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-The Project Gutenberg eBook of Caen démoli, by Gaston Lavalley
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
-will have to check the laws of the country where you are located before
-using this eBook.
-
-Title: Caen démoli
- Recueil de notices sur des monuments détruits ou défigurés, et
- sur l'ancien port de Caen, avec 5 gravures, d'après des
- aquarelles de A. Lasne, et des dessins inédits de Le Nourichel
- et Ch. Pichon
-
-Author: Gaston Lavalley
-
-Release Date: June 14, 2022 [eBook #68314]
-
-Language: French
-
-Produced by: J.-M. Mariot from files generously made available by the
- British Library.
-
-*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CAEN DÉMOLI ***
-
-CAEN DÉMOLI
-
-
-CAEN
-
-DÉMOLI
-
-RECUEIL DE NOTICES
-
-SUR DES
-
-MONUMENTS DÉTRUITS OU DÉFIGURÉS
-
-ET SUR LʼANCIEN PORT DE CAEN
-
-Avec cinq gravures, dʼaprès des aquarelles de A. LASNE, et des
-dessins inédits de LE NOURICHEL et CH. PICHON
-
-PAR
-
-GASTON LAVALLEY
-
-CAEN
-
-IMPRIMERIE DE F. LE BLANC-HARDEL
-
-RUE FROIDE, 2 ET 4
-
-1878
-
-
-
-
-
-TABLE DES MATIÈRES.
-
-LE SECOND HOTEL DE VILLE DE CAEN, construit entre les années
-1346 et 1367, détruit en 1755
-
-LʼANCIEN PORT DE CAEN. Notice sur les travaux auxquels il a
-donné lieu
-
-ANCIENNE ÉGLISE SAINT-SAUVEUR (aujourdʼhui Halle au blé), avant
-la démolition de sa flèche en bois
-
-ABBAYE-AUX-DAMES (aujourdʼhui Hôtel-Dieu), avant la démolition du
-donjon et de lʼancienne porte dʼentrée
-
-LA PORTE-NEUVE, dite des Prés, construite vers 1590, démolie en 1790
-
-
-
-
-
-LE SECOND HOTEL DE VILLE DE CAEN
-
-[Illustration: SECOND HOTEL DE VILLE DE CAEN]
-
-LE
-
-SECOND HOTEL DE VILLE
-
-DE CAEN
-
-CONSTRUIT ENTRE LES ANNÉES 1346 ET 1367, DÉTRUIT EN 1755
-
-ON sait dans quelles circonstances la ville de Caen obtint ses lettres
-dʼaffranchissement, avec tous les droits attachés à la commune. Tandis
-que les troupes françaises faisaient la conquête de la
-Haute-Normandie, le duc Jean sans Terre, réfugié à
-Caen, sʼétourdissait sur les dangers de sa position au milieu des
-fêtes et des orgies. Mais, quand il se vit abandonné des barons
-anglais que lassait sa nonchalance, quand il apprit que Philippe
-Auguste sʼapprochait avec des forces nombreuses en prenant lʼun après
-lʼautre tous ses châteaux, le débauché, frappé de terreur, sortit
-enfin de sa longue inaction. Afin de subvenir à la solde des troupes
-mercenaires quʼil leva pour sa défense, il dut recourir aux plus
-pitoyables expédients. Il emprunta aux abbayes, aux barons et
-bourgeois, et vendit même jusquʼà la justice. Cependant,
-comme ces recettes ne suffisaient pas, il aliéna, en échange de sommes
-plus ou moins fortes, la majeure partie de ses droits. Et cʼest ainsi
-quʼil se résigna à écrire, dans ses lettres patentes du 17 juin 1203:
-« Sachez que nous avons concédé à nos bien amés et fidèles
-bourgeois de Caen le droit dʼavoir leur commune à Caen, avec toutes
-les libertés et libres coutumes attachées à la commune... »
-
-La ville de Caen ne doit donc pas, comme on lʼa dit, sa charte
-communale à Jean sans Terre; elle la lui a certes bel et bien payée,
-avec toute dispense de reconnaissance. Depuis cette date mémorable de
-1203 jusquʼà nos jours, les représentants de la commune de Caen ont
-siégé dans quatre hôtels de ville différents. Au commencement du XIIIe
-siècle, nous trouvons le corps de ville installé sur le pont
-St-Pierre, dans une petite forteresse quʼon appela plus tard le
-Chastelet ou le petit Château de Caen [1]. On nʼa aucune notion sur
-ces anciens bâtiments communaux, où furent enfermés en 1307,
-pendant leur procès, les Templiers du grand bailliage de Caen. Lʼabbé
-De La Rue dit cependant [2] « quʼil paraît, par le récit des
-historiens anglais, témoins oculaires de la prise de cette ville par
-Édouard III en 1346, que ce pont étoit moult bien afforcé de
-brétesches et de barrières. » « Ces brétesches, ajoute-t-il,
-nʼannoncent que des tours et des fortifications en bois.
-Mais comme elles furent emportées de vive force
-par les Anglais, elles durent souffrir beaucoup et peut-être même être
-rasées. » Cette assertion de lʼauteur des Essais sur Caen est tout à
-fait erronée. La petite forteresse du pont St-Pierre ne fut pas
-emportée de vive force, pour cette bonne raison quʼelle ne fut pas
-défendue. Le comte de Guines, connétable de France, et le chambellan
-de Tancarville, qui sʼy étaient réfugiés, la livrèrent à lʼennemi sans
-combat pour avoir la vie sauve. « Dont il avint, dit Froissard dans
-ses Chroniques [3], que li connestables de France et li contes de
-Tankarville, qui estaient monté en celle porte au piet dou pont a
-sauveté, regardoient au lonch et amont la rue, et veoient si grand
-pestilence et tribulation que grans hideurs estait à considerer et
-imaginer. Si se doubtèrent dʼeulz meismes que il nʼescheissent en
-ce parti et entre mains dʼarciers, qui point ne les cognuissent.
-Ensi que il regardoient aval en grant doubte ces gens tuer, il
-perçurent un gentil chevalier englès, qui nʼavoit cʼun œl, que on
-clamait monsigneur Thumas de Hollandes... » Or, comme ils ne
-voulaient pas avoir le sort du peuple qui mourait les armes à la main
-et, selon les Grandes chroniques de France, « se deffendoit tant
-quʼil povoit », le connétable et le chambellan appelèrent le « gentil
-chevalier englès », dont ils avaient fait la connaissance dans des
-voyages en pays étrangers. « Nous sommes telz et telz. Venés parler
-à nous en ceste porte, et nous prendés à prisonniers. Quant li dis
-messires Thumas oy ceste parolle,
-si fu tous joians, tant pour ce que il les pooit sauver que pour
-ce quʼil a voit, en yaus prendre, une belle aventure de bons
-prisonniers, pour avoir cent mil moutons. Si se traist au plus tost
-quʼil peut à toute se route celle part, et descendirent li et
-seize des siens, et montèrent amont en le porte; et trouvèrent
-les dessus dis signeurs et bien vingt cinq chevaliers avoecques eulz,
-qui nʼestoient mies bien asseur de lʼoccision que il veoient que
-on faisoit sus les rues. Et se rendirent (tous) sans delay, pour
-yaus sauver au dit monsigneur Thumas, qui les prist et fiança
-prisonniers. Et puis mist et laissa de ses gens assés pour yaus
-garder, et monta à cheval et sʼen vint sus les rues... »
-
-Il arriva donc quʼen voulant sauver leur vie, les sieurs de Guines et
-de Tancarville préservèrent en même temps dʼune destruction presque
-certaine la petite forteresse du pont St-Pierre. Si, quelques années
-plus tard, ce premier hôtel de ville disparut, pour faire place au
-beau château [4] que le continuateur de Guillaume de Nangis signale à
-la date de 1367, cʼest que la prise de Caen par Édouard III avait
-démontré, avec la logique brutale du malheur, la nécessité de protéger
-la ville par un système plus sérieux de fortifications.
-
-Un sceau, attaché à un acte passé devant un tabellion de Caen le 29
-mai 1429, est le plus ancien document que nous possédions sur le
-second hôtel de ville, qui dut être certainement construit entre les
-années 1346 et 1367. Cet écusson porte, sur un fond de gueules,
-couleur du duché, un château crénelé et donjonné dʼor, accosté de deux
-tours. M. Gervais y
-voit une réminiscence, si ce nʼest une image de la maison commune,
-élevée sur le pont St-Pierre. « Voilà bien, dit-il [5] cette large
-porte par laquelle on communiquait de lʼintérieur de la ville avec le
-quartier St-Jean; le donjon élevé qui la surmontait et les deux tours
-qui protégeaient de chaque côté les angles de lʼédifice! »
-
-Une description du vieux chroniqueur de Caen, M. de Bras, vient, plus
-dʼun siècle après, compléter cette esquisse imparfaite. « Ceste
-rivière dʼOurne coulle et descend de dessoubs ce pont sainct
-Jacques, le long des murailles de la ville, par dessoubs le pont
-sainct Pierre, sur lequel est située la maison commune de ladicte
-ville, de fort ancienne et admirable structure, de quatre estages
-en hauteur, en arcs boutans fondez dedans la rivière sur pilotins,
-laquelle flue par trois grandes arches, et aux coings de cest
-édifice et maison, sont quatre tours qui se joignent par carneaux,
-en lʼune desquelles (qui faict le befroy) est posée la grosse
-orloge: ceste quelle maison, pont et rivière, séparent les deux
-costez de la ville, de façon que les quatre murailles dʼicelle
-commencent, finissent et aboutissent sur ce pont, anciennement
-appellé de Dernetal, comme il se treuve par certaine chartre,
-estant au matrologe ou chartrier de la ville, de lʼan 1365. »
-
-« En passant par dessus lequel, ceux qui viennent de devers
-le grand pont Frilleux et la porte Millet, le long de ceste
-grande rue Humoise ou Exmesine, et autres qui sʼacheminent de
-lʼautre costé de ville, apperçoyvent de beaux
-quadrans au haut de ceste maison commune, fort dorez et si bien
-ordonnez quʼon y remarque les heures de part et autre, crois et
-decrois de la Lune; et au dessoubs sont escripts en grosses
-lettres, Un Dieu, Un Roy, Une Foy, Une Loy... »
-
-Cette description de M. de Bras demande à être complétée par lʼexamen
-du plan quʼil avait communiqué lui-même à Belleforest, et que celui-ci
-publia en 1575 dans sa Cosmographie. Sur ce plan, lʼhôtel de ville
-présente à lʼobservateur la vue de la façade qui regardait sur la rue
-St-Jean. Cette façade se compose dʼun corps de logis encadré entre
-deux tours rondes à trois étages, dont les toits pointus, terminés par
-des girouettes, dépassent légèrement celui du corps de logis [6]. Au
-centre de la façade sʼouvre une porte cintrée, très-haute, qui faisait
-communiquer la rue St-Jean avec le quartier St-Pierre; sur la voûte de
-cette porte sʼavance une petite construction en encorbellement,
-percée de trois fenêtres et couronnée dʼun toit aigu avec lucarne
-triangulaire. Enfin, au-dessus du toit du corps de logis, sʼélève une
-tour octogone à deux étages qui, sauf les créneaux supprimés,
-rappelle fidèlement la physionomie du château crénelé et donjonné dʼor
-de lʼécusson de 1429. Cʼétait dans cette tour, évidemment, que se
-trouvait la grosse orloge quʼapercevaient ceux qui, suivant
-lʼexpression de M. de Bras, venaient de la « grande rue Humoise
-ou Exmesine ou qui sʼacheminaient de lʼautre costé de ville. »
-Pour être vue ainsi à distance des
-deux côtés de lʼédifice, une des tours, qui formaient les angles de
-la façade tournée vers St-Pierre, devait dépasser considérablement les
-trois autres. Nous ajouterons quʼelle se terminait, non par un toit
-aigu, mais par deux étages couronnés dʼune plate-forme.
-
-Nous insistons sur ces détails, parce quʼils vont nous aider à faire
-la légende de la lithographie qui accompagne notre notice. Cette
-lithographie est la reproduction dʼune aquarelle de A. Lasne,
-exécutée elle-même en 1832, probablement dʼaprès un dessin à la mine
-de plomb que possède la Bibliothèque de Caen. Ce dessin, signé par un
-certain La Rose de Caen, a dû être fait avant la destruction de
-lʼhôtel de ville en 1755. Il représente la façade du monument prise
-du côté de St-Pierre, et porte en tête cette mention: « Horloge du
-Pont-Saint-Pierre de Caen, faite en 1314 et détruite le 15 mai 1755. »
-Cette note renferme deux erreurs; dʼabord, le second hôtel de
-ville de Caen ne fut point construit en 1314, mais, comme nous
-lʼavons déjà indiqué, entre les années 1346 et 1367; de plus, le
-dessin ne reproduit pas lʼédifice tel quʼil était à lʼorigine, mais
-dans lʼétat où le surprit, en 1755, le marteau des démolisseurs. Or,
-depuis le milieu du XIVe siècle jusquʼà cette époque, le second hôtel
-de ville avait subi, à différentes dates, des retouches et des
-modifications considérables, indiquées dʼailleurs par le dessin
-lui-même. Un des trois étages figurés sur le plan de Belleforest a
-disparu; les tours des angles de lʼédifice nʼen ont plus que deux;
-et le corps de logis, couronné maintenant par un fronton avec
-œil-de-bœuf, paraît sʼêtre aussi affaissé lui-même avec lʼâge.
-La construction en encorbellement qui sʼavançait
-au-dessus de la porte est remplacée par trois niches où apparaissent
-des images de saints et, plus haut, par une croisée à meneaux de
-pierre qui indique clairement une retouche de la fin du XVIe ou du
-commencement du XVIIe siècle. Et – changement plus significatif –
-au-dessus de cette fenêtre, sous lʼœil-de-bœuf du fronton, on
-aperçoit un simple cadran, de forme carrée, sans ornements et sans
-inscriptions. Quʼétaient donc devenus les « beaux quadrans dont
-parlait M. de Bras, fort dorez et si bien ordonnez quʼon y
-remarque les heures de part et autre, crois et decrois de la lune? »
-Il avaient eu le triste destin du beffroi primitif et avaient dû
-disparaître avec lui à une époque quʼil serait difficile de fixer
-aujourdʼhui. Nous savons toutefois que la tour du beffroi, terminée
-par deux étages octogones, avait été déjà décapitée à la date de
-1672; car le plan de Caen, dressé à cette époque par Bignon, figure
-lʼhôtel de ville flanqué de quatre tours rondes de même hauteur et
-couvertes également de toits aigus.
-
-Peu de temps après, entre 1672 et les dernières années du XVIIe
-siècle, cette ancienne tour du beffroi dut perdre son toit, qui fut
-remplacé par une balustrade en pierre ornée de trèfles, telle quʼon la
-voit sur le dessin dont nous donnons une reproduction. Ce changement
-est, en effet, indiqué sur le « plan de la ville de Caen, levé par
-Étienne, graveur, à la fin du XVIIe siècle. »
-
-Nous pouvons constater encore sur ce plan que le corps de logis de
-lʼhôtel de ville reposait sur la plus grande arche du pont St-Pierre;
-les deux autres arches, plus petites, passaient sous les tours qui
-flanquaient les angles de lʼédifice.
-
-Dès la deuxième moitié du XVIe siècle, lʼétat menaçant des piles du
-pont St-Pierre fut une cause fréquente dʼinquiétude pour les échevins.
-Après une visite des murailles de la ville ordonnée par M. de
-Matignon, lʼarchitecte Stéphane Dupérac, dans son rapport sur les
-travaux quʼil déclare urgents, émet, à la date du 2 novembre 1578,
-lʼavis suivant: « Est aussi fort nécessaire de refonder les piles
-de la Maison de Ville, autrement il en pourrait venir grand
-inconvénient, parce que ladite maison sʼest ouverte et ouvre à vue
-dʼœil journellement. » Le 7 juillet 1584, nouvel avertissement de
-Jean Bastan, maître maçon de la ville, qui trouve « quʼil est
-très-nécessaire réparer les arches du pont sur lequel est assise
-cette Maison de Ville, lesquelles sont proches de tomber en ruine,
-sʼil nʼy est promptement pourvu. »
-
-Malgré ces cris dʼalarme, le Conseil de la commune continua de
-délibérer encore pendant dix-huit ans dans lʼhôtel de ville lézardé.
-Plus intrépides que les sénateurs romains, qui se contentaient
-dʼattendre lʼennemi sur leurs chaises curules, les échevins
-bas-normands, résignés à aller au-devant de lui, pouvaient, pendant
-leurs séances, comme au coup de sifflet dʼun machiniste, disparaître
-subitement dans le troisième dessous, capitonné, il est vrai, par la
-vase accumulée de lʼOrne et de lʼOrlon réunis.
-
-Enfin, au mois de juin 1602, le péril devint assez sérieux pour
-décider les échevins à mettre un peu de prudence dans un héroïsme, qui
-nʼavait eu peut-être dʼautre cause que lʼapathie ou la routine. Ils se
-firent conduire dans une barque sous les arches du pont St-Pierre où
-ils vérifièrent eux-mêmes, à loisir, lʼétendue du mal. Il fut reconnu
-dans cette visite que
-la ruine du pont avait été en partie consommée par lʼinstallation de
-maisons particulières qui, dit le procès-verbal du 7 juin 1602,
-« sʼétoient suspendues contre les arches du pont. » Le même
-procès-verbal nous apprend quelles mesures de sûreté furent prises
-contre ces parasites dangereux. « ... A été ordonné, dit-il, que
-tous les propriétaires des maisons proches et contiguës dudit pont
-et hôtel commun de ville, et desquelles le bois est porté et
-enclavé sur les arches dudit pont et murailles de la ville,
-répareront ce qui est endommagé et qui requiert réparation, au
-droit de leurs maisons; et que lesdits gouverneurs échevins de ville
-feront de leur part travailler à la réparation de la grande arche... »
-
-Lʼancien hôtel de ville péchait par la base, mais cʼétait là son
-moindre défaut; car, après les travaux de consolidation qui y furent
-exécutés, nous voyons quʼil fut sérieusement question de le remplacer
-pour une raison qui nous est indiquée par lʼintendant Foucault dans
-ses Mémoires. « Jʼai mandé à M. de Châteauneuf, écrit Foucault à
-la date du 28 mars 1689, que la demande que les échevins de Caen
-faisaient au roi de la maison du sieur de Brieu, religionnaire
-qui a quitté le royaume, pour en faire un hôtel-de-ville, me
-paroissoit très-favorable, nʼy ayant point de lieu à Caen pour
-tenir les assemblées publiques... » Il ressort de cette note que
-lʼédifice du pont St-Pierre était depuis longtemps regardé comme
-beaucoup trop étroit. Cet inconvénient nʼapparut jamais plus
-clairement quʼà la date du 4 novembre 1608, lorsquʼil fallut convoquer
-une assemblée générale des habitants de Caen, pour prononcer sur
-lʼadmission ou le rejet des Jésuites. « Cette assemblée fut si
-nombreuse, dit lʼabbé
-De La Rue [7], quʼon ne put la tenir à lʼHôtel-de-Ville, et les
-délibérans se transportèrent dans la grande salle des procureurs du
-bailliage. Ce local, quoique vaste, étoit encore insuffisant; car,
-suivant les mémoires du temps, les votans étoient au nombre de plus
-de 3,000. »
-
-Lʼédifice du pont St-Pierre était même trop exigu pour contenir les
-convives dʼun repas officiel. Cʼest ainsi que le 16 janvier 1679, à
-lʼoccasion des fêtes pour la paix entre le roi de France et le roi
-dʼEspagne, nous voyons le maire et les échevins obligés dʼemprunter
-la maison dʼun riche particulier. « La compagnie, disent les anciens
-registres de la ville, sʼest rendue chez le sr Daumesnil, dont elle
-avoit emprunté la maison, pour donner un souper, auquel se sont
-trouvées toutes les personnes de qualité. »
-
-Lorsque le nombre des invités était trop grand pour quʼon pût les
-convoquer dans la maison dʼun particulier, les maire et échevins
-durent quelquefois, comme en 1729, faire construire une grande salle
-en charpente. « Le divertissement quʼun chacun prist à voir
-lʼillumination, dit une brochure très-rare du temps [8], conduisit
-insensiblement jusquʼà lʼheure du souper que lʼHôtel-de-Ville donna,
-et auquel furent invités les plus qualifiés dʼentre les nobles et
-les bourgeois. Monsieur de Jumilli, chef de cet illustre corps,
-au discernement duquel on doit tout ce quʼil y eut de galant et de
-bien ordonné dans ceste feste, avoit fait bastir
-sur le boulevard de la Prairie une grande sale de chapente; sa
-longueur était dʼenviron 60 pieds sur 25 de largeur et 20 de
-hauteur, le sol était couvert de planches attachées sur des
-lambourdes en manière de parquet; tout le tour était descoré de
-plusieurs rideaux de verdure dont deux entrouverts, dans un ordre
-parfaitement cimétrisés, formoient une grande grotte ou berceau,
-dans lʼenfoncement duquel était un buffet chargé de tout ce que le
-bon goût peut inventer de plus commode pour le service de tels
-conviés; le plafond de cette sale était fait avec des toiles
-blanches si bien assemblées quʼil imitait parfaitement les plafonds
-ordinaires; de ce plafond pendaient deux rangs de lustres garnis de
-bougies dont la lumière, réfléchie par les cristaux, reproduisait
-lʼéclat. Les endroits où il nʼy avait point de verdures étaient
-couverts de très-belles tapisseries représentant lʼhistoire de
-Samson, etc. »
-
-Les dépenses, que lʼon dut faire en cette occasion, amenèrent sans
-doute la ville à penser quʼelle réaliserait une sérieuse économie en
-transportant le siége de la commune dans un local, dont les
-dimensions la dispenseraient dʼélever des constructions provisoires et
-ruineuses. En effet, trois ans après les fêtes données pour la
-naissance du Dauphin, il y eut un arrêt du Conseil de la municipalité
-(13 avril 1733) relatif au déplacement de lʼHôtel de Ville. Ce
-déplacement suivit de près la délibération, sʼil faut en croire une
-note manuscrite [9] qui dit, à la date du 15 mai 1755, « quʼil y
-avait plus de vingt ans que lʼHôtel-de-Ville tenait ses assemblées
-au Grand-Cheval. »
-
-Cependant, quoique la ville eût déjà fait lʼacquisition du
-Grand-Cheval ou hôtel Le Valois (aujourdʼhui la Bourse), le pont
-St-Pierre ne fut pas abandonné brusquement par les représentants de la
-cité. Quelques services y restèrent et le carillon de la fameuse
-horloge continua de sʼy faire entendre jusquʼen lʼannée 1755. Cette
-année-là, le 3 février, le Bureau des Finances, par une sentence des
-plus iniques, dit un contemporain, que cette mesure indignait, ordonna
-la destruction de lʼancien édifice du pont St-Pierre. M. Mauger,
-avocat du roi à lʼHôtel de Ville, nous a conservé [10] le prononcé de
-cette sentence avec quelques commentaires irrités.
-
-« ... Et attendu quʼil résulte des faits contenus dans les
-procès-verbaux, quʼil est au moins douteux que le pont (St-Pierre)
-soit solide; quʼil est certain, dʼun autre côté, que le passage est
-trop étroit et dangereux; que dʼailleurs les différens plans et
-projets produits et proposés par les maire et échevins sont
-insuffisans pour procurer un élargissement convenable, nous avons
-ordonné que les bâtimens étant sur led. pont seront démolis dans
-trois mois du jour de la signific. de la présente, faute de quoi,
-après led. temps passé, il y sera pourvu, ainsi quʼil appartiendra.
-
-« Cette sentence signifiée le 15 dud. mois de févr. 1755, on a
-fait assembler le général (cʼest-à-dire lʼassemblée générale du
-corps de ville) le 25 dud. mois pour avoir son avis sur lʼappel.
-Mais les uns furent sollicités par M. lʼIntendant, et les autres
-intimidés de sa part, en sorte quʼil
-nʼy eut que huit voix pour lʼappel, dont jʼétais du nombre, en
-sorte quʼil a fallu acquiescer... »
-
-Trois mois après, comme le voulait lʼarrêt, le condamné fut livré à
-ses bourreaux; des bruits sourds se firent entendre..... la justice
-des démolisseurs était satisfaite!.... Lʼœuvre de destruction dut
-être poussée avec activité; car une note dʼun sieur Étienne Deloges
-[11], échevin, nous apprend que les maisons qui remplacèrent lʼédifice
-du pont St-Pierre étaient déjà bâties en 1756.
-
-Le second hôtel de ville de Caen renfermait dans son beffroi une
-horloge si remarquable que lʼensemble de lʼédifice en prit dans
-lʼusage le nom de Gros Horloge. Dans une de ses lettres, datée du 1er
-octobre 1699, le P. Martin envoyait à Huet, qui préparait son livre
-des Origines de Caen, un quatrain où lʼâge de lʼhorloge communale est
-établi comme par un acte authentique de lʼétat civil. « Voici, lui
-dit-il, un quatrain qui se trouve gravé sur le timbre de notre
-gros horloge, dont notre P. Labé a fait augmenter les
-accompagnements:
-
-Puisque la ville me loge
-
-Sur ce pont pour servir dʼauloge
-
-Je feray les heures ouïr
-
-Pour le commun peuple réjouir.
-
-Mʼa faite Beaumont lʼan mil trois cents quatorze. »
-
-
-Cette horloge primitive sʼest conservée depuis cette date jusquʼà la
-destruction du second hôtel de ville, en 1755. Toutefois, elle ne
-traversa point les âges sans subir de profondes
-modifications qui font un peu ressembler son histoire à celle
-du couteau de Jeannot. Déjà, au mois de juin 1537, les pièces de la
-vénérable horloge se trouvaient si endommagées que le conseil de la
-commune se vit obligé de voter une somme de dix écus dʼor pour les
-réparations les plus urgentes. Le procès-verbal de cette séance est à
-citer tout entier; car il contient le premier renseignement
-authentique sur lʼétat de la fameuse horloge dans la première moitié
-du XVIe siècle.
-
-« Est comparu Denis Ollivier, serrurier, natif et demeurant en la
-paroisse St-Pierre de Caen, qui a présenté requête par laquelle il
-suppliait être commis pour lʼavenir au gouvernement et
-entretenement de lʼhorloge de la ville, assise sur le pont
-St-Pierre, dont de présent a la charge Marin Paulon. Laquelle
-horloge est assez mal conduite, gouvernée et entretenue par led.
-Paulon, tant à cause de son antiquité et faiblesse que à cause que
-les roues et autres instruments en sont rompus et usés. Offrant led.
-Ollivier prendre lad. charge aux gages accoutumés, montant 20
-livres chacun an, et de la moitié dʼiceux en laisser jouir, led.
-Paulon sa vie durant. Ordonné que icelle charge sera baillée aud.
-Ollivier, si prendre la veut, par les moyens, qui ensuivent, cʼest
-à savoir quʼil refera et réparera tout ce entièrement quʼil est
-requis faire en lad. horloge et cadrans dʼicelle, pour être en bon
-ordre et état du et pour lʼavenir les conduira et entretiendra en
-toutes choses. Et par semblable, les tinterelles, si la ville y en
-veut ajouter et faire faire, bien et dûment, ainsi quʼil sera
-requis, aux coûts, charges et dépens dud. Ollivier, parce que
-icelle ville
-lui paiera comptant la somme de 10 écus dʼor, pour lui aider à
-refaire, réparer et remettre en état du lesd. horloge et cadrans,
-sans que led. Ollivier soit sujet à la peinture dʼiceux. »
-
-Il faut croire que le métier de gouverneur de lʼhorloge réservait plus
-dʼun mécompte à ceux qui sʼétaient chargés de son entretenement; car
-nous voyons en 1592 un sieur Robert Régnier adresser aux échevins, à
-plusieurs reprises, une requête dans laquelle il mettait en avant son
-grand âge et ses infirmités, afin dʼobtenir quʼon lui donnât un
-successeur. Les échevins eurent pitié de son sort, et, pour se
-lʼattacher, portèrent ses gages à 30 écus [12], non toutefois sans
-quelques conditions.
-
-« Sera tenu led. Régnier faire en sorte que lʼhorloge soit
-toujours bien réglée et que les cadrans de lʼun et de lʼautre côté
-de lʼhôtel commun de ville marquent certainement les heures; aussi
-que les globes ou lunes, qui étaient par ci-devant sur lesdits
-cadrans et qui en sont de présent hors, après quʼelles y auront été
-remises aux frais et dépens de la ville, seront par après par lui
-entretenus en usage, pour marquer certainement la nouvelle et
-pleine lune, décours ou croissant dʼicelle, comme elles faisaient
-par ci-devant, etc., etc. [13] »
-
-Tous les torts nʼétaient peut-être pas du côté de lʼhorloge, qui se
-vieillissait, et lʼon peut supposer, sans être accusé de construire
-trop légèrement des hypothèses, que la vénérable mécanique nʼavait pas
-reçu les soins délicats quʼexigeait son grand âge. Le gouvernement de
-lʼhorloge nʼavait, en effet, été confié jusque-là quʼà des serruriers
-de la ville. Le soupçon, que nous manifestons, dut naître dans
-lʼesprit des échevins eux-mêmes, puisquʼils se décidèrent, en 1597, à
-faire venir un horloger du Poitou. Cet horloger, appelé Loys Demarque,
-passa marché avec la ville « pour faire sonner les quarts et
-demi-heures à lʼhorloge et sʼengager à fournir huit cloches qui
-rendront sons et tons différents [14]. » « Loys Demarque, dit M.
-Auguste Leroy [15], disposa les roues de manière que le remontage des
-poids ne se fit plus quʼune fois par jour, puis remplaça le carillon
-de Jean Labbé par huit tinterelles neuves, dont la plus grosse pesait
-200 livres. Il leur fit jouer, aux heures, le premier vers de lʼhymne:
-Veni Creator Spiritus; aux demies: Inviolata, integra et casta es
-Maria; et aux quarts: O benigna. Demarque employa deux mois à faire
-ce travail, avec lʼaide de quatre compagnons, et reçut pour solde une
-somme de 48 écus. Après lui on confia son œuvre aux soins du sieur
-Dodemare, bourgeois de Caen, qui sʼétait fait recevoir maître
-horloger. »
-
-Depuis ce travail exécuté en 1597, il nʼest plus trace, dans les
-anciens registres de lʼHôtel de Ville, de perfectionnements apportés
-au mécanisme de lʼhorloge. On nʼy trouve que la
-mention de réparations quelquefois assez importantes, comme celle dont
-il est question dans la délibération du 1er juin 1624:
-
-« Sur ce que Michel Coquerel, fondeur de cloches, qui a fait
-alleu de refondre et raccommoder les tinterelles faites pour les
-demies et quarts de lʼhorloge, a dit quʼil est besoin lui fournir
-trois ou quatre cents livres de métal, pour ce quʼil fait une
-petite cloche plus quʼil nʼy en avait. Il a été arrêté que du
-nombre dʼune pièce de canon, qui fut cassée lors de lʼarrivée du
-sr maréchal dʼAncre en cette ville, il en sera pris trois ou quatre
-cents livres, et soixante livres dʼétain, qui sera acheté, pour
-rendre la besogne parfaite, etc. »
-
-Ainsi, vingt-sept ans seulement après les travaux exécutés par
-lʼhorloger Poitevin, on était obligé de remplacer les tinterelles
-quʼil avait posées en 1597. Si les pièces de lʼhorloge sʼusaient en
-si peu de temps, il est présumable quʼil ne devait rester que bien peu
-de chose de lʼhorloge primitive lorsquʼon ordonna la démolition du
-beffroi en 1755.
-
-Bien quʼelle eût été pour ainsi dire complètement remplacée, par suite
-de réparations fréquentes, la vieille machine ainsi renouvelée avait
-conservé tout son prestige aux yeux de certains esprits, qui ont le
-goût et le respect des choses dʼautrefois. Voici par exemple un
-contemporain, lʼavocat Mauger, qui nous a fait parvenir, dans une
-note manuscrite, comme un écho de son indignation: « Le misérable
-carillon de lʼhorloge, dit-il [16], chanta pour la dernière fois le
-Regina cœli le 15 mai 1755, à six heures du matin, et le quart
-avant sept heures. Cette horloge a duré 441 ans en état de servir;
-et lʼédifice, qui est sur le pont, va aussi être démoli, au grand
-regret de toute la ville.
-
-Épitaphe de lʼhorloge:
-
-CY GIST QUI PAR SON SERVICE
-
-MÉRITOIT UN MEILLEUR SORT.
-
-CʼEN EST FAIT; VICTIME DU CAPRICE
-
-DARNETAL NE VIT PLUS, IL EST MORT!
-
-JUIN 1755. »
-
-On avait cependant conservé le bronze qui servait de timbre pour
-lʼhorloge et de cloche communale. Cette cloche avait mêlé sa voix au
-bruit des événements heureux ou malheureux qui, durant quatre siècles
-et demi, avaient agité la ville. Si nous avions son histoire, nous
-aurions en même temps celle de Caen; mais il nous reste là-dessus peu
-de documents. En voici un, toutefois, qui ne manque pas dʼintérêt.
-
-« A été fait venir en ladite maison de ville, dit un procès-verbal
-de février 1562, Robert Regnier, du métier de serrurier, demeurant
-près le pont et maison de ville, pour savoir de quelle autorité il
-avait cejourdʼhui mis un battail à lʼhorloge de cette ville. Lui
-juré de dire vérité et interrogé, a dit que, pour les troubles que
-lʼon ventile être préparés, il se peut être que lʼon pourrait
-commander être sonné une alarme, qui est accoutumé être fait et
-sonné par lad. cloche de lʼhorloge, et pour éviter que sonnant lad.
-alarme il ne fût offensé de quelque coup dʼarquebuse, il
-avait demandé un battail de lad. maison de ville et de ce avait
-parlé à M. Dumoulin, lʼun des gouverneurs, et pour cette occasion
-avait pendu led. battail en lad. cloche, disant quʼil ne voudrait
-avoir entrepris aucune chose contre le bien de lad. ville et était
-prêt descendre led. battail. »
-
-Le sieur Regnier, malgré ses protestations, dut sembler quelque peu
-suspect, puisque nous voyons quʼun an après environ [17] on fit
-« défense, sous peine de la vie, dʼouvrir ou faire ouvrir à personne
-lʼhuis de la porte de lʼhorloge, sans exprès commandement des
-gouverneurs. »
-
-Dʼailleurs, quand les troubles religieux ou civils se prolongeaient,
-les gouverneurs de Caen, sʼils se défiaient des sentiments des gens de
-la commune, mettaient en interdit lʼhorloger et la cloche elle-même du
-beffroi. Et au nom du roi, représenté par son lieutenant, la sonnerie
-de lʼéglise St-Pierre était priée de faire lʼintérim. Cʼest du moins ce
-qui ressort de ce passage des anciens registres de la ville, à la date
-du 26 juin 1593: « Arrête quʼil sera fait ordonnance à M.
-Richard de La Brousse, prêtre, custos de lʼéglise de St-Pierre, de la
-somme de six écus, pour son salaire dʼavoir sonné la cloche pour la
-retraite des bourgeois, afin quʼils ne divaguent et soient trouvés
-par les rues, après neuf heures sonnées, suivant quʼil a été
-ordonné par M. de La Verune, et qui est à raison dʼun écu par
-mois. »
-
-Outre les suspensions dont il était menacé pendant les troubles,
-lʼinfortuné gouverneur de lʼhorloge se voyait quelquefois exposé, dans
-des temps paisibles, à payer des
-dommages-intérêts quand la vieille machine, dont il avait la direction,
-venait à commettre quelque bévue bien excusable à son âge. Cʼest ainsi
-quʼon trouve dans les archives municipales, à la date de 1579, « une
-plainte contre le gouverneur de lʼhorloge, attendu que laditte
-horloge ayant sonné sept heures quand il nʼen était que cinq, des
-maçons et des couvreurs quittèrent leur travail, ce qui causa un
-préjudice à celui qui employait ces ouvriers. »
-
-Plus tard, lorsque les guerres, religieuses ou civiles, eurent cessé,
-le « gouvernement et entretenement » de lʼhorloge furent moins
-onéreux. Pour quelques soins dʼentretien, lʼhorlogeur, comme disent
-les archives municipales à la date du 9 juin 1732, était exempté du
-logement des gens de guerre, ce qui équivalait pour le temps à un
-traitement très-acceptable. La cloche quʼil sonnait dʼailleurs ne
-jetait que rarement lʼalarme dans la ville; elle retentissait surtout
-pour annoncer des fêtes; et cʼétait du beffroi de lʼHôtel de Ville que
-partait le signal qui mettait en branle toutes les cloches des
-couvents et des églises [18].
-
-Cette cloche, qui avait joué un rôle si important dans lʼhistoire de
-Caen, ce précieux souvenir subsistait encore en 1808. Mais le premier
-empire, se souciant peu sans doute de conserver un bronze qui
-rappelait les franchises communales de lʼancienne France, ordonna de
-fondre la cloche historique, sous prétexte dʼoffrir à [19] lʼéglise
-St-Pierre une sonnerie plus à la mode.
-
-Nous avons dit précédemment quʼà partir de la seconde
-moitié du XVIe siècle, il avait été souvent question de remplacer la
-maison commune du pont St-Pierre par une autre construction plus vaste
-et plus solide. Mais, avant que ce projet eût été réalisé, les
-échevins durent abandonner plusieurs fois, malgré eux, le second
-Hôtel de Ville. Ce premier exil leur fut imposé par le maréchal de
-Brissac à la suite des troubles religieux qui avaient éclaté à Caen en
-1562. Quoique le calme fût depuis longtemps rétabli dans la ville, le
-Maréchal donna aux échevins lʼordre de lui céder la maison commune
-pour y établir un corps de garde. On était au 8 septembre 1563; le
-corps de ville se réunit, délibère et arrête « quʼune députation sera
-envoyée au Maréchal pour lui remontrer lʼinconvénient de transporter
-les meubles et un nombre infini dʼécritures, touchant le bien et
-revenu de la ville, et la difficulté de trouver une autre maison... »
-Le maréchal de Brissac ne se laissant pas toucher par de si bonnes
-raisons, les échevins déclarent à M. de Bourgueville, lieutenant
-particulier, quʼils ne quitteront la maison commune quʼaprès avoir
-fait un inventaire en présence du bailli ou de son lieutenant. LʼHôtel
-de Ville servait, en effet, tout à la fois dʼarsenal et de magasin de
-dépôt. Peu de mois auparavant, à lʼépoque du sac de la ville par les
-Protestants, le commis des administrateurs de lʼHôtel-Dieu y avait
-apporté un calice en argent, deux calices en vermeil et une croix en
-argent avec le crucifix; dʼautres ornements dʼéglise, provenant de
-St-Étienne et de St-Pierre, y avaient été déposés vers le même temps;
-et toute une salle contenait le plomb que les Protestants, suivant un
-rapport erroné de M. de Bras, auraient arraché aux toitures de
-lʼabbaye de
-St-Étienne [20]. On y trouvait aussi des armes diverses, des fusils [21]
-et deux canons pacifiques qui ne faisaient entendre leur voix que dans
-les cérémonies publiques, fêtes anniversaires, entrées de princes et de
-souverains [22].
-
-Dès quʼils eurent appris ce qui se passait à lʼHôtel de Ville, le
-prieur de lʼabbaye de St-Étienne et les trésoriers de St-Pierre
-accoururent et réclamèrent leurs ornements dʼéglise. On proposa à lʼun
-des échevins de recueillir chez lui les autres objets; mais, comme il
-refusait dʼaccepter la responsabilité dʼun tel dépôt, M. de
-Bourgueville, sieur de Bras, qui présidait à lʼinventaire du mobilier,
-remit les clefs « au mestre de camp des vieilles bandes de
-Piémont, à ce commis par M. de Brissac, le requiérant de nʼôter,
-ni transporter aucune chose dʼicelle maison de ville. »
-
-Le conseil était bon à donner, mais difficile à suivre, pour des
-soldats qui devaient être portés à considérer comme des rebelles les
-magistrats dont ils prenaient la place. Ils furent probablement
-contenus dʼabord par le maréchal de Brissac, qui était aussi juste que
-brave; malheureusement le duc de Bouillon, en prenant le commandement
-après la mort de Brissac, apporta un esprit dʼintolérance qui pouvait
-servir dʼexcuse aux excès des gens de guerre placés sous ses ordres.
-Voici, en effet, dans quels termes le duc de Bouillon sʼadressa aux
-échevins dès quʼil fut arrivé à Caen:
-
-« Il est enjoint et commandé aux échevins de la ville de Caen de
-fournir et bailler au corps de garde du pont St-Pierre le nombre de
-six bûches, six fagots, douze chandelles de trois deniers pièce et
-tel nombre de tourbes qui puisse garder le feu pour allumer les
-mèches jour et nuit, le tout par chacun jour, à commencer le 1er
-oct. et finir le 31 mars. Et le reste de lʼannée, sera réduit à la
-moitié.
-
-« Davantage ordonnons quʼil sera baillé aux soldats de la garnison
-de cette ville vingt chambres près et à lʼentour du pont St-Pierre
-pour les loger, parce que ceux qui fourniront lesd. chambres ne
-bailleront aucune chose, mais sera le linge, vaisselle et lits,
-fourni par égalité par les autres bourgeois et habitants de lad.
-ville [23]. »
-
-Tel était le langage que tenaient les représentants de lʼordre aux
-bons bourgeois quʼon venait sauver malgré eux. Les actes ne le
-cédèrent pas aux paroles. Huit jours après lʼordonnance du duc de
-Bouillon, le conseil de la commune était obligé de prendre des mesures
-pour réparer les dégâts commis par les soldats, chargés de protéger la
-ville contre ses passions subversives.
-
-« Il a été avisé sur ce qui a été ventilé et averti que les
-soldats, faisant la garde sur le pont St-Pierre, font grandes
-démolitions en la maison sur led. pont, tant aux planchers quʼaux
-couvertures de lad. maison, que M. de Laguo, gouverneur en cette
-ville et château, sera de ce averti, même que le lieu sera vu et
-visité par les gouverneurs, présence de M. le Lieutenant, pour, ce
-fait et le procès-verbal vu,
-être ordonné sur les réparations qui seront trouvées nécessaires,
-ainsi quʼil appartiendra. »
-
-Tandis que ces défenseurs de la propriété démolissaient les planchers
-et les charpentes de lʼédifice du pont St-Pierre pour les vendre ou en
-faire du feu, les élus de la cité, chassés du lieu ordinaire de leurs
-séances, délibéraient à tour de rôle les uns chez les autres, en
-attendant quʼils eussent trouvé un Hôtel de Ville provisoire. Ils
-sʼinstallèrent enfin, vers le milieu de lʼannée 1565, dans une maison
-appelée Parc-le-Roi et qui était bâtie sur des terrains voisins de
-lʼendroit où se trouve aujourdʼhui le passage Bellivet. Ils y
-restèrent exilés jusquʼau 15 mai 1572. A cette date, une ordonnance du
-maréchal de Montmorency ordonna « que la maison de ville serait
-rendue aux maire et échevins... pour en jouir comme ils faisaient
-auparavant les troubles. »
-
-Malgré cette promesse, lʼHôtel de Ville fut de nouveau occupé par les
-soldats du roi, en 1574: on permit toutefois aux « bourgeois
-habitants de la ville de continuer à y tenir leurs assemblées. » Les
-échevins acceptèrent cette communauté dʼhabitation, mais avec
-certaines précautions. Sʼils consentirent à risquer leurs personnes,
-ils eurent soin de laisser leurs papiers, registres, vaisselles et
-argenterie dans la maison du Parc-le-Roi, quʼils avaient confiée à la
-garde du greffier de lʼHôtel de Ville. Ils avaient oublié
-malheureusement que leur greffier était lui-même sous la garde des
-défenseurs de lʼordre, venus pour protéger les habitants contre leurs
-propres égarements. Or, il arriva quʼun beau matin le greffier et son
-fils furent assaillis dans leur lit par « des gens de guerre, soldats
-ou autres, comme il est écrit dans les anciens registres de
-lʼHôtel de Ville [24], ayant lʼarquebuse et feu à mèche, lesquels
-se sont efforcés de rompre lʼhuis du dépensier pour avoir, comme ils
-disaient, de la vaisselle, afin de la porter « en une taverne pour
-leur servir à dîner. »
-
-Une troisième fois, les maire et échevins de Caen eurent le privilège
-dʼêtre protégés dʼune façon analogue en 1589, pendant les troubles
-de la Ligue. Cette fois, ils furent tout à fait mis à la porte de la
-maison commune et obligés de délibérer chez des particuliers jusquʼà
-leur rentrée, à la date du 12 janvier 1590. Mais, avec le temps,
-le Gouvernement se poliça et apprit lʼart de commettre sans brutalité
-des violences dites légales. Dès lʼannée 1610, nous voyons le pouvoir
-central remplacer à Caen les représentants élus de la cité par des
-créatures du Gouvernement [25]. Cʼest ce que nous appelons aujourdʼhui
-une commission municipale, procédé que lʼon pourrait croire
-dʼinvention toute moderne et qui devrait, au contraire, figurer dans
-lʼinventaire du vieux-neuf si spirituellement dressé par M.
-Fournier.
-
-Quand on leur laissait la libre possession de leur Hôtel de Ville, les
-échevins nʼétaient pas encore à lʼabri des tracasseries du
-Gouvernement. Il y avait souvent assez dʼennuis attachés à leurs
-fonctions pour quʼils préférassent lʼobscurité de la vie privée au
-relief décevant de la vie publique. Aussi arrivait-il quelquefois
-quʼon les obligeât à exercer leur charge malgré
-eux. En 1563, par exemple, une sentence du bailliage condamne « les
-sieurs Lebrethon et Anger, élus, à exercer la charge dʼéchevins,
-malgré leur refus, et à prêter serment, ce à quoi ils seront
-contraints par la prise de leurs corps et biens [26]. » Même dans
-des temps moins troublés, comme dans la période du XVIIe siècle, il
-sʼélevait à tout instant des conflits entre le pouvoir central, qui
-imposait exceptionnellement une ville écrasée déjà par les taxes
-ordinaires, et les représentants de la cité, qui défendaient leur
-caisse avec lʼénergie du désespoir.
-
-Les échevins ne perdaient dʼailleurs jamais une occasion de se
-plaindre. Ainsi, en 1602, le Roi eut la maladresse de leur adresser
-des lettres closes, pour leur demander conseil sur le fait des
-monnaies. « Elle leur ordonne, disaient ces lettres, écrites à
-Poitiers le 25 mai, donner avis de ce qui se pourrait faire pour
-empêcher la rareté quʼon voit en ce royaume des monnaies dʼor et
-dʼargent au coin et armes de France, et sʼil est expédient donner
-cours en son dit roy. aux monnaies étrangères. » Les échevins
-sʼempressent de convoquer les notables habitants de la ville pour leur
-lire les lettres du Roi en présence du procureur de Sa Majesté. Et
-quand cette formalité est accomplie, ils rédigent, séance tenante,
-une réponse où la critique la plus vive des actes du Gouvernement se
-cache sous les apparences du plus profond respect. « Ouï sur ce
-plusieurs propositions et avis des assistants, disaient les échevins
-[27], a été trouvé bon quʼil
-soit remontré à Sa Majesté, avec leur humilité et obéissance,
-que la rareté dʼor et dʼargent, qui est si grande entre ses
-sujets, vient de ce quʼils sont contraints en fournir plus quʼils
-ne peuvent pour les nécessités des affaires de Sa Majesté, pour
-lesquelles, comme il est vraisemblable, lʼor et lʼargent au coin
-et armes de France est transporté aux étrangers, qui le retiennent
-comme le meilleur; et sont les choses venues à ce point quʼentre
-les plus aisés, y en a si grande rareté que, pour leurs menues
-affaires, ils sont contraints stipuler de payer ceux desquels ils
-se servent en blé, cidre, bestiaux ou quelques autres denrées,
-quʼils peuvent avoir de leur cru ou industrie. Occasion de quoi
-Sa Majesté est très-humblement suppliée que, pour éviter quʼils ne
-soient encore réduits en plus grande extrémité, il lui plaise leur
-donner quelque diminution des levées de deniers de toute sorte, qui
-se font sur eux, et cependant continuer le cours en son royaume de
-toutes espèces dʼor et dʼargent quelles quʼelles soient, pour leur
-juste et légitime valeur... »
-
-Avec leur finesse normande, les administrateurs de Caen avaient deviné
-quʼon ne les consultait si poliment aujourdʼhui sur la question des
-monnaies que pour leur en réclamer demain impérieusement. Et, sans
-doute, tout en donnant une leçon spirituelle au pouvoir, ils avaient
-espéré éloigner cette menaçante échéance.
-
-Malheureusement, lorsquʼil nʼosait plus réclamer de la ville des
-secours en argent, le Gouvernement les exigeait en nature. En 1626,
-peu de temps avant le siége de La Rochelle, le sieur du Carlo,
-ingénieur de Sa Majesté, est envoyé
-à Caen pour obliger les échevins à « acheter trois vieux vaisseaux
-et les faire conduire à leurs dépens à lʼîle de
-Ré pour le service de Sa Majesté et pour lʼutilité du
-public... [28]. »
-
-Ce public arrivait bien là comme des excuses après le coup de bâton
-qui vous a assommé! En 1626, on demandait de vieux vaisseaux; au
-mois dʼoctobre 1647, on exige des habits neufs. « Il a été apporté,
-disent les anciens registres de lʼHôtel de Ville, des lettres de
-cachet, données à Fontainebleau le 13 de ce mois, par lesquelles Sa
-Majesté mande et ordonne aux sieurs Echevins de lʼassister de 500
-paires dʼhabits complets, consistant en pourpoint long en forme de
-justaucorps, haut et bas de chausses, de drap le plus propre à
-résister à lʼinjure du temps, avec des bonnets et autant de paires
-de souliers, et de faire que ces habillemens et chaussures soient
-de trois grandeurs, un quart pour des hommes de la plus grande
-taille, autant pour des plus petits et la moitié pour des moyens,
-et que le tout soit fourni dans la fin du présent mois ès mains de
-ceux qui en auront ordre de Sa Majesté, pour les faire
-transporter en ses armées. Arrêté quʼaprès les publications dʼusage,
-il sera fait adjudication au rabais de la fourniture de 250 paires
-dʼhabits et que remontrances seront faites au Roi et à Nosseigneurs
-de son Conseil pour être la ville déchargée de la fourniture des
-autres 250 paires, attendu sa grande misère et surcharge de lad.
-taxe. »
-
-Ce fut surtout en 1659 que les échevins durent repousser,
-avec lʼéternel argument tiré des malheurs de la ville, un des plus
-terribles assauts que la caisse municipale ait jamais eu à soutenir.
-Il sʼagissait dʼun don gratuit à lʼoccasion du mariage du Roi. Les
-archives de la ville, à la date du 12 septembre 1659, nous
-apprennent ce que Louis XIV entendait par un don gratuit.
-
-« Sur la lecture faite en cet Hôtel commun de Lettres de cachet du
-Roi, du 6 août dernier, mises ce matin ès mains des sieurs Echevins
-par M. du Boullay Favier, intendant en cette généralité, par
-lesquelles Sa Majesté demande à cette ville, en don gratuit, la
-somme de 50,000 liv. pour les frais du mariage du Roi; après avoir
-envoyé lʼhuissier de la ville vers M. le Lieutenant général, pour
-le convier de se trouver en cet Hôtel commun, lequel a rapporté que
-led. sr était absent, il a été arrêté quʼil sera écrit par
-lʼordinaire de ce jour à Son Altesse, pour a supplier de vouloir
-interposer son autorité pour faire réduire et modérer lad. somme de
-50,000 liv. à quelque somme modique, vu les grandes charges de
-cette ville et de lʼimpuissance où elle est de fournir lad. somme. »
-
-Trop heureux encore les échevins quand on leur permettait de
-marchander ainsi avec le pouvoir; celui-ci imposait le plus souvent
-sans discussion, et, quand il nʼy avait plus rien à prendre dans les
-caisses vides, il jetait en prison le receveur de la ville, comme nous
-lʼapprend une délibération du 17 novembre 1640, où lʼon voit que
-lʼaprès-midi sʼest passée à la poursuite de la délivrance de M.
-du Taillis, emprisonné au Château pour le paiement de la
-subsistance des gens de guerre du présent quartier dʼhiver. »
-
-Pour apitoyer ces bourreaux dʼargent, les échevins mettaient
-quelquefois en action le proverbe, qui prétend que les petits cadeaux
-entretiennent lʼamitié. « Il a esté conclu, disent les anciens
-registres au 1er avril 1567, quʼils (les échevins) se présenteront
-vers M. de Brunville, lieutenant général, pour lui parler des
-priviléges de la ville..., et que, en faveur du mariage de la
-fille dudit sieur lieutenant, il sera délivré aux nopces une pièce
-de vin doux... » Ces sortes de dépenses étaient même portées
-régulièrement sur le budget de la ville; ainsi, dans lʼétat des
-finances du 1er mai 1679, on trouve inscrits par estimation 300
-livres « pour vins et confitures de présent », avec cette
-condition toutefois « quʼil ne pourra être donné à chaque personne
-plus de deux douzaines de bouteilles de vin et deux douzaines de
-boîtes de confitures. »
-
-Lʼimportance des cadeaux variait cependant suivant le rang des
-personnages et la protection que la ville pouvait en attendre. Cʼest
-ainsi que, lors du mariage de M. du Quesnay Le Blais, lieutenant
-général, on remplaça le vin ou les confitures par des présents plus
-sérieux.
-
-« Pour triompher de la joie que la ville reçoit dud. mariage le
-jour dʼhier célébré, disent les anciens registres de juillet 1637,
-il a été arrêté que le sr de Bretteville Rouxel, échevin, et de
-Bauches, syndic, assistés de Beaussieu, greffier, iront saluer
-led. sr lieutenant général et dame son épouse, à laquelle ils
-porteront, de la part de la ville, une table de linge fin à haute
-lisse.
-
-« Cette conclusion a été exécutée led. jour après midi et
-consistait lad. table de linge en un grand doublier de cinq
-aunes, en un petit de trois aunes et deux aunes de large
-chacun, en deux douzaines de serviettes et deux serviettes à laver,
-qui fut acheté chez M. Graindorge, me façonneur de haute lisse le
-plus expert de cette ville, et coûta 300 liv., de laquelle lesd. sr
-et dame furent grandement contents et en remercièrent la ville. »
-
-Nous avons essayé de reconstituer, à lʼaide de dessins originaux et
-dʼanciens manuscrits, la vue extérieure du second Hôtel de Ville de
-Caen, et indiqué rapidement les exils et les tribulations que les
-échevins eurent à subir depuis la construction de cet édifice jusquʼà
-sa démolition en 1755. Nous allons, avec les mêmes guides, entrer
-dans lʼintérieur de la maison commune du pont St-Pierre. Voici dʼabord
-sur la cheminée de la salle des délibérations un buste du souverain
-régnant, usage que notre siècle a conservé et qui semble remonter
-assez loin dans le passé. Les anciens registres disent en effet, à la
-date du 11 septembre 1679: « Il a été accordé à Jean Postel,
-sculpteur de cette ville, lʼexemption de tout logement de gens de
-guerre et contributions dʼustensile, en considération des services
-par lui rendus à la ville et notamment de ce quʼil a fait un buste
-représentant la personne du Roi, à présent régnant, pour placer
-sur la corniche de la cheminée de cet Hôtel commun; pour lequel
-il sʼest seulement contenté des frais par lui faits, ayant remis
-volontairement à la ville ses peines et travaux. »
-
-De la salle des délibérations le regard sʼétendait de deux côtés sur
-une vue ravissante. « Et, dit M. de Bras dans ses Recherches et
-antiquitez de Caen, de la haute salle de ceste maison où se font les
-assemblées et conventions publiques,
-lʼon voit au droict de la rivière, vers lʼOrient, arriver les
-navires venans de la mer, chargez de précieuses et rares
-marchandises que lʼon descend à lʼendroit de dix grands quaiz du
-quartier de lʼIsle... Et par les fenestres et croisées de lʼautre
-costé, lʼon a un plaisant regard sur les prais, et une
-perspective et veuës des plus plaisans et agréables
-paisages quʼon puisse voir. »
-
-La maison commune de Caen ressemblait un peu trop malheureusement à
-ces petits appartements que lʼon montre aux locataires, en les
-conduisant aux fenêtres qui sʼouvrent sur de vastes squares, ou sur
-les jardins des grands hôtels du voisinage. Son unique salle, qui
-devait servir tant aux réunions du conseil quʼaux réceptions
-officielles, ne pouvait contenir les quarante convives du dîner du
-mercredi des cendres, que lʼon donnait aux notables qui avaient
-assisté à lʼélection des administrateurs de la ville [29]; aussi les
-échevins en étaient-ils réduits souvent à offrir une simple collation,
-comme cela se fit le 23 juin 1652 pour les comtes de Dunois et de
-Saint-Pol, qui avaient accepté lʼinvitation de mettre le feu au bûcher
-de la St-Jean sur la place St-Pierre. « Quelque peu de temps après,
-disent les anciens registres de la ville [30], leurs d. Altesses
-ayant témoigné être prêts de se mettre
-à table pour faire collation, laquelle était préparée dans led.
-Hôtel de Ville, il leur avait été présenté par les srs de Rotot et
-de Sannerville, 1er et 2e échevin, deux serviettes mouillées pour
-laver leurs mains, et après se seraient mis à la table dans deux
-chaires où il y avait des carreaux de velours cramoisi, ayant
-devant eux leurs cadenas et couverts ordinaires; et parce quʼil
-nʼavait été mis sur lad. table que quatre couverts, pour M. de
-Chamboy et ceux auxquels Son Altesse ordonnerait de sʼasseoir,
-MM. de la ville ayant fait dessein de ne sʼy mettre pas afin de
-faire mieux les honneurs de la ville et témoigner plus de respect
-à leurs Altesses, M. le comte de Dunois aurait pris la parole et
-dit quʼabsolument il ne mangerait point si lesd. sieurs ne se
-faisaient apporter des couverts et des siéges pour se mettre à
-table et faire collation avec lui. A quoi ayant été résisté
-longtemps par led. sr de Tilly, échevins et officiers de lʼHôtel de
-Ville, enfin Son Altesse leur aurait dit quʼelle désirait que cela
-fût et quʼelle était venue pour boire avec eux: à quoi ayant obéi
-ils auraient pris leurs places et M. le comte de Dunois, après
-avoir mangé quelque temps, avait dit hautement quʼil fallait boire
-la santé du Roi, et sʼétant fait donner du vin et de lʼeau et à
-M. le comte de Saint-Pol, son frère, ils se seraient levés debout
-dans leurs chaires et mis lʼépée nue à la main, et, en cette
-position, auraient bu la santé de Sa Majesté et cassé leurs verres,
-témoignant un grand zèle et affection à son service, ayant même
-fait tirer du château à cet effet plusieurs coups de canon; en
-quoi ils avaient été invités par M. Lejeune, fils de M. de
-Chamboy, qui avait
-accompagné leurs Altesses, et ensuite M. de Chamboy avait aussi bu
-la santé de Sa Majesté, ainsi que toute la Compagnie. »
-
-Le petit édifice du pont St-Pierre était si étroit que le greffier
-lui-même ne pouvait y demeurer et quʼil emportait à son domicile la
-plupart des registres, pièces, clefs et cachets qui nʼauraient jamais
-dû sortir de lʼHôtel de Ville [31]. Lʼhuissier de la ville seul y
-avait un logement. Plusieurs pièces servaient, comme nous lʼavons déjà
-vu, dʼarsenal et de magasins. Dans une des quatre tours, qui
-flanquaient les angles de lʼédifice, se trouvaient des cachots
-destinés aux gens arrêtés le soir par le guet, et où lʼon devait
-« les mettre jusques au Jour, dit M. de Bras, et les rendre à la
-justice sans en prendre aucune congnoissance, et par le juge
-ordinaire en est faict le procez et ordonné de telle punition qui
-appartient au cas. »
-
-M. de Bras nous dorme encore quelques détails intéressants sur le
-corps de garde qui était placé sous le pont St-Pierre. « Le sieur
-capitaine dudict Caen, écrit-il, pour garder les habitans en
-patience la nuict, doibt commettre un mareschal de guet pour obvier
-aux bruits de nuict, et quʼil ne se commette aucuns larcins ny
-insolences. Lequel mareschal convoque à ceste fin les Bordiers,
-cʼest-à-dire locataires qui nʼont maison et ne sont bourgeois, en
-nombre suffisant; et estans soubs le pont sainct Pierre, dict de
-Dernetal, qui est la maison de ville, et en temps dʼhyver doibt
-avoir du feu et chandelle en une lanterne haut eslevée, et sʼil se
-faict quelque bruit, ledict mareschal et aucuns des siens sʼy doibt
-transporter, et se saisir de tels mutins... »
-
-Malgré lʼexiguïté de leur Hôtel de Ville, les échevins trouvaient
-encore le moyen de sʼy entourer de quelques locataires. Ainsi nous
-voyons, dans les anciens registres, un cordonnier « requérir lui être
-baillé et délaissé une petite place vide entre lʼune des tours du
-pont St-Pierre et le coin de la muraille tendant aux Carmes, en
-laquelle place soullait avoir un appentif servant dʼouvroir... » [32];
-en 1075, cʼest une demande de permission « pour establir de la
-mercerie sur le pont St-Pierre »; en 1577, une autre demande
-« pour y establir des fruitages »; en 1578, une requête dʼun
-sieur Charles de Bourgueville (était-ce un parent de M. de Bras?)
-pour « étaler sa marchandise sur le même pont. » Les échevins
-retiraient souvent plus dʼennuis que de profit des autorisations
-quʼils accordaient, comme cela est prouvé par une délibération du 21
-mai 1580, qui mentionne quʼil « était advenu grand désordre et
-scandale par deux femmes, lʼune lingère et lʼautre rubannière,
-auxquelles avait été par ci-devant permis prendre place sur le pont
-St-Pierre, sous cette maison de ville, pour vendre les ouvrages de
-leurs métiers, sous espoir quʼelles sʼy comporteraient en tout
-honneur et modestie... »
-
-La description de lʼancien Hôtel de Ville de Caen serait
-incomplète si, après avoir montré ce quʼil était en temps ordinaire,
-nous nʼessayions pas de donner une idée de la physionomie quʼil
-prenait pendant les jours de fête.
-
-Lorsquʼun nouveau gouverneur de la ville et du château faisait son
-entrée à Caen, on plaçait aux fenêtres de la maison commune quatre
-armoiries, savoir: celles du roi, du gouverneur, de la province et de
-la ville. Le corps de ville allait le saluer à lʼhôtel où il était
-descendu. Le premier échevin lui faisait le compliment dʼusage avant
-de lui présenter les clefs de la ville, que le gouverneur acceptait et
-renvoyait par son écuyer. Si le gouverneur était marié, le corps de
-ville se présentait de nouveau à son hôtel pour saluer sa femme, et,
-après le départ des échevins, lʼhuissier de la ville présentait à la
-femme du gouverneur le vin, deux douzaines de boîtes de confitures,
-avec une corbeille garnie de quantité de rubans et remplie de six
-bourses. Le lendemain ou surlendemain de lʼentrée du gouverneur, le
-corps de ville, assemblé pour le recevoir, sortait de la maison
-commune, « précédé de lʼhuissier ordinaire avec sa toque de
-velours, et des six sergents royaux et sergent général avec leurs
-écharpes, ayant un trompette à la tête » pour se rendre en lʼhôtel
-du gouverneur. Après lʼavoir salué, il lʼaccompagnait à la maison
-commune, où le gouverneur prenait séance au bout de la table, « dans
-un fauteuil dans lequel il y avait un carreau de velours. »
-
-Cʼest ainsi, du moins, que les choses se passèrent le 1er avril
-1680, lors de lʼarrivée du comte de Coigny, récemment nommé
-gouverneur des ville et château de Caen.
-
-On se mettait naturellement en frais lorsquʼil sʼagissait dʼun
-souverain ou dʼun prince de lʼÉglise, surtout quand le
-roi, comme il le fit lors de lʼentrée du cardinal de Farnèse, se
-donnait la peine dʼécrire « par ses lettres missives aux échevins de
-la ville quʼils eussent à lui faire en icelle réception honorable
-[33]. »
-
-Alors on faisait peindre des emblèmes, des écussons et des tableaux
-allégoriques quʼon suspendait aux murs de lʼHôtel de Ville, tant du
-côté de St-Pierre que du côté de la rue St-Jean. Puis, cʼétaient des
-illuminations et le vin qui, pendant plusieurs heures, coulait
-abondamment par les fenêtres pour le peuple.
-
-Le 16 janvier 1679, à lʼoccasion de la paix qui venait dʼêtre signée
-entre le roi de France et le roi dʼEspagne, « pour marquer la joie
-publique, le beffroi était orné de tapis et dʼun étendard avec
-plusieurs branches de laurier, dont on sonna la grosse cloche dès 4
-heures du matin, et lʼHôtel de Ville, dʼun grand tableau de chaque
-côté avec plusieurs écussons, éclairés de plusieurs flambeaux, dont
-lʼun représentait sa Mté à cheval, couronnée par un ange, foulant
-aux pieds et terrassant la Guerre, la Discorde et lʼEnvie; et
-lʼautre, la Paix descendant du ciel en terre, dans un char de
-triomphe, tiré par des amours, précédé de la Renommée et y
-apportant lʼabondance. »
-
-Le sujet des tableaux variait suivant la circonstance qui donnait lieu
-à la fête. Le 11 août 1659, « pour le mariage du roi, disent les
-anciens registres, le vin de lʼHôtel de Ville coula, du côté de
-St-Pierre, par deux canaux faits exprès dans le tableau du Dieu
-dʼHyménée. » Et, quelque deux
-ans après, lorsquʼon fit des réjouissances publiques pour la
-naissance du Dauphin, il y eut une distribution de vin au peuple par
-une fontaine qui sortait dʼun dauphin, figuré à lʼune des fenêtres de
-lʼHôtel de Ville [34].
-
-On croirait volontiers que ces peintures décoratives, appropriées aux
-circonstances, devaient entraîner pour la ville des dépenses
-considérables; mais un Mémoire des dépenses faites pour lʼentrée du
-duc de Joyeuse [35] nous montre que les nécessités du budget avaient
-créé à Caen un genre nouveau quʼon pourrait appeler la peinture
-économique: « des tableaux de 12 pieds sur 8 nʼy sont cotés que 6,
-8 et 10 écus. » La place, comme on le voit, ne manquait pas aux
-artistes pour se mettre en frais dʼimagination; mais il est probable
-quʼils en donnaient à la ville pour son argent.
-
-
-
-
-LʼANCIEN PORT DE CAEN
-
-[Illustration: LʼANCIEN PORT DE CAEN]
-
-LʼANCIEN PORT DE CAEN
-
-NOTICE HISTORIQUE
-
-SUR LES TRAVAUX AUXQUELS IL A DONNÉ LIEU
-
-LE port de Caen est aussi ancien que la ville. Dès lʼan 1026, il
-avait assez dʼimportance pour que la dîme des produits de sa douane
-fût attribuée par Richard II, comme une donation sérieuse,
-à lʼabbaye de Fécamp. Au temps du duc Guillaume, sa prospérité fut
-encore augmentée par la conquête de lʼAngleterre, qui amena
-nécessairement un échange de productions entre la Normandie et le
-royaume nouvellement conquis.
-
-Jusque-là, les navires nʼavaient eu pour principale station que le
-cours du Grand-Odon, depuis lʼendroit où cette rivière se jetait dans
-lʼOrne, cʼest-à-dire vers le point où est actuellement le pont des
-Abattoirs, jusquʼau pont de Darnetal, appelé plus tard pont St-Pierre.
-
-La première amélioration du port fut entreprise par le
-duc Robert, fils de Guillaume le Conquérant, vers lʼannée 1104. Après
-avoir renforcé lʼOdon dʼune branche de lʼOrne, à laquelle la postérité
-reconnaissante a conservé le nom de canal du duc Robert, le duc fit
-creuser à lʼOdon un nouveau lit dans la prairie St-Gilles, pour
-lʼélargir et le rejeter un peu plus haut dans lʼOrne, vers le lieu
-quʼon appelle encore le rond-point. Grâce à ces travaux, des bâtiments
-plus forts purent remonter jusquʼau pont St-Pierre.
-
-Ils y vinrent en si grand nombre que, quelque dix ans après cette
-première amélioration, la vue du mouvement du port excitait
-lʼadmiration dʼun certain Raoul Tortaire, moine de lʼabbaye de
-St-Benoît-de-Fleuri (Loiret), qui nous a laissé une curieuse relation
-en vers latins du voyage quʼil avait fait en Normandie, à une date
-quʼon peut fixer dʼune manière certaine entre les années 1107 et
-1113.
-
-« Le port, dit-il dans son poëme, donne asile à quelques gros
-vaisseaux que lui envoie la mer, dont les ondes, dans leur flux,
-suspendent presque entièrement le cours de la rivière. Ce sol,
-fécond en moissons, ne connaît pas lʼombrage des forêts; la noix
-gauloise, le raisin, la figue et lʼolive lui manquent; mais lʼîle
-Britannique lʼenrichit des produits divers du commerce et de ce
-quʼenfantent les terres baignées par la mer dʼOccident. »
-
-Ébloui et tenté par le nombre et lʼéclat des étoffes de laine de
-diverses couleurs, des tissus de lin dʼune rare finesse, des soies
-moelleuses à trame serrée, et des autres marchandises quʼon débarque
-sur le quai, le bon moine sʼécrie naïvement: « A la vue de tant de
-richesses apportées des pays les plus divers par des hommes, dont
-les vêtements sont si disparates,
-je me sens tout agité et horriblement malheureux de ne
-pas avoir dʼargent! ».
-
-Ces brillants produits de lʼOrient, qui faisaient regretter au bon
-religieux ses vœux de pauvreté, étaient échangés contre le blé,
-lʼorge, le hareng salé qui servait à lʼapprovisionnement des places
-fortes, et aussi contre les pierres à bâtir tirées des carrières de
-Vaucelles et de St-Julien.
-
-Au XIIIe siècle, lʼaffluence des « navires chargés de toute sorte de
-marchandises » est encore affirmée en vers latins, par Guillaume Le
-Breton [36], historiographe de Philippe-Auguste. Mais le mouvement du
-port dut singulièrement se ralentir pendant les malheurs de la guerre
-de Cent-Ans, les troubles de la Ligue du bien public et les
-dévastations des guerres de religion. Durant cette longue période de
-désastres, aucune amélioration nouvelle ne fut, on le comprend,
-apportée à la situation du port.
-
-Cependant, il en eût exigé dʼurgentes; car, tandis que le pays
-commençait à se débarrasser de ses ennemis, le port de Caen subissait
-un autre genre dʼinvasion qui devait compromettre sa fortune et le
-menacer dʼune ruine prochaine. Lʼhistoire du port, à partir du XVIe
-siècle, ne se compose guère, en effet, que de la relation des
-envasements successifs de lʼOrne, des projets quʼon proposa et des
-travaux qui furent tentés pour remédier à cet état périlleux pour la
-navigation. Ces envasements redoutables tenaient à la nature des
-terrains où lʼOrne sʼétait creusé son lit capricieux. Le sol des
-prairies de Caen jusquʼà la mer nʼest, en effet, que le
-produit des matières que lʼeau de la rivière et le flux des marées
-avaient successivement déposées dans lʼancienne baie. Des fouilles,
-exécutées à la fin du XVIIIe siècle pour creuser le nouveau canal de
-lʼOrne, ont donné lieu à des découvertes qui sembleraient prouver que
-cette alluvion ne sʼest pas accomplie avec la lenteur que met
-habituellement la nature dans son patient travail des siècles. Telle
-est, du moins, lʼopinion dʼun observateur du temps, qui pense que le
-sol de lʼancienne baie de Caen se serait exhaussé de 6 mètres environ
-depuis la fin du IIe siècle de notre ère [37]. On comprendra aisément,
-après cette explication, que dans un terrain si mobile, composé de
-tangue, de coquilles, de sable et de bois pourris, le double mouvement
-des eaux de la rivière et du flux de la mer ait formé dans le lit de
-lʼOrne, dʼailleurs trop sinueux, les atterrissements qui ont fait,
-jusquʼà nos jours, le désespoir des navigateurs. Les plaintes répétées
-des marins et des négociants de Caen qui réclamaient des travaux
-dʼamélioration, les fins de non-recevoir des maire et échevins de la
-ville, qui approuvaient les lamentations de leurs administrés sans
-pouvoir cependant trouver dans leur caisse vide les moyens efficaces
-de les consoler, les nombreux projets et plans proposés, tant par des
-particuliers que par des ingénieurs, pour porter remède au mal, la
-mauvaise volonté du Gouvernement qui, la plupart du temps, faisait la
-sourde oreille, quelques commencements dʼexécution, trop souvent
-interrompus par la guerre ou par le manque de fonds, formeraient un
-chapitre intéressant de lʼhistoire administrative du temps.
-Nous allons essayer de lʼécrire.
-
-La seconde amélioration qui fut apportée à la rivière dʼOrne, depuis
-les travaux du duc Robert, date du règne de François Ier. Profitant de
-la présence du grand sénéchal, lieutenant du Roy dans la ville, les
-officiers et gouverneurs de Caen « luy firent entendre, dit M. de Bras
-[38], que la rivière dʼOurne, qui flue par ceste ville, estoit fort
-sineuse et tortue depuis le havre dʼOistreham jusques en ceste
-ville, et que les navires qui flottoyent par icelle estoyent fort
-retardez, et les matelos en peine dʼattendre le changement de vent
-et marée, devant quʼils abordassent les quaiz de ceste ville qui
-estoit une grande incommodité pour les marchands. Toutefois quʼil y
-avoit un endroit en la prairie, au bas du hamel de Longueval, lequel
-nʼestoit pas de grande longueur, et que si lʼon y faisait une
-tranchée on abrégeroit le cours de la rivière de plus dʼune grande
-lieuë, et que cʼestoit lʼendroit auquel les navires commençaient
-dʼalonger leur chemin et en peine dʼattendre changement de vent ou
-marée. Ayant ledict seigneur entendu ces remontrances, il sʼy
-transporte et gens experts et maritimes, et ayant trouvé par leur
-advis que une trenchée se pouvait aisément faire en cest endroit,
-et que elle estoit bien nécessaire pour la commodité des habitans et
-marchands forains, il en fut fait faire un devis. »
-
-Le Roi autorisa le travail par des lettres patentes du 4 mai 1531, et
-un canal, long de 640 toises, fut achevé avec un
-plein succès au mois dʼoctobre de la même année. Le 29 juin 1564,
-le trésorier général de Caen proposa au conseil de la commune un
-ingénieur « nommé le capitaine Foullon, lequel pourrait
-entreprendre faire la rivière dʼOrne navigable... » Ce nʼétaient
-pas les ingénieurs qui manquaient, mais les fonds; et la ville refusa.
-
-Il y avait décidément abondance dʼingénieurs sur la place; car, sous
-le règne de Henri III, le 26 mars 1580, le lieutenant général François
-dʼO écrit aux échevins quʼil leur envoie un nommé Louis de Foix,
-ingénieur expérimenté qui a conduit les travaux du havre de Bayonne,
-pour voir sʼil serait possible de créer un port à Caen, et, si cela
-nʼétait pas praticable à Caen, de visiter le littoral pour choisir un
-autre emplacement.
-
-Les échevins répondent (30 mars) que, dʼaprès lʼavis du sr de Foix,
-« il se pourra faire commodément en cette d. ville un des plus
-beaux havres de France... et quʼil sera trop mieux pour le bien et
-utilité de tout le pays en cette d. ville que en nul autre lieu de
-votre Gouvernement. »
-
-Mais entre lʼacceptation dʼun projet, dont une ville doit tirer
-avantage, et le paiement des dépenses quʼil entraînera, il y a plus
-loin quʼentre la coupe et les lèvres. Dès le 4 avril, cʼest-à-dire
-quatre jours après leur lettre de remercîment à M. dʼO, les échevins
-envoient au gouverneur de Caen un délégué chargé de lui dire, entre
-autres choses, que « lʼentreprise de faire un havre en lad. ville
-est œuvre royale, et digne dʼun grand roi tel que le nôtre et non par
-des habitans de lad. ville et gens du pays, pour la pauvreté et
-peu de moyens dʼicelui. »
-
-Nous ne savons si les échevins fondaient de grandes espérances sur
-lʼefficacité de ces flatteries, et sʼils pensaient obtenir à si peu de
-frais la réalisation des vœux quʼils formaient pour lʼétablissement
-dʼun port. Toutefois, ils crurent nécessaire dʼajouter à leurs
-injonctions verbales des recommandations écrites, que nous trouvons
-dans une lettre du 29 avril.
-
-« Pour le fait du havre, disaient-ils à M. dʼO, nous vous
-supplions, si cʼest votre plaisir, que la confection dud. havre
-vint de la volonté et mouvement du Roi, plutôt que nous
-baillassions requête par écrit, car nous craindrions que, le port
-étant commencé à notre requête, sʼil advenait que les États ne
-consentissent faire la levée des deniers et quʼil ne plût à Sa Mté
-les faire lever, quʼon ne nous contraignît à le faire achever à nos
-dépens, chose à quoi toute la ville ne pourrait satisfaire, comme
-étant chose hors notre pouvoir, sans lʼassurance que nous avons de
-la bonne volonté que portez à cette votre ville et à tout le pays. »
-
-Les échevins avaient une si grande confiance dans la bonne volonté des
-représentants du pouvoir central, quʼils nʼosaient accepter leurs
-bienfaits que sous bénéfice dʼinventaire. La lettre que leur répondit,
-à ce sujet, M. dʼO montrera si leur défiance était justifiée.
-
-« Messieurs, leur répondit le lieutenant du Roi, après avoir trempé
-sa plume dans une encre légèrement mélangée de vinaigre, jʼai vu par
-votre lettre les doutes que vous faites dʼacheminer la construction
-du havre et vous trouve tellement refroidis que je connais assez que
-vous nʼen avez guère envie; mais, ne lʼayant désiré que pour votre
-bien
-et de toute la patrie, si vous ne vous en souciez guère, je
-mʼen veux encore moins mettre en peine et ne vous en parlerai plus à
-lʼavenir. »
-
-La mauvaise humeur souligne chaque mot de cette réponse.
-On y voit le dépit quʼéprouve un fonctionnaire qui nʼeût pas été fâché
-dʼoffrir au Roi un nouveau port, créé aux frais dʼune population que
-ruinaient les taxes de guerre. Mais les échevins de Caen devinèrent le
-but quʼon poursuivait et, avec toute la politesse imaginable, ils
-surent faire à leur gouverneur lʼapplication du vieux dicton qui dit:
-« A Normand Normand et demi. »
-
-Comme le manque dʼargent empêchait les échevins de Caen de lutter
-contre lʼenvasement de leur rivière, ils eurent tout le loisir de
-défendre celle-ci contre un autre genre dʼennemi quʼils signalèrent à
-M. de Joyeuse, amiral de France, dans une curieuse requête du mois
-dʼavril 1584. « Comme ainsi soit que depuis quatre à cinq ans, le
-sieur de Saint-Victor, votre lieutenant au siége dʼOuistreham, ait
-entrepris de visiter et arrêter les navires partant de cette ville
-ou arrivant en icelle, chose non jamais auparavant accoutumée ni
-pratiquée en cette ville, ni en autres ports ou rivières de ce
-royaume, étant chose suffisante dʼêtre visités et les rapports être
-faits au lieu où la marchandise est descendue et le certificat
-sʼadresse davantage, les pilotes qui étaient volontaires et en
-grand nombre, desquels, lorsquʼils voyaient un navire à la mer,
-allaient au-devant pour le piloter à lʼentrée et amont la rivière,
-ont été par lui réduits au nombre de quatre, auxquels seuls il
-permet de piloter, lesquels exigent par ce moyen quatre fois plus
-quʼil nʼétait
-accoutumé, et leur a défendu de piloter lesd. navires jusquʼà ce
-que lui soient allé demander congé dʼentrer, qui contraint lesd.
-matelots descendre leur esquif ou petit bateau pour, étant à terre,
-aller trouver le sieur de Saint-Victor, qui se tient près dʼune
-lieue loin de lad. embouchure, lui demander pilote et congé dʼentrer
-et porter leurs certificats et chartes parties, dont est arrivé la
-perte de quatre ou cinq navires, depuis led. temps, lesquels,
-faute dʼêtre secourus desd. pilotes et battus de mauvais temps ont
-été péris davantage, fait ordinairement, prenant excuse de
-visiter lesd. navires et de voir leurs certificats, soit en entrant
-ou en sortant de lad. rivière, perdre une marée ou deux et la fait
-amortir, qui leur cause perdre quinze jours de temps, jusquʼà ce
-que la mer revienne pleine, et a tellement ennuyé et fâché lesd.
-matelots que, pour les travaux quʼon leur donne aud. lieu
-dʼOuistreham, ils ont enchéri le fret aud. supplians de plus des
-deux parts. Il a aussi pour les choses susdites fait cesser le
-trafic des marchands forains et spécialement des Anglais, lesquels
-ordinairement apportant aud. Caen des draps, cristaux et des
-cuirs, remportent des toiles de cette ville, un des grands
-commerces dʼicelle, à présent totalement anéanti, chose grandement
-préjudiciable au public....... A ces causes il vous plaise
-ordonner quʼil sera fait défenses au sieur de Saint-Victor dʼarrêter
-ni visiter lesd. navires ayant chargé aud. Caen, ni ceux qui y
-apportent marchandise et desquels les certificats sʼadressent en
-cette ville ainsi que la visitation en sera faite par vos officiers
-en icelle, afin quʼon y puisse voir renaître le commerce et
-trafic... »
-
-Tout en essayant de se défendre contre ces sangsues administratives
-des marais dʼOuistreham, qui suçaient le plus clair des revenus de
-leur commerce maritime, les échevins de Caen faisaient dʼhonorables
-mais infructueuses tentatives pour lutter contre lʼenvasement de leur
-rivière. Ils avaient, en titre dʼoffice, un épureur ou esperreur de
-lʼOrne, chargé du nettoyage de la rivière. Malheureusement, à
-lʼimperfection des moyens mécaniques dont disposait cet honorable
-fonctionnaire, se joignait encore une négligence, qui a laissé sa
-trace dans une délibération du Conseil du 25 mai 1612. « Plusieurs
-marchands et maîtres de navires, trafiquant en cette ville, se
-plaignent que, dans le cours de la rivière, les navires et bateaux
-y abordants sont en péril et danger, à raison que dans le canal de
-lad. rivière y a plusieurs grosses pierres contre lesquelles les
-navires et bateaux peuvent heurter et entrer en danger dʼêtre
-brisés, requérant que lʼesperreur commis pour curer lad. rivière
-soit approché. »
-
-Malgré les plaintes incessantes des marins, le port resta un siècle
-environ dans cet état déplorable sans quʼon fît de tentatives
-sérieuses pour y remédier. Caen eut enfin la bonne fortune de recevoir
-la visite du grand ingénieur Vauban, que Colbert avait chargé
-dʼétudier toutes les côtes de France. « Voyant la rade de Colleville
-placée très-avantageusement au voisinage de lʼOrne, dit M. Boreux [39],
-Vauban comprit que lʼon pouvait tirer très-bon parti de cette
-situation. Il projeta donc de faire un port dʼasile dans la rade, dʼy
-faire déboucher lʼOrne, de redresser le cours de la rivière entre
-Caen et les carrières de Ranville et de rendre navigable sa partie
-supérieure jusquʼà Argentan, comme on en avait eu lʼidée à diverses
-reprises depuis le règne de Charles VII jusquʼà celui de Louis XIII. »
-
-Dʼaprès le témoignage de Vauban, Colbert fit expédier, le 6 mai
-1679, des lettres-patentes qui autorisaient lʼexécution des travaux
-indiqués par le célèbre ingénieur. On commença par faire un
-redressement de lʼOrne sur 1,140 toises de longueur, entre les
-carrières de Ranville et les moulins de Clopée; cʼest dans ce même
-intervalle que, cent cinquante ans auparavant, on avait fait le
-redressement de Longueval. Les ouvrages devaient être continués sans
-interruption, mais la mort de Colbert vint malheureusement tout
-suspendre.
-
-Lʼamélioration dʼune partie de la rivière nʼinfluant en rien sur le
-reste de son cours vers la mer ni sur son embouchure, toutes les
-difficultés, tous les dangers y demeuraient les mêmes, et le mal
-sʼaccrut de telle sorte que, sur la fin de lʼannée 1731, on se vit
-dans la nécessité de faire à ce sujet des démarches pressantes auprès
-de lʼintendant; mais elles nʼeurent aucune suite.
-
-Cependant la situation du port devenait si périlleuse pour la
-navigation que le Gouvernement lui-même sʼen émut. Le comte de
-Maurepas, ministre de la marine, recommanda à lʼintendant de Caen de
-prendre des mesures pour obliger la ville à enlever les vases et les
-pierres qui menaçaient de rendre le quai impraticable. Le maire et les
-échevins répondirent que la ville nʼétait point en état de faire une
-si grosse dépense. « Tout son revenu, disaient-ils en novembre 1735,
-qui est de 84,093 livres 10 sous par an, est de 1,537 livres,
-17 sous, 4 deniers au-dessous de ses charges annuelles. On ne
-peut aggraver, par une nouvelle taxe, la situation déjà bien triste
-des habitants dʼune ville dont le commerce est ruiné. »
-
-Trop préoccupées dʼaligner les chiffres de leur budget, les
-administrations ont généralement la vue courte et nʼaperçoivent pas,
-par-dessus leur comptabilité, les avantages sérieux que lʼavenir
-accorde à ceux qui ont le courage de tenter lʼinconnu. Quelque
-précaire que fût lʼétat des finances de la ville, les échevins
-auraient dû tenir compte des vœux de leurs concitoyens. Lʼextrême
-prudence nʼest pas la vraie sagesse; et il est des occasions où il
-faut savoir oser. Lʼinitiative privée eut heureusement lʼaudace qui
-manquait à une administration trop économe. Un bon citoyen,
-littérateur, poète et savant, qui avait déjà dépensé généreusement des
-sommes considérables en exécutant des plans relatifs à un projet de
-canalisation de lʼOrne, M. François-Richard de La Londe, sut
-communiquer son ardeur patriotique à ses concitoyens. Bientôt, en
-1740, une assemblée de notables de la ville et généralité de Caen le
-chargea de présenter, en leur nom, au contrôleur général, un mémoire
-où M. de La Londe demandait lʼétablissement dʼun port de refuge à
-Ouistreham et la canalisation de lʼOrne depuis Argentan jusquʼà la
-mer. Le projet fut accueilli favorablement, mais la guerre qui survint
-mit obstacle à son exécution.
-
-Lʼimpulsion était donnée, et de nouveaux mémoires se produisirent en
-1747. Enfin, en 1748, après la signature de la paix, M. de La Londe
-adressa une nouvelle étude au comte de Maurepas. Le ministre daigna la
-prendre en considération
-et chargea M. Duhamel, membre de lʼAcadémie des Sciences, de se
-transporter sur les lieux pour examiner le cours de lʼOrne et donner
-son avis. Le savant minéralogiste vint à Caen et accomplit sa mission
-avec un soin scrupuleux. Cependant, malgré son avis favorable,
-lʼexécution des travaux fut encore une fois différée. Un aveu inédit
-du consciencieux académicien donne lʼexplication de ce retard. Dans
-une lettre à M. de La Briffe, du 5 septembre 1748, M. Duhamel, après
-avoir rappelé avec reconnaissance lʼaccueil quʼil a reçu à Caen,
-déclare quʼil nʼa pu encore parler dʼaffaires à Versailles. « La
-cour est si ambulante, dit-il, et si occupée des plaisirs que
-Madame la Marquise ne cesse dʼimaginer, que tout le travail est
-remis... » Ainsi, les négociants de Caen, menacés dans leurs
-intérêts commerciaux, et les marins, dans leur existence même, par les
-périls de la navigation, durent attendre que Mme de Pompadour eût
-suffisamment assuré sa faveur en organisant des fêtes destinées à
-distraire un monarque ennuyé.
-
-Laissant la cour sʼamuser, M. Duhamel nʼattendit pas ses
-encouragements pour se mettre à lʼétude, et il écrivit son mémoire sur
-le rétablissement dʼun port à lʼentrée de la rivière dʼOrne. Peine
-inutile! Comme la favorite avait, dʼun coup dʼéventail, brisé la
-carrière du contrôleur général Orry, dont les économies ne pouvaient
-sʼaccorder avec sa manière de comprendre la direction des finances,
-Machault, sa créature, qui paya sa bienvenue aux affaires en faisant
-accorder à la marquise une pension de 200,000 livres, anéantit dʼun
-trait de plume les espérances que fondaient les habitants de Caen sur
-le projet si sérieusement étudié par M. Duhamel.
-Un M. de Caux, ingénieur, fut chargé de préparer un autre mémoire, qui
-reçut naturellement lʼapprobation du nouveau contrôleur général.
-
-Tandis que ces intrigues de palais laissaient en suspens des travaux
-dont lʼurgence était évidente, à Caen, le patriotisme de M. de La
-Londe veillait sur les intérêts de la cité. Une tempête épouvantable
-qui, vers la fin de 1749, faillit emporter les dunes de
-Sallenelles et menaça dʼenvahir une grande partie de la riche vallée
-du Pays-dʼAuge, vint apporter au zélé citoyen lʼutile collaboration de
-la peur. Les intérêts alarmés demandèrent lʼavis dʼune commission, qui
-consulta elle-même M. de La Londe. Celui-ci, profitant de lʼépouvante
-générale, dirigea cette force aveugle avec assez dʼart pour en faire
-un instrument de progrès. Grâce à sa patriotique dissimulation, il sut
-faire sortir dʼun malheur lʼexécution des grands travaux quʼil nʼavait
-pu obtenir, en des temps plus calmes, de lʼexamen dʼun plan sagement
-médité. Il déclara, en effet, et fit admettre par lʼopinion que le
-seul moyen de prévenir le désastre quʼon redoutait serait de
-transporter, au moyen dʼun canal, lʼembouchure de lʼOrne à Colleville,
-où lʼon pourrait, par la suite, creuser un port excellent. Ce vaste
-projet fut mal accueilli en haut lieu. La cour de Versailles, avide
-dʼéconomies pour les autres, fit répondre par la bouche de son
-ingénieur quʼune digue de pierres, de terre et de bois suffirait pour
-garantir la côte menacée.
-
-Malgré cette déception, M. de La Londe, qui ne voulait pas renoncer à
-ses espérances, accepta la direction des travaux. A peine construite,
-la digue fut détruite par la mer, et cependant le danger quʼon avait
-prétendu conjurer par là ne se
-réalisa pas. Alors M. de La Londe se retira, renonçant à jouer plus
-longtemps un rôle dans cette comédie de la peur, quʼil nʼavait
-imaginée quʼafin de lui donner pour dénouement la réalisation de ses
-vœux patriotiques. Quant au véritable auteur du désastre, M. de Caux,
-lʼingénieur en chef, il sʼen lava les mains. Dans une lettre du 14 mai
-1751, il déclarait dʼun cœur léger quʼil avait toujours considéré
-et annoncé le travail en cours dʼexécution comme un palliatif
-provisoire; que le parti le plus sûr était dʼouvrir le canal proposé,
-pour donner une autre embouchure à lʼOrne. Malgré cette tentative
-dʼapologie, lʼopinion publique sut faire la part des responsabilités.
-A son arrivée à Caen, le nouvel intendant, M. de Fontette, mis au
-courant de la situation par les plaintes des habitants, crut quʼil
-était pressé de donner un successeur à M. de Caux. Il proposa de
-consulter, au sujet des travaux à exécuter, M. Lecloustier, ingénieur
-en chef à Dieppe. Quelque temps après, le 23 janvier 1753, M.
-Trudaine, directeur des ponts et chaussées, mandait à lʼintendant de
-Caen que le garde des sceaux avait pris le parti dʼenvoyer sur les
-lieux M. Lecloustier, dès que la saison le permettrait. On ne pouvait
-faire un choix plus malheureux.
-
-M. Lecloustier avait une réputation dʼhabileté méritée; mais ses
-intérêts personnels le retenaient à Dieppe. Sʼil ne refusa pas
-absolument le travail quʼon lui proposait, il employa mille
-subterfuges et délais pour en retarder lʼexécution. Caractère
-indépendant, fantasque, bourru, il se retrancha derrière sa position
-acquise, pour lancer de là, dans une correspondance verbeuse et
-parfois spirituelle, mille traits acérés contre les abus de
-lʼadministration du temps. Son humeur frondeuse
-sʼattaquait hardiment à tout et semblait rechercher, dans une
-prolixité voulue, le moyen de lasser ses supérieurs et dʼéterniser la
-résistance. Rien de plus curieux que les lettres de cette sorte
-dʼingénieur malgré lui. Cʼest une bonne fortune de les rencontrer sur
-son chemin; car on y trouve, à côté dʼune critique amusante, les
-détails les plus circonstanciés sur les travaux des ponts et chaussées
-vers le milieu du XVIIIe siècle.
-
-Une première lettre, du mois de mai 1753, adressée probablement à
-lʼintendant de Caen, débute ainsi:
-
-« Monsieur, je reçois aujourdʼhui la lettre que vous mʼavez fait
-lʼhonneur de mʼécrire et jʼai celui dʼy répondre tout à lʼheure.
-
-« Lʼamitié, permettez-moi ce précieux et rare terme, lʼamitié,
-dis-je, que je vous ai vouée, me forcera toujours à vous parler à
-cœur ouvert et sans adulation pour mériter la vôtre, et si jʼy
-parviens, etc., attendez-vous, sʼil vous plaît, à ne me jamais
-trouver dʼhumeur à la laisser échapper. Lʼon sait à mon âge, ou du
-moins on doit savoir quʼun bien si difficile à acquérir échappe des
-mains lorsquʼon en a le moins dʼenvie et cela presque toujours; un
-soupçon, un rapport faux, un jugement précipité, une défiance sont
-suisses qui assiégent votre antichambre, Messieurs, habillent
-la probité et la franchise de deuil. La jalousie, lʼenvie, la
-critique, les si, mais, car, parce que, etc., viennent à lʼappui, et
-le fil casse par lʼendroit le plus faible. Les réflexions de Sosie
-dans lʼAmphytryon ne me sont jamais sorties de lʼesprit lorsque, la
-lanterne en main dans son début, il sʼapostrophe lui-même. Toutes
-ces images, dis-je, doivent nous guider
-dans le labyrinthe du cœur humain, avec le fil dʼAriane: Fac
-bonum et declina a malo. Sur ce principe donc, Monsieur, et avec la
-connaissance que jʼai de votre excellent caractère, je vais prendre
-la liberté de vous parler tout naturellement... »
-
-Puis après avoir parlé, avec autant de concision que de légèreté, des
-travaux à exécuter tant à Sallenelles que dans la ville de Caen, M.
-Lecloustier termine brusquement sa lettre par lʼétrange conclusion qui
-suit:
-
-« Voilà, Monsieur, en bref ce que je ferais pour mon bien propre en
-quatre ou cinq ans de temps. Il vous sera bien glorieux, soit dit
-sans compliment, dʼavoir donné jour à la conservation du
-Pays-dʼAuge et à la commodité de votre navigation qui, en dépit des
-vents de nord-ouest, sera permanente si vous avez pris garde à la
-manière dont les pierres sèches sont arrangées. Mais je
-commencerais à exterminer tous les lapins qui culbutent les dunes
-et désolent les bonnes terres par leurs brigandages. Cet article
-sera le plus difficile, parce que ce bétail appartient à gros
-seigneurs qui nʼont mie cure des pauvres. »
-
-On voit que M. Lecloustier avait un tempérament dʼopposition
-singulièrement hardi pour lʼépoque. Sa brusquerie, réelle ou jouée,
-dut probablement servir dʼexcuse à ses audaces de plume. On sʼétonnera
-toutefois que ses chefs aient pris si longtemps au sérieux un
-ingénieur qui, dans une « lettre dʼaffaires », semblait demander
-comme un travail préparatoire à la construction dʼune digue,
-lʼextermination des lapins qui peuplaient les dunes du voisinage.
-
-Cependant, à la date du 26 juillet 1753, le directeur des
-ponts et chaussées, M. Trudaine, écrit à lʼintendant de Caen quʼil
-faut avant tout faire un bon devis, bien détaillé, accompagné dʼune
-estimation. Et il ajoute: « Je crois M. Lecloustier très-propre à le
-bien faire; mais il passe pour nʼêtre pas aisé à manier, surtout pour
-ce qui concerne son intérêt personnel. »
-
-Lʼintendant communiqua-t-il cette lettre à M. Lecloustier, ou se
-fit-il du moins, auprès de lui, lʼécho des appréhensions que le
-directeur des ponts et chaussées manifestait au sujet du caractère de
-lʼingénieur de Dieppe? On peut le croire; car, dès le 11 août 1753,
-lʼingénieur bourru prit sa bonne plume de combat et écrivit une lettre
-dans laquelle il expliquait les causes légitimes de son irritation.
-Cette lettre est à citer tout entière; on y trouve une description
-colorée des petites misères de la vie des ponts et chaussées à cette
-époque [40].
-
-« A Dieppe, le 11 août 1753,
-
-« Monsieur,
-
-« Jʼai reçu la lettre que vous mʼavez fait lʼhonneur de mʼécrire le
-8 de ce mois, par laquelle vous me faites celui de me marquer que le
-Ministre vous charge, Monsieur, de lʼinformer si je voudrais bien
-faire un devis bien exact des ouvrages à faire à la rivière de Caen
-et quelles sont à peu
-près mes idées sur la récompense que je crois devoir attendre du
-Roi. Je suis bien persuadé, Monsieur, que si lʼon voulait sʼen
-rapporter à vous, vous arrangeriez les choses en ministre généreux,
-en vrai Colbert, et que nous ne marchanderions pas. Mais
-aujourdʼhui, Monsieur, nous voyons renaître le temps du bon Juvénal,
-qui disait avec le fiel que vous lui connaissez: Probitas laudatur
-et alget, aujourdʼhui, dis-je, ce trop vrai bon mot, que jʼavais
-oublié depuis mes classes, mʼest revenu en mémoire par la triste
-expérience que jʼai faite de son application. Or, écoutez donc mon
-histoire, Monsieur, sʼil vous plaît. Elle mériterait dʼêtre mise en
-vers sur lʼair des Pendus, car elle est assez tragique pour ma
-pauvre famille. Et, en effet, je nʼai jamais dû mʼattendre à un sort
-communément heureux, étant né le vendredi immédiatement après
-dîner, Saturne et Mercure en conjonction, le soleil éclipsé de onze
-doigts, et la lune, qui luit pour tant dʼautres couleur dʼargent,
-était pour lors comme couverte dʼun sac de poil noir. Ce
-langage, Monsieur, connu des adeptes seulement, vous doit paraître
-extravagant; je nʼen suis pas surpris. Mais souvenez-vous que...
-sapientis est desipere in loco.
-
-« Il y a quatre ou cinq ans, Monsieur, que la navigation de la Somme
-étant interrompue dans Abbeville pour communiquer à Amiens,
-quelques ingénieurs des ponts et chaussées avaient insinué à M.
-Chauvelin un beau et superbe canal à demi-lieue hors de la ville,
-mais ce canal avec les écluses pouvait aller à quelques millions;
-la Cour voulut savoir sʼil nʼy avait pas de remède moins violent.
-M. de Regemorte, qui aime ma famille, me proposa, en vue sûrement
-de me faire du bien. Je reçus donc ordre dʼexaminer; et, sur mon
-rapport, on jugea quʼoutre la dépense inutile et exorbitante, il
-résultait du projet une désertion totale de la ville, comme il
-arriverait à Caen, Monsieur, si le projet de Colleville avait
-jamais lieu. Je remarquai donc quʼil nʼétait question que de curer
-lʼancien bras de la Somme dans la ville, assez bas sous un pont de
-pierre pour que les barques pussent y passer de mer basse, afin que
-de mer haute lʼarche de ce pont ne leur servît plus dʼobstacle
-étant une fois passées, car il arrivait, Monsieur, que ces barques,
-attendant la marée pour passer sous ce pont, se trouvaient
-souvent prises sous la voûte et sʼy écrasaient. On suivit mon avis,
-par ordre du Conseil; mais comme je nʼavais pas barbouillé beaucoup
-de papier, ni fait un projet à millions, tout lʼouvrage sʼest fait
-sans quʼil ait été seulement fait mémoire du pauvre saint, et jʼen
-fus pour mes frais avec une chute de cheval qui faillit à me tordre
-le cou. Ce quʼil y eut encore de singulier à cet ouvrage ou
-curement, est quʼil fut dirigé et conduit par Messieurs de ville,
-qui, pour aller plus vite (en dépense apparemment), employèrent
-six cents travailleurs où il nʼen pouvait tenir à lʼaise que cent
-cinquante au plus; tout le reste devint spectateur bénévole.
-– Fin de mon premier point.
-
-« 2e POINT.
-
-« Lʼannée ensuite, me promenant dans mon jardin, à Fécamp où
-jʼétais pour lors en résidence, je vis arriver un cavalier de la
-maréchaussée qui mʼannonça un arrêt du
-Conseil qui me nommait pour concilier le débat entre
-MM. Bayeux et Le Barbier, des ponts et chaussées, sur
-le projet de la conservation du territoire de Cayeux, proche
-le bourg dʼAult. Leurs projets étaient joints à lʼarrêt du
-Conseil qui mʼenjoignait de dire mon avis et faire les
-dessins nécessaires si je trouvais les autres défectueux. Je
-fis le voyage et examinai le terrain. Mon mémoire fit
-connaître les défauts des autres projets qui étaient très-bien
-dessinés et montaient à plus de 80,000 livres chacun. On
-tailladait le pays par grands canaux inutiles avec des têtes
-dʼécluse dans la mer. Bref, je donnai le projet dʼun aqueduc comme
-on les pratique en Flandre; lʼadjudication sʼen
-passe; elle est agréée du Conseil, lʼouvrage qui consistait tout
-en pilotis de chêne est fait par lʼentrepreneur pour 39,000 livres.
-M. Chauvelin quitte lʼintendance dʼAmiens et va à Paris. M. dʼAligre
-lui succède. Lʼentrepreneur, lʼouvrage fait, est renvoyé comme un
-vilain après lui avoir retenu 14,800 livres. Cet homme écrasé quʼon
-avait obligé déjà de payer les honoraires de MM. Bayeux et Le
-Barbier, et chargé aussi de payer le mien, est devenu insolvable et
-jʼen ai été pour mes peines, et nʼai pas été exempt des
-plaisanteries de M. dʼAligre que je ne connus oncques. Si lʼon viole
-donc aujourdʼhui, Monsieur, le droit des gens avec autant de
-despotisme que M. dʼAligre le fait, qui est-ce qui sera assez hardi
-pour avoir à démêler vis-à-vis les intendants? Dʼailleurs, Monsieur,
-ma profession est pour les fortifications. Je suis attaché aux
-ministres de la guerre et de la marine qui mʼont noblement
-récompensé lorsquʼils mʼont chargé de commissions particulières.
-Ils ont été contents
-et nʼont point cherché, comme M. dʼAligre, de ces petits
-alibis pour chagriner (besogne faite) entrepreneurs, et se moquer
-mal à propos dʼun pauvre diable dʼingénieur quʼon ne peut taxer
-dʼavoir mis la main à la pâte, puisquʼil nʼa fait aucuns toisés, le
-bureau des ponts et chaussées ayant nommé pour la conduire un sieur
-Le Tellier, qui a failli à faire échouer lʼouvrage par son
-indétermination et son insuffisance aux travaux de mer.
-
-« Quoiquʼintendant vous-même, Monsieur, je présume devotre
-excellent caractère que vous voudrez bien, pour un moment, descendre
-à ma place. Ayant été échaudé deux bonnes fois, vous
-exposeriez-vous à la troisième? Et ne vaut-il pas mieux manger du
-pain noir en paix auprès de ses lares et pénates que de courir après
-le vent? Vous me parlez, Monsieur, du ministre sans le nommer; je
-prends donc la liberté de vous dire que si je me charge du détail
-de la construction des ouvrages à faire tant à la rivière quʼà son
-embouchure, pont tournant, clapets, etc., je ne désire avoir
-affaire à dʼautres ministres quʼà M. Trudaine. Je connais son mérite
-et son humanité; je ne veux dʼautres juges pour mes honoraires que
-vous, Monsieur, et MM. De Regemorte. Je suis bien certain par ma
-bonne conduite et économie sauver sur les ouvrages la récompense
-dʼun honnête homme. Informez-vous, Monsieur, de lʼadministration
-des fonds destinés pour les fontaines du Havre que jʼy fis faire, il
-y a huit ou dix ans. Les misérables qui se présentaient pour
-lʼentreprise faisaient monter la livre de mastic à 20 sols; je la
-fis faire devant moi pour 6 sols, et la livre de soudure à 37 sols
-fut faite dans la cour de
-lʼHôtel de Ville pour 13 sols. Je sauvai plus de mille louis à
-cette administration.
-
-« Le projet que vous a donné M. de Regemorte est le seul
-raisonnable, durable par sa construction, et le seul capable de
-faire lʼeffet quʼon en doit attendre. On peut le pousser aussi loin
-et aussi peu quʼil conviendra, sans avaries aucunes (notez bien
-ceci) toutes pierres et de tous échantillons seront bonnes étant
-essemillées comme il convient. En un mot, ce ne sont point ici des
-fagots quʼon vous donne, ce nʼest point un palliatif. Prenez-y bien
-garde, Monsieur; ceux qui ont ajusté une pièce à vos dunes
-ont-ils marchandé? Voulez-vous que je marchande aussi? Faites donc
-comparaison, Monsieur, non-seulement de la besogne, mais de son âme,
-cʼest-à-dire de ce qui en résultera. En un mot, Monsieur, je suis à
-M. de Trudaine, à vous, à M. de Regemorte, mais parbleu! que
-dʼautres nʼy mettent pas le nez, car je trousse mon sac et mes
-quilles et je mʼen vas tout droit devant moi. »
-
-Sans tenir compte de la mauvaise humeur qui perce à chaque ligne dans
-cette lettre, lʼintendant de Caen, M. de Fontette, écrivit, le 28
-novembre 1753, au ministre dʼArgenson pour le prier dʼautoriser M.
-Lecloustier à venir à Caen, afin dʼy commencer lʼétude des travaux à
-exécuter sur lʼOrne. Cette insistance, qui faisait honneur aux talents
-de M. Lecloustier, mais le menaçait dans sa tranquillité, détermina
-lʼingénieur malgré lui à indiquer de loin des mesures dʼadministration
-à prendre, en attendant la saison des études sur le terrain. Se
-voyant, malgré cela, sur le point dʼêtre
-arraché du milieu qui lui plaisait, il imagina, pour obtenir un
-nouveau répit, le prétexte dʼune maladie. Cʼest du moins ce qui
-ressort dʼune lettre du ministre dʼArgenson, « qui autorise M.
-Lecloustier à venir à Caen dès que la saison et sa santé le lui
-permettront. »
-
-Pressé de nouveau, M. Lecloustier se décide enfin à rédiger un « Devis
-et mémoire pour servir au percement du nouveau canal, projeté pour
-diriger en lignes droites la navigation de Caen sur la rivière dʼOrne. »
-Aussitôt, de lʼintendance de Caen arrivent des objections contre ce
-projet. Cʼétait probablement ce que souhaitait lʼingénieur, forcé dans
-ses derniers retranchements. Après avoir combattu vivement dans sa
-correspondance, comme suggérées par des ignorants, les critiques et
-les vues nouvelles que lui adresse lʼintendant, il décline avec
-ironie, dans une dernière lettre, la paternité du projet dont il a
-signé le devis.
-
-« Monsieur,
-
-Jʼai reçu ici la lettre que vous mʼavez fait lʼhonneur de mʼécrire
-le 2, par laquelle vous me faites celui de me mander que les fonds
-ne sont pas encore accordés pour lʼexécution de mon devis.
-
-Je ne suis pas assez rempli de vanité pour me prévaloir dʼun
-dessein qui est tout vôtre, Monsieur. La gloire vous en est due sans
-aucun partage. Et sûrement le public me traiterait avec mépris si,
-après avoir fait éclater ma pensée sur ces ouvrages, jʼavais
-lʼorgueil de me parer dʼun projet qui nʼest point du tout de mon
-imagination. Je vous supplie donc, Monsieur, de faire en sorte quʼil
-ne soit point question
-de moi. La seule idée que je sois homme à me faire honneur de
-lʼusage dʼautrui me ferait rougir de honte quand jʼirais dans le
-pays, où je ne prévois pas heureusement avoir le temps dʼy faire
-aucun voyage, pour voir la famille de mon épouse. Je dis
-heureusement, Monsieur, parce quʼil a plu au Roi de me charger dʼun
-détail dans deux de ses places qui me fait honneur. Cʼest aussi où
-je dois me renfermer pour ne pas tromper lʼattente de mes
-supérieurs et jʼai de lʼouvrage pour toute lʼannée. Vous me saurez
-bon gré, Monsieur, de cette scrupuleuse attention qui, en même
-temps que je ferai mon devoir, me délivrera des corvées dʼun évêque
-in partibus. Je suis encore, outre cela, malheureusement dʼun âge
-fort dangereux et incurable même, à cause des années passées, comme
-il est dit fort élégamment dans les pronostications Pantagruéliques. »
-
-Cette lettre était datée du 10 mars 1754. Ainsi, on avait perdu deux
-ans en pourparlers inutiles pour sʼassurer les services dʼun étranger,
-qui refusait catégoriquement de quitter son poste! La leçon valait
-bien ce retard sans doute et lʼon sʼadressa à un homme du pays, M.
-Loguet, ingénieur en chef de la généralité de Caen. Celui-ci
-sʼempressa de rédiger un devis des travaux à exécuter pour le
-redressement de lʼOrne; sa bonne volonté fut même appuyée par une
-adresse dʼun grand nombre de commerçants, qui se plaignaient de lʼétat
-déplorable de la rivière, où des barques de 60 tonneaux ne pouvaient
-plus monter jusquʼau quai. Malheureusement, à la même époque, Mme de
-Pompadour, irritée des sarcasmes de Frédéric II sur la dynastie des
-cotillons, préparait le traité
-de Versailles qui devait amener les désastres de la guerre de
-Sept-Ans. Il fut donc répondu aux habitants de Caen quʼon était désolé
-de reprendre les fonds destinés aux travaux de leur port, mais quʼon
-leur promettait de les leur rendre à la paix. Pour les inviter à la
-patience, M. Trudaine leur envoya un arrêt du Conseil dʼÉtat, du 21
-septembre 1756, qui « autorisait les négociants de Caen à faire
-directement le commerce avec lʼAmérique. » On voit donc que sʼil nʼeût
-fallu que de lʼeau bénite de cour pour faire monter le niveau de leur
-rivière, les commerçants et marins de la ville auraient eu mauvaise
-grâce à murmurer. Ils se turent jusquʼau 4 juillet 1762; mais, à cette
-date, les marins adressèrent à lʼintendant, M. de Fontette, une
-supplique dont nous citerons le passage suivant: « Lʼentrée du quai
-de cette ville, qui commence depuis la tour Massacre jusquʼà la
-seconde porte du quai, au-dessus de la rue des Carmes, est
-tellement gâtée par les attérissements que, lors des plus grands
-flots, il ne sʼy trouve que 4 à 5 pieds dʼeau; quʼà ce moyen, les
-vaisseaux, qui dans le cours de cette rivière ont déjà souffert des
-avaries considérables pour la monter, sont obligés de se mettre en
-décharge au dessous dʼicelui, dans des fonds vaseux et de prairie
-dont le terrain, pour peu quʼil survienne des pluies, sera défoncé
-et impraticable... »
-
-Dès le 1er décembre 1762, nouvelle supplique présentée à M. de
-Fontette par les négociants de la ville. Ils espèrent, disaient-ils,
-que, la paix approchant, il va être fait des travaux pour remédier au
-mauvais état de la rivière qui a rebuté pendant la présente guerre
-les navires neutres dʼapporter les choses même les plus nécessaires
-à la vie. »
-
-Malgré la signature de la paix en 1763, on ne parlait pas de rendre
-les fonds destinés aux travaux du port. Aussi, le 27 juin 1764, les
-marins adressèrent-ils une nouvelle supplique à lʼintendant de la
-généralité de Caen. Quelques jours après, le 15 juillet, lʼingénieur
-en chef, M. Loguet, publiait un mémoire important sur les
-améliorations à faire au port. Mais lʼimprudent ingénieur, qui voyait
-que les meilleurs projets venaient se briser contre lʼéternel écueil
-des coffre-forts vides, eut la fatale prévoyance dʼajouter à ses plans
-lʼexposition dʼun système de taxes qui eût permis de commencer le
-travail sans attendre dʼinterminables délais. Pauvre M. Loguet!
-vouloir secouer le joug de la routine, quand on est attelé au coche
-administratif! Attendez! Voici un coup de fouet qui vous apprendra,
-non à avancer comme on pourrait le croire, mais à vous tenir bien
-tranquille à votre rang! En effet, dans une lettre du 9 décembre 1764,
-adressée à M. Loguet, le directeur des ponts et chaussées, tout en
-reconnaissant lʼutilité des travaux projetés, ajoute « quʼil faut
-attendre les demandes et les propositions des intéressés et que les
-ingénieurs ne doivent point se mêler des affaires de finances! » Ce
-nʼétaient pourtant pas les demandes des intéressés qui manquaient.
-Les habitants de Caen se plaignaient sur tous les tons et à tout
-instant: le 19 mars 1766, mémoire de M. Viger, lieutenant-général
-de lʼamirauté de Caen; le 19 juin 1766, doléances des navigateurs
-qui présentent aux maire et échevins de la ville une liste des
-sinistres causés par lʼétat de la rivière; le 26 juin 1766, plaintes
-des habitants au sujet des inondations causées par lʼenvasement
-de lʼOrne; le 29 mai 1770, procès-verbal des officiers de
-lʼamirauté, dressé à la requête des commerçants
-et des marins. Quelques extraits de ce procès-verbal donneront une
-idée de lʼincroyable état de délabrement du port à cette époque. Voici
-dʼabord quelle était la situation du quai de débarquement des Carmes:
-
-« Ledit quai, dit le lieutenant-général en lʼamirauté de
-Caen, est défoncé et coupé de toutes parts par différentes
-ornières sur toute sa superficie entremêlée de différents
-amoncellements de terres vaseuses, mêlées de décombres y apportés,
-lesquels à ce moyen entretiennent des fosses et flanges où lʼeau
-séjourne au point que les camions et brouettes ne les peuvent
-franchir et y demeurent souvent coulés jusquʼau moyeu, ce qui cause
-un retardement et un préjudice onéreux au commerce, tant lors du
-chargement des cargaisons à bord que lors du déchargement dʼicelles,
-par la raison quʼelles se trouvent gâtées et couvertes des
-fanges et boues dudit quai; quʼen outre la pourriture des emballages
-qui en résulte, la qualité des différentes marchandises se trouve
-altérée et gâtée et le poids considérablement augmenté, ce qui
-occasionne aux propriétaires ou consignataires de tomber
-involontairement dans le cas de contravention aux ordonnances de Sa
-Majesté sur le fait des traites et cinq grosses fermes, dʼoù il
-résulte des peines, des soins et toujours des avaries. »
-
-Quant au canal lui-même, lʼauteur du procès-verbal déclare: « que
-les pierres de revêtissement du quai, loin dʼavoir été entretenues
-par les officiers municipaux aux termes de lʼordonnance de la
-marine de 1681, art. 20, tit. Ier, liv. IV, sont dans un état
-dʼune totale destruction; quʼelles sont tellement endommagées et si
-peu solides que nous-mêmes,
-en passant à bord du navire hollandais Joost, capitaine
-Cornelis Boezaard, aux fins de la visite dʼiceluy, samedi dernier,
-ce dʼy dresser procès-verbal judicier dʼune partie de sa cargaison,
-nous avons couru le danger de tomber à lʼeau, partie de ces pierres
-sʼy trouvant écroulées.
-
-« Nous a pareillement été fait remarquer, tant par le maître de
-quai que par les capitaines de navires, que lʼéboulement dans le
-canal des principales pierres dudit revêtissement met les navires
-qui y sont rangés dans le danger le plus imminent, en ce que, de
-basse-mer, ils courent risque dʼêtre rompus ou crevés sur ces mêmes
-pierres, sans pouvoir sʼen garantir ni les éviter, par la raison
-quʼelles se trouvent mêlées dans un lit de vases molles formant un
-corps semi-solide dont le canal est rempli et sur lequel les navires
-restent à sec de morte-eau; quʼil devient urgent pour le commerce
-dʼen faire procéder au curage, ainsi quʼà la réparation desdites
-pierres de revêtissement dudit quai sur toute sa longueur. »
-
-On pouvait espérer que lʼadministration aurait des entrailles de père
-pour cette douleur officielle, émanant des officiers de lʼamirauté.
-Mais il nʼen fut rien. Les habitants durent recommencer à gémir et,
-comme le héros pleureur de lʼÉnéide, tendre à tout instant les mains
-vers le ciel pour lʼapitoyer sur le sort de leur rivière. Le 8 mars
-1771, cʼest une supplique de la ville à M. Trudaine, « où lʼon espère
-que le Roi voudra bien accorder à la ville de Caen, pour les travaux
-de son port, les mêmes avantages quʼà la ville de Granville pour le
-sien. » Le 16 avril 1776, cʼest une lettre de lʼintendant lui-même,
-M. Esmangart, qui mande au directeur des ponts et chaussées
-que les négociants de Caen ont dû renoncer à faire venir, en 1775,
-des blés du Nord, parce que des barques, même médiocres, ne peuvent
-plus remonter la rivière. » Le 25 mars 1777, cʼest une supplique
-adressée aux maire et échevins par les marins et négociants, qui
-annoncent que les piétons eux-mêmes ne peuvent plus circuler sur les
-quais, sans sʼexposer à recevoir des pierres qui tombent des murs en
-ruine sur les passants.
-
-A ces réclamations viennent en même temps se joindre des mémoires et
-des rapports, rédigés par des particuliers ou par des ingénieurs qui
-proposent des moyens de remédier au mal. Peu de temps après la mort de
-M. Loguet, cet ingénieur qui sʼétait permis dʼavoir des idées sans
-lʼautorisation de ses chefs, son successeur, M. Viallet, dans une
-lettre au maire de Caen, du 12 novembre 1766, expose ses vues au
-sujet des travaux à faire et émet le premier lʼopinion quʼon
-nʼobtiendrait de résultats sérieux quʼen ouvrant, pour la navigation,
-un nouveau canal à gauche de lʼOrne, entre Caen et la mer. Enfin
-parut, le 11 janvier 1778, un mémoire dû au nouvel ingénieur de la
-généralité de Caen, Armand-Bernardin Lefebvre, qui sʼétait déjà fait
-connaître par des projets exécutés dans la province de Champagne. Le
-nouvel ingénieur avait le défaut de vouloir « faire grand », suivant
-une expression qui devait plus tard devenir historique. Lʼintendant de
-Caen lui répondit, après avoir examiné ses plans, quʼil ne pouvait
-présenter son projet au Conseil, parce quʼune dépense de 7,000,000 de
-livres serait inévitablement rejetée. Non sans regrets, comme on peut
-le voir dans une lettre du 2 juillet 1779, M. Lefebvre se conforma aux
-ordres absolus
-de lʼintendant, et soumit ses projets à une réduction, qui dut autant
-lui coûter quʼelle devait rapporter au budget de la ville et de
-lʼÉtat.
-
-Grâce à ce sacrifice, M. Lefebvre réussit à faire approuver son
-projet, et, le 1er juillet 1780, il reçut de lʼintendant lʼordre de
-commencer les travaux. Il sʼagissait, comme nous lʼindique un devis du
-1er juillet 1781, de « creuser et redresser les différents
-canaux le long des murs et aux abords de Caen, entre cette ville et
-la mer, jusquʼau dessous du moulin et du hameau de Clopée, près le
-pont de Tournebrousse. » La masse de terres, déplacée à cette
-occasion, sur une longueur de 2 kilomètres entre Caen et Clopée, a
-formé depuis la promenade du Cours Caffarelli. Comme un tel travail
-exigeait de nombreux ateliers, lʼintendant de Caen prit ses
-arrangements avec les chefs du régiment du Roi pour lʼemploi des
-soldats. Mais, à côté des grosses difficultés de lʼentreprise,
-naissaient spontanément mille petites misères qui retardaient les
-travaux. Un jour, ce sont des hostilités avec la régie au sujet des
-boissons fournies aux soldats qui creusent le canal; une autre fois,
-cʼest un fermier qui demande quʼon débarrasse des brouettes son
-écurie, dont il a besoin, mince événement qui donne lieu à de gros
-embarras administratifs. Puis, ce sont des accidents sérieux, comme la
-crue inopinée du 15 août 1782, qui vient couvrir tous les travaux.
-Ces contre-temps inspirèrent à quelque désœuvré de la ville un avis
-qui se recommandait autant par son orthographe que par la force de la
-pensée. « Un citoyen de cette ville, disait cet avis, ayant examiné
-tout lʼembaras que lon a pour de seché le canalle de cette nouvelle
-rivier donne connaissance de ses
-idées. » Soit que les idées de ce zélé citoyen ne brillassent point
-par la clarté, soit quʼon eût le tort de les laisser passer
-inaperçues, tout alla de mal en pis.
-
-En 1783, un des entrepreneurs signale à M. de Buffon,
-lieutenant-colonel du régiment de Lorraine, la mauvaise besogne de ses
-hommes et les dépenses énormes qui en résultent. En 1784, on se plaint
-des vols de bois commis par les soldats au préjudice des travaux. La
-même année se produit le scandale dʼune scène très-vive entre
-lʼingénieur, M. Loyer, et lʼentrepreneur Besson, qui exige des
-paiements arriérés. Quʼil menaçât ou suppliât, comme lʼentrepreneur ne
-voyait rien venir en fait de fonds, il interrompit brusquement les
-travaux dans le courant de lʼannée 1780. Alors M. de Brou,
-intendant de la généralité de Caen, prit la résolution de faire
-exécuter en régie lʼachèvement de la partie inférieure du canal. La
-question dʼargent se représenta alors sous une autre forme. Qui
-servirait de caissier à la régie? Grand embarras! car il paraît quʼon
-nʼavait déjà quʼune médiocre confiance dans les agents quʼon chargeait
-de cette fonction délicate. Le subdélégué de lʼintendant écrivait, à
-la date du 11 juin 1780: « Jʼai conféré au sujet dʼun caissier avec
-M. de Logivière, qui ne veut recommander personne sʼil sʼagit dʼun
-caissier ayant une caisse, et non dʼun agent recevant de quoi payer
-les dépenses au jour le jour. » Non sans peine, on finit cependant
-par dénicher ce phénix, cet employé unique dans son espèce, un
-caissier sans caisse! Cette merveilleuse découverte ne paraît pas
-avoir eu sur lʼentreprise lʼinfluence heureuse quʼon pouvait en
-attendre. Tout marchait à la diable, et lʼintendant ne cessait
-dʼadresser des reproches à lʼingénieur en chef.
-Lʼintendant renonça bientôt au système de la régie, et, dès le 24
-avril 1786, il tenta une nouvelle adjudication des travaux, qui eut
-lieu au prix de 757,222 livres. Cʼest à cette époque que lʼon fonda,
-sur les deux rives du canal St-Pierre, des murs de soutènement. En
-même temps, on commençait la construction du quai nord du canal de
-Vaucelles. Ces travaux se continuèrent jusquʼen lʼannée 1798,
-interrompus souvent, soit par suite des malheurs du temps, soit par
-suite dʼinondations ou dʼéboulements.
-
-Depuis cette époque, jusquʼen 1839, les quais du canal St-Pierre ne
-changèrent point de physionomie. La lithographie qui accompagne cette
-notice, et qui nʼest que la reproduction dʼune aquarelle exécutée en
-1832 par Lasne, nous donne donc une idée assez exacte de ce quʼétait
-lʼancien port de Caen à la date de la cessation des travaux en 1798.
-On peut y remarquer que les murs des quais nʼétaient terminés que sur
-la rive droite, depuis lʼOrne jusquʼau débouché de la rue des Carmes,
-où lʼon aperçoit deux piles, qui supportaient un pont tournant, dont
-la passe avait 50 pieds de largeur. Ces quais, consolidés en 1839,
-ont formé depuis lʼun des côtés du bassin actuel. Lʼauteur de
-lʼaquarelle, dont nous donnons une réduction lithographique, sʼétait
-placé, pour prendre la vue de lʼancien port, sur la rive droite de
-lʼOrne, dans un terrain quʼon appelait le Poigneux [41] et qui servait
-de chantier
-aux constructeurs de navires. De cet endroit, le regard de lʼartiste
-remontait toute la ligne du canal, depuis sa jonction avec lʼOrne
-jusquʼà lʼancien pont St-Pierre. Dans les derniers plans, sur une
-hauteur, on aperçoit les murs du château, et, sur la gauche, une
-partie de la ville avec la tour élégante de lʼancienne église des
-Carmes, sacrifiée depuis par lʼinintelligent et impitoyable marteau
-des démolisseurs.
-
-Tous les travaux de lʼancien port, dont nous venons de rappeler
-succinctement lʼhistoire lamentable, avaient coûté beaucoup de peine
-pour un pauvre résultat. « On comprend, en effet, dit très-bien M.
-Boreux [42], que du moment où lʼon ne sʼétait pas préoccupé de
-lʼembouchure de lʼOrne, passage que les navires de huit à neuf pieds
-de tirant dʼeau franchissaient très-difficilement et seulement à
-lʼapproche des grandes marées, il était parfaitement inutile de
-creuser à Caen des canaux plus profonds que le lit naturel de la
-rivière. »
-
-M. Cachin, dans son mémoire présenté en 1798, entra le premier dans
-une voie nouvelle, qui devait conduire sûrement au but. Ce fut lui qui
-condamna toutes dispositions tendant à établir le port de Caen dans la
-rivière même. Son projet, qui consistait à créer un bassin isolé de
-la rivière et un canal latéral à lʼOrne entre Caen et la mer, reçut un
-commencement dʼexécution en 1838. Le 23 août 1857, le canal était
-inauguré solennellement, et, à partir de ce jour, la cité, qui se
-souvient encore avec fierté du fameux armateur Étienne Duval, vit
-renaître enfin son mouvement maritime.
-
-
-
-
-ANCIENNE ÉGLISE SAINT-SAUVEUR
-
-[Illustration: ANCIENNE ÉGLISE ST-SAUVEUR]
-
-ANCIENNE
-
-ÉGLISE SAINT-SAUVEUR
-
-(AUJOURDʼHUI HALLE AU BLÉ)
-
-AVANT LA DÉMOLITION DE SA FLÈCHE EN BOIS
-
-SAINT-SAUVEUR est aujourdʼhui masqué, du côté de la place du même
-nom, par des maisons modernes. Le portail actuel, construit peu dʼannées
-avant la Révolution, a remplacé un
-charmant portail dont les voussures portaient des guirlandes de
-feuillages découpés à jour. « La forme particulière de lʼarcade du
-portail, dit Ducarel, qui a donné dans ses Antiquités un dessin de
-cette partie du monument, et le genre extraordinaire des ornements
-sculptés dans le fronton triangulaire qui le couronne, offrent une
-preuve évidente de son antiquité [43]. »
-
-On voit encore, à lʼextérieur du monument, des contreforts du XVIe
-siècle, et, sur un des piliers du chœur, un
-médaillon représentant une figure à triple face. A lʼintérieur, on
-remarque quelques clefs de voûte et, sur un des piliers de la tour,
-une sculpture représentant une figure de mendiant marchant sur les
-genoux. La nef fut bâtie dans le XIVe siècle; le chœur, commencé en
-1530, fut achevé en 1546.
-
-Dans la tour, couronnée aujourdʼhui par un toit de beffroi à quatre
-pans triangulaires, se trouvent des ornements saxons et mauresques:
-zigzags guillochés et denticules. Cette partie de lʼéglise semble
-appartenir au XIIIe siècle, à lʼexception de quelques mètres de
-maçonnerie, qui ont été ajoutés en 1604 pour servir de base à une
-pyramide en ardoise. Malheureusement, en 1836, Saint-Sauveur a vu
-tomber sous le marteau des démolisseurs sa flèche en bois, qui a été
-regrettée de tous les gens de goût.
-
-Comme nous lʼindique notre gravure, qui nʼest quʼune réduction dʼune
-aquarelle exécutée, en 1832, par A. Lasne, cette pyramide en bois,
-couverte dʼardoise, était entourée à sa base par de petits clochetons,
-également couverts dʼardoise. Elle était assez élevée, élégante et
-dʼun aspect très-pittoresque. De plus, elle avait, aux yeux des
-archéologues, une valeur toute particulière par sa rareté; car, dans
-lʼarrondissement de Caen, si riche en clochers de pierre, cette
-flèche en charpente était le seul spécimen dʼarchitecture religieuse
-de ce genre. Malgré toutes ces bonnes raisons, qui plaidaient pour
-sa conservation, la tour de lʼancien Saint-Sauveur fut solennellement
-condamnée à être décapitée, par une délibération du Conseil municipal
-du 27 août 1836.
-
-« Considérant, disait lʼarrêté ou plutôt le jugement, que
-les travaux proposés pour les réparations de lʼancienne église
-Saint-Sauveur, servant actuellement de halle à blé, assureront à
-cet édifice une longue durée; que toutefois la flèche du clocher,
-construite en bois et couverte en ardoises, nʼétant pas un monument
-dʼart et nʼayant dʼailleurs rien de remarquable, ne doit pas être
-conservée, puisque la réparation entraînerait une dépense de près
-de 6,000 fr., que dès lors cette flèche doit être démolie;
-
-« Considérant que le produit de la vente des bois et autres
-matériaux devra être affecté aux réparations de la halle; que la
-vente doit avoir lieu aux enchères publiques, mais que les
-réparations de la halle, devant être exécutées dans dʼanciens murs,
-doivent avoir lieu par économie;
-
-« Ouï le rapport de la Commission des finances, le Conseil arrête:
-
-« Les matériaux de toute nature, composant la flèche de lʼancienne
-église Saint-Sauveur, seront vendus publiquement à la charge de
-démolition. Le produit de la vente est affecté aux réparations de
-la toiture de ladite église. »
-
-Lʼopinion publique ne confirma pas la sentence; elle sʼémut, et une
-pétition, couverte de nombreuses signatures, demanda « la grâce du
-condamné. » Le 9 août 1837, le Conseil municipal répondit à ces vœux
-par lʼarrêté suivant:
-
-« Vu une pétition, à lui adressée le 10 mai dernier, pour obtenir
-que le clocher existant sur la halle aux grains soit conservé et
-réparé;
-
-« Attendu que ce clocher en bois couvert en ardoises nʼoffre,
-sous le rapport de lʼart ni sous celui de son antiquité, rien
-qui puisse le faire considérer comme un monument quʼil soit utile de
-conserver et de réparer; que ce clocher nʼest pas convenablement
-placé sur une halle;
-
-« Attendu que la réparation de la flèche du clocher coûterait une
-somme de trois mille deux cents francs au moins sur la dépense
-occasionnée par lʼadjudication des travaux de réparations à faire à
-lʼancienne église Saint-Sauveur, servant de halle aux grains, et
-que la situation financière de la ville ne lui permet pas
-dʼemployer cette somme à une dépense qui nʼest pas indispensable;
-
-« Attendu que lʼadjudication des travaux à faire à la halle
-comprend la démolition de ce clocher, conformément aux deux
-délibérations du Conseil municipal en date du 27 août 1836 et 15
-mars 1837;
-
-« Après avoir entendu le rapport de la Commission spéciale;
-
-ARRÊTE:
-
-« 1° Il nʼy a pas lieu de modifier lʼadjudication des travaux à
-faire à la halle au blé, en ce qui concerne le clocher qui devra
-être supprimé;
-
-« 2° M. le Maire est chargé de lʼexécution du présent arrêté. »
-
-Ce fut bien en effet une exécution, et dʼautant plus maladroite que le
-principal motif de lʼarrêt, la question dʼéconomie, nʼaurait pas dû
-peser sur lʼesprit des juges; car on sut plus tard quʼil nʼen aurait
-pas coûté plus cher à la ville pour
-restaurer la flèche que pour la démolir. Lʼentrepreneur en avait offert
-le choix au Conseil municipal.
-
-A cette note sur lʼéglise supprimée de Saint-Sauveur, nous ajouterons
-quelques fragments, dont lʼun, jusquʼici inédit, formerait une page
-intéressante de lʼhistoire de lʼancienne Université de Caen.
-
-La fondation de lʼéglise primitive est attribuée à saint Regnobert. On
-lʼappelait, dès lʼannée 1130, Saint-Sauveur-du-Marché, de lʼancien nom
-de la place où elle est située. Un marché avait lieu devant son
-portail, les lundis et vendredis de chaque semaine, et les droits de
-ce marché appartenaient au domaine des ducs de Normandie.
-
-Lʼancienne église était située au milieu dʼun cimetière, qui
-lʼentourait encore au XVIIe siècle. Lorsque la ville lui eut donné,
-en 1686, un autre emplacement pour son cimetière, lʼéglise ne resta
-pas longtemps isolée. A peine les morts partis, elle se vit assiégée
-par les vivants. « Les petites maisons qui environnent lʼéglise
-Saint-Sauveur sont construites, » nous dit en effet, à la date de
-1714, un manuscrit conservé à la Bibliothèque de Caen [44].
-
-Au XVIIIe siècle, deux petits événements se passèrent dans lʼintérieur
-de lʼéglise Saint-Sauveur. Le premier fait, qui nʼa que la valeur
-dʼune nouvelle à la main, est ainsi raconté dans le Journal dʼun
-bourgeois de Caen [45]: « Le lundi 23 juin 1721, le sieur Regnauld a
-donné un bal à Mlle de Than, à Saint-Sauveur, et le lendemain des
-dames sont allées en masque à la messe de Saint-Sauveur, ce qui a
-causé bien du scandale. »
-
-Voici le second fait. En 1753, Saint-Sauveur ouvrit ses portes à un
-cortége dont la pompe solennelle a longtemps frappé lʼesprit des
-contemporains. Les lettrés normands savent que lʼancienne Université
-de Caen avait pour chef un recteur, quʼon élisait tous les six mois.
-La fréquence de ces élections était, suivant lʼabbé De La Rue, « un
-moyen infaillible dʼexciter lʼémulation parmi les professeurs, dont
-les plus distingués pouvaient briguer les suffrages des députés de
-chaque faculté. » Ducarel, dans ses Antiquités anglo-normandes, explique
-le peu de durée des fonctions du recteur par des motifs beaucoup moins
-nobles. Suivant lui, la dépense que nécessitaient les funérailles dʼun
-recteur était si excessive que lʼUniversité, pour prévenir un malheur
-attaché à lʼespèce humaine, avait eu recours à lʼexpédient de ne
-nommer son chef que pour six mois, ou même pour un temps moins long,
-quand la maladie menaçait dʼabréger ses jours. Lʼopinion de Ducarel,
-tout étrange ou malveillante quʼelle paraisse, nʼest cependant pas
-dénuée de vraisemblance. En effet, lʼUniversité ne se composait pas
-seulement de professeurs et dʼécoliers. Comme ses membres étaient
-investis de priviléges, dont les principaux consistaient dans
-lʼexemption de certains impôts indirects, elle ne tarda pas à ouvrir
-ses rangs à de nombreux parasites, qui venaient moins y chercher la
-nourriture de lʼesprit que la satisfaction dʼappétits plus positifs.
-Cʼest ainsi que les fonctions modestes de bedeaux, dʼappariteurs, de
-copistes, de papetiers, etc., furent avidement recherchées par de
-riches bourgeois et de grands seigneurs. « Lʼusage voulait, dit M.
-Jules Cauvet [46],
-que ces personnages, en recevant leur nomination, offrissent à
-lʼUniversité, toujours assez médiocrement pourvue dans ses moyens
-financiers, une somme dʼargent comme témoignage de leur
-reconnaissance. »
-
-Ceci exposé, le lecteur pensera avec nous que lʼexplication de Ducarel
-nʼest pas moins acceptable que celle de lʼabbé De La Rue. Un double
-courant dʼopinion, parmi les membres de
-lʼUniversité, devait les conduire, par deux pentes distinctes,
-à la même conclusion. Dʼune part, les professeurs, qui pouvaient
-briguer les suffrages de leurs confrères; de lʼautre, les étrangers,
-qui ne recherchaient dans des places universitaires quʼun moyen de
-sʼexempter de la taille, avaient des motifs, différents il est vrai,
-mais non moins sérieux les uns que les autres, pour souhaiter le
-maintien des statuts, qui exigeaient une nouvelle élection tous les
-six mois. Ceux-ci, dans la crainte de participer aux frais des
-funérailles, redoutaient la mort du recteur; ceux-là désiraient son
-changement dans lʼespoir de lui succéder.
-
-Grâce au règlement qui bornait à six mois la durée du rectorat,
-lʼancienne Université de Caen, depuis son origine jusquʼà sa
-suppression, cʼest-à-dire depuis 1431 jusquʼà 1791, nʼeut que deux
-fois à payer la perte douloureuse de son amplissime recteur [47]. On se
-figure aisément quelle émotion se répandit dans la ville lorsquʼon y
-apprit, le 27 septembre 1753, que M. Jacques-François Boisne, recteur
-de la « très-célèbre
-Université de Caen » et professeur de rhétorique au collége
-Du Bois, venait de se tuer à la chasse, à Beuville, chez le seigneur
-du lieu. Le peuple, qui nʼavait guère alors que les cérémonies
-publiques: feux de la Saint-Jean, entrées de gouverneurs ou de rois,
-et enterrements de grands personnages, pour se consoler de ses
-misères, dut apprendre la nouvelle avec une joie peu dissimulée. On
-savait si bien que les funérailles dʼun recteur devaient sʼaccomplir
-dans des conditions de magnificence inusitées, on avait attendu si
-longtemps un spectacle qui avait été refusé à tant de générations, on
-se faisait de cette solennité somptueuse une idée si extraordinaire,
-quʼune rumeur étrange courut dans la foule et, par sa sottise même,
-sʼaccrédita au point de passer plus tard à lʼétat de tradition [48]. On
-répandit le bruit que le recteur sʼétait tué volontairement pour avoir
-de magnifiques funérailles, et on le crut! Cette inepte invention, née
-de la bêtise des foules, qui ont besoin dʼentourer les événements les
-plus ordinaires de quelque chose de merveilleux, aurait été avidement
-exploitée, si elle avait eu la moindre vraisemblance, par lʼhabileté
-des gens qui allaient être atteints dans leurs intérêts matériels. En
-effet, sʼils avaient pu, non pas établir, mais seulement laisser
-soupçonner un suicide, tous les parasites
-de lʼUniversité, qui voulaient bien en accepter les avantages sans en
-supporter les charges, nʼauraient pas négligé un moyen si commode
-dʼempêcher une inhumation dont ils devaient payer une partie des
-frais. Quoique lʼabsurde soit facilement accueilli par le plus grand
-nombre, ils nʼosèrent pas cependant tirer parti du bruit populaire. A
-quoi bon dʼailleurs employer une calomnie, difficile à faire accepter
-des gens intelligents, quand on a sous la main un bon petit scandale
-indiscutable? Le recteur, qui venait de succomber, sʼétait tué à la
-chasse, et, comme il était prêtre, on sʼempara de ce fait pour
-discréditer sa mémoire dans lʼesprit des gens superstitieux.
-Lʼargument, il est vrai, ne réussit pas. Toutefois il fut employé avec
-assez de persistance pour quʼil obligeât les doyens, docteurs et
-professeurs de lʼUniversité, à le réfuter publiquement, afin de ne pas
-être soupçonnés dʼavoir participé à la rumeur que quelques habiles
-avaient mise en circulation. Ce fait nous est suffisamment indiqué par
-un passage du procès-verbal des funérailles du recteur, publié par
-lʼUniversité. Après avoir insisté sur les détails de lʼaccident, le
-rédacteur de la pièce y a laissé tomber entre deux parenthèses, comme
-par mégarde, le bruit (qui courait en ville) que lʼon refuserait les
-honneurs de la sépulture rectorale à un prêtre que la mort avait
-surpris au moment où il chassait. Voici ce passage significatif [49]:
-
-« Le mercredi 26 septembre 1753, M. Jacques-François Boisne,
-recteur de la très-célèbre Université de Caen et professeur
-de rhétorique au collége Du Bois, était à Beuville,
-paroisse distante de deux lieues de cette ville, chez le seigneur
-du lieu. On lʼinvita dʼaller à lʼafut, il prit un fusil, y fut, et
-passant, vers les sept heures du soir, un fossé, son fusil fit feu,
-le coup lui passa vers la tempe droite, lui enleva le crâne de la
-tête.
-
-« Le jeudi 27, le bruit de sa mort se répandit dans cette ville dès
-le matin. La justice et les chirurgiens se transportèrent à Beuville
-pour faire la visite du mort et en dresser acte suivant la coutume.
-
-« Le matin, les docteurs et professeurs qui étaient dans cette
-ville sʼassemblèrent et tinrent conseil, dont le résultat fut de
-députer vers les doyens, docteurs et professeurs absens, pour venir
-délibérer en forme; on envoya chercher M. Vicaire, doyen perpétuel
-de la Faculté de théologie, à Martragny.
-
-« Les doyens, docteurs et professeurs sʼassemblèrent le soir pour
-savoir si on accorderait les honneurs de la sépulture rectorale au
-défunt. On les lui accorda à la pluralité des voix (car le bruit
-sʼétait répandu quʼil ne les auroit pas, étant mort à la chasse). »
-
-Le procès-verbal relate ensuite, avec de grands détails, tous les
-préparatifs de la cérémonie, lʼembaumement du corps, et son
-exposition, pendant plusieurs jours, dans la classe de philosophie du
-collége Du Bois. Vient enfin le récit des funérailles, avec une longue
-énumération des fonctionnaires et des notables qui composaient le
-cortége. Tout en faisant grâce au lecteur de cette liste fastidieuse
-de noms propres, nous devons cependant attirer son attention sur
-certaines personnes
-qui figurent dans cette nomenclature. Ainsi nous trouvons, dans
-les premiers rangs du cortége, un sieur Harel et un sieur Crespel
-désignés comme écrivains, et un sieur Guillain, de Bénouville, comme
-enlumineur. A partir de lʼannée 1440, lʼUniversité de Caen avait eu
-des registres en vélin, écrits par des officiers de lʼUniversité,
-quʼon appelait scriptores, et ornés souvent de vignettes et de
-miniatures exécutées par dʼautres officiers, quʼon appelait
-enlumineurs [50]. Mais, au-delà de lʼannée 1620, on ne trouve plus
-trace de registres de lʼUniversité. Le travail cessant, il semblerait
-que le fonctionnaire eût dû disparaître avec la fonction. Cependant,
-par un miracle de longévité que constate le procès-verbal de
-lʼinhumation du recteur, les écrivains et enlumineurs sʼétaient
-conservés plus dʼun siècle après lʼabandon des registres enluminés.
-Ils figuraient aux cérémonies publiques et jouissaient, comme tous les
-autres officiers de lʼUniversité, de lʼexemption de taxes onéreuses,
-moyennant une certaine somme, déguisée sous le nom de don volontaire,
-quʼils payaient à lʼUniversité en entrant en fonctions. Cette
-parenthèse fermée, nous rendons la parole au rédacteur du
-procès-verbal.
-
-« Le chœur de Saint-Sauveur étoit tendu à quatre rangs de lingette
-noire et la nef à un rang. La chapelle du Saint-Sacrement et celle de
-la Charité étaient tendues de leurs tentes noires et ornemens
-funèbres. »
-
-« Au milieu du chœur il y avoit un très-beau cataphalque; il avait
-quatre degrés tendus de noir chargés de larmes dʼargent, têtes de
-mort et armes de lʼUniversité, un très-grand
-nombre de cierges sur les degrés. Sur ces degrés étoit
-lʼélévation, dʼenviron trois pieds, où on posa M. le Recteur pendant
-le service, sous un dais de velours noir. Chaque pente chargée au
-milieu des armes de lʼUniversité et, au reste, de larmes dʼargent.
-La corde qui soutenoit le dais étoit couverte de noir et dʼune bande
-blanche qui régnoit tout du long spiralement; telles étoient les
-quatre cordes qui partoient des angles du dais et qui rendoient à
-quatre coins du chœur. Le ciel étoit en voûte et se terminoit par
-une boulle dʼargent, sur laquelle étoit peinte une tête de mort à
-deux faces avec des ailes. Du dais pendoient quatre rideaux qui
-sʼétendoient aux coins où étoient arrestées les cordes. Ils étoient
-de cinq bandes, deux noires et trois blanches, chargées dʼhermines
-noires; lʼautel avoit autant de cierges quʼil en pouvoit avoir.
-
-. . . . . . . . . .
-
-« Il y eut un concours extraordinaire de peuple qui vint voir cette
-cérémonie; enfin il y avoit plus de monde à Caen, ce matin, quʼil
-nʼen vient en foire de Caen le premier lundi. Les villes, de
-quinze lieues à la ronde, étoient pour ainsi dire désertes. Il en
-vint de Rouen et de Paris. »
-
-Cette cérémonie, autant par sa rareté que par la pompe extraordinaire
-qui y fut déployée, avait vivement frappé lʼimagination des
-contemporains. En dehors des relations officielles, nous en trouvons
-un récit abrégé dans le Journal dʼun bourgeois de Caen. Un autre
-bourgeois de la ville, Étienne Deloges, qui, à la suite dʼun recueil
-manuscrit de Noëls et cantiques [51],
-avait jeté deçà delà quelques notes relatives à des faits dʼhistoire
-locale dont il avait été témoin, nous a donné aussi, à sa façon, un
-compte-rendu des funérailles du recteur. Cette note mériterait dʼêtre
-citée, ne fût-ce que pour la bizarrerie amusante de son orthographe.
-Mais, comme elle ferait double emploi avec le procès-verbal que nous
-avons mis sous les yeux des lecteurs, nous nous contenterons dʼen
-extraire un passage où lʼauteur relate un fait inédit, qui nous
-servira à compléter notre récit. « Il y a eu contestation pour sa
-sépulture, dit lʼauteur en parlant des funérailles de Jacques de
-Boisne; on voulet lʼinumé aux Cordeliers, lieu de leurs sépultures;
-et le sr curai de Saint-Sauveur leur demanda, estant de sa
-paroisse, et on luy a acordé; il a esté inumé le 5 dʼoctobre 1753,
-porté sous un dais par quatre ecclésiastiques, quatre crespe aux
-quatre coins du dès porté par quatre ansiens recteurs. »
-
-Quand on songe à lʼimportance du casuel que de telles funérailles
-devaient rapporter, on ne sʼétonne plus que la dépouille mortelle du
-recteur ait été lʼobjet dʼune contestation entre deux églises rivales.
-Mais ce qui a lieu de nous surprendre, cʼest la victoire remportée, en
-cette occasion, par le curé de Saint-Sauveur. Le droit et lʼusage
-semblaient au contraire plaider en faveur des religieux des
-Cordeliers. Huet nous dit en effet, dans ses Origines de Caen, quʼen
-vertu dʼun contrat les Pères Cordeliers avaient mis leur couvent et
-leur église à la disposition de lʼUniversité, qui, de son côté,
-sʼengageait à les protéger. Dans une brochure in-4° intitulée: Actions
-de grâces rendues par lʼUniversité de Caen pour le rétablissement de
-la santé du Roy, le 25 novembre 1744, nous voyons aussi
-que les Pères Cordeliers avaient le titre de chapelains ordinaires de
-lʼUniversité. La même brochure nous apprend encore que les processions
-particulières des autres paroisses étaient astreintes, lors des
-cérémonies universitaires, à sʼassembler dans lʼéglise des Cordeliers.
-Enfin la note manuscrite, que nous avons citée et qui émane dʼun
-contemporain, dit positivement que le couvent des Cordeliers était le
-lieu de la sépulture des membres de lʼUniversité. Pour triompher de
-droits si formels, cimentés par un long usage, il fallut au curé de
-Saint-Sauveur des arguments bien subtils ou de bien puissantes
-influences. Ni les unes ni les autres ne lui manquèrent. En effet,
-Pierre Buquet, qui eut la bonne fortune dʼoccuper la cure de
-Saint-Sauveur au moment de la mort dʼun recteur, avait été lui-même
-recteur et principal du collége des Arts. De pareils titres devaient
-lui assurer une grande autorité dans les conseils de lʼUniversité. Et
-celle-ci pensa sans doute que ce nʼétait pas tout à fait se dépouiller
-que de payer les frais de lʼinhumation entre les mains dʼun de ses
-membres.
-
-Trente-huit ans après cette pompeuse cérémonie, en 1791, la
-municipalité de Caen sʼempara de lʼéglise Saint-Sauveur et la
-convertit en halle aux grains. Où résonnaient jadis les chants sacrés,
-on nʼentendit plus désormais que les clameurs dʼune foule affairée ou
-quelquefois, comme en 1812, les grondements de lʼémeute. Ce fut, en
-effet, sous les voûtes de lʼancienne église Saint-Sauveur que se passa
-le premier acte dʼun drame qui a laissé une page sinistre dans
-lʼhistoire de Caen sous le premier Empire. Voici comment M. Canivet,
-dans une excellente notice, raconte les premiers incidents de lʼémeute
-de 1812: « Le 2 mars, dit-il, une foule plus nombreuse
-quʼà lʼordinaire avait envahi la halle. Elle était composée
-partie de pauvres gens, dont bon nombre de femmes, venus là pour
-acheter un peu de blé, partie dʼhommes sans aveu, que lʼon rencontre
-partout où il y a du tumulte et dont le rôle est de faire du tapage et
-dʼanimer les esprits. A leur tête était un nommé Lhonneur, maître
-dʼécriture, homme peu considéré, pour ne pas dire plus, mais à la
-parole facile, et il sʼen servait alors pour persuader à la foule
-ignorante et affamée que, si le blé était cher, il ne fallait point
-sʼen prendre à lʼinsuffisance de la récolte, mais à la connivence des
-fermiers et des trafiquants de grains. Le peuple dʼapplaudir et de
-crier: A bas les accapareurs!
-
-« Cependant le préfet et le maire, prévenus du désordre, étaient
-accourus à la halle où se trouvait déjà le colonel Guérin; la force
-publique nʼy était représentée que par quatre gendarmes. En vain le
-préfet, par des paroles conciliantes, essaya dʼapaiser les séditieux
-et de leur démontrer que de pareilles scènes ne pouvaient avoir
-dʼautre résultat que dʼéloigner les cultivateurs de la halle et, par
-conséquent, de faire monter le prix du blé; sa voix ne fut pas
-écoutée; des menaces et des injures furent proférées contre lui. On
-dit quʼun gamin de dix-huit ans, fils de lʼexcoriateur Sanson, plus
-connu sous le nom de Bon-Appétit, cria, dans le langage de son état:
-« Passez-moi le préfet, que je lʼécorche comme un vieux cheval, » et
-quʼil sʼélançait sur lui quand il fut saisi par le colonel et étendu
-sur le sol. On dit aussi quʼune femme Provost lui porta le poing sous
-le nez et, selon quelques-uns, le frappa au visage; quʼune autre
-femme, les uns disent Trilly, les autres Gougeon, tira le maire par
-son catogan et le renversa sur un sac de blé. Je nʼai dʼautres
-garanties de ces faits que la voix publique, et ce qui me porte à en
-douter, cʼest que M. Chemin, ayant consigné dans ses notes que le
-gendarme Maresquier lui a dit depuis que, si on les avait laissés
-faire, lui et ses camarades, ils auraient arrêté quelques-uns des
-plus criards et que tout eût été fini, il est évident quʼil sʼest
-enquis auprès de ce témoin oculaire de tout ce qui sʼétait passé; or,
-il ajoute nʼavoir pas entendu dire quʼaucune voie de fait eût été
-commise jusquʼà ce moment.
-
-« Il est certain que, dans ces circonstances critiques, le préfet
-perdit contenance et que, protégé par les gendarmes, il parvint à
-gagner la porte, jetant quelques pièces de monnaie à la populace, qui
-le poursuivit de ses huées jusquʼà la maison du premier président Le
-Menuet où il trouva un refuge. Quant au maire, il avait disparu,
-regagnant, dit-on, son domicile, rue St-Étienne, sous une grêle de
-projectiles peu dangereux; quelques vitres furent brisées à sa maison.
-Seul, le colonel tint bon jusquʼà la fin, faisant face à la foule et
-lui en imposant par sa fière contenance.
-
-« Tel fut le premier acte du drame. Avant de passer outre, constatons
-que pas un vol nʼavait été commis et que les cultivateurs qui, à la
-vue du désordre grandissant, avaient pris la fuite, abandonnant leurs
-sacs de blé, les retrouvèrent intacts à la halle suivante. Constatons
-encore que, à part les on dit et les incidents plus burlesques que
-tragiques propagés dans le public, il est un fait avéré, cʼest que
-les deux premiers magistrats, lʼun du département, lʼautre de la
-ville, furent brutalement insultés et leur autorité méconnue. »
-
-« Cʼest à la halle du lundi que ces désordres avaient eu lieu. Tout
-autre jour, chacun fût retourné chez soi; mais alors, comme
-aujourdʼhui, le lundi était le dimanche des ouvriers, et cette foule
-oisive continuait à stationner place St-Sauveur avec force
-vociférations. Déjà le jour tirait à sa fin et elle allait se
-disperser peut-être, quand une voix dominant le tumulte fait entendre
-le cri: Allons chez Mottelay! Ce Mottelay, meunier de son état,
-avait acheté récemment lʼusine de Montaigu et introduit, dans les
-procédés de mouture, quelques perfectionnements qui faisaient affluer
-les grains à son moulin. On eût passé à moins pour un accapareur, dans
-un temps où le peuple en voyait partout; aussi tous de répéter:
-Allons chez Mottelay! »
-
-Une troupe dʼenviron deux cents personnes envahit le moulin de
-Montaigu situé sur les bords de lʼOrne, à lʼextrémité du Grand-Cours.
-Quelques hommes dʼune compagnie de la garde nationale suffirent à
-disperser les émeutiers, qui sʼétaient contentés de dévaster
-lʼintérieur du moulin et de renverser un petit nombre de sacs de
-farine dʼorge. On sait de quelle répression terrible fut suivie cette
-émeute sans importance.
-
-Après quelques jours dʼun calme complet, la ville apprit avec stupeur
-lʼarrivée du général Durosnel, aide-de-camp de lʼEmpereur. Il entra à
-Caen avec un corps de troupes considérable et accompagné dʼune
-commission militaire, toute composée dʼavance pour juger les
-séditieux. Cinquante-neuf prévenus furent arrêtés et transférés de la
-prison civile au Château, où la commission prit séance le 14, à huit
-heures du matin. Le 15, à deux heures du matin, la commission
-prononçait une sentence qui condamnait huit accusés,
-parmi lesquels quatre femmes, à la peine de mort, huit à huit ans de
-travaux forcés, neuf à cinq ans de réclusion, vingt-cinq à cinq
-années de surveillance.
-
-« Dix-huit heures avaient donc suffi, dit M. Canivet, pour entendre
-soixante accusés dans leurs explications et leurs réponses, les
-témoins à charge et à décharge dans leurs dépositions, le rapporteur
-dans son réquisitoire, les avocats dans leurs plaidoiries. Jamais
-tribunal, ni celui de la Terreur, ni celui même de Maillard, aux
-journées de septembre, de sinistre mémoire, nʼavait fonctionné dʼune
-manière plus expéditive. »
-
-Lʼexécution fut aussi rapide que lʼarrêt. Elle eut lieu le même jour,
-entre sept et huit heures du matin, en dehors de la porte du Secours
-du Château. Lʼun des condamnés, le jeune Samson, âgé de dix-neuf ans,
-se débattait et criait: « Ne me tuez pas, ne me tuez pas!
-envoyez-moi plutôt à lʼarmée, on nʼen revient jamais! » »
-
-« Mot amer, dit très-bien M. Canivet, et dont le malheureux ne
-comprenait sans doute pas la portée; sanglante condamnation du régime
-de chair à canon qui pesait alors sur la France! »
-
-
-
-
-ABBAYE-AUX-DAMES
-
-[Illustration: ANCIENNE ABBAYE-AUX-DAMES]
-
-ABBAYE-AUX-DAMES
-
-(AUJOURDʼHUI HOTEL-DIEU)
-
-AVANT LA DÉMOLITION DU DONJON ET DE LʼANCIENNE PORTE DʼENTRÉE.
-
-A la suite des désastres de lʼinvasion anglaise de 1346, lʼAbbesse de
-Sainte-Trinité, dont le monastère, situé en dehors des murs de la
-ville, était exposé aux entreprises de lʼennemi, obtint
-lʼautorisation de lʼentourer de murailles, de tours et de fossés. Les
-travaux devaient être achevés en 1363; car, à cette date, des
-lettres-patentes de Charles, duc de Normandie, autorisèrent lʼAbbesse
-à percevoir des impôts sur ses vassaux « pour lʼentretien et
-réparation du fort de la Trinité, qui est, disaient ces lettres,
-dʼune grande enceinte, pour le payement des gens dʼarmes nécessaires
-à sa garde, et à cause des ennemis qui étaient dans le pays et aux
-environs. »
-
-« Au mois de juin de lʼannée suivante, dit lʼabbé De La Rue dans ses
-Essais historiques sur Caen, Bertrand Duguesclin vint à Caen avec la
-qualité de capitaine général de la Normandie
-Outre-Seine. LʼAbbesse Georgette du Molley lui demanda de
-venir au secours de ses vassaux de Saint-Gilles, qui, obligés de
-garder de jour et de nuit la forteresse de lʼabbaye, étoient encore
-tenus de loger la troupe quʼon entretenoit dans ce faubourg, comme
-dans un corps avancé qui couvroit la ville. Le capitaine général, par
-une ordonnance du 21 juin, les déclara exempts pendant un an de toute
-taille, subside, treizième, impôt et aides qui étoient ou qui
-pourroient être mis sur la ville et vicomté de Caen.
-
-« La forteresse de Sainte-Trinité avoit son capitaine particulier,
-nommé par le Roi et à sa solde.
-
-« En temps de guerre, le grand bailli de Caen faisoit la visite des
-forteresses de son bailliage et les faisoit mettre en état de défense
-et approvisionner. René Le Coustellier, occupant cette dignité en
-lʼannée 1372, dressa le procès-verbal de sa visite, et on y lit:
-
-« Le 9 février, lʼabbeie de Caen fut visitée, et fut commandé à
-Mme lʼAbbesse et aussi à M. Erard de Percy, capitaine de ladite
-abbeye, que la fortresche fût mise en état de toute défense, de
-toutes réparations, tant de garites, fossés et autrement, et aussi
-garnie de vivres et dʼartillerie convenablement, selon une sedulle
-qui leur fut baillie sous le scel du bailli, et temps prefigié
-jusquʼau premier jour dʼavril prouchain venant. »
-
-« Le roi dʼAngleterre Henri VI, maître de la Normandie, ordonna en
-1434, au bailli de Caen, de raser les fortifications de lʼabbaye de
-Sainte-Trinité. Cʼest lʼannée où les nobles et les communes se
-soulevèrent contre les Anglois et voulurent sʼemparer de la ville de
-Caen. Mais lʼAbhesse Marguerite de
-Thieuville forma opposition à la démolition, et comme on craignait
-sans doute quʼelle ne livrât la place aux mécontents, on laissa
-subsister la forteresse. Le roi Charles sʼy retira plusieurs fois,
-pendant que son armée faisoit le siége de Caen, en 1450. On la trouve
-encore mentionnée dans les actes jusquʼau commencement du XVe siècle.
-Mais après cette époque, la paix en fit négliger lʼentretien; cette
-place tomba dʼelle-même, ou bien on rasa ce qui en faisait la force
-pour utiliser le fonds. »
-
-Cependant quelques restes importants des fortifications de
-lʼAbbaye-aux-Dames avaient eu la bonne fortune dʼéchapper à la
-destruction ou aux ravages du temps. M. Le Nourichel nous en a
-conservé la physionomie dans un dessin à la mine de plomb, dont la
-reproduction lithographique accompagne cette notice [52]. On aperçoit
-dʼabord, au centre du dessin, lʼentrée primitive de lʼabbaye,
-construction du XIe siècle qui se compose dʼune large porte, dont la
-voûte soutient un étage orné dʼarchivoltes. Cette entrée avait cela de
-particulier quʼon ne voyait pas à côté dʼelle, comme dans la plupart
-des autres maisons religieuses, une autre porte plus petite pour le
-passage des piétons. Un corps de logis, moins élevé mais plus long,
-flanqué de deux échauguettes et percé de fenêtres grillées, réunit
-lʼancienne entrée de lʼabbaye à une tour carrée. Des contreforts
-servent dʼappui à la partie inférieure de cette
-dernière construction, dont lʼétage le plus élevé est orné
-dʼouvertures gothiques. Au sommet règne une balustrade à jour,
-rappelant un peu le couronnement des deux tours occidentales de
-lʼéglise qui lʼavoisine.
-
-Quel était, dans le système de défense de lʼabbaye, le rôle de cette
-tour carrée? Était-ce un donjon proprement dit, ou une tour-réduit,
-destinés à commander les dehors et à servir de dernier refuge aux
-défenseurs de la place? Rien ne semble lʼindiquer; car on nʼy
-découvre ni créneaux, ni meurtrières, ni machicoulis. Comme
-lʼAbbaye-aux-Dames était le siége dʼune justice féodale, nous
-supposerions plus volontiers que cette tour carrée servait de prison.
-Il y a, dʼailleurs, entre sa physionomie architecturale et celle du
-donjon du prieuré de St-Gabriel (Calvados), une analogie frappante;
-celui-ci, dont lʼusage est bien connu, était divisé en deux étages,
-dont le plus élevé communiquait par un trou rond, pratiqué dans la
-voûte, avec le cachot où lʼon renfermait les prisonniers. Les deux
-constructions ayant de grandes ressemblances, il est permis de croire
-quʼelles ont eu aussi la même destination.
-
-Quelle que fût dʼailleurs la destination de cette tour, elle était
-assez intéressante pour quʼon prît le soin de la conserver. Reliée par
-dʼanciens bâtiments fortifiés à la porte romane de lʼabbaye, elle
-nʼoffrait pas seulement un aspect pittoresque; elle avait encore le
-mérite de nous présenter nettement le caractère dʼune construction à
-la fois religieuse et militaire au moyen âge. Malheureusement les
-monuments nʼont pas une destinée beaucoup plus rassurante que celle
-des livres, exposés, comme le dit le poète latin, au caprice du sort.
-Quand ils ne sont pas victimes de cette force aveugle et
-stupide qui sʼappelle la guerre, ils tombent moins noblement, mutilés
-par des gens sans goût, ou renversés par des administrations trop
-économes.
-
-Rappelons en quelques mots dans quelles circonstances fut écrite cette
-triste page de lʼhistoire municipale de Caen. Les bâtiments de
-lʼAbbaye-aux-Dames, convertis en casernes pendant la Révolution,
-avaient été destinés, par un décret du 21 octobre 1809, à devenir
-le dépôt de mendicité de la province. Cet établissement y fut
-effectivement créé le 1er février 1812; mais les dépenses
-considérables quʼil occasionnait, sans avantage réel pour le
-département, en firent demander la suppression, qui eut lieu en vertu
-dʼune ordonnance royale du 26 août 1818. Ce fut alors que le Conseil
-municipal, sur la proposition du maire, conçut la pensée de conserver
-à la ville ce précieux monument, en y établissant son hôpital des
-malades. Ce vœu méritait dʼêtre accueilli favorablement, et le
-Gouvernement, par une ordonnance du 22 mai 1822, autorisa la
-rétrocession des bâtiments aux hospices. Jusque-là rien de mieux: le
-projet du Conseil municipal donnait satisfaction aux intérêts
-matériels de la cité, sans nuire au côté artistique de la question. Le
-point de départ était excellent; mais, en route, on sʼégara en
-oubliant de se laisser guider par les règles du goût, quʼon avait
-dʼabord hautement proclamées.
-
-Voici, en effet, ce que nous lisons dans le procès-verbal de la
-séance du 28 septembre 1821: « Le Conseil a vu avec satisfaction
-que tous ces plans et projets ont été si bien combinés que lʼéglise
-de Sainte-Trinité sera rendue toute entière au culte divin, et
-quʼen même temps ce monument, remarquable sous le rapport des arts
-et vénérable par les
-souvenirs historiques qui sʼy rattachent, sera dégagé des masures
-et constructions inutiles qui en obstruent la vue et lʼaccès. »
-
-Ainsi, pour le Conseil de 1821, lʼancienne porte romane et le donjon
-de lʼabbaye, inestimables souvenirs archéologiques, ne sont plus que
-des masures et des constructions inutiles! Sʼautorisant de cette
-manière de comprendre les beaux-arts, le rapporteur de la Commission
-des travaux publics, à la date du 14 mai 1823, sʼécrie quʼil faut
-abattre tout ce qui entoure lʼéglise Sainte-Trinité pour « y pratiquer
-une arrivée digne de lʼédifice! » Ce cri éloquent est entendu; on
-frappe, on pioche, on brise, on abat jusquʼà une nouvelle
-délibération du 13 février 1831, où lʼon peut constater que « les
-déblais autour de lʼédifice avaient déjà coûté à la ville 30,000 fr.! »
-Les déblais, cʼétait la porte du XIe siècle, cʼétait le donjon du
-XIVe!... Et dire que la ville, en sʼépargnant cette dépense, aurait
-enrichi en même temps notre province de deux rares spécimens de
-lʼarchitecture religieuse et militaire au moyen âge!
-
-Lʼhistoire, que le marteau des démolisseurs ne saurait attaquer, nous
-dédommage de cette perte par de nombreux et intéressants documents,
-dont nous ne pouvons donner malheureusement ici que quelques extraits.
-
-En 1074, quelques années après la dédicace de lʼabbaye, le duc
-Guillaume et sa femme assistèrent à la prise de voile de leur fille
-Cécile, encore enfant, quʼils destinaient à succéder à la première
-abbesse de Sainte-Trinité. Ils firent de très-amples donations à cette
-maison religieuse, que leur propre fille devait gouverner treize ans,
-jusquʼen 1127. Après la
-mort de Mathilde et de Guillaume le Conquérant, leur fils aîné,
-Robert, continua leurs générosités et fit à sa sœur diverses
-concessions de biens-fonds qui formèrent ce quʼon appela depuis le
-bourg lʼAbbesse ou la baronnie de Saint-Gilles. « Parmi les
-donations faites à lʼabbaye de Sainte-Trinité par les princes de la
-race normande, dit lʼabbé De La Rue, il faut remarquer le droit dʼune
-foire de trois jours, la veille, le jour et le lendemain de la
-Trinité, pendant lesquels elle avait toutes les coutumes de la ville.
-Pour constater son droit, les officiers de la juridiction civile de
-lʼAbbesse, et ceux de son officialité, allaient le vendredi, heure de
-Vêpres, placer ses armoiries à toutes les entrées de la ville. Pendant
-ces trois jours, lʼAbbesse avoit les coutumes, acquits, barrages,
-péages, trépas, tavernages par toute la ville et forsbourgs dʼicelle,
-avecques la juridiction et cognoissance à ce appartenance, sauf le
-fait de lʼeau seulement, et durant tout ledit temps, toute ladite
-ville et forsbourgs, sauf ledit fait, sont tenus comme en foire. Aussi
-les prévôts ou fermiers du Roi étaient obligés dʼenlever des portes de
-la ville les boîtes quʼils y plaçoient pour la perception des droits
-royaux et dʼy laisser placer pendant la foire celles des fermiers de
-lʼabbaye. LʼAbbesse avait aussi les honneurs militaires pendant le
-même temps; et le commandant de la place, quel quʼil fût, allait lui
-demander le mot dʼordre, pour le donner à la garnison. »
-
-Cʼest sans doute à cause des droits quʼelles percevaient pendant la
-foire Trinité, que les Abbesses prenaient si chaleureusement la
-défense. des intérêts de la ville de Caen. On trouve en effet dans le
-registre des délibérations de lʼancien hôtel de ville, à la date du 24
-mars 1567, une lettre curieuse
-de lʼAbbesse de Sainte-Trinité au Connétable, par laquelle elle
-le prie de bien accueillir les délégués de la ville, qui sont allés à
-Paris pour solliciter le maintien des franchises et immunités de la
-cité quʼils représentent.
-
-LʼAbbesse de Sainte-Trinité ne jouissait pas seulement du privilége de
-percevoir des droits à certains jour de lʼannée; elle était encore
-exempte des impôts payés à lʼentrée de la ville. Pour conserver ce
-privilége, elle était tenue de « donner un pain bis au barrier
-(lʼemployé chargé de percevoir les impôts aux barrières), par la main
-des gens qui apporteraient des blés ou dʼautres vivres à son couvent,
-et qui en retournant chez eux devraient apporter ledit pain à la
-barrière [53]. » Ces abus durent être modifiés avec le temps; car,
-au XVIIIe siècle, nous voyons lʼAbbesse de Sainte-Trinité obligée,
-pour jouir de ses anciens priviléges, de sʼabaisser jusquʼau rôle dʼun
-fraudeur vulgaire. « La nuit du 1er au 2 décembre 1730, dit une
-note du Journal dʼun bourgeois de Caen, les agents de Madame
-lʼAbbesse de Sainte-Trinité de Caen ont fait entrer frauduleusement
-deux charretées de vin de sept feuillettes chacune dans cette
-abbaye, dont les commis à la perception des droits dʼoctroi ont
-dressé leur procès-verbal; ce qui a occasionné un grand procès. »
-
-LʼAbbesse avait mauvaise grâce dʼintroduire des marchandises en
-contrebande, quand on songe aux énormes revenus dont jouissait encore
-son monastère. Guillaume le Conquérant, lors du partage de
-lʼAngleterre, avait donné à Sainte-Trinité plusieurs seigneuries dans
-les comtés de Dorset, de Devon, de
-Glocester et dʼEssex. En 1266, le revenu de lʼabbaye était de 2,500
-livres tournois en France, et de 160 livres sterling en Angleterre,
-sans compter certaines concessions, parmi lesquelles nous citerons la
-jouissance des dîmes de Dives, qui comprenaient nominativement le sel
-quʼon y fabriquait et les baleines quʼon y pêchait alors [54].
-
-Au prestige de la richesse se joignait, pour lʼAbbesse de Caen, celui
-dʼun pouvoir relativement étendu. Outre la juridiction ecclésiastique
-quʼelle exerçait, par un official, sur les paroisses de St-Gilles,
-Carpiquet, Ouistreham et Saint-Aubin dʼArquenay, elle avait aussi,
-sur ces mêmes paroisses, droit de juridiction civile et criminelle. Au
-point de vue religieux elle nʼétait pas moins privilégiée. Lʼabbaye
-possédait douze chapelles richement dotées, savoir: huit dans son
-enceinte, deux dans son bourg et deux à Ouistreham. Elle avait de plus
-sa liturgie particulière. Parmi ses rites singuliers, nous trouvons
-lʼusage de la fête des fous, quʼon célébrait le
-jour de celle des saints Innocents. « Les jeunes religieuses, dit M.
-Vaultier, y chantaient les leçons latines avec farces, cʼest-à-dire
-avec intercalation de développements familiers en langue française. On
-y faisait figurer une petite Abbesse qui prenait la place de la
-véritable, au moment où le chœur chantait le verset: Deposuit potentes
-de sede, etc., et la gardait jusquʼau retour de ce même verset, à
-lʼoffice du lendemain. » Cette cérémonie avait tant dʼattrait quʼelle
-attirait du dehors de nombreux spectateurs. Dans une enquête faite par
-le grand bailli de Caen en 1399, nous voyons un des témoins déposer
-« quʼun tel était né le jour des Innocents, parce quʼil se souvenait
-quʼil était allé ce jour là à lʼabbaye de Sainte-Trinité voir les
-esbattemens quʼon y faisoit lors. »
-
-Les religieuses de Sainte-Trinité devaient avoir un certain goût pour
-les spectacles; car elles ne se contentaient pas des divertissements
-quʼon donnait à lʼabbaye. Dans les Comptes de lʼabbaye, de 1423, on
-voit lʼAbbesse sortir de son monastère, pour assister, dans un des
-carrefours de la ville, au Miracle de Saint-Vincent, et donner aux
-acteurs, pour elle et la religieuse qui lʼaccompagnait, une somme de
-10 sous « équivalente, dit M. De La Rue dans ses Essais sur Caen,
-à 7 l. 14 s. de notre monnaie actuelle. »
-
-Les Abbesses avaient une maison de campagne à Ouistreham, où elles
-allaient séjourner et prendre des vacances. Quelquefois leurs absences
-étaient plus longues, et leurs voyages plus lointains. Comme
-Sainte-Trinité possédait de riches seigneuries en Angleterre, ses
-Abbesses passaient souvent en ce pays, avec une suite plus ou moins
-nombreuse, pour y surveiller Iʼadministration de leurs biens. Sous
-prétexte dʼaffaires,
-elles savaient mêler, selon le conseil du poète, lʼutile à
-lʼagréable; et leur éloignement durait quelquefois près dʼune année.
-Cʼest ainsi que lʼabbesse Georgette du Molay-Bacon nous raconte, dans
-le journal de son voyage, quʼembarquée au port de Caen, le 16 août
-1370, ayant à sa suite quinze personnes, pour aller à son manoir de
-Felsted, dans le comté dʼEssex, elle ne revint en France quʼà la
-Trinité de lʼannée suivante [55].
-
-Telle abbesse, telles religieuses. Celles-ci ne connaissaient pas les
-rigueurs du cloître. « Elles pouvaient recevoir leurs parents et leurs
-amis dans leurs appartements, dit M. Vaultier, et avaient, presque
-toutes, des nièces quʼelles élevaient. Elles assistaient en corps aux
-processions publiques de la ville. Il y avait des jours où elles
-allaient prendre lʼair dans un jardin peu éloigné de leur monastère. »
-On ne sʼétonnera guère de voir tant dʼabus sʼintroduire dans les mœurs
-du cloître, quand on saura que lʼabbaye de Sainte-Trinité se recrutait
-parmi les familles des seigneurs normands, qui apportaient à la
-communauté, en lui amenant leurs filles, de généreuses donations.
-Comme le monastère ne devait recevoir que des filles nobles, il fut
-alors et a continué dʼêtre appelé depuis vulgairement
-lʼAbbaye-aux-Dames.
-
-La plupart des religieuses, ayant reçu une instruction soignée,
-consacraient leurs loisirs à lʼétude des belles-lettres. Elles
-écrivaient en latin sur des rôles une chronique de leur abbaye, qui a
-été malheureusement détruite. Lʼabbé De La Rue nous apprend aussi
-quʼelles se faisaient écrire des vers latins par
-différents ecclésiastiques. Nous ne savons si le français leur était
-moins familier; mais on pourrait le croire, quand on voit quʼelles
-faisaient appel aux poètes du dehors pour écrire des vers de
-circonstance. M. de Quens mentionne en effet, dans un de ses
-manuscrits, un sieur P. Le Petit, ancien recteur à Alençon, qui « se
-mêlait de poésie et fournissait de petites pièces de vers à
-lʼAbbaye-aux-Dames pour les fêtes de lʼAbbesse et autres. »
-
-Comprenant que richesse oblige, comme noblesse, les Abbesses de Caen
-se firent toujours remarquer par une généreuse hospitalité. Lʼabbaye
-de Sainte-Trinité reçut des hôtes célèbres. En 1450, pendant le siége
-de Caen, Charles VII vint loger quelquefois dans lʼenceinte du
-monastère. Les anciens registres de lʼhôtel-de-ville nous apprennent
-que la duchesse de Guise descendit le 19 août 1678 à lʼabbaye de
-Sainte-Trinité où M. de La Croisette et les échevins vinrent lui
-présenter les civilités de la ville et lui offrir une douzaine de
-bourses et six douzaines de boîtes de confitures. » La nomenclature
-de tous les personnages illustres, qui séjournèrent à
-lʼAbbaye-aux-Dames, dépasserait les limites de cette courte notice,
-que nous terminerons en rappelant que Charlotte de Corday y a laissé
-un long souvenir.
-
-
-
-
-LA PORTE-NEUVE
-
-[Illustration: LA PORTE-NEUVE DITE DES PRÉS]
-
-LA PORTE-NEUVE
-
-DITE DES PRÉS
-
-CONSTRUITE VERS 1590, DÉMOLIE EN 1798.
-
-COMME les villes ne sont que trop souvent flattées par les
-artistes et géomètres, qui se chargent dʼen dresser le plan ou dʼen
-reproduire des vues pittoresques, nous devons quelque
-reconnaissance au sieur de Belleforest pour nous avoir donné le vray
-Pourtraict de la ville de Caen en 1562. Cʼest en effet vers cette
-époque que Ch. de Bourgueville, sieur de Bras, lieutenant général
-du bailliage de Caen, communiqua au fameux compilateur les notes et le
-plan dont celui-ci se servit pour écrire la description de Caen, qui
-figure dans le premier tome de sa Cosmographie. En examinant lʼaspect
-général de ce plan, on voit que la ville était alors divisée en deux
-parties qui affectaient chacune la forme ovoïde: lʼancien Caen au
-nord; au sud, le vaste quartier de lʼîle St-Jean, ainsi nommé parce
-quʼil était
-complètement entouré, tant par le lit principal de lʼOrne, que par un
-de ses bras détourné en lʼannée 1104 sur lʼordre du duc Robert.
-Considérées dans leur ensemble, ces deux parties de la ville
-ressemblent à une mappemonde en deux hémisphères, dont le point de
-contact, ou, si lʼon veut, la charnière, serait représenté par les
-arches du pont St-Pierre, sur lequel sʼélevait lʼancien
-hôtel-de-ville.
-
-Cette vue de Caen, à la fin du XVIe siècle, arrachait des cris
-dʼadmiration au patriotisme de M. de Bras, son vieil historien.
-
-« Cette ville, dit-il dans ses Recherches et antiquitez de la
-ville de Caen [56], au jugement de chascun qui la voit et la
-contemple, est lʼune des plus belles, spacieuse, plaisante et
-délectable que lʼon puisse regarder, soit en situation, structure de
-murailles, de temples, tours, pyramides, bastiments, hauts pavillons
-et édifices, grandes et larges rues..... » Cette nouvelle merveille
-du monde avait cependant – que les mânes du vénérable historien nous
-pardonnent – un défaut capital dans son système de fortifications. Le
-Pré de lʼIsle et les Petits-Prez, situés entre lʼOdon et le bras
-détourné de lʼOrne, et qui formaient une sorte de triangle, dont le
-sommet touchait au pont St-Pierre, tandis que leur base sʼappuyait aux
-grandes prairies, avaient lʼinconvénient de sʼenfoncer comme un coin
-jusquʼau cœur de la place. Maître de cette position, lʼennemi devait
-bientôt lʼêtre de la ville.
-
-Les Anglais se chargèrent, en 1417, dʼen faire la preuve lamentable.
-Le jour de lʼassaut général, leur premier soin fut de sʼemparer du Pré
-de lʼIsle pour sʼinterposer entre les deux parties de la ville.
-Malgré la résistance acharnée des habitants,
-Henri V ne tarda pas à forcer le rempart des Jacobins et à rejoindre
-son frère, le duc de Clarence, qui était entré par escalade dans lʼîle
-St-Jean, du côté des quais. Se jeter de là, par le pont St-Pierre,
-dans lʼintérieur de lʼancienne ville et sʼen emparer, ce nʼétait plus
-et ce ne fut, en effet, que lʼaffaire de quelques heures de combats
-sanglants.
-
-Le vice essentiel du système de défense de la ville ne pouvait être
-démontré dʼune façon plus cruellement victorieuse. Les habitants de
-Caen se souvinrent de la leçon et, pour en tirer profit, il ne leur
-manqua que lʼargent et lʼoccasion. On les voit, en effet, à peine
-remis des désastres de lʼoccupation anglaise, essayer, en 1495, de
-« clore les Petits-Prez et dʼen faire une partie de la ville [57]. » En
-1512, au dire encore de Huet, le seigneur de la Tremouille construit
-un boulevard entre le Pré de lʼIsle et les Petits-Prez. Et ce fut tout
-jusquʼen lʼannée 1590. Les pestes affreuses qui dépeuplèrent la ville
-à plusieurs reprises, la grande misère qui les accompagna et les
-suivit, les impôts écrasants, les guerres de religion, ne laissèrent
-sans doute aux administrateurs de la ville ni assez de répit, ni assez
-de ressources, pour achever ou perfectionner les premiers essais de
-fortification quʼon avait entrepris du côté des prairies, entre
-lʼOdon et le canal Robert.
-
-Un grand événement historique vint donner une impulsion nouvelle aux
-projets de fortifications étudiés par les échevins de la ville de
-Caen. Après lʼassassinat dʼHenri III par Jacques Clément, Henri de
-Bourbon, premier prince du sang de la maison de France par son père,
-sʼempressa dʼenvoyer, le 2 août 1589, aux corps de ville du royaume,
-une lettre circulaire [58]
-dans laquelle il faisait, pour la première fois, acte
-de roi, et promettait aux communes qui contiendraient « son peuple en
-son obéissance » de les « soulaiger et gratiffier. » Enchantés de
-cette promesse, les échevins de Caen sʼempressèrent de prendre au mot
-le nouveau roi. « Nous vous supplions de croire, lui dirent-ils dans
-une lettre du 19 août 1589 [59], que nous continuerons à vous obéir
-et servir en la même fidélité et obéissance que nous avons toujours
-portée aux rois, vos prédécesseurs, à quoi nous sommes dʼautant
-plus incités par le bon traitement et gratification quʼil plaît à V.
-M. nous promettre en ce qui concerne le particulier de notre
-ville... » En même temps, en bons normands ferrés sur le droit, qui
-pensent quʼune parole écrite vaut mieux quʼun engagement verbal,
-fût-il dʼun prince, ils énumérèrent, dans une instruction, les
-gratifications quʼils entendaient réclamer en échange de leur
-fidélité. Le chapitre en serait long à transcrire. Pour la ville, ils
-réclamaient la tenue des États de la province de Normandie,
-lʼétablissement définitif des Cours souveraines transférées de Rouen;
-pour les bourgeois de Caen, lʼexemption de certaines tailles et du
-service du ban et arrière-ban; pour les échevins, douze lettres
-dʼanoblissement, pour eux ou pour leurs amis. « Le tout,
-avaient-ils soin dʼajouter, en considération et pour remarque de la
-fidélité et obéissance que lesdits habitants de Caen ont toujours
-portée à leurs rois et princes. »
-
-Devant de si touchantes marques de dévouement, Henri de Bourbon se
-sentit fort à lʼaise pour imposer à son tour
-ses conditions. Il fit sans doute remarquer aux échevins quʼil voulait
-bien accepter la fidélité dʼune ville, qui se montrait si ouverte dans
-ses prétentions, pourvu quʼelle consentît à être fermée aux
-entreprises des ligueurs qui couraient la campagne. Si nous ne
-trouvons aucune trace dʼune pièce semblable dans les registres de
-lʼancien Hôtel-de-Ville, nous y rencontrons, en revanche, une lettre
-dʼHenri IV, du 30 janvier 1593, qui prouve que le prétendant à la
-couronne de France avait depuis longtemps donné des ordres aux
-échevins de Caen, soit pour la réparation des anciens remparts, soit
-pour lʼétablissement de nouvelles lignes de défense.
-
-« Chers et bien amés, leur écrivait-il, nous avons vu le dessin
-que le sieur de La Vérune nous a envoyé par le sieur du Bois de la
-fortification de notre ville, château et faubourgs de Caen, et
-particulièrement entendu dud. sieur du Bois lʼavancement que vous
-avez déjà donné à lad. fortification; chose qui nous a été bien
-agréable, et dʼautant que le parachèvement de lad. fortification est
-très-requis pour votre conservation et pour le bien de notre
-service. Nous avons bien voulu vous exhorter par la présente à y
-faire travailler diligemment et vous assure que de notre part nous
-vous aiderons en ce que nous pourrons pour la rendre au plus tôt en
-défense. Donné à Chartres. »
-
-Cette lettre inédite dʼHenri IV renferme plus dʼun enseignement. Elle
-nous apprend dʼabord quʼil se faisait tenir depuis longtemps au
-courant des ouvrages de défense, quʼon avait commencés à Caen, entre
-la porte du vieux St-Étienne et le champ de foire, et quʼil y prenait
-beaucoup plus dʼintérêt que les habitants eux-mêmes. On y devine, sous
-lʼarrangement
-poli de la phrase officielle, quʼil songeait bien plus au bien de
-son service quʼà la « conservation » proprement dite des bourgeois
-de Caen. Mettre la ville, qui sʼétait donnée à
-lui le moins gratuitement possible, à lʼabri dʼun coup de main
-des ligueurs qui rôdaient dans les environs, telle était sa vraie, sa
-seule pensée. Et pour obtenir ce résultat, il promettait aux bourgeois
-de les « aider en ce quʼil pourrait » dans le travail des
-fortifications. Cependant comme les habitants de la vieille cité
-bas-normande étaient gens pratiques et hommes dʼaffaires, ils ne
-prirent guère en considération des assurances qui ne reposaient que
-sur la parole royale. Ils voyaient bien ce que leur coûteraient les
-fortifications, mais ils voyaient moins clairement le bénéfice quʼils
-étaient appelés à en tirer. Aussi, malgré la lettre missive du maître,
-ils montrèrent peu dʼenthousiasme pour lʼœuvre recommandée. Pour
-triompher de leur mauvaise volonté, il ne fallut rien moins quʼune
-ordonnance sévère, que MM. Vauquelin, lieutenant général, de La
-Serre, avocat du roi, et du Bois-Couldrey, commissaire du roi, au
-fait des fortifications, firent publier à son de trompe dans les
-rues.
-
-« Sur la complainte faite par M. Jacques Bazin, quʼil ne peut
-avoir ni retenir des artisans en son atelier, et que les bourgeois
-et habitants de ladite ville les viennent débaucher de jour en jour,
-à mesure quʼils en ont affaire pour leurs ouvrages particuliers, il
-a été chargé audit Bazin de bailler une liste des artisans quʼil
-aura demandés et quʼil voudra employer en sa besogne, auxquels il
-sera enjoint de travailler avec lui jusquʼà ce que les ouvrages
-quʼil a entrepris soient parfaits, et défendu à toute personne de
-les
-prendre ni employer en leurs ouvrages, sur peine aux
-contrevenants, pour les bourgeois et ceux qui les emploieront, « de
-50 écus dʼamende, et auxdits artisans, du fouet pour la première
-fois, et, pour la seconde, dʼêtre pendus et étranglés. Et sera à
-cette fin ladite liste avec la présente ordonnance publiée à son de
-trompe, tant audit atelier de ville que par les carrefours dʼicelle. »
-
-Cette ordonnance, du 23 juin 1593, si on la rapproche de la lettre
-précédente dʼHenri IV, nous prouve surabondamment que les nouvelles
-fortifications, qui devaient fermer la ville du côté des grandes
-prairies de Louvigny, ne furent pas entreprises sur lʼinitiative des
-habitants, mais probablement contre leurs vœux et sur la
-recommandation expresse du roi.
-
-Une délibération du conseil de la commune de Caen fixe à peu près
-lʼépoque du commencement des travaux. Nous lisons, en effet, dans les
-registres de lʼancien Hôtel-de-Ville, à la date du 21 novembre 1590:
-« Jean Marguerie, sieur de Sordeval, conseiller du roi en
-lʼélection de Caen, en sa qualité de sergent-major en ladite ville,
-demande, le 21 novembre 1590, à couper le bois étant dans le fossé
-de la ville et sur le parapet dudit fossé, jouxte le cercle des
-Jacobins, et icelui employé aux fortifications qui se font à
-présent du côté des prés, entre la rivière dʼOulne et la rivière
-dʼOuldon. »
-
-Commencées dans le courant de lʼannée 1590, les nouvelles
-fortifications venaient dʼêtre achevées, depuis la porte St-Etienne
-jusquʼà lʼIle de la Cercle, ou Champ-de-Foire, à la date du 9 avril
-1597, lors de la Visite des murailles qui se faisait à
-Caen, tous les trois ans, à chaque nouvelle élection des
-gouverneurs-échevins. Les travaux avaient été exécutés sur les plans
-et sous la direction dʼun très-habile géomètre et architecte, Josué
-Gondouin, dit Fallaize, qui figure parmi les oubliés ou dédaignés de
-cette époque; car nous ne trouvons nulle part trace de biographie se
-rapportant à cet artiste de mérite. Lʼordre de payer suivant, adressé
-par les échevins au receveur de la ville, le 25 juillet 1592, nous
-apprend ce fait, intéressant pour lʼhistoire locale.
-
-« Ordre au receveur de payer à M. Gondouin, maître-voyer juré pour
-le Roi en cette ville et bailliage de Caen, la somme de 20 écus,
-qui lui a été allouée, pour faire dresser et pourtraire sur
-parchemin le plan, assiette et étendue de cette ville, avec
-remarque des tours, forteresses et enclos des murailles, des lieux
-et endroits plus forts et autres plus faibles dʼicelle, même des
-lieux et places, qui commandent la ville, le tout pour servir à
-résoudre les fortifications plus nécessaires à faire en icelle,
-selon quʼil lui en avait été donné charge par M. de La Vérune et
-autres seigneurs, ayant entrepris de faire travailler auxdites
-fortifications. Lequel plan a été par lui baillé et délivré et
-ordonné être conservé aux arches de lʼHôtel-de-Ville, pour sʼen
-aider et servir quand besoin sera. »
-
-Comme nous lʼavons dit, il sʼagissait de réunir à la ville, en les
-reliant par une courtine aux anciennes murailles, tous les terrains
-désignés, sur le plan de Belleforest, sous les noms de Petits-Prez,
-Grands-Prez et Pré-de-lʼIsle, sur lesquels se trouvent aujourdʼhui
-lʼéglise Notre-Dame, la préfecture avec ses jardins, les bâtiments de
-lʼHôtel-de-Ville, la place Royale, et les groupes de maisons
-comprises entre la
-rue du Moulin et le nouveau boulevard, jusquʼà lʼancien pont
-St-Pierre, aujourdʼhui démoli. Il est fort regrettable que le plan de
-Josué Gondouin ne soit pas arrivé jusquʼà nous. Lʼhabile maître-voyer
-nous a heureusement laissé, dans son procès-verbal de la visite des
-fortifications du 12 mai 1606, quelques explications précieuses
-auxquelles nous faisons lʼemprunt suivant.
-
-« On avait encomrnencé, dit-il, de faire deux grands bastions: lʼun
-à la porte St-Étienne, dont les flancs devaient défendre portion de
-la courtine dʼentre ledit bastion et lʼautre bastion proposé faire
-dedans ladite Cercle ou foire; laquelle courtine nʼavait été pour
-lors trouvée être requise fermer et être faite que de terre,
-fascines et gazons, vu la commodité que lʼon en avait joignant les
-terres quʼelle enferme, qui est une portion de prairie ayant environ
-120 toises de longueur, à prendre par le long de ladite
-courtine, laquelle courtine est en forme de tenailles sur lʼun des
-bouts de laquelle fut aussi délibéré faire de maçonnerie une porte
-fermant et ouvrant à pont-levis, pour tirer les foins de la prairie;
-pour défendre laquelle, ainsi quʼenviron la moitié desdites
-tenailles, avait été tracé dedans ladite Cercle, les fondements,
-fossés, courtines et flancs dudit second bastion..... »
-
-Ce document, dont on ne peut contester lʼimportance puisquʼil nous
-vient de lʼauteur lui-même des travaux, nous servira à faire la
-légende de la gravure, qui nous a conservé
-la physionomie de la Porte-Neuve.
-
-Cette vue, tirée du cabinet de M. Lair, avait été reproduite par M.
-Ch. Pichon, dʼaprès le tableau de M. Ch. de
-Vauquelin de Sassy, à qui lʼon devait déjà la plus grande partie des
-lithographies de la Statistique de Falaise de M. Galeron. Elle nous
-montre la Porte-Neuve telle quʼelle existait encore à la fin du XVIIle
-siècle, avant sa destruction. Le fossé et le pont-levis, qui servait à
-le franchir, nʼexistent plus; mais le reste du petit édifice nʼa subi
-ni les outrages du temps, ni les changements quʼaurait pu y apporter
-la main de lʼhomme. Il se compose dʼun pavillon carré, traversé au
-rez-de-chaussée par une large porte à cintre surbaissé, et surmonté
-dʼun étage sans fenêtres, que couronne un toit avec girouettes. A
-gauche, une petite tour carrée, renfermant probablement lʼescalier; à
-droite des constructions moins élevées, soutenues par des contreforts,
-dont le pied se baigne dans la rivière; enfin de longues
-cheminées, au corps mince; tel est lʼaspect général de la
-construction, dont la structure élégante, jointe à une situation
-heureuse, forme un ensemble qui satisfait lʼœil. Lʼédifice nʼa rien de
-martial; sur ses flancs, pas la moindre tourelle, pas la plus petite
-échauguette. Quelques meurtrières, qui sʼouvrent de çà de là dans les
-murailles, moins pour menacer que pour regarder au dehors, et cʼest
-tout. En voyant son attitude inoffensive, on ne croirait guère quʼil
-fût destiné à entrer, même pour la part la plus modeste, dans un
-système quelconque de fortifications, si lʼauteur du plan, dont nous
-avons cité un passage, ne venait heureusement à notre aide pour nous
-apprendre quʼil était protégé dʼun côté par le bastion de St-Étienne,
-de lʼautre par le bastion de La Cercle.
-
-Il résulte de lʼexamen comparatif des plans de lʼancien Caen que la
-Porte-Neuve devait être située sur la rive gauche de la Petite-Orne,
-ou canal Robert, entre le pont aux Vaches et
-lʼancien pont de la Foire, un peu plus rapprochée de celui-ci que de
-celui-là.
-
-Notre gravure nous en fait connaître la façade du côté des prairies;
-lʼautre côté, qui regardait la ville, et lʼintérieur de la
-construction ne peuvent être à peu près reconstitués quʼà lʼaide de
-quelques rares documents, puisés dans les registres de lʼancien
-Hôtel-de-Ville de Caen.
-
-« Au corps dʼhôtel sur la Porte-Neuve, est-il dit dans la visite
-des murailles du 9 avril 1597, de présent non encore habitée a été
-trouvé nécessaire faire ajuster une ventaille de bois pour un
-soupirail, qui est au milieu de lʼaire de la chambre; plus clore de
-ventailles, huis et fenêtres, une huisserie qui est à la vis ou
-montée et une fenêtre, et quʼil serait bon bailler ledit logis à
-quelque personne pour y habiter et quʼil serait mieux conservé
-étant habité quʼautrement; ayant connu par expérience quʼà
-lʼoccasion quʼil nʼy demeura personne, on a déjà fait plusieurs
-travaux et réparations aux huis et serrures de ladite maison sur
-quoi sera conféré avec M. de La Vérune. »
-
-Ce passage nous apprend que les bâtiments de la Porte-Neuve
-renfermaient un corps-de-logis habitable, avec fenêtres donnant sur
-lʼintérieur de la ville. On y mentionne une chambre seulement, mais
-nous pouvons affirmer quʼil sʼy trouvait encore dʼautres pièces;
-car il est permis de supposer que cette nouvelle construction, qui
-avait moins lʼapparence dʼune forteresse que dʼun pavillon inoffensif,
-nʼavait pas dû être moins bien traitée sous le rapport de lʼhabitation
-que les anciennes portes de la ville, bâties surtout dans un but
-stratégique. Or, celles-ci avaient toutes, au rez-de-chaussée, même
-les moins
-importantes, une salle basse qui servait de corps-de-garde, et une
-sorte de magasin ou réduit « pour retirer, dit toujours le
-procès-verbal de la visite des murailles, quelques bûches et fagots
-pour le feu de ceux qui sont en garde à ladite porte, même pour
-retirer quelque bois pour la ville et les outils des artisans,
-quand on travaille à ladite porte ou aux environs. » Au premier
-étage se trouvaient toujours une ou deux chambres que la ville louait
-à des fermiers, prêtait à quelque employé, ou donnait, à charge
-seulement de faire certaines réparations à lʼimmeuble. Cʼest ainsi que
-nous voyons, en 1597, la partie habitable dʼune des portes de la
-ville affermée, à charge dʼentretenir les couvertures.
-
-« Lʼédifice sur la porte St-Julien et tenu par Marie Boyvin par
-ci-devant veuve de Richer, trompette de la ville, comme à la
-précédente visitation lui en ayant été concédé lʼusage passés sont
-six ans, en considération que son mari fut tué servant de trompette
-à la compagnie de gendarmerie de M. de La Vérune, étant lors à
-lʼarmée du roi, et à la charge dʼentretenir bien et dument la
-couverture volante dudit édifice, selon la lettre quʼelle en a.
-Continuée à la charge de bien et dument entretenir ladite tour en
-couverture et dʼy vivre sans scandale. »
-
-Quand la ville logeait un de ses employés, sans conditions, il
-arrivait souvent que les immeubles se conservaient comme ils
-pouvaient, jusquʼà ce quʼil se trouvât un locataire assez audacieux
-pour se plaindre, ou assez habile pour cacher ses vœux sous le masque
-dʼune action charitable. Tel le cas dʼun sieur Longuet, garde à la
-porte Millet, que le procès-verbal de la visite des murailles nous
-rapporte ainsi:
-
-« La chambre de dessus est tenue par le sergent Longuet, auquel
-lʼusage en a été concédé, dès longtemps, en considération du
-service quʼil fait en sadite charge; lequel Longuet a remontré
-quʼil nʼy a aucune commodité en ladite chambre, nʼétant plancher par
-dessus, la cheminée rompue, nʼy a aucune fenêtre commode, et a prié
-lesd. sieurs présents que leur plaisir fût la faire plancher et
-accommoder de vitres et cheminée, en sorte que quelquefois les
-bourgeois, qui sont en garde, sʼen pussent servir pour y prendre
-leur réfection, sans être contraints retourner à leurs maisons, qui
-serait une bonne commodité pour le fait desdits gardes. »
-
-Le sieur Longuet ne montrait cette hypocrite sollicitude pour le
-bien-être de la milice que parce quʼil occupait gratuitement les
-parties habitables de la porte. Mais les fermiers de la ville, qui
-payaient leur location, faisaient leurs réclamations sur un autre ton.
-Exemple:
-
-« Au ravelin de ladite Porte-au-Berger, ajoute le procès-verbal déjà
-cité, a été trouvé nécessaire au corps dʼhôtel neuf, qui est baillé
-à ferme, réservé la grande salle basse pour le corps de garde, de
-faire des huis à la petite chambre sur lʼouvroir et aux greniers et
-quelques ventailles aux fenêtres pour le tout pouvoir clorre pour la
-commodité du fermier: lequel fermier a remontré que néanmoins le
-bail à lui fait, les capitaines et habitans, qui viennent en
-garde, lʼont empêché de labourer le jardin dépendant de ladite
-maison, disant que ladite place est nécessaire pour le proumenoir
-de ceux qui sont en garde. Aussi se sont habitués de la grande
-chambre, sur la salle de bas, où se fait le corps de garde, en
-laquelle ils ont fait mettre quelques
-meubles, disant quʼelle leur est nécessaire pour prendre leur
-réfection, les jours quʼils sont en garde, afin de ne se départir
-de leur garde et être contraints retourner en leurs maisons pour
-boire et manger, demandant sur ce lui être pourvu et quʼil soit
-fait jouissant ou que son bail soit dissolu. Reste y aviser. »
-
-Avec les documents qui précèdent, nous pouvons, comme un touriste muni
-de son guide, faire un voyage instructif autour de la chambre de la
-Porte-Neuve et de ses pièces accessoires. Quelques nouveaux
-renseignements, empruntés aux registres de lʼHôtel-de-Ville, nous
-permettront, après avoir pris connaissance du logement, de jeter un
-coup dʼœil curieux sur lʼexistence et les habitudes du locataire. Nous
-nous rappelons que le 9 avril 1597, la Porte-Neuve nʼétait pas encore
-habitée. Mais, comme les échevins avaient pensé à cette date quʼil
-était urgent, afin dʼentretenir les serrures, portes et fenêtres de
-leur immeuble, de trouver quelque personne de bonne volonté pour
-essuyer les plâtres, il est fort probable quʼun garde fut installé peu
-de temps après dans la nouvelle construction. Dix-huit ans plus tard,
-ce garde mourait, et nous ne rappellerions pas ce fait, sans
-importance, sʼil ne servait à nous montrer que ces modestes fonctions
-étaient quelquefois lʼobjet dʼun conflit entre le pouvoir royal et les
-prérogatives municipales.
-
-« Le garde de la Porte-Neuve étant mort, disent les Registres de
-lʼHôtel-de-Ville à la date du 22 mars 1615, les échevins et le
-procureur-syndic vont trouver M. de Bellefonds et le supplient
-dʼavoir pour agréable quʼils en nommassent un autre à sa place,
-suivant les anciens priviléges de la
-ville. M. de Bellefonds prétend que cette nomination lui
-appartient et ajoute que, si MM. du Corps de Ville pensent que leurs
-droits soient lésés, il est prêt, au premier voyage quʼil fera en
-cour, à sʼen remettre au jugement de Sa Majesté, quʼen attendant il
-pourvoiera dʼun bourgeois de la ville à la garde de ladite porte.
-Les échevins, au retour, arrêtent que ces propositions seront
-rejetées et M. le Bailli ordonne dʼenregistrer ce que dessus au
-registre du Greffe de la ville pour y avoir recours si besoin est. »
-
-Nous ne voyons pas tout dʼabord quel grand intérêt avaient les
-échevins à défendre, contre les empiétements du pouvoir
-central, le privilége qui consistait à nommer les gardes des
-portes de la ville. Car, – chose étonnante et qui est cependant
-prouvée par maint passage des registres de lʼHôtel-de-Ville, – les
-gardes des portes nʼétaient pas chargés dʼen conserver les clefs. Ce
-soin, qui aurait dû être, sinon la première, au moins une de leurs
-plus importantes attributions, était confié à dʼautres mains. Nous
-lisons, en effet, à la date du 2 septembre 1610:
-
-« Il a été arrêté pour la police de tenir les portes closes de
-nuit. Que Messieurs en prendront la charge, savoir est: Pour la
-Porte-Neuve, chez M. le Président, etc. Et les feront clore et
-ouvrir à heures convenables par leurs serviteurs et domestiques,
-auxquels ils auront confiance, lesquels la ville gratifiera de
-chacun deux écus par an. »
-
-En 1615, on place des soldats de la milice aux portes, par suite de
-lettres reçues du roi, et lʼon remet les clefs aux personnes désignées
-pour ouvrir et fermer les portes. En 1616, les six clefs de la
-Porte-Neuve sont données en garde à plusieurs bourgeois. A toutes ces
-dates, la ville était sous le coup
-dʼune alerte; le roi lui écrivait de prendre des précautions, de se
-tenir prête à soutenir une attaque. On comprend donc que dans ces
-moments de troubles on ne confiât pas les clefs de la ville à un
-simple garde, qui aurait pu se laisser corrompre ou passer aux partis
-ennemis. Mais un passage des anciens registres de lʼHôtel-de-Ville
-nous apprend quʼil en était de même en temps de paix. Ainsi, en 1610,
-après la paix du Pont-de-Cé, au moment où lʼon venait de lever les
-gardes placées aux portes de la ville, nous voyons remettre les clefs
-à des personnes nominativement désignées.
-
-Cependant les clefs étaient laissées quelquefois entre les mains du
-garde de la porte, comme cela paraît résulter du document suivant.
-
-« Geoffroy Bellebarbe, ayant les clefs de la Porte-Neuve en dépôt,
-disent les anciens registres de lʼHôtel-de-Ville à la date du 4 mai
-1640, a fait plainte que quelques écoliers, nuitamment, ont rompu
-lʼune des chaînes du pont de ladite porte et forcé la serrure avec
-des pierres; jure et affirme quʼil ne les connaît, pour nʼavoir osé
-sortir, à cause quʼils lâchèrent quelques coups de pistolet. »
-
-Cʼétait le garde qui devait préparer la salle basse, dans les
-occasions où elle était occupée par la milice bourgeoise; cʼétait lui
-aussi qui devait aller aux approvisionnements, apporter les deux
-bûches, les deux fagots, le charbon et la chandelle que la ville
-délivrait à chacun des cinq corps de garde placés au Tripot, à la
-porte de Bayeux, à la Porte-Neuve, sur le port et à la porte
-Millet. »
-
-Quand le moment dʼalarme était passé et que les bourgeois armés
-abandonnaient les postes, cʼétait à lui encore que revenait
-le soin dʼemmagasiner la plupart des outils qui servaient à la
-réparation des remparts. Et ce nʼétait pas alors une petite besogne;
-car, pendant les guerres de la Ligue et les troubles des premières
-années du règne de Louis XIII, les bourgeois étaient à tout instant
-convoqués, non-seulement pour garder les fortifications, mais aussi
-pour les réparer. En 1615, par exemple, nous voyons les bourgeois
-tenus de travailler aux fortifications et à la vide des fossés,
-attendu que les deniers de la ville ne seraient suffisants. »
-
-Quand une nouvelle lettre du roi venait rassurer les échevins et
-ordonner de renvoyer chez elles les compagnies de la milice, quand la
-ville se reposait dʼune si chaude alarme, le garde des portes ne
-jouissait pas de fréquents loisirs. Tantôt il lui fallait courir sur
-les remparts pour empêcher de jeter dans les fossés des matériaux dont
-on voulait se débarrasser; tantôt au contraire, au lieu de défendre
-les fortifications contre des alluvions gênantes ou nauséabondes, il
-fallait les protéger contre un amaigrissement, dont la cause ne
-faisait pas honneur au patriotisme des propriétaires riverains. Ce
-détail curieux est indiqué dans la visite des murailles du 9 avril
-1597.
-
-« Tous ceux qui ont leurs jardins et héritages aboutissant sur les
-remparts entre lad. tour (tour Sevans) et la porte St-Étienne,
-ayant miné lesdits remparts, pour accroître leurs jardins, et qui
-devaient être approchés, pour se voir condamner à remettre les
-terres en lʼétat quʼelles étaient, minant encore davantage de jour
-en jour, nʼayant été fait aucune action contre eux, à quoi reste
-pourvoir. »
-
-A cette surveillance des délinquants sʼajoutait, pour le garde de la
-Porte-Neuve, lʼobligation de tenir les portes ouvertes
-pour le passage des voitures, pendant la saison des foins et, pendant
-la foire royale, pour celui des bestiaux quʼon exposait en vente dans
-la prairie en dehors des fortifications.
-
-Nous trouvons, en effet, dans le registre 46 de IʼHôtel-de-Ville, parmi
-les conditions imposées à lʼun des adjudicataires des patrimoniaux de
-la ville, les clauses suivantes: « Il souffrira les ébats
-accoutumés dans le pré (emplacement quʼoccupent aujourdʼhui
-lʼéglise Notre-Dame, la préfecture, les bâtiments de la mairie et la
-place Royale). De même il souffrira les bêtes à laine qui y sont
-exposées en vente, et la montre des chevaux du côté de lʼOdon
-durant la séance de la foire royale; et les bêtes aumailles (mot
-du patois normand qui signifie bestiaux) et porchines au lieu où
-elles sont exposées en vente pendant la foire, près et en dehors
-de la Porte-Neuve jusquʼau pont de pierre sur le cours de lʼOdon. »
-
-Sʼil avait des devoirs pénibles à remplir, le garde de la Porte-Neuve
-trouvait, il est vrai, quelques compensations dans les spectacles
-variés et gratuits que lui offrait le fameux pré des ébats dont
-Ch. de Bourgueville, sieur de Bras,
-a célébré les merveilles dans une prose
-enthousiaste. Ce sont « deux moyennes prairies, dit-il, qui
-séparent la ville de ce costé là, fort plaisantes, encloses dʼun
-costé de la grosse rivière dʼOurne, et de lʼautre de la rivière de
-Oudon. Auxquelles les habitans et jeunesse se pourmenent, prennent
-plaisir à la saison du printemps et de lʼesté, mesmes les escoliers
-de lʼUniversité, les uns à sauter, lutter, courir, jouer aux
-barres, nager en la rivière qui les enclost, tirer de lʼarc et
-prendre toutes honnestes récréations, comme aussi font les
-damoiselles, dames et bourgeoises, à y estendre et sécher leur
-beau linge, duquel lesdites prairies sont aucunes fois si couvertes
-quʼelles semblent plutost blanches que vertes. »
-
-Le voisinage de ces lessives – puisquʼil faut les appeler par leur nom –
-était probablement pour les gardes de la Porte-Neuve moins une source
-de jouissances poétiques que lʼoccasion de débats très-vulgaires avec
-les « dames et bourgeoises » qui encombraient la voie publique.
-
-Nous devons avouer cependant que, parmi les spectacles auxquels ils
-pouvaient assister de leurs fenêtres, il en est un surtout qui
-méritait dʼattirer leur attention. Cʼétait à peu de distance de la
-Porte-Neuve que sʼélevait le Mai du Papeguay, « expression dérivée
-de Papagallus, qui, dans le moyen âge, dit lʼabbé De La Rue [60],
-signifiait ordinairement Perroquet. Ce jeu consistait à placer au
-haut dʼun mât très-élevé un oiseau de bois peint et bien orné, et à
-lʼabattre avec la flèche. La ville, dans lʼorigine, en fournissait
-deux: un pour lʼarc et lʼautre pour lʼarbalète; vers lʼannée
-1540, elle commença à en donner un troisième pour lʼarquebuse, et
-elle décernait toujours un prix en argent à celui qui abattait
-le Papeguay..... Les jeux de lʼarc et de lʼarbalète avaient
- lieu sur le terrain qui est en face du rempart de lʼhôtel de la
-préfecture; ils duraient pendant tout lʼété, et ils nʼont cessé
-quʼà lʼépoque de la Révolution. »
-
-Ces divertissements guerriers prirent à la longue une telle importance
-que la compagnie du Papeguay, recrutée dans la milice bourgeoise, se
-composait en lʼannée 1744 de plus de
-cinq cents hommes, sous la conduite dʼun capitaine et dʼun lieutenant,
-quatre sergents, quatre tambours et un fifre. Elle ne se contentait
-plus de se livrer avec ardeur à ses exercices ordinaires; elle
-organisait aussi des fêtes. Cʼest ainsi que nous la voyons, cette
-année-là, tirer un grand feu dʼartifice à lʼoccasion de la
-convalescence du roi.
-
-« Lʼédifice destiné au feu, dit la Relation de la fête publiée à
-Caen en 1744, était construit dans la place où lʼon tire les
-oiseaux de lʼarc et de lʼarbalète. Sa hauteur était dʼenviron 50
-pieds, il a voit deux étages et trois faces, celle du milieu
-regardait la Porte-Neuve..... »
-
-Le perroquet ou papeguay, perché au haut du mât, joua aussi son rôle
-dans la fête de nuit, comme lʼindique ce passage: « De temps en
-temps, on faisait partir des dragons, qui feignaient dʼaller allumer
-lʼoiseau; il en vint un enfin, à qui lʼhonneur étoit réservé.
-Lʼoiseau prit feu et effraya, par le bruit quʼil fit, tous ceux qui
-nʼétaient pas prévenus... »
-
-Si le locataire de la Porte-Neuve était aux premières places pour
-jouir de la vue des feux dʼartifice et autres fêtes ou
-divertissements, qui avaient pour théâtre lʼancien Pré des Ebats, il
-faut bien avouer aussi quʼil subissait quelquefois des spectacles qui
-nʼétaient point de nature à lui mettre beaucoup de joie dans lʼâme. En
-effet, quand les impôts prélevés sur le peuple rentraient
-difficilement dans les coffres du roi, on leur en faisait prendre le
-chemin par un ingénieux moyen que nous trouvons noté dans les
-registres de lʼHôtel-de-Ville, à la date du 28 juin 1602.
-
-« Nous avons apporté tout ce que nous avons pensé être de notre
-devoir pour le bien du service de Sa Majesté, disaient
-les échevins, jusques avoir fait planter potences à toutes les
-portes de la ville, pour punir ceux qui voudraient empêcher la
-levée des dʼimpositions, en sorte quʼelles sont cueillies «sans
-empêchement » [61].
-
-Quoique le garde de la Porte-Neuve fût exposé à avoir directement sous
-les yeux, à toute heure, ces lugubres avertissements aux contribuables
-des percepteurs du bon vieux temps, on ne voit pas que ce modeste
-fonctionnaire ait jamais donné sa démission, ni quʼon ait éprouvé
-quelque difficulté à lui trouver de successeur quand sa place était
-vacante. Le locataire ne manqua à lʼimmeuble que lorsque lʼimmeuble le
-premier vint à lui manquer. Cet événement se pressent dans une séance
-du 18 brumaire an VI du conseil municipal de Caen.
-
-« LʼAdministration, considérant que le but que sʼétait proposé le
-Conseil général de la commune en supprimant la pièce dʼeau nommée
-le Fort, étoit, après lʼavoir comblée, dʼen employer le terrein en
-promenade, ainsi que le reste de la place publique qui lui est
-contiguë, et qui a été mise et en location pour six ans, par
-adjudication du 21 mars 1793 (V. S.), arrête que la portion de
-terrain réservée par ladite bannie, et qui sʼétend depuis la
-Porte-Neuve, le long du mur du bastion, jusquʼà lʼangle dudit mur,
-sera plantée de tilleuls, et que les deux côtés du chemin tendant de
-ladite Porte-Neuve au pont de lʼabreuvoir, seront plantés en ormes,
-en attendant que le surplus du terrain mis en adjudication
-revienne à la disposition de la commune par lʼexpiration de la
-jouissance des adjudicataires, époque à laquelle il pourra être pris
-des mesures pour embellir cette place publique par
-des plantations, et procurer à ce moyen aux citoyens lʼagrément
-dʼune promenade. »
-
-Comme les affaires administratives marchaient alors au pas accéléré,
-six mois après cette première délibération, le Conseil municipal
-décida, dans une séance du 8 floréal an VI (avril 1798), quʼon
-sʼentendrait avec les adjudicataires des terrains de la Porte-Neuve
-pour la résiliation de leur marché, et que
-celle-ci serait immédiatement démolie.
-
-« Lʼadministration considérant que la porte, dite des Prés, ou
-Porte-Neuve, faisant partie des anciennes fortifications de la
-commune, est nuisible par sa position aux embellissements quʼon se
-propose de former dans le quartier, arrête quʼelle sera démolie et
-que lʼarchitecte de la commune donnera le devis estimatif des frais
-que sa démolition pourra occasionner. »
-
-Lʼexécution suivit de près la sentence. La Porte-Neuve avait vu
-sʼélever successivement, sur lʼemplacement des Petits-Prés, le grand
-et le petit séminaire des Eudistes (aujourdʼhui lʼHôtel-de-Ville),
-lʼéglise des Jésuites (aujourdʼhui Notre-Dame) et un grand nombre de
-maisons particulières qui, en rétrécissant la place réservée aux
-promeneurs, semblaient lui signifier sa prochaine destruction. Après
-une durée de deux siècles, elle eut la bonne fortune dʼêtre
-reproduite, à ses derniers moments, par le crayon dʼun artiste.
-Combien de générations dʼhommes laisseront moins de traces!
-
-
-
-
-NOTES
-
-
-[1] « Cʼest peut-être là, dit lʼabbé De La Rue, le petit château dont
-parle la Chronique de Normandie. Le duc Guillaume ou ses ancêtres
-purent bien fortifier ce pont qui était la clef de la ville et de tout
-le Bessin. Dans les plus anciennes chartes, il est appelé pons Cadomi,
-on lʼappela ensuite pons de Darnestallo, enfin pons Sti Petri. »
-Origines de Caen de Huet, annotées par lʼabbé De La Rue, mss, in-8° de
-la Biblioth. de Caen, n° 50, tome I, p. 39.
-
-[2] Essais sur Caen, tome I, p. 127.
-
-[3] Livre I, § 262.
-
-[4] In quo ponte, dit le continuateur anonyme, est nunc ædificatum
-castrum valde pulchrum.
-
-[5] Les armoiries de la ville de Caen, dans le tome XX des Mémoires de
-la Société des Antiquaires de Normandie.
-
-[6] A la date du 29 avril 1581, on trouve dans les Archives
-municipales un marché avec Pierre Crespin, couvreur, pour la
-réparation de la couverture de lʼHôtel de Ville. Il paraîtrait,
-dʼaprès ce marché, que les tourelles étaient couvertes en ardoise fine
-et le corps de logis en tuile.
-
-[7] Essais sur Caen, tome I, p. 247.
-
-[8] Relations des différentes festes données par les Corps et
-Communautés de la ville de Caen, à lʼoccasion de la naissance de
-Monseigr. le Dauphin; in-12 de 12 pages, s. l. n, d.
-
-[9] Mss. in-fol. de la Biblioth. de Caen, n° 143, feuillet 51.
-
-[10] Mss. in-fol. de la Biblioth. de Caen, n° 143, feuillet 51.
-
-[11] Mss. in-4° de la Biblioth. de Caen, n° 117, p. 96.
-
-[12] Quelque cent ans après, une note de lʼintendant Méliand sur
-lʼétat des finances de la ville constatait que lʼhorloger, en 1679,
-touchait un traitement de 80 livres, tandis que lʼavocat de la ville
-au Parlement ne touchait que 30 livres, et le greffier, sans indemnité
-pour ses frais de bureau, seulement 500 livres. – Archives
-municipales, délibération du 1er mai 1679.
-
-[13] Archives municipales, délibération du 4 janvier 1592.
-
-[14] Archives municipales, délibération du 10 mai 1597.
-
-[15] Notice sur les clepsydres et les premières horloges. Caen, 1872;
-in-18 de 29 p.
-
-[16] Mss. in-fol. de la Biblioth. de Caen, n° 143, feuillet 51.
-
-[17] Archives municipales, 17 avril 1563.
-
-[18] Journal dʼun bourgeois de Caen, p. 76.
-
-[19] Bulletin monumental, tome XVIII, p. 92.
-
-[20] Archives municipales, avril et 8 sept. 1563.
-
-[21] Journal dʼun bourgeois de Caen, 3 nov. 1697,
-
-[22] LʼHôtel de Ville avait deux canons, comme nous lʼapprend une
-délibération du 24 févr. 1607, à propos du mariage de M. de
-Bellefonds, gouverneur pour le Roi en la ville et château de Caen. «
-Sera, est-il dit dans cette délibération, en signe de joie et liesse,
-tiré quatre coups de canon de la grosse tour de Chatimoine et les deux
-de lʼHôtel commun de la ville, lors de lʼentrée de la mariée, lundi au
-soir. »
-
-[23] Archives municipales, 22 sept. 1564.
-
-[24] Archives municipales, 28 mai 1641.
-
-[25] « État que les commissaires, ci-devant établis par le Roi au
-gouvernement et administration de lʼHôtel commun de la ville de Caen,
-baillent et laissent à MM. les Maire, Gouverneurs et Échevins
-dʼicelle, des charges et affaires les plus importantes, qui se sont
-passées depuis leur établissement, qui fut le 24 février 1640 jusquʼà
-ce jour, et qui restent à faire par lesd. sieurs Maire et Echevins. »
-
-[26] Archives municipales, 26 février 1563.
-
-[27] Archives municipales, 28 juin 1602.
-
-[28] Archives municipales, 25 janvier 1626.
-
-[29] « A été appelé Leslogettes, cuisinier, avec lequel a été fait
-marché de fournir le dîner du mercredi des cendres prochain, en la
-maison de M. Brunet, de toutes choses qui se pourront trouver, pour
-traiter honorablement les assistans, au nombre de 40 personnes, ayant
-assisté à lʼélection, qui se fera, led. jour, des Echevins de lad.
-ville, dʼun receveur et administrateurs de la Maison Dieu et
-Léproserie en lui payant 50s par tête et 60s pour le vin de ses
-serviteurs, et parce quʼil fournira aussi à dîner aux serviteurs qui
-auront servi aud. dîner, et doit fournir linge, vaisselle, bois, pain,
-vin, cidre et toutes choses généralement. » Archives municipales, 3
-mars 1611.
-
-[30] Archives municipales, 23 juin 1652.
-
-[31] « Noble homme, Mr Jean Beaullart, sr de Maizet, fils et héritier
-de feu noble homme, Pierre Beaullart, a fait rapporter en cette maison
-plusieurs registres, pièces et écritures avec deux clefs et un cachet,
-quʼil a dit être les pièces, papiers, clefs et cachet, dont led, sr de
-Maizet, son père, se servait comme greffier de lʼHôtel commun de lad.
-ville. » Archives municipales, 26 octobre 1611.
-
-[32] Archives municipales, 15 janvier 1538.
-
-[33] Archives municipales, 16 janvier 1539.
-
-[34] Archives municipales, 13 novembre 1661.
-
-[35] Archives municipales, mars 1583.
-
-[36] Philippidos libri duodecim, lib. VIII.
-
-[37] Rapport sur les fouilles du nouveau canal de lʼOrne, à Caen,
-relativement à lʼhistoire et à la géologie, par M. Gervais de Laprise,
-28 floréal an IX. Voir, parmi les manuscrits de la Bibliothèque de
-Caen, le n° 169 in-folio.
-
-[38] Recherches et antiquitez de la ville de Caen, édit. de 1588, p.
-96.
-
-[39] Notice sur le Port de Caen, dans les Ports maritimes de la
-France, t. II, p. 409.
-
-[40] Les pièces inédites que nous citons, ou dont nous donnons des
-extraits, ont été copiées aux archives municipales ou aux archives du
-département du Calvados. La plupart de ces documents nous ont été
-obligeamment communiqués par M. Houdan, qui a réuni une nombreuse et
-précieuse collection de notes sur les travaux du port de Caen.
-
-[41] Voici, sur le Poigneux, un renseignement inédit extrait des
-archives municipales. « Lʼadministration ayant entendu la lecture
-dʼune lettre à elle adressée par le sous-ingénieur provisoire de
-vaisseaux du 4e arrondissement forestier, en date du 18 de ce mois,
-dans laquelle il demande quʼil soit nommé un expert pour procéder à
-lʼestimation du chantier nommé le Poigneux, nomme le cn Lair,
-architecte de la commune, aux fins de régler conjointement avec celui
-qui sera nommé par le cn Vesque, fermier dudit terrein au droit des
-pauvres de lʼhospice de lʼhumanité, lʼindemnité qui peut lui être due
-pour dépôt fait des bois de la marine, ce qui a empêché sa jouissance
-» (Séance du 23 pluviôse an VI).
-
-[42] Notice sur le Port de Caen dans le IIe tome des Ports maritimes
-de la France.
-
-[43] Plusieurs fragments de ce portail sont conservés au Musée des
-Antiquaires.
-
-[44] Ms. in-4°, n° 120.
-
-[45] Ms. conservé à la Bibliothèque de Caen, in-fol., n° 104.
-
-[46] L'ancienne Université de Caen, broch., p. 15.
-
-[47] La première inhumation enregistrée par l'histoire eut lieu à
-Saint-Étienne, le 23 novembre 1712. On y enterra, dans le sanctuaire,
-le corps du sieur Charles Turpin, prêtre, professeur de philosophie au
-collège Du Bois et recteur de l'Université de Caen. (Journal d'un
-bourgeois de Caen.)
-
-[48] A propos du récit de l'inhumation de Charles Turpin, recteur de
-l'Université de Caen, les éditeurs du Journal d'un bourgeois de Caen
-se font l'écho de cette lointaine rumeur: « Ce passage du journal,
-écrivent-ils, est d'autant plus curieux qu'il est de tradition à Caen
-que les funérailles d'un recteur, en fonctions au moment de son décès,
-devaient être semblables à celles d'un roi, et que, lorsque ce haut
-dignitaire venait à tomber malade, le corps universitaire se
-réunissait à la hâte pour élire son successeur, afin d'éviter les
-énormes frais qu'eût entrainé son décès s'il n'avait pas été remplacé.
-On dit même qu'un recteur, étant à la chasse, se tua exprès pour être
-enterré comme un roi. »
-
-[49] Mémoires sur l'Université de Caen, ms. in-fol. de la Bibliothèque
-de Caen, n° 123, tome I.
-
-[50] Essais historiques sur la ville de Caen, par l'abbé De La Rue,
-tome II, p. 150.
-
-[51] Ms. in-4° de la Bibliothèque de Caen, n° 117, feuillet 98.
-
-[52] Lʼancienne porte de lʼabbaye a été gravée dans le Cours
-dʼantiquités monumentales de M. de Caumont; on en connaît aussi
-quelques dessins inédits. Mais la tour carrée, ou donjon, nʼa été
-reproduite nulle part et ne figure, croyons-nous, que dans le dessin
-de M. Le Nourichel et dans un fusain, très-inexact, exécuté en 1812
-par R. Le Baron-Delisle. Ce fusain et la mine de plomb de M. Le
-Nouricbel sont conservés à la Bibliothèque de Caen.
-
-[53] Essais historiques sur la ville de Caen, par lʼabbé De La Rue,
-tome Ier, p. 290.
-
-[54] A côté des droits quʼelle exerçait, lʼAbbaye-aux-Dames avait
-aussi quelques charges à supporter. Nous en citerons une à cause de sa
-singularité. « Tous les ans, dit M. de Jolimont, la communauté
-donnait, le jour de la Trinité, un grand dîner à tous les habitants
-dʼune commune voisine (Vaux-sur-Seulles), et même à leurs domestiques,
-sʼils avaient un an et un jour de domicile. Ils tenaient cet usage,
-qui était devenu un droit acquis, de la générosité du seigneur
-primitif, droit auquel la mutation de propriété de la commune en
-faveur des religieuses nʼavait pu porter atteinte. Le repas était
-servi sur des nappes étendues sur lʼherbe, et durait quatre heures.
-Chaque convive avait un pain de 22 onces et un morceau de lard bouilli
-dʼun pied carré, une ribelette de lard rôtie, une écuellée de lait et
-du cidre ou de la cervoise à volonté. La gaieté qui animait ces repas,
-et qui dut souvent dégénérer en excès, la singularité et les abus
-dʼune telle réunion dans un couvent de filles, et la crainte dʼune
-surprise en temps de guerre, firent changer en 1657, non sans beaucoup
-de difficulté, cette redevance en une rente de 30 livres au trésor de
-la paroisse de Vaux, et en un service solennel le lendemain de la fête
-de la Trinité, pour les défunts de la paroisse, auquel assistaient six
-des habitants députés chaque année, et qui seuls dînaient à lʼabbaye. »
-
-[55] Essais sur Caen, par lʼabbé De La Rue, t. II, p. 19,
-
-[56] Nouvelle édition de 1833, page 6 de la 2e partie.
-
-[57] Huet, Origines de Caen.
-
-[58] Cette lettre a été publiée dans les « Documents inédits sur
-lʼHistoire de France »: Lettres missives de Henri IV, tome III, p. 3.
-
-[59] Anciens registres de lʼHôtel-de-Ville.
-
-[60] Essais historiques sur la ville de Caen, t. I, p. 177.
-
-[61] Minute de lettre à M. de Gesves, en réponse aux lettres du roi.
-
-
-
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-The Project Gutenberg eBook of Caen démoli
-(Recueil de notices sur des monuments détruits ou défigurés,
-et sur lʼancien port de Caen, avec 5 gravures,
-dʼaprès des aquarelles de Lasne,
-et des dessins inédits de Lenourichel et Pichon)
-par Gaston LAVALLEY.
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-
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-
-
-
- /* Notes of the transcriber */
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-
-
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-
-/* Table Matieres */
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-
-
-</style>
-
-
-</head>
-
-<body>
-<div lang='en' xml:lang='en'>
-<p style='text-align:center; font-size:1.2em; font-weight:bold'>The Project Gutenberg eBook of <span lang='fr' xml:lang='fr'>Caen démoli</span>, by Gaston Lavalley</p>
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
-at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you
-are not located in the United States, you will have to check the laws of the
-country where you are located before using this eBook.
-</div>
-</div>
-
-<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: <span lang='fr' xml:lang='fr'>Caen démoli</span></p>
-<p style='display:block; margin-left:2em; text-indent:0; margin-top:0; margin-bottom:1em;'><span lang='fr' xml:lang='fr'>Recueil de notices sur des monuments détruits ou défigurés, et sur l&#039;ancien port de Caen, avec 5 gravures, d&#039;après des aquarelles de A. Lasne, et des dessins inédits de Le Nourichel et Ch. Pichon</span></p>
-<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Gaston Lavalley</p>
-<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Release Date: June 14, 2022 [eBook #68314]</p>
-<p style='display:block; text-indent:0; margin:1em 0'>Language: French</p>
- <p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:0; margin-left:2em; text-indent:-2em; text-align:left'>Produced by: J.-M. Mariot from files generously made available by the British Library.</p>
-<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>CAEN DÉMOLI</span> ***</div>
-
-
-
-
-
-<div class="transnote chapter">
-<p>
-<strong>
-Notes du transcripteur:
-</strong>
-</p>
-
-
-<p class="indent pfs80">
-L’orthographe en usage à l’époque de la rédaction de l’ouvrage
-a été conservée.
-</p>
-<br />
-
-
-<p class="indent pfs80">
-LʼERRATA apparaissant dans lʼouvrage original a été pris en compte dans
-la présente transcription.
-</p>
-<br />
-
-
-<p class="indent pfs80">
-Les notes figurant au bas de page dans
-l’ouvrage original ont été regroupées à la fin du texte principal.
-</p>
-<br />
-
-</div>
-
-
-<div class="titlepage">
-<div>
-<h1>
-CAEN
-<br />
-<span class="pfs120 orange">
-DÉMOLI
-</span>
-</h1>
-</div>
-
-
-<hr class="r10" />
-<p class="centerserif pfs100">
-RECUEIL DE NOTICES
-<br />
-</p>
-<p class="centerserif xxsmall">
-SUR DES
-<br />
-</p>
-
-<p class="centerserif pfs90 orange">
-MONUMENTS DÉTRUITS OU DÉFIGURÉS
-</p>
-
-<p class="centerserif pfs90">
-ET SUR LʼANCIEN PORT DE CAEN
-</p>
-
-<p class="p0p5 centerserif pfs80">
-<i>Avec cinq gravures, dʼaprès des aquarelles de</i>
-A.&#xA0;L<small>ASNE</small>,
-<i>et des dessins inédits de</i>
-L<small>E</small>&#xA0;N<small>OURICHEL</small>
-<i>et</i>
-C<small>H</small>.&#xA0;P<small>ICHON</small>
-</p>
-
-<p class="p0p5 centerserif xxsmall">
-PAR
-</p>
-
-<p class="p0p5 centerserif pfs110 orange">
-G<small>ASTON</small> LAVALLEY
-</p>
-
-<img src="images/Cover_LH.png" class="img_045 align-center"
-alt="Cover_LH"/>
-
-<p class="p0p5 centerserif pfs110">
-CAEN
-</p>
-
-<p class="p0p5 centerserif pfs80 orange">
-IMPRIMERIE DE F. LE BLANC-HARDEL
-</p>
-
-<p class="p0p5 centerserif pfs80">
-<small>RUE FROIDE</small>, <small>2 ET 4</small>
-</p>
-
-<hr class="r02" />
-
-<p class="p0p5 centerserif pfs90">
-1878
-</p>
-</div>
-
-
-
-
-<div class="chapterNO">
-<hr />
-<p class="centerserif pfs110">
-TABLE DES MATIÈRES
-</p>
-
-
-<hr class="r10" />
-
-
-
-
-<table class="TableMat small" summary="Mat">
-<tr>
-<td>
-<a href="#N1">
-L<small>E SECOND HOTEL DE VILLE DE</small>
-C<small>AEN</small></a>,
-construit entre les années 1346 et 1367, détruit en 1755
-</td>
-</tr>
-
-<tr>
-<td>
-<a href="#N2">
-Lʼ<small>ANCIEN PORT DE</small> C<small>AEN</small></a>.
-Notice sur les travaux auxquels il a donné lieu
-</td>
-</tr>
-
-<tr>
-<td>
-<a href="#N3">
-A<small>NCIENNE ÉGLISE</small>
-S<small>AINT</small>-S<small>AUVEUR</small></a>
-(aujourdʼhui Halle au blé),
-avant la démolition de sa flèche en bois
-</td>
-</tr>
-
-<tr>
-<td>
-<a href="#N4">
-A<small>BBAYE</small>-<small>AUX</small>-D<small>AMES</small></a>
-(aujourdʼhui Hôtel-Dieu),
-avant la démolition du donjon et de lʼancienne porte dʼentrée
-</td>
-</tr>
-
-
-<tr>
-<td>
-<a href="#N5">
-L<small>A</small> P<small>ORTE</small>-N<small>EUVE</small></a>,
-dite des Prés,
-construite vers 1590,
-démolie en 1790
-</td>
-</tr>
-
-<tr>
-<td>
-&#xA0;
-</td>
-<td>
-&#xA0;
-</td>
-</tr>
-
-</table>
-</div>
-
-
-
-
-<hr />
-
-
-<div class="chapterNO">
-<h2>
-<a id="N1"></a>
-<span class="pfs110">
-LE SECOND HOTEL DE VILLE DE CAEN
-</span>
-</h2>
-</div>
-
-
-<div class="chapter">
-<img src="images/CD_PL1_ScdHdV.png" class="img_100 align-center"
-alt="CD_PL1_ScdHdV"/>
-
-
-
-<p class="centerserif pfs120">
-<img src="images/CD_PL_beg.png" class="img_090 align-center"
-alt="CD_PL_beg"/>
-LE
-<br />
-<span class="xlarge">
-SECOND HOTEL DE VILLE
-</span>
-<br />
-DE CAEN
-<br />
-<span class="small">
-CONSTRUIT ENTRE LES ANNÉES
-<span class ="pfs130">1346</span>
-ET
-<span class ="pfs130">1367</span>,
-<br />
-DÉTRUIT EN
-<span class ="pfs130">1755</span>
-</span>
-</p>
-<hr class="r10" />
-
-
-
-
-<p id="lettrine1">
-<span class="lettrine1O">O</span>
-N sait dans quelles circonstances la ville de Caen obtint ses lettres
-dʼaffranchissement, avec tous les droits attachés à la commune. Tandis
-que les troupes françaises faisaient la conquête de la
-Haute-Normandie, le duc Jean sans Terre, réfugié à
-Caen, sʼétourdissait sur les dangers de sa position au milieu des
-fêtes et des orgies. Mais, quand il se vit abandonné des barons
-anglais que lassait sa nonchalance, quand il apprit que Philippe
-Auguste sʼapprochait avec des forces nombreuses en prenant lʼun après
-lʼautre tous ses châteaux, le débauché, frappé de terreur, sortit
-enfin de sa longue inaction. Afin de subvenir à la solde des troupes
-mercenaires quʼil leva pour sa défense, il dut recourir aux plus
-pitoyables expédients. Il emprunta aux abbayes, aux barons et
-bourgeois, et vendit même jusquʼà la justice. Cependant,
-comme ces recettes ne suffisaient pas, il aliéna, en échange de sommes
-plus ou moins fortes, la majeure partie de ses droits. Et cʼest ainsi
-quʼil se résigna à écrire, dans ses lettres patentes du 17 juin 1203:
-«&#xA0;Sachez que nous avons <i>concédé</i> à nos bien amés et fidèles
-bourgeois de Caen le droit dʼavoir leur commune à Caen, avec toutes
-les libertés et libres coutumes attachées à la commune...&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-La ville de Caen ne <i>doit</i> donc pas, comme on lʼa dit, sa charte
-communale à Jean sans Terre; elle la lui a certes bel et bien payée,
-avec toute dispense de reconnaissance. Depuis cette date mémorable de
-1203 jusquʼà nos jours, les représentants de la commune de Caen ont
-siégé dans quatre hôtels de ville différents. Au commencement du
-XIII<small><sup>e</sup></small> siècle,
-nous trouvons le corps de ville installé sur le pont
-St-Pierre, dans une petite forteresse quʼon appela plus tard le
-<i>Chastelet</i> ou le petit
-<i>Château de
-Caen</i>&#xA0;<a class="fn" id="fr_1" href="#fn_1">1</a>.
-On nʼa aucune notion sur
-ces anciens bâtiments communaux, où furent enfermés en 1307,
-pendant leur procès, les Templiers du grand bailliage de Caen. Lʼabbé
-De La Rue dit
-cependant&#xA0;<a class="fn" id="fr_2" href="#fn_2">2</a>
-«&#xA0;quʼil paraît, par le récit des
-historiens anglais, témoins oculaires de la prise de cette ville par
-Édouard&#xA0;III en 1346,
-<i>que ce pont étoit moult bien afforcé de
-brétesches et de barrières</i>.&#xA0;» «&#xA0;Ces brétesches, ajoute-t-il,
-nʼannoncent que des tours et des
-fortifications en bois. Mais comme elles furent emportées de vive force
-par les Anglais, elles durent souffrir beaucoup et peut-être même être
-rasées.&#xA0;» Cette assertion de lʼauteur des
-<i>Essais sur Caen</i> est tout à fait erronée.
-La petite forteresse du pont St-Pierre ne fut pas
-emportée de vive force, pour cette bonne raison quʼelle ne fut pas
-défendue. Le comte de Guines, connétable de France, et le chambellan
-de Tancarville, qui sʼy étaient réfugiés, la livrèrent à lʼennemi sans
-combat pour avoir la vie sauve. «&#xA0;Dont il avint, dit Froissard dans ses
-<i>Chroniques</i>&#xA0;<a class="fn" id="fr_3" href="#fn_3">3</a>,
-que li connestables de France et li contes de
-Tankarville, qui estaient monté en celle porte au piet dou pont a
-sauveté, regardoient au lonch et amont la rue, et veoient si grand
-pestilence et tribulation que grans hideurs estait à considerer et
-imaginer. Si se doubtèrent dʼeulz meismes que il nʼescheissent en
-ce parti et entre mains dʼarciers, qui point ne les cognuissent.
-Ensi que il regardoient aval en grant doubte ces gens tuer, il
-perçurent un gentil chevalier englès, qui nʼavoit cʼun œl, que on
-clamait monsigneur Thumas de Hollandes...&#xA0;» Or, comme ils ne
-voulaient pas avoir le sort du peuple qui mourait les armes à la main
-et, selon les <i>Grandes chroniques de France</i>, «&#xA0;se deffendoit tant
-quʼil povoit&#xA0;», le connétable et le chambellan appelèrent le «&#xA0;gentil
-chevalier englès&#xA0;», dont ils avaient fait la connaissance dans des
-voyages en pays étrangers. «&#xA0;Nous sommes telz et telz. Venés parler
-à nous en ceste porte, et nous prendés à prisonniers. Quant li dis
-messires Thumas oy ceste parolle,
-si fu tous joians, tant pour ce que il les pooit sauver que pour
-ce quʼil a voit, en yaus prendre, une belle aventure de bons
-prisonniers, pour avoir cent mil moutons. Si se traist au plus tost
-quʼil peut à toute se route celle part, et descendirent li et
-seize des siens, et montèrent amont en le porte; et trouvèrent
-les dessus dis signeurs et bien vingt cinq chevaliers avoecques eulz,
-qui nʼestoient mies bien asseur de lʼoccision que il veoient que
-on faisoit sus les rues. Et se rendirent (tous) sans delay, pour
-yaus sauver au dit monsigneur Thumas, qui les prist et fiança
-prisonniers. Et puis mist et laissa de ses gens assés pour yaus
-garder, et monta à cheval et sʼen vint sus les rues...&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Il arriva donc quʼen voulant sauver leur vie, les sieurs de Guines et
-de Tancarville préservèrent en même temps dʼune destruction presque
-certaine la petite forteresse du pont St-Pierre. Si, quelques années
-plus tard, ce premier hôtel de ville disparut, pour faire place au
-<i>beau
-château</i>&#xA0;<a class="fn" id="fr_4" href="#fn_4">4</a>
-que le continuateur de Guillaume de Nangis signale à
-la date de 1367, cʼest que la prise de Caen par Édouard&#xA0;III avait
-démontré, avec la logique brutale du malheur, la nécessité de protéger
-la ville par un système plus sérieux de fortifications.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Un sceau, attaché à un acte passé devant un tabellion de Caen le 29
-mai 1429, est le plus ancien document que nous possédions sur le
-second hôtel de ville, qui dut être certainement construit entre les
-années 1346 et 1367. Cet écusson porte, sur un fond de gueules,
-couleur du duché, un château crénelé et donjonné dʼor, accosté de deux
-tours. M.&#xA0;Gervais y
-voit une réminiscence, si ce nʼest une image de la maison commune,
-élevée sur le pont St-Pierre. «&#xA0;Voilà bien,
-dit-il&#xA0;<a class="fn" id="fr_5" href="#fn_5">5</a>,
-cette large
-porte par laquelle on communiquait de lʼintérieur de la ville avec le
-quartier St-Jean; le donjon élevé qui la surmontait et les deux tours
-qui protégeaient de chaque côté les angles de lʼédifice!&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Une description du vieux chroniqueur de Caen,
-M.&#xA0;de Bras, vient, plus
-dʼun siècle après, compléter cette esquisse imparfaite. «&#xA0;Ceste
-rivière dʼOurne coulle et descend de dessoubs ce pont sainct
-Jacques, le long des murailles de la ville, par dessoubs le pont
-sainct Pierre, sur lequel est située la maison commune de ladicte
-ville, de fort ancienne et admirable structure, de quatre estages
-en hauteur, en arcs boutans fondez dedans la rivière sur pilotins,
-laquelle flue par trois grandes arches, et aux coings de cest
-édifice et maison, sont quatre tours qui se joignent par carneaux,
-en lʼune desquelles (qui faict le befroy) est posée la grosse
-orloge: ceste quelle maison, pont et rivière, séparent les deux
-costez de la ville, de façon que les quatre murailles dʼicelle
-commencent, finissent et aboutissent sur ce pont, anciennement
-appellé de Dernetal, comme il se treuve par certaine chartre,
-estant au matrologe ou chartrier de la ville, de lʼan 1365.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;En passant par dessus lequel, ceux qui viennent de devers
-le grand pont Frilleux et la porte Millet, le long de ceste
-grande rue Humoise ou Exmesine, et autres qui sʼacheminent de
-lʼautre costé de ville, apperçoyvent de beaux
-quadrans au haut de ceste maison commune, fort dorez et si bien
-ordonnez quʼon y remarque les heures de part et autre, crois et
-decrois de la Lune; et au dessoubs sont escripts en grosses
-lettres, Un Dieu, Un Roy, Une Foy, Une Loy...&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Cette description de M.&#xA0;de Bras demande à être complétée par lʼexamen
-du plan quʼil avait communiqué lui-même à Belleforest, et que celui-ci
-publia en 1575 dans sa <i>Cosmographie</i>. Sur ce plan, lʼhôtel de ville
-présente à lʼobservateur la vue de la façade qui regardait sur la rue
-St-Jean. Cette façade se compose dʼun corps de logis encadré entre
-deux tours rondes à trois étages, dont les toits pointus, terminés par
-des girouettes, dépassent légèrement celui du corps de
-logis&#xA0;<a class="fn" id="fr_6" href="#fn_6">6</a>. Au
-centre de la façade sʼouvre une porte cintrée, très-haute, qui faisait
-communiquer la rue St-Jean avec le quartier St-Pierre; sur la voûte de
-cette porte sʼavance une petite construction en encorbellement,
-percée de trois fenêtres et couronnée dʼun toit aigu avec lucarne
-triangulaire. Enfin, au-dessus du toit du corps de logis, sʼélève une
-tour octogone à deux étages qui, sauf les créneaux supprimés,
-rappelle fidèlement la physionomie du château crénelé et donjonné dʼor
-de lʼécusson de 1429. Cʼétait dans cette tour, évidemment, que se
-trouvait la <i>grosse orloge</i> quʼapercevaient ceux qui, suivant
-lʼexpression de M.&#xA0;de Bras, venaient de la «&#xA0;grande rue Humoise
-ou Exmesine ou qui sʼacheminaient de lʼautre costé de ville&#xA0;».
-Pour être vue ainsi à distance des
-deux côtés de lʼédifice, une des tours, qui formaient les angles de
-la façade tournée vers St-Pierre, devait dépasser considérablement les
-trois autres. Nous ajouterons quʼelle se terminait, non par un toit
-aigu, mais par deux étages couronnés dʼune plate-forme.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Nous insistons sur ces détails, parce quʼils vont nous aider à faire
-la légende de la lithographie qui accompagne notre notice. Cette
-lithographie est la reproduction dʼune aquarelle de A.&#xA0;Lasne,
-exécutée elle-même en 1832, probablement dʼaprès un dessin à la mine
-de plomb que possède la Bibliothèque de Caen. Ce dessin, signé par un
-certain <i>La Rose de Caen</i>, a dû être fait avant la destruction de
-lʼhôtel de ville en 1755. Il représente la façade du monument prise
-du côté de St-Pierre, et porte en tête cette mention: «&#xA0;Horloge du
-Pont-Saint-Pierre de Caen, faite en 1314 et détruite le 15 mai 1755.&#xA0;»
-Cette note renferme deux erreurs; dʼabord, le second hôtel de
-ville de Caen ne fut point construit en 1314, mais, comme nous
-lʼavons déjà indiqué, entre les années 1346 et 1367; de plus, le
-dessin ne reproduit pas lʼédifice tel quʼil était à lʼorigine, mais
-dans lʼétat où le surprit, en 1755, le marteau des démolisseurs. Or,
-depuis le milieu du XIV<small><sup>e</sup></small> siècle
-jusquʼà cette époque, le second hôtel
-de ville avait subi, à différentes dates, des retouches et des
-modifications considérables, indiquées dʼailleurs par le dessin
-lui-même. Un des trois étages figurés sur le plan de Belleforest a
-disparu; les tours des angles de lʼédifice nʼen ont plus que deux;
-et le corps de logis, couronné maintenant par un fronton avec
-œil-de-bœuf, paraît sʼêtre aussi affaissé lui-même avec lʼâge.
-La construction en encorbellement qui sʼavançait
-au-dessus de la porte est remplacée par trois niches où apparaissent
-des images de saints et, plus haut, par une croisée à meneaux de
-pierre qui indique clairement une retouche
-de la fin du XVI<small><sup>e</sup></small> ou du
-commencement du XVII<small><sup>e</sup></small> siècle.
-Et –&#xA0;changement plus significatif&#xA0;–
-au-dessus de cette fenêtre, sous lʼœil-de-bœuf du fronton, on
-aperçoit un simple cadran, de forme carrée, sans ornements et sans
-inscriptions. Quʼétaient donc devenus les «&#xA0;beaux quadrans dont
-parlait M.&#xA0;de Bras, fort dorez et si bien ordonnez quʼon y
-remarque les heures de part et autre, crois et decrois de la lune?&#xA0;»
-Il avaient eu le triste destin du beffroi primitif et avaient dû
-disparaître avec lui à une époque quʼil serait difficile de fixer
-aujourdʼhui. Nous savons toutefois que la tour du beffroi, terminée
-par deux étages octogones, avait été déjà décapitée à la date de
-1672; car le plan de Caen, dressé à cette époque par Bignon, figure
-lʼhôtel de ville flanqué de quatre tours rondes de même hauteur et
-couvertes également de toits aigus.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Peu de temps après, entre 1672 et les dernières années
-du XVII<small><sup>e</sup></small>
-siècle, cette ancienne tour du beffroi dut perdre son toit, qui fut
-remplacé par une balustrade en pierre ornée de trèfles, telle quʼon la
-voit sur le dessin dont nous donnons une reproduction. Ce changement
-est, en effet, indiqué sur le «&#xA0;plan de la ville de Caen, levé par
-Étienne, graveur, à la fin du XVIII<small><sup>e</sup></small> siècle.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Nous pouvons constater encore sur ce plan que le corps de logis de
-lʼhôtel de ville reposait sur la plus grande arche du pont St-Pierre;
-les deux autres arches, plus petites, passaient sous les tours qui
-flanquaient les angles de lʼédifice.
-Dès la deuxième moitié du XVI<small><sup>e</sup></small> siècle,
-lʼétat menaçant des piles du
-pont St-Pierre fut une cause fréquente dʼinquiétude pour les échevins.
-Après une visite des murailles de la ville ordonnée par M.&#xA0;de
-Matignon, lʼarchitecte Stéphane Dupérac, dans son rapport sur les
-travaux quʼil déclare urgents, émet, à la date du 2 novembre 1578,
-lʼavis suivant: «&#xA0;Est aussi fort nécessaire de refonder les piles
-de la Maison de Ville, autrement il en pourrait venir grand
-inconvénient, parce que ladite maison sʼest ouverte et ouvre à vue
-dʼœil journellement.&#xA0;» Le 7 juillet 1584, nouvel avertissement de
-Jean Bastan, maître maçon de la ville, qui trouve «&#xA0;quʼil est
-très-nécessaire réparer les arches du pont sur lequel est assise
-cette Maison de Ville, lesquelles sont proches de tomber en ruine,
-sʼil nʼy est promptement pourvu.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Malgré ces cris dʼalarme, le Conseil de la commune continua de
-délibérer encore pendant dix-huit ans dans lʼhôtel de ville lézardé.
-Plus intrépides que les sénateurs romains, qui se contentaient
-dʼattendre lʼennemi sur leurs chaises curules, les échevins
-bas-normands, résignés à aller au-devant de lui, pouvaient, pendant
-leurs séances, comme au coup de sifflet dʼun machiniste, disparaître
-subitement dans le troisième dessous, capitonné, il est vrai, par la
-vase accumulée de lʼOrne et de lʼOrlon réunis.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Enfin, au mois de juin 1602, le péril devint assez sérieux pour
-décider les échevins à mettre un peu de prudence dans un héroïsme, qui
-nʼavait eu peut-être dʼautre cause que lʼapathie ou la routine. Ils se
-firent conduire dans une barque sous les arches du pont St-Pierre où
-ils vérifièrent eux-mêmes, à loisir, lʼétendue du mal. Il fut reconnu
-dans cette visite que
-la ruine du pont avait été en partie consommée par lʼinstallation de
-maisons particulières qui, dit le procès-verbal du 7 juin 1602,
-«&#xA0;sʼétoient suspendues contre les arches du pont.&#xA0;» Le même
-procès-verbal nous apprend quelles mesures de sûreté furent prises
-contre ces parasites dangereux. «&#xA0;... A été ordonné, dit-il, que
-tous les propriétaires des maisons proches et contiguës dudit pont
-et hôtel commun de ville, et desquelles le bois est porté et
-enclavé sur les arches dudit pont et murailles de la ville,
-répareront ce qui est endommagé et qui requiert réparation, au
-droit de leurs maisons; et que lesdits gouverneurs échevins de ville
-feront de leur part travailler à la réparation de la grande arche...&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Lʼancien hôtel de ville péchait par la base, mais cʼétait là son
-moindre défaut; car, après les travaux de consolidation qui y furent
-exécutés, nous voyons quʼil fut sérieusement question de le remplacer
-pour une raison qui nous est indiquée par lʼintendant Foucault dans
-ses <i>Mémoires</i>.
-«&#xA0;Jʼai mandé à M.&#xA0;de Châteauneuf, écrit Foucault à
-la date du 28 mars 1689, que la demande que les échevins de Caen
-faisaient au roi de la maison du sieur de Brieu, religionnaire
-qui a quitté le royaume, pour en faire un hôtel-de-ville, me
-paroissoit très-favorable, nʼy ayant point de lieu à Caen pour
-tenir les assemblées publiques...&#xA0;» Il ressort de cette note que
-lʼédifice du pont St-Pierre était depuis longtemps regardé comme
-beaucoup trop étroit. Cet inconvénient nʼapparut jamais plus
-clairement quʼà la date du 4 novembre 1608, lorsquʼil fallut convoquer
-une assemblée générale des habitants de Caen, pour prononcer sur
-lʼadmission ou le rejet des Jésuites. «&#xA0;Cette assemblée fut si
-nombreuse, dit lʼabbé
-De La Rue&#xA0;<a class="fn" id="fr_7" href="#fn_7">7</a>,
-quʼon ne put la tenir à lʼHôtel-de-Ville, et les
-délibérans se transportèrent dans la grande salle des procureurs du
-bailliage. Ce local, quoique vaste, étoit encore insuffisant; car,
-suivant les mémoires du temps, les votans étoient au nombre de plus
-de 3,000.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Lʼédifice du pont St-Pierre était même trop exigu pour contenir les
-convives dʼun repas officiel. Cʼest ainsi que le 16 janvier 1679, à
-lʼoccasion des fêtes pour la paix entre le roi de France et le roi
-dʼEspagne, nous voyons le maire et les échevins obligés dʼemprunter
-la maison dʼun riche particulier. «&#xA0;La compagnie, disent les anciens
-registres de la ville, sʼest rendue chez
-le s<small><sup>r</sup></small> Daumesnil,
-<i>dont elle avoit emprunté la maison</i>,
-pour donner un souper, auquel se sont
-trouvées toutes les personnes de qualité.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Lorsque le nombre des invités était trop grand pour quʼon pût les
-convoquer dans la maison dʼun particulier, les maire et échevins
-durent quelquefois, comme en 1729, faire construire une grande salle
-en charpente. «&#xA0;Le divertissement quʼun chacun prist à voir
-lʼillumination, dit une brochure très-rare du
-temps&#xA0;<a class="fn" id="fr_8" href="#fn_8">8</a>,
-conduisit
-insensiblement jusquʼà lʼheure du souper que lʼHôtel-de-Ville donna,
-et auquel furent invités les plus qualifiés dʼentre les nobles et
-les bourgeois. Monsieur de Jumilli, chef de cet illustre corps,
-au discernement duquel on doit tout ce quʼil y eut de galant et de
-bien ordonné dans ceste feste, avoit fait bastir
-sur le boulevard de la Prairie une grande sale de chapente; sa
-longueur était dʼenviron 60&#xA0;pieds sur 25 de largeur et 20 de
-hauteur, le sol était couvert de planches attachées sur des
-lambourdes en manière de parquet; tout le tour était descoré de
-plusieurs rideaux de verdure dont deux entrouverts, dans un ordre
-parfaitement cimétrisés, formoient une grande grotte ou berceau,
-dans lʼenfoncement duquel était un buffet chargé de tout ce que le
-bon goût peut inventer de plus commode pour le service de tels
-conviés; le plafond de cette sale était fait avec des toiles
-blanches si bien assemblées quʼil imitait parfaitement les plafonds
-ordinaires; de ce plafond pendaient deux rangs de lustres garnis de
-bougies dont la lumière, réfléchie par les cristaux, reproduisait
-lʼéclat. Les endroits où il nʼy avait point de verdures étaient
-couverts de très-belles tapisseries représentant lʼhistoire de
-Samson, etc.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Les dépenses, que lʼon dut faire en cette occasion, amenèrent sans
-doute la ville à penser quʼelle réaliserait une sérieuse économie en
-transportant le siége de la commune dans un local, dont les
-dimensions la dispenseraient dʼélever des constructions provisoires et
-ruineuses. En effet, trois ans après les fêtes données pour la
-naissance du Dauphin, il y eut un arrêt du Conseil de la municipalité
-(13 avril 1733) relatif au déplacement de lʼHôtel de Ville. Ce
-déplacement suivit de près la délibération, sʼil faut en croire une
-note
-manuscrite&#xA0;<a class="fn" id="fr_9" href="#fn_9">9</a>
-qui dit, à la date du 15 mai 1755, «&#xA0;quʼil y
-avait plus de vingt ans que lʼHôtel-de-Ville tenait ses assemblées
-au <i>Grand-Cheval</i>.&#xA0;»
-</p>
-<p class="indent">
-Cependant, quoique la ville eût déjà fait lʼacquisition du
-<i>Grand-Cheval</i> ou <i>hôtel Le Valois</i> (aujourdʼhui la Bourse), le pont
-St-Pierre ne fut pas abandonné brusquement par les représentants de la
-cité. Quelques services y restèrent et le carillon de la fameuse
-horloge continua de sʼy faire entendre jusquʼen lʼannée 1755. Cette
-année-là, le 3 février, le Bureau des Finances, par une sentence des
-<i>plus iniques</i>, dit un contemporain, que cette mesure indignait,
-ordonna la destruction de lʼancien édifice du pont St-Pierre.
-M.&#xA0;Mauger, avocat du roi à lʼHôtel de Ville, nous a
-conservé&#xA0;<a class="fn" id="fr_10" href="#fn_10">10</a>
-le prononcé de cette sentence avec quelques commentaires irrités.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;... Et attendu quʼil résulte des faits contenus dans les
-procès-verbaux, quʼil est au moins douteux que le pont (St-Pierre)
-soit solide; quʼil est certain, dʼun autre côté, que le passage est
-trop étroit et dangereux; que dʼailleurs les différens plans et
-projets produits et proposés par les maire et échevins sont
-insuffisans pour procurer un élargissement convenable, nous avons
-ordonné que les bâtimens étant sur led. pont seront démolis dans
-trois mois du jour de la signific. de la présente, faute de quoi,
-après led. temps passé, il y sera pourvu, ainsi quʼil appartiendra.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Cette sentence signifiée le 15 dud. mois de févr. 1755, on a
-fait assembler le général (cʼest-à-dire lʼassemblée générale du
-corps de ville) le 25 dud. mois pour avoir son avis sur lʼappel.
-Mais les uns furent sollicités par M.&#xA0;lʼIntendant, et les autres
-intimidés de sa part, en sorte quʼil
-nʼy eut que huit voix pour lʼappel, dont jʼétais du nombre, en
-sorte quʼil a fallu acquiescer...&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Trois mois après, comme le voulait lʼarrêt, le condamné fut livré à
-ses bourreaux; des bruits sourds se firent entendre..... la justice
-des démolisseurs était satisfaite!.... Lʼœuvre de destruction dut
-être poussée avec activité; car une note dʼun sieur Étienne
-Deloges&#xA0;<a class="fn" id="fr_11" href="#fn_11">11</a>,
-échevin, nous apprend que les maisons qui remplacèrent lʼédifice
-du pont St-Pierre étaient déjà bâties en 1756.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Le second hôtel de ville de Caen renfermait dans son beffroi une
-horloge si remarquable que lʼensemble de lʼédifice en prit dans
-lʼusage le nom de <i>Gros Horloge</i>. Dans une de ses lettres,
-datée du 1<small><sup>er</sup></small> octobre 1699,
-le P.&#xA0;Martin envoyait à Huet, qui préparait son livre
-des <i>Origines de Caen</i>,
-un quatrain où lʼâge de lʼhorloge communale est
-établi comme par un acte authentique de lʼétat civil. «&#xA0;Voici,
-lui dit-il, un quatrain qui se trouve gravé sur le timbre de notre
-gros horloge, dont notre P.&#xA0;Labé a fait augmenter les
-accompagnements:
-</p>
-
-<p class="indentHI pfs80">
-Puisque la ville me loge
-</p>
-<p class="indentHI pfs80">
-Sur ce pont pour servir dʼauloge
-</p>
-<p class="indentHI pfs80">
-Je feray les heures ouïr
-</p>
-<p class="indentHI pfs80">
-Pour le commun peuple réjouir.
-</p>
-<p class="indentHI pfs80">Mʼa faite Beaumont lʼan mil trois cents quatorze.&#xA0;»
-</p>
-
-
-<p class="indent">
-Cette horloge primitive sʼest conservée depuis cette date jusquʼà la
-destruction du second hôtel de ville, en 1755. Toutefois, elle ne
-traversa point les âges sans subir de profondes
-modifications qui font un peu ressembler son histoire à celle
-du couteau de Jeannot. Déjà, au mois de juin 1537, les pièces de la
-vénérable horloge se trouvaient si endommagées que le conseil de la
-commune se vit obligé de voter une somme de dix écus dʼor pour les
-réparations les plus urgentes. Le procès-verbal de cette séance est à
-citer tout entier; car il contient le premier renseignement
-authentique sur lʼétat de la fameuse horloge dans la première moitié
-du XVI<small><sup>e</sup></small> siècle.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Est comparu Denis Ollivier, serrurier, natif et demeurant en la
-paroisse St-Pierre de Caen, qui a présenté requête par laquelle il
-suppliait être commis pour lʼavenir au gouvernement et
-entretenement de lʼhorloge de la ville, assise sur le pont
-St-Pierre, dont de présent a la charge Marin Paulon. Laquelle
-horloge est assez mal conduite, gouvernée et entretenue par led.
-Paulon, tant à cause de son antiquité et faiblesse que à cause que
-les roues et autres instruments en sont rompus et usés. Offrant led.
-Ollivier prendre lad. charge aux gages accoutumés, montant
-20&#xA0;livres chacun an, et de la moitié dʼiceux en laisser jouir,
-led. Paulon sa vie durant. Ordonné que icelle charge sera baillée aud.
-Ollivier, si prendre la veut, par les moyens, qui ensuivent, cʼest
-à savoir quʼil refera et réparera tout ce entièrement quʼil est
-requis faire en lad. horloge et cadrans dʼicelle, pour être en bon
-ordre et état du et pour lʼavenir les conduira et entretiendra en
-toutes choses. Et par semblable, les tinterelles, si la ville y en
-veut ajouter et faire faire, bien et dûment, ainsi quʼil sera
-requis, aux coûts, charges et dépens dud. Ollivier, parce que
-icelle ville
-lui paiera comptant la somme de 10&#xA0;écus dʼor, pour lui aider à
-refaire, réparer et remettre en état du lesd. horloge et cadrans,
-sans que led. Ollivier soit sujet à la peinture dʼiceux.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Il faut croire que le métier de <i>gouverneur</i>
-de lʼhorloge réservait plus dʼun mécompte
-à ceux qui sʼétaient chargés de son <i>entretenement</i>;
-car nous voyons en 1592 un sieur Robert Régnier adresser aux échevins, à
-plusieurs reprises, une requête dans laquelle il mettait en avant son
-grand âge et ses infirmités, afin dʼobtenir quʼon lui donnât un
-successeur. Les échevins eurent pitié de son sort, et, pour se
-lʼattacher, portèrent ses gages à
-30&#xA0;écus&#xA0;<a class="fn" id="fr_12" href="#fn_12">12</a>,
-non toutefois sans quelques conditions.
-
-«&#xA0;Sera tenu led. Régnier faire en sorte que lʼhorloge soit
-toujours bien réglée et que les cadrans de lʼun et de lʼautre côté
-de lʼhôtel commun de ville marquent certainement les heures; aussi
-que les globes ou lunes, qui étaient par ci-devant sur lesdits
-cadrans et qui en sont de présent hors, après quʼelles y auront été
-remises aux frais et dépens de la ville, seront par après par lui
-entretenus en usage, pour marquer certainement la nouvelle et
-pleine lune, décours ou croissant dʼicelle, comme elles faisaient
-par ci-devant, etc.,
-etc.&#xA0;<a class="fn" id="fr_13" href="#fn_13">13</a>&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Tous les torts nʼétaient peut-être pas du côté de lʼhorloge, qui se
-vieillissait, et lʼon peut supposer, sans être accusé de construire
-trop légèrement des hypothèses, que la vénérable mécanique nʼavait pas
-reçu les soins délicats quʼexigeait son grand âge. Le <i>gouvernement</i>
-de lʼhorloge nʼavait, en effet, été confié jusque-là quʼà des serruriers
-de la ville. Le soupçon, que nous manifestons, dut naître dans
-lʼesprit des échevins eux-mêmes, puisquʼils se décidèrent, en 1597, à
-faire venir un horloger du Poitou. Cet horloger, appelé Loys Demarque,
-passa marché avec la ville «&#xA0;pour faire sonner les quarts et
-demi-heures à lʼhorloge&#xA0;» et sʼengager à fournir huit cloches qui
-«&#xA0;rendront sons et tons
-différents&#xA0;<a class="fn" id="fr_14" href="#fn_14">14</a>.&#xA0;»
-«&#xA0;Loys Demarque, dit M.&#xA0;Auguste
-Leroy&#xA0;<a class="fn" id="fr_15" href="#fn_15">15</a>,
-disposa les roues de manière que le remontage des
-poids ne se fit plus quʼune fois par jour, puis remplaça le carillon
-de Jean Labbé par huit tinterelles neuves, dont la plus grosse pesait
-200&#xA0;livres. Il leur fit jouer, aux heures, le premier vers de lʼhymne:
-<i>Veni Creator Spiritus</i>;
-aux demies: <i>Inviolata, integra et casta es Maria</i>;
-et aux quarts: <i>O benigna</i>. Demarque employa deux mois à
-faire ce travail, avec lʼaide de quatre compagnons, et reçut pour solde une
-somme de 48&#xA0;écus. Après lui on confia son œuvre aux soins du sieur
-Dodemare, bourgeois de Caen, qui sʼétait fait recevoir maître
-horloger.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Depuis ce travail exécuté en 1597, il nʼest plus trace, dans les
-anciens registres de lʼHôtel de Ville, de perfectionnements apportés
-au mécanisme de lʼhorloge. On nʼy trouve que la
-mention de réparations quelquefois assez importantes, comme celle dont
-il est question dans la délibération
-du 1<small><sup>er</sup></small> juin 1624:
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Sur ce que Michel Coquerel, fondeur de cloches, qui a fait
-alleu de refondre et raccommoder les tinterelles faites pour les
-demies et quarts de lʼhorloge, a dit quʼil est besoin lui fournir
-trois ou quatre cents livres de métal, pour ce quʼil fait une
-petite cloche plus quʼil nʼy en avait. Il a été arrêté que du
-nombre dʼune pièce de canon, qui fut cassée lors de lʼarrivée du
-s<small><sup>r</sup></small> maréchal dʼAncre en cette ville,
-il en sera pris trois ou quatre cents livres,
-et soixante livres dʼétain, qui sera acheté,
-pour rendre la besogne parfaite, etc.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Ainsi, vingt-sept ans seulement après les travaux exécutés par
-lʼhorloger Poitevin, on était obligé de remplacer les tinterelles
-quʼil avait posées en 1597. Si les pièces de lʼhorloge sʼusaient en
-si peu de temps, il est présumable quʼil ne devait rester que bien peu
-de chose de lʼhorloge primitive lorsquʼon ordonna la démolition du
-beffroi en 1755.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Bien quʼelle eût été pour ainsi dire complètement remplacée, par suite
-de réparations fréquentes, la vieille machine ainsi renouvelée avait
-conservé tout son prestige aux yeux de certains esprits, qui ont le
-goût et le respect des choses dʼautrefois. Voici par exemple un
-contemporain, lʼavocat Mauger, qui nous a fait parvenir, dans une
-note manuscrite, comme un écho de son indignation: «&#xA0;Le misérable
-carillon de lʼhorloge,
-dit-il&#xA0;<a class="fn" id="fr_16" href="#fn_16">16</a>,
-chanta pour la dernière fois le
-<i>Regina cœli</i> le 15 mai 1755, à six heures du matin, et le quart
-avant sept heures. Cette horloge a duré 441&#xA0;ans en état de servir;
-et lʼédifice, qui est sur le pont, va aussi être démoli, au grand
-regret de toute la ville.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Épitaphe de lʼhorloge:
-</p>
-<p class="centerserif pfs66">
-CY GIST QUI PAR SON SERVICE
-</p>
-<p class="centerserif pfs66">
-MÉRITOIT UN MEILLEUR SORT.
-</p>
-<p class="centerserif pfs66">
-CʼEN EST FAIT; VICTIME DU CAPRICE
-</p>
-<p class="centerserif pfs66">
-DARNETAL NE VIT PLUS, IL EST MORT!
-</p>
-<p class="centerserif pfs66">
-JUIN <span class="pfs130">1755</span>.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-On avait cependant conservé le bronze qui servait de timbre pour
-lʼhorloge et de cloche communale. Cette cloche avait mêlé sa voix au
-bruit des événements heureux ou malheureux qui, durant quatre siècles
-et demi, avaient agité la ville. Si nous avions son histoire, nous
-aurions en même temps celle de Caen; mais il nous reste là-dessus peu
-de documents. En voici un, toutefois, qui ne manque pas dʼintérêt.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;A été fait venir en ladite maison de ville, dit un procès-verbal
-de février 1562, Robert Regnier, du métier de serrurier, demeurant
-près le pont et maison de ville, pour savoir de quelle autorité il
-avait cejourdʼhui mis un <i>battail</i> à lʼhorloge de cette ville. Lui
-juré de dire vérité et interrogé, a dit que, pour les troubles que
-lʼon ventile être préparés, il se peut être que lʼon pourrait
-commander être sonné une alarme, qui est accoutumé être fait et
-sonné par lad. cloche de lʼhorloge, et pour éviter que sonnant lad.
-alarme il ne fût offensé de quelque coup dʼarquebuse, il
-avait demandé un battail de lad. maison de ville et de ce avait
-parlé à M.&#xA0;Dumoulin, lʼun des gouverneurs, et pour cette occasion
-avait pendu led. battail en lad. cloche, disant quʼil ne voudrait
-avoir entrepris aucune chose contre le bien de lad. ville et était
-prêt descendre led. battail.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Le sieur Regnier, malgré ses protestations, dut sembler quelque peu
-suspect, puisque nous voyons quʼun an après
-environ&#xA0;<a class="fn" id="fr_17" href="#fn_17">17</a> on fit
-«&#xA0;défense, sous peine de la vie, dʼouvrir ou faire ouvrir à personne
-lʼhuis de la porte de lʼhorloge, sans exprès commandement des
-gouverneurs.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Dʼailleurs, quand les troubles religieux ou civils se prolongeaient,
-les gouverneurs de Caen, sʼils se défiaient des sentiments des gens de
-la commune, mettaient en interdit lʼhorloger et la cloche elle-même du
-beffroi. Et au nom du roi, représenté par son lieutenant, la sonnerie
-de lʼéglise St-Pierre était priée de faire lʼintérim. Cʼest du moins ce
-qui ressort de ce passage des anciens registres de la ville, à la date
-du 26 juin 1593: «&#xA0;Arrête quʼil sera fait ordonnance à
-M.&#xA0;Richard de La Brousse, prêtre,
-<i>custos</i> de lʼéglise de St-Pierre,
-de la somme de six écus,
-pour son salaire dʼavoir sonné la cloche pour la
-retraite des bourgeois, afin quʼils ne divaguent et soient trouvés
-par les rues, après neuf heures sonnées, suivant quʼil a été
-ordonné par M.&#xA0;de La Verune, et qui est à raison dʼun écu par
-mois.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Outre les suspensions dont il était menacé pendant les troubles,
-lʼinfortuné <i>gouverneur</i> de lʼhorloge se voyait quelquefois exposé,
-dans des temps paisibles, à payer des
-dommages-intérêts quand la vieille machine, dont il avait la direction,
-venait à commettre quelque bévue bien excusable à son âge. Cʼest ainsi
-quʼon trouve dans les archives municipales, à la date de 1579, «&#xA0;une
-plainte contre le gouverneur de lʼhorloge, attendu que laditte
-horloge ayant sonné sept heures quand il nʼen était que cinq, des
-maçons et des couvreurs quittèrent leur travail, ce qui causa un
-préjudice à celui qui employait ces ouvriers.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Plus tard, lorsque les guerres, religieuses ou civiles, eurent cessé,
-le «&#xA0;gouvernement et entretenement&#xA0;» de lʼhorloge furent moins
-onéreux. Pour quelques soins dʼentretien, lʼhorlogeur, comme disent
-les archives municipales à la date du 9 juin 1732, était exempté du
-logement des gens de guerre, ce qui équivalait pour le temps à un
-traitement très-acceptable. La cloche quʼil sonnait dʼailleurs ne
-jetait que rarement lʼalarme dans la ville; elle retentissait surtout
-pour annoncer des fêtes; et cʼétait du beffroi de lʼHôtel de Ville que
-partait le signal qui mettait en branle toutes les cloches des
-couvents et des
-églises&#xA0;<a class="fn" id="fr_18" href="#fn_18">18</a>.
-</p>
-<p class="indent">
-Cette cloche, qui avait joué un rôle si important dans lʼhistoire de
-Caen, ce précieux souvenir subsistait encore en 1808. Mais le premier
-empire, se souciant peu sans doute de conserver un bronze qui
-rappelait les franchises communales de lʼancienne France, ordonna de
-fondre la cloche historique, sous prétexte dʼoffrir
-à&#xA0;<a class="fn" id="fr_19" href="#fn_19">19</a> lʼéglise
-St-Pierre une sonnerie plus à la mode.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Nous avons dit précédemment quʼà partir de la seconde
-moitié du XVI<small><sup>e</sup></small> siècle,
-il avait été souvent question de remplacer la
-maison commune du pont St-Pierre par une autre construction plus vaste
-et plus solide. Mais, avant que ce projet eût été réalisé, les
-échevins durent abandonner plusieurs fois, malgré eux, le second
-Hôtel de Ville. Ce premier exil leur fut imposé par le maréchal de
-Brissac à la suite des troubles religieux qui avaient éclaté à Caen en
-1562. Quoique le calme fût depuis longtemps rétabli dans la ville, le
-Maréchal donna aux échevins lʼordre de lui céder la maison commune
-pour y établir un corps de garde. On était au 8 septembre 1563; le
-corps de ville se réunit, délibère et arrête «&#xA0;quʼune députation sera
-envoyée au Maréchal pour lui remontrer lʼinconvénient de transporter
-les meubles et un nombre infini dʼécritures, touchant le bien et
-revenu de la ville, et la difficulté de trouver une autre maison...&#xA0;»
-Le maréchal de Brissac ne se laissant pas toucher par de si bonnes
-raisons, les échevins déclarent à M.&#xA0;de Bourgueville, lieutenant
-particulier, quʼils ne quitteront la maison commune quʼaprès avoir
-fait un inventaire en présence du bailli ou de son lieutenant. LʼHôtel
-de Ville servait, en effet, tout à la fois dʼarsenal et de magasin de
-dépôt. Peu de mois auparavant, à lʼépoque du sac de la ville par les
-Protestants, le commis des administrateurs de lʼHôtel-Dieu y avait
-apporté un calice en argent, deux calices en vermeil et une croix en
-argent avec le crucifix; dʼautres ornements dʼéglise, provenant de
-St-Étienne et de St-Pierre, y avaient été déposés vers le même temps;
-et toute une salle contenait le plomb que les Protestants, suivant un
-rapport erroné de M.&#xA0;de Bras, auraient arraché aux toitures de
-lʼabbaye de
-St-Étienne&#xA0;<a class="fn" id="fr_20" href="#fn_20">20</a>.
-On y trouvait aussi des armes diverses, des
-fusils&#xA0;<a class="fn" id="fr_21" href="#fn_21">21</a>
-et deux canons pacifiques qui ne faisaient entendre leur voix que dans
-les cérémonies publiques, fêtes anniversaires, entrées de princes et de
-souverains&#xA0;<a class="fn" id="fr_22" href="#fn_22">22</a>.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Dès quʼils eurent appris ce qui se passait à lʼHôtel de Ville, le
-prieur de lʼabbaye de St-Étienne et les trésoriers de St-Pierre
-accoururent et réclamèrent leurs ornements dʼéglise. On proposa à lʼun
-des échevins de recueillir chez lui les autres objets; mais, comme il
-refusait dʼaccepter la responsabilité dʼun tel dépôt, M.&#xA0;de
-Bourgueville, sieur de Bras, qui présidait à lʼinventaire du mobilier,
-remit les clefs «&#xA0;au mestre de camp des vieilles bandes de
-Piémont, à ce commis par M.&#xA0;de Brissac, le requiérant de nʼôter,
-ni transporter aucune chose dʼicelle maison de ville.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Le conseil était bon à donner, mais difficile à suivre, pour des
-soldats qui devaient être portés à considérer comme des rebelles les
-magistrats dont ils prenaient la place. Ils furent probablement
-contenus dʼabord par le maréchal de Brissac, qui était aussi juste que
-brave; malheureusement le duc de Bouillon, en prenant le commandement
-après la mort de Brissac, apporta un esprit dʼintolérance qui pouvait
-servir dʼexcuse aux excès des gens de guerre placés sous ses ordres.
-Voici, en effet, dans quels termes le duc de Bouillon sʼadressa aux
-échevins dès quʼil fut arrivé à Caen:
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Il est enjoint et commandé aux échevins de la ville de Caen de
-fournir et bailler au corps de garde du pont St-Pierre le nombre de
-six bûches, six fagots, douze chandelles de trois deniers pièce et
-tel nombre de tourbes qui puisse garder le feu pour allumer les
-mèches jour et nuit, le tout par chacun jour,
-à commencer le 1<small><sup>er</sup></small> oct.
-et finir le 31 mars. Et le reste de lʼannée, sera réduit à la
-moitié.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Davantage ordonnons quʼil sera baillé aux soldats de la garnison
-de cette ville vingt chambres près et à lʼentour du pont St-Pierre
-pour les loger, parce que ceux qui fourniront lesd. chambres ne
-bailleront aucune chose, mais sera le linge, vaisselle et lits,
-fourni par égalité par les autres bourgeois et habitants de lad.
-ville&#xA0;<a class="fn" id="fr_23" href="#fn_23">23</a>.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Tel était le langage que tenaient les représentants de lʼordre aux
-bons bourgeois quʼon venait sauver malgré eux. Les actes ne le
-cédèrent pas aux paroles. Huit jours après lʼordonnance du duc de
-Bouillon, le conseil de la commune était obligé de prendre des mesures
-pour réparer les dégâts commis par les soldats, chargés de protéger la
-ville contre ses passions subversives.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Il a été avisé sur ce qui a été ventilé et averti que les
-soldats, faisant la garde sur le pont St-Pierre, font grandes
-démolitions en la maison sur led. pont, tant aux planchers quʼaux
-couvertures de lad. maison, que M.&#xA0;de Laguo, gouverneur en cette
-ville et château, sera de ce averti, même que le lieu sera vu et
-visité par les gouverneurs, présence de M.&#xA0;le Lieutenant, pour, ce
-fait et le procès-verbal vu,
-être ordonné sur les réparations qui seront trouvées nécessaires,
-ainsi quʼil appartiendra.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Tandis que ces défenseurs de la propriété démolissaient les planchers
-et les charpentes de lʼédifice du pont St-Pierre pour les vendre ou en
-faire du feu, les élus de la cité, chassés du lieu ordinaire de leurs
-séances, délibéraient à tour de rôle les uns chez les autres, en
-attendant quʼils eussent trouvé un Hôtel de Ville provisoire. Ils
-sʼinstallèrent enfin, vers le milieu de lʼannée 1565, dans une maison
-appelée <i>Parc-le-Roi</i> et qui était bâtie sur des terrains voisins
-de lʼendroit où se trouve aujourdʼhui le passage Bellivet. Ils y
-restèrent exilés jusquʼau 15 mai 1572. A cette date, une ordonnance du
-maréchal de Montmorency ordonna «&#xA0;que la maison de ville serait
-rendue aux maire et échevins... pour en jouir comme ils faisaient
-auparavant les troubles.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Malgré cette promesse, lʼHôtel de Ville fut de nouveau occupé par les
-soldats du roi, en 1574: on permit toutefois aux «&#xA0;bourgeois
-habitants de la ville de continuer à y tenir leurs assemblées.&#xA0;» Les
-échevins acceptèrent cette communauté dʼhabitation, mais avec
-certaines précautions. Sʼils consentirent à risquer leurs personnes,
-ils eurent soin de laisser leurs papiers, registres, vaisselles et
-argenterie dans la maison du <i>Parc-le-Roi</i>,
-quʼils avaient confiée à la
-garde du greffier de lʼHôtel de Ville. Ils avaient oublié
-malheureusement que leur greffier était lui-même sous la garde des
-défenseurs de lʼordre, venus pour protéger les habitants contre leurs
-propres égarements. Or, il arriva quʼun beau matin le greffier et son
-fils furent assaillis dans leur lit par «&#xA0;des gens de guerre, soldats
-ou autres, comme il est écrit dans les anciens registres de
-lʼHôtel de
-Ville&#xA0;<a class="fn" id="fr_24" href="#fn_24">24</a>,
-ayant lʼarquebuse et feu à mèche, lesquels
-se sont efforcés de rompre lʼhuis du dépensier pour avoir, comme ils
-disaient, de la vaisselle, afin de la porter en une taverne pour
-leur servir à dîner.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Une troisième fois, les maire et échevins de Caen eurent le privilège
-dʼêtre protégés dʼune façon analogue en 1589, pendant les troubles
-de la Ligue. Cette fois, ils furent tout à fait mis à la porte de la
-maison commune et obligés de délibérer chez des particuliers jusquʼà
-leur rentrée, à la date du 12 janvier 1590. Mais, avec le temps,
-le Gouvernement se poliça et apprit lʼart de commettre sans brutalité
-des violences dites légales. Dès lʼannée 1610, nous voyons le pouvoir
-central remplacer à Caen les représentants élus de la cité par des
-créatures du
-Gouvernement&#xA0;<a class="fn" id="fr_25" href="#fn_25">25</a>.
-Cʼest ce que nous appelons aujourdʼhui une <i>commission municipale</i>,
-procédé que lʼon pourrait croire dʼinvention toute moderne et qui devrait,
-au contraire, figurer dans lʼinventaire du <i>vieux-neuf</i>
-si spirituellement dressé par M.&#xA0;Fournier.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Quand on leur laissait la libre possession de leur Hôtel de Ville, les
-échevins nʼétaient pas encore à lʼabri des tracasseries du
-Gouvernement. Il y avait souvent assez dʼennuis attachés à leurs
-fonctions pour quʼils préférassent lʼobscurité de la vie privée au
-relief décevant de la vie publique. Aussi arrivait-il quelquefois
-quʼon les obligeât à exercer leur charge malgré
-eux. En 1563, par exemple, une sentence du bailliage condamne «&#xA0;les
-sieurs Lebrethon et Anger, élus, à exercer la charge dʼéchevins,
-malgré leur refus, et à prêter serment, ce à quoi ils seront
-contraints par la prise de leurs corps et
-biens&#xA0;<a class="fn" id="fr_26" href="#fn_26">26</a>.&#xA0;»
-Même dans des temps moins troublés, comme dans la
-période du XVII<small><sup>e</sup></small> siècle, il
-sʼélevait à tout instant des conflits entre le pouvoir central, qui
-imposait exceptionnellement une ville écrasée déjà par les taxes
-ordinaires, et les représentants de la cité, qui défendaient leur
-caisse avec lʼénergie du désespoir.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Les échevins ne perdaient dʼailleurs jamais une occasion de se
-plaindre. Ainsi, en 1602, le Roi eut la maladresse de leur adresser
-des lettres closes, pour leur demander conseil sur le fait des
-monnaies. «&#xA0;Elle leur ordonne, disaient ces lettres, écrites à
-Poitiers le 25 mai, donner avis de ce qui se pourrait faire pour
-empêcher la rareté quʼon voit en ce royaume des monnaies dʼor et
-dʼargent au coin et armes de France, et sʼil est expédient donner
-cours en son dit roy. aux monnaies étrangères.&#xA0;» Les échevins
-sʼempressent de convoquer les notables habitants de la ville pour leur
-lire les lettres du Roi en présence du procureur de Sa Majesté. Et
-quand cette formalité est accomplie, ils rédigent, séance tenante,
-une réponse où la critique la plus vive des actes du Gouvernement se
-cache sous les apparences du plus profond respect. «&#xA0;Ouï sur ce
-plusieurs propositions et avis des assistants, disaient les
-échevins&#xA0;<a class="fn" id="fr_27" href="#fn_27">27</a>,
-a été trouvé bon quʼil
-soit remontré à Sa Majesté, avec leur humilité et obéissance,
-que la rareté dʼor et dʼargent, qui est si grande entre ses
-sujets, <i>vient de ce quʼils sont contraints en fournir plus quʼils
-ne peuvent pour les nécessités des affaires de Sa Majesté</i>, pour
-lesquelles, comme il est vraisemblable, lʼor et lʼargent au coin
-et armes de France est transporté aux étrangers, qui le retiennent
-comme le meilleur; et sont les choses venues à ce point quʼentre
-les plus aisés, y en a si grande rareté que, pour leurs menues
-affaires, ils sont contraints stipuler de payer ceux desquels ils
-se servent en blé, cidre, bestiaux ou quelques autres denrées,
-quʼils peuvent avoir de leur cru ou industrie. Occasion de quoi
-Sa Majesté est très-humblement suppliée que, pour éviter quʼils ne
-soient encore réduits en plus grande extrémité, il lui plaise leur
-donner quelque diminution des levées de deniers de toute sorte, qui
-se font sur eux, et cependant continuer le cours en son royaume de
-toutes espèces dʼor et dʼargent quelles quʼelles soient, pour leur
-juste et légitime valeur...&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Avec leur finesse normande, les administrateurs de Caen avaient deviné
-quʼon ne les consultait si poliment aujourdʼhui sur la question des
-monnaies que pour leur en réclamer demain impérieusement. Et, sans
-doute, tout en donnant une leçon spirituelle au pouvoir, ils avaient
-espéré éloigner cette menaçante échéance.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Malheureusement, lorsquʼil nʼosait plus réclamer de la ville des
-secours en argent, le Gouvernement les exigeait en nature. En 1626,
-peu de temps avant le siége de La Rochelle, le sieur du Carlo,
-ingénieur de Sa Majesté, est envoyé
-à Caen pour obliger les échevins à «&#xA0;acheter trois vieux vaisseaux
-et les faire conduire à leurs dépens à lʼîle de
-Ré pour le service de Sa Majesté et pour lʼutilité du
-public...&#xA0;<a class="fn" id="fr_28" href="#fn_28">28</a>.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Ce public arrivait bien là comme des excuses après le coup de bâton
-qui vous a assommé! En 1626, on demandait de vieux vaisseaux; au
-mois dʼoctobre 1647, on exige des habits neufs. «&#xA0;Il a été apporté,
-disent les anciens registres de lʼHôtel de Ville, des lettres de
-cachet, données à Fontainebleau le 13 de ce mois, par lesquelles Sa
-Majesté mande et ordonne aux sieurs Echevins de lʼassister de 500
-paires dʼhabits complets, consistant en pourpoint long en forme de
-justaucorps, haut et bas de chausses, de drap le plus propre à
-résister à lʼinjure du temps, avec des bonnets et autant de paires
-de souliers, et de faire que ces habillemens et chaussures soient
-de trois grandeurs, un quart pour des hommes de la plus grande
-taille, autant pour des plus petits et la moitié pour des moyens,
-et que le tout soit fourni dans la fin du présent mois ès mains de
-ceux qui en auront ordre de Sa Majesté, pour les faire
-transporter en ses armées. Arrêté quʼaprès les publications dʼusage,
-il sera fait adjudication au rabais de la fourniture de 250 paires
-dʼhabits et que remontrances seront faites au Roi et à Nosseigneurs
-de son Conseil pour être la ville déchargée de la fourniture des
-autres 250 paires, attendu sa grande misère et surcharge de lad.
-taxe.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Ce fut surtout en 1659 que les échevins durent repousser,
-avec lʼéternel argument tiré des malheurs de la ville, un des plus
-terribles assauts que la caisse municipale ait jamais eu à soutenir.
-Il sʼagissait dʼun don gratuit à lʼoccasion du mariage du Roi. Les
-archives de la ville, à la date du 12 septembre 1659, nous
-apprennent ce que Louis XIV entendait par un <i>don gratuit</i>.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Sur la lecture faite en cet Hôtel commun de Lettres de cachet du
-Roi, du 6 août dernier, mises ce matin ès mains des sieurs Echevins
-par M.&#xA0;du Boullay Favier, intendant en cette généralité, par
-lesquelles Sa Majesté demande à cette ville, en <i>don gratuit</i>,
-la somme de 50,000&#xA0;liv. pour les frais du mariage du Roi; après avoir
-envoyé lʼhuissier de la ville vers M.&#xA0;le Lieutenant général, pour
-le convier de se trouver en cet Hôtel commun, lequel a rapporté que
-led. s<small><sup>r</sup></small> était absent,
-il a été arrêté quʼil sera écrit par
-lʼordinaire de ce jour à Son Altesse, pour la supplier de vouloir
-interposer son autorité pour faire réduire et modérer lad. somme de
-50,000&#xA0;liv. à quelque somme modique, vu les grandes charges de
-cette ville et de lʼimpuissance où elle est de fournir lad. somme.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Trop heureux encore les échevins quand on leur permettait de
-marchander ainsi avec le pouvoir; celui-ci imposait le plus souvent
-sans discussion, et, quand il nʼy avait plus rien à prendre dans les
-caisses vides, il jetait en prison le receveur de la ville, comme nous
-lʼapprend une délibération du 17 novembre 1640, où lʼon voit que
-«&#xA0;lʼaprès-midi sʼest passée à la poursuite de la délivrance de
-M.&#xA0;du Taillis, emprisonné au Château pour le paiement de la
-subsistance des gens de guerre du présent quartier dʼhiver.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Pour apitoyer ces bourreaux dʼargent, les échevins mettaient
-quelquefois en action le proverbe, qui prétend que les petits cadeaux
-entretiennent lʼamitié. «&#xA0;Il a esté conclu, disent les anciens
-registres au 1<small><sup>er</sup></small> avril 1567,
-quʼils (les échevins) se présenteront
-vers M.&#xA0;de Brunville, lieutenant général, pour lui parler des
-priviléges de la ville..., et que, en faveur du mariage de la
-fille dudit sieur lieutenant, il sera délivré aux nopces une pièce
-de vin doux...&#xA0;» Ces sortes de dépenses étaient même portées
-régulièrement sur le budget de la ville; ainsi, dans lʼétat des
-finances du 1<small><sup>er</sup></small> mai 1679,
-on trouve inscrits par estimation 300&#xA0;livres
-«&#xA0;pour vins et confitures de présent&#xA0;», avec cette
-condition toutefois «&#xA0;quʼil ne pourra être donné à chaque personne
-plus de deux douzaines de bouteilles de vin et deux douzaines de
-boîtes de confitures.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Lʼimportance des cadeaux variait cependant suivant le rang des
-personnages et la protection que la ville pouvait en attendre. Cʼest
-ainsi que, lors du mariage de M.&#xA0;du Quesnay Le Blais, lieutenant
-général, on remplaça le vin ou les confitures par des présents plus
-sérieux.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Pour triompher de la joie que la ville reçoit dud. mariage le
-jour dʼhier célébré, disent les anciens registres de juillet 1637,
-il a été arrêté que le s<small><sup>r</sup></small> de
-Bretteville Rouxel, échevin, et de Bauches, syndic,
-assistés de Beaussieu, greffier, iront saluer
-led. s<small><sup>r</sup></small> lieutenant général et dame son épouse,
-à laquelle ilsporteront, de la part de la ville,
-une table de linge fin à haute lisse.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Cette conclusion a été exécutée led. jour après midi et
-consistait lad. table de linge en un grand doublier de cinq
-aunes, en un petit de trois aunes et deux aunes de large
-chacun, en deux douzaines de serviettes et deux serviettes à laver,
-qui fut acheté chez M.&#xA0;Graindorge,
-m<small><sup>e</sup></small> façonneur de haute lisse le plus
-expert de cette ville, et coûta 300&#xA0;liv., de laquelle lesd.
-s<small><sup>r</sup></small> et dame furent grandement contents
-et en remercièrent la ville.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Nous avons essayé de reconstituer, à lʼaide de dessins originaux et
-dʼanciens manuscrits, la vue extérieure du second Hôtel de Ville de
-Caen, et indiqué rapidement les exils et les tribulations que les
-échevins eurent à subir depuis la construction de cet édifice jusquʼà
-sa démolition en 1755. Nous allons, avec les mêmes guides, entrer
-dans lʼintérieur de la maison commune du pont St-Pierre. Voici dʼabord
-sur la cheminée de la salle des délibérations un buste du souverain
-régnant, usage que notre siècle a conservé et qui semble remonter
-assez loin dans le passé. Les anciens registres disent en effet, à la
-date du 11 septembre 1679: «&#xA0;Il a été accordé à Jean Postel,
-sculpteur de cette ville, lʼexemption de tout logement de gens de
-guerre et contributions dʼustensile, en considération des services
-par lui rendus à la ville et notamment de ce quʼil a fait un buste
-représentant la personne du Roi, à présent régnant, pour placer
-sur la corniche de la cheminée de cet Hôtel commun; pour lequel
-il sʼest seulement contenté des frais par lui faits, ayant remis
-volontairement à la ville ses peines et travaux.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-De la salle des délibérations le regard sʼétendait de deux côtés sur
-une vue ravissante. «&#xA0;Et, dit M.&#xA0;de Bras dans ses
-<i>Recherches et antiquitez de Caen</i>,
-de la haute salle de ceste maison où se font
-les assemblées et conventions publiques,
-lʼon voit au droict de la rivière, vers lʼOrient, arriver les
-navires venans de la mer, chargez de précieuses et rares
-marchandises que lʼon descend à lʼendroit de dix grands quaiz du
-quartier de lʼIsle... Et par les fenestres et croisées de lʼautre
-costé, lʼon a un plaisant regard sur les prais, et une
-perspective et veuës des plus plaisans et agréables
-paisages quʼon puisse voir.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-La maison commune de Caen ressemblait un peu trop malheureusement à
-ces petits appartements que lʼon montre aux locataires, en les
-conduisant aux fenêtres qui sʼouvrent sur de vastes squares, ou sur
-les jardins des grands hôtels du voisinage. Son unique salle, qui
-devait servir tant aux réunions du conseil quʼaux réceptions
-officielles, ne pouvait contenir les quarante convives du <i>dîner du
-mercredi des cendres</i>, que lʼon donnait aux notables qui avaient
-assisté à lʼélection des administrateurs de la
-ville&#xA0;<a class="fn" id="fr_29" href="#fn_29">29</a>;
-aussi les échevins
-en étaient-ils réduits souvent à offrir une simple collation,
-comme cela se fit le 23 juin 1652 pour les comtes de Dunois et de
-Saint-Pol, qui avaient accepté lʼinvitation de mettre le feu au bûcher
-de la St-Jean sur la place St-Pierre. «&#xA0;Quelque peu de temps après,
-disent les anciens registres de la
-ville&#xA0;<a class="fn" id="fr_30" href="#fn_30">30</a>,
-leurs d. Altesses ayant témoigné être prêts de se mettre
-à table pour faire collation, laquelle était préparée dans led.
-Hôtel de Ville, il leur avait été présenté par les
-s<small><sup>rs</sup></small> de Rotot et de Sannerville,
-1<small><sup>er</sup></small>
-et 2<small><sup>e</sup></small> échevin,
-deux serviettes mouillées pour laver leurs mains,
-et après se seraient mis à la table dans deux
-chaires où il y avait des carreaux de velours cramoisi, ayant
-devant eux leurs cadenas et couverts ordinaires; et parce quʼil
-nʼavait été mis sur lad. table que quatre couverts, pour M.&#xA0;de
-Chamboy et ceux auxquels Son Altesse ordonnerait de sʼasseoir,
-MM.&#xA0;de la ville ayant fait dessein de ne sʼy mettre pas afin de
-faire mieux les honneurs de la ville et témoigner plus de respect
-à leurs Altesses, M.&#xA0;le comte de Dunois aurait pris la parole et
-dit quʼabsolument il ne mangerait point si lesd. sieurs ne se
-faisaient apporter des couverts et des siéges pour se mettre à
-table et faire collation avec lui. A quoi ayant été résisté
-longtemps par led. s<small><sup>r</sup></small> de Tilly,
-échevins et officiers de lʼHôtel de Ville,
-enfin Son Altesse leur aurait dit quʼelle désirait que cela
-fût et quʼelle était venue pour boire avec eux: à quoi ayant obéi
-ils auraient pris leurs places et M.&#xA0;le comte de Dunois, après
-avoir mangé quelque temps, avait dit hautement quʼil fallait boire
-la santé du Roi, et sʼétant fait donner du vin et de lʼeau et à
-M.&#xA0;le comte de Saint-Pol, son frère, ils se seraient levés debout
-dans leurs chaires et mis lʼépée nue à la main, et, en cette
-position, auraient bu la santé de Sa Majesté et cassé leurs verres,
-témoignant un grand zèle et affection à son service, ayant même
-fait tirer du château à cet effet plusieurs coups de canon; en
-quoi ils avaient été invités par M.&#xA0;Lejeune, fils de
-M.&#xA0;de Chamboy, qui avait
-accompagné leurs Altesses, et ensuite M.&#xA0;de Chamboy avait aussi bu
-la santé de Sa Majesté, ainsi que toute la Compagnie.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Le petit édifice du pont St-Pierre était si étroit que le greffier
-lui-même ne pouvait y demeurer et quʼil emportait à son domicile la
-plupart des registres, pièces, clefs et cachets qui nʼauraient jamais
-dû sortir de lʼHôtel de
-Ville&#xA0;<a class="fn" id="fr_31" href="#fn_31">31</a>.
-<i>Lʼhuissier de la ville</i> seul y avait un logement.
-Plusieurs pièces servaient, comme nous lʼavons déjà
-vu, dʼarsenal et de magasins. Dans une des quatre tours, qui
-flanquaient les angles de lʼédifice, se trouvaient des cachots
-destinés aux gens arrêtés le soir par le guet, et où lʼon devait
-«&#xA0;les mettre jusques au Jour, dit M.&#xA0;de Bras, et les rendre à la
-justice sans en prendre aucune congnoissance, et par le juge
-ordinaire en est faict le procez et ordonné de telle punition qui
-appartient au cas.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-M.&#xA0;de Bras nous dorme encore quelques détails intéressants sur le
-corps de garde qui était placé sous le pont St-Pierre. «&#xA0;Le sieur
-capitaine dudict Caen, écrit-il, pour garder les habitans en
-patience la nuict, doibt commettre un mareschal de guet pour obvier
-aux bruits de nuict, et quʼil ne se commette aucuns larcins ny
-insolences. Lequel mareschal convoque à ceste fin les Bordiers,
-cʼest-à-dire locataires qui nʼont maison et ne sont bourgeois, en
-nombre suffisant; et estans soubs le pont sainct Pierre, dict de
-Dernetal, qui est la maison de ville, et en temps dʼhyver doibt
-avoir du feu et chandelle en une lanterne haut eslevée, et sʼil se
-faict quelque bruit, ledict mareschal et aucuns des siens sʼy doibt
-transporter, et se saisir de tels mutins...&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Malgré lʼexiguïté de leur Hôtel de Ville, les échevins trouvaient
-encore le moyen de sʼy entourer de quelques locataires. Ainsi nous
-voyons, dans les anciens registres, un cordonnier «&#xA0;requérir lui être
-baillé et délaissé une petite place vide entre lʼune des tours du
-pont St-Pierre et le coin de la muraille tendant aux Carmes, en
-laquelle place <i>soullait</i> avoir un <i>appentif</i> servant
-dʼouvroir...&#xA0;»&#xA0;<a class="fn" id="fr_32" href="#fn_32">32</a>;
-en 1075, cʼest une demande de permission «&#xA0;pour establir de la
-mercerie sur le pont St-Pierre&#xA0;»; en 1577, une autre demande
-«&#xA0;pour y establir des fruitages&#xA0;»; en 1578, une requête dʼun
-sieur Charles de Bourgueville (était-ce un parent de M.&#xA0;de Bras?)
-pour «&#xA0;étaler sa marchandise sur le même pont.&#xA0;» Les échevins
-retiraient souvent plus dʼennuis que de profit des autorisations
-quʼils accordaient, comme cela est prouvé par une délibération du 21
-mai 1580, qui mentionne quʼil «&#xA0;était advenu grand désordre et
-scandale par deux femmes, lʼune lingère et lʼautre rubannière,
-auxquelles avait été par ci-devant permis prendre place sur le pont
-St-Pierre, sous cette maison de ville, pour vendre les ouvrages de
-leurs métiers, sous espoir quʼelles sʼy comporteraient en tout
-honneur et modestie...&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-La description de lʼancien Hôtel de Ville de Caen serait
-incomplète si, après avoir montré ce quʼil était en temps ordinaire,
-nous nʼessayions pas de donner une idée de la physionomie quʼil
-prenait pendant les jours de fête.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Lorsquʼun nouveau gouverneur de la ville et du château faisait son
-entrée à Caen, on plaçait aux fenêtres de la maison commune quatre
-armoiries, savoir: celles du roi, du gouverneur, de la province et de
-la ville. Le corps de ville allait le saluer à lʼhôtel où il était
-descendu. Le premier échevin lui faisait le compliment dʼusage avant
-de lui présenter les clefs de la ville, que le gouverneur acceptait et
-renvoyait par son écuyer. Si le gouverneur était marié, le corps de
-ville se présentait de nouveau à son hôtel pour saluer sa femme, et,
-après le départ des échevins, lʼhuissier de la ville présentait à la
-femme du gouverneur le vin, deux douzaines de boîtes de confitures,
-avec une corbeille garnie de quantité de rubans et remplie de six
-bourses. Le lendemain ou surlendemain de lʼentrée du gouverneur, le
-corps de ville, assemblé pour le recevoir, sortait de la maison
-commune, «&#xA0;précédé de lʼhuissier ordinaire avec sa toque de
-velours, et des six sergents royaux et sergent général avec leurs
-écharpes, ayant un trompette à la tête&#xA0;» pour se rendre en lʼhôtel
-du gouverneur. Après lʼavoir salué, il lʼaccompagnait à la maison
-commune, où le gouverneur prenait séance au bout de la table, «&#xA0;dans
-un fauteuil dans lequel il y avait un carreau de velours.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Cʼest ainsi, du moins, que les choses se passèrent
-le 1<small><sup>er</sup></small> avril 1680,
-lors de lʼarrivée du comte de Coigny, récemment nommé
-gouverneur des ville et château de Caen.
-</p>
-
-<p class="indent">
-On se mettait naturellement en frais lorsquʼil sʼagissait dʼun
-souverain ou dʼun prince de lʼÉglise, surtout quand le
-roi, comme il le fit lors de lʼentrée du cardinal de Farnèse, se
-donnait la peine dʼécrire «&#xA0;par ses lettres missives aux échevins de
-la ville quʼils eussent à lui faire en <i>icelle réception
-honorable</i>&#xA0;<a class="fn" id="fr_33" href="#fn_33">33</a>&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Alors on faisait peindre des emblèmes, des écussons et des tableaux
-allégoriques quʼon suspendait aux murs de lʼHôtel de Ville, tant du
-côté de St-Pierre que du côté de la rue St-Jean. Puis, cʼétaient des
-illuminations et le vin qui, pendant plusieurs heures, coulait
-abondamment par les fenêtres pour le peuple.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Le 16 janvier 1679, à lʼoccasion de la paix qui venait dʼêtre signée
-entre le roi de France et le roi dʼEspagne, «&#xA0;pour marquer la joie
-publique, le beffroi était orné de tapis et dʼun étendard avec
-plusieurs branches de laurier, dont on sonna la grosse cloche dès 4
-heures du matin, et lʼHôtel de Ville, dʼun grand tableau de chaque
-côté avec plusieurs écussons, éclairés de plusieurs flambeaux, dont
-lʼun représentait sa M<small><sup>té</sup></small> à cheval,
-couronnée par un ange, foulant
-aux pieds et terrassant la Guerre, la Discorde et lʼEnvie; et
-lʼautre, la Paix descendant du ciel en terre, dans un char de
-triomphe, tiré par des amours, précédé de la Renommée et y
-apportant lʼabondance.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Le sujet des tableaux variait suivant la circonstance qui donnait lieu
-à la fête. Le 11 août 1659, «&#xA0;pour le mariage du roi, disent les
-anciens registres, le vin de lʼHôtel de Ville coula, du côté de
-St-Pierre, par deux canaux faits exprès dans le tableau du Dieu
-dʼHyménée.&#xA0;» Et, quelque deux
-ans après, lorsquʼon fit des réjouissances publiques pour la
-naissance du Dauphin, il y eut une distribution de vin au peuple par
-une fontaine qui sortait dʼun dauphin, figuré à lʼune des fenêtres de
-lʼHôtel de
-Ville&#xA0;<a class="fn" id="fr_34" href="#fn_34">34</a>.
-</p>
-
-<p class="indent">
-On croirait volontiers que ces peintures décoratives, appropriées aux
-circonstances, devaient entraîner pour la ville des dépenses
-considérables; mais un Mémoire des dépenses faites pour lʼentrée du
-duc de
-Joyeuse&#xA0;<a class="fn" id="fr_35" href="#fn_35">35</a>
-nous montre que les nécessités du budget avaient
-créé à Caen un genre nouveau quʼon pourrait appeler la peinture
-économique: «&#xA0;des tableaux de 12&#xA0;pieds sur 8
-nʼy sont cotés que 6, 8 et 10&#xA0;écus.&#xA0;» La place,
-comme on le voit, ne manquait pas aux
-artistes pour se mettre en frais dʼimagination;
-mais il est probable quʼils en donnaient à la ville pour son argent.
-</p>
-
-<img src="images/CD_PL1_end.png" class="img_025 align-center"
-alt="CD_PL1_end"/>
-
-</div>
-
-
-<hr />
-
-
-
-
-<div class="chapterNO">
-<h2>
-<a id="N2"></a>
-<span class="pfs110">
-LʼANCIEN PORT DE CAEN
-</span>
-</h2>
-</div>
-
-
-<div class="chapter">
-<img src="images/CD_PL2_VuePort.png" class="img_100 align-center"
-alt="CD_PL2_VuePort"/>
-
-<p class="pfs100">
-&#xA0;
-<br />
-</p>
-<p class="pfs100">
-&#xA0;
-<br />
-</p>
-<p class="centerserif pfs120">
-<img src="images/CD_PL_beg.png" class="img_090 align-center"
-alt="CD_PL_beg"/>
-<span class="xlarge">
-LʼANCIEN PORT DE CAEN
-</span>
-</p>
-
-<hr class="r10" />
-
-<p class="centerserif pfs100">
-<span class="large">
-NOTICE HISTORIQUE
-</span>
-<br />
-<span class="small">
-SUR LES TRAVAUX AUXQUELS IL A DONNÉ LIEU
-</span>
-</p>
-<hr class="r10" />
-
-
-
-
-<p id="lettrine2">
-<span class="lettrine2L">L</span>
-E port de Caen est aussi ancien que la ville. Dès lʼan 1026, il
-avait assez dʼimportance pour que la dîme des produits de sa douane
-fût attribuée par Richard&#xA0;II, comme une donation sérieuse,
-à lʼabbaye de Fécamp. Au temps du duc Guillaume, sa prospérité fut
-encore augmentée par la conquête de lʼAngleterre, qui amena
-nécessairement un échange de productions entre la Normandie et le
-royaume nouvellement conquis.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Jusque-là, les navires nʼavaient eu pour principale station que le
-cours du Grand-Odon, depuis lʼendroit où cette rivière se jetait dans
-lʼOrne, cʼest-à-dire vers le point où est actuellement le pont des
-Abattoirs, jusquʼau pont de Darnetal, appelé plus tard pont St-Pierre.
-</p>
-
-<p class="indent">
-La première amélioration du port fut entreprise par le
-duc Robert, fils de Guillaume le Conquérant, vers lʼannée 1104. Après
-avoir renforcé lʼOdon dʼune branche de lʼOrne, à laquelle la postérité
-reconnaissante a conservé le nom de <i>canal du duc Robert</i>, le duc
-fit creuser à lʼOdon un nouveau lit dans la prairie St-Gilles, pour
-lʼélargir et le rejeter un peu plus haut dans lʼOrne, vers le lieu
-quʼon appelle encore le <i>rond-point</i>. Grâce à ces travaux,
-des bâtiments plus forts purent remonter jusquʼau pont St-Pierre.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Ils y vinrent en si grand nombre que, quelque dix ans après cette
-première amélioration, la vue du mouvement du port excitait
-lʼadmiration dʼun certain Raoul Tortaire, moine de lʼabbaye de
-St-Benoît-de-Fleuri (Loiret), qui nous a laissé une curieuse relation
-en vers latins du voyage quʼil avait fait en Normandie, à une date
-quʼon peut fixer dʼune manière certaine entre les années 1107 et
-1113.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Le port, dit-il dans son poëme, donne asile à quelques gros
-vaisseaux que lui envoie la mer, dont les ondes, dans leur flux,
-suspendent presque entièrement le cours de la rivière. Ce sol,
-fécond en moissons, ne connaît pas lʼombrage des forêts; la noix
-gauloise, le raisin, la figue et lʼolive lui manquent; mais lʼîle
-Britannique lʼenrichit des produits divers du commerce et de ce
-quʼenfantent les terres baignées par la mer dʼOccident.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Ébloui et tenté par le nombre et lʼéclat des étoffes de laine de
-diverses couleurs, des tissus de lin dʼune rare finesse, des soies
-moelleuses à trame serrée, et des autres marchandises quʼon débarque
-sur le quai, le bon moine sʼécrie naïvement: «&#xA0;A la vue de tant de
-richesses apportées des pays les plus divers par des hommes, dont
-les vêtements sont si disparates,
-je me sens tout agité et horriblement malheureux de ne
-pas avoir dʼargent!&#xA0;».
-</p>
-
-<p class="indent">
-Ces brillants produits de lʼOrient, qui faisaient regretter au bon
-religieux ses vœux de pauvreté, étaient échangés contre le blé,
-lʼorge, le hareng salé qui servait à lʼapprovisionnement des places
-fortes, et aussi contre les pierres à bâtir tirées des carrières de
-Vaucelles et de St-Julien.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Au XIII<small><sup>e</sup></small> siècle,
-lʼaffluence des «&#xA0;navires chargés de toute sorte de
-marchandises&#xA0;» est encore affirmée en vers latins, par Guillaume Le
-Breton&#xA0;<a class="fn" id="fr_36" href="#fn_36">36</a>,
-historiographe de Philippe Auguste. Mais le mouvement du
-port dut singulièrement se ralentir pendant les malheurs de la guerre
-de Cent-Ans, les troubles de la <i>Ligue du bien public</i> et les
-dévastations des guerres de religion. Durant cette longue période de
-désastres, aucune amélioration nouvelle ne fut, on le comprend,
-apportée à la situation du port.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Cependant, il en eût exigé dʼurgentes; car, tandis que le pays
-commençait à se débarrasser de ses ennemis, le port de Caen subissait
-un autre genre dʼinvasion qui devait compromettre sa fortune et le
-menacer dʼune ruine prochaine. Lʼhistoire du port,
-à partir du XVI<small><sup>e</sup></small> siècle,
-ne se compose guère, en effet, que de la relation des
-envasements successifs de lʼOrne, des projets quʼon proposa et des
-travaux qui furent tentés pour remédier à cet état périlleux pour la
-navigation. Ces envasements redoutables tenaient à la nature des
-terrains où lʼOrne sʼétait creusé son lit capricieux. Le sol des
-prairies de Caen jusquʼà la mer nʼest, en effet, que le
-produit des matières que lʼeau de la rivière et le flux des marées
-avaient successivement déposées dans lʼancienne baie. Des fouilles,
-exécutées à la fin du XVIII<small><sup>e</sup></small> siècle
-pour creuser le nouveau canal de lʼOrne,
-ont donné lieu à des découvertes qui sembleraient prouver que
-cette alluvion ne sʼest pas accomplie avec la lenteur que met
-habituellement la nature dans son patient travail des siècles. Telle
-est, du moins, lʼopinion dʼun observateur du temps, qui pense que le
-sol de lʼancienne baie de Caen se serait exhaussé de 6&#xA0;mètres environ
-depuis la fin du II<small><sup>e</sup></small> siècle de notre
-ère&#xA0;<a class="fn" id="fr_37" href="#fn_37">37</a>.
-On comprendra aisément,
-après cette explication, que dans un terrain si mobile, composé de
-tangue, de coquilles, de sable et de bois pourris, le double mouvement
-des eaux de la rivière et du flux de la mer ait formé dans le lit de
-lʼOrne, dʼailleurs trop sinueux, les atterrissements qui ont fait,
-jusquʼà nos jours, le désespoir des navigateurs. Les plaintes répétées
-des marins et des négociants de Caen qui réclamaient des travaux
-dʼamélioration, les fins de non-recevoir des maire et échevins de la
-ville, qui approuvaient les lamentations de leurs administrés sans
-pouvoir cependant trouver dans leur caisse vide les moyens efficaces
-de les consoler, les nombreux projets et plans proposés, tant par des
-particuliers que par des ingénieurs, pour porter remède au mal, la
-mauvaise volonté du Gouvernement qui, la plupart du temps, faisait la
-sourde oreille, quelques commencements dʼexécution, trop souvent
-interrompus par la guerre ou par le manque de fonds, formeraient un
-chapitre
-intéressant de lʼhistoire administrative du temps. Nous allons essayer
-de lʼécrire.
-</p>
-
-<p class="indent">
-La seconde amélioration qui fut apportée à la rivière dʼOrne, depuis
-les travaux du duc Robert, date du règne
-de François&#xA0;I<small><sup>er</sup></small>. Profitant de
-la présence du grand sénéchal, lieutenant du Roy dans la ville, les
-officiers et gouverneurs de Caen «&#xA0;luy firent entendre,
-dit M.&#xA0;de
-Bras&#xA0;<a class="fn" id="fr_38" href="#fn_38">38</a>,
-que la rivière dʼOurne, qui flue par ceste ville, estoit fort
-sineuse et tortue depuis le havre dʼOistreham jusques en ceste
-ville, et que les navires qui flottoyent par icelle estoyent fort
-retardez, et les matelos en peine dʼattendre le changement de vent
-et marée, devant quʼils abordassent les quaiz de ceste ville qui
-estoit une grande incommodité pour les marchands. Toutefois quʼil y
-avoit un endroit en la prairie, au bas du hamel de Longueval, lequel
-nʼestoit pas de grande longueur, et que si lʼon y faisait une
-tranchée on abrégeroit le cours de la rivière de plus dʼune grande
-lieuë, et que cʼestoit lʼendroit auquel les navires commençaient
-dʼalonger leur chemin et en peine dʼattendre changement de vent ou
-marée. Ayant ledict seigneur entendu ces remontrances, il sʼy
-transporte et gens experts et maritimes, et ayant trouvé par leur
-advis que une trenchée se pouvait aisément faire en cest endroit,
-et que elle estoit bien nécessaire pour la commodité des habitans et
-marchands forains, il en fut fait faire un devis.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Le Roi autorisa le travail par des lettres patentes du 4 mai 1531, et
-un canal, long de 640&#xA0;toises, fut achevé avec un
-plein succès au mois dʼoctobre de la même année. Le 29 juin 1564,
-le trésorier général de Caen proposa au conseil de la commune un
-ingénieur «&#xA0;nommé le capitaine Foullon, lequel pourrait
-entreprendre faire la rivière dʼOrne navigable...&#xA0;» Ce nʼétaient
-pas les ingénieurs qui manquaient, mais les fonds; et la ville refusa.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Il y avait décidément abondance dʼingénieurs sur la place; car, sous
-le règne de Henri&#xA0;III, le 26 mars 1580,
-le lieutenant général François dʼO
-écrit aux échevins quʼil leur envoie un nommé Louis de Foix,
-ingénieur expérimenté qui a conduit les travaux du havre de Bayonne,
-pour voir sʼil serait possible de créer un port à Caen, et, si cela
-nʼétait pas praticable à Caen, de visiter le littoral pour choisir un
-autre emplacement.
-</p>
-
-<p class="indent">
-
-Les échevins répondent (30 mars) que, dʼaprès lʼavis du
-s<small><sup>r</sup></small> de Foix,
-«&#xA0;il se pourra faire commodément en cette d. ville un des plus
-beaux havres de France... et quʼil sera trop mieux pour le bien et
-utilité de tout le pays en cette d. ville que en nul autre lieu de
-votre Gouvernement.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Mais entre lʼacceptation dʼun projet, dont une ville doit tirer
-avantage, et le paiement des dépenses quʼil entraînera, il y a plus
-loin quʼentre la coupe et les lèvres. Dès le 4 avril, cʼest-à-dire
-quatre jours après leur lettre de remercîment à M.&#xA0;dʼO,
-les échevins envoient au gouverneur de Caen un délégué
-chargé de lui dire, entre autres choses,
-que «&#xA0;lʼentreprise de faire un havre en lad. ville
-est œuvre royale, et digne dʼun grand roi tel que le nôtre et non par
-des habitans de lad. ville et gens du pays, pour la pauvreté et
-peu de moyens dʼicelui.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Nous ne savons si les échevins fondaient de grandes espérances sur
-lʼefficacité de ces flatteries, et sʼils pensaient obtenir à si peu de
-frais la réalisation des vœux quʼils formaient pour lʼétablissement
-dʼun port. Toutefois, ils crurent nécessaire dʼajouter à leurs
-injonctions verbales des recommandations écrites, que nous trouvons
-dans une lettre du 29 avril.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Pour le fait du havre, disaient-ils à M.&#xA0;dʼO, nous vous
-supplions, si cʼest votre plaisir, que la confection dud. havre
-vint de la volonté et mouvement du Roi, plutôt que nous
-baillassions requête par écrit, car nous craindrions que, le port
-étant commencé à notre requête, sʼil advenait que les États ne
-consentissent faire la levée des deniers
-et quʼil ne plût à Sa M<small><sup>té</sup></small> les faire lever,
-quʼon ne nous contraignît à le faire achever à nos
-dépens, chose à quoi toute la ville ne pourrait satisfaire, comme
-étant chose hors notre pouvoir, sans lʼassurance que nous avons de
-la bonne volonté que portez à cette <i>votre</i> ville
-et à tout le pays.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Les échevins avaient une si grande confiance dans la bonne volonté des
-représentants du pouvoir central, quʼils nʼosaient accepter leurs
-bienfaits que sous bénéfice dʼinventaire. La lettre que leur répondit,
-à ce sujet, M.&#xA0;dʼO montrera si leur défiance était justifiée.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Messieurs, leur répondit le lieutenant du Roi, après avoir trempé
-sa plume dans une encre légèrement mélangée de vinaigre, jʼai vu par
-votre lettre les doutes que vous faites dʼacheminer la construction
-du havre et vous trouve tellement refroidis que je connais assez que
-vous nʼen avez guère envie; mais, ne lʼayant désiré que pour votre
-bien
-et de toute la patrie, si vous ne vous en souciez guère, je
-mʼen veux encore moins mettre en peine et ne vous en parlerai plus à
-lʼavenir.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-La mauvaise humeur souligne chaque mot de cette réponse.
-On y voit le dépit quʼéprouve un fonctionnaire qui nʼeût pas été fâché
-dʼoffrir au Roi un nouveau port, créé aux frais dʼune population que
-ruinaient les taxes de guerre. Mais les échevins de Caen devinèrent le
-but quʼon poursuivait et, avec toute la politesse imaginable, ils
-surent faire à leur gouverneur lʼapplication du vieux dicton qui dit:
-«&#xA0;A Normand Normand et demi.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Comme le manque dʼargent empêchait les échevins de Caen de lutter
-contre lʼenvasement de leur rivière, ils eurent tout le loisir de
-défendre celle-ci contre un autre genre dʼennemi quʼils signalèrent à
-M.&#xA0;de Joyeuse, amiral de France,
-dans une curieuse requête du mois
-dʼavril 1584. «&#xA0;Comme ainsi soit que depuis quatre à cinq ans, le
-sieur de Saint-Victor, votre lieutenant au siége dʼOuistreham, ait
-entrepris de visiter et arrêter les navires partant de cette ville
-ou arrivant en icelle, chose non jamais auparavant accoutumée ni
-pratiquée en cette ville, ni en autres ports ou rivières de ce
-royaume, étant chose suffisante dʼêtre visités et les rapports être
-faits au lieu où la marchandise est descendue et le certificat
-sʼadresse davantage, les pilotes qui étaient volontaires et en
-grand nombre, desquels, lorsquʼils voyaient un navire à la mer,
-allaient au-devant pour le piloter à lʼentrée et amont la rivière,
-ont été par lui réduits au nombre de quatre, auxquels seuls il
-permet de piloter, lesquels exigent par ce moyen quatre fois plus
-quʼil nʼétait
-accoutumé, et leur a défendu de piloter lesd. navires jusquʼà ce
-que lui soient allé demander congé dʼentrer, qui contraint lesd.
-matelots descendre leur esquif ou petit bateau pour, étant à terre,
-aller trouver le sieur de Saint-Victor, qui se tient près dʼune
-lieue loin de lad. embouchure, lui demander pilote et congé dʼentrer
-et porter leurs certificats et chartes parties, dont est arrivé la
-perte de quatre ou cinq navires, depuis led. temps, lesquels,
-faute dʼêtre secourus desd. pilotes et battus de mauvais temps ont
-été péris davantage, fait ordinairement, prenant excuse de
-visiter lesd. navires et de voir leurs certificats, soit en entrant
-ou en sortant de lad. rivière, perdre une marée ou deux et la fait
-amortir, qui leur cause perdre quinze jours de temps, jusquʼà ce
-que la mer revienne pleine, et a tellement ennuyé et fâché lesd.
-matelots que, pour les travaux quʼon leur donne aud. lieu
-dʼOuistreham, ils ont enchéri le fret aud. supplians de plus des
-deux parts. Il a aussi pour les choses susdites fait cesser le
-trafic des marchands forains et spécialement des Anglais, lesquels
-ordinairement apportant aud. Caen des draps, cristaux et des
-cuirs, remportent des toiles de cette ville, un des grands
-commerces dʼicelle, à présent totalement anéanti, chose grandement
-préjudiciable au public....... A ces causes il vous plaise
-ordonner quʼil sera fait défenses au sieur de Saint-Victor dʼarrêter
-ni visiter lesd. navires ayant chargé aud. Caen, ni ceux qui y
-apportent marchandise et desquels les certificats sʼadressent en
-cette ville ainsi que la visitation en sera faite par vos officiers
-en icelle, afin quʼon y puisse voir renaître le commerce et
-trafic...&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Tout en essayant de se défendre contre ces sangsues administratives
-des marais dʼOuistreham, qui suçaient le plus clair des revenus de
-leur commerce maritime, les échevins de Caen faisaient dʼhonorables
-mais infructueuses tentatives pour lutter contre lʼenvasement de leur
-rivière. Ils avaient, en titre dʼoffice,
-un <i>épureur</i> ou <i>esperreur</i> de lʼOrne,
-chargé du nettoyage de la rivière. Malheureusement, à
-lʼimperfection des moyens mécaniques dont disposait cet honorable
-fonctionnaire, se joignait encore une négligence, qui a laissé sa
-trace dans une délibération du Conseil du 25 mai 1612. «&#xA0;Plusieurs
-marchands et maîtres de navires, trafiquant en cette ville, se
-plaignent que, dans le cours de la rivière, les navires et bateaux
-y abordants sont en péril et danger, à raison que dans le canal de
-lad. rivière y a plusieurs grosses pierres contre lesquelles les
-navires et bateaux peuvent heurter et entrer en danger dʼêtre
-brisés, requérant que lʼesperreur commis pour curer lad. rivière
-soit approché.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-
-Malgré les plaintes incessantes des marins, le port resta un siècle
-environ dans cet état déplorable sans quʼon fît de tentatives
-sérieuses pour y remédier. Caen eut enfin la bonne fortune de recevoir
-la visite du grand ingénieur Vauban, que Colbert avait chargé
-dʼétudier toutes les côtes de France. «&#xA0;Voyant la rade de Colleville
-placée très-avantageusement au voisinage de lʼOrne, dit
-M.&#xA0;Boreux&#xA0;<a class="fn" id="fr_39" href="#fn_39">39</a>,
-Vauban comprit que lʼon pouvait tirer très-bon parti de cette
-situation. Il projeta donc de faire un port dʼasile dans la rade, dʼy
-faire déboucher lʼOrne, de redresser le cours de la rivière entre
-Caen et les carrières de Ranville et de rendre navigable sa partie
-supérieure jusquʼà Argentan, comme on en avait eu lʼidée à diverses
-reprises depuis le règne de Charles&#xA0;VII
-jusquʼà celui de Louis&#xA0;XIII.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Dʼaprès le témoignage de Vauban, Colbert fit expédier, le 6 mai
-1679, des lettres-patentes qui autorisaient lʼexécution des travaux
-indiqués par le célèbre ingénieur. On commença par faire un
-redressement de lʼOrne sur 1,140&#xA0;toises de longueur, entre les
-carrières de Ranville et les moulins de Clopée; cʼest dans ce même
-intervalle que, cent cinquante ans auparavant, on avait fait le
-redressement de Longueval. Les ouvrages devaient être continués sans
-interruption, mais la mort de Colbert vint malheureusement tout
-suspendre.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Lʼamélioration dʼune partie de la rivière nʼinfluant en rien sur le
-reste de son cours vers la mer ni sur son embouchure, toutes les
-difficultés, tous les dangers y demeuraient les mêmes, et le mal
-sʼaccrut de telle sorte que, sur la fin de lʼannée 1731, on se vit
-dans la nécessité de faire à ce sujet des démarches pressantes auprès
-de lʼintendant; mais elles nʼeurent aucune suite.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Cependant la situation du port devenait si périlleuse pour la
-navigation que le Gouvernement lui-même sʼen émut. Le comte de
-Maurepas, ministre de la marine, recommanda à lʼintendant de Caen de
-prendre des mesures pour obliger la ville à enlever les vases et les
-pierres qui menaçaient de rendre le quai impraticable. Le maire et les
-échevins répondirent que la ville nʼétait point en état de faire une
-si grosse dépense. «&#xA0;Tout son revenu, disaient-ils en novembre 1735,
-qui est de 84,093&#xA0;livres 10&#xA0;sous par an,
-est de 1,537&#xA0;livres,
-17&#xA0;sous, 4&#xA0;deniers au-dessous de ses charges annuelles.
-On ne peut aggraver, par une nouvelle taxe,
-la situation déjà bien triste
-des habitants dʼune ville dont le commerce est ruiné.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Trop préoccupées dʼaligner les chiffres de leur budget, les
-administrations ont généralement la vue courte et nʼaperçoivent pas,
-par-dessus leur comptabilité, les avantages sérieux que lʼavenir
-accorde à ceux qui ont le courage de tenter lʼinconnu. Quelque
-précaire que fût lʼétat des finances de la ville, les échevins
-auraient dû tenir compte des vœux de leurs concitoyens. Lʼextrême
-prudence nʼest pas la vraie sagesse; et il est des occasions où il
-faut savoir oser. Lʼinitiative privée eut heureusement lʼaudace qui
-manquait à une administration trop économe. Un bon citoyen,
-littérateur, poète et savant, qui avait déjà dépensé généreusement des
-sommes considérables en exécutant des plans relatifs à un projet de
-canalisation de lʼOrne, M.&#xA0;François-Richard de La Londe, sut
-communiquer son ardeur patriotique à ses concitoyens. Bientôt, en
-1740, une assemblée de notables de la ville et généralité de Caen le
-chargea de présenter, en leur nom, au contrôleur général, un mémoire
-où M.&#xA0;de La Londe demandait lʼétablissement dʼun port de refuge à
-Ouistreham et la canalisation de lʼOrne depuis Argentan jusquʼà la
-mer. Le projet fut accueilli favorablement, mais la guerre qui survint
-mit obstacle à son exécution.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Lʼimpulsion était donnée, et de nouveaux mémoires se produisirent en
-1747. Enfin, en 1748, après la signature de la paix,
-M.&#xA0;de La Londe
-adressa une nouvelle étude au comte de Maurepas. Le ministre daigna la
-prendre en considération
-et chargea M.&#xA0;Duhamel, membre de lʼAcadémie des Sciences, de se
-transporter sur les lieux pour examiner le cours de lʼOrne et donner
-son avis. Le savant minéralogiste vint à Caen et accomplit sa mission
-avec un soin scrupuleux. Cependant, malgré son avis favorable,
-lʼexécution des travaux fut encore une fois différée. Un aveu inédit
-du consciencieux académicien donne lʼexplication de ce retard. Dans
-une lettre à M.&#xA0;de La Briffe, du 5 septembre 1748,
-M.&#xA0;Duhamel, après
-avoir rappelé avec reconnaissance lʼaccueil quʼil a reçu à Caen,
-déclare quʼil nʼa pu encore parler dʼaffaires à Versailles.
-«&#xA0;La cour est si ambulante, dit-il, et si occupée des plaisirs
-que Madame la Marquise ne cesse dʼimaginer, que tout le travail est
-remis...&#xA0;» Ainsi, les négociants de Caen, menacés dans leurs
-intérêts commerciaux, et les marins, dans leur existence même, par les
-périls de la navigation, durent attendre que
-M<small><sup>me</sup></small> de Pompadour eût
-suffisamment assuré sa faveur en organisant des fêtes destinées à
-distraire un monarque ennuyé.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Laissant la cour sʼamuser, M.&#xA0;Duhamel nʼattendit pas ses
-encouragements pour se mettre à lʼétude, et il écrivit son mémoire sur
-le rétablissement dʼun port à lʼentrée de la rivière dʼOrne. Peine
-inutile! Comme la favorite avait, dʼun coup dʼéventail, brisé la
-carrière du contrôleur général Orry, dont les économies ne pouvaient
-sʼaccorder avec sa manière de comprendre la direction des finances,
-Machault, sa créature, qui paya sa bienvenue aux affaires en faisant
-accorder à la marquise une pension de 200,000&#xA0;livres, anéantit dʼun
-trait de plume les espérances que fondaient les habitants de Caen sur
-le projet si sérieusement étudié par M.&#xA0;Duhamel.
-Un M.&#xA0;de Caux, ingénieur, fut chargé de préparer
-un autre mémoire, qui
-reçut naturellement lʼapprobation du nouveau contrôleur général.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Tandis que ces intrigues de palais laissaient en suspens des travaux
-dont lʼurgence était évidente, à Caen,
-le patriotisme de M.&#xA0;de La Londe veillait
-sur les intérêts de la cité. Une tempête épouvantable
-qui, vers la fin de 1749, faillit emporter les dunes de
-Sallenelles et menaça dʼenvahir une grande partie de la riche vallée
-du Pays-dʼAuge, vint apporter au zélé citoyen lʼutile collaboration de
-la peur. Les intérêts alarmés demandèrent lʼavis dʼune commission, qui
-consulta elle-même M.&#xA0;de La Londe.
-Celui-ci, profitant de lʼépouvante
-générale, dirigea cette force aveugle avec assez dʼart pour en faire
-un instrument de progrès. Grâce à sa patriotique dissimulation, il sut
-faire sortir dʼun malheur lʼexécution des grands travaux quʼil nʼavait
-pu obtenir, en des temps plus calmes, de lʼexamen dʼun plan sagement
-médité. Il déclara, en effet, et fit admettre par lʼopinion que le
-seul moyen de prévenir le désastre quʼon redoutait serait de
-transporter, au moyen dʼun canal, lʼembouchure de lʼOrne à Colleville,
-où lʼon pourrait, par la suite, creuser un port excellent. Ce vaste
-projet fut mal accueilli en haut lieu. La cour de Versailles, avide
-dʼéconomies pour les autres, fit répondre par la bouche de son
-ingénieur quʼune digue de pierres, de terre et de bois suffirait pour
-garantir la côte menacée.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Malgré cette déception, M.&#xA0;de La Londe,
-qui ne voulait pas renoncer à
-ses espérances, accepta la direction des travaux. A peine construite,
-la digue fut détruite par la mer, et cependant le danger quʼon avait
-prétendu conjurer par là ne se
-réalisa pas. Alors M.&#xA0;de La Londe se retira,
-renonçant à jouer plus
-longtemps un rôle dans cette comédie de la peur, quʼil nʼavait
-imaginée quʼafin de lui donner pour dénouement la réalisation de ses
-vœux patriotiques. Quant au véritable auteur du désastre,
-M.&#xA0;de Caux, lʼingénieur en chef,
-il sʼen lava les mains. Dans une lettre du 14 mai
-1751, il déclarait dʼun cœur léger quʼil avait toujours considéré
-et annoncé le travail en cours dʼexécution comme un palliatif
-provisoire; que le parti le plus sûr était dʼouvrir le canal proposé,
-pour donner une autre embouchure à lʼOrne. Malgré cette tentative
-dʼapologie, lʼopinion publique sut faire la part des responsabilités.
-A son arrivée à Caen, le nouvel intendant, M.&#xA0;de Fontette,
-mis au courant de la situation par les plaintes des habitants,
-crut quʼil était pressé de donner un successeur à M.&#xA0;de Caux.
-Il proposa de consulter, au sujet des travaux à exécuter,
-M.&#xA0;Lecloustier, ingénieur en chef à Dieppe.
-Quelque temps après, le 23 janvier 1753, M.&#xA0;Trudaine,
-directeur des ponts et chaussées, mandait à lʼintendant de
-Caen que le garde des sceaux avait pris le parti dʼenvoyer sur les
-lieux M.&#xA0;Lecloustier, dès que la saison le permettrait.
-On ne pouvait faire un choix plus malheureux.
-</p>
-
-<p class="indent">
-M.&#xA0;Lecloustier avait une réputation dʼhabileté méritée;
-mais ses intérêts personnels le retenaient à Dieppe.
-Sʼil ne refusa pas
-absolument le travail quʼon lui proposait, il employa mille
-subterfuges et délais pour en retarder lʼexécution. Caractère
-indépendant, fantasque, bourru, il se retrancha derrière sa position
-acquise, pour lancer de là, dans une correspondance verbeuse et
-parfois spirituelle, mille traits acérés contre les abus de
-lʼadministration du temps. Son humeur frondeuse
-sʼattaquait hardiment à tout et semblait rechercher, dans une
-prolixité voulue, le moyen de lasser ses supérieurs et dʼéterniser la
-résistance. Rien de plus curieux que les lettres de cette sorte
-dʼingénieur malgré lui. Cʼest une bonne fortune de les rencontrer sur
-son chemin; car on y trouve, à côté dʼune critique amusante, les
-détails les plus circonstanciés sur les travaux des ponts et chaussées
-vers le milieu du XVIII<small><sup>e</sup></small> siècle.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Une première lettre, du mois de mai 1753, adressée probablement à
-lʼintendant de Caen, débute ainsi:
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Monsieur, je reçois aujourdʼhui la lettre que vous mʼavez fait
-lʼhonneur de mʼécrire et jʼai celui dʼy répondre tout à lʼheure.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Lʼamitié, permettez-moi ce précieux et rare terme, lʼamitié,
-dis-je, que je vous ai vouée, me forcera toujours à vous parler à
-cœur ouvert et sans adulation pour mériter la vôtre, et si jʼy
-parviens, etc., attendez-vous, sʼil vous plaît, à ne me jamais
-trouver dʼhumeur à la laisser échapper. Lʼon sait à mon âge, ou du
-moins on doit savoir quʼun bien si difficile à acquérir échappe des
-mains lorsquʼon en a le moins dʼenvie et cela presque toujours; un
-soupçon, un rapport faux, un jugement précipité, une défiance sont
-suisses qui assiégent votre antichambre, Messieurs, habillent
-la probité et la franchise de deuil. La jalousie, lʼenvie, la
-critique, les si, mais, car, parce que, etc., viennent à lʼappui, et
-le fil casse par lʼendroit le plus faible. Les réflexions de Sosie
-dans lʼ<i>Amphytryon</i> ne me sont jamais sorties de lʼesprit lorsque,
-la lanterne en main dans son début, il sʼapostrophe lui-même. Toutes
-ces images, dis-je, doivent nous guider
-dans le labyrinthe du cœur humain, avec le fil dʼAriane: <i>Fac
-bonum et declina a malo</i>. Sur ce principe donc, Monsieur, et avec
-la connaissance que jʼai de votre excellent caractère, je vais
-prendre la liberté de vous parler tout naturellement...&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Puis après avoir parlé, avec autant de concision que de légèreté, des
-travaux à exécuter tant à Sallenelles que dans la ville de Caen, M.
-Lecloustier termine brusquement sa lettre par lʼétrange conclusion qui
-suit:
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Voilà, Monsieur, en bref ce que je ferais pour mon bien propre en
-quatre ou cinq ans de temps. Il vous sera bien glorieux, soit dit
-sans compliment, dʼavoir donné jour à la conservation du
-Pays-dʼAuge et à la commodité de votre navigation qui, en dépit des
-vents de nord-ouest, sera permanente si vous avez pris garde à la
-manière dont les pierres sèches sont arrangées. Mais je
-commencerais à exterminer tous les lapins qui culbutent les dunes
-et désolent les bonnes terres par leurs brigandages. Cet article
-sera le plus difficile, parce que ce bétail appartient à gros
-seigneurs qui nʼont mie cure des pauvres.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-On voit que M.&#xA0;Lecloustier avait un tempérament dʼopposition
-singulièrement hardi pour lʼépoque. Sa brusquerie, réelle ou jouée,
-dut probablement servir dʼexcuse à ses audaces de plume. On sʼétonnera
-toutefois que ses chefs aient pris si longtemps au sérieux un
-ingénieur qui, dans une «&#xA0;lettre dʼaffaires&#xA0;», semblait demander
-comme un travail préparatoire à la construction dʼune digue,
-lʼextermination des lapins qui peuplaient les dunes du voisinage.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Cependant, à la date du 26 juillet 1753, le directeur des
-ponts et chaussées, M.&#xA0;Trudaine,
-écrit à lʼintendant de Caen quʼil
-faut avant tout faire un bon devis, bien détaillé, accompagné dʼune
-estimation. Et il ajoute: «&#xA0;Je crois
-M.&#xA0;Lecloustier très-propre à le bien faire;
-mais il passe pour nʼêtre pas aisé à manier, surtout pour
-ce qui concerne son intérêt personnel.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Lʼintendant communiqua-t-il cette lettre à M.&#xA0;Lecloustier,
-ou se
-fit-il du moins, auprès de lui, lʼécho des appréhensions que le
-directeur des ponts et chaussées manifestait au sujet du caractère de
-lʼingénieur de Dieppe? On peut le croire; car, dès le 11 août 1753,
-lʼingénieur bourru prit sa bonne plume de combat et écrivit une lettre
-dans laquelle il expliquait les causes légitimes de son irritation.
-Cette lettre est à citer tout entière; on y trouve une description
-colorée des petites misères de la vie des ponts et chaussées à cette
-époque&#xA0;<a class="fn" id="fr_40" href="#fn_40">40</a>.
-</p>
-
-<p class="entete1 small">
-«&#xA0;A Dieppe, le 11 août 1753,
-</p>
-
-<p class="entete2">
-«&#xA0;Monsieur,
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Jʼai reçu la lettre que vous mʼavez fait lʼhonneur de mʼécrire
-le 8 de ce mois, par laquelle vous me faites celui de me marquer que
-le Ministre vous charge, Monsieur, de lʼinformer si je voudrais bien
-faire <i>un devis bien exact des ouvrages à faire à la rivière
-de Caen et quelles sont à peu
-près mes idées sur la récompense que je crois devoir attendre du
-Roi</i>. Je suis bien persuadé, Monsieur, que si lʼon voulait sʼen
-rapporter à vous, vous arrangeriez les choses en ministre généreux,
-en vrai Colbert, et que nous ne marchanderions pas. Mais
-aujourdʼhui, Monsieur, nous voyons renaître le temps du bon Juvénal,
-qui disait avec le fiel que vous lui connaissez:
-<i>Probitas laudatur et alget</i>, aujourdʼhui, dis-je, ce trop vrai bon mot, que jʼavais
-oublié depuis mes classes, mʼest revenu en mémoire par la triste
-expérience que jʼai faite de son application. Or, écoutez donc mon
-histoire, Monsieur, sʼil vous plaît. Elle mériterait dʼêtre mise en
-vers sur lʼair des <i>Pendus</i>, car elle est assez tragique pour ma
-pauvre famille. Et, en effet, je nʼai jamais dû mʼattendre à un sort
-communément heureux, étant né le vendredi immédiatement après
-dîner, Saturne et Mercure en conjonction, le soleil éclipsé de onze
-doigts, et la lune, qui luit pour tant dʼautres couleur dʼargent,
-était pour lors comme couverte dʼun sac de poil noir. Ce
-langage, Monsieur, connu des adeptes seulement, vous doit paraître
-extravagant; je nʼen suis pas surpris. Mais souvenez-vous que...
-<i>sapientis est desipere in loco.</i>
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Il y a quatre ou cinq ans, Monsieur, que la navigation de
-la Somme étant interrompue dans Abbeville pour communiquer à Amiens,
-quelques ingénieurs des ponts et chaussées avaient insinué à
-M.&#xA0;Chauvelin un beau et superbe canal
-à demi-lieue hors de la ville,
-mais ce canal avec les écluses pouvait aller à quelques millions;
-la Cour voulut savoir sʼil nʼy avait pas de remède moins violent.
-M.&#xA0;de Regemorte, qui aime ma famille, me proposa,
-en vue sûrement de
-me faire du bien. Je reçus donc ordre dʼexaminer; et, sur mon
-rapport, on jugea quʼoutre la dépense inutile et exorbitante, il
-résultait du projet une désertion totale de la ville, comme il
-arriverait à Caen, Monsieur, si le projet de Colleville avait
-jamais lieu. Je remarquai donc <i>quʼil nʼétait question que de curer
-lʼancien bras de la Somme</i> dans la ville, assez bas sous un pont de
-pierre pour que les barques pussent y passer de mer basse, afin que
-de mer haute lʼarche de ce pont ne leur servît plus dʼobstacle
-étant une fois passées, car il arrivait, Monsieur, que ces barques,
-attendant la marée pour passer sous ce pont, se trouvaient
-souvent prises sous la voûte et sʼy écrasaient. On suivit mon avis,
-par ordre du Conseil; mais comme je nʼavais pas barbouillé beaucoup
-de papier, ni fait un projet à millions, tout lʼouvrage sʼest fait
-sans quʼil ait été seulement fait mémoire du pauvre saint, et jʼen
-fus pour mes frais avec une chute de cheval qui faillit à me tordre
-le cou. Ce quʼil y eut encore de singulier à cet ouvrage ou
-curement, est quʼil fut dirigé et conduit par Messieurs de ville,
-qui, pour aller plus vite (en dépense apparemment), employèrent
-six cents travailleurs où il nʼen pouvait tenir à lʼaise que cent
-cinquante au plus; tout le reste devint spectateur bénévole.
-– Fin de mon premier point.
-</p>
-
-<p class="centerserif">
-«&#xA0;2<small><sup>e</sup></small> <small>POINT</small>.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Lʼannée ensuite, me promenant dans mon jardin, à Fécamp où
-jʼétais pour lors en résidence, je vis arriver un cavalier de la
-maréchaussée qui mʼannonça un arrêt du
-Conseil qui me nommait pour concilier le débat entre
-MM.&#xA0;Bayeux et Le Barbier, des ponts et chaussées, sur
-le projet de la conservation du territoire de Cayeux, proche
-le bourg dʼAult. Leurs projets étaient joints à lʼarrêt du
-Conseil qui mʼenjoignait de dire mon avis et faire les
-dessins nécessaires si je trouvais les autres défectueux. Je
-fis le voyage et examinai le terrain. Mon mémoire fit
-connaître les défauts des autres projets qui étaient très-bien
-dessinés et montaient à plus de 80,000&#xA0;livres chacun. On
-tailladait le pays par grands canaux inutiles avec des têtes
-dʼécluse dans la mer. Bref, je donnai le projet dʼun aqueduc comme
-on les pratique en Flandre; lʼadjudication sʼen
-passe; elle est agréée du Conseil, lʼouvrage qui consistait tout
-en pilotis de chêne est fait par lʼentrepreneur pour 39,000&#xA0;livres.
-M.&#xA0;Chauvelin quitte lʼintendance dʼAmiens
-et va à Paris. M.&#xA0;dʼAligre
-lui succède. Lʼentrepreneur, lʼouvrage fait, est renvoyé comme un
-vilain après lui avoir retenu 14,800&#xA0;livres. Cet homme écrasé quʼon
-avait obligé déjà de payer les honoraires de MM.&#xA0;Bayeux et Le
-Barbier, et chargé aussi de payer le mien, est devenu insolvable et
-jʼen ai été pour mes peines, et nʼai pas été exempt des
-plaisanteries de M.&#xA0;dʼAligre que je ne connus oncques.
-Si lʼon viole donc aujourdʼhui, Monsieur,
-le droit des gens avec autant de
-despotisme que M.&#xA0;dʼAligre le fait,
-qui est-ce qui sera assez hardi
-pour avoir à démêler vis-à-vis les intendants? Dʼailleurs, Monsieur,
-ma profession est pour les fortifications. Je suis attaché aux
-ministres de la guerre et de la marine qui mʼont noblement
-récompensé lorsquʼils mʼont chargé de commissions particulières.
-Ils ont été contents
-et nʼont point cherché, comme M.&#xA0;dʼAligre, de ces petits
-alibis pour chagriner (besogne faite) entrepreneurs, et se moquer
-mal à propos dʼun pauvre diable dʼingénieur quʼon ne peut taxer
-dʼavoir mis la main à la pâte, puisquʼil nʼa fait aucuns toisés, le
-bureau des ponts et chaussées ayant nommé pour la conduire un sieur
-Le Tellier, qui a failli à faire échouer lʼouvrage par son
-indétermination et son insuffisance aux travaux de mer.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0; Quoiquʼintendant vous-même, Monsieur, je présume de votre
-excellent caractère que vous voudrez bien, pour un moment, descendre
-à ma place. Ayant été échaudé deux bonnes fois, vous
-exposeriez-vous à la troisième? Et ne vaut-il pas mieux manger du
-pain noir en paix auprès de ses lares et pénates que de courir après
-le vent? Vous me parlez, Monsieur, du ministre sans le nommer; je
-prends donc la liberté de vous dire que si je me charge du détail
-de la construction des ouvrages à faire tant à la rivière quʼà son
-embouchure, pont tournant, clapets, etc., je ne désire avoir
-affaire à dʼautres ministres quʼà M.&#xA0;Trudaine.
-Je connais son mérite et son humanité;
-je ne veux dʼautres juges pour mes honoraires que
-vous, Monsieur, et MM.&#xA0;De Regemorte.
-Je suis bien certain par ma
-bonne conduite et économie sauver sur les ouvrages la récompense
-dʼun honnête homme. Informez-vous, Monsieur, de lʼadministration
-des fonds destinés pour les fontaines du Havre que jʼy fis faire, il
-y a huit ou dix ans. Les misérables qui se présentaient pour
-lʼentreprise faisaient monter la livre de mastic à 20&#xA0;sols; je la
-fis faire devant moi pour 6&#xA0;sols,
-et la livre de soudure à 37&#xA0;sols fut faite dans la cour de
-lʼHôtel de Ville pour 13&#xA0;sols. Je sauvai plus de mille louis à
-cette administration.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Le projet que vous a donné M.&#xA0;de Regemorte est le seul
-raisonnable, durable par sa construction, et le seul capable de
-faire lʼeffet quʼon en doit attendre. On peut le pousser aussi loin
-et aussi peu quʼil conviendra, sans avaries aucunes (notez bien
-ceci) toutes pierres et de tous échantillons seront bonnes étant
-essemillées comme il convient. En un mot, ce ne sont point ici des
-fagots quʼon vous donne, ce nʼest point un palliatif. Prenez-y bien
-garde, Monsieur; ceux qui ont ajusté une pièce à vos dunes
-ont-ils marchandé? Voulez-vous que je marchande aussi? Faites donc
-comparaison, Monsieur, non-seulement de la besogne, mais de son âme,
-cʼest-à-dire de ce qui en résultera. En un mot, Monsieur, je suis à
-M.&#xA0;de Trudaine, à vous,
-à M.&#xA0;de Regemorte, mais parbleu! que
-dʼautres nʼy mettent pas le nez, car je trousse mon sac et mes
-quilles et je mʼen vas tout droit devant moi.&#xA0;»
-</p>
-
-<br />
-<p class="indent">
-Sans tenir compte de la mauvaise humeur qui perce à chaque ligne dans
-cette lettre, lʼintendant de Caen, M.&#xA0;de Fontette, écrivit, le 28
-novembre 1753, au ministre dʼArgenson pour le prier dʼautoriser
-M.&#xA0;Lecloustier à venir à Caen, afin dʼy commencer
-lʼétude des travaux à exécuter sur lʼOrne.
-Cette insistance, qui faisait honneur aux talents
-de M.&#xA0;Lecloustier, mais le menaçait dans sa tranquillité,
-détermina lʼingénieur malgré lui à indiquer de loin des mesures
-dʼadministration à prendre, en attendant la saison des études
-sur le terrain. Se voyant, malgré cela, sur le point dʼêtre
-arraché du milieu qui lui plaisait, il imagina, pour obtenir un
-nouveau répit, le prétexte dʼune maladie. Cʼest du moins ce qui
-ressort dʼune lettre du ministre dʼArgenson, «&#xA0;qui autorise
-M.&#xA0;Lecloustier à venir à Caen dès que la saison
-et sa santé le lui permettront.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Pressé de nouveau, M.&#xA0;Lecloustier se décide enfin à rédiger
-un «&#xA0;Devis et mémoire pour servir au percement du nouveau canal,
-projeté pour diriger en lignes droites
-la navigation de Caen sur la rivière dʼOrne.&#xA0;»
-Aussitôt, de lʼintendance de Caen arrivent des objections contre ce
-projet. Cʼétait probablement ce que souhaitait lʼingénieur, forcé dans
-ses derniers retranchements. Après avoir combattu vivement dans sa
-correspondance, comme suggérées par des ignorants, les critiques et
-les vues nouvelles que lui adresse lʼintendant, il décline avec
-ironie, dans une dernière lettre, la paternité du projet dont il a
-signé le devis.
-</p>
-
-<p class="entete2">
-«&#xA0;Monsieur,
-</p>
-
-
-<p class="indent">
-« Jʼai reçu ici la lettre que vous mʼavez fait lʼhonneur de mʼécrire
-le 2, par laquelle vous me faites celui de me mander que les fonds
-ne sont pas encore accordés pour lʼexécution de <i>mon devis</i>.
-</p>
-
-<p class="indent">
-« Je ne suis pas assez rempli de vanité pour me prévaloir dʼun
-dessein qui est tout vôtre, Monsieur. La gloire vous en est due sans
-aucun partage. Et sûrement le public me traiterait avec mépris si,
-après avoir fait éclater ma pensée sur ces ouvrages, jʼavais
-lʼorgueil de me parer dʼun projet qui nʼest point du tout de mon
-imagination. Je vous supplie donc, Monsieur, de faire en sorte quʼil
-ne soit point question
-de moi. La seule idée que je sois homme à me faire honneur de
-lʼusage dʼautrui me ferait rougir de honte quand jʼirais dans le
-pays, où je ne prévois pas heureusement avoir le temps dʼy faire
-aucun voyage, pour voir la famille de mon épouse. Je dis
-heureusement, Monsieur, parce quʼil a plu au Roi de me charger dʼun
-détail dans deux de ses places qui me fait honneur. Cʼest aussi où
-je dois me renfermer pour ne pas tromper lʼattente de mes
-supérieurs et jʼai de lʼouvrage pour toute lʼannée. Vous me saurez
-bon gré, Monsieur, de cette scrupuleuse attention qui, en même
-temps que je ferai mon devoir, me délivrera des corvées dʼun évêque
-<i>in partibus</i>. Je suis encore, outre cela, malheureusement
-dʼun âge fort dangereux et incurable même, à cause des années passées,
-comme il est dit fort élégamment dans les
-pronostications Pantagruéliques.&#xA0;»
-</p>
-
-<br />
-<p class="indent">
-Cette lettre était datée du 10 mars 1754. Ainsi, on avait perdu deux
-ans en pourparlers inutiles pour sʼassurer les services dʼun étranger,
-qui refusait catégoriquement de quitter son poste! La leçon valait
-bien ce retard sans doute et lʼon sʼadressa à un homme du pays,
-M.&#xA0;Loguet, ingénieur en chef de la généralité de Caen. Celui-ci
-sʼempressa de rédiger un devis des travaux à exécuter pour le
-redressement de lʼOrne; sa bonne volonté fut même appuyée par une
-adresse dʼun grand nombre de commerçants, qui se plaignaient de lʼétat
-déplorable de la rivière, où des barques de 60&#xA0;tonneaux ne pouvaient
-plus monter jusquʼau quai. Malheureusement, à la même époque,
-Mme&#xA0;de Pompadour, irritée des sarcasmes de Frédéric&#xA0;II
-sur la <i>dynastie des cotillons</i>, préparait le traité
-de Versailles qui devait amener les désastres de la guerre de
-Sept-Ans. Il fut donc répondu aux habitants de Caen quʼon était désolé
-de reprendre les fonds destinés aux travaux de leur port, mais quʼon
-leur promettait de les leur rendre à la paix. Pour les inviter à la
-patience, M.&#xA0;Trudaine leur envoya un arrêt du Conseil dʼÉtat,
-du 21 septembre 1756, qui «&#xA0;autorisait les négociants de Caen à faire
-directement le commerce avec lʼAmérique.&#xA0;» On voit donc que sʼil nʼeût
-fallu que de lʼeau bénite de cour pour faire monter le niveau de leur
-rivière, les commerçants et marins de la ville auraient eu mauvaise
-grâce à murmurer. Ils se turent jusquʼau 4 juillet 1762; mais, à cette
-date, les marins adressèrent à lʼintendant, M.&#xA0;de Fontette, une
-supplique dont nous citerons le passage suivant: «&#xA0;Lʼentrée du quai
-de cette ville, qui commence depuis la tour Massacre jusquʼà la
-seconde porte du quai, au-dessus de la rue des Carmes, est
-tellement gâtée par les attérissements que, lors des plus grands
-flots, il ne sʼy trouve que 4 à 5&#xA0;pieds dʼeau; quʼà ce moyen,
-les vaisseaux, qui dans le cours de cette rivière ont déjà souffert
-des avaries considérables pour la monter, sont obligés de se mettre
-en décharge au dessous dʼicelui, dans des fonds vaseux et de prairie
-dont le terrain, pour peu quʼil survienne des pluies, sera défoncé
-et impraticable...&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Dès le 1<small><sup>er</sup></small> décembre 1762,
-nouvelle supplique présentée
-à M.&#xA0;de Fontette par les négociants de la ville.
-Ils espèrent, disaient-ils, que, la paix approchant,
-il va être fait des travaux pour remédier au mauvais état
-de la rivière «&#xA0;qui a rebuté pendant la présente guerre
-les navires neutres dʼapporter les choses même les plus nécessaires
-à la vie.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Malgré la signature de la paix en 1763, on ne parlait pas de rendre
-les fonds destinés aux travaux du port. Aussi, le 27 juin 1764, les
-marins adressèrent-ils une nouvelle supplique à lʼintendant de la
-généralité de Caen. Quelques jours après, le 15 juillet, lʼingénieur
-en chef, M.&#xA0;Loguet, publiait un mémoire important sur les
-améliorations à faire au port. Mais lʼimprudent ingénieur, qui voyait
-que les meilleurs projets venaient se briser contre lʼéternel écueil
-des coffre-forts vides, eut la fatale prévoyance dʼajouter à ses plans
-lʼexposition dʼun système de taxes qui eût permis de commencer le
-travail sans attendre dʼinterminables délais. Pauvre M.&#xA0;Loguet!
-vouloir secouer le joug de la routine, quand on est attelé au coche
-administratif! Attendez! Voici un coup de fouet qui vous apprendra,
-non à avancer comme on pourrait le croire, mais à vous tenir bien
-tranquille à votre rang! En effet, dans une lettre du 9 décembre 1764,
-adressée à M.&#xA0;Loguet, le directeur des ponts et chaussées, tout en
-reconnaissant lʼutilité des travaux projetés, ajoute «&#xA0;quʼil faut
-attendre les demandes et les propositions des intéressés et que les
-ingénieurs ne <i>doivent point se mêler des affaires
-de finances!</i>&#xA0;» Ce nʼétaient pourtant pas les demandes
-des intéressés qui manquaient.
-Les habitants de Caen se plaignaient sur tous les tons et à tout
-instant: le 19 mars 1766, mémoire de M.&#xA0;Viger, lieutenant-général
-de lʼamirauté de Caen; le 19 juin 1766, doléances des navigateurs
-qui présentent aux maire et échevins de la ville une liste des
-sinistres causés par lʼétat de la rivière; le 26 juin 1766, plaintes
-des habitants au sujet des inondations causées par lʼenvasement
-de lʼOrne; le 29 mai 1770, procès-verbal des officiers de
-lʼamirauté, dressé à la requête des commerçants
-et des marins. Quelques extraits de ce procès-verbal donneront une
-idée de lʼincroyable état de délabrement du port à cette époque. Voici
-dʼabord quelle était la situation du quai de débarquement des Carmes:
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Ledit quai, dit le lieutenant-général en lʼamirauté de
-Caen, est défoncé et coupé de toutes parts par différentes
-ornières sur toute sa superficie entremêlée de différents
-amoncellements de terres vaseuses, mêlées de décombres y apportés,
-lesquels à ce moyen entretiennent des fosses et flanges où lʼeau
-séjourne au point que les camions et brouettes ne les peuvent
-franchir et y demeurent souvent coulés jusquʼau moyeu, ce qui cause
-un retardement et un préjudice onéreux au commerce, tant lors du
-chargement des cargaisons à bord que lors du déchargement dʼicelles,
-par la raison quʼelles se trouvent gâtées et couvertes des
-fanges et boues dudit quai; quʼen outre la pourriture des emballages
-qui en résulte, la qualité des différentes marchandises se trouve
-altérée et gâtée et le poids considérablement augmenté, ce qui
-occasionne aux propriétaires ou consignataires de tomber
-involontairement dans le cas de contravention aux ordonnances de Sa
-Majesté sur le fait des traites et cinq grosses fermes, dʼoù il
-résulte des peines, des soins et toujours des avaries.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Quant au canal lui-même, lʼauteur du procès-verbal déclare: «&#xA0;que
-les pierres de revêtissement du quai, loin dʼavoir été entretenues
-par les officiers municipaux aux termes de lʼordonnance de la
-marine de 1681,
-art.&#xA0;20,
-tit.&#xA0;I<small><sup>er</sup></small>,
-liv.&#xA0;IV,
-sont dans un état
-dʼune totale destruction; quʼelles sont tellement endommagées et si
-peu solides que nous-mêmes,
-en passant à bord du navire hollandais <i>Joost</i>, capitaine
-Cornelis Boezaard, aux fins de la visite dʼiceluy, samedi dernier,
-ce dʼy dresser procès-verbal judicier dʼune partie de sa cargaison,
-nous avons couru le danger de tomber à lʼeau, partie de ces pierres
-sʼy trouvant écroulées.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Nous a pareillement été fait remarquer, tant par le maître
-de quai que par les capitaines de navires, que lʼéboulement dans le
-canal des principales pierres dudit revêtissement met les navires
-qui y sont rangés dans le danger le plus imminent, en ce que, de
-basse-mer, ils courent risque dʼêtre rompus ou crevés sur ces mêmes
-pierres, sans pouvoir sʼen garantir ni les éviter, par la raison
-quʼelles se trouvent mêlées dans un lit de vases molles formant un
-corps semi-solide dont le canal est rempli et sur lequel les navires
-restent à sec de morte-eau; quʼil devient urgent pour le commerce
-dʼen faire procéder au curage, ainsi quʼà la réparation desdites
-pierres de revêtissement dudit quai sur toute sa longueur.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-On pouvait espérer que lʼadministration aurait des entrailles de père
-pour cette douleur officielle, émanant des officiers de lʼamirauté.
-Mais il nʼen fut rien. Les habitants durent recommencer à gémir et,
-comme le héros pleureur de lʼ<i>Énéide</i>,
-tendre à tout instant les mains
-vers le ciel pour lʼapitoyer sur le sort de leur rivière. Le 8 mars
-1771, cʼest une supplique de la ville à M.&#xA0;Trudaine,
-«&#xA0;où lʼon espère que le Roi voudra bien accorder
-à la ville de Caen, pour les travaux
-de son port, les mêmes avantages quʼà la ville de Granville pour le
-sien.&#xA0;» Le 16 avril 1776, cʼest une lettre de lʼintendant lui-même,
-M.&#xA0;Esmangart, qui mande au directeur des ponts et chaussées
-que les négociants de Caen ont dû renoncer à faire venir, en 1775,
-des blés du Nord, parce que des barques, même médiocres, ne peuvent
-plus remonter la rivière.&#xA0;» Le 25 mars 1777, cʼest une supplique
-adressée aux maire et échevins par les marins et négociants, qui
-annoncent que les piétons eux-mêmes ne peuvent plus circuler sur les
-quais, sans sʼexposer à recevoir des pierres qui tombent des murs en
-ruine sur les passants.
-</p>
-
-<p class="indent">
-A ces réclamations viennent en même temps se joindre des mémoires et
-des rapports, rédigés par des particuliers ou par des ingénieurs qui
-proposent des moyens de remédier au mal. Peu de temps après la mort de
-M.&#xA0;Loguet, cet ingénieur qui sʼétait permis dʼavoir
-des idées sans lʼautorisation de ses chefs,
-son successeur, M.&#xA0;Viallet, dans une
-lettre au maire de Caen, du 12 novembre 1766, expose ses vues au
-sujet des travaux à faire et émet le premier lʼopinion quʼon
-nʼobtiendrait de résultats sérieux quʼen ouvrant, pour la navigation,
-un nouveau canal à gauche de lʼOrne, entre Caen et la mer. Enfin
-parut, le 11 janvier 1778, un mémoire dû au nouvel ingénieur de la
-généralité de Caen, Armand-Bernardin Lefebvre, qui sʼétait déjà fait
-connaître par des projets exécutés dans la province de Champagne. Le
-nouvel ingénieur avait le défaut de vouloir «&#xA0;faire grand&#xA0;», suivant
-une expression qui devait plus tard devenir historique. Lʼintendant de
-Caen lui répondit, après avoir examiné ses plans, quʼil ne pouvait
-présenter son projet au Conseil, parce quʼune dépense de
-7,000,000&#xA0;livres serait inévitablement rejetée. Non sans regrets,
-comme on peut le voir dans une lettre du 2 juillet 1779,
-M.&#xA0;Lefebvre se conforma aux ordres <i>absolus</i>
-de lʼintendant, et soumit ses projets à une réduction, qui dut autant
-lui coûter quʼelle devait rapporter au budget de la ville et de
-lʼÉtat.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Grâce à ce sacrifice, M.&#xA0;Lefebvre réussit à faire approuver son
-projet, et, le 1<small><sup>er</sup></small> juillet 1780,
-il reçut de lʼintendant lʼordre de
-commencer les travaux. Il sʼagissait, comme nous lʼindique un devis du
-1<small><sup>er</sup></small> juillet 1781,
-de «&#xA0;creuser et redresser les différents
-canaux le long des murs et aux abords de Caen, entre cette ville et
-la mer, jusquʼau dessous du moulin et du hameau de Clopée, près le
-pont de Tournebrousse.&#xA0;» La masse de terres, déplacée à cette
-occasion, sur une longueur de 2&#xA0;kilomètres entre Caen et Clopée,
-a formé depuis la promenade du <i>Cours Caffarelli</i>.
-Comme un tel travail
-exigeait de nombreux ateliers, lʼintendant de Caen prit ses
-arrangements avec les chefs du régiment du Roi pour lʼemploi des
-soldats. Mais, à côté des grosses difficultés de lʼentreprise,
-naissaient spontanément mille petites misères qui retardaient les
-travaux. Un jour, ce sont des hostilités avec la régie au sujet des
-boissons fournies aux soldats qui creusent le canal; une autre fois,
-cʼest un fermier qui demande quʼon débarrasse des brouettes son
-écurie, dont il a besoin, mince événement qui donne lieu à de gros
-embarras administratifs. Puis, ce sont des accidents sérieux, comme la
-crue inopinée du 15 août 1782, qui vient couvrir tous les travaux.
-Ces contre-temps inspirèrent à quelque désœuvré de la ville un avis
-qui se recommandait autant par son orthographe que par la force de la
-pensée. «&#xA0;Un citoyen de cette ville, disait cet avis, ayant examiné
-tout lʼembaras que lon a pour de seché le canalle de cette nouvelle
-rivier donne connaissance de ses
-idées.&#xA0;» Soit que les idées de ce zélé citoyen ne brillassent point
-par la clarté, soit quʼon eût le tort de les laisser passer
-inaperçues, tout alla de mal en pis.
-</p>
-
-<p class="indent">
-En 1783, un des entrepreneurs signale à M.&#xA0;de Buffon,
-lieutenant-colonel du régiment de Lorraine, la mauvaise besogne de ses
-hommes et les dépenses énormes qui en résultent. En 1784, on se plaint
-des vols de bois commis par les soldats au préjudice des travaux. La
-même année se produit le scandale dʼune scène très-vive entre
-lʼingénieur, M.&#xA0;Loyer, et lʼentrepreneur Besson, qui exige des
-paiements arriérés. Quʼil menaçât ou suppliât, comme lʼentrepreneur ne
-voyait rien venir en fait de fonds, il interrompit brusquement les
-travaux dans le courant de lʼannée 1780. Alors M.&#xA0;de Brou,
-intendant de la généralité de Caen, prit la résolution de faire
-exécuter en régie lʼachèvement de la partie inférieure du canal. La
-question dʼargent se représenta alors sous une autre forme. Qui
-servirait de caissier à la régie? Grand embarras! car il paraÎt quʼon
-nʼavait déjà quʼune médiocre confiance dans les agents quʼon chargeait
-de cette fonction délicate. Le subdélégué de lʼintendant écrivait, à
-la date du 11 juin 1780: «&#xA0;Jʼai conféré au sujet dʼun caissier avec
-M.&#xA0;de Logivière, qui ne veut recommander personne sʼil sʼagit dʼun
-<i>caissier ayant une caisse</i>,
-et non dʼun agent recevant de quoi payer
-les dépenses au jour le jour.&#xA0;» Non sans peine, on finit cependant
-par dénicher ce phénix, cet employé unique dans son espèce, un
-caissier sans caisse! Cette merveilleuse découverte ne paraît pas
-avoir eu sur lʼentreprise lʼinfluence heureuse quʼon pouvait en
-attendre. Tout marchait à la diable, et lʼintendant ne cessait
-dʼadresser des reproches à lʼingénieur en chef.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Lʼintendant renonça bientôt au système de la régie, et, dès le 24
-avril 1786, il tenta une nouvelle adjudication des travaux, qui eut
-lieu au prix de 757,222&#xA0;livres. Cʼest à cette époque que lʼon fonda,
-sur les deux rives du canal St-Pierre, des murs de soutènement. En
-même temps, on commençait la construction du quai nord du canal de
-Vaucelles. Ces travaux se continuèrent jusquʼen lʼannée 1798,
-interrompus souvent, soit par suite des malheurs du temps, soit par
-suite dʼinondations ou dʼéboulements.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Depuis cette époque, jusquʼen 1839, les quais du canal St-Pierre ne
-changèrent point de physionomie. La lithographie qui accompagne cette
-notice, et qui nʼest que la reproduction dʼune aquarelle exécutée en
-1832 par Lasne, nous donne donc une idée assez exacte de ce quʼétait
-lʼancien port de Caen à la date de la cessation des travaux en 1798.
-On peut y remarquer que les murs des quais nʼétaient terminés que sur
-la rive droite, depuis lʼOrne jusquʼau débouché de la rue des Carmes,
-où lʼon aperçoit deux piles, qui supportaient un pont tournant, dont
-la passe avait 50&#xA0;pieds de largeur. Ces quais, consolidés en 1839,
-ont formé depuis lʼun des côtés du bassin actuel. Lʼauteur de
-lʼaquarelle, dont nous donnons une réduction lithographique, sʼétait
-placé, pour prendre la vue de lʼancien port, sur la rive droite de
-lʼOrne, dans un terrain quʼon appelait le
-Poigneux&#xA0;<a class="fn" id="fr_41" href="#fn_41">41</a>
-et qui servait de chantier
-aux constructeurs de navires. De cet endroit, le regard de lʼartiste
-remontait toute la ligne du canal, depuis sa jonction avec lʼOrne
-jusquʼà lʼancien pont St-Pierre. Dans les derniers plans, sur une
-hauteur, on aperçoit les murs du château, et, sur la gauche, une
-partie de la ville avec la tour élégante de lʼancienne église des
-Carmes, sacrifiée depuis par lʼinintelligent et impitoyable marteau
-des démolisseurs.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Tous les travaux de lʼancien port, dont nous venons de rappeler
-succinctement lʼhistoire lamentable, avaient coûté beaucoup de peine
-pour un pauvre résultat. «&#xA0;On comprend, en effet, dit très-bien M.
-Boreux&#xA0;<a class="fn" id="fr_42" href="#fn_42">42</a>,
-que du moment où lʼon ne sʼétait pas préoccupé de
-lʼembouchure de lʼOrne, passage que les navires de huit à neuf pieds
-de tirant dʼeau franchissaient très-difficilement et seulement à
-lʼapproche des grandes marées, il était parfaitement inutile de
-creuser à Caen des canaux plus profonds que le lit naturel de la
-rivière.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-M.&#xA0;Cachin, dans son mémoire présenté en 1798,
-entra le premier dans une voie nouvelle,
-qui devait conduire sûrement au but. Ce fut lui qui
-condamna toutes dispositions tendant à établir le port de Caen dans la
-rivière même. Son projet, qui consistait à créer un bassin isolé de
-la rivière et un canal latéral à lʼOrne entre Caen et la mer, reçut un
-commencement dʼexécution en 1838. Le 23 août 1857, le canal était
-inauguré solennellement, et, à partir de ce jour, la cité, qui se
-souvient encore avec fierté du fameux armateur Étienne Duval, vit
-renaître enfin son mouvement maritime.
-</p>
-
-
-</div>
-
-<hr />
-
-
-
-
-<div class="chapterNO">
-<h2>
-<a id="N3"></a>
-<span class="pfs110">
-ANCIENNE ÉGLISE SAINT-SAUVEUR
-</span>
-</h2>
-</div>
-
-
-
-
-<div class="chapter">
-<img src="images/CD_PL3_AncEglStSauveur.png" class="img_100 align-center"
-alt="CD_PL3_AncEglStSauveur"/>
-
-
-<p class="centerserif pfs120">
-<img src="images/CD_PL_beg.png" class="img_090 align-center"
-alt="CD_PL_beg"/>
-ANCIENNE
-<br />
-<span class="xlarge">
-ÉGLISE SAINT-SAUVEUR
-</span>
-<br />
-(A<small>UJOURDʼHUI</small> HALLE AU BLÉ)
-<br />
-<span class="small">
-AVANT LA DÉMOLITION DE SA FLÈCHE EN BOIS
-</span>
-</p>
-<hr class="r10" />
-
-
-
-
-<p id="lettrine3">
-<span class="lettrine3S">S</span>
-<small>AINT</small>-S<small>AUVEUR</small> est aujourdʼhui masqué,
-du côté de la place du même nom, par des maisons modernes.
-Le portail actuel, construit peu dʼannées
-avant la Révolution, a remplacé un
-charmant portail dont les voussures portaient des guirlandes de
-feuillages découpés à jour. «&#xA0;La forme particulière de lʼarcade du
-portail, dit Ducarel, qui a donné dans ses <i>Antiquités</i>
-un dessin de cette partie du monument,
-et le genre extraordinaire des ornements
-sculptés dans le fronton triangulaire qui le couronne, offrent une
-preuve évidente de son
-antiquité&#xA0;<a class="fn" id="fr_43" href="#fn_43">43</a>.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-On voit encore, à lʼextérieur du monument, des contreforts
-du XVI<small><sup>e</sup></small>
-siècle, et, sur un des piliers du chœur, un
-médaillon représentant une figure à triple face. A l'intérieur, on
-remarque quelques clefs de voûte et, sur un des piliers de la tour,
-une sculpture représentant une figure de mendiant marchant sur les
-genoux. La nef fut bâtie dans le XIV<small><sup>e</sup></small> siècle;
-le chœur, commencé en 1530, fut achevé en 1546.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Dans la tour, couronnée aujourd'hui par un toit de beffroi à quatre
-pans triangulaires, se trouvent des ornements saxons et mauresques:
-zigzags guillochés et denticules. Cette partie de l'église semble
-appartenir au XIII<small><sup>e</sup></small> siècle,
-à l'exception de quelques mètres de
-maçonnerie, qui ont été ajoutés en 1604 pour servir de base à une
-pyramide en ardoise. Malheureusement, en 1836, Saint-Sauveur a vu
-tomber sous le marteau des démolisseurs sa flèche en bois, qui a été
-regrettée de tous les gens de goût.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Comme nous l'indique notre gravure, qui n'est qu'une réduction d'une
-aquarelle exécutée, en 1832, par A.&#xA0;Lasne, cette pyramide en bois,
-couverte d'ardoise, était entourée à sa base par de petits clochetons,
-également couverts d'ardoise. Elle était assez élevée, élégante et
-d'un aspect très-pittoresque. De plus, elle avait, aux yeux des
-archéologues, une valeur toute particulière par sa rareté; car, dans
-l'arrondissement de Caen, si riche en clochers de pierre, cette
-flèche en charpente était le seul spécimen d'architecture religieuse
-de ce genre. Malgré toutes ces bonnes raisons, qui plaidaient pour
-sa conservation, la tour de l'ancien Saint-Sauveur fut solennellement
-condamnée à être décapitée, par une délibération du Conseil municipal
-du 27 août 1836.
-</p>
-
-<br />
-<p class="indent">
-«&#xA0;Considérant, disait l'arrêté ou plutôt le jugement, que
-les travaux proposés pour les réparations de l'ancienne église
-Saint-Sauveur, servant actuellement de halle à blé, assureront à
-cet édifice une longue durée; que toutefois la flèche du clocher,
-construite en bois et couverte en ardoises,
-<i>n'étant pas un monument d'art et
-n'ayant d'ailleurs rien de remarquable,
-ne doit pas être conservée</i>,
-puisque la réparation entraînerait une dépense de près
-de 6,000&#xA0;fr., que dès lors cette flèche doit être démolie;
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Considérant que le produit de la vente des bois et autres
-matériaux devra être affecté aux réparations de la halle; que la
-vente doit avoir lieu aux enchères publiques, mais que les
-réparations de la halle, devant être exécutées dans d'anciens murs,
-doivent avoir lieu par économie;
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Ouï le rapport de la Commission des finances, le Conseil arrête:
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Les matériaux de toute nature, composant la flèche de l'ancienne
-église Saint-Sauveur, seront vendus publiquement à la charge de
-démolition. Le produit de la vente est affecté aux réparations de
-la toiture de ladite église.&#xA0;»
-</p>
-
-<br />
-<p class="indent">
-L'opinion publique ne confirma pas la sentence; elle s'émut, et une
-pétition, couverte de nombreuses signatures, demanda «&#xA0;la grâce du
-condamné.&#xA0;» Le 9 août 1837, le Conseil municipal répondit à ces vœux
-par l'arrêté suivant:
-</p>
-
-<br />
-<p class="indent">
-«&#xA0;Vu une pétition, à lui adressée le 10 mai dernier,
-pour obtenir que le clocher existant sur la halle aux grains
-soit conservé et réparé;
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Attendu que ce clocher en bois couvert en ardoises n'offre,
-sous le rapport de l'art ni sous celui de son antiquité, rien
-qui puisse le faire considérer comme un monument qu'il soit utile de
-conserver et de réparer; que ce clocher n'est pas convenablement
-placé sur une halle;
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Attendu que la réparation de la flèche du clocher coûterait
-une somme de trois mille deux cents francs au moins sur la dépense
-occasionnée par l'adjudication des travaux de réparations à faire à
-l'ancienne église Saint-Sauveur, servant de halle aux grains, et
-que la situation financière de la ville ne lui permet pas
-d'employer cette somme à une dépense qui n'est pas indispensable;
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Attendu que l'adjudication des travaux à faire à la halle
-comprend la démolition de ce clocher, conformément aux deux
-délibérations du Conseil municipal en date du 27 août 1836 et 15
-mars 1837;
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Après avoir entendu le rapport de la Commission spéciale;
-</p>
-
-<p class="centerserif">
-A<small>RRÊTE</small>:
-<br />
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;1° Il n'y a pas lieu de modifier l'adjudication des travaux
-à faire à la halle au blé, en ce qui concerne le clocher qui devra
-être supprimé;</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;2° M.&#xA0;le Maire est chargé de l'exécution
-du présent arrêté.&#xA0;»
-</p>
-
-<br />
-<p class="indent">
-Ce fut bien en effet une exécution, et d'autant plus maladroite que le
-principal motif de l'arrêt, la question d'économie, n'aurait pas dû
-peser sur l'esprit des juges; car on sut plus tard qu'il n'en aurait
-pas coûté plus cher à la ville pour
-restaurer la flèche que pour la démolir. L'entrepreneur en avait offert
-le choix au Conseil municipal.
-</p>
-
-<p class="indent">
-A cette note sur l'église supprimée de Saint-Sauveur, nous ajouterons
-quelques fragments, dont l'un, jusqu'ici inédit, formerait une page
-intéressante de l'histoire de l'ancienne Université de Caen.
-</p>
-
-<p class="indent">
-La fondation de l'église primitive est attribuée à saint Regnobert. On
-l'appelait, dès l'année 1130, Saint-Sauveur-du-Marché, de l'ancien nom
-de la place où elle est située. Un marché avait lieu devant son
-portail, les lundis et vendredis de chaque semaine, et les droits de
-ce marché appartenaient au domaine des ducs de Normandie.
-</p>
-
-<p class="indent">
-L'ancienne église était située au milieu d'un cimetière, qui
-l'entourait encore au XVII<small><sup>e</sup></small> siècle.
-Lorsque la ville lui eut donné,
-en 1686, un autre emplacement pour son cimetière, l'église ne resta
-pas longtemps isolée. A peine les morts partis, elle se vit assiégée
-par les vivants. «&#xA0;Les petites maisons qui environnent l'église
-Saint-Sauveur sont construites,&#xA0;» nous dit en effet, à la date de
-1714, un manuscrit conservé à la Bibliothèque de
-Caen&#xA0;<a class="fn" id="fr_44" href="#fn_44">44</a>.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Au XVIII<small><sup>e</sup></small> siècle,
-deux petits événements se passèrent dans l'intérieur
-de l'église Saint-Sauveur. Le premier fait, qui n'a que la valeur
-d'une nouvelle à la main, est ainsi raconté dans le
-<i>Journal d'un bourgeois de
-Caen</i>&#xA0;<a class="fn" id="fr_45" href="#fn_45">45</a>:
-«&#xA0;Le lundi 23 juin 1721, le sieur Regnauld a
-donné un bal à M<small><sup>lle</sup></small> de Than,
-à Saint-Sauveur, et le lendemain des dames sont allées
-en masque à la messe de Saint-Sauveur, ce qui a
-causé bien du scandale.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Voici le second fait. En 1753, Saint-Sauveur ouvrit ses portes à un
-cortége dont la pompe solennelle a longtemps frappé l'esprit des
-contemporains. Les lettrés normands savent que l'ancienne Université
-de Caen avait pour chef un recteur, qu'on élisait tous les six mois.
-La fréquence de ces élections était, suivant l'abbé De La Rue, «&#xA0;un
-moyen infaillible d'exciter l'émulation parmi les professeurs, dont
-les plus distingués pouvaient briguer les suffrages des députés de
-chaque faculté.&#xA0;» Ducarel,
-dans ses <i>Antiquités anglo-normandes</i>, explique le peu de durée
-des fonctions du recteur par des motifs beaucoup moins
-nobles. Suivant lui, la dépense que nécessitaient les funérailles d'un
-recteur était si excessive que l'Université, pour prévenir un malheur
-attaché à l'espèce humaine, avait eu recours à l'expédient de ne
-nommer son chef que pour six mois, ou même pour un temps moins long,
-quand la maladie menaçait d'abréger ses jours. L'opinion de Ducarel,
-tout étrange ou malveillante qu'elle paraisse, n'est cependant pas
-dénuée de vraisemblance. En effet, l'Université ne se composait pas
-seulement de professeurs et d'écoliers. Comme ses membres étaient
-investis de priviléges, dont les principaux consistaient dans
-l'exemption de certains impôts indirects, elle ne tarda pas à ouvrir
-ses rangs à de nombreux parasites, qui venaient moins y chercher la
-nourriture de l'esprit que la satisfaction d'appétits plus positifs.
-C'est ainsi que les fonctions modestes de bedeaux, d'appariteurs, de
-copistes, de papetiers, etc., furent avidement recherchées par de
-riches bourgeois et de grands seigneurs. «&#xA0;L'usage voulait,
-dit M.&#xA0;Jules
-Cauvet&#xA0;<a class="fn" id="fr_46" href="#fn_46">46</a>,
-que ces personnages, en recevant leur nomination, offrissent à
-l'Université, toujours assez médiocrement pourvue dans ses moyens
-financiers, une somme d'argent comme témoignage de leur
-reconnaissance.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Ceci exposé, le lecteur pensera avec nous que l'explication de Ducarel
-n'est pas moins acceptable que celle de l'abbé De La Rue. Un double
-courant d'opinion, parmi les membres de
-l'Université, devait les conduire, par deux pentes distinctes,
-à la même conclusion. D'une part, les professeurs, qui pouvaient
-briguer les suffrages de leurs confrères; de l'autre, les étrangers,
-qui ne recherchaient dans des places universitaires qu'un moyen de
-s'exempter de la taille, avaient des motifs, différents il est vrai,
-mais non moins sérieux les uns que les autres, pour souhaiter le
-maintien des statuts, qui exigeaient une nouvelle élection tous les
-six mois. Ceux-ci, dans la crainte de participer aux frais des
-funérailles, redoutaient la mort du recteur; ceux-là désiraient son
-changement dans l'espoir de lui succéder.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Grâce au règlement qui bornait à six mois la durée du rectorat,
-l'ancienne Université de Caen, depuis son origine jusqu'à sa
-suppression, c'est-à-dire depuis 1431 jusqu'à 1791, n'eut que deux
-fois à payer la perte <i>douloureuse</i> de son <i>amplissime
-recteur</i>&#xA0;<a class="fn" id="fr_47" href="#fn_47">47</a>.
-On se figure aisément quelle émotion se répandit
-dans la ville lorsqu'on y apprit, le 27 septembre 1753,
-que M.&#xA0;Jacques-François Boisne, recteur de la «&#xA0;très-célèbre
-Université de Caen&#xA0;» et professeur de rhétorique au collége
-Du Bois, venait de se tuer à la chasse, à Beuville, chez le seigneur
-du lieu. Le peuple, qui n'avait guère alors que les cérémonies
-publiques: feux de la Saint-Jean, entrées de gouverneurs ou de rois,
-et enterrements de grands personnages, pour se consoler de ses
-misères, dut apprendre la nouvelle avec une joie peu dissimulée. On
-savait si bien que les funérailles d'un recteur devaient s'accomplir
-dans des conditions de magnificence inusitées, on avait attendu si
-longtemps un spectacle qui avait été refusé à tant de générations, on
-se faisait de cette solennité somptueuse une idée si extraordinaire,
-qu'une rumeur étrange courut dans la foule et, par sa sottise même,
-s'accrédita au point de passer plus tard à l'état de
-tradition&#xA0;<a class="fn" id="fr_48" href="#fn_48">48</a>.
-On répandit le bruit que le recteur s'était tué volontairement pour avoir
-de magnifiques funérailles, et on le crut! Cette inepte invention, née
-de la bêtise des foules, qui ont besoin d'entourer les événements les
-plus ordinaires de quelque chose de merveilleux, aurait été avidement
-exploitée, si elle avait eu la moindre vraisemblance, par l'habileté
-des gens qui allaient être atteints dans leurs intérêts matériels. En
-effet, s'ils avaient pu, non pas établir, mais seulement laisser
-soupçonner un suicide, tous les parasites
-de l'Université, qui voulaient bien en accepter les avantages sans en
-supporter les charges, n'auraient pas négligé un moyen si commode
-d'empêcher une inhumation dont ils devaient payer une partie des
-frais. Quoique l'absurde soit facilement accueilli par le plus grand
-nombre, ils n'osèrent pas cependant tirer parti du bruit populaire. A
-quoi bon d'ailleurs employer une calomnie, difficile à faire accepter
-des gens intelligents, quand on a sous la main un bon petit scandale
-indiscutable? Le recteur, qui venait de succomber, s'était tué à la
-chasse, et, comme il était prêtre, on s'empara de ce fait pour
-discréditer sa mémoire dans l'esprit des gens superstitieux.
-L'argument, il est vrai, ne réussit pas. Toutefois il fut employé avec
-assez de persistance pour qu'il obligeât les doyens, docteurs et
-professeurs de l'Université, à le réfuter publiquement, afin de ne pas
-être soupçonnés d'avoir participé à la rumeur que quelques habiles
-avaient mise en circulation. Ce fait nous est suffisamment indiqué par
-un passage du procès-verbal des funérailles du recteur, publié par
-l'Université. Après avoir insisté sur les détails de l'accident, le
-rédacteur de la pièce y a laissé tomber entre deux parenthèses, comme
-par mégarde, le bruit (qui courait en ville) que l'on refuserait les
-honneurs de la sépulture rectorale à un prêtre que la mort avait
-surpris au moment où il chassait. Voici ce passage
-significatif&#xA0;<a class="fn" id="fr_49" href="#fn_49">49</a>:
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Le mercredi 26 septembre 1753, M.&#xA0;Jacques-François Boisne,
-recteur de la très-célèbre Université de Caen et professeur
-de rhétorique au collége Du Bois, était à Beuville,
-paroisse distante de deux lieues de cette ville, chez le seigneur
-du lieu. On l'invita d'aller à l'afut, il prit un fusil, y fut, et
-passant, vers les sept heures du soir, un fossé, son fusil fit feu,
-le coup lui passa vers la tempe droite, lui enleva le crâne de la
-tête.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Le jeudi 27, le bruit de sa mort se répandit dans cette ville dès
-le matin. La justice et les chirurgiens se transportèrent à Beuville
-pour faire la visite du mort et en dresser acte suivant la coutume.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Le matin, les docteurs et professeurs qui étaient dans cette
-ville s'assemblèrent et tinrent conseil, dont le résultat fut de
-députer vers les doyens, docteurs et professeurs absens, pour venir
-délibérer en forme; on envoya chercher M.&#xA0;Vicaire,
-doyen perpétuel de la Faculté de théologie, à Martragny.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Les doyens, docteurs et professeurs s'assemblèrent le soir pour
-savoir si on accorderait les honneurs de la sépulture rectorale au
-défunt. On les lui accorda à la pluralité des voix
-<i>(car le bruit s'était répandu qu'il ne les auroit pas,
-étant mort à la chasse)</i>.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Le procès-verbal relate ensuite, avec de grands détails, tous les
-préparatifs de la cérémonie, l'embaumement du corps, et son
-exposition, pendant plusieurs jours, dans la classe de philosophie du
-collége Du Bois. Vient enfin le récit des funérailles, avec une longue
-énumération des fonctionnaires et des notables qui composaient le
-cortége. Tout en faisant grâce au lecteur de cette liste fastidieuse
-de noms propres, nous devons cependant attirer son attention sur
-certaines personnes
-qui figurent dans cette nomenclature. Ainsi nous trouvons, dans
-les premiers rangs du cortége, un sieur Harel
-et un sieur Crespel désignés comme <i>écrivains</i>,
-et un sieur Guillain, de Bénouville, comme <i>enlumineur</i>.
-A partir de l'année 1440, l'Université de Caen avait eu
-des registres en vélin, écrits par des officiers de l'Université,
-qu'on appelait <i>scriptores</i>, et ornés souvent de vignettes et de
-miniatures exécutées par d'autres officiers, qu'on appelait
-<i>enlumineurs</i>&#xA0;<a class="fn" id="fr_50" href="#fn_50">50</a>.
-Mais, au-delà de l'année 1620, on ne trouve plus
-trace de registres de l'Université. Le travail cessant, il semblerait
-que le fonctionnaire eût dû disparaître avec la fonction. Cependant,
-par un miracle de longévité que constate le procès-verbal de
-l'inhumation du recteur, les écrivains et enlumineurs s'étaient
-conservés plus d'un siècle après l'abandon des registres enluminés.
-Ils figuraient aux cérémonies publiques et jouissaient, comme tous les
-autres officiers de l'Université, de l'exemption de taxes onéreuses,
-moyennant une certaine somme, déguisée sous le nom de don volontaire,
-qu'ils payaient à l'Université en entrant en fonctions. Cette
-parenthèse fermée, nous rendons la parole au rédacteur du
-procès-verbal.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Le chœur de Saint-Sauveur étoit tendu à quatre rangs de lingette
-noire et la nef à un rang. La chapelle du Saint-Sacrement et celle de
-la Charité étaient tendues de leurs tentes noires et ornemens
-funèbres.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Au milieu du chœur il y avoit un très-beau cataphalque;
-il avait quatre degrés tendus de noir chargés de larmes d'argent,
-têtes de mort et armes de l'Université, un très-grand
-nombre de cierges sur les degrés. Sur ces degrés étoit
-l'élévation, d'environ trois pieds,
-où on posa M.&#xA0;le Recteur pendant le service,
-sous un dais de velours noir. Chaque pente chargée au
-milieu des armes de l'Université et, au reste, de larmes d'argent.
-La corde qui soutenoit le dais étoit couverte de noir et d'une bande
-blanche qui régnoit tout du long spiralement; telles étoient les
-quatre cordes qui partoient des angles du dais et qui rendoient à
-quatre coins du chœur. Le ciel étoit en voûte et se terminoit par
-une boulle d'argent, sur laquelle étoit peinte une tête de mort à
-deux faces avec des ailes. Du dais pendoient quatre rideaux qui
-s'étendoient aux coins où étoient arrestées les cordes. Ils étoient
-de cinq bandes, deux noires et trois blanches, chargées d'hermines
-noires; l'autel avoit autant de cierges qu'il en pouvoit avoir.
-</p>
-
-<p class="indent">
-. . . . . . . . . .
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Il y eut un concours extraordinaire de peuple qui vint voir cette
-cérémonie; enfin il y avoit plus de monde à Caen, ce matin, qu'il
-n'en vient en foire de Caen le premier lundi. Les villes, de
-quinze lieues à la ronde, étoient pour ainsi dire désertes. Il en
-vint de Rouen et de Paris.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Cette cérémonie, autant par sa rareté que par la pompe extraordinaire
-qui y fut déployée, avait vivement frappé l'imagination des
-contemporains. En dehors des relations officielles, nous en trouvons
-un récit abrégé dans le <i>Journal d'un bourgeois de Caen</i>. Un autre
-bourgeois de la ville, Étienne Deloges, qui, à la suite d'un recueil
-manuscrit de Noëls et
-cantiques&#xA0;<a class="fn" id="fr_51" href="#fn_51">51</a>,
-avait jeté deçà delà quelques notes relatives à des faits d'histoire
-locale dont il avait été témoin, nous a donné aussi, à sa façon, un
-compte-rendu des funérailles du recteur. Cette note mériterait d'être
-citée, ne fût-ce que pour la bizarrerie amusante de son orthographe.
-Mais, comme elle ferait double emploi avec le procès-verbal que nous
-avons mis sous les yeux des lecteurs, nous nous contenterons d'en
-extraire un passage où l'auteur relate un fait inédit, qui nous
-servira à compléter notre récit. «&#xA0;Il y a eu contestation pour sa
-sépulture, dit l'auteur en parlant des funérailles de Jacques de
-Boisne; on voulet l'inumé aux Cordeliers, lieu de leurs sépultures;
-et le s<small><sup>r</sup></small> curai de Saint-Sauveur
-<i>leur</i> demanda, estant de sa paroisse,
-et on luy a acordé; il a esté inumé le 5 d'octobre 1753,
-porté sous un dais par quatre ecclésiastiques, quatre crespe aux
-quatre coins du dès porté par quatre ansiens recteurs.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Quand on songe à l'importance du casuel que de telles funérailles
-devaient rapporter, on ne s'étonne plus que la dépouille mortelle du
-recteur ait été l'objet d'une contestation entre deux églises rivales.
-Mais ce qui a lieu de nous surprendre, c'est la victoire remportée, en
-cette occasion, par le curé de Saint-Sauveur. Le droit et l'usage
-semblaient au contraire plaider en faveur des religieux des
-Cordeliers. Huet nous dit en effet,
-dans ses <i>Origines de Caen</i>, qu'en
-vertu d'un contrat les Pères Cordeliers avaient mis leur couvent et
-leur église à la disposition de l'Université, qui, de son côté,
-s'engageait à les protéger. Dans une brochure in-4° intitulée:
-<i>Actions de grâces rendues par l'Université de Caen pour
-le rétablissement de la santé du Roy</i>,
-le 25 novembre 1744, nous voyons aussi
-que les Pères Cordeliers avaient le titre de <i>chapelains
-ordinaires</i> de l'Université.
-La même brochure nous apprend encore que les processions
-particulières des autres paroisses étaient astreintes, lors des
-cérémonies universitaires, à s'assembler dans l'église des Cordeliers.
-Enfin la note manuscrite, que nous avons citée et qui émane d'un
-contemporain, dit positivement que le couvent des Cordeliers était le
-lieu de la sépulture des membres de l'Université. Pour triompher de
-droits si formels, cimentés par un long usage, il fallut au curé de
-Saint-Sauveur des arguments bien subtils ou de bien puissantes
-influences. Ni les unes ni les autres ne lui manquèrent. En effet,
-Pierre Buquet, qui eut la bonne fortune d'occuper la cure de
-Saint-Sauveur au moment de la mort d'un recteur, avait été lui-même
-recteur et principal du collége des Arts. De pareils titres devaient
-lui assurer une grande autorité dans les conseils de l'Université. Et
-celle-ci pensa sans doute que ce n'était pas tout à fait se dépouiller
-que de payer les frais de l'inhumation entre les mains d'un de ses
-membres.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Trente-huit ans après cette pompeuse cérémonie, en 1791, la
-municipalité de Caen s'empara de l'église Saint-Sauveur et la
-convertit en halle aux grains. Où résonnaient jadis les chants sacrés,
-on n'entendit plus désormais que les clameurs d'une foule affairée ou
-quelquefois, comme en 1812, les grondements de l'émeute. Ce fut, en
-effet, sous les voûtes de l'ancienne église Saint-Sauveur que se passa
-le premier acte d'un drame qui a laissé une page sinistre dans
-l'histoire de Caen sous le premier Empire. Voici comment M.&#xA0;Canivet,
-dans une excellente notice, raconte les premiers incidents de l'émeute
-de 1812: «&#xA0;Le 2 mars, dit-il, une foule plus nombreuse
-qu'à l'ordinaire avait envahi la halle. Elle était composée
-partie de pauvres gens, dont bon nombre de femmes, venus là pour
-acheter un peu de blé, partie d'hommes sans aveu, que l'on rencontre
-partout où il y a du tumulte et dont le rôle est de faire du tapage et
-d'animer les esprits. A leur tête était un nommé Lhonneur, maître
-d'écriture, homme peu considéré, pour ne pas dire plus, mais à la
-parole facile, et il s'en servait alors pour persuader à la foule
-ignorante et affamée que, si le blé était cher, il ne fallait point
-s'en prendre à l'insuffisance de la récolte, mais à la connivence des
-fermiers et des trafiquants de grains. Le peuple d'applaudir et de
-crier: A bas les accapareurs!
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Cependant le préfet et le maire, prévenus du désordre, étaient
-accourus à la halle où se trouvait déjà le colonel Guérin; la force
-publique n'y était représentée que par quatre gendarmes. En vain le
-préfet, par des paroles conciliantes, essaya d'apaiser les séditieux
-et de leur démontrer que de pareilles scènes ne pouvaient avoir
-d'autre résultat que d'éloigner les cultivateurs de la halle et, par
-conséquent, de faire monter le prix du blé; sa voix ne fut pas
-écoutée; des menaces et des injures furent proférées contre lui. On
-dit qu'un gamin de dix-huit ans, fils de l'excoriateur Sanson, plus
-connu sous le nom de Bon-Appétit, cria, dans le langage de son état:
-«&#xA0;Passez-moi le préfet, que je l'écorche comme un vieux cheval,&#xA0;» et
-qu'il s'élançait sur lui quand il fut saisi par le colonel et étendu
-sur le sol. On dit aussi qu'une femme Provost lui porta le poing sous
-le nez et, selon quelques-uns, le frappa au visage; qu'une autre
-femme, les uns disent Trilly, les autres Gougeon, tira le maire par
-son catogan et le renversa sur un sac de blé. Je n'ai d'autres
-garanties de ces faits que la voix publique, et ce qui me porte à en
-douter, c'est que M.&#xA0;Chemin, ayant consigné dans ses notes que le
-gendarme Maresquier lui a dit depuis que, si on les avait laissés
-faire, lui et ses camarades, ils auraient arrêté quelques-uns des
-plus criards et que tout eût été fini, il est évident qu'il s'est
-enquis auprès de ce témoin oculaire de tout ce qui s'était passé; or,
-il ajoute n'avoir pas entendu dire qu'aucune voie de fait eût été
-commise jusqu'à ce moment.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Il est certain que, dans ces circonstances critiques, le préfet
-perdit contenance et que, protégé par les gendarmes, il parvint à
-gagner la porte, jetant quelques pièces de monnaie à la populace, qui
-le poursuivit de ses huées jusqu'à la maison du premier président Le
-Menuet où il trouva un refuge. Quant au maire, il avait disparu,
-regagnant, dit-on, son domicile, rue St-Étienne, sous une grêle de
-projectiles peu dangereux; quelques vitres furent brisées à sa maison.
-Seul, le colonel tint bon jusqu'à la fin, faisant face à la foule et
-lui en imposant par sa fière contenance.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Tel fut le premier acte du drame. Avant de passer outre, constatons
-que pas un vol n'avait été commis et que les cultivateurs qui, à la
-vue du désordre grandissant, avaient pris la fuite, abandonnant leurs
-sacs de blé, les retrouvèrent intacts à la halle suivante. Constatons
-encore que, à part les on dit et les incidents plus burlesques que
-tragiques propagés dans le public, il est un fait avéré, c'est que
-les deux premiers magistrats, l'un du département, l'autre de la
-ville, furent brutalement insultés et leur autorité méconnue.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;C'est à la halle du lundi que ces désordres avaient eu lieu. Tout
-autre jour, chacun fût retourné chez soi; mais alors, comme
-aujourd'hui, le lundi était le dimanche des ouvriers, et cette foule
-oisive continuait à stationner place St-Sauveur avec force
-vociférations. Déjà le jour tirait à sa fin et elle allait se
-disperser peut-être, quand une voix dominant le tumulte fait entendre
-le cri: Allons chez Mottelay! Ce Mottelay, meunier de son état,
-avait acheté récemment l'usine de Montaigu et introduit, dans les
-procédés de mouture, quelques perfectionnements qui faisaient affluer
-les grains à son moulin. On eût passé à moins pour un accapareur, dans
-un temps où le peuple en voyait partout; aussi tous de répéter:
-Allons chez Mottelay!&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Une troupe d'environ deux cents personnes envahit le moulin de
-Montaigu situé sur les bords de l'Orne, à l'extrémité du Grand-Cours.
-Quelques hommes d'une compagnie de la garde nationale suffirent à
-disperser les émeutiers, qui s'étaient contentés de dévaster
-l'intérieur du moulin et de renverser un petit nombre de sacs de
-farine d'orge. On sait de quelle répression terrible fut suivie cette
-émeute sans importance.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Après quelques jours d'un calme complet, la ville apprit avec stupeur
-l'arrivée du général Durosnel, aide-de-camp de l'Empereur. Il entra à
-Caen avec un corps de troupes considérable et accompagné d'une
-commission militaire, toute composée d'avance pour juger les
-séditieux. Cinquante-neuf prévenus furent arrêtés et transférés de la
-prison civile au Château, où la commission prit séance le&#xA0;14, à huit
-heures du matin. Le 15, à deux heures du matin, la commission
-prononçait une sentence qui condamnait huit accusés,
-parmi lesquels quatre femmes, à la peine de mort, huit à huit ans de
-travaux forcés, neuf à cinq ans de réclusion, vingt-cinq à cinq
-années de surveillance.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Dix-huit heures avaient donc suffi, dit M.&#xA0;Canivet, pour entendre
-soixante accusés dans leurs explications et leurs réponses, les
-témoins à charge et à décharge dans leurs dépositions, le rapporteur
-dans son réquisitoire, les avocats dans leurs plaidoiries. Jamais
-tribunal, ni celui de la Terreur, ni celui même de Maillard, aux
-journées de septembre, de sinistre mémoire, n'avait fonctionné d'une
-manière plus expéditive.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-L'exécution fut aussi rapide que l'arrêt. Elle eut lieu le même jour,
-entre sept et huit heures du matin,
-en dehors de la <i>porte du Secours</i> du Château.
-L'un des condamnés, le jeune Samson, âgé de dix-neuf ans,
-se débattait et criait: «&#xA0;Ne me tuez pas, ne me tuez pas!
-envoyez-moi plutôt à l'armée, on n'en revient jamais!&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Mot amer, dit très-bien M.&#xA0;Canivet, et dont le malheureux ne
-comprenait sans doute pas la portée; sanglante condamnation du régime
-de chair à canon qui pesait alors sur la France!&#xA0;»
-</p>
-
-<img src="images/CD_PL3_end.png" class="img_025 align-center"
-alt="CD_PL3_end"/>
-
-
-</div>
-
-<hr />
-
-
-
-
-<div class="chapterNO">
-<h2>
-<a id="N4"></a>
-<span class="pfs110">
-ABBAYE-AUX-DAMES
-</span>
-</h2>
-</div>
-
-
-
-
-<div class="chapter">
-<img src="images/CD_PL4_AncAbbDames.png" class="img_100 align-center"
-alt="CD_PL4_AncAbbDames"/>
-
-
-<p class="centerserif pfs120">
-<img src="images/CD_PL_beg.png" class="img_090 align-center"
-alt="CD_PL_beg"/>
-<span class="xlarge">
-ABBAYE-AUX-DAMES
-</span>
-<br />
-(A<small>UJOURDʼHUI</small> HOTEL-DIEU)
-<br />
-<span class="small">
-AVANT LA DÉMOLITION DU DONJON ET DE LʼANCIENNE PORTE DʼENTRÉE.
-</span>
-</p>
-<hr class="r10" />
-
-
-
-
-<p id="lettrine4">
-<span class="lettrine4A">A</span>
-la suite des désastres de lʼinvasion anglaise de 1346, lʼAbbesse de
-Sainte-Trinité, dont le monastère, situé en dehors des murs de la
-ville, était exposé aux entreprises de lʼennemi, obtint
-lʼautorisation de lʼentourer de murailles, de tours et de fossés. Les
-travaux devaient être achevés en 1363; car, à cette date, des
-lettres-patentes de Charles, duc de Normandie, autorisèrent lʼAbbesse
-à percevoir des impôts sur ses vassaux «&#xA0;pour lʼentretien et
-réparation du fort de la Trinité, qui est, disaient ces lettres,
-dʼune grande enceinte, pour le payement des gens dʼarmes nécessaires
-à sa garde, et à cause des ennemis qui étaient dans le pays et aux
-environs.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Au mois de juin de lʼannée suivante, dit lʼabbé De La Rue dans ses
-<i>Essais historiques sur Caen</i>,
-Bertrand Duguesclin vint à Caen avec la
-qualité de <i>capitaine général de la Normandie
-Outre-Seine</i>. LʼAbbesse Georgette du Molley lui demanda de
-venir au secours de ses vassaux de Saint-Gilles, qui, obligés de
-garder de jour et de nuit la forteresse de lʼabbaye, étoient encore
-tenus de loger la troupe quʼon entretenoit dans ce faubourg, comme
-dans un corps avancé qui couvroit la ville. Le capitaine général, par
-une ordonnance du 21 juin, les déclara exempts pendant un an de toute
-taille, subside, treizième, impôt et aides qui étoient ou qui
-pourroient être mis sur la ville et vicomté de Caen.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;La forteresse de Sainte-Trinité avoit son capitaine particulier,
-nommé par le Roi et à sa solde.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;En temps de guerre, le grand bailli de Caen faisoit la visite des
-forteresses de son bailliage et les faisoit mettre en état de défense
-et approvisionner. René Le Coustellier, occupant cette dignité en
-lʼannée 1372, dressa le procès-verbal de sa visite, et on y lit:
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Le 9 février, lʼabbeie de Caen fut visitée, et fut commandé à
-M<small><sup>me</sup></small> lʼAbbesse et
-aussi à M.&#xA0;Erard de Percy, capitaine de ladite
-abbeye, que la fortresche fût mise en état de toute défense, de
-toutes réparations, tant de garites, fossés et autrement, et aussi
-garnie de vivres et dʼartillerie convenablement, selon une sedulle
-qui leur fut baillie sous le scel du bailli, et temps prefigié
-jusquʼau premier jour dʼavril prouchain venant.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Le roi dʼAngleterre Henri&#xA0;VI, maître de la Normandie,
-ordonna en 1434, au bailli de Caen,
-de raser les fortifications de lʼabbaye de
-Sainte-Trinité. Cʼest lʼannée où les nobles et les communes se
-soulevèrent contre les Anglois et voulurent sʼemparer de la ville de
-Caen. Mais lʼAbhesse Marguerite de
-Thieuville forma opposition à la démolition, et comme on craignait
-sans doute quʼelle ne livrât la place aux mécontents, on laissa
-subsister la forteresse. Le roi Charles sʼy retira plusieurs fois,
-pendant que son armée faisoit le siége de Caen, en 1450. On la trouve
-encore mentionnée dans les actes jusquʼau commencement
-du XV<small><sup>e</sup></small> siècle.
-Mais après cette époque, la paix en fit négliger lʼentretien; cette
-place tomba dʼelle-même, ou bien on rasa ce qui en faisait la force
-pour utiliser le fonds.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Cependant quelques restes importants des fortifications de
-lʼAbbaye-aux-Dames avaient eu la bonne fortune dʼéchapper à la
-destruction ou aux ravages du temps. M.&#xA0;Le Nourichel nous en a
-conservé la physionomie dans un dessin à la mine de plomb, dont la
-reproduction lithographique accompagne cette
-notice&#xA0;<a class="fn" id="fr_52" href="#fn_52">52</a>.
-On aperçoit
-dʼabord, au centre du dessin, lʼentrée primitive de lʼabbaye,
-construction du XI<small><sup>e</sup></small> siècle
-qui se compose dʼune large porte, dont la
-voûte soutient un étage orné dʼarchivoltes. Cette entrée avait cela de
-particulier quʼon ne voyait pas à côté dʼelle, comme dans la plupart
-des autres maisons religieuses, une autre porte plus petite pour le
-passage des piétons. Un corps de logis, moins élevé mais plus long,
-flanqué de deux échauguettes et percé de fenêtres grillées, réunit
-lʼancienne entrée de lʼabbaye à une tour carrée. Des contreforts
-servent dʼappui à la partie inférieure de cette
-dernière construction, dont lʼétage le plus élevé est orné
-dʼouvertures gothiques. Au sommet règne une balustrade à jour,
-rappelant un peu le couronnement des deux tours occidentales de
-lʼéglise qui lʼavoisine.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Quel était, dans le système de défense de lʼabbaye, le rôle de cette
-tour carrée? Était-ce un donjon proprement dit, ou une tour-réduit,
-destinés à commander les dehors et à servir de dernier refuge aux
-défenseurs de la place? Rien ne semble lʼindiquer; car on nʼy
-découvre ni créneaux, ni meurtrières, ni machicoulis. Comme
-lʼAbbaye-aux-Dames était le siége dʼune justice féodale, nous
-supposerions plus volontiers que cette tour carrée servait de prison.
-Il y a, dʼailleurs, entre sa physionomie architecturale et celle du
-donjon du prieuré de St-Gabriel (Calvados), une analogie frappante;
-celui-ci, dont lʼusage est bien connu, était divisé en deux étages,
-dont le plus élevé communiquait par un trou rond, pratiqué dans la
-voûte, avec le cachot où lʼon renfermait les prisonniers. Les deux
-constructions ayant de grandes ressemblances, il est permis de croire
-quʼelles ont eu aussi la même destination.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Quelle que fût dʼailleurs la destination de cette tour, elle était
-assez intéressante pour quʼon prît le soin de la conserver. Reliée par
-dʼanciens bâtiments fortifiés à la porte romane de lʼabbaye, elle
-nʼoffrait pas seulement un aspect pittoresque; elle avait encore le
-mérite de nous présenter nettement le caractère dʼune construction à
-la fois religieuse et militaire au moyen âge. Malheureusement les
-monuments nʼont pas une destinée beaucoup plus rassurante que celle
-des livres, exposés, comme le dit le poète latin, au caprice du sort.
-Quand ils ne sont pas victimes de cette force aveugle et
-stupide qui sʼappelle la guerre, ils tombent moins noblement, mutilés
-par des gens sans goût, ou renversés par des administrations trop
-économes.
-</p>
-
-<p class="indent">
-
-Rappelons en quelques mots dans quelles circonstances fut écrite cette
-triste page de lʼhistoire municipale de Caen. Les bâtiments de
-lʼAbbaye-aux-Dames, convertis en casernes pendant la Révolution,
-avaient été destinés, par un décret du 21 octobre 1809, à devenir
-le dépôt de mendicité de la province. Cet établissement y fut
-effectivement créé le 1<small><sup>er</sup></small> février 1812;
-mais les dépenses considérables quʼil occasionnait,
-sans avantage réel pour le département,
-en firent demander la suppression, qui eut lieu en vertu
-dʼune ordonnance royale du 26 août 1818. Ce fut alors que le Conseil
-municipal, sur la proposition du maire, conçut la pensée de conserver
-à la ville ce précieux monument, en y établissant son hôpital des
-malades. Ce vœu méritait dʼêtre accueilli favorablement, et le
-Gouvernement, par une ordonnance du 22 mai 1822, autorisa la
-rétrocession des bâtiments aux hospices. Jusque-là rien de mieux: le
-projet du Conseil municipal donnait satisfaction aux intérêts
-matériels de la cité, sans nuire au côté artistique de la question. Le
-point de départ était excellent; mais, en route, on sʼégara en
-oubliant de se laisser guider par les règles du goût, quʼon avait
-dʼabord hautement proclamées.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Voici, en effet, ce que nous lisons dans le procès-verbal de la
-séance du 28 septembre 1821: «&#xA0;Le Conseil a vu avec satisfaction
-que tous ces plans et projets ont été si bien combinés que lʼéglise
-de Sainte-Trinité sera rendue toute entière au culte divin, et
-quʼen même temps ce monument, remarquable sous le rapport des arts
-et vénérable par les
-souvenirs historiques qui sʼy rattachent, sera dégagé des masures
-et constructions inutiles qui en obstruent la vue et lʼaccès.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Ainsi, pour le Conseil de 1821, lʼancienne porte romane et le donjon
-de lʼabbaye, inestimables souvenirs archéologiques, ne sont plus que
-des masures et des constructions inutiles! Sʼautorisant de cette
-manière de comprendre les beaux-arts, le rapporteur de la Commission
-des travaux publics, à la date du 14 mai 1823, sʼécrie quʼil faut
-abattre tout ce qui entoure lʼéglise Sainte-Trinité pour «&#xA0;y pratiquer
-une arrivée digne de lʼédifice!&#xA0;» Ce cri éloquent est entendu; on
-frappe, on pioche, on brise, on abat jusquʼà une nouvelle
-délibération du 13 février 1831, où lʼon peut constater que «&#xA0;les
-<i>déblais</i> autour de lʼédifice avaient
-déjà coûté à la ville 30,000&#xA0;fr.!&#xA0;»
-Les <i>déblais</i>,
-cʼétait la porte du XI<small><sup>e</sup></small> siècle,
-cʼétait le donjon du
-XIV<small><sup>e</sup></small>!...
-Et dire que la ville, en sʼépargnant cette dépense, aurait
-enrichi en même temps notre province de deux rares spécimens de
-lʼarchitecture religieuse et militaire au moyen âge!
-</p>
-
-<p class="indent">
-Lʼhistoire, que le marteau des démolisseurs ne saurait attaquer, nous
-dédommage de cette perte par de nombreux et intéressants documents,
-dont nous ne pouvons donner malheureusement ici que quelques extraits.
-</p>
-
-<p class="indent">
-En 1074, quelques années après la dédicace de lʼabbaye, le duc
-Guillaume et sa femme assistèrent à la prise de voile de leur fille
-Cécile, encore enfant, quʼils destinaient à succéder à la première
-abbesse de Sainte-Trinité. Ils firent de très-amples donations à cette
-maison religieuse, que leur propre fille devait gouverner treize ans,
-jusquʼen 1127. Après la
-mort de Mathilde et de Guillaume le Conquérant, leur fils aîné,
-Robert, continua leurs générosités et fit à sa sœur diverses
-concessions de biens-fonds qui formèrent ce quʼon appela depuis le
-<i>bourg lʼAbbesse</i>
-ou la <i>baronnie de Saint-Gilles</i>.
-«&#xA0;Parmi les donations faites à lʼabbaye de Sainte-Trinité
-par les princes de la race normande,
-dit lʼabbé De La Rue, il faut remarquer le droit dʼune
-foire de trois jours, la veille, le jour et le lendemain de la
-Trinité, pendant lesquels elle avait toutes les coutumes de la ville.
-Pour constater son droit, les officiers de la juridiction civile de
-lʼAbbesse, et ceux de son officialité, allaient le vendredi,
-<i>heure de Vêpres</i>,
-placer ses armoiries à toutes les entrées de la ville. Pendant
-ces trois jours, lʼAbbesse avoit les <i>coutumes, acquits, barrages,
-péages, trépas, tavernages par toute la ville et forsbourgs dʼicelle,
-avecques la juridiction et cognoissance à ce appartenance, sauf le
-fait de lʼeau seulement, et durant tout ledit temps, toute ladite
-ville et forsbourgs, sauf ledit fait, sont tenus comme en foire</i>.
-Aussi les prévôts ou fermiers du Roi étaient obligés dʼenlever des
-portes de la ville les boîtes quʼils y plaçoient pour la perception
-des droits royaux et dʼy laisser placer pendant la foire celles
-des fermiers de lʼabbaye. LʼAbbesse avait aussi les honneurs
-militaires pendant le même temps; et le commandant de la place,
-quel quʼil fût, allait lui demander le mot dʼordre,
-pour le donner à la garnison.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Cʼest sans doute à cause des droits quʼelles percevaient pendant la
-foire Trinité, que les Abbesses prenaient si chaleureusement la
-défense. des intérêts de la ville de Caen. On trouve en effet dans le
-registre des délibérations de lʼancien hôtel de ville, à la date du 24
-mars 1567, une lettre curieuse
-de lʼAbbesse de Sainte-Trinité au Connétable, par laquelle elle
-le prie de bien accueillir les délégués de la ville, qui sont allés à
-Paris pour solliciter le maintien des franchises et immunités de la
-cité quʼils représentent.
-</p>
-
-<p class="indent">
-LʼAbbesse de Sainte-Trinité ne jouissait pas seulement du privilége de
-percevoir des droits à certains jour de lʼannée; elle était encore
-exempte des impôts payés à lʼentrée de la ville. Pour conserver ce
-privilége, elle était tenue de «&#xA0;donner un pain bis au <i>barrier</i>
-(lʼemployé chargé de percevoir les impôts aux barrières), par la main
-des gens qui apporteraient des blés ou dʼautres vivres à son couvent,
-et qui en retournant chez eux devraient apporter ledit pain à la
-barrière&#xA0;<a class="fn" id="fr_53" href="#fn_53">53</a>.&#xA0;»
-Ces abus durent être modifiés avec le temps; car,
-au XVIII<small><sup>e</sup></small> siècle,
-nous voyons lʼAbbesse de Sainte-Trinité obligée,
-pour jouir de ses anciens priviléges, de sʼabaisser jusquʼau rôle dʼun
-fraudeur vulgaire. «&#xA0;La nuit du 1<small><sup>er</sup></small>
-au 2 décembre 1730, dit une note du
-<i>Journal dʼun bourgeois de Caen</i>, les agents de Madame
-lʼAbbesse de Sainte-Trinité de Caen ont fait entrer frauduleusement
-deux charretées de vin de sept feuillettes chacune dans cette
-abbaye, dont les commis à la perception des droits dʼoctroi ont
-dressé leur procès-verbal; ce qui a occasionné un grand procès.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-LʼAbbesse avait mauvaise grâce dʼintroduire des marchandises en
-contrebande, quand on songe aux énormes revenus dont jouissait encore
-son monastère. Guillaume le Conquérant, lors du partage de
-lʼAngleterre, avait donné à Sainte-Trinité plusieurs seigneuries dans
-les comtés de Dorset, de Devon, de
-Glocester et dʼEssex. En 1266, le revenu de lʼabbaye était
-de 2,500&#xA0;livres tournois en France,
-et de 160&#xA0;livres sterling en Angleterre,
-sans compter certaines concessions, parmi lesquelles nous citerons la
-jouissance des dîmes de Dives, qui comprenaient nominativement le sel
-quʼon y fabriquait et les baleines quʼon y pêchait
-alors&#xA0;<a class="fn" id="fr_54" href="#fn_54">54</a>.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Au prestige de la richesse se joignait, pour lʼAbbesse de Caen, celui
-dʼun pouvoir relativement étendu. Outre la juridiction ecclésiastique
-quʼelle exerçait, par un official, sur les paroisses de St-Gilles,
-Carpiquet, Ouistreham et Saint-Aubin dʼArquenay, elle avait aussi,
-sur ces mêmes paroisses, droit de juridiction civile et criminelle. Au
-point de vue religieux elle nʼétait pas moins privilégiée. Lʼabbaye
-possédait douze chapelles richement dotées, savoir: huit dans son
-enceinte, deux dans son bourg et deux à Ouistreham. Elle avait de plus
-sa liturgie particulière. Parmi ses rites singuliers, nous trouvons
-lʼusage de la <i>fête des fous</i>, quʼon célébrait le
-jour de celle des saints Innocents. «&#xA0;Les jeunes religieuses,
-dit M.&#xA0;Vaultier, y chantaient les leçons latines
-<i>avec farces</i>, cʼest-à-dire
-avec intercalation de développements familiers en langue française. On
-y faisait figurer une petite Abbesse qui prenait la place de la
-véritable, au moment où le chœur chantait le verset:
-<i>Deposuit potentes de sede</i>, etc.,
-et la gardait jusquʼau retour de ce même verset, à
-lʼoffice du lendemain.&#xA0;» Cette cérémonie avait tant dʼattrait quʼelle
-attirait du dehors de nombreux spectateurs. Dans une enquête faite par
-le grand bailli de Caen en 1399, nous voyons un des témoins déposer
-«&#xA0;quʼun tel était né le jour des Innocents, parce quʼil se souvenait
-quʼil était allé ce jour là à lʼabbaye de Sainte-Trinité
-<i>voir les esbattemens quʼon y faisoit lors</i>.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Les religieuses de Sainte-Trinité devaient avoir un certain goût pour
-les spectacles; car elles ne se contentaient pas des divertissements
-quʼon donnait à lʼabbaye. Dans les <i>Comptes de lʼabbaye</i>, de 1423,
-on voit lʼAbbesse sortir de son monastère, pour assister, dans un des
-carrefours de la ville, au <i>Miracle de Saint-Vincent</i>,
-et donner aux acteurs,
-pour elle et la religieuse qui lʼaccompagnait, une somme de
-10&#xA0;sous «&#xA0;équivalente, dit M.&#xA0;De La Rue
-dans ses <i>Essais sur Caen</i>,
-à 7&#xA0;l. 14&#xA0;s. de notre monnaie actuelle.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Les Abbesses avaient une maison de campagne à Ouistreham, où elles
-allaient séjourner et prendre des vacances. Quelquefois leurs absences
-étaient plus longues, et leurs voyages plus lointains. Comme
-Sainte-Trinité possédait de riches seigneuries en Angleterre, ses
-Abbesses passaient souvent en ce pays, avec une suite plus ou moins
-nombreuse, pour y surveiller Iʼadministration de leurs biens. Sous
-prétexte dʼaffaires,
-elles savaient mêler, selon le conseil du poète, lʼutile à
-lʼagréable; et leur éloignement durait quelquefois près dʼune année.
-Cʼest ainsi que lʼabbesse Georgette du Molay-Bacon nous raconte, dans
-le journal de son voyage, quʼembarquée au port de Caen, le 16 août
-1370, ayant à sa suite quinze personnes, pour aller à son manoir de
-Felsted, dans le comté dʼEssex, elle ne revint en France quʼà la
-Trinité de lʼannée
-suivante&#xA0;<a class="fn" id="fr_55" href="#fn_55">55</a>.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Telle abbesse, telles religieuses. Celles-ci ne connaissaient pas les
-rigueurs du cloître. «&#xA0;Elles pouvaient recevoir leurs parents et leurs
-amis dans leurs appartements, dit M.&#xA0;Vaultier, et avaient, presque
-toutes, des nièces quʼelles élevaient. Elles assistaient en corps aux
-processions publiques de la ville. Il y avait des jours où elles
-allaient prendre lʼair dans un jardin peu éloigné de leur monastère.&#xA0;»
-On ne sʼétonnera guère de voir tant dʼabus sʼintroduire dans les mœurs
-du cloître, quand on saura que lʼabbaye de Sainte-Trinité se recrutait
-parmi les familles des seigneurs normands, qui apportaient à la
-communauté, en lui amenant leurs filles, de généreuses donations.
-Comme le monastère ne devait recevoir que des filles nobles, il fut
-alors et a continué dʼêtre appelé depuis vulgairement
-lʼ<i>Abbaye-aux-Dames</i>.
-</p>
-
-<p class="indent">
-La plupart des religieuses, ayant reçu une instruction soignée,
-consacraient leurs loisirs à lʼétude des belles-lettres. Elles
-écrivaient en latin sur des rôles une <i>chronique</i> de leur abbaye,
-qui a été malheureusement détruite.
-Lʼabbé De La Rue nous apprend aussi
-quʼelles se faisaient écrire des vers latins par
-différents ecclésiastiques. Nous ne savons si le français leur était
-moins familier; mais on pourrait le croire, quand on voit quʼelles
-faisaient appel aux poètes du dehors pour écrire des vers de
-circonstance. M.&#xA0;de Quens mentionne en effet, dans un de ses
-manuscrits, un sieur P.&#xA0;Le Petit, ancien recteur à Alençon,
-qui «&#xA0;se mêlait de poésie et fournissait de petites pièces de vers
-à lʼAbbaye-aux-Dames pour les fêtes de lʼAbbesse et autres.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Comprenant que richesse oblige, comme noblesse, les Abbesses de Caen
-se firent toujours remarquer par une généreuse hospitalité. Lʼabbaye
-de Sainte-Trinité reçut des hôtes célèbres. En 1450, pendant le siége
-de Caen, Charles&#xA0;VII vint loger quelquefois dans lʼenceinte du
-monastère. Les anciens registres de lʼhôtel-de-ville nous apprennent
-que la duchesse de Guise descendit le 19 août 1678 à lʼabbaye de
-Sainte-Trinité où M.&#xA0;de La Croisette et les échevins vinrent lui
-présenter les civilités de la ville et lui offrir une douzaine de
-bourses et six douzaines de boîtes de confitures.&#xA0;» La nomenclature
-de tous les personnages illustres, qui séjournèrent à
-lʼAbbaye-aux-Dames, dépasserait les limites de cette courte notice,
-que nous terminerons en rappelant que Charlotte de Corday y a laissé
-un long souvenir.
-</p>
-
-<img src="images/CD_PL4_end.png" class="img_025 align-center"
-alt="CD_PL4_end"/>
-
-</div>
-
-<hr />
-
-
-
-
-<div class="chapterNO">
-<h2>
-<a id="N5"></a>
-<span class="pfs110">
-LA PORTE-NEUVE
-</span>
-</h2>
-</div>
-
-
-
-
-<div class="chapter">
-<img src="images/CD_PL5_PorteNeuve.png" class="img_100 align-center"
-alt="CD_PL5_PorteNeuve"/>
-
-
-<p class="centerserif pfs120">
-<img src="images/CD_PL_beg.png" class="img_090 align-center"
-alt="CD_PL_beg"/>
-<span class="xlarge">
-LA PORTE-NEUVE
-</span>
-<br />
-DITE DES PRÉS
-<br />
-<span class="small">
-CONSTRUITE VERS
-1590, DÉMOLIE EN 1798.
-</span>
-</p>
-<hr class="r10" />
-
-
-
-
-<p id="lettrine5">
-<span class="lettrine5C">C</span>
-O<small>MME</small> les villes ne sont que trop souvent flattées par
-les artistes et géomètres, qui se chargent dʼen dresser le plan ou dʼen
-reproduire des vues pittoresques, nous devons quelque reconnaissance
-au sieur de Belleforest pour nous avoir donné le <i>vray
-Pourtraict de la ville de Caen</i> en 1562. Cʼest en effet vers cette
-époque que Ch.&#xA0;de Bourgueville,
-sieur de Bras, lieutenant général du bailliage de Caen,
-communiqua au fameux compilateur les notes et le
-plan dont celui-ci se servit pour écrire la description de Caen, qui
-figure dans le premier tome de sa <i>Cosmographie</i>.
-En examinant lʼaspect général de ce plan,
-on voit que la ville était alors divisée en deux
-parties qui affectaient chacune la forme ovoïde: lʼancien Caen au
-nord; au sud, le vaste quartier de lʼîle St-Jean, ainsi nommé parce
-quʼil était
-complètement entouré, tant par le lit principal de lʼOrne, que par un
-de ses bras détourné en lʼannée 1104 sur lʼordre du duc Robert.
-Considérées dans leur ensemble, ces deux parties de la ville
-ressemblent à une mappemonde en deux hémisphères, dont le point de
-contact, ou, si lʼon veut, la charnière, serait représenté par les
-arches du pont St-Pierre, sur lequel sʼélevait lʼancien
-hôtel-de-ville.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Cette vue de Caen, à la fin du XVI<small><sup>e</sup></small> siècle,
-arrachait des cris dʼadmiration au patriotisme de M.&#xA0;de Bras,
-son vieil historien.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Cette ville, dit-il dans ses <i>Recherches et antiquitez de la
-ville de
-Caen</i>&#xA0;<a class="fn" id="fr_56" href="#fn_56">56</a>,
-au jugement de chascun qui la voit et la
-contemple, est lʼune des plus belles, spacieuse, plaisante et
-délectable que lʼon puisse regarder, soit en situation, structure de
-murailles, de temples, tours, pyramides, bastiments, hauts pavillons
-et édifices, grandes et larges rues.....&#xA0;» Cette nouvelle merveille
-du monde avait cependant –&#xA0;que les mânes du vénérable historien nous
-pardonnent&#xA0;– un défaut capital dans son système de fortifications.
-Le <i>Pré de lʼIsle</i> et les <i>Petits-Prez</i>,
-situés entre lʼOdon et le bras détourné de lʼOrne,
-et qui formaient une sorte de triangle, dont le
-sommet touchait au pont St-Pierre, tandis que leur base sʼappuyait aux
-grandes prairies, avaient lʼinconvénient de sʼenfoncer comme un coin
-jusquʼau cœur de la place. Maître de cette position, lʼennemi devait
-bientôt lʼêtre de la ville.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Les Anglais se chargèrent, en 1417, dʼen faire la preuve lamentable.
-Le jour de lʼassaut général, leur premier soin fut de sʼemparer du
-<i>Pré de lʼIsle</i> pour sʼinterposer entre les deux parties de la ville.
-Malgré la résistance acharnée des habitants,
-Henri&#xA0;V ne tarda pas à forcer le rempart des Jacobins et à rejoindre
-son frère, le duc de Clarence, qui était entré par escalade dans lʼîle
-St-Jean, du côté des quais. Se jeter de là, par le pont St-Pierre,
-dans lʼintérieur de lʼancienne ville et sʼen emparer, ce nʼétait plus
-et ce ne fut, en effet, que lʼaffaire de quelques heures de combats
-sanglants.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Le vice essentiel du système de défense de la ville ne pouvait être
-démontré dʼune façon plus cruellement victorieuse. Les habitants de
-Caen se souvinrent de la leçon et, pour en tirer profit, il ne leur
-manqua que lʼargent et lʼoccasion. On les voit, en effet, à peine
-remis des désastres de lʼoccupation anglaise, essayer, en 1495, de
-«&#xA0;clore les Petits-Prez et dʼen faire une partie de la
-ville&#xA0;<a class="fn" id="fr_57" href="#fn_57">57</a>.&#xA0;» En
-1512, au dire encore de Huet, le seigneur de la Tremouille construit
-un boulevard entre le <i>Pré de lʼIsle</i> et les <i>Petits-Prez</i>.
-Et ce fut tout jusquʼen lʼannée 1590.
-Les pestes affreuses qui dépeuplèrent la ville
-à plusieurs reprises, la grande misère qui les accompagna et les
-suivit, les impôts écrasants, les guerres de religion, ne laissèrent
-sans doute aux administrateurs de la ville ni assez de répit, ni assez
-de ressources, pour achever ou perfectionner les premiers essais de
-fortification quʼon avait entrepris du côté des prairies, entre
-lʼOdon et le <i>canal Robert</i>.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Un grand événement historique vint donner une impulsion nouvelle aux
-projets de fortifications étudiés par les échevins de la ville de
-Caen. Après lʼassassinat dʼHenri&#xA0;III par Jacques Clément,
-Henri de Bourbon, premier prince du sang
-de la maison de France par son père,
-sʼempressa dʼenvoyer, le 2 août 1589,
-aux corps de ville du royaume, une lettre
-circulaire&#xA0;<a class="fn" id="fr_58" href="#fn_58">58</a>
-dans laquelle il faisait, pour la première fois, acte
-de roi, et promettait aux communes qui contiendraient «&#xA0;son peuple en
-son obéissance&#xA0;» de les «&#xA0;soulaiger et gratiffier.&#xA0;» Enchantés de
-cette promesse, les échevins de Caen sʼempressèrent de prendre au mot
-le nouveau roi. «&#xA0;Nous vous supplions de croire, lui dirent-ils dans
-une lettre du 19 août
-1589&#xA0;<a class="fn" id="fr_59" href="#fn_59">59</a>,
-que nous continuerons à vous obéir
-et servir en la même fidélité et obéissance que nous avons toujours
-portée aux rois, vos prédécesseurs, à quoi nous sommes dʼautant
-plus incités par le bon traitement et gratification quʼil plaît à
-V.&#xA0;M. nous promettre en ce qui concerne le particulier de notre
-ville...&#xA0;» En même temps, en bons normands ferrés sur le droit, qui
-pensent quʼune parole écrite vaut mieux quʼun engagement verbal,
-fût-il dʼun prince, ils énumérèrent, dans une instruction, les
-gratifications quʼils entendaient réclamer en échange de leur
-fidélité. Le chapitre en serait long à transcrire. Pour la ville, ils
-réclamaient la tenue des États de la province de Normandie,
-lʼétablissement définitif des Cours souveraines transférées de Rouen;
-pour les bourgeois de Caen, lʼexemption de certaines tailles et du
-service du ban et arrière-ban; pour les échevins, douze lettres
-dʼanoblissement, pour eux ou pour leurs amis. «&#xA0;Le tout,
-avaient-ils soin dʼajouter, en considération et pour remarque de la
-fidélité et obéissance que lesdits habitants de Caen ont toujours
-portée à leurs rois et princes.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Devant de si touchantes marques de dévouement, Henri de Bourbon se
-sentit fort à lʼaise pour imposer à son tour
-ses conditions. Il fit sans doute remarquer aux échevins quʼil voulait
-bien accepter la fidélité dʼune ville, qui se montrait si ouverte dans
-ses prétentions, pourvu quʼelle consentît à être fermée aux
-entreprises des ligueurs qui couraient la campagne. Si nous ne
-trouvons aucune trace dʼune pièce semblable dans les registres de
-lʼancien Hôtel-de-Ville, nous y rencontrons, en revanche, une lettre
-dʼHenri&#xA0;IV, du 30 janvier 1593, qui prouve que le prétendant
-à la couronne de France avait depuis longtemps donné des ordres aux
-échevins de Caen, soit pour la réparation des anciens remparts, soit
-pour lʼétablissement de nouvelles lignes de défense.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Chers et bien amés, leur écrivait-il, nous avons vu le dessin
-que le sieur de La Vérune nous a envoyé par le sieur du Bois de la
-fortification de notre ville, château et faubourgs de Caen, et
-particulièrement entendu dud. sieur du Bois lʼavancement que vous
-avez déjà donné à lad. fortification; chose qui nous a été bien
-agréable, et dʼautant que le parachèvement de lad. fortification est
-très-requis pour votre conservation et pour le bien de notre
-service. Nous avons bien voulu vous exhorter par la présente à y
-faire travailler diligemment et vous assure que de notre part nous
-vous aiderons en ce que nous pourrons pour la rendre au plus tôt en
-défense. Donné à Chartres.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Cette lettre inédite dʼHenri&#xA0;IV renferme plus dʼun enseignement.
-Elle nous apprend dʼabord quʼil se faisait tenir depuis longtemps au
-courant des ouvrages de défense, quʼon avait commencés à Caen, entre
-la porte du vieux St-Étienne et le champ de foire, et quʼil y prenait
-beaucoup plus dʼintérêt que les habitants eux-mêmes. On y devine, sous
-lʼarrangement
-poli de la phrase officielle, quʼil songeait bien plus au
-«&#xA0;bien de son service&#xA0;» quʼà la «&#xA0;conservation&#xA0;»
-proprement dite des bourgeois de Caen.
-Mettre la ville, qui sʼétait donnée à
-lui le moins gratuitement possible, à lʼabri dʼun coup de main
-des ligueurs qui rôdaient dans les environs, telle était sa vraie, sa
-seule pensée. Et pour obtenir ce résultat, il promettait aux bourgeois
-de les «&#xA0;aider en ce quʼil pourrait&#xA0;» dans le travail des
-fortifications. Cependant comme les habitants de la vieille cité
-bas-normande étaient gens pratiques et hommes dʼaffaires, ils ne
-prirent guère en considération des assurances qui ne reposaient que
-sur la parole royale. Ils voyaient bien ce que leur coûteraient les
-fortifications, mais ils voyaient moins clairement le bénéfice quʼils
-étaient appelés à en tirer. Aussi, malgré la lettre missive du maître,
-ils montrèrent peu dʼenthousiasme pour lʼœuvre recommandée. Pour
-triompher de leur mauvaise volonté, il ne fallut rien moins quʼune
-ordonnance sévère, que MM.&#xA0;Vauquelin, lieutenant général, de La
-Serre, avocat du roi, et du Bois-Couldrey, commissaire du roi, au
-fait des fortifications, firent publier à son de trompe dans les
-rues.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Sur la complainte faite par M.&#xA0;Jacques Bazin, quʼil ne peut
-avoir ni retenir des artisans en son atelier, et que les bourgeois
-et habitants de ladite ville les viennent débaucher de jour en jour,
-à mesure quʼils en ont affaire pour leurs ouvrages particuliers, il
-a été chargé audit Bazin de bailler une liste des artisans quʼil
-aura demandés et quʼil voudra employer en sa besogne, auxquels il
-sera enjoint de travailler avec lui jusquʼà ce que les ouvrages
-quʼil a entrepris soient parfaits, et défendu à toute personne de
-les
-prendre ni employer en leurs ouvrages, sur peine aux
-contrevenants, pour les bourgeois et ceux qui les emploieront, «&#xA0;de
-50&#xA0;écus dʼamende, et auxdits artisans, du fouet pour la première
-fois, et, pour la seconde, dʼêtre pendus et étranglés. Et sera à
-cette fin ladite liste avec la présente ordonnance publiée à son de
-trompe, tant audit atelier de ville que par les carrefours dʼicelle.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Cette ordonnance, du 23 juin 1593, si on la rapproche de la lettre
-précédente dʼHenri&#xA0;IV, nous prouve surabondamment que les nouvelles
-fortifications, qui devaient fermer la ville du côté des grandes
-prairies de Louvigny, ne furent pas entreprises sur lʼinitiative des
-habitants, mais probablement contre leurs vœux et sur la
-recommandation expresse du roi.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Une délibération du conseil de la commune de Caen fixe à peu près
-lʼépoque du commencement des travaux. Nous lisons, en effet, dans les
-registres de lʼancien Hôtel-de-Ville, à la date du 21 novembre 1590:
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Jean Marguerie, sieur de Sordeval, conseiller du roi en
-lʼélection de Caen, en sa qualité de sergent-major en ladite ville,
-demande, le 21 novembre 1590, à couper le bois étant dans le fossé
-de la ville et sur le parapet dudit fossé, jouxte le cercle des
-Jacobins, et icelui employé aux fortifications qui se font à
-présent du côté des prés, entre la rivière dʼOulne et la rivière
-dʼOuldon.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Commencées dans le courant de lʼannée 1590, les nouvelles
-fortifications venaient dʼêtre achevées, depuis la porte St-Etienne
-jusquʼà lʼIle de la Cercle, ou Champ-de-Foire, à la date du 9 avril
-1597, lors de la <i>Visite des murailles</i> qui se faisait à
-Caen, tous les trois ans, à chaque nouvelle élection des
-gouverneurs-échevins. Les travaux avaient été exécutés sur les plans
-et sous la direction dʼun très-habile géomètre et architecte, Josué
-Gondouin, dit Fallaize, qui figure parmi les <i>oubliés ou dédaignés</i>
-de cette époque; car nous ne trouvons nulle part trace de biographie se
-rapportant à cet artiste de mérite. Lʼordre de payer suivant, adressé
-par les échevins au receveur de la ville, le 25 juillet 1592, nous
-apprend ce fait, intéressant pour lʼhistoire locale.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Ordre au receveur de payer à M.&#xA0;Gondouin,
-maître-voyer juré pour le Roi en cette ville
-et bailliage de Caen, la somme de 20&#xA0;écus,
-qui lui a été allouée, pour faire dresser et pourtraire sur
-parchemin le plan, assiette et étendue de cette ville, avec
-remarque des tours, forteresses et enclos des murailles, des lieux
-et endroits plus forts et autres plus faibles dʼicelle, même des
-lieux et places, qui commandent la ville, le tout pour servir à
-résoudre les fortifications plus nécessaires à faire en icelle,
-selon quʼil lui en avait été donné charge par M.&#xA0;de La Vérune
-et autres seigneurs, ayant entrepris de faire travailler auxdites
-fortifications. Lequel plan a été par lui baillé et délivré et
-ordonné être conservé aux arches de lʼHôtel-de-Ville, pour sʼen
-aider et servir quand besoin sera.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Comme nous lʼavons dit, il sʼagissait de réunir à la ville, en les
-reliant par une courtine aux anciennes murailles, tous les terrains
-désignés, sur le plan de Belleforest,
-sous les noms de <i>Petits-Prez</i>,
-<i>Grands-Prez</i> et <i>Pré-de-lʼIsle</i>,
-sur lesquels se trouvent aujourdʼhui
-lʼéglise Notre-Dame, la préfecture avec ses jardins, les bâtiments de
-lʼHôtel-de-Ville, la place Royale, et les groupes de maisons
-comprises entre la
-rue du Moulin et le nouveau boulevard, jusquʼà lʼancien pont
-St-Pierre, aujourdʼhui démoli. Il est fort regrettable que le plan de
-Josué Gondouin ne soit pas arrivé jusquʼà nous. Lʼhabile maître-voyer
-nous a heureusement laissé, dans son procès-verbal de la visite des
-fortifications du 12 mai 1606, quelques explications précieuses
-auxquelles nous faisons lʼemprunt suivant.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;On avait encomrnencé, dit-il, de faire deux grands bastions: lʼun
-à la porte St-Étienne, dont les flancs devaient défendre portion de
-la courtine dʼentre ledit bastion et lʼautre bastion proposé faire
-dedans ladite <i>Cercle ou foire</i>;
-laquelle courtine nʼavait été pour
-lors trouvée être requise fermer et être faite que de terre,
-fascines et gazons, vu la commodité que lʼon en avait joignant les
-terres quʼelle enferme, qui est une portion de prairie ayant environ
-120&#xA0;toises de longueur, à prendre par le long de ladite
-courtine, laquelle courtine est en forme de tenailles sur lʼun des
-bouts de laquelle fut aussi délibéré faire de maçonnerie une porte
-fermant et ouvrant à pont-levis, pour tirer les foins de la prairie;
-pour défendre laquelle, ainsi quʼenviron la moitié desdites
-tenailles, avait été tracé dedans ladite Cercle, les fondements,
-fossés, courtines et flancs dudit second bastion.....&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Ce document, dont on ne peut contester lʼimportance puisquʼil nous
-vient de lʼauteur lui-même des travaux, nous servira à faire la
-légende de la gravure, qui nous a conservé
-la physionomie de la Porte-Neuve.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Cette vue, tirée du cabinet de M.&#xA0;Lair, avait été reproduite par
-M.&#xA0;Ch. Pichon, dʼaprès le tableau de M.&#xA0;Ch. de
-Vauquelin de Sassy, à qui lʼon devait déjà la plus grande partie des
-lithographies de la <i>Statistique de Falaise</i> de M.&#xA0;Galeron.
-Elle nous montre la Porte-Neuve telle quʼelle existait encore
-à la fin du XVIIl<small><sup>e</sup></small> siècle,
-avant sa destruction. Le fossé et le pont-levis, qui servait à
-le franchir, nʼexistent plus; mais le reste du petit édifice nʼa subi
-ni les outrages du temps, ni les changements quʼaurait pu y apporter
-la main de lʼhomme. Il se compose dʼun pavillon carré, traversé au
-rez-de-chaussée par une large porte à cintre surbaissé, et surmonté
-dʼun étage sans fenêtres, que couronne un toit avec girouettes. A
-gauche, une petite tour carrée, renfermant probablement lʼescalier; à
-droite des constructions moins élevées, soutenues par des contreforts,
-dont le pied se baigne dans la rivière; enfin de longues
-cheminées, au corps mince; tel est lʼaspect général de la
-construction, dont la structure élégante, jointe à une situation
-heureuse, forme un ensemble qui satisfait lʼœil. Lʼédifice nʼa rien de
-martial; sur ses flancs, pas la moindre tourelle, pas la plus petite
-échauguette. Quelques meurtrières, qui sʼouvrent de çà de là dans les
-murailles, moins pour menacer que pour regarder au dehors, et cʼest
-tout. En voyant son attitude inoffensive, on ne croirait guère quʼil
-fût destiné à entrer, même pour la part la plus modeste, dans un
-système quelconque de fortifications, si lʼauteur du plan, dont nous
-avons cité un passage, ne venait heureusement à notre aide pour nous
-apprendre quʼil était protégé dʼun côté par le bastion de St-Étienne,
-de lʼautre par le bastion de <i>La Cercle</i>.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Il résulte de lʼexamen comparatif des plans de lʼancien Caen que la
-Porte-Neuve devait être située sur la rive gauche de la Petite-Orne,
-ou <i>canal Robert</i>, entre le pont aux Vaches et
-lʼancien pont de la Foire, un peu plus rapprochée de celui-ci que de
-celui-là.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Notre gravure nous en fait connaître la façade du côté des prairies;
-lʼautre côté, qui regardait la ville, et lʼintérieur de la
-construction ne peuvent être à peu près reconstitués quʼà lʼaide de
-quelques rares documents, puisés dans les registres de lʼancien
-Hôtel-de-Ville de Caen.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Au corps dʼhôtel sur la Porte-Neuve, est-il dit dans la visite
-des murailles du 9 avril 1597, de présent non encore habitée a été
-trouvé nécessaire faire ajuster une ventaille de bois pour un
-soupirail, qui est au milieu de lʼaire de la chambre; plus clore de
-ventailles, huis et fenêtres, une huisserie qui est à la vis ou
-montée et une fenêtre, et quʼil serait bon bailler ledit logis à
-quelque personne pour y habiter et quʼil serait mieux conservé
-étant habité quʼautrement; ayant connu par expérience quʼà
-lʼoccasion quʼil nʼy demeura personne, on a déjà fait plusieurs
-travaux et réparations aux huis et serrures de ladite maison sur
-quoi sera conféré avec M.&#xA0;de La Vérune.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Ce passage nous apprend que les bâtiments de la Porte-Neuve
-renfermaient un corps-de-logis habitable, avec fenêtres donnant sur
-lʼintérieur de la ville. On y mentionne une chambre seulement, mais
-nous pouvons affirmer quʼil sʼy trouvait encore dʼautres pièces;
-car il est permis de supposer que cette nouvelle construction, qui
-avait moins lʼapparence dʼune forteresse que dʼun pavillon inoffensif,
-nʼavait pas dû être moins bien traitée sous le rapport de lʼhabitation
-que les anciennes portes de la ville, bâties surtout dans un but
-stratégique. Or, celles-ci avaient toutes, au rez-de-chaussée, même
-les moins
-importantes, une salle basse qui servait de corps-de-garde, et une
-sorte de magasin ou réduit «&#xA0;pour retirer, dit toujours le
-procès-verbal de la visite des murailles, quelques bûches et fagots
-pour le feu de ceux qui sont en garde à ladite porte, même pour
-retirer quelque bois pour la ville et les outils des artisans,
-quand on travaille à ladite porte ou aux environs.&#xA0;» Au premier
-étage se trouvaient toujours une ou deux chambres que la ville louait
-à des fermiers, prêtait à quelque employé, ou donnait, à charge
-seulement de faire certaines réparations à lʼimmeuble. Cʼest ainsi que
-nous voyons, en 1597, la partie habitable dʼune des portes de la
-ville affermée, à charge dʼentretenir les couvertures.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Lʼédifice sur la porte St-Julien et tenu par Marie Boyvin par
-ci-devant veuve de Richer, trompette de la ville, comme à la
-précédente visitation lui en ayant été concédé lʼusage passés sont
-six ans, en considération que son mari fut tué servant de trompette
-à la compagnie de gendarmerie de M.&#xA0;de La Vérune, étant lors
-à lʼarmée du roi, et à la charge dʼentretenir bien et dument la
-couverture volante dudit édifice, selon la lettre quʼelle en a.
-Continuée à la charge de bien et dument entretenir ladite tour en
-couverture et dʼy vivre sans scandale.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Quand la ville logeait un de ses employés, sans conditions, il
-arrivait souvent que les immeubles se conservaient comme ils
-pouvaient, jusquʼà ce quʼil se trouvât un locataire assez audacieux
-pour se plaindre, ou assez habile pour cacher ses vœux sous le masque
-dʼune action charitable. Tel le cas dʼun sieur Longuet, garde à la
-porte Millet, que le procès-verbal de la visite des murailles nous
-rapporte ainsi:
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;La chambre de dessus est tenue par le sergent Longuet, auquel
-lʼusage en a été concédé, dès longtemps, en considération du
-service quʼil fait en sadite charge; lequel Longuet a remontré
-quʼil nʼy a aucune commodité en ladite chambre, nʼétant plancher par
-dessus, la cheminée rompue, nʼy a aucune fenêtre commode, et a prié
-lesd. sieurs présents que leur plaisir fût la faire <i>plancher</i>
-et accommoder de vitres et cheminée, en sorte que quelquefois les
-bourgeois, qui sont en garde, sʼen pussent servir pour y prendre
-leur réfection, sans être contraints retourner à leurs maisons, qui
-serait une bonne commodité pour le fait desdits gardes.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Le sieur Longuet ne montrait cette hypocrite sollicitude pour le
-bien-être de la milice que parce quʼil occupait gratuitement les
-parties habitables de la porte. Mais les fermiers de la ville, qui
-payaient leur location, faisaient leurs réclamations sur un autre ton.
-Exemple:
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Au ravelin de ladite Porte-au-Berger, ajoute le procès-verbal déjà
-cité, a été trouvé nécessaire au corps dʼhôtel neuf, qui est baillé
-à ferme, réservé la grande salle basse pour le corps de garde, de
-faire des huis à la petite chambre sur lʼouvroir et aux greniers et
-quelques ventailles aux fenêtres pour le tout pouvoir clorre pour la
-commodité du fermier: lequel fermier a remontré que néanmoins le
-bail à lui fait, les capitaines et habitans, qui viennent en
-garde, lʼont empêché de labourer le jardin dépendant de ladite
-maison, disant que ladite place est nécessaire pour le proumenoir
-de ceux qui sont en garde. Aussi se sont habitués de la grande
-chambre, sur la salle de bas, où se fait le corps de garde, en
-laquelle ils ont fait mettre quelques
-meubles, disant quʼelle leur est nécessaire pour prendre leur
-réfection, les jours quʼils sont en garde, afin de ne se départir
-de leur garde et être contraints retourner en leurs maisons pour
-boire et manger, demandant sur ce lui être pourvu et quʼil soit
-fait jouissant ou que son bail soit <i>dissolu</i>.
-Reste y aviser.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Avec les documents qui précèdent, nous pouvons, comme un touriste muni
-de son guide, faire un voyage instructif autour de la chambre de la
-Porte-Neuve et de ses pièces accessoires. Quelques nouveaux
-renseignements, empruntés aux registres de lʼHôtel-de-Ville, nous
-permettront, après avoir pris connaissance du logement, de jeter un
-coup dʼœil curieux sur lʼexistence et les habitudes du locataire. Nous
-nous rappelons que le 9 avril 1597, la Porte-Neuve nʼétait pas encore
-habitée. Mais, comme les échevins avaient pensé à cette date quʼil
-était urgent, afin dʼentretenir les serrures, portes et fenêtres de
-leur immeuble, de trouver quelque personne de bonne volonté pour
-essuyer les plâtres, il est fort probable quʼun garde fut installé peu
-de temps après dans la nouvelle construction. Dix-huit ans plus tard,
-ce garde mourait, et nous ne rappellerions pas ce fait, sans
-importance, sʼil ne servait à nous montrer que ces modestes fonctions
-étaient quelquefois lʼobjet dʼun conflit entre le pouvoir royal et les
-prérogatives municipales.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Le garde de la Porte-Neuve étant mort, disent les Registres de
-lʼHôtel-de-Ville à la date du 22 mars 1615, les échevins et le
-procureur-syndic vont trouver M.&#xA0;de Bellefonds et le supplient
-dʼavoir pour agréable quʼils en nommassent un autre à sa place,
-suivant les anciens priviléges de la
-ville. M.&#xA0;de Bellefonds prétend que cette nomination lui
-appartient et ajoute que, si MM.&#xA0;du Corps de Ville pensent que
-leurs droits soient lésés, il est prêt, au premier voyage quʼil fera
-en cour, à sʼen remettre au jugement de Sa Majesté, quʼen attendant
-il pourvoiera dʼun bourgeois de la ville à la garde de ladite porte.
-Les échevins, au retour, arrêtent que ces propositions seront
-rejetées et M.&#xA0;le Bailli ordonne dʼenregistrer ce que dessus au
-registre du Greffe de la ville pour y avoir recours si besoin est.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Nous ne voyons pas tout dʼabord quel grand intérêt avaient les
-échevins à défendre, contre les empiétements du pouvoir
-central, le privilége qui consistait à nommer les gardes des
-portes de la ville. Car, –&#xA0;chose étonnante et qui est cependant
-prouvée par maint passage des registres de lʼHôtel-de-Ville,&#xA0;–
-les gardes des portes nʼétaient pas chargés dʼen conserver les clefs.
-Ce soin, qui aurait dû être, sinon la première, au moins une de leurs
-plus importantes attributions, était confié à dʼautres mains. Nous
-lisons, en effet, à la date du 2 septembre 1610:
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Il a été arrêté pour la police de tenir les portes closes de
-nuit. Que Messieurs en prendront la charge, savoir est: Pour la
-Porte-Neuve, chez M.&#xA0;le Président, etc. Et les feront <i>clore</i>
-et ouvrir à heures convenables par leurs serviteurs et domestiques,
-auxquels ils auront confiance, lesquels la ville gratifiera de
-chacun deux écus par an.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-En 1615, on place des soldats de la milice aux portes, par suite de
-lettres reçues du roi, et lʼon remet les clefs aux personnes désignées
-pour ouvrir et fermer les portes. En 1616, les six clefs de la
-Porte-Neuve sont données en garde à plusieurs bourgeois. A toutes ces
-dates, la ville était sous le coup
-dʼune alerte; le roi lui écrivait de prendre des précautions, de se
-tenir prête à soutenir une attaque. On comprend donc que dans ces
-moments de troubles on ne confiât pas les clefs de la ville à un
-simple garde, qui aurait pu se laisser corrompre ou passer aux partis
-ennemis. Mais un passage des anciens registres de lʼHôtel-de-Ville
-nous apprend quʼil en était de même en temps de paix. Ainsi, en 1610,
-après la paix du Pont-de-Cé, au moment où lʼon venait de lever les
-gardes placées aux portes de la ville, nous voyons remettre les clefs
-à des personnes nominativement désignées.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Cependant les clefs étaient laissées quelquefois entre les mains du
-garde de la porte, comme cela paraît résulter du document suivant.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Geoffroy Bellebarbe, ayant les clefs de la Porte-Neuve en dépôt,
-disent les anciens registres de lʼHôtel-de-Ville à la date du 4 mai
-1640, a fait plainte que quelques écoliers, nuitamment, ont rompu
-lʼune des chaînes du pont de ladite porte et forcé la serrure avec
-des pierres; jure et affirme quʼil ne les connaît, pour nʼavoir osé
-sortir, à cause quʼils lâchèrent quelques coups de pistolet.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-
-Cʼétait le garde qui devait préparer la salle basse, dans les
-occasions où elle était occupée par la milice bourgeoise; cʼétait lui
-aussi qui devait aller aux approvisionnements, apporter les deux
-bûches, les deux fagots, le charbon et la chandelle que la ville
-délivrait à chacun des cinq corps de garde placés au Tripot, à la
-porte de Bayeux, à la Porte-Neuve, sur le port et à la porte
-Millet.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Quand le moment dʼalarme était passé et que les bourgeois armés
-abandonnaient les postes, cʼétait à lui encore que revenait
-le soin dʼemmagasiner la plupart des outils qui servaient à la
-réparation des remparts. Et ce nʼétait pas alors une petite besogne;
-car, pendant les guerres de la Ligue et les troubles des premières
-années du règne de Louis&#xA0;XIII, les bourgeois étaient à tout instant
-convoqués, non-seulement pour garder les fortifications, mais aussi
-pour les réparer. En 1615, par exemple, nous voyons les bourgeois
-«&#xA0;tenus de travailler aux fortifications
-et <i>à la vide des fossés</i>,
-attendu que les deniers de la ville ne seraient suffisants.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Quand une nouvelle lettre du roi venait rassurer les échevins et
-ordonner de renvoyer chez elles les compagnies de la milice, quand la
-ville se reposait dʼune si chaude alarme, le garde des portes ne
-jouissait pas de fréquents loisirs. Tantôt il lui fallait courir sur
-les remparts pour empêcher de jeter dans les fossés des matériaux dont
-on voulait se débarrasser; tantôt au contraire, au lieu de défendre
-les fortifications contre des alluvions gênantes ou nauséabondes, il
-fallait les protéger contre un amaigrissement, dont la cause ne
-faisait pas honneur au patriotisme des propriétaires riverains. Ce
-détail curieux est indiqué dans la visite des murailles du 9 avril
-1597.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Tous ceux qui ont leurs jardins et héritages aboutissant sur les
-remparts entre lad. tour (tour Sevans) et la porte St-Étienne,
-ayant miné lesdits remparts, pour accroître leurs jardins, et qui
-devaient être approchés, pour se voir condamner à remettre les
-terres en lʼétat quʼelles étaient, minant encore davantage de jour
-en jour, nʼayant été fait aucune action contre eux, à quoi reste
-pourvoir.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-A cette surveillance des délinquants sʼajoutait, pour le garde de la
-Porte-Neuve, lʼobligation de tenir les portes ouvertes
-pour le passage des voitures, pendant la saison des foins et, pendant
-la foire royale, pour celui des bestiaux quʼon exposait en vente dans
-la prairie en dehors des fortifications.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Nous trouvons, en effet, dans le registre 46 de IʼHôtel-de-Ville, parmi
-les conditions imposées à lʼun des adjudicataires des patrimoniaux de
-la ville, les clauses suivantes: «&#xA0;Il souffrira les ébats
-accoutumés dans le pré (emplacement quʼoccupent aujourdʼhui
-lʼéglise Notre-Dame, la préfecture, les bâtiments de la mairie et la
-place Royale). De même il souffrira les bêtes à laine qui y sont
-exposées en vente, et la montre des chevaux du côté de lʼOdon
-durant la séance de la foire royale; et les bêtes <i>aumailles</i>
-(mot du patois normand qui signifie bestiaux) et porchines au lieu
-où elles sont exposées en vente pendant la foire, près et en dehors
-de la Porte-Neuve jusquʼau pont de pierre sur le cours de lʼOdon.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Sʼil avait des devoirs pénibles à remplir, le garde de la Porte-Neuve
-trouvait, il est vrai, quelques compensations dans les spectacles
-variés et gratuits que lui offrait le fameux <i>pré des ébats</i>
-dont Ch.&#xA0;de Bourgueville, sieur de Bras,
-a célébré les merveilles dans une prose
-enthousiaste. Ce sont «&#xA0;deux moyennes prairies, dit-il, qui
-séparent la ville de ce costé là, fort plaisantes, encloses dʼun
-costé de la grosse rivière dʼOurne, et de lʼautre de la rivière de
-Oudon. Auxquelles les habitans et jeunesse se pourmenent, prennent
-plaisir à la saison du printemps et de lʼesté, mesmes les escoliers
-de lʼUniversité, les uns à sauter, lutter, courir, jouer aux
-barres, nager en la rivière qui les enclost, tirer de lʼarc et
-prendre toutes honnestes récréations, comme aussi font les
-damoiselles, dames et bourgeoises, à y estendre et sécher leur
-beau linge, duquel lesdites prairies sont aucunes fois si couvertes
-quʼelles semblent plutost blanches que vertes.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Le voisinage de ces lessives –&#xA0;puisquʼil faut
-les appeler par leur nom&#xA0;–
-était probablement pour les gardes de la Porte-Neuve moins une source
-de jouissances poétiques que lʼoccasion de débats très-vulgaires avec
-les «&#xA0;dames et bourgeoises&#xA0;» qui encombraient la voie publique.
-</p>
-
-<p class="indent">
-Nous devons avouer cependant que, parmi les spectacles auxquels ils
-pouvaient assister de leurs fenêtres, il en est un surtout qui
-méritait dʼattirer leur attention. Cʼétait à peu de distance de la
-Porte-Neuve que sʼélevait le Mai du <i>Papeguay</i>,
-«&#xA0;expression dérivée de <i>Papagallus</i>, qui,
-dans le moyen âge, dit lʼabbé De La
-Rue&#xA0;<a class="fn" id="fr_60" href="#fn_60">60</a>,
-signifiait ordinairement <i>Perroquet</i>.
-Ce jeu consistait à placer au
-haut dʼun mât très-élevé un oiseau de bois peint et bien orné, et à
-lʼabattre avec la flèche. La ville, dans lʼorigine, en fournissait
-deux: un pour lʼarc et lʼautre pour lʼarbalète; vers lʼannée
-1540, elle commença à en donner un troisième pour lʼarquebuse, et
-elle décernait toujours un prix en argent à celui qui abattait
-le Papeguay..... Les jeux de lʼarc et de lʼarbalète avaient
- lieu sur le terrain qui est en face du rempart de lʼhôtel de la
-préfecture; ils duraient pendant tout lʼété, et ils nʼont cessé
-quʼà lʼépoque de la Révolution.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Ces divertissements guerriers prirent à la longue une telle importance
-que la compagnie du Papeguay, recrutée dans la milice bourgeoise, se
-composait en lʼannée 1744 de plus de
-cinq cents hommes, sous la conduite dʼun capitaine et dʼun lieutenant,
-quatre sergents, quatre tambours et un fifre. Elle ne se contentait
-plus de se livrer avec ardeur à ses exercices ordinaires; elle
-organisait aussi des fêtes. Cʼest ainsi que nous la voyons, cette
-année-là, tirer un grand feu dʼartifice à lʼoccasion de la
-convalescence du roi.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Lʼédifice destiné au feu, dit la <i>Relation de la fête</i> publiée
-à Caen en 1744, était construit dans la place où lʼon tire les
-oiseaux de lʼarc et de lʼarbalète. Sa hauteur était dʼenviron
-50&#xA0;pieds, il a voit deux étages et trois faces, celle du milieu
-regardait la Porte-Neuve.....&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Le perroquet ou papeguay, perché au haut du mât, joua aussi son rôle
-dans la fête de nuit, comme lʼindique ce passage: «&#xA0;De temps en
-temps, on faisait partir des dragons, qui feignaient dʼaller allumer
-lʼoiseau; il en vint un enfin, à qui lʼhonneur étoit réservé.
-Lʼoiseau prit feu et effraya, par le bruit quʼil fit, tous ceux qui
-nʼétaient pas prévenus...&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Si le locataire de la Porte-Neuve était aux premières places pour
-jouir de la vue des feux dʼartifice et autres fêtes ou
-divertissements, qui avaient pour théâtre lʼancien <i>Pré des Ebats</i>,
-il faut bien avouer aussi quʼil subissait quelquefois des spectacles qui
-nʼétaient point de nature à lui mettre beaucoup de joie dans lʼâme. En
-effet, quand les impôts prélevés sur le peuple rentraient
-difficilement dans les coffres du roi, on leur en faisait prendre le
-chemin par un ingénieux moyen que nous trouvons noté dans les
-registres de lʼHôtel-de-Ville, à la date du 28 juin 1602.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Nous avons apporté tout ce que nous avons pensé être de notre
-devoir pour le bien du service de Sa Majesté, disaient
-les échevins, jusques avoir fait planter potences à toutes les
-portes de la ville, pour punir ceux qui voudraient empêcher la
-levée des dʼimpositions, en sorte quʼelles sont cueillies sans
-empêchement&#xA0;<a class="fn" id="fr_61" href="#fn_61">61</a>&#xA0;».
-</p>
-
-<p class="indent">
-Quoique le garde de la Porte-Neuve fût exposé à avoir directement sous
-les yeux, à toute heure, ces lugubres avertissements aux contribuables
-des percepteurs du bon vieux temps, on ne voit pas que ce modeste
-fonctionnaire ait jamais donné sa démission, ni quʼon ait éprouvé
-quelque difficulté à lui trouver de successeur quand sa place était
-vacante. Le locataire ne manqua à lʼimmeuble que lorsque lʼimmeuble le
-premier vint à lui manquer. Cet événement se pressent dans une séance
-du 18 brumaire an&#xA0;VI du conseil municipal de Caen.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;LʼAdministration, considérant que le but que sʼétait proposé le
-Conseil général de la commune en supprimant la pièce dʼeau nommée
-le Fort, étoit, après lʼavoir comblée, dʼen employer le terrein en
-promenade, ainsi que le reste de la place publique qui lui est
-contiguë, et qui a été mise et en location pour six ans, par
-adjudication du 21 mars 1793 (V.&#xA0;S.), arrête que la portion de
-terrain réservée par ladite bannie, et qui sʼétend depuis la
-Porte-Neuve, le long du mur du bastion, jusquʼà lʼangle dudit mur,
-sera plantée de tilleuls, et que les deux côtés du chemin tendant de
-ladite Porte-Neuve au pont de lʼabreuvoir, seront plantés en ormes,
-en attendant que le surplus du terrain mis en adjudication
-revienne à la disposition de la commune par lʼexpiration de la
-jouissance des adjudicataires, époque à laquelle il pourra être pris
-des mesures pour embellir cette place publique par
-des plantations, et procurer à ce moyen aux citoyens lʼagrément
-dʼune promenade.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Comme les affaires administratives marchaient alors au pas accéléré,
-six mois après cette première délibération, le Conseil municipal
-décida, dans une séance du 8 floréal an&#xA0;VI (avril 1798), quʼon
-sʼentendrait avec les adjudicataires des terrains de la Porte-Neuve
-pour la résiliation de leur marché, et que
-celle-ci serait immédiatement démolie.
-</p>
-
-<p class="indent">
-«&#xA0;Lʼadministration considérant que la porte, dite des Prés, ou
-Porte-Neuve, faisant partie des anciennes fortifications de la
-commune, est nuisible par sa position aux embellissements quʼon se
-propose de former dans le quartier, arrête quʼelle sera démolie et
-que lʼarchitecte de la commune donnera le devis estimatif des frais
-que sa démolition pourra occasionner.&#xA0;»
-</p>
-
-<p class="indent">
-Lʼexécution suivit de près la sentence. La Porte-Neuve avait vu
-sʼélever successivement, sur lʼemplacement des Petits-Prés, le grand
-et le petit séminaire des Eudistes (aujourdʼhui lʼHôtel-de-Ville),
-lʼéglise des Jésuites (aujourdʼhui Notre-Dame) et un grand nombre de
-maisons particulières qui, en rétrécissant la place réservée aux
-promeneurs, semblaient lui signifier sa prochaine destruction. Après
-une durée de deux siècles, elle eut la bonne fortune dʼêtre
-reproduite, à ses derniers moments, par le crayon dʼun artiste.
-Combien de générations dʼhommes laisseront moins de traces!
-</p>
-
-
-<hr />
-
-</div>
-
-
-
-
-
-<!-- BEG NOTES: -->
-
-
-<div class="chapter">
-
-<p class="centerserif pfs90">
-<strong>
-NOTES
-</strong>
-</p>
-
-
-<!-- Note 1 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_1" href="#fr_1">1</a>
-«&#xA0;Cʼest peut-être là, dit lʼabbé De La Rue,
-le <i>petit château</i> dont parle la
-<i>Chronique de Normandie</i>. Le duc Guillaume ou ses ancêtres
-purent bien fortifier ce pont qui était la clef de la ville et de tout
-le Bessin. Dans les plus anciennes chartes,
-il est appelé <i>pons Cadomi</i>,
-on lʼappela ensuite <i>pons de Darnestallo</i>,
-enfin <i>pons S<sup>ti</sup> Petri</i>.&#xA0;»
-<i>Origines de Caen</i> de Huet,
-annotées par lʼabbé De La Rue, mss, in-8° de
-la Biblioth. de Caen, n°&#xA0;50, tome&#xA0;I, p.&#xA0;39.
-</p>
-
-
-<!-- Note 2 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_2" href="#fr_2">2</a>
-<i>Essais sur Caen</i>, tome&#xA0;I, p.&#xA0;127.
-</p>
-
-
-<!-- Note 3 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_3" href="#fr_3">3</a>
-Livre&#xA0;I, §&#xA0;262.
-</p>
-
-
-<!-- Note 4 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_4" href="#fr_4">4</a>
-<i>In quo ponte</i>,
-dit le continuateur anonyme,
-<i>est nunc ædificatum castrum valde pulchrum</i>.
-</p>
-
-
-<!-- Note 5 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_5" href="#fr_5">5</a>
-<i>Les armoiries de la ville de Caen</i>,
-dans le tome&#xA0;XX des
-<i>Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie</i>.
-</p>
-
-
-<!-- Note 6 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_6" href="#fr_6">6</a>
-A la date du 29 avril 1581, on trouve dans les Archives
-municipales un marché avec Pierre Crespin, couvreur, pour la
-réparation de la couverture de lʼHôtel de Ville. Il paraîtrait,
-dʼaprès ce marché, que les tourelles étaient couvertes en ardoise
-fine et le corps de logis en tuile.
-</p>
-
-
-<!-- Note 7 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_7" href="#fr_7">7</a>
-<i>Essais sur Caen</i>, tome&#xA0;I, p.&#xA0;247.
-</p>
-
-
-<!-- Note 8 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_8" href="#fr_8">8</a>
-<i>Relations des différentes festes données par les Corps et
-Communautés de la ville de Caen, à lʼoccasion de la naissance de
-Monseigr. le Dauphin</i>; in-12 de 12&#xA0;pages,
-s.&#xA0;l.&#xA0;n,&#xA0;d.
-</p>
-
-
-<!-- Note 9 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_9" href="#fr_9">9</a>
-Mss. in-fol. de la Biblioth. de Caen, n°&#xA0;143, feuillet&#xA0;51.
-</p>
-
-
-<!-- Note 10 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_10" href="#fr_10">10</a>
-Mss. in-fol. de la Biblioth. de Caen, n°&#xA0;143, feuillet&#xA0;51.
-</p>
-
-
-<!-- Note 11 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_11" href="#fr_11">11</a>
-Mss. in-4° de la Biblioth. de Caen, n°&#xA0;117, p.&#xA0;96.
-</p>
-
-
-<!-- Note 12 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_12" href="#fr_12">12</a>
-Quelque cent ans après, une note de lʼintendant Méliand sur lʼétat
-des finances de la ville constatait que lʼhorloger, en 1679, touchait
-un traitement de 80&#xA0;livres, tandis que lʼavocat de la ville au
-Parlement ne touchait que 30&#xA0;livres, et le greffier, sans indemnité
-pour ses frais de bureau, seulement 500&#xA0;livres.
-–&#xA0;Archives municipales,
-délibération du 1<small><sup>er</sup></small> mai 1679.
-</p>
-
-
-<!-- Note 13 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_13" href="#fr_13">13</a>
-Archives municipales, délibération du 4 janvier 1592.
-</p>
-
-
-<!-- Note 14 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_14" href="#fr_14">14</a>
-Archives municipales, délibération du 10 mai 1597.
-</p>
-
-
-<!-- Note 15 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_15" href="#fr_15">15</a>
-<i>Notice sur les clepsydres et les premières horloges</i>. Caen, 1872;
-in-18 de 29&#xA0;p.
-</p>
-
-<!-- Note 16 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_16" href="#fr_16">16</a>
-Mss. in-fol. de la Biblioth. de Caen, n°&#xA0;143, feuillet&#xA0;51.
-</p>
-
-
-<!-- Note 17 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_17" href="#fr_17">17</a>
-Archives municipales, 17 avril 1563.
-</p>
-
-
-<!-- Note 18 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_18" href="#fr_18">18</a>
-<i>Journal dʼun bourgeois de Caen</i>, p.&#xA0;76.
-</p>
-
-
-<!-- Note 19 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_19" href="#fr_19">19</a>
-<i>Bulletin monumental</i>, tome&#xA0;XVIII, p.&#xA0;92.
-</p>
-
-
-<!-- Note 20 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_20" href="#fr_20">20</a>
-Archives municipales, avril et 8 sept. 1563.
-</p>
-
-
-<!-- Note 21 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_21" href="#fr_21">21</a>
-<i>Journal dʼun bourgeois de Caen</i>, 3 nov. 1697,
-</p>
-
-
-<!-- Note 22 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_22" href="#fr_22">22</a>
-LʼHôtel de Ville avait deux canons, comme nous lʼapprend une
-délibération du 24 févr. 1607, à propos du mariage de M.&#xA0;de
-Bellefonds, gouverneur pour le Roi en la ville et château de Caen.
-«&#xA0;Sera, est-il dit dans cette délibération, en signe de joie et
-liesse, tiré quatre coups de canon de la grosse tour de Chatimoine et
-les deux de lʼHôtel commun de la ville, lors de lʼentrée de la
-mariée, lundi au soir.&#xA0;»
-</p>
-
-
-<!-- Note 23 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_23" href="#fr_23">23</a>
-Archives municipales, 22 sept. 1564.
-</p>
-
-
-<!-- Note 24 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_24" href="#fr_24">24</a>
-Archives municipales, 28 mai 1641.
-</p>
-
-
-<!-- Note 25 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_25" href="#fr_25">25</a>
-«&#xA0;État que les commissaires, ci-devant établis par le Roi au
-gouvernement et administration de lʼHôtel commun de la ville de
-Caen, baillent et laissent à MM.&#xA0;les Maire, Gouverneurs et
-Échevins dʼicelle, des charges et affaires les plus importantes, qui
-se sont passées depuis leur établissement, qui fut le 24 février 1640
-jusquʼà ce jour, et qui restent à faire par lesd. sieurs Maire et
-Echevins.&#xA0;»
-</p>
-
-
-<!-- Note 26 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_26" href="#fr_26">26</a>
-Archives municipales, 26 février 1563.
-</p>
-
-
-<!-- Note 27 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_27" href="#fr_27">27</a>
-Archives municipales, 28 juin 1602.
-</p>
-
-
-<!-- Note 28 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_28" href="#fr_28">28</a>
-Archives municipales, 25 janvier 1626.
-</p>
-
-
-<!-- Note 29 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_29" href="#fr_29">29</a>
-«&#xA0;A été appelé Leslogettes, cuisinier, avec lequel a été fait
-marché de fournir le dîner du mercredi des cendres prochain, en la
-maison de M.&#xA0;Brunet, de toutes choses qui se pourront trouver, pour
-traiter honorablement les assistans, au nombre de 40 personnes,
-ayant assisté à lʼélection, qui se fera, led. jour, des Echevins de
-lad. ville, dʼun receveur et administrateurs de la Maison Dieu et
-Léproserie en lui payant 50<small><sup>s</sup></small> par tête
-et 60<small><sup>s</sup></small> pour le vin de ses serviteurs,
-et parce quʼil fournira aussi à dîner aux serviteurs
-qui auront servi aud. dîner, et doit fournir linge, vaisselle, bois,
-pain, vin, cidre et toutes choses généralement.&#xA0;» Archives
-municipales, 3 mars 1611.
-</p>
-
-
-<!-- Note 30 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_30" href="#fr_30">30</a>
-Archives municipales, 23 juin 1652.
-</p>
-
-
-<!-- Note 31 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_31" href="#fr_31">31</a>
-«&#xA0;Noble homme, M<small><sup>r</sup></small> Jean Beaullart,
-s<small><sup>r</sup></small> de Maizet,
-fils et héritier de feu noble homme,
-Pierre Beaullart, a fait rapporter en cette
-maison plusieurs registres, pièces et écritures avec deux clefs et
-un cachet, quʼil a dit être les pièces, papiers, clefs et cachet,
-dont led, s<small><sup>r</sup></small> de Maizet, son père,
-se servait comme greffier de lʼHôtel commun de lad. ville.&#xA0;»
-Archives municipales, 26 octobre 1611.
-</p>
-
-
-<!-- Note 32 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_32" href="#fr_32">32</a>
-Archives municipales, 15 janvier 1538.
-</p>
-
-
-<!-- Note 33 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_33" href="#fr_33">33</a>
-Archives municipales, 16 janvier 1539.
-</p>
-
-
-<!-- Note 34 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_34" href="#fr_34">34</a>
-Archives municipales, 13 novembre 1661.
-</p>
-
-
-<!-- Note 35 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_35" href="#fr_35">35</a>
-Archives municipales, mars 1583.
-</p>
-
-
-<!-- Note 36 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_36" href="#fr_36">36</a>
-<i>Philippidos libri duodecim</i>, lib.&#xA0;VIII.
-</p>
-
-
-<!-- Note 37 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_37" href="#fr_37">37</a>
-<i>Rapport sur les fouilles du nouveau canal de lʼOrne</i>,
-<i>à Caen</i>,
-<i>relativement à lʼhistoire et à la géologie</i>,
-par M.&#xA0;Gervais de Laprise,
-28 floréal an&#xA0;IX.
-Voir, parmi les manuscrits de la Bibliothèque de Caen,
-le n°&#xA0;169 in-folio.
-</p>
-
-
-<!-- Note 38 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_38" href="#fr_38">38</a>
-<i>Recherches et antiquitez de la ville de Caen</i>,
-édit. de 1588, p.&#xA0;96.
-</p>
-
-
-<!-- Note 39 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_39" href="#fr_39">39</a>
-Notice sur le <i>Port de Caen</i>,
-dans les <i>Ports maritimes de la France</i>,
-t.&#xA0;II, p.&#xA0;409.
-</p>
-
-
-<!-- Note 40 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_40" href="#fr_40">40</a>
-Les pièces inédites que nous citons, ou dont nous donnons des
-extraits, ont été copiées aux archives municipales ou aux archives du
-département du Calvados. La plupart de ces documents nous ont été
-obligeamment communiqués par M.&#xA0;Houdan,
-qui a réuni une nombreuse et
-précieuse collection de notes sur les travaux du port de Caen.
-</p>
-
-
-<!-- Note 41 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_41" href="#fr_41">41</a>
-Voici, sur le Poigneux, un renseignement inédit extrait des
-archives municipales. «&#xA0;Lʼadministration ayant entendu la lecture
-dʼune lettre à elle adressée par le sous-ingénieur provisoire de
-vaisseaux du 4<small><sup>e</sup></small> arrondissement forestier,
-en date du 18 de ce mois,
-dans laquelle il demande quʼil soit nommé un expert pour procéder
-à lʼestimation du chantier nommé le <i>Poigneux</i>,
-nomme le c<small><sup>n</sup></small> Lair,
-architecte de la commune, aux fins de régler conjointement avec
-celui qui sera nommé par le c<small><sup>n</sup></small> Vesque,
-fermier dudit terrein au
-droit des pauvres de lʼhospice de lʼhumanité,
-lʼindemnité qui peut lui être due pour dépôt fait des bois de la
-marine, ce qui a empêché sa jouissance&#xA0;»
-(Séance du 23 pluviôse an&#xA0;VI).
-</p>
-
-
-<!-- Note 42 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_42" href="#fr_42">42</a>
-Notice sur le <i>Port de Caen</i>
-dans le II<small><sup>e</sup></small> tome des
-<i>Ports maritimes de la France</i>.
-</p>
-
-
-<!-- Note 43 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_43" href="#fr_43">43</a>
-Plusieurs fragments de ce portail sont conservés au Musée des
-Antiquaires.
-</p>
-
-
-<!-- Note 44 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_44" href="#fr_44">44</a>
-Ms. in-4°, n°&#xA0;120.
-</p>
-
-
-<!-- Note 45 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_45" href="#fr_45">45</a>
-Ms. conservé à la Bibliothèque de Caen, in-fol., n°&#xA0;104.
-</p>
-
-
-<!-- Note 46 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_46" href="#fr_46">46</a>
-<i>L'ancienne Université de Caen</i>, broch., p.&#xA0;15.
-</p>
-
-
-<!-- Note 47 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_47" href="#fr_47">47</a>
-La première inhumation enregistrée par l'histoire eut lieu à
-Saint-Étienne, le 23 novembre 1712. On y enterra, dans le sanctuaire,
-le corps du sieur Charles Turpin, prêtre, professeur de philosophie au
-collège Du Bois et recteur de l'Université de Caen.
-(<i>Journal d'un bourgeois de Caen</i>.)
-</p>
-
-
-<!-- Note 48 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_48" href="#fr_48">48</a>
-A propos du récit de l'inhumation de Charles Turpin, recteur de
-l'Université de Caen, les éditeurs du
-<i>Journal d'un bourgeois de Caen</i>
-se font l'écho de cette lointaine rumeur: «&#xA0;Ce passage du journal,
-écrivent-ils, est d'autant plus curieux qu'il est de tradition à Caen
-que les funérailles d'un recteur, en fonctions au moment de son décès,
-devaient être <i> semblables à celles d'un roi</i>,
-et que, lorsque ce haut
-dignitaire venait à tomber malade, le corps universitaire se
-réunissait à la hâte pour élire son successeur, afin d'éviter les
-énormes frais qu'eût entrainé son décès s'il n'avait pas été remplacé.
-On dit même qu'un recteur, étant à la chasse, se tua exprès pour être
-enterré <i>comme un roi</i>.&#xA0;»
-</p>
-
-
-<!-- Note 49 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_49" href="#fr_49">49</a>
-<i>Mémoires sur l'Université de Caen</i>,
-ms. in-fol. de la Bibliothèque de Caen,
-n°&#xA0;123, tome&#xA0;I.
-</p>
-
-
-<!-- Note 50 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_50" href="#fr_50">50</a>
-<i>Essais historiques sur la ville de Caen</i>,
-par l'abbé De La Rue, tome&#xA0;II, p.&#xA0;150.
-</p>
-
-
-<!-- Note 51 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_51" href="#fr_51">51</a>
-Ms. in-4° de la Bibliothèque de Caen,
-n°&#xA0;117,
-feuillet&#xA0;98.
-</p>
-
-
-<!-- Note 52 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_52" href="#fr_52">52</a>
-Lʼancienne porte de lʼabbaye a été gravée dans le <i>Cours
-dʼantiquités monumentales</i> de M.&#xA0;de Caumont;
-on en connaît aussi quelques dessins inédits.
-Mais la tour carrée, ou donjon, nʼa été
-reproduite nulle part et ne figure, croyons-nous, que dans le dessin
-de M.&#xA0;Le Nourichel et dans un fusain, très-inexact,
-exécuté en 1812 par R.&#xA0;Le Baron-Delisle.
-Ce fusain et la mine de plomb de M.&#xA0;Le Nouricbel
-sont conservés à la Bibliothèque de Caen.
-</p>
-
-
-<!-- Note 53 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_53" href="#fr_53">53</a>
-<i>Essais historiques sur la ville de Caen</i>,
-par lʼabbé De La Rue,
-tome&#xA0;I<small><sup>er</sup></small>, p.&#xA0;290.
-</p>
-
-
-<!-- Note 54 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_54" href="#fr_54">54</a>
-A côté des droits quʼelle exerçait, lʼAbbaye-aux-Dames avait
-aussi quelques charges à supporter. Nous en citerons une à cause de sa
-singularité. «&#xA0;Tous les ans, dit M.&#xA0;de Jolimont, la communauté
-donnait, le jour de la Trinité, un grand dîner à tous les habitants
-dʼune commune voisine (Vaux-sur-Seulles), et même à leurs domestiques,
-sʼils avaient un an et un jour de domicile. Ils tenaient cet usage,
-qui était devenu un droit acquis, de la générosité du seigneur
-primitif, droit auquel la mutation de propriété de la commune en
-faveur des religieuses nʼavait pu porter atteinte. Le repas était
-servi sur des nappes étendues sur lʼherbe, et durait quatre heures.
-Chaque convive avait un pain de 22&#xA0;onces et un morceau de lard
-bouilli dʼun pied carré, une ribelette de lard rôtie,
-une écuellée de lait et du cidre ou de la cervoise à volonté.
-La gaieté qui animait ces repas,
-et qui dut souvent dégénérer en excès, la singularité et les abus
-dʼune telle réunion dans un couvent de filles, et la crainte dʼune
-surprise en temps de guerre, firent changer en 1657, non sans beaucoup
-de difficulté, cette redevance en une rente de 30&#xA0;livres au trésor de
-la paroisse de Vaux, et en un service solennel le lendemain de la fête
-de la Trinité, pour les défunts de la paroisse, auquel assistaient six
-des habitants députés chaque année,
-et qui seuls dînaient à lʼabbaye.&#xA0;»
-</p>
-
-
-<!-- Note 55 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_55" href="#fr_55">55</a>
-<i>Essais sur Caen</i>,
-par lʼabbé De La Rue,
-t.&#xA0;II, p.&#xA0;19,
-</p>
-
-
-<!-- Note 56 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_56" href="#fr_56">56</a>
-Nouvelle édition de 1833,
-page&#xA0;6 de la 2<small><sup>e</sup></small>&#xA0;partie.
-</p>
-
-
-<!-- Note 57 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_57" href="#fr_57">57</a>
-Huet, <i>Origines de Caen</i>.
-</p>
-
-
-<!-- Note 58 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_58" href="#fr_58">58</a>
-Cette lettre a été publiée dans les «&#xA0;Documents inédits sur
-lʼ<i>Histoire de France</i>&#xA0;»:
-<i>Lettres missives de Henri&#xA0;IV</i>,
-tome&#xA0;III, p.&#xA0;3.
-</p>
-
-
-<!-- Note 59 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_59" href="#fr_59">59</a>
-Anciens registres de lʼHôtel-de-Ville.
-</p>
-
-
-<!-- Note 60 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_60" href="#fr_60">60</a>
-<i>Essais historiques sur la ville de Caen</i>,
-t.&#xA0;I, p.&#xA0;177.
-</p>
-
-
-<!-- Note 61 -->
-<p class="indentNO pfs90">
-<a class="fn" id="fn_61" href="#fr_61">61</a>
-Minute de lettre à M.&#xA0;de Gesves,
-en réponse aux lettres du roi.
-</p>
-
-
-</div>
-
-
-
-
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-<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK <span lang='fr' xml:lang='fr'>CAEN DÉMOLI</span> ***</div>
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-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg&#8482;
-</div>
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-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg&#8482;&#8217;s
-goals and ensuring that the Project Gutenberg&#8482; collection will
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-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg&#8482; and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation&#8217;s EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state&#8217;s laws.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation&#8217;s business office is located at 809 North 1500 West,
-Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
-to date contact information can be found at the Foundation&#8217;s website
-and official page at www.gutenberg.org/contact
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; depends upon and cannot survive without widespread
-public support and donations to carry out its mission of
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-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-</div>
-
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-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
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-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
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-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 5. General Information About Project Gutenberg&#8482; electronic works
-</div>
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-Gutenberg&#8482; concept of a library of electronic works that could be
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-</div>
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Binary files differ
diff --git a/old/68314-h/images/5_C.jpg b/old/68314-h/images/5_C.jpg
deleted file mode 100644
index 09109ad..0000000
--- a/old/68314-h/images/5_C.jpg
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/68314-h/images/CD_BL_CoverCleanRed2.jpg b/old/68314-h/images/CD_BL_CoverCleanRed2.jpg
deleted file mode 100644
index e72d867..0000000
--- a/old/68314-h/images/CD_BL_CoverCleanRed2.jpg
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL1_ScdHdV.png b/old/68314-h/images/CD_PL1_ScdHdV.png
deleted file mode 100644
index 976f388..0000000
--- a/old/68314-h/images/CD_PL1_ScdHdV.png
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL1_end.png b/old/68314-h/images/CD_PL1_end.png
deleted file mode 100644
index 6125cee..0000000
--- a/old/68314-h/images/CD_PL1_end.png
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL2_VuePort.png b/old/68314-h/images/CD_PL2_VuePort.png
deleted file mode 100644
index 3328646..0000000
--- a/old/68314-h/images/CD_PL2_VuePort.png
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL3_AncEglStSauveur.png b/old/68314-h/images/CD_PL3_AncEglStSauveur.png
deleted file mode 100644
index 53b1d41..0000000
--- a/old/68314-h/images/CD_PL3_AncEglStSauveur.png
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL3_end.png b/old/68314-h/images/CD_PL3_end.png
deleted file mode 100644
index e62e55b..0000000
--- a/old/68314-h/images/CD_PL3_end.png
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL4_AncAbbDames.png b/old/68314-h/images/CD_PL4_AncAbbDames.png
deleted file mode 100644
index b7c96f6..0000000
--- a/old/68314-h/images/CD_PL4_AncAbbDames.png
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL4_end.png b/old/68314-h/images/CD_PL4_end.png
deleted file mode 100644
index 12f306e..0000000
--- a/old/68314-h/images/CD_PL4_end.png
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL5_PorteNeuve.png b/old/68314-h/images/CD_PL5_PorteNeuve.png
deleted file mode 100644
index 6c07b26..0000000
--- a/old/68314-h/images/CD_PL5_PorteNeuve.png
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/68314-h/images/CD_PL_beg.png b/old/68314-h/images/CD_PL_beg.png
deleted file mode 100644
index db628fd..0000000
--- a/old/68314-h/images/CD_PL_beg.png
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/68314-h/images/Cover_LH.png b/old/68314-h/images/Cover_LH.png
deleted file mode 100644
index 321c8d4..0000000
--- a/old/68314-h/images/Cover_LH.png
+++ /dev/null
Binary files differ