: Caen démoli - Recueil de notices sur des monuments détruits ou défigurés, et - sur l'ancien port de Caen, avec 5 gravures, d'après des - aquarelles de A. Lasne, et des dessins inédits de Le Nourichel - et Ch. Pichon - -Author: Gaston Lavalley - -Release Date: June 14, 2022 [eBook #68314] - -Language: French - -Produced by: J.-M. Mariot from files generously made available by the - British Library. - -*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CAEN DÉMOLI *** - -CAEN DÉMOLI - - -CAEN - -DÉMOLI - -RECUEIL DE NOTICES - -SUR DES - -MONUMENTS DÉTRUITS OU DÉFIGURÉS - -ET SUR LʼANCIEN PORT DE CAEN - -Avec cinq gravures, dʼaprès des aquarelles de A. LASNE, et des -dessins inédits de LE NOURICHEL et CH. PICHON - -PAR - -GASTON LAVALLEY - -CAEN - -IMPRIMERIE DE F. LE BLANC-HARDEL - -RUE FROIDE, 2 ET 4 - -1878 - - - - - -TABLE DES MATIÈRES. - -LE SECOND HOTEL DE VILLE DE CAEN, construit entre les années -1346 et 1367, détruit en 1755 - -LʼANCIEN PORT DE CAEN. Notice sur les travaux auxquels il a -donné lieu - -ANCIENNE ÉGLISE SAINT-SAUVEUR (aujourdʼhui Halle au blé), avant -la démolition de sa flèche en bois - -ABBAYE-AUX-DAMES (aujourdʼhui Hôtel-Dieu), avant la démolition du -donjon et de lʼancienne porte dʼentrée - -LA PORTE-NEUVE, dite des Prés, construite vers 1590, démolie en 1790 - - - - - -LE SECOND HOTEL DE VILLE DE CAEN - -[Illustration: SECOND HOTEL DE VILLE DE CAEN] - -LE - -SECOND HOTEL DE VILLE - -DE CAEN - -CONSTRUIT ENTRE LES ANNÉES 1346 ET 1367, DÉTRUIT EN 1755 - -ON sait dans quelles circonstances la ville de Caen obtint ses lettres -dʼaffranchissement, avec tous les droits attachés à la commune. Tandis -que les troupes françaises faisaient la conquête de la -Haute-Normandie, le duc Jean sans Terre, réfugié à -Caen, sʼétourdissait sur les dangers de sa position au milieu des -fêtes et des orgies. Mais, quand il se vit abandonné des barons -anglais que lassait sa nonchalance, quand il apprit que Philippe -Auguste sʼapprochait avec des forces nombreuses en prenant lʼun après -lʼautre tous ses châteaux, le débauché, frappé de terreur, sortit -enfin de sa longue inaction. Afin de subvenir à la solde des troupes -mercenaires quʼil leva pour sa défense, il dut recourir aux plus -pitoyables expédients. Il emprunta aux abbayes, aux barons et -bourgeois, et vendit même jusquʼà la justice. Cependant, -comme ces recettes ne suffisaient pas, il aliéna, en échange de sommes -plus ou moins fortes, la majeure partie de ses droits. Et cʼest ainsi -quʼil se résigna à écrire, dans ses lettres patentes du 17 juin 1203: -« Sachez que nous avons concédé à nos bien amés et fidèles -bourgeois de Caen le droit dʼavoir leur commune à Caen, avec toutes -les libertés et libres coutumes attachées à la commune... » - -La ville de Caen ne doit donc pas, comme on lʼa dit, sa charte -communale à Jean sans Terre; elle la lui a certes bel et bien payée, -avec toute dispense de reconnaissance. Depuis cette date mémorable de -1203 jusquʼà nos jours, les représentants de la commune de Caen ont -siégé dans quatre hôtels de ville différents. Au commencement du XIIIe -siècle, nous trouvons le corps de ville installé sur le pont -St-Pierre, dans une petite forteresse quʼon appela plus tard le -Chastelet ou le petit Château de Caen [1]. On nʼa aucune notion sur -ces anciens bâtiments communaux, où furent enfermés en 1307, -pendant leur procès, les Templiers du grand bailliage de Caen. Lʼabbé -De La Rue dit cependant [2] « quʼil paraît, par le récit des -historiens anglais, témoins oculaires de la prise de cette ville par -Édouard III en 1346, que ce pont étoit moult bien afforcé de -brétesches et de barrières. » « Ces brétesches, ajoute-t-il, -nʼannoncent que des tours et des fortifications en bois. -Mais comme elles furent emportées de vive force -par les Anglais, elles durent souffrir beaucoup et peut-être même être -rasées. » Cette assertion de lʼauteur des Essais sur Caen est tout à -fait erronée. La petite forteresse du pont St-Pierre ne fut pas -emportée de vive force, pour cette bonne raison quʼelle ne fut pas -défendue. Le comte de Guines, connétable de France, et le chambellan -de Tancarville, qui sʼy étaient réfugiés, la livrèrent à lʼennemi sans -combat pour avoir la vie sauve. « Dont il avint, dit Froissard dans -ses Chroniques [3], que li connestables de France et li contes de -Tankarville, qui estaient monté en celle porte au piet dou pont a -sauveté, regardoient au lonch et amont la rue, et veoient si grand -pestilence et tribulation que grans hideurs estait à considerer et -imaginer. Si se doubtèrent dʼeulz meismes que il nʼescheissent en -ce parti et entre mains dʼarciers, qui point ne les cognuissent. -Ensi que il regardoient aval en grant doubte ces gens tuer, il -perçurent un gentil chevalier englès, qui nʼavoit cʼun œl, que on -clamait monsigneur Thumas de Hollandes... » Or, comme ils ne -voulaient pas avoir le sort du peuple qui mourait les armes à la main -et, selon les Grandes chroniques de France, « se deffendoit tant -quʼil povoit », le connétable et le chambellan appelèrent le « gentil -chevalier englès », dont ils avaient fait la connaissance dans des -voyages en pays étrangers. « Nous sommes telz et telz. Venés parler -à nous en ceste porte, et nous prendés à prisonniers. Quant li dis -messires Thumas oy ceste parolle, -si fu tous joians, tant pour ce que il les pooit sauver que pour -ce quʼil a voit, en yaus prendre, une belle aventure de bons -prisonniers, pour avoir cent mil moutons. Si se traist au plus tost -quʼil peut à toute se route celle part, et descendirent li et -seize des siens, et montèrent amont en le porte; et trouvèrent -les dessus dis signeurs et bien vingt cinq chevaliers avoecques eulz, -qui nʼestoient mies bien asseur de lʼoccision que il veoient que -on faisoit sus les rues. Et se rendirent (tous) sans delay, pour -yaus sauver au dit monsigneur Thumas, qui les prist et fiança -prisonniers. Et puis mist et laissa de ses gens assés pour yaus -garder, et monta à cheval et sʼen vint sus les rues... » - -Il arriva donc quʼen voulant sauver leur vie, les sieurs de Guines et -de Tancarville préservèrent en même temps dʼune destruction presque -certaine la petite forteresse du pont St-Pierre. Si, quelques années -plus tard, ce premier hôtel de ville disparut, pour faire place au -beau château [4] que le continuateur de Guillaume de Nangis signale à -la date de 1367, cʼest que la prise de Caen par Édouard III avait -démontré, avec la logique brutale du malheur, la nécessité de protéger -la ville par un système plus sérieux de fortifications. - -Un sceau, attaché à un acte passé devant un tabellion de Caen le 29 -mai 1429, est le plus ancien document que nous possédions sur le -second hôtel de ville, qui dut être certainement construit entre les -années 1346 et 1367. Cet écusson porte, sur un fond de gueules, -couleur du duché, un château crénelé et donjonné dʼor, accosté de deux -tours. M. Gervais y -voit une réminiscence, si ce nʼest une image de la maison commune, -élevée sur le pont St-Pierre. « Voilà bien, dit-il [5] cette large -porte par laquelle on communiquait de lʼintérieur de la ville avec le -quartier St-Jean; le donjon élevé qui la surmontait et les deux tours -qui protégeaient de chaque côté les angles de lʼédifice! » - -Une description du vieux chroniqueur de Caen, M. de Bras, vient, plus -dʼun siècle après, compléter cette esquisse imparfaite. « Ceste -rivière dʼOurne coulle et descend de dessoubs ce pont sainct -Jacques, le long des murailles de la ville, par dessoubs le pont -sainct Pierre, sur lequel est située la maison commune de ladicte -ville, de fort ancienne et admirable structure, de quatre estages -en hauteur, en arcs boutans fondez dedans la rivière sur pilotins, -laquelle flue par trois grandes arches, et aux coings de cest -édifice et maison, sont quatre tours qui se joignent par carneaux, -en lʼune desquelles (qui faict le befroy) est posée la grosse -orloge: ceste quelle maison, pont et rivière, séparent les deux -costez de la ville, de façon que les quatre murailles dʼicelle -commencent, finissent et aboutissent sur ce pont, anciennement -appellé de Dernetal, comme il se treuve par certaine chartre, -estant au matrologe ou chartrier de la ville, de lʼan 1365. » - -« En passant par dessus lequel, ceux qui viennent de devers -le grand pont Frilleux et la porte Millet, le long de ceste -grande rue Humoise ou Exmesine, et autres qui sʼacheminent de -lʼautre costé de ville, apperçoyvent de beaux -quadrans au haut de ceste maison commune, fort dorez et si bien -ordonnez quʼon y remarque les heures de part et autre, crois et -decrois de la Lune; et au dessoubs sont escripts en grosses -lettres, Un Dieu, Un Roy, Une Foy, Une Loy... » - -Cette description de M. de Bras demande à être complétée par lʼexamen -du plan quʼil avait communiqué lui-même à Belleforest, et que celui-ci -publia en 1575 dans sa Cosmographie. Sur ce plan, lʼhôtel de ville -présente à lʼobservateur la vue de la façade qui regardait sur la rue -St-Jean. Cette façade se compose dʼun corps de logis encadré entre -deux tours rondes à trois étages, dont les toits pointus, terminés par -des girouettes, dépassent légèrement celui du corps de logis [6]. Au -centre de la façade sʼouvre une porte cintrée, très-haute, qui faisait -communiquer la rue St-Jean avec le quartier St-Pierre; sur la voûte de -cette porte sʼavance une petite construction en encorbellement, -percée de trois fenêtres et couronnée dʼun toit aigu avec lucarne -triangulaire. Enfin, au-dessus du toit du corps de logis, sʼélève une -tour octogone à deux étages qui, sauf les créneaux supprimés, -rappelle fidèlement la physionomie du château crénelé et donjonné dʼor -de lʼécusson de 1429. Cʼétait dans cette tour, évidemment, que se -trouvait la grosse orloge quʼapercevaient ceux qui, suivant -lʼexpression de M. de Bras, venaient de la « grande rue Humoise -ou Exmesine ou qui sʼacheminaient de lʼautre costé de ville. » -Pour être vue ainsi à distance des -deux côtés de lʼédifice, une des tours, qui formaient les angles de -la façade tournée vers St-Pierre, devait dépasser considérablement les -trois autres. Nous ajouterons quʼelle se terminait, non par un toit -aigu, mais par deux étages couronnés dʼune plate-forme. - -Nous insistons sur ces détails, parce quʼils vont nous aider à faire -la légende de la lithographie qui accompagne notre notice. Cette -lithographie est la reproduction dʼune aquarelle de A. Lasne, -exécutée elle-même en 1832, probablement dʼaprès un dessin à la mine -de plomb que possède la Bibliothèque de Caen. Ce dessin, signé par un -certain La Rose de Caen, a dû être fait avant la destruction de -lʼhôtel de ville en 1755. Il représente la façade du monument prise -du côté de St-Pierre, et porte en tête cette mention: « Horloge du -Pont-Saint-Pierre de Caen, faite en 1314 et détruite le 15 mai 1755. » -Cette note renferme deux erreurs; dʼabord, le second hôtel de -ville de Caen ne fut point construit en 1314, mais, comme nous -lʼavons déjà indiqué, entre les années 1346 et 1367; de plus, le -dessin ne reproduit pas lʼédifice tel quʼil était à lʼorigine, mais -dans lʼétat où le surprit, en 1755, le marteau des démolisseurs. Or, -depuis le milieu du XIVe siècle jusquʼà cette époque, le second hôtel -de ville avait subi, à différentes dates, des retouches et des -modifications considérables, indiquées dʼailleurs par le dessin -lui-même. Un des trois étages figurés sur le plan de Belleforest a -disparu; les tours des angles de lʼédifice nʼen ont plus que deux; -et le corps de logis, couronné maintenant par un fronton avec -œil-de-bœuf, paraît sʼêtre aussi affaissé lui-même avec lʼâge. -La construction en encorbellement qui sʼavançait -au-dessus de la porte est remplacée par trois niches où apparaissent -des images de saints et, plus haut, par une croisée à meneaux de -pierre qui indique clairement une retouche de la fin du XVIe ou du -commencement du XVIIe siècle. Et – changement plus significatif – -au-dessus de cette fenêtre, sous lʼœil-de-bœuf du fronton, on -aperçoit un simple cadran, de forme carrée, sans ornements et sans -inscriptions. Quʼétaient donc devenus les « beaux quadrans dont -parlait M. de Bras, fort dorez et si bien ordonnez quʼon y -remarque les heures de part et autre, crois et decrois de la lune? » -Il avaient eu le triste destin du beffroi primitif et avaient dû -disparaître avec lui à une époque quʼil serait difficile de fixer -aujourdʼhui. Nous savons toutefois que la tour du beffroi, terminée -par deux étages octogones, avait été déjà décapitée à la date de -1672; car le plan de Caen, dressé à cette époque par Bignon, figure -lʼhôtel de ville flanqué de quatre tours rondes de même hauteur et -couvertes également de toits aigus. - -Peu de temps après, entre 1672 et les dernières années du XVIIe -siècle, cette ancienne tour du beffroi dut perdre son toit, qui fut -remplacé par une balustrade en pierre ornée de trèfles, telle quʼon la -voit sur le dessin dont nous donnons une reproduction. Ce changement -est, en effet, indiqué sur le « plan de la ville de Caen, levé par -Étienne, graveur, à la fin du XVIIe siècle. » - -Nous pouvons constater encore sur ce plan que le corps de logis de -lʼhôtel de ville reposait sur la plus grande arche du pont St-Pierre; -les deux autres arches, plus petites, passaient sous les tours qui -flanquaient les angles de lʼédifice. - -Dès la deuxième moitié du XVIe siècle, lʼétat menaçant des piles du -pont St-Pierre fut une cause fréquente dʼinquiétude pour les échevins. -Après une visite des murailles de la ville ordonnée par M. de -Matignon, lʼarchitecte Stéphane Dupérac, dans son rapport sur les -travaux quʼil déclare urgents, émet, à la date du 2 novembre 1578, -lʼavis suivant: « Est aussi fort nécessaire de refonder les piles -de la Maison de Ville, autrement il en pourrait venir grand -inconvénient, parce que ladite maison sʼest ouverte et ouvre à vue -dʼœil journellement. » Le 7 juillet 1584, nouvel avertissement de -Jean Bastan, maître maçon de la ville, qui trouve « quʼil est -très-nécessaire réparer les arches du pont sur lequel est assise -cette Maison de Ville, lesquelles sont proches de tomber en ruine, -sʼil nʼy est promptement pourvu. » - -Malgré ces cris dʼalarme, le Conseil de la commune continua de -délibérer encore pendant dix-huit ans dans lʼhôtel de ville lézardé. -Plus intrépides que les sénateurs romains, qui se contentaient -dʼattendre lʼennemi sur leurs chaises curules, les échevins -bas-normands, résignés à aller au-devant de lui, pouvaient, pendant -leurs séances, comme au coup de sifflet dʼun machiniste, disparaître -subitement dans le troisième dessous, capitonné, il est vrai, par la -vase accumulée de lʼOrne et de lʼOrlon réunis. - -Enfin, au mois de juin 1602, le péril devint assez sérieux pour -décider les échevins à mettre un peu de prudence dans un héroïsme, qui -nʼavait eu peut-être dʼautre cause que lʼapathie ou la routine. Ils se -firent conduire dans une barque sous les arches du pont St-Pierre où -ils vérifièrent eux-mêmes, à loisir, lʼétendue du mal. Il fut reconnu -dans cette visite que -la ruine du pont avait été en partie consommée par lʼinstallation de -maisons particulières qui, dit le procès-verbal du 7 juin 1602, -« sʼétoient suspendues contre les arches du pont. » Le même -procès-verbal nous apprend quelles mesures de sûreté furent prises -contre ces parasites dangereux. « ... A été ordonné, dit-il, que -tous les propriétaires des maisons proches et contiguës dudit pont -et hôtel commun de ville, et desquelles le bois est porté et -enclavé sur les arches dudit pont et murailles de la ville, -répareront ce qui est endommagé et qui requiert réparation, au -droit de leurs maisons; et que lesdits gouverneurs échevins de ville -feront de leur part travailler à la réparation de la grande arche... » - -Lʼancien hôtel de ville péchait par la base, mais cʼétait là son -moindre défaut; car, après les travaux de consolidation qui y furent -exécutés, nous voyons quʼil fut sérieusement question de le remplacer -pour une raison qui nous est indiquée par lʼintendant Foucault dans -ses Mémoires. « Jʼai mandé à M. de Châteauneuf, écrit Foucault à -la date du 28 mars 1689, que la demande que les échevins de Caen -faisaient au roi de la maison du sieur de Brieu, religionnaire -qui a quitté le royaume, pour en faire un hôtel-de-ville, me -paroissoit très-favorable, nʼy ayant point de lieu à Caen pour -tenir les assemblées publiques... » Il ressort de cette note que -lʼédifice du pont St-Pierre était depuis longtemps regardé comme -beaucoup trop étroit. Cet inconvénient nʼapparut jamais plus -clairement quʼà la date du 4 novembre 1608, lorsquʼil fallut convoquer -une assemblée générale des habitants de Caen, pour prononcer sur -lʼadmission ou le rejet des Jésuites. « Cette assemblée fut si -nombreuse, dit lʼabbé -De La Rue [7], quʼon ne put la tenir à lʼHôtel-de-Ville, et les -délibérans se transportèrent dans la grande salle des procureurs du -bailliage. Ce local, quoique vaste, étoit encore insuffisant; car, -suivant les mémoires du temps, les votans étoient au nombre de plus -de 3,000. » - -Lʼédifice du pont St-Pierre était même trop exigu pour contenir les -convives dʼun repas officiel. Cʼest ainsi que le 16 janvier 1679, à -lʼoccasion des fêtes pour la paix entre le roi de France et le roi -dʼEspagne, nous voyons le maire et les échevins obligés dʼemprunter -la maison dʼun riche particulier. « La compagnie, disent les anciens -registres de la ville, sʼest rendue chez le sr Daumesnil, dont elle -avoit emprunté la maison, pour donner un souper, auquel se sont -trouvées toutes les personnes de qualité. » - -Lorsque le nombre des invités était trop grand pour quʼon pût les -convoquer dans la maison dʼun particulier, les maire et échevins -durent quelquefois, comme en 1729, faire construire une grande salle -en charpente. « Le divertissement quʼun chacun prist à voir -lʼillumination, dit une brochure très-rare du temps [8], conduisit -insensiblement jusquʼà lʼheure du souper que lʼHôtel-de-Ville donna, -et auquel furent invités les plus qualifiés dʼentre les nobles et -les bourgeois. Monsieur de Jumilli, chef de cet illustre corps, -au discernement duquel on doit tout ce quʼil y eut de galant et de -bien ordonné dans ceste feste, avoit fait bastir -sur le boulevard de la Prairie une grande sale de chapente; sa -longueur était dʼenviron 60 pieds sur 25 de largeur et 20 de -hauteur, le sol était couvert de planches attachées sur des -lambourdes en manière de parquet; tout le tour était descoré de -plusieurs rideaux de verdure dont deux entrouverts, dans un ordre -parfaitement cimétrisés, formoient une grande grotte ou berceau, -dans lʼenfoncement duquel était un buffet chargé de tout ce que le -bon goût peut inventer de plus commode pour le service de tels -conviés; le plafond de cette sale était fait avec des toiles -blanches si bien assemblées quʼil imitait parfaitement les plafonds -ordinaires; de ce plafond pendaient deux rangs de lustres garnis de -bougies dont la lumière, réfléchie par les cristaux, reproduisait -lʼéclat. Les endroits où il nʼy avait point de verdures étaient -couverts de très-belles tapisseries représentant lʼhistoire de -Samson, etc. » - -Les dépenses, que lʼon dut faire en cette occasion, amenèrent sans -doute la ville à penser quʼelle réaliserait une sérieuse économie en -transportant le siége de la commune dans un local, dont les -dimensions la dispenseraient dʼélever des constructions provisoires et -ruineuses. En effet, trois ans après les fêtes données pour la -naissance du Dauphin, il y eut un arrêt du Conseil de la municipalité -(13 avril 1733) relatif au déplacement de lʼHôtel de Ville. Ce -déplacement suivit de près la délibération, sʼil faut en croire une -note manuscrite [9] qui dit, à la date du 15 mai 1755, « quʼil y -avait plus de vingt ans que lʼHôtel-de-Ville tenait ses assemblées -au Grand-Cheval. » - -Cependant, quoique la ville eût déjà fait lʼacquisition du -Grand-Cheval ou hôtel Le Valois (aujourdʼhui la Bourse), le pont -St-Pierre ne fut pas abandonné brusquement par les représentants de la -cité. Quelques services y restèrent et le carillon de la fameuse -horloge continua de sʼy faire entendre jusquʼen lʼannée 1755. Cette -année-là, le 3 février, le Bureau des Finances, par une sentence des -plus iniques, dit un contemporain, que cette mesure indignait, ordonna -la destruction de lʼancien édifice du pont St-Pierre. M. Mauger, -avocat du roi à lʼHôtel de Ville, nous a conservé [10] le prononcé de -cette sentence avec quelques commentaires irrités. - -« ... Et attendu quʼil résulte des faits contenus dans les -procès-verbaux, quʼil est au moins douteux que le pont (St-Pierre) -soit solide; quʼil est certain, dʼun autre côté, que le passage est -trop étroit et dangereux; que dʼailleurs les différens plans et -projets produits et proposés par les maire et échevins sont -insuffisans pour procurer un élargissement convenable, nous avons -ordonné que les bâtimens étant sur led. pont seront démolis dans -trois mois du jour de la signific. de la présente, faute de quoi, -après led. temps passé, il y sera pourvu, ainsi quʼil appartiendra. - -« Cette sentence signifiée le 15 dud. mois de févr. 1755, on a -fait assembler le général (cʼest-à-dire lʼassemblée générale du -corps de ville) le 25 dud. mois pour avoir son avis sur lʼappel. -Mais les uns furent sollicités par M. lʼIntendant, et les autres -intimidés de sa part, en sorte quʼil -nʼy eut que huit voix pour lʼappel, dont jʼétais du nombre, en -sorte quʼil a fallu acquiescer... » - -Trois mois après, comme le voulait lʼarrêt, le condamné fut livré à -ses bourreaux; des bruits sourds se firent entendre..... la justice -des démolisseurs était satisfaite!.... Lʼœuvre de destruction dut -être poussée avec activité; car une note dʼun sieur Étienne Deloges -[11], échevin, nous apprend que les maisons qui remplacèrent lʼédifice -du pont St-Pierre étaient déjà bâties en 1756. - -Le second hôtel de ville de Caen renfermait dans son beffroi une -horloge si remarquable que lʼensemble de lʼédifice en prit dans -lʼusage le nom de Gros Horloge. Dans une de ses lettres, datée du 1er -octobre 1699, le P. Martin envoyait à Huet, qui préparait son livre -des Origines de Caen, un quatrain où lʼâge de lʼhorloge communale est -établi comme par un acte authentique de lʼétat civil. « Voici, lui -dit-il, un quatrain qui se trouve gravé sur le timbre de notre -gros horloge, dont notre P. Labé a fait augmenter les -accompagnements: - -Puisque la ville me loge - -Sur ce pont pour servir dʼauloge - -Je feray les heures ouïr - -Pour le commun peuple réjouir. - -Mʼa faite Beaumont lʼan mil trois cents quatorze. » - - -Cette horloge primitive sʼest conservée depuis cette date jusquʼà la -destruction du second hôtel de ville, en 1755. Toutefois, elle ne -traversa point les âges sans subir de profondes -modifications qui font un peu ressembler son histoire à celle -du couteau de Jeannot. Déjà, au mois de juin 1537, les pièces de la -vénérable horloge se trouvaient si endommagées que le conseil de la -commune se vit obligé de voter une somme de dix écus dʼor pour les -réparations les plus urgentes. Le procès-verbal de cette séance est à -citer tout entier; car il contient le premier renseignement -authentique sur lʼétat de la fameuse horloge dans la première moitié -du XVIe siècle. - -« Est comparu Denis Ollivier, serrurier, natif et demeurant en la -paroisse St-Pierre de Caen, qui a présenté requête par laquelle il -suppliait être commis pour lʼavenir au gouvernement et -entretenement de lʼhorloge de la ville, assise sur le pont -St-Pierre, dont de présent a la charge Marin Paulon. Laquelle -horloge est assez mal conduite, gouvernée et entretenue par led. -Paulon, tant à cause de son antiquité et faiblesse que à cause que -les roues et autres instruments en sont rompus et usés. Offrant led. -Ollivier prendre lad. charge aux gages accoutumés, montant 20 -livres chacun an, et de la moitié dʼiceux en laisser jouir, led. -Paulon sa vie durant. Ordonné que icelle charge sera baillée aud. -Ollivier, si prendre la veut, par les moyens, qui ensuivent, cʼest -à savoir quʼil refera et réparera tout ce entièrement quʼil est -requis faire en lad. horloge et cadrans dʼicelle, pour être en bon -ordre et état du et pour lʼavenir les conduira et entretiendra en -toutes choses. Et par semblable, les tinterelles, si la ville y en -veut ajouter et faire faire, bien et dûment, ainsi quʼil sera -requis, aux coûts, charges et dépens dud. Ollivier, parce que -icelle ville -lui paiera comptant la somme de 10 écus dʼor, pour lui aider à -refaire, réparer et remettre en état du lesd. horloge et cadrans, -sans que led. Ollivier soit sujet à la peinture dʼiceux. » - -Il faut croire que le métier de gouverneur de lʼhorloge réservait plus -dʼun mécompte à ceux qui sʼétaient chargés de son entretenement; car -nous voyons en 1592 un sieur Robert Régnier adresser aux échevins, à -plusieurs reprises, une requête dans laquelle il mettait en avant son -grand âge et ses infirmités, afin dʼobtenir quʼon lui donnât un -successeur. Les échevins eurent pitié de son sort, et, pour se -lʼattacher, portèrent ses gages à 30 écus [12], non toutefois sans -quelques conditions. - -« Sera tenu led. Régnier faire en sorte que lʼhorloge soit -toujours bien réglée et que les cadrans de lʼun et de lʼautre côté -de lʼhôtel commun de ville marquent certainement les heures; aussi -que les globes ou lunes, qui étaient par ci-devant sur lesdits -cadrans et qui en sont de présent hors, après quʼelles y auront été -remises aux frais et dépens de la ville, seront par après par lui -entretenus en usage, pour marquer certainement la nouvelle et -pleine lune, décours ou croissant dʼicelle, comme elles faisaient -par ci-devant, etc., etc. [13] » - -Tous les torts nʼétaient peut-être pas du côté de lʼhorloge, qui se -vieillissait, et lʼon peut supposer, sans être accusé de construire -trop légèrement des hypothèses, que la vénérable mécanique nʼavait pas -reçu les soins délicats quʼexigeait son grand âge. Le gouvernement de -lʼhorloge nʼavait, en effet, été confié jusque-là quʼà des serruriers -de la ville. Le soupçon, que nous manifestons, dut naître dans -lʼesprit des échevins eux-mêmes, puisquʼils se décidèrent, en 1597, à -faire venir un horloger du Poitou. Cet horloger, appelé Loys Demarque, -passa marché avec la ville « pour faire sonner les quarts et -demi-heures à lʼhorloge et sʼengager à fournir huit cloches qui -rendront sons et tons différents [14]. » « Loys Demarque, dit M. -Auguste Leroy [15], disposa les roues de manière que le remontage des -poids ne se fit plus quʼune fois par jour, puis remplaça le carillon -de Jean Labbé par huit tinterelles neuves, dont la plus grosse pesait -200 livres. Il leur fit jouer, aux heures, le premier vers de lʼhymne: -Veni Creator Spiritus; aux demies: Inviolata, integra et casta es -Maria; et aux quarts: O benigna. Demarque employa deux mois à faire -ce travail, avec lʼaide de quatre compagnons, et reçut pour solde une -somme de 48 écus. Après lui on confia son œuvre aux soins du sieur -Dodemare, bourgeois de Caen, qui sʼétait fait recevoir maître -horloger. » - -Depuis ce travail exécuté en 1597, il nʼest plus trace, dans les -anciens registres de lʼHôtel de Ville, de perfectionnements apportés -au mécanisme de lʼhorloge. On nʼy trouve que la -mention de réparations quelquefois assez importantes, comme celle dont -il est question dans la délibération du 1er juin 1624: - -« Sur ce que Michel Coquerel, fondeur de cloches, qui a fait -alleu de refondre et raccommoder les tinterelles faites pour les -demies et quarts de lʼhorloge, a dit quʼil est besoin lui fournir -trois ou quatre cents livres de métal, pour ce quʼil fait une -petite cloche plus quʼil nʼy en avait. Il a été arrêté que du -nombre dʼune pièce de canon, qui fut cassée lors de lʼarrivée du -sr maréchal dʼAncre en cette ville, il en sera pris trois ou quatre -cents livres, et soixante livres dʼétain, qui sera acheté, pour -rendre la besogne parfaite, etc. » - -Ainsi, vingt-sept ans seulement après les travaux exécutés par -lʼhorloger Poitevin, on était obligé de remplacer les tinterelles -quʼil avait posées en 1597. Si les pièces de lʼhorloge sʼusaient en -si peu de temps, il est présumable quʼil ne devait rester que bien peu -de chose de lʼhorloge primitive lorsquʼon ordonna la démolition du -beffroi en 1755. - -Bien quʼelle eût été pour ainsi dire complètement remplacée, par suite -de réparations fréquentes, la vieille machine ainsi renouvelée avait -conservé tout son prestige aux yeux de certains esprits, qui ont le -goût et le respect des choses dʼautrefois. Voici par exemple un -contemporain, lʼavocat Mauger, qui nous a fait parvenir, dans une -note manuscrite, comme un écho de son indignation: « Le misérable -carillon de lʼhorloge, dit-il [16], chanta pour la dernière fois le -Regina cœli le 15 mai 1755, à six heures du matin, et le quart -avant sept heures. Cette horloge a duré 441 ans en état de servir; -et lʼédifice, qui est sur le pont, va aussi être démoli, au grand -regret de toute la ville. - -Épitaphe de lʼhorloge: - -CY GIST QUI PAR SON SERVICE - -MÉRITOIT UN MEILLEUR SORT. - -CʼEN EST FAIT; VICTIME DU CAPRICE - -DARNETAL NE VIT PLUS, IL EST MORT! - -JUIN 1755. » - -On avait cependant conservé le bronze qui servait de timbre pour -lʼhorloge et de cloche communale. Cette cloche avait mêlé sa voix au -bruit des événements heureux ou malheureux qui, durant quatre siècles -et demi, avaient agité la ville. Si nous avions son histoire, nous -aurions en même temps celle de Caen; mais il nous reste là-dessus peu -de documents. En voici un, toutefois, qui ne manque pas dʼintérêt. - -« A été fait venir en ladite maison de ville, dit un procès-verbal -de février 1562, Robert Regnier, du métier de serrurier, demeurant -près le pont et maison de ville, pour savoir de quelle autorité il -avait cejourdʼhui mis un battail à lʼhorloge de cette ville. Lui -juré de dire vérité et interrogé, a dit que, pour les troubles que -lʼon ventile être préparés, il se peut être que lʼon pourrait -commander être sonné une alarme, qui est accoutumé être fait et -sonné par lad. cloche de lʼhorloge, et pour éviter que sonnant lad. -alarme il ne fût offensé de quelque coup dʼarquebuse, il -avait demandé un battail de lad. maison de ville et de ce avait -parlé à M. Dumoulin, lʼun des gouverneurs, et pour cette occasion -avait pendu led. battail en lad. cloche, disant quʼil ne voudrait -avoir entrepris aucune chose contre le bien de lad. ville et était -prêt descendre led. battail. » - -Le sieur Regnier, malgré ses protestations, dut sembler quelque peu -suspect, puisque nous voyons quʼun an après environ [17] on fit -« défense, sous peine de la vie, dʼouvrir ou faire ouvrir à personne -lʼhuis de la porte de lʼhorloge, sans exprès commandement des -gouverneurs. » - -Dʼailleurs, quand les troubles religieux ou civils se prolongeaient, -les gouverneurs de Caen, sʼils se défiaient des sentiments des gens de -la commune, mettaient en interdit lʼhorloger et la cloche elle-même du -beffroi. Et au nom du roi, représenté par son lieutenant, la sonnerie -de lʼéglise St-Pierre était priée de faire lʼintérim. Cʼest du moins ce -qui ressort de ce passage des anciens registres de la ville, à la date -du 26 juin 1593: « Arrête quʼil sera fait ordonnance à M. -Richard de La Brousse, prêtre, custos de lʼéglise de St-Pierre, de la -somme de six écus, pour son salaire dʼavoir sonné la cloche pour la -retraite des bourgeois, afin quʼils ne divaguent et soient trouvés -par les rues, après neuf heures sonnées, suivant quʼil a été -ordonné par M. de La Verune, et qui est à raison dʼun écu par -mois. » - -Outre les suspensions dont il était menacé pendant les troubles, -lʼinfortuné gouverneur de lʼhorloge se voyait quelquefois exposé, dans -des temps paisibles, à payer des -dommages-intérêts quand la vieille machine, dont il avait la direction, -venait à commettre quelque bévue bien excusable à son âge. Cʼest ainsi -quʼon trouve dans les archives municipales, à la date de 1579, « une -plainte contre le gouverneur de lʼhorloge, attendu que laditte -horloge ayant sonné sept heures quand il nʼen était que cinq, des -maçons et des couvreurs quittèrent leur travail, ce qui causa un -préjudice à celui qui employait ces ouvriers. » - -Plus tard, lorsque les guerres, religieuses ou civiles, eurent cessé, -le « gouvernement et entretenement » de lʼhorloge furent moins -onéreux. Pour quelques soins dʼentretien, lʼhorlogeur, comme disent -les archives municipales à la date du 9 juin 1732, était exempté du -logement des gens de guerre, ce qui équivalait pour le temps à un -traitement très-acceptable. La cloche quʼil sonnait dʼailleurs ne -jetait que rarement lʼalarme dans la ville; elle retentissait surtout -pour annoncer des fêtes; et cʼétait du beffroi de lʼHôtel de Ville que -partait le signal qui mettait en branle toutes les cloches des -couvents et des églises [18]. - -Cette cloche, qui avait joué un rôle si important dans lʼhistoire de -Caen, ce précieux souvenir subsistait encore en 1808. Mais le premier -empire, se souciant peu sans doute de conserver un bronze qui -rappelait les franchises communales de lʼancienne France, ordonna de -fondre la cloche historique, sous prétexte dʼoffrir à [19] lʼéglise -St-Pierre une sonnerie plus à la mode. - -Nous avons dit précédemment quʼà partir de la seconde -moitié du XVIe siècle, il avait été souvent question de remplacer la -maison commune du pont St-Pierre par une autre construction plus vaste -et plus solide. Mais, avant que ce projet eût été réalisé, les -échevins durent abandonner plusieurs fois, malgré eux, le second -Hôtel de Ville. Ce premier exil leur fut imposé par le maréchal de -Brissac à la suite des troubles religieux qui avaient éclaté à Caen en -1562. Quoique le calme fût depuis longtemps rétabli dans la ville, le -Maréchal donna aux échevins lʼordre de lui céder la maison commune -pour y établir un corps de garde. On était au 8 septembre 1563; le -corps de ville se réunit, délibère et arrête « quʼune députation sera -envoyée au Maréchal pour lui remontrer lʼinconvénient de transporter -les meubles et un nombre infini dʼécritures, touchant le bien et -revenu de la ville, et la difficulté de trouver une autre maison... » -Le maréchal de Brissac ne se laissant pas toucher par de si bonnes -raisons, les échevins déclarent à M. de Bourgueville, lieutenant -particulier, quʼils ne quitteront la maison commune quʼaprès avoir -fait un inventaire en présence du bailli ou de son lieutenant. LʼHôtel -de Ville servait, en effet, tout à la fois dʼarsenal et de magasin de -dépôt. Peu de mois auparavant, à lʼépoque du sac de la ville par les -Protestants, le commis des administrateurs de lʼHôtel-Dieu y avait -apporté un calice en argent, deux calices en vermeil et une croix en -argent avec le crucifix; dʼautres ornements dʼéglise, provenant de -St-Étienne et de St-Pierre, y avaient été déposés vers le même temps; -et toute une salle contenait le plomb que les Protestants, suivant un -rapport erroné de M. de Bras, auraient arraché aux toitures de -lʼabbaye de -St-Étienne [20]. On y trouvait aussi des armes diverses, des fusils [21] -et deux canons pacifiques qui ne faisaient entendre leur voix que dans -les cérémonies publiques, fêtes anniversaires, entrées de princes et de -souverains [22]. - -Dès quʼils eurent appris ce qui se passait à lʼHôtel de Ville, le -prieur de lʼabbaye de St-Étienne et les trésoriers de St-Pierre -accoururent et réclamèrent leurs ornements dʼéglise. On proposa à lʼun -des échevins de recueillir chez lui les autres objets; mais, comme il -refusait dʼaccepter la responsabilité dʼun tel dépôt, M. de -Bourgueville, sieur de Bras, qui présidait à lʼinventaire du mobilier, -remit les clefs « au mestre de camp des vieilles bandes de -Piémont, à ce commis par M. de Brissac, le requiérant de nʼôter, -ni transporter aucune chose dʼicelle maison de ville. » - -Le conseil était bon à donner, mais difficile à suivre, pour des -soldats qui devaient être portés à considérer comme des rebelles les -magistrats dont ils prenaient la place. Ils furent probablement -contenus dʼabord par le maréchal de Brissac, qui était aussi juste que -brave; malheureusement le duc de Bouillon, en prenant le commandement -après la mort de Brissac, apporta un esprit dʼintolérance qui pouvait -servir dʼexcuse aux excès des gens de guerre placés sous ses ordres. -Voici, en effet, dans quels termes le duc de Bouillon sʼadressa aux -échevins dès quʼil fut arrivé à Caen: - -« Il est enjoint et commandé aux échevins de la ville de Caen de -fournir et bailler au corps de garde du pont St-Pierre le nombre de -six bûches, six fagots, douze chandelles de trois deniers pièce et -tel nombre de tourbes qui puisse garder le feu pour allumer les -mèches jour et nuit, le tout par chacun jour, à commencer le 1er -oct. et finir le 31 mars. Et le reste de lʼannée, sera réduit à la -moitié. - -« Davantage ordonnons quʼil sera baillé aux soldats de la garnison -de cette ville vingt chambres près et à lʼentour du pont St-Pierre -pour les loger, parce que ceux qui fourniront lesd. chambres ne -bailleront aucune chose, mais sera le linge, vaisselle et lits, -fourni par égalité par les autres bourgeois et habitants de lad. -ville [23]. » - -Tel était le langage que tenaient les représentants de lʼordre aux -bons bourgeois quʼon venait sauver malgré eux. Les actes ne le -cédèrent pas aux paroles. Huit jours après lʼordonnance du duc de -Bouillon, le conseil de la commune était obligé de prendre des mesures -pour réparer les dégâts commis par les soldats, chargés de protéger la -ville contre ses passions subversives. - -« Il a été avisé sur ce qui a été ventilé et averti que les -soldats, faisant la garde sur le pont St-Pierre, font grandes -démolitions en la maison sur led. pont, tant aux planchers quʼaux -couvertures de lad. maison, que M. de Laguo, gouverneur en cette -ville et château, sera de ce averti, même que le lieu sera vu et -visité par les gouverneurs, présence de M. le Lieutenant, pour, ce -fait et le procès-verbal vu, -être ordonné sur les réparations qui seront trouvées nécessaires, -ainsi quʼil appartiendra. » - -Tandis que ces défenseurs de la propriété démolissaient les planchers -et les charpentes de lʼédifice du pont St-Pierre pour les vendre ou en -faire du feu, les élus de la cité, chassés du lieu ordinaire de leurs -séances, délibéraient à tour de rôle les uns chez les autres, en -attendant quʼils eussent trouvé un Hôtel de Ville provisoire. Ils -sʼinstallèrent enfin, vers le milieu de lʼannée 1565, dans une maison -appelée Parc-le-Roi et qui était bâtie sur des terrains voisins de -lʼendroit où se trouve aujourdʼhui le passage Bellivet. Ils y -restèrent exilés jusquʼau 15 mai 1572. A cette date, une ordonnance du -maréchal de Montmorency ordonna « que la maison de ville serait -rendue aux maire et échevins... pour en jouir comme ils faisaient -auparavant les troubles. » - -Malgré cette promesse, lʼHôtel de Ville fut de nouveau occupé par les -soldats du roi, en 1574: on permit toutefois aux « bourgeois -habitants de la ville de continuer à y tenir leurs assemblées. » Les -échevins acceptèrent cette communauté dʼhabitation, mais avec -certaines précautions. Sʼils consentirent à risquer leurs personnes, -ils eurent soin de laisser leurs papiers, registres, vaisselles et -argenterie dans la maison du Parc-le-Roi, quʼils avaient confiée à la -garde du greffier de lʼHôtel de Ville. Ils avaient oublié -malheureusement que leur greffier était lui-même sous la garde des -défenseurs de lʼordre, venus pour protéger les habitants contre leurs -propres égarements. Or, il arriva quʼun beau matin le greffier et son -fils furent assaillis dans leur lit par « des gens de guerre, soldats -ou autres, comme il est écrit dans les anciens registres de -lʼHôtel de Ville [24], ayant lʼarquebuse et feu à mèche, lesquels -se sont efforcés de rompre lʼhuis du dépensier pour avoir, comme ils -disaient, de la vaisselle, afin de la porter « en une taverne pour -leur servir à dîner. » - -Une troisième fois, les maire et échevins de Caen eurent le privilège -dʼêtre protégés dʼune façon analogue en 1589, pendant les troubles -de la Ligue. Cette fois, ils furent tout à fait mis à la porte de la -maison commune et obligés de délibérer chez des particuliers jusquʼà -leur rentrée, à la date du 12 janvier 1590. Mais, avec le temps, -le Gouvernement se poliça et apprit lʼart de commettre sans brutalité -des violences dites légales. Dès lʼannée 1610, nous voyons le pouvoir -central remplacer à Caen les représentants élus de la cité par des -créatures du Gouvernement [25]. Cʼest ce que nous appelons aujourdʼhui -une commission municipale, procédé que lʼon pourrait croire -dʼinvention toute moderne et qui devrait, au contraire, figurer dans -lʼinventaire du vieux-neuf si spirituellement dressé par M. -Fournier. - -Quand on leur laissait la libre possession de leur Hôtel de Ville, les -échevins nʼétaient pas encore à lʼabri des tracasseries du -Gouvernement. Il y avait souvent assez dʼennuis attachés à leurs -fonctions pour quʼils préférassent lʼobscurité de la vie privée au -relief décevant de la vie publique. Aussi arrivait-il quelquefois -quʼon les obligeât à exercer leur charge malgré -eux. En 1563, par exemple, une sentence du bailliage condamne « les -sieurs Lebrethon et Anger, élus, à exercer la charge dʼéchevins, -malgré leur refus, et à prêter serment, ce à quoi ils seront -contraints par la prise de leurs corps et biens [26]. » Même dans -des temps moins troublés, comme dans la période du XVIIe siècle, il -sʼélevait à tout instant des conflits entre le pouvoir central, qui -imposait exceptionnellement une ville écrasée déjà par les taxes -ordinaires, et les représentants de la cité, qui défendaient leur -caisse avec lʼénergie du désespoir. - -Les échevins ne perdaient dʼailleurs jamais une occasion de se -plaindre. Ainsi, en 1602, le Roi eut la maladresse de leur adresser -des lettres closes, pour leur demander conseil sur le fait des -monnaies. « Elle leur ordonne, disaient ces lettres, écrites à -Poitiers le 25 mai, donner avis de ce qui se pourrait faire pour -empêcher la rareté quʼon voit en ce royaume des monnaies dʼor et -dʼargent au coin et armes de France, et sʼil est expédient donner -cours en son dit roy. aux monnaies étrangères. » Les échevins -sʼempressent de convoquer les notables habitants de la ville pour leur -lire les lettres du Roi en présence du procureur de Sa Majesté. Et -quand cette formalité est accomplie, ils rédigent, séance tenante, -une réponse où la critique la plus vive des actes du Gouvernement se -cache sous les apparences du plus profond respect. « Ouï sur ce -plusieurs propositions et avis des assistants, disaient les échevins -[27], a été trouvé bon quʼil -soit remontré à Sa Majesté, avec leur humilité et obéissance, -que la rareté dʼor et dʼargent, qui est si grande entre ses -sujets, vient de ce quʼils sont contraints en fournir plus quʼils -ne peuvent pour les nécessités des affaires de Sa Majesté, pour -lesquelles, comme il est vraisemblable, lʼor et lʼargent au coin -et armes de France est transporté aux étrangers, qui le retiennent -comme le meilleur; et sont les choses venues à ce point quʼentre -les plus aisés, y en a si grande rareté que, pour leurs menues -affaires, ils sont contraints stipuler de payer ceux desquels ils -se servent en blé, cidre, bestiaux ou quelques autres denrées, -quʼils peuvent avoir de leur cru ou industrie. Occasion de quoi -Sa Majesté est très-humblement suppliée que, pour éviter quʼils ne -soient encore réduits en plus grande extrémité, il lui plaise leur -donner quelque diminution des levées de deniers de toute sorte, qui -se font sur eux, et cependant continuer le cours en son royaume de -toutes espèces dʼor et dʼargent quelles quʼelles soient, pour leur -juste et légitime valeur... » - -Avec leur finesse normande, les administrateurs de Caen avaient deviné -quʼon ne les consultait si poliment aujourdʼhui sur la question des -monnaies que pour leur en réclamer demain impérieusement. Et, sans -doute, tout en donnant une leçon spirituelle au pouvoir, ils avaient -espéré éloigner cette menaçante échéance. - -Malheureusement, lorsquʼil nʼosait plus réclamer de la ville des -secours en argent, le Gouvernement les exigeait en nature. En 1626, -peu de temps avant le siége de La Rochelle, le sieur du Carlo, -ingénieur de Sa Majesté, est envoyé -à Caen pour obliger les échevins à « acheter trois vieux vaisseaux -et les faire conduire à leurs dépens à lʼîle de -Ré pour le service de Sa Majesté et pour lʼutilité du -public... [28]. » - -Ce public arrivait bien là comme des excuses après le coup de bâton -qui vous a assommé! En 1626, on demandait de vieux vaisseaux; au -mois dʼoctobre 1647, on exige des habits neufs. « Il a été apporté, -disent les anciens registres de lʼHôtel de Ville, des lettres de -cachet, données à Fontainebleau le 13 de ce mois, par lesquelles Sa -Majesté mande et ordonne aux sieurs Echevins de lʼassister de 500 -paires dʼhabits complets, consistant en pourpoint long en forme de -justaucorps, haut et bas de chausses, de drap le plus propre à -résister à lʼinjure du temps, avec des bonnets et autant de paires -de souliers, et de faire que ces habillemens et chaussures soient -de trois grandeurs, un quart pour des hommes de la plus grande -taille, autant pour des plus petits et la moitié pour des moyens, -et que le tout soit fourni dans la fin du présent mois ès mains de -ceux qui en auront ordre de Sa Majesté, pour les faire -transporter en ses armées. Arrêté quʼaprès les publications dʼusage, -il sera fait adjudication au rabais de la fourniture de 250 paires -dʼhabits et que remontrances seront faites au Roi et à Nosseigneurs -de son Conseil pour être la ville déchargée de la fourniture des -autres 250 paires, attendu sa grande misère et surcharge de lad. -taxe. » - -Ce fut surtout en 1659 que les échevins durent repousser, -avec lʼéternel argument tiré des malheurs de la ville, un des plus -terribles assauts que la caisse municipale ait jamais eu à soutenir. -Il sʼagissait dʼun don gratuit à lʼoccasion du mariage du Roi. Les -archives de la ville, à la date du 12 septembre 1659, nous -apprennent ce que Louis XIV entendait par un don gratuit. - -« Sur la lecture faite en cet Hôtel commun de Lettres de cachet du -Roi, du 6 août dernier, mises ce matin ès mains des sieurs Echevins -par M. du Boullay Favier, intendant en cette généralité, par -lesquelles Sa Majesté demande à cette ville, en don gratuit, la -somme de 50,000 liv. pour les frais du mariage du Roi; après avoir -envoyé lʼhuissier de la ville vers M. le Lieutenant général, pour -le convier de se trouver en cet Hôtel commun, lequel a rapporté que -led. sr était absent, il a été arrêté quʼil sera écrit par -lʼordinaire de ce jour à Son Altesse, pour a supplier de vouloir -interposer son autorité pour faire réduire et modérer lad. somme de -50,000 liv. à quelque somme modique, vu les grandes charges de -cette ville et de lʼimpuissance où elle est de fournir lad. somme. » - -Trop heureux encore les échevins quand on leur permettait de -marchander ainsi avec le pouvoir; celui-ci imposait le plus souvent -sans discussion, et, quand il nʼy avait plus rien à prendre dans les -caisses vides, il jetait en prison le receveur de la ville, comme nous -lʼapprend une délibération du 17 novembre 1640, où lʼon voit que -lʼaprès-midi sʼest passée à la poursuite de la délivrance de M. -du Taillis, emprisonné au Château pour le paiement de la -subsistance des gens de guerre du présent quartier dʼhiver. » - -Pour apitoyer ces bourreaux dʼargent, les échevins mettaient -quelquefois en action le proverbe, qui prétend que les petits cadeaux -entretiennent lʼamitié. « Il a esté conclu, disent les anciens -registres au 1er avril 1567, quʼils (les échevins) se présenteront -vers M. de Brunville, lieutenant général, pour lui parler des -priviléges de la ville..., et que, en faveur du mariage de la -fille dudit sieur lieutenant, il sera délivré aux nopces une pièce -de vin doux... » Ces sortes de dépenses étaient même portées -régulièrement sur le budget de la ville; ainsi, dans lʼétat des -finances du 1er mai 1679, on trouve inscrits par estimation 300 -livres « pour vins et confitures de présent », avec cette -condition toutefois « quʼil ne pourra être donné à chaque personne -plus de deux douzaines de bouteilles de vin et deux douzaines de -boîtes de confitures. » - -Lʼimportance des cadeaux variait cependant suivant le rang des -personnages et la protection que la ville pouvait en attendre. Cʼest -ainsi que, lors du mariage de M. du Quesnay Le Blais, lieutenant -général, on remplaça le vin ou les confitures par des présents plus -sérieux. - -« Pour triompher de la joie que la ville reçoit dud. mariage le -jour dʼhier célébré, disent les anciens registres de juillet 1637, -il a été arrêté que le sr de Bretteville Rouxel, échevin, et de -Bauches, syndic, assistés de Beaussieu, greffier, iront saluer -led. sr lieutenant général et dame son épouse, à laquelle ils -porteront, de la part de la ville, une table de linge fin à haute -lisse. - -« Cette conclusion a été exécutée led. jour après midi et -consistait lad. table de linge en un grand doublier de cinq -aunes, en un petit de trois aunes et deux aunes de large -chacun, en deux douzaines de serviettes et deux serviettes à laver, -qui fut acheté chez M. Graindorge, me façonneur de haute lisse le -plus expert de cette ville, et coûta 300 liv., de laquelle lesd. sr -et dame furent grandement contents et en remercièrent la ville. » - -Nous avons essayé de reconstituer, à lʼaide de dessins originaux et -dʼanciens manuscrits, la vue extérieure du second Hôtel de Ville de -Caen, et indiqué rapidement les exils et les tribulations que les -échevins eurent à subir depuis la construction de cet édifice jusquʼà -sa démolition en 1755. Nous allons, avec les mêmes guides, entrer -dans lʼintérieur de la maison commune du pont St-Pierre. Voici dʼabord -sur la cheminée de la salle des délibérations un buste du souverain -régnant, usage que notre siècle a conservé et qui semble remonter -assez loin dans le passé. Les anciens registres disent en effet, à la -date du 11 septembre 1679: « Il a été accordé à Jean Postel, -sculpteur de cette ville, lʼexemption de tout logement de gens de -guerre et contributions dʼustensile, en considération des services -par lui rendus à la ville et notamment de ce quʼil a fait un buste -représentant la personne du Roi, à présent régnant, pour placer -sur la corniche de la cheminée de cet Hôtel commun; pour lequel -il sʼest seulement contenté des frais par lui faits, ayant remis -volontairement à la ville ses peines et travaux. » - -De la salle des délibérations le regard sʼétendait de deux côtés sur -une vue ravissante. « Et, dit M. de Bras dans ses Recherches et -antiquitez de Caen, de la haute salle de ceste maison où se font les -assemblées et conventions publiques, -lʼon voit au droict de la rivière, vers lʼOrient, arriver les -navires venans de la mer, chargez de précieuses et rares -marchandises que lʼon descend à lʼendroit de dix grands quaiz du -quartier de lʼIsle... Et par les fenestres et croisées de lʼautre -costé, lʼon a un plaisant regard sur les prais, et une -perspective et veuës des plus plaisans et agréables -paisages quʼon puisse voir. » - -La maison commune de Caen ressemblait un peu trop malheureusement à -ces petits appartements que lʼon montre aux locataires, en les -conduisant aux fenêtres qui sʼouvrent sur de vastes squares, ou sur -les jardins des grands hôtels du voisinage. Son unique salle, qui -devait servir tant aux réunions du conseil quʼaux réceptions -officielles, ne pouvait contenir les quarante convives du dîner du -mercredi des cendres, que lʼon donnait aux notables qui avaient -assisté à lʼélection des administrateurs de la ville [29]; aussi les -échevins en étaient-ils réduits souvent à offrir une simple collation, -comme cela se fit le 23 juin 1652 pour les comtes de Dunois et de -Saint-Pol, qui avaient accepté lʼinvitation de mettre le feu au bûcher -de la St-Jean sur la place St-Pierre. « Quelque peu de temps après, -disent les anciens registres de la ville [30], leurs d. Altesses -ayant témoigné être prêts de se mettre -à table pour faire collation, laquelle était préparée dans led. -Hôtel de Ville, il leur avait été présenté par les srs de Rotot et -de Sannerville, 1er et 2e échevin, deux serviettes mouillées pour -laver leurs mains, et après se seraient mis à la table dans deux -chaires où il y avait des carreaux de velours cramoisi, ayant -devant eux leurs cadenas et couverts ordinaires; et parce quʼil -nʼavait été mis sur lad. table que quatre couverts, pour M. de -Chamboy et ceux auxquels Son Altesse ordonnerait de sʼasseoir, -MM. de la ville ayant fait dessein de ne sʼy mettre pas afin de -faire mieux les honneurs de la ville et témoigner plus de respect -à leurs Altesses, M. le comte de Dunois aurait pris la parole et -dit quʼabsolument il ne mangerait point si lesd. sieurs ne se -faisaient apporter des couverts et des siéges pour se mettre à -table et faire collation avec lui. A quoi ayant été résisté -longtemps par led. sr de Tilly, échevins et officiers de lʼHôtel de -Ville, enfin Son Altesse leur aurait dit quʼelle désirait que cela -fût et quʼelle était venue pour boire avec eux: à quoi ayant obéi -ils auraient pris leurs places et M. le comte de Dunois, après -avoir mangé quelque temps, avait dit hautement quʼil fallait boire -la santé du Roi, et sʼétant fait donner du vin et de lʼeau et à -M. le comte de Saint-Pol, son frère, ils se seraient levés debout -dans leurs chaires et mis lʼépée nue à la main, et, en cette -position, auraient bu la santé de Sa Majesté et cassé leurs verres, -témoignant un grand zèle et affection à son service, ayant même -fait tirer du château à cet effet plusieurs coups de canon; en -quoi ils avaient été invités par M. Lejeune, fils de M. de -Chamboy, qui avait -accompagné leurs Altesses, et ensuite M. de Chamboy avait aussi bu -la santé de Sa Majesté, ainsi que toute la Compagnie. » - -Le petit édifice du pont St-Pierre était si étroit que le greffier -lui-même ne pouvait y demeurer et quʼil emportait à son domicile la -plupart des registres, pièces, clefs et cachets qui nʼauraient jamais -dû sortir de lʼHôtel de Ville [31]. Lʼhuissier de la ville seul y -avait un logement. Plusieurs pièces servaient, comme nous lʼavons déjà -vu, dʼarsenal et de magasins. Dans une des quatre tours, qui -flanquaient les angles de lʼédifice, se trouvaient des cachots -destinés aux gens arrêtés le soir par le guet, et où lʼon devait -« les mettre jusques au Jour, dit M. de Bras, et les rendre à la -justice sans en prendre aucune congnoissance, et par le juge -ordinaire en est faict le procez et ordonné de telle punition qui -appartient au cas. » - -M. de Bras nous dorme encore quelques détails intéressants sur le -corps de garde qui était placé sous le pont St-Pierre. « Le sieur -capitaine dudict Caen, écrit-il, pour garder les habitans en -patience la nuict, doibt commettre un mareschal de guet pour obvier -aux bruits de nuict, et quʼil ne se commette aucuns larcins ny -insolences. Lequel mareschal convoque à ceste fin les Bordiers, -cʼest-à-dire locataires qui nʼont maison et ne sont bourgeois, en -nombre suffisant; et estans soubs le pont sainct Pierre, dict de -Dernetal, qui est la maison de ville, et en temps dʼhyver doibt -avoir du feu et chandelle en une lanterne haut eslevée, et sʼil se -faict quelque bruit, ledict mareschal et aucuns des siens sʼy doibt -transporter, et se saisir de tels mutins... » - -Malgré lʼexiguïté de leur Hôtel de Ville, les échevins trouvaient -encore le moyen de sʼy entourer de quelques locataires. Ainsi nous -voyons, dans les anciens registres, un cordonnier « requérir lui être -baillé et délaissé une petite place vide entre lʼune des tours du -pont St-Pierre et le coin de la muraille tendant aux Carmes, en -laquelle place soullait avoir un appentif servant dʼouvroir... » [32]; -en 1075, cʼest une demande de permission « pour establir de la -mercerie sur le pont St-Pierre »; en 1577, une autre demande -« pour y establir des fruitages »; en 1578, une requête dʼun -sieur Charles de Bourgueville (était-ce un parent de M. de Bras?) -pour « étaler sa marchandise sur le même pont. » Les échevins -retiraient souvent plus dʼennuis que de profit des autorisations -quʼils accordaient, comme cela est prouvé par une délibération du 21 -mai 1580, qui mentionne quʼil « était advenu grand désordre et -scandale par deux femmes, lʼune lingère et lʼautre rubannière, -auxquelles avait été par ci-devant permis prendre place sur le pont -St-Pierre, sous cette maison de ville, pour vendre les ouvrages de -leurs métiers, sous espoir quʼelles sʼy comporteraient en tout -honneur et modestie... » - -La description de lʼancien Hôtel de Ville de Caen serait -incomplète si, après avoir montré ce quʼil était en temps ordinaire, -nous nʼessayions pas de donner une idée de la physionomie quʼil -prenait pendant les jours de fête. - -Lorsquʼun nouveau gouverneur de la ville et du château faisait son -entrée à Caen, on plaçait aux fenêtres de la maison commune quatre -armoiries, savoir: celles du roi, du gouverneur, de la province et de -la ville. Le corps de ville allait le saluer à lʼhôtel où il était -descendu. Le premier échevin lui faisait le compliment dʼusage avant -de lui présenter les clefs de la ville, que le gouverneur acceptait et -renvoyait par son écuyer. Si le gouverneur était marié, le corps de -ville se présentait de nouveau à son hôtel pour saluer sa femme, et, -après le départ des échevins, lʼhuissier de la ville présentait à la -femme du gouverneur le vin, deux douzaines de boîtes de confitures, -avec une corbeille garnie de quantité de rubans et remplie de six -bourses. Le lendemain ou surlendemain de lʼentrée du gouverneur, le -corps de ville, assemblé pour le recevoir, sortait de la maison -commune, « précédé de lʼhuissier ordinaire avec sa toque de -velours, et des six sergents royaux et sergent général avec leurs -écharpes, ayant un trompette à la tête » pour se rendre en lʼhôtel -du gouverneur. Après lʼavoir salué, il lʼaccompagnait à la maison -commune, où le gouverneur prenait séance au bout de la table, « dans -un fauteuil dans lequel il y avait un carreau de velours. » - -Cʼest ainsi, du moins, que les choses se passèrent le 1er avril -1680, lors de lʼarrivée du comte de Coigny, récemment nommé -gouverneur des ville et château de Caen. - -On se mettait naturellement en frais lorsquʼil sʼagissait dʼun -souverain ou dʼun prince de lʼÉglise, surtout quand le -roi, comme il le fit lors de lʼentrée du cardinal de Farnèse, se -donnait la peine dʼécrire « par ses lettres missives aux échevins de -la ville quʼils eussent à lui faire en icelle réception honorable -[33]. » - -Alors on faisait peindre des emblèmes, des écussons et des tableaux -allégoriques quʼon suspendait aux murs de lʼHôtel de Ville, tant du -côté de St-Pierre que du côté de la rue St-Jean. Puis, cʼétaient des -illuminations et le vin qui, pendant plusieurs heures, coulait -abondamment par les fenêtres pour le peuple. - -Le 16 janvier 1679, à lʼoccasion de la paix qui venait dʼêtre signée -entre le roi de France et le roi dʼEspagne, « pour marquer la joie -publique, le beffroi était orné de tapis et dʼun étendard avec -plusieurs branches de laurier, dont on sonna la grosse cloche dès 4 -heures du matin, et lʼHôtel de Ville, dʼun grand tableau de chaque -côté avec plusieurs écussons, éclairés de plusieurs flambeaux, dont -lʼun représentait sa Mté à cheval, couronnée par un ange, foulant -aux pieds et terrassant la Guerre, la Discorde et lʼEnvie; et -lʼautre, la Paix descendant du ciel en terre, dans un char de -triomphe, tiré par des amours, précédé de la Renommée et y -apportant lʼabondance. » - -Le sujet des tableaux variait suivant la circonstance qui donnait lieu -à la fête. Le 11 août 1659, « pour le mariage du roi, disent les -anciens registres, le vin de lʼHôtel de Ville coula, du côté de -St-Pierre, par deux canaux faits exprès dans le tableau du Dieu -dʼHyménée. » Et, quelque deux -ans après, lorsquʼon fit des réjouissances publiques pour la -naissance du Dauphin, il y eut une distribution de vin au peuple par -une fontaine qui sortait dʼun dauphin, figuré à lʼune des fenêtres de -lʼHôtel de Ville [34]. - -On croirait volontiers que ces peintures décoratives, appropriées aux -circonstances, devaient entraîner pour la ville des dépenses -considérables; mais un Mémoire des dépenses faites pour lʼentrée du -duc de Joyeuse [35] nous montre que les nécessités du budget avaient -créé à Caen un genre nouveau quʼon pourrait appeler la peinture -économique: « des tableaux de 12 pieds sur 8 nʼy sont cotés que 6, -8 et 10 écus. » La place, comme on le voit, ne manquait pas aux -artistes pour se mettre en frais dʼimagination; mais il est probable -quʼils en donnaient à la ville pour son argent. - - - - -LʼANCIEN PORT DE CAEN - -[Illustration: LʼANCIEN PORT DE CAEN] - -LʼANCIEN PORT DE CAEN - -NOTICE HISTORIQUE - -SUR LES TRAVAUX AUXQUELS IL A DONNÉ LIEU - -LE port de Caen est aussi ancien que la ville. Dès lʼan 1026, il -avait assez dʼimportance pour que la dîme des produits de sa douane -fût attribuée par Richard II, comme une donation sérieuse, -à lʼabbaye de Fécamp. Au temps du duc Guillaume, sa prospérité fut -encore augmentée par la conquête de lʼAngleterre, qui amena -nécessairement un échange de productions entre la Normandie et le -royaume nouvellement conquis. - -Jusque-là, les navires nʼavaient eu pour principale station que le -cours du Grand-Odon, depuis lʼendroit où cette rivière se jetait dans -lʼOrne, cʼest-à-dire vers le point où est actuellement le pont des -Abattoirs, jusquʼau pont de Darnetal, appelé plus tard pont St-Pierre. - -La première amélioration du port fut entreprise par le -duc Robert, fils de Guillaume le Conquérant, vers lʼannée 1104. Après -avoir renforcé lʼOdon dʼune branche de lʼOrne, à laquelle la postérité -reconnaissante a conservé le nom de canal du duc Robert, le duc fit -creuser à lʼOdon un nouveau lit dans la prairie St-Gilles, pour -lʼélargir et le rejeter un peu plus haut dans lʼOrne, vers le lieu -quʼon appelle encore le rond-point. Grâce à ces travaux, des bâtiments -plus forts purent remonter jusquʼau pont St-Pierre. - -Ils y vinrent en si grand nombre que, quelque dix ans après cette -première amélioration, la vue du mouvement du port excitait -lʼadmiration dʼun certain Raoul Tortaire, moine de lʼabbaye de -St-Benoît-de-Fleuri (Loiret), qui nous a laissé une curieuse relation -en vers latins du voyage quʼil avait fait en Normandie, à une date -quʼon peut fixer dʼune manière certaine entre les années 1107 et -1113. - -« Le port, dit-il dans son poëme, donne asile à quelques gros -vaisseaux que lui envoie la mer, dont les ondes, dans leur flux, -suspendent presque entièrement le cours de la rivière. Ce sol, -fécond en moissons, ne connaît pas lʼombrage des forêts; la noix -gauloise, le raisin, la figue et lʼolive lui manquent; mais lʼîle -Britannique lʼenrichit des produits divers du commerce et de ce -quʼenfantent les terres baignées par la mer dʼOccident. » - -Ébloui et tenté par le nombre et lʼéclat des étoffes de laine de -diverses couleurs, des tissus de lin dʼune rare finesse, des soies -moelleuses à trame serrée, et des autres marchandises quʼon débarque -sur le quai, le bon moine sʼécrie naïvement: « A la vue de tant de -richesses apportées des pays les plus divers par des hommes, dont -les vêtements sont si disparates, -je me sens tout agité et horriblement malheureux de ne -pas avoir dʼargent! ». - -Ces brillants produits de lʼOrient, qui faisaient regretter au bon -religieux ses vœux de pauvreté, étaient échangés contre le blé, -lʼorge, le hareng salé qui servait à lʼapprovisionnement des places -fortes, et aussi contre les pierres à bâtir tirées des carrières de -Vaucelles et de St-Julien. - -Au XIIIe siècle, lʼaffluence des « navires chargés de toute sorte de -marchandises » est encore affirmée en vers latins, par Guillaume Le -Breton [36], historiographe de Philippe-Auguste. Mais le mouvement du -port dut singulièrement se ralentir pendant les malheurs de la guerre -de Cent-Ans, les troubles de la Ligue du bien public et les -dévastations des guerres de religion. Durant cette longue période de -désastres, aucune amélioration nouvelle ne fut, on le comprend, -apportée à la situation du port. - -Cependant, il en eût exigé dʼurgentes; car, tandis que le pays -commençait à se débarrasser de ses ennemis, le port de Caen subissait -un autre genre dʼinvasion qui devait compromettre sa fortune et le -menacer dʼune ruine prochaine. Lʼhistoire du port, à partir du XVIe -siècle, ne se compose guère, en effet, que de la relation des -envasements successifs de lʼOrne, des projets quʼon proposa et des -travaux qui furent tentés pour remédier à cet état périlleux pour la -navigation. Ces envasements redoutables tenaient à la nature des -terrains où lʼOrne sʼétait creusé son lit capricieux. Le sol des -prairies de Caen jusquʼà la mer nʼest, en effet, que le -produit des matières que lʼeau de la rivière et le flux des marées -avaient successivement déposées dans lʼancienne baie. Des fouilles, -exécutées à la fin du XVIIIe siècle pour creuser le nouveau canal de -lʼOrne, ont donné lieu à des découvertes qui sembleraient prouver que -cette alluvion ne sʼest pas accomplie avec la lenteur que met -habituellement la nature dans son patient travail des siècles. Telle -est, du moins, lʼopinion dʼun observateur du temps, qui pense que le -sol de lʼancienne baie de Caen se serait exhaussé de 6 mètres environ -depuis la fin du IIe siècle de notre ère [37]. On comprendra aisément, -après cette explication, que dans un terrain si mobile, composé de -tangue, de coquilles, de sable et de bois pourris, le double mouvement -des eaux de la rivière et du flux de la mer ait formé dans le lit de -lʼOrne, dʼailleurs trop sinueux, les atterrissements qui ont fait, -jusquʼà nos jours, le désespoir des navigateurs. Les plaintes répétées -des marins et des négociants de Caen qui réclamaient des travaux -dʼamélioration, les fins de non-recevoir des maire et échevins de la -ville, qui approuvaient les lamentations de leurs administrés sans -pouvoir cependant trouver dans leur caisse vide les moyens efficaces -de les consoler, les nombreux projets et plans proposés, tant par des -particuliers que par des ingénieurs, pour porter remède au mal, la -mauvaise volonté du Gouvernement qui, la plupart du temps, faisait la -sourde oreille, quelques commencements dʼexécution, trop souvent -interrompus par la guerre ou par le manque de fonds, formeraient un -chapitre intéressant de lʼhistoire administrative du temps. -Nous allons essayer de lʼécrire. - -La seconde amélioration qui fut apportée à la rivière dʼOrne, depuis -les travaux du duc Robert, date du règne de François Ier. Profitant de -la présence du grand sénéchal, lieutenant du Roy dans la ville, les -officiers et gouverneurs de Caen « luy firent entendre, dit M. de Bras -[38], que la rivière dʼOurne, qui flue par ceste ville, estoit fort -sineuse et tortue depuis le havre dʼOistreham jusques en ceste -ville, et que les navires qui flottoyent par icelle estoyent fort -retardez, et les matelos en peine dʼattendre le changement de vent -et marée, devant quʼils abordassent les quaiz de ceste ville qui -estoit une grande incommodité pour les marchands. Toutefois quʼil y -avoit un endroit en la prairie, au bas du hamel de Longueval, lequel -nʼestoit pas de grande longueur, et que si lʼon y faisait une -tranchée on abrégeroit le cours de la rivière de plus dʼune grande -lieuë, et que cʼestoit lʼendroit auquel les navires commençaient -dʼalonger leur chemin et en peine dʼattendre changement de vent ou -marée. Ayant ledict seigneur entendu ces remontrances, il sʼy -transporte et gens experts et maritimes, et ayant trouvé par leur -advis que une trenchée se pouvait aisément faire en cest endroit, -et que elle estoit bien nécessaire pour la commodité des habitans et -marchands forains, il en fut fait faire un devis. » - -Le Roi autorisa le travail par des lettres patentes du 4 mai 1531, et -un canal, long de 640 toises, fut achevé avec un -plein succès au mois dʼoctobre de la même année. Le 29 juin 1564, -le trésorier général de Caen proposa au conseil de la commune un -ingénieur « nommé le capitaine Foullon, lequel pourrait -entreprendre faire la rivière dʼOrne navigable... » Ce nʼétaient -pas les ingénieurs qui manquaient, mais les fonds; et la ville refusa. - -Il y avait décidément abondance dʼingénieurs sur la place; car, sous -le règne de Henri III, le 26 mars 1580, le lieutenant général François -dʼO écrit aux échevins quʼil leur envoie un nommé Louis de Foix, -ingénieur expérimenté qui a conduit les travaux du havre de Bayonne, -pour voir sʼil serait possible de créer un port à Caen, et, si cela -nʼétait pas praticable à Caen, de visiter le littoral pour choisir un -autre emplacement. - -Les échevins répondent (30 mars) que, dʼaprès lʼavis du sr de Foix, -« il se pourra faire commodément en cette d. ville un des plus -beaux havres de France... et quʼil sera trop mieux pour le bien et -utilité de tout le pays en cette d. ville que en nul autre lieu de -votre Gouvernement. » - -Mais entre lʼacceptation dʼun projet, dont une ville doit tirer -avantage, et le paiement des dépenses quʼil entraînera, il y a plus -loin quʼentre la coupe et les lèvres. Dès le 4 avril, cʼest-à-dire -quatre jours après leur lettre de remercîment à M. dʼO, les échevins -envoient au gouverneur de Caen un délégué chargé de lui dire, entre -autres choses, que « lʼentreprise de faire un havre en lad. ville -est œuvre royale, et digne dʼun grand roi tel que le nôtre et non par -des habitans de lad. ville et gens du pays, pour la pauvreté et -peu de moyens dʼicelui. » - -Nous ne savons si les échevins fondaient de grandes espérances sur -lʼefficacité de ces flatteries, et sʼils pensaient obtenir à si peu de -frais la réalisation des vœux quʼils formaient pour lʼétablissement -dʼun port. Toutefois, ils crurent nécessaire dʼajouter à leurs -injonctions verbales des recommandations écrites, que nous trouvons -dans une lettre du 29 avril. - -« Pour le fait du havre, disaient-ils à M. dʼO, nous vous -supplions, si cʼest votre plaisir, que la confection dud. havre -vint de la volonté et mouvement du Roi, plutôt que nous -baillassions requête par écrit, car nous craindrions que, le port -étant commencé à notre requête, sʼil advenait que les États ne -consentissent faire la levée des deniers et quʼil ne plût à Sa Mté -les faire lever, quʼon ne nous contraignît à le faire achever à nos -dépens, chose à quoi toute la ville ne pourrait satisfaire, comme -étant chose hors notre pouvoir, sans lʼassurance que nous avons de -la bonne volonté que portez à cette votre ville et à tout le pays. » - -Les échevins avaient une si grande confiance dans la bonne volonté des -représentants du pouvoir central, quʼils nʼosaient accepter leurs -bienfaits que sous bénéfice dʼinventaire. La lettre que leur répondit, -à ce sujet, M. dʼO montrera si leur défiance était justifiée. - -« Messieurs, leur répondit le lieutenant du Roi, après avoir trempé -sa plume dans une encre légèrement mélangée de vinaigre, jʼai vu par -votre lettre les doutes que vous faites dʼacheminer la construction -du havre et vous trouve tellement refroidis que je connais assez que -vous nʼen avez guère envie; mais, ne lʼayant désiré que pour votre -bien -et de toute la patrie, si vous ne vous en souciez guère, je -mʼen veux encore moins mettre en peine et ne vous en parlerai plus à -lʼavenir. » - -La mauvaise humeur souligne chaque mot de cette réponse. -On y voit le dépit quʼéprouve un fonctionnaire qui nʼeût pas été fâché -dʼoffrir au Roi un nouveau port, créé aux frais dʼune population que -ruinaient les taxes de guerre. Mais les échevins de Caen devinèrent le -but quʼon poursuivait et, avec toute la politesse imaginable, ils -surent faire à leur gouverneur lʼapplication du vieux dicton qui dit: -« A Normand Normand et demi. » - -Comme le manque dʼargent empêchait les échevins de Caen de lutter -contre lʼenvasement de leur rivière, ils eurent tout le loisir de -défendre celle-ci contre un autre genre dʼennemi quʼils signalèrent à -M. de Joyeuse, amiral de France, dans une curieuse requête du mois -dʼavril 1584. « Comme ainsi soit que depuis quatre à cinq ans, le -sieur de Saint-Victor, votre lieutenant au siége dʼOuistreham, ait -entrepris de visiter et arrêter les navires partant de cette ville -ou arrivant en icelle, chose non jamais auparavant accoutumée ni -pratiquée en cette ville, ni en autres ports ou rivières de ce -royaume, étant chose suffisante dʼêtre visités et les rapports être -faits au lieu où la marchandise est descendue et le certificat -sʼadresse davantage, les pilotes qui étaient volontaires et en -grand nombre, desquels, lorsquʼils voyaient un navire à la mer, -allaient au-devant pour le piloter à lʼentrée et amont la rivière, -ont été par lui réduits au nombre de quatre, auxquels seuls il -permet de piloter, lesquels exigent par ce moyen quatre fois plus -quʼil nʼétait -accoutumé, et leur a défendu de piloter lesd. navires jusquʼà ce -que lui soient allé demander congé dʼentrer, qui contraint lesd. -matelots descendre leur esquif ou petit bateau pour, étant à terre, -aller trouver le sieur de Saint-Victor, qui se tient près dʼune -lieue loin de lad. embouchure, lui demander pilote et congé dʼentrer -et porter leurs certificats et chartes parties, dont est arrivé la -perte de quatre ou cinq navires, depuis led. temps, lesquels, -faute dʼêtre secourus desd. pilotes et battus de mauvais temps ont -été péris davantage, fait ordinairement, prenant excuse de -visiter lesd. navires et de voir leurs certificats, soit en entrant -ou en sortant de lad. rivière, perdre une marée ou deux et la fait -amortir, qui leur cause perdre quinze jours de temps, jusquʼà ce -que la mer revienne pleine, et a tellement ennuyé et fâché lesd. -matelots que, pour les travaux quʼon leur donne aud. lieu -dʼOuistreham, ils ont enchéri le fret aud. supplians de plus des -deux parts. Il a aussi pour les choses susdites fait cesser le -trafic des marchands forains et spécialement des Anglais, lesquels -ordinairement apportant aud. Caen des draps, cristaux et des -cuirs, remportent des toiles de cette ville, un des grands -commerces dʼicelle, à présent totalement anéanti, chose grandement -préjudiciable au public....... A ces causes il vous plaise -ordonner quʼil sera fait défenses au sieur de Saint-Victor dʼarrêter -ni visiter lesd. navires ayant chargé aud. Caen, ni ceux qui y -apportent marchandise et desquels les certificats sʼadressent en -cette ville ainsi que la visitation en sera faite par vos officiers -en icelle, afin quʼon y puisse voir renaître le commerce et -trafic... » - -Tout en essayant de se défendre contre ces sangsues administratives -des marais dʼOuistreham, qui suçaient le plus clair des revenus de -leur commerce maritime, les échevins de Caen faisaient dʼhonorables -mais infructueuses tentatives pour lutter contre lʼenvasement de leur -rivière. Ils avaient, en titre dʼoffice, un épureur ou esperreur de -lʼOrne, chargé du nettoyage de la rivière. Malheureusement, à -lʼimperfection des moyens mécaniques dont disposait cet honorable -fonctionnaire, se joignait encore une négligence, qui a laissé sa -trace dans une délibération du Conseil du 25 mai 1612. « Plusieurs -marchands et maîtres de navires, trafiquant en cette ville, se -plaignent que, dans le cours de la rivière, les navires et bateaux -y abordants sont en péril et danger, à raison que dans le canal de -lad. rivière y a plusieurs grosses pierres contre lesquelles les -navires et bateaux peuvent heurter et entrer en danger dʼêtre -brisés, requérant que lʼesperreur commis pour curer lad. rivière -soit approché. » - -Malgré les plaintes incessantes des marins, le port resta un siècle -environ dans cet état déplorable sans quʼon fît de tentatives -sérieuses pour y remédier. Caen eut enfin la bonne fortune de recevoir -la visite du grand ingénieur Vauban, que Colbert avait chargé -dʼétudier toutes les côtes de France. « Voyant la rade de Colleville -placée très-avantageusement au voisinage de lʼOrne, dit M. Boreux [39], -Vauban comprit que lʼon pouvait tirer très-bon parti de cette -situation. Il projeta donc de faire un port dʼasile dans la rade, dʼy -faire déboucher lʼOrne, de redresser le cours de la rivière entre -Caen et les carrières de Ranville et de rendre navigable sa partie -supérieure jusquʼà Argentan, comme on en avait eu lʼidée à diverses -reprises depuis le règne de Charles VII jusquʼà celui de Louis XIII. » - -Dʼaprès le témoignage de Vauban, Colbert fit expédier, le 6 mai -1679, des lettres-patentes qui autorisaient lʼexécution des travaux -indiqués par le célèbre ingénieur. On commença par faire un -redressement de lʼOrne sur 1,140 toises de longueur, entre les -carrières de Ranville et les moulins de Clopée; cʼest dans ce même -intervalle que, cent cinquante ans auparavant, on avait fait le -redressement de Longueval. Les ouvrages devaient être continués sans -interruption, mais la mort de Colbert vint malheureusement tout -suspendre. - -Lʼamélioration dʼune partie de la rivière nʼinfluant en rien sur le -reste de son cours vers la mer ni sur son embouchure, toutes les -difficultés, tous les dangers y demeuraient les mêmes, et le mal -sʼaccrut de telle sorte que, sur la fin de lʼannée 1731, on se vit -dans la nécessité de faire à ce sujet des démarches pressantes auprès -de lʼintendant; mais elles nʼeurent aucune suite. - -Cependant la situation du port devenait si périlleuse pour la -navigation que le Gouvernement lui-même sʼen émut. Le comte de -Maurepas, ministre de la marine, recommanda à lʼintendant de Caen de -prendre des mesures pour obliger la ville à enlever les vases et les -pierres qui menaçaient de rendre le quai impraticable. Le maire et les -échevins répondirent que la ville nʼétait point en état de faire une -si grosse dépense. « Tout son revenu, disaient-ils en novembre 1735, -qui est de 84,093 livres 10 sous par an, est de 1,537 livres, -17 sous, 4 deniers au-dessous de ses charges annuelles. On ne -peut aggraver, par une nouvelle taxe, la situation déjà bien triste -des habitants dʼune ville dont le commerce est ruiné. » - -Trop préoccupées dʼaligner les chiffres de leur budget, les -administrations ont généralement la vue courte et nʼaperçoivent pas, -par-dessus leur comptabilité, les avantages sérieux que lʼavenir -accorde à ceux qui ont le courage de tenter lʼinconnu. Quelque -précaire que fût lʼétat des finances de la ville, les échevins -auraient dû tenir compte des vœux de leurs concitoyens. Lʼextrême -prudence nʼest pas la vraie sagesse; et il est des occasions où il -faut savoir oser. Lʼinitiative privée eut heureusement lʼaudace qui -manquait à une administration trop économe. Un bon citoyen, -littérateur, poète et savant, qui avait déjà dépensé généreusement des -sommes considérables en exécutant des plans relatifs à un projet de -canalisation de lʼOrne, M. François-Richard de La Londe, sut -communiquer son ardeur patriotique à ses concitoyens. Bientôt, en -1740, une assemblée de notables de la ville et généralité de Caen le -chargea de présenter, en leur nom, au contrôleur général, un mémoire -où M. de La Londe demandait lʼétablissement dʼun port de refuge à -Ouistreham et la canalisation de lʼOrne depuis Argentan jusquʼà la -mer. Le projet fut accueilli favorablement, mais la guerre qui survint -mit obstacle à son exécution. - -Lʼimpulsion était donnée, et de nouveaux mémoires se produisirent en -1747. Enfin, en 1748, après la signature de la paix, M. de La Londe -adressa une nouvelle étude au comte de Maurepas. Le ministre daigna la -prendre en considération -et chargea M. Duhamel, membre de lʼAcadémie des Sciences, de se -transporter sur les lieux pour examiner le cours de lʼOrne et donner -son avis. Le savant minéralogiste vint à Caen et accomplit sa mission -avec un soin scrupuleux. Cependant, malgré son avis favorable, -lʼexécution des travaux fut encore une fois différée. Un aveu inédit -du consciencieux académicien donne lʼexplication de ce retard. Dans -une lettre à M. de La Briffe, du 5 septembre 1748, M. Duhamel, après -avoir rappelé avec reconnaissance lʼaccueil quʼil a reçu à Caen, -déclare quʼil nʼa pu encore parler dʼaffaires à Versailles. « La -cour est si ambulante, dit-il, et si occupée des plaisirs que -Madame la Marquise ne cesse dʼimaginer, que tout le travail est -remis... » Ainsi, les négociants de Caen, menacés dans leurs -intérêts commerciaux, et les marins, dans leur existence même, par les -périls de la navigation, durent attendre que Mme de Pompadour eût -suffisamment assuré sa faveur en organisant des fêtes destinées à -distraire un monarque ennuyé. - -Laissant la cour sʼamuser, M. Duhamel nʼattendit pas ses -encouragements pour se mettre à lʼétude, et il écrivit son mémoire sur -le rétablissement dʼun port à lʼentrée de la rivière dʼOrne. Peine -inutile! Comme la favorite avait, dʼun coup dʼéventail, brisé la -carrière du contrôleur général Orry, dont les économies ne pouvaient -sʼaccorder avec sa manière de comprendre la direction des finances, -Machault, sa créature, qui paya sa bienvenue aux affaires en faisant -accorder à la marquise une pension de 200,000 livres, anéantit dʼun -trait de plume les espérances que fondaient les habitants de Caen sur -le projet si sérieusement étudié par M. Duhamel. -Un M. de Caux, ingénieur, fut chargé de préparer un autre mémoire, qui -reçut naturellement lʼapprobation du nouveau contrôleur général. - -Tandis que ces intrigues de palais laissaient en suspens des travaux -dont lʼurgence était évidente, à Caen, le patriotisme de M. de La -Londe veillait sur les intérêts de la cité. Une tempête épouvantable -qui, vers la fin de 1749, faillit emporter les dunes de -Sallenelles et menaça dʼenvahir une grande partie de la riche vallée -du Pays-dʼAuge, vint apporter au zélé citoyen lʼutile collaboration de -la peur. Les intérêts alarmés demandèrent lʼavis dʼune commission, qui -consulta elle-même M. de La Londe. Celui-ci, profitant de lʼépouvante -générale, dirigea cette force aveugle avec assez dʼart pour en faire -un instrument de progrès. Grâce à sa patriotique dissimulation, il sut -faire sortir dʼun malheur lʼexécution des grands travaux quʼil nʼavait -pu obtenir, en des temps plus calmes, de lʼexamen dʼun plan sagement -médité. Il déclara, en effet, et fit admettre par lʼopinion que le -seul moyen de prévenir le désastre quʼon redoutait serait de -transporter, au moyen dʼun canal, lʼembouchure de lʼOrne à Colleville, -où lʼon pourrait, par la suite, creuser un port excellent. Ce vaste -projet fut mal accueilli en haut lieu. La cour de Versailles, avide -dʼéconomies pour les autres, fit répondre par la bouche de son -ingénieur quʼune digue de pierres, de terre et de bois suffirait pour -garantir la côte menacée. - -Malgré cette déception, M. de La Londe, qui ne voulait pas renoncer à -ses espérances, accepta la direction des travaux. A peine construite, -la digue fut détruite par la mer, et cependant le danger quʼon avait -prétendu conjurer par là ne se -réalisa pas. Alors M. de La Londe se retira, renonçant à jouer plus -longtemps un rôle dans cette comédie de la peur, quʼil nʼavait -imaginée quʼafin de lui donner pour dénouement la réalisation de ses -vœux patriotiques. Quant au véritable auteur du désastre, M. de Caux, -lʼingénieur en chef, il sʼen lava les mains. Dans une lettre du 14 mai -1751, il déclarait dʼun cœur léger quʼil avait toujours considéré -et annoncé le travail en cours dʼexécution comme un palliatif -provisoire; que le parti le plus sûr était dʼouvrir le canal proposé, -pour donner une autre embouchure à lʼOrne. Malgré cette tentative -dʼapologie, lʼopinion publique sut faire la part des responsabilités. -A son arrivée à Caen, le nouvel intendant, M. de Fontette, mis au -courant de la situation par les plaintes des habitants, crut quʼil -était pressé de donner un successeur à M. de Caux. Il proposa de -consulter, au sujet des travaux à exécuter, M. Lecloustier, ingénieur -en chef à Dieppe. Quelque temps après, le 23 janvier 1753, M. -Trudaine, directeur des ponts et chaussées, mandait à lʼintendant de -Caen que le garde des sceaux avait pris le parti dʼenvoyer sur les -lieux M. Lecloustier, dès que la saison le permettrait. On ne pouvait -faire un choix plus malheureux. - -M. Lecloustier avait une réputation dʼhabileté méritée; mais ses -intérêts personnels le retenaient à Dieppe. Sʼil ne refusa pas -absolument le travail quʼon lui proposait, il employa mille -subterfuges et délais pour en retarder lʼexécution. Caractère -indépendant, fantasque, bourru, il se retrancha derrière sa position -acquise, pour lancer de là, dans une correspondance verbeuse et -parfois spirituelle, mille traits acérés contre les abus de -lʼadministration du temps. Son humeur frondeuse -sʼattaquait hardiment à tout et semblait rechercher, dans une -prolixité voulue, le moyen de lasser ses supérieurs et dʼéterniser la -résistance. Rien de plus curieux que les lettres de cette sorte -dʼingénieur malgré lui. Cʼest une bonne fortune de les rencontrer sur -son chemin; car on y trouve, à côté dʼune critique amusante, les -détails les plus circonstanciés sur les travaux des ponts et chaussées -vers le milieu du XVIIIe siècle. - -Une première lettre, du mois de mai 1753, adressée probablement à -lʼintendant de Caen, débute ainsi: - -« Monsieur, je reçois aujourdʼhui la lettre que vous mʼavez fait -lʼhonneur de mʼécrire et jʼai celui dʼy répondre tout à lʼheure. - -« Lʼamitié, permettez-moi ce précieux et rare terme, lʼamitié, -dis-je, que je vous ai vouée, me forcera toujours à vous parler à -cœur ouvert et sans adulation pour mériter la vôtre, et si jʼy -parviens, etc., attendez-vous, sʼil vous plaît, à ne me jamais -trouver dʼhumeur à la laisser échapper. Lʼon sait à mon âge, ou du -moins on doit savoir quʼun bien si difficile à acquérir échappe des -mains lorsquʼon en a le moins dʼenvie et cela presque toujours; un -soupçon, un rapport faux, un jugement précipité, une défiance sont -suisses qui assiégent votre antichambre, Messieurs, habillent -la probité et la franchise de deuil. La jalousie, lʼenvie, la -critique, les si, mais, car, parce que, etc., viennent à lʼappui, et -le fil casse par lʼendroit le plus faible. Les réflexions de Sosie -dans lʼAmphytryon ne me sont jamais sorties de lʼesprit lorsque, la -lanterne en main dans son début, il sʼapostrophe lui-même. Toutes -ces images, dis-je, doivent nous guider -dans le labyrinthe du cœur humain, avec le fil dʼAriane: Fac -bonum et declina a malo. Sur ce principe donc, Monsieur, et avec la -connaissance que jʼai de votre excellent caractère, je vais prendre -la liberté de vous parler tout naturellement... » - -Puis après avoir parlé, avec autant de concision que de légèreté, des -travaux à exécuter tant à Sallenelles que dans la ville de Caen, M. -Lecloustier termine brusquement sa lettre par lʼétrange conclusion qui -suit: - -« Voilà, Monsieur, en bref ce que je ferais pour mon bien propre en -quatre ou cinq ans de temps. Il vous sera bien glorieux, soit dit -sans compliment, dʼavoir donné jour à la conservation du -Pays-dʼAuge et à la commodité de votre navigation qui, en dépit des -vents de nord-ouest, sera permanente si vous avez pris garde à la -manière dont les pierres sèches sont arrangées. Mais je -commencerais à exterminer tous les lapins qui culbutent les dunes -et désolent les bonnes terres par leurs brigandages. Cet article -sera le plus difficile, parce que ce bétail appartient à gros -seigneurs qui nʼont mie cure des pauvres. » - -On voit que M. Lecloustier avait un tempérament dʼopposition -singulièrement hardi pour lʼépoque. Sa brusquerie, réelle ou jouée, -dut probablement servir dʼexcuse à ses audaces de plume. On sʼétonnera -toutefois que ses chefs aient pris si longtemps au sérieux un -ingénieur qui, dans une « lettre dʼaffaires », semblait demander -comme un travail préparatoire à la construction dʼune digue, -lʼextermination des lapins qui peuplaient les dunes du voisinage. - -Cependant, à la date du 26 juillet 1753, le directeur des -ponts et chaussées, M. Trudaine, écrit à lʼintendant de Caen quʼil -faut avant tout faire un bon devis, bien détaillé, accompagné dʼune -estimation. Et il ajoute: « Je crois M. Lecloustier très-propre à le -bien faire; mais il passe pour nʼêtre pas aisé à manier, surtout pour -ce qui concerne son intérêt personnel. » - -Lʼintendant communiqua-t-il cette lettre à M. Lecloustier, ou se -fit-il du moins, auprès de lui, lʼécho des appréhensions que le -directeur des ponts et chaussées manifestait au sujet du caractère de -lʼingénieur de Dieppe? On peut le croire; car, dès le 11 août 1753, -lʼingénieur bourru prit sa bonne plume de combat et écrivit une lettre -dans laquelle il expliquait les causes légitimes de son irritation. -Cette lettre est à citer tout entière; on y trouve une description -colorée des petites misères de la vie des ponts et chaussées à cette -époque [40]. - -« A Dieppe, le 11 août 1753, - -« Monsieur, - -« Jʼai reçu la lettre que vous mʼavez fait lʼhonneur de mʼécrire le -8 de ce mois, par laquelle vous me faites celui de me marquer que le -Ministre vous charge, Monsieur, de lʼinformer si je voudrais bien -faire un devis bien exact des ouvrages à faire à la rivière de Caen -et quelles sont à peu -près mes idées sur la récompense que je crois devoir attendre du -Roi. Je suis bien persuadé, Monsieur, que si lʼon voulait sʼen -rapporter à vous, vous arrangeriez les choses en ministre généreux, -en vrai Colbert, et que nous ne marchanderions pas. Mais -aujourdʼhui, Monsieur, nous voyons renaître le temps du bon Juvénal, -qui disait avec le fiel que vous lui connaissez: Probitas laudatur -et alget, aujourdʼhui, dis-je, ce trop vrai bon mot, que jʼavais -oublié depuis mes classes, mʼest revenu en mémoire par la triste -expérience que jʼai faite de son application. Or, écoutez donc mon -histoire, Monsieur, sʼil vous plaît. Elle mériterait dʼêtre mise en -vers sur lʼair des Pendus, car elle est assez tragique pour ma -pauvre famille. Et, en effet, je nʼai jamais dû mʼattendre à un sort -communément heureux, étant né le vendredi immédiatement après -dîner, Saturne et Mercure en conjonction, le soleil éclipsé de onze -doigts, et la lune, qui luit pour tant dʼautres couleur dʼargent, -était pour lors comme couverte dʼun sac de poil noir. Ce -langage, Monsieur, connu des adeptes seulement, vous doit paraître -extravagant; je nʼen suis pas surpris. Mais souvenez-vous que... -sapientis est desipere in loco. - -« Il y a quatre ou cinq ans, Monsieur, que la navigation de la Somme -étant interrompue dans Abbeville pour communiquer à Amiens, -quelques ingénieurs des ponts et chaussées avaient insinué à M. -Chauvelin un beau et superbe canal à demi-lieue hors de la ville, -mais ce canal avec les écluses pouvait aller à quelques millions; -la Cour voulut savoir sʼil nʼy avait pas de remède moins violent. -M. de Regemorte, qui aime ma famille, me proposa, en vue sûrement -de me faire du bien. Je reçus donc ordre dʼexaminer; et, sur mon -rapport, on jugea quʼoutre la dépense inutile et exorbitante, il -résultait du projet une désertion totale de la ville, comme il -arriverait à Caen, Monsieur, si le projet de Colleville avait -jamais lieu. Je remarquai donc quʼil nʼétait question que de curer -lʼancien bras de la Somme dans la ville, assez bas sous un pont de -pierre pour que les barques pussent y passer de mer basse, afin que -de mer haute lʼarche de ce pont ne leur servît plus dʼobstacle -étant une fois passées, car il arrivait, Monsieur, que ces barques, -attendant la marée pour passer sous ce pont, se trouvaient -souvent prises sous la voûte et sʼy écrasaient. On suivit mon avis, -par ordre du Conseil; mais comme je nʼavais pas barbouillé beaucoup -de papier, ni fait un projet à millions, tout lʼouvrage sʼest fait -sans quʼil ait été seulement fait mémoire du pauvre saint, et jʼen -fus pour mes frais avec une chute de cheval qui faillit à me tordre -le cou. Ce quʼil y eut encore de singulier à cet ouvrage ou -curement, est quʼil fut dirigé et conduit par Messieurs de ville, -qui, pour aller plus vite (en dépense apparemment), employèrent -six cents travailleurs où il nʼen pouvait tenir à lʼaise que cent -cinquante au plus; tout le reste devint spectateur bénévole. -– Fin de mon premier point. - -« 2e POINT. - -« Lʼannée ensuite, me promenant dans mon jardin, à Fécamp où -jʼétais pour lors en résidence, je vis arriver un cavalier de la -maréchaussée qui mʼannonça un arrêt du -Conseil qui me nommait pour concilier le débat entre -MM. Bayeux et Le Barbier, des ponts et chaussées, sur -le projet de la conservation du territoire de Cayeux, proche -le bourg dʼAult. Leurs projets étaient joints à lʼarrêt du -Conseil qui mʼenjoignait de dire mon avis et faire les -dessins nécessaires si je trouvais les autres défectueux. Je -fis le voyage et examinai le terrain. Mon mémoire fit -connaître les défauts des autres projets qui étaient très-bien -dessinés et montaient à plus de 80,000 livres chacun. On -tailladait le pays par grands canaux inutiles avec des têtes -dʼécluse dans la mer. Bref, je donnai le projet dʼun aqueduc comme -on les pratique en Flandre; lʼadjudication sʼen -passe; elle est agréée du Conseil, lʼouvrage qui consistait tout -en pilotis de chêne est fait par lʼentrepreneur pour 39,000 livres. -M. Chauvelin quitte lʼintendance dʼAmiens et va à Paris. M. dʼAligre -lui succède. Lʼentrepreneur, lʼouvrage fait, est renvoyé comme un -vilain après lui avoir retenu 14,800 livres. Cet homme écrasé quʼon -avait obligé déjà de payer les honoraires de MM. Bayeux et Le -Barbier, et chargé aussi de payer le mien, est devenu insolvable et -jʼen ai été pour mes peines, et nʼai pas été exempt des -plaisanteries de M. dʼAligre que je ne connus oncques. Si lʼon viole -donc aujourdʼhui, Monsieur, le droit des gens avec autant de -despotisme que M. dʼAligre le fait, qui est-ce qui sera assez hardi -pour avoir à démêler vis-à-vis les intendants? Dʼailleurs, Monsieur, -ma profession est pour les fortifications. Je suis attaché aux -ministres de la guerre et de la marine qui mʼont noblement -récompensé lorsquʼils mʼont chargé de commissions particulières. -Ils ont été contents -et nʼont point cherché, comme M. dʼAligre, de ces petits -alibis pour chagriner (besogne faite) entrepreneurs, et se moquer -mal à propos dʼun pauvre diable dʼingénieur quʼon ne peut taxer -dʼavoir mis la main à la pâte, puisquʼil nʼa fait aucuns toisés, le -bureau des ponts et chaussées ayant nommé pour la conduire un sieur -Le Tellier, qui a failli à faire échouer lʼouvrage par son -indétermination et son insuffisance aux travaux de mer. - -« Quoiquʼintendant vous-même, Monsieur, je présume devotre -excellent caractère que vous voudrez bien, pour un moment, descendre -à ma place. Ayant été échaudé deux bonnes fois, vous -exposeriez-vous à la troisième? Et ne vaut-il pas mieux manger du -pain noir en paix auprès de ses lares et pénates que de courir après -le vent? Vous me parlez, Monsieur, du ministre sans le nommer; je -prends donc la liberté de vous dire que si je me charge du détail -de la construction des ouvrages à faire tant à la rivière quʼà son -embouchure, pont tournant, clapets, etc., je ne désire avoir -affaire à dʼautres ministres quʼà M. Trudaine. Je connais son mérite -et son humanité; je ne veux dʼautres juges pour mes honoraires que -vous, Monsieur, et MM. De Regemorte. Je suis bien certain par ma -bonne conduite et économie sauver sur les ouvrages la récompense -dʼun honnête homme. Informez-vous, Monsieur, de lʼadministration -des fonds destinés pour les fontaines du Havre que jʼy fis faire, il -y a huit ou dix ans. Les misérables qui se présentaient pour -lʼentreprise faisaient monter la livre de mastic à 20 sols; je la -fis faire devant moi pour 6 sols, et la livre de soudure à 37 sols -fut faite dans la cour de -lʼHôtel de Ville pour 13 sols. Je sauvai plus de mille louis à -cette administration. - -« Le projet que vous a donné M. de Regemorte est le seul -raisonnable, durable par sa construction, et le seul capable de -faire lʼeffet quʼon en doit attendre. On peut le pousser aussi loin -et aussi peu quʼil conviendra, sans avaries aucunes (notez bien -ceci) toutes pierres et de tous échantillons seront bonnes étant -essemillées comme il convient. En un mot, ce ne sont point ici des -fagots quʼon vous donne, ce nʼest point un palliatif. Prenez-y bien -garde, Monsieur; ceux qui ont ajusté une pièce à vos dunes -ont-ils marchandé? Voulez-vous que je marchande aussi? Faites donc -comparaison, Monsieur, non-seulement de la besogne, mais de son âme, -cʼest-à-dire de ce qui en résultera. En un mot, Monsieur, je suis à -M. de Trudaine, à vous, à M. de Regemorte, mais parbleu! que -dʼautres nʼy mettent pas le nez, car je trousse mon sac et mes -quilles et je mʼen vas tout droit devant moi. » - -Sans tenir compte de la mauvaise humeur qui perce à chaque ligne dans -cette lettre, lʼintendant de Caen, M. de Fontette, écrivit, le 28 -novembre 1753, au ministre dʼArgenson pour le prier dʼautoriser M. -Lecloustier à venir à Caen, afin dʼy commencer lʼétude des travaux à -exécuter sur lʼOrne. Cette insistance, qui faisait honneur aux talents -de M. Lecloustier, mais le menaçait dans sa tranquillité, détermina -lʼingénieur malgré lui à indiquer de loin des mesures dʼadministration -à prendre, en attendant la saison des études sur le terrain. Se -voyant, malgré cela, sur le point dʼêtre -arraché du milieu qui lui plaisait, il imagina, pour obtenir un -nouveau répit, le prétexte dʼune maladie. Cʼest du moins ce qui -ressort dʼune lettre du ministre dʼArgenson, « qui autorise M. -Lecloustier à venir à Caen dès que la saison et sa santé le lui -permettront. » - -Pressé de nouveau, M. Lecloustier se décide enfin à rédiger un « Devis -et mémoire pour servir au percement du nouveau canal, projeté pour -diriger en lignes droites la navigation de Caen sur la rivière dʼOrne. » -Aussitôt, de lʼintendance de Caen arrivent des objections contre ce -projet. Cʼétait probablement ce que souhaitait lʼingénieur, forcé dans -ses derniers retranchements. Après avoir combattu vivement dans sa -correspondance, comme suggérées par des ignorants, les critiques et -les vues nouvelles que lui adresse lʼintendant, il décline avec -ironie, dans une dernière lettre, la paternité du projet dont il a -signé le devis. - -« Monsieur, - -Jʼai reçu ici la lettre que vous mʼavez fait lʼhonneur de mʼécrire -le 2, par laquelle vous me faites celui de me mander que les fonds -ne sont pas encore accordés pour lʼexécution de mon devis. - -Je ne suis pas assez rempli de vanité pour me prévaloir dʼun -dessein qui est tout vôtre, Monsieur. La gloire vous en est due sans -aucun partage. Et sûrement le public me traiterait avec mépris si, -après avoir fait éclater ma pensée sur ces ouvrages, jʼavais -lʼorgueil de me parer dʼun projet qui nʼest point du tout de mon -imagination. Je vous supplie donc, Monsieur, de faire en sorte quʼil -ne soit point question -de moi. La seule idée que je sois homme à me faire honneur de -lʼusage dʼautrui me ferait rougir de honte quand jʼirais dans le -pays, où je ne prévois pas heureusement avoir le temps dʼy faire -aucun voyage, pour voir la famille de mon épouse. Je dis -heureusement, Monsieur, parce quʼil a plu au Roi de me charger dʼun -détail dans deux de ses places qui me fait honneur. Cʼest aussi où -je dois me renfermer pour ne pas tromper lʼattente de mes -supérieurs et jʼai de lʼouvrage pour toute lʼannée. Vous me saurez -bon gré, Monsieur, de cette scrupuleuse attention qui, en même -temps que je ferai mon devoir, me délivrera des corvées dʼun évêque -in partibus. Je suis encore, outre cela, malheureusement dʼun âge -fort dangereux et incurable même, à cause des années passées, comme -il est dit fort élégamment dans les pronostications Pantagruéliques. » - -Cette lettre était datée du 10 mars 1754. Ainsi, on avait perdu deux -ans en pourparlers inutiles pour sʼassurer les services dʼun étranger, -qui refusait catégoriquement de quitter son poste! La leçon valait -bien ce retard sans doute et lʼon sʼadressa à un homme du pays, M. -Loguet, ingénieur en chef de la généralité de Caen. Celui-ci -sʼempressa de rédiger un devis des travaux à exécuter pour le -redressement de lʼOrne; sa bonne volonté fut même appuyée par une -adresse dʼun grand nombre de commerçants, qui se plaignaient de lʼétat -déplorable de la rivière, où des barques de 60 tonneaux ne pouvaient -plus monter jusquʼau quai. Malheureusement, à la même époque, Mme de -Pompadour, irritée des sarcasmes de Frédéric II sur la dynastie des -cotillons, préparait le traité -de Versailles qui devait amener les désastres de la guerre de -Sept-Ans. Il fut donc répondu aux habitants de Caen quʼon était désolé -de reprendre les fonds destinés aux travaux de leur port, mais quʼon -leur promettait de les leur rendre à la paix. Pour les inviter à la -patience, M. Trudaine leur envoya un arrêt du Conseil dʼÉtat, du 21 -septembre 1756, qui « autorisait les négociants de Caen à faire -directement le commerce avec lʼAmérique. » On voit donc que sʼil nʼeût -fallu que de lʼeau bénite de cour pour faire monter le niveau de leur -rivière, les commerçants et marins de la ville auraient eu mauvaise -grâce à murmurer. Ils se turent jusquʼau 4 juillet 1762; mais, à cette -date, les marins adressèrent à lʼintendant, M. de Fontette, une -supplique dont nous citerons le passage suivant: « Lʼentrée du quai -de cette ville, qui commence depuis la tour Massacre jusquʼà la -seconde porte du quai, au-dessus de la rue des Carmes, est -tellement gâtée par les attérissements que, lors des plus grands -flots, il ne sʼy trouve que 4 à 5 pieds dʼeau; quʼà ce moyen, les -vaisseaux, qui dans le cours de cette rivière ont déjà souffert des -avaries considérables pour la monter, sont obligés de se mettre en -décharge au dessous dʼicelui, dans des fonds vaseux et de prairie -dont le terrain, pour peu quʼil survienne des pluies, sera défoncé -et impraticable... » - -Dès le 1er décembre 1762, nouvelle supplique présentée à M. de -Fontette par les négociants de la ville. Ils espèrent, disaient-ils, -que, la paix approchant, il va être fait des travaux pour remédier au -mauvais état de la rivière qui a rebuté pendant la présente guerre -les navires neutres dʼapporter les choses même les plus nécessaires -à la vie. » - -Malgré la signature de la paix en 1763, on ne parlait pas de rendre -les fonds destinés aux travaux du port. Aussi, le 27 juin 1764, les -marins adressèrent-ils une nouvelle supplique à lʼintendant de la -généralité de Caen. Quelques jours après, le 15 juillet, lʼingénieur -en chef, M. Loguet, publiait un mémoire important sur les -améliorations à faire au port. Mais lʼimprudent ingénieur, qui voyait -que les meilleurs projets venaient se briser contre lʼéternel écueil -des coffre-forts vides, eut la fatale prévoyance dʼajouter à ses plans -lʼexposition dʼun système de taxes qui eût permis de commencer le -travail sans attendre dʼinterminables délais. Pauvre M. Loguet! -vouloir secouer le joug de la routine, quand on est attelé au coche -administratif! Attendez! Voici un coup de fouet qui vous apprendra, -non à avancer comme on pourrait le croire, mais à vous tenir bien -tranquille à votre rang! En effet, dans une lettre du 9 décembre 1764, -adressée à M. Loguet, le directeur des ponts et chaussées, tout en -reconnaissant lʼutilité des travaux projetés, ajoute « quʼil faut -attendre les demandes et les propositions des intéressés et que les -ingénieurs ne doivent point se mêler des affaires de finances! » Ce -nʼétaient pourtant pas les demandes des intéressés qui manquaient. -Les habitants de Caen se plaignaient sur tous les tons et à tout -instant: le 19 mars 1766, mémoire de M. Viger, lieutenant-général -de lʼamirauté de Caen; le 19 juin 1766, doléances des navigateurs -qui présentent aux maire et échevins de la ville une liste des -sinistres causés par lʼétat de la rivière; le 26 juin 1766, plaintes -des habitants au sujet des inondations causées par lʼenvasement -de lʼOrne; le 29 mai 1770, procès-verbal des officiers de -lʼamirauté, dressé à la requête des commerçants -et des marins. Quelques extraits de ce procès-verbal donneront une -idée de lʼincroyable état de délabrement du port à cette époque. Voici -dʼabord quelle était la situation du quai de débarquement des Carmes: - -« Ledit quai, dit le lieutenant-général en lʼamirauté de -Caen, est défoncé et coupé de toutes parts par différentes -ornières sur toute sa superficie entremêlée de différents -amoncellements de terres vaseuses, mêlées de décombres y apportés, -lesquels à ce moyen entretiennent des fosses et flanges où lʼeau -séjourne au point que les camions et brouettes ne les peuvent -franchir et y demeurent souvent coulés jusquʼau moyeu, ce qui cause -un retardement et un préjudice onéreux au commerce, tant lors du -chargement des cargaisons à bord que lors du déchargement dʼicelles, -par la raison quʼelles se trouvent gâtées et couvertes des -fanges et boues dudit quai; quʼen outre la pourriture des emballages -qui en résulte, la qualité des différentes marchandises se trouve -altérée et gâtée et le poids considérablement augmenté, ce qui -occasionne aux propriétaires ou consignataires de tomber -involontairement dans le cas de contravention aux ordonnances de Sa -Majesté sur le fait des traites et cinq grosses fermes, dʼoù il -résulte des peines, des soins et toujours des avaries. » - -Quant au canal lui-même, lʼauteur du procès-verbal déclare: « que -les pierres de revêtissement du quai, loin dʼavoir été entretenues -par les officiers municipaux aux termes de lʼordonnance de la -marine de 1681, art. 20, tit. Ier, liv. IV, sont dans un état -dʼune totale destruction; quʼelles sont tellement endommagées et si -peu solides que nous-mêmes, -en passant à bord du navire hollandais Joost, capitaine -Cornelis Boezaard, aux fins de la visite dʼiceluy, samedi dernier, -ce dʼy dresser procès-verbal judicier dʼune partie de sa cargaison, -nous avons couru le danger de tomber à lʼeau, partie de ces pierres -sʼy trouvant écroulées. - -« Nous a pareillement été fait remarquer, tant par le maître de -quai que par les capitaines de navires, que lʼéboulement dans le -canal des principales pierres dudit revêtissement met les navires -qui y sont rangés dans le danger le plus imminent, en ce que, de -basse-mer, ils courent risque dʼêtre rompus ou crevés sur ces mêmes -pierres, sans pouvoir sʼen garantir ni les éviter, par la raison -quʼelles se trouvent mêlées dans un lit de vases molles formant un -corps semi-solide dont le canal est rempli et sur lequel les navires -restent à sec de morte-eau; quʼil devient urgent pour le commerce -dʼen faire procéder au curage, ainsi quʼà la réparation desdites -pierres de revêtissement dudit quai sur toute sa longueur. » - -On pouvait espérer que lʼadministration aurait des entrailles de père -pour cette douleur officielle, émanant des officiers de lʼamirauté. -Mais il nʼen fut rien. Les habitants durent recommencer à gémir et, -comme le héros pleureur de lʼÉnéide, tendre à tout instant les mains -vers le ciel pour lʼapitoyer sur le sort de leur rivière. Le 8 mars -1771, cʼest une supplique de la ville à M. Trudaine, « où lʼon espère -que le Roi voudra bien accorder à la ville de Caen, pour les travaux -de son port, les mêmes avantages quʼà la ville de Granville pour le -sien. » Le 16 avril 1776, cʼest une lettre de lʼintendant lui-même, -M. Esmangart, qui mande au directeur des ponts et chaussées -que les négociants de Caen ont dû renoncer à faire venir, en 1775, -des blés du Nord, parce que des barques, même médiocres, ne peuvent -plus remonter la rivière. » Le 25 mars 1777, cʼest une supplique -adressée aux maire et échevins par les marins et négociants, qui -annoncent que les piétons eux-mêmes ne peuvent plus circuler sur les -quais, sans sʼexposer à recevoir des pierres qui tombent des murs en -ruine sur les passants. - -A ces réclamations viennent en même temps se joindre des mémoires et -des rapports, rédigés par des particuliers ou par des ingénieurs qui -proposent des moyens de remédier au mal. Peu de temps après la mort de -M. Loguet, cet ingénieur qui sʼétait permis dʼavoir des idées sans -lʼautorisation de ses chefs, son successeur, M. Viallet, dans une -lettre au maire de Caen, du 12 novembre 1766, expose ses vues au -sujet des travaux à faire et émet le premier lʼopinion quʼon -nʼobtiendrait de résultats sérieux quʼen ouvrant, pour la navigation, -un nouveau canal à gauche de lʼOrne, entre Caen et la mer. Enfin -parut, le 11 janvier 1778, un mémoire dû au nouvel ingénieur de la -généralité de Caen, Armand-Bernardin Lefebvre, qui sʼétait déjà fait -connaître par des projets exécutés dans la province de Champagne. Le -nouvel ingénieur avait le défaut de vouloir « faire grand », suivant -une expression qui devait plus tard devenir historique. Lʼintendant de -Caen lui répondit, après avoir examiné ses plans, quʼil ne pouvait -présenter son projet au Conseil, parce quʼune dépense de 7,000,000 de -livres serait inévitablement rejetée. Non sans regrets, comme on peut -le voir dans une lettre du 2 juillet 1779, M. Lefebvre se conforma aux -ordres absolus -de lʼintendant, et soumit ses projets à une réduction, qui dut autant -lui coûter quʼelle devait rapporter au budget de la ville et de -lʼÉtat. - -Grâce à ce sacrifice, M. Lefebvre réussit à faire approuver son -projet, et, le 1er juillet 1780, il reçut de lʼintendant lʼordre de -commencer les travaux. Il sʼagissait, comme nous lʼindique un devis du -1er juillet 1781, de « creuser et redresser les différents -canaux le long des murs et aux abords de Caen, entre cette ville et -la mer, jusquʼau dessous du moulin et du hameau de Clopée, près le -pont de Tournebrousse. » La masse de terres, déplacée à cette -occasion, sur une longueur de 2 kilomètres entre Caen et Clopée, a -formé depuis la promenade du Cours Caffarelli. Comme un tel travail -exigeait de nombreux ateliers, lʼintendant de Caen prit ses -arrangements avec les chefs du régiment du Roi pour lʼemploi des -soldats. Mais, à côté des grosses difficultés de lʼentreprise, -naissaient spontanément mille petites misères qui retardaient les -travaux. Un jour, ce sont des hostilités avec la régie au sujet des -boissons fournies aux soldats qui creusent le canal; une autre fois, -cʼest un fermier qui demande quʼon débarrasse des brouettes son -écurie, dont il a besoin, mince événement qui donne lieu à de gros -embarras administratifs. Puis, ce sont des accidents sérieux, comme la -crue inopinée du 15 août 1782, qui vient couvrir tous les travaux. -Ces contre-temps inspirèrent à quelque désœuvré de la ville un avis -qui se recommandait autant par son orthographe que par la force de la -pensée. « Un citoyen de cette ville, disait cet avis, ayant examiné -tout lʼembaras que lon a pour de seché le canalle de cette nouvelle -rivier donne connaissance de ses -idées. » Soit que les idées de ce zélé citoyen ne brillassent point -par la clarté, soit quʼon eût le tort de les laisser passer -inaperçues, tout alla de mal en pis. - -En 1783, un des entrepreneurs signale à M. de Buffon, -lieutenant-colonel du régiment de Lorraine, la mauvaise besogne de ses -hommes et les dépenses énormes qui en résultent. En 1784, on se plaint -des vols de bois commis par les soldats au préjudice des travaux. La -même année se produit le scandale dʼune scène très-vive entre -lʼingénieur, M. Loyer, et lʼentrepreneur Besson, qui exige des -paiements arriérés. Quʼil menaçât ou suppliât, comme lʼentrepreneur ne -voyait rien venir en fait de fonds, il interrompit brusquement les -travaux dans le courant de lʼannée 1780. Alors M. de Brou, -intendant de la généralité de Caen, prit la résolution de faire -exécuter en régie lʼachèvement de la partie inférieure du canal. La -question dʼargent se représenta alors sous une autre forme. Qui -servirait de caissier à la régie? Grand embarras! car il paraît quʼon -nʼavait déjà quʼune médiocre confiance dans les agents quʼon chargeait -de cette fonction délicate. Le subdélégué de lʼintendant écrivait, à -la date du 11 juin 1780: « Jʼai conféré au sujet dʼun caissier avec -M. de Logivière, qui ne veut recommander personne sʼil sʼagit dʼun -caissier ayant une caisse, et non dʼun agent recevant de quoi payer -les dépenses au jour le jour. » Non sans peine, on finit cependant -par dénicher ce phénix, cet employé unique dans son espèce, un -caissier sans caisse! Cette merveilleuse découverte ne paraît pas -avoir eu sur lʼentreprise lʼinfluence heureuse quʼon pouvait en -attendre. Tout marchait à la diable, et lʼintendant ne cessait -dʼadresser des reproches à lʼingénieur en chef. -Lʼintendant renonça bientôt au système de la régie, et, dès le 24 -avril 1786, il tenta une nouvelle adjudication des travaux, qui eut -lieu au prix de 757,222 livres. Cʼest à cette époque que lʼon fonda, -sur les deux rives du canal St-Pierre, des murs de soutènement. En -même temps, on commençait la construction du quai nord du canal de -Vaucelles. Ces travaux se continuèrent jusquʼen lʼannée 1798, -interrompus souvent, soit par suite des malheurs du temps, soit par -suite dʼinondations ou dʼéboulements. - -Depuis cette époque, jusquʼen 1839, les quais du canal St-Pierre ne -changèrent point de physionomie. La lithographie qui accompagne cette -notice, et qui nʼest que la reproduction dʼune aquarelle exécutée en -1832 par Lasne, nous donne donc une idée assez exacte de ce quʼétait -lʼancien port de Caen à la date de la cessation des travaux en 1798. -On peut y remarquer que les murs des quais nʼétaient terminés que sur -la rive droite, depuis lʼOrne jusquʼau débouché de la rue des Carmes, -où lʼon aperçoit deux piles, qui supportaient un pont tournant, dont -la passe avait 50 pieds de largeur. Ces quais, consolidés en 1839, -ont formé depuis lʼun des côtés du bassin actuel. Lʼauteur de -lʼaquarelle, dont nous donnons une réduction lithographique, sʼétait -placé, pour prendre la vue de lʼancien port, sur la rive droite de -lʼOrne, dans un terrain quʼon appelait le Poigneux [41] et qui servait -de chantier -aux constructeurs de navires. De cet endroit, le regard de lʼartiste -remontait toute la ligne du canal, depuis sa jonction avec lʼOrne -jusquʼà lʼancien pont St-Pierre. Dans les derniers plans, sur une -hauteur, on aperçoit les murs du château, et, sur la gauche, une -partie de la ville avec la tour élégante de lʼancienne église des -Carmes, sacrifiée depuis par lʼinintelligent et impitoyable marteau -des démolisseurs. - -Tous les travaux de lʼancien port, dont nous venons de rappeler -succinctement lʼhistoire lamentable, avaient coûté beaucoup de peine -pour un pauvre résultat. « On comprend, en effet, dit très-bien M. -Boreux [42], que du moment où lʼon ne sʼétait pas préoccupé de -lʼembouchure de lʼOrne, passage que les navires de huit à neuf pieds -de tirant dʼeau franchissaient très-difficilement et seulement à -lʼapproche des grandes marées, il était parfaitement inutile de -creuser à Caen des canaux plus profonds que le lit naturel de la -rivière. » - -M. Cachin, dans son mémoire présenté en 1798, entra le premier dans -une voie nouvelle, qui devait conduire sûrement au but. Ce fut lui qui -condamna toutes dispositions tendant à établir le port de Caen dans la -rivière même. Son projet, qui consistait à créer un bassin isolé de -la rivière et un canal latéral à lʼOrne entre Caen et la mer, reçut un -commencement dʼexécution en 1838. Le 23 août 1857, le canal était -inauguré solennellement, et, à partir de ce jour, la cité, qui se -souvient encore avec fierté du fameux armateur Étienne Duval, vit -renaître enfin son mouvement maritime. - - - - -ANCIENNE ÉGLISE SAINT-SAUVEUR - -[Illustration: ANCIENNE ÉGLISE ST-SAUVEUR] - -ANCIENNE - -ÉGLISE SAINT-SAUVEUR - -(AUJOURDʼHUI HALLE AU BLÉ) - -AVANT LA DÉMOLITION DE SA FLÈCHE EN BOIS - -SAINT-SAUVEUR est aujourdʼhui masqué, du côté de la place du même -nom, par des maisons modernes. Le portail actuel, construit peu dʼannées -avant la Révolution, a remplacé un -charmant portail dont les voussures portaient des guirlandes de -feuillages découpés à jour. « La forme particulière de lʼarcade du -portail, dit Ducarel, qui a donné dans ses Antiquités un dessin de -cette partie du monument, et le genre extraordinaire des ornements -sculptés dans le fronton triangulaire qui le couronne, offrent une -preuve évidente de son antiquité [43]. » - -On voit encore, à lʼextérieur du monument, des contreforts du XVIe -siècle, et, sur un des piliers du chœur, un -médaillon représentant une figure à triple face. A lʼintérieur, on -remarque quelques clefs de voûte et, sur un des piliers de la tour, -une sculpture représentant une figure de mendiant marchant sur les -genoux. La nef fut bâtie dans le XIVe siècle; le chœur, commencé en -1530, fut achevé en 1546. - -Dans la tour, couronnée aujourdʼhui par un toit de beffroi à quatre -pans triangulaires, se trouvent des ornements saxons et mauresques: -zigzags guillochés et denticules. Cette partie de lʼéglise semble -appartenir au XIIIe siècle, à lʼexception de quelques mètres de -maçonnerie, qui ont été ajoutés en 1604 pour servir de base à une -pyramide en ardoise. Malheureusement, en 1836, Saint-Sauveur a vu -tomber sous le marteau des démolisseurs sa flèche en bois, qui a été -regrettée de tous les gens de goût. - -Comme nous lʼindique notre gravure, qui nʼest quʼune réduction dʼune -aquarelle exécutée, en 1832, par A. Lasne, cette pyramide en bois, -couverte dʼardoise, était entourée à sa base par de petits clochetons, -également couverts dʼardoise. Elle était assez élevée, élégante et -dʼun aspect très-pittoresque. De plus, elle avait, aux yeux des -archéologues, une valeur toute particulière par sa rareté; car, dans -lʼarrondissement de Caen, si riche en clochers de pierre, cette -flèche en charpente était le seul spécimen dʼarchitecture religieuse -de ce genre. Malgré toutes ces bonnes raisons, qui plaidaient pour -sa conservation, la tour de lʼancien Saint-Sauveur fut solennellement -condamnée à être décapitée, par une délibération du Conseil municipal -du 27 août 1836. - -« Considérant, disait lʼarrêté ou plutôt le jugement, que -les travaux proposés pour les réparations de lʼancienne église -Saint-Sauveur, servant actuellement de halle à blé, assureront à -cet édifice une longue durée; que toutefois la flèche du clocher, -construite en bois et couverte en ardoises, nʼétant pas un monument -dʼart et nʼayant dʼailleurs rien de remarquable, ne doit pas être -conservée, puisque la réparation entraînerait une dépense de près -de 6,000 fr., que dès lors cette flèche doit être démolie; - -« Considérant que le produit de la vente des bois et autres -matériaux devra être affecté aux réparations de la halle; que la -vente doit avoir lieu aux enchères publiques, mais que les -réparations de la halle, devant être exécutées dans dʼanciens murs, -doivent avoir lieu par économie; - -« Ouï le rapport de la Commission des finances, le Conseil arrête: - -« Les matériaux de toute nature, composant la flèche de lʼancienne -église Saint-Sauveur, seront vendus publiquement à la charge de -démolition. Le produit de la vente est affecté aux réparations de -la toiture de ladite église. » - -Lʼopinion publique ne confirma pas la sentence; elle sʼémut, et une -pétition, couverte de nombreuses signatures, demanda « la grâce du -condamné. » Le 9 août 1837, le Conseil municipal répondit à ces vœux -par lʼarrêté suivant: - -« Vu une pétition, à lui adressée le 10 mai dernier, pour obtenir -que le clocher existant sur la halle aux grains soit conservé et -réparé; - -« Attendu que ce clocher en bois couvert en ardoises nʼoffre, -sous le rapport de lʼart ni sous celui de son antiquité, rien -qui puisse le faire considérer comme un monument quʼil soit utile de -conserver et de réparer; que ce clocher nʼest pas convenablement -placé sur une halle; - -« Attendu que la réparation de la flèche du clocher coûterait une -somme de trois mille deux cents francs au moins sur la dépense -occasionnée par lʼadjudication des travaux de réparations à faire à -lʼancienne église Saint-Sauveur, servant de halle aux grains, et -que la situation financière de la ville ne lui permet pas -dʼemployer cette somme à une dépense qui nʼest pas indispensable; - -« Attendu que lʼadjudication des travaux à faire à la halle -comprend la démolition de ce clocher, conformément aux deux -délibérations du Conseil municipal en date du 27 août 1836 et 15 -mars 1837; - -« Après avoir entendu le rapport de la Commission spéciale; - -ARRÊTE: - -« 1° Il nʼy a pas lieu de modifier lʼadjudication des travaux à -faire à la halle au blé, en ce qui concerne le clocher qui devra -être supprimé; - -« 2° M. le Maire est chargé de lʼexécution du présent arrêté. » - -Ce fut bien en effet une exécution, et dʼautant plus maladroite que le -principal motif de lʼarrêt, la question dʼéconomie, nʼaurait pas dû -peser sur lʼesprit des juges; car on sut plus tard quʼil nʼen aurait -pas coûté plus cher à la ville pour -restaurer la flèche que pour la démolir. Lʼentrepreneur en avait offert -le choix au Conseil municipal. - -A cette note sur lʼéglise supprimée de Saint-Sauveur, nous ajouterons -quelques fragments, dont lʼun, jusquʼici inédit, formerait une page -intéressante de lʼhistoire de lʼancienne Université de Caen. - -La fondation de lʼéglise primitive est attribuée à saint Regnobert. On -lʼappelait, dès lʼannée 1130, Saint-Sauveur-du-Marché, de lʼancien nom -de la place où elle est située. Un marché avait lieu devant son -portail, les lundis et vendredis de chaque semaine, et les droits de -ce marché appartenaient au domaine des ducs de Normandie. - -Lʼancienne église était située au milieu dʼun cimetière, qui -lʼentourait encore au XVIIe siècle. Lorsque la ville lui eut donné, -en 1686, un autre emplacement pour son cimetière, lʼéglise ne resta -pas longtemps isolée. A peine les morts partis, elle se vit assiégée -par les vivants. « Les petites maisons qui environnent lʼéglise -Saint-Sauveur sont construites, » nous dit en effet, à la date de -1714, un manuscrit conservé à la Bibliothèque de Caen [44]. - -Au XVIIIe siècle, deux petits événements se passèrent dans lʼintérieur -de lʼéglise Saint-Sauveur. Le premier fait, qui nʼa que la valeur -dʼune nouvelle à la main, est ainsi raconté dans le Journal dʼun -bourgeois de Caen [45]: « Le lundi 23 juin 1721, le sieur Regnauld a -donné un bal à Mlle de Than, à Saint-Sauveur, et le lendemain des -dames sont allées en masque à la messe de Saint-Sauveur, ce qui a -causé bien du scandale. » - -Voici le second fait. En 1753, Saint-Sauveur ouvrit ses portes à un -cortége dont la pompe solennelle a longtemps frappé lʼesprit des -contemporains. Les lettrés normands savent que lʼancienne Université -de Caen avait pour chef un recteur, quʼon élisait tous les six mois. -La fréquence de ces élections était, suivant lʼabbé De La Rue, « un -moyen infaillible dʼexciter lʼémulation parmi les professeurs, dont -les plus distingués pouvaient briguer les suffrages des députés de -chaque faculté. » Ducarel, dans ses Antiquités anglo-normandes, explique -le peu de durée des fonctions du recteur par des motifs beaucoup moins -nobles. Suivant lui, la dépense que nécessitaient les funérailles dʼun -recteur était si excessive que lʼUniversité, pour prévenir un malheur -attaché à lʼespèce humaine, avait eu recours à lʼexpédient de ne -nommer son chef que pour six mois, ou même pour un temps moins long, -quand la maladie menaçait dʼabréger ses jours. Lʼopinion de Ducarel, -tout étrange ou malveillante quʼelle paraisse, nʼest cependant pas -dénuée de vraisemblance. En effet, lʼUniversité ne se composait pas -seulement de professeurs et dʼécoliers. Comme ses membres étaient -investis de priviléges, dont les principaux consistaient dans -lʼexemption de certains impôts indirects, elle ne tarda pas à ouvrir -ses rangs à de nombreux parasites, qui venaient moins y chercher la -nourriture de lʼesprit que la satisfaction dʼappétits plus positifs. -Cʼest ainsi que les fonctions modestes de bedeaux, dʼappariteurs, de -copistes, de papetiers, etc., furent avidement recherchées par de -riches bourgeois et de grands seigneurs. « Lʼusage voulait, dit M. -Jules Cauvet [46], -que ces personnages, en recevant leur nomination, offrissent à -lʼUniversité, toujours assez médiocrement pourvue dans ses moyens -financiers, une somme dʼargent comme témoignage de leur -reconnaissance. » - -Ceci exposé, le lecteur pensera avec nous que lʼexplication de Ducarel -nʼest pas moins acceptable que celle de lʼabbé De La Rue. Un double -courant dʼopinion, parmi les membres de -lʼUniversité, devait les conduire, par deux pentes distinctes, -à la même conclusion. Dʼune part, les professeurs, qui pouvaient -briguer les suffrages de leurs confrères; de lʼautre, les étrangers, -qui ne recherchaient dans des places universitaires quʼun moyen de -sʼexempter de la taille, avaient des motifs, différents il est vrai, -mais non moins sérieux les uns que les autres, pour souhaiter le -maintien des statuts, qui exigeaient une nouvelle élection tous les -six mois. Ceux-ci, dans la crainte de participer aux frais des -funérailles, redoutaient la mort du recteur; ceux-là désiraient son -changement dans lʼespoir de lui succéder. - -Grâce au règlement qui bornait à six mois la durée du rectorat, -lʼancienne Université de Caen, depuis son origine jusquʼà sa -suppression, cʼest-à-dire depuis 1431 jusquʼà 1791, nʼeut que deux -fois à payer la perte douloureuse de son amplissime recteur [47]. On se -figure aisément quelle émotion se répandit dans la ville lorsquʼon y -apprit, le 27 septembre 1753, que M. Jacques-François Boisne, recteur -de la « très-célèbre -Université de Caen » et professeur de rhétorique au collége -Du Bois, venait de se tuer à la chasse, à Beuville, chez le seigneur -du lieu. Le peuple, qui nʼavait guère alors que les cérémonies -publiques: feux de la Saint-Jean, entrées de gouverneurs ou de rois, -et enterrements de grands personnages, pour se consoler de ses -misères, dut apprendre la nouvelle avec une joie peu dissimulée. On -savait si bien que les funérailles dʼun recteur devaient sʼaccomplir -dans des conditions de magnificence inusitées, on avait attendu si -longtemps un spectacle qui avait été refusé à tant de générations, on -se faisait de cette solennité somptueuse une idée si extraordinaire, -quʼune rumeur étrange courut dans la foule et, par sa sottise même, -sʼaccrédita au point de passer plus tard à lʼétat de tradition [48]. On -répandit le bruit que le recteur sʼétait tué volontairement pour avoir -de magnifiques funérailles, et on le crut! Cette inepte invention, née -de la bêtise des foules, qui ont besoin dʼentourer les événements les -plus ordinaires de quelque chose de merveilleux, aurait été avidement -exploitée, si elle avait eu la moindre vraisemblance, par lʼhabileté -des gens qui allaient être atteints dans leurs intérêts matériels. En -effet, sʼils avaient pu, non pas établir, mais seulement laisser -soupçonner un suicide, tous les parasites -de lʼUniversité, qui voulaient bien en accepter les avantages sans en -supporter les charges, nʼauraient pas négligé un moyen si commode -dʼempêcher une inhumation dont ils devaient payer une partie des -frais. Quoique lʼabsurde soit facilement accueilli par le plus grand -nombre, ils nʼosèrent pas cependant tirer parti du bruit populaire. A -quoi bon dʼailleurs employer une calomnie, difficile à faire accepter -des gens intelligents, quand on a sous la main un bon petit scandale -indiscutable? Le recteur, qui venait de succomber, sʼétait tué à la -chasse, et, comme il était prêtre, on sʼempara de ce fait pour -discréditer sa mémoire dans lʼesprit des gens superstitieux. -Lʼargument, il est vrai, ne réussit pas. Toutefois il fut employé avec -assez de persistance pour quʼil obligeât les doyens, docteurs et -professeurs de lʼUniversité, à le réfuter publiquement, afin de ne pas -être soupçonnés dʼavoir participé à la rumeur que quelques habiles -avaient mise en circulation. Ce fait nous est suffisamment indiqué par -un passage du procès-verbal des funérailles du recteur, publié par -lʼUniversité. Après avoir insisté sur les détails de lʼaccident, le -rédacteur de la pièce y a laissé tomber entre deux parenthèses, comme -par mégarde, le bruit (qui courait en ville) que lʼon refuserait les -honneurs de la sépulture rectorale à un prêtre que la mort avait -surpris au moment où il chassait. Voici ce passage significatif [49]: - -« Le mercredi 26 septembre 1753, M. Jacques-François Boisne, -recteur de la très-célèbre Université de Caen et professeur -de rhétorique au collége Du Bois, était à Beuville, -paroisse distante de deux lieues de cette ville, chez le seigneur -du lieu. On lʼinvita dʼaller à lʼafut, il prit un fusil, y fut, et -passant, vers les sept heures du soir, un fossé, son fusil fit feu, -le coup lui passa vers la tempe droite, lui enleva le crâne de la -tête. - -« Le jeudi 27, le bruit de sa mort se répandit dans cette ville dès -le matin. La justice et les chirurgiens se transportèrent à Beuville -pour faire la visite du mort et en dresser acte suivant la coutume. - -« Le matin, les docteurs et professeurs qui étaient dans cette -ville sʼassemblèrent et tinrent conseil, dont le résultat fut de -députer vers les doyens, docteurs et professeurs absens, pour venir -délibérer en forme; on envoya chercher M. Vicaire, doyen perpétuel -de la Faculté de théologie, à Martragny. - -« Les doyens, docteurs et professeurs sʼassemblèrent le soir pour -savoir si on accorderait les honneurs de la sépulture rectorale au -défunt. On les lui accorda à la pluralité des voix (car le bruit -sʼétait répandu quʼil ne les auroit pas, étant mort à la chasse). » - -Le procès-verbal relate ensuite, avec de grands détails, tous les -préparatifs de la cérémonie, lʼembaumement du corps, et son -exposition, pendant plusieurs jours, dans la classe de philosophie du -collége Du Bois. Vient enfin le récit des funérailles, avec une longue -énumération des fonctionnaires et des notables qui composaient le -cortége. Tout en faisant grâce au lecteur de cette liste fastidieuse -de noms propres, nous devons cependant attirer son attention sur -certaines personnes -qui figurent dans cette nomenclature. Ainsi nous trouvons, dans -les premiers rangs du cortége, un sieur Harel et un sieur Crespel -désignés comme écrivains, et un sieur Guillain, de Bénouville, comme -enlumineur. A partir de lʼannée 1440, lʼUniversité de Caen avait eu -des registres en vélin, écrits par des officiers de lʼUniversité, -quʼon appelait scriptores, et ornés souvent de vignettes et de -miniatures exécutées par dʼautres officiers, quʼon appelait -enlumineurs [50]. Mais, au-delà de lʼannée 1620, on ne trouve plus -trace de registres de lʼUniversité. Le travail cessant, il semblerait -que le fonctionnaire eût dû disparaître avec la fonction. Cependant, -par un miracle de longévité que constate le procès-verbal de -lʼinhumation du recteur, les écrivains et enlumineurs sʼétaient -conservés plus dʼun siècle après lʼabandon des registres enluminés. -Ils figuraient aux cérémonies publiques et jouissaient, comme tous les -autres officiers de lʼUniversité, de lʼexemption de taxes onéreuses, -moyennant une certaine somme, déguisée sous le nom de don volontaire, -quʼils payaient à lʼUniversité en entrant en fonctions. Cette -parenthèse fermée, nous rendons la parole au rédacteur du -procès-verbal. - -« Le chœur de Saint-Sauveur étoit tendu à quatre rangs de lingette -noire et la nef à un rang. La chapelle du Saint-Sacrement et celle de -la Charité étaient tendues de leurs tentes noires et ornemens -funèbres. » - -« Au milieu du chœur il y avoit un très-beau cataphalque; il avait -quatre degrés tendus de noir chargés de larmes dʼargent, têtes de -mort et armes de lʼUniversité, un très-grand -nombre de cierges sur les degrés. Sur ces degrés étoit -lʼélévation, dʼenviron trois pieds, où on posa M. le Recteur pendant -le service, sous un dais de velours noir. Chaque pente chargée au -milieu des armes de lʼUniversité et, au reste, de larmes dʼargent. -La corde qui soutenoit le dais étoit couverte de noir et dʼune bande -blanche qui régnoit tout du long spiralement; telles étoient les -quatre cordes qui partoient des angles du dais et qui rendoient à -quatre coins du chœur. Le ciel étoit en voûte et se terminoit par -une boulle dʼargent, sur laquelle étoit peinte une tête de mort à -deux faces avec des ailes. Du dais pendoient quatre rideaux qui -sʼétendoient aux coins où étoient arrestées les cordes. Ils étoient -de cinq bandes, deux noires et trois blanches, chargées dʼhermines -noires; lʼautel avoit autant de cierges quʼil en pouvoit avoir. - -. . . . . . . . . . - -« Il y eut un concours extraordinaire de peuple qui vint voir cette -cérémonie; enfin il y avoit plus de monde à Caen, ce matin, quʼil -nʼen vient en foire de Caen le premier lundi. Les villes, de -quinze lieues à la ronde, étoient pour ainsi dire désertes. Il en -vint de Rouen et de Paris. » - -Cette cérémonie, autant par sa rareté que par la pompe extraordinaire -qui y fut déployée, avait vivement frappé lʼimagination des -contemporains. En dehors des relations officielles, nous en trouvons -un récit abrégé dans le Journal dʼun bourgeois de Caen. Un autre -bourgeois de la ville, Étienne Deloges, qui, à la suite dʼun recueil -manuscrit de Noëls et cantiques [51], -avait jeté deçà delà quelques notes relatives à des faits dʼhistoire -locale dont il avait été témoin, nous a donné aussi, à sa façon, un -compte-rendu des funérailles du recteur. Cette note mériterait dʼêtre -citée, ne fût-ce que pour la bizarrerie amusante de son orthographe. -Mais, comme elle ferait double emploi avec le procès-verbal que nous -avons mis sous les yeux des lecteurs, nous nous contenterons dʼen -extraire un passage où lʼauteur relate un fait inédit, qui nous -servira à compléter notre récit. « Il y a eu contestation pour sa -sépulture, dit lʼauteur en parlant des funérailles de Jacques de -Boisne; on voulet lʼinumé aux Cordeliers, lieu de leurs sépultures; -et le sr curai de Saint-Sauveur leur demanda, estant de sa -paroisse, et on luy a acordé; il a esté inumé le 5 dʼoctobre 1753, -porté sous un dais par quatre ecclésiastiques, quatre crespe aux -quatre coins du dès porté par quatre ansiens recteurs. » - -Quand on songe à lʼimportance du casuel que de telles funérailles -devaient rapporter, on ne sʼétonne plus que la dépouille mortelle du -recteur ait été lʼobjet dʼune contestation entre deux églises rivales. -Mais ce qui a lieu de nous surprendre, cʼest la victoire remportée, en -cette occasion, par le curé de Saint-Sauveur. Le droit et lʼusage -semblaient au contraire plaider en faveur des religieux des -Cordeliers. Huet nous dit en effet, dans ses Origines de Caen, quʼen -vertu dʼun contrat les Pères Cordeliers avaient mis leur couvent et -leur église à la disposition de lʼUniversité, qui, de son côté, -sʼengageait à les protéger. Dans une brochure in-4° intitulée: Actions -de grâces rendues par lʼUniversité de Caen pour le rétablissement de -la santé du Roy, le 25 novembre 1744, nous voyons aussi -que les Pères Cordeliers avaient le titre de chapelains ordinaires de -lʼUniversité. La même brochure nous apprend encore que les processions -particulières des autres paroisses étaient astreintes, lors des -cérémonies universitaires, à sʼassembler dans lʼéglise des Cordeliers. -Enfin la note manuscrite, que nous avons citée et qui émane dʼun -contemporain, dit positivement que le couvent des Cordeliers était le -lieu de la sépulture des membres de lʼUniversité. Pour triompher de -droits si formels, cimentés par un long usage, il fallut au curé de -Saint-Sauveur des arguments bien subtils ou de bien puissantes -influences. Ni les unes ni les autres ne lui manquèrent. En effet, -Pierre Buquet, qui eut la bonne fortune dʼoccuper la cure de -Saint-Sauveur au moment de la mort dʼun recteur, avait été lui-même -recteur et principal du collége des Arts. De pareils titres devaient -lui assurer une grande autorité dans les conseils de lʼUniversité. Et -celle-ci pensa sans doute que ce nʼétait pas tout à fait se dépouiller -que de payer les frais de lʼinhumation entre les mains dʼun de ses -membres. - -Trente-huit ans après cette pompeuse cérémonie, en 1791, la -municipalité de Caen sʼempara de lʼéglise Saint-Sauveur et la -convertit en halle aux grains. Où résonnaient jadis les chants sacrés, -on nʼentendit plus désormais que les clameurs dʼune foule affairée ou -quelquefois, comme en 1812, les grondements de lʼémeute. Ce fut, en -effet, sous les voûtes de lʼancienne église Saint-Sauveur que se passa -le premier acte dʼun drame qui a laissé une page sinistre dans -lʼhistoire de Caen sous le premier Empire. Voici comment M. Canivet, -dans une excellente notice, raconte les premiers incidents de lʼémeute -de 1812: « Le 2 mars, dit-il, une foule plus nombreuse -quʼà lʼordinaire avait envahi la halle. Elle était composée -partie de pauvres gens, dont bon nombre de femmes, venus là pour -acheter un peu de blé, partie dʼhommes sans aveu, que lʼon rencontre -partout où il y a du tumulte et dont le rôle est de faire du tapage et -dʼanimer les esprits. A leur tête était un nommé Lhonneur, maître -dʼécriture, homme peu considéré, pour ne pas dire plus, mais à la -parole facile, et il sʼen servait alors pour persuader à la foule -ignorante et affamée que, si le blé était cher, il ne fallait point -sʼen prendre à lʼinsuffisance de la récolte, mais à la connivence des -fermiers et des trafiquants de grains. Le peuple dʼapplaudir et de -crier: A bas les accapareurs! - -« Cependant le préfet et le maire, prévenus du désordre, étaient -accourus à la halle où se trouvait déjà le colonel Guérin; la force -publique nʼy était représentée que par quatre gendarmes. En vain le -préfet, par des paroles conciliantes, essaya dʼapaiser les séditieux -et de leur démontrer que de pareilles scènes ne pouvaient avoir -dʼautre résultat que dʼéloigner les cultivateurs de la halle et, par -conséquent, de faire monter le prix du blé; sa voix ne fut pas -écoutée; des menaces et des injures furent proférées contre lui. On -dit quʼun gamin de dix-huit ans, fils de lʼexcoriateur Sanson, plus -connu sous le nom de Bon-Appétit, cria, dans le langage de son état: -« Passez-moi le préfet, que je lʼécorche comme un vieux cheval, » et -quʼil sʼélançait sur lui quand il fut saisi par le colonel et étendu -sur le sol. On dit aussi quʼune femme Provost lui porta le poing sous -le nez et, selon quelques-uns, le frappa au visage; quʼune autre -femme, les uns disent Trilly, les autres Gougeon, tira le maire par -son catogan et le renversa sur un sac de blé. Je nʼai dʼautres -garanties de ces faits que la voix publique, et ce qui me porte à en -douter, cʼest que M. Chemin, ayant consigné dans ses notes que le -gendarme Maresquier lui a dit depuis que, si on les avait laissés -faire, lui et ses camarades, ils auraient arrêté quelques-uns des -plus criards et que tout eût été fini, il est évident quʼil sʼest -enquis auprès de ce témoin oculaire de tout ce qui sʼétait passé; or, -il ajoute nʼavoir pas entendu dire quʼaucune voie de fait eût été -commise jusquʼà ce moment. - -« Il est certain que, dans ces circonstances critiques, le préfet -perdit contenance et que, protégé par les gendarmes, il parvint à -gagner la porte, jetant quelques pièces de monnaie à la populace, qui -le poursuivit de ses huées jusquʼà la maison du premier président Le -Menuet où il trouva un refuge. Quant au maire, il avait disparu, -regagnant, dit-on, son domicile, rue St-Étienne, sous une grêle de -projectiles peu dangereux; quelques vitres furent brisées à sa maison. -Seul, le colonel tint bon jusquʼà la fin, faisant face à la foule et -lui en imposant par sa fière contenance. - -« Tel fut le premier acte du drame. Avant de passer outre, constatons -que pas un vol nʼavait été commis et que les cultivateurs qui, à la -vue du désordre grandissant, avaient pris la fuite, abandonnant leurs -sacs de blé, les retrouvèrent intacts à la halle suivante. Constatons -encore que, à part les on dit et les incidents plus burlesques que -tragiques propagés dans le public, il est un fait avéré, cʼest que -les deux premiers magistrats, lʼun du département, lʼautre de la -ville, furent brutalement insultés et leur autorité méconnue. » - -« Cʼest à la halle du lundi que ces désordres avaient eu lieu. Tout -autre jour, chacun fût retourné chez soi; mais alors, comme -aujourdʼhui, le lundi était le dimanche des ouvriers, et cette foule -oisive continuait à stationner place St-Sauveur avec force -vociférations. Déjà le jour tirait à sa fin et elle allait se -disperser peut-être, quand une voix dominant le tumulte fait entendre -le cri: Allons chez Mottelay! Ce Mottelay, meunier de son état, -avait acheté récemment lʼusine de Montaigu et introduit, dans les -procédés de mouture, quelques perfectionnements qui faisaient affluer -les grains à son moulin. On eût passé à moins pour un accapareur, dans -un temps où le peuple en voyait partout; aussi tous de répéter: -Allons chez Mottelay! » - -Une troupe dʼenviron deux cents personnes envahit le moulin de -Montaigu situé sur les bords de lʼOrne, à lʼextrémité du Grand-Cours. -Quelques hommes dʼune compagnie de la garde nationale suffirent à -disperser les émeutiers, qui sʼétaient contentés de dévaster -lʼintérieur du moulin et de renverser un petit nombre de sacs de -farine dʼorge. On sait de quelle répression terrible fut suivie cette -émeute sans importance. - -Après quelques jours dʼun calme complet, la ville apprit avec stupeur -lʼarrivée du général Durosnel, aide-de-camp de lʼEmpereur. Il entra à -Caen avec un corps de troupes considérable et accompagné dʼune -commission militaire, toute composée dʼavance pour juger les -séditieux. Cinquante-neuf prévenus furent arrêtés et transférés de la -prison civile au Château, où la commission prit séance le 14, à huit -heures du matin. Le 15, à deux heures du matin, la commission -prononçait une sentence qui condamnait huit accusés, -parmi lesquels quatre femmes, à la peine de mort, huit à huit ans de -travaux forcés, neuf à cinq ans de réclusion, vingt-cinq à cinq -années de surveillance. - -« Dix-huit heures avaient donc suffi, dit M. Canivet, pour entendre -soixante accusés dans leurs explications et leurs réponses, les -témoins à charge et à décharge dans leurs dépositions, le rapporteur -dans son réquisitoire, les avocats dans leurs plaidoiries. Jamais -tribunal, ni celui de la Terreur, ni celui même de Maillard, aux -journées de septembre, de sinistre mémoire, nʼavait fonctionné dʼune -manière plus expéditive. » - -Lʼexécution fut aussi rapide que lʼarrêt. Elle eut lieu le même jour, -entre sept et huit heures du matin, en dehors de la porte du Secours -du Château. Lʼun des condamnés, le jeune Samson, âgé de dix-neuf ans, -se débattait et criait: « Ne me tuez pas, ne me tuez pas! -envoyez-moi plutôt à lʼarmée, on nʼen revient jamais! » » - -« Mot amer, dit très-bien M. Canivet, et dont le malheureux ne -comprenait sans doute pas la portée; sanglante condamnation du régime -de chair à canon qui pesait alors sur la France! » - - - - -ABBAYE-AUX-DAMES - -[Illustration: ANCIENNE ABBAYE-AUX-DAMES] - -ABBAYE-AUX-DAMES - -(AUJOURDʼHUI HOTEL-DIEU) - -AVANT LA DÉMOLITION DU DONJON ET DE LʼANCIENNE PORTE DʼENTRÉE. - -A la suite des désastres de lʼinvasion anglaise de 1346, lʼAbbesse de -Sainte-Trinité, dont le monastère, situé en dehors des murs de la -ville, était exposé aux entreprises de lʼennemi, obtint -lʼautorisation de lʼentourer de murailles, de tours et de fossés. Les -travaux devaient être achevés en 1363; car, à cette date, des -lettres-patentes de Charles, duc de Normandie, autorisèrent lʼAbbesse -à percevoir des impôts sur ses vassaux « pour lʼentretien et -réparation du fort de la Trinité, qui est, disaient ces lettres, -dʼune grande enceinte, pour le payement des gens dʼarmes nécessaires -à sa garde, et à cause des ennemis qui étaient dans le pays et aux -environs. » - -« Au mois de juin de lʼannée suivante, dit lʼabbé De La Rue dans ses -Essais historiques sur Caen, Bertrand Duguesclin vint à Caen avec la -qualité de capitaine général de la Normandie -Outre-Seine. LʼAbbesse Georgette du Molley lui demanda de -venir au secours de ses vassaux de Saint-Gilles, qui, obligés de -garder de jour et de nuit la forteresse de lʼabbaye, étoient encore -tenus de loger la troupe quʼon entretenoit dans ce faubourg, comme -dans un corps avancé qui couvroit la ville. Le capitaine général, par -une ordonnance du 21 juin, les déclara exempts pendant un an de toute -taille, subside, treizième, impôt et aides qui étoient ou qui -pourroient être mis sur la ville et vicomté de Caen. - -« La forteresse de Sainte-Trinité avoit son capitaine particulier, -nommé par le Roi et à sa solde. - -« En temps de guerre, le grand bailli de Caen faisoit la visite des -forteresses de son bailliage et les faisoit mettre en état de défense -et approvisionner. René Le Coustellier, occupant cette dignité en -lʼannée 1372, dressa le procès-verbal de sa visite, et on y lit: - -« Le 9 février, lʼabbeie de Caen fut visitée, et fut commandé à -Mme lʼAbbesse et aussi à M. Erard de Percy, capitaine de ladite -abbeye, que la fortresche fût mise en état de toute défense, de -toutes réparations, tant de garites, fossés et autrement, et aussi -garnie de vivres et dʼartillerie convenablement, selon une sedulle -qui leur fut baillie sous le scel du bailli, et temps prefigié -jusquʼau premier jour dʼavril prouchain venant. » - -« Le roi dʼAngleterre Henri VI, maître de la Normandie, ordonna en -1434, au bailli de Caen, de raser les fortifications de lʼabbaye de -Sainte-Trinité. Cʼest lʼannée où les nobles et les communes se -soulevèrent contre les Anglois et voulurent sʼemparer de la ville de -Caen. Mais lʼAbhesse Marguerite de -Thieuville forma opposition à la démolition, et comme on craignait -sans doute quʼelle ne livrât la place aux mécontents, on laissa -subsister la forteresse. Le roi Charles sʼy retira plusieurs fois, -pendant que son armée faisoit le siége de Caen, en 1450. On la trouve -encore mentionnée dans les actes jusquʼau commencement du XVe siècle. -Mais après cette époque, la paix en fit négliger lʼentretien; cette -place tomba dʼelle-même, ou bien on rasa ce qui en faisait la force -pour utiliser le fonds. » - -Cependant quelques restes importants des fortifications de -lʼAbbaye-aux-Dames avaient eu la bonne fortune dʼéchapper à la -destruction ou aux ravages du temps. M. Le Nourichel nous en a -conservé la physionomie dans un dessin à la mine de plomb, dont la -reproduction lithographique accompagne cette notice [52]. On aperçoit -dʼabord, au centre du dessin, lʼentrée primitive de lʼabbaye, -construction du XIe siècle qui se compose dʼune large porte, dont la -voûte soutient un étage orné dʼarchivoltes. Cette entrée avait cela de -particulier quʼon ne voyait pas à côté dʼelle, comme dans la plupart -des autres maisons religieuses, une autre porte plus petite pour le -passage des piétons. Un corps de logis, moins élevé mais plus long, -flanqué de deux échauguettes et percé de fenêtres grillées, réunit -lʼancienne entrée de lʼabbaye à une tour carrée. Des contreforts -servent dʼappui à la partie inférieure de cette -dernière construction, dont lʼétage le plus élevé est orné -dʼouvertures gothiques. Au sommet règne une balustrade à jour, -rappelant un peu le couronnement des deux tours occidentales de -lʼéglise qui lʼavoisine. - -Quel était, dans le système de défense de lʼabbaye, le rôle de cette -tour carrée? Était-ce un donjon proprement dit, ou une tour-réduit, -destinés à commander les dehors et à servir de dernier refuge aux -défenseurs de la place? Rien ne semble lʼindiquer; car on nʼy -découvre ni créneaux, ni meurtrières, ni machicoulis. Comme -lʼAbbaye-aux-Dames était le siége dʼune justice féodale, nous -supposerions plus volontiers que cette tour carrée servait de prison. -Il y a, dʼailleurs, entre sa physionomie architecturale et celle du -donjon du prieuré de St-Gabriel (Calvados), une analogie frappante; -celui-ci, dont lʼusage est bien connu, était divisé en deux étages, -dont le plus élevé communiquait par un trou rond, pratiqué dans la -voûte, avec le cachot où lʼon renfermait les prisonniers. Les deux -constructions ayant de grandes ressemblances, il est permis de croire -quʼelles ont eu aussi la même destination. - -Quelle que fût dʼailleurs la destination de cette tour, elle était -assez intéressante pour quʼon prît le soin de la conserver. Reliée par -dʼanciens bâtiments fortifiés à la porte romane de lʼabbaye, elle -nʼoffrait pas seulement un aspect pittoresque; elle avait encore le -mérite de nous présenter nettement le caractère dʼune construction à -la fois religieuse et militaire au moyen âge. Malheureusement les -monuments nʼont pas une destinée beaucoup plus rassurante que celle -des livres, exposés, comme le dit le poète latin, au caprice du sort. -Quand ils ne sont pas victimes de cette force aveugle et -stupide qui sʼappelle la guerre, ils tombent moins noblement, mutilés -par des gens sans goût, ou renversés par des administrations trop -économes. - -Rappelons en quelques mots dans quelles circonstances fut écrite cette -triste page de lʼhistoire municipale de Caen. Les bâtiments de -lʼAbbaye-aux-Dames, convertis en casernes pendant la Révolution, -avaient été destinés, par un décret du 21 octobre 1809, à devenir -le dépôt de mendicité de la province. Cet établissement y fut -effectivement créé le 1er février 1812; mais les dépenses -considérables quʼil occasionnait, sans avantage réel pour le -département, en firent demander la suppression, qui eut lieu en vertu -dʼune ordonnance royale du 26 août 1818. Ce fut alors que le Conseil -municipal, sur la proposition du maire, conçut la pensée de conserver -à la ville ce précieux monument, en y établissant son hôpital des -malades. Ce vœu méritait dʼêtre accueilli favorablement, et le -Gouvernement, par une ordonnance du 22 mai 1822, autorisa la -rétrocession des bâtiments aux hospices. Jusque-là rien de mieux: le -projet du Conseil municipal donnait satisfaction aux intérêts -matériels de la cité, sans nuire au côté artistique de la question. Le -point de départ était excellent; mais, en route, on sʼégara en -oubliant de se laisser guider par les règles du goût, quʼon avait -dʼabord hautement proclamées. - -Voici, en effet, ce que nous lisons dans le procès-verbal de la -séance du 28 septembre 1821: « Le Conseil a vu avec satisfaction -que tous ces plans et projets ont été si bien combinés que lʼéglise -de Sainte-Trinité sera rendue toute entière au culte divin, et -quʼen même temps ce monument, remarquable sous le rapport des arts -et vénérable par les -souvenirs historiques qui sʼy rattachent, sera dégagé des masures -et constructions inutiles qui en obstruent la vue et lʼaccès. » - -Ainsi, pour le Conseil de 1821, lʼancienne porte romane et le donjon -de lʼabbaye, inestimables souvenirs archéologiques, ne sont plus que -des masures et des constructions inutiles! Sʼautorisant de cette -manière de comprendre les beaux-arts, le rapporteur de la Commission -des travaux publics, à la date du 14 mai 1823, sʼécrie quʼil faut -abattre tout ce qui entoure lʼéglise Sainte-Trinité pour « y pratiquer -une arrivée digne de lʼédifice! » Ce cri éloquent est entendu; on -frappe, on pioche, on brise, on abat jusquʼà une nouvelle -délibération du 13 février 1831, où lʼon peut constater que « les -déblais autour de lʼédifice avaient déjà coûté à la ville 30,000 fr.! » -Les déblais, cʼétait la porte du XIe siècle, cʼétait le donjon du -XIVe!... Et dire que la ville, en sʼépargnant cette dépense, aurait -enrichi en même temps notre province de deux rares spécimens de -lʼarchitecture religieuse et militaire au moyen âge! - -Lʼhistoire, que le marteau des démolisseurs ne saurait attaquer, nous -dédommage de cette perte par de nombreux et intéressants documents, -dont nous ne pouvons donner malheureusement ici que quelques extraits. - -En 1074, quelques années après la dédicace de lʼabbaye, le duc -Guillaume et sa femme assistèrent à la prise de voile de leur fille -Cécile, encore enfant, quʼils destinaient à succéder à la première -abbesse de Sainte-Trinité. Ils firent de très-amples donations à cette -maison religieuse, que leur propre fille devait gouverner treize ans, -jusquʼen 1127. Après la -mort de Mathilde et de Guillaume le Conquérant, leur fils aîné, -Robert, continua leurs générosités et fit à sa sœur diverses -concessions de biens-fonds qui formèrent ce quʼon appela depuis le -bourg lʼAbbesse ou la baronnie de Saint-Gilles. « Parmi les -donations faites à lʼabbaye de Sainte-Trinité par les princes de la -race normande, dit lʼabbé De La Rue, il faut remarquer le droit dʼune -foire de trois jours, la veille, le jour et le lendemain de la -Trinité, pendant lesquels elle avait toutes les coutumes de la ville. -Pour constater son droit, les officiers de la juridiction civile de -lʼAbbesse, et ceux de son officialité, allaient le vendredi, heure de -Vêpres, placer ses armoiries à toutes les entrées de la ville. Pendant -ces trois jours, lʼAbbesse avoit les coutumes, acquits, barrages, -péages, trépas, tavernages par toute la ville et forsbourgs dʼicelle, -avecques la juridiction et cognoissance à ce appartenance, sauf le -fait de lʼeau seulement, et durant tout ledit temps, toute ladite -ville et forsbourgs, sauf ledit fait, sont tenus comme en foire. Aussi -les prévôts ou fermiers du Roi étaient obligés dʼenlever des portes de -la ville les boîtes quʼils y plaçoient pour la perception des droits -royaux et dʼy laisser placer pendant la foire celles des fermiers de -lʼabbaye. LʼAbbesse avait aussi les honneurs militaires pendant le -même temps; et le commandant de la place, quel quʼil fût, allait lui -demander le mot dʼordre, pour le donner à la garnison. » - -Cʼest sans doute à cause des droits quʼelles percevaient pendant la -foire Trinité, que les Abbesses prenaient si chaleureusement la -défense. des intérêts de la ville de Caen. On trouve en effet dans le -registre des délibérations de lʼancien hôtel de ville, à la date du 24 -mars 1567, une lettre curieuse -de lʼAbbesse de Sainte-Trinité au Connétable, par laquelle elle -le prie de bien accueillir les délégués de la ville, qui sont allés à -Paris pour solliciter le maintien des franchises et immunités de la -cité quʼils représentent. - -LʼAbbesse de Sainte-Trinité ne jouissait pas seulement du privilége de -percevoir des droits à certains jour de lʼannée; elle était encore -exempte des impôts payés à lʼentrée de la ville. Pour conserver ce -privilége, elle était tenue de « donner un pain bis au barrier -(lʼemployé chargé de percevoir les impôts aux barrières), par la main -des gens qui apporteraient des blés ou dʼautres vivres à son couvent, -et qui en retournant chez eux devraient apporter ledit pain à la -barrière [53]. » Ces abus durent être modifiés avec le temps; car, -au XVIIIe siècle, nous voyons lʼAbbesse de Sainte-Trinité obligée, -pour jouir de ses anciens priviléges, de sʼabaisser jusquʼau rôle dʼun -fraudeur vulgaire. « La nuit du 1er au 2 décembre 1730, dit une -note du Journal dʼun bourgeois de Caen, les agents de Madame -lʼAbbesse de Sainte-Trinité de Caen ont fait entrer frauduleusement -deux charretées de vin de sept feuillettes chacune dans cette -abbaye, dont les commis à la perception des droits dʼoctroi ont -dressé leur procès-verbal; ce qui a occasionné un grand procès. » - -LʼAbbesse avait mauvaise grâce dʼintroduire des marchandises en -contrebande, quand on songe aux énormes revenus dont jouissait encore -son monastère. Guillaume le Conquérant, lors du partage de -lʼAngleterre, avait donné à Sainte-Trinité plusieurs seigneuries dans -les comtés de Dorset, de Devon, de -Glocester et dʼEssex. En 1266, le revenu de lʼabbaye était de 2,500 -livres tournois en France, et de 160 livres sterling en Angleterre, -sans compter certaines concessions, parmi lesquelles nous citerons la -jouissance des dîmes de Dives, qui comprenaient nominativement le sel -quʼon y fabriquait et les baleines quʼon y pêchait alors [54]. - -Au prestige de la richesse se joignait, pour lʼAbbesse de Caen, celui -dʼun pouvoir relativement étendu. Outre la juridiction ecclésiastique -quʼelle exerçait, par un official, sur les paroisses de St-Gilles, -Carpiquet, Ouistreham et Saint-Aubin dʼArquenay, elle avait aussi, -sur ces mêmes paroisses, droit de juridiction civile et criminelle. Au -point de vue religieux elle nʼétait pas moins privilégiée. Lʼabbaye -possédait douze chapelles richement dotées, savoir: huit dans son -enceinte, deux dans son bourg et deux à Ouistreham. Elle avait de plus -sa liturgie particulière. Parmi ses rites singuliers, nous trouvons -lʼusage de la fête des fous, quʼon célébrait le -jour de celle des saints Innocents. « Les jeunes religieuses, dit M. -Vaultier, y chantaient les leçons latines avec farces, cʼest-à-dire -avec intercalation de développements familiers en langue française. On -y faisait figurer une petite Abbesse qui prenait la place de la -véritable, au moment où le chœur chantait le verset: Deposuit potentes -de sede, etc., et la gardait jusquʼau retour de ce même verset, à -lʼoffice du lendemain. » Cette cérémonie avait tant dʼattrait quʼelle -attirait du dehors de nombreux spectateurs. Dans une enquête faite par -le grand bailli de Caen en 1399, nous voyons un des témoins déposer -« quʼun tel était né le jour des Innocents, parce quʼil se souvenait -quʼil était allé ce jour là à lʼabbaye de Sainte-Trinité voir les -esbattemens quʼon y faisoit lors. » - -Les religieuses de Sainte-Trinité devaient avoir un certain goût pour -les spectacles; car elles ne se contentaient pas des divertissements -quʼon donnait à lʼabbaye. Dans les Comptes de lʼabbaye, de 1423, on -voit lʼAbbesse sortir de son monastère, pour assister, dans un des -carrefours de la ville, au Miracle de Saint-Vincent, et donner aux -acteurs, pour elle et la religieuse qui lʼaccompagnait, une somme de -10 sous « équivalente, dit M. De La Rue dans ses Essais sur Caen, -à 7 l. 14 s. de notre monnaie actuelle. » - -Les Abbesses avaient une maison de campagne à Ouistreham, où elles -allaient séjourner et prendre des vacances. Quelquefois leurs absences -étaient plus longues, et leurs voyages plus lointains. Comme -Sainte-Trinité possédait de riches seigneuries en Angleterre, ses -Abbesses passaient souvent en ce pays, avec une suite plus ou moins -nombreuse, pour y surveiller Iʼadministration de leurs biens. Sous -prétexte dʼaffaires, -elles savaient mêler, selon le conseil du poète, lʼutile à -lʼagréable; et leur éloignement durait quelquefois près dʼune année. -Cʼest ainsi que lʼabbesse Georgette du Molay-Bacon nous raconte, dans -le journal de son voyage, quʼembarquée au port de Caen, le 16 août -1370, ayant à sa suite quinze personnes, pour aller à son manoir de -Felsted, dans le comté dʼEssex, elle ne revint en France quʼà la -Trinité de lʼannée suivante [55]. - -Telle abbesse, telles religieuses. Celles-ci ne connaissaient pas les -rigueurs du cloître. « Elles pouvaient recevoir leurs parents et leurs -amis dans leurs appartements, dit M. Vaultier, et avaient, presque -toutes, des nièces quʼelles élevaient. Elles assistaient en corps aux -processions publiques de la ville. Il y avait des jours où elles -allaient prendre lʼair dans un jardin peu éloigné de leur monastère. » -On ne sʼétonnera guère de voir tant dʼabus sʼintroduire dans les mœurs -du cloître, quand on saura que lʼabbaye de Sainte-Trinité se recrutait -parmi les familles des seigneurs normands, qui apportaient à la -communauté, en lui amenant leurs filles, de généreuses donations. -Comme le monastère ne devait recevoir que des filles nobles, il fut -alors et a continué dʼêtre appelé depuis vulgairement -lʼAbbaye-aux-Dames. - -La plupart des religieuses, ayant reçu une instruction soignée, -consacraient leurs loisirs à lʼétude des belles-lettres. Elles -écrivaient en latin sur des rôles une chronique de leur abbaye, qui a -été malheureusement détruite. Lʼabbé De La Rue nous apprend aussi -quʼelles se faisaient écrire des vers latins par -différents ecclésiastiques. Nous ne savons si le français leur était -moins familier; mais on pourrait le croire, quand on voit quʼelles -faisaient appel aux poètes du dehors pour écrire des vers de -circonstance. M. de Quens mentionne en effet, dans un de ses -manuscrits, un sieur P. Le Petit, ancien recteur à Alençon, qui « se -mêlait de poésie et fournissait de petites pièces de vers à -lʼAbbaye-aux-Dames pour les fêtes de lʼAbbesse et autres. » - -Comprenant que richesse oblige, comme noblesse, les Abbesses de Caen -se firent toujours remarquer par une généreuse hospitalité. Lʼabbaye -de Sainte-Trinité reçut des hôtes célèbres. En 1450, pendant le siége -de Caen, Charles VII vint loger quelquefois dans lʼenceinte du -monastère. Les anciens registres de lʼhôtel-de-ville nous apprennent -que la duchesse de Guise descendit le 19 août 1678 à lʼabbaye de -Sainte-Trinité où M. de La Croisette et les échevins vinrent lui -présenter les civilités de la ville et lui offrir une douzaine de -bourses et six douzaines de boîtes de confitures. » La nomenclature -de tous les personnages illustres, qui séjournèrent à -lʼAbbaye-aux-Dames, dépasserait les limites de cette courte notice, -que nous terminerons en rappelant que Charlotte de Corday y a laissé -un long souvenir. - - - - -LA PORTE-NEUVE - -[Illustration: LA PORTE-NEUVE DITE DES PRÉS] - -LA PORTE-NEUVE - -DITE DES PRÉS - -CONSTRUITE VERS 1590, DÉMOLIE EN 1798. - -COMME les villes ne sont que trop souvent flattées par les -artistes et géomètres, qui se chargent dʼen dresser le plan ou dʼen -reproduire des vues pittoresques, nous devons quelque -reconnaissance au sieur de Belleforest pour nous avoir donné le vray -Pourtraict de la ville de Caen en 1562. Cʼest en effet vers cette -époque que Ch. de Bourgueville, sieur de Bras, lieutenant général -du bailliage de Caen, communiqua au fameux compilateur les notes et le -plan dont celui-ci se servit pour écrire la description de Caen, qui -figure dans le premier tome de sa Cosmographie. En examinant lʼaspect -général de ce plan, on voit que la ville était alors divisée en deux -parties qui affectaient chacune la forme ovoïde: lʼancien Caen au -nord; au sud, le vaste quartier de lʼîle St-Jean, ainsi nommé parce -quʼil était -complètement entouré, tant par le lit principal de lʼOrne, que par un -de ses bras détourné en lʼannée 1104 sur lʼordre du duc Robert. -Considérées dans leur ensemble, ces deux parties de la ville -ressemblent à une mappemonde en deux hémisphères, dont le point de -contact, ou, si lʼon veut, la charnière, serait représenté par les -arches du pont St-Pierre, sur lequel sʼélevait lʼancien -hôtel-de-ville. - -Cette vue de Caen, à la fin du XVIe siècle, arrachait des cris -dʼadmiration au patriotisme de M. de Bras, son vieil historien. - -« Cette ville, dit-il dans ses Recherches et antiquitez de la -ville de Caen [56], au jugement de chascun qui la voit et la -contemple, est lʼune des plus belles, spacieuse, plaisante et -délectable que lʼon puisse regarder, soit en situation, structure de -murailles, de temples, tours, pyramides, bastiments, hauts pavillons -et édifices, grandes et larges rues..... » Cette nouvelle merveille -du monde avait cependant – que les mânes du vénérable historien nous -pardonnent – un défaut capital dans son système de fortifications. Le -Pré de lʼIsle et les Petits-Prez, situés entre lʼOdon et le bras -détourné de lʼOrne, et qui formaient une sorte de triangle, dont le -sommet touchait au pont St-Pierre, tandis que leur base sʼappuyait aux -grandes prairies, avaient lʼinconvénient de sʼenfoncer comme un coin -jusquʼau cœur de la place. Maître de cette position, lʼennemi devait -bientôt lʼêtre de la ville. - -Les Anglais se chargèrent, en 1417, dʼen faire la preuve lamentable. -Le jour de lʼassaut général, leur premier soin fut de sʼemparer du Pré -de lʼIsle pour sʼinterposer entre les deux parties de la ville. -Malgré la résistance acharnée des habitants, -Henri V ne tarda pas à forcer le rempart des Jacobins et à rejoindre -son frère, le duc de Clarence, qui était entré par escalade dans lʼîle -St-Jean, du côté des quais. Se jeter de là, par le pont St-Pierre, -dans lʼintérieur de lʼancienne ville et sʼen emparer, ce nʼétait plus -et ce ne fut, en effet, que lʼaffaire de quelques heures de combats -sanglants. - -Le vice essentiel du système de défense de la ville ne pouvait être -démontré dʼune façon plus cruellement victorieuse. Les habitants de -Caen se souvinrent de la leçon et, pour en tirer profit, il ne leur -manqua que lʼargent et lʼoccasion. On les voit, en effet, à peine -remis des désastres de lʼoccupation anglaise, essayer, en 1495, de -« clore les Petits-Prez et dʼen faire une partie de la ville [57]. » En -1512, au dire encore de Huet, le seigneur de la Tremouille construit -un boulevard entre le Pré de lʼIsle et les Petits-Prez. Et ce fut tout -jusquʼen lʼannée 1590. Les pestes affreuses qui dépeuplèrent la ville -à plusieurs reprises, la grande misère qui les accompagna et les -suivit, les impôts écrasants, les guerres de religion, ne laissèrent -sans doute aux administrateurs de la ville ni assez de répit, ni assez -de ressources, pour achever ou perfectionner les premiers essais de -fortification quʼon avait entrepris du côté des prairies, entre -lʼOdon et le canal Robert. - -Un grand événement historique vint donner une impulsion nouvelle aux -projets de fortifications étudiés par les échevins de la ville de -Caen. Après lʼassassinat dʼHenri III par Jacques Clément, Henri de -Bourbon, premier prince du sang de la maison de France par son père, -sʼempressa dʼenvoyer, le 2 août 1589, aux corps de ville du royaume, -une lettre circulaire [58] -dans laquelle il faisait, pour la première fois, acte -de roi, et promettait aux communes qui contiendraient « son peuple en -son obéissance » de les « soulaiger et gratiffier. » Enchantés de -cette promesse, les échevins de Caen sʼempressèrent de prendre au mot -le nouveau roi. « Nous vous supplions de croire, lui dirent-ils dans -une lettre du 19 août 1589 [59], que nous continuerons à vous obéir -et servir en la même fidélité et obéissance que nous avons toujours -portée aux rois, vos prédécesseurs, à quoi nous sommes dʼautant -plus incités par le bon traitement et gratification quʼil plaît à V. -M. nous promettre en ce qui concerne le particulier de notre -ville... » En même temps, en bons normands ferrés sur le droit, qui -pensent quʼune parole écrite vaut mieux quʼun engagement verbal, -fût-il dʼun prince, ils énumérèrent, dans une instruction, les -gratifications quʼils entendaient réclamer en échange de leur -fidélité. Le chapitre en serait long à transcrire. Pour la ville, ils -réclamaient la tenue des États de la province de Normandie, -lʼétablissement définitif des Cours souveraines transférées de Rouen; -pour les bourgeois de Caen, lʼexemption de certaines tailles et du -service du ban et arrière-ban; pour les échevins, douze lettres -dʼanoblissement, pour eux ou pour leurs amis. « Le tout, -avaient-ils soin dʼajouter, en considération et pour remarque de la -fidélité et obéissance que lesdits habitants de Caen ont toujours -portée à leurs rois et princes. » - -Devant de si touchantes marques de dévouement, Henri de Bourbon se -sentit fort à lʼaise pour imposer à son tour -ses conditions. Il fit sans doute remarquer aux échevins quʼil voulait -bien accepter la fidélité dʼune ville, qui se montrait si ouverte dans -ses prétentions, pourvu quʼelle consentît à être fermée aux -entreprises des ligueurs qui couraient la campagne. Si nous ne -trouvons aucune trace dʼune pièce semblable dans les registres de -lʼancien Hôtel-de-Ville, nous y rencontrons, en revanche, une lettre -dʼHenri IV, du 30 janvier 1593, qui prouve que le prétendant à la -couronne de France avait depuis longtemps donné des ordres aux -échevins de Caen, soit pour la réparation des anciens remparts, soit -pour lʼétablissement de nouvelles lignes de défense. - -« Chers et bien amés, leur écrivait-il, nous avons vu le dessin -que le sieur de La Vérune nous a envoyé par le sieur du Bois de la -fortification de notre ville, château et faubourgs de Caen, et -particulièrement entendu dud. sieur du Bois lʼavancement que vous -avez déjà donné à lad. fortification; chose qui nous a été bien -agréable, et dʼautant que le parachèvement de lad. fortification est -très-requis pour votre conservation et pour le bien de notre -service. Nous avons bien voulu vous exhorter par la présente à y -faire travailler diligemment et vous assure que de notre part nous -vous aiderons en ce que nous pourrons pour la rendre au plus tôt en -défense. Donné à Chartres. » - -Cette lettre inédite dʼHenri IV renferme plus dʼun enseignement. Elle -nous apprend dʼabord quʼil se faisait tenir depuis longtemps au -courant des ouvrages de défense, quʼon avait commencés à Caen, entre -la porte du vieux St-Étienne et le champ de foire, et quʼil y prenait -beaucoup plus dʼintérêt que les habitants eux-mêmes. On y devine, sous -lʼarrangement -poli de la phrase officielle, quʼil songeait bien plus au bien de -son service quʼà la « conservation » proprement dite des bourgeois -de Caen. Mettre la ville, qui sʼétait donnée à -lui le moins gratuitement possible, à lʼabri dʼun coup de main -des ligueurs qui rôdaient dans les environs, telle était sa vraie, sa -seule pensée. Et pour obtenir ce résultat, il promettait aux bourgeois -de les « aider en ce quʼil pourrait » dans le travail des -fortifications. Cependant comme les habitants de la vieille cité -bas-normande étaient gens pratiques et hommes dʼaffaires, ils ne -prirent guère en considération des assurances qui ne reposaient que -sur la parole royale. Ils voyaient bien ce que leur coûteraient les -fortifications, mais ils voyaient moins clairement le bénéfice quʼils -étaient appelés à en tirer. Aussi, malgré la lettre missive du maître, -ils montrèrent peu dʼenthousiasme pour lʼœuvre recommandée. Pour -triompher de leur mauvaise volonté, il ne fallut rien moins quʼune -ordonnance sévère, que MM. Vauquelin, lieutenant général, de La -Serre, avocat du roi, et du Bois-Couldrey, commissaire du roi, au -fait des fortifications, firent publier à son de trompe dans les -rues. - -« Sur la complainte faite par M. Jacques Bazin, quʼil ne peut -avoir ni retenir des artisans en son atelier, et que les bourgeois -et habitants de ladite ville les viennent débaucher de jour en jour, -à mesure quʼils en ont affaire pour leurs ouvrages particuliers, il -a été chargé audit Bazin de bailler une liste des artisans quʼil -aura demandés et quʼil voudra employer en sa besogne, auxquels il -sera enjoint de travailler avec lui jusquʼà ce que les ouvrages -quʼil a entrepris soient parfaits, et défendu à toute personne de -les -prendre ni employer en leurs ouvrages, sur peine aux -contrevenants, pour les bourgeois et ceux qui les emploieront, « de -50 écus dʼamende, et auxdits artisans, du fouet pour la première -fois, et, pour la seconde, dʼêtre pendus et étranglés. Et sera à -cette fin ladite liste avec la présente ordonnance publiée à son de -trompe, tant audit atelier de ville que par les carrefours dʼicelle. » - -Cette ordonnance, du 23 juin 1593, si on la rapproche de la lettre -précédente dʼHenri IV, nous prouve surabondamment que les nouvelles -fortifications, qui devaient fermer la ville du côté des grandes -prairies de Louvigny, ne furent pas entreprises sur lʼinitiative des -habitants, mais probablement contre leurs vœux et sur la -recommandation expresse du roi. - -Une délibération du conseil de la commune de Caen fixe à peu près -lʼépoque du commencement des travaux. Nous lisons, en effet, dans les -registres de lʼancien Hôtel-de-Ville, à la date du 21 novembre 1590: -« Jean Marguerie, sieur de Sordeval, conseiller du roi en -lʼélection de Caen, en sa qualité de sergent-major en ladite ville, -demande, le 21 novembre 1590, à couper le bois étant dans le fossé -de la ville et sur le parapet dudit fossé, jouxte le cercle des -Jacobins, et icelui employé aux fortifications qui se font à -présent du côté des prés, entre la rivière dʼOulne et la rivière -dʼOuldon. » - -Commencées dans le courant de lʼannée 1590, les nouvelles -fortifications venaient dʼêtre achevées, depuis la porte St-Etienne -jusquʼà lʼIle de la Cercle, ou Champ-de-Foire, à la date du 9 avril -1597, lors de la Visite des murailles qui se faisait à -Caen, tous les trois ans, à chaque nouvelle élection des -gouverneurs-échevins. Les travaux avaient été exécutés sur les plans -et sous la direction dʼun très-habile géomètre et architecte, Josué -Gondouin, dit Fallaize, qui figure parmi les oubliés ou dédaignés de -cette époque; car nous ne trouvons nulle part trace de biographie se -rapportant à cet artiste de mérite. Lʼordre de payer suivant, adressé -par les échevins au receveur de la ville, le 25 juillet 1592, nous -apprend ce fait, intéressant pour lʼhistoire locale. - -« Ordre au receveur de payer à M. Gondouin, maître-voyer juré pour -le Roi en cette ville et bailliage de Caen, la somme de 20 écus, -qui lui a été allouée, pour faire dresser et pourtraire sur -parchemin le plan, assiette et étendue de cette ville, avec -remarque des tours, forteresses et enclos des murailles, des lieux -et endroits plus forts et autres plus faibles dʼicelle, même des -lieux et places, qui commandent la ville, le tout pour servir à -résoudre les fortifications plus nécessaires à faire en icelle, -selon quʼil lui en avait été donné charge par M. de La Vérune et -autres seigneurs, ayant entrepris de faire travailler auxdites -fortifications. Lequel plan a été par lui baillé et délivré et -ordonné être conservé aux arches de lʼHôtel-de-Ville, pour sʼen -aider et servir quand besoin sera. » - -Comme nous lʼavons dit, il sʼagissait de réunir à la ville, en les -reliant par une courtine aux anciennes murailles, tous les terrains -désignés, sur le plan de Belleforest, sous les noms de Petits-Prez, -Grands-Prez et Pré-de-lʼIsle, sur lesquels se trouvent aujourdʼhui -lʼéglise Notre-Dame, la préfecture avec ses jardins, les bâtiments de -lʼHôtel-de-Ville, la place Royale, et les groupes de maisons -comprises entre la -rue du Moulin et le nouveau boulevard, jusquʼà lʼancien pont -St-Pierre, aujourdʼhui démoli. Il est fort regrettable que le plan de -Josué Gondouin ne soit pas arrivé jusquʼà nous. Lʼhabile maître-voyer -nous a heureusement laissé, dans son procès-verbal de la visite des -fortifications du 12 mai 1606, quelques explications précieuses -auxquelles nous faisons lʼemprunt suivant. - -« On avait encomrnencé, dit-il, de faire deux grands bastions: lʼun -à la porte St-Étienne, dont les flancs devaient défendre portion de -la courtine dʼentre ledit bastion et lʼautre bastion proposé faire -dedans ladite Cercle ou foire; laquelle courtine nʼavait été pour -lors trouvée être requise fermer et être faite que de terre, -fascines et gazons, vu la commodité que lʼon en avait joignant les -terres quʼelle enferme, qui est une portion de prairie ayant environ -120 toises de longueur, à prendre par le long de ladite -courtine, laquelle courtine est en forme de tenailles sur lʼun des -bouts de laquelle fut aussi délibéré faire de maçonnerie une porte -fermant et ouvrant à pont-levis, pour tirer les foins de la prairie; -pour défendre laquelle, ainsi quʼenviron la moitié desdites -tenailles, avait été tracé dedans ladite Cercle, les fondements, -fossés, courtines et flancs dudit second bastion..... » - -Ce document, dont on ne peut contester lʼimportance puisquʼil nous -vient de lʼauteur lui-même des travaux, nous servira à faire la -légende de la gravure, qui nous a conservé -la physionomie de la Porte-Neuve. - -Cette vue, tirée du cabinet de M. Lair, avait été reproduite par M. -Ch. Pichon, dʼaprès le tableau de M. Ch. de -Vauquelin de Sassy, à qui lʼon devait déjà la plus grande partie des -lithographies de la Statistique de Falaise de M. Galeron. Elle nous -montre la Porte-Neuve telle quʼelle existait encore à la fin du XVIIle -siècle, avant sa destruction. Le fossé et le pont-levis, qui servait à -le franchir, nʼexistent plus; mais le reste du petit édifice nʼa subi -ni les outrages du temps, ni les changements quʼaurait pu y apporter -la main de lʼhomme. Il se compose dʼun pavillon carré, traversé au -rez-de-chaussée par une large porte à cintre surbaissé, et surmonté -dʼun étage sans fenêtres, que couronne un toit avec girouettes. A -gauche, une petite tour carrée, renfermant probablement lʼescalier; à -droite des constructions moins élevées, soutenues par des contreforts, -dont le pied se baigne dans la rivière; enfin de longues -cheminées, au corps mince; tel est lʼaspect général de la -construction, dont la structure élégante, jointe à une situation -heureuse, forme un ensemble qui satisfait lʼœil. Lʼédifice nʼa rien de -martial; sur ses flancs, pas la moindre tourelle, pas la plus petite -échauguette. Quelques meurtrières, qui sʼouvrent de çà de là dans les -murailles, moins pour menacer que pour regarder au dehors, et cʼest -tout. En voyant son attitude inoffensive, on ne croirait guère quʼil -fût destiné à entrer, même pour la part la plus modeste, dans un -système quelconque de fortifications, si lʼauteur du plan, dont nous -avons cité un passage, ne venait heureusement à notre aide pour nous -apprendre quʼil était protégé dʼun côté par le bastion de St-Étienne, -de lʼautre par le bastion de La Cercle. - -Il résulte de lʼexamen comparatif des plans de lʼancien Caen que la -Porte-Neuve devait être située sur la rive gauche de la Petite-Orne, -ou canal Robert, entre le pont aux Vaches et -lʼancien pont de la Foire, un peu plus rapprochée de celui-ci que de -celui-là. - -Notre gravure nous en fait connaître la façade du côté des prairies; -lʼautre côté, qui regardait la ville, et lʼintérieur de la -construction ne peuvent être à peu près reconstitués quʼà lʼaide de -quelques rares documents, puisés dans les registres de lʼancien -Hôtel-de-Ville de Caen. - -« Au corps dʼhôtel sur la Porte-Neuve, est-il dit dans la visite -des murailles du 9 avril 1597, de présent non encore habitée a été -trouvé nécessaire faire ajuster une ventaille de bois pour un -soupirail, qui est au milieu de lʼaire de la chambre; plus clore de -ventailles, huis et fenêtres, une huisserie qui est à la vis ou -montée et une fenêtre, et quʼil serait bon bailler ledit logis à -quelque personne pour y habiter et quʼil serait mieux conservé -étant habité quʼautrement; ayant connu par expérience quʼà -lʼoccasion quʼil nʼy demeura personne, on a déjà fait plusieurs -travaux et réparations aux huis et serrures de ladite maison sur -quoi sera conféré avec M. de La Vérune. » - -Ce passage nous apprend que les bâtiments de la Porte-Neuve -renfermaient un corps-de-logis habitable, avec fenêtres donnant sur -lʼintérieur de la ville. On y mentionne une chambre seulement, mais -nous pouvons affirmer quʼil sʼy trouvait encore dʼautres pièces; -car il est permis de supposer que cette nouvelle construction, qui -avait moins lʼapparence dʼune forteresse que dʼun pavillon inoffensif, -nʼavait pas dû être moins bien traitée sous le rapport de lʼhabitation -que les anciennes portes de la ville, bâties surtout dans un but -stratégique. Or, celles-ci avaient toutes, au rez-de-chaussée, même -les moins -importantes, une salle basse qui servait de corps-de-garde, et une -sorte de magasin ou réduit « pour retirer, dit toujours le -procès-verbal de la visite des murailles, quelques bûches et fagots -pour le feu de ceux qui sont en garde à ladite porte, même pour -retirer quelque bois pour la ville et les outils des artisans, -quand on travaille à ladite porte ou aux environs. » Au premier -étage se trouvaient toujours une ou deux chambres que la ville louait -à des fermiers, prêtait à quelque employé, ou donnait, à charge -seulement de faire certaines réparations à lʼimmeuble. Cʼest ainsi que -nous voyons, en 1597, la partie habitable dʼune des portes de la -ville affermée, à charge dʼentretenir les couvertures. - -« Lʼédifice sur la porte St-Julien et tenu par Marie Boyvin par -ci-devant veuve de Richer, trompette de la ville, comme à la -précédente visitation lui en ayant été concédé lʼusage passés sont -six ans, en considération que son mari fut tué servant de trompette -à la compagnie de gendarmerie de M. de La Vérune, étant lors à -lʼarmée du roi, et à la charge dʼentretenir bien et dument la -couverture volante dudit édifice, selon la lettre quʼelle en a. -Continuée à la charge de bien et dument entretenir ladite tour en -couverture et dʼy vivre sans scandale. » - -Quand la ville logeait un de ses employés, sans conditions, il -arrivait souvent que les immeubles se conservaient comme ils -pouvaient, jusquʼà ce quʼil se trouvât un locataire assez audacieux -pour se plaindre, ou assez habile pour cacher ses vœux sous le masque -dʼune action charitable. Tel le cas dʼun sieur Longuet, garde à la -porte Millet, que le procès-verbal de la visite des murailles nous -rapporte ainsi: - -« La chambre de dessus est tenue par le sergent Longuet, auquel -lʼusage en a été concédé, dès longtemps, en considération du -service quʼil fait en sadite charge; lequel Longuet a remontré -quʼil nʼy a aucune commodité en ladite chambre, nʼétant plancher par -dessus, la cheminée rompue, nʼy a aucune fenêtre commode, et a prié -lesd. sieurs présents que leur plaisir fût la faire plancher et -accommoder de vitres et cheminée, en sorte que quelquefois les -bourgeois, qui sont en garde, sʼen pussent servir pour y prendre -leur réfection, sans être contraints retourner à leurs maisons, qui -serait une bonne commodité pour le fait desdits gardes. » - -Le sieur Longuet ne montrait cette hypocrite sollicitude pour le -bien-être de la milice que parce quʼil occupait gratuitement les -parties habitables de la porte. Mais les fermiers de la ville, qui -payaient leur location, faisaient leurs réclamations sur un autre ton. -Exemple: - -« Au ravelin de ladite Porte-au-Berger, ajoute le procès-verbal déjà -cité, a été trouvé nécessaire au corps dʼhôtel neuf, qui est baillé -à ferme, réservé la grande salle basse pour le corps de garde, de -faire des huis à la petite chambre sur lʼouvroir et aux greniers et -quelques ventailles aux fenêtres pour le tout pouvoir clorre pour la -commodité du fermier: lequel fermier a remontré que néanmoins le -bail à lui fait, les capitaines et habitans, qui viennent en -garde, lʼont empêché de labourer le jardin dépendant de ladite -maison, disant que ladite place est nécessaire pour le proumenoir -de ceux qui sont en garde. Aussi se sont habitués de la grande -chambre, sur la salle de bas, où se fait le corps de garde, en -laquelle ils ont fait mettre quelques -meubles, disant quʼelle leur est nécessaire pour prendre leur -réfection, les jours quʼils sont en garde, afin de ne se départir -de leur garde et être contraints retourner en leurs maisons pour -boire et manger, demandant sur ce lui être pourvu et quʼil soit -fait jouissant ou que son bail soit dissolu. Reste y aviser. » - -Avec les documents qui précèdent, nous pouvons, comme un touriste muni -de son guide, faire un voyage instructif autour de la chambre de la -Porte-Neuve et de ses pièces accessoires. Quelques nouveaux -renseignements, empruntés aux registres de lʼHôtel-de-Ville, nous -permettront, après avoir pris connaissance du logement, de jeter un -coup dʼœil curieux sur lʼexistence et les habitudes du locataire. Nous -nous rappelons que le 9 avril 1597, la Porte-Neuve nʼétait pas encore -habitée. Mais, comme les échevins avaient pensé à cette date quʼil -était urgent, afin dʼentretenir les serrures, portes et fenêtres de -leur immeuble, de trouver quelque personne de bonne volonté pour -essuyer les plâtres, il est fort probable quʼun garde fut installé peu -de temps après dans la nouvelle construction. Dix-huit ans plus tard, -ce garde mourait, et nous ne rappellerions pas ce fait, sans -importance, sʼil ne servait à nous montrer que ces modestes fonctions -étaient quelquefois lʼobjet dʼun conflit entre le pouvoir royal et les -prérogatives municipales. - -« Le garde de la Porte-Neuve étant mort, disent les Registres de -lʼHôtel-de-Ville à la date du 22 mars 1615, les échevins et le -procureur-syndic vont trouver M. de Bellefonds et le supplient -dʼavoir pour agréable quʼils en nommassent un autre à sa place, -suivant les anciens priviléges de la -ville. M. de Bellefonds prétend que cette nomination lui -appartient et ajoute que, si MM. du Corps de Ville pensent que leurs -droits soient lésés, il est prêt, au premier voyage quʼil fera en -cour, à sʼen remettre au jugement de Sa Majesté, quʼen attendant il -pourvoiera dʼun bourgeois de la ville à la garde de ladite porte. -Les échevins, au retour, arrêtent que ces propositions seront -rejetées et M. le Bailli ordonne dʼenregistrer ce que dessus au -registre du Greffe de la ville pour y avoir recours si besoin est. » - -Nous ne voyons pas tout dʼabord quel grand intérêt avaient les -échevins à défendre, contre les empiétements du pouvoir -central, le privilége qui consistait à nommer les gardes des -portes de la ville. Car, – chose étonnante et qui est cependant -prouvée par maint passage des registres de lʼHôtel-de-Ville, – les -gardes des portes nʼétaient pas chargés dʼen conserver les clefs. Ce -soin, qui aurait dû être, sinon la première, au moins une de leurs -plus importantes attributions, était confié à dʼautres mains. Nous -lisons, en effet, à la date du 2 septembre 1610: - -« Il a été arrêté pour la police de tenir les portes closes de -nuit. Que Messieurs en prendront la charge, savoir est: Pour la -Porte-Neuve, chez M. le Président, etc. Et les feront clore et -ouvrir à heures convenables par leurs serviteurs et domestiques, -auxquels ils auront confiance, lesquels la ville gratifiera de -chacun deux écus par an. » - -En 1615, on place des soldats de la milice aux portes, par suite de -lettres reçues du roi, et lʼon remet les clefs aux personnes désignées -pour ouvrir et fermer les portes. En 1616, les six clefs de la -Porte-Neuve sont données en garde à plusieurs bourgeois. A toutes ces -dates, la ville était sous le coup -dʼune alerte; le roi lui écrivait de prendre des précautions, de se -tenir prête à soutenir une attaque. On comprend donc que dans ces -moments de troubles on ne confiât pas les clefs de la ville à un -simple garde, qui aurait pu se laisser corrompre ou passer aux partis -ennemis. Mais un passage des anciens registres de lʼHôtel-de-Ville -nous apprend quʼil en était de même en temps de paix. Ainsi, en 1610, -après la paix du Pont-de-Cé, au moment où lʼon venait de lever les -gardes placées aux portes de la ville, nous voyons remettre les clefs -à des personnes nominativement désignées. - -Cependant les clefs étaient laissées quelquefois entre les mains du -garde de la porte, comme cela paraît résulter du document suivant. - -« Geoffroy Bellebarbe, ayant les clefs de la Porte-Neuve en dépôt, -disent les anciens registres de lʼHôtel-de-Ville à la date du 4 mai -1640, a fait plainte que quelques écoliers, nuitamment, ont rompu -lʼune des chaînes du pont de ladite porte et forcé la serrure avec -des pierres; jure et affirme quʼil ne les connaît, pour nʼavoir osé -sortir, à cause quʼils lâchèrent quelques coups de pistolet. » - -Cʼétait le garde qui devait préparer la salle basse, dans les -occasions où elle était occupée par la milice bourgeoise; cʼétait lui -aussi qui devait aller aux approvisionnements, apporter les deux -bûches, les deux fagots, le charbon et la chandelle que la ville -délivrait à chacun des cinq corps de garde placés au Tripot, à la -porte de Bayeux, à la Porte-Neuve, sur le port et à la porte -Millet. » - -Quand le moment dʼalarme était passé et que les bourgeois armés -abandonnaient les postes, cʼétait à lui encore que revenait -le soin dʼemmagasiner la plupart des outils qui servaient à la -réparation des remparts. Et ce nʼétait pas alors une petite besogne; -car, pendant les guerres de la Ligue et les troubles des premières -années du règne de Louis XIII, les bourgeois étaient à tout instant -convoqués, non-seulement pour garder les fortifications, mais aussi -pour les réparer. En 1615, par exemple, nous voyons les bourgeois -tenus de travailler aux fortifications et à la vide des fossés, -attendu que les deniers de la ville ne seraient suffisants. » - -Quand une nouvelle lettre du roi venait rassurer les échevins et -ordonner de renvoyer chez elles les compagnies de la milice, quand la -ville se reposait dʼune si chaude alarme, le garde des portes ne -jouissait pas de fréquents loisirs. Tantôt il lui fallait courir sur -les remparts pour empêcher de jeter dans les fossés des matériaux dont -on voulait se débarrasser; tantôt au contraire, au lieu de défendre -les fortifications contre des alluvions gênantes ou nauséabondes, il -fallait les protéger contre un amaigrissement, dont la cause ne -faisait pas honneur au patriotisme des propriétaires riverains. Ce -détail curieux est indiqué dans la visite des murailles du 9 avril -1597. - -« Tous ceux qui ont leurs jardins et héritages aboutissant sur les -remparts entre lad. tour (tour Sevans) et la porte St-Étienne, -ayant miné lesdits remparts, pour accroître leurs jardins, et qui -devaient être approchés, pour se voir condamner à remettre les -terres en lʼétat quʼelles étaient, minant encore davantage de jour -en jour, nʼayant été fait aucune action contre eux, à quoi reste -pourvoir. » - -A cette surveillance des délinquants sʼajoutait, pour le garde de la -Porte-Neuve, lʼobligation de tenir les portes ouvertes -pour le passage des voitures, pendant la saison des foins et, pendant -la foire royale, pour celui des bestiaux quʼon exposait en vente dans -la prairie en dehors des fortifications. - -Nous trouvons, en effet, dans le registre 46 de IʼHôtel-de-Ville, parmi -les conditions imposées à lʼun des adjudicataires des patrimoniaux de -la ville, les clauses suivantes: « Il souffrira les ébats -accoutumés dans le pré (emplacement quʼoccupent aujourdʼhui -lʼéglise Notre-Dame, la préfecture, les bâtiments de la mairie et la -place Royale). De même il souffrira les bêtes à laine qui y sont -exposées en vente, et la montre des chevaux du côté de lʼOdon -durant la séance de la foire royale; et les bêtes aumailles (mot -du patois normand qui signifie bestiaux) et porchines au lieu où -elles sont exposées en vente pendant la foire, près et en dehors -de la Porte-Neuve jusquʼau pont de pierre sur le cours de lʼOdon. » - -Sʼil avait des devoirs pénibles à remplir, le garde de la Porte-Neuve -trouvait, il est vrai, quelques compensations dans les spectacles -variés et gratuits que lui offrait le fameux pré des ébats dont -Ch. de Bourgueville, sieur de Bras, -a célébré les merveilles dans une prose -enthousiaste. Ce sont « deux moyennes prairies, dit-il, qui -séparent la ville de ce costé là, fort plaisantes, encloses dʼun -costé de la grosse rivière dʼOurne, et de lʼautre de la rivière de -Oudon. Auxquelles les habitans et jeunesse se pourmenent, prennent -plaisir à la saison du printemps et de lʼesté, mesmes les escoliers -de lʼUniversité, les uns à sauter, lutter, courir, jouer aux -barres, nager en la rivière qui les enclost, tirer de lʼarc et -prendre toutes honnestes récréations, comme aussi font les -damoiselles, dames et bourgeoises, à y estendre et sécher leur -beau linge, duquel lesdites prairies sont aucunes fois si couvertes -quʼelles semblent plutost blanches que vertes. » - -Le voisinage de ces lessives – puisquʼil faut les appeler par leur nom – -était probablement pour les gardes de la Porte-Neuve moins une source -de jouissances poétiques que lʼoccasion de débats très-vulgaires avec -les « dames et bourgeoises » qui encombraient la voie publique. - -Nous devons avouer cependant que, parmi les spectacles auxquels ils -pouvaient assister de leurs fenêtres, il en est un surtout qui -méritait dʼattirer leur attention. Cʼétait à peu de distance de la -Porte-Neuve que sʼélevait le Mai du Papeguay, « expression dérivée -de Papagallus, qui, dans le moyen âge, dit lʼabbé De La Rue [60], -signifiait ordinairement Perroquet. Ce jeu consistait à placer au -haut dʼun mât très-élevé un oiseau de bois peint et bien orné, et à -lʼabattre avec la flèche. La ville, dans lʼorigine, en fournissait -deux: un pour lʼarc et lʼautre pour lʼarbalète; vers lʼannée -1540, elle commença à en donner un troisième pour lʼarquebuse, et -elle décernait toujours un prix en argent à celui qui abattait -le Papeguay..... Les jeux de lʼarc et de lʼarbalète avaient - lieu sur le terrain qui est en face du rempart de lʼhôtel de la -préfecture; ils duraient pendant tout lʼété, et ils nʼont cessé -quʼà lʼépoque de la Révolution. » - -Ces divertissements guerriers prirent à la longue une telle importance -que la compagnie du Papeguay, recrutée dans la milice bourgeoise, se -composait en lʼannée 1744 de plus de -cinq cents hommes, sous la conduite dʼun capitaine et dʼun lieutenant, -quatre sergents, quatre tambours et un fifre. Elle ne se contentait -plus de se livrer avec ardeur à ses exercices ordinaires; elle -organisait aussi des fêtes. Cʼest ainsi que nous la voyons, cette -année-là, tirer un grand feu dʼartifice à lʼoccasion de la -convalescence du roi. - -« Lʼédifice destiné au feu, dit la Relation de la fête publiée à -Caen en 1744, était construit dans la place où lʼon tire les -oiseaux de lʼarc et de lʼarbalète. Sa hauteur était dʼenviron 50 -pieds, il a voit deux étages et trois faces, celle du milieu -regardait la Porte-Neuve..... » - -Le perroquet ou papeguay, perché au haut du mât, joua aussi son rôle -dans la fête de nuit, comme lʼindique ce passage: « De temps en -temps, on faisait partir des dragons, qui feignaient dʼaller allumer -lʼoiseau; il en vint un enfin, à qui lʼhonneur étoit réservé. -Lʼoiseau prit feu et effraya, par le bruit quʼil fit, tous ceux qui -nʼétaient pas prévenus... » - -Si le locataire de la Porte-Neuve était aux premières places pour -jouir de la vue des feux dʼartifice et autres fêtes ou -divertissements, qui avaient pour théâtre lʼancien Pré des Ebats, il -faut bien avouer aussi quʼil subissait quelquefois des spectacles qui -nʼétaient point de nature à lui mettre beaucoup de joie dans lʼâme. En -effet, quand les impôts prélevés sur le peuple rentraient -difficilement dans les coffres du roi, on leur en faisait prendre le -chemin par un ingénieux moyen que nous trouvons noté dans les -registres de lʼHôtel-de-Ville, à la date du 28 juin 1602. - -« Nous avons apporté tout ce que nous avons pensé être de notre -devoir pour le bien du service de Sa Majesté, disaient -les échevins, jusques avoir fait planter potences à toutes les -portes de la ville, pour punir ceux qui voudraient empêcher la -levée des dʼimpositions, en sorte quʼelles sont cueillies «sans -empêchement » [61]. - -Quoique le garde de la Porte-Neuve fût exposé à avoir directement sous -les yeux, à toute heure, ces lugubres avertissements aux contribuables -des percepteurs du bon vieux temps, on ne voit pas que ce modeste -fonctionnaire ait jamais donné sa démission, ni quʼon ait éprouvé -quelque difficulté à lui trouver de successeur quand sa place était -vacante. Le locataire ne manqua à lʼimmeuble que lorsque lʼimmeuble le -premier vint à lui manquer. Cet événement se pressent dans une séance -du 18 brumaire an VI du conseil municipal de Caen. - -« LʼAdministration, considérant que le but que sʼétait proposé le -Conseil général de la commune en supprimant la pièce dʼeau nommée -le Fort, étoit, après lʼavoir comblée, dʼen employer le terrein en -promenade, ainsi que le reste de la place publique qui lui est -contiguë, et qui a été mise et en location pour six ans, par -adjudication du 21 mars 1793 (V. S.), arrête que la portion de -terrain réservée par ladite bannie, et qui sʼétend depuis la -Porte-Neuve, le long du mur du bastion, jusquʼà lʼangle dudit mur, -sera plantée de tilleuls, et que les deux côtés du chemin tendant de -ladite Porte-Neuve au pont de lʼabreuvoir, seront plantés en ormes, -en attendant que le surplus du terrain mis en adjudication -revienne à la disposition de la commune par lʼexpiration de la -jouissance des adjudicataires, époque à laquelle il pourra être pris -des mesures pour embellir cette place publique par -des plantations, et procurer à ce moyen aux citoyens lʼagrément -dʼune promenade. » - -Comme les affaires administratives marchaient alors au pas accéléré, -six mois après cette première délibération, le Conseil municipal -décida, dans une séance du 8 floréal an VI (avril 1798), quʼon -sʼentendrait avec les adjudicataires des terrains de la Porte-Neuve -pour la résiliation de leur marché, et que -celle-ci serait immédiatement démolie. - -« Lʼadministration considérant que la porte, dite des Prés, ou -Porte-Neuve, faisant partie des anciennes fortifications de la -commune, est nuisible par sa position aux embellissements quʼon se -propose de former dans le quartier, arrête quʼelle sera démolie et -que lʼarchitecte de la commune donnera le devis estimatif des frais -que sa démolition pourra occasionner. » - -Lʼexécution suivit de près la sentence. La Porte-Neuve avait vu -sʼélever successivement, sur lʼemplacement des Petits-Prés, le grand -et le petit séminaire des Eudistes (aujourdʼhui lʼHôtel-de-Ville), -lʼéglise des Jésuites (aujourdʼhui Notre-Dame) et un grand nombre de -maisons particulières qui, en rétrécissant la place réservée aux -promeneurs, semblaient lui signifier sa prochaine destruction. Après -une durée de deux siècles, elle eut la bonne fortune dʼêtre -reproduite, à ses derniers moments, par le crayon dʼun artiste. -Combien de générations dʼhommes laisseront moins de traces! - - - - -NOTES - - -[1] « Cʼest peut-être là, dit lʼabbé De La Rue, le petit château dont -parle la Chronique de Normandie. Le duc Guillaume ou ses ancêtres -purent bien fortifier ce pont qui était la clef de la ville et de tout -le Bessin. Dans les plus anciennes chartes, il est appelé pons Cadomi, -on lʼappela ensuite pons de Darnestallo, enfin pons Sti Petri. » -Origines de Caen de Huet, annotées par lʼabbé De La Rue, mss, in-8° de -la Biblioth. de Caen, n° 50, tome I, p. 39. - -[2] Essais sur Caen, tome I, p. 127. - -[3] Livre I, § 262. - -[4] In quo ponte, dit le continuateur anonyme, est nunc ædificatum -castrum valde pulchrum. - -[5] Les armoiries de la ville de Caen, dans le tome XX des Mémoires de -la Société des Antiquaires de Normandie. - -[6] A la date du 29 avril 1581, on trouve dans les Archives -municipales un marché avec Pierre Crespin, couvreur, pour la -réparation de la couverture de lʼHôtel de Ville. Il paraîtrait, -dʼaprès ce marché, que les tourelles étaient couvertes en ardoise fine -et le corps de logis en tuile. - -[7] Essais sur Caen, tome I, p. 247. - -[8] Relations des différentes festes données par les Corps et -Communautés de la ville de Caen, à lʼoccasion de la naissance de -Monseigr. le Dauphin; in-12 de 12 pages, s. l. n, d. - -[9] Mss. in-fol. de la Biblioth. de Caen, n° 143, feuillet 51. - -[10] Mss. in-fol. de la Biblioth. de Caen, n° 143, feuillet 51. - -[11] Mss. in-4° de la Biblioth. de Caen, n° 117, p. 96. - -[12] Quelque cent ans après, une note de lʼintendant Méliand sur -lʼétat des finances de la ville constatait que lʼhorloger, en 1679, -touchait un traitement de 80 livres, tandis que lʼavocat de la ville -au Parlement ne touchait que 30 livres, et le greffier, sans indemnité -pour ses frais de bureau, seulement 500 livres. – Archives -municipales, délibération du 1er mai 1679. - -[13] Archives municipales, délibération du 4 janvier 1592. - -[14] Archives municipales, délibération du 10 mai 1597. - -[15] Notice sur les clepsydres et les premières horloges. Caen, 1872; -in-18 de 29 p. - -[16] Mss. in-fol. de la Biblioth. de Caen, n° 143, feuillet 51. - -[17] Archives municipales, 17 avril 1563. - -[18] Journal dʼun bourgeois de Caen, p. 76. - -[19] Bulletin monumental, tome XVIII, p. 92. - -[20] Archives municipales, avril et 8 sept. 1563. - -[21] Journal dʼun bourgeois de Caen, 3 nov. 1697, - -[22] LʼHôtel de Ville avait deux canons, comme nous lʼapprend une -délibération du 24 févr. 1607, à propos du mariage de M. de -Bellefonds, gouverneur pour le Roi en la ville et château de Caen. « -Sera, est-il dit dans cette délibération, en signe de joie et liesse, -tiré quatre coups de canon de la grosse tour de Chatimoine et les deux -de lʼHôtel commun de la ville, lors de lʼentrée de la mariée, lundi au -soir. » - -[23] Archives municipales, 22 sept. 1564. - -[24] Archives municipales, 28 mai 1641. - -[25] « État que les commissaires, ci-devant établis par le Roi au -gouvernement et administration de lʼHôtel commun de la ville de Caen, -baillent et laissent à MM. les Maire, Gouverneurs et Échevins -dʼicelle, des charges et affaires les plus importantes, qui se sont -passées depuis leur établissement, qui fut le 24 février 1640 jusquʼà -ce jour, et qui restent à faire par lesd. sieurs Maire et Echevins. » - -[26] Archives municipales, 26 février 1563. - -[27] Archives municipales, 28 juin 1602. - -[28] Archives municipales, 25 janvier 1626. - -[29] « A été appelé Leslogettes, cuisinier, avec lequel a été fait -marché de fournir le dîner du mercredi des cendres prochain, en la -maison de M. Brunet, de toutes choses qui se pourront trouver, pour -traiter honorablement les assistans, au nombre de 40 personnes, ayant -assisté à lʼélection, qui se fera, led. jour, des Echevins de lad. -ville, dʼun receveur et administrateurs de la Maison Dieu et -Léproserie en lui payant 50s par tête et 60s pour le vin de ses -serviteurs, et parce quʼil fournira aussi à dîner aux serviteurs qui -auront servi aud. dîner, et doit fournir linge, vaisselle, bois, pain, -vin, cidre et toutes choses généralement. » Archives municipales, 3 -mars 1611. - -[30] Archives municipales, 23 juin 1652. - -[31] « Noble homme, Mr Jean Beaullart, sr de Maizet, fils et héritier -de feu noble homme, Pierre Beaullart, a fait rapporter en cette maison -plusieurs registres, pièces et écritures avec deux clefs et un cachet, -quʼil a dit être les pièces, papiers, clefs et cachet, dont led, sr de -Maizet, son père, se servait comme greffier de lʼHôtel commun de lad. -ville. » Archives municipales, 26 octobre 1611. - -[32] Archives municipales, 15 janvier 1538. - -[33] Archives municipales, 16 janvier 1539. - -[34] Archives municipales, 13 novembre 1661. - -[35] Archives municipales, mars 1583. - -[36] Philippidos libri duodecim, lib. VIII. - -[37] Rapport sur les fouilles du nouveau canal de lʼOrne, à Caen, -relativement à lʼhistoire et à la géologie, par M. Gervais de Laprise, -28 floréal an IX. Voir, parmi les manuscrits de la Bibliothèque de -Caen, le n° 169 in-folio. - -[38] Recherches et antiquitez de la ville de Caen, édit. de 1588, p. -96. - -[39] Notice sur le Port de Caen, dans les Ports maritimes de la -France, t. II, p. 409. - -[40] Les pièces inédites que nous citons, ou dont nous donnons des -extraits, ont été copiées aux archives municipales ou aux archives du -département du Calvados. La plupart de ces documents nous ont été -obligeamment communiqués par M. Houdan, qui a réuni une nombreuse et -précieuse collection de notes sur les travaux du port de Caen. - -[41] Voici, sur le Poigneux, un renseignement inédit extrait des -archives municipales. « Lʼadministration ayant entendu la lecture -dʼune lettre à elle adressée par le sous-ingénieur provisoire de -vaisseaux du 4e arrondissement forestier, en date du 18 de ce mois, -dans laquelle il demande quʼil soit nommé un expert pour procéder à -lʼestimation du chantier nommé le Poigneux, nomme le cn Lair, -architecte de la commune, aux fins de régler conjointement avec celui -qui sera nommé par le cn Vesque, fermier dudit terrein au droit des -pauvres de lʼhospice de lʼhumanité, lʼindemnité qui peut lui être due -pour dépôt fait des bois de la marine, ce qui a empêché sa jouissance -» (Séance du 23 pluviôse an VI). - -[42] Notice sur le Port de Caen dans le IIe tome des Ports maritimes -de la France. - -[43] Plusieurs fragments de ce portail sont conservés au Musée des -Antiquaires. - -[44] Ms. in-4°, n° 120. - -[45] Ms. conservé à la Bibliothèque de Caen, in-fol., n° 104. - -[46] L'ancienne Université de Caen, broch., p. 15. - -[47] La première inhumation enregistrée par l'histoire eut lieu à -Saint-Étienne, le 23 novembre 1712. On y enterra, dans le sanctuaire, -le corps du sieur Charles Turpin, prêtre, professeur de philosophie au -collège Du Bois et recteur de l'Université de Caen. (Journal d'un -bourgeois de Caen.) - -[48] A propos du récit de l'inhumation de Charles Turpin, recteur de -l'Université de Caen, les éditeurs du Journal d'un bourgeois de Caen -se font l'écho de cette lointaine rumeur: « Ce passage du journal, -écrivent-ils, est d'autant plus curieux qu'il est de tradition à Caen -que les funérailles d'un recteur, en fonctions au moment de son décès, -devaient être semblables à celles d'un roi, et que, lorsque ce haut -dignitaire venait à tomber malade, le corps universitaire se -réunissait à la hâte pour élire son successeur, afin d'éviter les -énormes frais qu'eût entrainé son décès s'il n'avait pas été remplacé. -On dit même qu'un recteur, étant à la chasse, se tua exprès pour être -enterré comme un roi. » - -[49] Mémoires sur l'Université de Caen, ms. in-fol. de la Bibliothèque -de Caen, n° 123, tome I. - -[50] Essais historiques sur la ville de Caen, par l'abbé De La Rue, -tome II, p. 150. - -[51] Ms. in-4° de la Bibliothèque de Caen, n° 117, feuillet 98. - -[52] Lʼancienne porte de lʼabbaye a été gravée dans le Cours -dʼantiquités monumentales de M. de Caumont; on en connaît aussi -quelques dessins inédits. Mais la tour carrée, ou donjon, nʼa été -reproduite nulle part et ne figure, croyons-nous, que dans le dessin -de M. Le Nourichel et dans un fusain, très-inexact, exécuté en 1812 -par R. Le Baron-Delisle. Ce fusain et la mine de plomb de M. Le -Nouricbel sont conservés à la Bibliothèque de Caen. - -[53] Essais historiques sur la ville de Caen, par lʼabbé De La Rue, -tome Ier, p. 290. - -[54] A côté des droits quʼelle exerçait, lʼAbbaye-aux-Dames avait -aussi quelques charges à supporter. Nous en citerons une à cause de sa -singularité. « Tous les ans, dit M. de Jolimont, la communauté -donnait, le jour de la Trinité, un grand dîner à tous les habitants -dʼune commune voisine (Vaux-sur-Seulles), et même à leurs domestiques, -sʼils avaient un an et un jour de domicile. Ils tenaient cet usage, -qui était devenu un droit acquis, de la générosité du seigneur -primitif, droit auquel la mutation de propriété de la commune en -faveur des religieuses nʼavait pu porter atteinte. Le repas était -servi sur des nappes étendues sur lʼherbe, et durait quatre heures. -Chaque convive avait un pain de 22 onces et un morceau de lard bouilli -dʼun pied carré, une ribelette de lard rôtie, une écuellée de lait et -du cidre ou de la cervoise à volonté. La gaieté qui animait ces repas, -et qui dut souvent dégénérer en excès, la singularité et les abus -dʼune telle réunion dans un couvent de filles, et la crainte dʼune -surprise en temps de guerre, firent changer en 1657, non sans beaucoup -de difficulté, cette redevance en une rente de 30 livres au trésor de -la paroisse de Vaux, et en un service solennel le lendemain de la fête -de la Trinité, pour les défunts de la paroisse, auquel assistaient six -des habitants députés chaque année, et qui seuls dînaient à lʼabbaye. » - -[55] Essais sur Caen, par lʼabbé De La Rue, t. II, p. 19, - -[56] Nouvelle édition de 1833, page 6 de la 2e partie. - -[57] Huet, Origines de Caen. - -[58] Cette lettre a été publiée dans les « Documents inédits sur -lʼHistoire de France »: Lettres missives de Henri IV, tome III, p. 3. - -[59] Anciens registres de lʼHôtel-de-Ville. - -[60] Essais historiques sur la ville de Caen, t. I, p. 177. - -[61] Minute de lettre à M. de Gesves, en réponse aux lettres du roi. - - - - - -*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CAEN DÉMOLI *** - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the -United States without permission and without paying copyright -royalties. 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Hart was the originator of the Project -Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be -freely shared with anyone. For forty years, he produced and -distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of -volunteer support. - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in -the U.S. unless a copyright notice is included. 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You may copy it, give it away or re-use it under the terms -of the Project Gutenberg License included with this eBook or online -at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you -are not located in the United States, you will have to check the laws of the -country where you are located before using this eBook. -</div> -</div> - -<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: <span lang='fr' xml:lang='fr'>Caen démoli</span></p> -<p style='display:block; margin-left:2em; text-indent:0; margin-top:0; margin-bottom:1em;'><span lang='fr' xml:lang='fr'>Recueil de notices sur des monuments détruits ou défigurés, et sur l'ancien port de Caen, avec 5 gravures, d'après des aquarelles de A. Lasne, et des dessins inédits de Le Nourichel et Ch. Pichon</span></p> -<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Gaston Lavalley</p> -<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Release Date: June 14, 2022 [eBook #68314]</p> -<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Language: French</p> - <p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em; text-align:left'>Produced by: J.-M. Mariot from files generously made available by the British Library.</p> -<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>CAEN DÉMOLI</span> ***</div> - - - - - -<div class="transnote chapter"> -<p> -<strong> -Notes du transcripteur: -</strong> -</p> - - -<p class="indent pfs80"> -L’orthographe en usage à l’époque de la rédaction de l’ouvrage -a été conservée. -</p> -<br /> - - -<p class="indent pfs80"> -LʼERRATA apparaissant dans lʼouvrage original a été pris en compte dans -la présente transcription. -</p> -<br /> - - -<p class="indent pfs80"> -Les notes figurant au bas de page dans -l’ouvrage original ont été regroupées à la fin du texte principal. -</p> -<br /> - -</div> - - -<div class="titlepage"> -<div> -<h1> -CAEN -<br /> -<span class="pfs120 orange"> -DÉMOLI -</span> -</h1> -</div> - - -<hr class="r10" /> -<p class="centerserif pfs100"> -RECUEIL DE NOTICES -<br /> -</p> -<p class="centerserif xxsmall"> -SUR DES -<br /> -</p> - -<p class="centerserif pfs90 orange"> -MONUMENTS DÉTRUITS OU DÉFIGURÉS -</p> - -<p class="centerserif pfs90"> -ET SUR LʼANCIEN PORT DE CAEN -</p> - -<p class="p0p5 centerserif pfs80"> -<i>Avec cinq gravures, dʼaprès des aquarelles de</i> -A. L<small>ASNE</small>, -<i>et des dessins inédits de</i> -L<small>E</small> N<small>OURICHEL</small> -<i>et</i> -C<small>H</small>. P<small>ICHON</small> -</p> - -<p class="p0p5 centerserif xxsmall"> -PAR -</p> - -<p class="p0p5 centerserif pfs110 orange"> -G<small>ASTON</small> LAVALLEY -</p> - -<img src="images/Cover_LH.png" class="img_045 align-center" -alt="Cover_LH"/> - -<p class="p0p5 centerserif pfs110"> -CAEN -</p> - -<p class="p0p5 centerserif pfs80 orange"> -IMPRIMERIE DE F. LE BLANC-HARDEL -</p> - -<p class="p0p5 centerserif pfs80"> -<small>RUE FROIDE</small>, <small>2 ET 4</small> -</p> - -<hr class="r02" /> - -<p class="p0p5 centerserif pfs90"> -1878 -</p> -</div> - - - - -<div class="chapterNO"> -<hr /> -<p class="centerserif pfs110"> -TABLE DES MATIÈRES -</p> - - -<hr class="r10" /> - - - - -<table class="TableMat small" summary="Mat"> -<tr> -<td> -<a href="#N1"> -L<small>E SECOND HOTEL DE VILLE DE</small> -C<small>AEN</small></a>, -construit entre les années 1346 et 1367, détruit en 1755 -</td> -</tr> - -<tr> -<td> -<a href="#N2"> -Lʼ<small>ANCIEN PORT DE</small> C<small>AEN</small></a>. -Notice sur les travaux auxquels il a donné lieu -</td> -</tr> - -<tr> -<td> -<a href="#N3"> -A<small>NCIENNE ÉGLISE</small> -S<small>AINT</small>-S<small>AUVEUR</small></a> -(aujourdʼhui Halle au blé), -avant la démolition de sa flèche en bois -</td> -</tr> - -<tr> -<td> -<a href="#N4"> -A<small>BBAYE</small>-<small>AUX</small>-D<small>AMES</small></a> -(aujourdʼhui Hôtel-Dieu), -avant la démolition du donjon et de lʼancienne porte dʼentrée -</td> -</tr> - - -<tr> -<td> -<a href="#N5"> -L<small>A</small> P<small>ORTE</small>-N<small>EUVE</small></a>, -dite des Prés, -construite vers 1590, -démolie en 1790 -</td> -</tr> - -<tr> -<td> -  -</td> -<td> -  -</td> -</tr> - -</table> -</div> - - - - -<hr /> - - -<div class="chapterNO"> -<h2> -<a id="N1"></a> -<span class="pfs110"> -LE SECOND HOTEL DE VILLE DE CAEN -</span> -</h2> -</div> - - -<div class="chapter"> -<img src="images/CD_PL1_ScdHdV.png" class="img_100 align-center" -alt="CD_PL1_ScdHdV"/> - - - -<p class="centerserif pfs120"> -<img src="images/CD_PL_beg.png" class="img_090 align-center" -alt="CD_PL_beg"/> -LE -<br /> -<span class="xlarge"> -SECOND HOTEL DE VILLE -</span> -<br /> -DE CAEN -<br /> -<span class="small"> -CONSTRUIT ENTRE LES ANNÉES -<span class ="pfs130">1346</span> -ET -<span class ="pfs130">1367</span>, -<br /> -DÉTRUIT EN -<span class ="pfs130">1755</span> -</span> -</p> -<hr class="r10" /> - - - - -<p id="lettrine1"> -<span class="lettrine1O">O</span> -N sait dans quelles circonstances la ville de Caen obtint ses lettres -dʼaffranchissement, avec tous les droits attachés à la commune. Tandis -que les troupes françaises faisaient la conquête de la -Haute-Normandie, le duc Jean sans Terre, réfugié à -Caen, sʼétourdissait sur les dangers de sa position au milieu des -fêtes et des orgies. Mais, quand il se vit abandonné des barons -anglais que lassait sa nonchalance, quand il apprit que Philippe -Auguste sʼapprochait avec des forces nombreuses en prenant lʼun après -lʼautre tous ses châteaux, le débauché, frappé de terreur, sortit -enfin de sa longue inaction. Afin de subvenir à la solde des troupes -mercenaires quʼil leva pour sa défense, il dut recourir aux plus -pitoyables expédients. Il emprunta aux abbayes, aux barons et -bourgeois, et vendit même jusquʼà la justice. Cependant, -comme ces recettes ne suffisaient pas, il aliéna, en échange de sommes -plus ou moins fortes, la majeure partie de ses droits. Et cʼest ainsi -quʼil se résigna à écrire, dans ses lettres patentes du 17 juin 1203: -« Sachez que nous avons <i>concédé</i> à nos bien amés et fidèles -bourgeois de Caen le droit dʼavoir leur commune à Caen, avec toutes -les libertés et libres coutumes attachées à la commune... » -</p> - -<p class="indent"> -La ville de Caen ne <i>doit</i> donc pas, comme on lʼa dit, sa charte -communale à Jean sans Terre; elle la lui a certes bel et bien payée, -avec toute dispense de reconnaissance. Depuis cette date mémorable de -1203 jusquʼà nos jours, les représentants de la commune de Caen ont -siégé dans quatre hôtels de ville différents. Au commencement du -XIII<small><sup>e</sup></small> siècle, -nous trouvons le corps de ville installé sur le pont -St-Pierre, dans une petite forteresse quʼon appela plus tard le -<i>Chastelet</i> ou le petit -<i>Château de -Caen</i> <a class="fn" id="fr_1" href="#fn_1">1</a>. -On nʼa aucune notion sur -ces anciens bâtiments communaux, où furent enfermés en 1307, -pendant leur procès, les Templiers du grand bailliage de Caen. Lʼabbé -De La Rue dit -cependant <a class="fn" id="fr_2" href="#fn_2">2</a> -« quʼil paraît, par le récit des -historiens anglais, témoins oculaires de la prise de cette ville par -Édouard III en 1346, -<i>que ce pont étoit moult bien afforcé de -brétesches et de barrières</i>. » « Ces brétesches, ajoute-t-il, -nʼannoncent que des tours et des -fortifications en bois. Mais comme elles furent emportées de vive force -par les Anglais, elles durent souffrir beaucoup et peut-être même être -rasées. » Cette assertion de lʼauteur des -<i>Essais sur Caen</i> est tout à fait erronée. -La petite forteresse du pont St-Pierre ne fut pas -emportée de vive force, pour cette bonne raison quʼelle ne fut pas -défendue. Le comte de Guines, connétable de France, et le chambellan -de Tancarville, qui sʼy étaient réfugiés, la livrèrent à lʼennemi sans -combat pour avoir la vie sauve. « Dont il avint, dit Froissard dans ses -<i>Chroniques</i> <a class="fn" id="fr_3" href="#fn_3">3</a>, -que li connestables de France et li contes de -Tankarville, qui estaient monté en celle porte au piet dou pont a -sauveté, regardoient au lonch et amont la rue, et veoient si grand -pestilence et tribulation que grans hideurs estait à considerer et -imaginer. Si se doubtèrent dʼeulz meismes que il nʼescheissent en -ce parti et entre mains dʼarciers, qui point ne les cognuissent. -Ensi que il regardoient aval en grant doubte ces gens tuer, il -perçurent un gentil chevalier englès, qui nʼavoit cʼun œl, que on -clamait monsigneur Thumas de Hollandes... » Or, comme ils ne -voulaient pas avoir le sort du peuple qui mourait les armes à la main -et, selon les <i>Grandes chroniques de France</i>, « se deffendoit tant -quʼil povoit », le connétable et le chambellan appelèrent le « gentil -chevalier englès », dont ils avaient fait la connaissance dans des -voyages en pays étrangers. « Nous sommes telz et telz. Venés parler -à nous en ceste porte, et nous prendés à prisonniers. Quant li dis -messires Thumas oy ceste parolle, -si fu tous joians, tant pour ce que il les pooit sauver que pour -ce quʼil a voit, en yaus prendre, une belle aventure de bons -prisonniers, pour avoir cent mil moutons. Si se traist au plus tost -quʼil peut à toute se route celle part, et descendirent li et -seize des siens, et montèrent amont en le porte; et trouvèrent -les dessus dis signeurs et bien vingt cinq chevaliers avoecques eulz, -qui nʼestoient mies bien asseur de lʼoccision que il veoient que -on faisoit sus les rues. Et se rendirent (tous) sans delay, pour -yaus sauver au dit monsigneur Thumas, qui les prist et fiança -prisonniers. Et puis mist et laissa de ses gens assés pour yaus -garder, et monta à cheval et sʼen vint sus les rues... » -</p> - -<p class="indent"> -Il arriva donc quʼen voulant sauver leur vie, les sieurs de Guines et -de Tancarville préservèrent en même temps dʼune destruction presque -certaine la petite forteresse du pont St-Pierre. Si, quelques années -plus tard, ce premier hôtel de ville disparut, pour faire place au -<i>beau -château</i> <a class="fn" id="fr_4" href="#fn_4">4</a> -que le continuateur de Guillaume de Nangis signale à -la date de 1367, cʼest que la prise de Caen par Édouard III avait -démontré, avec la logique brutale du malheur, la nécessité de protéger -la ville par un système plus sérieux de fortifications. -</p> - -<p class="indent"> -Un sceau, attaché à un acte passé devant un tabellion de Caen le 29 -mai 1429, est le plus ancien document que nous possédions sur le -second hôtel de ville, qui dut être certainement construit entre les -années 1346 et 1367. Cet écusson porte, sur un fond de gueules, -couleur du duché, un château crénelé et donjonné dʼor, accosté de deux -tours. M. Gervais y -voit une réminiscence, si ce nʼest une image de la maison commune, -élevée sur le pont St-Pierre. « Voilà bien, -dit-il <a class="fn" id="fr_5" href="#fn_5">5</a>, -cette large -porte par laquelle on communiquait de lʼintérieur de la ville avec le -quartier St-Jean; le donjon élevé qui la surmontait et les deux tours -qui protégeaient de chaque côté les angles de lʼédifice! » -</p> - -<p class="indent"> -Une description du vieux chroniqueur de Caen, -M. de Bras, vient, plus -dʼun siècle après, compléter cette esquisse imparfaite. « Ceste -rivière dʼOurne coulle et descend de dessoubs ce pont sainct -Jacques, le long des murailles de la ville, par dessoubs le pont -sainct Pierre, sur lequel est située la maison commune de ladicte -ville, de fort ancienne et admirable structure, de quatre estages -en hauteur, en arcs boutans fondez dedans la rivière sur pilotins, -laquelle flue par trois grandes arches, et aux coings de cest -édifice et maison, sont quatre tours qui se joignent par carneaux, -en lʼune desquelles (qui faict le befroy) est posée la grosse -orloge: ceste quelle maison, pont et rivière, séparent les deux -costez de la ville, de façon que les quatre murailles dʼicelle -commencent, finissent et aboutissent sur ce pont, anciennement -appellé de Dernetal, comme il se treuve par certaine chartre, -estant au matrologe ou chartrier de la ville, de lʼan 1365. » -</p> - -<p class="indent"> -« En passant par dessus lequel, ceux qui viennent de devers -le grand pont Frilleux et la porte Millet, le long de ceste -grande rue Humoise ou Exmesine, et autres qui sʼacheminent de -lʼautre costé de ville, apperçoyvent de beaux -quadrans au haut de ceste maison commune, fort dorez et si bien -ordonnez quʼon y remarque les heures de part et autre, crois et -decrois de la Lune; et au dessoubs sont escripts en grosses -lettres, Un Dieu, Un Roy, Une Foy, Une Loy... » -</p> - -<p class="indent"> -Cette description de M. de Bras demande à être complétée par lʼexamen -du plan quʼil avait communiqué lui-même à Belleforest, et que celui-ci -publia en 1575 dans sa <i>Cosmographie</i>. Sur ce plan, lʼhôtel de ville -présente à lʼobservateur la vue de la façade qui regardait sur la rue -St-Jean. Cette façade se compose dʼun corps de logis encadré entre -deux tours rondes à trois étages, dont les toits pointus, terminés par -des girouettes, dépassent légèrement celui du corps de -logis <a class="fn" id="fr_6" href="#fn_6">6</a>. Au -centre de la façade sʼouvre une porte cintrée, très-haute, qui faisait -communiquer la rue St-Jean avec le quartier St-Pierre; sur la voûte de -cette porte sʼavance une petite construction en encorbellement, -percée de trois fenêtres et couronnée dʼun toit aigu avec lucarne -triangulaire. Enfin, au-dessus du toit du corps de logis, sʼélève une -tour octogone à deux étages qui, sauf les créneaux supprimés, -rappelle fidèlement la physionomie du château crénelé et donjonné dʼor -de lʼécusson de 1429. Cʼétait dans cette tour, évidemment, que se -trouvait la <i>grosse orloge</i> quʼapercevaient ceux qui, suivant -lʼexpression de M. de Bras, venaient de la « grande rue Humoise -ou Exmesine ou qui sʼacheminaient de lʼautre costé de ville ». -Pour être vue ainsi à distance des -deux côtés de lʼédifice, une des tours, qui formaient les angles de -la façade tournée vers St-Pierre, devait dépasser considérablement les -trois autres. Nous ajouterons quʼelle se terminait, non par un toit -aigu, mais par deux étages couronnés dʼune plate-forme. -</p> - -<p class="indent"> -Nous insistons sur ces détails, parce quʼils vont nous aider à faire -la légende de la lithographie qui accompagne notre notice. Cette -lithographie est la reproduction dʼune aquarelle de A. Lasne, -exécutée elle-même en 1832, probablement dʼaprès un dessin à la mine -de plomb que possède la Bibliothèque de Caen. Ce dessin, signé par un -certain <i>La Rose de Caen</i>, a dû être fait avant la destruction de -lʼhôtel de ville en 1755. Il représente la façade du monument prise -du côté de St-Pierre, et porte en tête cette mention: « Horloge du -Pont-Saint-Pierre de Caen, faite en 1314 et détruite le 15 mai 1755. » -Cette note renferme deux erreurs; dʼabord, le second hôtel de -ville de Caen ne fut point construit en 1314, mais, comme nous -lʼavons déjà indiqué, entre les années 1346 et 1367; de plus, le -dessin ne reproduit pas lʼédifice tel quʼil était à lʼorigine, mais -dans lʼétat où le surprit, en 1755, le marteau des démolisseurs. Or, -depuis le milieu du XIV<small><sup>e</sup></small> siècle -jusquʼà cette époque, le second hôtel -de ville avait subi, à différentes dates, des retouches et des -modifications considérables, indiquées dʼailleurs par le dessin -lui-même. Un des trois étages figurés sur le plan de Belleforest a -disparu; les tours des angles de lʼédifice nʼen ont plus que deux; -et le corps de logis, couronné maintenant par un fronton avec -œil-de-bœuf, paraît sʼêtre aussi affaissé lui-même avec lʼâge. -La construction en encorbellement qui sʼavançait -au-dessus de la porte est remplacée par trois niches où apparaissent -des images de saints et, plus haut, par une croisée à meneaux de -pierre qui indique clairement une retouche -de la fin du XVI<small><sup>e</sup></small> ou du -commencement du XVII<small><sup>e</sup></small> siècle. -Et – changement plus significatif – -au-dessus de cette fenêtre, sous lʼœil-de-bœuf du fronton, on -aperçoit un simple cadran, de forme carrée, sans ornements et sans -inscriptions. Quʼétaient donc devenus les « beaux quadrans dont -parlait M. de Bras, fort dorez et si bien ordonnez quʼon y -remarque les heures de part et autre, crois et decrois de la lune? » -Il avaient eu le triste destin du beffroi primitif et avaient dû -disparaître avec lui à une époque quʼil serait difficile de fixer -aujourdʼhui. Nous savons toutefois que la tour du beffroi, terminée -par deux étages octogones, avait été déjà décapitée à la date de -1672; car le plan de Caen, dressé à cette époque par Bignon, figure -lʼhôtel de ville flanqué de quatre tours rondes de même hauteur et -couvertes également de toits aigus. -</p> - -<p class="indent"> -Peu de temps après, entre 1672 et les dernières années -du XVII<small><sup>e</sup></small> -siècle, cette ancienne tour du beffroi dut perdre son toit, qui fut -remplacé par une balustrade en pierre ornée de trèfles, telle quʼon la -voit sur le dessin dont nous donnons une reproduction. Ce changement -est, en effet, indiqué sur le « plan de la ville de Caen, levé par -Étienne, graveur, à la fin du XVIII<small><sup>e</sup></small> siècle. » -</p> - -<p class="indent"> -Nous pouvons constater encore sur ce plan que le corps de logis de -lʼhôtel de ville reposait sur la plus grande arche du pont St-Pierre; -les deux autres arches, plus petites, passaient sous les tours qui -flanquaient les angles de lʼédifice. -Dès la deuxième moitié du XVI<small><sup>e</sup></small> siècle, -lʼétat menaçant des piles du -pont St-Pierre fut une cause fréquente dʼinquiétude pour les échevins. -Après une visite des murailles de la ville ordonnée par M. de -Matignon, lʼarchitecte Stéphane Dupérac, dans son rapport sur les -travaux quʼil déclare urgents, émet, à la date du 2 novembre 1578, -lʼavis suivant: « Est aussi fort nécessaire de refonder les piles -de la Maison de Ville, autrement il en pourrait venir grand -inconvénient, parce que ladite maison sʼest ouverte et ouvre à vue -dʼœil journellement. » Le 7 juillet 1584, nouvel avertissement de -Jean Bastan, maître maçon de la ville, qui trouve « quʼil est -très-nécessaire réparer les arches du pont sur lequel est assise -cette Maison de Ville, lesquelles sont proches de tomber en ruine, -sʼil nʼy est promptement pourvu. » -</p> - -<p class="indent"> -Malgré ces cris dʼalarme, le Conseil de la commune continua de -délibérer encore pendant dix-huit ans dans lʼhôtel de ville lézardé. -Plus intrépides que les sénateurs romains, qui se contentaient -dʼattendre lʼennemi sur leurs chaises curules, les échevins -bas-normands, résignés à aller au-devant de lui, pouvaient, pendant -leurs séances, comme au coup de sifflet dʼun machiniste, disparaître -subitement dans le troisième dessous, capitonné, il est vrai, par la -vase accumulée de lʼOrne et de lʼOrlon réunis. -</p> - -<p class="indent"> -Enfin, au mois de juin 1602, le péril devint assez sérieux pour -décider les échevins à mettre un peu de prudence dans un héroïsme, qui -nʼavait eu peut-être dʼautre cause que lʼapathie ou la routine. Ils se -firent conduire dans une barque sous les arches du pont St-Pierre où -ils vérifièrent eux-mêmes, à loisir, lʼétendue du mal. Il fut reconnu -dans cette visite que -la ruine du pont avait été en partie consommée par lʼinstallation de -maisons particulières qui, dit le procès-verbal du 7 juin 1602, -« sʼétoient suspendues contre les arches du pont. » Le même -procès-verbal nous apprend quelles mesures de sûreté furent prises -contre ces parasites dangereux. « ... A été ordonné, dit-il, que -tous les propriétaires des maisons proches et contiguës dudit pont -et hôtel commun de ville, et desquelles le bois est porté et -enclavé sur les arches dudit pont et murailles de la ville, -répareront ce qui est endommagé et qui requiert réparation, au -droit de leurs maisons; et que lesdits gouverneurs échevins de ville -feront de leur part travailler à la réparation de la grande arche... » -</p> - -<p class="indent"> -Lʼancien hôtel de ville péchait par la base, mais cʼétait là son -moindre défaut; car, après les travaux de consolidation qui y furent -exécutés, nous voyons quʼil fut sérieusement question de le remplacer -pour une raison qui nous est indiquée par lʼintendant Foucault dans -ses <i>Mémoires</i>. -« Jʼai mandé à M. de Châteauneuf, écrit Foucault à -la date du 28 mars 1689, que la demande que les échevins de Caen -faisaient au roi de la maison du sieur de Brieu, religionnaire -qui a quitté le royaume, pour en faire un hôtel-de-ville, me -paroissoit très-favorable, nʼy ayant point de lieu à Caen pour -tenir les assemblées publiques... » Il ressort de cette note que -lʼédifice du pont St-Pierre était depuis longtemps regardé comme -beaucoup trop étroit. Cet inconvénient nʼapparut jamais plus -clairement quʼà la date du 4 novembre 1608, lorsquʼil fallut convoquer -une assemblée générale des habitants de Caen, pour prononcer sur -lʼadmission ou le rejet des Jésuites. « Cette assemblée fut si -nombreuse, dit lʼabbé -De La Rue <a class="fn" id="fr_7" href="#fn_7">7</a>, -quʼon ne put la tenir à lʼHôtel-de-Ville, et les -délibérans se transportèrent dans la grande salle des procureurs du -bailliage. Ce local, quoique vaste, étoit encore insuffisant; car, -suivant les mémoires du temps, les votans étoient au nombre de plus -de 3,000. » -</p> - -<p class="indent"> -Lʼédifice du pont St-Pierre était même trop exigu pour contenir les -convives dʼun repas officiel. Cʼest ainsi que le 16 janvier 1679, à -lʼoccasion des fêtes pour la paix entre le roi de France et le roi -dʼEspagne, nous voyons le maire et les échevins obligés dʼemprunter -la maison dʼun riche particulier. « La compagnie, disent les anciens -registres de la ville, sʼest rendue chez -le s<small><sup>r</sup></small> Daumesnil, -<i>dont elle avoit emprunté la maison</i>, -pour donner un souper, auquel se sont -trouvées toutes les personnes de qualité. » -</p> - -<p class="indent"> -Lorsque le nombre des invités était trop grand pour quʼon pût les -convoquer dans la maison dʼun particulier, les maire et échevins -durent quelquefois, comme en 1729, faire construire une grande salle -en charpente. « Le divertissement quʼun chacun prist à voir -lʼillumination, dit une brochure très-rare du -temps <a class="fn" id="fr_8" href="#fn_8">8</a>, -conduisit -insensiblement jusquʼà lʼheure du souper que lʼHôtel-de-Ville donna, -et auquel furent invités les plus qualifiés dʼentre les nobles et -les bourgeois. Monsieur de Jumilli, chef de cet illustre corps, -au discernement duquel on doit tout ce quʼil y eut de galant et de -bien ordonné dans ceste feste, avoit fait bastir -sur le boulevard de la Prairie une grande sale de chapente; sa -longueur était dʼenviron 60 pieds sur 25 de largeur et 20 de -hauteur, le sol était couvert de planches attachées sur des -lambourdes en manière de parquet; tout le tour était descoré de -plusieurs rideaux de verdure dont deux entrouverts, dans un ordre -parfaitement cimétrisés, formoient une grande grotte ou berceau, -dans lʼenfoncement duquel était un buffet chargé de tout ce que le -bon goût peut inventer de plus commode pour le service de tels -conviés; le plafond de cette sale était fait avec des toiles -blanches si bien assemblées quʼil imitait parfaitement les plafonds -ordinaires; de ce plafond pendaient deux rangs de lustres garnis de -bougies dont la lumière, réfléchie par les cristaux, reproduisait -lʼéclat. Les endroits où il nʼy avait point de verdures étaient -couverts de très-belles tapisseries représentant lʼhistoire de -Samson, etc. » -</p> - -<p class="indent"> -Les dépenses, que lʼon dut faire en cette occasion, amenèrent sans -doute la ville à penser quʼelle réaliserait une sérieuse économie en -transportant le siége de la commune dans un local, dont les -dimensions la dispenseraient dʼélever des constructions provisoires et -ruineuses. En effet, trois ans après les fêtes données pour la -naissance du Dauphin, il y eut un arrêt du Conseil de la municipalité -(13 avril 1733) relatif au déplacement de lʼHôtel de Ville. Ce -déplacement suivit de près la délibération, sʼil faut en croire une -note -manuscrite <a class="fn" id="fr_9" href="#fn_9">9</a> -qui dit, à la date du 15 mai 1755, « quʼil y -avait plus de vingt ans que lʼHôtel-de-Ville tenait ses assemblées -au <i>Grand-Cheval</i>. » -</p> -<p class="indent"> -Cependant, quoique la ville eût déjà fait lʼacquisition du -<i>Grand-Cheval</i> ou <i>hôtel Le Valois</i> (aujourdʼhui la Bourse), le pont -St-Pierre ne fut pas abandonné brusquement par les représentants de la -cité. Quelques services y restèrent et le carillon de la fameuse -horloge continua de sʼy faire entendre jusquʼen lʼannée 1755. Cette -année-là, le 3 février, le Bureau des Finances, par une sentence des -<i>plus iniques</i>, dit un contemporain, que cette mesure indignait, -ordonna la destruction de lʼancien édifice du pont St-Pierre. -M. Mauger, avocat du roi à lʼHôtel de Ville, nous a -conservé <a class="fn" id="fr_10" href="#fn_10">10</a> -le prononcé de cette sentence avec quelques commentaires irrités. -</p> - -<p class="indent"> -« ... Et attendu quʼil résulte des faits contenus dans les -procès-verbaux, quʼil est au moins douteux que le pont (St-Pierre) -soit solide; quʼil est certain, dʼun autre côté, que le passage est -trop étroit et dangereux; que dʼailleurs les différens plans et -projets produits et proposés par les maire et échevins sont -insuffisans pour procurer un élargissement convenable, nous avons -ordonné que les bâtimens étant sur led. pont seront démolis dans -trois mois du jour de la signific. de la présente, faute de quoi, -après led. temps passé, il y sera pourvu, ainsi quʼil appartiendra. -</p> - -<p class="indent"> -« Cette sentence signifiée le 15 dud. mois de févr. 1755, on a -fait assembler le général (cʼest-à-dire lʼassemblée générale du -corps de ville) le 25 dud. mois pour avoir son avis sur lʼappel. -Mais les uns furent sollicités par M. lʼIntendant, et les autres -intimidés de sa part, en sorte quʼil -nʼy eut que huit voix pour lʼappel, dont jʼétais du nombre, en -sorte quʼil a fallu acquiescer... » -</p> - -<p class="indent"> -Trois mois après, comme le voulait lʼarrêt, le condamné fut livré à -ses bourreaux; des bruits sourds se firent entendre..... la justice -des démolisseurs était satisfaite!.... Lʼœuvre de destruction dut -être poussée avec activité; car une note dʼun sieur Étienne -Deloges <a class="fn" id="fr_11" href="#fn_11">11</a>, -échevin, nous apprend que les maisons qui remplacèrent lʼédifice -du pont St-Pierre étaient déjà bâties en 1756. -</p> - -<p class="indent"> -Le second hôtel de ville de Caen renfermait dans son beffroi une -horloge si remarquable que lʼensemble de lʼédifice en prit dans -lʼusage le nom de <i>Gros Horloge</i>. Dans une de ses lettres, -datée du 1<small><sup>er</sup></small> octobre 1699, -le P. Martin envoyait à Huet, qui préparait son livre -des <i>Origines de Caen</i>, -un quatrain où lʼâge de lʼhorloge communale est -établi comme par un acte authentique de lʼétat civil. « Voici, -lui dit-il, un quatrain qui se trouve gravé sur le timbre de notre -gros horloge, dont notre P. Labé a fait augmenter les -accompagnements: -</p> - -<p class="indentHI pfs80"> -Puisque la ville me loge -</p> -<p class="indentHI pfs80"> -Sur ce pont pour servir dʼauloge -</p> -<p class="indentHI pfs80"> -Je feray les heures ouïr -</p> -<p class="indentHI pfs80"> -Pour le commun peuple réjouir. -</p> -<p class="indentHI pfs80">Mʼa faite Beaumont lʼan mil trois cents quatorze. » -</p> - - -<p class="indent"> -Cette horloge primitive sʼest conservée depuis cette date jusquʼà la -destruction du second hôtel de ville, en 1755. Toutefois, elle ne -traversa point les âges sans subir de profondes -modifications qui font un peu ressembler son histoire à celle -du couteau de Jeannot. Déjà, au mois de juin 1537, les pièces de la -vénérable horloge se trouvaient si endommagées que le conseil de la -commune se vit obligé de voter une somme de dix écus dʼor pour les -réparations les plus urgentes. Le procès-verbal de cette séance est à -citer tout entier; car il contient le premier renseignement -authentique sur lʼétat de la fameuse horloge dans la première moitié -du XVI<small><sup>e</sup></small> siècle. -</p> - -<p class="indent"> -« Est comparu Denis Ollivier, serrurier, natif et demeurant en la -paroisse St-Pierre de Caen, qui a présenté requête par laquelle il -suppliait être commis pour lʼavenir au gouvernement et -entretenement de lʼhorloge de la ville, assise sur le pont -St-Pierre, dont de présent a la charge Marin Paulon. Laquelle -horloge est assez mal conduite, gouvernée et entretenue par led. -Paulon, tant à cause de son antiquité et faiblesse que à cause que -les roues et autres instruments en sont rompus et usés. Offrant led. -Ollivier prendre lad. charge aux gages accoutumés, montant -20 livres chacun an, et de la moitié dʼiceux en laisser jouir, -led. Paulon sa vie durant. Ordonné que icelle charge sera baillée aud. -Ollivier, si prendre la veut, par les moyens, qui ensuivent, cʼest -à savoir quʼil refera et réparera tout ce entièrement quʼil est -requis faire en lad. horloge et cadrans dʼicelle, pour être en bon -ordre et état du et pour lʼavenir les conduira et entretiendra en -toutes choses. Et par semblable, les tinterelles, si la ville y en -veut ajouter et faire faire, bien et dûment, ainsi quʼil sera -requis, aux coûts, charges et dépens dud. Ollivier, parce que -icelle ville -lui paiera comptant la somme de 10 écus dʼor, pour lui aider à -refaire, réparer et remettre en état du lesd. horloge et cadrans, -sans que led. Ollivier soit sujet à la peinture dʼiceux. » -</p> - -<p class="indent"> -Il faut croire que le métier de <i>gouverneur</i> -de lʼhorloge réservait plus dʼun mécompte -à ceux qui sʼétaient chargés de son <i>entretenement</i>; -car nous voyons en 1592 un sieur Robert Régnier adresser aux échevins, à -plusieurs reprises, une requête dans laquelle il mettait en avant son -grand âge et ses infirmités, afin dʼobtenir quʼon lui donnât un -successeur. Les échevins eurent pitié de son sort, et, pour se -lʼattacher, portèrent ses gages à -30 écus <a class="fn" id="fr_12" href="#fn_12">12</a>, -non toutefois sans quelques conditions. - -« Sera tenu led. Régnier faire en sorte que lʼhorloge soit -toujours bien réglée et que les cadrans de lʼun et de lʼautre côté -de lʼhôtel commun de ville marquent certainement les heures; aussi -que les globes ou lunes, qui étaient par ci-devant sur lesdits -cadrans et qui en sont de présent hors, après quʼelles y auront été -remises aux frais et dépens de la ville, seront par après par lui -entretenus en usage, pour marquer certainement la nouvelle et -pleine lune, décours ou croissant dʼicelle, comme elles faisaient -par ci-devant, etc., -etc. <a class="fn" id="fr_13" href="#fn_13">13</a> » -</p> - -<p class="indent"> -Tous les torts nʼétaient peut-être pas du côté de lʼhorloge, qui se -vieillissait, et lʼon peut supposer, sans être accusé de construire -trop légèrement des hypothèses, que la vénérable mécanique nʼavait pas -reçu les soins délicats quʼexigeait son grand âge. Le <i>gouvernement</i> -de lʼhorloge nʼavait, en effet, été confié jusque-là quʼà des serruriers -de la ville. Le soupçon, que nous manifestons, dut naître dans -lʼesprit des échevins eux-mêmes, puisquʼils se décidèrent, en 1597, à -faire venir un horloger du Poitou. Cet horloger, appelé Loys Demarque, -passa marché avec la ville « pour faire sonner les quarts et -demi-heures à lʼhorloge » et sʼengager à fournir huit cloches qui -« rendront sons et tons -différents <a class="fn" id="fr_14" href="#fn_14">14</a>. » -« Loys Demarque, dit M. Auguste -Leroy <a class="fn" id="fr_15" href="#fn_15">15</a>, -disposa les roues de manière que le remontage des -poids ne se fit plus quʼune fois par jour, puis remplaça le carillon -de Jean Labbé par huit tinterelles neuves, dont la plus grosse pesait -200 livres. Il leur fit jouer, aux heures, le premier vers de lʼhymne: -<i>Veni Creator Spiritus</i>; -aux demies: <i>Inviolata, integra et casta es Maria</i>; -et aux quarts: <i>O benigna</i>. Demarque employa deux mois à -faire ce travail, avec lʼaide de quatre compagnons, et reçut pour solde une -somme de 48 écus. Après lui on confia son œuvre aux soins du sieur -Dodemare, bourgeois de Caen, qui sʼétait fait recevoir maître -horloger. » -</p> - -<p class="indent"> -Depuis ce travail exécuté en 1597, il nʼest plus trace, dans les -anciens registres de lʼHôtel de Ville, de perfectionnements apportés -au mécanisme de lʼhorloge. On nʼy trouve que la -mention de réparations quelquefois assez importantes, comme celle dont -il est question dans la délibération -du 1<small><sup>er</sup></small> juin 1624: -</p> - -<p class="indent"> -« Sur ce que Michel Coquerel, fondeur de cloches, qui a fait -alleu de refondre et raccommoder les tinterelles faites pour les -demies et quarts de lʼhorloge, a dit quʼil est besoin lui fournir -trois ou quatre cents livres de métal, pour ce quʼil fait une -petite cloche plus quʼil nʼy en avait. Il a été arrêté que du -nombre dʼune pièce de canon, qui fut cassée lors de lʼarrivée du -s<small><sup>r</sup></small> maréchal dʼAncre en cette ville, -il en sera pris trois ou quatre cents livres, -et soixante livres dʼétain, qui sera acheté, -pour rendre la besogne parfaite, etc. » -</p> - -<p class="indent"> -Ainsi, vingt-sept ans seulement après les travaux exécutés par -lʼhorloger Poitevin, on était obligé de remplacer les tinterelles -quʼil avait posées en 1597. Si les pièces de lʼhorloge sʼusaient en -si peu de temps, il est présumable quʼil ne devait rester que bien peu -de chose de lʼhorloge primitive lorsquʼon ordonna la démolition du -beffroi en 1755. -</p> - -<p class="indent"> -Bien quʼelle eût été pour ainsi dire complètement remplacée, par suite -de réparations fréquentes, la vieille machine ainsi renouvelée avait -conservé tout son prestige aux yeux de certains esprits, qui ont le -goût et le respect des choses dʼautrefois. Voici par exemple un -contemporain, lʼavocat Mauger, qui nous a fait parvenir, dans une -note manuscrite, comme un écho de son indignation: « Le misérable -carillon de lʼhorloge, -dit-il <a class="fn" id="fr_16" href="#fn_16">16</a>, -chanta pour la dernière fois le -<i>Regina cœli</i> le 15 mai 1755, à six heures du matin, et le quart -avant sept heures. Cette horloge a duré 441 ans en état de servir; -et lʼédifice, qui est sur le pont, va aussi être démoli, au grand -regret de toute la ville. -</p> - -<p class="indent"> -Épitaphe de lʼhorloge: -</p> -<p class="centerserif pfs66"> -CY GIST QUI PAR SON SERVICE -</p> -<p class="centerserif pfs66"> -MÉRITOIT UN MEILLEUR SORT. -</p> -<p class="centerserif pfs66"> -CʼEN EST FAIT; VICTIME DU CAPRICE -</p> -<p class="centerserif pfs66"> -DARNETAL NE VIT PLUS, IL EST MORT! -</p> -<p class="centerserif pfs66"> -JUIN <span class="pfs130">1755</span>. » -</p> - -<p class="indent"> -On avait cependant conservé le bronze qui servait de timbre pour -lʼhorloge et de cloche communale. Cette cloche avait mêlé sa voix au -bruit des événements heureux ou malheureux qui, durant quatre siècles -et demi, avaient agité la ville. Si nous avions son histoire, nous -aurions en même temps celle de Caen; mais il nous reste là-dessus peu -de documents. En voici un, toutefois, qui ne manque pas dʼintérêt. -</p> - -<p class="indent"> -« A été fait venir en ladite maison de ville, dit un procès-verbal -de février 1562, Robert Regnier, du métier de serrurier, demeurant -près le pont et maison de ville, pour savoir de quelle autorité il -avait cejourdʼhui mis un <i>battail</i> à lʼhorloge de cette ville. Lui -juré de dire vérité et interrogé, a dit que, pour les troubles que -lʼon ventile être préparés, il se peut être que lʼon pourrait -commander être sonné une alarme, qui est accoutumé être fait et -sonné par lad. cloche de lʼhorloge, et pour éviter que sonnant lad. -alarme il ne fût offensé de quelque coup dʼarquebuse, il -avait demandé un battail de lad. maison de ville et de ce avait -parlé à M. Dumoulin, lʼun des gouverneurs, et pour cette occasion -avait pendu led. battail en lad. cloche, disant quʼil ne voudrait -avoir entrepris aucune chose contre le bien de lad. ville et était -prêt descendre led. battail. » -</p> - -<p class="indent"> -Le sieur Regnier, malgré ses protestations, dut sembler quelque peu -suspect, puisque nous voyons quʼun an après -environ <a class="fn" id="fr_17" href="#fn_17">17</a> on fit -« défense, sous peine de la vie, dʼouvrir ou faire ouvrir à personne -lʼhuis de la porte de lʼhorloge, sans exprès commandement des -gouverneurs. » -</p> - -<p class="indent"> -Dʼailleurs, quand les troubles religieux ou civils se prolongeaient, -les gouverneurs de Caen, sʼils se défiaient des sentiments des gens de -la commune, mettaient en interdit lʼhorloger et la cloche elle-même du -beffroi. Et au nom du roi, représenté par son lieutenant, la sonnerie -de lʼéglise St-Pierre était priée de faire lʼintérim. Cʼest du moins ce -qui ressort de ce passage des anciens registres de la ville, à la date -du 26 juin 1593: « Arrête quʼil sera fait ordonnance à -M. Richard de La Brousse, prêtre, -<i>custos</i> de lʼéglise de St-Pierre, -de la somme de six écus, -pour son salaire dʼavoir sonné la cloche pour la -retraite des bourgeois, afin quʼils ne divaguent et soient trouvés -par les rues, après neuf heures sonnées, suivant quʼil a été -ordonné par M. de La Verune, et qui est à raison dʼun écu par -mois. » -</p> - -<p class="indent"> -Outre les suspensions dont il était menacé pendant les troubles, -lʼinfortuné <i>gouverneur</i> de lʼhorloge se voyait quelquefois exposé, -dans des temps paisibles, à payer des -dommages-intérêts quand la vieille machine, dont il avait la direction, -venait à commettre quelque bévue bien excusable à son âge. Cʼest ainsi -quʼon trouve dans les archives municipales, à la date de 1579, « une -plainte contre le gouverneur de lʼhorloge, attendu que laditte -horloge ayant sonné sept heures quand il nʼen était que cinq, des -maçons et des couvreurs quittèrent leur travail, ce qui causa un -préjudice à celui qui employait ces ouvriers. » -</p> - -<p class="indent"> -Plus tard, lorsque les guerres, religieuses ou civiles, eurent cessé, -le « gouvernement et entretenement » de lʼhorloge furent moins -onéreux. Pour quelques soins dʼentretien, lʼhorlogeur, comme disent -les archives municipales à la date du 9 juin 1732, était exempté du -logement des gens de guerre, ce qui équivalait pour le temps à un -traitement très-acceptable. La cloche quʼil sonnait dʼailleurs ne -jetait que rarement lʼalarme dans la ville; elle retentissait surtout -pour annoncer des fêtes; et cʼétait du beffroi de lʼHôtel de Ville que -partait le signal qui mettait en branle toutes les cloches des -couvents et des -églises <a class="fn" id="fr_18" href="#fn_18">18</a>. -</p> -<p class="indent"> -Cette cloche, qui avait joué un rôle si important dans lʼhistoire de -Caen, ce précieux souvenir subsistait encore en 1808. Mais le premier -empire, se souciant peu sans doute de conserver un bronze qui -rappelait les franchises communales de lʼancienne France, ordonna de -fondre la cloche historique, sous prétexte dʼoffrir -à <a class="fn" id="fr_19" href="#fn_19">19</a> lʼéglise -St-Pierre une sonnerie plus à la mode. -</p> - -<p class="indent"> -Nous avons dit précédemment quʼà partir de la seconde -moitié du XVI<small><sup>e</sup></small> siècle, -il avait été souvent question de remplacer la -maison commune du pont St-Pierre par une autre construction plus vaste -et plus solide. Mais, avant que ce projet eût été réalisé, les -échevins durent abandonner plusieurs fois, malgré eux, le second -Hôtel de Ville. Ce premier exil leur fut imposé par le maréchal de -Brissac à la suite des troubles religieux qui avaient éclaté à Caen en -1562. Quoique le calme fût depuis longtemps rétabli dans la ville, le -Maréchal donna aux échevins lʼordre de lui céder la maison commune -pour y établir un corps de garde. On était au 8 septembre 1563; le -corps de ville se réunit, délibère et arrête « quʼune députation sera -envoyée au Maréchal pour lui remontrer lʼinconvénient de transporter -les meubles et un nombre infini dʼécritures, touchant le bien et -revenu de la ville, et la difficulté de trouver une autre maison... » -Le maréchal de Brissac ne se laissant pas toucher par de si bonnes -raisons, les échevins déclarent à M. de Bourgueville, lieutenant -particulier, quʼils ne quitteront la maison commune quʼaprès avoir -fait un inventaire en présence du bailli ou de son lieutenant. LʼHôtel -de Ville servait, en effet, tout à la fois dʼarsenal et de magasin de -dépôt. Peu de mois auparavant, à lʼépoque du sac de la ville par les -Protestants, le commis des administrateurs de lʼHôtel-Dieu y avait -apporté un calice en argent, deux calices en vermeil et une croix en -argent avec le crucifix; dʼautres ornements dʼéglise, provenant de -St-Étienne et de St-Pierre, y avaient été déposés vers le même temps; -et toute une salle contenait le plomb que les Protestants, suivant un -rapport erroné de M. de Bras, auraient arraché aux toitures de -lʼabbaye de -St-Étienne <a class="fn" id="fr_20" href="#fn_20">20</a>. -On y trouvait aussi des armes diverses, des -fusils <a class="fn" id="fr_21" href="#fn_21">21</a> -et deux canons pacifiques qui ne faisaient entendre leur voix que dans -les cérémonies publiques, fêtes anniversaires, entrées de princes et de -souverains <a class="fn" id="fr_22" href="#fn_22">22</a>. -</p> - -<p class="indent"> -Dès quʼils eurent appris ce qui se passait à lʼHôtel de Ville, le -prieur de lʼabbaye de St-Étienne et les trésoriers de St-Pierre -accoururent et réclamèrent leurs ornements dʼéglise. On proposa à lʼun -des échevins de recueillir chez lui les autres objets; mais, comme il -refusait dʼaccepter la responsabilité dʼun tel dépôt, M. de -Bourgueville, sieur de Bras, qui présidait à lʼinventaire du mobilier, -remit les clefs « au mestre de camp des vieilles bandes de -Piémont, à ce commis par M. de Brissac, le requiérant de nʼôter, -ni transporter aucune chose dʼicelle maison de ville. » -</p> - -<p class="indent"> -Le conseil était bon à donner, mais difficile à suivre, pour des -soldats qui devaient être portés à considérer comme des rebelles les -magistrats dont ils prenaient la place. Ils furent probablement -contenus dʼabord par le maréchal de Brissac, qui était aussi juste que -brave; malheureusement le duc de Bouillon, en prenant le commandement -après la mort de Brissac, apporta un esprit dʼintolérance qui pouvait -servir dʼexcuse aux excès des gens de guerre placés sous ses ordres. -Voici, en effet, dans quels termes le duc de Bouillon sʼadressa aux -échevins dès quʼil fut arrivé à Caen: -</p> - -<p class="indent"> -« Il est enjoint et commandé aux échevins de la ville de Caen de -fournir et bailler au corps de garde du pont St-Pierre le nombre de -six bûches, six fagots, douze chandelles de trois deniers pièce et -tel nombre de tourbes qui puisse garder le feu pour allumer les -mèches jour et nuit, le tout par chacun jour, -à commencer le 1<small><sup>er</sup></small> oct. -et finir le 31 mars. Et le reste de lʼannée, sera réduit à la -moitié. -</p> - -<p class="indent"> -« Davantage ordonnons quʼil sera baillé aux soldats de la garnison -de cette ville vingt chambres près et à lʼentour du pont St-Pierre -pour les loger, parce que ceux qui fourniront lesd. chambres ne -bailleront aucune chose, mais sera le linge, vaisselle et lits, -fourni par égalité par les autres bourgeois et habitants de lad. -ville <a class="fn" id="fr_23" href="#fn_23">23</a>. » -</p> - -<p class="indent"> -Tel était le langage que tenaient les représentants de lʼordre aux -bons bourgeois quʼon venait sauver malgré eux. Les actes ne le -cédèrent pas aux paroles. Huit jours après lʼordonnance du duc de -Bouillon, le conseil de la commune était obligé de prendre des mesures -pour réparer les dégâts commis par les soldats, chargés de protéger la -ville contre ses passions subversives. -</p> - -<p class="indent"> -« Il a été avisé sur ce qui a été ventilé et averti que les -soldats, faisant la garde sur le pont St-Pierre, font grandes -démolitions en la maison sur led. pont, tant aux planchers quʼaux -couvertures de lad. maison, que M. de Laguo, gouverneur en cette -ville et château, sera de ce averti, même que le lieu sera vu et -visité par les gouverneurs, présence de M. le Lieutenant, pour, ce -fait et le procès-verbal vu, -être ordonné sur les réparations qui seront trouvées nécessaires, -ainsi quʼil appartiendra. » -</p> - -<p class="indent"> -Tandis que ces défenseurs de la propriété démolissaient les planchers -et les charpentes de lʼédifice du pont St-Pierre pour les vendre ou en -faire du feu, les élus de la cité, chassés du lieu ordinaire de leurs -séances, délibéraient à tour de rôle les uns chez les autres, en -attendant quʼils eussent trouvé un Hôtel de Ville provisoire. Ils -sʼinstallèrent enfin, vers le milieu de lʼannée 1565, dans une maison -appelée <i>Parc-le-Roi</i> et qui était bâtie sur des terrains voisins -de lʼendroit où se trouve aujourdʼhui le passage Bellivet. Ils y -restèrent exilés jusquʼau 15 mai 1572. A cette date, une ordonnance du -maréchal de Montmorency ordonna « que la maison de ville serait -rendue aux maire et échevins... pour en jouir comme ils faisaient -auparavant les troubles. » -</p> - -<p class="indent"> -Malgré cette promesse, lʼHôtel de Ville fut de nouveau occupé par les -soldats du roi, en 1574: on permit toutefois aux « bourgeois -habitants de la ville de continuer à y tenir leurs assemblées. » Les -échevins acceptèrent cette communauté dʼhabitation, mais avec -certaines précautions. Sʼils consentirent à risquer leurs personnes, -ils eurent soin de laisser leurs papiers, registres, vaisselles et -argenterie dans la maison du <i>Parc-le-Roi</i>, -quʼils avaient confiée à la -garde du greffier de lʼHôtel de Ville. Ils avaient oublié -malheureusement que leur greffier était lui-même sous la garde des -défenseurs de lʼordre, venus pour protéger les habitants contre leurs -propres égarements. Or, il arriva quʼun beau matin le greffier et son -fils furent assaillis dans leur lit par « des gens de guerre, soldats -ou autres, comme il est écrit dans les anciens registres de -lʼHôtel de -Ville <a class="fn" id="fr_24" href="#fn_24">24</a>, -ayant lʼarquebuse et feu à mèche, lesquels -se sont efforcés de rompre lʼhuis du dépensier pour avoir, comme ils -disaient, de la vaisselle, afin de la porter en une taverne pour -leur servir à dîner. » -</p> - -<p class="indent"> -Une troisième fois, les maire et échevins de Caen eurent le privilège -dʼêtre protégés dʼune façon analogue en 1589, pendant les troubles -de la Ligue. Cette fois, ils furent tout à fait mis à la porte de la -maison commune et obligés de délibérer chez des particuliers jusquʼà -leur rentrée, à la date du 12 janvier 1590. Mais, avec le temps, -le Gouvernement se poliça et apprit lʼart de commettre sans brutalité -des violences dites légales. Dès lʼannée 1610, nous voyons le pouvoir -central remplacer à Caen les représentants élus de la cité par des -créatures du -Gouvernement <a class="fn" id="fr_25" href="#fn_25">25</a>. -Cʼest ce que nous appelons aujourdʼhui une <i>commission municipale</i>, -procédé que lʼon pourrait croire dʼinvention toute moderne et qui devrait, -au contraire, figurer dans lʼinventaire du <i>vieux-neuf</i> -si spirituellement dressé par M. Fournier. -</p> - -<p class="indent"> -Quand on leur laissait la libre possession de leur Hôtel de Ville, les -échevins nʼétaient pas encore à lʼabri des tracasseries du -Gouvernement. Il y avait souvent assez dʼennuis attachés à leurs -fonctions pour quʼils préférassent lʼobscurité de la vie privée au -relief décevant de la vie publique. Aussi arrivait-il quelquefois -quʼon les obligeât à exercer leur charge malgré -eux. En 1563, par exemple, une sentence du bailliage condamne « les -sieurs Lebrethon et Anger, élus, à exercer la charge dʼéchevins, -malgré leur refus, et à prêter serment, ce à quoi ils seront -contraints par la prise de leurs corps et -biens <a class="fn" id="fr_26" href="#fn_26">26</a>. » -Même dans des temps moins troublés, comme dans la -période du XVII<small><sup>e</sup></small> siècle, il -sʼélevait à tout instant des conflits entre le pouvoir central, qui -imposait exceptionnellement une ville écrasée déjà par les taxes -ordinaires, et les représentants de la cité, qui défendaient leur -caisse avec lʼénergie du désespoir. -</p> - -<p class="indent"> -Les échevins ne perdaient dʼailleurs jamais une occasion de se -plaindre. Ainsi, en 1602, le Roi eut la maladresse de leur adresser -des lettres closes, pour leur demander conseil sur le fait des -monnaies. « Elle leur ordonne, disaient ces lettres, écrites à -Poitiers le 25 mai, donner avis de ce qui se pourrait faire pour -empêcher la rareté quʼon voit en ce royaume des monnaies dʼor et -dʼargent au coin et armes de France, et sʼil est expédient donner -cours en son dit roy. aux monnaies étrangères. » Les échevins -sʼempressent de convoquer les notables habitants de la ville pour leur -lire les lettres du Roi en présence du procureur de Sa Majesté. Et -quand cette formalité est accomplie, ils rédigent, séance tenante, -une réponse où la critique la plus vive des actes du Gouvernement se -cache sous les apparences du plus profond respect. « Ouï sur ce -plusieurs propositions et avis des assistants, disaient les -échevins <a class="fn" id="fr_27" href="#fn_27">27</a>, -a été trouvé bon quʼil -soit remontré à Sa Majesté, avec leur humilité et obéissance, -que la rareté dʼor et dʼargent, qui est si grande entre ses -sujets, <i>vient de ce quʼils sont contraints en fournir plus quʼils -ne peuvent pour les nécessités des affaires de Sa Majesté</i>, pour -lesquelles, comme il est vraisemblable, lʼor et lʼargent au coin -et armes de France est transporté aux étrangers, qui le retiennent -comme le meilleur; et sont les choses venues à ce point quʼentre -les plus aisés, y en a si grande rareté que, pour leurs menues -affaires, ils sont contraints stipuler de payer ceux desquels ils -se servent en blé, cidre, bestiaux ou quelques autres denrées, -quʼils peuvent avoir de leur cru ou industrie. Occasion de quoi -Sa Majesté est très-humblement suppliée que, pour éviter quʼils ne -soient encore réduits en plus grande extrémité, il lui plaise leur -donner quelque diminution des levées de deniers de toute sorte, qui -se font sur eux, et cependant continuer le cours en son royaume de -toutes espèces dʼor et dʼargent quelles quʼelles soient, pour leur -juste et légitime valeur... » -</p> - -<p class="indent"> -Avec leur finesse normande, les administrateurs de Caen avaient deviné -quʼon ne les consultait si poliment aujourdʼhui sur la question des -monnaies que pour leur en réclamer demain impérieusement. Et, sans -doute, tout en donnant une leçon spirituelle au pouvoir, ils avaient -espéré éloigner cette menaçante échéance. -</p> - -<p class="indent"> -Malheureusement, lorsquʼil nʼosait plus réclamer de la ville des -secours en argent, le Gouvernement les exigeait en nature. En 1626, -peu de temps avant le siége de La Rochelle, le sieur du Carlo, -ingénieur de Sa Majesté, est envoyé -à Caen pour obliger les échevins à « acheter trois vieux vaisseaux -et les faire conduire à leurs dépens à lʼîle de -Ré pour le service de Sa Majesté et pour lʼutilité du -public... <a class="fn" id="fr_28" href="#fn_28">28</a>. » -</p> - -<p class="indent"> -Ce public arrivait bien là comme des excuses après le coup de bâton -qui vous a assommé! En 1626, on demandait de vieux vaisseaux; au -mois dʼoctobre 1647, on exige des habits neufs. « Il a été apporté, -disent les anciens registres de lʼHôtel de Ville, des lettres de -cachet, données à Fontainebleau le 13 de ce mois, par lesquelles Sa -Majesté mande et ordonne aux sieurs Echevins de lʼassister de 500 -paires dʼhabits complets, consistant en pourpoint long en forme de -justaucorps, haut et bas de chausses, de drap le plus propre à -résister à lʼinjure du temps, avec des bonnets et autant de paires -de souliers, et de faire que ces habillemens et chaussures soient -de trois grandeurs, un quart pour des hommes de la plus grande -taille, autant pour des plus petits et la moitié pour des moyens, -et que le tout soit fourni dans la fin du présent mois ès mains de -ceux qui en auront ordre de Sa Majesté, pour les faire -transporter en ses armées. Arrêté quʼaprès les publications dʼusage, -il sera fait adjudication au rabais de la fourniture de 250 paires -dʼhabits et que remontrances seront faites au Roi et à Nosseigneurs -de son Conseil pour être la ville déchargée de la fourniture des -autres 250 paires, attendu sa grande misère et surcharge de lad. -taxe. » -</p> - -<p class="indent"> -Ce fut surtout en 1659 que les échevins durent repousser, -avec lʼéternel argument tiré des malheurs de la ville, un des plus -terribles assauts que la caisse municipale ait jamais eu à soutenir. -Il sʼagissait dʼun don gratuit à lʼoccasion du mariage du Roi. Les -archives de la ville, à la date du 12 septembre 1659, nous -apprennent ce que Louis XIV entendait par un <i>don gratuit</i>. -</p> - -<p class="indent"> -« Sur la lecture faite en cet Hôtel commun de Lettres de cachet du -Roi, du 6 août dernier, mises ce matin ès mains des sieurs Echevins -par M. du Boullay Favier, intendant en cette généralité, par -lesquelles Sa Majesté demande à cette ville, en <i>don gratuit</i>, -la somme de 50,000 liv. pour les frais du mariage du Roi; après avoir -envoyé lʼhuissier de la ville vers M. le Lieutenant général, pour -le convier de se trouver en cet Hôtel commun, lequel a rapporté que -led. s<small><sup>r</sup></small> était absent, -il a été arrêté quʼil sera écrit par -lʼordinaire de ce jour à Son Altesse, pour la supplier de vouloir -interposer son autorité pour faire réduire et modérer lad. somme de -50,000 liv. à quelque somme modique, vu les grandes charges de -cette ville et de lʼimpuissance où elle est de fournir lad. somme. » -</p> - -<p class="indent"> -Trop heureux encore les échevins quand on leur permettait de -marchander ainsi avec le pouvoir; celui-ci imposait le plus souvent -sans discussion, et, quand il nʼy avait plus rien à prendre dans les -caisses vides, il jetait en prison le receveur de la ville, comme nous -lʼapprend une délibération du 17 novembre 1640, où lʼon voit que -« lʼaprès-midi sʼest passée à la poursuite de la délivrance de -M. du Taillis, emprisonné au Château pour le paiement de la -subsistance des gens de guerre du présent quartier dʼhiver. » -</p> - -<p class="indent"> -Pour apitoyer ces bourreaux dʼargent, les échevins mettaient -quelquefois en action le proverbe, qui prétend que les petits cadeaux -entretiennent lʼamitié. « Il a esté conclu, disent les anciens -registres au 1<small><sup>er</sup></small> avril 1567, -quʼils (les échevins) se présenteront -vers M. de Brunville, lieutenant général, pour lui parler des -priviléges de la ville..., et que, en faveur du mariage de la -fille dudit sieur lieutenant, il sera délivré aux nopces une pièce -de vin doux... » Ces sortes de dépenses étaient même portées -régulièrement sur le budget de la ville; ainsi, dans lʼétat des -finances du 1<small><sup>er</sup></small> mai 1679, -on trouve inscrits par estimation 300 livres -« pour vins et confitures de présent », avec cette -condition toutefois « quʼil ne pourra être donné à chaque personne -plus de deux douzaines de bouteilles de vin et deux douzaines de -boîtes de confitures. » -</p> - -<p class="indent"> -Lʼimportance des cadeaux variait cependant suivant le rang des -personnages et la protection que la ville pouvait en attendre. Cʼest -ainsi que, lors du mariage de M. du Quesnay Le Blais, lieutenant -général, on remplaça le vin ou les confitures par des présents plus -sérieux. -</p> - -<p class="indent"> -« Pour triompher de la joie que la ville reçoit dud. mariage le -jour dʼhier célébré, disent les anciens registres de juillet 1637, -il a été arrêté que le s<small><sup>r</sup></small> de -Bretteville Rouxel, échevin, et de Bauches, syndic, -assistés de Beaussieu, greffier, iront saluer -led. s<small><sup>r</sup></small> lieutenant général et dame son épouse, -à laquelle ilsporteront, de la part de la ville, -une table de linge fin à haute lisse. -</p> - -<p class="indent"> -« Cette conclusion a été exécutée led. jour après midi et -consistait lad. table de linge en un grand doublier de cinq -aunes, en un petit de trois aunes et deux aunes de large -chacun, en deux douzaines de serviettes et deux serviettes à laver, -qui fut acheté chez M. Graindorge, -m<small><sup>e</sup></small> façonneur de haute lisse le plus -expert de cette ville, et coûta 300 liv., de laquelle lesd. -s<small><sup>r</sup></small> et dame furent grandement contents -et en remercièrent la ville. » -</p> - -<p class="indent"> -Nous avons essayé de reconstituer, à lʼaide de dessins originaux et -dʼanciens manuscrits, la vue extérieure du second Hôtel de Ville de -Caen, et indiqué rapidement les exils et les tribulations que les -échevins eurent à subir depuis la construction de cet édifice jusquʼà -sa démolition en 1755. Nous allons, avec les mêmes guides, entrer -dans lʼintérieur de la maison commune du pont St-Pierre. Voici dʼabord -sur la cheminée de la salle des délibérations un buste du souverain -régnant, usage que notre siècle a conservé et qui semble remonter -assez loin dans le passé. Les anciens registres disent en effet, à la -date du 11 septembre 1679: « Il a été accordé à Jean Postel, -sculpteur de cette ville, lʼexemption de tout logement de gens de -guerre et contributions dʼustensile, en considération des services -par lui rendus à la ville et notamment de ce quʼil a fait un buste -représentant la personne du Roi, à présent régnant, pour placer -sur la corniche de la cheminée de cet Hôtel commun; pour lequel -il sʼest seulement contenté des frais par lui faits, ayant remis -volontairement à la ville ses peines et travaux. » -</p> - -<p class="indent"> -De la salle des délibérations le regard sʼétendait de deux côtés sur -une vue ravissante. « Et, dit M. de Bras dans ses -<i>Recherches et antiquitez de Caen</i>, -de la haute salle de ceste maison où se font -les assemblées et conventions publiques, -lʼon voit au droict de la rivière, vers lʼOrient, arriver les -navires venans de la mer, chargez de précieuses et rares -marchandises que lʼon descend à lʼendroit de dix grands quaiz du -quartier de lʼIsle... Et par les fenestres et croisées de lʼautre -costé, lʼon a un plaisant regard sur les prais, et une -perspective et veuës des plus plaisans et agréables -paisages quʼon puisse voir. » -</p> - -<p class="indent"> -La maison commune de Caen ressemblait un peu trop malheureusement à -ces petits appartements que lʼon montre aux locataires, en les -conduisant aux fenêtres qui sʼouvrent sur de vastes squares, ou sur -les jardins des grands hôtels du voisinage. Son unique salle, qui -devait servir tant aux réunions du conseil quʼaux réceptions -officielles, ne pouvait contenir les quarante convives du <i>dîner du -mercredi des cendres</i>, que lʼon donnait aux notables qui avaient -assisté à lʼélection des administrateurs de la -ville <a class="fn" id="fr_29" href="#fn_29">29</a>; -aussi les échevins -en étaient-ils réduits souvent à offrir une simple collation, -comme cela se fit le 23 juin 1652 pour les comtes de Dunois et de -Saint-Pol, qui avaient accepté lʼinvitation de mettre le feu au bûcher -de la St-Jean sur la place St-Pierre. « Quelque peu de temps après, -disent les anciens registres de la -ville <a class="fn" id="fr_30" href="#fn_30">30</a>, -leurs d. Altesses ayant témoigné être prêts de se mettre -à table pour faire collation, laquelle était préparée dans led. -Hôtel de Ville, il leur avait été présenté par les -s<small><sup>rs</sup></small> de Rotot et de Sannerville, -1<small><sup>er</sup></small> -et 2<small><sup>e</sup></small> échevin, -deux serviettes mouillées pour laver leurs mains, -et après se seraient mis à la table dans deux -chaires où il y avait des carreaux de velours cramoisi, ayant -devant eux leurs cadenas et couverts ordinaires; et parce quʼil -nʼavait été mis sur lad. table que quatre couverts, pour M. de -Chamboy et ceux auxquels Son Altesse ordonnerait de sʼasseoir, -MM. de la ville ayant fait dessein de ne sʼy mettre pas afin de -faire mieux les honneurs de la ville et témoigner plus de respect -à leurs Altesses, M. le comte de Dunois aurait pris la parole et -dit quʼabsolument il ne mangerait point si lesd. sieurs ne se -faisaient apporter des couverts et des siéges pour se mettre à -table et faire collation avec lui. A quoi ayant été résisté -longtemps par led. s<small><sup>r</sup></small> de Tilly, -échevins et officiers de lʼHôtel de Ville, -enfin Son Altesse leur aurait dit quʼelle désirait que cela -fût et quʼelle était venue pour boire avec eux: à quoi ayant obéi -ils auraient pris leurs places et M. le comte de Dunois, après -avoir mangé quelque temps, avait dit hautement quʼil fallait boire -la santé du Roi, et sʼétant fait donner du vin et de lʼeau et à -M. le comte de Saint-Pol, son frère, ils se seraient levés debout -dans leurs chaires et mis lʼépée nue à la main, et, en cette -position, auraient bu la santé de Sa Majesté et cassé leurs verres, -témoignant un grand zèle et affection à son service, ayant même -fait tirer du château à cet effet plusieurs coups de canon; en -quoi ils avaient été invités par M. Lejeune, fils de -M. de Chamboy, qui avait -accompagné leurs Altesses, et ensuite M. de Chamboy avait aussi bu -la santé de Sa Majesté, ainsi que toute la Compagnie. » -</p> - -<p class="indent"> -Le petit édifice du pont St-Pierre était si étroit que le greffier -lui-même ne pouvait y demeurer et quʼil emportait à son domicile la -plupart des registres, pièces, clefs et cachets qui nʼauraient jamais -dû sortir de lʼHôtel de -Ville <a class="fn" id="fr_31" href="#fn_31">31</a>. -<i>Lʼhuissier de la ville</i> seul y avait un logement. -Plusieurs pièces servaient, comme nous lʼavons déjà -vu, dʼarsenal et de magasins. Dans une des quatre tours, qui -flanquaient les angles de lʼédifice, se trouvaient des cachots -destinés aux gens arrêtés le soir par le guet, et où lʼon devait -« les mettre jusques au Jour, dit M. de Bras, et les rendre à la -justice sans en prendre aucune congnoissance, et par le juge -ordinaire en est faict le procez et ordonné de telle punition qui -appartient au cas. » -</p> - -<p class="indent"> -M. de Bras nous dorme encore quelques détails intéressants sur le -corps de garde qui était placé sous le pont St-Pierre. « Le sieur -capitaine dudict Caen, écrit-il, pour garder les habitans en -patience la nuict, doibt commettre un mareschal de guet pour obvier -aux bruits de nuict, et quʼil ne se commette aucuns larcins ny -insolences. Lequel mareschal convoque à ceste fin les Bordiers, -cʼest-à-dire locataires qui nʼont maison et ne sont bourgeois, en -nombre suffisant; et estans soubs le pont sainct Pierre, dict de -Dernetal, qui est la maison de ville, et en temps dʼhyver doibt -avoir du feu et chandelle en une lanterne haut eslevée, et sʼil se -faict quelque bruit, ledict mareschal et aucuns des siens sʼy doibt -transporter, et se saisir de tels mutins... » -</p> - -<p class="indent"> -Malgré lʼexiguïté de leur Hôtel de Ville, les échevins trouvaient -encore le moyen de sʼy entourer de quelques locataires. Ainsi nous -voyons, dans les anciens registres, un cordonnier « requérir lui être -baillé et délaissé une petite place vide entre lʼune des tours du -pont St-Pierre et le coin de la muraille tendant aux Carmes, en -laquelle place <i>soullait</i> avoir un <i>appentif</i> servant -dʼouvroir... » <a class="fn" id="fr_32" href="#fn_32">32</a>; -en 1075, cʼest une demande de permission « pour establir de la -mercerie sur le pont St-Pierre »; en 1577, une autre demande -« pour y establir des fruitages »; en 1578, une requête dʼun -sieur Charles de Bourgueville (était-ce un parent de M. de Bras?) -pour « étaler sa marchandise sur le même pont. » Les échevins -retiraient souvent plus dʼennuis que de profit des autorisations -quʼils accordaient, comme cela est prouvé par une délibération du 21 -mai 1580, qui mentionne quʼil « était advenu grand désordre et -scandale par deux femmes, lʼune lingère et lʼautre rubannière, -auxquelles avait été par ci-devant permis prendre place sur le pont -St-Pierre, sous cette maison de ville, pour vendre les ouvrages de -leurs métiers, sous espoir quʼelles sʼy comporteraient en tout -honneur et modestie... » -</p> - -<p class="indent"> -La description de lʼancien Hôtel de Ville de Caen serait -incomplète si, après avoir montré ce quʼil était en temps ordinaire, -nous nʼessayions pas de donner une idée de la physionomie quʼil -prenait pendant les jours de fête. -</p> - -<p class="indent"> -Lorsquʼun nouveau gouverneur de la ville et du château faisait son -entrée à Caen, on plaçait aux fenêtres de la maison commune quatre -armoiries, savoir: celles du roi, du gouverneur, de la province et de -la ville. Le corps de ville allait le saluer à lʼhôtel où il était -descendu. Le premier échevin lui faisait le compliment dʼusage avant -de lui présenter les clefs de la ville, que le gouverneur acceptait et -renvoyait par son écuyer. Si le gouverneur était marié, le corps de -ville se présentait de nouveau à son hôtel pour saluer sa femme, et, -après le départ des échevins, lʼhuissier de la ville présentait à la -femme du gouverneur le vin, deux douzaines de boîtes de confitures, -avec une corbeille garnie de quantité de rubans et remplie de six -bourses. Le lendemain ou surlendemain de lʼentrée du gouverneur, le -corps de ville, assemblé pour le recevoir, sortait de la maison -commune, « précédé de lʼhuissier ordinaire avec sa toque de -velours, et des six sergents royaux et sergent général avec leurs -écharpes, ayant un trompette à la tête » pour se rendre en lʼhôtel -du gouverneur. Après lʼavoir salué, il lʼaccompagnait à la maison -commune, où le gouverneur prenait séance au bout de la table, « dans -un fauteuil dans lequel il y avait un carreau de velours. » -</p> - -<p class="indent"> -Cʼest ainsi, du moins, que les choses se passèrent -le 1<small><sup>er</sup></small> avril 1680, -lors de lʼarrivée du comte de Coigny, récemment nommé -gouverneur des ville et château de Caen. -</p> - -<p class="indent"> -On se mettait naturellement en frais lorsquʼil sʼagissait dʼun -souverain ou dʼun prince de lʼÉglise, surtout quand le -roi, comme il le fit lors de lʼentrée du cardinal de Farnèse, se -donnait la peine dʼécrire « par ses lettres missives aux échevins de -la ville quʼils eussent à lui faire en <i>icelle réception -honorable</i> <a class="fn" id="fr_33" href="#fn_33">33</a> » -</p> - -<p class="indent"> -Alors on faisait peindre des emblèmes, des écussons et des tableaux -allégoriques quʼon suspendait aux murs de lʼHôtel de Ville, tant du -côté de St-Pierre que du côté de la rue St-Jean. Puis, cʼétaient des -illuminations et le vin qui, pendant plusieurs heures, coulait -abondamment par les fenêtres pour le peuple. -</p> - -<p class="indent"> -Le 16 janvier 1679, à lʼoccasion de la paix qui venait dʼêtre signée -entre le roi de France et le roi dʼEspagne, « pour marquer la joie -publique, le beffroi était orné de tapis et dʼun étendard avec -plusieurs branches de laurier, dont on sonna la grosse cloche dès 4 -heures du matin, et lʼHôtel de Ville, dʼun grand tableau de chaque -côté avec plusieurs écussons, éclairés de plusieurs flambeaux, dont -lʼun représentait sa M<small><sup>té</sup></small> à cheval, -couronnée par un ange, foulant -aux pieds et terrassant la Guerre, la Discorde et lʼEnvie; et -lʼautre, la Paix descendant du ciel en terre, dans un char de -triomphe, tiré par des amours, précédé de la Renommée et y -apportant lʼabondance. » -</p> - -<p class="indent"> -Le sujet des tableaux variait suivant la circonstance qui donnait lieu -à la fête. Le 11 août 1659, « pour le mariage du roi, disent les -anciens registres, le vin de lʼHôtel de Ville coula, du côté de -St-Pierre, par deux canaux faits exprès dans le tableau du Dieu -dʼHyménée. » Et, quelque deux -ans après, lorsquʼon fit des réjouissances publiques pour la -naissance du Dauphin, il y eut une distribution de vin au peuple par -une fontaine qui sortait dʼun dauphin, figuré à lʼune des fenêtres de -lʼHôtel de -Ville <a class="fn" id="fr_34" href="#fn_34">34</a>. -</p> - -<p class="indent"> -On croirait volontiers que ces peintures décoratives, appropriées aux -circonstances, devaient entraîner pour la ville des dépenses -considérables; mais un Mémoire des dépenses faites pour lʼentrée du -duc de -Joyeuse <a class="fn" id="fr_35" href="#fn_35">35</a> -nous montre que les nécessités du budget avaient -créé à Caen un genre nouveau quʼon pourrait appeler la peinture -économique: « des tableaux de 12 pieds sur 8 -nʼy sont cotés que 6, 8 et 10 écus. » La place, -comme on le voit, ne manquait pas aux -artistes pour se mettre en frais dʼimagination; -mais il est probable quʼils en donnaient à la ville pour son argent. -</p> - -<img src="images/CD_PL1_end.png" class="img_025 align-center" -alt="CD_PL1_end"/> - -</div> - - -<hr /> - - - - -<div class="chapterNO"> -<h2> -<a id="N2"></a> -<span class="pfs110"> -LʼANCIEN PORT DE CAEN -</span> -</h2> -</div> - - -<div class="chapter"> -<img src="images/CD_PL2_VuePort.png" class="img_100 align-center" -alt="CD_PL2_VuePort"/> - -<p class="pfs100"> -  -<br /> -</p> -<p class="pfs100"> -  -<br /> -</p> -<p class="centerserif pfs120"> -<img src="images/CD_PL_beg.png" class="img_090 align-center" -alt="CD_PL_beg"/> -<span class="xlarge"> -LʼANCIEN PORT DE CAEN -</span> -</p> - -<hr class="r10" /> - -<p class="centerserif pfs100"> -<span class="large"> -NOTICE HISTORIQUE -</span> -<br /> -<span class="small"> -SUR LES TRAVAUX AUXQUELS IL A DONNÉ LIEU -</span> -</p> -<hr class="r10" /> - - - - -<p id="lettrine2"> -<span class="lettrine2L">L</span> -E port de Caen est aussi ancien que la ville. Dès lʼan 1026, il -avait assez dʼimportance pour que la dîme des produits de sa douane -fût attribuée par Richard II, comme une donation sérieuse, -à lʼabbaye de Fécamp. Au temps du duc Guillaume, sa prospérité fut -encore augmentée par la conquête de lʼAngleterre, qui amena -nécessairement un échange de productions entre la Normandie et le -royaume nouvellement conquis. -</p> - -<p class="indent"> -Jusque-là, les navires nʼavaient eu pour principale station que le -cours du Grand-Odon, depuis lʼendroit où cette rivière se jetait dans -lʼOrne, cʼest-à-dire vers le point où est actuellement le pont des -Abattoirs, jusquʼau pont de Darnetal, appelé plus tard pont St-Pierre. -</p> - -<p class="indent"> -La première amélioration du port fut entreprise par le -duc Robert, fils de Guillaume le Conquérant, vers lʼannée 1104. Après -avoir renforcé lʼOdon dʼune branche de lʼOrne, à laquelle la postérité -reconnaissante a conservé le nom de <i>canal du duc Robert</i>, le duc -fit creuser à lʼOdon un nouveau lit dans la prairie St-Gilles, pour -lʼélargir et le rejeter un peu plus haut dans lʼOrne, vers le lieu -quʼon appelle encore le <i>rond-point</i>. Grâce à ces travaux, -des bâtiments plus forts purent remonter jusquʼau pont St-Pierre. -</p> - -<p class="indent"> -Ils y vinrent en si grand nombre que, quelque dix ans après cette -première amélioration, la vue du mouvement du port excitait -lʼadmiration dʼun certain Raoul Tortaire, moine de lʼabbaye de -St-Benoît-de-Fleuri (Loiret), qui nous a laissé une curieuse relation -en vers latins du voyage quʼil avait fait en Normandie, à une date -quʼon peut fixer dʼune manière certaine entre les années 1107 et -1113. -</p> - -<p class="indent"> -« Le port, dit-il dans son poëme, donne asile à quelques gros -vaisseaux que lui envoie la mer, dont les ondes, dans leur flux, -suspendent presque entièrement le cours de la rivière. Ce sol, -fécond en moissons, ne connaît pas lʼombrage des forêts; la noix -gauloise, le raisin, la figue et lʼolive lui manquent; mais lʼîle -Britannique lʼenrichit des produits divers du commerce et de ce -quʼenfantent les terres baignées par la mer dʼOccident. » -</p> - -<p class="indent"> -Ébloui et tenté par le nombre et lʼéclat des étoffes de laine de -diverses couleurs, des tissus de lin dʼune rare finesse, des soies -moelleuses à trame serrée, et des autres marchandises quʼon débarque -sur le quai, le bon moine sʼécrie naïvement: « A la vue de tant de -richesses apportées des pays les plus divers par des hommes, dont -les vêtements sont si disparates, -je me sens tout agité et horriblement malheureux de ne -pas avoir dʼargent! ». -</p> - -<p class="indent"> -Ces brillants produits de lʼOrient, qui faisaient regretter au bon -religieux ses vœux de pauvreté, étaient échangés contre le blé, -lʼorge, le hareng salé qui servait à lʼapprovisionnement des places -fortes, et aussi contre les pierres à bâtir tirées des carrières de -Vaucelles et de St-Julien. -</p> - -<p class="indent"> -Au XIII<small><sup>e</sup></small> siècle, -lʼaffluence des « navires chargés de toute sorte de -marchandises » est encore affirmée en vers latins, par Guillaume Le -Breton <a class="fn" id="fr_36" href="#fn_36">36</a>, -historiographe de Philippe Auguste. Mais le mouvement du -port dut singulièrement se ralentir pendant les malheurs de la guerre -de Cent-Ans, les troubles de la <i>Ligue du bien public</i> et les -dévastations des guerres de religion. Durant cette longue période de -désastres, aucune amélioration nouvelle ne fut, on le comprend, -apportée à la situation du port. -</p> - -<p class="indent"> -Cependant, il en eût exigé dʼurgentes; car, tandis que le pays -commençait à se débarrasser de ses ennemis, le port de Caen subissait -un autre genre dʼinvasion qui devait compromettre sa fortune et le -menacer dʼune ruine prochaine. Lʼhistoire du port, -à partir du XVI<small><sup>e</sup></small> siècle, -ne se compose guère, en effet, que de la relation des -envasements successifs de lʼOrne, des projets quʼon proposa et des -travaux qui furent tentés pour remédier à cet état périlleux pour la -navigation. Ces envasements redoutables tenaient à la nature des -terrains où lʼOrne sʼétait creusé son lit capricieux. Le sol des -prairies de Caen jusquʼà la mer nʼest, en effet, que le -produit des matières que lʼeau de la rivière et le flux des marées -avaient successivement déposées dans lʼancienne baie. Des fouilles, -exécutées à la fin du XVIII<small><sup>e</sup></small> siècle -pour creuser le nouveau canal de lʼOrne, -ont donné lieu à des découvertes qui sembleraient prouver que -cette alluvion ne sʼest pas accomplie avec la lenteur que met -habituellement la nature dans son patient travail des siècles. Telle -est, du moins, lʼopinion dʼun observateur du temps, qui pense que le -sol de lʼancienne baie de Caen se serait exhaussé de 6 mètres environ -depuis la fin du II<small><sup>e</sup></small> siècle de notre -ère <a class="fn" id="fr_37" href="#fn_37">37</a>. -On comprendra aisément, -après cette explication, que dans un terrain si mobile, composé de -tangue, de coquilles, de sable et de bois pourris, le double mouvement -des eaux de la rivière et du flux de la mer ait formé dans le lit de -lʼOrne, dʼailleurs trop sinueux, les atterrissements qui ont fait, -jusquʼà nos jours, le désespoir des navigateurs. Les plaintes répétées -des marins et des négociants de Caen qui réclamaient des travaux -dʼamélioration, les fins de non-recevoir des maire et échevins de la -ville, qui approuvaient les lamentations de leurs administrés sans -pouvoir cependant trouver dans leur caisse vide les moyens efficaces -de les consoler, les nombreux projets et plans proposés, tant par des -particuliers que par des ingénieurs, pour porter remède au mal, la -mauvaise volonté du Gouvernement qui, la plupart du temps, faisait la -sourde oreille, quelques commencements dʼexécution, trop souvent -interrompus par la guerre ou par le manque de fonds, formeraient un -chapitre -intéressant de lʼhistoire administrative du temps. Nous allons essayer -de lʼécrire. -</p> - -<p class="indent"> -La seconde amélioration qui fut apportée à la rivière dʼOrne, depuis -les travaux du duc Robert, date du règne -de François I<small><sup>er</sup></small>. Profitant de -la présence du grand sénéchal, lieutenant du Roy dans la ville, les -officiers et gouverneurs de Caen « luy firent entendre, -dit M. de -Bras <a class="fn" id="fr_38" href="#fn_38">38</a>, -que la rivière dʼOurne, qui flue par ceste ville, estoit fort -sineuse et tortue depuis le havre dʼOistreham jusques en ceste -ville, et que les navires qui flottoyent par icelle estoyent fort -retardez, et les matelos en peine dʼattendre le changement de vent -et marée, devant quʼils abordassent les quaiz de ceste ville qui -estoit une grande incommodité pour les marchands. Toutefois quʼil y -avoit un endroit en la prairie, au bas du hamel de Longueval, lequel -nʼestoit pas de grande longueur, et que si lʼon y faisait une -tranchée on abrégeroit le cours de la rivière de plus dʼune grande -lieuë, et que cʼestoit lʼendroit auquel les navires commençaient -dʼalonger leur chemin et en peine dʼattendre changement de vent ou -marée. Ayant ledict seigneur entendu ces remontrances, il sʼy -transporte et gens experts et maritimes, et ayant trouvé par leur -advis que une trenchée se pouvait aisément faire en cest endroit, -et que elle estoit bien nécessaire pour la commodité des habitans et -marchands forains, il en fut fait faire un devis. » -</p> - -<p class="indent"> -Le Roi autorisa le travail par des lettres patentes du 4 mai 1531, et -un canal, long de 640 toises, fut achevé avec un -plein succès au mois dʼoctobre de la même année. Le 29 juin 1564, -le trésorier général de Caen proposa au conseil de la commune un -ingénieur « nommé le capitaine Foullon, lequel pourrait -entreprendre faire la rivière dʼOrne navigable... » Ce nʼétaient -pas les ingénieurs qui manquaient, mais les fonds; et la ville refusa. -</p> - -<p class="indent"> -Il y avait décidément abondance dʼingénieurs sur la place; car, sous -le règne de Henri III, le 26 mars 1580, -le lieutenant général François dʼO -écrit aux échevins quʼil leur envoie un nommé Louis de Foix, -ingénieur expérimenté qui a conduit les travaux du havre de Bayonne, -pour voir sʼil serait possible de créer un port à Caen, et, si cela -nʼétait pas praticable à Caen, de visiter le littoral pour choisir un -autre emplacement. -</p> - -<p class="indent"> - -Les échevins répondent (30 mars) que, dʼaprès lʼavis du -s<small><sup>r</sup></small> de Foix, -« il se pourra faire commodément en cette d. ville un des plus -beaux havres de France... et quʼil sera trop mieux pour le bien et -utilité de tout le pays en cette d. ville que en nul autre lieu de -votre Gouvernement. » -</p> - -<p class="indent"> -Mais entre lʼacceptation dʼun projet, dont une ville doit tirer -avantage, et le paiement des dépenses quʼil entraînera, il y a plus -loin quʼentre la coupe et les lèvres. Dès le 4 avril, cʼest-à-dire -quatre jours après leur lettre de remercîment à M. dʼO, -les échevins envoient au gouverneur de Caen un délégué -chargé de lui dire, entre autres choses, -que « lʼentreprise de faire un havre en lad. ville -est œuvre royale, et digne dʼun grand roi tel que le nôtre et non par -des habitans de lad. ville et gens du pays, pour la pauvreté et -peu de moyens dʼicelui. » -</p> - -<p class="indent"> -Nous ne savons si les échevins fondaient de grandes espérances sur -lʼefficacité de ces flatteries, et sʼils pensaient obtenir à si peu de -frais la réalisation des vœux quʼils formaient pour lʼétablissement -dʼun port. Toutefois, ils crurent nécessaire dʼajouter à leurs -injonctions verbales des recommandations écrites, que nous trouvons -dans une lettre du 29 avril. -</p> - -<p class="indent"> -« Pour le fait du havre, disaient-ils à M. dʼO, nous vous -supplions, si cʼest votre plaisir, que la confection dud. havre -vint de la volonté et mouvement du Roi, plutôt que nous -baillassions requête par écrit, car nous craindrions que, le port -étant commencé à notre requête, sʼil advenait que les États ne -consentissent faire la levée des deniers -et quʼil ne plût à Sa M<small><sup>té</sup></small> les faire lever, -quʼon ne nous contraignît à le faire achever à nos -dépens, chose à quoi toute la ville ne pourrait satisfaire, comme -étant chose hors notre pouvoir, sans lʼassurance que nous avons de -la bonne volonté que portez à cette <i>votre</i> ville -et à tout le pays. » -</p> - -<p class="indent"> -Les échevins avaient une si grande confiance dans la bonne volonté des -représentants du pouvoir central, quʼils nʼosaient accepter leurs -bienfaits que sous bénéfice dʼinventaire. La lettre que leur répondit, -à ce sujet, M. dʼO montrera si leur défiance était justifiée. -</p> - -<p class="indent"> -« Messieurs, leur répondit le lieutenant du Roi, après avoir trempé -sa plume dans une encre légèrement mélangée de vinaigre, jʼai vu par -votre lettre les doutes que vous faites dʼacheminer la construction -du havre et vous trouve tellement refroidis que je connais assez que -vous nʼen avez guère envie; mais, ne lʼayant désiré que pour votre -bien -et de toute la patrie, si vous ne vous en souciez guère, je -mʼen veux encore moins mettre en peine et ne vous en parlerai plus à -lʼavenir. » -</p> - -<p class="indent"> -La mauvaise humeur souligne chaque mot de cette réponse. -On y voit le dépit quʼéprouve un fonctionnaire qui nʼeût pas été fâché -dʼoffrir au Roi un nouveau port, créé aux frais dʼune population que -ruinaient les taxes de guerre. Mais les échevins de Caen devinèrent le -but quʼon poursuivait et, avec toute la politesse imaginable, ils -surent faire à leur gouverneur lʼapplication du vieux dicton qui dit: -« A Normand Normand et demi. » -</p> - -<p class="indent"> -Comme le manque dʼargent empêchait les échevins de Caen de lutter -contre lʼenvasement de leur rivière, ils eurent tout le loisir de -défendre celle-ci contre un autre genre dʼennemi quʼils signalèrent à -M. de Joyeuse, amiral de France, -dans une curieuse requête du mois -dʼavril 1584. « Comme ainsi soit que depuis quatre à cinq ans, le -sieur de Saint-Victor, votre lieutenant au siége dʼOuistreham, ait -entrepris de visiter et arrêter les navires partant de cette ville -ou arrivant en icelle, chose non jamais auparavant accoutumée ni -pratiquée en cette ville, ni en autres ports ou rivières de ce -royaume, étant chose suffisante dʼêtre visités et les rapports être -faits au lieu où la marchandise est descendue et le certificat -sʼadresse davantage, les pilotes qui étaient volontaires et en -grand nombre, desquels, lorsquʼils voyaient un navire à la mer, -allaient au-devant pour le piloter à lʼentrée et amont la rivière, -ont été par lui réduits au nombre de quatre, auxquels seuls il -permet de piloter, lesquels exigent par ce moyen quatre fois plus -quʼil nʼétait -accoutumé, et leur a défendu de piloter lesd. navires jusquʼà ce -que lui soient allé demander congé dʼentrer, qui contraint lesd. -matelots descendre leur esquif ou petit bateau pour, étant à terre, -aller trouver le sieur de Saint-Victor, qui se tient près dʼune -lieue loin de lad. embouchure, lui demander pilote et congé dʼentrer -et porter leurs certificats et chartes parties, dont est arrivé la -perte de quatre ou cinq navires, depuis led. temps, lesquels, -faute dʼêtre secourus desd. pilotes et battus de mauvais temps ont -été péris davantage, fait ordinairement, prenant excuse de -visiter lesd. navires et de voir leurs certificats, soit en entrant -ou en sortant de lad. rivière, perdre une marée ou deux et la fait -amortir, qui leur cause perdre quinze jours de temps, jusquʼà ce -que la mer revienne pleine, et a tellement ennuyé et fâché lesd. -matelots que, pour les travaux quʼon leur donne aud. lieu -dʼOuistreham, ils ont enchéri le fret aud. supplians de plus des -deux parts. Il a aussi pour les choses susdites fait cesser le -trafic des marchands forains et spécialement des Anglais, lesquels -ordinairement apportant aud. Caen des draps, cristaux et des -cuirs, remportent des toiles de cette ville, un des grands -commerces dʼicelle, à présent totalement anéanti, chose grandement -préjudiciable au public....... A ces causes il vous plaise -ordonner quʼil sera fait défenses au sieur de Saint-Victor dʼarrêter -ni visiter lesd. navires ayant chargé aud. Caen, ni ceux qui y -apportent marchandise et desquels les certificats sʼadressent en -cette ville ainsi que la visitation en sera faite par vos officiers -en icelle, afin quʼon y puisse voir renaître le commerce et -trafic... » -</p> - -<p class="indent"> -Tout en essayant de se défendre contre ces sangsues administratives -des marais dʼOuistreham, qui suçaient le plus clair des revenus de -leur commerce maritime, les échevins de Caen faisaient dʼhonorables -mais infructueuses tentatives pour lutter contre lʼenvasement de leur -rivière. Ils avaient, en titre dʼoffice, -un <i>épureur</i> ou <i>esperreur</i> de lʼOrne, -chargé du nettoyage de la rivière. Malheureusement, à -lʼimperfection des moyens mécaniques dont disposait cet honorable -fonctionnaire, se joignait encore une négligence, qui a laissé sa -trace dans une délibération du Conseil du 25 mai 1612. « Plusieurs -marchands et maîtres de navires, trafiquant en cette ville, se -plaignent que, dans le cours de la rivière, les navires et bateaux -y abordants sont en péril et danger, à raison que dans le canal de -lad. rivière y a plusieurs grosses pierres contre lesquelles les -navires et bateaux peuvent heurter et entrer en danger dʼêtre -brisés, requérant que lʼesperreur commis pour curer lad. rivière -soit approché. » -</p> - -<p class="indent"> - -Malgré les plaintes incessantes des marins, le port resta un siècle -environ dans cet état déplorable sans quʼon fît de tentatives -sérieuses pour y remédier. Caen eut enfin la bonne fortune de recevoir -la visite du grand ingénieur Vauban, que Colbert avait chargé -dʼétudier toutes les côtes de France. « Voyant la rade de Colleville -placée très-avantageusement au voisinage de lʼOrne, dit -M. Boreux <a class="fn" id="fr_39" href="#fn_39">39</a>, -Vauban comprit que lʼon pouvait tirer très-bon parti de cette -situation. Il projeta donc de faire un port dʼasile dans la rade, dʼy -faire déboucher lʼOrne, de redresser le cours de la rivière entre -Caen et les carrières de Ranville et de rendre navigable sa partie -supérieure jusquʼà Argentan, comme on en avait eu lʼidée à diverses -reprises depuis le règne de Charles VII -jusquʼà celui de Louis XIII. » -</p> - -<p class="indent"> -Dʼaprès le témoignage de Vauban, Colbert fit expédier, le 6 mai -1679, des lettres-patentes qui autorisaient lʼexécution des travaux -indiqués par le célèbre ingénieur. On commença par faire un -redressement de lʼOrne sur 1,140 toises de longueur, entre les -carrières de Ranville et les moulins de Clopée; cʼest dans ce même -intervalle que, cent cinquante ans auparavant, on avait fait le -redressement de Longueval. Les ouvrages devaient être continués sans -interruption, mais la mort de Colbert vint malheureusement tout -suspendre. -</p> - -<p class="indent"> -Lʼamélioration dʼune partie de la rivière nʼinfluant en rien sur le -reste de son cours vers la mer ni sur son embouchure, toutes les -difficultés, tous les dangers y demeuraient les mêmes, et le mal -sʼaccrut de telle sorte que, sur la fin de lʼannée 1731, on se vit -dans la nécessité de faire à ce sujet des démarches pressantes auprès -de lʼintendant; mais elles nʼeurent aucune suite. -</p> - -<p class="indent"> -Cependant la situation du port devenait si périlleuse pour la -navigation que le Gouvernement lui-même sʼen émut. Le comte de -Maurepas, ministre de la marine, recommanda à lʼintendant de Caen de -prendre des mesures pour obliger la ville à enlever les vases et les -pierres qui menaçaient de rendre le quai impraticable. Le maire et les -échevins répondirent que la ville nʼétait point en état de faire une -si grosse dépense. « Tout son revenu, disaient-ils en novembre 1735, -qui est de 84,093 livres 10 sous par an, -est de 1,537 livres, -17 sous, 4 deniers au-dessous de ses charges annuelles. -On ne peut aggraver, par une nouvelle taxe, -la situation déjà bien triste -des habitants dʼune ville dont le commerce est ruiné. » -</p> - -<p class="indent"> -Trop préoccupées dʼaligner les chiffres de leur budget, les -administrations ont généralement la vue courte et nʼaperçoivent pas, -par-dessus leur comptabilité, les avantages sérieux que lʼavenir -accorde à ceux qui ont le courage de tenter lʼinconnu. Quelque -précaire que fût lʼétat des finances de la ville, les échevins -auraient dû tenir compte des vœux de leurs concitoyens. Lʼextrême -prudence nʼest pas la vraie sagesse; et il est des occasions où il -faut savoir oser. Lʼinitiative privée eut heureusement lʼaudace qui -manquait à une administration trop économe. Un bon citoyen, -littérateur, poète et savant, qui avait déjà dépensé généreusement des -sommes considérables en exécutant des plans relatifs à un projet de -canalisation de lʼOrne, M. François-Richard de La Londe, sut -communiquer son ardeur patriotique à ses concitoyens. Bientôt, en -1740, une assemblée de notables de la ville et généralité de Caen le -chargea de présenter, en leur nom, au contrôleur général, un mémoire -où M. de La Londe demandait lʼétablissement dʼun port de refuge à -Ouistreham et la canalisation de lʼOrne depuis Argentan jusquʼà la -mer. Le projet fut accueilli favorablement, mais la guerre qui survint -mit obstacle à son exécution. -</p> - -<p class="indent"> -Lʼimpulsion était donnée, et de nouveaux mémoires se produisirent en -1747. Enfin, en 1748, après la signature de la paix, -M. de La Londe -adressa une nouvelle étude au comte de Maurepas. Le ministre daigna la -prendre en considération -et chargea M. Duhamel, membre de lʼAcadémie des Sciences, de se -transporter sur les lieux pour examiner le cours de lʼOrne et donner -son avis. Le savant minéralogiste vint à Caen et accomplit sa mission -avec un soin scrupuleux. Cependant, malgré son avis favorable, -lʼexécution des travaux fut encore une fois différée. Un aveu inédit -du consciencieux académicien donne lʼexplication de ce retard. Dans -une lettre à M. de La Briffe, du 5 septembre 1748, -M. Duhamel, après -avoir rappelé avec reconnaissance lʼaccueil quʼil a reçu à Caen, -déclare quʼil nʼa pu encore parler dʼaffaires à Versailles. -« La cour est si ambulante, dit-il, et si occupée des plaisirs -que Madame la Marquise ne cesse dʼimaginer, que tout le travail est -remis... » Ainsi, les négociants de Caen, menacés dans leurs -intérêts commerciaux, et les marins, dans leur existence même, par les -périls de la navigation, durent attendre que -M<small><sup>me</sup></small> de Pompadour eût -suffisamment assuré sa faveur en organisant des fêtes destinées à -distraire un monarque ennuyé. -</p> - -<p class="indent"> -Laissant la cour sʼamuser, M. Duhamel nʼattendit pas ses -encouragements pour se mettre à lʼétude, et il écrivit son mémoire sur -le rétablissement dʼun port à lʼentrée de la rivière dʼOrne. Peine -inutile! Comme la favorite avait, dʼun coup dʼéventail, brisé la -carrière du contrôleur général Orry, dont les économies ne pouvaient -sʼaccorder avec sa manière de comprendre la direction des finances, -Machault, sa créature, qui paya sa bienvenue aux affaires en faisant -accorder à la marquise une pension de 200,000 livres, anéantit dʼun -trait de plume les espérances que fondaient les habitants de Caen sur -le projet si sérieusement étudié par M. Duhamel. -Un M. de Caux, ingénieur, fut chargé de préparer -un autre mémoire, qui -reçut naturellement lʼapprobation du nouveau contrôleur général. -</p> - -<p class="indent"> -Tandis que ces intrigues de palais laissaient en suspens des travaux -dont lʼurgence était évidente, à Caen, -le patriotisme de M. de La Londe veillait -sur les intérêts de la cité. Une tempête épouvantable -qui, vers la fin de 1749, faillit emporter les dunes de -Sallenelles et menaça dʼenvahir une grande partie de la riche vallée -du Pays-dʼAuge, vint apporter au zélé citoyen lʼutile collaboration de -la peur. Les intérêts alarmés demandèrent lʼavis dʼune commission, qui -consulta elle-même M. de La Londe. -Celui-ci, profitant de lʼépouvante -générale, dirigea cette force aveugle avec assez dʼart pour en faire -un instrument de progrès. Grâce à sa patriotique dissimulation, il sut -faire sortir dʼun malheur lʼexécution des grands travaux quʼil nʼavait -pu obtenir, en des temps plus calmes, de lʼexamen dʼun plan sagement -médité. Il déclara, en effet, et fit admettre par lʼopinion que le -seul moyen de prévenir le désastre quʼon redoutait serait de -transporter, au moyen dʼun canal, lʼembouchure de lʼOrne à Colleville, -où lʼon pourrait, par la suite, creuser un port excellent. Ce vaste -projet fut mal accueilli en haut lieu. La cour de Versailles, avide -dʼéconomies pour les autres, fit répondre par la bouche de son -ingénieur quʼune digue de pierres, de terre et de bois suffirait pour -garantir la côte menacée. -</p> - -<p class="indent"> -Malgré cette déception, M. de La Londe, -qui ne voulait pas renoncer à -ses espérances, accepta la direction des travaux. A peine construite, -la digue fut détruite par la mer, et cependant le danger quʼon avait -prétendu conjurer par là ne se -réalisa pas. Alors M. de La Londe se retira, -renonçant à jouer plus -longtemps un rôle dans cette comédie de la peur, quʼil nʼavait -imaginée quʼafin de lui donner pour dénouement la réalisation de ses -vœux patriotiques. Quant au véritable auteur du désastre, -M. de Caux, lʼingénieur en chef, -il sʼen lava les mains. Dans une lettre du 14 mai -1751, il déclarait dʼun cœur léger quʼil avait toujours considéré -et annoncé le travail en cours dʼexécution comme un palliatif -provisoire; que le parti le plus sûr était dʼouvrir le canal proposé, -pour donner une autre embouchure à lʼOrne. Malgré cette tentative -dʼapologie, lʼopinion publique sut faire la part des responsabilités. -A son arrivée à Caen, le nouvel intendant, M. de Fontette, -mis au courant de la situation par les plaintes des habitants, -crut quʼil était pressé de donner un successeur à M. de Caux. -Il proposa de consulter, au sujet des travaux à exécuter, -M. Lecloustier, ingénieur en chef à Dieppe. -Quelque temps après, le 23 janvier 1753, M. Trudaine, -directeur des ponts et chaussées, mandait à lʼintendant de -Caen que le garde des sceaux avait pris le parti dʼenvoyer sur les -lieux M. Lecloustier, dès que la saison le permettrait. -On ne pouvait faire un choix plus malheureux. -</p> - -<p class="indent"> -M. Lecloustier avait une réputation dʼhabileté méritée; -mais ses intérêts personnels le retenaient à Dieppe. -Sʼil ne refusa pas -absolument le travail quʼon lui proposait, il employa mille -subterfuges et délais pour en retarder lʼexécution. Caractère -indépendant, fantasque, bourru, il se retrancha derrière sa position -acquise, pour lancer de là, dans une correspondance verbeuse et -parfois spirituelle, mille traits acérés contre les abus de -lʼadministration du temps. Son humeur frondeuse -sʼattaquait hardiment à tout et semblait rechercher, dans une -prolixité voulue, le moyen de lasser ses supérieurs et dʼéterniser la -résistance. Rien de plus curieux que les lettres de cette sorte -dʼingénieur malgré lui. Cʼest une bonne fortune de les rencontrer sur -son chemin; car on y trouve, à côté dʼune critique amusante, les -détails les plus circonstanciés sur les travaux des ponts et chaussées -vers le milieu du XVIII<small><sup>e</sup></small> siècle. -</p> - -<p class="indent"> -Une première lettre, du mois de mai 1753, adressée probablement à -lʼintendant de Caen, débute ainsi: -</p> - -<p class="indent"> -« Monsieur, je reçois aujourdʼhui la lettre que vous mʼavez fait -lʼhonneur de mʼécrire et jʼai celui dʼy répondre tout à lʼheure. -</p> - -<p class="indent"> -« Lʼamitié, permettez-moi ce précieux et rare terme, lʼamitié, -dis-je, que je vous ai vouée, me forcera toujours à vous parler à -cœur ouvert et sans adulation pour mériter la vôtre, et si jʼy -parviens, etc., attendez-vous, sʼil vous plaît, à ne me jamais -trouver dʼhumeur à la laisser échapper. Lʼon sait à mon âge, ou du -moins on doit savoir quʼun bien si difficile à acquérir échappe des -mains lorsquʼon en a le moins dʼenvie et cela presque toujours; un -soupçon, un rapport faux, un jugement précipité, une défiance sont -suisses qui assiégent votre antichambre, Messieurs, habillent -la probité et la franchise de deuil. La jalousie, lʼenvie, la -critique, les si, mais, car, parce que, etc., viennent à lʼappui, et -le fil casse par lʼendroit le plus faible. Les réflexions de Sosie -dans lʼ<i>Amphytryon</i> ne me sont jamais sorties de lʼesprit lorsque, -la lanterne en main dans son début, il sʼapostrophe lui-même. Toutes -ces images, dis-je, doivent nous guider -dans le labyrinthe du cœur humain, avec le fil dʼAriane: <i>Fac -bonum et declina a malo</i>. Sur ce principe donc, Monsieur, et avec -la connaissance que jʼai de votre excellent caractère, je vais -prendre la liberté de vous parler tout naturellement... » -</p> - -<p class="indent"> -Puis après avoir parlé, avec autant de concision que de légèreté, des -travaux à exécuter tant à Sallenelles que dans la ville de Caen, M. -Lecloustier termine brusquement sa lettre par lʼétrange conclusion qui -suit: -</p> - -<p class="indent"> -« Voilà, Monsieur, en bref ce que je ferais pour mon bien propre en -quatre ou cinq ans de temps. Il vous sera bien glorieux, soit dit -sans compliment, dʼavoir donné jour à la conservation du -Pays-dʼAuge et à la commodité de votre navigation qui, en dépit des -vents de nord-ouest, sera permanente si vous avez pris garde à la -manière dont les pierres sèches sont arrangées. Mais je -commencerais à exterminer tous les lapins qui culbutent les dunes -et désolent les bonnes terres par leurs brigandages. Cet article -sera le plus difficile, parce que ce bétail appartient à gros -seigneurs qui nʼont mie cure des pauvres. » -</p> - -<p class="indent"> -On voit que M. Lecloustier avait un tempérament dʼopposition -singulièrement hardi pour lʼépoque. Sa brusquerie, réelle ou jouée, -dut probablement servir dʼexcuse à ses audaces de plume. On sʼétonnera -toutefois que ses chefs aient pris si longtemps au sérieux un -ingénieur qui, dans une « lettre dʼaffaires », semblait demander -comme un travail préparatoire à la construction dʼune digue, -lʼextermination des lapins qui peuplaient les dunes du voisinage. -</p> - -<p class="indent"> -Cependant, à la date du 26 juillet 1753, le directeur des -ponts et chaussées, M. Trudaine, -écrit à lʼintendant de Caen quʼil -faut avant tout faire un bon devis, bien détaillé, accompagné dʼune -estimation. Et il ajoute: « Je crois -M. Lecloustier très-propre à le bien faire; -mais il passe pour nʼêtre pas aisé à manier, surtout pour -ce qui concerne son intérêt personnel. » -</p> - -<p class="indent"> -Lʼintendant communiqua-t-il cette lettre à M. Lecloustier, -ou se -fit-il du moins, auprès de lui, lʼécho des appréhensions que le -directeur des ponts et chaussées manifestait au sujet du caractère de -lʼingénieur de Dieppe? On peut le croire; car, dès le 11 août 1753, -lʼingénieur bourru prit sa bonne plume de combat et écrivit une lettre -dans laquelle il expliquait les causes légitimes de son irritation. -Cette lettre est à citer tout entière; on y trouve une description -colorée des petites misères de la vie des ponts et chaussées à cette -époque <a class="fn" id="fr_40" href="#fn_40">40</a>. -</p> - -<p class="entete1 small"> -« A Dieppe, le 11 août 1753, -</p> - -<p class="entete2"> -« Monsieur, -</p> - -<p class="indent"> -« Jʼai reçu la lettre que vous mʼavez fait lʼhonneur de mʼécrire -le 8 de ce mois, par laquelle vous me faites celui de me marquer que -le Ministre vous charge, Monsieur, de lʼinformer si je voudrais bien -faire <i>un devis bien exact des ouvrages à faire à la rivière -de Caen et quelles sont à peu -près mes idées sur la récompense que je crois devoir attendre du -Roi</i>. Je suis bien persuadé, Monsieur, que si lʼon voulait sʼen -rapporter à vous, vous arrangeriez les choses en ministre généreux, -en vrai Colbert, et que nous ne marchanderions pas. Mais -aujourdʼhui, Monsieur, nous voyons renaître le temps du bon Juvénal, -qui disait avec le fiel que vous lui connaissez: -<i>Probitas laudatur et alget</i>, aujourdʼhui, dis-je, ce trop vrai bon mot, que jʼavais -oublié depuis mes classes, mʼest revenu en mémoire par la triste -expérience que jʼai faite de son application. Or, écoutez donc mon -histoire, Monsieur, sʼil vous plaît. Elle mériterait dʼêtre mise en -vers sur lʼair des <i>Pendus</i>, car elle est assez tragique pour ma -pauvre famille. Et, en effet, je nʼai jamais dû mʼattendre à un sort -communément heureux, étant né le vendredi immédiatement après -dîner, Saturne et Mercure en conjonction, le soleil éclipsé de onze -doigts, et la lune, qui luit pour tant dʼautres couleur dʼargent, -était pour lors comme couverte dʼun sac de poil noir. Ce -langage, Monsieur, connu des adeptes seulement, vous doit paraître -extravagant; je nʼen suis pas surpris. Mais souvenez-vous que... -<i>sapientis est desipere in loco.</i> -</p> - -<p class="indent"> -« Il y a quatre ou cinq ans, Monsieur, que la navigation de -la Somme étant interrompue dans Abbeville pour communiquer à Amiens, -quelques ingénieurs des ponts et chaussées avaient insinué à -M. Chauvelin un beau et superbe canal -à demi-lieue hors de la ville, -mais ce canal avec les écluses pouvait aller à quelques millions; -la Cour voulut savoir sʼil nʼy avait pas de remède moins violent. -M. de Regemorte, qui aime ma famille, me proposa, -en vue sûrement de -me faire du bien. Je reçus donc ordre dʼexaminer; et, sur mon -rapport, on jugea quʼoutre la dépense inutile et exorbitante, il -résultait du projet une désertion totale de la ville, comme il -arriverait à Caen, Monsieur, si le projet de Colleville avait -jamais lieu. Je remarquai donc <i>quʼil nʼétait question que de curer -lʼancien bras de la Somme</i> dans la ville, assez bas sous un pont de -pierre pour que les barques pussent y passer de mer basse, afin que -de mer haute lʼarche de ce pont ne leur servît plus dʼobstacle -étant une fois passées, car il arrivait, Monsieur, que ces barques, -attendant la marée pour passer sous ce pont, se trouvaient -souvent prises sous la voûte et sʼy écrasaient. On suivit mon avis, -par ordre du Conseil; mais comme je nʼavais pas barbouillé beaucoup -de papier, ni fait un projet à millions, tout lʼouvrage sʼest fait -sans quʼil ait été seulement fait mémoire du pauvre saint, et jʼen -fus pour mes frais avec une chute de cheval qui faillit à me tordre -le cou. Ce quʼil y eut encore de singulier à cet ouvrage ou -curement, est quʼil fut dirigé et conduit par Messieurs de ville, -qui, pour aller plus vite (en dépense apparemment), employèrent -six cents travailleurs où il nʼen pouvait tenir à lʼaise que cent -cinquante au plus; tout le reste devint spectateur bénévole. -– Fin de mon premier point. -</p> - -<p class="centerserif"> -« 2<small><sup>e</sup></small> <small>POINT</small>. -</p> - -<p class="indent"> -« Lʼannée ensuite, me promenant dans mon jardin, à Fécamp où -jʼétais pour lors en résidence, je vis arriver un cavalier de la -maréchaussée qui mʼannonça un arrêt du -Conseil qui me nommait pour concilier le débat entre -MM. Bayeux et Le Barbier, des ponts et chaussées, sur -le projet de la conservation du territoire de Cayeux, proche -le bourg dʼAult. Leurs projets étaient joints à lʼarrêt du -Conseil qui mʼenjoignait de dire mon avis et faire les -dessins nécessaires si je trouvais les autres défectueux. Je -fis le voyage et examinai le terrain. Mon mémoire fit -connaître les défauts des autres projets qui étaient très-bien -dessinés et montaient à plus de 80,000 livres chacun. On -tailladait le pays par grands canaux inutiles avec des têtes -dʼécluse dans la mer. Bref, je donnai le projet dʼun aqueduc comme -on les pratique en Flandre; lʼadjudication sʼen -passe; elle est agréée du Conseil, lʼouvrage qui consistait tout -en pilotis de chêne est fait par lʼentrepreneur pour 39,000 livres. -M. Chauvelin quitte lʼintendance dʼAmiens -et va à Paris. M. dʼAligre -lui succède. Lʼentrepreneur, lʼouvrage fait, est renvoyé comme un -vilain après lui avoir retenu 14,800 livres. Cet homme écrasé quʼon -avait obligé déjà de payer les honoraires de MM. Bayeux et Le -Barbier, et chargé aussi de payer le mien, est devenu insolvable et -jʼen ai été pour mes peines, et nʼai pas été exempt des -plaisanteries de M. dʼAligre que je ne connus oncques. -Si lʼon viole donc aujourdʼhui, Monsieur, -le droit des gens avec autant de -despotisme que M. dʼAligre le fait, -qui est-ce qui sera assez hardi -pour avoir à démêler vis-à-vis les intendants? Dʼailleurs, Monsieur, -ma profession est pour les fortifications. Je suis attaché aux -ministres de la guerre et de la marine qui mʼont noblement -récompensé lorsquʼils mʼont chargé de commissions particulières. -Ils ont été contents -et nʼont point cherché, comme M. dʼAligre, de ces petits -alibis pour chagriner (besogne faite) entrepreneurs, et se moquer -mal à propos dʼun pauvre diable dʼingénieur quʼon ne peut taxer -dʼavoir mis la main à la pâte, puisquʼil nʼa fait aucuns toisés, le -bureau des ponts et chaussées ayant nommé pour la conduire un sieur -Le Tellier, qui a failli à faire échouer lʼouvrage par son -indétermination et son insuffisance aux travaux de mer. -</p> - -<p class="indent"> -«  Quoiquʼintendant vous-même, Monsieur, je présume de votre -excellent caractère que vous voudrez bien, pour un moment, descendre -à ma place. Ayant été échaudé deux bonnes fois, vous -exposeriez-vous à la troisième? Et ne vaut-il pas mieux manger du -pain noir en paix auprès de ses lares et pénates que de courir après -le vent? Vous me parlez, Monsieur, du ministre sans le nommer; je -prends donc la liberté de vous dire que si je me charge du détail -de la construction des ouvrages à faire tant à la rivière quʼà son -embouchure, pont tournant, clapets, etc., je ne désire avoir -affaire à dʼautres ministres quʼà M. Trudaine. -Je connais son mérite et son humanité; -je ne veux dʼautres juges pour mes honoraires que -vous, Monsieur, et MM. De Regemorte. -Je suis bien certain par ma -bonne conduite et économie sauver sur les ouvrages la récompense -dʼun honnête homme. Informez-vous, Monsieur, de lʼadministration -des fonds destinés pour les fontaines du Havre que jʼy fis faire, il -y a huit ou dix ans. Les misérables qui se présentaient pour -lʼentreprise faisaient monter la livre de mastic à 20 sols; je la -fis faire devant moi pour 6 sols, -et la livre de soudure à 37 sols fut faite dans la cour de -lʼHôtel de Ville pour 13 sols. Je sauvai plus de mille louis à -cette administration. -</p> - -<p class="indent"> -« Le projet que vous a donné M. de Regemorte est le seul -raisonnable, durable par sa construction, et le seul capable de -faire lʼeffet quʼon en doit attendre. On peut le pousser aussi loin -et aussi peu quʼil conviendra, sans avaries aucunes (notez bien -ceci) toutes pierres et de tous échantillons seront bonnes étant -essemillées comme il convient. En un mot, ce ne sont point ici des -fagots quʼon vous donne, ce nʼest point un palliatif. Prenez-y bien -garde, Monsieur; ceux qui ont ajusté une pièce à vos dunes -ont-ils marchandé? Voulez-vous que je marchande aussi? Faites donc -comparaison, Monsieur, non-seulement de la besogne, mais de son âme, -cʼest-à-dire de ce qui en résultera. En un mot, Monsieur, je suis à -M. de Trudaine, à vous, -à M. de Regemorte, mais parbleu! que -dʼautres nʼy mettent pas le nez, car je trousse mon sac et mes -quilles et je mʼen vas tout droit devant moi. » -</p> - -<br /> -<p class="indent"> -Sans tenir compte de la mauvaise humeur qui perce à chaque ligne dans -cette lettre, lʼintendant de Caen, M. de Fontette, écrivit, le 28 -novembre 1753, au ministre dʼArgenson pour le prier dʼautoriser -M. Lecloustier à venir à Caen, afin dʼy commencer -lʼétude des travaux à exécuter sur lʼOrne. -Cette insistance, qui faisait honneur aux talents -de M. Lecloustier, mais le menaçait dans sa tranquillité, -détermina lʼingénieur malgré lui à indiquer de loin des mesures -dʼadministration à prendre, en attendant la saison des études -sur le terrain. Se voyant, malgré cela, sur le point dʼêtre -arraché du milieu qui lui plaisait, il imagina, pour obtenir un -nouveau répit, le prétexte dʼune maladie. Cʼest du moins ce qui -ressort dʼune lettre du ministre dʼArgenson, « qui autorise -M. Lecloustier à venir à Caen dès que la saison -et sa santé le lui permettront. » -</p> - -<p class="indent"> -Pressé de nouveau, M. Lecloustier se décide enfin à rédiger -un « Devis et mémoire pour servir au percement du nouveau canal, -projeté pour diriger en lignes droites -la navigation de Caen sur la rivière dʼOrne. » -Aussitôt, de lʼintendance de Caen arrivent des objections contre ce -projet. Cʼétait probablement ce que souhaitait lʼingénieur, forcé dans -ses derniers retranchements. Après avoir combattu vivement dans sa -correspondance, comme suggérées par des ignorants, les critiques et -les vues nouvelles que lui adresse lʼintendant, il décline avec -ironie, dans une dernière lettre, la paternité du projet dont il a -signé le devis. -</p> - -<p class="entete2"> -« Monsieur, -</p> - - -<p class="indent"> -« Jʼai reçu ici la lettre que vous mʼavez fait lʼhonneur de mʼécrire -le 2, par laquelle vous me faites celui de me mander que les fonds -ne sont pas encore accordés pour lʼexécution de <i>mon devis</i>. -</p> - -<p class="indent"> -« Je ne suis pas assez rempli de vanité pour me prévaloir dʼun -dessein qui est tout vôtre, Monsieur. La gloire vous en est due sans -aucun partage. Et sûrement le public me traiterait avec mépris si, -après avoir fait éclater ma pensée sur ces ouvrages, jʼavais -lʼorgueil de me parer dʼun projet qui nʼest point du tout de mon -imagination. Je vous supplie donc, Monsieur, de faire en sorte quʼil -ne soit point question -de moi. La seule idée que je sois homme à me faire honneur de -lʼusage dʼautrui me ferait rougir de honte quand jʼirais dans le -pays, où je ne prévois pas heureusement avoir le temps dʼy faire -aucun voyage, pour voir la famille de mon épouse. Je dis -heureusement, Monsieur, parce quʼil a plu au Roi de me charger dʼun -détail dans deux de ses places qui me fait honneur. Cʼest aussi où -je dois me renfermer pour ne pas tromper lʼattente de mes -supérieurs et jʼai de lʼouvrage pour toute lʼannée. Vous me saurez -bon gré, Monsieur, de cette scrupuleuse attention qui, en même -temps que je ferai mon devoir, me délivrera des corvées dʼun évêque -<i>in partibus</i>. Je suis encore, outre cela, malheureusement -dʼun âge fort dangereux et incurable même, à cause des années passées, -comme il est dit fort élégamment dans les -pronostications Pantagruéliques. » -</p> - -<br /> -<p class="indent"> -Cette lettre était datée du 10 mars 1754. Ainsi, on avait perdu deux -ans en pourparlers inutiles pour sʼassurer les services dʼun étranger, -qui refusait catégoriquement de quitter son poste! La leçon valait -bien ce retard sans doute et lʼon sʼadressa à un homme du pays, -M. Loguet, ingénieur en chef de la généralité de Caen. Celui-ci -sʼempressa de rédiger un devis des travaux à exécuter pour le -redressement de lʼOrne; sa bonne volonté fut même appuyée par une -adresse dʼun grand nombre de commerçants, qui se plaignaient de lʼétat -déplorable de la rivière, où des barques de 60 tonneaux ne pouvaient -plus monter jusquʼau quai. Malheureusement, à la même époque, -Mme de Pompadour, irritée des sarcasmes de Frédéric II -sur la <i>dynastie des cotillons</i>, préparait le traité -de Versailles qui devait amener les désastres de la guerre de -Sept-Ans. Il fut donc répondu aux habitants de Caen quʼon était désolé -de reprendre les fonds destinés aux travaux de leur port, mais quʼon -leur promettait de les leur rendre à la paix. Pour les inviter à la -patience, M. Trudaine leur envoya un arrêt du Conseil dʼÉtat, -du 21 septembre 1756, qui « autorisait les négociants de Caen à faire -directement le commerce avec lʼAmérique. » On voit donc que sʼil nʼeût -fallu que de lʼeau bénite de cour pour faire monter le niveau de leur -rivière, les commerçants et marins de la ville auraient eu mauvaise -grâce à murmurer. Ils se turent jusquʼau 4 juillet 1762; mais, à cette -date, les marins adressèrent à lʼintendant, M. de Fontette, une -supplique dont nous citerons le passage suivant: « Lʼentrée du quai -de cette ville, qui commence depuis la tour Massacre jusquʼà la -seconde porte du quai, au-dessus de la rue des Carmes, est -tellement gâtée par les attérissements que, lors des plus grands -flots, il ne sʼy trouve que 4 à 5 pieds dʼeau; quʼà ce moyen, -les vaisseaux, qui dans le cours de cette rivière ont déjà souffert -des avaries considérables pour la monter, sont obligés de se mettre -en décharge au dessous dʼicelui, dans des fonds vaseux et de prairie -dont le terrain, pour peu quʼil survienne des pluies, sera défoncé -et impraticable... » -</p> - -<p class="indent"> -Dès le 1<small><sup>er</sup></small> décembre 1762, -nouvelle supplique présentée -à M. de Fontette par les négociants de la ville. -Ils espèrent, disaient-ils, que, la paix approchant, -il va être fait des travaux pour remédier au mauvais état -de la rivière « qui a rebuté pendant la présente guerre -les navires neutres dʼapporter les choses même les plus nécessaires -à la vie. » -</p> - -<p class="indent"> -Malgré la signature de la paix en 1763, on ne parlait pas de rendre -les fonds destinés aux travaux du port. Aussi, le 27 juin 1764, les -marins adressèrent-ils une nouvelle supplique à lʼintendant de la -généralité de Caen. Quelques jours après, le 15 juillet, lʼingénieur -en chef, M. Loguet, publiait un mémoire important sur les -améliorations à faire au port. Mais lʼimprudent ingénieur, qui voyait -que les meilleurs projets venaient se briser contre lʼéternel écueil -des coffre-forts vides, eut la fatale prévoyance dʼajouter à ses plans -lʼexposition dʼun système de taxes qui eût permis de commencer le -travail sans attendre dʼinterminables délais. Pauvre M. Loguet! -vouloir secouer le joug de la routine, quand on est attelé au coche -administratif! Attendez! Voici un coup de fouet qui vous apprendra, -non à avancer comme on pourrait le croire, mais à vous tenir bien -tranquille à votre rang! En effet, dans une lettre du 9 décembre 1764, -adressée à M. Loguet, le directeur des ponts et chaussées, tout en -reconnaissant lʼutilité des travaux projetés, ajoute « quʼil faut -attendre les demandes et les propositions des intéressés et que les -ingénieurs ne <i>doivent point se mêler des affaires -de finances!</i> » Ce nʼétaient pourtant pas les demandes -des intéressés qui manquaient. -Les habitants de Caen se plaignaient sur tous les tons et à tout -instant: le 19 mars 1766, mémoire de M. Viger, lieutenant-général -de lʼamirauté de Caen; le 19 juin 1766, doléances des navigateurs -qui présentent aux maire et échevins de la ville une liste des -sinistres causés par lʼétat de la rivière; le 26 juin 1766, plaintes -des habitants au sujet des inondations causées par lʼenvasement -de lʼOrne; le 29 mai 1770, procès-verbal des officiers de -lʼamirauté, dressé à la requête des commerçants -et des marins. Quelques extraits de ce procès-verbal donneront une -idée de lʼincroyable état de délabrement du port à cette époque. Voici -dʼabord quelle était la situation du quai de débarquement des Carmes: -</p> - -<p class="indent"> -« Ledit quai, dit le lieutenant-général en lʼamirauté de -Caen, est défoncé et coupé de toutes parts par différentes -ornières sur toute sa superficie entremêlée de différents -amoncellements de terres vaseuses, mêlées de décombres y apportés, -lesquels à ce moyen entretiennent des fosses et flanges où lʼeau -séjourne au point que les camions et brouettes ne les peuvent -franchir et y demeurent souvent coulés jusquʼau moyeu, ce qui cause -un retardement et un préjudice onéreux au commerce, tant lors du -chargement des cargaisons à bord que lors du déchargement dʼicelles, -par la raison quʼelles se trouvent gâtées et couvertes des -fanges et boues dudit quai; quʼen outre la pourriture des emballages -qui en résulte, la qualité des différentes marchandises se trouve -altérée et gâtée et le poids considérablement augmenté, ce qui -occasionne aux propriétaires ou consignataires de tomber -involontairement dans le cas de contravention aux ordonnances de Sa -Majesté sur le fait des traites et cinq grosses fermes, dʼoù il -résulte des peines, des soins et toujours des avaries. » -</p> - -<p class="indent"> -Quant au canal lui-même, lʼauteur du procès-verbal déclare: « que -les pierres de revêtissement du quai, loin dʼavoir été entretenues -par les officiers municipaux aux termes de lʼordonnance de la -marine de 1681, -art. 20, -tit. I<small><sup>er</sup></small>, -liv. IV, -sont dans un état -dʼune totale destruction; quʼelles sont tellement endommagées et si -peu solides que nous-mêmes, -en passant à bord du navire hollandais <i>Joost</i>, capitaine -Cornelis Boezaard, aux fins de la visite dʼiceluy, samedi dernier, -ce dʼy dresser procès-verbal judicier dʼune partie de sa cargaison, -nous avons couru le danger de tomber à lʼeau, partie de ces pierres -sʼy trouvant écroulées. -</p> - -<p class="indent"> -« Nous a pareillement été fait remarquer, tant par le maître -de quai que par les capitaines de navires, que lʼéboulement dans le -canal des principales pierres dudit revêtissement met les navires -qui y sont rangés dans le danger le plus imminent, en ce que, de -basse-mer, ils courent risque dʼêtre rompus ou crevés sur ces mêmes -pierres, sans pouvoir sʼen garantir ni les éviter, par la raison -quʼelles se trouvent mêlées dans un lit de vases molles formant un -corps semi-solide dont le canal est rempli et sur lequel les navires -restent à sec de morte-eau; quʼil devient urgent pour le commerce -dʼen faire procéder au curage, ainsi quʼà la réparation desdites -pierres de revêtissement dudit quai sur toute sa longueur. » -</p> - -<p class="indent"> -On pouvait espérer que lʼadministration aurait des entrailles de père -pour cette douleur officielle, émanant des officiers de lʼamirauté. -Mais il nʼen fut rien. Les habitants durent recommencer à gémir et, -comme le héros pleureur de lʼ<i>Énéide</i>, -tendre à tout instant les mains -vers le ciel pour lʼapitoyer sur le sort de leur rivière. Le 8 mars -1771, cʼest une supplique de la ville à M. Trudaine, -« où lʼon espère que le Roi voudra bien accorder -à la ville de Caen, pour les travaux -de son port, les mêmes avantages quʼà la ville de Granville pour le -sien. » Le 16 avril 1776, cʼest une lettre de lʼintendant lui-même, -M. Esmangart, qui mande au directeur des ponts et chaussées -que les négociants de Caen ont dû renoncer à faire venir, en 1775, -des blés du Nord, parce que des barques, même médiocres, ne peuvent -plus remonter la rivière. » Le 25 mars 1777, cʼest une supplique -adressée aux maire et échevins par les marins et négociants, qui -annoncent que les piétons eux-mêmes ne peuvent plus circuler sur les -quais, sans sʼexposer à recevoir des pierres qui tombent des murs en -ruine sur les passants. -</p> - -<p class="indent"> -A ces réclamations viennent en même temps se joindre des mémoires et -des rapports, rédigés par des particuliers ou par des ingénieurs qui -proposent des moyens de remédier au mal. Peu de temps après la mort de -M. Loguet, cet ingénieur qui sʼétait permis dʼavoir -des idées sans lʼautorisation de ses chefs, -son successeur, M. Viallet, dans une -lettre au maire de Caen, du 12 novembre 1766, expose ses vues au -sujet des travaux à faire et émet le premier lʼopinion quʼon -nʼobtiendrait de résultats sérieux quʼen ouvrant, pour la navigation, -un nouveau canal à gauche de lʼOrne, entre Caen et la mer. Enfin -parut, le 11 janvier 1778, un mémoire dû au nouvel ingénieur de la -généralité de Caen, Armand-Bernardin Lefebvre, qui sʼétait déjà fait -connaître par des projets exécutés dans la province de Champagne. Le -nouvel ingénieur avait le défaut de vouloir « faire grand », suivant -une expression qui devait plus tard devenir historique. Lʼintendant de -Caen lui répondit, après avoir examiné ses plans, quʼil ne pouvait -présenter son projet au Conseil, parce quʼune dépense de -7,000,000 livres serait inévitablement rejetée. Non sans regrets, -comme on peut le voir dans une lettre du 2 juillet 1779, -M. Lefebvre se conforma aux ordres <i>absolus</i> -de lʼintendant, et soumit ses projets à une réduction, qui dut autant -lui coûter quʼelle devait rapporter au budget de la ville et de -lʼÉtat. -</p> - -<p class="indent"> -Grâce à ce sacrifice, M. Lefebvre réussit à faire approuver son -projet, et, le 1<small><sup>er</sup></small> juillet 1780, -il reçut de lʼintendant lʼordre de -commencer les travaux. Il sʼagissait, comme nous lʼindique un devis du -1<small><sup>er</sup></small> juillet 1781, -de « creuser et redresser les différents -canaux le long des murs et aux abords de Caen, entre cette ville et -la mer, jusquʼau dessous du moulin et du hameau de Clopée, près le -pont de Tournebrousse. » La masse de terres, déplacée à cette -occasion, sur une longueur de 2 kilomètres entre Caen et Clopée, -a formé depuis la promenade du <i>Cours Caffarelli</i>. -Comme un tel travail -exigeait de nombreux ateliers, lʼintendant de Caen prit ses -arrangements avec les chefs du régiment du Roi pour lʼemploi des -soldats. Mais, à côté des grosses difficultés de lʼentreprise, -naissaient spontanément mille petites misères qui retardaient les -travaux. Un jour, ce sont des hostilités avec la régie au sujet des -boissons fournies aux soldats qui creusent le canal; une autre fois, -cʼest un fermier qui demande quʼon débarrasse des brouettes son -écurie, dont il a besoin, mince événement qui donne lieu à de gros -embarras administratifs. Puis, ce sont des accidents sérieux, comme la -crue inopinée du 15 août 1782, qui vient couvrir tous les travaux. -Ces contre-temps inspirèrent à quelque désœuvré de la ville un avis -qui se recommandait autant par son orthographe que par la force de la -pensée. « Un citoyen de cette ville, disait cet avis, ayant examiné -tout lʼembaras que lon a pour de seché le canalle de cette nouvelle -rivier donne connaissance de ses -idées. » Soit que les idées de ce zélé citoyen ne brillassent point -par la clarté, soit quʼon eût le tort de les laisser passer -inaperçues, tout alla de mal en pis. -</p> - -<p class="indent"> -En 1783, un des entrepreneurs signale à M. de Buffon, -lieutenant-colonel du régiment de Lorraine, la mauvaise besogne de ses -hommes et les dépenses énormes qui en résultent. En 1784, on se plaint -des vols de bois commis par les soldats au préjudice des travaux. La -même année se produit le scandale dʼune scène très-vive entre -lʼingénieur, M. Loyer, et lʼentrepreneur Besson, qui exige des -paiements arriérés. Quʼil menaçât ou suppliât, comme lʼentrepreneur ne -voyait rien venir en fait de fonds, il interrompit brusquement les -travaux dans le courant de lʼannée 1780. Alors M. de Brou, -intendant de la généralité de Caen, prit la résolution de faire -exécuter en régie lʼachèvement de la partie inférieure du canal. La -question dʼargent se représenta alors sous une autre forme. Qui -servirait de caissier à la régie? Grand embarras! car il paraÎt quʼon -nʼavait déjà quʼune médiocre confiance dans les agents quʼon chargeait -de cette fonction délicate. Le subdélégué de lʼintendant écrivait, à -la date du 11 juin 1780: « Jʼai conféré au sujet dʼun caissier avec -M. de Logivière, qui ne veut recommander personne sʼil sʼagit dʼun -<i>caissier ayant une caisse</i>, -et non dʼun agent recevant de quoi payer -les dépenses au jour le jour. » Non sans peine, on finit cependant -par dénicher ce phénix, cet employé unique dans son espèce, un -caissier sans caisse! Cette merveilleuse découverte ne paraît pas -avoir eu sur lʼentreprise lʼinfluence heureuse quʼon pouvait en -attendre. Tout marchait à la diable, et lʼintendant ne cessait -dʼadresser des reproches à lʼingénieur en chef. -</p> - -<p class="indent"> -Lʼintendant renonça bientôt au système de la régie, et, dès le 24 -avril 1786, il tenta une nouvelle adjudication des travaux, qui eut -lieu au prix de 757,222 livres. Cʼest à cette époque que lʼon fonda, -sur les deux rives du canal St-Pierre, des murs de soutènement. En -même temps, on commençait la construction du quai nord du canal de -Vaucelles. Ces travaux se continuèrent jusquʼen lʼannée 1798, -interrompus souvent, soit par suite des malheurs du temps, soit par -suite dʼinondations ou dʼéboulements. -</p> - -<p class="indent"> -Depuis cette époque, jusquʼen 1839, les quais du canal St-Pierre ne -changèrent point de physionomie. La lithographie qui accompagne cette -notice, et qui nʼest que la reproduction dʼune aquarelle exécutée en -1832 par Lasne, nous donne donc une idée assez exacte de ce quʼétait -lʼancien port de Caen à la date de la cessation des travaux en 1798. -On peut y remarquer que les murs des quais nʼétaient terminés que sur -la rive droite, depuis lʼOrne jusquʼau débouché de la rue des Carmes, -où lʼon aperçoit deux piles, qui supportaient un pont tournant, dont -la passe avait 50 pieds de largeur. Ces quais, consolidés en 1839, -ont formé depuis lʼun des côtés du bassin actuel. Lʼauteur de -lʼaquarelle, dont nous donnons une réduction lithographique, sʼétait -placé, pour prendre la vue de lʼancien port, sur la rive droite de -lʼOrne, dans un terrain quʼon appelait le -Poigneux <a class="fn" id="fr_41" href="#fn_41">41</a> -et qui servait de chantier -aux constructeurs de navires. De cet endroit, le regard de lʼartiste -remontait toute la ligne du canal, depuis sa jonction avec lʼOrne -jusquʼà lʼancien pont St-Pierre. Dans les derniers plans, sur une -hauteur, on aperçoit les murs du château, et, sur la gauche, une -partie de la ville avec la tour élégante de lʼancienne église des -Carmes, sacrifiée depuis par lʼinintelligent et impitoyable marteau -des démolisseurs. -</p> - -<p class="indent"> -Tous les travaux de lʼancien port, dont nous venons de rappeler -succinctement lʼhistoire lamentable, avaient coûté beaucoup de peine -pour un pauvre résultat. « On comprend, en effet, dit très-bien M. -Boreux <a class="fn" id="fr_42" href="#fn_42">42</a>, -que du moment où lʼon ne sʼétait pas préoccupé de -lʼembouchure de lʼOrne, passage que les navires de huit à neuf pieds -de tirant dʼeau franchissaient très-difficilement et seulement à -lʼapproche des grandes marées, il était parfaitement inutile de -creuser à Caen des canaux plus profonds que le lit naturel de la -rivière. » -</p> - -<p class="indent"> -M. Cachin, dans son mémoire présenté en 1798, -entra le premier dans une voie nouvelle, -qui devait conduire sûrement au but. Ce fut lui qui -condamna toutes dispositions tendant à établir le port de Caen dans la -rivière même. Son projet, qui consistait à créer un bassin isolé de -la rivière et un canal latéral à lʼOrne entre Caen et la mer, reçut un -commencement dʼexécution en 1838. Le 23 août 1857, le canal était -inauguré solennellement, et, à partir de ce jour, la cité, qui se -souvient encore avec fierté du fameux armateur Étienne Duval, vit -renaître enfin son mouvement maritime. -</p> - - -</div> - -<hr /> - - - - -<div class="chapterNO"> -<h2> -<a id="N3"></a> -<span class="pfs110"> -ANCIENNE ÉGLISE SAINT-SAUVEUR -</span> -</h2> -</div> - - - - -<div class="chapter"> -<img src="images/CD_PL3_AncEglStSauveur.png" class="img_100 align-center" -alt="CD_PL3_AncEglStSauveur"/> - - -<p class="centerserif pfs120"> -<img src="images/CD_PL_beg.png" class="img_090 align-center" -alt="CD_PL_beg"/> -ANCIENNE -<br /> -<span class="xlarge"> -ÉGLISE SAINT-SAUVEUR -</span> -<br /> -(A<small>UJOURDʼHUI</small> HALLE AU BLÉ) -<br /> -<span class="small"> -AVANT LA DÉMOLITION DE SA FLÈCHE EN BOIS -</span> -</p> -<hr class="r10" /> - - - - -<p id="lettrine3"> -<span class="lettrine3S">S</span> -<small>AINT</small>-S<small>AUVEUR</small> est aujourdʼhui masqué, -du côté de la place du même nom, par des maisons modernes. -Le portail actuel, construit peu dʼannées -avant la Révolution, a remplacé un -charmant portail dont les voussures portaient des guirlandes de -feuillages découpés à jour. « La forme particulière de lʼarcade du -portail, dit Ducarel, qui a donné dans ses <i>Antiquités</i> -un dessin de cette partie du monument, -et le genre extraordinaire des ornements -sculptés dans le fronton triangulaire qui le couronne, offrent une -preuve évidente de son -antiquité <a class="fn" id="fr_43" href="#fn_43">43</a>. » -</p> - -<p class="indent"> -On voit encore, à lʼextérieur du monument, des contreforts -du XVI<small><sup>e</sup></small> -siècle, et, sur un des piliers du chœur, un -médaillon représentant une figure à triple face. A l'intérieur, on -remarque quelques clefs de voûte et, sur un des piliers de la tour, -une sculpture représentant une figure de mendiant marchant sur les -genoux. La nef fut bâtie dans le XIV<small><sup>e</sup></small> siècle; -le chœur, commencé en 1530, fut achevé en 1546. -</p> - -<p class="indent"> -Dans la tour, couronnée aujourd'hui par un toit de beffroi à quatre -pans triangulaires, se trouvent des ornements saxons et mauresques: -zigzags guillochés et denticules. Cette partie de l'église semble -appartenir au XIII<small><sup>e</sup></small> siècle, -à l'exception de quelques mètres de -maçonnerie, qui ont été ajoutés en 1604 pour servir de base à une -pyramide en ardoise. Malheureusement, en 1836, Saint-Sauveur a vu -tomber sous le marteau des démolisseurs sa flèche en bois, qui a été -regrettée de tous les gens de goût. -</p> - -<p class="indent"> -Comme nous l'indique notre gravure, qui n'est qu'une réduction d'une -aquarelle exécutée, en 1832, par A. Lasne, cette pyramide en bois, -couverte d'ardoise, était entourée à sa base par de petits clochetons, -également couverts d'ardoise. Elle était assez élevée, élégante et -d'un aspect très-pittoresque. De plus, elle avait, aux yeux des -archéologues, une valeur toute particulière par sa rareté; car, dans -l'arrondissement de Caen, si riche en clochers de pierre, cette -flèche en charpente était le seul spécimen d'architecture religieuse -de ce genre. Malgré toutes ces bonnes raisons, qui plaidaient pour -sa conservation, la tour de l'ancien Saint-Sauveur fut solennellement -condamnée à être décapitée, par une délibération du Conseil municipal -du 27 août 1836. -</p> - -<br /> -<p class="indent"> -« Considérant, disait l'arrêté ou plutôt le jugement, que -les travaux proposés pour les réparations de l'ancienne église -Saint-Sauveur, servant actuellement de halle à blé, assureront à -cet édifice une longue durée; que toutefois la flèche du clocher, -construite en bois et couverte en ardoises, -<i>n'étant pas un monument d'art et -n'ayant d'ailleurs rien de remarquable, -ne doit pas être conservée</i>, -puisque la réparation entraînerait une dépense de près -de 6,000 fr., que dès lors cette flèche doit être démolie; -</p> - -<p class="indent"> -« Considérant que le produit de la vente des bois et autres -matériaux devra être affecté aux réparations de la halle; que la -vente doit avoir lieu aux enchères publiques, mais que les -réparations de la halle, devant être exécutées dans d'anciens murs, -doivent avoir lieu par économie; -</p> - -<p class="indent"> -« Ouï le rapport de la Commission des finances, le Conseil arrête: -</p> - -<p class="indent"> -« Les matériaux de toute nature, composant la flèche de l'ancienne -église Saint-Sauveur, seront vendus publiquement à la charge de -démolition. Le produit de la vente est affecté aux réparations de -la toiture de ladite église. » -</p> - -<br /> -<p class="indent"> -L'opinion publique ne confirma pas la sentence; elle s'émut, et une -pétition, couverte de nombreuses signatures, demanda « la grâce du -condamné. » Le 9 août 1837, le Conseil municipal répondit à ces vœux -par l'arrêté suivant: -</p> - -<br /> -<p class="indent"> -« Vu une pétition, à lui adressée le 10 mai dernier, -pour obtenir que le clocher existant sur la halle aux grains -soit conservé et réparé; -</p> - -<p class="indent"> -« Attendu que ce clocher en bois couvert en ardoises n'offre, -sous le rapport de l'art ni sous celui de son antiquité, rien -qui puisse le faire considérer comme un monument qu'il soit utile de -conserver et de réparer; que ce clocher n'est pas convenablement -placé sur une halle; -</p> - -<p class="indent"> -« Attendu que la réparation de la flèche du clocher coûterait -une somme de trois mille deux cents francs au moins sur la dépense -occasionnée par l'adjudication des travaux de réparations à faire à -l'ancienne église Saint-Sauveur, servant de halle aux grains, et -que la situation financière de la ville ne lui permet pas -d'employer cette somme à une dépense qui n'est pas indispensable; -</p> - -<p class="indent"> -« Attendu que l'adjudication des travaux à faire à la halle -comprend la démolition de ce clocher, conformément aux deux -délibérations du Conseil municipal en date du 27 août 1836 et 15 -mars 1837; -</p> - -<p class="indent"> -« Après avoir entendu le rapport de la Commission spéciale; -</p> - -<p class="centerserif"> -A<small>RRÊTE</small>: -<br /> -</p> - -<p class="indent"> -« 1° Il n'y a pas lieu de modifier l'adjudication des travaux -à faire à la halle au blé, en ce qui concerne le clocher qui devra -être supprimé;</p> - -<p class="indent"> -« 2° M. le Maire est chargé de l'exécution -du présent arrêté. » -</p> - -<br /> -<p class="indent"> -Ce fut bien en effet une exécution, et d'autant plus maladroite que le -principal motif de l'arrêt, la question d'économie, n'aurait pas dû -peser sur l'esprit des juges; car on sut plus tard qu'il n'en aurait -pas coûté plus cher à la ville pour -restaurer la flèche que pour la démolir. L'entrepreneur en avait offert -le choix au Conseil municipal. -</p> - -<p class="indent"> -A cette note sur l'église supprimée de Saint-Sauveur, nous ajouterons -quelques fragments, dont l'un, jusqu'ici inédit, formerait une page -intéressante de l'histoire de l'ancienne Université de Caen. -</p> - -<p class="indent"> -La fondation de l'église primitive est attribuée à saint Regnobert. On -l'appelait, dès l'année 1130, Saint-Sauveur-du-Marché, de l'ancien nom -de la place où elle est située. Un marché avait lieu devant son -portail, les lundis et vendredis de chaque semaine, et les droits de -ce marché appartenaient au domaine des ducs de Normandie. -</p> - -<p class="indent"> -L'ancienne église était située au milieu d'un cimetière, qui -l'entourait encore au XVII<small><sup>e</sup></small> siècle. -Lorsque la ville lui eut donné, -en 1686, un autre emplacement pour son cimetière, l'église ne resta -pas longtemps isolée. A peine les morts partis, elle se vit assiégée -par les vivants. « Les petites maisons qui environnent l'église -Saint-Sauveur sont construites, » nous dit en effet, à la date de -1714, un manuscrit conservé à la Bibliothèque de -Caen <a class="fn" id="fr_44" href="#fn_44">44</a>. -</p> - -<p class="indent"> -Au XVIII<small><sup>e</sup></small> siècle, -deux petits événements se passèrent dans l'intérieur -de l'église Saint-Sauveur. Le premier fait, qui n'a que la valeur -d'une nouvelle à la main, est ainsi raconté dans le -<i>Journal d'un bourgeois de -Caen</i> <a class="fn" id="fr_45" href="#fn_45">45</a>: -« Le lundi 23 juin 1721, le sieur Regnauld a -donné un bal à M<small><sup>lle</sup></small> de Than, -à Saint-Sauveur, et le lendemain des dames sont allées -en masque à la messe de Saint-Sauveur, ce qui a -causé bien du scandale. » -</p> - -<p class="indent"> -Voici le second fait. En 1753, Saint-Sauveur ouvrit ses portes à un -cortége dont la pompe solennelle a longtemps frappé l'esprit des -contemporains. Les lettrés normands savent que l'ancienne Université -de Caen avait pour chef un recteur, qu'on élisait tous les six mois. -La fréquence de ces élections était, suivant l'abbé De La Rue, « un -moyen infaillible d'exciter l'émulation parmi les professeurs, dont -les plus distingués pouvaient briguer les suffrages des députés de -chaque faculté. » Ducarel, -dans ses <i>Antiquités anglo-normandes</i>, explique le peu de durée -des fonctions du recteur par des motifs beaucoup moins -nobles. Suivant lui, la dépense que nécessitaient les funérailles d'un -recteur était si excessive que l'Université, pour prévenir un malheur -attaché à l'espèce humaine, avait eu recours à l'expédient de ne -nommer son chef que pour six mois, ou même pour un temps moins long, -quand la maladie menaçait d'abréger ses jours. L'opinion de Ducarel, -tout étrange ou malveillante qu'elle paraisse, n'est cependant pas -dénuée de vraisemblance. En effet, l'Université ne se composait pas -seulement de professeurs et d'écoliers. Comme ses membres étaient -investis de priviléges, dont les principaux consistaient dans -l'exemption de certains impôts indirects, elle ne tarda pas à ouvrir -ses rangs à de nombreux parasites, qui venaient moins y chercher la -nourriture de l'esprit que la satisfaction d'appétits plus positifs. -C'est ainsi que les fonctions modestes de bedeaux, d'appariteurs, de -copistes, de papetiers, etc., furent avidement recherchées par de -riches bourgeois et de grands seigneurs. « L'usage voulait, -dit M. Jules -Cauvet <a class="fn" id="fr_46" href="#fn_46">46</a>, -que ces personnages, en recevant leur nomination, offrissent à -l'Université, toujours assez médiocrement pourvue dans ses moyens -financiers, une somme d'argent comme témoignage de leur -reconnaissance. » -</p> - -<p class="indent"> -Ceci exposé, le lecteur pensera avec nous que l'explication de Ducarel -n'est pas moins acceptable que celle de l'abbé De La Rue. Un double -courant d'opinion, parmi les membres de -l'Université, devait les conduire, par deux pentes distinctes, -à la même conclusion. D'une part, les professeurs, qui pouvaient -briguer les suffrages de leurs confrères; de l'autre, les étrangers, -qui ne recherchaient dans des places universitaires qu'un moyen de -s'exempter de la taille, avaient des motifs, différents il est vrai, -mais non moins sérieux les uns que les autres, pour souhaiter le -maintien des statuts, qui exigeaient une nouvelle élection tous les -six mois. Ceux-ci, dans la crainte de participer aux frais des -funérailles, redoutaient la mort du recteur; ceux-là désiraient son -changement dans l'espoir de lui succéder. -</p> - -<p class="indent"> -Grâce au règlement qui bornait à six mois la durée du rectorat, -l'ancienne Université de Caen, depuis son origine jusqu'à sa -suppression, c'est-à-dire depuis 1431 jusqu'à 1791, n'eut que deux -fois à payer la perte <i>douloureuse</i> de son <i>amplissime -recteur</i> <a class="fn" id="fr_47" href="#fn_47">47</a>. -On se figure aisément quelle émotion se répandit -dans la ville lorsqu'on y apprit, le 27 septembre 1753, -que M. Jacques-François Boisne, recteur de la « très-célèbre -Université de Caen » et professeur de rhétorique au collége -Du Bois, venait de se tuer à la chasse, à Beuville, chez le seigneur -du lieu. Le peuple, qui n'avait guère alors que les cérémonies -publiques: feux de la Saint-Jean, entrées de gouverneurs ou de rois, -et enterrements de grands personnages, pour se consoler de ses -misères, dut apprendre la nouvelle avec une joie peu dissimulée. On -savait si bien que les funérailles d'un recteur devaient s'accomplir -dans des conditions de magnificence inusitées, on avait attendu si -longtemps un spectacle qui avait été refusé à tant de générations, on -se faisait de cette solennité somptueuse une idée si extraordinaire, -qu'une rumeur étrange courut dans la foule et, par sa sottise même, -s'accrédita au point de passer plus tard à l'état de -tradition <a class="fn" id="fr_48" href="#fn_48">48</a>. -On répandit le bruit que le recteur s'était tué volontairement pour avoir -de magnifiques funérailles, et on le crut! Cette inepte invention, née -de la bêtise des foules, qui ont besoin d'entourer les événements les -plus ordinaires de quelque chose de merveilleux, aurait été avidement -exploitée, si elle avait eu la moindre vraisemblance, par l'habileté -des gens qui allaient être atteints dans leurs intérêts matériels. En -effet, s'ils avaient pu, non pas établir, mais seulement laisser -soupçonner un suicide, tous les parasites -de l'Université, qui voulaient bien en accepter les avantages sans en -supporter les charges, n'auraient pas négligé un moyen si commode -d'empêcher une inhumation dont ils devaient payer une partie des -frais. Quoique l'absurde soit facilement accueilli par le plus grand -nombre, ils n'osèrent pas cependant tirer parti du bruit populaire. A -quoi bon d'ailleurs employer une calomnie, difficile à faire accepter -des gens intelligents, quand on a sous la main un bon petit scandale -indiscutable? Le recteur, qui venait de succomber, s'était tué à la -chasse, et, comme il était prêtre, on s'empara de ce fait pour -discréditer sa mémoire dans l'esprit des gens superstitieux. -L'argument, il est vrai, ne réussit pas. Toutefois il fut employé avec -assez de persistance pour qu'il obligeât les doyens, docteurs et -professeurs de l'Université, à le réfuter publiquement, afin de ne pas -être soupçonnés d'avoir participé à la rumeur que quelques habiles -avaient mise en circulation. Ce fait nous est suffisamment indiqué par -un passage du procès-verbal des funérailles du recteur, publié par -l'Université. Après avoir insisté sur les détails de l'accident, le -rédacteur de la pièce y a laissé tomber entre deux parenthèses, comme -par mégarde, le bruit (qui courait en ville) que l'on refuserait les -honneurs de la sépulture rectorale à un prêtre que la mort avait -surpris au moment où il chassait. Voici ce passage -significatif <a class="fn" id="fr_49" href="#fn_49">49</a>: -</p> - -<p class="indent"> -« Le mercredi 26 septembre 1753, M. Jacques-François Boisne, -recteur de la très-célèbre Université de Caen et professeur -de rhétorique au collége Du Bois, était à Beuville, -paroisse distante de deux lieues de cette ville, chez le seigneur -du lieu. On l'invita d'aller à l'afut, il prit un fusil, y fut, et -passant, vers les sept heures du soir, un fossé, son fusil fit feu, -le coup lui passa vers la tempe droite, lui enleva le crâne de la -tête. -</p> - -<p class="indent"> -« Le jeudi 27, le bruit de sa mort se répandit dans cette ville dès -le matin. La justice et les chirurgiens se transportèrent à Beuville -pour faire la visite du mort et en dresser acte suivant la coutume. -</p> - -<p class="indent"> -« Le matin, les docteurs et professeurs qui étaient dans cette -ville s'assemblèrent et tinrent conseil, dont le résultat fut de -députer vers les doyens, docteurs et professeurs absens, pour venir -délibérer en forme; on envoya chercher M. Vicaire, -doyen perpétuel de la Faculté de théologie, à Martragny. -</p> - -<p class="indent"> -« Les doyens, docteurs et professeurs s'assemblèrent le soir pour -savoir si on accorderait les honneurs de la sépulture rectorale au -défunt. On les lui accorda à la pluralité des voix -<i>(car le bruit s'était répandu qu'il ne les auroit pas, -étant mort à la chasse)</i>. » -</p> - -<p class="indent"> -Le procès-verbal relate ensuite, avec de grands détails, tous les -préparatifs de la cérémonie, l'embaumement du corps, et son -exposition, pendant plusieurs jours, dans la classe de philosophie du -collége Du Bois. Vient enfin le récit des funérailles, avec une longue -énumération des fonctionnaires et des notables qui composaient le -cortége. Tout en faisant grâce au lecteur de cette liste fastidieuse -de noms propres, nous devons cependant attirer son attention sur -certaines personnes -qui figurent dans cette nomenclature. Ainsi nous trouvons, dans -les premiers rangs du cortége, un sieur Harel -et un sieur Crespel désignés comme <i>écrivains</i>, -et un sieur Guillain, de Bénouville, comme <i>enlumineur</i>. -A partir de l'année 1440, l'Université de Caen avait eu -des registres en vélin, écrits par des officiers de l'Université, -qu'on appelait <i>scriptores</i>, et ornés souvent de vignettes et de -miniatures exécutées par d'autres officiers, qu'on appelait -<i>enlumineurs</i> <a class="fn" id="fr_50" href="#fn_50">50</a>. -Mais, au-delà de l'année 1620, on ne trouve plus -trace de registres de l'Université. Le travail cessant, il semblerait -que le fonctionnaire eût dû disparaître avec la fonction. Cependant, -par un miracle de longévité que constate le procès-verbal de -l'inhumation du recteur, les écrivains et enlumineurs s'étaient -conservés plus d'un siècle après l'abandon des registres enluminés. -Ils figuraient aux cérémonies publiques et jouissaient, comme tous les -autres officiers de l'Université, de l'exemption de taxes onéreuses, -moyennant une certaine somme, déguisée sous le nom de don volontaire, -qu'ils payaient à l'Université en entrant en fonctions. Cette -parenthèse fermée, nous rendons la parole au rédacteur du -procès-verbal. -</p> - -<p class="indent"> -« Le chœur de Saint-Sauveur étoit tendu à quatre rangs de lingette -noire et la nef à un rang. La chapelle du Saint-Sacrement et celle de -la Charité étaient tendues de leurs tentes noires et ornemens -funèbres. -</p> - -<p class="indent"> -« Au milieu du chœur il y avoit un très-beau cataphalque; -il avait quatre degrés tendus de noir chargés de larmes d'argent, -têtes de mort et armes de l'Université, un très-grand -nombre de cierges sur les degrés. Sur ces degrés étoit -l'élévation, d'environ trois pieds, -où on posa M. le Recteur pendant le service, -sous un dais de velours noir. Chaque pente chargée au -milieu des armes de l'Université et, au reste, de larmes d'argent. -La corde qui soutenoit le dais étoit couverte de noir et d'une bande -blanche qui régnoit tout du long spiralement; telles étoient les -quatre cordes qui partoient des angles du dais et qui rendoient à -quatre coins du chœur. Le ciel étoit en voûte et se terminoit par -une boulle d'argent, sur laquelle étoit peinte une tête de mort à -deux faces avec des ailes. Du dais pendoient quatre rideaux qui -s'étendoient aux coins où étoient arrestées les cordes. Ils étoient -de cinq bandes, deux noires et trois blanches, chargées d'hermines -noires; l'autel avoit autant de cierges qu'il en pouvoit avoir. -</p> - -<p class="indent"> -. . . . . . . . . . -</p> - -<p class="indent"> -« Il y eut un concours extraordinaire de peuple qui vint voir cette -cérémonie; enfin il y avoit plus de monde à Caen, ce matin, qu'il -n'en vient en foire de Caen le premier lundi. Les villes, de -quinze lieues à la ronde, étoient pour ainsi dire désertes. Il en -vint de Rouen et de Paris. » -</p> - -<p class="indent"> -Cette cérémonie, autant par sa rareté que par la pompe extraordinaire -qui y fut déployée, avait vivement frappé l'imagination des -contemporains. En dehors des relations officielles, nous en trouvons -un récit abrégé dans le <i>Journal d'un bourgeois de Caen</i>. Un autre -bourgeois de la ville, Étienne Deloges, qui, à la suite d'un recueil -manuscrit de Noëls et -cantiques <a class="fn" id="fr_51" href="#fn_51">51</a>, -avait jeté deçà delà quelques notes relatives à des faits d'histoire -locale dont il avait été témoin, nous a donné aussi, à sa façon, un -compte-rendu des funérailles du recteur. Cette note mériterait d'être -citée, ne fût-ce que pour la bizarrerie amusante de son orthographe. -Mais, comme elle ferait double emploi avec le procès-verbal que nous -avons mis sous les yeux des lecteurs, nous nous contenterons d'en -extraire un passage où l'auteur relate un fait inédit, qui nous -servira à compléter notre récit. « Il y a eu contestation pour sa -sépulture, dit l'auteur en parlant des funérailles de Jacques de -Boisne; on voulet l'inumé aux Cordeliers, lieu de leurs sépultures; -et le s<small><sup>r</sup></small> curai de Saint-Sauveur -<i>leur</i> demanda, estant de sa paroisse, -et on luy a acordé; il a esté inumé le 5 d'octobre 1753, -porté sous un dais par quatre ecclésiastiques, quatre crespe aux -quatre coins du dès porté par quatre ansiens recteurs. » -</p> - -<p class="indent"> -Quand on songe à l'importance du casuel que de telles funérailles -devaient rapporter, on ne s'étonne plus que la dépouille mortelle du -recteur ait été l'objet d'une contestation entre deux églises rivales. -Mais ce qui a lieu de nous surprendre, c'est la victoire remportée, en -cette occasion, par le curé de Saint-Sauveur. Le droit et l'usage -semblaient au contraire plaider en faveur des religieux des -Cordeliers. Huet nous dit en effet, -dans ses <i>Origines de Caen</i>, qu'en -vertu d'un contrat les Pères Cordeliers avaient mis leur couvent et -leur église à la disposition de l'Université, qui, de son côté, -s'engageait à les protéger. Dans une brochure in-4° intitulée: -<i>Actions de grâces rendues par l'Université de Caen pour -le rétablissement de la santé du Roy</i>, -le 25 novembre 1744, nous voyons aussi -que les Pères Cordeliers avaient le titre de <i>chapelains -ordinaires</i> de l'Université. -La même brochure nous apprend encore que les processions -particulières des autres paroisses étaient astreintes, lors des -cérémonies universitaires, à s'assembler dans l'église des Cordeliers. -Enfin la note manuscrite, que nous avons citée et qui émane d'un -contemporain, dit positivement que le couvent des Cordeliers était le -lieu de la sépulture des membres de l'Université. Pour triompher de -droits si formels, cimentés par un long usage, il fallut au curé de -Saint-Sauveur des arguments bien subtils ou de bien puissantes -influences. Ni les unes ni les autres ne lui manquèrent. En effet, -Pierre Buquet, qui eut la bonne fortune d'occuper la cure de -Saint-Sauveur au moment de la mort d'un recteur, avait été lui-même -recteur et principal du collége des Arts. De pareils titres devaient -lui assurer une grande autorité dans les conseils de l'Université. Et -celle-ci pensa sans doute que ce n'était pas tout à fait se dépouiller -que de payer les frais de l'inhumation entre les mains d'un de ses -membres. -</p> - -<p class="indent"> -Trente-huit ans après cette pompeuse cérémonie, en 1791, la -municipalité de Caen s'empara de l'église Saint-Sauveur et la -convertit en halle aux grains. Où résonnaient jadis les chants sacrés, -on n'entendit plus désormais que les clameurs d'une foule affairée ou -quelquefois, comme en 1812, les grondements de l'émeute. Ce fut, en -effet, sous les voûtes de l'ancienne église Saint-Sauveur que se passa -le premier acte d'un drame qui a laissé une page sinistre dans -l'histoire de Caen sous le premier Empire. Voici comment M. Canivet, -dans une excellente notice, raconte les premiers incidents de l'émeute -de 1812: « Le 2 mars, dit-il, une foule plus nombreuse -qu'à l'ordinaire avait envahi la halle. Elle était composée -partie de pauvres gens, dont bon nombre de femmes, venus là pour -acheter un peu de blé, partie d'hommes sans aveu, que l'on rencontre -partout où il y a du tumulte et dont le rôle est de faire du tapage et -d'animer les esprits. A leur tête était un nommé Lhonneur, maître -d'écriture, homme peu considéré, pour ne pas dire plus, mais à la -parole facile, et il s'en servait alors pour persuader à la foule -ignorante et affamée que, si le blé était cher, il ne fallait point -s'en prendre à l'insuffisance de la récolte, mais à la connivence des -fermiers et des trafiquants de grains. Le peuple d'applaudir et de -crier: A bas les accapareurs! -</p> - -<p class="indent"> -« Cependant le préfet et le maire, prévenus du désordre, étaient -accourus à la halle où se trouvait déjà le colonel Guérin; la force -publique n'y était représentée que par quatre gendarmes. En vain le -préfet, par des paroles conciliantes, essaya d'apaiser les séditieux -et de leur démontrer que de pareilles scènes ne pouvaient avoir -d'autre résultat que d'éloigner les cultivateurs de la halle et, par -conséquent, de faire monter le prix du blé; sa voix ne fut pas -écoutée; des menaces et des injures furent proférées contre lui. On -dit qu'un gamin de dix-huit ans, fils de l'excoriateur Sanson, plus -connu sous le nom de Bon-Appétit, cria, dans le langage de son état: -« Passez-moi le préfet, que je l'écorche comme un vieux cheval, » et -qu'il s'élançait sur lui quand il fut saisi par le colonel et étendu -sur le sol. On dit aussi qu'une femme Provost lui porta le poing sous -le nez et, selon quelques-uns, le frappa au visage; qu'une autre -femme, les uns disent Trilly, les autres Gougeon, tira le maire par -son catogan et le renversa sur un sac de blé. Je n'ai d'autres -garanties de ces faits que la voix publique, et ce qui me porte à en -douter, c'est que M. Chemin, ayant consigné dans ses notes que le -gendarme Maresquier lui a dit depuis que, si on les avait laissés -faire, lui et ses camarades, ils auraient arrêté quelques-uns des -plus criards et que tout eût été fini, il est évident qu'il s'est -enquis auprès de ce témoin oculaire de tout ce qui s'était passé; or, -il ajoute n'avoir pas entendu dire qu'aucune voie de fait eût été -commise jusqu'à ce moment. -</p> - -<p class="indent"> -« Il est certain que, dans ces circonstances critiques, le préfet -perdit contenance et que, protégé par les gendarmes, il parvint à -gagner la porte, jetant quelques pièces de monnaie à la populace, qui -le poursuivit de ses huées jusqu'à la maison du premier président Le -Menuet où il trouva un refuge. Quant au maire, il avait disparu, -regagnant, dit-on, son domicile, rue St-Étienne, sous une grêle de -projectiles peu dangereux; quelques vitres furent brisées à sa maison. -Seul, le colonel tint bon jusqu'à la fin, faisant face à la foule et -lui en imposant par sa fière contenance. -</p> - -<p class="indent"> -« Tel fut le premier acte du drame. Avant de passer outre, constatons -que pas un vol n'avait été commis et que les cultivateurs qui, à la -vue du désordre grandissant, avaient pris la fuite, abandonnant leurs -sacs de blé, les retrouvèrent intacts à la halle suivante. Constatons -encore que, à part les on dit et les incidents plus burlesques que -tragiques propagés dans le public, il est un fait avéré, c'est que -les deux premiers magistrats, l'un du département, l'autre de la -ville, furent brutalement insultés et leur autorité méconnue. -</p> - -<p class="indent"> -« C'est à la halle du lundi que ces désordres avaient eu lieu. Tout -autre jour, chacun fût retourné chez soi; mais alors, comme -aujourd'hui, le lundi était le dimanche des ouvriers, et cette foule -oisive continuait à stationner place St-Sauveur avec force -vociférations. Déjà le jour tirait à sa fin et elle allait se -disperser peut-être, quand une voix dominant le tumulte fait entendre -le cri: Allons chez Mottelay! Ce Mottelay, meunier de son état, -avait acheté récemment l'usine de Montaigu et introduit, dans les -procédés de mouture, quelques perfectionnements qui faisaient affluer -les grains à son moulin. On eût passé à moins pour un accapareur, dans -un temps où le peuple en voyait partout; aussi tous de répéter: -Allons chez Mottelay! » -</p> - -<p class="indent"> -Une troupe d'environ deux cents personnes envahit le moulin de -Montaigu situé sur les bords de l'Orne, à l'extrémité du Grand-Cours. -Quelques hommes d'une compagnie de la garde nationale suffirent à -disperser les émeutiers, qui s'étaient contentés de dévaster -l'intérieur du moulin et de renverser un petit nombre de sacs de -farine d'orge. On sait de quelle répression terrible fut suivie cette -émeute sans importance. -</p> - -<p class="indent"> -Après quelques jours d'un calme complet, la ville apprit avec stupeur -l'arrivée du général Durosnel, aide-de-camp de l'Empereur. Il entra à -Caen avec un corps de troupes considérable et accompagné d'une -commission militaire, toute composée d'avance pour juger les -séditieux. Cinquante-neuf prévenus furent arrêtés et transférés de la -prison civile au Château, où la commission prit séance le 14, à huit -heures du matin. Le 15, à deux heures du matin, la commission -prononçait une sentence qui condamnait huit accusés, -parmi lesquels quatre femmes, à la peine de mort, huit à huit ans de -travaux forcés, neuf à cinq ans de réclusion, vingt-cinq à cinq -années de surveillance. -</p> - -<p class="indent"> -« Dix-huit heures avaient donc suffi, dit M. Canivet, pour entendre -soixante accusés dans leurs explications et leurs réponses, les -témoins à charge et à décharge dans leurs dépositions, le rapporteur -dans son réquisitoire, les avocats dans leurs plaidoiries. Jamais -tribunal, ni celui de la Terreur, ni celui même de Maillard, aux -journées de septembre, de sinistre mémoire, n'avait fonctionné d'une -manière plus expéditive. » -</p> - -<p class="indent"> -L'exécution fut aussi rapide que l'arrêt. Elle eut lieu le même jour, -entre sept et huit heures du matin, -en dehors de la <i>porte du Secours</i> du Château. -L'un des condamnés, le jeune Samson, âgé de dix-neuf ans, -se débattait et criait: « Ne me tuez pas, ne me tuez pas! -envoyez-moi plutôt à l'armée, on n'en revient jamais! » -</p> - -<p class="indent"> -« Mot amer, dit très-bien M. Canivet, et dont le malheureux ne -comprenait sans doute pas la portée; sanglante condamnation du régime -de chair à canon qui pesait alors sur la France! » -</p> - -<img src="images/CD_PL3_end.png" class="img_025 align-center" -alt="CD_PL3_end"/> - - -</div> - -<hr /> - - - - -<div class="chapterNO"> -<h2> -<a id="N4"></a> -<span class="pfs110"> -ABBAYE-AUX-DAMES -</span> -</h2> -</div> - - - - -<div class="chapter"> -<img src="images/CD_PL4_AncAbbDames.png" class="img_100 align-center" -alt="CD_PL4_AncAbbDames"/> - - -<p class="centerserif pfs120"> -<img src="images/CD_PL_beg.png" class="img_090 align-center" -alt="CD_PL_beg"/> -<span class="xlarge"> -ABBAYE-AUX-DAMES -</span> -<br /> -(A<small>UJOURDʼHUI</small> HOTEL-DIEU) -<br /> -<span class="small"> -AVANT LA DÉMOLITION DU DONJON ET DE LʼANCIENNE PORTE DʼENTRÉE. -</span> -</p> -<hr class="r10" /> - - - - -<p id="lettrine4"> -<span class="lettrine4A">A</span> -la suite des désastres de lʼinvasion anglaise de 1346, lʼAbbesse de -Sainte-Trinité, dont le monastère, situé en dehors des murs de la -ville, était exposé aux entreprises de lʼennemi, obtint -lʼautorisation de lʼentourer de murailles, de tours et de fossés. Les -travaux devaient être achevés en 1363; car, à cette date, des -lettres-patentes de Charles, duc de Normandie, autorisèrent lʼAbbesse -à percevoir des impôts sur ses vassaux « pour lʼentretien et -réparation du fort de la Trinité, qui est, disaient ces lettres, -dʼune grande enceinte, pour le payement des gens dʼarmes nécessaires -à sa garde, et à cause des ennemis qui étaient dans le pays et aux -environs. » -</p> - -<p class="indent"> -« Au mois de juin de lʼannée suivante, dit lʼabbé De La Rue dans ses -<i>Essais historiques sur Caen</i>, -Bertrand Duguesclin vint à Caen avec la -qualité de <i>capitaine général de la Normandie -Outre-Seine</i>. LʼAbbesse Georgette du Molley lui demanda de -venir au secours de ses vassaux de Saint-Gilles, qui, obligés de -garder de jour et de nuit la forteresse de lʼabbaye, étoient encore -tenus de loger la troupe quʼon entretenoit dans ce faubourg, comme -dans un corps avancé qui couvroit la ville. Le capitaine général, par -une ordonnance du 21 juin, les déclara exempts pendant un an de toute -taille, subside, treizième, impôt et aides qui étoient ou qui -pourroient être mis sur la ville et vicomté de Caen. -</p> - -<p class="indent"> -« La forteresse de Sainte-Trinité avoit son capitaine particulier, -nommé par le Roi et à sa solde. -</p> - -<p class="indent"> -« En temps de guerre, le grand bailli de Caen faisoit la visite des -forteresses de son bailliage et les faisoit mettre en état de défense -et approvisionner. René Le Coustellier, occupant cette dignité en -lʼannée 1372, dressa le procès-verbal de sa visite, et on y lit: -</p> - -<p class="indent"> -« Le 9 février, lʼabbeie de Caen fut visitée, et fut commandé à -M<small><sup>me</sup></small> lʼAbbesse et -aussi à M. Erard de Percy, capitaine de ladite -abbeye, que la fortresche fût mise en état de toute défense, de -toutes réparations, tant de garites, fossés et autrement, et aussi -garnie de vivres et dʼartillerie convenablement, selon une sedulle -qui leur fut baillie sous le scel du bailli, et temps prefigié -jusquʼau premier jour dʼavril prouchain venant. » -</p> - -<p class="indent"> -« Le roi dʼAngleterre Henri VI, maître de la Normandie, -ordonna en 1434, au bailli de Caen, -de raser les fortifications de lʼabbaye de -Sainte-Trinité. Cʼest lʼannée où les nobles et les communes se -soulevèrent contre les Anglois et voulurent sʼemparer de la ville de -Caen. Mais lʼAbhesse Marguerite de -Thieuville forma opposition à la démolition, et comme on craignait -sans doute quʼelle ne livrât la place aux mécontents, on laissa -subsister la forteresse. Le roi Charles sʼy retira plusieurs fois, -pendant que son armée faisoit le siége de Caen, en 1450. On la trouve -encore mentionnée dans les actes jusquʼau commencement -du XV<small><sup>e</sup></small> siècle. -Mais après cette époque, la paix en fit négliger lʼentretien; cette -place tomba dʼelle-même, ou bien on rasa ce qui en faisait la force -pour utiliser le fonds. » -</p> - -<p class="indent"> -Cependant quelques restes importants des fortifications de -lʼAbbaye-aux-Dames avaient eu la bonne fortune dʼéchapper à la -destruction ou aux ravages du temps. M. Le Nourichel nous en a -conservé la physionomie dans un dessin à la mine de plomb, dont la -reproduction lithographique accompagne cette -notice <a class="fn" id="fr_52" href="#fn_52">52</a>. -On aperçoit -dʼabord, au centre du dessin, lʼentrée primitive de lʼabbaye, -construction du XI<small><sup>e</sup></small> siècle -qui se compose dʼune large porte, dont la -voûte soutient un étage orné dʼarchivoltes. Cette entrée avait cela de -particulier quʼon ne voyait pas à côté dʼelle, comme dans la plupart -des autres maisons religieuses, une autre porte plus petite pour le -passage des piétons. Un corps de logis, moins élevé mais plus long, -flanqué de deux échauguettes et percé de fenêtres grillées, réunit -lʼancienne entrée de lʼabbaye à une tour carrée. Des contreforts -servent dʼappui à la partie inférieure de cette -dernière construction, dont lʼétage le plus élevé est orné -dʼouvertures gothiques. Au sommet règne une balustrade à jour, -rappelant un peu le couronnement des deux tours occidentales de -lʼéglise qui lʼavoisine. -</p> - -<p class="indent"> -Quel était, dans le système de défense de lʼabbaye, le rôle de cette -tour carrée? Était-ce un donjon proprement dit, ou une tour-réduit, -destinés à commander les dehors et à servir de dernier refuge aux -défenseurs de la place? Rien ne semble lʼindiquer; car on nʼy -découvre ni créneaux, ni meurtrières, ni machicoulis. Comme -lʼAbbaye-aux-Dames était le siége dʼune justice féodale, nous -supposerions plus volontiers que cette tour carrée servait de prison. -Il y a, dʼailleurs, entre sa physionomie architecturale et celle du -donjon du prieuré de St-Gabriel (Calvados), une analogie frappante; -celui-ci, dont lʼusage est bien connu, était divisé en deux étages, -dont le plus élevé communiquait par un trou rond, pratiqué dans la -voûte, avec le cachot où lʼon renfermait les prisonniers. Les deux -constructions ayant de grandes ressemblances, il est permis de croire -quʼelles ont eu aussi la même destination. -</p> - -<p class="indent"> -Quelle que fût dʼailleurs la destination de cette tour, elle était -assez intéressante pour quʼon prît le soin de la conserver. Reliée par -dʼanciens bâtiments fortifiés à la porte romane de lʼabbaye, elle -nʼoffrait pas seulement un aspect pittoresque; elle avait encore le -mérite de nous présenter nettement le caractère dʼune construction à -la fois religieuse et militaire au moyen âge. Malheureusement les -monuments nʼont pas une destinée beaucoup plus rassurante que celle -des livres, exposés, comme le dit le poète latin, au caprice du sort. -Quand ils ne sont pas victimes de cette force aveugle et -stupide qui sʼappelle la guerre, ils tombent moins noblement, mutilés -par des gens sans goût, ou renversés par des administrations trop -économes. -</p> - -<p class="indent"> - -Rappelons en quelques mots dans quelles circonstances fut écrite cette -triste page de lʼhistoire municipale de Caen. Les bâtiments de -lʼAbbaye-aux-Dames, convertis en casernes pendant la Révolution, -avaient été destinés, par un décret du 21 octobre 1809, à devenir -le dépôt de mendicité de la province. Cet établissement y fut -effectivement créé le 1<small><sup>er</sup></small> février 1812; -mais les dépenses considérables quʼil occasionnait, -sans avantage réel pour le département, -en firent demander la suppression, qui eut lieu en vertu -dʼune ordonnance royale du 26 août 1818. Ce fut alors que le Conseil -municipal, sur la proposition du maire, conçut la pensée de conserver -à la ville ce précieux monument, en y établissant son hôpital des -malades. Ce vœu méritait dʼêtre accueilli favorablement, et le -Gouvernement, par une ordonnance du 22 mai 1822, autorisa la -rétrocession des bâtiments aux hospices. Jusque-là rien de mieux: le -projet du Conseil municipal donnait satisfaction aux intérêts -matériels de la cité, sans nuire au côté artistique de la question. Le -point de départ était excellent; mais, en route, on sʼégara en -oubliant de se laisser guider par les règles du goût, quʼon avait -dʼabord hautement proclamées. -</p> - -<p class="indent"> -Voici, en effet, ce que nous lisons dans le procès-verbal de la -séance du 28 septembre 1821: « Le Conseil a vu avec satisfaction -que tous ces plans et projets ont été si bien combinés que lʼéglise -de Sainte-Trinité sera rendue toute entière au culte divin, et -quʼen même temps ce monument, remarquable sous le rapport des arts -et vénérable par les -souvenirs historiques qui sʼy rattachent, sera dégagé des masures -et constructions inutiles qui en obstruent la vue et lʼaccès. » -</p> - -<p class="indent"> -Ainsi, pour le Conseil de 1821, lʼancienne porte romane et le donjon -de lʼabbaye, inestimables souvenirs archéologiques, ne sont plus que -des masures et des constructions inutiles! Sʼautorisant de cette -manière de comprendre les beaux-arts, le rapporteur de la Commission -des travaux publics, à la date du 14 mai 1823, sʼécrie quʼil faut -abattre tout ce qui entoure lʼéglise Sainte-Trinité pour « y pratiquer -une arrivée digne de lʼédifice! » Ce cri éloquent est entendu; on -frappe, on pioche, on brise, on abat jusquʼà une nouvelle -délibération du 13 février 1831, où lʼon peut constater que « les -<i>déblais</i> autour de lʼédifice avaient -déjà coûté à la ville 30,000 fr.! » -Les <i>déblais</i>, -cʼétait la porte du XI<small><sup>e</sup></small> siècle, -cʼétait le donjon du -XIV<small><sup>e</sup></small>!... -Et dire que la ville, en sʼépargnant cette dépense, aurait -enrichi en même temps notre province de deux rares spécimens de -lʼarchitecture religieuse et militaire au moyen âge! -</p> - -<p class="indent"> -Lʼhistoire, que le marteau des démolisseurs ne saurait attaquer, nous -dédommage de cette perte par de nombreux et intéressants documents, -dont nous ne pouvons donner malheureusement ici que quelques extraits. -</p> - -<p class="indent"> -En 1074, quelques années après la dédicace de lʼabbaye, le duc -Guillaume et sa femme assistèrent à la prise de voile de leur fille -Cécile, encore enfant, quʼils destinaient à succéder à la première -abbesse de Sainte-Trinité. Ils firent de très-amples donations à cette -maison religieuse, que leur propre fille devait gouverner treize ans, -jusquʼen 1127. Après la -mort de Mathilde et de Guillaume le Conquérant, leur fils aîné, -Robert, continua leurs générosités et fit à sa sœur diverses -concessions de biens-fonds qui formèrent ce quʼon appela depuis le -<i>bourg lʼAbbesse</i> -ou la <i>baronnie de Saint-Gilles</i>. -« Parmi les donations faites à lʼabbaye de Sainte-Trinité -par les princes de la race normande, -dit lʼabbé De La Rue, il faut remarquer le droit dʼune -foire de trois jours, la veille, le jour et le lendemain de la -Trinité, pendant lesquels elle avait toutes les coutumes de la ville. -Pour constater son droit, les officiers de la juridiction civile de -lʼAbbesse, et ceux de son officialité, allaient le vendredi, -<i>heure de Vêpres</i>, -placer ses armoiries à toutes les entrées de la ville. Pendant -ces trois jours, lʼAbbesse avoit les <i>coutumes, acquits, barrages, -péages, trépas, tavernages par toute la ville et forsbourgs dʼicelle, -avecques la juridiction et cognoissance à ce appartenance, sauf le -fait de lʼeau seulement, et durant tout ledit temps, toute ladite -ville et forsbourgs, sauf ledit fait, sont tenus comme en foire</i>. -Aussi les prévôts ou fermiers du Roi étaient obligés dʼenlever des -portes de la ville les boîtes quʼils y plaçoient pour la perception -des droits royaux et dʼy laisser placer pendant la foire celles -des fermiers de lʼabbaye. LʼAbbesse avait aussi les honneurs -militaires pendant le même temps; et le commandant de la place, -quel quʼil fût, allait lui demander le mot dʼordre, -pour le donner à la garnison. » -</p> - -<p class="indent"> -Cʼest sans doute à cause des droits quʼelles percevaient pendant la -foire Trinité, que les Abbesses prenaient si chaleureusement la -défense. des intérêts de la ville de Caen. On trouve en effet dans le -registre des délibérations de lʼancien hôtel de ville, à la date du 24 -mars 1567, une lettre curieuse -de lʼAbbesse de Sainte-Trinité au Connétable, par laquelle elle -le prie de bien accueillir les délégués de la ville, qui sont allés à -Paris pour solliciter le maintien des franchises et immunités de la -cité quʼils représentent. -</p> - -<p class="indent"> -LʼAbbesse de Sainte-Trinité ne jouissait pas seulement du privilége de -percevoir des droits à certains jour de lʼannée; elle était encore -exempte des impôts payés à lʼentrée de la ville. Pour conserver ce -privilége, elle était tenue de « donner un pain bis au <i>barrier</i> -(lʼemployé chargé de percevoir les impôts aux barrières), par la main -des gens qui apporteraient des blés ou dʼautres vivres à son couvent, -et qui en retournant chez eux devraient apporter ledit pain à la -barrière <a class="fn" id="fr_53" href="#fn_53">53</a>. » -Ces abus durent être modifiés avec le temps; car, -au XVIII<small><sup>e</sup></small> siècle, -nous voyons lʼAbbesse de Sainte-Trinité obligée, -pour jouir de ses anciens priviléges, de sʼabaisser jusquʼau rôle dʼun -fraudeur vulgaire. « La nuit du 1<small><sup>er</sup></small> -au 2 décembre 1730, dit une note du -<i>Journal dʼun bourgeois de Caen</i>, les agents de Madame -lʼAbbesse de Sainte-Trinité de Caen ont fait entrer frauduleusement -deux charretées de vin de sept feuillettes chacune dans cette -abbaye, dont les commis à la perception des droits dʼoctroi ont -dressé leur procès-verbal; ce qui a occasionné un grand procès. » -</p> - -<p class="indent"> -LʼAbbesse avait mauvaise grâce dʼintroduire des marchandises en -contrebande, quand on songe aux énormes revenus dont jouissait encore -son monastère. Guillaume le Conquérant, lors du partage de -lʼAngleterre, avait donné à Sainte-Trinité plusieurs seigneuries dans -les comtés de Dorset, de Devon, de -Glocester et dʼEssex. En 1266, le revenu de lʼabbaye était -de 2,500 livres tournois en France, -et de 160 livres sterling en Angleterre, -sans compter certaines concessions, parmi lesquelles nous citerons la -jouissance des dîmes de Dives, qui comprenaient nominativement le sel -quʼon y fabriquait et les baleines quʼon y pêchait -alors <a class="fn" id="fr_54" href="#fn_54">54</a>. -</p> - -<p class="indent"> -Au prestige de la richesse se joignait, pour lʼAbbesse de Caen, celui -dʼun pouvoir relativement étendu. Outre la juridiction ecclésiastique -quʼelle exerçait, par un official, sur les paroisses de St-Gilles, -Carpiquet, Ouistreham et Saint-Aubin dʼArquenay, elle avait aussi, -sur ces mêmes paroisses, droit de juridiction civile et criminelle. Au -point de vue religieux elle nʼétait pas moins privilégiée. Lʼabbaye -possédait douze chapelles richement dotées, savoir: huit dans son -enceinte, deux dans son bourg et deux à Ouistreham. Elle avait de plus -sa liturgie particulière. Parmi ses rites singuliers, nous trouvons -lʼusage de la <i>fête des fous</i>, quʼon célébrait le -jour de celle des saints Innocents. « Les jeunes religieuses, -dit M. Vaultier, y chantaient les leçons latines -<i>avec farces</i>, cʼest-à-dire -avec intercalation de développements familiers en langue française. On -y faisait figurer une petite Abbesse qui prenait la place de la -véritable, au moment où le chœur chantait le verset: -<i>Deposuit potentes de sede</i>, etc., -et la gardait jusquʼau retour de ce même verset, à -lʼoffice du lendemain. » Cette cérémonie avait tant dʼattrait quʼelle -attirait du dehors de nombreux spectateurs. Dans une enquête faite par -le grand bailli de Caen en 1399, nous voyons un des témoins déposer -« quʼun tel était né le jour des Innocents, parce quʼil se souvenait -quʼil était allé ce jour là à lʼabbaye de Sainte-Trinité -<i>voir les esbattemens quʼon y faisoit lors</i>. » -</p> - -<p class="indent"> -Les religieuses de Sainte-Trinité devaient avoir un certain goût pour -les spectacles; car elles ne se contentaient pas des divertissements -quʼon donnait à lʼabbaye. Dans les <i>Comptes de lʼabbaye</i>, de 1423, -on voit lʼAbbesse sortir de son monastère, pour assister, dans un des -carrefours de la ville, au <i>Miracle de Saint-Vincent</i>, -et donner aux acteurs, -pour elle et la religieuse qui lʼaccompagnait, une somme de -10 sous « équivalente, dit M. De La Rue -dans ses <i>Essais sur Caen</i>, -à 7 l. 14 s. de notre monnaie actuelle. » -</p> - -<p class="indent"> -Les Abbesses avaient une maison de campagne à Ouistreham, où elles -allaient séjourner et prendre des vacances. Quelquefois leurs absences -étaient plus longues, et leurs voyages plus lointains. Comme -Sainte-Trinité possédait de riches seigneuries en Angleterre, ses -Abbesses passaient souvent en ce pays, avec une suite plus ou moins -nombreuse, pour y surveiller Iʼadministration de leurs biens. Sous -prétexte dʼaffaires, -elles savaient mêler, selon le conseil du poète, lʼutile à -lʼagréable; et leur éloignement durait quelquefois près dʼune année. -Cʼest ainsi que lʼabbesse Georgette du Molay-Bacon nous raconte, dans -le journal de son voyage, quʼembarquée au port de Caen, le 16 août -1370, ayant à sa suite quinze personnes, pour aller à son manoir de -Felsted, dans le comté dʼEssex, elle ne revint en France quʼà la -Trinité de lʼannée -suivante <a class="fn" id="fr_55" href="#fn_55">55</a>. -</p> - -<p class="indent"> -Telle abbesse, telles religieuses. Celles-ci ne connaissaient pas les -rigueurs du cloître. « Elles pouvaient recevoir leurs parents et leurs -amis dans leurs appartements, dit M. Vaultier, et avaient, presque -toutes, des nièces quʼelles élevaient. Elles assistaient en corps aux -processions publiques de la ville. Il y avait des jours où elles -allaient prendre lʼair dans un jardin peu éloigné de leur monastère. » -On ne sʼétonnera guère de voir tant dʼabus sʼintroduire dans les mœurs -du cloître, quand on saura que lʼabbaye de Sainte-Trinité se recrutait -parmi les familles des seigneurs normands, qui apportaient à la -communauté, en lui amenant leurs filles, de généreuses donations. -Comme le monastère ne devait recevoir que des filles nobles, il fut -alors et a continué dʼêtre appelé depuis vulgairement -lʼ<i>Abbaye-aux-Dames</i>. -</p> - -<p class="indent"> -La plupart des religieuses, ayant reçu une instruction soignée, -consacraient leurs loisirs à lʼétude des belles-lettres. Elles -écrivaient en latin sur des rôles une <i>chronique</i> de leur abbaye, -qui a été malheureusement détruite. -Lʼabbé De La Rue nous apprend aussi -quʼelles se faisaient écrire des vers latins par -différents ecclésiastiques. Nous ne savons si le français leur était -moins familier; mais on pourrait le croire, quand on voit quʼelles -faisaient appel aux poètes du dehors pour écrire des vers de -circonstance. M. de Quens mentionne en effet, dans un de ses -manuscrits, un sieur P. Le Petit, ancien recteur à Alençon, -qui « se mêlait de poésie et fournissait de petites pièces de vers -à lʼAbbaye-aux-Dames pour les fêtes de lʼAbbesse et autres. » -</p> - -<p class="indent"> -Comprenant que richesse oblige, comme noblesse, les Abbesses de Caen -se firent toujours remarquer par une généreuse hospitalité. Lʼabbaye -de Sainte-Trinité reçut des hôtes célèbres. En 1450, pendant le siége -de Caen, Charles VII vint loger quelquefois dans lʼenceinte du -monastère. Les anciens registres de lʼhôtel-de-ville nous apprennent -que la duchesse de Guise descendit le 19 août 1678 à lʼabbaye de -Sainte-Trinité où M. de La Croisette et les échevins vinrent lui -présenter les civilités de la ville et lui offrir une douzaine de -bourses et six douzaines de boîtes de confitures. » La nomenclature -de tous les personnages illustres, qui séjournèrent à -lʼAbbaye-aux-Dames, dépasserait les limites de cette courte notice, -que nous terminerons en rappelant que Charlotte de Corday y a laissé -un long souvenir. -</p> - -<img src="images/CD_PL4_end.png" class="img_025 align-center" -alt="CD_PL4_end"/> - -</div> - -<hr /> - - - - -<div class="chapterNO"> -<h2> -<a id="N5"></a> -<span class="pfs110"> -LA PORTE-NEUVE -</span> -</h2> -</div> - - - - -<div class="chapter"> -<img src="images/CD_PL5_PorteNeuve.png" class="img_100 align-center" -alt="CD_PL5_PorteNeuve"/> - - -<p class="centerserif pfs120"> -<img src="images/CD_PL_beg.png" class="img_090 align-center" -alt="CD_PL_beg"/> -<span class="xlarge"> -LA PORTE-NEUVE -</span> -<br /> -DITE DES PRÉS -<br /> -<span class="small"> -CONSTRUITE VERS -1590, DÉMOLIE EN 1798. -</span> -</p> -<hr class="r10" /> - - - - -<p id="lettrine5"> -<span class="lettrine5C">C</span> -O<small>MME</small> les villes ne sont que trop souvent flattées par -les artistes et géomètres, qui se chargent dʼen dresser le plan ou dʼen -reproduire des vues pittoresques, nous devons quelque reconnaissance -au sieur de Belleforest pour nous avoir donné le <i>vray -Pourtraict de la ville de Caen</i> en 1562. Cʼest en effet vers cette -époque que Ch. de Bourgueville, -sieur de Bras, lieutenant général du bailliage de Caen, -communiqua au fameux compilateur les notes et le -plan dont celui-ci se servit pour écrire la description de Caen, qui -figure dans le premier tome de sa <i>Cosmographie</i>. -En examinant lʼaspect général de ce plan, -on voit que la ville était alors divisée en deux -parties qui affectaient chacune la forme ovoïde: lʼancien Caen au -nord; au sud, le vaste quartier de lʼîle St-Jean, ainsi nommé parce -quʼil était -complètement entouré, tant par le lit principal de lʼOrne, que par un -de ses bras détourné en lʼannée 1104 sur lʼordre du duc Robert. -Considérées dans leur ensemble, ces deux parties de la ville -ressemblent à une mappemonde en deux hémisphères, dont le point de -contact, ou, si lʼon veut, la charnière, serait représenté par les -arches du pont St-Pierre, sur lequel sʼélevait lʼancien -hôtel-de-ville. -</p> - -<p class="indent"> -Cette vue de Caen, à la fin du XVI<small><sup>e</sup></small> siècle, -arrachait des cris dʼadmiration au patriotisme de M. de Bras, -son vieil historien. -</p> - -<p class="indent"> -« Cette ville, dit-il dans ses <i>Recherches et antiquitez de la -ville de -Caen</i> <a class="fn" id="fr_56" href="#fn_56">56</a>, -au jugement de chascun qui la voit et la -contemple, est lʼune des plus belles, spacieuse, plaisante et -délectable que lʼon puisse regarder, soit en situation, structure de -murailles, de temples, tours, pyramides, bastiments, hauts pavillons -et édifices, grandes et larges rues..... » Cette nouvelle merveille -du monde avait cependant – que les mânes du vénérable historien nous -pardonnent – un défaut capital dans son système de fortifications. -Le <i>Pré de lʼIsle</i> et les <i>Petits-Prez</i>, -situés entre lʼOdon et le bras détourné de lʼOrne, -et qui formaient une sorte de triangle, dont le -sommet touchait au pont St-Pierre, tandis que leur base sʼappuyait aux -grandes prairies, avaient lʼinconvénient de sʼenfoncer comme un coin -jusquʼau cœur de la place. Maître de cette position, lʼennemi devait -bientôt lʼêtre de la ville. -</p> - -<p class="indent"> -Les Anglais se chargèrent, en 1417, dʼen faire la preuve lamentable. -Le jour de lʼassaut général, leur premier soin fut de sʼemparer du -<i>Pré de lʼIsle</i> pour sʼinterposer entre les deux parties de la ville. -Malgré la résistance acharnée des habitants, -Henri V ne tarda pas à forcer le rempart des Jacobins et à rejoindre -son frère, le duc de Clarence, qui était entré par escalade dans lʼîle -St-Jean, du côté des quais. Se jeter de là, par le pont St-Pierre, -dans lʼintérieur de lʼancienne ville et sʼen emparer, ce nʼétait plus -et ce ne fut, en effet, que lʼaffaire de quelques heures de combats -sanglants. -</p> - -<p class="indent"> -Le vice essentiel du système de défense de la ville ne pouvait être -démontré dʼune façon plus cruellement victorieuse. Les habitants de -Caen se souvinrent de la leçon et, pour en tirer profit, il ne leur -manqua que lʼargent et lʼoccasion. On les voit, en effet, à peine -remis des désastres de lʼoccupation anglaise, essayer, en 1495, de -« clore les Petits-Prez et dʼen faire une partie de la -ville <a class="fn" id="fr_57" href="#fn_57">57</a>. » En -1512, au dire encore de Huet, le seigneur de la Tremouille construit -un boulevard entre le <i>Pré de lʼIsle</i> et les <i>Petits-Prez</i>. -Et ce fut tout jusquʼen lʼannée 1590. -Les pestes affreuses qui dépeuplèrent la ville -à plusieurs reprises, la grande misère qui les accompagna et les -suivit, les impôts écrasants, les guerres de religion, ne laissèrent -sans doute aux administrateurs de la ville ni assez de répit, ni assez -de ressources, pour achever ou perfectionner les premiers essais de -fortification quʼon avait entrepris du côté des prairies, entre -lʼOdon et le <i>canal Robert</i>. -</p> - -<p class="indent"> -Un grand événement historique vint donner une impulsion nouvelle aux -projets de fortifications étudiés par les échevins de la ville de -Caen. Après lʼassassinat dʼHenri III par Jacques Clément, -Henri de Bourbon, premier prince du sang -de la maison de France par son père, -sʼempressa dʼenvoyer, le 2 août 1589, -aux corps de ville du royaume, une lettre -circulaire <a class="fn" id="fr_58" href="#fn_58">58</a> -dans laquelle il faisait, pour la première fois, acte -de roi, et promettait aux communes qui contiendraient « son peuple en -son obéissance » de les « soulaiger et gratiffier. » Enchantés de -cette promesse, les échevins de Caen sʼempressèrent de prendre au mot -le nouveau roi. « Nous vous supplions de croire, lui dirent-ils dans -une lettre du 19 août -1589 <a class="fn" id="fr_59" href="#fn_59">59</a>, -que nous continuerons à vous obéir -et servir en la même fidélité et obéissance que nous avons toujours -portée aux rois, vos prédécesseurs, à quoi nous sommes dʼautant -plus incités par le bon traitement et gratification quʼil plaît à -V. M. nous promettre en ce qui concerne le particulier de notre -ville... » En même temps, en bons normands ferrés sur le droit, qui -pensent quʼune parole écrite vaut mieux quʼun engagement verbal, -fût-il dʼun prince, ils énumérèrent, dans une instruction, les -gratifications quʼils entendaient réclamer en échange de leur -fidélité. Le chapitre en serait long à transcrire. Pour la ville, ils -réclamaient la tenue des États de la province de Normandie, -lʼétablissement définitif des Cours souveraines transférées de Rouen; -pour les bourgeois de Caen, lʼexemption de certaines tailles et du -service du ban et arrière-ban; pour les échevins, douze lettres -dʼanoblissement, pour eux ou pour leurs amis. « Le tout, -avaient-ils soin dʼajouter, en considération et pour remarque de la -fidélité et obéissance que lesdits habitants de Caen ont toujours -portée à leurs rois et princes. » -</p> - -<p class="indent"> -Devant de si touchantes marques de dévouement, Henri de Bourbon se -sentit fort à lʼaise pour imposer à son tour -ses conditions. Il fit sans doute remarquer aux échevins quʼil voulait -bien accepter la fidélité dʼune ville, qui se montrait si ouverte dans -ses prétentions, pourvu quʼelle consentît à être fermée aux -entreprises des ligueurs qui couraient la campagne. Si nous ne -trouvons aucune trace dʼune pièce semblable dans les registres de -lʼancien Hôtel-de-Ville, nous y rencontrons, en revanche, une lettre -dʼHenri IV, du 30 janvier 1593, qui prouve que le prétendant -à la couronne de France avait depuis longtemps donné des ordres aux -échevins de Caen, soit pour la réparation des anciens remparts, soit -pour lʼétablissement de nouvelles lignes de défense. -</p> - -<p class="indent"> -« Chers et bien amés, leur écrivait-il, nous avons vu le dessin -que le sieur de La Vérune nous a envoyé par le sieur du Bois de la -fortification de notre ville, château et faubourgs de Caen, et -particulièrement entendu dud. sieur du Bois lʼavancement que vous -avez déjà donné à lad. fortification; chose qui nous a été bien -agréable, et dʼautant que le parachèvement de lad. fortification est -très-requis pour votre conservation et pour le bien de notre -service. Nous avons bien voulu vous exhorter par la présente à y -faire travailler diligemment et vous assure que de notre part nous -vous aiderons en ce que nous pourrons pour la rendre au plus tôt en -défense. Donné à Chartres. » -</p> - -<p class="indent"> -Cette lettre inédite dʼHenri IV renferme plus dʼun enseignement. -Elle nous apprend dʼabord quʼil se faisait tenir depuis longtemps au -courant des ouvrages de défense, quʼon avait commencés à Caen, entre -la porte du vieux St-Étienne et le champ de foire, et quʼil y prenait -beaucoup plus dʼintérêt que les habitants eux-mêmes. On y devine, sous -lʼarrangement -poli de la phrase officielle, quʼil songeait bien plus au -« bien de son service » quʼà la « conservation » -proprement dite des bourgeois de Caen. -Mettre la ville, qui sʼétait donnée à -lui le moins gratuitement possible, à lʼabri dʼun coup de main -des ligueurs qui rôdaient dans les environs, telle était sa vraie, sa -seule pensée. Et pour obtenir ce résultat, il promettait aux bourgeois -de les « aider en ce quʼil pourrait » dans le travail des -fortifications. Cependant comme les habitants de la vieille cité -bas-normande étaient gens pratiques et hommes dʼaffaires, ils ne -prirent guère en considération des assurances qui ne reposaient que -sur la parole royale. Ils voyaient bien ce que leur coûteraient les -fortifications, mais ils voyaient moins clairement le bénéfice quʼils -étaient appelés à en tirer. Aussi, malgré la lettre missive du maître, -ils montrèrent peu dʼenthousiasme pour lʼœuvre recommandée. Pour -triompher de leur mauvaise volonté, il ne fallut rien moins quʼune -ordonnance sévère, que MM. Vauquelin, lieutenant général, de La -Serre, avocat du roi, et du Bois-Couldrey, commissaire du roi, au -fait des fortifications, firent publier à son de trompe dans les -rues. -</p> - -<p class="indent"> -« Sur la complainte faite par M. Jacques Bazin, quʼil ne peut -avoir ni retenir des artisans en son atelier, et que les bourgeois -et habitants de ladite ville les viennent débaucher de jour en jour, -à mesure quʼils en ont affaire pour leurs ouvrages particuliers, il -a été chargé audit Bazin de bailler une liste des artisans quʼil -aura demandés et quʼil voudra employer en sa besogne, auxquels il -sera enjoint de travailler avec lui jusquʼà ce que les ouvrages -quʼil a entrepris soient parfaits, et défendu à toute personne de -les -prendre ni employer en leurs ouvrages, sur peine aux -contrevenants, pour les bourgeois et ceux qui les emploieront, « de -50 écus dʼamende, et auxdits artisans, du fouet pour la première -fois, et, pour la seconde, dʼêtre pendus et étranglés. Et sera à -cette fin ladite liste avec la présente ordonnance publiée à son de -trompe, tant audit atelier de ville que par les carrefours dʼicelle. » -</p> - -<p class="indent"> -Cette ordonnance, du 23 juin 1593, si on la rapproche de la lettre -précédente dʼHenri IV, nous prouve surabondamment que les nouvelles -fortifications, qui devaient fermer la ville du côté des grandes -prairies de Louvigny, ne furent pas entreprises sur lʼinitiative des -habitants, mais probablement contre leurs vœux et sur la -recommandation expresse du roi. -</p> - -<p class="indent"> -Une délibération du conseil de la commune de Caen fixe à peu près -lʼépoque du commencement des travaux. Nous lisons, en effet, dans les -registres de lʼancien Hôtel-de-Ville, à la date du 21 novembre 1590: -</p> - -<p class="indent"> -« Jean Marguerie, sieur de Sordeval, conseiller du roi en -lʼélection de Caen, en sa qualité de sergent-major en ladite ville, -demande, le 21 novembre 1590, à couper le bois étant dans le fossé -de la ville et sur le parapet dudit fossé, jouxte le cercle des -Jacobins, et icelui employé aux fortifications qui se font à -présent du côté des prés, entre la rivière dʼOulne et la rivière -dʼOuldon. » -</p> - -<p class="indent"> -Commencées dans le courant de lʼannée 1590, les nouvelles -fortifications venaient dʼêtre achevées, depuis la porte St-Etienne -jusquʼà lʼIle de la Cercle, ou Champ-de-Foire, à la date du 9 avril -1597, lors de la <i>Visite des murailles</i> qui se faisait à -Caen, tous les trois ans, à chaque nouvelle élection des -gouverneurs-échevins. Les travaux avaient été exécutés sur les plans -et sous la direction dʼun très-habile géomètre et architecte, Josué -Gondouin, dit Fallaize, qui figure parmi les <i>oubliés ou dédaignés</i> -de cette époque; car nous ne trouvons nulle part trace de biographie se -rapportant à cet artiste de mérite. Lʼordre de payer suivant, adressé -par les échevins au receveur de la ville, le 25 juillet 1592, nous -apprend ce fait, intéressant pour lʼhistoire locale. -</p> - -<p class="indent"> -« Ordre au receveur de payer à M. Gondouin, -maître-voyer juré pour le Roi en cette ville -et bailliage de Caen, la somme de 20 écus, -qui lui a été allouée, pour faire dresser et pourtraire sur -parchemin le plan, assiette et étendue de cette ville, avec -remarque des tours, forteresses et enclos des murailles, des lieux -et endroits plus forts et autres plus faibles dʼicelle, même des -lieux et places, qui commandent la ville, le tout pour servir à -résoudre les fortifications plus nécessaires à faire en icelle, -selon quʼil lui en avait été donné charge par M. de La Vérune -et autres seigneurs, ayant entrepris de faire travailler auxdites -fortifications. Lequel plan a été par lui baillé et délivré et -ordonné être conservé aux arches de lʼHôtel-de-Ville, pour sʼen -aider et servir quand besoin sera. » -</p> - -<p class="indent"> -Comme nous lʼavons dit, il sʼagissait de réunir à la ville, en les -reliant par une courtine aux anciennes murailles, tous les terrains -désignés, sur le plan de Belleforest, -sous les noms de <i>Petits-Prez</i>, -<i>Grands-Prez</i> et <i>Pré-de-lʼIsle</i>, -sur lesquels se trouvent aujourdʼhui -lʼéglise Notre-Dame, la préfecture avec ses jardins, les bâtiments de -lʼHôtel-de-Ville, la place Royale, et les groupes de maisons -comprises entre la -rue du Moulin et le nouveau boulevard, jusquʼà lʼancien pont -St-Pierre, aujourdʼhui démoli. Il est fort regrettable que le plan de -Josué Gondouin ne soit pas arrivé jusquʼà nous. Lʼhabile maître-voyer -nous a heureusement laissé, dans son procès-verbal de la visite des -fortifications du 12 mai 1606, quelques explications précieuses -auxquelles nous faisons lʼemprunt suivant. -</p> - -<p class="indent"> -« On avait encomrnencé, dit-il, de faire deux grands bastions: lʼun -à la porte St-Étienne, dont les flancs devaient défendre portion de -la courtine dʼentre ledit bastion et lʼautre bastion proposé faire -dedans ladite <i>Cercle ou foire</i>; -laquelle courtine nʼavait été pour -lors trouvée être requise fermer et être faite que de terre, -fascines et gazons, vu la commodité que lʼon en avait joignant les -terres quʼelle enferme, qui est une portion de prairie ayant environ -120 toises de longueur, à prendre par le long de ladite -courtine, laquelle courtine est en forme de tenailles sur lʼun des -bouts de laquelle fut aussi délibéré faire de maçonnerie une porte -fermant et ouvrant à pont-levis, pour tirer les foins de la prairie; -pour défendre laquelle, ainsi quʼenviron la moitié desdites -tenailles, avait été tracé dedans ladite Cercle, les fondements, -fossés, courtines et flancs dudit second bastion..... » -</p> - -<p class="indent"> -Ce document, dont on ne peut contester lʼimportance puisquʼil nous -vient de lʼauteur lui-même des travaux, nous servira à faire la -légende de la gravure, qui nous a conservé -la physionomie de la Porte-Neuve. -</p> - -<p class="indent"> -Cette vue, tirée du cabinet de M. Lair, avait été reproduite par -M. Ch. Pichon, dʼaprès le tableau de M. Ch. de -Vauquelin de Sassy, à qui lʼon devait déjà la plus grande partie des -lithographies de la <i>Statistique de Falaise</i> de M. Galeron. -Elle nous montre la Porte-Neuve telle quʼelle existait encore -à la fin du XVIIl<small><sup>e</sup></small> siècle, -avant sa destruction. Le fossé et le pont-levis, qui servait à -le franchir, nʼexistent plus; mais le reste du petit édifice nʼa subi -ni les outrages du temps, ni les changements quʼaurait pu y apporter -la main de lʼhomme. Il se compose dʼun pavillon carré, traversé au -rez-de-chaussée par une large porte à cintre surbaissé, et surmonté -dʼun étage sans fenêtres, que couronne un toit avec girouettes. A -gauche, une petite tour carrée, renfermant probablement lʼescalier; à -droite des constructions moins élevées, soutenues par des contreforts, -dont le pied se baigne dans la rivière; enfin de longues -cheminées, au corps mince; tel est lʼaspect général de la -construction, dont la structure élégante, jointe à une situation -heureuse, forme un ensemble qui satisfait lʼœil. Lʼédifice nʼa rien de -martial; sur ses flancs, pas la moindre tourelle, pas la plus petite -échauguette. Quelques meurtrières, qui sʼouvrent de çà de là dans les -murailles, moins pour menacer que pour regarder au dehors, et cʼest -tout. En voyant son attitude inoffensive, on ne croirait guère quʼil -fût destiné à entrer, même pour la part la plus modeste, dans un -système quelconque de fortifications, si lʼauteur du plan, dont nous -avons cité un passage, ne venait heureusement à notre aide pour nous -apprendre quʼil était protégé dʼun côté par le bastion de St-Étienne, -de lʼautre par le bastion de <i>La Cercle</i>. -</p> - -<p class="indent"> -Il résulte de lʼexamen comparatif des plans de lʼancien Caen que la -Porte-Neuve devait être située sur la rive gauche de la Petite-Orne, -ou <i>canal Robert</i>, entre le pont aux Vaches et -lʼancien pont de la Foire, un peu plus rapprochée de celui-ci que de -celui-là. -</p> - -<p class="indent"> -Notre gravure nous en fait connaître la façade du côté des prairies; -lʼautre côté, qui regardait la ville, et lʼintérieur de la -construction ne peuvent être à peu près reconstitués quʼà lʼaide de -quelques rares documents, puisés dans les registres de lʼancien -Hôtel-de-Ville de Caen. -</p> - -<p class="indent"> -« Au corps dʼhôtel sur la Porte-Neuve, est-il dit dans la visite -des murailles du 9 avril 1597, de présent non encore habitée a été -trouvé nécessaire faire ajuster une ventaille de bois pour un -soupirail, qui est au milieu de lʼaire de la chambre; plus clore de -ventailles, huis et fenêtres, une huisserie qui est à la vis ou -montée et une fenêtre, et quʼil serait bon bailler ledit logis à -quelque personne pour y habiter et quʼil serait mieux conservé -étant habité quʼautrement; ayant connu par expérience quʼà -lʼoccasion quʼil nʼy demeura personne, on a déjà fait plusieurs -travaux et réparations aux huis et serrures de ladite maison sur -quoi sera conféré avec M. de La Vérune. » -</p> - -<p class="indent"> -Ce passage nous apprend que les bâtiments de la Porte-Neuve -renfermaient un corps-de-logis habitable, avec fenêtres donnant sur -lʼintérieur de la ville. On y mentionne une chambre seulement, mais -nous pouvons affirmer quʼil sʼy trouvait encore dʼautres pièces; -car il est permis de supposer que cette nouvelle construction, qui -avait moins lʼapparence dʼune forteresse que dʼun pavillon inoffensif, -nʼavait pas dû être moins bien traitée sous le rapport de lʼhabitation -que les anciennes portes de la ville, bâties surtout dans un but -stratégique. Or, celles-ci avaient toutes, au rez-de-chaussée, même -les moins -importantes, une salle basse qui servait de corps-de-garde, et une -sorte de magasin ou réduit « pour retirer, dit toujours le -procès-verbal de la visite des murailles, quelques bûches et fagots -pour le feu de ceux qui sont en garde à ladite porte, même pour -retirer quelque bois pour la ville et les outils des artisans, -quand on travaille à ladite porte ou aux environs. » Au premier -étage se trouvaient toujours une ou deux chambres que la ville louait -à des fermiers, prêtait à quelque employé, ou donnait, à charge -seulement de faire certaines réparations à lʼimmeuble. Cʼest ainsi que -nous voyons, en 1597, la partie habitable dʼune des portes de la -ville affermée, à charge dʼentretenir les couvertures. -</p> - -<p class="indent"> -« Lʼédifice sur la porte St-Julien et tenu par Marie Boyvin par -ci-devant veuve de Richer, trompette de la ville, comme à la -précédente visitation lui en ayant été concédé lʼusage passés sont -six ans, en considération que son mari fut tué servant de trompette -à la compagnie de gendarmerie de M. de La Vérune, étant lors -à lʼarmée du roi, et à la charge dʼentretenir bien et dument la -couverture volante dudit édifice, selon la lettre quʼelle en a. -Continuée à la charge de bien et dument entretenir ladite tour en -couverture et dʼy vivre sans scandale. » -</p> - -<p class="indent"> -Quand la ville logeait un de ses employés, sans conditions, il -arrivait souvent que les immeubles se conservaient comme ils -pouvaient, jusquʼà ce quʼil se trouvât un locataire assez audacieux -pour se plaindre, ou assez habile pour cacher ses vœux sous le masque -dʼune action charitable. Tel le cas dʼun sieur Longuet, garde à la -porte Millet, que le procès-verbal de la visite des murailles nous -rapporte ainsi: -</p> - -<p class="indent"> -« La chambre de dessus est tenue par le sergent Longuet, auquel -lʼusage en a été concédé, dès longtemps, en considération du -service quʼil fait en sadite charge; lequel Longuet a remontré -quʼil nʼy a aucune commodité en ladite chambre, nʼétant plancher par -dessus, la cheminée rompue, nʼy a aucune fenêtre commode, et a prié -lesd. sieurs présents que leur plaisir fût la faire <i>plancher</i> -et accommoder de vitres et cheminée, en sorte que quelquefois les -bourgeois, qui sont en garde, sʼen pussent servir pour y prendre -leur réfection, sans être contraints retourner à leurs maisons, qui -serait une bonne commodité pour le fait desdits gardes. » -</p> - -<p class="indent"> -Le sieur Longuet ne montrait cette hypocrite sollicitude pour le -bien-être de la milice que parce quʼil occupait gratuitement les -parties habitables de la porte. Mais les fermiers de la ville, qui -payaient leur location, faisaient leurs réclamations sur un autre ton. -Exemple: -</p> - -<p class="indent"> -« Au ravelin de ladite Porte-au-Berger, ajoute le procès-verbal déjà -cité, a été trouvé nécessaire au corps dʼhôtel neuf, qui est baillé -à ferme, réservé la grande salle basse pour le corps de garde, de -faire des huis à la petite chambre sur lʼouvroir et aux greniers et -quelques ventailles aux fenêtres pour le tout pouvoir clorre pour la -commodité du fermier: lequel fermier a remontré que néanmoins le -bail à lui fait, les capitaines et habitans, qui viennent en -garde, lʼont empêché de labourer le jardin dépendant de ladite -maison, disant que ladite place est nécessaire pour le proumenoir -de ceux qui sont en garde. Aussi se sont habitués de la grande -chambre, sur la salle de bas, où se fait le corps de garde, en -laquelle ils ont fait mettre quelques -meubles, disant quʼelle leur est nécessaire pour prendre leur -réfection, les jours quʼils sont en garde, afin de ne se départir -de leur garde et être contraints retourner en leurs maisons pour -boire et manger, demandant sur ce lui être pourvu et quʼil soit -fait jouissant ou que son bail soit <i>dissolu</i>. -Reste y aviser. » -</p> - -<p class="indent"> -Avec les documents qui précèdent, nous pouvons, comme un touriste muni -de son guide, faire un voyage instructif autour de la chambre de la -Porte-Neuve et de ses pièces accessoires. Quelques nouveaux -renseignements, empruntés aux registres de lʼHôtel-de-Ville, nous -permettront, après avoir pris connaissance du logement, de jeter un -coup dʼœil curieux sur lʼexistence et les habitudes du locataire. Nous -nous rappelons que le 9 avril 1597, la Porte-Neuve nʼétait pas encore -habitée. Mais, comme les échevins avaient pensé à cette date quʼil -était urgent, afin dʼentretenir les serrures, portes et fenêtres de -leur immeuble, de trouver quelque personne de bonne volonté pour -essuyer les plâtres, il est fort probable quʼun garde fut installé peu -de temps après dans la nouvelle construction. Dix-huit ans plus tard, -ce garde mourait, et nous ne rappellerions pas ce fait, sans -importance, sʼil ne servait à nous montrer que ces modestes fonctions -étaient quelquefois lʼobjet dʼun conflit entre le pouvoir royal et les -prérogatives municipales. -</p> - -<p class="indent"> -« Le garde de la Porte-Neuve étant mort, disent les Registres de -lʼHôtel-de-Ville à la date du 22 mars 1615, les échevins et le -procureur-syndic vont trouver M. de Bellefonds et le supplient -dʼavoir pour agréable quʼils en nommassent un autre à sa place, -suivant les anciens priviléges de la -ville. M. de Bellefonds prétend que cette nomination lui -appartient et ajoute que, si MM. du Corps de Ville pensent que -leurs droits soient lésés, il est prêt, au premier voyage quʼil fera -en cour, à sʼen remettre au jugement de Sa Majesté, quʼen attendant -il pourvoiera dʼun bourgeois de la ville à la garde de ladite porte. -Les échevins, au retour, arrêtent que ces propositions seront -rejetées et M. le Bailli ordonne dʼenregistrer ce que dessus au -registre du Greffe de la ville pour y avoir recours si besoin est. » -</p> - -<p class="indent"> -Nous ne voyons pas tout dʼabord quel grand intérêt avaient les -échevins à défendre, contre les empiétements du pouvoir -central, le privilége qui consistait à nommer les gardes des -portes de la ville. Car, – chose étonnante et qui est cependant -prouvée par maint passage des registres de lʼHôtel-de-Ville, – -les gardes des portes nʼétaient pas chargés dʼen conserver les clefs. -Ce soin, qui aurait dû être, sinon la première, au moins une de leurs -plus importantes attributions, était confié à dʼautres mains. Nous -lisons, en effet, à la date du 2 septembre 1610: -</p> - -<p class="indent"> -« Il a été arrêté pour la police de tenir les portes closes de -nuit. Que Messieurs en prendront la charge, savoir est: Pour la -Porte-Neuve, chez M. le Président, etc. Et les feront <i>clore</i> -et ouvrir à heures convenables par leurs serviteurs et domestiques, -auxquels ils auront confiance, lesquels la ville gratifiera de -chacun deux écus par an. » -</p> - -<p class="indent"> -En 1615, on place des soldats de la milice aux portes, par suite de -lettres reçues du roi, et lʼon remet les clefs aux personnes désignées -pour ouvrir et fermer les portes. En 1616, les six clefs de la -Porte-Neuve sont données en garde à plusieurs bourgeois. A toutes ces -dates, la ville était sous le coup -dʼune alerte; le roi lui écrivait de prendre des précautions, de se -tenir prête à soutenir une attaque. On comprend donc que dans ces -moments de troubles on ne confiât pas les clefs de la ville à un -simple garde, qui aurait pu se laisser corrompre ou passer aux partis -ennemis. Mais un passage des anciens registres de lʼHôtel-de-Ville -nous apprend quʼil en était de même en temps de paix. Ainsi, en 1610, -après la paix du Pont-de-Cé, au moment où lʼon venait de lever les -gardes placées aux portes de la ville, nous voyons remettre les clefs -à des personnes nominativement désignées. -</p> - -<p class="indent"> -Cependant les clefs étaient laissées quelquefois entre les mains du -garde de la porte, comme cela paraît résulter du document suivant. -</p> - -<p class="indent"> -« Geoffroy Bellebarbe, ayant les clefs de la Porte-Neuve en dépôt, -disent les anciens registres de lʼHôtel-de-Ville à la date du 4 mai -1640, a fait plainte que quelques écoliers, nuitamment, ont rompu -lʼune des chaînes du pont de ladite porte et forcé la serrure avec -des pierres; jure et affirme quʼil ne les connaît, pour nʼavoir osé -sortir, à cause quʼils lâchèrent quelques coups de pistolet. » -</p> - -<p class="indent"> - -Cʼétait le garde qui devait préparer la salle basse, dans les -occasions où elle était occupée par la milice bourgeoise; cʼétait lui -aussi qui devait aller aux approvisionnements, apporter les deux -bûches, les deux fagots, le charbon et la chandelle que la ville -délivrait à chacun des cinq corps de garde placés au Tripot, à la -porte de Bayeux, à la Porte-Neuve, sur le port et à la porte -Millet. » -</p> - -<p class="indent"> -Quand le moment dʼalarme était passé et que les bourgeois armés -abandonnaient les postes, cʼétait à lui encore que revenait -le soin dʼemmagasiner la plupart des outils qui servaient à la -réparation des remparts. Et ce nʼétait pas alors une petite besogne; -car, pendant les guerres de la Ligue et les troubles des premières -années du règne de Louis XIII, les bourgeois étaient à tout instant -convoqués, non-seulement pour garder les fortifications, mais aussi -pour les réparer. En 1615, par exemple, nous voyons les bourgeois -« tenus de travailler aux fortifications -et <i>à la vide des fossés</i>, -attendu que les deniers de la ville ne seraient suffisants. » -</p> - -<p class="indent"> -Quand une nouvelle lettre du roi venait rassurer les échevins et -ordonner de renvoyer chez elles les compagnies de la milice, quand la -ville se reposait dʼune si chaude alarme, le garde des portes ne -jouissait pas de fréquents loisirs. Tantôt il lui fallait courir sur -les remparts pour empêcher de jeter dans les fossés des matériaux dont -on voulait se débarrasser; tantôt au contraire, au lieu de défendre -les fortifications contre des alluvions gênantes ou nauséabondes, il -fallait les protéger contre un amaigrissement, dont la cause ne -faisait pas honneur au patriotisme des propriétaires riverains. Ce -détail curieux est indiqué dans la visite des murailles du 9 avril -1597. -</p> - -<p class="indent"> -« Tous ceux qui ont leurs jardins et héritages aboutissant sur les -remparts entre lad. tour (tour Sevans) et la porte St-Étienne, -ayant miné lesdits remparts, pour accroître leurs jardins, et qui -devaient être approchés, pour se voir condamner à remettre les -terres en lʼétat quʼelles étaient, minant encore davantage de jour -en jour, nʼayant été fait aucune action contre eux, à quoi reste -pourvoir. » -</p> - -<p class="indent"> -A cette surveillance des délinquants sʼajoutait, pour le garde de la -Porte-Neuve, lʼobligation de tenir les portes ouvertes -pour le passage des voitures, pendant la saison des foins et, pendant -la foire royale, pour celui des bestiaux quʼon exposait en vente dans -la prairie en dehors des fortifications. -</p> - -<p class="indent"> -Nous trouvons, en effet, dans le registre 46 de IʼHôtel-de-Ville, parmi -les conditions imposées à lʼun des adjudicataires des patrimoniaux de -la ville, les clauses suivantes: « Il souffrira les ébats -accoutumés dans le pré (emplacement quʼoccupent aujourdʼhui -lʼéglise Notre-Dame, la préfecture, les bâtiments de la mairie et la -place Royale). De même il souffrira les bêtes à laine qui y sont -exposées en vente, et la montre des chevaux du côté de lʼOdon -durant la séance de la foire royale; et les bêtes <i>aumailles</i> -(mot du patois normand qui signifie bestiaux) et porchines au lieu -où elles sont exposées en vente pendant la foire, près et en dehors -de la Porte-Neuve jusquʼau pont de pierre sur le cours de lʼOdon. » -</p> - -<p class="indent"> -Sʼil avait des devoirs pénibles à remplir, le garde de la Porte-Neuve -trouvait, il est vrai, quelques compensations dans les spectacles -variés et gratuits que lui offrait le fameux <i>pré des ébats</i> -dont Ch. de Bourgueville, sieur de Bras, -a célébré les merveilles dans une prose -enthousiaste. Ce sont « deux moyennes prairies, dit-il, qui -séparent la ville de ce costé là, fort plaisantes, encloses dʼun -costé de la grosse rivière dʼOurne, et de lʼautre de la rivière de -Oudon. Auxquelles les habitans et jeunesse se pourmenent, prennent -plaisir à la saison du printemps et de lʼesté, mesmes les escoliers -de lʼUniversité, les uns à sauter, lutter, courir, jouer aux -barres, nager en la rivière qui les enclost, tirer de lʼarc et -prendre toutes honnestes récréations, comme aussi font les -damoiselles, dames et bourgeoises, à y estendre et sécher leur -beau linge, duquel lesdites prairies sont aucunes fois si couvertes -quʼelles semblent plutost blanches que vertes. » -</p> - -<p class="indent"> -Le voisinage de ces lessives – puisquʼil faut -les appeler par leur nom – -était probablement pour les gardes de la Porte-Neuve moins une source -de jouissances poétiques que lʼoccasion de débats très-vulgaires avec -les « dames et bourgeoises » qui encombraient la voie publique. -</p> - -<p class="indent"> -Nous devons avouer cependant que, parmi les spectacles auxquels ils -pouvaient assister de leurs fenêtres, il en est un surtout qui -méritait dʼattirer leur attention. Cʼétait à peu de distance de la -Porte-Neuve que sʼélevait le Mai du <i>Papeguay</i>, -« expression dérivée de <i>Papagallus</i>, qui, -dans le moyen âge, dit lʼabbé De La -Rue <a class="fn" id="fr_60" href="#fn_60">60</a>, -signifiait ordinairement <i>Perroquet</i>. -Ce jeu consistait à placer au -haut dʼun mât très-élevé un oiseau de bois peint et bien orné, et à -lʼabattre avec la flèche. La ville, dans lʼorigine, en fournissait -deux: un pour lʼarc et lʼautre pour lʼarbalète; vers lʼannée -1540, elle commença à en donner un troisième pour lʼarquebuse, et -elle décernait toujours un prix en argent à celui qui abattait -le Papeguay..... Les jeux de lʼarc et de lʼarbalète avaient - lieu sur le terrain qui est en face du rempart de lʼhôtel de la -préfecture; ils duraient pendant tout lʼété, et ils nʼont cessé -quʼà lʼépoque de la Révolution. » -</p> - -<p class="indent"> -Ces divertissements guerriers prirent à la longue une telle importance -que la compagnie du Papeguay, recrutée dans la milice bourgeoise, se -composait en lʼannée 1744 de plus de -cinq cents hommes, sous la conduite dʼun capitaine et dʼun lieutenant, -quatre sergents, quatre tambours et un fifre. Elle ne se contentait -plus de se livrer avec ardeur à ses exercices ordinaires; elle -organisait aussi des fêtes. Cʼest ainsi que nous la voyons, cette -année-là, tirer un grand feu dʼartifice à lʼoccasion de la -convalescence du roi. -</p> - -<p class="indent"> -« Lʼédifice destiné au feu, dit la <i>Relation de la fête</i> publiée -à Caen en 1744, était construit dans la place où lʼon tire les -oiseaux de lʼarc et de lʼarbalète. Sa hauteur était dʼenviron -50 pieds, il a voit deux étages et trois faces, celle du milieu -regardait la Porte-Neuve..... » -</p> - -<p class="indent"> -Le perroquet ou papeguay, perché au haut du mât, joua aussi son rôle -dans la fête de nuit, comme lʼindique ce passage: « De temps en -temps, on faisait partir des dragons, qui feignaient dʼaller allumer -lʼoiseau; il en vint un enfin, à qui lʼhonneur étoit réservé. -Lʼoiseau prit feu et effraya, par le bruit quʼil fit, tous ceux qui -nʼétaient pas prévenus... » -</p> - -<p class="indent"> -Si le locataire de la Porte-Neuve était aux premières places pour -jouir de la vue des feux dʼartifice et autres fêtes ou -divertissements, qui avaient pour théâtre lʼancien <i>Pré des Ebats</i>, -il faut bien avouer aussi quʼil subissait quelquefois des spectacles qui -nʼétaient point de nature à lui mettre beaucoup de joie dans lʼâme. En -effet, quand les impôts prélevés sur le peuple rentraient -difficilement dans les coffres du roi, on leur en faisait prendre le -chemin par un ingénieux moyen que nous trouvons noté dans les -registres de lʼHôtel-de-Ville, à la date du 28 juin 1602. -</p> - -<p class="indent"> -« Nous avons apporté tout ce que nous avons pensé être de notre -devoir pour le bien du service de Sa Majesté, disaient -les échevins, jusques avoir fait planter potences à toutes les -portes de la ville, pour punir ceux qui voudraient empêcher la -levée des dʼimpositions, en sorte quʼelles sont cueillies sans -empêchement <a class="fn" id="fr_61" href="#fn_61">61</a> ». -</p> - -<p class="indent"> -Quoique le garde de la Porte-Neuve fût exposé à avoir directement sous -les yeux, à toute heure, ces lugubres avertissements aux contribuables -des percepteurs du bon vieux temps, on ne voit pas que ce modeste -fonctionnaire ait jamais donné sa démission, ni quʼon ait éprouvé -quelque difficulté à lui trouver de successeur quand sa place était -vacante. Le locataire ne manqua à lʼimmeuble que lorsque lʼimmeuble le -premier vint à lui manquer. Cet événement se pressent dans une séance -du 18 brumaire an VI du conseil municipal de Caen. -</p> - -<p class="indent"> -« LʼAdministration, considérant que le but que sʼétait proposé le -Conseil général de la commune en supprimant la pièce dʼeau nommée -le Fort, étoit, après lʼavoir comblée, dʼen employer le terrein en -promenade, ainsi que le reste de la place publique qui lui est -contiguë, et qui a été mise et en location pour six ans, par -adjudication du 21 mars 1793 (V. S.), arrête que la portion de -terrain réservée par ladite bannie, et qui sʼétend depuis la -Porte-Neuve, le long du mur du bastion, jusquʼà lʼangle dudit mur, -sera plantée de tilleuls, et que les deux côtés du chemin tendant de -ladite Porte-Neuve au pont de lʼabreuvoir, seront plantés en ormes, -en attendant que le surplus du terrain mis en adjudication -revienne à la disposition de la commune par lʼexpiration de la -jouissance des adjudicataires, époque à laquelle il pourra être pris -des mesures pour embellir cette place publique par -des plantations, et procurer à ce moyen aux citoyens lʼagrément -dʼune promenade. » -</p> - -<p class="indent"> -Comme les affaires administratives marchaient alors au pas accéléré, -six mois après cette première délibération, le Conseil municipal -décida, dans une séance du 8 floréal an VI (avril 1798), quʼon -sʼentendrait avec les adjudicataires des terrains de la Porte-Neuve -pour la résiliation de leur marché, et que -celle-ci serait immédiatement démolie. -</p> - -<p class="indent"> -« Lʼadministration considérant que la porte, dite des Prés, ou -Porte-Neuve, faisant partie des anciennes fortifications de la -commune, est nuisible par sa position aux embellissements quʼon se -propose de former dans le quartier, arrête quʼelle sera démolie et -que lʼarchitecte de la commune donnera le devis estimatif des frais -que sa démolition pourra occasionner. » -</p> - -<p class="indent"> -Lʼexécution suivit de près la sentence. La Porte-Neuve avait vu -sʼélever successivement, sur lʼemplacement des Petits-Prés, le grand -et le petit séminaire des Eudistes (aujourdʼhui lʼHôtel-de-Ville), -lʼéglise des Jésuites (aujourdʼhui Notre-Dame) et un grand nombre de -maisons particulières qui, en rétrécissant la place réservée aux -promeneurs, semblaient lui signifier sa prochaine destruction. Après -une durée de deux siècles, elle eut la bonne fortune dʼêtre -reproduite, à ses derniers moments, par le crayon dʼun artiste. -Combien de générations dʼhommes laisseront moins de traces! -</p> - - -<hr /> - -</div> - - - - - -<!-- BEG NOTES: --> - - -<div class="chapter"> - -<p class="centerserif pfs90"> -<strong> -NOTES -</strong> -</p> - - -<!-- Note 1 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_1" href="#fr_1">1</a> -« Cʼest peut-être là, dit lʼabbé De La Rue, -le <i>petit château</i> dont parle la -<i>Chronique de Normandie</i>. Le duc Guillaume ou ses ancêtres -purent bien fortifier ce pont qui était la clef de la ville et de tout -le Bessin. Dans les plus anciennes chartes, -il est appelé <i>pons Cadomi</i>, -on lʼappela ensuite <i>pons de Darnestallo</i>, -enfin <i>pons S<sup>ti</sup> Petri</i>. » -<i>Origines de Caen</i> de Huet, -annotées par lʼabbé De La Rue, mss, in-8° de -la Biblioth. de Caen, n° 50, tome I, p. 39. -</p> - - -<!-- Note 2 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_2" href="#fr_2">2</a> -<i>Essais sur Caen</i>, tome I, p. 127. -</p> - - -<!-- Note 3 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_3" href="#fr_3">3</a> -Livre I, § 262. -</p> - - -<!-- Note 4 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_4" href="#fr_4">4</a> -<i>In quo ponte</i>, -dit le continuateur anonyme, -<i>est nunc ædificatum castrum valde pulchrum</i>. -</p> - - -<!-- Note 5 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_5" href="#fr_5">5</a> -<i>Les armoiries de la ville de Caen</i>, -dans le tome XX des -<i>Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie</i>. -</p> - - -<!-- Note 6 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_6" href="#fr_6">6</a> -A la date du 29 avril 1581, on trouve dans les Archives -municipales un marché avec Pierre Crespin, couvreur, pour la -réparation de la couverture de lʼHôtel de Ville. Il paraîtrait, -dʼaprès ce marché, que les tourelles étaient couvertes en ardoise -fine et le corps de logis en tuile. -</p> - - -<!-- Note 7 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_7" href="#fr_7">7</a> -<i>Essais sur Caen</i>, tome I, p. 247. -</p> - - -<!-- Note 8 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_8" href="#fr_8">8</a> -<i>Relations des différentes festes données par les Corps et -Communautés de la ville de Caen, à lʼoccasion de la naissance de -Monseigr. le Dauphin</i>; in-12 de 12 pages, -s. l. n, d. -</p> - - -<!-- Note 9 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_9" href="#fr_9">9</a> -Mss. in-fol. de la Biblioth. de Caen, n° 143, feuillet 51. -</p> - - -<!-- Note 10 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_10" href="#fr_10">10</a> -Mss. in-fol. de la Biblioth. de Caen, n° 143, feuillet 51. -</p> - - -<!-- Note 11 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_11" href="#fr_11">11</a> -Mss. in-4° de la Biblioth. de Caen, n° 117, p. 96. -</p> - - -<!-- Note 12 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_12" href="#fr_12">12</a> -Quelque cent ans après, une note de lʼintendant Méliand sur lʼétat -des finances de la ville constatait que lʼhorloger, en 1679, touchait -un traitement de 80 livres, tandis que lʼavocat de la ville au -Parlement ne touchait que 30 livres, et le greffier, sans indemnité -pour ses frais de bureau, seulement 500 livres. -– Archives municipales, -délibération du 1<small><sup>er</sup></small> mai 1679. -</p> - - -<!-- Note 13 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_13" href="#fr_13">13</a> -Archives municipales, délibération du 4 janvier 1592. -</p> - - -<!-- Note 14 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_14" href="#fr_14">14</a> -Archives municipales, délibération du 10 mai 1597. -</p> - - -<!-- Note 15 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_15" href="#fr_15">15</a> -<i>Notice sur les clepsydres et les premières horloges</i>. Caen, 1872; -in-18 de 29 p. -</p> - -<!-- Note 16 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_16" href="#fr_16">16</a> -Mss. in-fol. de la Biblioth. de Caen, n° 143, feuillet 51. -</p> - - -<!-- Note 17 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_17" href="#fr_17">17</a> -Archives municipales, 17 avril 1563. -</p> - - -<!-- Note 18 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_18" href="#fr_18">18</a> -<i>Journal dʼun bourgeois de Caen</i>, p. 76. -</p> - - -<!-- Note 19 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_19" href="#fr_19">19</a> -<i>Bulletin monumental</i>, tome XVIII, p. 92. -</p> - - -<!-- Note 20 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_20" href="#fr_20">20</a> -Archives municipales, avril et 8 sept. 1563. -</p> - - -<!-- Note 21 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_21" href="#fr_21">21</a> -<i>Journal dʼun bourgeois de Caen</i>, 3 nov. 1697, -</p> - - -<!-- Note 22 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_22" href="#fr_22">22</a> -LʼHôtel de Ville avait deux canons, comme nous lʼapprend une -délibération du 24 févr. 1607, à propos du mariage de M. de -Bellefonds, gouverneur pour le Roi en la ville et château de Caen. -« Sera, est-il dit dans cette délibération, en signe de joie et -liesse, tiré quatre coups de canon de la grosse tour de Chatimoine et -les deux de lʼHôtel commun de la ville, lors de lʼentrée de la -mariée, lundi au soir. » -</p> - - -<!-- Note 23 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_23" href="#fr_23">23</a> -Archives municipales, 22 sept. 1564. -</p> - - -<!-- Note 24 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_24" href="#fr_24">24</a> -Archives municipales, 28 mai 1641. -</p> - - -<!-- Note 25 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_25" href="#fr_25">25</a> -« État que les commissaires, ci-devant établis par le Roi au -gouvernement et administration de lʼHôtel commun de la ville de -Caen, baillent et laissent à MM. les Maire, Gouverneurs et -Échevins dʼicelle, des charges et affaires les plus importantes, qui -se sont passées depuis leur établissement, qui fut le 24 février 1640 -jusquʼà ce jour, et qui restent à faire par lesd. sieurs Maire et -Echevins. » -</p> - - -<!-- Note 26 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_26" href="#fr_26">26</a> -Archives municipales, 26 février 1563. -</p> - - -<!-- Note 27 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_27" href="#fr_27">27</a> -Archives municipales, 28 juin 1602. -</p> - - -<!-- Note 28 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_28" href="#fr_28">28</a> -Archives municipales, 25 janvier 1626. -</p> - - -<!-- Note 29 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_29" href="#fr_29">29</a> -« A été appelé Leslogettes, cuisinier, avec lequel a été fait -marché de fournir le dîner du mercredi des cendres prochain, en la -maison de M. Brunet, de toutes choses qui se pourront trouver, pour -traiter honorablement les assistans, au nombre de 40 personnes, -ayant assisté à lʼélection, qui se fera, led. jour, des Echevins de -lad. ville, dʼun receveur et administrateurs de la Maison Dieu et -Léproserie en lui payant 50<small><sup>s</sup></small> par tête -et 60<small><sup>s</sup></small> pour le vin de ses serviteurs, -et parce quʼil fournira aussi à dîner aux serviteurs -qui auront servi aud. dîner, et doit fournir linge, vaisselle, bois, -pain, vin, cidre et toutes choses généralement. » Archives -municipales, 3 mars 1611. -</p> - - -<!-- Note 30 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_30" href="#fr_30">30</a> -Archives municipales, 23 juin 1652. -</p> - - -<!-- Note 31 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_31" href="#fr_31">31</a> -« Noble homme, M<small><sup>r</sup></small> Jean Beaullart, -s<small><sup>r</sup></small> de Maizet, -fils et héritier de feu noble homme, -Pierre Beaullart, a fait rapporter en cette -maison plusieurs registres, pièces et écritures avec deux clefs et -un cachet, quʼil a dit être les pièces, papiers, clefs et cachet, -dont led, s<small><sup>r</sup></small> de Maizet, son père, -se servait comme greffier de lʼHôtel commun de lad. ville. » -Archives municipales, 26 octobre 1611. -</p> - - -<!-- Note 32 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_32" href="#fr_32">32</a> -Archives municipales, 15 janvier 1538. -</p> - - -<!-- Note 33 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_33" href="#fr_33">33</a> -Archives municipales, 16 janvier 1539. -</p> - - -<!-- Note 34 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_34" href="#fr_34">34</a> -Archives municipales, 13 novembre 1661. -</p> - - -<!-- Note 35 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_35" href="#fr_35">35</a> -Archives municipales, mars 1583. -</p> - - -<!-- Note 36 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_36" href="#fr_36">36</a> -<i>Philippidos libri duodecim</i>, lib. VIII. -</p> - - -<!-- Note 37 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_37" href="#fr_37">37</a> -<i>Rapport sur les fouilles du nouveau canal de lʼOrne</i>, -<i>à Caen</i>, -<i>relativement à lʼhistoire et à la géologie</i>, -par M. Gervais de Laprise, -28 floréal an IX. -Voir, parmi les manuscrits de la Bibliothèque de Caen, -le n° 169 in-folio. -</p> - - -<!-- Note 38 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_38" href="#fr_38">38</a> -<i>Recherches et antiquitez de la ville de Caen</i>, -édit. de 1588, p. 96. -</p> - - -<!-- Note 39 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_39" href="#fr_39">39</a> -Notice sur le <i>Port de Caen</i>, -dans les <i>Ports maritimes de la France</i>, -t. II, p. 409. -</p> - - -<!-- Note 40 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_40" href="#fr_40">40</a> -Les pièces inédites que nous citons, ou dont nous donnons des -extraits, ont été copiées aux archives municipales ou aux archives du -département du Calvados. La plupart de ces documents nous ont été -obligeamment communiqués par M. Houdan, -qui a réuni une nombreuse et -précieuse collection de notes sur les travaux du port de Caen. -</p> - - -<!-- Note 41 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_41" href="#fr_41">41</a> -Voici, sur le Poigneux, un renseignement inédit extrait des -archives municipales. « Lʼadministration ayant entendu la lecture -dʼune lettre à elle adressée par le sous-ingénieur provisoire de -vaisseaux du 4<small><sup>e</sup></small> arrondissement forestier, -en date du 18 de ce mois, -dans laquelle il demande quʼil soit nommé un expert pour procéder -à lʼestimation du chantier nommé le <i>Poigneux</i>, -nomme le c<small><sup>n</sup></small> Lair, -architecte de la commune, aux fins de régler conjointement avec -celui qui sera nommé par le c<small><sup>n</sup></small> Vesque, -fermier dudit terrein au -droit des pauvres de lʼhospice de lʼhumanité, -lʼindemnité qui peut lui être due pour dépôt fait des bois de la -marine, ce qui a empêché sa jouissance » -(Séance du 23 pluviôse an VI). -</p> - - -<!-- Note 42 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_42" href="#fr_42">42</a> -Notice sur le <i>Port de Caen</i> -dans le II<small><sup>e</sup></small> tome des -<i>Ports maritimes de la France</i>. -</p> - - -<!-- Note 43 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_43" href="#fr_43">43</a> -Plusieurs fragments de ce portail sont conservés au Musée des -Antiquaires. -</p> - - -<!-- Note 44 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_44" href="#fr_44">44</a> -Ms. in-4°, n° 120. -</p> - - -<!-- Note 45 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_45" href="#fr_45">45</a> -Ms. conservé à la Bibliothèque de Caen, in-fol., n° 104. -</p> - - -<!-- Note 46 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_46" href="#fr_46">46</a> -<i>L'ancienne Université de Caen</i>, broch., p. 15. -</p> - - -<!-- Note 47 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_47" href="#fr_47">47</a> -La première inhumation enregistrée par l'histoire eut lieu à -Saint-Étienne, le 23 novembre 1712. On y enterra, dans le sanctuaire, -le corps du sieur Charles Turpin, prêtre, professeur de philosophie au -collège Du Bois et recteur de l'Université de Caen. -(<i>Journal d'un bourgeois de Caen</i>.) -</p> - - -<!-- Note 48 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_48" href="#fr_48">48</a> -A propos du récit de l'inhumation de Charles Turpin, recteur de -l'Université de Caen, les éditeurs du -<i>Journal d'un bourgeois de Caen</i> -se font l'écho de cette lointaine rumeur: « Ce passage du journal, -écrivent-ils, est d'autant plus curieux qu'il est de tradition à Caen -que les funérailles d'un recteur, en fonctions au moment de son décès, -devaient être <i> semblables à celles d'un roi</i>, -et que, lorsque ce haut -dignitaire venait à tomber malade, le corps universitaire se -réunissait à la hâte pour élire son successeur, afin d'éviter les -énormes frais qu'eût entrainé son décès s'il n'avait pas été remplacé. -On dit même qu'un recteur, étant à la chasse, se tua exprès pour être -enterré <i>comme un roi</i>. » -</p> - - -<!-- Note 49 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_49" href="#fr_49">49</a> -<i>Mémoires sur l'Université de Caen</i>, -ms. in-fol. de la Bibliothèque de Caen, -n° 123, tome I. -</p> - - -<!-- Note 50 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_50" href="#fr_50">50</a> -<i>Essais historiques sur la ville de Caen</i>, -par l'abbé De La Rue, tome II, p. 150. -</p> - - -<!-- Note 51 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_51" href="#fr_51">51</a> -Ms. in-4° de la Bibliothèque de Caen, -n° 117, -feuillet 98. -</p> - - -<!-- Note 52 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_52" href="#fr_52">52</a> -Lʼancienne porte de lʼabbaye a été gravée dans le <i>Cours -dʼantiquités monumentales</i> de M. de Caumont; -on en connaît aussi quelques dessins inédits. -Mais la tour carrée, ou donjon, nʼa été -reproduite nulle part et ne figure, croyons-nous, que dans le dessin -de M. Le Nourichel et dans un fusain, très-inexact, -exécuté en 1812 par R. Le Baron-Delisle. -Ce fusain et la mine de plomb de M. Le Nouricbel -sont conservés à la Bibliothèque de Caen. -</p> - - -<!-- Note 53 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_53" href="#fr_53">53</a> -<i>Essais historiques sur la ville de Caen</i>, -par lʼabbé De La Rue, -tome I<small><sup>er</sup></small>, p. 290. -</p> - - -<!-- Note 54 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_54" href="#fr_54">54</a> -A côté des droits quʼelle exerçait, lʼAbbaye-aux-Dames avait -aussi quelques charges à supporter. Nous en citerons une à cause de sa -singularité. « Tous les ans, dit M. de Jolimont, la communauté -donnait, le jour de la Trinité, un grand dîner à tous les habitants -dʼune commune voisine (Vaux-sur-Seulles), et même à leurs domestiques, -sʼils avaient un an et un jour de domicile. Ils tenaient cet usage, -qui était devenu un droit acquis, de la générosité du seigneur -primitif, droit auquel la mutation de propriété de la commune en -faveur des religieuses nʼavait pu porter atteinte. Le repas était -servi sur des nappes étendues sur lʼherbe, et durait quatre heures. -Chaque convive avait un pain de 22 onces et un morceau de lard -bouilli dʼun pied carré, une ribelette de lard rôtie, -une écuellée de lait et du cidre ou de la cervoise à volonté. -La gaieté qui animait ces repas, -et qui dut souvent dégénérer en excès, la singularité et les abus -dʼune telle réunion dans un couvent de filles, et la crainte dʼune -surprise en temps de guerre, firent changer en 1657, non sans beaucoup -de difficulté, cette redevance en une rente de 30 livres au trésor de -la paroisse de Vaux, et en un service solennel le lendemain de la fête -de la Trinité, pour les défunts de la paroisse, auquel assistaient six -des habitants députés chaque année, -et qui seuls dînaient à lʼabbaye. » -</p> - - -<!-- Note 55 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_55" href="#fr_55">55</a> -<i>Essais sur Caen</i>, -par lʼabbé De La Rue, -t. II, p. 19, -</p> - - -<!-- Note 56 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_56" href="#fr_56">56</a> -Nouvelle édition de 1833, -page 6 de la 2<small><sup>e</sup></small> partie. -</p> - - -<!-- Note 57 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_57" href="#fr_57">57</a> -Huet, <i>Origines de Caen</i>. -</p> - - -<!-- Note 58 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_58" href="#fr_58">58</a> -Cette lettre a été publiée dans les « Documents inédits sur -lʼ<i>Histoire de France</i> »: -<i>Lettres missives de Henri IV</i>, -tome III, p. 3. -</p> - - -<!-- Note 59 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_59" href="#fr_59">59</a> -Anciens registres de lʼHôtel-de-Ville. -</p> - - -<!-- Note 60 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_60" href="#fr_60">60</a> -<i>Essais historiques sur la ville de Caen</i>, -t. I, p. 177. -</p> - - -<!-- Note 61 --> -<p class="indentNO pfs90"> -<a class="fn" id="fn_61" href="#fr_61">61</a> -Minute de lettre à M. de Gesves, -en réponse aux lettres du roi. -</p> - - -</div> - - - - -<div lang='en' xml:lang='en'> -<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>CAEN DÉMOLI</span> ***</div> -<div style='text-align:left'> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Updated editions will replace the previous one—the old editions will -be renamed. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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If any disclaimer or limitation set forth in this agreement -violates the law of the state applicable to this agreement, the -agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or -limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or -unenforceability of any provision of this agreement shall not void the -remaining provisions. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -1.F.6. 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Information about the Mission of Project Gutenberg™ -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of -electronic works in formats readable by the widest variety of -computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It -exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations -from people in all walks of life. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s -goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg™ and future -generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see -Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by -U.S. federal laws and your state’s laws. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, -Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up -to date contact information can be found at the Foundation’s website -and official page at www.gutenberg.org/contact -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread -public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine-readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. We do not solicit donations in locations -where we have not received written confirmation of compliance. To SEND -DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state -visit <a href="https://www.gutenberg.org/donate/">www.gutenberg.org/donate</a>. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -While we cannot and do not solicit contributions from states where we -have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition -against accepting unsolicited donations from donors in such states who -approach us with offers to donate. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -International donations are gratefully accepted, but we cannot make -any statements concerning tax treatment of donations received from -outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Please check the Project Gutenberg web pages for current donation -methods and addresses. Donations are accepted in a number of other -ways including checks, online payments and credit card donations. To -donate, please visit: www.gutenberg.org/donate -</div> - -<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'> -Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Professor Michael S. Hart was the originator of the Project -Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be -freely shared with anyone. For forty years, he produced and -distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of -volunteer support. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in -the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not -necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper -edition. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -Most people start at our website which has the main PG search -facility: <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. -</div> - -<div style='display:block; margin:1em 0'> -This website includes information about Project Gutenberg™, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. -</div> - -</div> -</div> -</body> - -</html> - diff --git a/old/68314-h/images/1_O.jpg b/old/68314-h/images/1_O.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 2f419bf..0000000 --- a/old/68314-h/images/1_O.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/68314-h/images/2_L.jpg b/old/68314-h/images/2_L.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index e16d51e..0000000 --- a/old/68314-h/images/2_L.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/68314-h/images/3_S.jpg b/old/68314-h/images/3_S.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 2e8e6cb..0000000 --- a/old/68314-h/images/3_S.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/68314-h/images/4_A.jpg b/old/68314-h/images/4_A.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index ac81971..0000000 --- a/old/68314-h/images/4_A.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/68314-h/images/5_C.jpg b/old/68314-h/images/5_C.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 09109ad..0000000 --- a/old/68314-h/images/5_C.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/68314-h/images/CD_BL_CoverCleanRed2.jpg b/old/68314-h/images/CD_BL_CoverCleanRed2.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index e72d867..0000000 --- a/old/68314-h/images/CD_BL_CoverCleanRed2.jpg +++ /dev/null diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL1_ScdHdV.png b/old/68314-h/images/CD_PL1_ScdHdV.png Binary files differdeleted file mode 100644 index 976f388..0000000 --- a/old/68314-h/images/CD_PL1_ScdHdV.png +++ /dev/null diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL1_end.png b/old/68314-h/images/CD_PL1_end.png Binary files differdeleted file mode 100644 index 6125cee..0000000 --- a/old/68314-h/images/CD_PL1_end.png +++ /dev/null diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL2_VuePort.png b/old/68314-h/images/CD_PL2_VuePort.png Binary files differdeleted file mode 100644 index 3328646..0000000 --- a/old/68314-h/images/CD_PL2_VuePort.png +++ /dev/null diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL3_AncEglStSauveur.png b/old/68314-h/images/CD_PL3_AncEglStSauveur.png Binary files differdeleted file mode 100644 index 53b1d41..0000000 --- a/old/68314-h/images/CD_PL3_AncEglStSauveur.png +++ /dev/null diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL3_end.png b/old/68314-h/images/CD_PL3_end.png Binary files differdeleted file mode 100644 index e62e55b..0000000 --- a/old/68314-h/images/CD_PL3_end.png +++ /dev/null diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL4_AncAbbDames.png b/old/68314-h/images/CD_PL4_AncAbbDames.png Binary files differdeleted file mode 100644 index b7c96f6..0000000 --- a/old/68314-h/images/CD_PL4_AncAbbDames.png +++ /dev/null diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL4_end.png b/old/68314-h/images/CD_PL4_end.png Binary files differdeleted file mode 100644 index 12f306e..0000000 --- a/old/68314-h/images/CD_PL4_end.png +++ /dev/null diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL5_PorteNeuve.png b/old/68314-h/images/CD_PL5_PorteNeuve.png Binary files differdeleted file mode 100644 index 6c07b26..0000000 --- a/old/68314-h/images/CD_PL5_PorteNeuve.png +++ /dev/null diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL_beg.png b/old/68314-h/images/CD_PL_beg.png Binary files differdeleted file mode 100644 index db628fd..0000000 --- a/old/68314-h/images/CD_PL_beg.png +++ /dev/null diff --git a/old/68314-h/images/Cover_LH.png b/old/68314-h/images/Cover_LH.png Binary files differdeleted file mode 100644 index 321c8d4..0000000 --- a/old/68314-h/images/Cover_LH.png +++ /dev/null |
